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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Situation au Kosovo. - Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration (p. 3621).

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

M.

François Hollande, Mme Michèle Alliot-Marie,

MM. Robert Hue, Hervé de Charette.

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER

MM. Roger-Gérard Schwartzenberg, José Rossi.

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

M. Jack Lang, président de la commission des affaires étrangères.

M. le Premier ministre.

Clôture du débat.

2. Couverture maladie universelle. - Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (p. 3648).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

3. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 3656).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

SITUATION AU KOSOVO Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration

M. le président.

Mes chers collègues, conformément au souhait que nous avions formulé, l'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la situation au Kosovo et le débat sur cette déclaration.

Après l'intervention du Premier ministre, je donnerai la parole à un orateur de chaque groupe puis aux présidents de la commission de la défense et de la commission des affaires étrangères. Enfin, M. le Premier ministre souhaitera, je le pense, répondre aux intervenants.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, depuis ma première intervention devant votre assemblée sur le conflit du Kosovo, le 26 mars dernier, j'ai eu l'occasion de revenir à plusieurs reprises sur le sens et la portée de notre participation à l'intervention militaire contre les forces serbes. Je m'en suis aussi régulièrement entretenu avec les présidents des groupes de l'Assemblée et du Sénat et les présidents des commissions compétentes. Mais après cinq semaines d'opérations aériennes, il paraît une nouvelle fois utile que nous nous retrouvions pour faire le point. Il est en effet légitime, face à une crise aussi dramatique, que des questions se posent, et je souhaite y répondre.

M. Jean-Louis Debré.

Vous avez perdu votre voix.

M. le Premier ministre.

Vous me pardonnerez la légère laryngite qui affectera peut-être ma voix.

M. Jean-Louis Debré.

C'est une voie de garage !

M. le Premier ministre.

Je n'ai qu'une voix, monsieur D ebré. D'autres sont extrêmement multiples en ce moment.

(Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. François Vannson.

Rigolez ! Rigolez !

M. le Premier ministre.

D'emblée, je tiens à souligner que les buts qui sont les nôtres dans ce conflit demeurent inchangés. Car ils fondent le sens de notre intervention.

Ils orientent le choix des moyens retenus. Ils nous guident dans la recherche d'une issue politique.

Quels sont ces buts ? Nous voulons que cesse la campagne de répression et d'épuration ethnique déclenchée par les autorités serbes au Kosovo.

Nous voulons que les forces de police, militaires, paramilitaires quittent la province où elles commettent leurs exactions.

Nous voulons que les réfugiés, les déplacés retrouvent leurs terres et leurs foyers, que les Kosovars puissent vivre en paix, chez eux, au Kosovo.

Nous voulons que la population albanophone dispose d'un statut d'autonomie reconnaissant la plénitude de ses droits et qui garantisse la sécurité de tous les habitants.

M. Milosevic et les autorités serbes portent l'entière responsabilité de la confrontation actuelle.

Par leur intransigeance dans la négociation tentée depuis un an.

Par leur refus obstiné d'accorder à tous les habitants du Kosovo les droits politiques, culturels et sociaux qui sont au coeur des démocraties.

Par leur acharnement à mettre en oeuvre un plan préparé de longue date pour vider le Kosovo de ses habitants albanophones.

C'est pourquoi nous avons assigné pour mission aux forces alliées de briser la capacité de l'appareil répressif serbe, de frapper des objectifs stratégiques pour forcer la voie à une issue politique.

Fallait-il pour cela déclarer la guerre à la Serbie ? Nous ne faisons pas la guerre à la Serbie. Exercer une domination sur ce pays, conquérir tout ou partie de son territoire, combattre le peuple serbe : rien de cela ne guide notre action. Mais nous ne devions pas rester sans réaction face aux violations incessantes, par Belgrade, des engagements et obligations établis par le Conseil de sécurité, face aux atteintes graves et répétées portées a ux droits de l'homme, face à la perspective de nouveaux massacres.

Pouvions-nous faire usage d'autres moyens de pression ? Pouvait-on, en réalité, éviter les frappes ? Personne n'a été jusqu'ici en mesure de proposer une alternative convaincante. Dès lors que M. Milosevic refusait obstinément tout débouché à la négociation - comme nous l'avons constaté pour la dernière fois à Rambouillet, puis à Paris -, renoncer aux frappes qui avaient été clairement annoncées c'était garantir aux autorités serbes l'impunité dans la poursuite de leurs agissements et nous résigner à l'impuissance.

M. Milosevic assume aujourd'hui les conséquences de son obstination, au prix de très lourdes destructions pour son pays déjà épuisé, de l'opprobre jeté sur lui par la communauté internationale. Il est révélateur que, sur la scène mondiale, même parmi ceux qui n'approuvent pas les opérations militaires, il n'est pas un pays pour défendre son action, pas un démocrate pour soutenir son régime.

Fallait-il, à l'inverse, recourir à une intervention terrestre ? Outre que notre intention n'était pas de faire la guerre à la Serbie, cela aurait été un pari à haut risque.


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Compte tenu des moyens mis en place par la Serbie, au Kosovo et alentour, en violation des accords d'octobre 1998, une telle décision nous aurait entraînés d'emblée dans des opérations de guerre de grande ampleur, aux conséquences imprévisibles.

Cette option n'aurait pas permis d'empêcher des massacres. Les délais nécessaires aux préparatifs, le déroulement même des opérations aéroterrestres auraient laissé trop longtemps le champ libre aux forces serbes. Les forces prépositionnées en Macédoine, destinées à garantir un accord de paix auquel nous travaillions, n'étaient en effet ni prêtes, ni équipées pour une opération de cette envergure.

Intervenir au sol dans l'urgence, c'était donc prendre des risques considérables pour nos forces sans parvenir pour autant à sauver les réfugiés. Or nous ne pouvions pas attendre pour agir : nous savions que le dispositif militaire de M. Milosevic allait entrer en action dès lors que l'échec des négociations serait acquis.

La stratégie des frappes est-elle efficace ? Les frappes n'ont certes pas empêché l'épuration ethnique de se poursuivre. Mais quelle autre stratégie était en mesure de l'interdire ? L'épuration ethnique était programmée, décidée et avait commencé. Aucune stratégie ne pouvait garantir qu'elle soit arrêtée. Pas plus une intervention terrestre à haut risque, qui aurait vu sans doute s'étendre la pratique des boucliers humains ; pas plus le renoncement à toute action, qui aurait laissé libre cours à ces activités criminelles. A vouloir la paix sans les frappes, on aurait eu l'épuration ethnique sans les bombes, c'est-à-dire sans que le régime serbe en paie au moins le prix.

L'efficacité de la stratégie arrêtée ne pourra s'apprécier qu'avec le temps. Vous savez que notre détermination est entière. M. Milosevic devra céder.

La disproportion des forces entre Serbes et Kosovars - troupes militaires et paramilitaires surarmées d'un côté, populations civiles sans défense ou groupes faiblement a rmés de l'autre - était criante. L'intervention de l'Alliance a bouleversé ce rapport de forces.

Nous progressons dans la réalisation de nos objectifs militaires, malgré la retenue que nous nous imposons pour épargner le plus possible la population. La campagne aérienne a pour but de détruire les systèmes sol-air serbes pour s'assurer la maîtrise de l'espace aérien. Elle vise à réduire les capacités militaires et répressives serbes, et tout ce qui concourt à leurs mouvements, à leur commandement et à leur contrôle. Désormais, les avions alliés dominent le ciel yougoslave lors de leurs raids audessus de la Serbie et du Kosovo. La logistique des forces serbes peine sous les coups. Les instruments de la propagande serbe sont défaillants. Gardons-nous de calculs trop précis du nombre de chars, d'avions, de radars, de postes de commandement détruits ou endommagés. La véritable évaluation militaire doit concerner la cohésion de l'outil de guerre serbe. Celle-ci s'affaiblit de jour en jour ; pas assez vite, sans doute, mais elle décline. Les renforts aériens que les alliés vont déployer contribueront à accélé rer ce déclin.

Les effets recherchés sont ainsi d'une double nature : militaire - réduire le pouvoir de destruction des forces serbes - et politique - abattre les piliers sur lesquels repose ce régime.

Il faut donc, mesdames et messieurs les députés, avoir la ténacité et le sang-froid d'appliquer cette stratégie jusqu'à faire ployer ce régime et reculer ses milices. D'autant que les bombardements peuvent cesser immédiatement, du jour où M. Milosevic acceptera les conditions posées par la communauté internationale et notamment par le secrétaire général des Nations unies.

D'ici à là, comment faisons-nous face aux problèmes humanitaires ? La politique brutale des forces militaires et répressives serbes au Kosovo a jeté sur les routes, d'abord des milliers, puis des dizaines de milliers, bientôt des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants. Des hommes sont arrêtés arbitrairement ou exécutés sommairement ; des femmes, en nombre encore inconnu, sont une nouvelle fois victimes de viols ; des familles entières sont déportées après que leurs maisons ou leurs villages ont été pillés, saccagés, incendiés.

Il y aurait, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés, près de 700 000 réfugiés, dont 360 000 en Albanie, 135 000 en Macédoine et 65 000 au Monténégro. Plus de 80 000 autres en Bosnie-Herzégovine et en Serbie.

Plusieurs centaines de milliers de personnes déplacées se trouvent encore en situation très précaire au Kosovo même, fuyant la répression militaire, cherchant à se protéger des exactions des milices, s'efforçant simplement de survivre. On sait que sévissent de nouveau les hommes d'Arkan, le bourreau des Bosniaques, et d'autres criminels, inculpés comme lui par le Tribunal pénal international.

En Macédoine, le Gouvernement a finalement accepté d'ouvrir de nouveaux sites d'accueil, tout en continuant à encourager le départ des réfugiés vers l'Albanie et vers d'autres pays, principalement l'Union européenne et la Turquie. Désormais, le HCR et les ONG peuvent pleinement remplir leur mission auprès des réfugiés.

En Albanie, le Gouvernement, qui ne souhaite pas, lui, le départ des réfugiés vers d'autres pays, a demandé à l'Alliance d'organiser les secours. A cette fin, un accord a été signé il y a quelques jours par l'OTAN et le HCR.

Cette situation dramatique, plusieurs d'entre vous, mesdames et messieurs, ont pu en prendre la mesure, en allant sur place avec l'appui de nos ambassades et de nos forces armées. Je me rendrai moi-même en Macédoine et en Albanie à la fin de cette semaine.

Notre pays prend toute sa part de l'effort international de solidarité. En Macédoine et en Albanie, la France met à disposition des personnels militaires, déploie les centaines de spécialistes de la cellule d'urgence, de la sécurité civile et du SAMU. Elle achemine sur place, depuis son territoire, des milliers de tonnes de fret humanitaire : nourriture, médicaments, tentes, produits de première nécessité. En Macédoine, prenant le relais de nos soldats, l'action humanitaire française gère maintenant, avec des ONG, le camp de Stenkovec, où séjournent plus de 11 000 personnes. En Albanie, la France administre plusieurs camps ; nos médecins assurent la couverture épidémiologique du pays et s'apprêtent à réhabiliter l'hôpital de Tirana.

Le Gouvernement a en outre décidé d'apporter une aide directe aux familles albanaises et macédoniennes qui accueillent des réfugiés. Plusieurs d'entre vous le demandaient : nous en étudions actuellement les modalités et le montant, afin notamment de choisir la voie, bilatérale ou multilatérale, la mieux appropriée pour soulager effectivement les familles d'accueil et les Etats.

Dans le même esprit, la France a décidé d'accorder une aide économique et financière aux pays touchés : des missions d'experts se rendent à Tirana et à Skopje, pour déterminer, en concertation avec les gouvernements, les p rojets à financer d'urgence. Le Président de la


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République et moi-même pourrons d'ailleurs aborder ces questions avec le président albanais, M. Meidani, qui est reçu en France aujourd'hui.

Nous avons enfin saisi le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, pour que créanciers et donateurs se mobilisent de façon cohérente. Le « groupe Balkans » du FMI se réunit aujourd'hui même, en présence de notre ministre de l'économie et des finances.

Une réunion spéciale de la Banque mondiale se tiendra le 5 mai. Nous prendrons, avec l'Union européenne, nos responsabilités, pour apporter à l'Albanie, à la Macédoine, comme aux autres voisins du Kosovo, l'aide que réclament leurs économies durement touchées par le conflit.

En France même, la population s'est mobilisée en un élan exceptionnel, que j'ai déjà eu l'occasion de saluer.

Grâce à nos compatriotes, plus de 10 000 tonnes d'aide humanitaire d'urgence ont été collectées, qui sont acheminées par les moyens de l'Etat.

Pour accueillir des réfugiés dans notre pays, plus de 10 000 familles se sont portées volontaires. Fidèles à notre volonté de permettre le séjour temporaire de familles qui le désirent - ce point devant être constaté par le HCR -, nous avons organisé, à ce jour, l'accueil de plus d'un millier de personnes dans des centres d'hébergement collectif. Une partie d'entre elles rejoindra des familles françaises. Ce mouvement va se poursuivre. Nous ferons tout pour aider ces hommes et ces femmes à oublier, le temps de leur séjour, l'épreuve qui les frappe.

Le jour venu - et ce jour viendra - nous les aiderons à retrouver leur foyer au Kosovo.

Pour atteindre ce but, certains pensent qu'une intervention terrestre, par une entrée en force au Kosovo, est nécessaire. A l'occasion du sommet de l'Alliance atlantique, qui vient de se tenir à Washington, il a été clairement indiqué que cette question n'était pas à l'ordre du jour. Je veux dire devant vous toutes les réserves qu'inspirent à mon gouvernement, et aussi - je crois pouvoir le dire - au Président de la République, les scénarios qui postulent l'échec des frappes aériennes et débouchent sur une offensive terrestre au Kosovo.

Cette option reste, aujourd'hui comme il y a un mois, lourde de risques. Passer de la logique de coercition d'une campagne aérienne à un engagement militaire terrestre, c'est accepter le principe d'affrontements meurtriers pour les populations et pour nos soldats.

C'est admettre la logique d'une guerre qui pourrait ne pas s'arrêter à Pristina, mais à Belgrade.

C'est risquer de voir s'embraser les Balkans.

C'est compromettre nos relations avec la Russie...

Plusieurs députés du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

Et avec M. Hue ?

M. le Premier ministre.

... et mettre à l'écart un partenaire indispensable au règlement politique de cette crise.

En tout état de cause, l'hypothèse d'un engagement militaire au sol de cette nature ne pourrait être envisagée sans que la question vous soit soumise.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Vous seriez consultés de façon formelle pour autoriser, ou non, par un vote une telle intervention.

M. Robert Paudraud.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Cela ne veut pas dire, mesdames et messieurs les députés, qu'aucune présence militaire au Kosovo ne saurait s'envisager. Nous savons bien que, quand nous parviendrons, comme c'est notre objectif, à une solution politique, un tel déploiement sera nécessaire pour la mettre en oeuvre et la garantir. Il devra être décidé par une résolution du Conseil de sécurité, prise en vertu du chapitre VII de la charte des Nations unies. Cette force devra, bien sûr, disposer des moyens nécessaires en termes de puissance déployée, d'unicité de la chaîne de commandement et d'efficacité des règles d'engagement.

Puisque nous savons que, dans cette force, l'OTAN devra tenir sa place, je souhaite évoquer maintenant le rôle de cette organisation dans le conflit en cours et, audelà, nos relations avec elle.

L'histoire de ces relations, vous la connaissez. Après les décisions prises par le général de Gaulle en 1966,...

M. Jacques Myard.

Bonnes décisions !

M. le Premier ministre.

... la France a continué, hors du commandement intégré, à collaborer activement avec ses partenaires de l'Alliance. L'accord Ailleret-Lemnitzer a fixé, en 1967, les conditions de l'engagement français aux côtés de l'Alliance. A partir de 1991, la France envisagea de faire évoluer sa relation à l'OTAN. Aux yeux de plusieurs de nos parlementaires, le rapprochement avec l'organisation intégrée devait être le préalable nécessaire au développement d'une politique européenne de défense.

Dans son second septennat, le Président François Mitterrand avait choisi un processus diplomatique graduel, qui impliquait autant de changements du côté français que d'évolutions du côté de l'OTAN. François Mitterrand disait : « Nous bougeons quand l'OTAN bouge. »

Cherchant à influencer l'organisation de la sécurité européenne, notre pays affirma, entre 1991 et 1995, la nécessité d'une OTAN plus équilibrée. La recherche, à l'initiative du Président Jacques Chirac, d'une nouvelle attitude de la France à l'égard de l'OTAN n'a pas mis fin à ce débat.

Dans le conflit du Kosovo, la France occupe toute sa place : celle d'un membre respecté de l'Alliance. Elle n'a pas été entraînée dans les opérations militaires menées p ar l'OTAN : elle en a partagé avec ses alliés la décision, après en avoir évalué les risques et considéré qu'il n'y avait plus d'alternative possible.

Dans la conduite des frappes aériennes, vous le savez, la France est associée. Notre avis est suivi lorsque nous nous opposons à une opération. Je n'ai aucune raison de douter que nos partenaires en fassent de même.

Les circonstances ont voulu que le cinquantième anniversaire de l'Alliance atlantique se tienne en pleine crise du Kosovo. Samedi, à Washington, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Alliance atlantique ont adopté une déclaration sur le conflit. Elle réaffirme notre détermination à l'emporter, face au défi lancé à nos valeurs fondatrices : la démocratie, les droits de l'homme, la primauté du droit. Le débat a été à la fois aisé, parce qu'aucune divergence ne sépare les alliés sur les points que je viens d'évoquer, et difficile, parce que la crise du Kosovo a p esé, bien entendu, sur la définition du nouveau

« concept stratégique » de l'Alliance.

En matière de maintien de la paix, nous avons toujours considéré qu'il appartient au Conseil de sécurité, conformément à la charte des Nations unies, d'autoriser le recours à la force pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. Si l'urgence au Kosovo a imposé de déroger au principe, bien qu'il y ait eu trois résolutions, celui-ci ne saurait être remis en cause par une exception. Rien ne saurait diminuer la portée des engage-


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ments contenus dans la charte des Nations unies, engagements pris par des pays redevenus libres au terme du dernier conflit mondial.

Nous reconnaissons, comme la charte elle-même, l'importance des organisations de sécurité collective régionale, au premier rang desquelles l'OTAN. Nous mesurons l'apport essentiel de l'Alliance à la sécurité européenne.

Mais nous ne souhaitons pas que l'OTAN se transforme en une organisation mondiale, qui s'émanciperait des règles universelles des Nations unies pour intervenir quand elle le souhaite et où elle le décide. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

C'est cette conviction que le Président de la République, avec les ministres des affaires étrangères et de la défense, et selon la position élaborée en commun avec le Gouvernement, a défendue à Washington. Elle se traduit par le rappel, dans le nouveau concept stratégique, que l'Alliance est constituée de « nations engagées par le traité de Washington et la charte des Nations unies ».

Dans ce contexte, peut-on avoir, comme certains l'ont souhaité, une défense européenne ? La crise du Kosovo repose de manière évidente cette question, et je me réjouis de voir combien l'épreuve des faits suscite chez nous d'adhésion à cette idée.

La voie pragmatique explorée à Saint-Malo, que décrit la déclaration franco-britannique, doit être approfondie a vec nos partenaires. Une approche progressive et concrète doit accompagner dans toutes ses étapes le développement de la PESC. L'Union doit être capable de prendre, dans le cadre intergouvernemental, des décisions en matière de défense et de gestion de crise. Cela suppose qu'elle se dote, sans redondance, et en relation avec l'OTAN, de moyens propres pour évaluer les situations, planifier de façon autonome des moyens et disposer librement de capacités d'action.

Le conflit que nous affrontons ensemble renforce notre conviction collective. Dans la recherche d'une solution négociée pour le Kosovo, comme dans l'intervention militaire, les Quinze élaborent et tiennent un langage commun. Cela est apparu clairement au sommet des chefs d'Etat et de gouvernement à Bruxelles le 14 avril, comme au sommet de Washington. Nous nous appuierons sur cette solidarité dans le conflit et dans la recherche de la paix pour relancer le projet d'une défense commune.

Pour l'heure, l'urgence est de mettre un terme au drame du Kosovo.

Si nous restons déterminés à prolonger l'usage nécessaire de la force, nous réaffirmons clairement, avec nos partenaires, notre volonté de trouver une issue diplomatique au conflit en cours. Parce que nous sommes des démocraties et que les démocraties ne recourent qu'à contrecoeur à la force. Parce que nous nous sommes engagés pour que la paix règne au Kosovo. Parce qu'une paix durable ne peut être fondée que sur un accord politique permettant la coexistence des peuples et des Etats des Balkans.

Sur la base des principes de Rambouillet, nous continuons de plaider pour une solution fondée sur l'autonomie substantielle du Kosovo, à l'intérieur des frontières de la République fédérale yougoslave. Nous souhaitons qu'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies fonde ce règlement politique, et prévoie une administration intérimaire garantie par le déploiement d'une force de sécurité internationale. Nous y travaillons déjà, avec nos partenaires du groupe de contact, sur la base de la déclaration du secrétaire général des Nations unies du 8 avril dernier, qui a reçu le soutien immédiat de la France et de l'Union européenne. C'est également l'objet des discussions que nous poursuivons avec la Russie, qui doit jouer un rôle majeur dans la recherche d'un accord comme dans sa mise en oeuvre.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'évoquais au début de mon intervention les fondements et les buts de notre action. La force armée des pays européens et nord-américains est aujourd'hui unie et mise a u service non pas d'intérêts nationaux ou d'une

« volonté d'empire », mais de la justice et des droits de l'homme.

Imposer, conformément à ces principes, une issue diplomatique assurant non seulement le retour des Kosovars dans leur pays, un Kosovo autonome et démocratique, mais également la coexistence pacifique et la prospérité des peuples des Balkans, qui sont les premières victimes de ce conflit, ce sera apporter la preuve que nous savons définir et faire prévaloir une solution digne de l'Europe d'aujourd'hui.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur divers bancs du groupe communiste et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. François Hollande, premier orateur inscrit.

M. François Hollande.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, je souhaite tout d'abord exprimer notre satisfaction d'avoir de nouveau l'occasion de débattre au sein de l'Assemblée nationale du conflit du Kosovo, plus d'un mois après le déclenchement des opérations militaires auquel notre pays participe. Ce débat est non seulement légitime et nécessaire, mais il est utile à la compréhension et donc à l'efficacité de l'action engagée.

Votre déclaration, monsieur le Premier ministre, était claire et elle a répondu aux interrogations que le pays légitimement se pose.

La première question est rétrospective et porte sur les raisons de notre implication dans cette crise. Vous les avez une nouvelle fois rappelées en revenant sur l'histoire récente.

Après les drames de la Croatie et de la Bosnie, après un an de tension au Kosovo, après des mois de discussions interrompues par le refus catégorique d'une solution politique pourtant à portée de main lors des négociations de Rambouillet, il est clairement apparu que le pouvoir serbe n'avait à ce stade aucune intention de renoncer à ses intentions criminelles.

Face à une telle volonté, affirmée d'ailleurs par la force la plus brutale, face à des violations massives et répétées des droits de l'homme, inacceptables à l'aube d'un nouveau siècle et au coeur de l'Europe, il fallait réagir.

P our que s'arrêtent ces exactions, pour que ces femmes, ces hommes et ces enfants puissent garder l'espoir de vivre chez eux - je devrais dire de vivre, tout simplement - il fallait agir.

Nous avons regretté, comme les autorités françaises, que les Nations unies n'aient pas autorisé formellement le recours à la force, mais nous avons reconnu aussi les raisons qui permettaient d'expliquer une telle situation. Il y avait urgence et personne n'aurait compris que les démocraties restent impuissantes face au pire.


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M. François Lamy.

Exact !

M. François Hollande.

Les Français l'ont très majoritairement compris. Ils ont compris que la France devait s'impliquer aux côtés de ses partenaires de l'Alliance atlantique, ils ont accepté - et ce n'était pas facile - que des militaires français risquent leur vie pour faire pression sur les autorités serbes, et ils ont soutenu et soutiennent encore le Président de la République et le Gouvernement dans leur volonté d'arrêter M. Milosevic et de porter secours à la population du Kosovo.

Outre la nécessité d'une intervention, laquelle est comprise par nos compatriotes, la deuxième question porte sur la stratégie choisie. Convenons que les frappes aériennes mettent plus de temps que prévu à produire des résultats significatifs.

Mais, dès lors que les cibles étaient limitées aux seuls objectifs militaires et économiques, sans dommages excessifs pour les populations civiles, elles ne pouvaient pas avoir d'effet immédiat. C'est donc la répétition de ces frappes, leur précision et même leur intensification qui peuvent produire, à terme, le dénouement souhaité.

Les socialistes approuvent donc la décision qui a été prise de poursuivre l'action engagée, car elle est la seule qui permette de faire comprendre aux autorités serbes qu'il n'y aura pas de relâchement de notre part et que les destructions infligées au commandement, au matériel, comme aux sources d'approvisionnement seront telles qu'elles priveront Milosevic des moyens d'organiser toute résistance. Les sanctions économiques, comme la saisie des avoirs financiers et l'embargo pétrolier, participent de cette coercition qui, néanmoins, doit se faire dans le respect du droit international.

Quelles étaient d'ailleurs les stratégies alternatives à celle utilisée ? Il y en avait deux, vous les avez rappelées, monsieur le Premier ministre.

La première était le retour au statu quo.

C'était alors la victoire de l'épuration ethnique, l'impunité absolue pour ceux qui la planifient, sans que l'on pût d'ailleurs être sûr de revenir de quelque façon que ce soit à l'action diplomatique, puisqu'elle eût été privée de l'efficacité de la sanction.

La deuxième option alternative, c'est l'intervention au sol. Des voix diverses, ici ou là, demandent une guerre terrestre, sans mesurer ni sa faisabilité ni ses conséquences sur les forces alliées, sur la population civile et même sur les pays riverains. On n'est pas sûr non plus de maîtriser non pas l'issue d'un tel conflit mais la durée de l'opération, dans un environnement hostile, à moins de porter le conflit jusqu'à Belgrade. Les réserves que vous inspire ce scénario, monsieur le Premier ministre, sont également les nôtres et nous avons bien noté le rôle qui serait celui du Parlement, conformément d'ailleurs à la Constitution, dans l'hypothèse d'un engagement militaire au sol.

Aussi les socialistes, à ce stade, veulent-ils rester fidèles au schéma initial. Notre objectif, notre seul objectif, est de contraindre les autorités yougoslaves à accepter les cinq conditions posées par l'OTAN et reprises par le secrétaire général des Nations unies.

Cette stratégie commence d'ailleurs à produire ses premiers résultats. De la part des Serbes, certains signes, même modestes, même contradictoires, même confus, en t émoignent. La récente déclaration du vice-premier ministre en est un indice, et qui n'est pas le premier. De notre cohérence, de notre obstination, de notre constance dépend la durée même de l'intervention.

La troisième question porte sur l'issue politique ellemême. La France doit, en liaison avec ses partenaires européens notamment, rechercher une solution diplomatique au conflit, conformément aux objectifs définis à l'origine des opérations.

De quoi s'agit-il ? D'abord, d'arrêter les exactions. Ensuite, de reconstruire un Kosovo débarrassé des forces de répression serbes et dans lequel les réfugiés puissent revenir vivre sans peur du lendemain. Enfin, d'assurer une stabilité de la région des Balkans, qui garantisse que les drames d'aujourd'hui ne se reproduisent pas demain.

Le secrétaire général des Nations unies a fait des propositions pour que s'enclenche un processus conduisant à l'arrêt des combats au Kosovo et par conséquent, à la cessation des frappes de l'OTAN. Nous nous réjouissons du plein soutien apporté par la France et par l'Union européenne à cette initiative.

Pour ce qui est du retour des réfugiés, il est évident, et vous l'avez rappelé, monsieur le Premier ministre, qu'une force de protection devra être constituée et déployée au Kosovo le moment venu pour s'assurer que la sécurité de ces réfugiés sera garantie et que les dispositions d'un éventuel accord politique seront bien appliquées. De notre point de vue, les choses sont claires : c'est aux Nations unies, et en fait au Conseil de sécurité, qu'il appartiendra de décider et de légitimer la force qui sera mise en place.

M. Alain Barrau.

Très bien !

M. François Hollande.

Parce que le combat est mené par les pays démocratiques au nom de la communauté internationale, c'est à elle, et à elle seule, c'est-à-dire aux Nations unies, de garantir la paix et l'avenir du Kosovo.

Mme Odette Grzegrzulka.

Très bien !

M. François Hollande.

Et il était nécessaire qu'à Washington, à l'occasion du sommet de l'OTAN, cette responsabilité primordiale des Nations unies dans le maintien de la paix fût rappelée, et elle l'a été à l'initiative de la France. L'engagement de notre diplomatie y a contribué puissamment. Mais nous devons veiller - en tout cas la formation politique que j'anime veillera - à ce que ce principe de la responsabilité des Nations unies soit, à chaque moment, non seulement affirmé mais respecté.

Mme Odette Grzegrzulka.

Très bien !

M. François Hollande.

Pour parvenir à un règlement politique du conflit, il est indispensable de renouer au plus vite un véritable dialogue avec la Russie, dont le rôle sur le continent est fondamental. Il est impossible d'imaginer un avenir pacifique pour les Balkans et pour l'Europe sans que ce partenaire essentiel y soit associé.

Le président russe a désigné un émissaire spécial, et celui-ci a commencé à travailler : nous sommes favorables à ce que la France saisisse cette chance de collaborer avec la Russie, et soutienne toutes les initiatives qui permettraient de parvenir à un règlement politique.

Concernant l'avenir des Balkans, il doit être répété que nous ne voulons pas exclure la Yougoslavie du processus d'intégration politique et que nous souhaitons la tenue d'une conférence des Balkans dans un avenir proche.

C'est ce qu'avait prévu le Conseil européen à Bruxelles, et nous tenons à ce que cette perspective ne soit pas perdue de vue.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

Nous souhaitons aussi, une fois les opérations militaires achevées, que les organisations politiques - à commencer par l'Union européenne, mais sans oublier l'OSCE - puissent définir les contours de cet avenir de coopération entre les peuples d'Europe.

Enfin, il y a l'urgence, et la question des réfugiés.

Nos compatriotes ont su, dès le premier jour, se mobiliser dans un formidable élan de solidarité, qui les a vus apporter un soutien déterminant aux organisations non gouvernementales, collectant des milliers de tonnes de vivres, de médicaments et de matériels de secours.

Chaque jour, nous voyons s'amplifier cet élan et cette mobilisation, grâce aussi aux efforts de nombreuses collectivités locales.

L es socialistes souhaitent, monsieur le Premier ministre, que l'Etat apporte toute l'aide possible à ces donateurs - notamment pour assurer une distribution satisfaisante de l'aide collectée - et surtout qu'il soutienne les volontaires qui se sont rendus sur place.

De ce point de vue, l'OTAN, dont personne ne conteste qu'elle puisse utilement contribuer à la mise en place des secours et à la sécurisation des réfugiés, doit impérativement se contenter de ce rôle et ne pas chercher à évincer les organisations internationales,...

Mme Odette Grzegrzulka.

Très bien !

M. François Hollande.

... comme le Haut-Commissariat aux réfugiés et la Croix-Rouge, dont la vocation est précisément de coordonner l'action des Etats et des organisations non gouvernementales. (Mouvements divers sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Pousuivez, monsieur Hollande.

M. François Hollande.

Oui, mais je souhaite qu'on puisse s'entendre, surtout dans un débat où nous ne sommes pas fondamentalement en désaccord. Et je trouve assez paradoxal que même dans un débat de cette nature, des polémiques puissent resurgir ici ou là, qui n'y ont pas leur place.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Mais il est vrai que la politesse n'étant pas forcément de mise entre vous, mesdames et messieurs de l'opposition, il est normal que la courtoisie ne le soit pas à notre endroit.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Richard Cazenave.

C'est vous qui êtes discourtois !

M. Michel Herbillon.

Nous ne sommes pas à vos ordres !

M. le président.

S'il vous plaît, un peu de calme.

M. Hollande va reprendre le fil de son propos.

M. François Hollande.

Nous approuvons, monsieur le Premier ministre, la décision que le Gouvernement a prise d'augmenter le nombre de Kosovars accueillis sur notre territoire pour un séjour temporaire. Il n'aurait pas été compris que, tournant le dos à sa tradition d'asile, la France ne fasse pas ce geste élémentaire de solidarité.

Nous souhaitons que les Kosovars soient nombreux à être accueillis et dans de bonnes conditions, afin qu'ils puissent panser leurs plaies et réapprendre à vivre.

Nous devons aussi poursuivre et amplifier notre effort humanitaire sur place, ce qui suppose de développer encore les aides en faveur de l'Albanie, du Monténégro et de la Macédoine. Ces concours peuvent prendre diverses formes - moratoires sur les dettes, fonds spéciaux - et doivent assurer une solidarité dans l'épreuve traversée.

Votre déplacement, monsieur le Premier ministre, en Albanie et en Macédoine doit y contribuer, surtout si l'Europe y met les moyens nécessaires.

La dernière question posée par le conflit du Kosovo, à ce stade, concerne la place de l'Europe. En fait, la crise actuelle aura déjà eu pour effet de démontrer crûment la nécessité, pour les Européens, de disposer d'une stratégie diplomatique et politique, et des moyens de la mettre en oeuvre. Le besoin d'une Europe forte et unie est, pour l'avenir, le premier enseignement de ce conflit.

Les circonstances sont réunies pour engager l'Europe sur la voie d'une politique de sécurité commune, d'approf ondissement de l'Union et de rapprochement des peuples qui la composent, dans la perspective de l'élargissement.

Il est indispendable d'« approfondir l'Union » avant de l'élargir à de nouveaux membres. Si nous voulons assurer la paix, la sécurité, la démocratie et la prospérité sur le continent, nous ne pouvons faire l'économie d'une réforme des institutions européennes.

Approfondir l'Union, c'est également donner un poids politique significatif au responsable européen de la politique étrangère et de sécurité commune. C'est pourquoi, je renouvelle ici la proposition de nommer à ce poste une personnalité politique et non un fonctionnaire. L'Union européenne marquerait ainsi sa détermination et le sens de son action. Mais il faut aussi relever le défi de la défense européenne. Ce qui suppose, plus que les stratégies communes prévues par le traité d'Amsterdam, une capacité autonome d'action pour l'Europe.

Je voudrais conclure (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) en soulignant la resp onsabilité historique qui incombe aujourd'hui à l'Europe.

C'est en Europe qu'un conflit surgit en cette fin de XXe siècle, comme pour nous rappeler que la paix n'est jamais acquise. C'est à l'Europe qu'il appartient de trouver, avec d'autres, la voie d'un règlement politique porteur d'un avenir de paix et de prospérité. C'est l'Europe qui doit demain organiser sa propre défense pour garantir la paix sur son continent.

Je ne doute pas de la détermination du Gouvernement à agir en ce sens. C'est l'intérêt de la France et c'est aussi le sens de notre projet européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme Michèle AlliotMarie.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, voici maintenant trente-quatre jours qu'a commencé le conflit du Kosovo. Comme l'avait annoncé le Président de la République, cette intervention est longue et difficile. Et, comme il est naturel, certains s'interrogent sur son efficacité, même si Belgrade commence à montrer quelques signes d'un certain fléchissement.

Beaucoup a été dit, beaucoup a été écrit. Mais je crois que cette crise du Kosovo force les Européens, nous force, à la fois à la réflexion et à l'action.

A la réflexion, tout d'abord, parce que nous avons cru, sans doute trop vite, que la guerre était à jamais bannie du continent européen. Parce que nous avons pensé que les droits de l'homme y seraient toujours respectés. Or,


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aujourd'hui, nous sommes confrontés, sur le continent européen, à une mise en cause des droits de l'homme, à un conflit où nos militaires sont engagés - auxquels il convient que nous rendions unanimement hommage, derrière lesquels nous devons tous être unis.

Nous avons sans doute, c'est vrai, abordé avec trop de légèreté l'implosion de la Yougoslavie, même si certains, à l'époque, avaient adressé des mises en garde.

M. Julien Dray.

Mitterrand !

Mme Michèle Alliot-Marie.

Je me souviens très bien que Jacques Chirac avait, dès 1990, demandé que puisse être mise en place en Yougoslavie une force d'interposition suffisamment importante pour éviter les conflits l ocaux. Combien de morts, combien de douleurs, combien de tensions auraient été évités si on l'avait écouté à l'époque ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Or je me souviens très bien que toutes les autorités gouvernementales, et jusqu'au plus haut niveau, avaient balayé d'un revers de main sa proposition.

M. Christian Bergelin.

Eh oui !

M. Julien Dray.

Singulière réécriture de l'histoire !

Mme Michèle Alliot-Marie.

Depuis, nous avons sans doute insuffisamment anticipé avec le règlement de 1995.

Et nous sommes aujourd'hui dans une situation où chaque jour passé, avec son lot de morts, de douleurs et d'exclus, rend la réconciliation entre les peuples de la Yougoslavie toujours plus difficile.

Du fait, aussi, de la fin de la guerre froide, certains ont cru que le budget des armées était sans objet.

M. Christian Bergelin.

Eh oui !

M. François Vannson.

Eh oui ! Les communistes ! Les communistes et les pacifistes !

Mme Michèle Alliot-Marie.

Certains n'ont cessé d'oeuvrer pour diminuer les sommes consacrées à la défense.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Il est curieux que les mêmes, aujourd'hui, se plaignent d'une intervention américaine à nos côtés...

M. Richard Cazenave.

Exact !

Mme Michèle Alliot-Marie.

... alors même qu'il faut bien constater que nos seules forces, qu'elles soient françaises ou européennes, ne permettraient guère de réagir aussi fortement que nécessaire.

M. Maxime Gremetz.

Ce n'est pas vrai !

Mme Michèle Alliot-Marie.

Nous le savons tous, plus la présence est forte, et plus le risque est limité.

Enfin, nous pensions que la raison devrait toujours l'emporter sur la force et nous sommes, c'est vrai, les uns et les autres et sur tous ces bancs, désemparés devant la déraison, devant la folie meurtrière et destructrice.

L'échec des tentatives diplomatiques, malgré les efforts, le constat des manoeuvres dilatoires de Slobodan Milosevic, qui n'avaient d'autre but que d'exterminer ou de chasser, pour créer une situation de fait favorable à ses thèses, nous obligent à remettre en cause nos constructions intellectuelles ou philosophiques.

C'est en effet cet échec qui a poussé notre pays, au sein de l'Alliance, à l'action.

Il est des moments où seul l'usage de la force est en mesure de servir la négociation.

Face à l'entêtement destructeur d'un dictateur, face aux images terribles des victimes d'une extermination planifiée, et faute d'autre issue, la raison comme l'honneur exigeaient notre engagement militaire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Nous étions, nous sommes, forcés à l'action.

Mais quelle action ? Ce sont les réflexions auxquelles la crise du Kosovo nous oblige, qui en dictent les contours. Ce sont les finalités qui lui ont été officiellement, manifestement, assignées qui en déterminent les limites : le rétablissement de la paix au Kosovo, l'établissement d'une réelle et durable stabilité régionale, la mise sur pied d'un système préventif de conflits.

Notre action doit donc être déterminée, jusqu'au succès, prendre en compte le contexte géopolitique de la région, et conduire à préparer les contours d'une politique européenne de défense.

Le succès, c'est d'abord l'acceptation totale et sans condition par Slobodan Milosevic des cinq points de l'accord. Des cinq points et pas de quelques-uns. N'oublions pas ce vieux dicton populaire : « Chat échaudé craint l'eau froide. »

C'est pourquoi nous nous réjouissons de la détermination et de la fermeté des Alliés à poursuivre leur stratégie jusqu'au succès complet.

Aujourd'hui, c'est une stratégie de frappes aériennes destinées à paralyser les moyens militaires et paramilitaires serbes.

Ce sevrage - si l'on peut dire - des moyens des forces militaires passe par des frappes aériennes visant les bases militaires et les sites stratégiques, par la destruction des moyens d'accès, et notamment des ponts et routes susceptibles d'être utilisés pour approvisionner les forces serbes, et par un embargo sur le pétrole. Il s'agit là d'une proposition française, décidée par l'Union européenne, puis acceptée par l'Alliance unanime.

M. Maxime Gremetz.

Allons, allons !

Mme Michèle Alliot-Marie.

Le problème de l'inspection des navires demeure, certes, faute de base juridique. Ne doutons pas qu'il sera réglé dans les prochains jours.

Le deuxième élément du succès, c'est la stratégie d'isolement de la Serbie. Nous l'approuvons totalement.

Il existe un bloc homogène, celui de l'Alliance. Slobodan Milosevic pensait qu'il pouvait diviser les alliés et gagner du temps pour lasser certains ; aujourd'hui, il semble bien que ce soit son propre camp qui se fissure - nous en avons quelques échos, même s'il faut rester prudent. Il faut que ce bloc initial soit élargi, et la France, à juste titre, a tout fait pour l'ouvrir aux pays voisins de la Serbie. Cette démarche aussi, nous l'approuvons.

De ce point de vue, il est sage d'assurer la protection du Monténégro dont le Gouvernement prend quotidiennement ses distances avec la politique de Milosevic, alors que Belgrade, il faut en être aussi conscient, multiplie les pressions et les tentatives de déstabilisation. Il est également normal d'aider des voisins immédiats du Kosovo, tels que la Macédoine ou l'Albanie, confrontés à d'énorme problèmes d'ordre économique et ethnique du fait de l'afflux massif de réfugiés et qui, par là même, risquent eux aussi d'être déstabilisés.

Nous avons, c'est vrai, à penser aux réfugiés, les premières victimes. Mais n'oublions pas les conséquences indirectes sur les pays qui les accueillent et le risque de


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fragilisation que courent leurs gouvernements dans un contexte de minorités très souvent opposées les unes aux autres, et que les difficultés économiques contribuent évidemment à renforcer chaque jour davantage.

Voilà les premiers moyens d'un succès de l'Alliance.

Mais le succès, c'est aussi l'établissement d'un équilibre durable dans la région. L'action militaire n'est et ne saurait être une fin en soi. Le peuple serbe n'est pas notre ennemi. La situation des réfugiés ne saurait s'éterniser dans la précarité. Le succès, c'est donc le retour le plus rapide possible à la diplomatie, comme le répète d'ailleurs le Président de la République depuis le début des frappes aériennes. L'action diplomatique est la condition du retour à une situation de droit et à la stabilité.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Aussi la France défend-elle le rôle du secrétaire général de l'ONU et, le moment venu, celui du Conseil de sécurité pour l'envoi d'une force de l'ONU au Kosovo, une force de sécurité chargée de garantir le retour à la normale.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

C'est pour cette raison aussi que la France est favorable au rôle de la Russie. Ce grand pays ne peut et ne doit pas être écarté des efforts et des négociations pour un retour à la paix au Kosovo. C'est un gage de stabilité pour l'avenir de la zone tout entière.

C'est enfin pourquoi la France, par la voix du Président de la République, doit tout faire pour intégrer au plus vite le plus grand nombre des pays de l'Est dans l'Europe. Au centre du continent, les nouvelles démocraties ne peuvent demeurer dans l'isolement. Leur espoir économique et leur stabilité politique, depuis longtemps largement liée à leur développement économique, passent, ne l'oublions pas, par l'Union européenne.

Enfin, l'anticipation de nouvelles tensions doit nous conduire à définir en Europe une véritable politique de sécurité et de défense. Il apparaît indispensable de mettre sur pied une nouvelle structure d'une force européenne d'intervention qui se situe délibérément dans un contexte plus large, celui de l'OTAN. (Exclamations sur divers bancs du groupe communiste.) Nous nous réjouissons de ce point de vue que le Président de la République ait pu faire entériner par celle-ci l'élan donné au sommet de Saint-Malo en la matière. (Approbations sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

La légitimité des actions, comme la stabilité politique, passe par le respect du droit.

Pour que la légitimité des interventions ne fassent aucun doute aux yeux de qui que ce soit, il est bon que, malgré les réticences de certaines grandes puissances, la France ait obtenu que toute action de l'OTAN soit placée clairement sous l'égide de l'ONU.

On mesure le rôle de la propagande nationale dans un conflit comme celui du Kosovo ; mais celle-ci perdra un peu de sa force vis-à-vis des populations concernées lorsque tous les citoyens de toutes les nations sauront qu'une intervention de l'OTAN ne résulte pas de la volonté ou des intérêts d'un seul pays, fût-il le plus grand, mais qu'elle est partagée avec la collectivité internationale tout entière, incarnée par l'ONU. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la crise du Kosovo est un drame. Elle peut être une chance si elle conduit les Européens à la réflexion et à l'action.

On peut certes la considérer comme un accident en marge de la Communauté et continuer comme avant, avec le risque réel de voir se renouveler et se multiplier dans l'avenir des conflits localisés de ce genre, qui au fur et à mesure menaceront la démocratie, pourront entraîner d'autres pays et se généraliser. On peut aussi en tirer les leçons pour repartir sur de nouvelles bases.

Le Rassemblement pour la République, pour sa part, a choisi. Il est aujourd'hui, avec Jacques Chirac, convaincu que c'est par l'élargissement de l'Union européenne, par la création d'une véritable politique de défense et par la mise en place d'une force stratégique que s'élaborera l'Europe de demain telle que nous l'avons toujours souhaitée, une Europe stable et démocratique.

Le groupe RPR se félicite que, dans ces conditions douloureuses, la France ait su, comme à tous les grands moments de l'histoire, faire entendre sa voix et que les Français aient montré qu'ils savaient se retrouver lorsque les droits de l'homme et la paix étaient en jeu, dans une large union nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, impossible d'évoquer le drame du Kosovo et de réfléchir aux solutions à y apporter sans avoir à l'esprit la violence infligée aux populations kosovares, les massacres perpétrés, les villages brûlés, la répression cynique et cruelle menée par l'armée serbe. Milosevic et les ultranationalistes qui l'entourent portent la responsabilité de cette tragédie.

L a solidarité des communistes français va à ces hommes, ces femmes, ces enfants victimes des exactions abominables de l'épuration ethnique. Elle va à tous les peuples de la région, elle va aux victimes des bombardements, elle va à celles et ceux qui, avec courage et dignité, résistent à Milosevic et s'opposent à la barbarie nationaliste, à tous les nationalismes.

Oui, il faut créer les conditions du retour chez elles de ces centaines de milliers de familles aujourd'hui poussées à un exode tragique. Et il nous faut, avec la même volonté, empêcher l'embrasement de la région et tout faire pour enrayer l'engrenage de la guerre.

Mes premiers mots, juste après le début des bombardements, il y a un mois, ici même, devant l'Assemblée nationale étaient pour demander : « Et maintenant ? Après ces premiers bombardements, comment retrouver le chemin de la paix ? Les faits sont là : loin de soulager les souffrances de la population, loin de faire reculer les possibilités de l'armée yougoslave de poursuivre la répression au Kosovo, les bombardements de l'OTAN ont aggravé la situation. »

Mon intention, en ces moments critiques, n'est pas de m'appesantir sur le fait que la situation à laquelle nous sommes parvenus un mois plus tard, apporte une dramatique justification à cette analyse. Dans l'immédiat, il n'est pas de devoir plus impérieux pour notre pays comme pour l'Europe que d'apporter l'aide humanitaire indispensable aux populations, aux réfugiés et aux pays limitrophes concernés, afin de faire face à l'urgence. C'est l'honneur de notre pays que des millions de Françaises et de Français se mobilisent pour venir en aide à ces hommes, à ces femmes, à ces enfants. Aussi conviendraitil - et j'ai noté que des mesures allaient être prises en se sens - que l'Etat dégage des moyens supplémentaires


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pour renforcer les dispositifs mis en place par les collectivités territoriales et les associations humanitaires et pour faire face aux milliers de demandes d'accueil encore en attente.

Tout aussi urgentes sont les initiatives politiques à prendre pour sortir de l'impasse. Je ne suis pas de ceux qui pensent que la solution pour faire reculer Milosevic, pour l'amener à cesser la répression et pour établir les conditions d'une paix juste et durable est facile à trouver.

Je ne suis pas davantage de ceux qui récusent, par principe et en toutes circonstances, l'usage des moyens militaires pour prévenir de telles situations ou empêcher un crime contre l'humanité. Mais je récuse en l'occurrence l'effrayant simplisme de pensée selon lequel il aurait suffi de quelques bombardements pour jeter les bases d'une solution à un problème aussi complexe que celui posé et qui ne date pas d'aujourd'hui - dans les Balkans.

Force est de constater, après plus d'un mois de bombardements, que non seulement on ne s'est pas rapproché d'une solution mais que, tout au contraire, celle-ci apparaît difficile encore. D'autant que, pendant ces quelques semaines, les haines, les nationalismes se sont exacerbés.

Chaque violence nouvelle a rendu plus difficile une future vie commune.

L'impasse militaire a été confirmée ces jours derniers par le débat sur les opérations terrestres et les décisions d u sommet de l'OTAN. L'inefficacité des frappes aériennes a naturellement fait ressortir les plans d'intervention terrestre, comme si la fuite en avant pouvait constituer une réponse au sentiment d'impuissance et d'échec alimenté par une opération déjà si mal engagée.

Les conséquences d'un tel engrenage seraient incalculables.

J'avais eu l'occasion de l'affirmer nettement et en toute responsabilité : l'engagement d'opérations terrestres ne ferait que nous enliser davantage, sans rien résoudre pour les populations. De surcroît, une telle décision ne manquerait pas d'avoir en France, comme dans d'autres pays européens, de très graves conséquences politiques. C'est pourquoi, monsieur le Premier ministre, vous comprendrez que je juge très positif votre refus d'envisager un engagement de la France dans des opérations terrestres.

Ce choix est important et va dans le bons sens.

Mme Christine Boutin et M. Edouard Landrain.

Ce n'est pas ce qu'il a dit !

M. Robert Hue.

En revanche, je considère de mon devoir de mettre en garde devant les risques extrêmement graves d'escalade dont est porteuse la décision d'embargo pétrolier et de blocus maritime. Nous savons en l'occurrence que ce sont toujours les peuples qui en subissent les conséquences. Il est donc nécessaire de redéfinir et de mettre en oeuvre au plus vite une stratégie réellement adaptée à la situation et aux objectifs de la communauté internationale.

On l'aura compris : aujourd'hui comme tout au long de la crise, le choix des communistes est animé d'une volonté et d'un esprit constructifs. Nous avons critiqué les bombardements et la stratégie de l'OTAN, estimant qu'ils menaient à l'impasse. Mais je tiens à le dire avec toute la force nécessaire à ceux qui, dans ces moments difficiles, ont en charge l'exécutif : ils peuvent, au plus petit effort qui permettra d'avancer vers une issue politique, être assurés du soutien des communistes français.

Je n'ignore aucun de ces efforts, même quand j'en vois les limites imposées par les choix initiaux. Tout ce qui permettra d'ouvrir des brèches, d'affirmer le choix d'une solution politique, recevra le soutien de la composante communiste de la majorité.

C'est le sens des propositions que nous avançons depuis le début ; elles répondent, nous le savons, aux attentes de l'immense majorité des Français.

M. Philippe Vasseur.

Oh ! là ! là !

M. Robert Hue.

Quels sont nos objectifs ? Faire cesser les exactions de l'armée serbe au Kosovo ; créer les conditions du retour des réfugiés, des centaines de milliers de Kosovars qui ont dû fuir les exactions et la guerre, et garantir leur sécurité ; poser, dès à présent, le principe d'une large autonomie du Kosovo en rejetant toute idée de partition ethnique. Cela passe par le retrait des forces serbes, la démilitarisation de la province, la constitution et le déploiement d'une force d'interposition qui prendrait la forme d'une force internationale de sécurité et de coopération dotée des moyens nécessaires et placée sous l'égide de l'ONU. La composition d'une telle force fera nécessairement l'objet d'une négociation, mais il est réaliste de poser d'ores et déjà comme principe que les pays européens doivent en constituer le noyau essentiel, en y a ssociant la Russie et éventuellement d'autres pays d'Europe centrale.

Nous avons enfin la responsabilité d'offrir une perspective de reconstruction à tous les peuples meurtris par la guerre, une perspective qui les aide à surmonter leur désespoir, qui leur montre que l'avenir n'est pas dans le nationalisme, dans le repli identitaire suicidaire, mais bien dans un destin partagé avec les autres pays d'Europe.

C'est le sens de notre proposition, avancée bien avant le début du conflit, d'une conférence européenne sur les Balkans pour la sécurité et la reconstruction. Je souhaite que la France entreprenne dès à présent des démarches en ce sens auprès de ses partenaires.

Je perçois positivement le rôle central accordé aux Nations unies et je propose que, dans les prochaines heures ou les tout prochains jours, la France demande la convocation du Conseil de sécurité pour examiner un plan de paix qui serait dès lors investi de toute la légitimité conférée par la communauté internationale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.) Je reste convaincu que si l'on veut isoler Milosevic et son entourage ultranationaliste...

M. Francis Delattre.

Et communiste !

M. Robert Hue.

... à Belgrade, l'isoler en Yougoslavie, au sein même du peuple serbe, et l'isoler sur tout le continent, il faut redonner la primauté à l'ONU, ce qui permettra du reste à la Russie de jouer le rôle incontournable que tous les responsables sérieux lui reconnaissent.

Enfin, je pense qu'il faudra avancer ensemble en Europe pour substituer à l'OTAN un système de sécurité réellement européen.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

J'ai évidemment, comme tous les observateurs, suivi les débats qui ont marqué le sommet du cinquantième anniversaire de l'Alliance atlantique. Il ne m'est pas indifférent que l'option des opérations terrestres n'ait pas été entérinée. Il ne m'est non plus pas indifférent que, sous la pression de la France, il ait été explicitement rappelé que le Conseil de sécurité des Nations unies assure la principale responsabilité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale.

Il n'y a là aucune naïveté de ma part. La manière dont ont été décidées et menées les opérations de bombardement, sans mandat de l'ONU et aux conditions fixées par


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l'administration américaine, est suffisamment révélatrice de l'état d'esprit des responsables de Washington. Mais je constate aussi que cette manière d'agir a soulevé de vives réactions dans l'opinion et chez tous ceux qui considèrent qu'aucun pays, fût-il le plus puissant, ne peut prétendre fixer lui-même les règles qui doivent régir les relations internationales. Car si la force prime le droit, alors c'en est fait des institutions internationales. Et quel contrepoids face à l'arbitraire ? A plusieurs reprises, ces dernières années, la légalité internationale a été bafouée et les Nations unies humiliées. On ne saurait s'en accommoder. Bien au contraire, il s'agit pour les autres nations d'affirmer ensemble la primauté de la politique sur la force et de veiller à ce que l'usage de la force, quand il est nécessaire, soit soumis à des règles universellement reconnues. C'est le rôle et la responsabilité des Nations unies.

On le voit, le drame du Kosovo nous ramène à des questions essentielles, essentielles pour l'avenir des relations internationales et pour le devenir de l'Europe.

Il s'agit, dans l'urgence, de sauver des populations, de porter un coup d'arrêt à une répression barbare, d'éviter l'embrasement, de trouver une issue à l'impasse actuelle pour retrouver le chemin de la paix par une solution politique durable et valable pour tous les peuples de la région.

L'OTAN, nous dit-on, y joue sa crédibilité. C'est bien davantage l'Europe, me semble-t-il, qui y joue la sienne.

Le 26 mars, dans mon discours devant vous, j'avais dit que je considérais cette guerre comme un signe de la difficulté de l'Europe à s'émanciper de la tutelle américaine.

J'en vois un nouvel exemple dans ce qui s'est passé à W ashington pour le cinquantième anniversaire de l'Alliance atlantique.

Je l'ai dit, je ne balaie pas d'un revers de main les efforts des représentants de la France pour desserrer un tant soit peu la pression des Etats-Unis. Pourtant, force est de constater qu'avec son « nouveau concept stratégique », l'OTAN renforce ses missions et rend plus contraignant le cadre dans lequel les Etats-Unis enferment leurs alliés et les limites strictes qu'ils assignent aux ambitions d'émancipation des Européens.

A ce propos, une nouvelle fois les Français et la représentation nationale sont mis devant le fait accompli. Les dirigeants du pays peuvent entériner à Washington les évolutions stratégiques de l'Alliance sans que l'Assemblée nationale ait eu à en débattre et à émettre un avis ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

Cette carence, après la décision de participer aux bombardements prise sans consultation, soulève une question fondamentale de démocratie, à laquelle, je pense, il conviendra d'apporter une réponse institutionnelle. Ce débat, ce grand débat, nous devons le mener avec d'autant plus de transparence qu'il touche à la façon dont nous entendons construire l'architecture de la sécurité dans l'Europe du

XXIe siècle, y compris dans ses dimensions militaires.

Ainsi, à partir de la crise des Balkans, est posée pour les Européens l'exigence d'une coordination des politiques et des moyens de défense et de sécurité qui leur permette de faire face à de telles situations, de les prévenir, sous l'égide de l'ONU et de l'OSCE, et indépendamment des

Etats-Unis. Tragiquement sans doute, mais parce que la guerre nous touche au plus profond de nous-mêmes, la crise du Kosovo révèle le besoin d'union, de solidarité, le besoin d 'Europe.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste. Murmures, rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Attendez ! L e besoin de construire une puissance pacifique capable de tenir tête à l'empire américain.

(Applaudissements et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Jean-Jacques Jégou.

Mieux vaut tard que jamais !

M. Robert Hue.

Je dis cela sans aucune agressivité, mais avec la conscience que dans le monde tel qu'il est, il est besoin que s'affirme la volonté des Européens de trouver ensemble des réponses leur permettant d'assumer leur communauté de destin.

Oui, beaucoup de notre avenir se joue dans la manière dont nous saurons, nous, Européens, ouvrir la voie à une solution politique dans les Balkans.

(Murmures sur divers bancs.)

Je n'ai pas fini de vous étonner ! Beaucoup se joue dans la manière dont la France trouvera avec ses partenaires la force d'enrayer l'engrenage de la guerre et des nationalismes.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'historien Fernand Braudel (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)...

Ecoutez donc ce que disait Fernand Braudel ! Cet historien appelait à une « Europe inventive, facteur d'apaisement » face à une « Europe routinière, facteur de tensions que nous ne connaissons que trop ».

En ces temps de violence et de haine, de larmes et de sang, cet appel peut sembler dérisoire. Mais justement, dans la gravité de l'instant, je pense que nous devons - et nous Français, particulièrement - tout faire pour redonner une chance à la paix. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Hervé de Charette.

M. Hervé de Charette.

Votre déclaration, monsieur le Premier ministre, et notre débat sont les bienvenus après que, à l'origine de l'action militaire engagée par l'Alliance atlantique, le Parlement a eu le sentiment d'être associé avec retard aux décisions des autorités politiques françaises. Après un temps d'hésitations et de déclarations parfois contradictoires de vos ministres, chacun peut désormais se convaincre que le conflit s'installe dans la durée, non pas pour quelques jours ni pour quelques semaines, mais déjà pour plus d'un mois.

Il faut en tirer les conséquences.

D'abord, pour prendre conscience qu'il n'y a pas de guerre propre. La télévision et les autres médias nous le rappellent chaque jour : les morts et les blessés, militaires mais aussi civils, dans un camp mais aussi dans l'autre ; les villages qui brûlent, les villes bombardées, les ruines fumantes ; les colonnes de réfugiés ; les larmes, les destins déchirés, les vies détruites. C'est cela, la guerre au Kosovo.

C'est pourquoi, à l'UDF, nous ne nous mettons pas du côté des va-t-en-guerre et nous approuvons les précautions qui sont prises pour épargner les vies humaines, même si, parfois, certains peuvent avoir le sentiment que ces prudences créent des difficultés, retardent l'issue du


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

conflit et ne sont pas sans conséquences politiques et diplomatiques. Dans les démocraties, on ne fait pas la guerre aujourd'hui comme on la faisait hier. Ce n'est pas une faiblesse. C'est un progrès dont il faut se féliciter.

C'est, me semble-t-il, l'honneur du Parlement d'y encourager les autorités civiles et militaires de notre pays.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

C'est aussi le moment de rappeler que l'UDF approuve la décision, prise par le Président de la République avec le concours du Gouvernement, d'intervenir aux côtés de nos alliés en Yougoslavie. Les difficultés, la durée du conflit et son aggravation ne nous font ni ne nous feront changer d'avis. S'il en est ainsi, c'est au nom de la légitimité profonde de cet engagement de la nation. Tout a été dit à propos de la barbarie - vous en avez parlé à l'instant, monsieur le Premier ministre -, contre laquelle les Alliés se sont dressés et je ne pourrai pas, aujourd'hui, trouver des mots plus justes et plus forts que ceux que François Léotard employait à cette même tribune au nom de notre groupe, il y a quinze jours.

Oui, c'est une « guerre juste ».

J'ajouterai simplement qu'elle est fondatrice d'une nouvelle conception de l'Europe : pour la première fois de notre histoire, l'Europe fait prévaloir la sauvegarde des droits humains des Européens sur le principe de la souveraineté des nations d'Europe. Elle pose le principe d'un nouvel ordre, géré collectivement et dans lequel nous n'accepterons plus désormais que s'instaurent des dictatures ou que les droits de l'homme soient bafoués en Europe sans que nous nous reconnaissions le droit et donc le devoir d'intervenir sous le contrôle des Nations unies.

M. Didier Boulaud.

Très bien !

M. Hervé de Charette.

A l'aube d'un nouveau millénaire, c'est un changement décisif.

Naturellement, cette conception nouvelle va soulever un nombre considérable de questions encore insoupçonnées. Il est déjà assez visible - et ce n'est pas éton nant - qu'elle jette le trouble dans certains secteurs de l'opinion. Mais l'essentiel, c'est que ce progrès décisif est massivement approuvé par nos opinions publiques et qu'il paraît ainsi consacré par nos peuples.

Enfin, la circonstance que le conflit s'installe dans la durée rend particulièrement nécessaire la cohésion et l'unité de la nation autour du Président de la République et de notre armée dont il est le chef. Cette unité contribue à la confiance de nos soldats ; elle concourt à la dissuasion face à l'ennemi ; elle accroît notre poids et l'autorité de nos dirigeants au sein de l'Alliance.

C'est pourquoi, monsieur le Premier ministre, le groupe UDF exprime sa grande satisfaction de constater que le Gouvernement travaille en harmonie avec le Président de la République. C'est particulièrement votre responsabilité, et vous savez que nous y sommes attentifs. Il vous appartient, évidemment, de veiller à ce qu'il n'y ait, du côté de vos amis ou de vos alliés, aucun débordement, aucun franchissement des lignes rouges qu'impose ce principe de cohésion. Récemment, notre collègue François Hollande s'est permis, à Périgueux, dans un discours de campagne électorale, de brocarder le Président de la République à propos du Kosovo : ce n'était pas une bonne action. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

La démocratie garde ses droits, même en période de conflit armé, mais elle impose certainement au premier secrétaire du Parti socialiste, à vos alliés et à vos ministres la retenue et la réserve nécessaires.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Permettez que je vous le dise modestement : c'est à vous d'y veiller.

M. Didier Boulaud.

Mieux vaut peut-être ne pas trop fouiller dans les archives, on risque d'y voir que vous n'en avez pas toujours fait preuve ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Hervé de Charette.

De même, alors que le conflit se prolonge, l'UDF regrette que l'Assemblée nationale n'ait eu, à aucun moment, l'occasion d'exprimer son soutien par des votes.

M. Xavier Deniau.

En effet !

M. Hervé de Charette.

Que vous vouliez vous éviter des difficultés avec certains de vos partenaires politiques, c'est une chose. Que cela transforme le Parlement en institution consultative en est une autre, qui nous paraît choquante.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur plu-s ieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Monsieur le Premier ministre, les Alliés sont au milieu du gué. C'est le moment où les doutes se lèvent et où les positions politiques que la représentation parlementaire exprime ici, dans sa diversité naturelle et respectable, prennent toute leur importance.

L'UDF, je l'ai dit, approuve les choix qui ont été faits, et elle approuve les choix politiques et militaires qui ont été réitérés à Washington. Nous nous félicitons des po sitions prises et des résultats obtenus par le Président de la République et par les ministres au cours de cette réunion.

Nous approuvons le choix de la fermeté et de la détermination face à Milosevic. L'action engagée doit désormais être menée à son terme, quelle qu'en soit la difficulté ou la durée. L'unanimité manifestée par les dix-neuf chefs d'Etat et de gouvernement de l'Alliance à Washington jouera un rôle capital dans l'appréciation que les dirigeants serbes devront porter sur la situation dans laquelle ils se sont laissés enfermer.

La stratégie choisie par les Alliés, c'est-à-dire le recours aux frappes aériennes, fait l'objet de nombreuses discussions. Deux questions sont généralement posées dans l'opinion qui suit l'évolution du conflit : faut-il amplifier les frappes ? Faut-il préparer une intervention terrestre ? N'étant pas désireux de contribuer au café du commerce politique et journalistique qui paraît à la mode, je n'engagerai pas le groupe UDF à répondre à ces questions, qui relèvent des moyens militaires dès lors que nous avons l'assurance, que vous nous avez confirmée aujourd'hui, que l'action engagée ira jusqu'à son terme, c'est-àdire jusqu'au retour des habitants du Kosovo dans leurs villages et leurs maisons, dans des conditions de droit et de sécurité conformes aux principes de la démocratie européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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En d'autres termes, dans les circonstances présentes, nous prenons acte de ces choix militaires, nous faisons confiance au Président de la République et au Gouvernement pour faire prévaloir les décisions les mieux adaptées aux circonstances du terrain, dès lors que ces décisions sont conformes aux buts que nous partageons, vous et nous.

Nous avons été heureux d'entendre le Président de la République faire à Washington une déclaration qui ne fermait pas totalement la porte à l'éventualité future d'une intervention terrestre offensive, pour au moins une bonne raison : c'est qu'il n'y a pas lieu de s'interdire aujourd'hui de faire ce qu'on jugera peut-être nécessaire demain, ni d'en aviser l'ennemi à l'avance. (Applaudissement sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

S'agissant des choix politiques et diplomatiques, tels qu'ils apparaissent désormais avec un peu plus de clarté devant nos yeux, l'UDF exprime ici une appréciation globale.

Dans l'immédiat, il était capital de disposer d'une définition claire des conditions posées par les Alliés et qui devront être respectées par Milosevic avant toute interruption de l'intervention militaire : les cinq conditions définies par le secrétaire général de l'ONU fixent à l'Alliance - c'est-à-dire à nous-mêmes - et aux dirigeants serbes une règle précise.

Parallèlement à l'action militaire, il va de soi que l'action diplomatique doit s'organiser et s'amplifier. C'est pourquoi il faut approuver la diplomatie française d'avoir facilité le retour de la Russie dans le débat. Non qu'elle dispose de moyens propres à changer le cours des choses mais, lorsque les dirigeants serbes se décideront à bouger, nul doute que la Russie sera un canal significatif de communication diplomatique. De même, il est urgent que le secrétaire général de l'ONU désigne, enfin, un envoyé spécial, choisi judicieusement pour représenter les Nations unies sur le terrain, afin de combler l'absence actuelle, relative mais réelle, et désastreuse.

Enfin, les pays voisins de la Yougoslavie ont besoin à la f ois d'assurances et d'engagements concernant leur sécurité extérieure dès lors que, n'appartenant pas à l'OTAN, ils subissent néanmoins les effets de ce conflit et nous apportent parfois leurs concours. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Reste l'avenir. La proposition faite par le Président de la République que le Kosovo soit administré, pendant une phase transitoire, par l'Union européenne sur délégation de l'ONU et la proposition du chancelier allemand d'une conférence sur les Balkans, suivie de la mise en oeuvre d'un pacte pour la stabilité et le développement de la région, montrent les efforts de la diplomatie européenne.

Ce sont des propositions utiles, et celle de la France est, de toute évidence, novatrice et forte. Le groupe UDF les approuve explicitement. Il reste à espérer qu'elless urvivront aux prétentions diplomatiques américains.

Franchement, je crois que cela ne sera pas facile et qu'il y faudra une très grande détermination de votre part et de la part de nos principaux partenaires européens.

Monsieur le Premier ministre, il est certainement trop tôt pour tirer ne fût-ce que les premières leçons de ce drame. Mais d'ores et déjà quelques points saillants apparaissent, sur lesquels je voudrais appeler votre attention.

La première question concerne les réfugiés. On ne peut se défaire de l'impression que rien de ce qui s'est produit n'avait été prévu par les autorités politiques ou militaires.

Après la bataille de Solferino, Henri Dunant, épouvanté par le spectacle des mourants et des blessés abandonnés après les combats, fut convaincu d'agir et créa la CroixRouge.

Nul doute que le drame des réfugiés du Kosovo suscitera des réactions et des initiatives pour qu'à l'avenir la communauté internationale, et en particulier le Haut Comité des réfugiés, soit en état de montrer une meilleure efficacité que celle que nous leur avons vue.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mais en attendant, monsieur le président, je suggère qu'une mission d'information parlementaire soit désignée afin de faire rapport à l'Assemblée sur la situation réelle à propos de laquelle nous n'avons - malgré les informations que vous nous avez données aujourd'hui, monsieur le Premier ministre - il faut bien le reconnaître, que des indications partielles, approximatives et confuses.

Le sort des réfugiés, leurs conditions actuelles de vie, les modalités de leur installation en Macédoine et en Albanie, les conditions de leur retour au Kosovo relèvent, certes, des légitimes préoccupations humanitaires mais elles concernent aussi l'issue du conflit et l'avenir des Balkans. Agir aujourd'hui pour les réfugiés, c'est certainement un devoir moral, mais c'est aussi et peut-être encore plus une nécessité politique.

M. Maurice Leroy.

Très bien !

M. Hervé de Charette.

Or, force est bien de constater que les choses paraissent se dérouler dans le désordre et avec une certaine improvisation. Que cela ne relève pas de l'OTAN, qui est une organisation militaire, je le reconnais volontiers. Mais où est l'organisation politique qui va enfin assurer la responsabilité morale et la direction pratique des opérations ? Quarante chefs d'Etat et de gouvernement trouvent utile de se réunir à Washington pour parler de la guerre. Quand une conférence symétrique sera-t-elle organisée, par exemple à Paris, pour traiter du sort des réfugiés ? (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

La deuxième leçon à tirer concerne l'Europe. Depuis des semaines, c'est devenu une banalité de dire que l'Europe est absente de cette crise ; une banalité contre laquelle il arrive que les autorités de notre pays protestent, mais qui est assez généralement reçue. Les Français peuvent constater, s'ils l'avaient ignoré auparavant, qu'il n'y a pas de défense européenne - il y a des semblants, généralement des faux-semblants, mais il n'y a pas de défense européenne. Ils peuvent constater que l'organisation militaire de l'Alliance atlantique est sous le contrôle et l'autorité des Etats-Unis et que, par surcroît - l'un justifiant l'autre -, seuls les Américains disposent de la technologie militaire et des moyens nécessaires en armement.

Le groupe UDF souhaite affirmer ici sa détermination à en tirer toutes les conséquences et demande que le Gouvernement soit préparé, dès la fin du conflit, à prendre les initiatives nécessaires pour que cette situation de faiblesse européenne ne se reproduise pas.

Les conséquences à tirer sont nombreuses et, évidemment, difficiles : les unes sont militaires ; les autres, diplomatiques.


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Sur le plan militaire, il faut accélérer, approfondir et mener aussi loin que possible la réflexion des Européens en vue de la constitution d'une communauté de défense que nous appelons de nos voeux, impliquant à la fois les moyens en observation et en armement, la mise en commun des forces et l'intégration des commandements.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Sur le plan politique, cela signifie que les grandes nations d'Europe doivent être en mesure de lancer ensemble l'initiative d'un nouveau concept européen de défense associé à la mise en oeuvre des dispositions du traité d'Amsterdam concernant la politique étrangère.

M. Jean-Jacques Jégou.

Très bien !

M. Hervé de Charette.

Voilà ce que nous souhaitons, même si nous reconnaissons les difficultés de ces objectifs.

Je voudrais ajouter deux éléments. D'abord, c'est au sein de l'Alliance atlantique qu'il faudra organiser le pilier européen de la défense, et ce pour de nombreuses raisons.

Ensuite, naturellement, la proximité d'une campagne électorale ne nous fait pas perdre le sens des réalités : tout cela sera long.

Mais ce qui est irréel, ce n'est pas d'avoir des projets pour l'avenir, c'est de constater la cruelle réalité de l'effacement européen et de ne rien proposer, ni de ne rien faire pour en sortir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Monsieur le Premier ministre, vous nous avez fait part de vos réflexions après la conférence de Washington sur l'avenir de l'Alliance atlantique, c'était très intéressant. Le groupe UDF vous demande d'organiser un débat devant notre assemblée à ce sujet afin de faire avancer notre réflexion commune. En attendant, je vous le confirme, l'UDF continuera d'apporter son soutien résolu et vigil ant à l'action militaire et diplomatique en cours.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

(M. Patrick Ollier remplace M. Laurent Fabius au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER,

vice-président

M. le président.

La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

Monsieur le Premier ministre, vous venez de faire une déclaration très équilibrée et de réaffirmer votre souci d'informer et de consulter le Parlement. Nous prenons acte avec satisfaction de ce que vous avez indiqué à cet égard.

S'il devait y avoir un débat sur l'opportunité d'engager ou non une éventuelle opération terrestre, qui n'est pas d'actualité et que vous souhaitez éviter, il serait alors nécessaire que l'Assemblée soit appelée à exprimer un vote. Il en va du rôle de la représentation nationale dans une démocratie comme la nôtre.

Notre pensée va naturellement vers les militaires français engagés dans cette opération. Elle va aussi vers les civils et les volontaires, qui incarnent, ici et là-bas, l'élan de solidarité qui anime notre peuple envers les réfugiés, dont nous souhaitons qu'ils soient admis, nombreux, au séjour temporaire.

Les Balkans, c'est beaucoup d'histoire pour trop peu de géographie. Cette région de l'Europe, pas plus grande que la France, a toujours juxtaposé les Etats, les peuples, les langues et les religions. Souvent dans les convulsions, parfois dans l'harmonie relative. Ainsi, la Yougoslavie d'avant les années 1990 parvenait à faire coexister six républiques fédérées et deux provinces autonomes, dont le Kosovo, en respectant les droits des minorités.

Le malheur de la Yougoslavie porte un double nom Milosevic et Tudjman - et s'inscrit dans une double date.

Quand, en 1990, Slobodan Milosevic, jouant la carte du nationalisme serbe, supprime le statut d'autonomie du Kosovo, et quand, en 1991, Franjo Tudjman, ressuscitant la rhétorique nationaliste croate, proclame l'indépendance de la Croatie, ils provoquent ensemble l'éclatement de la Y ougoslavie. Ce qu'on a appelé « le suicide d'une nation ».

M. Charles de Courson.

Une nation ! Il n'y a pas de nation yougoslave !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

Il faudrait d'ailleurs préciser et parler de « suicide assisté », l'Allemagne d'alors et le poids de certaines forces religieuses ayant contribué à la désintégration de la Yougoslavie par la reconnaissance précipitée de l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie, que ne souhaitait pas François Mitterrand.

Mme Nicole Bricq.

C'est exact !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

On connaît la suite et les conséquences dramatiques de ce retour du nationalisme ethnique, cette maladie infantile du développement, qui a défait la Yougoslavie et dressé ses communautés les unes contre les autres, en particulier en Bosnie.

En réalité, ce qui s'affronte aujourd'hui dans cette partie de l'Europe, ce sont deux conceptions de l'Etat : d'un côté, la conception républicaine fondée sur la citoyenneté, conception à laquelle les radicaux et, bien d'autres, sont très attachés ; de l'autre, la conception nationaliste reposant sur l'ethnicité.

La grandeur de la République, c'est de faire vivre ensemble des personnes qui n'ont pas toutes la même origine ou la même confession. La République ignore les communautés. Elle ne connaît que les citoyens, « sans distinction d'origine, de race ou de religion », comme le rappelle notre Constitution dès son article 1er . Elle fonde cette citoyenneté sur le droit du sol et non sur le droit du sang. De même, la République repose sur la laïcité : elle respecte toutes les croyances, mais elle ne fonde l'Etat sur aucune et sépare les Eglises et l'Etat. Enfin, la République propose à tous des valeurs universelles, qui concernent l'homme en tant que tel, quelles que soient sa communauté d'origine ou son appartenance nationale.

Quand la Révolution de 1789 établit et définit la liberté, quant elle proclame « les droits de l'homme et du citoyen », elle pose des principes à portée universelle qui s'adressent à tous et à chacun, d'où qu'il vienne et où qu'il soit. La France a toujours proposé des valeurs universelles à l'adhésion de tous. Elle a toujours défendu une conception éthique de la République, alors que d'autres pays, dont l'Allemagne nazie, soutenaient une conception ethnique de la société, fondée sur des critères raciaux.

Aujourd'hui comme hier, il faut que l'éthique l'emporte sur l'ethnique.

(« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

Partout dans le monde, on observe, c'est vrai, la montée des nationalismes, des pulsions ethniques et des dérives communautaristes. Partout, on constate cette montée du communautarisme qui enferme chacun dans son particularisme, qui refuse la tolérance, l'écoute d'autrui et le respect des différences.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

Cette tendance atteint son paroxysme dans les Balkans, où Slobodan Milosevic entend imposer sa conception de l'Etat, fondée sur le nationalisme ethnique et sur ce qu'on pourrait presque appeler le « national-ethnisme ».

Pour le maître de Belgrade, le mot d'ordre, c'est : « un peuple, un Etat, un chef ». On sait comment cela peut se traduire en allemand.

M. Alain Néri.

Très juste !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

Ce qui anime Milosevic, c'est l'obsession de la nation homogène. C'est la volonté de créer un espace national uniforme, d'où les communautés minoritaires jugées indésirables sont expulsées par la violence et la terreur. C'est l'épuration ethnique.

Cette obsession a périodiquement animé la Balkans. Si les Serbes d'aujourd'hui pratiquent le nettoyage ethnique, ils en ont été hier les victimes, expulsées ou massacrées par l'Etat croate d'Ante Pavelic, allié des nazis.

M. Alain Néri.

Très juste !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

Plus récemment, en août 1995, 300 000 Serbes ont été chassés des Krajina croates par les forces de Zagreb. Puis, en février 1996, 200 000 autres ont dû quitter les banlieues de Sarajevo.

Aujourd'hui, le plan systématique de violence et de terreur mis en oeuvre au Kosovo par M. Milosevic procède de la même volonté : fonder l'Etat sur le nationalisme ethnique. Il s'agit de chasser les Albanais du Kosovo, de vider cette province de sa population musulmane, d'y inverser par la force l'équilibre démographique en faveur des Serbes.

Exécutions sommaires, tueries et incendies, viols et mutilations, déportations de masse : l'OSCE, le HCR et la commission des droits de l'homme de l'ONU ont commencé à relever ces crimes de guerre et ces crimes contre l'humanité qui sont perpétrés au coeur de l'Europe et qui marquent le retour de la barbarie sur notre continent.

Pouvait-on laisser faire ? La réponse est évidemment non. Bien sûr, chacun aurait préféré que, d'emblée, une solution diplomatique soit dégagée. C'était le sens des accords de Rambouillet, acceptés par les Kosovars et refusés par les Serbes.

Pouvait-on alors ne rien faire, rester inerte et envisager la non-intervention ? Comme l'a dit Joshka Fischer, le ministre allemand des affaires étrangères, « laisser faire Milosevic, ce serait accepter une Europe qui ne soit pas celle de la paix, de la tolérance et des valeurs de la Révolution française. Ce serait accepter une Europe du nationalisme, du racisme et de la guerre ». Bref, ce serait accepter le retour à l'Europe des années 30, fondée sur la haine, la fureur et le sang.

Nous l'avons appris d'une amère expérience : céder aux dictatures, confondre démocratie et faiblesse, c'est toujours préparer le pire.

M. Francis Delattre.

Absolument !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

Il fallait donc donner un coup d'arrêt à cette résurgence de la barbarie au centre de l'Europe.

Vous l'avez très justement souligné il y a quelques jours, monsieur le Premier ministre : « Nous agissons au nom d'une morale, au nom d'une philosophie et d'une c onception de la civilisation. » Nous agissons pour

défendre les droits de l'homme et les droits des minorités en Europe.

Alors oui, c'est une rupture avec le droit international classique, arc-bouté sur le sacro-saint principe de la souveraineté des Etats.

Jusqu'à présent, en effet, chaque Etat souverain était libre d'agir comme bon lui semblait sur son propre territoire. Chacun était libre d'opprimer à sa guise à l'abri de ses frontières. Un régime pouvait violer chez lui les droits de l'homme, réprimer brutalement ses propres nationaux, persécuter des groupes minoritaires, cela relevait de ses affaires intérieures et ne regardait que lui.

Aujourd'hui, le droit d'ingérence humanitaire tend heureusement à limiter le principe de souveraineté. Avec la conscience que l'humanité est une, par-delà les frontières. Car la mondialisation n'existe pas qu'au plan économique. Pour le reste aussi, le monde tend à s'unifier et à devenir un « village planétaire » avec les satellites, les télévisions globales et Internet. Personne ne se sent plus étranger à ce qui se passe ailleurs, dans tel autre point du monde. Personne ne peut plus dire : « Nous ne savions pas. » Personne ne peut plus rester indifférent à un mas-

sacre ethnique, même s'il se produit au Cambodge, au Rwanda ou au Kosovo.

L'action militaire qui est engagée depuis trente-quatre jours est donc juste dans son fondement. Mais elle provoque des pertes civiles, qu'on ne peut continuer à dénommer euphémiquement « dommages collatéraux » et qu'il faut déplorer.

Ce n'est pas surtout Milosevic, c'est surtout le peuple serbe qui se trouve sous les bombes. Et cela ne peut nous laisser indifférents.

La Serbie a longtemps été notre amie et notre alliée.

Sous la conduite de Pierre Ier , les Serbes ont été des combattants remarquables de vaillance durant le conflit de 1914-1918. Puis, de 1941 à 1944, ils ont été des résistants exemplaires face à l'oppression nazie.

Les Serbes n'ont pas mérité Milosevic. Ils sont les premiers à pâtir de cette dictature et à souffrir des frappes aériennes, qui n'épargnent pas toujours les civils, comme cela a été le cas au siège de la télévision serbe. Raison de plus pour vouloir que ces opérations militaires ne durent pas encore plusieurs semaines et pour que soit rapidement dégagée une issue politique et diplomatique.

On connaît la phrase de Clausewitz, souvent citée :

« La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens. » Il est temps peut-être d'inverser la formule et

de dire : « La politique est la continuation de la guerre par d'autres moyens. »

On connaît les cinq conditions posées par l'OTAN pour interrompre sa campagne aérienne. L'OTAN, on le sait, se déclare prête à suspendre ses frappes aériennes une fois que Belgrade aura accepté ces conditions et entamé un retrait rapide de ses forces du Kosovo.

Même si ces conditions sont justifiées - et elles le sont - l'OTAN n'est qu'une alliance militaire. Elle ne peut prétendre se substituer durablement à l'ONU qui est l'organisation de la communauté des nations, seule fondée à ce titre à dire le droit et à autoriser le recours à la force pour la résolution des conflits. Dix-neuf Etats, constitués en organisation militaire, ne peuvent décider au lieu et place des 185 Etats qui forment la communauté internationale. L'ONU est le cadre légitime pour parvenir à la définition d'une solution diplomatique. Elle doit désormais retrouver tout son rôle, comme vous l'avez souligné, monsieur le Premier ministre.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

Il serait donc très souhaitable de parvenir à l'adoption d'une résolution du Conseil de sécurité ordonnant le retrait des forces serbes du Kosovo et autorisant le déploiement d'une force internationale pour garantir le retour rapide de tous les réfugiés.

Pour être acceptable par tous, cette force de sécurité internationale ne devrait pas être une pure et simple émanation de l'OTAN. Elle devrait comporter aussi des contingents de pays non membres de l'Alliance, comme la Russie.

La Russie, vous l'avez rappelé, a un rôle important à jouer dans la recherche d'une solution politique au Kosovo et dans sa mise en oeuvre. Il faut la réinsérer dans ce processus. Au moins pour deux raisons.

D'abord, la Russie peut avoir une influence particulière dans la région et auprès de Belgrade, même si les démarches effectuées par M. Primakov puis par M. Tchern omyrdine ont donné jusqu'à présent des résultats mineurs.

Ensuite, tenir la Russie à l'écart, la marginaliser, ce serait le plus sûr moyen de susciter la solidarité slave et orthodoxe, de ranimer le panslavisme et de favoriser la flambée des forces nationalistes et populistes à Moscou.

Déjà, aux élections à la Douma de 1995, le nouveau parti communiste, en fait rouge-brun, de M. Ziouganov est arrivé très nettement en tête suivi de la formation d'extrême droite de M. Jirinovski. En outre, au premier tour de l'élection présidentielle de 1996, M. Eltsine n'a devancé que de peu M. Ziouganov.

Les nouvelles élections législatives auront lieu en décembre 1999, soit dans huit mois, et le nouveau scrutin présidentiel en juin 2000, soit dans treize mois.

Evitons donc tout ce qui pourrait exclure la Russie et provoquer en réaction, comme un choc en retour, une vague anti-occidentale et une victoire électorale des forces nationalistes.

Certes, M. Milosevic présente un grave danger pour la sécurité dans la région. Mais l'élection à la présidence russe d'un national-populiste constituerait un danger encore plus grand pour la stabilité du monde.

Pour terminer, reste la question essentielle : comment assurer l'avenir du Kosovo ? L'objectif fondamental, c'est de maintenir ou plutôt de restaurer un Kosovo pluriethnique et démocratique, qui fasse coexister pacifiquement et librement ses différentes communautés.

Vous l'avez dit, il y a quelques jours, monsieur le Premier ministre, nous ne voulons ni une grande Serbie, ni u ne grande Albanie. Nous rejetons le nationalisme ethnique, d'où qu'il vienne, celui de Belgrade comme celui de l'UCK.

Accepter une partition du Kosovo, ce serait donner gain de cause aux extrémistes des deux camps. Ce serait, de surcroît, provoquer une contagion de séparatisme dans tous les Balkans, où existent de nombreux conflits de nationalités.

Le Kosovo doit redevenir une province autonome, bénéficiant d'une autonomie substantielle au sein de la République fédérale de Yougoslavie, qui conserverait ses frontières actuelles et son intégrité territoriale.

Pour parvenir à retrouver ce Kosovo pluriethnique et autonome, il faut établir, sous mandat de l'ONU, une administration provisoire internationale de cette province, administration qui pourrait peut-être être confiée à l'Union européenne si proche des Balkans.

Mais, au-delà - et je voudrais en terminer par là -, l'Union européenne doit aider activement les Balkans.

Les Balkans constituent la troisième péninsule méridionale de l'Europe. La péninsule balkanique ne peut devenir une île, qui serait coupée et isolée du reste de l'Europe. Il nous faut associer plus étroitement les Balkans à l'Europe et à son développement économique.

Gerhard Schrder a avancé l'idée d'un « plan Marshall pour les Balkans ». La dénomination n'est sans doute pas la meilleure. Mais l'idée en elle-même est juste et opportune.

Il faut aider à la reconstruction des Balkans. Au Kosovo, bien sûr. Mais aussi dans le reste de la Yougoslavie et dans les pays limitrophes qui se trouvent aujourd'hui déstabilisés, comme l'Albanie et la Macédoine.

La totalité des Balkans ne représente jamais que 550 000 kilomètres carrés et 40 millions d'habitants. Soutenir leur développement n'est donc nullement un enjeu au-dessus de nos forces. Et, en toute hypothèse, mieux vaut financer la paix que la guerre ! Au-delà de ce financement, l'Union européenne peut sans doute favoriser une sortie de crise par le haut.

De 1939 à 1945, l'Allemagne, l'Italie et la France se sont durement et longuement affrontées. Quelques années après, elles créaient la CECA, puis la CEE. Cette communauté de superposition a permis de dépasser les antagonismes traditionnels dans une perspective dynamique. Elle a permis de créer un nouvel ensemble, porteur d'un avenir commun.

L'Union européenne peut sans doute engager les Balkans à imiter son exemple. Elle peut les inciter à créer un nouvel ensemble régional, aidé par l'Union européenne, adossé à elle et, à terme, peut-être confédéré à ce lle-ci. De la sorte, l'Europe retrouverait sa géographie naturelle et son destin commun.

Car l'Europe véritable, on le sait bien, ne s'arrête pas à Trieste et à Vienne pour recommencer ensuite à Thessalonique et à Athènes : Zagreb, Belgrade, Sarajevo, Pristina, Skopje, Tirana, Sofia sont aussi des villes européennes. Notre obligation, c'est de les considérer et de les traiter désormais comme telles, comme parties intégrantes et vivantes du continent européen. Notre devoir envers elles et leurs habitants, c'est la solidarité, la main tendue et l'espoir partagé.

En 1944, Albert Camus écrivait, dans ses Lettres à un ami allemand , rédigées pour dessiner et préparer le futur :

« Il m'arrive quelquefois de penser à tous ces lieux d'Europe que je connais bien. C'est une terre magnifique faite de peine et d'histoire. Je recommence ces pèlerinages que j'ai faits avec tous les hommes d'Occident : les roses dans les cloîtres de Florence, les bulbes dorés de Cracovie, le Hradshin et ses palais morts, les statues contorsionnées du pont Charles sur l'Ultava, les jardins délicats de Salzbourg.

« Mon souvenir a fondu ces images superposées pour en faire un seul visage, qui est celui de ma plus grande patrie. »

« Ma plus grande patrie » : telle peut être l'Europe des a nnées futures. Faisons ensemble qu'à cette patrie puissent demain s'agréger aussi le Kosovo et la Serbie, le pays des merles et les rives du Danube ! Faisons ensemble que puisse alors se bâtir un autre avenir, fraternel et paisible, en prélude au sièce qui vient et dont il faut espérer qu'il soit nouveau, vraiment nouveau ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. José Rossi.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

M. José Rossi.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a un peu plus d'un mois, l'OTAN engageait l'opération « Force alliée » afin d'obliger le régime serbe de M. Milosevic à arrêter le processus de purification ethnique au Kosovo à la suite de la destruction du potentiel militaire et répressif de l'Etat serbe.

C'était en tout cas l'objectif visé.

Au nom de l'ensemble des députés du groupe Démocratie libérale, je tiens d'emblée à rendre un hommage appuyé aux jeunes soldats français qui, à côté de leurs camarades de douze autres pays de l'OTAN, accomplissent leur mission avec courage et détermination.

Je souhaite également saluer l'action des représentants des associations humanitaires qui, en Albanie, en Macédoine, au Monténégro et en Bosnie, apportent une aide à des centaines de milliers de réfugiés.

La France unanime et solidaire est derrière eux. Cela prouve que notre peuple a pris la juste mesure des enjeux, en exprimant massivement son soutien à la politique menée par le Président de la République et le Gouvernement, en témoignant une solidarité exceptionnelle avec ces trop nombreux civils qui subissent la folie meurtrière d'un régime de haine et de sang.

Pour la première fois depuis cinquante ans, la guerre est de nouveau sur le sol européen. Une nouvelle fois, les principales nations européennes sont impliquées directement dans un conflit situé dans les Balkans. Et le cortège des réfugiés fuyant la barbarie nous remet en mémoire, nous l'avons tous dit, des heures dramatiques.

L'histoire serait-elle en train de se répéter ? La paix sur notre sol n'aurait-elle été obtenue que par l'équilibre de la terreur ? N'aurions-nous rien appris, n'aurions-nous tiré aucune leçon des tragédies passées ? Ce conflit serait-il semblable au précédent ? Assurément non, car c'est la première fois, et cela mérite d'être relevé, que plusieurs démocraties décident de s'engager en commun dans une opération militaire, non pas pour conquérir un territoire ou pour se défendre contre un envahisseur, mais pour faire prévaloir ce qui constitue leur fondement moral : la défense des droits de l'homme.

Pour le groupe Démocratie libérale, cette intervention est donc à la fois légitime et nécessaire. Elle suscite, bien sûr, au sein de notre groupe comme dans d'autres, des interrogations auxquelles vous avez en partie répondu il y a quelques instants, monsieur le Premier ministre. Et j'imagine que vous compléterez vos propos tout à l'heure.

Mais même si ces interrogations demeurent, nous n'avons pas l'intention de nous soustraire, car la force des valeurs auxquelles nous sommes attachés nous impose de soutenir résolument l'effort dans lequel nous sommes engagés en commun.

Je ferai d'abord un constat : cette intervention est non seulement légitime, mais aussi nécessaire dans l'organisation qui est la sienne aujourd'hui avec l'engagement au sein de l'OTAN.

On connaît les principales objections soulevées par les opposants à l'opération « Force alliée » : la première, c'est qu'en intervenant dans les affaires intérieures d'un Etat, l'OTAN violerait le principe de souveraineté cher au droit international ; la seconde, c'est que les pays européens ont justement choisi le cadre de l'OTAN au lieu de demander l'accord des Nations unies.

Il convient de répondre à ces objections comme vous l'avez fait, et comme nous le faisons aussi avec l'argumentation qui est la nôtre.

Il s'agit d'une intervention légitime au niveau des principes.

Oui, il y a ingérence dans les affaires intérieures de la Y ougoslavie, mais cette ingérence, nous l'admettons d'abord parce que nous avons été instruits par les expériences passées et ensuite parce que nous nous inquiétons des conséquences possibles de cet enchaînement.

L'expérience passée nous montre que nous sommes face à une situation préméditée de longue date, une véritable stratégie qui embrase depuis dix ans les Balkans. Il y a sept ans, après Dubrovnik, après Vukovar, c'était Sarajevo qui était bombardée et subissait un siège rappelant les horreurs médiévales.

A l'époque, l'Union européenne et les Etats-Unis se sont montrés bien patients face à Milosevic. Toutes les voies possibles de la diplomatie ont été utilisées pour calmer le jeu. Et seul le recours à l'épreuve de force à fait reculer ses milices barbares hors de Croatie et de Bosnie.

En effet, nous ne combattons pas une « simple » dictature. C'est un régime qui a théorisé et officialisé l'horrible qui est actuellement au pouvoir à Belgrade. Les déportations, la purification sont inscrites dans les 4 000 pages du document de Dobrica Cosic, ancien président de Serbie et toujours référence obligée du pouvoir. Ce projet, honteux et inacceptable, vise à unifier tous les Serbes au nom de la purification ethnique, au détriment des frontières. Ce pouvoir serbe bafoue le droit international et ses principes, il ne respecte ni le droit des peuples ni les minorités. Il a commencé par la Croatie et la Bosnie et, depuis un an, il continue au Kosovo où il ne s'est pas écoulé une semaine sans que les milices serbes n'aient pillé, tué ou déplacé des habitants.

De ce fait, il ne peut y avoir de réponses mesurées face à un régime qui légalise l'inacceptable.

En Yougoslavie, pour reprendre la terminologie d'Hannah Arendt, Milosevic a institué un service public de la purification ethnique. Il le met en oeuvre par des actes de barbarie qui entrent sans doute aucun dans la catégorie des crimes contre l'humanité.

Quant aux Kosovars, leur président s'est fait l'adepte de la résistance passive et ils ont massivement voté pour lui. Et voilà qu'ils sont jetés sur les routes, détroussés, battus, violés, tués parce qu'ils ne sont pas serbes, comme d'autres hier furent exterminés parce qu'ils étaient juifs ! Dès lors, comment pouvait-on imaginer que la France reste passive, elle dont la grandeur est liée, selon les termes du général de Gaulle, « par un pacte vingt fois séculaire avec la liberté du monde » ? J'évoquerais également les conséquences possibles de cet enchaînement.

M. Milosevic a dévoyé son régime en ressourçant l'idéologie communiste à un nationalisme exacerbé. Ses échecs répétés sur le terrain et les sacrifices qu'il a imposés à son peuple l'ont enfermé dans une contradiction évidente. Pour en sortir, il est prêt à tout et pratique la fuite en avant.

Notre passivité l'aurait conforté dans l'idée qu'avec la force tout lui était permis. Notre passivité aurait ancré les peuples de l'Europe de l'Est dans l'idée que nous nous plions facilement à la loi du plus fort à leur détriment, comme en 1945 et malgré la chute du rideau de fer.

Notre passivité nous aurait été très vite reprochée par nos enfants qui n'auraient pas admis qu'après la Bosnie nous fassions semblant d'ignorer ce qui se passe chez nos voisins qui ne sont pas si éloignés que cela.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

L'intervention - c'est le deuxième point sur lequel je voudrais insister - était nécessaire. Elle ne pouvait que se situer dans un cadre proche de celui dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui.

La seconde objection majeure consiste à reprocher à l'Union européenne de s'être placée sous la tutelle maladroite des Etats-Unis et de s'exposer ainsi à une forme d'échec. Cette objection aussi doit être réfutée.

Certains, d'abord, critiquent le suivisme de la France vis-à-vis des Etats-Unis. Les conclusions du sommet de Washington devraient les rassurer. Sur les sujets importants, la France a toujours été capable de se faire entendre.

Le Président de la République a réaffirmé la primauté du politique sur le militaire, il a recadré les missions de l'OTAN sous l'autorité du Conseil de sécurité de l'ONU et a demandé l'intégration active de la Russie dans la recherche de solutions négociées.

A cet égard, il ne faudrait pas oublier la mission fondamentale de l'OTAN. Cette organisation a été créée pour lutter contre le totalitarisme et assurer la pérennité de la démocratie sur le continent européen. Elle est donc parfaitement dans son rôle en Yougoslavie.

Certains, ensuite, réclament plus d'Europe et moins d'Etats-Unis.

C'est un sujet qui nous est cher car nous sommes prof ondément européens. Il faut bien entendu plus d'Europe, mais nous ne pouvons pas aujourd'hui masquer nos propres faiblesses. Il est heureux et essentiel que les

Etats-Unis nous aient aidés il y a quatre ans à casser le siège de Sarajevo, évitant qu'elle ne devienne un ghetto comme Varsovie lors de la dernière guerre.

Les moyens mis en oeuvre sont très largement américains car nous ne disposons pas, en l'état actuel des choses, des moyens suffisants. Dès lors, quand les avions, les hélicoptères, les soldats sont majoritairement américains, il est assez logique que le commandement soit, lui aussi, américain. Rappelons-nous qu'Eisenhower était le commandant en chef des forces alliées durant la Seconde Guerre mondiale et que malgré tout, l'élan collectif était bien là.

Constatant qu'il était chimérique d'intervenir hors du cadre de l'OTAN, le Président de la République en a tiré la juste conclusion : l'affirmation de l'identité européenne dans le cadre de l'OTAN. C'est dans cette démarche que nous nous situons car c'est bien l'Europe qui a proposé un plan de paix pour permettre aux Kosovars de vivre chez eux, et c'est bien l'Europe qui est prête à assurer un mandat de gestion, le temps nécessaire, si les choses évoluaient dans cette direction.

Enfin, après un mois de bombardements, certains, ayant épuisé tous les arguments critiques, crient à l'échec de l'OTAN. Il est vrai que ces bombardements peuvent frapper injustement des populations civiles et qu'ils ne constituent pas toujours la riposte le plus adaptée face à l'organisation de l'armée serbe. D'aucuns doutent devant les flots de réfugiés. Mais ce ne sont quand même pas, chers collègues, les bombes de l'OTAN qui ont jeté les Kosovars sur les routes ! Ce sont la police, l'armée, les milices fascistes de Serbie, ces forces dont, justement, l'OTAN s'applique à détruire la capacité de nuisance ! Quelle autre solution était possible face à un régime aussi intransigeant, sinon l'impuissance durable ou l'intervention terrestre immédiate ? Le sujet a évidemment été au coeur de nombre de commentaires.

Nous continuons, c'est vrai, à nous interroger sur certains points, monsieur le Premier ministre. Mais notre détermination n'a pas changé. Nous sommes sûrs de la justesse des valeurs défendues par les forces alliées, et c'est pour cela que nous soutenons puissamment, avec les moyens qui sont les nôtres, avec notre force de conviction et notre capacité d'entraînement de l'opinion, la politique que vous défendez avec le Président de la République.

En dépit de réelles interrogations, nous continuerons de nous situer dans le cadre d'un soutien résolu, au nom des principes d'humanisme libéral qui nous animent.

Ces interrogations, quelles sont-elles ? Beaucoup de choses ont déjà été dites et vous y avez largement répondu, monsieur le Premier ministre, dans votre intervention liminaire.

La première interrogation est celle du rôle de la représentation nationale, de notre rôle à tous, en ce qui concerne l'engagement de la France.

M. de Charette a évoqué l'intérêt qu'il y aurait eu à voter dans cette assemblée. Vous nous avez dit très clairement que, si nous nous acheminions vers un engagement terrestre, alors nous voterions. Compte tenu du rassemblement très large qui existe dans l'opinion aujourd'hui, peut-être qu'un vote de l'Assemblée nationale n'aurait pas été inutile. Mais nous n'engagerons pas de querelle sur ce sujet, l'essentiel étant que, si nous étions engagés de manière puissante et sur le plan terrestre, il y ait en effet un vote. Je n'insisterai donc pas.

Il n'est pas inutile, puisque chacun s'interroge sur la suite du conflit, de déterminer le moment à partir duquel le cercle de l'inacceptable serait franchi, ce qui pourrait conduire l'OTAN, avec la France, à aller dans cette direction ? Vous ne pouvez évidemment pas tout dire, mais nous aurions besoin, pour continuer de mobiliser l'opinion, d'une sorte de fil conducteur qui puisse amener notre pays à se rassembler si nécessaire pour marquer notre détermination. Car si la moindre faiblesse était affichée aujourd'hui, on donnerait encore des armes au dictateur serbe.

Une autre série d'interrogations porte sur les réfugiés.

Il y a aux frontières du Kosovo plus de 700 000 réfugiés, et sans doute autant à l'intérieur de la province. Il est souhaitable qu'ils puissent regagner leur terre. Mais nous n'avons pas le droit de les laisser dans des camps de transit, en proie aux maladies et soumis aux exactions de bandes organisées. C'est le devoir des Etats membres de l'Union européenne que de leur apporter l'assistance nécessaire et de les accueillir temporairement, lorsque cela est possible.

Après la prudence compréhensible dont a fait preuve le Gouvernement, on a assisté dans notre pays à un mouvement de solidarité qui impressionne par son ampleur.

Le groupe Démocratie libérale avait été l'un des premiers, par la voix d'Alain Madelin, à solliciter un effort de solidarité et d'accueil d'emblée plus important pour bien marquer la démarche qui était la nôtre et qui reste aujourd'hui d'actualité.

Nous aimerions, monsieur le Premier ministre, avoir plus d'éléments sur la position du Gouvernement sur ce point, pour le présent et pour l'avenir, en dépit de toutes les informations que vous nous avez déjà données. En tout cas, Démocratie libérale soutiendra une politique d'accueil qui viserait à héberger sur notre sol les réfugiés les plus fragiles et ceux qui ont des liens avec notre pays.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

C'est déjà la ligne de conduite du Gouvernement et du Président de la République. Mais comment allons-nous gérer tout cela ? Comment pouvons-nous dépasser le travail quelque peu technocratique qui est en train de se faire et qu'on découvre sur le terrain, dans nos régions, nos départements et nos communes, où, alors même qu'il existe des capacités d'accueil, on se heurte encore à des difficultés pour mettre en route les dossiers et régler de douloureux problèmes humains qui doivent être résolus dans l'urgence ? De même, et notre collègue Jean-François Mattei l'avait dit lors d'un précédent débat sur le Kosovo, pour ceux qui sont bloqués au Kosovo, qui ont perdu leur habitation, leurs biens et qui se trouvent de ce fait dans le plus grand dénuement, le groupe Démocratie libérale avait proposé qu'un corridor humanitaire soit ouvert dans les meilleurs délais et qu'au moins des parachutages puissent commencer. On connaît les difficultés et les risques que cela peut présenter, mais nous aimerions avoir des réponses plus précises à ce sujet, monsieur le Premier ministre.

Notre troisième préoccupation concerne la recherche active d'un règlement négocié.

S i l'option d'une intervention terrestre s'impose, sachons nous y engager ! Mais si, comme c'était l'objectif initial des frappes aériennes, il y a moyen de faire plier le régime de Belgrade, aucune piste ne doit être négligée. A cet égard, l'OTAN doit éviter de laisser de côté les autres pays slaves. En cas d'humiliation, il y a un risque certain d'installer un pouvoir nationaliste-communiste en Russie.

Montrons-nous capables d'intégrer dans la recherche d'une solution acceptable les autres pays slaves, qui n'ont pas grand-chose de commun avec le régime serbe ! Donnons-nous les moyens d'isoler Milosevic plutôt que de le renforcer ! Utilisons pour cela le prestige conservé par la Russie dans le monde orthodoxe et slave ! Notre quatrième question porte sur la gestion actuelle de la crise.

Le soutien de la population sera une donnée déterminante si le conflit se prolonge durablement. Or la communication de l'OTAN a parfois révélé des insuffisances - nous pouvons le dire sans critiquer personne. Il ne faudrait pas que cela inquiète inutilement l'opinion.

J'ai eu à plusieurs reprises, lors des entretiens que vous avez accordés aux présidents de groupe, l'occasion de vous exprimer cette préoccupation. Je pense qu'il en a été largement tenu compte dans l'action de communication qui a été conduite avec efficacité par les pouvoirs publics.

Je voudrais terminer sur les principes qui sont les nôtres et qui fondent l'engagement politique que je viens de traduire.

Bien sûr, notre groupe apporte un soutien total au plan élaboré lors du sommet de Bruxelles par l'Union européenne et dont les objectifs ont été exposés par le chef de l'Etat : arrêter la répression des Kosovars, obtenir le retrait des forces de répression serbes du Kosovo, assurer le retour des réfugiés en disposant des garanties indispensables à leur protection, déboucher sur un accord perm ettant la reconstruction de la province sous le parrainage de l'Union européenne. Il faudra tenir bon sur tous ces points. Les principes qui fondent notre détermination sont les suivants.

Nous considérons que les droits de l'homme priment sur les dérives autocratiques des Etats. Nous avons trop vu, en Europe et dans ce siècle, où pouvait conduire la négation de l'individu par les systèmes totalitaires. Les démocrates ne peuvent pas accepter aujourd'hui une nouvelle partition de l'Europe en deux mondes. Nous refuserons toujours de considérer que, d'un côté, il y ait l'Union européenne et ses aspirants et, de l'autre, une Europe obscure abandonnée à la folie nationaliste et totalitaire.

Deuxième principe : il faut que l'Europe se construise avec les Balkans. Ce siècle aura été marqué par les totalitarismes ; le prochain doit être celui de la démocratie et de la paix. Nous devons donner raison à Milan Kundera qui a écrit que « l'Europe c'est le maximum de diversité sur un minimum d'espace » et donner tort à Milosevic qui veut le minimum de diversité sur le maximum d'espace.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Dès maintenant, il faut réfléchir à la future organisation de cette région. De même qu'on a accordé aux Slovènes, aux Croates et aux Bosniaques le droit de sortir d'une Yougoslavie « serbisée » à outrance, il faudra bien demander aux Kosovars ce qu'ils souhaitent dans leur grande majorité.

Dès maintenant, il faut veiller au développement de cette région, la plus pauvre d'Europe, qui a connu la guerre et la dictature tout au long de ce siècle. Dès maintenant, il nous faudra gagner la paix.

Troisième principe : il faut que la Communauté internationale se donne les moyens de faire respecter ce nouvel ordre démocratique. Il n'y a pas de système de valeurs qui vaille sans moyen d'en sanctionner les violations.

Nous avons salué en son temps la décision des lords britanniques de renvoyer M. Pinochet devant les tribunaux.

Si nous regrettons les lenteurs mises à démasquer et arrêter les criminels de guerre en Bosnie, nous avons salué ensemble la création d'un tribunal international. Nous demandons donc au Gouvernement de s'assurer que les coupables des exactions qui ont lieu aujourd'hui au Kosovo aient à répondre demain de leurs actes. Les apprentis dictateurs doivent en effet savoir qu'il n'y a pas de salut en Europe pour des bourreaux comme Milosevic.

Enfin, quatrième principe, nous voulons que l'entreprise de destruction et de haine de ce régime nocif soit radicalement stoppée. Nous savons que le conflit peut durer. Face au pouvoir serbe, qui utilisera avec cynisme les réflexes de défense de son peuple à l'intérieur et les médias pour semer le trouble à l'extérieur, l'Alliance atlantique doit rester unie et, de même, la France doit rester unie derrière le Président de la République et le Gouvernement. Nous aimerions donc connaître les initiatives qu'entend prendre le Gouvernement pour tenir compte de la situation des Etats voisins : l'Albanie, la Macédoine, la Bulgarie et la Hongrie. Nous aimerions également avoir des précisions sur les modalités d'application de l'embargo pétrolier - vous en avez parlé, monsieur le Premier ministre, mais peut-être pourriez-vous être encore plus précis -, qui est une arme souvent mal utilisée, mais qui peut avoir des effets utiles.

En 1989, un idéal formidable soulevait les peuples de l'Est et les peuples de l'Ouest dans un même élan fraternel après la chute du mur de Berlin. Chacun de nous espérait que la longue parenthèse totalitaire se refermerait définitivement pour que tous les citoyens d'Europe participent à l'essor de la démocratie et de la prospérité économique.

B eaucoup de déceptions sont intervenues depuis, notamment parce que la transition vers l'économie de marché s'est avérée plus longue et plus difficile que prévu. Et les démagogues de tous ordres s'entendent pour


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

exploiter les mécontentements actuels, comme hier ils avaient avantage au maintien des dictatures. N'oublions donc pas que ces peuples, y compris le peuple serbe, attendent de nous une solidarité active dans la défense de leurs droits et de leur dignité.

Nous avons le devoir - et je termine par où j'ai commencé - de bâtir un véritable projet politique européen qui n'exclut personne, un projet qui allie démocratie, respect de la diversité et respect des minorités. C'est ce rendez-vous crucial avec la démocratie et la liberté que nous pouvons prendre ensemble.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Monsieur le président, mon-s ieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, un mois après le début des opérations contre la République fédérale de Yougoslavie, j'apprécie de pouvoir informer l'Assemblée des travaux de la commission de la défense sur la crise du Kosovo et d'avoir l'occasion de faire connaître, en séance publique, mes appréciations sur les conséquences politiques et militaires de notre engagement.

Dès le vendredi 26 mars, notre commission a pu entendre le ministre de la défense. Depuis, nous avons t enu, soit séparément, soit conjointement avec la commission des affaires étrangères, quatre auditions des ministres de la défense et des affaires étrangères.

Le Premier ministre a également, et je l'en remercie, organisé des rencontres régulières avec les présidents des groupes et des commissions compétentes du Parlement.

Ce dispositif a permis d'informer convenablement la représentation nationale sur la gestion de cette crise grave, dans laquelle se jouent à la fois la crédibilité de l'Alliance atlantique, les chances d'une paix durable dans les Balkans et l'avenir politique de l'Union européenne, placée aujourd'hui devant la question de sa capacité autonome de défense.

Notre commission a naturellement voulu s'informer, comme c'est son rôle, de la situation des forces engagées dans le conflit et a souhaité leur témoigner sa solidarité.

Le 19 avril, deux missions se sont rendues auprès des forces en opérations, l'une en Macédoine, l'autre sur la base aérienne d'Istrana et sur le porte-avions Foch. Auparavant, le 15 avril, trois délégations de la commission s'étaient déplacées à Orange, Tarbes et Montauban, sur les lieux de casernement de trois régiments actuellement déployés en Macédoine. Elles ont pu y prendre directement connaissance des conditions dans lesquelles s'effectue la projection des forces et s'informer de la situation des familles.

La commission de la défense poursuivra ses activités d'information sur le conflit pendant toute la durée des opérations et, bien sûr, au-delà, lorsqu'il faudra en faire le bilan politique et militaire. Nous continuerons aussi à réfléchir au devenir de la sécurité européenne, comme nous avons commencé à le faire dans le cadre du rapport d'information sur l'avenir de l'OTAN dont j'ai eu la charge et que nous venons de publier.

Nous souhaitons ainsi participer de la manière la plus large aux débats publics sur la crise du Kosovo. Mais, au moment où je réaffirme, en tant que président de la commission de la défense, notre souci d'être informé et notre volonté de débattre, je dois aussi constater le décalage entre notre situation constitutionnelle et les besoins de la démocratie.

Vous avez, monsieur le Premier ministre, défendu, conformément à la pratique de la Ve République, une interprétation restrictive de l'article 35 de la Constitution, qui ne s'appliquerait qu'en cas de déclaration de guerre au sens de la convention de La Haye de 1907. Autant dire que cette disposition est destinée à ne jamais s'appliquer puisque le droit international au permier chef, la charte des Nations unies dont nous sommes signataires, prohibe le recours unilatéral à la guerre, sauf en cas de légitime défense contre une agression. Il me semble donc qu'il faudrait plutôt revenir à l'inspiration originelle de cet article 35. La mise en jeu de la vie de nos soldats et l'acceptation des charges financières nouvelles qu'implique une action armée sont des décisions trop graves pour être prises sans l'approbation du Parlement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

Si nous décidions de revenir à cette tradition des constitutions républicaines antérieures, en adaptant au besoin notre Constitution, nous ne ferions que nous aligner sur le droit commun des démocraties. Je ne pense pas que cela constituerait un handicap pour l'action extérieure de la France, comme l'a suggéré le ministre de la défense en estimant, au cours d'une récente audition, que le contrôle parlementaire des opérations extérieures était en proportion inverse des ambitions et des responsabilités internationales du pays concerné. Je ne crois pas, par exemple, que l'on puisse tenir pour négligeable le contrôle du Sénat sur l'action militaire américaine. Et je rappellerai que c'est le 23 mars, c'est-à-dire avant le déclenchement des frappes, que Tony Blair a demandé le soutien de la Chambre des Communes à la participation de la Grande-Bretagne à ces opérations.

Une action militaire est d'autant plus efficace qu'elle a l'adhésion de la nation. Et dans un système démocratique, la nation exprime son adhésion non par les sondages ou par les débats organisés dans les médias, mais au Parlement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.) C'est la vocation même de l'institution parlementaire de décider, devant les citoyens et en leur nom, de la légitimité de l'action militaire, après un débat public et contradictoire. Le Parlement donne alors aux militaires engagés dans l'action un soutien irremplaçable. Il les assure que leur mission, avec toutes ses difficultés et ses dangers, leur a bien été confiée par la nation.

Mais ce qui importe aujourd'hui, monsieur le Premier m inistre, dans les circonstances difficiles que nous connaissons, c'est que vous ayez la confiance de l'Assemblée nationale, alors que vous conduisez avec le Président de la République une action rendue inévitable par le comportement des dirigeants de Belgrade.

L'épuisement de toutes les ressources de la négociation, l'utilisation par le pouvoir serbe des méthodes les plus barbares pour dénier aux Kosovars leurs droits démocratiques élémentaires, la gravité des crimes commis par Belgrade ne laissaient malheureusement plus d'autre choix que le recours à la force.

Voilà donc un mois que cette action est menée. Le moment est venu aujourd'hui d'en faire un premier bilan.

C'est pourquoi je vous poserai, monsieur le Premier ministre, quelques questions correspondant aux interrogations qui sont les nôtres aujourd'hui.

Sur les objectifs d'abord : il s'agissait initialement d'amener, dans un délai assez bref, les dirigeants serbes à la table des négociations. Aujourd'hui, l'Alliance pose


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

cinq conditions, en précisant avant-hier au sommet de Washington qu'« il ne pouvait y avoir aucun compromis ». Elle laisse entendre que les autorités de Belgrade sont passibles du Tribunal pénal international. Elle souscrit à l'objectif d'une République fédérale de Yougoslavie démocratique, qui protège les droits des minorités de Voïvodine et du Sandjak. Elle s'engage en faveur de la sécurité de l'Albanie et de la Macédoine et de la stabilité du gouvernement du Monténégro. D'où mes questions : s'agit-il de faire capituler Milosevic et de renverser son régime ? Quelle est l'étendue précise des garanties de sécurité auxquelles nous participons ? Questions sur la stratégie ensuite. Fallait-il, dès le début de la confrontation, annoncer que nous nous interdirions toute action terrestre offensive ? Pouvons-nous nous contenter d'une action aérienne qui remporte des succès réels contre des objectifs stratégiques, mais qui ne nous permet de détruire en moyenne que cinq chars par jour, alors qu'elle devait briser les forces de répression serbes au Kosovo ? L'action aérienne telle que nous la menons peut-elle suffire à faire fléchir Milosevic ? Peutelle enrayer l'épuration ethnique ? M. Francis Delattre. Ce n'est pas un soutien très clair !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Questions sur les efforts diplomatiques, enfin. La France a réussi, largement grâce à votre action, monsieur le Premier ministre, à réintroduire le Conseil de sécurité et la Russie dans le processus de règlement politique de la crise, ce que j'avais d'ailleurs suggéré dès le début du conflit. La dernière rencontre de M. Tchernomyrdine avec les autorités de Belgrade a permis d'enregistrer, au moins de la part de la Russie, deux modestes progrès. La Russie semble faire de l'arrêt de la répression, plus que de l'interruption des frappes, le préalable essentiel. Par ailleurs, elle soutient la nécessité d'une présence internationale, qui pourrait être militaire, au Kosovo. Elle infléchit donc ses positions vers celles de l'OTAN. Quant au Conseil de sécurité, l'Alliance reconnaît désormais qu'il lui appartiendra de fixer le cadre politique du règlement définitif du conflit. Comment comptez-vous, monsieur le Premier ministre, faire en sorte que ces évolutions favorables se poursuivent ? Comment encourager la Russie dans son dialogue avec Belgrade et permettre au secrétaire général des Nations unies de jouer pleinement son rôle ? Sur la question, cruciale, de la composition et de la chaîne de commandement de la future force internationale de sécurité, quelle est la position de la France ? Comment est-il possible d'y associer la Russie et les pays neutres qui le souhaiteront et selon quelles modalités ? La crise du Kosovo oblige désormais l'Europe à se poser la question de son autonomie militaire. Des décla-r ations, aussi enthousiastes qu'ambitieuses, se font entendre depuis quelque temps pour réclamer un rééquilibrage des contributions américaine et européenne au sein de l'Alliance. Je ne peux évidemment que souscrire à cet objectif, mais il me semble qu'en ce domaine, les pétitions de principe sont fréquentes. Il ne suffit pas de constater que l'Europe ne joue, en tant que telle, aucun rôle militaire propre pour que la construction de l'Europe de la défense en devienne plus facile.

Si l'on fait lucidement et rigoureusement le bilan de nos actions passées, il est clair que nous avons manqué de détermination et de volonté politiques dans la recherche des conditions d'une Europe militairement autonome.

Dans le climat d'optimisme de la fin de la guerre froide, nous avons, comme nos partenaires européens, réduit fortement nos budgets d'équipement militaire : moins 30 % depuis 1990. Nous devrons, une fois le conflit terminé, faire l'inventaire précis de nos insuffisances, qu'il s'agisse, par exemple, des capacités de frappe aérienne de précision par tout temps, de jour comme de nuit, ou encore des moyens en hélicoptères de combat.

Nous devrons en tirer les conséquences pour les futurs budgets, car l'Europe ne saurait prétendre accéder à l'autonomie militaire gratuitement. De même que la réalisation de l'euro n'a été rendue possible que par l'application de disciplines budgétaires, de même la construction de l'Europe de la défense suppose des engagements budgétaires.

Dans le domaine institutionnel également, nous avons fait preuve d'une trop grande timidité. Les dispositions des traités de Maastricht et d'Amsterdam sont très en deçà des défis de sécurité de l'Europe d'aujourd'hui.

L'Union européenne doit franchir le pas de la défense commune en fusionnant ses institutions avec celles de l'UEO, en se dotant d'une chaîne de commandement autonome en dehors de l'OTAN, en créant un groupement de forces interarmées européen et une force européenne de réaction rapide.

A cet égard, on peut considérer que la tentative de réintégration de la France dans les commandements militaires de l'OTAN en 1996-1997 était maladroite et illusoire. Maladroite parce qu'elle a semblé se résumer à une revendication de positions de commandement. Illusoire parce qu'il est impossible de construire une authentique autonomie militaire européenne à l'intérieur des structures intégrées de l'OTAN. J'ai d'ailleurs pu mesurer sur le terrain en Macédoine, la semaine dernière, toutes les conséquences de l'intégration dans un dispositif allié, qu'il s'agisse de la planification, qui est effectuée sous direction américaine, ou du renseignement, qui est également d'origine largement américaine.

L'Europe de la défense est donc à l'ordre du jour. Mais elle ne se construira pas sans effort ni détermination politique : il nous faudra poursuivre la transformation et la modernisation de nos forces, compte tenu d'une situation stratégique inédite qui tend à s'éloigner fortement des hypothèses de la programmation militaire.

Nous devrons aussi convaincre nos partenaires. La déclaration franco-britannique de Saint-Malo a indiscutablement ouvert une perspective nouvelle. Mais le chemin qui mène des déclarations aux actes est encore long, car certains pays ne se déferont pas si facilement d'une culture atlantique de la dépendance, après cinq décennies d'intégration militaire.

Pour conclure, monsieur le Premier ministre, je formulerai deux souhaits.

Le premier est que les responsables de l'OTAN, politiques et militaires, ne perdent pas de vue les risques que comporte une opération qui traîne en longueur : risques évidents pour la stabilité des pays de la région ; risques aussi pour les 700 000 Kosovars déplacés, qui vont devoir vivre dans des conditions précaires pendant de nombreux mois.

A ce propos, comme il est évident que nous ne sommes plus dans la logique des traités de Trianon, de Sèvres et de Lausanne, qui ont remodelé les frontières des Balkans il y a trois quarts de siècle, il va falloir réinstaller ces réfugiés au Kosovo. D'après certaines estimations, cela pourrait prendre six mois, voire un an.

C'est pourquoi, monsieur le Premier ministre, j'aimerais savoir si l'on a une idée de la durée pendant laquelle ils devront demeurer dans des camps ou être hébergés dans les pays alliés.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

Mon deuxième souhait, c'est que la guerre du Kosovo permette une réflexion en profondeur sur les objectifs et les moyens de notre défense dans le cadre de l'Europe et de l'Alliance atlantique. Quand le conflit sera terminé personnellement, je pense que le plus tôt sera le mieux -, n'oublions pas les proclamations d'aujourd'hui. L'exemple du Kosovo nous prouve qu'une défense forte et adaptée, au service d'une diplomatie et d'un pouvoir politique cohérents, est indispensable pour gagner notre pari : celui de faire de l'Europe un espace de paix et de liberté.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Jack Lang, président de la commission des affaires étrangères.

Monsieur le Premier ministre, au terme de ce débat dense, mon devoir est d'être bref et de vous laisser le soin de répondre aux uns et aux autres. Chacun se félicite de votre souci et du souci de votre gouvernement de consulter et d'informer l'Assemblée : réunions, à votre initiative, des présidents de groupe et de commission, auditions régulières des ministres responsables par les commissions compétentes, réponses aux questions d'actualité et organisation de ce deuxième débat.

Le choix de la transparence n'interdit évidemment pas la cohésion. Quels que puissent être les interrogations ou les doutes exprimés ici ou là, l'immense majorité des députés se trouve en pleine harmonie avec l'exécutif et se félicite qu'au sommet de l'Etat, les deux plus hauts responsables, le Président de la République et le Premier ministre, soient soudés par la même vision. Aux côtés du chef de l'Etat, vous vous êtes personnellement engagé avec vos ministres dans cette épreuve avec sang-froid, rigueur et conviction.

Faut-il encore s'interroger aujourd'hui - oui, naturellement ! - sur la légitimité du recours à la force ? Depuis 1989, ainsi que le rappelle Ismail Kadaré, l'écrivain albanais : « Le peuple kosovar était un peuple interdit, un peuple privé de tous ses droits, sans école, sans journaux, sans radio, sans télévision, un peuple qui n'avait en partage que la terreur et l'oppression d'une police étrangère. » Que serait-il advenu de notre crédit moral et poli-

tique si, face à la perpétuation de l'injustice, nous étions restés bras croisés ? La longue patience des Kosovars et des Européens à l'égard du régime de Belgrade n'avait que trop duré.

Une fois la guerre déclenchée, certains ont cru, de bonne foi, que quelques heures de frappes suffiraient pour ramener le dictateur à la raison. C'était oublier qu'une guerre vise à détruire des sites en épargnant, autant que possible, les vies humaines, réclame du temps, de la persévérance et de l'obstination.

Vous l'avez dit, monsieur le Premier ministre, et il faut le redire, ce n'est pas une guerre contre un peuple, le peuple serbe. C'est une guerre contre la dernière des dictatures des Balkans et c'est l'honneur des alliés de ne pas avoir voulu transformer la Yougoslavie en champs de ruines et Belgrade en cendres. La sauvagerie est du côté de Milosevic qui n'hésite pas à détruire, incendier, violer, assassiner, torturer.

Ce combat, long et difficile, nous devons le poursuivre avec la même rigueur, le même entêtement, le même respect des vies humaines. Il portera ses fruits. Déjà, l'ossature du système Milosevic est ébranlée et certains premiers signes de craquement se font entendre ici ou là.

Alors que la guerre se poursuit et se poursuivra jusqu'à son terme, j'aimerais me tourner un instant vers le futur qui doit se préparer dès maintenant, car c'est lui qui donnera à notre action présente toute sa signification : le futur des Balkans, le futur de notre Europe.

La légitimité de notre action serait ruinée si elle ne s'accompagnait pas d'un engagement ferme et clair vis-àvis de l'ensemble des peuples de la région de construire ou de reconstruire leur pays, leur économie et leur avenir.

C'est dès maintenant qu'il faut y travailler, sous peine de jeter un doute sur la sincérité de nos promesses de justice.

Trop longtemps, il faut le dire, les pays du sud des Balkans ont été négligés et relégués au second plan par l es pays les plus riches de l'Europe. Souvenons-nous encore de cette observation d'Ismail Kadaré : « Le long silence de l'Europe a fait parfois plus de mal aux Albanais que le terrorisme serbe. »

Aujourd'hui, nous devons faire le serment de ne plus jamais abandonner ces peuples. Aux Kosovars d'abord, nous devons dire clairement et fermement : « Vous avez été chassés de votre pays, nous vous y réinstallerons.

Votre pays a été détruit, nous le rebâtirons. Vos familles ont été dispersées, nous les réunirons. Votre voix a été étouffée, nous vous la rendrons. » Cette guerre n'est

moralement acceptable que si nous tenons fermement cet engagement vis-à-vis des Kosovars. C'est un devoir de réparation et de solidarité.

Les pays riverains, la Macédoine, l'Albanie, ont eux aussi besoin de nous. En votre nom, monsieur le Premier ministre, je me suis rendu sur place pour annoncer vos premières décisions d'aide. Nous sommes fiers que la France soit aujourd'hui en première ligne pour que les intérêts et les inquiétudes de ces pays soient pris en considération par les Alliés, qu'il s'agisse de la Macédoine ou de l'Albanie, ou du Monténégro, qui prêtent les premiers leur concours aux opérations de l'OTAN. Observons non sans inquiétude cependant que le ministre de l'économie de la Macédoine vient de démissionner, constatant que certains Alliés - pas notre pays - n'ont pas tenu leurs engagements financiers ou économiques et plongent ainsi cette république dans l'inquiétude. On comprendrait mal que des centaines de millions de dollars soient consacrés, et justement consacrés, à l'effort de guerre si, dans le même temps, un effort équivalent n'était pas consenti pour financer un véritable plan de développement des pays de la région.

Cette guerre, on l'a dit et redit, est une guerre du droit. Ce n'est pas seulement le droit au retour du peuple kosovar qu'il faudra garantir effectivement. C'est aussi le droit au libre épanouissement social et économique de ces pays, victimes de l'histoire, victimes de l'égoïsme des pays les plus riches, victimes d'un conflit qui les meurtrit et les appauvrit. Ce droit, que nous voulons faire respecter au Kosovo par les armes, nous devrons, le jour venu, le faire respecter ailleurs, dans d'autres pays et sans doute par d'autres voies. Je pense, en particulier, à d'autres peuples dont les droits ne sont pas respectés, et notamment, pas très loin de nous, au peuple kurde.

(« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.) Alors, la légitimité de notre action présente prendra pleinement son sens. Ni les intérêts stratégiques ni les considérations commerciales ne devraient à l'avenir nous interdire de défendre le droit là où il est bafoué.

Le futur que nous devons préparer et que nous préparons, c'est aussi le futur de notre Europe. Cette guerre du droit est aussi d'une certaine manière - je force un peu le trait - la première guerre de l'Europe unie.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

M. Hervé de Charette.

Oui !

M. Jack Lang, président de la commission des affaires étrangères.

C'est la première fois qu'ensemble et étroitement associés, nos pays - et les ministres des affaires étrangères, notamment de la Grande-Bretagne et de la France n'ont pas ménagé leur peine - se retrouvent jour après jour, depuis des mois sur une même ligne d'action.

Pour mener cette politique extérieure commune, chacun de nos pays - c'est cela l'Europe - aura accompli un certain sacrifice par rapport à ses traditions nationales ou à ses intérêts : la France, en surmontant une certaine méfiance à l'égard de l'organisation militaire atlantique ; l'Allemagne, en transcendant son pacifisme ; l'Italie, en assumant les risques d'une intervention à quelques pas de ses côtes, et la Grande-Bretagne, en tournant le dos à des années de défiance à l'égard de l'Europe de la défense.

Aussi aurons-nous, peut-être, au cours de cette période, contribué à forger dans l'épreuve et l'action l'esquisse ou le socle de cette politique extérieure que le traité de Maastricht avait préfiguré. On ne peut à la fois regretter que l'Europe ait recours à l'OTAN pour assurer sa sécurité et fustiger les tentatives de construire une Europe solide de la sécurité.

Sans doute, il ne sera pas facile demain de transformer l'essai. Du moins, comme l'a observé le Premier ministre, le sommet de Washington a-t-il permis de conjurer le risque de voir l'OTAN s'affranchir désormais de la tutelle du Conseil de sécurité.

Enfin, et je me tourne encore vers le futur de notre Europe, cette guerre doit nous inviter aussi à recomposer les contours de notre Union européenne et à amarrer à notre destin l'ensemble des pays des Balkans, y compris la Serbie. Sous le toit de notre maison commune, la Serbie, je veux dire une Serbie démocratique, devra un jour trouver une place. Nous avons déjà vu les premiers signes annonciateurs de ce combat pour la démocratie lorsque les étudiants, voici trois ans, ont manifesté contre le régime de Milosevic à Belgrade - signes que le dictateur a étouffés en chauffant à blanc les passions nationalistes.

Pas question d'imposer à la Serbie une paix humiliante qui ferait des Serbes les nouveaux parias de l'Europe. Les ennemis d'aujourd'hui devront, demain, vivre côte à côte au sein d'un vaste ensemble. A nous d'inventer un statut original qui associerait une Serbie pacifique à notre Union européenne.

Ce qui peut paraître aujourd'hui une utopie sera la réalité de demain. L'expérience nous a enseigné que très vite, pour peu que la générosité, l'intelligence et la volonté soient au rendez-vous, l'impossible peut devenir possible. Voici dix ans encore, l'apartheid en Afrique du Sud paraissait indéracinable ; voici dix ans encore, le mur qui coupait Berlin en deux semblait inexpugnable ; voici dix ans encore, le combat sanglant entre les Irlandais était tenu pour insoluble.

L'espoir d'en finir à jamais avec les luttes fratricides dans les Balkans doit nous donner la patience et le courage de tenir bon. Nous sommes à vos côtés, monsieur le Premier ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. le Premier ministre.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, messieurs les présidents des commissions de la défense et des affaires étrangères, je me suis exprimé longuement tout à l'heure. Je me suis efforcé de le faire de façon globale et synthétique, d'anticiper sur les questions que vous pouviez vous poser, de façon à répondre aux attentes ou aux interrogations qui existent dans notre peuple. Vous comprendrez que je ne choisisse pas maintenant la même méthode d'exposition, que je ne tente pas à nouveau une synthèse impossible ou qui serait répétitive, et que je veille plutôt à essayer de donner à chacun son dû, de reprendre les interventions que j'ai entendues et de répondre, non pas à toutes les questions, car cela nous entraînerait trop loin, mais au moins à quelques-unes de celles qui m'ont paru les plus saillantes.

Je ne peux pourtant commencer à vous répondre sans dire ce qui m'a frappé : alors que l'Assemblée nationale est un lieu de diversité où s'expriment la multiplicité des courants politiques, des forces et parfois des intérêts que nos concitoyens ont décidé de porter ici par le prisme, par l'alchimie de la démocratie et du vote, alors que l'Assemblée nationale est donc légitimement le lieu de la diversité, notre pays a su montrer l'unité de son exécutif, sa cohésion et la solidarité de son opinion. Celle-ci approuve et comprend la difficulté de notre tâche tout en mesurant à quel point elle peut heurter des consciences démocratiques et puisque celui qui vous parle fait partie de cette famille - la conscience d'un homme de gauche.

Mais elle sait aussi à quel point cette tâche est pourtant nécessaire, car la force doit être mise au service du droit.

Cette unité de l'exécutif, cette solidarité de l'opinion, j'en ai trouvé comme un écho dans la convergence qui s'est exprimée ici. Certes, elle ne s'est pas exprimée sur tout. Heureusement d'ailleurs que des critiques sont émises, que des interpellations sont faites, que des suggestions sont apportées. Mais cette convergence porte au moins sur des éléments essentiels, qui fondent la solidité de la position de la France au milieu de ses alliés, dans cette crise si difficile : condamnation absolue du régime de M. Milosevic ; condamnation des horreurs et indignation face à la politique conduite au Kosovo, faite de déportations, de massacres et de violations ; volonté de mener ce conflit à une issue politique, même si l'on peut discuter des moyens employés ; conscience et volonté de rappeler que le rôle de l'ONU sera essentiel.

A M. François Hollande, je répondrai que nous sommes tout à fait conscients du rôle essentiel que la Russie peut jouer dans cette crise. La diplomatie française n'a jamais eu la volonté de marginaliser la Russie dans ce conflit. Elle a bien plutôt regretté les quelques tentatives que nous avons opérées en sa direction nous l'ont montré - que ce pays ne veuille pas, ou peut-être ne puisse pas, s'engager davantage dans la recherche de la solution.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg a fait allusion à l'état des forces politiques en Russie, et aux dangers qui pèsent sur cette démocratie en train de se construire ; aux forces nationalistes ou archaïques qui sont tentées par la violence ou par la solidarité avec ce régime violent. Nous sentons bien que la Russie hésite et qu'elle aimerait d'abord convaincre les autorités de Belgrade avant de s'engager plus pleinement avec nous - mais j'y reviendrai un peu plus tard.

Voilà pourquoi la démarche qui doit nous conduire vers l'organisation des Nations unies pour lui redonner pleinement son rôle doit être menée avec finesse et progressivement. Sinon, nous risquons d'avancer sans que la Russie puisse nous suivre. Et à quoi servirait de proposer un texte de résolution qui nous conviendrait, qui pourrait même convenir sur l'ensemble de ces bancs, si la Russie pensait ne pas être encore en mesure d'y souscrire ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

Vous avez posé une deuxième question, monsieur le député, à propos de l'embargo pétrolier, question également évoquée par d'autres. Les quinze pays de l'Union européenne se sont mis d'accord pour ne pas livrer de produits pétroliers à la République fédérale de Yougoslavie. C'est la décision d'une communauté. C'est la décision de chacun de ses membres. Elle est prise souverainement. Elle ne met en cause aucune règle du droit international.

Au sommet de Washington, il a été décidé d'étudier un embargo pétrolier. L'OTAN est en train de planifier une telle entreprise et propose aux alliés les règles de comportement en la matière.

Je veux rappeler qu'en temps de paix, le droit international autorise les navires de mer à pratiquer en haute mer la reconnaissance, opération qui consiste à s'assurer de l'identité et de la nationalité d'un navire marchand par simple interrogation radio ; qu'il y a aussi un droit de visite consistant à vérifier cette nationalité, la nature de la cargaison et sa destination par un examen des papiers c'est l'enquête de pavillon - ou de la cargaison, éventuellement par une perquisition. Mais cela ne peut être exercé, au nom du droit maritime, que dans des cas très limités : dissimulation de nationalité, piraterie ou acte illégitime de violence, émission de radio non autorisée.

Les ministres de la défense, en particulier, se sont vu confier la responsabilité d'examiner les options maritimes en la matière et les autorités françaises détermineront leur position en fonction des propositions alliées et aussi de leur volonté, indépendamment du respect du droit, de préserver les intérêts du Monténégro.

Soyez assuré par ailleurs, monsieur François Hollande, que nous avons bien l'intention d'accueillir les réfugiés kosovars sur notre sol comme il convient, et dans le nombre qu'il conviendra.

Je ne reviendrai pas, avec Mme Alliot-Marie, sur l'historique de la crise, sur les conditions dans lesquelles l'ancienne fédération yougoslave a explosé. A l'époque, les autorités françaises n'ont pas été de celles qui ont voulu précipiter le rythme. Elles se sont efforcées, au contraire, y compris auprès de pays amis qui insistaient beaucoup en ce sens, de souligner les risques que l'on prenait à reconnaître aussi vite tel ou tel pays, par exemple la Croatie.

Je ne suis pas sûr non plus, madame, qu'il y ait un rapport très direct entre l'évolution des crédits militaires, fût-elle à la baisse, et notre capacité de faire face à la crise au Kosovo. Puisque cette question a été évoquée par vous, dans un propos peut-être moins rassembleur que d'autres, je vous rappellerai que la baisse la plus forte s'est produite en 1995, année où les crédits militaires ont été réduits de 20 milliards de francs.

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste.) Donc, si des responsabilités devaient, à cet égard, être établies, vous sauriez de quel côté les chercher.

M. Didier Boulaud.

Millon !

M. le Premier ministre.

Mais, à mon sens, cela n'a pas de rapport avec la crise du Kosovo. (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Lequiller.

Nul !

M. le Premier ministre.

Messieurs, ce n'est pas moi qui ai choisi de m'exprimer sur ce registre !

M. Pierre Lequiller.

Quilès a dit la même chose que Mme Alliot-Marie !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense nationale.

Pas du tout !

M. le Premier ministre.

Par contre, Mme Alliot-Marie a abordé, parmi d'autres points, une question importante et dont je m'efforce de me saisir, celle de savoir si des premières fissures apparaîtraient dans le pouvoir serbe, compte tenu des déclarations faites et d'ailleurs répétées par un haut responsable. Je serai, madame la députée, très prudent à cet égard. Mais, en même temps, je pense que nous devons être attentifs à ce qui se produit. Je n'oublie pas que, comme Jack Lang vient de le rappeler, il y a eu une époque où des mouvements fiévreux pour la démocratie se sont développés en Serbie. Nous n'avons pas oublié la bataille des municipales, nous n'avons pas oublié les puissantes manifestations d'hommes et de femmes pour la conquête des libertés, même si nous avons constaté ensuite que tels ou tels de leurs porte-parole avaient rejoint le camp de M. Milosevic, dont certains s'expriment à nouveau aujourd'hui. Nous devons donc être très attentifs à ces signes ; nous devons être capables de les comprendre ; ce sont des signes que l'opinion française et les opinions occidentales doivent entendre, et j'y reviendrai lorsque j'aborderai la comparaison des opinions. Mais nous devons en même temps, compte tenu de la nature de ce pouvoir, compte tenu de la complexité des liens qui existent entre les personnalités, attendre d'en savoir bien davantage pour nous faire une opinion.

Et puis surtout, nous devons attendre que les actes viennent à la rencontre ou au secours des mots, car les cinq conditions posées par le secrétaire général des Nations unies et par les pays de l'Alliance sont des conditions que l'ensemble de la communauté internationale trouvera de bon aloi et conformes à ce qui est souhaitable pour régler la crise du Kosovo, d'une part, et pour offrir aux Kosovars, d'autre part, un avenir de paix, de concorde et de démocratie. Au-delà des déclarations aujourd'hui formulées, que nous allons suivre de près, c'est à partir d'actes concrets que pourront se dégager de nouvelles perspectives.

Je ne suis pas sûr, monsieur Robert Hue, qu'on puisse d'ores et déjà parler d'une impasse militaire. Je vous approuve dans la mesure où j'avais affirmé dès le début du conflit que nous ne nous laisserions pas conduire là où nous ne voulions pas aller. Le rôle des responsables politiques, à quelque niveau que ce soit de l'Etat, est de s'efforcer de maîtriser les décisions et de conduire les processus en acceptant sans doute des contraintes, mais non d es engrenages, c'est-à-dire des décisions prises par d'autres à votre place. Je suis donc tout à fait d'accord sur l'idée que les autorités françaises, et c'est bien l'intention du Gouvernement, doivent refuser un engrenage, une fuite en avant, mais je ne pense pas que nous soyons aujourd'hui dans une impasse militaire. Inversant la formule de Clausewitz, M. Roger-Gérard Schwartzenberg a déclaré que la politique devait être la continuation de la guerre par d'autres moyens. Je dirai de même que le chemin que nous avons dû emprunter, parce qu'aucun autre ne nous était offert, parce que personne ici n'a encore su nous dire comment nous ferions fléchir Milosevic sans l'emploi de la force, est un chemin vers la paix. Pour moi, les frappes sont un moyen de frayer un chemin vers la paix et ne débouchent pas sur une impasse militaire où nous resterions bloqués.

(Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Je sais, et vous l'avez dit avec force, en marquant les évolutions de pensée qui s'accomplissent aussi dans la grande formation politique que vous représentez, je sais,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

et j'y suis sensible, que les responsables communistes soutiennent et soutiendront les efforts que les autorités françaises accomplissent en faveur de la paix.

En ce qui concerne la force de sécurisation internationale, croyez bien que nous serons très attentifs à sa composition et aux mandats qu'elle devra recevoir du Conseil de sécurité des Nations unies.

Nous travaillons effectivement à faire en sorte que le Conseil de sécurité puisse jouer pleinement son rôle.

Mais faut-il dès maintenant que la France propose au Conseil de sécurité le vote d'une résolution ?

M. Hervé de Charette.

Certainement pas !

M. le Premier ministre.

Je dirai, et j'en parlais comme souvent avec le ministre des affaires étrangères, que nous en préparons les conditions. Mais si nous proposions aujourd'hui un texte au Conseil de sécurité, ce texte aurait sans doute l'approbation des autorités françaises et de la quasi-totalité de cette assemblée, mais je ne suis pas sûr qu'il pourrait être signé par la partie russe. Nous avons donc un travail progressif à accomplir afin de définir d'abord la vision commune de l'issue politique qui permettra aux membres permanents et non permanents du Conseil de sécurité de se rassembler.

Monsieur Hervé de Charette, vous avez évoqué le retard que nous avons pris pour venir devant le Parlement. Vous savez bien - et je le dis à l'intention d'autres orateurs - qu'il y a eu une part d'accident dans cette situation puisque le Président de la République - mais lui n'a pas à venir devant le Parlement -, le Premier ministre que je suis et les ministres compétents étaient à Berlin en pleine négociation sur le dossier extrêmement important pour nous tous qu'est l'Agenda 2000. Il ne nous était donc pas possible d'être présents ici et ce démarrage un peu malencontreux a peut-être pesé sur les débuts de notre relation.

Depuis - et plusieurs ici nous ont rendu cet hommage, y compris le président de la commission de la défense nous avons beaucoup dialogué avec vos présidents et nous avons beaucoup échangé avec vous, sous des formes directes. Le président de la République lui-même s'est adressé au pays à plusieurs reprises. Le dialogue s'est donc nourri.

Mais, monsieur de Charette, je ne suis pas directement responsable des institutions de la Ve République, qu'en tant que jeune citoyen je n'ai pas votées, je vous le dis en confidence. Ce sont pourtant celles dans lesquelles le Gouvernement inscrit son action, de même, pardonnezmoi de le rappeler, que le président de la République.

C'est dans ce cadre institutionnel, sur lequel je reviendrai tout à l'heure, que nous avons inscrit notre action.

M. Hervé de Charette.

Qu'est-ce que cela veut dire ? Je ne vous comprends pas.

M. le Premier ministre.

Vous me comprendrez peutêtre mieux quand, à la suite d'une question plus précise, relative à l'article 35 de notre Constitution, je m'efforcerai de répondre à M. Paul Quilès. Disons que je laisse à mon propos, pour que chacun puisse être entendu, non pas une part de suspense, mais une part de progression dans le développement des arguments et dans la clasrification qu'apparemment vous attendez.

(Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

C'est nébuleux !

M. le Premier ministre.

Je voulais simplement vous dire, à vous et à quelques autres, que les institutions de la Ve République sont ce qu'elles sont.

M. Gérard Bapt.

Voilà qui est clair !

M. le Premier ministre.

Accessoirement, monsieur de Charette, la force politique, la réalité institutionnelle qui assume en permanence la responsabilité du dialogue avec le Parlement, c'est bien le Gouvernement, ce sont bien le Premier ministre et les ministres, en particulier des affaires étrangères et de la défense.

M. Hervé de Charette.

Je ne suis pas d'accord avec vous !

M. le Premier ministre.

M. François Hollande vous a paru mériter une critique. Il me semblait portant l'avoir entendu rendre hommage à l'action du Président de la République, comme vous l'avez fait vous-même à l'endroit du Gouvernement, ce qui prouve qu'on peut, madame Alliot-Marie, citer le Président de la République sans oublier de citer le Gouvernement pour l'action qu'il s'efforce de conduire dans cette crise du Kosovo.

(Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mais le Président de la République sera ravi d'apprendre, demain matin, quand je le verrai avant le conseil des ministres, combien de fois vous avez cité son nom.

(Rires sur les mêmes bancs.)

Mme Michèle Alliot-Marie.

Merci !

M. le Premier ministre.

Oui, monsieur de Charette, je confirme ici que l'action engagée sera conduite jusqu'à son terme.

Vous avez également évoqué les interrogations qui s'expriment à propos des choix de stratégie militaire. Cela me permet de poser devant la représentation nationale un problème important, que vous-même avez abordé ainsi que plusieurs orateurs, celui de la formidable différence, de la dissymétrie majeure qui se manifeste entre la façon dont les dix-neuf nations de l'Alliance, et particulièrement celles qui y sont le plus engagées, conduisent ce conflit et la façon dont les autorités serbes se comportent.

Il est normal, en démocratie, que la représentation parlementaire, la presse, des intellectuels, des stratèges, des citoyens s'expriment et critiquent la conduite d'opérations militaires. Chacun des actes des gouvernements de nos pays, ceux de l'Alliance et ceux de l'Union européenne, est scruté, examiné et, s'il le faut, critiqué. Eh bien, cette dissymétrie entre un pays où le pouvoir politique terrorise ceux qui pourraient s'opposer à lui, utilise les médias comme un simple instrument de propagande, et nos pays où nous devons agir, et quelquefois combattre, sous la critique, parfois sous les improvisations des critiques, je suis persuadé qu'elle n'est pas pour nous une faiblesse mais, bien au contraire, une force.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

A condition tout de même de se rappeler que nous sommes engagés dans un combat, de ne pas faire preuve de naïveté excessive et de ne pas, parfois, manifester à l'égard de Milosevic une forme de fascination qui devrait, à mon sens, céder purement et simplement la place à la condamnation et à la volonté de le battre pour déboucher sur une issue politique.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - « Très bien ! » sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

C'est une banalité, avez-vous dit, monsieur de Charette, d'affirmer que l'Europe est trop absente de cette crise. Rappelons-nous tout de même, et d'autres orateurs l'ont noté, que, dans le processus diplomatique de Rambouillet, même s'il n'a pas été fructueux, l'Europe, et au premier chef la diplomatie française avec, à sa tête,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

Hubert Védrine, a joué un rôle essentiel. Mais, dans une alliance qui rassemble, d'un côté, la première puissance mondiale, indiscutablement en tout cas, la première puissance militaire du monde, et, de l'autre côté, les quinze nations de l'Union européenne, avec leurs traditions, leurs habitudes, leurs forces armées particulières, leurs conceptions stratégiques, leurs liens différents avec les

Etats-Unis, il est assez logique que l'Union européenne ne puisse pas prendre d'entrée de jeu la place que nous, Européens, que vous, députés français mais citoyens européens aussi, souhaiterions qu'elle prenne.

Nous savons bien que le mouvement sera progressif.

Vous avez rendu hommage, et notamment le président de la commission de la défense nationale, au processus engagé à Saint-Malo ; nous le poursuivrons et je ne suis pas hostile personnellement, si le calendrier parlementaire, très chargé, le permet, à ce qu'un débat sur la défense européenne puisse ultérieurement avoir lieu.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg, le premier peut-être à le faire ici avec autant de netteté, a eu raison d'insister sur le fait qu'au coeur même de ce qui peut nous apparaître comme une crise internationale se trouve en réalité la question de la conception même de la nation, fondée d'un côté sur la citoyenneté - c'est notre tradition -, de l'autre sur l'ethnicité, et c'est la passion nationaliste qui aveugle les dirigeants serbes, mais parfois aussi une partie du peuple serbe. Le conflit engagé en Serbie à propos du Kosovo, ce n'est pas simplement une question internationale, c'est finalement une question nationale, parce qu'il met en jeu non seulement le nationalisme, mais aussi les valeurs qui fondent la nation. A travers les motifs de notre engagement dans ce conflit se retrouvent ainsi les motifs de nos engagements de citoyens dans la réalité politique française.

C'est une guerre qui est menée contre des citoyens par M. Milosevic, j'y reviendrai à propos de la question de l'ingérence. En même temps, il ne faut pas oublier que si les Serbes n'ont pas mérité M. Milosevic, ils l'ont cependant élu.

Mme Nicole Bricq.

Eh oui !

M. le Premier ministre.

L'effort que nous devons faire pour que les Serbes choisissent leur propre avenir, celui que voulait dessiner Jack Lang, est donc fondamental et décisif. Il n'est pas possible, surtout dans l'Europe d'aujourd'hui, de se contenter de dire que seule est engagée la responsabilité d'une poignée d'hommes, le peuple aussi qui les accepte porte sa part de responsabilité...

Mme Nicole Bricq.

Bien sûr !

M. le Premier ministre.

... même si, naturellement, nous devons le faire évoluer.

Oui, vous avez eu raison, monsieur Schwartzenberg, de relier des questions que nous nous posons en France et des questions qui sont posées dans cette crise, car ce n'est pas un hasard si les seules forces politiques françaises, nonr eprésentées dans cette assemblée, qui soutiennent M. Milosevic parce qu'ils soutiennent sa politique, sont les forces d'extrême droite : on touche bien à une certaine conception de la citoyenneté et de la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Francis Delattre.

On peut même dire que ce sont les « bruns-rouges » !

Mme Odette Grzegrzulka.

Soyez décent !

M. le Premier ministre.

Je vous le confirme en tout cas, la France, est prête à jouer, avec l'Union européenne, un rôle essentiel dans la reconstruction du Kosovo.

L'Union européenne a d'ailleurs proposé, le 14 avril, de prendre la responsabilité d'une administration provisoire du Kosovo, si du moins l'ONU en décide ainsi. Nous avons également la volonté de consentir un effort considérable en faveur des pays des Balkans, quand nous aurons maîtrisé cette crise.

M. José Rossi a également soulevé une question assez proche de celle qui a été abordée par M. Roger-Gérard Schwartzenberg : notre engagement dans le conflit du Kosovo constitue-t-il une ingérence dans les affaires intérieures de la République fédérale de Yougoslavie ? Je ne le crois pas.

Vous avez raison de dire, monsieur le député, que nous avons été instruits par l'expérience, par ce qui s'est passé en Croatie et en Bosnie. Nous devons rappeler à l'ensemble des dirigeants européens que la souveraineté, en tout cas dans l'Europe démocratique, ne donne pas le droit aux dirigeants de terroriser leurs propres citoyens.

D'ailleurs, lorsque le pouvoir serbe, par sa politique systématique de déportation, chasse les Kosovars de leur pays, n'est-ce pas de sa part une façon de les considérer comme des étrangers ? Et si ce pouvoir lui-même les traite comme des étrangers dans leur propre pays, ne leur accorde pas le droit d'être des citoyens, alors sommesnous vraiment en train de faire ingérence ? Au bout du compte, non, je ne le crois pas.

Sur la politique d'accueil en France, je ne suis pas convaincu que l'organisation par des services sociaux de l'Etat, en présence de médecins et de psychologues, soit l'expression d'un accueil technocratique. Nous avons tous vu des images de cet accueil ; nous avons tous vu ces scènes extrêmement émouvantes au cours desquelles on faisait dessiner au tableau des enfants, puis leurs parents pour leur permettre d'exprimer autrement que par la parole, soit parce qu'ils ne parlaient pas français, soit parce que les mots ne pouvaient pas franchir leur bouche, la terrible souffrance qu'ils avaient ressentie.

Il serait donc injuste à l'égard des structures qui le conduisent de dire que cet accueil collectif est technocratique. Je pense, quant à moi, qu'il est intelligent. Il est ajusté. Il constitue une forme de transition avant que ces hommes, ces femmes et ces enfants aillent vers des familles françaises.

Il faut d'abord être sûr qu'ils veulent y aller. Peut-être certains peuvent-ils préférer rester dans une structure collective, plus austère, mais qui leur donne plus d'indépendance. D'autres voudront aller dans les familles d'accueil.

Il faut s'assurer aussi que ces familles supportent, audelà du mouvement premier, extraordinaire, de la générosité, cette présence quotidienne d'hommes et de femmes venus d'un autre pays, d'une autre sphère et n'ayant pas toujours les mêmes rapports culturels. Il faut donc préparer ce mouvement vers les familles de façon intelligente, attentive et humaine. C'est cela, je crois, qui est fait par tous ceux qui organisent l'accueil collectif. Je voulais le préciser.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste.)

Monsieur Rossi, vous avez également posé la question de l'attitude de la France à l'égard des criminels de guerre. Sachez que nous avons pleinement l'intention de seconder le rôle du tribunal pénal international.


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Mme Arbour, d'ailleurs, sera reçue la semaine prochaine, à Paris notamment par les ministres des affaires étrangères et de la défense. Nous apporterons ainsi au Tribunal pénal international les informations, les observations, les témoignages dont il peut avoir besoin.

Naturellement, le TPI a pour mission de poursuivre, d'inculper, puis de châtier les criminels de guerre. Les gouvernements de l'Alliance, eux, ont pour objectif de chercher une solution politique à la crise du Kosovo. Ces d eux démarches sont nécessairement distinctes et s'opèrent sur leur propre plan. Il doit être clair toutefois que, non seulement elles ne doivent ni ne peuvent être opposées, mais à un moment ou à un autre, elles sont mêmes appelées à se rejoindre.

Le président de la commission de la défense nationale, Paul Quilès, a posé, en quelque sorte après vous, monsieur Hervé de Charette, la question du cadre institutionnel dans lequel des décisions du type de celle que nous venons de prendre sont prises dans notre pays. En gros, il a évoqué un décalage entre notre situation institutionnelle et les besoins de la démocratie. On peut penser cela. En tout cas, Paul Quilès, comme vous, soulève un problème réel. Je le répète, messieurs les députés, tel est aujourd'h ui le cadre institutionnel français.

S'agissant de la présence au sol, j'ai demandé au secrétariat général du Gouvernement d'analyser la situation, non pas, vous vous en doutez bien, parce que je caresserais en quoi que ce soit le projet que cette question vous soit un jour posée - encore qu'à des questions posées, on peut toujours répondre par la négative, mais parce que je dois faire mon travail. La réponse qui m'a été donnée est que l'article 35 touchant la déclaration de guerre autorisée par le Parlement - c'est-à-dire par l'Assemblée nationale et le Sénat, ce qui, par ailleurs, peut poser un problème dans notre système institutionnel - ne pouvait pas être opératoire, non seulement en raison de l'évolution de la vie internationale, de la nature des crises et des engagements des forces, du fait qu'il n'y a pratiquement plus jamais de déclaration formelle, mais aussi parce que cela ne s'appliquerait pas à ce que nous faisons.

Si la question devait être un jour posée - je réponds à votre interrogation parce que vous l'avez située dans un cadre institutionnel et non pas politique -, il me semble que c'est bien davantage sous l'empire de l'article 49 de la Constitution que nous pourrions trouver une réponse politique qui vous permettrait d'exprimer un vote clair.

Pour ma part, je ne suis nullement hostile à une évolution de nos institutions. Il y a quelques années, j'ai même été plutôt dans ce sens. J'avais même eu l'occasion de confronter mes points de vue institutionnels avec une autre personnalité qui, en la matière, a aujourd'hui plus de possibilités que moi...

(Sourires.)

Donc, pour ce qui me concerne, je ne suis ni philosophiquement ni politiquement, de par le courant auquel j'appartiens, hostile à une évolution de nos institutions voire, si nous en étions d'accord, de nos pratiques, même si je ne crois pas, monsieur le président de la commission de la défense, que les frappes aient été autorisées par un vote formel à Westminster en Grande-Bretagne. Ce n'est en tout cas pas ce que me disent mes informations. Mais nous allons, l'un et l'autre, vérifier nos sources.

D'ailleurs, vous savez bien, monsieur Quilès, que les premières réflexions résultent en partie de votre impulsion de président de la commission de la défense nationale je ne dis pas de ministre de la défense nationale... (Sourires.) C'est une petite malice !

M. Philippe Auberger.

Vous allez mettre le feu au PS !

M. le Premier ministre.

Non ! Nous maîtrisons tout cela très bien, nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Enfin, plutôt mieux que vous ! (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mais dans l'intérêt général, je souhaite que vous fassiez la démonstration du contraire. Je vous le dis très franchement.

Mme Dominique Gillot.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Monsieur Quilès, un début de discussion sur les envois de forces à l'extérieur s'est donc déjà engagé, mais nous la reprendrons s'il existe, non seulement dans la majorité mais également dans l'opposition, des vocations pour avancer sur ces sujets. Nous verrons ce que nous pouvons faire. Le Président de la République aura aussi son mot à dire.

Faute de temps, je ne pourrais pas répondre à toutes vos questions, monsieur le président de la commission.

Pardonnez-le-moi. J'en choisirai quelques-unes.

S'agit-il de chasser M. Milosevic ? C'est une question à laquelle il n'est pas possible aujourd'hui d'apporter une réponse simple. Vous aurez constaté que, dans mon expression publique, je suis demeuré très prudent sur ce point. Comme responsables politiques, indépendamment de ce que nous pensons du dictateur serbe - et vous savez très bien ce que nous en pensons - notre objectif aujourd'hui doit être d'avancer le plus vite possible et avec le plus de garanties possibles vers une solution diplomatique et politique au Kosovo afin de permettre aux Kosovars de revenir dans leur pays et d'y vivre une vie digne de ce nom.

M. Jean Le Garrec.

Tout à fait !

M. le Premier ministre.

Voilà ce qui guide ma pensée, celle du Gouvernement et je pense aussi celle du Président de la République dans cette démarche. Donc nous aborderons ces questions sans complaisance, sans indulgence, sans confusion, mais aussi avec le souci de notre responsabilité.

Comment faire en sorte que l'on avance à l'ONU ? Comment encourager la Russie à s'engager d'avantage ? C'est le rôle même de notre diplomatie et Hubert Védrine en particulier y travaille. C'est le rôle du chef de Gouvernement, le rôle de contact du Président de la République, notamment avec le président Elsine. Il s'agit de pousser la Russie à s'engager davantage. Evidemment ce qui s'exprimera, ce qui bougera, ce qui changera du côté serbe face à notre détermination sera un élément décisif.

Sur la force internationale de sécurité, oui, je l'ai dit, de par la puissance déployée, l'unicité nécessaire de la chaîne de commandement, l'efficacité des règles d'engagement, cette force doit avoir des configurations particulières. A l'évidence, il ne peut s'agir d'une force civile comme le demandent parfois encore les Serbes car dans le Kosovo tel qu'il est aujourd'hui cela n'aurait pas de sens dans un premier temps, même s'il peut y avoir par ailleurs des forces civiles.

Cela ne peut pas être à nos yeux, et c'est aussi ce que nous disent les responsables de nos armées, une force qui serait purement et simplement une force de l'ONU, sur le modèle des « casques bleus ». Nous pensons que la


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compacité, la puissance, la capacité d'agir vite seront impossibles sans la confusion des sources de commandement qui sera nécessaire pour résoudre le problème du Kosovo une fois trouvé un accord politique.

Il est vrai aussi qu'une force de l'OTAN, stricto sensu , serait un élément de blocage. Elle ne faciliterait pas la recherche de la négociation, ne permettrait sans doute pas à nos amis russes de s'engager, et ne favoriserait pas non plus la dislocation du bloc encore aujourd'hui apparemment compact du pouvoir en Serbie.

Il faudra donc trouver des solutions originales, des solutions mixtes pour une force multinationale. Je ne veux pas ici formaliser, ce n'est pas encore le moment.

En outre, nous ne le déciderons pas seuls, et vous savez bien, monsieur le président Quilès, vers où vont nos pensées.

J'en viens à l'Europe de la défense, qui a été évoquée par plusieurs d'entre vous. Oui, nous irons progressivement. A partir du moment où il s'agit de rassembler, avec leur politique de défense, quinze vieilles nations, à partir d u moment où certains pays sont des puissances nucléaires - deux d'entre eux - et d'autres pas, à partir du moment où certains pays sont neutres, et où d'autres appartiennent à un système régional de sécurité collective, à partir du moment où certains de ces pays sont très proches des Etats-Unis, et où d'autres veulent affirmer l'idée d'une autonomie de leur politique de défense et de leur politique internationale, il est clair que l'on ne pourra pas aller vite.

En outre, il faut doter l'Europe d'institutions qui n'existent pas encore, même si nous allons sans doute faire évoluer celles qui existent aujourd'hui. Nous avons besoin d'un système de renseignement qui est une des garanties de l'autonomie de l'Europe en matière militaire.

A cet égard, si la France a avancé avec Hélios, elle n'a pas encore trouvé tous les concours qui lui sont nécessaires.

Nous aurons aussi besoin de rapprocher nos systèmes industriels dans le domaine de la défense. Or vous avez vu, malgré la disposition du Gouvernement français, à quel point cela peut être difficile. Comme on l'a constaté à propos des frégates Horizon, les choses peuvent parfois régresser au-delà de ce nous avons souhaité. Donc, le mouvement sera progressif.

S'agissant de cette culture de la dépendance que vous avez évoquée et que je ne veux pas reprendre exactement en ces termes, je dirai que, au-delà des obstacles techniques ou industriels que j'ai soulignés, la contradiction première est politique. Elle tient au fait que, si la France veut brûler les étapes et avancer à grande vitesse vers la voie d'une Europe de la défense, la plupart de ses partenaires européens diront qu'il convient tout simplement de la faire dans le cadre de l'OTAN.

Si, au contraire, nous voulons mener un travail de conviction visant, sans nier la réalité du pilier européen de l'Alliance, comme on dit, à montrer qu'il y a aussi d'autres cadres dans lesquels nous pouvons agir, exister et penser des concepts stratégiques, il nous faudra du temps.

Voilà pourquoi il y a un rapport entre le rythme de la démarche, la difficulté des obstacles, et la diversité des positions que nous rencontrons.

Sur la durée des frappes et du conflit, je ne peux vous répondre, monsieur le président de la commission. La force de notre détermination, la justesse de la cause que nous défendons et la capacité à ouvrir le cadre politique et diplomatique pour chercher des solutions apporteront la réponse à cette question.

Je terminerai par l'intervention du président de la commission des affaires étrangères, Jack Lang. Il aime l'optimisme et je partage ce sentiment avec lui. Il a tourné l'essentiel de son intervention - pour le reste, il s'est exprimé pendant toute cette période avec force et clarté - vers le futur en essayant d'esquisser des pistes qui seraient celles d'une issue positive à la crise. Je ne peux que l'accompagner sur ce chemin en lui disant que c'est bien, là aussi, l'intention du gouvernement français.

Pour finir, je reviendrai sur l'une des questions qu'il a évoquées et je répondrai au passage à Mme Alliot-Marie sur un dernier point. La crise du Kosovo doit-elle nous conduire à accélérer les processus de l'élargissement sans prendre en compte les réalités économiques, agricoles, techniques, culturelles, sociales des pays européens ? Je n'en suis pas sûr.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Ce n'est pas non plus ce que j'ai dit !

M. le Premier ministre.

Il faut être capable d'avancer sur deux rythmes. Nous pouvons très bien passer des accords d'association sans entrer pour autant dans des mécanismes accélérés d'adhésion qui ne seraient pas suffisamment réfléchis. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président de la commission des affaires étrangères a posé une question difficile à première vue : y a-t-il une place pour la Serbie dans le rassemblement des peuples européens, quelle que soit la configuration institutionnelle ? Comment répondre oui à cette question alors que les autorités serbes massacrent, laissent se perpétrer des exactions, des viols, déportent leur propre population ? Mais en même temps comment répondre non, si nous ne voulons pas enfermer le peuple serbe dans l'impasse du nationalisme et de la violence dans laquelle il s'est malheureusement laissé entraîner depuis dix ans ? Il doit être clair que nous n'opérons aucune distinction ethnique ou nationale entre les différents pays des Balkans et que l'Europe prospère et démocratique doit être offerte à tous.

En outre, dans l'Union européenne n'avons-nous pas des partenaires avec lesquels nous nous sommes battus à une époque, à qui nous avons infligé des exactions et qui nous ont eux-mêmes, à travers l'histoire, causé des désastres ? Ne sommes-nous pas pourtant aujourd'hui côte à côte et bons compagnons ? Ne sommes-nous pas des nations démocratiques et pacifiques ? Pour cette Serbie-là, la réponse à votre question doit être positive, monsieur le président.

Il faudra que le peuple serbe rompe avec le nationalisme, rompe avec les théories ethniques, rompe avec la tentation de la guerre, et alors, un jour, oui, un autre destin peut s'ouvrir à lui.

Mais, et ce sera mon dernier mot, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, pour que cela soit, il faut que notre détermination reste absolue dans la conduite des opérations militaires que nous devons mener aujourd'hui, et que notre ouverture d'esprit soit constante dans la recherche de la paix. (Les députés du groupe socialiste et plusieurs députés du groupe Radical, Citoyen et Vert se lèvent et applaudissent. - Applaudissements sur divers bancs du groupe communiste.)

M. le président.

Le débat est clos.


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COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle (nos 1419, 1518).

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, il y a quelques semaines, Paul Bouchet, président d'ATD Quart-monde déclarait : « La couverture maladie universelle est une avancée historique. Cela fait un demi-siècle que nous l'attendons. Pour nous le droit à la santé est un des six droits fondamentaux, l'un des plus évidents. Il ne souffre pas de contradiction théorique ».

J'espère que sur ce point nous serons au moins d'accord, car il s'agit en effet de mettre fin à un demi-siècle de résignation, qui a abouti à ce qu'aujourd'hui, dans notre pays, on peut être gravement malade - et même mourir faute d'avoir les moyens financiers de se faire soigner.

Quel domaine en effet est plus personnel, plus intime que celui de la santé ? Et en même temps, pour nous qui sommes des femmes et des hommes politiques, quel champ plus privilégié pour l'action collective ? Il y a dans le combat en faveur de la protection de la santé pour tous, du droit aux soins, une exigence profonde de justice sociale, nous en avons longuement parlé lors du débat sur la loi contre les exclusions. Pourquoi ? Parce que ce sont toujours les mêmes que le mal frappe en premier et que le droit ne protège qu'en dernier : les pauvres, les faibles, ceux pour qui la vie, c'est d'abord la survie et le lendemain, une conquête.

Vis-à-vis de ceux-là, nous ajoutons aux blessures de la vie les blessures du temps et de la maladie en ne les protégeant pas assez, en ne leur garantissant pas l'accès et le droit aux soins.

Cela est inacceptable.

Pour diverses raisons. D'abord, parce que cela bat en brèche le principe de l'égalité républicaine selon lequel tous les citoyens sont égaux devant les droits fondamentaux. Et le droit aux soins en est un, majeur. Ensuite, parce que notre société est chaque jour plus riche et que les fruits de la croissance doivent bénéficier aux plus démunis, pour que leur soient garantis les droits fondamentaux.

Or, que constate-t-on en France ? Que malgré le niveau de dépenses de santé très élevé, la réalité de l'accès aux soins est marquée par l'injustice. Dans notre pays, le niveau de revenu introduit une discrimination et gradue le niveau des soins.

Et les exemples sont nombreux, chacun d'entre nous en connaît, dans sa ville ou dans sa circonscription, au contact des associations qui travaillent auprès de ceux qui sont le plus en difficulté.

C'est cette petite fille arrivée à l'hôpital avec une septicémie pour un abcès dentaire que ses parents n'avaient pas les moyens de faire soigner.

Ce sont ces femmes et ces hommes qui se présentent au service des urgences d'un hôpital - cela arrive tous les jours - avec un cancer généralisé, parfois à quelques jours de la mort, sans jamais avoir consulté un médecin auparavant.

Ce sont ces parents obligés de choisir entre leurs enfants malades celui dont l'état est le plus grave, pour acheter les médicaments nécessaires pour le soigner.

Ce sont encore ces familles contraintes de soigner leurs enfants exclusivement grâce aux échantillons de médicaments délivrés par un médecin.

Les enquêtes les plus récentes menées par le CREDES, le Centre de recherche, d'étude et de documentation en économie de la santé, comme par le Haut Comité de santé publique montrent que ces exemples se retrouvent globalement dans la population française. En effet, notre système de protection sociale, nous en avons beaucoup parlé lors du débat sur la loi contre les exclusions, ne permet pas d'éviter le renoncement aux soins. Un Français sur quatre dit avoir un jour renoncé à se faire soigner pour des raisons financières. C'est considérable. Et la situation, loin de s'améliorer, continue d'empirer.

Moins bien couvertes par l'assurance maladie, subissant de plein fouet, il faut le dire, les contraintes du ticket modérateur, du forfait hospitalier et de l'avance de frais, les personnes aux revenus les plus faibles sont les plus fréquemment amenées à renoncer aux soins. Les restrictions concernent bien sûr les soins médicaux, les examens, mais aussi le domaine dentaire et les lunettes. Combien sont nombreux les enseignants qui nous disent que des enfants n'arrivent pas à apprendre à lire et à écrire parce que des troubles de la surdité ou des problèmes oculaires ne sont pas soignés. Près des trois quarts des personnes ayant renoncé à des soins pensent que ceux-ci sont seulement reportés à plus tard et qu'ils pourront y avoir accès. Mais 19 % déclarent renoncer à jamais à ces soins. Ces renoncements aux soins sont fortement déterminés par des situations sociales, c'est une évidence. Les inégalités sont criantes : 29 % des employés et 31 % des ouvriers non qualifiés déclarent y renoncer, contre 13 % des cadres. Le niveau des revenus est déterminant. Les conséquences s'en font sentir sur l'espérance de vie, très inégale selon les catégories sociales. Cet état de fait pouvait s'expliquer à des époques où les conditions de travail étaient particulièrement dures et portaient préjudice à la santé physique et mentale des salariés, mais il se perpétue aujourd'hui parce que certains n'ont pas accès aux soins.

La mortalité frappe différemment les milieux sociaux.

A trente-cinq ans, l'espérance de vie des professeurs est supérieure de huit ans à celle des manoeuvres : quarantetrois années pour les premiers, trente-cinq pour les seconds. Telle est la réalité de notre pays.

M. Pascal Terrasse.

Absolument.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Surtout, loin de se réduire, les écarts de mortalité entre catégories socioprofessionnelles se sont accrus. En effet, alors que la mortalité des ouvriers et employés entre vingt-cinq et cinquante-quatre ans restait stable entre 1980 et 1991, celle des cadres supérieurs et professions libérales diminuait de près de 20 %. On voit bien là les effets majeurs des progrès de la médecine, mais on voit aussi que certains sont restés à l'écart de ces progrès.

Au total, vivant dans des conditions socio-économiques défavorables, plus difficilement accessibles à l'information et à la prévention, bénéficiant d'une protection sociale


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

amoindrie et ayant recours aux soins de façon partielle et très souvent tardive, les catégories sociales les plus modestes apparaissent triplement frappées : par une espérance de vie plus réduite, par une inégalité face à la maladie et par une inégalité encore plus nette face aux chances de guérison.

Ces différences dans l'état de santé s'expliquent largement par le fait que les plus modestes ont un accès plus réduit à la couverture complémentaire.

Là aussi, l'étude du CREDES confirme que ce sont le statut socio-économique et le dégré de précarité qui déterminent largement l'accès à la couverture complémentaire. Or c'est celle-ci qui pose problème. On ne se soigne pas, parce qu'on ne peut pas payer le ticker modérateur ou le forfait hospitalier.

En effet, 62 % des chômeurs contre 90 % des actifs bénéficient d'une couverture complémentaire ; 66 % des personnes en intérim et 77 % des salariés ayant un contrat à durée déterminée de courte durée bénéficient d'une couverture complémentaire, alors que ce taux est de 93 % pour les personnes en contrat à durée indéterminée. On voit bien que le bénéfice d'une complémentaire est largement lié à l'absence ou non de précarité, mais aussi, bien sûr, au revenu moyen par unité de consommation. Le taux de couverture est de 51 % pour un revenu mensuel inférieur à 2 000 francs, de 76 % pour un revenu compris entre 2 000 francs et 3 000 francs, de 86 % pour un revenu compris entre 3 000 francs et 4 000 francs et de plus de 96 % pour un revenu supérieur à 8 000 francs.

Plus on est modeste, plus on est précaire, plus le bénéfice d'une garantie complémentaire est essentiel. Et c'est pourtant l'inverse qui se passe : plus vous êtes exposé, moins vous êtes protégé.

Prendre la mesure de cette réalité exigeait donc d'engager notre pays dans une profonde réforme de l'accès aux soins - nous en avions d'ailleurs débattu lors de l'examen de projet de loi contre les exclusions -, garantissant l'égalité effective devant le droit à la protection de la santé.

C'est donc bien de cela qu'il s'agit aujourd'hui : vaincre l'absurde, voire même la honte de cette situation, en cette fin de XXe siècle, vaincre l'injustice et garantir à chacun de nos concitoyens, grâce à la couverture maladie universelle, le droit réel aux soins, un droit jusqu'ici bafoué quand on est gravement malade, ou même que l'on meurt, faute d'avoir les revenus suffisants pour être bien soigné.

La réforme était nécessaire. Vu l'importance de ce texte, et vu la multiplicité des intervenants, le Gouvernement a souhaité confier à un parlementaire, Jean-Claude Boulard,...

Mme Odette Grzegrzulka.

Remarquable parlementaire !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... une mission exploratoire, qui a donné lieu à une concertation très approfondie, et effectivement, comme je viens de l'entendre, remarquable.

(Sourires.)

A la suite de la remise d'un premier rapport, le Gouvernement lui a demandé de poursuivre son travail pour parvenir à l'élaboration du texte qui vous est présenté aujourd'hui.

Je tiens à remercier, mesdames, messieurs les députés, celui qui est devenu votre rapporteur, pour le travail considérable qu'il a réalisé, un travail de concertation et d'imagination qui porte ses fruits, au service des objectifs que nous nous étions fixés, mais aussi des valeurs que nous partageons ensemble.

Il fallait, en effet, faire cette réforme. Et je voudrais, en quelques mots, en rappeler l'historique.

La création de la couverture maladie universelle prolonge l'effort accompli depuis plus d'un siècle pour venir en aide aux plus démunis.

Il faut se rappeler que si l'assistance médicale gratuite a été créée en 1893, il a fallu attendre 1945 pour voir la création de la sécurité sociale, puis la généralisation de l'assurance maladie, et 1978 pour la création de l'assurance personnelle pour ceux qui n'étaient pas couverts par leur métier.

Puis, les lois de décentralisation ont transféré les compétences dans le domaine de l'aide médicale aux départements.

En 1988, avec la création du RMI, un pas en avant considérable va être réalisé pour la couverture maladie des personnes les plus défavorisées.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Eh oui !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

En effet, dès 1988, le bénéfice du RMI ouvre le droit à une affiliation automatique à l'assurance personnelle, c'est-àdire à l'assurance de base de la sécurité sociale.

Mais il faut attendre 1992 pour qu'une réforme profonde de l'aide médicale soit engagée, et pour que les allocataires du RMI puissent voir prises en charge en charge à 100 % leurs dépenses maladie, c'est-à-dire non seulement le régime de base, mais aussi le régime complémentaire, celui dont nous allons parler aujourd'hui, non plus pour deux millions mais pour six millions de personnes.

La CMU naît enfin aujourd'hui - du moins si vous en décidez ainsi - et va plus loin, je crois qu'il faut le dire, que le projet du précédent gouvernement d'instaurer l'assurance maladie universelle. Celle-ci allait dans le bon sens, puisqu'il s'agissait d'intégrer dans le champ de la sécurité sociale, en leur donnant une carte de sécurité sociale, quelque 150 000 à 200 000 personnes qui n'y avaient pas encore accès.

Nous reprenons cette idée, bien évidemment, en en faisant le premier étage de la couverture maladie universelle. Car, je crois l'avoir montré à travers les chiffres que j'ai cités, nous ne pouvons pas nous arrêter là. C'est bien, en effet, grâce à la couverture complémentaire - qui concerne aujourd'hui 85 % des Français, qu'ils adhèrent à une société d'assurance, à une mutuelle ou à une institution de prévoyance -, c'est grâce à cette couverture complémentaire, donc, que le forfait hospitalier et le ticket modérateur sont pris en charge, et que l'on peut donc réellement se faire soigner. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a souhaité franchir cette étape supplémentaire, et décisive, vers un accès effectif aux soins pour tous.

Je voudrais dire que la couverture maladie universelle n'est pas seulement destinée aux exclus. Elle permet à ceux dont l'accès aux soins est particulièrement restreint, pour des raisons qui tiennent à leur revenu, de bénéficier de cette couverture complémentaire complète. Il y aura, bien sûr, parmi ces six millions de personnes, des chômeurs, des exclus, des personnes en fin de droits, mais il y aura aussi des salariés à faible revenu, des artisans, des commerçants, qui ont de faibles revenus et ne peuvent aujourd'hui avoir accès aux soins.

J'ajouterai, et ceci n'a pas été dit, en tout cas pas dans les commentaires qu'on a pu entendre, que près de la moitié de cette population de six millions de personnes


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vont en sortir chaque année, alors que d'autres y entreront. Car, disons-le, une très grande majorité de Français court aujourd'hui le risque de se trouver un jour audessous des plafonds, et donc d'avoir besoin d'une couverture maladie universelle pour pouvoir continuer à se faire soigner.

C'est donc potentiellement - et j'allais presque dire malheureusement - un nombre très important de Français qui, au-delà de ce chiffre de 6 millions, vont pouvoir, à un moment ou à un autre, bénéficier de cette couverture maladie universelle. C'est aussi une protection, une sécurité pour l'avenir, cet avenir qui inquiète beaucoup de gens aujourd'hui.

Ce projet de loi se décompose donc en deux étages. Le premier consiste à garantir l'accès effectif à l'assurance maladie de base, c'est-à-dire, tout simplement, à garantir à tous les droits ouverts par la sécurité sociale. Le second ouvrira l'accès à l'assurance maladie aux 10 % des Français les plus modestes, ces 6 millions de personnes dont je viens de parler.

Je ne vous parlerai pas maintenant du titre IV du projet de loi. Bernard Kouchner le fera après moi.

Je m'attacherai, tout d'abord, au premier étage. Il s'agit, donc, de garantir à tous l'assurance maladie de base. Aujourd'hui, 550 000 personnes ont recours à l'assurance personnelle, c'est-à-dire à une cotisation versée pour bénéficier de la sécurité sociale de base, et on estime qu'environ 150 000 personnes en France ne bénéficient d'aucune couverture maladie, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas de carte de sécurité sociale.

Il y a donc 700 000 personnes au total qui sont concernées, concrètement, par ce progrès considérable qui consiste à leur garantir l'accès à une couverture maladie de base.

La loi permettra donc à tous de bénéficier de la protection d'un régime d'assurance maladie. En effet, tout résident stable et régulier qui n'aurait pas de droits ouverts auprès d'un régime de sécurité sociale pourra, sur seule justification de sa résidence régulière, bénéficier des prestations du régime général.

C'en sera fini de ces jeunes en rupture de famille, par exemple, qui ne peuvent se faire soigner faute d'avoir la carte de sécurité sociale de leurs parents. C'en sera fini de ces femmes abandonnées par leur mari et qui se retrouvent seules avec des enfants sans avoir la possibilité de les faire soigner, parce qu'elles n'ont pas accès à la sécurité sociale. C'en sera fini de ces Français qui viennent de l'étranger et qui, au moment où ils arrivent sur notre territoire, parce qu'ils n'ont pas cotisé, ne peuvent avoir accès à la sécurité sociale. C'est bien de tous ceux-là que nous parlons aujourd'hui.

Pour ce premier étage, nous aurons voulu mettre en place un dispositif simple. Car, dans le fond, quand il s'agit de ces droits fondamentaux, un des écueils à éviter - et que nous n'avons pas évité pour le RMI, j'y reviendrai tout à l'heure - est le manque de simplicité et de transparence. Il faut que ceux qui sont dans les situations les plus difficiles puissent avoir accès à leurs droits dans les conditions les plus simples possibles, sans avoir à passer d'un guichet à l'autre, sans avoir à effectuer un parcours du combattant harassant, sans avoir, la honte au coeur, à raconter leur histoire en permanence. C'est cette simplicité que nous avons visée. L'affiliation sera en effet immédiate, dès le dépôt de la demande justifié. Ce n'est que par la suite que la caisse d'affiliation recherchera si la personne est adhérente à un régime de sécurité sociale. Si elle ne relève d'aucun de ces régimes, elle sera maintenue au régime général au seul titre de sa résidence sur notre territoire.

L'affiliation sera automatique : le demandeur devra uniquement fournir sa carte d'identité ou, s'il s'agit d'un étranger, sa carte de séjour. Les droits aux prestations en nature seront ouverts, dès le dépôt de la demande justifié et leur continuité sera garantie. Le paiement des cotisations ne sera plus une condition préalable au bénéfice des prestations en nature.

Nous avons voulu la simplicité. J'ai dit tout à l'heure que 550 000 personnes avaient accès au régime de l'assurance personnelle, facultatif et complexe. Parmi elles, 500 000 voient leur assurance personnelle prise en charge par les départements au titre de l'aide médicale, ou par les caisses d'allocations familiales, tandis que 50 000 la paient directement. Avec la couverture maladie universelle, ils ne paieront pas de cotisations en dessous de 3 500 francs de revenu mensuel. Et pour ceux dont le revenu est supérieur, la cotisation sera calculée proportionnellement à la part de revenu excédant ce seuil, ce qui rend le système plus progressif et plus juste. Il s'agit là d'un progrès important. Par ailleurs, comme je l'ai dit les 150 000 personnes qui n'ont aucun droit, et qui n'ont pas d'assurance personnelle, auront cette carte.

Pour réaliser cette réforme, la sécurité sociale se verra transférer les sommes actuellement consacrées par les départements, les caisses d'allocations familiales, le fonds de solidarité vieillesse et l'Etat à la prise en charge des cotisations d'assurance personnelle de ceux qui n'ont aucun droit à une couverture maladie obligatoire.

C'est là le premier niveau : assurer à tous une couverture de base à la sécurité sociale.

Mais ce projet, je l'ai dit, est beaucoup plus ambitieux puisqu'il ouvre également un droit à une couverture complémentaire pour les 10 % les plus modestes de la population. En effet, il ne suffit pas de donner une carte d'assuré social à chacun. Se limiter à garantir l'affiliation à un régime de sécurité sociale ne permettait pas de garantir l'accès aux soins, dès lors que près de 25 % des dépenses de santé restent à la charge des ménages. Dans d'autres pays, ce taux est beaucoup plus faible, notamment pour la visite chez le médecin généraliste, ce qui explique sans doute la difficulté qu'ont les plus pauvres de nos concitoyens à se faire soigner. Cette charge est particulièrement ressentie par les ménages en difficulté, pour lesquels ce ticket modérateur représente un montant très élevé par rapport à leurs ressources ; elle contraint les plus défavorisés à rester dominés par l'angoisse de la maladie.

J'ai rencontré il y a quelques jours, en Meurthe-etMoselle, des femmes et des hommes bénéficiaires de la carte santé. Ils m'ont expliqué comment ils vivaient avant, avec cette angoisse de voir la maladie frapper leurs enfants, avec le choix auquel ils étaient contraints, et comment cette angoisse avait disparu grâce à la carte santé. Pour autant, ils n'en sont pas venus à abuser des soins : l'expérience de quatre ans de pratique dans les départements montre que les plus modestes continuent à se soigner moins que les plus riches. J'aimerais le rappeler à ceux qui estiment que notre dispositif coûterait trop cher pour un pays comme le nôtre.

Aucun mécanisme n'était, il est vrai, parvenu jusqu'à présent à briser cette spirale de l'exclusion. Malgré des expérience utiles, l'aide médicale organisée au niveau des


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départements est restée insuffisante et n'a pas permis de résoudre ces problèmes d'accès aux soins, pour au moins trois raisons.

La première, c'est que la plupart des départements se sont contentés d'appliquer la loi, c'est-à-dire de prendre en charge les allocataires du RMI en reprenant le barème du RMI, soit 2 400 francs pour un célibataire. Je ne leur en fais pas le reproche ; mais, dans plusieurs d'entre eux, il faut le dire, certains obstacles à la reconnaissance des droits persistent. Il faut, pour les demandeurs, remplir dans le temps et l'espace tant de conditions - prouver qu'ils n'ont pas travaillé, qu'aucun membre de la famille n'a travaillé, qu'ils ne dépendent pas d'un autre régime, etc. - que l'accès aux droits en devient un véritable parcours du combattant qui, pour beaucoup, conduit au renoncement. Ne parlons même pas de certaines pratiques appliquées dans deux départements français, heureusement révolues aujourd'hui : ces bons jaunes pour aller se faire soigner, qui rappelaient d'autres périodes.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Tout à fait !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

La deuxième raison de l'inefficacité partielle de l'aide médicale tient au fait que le barème de l'obligation légale, arrêté au niveau du RMI, n'était pas suffisant pour prendre en compte ceux qui avaient réellement besoin de l'accès aux soins gratuits. Sans doute est-ce pour cette raison que certains départements, on ne peut que s'en réjouir, sont allés au-delà du minimum légal, et parfois depuis plusieurs années, en fixant des plafonds de 3 000 francs, voire 4 000 ou 4 500 francs pour certaines catégories. Mais de nombreux départements ne l'ont pas fait, non pas qu'il ne l'aient pas voulu, mais très souvent parce qu'ils ne l'ont pas pu, particulièrement ceux où les gens modestes, pauvres ou en difficulté, sont très nombreux et les ressources financières trop faibles.

Il s'est ainsi créé, force est de le reconnaître, une véritable rupture d'égalité devant les soins d'un département à l'autre ; et si certains ont pu trouver des solutions, on ne saurait, je le répète, faire porter la responsabilité de cette situation aux collectivités qui n'avaient pas les moyens d'aller au-delà du minimum légal. Certains départements se sont montrés cependant exemplaires en apportant, aussi bien dans l'esprit que dans la méthode, des réponses très proches des objectifs que nous visons avec l'instauration de la couverture maladie universelle.

La mise en place d'une carte santé dans de nombreux départements, c'est-à-dire avec un certain automatisme, s'est accompagnée d'une volonté de simplifier, de rationaliser l'aide médicale, de développer l'accès effectif des plus défavorisés aux soins grâce à des procédures qui facilitent l'ouverture immédiate des droits, la multiplication des demandes et la sollicitation du service social le plus proche du demandeur, autant d'avancées qu'il nous faudra bien évidemment conserver pour pouvoir assurer au mieux ce service. Leurs expériences, particulièrement intéressantes, ont éclairé l'élaboration du projet de loi. Il n'en reste pas moins que l'égalité de traitement n'est pas garantie sur l'ensemble du territoire. L'accès à l'aide médicale reste difficile dans de nombreux endroits en l'absence d'un barème complémentaire d'admission. Par ailleurs, dès lors que l'on change de département, il faut recommencer l'ensemble des procédures sans être sûr de trouver dans le nouveau département de résidence des avantages plus importants que ceux prévu par la loi. Il nous faut donc rétablir, garantir une égalité de droits en matière d'accès aux soins sur l'ensemble du territoire.

J'ai entendu reprocher au Gouvernement de faire avec la CMU de l'étatisation. Rappelons pour commencer que cette volonté de remonter vers l'Etat résulte depuis le début d'une demande de l'Assemblée des présidents des conseils généraux.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Tout à fait !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Les propos tenus sur certains bancs laissent à penser qu'il n'y aurait pas de présidents de conseils généraux parmi eux.

Mme Odette Grzegrzulka.

Ils ne se parlent plus entre eux !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Le président de l'Assemblée des présidents de conseils généraux, à qui j'avais bien évidemment soumis le principe et les modalités du texte - Jean-Claude Boulard et moimême avons beaucoup travaillé avec eux - m'a d'ailleurs confirmé son accord dans une lettre qu'il m'a adressée le 3 février 1999, après avoir consulté son association.

Nous avons tous la même vision des choses : il n'est plus possible de laisser perdurer un système inégalitaire où les hommes et les femmes de notre pays se voient appliquer un traitement différent selon le lieu où ils habitent. Nous ne voulons pas non plus d'un système de type « féodal », comme les associations appellent l'aide médicale, qui conduit à traiter les cas à la tête du client et qui impose au demandeur d'expliquer sa situation dans le détail, de se mettre à nu et parfois même à plusieurs reprises pour obtenir satisfaction. Nous voulons donner à tous un droit à se faire soigner, et le même droit sur l'ensemble du territoire. Le Gouvernement entend se montrer très exigeant sur l'égalité de traitement comme sur la simplification du système.

Le projet de couverture maladie universelle permettra à six millions de personnes de bénéficier d'une couverture complémentaire complète. La loi ouvrira donc un droit à une couverture complémentaire, sous condition de ressources.

Les soins seront pris en charge à 100 %, de même que le forfait hospitalier. Des remboursements adaptés seront mis en place pour les prothèses dentaires et l'optique, qui iront même au-delà de ce qui est réalisé pour l'ensemble des assurés sociaux - et j'espère que nous en tirerons des conséquences, y compris pour les autres assurés sociaux.

Les bénéficiaires auront en outre la garantie qu'aucun dépassement ne leur sera facturé par les médecins qui, dans le cadre de la convention médicale, bénéficient de la liberté des tarifs.

J'ajoute, en réponse à certains qui ont comparé ce dispositif au système américain, que les bénéficiaires de la couverture maladie universelle ne seront pas tenus de se rendre chez des médecins, dans des hôpitaux ou des services de seconde zone...

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Exactement !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ils iront se soigner où ils voudront, quand ils voudront, comme tout le monde. Ils auront droit au même système de santé que l'ensemble des Français. Cela aussi est important si nous voulons apporter une réponse digne et correcte.

La possibilité de la couverture complémentaire gratuite sera ouverte à tous ceux qui se situent en deçà d'un certain seuil. Ce droit sera ouvert aux foyers dont le revenu est inférieur à 3 500 francs par unité de consommation,


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soit 3 500 francs pour une personne isolée, 5 250 francs pour deux personnes, 6 300 francs pour trois personnes, 7 700 francs pour quatre personnes et 1 400 francs pour toute personne supplémentaire au foyer au-delà.

Ce dispositif permettra ainsi de couvrir non seulement les chômeurs et les exclus mais aussi des salariés, des commerçants, des artisans, des retraités aux revenus modestes. Ainsi un couple avec un salaire au SMIC et un enfant bénéficiera-t-il de la couverture maladie universelle.

J'entends depuis quelques semaines certaines voix s'inquiéter des effets de seuil.

Nous clarifierons la question ensemble, car nous en redébattrons certainement. J'aimerais seulement, à ce stade, apporter quelques éléments.

Les barèmes et les seuils existent partout.

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, pour les titres préliminaires, Ier , II, III et V.

Absolument !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Le minimum légal précédent en fixait un, en l'occurrence celui du RMI, avec le même effet de seuil que tous les seuils. La trentaine de départements qui sont allés au-delà du RMI en ont eux aussi fixé un, provoquant le même effet. Je suis du reste étonnée de voir ceux-là même qui, en tant que présidents de conseil général, ont fixé un seuil dans leur département, être les premiers à critiquer l'effet de seuil au niveau national !

Mme Martine David.

Eh oui !

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur.

Pensons au barème Barrot !

M. Alfred Recours, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales pour le titre IV.

Opportun rappel !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

S'il existait une autre solution, beaucoup plus intelligente, que ne nous ont-ils montré la voie ! Cela nous aurait permis de nous exprimer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Prenons, par exemple, la Haute-Loire, département de mon prédécesseur Jacques Barrot. Celui-ci a mis en place un barème tout à fait intéressant, puisque l'on peut y a voir accès à l'aide médicale si l'on a moins de 3 392 francs de ressources.

(« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Mais c'est encore un seuil, et toujours avec les effets de seuil habituels. Un peu insuffisant, mais un seuil tout de même.

M. Pierre Méhaignerie.

Pas ça !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur Méhaignerie, laissez-moi terminer, vous aurez tout le temps de vous exprimer.

La mise en place de la couverture maladie universelle porte le seuil actuel à 3 500 francs. Je le reconnais, je l'ai dit en commission : par définition, tout seuil peut prêter à discussion. Je ne prétends pas que le nôtre, au regard de considérations claires et objectives, soit absolument le bon. Nous avons simplement essayé d'en fixer un qui correspondait aux besoins. Il n'est qu'à regarder la multitude de seuils de pauvreté arrêtés par les organismes internationaux ou nationaux, qui vont de 3 000 francs à 3 800 francs. Nous avons choisi 3 500 francs ; je suis bien évidemment prête à en discuter. Au demeurant, la variété des pratiques constatées dans les départements montre bien la difficulté de l'exercice, puisque aucun n'a le même. Si un seuil avait dû s'imposer à tous, les présidents de conseils généraux, dans leur lucidité, l'auraient sans nul doute adopté depuis longtemps et nous aurions pu le reprendre.

M. Marcel Rogemont.

Très bien !

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur.

C'est comme pour l'allocation dépendance !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mais avant de le remettre en cause, mettons au clair un élément très important : de 2 600 000 personnes couvertes aujourd'hui par une aide médicale gratuite, nous passons à six millions. Je ne connais pas de pays qui soit allé aussi loin. On peut évidemment souhaiter un seuil plus élevé, mais mesurons déjà l'effort ainsi réalisé, considérons le nombre de ceux qui vont effectivement bénéficier d'un accès gratuit aux soins.

Mme Martine David.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Certains proposent de moduler les avantages en fonction d'un barème de revenus. Je remarque en passant qu'ils ne s'y sont pas essayé dans leur département.

Mme Odette Grzegrzulka.

Ils ne sont pas étouffés par les contradictions !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Quoi qu'il en soit, si la question d'une contribution des personnes les plus proches du plafond mérite d'être posée - car c'est un vrai débat, je l'ai dit en commission - le Gouvernement n'a pas fait ce choix. Je reste ouverte à la discussion, mais nous avons estimé que nous ne pourrions refuser des soins à une famille au motif qu'elle n'aurait pas déboursé les 30 ou 40 francs qu'elle devrait payer par mois.

M. Marcel Rogemont.

Exactement !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Il serait du reste très difficile d'envoyer un huissier pour soustraire cette contribution à des familles qui n'arrivent déjà pas à se faire soigner.

M. Marcel Rogemont.

C'est la simple évidence !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Il est vrai qu'une contribution, dans bien des domaines, est un moyen de faire appel à la responsabilité. Mais, quand il s'agit de la santé, avons-nous le droit de fixer un barème alors que nous savons pertinemment que nous serons dans l'impossibilité de l'appliquer ?

M. Gérard Gouzes.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Personnellement, je ne le crois pas, mais ce débat mérite d'être ouvert et je suis convaincue que nous l'aurons.

C'est sans doute aussi pour ces raisons que les mesures prises en faveur des plus démunis comportent toujours des seuils : dès lors il s'agit d'atteindre la base des droits fondamentaux, il est toujours difficile de fixer des conditions. Mais nous avons choisi de limiter l'impact et les conséquences de ce seuil de plusieurs manières, qui rejoignent d'ailleurs les pratiques mises en oeuvre dans certains départements.

Pour commencer, les droits à la couverture complémentaire sont ouverts pendant un an, quelle que soit l'évolution du revenu des bénéficiaires durant cette période. Même si l'on retrouve un travail, même si l'on dépasse le plafond, on gardera la CMU pendant un an.

C e sera une aide supplémentaire pour ceux qui reprennent le travail.


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De surcroît, les bénéficiaires de la couverture maladie universelle - et nous avons eu un accord de la part des complémentaires, discuté et négocié par Jean-Claude Boulard - qui viendraient à dépasser le seuil de revenus et qui auraient choisi une mutuelle ou une assurance, verront leurs droits à la complémentaire prolongés d'un an à tarif préférentiel.

Pour ceux qui se retrouvent au-dessus des 3 500 francs - pour lesquels se pose exactement la même question que pour ceux qui, dans les deux tiers des départements qui n'ont pas augmenté le barème, sont au-dessus de 2 400 francs, ou au dessus des nouveaux seuils que certains présidents de conseils généraux ont mis en place -, nous procéderons comme nous le faisons aujourd'hui avec l'aide sociale, c'est-à-dire en appréciant la situation personnelle des demandeurs et des familles, et nous les aiderons lorsqu'il sera établi qu'elles ont effectivement besoin de cette aide pour avoir accès aux soins.

Prenons l'exemple d'une personne âgée qui a pour toute ressource les 3 500 francs du minimum vieillesse plus une aide au logement, soit au total 3 800 francs par mois. Je ne dis pas qu'elle soit riche, mais je sais que sa situation sera très différente selon qu'elle vivra à la campagne en étant propriétaire de son logement ou en ville en devant payer un loyer. Ne doit-on pas là faire oeuvre d'imagination et apprécier au cas par cas ? Mais qui paiera ? Ceux qui le font aujourd'hui, à ceci près qu'on le fait pour les 4 millions de personnes qui sont au-dessus des seuils existants alors que le problème ne se posera demain qu'au-dessus des 6 millions garantis par la solidarité nationale.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Il y aura d'abord les fonds d'action sociale des caisses ; dans le système actuel, 800 millions de francs venant des caisses, et notamment de la Caisse nationale d'assurance maladie, servent à venir en aide à ceux qui dépassent des plafonds.

Ces fonds resteront dans les caisses. J'ai écrit aux présidents des caisses pour leur demander d'être très attentifs à l'analyse des situations individuelles au-dessus du plafond et j'ai déjà reçu un avis positif du président de la Caisse nationale d'assurance maladie.

Il y aura bien évidemment les départements, s'ils le souhaitent, puisque 5 % des sommes qu'ils consacrent aujourd'hui à l'aide médicale seront maintenus ainsi que l'ensemble du personnel. Les CCAS qui souhaitent faire un effort particulier en la matière pourront également, lorsque les discussions entre départements et communes seront achevées, intervenir au-delà des barèmes nationaux ou départementaux, comme ils le font aujourd'hui.

Enfin, votre rapporteur propose de compléter ces dispositifs par l'institution d'un fonds qui pourrait être alimenté par les caisses et par les organismes complément aires. C'est là une idée intéressante qui viendrait compléter le dispositif visant à lisser l'effet de seuil. Nous y reviendrons au cours de la discussion ; je lui laisse bien évidemment le soin de le présenter.

J'en viens au financement de la couverture maladie universelle. Quelles que soient les modalités choisies par l'intéressé, la couverture complémentaire constituera une prestation relevant de la solidarité nationale et distincte des remboursements de sécurité sociale. La couverture maladie universelle n'introduira aucune modulation de ces remboursements en fonction des revenus et remboursera aux intéressés les mêmes prestations que celles auxquelles ont droit tous les Français.

La prestation de solidarité sera financée par un fonds d'Etat. Son coût, évalué à 9 milliards de francs, sera assuré par une contribution des organismes de protection complémentaire, mutuelles, institutions de prévoyance, entreprises d'assurances, au taux de 1,75 % de leur chiffre d'affaires santé. Cette contribution, de l'ordre de 1 750 millions, représentera environ 20 % du montant total ; une dotation de l'Etat couvrira le solde, après avoir fait remonter 95 % des sommes actuellement consacrées par les départements à l'aide médicale complémentaire, soit 5 milliards de francs.

Ce financement, je tiens à le dire, est totalement indolore pour la sécurité sociale.

Je sais bien que, dans notre pays, nous aimons les faux débats. Mais autant dire les choses clairement : la couverture maladie universelle ne modifie en rien les frontières entre la sécurité sociale de base et la couverture complémentaire. Aucun Français ne bénéficie aujourd'hui d'une couverture complémentaire par la sécurité sociale, aucun Français n'a de couverture de base par une complémentaire ! Rien ne changera demain, nous garderons le même dispositif et il n'y aura aucun coût supplémentaire pour la sécurité sociale puisqu'il s'agit d'un fonds financé par la solidarité. Et même, au-delà de l'objectif majeur que constitue ce projet, il est clair que si nous sommes capables de faire de la prévention et de soigner plus vite et mieux, nous ferons faire, à terme, des économies à la sécurité sociale.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Eh oui !

M. Pascal Terrasse.

C'est ça la prévention !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est par d'autres mesures - et c'est ce que nous faisons - que le problème du déficit de l'assurance maladie doit être traité. Ce n'est pas en privant les plus démunis des soins auxquels ils ont droit et qui, je le répète, ne seront pas financés par la sécurité sociale, que l'on s'en sortira. Ceux qui défendent un tel argument pour retarder cette réforme fondamentale me paraissent confondre la maîtrise des dépenses de santé avec le rationnement des soins pour les plus pauvres. Le Gouvernement ne se résoud pas à un tel choix. Et j'entends bien que ceux qui s'y résolvent nous le disent franchement au lieu de le faire de manière déguisée. Cela nous permettra au moins d'avoir un débat clair.

Mme Dominique Gillot.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

J'en viens maintenant, et j'en terminerai là, aux modalités de gestion de la prestation, qui ont tant défrayé la chronique dans un milieu - il faut bien le dire - très restreint. Car tous ceux sur ces bancs qui rencontrent des hommes et des femmes qui leur disent : « La couverture maladie universelle, c'est pour quand ? J'ai un enfant malade ou un problème de dent ! » savent bien que, pour ces gens-là, l'important, c'est la simplicité et la transparence, et non pas le point de savoir si les mutuelles et les caisses d'assurance maladie pourront se mettre d'accord ou si l'on se bat pour des frontières ! Dans un domaine comme celui-là, je souhaite que chacun sorte de son corporatisme pour avoir une ambition forte : celle que chacun, dans notre pays, soit soigné quels que soient ses besoins et quels que soient ses moyens.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

Les bénéficiaires auront donc droit à une prestation de solidarité qui sera servie, à leur choix, soit par les caisses d'assurance maladie, soit par une mutuelle à laquelle ils auront adhéré ou une institution de prévoyance ou une société d'assurance avec laquelle ils seront liés par contrat.

Nous avons retenu cette disposition en partant de ces seules considérations : la simplicité, l'intérêt des bénéficiaires et la possibilité pour eux d'accéder au droit, avec un libre choix.

Il est - je le redis ici après l'avoir fait devant la commission - hautement souhaitable que les bénéficiaires de la couverture maladie universelle puissent, dans toute la mesure du possible, bénéficier comme tous les autres d'une prise en charge selon le droit commun.

Mais pour respecter la diversité des situations, tenir compte des personnes qui auront du mal à faire un choix entre les organismes complémentaires et, face à des offres qui, en outre, peuvent être limitées pendant la période de mise en place, il nous est apparu, comme le souhaitaient d'ailleurs les associations, qu'un accès à la couverture maladie universelle devait être possible auprès des caisses des régimes obligatoires d'assurance maladie.

Pour ma part, je fais confiance au mouvement mutualiste notamment pour agir conformément aux valeurs et aux principes qui ont présidé à sa création...

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Tout à fait !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... et mettre en place l'accès aux soins, faire de la prévention, aller vers ceux qui sont le plus en difficulté et leur proposer des bilans de santé, si bien que chacun comprendra qu'il a intérêt à être pris en charge, comme tous les Français, par une mutuelle ou, pourquoi pas, par une institution de prévoyance ou une société d'assurance.

Mme Yvette Benayoun-Nakache et M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Notre système n'a donc rien à voir, comme j'ai pu l'entendre, avec le système américain de couverture maladie. En effet, les programmes « Medicare » et « Medicaid » destinés respectivement aux personnes âgées et aux pauvres laissent de côté 11,2 millions de pauvres aux Etats-Unis, qui n'ont aucune couverture sociale. Ces deux programmes, par ailleurs, ne concernent que la couverture de base, pas la couverture complémentaire, dans la plupart des Etats.

Enfin, les bénéficiaires de ces programmes ne peuvent s'adresser qu'à des médecins ou à des services qui ne sont pas ceux de tous ; c'est l'inverse du système que nous mettons en place, puisque les bénéficiaires de la CMU bénéficieront de la même médecine que les autres et non d'une médecine de second ordre qui les mettrait au bord de la route.

En écho, j'ai entendu dire qu'avec la couverture maladie universelle, le Gouvernement faisait de l'assistance.

Mais pour nous, ne pas mener à bien ce projet serait de la non-assistance à personne en danger ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

La couverture maladie universelle est - nous en sommes convaincus sur la plupart de ces bancs - une réforme fondamentale. Pour moi, elle est une des plus essentielles parmi toutes celles dont j'ai eu à débattre avec vous dans cet hémicycle depuis deux ans.

Rappelez-vous le débat que nous avons eu sur l'exclusion. Certains nous demandaient alors d'augmenter plus substantiellement les minima sociaux. Nous avons certes procédé à des rattrapages, mais nous avons dit très clairement que nous souhaitions surtout que devienne effectif l'accès aux droits fondamentaux. Je préfère - et de loin ! - permettre de se faire soigner gratuitement à qui n'a pas les moyens de le faire que d'augmenter les minima sociaux, comme certains ici le réclament aujourd'hui alors qu'ils ne l'ont pas fait pendant quatre ans !

Mme Odette Grzegrzulka.

Absolument !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Voilà ce que nous devons faire, dans notre République, en cette fin du XXe siècle : donner à tous l'accès aux soins.

Cela dit, une fois cette loi votée, un effort très important devra être fait sur le terrain pour informer les bénéficiaires, pour aller à leur rencontre. Je compte beaucoup sur les associations, sur les centres communaux d'action sociale et sur les bureaux d'aide sociale des départements pour nous aider dans cette mobilisation.

M. Alain Calmat.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ils seront des relais et des conseils indispensables dans la mise en oeuvre de cette réforme essentielle. Si, aujourd'hui, nous centralisons, par la solidarité, le financement de ce dispositif, c'est bien au plus proche du terrain que devront être traités les problèmes des bénéficiaires de la couverture maladie universelle. Beaucoup d'élus l'ont compris, je crois.

Chacune des lois que j'ai portées devant vous repose sur la mise en mouvement de la société. Toutes ces lois sont complémentaires. Rappelons-nous les programmes régionaux d'accès à la prévention actuellement mis en place dans les régions, ou les permanences d'accès aux soins mises en place dans les hôpitaux pour recevoir ceux qui n'arrivent pas à se faire soigner.

Le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui ne fait pas exception à la règle. Nous pouvons tous nous retrouver sur un texte comme celui-ci, en laissant de côté les faux débats et les arguments manifestement en contradiction avec la réalité des pratiques ou avec les discours sur le terrain.

Sachez, en tout cas, que le Gouvernement sera ouvert à toutes les propositions des parlementaires pour améliorer ce texte. Nous aurions tort, sur un tel sujet, de ne pas nous attacher à l'essentiel : trouver la manière la plus simple et la plus efficace d'assurer à tous ceux qui vivent sur notre territoire l'égalité d'accès aux soins.

Je terminerai, en citant, moi aussi, une phrase de Camus : « La grandeur de l'homme est dans sa décision d'être plus fort que sa condition. »

M. Maxime Gremetz.

La grandeur de la femme aussi ! (Sourires.)

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Certes, monsieur Gremetz ! C'est de cela qu'il s'agit dans ce projet de loi instaurant une couverture maladie universelle, comme ce l'était déjà dans le programme de prévention et de lutte contre les exclusions.

Il ne s'agit pas seulement d'aider les plus défavorisés de nos concitoyens à accéder aux soins dont ils ont besoin, il s'agit de rétablir six millions de femmes et d'hommes dans leur droit à la protection de la santé, dans leur droit aux soins, donc dans leur droit à l'avenir. C'est cela, la République.

En soignant le corps, on libère aussi l'esprit, on dissipe les angoisses. Pour prolonger Camus, on rend, à chacun la capacité d'être grand.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

Cette liberté à laquelle chacun aspire, celle de pouvoir préparer son avenir, je vous propose aujourd'hui que grâce à la couverture maladie universelle nous la garantissions ensemble à tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, le titre IV du projet de loi que vous examinez aujourd'hui comporte six articles qui visent à améliorer, dans des domaines variés, le fonctionnement de notre système de santé.

Ces articles ont été introduits dans le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle car la charge importante du calendrier parlementaire ne permettait pas d'espérer leur trouver un support législatif adéquat avant plusieurs mois. Or il s'agit de mesures urgentes, souvent attendues par les professionnels depuis longtemps et qui ne relèvent pas d'une loi de financement de la sécurité sociale.

L'article 32 réforme les consultations de dépistage anonyme et gratuit. C'est un axe essentiel des stratégies de lutte contre le sida et les hépatites. Depuis cette année, une approche globale de la lutte contre le sida et les hépatites a été engagée. Pour l'hépatite C, qui touche plus de 600 000 personnes en France, nous avons défini un plan national de lutte sur quatre ans qui est mis en oeuvre dès cette année. Ce plan s'organise autour d'un dispositif de dépistage ciblé, d'une prise en charge de qualité pour les personnes vivant avec ce virus, du développement de la prévention pour réduire les nouvelles contaminations et d'un soutien à la recherche et à l'évaluation épidémiologique.

La réforme des consultations de dépistage anonyme et gratuit s'inscrit dans ce cadre. Elle vise à favoriser l'accès gratuit et anonyme à la prévention, au dépistage et au diagnostic précoce de l'hépatite C.

L'article 33 porte sur le volet santé de la carte d'assurance maladie de seconde génération, dite Vitale II. Le Conseil d'Etat a en effet jugé illégales les dispositions de l'ordonnance de 1996 concernant ce volet santé. Ce volet est destiné à porter les informations concernant l'état de santé de chacun d'entre nous et ainsi à améliorer les soins d'urgence et la continuité des soins.

Les garanties apportées au titulaire de la carte, qui ont fait l'objet de concertations approfondies avec les représentants des usagers, ont été considérablement renforcées.

Le titulaire doit donner son accord à toute inscription et est informé de ce qui va être écrit. Il peut consulter ce qui est inscrit par l'intermédiaire d'un professionnel de santé ; en effet, la carte CPS du professionnel est nécessaire pour enclencher le mécanisme et accéder à une partie des informations. Il peut protéger la carte par un code secret analogue au code de sa carte bancaire. Les informations contenues sur la carte doivent être effacées dès qu'il en fait la demande. Seule une partie de ces informations, la moins sensible - groupe sanguin, allergies, vaccinations par exemple - pourra faire l'objet d'une copie papier.

L'article 34 vise à régler la situation des infirmiers de secteur psychiatrique. Le droit communautaire leur interdit de recevoir automatiquement un diplôme d'Etat d'infirmier de soins généraux. Cette situation a entraîné de nombreux conflits depuis 1994, et une manifestation encore aujourd'hui.

Le texte vise donc à créer un diplôme d'Etat d'infirmier psychiatrique, à légaliser l'élargissement des lieux d'exercice des infirmiers de secteur psychiatrique et, enfin, à fixer de nouvelles modalités de délivrance du diplôme d'Etat aux infirmiers titulaires du diplôme de secteur psychiatrique. Il prévoit la création d'une commission régionale chargée d'examiner pour chaque candidat, compte tenu de sa formation initiale et de son cursus professionnel, la formation complémentaire nécessaire préalablement à l'obtention du diplôme. Ce dernier est délivré par le préfet de région, sur proposition de cette commission dont la composition offre toutes garanties d'impartialité, et qui comprend bien sûr des représentants des infirmiers psychiatriques, à parité avec des infirmiers généraux.

L'article 35 crée une base légale pour une convention entre les pharmaciens d'officine et l'assurance maladie, conformément au protocole d'accord signé le 24 septembre dernier entre les syndicats et l'Etat.

La convention entre pharmaciens et assurance maladie pourra porter notamment sur la qualité de la dispensation pharmaceutique, le bon usage du médicament, la formation continue, le développement des médicaments génériques ou encore la coordination des soins.

Il a également été décidé avec les professionnels de rénover le mode de rémunération des pharmaciens : la future rémunération sera composée d'un forfait à la boîte et d'un barème variant avec le prix du médicament. La vignette ne comportera plus le montant du forfait : le projet de loi prépare cette modification renvoyée à un décret.

L'article 36 valide les actes pris en application des c onventions des médecins généralistes et spécialistes de 1997, annulées par le Conseil d'Etat l'été dernier.

Cette validation a pour objet notamment de consolider juridiquement les contrats de médecin référent, conclus en application de la convention des généralistes.

Dernière disposition de ce titre IV, l'évaluation et l'analyse des activités et des pratiques de soins requièrent d'organiser, dans l'intérêt de l'usager du système de santé, un cadre général permettant la réalisation de traitement de données garantissant le respect du secret dû aux personnes malades.

M. Jean-Luc Préel.

C'est de la censure !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

C'est le secret, ce n'est pas la censure, monsieur le député, et vous l'appliquez depuis bien des années ! L'anonymat des données utilisées dans ces traitements doit demeurer le principe général. Toutefois, pour procéder à des évaluations ou des analyses pertinentes, il apparaît nécessaire de permettre l'exploitation de données qui peuvent présenter un caractère personnalisé sans être directement nominatives. Je reconnais que c'est un peu compliqué...

Dans tous les cas, les traitements ne comporteront ni le nom, ni le prénom des personnes, ni le numéro d'inscription au répertoire national des personnes physiques.

Par ailleurs, l'ensemble des traitements bénéficiera des garanties qui résultent, s'agissant de données indirectement nominatives, des dispositions prévues par la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Enfin, les personnes autorisées à effectuer les traitements sont soumises au secret professionnel ; elles ne peuvent communiquer à des tiers que des résultats de traitement, à la condition impérative que les informations communiquées ne permettent aucune identification.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 27 AVRIL 1999

Il s'agit, pour le Gouvernement, de donner aux usagers de notre système de santé toutes les garanties de protection qu'ils sont en droit d'en attendre. Il ne s'agit de rien d'autre ! Les attentes de nos concitoyens en matière de santé sont nombreuses et elles sont légitimes. Ils demandent plus de respect, plus de dignité, plus de démocratie en matière sanitaire. Ils l'ont dit lors des Etats généraux de la santé.

Ce projet de loi, qui crée une couverture maladie universelle, qu'a excellemment exposée ma collègue, est une façon de répondre à ces attentes. Il y en aura d'autres.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Je vous félicite pour votre concision, monsieur le secrétaire d'Etat, et je vous en remercie ! La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures quinze, troisième séance publique : Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, no 1419, portant création d'une couverture maladie universelle ; MM. Jean-Claude Boulard et Alfred Recours, rapporteurs au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 1518, tomes I et II).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT