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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. YVES COCHET

M. le président.

Suspension et reprise de la séance (p. 4159)

1. Soins palliatifs. - Discussion d'une proposition de loi (p. 4159).

Mme Gilberte Marin-Moskovitz, rapporteur de la commission des affaires culturelles.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles.

Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 4164)

MM. Roger-Gérard Schwartzenberg, Jean-François Mattei, le président, Jean-Jacques Denis, Renaud Muselier, Georges Hage, Yves Bur, Jacques Desallangre, Jean-Michel Dubernard, Mmes Odette Trupin, Christine Boutin,

M.

André Aschieri.

Suspension et reprise de la séance (p. 4179)

MM. Alain Veyret, Jean Rouger.

M. le président de la commission.

M. le secrétaire d'Etat.

Clôture de la discussion générale.

DISCUSSION DES ARTICLES (p. 4185)

Article 1er (p. 4185)

MM. Bernard Perrut, Renaud Muselier, Mme Véronique Neiertz, MM. Jean Delobel, Jean-Jacques Denis, Pierre Hellier.

2. Modification de l'ordre du jour prioritaire (p. 4188).

3. Ordre du jour des prochaines séances (p. 4188).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. YVES COCHET,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

M. le président.

La séance est suspendue pour quelques minutes.

(La séance, suspendue, est reprise à neuf heures dix.)

M. le président.

La séance est reprise.

1

SOINS PALLIATIFS Discussion d'une proposition de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Gilberte MarinMoskovitz et plusieurs de ses collègues, tendant à favoriser le développement des soins palliatifs et l'accompagnement des malades en fin de vie (nos 1515, 1563).

Le rapport de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales porte également sur les propositions de loi :

« de M. Jean-Jacques Denis et plusieurs de ses collègues, tendant à favoriser le développement des soins palliatifs (nos 1503 rectifié, 1563) ;

« de M. Bernard Perrut et plusieurs de ses collègues, tendant à créer un congé d'accompagnement des personnes en fin de vie (nos 1353, 1563) ;

« de M. Roger-Gérard Schwartzenberg et plusieurs de ses collègues, visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs (nos 1514, 1563) ;

« de M. Jean-Louis Debré et plusieurs de ses collègues, tendant à favoriser le développement des soins palliatifs et de l'accompagnement (nos 1560, 1563). »

La parole est à Mme Gilberte Marin-Moskovitz, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M me Gilberte Marin-Moskovitz, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, mes chers collègues, la douleur, la fin de vie, la mort sont des sujets sensibles, difficiles, qui relèvent plutôt de la sphère privée, parce que nous ne sommes pas très à l'aise pour en parler. Peut-être est-ce dû au fait que, pendant très longtemps dans notre pays, la douleur a été considérée comme naturelle, salvatrice, voire comme un passage obligé. Elle a parfois été niée, tout particulièrment la souffrance des enfants.

La mort remet en cause l'image que nos sociétés modernes veulent donner d'elles-mêmes : une image intemporelle et conquérante. La mort dérange ; on la tait, on la cache, on la relègue. Ainsi, alors qu'en 1960 les deux tiers de nos concitoyens décédaient à domicile, aujourd'hui 70 % des Français meurent en institution, parfois sans la présence de leur famille.

Les progrès considérables de la médecine ont repoussé toujours plus loin les limites de la vie et ont conduit en quelque sorte à déshumaniser la mort. La douleur physique et psychique liée à la mort a été occultée et négli gée par la médecine.

C'est très récemment seulement que notre société a pris conscience qu'il est du devoir des professionnels de santé de prendre en compte la douleur, de la soulager et d'apaiser les souffrances psychiques par une réelle communication avec le malade en fin de vie. C'est la vocation des soins palliatifs, qui sont des soins techniques et actifs visant, d'une part, à soulager la douleur physique, et, d'autre part, à apaiser la souffrance psychologique du malade atteint d'une maladie grave comme celle de ses proches.

Nos voisins anglais ont pris conscience les premiers de la nécessité de tels soins, avec l'ouverture à Londres de Saint Christophers's Hospice en 1967, premier hôpital moderne consacré aux soins palliatifs. En france, malgré la création de la maison Jeanne-Garnier en 1842, l'introduction des soins palliatifs s'est faite progressivement, et souvent à l'initiative des bénévoles, à partir de la circulaire du 26 août 1986.

L'avis adopté le 24 février 1999 par le Conseil économique et social concernant l'accompagnement des personnes en fin de vie a montré le retard considérable de la France en ce domaine. L'offre de soins palliatifs est tout à fait insuffisante et inégalement répartie sur notre territoire. On compte environ 570 lits, contre 3 000 en Grande-Bretagne. Or, sur un peu plus de 535 000 décès par an, 150 000 sont dus à des cancers ou à des maladies d'Alzheimer et devraient être concernés par l'accompagnement.

Quarante et un départements ne disposent ni d'unité avec lits ni d'unité mobile de soins palliatifs. Plus de la moitié des équipes mobiles ne disposent pas du personnel et des compétences nécessaires, à savoir au moins un médecin, un psychologue, un infirmier et une secrétaire.

La quasi-totalité des équipes mobiles ne disposent pas de locaux propres et ne peuvent donc pas pratiquer les consultations et l'accueil des familles.

L'hospitalisation à domicile est très peu développée en France et la capacité d'accueil est inférieure à 4 000 lits.

Le rapport du Conseil économique et social a pourtant très clairement montré que le coût budgétaire du développement des soins palliatifs était limité. Le maintien des malades en service actif hospitalier coûte de 3 000 à 5 000 francs par jour. Le transfert dans des unités de soins palliatifs ramène ce coût à 2 000 francs environ et le retour à domicile avec une prise en charge de qualité le fait descendre à 1 200 francs environ.

Il faut ajouter qu'à l'absence de moyens s'ajoute l'absence de normes concernant la création et le fonctionnement des unités et des équipes. Il n'existe pas de modèle normalisé d'unité ou d'équipe spécialisée en soins palliatifs.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

Quelles sont les raisons de ce retard ? Il y a sans doute une raison culturelle.

Les infirmiers, qui ont depuis mars 1993 une formation en soins palliatifs, reçoivent un enseignement spécifique concernant ces soins, le traitement de la douleur et l'accompagnement psychologique de chaque malade, y compris dans le dernier parcours de sa vie.

En revanche, la formation des médecins dans ce domaine demeure dérisoire. Ce n'est que depuis un arrêté du 4 mars 1997 que l'enseignement théorique dans la deuxième partie du deuxième cycle des études médicales comprend, parmi des matières ou des groupes de matières obligatoires, les soins palliatifs et le traitement de la douleur. La moitié seulement des facultés de médecine a appliqué cet arrêté.

Pour ce qui est de la recherche, le bilan est également mauvais. Les équipes de soins palliatifs manquent de reconnaissance universitaire, du fait de l'absence de formation aux soins palliatifs pendant le cursus médical. De plus, la précarité et la faiblesse des moyens dont disposent les structures de soins palliatifs obligent leurs membres à consacrer tout leur temps disponible aux malades.

En réalité, il y a une résistance culturelle aux soins palliatifs dans la médecine française. La médecine française privilégie et enseigne les techniques de dépistage précoce ainsi que les associations de thérapies, avec le souci louable d'élargir toujours davantage le champ des guérisons, mais, dans le même temps, la mort apparaît comme une limite insupportable à l'idéologie de la toutepuissance médicale et elle est, de ce fait, rejetée.

Par ailleurs, les résistances culturelles à la prescription d'antalgiques majeurs demeurent tenaces dans notre pays si l'on compare à ce que font nos voisins européens, notamment la Belgique et le Danemark. Or la maîtrise de la douleur est une composante essentielle d'un accompagnement serein de la fin de vie.

Cette absence de reconnaissance des soins palliatifs rejaillit sur le statut des équipes mobiles. Les équipes n'ont pas, au sein de l'établissement, de statut administratif clair. Le médecin coordonnateur est rarement un praticien hospitalier ; c'est, le plus souvent, un médecin contractuel ou vacataire. N'ayant pas la responsabilité directe du malade, ses prescriptions, notamment en ce qui concerne le traitement de la douleur, ne sont pas toujours suivies.

Le programme de médicalisation des systèmes d'information, le PMSI, constitue désormais l'instrument privilégié pour décrire l'activité hospitalière, et il est utilis é pour allouer les moyens financiers aux établissements.

Pour des groupes homogènes de malades, il décrit les diagnostics, les actes dits « classants » réalisés, et mesure l'activité à travers un « prix unitaire théorique », exprimé en « points ISA ».

Il est essentiel, dès maintenant, que le PMSI évolue pour mieux prendre en considération l'activité de soins palliatifs, car tel n'est pas le cas aujourd'hui. En effet, pour les structures de soins palliatifs actuellement classées en court séjour, ce qui est le cas d'unités importantes comme la maison médicale Jeanne-Garnier, l'inadaptation du PMSI se traduit par une valeur de points ISA comprise entre 60 et 70 francs, soit environ six fois le coût moyen de l'activité hospitalière au niveau national.

Pour les unités classées en soins de suite, la situation est un peu meilleure. En effet, le PMSI prend en compte la dépendance physique du malade, qui constitue un critère important pour décrire les personnes bénéficiant de soins palliatifs. Mais d'autres éléments importants ne sont pas pris en considération : il en est ainsi du « temps relationnel », c'est-à-dire de tout le temps passé par l'équipe hospitalière en accompagnement psychologique du malade. Il en est également ainsi des « troubles du comportement » dont souffrent certains malades en soins palliatifs, et qui occasionnent des soins spécifiques ainsi que du temps passé.

En fait, selon le président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, il n'est pas excessif de constater que le PMSI valorise l'acharnement thérapeutique. En fait, du strict point de vue du PMSI, mieux vaut poursuivre jusqu'au bout des actes de chirurgie ou de chimiothérapie, même inutiles, que de pratiquer l'abstention thérapeutique, soulager le malade et l'accompagner.

Légiférer est nécessaire.

On doit d'abord relever la faiblesse du cadre juridique.

La circulaire du 26 août 1986 relative à l'organisation des soins et l'accompagnement des malades en phase teminale est le seul texte traitant spécifiquement des soins palliatifs. Elle précise ce que sont ces soins et présente les modalités essentielles de leur organisation, compte tenu de la diversité des situations : accompagnement à domicile, caractéristiques des unités de soins palliatifs, relations avec les familles, rôle des bénévoles.

La loi du 31 juillet 1991 de réforme hospitalière avait introduit les soins palliatifs dans les missions du service public hospitalier. A l'article L. 711-4 du code de la santé publique : il est prévu que les établissements de santé assurant le service public hospitalier dispensent aux patients les soins préventifs, curatifs ou palliatifs que requièrent leur état et veillent à la continuité de ces soins à l'issue de leur admission ou de leur hébergement.

A la suite de la publication du rapport du docteur Delbecque, M. Kouchner, ministre de la santé et de l'action humanitaire, avait annoncé les cinq mesures à mettre en oeuvre en 1993. Ce plan fut sans effet en raison du changement de gouvernement.

L'amorce d'une volonté politique concernant le plan de développement des soins palliatifs date d'avril dernier.

M. Kouchner a annoncé une série de mesures destinées à améliorer la prise en charge de la douleur et des malades en fin de vie.

Ce plan triennal de développement des soins palliatifs comporte des mesures de nature variée : Création d'unités de soins palliatifs dans les régions qui en sont dépourvues ; Soutien aux trois projets régionaux - « Alsace contre le cancer », « Contre le cancer en Champagne-Ardenne » et contrat d'objectifs sur les soins palliatifs en Ile-de-France.

C es expériences innovantes tentent notamment de résoudre les obstacles qui limitent jusqu'à présent les soins palliatifs délivrés à domicile ; Développement des équipes mobiles : celles-ci se sont développées plus rapidement que les unités de soins. Ce sont 150 millions de francs qui ont été débloqués pour le développement des soins palliatifs dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999. Cette enveloppe permettra de doubler dès cette année l'offre de soins palliatifs.

On me signale qu'il faut que je conclue. Je le regrette vivement car non seulement j'ai moi-même déposé une proposition de loi, mais je rapporte aussi, en l'occurrence, au nom de mes collègues dont certains ont également déposé un texte concernant ce sujet douloureux. Il est


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donc tout à fait normal que nous prenions le temps de débattre avant de légiférer. Pour moi, la nécessité de lé giférer est évidente et urgente.

Les états généraux de la santé ont montré que les conditions de fin de vie étaient au centre des préoccupations de nos concitoyens. Parmi les thèmes retenus par les comités de pilotage des états généraux, le thème de la douleur et des soins palliatifs est celui qui a fait l'objet du plus grand nombre de réunions organisées sur l'ensemble du territoire.

La mise en examen d'une infirmière au mois de juillet 1998 a, je le crois, provoqué un électrochoc et confirmé la nécessité de légiférer sur les soins palliatifs sans pour autant nier le débat souhaitable, à un autre moment, sur l'euthanasie. Je suis pour ma part persuadée que, lorsque la douleur et l'accompagnement des personnes en fin de vie seront correctement pris en compte dans notre pays, la demande d'euthanasie diminuera.

C'est à l'initiative du groupe Radical, Citoyen et Vert que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de notre assemblée a examiné cinq propositions de loi.

Ces textes insistent sur le droit du malade et sur l'importance de la définition du cadre des soins palliatifs euxmêmes ; ils accordent le droit à un congé d'accompagnement pour les familles ; ils reconnaissent la qualité de la présence des bénévoles, qui n'interfèrent cependant pas dans les soins prodigués aux malades, reconnaissant par là même l'utilité des associations.

Je voudrais insister sur la création du droit à un congé d'accompagnement pour les personnes qui entourent le malade car, trop souvent dans notre pays, on soigne la maladie mais on oublie le malade, qui a une famille. Or, il faut accompagner les familles dans ce moment difficile où vont partir des êtres qui leur sont chers. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président.

La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mesdames, messieurs, je mesure ce matin la difficulté d'organiser le travail de la commission, compte tenu, notamment, du temps qu'il serait nécessaire de consacrer à un sujet aussi ardu.

M. Jean-François Mattei.

C'est vrai !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Le programme, en effet, est chargé : en trois jours, nous aurons traité de la couverture maladie universelle, du projet de loi sur l'audiovisuel et des soins palliatifs. Je demande donc à chacun de faire preuve de modestie, si le texte proposé est important, il ne traite pas de l'ensemble des problèmes qui se posent à nous : il permet simplement une avancée.

Qu'il me soit permis de rendre hommage aux travaux menés par le Conseil économique et social, sous la pré-s idence de Mme Hofman. Le rapport rendu le 24 février 1999 a été très utile...

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Tout à fait !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

... pour les travaux de la commission, notamment pour ceux du rapporteur.

Je voudrais également rendre hommage au Sénat, qui, en adoptant la proposition de loi no 105, a réalisé un excellent travail.

Nous avions l'obligation de prendre en compte non seulement ce qui relève de l'initiative parlementaire, c'està-dire du « droit de tirage » des groupes, selon l'expression consacrée, mais aussi, comme je m'y étais engagé, et la commission m'a suivi sans aucune difficulté, de l'initiative prise par le Sénat. D'ailleurs, plusieurs des amendements qui seront défendus sont directement issus de la proposition adoptée par le Sénat. Cela devrait nous permettre d'aboutir à une approche commune, et donc à l'adoption définitive d'un texte dans de brefs délais.

Je me contenterai de formuler rapidement quelques remarques.

Premièrement, comme vous l'avez dit, madame le rapporteur, nous examinons ce matin un texte indispensable, insuffisant mais indispensable : il s'efforce de rattraper des retards importants qu'accuse notre pays par rapport à l'ensemble des autres pays européens - je ne prends que ceux-là en référence.

L'insuffisance des moyens est criante : quarante et un départements ne disposent d'aucune structure de soins palliatifs.

Mme Nicole Bricq.

Dont le mien !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Et, dans les départements où de telles structures existent, elles ne correspondent pas à la demande.

L'insuffisance de l'ensemble des systèmes de formation est tout aussi criante, tant en ce qui concerne les médecins que le personnel médical dans son ensemble, et cela en dépit des quelques progrès accomplis ces dernières années. Ce sont ces retards de formation et de moyens que nous devons rattraper. Nous aurons, certes, l'occasion d'en débattre à la faveur de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais le texte de la proposition de loi, s'il est, comme je le pense, adopté, créera un droit et offrira une possibilité d'avancée.

Vous avez dit, madame le rapporteur, que tous ces retards avaient probablement des raisons culturelles. C'est vrai, mais je trouve que l'adjectif « culturelles » est relativement insuffisant car ces raisons sont beaucoup plus profondes. Je sais que nous n'aurons pas le temps d'engager ici un débat sur le sujet, mais il faut reconnaître que, dans un certain nombre de pays, dont le nôtre, une vision de la douleur rédemptrice marque profondément les comportements. La discussion, déjà lancée depuis plusieurs années, est essentielle.

Permettez-moi de citer quelques livres qui m'ont personnellement marqué : Le Protocole compassionnel de Hervé Guibert, Le Vent Paraclet - livre remarquable - de Michel Tournier, sans parler d'un auteur qui m'est très proche...

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Il est excellent ! Citez-le !

M. Renaud Muselier.

Votre épouse ! Nous avons tous lu son livre !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Vous êtes bien aimables ! Je lui rapporterai vos propos, qui lui feront plaisir ! (Sourires.)

Je pense aussi à un livre de Curzio Malaparte et à bien d'autres, qui posent le problème.

On voit, notamment par le biais de l'accouchement, le débat s'engager. Ce débat est très difficile et les positions peuvent être - c'est parfaitement légitime - différentes. Il s'agit d'un débat de société. Mais il n'est pas suffisant de dire que nos retards sont liés uniquement à des éléments culturels car cela va bien au-delà.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

Je me félicite que chacun des groupes ait eu le souci de déposer un texte et d'avoir en commission une discussion que j'ai trouvée très positive, nous permettant d'aboutir à une position commune, même si elle ne peut pas satisfaire tous les participants.

Dans ce travail collectif, le rôle de M. Jean-Jacques Denis, de M. Bernard Perrut, de M. Roger-Gérard Schwartzenberg et de M. Jean-Louis Debré, qui a repris la proposition du Sénat, a été prépondérant.

L'avancée a été collective. Mais elle ne s'est pas réalisée aisément : le problème de la mort, de la fragilité de notre condition, de cette formidable interrogation philosophique, métaphysique, religieuse, doit toujours être traité avec la plus grande pudeur car on peut heurter, ce que je comprends parfaitement, des sentiments profonds.

J'ai compris que certains, dont M. Roger-Gérard Schwartzenberg, auraient souhaité aller plus loin. Mais nous avions l'obligation, pour parvenir à une position commune de la commission et, je l'espère, de notre assemblée, de rester dans le cadre du texte sur les soins palliatifs, même si je considère qu'il ne constitue que l'amorce d'une réflexion et le début d'une réponse.

Deuxièmement, il y a un risque d'ambiguïté : la place de la mort dans les soins palliatifs peut créer une ambiguïté vis-à-vis du problème de la douleur et de la réponse à la douleur, car la douleur n'est bien évidemment pas seulement liée à la mort, et elle peut apparaître dans bien des situations. Je pense, par exemple, à la méconnaissance que l'on a encore aujourd'hui de la douleur des enfants.

Ce problème, mal connu, n'est pas toujours bien traité, d'autant que la douleur n'est pas transmissible : la connaissance, la mesure de la douleur dépend de perceptions très difficiles à communiquer. Alors même qu'il y a eu des tentatives d'établir une échelle de la douleur, on mesure la fragilité de la démarche.

J'ai donc parfaitement conscience que, après l'excellent travail de notre rapporteur et grâce à la participation, très soucieuse du débat collectif, de chacun des groupes, nous faisons simplement un pas en avant. Ce pas, indispensable, ne peut totalement nous satisfaire.

Nous allons mettre en oeuvre, ce qui n'est pas négligeable, un congé d'accompagnement. Nous nous efforçons de traiter le problème des soins palliatifs dans la famille, dans la société, et non pas seulement au sein de l'institution hospitalière. Mais il nous faudra aller plus loin. J'en discuterai avec le bureau de la commission. Il me semble souhaitable que nous mettions en place, comme nous le faisons pour beaucoup de textes, une mission...

M. Jean-Michel Dubernard.

Non, monsieur le président : une délégation !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Nous en débattrons, mais je vous ai entendu, monsieur Dubernard. Vous vous exprimez suffisamment fort...

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Il parle trop fort ! (Sourires.)

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Nous discuterons donc, au sein du bureau de la commission, sur le point de savoir comment nous pourrons poursuivre la réflexion et même la relier à d'autres textes, ultérieurs, plus ou moins compliqués, ainsi qu'à la préparation du débat sur le budget de la sécurité sociale...

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Et aux suites des états généraux !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Vous avez raison, monsieur le secrétaire d'Etat.

Vous voyez, mesdames, messieurs, que j'entends toutes les suggestions, ce qui me permet de synthétiser. (Sourires.) Telles sont les quelques remarques que je voulais faire.

Il y a nécessité de légiférer, sans perdre de vue la complexité du problème, que nous devons traiter avec modestie, j'oserai presque dire avec une grande pudeur.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, ce débat, vous le savez, me tient à coeur depuis longtemps. J'ai toujours marqué ma volonté de développer les soins palliatifs, soins essentiels, pour établir une nouvelle culture de la fin de vie, à laquelle nos concitoyens aspirent. On peut juger une société à la façon dont elle traite ses mourants.

J'ai bataillé ferme pour obtenir ces 200 millions de francs, qui vont enfin permettre une avancée sur le terrain, c'est-à-dire la multiplication des unités et des équipes de soins palliatifs dans les hôpitaux. Nous sommes passés de cinquante unités de soins palliatifs à quatre-vingt-dix-neuf, représentant un total de près de huit cents lits et de cinquante-cinq équipes mobiles en 1997, à cent soixante-dix-sept cette année.

Tous les départements, à l'exception de la Martinique et de la Guyane, seront dotés d'au moins une équipe mobile ou d'une unité fixe, marquant ainsi, je le répète, une nette progression de l'offre de soins.

S'agissant de la Martinique et de la Guyane, j'entends rappeler aux deux directeurs d'agence régionale ma volonté en ce domaine.

Une dizaine de réseaux de soins entre des établissements ou entre la ville et l'hôpital, répartis sur l'ensemble du territoire ont également été créés. Ils permettront aussi, lorsque ce sera médicalement, socialement possible, que des hommes et des femmes puissent terminer leur vie chez eux, s'ils le désirent. Et majoritairement, c'est ce que souhaitent les Français.

Permettez-moi de vous redire, au moment où vous allez légiférer, pourquoi ce texte me paraît si important.

Il y va de l'humanité de notre société. Toutes les civilisations ont leurs rites de mort, et nous les avions nous aussi. C'étaient les mêmes pour les rois et pour les paysans, c'était cet accompagnement lucide de la famille et de la religion. On en trouve les dernières traces. terribles et tragiques, dans un admirable roman de Roger Martin du Gard : La mort du père.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

Exact !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Et puis les bouleversements du monde moderne ont brouillé nos comportements. On meurt de plus en plus souvent à l'hôpital, on meurt de plus en plus souvent seul. Chez nous, l'humanité s'est retirée de la mort.

Nous devons réhabiliter la dignité de la fin de vie, regarder la mort en face et non plus l'évacuer derrière les paravants techniques, négation absurde d'un passage inévitable. Dans une vie, la mort a droit à sa juste place. Le mourant a droit à la tendresse, à l'amour, à la présence de ses proches, à l'adoucissement et à l'apaisement. La


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mort - et c'est une banalité oubliée - ce sont les derniers sentiments, les dernières images pour un être. La civilisation commence lorsque l'homme comprend qu'il est mortel. Prenons garde de ne pas faire semblant de ne plus le savoir ! J'aime bien cette phrase profonde, presque incompréhensible, qui donne à réfléchir : « Quand on est mort, c'est pour la vie », que nous avions écrite dans un des journaux de notre jeunesse. On n'a pas le droit de manquer une mort, de la saboter ou de la salir, parce qu'il n'y a pas de deuxième chance et qu'elle est irréversible.

Je souhaite à tous de pouvoir dire, comme Gide mourant, « Tout est bien » ou, comme le stoïcien du Ier siècle,

« Acta est fabula » : « La pièce est jouée ».

Notre société d'aujourd'hui souffre de la rupture de ses liens sociaux - familles éclatées, solitude des personnes âgées et singulièrement des femmes - de la transformation considérable de l'habitat, de la mobilité sociale et professionnelle. La famille n'assure plus aussi souvent qu'autrefois l'accompagnement naturel de la fin d'une vie.

Mais nous sommes en train de changer en profondeur.

Nous redécouvrons, en cette fin de siècle qui réfléchit sur lui-même, les valeurs de l'humanisme, d'une relation à l'autre, à la souffrance, à la mort, que nous avions oubliées peut-être à une époque de croissance et de facilités économiques et sociales.

Il existe dans la vie, entre ces êtres, une vraie différence toujours ressentie, jamais soulignée, entre ceux qui ont perdu leurs parents et les autres.

Puisque la famille ne joue plus un rôle aussi fort et présent, c'est d'abord à nous, par la loi, de l'aider, même si l'on ne parvient pas complètement à la suppléer. Ce sera notre loi à tous, même si certains, dont Lucien Neuwirth, aspirent plus que d'autres et depuis plus longtemps à cette évolution de nos moeurs. Je n'exagère pas en disant que le sens de notre civilisation en dépend, et plus singulièrement l'humanité de notre système de soins.

Ce matin, le débat n'est plus aux illusions de la médecine victorieuse, toute puissante, hypertechnicienne qui refuse la souffrance et la mort jusqu'à les nier et à s'en protéger - au moins le croit-elle. Certains médecins, de plus en plus rares, passent leur chemin devant la porte d'un mourant, d'un cancéreux en phase terminale, sous prétexte que médicalement ils ne peuvent plus rien faire pour lui. Ce n'est plus supportable. Nos concitoyens souhaitent une médecine plus humaine. C'est bien cela qui ressort de ce désir de proximité, de cet attachement au médecin de famille, de ce souci de préserver les petites structures, de ce refus de l'anonymat des grandes usines à soins. C'est ce que nous avons entendu répéter et répéter encore lors de ces centaines de rencontres avec les citoyens organisées par les états généraux de la santé : on veut davantage d'humanité, d'écoute, de dialogue, d'accompagnement, de respect, de dignité, maître mot du passage.

Oui, c'est d'abord le respect et la dignité de l'autre, de celui qui s'en va, qui sont en cause. Mais c'est aussi un devoir vis-à-vis des vivants que de savoir les accompagner au cours de cette épreuve qu'est pour eux le départ d'un proche. Car ceux qui ont côtoyé la mort, les morts diverses - comme je l'ai fait, comme vous l'avez fait, et comme toujours aux dépens de soi-même - savent la différence entre une fin paisible, accompagnée, et une mort isolée, agitée, angoissée. Ce ne sont pas les mêmes morts.

Nous pouvons dans bien des cas offrir une belle mort - « Une mort si douce », disait Simone de Beauvoir -, dernier cadeau à celui qui s'en va. C'est pour nous une exigence et nous devons nous en donner les moyens, pour l'agonisant, et peut-être même encore plus pour ceux qui lui survivront, ses proches. Leur travail de deuil ne sera pas le même selon la façon dont celui qu'ils ont aimé aura quitté la vie.

Il s'agit d'ailleurs d'une obligation déontologique pour le médecin que d'accompagner ses patients jusqu'à la fin.

L'article 38 du code de déontologie médicale le précise :

«Le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments, assurer par des soins et des mesures appropriées la qualité d'une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage ».

Vous le voyez bien, dans son principe même, la médecine est bien plus qu'une science ou une technique. Retrouvons, mesdames, messieurs les députés, par la loi, ce tact, cette exigence, cette éthique, cette attention, cet humanisme, cette douceur. Vous avez souhaité les servir à travers la proposition de loi que vous nous présentez aujourd'hui.

Le texte de M. Lucien Neuwirth, dont le Sénat a débattu le 6 avril dernier, allait dans le même sens, et je rends hommage à ces réflexions si utiles. Mais les conclusions des travaux de votre commission des affaires sociales - et, j'en remercie le président et tous les membres de la commission - montrent que vous avez cherché à aller encore plus loin et j'en suis heureux. Nous avions préparé ce texte par une belle rencontre des parlementaires au ministère de la santé, le 25 mars dernier, et vous avez dû recevoir le texte vous concernant.

M. Jean-Michel Dubernard.

Non, c'est dommage !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

C'est dommage, en effet ! C'était un des meilleurs, comme par hasard ! Mais je vous l'enverrai à nouveau.

Mme Christine Boutin.

Je n'ai rien reçu non plus !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Je pensais pouvoir publier un document avec vos corrections et poursuivre la réflexion, mais nous sommes rattrapés par le calendrier. En tout cas, la hauteur des échanges ne m'a pas étonné et elle m'a ravi, excusez-moi de le répéter.

C'est donc avec beaucoup d'attention que je suis avec vous, aujourd'hui, pour examiner la proposition de loi sur les soins palliatifs de Mme Marin-Moskovitz et du groupe RCV. Je souhaite vous remercier, madame le rapporteur, d'avoir tenu compte, lors de vos travaux en commission, des différentes propositions de loi sur le sujet. Je pense aux contributions de M. Jean-Jacques Denis au nom du groupe socialiste, de M. le président Roger-Gérard Schwartzenberg, de M. Bernard Perrut et de M. le président Jean-Louis Debré. Je vous sais également gré, madame le rapporteur, d'avoir retenu des dispositions importantes de la proposition sénatoriale que j'ai déjà citée - M. le président Le Garrec l'a rappelé.

C'est dire que le travail de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a été fructueux et je salue l'unanimité des commissaires qui a prévalu dans l'examen de ce texte.

Tout d'abord, vous souhaitez que soient inséré dans le code de la santé publique, avant le livre Ier , un livre préliminaire sur les droits de la personne malade, en particulier le droit d'accès aux soins palliatifs et le droit au consentement. Cela me paraît d'autant plus important que nous réfléchissons beaucoup aux droits de la personne malade, dont les soins palliatifs et la lutte contre la douleur - thème auquel tient à juste titre M. Le Garrec -


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

sont des éléments déterminants. Les résultats des Etats généraux qui seront sans doute présentés par le Premier ministre, devraient déboucher, à la fin du mois de juin, sur une décision de mise à l'étude d'un texte législatif sur les droits des malades.

Par ailleurs, avec l'article 9, vous avez voulu clairement signifier l'importance des bénévoles dans cet accompagnement de la fin de vie. Vous avez raison. Lorsqu'on connaît les réseaux qui travaillent sur notre territoire, on mesure combien l'action des bénévoles, singulièrement dans des maisons comme celle de Jeanne Garnier par exemple, est spécifique, indispensable et admirable. La mort n'est pas l'affaire seulement des soignants. Il est essentiel que tout le corps social, c'est-à-dire chacun d'entre nous, s'investisse dans cette action de dignité et d'accompagnement de la mort en tant que réalité constitutive de notre destin, à condition, bien entendu, que soient absolument respectés l'intimité, les choix et les convictions philosophiques et religieuses de la personne accompagnée.

Enfin, je voudrais aussi vous dire combien je suis heureux que vous souhaitiez rendre légale la possibilité d'un

« congé d'accompagnement » pour les proches des personnes en fin de vie, car avec M. le Premier ministre nous avions demandé au Conseil économique et social, dont nous saluons les travaux, de réfléchir à ce propos.

C'est votre article 10, et vous apportez là une dimension humaine indispensable à l'esprit de ce texte.

Selon moi, il persiste néanmoins un problème aux articles 2 et 3 tendant à prendre en compte la satisfaction des besoins en soins palliatifs dans la carte sanitaire. J'y reviendrai au cours de la discussion des articles et je vous proposerai alors certains amendements.

La réflexion que nous menons aujourd'hui ensemble traduit la profonde mutation de notre système de santé, dont le centre est d'abord l'usager, le malade, le mourant : l'homme. En traitant de la dignité des mourants, nous traitons, au plus profond, de notre propre dignité.

Et donc, parlant de ceux que nous aimons, qui sont partis ou partiront, nous parlons de nous-mêmes, et de notre propre destin. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, premier orateur inscrit.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, rappelez-vous ce que Malraux a écrit dans L'Espoir : « La mort n'est pas une chose si sérieuse, la douleur, oui. ». La

grandeur de la médecine, c'est notamment de combattre la douleur. C'est de l'évincer de la vie. C'est de le faire jusqu'aux derniers instants de celle-ci. Changer la fin de vie, tel est précisément l'objectif principal des soins palliatifs : soulager la douleur, apaiser les souffrances psychologiques et morales, accompagner les patients pour permettre une fin de vie digne et humaine. Le but des soins palliatifs, c'est en effet d'aider les malades à mieux vivre les derniers instants de leur existence avec le minimum de douleur et le maximum de dignité possible. Leur raison d'être, c'est de maintenir autant que possible la qualité d'une vie qui s'achève.

Cependant, aujourd'hui, l'accès aux soins palliatifs reste un privilège exceptionnel. Il doit devenir un véritable droit pour toute personne dont l'état le requiert, un droit consacré par la loi et inscrit parmi les autres droits de la personne malade.

Chacun le sait, soigner n'est pas seulement médiquer.

Le malade n'est pas seulement un corps. C'est d'abord une personne, avec sa liberté, sa volonté, sa dignité, avec ses droits qui doivent être mieux reconnus, mieux garantis par le législateur. La France est considérée comme le pays des droits de l'homme. Pourtant, les textes ont longtemps tardé à prendre en compte les droits du malade.

C'est seulement en 1974 qu'est définie, en annexe à une circulaire du 20 septembre 1974, une « Charte du malade hospitalisé » qui a été actualisée en 1995. Et c'est seulement en 1991, avec la loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière, que la notion de droits du malade apparaît dans un texte législatif. Elle figure aussi dans les lois dites de bioéthique de 1994 et dans l'ordonnance du 2 4 avril 1996 portant réforme de l'hospitalisation publique et privée.

Il est nécessaire d'aller au-delà et de définir plus complètement les droits du malade, qu'il soit hospitalisé ou non, et de l'usager du système de santé. L'ultime droit de la personne gravement malade, c'est le droit à une mort digne, en particulier par l'accès aux soins palliatifs qui préservent, on l'a dit, la meilleure qualité de vie possible, jusqu'au décès. Pourtant, dans notre pays, les soins palliatifs et l'accompagnement des malades en fin de vie sont trop rarement assurés. Ils connaissent encore un important retard par rapport à d'autres pays comme la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas. Les soins palliatifs restent encore exceptionnels, tant au domicile des patients qu'à l'hôpital et en institution, là où plus de 70 % des décès ont lieu aujourd'hui.

A la fin de 1998, dans notre pays, le nombre des unités de soins palliatifs résidentielles, c'est-à-dire d'unités fixes avec lits, n'était encore que de cinquante-quatre, soit une capacité d'admission de 576 lits seulement. Chaque lit pouvant accueillir environ neuf patients par an, ces 5 76 lits d'hospitalisation ne permettent d'accueillir chaque année que quelque 5 200 patients, soit un peu moins de 1 % des 530 000 personnes qui décèdent annuellement en France. Sur ces 530 000 personnes, 150 000 patients au moins, souffrant de cancers et de troubles neurologiques dégénératifs au stade terminal, auraient impérativement besoin de soins palliatifs. Les unités de soins palliatifs ne peuvent donc accueillir qu'environ 3,5 % de ces 150 000 patients. En outre, les spécialistes de l'accompagnement estiment que la demande de soins palliatifs est largement sous-estimée et concerne bien plus que ces 150 000 cas par an. Fin 1998, il existait également soixante-quatorze équipes mobiles de soins palliatifs, dont le nombre a progressé dans la période récente et progresse encore.

Enfin, les soins palliatifs à domicile restent très insuffisamment dispensés, alors qu'ils offrent une alternative à l'hospitalisation en permettant le maintien ou le retour au domicile. Pourtant, ce mode de prise en charge ne s'est jamais réellement développé dans notre pays. Aujourd'hui, peu de structures se consacrent pour tout ou partie à la prise en charge et au suivi à domicile.

Autre handicap : la formation aux soins palliatifs des professionnels de santé reste insuffisamment assurée, surtout au cours de la formation initiale. Il en va de même de la recherche, et l'on a parfois le sentiment que la culture médicale dominante considère les soins palliatifs comme une activité secondaire, voire subalterne, en tout cas peu valorisante pour une carrière.

A l'évidence, il faut remédier à ces carences, à l'insuffisance manifeste de l'offre de soins palliatifs en France et à son inégale répartition sur le territoire, facteur d'inégalité de traitement entre les malades en fin de vie, car rien


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

n'est plus insupportable que l'inégalité devant la mort. Le plan triennal de développement des soins palliatifs lancé en avril 1998 par vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, marque un progrès important dans la voie de la généralisation de ces soins. Mais sera-t-il suffisant pour remédier totalement aux carences actuelles ? Permettra-t-il d'atteindre assez rapidement les deux principaux objectifs : d'une part, l'ouverture dans chaque CHU d'une unité de soins palliatifs résidentielle comportant au minimum dix à quinze lits et, d'autre part, l'existence dans chaque département français d'une structure spécialisée en soins palliatifs, unité résidentielle ou équipe mobile, alors que, fin 1998, quarante départements ne disposaient ni d'unité avec lits ni d'équipe mobile de soins palliatifs ? Il importe donc que, parallèlement à l'action tout à fait énergique du Gouvernement en la matière, des dispositions législatives soient prises pour conforter l'action engagée, pour garantir un véritable droit à l'accès aux soins palliatifs, comme l'ont fait en Suisse les lois promulguées en 1990 et en 1995 par les cantons du Jura et de Neuchâtel.

Par ailleurs, il convient d'instituer, comme l'ont fait le Danemark en 1990 et la Belgique en 1955, un congé d'accompagnement dont puisse bénéficier toute personne devant suspendre ou réduire son activité professionnelle pour accompagner un membre de sa famille ou un proche pendant la phase palliative terminale de sa vie.

Il importe également de soutenir l'action des bénévoles formés à l'accompagnement des malades en fin de vie, qui, sans interférer avec la pratique des soins médicaux et p aramédicaux, apportent leur très utile concours à l'équipe de soins en participant à l'ultime accompagnement du malade et en confortant, par leur présence et leur compétence, l'environnement social et affectif du malade et de son entourage.

L'ensemble de ces dispositions législatives devrait contribuer à changer la fin de vie, à améliorer les conditions de fin de vie dans notre pays pour assurer aux personnes gravement malades le droit à une mort digne.

Je le disais en commençant et je voudrais le dire en terminant : il importe de définir plus complètement et de mieux consacer les droits de la personne malade. Ces droits doivent être mieux reconnus, mieux garantis par le législateur. A cette fin, il serait souhaitable que le Parlement constitue une délégation parlementaire pour les droits des malades composée de quinze députés et quinze sénateurs, de même que la loi du 31 décembre 1979 avait constitué une délégation parlementaire pour les problèmes démographiques, qui existe toujours d'ailleurs.

Cette délégation serait chargée d'engager une réflexion en profondeur et de recueillir informations et avis en auditionnant médecins, pharmaciens, infirmières, personnels paramédicaux, psychologues, responsables des associations de bénévoles, représentants des comités d'éthique. Les travaux de la délégation prendraient fin par la présentation par celle-ci, avant le 30 juin 2000, d'un rapport parlementaire d'information sur les droits des malades.

Cette délégation aurait une triple mission : D'abord, proposer aux assemblées dont elle est issue les dispositions législatives qui apparaîtraient nécessaires pour mieux préciser et garantir les droits de la personne malade ; Ensuite, s'agissant des droits du malade en fin de vie, informer les assemblées qui l'ont créée de l'application de la présente loi et de l'évaluation de ses résultats quant au développement de l'offre de soins palliatifs et à l'amélioration des conditions de fin de vie ; Enfin, informer les assemblées de la situation de ceux des patients incurables en phase terminale dont même les soins palliatifs ne parviennent plus à soulager la douleur.

La délégation préciserait, le cas échéant, les dispositions supplémentaires, éventuellement législatives, qui pourraient être proposées en complément de la présente loi pour garantir, à ces patients aussi, le droit à une mort digne.

Elle se fonderait, dans le cadre de cette réflexion, sur le respect de la volonté exprimée par le malade, sur le libre choix par chacun de son destin personnel, sur le droit des patients à disposer d'eux-mêmes, ultime espace de liberté et de dignité.

Une démocratie adulte, comme la nôtre, doit regarder la vie, et donc la mort, en face.

Montaigne écrivait dans les Essais : « Le but de notre carrière c'est la mort... Le remède du vulgaire c'est de n'y penser pas. Mais quelle brutale stupidité... » «

La préméditation de la mort est préméditation de la liberté. Qui a appris à mourir a désappris à servir. Le savoir mourir nous affranchit de toute sujétion et contrainte ».

Pour cet humaniste tranquille, pour ce stoïcien épris de dignité, la liberté de vivre, c'était aussi la liberté de mourir.

C'était en 1581. Nous sommes en 1999, aux portes de l'an 2000. Quatre siècles après, sachons être aussi libres que Michel Eyquem, au temps de la Renaissance, en son château de Montaigne. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-François Mattei.

M. Jean-François Mattei.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je m'exprime au nom du groupe Démocratie libérale mais je voudrais associer plus particulièrement à mes propos mon collègue Bernard Perrut, qui a présenté l'une des propositions de loi qui s'exprimera lors de la discussion des articles et expliquera le vote de notre groupe.

Je voudrais, monsieur le secrétaire d'Etat, vous remercier de l'initiative que vous aviez prise en organisant au ministère une réflexion commune sur ces problèmes difficiles. Je voudrais également remercier l'ensemble des parlementaires qui ont apporté beaucoup d'eux-mêmes par les différents textes qu'ils ont proposés. Je voudrais enfin saluer le travail du Conseil économique et social, celui du Sénat et singulièrement celui de notre collègue Lucien Neuwirth.

En revanche, et je me tourne vers le président de notre séance afin qu'il se fasse l'écho de ma réflexion comme vers le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, je regrette que sur un sujet de société comme celui-ci nous soyons contraints de légiférer rapidement, dans le cadre d'une « niche » parlementaire.

Mme Véronique Neiertz m'en sera témoin - si elle m'y autorise -, lorsque j'avais proposé un texte sur l'adoption dans le cadre d'une proposition de loi, le président de l'Assemblée nationale de l'époque, après en avoir pris connaissance, m'avait dit que, compte tenu de l'impact sociétal du texte, il souhaitait la création d'une commission spéciale, une réflexion commune, un tel texte ne devant pas être examiné dans le cadre trop étroit d'une « niche » parlementaire. Mais pardonnez-moi pour cette remarque liminaire ; je vais maintenant m'écarter de ces regrets pour entrer dans le vif du sujet.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

Au travers de la révolution scientifique qui marque notre époque, l'homme s'imagine qu'il peut désormais maîtriser la vie. Ne peut-il concevoir à volonté, au fond d'une éprouvette ? Ne peut-il s'assurer, par le diagnostic prénatal ou préimplantatoire, de la qualité de la vie à venir, en quelque sorte pour la choisir ? Ce Prométhée des temps modernes s'affirme à nouveau dans son éternelle ambition d'égaler Dieu. Puisqu'il croit dominer le début de la vie, comment ne serait-il pas aussi tenté d'en maîtriser la fin ? Pourtant, la chose n'est pas si simple. Certes, la médecine guérit aujourd'hui de nombreuses affections jusque-là incurables ; les techniques médicales et la réanimation qui permettent d'entretenir une survie prolongée repoussent sans cesse les limites de la mort. Mais ce Prométhée-là en vient alors à oublier que, s'il se prend pour Dieu, il n'en est pas moins homme ! Pour refuser la mort, confondant souvent science et artifice, il cède à la tentation manifeste d'abuser de certaines techniques de pointe, même lorsque du fait de l'acharnement thérapeutique, une agonie est prolongée de façon inhumaine. Or, quand les conditions de vie de celui qui va mourir passent au second plan, dans le déni de sa solitude, de sa souffrance comme de celle de ses proches ou de ses soignants, peut-on parler de victoire sur la mort ? Ne s'agit-il pas d'un grave contresens, voire d'un mensonge ? La victoire n'est-elle pas plutôt dans l'apprivoisement de la mort et son acceptation lorsqu'elle est inéluctable ? La mort devient alors pour notre société et pour chaque homme un sujet de préoccupation majeure dont les dimensions métaphysiques rejoignent la crainte des épreuves infligées au corps. S'agissant de résumer la condition humaine, c'est toute cette réflexion qui nous est soumise aujourd'hui. Et le malaise, les oppositions, les solutions extrêmes relèvent, me semble-t-il, du divorce entre la conscience de plus en plus affirmée de la dignité de la personne et la méconnaissance de la mort. Nous avons peu à peu désappris la mort. Elle a déserté nos foyers comme si, avant que d'être morts, les mourants n'étaient déjà plus des vivants.

En 1976, le Conseil de l'Europe, dans une réflexion sur la fin de la vie, se déclarait « convaincu que les malades mourants tiennent avant tout à mourir dans la paix et la dignité, si possible avec le réconfort et le soutien de leur famille et de leurs amis ». Il ajoutait que « la prolongation de la vie ne doit pas être en soi le but exclusif de la pratique médicale qui doit viser tout autant à soulager les souffrances. » C'est bien le sujet qui nous

rassemble aujourd'hui. Je le dis à titre personnel : quand on ne peut plus soigner, il reste à prendre soin !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Tout à fait !

M. Jean-François Mattei.

Je disais dignité humaine.

T out effort pour répondre aux préoccupations des malades incurables et des mourants doit évidemment être fondé sur la dignité de l'être humain et des droits qui en découlent.

Cette dignité est inhérente à l'existence de tout être humain. Et si sa possession était due à des particularités ou à une condition quelconque, la dignité ne serait pas également et universellement le propre de tous les êtres humains. L'être humain est donc investi de dignité tout au long de sa vie.

Mme Véronique Neiertz.

Absolument !

M. Jean-François Mattei.

La douleur, la souffrance ou la faiblesse ne peuvent l'en priver.

Mme Véronique Neiertz.

Très bien !

M. Jean-François Mattei.

Une personne peut voir sa dignité respectée ou violée, mais cette dignité ne peut lui être conférée ou retirée. Le respect qu'elle implique n'appelle pas de réciprocité concrète comme dans le cas, par exemple, des malades dans le coma. Croire que la dignité humaine peut être divisée ou encore limitée à certains états ou à certains stades serait une forme de mépris à son égard.

Mme Véronique Neiertz.

Absolument !

M. Jean-François Mattei.

La dignité des membres les plus vulnérables de notre société, à qui il peut être difficile de faire entendre leur voix, peut se révéler insuffisamment reconnue ou protégée. A ce titre, les malades incurables ou les mourants figurent parmi ceux dont la condition marginale les expose à des pressions individuelles ou sociales.

L'obligation de leur donner accès aux soins auxquels ils ont droit découle de la prise de conscience que la dignité humaine est imprescriptible.

Je disais encore que nous avions désappris la mort. De fait, l'inaptitude croissante de nos sociétés à faire face à la mort et aux phénomènes qui l'accompagnent figure au premier rang des facteurs qui font obstacle à une mort pleinement humaine et à la mise en place des soins palliatifs.

Quand la plupart des hommes souhaitent mourir dans un cadre familier, en Europe, dans la majorité des cas, ils meurent dans des hôpitaux ou des cliniques, dans des circonstances qui peuvent être considérées comme inhumaines, laissés à l'abandon alors que leurs souffrances pourraient être évitées. Cela tient pour partie à la peur de la mort, à la méconnaissance des soins palliatifs et à l'insuffisance des structures sociales.

Devant le risque d'abandon, d'acharnement, les pressions extérieures altérant le droit de l'individu à l'autodétermination et la tentation de se trouver des justificat ions, - pitié, pénurie de ressources, quelquefois expressions ambivalentes de la volonté - pour ébranler l'interdiction fondamentale de mettre fin à une vie, trois points me paraissent essentiels pour les malades incurables et mourants : le droit de pouvoir accéder aux soins palliatifs appropriés ; le droit à l'autodétermination ; l'interdiction absolue de mettre fin intentionnellement à leurs jours.

Le droit de pouvoir accéder aux soins palliatifs appropriés. Selon l'Organisation mondiale de la santé, les soins palliatifs constituent « l'ensemble des soins actifs donnés aux malades dont l'affection ne répond pas au traitement curatif. La lutte contre la douleur et d'autres symptômes comme la prise en considération de problèmes psychologiques, sociaux et spirituels sont primordiales. Le but des soins palliatifs est d'obtenir la meilleure qualité de vie possible pour les malades et leur famille. »

C'est dire que les soins palliatifs constituent une approche holistique de l'être humain dans ses dimensions psychologiques et physiques. Sur le plan de la politique de santé, un des objectifs majeurs est d'assurer à la population des soins palliatifs de qualité et appropriés. Davantage encore, et vous l'avez déjà ébauché, monsieur le secrétaire d'Etat, le degré d'humanité d'une société se juge au moins autant par les soins prodigués aux faibles et aux mourants que par d'autres réalisations souvent plus prestigieuses.

Pourtant, malgré de remarquables progrès, auxquels vous avez votre part, monsieur le secrétaire d'Etat, le recours aux soins palliatifs, dans la pratique, semble


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

encore très en retard sur les techniques disponibles. Cette lacune est due à l'absence de formation, d'enseignement, à des appréhensions non fondées, à des préjugés, ainsi qu'à une méconnaissance du rôle potentiel de ces soins dans la société. Ayant pour objet de répondre aux besoins des malades incurables et des mourants, ils devraient donc faire partie intégrante de la médecine en tant que telle, ce qui n'est pas le cas ! Cette lacune est également due à l'insuffisance des ressources destinées à l'organisation de structures spécialisées qui font cruellement défaut.

Une véritable volonté politique dans ce domaine doit donc s'attacher à répondre à quelques impératifs cruciaux.

J'en distingue quatre que je veux détailler, monsieur le secrétaire d'Etat : rendre la mort plus familiale et plus familière ; aider et entourer les familles ; divers types de structures spécialisées ; former les praticiens et organiser des équipes pluridisciplinaires.

Rendre la mort plus familiale et plus familière, c'est d'abord assurer l'application du principe d'égal accès à des services de qualité appropriés aux malades incurables et aux mourants.

Lorsque le maintien à l'hôpital demeure nécessaire, il faut prévoir des structures d'accueil pour permettre à l'entourage d'assister ses proches.

O n ne peut rester sans réagir, lorsqu'on sait qu'en 1961, M. le rapporteur l'a souligné, 66 % des malades mouraient chez eux et qu'aujourd'hui, la proportion est rigoureusement inverse. Il faut tout faire pour répondre dans la mesure du possible au désir de la majorité des malades de mourir chez eux dans un cadre familier et pour cela, nous devons soutenir l'organisation de structures ambulatoires et flexibles. Il faut aussi permettre, dans des conditions définies, aux enfants d'être auprès de leurs parents lorsqu'ils s'apprêtent à partir, comme les parents eux-mêmes se sont libérés pour accueillir les enfants lorsqu'ils sont venus au monde.

Deuxième impératif : aider et entourer les familles. Les familles qui désirent prendre soin d'un mourant ont souvent besoin de conseils et d'aide professionnelle, non seulement sous la forme d'assistance médicale et infirmière mais aussi d'un soutien psychologique et, quand elles le souhaitent, religieux et spirituel.

Le recours à des bénévoles est un complément important aux mesures d'accompagnement et aux soins des mourants. Il permet de maintenir un sens de continuité et de normalité à la vie.

C'est dire - troisième impératif - qu'il faut développer des structures spécialisées et adaptées.

A la suite de l'oeuvre de pionnier de Cicely Saunders que vous avez cité tout à l'heure, en 1967, il y a lieu de créer un nombre suffisant de ces services hospitaliers spécialisés. Malgré une préoccupation apparue dès 1985 avec l'installation d'un premier groupe de travail au secrétariat d'Etat à la santé et la création de la première unité de soins palliatifs par le professeur Abiven en 1987, malgré la poursuite de ces efforts, notre pays accuse un réel retard.

En attendant que les intentions que vous avez affichées deviennent réalité, 576 lits sont répartis en 54 unités et 74 équipes mobiles oeuvrent utilement. Il faut souligner que dans la grande majorité des cas, ces structures sont dévouées, bien organisées et structurées en équipes pluridisciplinaires aidées de bénévoles. Mais que dire quand aucune structure n'existe pour la prise en charge des enfants en fin de vie ? Et je ne peux manquer de vous rappeler que la pédiatrie est mon activité première.

Que dire quand plus de quarante départements sont dépourvus de toute structure et que de nombreux autres n'ont à proposer que quelques lits en unités résidentielles ou une équipe mobile aux effectifs restreints ? Que dire encore quand l'absence de statut administratif clair laisse planer l'incertitude sur l'avenir des structures et des hommes ? Que dire enfin devant la carence quasi générale des structures de soins palliatifs à domicile, pourtant prévues par la loi hospitalière de 1991 ? Or la nécessité de structures spécialisées s'impose, d'autant plus que la fréquence des cancers, des affections neurologiques graves et des cas de maladie d'Alzheimer augmente en même temps qu'augmente la longévité et que dure la dépendance. On ne guérit jamais de la vieillesse.

Mais si la mort est la seule façon de s'en affranchir, cette période doit bien être considérée comme un moment privilégié de la vie. Outre que ces services permettraient l'organisation en réseau avec d'autres structures plus mobiles, y compris dans l'hospitalisation à domicile, ils participeraient à la formation pratique des futurs médecins et professionnels ainsi qu'à la recherche, comme cela a été souligné.

A terme, il serait souhaitable que les soins palliatifs puissent être assurés dans tous les services confrontés à la mort.

M. Jean-Michel Dubernard.

Exactement !

M. Jean-François Mattei.

Dernier impératif : former les praticiens et organiser des équipes pluridisciplinaires.

Faut-il rappeler que l'intervention médicale a pour but de guérir la maladie et de soulager la douleur mais pas de prolonger la vie à tout prix ? Alléger les souffrances des personnes qui sont entrées en phase terminale fait partie des obligations du médecin. Il ne peut pas laisser sans traitement un malade qui présente des symptômes et des souffrances intolérables, uniquement par peur que les m oyens thérapeutiques utilisés pour le soulager n'abrègent, aussi peu que ce soit, le temps qui lui reste à vivre.

Mme Hélène Mignon.

Très bien !

M. Jean-François Mattei.

Cette crainte est souvent à l'origine des efforts insuffisants déployés pour soulager la douleur. Les médecins doivent donc être formés à ce type de prise en charge, car un traitement antalgique efficace permet à la personne de conserver sa dignité au cours de la dernière phase de sa vie et de lui donner un sens.

A côté du traitement de la douleur, la médecine des soins palliatifs devrait occuper une place importante dans l a formation des futurs médecins, y compris par l'approche des sciences humaines et sociales.

Toutes les professions appelées à traiter des malades incurables ou des mourants doivent recevoir des instructions appropriées dans le cadre de leurs fonctions. L'idéal serait des modes d'enseignement et de formation complém entaire interdisciplinaires qui touchent, outre au domaine médical et infirmier, aux aspects pertinents de la psychologie, de la sociologie, de l'anthropologie, de l'éthique ou de la théologie. C'est la meilleure façon de permettre à ces personnels d'accepter, de prendre en charge et de respecter les malades en phase terminale dans le cadre d'une équipe interdisciplinaire. Quant aux volontaires, dont il faut saluer le travail, ceux qui donnent volontairement des soins aux mourants, ils devraient également être formés et soutenus de manière à prendre en charge certaines tâches au sein de l'équipe.

Les cas de meurtre de malades incurables ou de mourants en institution, qui ont profondément ébranlé l'opinion publique, en Autriche, en Allemagne, au Danemark,


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aux Pays-Bas, en France ou dans d'autres pays, ont souvent pour cause principale l'insuffisance de formation et de soutien donnés au personnel de santé responsable.

On ne peut pas méconnaître que les professionnels, comme les bénévoles, ont besoin d'être soutenus pour remplir leur tâche, à la fois par l'équipe tout entière, solidaire, mais aussi par des conseillers. Une formation défectueuse, le sentiment d'être débordés et les difficultés écra santes de leur tâche peuvent amener des membres du personnel de santé à envisager de mettre fin à la vie d'un malade incurable ou mourant.

Il ne faut donc pas se contenter d'un examen superficiel quand le désir de mourir est exprimé par un tel malade. Les soignants ainsi que la famille et les proches doivent d'abord déterminer si ce souhait est l'expression authentique de la volonté de l'intéressé ou s'il ne traduit pas plutôt une demande d'attention plus soutenue dans les domaines thérapeutique, social et spirituel.

Cela me conduit à aborder ma deuxième partie, le droit à l'autodétermination des malades incurables et des mourants.

D'après l'article 5 de la Convention sur la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, il ne peut être effectué d'intervention dans le domaine de la santé que lorsque la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé. Ce principe vaut aussi dans le cas des malades incurables et des mourants.

Or, ce qui est possible au plan médical ne correspond pas toujours aux voeux d'un tel malade. Il doit avoir la possibilité concrète de refuser le traitement destiné à prolonger ses jours. Pour lui permettre ce choix, une information intelligible et complète sur sa maladie, le pronostic présumé, le sens, les objectifs, les difficultés et les buts des efforts diagnostiques et thérapeutiques, doit lui être fournie.

Un nombre important de médecins hésitent à fournir une telle information et cette obligation est de plus en plus considérée comme la partie la plus difficile et la plus éprouvante de la tâche du médecin, parce qu'il lui faut non seulement communiquer une information médicale avec tact et compassion, mais aider le malade à prendre des décisions vitales. Là encore, les médecins doivent être formés et entourés par toute une équipe.

Renoncer à appliquer un traitement plutôt que de prolonger indûment des souffrances - lorsque cette démarche est conforme aux voeux du malade - doit être considéré comme une solution acceptable. L'interruption du traitement doit être rigoureusement distinguée du suicide assisté par un médecin et de l'euthanasie.

La Déclaration de Madrid de 1987 de l'Association médicale mondiale affirme que « mettre délibérément fin à la vie d'un malade, même à sa demande ou à la demande de proches parents, est contraire à l'éthique.

Cela n'empêche pas le médecin de respecter le désir d'un malade de permettre au processus naturel aboutissant à la mort de suivre son cours lors de la phase terminale de la maladie ». La Déclaration de Marbella de 1992 de la même Association médicale mondiale précise que « le suicide assisté par un médecin [...] est contraire à l'éthique et doit être condamné par la profession médicale ».

Mais il faut également se pencher sur les cas où, en raison de l'incapacité de fait du malade, la décision incombe à un tiers. Cette décision doit être prise en ayant d'abord présent à l'esprit le bien-être du malade, et ce, à l'issue de délibérations collégiales entre tous ceux qui participent aux soins de l'intéressé. Les représentants du malade, les membres de sa famille ou ses proches peuvent jouer un rôle important dans le processus de décision. Les critères de décision présentent une particulière importance lorsqu'il s'agit de malades frappés d'incapacité permanente tels que les handicapés mentaux.

Les malades incurables et les mourants ont donc le droit de déterminer eux-mêmes la manière dont doit se dérouler leur fin ; ce droit ne s'étend toutefois pas à l'euthanasie. Si l'on entérinait la demande du malade exprimant la volonté qu'on mette fin à ses jours, il faudrait alors, en bonne logique, s'abstenir désormais de réanimer tous ceux qui, par une conduite suicidaire, manifestent clairement leur détermination d'en finir avec la vie.

Je suis convaincu qu'il est des limites avec lesquelles on ne peut transiger. Les franchir constituerait un aveu d'échec, l'acceptation d'une facilité et le refus d'assumer la réalité des situations. Et même si l'euthanasie n'est pas le sujet de notre délibération d'aujourd'hui, nous ne pouvons pas parler de la fin de vie et des soins palliatifs sans que je rappelle une opinion partagée par certains - la majorité, je l'espère -, il faut maintenir l'interdiction absolue de mettre fin intentionnellement aux jours des malades incurables ou des mourants.

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose dans son article 2 que « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut-être infligée à quiconque intentionnellement... ». Ce droit fondamental à la vie et

l'interdiction absolue de mettre intentionnellement fin à la vie d'un être humain doivent être également respectés dans ces conditions spéciales que constitue la phase terminale d'une vie.

Mourir est une des phases de la vie. C'est dire que le droit de mourir dans la dignité correspond d'abord au droit à une vie en dignité.

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Très juste !

M. Jean-François Mattei.

La loi interdit donc de tuer un être humain, même si tel est l'expression de sa volonté. La règle vaut pour les personnes âgées, les malades et les handicapés comme pour les malades incurables et les mourants. Porter atteinte à cette interdiction entraînerait des conséquences incalculables et ne p ourrait qu'accentuer les pressions individuelles ou sociales sur ceux qui auraient le sentiment d'être un fardeau pour une société, laquelle, par ailleurs, leur fournirait la possibilité de mettre fin à leurs jours.

L'expérience des sociétés qui font preuve de laxisme à l'égard de l'interdiction de supprimer la vie montre que la conséquence logique de cette attitude est que des êtres humains finissent par être tués sans leur consentement.

C'est bien ce qui nous a été dit lors de la réunion qui s'est tenue au ministère, monsieur le secrétaire d'Etat. En sapant ainsi le principe fondamental de toute vie, on s'engage sur la pente qui mène à accepter l'élimination d'êtres humains dont la vie est considérée comme privée de sens.

Au demeurant, il me semble bien - et c'est d'ailleurs ce que j'ai cru percevoir dans la conclusion de Mme le rapporteur - que la demande d'euthanasie n'est jamais que l'expression ultime et désespérée du refus de la souffrance, de l'abandon et de la solitude. Si notre société accordait toute leur importance à la prise en charge de la


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douleur, aux soins palliatifs et à l'accompagnement des mourants, nul doute que la demande d'euthanasie perdrait de sa légitimité pour disparaître.

C'est pourquoi, de mon point de vue, il n'y a pas lieu de légiférer sur l'euthanasie, quand l'urgence est de mieux répondre aux impérieuses nécessités pour accompagner le départ de ceux qui nous quittent. C'est tout le sens de ce que nous entreprenons ensemble par ce texte, que nous approuvons globalement. Il nous réunit dans la volonté commune de sauvegarder la dignité de ceux qui, après avoir vécu, s'en vont. Pour certains c'est une fin, pour d'autres un passage. Il faut les respecter. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président.

Mes chers collègues, je ne souhaite pas interrompre les orateurs. Je vous signale toutefois que nous avons déjà pris du retard et qu'il est vraisemblable que nous ne parviendrons pas à terminer l'examen de cette proposition ce matin. Il faudra donc déterminer avec le Gouvernement à quelle date sera reportée la discussion.

La parole est à M. Jean-Jacques Denis.

M. Jean-Jacques Denis.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons ce matin est attendue depuis longtemps par l'ensemble de nos concitoyens, et plus encore par les 150 000 familles vivant chaque année le décès d'un de leurs proches qui aurait pu bénéficier de soins palliatifs.

La volonté de répondre à cette attente est également perceptible sur nos bancs, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, et transcende les courants politiques.

Je tiens ici à remercier tout particulièrement M. Bernard Kouchner, que je sais très attaché et depuis fort longtemps à la question des soins palliatifs. Vos déclarations, vos engagements, monsieur le secrétaire d'Etat, tout comme l'initiative que vous avez prise d'organiser les états généraux de la santé avec une place toute particulière réservée au thème qui nous réunit ce matin, prouvent à quel point vous êtes sensible à cette question.

Je salue également M. Lucien Neuwirth, qui s'est investi dans la réflexion sur le traitement de la douleur.

Ce dernier fait partie intégrante des soins palliatifs, qui vont toutefois au-delà.

Beaucoup a été fait, mais beaucoup reste à faire. L'attitude de certains soignants doit encore évoluer. Une décision récente du ministère de la santé visant à simplifier la distribution des antalgiques a été prise en début d'année et contribuera, je l'espère, à améliorer la situation.

Les sénateurs ont également beaucoup réfléchi sur la problématique de la fin de vie. La proposition de loi relative aux soins palliatifs et à l'accompagnement, soutenue unanimement par la commission des affaires sociales du Sénat, a d'ores et déjà été votée en première lecture le 7 avril.

A l'Assemblée, l'essentiel de la philosophie des six propositions présentées est repris dans ce texte commun dont nous débattons ce matin. Loin d'être la marque d'une quelconque concurrence, les différents textes témoignent, au contraire, de notre volonté à tous de rattraper le retard pris par la France dans le domaine des soins palliatifs.

Cette proposition de loi poursuit le même but que le projet de loi sur la couverture maladie universelle voté ici même avant-hier : il s'agit de lutter contre l'inégalité de l'offre de soins et de permettre à tous nos concitoyens d'y accéder en affirmant ce droit.

Face à la maladie comme face à la mort, nous recherchons une égalité afin de permettre à chacun de bénéficier des meilleurs soins. Développer les soins palliatifs répond à un idéal de justice humaine et sociale.

Au sein du groupe socialiste, nous avons eu l'opportunité de rencontrer et d'écouter des femmes et des hommes souvent pionniers dans ce domaine et dont l'expérience sur la fin de vie est reconnue bien au-delà de nos frontières. Je les remercie, ici, pour ce qu'ils nous ont apporté, informations sans lesquelles nous n'aurions pas pu mener à bien la proposition de loi que nous avons présentée.

Infirmières, médecins libéraux et hospitaliers, chefs de service, bénévoles, tous ces intervenants nous ont permis de mieux comprendre les soins palliatifs dans leur complexité, et les insuffisances de la médecine, une fois que les thérapeutiques curatives ont atteint leurs limites.

Ces auditions ont également été l'occasion de nous confronter à des questions éthiques fondamentales sur la place du consentement du malade, sur l'acharnement thérapeutique, sur la dignité. Sur tous ces thèmes, d'autres débats suivront, j'en suis certain.

Comme l'a très bien exprimé le Conseil économique et social dans le remarquable avis rendu le 28 février 1999,

« la mort et le mourant remettent en cause l'image que n os sociétés veulent renvoyer d'elles-mêmes et de l'Homme, une image intemporelle conquérante et bienheureuse ». En effet, les sentiments de fuite, de peur nous envahissent devant la mort de l'autre et, par un effet de miroir, nous renvoient à nos propres angoisses. La mort est cachée et reléguée au rang d'abstraction. Nous ne sommes pas préparés à la mort d'autrui. Cela explique qu'en cette fin de XXe siècle, plus de 75 % des décès ont lieu en institution.

Autrefois, partie intégrante de la vie, le rituel de la mort dans notre société occidentale s'est déshumanisé. La médecine, reflet de notre société, a conforté ce travers matérialiste. Elle a, certes, et fort heureusement avec succès, privilégié le traitement de la maladie avec la seule approche médico-technique. Dans ce contexte, la fin de vie est vécue comme un échec par le personnel soignant.

C'est en grande partie grâce à la médecine que l'on doit l'augmentation de l'espérance de vie d'un trimestre par an et, par conséquent, le vieillissement de la population. Si, pour beaucoup, fin de vie est souvent synonyme de vieillesse, il est nécessaire de rappeler que les soins palliatifs, hélas ! ne s'adressent pas seulement aux personnes âgées.

Aucune mort n'est semblable. Peut-on apporter des solutions valables pour tous ? Est-il nécessaire de légiférer ? Ces questions nous sont posées régulièrement. Nous nous les sommes posées également. Simplement, il nous est apparu qu'une loi pourrait constituer un véritable entraînement pour le développement des soins palliatifs.

La circulaire de 1986, la loi hospitalière de 1991, les rapports et les nombreuses publications n'ont pas suffi, jusqu'à présent, à combler notre retard.

C'est d'ailleurs ce que préconise le Conseil économique et social. Il appelle à des réponses cohérentes, conformes aux attentes des Français. Le plan triennal représente également une avancée considérable. Ce texte, à l'initiative des parlementaires, pérennisera ses ambitions.

Le développement des soins palliatifs répond à trois enjeux.

Tout d'abord, assurer la continuité des soins d'accompagnement médicaux et psychologiques de toute personne, quels que soient le lieu, sa maladie et son âge jus-


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qu'à sa mort. En effet, jusqu'à présent notre pays a beaucoup investi pour la naissance ; il est temps à présent que l'on s'occupe de l'autre extrémité de la vie.

Lutter ensuite contre l'inégalité des conditions de la fin de vie sur notre territoire. Aujourd'hui encore, nombre de départements ne métropole et en outre-mer n'ont pas d'unité de soins palliatifs. Il y a inégalité géographique, mais aussi inégalité sociale ; on a parlé de privilèges.

Enfin, la généralisation des soins palliatifs et la solidarité humaine qu'ils expriment, l'expérience acquise et le respect de la dignité des mourants entraîneront progressivement une transformation des conditions de fin de vie dans notre société et sans aucun doute des demandes de dépénalisation de l'euthanasie. Ce débat, pas plus que celui sur le traitement de la douleur, ne va certainement pas se clore aujourd'hui. Mais préoccupons-nous d'abord des soins palliatifs, nous verrons ensuite ce qui concerne l'euthanasie.

La définition des soins palliatifs se veut complète.

Cette définition est complexe. C'est une approche pluridisciplinaire qui intègre la dimension psycho-sociale. Elle prend en compte l'entourage du malade, la possibilité de pratiquer les soins à domicile, la nécessité de l'accord du malade vis-à-vis de ses soins, leur pluridisciplinarité. Un débat est ouvert. Il se poursuivra sûrement pour savoir où et comment commencent les soins palliatifs. Il n'est sans doute pas nécessaire de préciser exactement un tel moment. La souplesse doit probablement être conservée.

L'état d'esprit qui guide les soins palliatifs doit aussi prédominer dans les soins curatifs. Ce sont donc des soins continus dont l'objectif est de préserver la qualité de la vie jusqu'à la fin, quel que soit le temps qui reste.

Le Conseil économique et social se propose de circonscrire ces soins « aux soins palliatifs terminaux, c'est-àdire à la prise en charge des personnes pour lesquelles il n'y a plus aucun espoir, ni aucune autre issue que la mort dans un délai proche ». Cette définition est intéressante. Mais, comme le reconnaît le Conseil, il est difficile de poser une limite précise entre les malades, leur maladie et les soins auxquels ils ont droit.

Selon moi, le droit d'accès aux soins palliatifs est valable pour toute personne atteinte d'une maladie qui ne répond pas de façon satisfaisante aux thérapeutiques curatives. La frontière entre le curatif et le palliatif est mouvante ; il n'y a pas rupture mais continuité.

Ces définitions peuvent être complétées par l'analyse d es chercheurs de l'Espace éthique de l'Assistance publique des Hôpitaux de Paris qui considèrent que les soins palliatifs comprennent la globalité des besoins éprouvés et exprimés par la personne en fin de vie et ses proches.

L es progrès thérapeutiques ont amené beaucoup d'espoir et de résultats. Le médecin, l'infirmière, l'aidesoignante sont proches du patient ; ils le sont surtout par les soins techniques. Malheureusement, parfois, certains médecins ne franchissent pas le seuil des chambres des malades qu'ils savent condamnés. Les soins palliatifs c'est donc aussi un changement d'état d'esprit, de comportement vers plus d'humanité.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Exact !

M. Jean-Jacques Denis.

On a oublié d'apprendre aux futurs médecins à accepter la mort, à réfléchir sur leurs actes en termes ethiques, à intégrer une culture du doute et de l'incertitude.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Très juste !

M. Jean-Jacques Denis.

La formation des soignants est essentielle pour que les soins palliatifs ne restent pas lettre morte. Les médecins, les infirmières, le personnel soignant dans son ensemble, doivent avoir dans leur formation initiale et continue une formation à la médecine de la fin de la vie. Aujourd'hui encore, même si de nombreuses facultés ont mis en place des diplômes d'université, ces enseignements restent insuffisants, surtout si, comme nous le voulons, les soins palliatifs se développent.

Il n'en reste pas moins qu'une formation ne remplacera pas, à elle seule, l'écoute, la disponibilité, l'attention, la tendresse, l'amour, qui doivent habiter tous ceux qui se sont engagés, souvent par vocation, dans la médecine.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Très bien !

M. Jean-Jacques Denis.

Il faut replacer la personne malade, la femme, l'homme ou l'enfant, au coeur du projet de soin ; les soins palliatifs constituent un changement culturel. Ils doivent rétablir une forme d'humanisme au sein de notre société : « Quand il n'y a plus rien à faire, tout reste encore à faire au service de la personne et de ses proches ». Cela peut être un changement profond de la médecine, un nouveau mode d'exercice. Il faut ouvrir les hôpitaux, créer des passerelles et des liens entre la médecine de ville et l'hôpital, humaniser notre société.

Nous avons évoqué l'égalité dans les droits d'accès aux soins. Nous devons affirmer que la fraternité entre les hommes reste une devise fondamentale de notre société humaine. La proposition de loi d'aujourd'hui y contribue.

(Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président.

La parole est à M. Renaud Muselier.

M. Renaud Muselier.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, madame le rapporteur, sur la forme, quelle n'a été notre surprise de voir soudainement déposées au Parlement le mois dernier, tant de propositions de loi sur ce sujet, alors que le Sénat, dès 1994, dans le droit-fil des travaux engagés sur la douleur, adoptait à l'unanimité un rapport d'information consacré aux soins palliatifs et à l'accompagnement.

Vous conviendrez, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il eût été plus judicieux de travailler sur la proposition de loi de Lucien Neuwirth, elle aussi adoptée à l'unanimité, après une classique navette parlementaire.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Monsieur Muselier !

M. Renaud Muselier.

Le 25 mars dernier, vous aviez pris l'initiative, saluée par tous, de réunir un groupe de travail à votre ministère sur le thème de la fin de vie et de l'euthanasie. Cette matinée de réflexion avait été fructueuse par la richesse des débats entre spécialistes et parlementaires de toute couleur politique. S'il s'est dégagé tout de suite un consensus sur la nécessité des soins palliatifs, un vrai débat s'est engagé sur l'euthanasie. A cette occasion, vous aviez renouvelé l'intérêt que vous portiez aux travaux du Sénat et aviez manifesté votre approbation de la proposition de loi de Lucien Neuwirth, lui-même présent et considéré comme l'un des grands spécialistes parlementaires.

Alors, pourquoi tout à coup ce retournement et cette préférence affirmée pour les textes de vos amis politiques ? Etiez-vous soucieux à ce point d'apparaître comme le chantre des soins palliatifs, ne voulant pas que le Sénat puisse se prévaloir d'une quelconque primauté sur ce sujet ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

Mme Gilberte Marin-Moskovitz, rapporteur.

Il cherche la polémique !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Allons, allons !

Mme Nicole Bricq.

Ne faites pas de polémique sur ce sujet, monsieur Muselier !

M. Renaud Muselier.

Quel dommage qu'un sujet aussi important, un sujet de société ne soit traité que dans le cadre d'une niche parlementaire.

M. Pierre Carassus.

La nôtre !

Mme Gilberte Marin-Moskovitz, rapporteur.

Les soins palliatifs ne sont ni de droite ni de gauche, monsieur Muselier !

M. Renaud Muselier.

Heureusement, dans sa sagesse, la commission des affaires sociales de l'Assemblée (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Ah, merci, monsieur Muselier !

Mme Nicole Bricq.

C'est mieux !

M. Renaud Muselier.

... a repris une grande partie des articles de la proposition de loi du Sénat.

Heureusement, aussi, dans votre discours, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez élevé le débat. Votre approche de la mort et de la dignité humaine, le sens de vos mots vous honorent.

Voyez, cela va mieux !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Nous apprécions parce que cela ne vous arrive pas tous les jours, monsieur Muselier !

M. Renaud Muselier.

J'en viens au fond.

En la matière, la France est en train de rattraper son retard, car, s'agissant de la maîtrise de la douleur, sa position était bien frileuse par rapport à celle de ses voisins européens.

La discussion d'aujourd'hui dans cet hémicycle montre tout le cheminement parcouru pour tenir compte de cet enjeu majeur et de la prise en charge des personnes en fin de vie. Ainsi, nous abordons un volet spécifique de la médecine avec une nouvelle conception : tout ce qui reste à faire, quand il n'y a plus rien à faire. Cette formule de la fondatrice du Saint-Christopher's Hospice de Londres, pionnière dans le domaine des soins palliatifs, peut paraître abrupte, mais elle replace la médecine face à sa v ocation qui est d'oeuvrer pour la satisfaction de l'ensemble des besoins de la personne humaine, à tous les stades de la maladie. La mort n'apparaîtra plus comme un échec au regard du corps médical. Il s'agira d'aider le malade à franchir l'ultime étape de la vie.

Ces soins représentent, à n'en pas douter, la réponse professionnelle, médicale et sociale à la souffrance du malade, qu'elle soit physique ou morale. Dans cette démarche, nous respectons les religions et la spiritualité de chacun. Ces soins correspondent à une démarche globale dont le but est de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu'à la mort. Pour cela, il est indispensable de mettre en oeuvre les moyens nécessaires à leur développement.

Il est enfin temps de considérer les soins palliatifs comme une science médicale avec ses propres travaux de recherche et ses formations spécifiques. Ils doivent pouvoir disposer d'un personnel médical formé et convaincu afin d'offrir au malade les conditions d'une fin de vie humaine et digne.

L'article 1er exprime clairement la volonté politique de développer les soins palliatifs en l'inscrivant dans la loi. A ce propos, je tiens à souligner la pertinence de la définition de la proposition de loi du Sénat qui reprend les termes du préambule des statuts de la Société française d'accompagnement des soins palliatifs : « Les soins palliatifs sont des soins actifs dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave évolutive ou terminale. Leur objectif est de soulager la douleur physique ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance phychologique, sociale et spirituelle. Les soins palliatifs sont interdisciplinaires. » Cette définition

nécessaire montre que la frontière entre le curatif et le palliatif est en effet mouvante.

Un écueil reste cependant à éviter : il convient de ne pas considérer les unités de soins palliatifs comme des mouroirs car l'impact psychologique serait désastreux pour les malades et l'on obtiendrait l'inverse du résultat escompté. A cet égard, la définition retenue à l'article 1er du texte du Sénat prend en compte cette exigence :

« Toute personne atteinte d'une maladie mettant en jeu le pronostic vital a accès à des soins palliatifs et d'accompagnement. » C'est en effet dès l'annonce d'une maladie,

dont le pronostic vital est en jeu et quelle qu'en soit l'issue, que tous les malades doivent bénéficier d'une prise en charge adaptée et continue.

A ucun développement des soins palliatifs et de l'accompagnement des personnes en fin de vie n'est envisageable sans un engagement financier conséquent de la société envers ceux qui vont la quitter, leur entourage et ceux qui les soignent. A cet égard, je vous fais part d'une carence que j'ai découverte en lisant le rapport du Conseil économique et social et qui me choque : il n'existe pas d'unités spécialisées dans la prise en charge des enfants en fin de vie. Peut-être cette discussion nous donnera-t-elle l'occasion d'y remédier ? Afin que cette législation ne soit pas uniquement incantatoire, il est indispensable que le Gouvernement mette en oeuvre tous les moyens envisagés à cet effet.

Ainsi quel cela a déjà été demandé, il conviendrait de créer une délégation parlementaire permanente sur ce sujet. C'est à ce prix que les soins palliatifs en France combleront enfin le vide entre l'acharnement thérapeutique et la démarche euthanasique.

Si toute obstination déraisonnable est à prohiber, il est tout aussi indispensable de respecter le cours normal d'une vie finissante en mettant au service du malade les connaissances techniques et scientifiques dont la médecine dispose. En tant que médecin et parlementaire, je compte mettre toutes mes forces dans ce combat. En tant qu'homme, je vous prends à témoin : qui n'a pas vécu autour de lui, la souffrance, la dégradation humaine, psychologique d'un être cher ? Qui n'a pas accompagné dans des situations moralement très dures un proche ? Qui ne s'est pas révolté contre la médecine qui n'arrivait pas à traiter la douleur ? Telles sont les raisons pour lesquelles, en tant que médecin, en tant que parlementaire, en tant qu'homme, je dis non à l'acharnement thérapeutique, je dis non à l'euthanasie ; mais je dis oui aux soins palliatifs, et tout de suite, je dis oui à l'accompagnement dans la dignité sans souffrance. Il faut donc légiférer, et ce que vous faites aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, est très bien.

Il est temps que notre société réapprivoise la mort et appréhende la fin de vie avec sérénité. Cela implique que l'on mette tout en oeuvre pour favoriser la qualité de vie qui s'achève, instaurer une relation authentique avec l'être


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souffrant en phase terminale afin qu'il garde son identité et sa dignité. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Très b ien ! Vous avez mieux terminé que vous n'aviez commencé !

M. Renaud Muselier.

C'est la différence entre la forme et le fond !

M. le président.

La parole est à M. Georges Hage.

M. Georges Hage.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, notre assemblée est donc invitée à légiférer, dans le court laps de temps i mparti à l'initiative parlementaire, dite « fenêtre » - aujourd'hui celle du groupe RCV, mais l'ordre de ceux qui s'y sont consacrés ces temps derniers n'est pas impénétrable, monsieur Muselier - pour que se développe et s'étende le chantier humaniste des soins palliatifs et de l'accompagnement des malades en fin de vie.

Cet intérêt n'est pas nouveau, mais, pour nous en tenir à une période récente, les progrès enregistrés en ce domaine depuis l'installation en 1985 par le secrétariat d'Etat à la santé d'un groupe de travail, consacré à l'aide aux mourants, sont très timides.

L'offre de soins palliatifs demeure continûment et dramatiquement insuffisante au regard tant des besoins que de la montée en puissance d'une prise de conscience générant des exigences et des analyses nouvelles face à la douleur et à la mort, ainsi qu'au refus de leur occultation, celles-là fussent-elles vécues comme des échecs de la médecine, comme l'ont bien montré les états généraux de la santé.

A quoi imputer cette carence ? La formation des médecins en ces pratiques qui méritent d'être considérées comme constituant une discip line scientifique est, sans aucun doute, lacunaire.

Comme l'affirme pertinemment la Société française d'acc ompagnement et de soins palliatifs, fédération de 150 associations qui regroupe des dizaines de milliers de professionnels de la santé et de bénévoles, la France n'est pas en retard en matière réglementaire. En revanche si de nombreux textes ont été votés, ils ne sont pas appliqués.

Leur énumération figure dans un communiqué de presse que l'association a publié en septembre 1998.

Par la faute d'une planification hospitalière peu incitatrice et qui, peut-être, fait que l'hôpital regimbe contre le développement de l'hospitalisation à domicile ; par la faute de facultés de médecine qui n'appliquent pas la circulaire de 1995 ; par la faute d'une recherche insuffisante, d'obstacles réglementaires et budgétaires paralysants, en dépit de plans gouvernementaux et de l'intérêt manifesté en la matière par le secrétariat d'Etat, nous avons du retard, mais il est d'application plus que de conception.

Le rapport du Conseil économique et social, la pluralité des propositions de loi examinées en commission sur le rapport de Mme Marin-Moscovitz, l'intérêt des travaux menés sur le même sujet au Sénat manifestent une volonté consensuellement partagée, transcendant les clivages politiques, de faire entrer concrètement dans la vie les dispositifs réglementaires porteurs de ce projet social.

I ndiscutablement, l'initiative revient au Parlement, même si la procédure de la niche parlementaire accuse en la circonstance quelque déficience.

J'ai sous les yeux un communiqué de la coordination régionale du Nord Pas-de-Calais pour les soins palliatifs - je cite ma région car on en dit souvent tant de mal (Sourires) - qui est devenu une réalité tangible. Il indique : « Nous pensons qu'il est plus urgent de développer la formation et l'éducation des soignants, et notamment des médecins, dans ce domaine du soin, de la prise en charge de la douleur et de l'accompagnement, plutôt que de légiférer sur l'euthanasie. »

Initiée par la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs, se poursuit la réflexion sur les droits du malade et sur la dignité qui doit accompagner, pour chacun, l'issue fatale de la mort. Même si l'économie du débat doit aujourd'hui se conformer à cette positioin, il ne sera pas possible de différer très longtemps la réflexion et la législation sur l'euthanasie, réflexion que je qualifierais de connexe, comme on dit en mathématiques, dans un espace topologique dont il n'existe aucune partition en deux parties fermées.

Elle a d'ailleurs été largement ouverte à l'initiative du secrétaire d'Etat, ce dont je le félicite, et elle a déjà permis des avancées émouvantes et éloquentes, ainsi que notre collègue M. Mattei vient d'en témoigner. Toutefois il n'est rien même pas la définition subtile que donne M. Neuwirth des soins palliatifs, qui se situeraient entre l'acharnement thérapeutique et l'euthanasie, qui ne prête à discussion.

Notre groupe n'a pas présenté la proposition de loi qu'il est en train d'élaborer sur le sujet en discussion, mais il a fait connaître par lettre à M. le président de la c ommission l'essentiel de ses préoccupations en la matière, lesquelles rejoignent une forte attente de nos concitoyens.

Nous insistons notamment sur les besoins de formation de tous les intervenants, sur l'encadrement, nécessaire à bien des égards, sur le soutien du bénévolat, sur le rôle de la famille et sur l'aménagement de sa disponibilité.

Si la proposition de loi qui sert de base à la discussion est porteuse d'avancées intéressantes, il est vraiment nécessaire d'encourager les établissements de santé à développer les soins palliatifs, de veiller à la formation continue des médecins en CHU sans que cela soit à la charge des établissements de santé et des bénévoles.

Face à ces avancées, la proposition de loi souffre d'insuffisances, telle l'absence de soins à domicile et d'équipes mobiles. Le choix de mourir chez soi ou à l'hôpital avec les mêmes garanties de prise en charge n'est pas offert aujourd'hui. Autant de raisons de mettre en place dans chaque département un dispositif de coordination. Ainsi que je l'ai précisé, nous ne sommes pas en retard dans le Nord. L'alternative à l'hospitalisation se doit d'offrir au patient une qualité de soins comparable à celle du milieu hospitalier et, à la famille, un même soutien psychologique et matériel.

La proposition d'une allocation de congés d'accompagnement permettant aux familles de disposer d'un temps dégagé de leur activité professionnelle pour participer à l'accompagnement du malade s'impose. Faut-il insister sur l'engagement financier qui doit s'ensuivre ? Notre groupe a déposé plusieurs amendements que la commission a adoptés ; certains s'inspirent des travaux de nos collègues du Sénat. En conséquence, l'offre des soins palliatifs et les besoins en découlant seront pris en c ompte dans la carte sanitaire. Nos amendements reconnaissent aussi les soins palliatifs comme une disci-


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pline médicale à part entière et ouvrent la possibilité aux centres de lutte contre le cancer de recourir à cette pratique médicale.

Encore faut-il rappeler, une fois de plus, que des moyens financiers suffisants doivent être accordés à ce chantier humaniste. Enfin, nous avons participé à l'inscription dans la loi de la disposition confiant à l'ANAES l'élaboration de normes de qualité. Elle en fera l'une des quarante explorations prioritaires.

Enfin, nous aimerions voir les recommandations du Conseil économique et social prises en compte en ce qui concerne l'accompagnement. (Applaudissements.)

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

D'accord !

M. le président.

La parole est à M. Yves Bur.

M. Yves Bur.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le sujet que nous abordons ce matin nous conduit à réfléchir à l'essentiel, c'està-dire à notre relation à la vie et à la mort. Dans notre société qui ne valorise que des valeurs positives de jeunesse, de beauté, de dynamisme ou d'optimisme, la mort a du mal à trouver sa place. La perte de repères par rapport aux valeurs fondamentales n'épargne pas notre relation à la mort. Pourtant, la mort fait bien partie de la vie. Sénèque ne disait-il pas que « toute vie n'est qu'une préparation à la mort » ? Notre société ne peut donc échapper à cette réalité qu'elle a trop souvent voulu refouler comme si elle voulait refuser l'idée même de notre propre finitude, la considérant, peut-être, comme un frein au développement et à la consommation.

Parallèlement, les médias, par leurs effets d'annonces, vantent parfois aux consommateurs de biens de santé les progrès de la recherche les plus sophistiqués, donc les plus hermétiques pour le grand public, perpétuant ainsi l'image d'une science toute puissante. Or, malgré une médecine dont les progrès ont été et restent étonnants, malgré une médecine de plus en plus coûteuse parce que de plus en plus technique, le vieillissement et la mort s'imposent dans leur dure réalité. Cela sonne comme un rappel à l'ordre naturel des choses pour tous les proches de la personne en fin de vie.

Dans ce cadre, la situation des personnes en fin de vie pour lesquelles la médecine a montré les limites de sa compétence n'est guère enviable dans notre pays. Malgré la circulaire du 26 août 1986 relative à l'organisation des soins et à l'accompagnement des malades en phase terminale et la loi du 31 juillet 1991 relative à l'hôpital qui évoquait déjà la notion de soins palliatifs, nous sommes très en retard dans la mise en oeuvre de ces soins de fin de vie. C'est pour cette raison que la question de l'euthanasie revient de façon récurrente et occupe souvent la première place dans les débats relatifs aux maladies incurables et à la mort.

Je suis persuadé que le débat sur l'euthanasie perdrait de son acuité si nous disposions, dans notre pays, d'une politique active en matière de soins palliatifs, complétée et relayée par des campagnes d'information et de sensibilisation de l'opinion.

Humaniser les situations dramatiques doit être un objectif prioritaire, au même titre qu'une politique de santé publique. Je considère donc que notre débat de ce matin est un encouragement et une pierre à l'édifice pour développer une véritable alternative à la douleur et à l'abandon à la fatalité qui ôte trop souvent toute dignité à la mort et traumatise l'entourage familial.

Le développement des soins palliatifs est une urgence dans notre pays et il doit s'insérer dans une démarche globale d'accompagnement à la mort. Les 576 lits en unités fixes, les 74 équipes mobiles réparties inéquitablement sur le territoire et les maigres expériences pilotes de soins palliatifs à domicile doivent être rapidement complétées par une politique de développement volontariste sur l'ensemble du territoire national.

L'accompagnement de ces personnes doit prendre en compte, en premier lieu, l'atténuation de la douleur et le confort du malade. La réflexion doit également porter sur les possibilités offertes aux patients de privilégier le choix de la fin de vie à domicile. En effet, selon les études de l'INSERM, seulement 26% des personnes meurent à leur domicile alors que ce taux était de 63% en 1964. Mme le rapporteur l'a souligné. La médicalisation de la fin de vie ne doit plus être forcément synonyme d'hospitalisation.

La mise en oeuvre des soins palliatifs ne peut nous éxonérer d'une réflexion sur l'accompagnement affectif, moral et spirituel qui doit être partie intégrante d'une prise en charge globale.

S'il s'agit là d'une responsabilité première du cercle familial, celui-ci n'a pas toujours la capacité de l'assumer et un soutien doit lui être apporté. L'exemple de l'assistance des bénévoles - j'ai à l'esprit le travail admirable d'associations comme « Jalmalv » ou « Pierre Clément » dans mon département - peut inspirer les progrès que nous devons réaliser en France. Ils ont eu l'immense mérite de suppléer une action publique défaillante et de nous sensibiliser aux besoins, auxquels ils ne peuvent seuls apporter une réponse suffisante.

En effet, selon le comité consultatif national d'éthique, la vocation du médecin est « de prévenir, de soigner et de soulager les souffrances ». C'est pourquoi, la mise en place de soins palliatifs en France ne réussira qu'avec la collaboration de tous les intervenants autour de la personne malade : le corps médical, bien sûr, mais aussi les bénévoles associatifs et la famille.

Notre pays accuse, comme d'autres pays européens, un retard important. Cela a été souligné et votre engagement, monsieur le secrétaire d'Etat, qui ne date pas d'aujourd'hui, n'a pas été suffisamment relayé. En effet, nous sommes loin des 3 000 lits et des réseaux permettant de prendre en charge 200 000 personnes de la GrandeBretagne, dont on critique pourtant souvent la misère du système de santé.

Malgré les efforts que vous proposez et que je salue, je me demande si les 200 millions de francs mobilisés par l'Etat et la CNAM seront suffisants pour renverser rapidement la situation que nous connaissons en France.

Aussi, au moment où nous débattons des SROS de deuxième génération, je souhaite que cette priorité, que nous ressentons et reconnaissons tous ici, trouve une traduction suffisamment forte sur des objectifs précis et volontaristes.

Il ne faudrait pas que cela se traduise uniquement par des actions - quelque importantes qu'elles soient - de formation et d'accompagnement des soignants par des équipes mobiles qui auraient en charge le soutien et la formation de l'ensemble des services de soins. Cela doit aussi se traduire par la création de nouvelles unités. Le Conseil économique et social préconise d'ailleurs l'ouverture d'une unité de soins palliatifs, destinée à prendre en charge de manière spécifique certains patients en fin de


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vie particulièrement lourds à traiter dans un service de dix à quinze lits, dans chaque centre hospitalo-universitaire. Ces unités constitueraient l'appui des équipes mobiles de soins palliatifs à l'hôpital ou à domicile.

Il faut en effet aussi offrir au malade la possibilité de mourir chez lui tout en assurant, à lui et à sa famille, l'aide et le soutien d'une équipe mobile de soins palliatifs.

Cela suppose naturellement que de véritables réseaux hôpital-médecine de ville se mettent en place et s'organisent pour concrétiser de tels objectifs.

De plus, il faut miser sur un effort important d'enseignement et de formation permettant de diffuser les techniques de suivi en soins palliatifs. Cet effort qui s'inscrit dans le cadre de la formation médicale initiale et continue doit prendre en compte aussi l'accompagnement psychologique et social des patients et de leur famille. Il faut naturellement assurer une formation, en les associant à certains modules, à tous les bénévoles qui ont besoin d'acquérir, au-delà de leur engagement altruiste, les outils pour assurer une meilleure écoute et un accompagnement de qualité.

J'en viens à présent aux différentes propositions que nous retrouvons sous une forme plus ou moins semblable dans les différents textes.

Tout d'abord, l'affirmation dans l'article 1er des droits du malade et des usagers du système de santé me paraît essentielle et dépasse le cadre très précis des soins palliatifs.

La place du malade devrait à l'évidence être centrale, être au coeur du système de santé. Pourtant, le développement de notre système de soins s'est réalisé moins avec le souci de faciliter la prise en charge des malades que dans une logique propre au système, où les besoins des malades ne déterminent que fort peu le développement de l'offre.

Le plan de réforme de la sécurité sociale qu'avaient proposé Alain Juppé et Jacques Barrot avait déjà mis en avant les droits du malade, notamment dans le système hospitalier. Nous sommes tout à fait d'accord pour inscrire ce droit dans le code de la santé. L'expression du droit du malade à une prise en charge de qualité ne devra cependant pas rester une simple affirmation. Il faudra lui donner un contenu dans chaque établissement de soins.

L'affirmation complémentaire d'un droit à des soins palliatifs va dans le même sens.

Le fait d'étendre, à l'article 2, la mission d'assurer des soins palliatifs aux établissements de santé ainsi qu'aux établissements sociaux et médico-sociaux constitue une évolution fort importante. Cela sera une nouveauté, voire une révolution pour les établissements et, plus particulièrement, pour les maisons de retraite et les établissements de longs séjours.

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Bien sûr !

M. Yves Bur.

Ces établissements connaissent des situations particulièrement lourdes. En effet, les personnes âgées dépendantes, voire grabataires, ne présentent pas toujours une pathologie nécessitant des soins palliatifs, mais exigent malgré tout un fort besoin d'accompagnement.

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Tout à fait !

M. Yves Bur.

Il nous appartient de favoriser à travers les projets d'établissements une prise de conscience de la nécessité d'une démarche interne dans l'accompagnement à la mort. Ces actions s'inscrivent à la fois dans une démarche de qualité de la prise en charge et dans le respect du droit à la dignité de la personne âgée dépendante.

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Exactement !

M. Yves Bur.

Pour réussir une telle évolution, nous ne pourrons pas, monsieur le secrétaire d'Etat, faire l'impasse sur les moyens mis à la disposition des établissements pour mieux assurer cette mission. La réforme de la tarification des établissements qui va s'engager n'aborde pourtant pas cette question.

Nous partageons enfin le souci d'inscrire les actions d'accompagnement des associations de bénévoles dans un cadre reconnu et validé par les autorités. L'intérêt d'une charte permet d'y inscrire les principes d'éthique qui doivent de manière indispensable guider toutes les interventions auprès des personnes en fin de vie. Il convient cependant de veiller à ne pas enfermer ces associations dans un cadre réglementaire trop contraignant qui pourrait décourager l'admirable dévouement de ces personnes.

Enfin, la création d'un congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie me semble être une avancée, et nous la soutiendrons.

En conclusion, la mise en oeuvre de la généralisation d'une offre de soins palliatifs et d'un accompagnement des personnes en fin de vie constitue assurément un défi.

J'espère que notre débat contribuera à une véritable prise de conscience. Il appartiendra au Gouvernement de transformer nos bonnes intentions en réalité afin de faire face aux difficiles problèmes de fin de vie des malades comme des personnes âgées.

L'UDF soutiendra naturellement ces efforts et votera la proposition de loi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour aborder cette proposition de loi tendant à développer l'offre de soins palliatifs et à améliorer l'accompagnement des malades à la fin de leur vie qu'ont déposée les élus du Mouvement des citoyens et à laquelle le groupe RCV a consacré sa « niche » parlementaire, il nous faut commencer par dire : « Nous savons que soigner, c'est guérir, mais nous devons apprendre ou réapprendre que soigner c'est aussi permettre au malade de combattre, de dominer ses souffrances. »

La mort et les souffrances liées à son approche ont été, de façon concomitante avec les progrès de la médecine, relégués longtemps à l'arrière-plan des réflexions de notre société. Aujourd'hui, on meurt souvent à l'hôpital, loin des siens, loin de son entourage familier. Cette modification des conditions de la mort non seulement influe sur le comportement du malade, mais affecte également le rapport de notre société tout entière à la mort. La médicalisation complète de la mort est en effet intimement liée à une modification profonde de notre perception. La mort est vécue comme un échec et comme une remise en cause de notre invulnérabilité et de la croyance en l'omnipotence de la science. Face à cet échec inéluctable, tout se passe comme si, en confinant la mort dans un espace qui lui est propre, on réussissait à la faire disparaître, à faire comme si elle n'existait plus.


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En outre, nos sociétés ont longtemps considéré la souffrance physique comme accompagnant normalement la mort. Les vertus rédemptrices et salvatrices prêtées à la souffrance sont profondément ancrées dans nos cultures.

Faire entrer les soins palliatifs dans les moeurs nous permettra de nous défaire de ce cilice qui nous faisait croire aux vertus purificatrices de la souffrance.

A l'approche de son heure dernière, le malade est confronté à trois types de souffrance : une souffrance physique contre laquelle, pour des raisons très complexes, on hésitait encore à lutter de manière déterminée hier, une souffrance psychique et, enfin, une souffrance existentielle.

Face à la complexité de ces processus, il nous paraît primordial de légiférer - nous en sommes tous d'accord afin de développer de façon importante le recours aux soins palliatifs à la fois en milieu hospitalier et au domicile des malades.

Je souhaite maintenant consacrer quelques instants à l'indispensable besoin de prévention de l'action des sectes en signalant le danger contenu dans l'article L.

1-2. Il propose une formulation qui, de prime abord, peut paraître satisfaisante, car elle répond au souci de donner aux malades la capacité de refuser l'acharnement thérapeutique, mais qui peut se révéler dangereuse demain en permettant au malade ou à son représentant de refuser des soins élémentaires indispensables à sa survie, comme les transfusions sanguines.

J'avoue ne pas avoir trouvé pour l'instant une formulation permettant d'éviter cet écueil. Néanmoins, je pense que le sujet est suffisamment important pour que nous prenions le temps d'ici à la seconde lecture de reformuler cette phrase en insérant une condition portant sur le type de maladie ou le type de traitement.

L'acuité des questions que nous abordons dans le cadre de cette proposition de loi nous impose de faire preuve d'un grand discernement car nous ne devons pas créer un milieu favorable au développement de pratiques sectaires.

Dans ce cadre, il semblerait opportun d'encadrer plus strictement la signature des conventions types. La procédure actuelle laisse supposer que l'administration, l'Etat ne possèdent aucun pouvoir de contrôle et d'exclusion dès lors que l'association signe la convention type et s'y conforme. L'Etat ne peut, dès lors, écarter les associations sectaires. Il serait donc préférable d'organiser une réelle procédure d'agrément associée à un large pouvoir d'appréciation par l'administration centrale. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir dans le cadre de l'égalité et de la légalité républicaine, afin d'éviter l a création d'un terrain favorable au développement des pratiques sectaires.

Je poserai une question en guise de conclusion : conserver ou redonner sa dignité au malade, n'est-ce pas aussi lui laisser la liberté de sa mort ? En ouvrant le débat sur les soins palliatifs, en cherchant à développer une approche courageuse et raisonnée et, de ce fait, plus humaine de la mort, nous ouvrons la porte à un autre débat, complémentaire de celui-ci, sur le choix de sa mort. Il serait judicieux que soit prochainement proposée une discussion sur l'euthanasie car la question des soins palliatifs, bien qu'elle soit une propédeutique indispensable, n'épuise pas les questions posées par le passage de la vie à la mort dans la dignité et le respect des derniers actes de volonté.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

Très bien !

M. Jacques Desallangre.

J'avais souhaité que la proposition de loi déposée par mes amis du Mouvement des citoyens fasse mention du sujet délicat du libre choix de sa mort et je me réjouis d'avoir été entendu.

J'espère que la proposition de loi dont nous débattons contribuera à une évolution des mentalités qui nous permettra de dire demain que, soigner, c'est aussi aider à mourir. La poursuite de la réflexion paraît indispensable car nous n'aurons pas aujourd'hui répondu à toutes les questions que nous pose notre ultime et inéluctable départ. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Michel Dubernard.

M. Jean-Michel Dubernard.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, si, avec M. Jean-Louis Debré et M. Renaud Muselier, nous avons déposé une proposition de loi reprenant exactement les termes de celle de Lucien Neuwirth qui a été votée à l'unanimité par le Sénat le 7 avril dernier, c'est parce que nous pensons que ce texte correspond au mieux aux besoins des malades dont l'état de santé requiert des soins palliatifs ou continus.

Qui, en effet, s'opposerait à offrir l'accès à des soins palliatifs et à un accompagnement dispensé par des équipes pluridisciplinaires en institution ou à domicile, à toute personne atteinte d'une maladie la condamnant d éfinitivement à court ou moyen terme ? Qui ne conviendrait de la nécessité d'intégrer l'offre de soins palliatifs dans la carte sanitaire, le SROS,...

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Non, je ne suis pas d'accord !

M. Jean-Michel Dubernard.

... et qui ne conviendrait de l'utilité de dresser un état des lieux des soins palliatifs sur l'ensemble du territoire dans le cadre du rapport du Haut comité de la santé publique ? Qui ne ferait pas reposer la prise en charge des dépenses sur les organismes d'assurance maladie ? Qui envisagerait de ne pas voir les soin palliatifs pris en compte par le PMSI ? Et qui, enfin, n'applaudirait pas à la propsition d'un congé d'accompagnement pour les parents proches d'une personne en fin de vie ? Je me réjouis de voir toutes ces notions reprises dans le texte dont nous discutons aujourd'hui.

Mon expérience à la tête d'un service dont plus de 50 % des usagers sont porteurs de cancers m'autorise à insister sur la nécessité impérieuse de laisser au patient la décision du lieu où les soins palliatifs lui seront donnés : c'est à lui et à lui seul de choisir le transfert vers une unité spécialisée. C'est à lui et à lui seul de choisir, s'i l le souhaite, le transfert à domicile accompagné par sa famille en étroite relation avec une équipe mobile. C'est à lui, enfin, de choisir de rester dans le service de court séjour où il se trouve, lequel service devrait accepter que ses lits soient occupés pour d'assez longues périodes par des malades en fin de vie.

Cette notion choque, je le sais, la vision économiste de l'hôpital-entreprise qui persiste au sein de l'administration mais des solutions administratives existent, ne serait-ce que la transformation transitoire d'un lit de court séjour en lit de moyen séjour.

Les unités spécialisées doivent se développer. La France est très en retard, certaines régions n'en possèdent pas encore aujourd'hui. Mais attention à ne pas accréditer l'idée qu'il existe des mouroirs à l'hôpital.


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M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Sûrement !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Tout à fait !

M. Jean-Michel Dubernard.

L'un des problèmes des unités de soins palliatifs est l'effet Pavillon des cancéreux, à la Soljenitsyne...

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Très juste !

M. Jean-Michel Dubernard.

... où la simple mutation dans ledit pavillon équivalait, à l'époque, à la publication du diagnostic et du pronostic.

M. Jean Le Garrec, président de la comission.

Tout à fait !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Exactement !

M. Jean-Michel Dubernard.

Pour certains patients, ces unités spécialisées peuvent renforcer un sentiment de désespoir.

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Bien sûr !

M. Jean-Michel Dubernard.

Il n'est plaisant pour personne de comprendre que le lit que l'on occupe est celui de sa mort. Pour les patients qui le souhaitent, il est de notre devoir de leur faciliter l'accès à de telles unités.

Pour les patients qui préfèrent vivre leurs derniers jours chez eux, la société se doit de les aider par l'intermédiaire des équipes mobiles. Mais n'oublions pas les patients - et c'est l'immense majorité - qui continueront à vivre leurs derniers jours à l'hôpital, dans un service général, car leur état nécessite des soins très spécialisés que ne pourront pas leur proposer les unités de soins palliatifs. S'impose alors une formation initiale et continue, des personnels soignants, médecins, infirmières, aides-soignantes travaillant dans ces services.

Affronter la mort n'est pas facile, même pour ceux qui la croisent souvent. L'accompagnement de la mort laisse des cicatrices profondes : sentiment d'impuissance, d'injustice, de culpabilité, avant-goût de sa propre mort.

Est-il possible, monsieur le secrétaire d'Etat, de transformer en métier ou en habitude une tâche aussi intense sur le plan affectif ? La réponse est non. Et une réflexion s'impose sur le renouvellement permanent des personnels dans les unités de soins palliatifs et des bénévoles au sein des associations.

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Ce n'est pas en effet une profession à part entière !

M. Jean-Michel Dubernard.

En commission, RogerGérard Schwartzenberg a, dans un premier temps, proposé de créer une délégation parlementaire - et non pas, M. le président de la commission, une simple mission chargée d'enquêter sur l'état des droits des malades en fin de vie. Puis il a élargi, par un amendement déposé ce matin, la mission de cette délégation à l'ensemble des droits des malades. Je ne peux que m'associer à cette initiative.

M. Renaud Muselier.

Très bien !

M. Jean-Michel Dubernard.

Au-delà du traitement de la douleur, des soins palliatifs ou continus, se pose la question du droit pour chacun à une mort digne et celle, difficile, de l'euthanasie. Les rares lois édictées à l'étranger dans ce domaine ont échoué dans la pratique.

M. Renaud Muselier.

C'est vrai !

M. Jean-Michel Dubernard.

Le slogan : « Ni acharnement thérapeutique ni euthanasie », de Renaud Muselier exprime le bon sens à propos d'un sujet de société complexe, voire impossible à traduire dans un texte de loi.

M. Renaud Muselier.

Merci.

M. Jean-Michel Dubernard Mais il serait justifié de mettre en place des garde-fous.

Isoler les droits des malades en fin de vie des autres droits des patients est artificiel. Il est impossible de dissocier l'ensemble des droits collectifs de tous les patients des droits individuels de chaque patient.

Le principal droit est l'accès égal à des soins de qualité égale pour tous, quels que soit l'origine sociale, le niveau des revenus, le lieu d'habitation, les relations personnelles, la maladie dont on est atteint, l'âge ou le sexe. Mais il y a aussi des droits qui relèvent de l'individu et touchent à sa liberté : le droit à l'information exacte en des termes compréhensibles, le droit de choisir son traitement et de refuser l'acharnement thérapeutique, le droit de demander un deuxième avis, le droit à la confidentialité et à l'intimité, le droit de porter plainte - que je cite souvent -, et le droit d'être indemnisé, qu'il y ait faute ou non.

C'est important pour le malade, c'est important aussi pour retrouver la confiance dans la médecine et les médecins, et je trouve là la justification de la mise en place d'une délégation parlementaire permanente, réclamée par nombre d'entre nous sur ces bancs, que je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, d'appuyer si vous en avez les moyens.

M. Renaud Muselier, M. Roger-Gérard Schwartzenberg et M. André Aschieri Très bien !

M. le président.

La parole est à Mme Odette Trupin.

Mme Odette Trupin.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, chers collègues, j'ai souhaité à mon tour intervenir pour évoquer les enjeux fondamentaux q ue représente aujourd'hui, pour notre société, la démarche des soins palliatifs.

En quinze ans, le mouvement en faveur des soins palliatifs a entraîné une évolution des concepts de soins de fin de vie, une prise de conscience progressive de la nécessité de respecter le malade comme une personne et la sensibilisation des professionnels et du public aux traitements de la douleur.

Pourtant, les mécanismes de défense individuels et collecifs vis-à-vis de la souffrance, de la douleur, de la mort, restent encore puissants. Ces mécanismes de défense se retrouvent dans la structuration même du système de santé et dans la formation universitaire.

De nombreuses définitions ont été proposées concernant les soins palliatifs. Je n'y reviendrai pas. Il me semble important de ne pas restreindre la notion des soins palliatifs aux seuls soins terminaux des derniers jours de vie.

Mme Christine Boutin.

Absolument !

Mme Odette Trupin.

Cela n'est plus du tout conforme à la pratique et à la prolongation de la survie des malades non guérissables. Cela comporterait également le risque de renforcer la marginalisation de la fin de vie au lieu de concourir à sa resocialisation.

Mme Christine Boutin.

Très bien !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

Mme Odette Trupin.

Intégrer la prise en charge palliative plus tôt dans l'histoire du malade et de sa maladie permet une association des compétences pour parvenir à la notion de soins continus.

Le corps médical est surtout formé à une maîtrise thérapeutique optimale et il se sent souvent démuni face à cette notion récente de soins palliatifs, où il s'agit pour l'équipe médicale de traiter des symptômes plutôt qu'une maladie. La prise en charge des symptômes est fondamentale dans l'accompagnement du malade.

Toute la démarche palliative consiste justement à prendre en charge suffisamment tôt ces symptômes, en pleine corrélation avec des stratégies plus curatives. Se centrer sur l'écoute du malade, ses paroles, son ressenti est une démarche différente de la maîtrise scientifique habituelle et impose une certaine maturation pour le soignant, qui doit vivre cette exigence au service du malade.

L'implication du professionnel se heurte rapidement à ses propres limites lors des accompagnements de fin de vie, où s'inbriquent intensité émotionnelle, questions existentielles et angoisse de mort. C'est pourquoi le travail interdiciplinaire autour du malade est essentiel. Le patient ne livre pas son ressenti de la même manière au médecin, à l'infirmière, à un bénévole d'accompagnement ou à sa famille. Une dimension fondamentale des soins palliatifs est donc la transversalité de l'approche.

J'insisterai tout particulièrement sur le rôle de la famille, fondamental pour adoucir moralement les fins de vie. On peut d'ailleurs se demander pour savoir si les familles sont consultées aussi souvent que les cas le nécessiteraient. Comment également permettre à la famille de prendre pleinement la mesure de son rôle, afin d'assurer le meilleur accompagnement du patient ? En conclusion, il m'apparaît qu'il faudra encore bien des efforts pour sensibilier tous les médecins, les soignants, les tutelles administratives et les décideurs politiques à l'approche des soins palliatifs.

Une approche plus éthique des soins est une priorité pour tous, car l'écoute du malade, le respect de sa dignité - et donc de sa liberté - conditionnent le fonctionnement de toutes les structures de soins, même non spécialisées en soins palliatifs. Or c'est bien de chaque acteur de santé que dépend la prise en charge au quotidien des malades, quel que soit le lieu de fin de vie.

Sur le plan thérapeutique, il faudrait que la formation des jeunes médecins soit améliorée et ouverte aux relations humaines, à la communication et à la prise en charge des symptômes associés à la fin de vie et à la douleur.

Sur le plan structurel, les indicateurs d'activités et la nomenclature des actes doivent être adaptés à la réalité des soins basés sur une approche globale, et aux traitements des symptômes.

A domicile, de grands espoirs résident dans les nouvelles approches conventionnelles et dans le développement des réseaux, permettant ainsi des tentatives de forfaitisation des soins qui sont des voies prometteuses.

En institution, chaque service devrait pouvoir mettre en place une démarche palliative.

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Très juste !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Très bien, madame !

Mme Odette Trupin.

Nous avons, nous, politiques, le devoir d'informer et c'est ce que nous faisons aujourd'hui, le devoir de légiférer pour que chaque patient puisse accéder à des soins dans le respect de sa dignité. Si le soin palliatif nécessite un savoir médico-soignant qui est, certes, en partie transmissible, il implique impérativement, et tout autant, une vigilance, une humanité, une conversion intérieure, c'est-à-dire une forme d'écoute et de respect de l'autre, qui est un long chemin pour chacun d'entre nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur de nombreux bancs.)

M. le président.

La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, même si l'on peut regretter les conditions trop accélérées de l'examen de ce texte touchant à ce sujet essentiel de société, je suis très heureuse que notre assemblée se soit saisie du sujet des soins palliatifs et que nous nous apprêtions à favoriser leur développement et leur valorisation dans notre pays.

Le retard que nous avons pris dans ce domaine a fait apparaître une faille dans notre système médical. Nous nous apercevons que la médecine a souvent misé sur des techniques et un peu oublié l'homme malade. Notre société considère la mort comme un échec plus que comme un phénomène dramatique naturel qui requiert une attention médicale particulière. Les soins palliatifs remédient à cette carence. Ils n'excluent pas l'idée de la souffrance ou de la mort. Ils la regardent en face. Ils ont recours à toutes les techniques les plus modernes pour lutter contre la douleur et s'appuient sur toute l'inventivité, l'écoute et l'attention à autrui dont l'homme est capable pour apporter un soutien psychologique à la personne malade.

Le concept clef de toute la discussion sur les soins palliatifs repose sur le concept de la dignité de la personne humaine.

Qu'est-ce que la dignité de la personne humaine ? On y fait souvent appel pour justifier des comportements fort différents voire opposés. En effet, cette notion peut avoir deux significations. La première exprime une sorte de fierté. La conception de cette dignité revêt alors un sens variable en fonction de chacun, elle est subjective et devient relative. Cette dignité-là, ou cette fierté-là, pourrait être perdue ou être diminuée avec certains événements tels que la maladie, la vieillesse, la perte de la mémoire ou de la capacité de se mouvoir, par exemple.

L'autre signification de la dignité se réfère à une qualité qui est inhérente à tout être humain. La dignité de la personne est alors la conséquence de son humanité.

L'homme est digne dans sa nature, quels que soient sont intelligence, sa race, son âge, son état de santé, ses capacités ou sa religion, parce qu'il est homme. Ce n'est pas le corps qui porte la capacité de la dignité de l'homme.

C'est pourquoi, quel que soit le degré de perfection ou de développement du corps d'une personne, celle-ci demeure digne de sa conception à sa mort naturelle. Ainsi, la dignité de la personne ne dépend pas du regard, de l'affection ou du désir d'autrui : elle ne se décrète pas, elle « est ». Tout homme demeure donc digne jusqu'à sa mort naturelle quelle que soit sa déchéance physique.

L'homme est également digne dans ses actes. Grâce à son esprit, l'homme a la possibilité d'opérer des choix.

L'homme est capable de poser des actes libres. Il est le seul être à pouvoir se perfectionner par sa propre volonté et à faire croître son intelligence. Toute personne a la possibilité de poser des actes conformes à sa dignité. J'aimerais ici préciser que si l'expression « droit de mourir dans la dignité », que l'on entend souvent, peut être


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

considérée comme juste en elle-même, elle devient fausse si elle signifie qu'elle donne le droit à l'homme de décider du moment de sa mort, en se donnant les moyens de se donner la mort ou de la donner à autrui. L'association

« Pour le droit à mourir dans la dignité » relève en réalité d'une subtile confusion dans l'utilisation des mots de cette analyse. Il faut réaffirmer que la dignité est liée à l'être, à la personne et non à l'état du corps ou de l'intelligence au moment de la mort.

C'est ainsi que les deux conceptions de la dignité sont inconciliables. La première considère que la personne humaine est digne grâce à ce qu'elle a ou possède et la seconde déclare la personne humaine digne par ce qu'elle est.

La consécration de la revendication du mourir dans la dignité conduit directement à la légalisation et à la demande d'euthanasie. En revanche, le développement des soins palliatifs répond à la seconde conception de la dignité de la personne humaine. Je me réjouis donc du choix opéré par notre Assemblée aujourd'hui.

Avec le développement efficace des soins palliatifs, on peut espérer qu'il devienne inutile de débattre de la possibilité de dépénaliser l'euthanasie, comme le souhaitent certains. Les soins palliatifs doivent pouvoir soulager la douleur et mettre un terme au sentiment de déchéance des malades et de leur soi-disant « perte de dignité ».

Le rôle des soins palliatifs est à la fois d'accompagner les malades en fin de vie et de soulager la souffrance. Ces deux enjeux sont d'ailleurs très intimement liés. On sait combien la douleur, même physique, peut être atténuée grâce à la présence d'une personne aimante auprès du malade. L'accompagnement dans le cadre des soins palliatifs doit revêtir une grande écoute et une extrême disponibilité au malade. Il doit permettre d'adoucir la fin de vie et de la rendre plus sereine. Le praticien des soins palliatifs doit comprendre la peur du malade face à la mort et l'aider à vivre ses derniers moments paisiblement, dans un grand respect de sa personne, de ses craintes et de ses croyance.

Pour ce qui relève de la souffrance ou de la douleur, il est vrai qu'elles peuvent être de nature très différente.

Cela a été souligné dans les différentes propositions de loi. La souffrance peut être physique ou morale et l'une peut avoir des conséquences sur l'autre. Il faut cependant rappeler que le soulagement de la douleur n'est pas réservé aux soins palliatifs et que de nombreuses affections comportent des douleurs souvent intolérables sans que le pronostic vital soit en cause. La France doit rejeter son ancienne vision doloriste et tout doit être mis en place pour traiter la douleur ou la diminuer quelle qu'en soit la cause.

Mme Nicole Bricq.

C'est la vision de l'Eglise, je vous le signale !

Mme Christine Boutin.

Il est donc important d'insister sur le besoin d'un enseignement et d'une pratique du traitement de la douleur en France, au-delà du seul moment de la fin de vie.

Il n'est pas donné à tout le monde de pratiquer les soins palliatifs. Ceux-ci nécessitent une formation particulière, requièrent des qualités humaines et des connaissances techniques et scientifiques spécifiques.

Mme Nicole Bricq.

Allez donc dire tout ça au Vatican !

M me Christine Boutin.

Pourquoi cette allusion, madame ?

Mme Nicole Bricq.

Parce que la vision doloriste, vous savez très bien que c'est celle de l'Eglise !

Mme Christine Boutin.

Mais M. le secrétaire d'Etat y a fait lui-même allusion tout à l'heure ! C'est une réalité dans notre pays, et vous ne pouvez pas me le reprocher ! Nous devons donc inciter les centres hospitaliers et universitaires à développer une telle formation et favoriser la création de pôles d'excellence. Nous devons également laisser une grande place aux associations de bénévoles.

C'est d'ailleurs grâce à ces associations que les soins palliatifs existent aujourd'hui en France et qu'ils se développent. Elles ont acquis un savoir et une expérience incontestables dans ce domaine. Nous devons donc garantir à ces associations la possibilité de poursuivre leur travail. Les bénévoles, par la nature de leur engagement sont capables d'une grande écoute et de disponibilité d'esprit. Ils sont indispensables au bon fonctionnement des centres de soins palliatifs ou d'équipes mobiles.

La proposition de loi adoptée par la commission est attentive à ce point et nous devrons bien veiller, au cours de la discussion, à ce que les bénévoles aient toute leur place dans ce système.

Enfin, nous devons rappeler le rôle de la famille dans la fin de vie. La famille, surtout dans la dimension de l'accompagnement de la personne malade, est un acteur essentiel des soins palliatifs, qui peuvent être effectués tant en milieu hospitalier qu'à domicile. Il ne faut pas que l'hospitalisation du malade entraîne une démission de la famille. L'équipe de soins palliatifs est attentive à ce que l'environnement familial soit associé à l'accompagnement. Toutefois, les équipes de soins palliatifs ne doivent pas remplacer la famille.

Quant à la proposition de créer une délégation parlementaire sur les droits des malades, elle mérite, je pense, d'être examinée mais elle ne saurait s'arrêter à la fin de l'an 2000. Un dossier doit être constitué. Cette délégation devrait, à l'exemple de la délégation démographique, être l'instance qui permet le suivi permanent de ces droits des malades, par nature remis en cause à tout moment par les progrès et les avancées scientifiques. En tout état de cause, elle ne pourrait être le marchepied au développement de la confusion entre dignité de la personne humaine, mort digne et euthanasie.

Nous avons perdu le sens de la mort comme celui de la vie. La connaissance que nous avons de la mort est totalement extérieure à nous-mêmes, M. le secrétaire d'Etat l'a dit de façon très juste tout à l'heure. Nous ne la connaîtrons jamais de l'intérieur. Toutes les représentations que nous en avons sont celles des autres. Notre pensée bute et s'arrête dès qu'il s'agit de nous représenter notre propre mort. Le fantasme qui consiste à se voir mourir met en scène l'émotion des autres nous regardant mourir ou leurs réactions en apprenant la nouvelle de notre mort.

Les deux extrêmes de la vie, la naissance et la mort, échappent bien à notre connaissance, donc à notre maîtrise et restent, en quelque sorte, l'affaire des autres. Nous accomplissons ces passages d'un mode de vie à un autre sous le regard des autres. Eux seuls peuvent s'en souvenir et en parler.

C'est pourquoi il faut dire oui aux soins palliatifs et refuser l'euthanasie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. André Aschieri.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

M. André Aschieri.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes amenés à discuter de plusieurs textes relatifs aux soins palliatifs. Ces différentes propositions s'inscrivent dans le sillage du projet du sénateur Neuwirth.

Je me félicite que cette étonnante et subite abondance de textes ne nous ait pas entraînés dans des querelles politiciennes. Ce qui est d'ordinaire lassant aurait été ici indécent eu égard au sujet qui nous préoccupe, à savoir la maladie, la douleur et la mort.

Le développement des soins palliatifs est une grande et belle entreprise humaine, il fait progresser en humanité notre civilisation. L'idée force le respect. Avant de chercher à réunir les conditions qui permettront sa mise en oeuvre, il n'est pas inutile de saisir la portée des paroles et des actes que nous allons accomplir au cours de ce débat.

La définition que donne Henri Delbecque, auteur d'un rapport sur le sujet, permet de cerner son enjeu : « les soins palliatifs sont un ensemble d'idées, de connaissances et de pratiques qui permettent aux malades en fin de vie de conserver jusqu'au bout leur personnalité, leur vie intérieure et l'essentiel des rapports humains, pour une véritable mort dans la dignité. »

La mort est une chose naturelle. Elle peut venir comme une délivrance, pour certains comme un espoir.

Malheureusement aussi, parfois, elle s'accompagne des affres de l'agonie.

Il nous appartient, ici comme ailleurs, de bannir la souffrance de notre système de santé, celle du malade comme celle de ses proches, pour lesquels une mort paisible de l'être aimé conditionne la façon dont se fera le deuil.

Vous avez déclaré, monsieur le secrétaire d'Etat, que ceux qui ont côtoyé la mort dans leur métier connaissaient la différence fondamentale entre une fin paisible, accompagnée d'une souffrance soulagée, et une mort douleureuse, angoissée, une mort isolée.

La loi que nous allons voter est donc une loi de civilisation. Entre le respect dû aux morts et la compassion que nous devons à nos semblables, il nous appartient de combler de trop nombreuses lacunes et de répondre à une véritable attente.

Jusqu'à présent, l'organisation des soins palliatifs n'a pas fait l'objet d'une politique globale et concertée de la part des pouvoirs publics. En France, hormis les dispositions adoptées en faveur d'une meilleure prise en charge de la douleur, il faut remonter à 1986 pour trouver une circulaire du ministère de la santé relative à l'organisation des soins et à l'accompagnement des malades en phase terminale. Ce n'est pas suffisant.

Le dispositif que nous entendons mettre sur pied doit être à la hauteur de ces enjeux. Selon un recensement récent, on compterait seulement une centaine d'unités de soins palliatifs. De plus, ce réseau est très inégalement réparti, et certaines régions en sont totalement dépourvues. Nous devons répondre à l'insuffisance du dispositif et, surtout, assurer sa pérennité.

Les députés Verts souhaitent ainsi attirer l'attention de l'Assemblée sur quelques points du texte.

La proposition Neuwirth, issue de plusieurs années de travail, a été élaborée en concertation avec les équipes spécialisées, et il est heureux que la commission ait suivi ses conclusions en renforçant le texte de départ.

Répondre aux besoins en termes de soins palliatifs, c'est avant tout assurer la cohérence du système. Il est pour cela important d'insister sur la complémentarité entre les unités résidentielles, les équipes mobiles qui se déplacent d'hôpitaux en hôpitaux et les équipes qui interviennent à domicile. Cette coordination est importante pour la continuité des soins. Il est primordial, ici comme ailleurs, de mettre l'homme au centre du dispositif, autrement dit, dans ce cas, de répondre de façon adaptée à la situation du patient qui peut évoluer avec le temps.

La volonté de fixer des normes pour assurer la qualité des prises en charge est une bonne chose. L'agence nationale d'accréditation devra remplir cette mission pour évaluer les besoins et définir les objectifs. Nous pouvons aller plus loin et faire de la présence des soins palliatifs un critère général d'accréditation des établissements. Il est nécessaire de définir un nombre suffisant de lits de soins palliatifs en fonction de la population. C'est ainsi que l'on mettra en place un réseau adapté et équitable pour répondre aux besoins.

Une attention particulière doit être apportée aux soins palliatifs à domicile.

Alors qu'une majorité de personnes déclarent vouloir finir leurs jours chez elles, le pourcentage des morts à domicile n'est que de 25 %. Le maintien chez eux des p atients est psychologiquement souhaitable. Il serait souvent possible avec la création d'études mobiles permettant l'intervention à domicile.

Outre la formation des professionnels de santé à l'éthique et aux soins palliatifs, un dernier pan du projet mériterait d'être approfondi.

Les mesures relatives à l'entourage du malade ne doivent pas être négligées. Il faut encourager le bénévolat d'accompagnement, mais fixer des procédures d'agrément solides afin d'éviter que n'importe qui puisse faire irruption dans le dispositif. Il convient d'éviter que certaines personnes, notamment issues de sectes, puissent tirer parti du système dans un but de prosélytisme face à des personnes désemparées.

Mme Gilberte Marin-Moskovitz, rapporteur.

Tout à fait !

M. André Aschieri.

Il faut également retenir les dispositions propres à soutenir les familles afin de permettre à certains proches d'accompagner le malade dans les derniers mois. C'est le rôle du congé d'accompagnement, qui doit permettre au parent de suspendre ou de réduire son activité. Afin que ce dispositif ne touche pas seulement les riches, il nous faut suivre les conclusions du Conseil économique et social et créer une véritable prestation compensatrice pour couvrir la perte de revenu.

Tels sont, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les quelques éléments que nous voulions apporter au débat.

Les députés Verts souhaitent enfin remercier le Mouvement des Citoyens qui a consacré sa fenêtre parlementaire à cette belle ambition et voteront des deux mains ce noble projet.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

A la demande du Gouvernement, la séance est suspendue quelques minutes.

(La séance, suspendue à onze heures quarante-cinq, est reprise à onze heures cinquante.)

M. le président.

La séance est reprise.

La parole est à Alain Veyret.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

M. Alain Veyret.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y a quelques jours, intervenant devant notre assemblée sur l'inégalité de l'accès aux soins, j'expliquais que les valeurs fondatrices de notre République, liberté, égalité et fraternité, me semblaient sérieusement remises en cause par l'évolution de notre société. La même remarque est vérifiée en ce qui concerne la fin de la vie, tant les égoïsmes se sont développés, tant l'individualisme a pris le pas sur les solidarités les plus élémentaires.

Depuis les années soixante, la cellule familiale s'est réduite à son expression nucléaire, rejetant dans l'isolement les personnes âgées qui, de plus en plus, meurent dans la solitude. Plus près de nous encore, ce fléau qu'est le sida a fait renaître le plus abject des rejets et des isolements. L'enseignement médical a oublié ses valeurs humanistes au profit d'une technicité qui fait disparaître l'humilité face à un triomphalisme qui fait naître dans l'inconscient de nos concitoyens le fantasme de la vie éternelle et le refus de la mort. Jamais dans nos études, on ne nous a parlé de notre relation avec la mort de l'autre.

Sans doute, dans le débat législatif qui commence, aurons-nous l'occasion d'exprimer des désaccords, mais nos divergenves ne seront pas politiciennes tant il est vrai que ce sujet, au-delà des clivages politiques et contrairement au texte que nous avons voté il y a deux jours, nous concernera tous un jour ou l'autre Avant que nous n'abordions le débat plus technique des différents articles, permettez-moi de vous soumettre quelques réflexions issues de l'observation que donnent vingt-cinq ans de confrontation quotidienne à la mort.

Elles n'ont pas plus de valeur que celles que peuvent faire tout un chacun, tant ce problème concerne tous les individus. Elles ne sont que le témoignage de la détresse et de la solitude du mourant, que l'on constate encore trop souvent et auxquelles il nous importe de mettre fin par notre action législative.

Quelles que soient nos convictions religieuses ou philosophiques, force est de reconnaître que l'évolution de nos modes de vie a abouti à une démission face à la mort qui nie sa normalité et son caractère inéluctable.

Ce refus aboutit à une désocialisation de la mort que l'on rejette vers des structures collectives et professionnalisées.

Comme c'est le cas pour la naissance, qui a lieu à l'hôpital, dans un légitime souci de sécurité, on se doit de mourir à l'hôpital et on essaie de le justifier par des raisons technologiques, masquant ainsi la régression de nos rites ancestraux.

Ainsi prend-on en charge non plus l'individu mais sa maladie, plongeant en cela le mourant dans la solitude et la détresse, loin de ceux qui lui sont chers, le privant de son intimité et de son affectivité. Dans le même temps, ses proches voient une barrière se mettre en place, faite d'une structure hospitalière qui dénature l'image même de la mort et des derniers moments de vie commune.

Au risque de choquer certaines consciences, j'ai trop souvent vu des comportements qui faisaient d'un agonisant un intrus et une charge. Sa mort n'était plus un événement social, il mourait seul, sans y être préparé, presque à l'insu des autres et dans l'ignorance de son état, comme si sa mort n'existait pas.

Au nom de je ne sais quelle pudeur ou quel tabou, et sans tenir compte de son avis, on lui dénie le droit de savoir qu'il va mourir et, jusqu'au bout, on lui cache, souvent de façon maladroite, la vérité. On dispose de lui, on l'empêche par absence de la plus élémentaire des honnêtés de profiter jusqu'au dernier souffle de vie de l'affection des siens et de l'amour qu'il peut encore exprimer.

Il est vrai que, pour cela, il faut encore avoir l'humanité de mettre en oeuvre tout ce que nous offre le progrès pour vaincre la douleur et l'angoisse, permettre à l'équipe soignante, de son plus modeste élément à son coordinateur, d'avoir le temps de l'écouter, de le rassurer, bref de l'accompagner, et, enfin, permettre à ses proches, que ce soit au domicile ou dans le lieu d'accueil, de l'accompagner jusqu'au bout du voyage, sereinement.

Malheureusement, encore trop souvent, tout se passe comme si personne ne savait que quelqu'un allait mourir, ni la famille, ni les médecins.

Observé comme un cas clinique, qui devient un mauvais sujet dès lors que la thérapeutique échoue, le mourant n'a plus de statut et par là même plus de dignité.

Quand s'y ajoute dans l'inconscient des soignants leur propre problématique à la mort, alors le médecin vient de moins en moins souvent et de façon furtive au chevet du malade, répondant de moins en moins aux questions, abandonnant inconsciemment les personnels soignants et les familles à l'angoisse et rejetant le malade dans une détresse inacceptable.

D'autre fois, au contraire, le refus de l'échec conduit à une mort escamotée, par un acharnement thérapeutique aussi douloureux qu'inutile, qui se termine le plus souvent par un changement radical d'attitude, où la mort se doit d'être précipitée.

Ainsi, après avoir refusé d'admettre la possibilité de l'échec thérapeutique et d'inscrire la mort dans l'avenir prévisible du malade, on en vient à le traiter comme étant déjà mort.

Sans doute faudrait-il maintenant parler de l'euthanasie. Elle ne fait pas l'objet d'ailleurs des propositions de loi d'aujourd'hui, mais comment parler d'accompagnement sans aborder cette question difficile ? Elle m'apparaît à l'expérience comme étant plus une réflexion du bien-portant sur le sens de la vie et de la mort qu'une préoccupation de celui qui s'en va, de façon digne et douce, entouré de l'affection des siens, et de ceux qui, jusqu'au bout, ont utilisé leur savoir-faire pour gommer les aspérités les plus douloureuses de la maladie, en en acceptant la finalité sans en repousser l'échéance.

Mme Christine Boutin.

Très bien !

M. Alain Veyret.

Souvent, parce qu'on est sourd à la détresse de l'autre, on trouve dans la mort précipitée la légitimité de nos carences. L'expérience que j'en ai, qui, certes, n'est pas universelle, c'est qu'à chaque fois que l'ensemble de l'équipe allait au bout de sa démarche de soins, tant curative que palliative quand le constat de l'impuissance de notre savoir était fait, alors la demande initiale disparaissait.

Mme Christine Boutin.

C'est très juste ! Très bien !

M. Alain Veyret.

Encore faut-il que chacun règle ses problèmes envers sa propre mort avant d'aborder celle de l'autre.

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Très bien !

M. Alain Veyret.

La confrontation quotidienne avec la mort, sans plus de sérénité que quiconque, fait à mon avis disparaître l'angoisse qu'elle génère, non pas qu'on la connaisse mieux, mais parce qu'elle devient alors le réel et non plus l'imaginaire. Ainsi se transforme et se façonne


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

notre vocation thérapeutique. Alors on peut comprendre que le plus grand échec de la médecine, ce n'est pas d'empêcher la mort du patient mais de lui imposer, jusqu'à son dernier souffle, un long chemin de misère et de souffrance.

On peut comprendre que, sans compassion inutile, en retrouvant le sens du regard à l'autre, notre science peut réussir à ce que ce corps qui se meurt souffre le moins possible de sa dégradation et conserve, dans cette ultime étape de la vie, toute sa dignité et toute son humanité.

(Applaudissements.)

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Jean Rouger.

M. Jean Rouger.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la mort est la compagne intime de toute notre vie. Sa présence permanente et notre peur de l'affronter stimulent l'énergie de l'homme pour repousser les limites de la vie et, indubitablement, permettent de forger les progrès considérables de la médecine, sur le plan technique et scientifique.

Les progrès de la médecine ont été concentrés sur la lutte contre les maladies, négligeant en partie la douleur et la souffrance des hommes, oubliant la solitude et l'angoisse de ceux qui aperçoivent le terme de la vie.

Ainsi, devant la maladie et la perspective de la mort, sommes-nous capables d'investissements scientifiques et de prouesses techniques pour retarder et même nier l'affrontement familier avec la mort.

C'est seulement depuis quelques années que notre pays s'engage dans la prise en compte des souffrances, de l'isolement des personnes atteintes de maladies graves et de la douleur de l'entourage.

Le rapport d'information du sénateur Lucien Neuwirth et l'avis de février 1999 du Conseil économique et social montrent l'insuffisance de cette offre dans notre société, l'expression des états généraux de la santé également.

Le résultat des réunions des états généraux, la volonté militante de notre secrétaire d'Etat en charge de la santé et l'engagement de l'ensemble des groupes de cette assemblée nous offrent aujourd'hui la possibilité de débattre et de légiférer.

En effet, toute personne atteinte d'une maladie grave a le droit d'accéder aux soins palliatifs et à un accompagnement. Ces soins palliatifs sont des soins actifs et continus.

Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance physique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage.

En effet, toute personne atteinte d'une maladie grave a le droit d'accéder aux soins palliatifs et à un accompagnement. Ces soins sont actifs et continus : ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance physique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage.

Il s'agit d'une approche thérapeutique, humaine, globale, incluant les compétences scientifiques, le talent technique, mais aussi la part de chaleur humaine indispensable à l'épanouissement entre les personnes.

L'objectif n'est pas de préparer la mort, mais d'accompagner la vie jusqu'au bout, de permettre aux malades de vivre au mieux ce qu'il leur reste à vivre.

La maîtrise de la douleur, le respect de la dignité, le réconfort de l'entourage font partie intégrante des compétences des professions de santé, au même titre que la qualité des soins curatifs et préventifs et leur disponibilité.

Pour répondre à la demande de nos concitoyens, qui avouent que la douleur et les soins palliatifs sont leur préoccupation numéro un, plusieurs obstacles doivent être levés.

La volonté politique, aujourd'hui, est unanime.

Les aspects réglementaires et budgétaires seront les conséquences du texte que nous allons voter.

Mais il faut aussi une formation suffisante pour tous les intervenants, qui concerne l'ensemble des compétences ; c'est sur ce point que j'insisterai, car il me tient à coeur.

Ainsi, toutes les professions de santé recevront une formation initiale et continue dans les CHU.

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Je l'espère.

M. Jean Rouger.

C'est pour cela que j'utilise délibérément le futur. Les professions de santé seront associées à la diffusion et à l'évaluation des méthodes et des pratiques.

Les accompagnants bénévoles, au-delà d'une formation validée, verront leur place respectée et seront intégrés dans l'équipe de soins. Une convention scellera le respect d es principes d'action pour les soins palliatifs et l'accompagnement dans les établissements de santé publics ou privés, dans les établissements sociaux et médico-sociaux ainsi qu'au domicile des personnes.

Ces formations professionnelles devront être scientifiques et techniques et proposer une approche raisonnée des signes, des symptômes et des comportements. La genèse, la place et le rôle de la souffrance physique et psychique devront faire l'objet d'approches méthodologiques et thérapeutiques.

La formation devra enfin être sanitaire et humaine, attachée à connaître et à accompagner l'inquiétude, la séparation et le deuil, attachée à l'écoute et à la compré hension de la peur et des désirs de l'autre.

Elle doit être aussi une éducation à l'exercice du dialogue et un apprentissage à l'éducation et au respect du choix.

Ces formations, enfin, doivent s'inscrire dans un cycle global et obligatoire pour aboutir à une véritable éducation où l'humilité, le travail en équipe, la fraternité et l'exigence de solidarité constitueront les références de nos comportements d'un bout à l'autre de la vie.

M. le président.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Je me félicite de la grande qualité des interventions, dans lesquelles je me suis reconnu. Elles correspondent aux débats que nous avons eus. Elles ont traduit la modestie nécessaire, la pudeur indispensable, mais aussi le souci de bien prendre en compte la difficulté du problème. Et la formule de M. Mattei, « quand on ne peut plus soigner, il reste à prendre soin », résume l'essentiel de nos débats.

Elle sous-tendait de nombreuses interventions, et des m ots très forts, comme « dignité », ou « droit des malades », ont souvent été prononcés.

J'ai conscience, et Mme Boutin a insisté sur ce point, que nous légiférons un peu à la hâte. Mais n'oublions pas que le Sénat a adopté son texte en séance de nuit, assez rapidement, et que les textes les plus importants sont parfois adoptés très vite. Même si nous souhaitons tous disposer de plus de temps, ce n'est pas forcément la condition essentielle pour faire du bon travail législatif.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

Il ne faut pas opposer le travail réalisé par le Sénat à l'exercice du droit d'initiative de l'Assemblée. Le travail réalisé par le Sénat est très bon et nous le prenons en compte. Nous avons concilié ce travail et notre droit d'initiative parlementaire, dont nous avons bien besoin, et qui est une conquête difficile du Parlement, qu'il faudra faire vivre et élargir dans les mois à venir.

Nous avons en tout cas essayé de faire au mieux, et je crois que nous y sommes parvenus.

J'ai conscience aussi, mais vous l'avez tous souligné, que ce débat ne fait qu'esquisser certains problèmes, que nous ne pourrons pas aborder au fond ; je pense par exemple au très difficile problème, évoqué par M. Mattei, de l'acharnement thérapeutique.

On fait souvent référence aux capacités collectives des équipes médicales pour répondre à cette difficulté. Nous voyons bien que nous sommes à la limite d'autre chose, et le mot a été prononcé ; personne ne peut prétendre que la question ne se pose pas.

Je ne crois pas, je le répète, que ce débat nous permettra d'aller au bout des problèmes ; nous aurons simplement franchi une étape, nous serons allés un peu plus loin. Nous aurons affirmé la nécessité d'une formation - Dieu sait qu'elle est indispensable ! - et d'équipes m obiles d'accompagnement. Nous aurons également reconnu qu'on ne pouvait pas répondre à ce problème dans le seul cadre de la structure hospitalière. Cette étape est indispensable mais elle n'est pas suffisante.

Il est clair que nous ne pourrons pas achever l'examen de ce texte ce matin, et je pense que le Gouvernement va nous dire que nous pourrons le poursuivre la semaine prochaine, ce qui nous laissera du temps supplémentaire pour discuter entre nous.

Reste à savoir comment nous allons poursuivre notre réflexion.

C'est au Gouvernement d'indiquer comment il compte procéder en ce qui concerne, par exemple, le droit des malades.

La commission prendra quant à elle des initiatives - je m'y suis engagé - et proposera par exemple la création d'une mission de suivi de texte, qui sera ouverte.

Faut-il aller plus loin ? Je connais votre position, monsieur Dubernard ; le débat reste ouvert et nous essaierons, avec le Gouvernement de trouver la meilleure réponse.

Le débat de ce matin n'est qu'une étape, je le répète, et nous devrons aller plus loin. Je compte à cet effet sur le travail collectif du Parlement. En ce qui la concerne, la commission poursuivra sa réflexion avec le Gouvernement.

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

M esdames, messieurs les députés, je ferai quelques remarques avant de répondre brièvement à certaines questions posées par les intervenants.

C'est vrai, nous allons trop vite, comme M. le président de la commission des affaires sociales l'a dit, mais cela vaut mieux que de ne rien faire du tout. Or cela fait longtemps que nous ne faisons rien, en dépit de circulaires, dont certaines ont d'ailleurs été prises à mon initiative. Enraciner notre volonté dans la loi, même si ce problème mérite d'autres débats et si nous devons explorer certaines des pistes qui ont été tracées ce matin, c'est tout de même mieux que rien, et les malades en fin de vie comme leurs familles nous en sauront gré.

Nous avons développé un plan triennal de lutte contre la douleur, car le problème majeur, c'est l'absence de prise en compte de la douleur dans notre société. En faisant ce choix, nous allions du même coup vers les soins palliatifs et l'attention portée aux personnes.

Dommage que nous n'ayons pas le temps de nous interroger une fois de plus sur cette singulière école française de clinique médicale, qui a négligé la douleur pendant si longtemps. Car la réponse est au-delà de la sempiternelle remarque sur la société judéo-chrétienne ! Je connais nombre de médecins catholiques qui, dans notre pays, ont été à l'origine de la prise en charge de la douleur. Par ailleurs, d'autres pays singulièrement enracinés dans la civilisation judéo-chrétienne, comme l'Italie et l'Espagne, sont allés beaucoup plus vite que nous.

Mme Christine Boutin.

C'est vrai !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Il y avait dans notre pays un refus qui tenait au pouvoir médical, au fait que le maître des douleurs avait une influence particulière.

Mme Christine Boutin.

Tout à fait !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Vous avez tous dit - les médecins s'exprimant différemment de ceux qui ne le sont pas - que la formation non seulement des médecins, mais aussi du personnel médical, des bénévoles et même des citoyens et des familles était le maître mot de cette nouvelle approche.

Nous examinons à la sauvette un problème essentiel, majeur, pesant, gigantesque. Chacun, au sein de sa propre famille ou dans son entourage, se rend compte qu'il n'est pas traité de façon satisfaisante. Nous sommes donc tous conscients que la formation initiale des médecins, des infirmiers et des infirmières doit être modifiée, et que la formation continue doit mieux prendre en compte ce problème. Il est d'ailleurs extraordinaire qu'un débat comme celui-là n'ait pas lieu parmi les étudiants en médecine !

M. Jean-Michel Dubernard.

N'oubliez pas les aidessoignants !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action.

Ma liste n'était pas exhaustive, mais j'avais mentionné les bénévoles qui travaillent au sein des réseaux de soutien aux soins palliatifs.

Mesdames, messieurs les députés, aidez-moi...

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Ce sera fait !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

... pour que la formation médicale change dans notre pays ! Nous avons un retard considérable, nous en sommes encore au Moyen Age !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Tout à fait !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Lorsque nous parlons des soins palliatifs, nous n'évoquons que les êtres, la tendresse, l'aspect psychologique,s ociologique, ethnologique, anthropologique, nous n'abordons pas l'aspect économique de ces soins, qui n'est pas enseigné, ou de manière insuffisante.

La confédération des syndicats médicaux français, qui n'a pas l'habitude en ce moment, malheureusement, de dialoguer beaucoup avec le Gouvernement, a publié un communiqué exigeant que la réforme des études médicales ne soit pas bloquée. Le même jour, dans un quotidien intéressant cette profession, les résidents disaient qu'ils ne supportaient pas le blocage.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

Pour une fois qu'une réforme est acceptée par le milieu médical, par les enseignants et les étudiants, il serait un peu dommage d'en rester là ! Le débat s'est engagé sur ce point au Sénat à l'initiative de M. Neuwirth, dont j'ai salué la constance du combat depuis des années. Nous avons travaillé ensemble pour améliorer les soins palliatifs et pour lutter contre la douleur. Je salue son combat, je connais sa sincérité et son efficacité, mais le Sénat, je le répète, a également adopté la proposition de loi en question très vite, non pas en profitant d'une niche parlementaire, mais un soir ; le texte n'était pas mauvais du tout dailleurs, et je l'air econnu. J'avais simplement souligné que certaines carences devaient conduire à une évolution. Des propositions de loi convergentes ont été déposées à l'Assemblée nationale, qui apportent les compléments nécessaires, et le texte qui nous est proposé aujourd'hui contient des pans entiers du travail de M. Neuwirth. Il est formidable que, tous ensemble, nous puissions - dans la hâte, c'est vrai élaborer un texte cohérent, dont je ne revendique pas particulièrement la paternité, celle-ci étant collective.

M. Schwartzenberg a évoqué les droits du malade. Les états généraux de la santé ont réuni un grand nombre de bonnes volontés et permis l'expression d'idées nouvelles qu'il est difficile d'analyser toutes. Les comptes rendus des DRASS remontent au ministère de la santé. Notre intention était, après avoir fait le bilan des propositions qu'ils contiennent, à la fin du mois de juin, de vous proposer de légiférer sur les droits des malades. Il est très difficile de trouver une date mais cette question est inscrite à l'ordre du jour du ministère de la santé depuis longtemps et nous en discuterons tous ensemble. Quant à savoir s'il doit s'agir d'une délégation permanente, il vous appartient d'en décider !

M. Mattei a prononcé un discours d'une haute tenue.

Il a dit : « Lorsqu'on ne peut plus soigner, il reste à prendre soin. » C'est une très belle formule qui traduit

bien nos préoccupations et montre qu'il faut aller plus loin.

Il faudrait que nous débattions plus longtemps de la notion de consentement éclairé. Certains patients - pardon : j'ai décidé de ne plus utiliser ce mot - n'ont plus un consentement éclairé ; ce problème est très délicat et nous devrons poursuivre notre réflexion sur ce point.

En ce qui concerne l'euthanasie, même si ce mot ne me plaît pas, j'ai dit à plusieurs reprises que les soins pall iatifs apportaient la bonne réponse, une réponse humaine, dans 95 % des cas, ce qui est déjà beaucoup, mais que, dans 5 % des cas, nous étions désarmés dans la lutte contre la douleur comme pour proposer des soins palliatifs. Un certain nombre de personnes ayant en conscience décidé que leur mort devait intervenir, après une réflexion collective, souvent avec leur famille, nous étions désarmés. Nous nous sommes donc réunis au ministère de la santé.

J'appelle à ce propos votre attention sur une publication de François Lemaire, chef du service de réanimation de l'hôpital Henri-Mondor, qui faisait allusion à des statistiques collectées dans tous les services de réanimation de France. Celles-ci permettent d'appréhender les problèmes de l'euthanasie et celui de l'acharnement thérapeutique ainsi que la réalité quotidienne.

Au moins 50 % des personnes hospitalisées dans les services de réanination voient leur thérapeutique suspendue. C'est là un geste que les juristes qui assistaient à notre réunion avaient qualifié non de crime, mais de geste criminel, aux termes de la loi. Nous devons donc aller plus loin dans notre réflexion car la réalité quotidienne de la pratique médicale nous y oblige.

D'ailleurs, Jean-François Mattei l'a rappelé, aucun médecin n'affirme que le geste consistant à soulager la douleur est sans conséquence sur la vie d'un être humain.

Le soulagement de la douleur entraîne - je ne veux pas parler d'euthanasie - des conséquences respiratoires et cardiaques qui, à un moment donné, entraînent la mort.

N ous devrons donc, là encore, approfondir notre réflexion. Car nous n'en aurons pas fini avec le problème de la fin de vie en nous attachant simplement à développer les soins palliatifs.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Tout à fait !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Il faut, certes, développer ceux-ci, et nous le ferons tous ensemble, mais il restera une zone importante, entre ombre et lumière, que nous ne devrons pas laisser trop longtemps hors du champ de notre réflexion.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

Très bien !

M. Jean-Michel Dubernard.

Et le testament de vie ?

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Nous en avons déjà parlé au ministère de la santé. J'y suis très attaché. Mais, vous le savez, le testament de vie doit être rédigé à un moment ou l'on est en pleine possession de ses moyens.

Mme Christine Boutin.

Bien sûr !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Il faut connaître les dérives importantes qui se sont produites aux Pays-Bas. Selon un numéro, que je tiens à votre disposition, du Journal of Medical Ethics publié dans ce pays, il ressort que, si le testament de vie est rédigé quand on est en pleine possession de ses moyens et dans la force de l'âge, au moment de l'appliquer, on peut avoir envie d'attendre trois jours de plus...

Mme Christine Boutin.

Absolument !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

... pour recevoir la visite de son frère ou de sa fille. Le problème est donc très compliqué et toutes ses facettes doivent être prises en compte.

Cela dit, le testament de vie est une indication forte de la volonté de son auteur. Je me suis entretenu de ce point particulier avec Roger-Gérard Schwartzenberg.

Je dirai simplement qu'à cet égard légiférer figerait dans une fausse science,...

Mme Christine Boutin.

Absolument !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

C'est vrai.

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

... dans un cadre administratif extraordinairement contraignant, et j'oserai même dire assassin, des situations plus nuancées.

M. Yves Bur.

Tout à fait !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Mais je ne suis pas sûr de moi. Qui, d'ailleurs, le serait ? Par contre, j'ai rencontré et même assisté des personnes qui, dans l'abandon physiologique où elles se trouvaient, demandaient plus qu'elles n'acceptaient que l'on mette fin à leurs souffrances, même psychologiques.

Donc le problème existe bien, mais nous ne le réglerons pas dans son ensemble.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

M. Renaud Muselier.

C'est vrai !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Renaud Muselier dit qu'il ne faut pas faire de mouroirs, et il a mille fois raison. C'est pour cela que la nuance entre les équipes mobiles et les équipes fixes ne doit pas nous entraîner à diriger les malades en fin de vie vers une partie de l'hôpital qui leur serait réservée. Je proposerai d'ailleurs des amendements à ce sujet. Nous ne voulons pas de mouroirs ! On comprend que les équipes mobiles soient, de ce point de vue, beaucoup plus intéressantes.

Mais il faudrait que, dans chaque service, des lits soient réservés.

Je ne pouvais bien sûr pas me rendre à l'hôpital de Mantes-la-Jolie juste après l'épisode qui s'y est déroulé.

J'ai visité en revanche l'hôpital de Saint-Germain-en-Laye avec notre regretté Michel Péricard. Une infirmière formée aux soins palliatifs nous a dit que lorsque l'on quitte le malade de la chambre jaune tout en sachant qu'il va mal, et que le lendemain matin, quand on pousse la porte, on y trouve déjà un autre patient on se dit qu'on devrait quand même s'accorder un délai de décence !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Absolument !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Il ne faut fixer ni le nombre des lits ni celui des chambres. Chaque équipe doit être habituée à accompagner les gens jusqu'au bout. Cela prendra des années et des années car notre culture médicale n'y est pas prête.

Mais Renaud Muselier a raison : pas de mouroirs ! Et le choix doit être fait dès les urgences. D'où l'importance des services d'urgence, de l'accueil et de l'attitude du personnel.

La décision est souvent terrible à prendre pour celui qui n'est ni organisé ni informé. Lorsqu'il n'y a pas de pathologie particulière, mais que la fin de la vie s'annonce, va-t-on placer la personne concernée en réanimation ou lui permettra-t-on de finir son existence au milieu de sa famille, paisiblement, grâce à des services adaptés ? Mais pour cela non plus, il n'existe pas de formation suffisante. Je suis très content de parler de ces sujets avec vous car, de temps en temps, j'en ai gros sur la patate.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Nous continuerons d'en parler, monsieur le secrétaire d'Etat !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

La médecine ne se réduit pas à l'ajustement économique nécessaire. Il arrive que nous parlions beaucoup de cet ajustement, mais pas assez du reste.

La médecine ne se réduit pas au syndrome, si j'ose dire, de précaution. Ce principe, nous l'appliquons sans cesse. Mais n'oublions pas la médecine et ses progrès nécessaires ! Ouf ! Je l'ai dit ! (Sourires.)

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Nous sommes contents d'entendre votre confession, monsieur le secrétaire d'Etat !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

C'est, en effet, une espèce de confession ! M. Hage a dit avec beaucoup d'émotion que le retard était beaucoup plus de conception que d'application. Il a raison. On a produit un certain nombre de textes, et dégager de l'argent n'a pas été commode. Mais c'est surtout dans la conception, c'est-à-dire pour le passage à l'acte, que le problème se pose. A cet égard, M. Hage a pleinement raison, et il a donc, lui aussi, insisté sur la formation des médecins.

M. Hage a aussi parlé de l'ANAES. Nous devrons par la suite juger de la façon dont les soins palliatifs sont pris en compte dans nos établissements. Le jugement un peu froid, trop sec de l'administration ne sera pas suffisant : nous devrons nous situer au niveau de l'humain et de la formation, comme M. Hage l'a dit.

M. Bur a rappelé qu'il existait des valeurs positives que notre société mettait en avant en permanence. Je suis d'accord avec lui, et l'accompagnement de la fin de vie, j'en suis persuadé, est une valeur positive. Bien sûr, la famille sera dans la douleur et dans la peine, mais de cet accompagnement elle sortira plus forte.

On a parlé de la formation dans les établissements de long séjour. Il ne faut pas, en effet, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission, que l'on oublie que l'hôpital n'est pas le seul concerné : les établissements de long séjour le sont aussi.

M. Yves Bur et M. Renaud Muselier.

Exact !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Très juste !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

C'est souvent dans ces établissements que l'on meurt, et qu'il n'y a personne pour accompagner le mourant. A l'hôpital, cela est, d'une certaine façon, mieux pris en compte.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Très juste !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Jean-Michel Dubernard a parlé de la carte sanitaire. Or la carte sanitaire est en permanence saturée. Nous proposerons de nous en affranchir car nous ne pourrons pas développer l'hospitalisation à domicile comme nous le souhaitons si nous nous contentons de la carte sanitaire.

M. Jean-Michel Dubernard.

Nous sommes d'accord !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Aux articles 2 et 3, le Gouvernement a proposé des amendements sur lesquels nous reviendrons.

Mme Odette Trupin - je ne peux citer tout le monde - a tout à fait raison de soutenir que ce n'est pas seulement en fin de vie que l'on doit se soucier du néces-s aire accompagnement. A quel moment devrait-on commencer de s'en préoccuper ? Il serait difficile de le déterminer scientifiquement. Il faut donc qu'il y ait dans notre pays, comme je le demande depuis des années, une culture de la fin de vie qui soit différente et qui commence beaucoup plus tôt.

Madame Boutin, j'ai en partie répondu à vos propos.

Votre position vis-à-vis de l'association Mourir dans la dignité me paraît un peu brutale.

Vous affirmez que la dignité n'est pas liée au corps.

Mme Nicole Bricq.

Ah ! Quand même !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Certes, mais elle est liée à la dignité issue de la manière dont on entoure le corps, dont on le prend en charge.

M. Jean-Michel Dubernard.

Le corps est le véhicule de la dignité !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Tout à fait ! Mais chacun est libre de croire que l'âme est reliée à autre chose. C'est là un débat que nous ne pouvons aborder aujourd'hui, hélas ! (Sourires.)

Comme vous l'avez souligné, madame Boutin, la réanimation est un problème majeur parce qu'il débouche, dans certains cas, sur les soins et, dans d'autres, sur


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

l'acharnement thérapeutique. Il nous appartiendra non de légiférer, mais de nous interroger sur le point de savoir jusqu'où doit aller la réanimation et, surtout, à quel moment on y recourt.

C'est un peu la même chose qu'avec le testament de vie : on est persuadé, pour soi-même, que l'on ne voudra pas de réanimation et, lorsque le moment arrive, les choses changent. Nous avons tous connu des gens qui devaient mourir, qui ont été réanimés et qui se portent bien.

M. Jean-Michel Dubernard.

Pas toujours !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

De ce point de vue, Alain Veyret s'est formidablement exprimé en parlant du « bout du voyage » et de l'acharnement thérapeutique.

Jean Rouger a parlé des états généraux et a souligné l'apport, que nous avons tous reconnus, de M. Neuwirth.

Il a aussi, avec M. Veyret, parlé de la formation.

Nous aboutirons peut-être, grâce au texte de la proposition de loi, à une médecine un peu différente de celle qui a eu cours jusqu'à présent.

Je vous remercie tous de votre attention. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président.

J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du règlement, les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Article 1er

M. le président.

« Art. 1er Sont insérées, dans le code de la santé publique, avant le livre Ier , les dispositions suivantes :

« Livre préliminaire : "Droits de la personne malade et des usagers du système de santé".

« Titre Ier : "Droits de la personne malade".

« Art.

L. 1-1 Toute personne atteinte d'une maladie grave a le droit d'accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement.

« Art.

L. 1-2 Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe pluridisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage.

« La personne malade peut s'opposer à toute investigation ou thérapeutique. »

Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article.

La parole est à M. Bernard Perrut.

M. Bernard Perrut.

Il est difficile d'intervenir sur l'article 1er après avoir entendu les propos qu'a tenus M. le secrétaire d'Etat.

L'article 1er est un élément important du texte puisqu'il vise à inscrire dans le code de la santé le droit aux soins palliatifs. Je m'interroge toutefois car je ne suis pas convaincu que notre pays accuse un retard dans le domaine des soins palliatifs par manque de législation ou de prise de position : je pense que c'est beaucoup plus par manque de prise de conscience et de volonté et, surtout, par insuffisance des moyens et inadaptation des structures.

Nous arrivons aujourd'hui à une nouvelle étape qui s'appuie à la fois sur les travaux du Sénat et sur le travail d es différents groupes de notre assemblée. Cette reconnaissance faite aux soins palliatifs comme un droit de la personne doit être suivi d'effet. L'ensemble de nos concitoyens ne voudraient sans doute pas que nous nous contentions de fixer des objectifs sans les atteindre, d'autant plus que les états généraux de la santé ont reconnu comme première priorité, la lutte contre la douleur et les soins palliatifs.

Nous connaissons les carences, abondamment évoquées ce matin : la séparation trop longue entre les soins curatifs et la médecine palliative, une formation insuffisante, une planification hospitalière inadaptée. C'est à partir du constat de ces carences que nous devons définir la manière dont s'appliqueront les droits que nous voulons donner aux malades, car ces droits ne pourront exister que si nous nous en donnons les moyens.

J'insisterai sur un point particulier : le droit qu'attendent nos concitoyens d'accéder aux soins palliatifs à domicile. En effet, il n'y a que 28 % des personnes qui décèdent chez elles alors que 70 % d'entre elles le souhaiteraient. Mais pour donner ce droit, encore faut-il que nous apportions une réponse aux problèmes de terrain.

Que pouvons-nous faire, monsieur le secrétaire d'Etat, pour améliorer le retour du malade à domicile, certains hôpitaux ou certaines cliniques n'ayant ni la capacité, ni le temps, ni les moyens de mettre en place l'organisation matérielle et les soins dont doit bénéficier ce malade à son retour ? La famille est souvent désemparée pour trouver un médecin, une infirmière, un kinésithérapeute, ou pour choisir le matériel, le lit adapté et toutes les fournitures nécessaires au malade. Si nous voulons que le malade ait des droits, encore faut-il que nous puissions l'aider à en profiter.

Mais des questions beaucoup plus générales se posent : la sécurité est-elle aussi importante à domicile qu'à l'hôpi tal ? Les proches sont-ils ou seront-ils suffisamment présents ? Le lieu d'accueil est-il bien adapté à la personne qui revient de l'hôpital ? Qui assurera - élément essentiel - la coordination entre les différents acteurs de soins ? Le réseau ville-hôpital constitue une bonne initiative, mais il faut le développer. La circulaire de 1986 faisait des soins d'accompagnement à domicile et de l'interaction hôpital-domicile la première priorité, mais cela semble bien insuffisant.

Monsieur le secrétaire d'Etat, que comptez-vous faire concrètement pour que, à ce niveau, les droits du malade soient applicables ? J'évoquerai aussi la prise en charge des frais que doivent supporter les familles qui accueillent le malade à la maison. Certains d'entre eux ne sont souvent pas pris en compte par l'assurance maladie, comme les frais concernant la garde de jour ou de nuit, l'aide ménagère, l'auxiliaire de vie. Tous ces frais créent une inégalité entre les familles et entre les personnes en fin de vie.

Mourir chez soi ne doit pas devenir un luxe. Il faut lutter contre cette inégalité, sinon les droits que nous voulons accorder aux malades n'auront aucun sens.

Comment comptez-vous prendre en compte cette préoccupation ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

Les droits que nous allons accorder s'appliqueront aussi à travers d'autres mesures que nous évoquerons à la faveur de l'examen d'autres articles, telles que le congé d'accompagnement, sur lequel j'ai déposé un amendement, ou le rôle des bénévoles.

Je conclurai en disant que le droit aux soins palliatifs est, à mon sens, un rempart contre l'exclusion. L'article 1er qui reconnaît ce droit nous permet d'exprimer que nous ne voulons pas que le temps du mourir soit un temps de l'exclusion, une exclusion par manque d'attention, par manque de soins, par manque d'accompagnement, par manque de respect de l'intimité et de la dignité. C'est là que se situent les véritables droits du malade. Si ces droits n'étaient pas satisfaits, nous échouerions, et l'exclusion pourrait trouver, ici ou là, une ultime concrétisation dans des pratiques d'euthanasie. Il s'agirait alors d'une régression grave pour notre société qui accepterait que soit remis en cause, par une rupture volontaire, ce pacte de la vie qui a été octroyé à chacun de nous à sa naissance.

C'est pourquoi l'objectif des soins palliatifs reconnu aujourd'hui comme un droit fondamental à l'article 1er doit conduire à encourager la vie jusqu'au bout sans pour autant vouloir l'obstination déraisonnable, termes qui, d ésormais, remplacent l'« acharnement thérapeutique » dans le cadre de la déontologie. Je pense qu'un certain nombre d'entre nous peuvent se rejoindre sur cette préoccupation.

Le devenir des soins palliatifs concerne donc l'avenir de tous. Il s'inclut dans le projet d'une nouvelle solidarité face à la mort, un sujet grave qui fait peur, même si, comme le disait Sénèque, toute la vie nous prépare à la mort. Mais encore faut-il pouvoir l'accepter, l'accueillir dans les meilleures conditions, et ce ne seront pas simplement des droits posés sur le papier qui régleront le problème. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Renaud Muselier.

M. Renaud Muselier.

Le traitement de la douleur ne suffit pas. Il convient maintenant qu'une véritable volonté politique s'exprime à travers la loi, pour développer les soins palliatifs et d'accompagnement, comme cela est le cas dans de nombreux pays.

L'article 1er vise à inscrire dans la loi une définition des soins palliatifs en s'inspirant du préambule des statuts de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs : « Les soins palliatifs sont des soins actifs dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave évolutive ou terminale. Leur objectif est de soulager la douleur physique ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle. Les soins palliatifs sont interdisciplinaires. »

Il y a une difficulté réelle à préciser les critères objecti fs et les limites exactes de la phase palliative d'une maladie évolutive ou, tout simplement, de la fin de vie. La frontière entre le curatif et le palliatif est en effet mouvante.

Cependant, la définition affirme explicitement que les soins palliatifs ne concernent pas uniquement les malades en phase terminale, mais aussi tous ceux qui sont atteints par une maladie mettant en jeu le pronostic vital, quelle que soit l'issue de cette maladie.

En outre, il convient de se démarquer d'une approche segmentée de la médecine, juxtaposant une médecine à a mbition thérapeutique, pour tous les malades qui peuvent guérir, et une médecine exclusivement « palliative », ne s'adressant qu'aux symptômes, une sorte de

« sous-médecine », pour les mourants. Les soins palliatifs ne signifient ni le renoncement aux soins ni l'absence de soins.

Il s'agit d'un « soin différent » en ce qu'il tend, dans une phase particulièrement critique, à privilégier la qualité de vie et à considérer la personne malade dans toute sa dimension. C'est un soin technique, car il nécessite la parfaite maîtrise du traitement de la douleur et la continuation des actes thérapeutiques.

L'article 1er est très important parce qu'il crée un livre préliminaire dans le code de la santé publique relatif aux droits de la personne malade et aux usagers du système de santé. Il pose les principes du droit d'accès aux soins palliatifs et définit ces soins palliatifs. Avec cet article, nous bâtissons un socle pour répondre à un problème de société. Il est fondamental de bien le mettre en place car le sujet est évolutif.

Les autres articles répondront aux autres problèmes qui se posent.

M. le président.

La parole est à Mme Véronique Neiertz.

Mme Véronique Neiertz.

J'irai dans le sens des précédents intervenants : cet article 1er , relatif aux droits de la personne malade, est en effet fondamental et constitue le socle de notre réflexion. Je salue le fait qu'il y soit rappelé solennellement que les personnes malades ont des droits.

Cet article a le mérite de poser le problème du respect de la volonté du malade. Il est en effet encore trop fréquent de voir le corps médical se préoccuper plus de la maladie que de la personne.

Préserver la dignité du malade signifie que la personne malade peut s'opposer à toute investigation ou thérapeutique. L'ensemble des textes mis en discussion aujourd'hui associée ce droit au testament de fin de vie, à l'allégement des souffrances en cas de maladie grave et incurable et propose, dans une belle unanimité que chacun a saluée, la généralisation de l'accès aux soins palliatifs. Très bien ! Nous faisons une oeuvre utile. Nous sommes là pour ça, même si cela va un peu trop vite, je suis bien de l'avis de M. le secrétaire d'Etat.

Mais quitte à choquer certains, ou certaines, et à briser ce remarquable consensus - je m'en excuse d'avance, mais cela ne vous étonnera pas, mes chers collègues - je voudrais développer ce qu'induit - et tout ce qu'induit - le fait de poser dans la loi le principe du respect de la décision du malade. Cela n'implique pas seulement d'apaiser les dernières souffrances. Cela veut dire qu'aucun traitement ne peut ni ne doit être entrepris ou suivi contre la volonté de la personne, quel que soit le stade de la maladie ou du traitement. Cela suppose la liberté préalablement reconnue des personnes, conformément d'ailleurs à la problématique de la recherche sur l'embryon. Nous sommes en effet obligés d'être cohérents lorsque nous légiferons sur la bioéthique. Nous nous sommes d'ailleurs demandé très longtemps s'il fallait recommencer à le faire, et nous avons décidé que oui. Et si nous sommes cohérents avec la problématique déjà posée à l'occasion de la recherche sur l'embryon et l'IVG, cela suppose de supprimer toute sanction contre les médecins qui respectent cette liberté de la personne.

Or, nous nous heurtons à deux obstacles culturels.

D'abord, la mort fait peur et, dans notre société, tout le monde l'a souligné avec raison, c'est devenu un naufrage généralement indigne. Ensuite, l'hypocrisie est la règle.

L'euthanasie étant un mot tabou, elle est pratiquée clan-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

destinement, sans être reconnue, soit par des médecins compatissants, soit par insuffisance de moyens matériels, ce qui revient à faire de l'euthanasie administrative. C'est pourquoi, avant d'aborder la discussion de cet article et des amendements, je tiens à dire à titre personnel - c'est un problème philosophique d'une telle importance qu'il faut absolument aborder la question, toute la question si possible - que, tout en ayant le mérite de clarifier jusqu'à un certain point la question qui nous occupe, cet article ne va pas assez loin. Selon moi, il devrait aller jusqu'à préciser que : Premièrement, toute personne, et pas seulement une personne incurable ou déclarée incurable, en mesure d'apprécier les conséquences de ses choix est seule juge de la qualité et de la dignité de sa vie, ainsi que de l'opportunité d'y mettre fin, à quelque stade de la maladie que ce soit ; Deuxièmement, lorsqu'une personne refuse l'acharnement thérapeutique, le médecin doit se conformer à sa v olonté sous réserve d'une éventuelle clause de conscience, ce qui entraîne la suppression de toute sanction envers celui-ci.

Aider à mourir, respecter la volonté de ceux, ou de celles - ce sont en majorité des femmes - qui lucidement demandent cette aide à mourir, ne peut pas et ne doit plus être considéré comme un meurtre. Les membres du personnel médical qui respectent cette volonté et cette liberté ne peuvent pas, ne peuvent plus être considérés comme des assassins. La souffrance et l'agonie ne servent à rien.

M. Renaud Muselier.

La maladie non plus !

Mme Véronique Neiertz.

Comme le disait notre collègue Mattei, nous avons désappris la mort. D'après des études et des sondages que M. le secrétaire d'Etat connaît, plus de 80 % des Français sont partisans du respect de la liberté et de la dignité humaine sur ce sujet. Il serait grand temps d'adapter nos lois, pas seulement aux soins palliatifs, ce qui est une manière de se donner bonne conscience, mais à cette réalité. On pourrait ainsi éviter des pratiques clandestines de plus en plus répandues et qui rendent déjà obsolètes, voire injustes, toutes les lois touchant à ces questions.

Mme Nicole Bricq.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Jean Delobel.

M. Jean Delobel.

Lorsque nous avons créé dans notre ville un service de soins à domicile, j'ai constaté avec surprise que les premiers remerciements étaient ceux d'une vieille dame qui venait de perdre son mari et qui m'a dit : « Jean, je ne saurai jamais comment te remercier d'avoir permis à Victor de mourir chez lui. »

Un soir où Marguerite Yourcenar était dans notre ville, un homme peu courtois lui a demandé s'il lui arrivait de penser à la mort. Et Marguerite de le dévisager de son regard bleu acier et de lui dire : « Monsieur, je ne vous connais pas, mais je crois que j'aurai, comme mon chien, qui est mort il y a quelques semaines, la même peur physique de la mort, peur qui a disparu de son regard lorsque j'ai posé ma main sur sa tête. Et j'ose espérer, le jour venu, que une main amie fera disparaître la peur physique pour m'amener en toute quiétude au bout de ma destinée. »

Nous avons constitué un groupe de gens de bonne volonté s'occupant de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et dispensant des soins palliatifs. Selon moi, homme de terrain, pour que ces soins palliatifs se développent rapidement, il faut que tous les hommes et les femmes de bonne volonté se rencontrent : les hospitaliers, les médecins généralistes, les travailleurs sociaux, les béné voles. Nous avons tout simplement essayé de réfléchir, de travailler, de former et de mettre en place ces équipes mobiles, dont vous parlez, pour qu'elles soient à la disposition des maisons de retraite rurales qui n'ont pas le personnel nécessaire pour faire face à ce type de problème.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Tout à fait !

M. Jean Delobel.

Nous avons aussi voulu mettre ces équipes à la disposition des médecins généralistes et des services de soins à domicile, qui jouent un rôle extraordinaire dans ce domaine. Il faut que l'on sache qu'il existe des gens capables de répondre, d'aider, et qui ne sont pas médecins. En effet, nous nous sommes rendu compte que le problème de celles et ceux qui accompagnent la mort d'un de leurs proches était aussi fort important sur le plan psychologique. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Denis.

M. Jean-Jacques Denis.

Je veux, à mon tour, souligner l'importance de cet article 1er dont j'évoquerai trois points.

La création d'un livre préliminaire relatif aux « Droits de la personne malade et des usagers du système de santé » n'est pas un simple exercice de forme. C'est au contraire une disposition qui aura tout lieu de se développer et de s'enrichir au fur et à mesure des débats à venir, et l'on voit bien dans quel sens. Confirmer l'existence de droits est devenu essentiel à une époque où l'information se diffuse si vite dans la population et où l'éducation de nos concitoyens est en constante progression. Si l'on veut conserver des rapports de confiance entre médecins et malades ou entre l'hôpital et les usagers - je n'aime pas trop ce mot - de la santé, les droits doivent être affirmés des deux côtés.

S'agissant de la définition des soins palliatifs, il sera proposé, par amendement, de substituer aux mots :

« Toute personne atteinte d'une maladie grave » les mots :

« Tout malade dont l'état le requiert ». J'y suis favorable, car je suis tout à fait convaincu de la nécessité d'introduire une souplesse à la fois dans la définition des personnes qui peuvent bénéficier des soins palliatifs et dans celle des soins palliatifs eux-mêmes. En effet, la dimension humaine étant très forte, il faut laisser une certaine marge d'appréciation personnelle.

L'article 1er comporte plusieurs termes, tous importants : soins « continus », « équipe pluridisciplinaire »,

« douleur », « souffrance psychique », « dignité »,

« malade » et « entourage ». Ces mots doivent être pris ensemble et il serait inopportun de n'en retenir qu'une partie.

J'en viens au dernier alinéa de l'article 1er , selon lequel :

« La personne malade peut s'opposer à toute investigation ou thérapeutique. » Un amendement vise à l'isoler. Ce

serait, me semble-t-il, lui donner une portée bien plus grande, qui dépasserait le cadre des soins palliatifs. Je crains pour ce qui me concerne que la simplicité de cet alinéa ne soit un peu trop brutale, même si j'en comprends le sens. Je regrette en effet que cette phrase ne mentionne pas la recherche d'un consentement éclairé, car cela me paraît nécessaire. Des articles importants du code de déontologie médicale, des heures, voire des mois de réflexion du Comité national consultatif d'éthique se trouvent ainsi résumés en dix mots. J'espère que le débat nous éclairera sur la portée considérable de cette phrase.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 MAI 1999

Véronique Neiertz en a précisé une interprétation, mais il y en a d'autres. Aussi court soit-il, cet alinéa me paraît assez brutal et mérite donc des explications. En outre, qu'en sera-t-il pour les enfants ? Ce n'est pas seulement pour nous donner bonne conscience que nous examinons ces propositions sur les soins palliatifs. Il ne faut pas détourner le débat. C'est t rès important. Certes, des demandes d'euthanasie, puisque la question a été évoquée, persisteront, mais toutes les personnes qui travaillent depuis des années dans des unités de soins palliatifs se sont rendu compte que de telles demandes étaient fort heureusement en nette régression. Donc, s'il y a urgence aujourd'hui, c'est bien pour les soins palliatifs. Accordons-nous un délai de réflexion pour traiter, dans les mois ou les années qui viennent, le problème de l'euthanasie. Je ne souhaite pas que le débat sur le développement des soins palliatifs tourne autour de cette question.

M. le président.

La parole est à M. Pierre Hellier.

M. Pierre Hellier.

Je serai très bref, car tout a été dit, et bien dit. Encourager le développement de soins palliatifs efficaces en établissement et à domicile, c'est un bon projet pour offrir une belle mort, comme le disait M. le secrétaire d'Etat, et pour ne pas avoir à la donner, même si l'on sait que les soins palliatifs peuvent parfois raccourcir un peu la vie, mais c'est un autre problème ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

2

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE

M. le président.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement la lettre suivante :

« Paris, le 6 mai 1999.

« Monsieur le président,

« J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'en application de l'article 48 de la Constitution, le Gouvernement fixe comme suit l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée nationale le mardi 11 mai :

« A dix heures trente, questions orales sans débat ;

« L'après-midi, après les questions au Gouvernement :

« Suite de la nouvelle lecture du projet de loi d'oriention pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi no 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire ;

« Le soir :

« Lecture des conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs ;

« Suite de la proposition de loi tendant à favoriser le développement des soins palliatifs et l'accompagnement des malades en fin de vie.

« Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de ma haute considération. »

L'ordre du jour prioritaire est ainsi modifié.

3

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Suite de la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, no 1527 rectifié, d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi no 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire : M. Philippe Duron, rapporteur au nom de la commission de la production et des échanges (rapport no 1562).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT