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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 MAI 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Actionnariat des salariés. Discussion d'une proposition de loi (p. 4673).

M. Jacques Kossowski, rapporteur de la commission des affaires culturelles.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 4674)

MM. Edouard Balladur, Daniel Feurtet, Mmes Anne-Marie Idrac, Nicole Bricq,

MM. Claude Goasguen, Léonce Deprez.

Clôture de la discussion générale.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

PRÉSIDENCE DE M. YVES COCHET

MM. le secrétaire d'Etat, le rapporteur.

VOTE SUR LE PASSAGE À LA DISCUSSION DES ARTICLES (p. 4688)

MM. Georges Tron, Michel Herbillon, Henri Plagnol, Mme Nicole Bricq.

L'Assemblée, consultée, décide de ne pas passer à la discussion des articles ; la proposition de loi n'est pas adoptée.

2. Ordre du jour des prochaines séances (p. 4691).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 MAI 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures quinze.)

1 ACTIONNARIAT DES SALARIE S Discussion d'une proposition de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Edouard Balladur et plusieurs de ses collègues relative à l'actionnariat des salariés (nos 1513, 1591).

La parole et à M. Jacques Kossowski, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jacques Kossowski, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, mes chers collègues, il est tout d'abord important de souligner que cette proposition de loi s'inscrit totalement dans la continuité des thèses développées en leur temps par le général de Gaulle et René Capitant.

En effet, la philosophie essentielle qui sous-tend ce texte proposé par Edouard Balladur vise à associer plus étroitement le capital et le travail. A l'antagonisme manichéen patron-ouvrier, il suggère de substituer une alliance objective entre le capitalisme et le salariat.

Dans ses Mémoires, le général de Gaulle évoquait déjà cette surprenante union en parlant d'une « brèche ouverte dans le mur qui sépare les classes ». Une telle vision moderne des relations au sein de l'entreprise, fondées sur l'association du capital et du travail, contrarie bien entendu les conservatismes de tous bords.

A gauche et dans de nombreux syndicats, on s'inquiète d'une éventuelle collaboration entre des forces que l'on c onsidère historiquement et intrinsèquement comme antagonistes.

A droite ou dans certaines instances patronales, on craint un éventuel affaiblissement de l'autorité de la direction.

Pourtant, à l'aube d'un siècle nouveau, il convient de dépasser ces visions quelque peu rétrogrades, pour ne pas dire ringardes, de l'entreprise.

Pour y parvenir, il faut encourager et développer le capitalisme et l'actionnariat populaires. Dans ce domaine, il existe une vraie demande des salariés qui veulent devenir propriétaires d'une partie du capital de leur société.

Permettez-moi de vous rappeler qu'actuellement quelque 700 000 personnes sont déjà actionnaires de l'entreprise où elles travaillent. De plus, dans un récent rapport, la Commission des opérations de bourse a mis en lumière le succès croissant que rencontrent l'épargne salariale et l'actionnariat salarié.

Cette attente, nous avons le devoir d'y répondre favorablement en instituant des mécanismes supplémentaires qui permettront aux employés de tout niveau d'acquérir, à des conditions préférentielles, des actions de leur entreprise.

Certains m'objecteront qu'il existe bien un système de stock-options, mais je considère qu'il bénéficie principalement aux cadres et à la direction.

En revanche, le dispositif prévu dans cette proposition de loi donne bien à l'ensemble des salariés qui le souhaitent et non plus à une catégorie précise la possibilité matérielle et concrète de posséder une partie du capital de leur société.

La généralisation de l'association capital-travail constituerait un vrai progrès au sein du monde de l'entreprise.

En ce qui concerne plus particulièrement le contenu du texte que notre assemblée a à examiner aujourd'hui, je souhaiterais, mes chers collègues, vous convaincre de son utilité et de son actualité.

Il me semble que cette proposition de loi a deux object ifs essentiels : un objectif social et un objectif économique.

Sur le plan social, l'actionnariat des salariés institue une nouvelle organisation au sein de l'entreprise reposant sur un fructueux partenariat.

Passer du statut de simple salarié à celui d'actionnaire n'est pas anodin. En effet, le contrat de travail entre l'employeur et l'employé se transforme alors en un contrat de société entre de véritables partenaires économiques, puisque le salarié, désormais associé, pourra participer aux fruits de l'expansion.

Il est ainsi créée une alliance d'intérêts mutuels entre la direction et l'ensemble des salariés, ce qui contribue à modifier favorablement les relations humaines au sein de l'entreprise.

Le mécanisme proposé permet aussi d'introduire plus de démocratie dans l'entreprise.

Certes, la portée de ce texte peut apparaître modeste en ne réservant aux salariés que seulement 5 % des actions nouvellement émises lors d'une augmentation de capital. Mais il convient de souligner que cela ne constituerait que la première étape d'un processus.

En effet, pourquoi ne pas imaginer que ce pourcentage pourrait progresser peu à peu pour parvenir à un niveau où les salariés actionnaires auraient tout intérêt à se regrouper pour défendre leur point de vue et formuler des suggestions ? Il me semble que cette proposition de loi peut enclencher une dynamique allant dans le sens des intérêts des salariés.

Dernier avantage social et non des moindres de cette proposition de loi, c'est qu'elle permettra d'ouvrir une voie vers une épargne à long terme et éventuellement un complément de retraite.


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En effet, face aux importantes difficultés que vont connaître les régimes de retraite dans les décennies à venir, un complément pourrait ainsi être ouvert aux salariés le désirant.

L'introduction d'une part de capitalisation individuelle et facultative permettrait de dépasser le débat entre retraite par répartition et retraite par capitalisation.

En ce qui concerne l'objectif économique de ce texte, il a, à mon avis, deux volets essentiels.

Tout d'abord, il vise à accroître l'efficacité économique en responsabilisant les salariés. Ces derniers, détenteurs d'une partie du capital, sont naturellement plus impliqués dans la stratégie et les résultats de l'entreprise. Leur

« intérêt » rejoint celui de la société dont ils sont actionnaires et où ils travaillent, pour que la recherche du profit soit la plus élevée possible.

Il est évident que permettre aux salariés d'accéder aux produits financiers dégagés par l'entreprise ne peut que créer un effet d'émulation et une motivation nouvelle aux conséquences positives sur les résultats et l'efficacité économique de l'entreprise.

Plus largement, il me semble que le partage du profit est un moteur pour la croissance et, bien sûr, pour l'emploi.

Autre avantage sur le plan économique : les actionnaires salariés, naturellement plus attachés à leur entreprise, peuvent concourir à la stabilité du capital. Ils savent faire preuve, en cas de chute des cours, d'une relative maturité financière, comme ce fut le cas à l'automne dernier.

De plus, un actionnariat salarié fort peut aider à la constitution d'un pôle de résistance « national » en cas d'OPA inamicale provenant d'entreprises étrangères.

En conclusion, il est important de constater que la proposition de loi d'Edouard Balladur est en totale osmose avec l'actualité économique.

En effet, sous une forme ou sous une autre, un certain nombre d'entreprises françaises cherchent actuellement à développer et à fidéliser l'actionnariat de leurs salariés.

Ainsi, par exemple, la Suez-Lyonnaise des eaux...

M. François Brottes.

Par exemple !

M. Jacques Kossowski, rapporteur.

... a récemment institué, à l'intention de ses salariés, un fonds commun de placement afin qu'ils puissent souscrire des actions

« maison » dont le prix initial s'avère très attractif.

Autre expérience intéressante : chez Vivendi,...

M. François Brottes.

Au hasard !

Mme Nicole Bricq.

Comme ça, tout le monde est servi !

M. Jacques Kossowski, rapporteur.

... on a mis en place, avec l'aide d'une banque, des financements à taux zéro pour que l'ensemble des salariés puissent accéder au capital de la société.

Quant au CCF, il a lancé une augmentation de capital réservée à ses seuls salariés.

Par ailleurs, dans le cadre de la privatisation partielle du futur groupe Aerospatiale-Matra, l'Etat a prévu d'offir aux employés de l'entreprise la possibilité de devenir actionnaires. Les employés pourront dès lors acquérir quelque 7 millions d'actions à des conditions préférentielles.

Enfin, le Crédit lyonnais a annoncé lui aussi qu'il allait réserver, lors de sa privatisation, environ deux milliards et demi de francs de titres à l'intention de tous ceux qui y travaillent.

Dans ce contexte, il serait surprenant, voire paradoxal, que l'Assemblée rejette ce texte.

La majorité aurait une attitude positive en acceptant d'étudier l'ensemble des articles de cette proposition de loi.

Pour ma part, je souhaite que cette discussion se déroule dans un esprit d'ouverture et de dialogue. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Bien évidemment, j'écouterai avec intérêt les suggestions que les uns et les autres voudront bien faire sur cet important texte relatif à l'actionnariat salarié.

Dans ce domaine, je crois que l'Assemblée et le Gouvernement devraient faire preuve de pragmatisme et non d'idéologie.

M. Jean-Pierre Delalande.

Très bien !

M. Jacques Kossowski, rapporteur.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je m'adresse aussi à vous pour que vous portiez un regard bienveillant sur ce texte.

En effet, il est important que les pouvoirs publics amplifient ce mouvement associant le capital au travail, en le généralisant à une très grande échelle, afin qu'un maximum de salariés puissent réellement en bénéficier.

Je crois qu'en acceptant le principe affirmé dans ce texte, vous favoriseriez une véritable avancée sociale. Les salariés l'attendent et la réclament. Ne les décevez pas en vous retranchant derrière une opposition purement politicienne et partisane.

Comme pour la parité hommes-femmes, il est des sujets qui peuvent recueillir l'assentiment de tous. Je crois que cette proposition de loi peut y prétendre. (Applaudissement sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Edouard Balladur.

M. Edouard Balladur.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le développement de l'esprit de participation est l'un des traits dominants de notre histoire depuis bientôt un demi-siècle. Comme M. Jacques Kossowski l'a rappelé, le général de Gaulle avait, dès 1947, perçu combien il était nécessaire d'associer les salariés à la vie de leur entreprise. Il avait compris qu'il n'y a pas de capitalisme efficace sans la participation de tous aux fruits qu'il génère, qu'il n'y a pas de cohésion sociale là où le produit du travail de tous est monopolisé par quelques-uns.

Cette idée fut féconde et les années 80, dit-on souvent, ont vu la réconciliation des Français et de l'entreprise.

Comment ne pas s'en féliciter ?

Mme Nicole Bricq.

Grâce à qui ?

M. Edouard Balladur.

Le mouvement de privatisation lancé dès 1986 en a été un des éléments. Ce fut un succès économique. Le secteur concurrentiel est devenu, grâce à cela, plus compétitif.

Ce fut aussi un succès social. Les salariés des entreprises publiques ont pu et continuent à pouvoir devenir actionnaires lors des privatisations. Ainsi les privatisations, par quelque gouvernement qu'elles aient été décidées, en


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vertu des principes fixés par la loi de 1986, d'abord, et de 1993, ensuite, sont-elles devenues l'un des moyens privilégiés du développement de l'actionnariat salarié.

Je me réjouis que celles qui vont être faites comme celles qui ont été faites tout récemment par le Gouvernement confortent ce mouvement.

Dès les premiers jours de la Ve République, la mise en place d'un système d'intéressement des travailleurs aux résultats de l'entreprise fut décidée. C'était l'objet de l'ordonnance du 7 janvier 1959, qui ouvrait droit au bénéfice d'exonérations fiscales, tant pour les entreprises que pour les salariés qui versaient leur participation sur un plan d'épargne d'entreprise. Mais l'intéressement souffrait d'un défaut qui en limitait l'efficacité : il n'était que facultatif. C'est ce qui explique son succès limité : dixhuit accords seulement les deux premières années, bénéficiant à cent mille salariés.

Aussi fut-il décidé en 1967 de compléter l'intéressement, facultatif, par la participation, qui, elle, était obligatoire. Il s'agissait de prendre les mesures propres à assu-r er la participation des travailleurs aux fruits de l'expansion de l'entreprise, tout en favorisant la formation d'une épargne nouvelle. L'exposé des motifs de l'ordonnance du 17 août 1967 précisait : « Le progrès, oeuvre de tous, doit être pour tous une source d'enrichissement. » A

chaque salarié était donc attribuée une partie des bénéfices de l'entreprise.

A l'origine limité aux entreprises employant plus de 100 salariés, le champ de la participation a été étendu en 1986 aux entreprises d'au moins cinquante salariés, les entreprises de moins de cinquante salariés ayant la faculté d e s'y soumettre volontairement. La participation concerne aujourd'hui 5 millions de salariés.

Ces quelques chiffres suffisent à mesurer l'importance de la participation dans notre économie. Les sommes attribuées aux salariés ne peuvent être disponibles avant un délai de cinq années. Cela exprime bien l'idée que l'épargne salariale doit être dirigée vers l'investissement.

On voit l'intérêt de ce dispositif, qui tend à pallier l'insuffisance de l'épargne des ménages, laquelle a été longtemps l'un des défauts de notre économie. Qui ne voit aussi l'intérêt qu'il peut y avoir pour le Gouvermenent à réduire, en période de ralentissement de la consommation, la durée de blocage des fonds ? C'est ce qui a été décidé en 1993. La consommation en fut revigorée, alors que notre pays connaissait à cette époque la récession la plus grave depuis la guerre.

L'ordonnance de 1967 a ouvert un large champ à la négociation d'entreprise. En effet, elle laisse aux entreprises le choix des modalités de sa mise en oeuvre. C'est un système d'incitation qui conserve toute sa valeur aujourd'hui.

Le fin de ce qu'il est convenu d'appeler les Trente Glorieuses et la crise que nous connaissons depuis plus de vingt ans - il y a eu des hauts et des bas mais le pourcentage de la population au chômage est tout de même supérieur à 10 % depuis une vingtaine d'années -, crise qui est un changement des structures du monde bien plus qu'une simple crise d'adaptation comme nous en avons connu si souvent dans le passé, condamnent-elles la participation ? Je pense le contraire.

Quelles que soient les difficultés liées à la crise, il faut approfondir l'esprit de participation et s'engager dans la voie du développement de l'actionnariat salarié.

Ce fut d'ailleurs l'une des premières actions entreprises par le gouvernement, il y a maintenant treize ans, lorsque furent fusionnés les deux régimes de l'intéressement et de la participation. L'ordonnance de 1986 a également supprimé le contrôle administratif préalable pour lui substituer un contrôle a posteriori du juge judiciaire.

Surtout, elle a permis que l'actionnariat salarié s'enracine dans notre pays. En un peu plus de dix ans, ce sont 700 000 salariés qui sont devenus propriétaires d'actions de leur entreprise.

L'intéressement en 1959, la participation en 1967, l'actionnariat salarié en 1986 : les trois volets d'une réforme sociale d'ensemble ont été ainsi mis en place.

Naturellement, cet ensemble législatif et réglementaire doit sans cesse être adapté aux réalités nouvelles.

C'est pourquoi la loi du 25 juillet 1994 a élargi les modalités de conclusion de l'accord de participation en autorisant la conclusion d'accords de groupe ou d'établissement, et elle a créé un conseil supérieur de la participation, présidé par le ministre chargé du travail.

Mais, au-delà de ces modifications, l'essentiel demeure : les chefs d'entreprise et les salariés, qui concourent, dans l'intérêt de notre société, au développement de notre économie, partagent le fruit de leurs efforts communs.

Maintenant, il faut nous tourner vers l'avenir. Vous me pardonnerez, je l'espère, ce long préambule mais il fallait situer dans un ensemble le texte qui est soumis à votre appréciation.

Ma conviction, c'est que l'idée de participation n'a pas épuisé ses richesses et ses virtualités. En effet, il ne s'agit pas seulement d'une question de morale sociale, comme l'a excellemment dit M. le rapporteur, mais aussi d'une question d'efficacité économique. La participation favorise la justice dans la répartition des revenus, certes, mais elle stimule le dynamisme de chaque salarié dans la collectivité à laquelle il appartient, elle favorise l'épargne indispensable au progrès économique, elle revitalise le contrat et le dialogue, indispensables dans les sociétés modernes.

Nous devons fonder le dynamisme de l'entreprise sur une conception nouvelle, exprimant l'adhésion de tous au projet commun. Le progrès aujourd'hui n'est plus seulement affaire de rentabilité financière ou d'investissements matériels, il repose sur la qualité des hommes, sur leur implication, sur le fait qu'ils sont associés aux tâches qu'on leur demande d'accomplir.

C'est pourquoi je propose qu'une étape supplémentaire soit franchie dans la voie du développement de l'actionnariat salarié, et je remercie les groupes de l'opposition d'avoir bien voulu soutenir cette proposition.

Les salariés, grâce à tous les textes que j'ai rappelés, sont désormais pleinement associés aux résultats de leur entreprise : plus de 2,5 millions de salariés bénéficient de l'intéressement et plus de 5 millions des fruits de la participation. En outre, je l'ai dit, 700 000 salariés sont personnellement détenteurs d'actions de leur entreprise. Pour les 450 000 d'entre eux qui sont regroupés dans une quinzaine d'associations, la capitalisation boursière qu'ils détiennent représente 100 milliards de francs. A une époque où l'on nous parle tellement des fonds de pension à l'américaine, qui ne voit les possibilités et les conséquences que l'on pourrait tirer du développement de l'actionnariat des salariés ? Dans de grandes entreprises comme Elf ou la Société générale, la part du capital détenue par les salariés excède 5 % pour l'une et 8 % pour l'autre, ce qui constitue un élément fondamental de la stabilité du capital. On ne peut pas à la fois se plaindre de la fragilité du capital des entreprises françaises, regretter que les fonds de pension étrangers y aient une part prédominante et ne pas favoriser le développement de l'actionnariat des salariés, qui est


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l'élément capital de la stabilité des entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Tout cela est le signe d'une modernisation en profondeur de notre société, qui se poursuit au fil des gouvernements, lesquels la facilitent parfois, et parfois ne la facilitent pas. Je rappelle que, de 500 000 en 1986, le nombre des actionnaires en France est passé à 4 millions aujourd'hui.

Dans un monde où la compétition internationale est sans cesse plus vive, et où la succession des crises boursières fait de la stabilité du capital un atout, l'esprit de participation est plus nécessaire que jamais.

M. le rapporteur l'a rappelé, le système en vigueur des stock-options permet aux cadres dirigeants l'accès au capital de leur entreprise dans des conditions favorables. La proposition de loi que j'ai l'honneur de défendre devant vous vise à offrir la possibilité à tous les salariés d'acqué rir dans des conditions privilégiées une partie de ce capital à l'occasion de son augmentation. En d'autres termes, il s'agit de retrouver l'inspiration de la loi sur les privatisations de 1986, confirmée par celle de 1993, toujours en vigueur, qui réservait aux salariés des entreprises privatisées 10 % des titres mis sur le marché et leur offrait un rabais de 20 %. Le succès remporté au fil des ans par les privatisations justifie que, désormais, l'ensemble des salariés des entreprises françaises bénéficie d'un système semblable.

Quelles raisons y aurait-il pour qu'il y ait deux catégories de salariés : ceux qui ont la chance d'être salariés d'entreprises qui ont été privatisées et sont actionnaires de leur entreprise, et ceux qui n'ont pas cette chance. Je ne vais pas m'appesantir sur les dispositions techniques de la proposition que je vous soumets car nous aurons l'occasion de revenir sur ce point ; je ne doute en effet pas un instant que nous passions à la discussion des articles.

(Sourires.)

Tels sont, mesdames, messieurs, les objectifs et les principaux traits de la proposition de loi qui est soumise à votre appréciation. Oserai-je dire que j'aurais un peu de mal à comprendre qu'elle soit écartée ? A l'occasion des ouvertures du capital des entreprises publiques auxquelles il a été procédé depuis bientôt deux ans - je pense notamment à Air France et à France Télécom -, avec succès, d'ailleurs, le Gouvernement s'est efforcé d'offrir aux salariés de ces entreprises des conditions d'accès privilégiées au capital. Il a fait de même pour les quelques privatisations qui ont eu lieu et il déclare vouloir poursuivre dans cette voie lors des privatisations à venir, en particulier celle du Crédit lyonnais.

Pour ma part, je m'en réjouis et je m'en félicite, monsieur le secrétaire d'Etat.

M. Pierre Lellouche et M. Patrice Martin-Lalande.

Bravo, Pierret !

Mme Nicole Bricq.

Il a fait mieux que vous !

M. Edouard Balladur.

Mais le champ des privatisations va, comme il est normal, aller s'amenuisant. Faut-il, dans ces conditions, se résigner à ce qu'existent dans notre pays deux catégories de salariés : ceux dont l'entreprise aura eu la chance d'être privatisée et qui seront détenteurs dans des conditions préférentielles d'une partie du capital, et tous les autres, qui n'auront pas eu cette chance ?

M. Pierre Lellouche.

Quelle injustice !

M. Edouard Balladur.

J'avoue mal discerner quel argument pourrait fonder, sur les plans moral, économique ou social, une telle coupure. Comment pourrait-on expliquer que certains salariés sont mieux traités que d'autres au regard des principes de l'équité et de la justice sociale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Parce qu'il est temps de franchir une nouvelle étape, je souhaite que tous les salariés bénéficient des mêmes conditions d'accès à la propriété de leur entreprise en cas d'augmentation du capital.

Au nom de quels principes pourrait-on s'y opposer ? Le Gouvernement affirme agir en toutes choses dans le seul souci de l'intérêt général et en rassemblant, chaque fois qu'il est possible, l'ensemble des bonnes volontés. Il a aujourd'hui l'occasion de montrer que ses louables intentions peuvent se traduire par des actes, dans un domaine qui commande la prospérité de notre économie et l'équilibre de notre société.

M. Jean-Pierre Delalande.

Tout à fait !

M. Edouard Balladur.

Si le Gouvernement et la majorité décidaient cependant d'écarter purement et simplement cette proposition de loi, force nous serait de constater qu'ils obéiraient à des considérations dont l'intérêt général serait absent. Je le regretterais vivement.

M. Pierre Lellouche.

Ce serait incroyable !

M. Patrice Martin-Lalande.

Cela ne se produira pas !

M. Edouard Balladur.

Sans doute n'est-il pas usuel que le Gouvernement se range aux propositions et aux avis de l'opposition, et réciproquement. Mais cela peut cependant se produire. Dans l'opposition, n'avons-nous pas été nombreux, ainsi que M. le rapporteur l'a rappelé, à voter le projet de loi sur la parité entre les hommes et les femmes ? (« Absolument ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Lellouche.

Hier encore, nous avons voté la création d'une commission d'enquête sur la Corse !

M. Edouard Balladur.

Il n'est pas interdit à la représentation nationale de s'élever de temps à autre au-dessus de certaines contingences, fussent-elles de nature politique.

Je forme le voeu qu'il en aille ainsi dans cette affaire, qui concerne les intérêts et les droits des salariés de notre pays.

Je sais bien qu'on pourrait dire que nous n'avons pas la même conception de la société. Je ne sais si l'on pourrait aller jusqu'à dire qu'il y a, d'un côté, ceux qui privilégient le dialogue et la négociation et, de l'autre, ceux qui se réfèrent davantage à des notions de conflit. Je ne veux pas entrer dans ce débat purement idéologique.

Mais il faudra quand même nous expliquer pourquoi il y aurait éventuellement une opposition à ce texte.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Nous allons l'expliquer !

M.

Edouard Balladur.

Il faudra être convaincant ! Le Gouvernement et la majorité n'auraient qu'avantage, je le dis comme le pense, à apporter ainsi leur concours à une réforme sociale qui répond à l'idée que nous nous faisons tous d'une nation rassemblée, ouverture, tolérante, et faisant du dialogue, de la négociation et du contrat le moteur du progrès. (Applaudissements sur les


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bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et indépendants.)

M.

le président.

La parole est à M. Daniel Feurtet.

M.

Daniel Feurtet.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mesdames, messieurs, opérations de privatisation totale ou partielle, augmentations de capital, participation, intéressement, sans oublier les versements volontaires : les entreprises disposent de multiples possibilités pour développer l'actionnariat salarié.

La proposition de loi qui nous est présentée par MM. Balladur, Debré, Douste-Blazy et Rossi traite d'une question de société. L'épargne salariale a en effet connu une progression de quelque 80 % en cinq ans et est devenue en France une réalité incontournable : que l'on songe à Paribas, à Saint-Gobain, à Elf-Aquitaine, à RhônePoulenc ! La privatisation du GAN a permis à plus de la moitié des salariés de l'assureur de devenir actionnaires.

Les ouvertures de capital des entreprises publiques sont également à l'origine de l'essor de ce type d'opération, qu'il s'agisse d'Air France, où la souscription des salariés approche les 70 %, ou de France Télécom, dont les deux tiers des salariés ont acheté des actions lors de l'ouverture du capital de l'entreprise en octobre 1997.

Le projet de réforme relatif aux caisses d'épargne sur lequel nous nous sommes prononcés il y a quelquess emaines et qui nous reviendra prochainement en deuxième lecture institue également un mécanisme de salariés actionnaires.

D'après une étude de la Commission des opérations de bourse réalisée en 1997, l'ensemble des mécanismes d'épargne salariale recueille, dans les sociétés comme dans la population salariée, un indice de satisfaction élevé.

Pour les directions d'entreprise, l'intérêt de l'actionnariat salarié est triple : favoriser la paix sociale, augmenter le revenu des salariés sans nuire à la compétitivité, et s'assurer la présence d'un pôle d'actionnaires stables.

Si le principe des stock-options permet seulement aux cadres dirigeants l'accès au capital de leur entreprise et les plans d'épargne d'entreprise les fonds communs de placements d'entreprise concernent autant les ouvriers que les cadres.

La participation à de telles opérations, beaucoup plus forte parmi les salariés ayant une ancienneté de plus de vingt ans dans l'entreprise, a comme objectif principal la préparation d'un achat ou d'un projet important, mais aussi, pour les plus âgés, la préparation de la retraite.

Aujourd'hui, et comme le rappelle l'exposé des motifs, plus de 2,5 millions de salariés bénéficient de l'intéressement, plus de 5 millions des fruits de la participation et 700 000 sont personnellement détenteurs d'actions de leur entreprise. Il ne faut donc pas se voiler la face : chacun trouve son intérêt dans de tels mécanismes.

La proposition de loi qui nous est soumise cherche néanmoins à imposer des avancées néolibérales. Elle tente d'instaurer une logique proche des fonds de pension en l'articulant sur la gestion de l'épargne salariale et sur les enjeux de l'actionnariat populaire. Dans ce but, elle comporte un certain nombre de limites. D'une part, elle est à la recherche de l'avantage fiscal en exonérant d'impôt sur le revenu et du prélèvement social de 1 % les gains nets retirés de la cession des actions et elle transfère le gage sur la taxe intérieure sur les produits pétroliers ainsi que sur la taxe sur les alcools. D'autre part, elle limite la prise de participation des salariés à 5 % de l'augmentation du capital. Il ne faut donc pas créer des illusions : cette prise de participation ne peut influer sur les orientations définies par les dirigeants des entreprises.

Citons l'exemple de France Télécom, où, avec plus de 21 millions d'actions achetées, les salariés ne possèdent qu'un peu plus de 2 % du capital.

Le développement de l'épargne salariale ne doit pas déboucher sur la mise en place de véritables systèmes de prévoyance internes à l'entreprise qui, fonctionnant selon le principe de la capitalisation, ne sont pas autre chose que des « fonds de pension maison » alimentant les marchés financiers, et dont on connaît les effets pervers sur l'emploi.

La possibilité donnée aux salariés de participer à la vie de leur entreprise, notamment par le jeu des actions, est, certes, une vraie question qui mérite d'être explorée. Mais elle doit, selon nous, s'inscrire dans une réflexion générale sur les droits des salariés.

L'actionnariat salarié doit en effet s'accompagner d'une réforme des critères de gestion des entreprises concernées.

En ce sens, nous proposons une alternative de fond au marché financier et aux privatisations : un crédit nouveau partagé à taux abaissé, à moyen et à long terme, pour financer les investissements des entreprises les plus favorables à l'emploi et à la formation.

Ainsi, dans le cadre de la réforme relative aux caisses d'épargne, nous travaillons sur la mise en place d'un grand pôle financier public chargé d'une mission de service public de l'épargne et du crédit, au service du financement de l'emploi et de la formation.

Les salariés et les organisations syndicales doivent, pour leur part, disposer de nouveaux droits : des droits d'intervention, de contre-proposition, de transparence et de contrôle sur les choix de gestion courants et stratégiques de leur entreprise.

Dans notre proposition de loi relative aux licenciements économiques, nous avons d'ailleurs prévu un certain nombre de mesures : un abaissement du seuil pour la mise en place de comités d'entreprise, un abaissement du seuil pour l'élection de délégués du personnel, l'obligation pour les entreprises, lors de l'examen de difficultés économiques pouvant aboutir à des licenciements, de mettre à l'étude les avis et les suggestions du personnel.

Nous proposons également l'obligation d'un plan social à partir de deux licenciements sur une période de trente jours la possibilité dans les entreprises dépourvues de comité d'entreprise de transférer les pouvoirs de celui-ci aux délégués du personnel et aux unions locales de syndicats représentatifs.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mesdames, messieurs, l'actionnariat ne doit pas devenir un substitut du salaire. L'épargne salariale ne doit pas être utilisée pour instaurer des fonds de pension déguisés. Les problèmes d'accès au pouvoir et à la codécision des salariés doivent être plus sérieusement étudiés.

Si le groupe communiste se positionne contre cette proposition de loi (Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) , ce n'est pas par étroitesse d'esprit car l'actionnariat des salariés est un phénomène de société qu'il serait absurde de nier ou même seulement de sous-estimer au nom d'un certain nombre de dogmes.

On ne refuse pas une réalité ! Personnellement, je reproche à ce texte d'être partiel.

M. Patrice Martin-Lalande.

C'est déjà un premier pas !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 MAI 1999

M. Daniel Feurtet.

Je pense en effet que nous aurions pu nous saisir de l'occasion que nous offre ce débat pour avancer sur la question de l'extension du droit de regard et de propositions des salariés quant au sort et au devenir de l'entreprise dans laquelle ils investissent tant d'euxmêmes.

Etendre aux salariés les possibilités d'intervention dans la gestion directe, dans les choix stratégiques des entreprises, c'est permettre un peu plus, un peu mieux, au monde du travail de remplir sa vocation civique et citoyenne au sein de la société. C'est aussi étendre le champ de vision et de créativité de l'entreprise pour mieux garantir son développement et son futur. Il est des investissements humains qui n'apparaissent pas immédiatement rentables, mais dont les retombées sont porteuses d'avenir.

Ce débat reste à ouvrir dans notre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Anne-Marie Idrac.

Mme Anne-Marie Idrac.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe UDF a cosigné la proposition de loi d'Edouard Balladur en la personne de notre président, Philippe Douste-Blazy, et sous l'influence particulière d'un avocat très convaincu par ce texte : notre ami et collègue Jacques Barrot, qui est retenu ce matin dans son département par des obligations incontournables.

Le groupe UDF s'est associé à cette démarche avec d'autant plus de chaleur que le concept de participation, qui est au coeur de la proposition de loi, fonde aussi notre projet européen comme notre ambition décentralisatrice. Et c'est bien l'idée modernisatrice de participation, comme l'a précisé le rapporteur en début de séance, qui s'exprime dans cette proposition.

En outre, ce texte arrive au bon moment dans l'économie internationale. En effet, la globalisation conduit à une modification profonde de l'environnement économique et financier dans lequel les entreprises évoluent : concurrence accrue, produits nouveaux et mieux différenciés, marchés plus fragmentés et plus dynamiques à la fois.

Le rythme accéléré du progrès technique réduit la durée de vie des connaissances. L'environnement est plus instable, ce qui exige des entreprises une vitesse de réaction, ainsi qu'une capacité d'adaptation, une capacité à faire face à une complexité plus importante que jamais.

Aujourd'hui, la faculté d'adaptation continue et rapide, le potentiel d'innovation sont devenus des facteurs décisifs de l'avantage comparatif entre les économies et entre les entreprises. Cette agilité tous azimuts dépend largement, pour ne pas dire essentiellement, de la mobilisation de l'énergie, des connaissances et de la créativité de tous les salariés. C'est pourquoi l'amélioration de la performance dépend de l'élargissement des perspectives individuelles, du renforcement de la motivation et de l'accumulation du capital humain.

L'enjeu est à la fois un enjeu d'efficacité collective et un enjeu d'accomplissement de chacune des personnes engagées à tous le niveaux du combat économique.

Pour encourager la coopération, la communication et la motivation à l'intérieur des entreprises, il faut donc encourager les comportements d'entrepreneurs et la participation au capital peut être et doit être l'un des facteurs de mobilisation des salariés.

Il y a quelques instants, j'ai cru entendre M. Feurtet formuler des arguments que nous avions nous-mêmes en tête. Chacun y trouve son intérêt, a-t-il dit. Effectivement, j'avais aussi prévu d'insister sur le fait que la valorisation de l'outil de travail par l'actionnariat des salariés permet de renforcer les liens entre tous les acteurs qui font l'entreprise et qui font la création de richesses.

Merci, monsieur Feurtet, d'avoir apporté de l'eau à notre moulin !

Mme Nicole Bricq.

Voilà autre chose !

Mme Anne-Marie Idrac.

Mais la gestion participative de l'entreprise renforce aussi la stabilité du capital, ce qui est également source de croissance.

Malgré un accroissement sensible des flux de souscriptions, l'investissement en actions des particuliers reste globalement faible en France, comparé aux autres grands marchés internationaux : la capitalisation boursière s'établit dans notre pays à 23 % contre 45 % aux Etats-Unis.

Une telle situation constitue un handicap non seulement parce qu'elle prive les entreprises françaises de la présence d'un actionnariat de proximité, mais aussi parce qu'elle rend la place de Paris plus dépendante à l'égard des investisseurs étrangers. Les particuliers ont, en effet, à l'égard de l'entreprise dont ils possèdent les titres, une affection particulière plus prononcée et plus fidèle que les institutionnels. Cette forme d'actionnariat est donc un moyen de stabiliser le capital de l'entreprise, ce qui peut avoir son importance dans le cas d'une OPA inamicale.

M. Patrice Martin-Lalande.

Exact !

Mme Anne-Marie Idrac.

On sait que 40 % environ du CAC 40 sont détenus par des actionnaires étrangers et on connaît l'évolution positive, au cours des dernières années et des derniers mois, qui a été celle de la capitalisation boursière de la place de Paris. Sur le plan social, je préférerais que tous ces succès bénéficient plus aux salariés f rançais qu'à des intervenants financiers étrangers.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Cette faiblesse de l'actionnariat direct des ménages s'explique par de nombreux facteurs, et notamment par le fait que le régime fiscal français s'est montré jusqu'à une période très récente beaucoup plus attractif pour les produits d'épargne « administrés » que pour l'actionnariat.

Or le développement du marché des actions est source directe de créations de richesses et de compétitivité pour l'économie. Elle peut être partagée, il faut encore le souligner, entre les actionnaires et les salariés, la création de valeurs bénéficiant aux uns et aux autres.

La proposition de loi élaborée par Edouard Balladur est une nouvelle étape vers la généralisation de l'actionnariat des salariés. Son dispositif incitera les salariés à détenir des actions en leur permettant d'acquérir une partie du capital de leur entreprise à l'occasion d'augmentations dans des conditions privilégiées que notre rapporteur a rappelées.

Certains pourraient regretter que ce texte fasse montre d'une certaine prudence, notamment quant au champ de son intervention puisqu'il ne vise pas les entreprises non cotées en Bourse. Il est vrai que l'évaluation de la valeur des titres est, dans le cas de ces entreprises non cotées, plus complexe. Toutefois, la théorie financière moderne admet que la valeur d'une société est égale à la valeur actualisée des flux de revenus attendus au taux du marché en France. Cela permettrait que soit évaluée la valeur des titres d'entreprises non cotées.


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Par ailleurs, des mesures fiscales incitatives sont proposées, telles que l'exonération de l'impôt sur le revenu et du prélèvement social de 1 % sur les gains nets retirés de la cession des actions qui auront été ainsi acquises, comme c'est le cas pour les sommes placées dans un plan d'épargne d'entreprise. Nous pensons d'ailleurs que le plan d'épargne d'entreprise pourrait ou devrait être le dispositif central d'intervention et de développement de l'actionnariat des salariés.

Quoi qu'il en soit, la proposition de loi marque une nouvelle étape de l'extension de l'actionnariat populaire, dont les valeurs économiques et financières, sociales, pour ne pas dire civiques, nous paraissent essentielles. Elle peut aussi constituer l'une des pierres de la recomposition des modalités de constitution des retraites pour une part de capitalisation.

Les lois de 1986 et de 1987, l'ordonnance d'octobre 1986, faisant des plans d'épargne d'entreprise le cadre privilégié de l'actionnariat des salariés, ainsi que la loi du 25 juillet 1994 sur le développement de la participation avaient commencé à offrir aux salariés la possibilité d'acquérir dans des conditions privilégiées des parts de capital de leur entreprise. Le Premier ministre Balladur est donc particulièrement qualifié en la matière. C'est en effet sous son égide que cet ensemble de textes a permis à un nombre important de salariés d'être associés pleinement aux résultats de leur entreprise. Les chiffres ont été rappelés tout à l'heure.

Toutefois, malgré ces conditions favorables à la prise de participation, seulement 15 % des entreprises françaises cotées y ayant recours attribuent des options à tout leur personnel. On mesure ainsi l'enjeu de démocratisation de la proposition de loi. Nous pensons qu'il est important de continuer à promouvoir l'actionnariat dess alariés en complétant une démarche qui est déjà ancienne et qui s'ancre maintenant dans la réalité sociale.

La proposition de loi nous paraît aujourd'hui particulièrement opportune pour accompagner les privatisations et faciliter une meilleure capitalisation de nos entreprises. Son dispositif s'inscrit dans une préoccupation sociale évidente : il est souhaitable que tous les salariés se voient offrir la chance de bénéficier du développement de leur entreprise.

Sur le plan de la méthode, il nous semble que le premier pas ainsi fait permettrait de relancer, de manière pratique et pragmatique, sans révolution, le dispositif auquel tant de salariés français commencent aujourd'hui à être attachés.

On comprendrait mal que le Gouvernement et sa majorité, qui ont pris des dispositions inspirées par les mêmes soucis - je pense à Air France ou au Crédit lyonnais, cités par notre rapporteur - ne prêtent pas à la proposition de loi l'attention qu'elle mérite.

L'orateur qui m'a précédée a fait l'éloge du développement de l'actionnariat populaire. Très franchement, il m'a semblé que les inquiétudes qu'il a exprimées, notamment quant au fait que le développement de l'actionnariat pourrait se faire au détriment des salaires, étaient absolument sans objet. Il peut être rassuré car il n'y a pas lieu d'envisager d'éventuelles dérives de ce type.

Pour notre part, à l'UDF, nous souhaitons très vivement l'adoption de la proposition de loi, qui est intéressante à la fois du point de vue économique et du point de vue social. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui aborde un vrai sujet : celui de l'actionnariat des salariés. Elle le fait en référence aux deux dispositifs instaurés par l'ordonnance du 7 janvier 1959 pour ce qui est de l'intéressement et par l'ordonnance du 17 août 1967 pour ce qui est de la participation aux fruits de l'expansion des entreprises, refondues toutes deux dans l'ordonnance du 21 octobre 1986.

Cette référence introduit, dès le départ, une ambiguïté entre l'objet de la proposition de loi, auquel tout le monde pourrait souscrire, et son contenu. En effet, s'il faut réfléchir à la question qui nous est soumise, il convient de s'en poser beaucoup d'autres, que l'on ne retrouve pas dans l'exposé des motifs précédant les articles.

M. Jean-Luc Warsmann.

Discutons-en alors !

Mme Nicole Bricq.

Il y faudrait plus d'ambition, plus de perspectives.

M. Charles Cova.

Ce n'est pas bon, de toute façon, puisque cela vient de nous !

Mme Nicole Bricq.

Cela nécessiterait un débat avec les acteurs sociaux liés à la vie de l'entreprise, débat d'une tout autre portée que celui d'une niche parlementaire,...

M. Hervé Gaymard.

Quel mépris du Parlement !

M. Charles Cova.

Et de l'opposition !

Mme Nicole Bricq.

... même si cette procédure est par ailleurs fort respectable et tout à fait nécessaire.

M. Hervé Gaymard.

Qui êtes-vous pour dire ça ?

Mme Nicole Bricq.

Vous vous êtes livré, monsieur le rapporteur,...

M. Jean-Luc Warsmann.

Excellent rapporteur !

Mme Nicole Bricq.

... comme les orateurs de l'opposition, à quelques rappels historiques qui étaient importants, mais sélectifs. Permettez-moi d'introduire un peu de contenu dans les pointillés que vous avez laissés.

A l'origine, bien sûr, il faut citer le général de Gaulle.

Mais autant le citer complètement. Pour celui-ci, quelle que soit son efficacité, le capitalisme porte en lui-même

« une infirmité morale ». Il fallait donc, dans l'esprit qui l'animait, rechercher une réforme qui viserait à transposer dans l'entreprise les droits et devoirs des citoyens dans l'ordre politique.

M. Jean-Pierre Delalande.

C'est ce que l'on fait !

Mme Nicole Bricq.

Ce furent l'intéressement d'abord, la participation ensuite.

Cette démarche, à l'époque, a rencontré l'hostilité générale, celle du patronat et des syndicats. Il n'en demeure pas moins que les syndicats ont joué un rôle très actif dans les négociations des accords d'intéressement.

A partir de 1970, l'accent a été mis sur l'actionnariat des salariés, qui substitue à la récompense d'un effort collectif la détention par ces salariés d'actions et qui conduit à ce que la part des profits reçus par chacun d'entre eux varie en fonction des actions qu'il détient. Nous sommes déjà sortis de la philosophie originelle.

Quoi qu'il en soit, toutes ces dispositions, loin d'être remises en cause par l'alternance de 1981, ont été confortées par la gauche. Ainsi, avec la loi du 9 juillet 1984 sur


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le développement de l'initiative économique, le Gouvernement a mis en place les fonds salariaux, alimentés par les seuls salariés, dispositif qui a été abrogé en 1986.

Cette même loi a autorisé le rachat de l'entreprise par les salariés, lequel a heureusement survécu à l'alternance de 1986. Et la loi du 7 novembre 1990 a rendu obligatoire la participation dans les entreprises de 50 à 100 salariés.

Quelques années après, on peut légitimement se poser la question de la pertinence des dispositifs originels par rapport à l'objectif recherché - qui est d'augmenter la place des salariés dans la consitution du capital - car il furent conçus à l'époque des relations économiques et sociales des Trente Glorieuses. Il est sans doute nécessaire de réfléchir aux moyens d'adapter ces dispositifs à une économie beaucoup plus mobile, mais dont les salariés, en Europe, ont surtout ressenti, jusqu'à présent, les conséquences en termes de chômage et insuffisamment encore en termes d'amélioration de leur situation. Or la proposition de loi est, de ce point de vue, beaucoup trop partielle.

En effet, le poids de l'actionnariat salarié demeure bien faible. Selon les chiffres de la direction du Trésor, 4 millions de personnes mais seulement 3 % des ménages détiennent des actions. Selon les chiffres de la COB, ceux qui sont cités par le rapporteur dans son texte écrit, 500 000 salariés seulement bénéficient d'actions. Dès lors, on peut légitimement se poser la question de la pertinence de la proposition de loi pour modifier ce qu'il convient tout de même de qualifier de rapport de force entre le capital et le travail. Et le rapport de force ne passe pas uniquement par le conflit, comme vous le savez.

Le rapporteur a fait référence aux « vertus des privatisations ». Dois-je rappeler que la constitution des noyaux durs, en 1986, n'était pas précisément faite pour assurer la fluidité du capital ? La majorité issue des urnes en 1997 est plutôt fière d'avoir réussi les ouvertures de capital d'entreprises publiques comme France Télécom, Air France ou la Caisse nationale de prévoyance.

Aujourd'hui, si on veut réellement être sérieux, il convient de se poser des questions autrement plus lourdes, dont certaines peuvent d'ailleurs se recouper. Je vais en énumérer quelques-unes.

Première question, qui m'apparaît fondamentale : quels moyens se donne-t-on pour rééquilibrer le capital et le travail ? Je crois que les dernières dispositions, notamment sur la baisse des charges des entreprises, constituent aussi un vecteur de ce rééquilibrage.

Quelle épargne salariale instituer, étant donné qu'aujourd'hui, plus de 90 % de la population active est salariée et qu'il n'existe pas de produit adapté pour les salariés afin de constituer une épargne productive qui encourage le bon risque, c'est-à-dire celui qui crée de l'emploi et de la valeur ajoutée ? Et je saluerai tout de même les efforts constants réalisés depuis juin 1997 pour encourager la prise de risque productif et la fluidité du capital : c'est la création des BSPCE, bons de souscription de parts de créateur d'entreprise ; c'est aussi la réforme de l'assurance vie avec les contrats «

DSK » - initiales du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; c'est la prolongation et l'amélioration de la réduction d'impôt au titre des souscriptions aux FCPI - Fonds communs de placement pour l'innovation ; c'est la possibilité pour les entreprises de racheter jusqu'à 10 % de leur capital au titre d'un plan de rachat d'actions pour les attribuer au titre de la participation des salariés ou consentir des options d'achat d'actions aux salariés. Ces rappels sont utiles et prouvent que la modernité n'est pas forcément du côté où certains pensent qu'elle est placée.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Georges Tron.

Vous, par exemple !

Mme Nicole Bricq.

Autre question : comment contrebalancer la place excessive des fonds de pension anglosaxons dans la constitution du capital des entreprises, notamment celles qui créent à la fois de l'emploi et de la valeur au moment où la croissance des entreprises apparaît plus importante que le contrôle de leur capital ? Quelle place, enfin, occupent les salariés dans l'entreprise ? Quelle « gouvernance » d'entreprise pour accroître la transparence et la responsabilité des actionnaires vis-àvis de leurs entreprises ? Tous ces points méritent d'être ouverts et ces chemins empruntés. Le texte qui nous est proposé ne peut toutefois être le vecteur d'une telle ambition. Il n'est ni opportun, ni adapté à la résolution du problème posé. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean-Luc Warsmann.

Quel sectarisme !

Mme Nicole Bricq.

Et le problème - je crois que vous allez en être d'accord - est le suivant : comment franchir une étape significative dans le développement de l'actionnariat salarié ?

M. Michel Herbillon.

C'est le cas !

Mme Nicole Bricq.

Je pense que le texte n'y répond pas.

M. Michel Hunault.

Ce sont des affirmations gratuites de votre part !

Mme Nicole Bricq.

J'essaierai, avec quelques propos plus techniques, de vous le démontrer.

M. Michel Hunault.

Cela va être difficile !

Mme Nicole Bricq.

Son caractère uniforme et quelque peu rudimentaire ne tient pas compte de la diversité du tissu économique. Le côté automatique de la proposition est totalement contradictoire avec l'objectif poursuivi par ses auteurs, qui se réfèrent constamment à l'esprit de participation.

Le mécanisme actuel de l'offre réservée aux salariés qui existe déjà est beaucoup plus souple et plus efficace, car il permet aux entreprises de décider du moment de l'opération et de ses caractéristiques, et donc d'insérer l'actionnariat des salariés dans la politique sociale de l'entreprise.

Rien n'empêche d'ailleurs, avec les mécanismes actuels, d'organiser simultanément une augmentation de capital de droit commun et une augmentation réservée aux salariés.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est « radio MEDEF » !

Mme Nicole Bricq.

Dans le texte de la proposition, l'offre faite aux salariés, sans plus de précision sur les critères de choix, fait douter du caractère universel de la mesure à l'égard des salariés. Les modalités d'achat qui nous sont proposées, qui combinent à la fois un délai très court pour l'achat - un mois, ce qui suppose que l'on possède déjà ces liquidités,...

M. Jean-Luc Warsmann.

Amendez le texte !

Mme Nicole Bricq.

... un plafond d'achat élevé, un avantage fiscal d'autant plus intéressant que le taux moyen d'imposition des revenus de l'acheteur est important prouvent, s'il en était besoin, que, plutôt que d'offrir


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cette disposition à tous les salariés, vous l'offrez en fait aux salariés les plus fortunés.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Michel Herbillon.

C'est complètement faux !

M. Jean-Luc Warsmann.

Vous êtes de mauvaise foi ! C'est incroyable !

M. Michel Hunault.

Ce sont des contre-vérités !

Mme Nicole Bricq.

J'en veux pour preuve que vous ne prévoyez pas de mécanisme d'abondement. Sous un bel emballage, il pourrait bien y avoir tromperie sur la marchandise ! (Mêmes mouvements.)

J'ai lu le texte, monsieur Balladur. Le dispositif envisagé ne repose pas sur une logique partenariale, contrairement, justement, à la participation ou au plan d'épargne entreprise. Il est paradoxal, au regard de l'exposé des motifs, d'introduire un mécanisme qui ne soit pas relié à un accord collectif.

M. Jean-Luc Warsmann.

Mais c'est ce que vous faites vous-mêmes !

Mme Nicole Bricq.

Je voudrais terminer sur deux interrogations portant, d'une part, sur l'opportunité et l'urgence de la proposition et, d'autre part, sur les relations sociales dans l'entreprise et la réforme de l'entreprise.

L'incitation au développement de l'actionnariat contenu dans cette proposition de loi privilégie un support unique, celui de l'augmentation de capital. Or la pratique actuelle des entreprises va plutôt dans le sens d'une multiplication des opérations de rachat de leurs propres actions. Nombre de ces opérations - regardez les chiffres de la COB en 1998 - comportent d'ailleurs la possibilité d'attribuer des options d'achat pour les salariés.

Il serait sans doute plus efficace de choisir la voie d'une réforme du régime des stock-options, rebaptisées aujourd'hui les bons de croissance. Ceux-ci constituent en effet un levier fort pour les entreprises en croissance. Ils participent à la solidification d'un capital-risque indispensable à la régénérescence de notre tissu industriel. Enfin, ils assurent une fluidité du capital qui demeure, dans notre pays, fortement endogame, vous le savez bien. Dans le rapport Morin, qui a été remis au ministre de l'économie et des finances à la fin de l'année 1997, un petit schéma - qu'il serait cruel de développer - fait apparaître nettement que le capital de nos entreprises est très fortement marqué par des liens plus que consanguins, que j'ai qualifiés d'endogames.

M. Jean-Luc Warsmann.

Quel conservatisme au PS !

Mme Nicole Bricq.

Il convient certainement d'introduire une certaine transparence dans le dispositif des bons de croissance, notamment dans les grands groupes que vous avez cités, monsieur le rapporteur. Dans ces grands groupes, seuls les mandataires sociaux et quelques cadres très supérieurs bénéficient des bons de croissance en toute opacité. Il faut encourager leur diffusion à tout le personnel, comme c'est le cas dans toutes les jeunes entreprises qui, justement, créent des emplois et apportent de la valeur ajoutée à notre pays.

M. Jean-Luc Warsmann.

Alors, soutenez la proposition !

Mme Nicole Bricq.

Il faut trouver une fiscalité adaptée - fiscalité renforcée, je le rappelle, par M. Juppé - et fai re en sorte que les plus-values escomptées participent de m anière équitable aux prélèvements sociaux. Cette réforme est nécessaire et viendra en son temps. C'est en tout cas mon souhait.

Faut-il, du reste, se limiter à cette seule réforme ? Nous pourrions être plus ambitieux et aller jusqu'à l'introduction de fonds partenariaux pour les retraites, voire une reformulation de l'intéressement et de la participation ? La question nous est posée. Elle mérite qu'on y réponde sérieusement.

M. Jean-Luc Warsmann.

Dans vingt ans !

M. Charles Cova.

Ils ne seront plus au pouvoir dans vingt ans...

Mme Nicole Bricq.

Peut-être pas dans vingt ans, monsieur Warsmann.

Une deuxième interrogation porte sur la réforme de l'entreprise. Les systèmes d'actionnariat des salariés - et c'est le constat de l'histoire - n'ont pas eu d'incidence réelle sur la répartition des pouvoirs au sein de l'entreprise et ils ne modifient que de façon marginale la répartition de la propriété du capital. Le rapport que j'ai cité tout à l'heure, remis par M. François Morin au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur le modèle français de détention et de gestion du capital indique que les profils types de l'actionnariat d'une société appartenant au coeur financier français comportaient, à la fin de 1997, un actionnariat salarié de 2, 77 %. On peut dès lors douter qu'une réforme comme celle qui nous est proposée puisse être attractive pour le salarié, en dehors de la fixation de tout repère de la place qui lui est faite dans la réforme des droits des sociétés.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est l'inverse !

Mme Nicole Bricq.

Ces deux interrogations, que ne lève absolument pas le texte qui nous est proposé, nous conduisent à demander que l'Assemblée n'engage pas l'examen des articles. Très honnêtement, ils ne sont pas à la hauteur du sujet, et je crois que cela mérite une large concertation avec les partenaires sociaux, que cela mérite un vrai travail.

M. Jean-Luc Warsmann.

Quel sectarisme ! Vous refusez la discussion !

M. Gérard Hamel.

Les salariés apprécieront !

M me Nicole Bricq.

Ecoutez, vous multipliez les motions de procédure sur tous les textes qui ont été discutés, et vous voudriez qu'un sujet aussi important pour les salariés, pour les entreprises, pour les acteurs sociaux soit discuté... discuté en deux heures ? Ce n'est pas sérieux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous avons à débattre ce matin d'une proposition de loi qui, d'une certaine manière, s'inscrit dans la continuité d'une politique, mais qui porte aussi de profondes novations.

Continuité, d'abord, parce que la possibilité de développer un véritable actionnariat salarié s'inspire directement du principe de participation qui a trouvé sa place dans notre économie dès 1967, avec la participation des salariés aux fruits de l'expansion. La première ébauche d'actionnariat salarié a vu le jour avec les plans d'épargne en 1986, et aujourd'hui cinq millions de salariés bénéficient d'une participation aux résultats de leur entreprise, ce qui traduit, même si l'on a tendance à le mésestimer,


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le succès d'une politique qui associe motivation et rémunération. L'obligation légale de 1990, pour les entreprises de plus de cinquante personnes, d'associer les salariés aux bénéfices a permis en outre d'ouvrir la porte de la participation à tous les salariés.

En revanche, l'actionnariat salarié est resté en retrait : seuls 700 000 salariés sont aujourd'hui actionnaires de leur entreprise. Les privatisations ont, certes, ouvert la voie. A l'heure actuelle, 75 % des salariés des groupes privatisés sont actionnaires de leur entreprise et détiennent entre 4 et 5 % du capital. La dernière en date, celle du Crédit lyonnais, a prévu de réserver 10 % du capital de la nouvelle banque aux salariés du Lyonnais. Mais il est dommage, comme cela a été souligné à plusieurs reprises, que l'on se contente de limiter la notion d'actionnariat salarié au phénomène juridique de transformation de la situation sociale d'une entreprise.

On a longtemps, en effet, considéré en France que les intérêts des actionnaires et des salariés étaient profondément divergents. Je ne voudrais pas faire de polémique à propos du discours que nous avons entendu tout à l'heure. Mais j'ai tout de même noté que lorsque Mme Bricq parle de la question de l'entreprise, ce qui l'intéresse avant tout, c'est la stratégie de pouvoir interne.

Le problème des relations de pouvoir au sein de l'entreprise est sans doute un élément déterminant. Mais nous avons, nous, tendance à considérer que l'entreprise, c'est l'endroit de la création de richesses,...

Mme Nicole Bricq.

Pas seulement !

M. Claude Goasguen.

... que la création de richesses entraîne l'emploi et que ce n'est qu'après cette création de richesses que l'on pourra parler d'une stratégie de pouvoir.

M. Henri Plagnol.

Très juste !

M. Claude Goasguen.

Renverser les données est révélateur d'un vrai clivage idéologique. Je me félicite au moins qu'il soit apparu très nettement, ce matin encore.

M. Jean-Yves Gateaud.

Nous aussi !

M. Claude Goasguen.

Il existe au moins un consensus sur ce point...

Cette différenciation excessive, qui a fait la tradition française, entre ceux qui apportent le capital - les

« méchants » actionnaires - et ceux qui apportent leur force de travail - les « bons » salariés - a été une des forces centrifuges qui ont souvent déstabilisé l'équilibre des entreprises françaises. Ce rapport de force s'est cristallisé sur le partage de la valeur ajoutée. Cette analyse purement idéologique a été funeste à beaucoup d'entreprises et plus généralement, vraisemblablement, à notre économie.

Dans d'autres pays, on a tenté de réconcilier ce qui paraissait irréconciliable en France. On y est d'ailleurs assez mal parvenu, puisque même les pays anglo-saxons connaissent ce problème. Ils ont limité l'actionnariat à des cadres dirigeants. Ce sont les fameuses pratiques anglo-saxonnes du gouvernement d'entreprise.

Il est temps, je crois, d'ouvrir dans notre pays la voie d'une vision libérale, bien sûr, mais à la française, c'est-à dire plus sociale. Cela nécessiterait, monsieur le secrétaire d'Etat, un courage politique qui rompe avec le conformisme politique du débat social français, tradition qui perdure.

Depuis les années 60, les salariés, bénéficiant d'une conjoncture favorable, ont revendiqué un partage des profits privilégiant davantage la masse salariale. Tout au long des années 70, le faible niveau du chômage, la spirale prix-salaires, la gestion collective des salaires, ont abouti à un partage de la valeur ajoutée pénalisant le versement de dividendes aux actionnaires. Actionnaires et salariés sont donc restés durablement opposés.

Dans ce contexte économique, qui n'a plus rien à voir avec la situation actuelle, on a eu tendance à considérer que l'entreprise était simplement une oeuvre d'utilité sociale : vocation « sociétale » toujours mise en avant ; faveur, justifiée mais exclusive, accordée aux salariés ; disqualification de la recherche du profit et, par conséquent, diminution de la rentabilité. Des profits très bas et un endettement record, telle était la situation des entreprises françaises au début des années 80.

Les actionnaires et les salariés ont pourtant un intérêt commun, toujours passé sous silence : le maintien de la rentabilité de l'entreprise à un bon niveau, les premiers souhaitant rentabiliser leur investissement, les seconds souhaitant conserver leur emploi et améliorer leur cadre de vie. La logique du profit reste encore et toujours le moteur de la création de richesse, donc de la création d'emplois.

Mais, l'heure n'est plus aux théories. Dans un monde de plus en plus mondialisé et de plus en plus concurrentiel, la valorisation du capital investi, que ce soit sous forme de dividendes ou sous forme de plus-values, tend à devenir un élément déterminant du développement des entreprises. Le contexte dans lequel elles évoluent s'est ainsi profondément modifié, la part belle étant faite aujourd'hui aux actionnaires, alors que les salaires peinent à augmenter.

Dans un tel contexte, réhabiliter l'actionnaire et le salarié est un impératif, afin que l'entreprise puisse compter sur toutes ses forces vives. Et beaucoup de salariés voient un intérêt matériel grandissant à devenir actionnaires de leur entreprise.

Il faut donc cesser de considérer l'entreprise comme un théâtre de relations sociales conflictuelles, productrice de richesses aussi bien que d'inégalités ou de chômage. Les politiques sociales menées depuis des années, reposant sur la subvention et la fiscalité, ont montré leurs limites. Il convient de réhabiliter l'entreprise dans ce combat pour le social, de la placer au centre du débat et non à la marge, un peu comme un élément subsidiaire. Toutes les mesures censées créer de l'emploi ont été imposées aux entreprises, la dernière en date étant la loi sur les 35 heures, avec le succès que nous connaissons...

Les privatisations de 1986, qui réservaient 10 % du capital aux salariés dans des conditions préférentielles, en leur offrant un rabais de 20 % à l'acquisition des titres, ont rencontré un vif succès. Les deux ouvertures successives du capital de France Télécom en 1996 et en 1998 ont confirmé cet engouement des salariés pour la détention d'actions de leur société.

P our l'entreprise également, l'actionnariat salarié comporte de nombreux avantages : aujourd'hui, le marché financier français est ouvert à 35 % aux capitaux internationaux, contre seulement 8 % pour les marchés financiers anglo-saxons. Les entreprises françaises doivent donc avoir recours aux capitaux étrangers pour financer leurs fonds propres. Mais ces financements, qui font essentiellement appel aux fonds de pensions américains, ne sont pas sans effets pervers : la forte instabilité des capitaux placés. En effet, les pourvoyeurs de capitaux étrangers demandent des placements à la fois très rémunérateurs et peu risqués. Les entreprises sont ainsi obligées de


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fournir une rentabilité toujours accrue à des capitaux qui risquent d'émigrer aux prémices d'une quelconque difficulté.

Il convient donc aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, de chercher des moyens de stabiliser le capital.

Mme Nicole Bricq.

Mais de bons moyens !

M. Claude Goasguen.

Nous estimons que cette stabilité peut être obtenue par l'intéressement des salariés. Les salariés, de par leur rôle, sauront dépasser la stricte logique spéculative et réaliser des arbitrages entre profit personnel et intérêt de la société.

Je rappelle que l'épargne nationale, qui aurait pu constituer un substitut pour la recherche de fonds propres, ne peut actuellement satisfaire les besoins de financement des grandes entreprises. Les Français, lorsqu'ils épargnent, se tournent vers les produits d'épargne réglementés et défiscalisés, à tel point que l'on assiste à une décollecte sur les autres produits d'épargne que sont les actions et les obligations.

La fiscalité sur les plus-values n'est pas non plus étrangère à cet état de fait. Notre pays possède la particularité de cumuler la taxation du patrimoine et celle des plusvalues, le taux applicable aux plus-values étant supérieur à celui pratiqué dans les autres pays européens. Les plusvalues boursières sont donc fortement imposées.

C'est pourquoi rendre les salariés détenteurs d'une part du capital nécessite de mettre en place un dispositif attractif, à la fois issu des stock-options, pour réaliser des plus-values intéressantes, et du plan d'épargne d'entreprise, pour exonérer d'impôt sur le revenu les gains nets retirés de l'opération.

Mme Nicole Bricq.

Malheureusement, ce n'est pas le texte !

M. Claude Goasguen.

La notion de participation permet de sortir d'une stricte logique financière et spéculative : l'intérêt de l'entreprise est préservé. Et derrière la notion de participation se profile celle d'intéressement, la possibilité pour les salariés de devenir actionnaires leur permettant de faire évoluer leur rémunération en fonction des résultats de l'entreprise. L'intéressement est un moyen moderne pour faire bénéficier les salariés de la richesse qu'ils contribuent à créer. Il accroît également la productivité et la rentabilité des salariés.

Cette mesure permettra, de plus, d'insuffler un peu de dynamisme aux grandes structures économiques. Celles-ci, vous le savez, ont tendance à se développer de plus en plus, touchées par une vague de fusions sans précédent dans notre histoire. Souvent, la productivité n'y est pas optimale, les salariés assistant avec désappointement à une parcellisation croissante des tâches. Se développent alors dans les grandes entreprises des comportements d'éloignement proches de ceux constatés dans certaines administrations : vacance, motivation en baisse, absence de vision globale, sens de la responsabilité émoussé.

Alors que les actionnaires sont sensibles à la valeur de l'action en bourse, l'intérêt du manager salarié ou des cadres en général, c'est le chiffre d'affaires, la recherche d'une politique de prestige axée sur l'effet de taille. Des situations d'asymétrie de comportement entre salariés et actionnaires ont ainsi vu le jour.

Certains ont cherché à reconcilier des intérêts différents au moyen des stock-options. Le cadre ou le PDG qui en bénéficie s'intéresse à la création de valeur de l'entreprise afin de maximiser sa rémunération, tributaire pour une part de la cotation boursière. Disposant d'un important rabais à l'acquisition, le cadre peut également, après un certain délai, « lever l'option » et obtenir un confortable bénéfice lors de la vente de ses actions au prix du marché.

Les stock-options ont fait leur apparition en France, mais elles ont de nombreux handicaps.

Mme Nicole Bricq.

Dites-le à Juppé !

M. Claude Goasguen.

Le premier d'entre eux, et non le moindre, est le poids de la fiscalité. Levées avant cinq ans, les options sont soumises à l'impôt sur le revenu, dont le caractère fortement progressif anéantit le bénéfice de la cession. Après cinq ans, les plus-values sont taxées à 40 %. Ainsi, la taxation pesant sur les stock-options constitue la plus lourde fiscalité sur les plus-values boursières. Au lieu d'avantager l'actionnariat salarié, on le pénalise.

Au demeurant, les stock-options ne constituent pas une réponse globale, dans la mesure où elles sont réservées aux cadres de très haut niveau ou au PDG. Par ailleurs, elles ne comportent pas de véritable risque. Dans la plupart des cas, c'est du bénéfice à coup sûr. Enfin, la notion d'intéressement est très évanescente, les options devenant surtout le moyen d'octroyer une double rémunération aux cadres dirigeants.

Pourquoi, du reste, réserver ces avantages aux seuls dirigeants de l'entreprise ? Une pareille limitation de l'actionnariat salarié ne peut que générer l'idée d'un capitalisme qui ne profite qu'à quelques-uns.

Mme Nicole Bricq.

Votre texte ne répond pas à cette question !

M. Claude Goasguen.

Bien au contraire, l'actionnariat accessible à tous les salariés permet de les fidéliser vis-àvis de l'entreprise et de valoriser le capital humain. On ne peut plus considérer les salariés comme une simple force de travail. La richesse du capital humain est une des données majeures de l'entreprise.

La présente proposition de loi envisage une ouverture préférentielle du capital à l'issue de chaque nouvelle augmentation de capital : 5 % des actions nouvellement émises seraient réservées à des conditions privilégiées a ux salariés. Ce plancher de 5 % serait le minimum obligatoire fixé par la loi pour toute nouvelle ouverture de capital, mais rien n'empêcherait telle ou telle société de prévoir un quota d'actions plus important pour ses salariés.

Je souligne également que les groupes de sociétés ne sont pas oubliés dans le dispositif.

Afin de favoriser l'actionnariat populaire, le dispositif d'attribution des actions est différent de celui des stockoptions : il en reprend l'idée, mais se rapproche de celui des plans d'épargne d'entreprise de 1986.

Il est temps, mes chers collègues, que l'actionnariat des salariés trouve enfin sa place dans le capitalisme français : la participation et l'intéressement des salariés sont les maîtres mots pour valoriser le capital humain de l'entreprise et faire marcher actionnaires et salariés dans le même sens. Pour permettre aux grandes entreprises françaises de s'adapter au jeu de la création de valeur tout en assurant une certaine stabilité au capital, pour valoriser le capital humain tout en jouant le jeu des marchés de capitaux, l'actionnariat des salariés devient un impératif commandé par la mutation internationale du capital.

C'est la raison pour laquelle le groupe Démocratie libérale, coauteur de la proposition de loi, se permet d'attirer l'attention du Gouvernement sur ses avantages économiques incontestables, sur ses avantages sociaux, mais


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a ussi, comme l'a souligné M. le Premier ministre Edouard Balladur, sur ses avantages politiques. Car il serait souhaitable, monsieur le secrétaire d'Etat, que, dans un monde de confrontation démocratique, il puisse y avoir de temps en temps, au sein de notre assemblée, quelques éléments de consensus.

Compte tenu de l'intérêt qu'elle présente à tous ces titres, je pense très sincèrement que cette proposition de loi mériterait que le Gouvernement lui consacre un examen approfondi afin de favoriser une modernisation de notre économie qui ne serait ni de droite ni de gauche, mais qui serait la formule française du libéralisme français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Léonce Deprez, qui m'a promis d'être bref.

M. Léonce Deprez.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en complément de l'intervention de Mme Idrac, je tiens à manifester le soutien sans réserve des députés UDF à la proposition de loi de M. Edouard Balladur. Ce texte d'une profonde signification politique s'organise autour d'une idée-force : favoriser le développement du partenariat dans l'entreprise. Il nous offre ainsi l'occasion de donner une nouvelle image de la France en cette fin de siècle. Il doit également nous permettre d'insuffler un nouvel esprit dans cette assemblée, qui a trop d'occasions de se couper en deux...

M. Marcel Rogemont.

La droite, c'est en quatre ou cinq !

M. Léonce Deprez.

... selon un schéma toujours réducteur : droite contre gauche, gauche contre droite. On aboutit ainsi à des caricatures dont l'opinion publique ne se satisfait plus et qui ne répondent plus à l'attente des jeunes générations : nous sommes très nombreux à le ressentir dans nos régions.

Aussi devons-nous saisir cette chance exceptionnelle de revenir à l'idée-force exprimée pour la première fois par le général de Gaulle, d'être fidèle à ce qu'il a apporté à la France et à ce qu'il a été.

Le général de Gaulle n'était ni de droite ni de gauche.

Il était au dessus, il était au devant ! (Applaudissements sur l es bancs du groupe du Rassemblement pour la République. Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Edouard Balladur a été un disciple de sa pensée en 1986, il a voulu ouvrir le capital des entreprises aux salariés. Et c'était une grande réforme.

Aujourd'hui, chers amis, on ne peut plus faire la révolution, mais on peut engager des réformes pour que la France soit une France de partenaires et non plus d'adversaires isolés dans des camps retranchés.

Voilà pourquoi je soutiens cette proposition de loi au nom des députés UDF et au nom de tous ceux qui veulent l'évolution vers une France qui ne soit ni capitaliste ni ultralibérale, vers une France sociale-libérale. C'est u ne démocratie sociale-libérale que nous voulons construire.

M. Marcel Rogemont.

Rejoignez-nous : l'adhésion n'est pas chère au Parti socialiste !

M. Léonce Deprez.

Ce texte nous en donne l'occasion.

Je souhaite que, pour une fois, nous puissions nous retrouver autour de cette idée-force qui est une idée d'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je remercie tous les orateurs d'avoir su aborder ce vaste problème de société dans un climat d'intelligence et de compréhension réciproque.

Je ne m'interrogerai pas sur le choix de ce thème par l'opposition dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler la « niche parlementaire »...

M. Jean-Pierre Delalande.

C'est un thème embarrassant !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... ne voulant pas croire à un quelconque calcul du groupe RPR, qui aurait souhaité ressouder la majorité autour du mot fétiche de

« participation », concept lancé par son fondateur, dont l'héritage a été bien malmené par les turbulences de son parti, voire dévoyé par l'un de ses descendants familiaux.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Charles Cova.

C'est bas !

M. Michel Hunault.

Ce n'est pas à la hauteur du débat !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Je n'ai évoqué cette hypothèse que pour la rejeter aussitôt, car je sais bien que M. Balladur est loin de tous ces calculs politiciens.

Je vais donc aborder ce thème dans l'état d'esprit constructif qui était celui de tous les orateurs, même si je ne tire pas du bilan de la situation actuelle les mêmes conclusions que M. Balladur et ses collègues.

M. Robert Pandraud.

Dommage !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Peut-être est-ce surprenant pour certains d'entre vous : le Gouvernement est favorable à l'actionnariat des salariés.

M. Jean-Pierre Delalande.

Alors acceptez le texte.

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Mais, et là je ne vous supprendrai sans doute pas, il est défavorable à la proposition de loi présentée par M. Balladur et ses collègues.

Pourquoi ces deux positions ? Nous sommes favorables à l'actionnariat des salariés, c'est notre conviction. Et si, jusqu'aux années 80, l'actionnariat des salariés est resté un phénomène très marginal, microscopique, le succès des offres destinées aux salariés dans le cadre des ouvertures de capital ou des privatisations a permis un réel décollage de cet actionnariat.

M algré cela, et comme l'a dit excellemment Mme Bricq, il y a quelques instants, 3 % seulement des salariés possèdent des actions de l'entreprise dans laquelle ils travaillent. Ainsi, environ 700 000 foyers fiscaux environ sont propriétaires d'actions de l'entreprise dans laquelle l'un des deux conjoints exerce sa profession. A cet égard, une comparaison avec la situation américaine est éclairante même si, naturellement, notre modèle ne se trouve pas dans la société américaine : dix-huit millions de salariés américains possèdent des actions de leur entreprise - soit 18 % de la main-d'oeuvre - ce qui tota-


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lise une valeur en actions de plus de 650 milliards de dollars en 1997. Au total la proportion d'actionnaires salariés est trois fois plus élevée aux Etats-Unis qu'en France. Et les avoirs détenus par les salariés américains sont considérablement plus importants. Il est vrai toutefois que la part de la capitalisation boursière détenue par les ménages américains a une structure très différente de celle que nous connaissons en France : 85 % de la capitalisation boursière américaine est détenue par les ménages.

Comme Mme Bricq l'a souligné, l'actionnariat mérite donc d'être développé dans notre pays aussi bien pour les employeurs que pour les salariés, les uns et les autres pouvant en tirer des avantages.

Pour les salariés pris dans leur ensemble, l'actionnariat salarié est un moyen d'être associé plus étroitement à la stratégie de leur entreprise, voire de peser sur celle-ci en faisant valoir leur intérêt spécifique d'actionnaires salariés.

Pour l'employeur, l'actionnariat salarié peut être un outil efficace de management. Il permet de faire partager par le personnel les objectifs économiques de l'entreprise et de le faire participer financièrement aux résultats. En favorisant l'actionnariat salarié, les dirigeants des entreprises peuvent aussi chercher à constituer - cela est apparu dans les différentes interventions - un pôle d'actionnaires stables pour préserver l'entreprise d'actions boursières hostiles. Ce n'est pas l'un des moindres des intérêts de cette démarche.

M. Jean-Pierre Delalande.

Vous le reconnaissez !

M. Michel Herbillon.

Enfin lucide !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

D'une façon plus globale, l'actionnariat salarié participe au développement de l'actionnariat populaire, qui peut contribuer au maintien sur le territoire français des centres de décision économiques et financiers.

M. Michel Herbillon.

Acceptez notre proposition de loi alors !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

L'indépendance économique de notre pays est en jeu quand nous évoquons ces questions. Au-delà de l'expression de la conviction du Gouvernement et de la majorité qui le soutient, nous mettons en oeuvre des dispositions qui visent à mieux associer les salariés au partage de la valeur qu'ils créent dans les entreprises. A cet égard, j'ai été sensible à la démonstration très convaincante de M. Daniel Feurtet, il y a quelques instants. (Rires sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Le Gouvernement a, en effet, inversé pour la première fois le mouvement d'alourdissement des conditions d'association des salariés à la croissance de leur entreprise. Je remercie là encore Mme Bricq, orateur du groupe socialiste, de l'avoir souligné. Elle a d'ailleurs détaillé mieux que je ne saurais le faire, ce qui me permettra d'alléger mon propos, les mesures prises par le Gouvernement dans ce sens. Je n'en mentionnerai que deux. Tout d'abord, la création, dans la loi de finances pour 1998, des bons de sousccription d'actions de parts de créateurs d'entreprises, véritable avancée destinée à associer aux chances de succès de leur entreprise les salariés qui partagent par ailleurs, en tant que salariés, les risques d'échec. Ensuite, le très important dispositif législatif sur l'innovation que Claude Allègre vous présentera dans quelques semaines. Il s'agira d'assouplir encore les conditions d'émissions des bons de souscription de parts de créateurs d'entreprises.

D'une manière générale, notre démarche est différente de celle qui inspire la proposition de loi de M. Balladur.

A chaque fois que le Gouvernement a ouvert le capital des entreprises publiques, il a tenu, en effet, à associer très largement les salariés en amont à ces opérations.

M. Michel Herbillon.

Encore heureux !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Je vous en donnerai deux illustrations. L'ouverture du capital de France Télécom a permis à 75 % des salariés de l'entreprise de devenir actionnaires de leur entreprise et de détenir 3,5 % du capital de celle-ci.

M. Léonce Deprez.

Eh bien voilà !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

A Air France, plus de 72 % des salariés sont devenus actionnaires.

M. Jean-Pierre Delalande.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Elle est ainsi devenue l'entreprise française cotée dont l'actionnariat salarié sera le plus important, supérieur à terme, à 10 % de son capital. A l'esprit de participation, il faut donc associer l'esprit de négociation et l'esprit de solidarité.

Dans les ouvertures de capital ou les privatisations, c'est ce gouvernement qui a étendu la participation des salariés aux cessions de gré à gré ; ce fut le cas au CIC ou au GAN.

Certains disent que l'échec de la procédure de 1996 et la mobilisation sociale apparue à cette occasion étaient notamment dus à l'absence de participation des salariés.

Force est de reconnaître que, si l'opposition affirme y être attachée, elle est beaucoup moins portée à mettre en pratique cette consultation, ce dialogue et cette concertation préalables à ce type d'opération lorsqu'elle est au gouvernement. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Pour cette raison-là, mais aussi pour beaucoup d'autres que je vais maintenant développer, nous sommes hostiles à la proposition de loi défendue par M. Balladur et ses collègues.

M. Michel Herbillon.

Votre position est indéfendable !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Tout d'abord, mesdames, messieurs les députés, parce qu'elle repose sur une vision que, sans aucune polémique, je peux qualifier de « dépassée », de l'entreprise.

(« Très bien ! », sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Hunault.

C'est vous qui êtes dépassé !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

L'obligation pour les entreprises de prévoir lors de toute augmentation de capital une tranche réservée aux salariés serait à la fois lourde et coûteuse pour l'entreprise sans permettre de répondre à l'objectif poursuivi.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est le discours du

MEDEF !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Le dispositif envisagé par la proposition de loi ne repose pas sur une logique partenariale et solidaire, contrairement, notamment, aux mécanismes existants de participation ou de plan d'épargne d'entreprise.

Les modalités de répartition des actions entre les salariés seraient décidées par l'assemblée générale des actio nnaires et non par la négociation entre les partenaires sociaux. Cela irait à l'encontre des caractéristiques souhai-


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tables des dispositifs d'épargne salariale et notamment de d eux valeurs fondamentales que nous devons constamment maintenir dans la démarche publique : l'équité et la transparence.

A cet égard, il est illustratif de ne pas vouloir relier le mécanisme obligatoire qui est proposé à un accord collectif conclu entre les salariés et leur entreprise.

Comme je l'ai indiqué, une vraie démarche d'actionnariat salarié doit lier consubstantiellement l'esprit de négociation et l'esprit de solidarité à l'esprit de participation.

Dans ces conditions, pourquoi la proposition de loi réserve-t-elle l'accès de ce mécanisme aux plus favorisés et ne prévoit-elle aucun accord collectif pour mettre en oeuvre l'actionnariat des salariés ?

Mme Nicole Bricq.

Très juste ! (M. Yves Cochet remplace M. Raymond Forni au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. YVES COCHET,

vice-président

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Il a été fait allusion au Crédit lyonnais. Mais dans ce cas, comme pour toutes les opérations d'ouverture de capital, une concertation approfondie et préalable à l'ouverture du capital sur la géométrie du système, sur ses caractéristiques principales a été engagée par le Gouvernement...

M. Robert Pandraud.

Cela aurait dû aussi être le cas pour les trente-cinq heures !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... préalablement à la présentation de l'ouverture du capital.

Il y a donc une différence politique - au sens le plus noble, bien sûr - d'approche entre la vôtre et celle de la majorité et du Gouvernement.

M. Léonce Deprez.

Tout cela est bien compliqué !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

L'insertion d'un dispositif du type de celui que vous proposez dans un accord d'entreprise, s'il était vu à travers la participation et la concertation préalable des salariés, permettrait d'associer véritablement ceux-ci aux objectifs et aux modalités de l'augmentation de capital et d'en assurer le succès.

Mesdames, messieurs les députés, il est clair que nous sommes animés par deux logiques irréconciliables.

De même, le caractère automatique et obligatoire du dispositif est en contradiction avec l'objectif affiché de la proposition de loi de développer l'esprit de la participation.

M. François Guillaume.

C'est de la casuistique !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Le mécanisme actuel de l'offre réservée aux salariés est tout à la fois plus souple et plus efficace, car il permet aux entreprises de décider du moment et des caractéristiques d'une offre spécifique aux salariés et donc d'insérer au mieux l'actionnariat des salariés dans la politique sociale de l'entreprise.

Rien n'empêche d'ailleurs, aujourd'hui déjà, d'organiser simultanément une augmentation de capital de droit commun et une augmentation de capital réservée aux salariés.

J'ajoute sur ce point qu'une augmentation de capital peut répondre à des objectifs très différents, parfois même très éloignés. Une augmentation croisée entre deux sociétés qui fusionnent ou prennent des participations l'une dans l'autre doit-elle, par exemple, être soumise au même régime qu'une augmentation de capital classique, qui semble être visée par votre proposition de loi ? De même - et au regard de vos références historiques de tout à l'heure, c'est très surprenant - en ne prévoyant pas de mécanisme d'abondement par l'entreprise, la proposition de loi ne permet pas à l'ensemble des salariés, notamment aux plus modestes, de participer à l'augmentation de capital, ce que laisse d'ailleurs entrevoir le plafond de 100 000 francs par salarié retenu, qui favoriserait, à l'évidence, les salariés aux revenus les plus élevés

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est complètement faux !

M. Jean-Pierre Delalande.

C'est exactement le contraire !

M. Robert Pandraud.

Il n'a rien compris !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Du reste, M. le rapporteur l'a noté - sans doute malgré lui. En vérité, seuls les salariés ayant les moyens financiers d'acquérir des actions pourront bénéficier du dispositif. Dans la plupart des cas, les cadres seraient beaucoup plus concernés que l'ensemble des salariés.

Mme Nicole Bricq.

Bien sûr !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Par ailleurs défaut technique sans doute, me rétorquerez-vous -, le plafond de 100 000 francs par salarié joue à chaque souscription. Il n'est donc pas opérationnel comme limite supérieure, puisqu'il peut être renouvelé indéfiniment.

M. Robert Pandraud.

Vous pouvez proposer des amendements !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

On voit bien que votre dispositif a pour but essentiel de privilégier les plus favorisés des salariés.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est faux !

M. Georges Tron.

Nous aurions aimé pouvoir vous répondre, monsieur le secrétaire d'Etat !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Les principes qui guident l'action du Gouvernement dans ce domaine sont bien connus. Ils inspirent par exemple notre réflexion sur les fonds partenariaux de retraite, que nous souhaitons tout à la fois plus collectifs, plus solidaires et plus centrés sur la protection des adhérents que les dispositifs que vous avez tenté de promouvoir, sans d'ailleurs le moindre succès, avec la loi Thomas.

Deuxième objection : cette proposition de loi affaiblit les dispositifs d'épargne salariale existants. Le mécanisme proposé ne s'insère pas dans ces dispositifs, pourtant bien connus, appréciés et pratiqués par les entreprises.

La décote de 50 % et le blocage des titres pendant trois ans ne sont pas cohérents avec l'augmentation de capital réservée dans le cadre du PEE, dont les avantages sont nettement moindres - décote de 20 % au maximum et blocage des titres pendant cinq ans. Un accroissement de la décote doit logiquement aller de pair avec un allongement de la période de détention.

M. Jean-Pierre Delalande.

Ce n'est pas un problème !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Troisième objection : cette proposition affaiblit l'équilibre des finances publiques et des comptes sociaux sans atteindre l'objectif affiché. Le régime fiscal et social accordé serait totalement dérogatoire aux dispositifs prévus par les plans d'épargne d'entreprise ainsi que par la loi de privatisation pourtant déjà très favorables.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 MAI 1999

Alors que les différentes dispositions relatives à l'intéressement et à la participation prévoient toujours l'assujetissement à la CSG et à la CRDS, vous prévoyez d'en exonérer les plus-values de cessions des actions que vous proposez de créer. Certes, cette exonération de CSG et de CRDS n'est pas expressément prévue par la proposition de loi, mais elle en résulte nécessairement s'agissant d'impositions établies à partir des informations portées sur les déclarations de revenus. L'exonération d'impôt sur le revenu que vous souhaitez instituer contient cette exonération.

Le coût élevé pesant alors sur les finances publiquesr ésulterait des souscriptions les plus importantes, c'est-à-dire de celles effectuées, là encore, par les salariés les plus aisés. De votre part, cela ne nous étonne pas, mais il fallait le rappeler. Le texte ne prévoit d'ailleurs pas de limitation des avantages pour les salariés bénéficiant d'un nombre significatif d'actions.

M. Patrice Martin-Lalande.

Discutons-en !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Cela relève toujours de la même philosophie.

De fait, le chantier est beaucoup plus vaste que la proposition de loi dont nous discutons ce matin.

M. Jean-Luc Warsmann.

Bonne raison pour ne rien faire !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

La participation aux augmentations de capital n'est qu'une facette de l'actionnariat salarié,...

M. Robert Pandraud.

Eh oui !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... qui n'est luimême qu'une facette de l'association des salariés à la croissance de leur entreprise.

Je sais d'ailleurs que Didier Migaud a demandé à Nicole Bricq de réfléchir à cette question dans le cadre des travaux de la commission des finances, et je m'en félicite.

(« Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants).

C'est bien une réflexion globale que le Gouvernement entend mener sur l'ensemble des mécanismes de participation et d'association des salariés au partage de la valeur qu'ils créent dans leur entreprise, ainsi que sur leur articulation.

Je dirai pour conclure que le rôle du Parlement est essentiel. L'intérêt de la niche parlementaire nous permet de poser de vrais problèmes économiques et de société.

M. Georges Tron.

Et de ne pas y répondre !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Le rôle de l'opposition est important. Je souhaite, à cet égard, souligner la qualité des interventions, de quelques bancs qu'elles émanent. Des objectifs globaux communs, conformes à l'intérêt économique et social de notre pays, peuvent, en effet, être définis. Je regrette toutefois profondément, au nom du Gouvernement, que l'opposition ne nous permette pas aujoud'hui d'aller plus loin. Ce débat a également montré que nous nous séparons au moins sur trois valeurs fondamentales.

M. Patrice Martin-Lalande.

Discutons-en ! Passons à la discussion des articles !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Tout d'abord, la solidarité. Nous ne voulons pas d'un dispositif qui accroît les inégalités entre les salariés.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.).

La négociation, ensuite. L'actionnariat salarié doit être un enjeu de négociation sociale.

Enfin, la préparation de l'avenir. On ne peut accepter de fragiliser les systèmes sociaux et de mettre en cause une logique fiscale que vous avez bien pris soin de ne pas dégager dans vos différentes interventions au nom de l'opposition !

M. Arnaud Montebourg.

Voilà qui est bien dit !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Comme je constate, par ailleurs, que la commission n'a pas rendu d'avis sur cette proposition, j'invite l'Assemblée à s'opposer à la discussion des articles, en vertu de l'article 94, alinéa 3, du règlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rappporteur.

M. Jacques Kossowski, rapporteur.

Mes chers collègues, je voudrais vous faire part des réponses aux questions que je me suis posées en vous écoutant. Monsieur Feurtet, vous estimez le taux de 5 % trop faible. Mais c'est déjà un début. Si vous vous opposez à tout commencement de solution, comment voulez-vous que l'on apporte une plus-value dans le domaine social ? Par ailleurs, vous avez fait allusion aux abaissements de seuils.

Or, ceux-ci n'ont rien à voir avec cette proposition de loi.

Bien entendu, chacun ne peut être que favorable à une disposition allant dans ce sens, mais, là encore, n'oubliez pas qu'il ne s'agit que d'un début.

Madame Bricq, vous avez rappelé que, pour le général de Gaulle, le capital portait en lui-même une « infirmité morale ». Mais, après avoir bien revu ses propos, je veux préciser que de Gaulle condamnait une certaine forme de capitalisme. Il disait : « La propriété, la direction des bénéfices des entreprises n'appartiennent qu'au capital. »

Et il ajoutait : « Le vieux capitalisme, nous ne le maintiendrons pas tel quel. » C'est ce qui a été fait. Il pensait,

en effet, que la rénovation du capital passait nécessairement par son association avec le travail. C'est précisément l'objet de la proposition d'Edouard Balladur.

Mme Nicole Bricq.

Non !

M. Jacques Kossowski, rapporteur.

Mais si ! Ensuite vous avez souligné que la pratique de la participation restait faible en France. Mais quand vous étiez a u pouvoir qu'avez-vous fait et que faites-vous aujourd'hui ? N'oublions pas que les grandes initiatives en la matière ont été prises par les gouvernements gaulliste et libéraux. Le vote de ce texte serait donc l'occasion de combler le retard pris.

Vous avez également prétendu que le mécanisme prévu serait automatique. Cela est faux : les salariés auraient le choix. Ce texte préserve donc la liberté individuelle.

Mme Nicole Bricq.

Il y a la négociation collective !

M. Jacques Kossowski, rapporteur.

La seule oligation incomberait aux entreprises, qui devraient proposer aux salariés 5 % des actions émises lors de toute augmentation de capital.

Vous avez aussi relevé que les sociétés concernées procédaient fréquemment au rachat de leurs propres actions.

Au-delà du fait que l'augmentation de capital demeure un acte courant dans les entreprises, il faut savoir que, le


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plus souvent, certaines entreprises rachètent leurs propres actions pour verrouiller leur capital et empêcher des opérations inamicales.

La réforme des stocks-options n'est pas abordée dans notre proposition de loi mais, si je me souviens bien, vous l'aviez envisagée à une certaine époque et le ministère des finances avait pensé à les réformer dans le cadre du projet de loi sur l'épargne. Pour autant il n'a jamais été question d'en étendre le bénéfice à tous les salarié s. La seule mesure qui a été envisagée par le gouvernement de Lionel Jospin, était de les exonérer du prélèvement social, ce que le gouvernement Juppé s'était justement refusé à faire. A cet égard je rappelle que le texte de M. Balladur s'adresse à tous les salariés.

Selon vous, ce texte favoriserait un certain type de salariés. Non, bien au contraire, il a une portée très large ; il devrait même surtout bénéficier à des salariés modestes.

Je suis d'ailleurs partisan de compléter ce dispositif par une aide fiscale incitative de l'Etat en faveur des entreprises qui proposeraient des conditions de financement avantageuses.

Mme Nicole Bricq.

Encore !

M. Jacques Kossowski, rapporteur.

Il faut savoir ce que l'on veut !

Mme Nicole Bricq.

Justement !

M. Jacques Kossowski, rapporteur.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez également beaucoup critiqué le texte. Nous n'avons jamais prétendu qu'il était parfait et il est probable que si la discussion des articles avait pu être engagée en commission, nous aurions certainement accepté quelques amendements. Ainsi modifié, peut-être le texte aurait-il pu être adopté aujourd'hui.

Avant de défendre cette proposition de loi, j'en ai parlé avec de nombreux salariés, car nous avons tout de même l'habitude de les rencontrer.

M. Marcel Rogemont.

Ils sont 36 millions !

M. Jacques Kossowski, rapporteur.

Peut-être, mais l'expérience montre qu'en choisissant bien ses interlocuteurs on peut avoir un reflet fidèle de l'opinion générale. Quand on connaît les entreprises, on le sait bien, mais peut-être n'est-ce pas votre cas !

M. Marcel Rogemont.

Nous ne devons pas fréquenter les mêmes salariés.

M. Jacques Kossowski, rapporteur.

J'ai donc pu constater que les salariés attendaient quelque chose de cette proposition de loi. Placés au-dessus des considérations politiques, ils estimaient même qu'il n'était pas pensable qu'un gouvernement de gauche la rejette ! Pour de simples salariés, devenir actionnaires de leur société ne peut être que bénéfique.

M. Marcel Rogemont.

Les salariés qui peuvent investir 100 000 francs par an sont rares !

M. Jacques Kossowski, rapporteur.

En réalité, nous savons que vous refusez ce texte parce que vous êtes toujours prisonniers de votre logique idéologique : étant de gauche, il faut rejeter ce que la droite propose !

Mme Nicole Bricq.

Nous ferons beaucoup mieux.

M. Jacques Kossowski, rapporteur.

Cela surprend d'autant plus les salariés qu'ils ont dépassé ce stade.

Au travers de cette proposition de loi, M. Balladur veut faire en sorte qu'il n'y ait aucune différence entre les salariés. Nous recherchons l'équité et la justice sociale.

Aujourd'hui, vous les refusez. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Vote sur le passage à la discussion des articles

M. le président.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Conformément aux dispositions du même article du règlement, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

Dans les explications de vote sur le passage à la discussion des articles, la parole est à M. Georges Tron, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. Georges Tron.

Comme vous l'imaginez, le groupe du Rassemblement pour la République soutient la proposition de loi de M. Balladur. En l'état actuel de la discussion, il est des observations d'une autre nature à formuler.

Je dois d'abord relever une extraordinaire incohérence, et je pèse mes mots. En effet, alors que l'on parle à longueur de temps de la fameuse « méthode Jospin », le Gouvernement ne veut même pas engager la discussion des articles d'une proposition de la loi présentée dans le cadre de la niche parlementaire ! Quelle extraordinaire incohérence ! Monsieur le secrétaire d'Etat, après avoir avancé des arguments techniques, qui - je le reconnais malgré ma déception - méritaient discussion, il est incohérent de ne pas donner à l'opposition la possibilité d'en débattre à l'occasion de l'examen des articles. Quelle logique y a-t-il à prétendre que l'on est ouvert au dialogue, que toute la méthode du Gouvernement est fondée sur le dialogue, et à ne pas accepter la plus élémentaire des discussions sur un sujet qui ne prêtait pas à une polémique politicienne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Par ailleurs, ainsi que vous l'avez vous-même souligné, comme Mme Nicole Bricq avant nous, cette proposition de loi présente manifestement un intérêt pour l'épargne et l'actionnariat des salariés. Tous les rapports, y compris celui de la COB, le soulignent et les opérations de privatisation l'ont bien démontré. En effet, 75 % des salariés des entreprises concernées se sont portés acquéreurs de leurs actions. Cela intéresse donc non pas 36 millions de salariés - chiffre que j'ai entendu lancé sur les bancs de la majorité - mais une grande majorité des 25 millions de salariés concernés.

Quelle extraordinaire incohérence, de votre part, monsieur le secrétaire d'Etat, de refuser la discussion sur un sujet qui intéresse les salariés ! Certes, nous concevons bien qu'il puisse y avoir désaccord sur telle ou telle modalité technique. Cela est même conforme à la règle du jeu d'une discussion parlementaire. Nous étions donc prêts à l'engager.

Chacun sait aussi que la proposition de loi de M. Balladur a un objectif social, qui a d'ailleurs été largement souligné par le rapporteur. Alors que l'on entend sur les


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bancs tant de la majorité que de l'opposition des appels répétés à un dialogue social apaisé, il est paradoxal que l'on nous empêche de mettre en forme cette proposition de loi qui ouvre pourtant des perspectives claires dans ce domaine.

Enfin, je veux souligner l'extraordinaire incohérence que votre attitude traduit sur le plan économique.

Au moment où la globalisation des marchés et les opérations de fusion justifieraient que l'on fasse tout pour stabiliser l'actionnariat des entreprises - c'était l'un des objectifs poursuivis par cette proposition de loi -, alors même que vous nous expliquez à la tribune que vous adhérez à cet objectif, dont vous comprenez l'importance, vous refusez une discussion qui, je le répète, n'avait rien de politique, au sens dans lequel vous-mêmes avez employé ce mot.

Elle aurait même eu quelque chose de noble, au sens étymologique du terme. Elle nous aurait en effet donné la possibilité de traiter d'un sujet fondamental. Or vous avez décidé, pour des raisons éminemment politiciennes, au sens non noble du terme, que nous n'en discuterions pas.

Cela est en contradiction flagrante avec la vision du dialogue que vous affichez. Cela est en contradiction flagrante avec tous les objectifs que vous déterminez en matière de politique sociale. Cela est en contradiction flagrante avec le réalisme économique qui devrait pourtant vous habiter plus que n'importe qui.

L'opposition s'en désole mais elle n'en est pas surprise.

Manifestement, la majorité s'en satisfait. Je suis convaincu que les salariés seront les premiers à ouvrir les yeux sur ce que vous faites réellement. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Michel Herbillon, pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. Michel Herbillon.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avec sa proposition de loi, M. Edouard Balladur nous avait donné une occasion exceptionnelle de franchir une nouvelle étape dans le développement de l'actionnariat des salariés, dont - cela a aussi été reconnu dans la majorité - le succès économique et social n'est plus à démontrer. Le dispositif proposé tendait en effet à favoriser la justice dans la répartition des revenus, ainsi que le développement de l'épargne, indispensable au progrès économique.

Ainsi que cela a été souligné, y compris sur vos bancs, chers collègues de la majorité, chacun y trouvait son intérêt, les entreprises comme les salariés. L'esprit de participation est en effet plus que jamais nécessaire pour la stabilité des entreprises. Il renforce les liens entre l'entreprise et les salariés et répond, à l'évidence, aux attentes de nos compatriotes.

Face à ce constat - car vous avez donné votre accord sur les thèmes que je viens de développer - nous sommes en plein paradoxe. Je passe sur les leçons de gaullisme, que Mme Bricq a voulu nous donner. Je lui indique d'ailleurs amicalement que, si nous avions besoin d'expertise en matière de gaullisme, ce n'est pas fatalement à elle que nous nous adresserions en premier lieu ! Mais passons !

M. Christian Bataille.

Et M. Sarkozy ?

M. Michel Herbillon.

Mes chers collègues de la majorité, vous prétendez être favorables au développement de l'actionnariat des salariés, mais vous êtes défavorables à notre proposition de loi. Vous dites avoir une ambition plus vaste, mais vous êtes défavorable à la discussion du texte. Or l'objet même du débat parlementaire est de discuter, de proposer et d'amender. Par conséquent, discutons de ce texte, ne refusez pas le début et la discussion ! Puisque vous affirmez avoir une ambition plus vaste, confrontons nos ambitions, confrontons nos propositions ! Si la niche parlementaire ne vous convient pas, monsieur le secrétaire d'Etat, faites inscrire cette proposition à l'ordre du jour, reprenez là à votre compte et cessons d'être dans ce paradoxe et dans cette situation un peu ubuesque dans laquelle vous nous plongez ce matin.

En vérité, je vous le dis (Sourires), vous avez beaucoup de mal à cacher que vous êtes très mal à l'aise.

Mme Nicole Bricq.

Non, nous sommes très bien !

M. Michel Herbillon.

Vous avez beaucoup de mal à cacher votre gêne et vos interventions soulignent votre incohérence. Le débat est même très emblématique de nos positions respectives. Alors que nous vous proposons d'accroître la liberté des salariés, de développer le contrat, de promouvoir le salarié et de renforcer la justice sociale,...

M. Jacky Darne.

Cela vous va bien !

M. Arnaud Montebourg.

Cela se saurait !

M. Michel Herbillon.

... vous nous opposez un modèle du passé, un modèle étatiste, un modèle de lutte des classes (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Arnaud Montebourg.

Nous y voilà !

M. Michel Herbillon.

Au lieu de répondre avec une vision d'avenir, vous nous proposez une vision marquée par l'idéologie et par le conservatisme.

M. Arnaud Montebourg.

Si c'est vous qui le dites, c'est rassurant !

M. Michel Herbillon.

En fait, vous avez un siècle de retard.

Nous ne comprenons pas l'opposition de la majorité et du Gouvernement à ce texte. Vous avez une occasion, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d'Etat, de débattre de cette proposition. Ne refusez pas la discussion dans le cadre du débat parlementaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe communiste.

Amen !

M. le président.

Le débat doit rester laïque, mes chers collègues ! (Sourires.)

La parole est à M. Henri Plagnol, pour le groupe Union pour la démocratie française-Alliance.

M. Henri Plagnol.

Monsieur le président, chers collègues, la réforme proposée par Edouard Balladur, qui vise à permettre à tous les salariés de devenir actionnaires de leur entreprise, répond, de toute évidence, à une nécessité économique et sociale. Vous avez vous-même rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat, que, plus de cinquante ans après la vision géniale du général de Gaulle, la société française restait, de ce point de vue, très en retard par rapport au capitalisme américain puisqu'il y a en France trois fois moins de salariés, proportionnellement, actionnaires de leur entreprise qu'aux Etats-Unis.

I l s'agit même d'une nécessité économique puisque et vous ne l'avez pas contesté l'actionnariat des salariés favorise la stabilité du capital de l'entreprise et l'indépendance nationale.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 MAI 1999

Dans ces conditions comment pouvez-vous refuser le débat sur cette proposition comme vous avez refusé, je le rappelle, le débat sur la proposition présentée par Philippe Douste-Blazy et Jacques Barrot sur des fonds de pension à la française ? On a l'impression que la majorité fait tout pour permettre aux Anglo-Saxons et au capitalisme d'origine étrangère d'être de plus en plus présent dans le capital de nos entreprises aux dépens du travail des salariés français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Christian Bataille.

Voilà le nouveau « parti de l'étranger » !

M. Henri Plagnol.

Il y a également, plus encore peutêtre, une nécessité sociale. A cet égard, je tiens à répo ndre aux quelques objections factices que vous avez tenté de présenter.

D'abord comment pouvez-vous prétendre que la proposition d'Edouard Balladur ne favoriserait que les salariés les plus fortunés alors que c'est précisément le syst ème actuel qui réserve aux seuls détenteurs de stock-options la possibilité de devenir des actionnaires importants de leur entreprise ?

Mme Nicole Bricq.

Pas du tout !

M. Henri Plagnol.

C'est vous qui favorisez le conservatisme, malheureusement relayés par une partie du patronat. En effet, votre discours décalque très largement celui de M. Seillière sur ce point. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous reflétez tous les blocages de la société française.

C'est vous qui empêchez les salariés les plus modestes d'accéder enfin à cette possibilité bien légitime.

M. Pierre Cardo.

Eh oui !

M. Michel Vergnier.

Avez-vous lu le texte de la proposition de loi ?

M. Henri Plagnol.

Aujourd'hui, en effet, quels salariés peuvent-ils être actionnaires de leur entreprise ? Il s'agit essentiellement de ceux des sociétés publiques, et non pas grâce à vous, mais grâce, déjà, à Edouard Balladur, qui, au moment de la loi sur les privatisations, avait permis à tous les salariés des entreprises publiques, d'en devenir actionnaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Vous avez d'ailleurs reconnu que cela avait permis de redonner un élan à l'actionnariat salarié dans ce pays.

Hormis ces salariés issus d'entreprises publiques et les cadres dirigeants actionnaires par l'intermédiaire des stock-options -, tous les autres vont-ils encore devoir attendre ? Faut-il subordonner cela à des accords collectifs, comme vous l'avez proposé ? Or cela revient, vous le savez bien, à donner un droit de veto aux syndicats patronaux ou de salariés. Une fois encore, vous favorisez la société bloquée qui freine le capitalisme populaire dans ce pays, seul moyen pourtant de réconcilier durablement les Français avec l'entreprise, seul moyen de faire en sorte que tous ceux qui travaillent puissent bénéficier des fruits de leur travail et de leur épargne.

M. Gaëtan Gorce.

C'est la chaise à multiporteurs ! (Sourires.)

M. Henri Plagnol.

Parce qu'elle reprend le meilleur de la tradition gaulliste et, permettez-moi de le souligner, de l a tradition démocrate-chrétienne, la proposition d'Edouard Balladur s'inscrit dans le vaste chantier de réformes nécessaires pour aller vers une démocratie sociale libérale que le groupe UDF appelle de ses voeux.

C'est pourquoi nous voterons avec enthousiasme en faveur de l'examen de cette proposition qui est une vraie réforme de société, une réforme allant dans le sens de la justice pour tous.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Bricq, pour le groupe socialiste.

Mme Nicole Bricq.

Rassurez-vous, mes chers collègues, je ne vais pas reprendre les propos que j'ai tenus à la tribune.

(« Si ! Si ! », sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) La discussion a montré qu'il y avait une volonté commune d'augmenter la place des salariés dans la formation, la solidification et la stabilité du capital de nos entreprises. Cela est déjà une indication intéressante. Cela étant, accordez-nous le droit de ne pas vouloir de la discussion de cette proposition de loi.

M. Georges Tron.

C'est incohérent !

Mme Nicole Bricq.

En effet, elle ne correspond pas à l'ambition qui s'est exprimée sur les bancs de cette assemblée. Je pense même qu'il y a une certaine tromperie sur la marchandise ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je retire néanmoins de la discussion, au nom de mon groupe, qu'il est nécessaire de mener une profonde réflexion sur ce sujet.

M. Jean-Pierre Delalande.

Dépêchez-vous !

Mme Nicole Bricq.

Il faut engager une véritable concertation.

M. Michel Hunault.

Discutons !

Mme Nicole Bricq.

C'est un grand chantier que nous devons ouvrir.

M. Charles Cova.

Faites vite, il ne vous reste que trois ans !

Mme Nicole Bricq.

Le législateur doit se donner les moyens, par une bonne préparation,...

M. Michel Herbillon.

Vous refusez la discussion !

M me Nicole Bricq.

... par une bonne discussion, comme nous en avons l'habitude sur les bancs de l'Assemblée, d'élaborer un texte plus ambitieux et plus approprié.

M. Jean-Luc Warsmann.

Pour l'instant, vous n'avez rien fait.

Mme Nicole Bricq.

Nous sommes favorables à l'actionnariat des salariés, mais pas comme vous le proposez.

Nous tronquerions le débat si nous acceptions vos propositions dont j'ai d'ailleurs démontré qu'elles sont très orientées.

M. Georges Tron.

Quelle formidable hypocrisie !

Mme Nicole Bricq.

Vos vociférations ne doivent pas vous empêcher de relire le texte que vous défendez...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 MAI 1999

M. Georges Tron.

A quoi sert le Parlement ?

Mme Nicole Bricq.

... et de convenir, objectivement, qu'il est fait pour favoriser une petite, toute petite catégorie de salariés.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale-Indépendants.)

M. Pierre Cardo.

Scandaleux !

Mme Nicole Bricq.

Il faut donc reprendre ce chantier.

M. Goasguen, qui nous a quittés, a souligné que l'on avait le droit, dans un pays démocratique, d'avoir deux conceptions de la société, deux conceptions de l'entreprise. Nous devons donc débattre de tout cela sereinement et démocratiquement.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Georges Tron.

Discutons !

Mme Nicole Bricq.

Vous ne pouvez pas nous refuser ce droit, pour le bien commun et pour l'intérêt général des salariés.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Je mets aux voix le passage à la discussion des articles de la proposition de loi.

(L'Assemblée décide de ne pas passer à la discussion des articles.)

M. le président.

L'Assemblée ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n'est pas adoptée.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Suite de la discussion du projet de loi (no 1187 et lettre rectificative no 1541) modifiant la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : M. Didier Mathus, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 1578) ; M. Yves Cochet, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis no 1586).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à onze heures trente.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT