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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Questions au Gouvernement (p. 5279).

POLITIQUE DE DÉFENSE (p. 5279)

MM. François Fillon, Alain Richard, ministre de la défense.

S ÉCURITÉ DANS LES TRANSPORTS EN COMMUN PARISIENS (p. 5280)

Mme Françoise de Panafieu, M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

35 HEURES (p. 5282)

MM. Franck Dhersin, Claude Bartolone, ministre délégué à la ville.

SUPERCARBURANT (p. 5283)

MM. Jacques Desallangre, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

ACCÈS À INTERNET (p. 5283)

MM. Jean-Louis Fousseret, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

CRÉDIT LYONNAIS (p. 5284)

MM. René Leroux, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

APPELLATIONS D'ORIGINE CONTRÔLÉE (p. 5285)

MM. Arnaud Montebourg, Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

UTILISATION ABUSIVE DES STAGIAIRES PAR LES ENTREPRISES (p. 5286)

M. Bertrand Kern, Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

GRÈVE DU PERSONNEL DES MUSÉES (p. 5287)

M. Jean-Jacques Jégou, Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication.

KOSOVO (p. 5288)

MM. Christian Cuvilliez, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

NIVEAU DU SMIC (p. 5289)

MM. Michel Vaxès, Claude Bartolone, ministre délégué à la ville.

ORGANISMES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉS (p. 5289)

MM. Philippe de Villiers, le président, Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

2. Eloge funèbre de Michel Crépeau (p. 5290).

MM. le président, Lionel Jospin, Premier ministre.

Suspension et reprise de la séance (p. 5293)

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

3. Publication du rapport d'une commission d'enquête (p. 5293).

4. G ens du voyage. - Discussion d'un projet de loi (p. 5293).

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement.

Mme Raymonde Le Texier, rapporteur de la commission des lois.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 5297)

MM. Patrick Braouezec, Jean-Jacques Weber, Mme Chantal Robin-Rodrigo,

MM. Michel Meylan, Daniel Vachez, Lionnel Luca, Jacques Desallangre, Mmes Christine Boutin, Yvette Benayoun-Nakache,

MM. Charles Cova, André Aschieri, Jean-Antoine Leonetti, Jean-Jacques Filleul, Bernard Schreiner, Mme Laurence Dumont,

MM. Gérard Hamel, Jean-Pierre Blazy, Patrice Martin-Lalande, Mme Martine Lignières-Cassou.

Clôture de la discussion générale.

Renvoi de la suite de la discussion du projet de loi à la prochaine séance.

5. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 5319).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

M. le président.

Mes chers collègues, je vous indique dès à présent que je ne suspendrai pas la séance à la fin des questions au Gouvernement, et que je prononcerai aussitôt l'éloge funèbre de Michel Crépeau.

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par les questions du groupe du Rassemblement pour la République.

POLITIQUE DE DE

FENSE

M. le président.

La parole est à M. François Fillon.

M. François Fillon.

Monsieur le Premier ministre, la politique de défense de la France fait l'objet depuis la fin des années 70 d'un consensus exceptionnel parmi les grands pays européens. Ce consensus est une force pour notre pays qui est aujourd'hui en mesure de jouer le premier rôle dans l'édification d'une défense européenne que la situation dans les Balkans rend plus nécessaire que jamais.

Or, monsieur le Premier ministre, un membre de votre gouvernement et une partie active de votre majorité viennent de remettre en cause ce consensus.

Mme Voynet a en effet déclaré il y a quelques jours à Toulouse qu'elle revendiquait, je la cite, « un droit d'inventaire » sur la politique militaire de la France.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Michel Hunault.

Les propos de Mme Voynet sont scandaleux !

M. François Fillon.

Elle fait de la réduction des dépenses militaires un débat où se joue l'avenir de la majorité plurielle. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Charles Cova.

Elle n'a qu'à quitter le Gouvernement !

M. François Fillon.

Elle a enfin ironisé, avec la compétence qu'on lui connaît dans ces domaines, sur le coût et les avaries du porte-avions Charles-de-Gaulle ainsi que sur notre politique d'exportation d'armements. (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Cette déclaration est évidemment à replacer dans le contexte de la campagne pour les élections européennes.

Celle-ci nous a permis de découvrir le programme des Verts, composante importante de votre majorité, dans le domaine de la défense. Le pays doit savoir ce que pense le Premier ministre, qui, au titre de l'article 21 de notre Constitution, est responsable de la défense nationale, des déclarations de son ministre de l'environnement, comme des propositions suivantes d'une partie importante de sa majorité : l'instauration d'une défense populaire, civile et non violente (Exclamations et rires sur les mêmes bancs); l'abolition définitive de l'arme nucléaire ; la reconversion des industries d'armement vers des productions civiles ; le remplacement à terme des forces armées nationales par des Casques bleus européens. (« Voynet démission ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Thierry Mariani. De telles propositions sont scandaleuses et irresponsables !

M. François Fillon.

Outre qu'il est cocasse que ces propositions émanent d'un des partisans les plus déterminés d'une intervention militaire terrestre au Kosovo, elles portent atteinte à la crédibilité de notre politique de défense et sèment le trouble dans nos armées. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Fromion.

Mme Voynet rit jaune !

M. François Fillon.

Alors, monsieur le Premier ministre, ma question est simple : qu'en pensez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Alain Richard, ministre de la défense.

Je remercie M. Fillon de me donner l'occasion de réaffirmer que la politique de défense de ce pays, placée sous l'autorité, naturellement, du Président de la République...

M. François Fillon.

Et du Premier ministre !

M. le ministre de la défense.

... et du Premier ministre, responsable de la défense nationale, est une politique cohérente, qui s'exerce dans la continuité et qui s'appuie sur un large consensus, lequel n'empêche pas le débat. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. André Berthol.

Ni les incohérences !

M. le ministre de la défense.

M. Fillon et ses collègues de groupe sont, je crois, au moment de la vie politique où nous sommes, les mieux placés pour savoir que


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

peuvent coexister des visions extrêmement différentes de la politique de défense et de sécurité non seulement au sein d'une majorité ou dans une coalition, mais à l'intérieur même d'une formation politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Louis Debré.

Il peut aussi y avoir des gens irresponsables !

M. le ministre de la défense.

Je rejoins M. Fillon pour saluer la détermination avec laquelle notre pays assume aujourd'hui, au sein de l'Europe, ses responsabilités en matière de sécurité, et je pense que nous voyons approcher le moment où nos efforts, très largement soutenus dans cet hémicycle,...

M. Jean-Louis Debré.

Pas par Mme Voynet !

M. le ministre de la défense.

... y compris par la formation politique que vous avez citée, vont produire des effets dans le sens de la restauration de la paix et de la stabilité.

M. Jean-Louis Debré.

Mme Voynet dit n'importe quoi et cela n'a aucune importance !

M. le ministre de la défense.

Le débat doit se poursuivre, aboutir à des décisions, et il nous faut travailler dans la cohésion.

Je pense, monsieur Fillon, qu'en posant votre question vous éprouviez une certaine nostalgie et que vous vous demandiez si le Gouvernement auquel vous participiez avait atteint le même degré de sérénité, de capacité de d ébat et de cohésion que celui que nous avons aujourd'hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Michel Hunault.

Ce n'est pas un gouvernement, c'est un assemblage ! SÉCURITÉ DANS LES TRANSPORTS EN COMMUN PARISIENS

M. le président.

La parole est à Mme Françoise de Panafieu.

Mme Françoise de Panafieu.

Faible réponse que celle de M. Richard pour un sujet aussi important que celui de la défense de notre pays. J'ai l'impression que cette réponse était davantage inspirée par le souci du maintien de la majorité plurielle que par celui de notre politique de défense. Dont acte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

J'en viens à ma question.

Monsieur le Premier ministre, à l'inquiétude succède la colère. Aujourd'hui, Paris est en colère à la suite d'une sauvage agression survenue hier dans le métro à la station Barbès-Rochechouart et qui met en danger la vie d'un agent de la RATP. Ce nouvel et dramatique épisode de la progression de la violence urbaine a débouché sur une grève générale, avec toutes les conséquences que l'on sait.

Je tiens à exprimer à la famille de cet agent la compassion la plus sincère de notre groupe, et, je le pense, de l'ensemble de la représentation nationale. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Au moment où certains se plaisent ou se complaisent à chanter les louanges de votre politique, monsieur le Premier ministre, il est utile de rappeler quelques chiffres concernant la délinquance. Alors qu'entre 1995 et 1997, la délinquance générale à Paris avait baissée de 15 % et de 30 % pour la délinquance sur la voie publique,...

M. Christian Cabal.

C'est vrai !

M me Françoise de Panafieu.

... nous enregistrons depuis 1998 une progression de 4,5 % pour la délinquance générale, de 10 % pour celle sur la voie publique, et de 37,5 % pour celle ayant pour cadre le réseau RATP.

M. Arthur Dehaine.

C'est vrai !

Mme Françoise de Panafieu.

Voilà six mois, monsieur le Premier ministre, vous annonciez aux Français, par le biais de la télévision, des mesures en faveur de la sécurité dans les transports en commun. La sécurité n'est revenue ni pour les agents de la RATP ni pour les voyageurs ! Aujourd'hui, les Franciliens subissent une de ces grèves qui leur coûtent tant en fatigue qu'en perturbations diverses, mais, celle-ci, ils la trouvent vraiment justifiée.

L'opposition nationale s'associe à ces élus parisiens qui demandent constamment, mais en vain, un accroissement des effectifs de police. Et ce n'est pas la mesure annoncée ce matin dans l'urgence par le préfet de police qui permettra de répondre durablement à la situation.

Nous savons, et vous le savez très bien, tous les syndicats de police le disent et le répètent : il manque 1 500 policiers à Paris. (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste.) Et ce ne sont ni les emplois-jeunes ni les agents d'ambiance qui pallieront cette insuffisance.

(Mêmes mouvements.)

M. Yves Rome. Scandaleux ! Mme Françoise de Panafieu. Ma question est simple : qu'attendez-vous pour considérer que Paris est un département difficile, et qu'attendez-vous donc pour le doter en conséquence des renforts de police nécessaires ? M. Alain Néri. Pas à Paris !

Mme Françoise de Panafieu.

Qu'attendez-vous pour agir ? Il faut que vous vous décidiez à faire autre chose qu'à réunir des colloques.

M. Yves Rome. Scandaleux !

Mme Françoise de Panafieu.

Quand prendrez-vous les m esures énergiques qu'imposent la délinquance des mineurs, la multiplication des bandes et l'exaspération aujourd'hui cruciale de la population et des élus ? Monsieur le Premier ministre, vous ne pouvez plus vous livrer à des manoeuvres dilatoires, nos concitoyens attendent, en même temps que votre réponse, de vraies remèdes à cette insécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

(Vives protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

M. Eric Doligé.

La CGT entre en piste !

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Madame la députée, face au drame qui s'est produit hier dans le métro, l'heure est davantage à la solidarité et à la réflexion,...

M. Eric Doligé.

A l'action ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

... pour essayer de faire progresser les choses, qu'à une démarche polémique ou politicienne.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Nous attendons de disposer de tous les éléments susceptibles de nous expliquer pourquoi une telle altercation...

M. Pierre Lellouche.

« Altercation » ! La famille appréciera ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

... a eu des conséquences terribles et tragiques pour un agent de la RATP. Le président de la RATP et moi-même, nous nous sommes rendus sur place pour exprimer, comme M. le Premier ministre l'a fait ce matin, notre solidarité (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants),...

M. Jean-Louis Debré. Ce n'est pas cela qui va régler le problème ! Plusieurs députés du groupe socialiste. Un peu de pudeur, Debré ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement. ... notre compassion à la famille de la victime et aux agents concernés.

Les agents de la RATP ressentent aujourd'hui une très très forte émotion, car l'un des leurs se trouve entre la vie et la mort à l'heure où nous parlons. Ces agents, qui assurent un service public, se trouvent confrontés à des problèmes d'insécurité qui ne devraient pas exister.

M. Jean-Louis Debré. Répondez à la question ! M. Pierre Lellouche. Qu'allez-vous faire ? M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement. La détermination du Gouvernement, madame la députée, vous le savez, est totale pour renforcer l'humanisation du service public (« Baratin ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

M. le président. S'il vous plaît, mes chers collègues ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

... et la sécurité dans les gares et dans les transports collectifs. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Qu'avons-nous fait ? Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Rien ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Depuis 1997, époque à laquelle s'est réunie une table ronde (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), bien des choses se sont concrétisées. Ainsi, 1 700 emplois statutaires et emploisjeunes ont été créés pour établir un contact avec le public. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Christian Cabal.

Ce n'est pas ça qui permettra d'empêcher les agressions ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Sur le plan des moyens matériels, alors que vous vous contentiez simplement de 30 millions de francs par an, nous avons débloqué 300 millions pour valoriser tous les systèmes de radio-surveillance (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

M. Pierre Lellouche.

La délinquance à la RATP a progressé de plus de 37 % ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

... et pour équiper les cabines de dispositifs anti-agressions.

De même, les effectifs de la police nationale ont été renforcés.

M. Jean-Louis Debré.

Vous n'êtes pas le ministre de la police ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Dans les gares, notamment en région parisienne, des postes de police vont être mis en place. Et vous reconnaissez, madame la députée, que c'est une bonne chose.

M. Philippe Auberger.

On parle du métro ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Par ailleurs, la préfecture de police a annoncé ce matin qu'elle allait accroître notablement le nombre des patrouilles en uniforme, notamment pour lutter contre la présence des vendeurs à la sauvette, dont on sait qu'elle est à l'origine de l'altercation qui s'est produite.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Parallèlement, nous avons souhaité que le Parlement se prononce et c'est ce qu'il a fait - pour que les auteurs d'agressions contre des agents du service public des transports soient plus sévèrement sanctionnés. (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Malheureusement, le recours formé devant le Conseil constitutionnel par une partie des députés de l'opposition ne permet pas, pour l'instant, de promulguer la loi. (Huées sur les mêmes bancs. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

La dimension « transports collectifs » est prise en compte dans tous les contrats locaux de sécurité, sauf à Paris qui a refusé de l'inclure. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Vous voyez bien que la volonté du Gouvernement en la matière est totale.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

Dans de telles circonstances, nous devons exprimer tous ensemble non seulement notre solidarité et notre compassion vis-à-vis de la famille concernée, laquelle est terriblement éprouvée, mais également envers les agents du service public,...

M. Jean-Michel Ferrand.

Oui ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

... pour que les transports collectifs deviennent de plus en plus sûrs et pour que les usagers puissent les utiliser dans les meilleures conditions. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Nous en venons à une question du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

35 HEURES

M. le président.

La parole est à M. Franck Dhersin.

M. Franck Dhersin.

Après ma collègue du groupe du Rassemblement pour la République, je tiens à rendre hommage à l'agent de la RATP qui a été sauvagement agressé hier à Paris.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, même si je ne la vois pas au banc du Gouvernement.

Madame la ministre, l'application des 35 heures, qui est, comme nous le savons tous, un véritable fiasco (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) , génère des usines à gaz, dont le fonctionnement est incompréhensible tant pour les salariés que pour les employeurs.

Après avoir élaboré un Meccano fiscal qui vise à taxer davantage les entreprises, tout en leur faisant croire l'inverse, le Gouvernement semble tenté, selon un haut responsable syndical, par l'institution, à compter du 1er janvier 2000, d'un double SMIC. Pour les salariés payés au SMIC, leur salaire comportera deux parties, la première correspondant à un SMIC calculé sur la base des 35 heures par semaine, laquelle évoluerait comme le SMIC actuel, la seconde prenant la forme d'une compensation évoluant en fonction de l'indice des prix pour atteindre le niveau du SMIC calculé sur 39 heures.

Ce système kafkaïen pose plus de problèmes qu'il n'en résout. Il risque d'écraser la grille salariale vers le bas. Il provoquera des inégalités entre les salariés à temps partiel et les salariés à temps complet.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

La question !

M. Franck Dhersin.

Les entreprises qui ont déjà signé des accords de réduction du temps de travail avec une convergence du SMIC horaire et du SMIC mensuel devront-elles appliquer le nouveau système concocté par les technocrates du ministère du travail ? Il sera source de paperasse pour les entreprises, et en particulier pour les PME.

A partir du 1er janvier 2000, les entreprises et les salariés devront jongler avec deux durées légales du travail, deux régimes d'heures supplémentaires, deux régimes de charges sociales et deux SMIC. Heureusement, nous n'avons qu'une seule Aubry, et ça nous suffit ! (Sourires sur quelques bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.) A quelques mois de l'entrée en vigueur des 35 heures pour les entreprises de plus de vingt salariés, ces derniers et les employeurs sont en droit d'attendre des réponses claires du Gouvernement.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

La question !

M. Franck Dhersin.

Quel sera le régime applicable au SMIC, et combien de temps durera le régime transitoire ? Plusieurs députés du groupe socialiste.

La question !

M. Franck Dhersin.

Je pose la question, messieurs, écoutez-la !

M. le président.

S'il vous plaît, mes chers collègues, faites un peu de silence. Concluez, monsieur Dhersin.

M. Franck Dhersin.

Quelles mesures entendez-vous prendre pour tenir compte de la spécificité du travail des cadres ? Comment allez-vous financer la facture des 35 heures, qui serait comprise entre 65 et 100 milliards de francs ? Face à ces questions qui semblent diviser le Gouvernement et les partenaires sociaux, et auxquelles vous refusez de répondre depuis plusieurs semaines, ne devriez-vous pas suivre le conseil de Nicole Notat qui vous a demandé de reporter d'un an l'application de la loi sur les 35 heures ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué à la ville.

M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville.

Monsieur le député, je vais essayer de répondre à votre question à la place de Martine Aubry qui est retenue au Sénat pour défendre la CMU, et je vais tenter de le faire en fonction de ce que j'ai pu entendre et pu comprendre de votre intervention. (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Je comprends parfaitement, notamment en cette période d'anniversaire, que vous ayez envie, en tant que député de l'opposition, d'amoindrir les résultats obtenus par ce gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mais après tout, c'est un phénomène que nous avons déjà connu dans le passé avec la décentralisation : on se souvient de ce que vous avez pu en dire à l'époque et combien vous l'appréciez aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Pierre Lellouche.

Et sur les privatisations, que disiez-vous ?

M. Franck Dhersin.

Il en ira exactement de même avec la loi sur les 35 heures, loi dont nous sommes fiers.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Je tiens à le répéter : aujourd'hui, quatre fois plus de salariés sont touchés par les 35 heures (« Touchés, oui ! »s ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) , touchés positivement (Rires et exclamations sur les mêmes bancs),...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

M. le président.

S'il vous plaît !

M. le ministre délégué à la ville.

... et ils sont si satisfaits qu'ils sont neuf sur dix à voter pour lorsque les accords de réduction de la durée du travail leur sont présentés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. Exclamations sur la bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Eric Doligé.

C'est faux !

M. le ministre délégué à la ville.

En ce qui concerne le SMIC, vous n'étiez pas député, monsieur Dhersin, lorsque nous avons commencé la discussion de ce texte.

J'ai déjà eu l'occasion de le dire lorsque j'exerçais d'autres fonctions : s'il y avait réellement eu, dans notre pays, une volonté du patronat de négocier, l'Assemblée nationale n'aurait pas été obligée d'examiner une loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Comme le Premier ministre l'a dit, le SMIC ne sera pas touché à l'occasion du texte sur les 35 heures.

Un rapport intermédiaire a été réalisé dans le courant du mois de mai ; il analyse l'ensemble des accords qui ont été signés dans les entreprises. On constate que les entreprises n'ont pas menacé le SMIC, que celui-ci a été préservé, que le pouvoir d'achat des salariés a été sauvegardé dans le cadre de ces négociations, avec la volonté de trouver un bon compromis entre l'intérêt des entreprises et celui des salariés.

C'est cette démarche qui sera au coeur des propositions qui seront faites par le Gouvernement dans la deuxième loi sur laquelle les parlementaires auront l'occasion de s'exprimer dans les semaines qui viennent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe Radical, Citoyen et Vert.

SUPERCARBURANT La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre.

Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie et concerne le retrait, annoncé pour dans peu de temps, de la distribution du supercarburant. La directive européenne du 13 octobre 1998 impose ce retrait dans un souci de lutte contre les pollutions atmosphériques et de préservation de la santé de nos concitoyens. Cependant, un grand nombre de véhicules fonctionnent encore exclusivement au supercarburant plombé, qui représente 30 % de la consommation.

Les possesseurs de ces automobiles ou deux roues n'ont bien souvent pas la possibilité financière de renouveler un véhicule parfois âgé. De même, l'utilisation d'additifs coûteux est malcommode et l'adaptation des moteurs n'est pas envisageable pour les ménages les plus modestes, qui sont le plus souvent les possesseurs de ces véhicules anciens.

Je souhaiterais donc savoir, monsieur le secrétaire d'Etat, si les conséquences économiques et sociales d'un tel retrait ont été évaluées, afin d'éviter de pénaliser les ménages à faibles revenus. Si ces conséquences se révélaient trop rigoureuses pour ces ménages, envisageriezvous d'user de la faculté reconnue par l'article 3 de la directive, ce qui permettrait de reporter l'entrée en vigueur de la mesure le temps de trouver des solutions prenant en compte les difficultés de certains propriétaires ? Pouvez-vous préciser les modalités du retrait de la distribution du supercarburant et, au-delà, indiquer comment vous entendez protéger ceux de nos concitoyens que leurs ressources trop modestes obligent à utiliser des véhicules fonctionnant à l'essence plombée ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, la suppression du carburant plombé au 1er janvier 2000 concerne plusieurs millions d'automobilistes, puisque 30 % du carburant distribué aujourd'hui est du super contenant du plomb et que 15 % des automobiles en circulation ont été construites avant 1987 et utilisent ce type de carburant.

Le Gouvernement est très attentif à la situation des automobilistes qui sont contraints, parce qu'ils possèdent des véhicules de ce type, à utiliser du carburant plombé ; c e sont en majeure partie des automobilistes très modestes, vous avez raison de le souligner.

Il n'a pas paru opportun de différer l'application de cette directive, car nous avons souhaité privilégier la protection de l'environnement. Au 1er janvier 2000, ce carburant sera donc remplacé par un carburant de substitution spécifiquement dédié aux véhicules anciens et qui ne contiendra pas de plomb. Il sera distribué dans l'ensemble des stations-service exactement dans les mêmes conditions que le carburant plombé aujourd'hui.

Je tiens donc à rassurer tous les automobilistes qui utilisent ce carburant : rien ne changera en pratique pour l'alimentation en carburant de leur véhicule.

Ce choix a été dicté par un souci de simplification en faveur des consommateurs, qui ne subiront aucune rupture d'approvisionnement, aucune contrainte nouvelle, qui ne devront effectuer aucune démarche supplémentaire. Le prix du nouveau carburant sera d'ailleurs équivalent à celui de l'essence plombée actuelle.

Ce choix est le même que celui effectué par l'Allemagne, l'Autriche et les pays scandinaves. Nous l'avons fait après une concertation très étroite avec les industriels et les consommateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe socialiste.

ACCÈS À INTERNET

M. le président.

La parole est à M. Jean-Louis Fousseret.

M. Jean-Louis Fousseret.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ou à

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Le Premier ministre a fait de l'entrée de la France dans la société de l'information une priorité de l'action du Gouvernement et il a placé le développement de l'usage d'Internet au coeur de ses préoccupations.

Le 19 janvier dernier, à l'occasion d'un comité interministériel sur la société de l'information, il a souhaité que soient mises en oeuvre des mesures tarifaires favorables aux internautes.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

De nombreuses associations d'internautes mécontents - l'IMC, l'ADIM - ont manifesté à plusieurs reprises leur hostilité à l'égard des tarifs de France Télécom et demandé des formules tarifaires plus favorables. A cet effet, j'avais d'ailleurs déposé auprès du groupe socialiste une proposition de loi tendant à instituer un forfait de connexion à Internet. A l'époque, on m'avait assuré que le Gouvernement ferait des propositions car il voyait là une priorité.

En effet, à une époque où le prix du matériel informatique est en baisse constante, où les fournisseurs d'accès gratuit à Internet se multiplient, la facture téléphonique constitue encore un frein incontournable pour ceux qui utilisent ce nouveau média pendant des durées importantes, surtout pour les ménages les plus modestes.

Quelles mesures le Gouvernement a-t-il prises pour donner toute sa portée à son engagement en faveur du développement véritablement démocratique d'Internet en France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le député, il nous fallait, à Dominique Strauss-Kahn et à moi-même, vérifier auprès de l'ART la conformité des dispositions que nous avons homologuées hier avec les règles de la concurrence. C'est désormais fait et nous avons donc pu annoncer que le forfait permettra à tout internaute de disposer de vingt heures de connexion par mois pour 100 francs. Il sera utilisable tous les jours à partir de dix-huit heures, le mercredi après-midi à partir de quatorze heures, les week-ends et les jours fériés sans aucune restriction horaire.

Il correspond au prix très modique de 5 francs par heure, alors que le tarif local est aujourd'hui de 16 francs par heure en heures pleines et de 8 francs en heures creuses ; c'est donc le meilleur tarif qui puisse être pratiqué aujourd'hui.

M. Bernard Roman. Très bien ! M. le secrétaire d'Etat à l'industrie. Il correspond pleinement aux directives européennes et intégralement aux règles de la concurrence. Une comparaison rapide permet de le montrer : pour vingt heures, le prix est de 100 francs en France, 147 francs en Grande-Bretagne et 154 francs en Allemagne. La France se situe donc au meilleur niveau européen et, dès que France Télécom aura commercialisé ce tarif, nous pourrons aborder une nouvelle étape pour la mise à disposition du plus vaste public, à un coût tout à fait remarquable par sa modicité, de ce moyen de communication, d'information et de culture.

Je tiens à préciser à l'Assemblée nationale que ce progrès technologique doit être suivi d'autres progrès puisque nous avons demandé, Dominique Strauss-Kahn et moimême, à France Télécom de proposer rapidement une offre de raccordement à haut débit, car c'est le vrai problème aujourd'hui pour les internautes, sur les lignes téléphoniques, par la mise en oeuvre de la technologie ADSL, et que l'ART doit nous rendre un avis sur cette offre dans les délais les plus brefs.

Cette technologie permettra aux abonnés situés dans les zones urbaines de disposer d'un service de meilleure qualité et d'une plus grande rapidité d'accès, tout en utilisant la même ligne pour le service téléphonique.

Le Gouvernement est donc bien en ligne (Sourires) et en cohérence avec le précepte qu'il a mis en avant lorsque, autour du Premier ministre, nous avons bâti l'idée très forte et très novatrice de société de l'information, dans laquelle la France est l'un des premiers pays du monde développé à s'être engagé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

CRÉDIT LYONNAIS M. le président. La parole est à M. René Leroux.

M. René Leroux. Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à votre arrivée, en juin 1997, vous avez trouvé le dossier du Crédit lyonnais en piteux état. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) La Commission européenne se lassait notamment dess ilences et des atermoiements du gouvernement de l'époque. Rien n'était alors réglé, loin s'en faut, et l'avenir du Crédit lyonnais et de ses salariés semblait plus qu'incertain.

En mai 1998, vous avez obtenu un accord avec les autorités européennes et redonné un avenir au Crédit lyonnais.

Parallèlement, la réforme du CDR de 1997 a mis fin aux dérapages antérieurs. Nous avons franchi un nouveau cap, le 27 mai dernier, lorsque vous avez annoncé les noms des membres sélectionnés pour le groupe d'actionnaires partenaires.

Pouvez-vous indiquer à la représentation nationale quel sera l'impact de ces partenariats sur la compétitivité de la banque, son avenir à long terme et celui de ses salariés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, en effet, j'ai rendu publique il y a quelques jours la composition du groupe d'actionnaires partenaires du Crédit lyonnais dans le cadre de la procédure qui est en cours.

M. Philippe Auberger et M. Patrick Devedjian. C'est un noyau dur ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Comme vous me le demandez, je veux d'abord expliquer en quelques mots à la représentation nationale en quoi consiste l'apport de ce groupe d'actionnaires.

D'abord, ne pouvant être modifié pendant deux ans, il constitue un actionnariat stable pour le Crédit lyonnais pendant les deux prochaines années, qui seront les deux premières où la banque sera libérée de la tutelle de l'Etat.

En second lieu, les institutions, banques ou compagnies d'assurances qui ont été retenues apportent des partenariats. Pour le Crédit agricole qui a été placé au plus haut niveau possible 10 % du capital -, ce partenariat est stratégique et à long terme, et l'avenir du Crédit lyonnais s'organise en accord avec le Crédit agricole. Pour d'autres, comme les AGF ou AXA, il s'agit d'une complémentarité de produits, car nous savons aujourd'hui que l'industrie de la banque est très proche de celle de l'assurance. Pour d'autres encore, la Commerzbank allemande, le BBV espagnol et l'Intesa italien, il s'agit d'une complémentarité géographique qui ouvrira au Crédit lyonnais de nouveaux marchés, le plus grand marché européen avec l'Allemagne, le marché espagnol et celui d'Amérique latine avec le BBV, et le marché italien avec l'Intesa.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

Enfin, le Crédit commercial de France présentait un partenariat localisé, spécifique, qui lui a valu une participation plus faible.

Il y a donc, avec 33 % du capital entre ces mains, plus 10 % qui restent entre les mains de l'Etat, plus 5 à 6 % entre celles du personnel, une stabilisation de l'actionnariat du Crédit lyonnais, qui permettra son développement.

Je ferai quelques remarques.

D'abord, s'il y a eu autant de demandes, c'est que le Crédit lyonnais est devenu une bonne banque. Je veux saluer ses dirigeants et ses salariés qui, après les différents malheurs de cet établissement, ont su, en quelques années, redonner au Crédit lyonnais un attrait suffisant pour que ceux qui veulent participer à son capital soient aussi nombreux.

M. Patrick Devedjian. Ses malheurs n'étaient pas dus à la fatalité ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Seconde remarque : la restructuration par la coopération fonctionne, et il n'est pas obligatoire de déclencher des conflits comme ceux auxquels nous avons assisté dans le secteur privé, et qui posent un problème à l'ensemble de la place financière parisienne.

Troisième remarque : ce processus ne sera terminé qu'au début du mois de juillet, lorsque l'opération, y compris sa partie grand public, aura été achevée. Ce n'est qu'à ce moment-là que je serai totalement rassuré sur l'avenir du Crédit lyonnais. Nous sommes encore au milieu du gué.

Je ferai une cinquième remarque, revenant sur un point dont j'ai vu qu'il ne plaisait qu'à moitié à une partie de l'hémicyle.

En mai 1997, l'une des caractéristiques de ce dossier était que les autorités de Bruxelles attendaient depuis plus de huit mois que la France veuille bien répondre aux demandes qui lui étaient faites quant au plan stratégique du Crédit lyonnais,...

M. Bernard Roman. Eh oui ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... et que le dossier était en jachère depuis huit mois. En mai 1998, j'ai passé un accord avec les autorités de Bruxelles sur l'avenir du Crédit lyonnais. En mai 1999, cet avenir se met en place. Le problème du Crédit lyonnais sera donc bientôt derrière nous ; cette banque va de l'avant.

M. Charles de Courson. A coup de milliards versés par le contribuable ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Quant à la structure de défaisance, qui a perdu beaucoup d'argent en raison des pertes que le Crédit lyonnais a générées pendant plusieurs années, chacun a à l'esprit...

Plusieurs députés du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

C'est vous qui en êtes responsables ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Messieurs de l'opposition, à votre place, je serais moins fier, car nombre d'entre vous ont été mêlés à ces affaires ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Le redressement du Crédit lyonnais a commencé en 1995, mais la banque a coûté encore beaucoup d'argent aux contribuables français à cause de la façon dont le dossier a été traité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Philippe Auberger.

La gestion du Crédit lyonnais, c'est vous qui en êtes responsables ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Lorsqu'on décide qu'il faut tout vendre, et vite, qu'on installe des tréteaux devant les Galeries Lafayette et qu'on annonce que tout doit avoir disparu avant le soir, il ne faut pas être surpris de vendre mal et de faire perdre de l'argent aux contribuables.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Depuis la fin de 1998, le CDR a été réorganisé et les pertes du Crédit lyonnais sont périodiquement révisées à la baisse.

M. Pierre Lellouche.

Cent cinquante milliards de francs au total ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

De votre temps, ces pertes étaient sans cesse révisées à la hausse, car vous vouliez tout vendre le plus vite possible.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Nous, nous gérons ces pertes correctement et, lorsque le Crédit lyonnais aura été cédé, vous verrez que nous serons très loin des chiffres que vous avez avancés, et que nous aurons une banque d'envergure internationale, qui sera remise sur ses pieds.

Plutôt que de vous réjouir de ses malheurs passés, vous feriez mieux de vous réjouir de la santé que cet établissement a retrouvée aujourd'hui.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

APPELLATIONS D'ORIGINE CONTRÔLÉE

M. le président.

La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg.

Monsieur le ministre de l'agriculture et de la pêche, le scandale du poulet belge contaminé à la dioxine nous rappelle à quel point la France a eu raison de se battre, bec et ongles (Sourires) face aux autorités européennes, pour défendre et imposer les appellations d'origine contrôlée de la volaille française et d'autres produits.

Les consommateurs européens savent-ils, par exemple, que les volailles de Bresse, ses chapons, ses poulardes, relèvent d'une appellation d'origine contrôlée qui oblige les éleveurs, depuis des décennies, à nourrir leurs volailles avec du lait et des céréales récoltées dans cette zone ?

M. Michel Voisin.

Très bien !

M. Arnaud Montebourg.

Cet exemple parmi tant d'autres nous enseigne que la politique des appellations d'origine contrôlée, de délivrance de labels, de surveillance de la traçabilité des produits, que la France met en


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

oeuvre avec force et que la dernière loi d'orientation agricole a à juste titre renforcée à juste titre, doit être transposée dans certains pays européens qui refusent tout cela et le rejettent avec une obstination que je juge coupable.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Quelles initiatives entendez-vous prendre dans les enceintes européennes et dans le cadre de la diplomatie agricole pour imposer à ces pays les exigences qualitatives que l'agriculture française a su fort heureusement respecter à l'égard de tous les consommateurs européens, pour le plus grand profit de nos agriculteurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur le député, c'est vrai que l'Europe traverse, comme je le disais hier, une crise grave en matière de sécurité alimentaire.

M. Maxime Gremetz.

La Somme aussi !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Il est exact que, face à ces problèmes, les appellations d'origine contrôlée, les poulets fermiers, les poulets répondant à des conditions de label, sont une garantie pour les consommateurs, et que les produits alimentaires en question sont à l'abri des déviations liées aux excès du productivisme.

Sur ce point, la France est en avance, et nous sommes en train de conforter cette avance grâce à la loi d'orientation agricole que vous avez adoptée la semaine dernière en lecture définitive et qui fait faire aux procédures de qualité un pas en avant décisif.

Nous devons aussi veiller, au niveau européen, à parvenir à une harmonisation des différentes procédures de labellisation et de certification de la qualité. Nous rencontrons des difficultés pour faire entendre raison sur ce point à nos partenaires européens et pour que cette harmonisation s'effectue par le haut, et non par le bas. Je pense en particulier aux produits biologiques, pour lesquels la France a élaboré des normes très rigoureuses.

L'harmonisation européenne aboutirait, si nous n'y prenions garde, à élaborer des labels biologiques peu rigoureux, ce qui ne correspondrait pas à nos exigences de qualité.

Nous devons donc continuer à nous battre pour que cette harmonisation se fasse par le haut. Mais tant que l'ensemble de la production agricole ne sera pas labellisée et certifiée - c'est encore loin d'être le cas - il faudra penser à l'ensemble des consommateurs. Cela ne nous dispense pas de prendre les dispositions de précaution que j'ai annoncées hier, parce que la crise est là. La garantie certifiée à laquelle vous faites allusion est la meilleure des garanties, mais il faut aussi penser aux consommateurs qui achètent moins cher parce qu'ils n'ont pas les moyens de faire autrement. Ceux-là aussi doivent avoir des garanties. C'est l'un des aspects de la crise actuelle à laquelle nous devons trouver des solutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

UTILISATION ABUSIVE DES STAGIAIRES PAR LES ENTREPRISES

M. le président.

La parole est à M. Bertrand Kern.

M. Bertrand Kern.

Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Pour remplacer des salariés absents, en congé maladie ou de maternité, voire licenciés, des entreprises utilisent abusivement des stagiaires. Cette pratique tend malheureusement à se généraliser. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Le stage ne doit pas devenir un mode de gestion des ressources humaines, un palliatif des difficultés liées à un manque de personnel. Deux récents procès dits « des palaces », illustrent clairement ce phénomène croissant et alarmant.

Dans ces affaires, les missions confiées aux stagiaires ne correspondaient pas à l'objet de leur formation.

Ces jeunes gens, formés sommairement, rémunérés de la même façon, n'étaient en fait recrutés que pour faire le ménage en lieu et place de personnels qui auraient dû être embauchés pour ces fonctions.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Dans le même esprit, certains employeurs font miroiter la perspective d'un emploi stable pour, en définitive, abuser des compétences et de la motivation d'une personne en prolongeant artificiellement son stage sans emploi à la clé.

Ces pratiques malheureusement fréquentes, qui constituent des entorses caractérisées au droit du travail, doivent cesser. A l'approche de la période estivale, adaptée à l'apprentissage des jeunes, une vigilance accrue s'impose. Le stage est un outil remarquable pour la formation professionnelle, notamment celle des nouveaux arrivants sur le marché du travail. Il doit le rester.

Aussi, compte tenu des objectifs de notre gouvernement visant à promouvoir la création et le maintien de vrais emplois, je souhaiterais savoir, madame la secrétaire d'Etat, quelles sont les mesures que vous comptez mettre en oeuvre pour redonner au stage sa vocation première : la formation et la préparation à l'entrée dans le monde du travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Monsieur le député, vous faites référence à la pratique de certains grands hôtels parisiens, qui utilisent parfois de manière abusive des stagiaires de la formation professionnelle en alternance.

Vous faites également référence à la décision du tribunal de grande instance de Paris du 23 mars dernier qui a condamné ces pratiques.

Dès le 2 avril, Martine Aubry a saisi les services de l'inspection du travail et leur a rappelé l'importance des contrôles. L'utilisation illicite de stagiaires était bien sûr visée par cette instruction.

Les stages de formation ne peuvent bien sûr pas devenir un mode de gestion des ressources humaines et je suis très attentive à cette question. Le fait que les inspecteurs du travail et ceux de la formation professionnelle ne forment plus qu'un seul corps devrait faciliter ces contrôles.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

Malgré ces pratiques illicites, je tiens à souligner le rôle décisif des entreprises dans la formation professionnelle en alternance.

M. Pierre Lellouche.

C'est mieux que les emploisjeunes ! Mme la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

En ce qui concerne l'hôtellerie et la restauration, nous avons pris contact avec les branches professionnelles pour limiter la précarité de l'emploi et construire une véritable politique de qualification de la main-d'oeuvre.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons à une question du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

GRÈVE DU PERSONNEL DES MUSÉES

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou.

Je voudrais avant tout dire à M. le ministre de l'économie et des finances qu'il n'est ni sérieux ni objectif d'avoir passé sous silence les responsables du trou béant que nous a laissé le Crédit Lyonnais alors que les contribuables devront payer plus de 130 milliards pour le combler. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Ma question s'adresse à Mme la ministre de la culture et de la communication. Depuis quinze jours, une catégorie de personnels, les gardiens de musée, poursuivent un mouvement de grève en vue d'obtenir la création de plus de mille postes. Cette période préestivale est caractérisée par l'arrivée massive de touristes et de jeunes étudiants ayant travaillé pendant plus d'un an pour passer une semaine à Paris et y voir des trésors de culture.

Trouvez-vous bien sérieux que ces personnes venues dépenser leur argent à Paris et en France se retrouvent devant de petites pancartes indiquant que les musées sont fermés en raison de la grève d'une certaine catégorie de personnel ?

Mme Odette Grzegrzulka.

C'est votre héritage ! C'est votre démantèlement !

M. Jean-Jacques Jégou.

Trouvez-vous normal d'avoir été surprise, de ne pas avoir prévu cela, alors que des revenus importants pour la France sont en cause ? Un député du groupe du Rassemblement pour la République.

C'est une honte !

M. Jean-Jacques Jégou.

Mais surtout, madame la ministre, qu'en est-il de l'image de notre pays lorsque, chaque jour, des touristes japonais, américains, européens, surpris par l'attitude de la France, manifestent à la télévision leur intention de repartir sans avoir vu ce pourquoi ils étaient venus ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication.

Je suis surprise, monsieur le député, de vous entendre sur ces bancs revendiquer en permanence la limitation de la dépense publique et demander qu'elle augmente lors de la séance de questions d'actualité ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Jacques Jégou.

Je n'ai pas demandé cela !

Mme la ministre de la culture et de la communication.

Dans le passé, en deux ans vous avez réduit de 20 % le budget de fonctionnement du ministère de la culture...

M. Patrick Devedjian.

C'est « la faute de la droite » !

Mme la ministre de la culture et de la communication.

... et vous n'avez pas fait de l'emploi et de la réduction de l'emploi précaire une véritable priorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Alors, avant de critiquer, vous feriez mieux de regarder ce que vous avez fait ! (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Patrick Devedjian.

Cela fait deux ans que vous êtes au pouvoir !

Mme la ministre de la culture et de la communication.

Néanmoins, c'est une question très sérieuse que vous posez et je vais y répondre.

En 1997, j'ai trouvé 1 104 agents de catégorie C dans les filières de l'accueil du public, de la surveillance et de l'administration. Ce sont des agents non titulaires rémunérés sur crédits de vacation. Ma première priorité est de prendre en compte leur situation et de les transformer en emplois permanents. A la fin de 1999, 351 d'entre eux seront stabilisés sur des emplois de titulaires, stabilisation assise sur la rotation du personnel et la transformation d'emplois. C'est ma première orientation. (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Bernard Accoyer.

La question ?

Mme la ministre de la culture et de la communication.

Par ailleurs, le ministère a obtenu en 1999 la création de soixante-neuf postes (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) dans les établissements publics pour tenir compte prioritairement de la situation du Louvre, du Musée d'Orsay et de la réouverture du Centre Pompidou. C'est très important.

M. Bernard Accoyer.

C'est nul !

Mme la ministre de la culture et de la communication.

Ma deuxième orientation, monsieur le député, est une action soutenue pour empêcher la reconstitution d'un volant d'agents vacataires, dont j'ai diminué le nombre.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Troisième orientation : nous veillons à ne pas ouvrir de nouveaux équipements si nous n'avons pas les postes permanents correspondants. Certes, des efforts sont encore nécessaires. Les discussions budgétaires ont lieu et les arbitrages se feront à la fin du mois de juin. Comme vous, je souhaite que les collections des musées et les expositions soient accessibles au plus grand nombre, mais


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

si je n'avais pas trouvé à mon arrivée au ministère de la culture une situation aussi dégradée (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), j'aurais pu m'engager plus rapidement dans la voie de la démocratisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Protestations et huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Lellouche.

Cela fait deux ans que vous êtes là ! Vous en êtes à votre troisième budget !

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe communiste.

KOSOVO

M. le président.

La parole est à M. Christian Cuvilliez.

M. Christian Cuvilliez.

Mon groupe partage l'émotion et la consternation de tous ceux qui se sont exprimés sur l'agression dont a été victime un agent de la RATP. Je veux dire toute notre solidarité avec l'ensemble du personnel face à ce nouveau cas de violence urbaine grave.

Ma question s'adresse à M. le Premier ministre et porte sur la situation au Kosovo.

Au soixante-dixième jour de l'intervention des forces de l'OTAN dans la province du Kosovo et en Serbie, il semble que la croisade humanitaire et pour les droits de l'homme tourne à l'expédition punitive. L'acharnement thérapeutique tend à prouver que le remède va bientôt être pire que le mal. Le bilan est désastreux. Les déportations massives auxquelles on assiste depuis le début des frappes continuent d'affliger le monde entier. Elles sont naturellement l'oeuvre de Milosevic et vont bientôt atteindre le niveau de ce que nous avons déjà connu, sans y prêter autant d'attention d'ailleurs, au Soudan, en Afrique subéquatoriale ou dans les pays d'Asie touchés par des conflits analogues.

L'aide humanitaire bascule dans l'inhumanitaire. Les mafias albanaises s'emparent de la moitié des réfugiés qui viennent dans leur pays. La Macédoine, la Roumanie, la Bulgarie, le Monténégro sont déstabilisés par le fait que cette plate-forme de communication qu'était la Serbie ne peut plus fonctionner. Toute l'infrastructure des équipements de ce pays est atteinte, ruinée. L'énergie manque.

Le chauffage, l'éclairage, la santé, le logement des habitants, les communications et les transports, tout est mis à mal, tout sera bientôt réduit à néant ! Le Danube est pollué pour longtemps. D'une manière générale, la région est confrontée à une pollution durable causée par le pyralène des centrales, les hydrocarbures, le graphite utilisé pour neutraliser les lignes électriques et l'uranium appauvri contenu dans les missiles.

M. Yves Fromion.

Parlez-nous de Tchernobyl !

M. Christian Cuvilliez.

Au moment où Viktor Tchernomyrdine, le diplomate soviétique, est à Belgrade avec le président finlandais Martii Ahtisaari pour obtenir que le président de la Yougoslavie confirme son accord sur les résolutions qui ont été dictées par le G 8, au moment où les conditions sont réunies pour le faire plier, au moment où - vous l'avez dit vous-même hier, monsieur le Premier ministre - la délégation française insiste pour que l'Europe puisse peser dans le sens de la paix,...

M. Michel Hunault.

Quelle est la question ?

M. Christian Cuvilliez.

... j'aimerais vous poser deux questions.

D'abord, le but de la guerre a-t-il changé ? S'agit-il encore d'obtenir du Gouvernement yougoslave qu'il applique les décisions du G 8, les accords de Rambouillet et demain les résolutions de l'ONU, ou s'agit-il de punir le peuple serbe et de détruire la Serbie et le Kosovo en même temps pour démontrer que les Etats-Unis sont les maîtres du monde ?

M. Michel Hunault.

Vous défendez qui exactement ?

M. Christian Cuvilliez.

Ensuite, la France va-t-elle demander la suspension immédiate des frappes pour donner une chance à la négociation et au rétablissement de la paix dans les Balkans ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Lellouche.

Elle est belle la majorité plurielle !

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, le drame du Kosovo n'a pas commencé il y a quelques semaines.

M. Pierre Lellouche.

C'est gentil de le lui rappeler !

M. le ministre des affaires étrangères.

Il a commencé en 1989 quand le président Milosevic a mis fin à l'autonomie du Kosovo. Il a ensuite duré des années et des années et s'est développé au cours des semaines précédentes. Il ne faut pas l'oublier quand nous parlons de la situation actuelle.

M. Pierre Lellouche.

Elle est belle la majorité plurielle !

M. le ministre des affaires étrangères.

Mais nous avançons. En effet, hier en Allemagne et ce matin encore, grâce au travail réalisé ces dernières semaines à partir des positions très claires exprimées par tous les pays de l'Alliance et, en ce qui concerne la France, régulièrement par le Président de la République et par le Premier ministre, sur la base des principes du G 8 que vous connaissez, l'accord entre les Occidentaux a été encore renforcé et précisé de même que l'accord avec les Russes.

Le président Ahtisaari, qui sera président en exercice de l'Union européenne dans quelques semaines, et M. Tchernomyrdine, l'envoyé russe, sont partis s'assurer de l'acceptation par Belgrade de ce règlement dans lequel les détails sont de plus en plus clairs et les questions restant à trancher de moins en moins nombreuses. C'est pourquoi, je le répète, nous avançons depuis hier.

Si les autorités de Belgrade acceptent les dispositions contenues dans le document qui a été établi à cette occasion et que tous les Européens ont en ce moment même, la solution peut venir très vite. Cette solution, c'est la combinaison que nous recherchons depuis des jours et des jours entre l'acceptation par les autorités de Belgrade qui n'ont que trop attendu, le vote de la résolution et la suspension des frappes. A ce moment-là, nous changerons de situation puisque nous commencerons à mettre en oeuvre la solution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

NIVEAU DU SMIC

M. le président.

La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès.

Ma question s'adressait à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, mais j'imagine que c'est M. le ministre délégué à la ville qui y répondra.

Monsieur le ministre, pour le MEDEF, la deuxième loi sur les 35 heures est devenue le prétexte à une offensive contre le SMIC. Selon lui, les entreprises ne pourraient pas assumer le maintien du niveau actuel du SMIC mensuel. Pourtant, une étude réalisée en 1997 révèle que, pour les salaires et les charges sociales, le coût horaire moyen en Europe est de 118 francs. Avec 105 francs, la France occupe la treizième place sur dix-neuf pays industrialisés derrière notamment l'Allemagne, le Japon, les

Etats-Unis et bien d'autres pays d'Europe occidentale du Nord. Ainsi les coûts salariaux sont-ils en réalité moins élevés en France que dans la plupart des pays industrialisés.

M. Maxime Gremetz.

C'est la vérité !

M. Michel Vaxès.

Pour la France, l'Institut européen de la statistique révèle de son côté une très forte disparit é des rémunérations au détriment des jeunes. Les dispositifs de préretraite ont accéléré ce processus. Dans le même temps, les entreprises bénéficient d'aides publiques significatives. Ces allégements de cotisations sur le travail peu qualifié tirent vers le bas le niveau de rémunération et de qualification. Ce n'est bon ni pour l'économie ni pour l'entreprise, et c'est inefficace pour lutter contre le chômage.

Monsieur le ministre, d'après vos propres services, les gains de productivité liés à la réduction du temps de travail, la modération salariale qui caractérise la plupart des accords, les aides financières mises en place font que le solde à financer pour l'entreprise est nul. Dans ces conditions, la hausse du taux horaire du SMIC pour compenser le passage aux 35 heures et maintenir le pouvoir d'achat est tout à fait réaliste. Ma question est doncs imple. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre concernant l'indispensable évolution du niveau du SMIC dans le cadre de l'application de la loi sur les 35 heures ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué à la ville.

M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville.

Monsieur le député, je connais votre attachement à la politique salariale. Vous avez donc, à coup sûr, remarqué l'engagement du Premier ministre qui a annoncé que le pouvoir d'achat des salariés, notamment de celles et ceux qui sont au SMIC, sera préservé lorsqu'ils seront concernés par la loi de réduction du temps de travail à 35 heures. D'une certaine manière, d'ailleurs, le bilan d'étape de l'application de cette loi effectué au mois de mai montre que cela est déjà le cas dans les entreprises qui ont commencé à négocier de tels accords. En effet, l'ensemble des salariés payés au SMIC sont préservés et leur pouvoir d'achat est maintenu. Les entreprises ont su trouver un bon compromis entre la souplesse nécessaire pour pouvoir faire face aux demandes de leurs clients et la nécessité de préserver le pouvoir d'achat des salariés, ce qui est déjà le cas de neuf salariés sur dix et de la totalité de ceux qui sont au SMIC.

M. Maxime Gremetz.

Et pour les nouveaux embauchés ?

M. le ministre délégué à la ville.

Quant aux nouveaux embauchés au niveau du SMIC, leur pouvoir d'achat est également préservé.

Dans le cadre de l'examen du prochain projet de loi, nous nous attacherons à donner une traduction législative à ce qui a d'ores et déjà été négocié par les entrepri ses.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons à une question des non-inscrits.

ORGANISMES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉS

M. le président.

La parole est à M. Philippe de Villiers.

M. Philippe de Villiers.

Monsieur le Premier ministre, après le scandale européen de la vache folle et au moment où les Français assistent, horrifiés, au développement quotidien de la crise européenne du poulet à la dioxine, une découverte capitale vient de démontrer ce que nous savions déjà mais que le Gouvernement feignait d'ignorer : les organismes génétiquement modifiés font courir à la santé publique des risques énormes.

Mme Odette Grzegrzulka.

Ecolo de la dernière heure !

M. Philippe de Villiers.

A partir de ces révélations, je voudrais, monsieur le Premier ministre, vous poser trois questions.

Première question : compte tenu de la lumière apportée sur le problème très grave des organismes génétiquement modifiés par cette découverte récente, pouvez-vous dire devant la représentation nationale que vous estimez, aujourd'hui encore, avoir pris la bonne décision en autorisant en France la culture du maïs transgénique ? N'avezvous pas, comme beaucoup d'entre nous, le sentiment que votre ministre de l'environnement a cédé un peu vite à la pression de la Commission de Bruxelles...

M. Jacques Myard.

Une fois de plus !

M. Philippe de Villiers.

... et donc aux multinationales agrochimiques américaines ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jacques Myard.

Cela vous gêne !

M. Philippe de Villiers.

Deuxième question : pourquoi les lieux où se pratique en France la culture du maïs transgénique sont-ils aujourd'hui dissimulés à la population française, y compris aux élus que nous sommes, à commencer par mon département ? (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Un peu de silence, s'il vous plaît !

M. Philippe de Villiers.

Soyez assez aimables pour attendre la fin de ma question avant de protester. Je comprends qu'elle vous gêne. Vous savez que les députés non inscrits n'ont droit qu'à une question par an ! J'essaie de poser la mienne de manière non polémique. Elle requiert de notre part à tous, sous le regard des Français, un peu de patience et d'attention.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

La télé n'est plus là !

M. Philippe de Villiers.

Naturellement ! La conférence des présidents s'est arrangée pour que cette question ne soit plus télévisée.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Pour les non-inscrits, c'est comme pour


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

la campagne européenne : les grands partis, les grands appareils se partagent le temps de parole. Et là, on nous met à la fin pour ne pas retransmettre nos interventions !

M. le président.

Monsieur de Villiers, vous cherchez un incident, vous ne le trouverez pas. Je suis là pour appliquer le règlement de l'Assemblée nationale. Il prévoit que, dans certaines conditions, les non-inscrits peuvent s'exprimer après les groupes. Vous avez demandé à poser une question, la conférence des présidents vous y a autorisé. Elle l'a fait dans le respect des droits et des devoirs de l'Assemblée nationale, qui valent pour tous les démocrates, c'est-à-dire, me semble-t-il, pour vous aussi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. M. Pierre Lellouche applaudit également.) Terminez votre question, on va vous répondre, il n'y a pas de dialogue entre vous et le président.

M. Philippe de Villiers.

Monsieur le président de l'Assemblée nationale, je n'accepte pas ce sous-entendu (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) et je tiens à vous dire qu'il est scandaleux de renvoyer les questions des non-inscrits à la fin. Une démocratie adulte ne pratique pas ce genre de méthode. (Protestations sur les mêmes bancs.)

M. Christian Bataille.

Inscris-toi chez les fachos !

M. Yves Fromion.

Et toi chez les bolchos !

M. le président.

Un peu de silence !

M. Philippe de Villiers.

Trouvez-vous ces réactions normales, monsieur le président ?

M. le président.

Terminez, s'il vous plaît, votre question.

M. Philippe de Villiers.

Je terminerai lorsqu'il n'y aura plus de quolibets sur les bancs du Parti socialiste. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Troisième question : monsieur le Premier ministre, pourquoi le Gouvernement se montre-t-il incapable d'imposer un étiquetage précis sur les produits dérivés des OGM, qui entrent pour 60 % d'entre eux dans nos aliments quotidiens ? Je comprends que ces questions vous gênent. La gauche se prétend écologique, mais la ministre de l'environnement restera dans l'histoire comme la ministre qui s'est tue sur la levée de l'embargo sur la vache folle, la ministre qui se tait sur la viande aux hormones, la ministre qui se tait sur la dioxine, la ministre qui a ellemême autorisé la culture des plantes transgéniques en France.

Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous, une fois pour toutes, abroger les autorisations en faveur des aliments trafiqués ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur le député, sur la cohérence des décisions gouvernementales relatives aux organismes génétiquement modifiés, je vous renvoie au passé qui vit un gouvernement autoriser les importations et interdire la production, ce qui était, vous l'avouerez, d'une cohérence folle ! Ce gouvernement, quant à lui, a pris une décision cohérente, et il a toujours affirmé que la décision politique était soumise à l'évolution de la connaissance scientifique. Ma collègue Dominique Voynet et moi-même avons saisi la commission du génie biomoléculaire pour savoir si les éléments nouveaux auxquels vous faites allusion étaient susceptibles de modifier la connaissance scientifique et donc, éventuellement, la position du Gouvernement. C'est aussi simple que cela ; nous interrogeons les scientifiques, et ils vont nous répondre.

Pour ce qui concerne votre deuxième question, je viens de donner des consignes très strictes aux directions départementales de l'agriculture pour que la plus grande transparence possible soit faite sur les parcelles cultivées en organismes génétiquement modifiés. Nous n'avons pas lieu d'entretenir une psychose par l'opacité, et il faut satisfaire la soif d'information de la population et des élus.

Enfin, s'agissant de l'étiquetage, il n'est pas si simple de déterminer si tel produit est OGM ou non, et ce pour des raisons scientifiques que je vous expliquerai, si nous en avons le temps, dans les couloirs. (Exclamations sur divers bancs.) En tout état de cause, nous ne pouvons pas prendre ce genre de décision au niveau national. Nous devons le faire au niveau européen, parce que l'Europe, vous le savez sans doute, monsieur de Villiers, est un marché unique où circulent librement les biens et les personnes. Nous sommes engagés dans des discussions au niveau communautaire pour essayer d'harmoniser les étiquetages OGM et non OCM. Cela prendra du temps, je ne le cache pas, mais ce travail est entamé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

2 ÉLOGE FUNÈBRE DE MICHEL CRÉPEAU (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent.)

M. le président.

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, mesdames et messieurs, chers amis, existet-il une belle mort ? En tout cas, certaines sont clairement porteuses de sens. Lorsque le 23 mars dernier, quelques secondes seulement après qu'il eut interrogé le Gouvernement sur la situation de l'épargne populaire, Michel Crépeau s'est affaissé sur son siège, puis a été étendu, inanimé, au centre de notre hémicycle, ce fut la stupeur. Et quelques jours plus tard, un très grand chagrin, lorsque nous apprîmes qu'il ne reviendrait pas à la vie. Michel Crépeau est mort ici, c'est-à-dire au coeur de la démocratie, c'est-à-dire chez lui.

Démocrate, républicain, parlementaire : ces trois mots formaient en effet sa devise. A dix-huit ans, il les avait déjà inscrits au fronton de sa constitution personnelle.

Avec enthousiasme, comme tout ce qu'il faisait, il défendait les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. Il n'était pas du genre à disserter sombrement sur la joie, il ne séparait jamais sa conviction et sa vie, il avait l'humanisme communicatif. Il portait passionnément les vertus de solidarité, de laïcité et de modernité, parce qu'elles contribuent à rendre l'homme meilleur.

Michel Crépeau, avocat, était le défenseur de toutes les causes qui font reculer l'obscurantisme. Radical, praticien du franc-parler, fils d'un inspecteur des écoles primaires,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

il s'est battu toute sa vie pour que l'égalité des chances et la justice sociale demeurent les points cardinaux de sa formation et de son pays. Mendésiste, refusant les compromissions, il a contribué à refonder son parti. Après Gambetta, Clemenceau et Caillaux, héritier vigilant d'une part essentielle de l'idéologie française, adepte d'un juste milieu qu'il ne situait pas au centre, il incarnait un radicalisme authentique, inscrit dans l'épaisseur d'une histoire et d'un terroir. Tel était Michel Crépeau.

En 1981, il s'était lancé dans la compétition électorale au niveau le plus élevé, sans perspective immédiate de succès. Pourquoi ? Pour faire partager sa vision de la vie.

Parce qu'il pensait que ce sont les utopies qui font bouger le monde. Au second tour, avec ferveur, il apporta, en homme du rassemblement de la gauche, près d'un million de voix à François Mitterrand, qu'il ne cessa jusqu'au bout d'admirer. N'aurait-ce été que pour une seule des 110 propositions d'alors - l'abolition de la peine de mort -, il soutint vigoureusement son projet d'alternance.

Il fut un des ministres du gouvernement de Pierre Mauroy, puis de celui que j'ai dirigé. A l'environnement, où il excellait. Au commerce et à l'artisanat, où sa connaissance des dossiers faisait autorité. Comme garde des sceaux, brièvement, mission où il lui semblait aussi important de lutter contre les injustices que de construire la justice. Partout, loin des excès et des conservatismes, communiquant à tous cette confiance qui fait la force du sentiment républicain.

Michel Crépeau était l'homme d'un enracinement et d'un attachement. Un homme atlantique, né en Vendée, lycéen à Rochefort, étudiant à Bordeaux, inscrit et plaidant depuis un demi-siècle au barreau de La Rochelle. Au centre du quadrilatère qui va de Niort à Angoulême, de Poitiers à l'île de Ré, au service d'une ville à laquelle il sut donner ses rêves. Pendant près de trente ans, Michel Crépeau fut l'artisan imaginatif de la transformation de sa cité. Il développa naturellement La Rochelle à son image : accueillante et conviviale, innovante et amicale. Il lui offrit une dimension culturelle et universitaire exceptionnelle. Il planta des arbres, redressa des remparts, pratiqua l'écologie communale avant beaucoup. Il multiplia les chantiers et les travaux pour donner à ses administrés tranquillité et art de vivre, pour créer des quartiers piétonniers, introduire des véhicules électriques, mettre à disposition de chacun les fameux vélos, instaurer la journée sans voiture, semer des jardins ouvriers, inaugurer le tri sélectif. TGV, bus de mer, Francofolies, musée maritime, les gouvernements, tous les gouvernements, se souviennent de son effervescence municipale qui faisait courir et s'essouffler beaucoup de services de l'Etat. Michel Crépeau était un maire pour toutes les saisons, lui qui, se proclamant jacobin, savait que c'est pourtant près d'un clocher ou d'un mail, dans le territoire qu'on s'est choisi et par lequel on a été choisi, que se font les réalisations concrètes pour l'épanouissement de chacun, là qu'on recueille les fruits d'une action, d'une gestion et d'une passion. Son oeuvre, nous le savons, sera poursuivie.

Michel Crépeau était député de l'Aunis. Sa voix, son humour et sa verve résonnèrent souvent dans notre hémicycle. Il présidait une formation parlementaire qui n'était pas numériquement la plus grande. Qu'importe, il se chargeait de le rappeler lui-même d'une pirouette, relevant, autour de la table de la conférence des présidents, qu'il était le seul à y représenter trois groupes, et estimant que, quitte à être plurielle, la partie de la majorité qu'il dirigeait ne devait pas l'être à moitié. Sous sa houlette ferme et débonnaire, les membres de son groupe savaient que, de temps à autre, leur parfaite harmonie n'empêchait pas leur totale autonomie ; celle-ci ne mettait cependant jamais Michel Crépeau dans l'embarras ou, si c'était le cas, son rire l'en débarrassait aussitôt. Il fut un grand parlementaire.

Michel Crépeau était éloquent. La vraie éloquence, celle qui n'a pas été détruite par le plan en deux parties et deux sous-parties, celle qui parle au coeur. Le sens de la formule et de la repartie, la forme de son expression donnaient une vigueur complémentaire à sa conviction. Il montrait qu'un même amendement peut être à la fois juridiquement ciselé et défendu avec bonne humeur. Le rire était sa vérité et, je crois aussi, sa ruse, une sorte de masque de pudeur. Nous mesurions tous combien ses improvisations venaient de loin et nous les appréciions, et même les admirions parce que, développées sur un ton qui empruntait à la fois à Guitry et à Arletty, elles sonnaient juste par leur authenticité. Nous avions compris que, chez ce militant de la synthèse constructive, qui avait l'oeil ouvert sur les plaisirs de la vie et sur la beauté du monde, une partie du talent consistait à ne pas assommer l'allié ou l'adversaire par d'évidentes qualités intellectuelles mais à mettre plutôt en avant, auprès de collègues et de collaborateurs, d'amis et d'électeurs, de non moins incontestables qualités de coeur. C'est ainsi qu'il avait mené son dernier combat, un combat de principe, contre ce qu'il considérait avec raison comme une dérive grave : les abus de la détention provisoire.

Force et douceur donc, fermeté sur les choix et absence de dogmatisme, réconcilier sans transiger, apaiser sans affadir : Michel Crépeau organisait le mélange. Est-ce qu'il jouait un rôle ? Non, il assumait son rôle. Il savait que la réforme a besoin de révolte et de raison et ne reconnaissait qu'un seul arbitre : le suffrage universel. Président de son parti, membre du Gouvernement, élu local, son existence et son parcours s'inscrivent en faux éclatant contre cette idée pourtant reçue qui voudrait qu'un homme public soit loin de ceux qui l'ont élu. Proche du peuple, il aura constamment bien mérité de sa ville, du Parlement et de la République.

Michel Crépeau cultivait chez lui des fleurs bleu d'azur comme le ciel de Charente, il aimait, me dit-on, contempler ce ciel chargé de nuages, gonflé de vent et soudain lumineux. Son jardin personnel s'ouvrait sur l'art, sur les bateaux et sur la mer. Comme Montaigne, qu'il aimait, il choisissait en toutes situations de « rester lui-même », cultivant une pensée libre qui, à travers des textes qu'il avait lui-même écrits, sut, au jour de son enterrement, envahir la cathédrale. Républicain modéré, mais pas modérément républicain, Européen constant, politiquement toujours droit, il aimait les gens et il était aimé d'eux. Ils furent très nombreux - beaucoup d'entre nous en étions -, venus de tous les horizons, à s'incliner une dernière fois devant le cercueil de ce grand démocrate gentilhomme.

Mes chers collègues, voici quelques semaines, le coeur généreux de Michel Crépeau s'est donc arrêté. Il disait souvent : « Vivre, c'est marcher. Face au vent, s'il le faut. » Et voilà qu'une bourrasque, plus forte que les

autres, l'a abattu. Lui qui avait confié un jour à un de ses proches qu'il rêvait de partir comme Molière, lui, le parlementaire dans l'âme, il est parti, ici.

L'épouse de Michel Crépeau, à qui je souhaite dire, ainsi qu'à sa famille et à ses proches, notre peine très profonde, m'a adressé une lettre que je veux vous lire pour terminer, car je l'ai reçue avec émotion. Je pense que vous partagerez cette émotion. Cette lettre nous est à tous destinée.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

« Monsieur le président,

« Je ne serai pas physiquement présente car je ne souhaite pas revoir le haut lieu dans lequel la voix si particulière de Michel a résonné tant de fois et où elle s'est tue à jamais ce 23 mars.

« Je voulais simplement que vous sachiez qu'au moment où vous lui rendrez hommage, je serai près de lui avec un bouquet de roses de son jardin. Si cela vous est possible, j'aimerais que vous demandiez ce jour-là à chacun d'imaginer ce petit cimetière de Saint-Maurice, à La Rochelle ; il repose sous un grand laurier et sur sa tombe cette réflexion superbe qu'il avait livrée à Jean-Yves Boulic en 1979 pour la rédaction du livre Questions sur l'essentiel va être gravée :

« J'accepte de mourir en tant qu'individu, dès lors qu'il me sera permis d'éprouver au jour de ma mort le sentiment d'avoir accompli ma part d'humanité.

C'est à travers elle que je survivrai. »

(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence.) La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Mesdames, messieurs, par la voix de son Président, l'Assemblée nationale vient d'honorer la mémoire de Michel Crépeau. Je lui ai dit adieu dans sa ville même avec plusieurs d'entre vous et j'ai alors parlé de lui. C'est avec beaucoup d'émotion que je veux aujourd'hui associer le Gouvernement à cet hommage pour saluer le talent d'un orateur d'exception, la fermeté d'un engagement au service des valeurs de la République, l'intégrité d'un homme.

Tout homme vient d'une terre : nul n'est d'un seul pays. Chacun est un peu du terroir où il naît, de la ville où il grandit, du port où il s'attache, du pays qui en retour le choisit, de l'endroit enfin où il termine sa course.

Michel Crépeau est né à Fontenay-le-Comte, en Vendée. De ce pays d'indépendance et d'affrontements sans merci, Georges Clemenceau avait tiré un attachement farouche pour la liberté, la justice, la République. Michel Crépeau y vécut ses premières années, dans un milieu où la « République enseignante » de Jules Ferry était une tradition.

Lycéen à Rochefort, il s'approche de la mer. Etudiant en droit à Bordeaux, il retrouve l'océan. Il s'ouvre à l'esprit des lieux, s'imprègne des écrits de Montaigne et de Montesquieu. De ces années de formation, il gardera des guides - Voltaire, Diderot, Rousseau - et des amis - ceux du lycée de Rochefort. Jusqu'au bout il aura été fidèle aux uns comme aux autres.

Inspiré par les philosophes des Lumières, Michel Crépeau fut un humaniste en politique. Dès l'âge de dixhuit ans, et pour un demi-siècle, il fut de toutes les luttes. C'est pour mieux porter l'héritage de Pierre Mendès France, celui d'une gauche « humaniste et radicale », qu'il fonda avec Robert Fabre, en 1972, le Mouvement des Radicaux de gauche, dont il devint plus tard le président.

Son humanisme, loin d'être abstrait, était celui d'un homme pratique et fraternel, attaché à la ville qu'il avait choisie et qui lui avait témoigné puis renouvelé sa c onfiance. Un lien presque charnel l'unissait à La Rochelle, port de mer ou il avait voulu fonder, sous la lumière de l'Aunis, son bonheur et celui des siens.

L'attention chaleureuse qu'il portait à tous les Rochelais, au-delà des choix de chacun, témoignait de la profondeur de cet attachement. Cette ville qu'il aimait avec passion, il ne manquait jamais d'en prononcer le nom dans cette enceinte, pour en défendre les industries, en illustrer les initiatives, en accroître le rayonnement. Sans doute aussi pour en faire partager le goût.

Humaniste, il le fut aussi dans son souci, précurseur, de l'environnement. Par ce combat qu'il mena avant bien d'autres, Michel Crépeau soulignait le droit des générations à venir de jouir d'une nature dont l'homme n'est pas le propriétaire, mais seulement l'usufrutier. Les arbres qu'il plantait à La Rochelle, les vélos gratuits, les rues piétonnes, le véhicule électrique, la journée sans voiture : tout cela traduisait une façon de penser la ville autrement - une volonté de changer la vie.

H umaniste, il s'est engagé avec ferveur dans la c onstruction européenne. Parce que l'Europe était d'abord, pour Michel Crépeau, ce plus grand pays, cette prochaine escale, ce lieu presque unique au monde où la paix est préservée, où la liberté, les libertés, sont respec tées, où les droits de l'homme sont protégés. Parce qu'il ne voulait pas que ses petits-enfants, comme l'avait fait son grand-père, « pataugent dans la boue à Verdun » - ce sont ses mots. Parce qu'il appelait inlassablement à bâtir

« l'Europe d'un grand dessein », celle des travailleurs, celle des citoyens, celle de la culture.

Ainsi, Michel Crépeau donnait à l'action politique tout son sens, qui n'était, selon lui, « pas de conserver, pas seulement de gérer, mais de transformer la société, en la fondant sur l'imagination et les valeurs de l'homme. »

La liberté, les libertés, la justice, l'égalité : telles sont les valeurs défendues par celui qui disait : « J'ai été garde des sceaux pendant trente jours, avocat pendant trente ans. »

Avocat de la liberté, il défendait d'abord celle des consciences : la sienne propre, comme celle de chaque citoyen qu'il défendait souvent avec vigueur. Pour que la création soit libre de toute influence, pour que les créateurs soient exempts de pressions, il voulait, dès 1973, que le ministre de la culture soit le « ministre de la liberté ».

Avocat pour la justice, il fut des grands combats menés pour la défense de celle-ci, contre la loi « sécurité et liberté », pour la réforme du code de procédure pénale. Il combattit pour l'abolition de la peine de mort comme pour la suppression des juridictions d'exception. Avec persévérance, il attira l'attention sur le sort des détenus comme sur les abus de la détention provisoire.

Avocat de l'égalité, il le fut dans la grande tradition républicaine, celle de Joseph Caillaux, qui fit voter l'impôt progressif sur le revenu, celle de Jules Ferry, dont il s'inspirait, encore récemment, pour plaider avec fougue l'égal accès de tous à l'université. C'était une priorité de son action dans la cité dont il était le maire : il voulut faire de La Rochelle une ville universitaire et y parvint.

Et j'en fus. L'égalité devant la loi, pour Michel Crépeau, c'était aussi faciliter l'accès de chacun aux lois adoptées par la représentation nationale, grâce à un droit codifié et simplifié. L'égalité, c'était inscrire dans la Constitution la parité entre hommes et femmes : Michel Crépeau était intervenu dans ce débat avec vigueur, afin qu'en organisant « le bonheur sur terre, on n'oublie pas la moitié du ciel ».

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, nous en avons tous gardé le souvenir dramatique, c'est en ces murs que la voix de Michel Crépeau s'est éteinte. C'est ici, dans les couloirs et les travées de l'Assemblée nationale, qu'il a pleinement accompli sa passion de l'action politique - et, peut-être, trouvé sa vérité

Grand orateur, au discours souvent brillant, enflammé parfois, toujours animé d'une conviction sincère, il parlait


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

sans notes, avec une aisance qui forçait l'admiration. Il restera dans nos mémoires comme un des grands parlementaires de la Ve République.

Cette voix du contradicteur ironique et coriace, de l'interlocuteur exigeant, était aussi, pour moi, celle d'un ami fidèle. Fier d'avoir été, dans les années 1970 et 1980, un des piliers de l'union de la gauche, il était depuis juin 1997 à la tête du groupe Radical, Citoyen et Vert, d'où il faisait entendre, au sein de la majorité plurielle, une note originale, juste et forte.

A l'annonce que Michel Crépeau allait prendre la parole, l'un d'entre vous s'était une fois exclamé : « On va prendre le large ! », au sens non pas où vous auriez quitté l'hémicycle, mais où vous pensiez qu'un air plus vif allait oxygéner nos idées. Le trait était juste.

Pas seulement parce que Michel Crépeau évoquait avec bonheur, avec précision, toujours avec passion, l'avenir des chantiers navals, le développement de la flotte marchande, le métier des marins et des pêcheurs qu'il connaissait intimement, qu'ils soient de Vendée, de Rochefort, de Bordeaux ou de La Rochelle.

Mais aussi parce qu'il réussissait, dans ses contributions à vos travaux, à unir pragmatisme et hauteur de vues, simplicité des exemples et grandeur des fins ; parce qu'il gardait toujours, je le cite, « les pieds sur terre et le coeur dans les étoiles ».

(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent quelques instants de silence.) Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Raymond Forni.)

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

3

PUBLICATION DU RAPPORT D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

M. le président.

Le 26 mai 1999, j'ai informé l'Assemblée nationale du dépôt du rapport de la commission d'enquête sur les agissements, l'organisation, le fonctionnement, les objectifs du groupement de fait dit

« Département Protection et Sécurité » et les soutiens dont il bénéficiait.

Je n'ai été saisi, dans le délai prévu à l'article 143, alinéa 3, du règlement, d'aucune demande tendant à la constitution de l'Assemblée en comité secret afin de décider de ne pas publier tout ou partie du rapport.

En conséquence, celui-ci, imprimé sous le no 1622, sera distribué. Il sera disponible demain, jeudi 3 juin.

4

GENS DU VOYAGE Discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'accueil des gens du voyage (nos 1598, 1620).

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au logement.

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, toute loi, tout texte normatif est, quasiment par définition, traversé et inspiré par les intérêts souvent contradictoires des différentes parties qu'il concerne. S'il en allait différemment, celles-ci éprouveraient-elles, d'ailleurs, le besoin de saisir la puissance publique et la représentation nationale, pour que soit déterminé un équilibre satisfaisant entre les droits et obligations des unes et des autres ? Le projet de texte que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui au nom du Gouvernement ne fait pas exception à la règle. Je dirai même qu'il fait partie de ceux pour lesquels les intérêts différents, voire antagonistes, des uns et des autres sont les plus marqués et les plus clairs.

Ils touchent en effet à des droits réellement fondamentaux : le droit de chacun de choisir son mode de vie ; la liberté de circulation ; le droit de propriété ; la reconnaissance de la légitimité des droits de celui qui vit différemment de soi-même, le respect, enfin, de la loi républicaine et de la règle de droit.

La question du stationnement des gens du voyage suscite, vous le savez bien, de plus en plus souvent des situations de tension au niveau local. La fréquence des articles et reportages dans les médias en porte témoignage. Les élus locaux sont fortement impliqués à ce sujet et le dernier congrès de l'Association des maires de France organisait pour la première fois un atelier de travail sur cette question, dont est ressortie clairement la volonté des maires de voir évoluer la législation actuelle.

Pour le Gouvernement, l'objectif ne peut être que de parvenir à une cohabitation harmonieuse de toutes les composantes sociales sur le territoire national.

La présence de gens du voyage, de différentes appartenances culturelles, est dans notre pays ancienne et constante. Dès le XVe siècle, on notait en France des d éplacements de populations nomades tziganes ou gitanes, exerçant différentes activités artisanales, commerciale ou agricoles.

La population de ceux que l'on nomme gens du voyage, terme qui rend mal compte des différences culturelles importantes qui existent entre les communautés de voyageurs, mais qui présente l'avantage de la globalité, est é valuée aujourd'hui à environ 300 000 personnes.

Comme cela a été rappelé très à propos lors d'un colloque auquel je participais récemment sur ce sujet, 95 % de ces personnes sont de nationalité française, la plupart depuis des générations. Pour autant, les questions liées à leur mode de vie et les déplacements, mais aussi les stationnements, que celui-ci implique, se posent avec une acuité sans cesse renouvelée et d'autant plus forte que peu de règles précises existent en ce domaine.

L'article 28 de la loi du 31 mai 1990, issu d'un amendement qu'avait défendu ici même votre ancien collègue M. Guy Malandain, a été la première tentative de


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réponse législative aux difficultés liées aux conditions d'accueil spécifiques des gens du voyage : par l'élaboration de schémas départementaux et par l'obligation faite aux communes de plus de 5 000 habitants de réaliser une aire d'accueil.

Malgré des avancées et un certain nombre de réalisations, le bilan global de la mise en oeuvre de cet article 28 est insuffisant : un tiers seulement des départements disposent d'un schéma départemental approuvé conjointement par le président du conseil général et par le préfet ; un quart seulement des communes de plus de 5 000 habitants ont réalisé une ou plusieurs aires d'accueil. Même si des communes de moins de 5 000 habitants ont, elles aussi, réalisé des aires, environ 10 000 places seulement sont aujourd'hui disponibles, pour des besoins globaux évalués en gros à 30 000 places.

Cet équipement nettement insuffisant en aires d'accueil, qui est à l'origine de la plupart des problèmes rencontrés, tient aux difficultés et, parfois, aux réticences des communes à réaliser des aires d'accueil qui suscitent souvent l'opposition des riverains, mais aussi à l'incertitude de pouvoir faire respecter, une fois qu'une ou plusieurs aires sont réalisées en application du schéma départemental, l'interdiction des stationnements irréguliers sur le reste du territoire communal, alors que cette mesure apparaît comme la contrepartie normale de ces efforts d'aménagement d'aires d'accueil.

Chacun s'accorde aujourd'hui à souligner que le statu quo n'est pas concevable : il est source d'insatisfaction, tant pour les gens du voyage - qui ne trouvent pas suffisamment d'aires adaptées à leurs besoins - que pour les communes - qui restent confrontées à des stationnements irréguliers.

Un nouveau cadre législatif s'imposait : le Gouvernement a pris ses responsabilités et votre assemblée est aujourd'hui saisie d'un projet de loi qui est le fruit d'un travail interministériel poussé, mais aussi d'une concertat ion aussi large et approfondie que possible avec l'ensemble des partenaires concernés : élus locaux, associations représentatives des gens du voyage et, bien évidemment, parlementaires, dont plusieurs ont effectué un très gros travail sur ce dossier. Je tenais à le souligner.

L'objectif de la loi est de créer les conditions d'un équilibre satisfaisant entre, d'une part, la liberté constitutionnelle d'aller et de venir et l'aspiration légitime des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes, et, d'autre part, le souci également légitime des élus locaux d'éviter des installations illicites qui occasionnent des difficultés de coexistence avec leurs administrés.

Cet équilibre doit être fondé sur le respect, par chaque partie, de ses droits et de ses devoirs : les collectivités locales auxquelles la loi confère des responsabilités ; les gens du voyage qui doivent dans leur comportement être respectueux des règles collectives ; l'Etat, garant de cet équilibre, qui doit exprimer concrètement la solidarité nationale.

La loi pose d'abord le principe selon lequel les communes participent à l'accueil des gens du voyage : c'est la traduction juridique de la jurisprudence du Conseil d'Etat qui reconnaît une obligation d'accueil aux communes.

Le schéma départemental sera le pivot de l'organisation de cet accueil : il prévoira, en fonction des besoins constatés et des capacités d'accueil existantes, la nature, la localisation et la capacité des aires à créer ainsi que les interventions sociales nécessaires.

Le schéma désignera par ailleurs, là où le problème se pose, les terrains susceptibles d'être mobilisés temporairement, pour accueillir occasionnellement des grands ras-s emblements traditionnels, dont chacun s'accorde à reconnaître qu'ils nécessitent l'implication de l'Etat et de ses représentants.

L'élaboration du schéma doit être l'occasion d'une véritable concertation entre les communes, le département, les services de l'Etat et bien évidemment les représentants des gens du voyage afin d'aboutir à une évaluation aussi fine et aussi commune que possible des besoins, et à des solutions adaptées. Cet aspect est décisif : faute d'une concertation approfondie, l'efficacité du schéma serait affaiblie. Il faut en effet que la diversité des besoins constatés localement trouve une réponse à la fois locale et globale : aires aménagées d'accueil limité dans le temps, terrains sommairement aménagés pour permettre l'accueil de grands groupes de voyageurs, solutions destinées aux semi-sédentaires, à ceux qui sont de moins en moins mobiles, tout en continuant à vivre en caravane. C'est au schéma départemental qu'il revient de fixer, en tenant compte des situations constatées localement, les modalités d'une réponse cohérente au sein d'un même territoire - par exemple au niveau intercommunal -, permettant ainsi la répartition entre les communes et la complémentarité des réponses qui sont globalement nécessaires au niveau de ce territoire. Ce sera, j'en suis sûr, possible si la concertation joue pleinement ; ce sera plus difficile là où elle ne sera que partiellement fructueuse.

Dans la plupart des cas, cette concertation préalable devrait rendre possible l'approbation conjointe du schéma par le préfet et le président du conseil général.

C'est, bien sûr, ce qui est souhaitable et il faut, pour cela, que chacun y mette du sien. Toutefois, si ce n'est pas le cas, il faut qu'un schéma puisse être adopté. C'est la raison pour laquelle le projet de loi qui vous est proposé prévoit qu'après un délai de dix-huit mois, le préfet pourra approuver seul ce document.

Je l'évoquais à l'instant, le projet de loi encourage la réalisation et la gestion intercommunales des dispositifs d'accueil des gens du voyage : dans ce cadre, des aires pourront être inscrites au schéma et réalisées dans toute commune, quelle que soit sa taille. Toutefois, afin de s'assurer que, à défaut d'un tel accord intercommunal, les aires seront bien réalisées, il est nécessaire de fonder, pour les communes les plus importantes, une obligation d'aménagement spécifique. Le seuil actuel de 5 000 habitants sera donc maintenu.

La loi prévoit l'obligation pour les communes de réaliser les investissements nécessaires dans les deux ans suivant l'approbation du schéma. A défaut, l'Etat pourra se substituer à elles pour réaliser les aires à leurs frais. Il n'est en effet pas admissible que certaines communes puissent ne pas remplir leurs obligations car, en plus de manquer à leurs devoirs, elles compromettraient l'efficacité des efforts des autres.

J'en viens maintenant, après avoir évoqué les obligations qui seront celles des communes, aux moyens qui leur seront apportés par la loi. Vous le savez bien, dans de nombreux cas, les projets locaux d'aménagement d'aires d'accueil se sont trouvés jusqu'à ce jour ralentis du fait de la crainte des élus d'une commune d'être les seuls à agir et de susciter en conséquence une plus grande attractivité sur les populations des gens du voyage. Il faut donc bien réaffirmer l'objectif du projet de loi, fort bien résumé par votre rapporteur, Mme Le Texier, dès la première page de son rapport : « réaliser le maximum d'aires d'accueil dans un minimum de temps ». La mise en


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oeuvre du schéma doit permettre l'aménagement, en quelques années, d'un nombre d'aires d'accueil suffisant pour faire face aux besoins.

Cet objectif d'intérêt général ne peut se réaliser, le Gouvernement en est pleinement conscient, sans la contribution forte de l'Etat, garant de la solidarité nationale. C'est pourquoi le projet contient des engagements financiers clairs.

Pour l'investissement, la subvention de l'Etat sera portée pendant la durée normale de mise en oeuvre du schéma départemental à 70 % des sommes investies.

Pour le fonctionnement des aires équipées et convenablement gérées, une aide spécifique, pérenne, à la gestion des aires sera versée par l'Etat et comparable à l'allocation de logement temporaire. Elle couvrira environ la moitié du coût de fonctionnement. Le département apportera une aide complémentaire plafonnée au quart de ces dépenses. Enfin, les gens du voyage acquitteront un droit d'usage, contrepartie normale de l'utilisation de ces équipements.

Par ailleurs, les bases de calcul de la dotation globale de fonctionnement tiendront compte du nombre de places de caravanes sur la ou les aires d'accueil de la commune.

J'en arrive maintenant au dernier volet, indispensable pour que l'équilibre recherché soit atteint : les moyens juridiques des communes pour lutter contre les stationnements illicites seront accrus dès lors que celles-ci auront rempli leurs obligations.

C'est là, je le sais, un grand sujet de préoccupation chez les maires concernés par la question du stationnement des gens du voyage. Si les droits des gens du voyage sont respectés, ceux des maires et des habitants sédentaires doivent l'être tout autant.

La loi permet déjà au maire d'interdire par arrêté le stationnement des caravanes sur le reste du territoire de sa commune dès lors que celle-ci satisfait aux obligations de la loi. Cette possibilité sera élargie aux maires qui participeront à la mise en oeuvre du schéma en réalisant une ou plusieurs aires au niveau intercommunal.

Toutefois, les maires seront dotés d'autres compétences et pouvoirs nouveaux lorsqu'un stationnement contreviendra à cet arrêté. Ainsi, le maire aura la capacité, dès lors que ce stationnement portera atteinte à la sécurité, la salubrité ou la tranquillité publiques, de saisir le tribunal de grande instance pour obtenir l'évacuation forcée de caravanes irrégulièrement stationnées sur un terrain privé.

Le juge, qui statuera au fond, mais en la forme des référés, c'est-à-dire selon une procédure d'urgence, aura la faculté d'assortir son ordonnance d'évacuation d'une injonction de rejoindre l'aire d'accueil aménagée - ou de quitter le territoire communal. Cette injonction vaudra décision d'expulsion de tout autre terrain sur la commune qui serait occupé en violation de cette injonction. Cela évitera au maire de recommencer l'ensemble de la procédure d'expulsion en cas de déplacement d'un groupe au sein du territoire communal. La décision sera exécutoire au seul vu de la minute, ce qui, évitant la notification à personne, rendra plus rapidement applicable la décision de justice.

Enfin, par-delà le problème de la réalisation des aires, il est nécessaire de prendre en compte l'évolution du mode de vie des gens du voyage et, en conséquence, de diversifier les réponses qui leur sont proposées en matière d'habitat.

E nviron 70 000 semi-sédentaires, outre les 100 000 gens du voyage déjà sédentaires, restent plusieurs mois voire plusieurs années sur un même lieu. Certains d'entre eux sont même, de fait, devenus sédentaires tout en conservant un mode d'habitat spécifique, c'est-à-dire la caravane. Cette tendance à la sédentarisation correspond à la disparition de nombreuses activités traditionnelles des gens du voyage.

Le Gouvernement n'entend pas décider que les gens du voyage devraient se sédentariser : cette éventuelle décision leur appartient, cela va de soi. Mais cette sédentarisation doit être accompagnée et facilitée lorsqu'elle est souhaitée par les personnes concernées.

Je tiens à réaffirmer sur ce point que toutes les dispositions relatives à l'accès au droit au logement et à son accompagnement sont applicables sans discrimination. Ainsi en est-il de l'utilisation du prêt locatif aidé d'intégration qui permet d'ores et déjà de répondre à des besoins spécifiques et de construire un habitat permanent adapté aux gens du voyage de fait sédentarisés, sans qu'il soit besoin de modifier la loi.

Certaines dispositions législatives nécessitent toutefois d'être adaptées. C'est ainsi qu'il faut faciliter le développement maîtrisé de petites aires d'accueil de type « terrain familial » : le projet prévoit à cet égard les conditions dans lesquelles pourront être aménagés des terrains sur lesquels les caravanes pourront durablement stationner, dans le respect du code de l'urbanisme.

Mesdames et messieurs les députés, concilier le droit à un habitat adapté et la libre circulation des personnes d'une part, les aspirations légitimes des populations de l'autre, dans un rapport équilibré des droits et des devoirs de chacun, tel est l'objectif de ce texte. Parce qu'elles sont directement concernées par la question de l'accueil des gens du voyage, les communes sont les acteurs naturels de cette politique. Parce qu'il s'agit là d'une action d'intérêt général, la solidarité, nationale mais aussi départementale, doit s'exercer. Parce que les efforts réalisés par la collectivité nationale et locale appellent une contrepartie, les gens du voyage devront se conformer aux dispositions régissant leur accueil dans les communes sur lesquelles leur vie les conduit. L'enjeu est la cohabitation harmonieuse de tous, par-delà les différences sociales et culturelles. C'est là qu'est l'ambition de ce projet.

Dans le débat qui va s'ouvrir devant la représentation nationale, je veux dire la volonté d'écoute du Gouvernement et son souhait de parvenir à un texte équilibré, enrichi des apports des uns et autres. Par-delà même cette première lecture devant votre assemblée, l'objectif sera d'améliorer encore ce qui peut l'être afin que la loi qui, je l'espère, sera adoptée dans les meilleurs délais possible réponde au mieux aux attentes de tous et permette de faire échapper ce sujet sensible aux tensions qu'il suscite trop souvent.

Mme Christine Boutin.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat au logement.

Je souhaite que le débat qui s'engage soit fructueux et je suis certain que la représentation nationale aura à coeur d'apporter une réponse efficace, tout à la fois humaine et raisonnable, à une question qui touche à la vie quotidienne d'un très grand nombre de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme Raymonde Le Texier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.


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Mme Raymonde Le Texier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mesdames et messieurs les députés, depuis de nombreuses années, les élus et les gens du voyage sont confrontés à un déficit chronique d'aires de stationnement et réclament la mise en oeuvre d'un dispositif susceptible d'apporter des réponses efficaces à ce problème.

Jusqu'à ce jour, aucune solution réellement satisfaisante n'a été trouvée. Le stationnement des gens du voyage qui, de tout temps, a été malaisé, pose des problèmes de plus en plus pressants. L'urbanisation repousse toujours plus loins les possibilités, l'insuffisance des aires encourage les infractions et les difficultés ne cessent de s'accroître.

Cet état de fait entraîne un climat de plus en plus tendu entre les gens du voyage et les riverains. Les premiers sont sans cesse stigmatisés pour les infractions que le manque de places de stationnement les pousse à commettre ; les seconds supportent de plus en plus mal l'impunité sur laquelle leur semblent déboucher ces infractions.

L'été dernier fut le théâtre de nombreux événements, dont un dramatique, qui ont passablement durci le climat entre sédentaires et itinérants. Ne rien faire équivaudrait à laisser s'amplifier la colère des uns et le rejet des autres.

Le rôle des pouvoirs publics est pourtant bien de perm ettre une cohabitation harmonieuse de toutes les composantes sociales sur le territoire national. C'est d'ailleurs ce que vous avez répété, monsieur le secrétaire d'Etat, lors de la présentation à la presse de ce projet de loi. De toutes parts on nous pressait d'agir.

Mais ce texte ne part pas de rien. Un long travail avait été entrepris depuis de nombreuses années, tant par les gouvernements que par la représentation nationale. Tandis que Daniel Vachez et moi-même animions depuis plusieurs mois un groupe de réflexion sur les gens du voyage, le groupe d'étude présidé par M. Weber a poursuivi son travail.

M. Delevoye, sénateur et président de l'AMF, a lui aussi contribué à cettre prise de conscience en faisant adopter une proposition de loi relative au stationnement des gens du voyage par le Sénat. Le présent projet de loi répond pour l'essentiel à des préoccupations identiques.

Tous, nous partagions la nécessité d'aboutir rapidement sur le principal et le plus urgent problème : celui du stationnement.

En effet, neuf ans après l'entrée en vigueur de l'article 28 de la loi relative à la mise en oeuvre du droit au logement, force est de constater que ses dispositions, fondées sur la bonne volonté des acteurs locaux, n'ont pas permis de résoudre la question de l'accueil des gens du voyage.

Cet article 28, complété par une circulaire, crée, vous le savez, l'obligation pour les villes de plus de 5 000 habitants de réaliser une aire de stationnement. Mais le dispositif, faute notamment de mesures contraignantes et de moyens financiers suffisants, n'a pas apporté les réponses escomptées. Seuls trente-deux départements disposent d'un schéma départemental approuvé conjointement par le préfet et le président du conseil général et quinze d'un schéma approuvé par le seul préfet. Un quart seulement des communes de plus de 5 000 habitants ont réalisé une aire de stationnement.

Lors du dernier congrès de l'Association des maires de France, en novembre dernier, l'impatience des élus était aisément perceptible. Ceux qui, parmi vous, ont assisté à la commission « gens du voyage » s'en souviennent très certainement. C'est précisément à l'occasion de cette commission, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous aviez précisé le cadre d'une nécessaire évolution législative.

Vous affirmiez alors, et vous venez de le répéter, que l'objectif de cette évolution législative devait être de définir un équilibre satisfaisant entre, d'une part, la liberté constitutionnelle d'aller et venir et l'aspiration légitime des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes et, d'autre part, le souci compréhensible des élus locaux d'éviter des installations illicites qui occasionnent des difficultés de coexistence avec leurs administrés.

Ce congrès avait été l'occasion pour les maires de France de vous demander une action rapide en la matière. Ils souhaitaient un signe clair du Gouvernement ; ils ont été entendus.

Ce projet de loi doit donc répondre à des attentes fortes.

Ces dernières semaines, nous avons rencontré un large panel des acteurs concernés. Une vingtaine de personnes ont pu être auditionnées. L'AMF nous a ainsi assuré de sa volonté de voir la loi publiée avant le prochain congrès des maires de France, marquant ainsi son désir d'un travail constructif et rapide. Plusieurs des propositions dont elle s'est fait le rapporteur seront discutées tout à l'heure.

L'assemblée des départements de France, l'ancienne APCG, a quant à elle souligné la nécessaire prise en compte à tous les niveaux, national, régional et départemental, de l'accueil des gens du voyage. Enfin, les associations de gens du voyage et celles qui travaillent auprès de ces derniers ont largement abordé les effets de la sédentarisation et les réponses qu'il faudra y apporter.

Tous ont reconnu combien il était urgent en même temps que nécessaire d'adapter la législation existante.

En effet, le nombre d'aires d'accueil aujourd'hui réalisées couvre moins du quart des besoins, estimés à 3 0 000 places au total pour une population de 100 000 voyageurs. Cette pénurie explique les difficultés tant des gens du voyage que des communes qui ont réalisé une aire de stationnement : les premiers, faute de places suffisantes, sont souvent obligés d'occuper des terrains sans autorisation, tandis que les secondes se voient c onfrontées au problème de la surfréquentation en nombre et en durée de leurs aires. Cette surfréquentation constitue en même temps un obstacle à la réalisation d'aires par les autres communes, car celles-ci se défaussent le plus souvent de leurs obligations en prétextant que les communes qui appliquent la loi sont confrontées à des problèmes insolubles.

La démarche qui vous est proposée se veut donc avant tout pragmatique et consensuelle. Son objectif est simple : réaliser le maximum d'aires dans un minimum de temps.

Pour atteindre cet objectif, le projet de loi propose un dispositif comprenant un mode d'élaboration au plus près du terrain, des aides financières importantes et des mesures visant à améliorer les procédures judiciaires.

En se rapprochant au plus près de la réalité du terrain, l es schémas départementaux pourront répondre aux aspects de l'accueil propres à chaque département. Ils définiront précisément les différents types d'aires à pré voir. Ils pourront s'appuyer sur les données existantes et, au vu des besoins constatés, prévoiront les obligations de toutes les communes inscrites aux schémas départementaux. En contrepartie de ces obligations, et pour


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rendre la réalisation des prescriptions du schéma efficace, l'Etat soutiendra fortement l'investissement et le fonctionnement des aires de stationnement.

L'efficacité passe également par l'obligation d'agir. Le caractère volontaire de la démarche est encore renforcé par la capacité donnée au préfet de se substituer aux communes défaillantes si ces dernières n'ont pas rempli leurs obligations dans un délai de deux ans.

S'inscrivant dans une volonté d'équilibre entre les droits et les devoirs pesant sur les gens du voyage comme sur les collectivités locales en charge de leur accueil, le projet de loi donne aux maires ayant satisfait aux dispositions du schéma départemental de nouvelles possibilités d'action en vue de faire respecter les règles d'urbanisme et les arrêtés municipaux relatifs au stationnement.

Le projet de loi confère en effet aux maires la faculté de se substituer aux propriétaires de terrains privés pour obtenir l'expulsion des gens du voyage en situation d'infraction. Ce dispositif est en outre complété par un pouvoir d'injonction du juge, éventuellement assorti d'astreintes, qui évitera aux maires d'engager de nouvelles procédures dès lors qu'une décision de justice aura été obtenue à l'encontre des gens du voyage en infraction sur le territoire de leur commune. Enfin, dans le souci d'accélérer l'exécution des décisions de justice, la signification aux intéressés deviendra facultative, le jugement pouvant être exécuté au seul vu de la minute.

Ce système reste toutefois limité dans le dispositif proposé à l'Assemblée nationale aux seuls terrains privés, le juge administratif conservant sa compétence pour les occupations sans titre du domaine public non routier et le tribunal de police intervenant pour réprimer les occupations de la voirie et de ses dépendances. L'efficacité de l'action de la justice, dans le respect des droits des gens du voyage, serait encore améliorée si l'on simplifiait ce régime complexe et si l'on instituait un juge unique pour ce type de contentieux. Nous aurons l'occasion d'en parler dans la discussion.

Le projet de loi soumis à notre assemblée n'entend pas régler l'ensemble des questions touchant à la vie des gens du voyage. Avec ce texte, nous avons traité l'urgence et le préalable : augmenter la capacité de stationnement. C'est, en effet, la seule solution satisfaisante pour résoudre la question de l'accueil des gens du voyage ; le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées l'a clairement admis dans l'avis qu'il a remis à M. Louis Besson. Dans sa conclusion, il indique que les membres du Haut Comité « approuvent le projet de loi et souhaitent qu'une évaluation de son application soit initiée rapidement, en particulier sur la réalisation des aires ».

Mais si nous avons entrepris par ce texte de traiter l'urgence, nous avons également la volonté d'améliorer notre approche des autres sujets intéressant les gens du voyage.

Pour ce faire, nous souhaitons réactiver le rôle de la commission nationale consultative des gens du voyage.

Avec ses commissions départementalisées, celle-ci pourra répondre aux demandes légitimes d'une approche plus globale. Associées à l'élaboration des schémas départementaux, les commissions départementales consultatives pourront travailler sur les aspects les plus divers : scolarisation des enfants, adaptation économique, protection sociale, sédentarisation, accès au droit de vote, droit de circulation.

Une réelle implication des gens du voyage au sein de ces commissions contribuera par ailleurs à une meilleure représentation de cette population.

Vous l'aurez compris, la commission des lois considère que le texte qui nous est aujourd'hui soumis offre les moyens susceptibles d'apporter une réponse efficace aux insuffisances d'aires d'accueil.

En proposant une démarche participative, à un niveau capable de répondre aux réalités des besoins constatés et en offrant des moyens importants aux maires, il donne la possibilité de réaliser un maximum d'aires dans un minimum de temps.

Mais il reviendra principalement aux élus locaux et aux gens du voyage de faire vivre ce texte. Leur détermination à réaliser des aires en nombre suffisant apportera une réponse claire à notre devoir de solidarité nationale en matière d'accueil des gens du voyage. Tout en favorisant le respect de la liberté de la circulation et de stationnement, la réalisation de ces aires réduira mathématiquement les stationnements illicites et amènera ainsi l'apaisement nécessaire à la poursuite de notre réflexion sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Je vous remercie, madame, en saluant votre première présentation d'un rapport à l'Assemblée.

Mme Nicole Feidt.

Cela méritait d'être noté, monsieur le président ! Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, personne aujourd'hui ne peut contester la nécessité de porter à l'ordre du jour de nos débats parlementaires l'examen d'un projet de loi relatif à l'accueil des gens du voyage.

Avec ce projet, en dépit d'un dispositif de financement qui devrait être mieux doté et amélioré, notamment au niveau du fonctionnement, l'Etat est parfaitement dans son rôle qui est de dire et de faire prévaloir l'intérêt gén éral. Ainsi l'Etat assume sa responsabilité ; le fait est trop rare pour ne pas devoir être salué ! L'Etat doit s'efforcer de mettre un terme au syndrome dit NIMBY, à ce phénomène du « pas dans mon jardin » qui fait que les gens du voyage sont expulsés et ballottés de commune en commune.

L'insuffisance des aires d'accueil explique en partie la surpopulation et les dégradations que connaissent les aires existantes. Cette pénurie se traduit par une très forte pression sur les communes qui ont fait l'effort de se doter d'un équipement, dissuadant par là même encore davantage les communes récalcitrantes.

La réalisation rapide d'un nombre suffisant d'aires d'accueil est, comme l'expose le rapport, le préalable indispensable au renforcement de la lutte contre les installations illicites et contre la surpopulation et les dégradations des aires autorisées. Il y va de la dignité des personnes concernées comme de celle des habitants et riverains des communes concernées par leur passage ou leur séjour.

En effet, si un ensemble d'outils juridiques et de normes est venu jalonner notre législation pour réglementer les conditions de séjour et de passage des populat ions itinérantes et les moyens dont disposent les communes pour organiser cette halte, force est de constater que, d'une façon générale, l'arrivée et l'installation de


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ces populations sur le territoire d'une commune sont souvent mal comprises. Aux quatre coins du territoire, l'arrivée de caravanes alimente dans la population un sentiment tenace d'insécurité et la perception d'une errance sans but. C'est d'ailleurs souvent sous la pression de leurs administrés que les autorités publiques ne cessent de réclamer un renforcement des textes en vigueur dans un sens plus répressif.

Les gens du voyage, cet ensemble d'hommes, de femmes, d'enfants, membres de notre société, voient ainsi leur situation sociale et culturelle totalement fragilisée. Ils vivent mal - et c'est légitime - leur condition d'exclus.

Je serais tenté de dire comme l'a fait Emmanuel Aubin, dans son étude de décembre 1996, que, en dépit des textes en vigueur, notamment l'article 28 de la loi de 1990, « l'accueil des gens du voyage apparaît toujours comme le mythe de Sisyphe des communes de plus de 5 000 habitants ». Sans cesse repoussée au lendemain ou remise en cause par des déprédations commises sur les aires de stationnement, la politique d'accueil des gens du voyage connaît des avancées et des reculs qui la rendent souvent inconsistante.

N'y a-t-il pas lieu de s'interroger sur la nécessaire transformation des mentalités qui sont souvent bien enracinées dans des préjugés séculaires ? Le projet qui nous est présenté est un préalable pour sortir du cercle vicieux où l'ostracisme et le repli sur soi se nourrissent mutuellement. En clair, plus le discours et les actes d'exclusion sont forts, plus les différences et la marginalité que beaucoup reprochent aux gens du voyage sont grandes.

La diversité du monde du voyage se prête mal à une classification satisfaisante de ses composantes. Les textes d'ailleurs varient et parlent de nomades, de tsiganes, de population d'origine nomade, de population non sédentaire, de sans-domicile-fixe, etc.

La population tsigane est importante. Elle compterait plus de 300 000 personnes en France, dont un tiers serait itinérant ; et comme vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat, 95 % d'entre eux sont Français.

Dans chaque groupe, on trouve des gens qui vivent et se déplacent en habitat mobile ou susceptible de l'être pendant tout ou partie de l'année et d'autres qui ne bougent pas. Certains alternent des séjours à la ville et dans les zones rurales, certains franchissent régulièrement les frontières des Etats, d'autres tournent dans deux ou trois cantons depuis des générations. Pour une grande majorité d'entre eux, sédentaires ou non, l'été reste une période traditionnelle de déplacement pour renouer les liens familiaux et religieux. Ils constituent une minorité culturelle mal comprise.

Les politiques menées à leur égard ont oscillé depuis toujours entre l'exclusion et l'assimilation. Aucune politique volontariste n'a été menée jusqu'au terme de sa logique.

Au

XIXe siècle, le rejet était surtout culturel et juridique. Aujourd'hui, la situation s'est quelque peu inversée. C'est la marginalisation économique qui s'accroît.

Des études montrent qu'ils souffrent d'un profond retard par rapport aux exigences contemporaines de la scolarité et de la maîtrise des technologies.

Alain Reyniers, ethnologue à l'université de Louvain en Belgique et directeur de la revue Tsigane, estime que les gens du voyage sont de plus en plus nombreux à dépendre des secours publics et qu'en France 20 % des Tsiganes seraient attributaires du RMI.

Cette population, qui voit une partie de ses activités traditionnelles pratiquement disparaître, qui souffre d'une réglementation plus stricte du porte à porte et du commerce ambulant, devient une population fragilisée en quête d'un nouvel équilibre économique. Elle se sédentarise de plus en plus.

Il est donc important d'aborder la question en rejetant toute idée préconçue et en écartant toute volonté de normaliser la population tsigane dont le droit à la différence doit être respecté au même titre que celui des autres individus et communautés vivant en France.

Mme Laurence Dumont.

Très bien !

M. Patrick Braouezec.

La situation qui leur est faite est profondément inégalitaire. Ils vivent en liberté surveillée.

Trop de témoignages attestent malheureusement de discriminations, de brimades et de contrôles abusifs, qui se teintent le plus souvent d'un caractère raciste, dont les nomades font l'objet alors qu'ils sont des citoyens français. Comment oublier que, pendant la guerre, sur plusieurs dizaines de milliers de déportés pour des motifs raciaux, beaucoup étaient juifs bien sûr, mais nombreux a ussi étaient les Tsiganes, dont 3 000 seulement revinrent.

Mettre en oeuvre une politique d'ensemble, respectant la liberté de circulation, le droit à la différence, leur mode de vie ancestral, et intégrant la totalité des éléments économiques, sociologiques, juridiques, sociaux, culturels, éducatifs, devrait permettre, même si nous sommes conscients que ce n'est pas facile, de résoudre dans les communes les problèmes de passage et de stationnement des gens du voyage.

S'attaquer au problème de l'accueil des gens du voyage n'est, en effet, pas suffisant. Nous partageons cependant l'analyse de M. le secrétaire d'Etat, qui en fait un préalable, mais nous souhaitons que nos débats soient l'occasion d'engagements précis en matière éducative et socioéconomique.

Mme Christine Boutin.

Absolument !

M. Patrick Braouezec.

Il faut parvenir à une contractualisation entre l'Etat, les collectivités et les gens du voyage.

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Patrick Braouezec.

La moindre des difficultés n'est pas de trouver des interlocuteurs réprésentatifs de cette communauté. L'impulsion que ce projet de loi devrait donner à la réalisation d'aires d'accueil en nombre suffisant est de nature à instaurer un nouveau dialogue et une concertation plus actifs avec les gens du voyage sur les autres questions, notamment scolaires et sociales.

Il importe en effet de concilier le respect du mode de vie et des traditions de la communauté des gens du voyage avec celui de la liberté des individus, et notamment des enfants de choisir de perpétuer ou non ce mode de vie à l'âge adulte.

Pour maîtriser l'accueil des gens du voyage et assurer à toutes les personnes qui vivent en France l'égalité dans l'exercice de leurs droits et obligations, il y a lieu d'envisager une véritable consultation entre les pouvoirs publics, les maires, les représentants des gens du voyage et les associations qui représentent leurs différents groupes. Cela permettait, à notre sens, de lever quelques difficultés.

C'est pourquoi les députés communistes s'inscrivent dans toutes les démarches qui conduiront à concilier le droit à un habitat et la libre circulation des personnes,


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d'une part, les aspirations légitimes des populations, de l'autre, dans un rapport équilibré des droits et des devoirs de chacun.

L'article 28 de la loi de 1990 relative à la mise en oeuvre du droit au logement, a fait passer la jurisprudence administrative dans le domaine législatif en instaurant une véritable obligation légale pour les communes de plus de 5 000 habitants de se doter d'aires de stationnement tout en renforçant les pouvoirs d'interdiction de stationner sur le reste du territoire communal.

Comme vous l'avez souligné, monsieur le secrétaire d'Etat, le bilan de l'application de cette disposition n'est pas satisfaisant, loin s'en faut.

Il est vrai que, compte tenu des difficultés financières des collectivités locales, il aurait été nécessaire de les aider davantage, d'abord pour les inciter à aménager ces terrains d'accueil, mais aussi pour que les villes qui ont respecté la loi ne se sentent pas pénalisées par rapport à celles qui ne l'ont pas fait. Ainsi, non seulement l'équilibre entre l'offre et la demande n'a pu être atteint, mais les gens du voyage restent encore une communauté à part dans la société.

Cet état de fait explique pour partie les tensions que l'on rencontre tant dans les communes qui ont respecté leur obligation légale que dans celles qui ne l'ont pas fait.

Même si des solutions sont recherchées tant au plan local que national, la jurisprudence du Conseil d'Etat révèle les limites du dispositif mis en place en 1990 et l'inapplicabilité de l'article 28 dans le cadre d'un POS.

Les constats établis montrent à la fois l'inadaptation du dispositif aux besoins réels et l'absence de coordination des textes en vigueur. Une modification du dispositif s'avérait nécessaire, et nous sommes satisfaits de pouvoir examiner ce projet de loi aujourd'hui.

Au regard des objectifs qu'il s'assigne, des compétences qu'il prévoit et des instruments financiers qu'il propose, ce projet est un projet d'intérêt général, au sens juridique du terme, engageant la solidarité nationale.

Mme Christine Boutin.

Absolument !

M. Patrick Braouezec.

L'article 1er pose le principe selon lequel les communes participent à l'accueil des gens du voyage. Cette disposition, apparemment moins rigide que l'article 28, ne compromet nullement la mise en place des schémas départementaux. Au contraire, elle impose la concertation pour l'élaboration de ce schéma.

La mesure qui est proposée dans le quatrième paragraphe, tendant à ce que dans chaque département soit mise en place une commission départementale, comprenant notamment les représentants des communes et des représentants des gens du voyage nous agrée, bien évidemment. Cependant, le fait que cette commission n'ait qu'un pouvoir consultatif nous inquiète sur sa réelle efficacité. Ne pourrait-on envisager qu'elle soit habilitée à faire des propositions afin de fixer les modalités de prise en compte et de réalisation des conditions de séjours et d'habitat adaptées aux gens du voyage ? Par ailleurs, dans cette commission départementale, n'y a-t-il pas lieu d'impliquer plus fortement les associations qui représentent les intérêts des gens du voyage ? Pour ce qui concerne la question du financement, je pense devoir rappeler que, même si elle n'est pas la seule cause du retard, elle est cependant bien réelle. Si le projet contient des dispositions financières substantielles à la charge de l'Etat pour le financement de l'investissement et pour la compensation des charges de fonctionnement, il n'en demeure pas moins que les départements et les communes y contribueront pour une part relativement importante.

P our les départements, la participation financière devient obligatoire en matière d'aide sociale sans que soient précisées les interventions sociales ni le montant des dépenses, et, en matière de gestion, leur participation est fixée à hauteur de 25 % des dépenses de fonctionnement.

Vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, les départements s'inquiètent de ce surcoût financier.

Pour les communes, outre l'aide financière de l'Etat accordée en contrepartie de la réalisation des aires dans un délai de deux ans, il est prévu que les bases de calcul de la DGF soient bonifiées par l'octroi forfaitaire d'un habitant par place de caravane créée au sein d'une aire d'accueil aménagée. N'aurait-il pas été envisageable de prévoir une bonification en fonction du nombre d'occupants par caravane ? De la même manière, l'Etat ne pourrait-il procéder à u ne bonification particulière de la DSU pour les communes qui accueillent des populations en difficulté et qui, à ce titre, en bénéficient ? L'autre souci légitime des communes concerne l'aide technique et humaine qui doit leur être apportée pour pallier leur manque de compétences et de connaissances afin de faire face aux besoins des gens du voyage. De même, pour beaucoup de communes la gestion des aires d'accueil ne doit pas se faire en gestion directe mais notamment au travers d'associations relais que les pouvoirs publics pourraient soutenir.

Pour conclure, je pense que ce texte, même s'il ne procède pas à une mise à plat complète de la législation en matière d'accueil des gens du voyage, respecte néanmoins son objectif premier : tendre vers un équilibre satisfaisant entre, d'une part, la liberté constitutionnelle d'aller et venir et l'aspiration légitime des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes, et, d'autre part, le souci légitime des élus locaux d'éviter des installations illicites qui occasionnent des difficultés de coexistence avec leurs administrés.

Au regard de ces considérations, les députés communistes voteront pour l'adoption de ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Weber.

M. Jean-Jacques Weber.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je trouve excellent que vous ayez décidé de chercher à régler le problème lancinant du stationnement des gens du voyage dans les communes.

Depuis votre loi de 1990 et son fameux article 28, dont ce texte est aujourd'hui un prolongement logique et un perfectionnement appréciable, quoique, à mon avis, insuffisant, les maires demandaient qu'on les aide ou, à tout le moins, que la loi leur donne des moyens réels pour mettre fin aux troubles qu'ils dénoncent avec constance, et parfois avec vigueur, mais qu'ils continuent de chercher à régler, dans la plupart des cas, avec une infinie bonne volonté et une grande patience, à longueur d'année ou temporairement, souvent coincés entre une a dministration volontairement et trop prudemment absente, une justice attentiste et leurs concitoyens exaspérés.

Il fallait agir ; vous aviez promis de le faire, en particulier lors du dernier congrès des maires, vous le disiez tout à l'heure, où vos propos étaient très attendus. Vous


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tenez parole et je tiens à vous en donner acte publiquement aujourd'hui, en tant que président du groupe parlementaire d'étude sur les gens du voyage et aussi porteparole de l'UDF.

Quand on sait que tous les jours en France, près de 35 000 caravanes stationnent de manière illégale ou irrégulière, que 140 000 personnes sont des gens du voyage i tinérants ou semi-sédentaires, utilisant plus de 60 000 caravanes, on comprend qu'il faille proposer des solutions pour rendre possible, sans trop de heurts, une nouvelle cohabitation entre des millions de citoyens attachés à leur « chez-eux », à leur quiétude, à leur cadre de vie, et une minorité de leurs concitoyens qui, par atavisme...

Mme Nicole Bricq.

Que voulez-vous dire par atavisme ?

M. Jean-Jacques Weber.

... par tradition, par goût ou simplement par nécessité, ont décidé de vivre autrement, attachés, eux aussi, à leur mode vie, cette communauté, dans sa diversité, n'accordant pas toujours, il faut le dire, au droit, aux règles et à leur respect, la même importance que les populations de nos régions.

D'ailleurs, il faut bien reconnaître que jusqu'à votre loi de 1990, puis l'arrêté du 19 janvier 1995 du Conseil constitutionnel, la loi ou les règlements ne traitaient jamais directement ou spécifiquement du stationnement des gens du voyage, qui n'a jamais été énoncé comme un droit réel.

En fait, la conjugaison de différentes réglementations, que ce soit celles du code de la route, du code de l'urbanisme, du code de la voirie ou du code général des collectivités locales, laissait peu d'espace juridique aux gens du voyage, pour stationner sans transgresser la loi ou les règlements, ce qui aboutit bien évidemment à des infractions d'autant plus nombreuses et plus difficilement sanctionnées que les moyens juridiques pour atteindre les contrevenants sont peu efficaces, du fait de leur mobilité, de leur insolvabilité et de leur insaisissabilité.

Votre loi de 1990, monsieur le secrétaire d'Etat, aurait pu avoir des résultats plus significatifs que ceux que l'on constate aujourd'hui si vous aviez donné aux maires les moyens qu'il leur fallait pour réellement enclencher le processus.

Sur près de 1 800 communes de plus de 5 000 habitants, 450 environ se sont dotées de terrains adaptés pour le stationnement des nomades, ce qui est peu, et avec des fortunes très diverses. C'est évidemment insuffisant, car seulement 10 000 places environ sont en théorie disponibles et aménagées.

Le maire, tenté de satisfaire à votre loi, prenait, il faut le dire, des risques énormes car, faute de disposer de moyens pour faire circuler les récalcitrants, il favorisait en fait la création de véritables camps autour des aires ouvertes.

L'occupation illicite d'une propriété ne constitue pas, en effet, une infraction pénale et ne peut donc appeler un

« flagrant délit d'occupation », dont la mise en oeuvre, dans le but d'accélérer le règlement d'un litige de droit civil opposant un justiciable et des occupants sans droits, serait illégale. Et les amendes prévues par le code de l'urbanisme sont, elles, peu dissuasives.

Quant à la procédure de référé, outre qu'elle est chère elle coûte plus de 10 000 francs ! -, elle était inopérante dès lors que les gens du voyage allaient s'établir 100 ou 200 mètres plus loin.

Devant tant de difficultés, le maire ne peut que constater avec désespoir son incapacité et se dit qu'au fond, la sécurité publique est l'affaire de l'Etat. Il abandonne d'autant plus vite la partie que de nouvelles difficultés surgissent dès lors qu'il cherche un terrain d'accueil ou qu'il veut l'inscrire au POS de sa commune.

Les gens du voyage, eux, n'ont pas beaucoup de moyens de se faire entendre, il faut le reconnaître. D'ailleurs, qui sont-ils, « ces voleurs de poules » ? s'indignent certains, oubliant qu'il s'agit à 90 % de citoyens français ou européens, qui ont besoin qu'on reconnaisse qu'ils ont des droits, en particulier celui de s'arrêter. Le droit au stationnement existe-t-il ? Et s'il existe, quelle est sa nature juridique ? Ce droit est pourtant primordial pour les gens du voyage, car il conditionne directement leur mode de vie matériel et culturel, donc leur avenir et celui de leurs enfants.

Le moment n'était-il pas venu d'écouter un peu mieux le mouvement confédéral tsigane qui demandait, par exemple, une loi interministérielle, la modification de la loi de 1969, la suppression des carnets de nomades et des livrets A ou B, ces fameux carnets de circulation qui créent pour les gens du voyage un statut discriminatoire par rapport aux autres citoyens français ? A peine 15 % des gens du voyage ont une carte d'identité. Ils ont pour seul document un titre de circulation. Il n'est pas normal que vous ne vouliez pas vous intéresser à cet aspect citoyen des choses, à ces injustices, car c'en sont réellement. Il me semble que le premier problème des gens du voyage est aujourd'hui celui de la citoyenneté.

Mêmes droits, mêmes devoirs : la formule doit être entendue, tant il est vrai que les gens du voyage n'ont pas les mêmes droits que les autres. Comment voulez-vous dès lors qu'ils se sentent les mêmes devoirs ? Votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, ne traite aucun de ces aspects, ni ceux qui touchent à la vie sanitaire, sociale et scolaire, à la solidarité. Croyez-moi, à l'heure de l'Europe et des grands voyages internationaux, c'est une énorme lacune.

Vous avez donc choisi de vous cantonner au seul problème du stationnement et de répondre aux préoccupations des maires, ce qui est une option que je peux comprendre, encore convient-il de voir si les réponses que vous apportez sont vraiment réalistes, pratiques et faciles à mettre en oeuvre. C'est cela dont les maires ont besoin.

La multiplication des aires semble une bonne solution : elle répond au souhait d'affirmer le droit au stationnement et peut régler beaucoup de choses, en particulier les désordres que nous connaissons un peu partout.

Donner aux maires la possibilité de mettre en oeuvre des référés applicables à tout le territoire communal est une avancée sensible, néanmoins très insuffisante, je crois l'avoir montré tout à l'heure.

L'engagement financier de l'Etat sera en réalité plus faible que ce qui était annoncé : une participation de 70 % d'une dépense plafonnée à 60 000 francs, soit 42 000 francs seulement par aire. C'est mieux qu'avant mais cela ne justifie aucun triomphalisme.

On peut regretter aussi l'absence surprenante du FAS qui apportait jusqu'à présent 14 000 francs par emplacement. Je trouve pour ma part équitable et judicieuse l'idée d'assimiler la place de stationnement à un logement social, au niveau de l'aide au logement, par exemple.

Maire d'une commune confrontée à des flux permanents de nomades, j'ai tenté de tester grandeur nature les différents aspects de votre projet.


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Je constate d'abord que la loi charge les communes d'obligations importantes et de dépenses lourdes d'investissement, même si une partie d'entre elles sont prises en charge par l'Etat, le conseil général ou l'intercommunalité.

Le fonctionnement de l'aire, avec obligation de gardiennage, sera lourd et surtout permanent. Les caisses d'allocations familiales ne semblent pas enthousiastes. Par ailleurs, la loi est muette sur les sédentaires, sauf en ce qui concerne les terrains dits familiaux.

La création de l'aire risque d'être difficile, et le maire ne semble pas doté, pour réussir ce pari, de moyens d'urbanisme complémentaires, qui me paraissent nécessaires. Le texte ne parle même pas des plans d'occupation des sols, ce qui est tout de même étonnant, cette prudence étant peut-être le signe d'un non-dit et de difficultés prévisibles. Peut-être en direz-vous un mot tout à l'heure dans votre réponse.

La gestion de l'aire d'accueil va poser d'autres problèmes encore, par exemple celui du statut des concierges ou autres préposés - appartiendront-ils à la fonction publique ? - ou celui des associations de gestion susceptibles de tomber sous le coup des dispositions visant la gestion de fait. Le maire aura-t-il son mot à dire ? C'est dangereux par les temps qui courent, me semble-t-il.

L'élaboration du schéma départemental sera, dites-vous, l'occasion d'une concertation très large et approfondie entre l'Etat, le conseil général et les communes, avant l'approbation du schéma par le préfet et par le président du conseil général. C'est certainement l'une des clefs de la réussite, mais pourquoi être si limitatif, pourquoi ce débat en définitive si fermé ? S'agissant de la majoration de la DGF, permettez-moi de vous dire que, même si vous avez livré une bataille forte contre Bercy, prendre en compte à ce titre une seule personne par place a un côté légèrement ubuesque et peut-être un peu méprisant pour les maires et les autres administrés.

Une bonne loi est une loi équilibrée. Or la vôtre, monsieur le secrétaire d'Etat, crée une masse de devoirs pour les communes, les conseils généraux, les organismes sociaux, mais n'impose aucun devoir particulier aux gens du voyage et, surtout, ne donne aux maires, en dehors de l'appel à la justice et au sous-préfet éventuellement, aucun véritable moyen de coercition rapide et pratique pour faire respecter sa fonction et agir de façon efficace contre les récalcitrants et ceux qui abusent.

J'ai déposé avec des collègues de l'UDF, des parlementaires avisés et concernés comme Pierre-André Wiltzer, Charles de Courson, Christian Martin, Christine Boutin ou Edouard Landrain, de nombreux amendements qui, s'ils sont acceptés, peuvent apporter des éléments positifs à votre texte, le rendre acceptable, en faire un véritable outil pour les maires, ce qu'il n'est pas encore, et préparer pour demain un débat qui me semble incontournable sur la population nomade de notre pays.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Chantal RobinRodrigo.

Mme Chantal Robin-Rodrigo.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, chers collègues, la question du stationnement des gens du voyage revêt une importance croissante, du fait notamment de l'urbanisation qui a supprimé de nombreux emplacements traditionnellement utilisés par les gens du voyage. Fort de ce constat, l'article 28 de la loi du 31 mai 1990, relative à la mise en oeuvre du droit au logement, souhaitait favoriser l'accueil des gens du voyage.

Cette loi a cependant montré ses limites : le nombre d'aires d'accueil réalisées couvre moins du quart des besoins ; peu de schémas départementaux ont été mis en place ; les maires se sentent impuissants et ne peuvent résoudre tous les problèmes liés au stationnement illicite ; les procédures actuelles sont longues, coûteuses et inappropriées, et il est paradoxal de constater que les communes qui ont réalisé des aires d'accueil sont actuellement confrontées aux problèmes les plus aigus du fait de la sédentarisation de bon nombre de voyageurs.

Cette situation s'explique par le déficit global d'aires d'accueil, estimé aujourd'hui à 20 000 places.

Il était donc impératif de donner une impulsion nouvelle afin de relancer l'aménagement des aires d'accueil par les communes. La résolution des problèmes liés au stationnement et à l'accueil des voyageurs constitue, nous en sommes conscients, un préalable indispensable à toute action ultérieure en leur faveur : droit à la santé, droits sociaux, scolarisation.

De ce point de vue, le projet qui nous est présenté aujourd'hui trouve un équilibre satisfaisant entre le droit légitime des gens du voyage à stationner sur le territoire des communes et la volonté tout aussi légitime des élus locaux de disposer de moyens juridiques appropriés pour faire face avec rapidité aux stationnements illicites.

Je me félicite que l'Etat s'engage à doubler sa participation financière pour l'investissement et s'engage sur le fonctionnement. Les obligations contenues dans la présente loi sont de nature à permettre une réelle et efficace concertation entre tous les élus locaux, à tous les échelons, qu'il s'agisse des communes, des agglomérations, des départements, et ce sous la responsabilité conjointe des préfets et des présidents de conseil général.

De plus, dans un délai de dix-huit mois après l'adoption de la loi, l'élaboration de tous les schémas départementaux devra être terminée. Cela constitue une avancée notable. De même, l'idée que, en cas de non-réalisation dans un délai de deux ans, l'Etat puisse user d'un pouvoir de substitution lui permettant de faire réaliser une aire d'accueil financée par une inscription d'office de la dépense correspondante au budget de la municipalité concernée me paraît être une bonne chose.

Il fallait une fois pour toutes en finir avec le discours et l'attitude de certains élus qui se déclarent « tout à fait favorables à la réalisation des aires d'accueil pour les gens du voyage, mais, de préférence, sur les communes avoisinantes ».

M. Michel Meylan.

Très bien !

Mme Chantal Robin-Rodrigo.

Par ailleurs, ce projet de loi apporte une réponse concrète à l'une des grandes attentes des élus, le renforcement de l'arsenal juridique à leur disposition pour leur permettre de mettre un terme rapide à toute occupation illicite d'une propriété publique ou privée.

Pour autant, je formulerai un certain nombre de remarques et je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous puissiez apporter toutes les assurances nécessaires.

Premièrement, il semble que le nouvel arsenal juridique ne puisse profiter aux communes de moins de 5 000 habitants non membres d'une structure inter-


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communale ayant compétence pour l'accueil des gens du voyage. Pour ces communes, le maire ne pourrait user que de son pouvoir de police, d'où des délais longs et des procédures onéreuses.

Deuxièmement, concernant la participation de l'Etat à l'investissement - 70 % des dépenses, soumises à plafond -, nous souhaitons vivement que le plafond fixé par décret corresponde à la réalité des investissements souvent très lourds induits par la création de ces aires.

T roisièmement, le projet de loi mentionne, en complément des aires d'accueil, des aires de passage.

Il serait paradoxal que ces dernières ne soient pas subventionnées par l'Etat dès lors qu'elles constituent des compléments indispensables aux aires d'accueil aménagées.

Quatrièmement, il serait souhaitable que l'Etat prenne en charge les dépenses dues à certains aménagements temporaires liés aux grands rassemblements traditionnels.

Je citerai par exemple, dans le département dont je suis l'élue, le pèlerinage des gens du voyage à Lourdes.

Enfin, il est souhaitable que la dotation globale de fonctionnement ne soit pas calculée sur la base d'une personne par caravane, comme il est prévu, mais avec une approche plus réaliste de la constitution sociologique de la famille nomade, j'entends par là une famille nombreuse.

Sous ces réserves, les députés Radicaux de gauche sont favorables à ce projet et l'exprimeront par un vote positif.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Michel Meylan.

M. Michel Meylan.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, on compte en France environ 300 000 « gens du voyage », tsiganes, manouches, gitans ou roms, dont un tiers d'itinérants, un tiers de semi-sédentaires et un tiers de sédentaires. La plupart ont la nationalité française.

Leurs déplacements obéissent à des motifs familiaux, économiques ou religieux.

A côté de ces déplacements quotidiens, il existe aussi de grandes migrations qui vont d'un point du globe à un autre, comme celle des tsiganes yougoslaves dans les années 1960-1970 pour répondre au besoin de maind'oeuvre peu qualifiée des pays occidentaux ou, plus récemment, celles des tsiganes de Bosnie et du Kosovo qui ont émigré pour fuir les conflits ethniques.

La question du stationnement des gens du voyage est une question délicate et récurrente. Périodiquement, des contentieux surgissent entre les maires, les riverains et les gens du voyage concernant les aires de stationnement de ces derniers.

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 a garanti à tout citoyen la liberté d'aller et de venir.

Cette liberté fondamentale a pour corollaire celle de stationner. De même, un des protocoles de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que « quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence ».

Dès lors que la liberté d'aller et de venir est un principe constitutionnel, la liberté de stationner existe de manière implicite et constitue une liberté publique au sens de l'article 34 de la Constitution, mais il s'agit d'un droit constitutionnel non légalisé par un texte positif et c'est le juge administratif qui a progressivement établi le caractère de liberté publique du droit au stationnement.

Ce droit, s'il est reconnu, n'en demeure pas moins soumis à de multiples limitations qui découlent du droit de l'urbanisme et des pouvoirs de police des maires et du préfet.

La jurisprudence a dégagé un principe : le maire ne peut valablement interdire le stationnement sur une partie du territoire de sa commune que si le stationnement a, par ailleurs, été autorisé sur un emplacement officiellement désigné, dont la capacité d'accueil est suffisante c ompte tenu de la fréquentation habituelle de la commune par les gens du voyage, et qui est doté des équipements nécessaires.

En outre, la circulaire de décembre 1986 fait obligation au maire de tolérer, en l'absence d'une aire de stationnement aménagée pour le séjour prolongé, pendant une période minimale, la halte des gens du voyage sur des terrains de passage sans que des équipements coûteux soient pour autant imposés.

Nos administrés sont d'ailleurs régulièrement surpris de ce droit accordé aux gens du voyage alors même que ceux-ci enfreignent facilement le droit par leurs installations sauvages, leurs branchements pirates sur les bornes d'incendie ou leurs branchements électriques hasardeux.

Avant le vote de la loi du 31 mai 1990, le juge a donc progressivement affirmé l'existence d'un droit au stationnement, mais celui-ci reste imprécis, notamment quant à sa durée et aux conditions qualitatives de l'emplacement et de l'aménagement des aires d'accueil.

Aucune disposition n'instaure de solidarité entre les maires de communes voisines pour assumer la charge financière de l'aménagement d'une aire d'accueil. Il n'y a pas non plus de mutualisation des obligations d'entretien ou de gardiennage. Si la caravane est reconnue comme un domicile inviolable, ce n'est pas un logement, et le droit reconnu aux gens du voyage est un droit au stationnement sans que le principe d'un droit au logement, dans leur mode d'habitat traditionnel, leur soit reconnu.

L'article 28 de la loi Besson a institué trois dispositions concernant les conditions d'accueil des gens du voyage : l'obligation d'établir un schéma départemental d'accueil des gens du voyage prévoyant les conditions de passage et de séjour, de scolarisation des enfants et d'exercice d'activités économiques ; l'obligation pour les communes de plus de 5 000 habitants de prévoir une aire de stationnement aménagée pour les nomades sur leur territoire ou dans un cadre intercommunal ; enfin, la possibilité pour la commune d'interditre le stationnement sauvage des gens du voyage sur le reste du territoire communal.

La responsabilité du représentant de l'Etat dans le département se trouve dès lors renforcée pour l'élaboration du schéma départemental et celle des maires des communes de plus de 5 000 habitants pour la réalisation des aires de stationnement. En contrepartie, les pouvoirs de police du maire sont renforcés et il est fondé à prononcer des interdictions de stationnement en dehors des aires prévues. Ce serait l'idéal ! Par ailleurs, cette loi a été appliquée de façon inégale, puisque seulement trente-deux départements et un quart des 1 739 villes concernées ont satisfait à cette obligation, un échec relatif qui peut s'expliquer par l'absence d'incitation financière et par l'impuissance des maires dont la commune a réalisé une aire de stationnement à faire cesser l'occupation illégale de terrains publics et privés du reste de la commune. Cette situation explique aujourd'hui, en l'absence d'emplacements en nombre suffisant, une pression d'autant plus forte sur les communes qui remplissent leurs obligations.


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L'effet pervers de la loi est en outre que les tsiganes se retirent ou se regroupent pour faire face aux menaces d'expulsion.

On en arrive à des situations où, faute de pouvoir stationner à trois ou quatre caravanes, ils arrivent en force pour éviter d'être purement et simplement mis dehors.

Ailleurs, pour six places, il y a cinquante caravanes qui tournent en rond dans un mouchoir de poche en se faisant expulser de partout, au risque d'alimenter la chronique d'une haine ordinaire, nourrie par un sentiment tenace d'insécurité et la perception d'une errance sans but avec la persistance de préjugés.

Les maires, sous la pression de leurs administrés, n'ont cessé de réclamer le renforcement de la loi dans un sens répressif, et notamment la possibilité d'ordonner et d'obtenir, grâce au concours de la force publique, l'expulsion immédiate des gens du voyage lorsque ceux-ci s'installent en dehors des aires aménagées.

Actuellement, en effet, un constat d'huissier et une décision de justice sont nécessaires pour autoriser les forces de l'ordre à faire évacuer un terrain occupé illégalement, ce qui peut prendre une vingtaine de jours, soit plus qu'il n'en faut pour que les gens du voyage aient levé le camp de leur propre fait et souvent laissé les parcelles occupées, si ce n'est les équipements collectifs voisins, dans un état de dégradation peu acceptable.

Comme l'avait souligné notre collègue Jean-Paul Delevoye en déposant en novembre 1997 une proposition de loi sur l'accueil et le stationnement des gens du voyage, les maires ont l'impression d'être impuissants devant le stationnement sauvage. Les gens du voyage se plaignent de ne pas avoir assez d'emplacements. La population se plaint de l'impunité des tsiganes.

La situation ne convient à aucune des parties en présence.

La loi Besson a tenté d'améliorer la situation mais sans réussir à l'apaiser. Sa mise en oeuvre a achoppé sur l'absence de décret d'application de l'article 28, alors même que le texte de cet article n'avait prévu ni délai pour l'adoption des schémas départementaux ni sanction en cas de non-réalisation des aires d'accueil.

La loi n'avait pas non plus désigné les personnes compétentes pour lancer le schéma départemental et ce même s'il pouvait être communément admis que c'était de la responsabilité du préfet, ni les personnes associées à son élaboration et celles chargées de sa mise en oeuvre.

Ce schéma n'était en outre pas opposable en matière d'urbanisme aux collectivités locales, et notamment à leurs plans d'occupation des sols.

Je vous rappelle par ailleurs que loger les citoyens est une mission qui appartient en premier lieu à l'Etat.

Aujourd'hui, les gens du voyage ont besoin d'équipements de trois types : des terrains familiaux de petite taille intégrés dans les zones urbanisées et équipées pour de longs séjours, des aires de passage plus vastes pour accueillir ponctuellement des rassemblements importants ; enfin, des parcelles familiales équipées d'un bâtiment en dur, autour duquel peuvent stationner quelques caravanes.

A u niveau des communes, plusieurs problèmes existent : pénurie de terrains pour certaines, notamment en zone fortement urbanisée ou sur le littoral, opposition des riverains, absence totale de solidarité des communes voisines, absence d'aide à la gestion des aires...

Pour atteindre cet objectif, les efforts doivent être partagés entre les différentes communautés tsiganes et Gadjé et entre les différentes collectivités, Etat, régions, départements et communes.

Le projet de loi sur lequel nous devons nous prononcer pose le principe selon lequel toutes les communes participent à l'accueil des gens du voyage.

Le schéma départemental demeure le pivot du dispositif.

Elaboré conjointement par le préfet et le président du conseil général dans chaque département, après consultation des communes concernées, il détermine la nature, la localisation et la capacité des aires à créer ainsi que les interventions sociales nécessaires, et doit être rédigé dans un délai de dix-huit mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi. Faute de quoi, ce délai passé, le préfet pourrait l'approuver seul.

Les communes de plus de 5 000 habitants se voient par ailleurs imposer de se doter d'aires d'accueil aménagées dans un délai de deux ans suivant l'approbation du schéma départemental et de réaliser corrélativement les investissements nécessaires, seules ou sous maîtrise intercommunale, voire de confier celle-ci à une personne morale délégataire.

Ces dispositions appellent d'emblée deux remarques de fond.

D'une part, la succession de ces délais de dix-huit mois et de deux ans pour réaliser les aires nous porte après les prochaines municipales. Force est de regretter qu'il nous manque dès lors des précisions sur le cadre dans lequel pourront s'appliquer des décisions dans la période transitoire.

D'autre part, les communes et les groupements de communes peuvent confier la gestion et la réalisation des aires d'accueil à des personnes morales. Les organismes d'habitation à loyer modéré entrent dans ce champ. Les mentionner directement dans le projet de loi lèverait néanmoins toute ambiguïté sur les possibilités offertes aux maires de leur déléguer effectivement cette compétence.

Le projet de loi dispose ensuite qu'en cas de nonrespect de l'obligation de réaliser ces aires d'accueil, l'Etat pourrait disposer d'un pouvoir de réalisation pour le compte et aux frais de la commune, via la procédure d'inscription en dépenses obligatoires. En contrepartie, il prendrait en charge à hauteur de 70 %, et non plus 35 %, les investissements nécessaires à l'aménagement des aires d'accueil dans la limite d'un plafond déterminé par décret, la région, le département et les caisses d'allocations familiales pouvant accorder des subventions complémentaires en fonctionnement.

Le projet prévoit également une meilleure compensation des charges de fonctionnement sur le modèle de l'aide au logement temporaire.

Enfin, les bases de calcul de la dotation globale de fonctionnement pourraient être bonifiées par l'octroi forfaitaire d'un habitant par place de caravane créée au sein d'une aire d'accueil aménagée.

Ces différents points concernant les aspects financiers du projet peuvent porter à discussion.

Les élus présidents de conseil général, sollicités pour une participation obligatoire aux frais de fonctionnement, souhaitent en effet que le principe d'une compensation soit retenu selon la logique des lois de décentralisation.

La part financière supportée par les communes, parfois peu nombreuses à être concernées par l'accueil des gens du voyage au sein d'un même département, devrait aussi


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pouvoir être déductible du contingent départemental d'aide sociale due par les communes en cause et être considérée comme une dépense obligatoire que le département répartirait entre tous les financeurs de l'aide sociale.

E nfin, la bonification forfaitaire accordée aux communes pour le calcul de la dotation globale de fonctionnement devrait pouvoir être portée à quatre habitants par caravane et non à un comme il était initialement prévu afin de tenir compte du mode de vie des gens du voyage.

Le corollaire de la mise à disposition des aires d'accueil serait, selon votre texte, qu'une commune puisse interdire le stationnement sauvage de caravanes sur son territoire, dès lors qu'elle respecte ses obligations ou participe à la réalisation de ces aires.

En cas de stationnement illégal sur un terrain n'appartenant pas au domaine public mais seulement si ce stationnement porte atteinte à la salubrité, à la sécurité e t à la tranquillité publiques -, le maire pourrait saisir en référé le président du tribunal de grande instance pour qu'il ordonne l'évacuation forcée des caravanes concernées. Le juge pourrait alors prescrire aux occupants, le cas échéant sous astreinte, de rejoindre l'aire de stationnement existante ou, à défaut, de quitter le territoire communal.

En cas de stationnement illégal sur un terrain appartenant au domaine public, le juge administratif pourrait édicter les mêmes prescriptions. Seule la décision du juge administratif pourrait être rendue exécutoire à titre provisoire, éventuellement au seul vu de la minute, afin de réduire les délais d'exécution.

La crédibilité de cette loi repose, comme le souligne l'Association des maires de France, sur la capacité de l'Etat à faire respecter les aires de stationnement et à apporter son concours aux maires qui, ayant rempli leurs obligations en termes de création d'aires de stationnement, sont en droit d'exiger l'application des arrêtés municipaux interdisant le stationnement sur le reste du territoire communal.

Si le sentiment d'un laxisme de l'Etat et d'une impuissance des maires à faire cesser ces situations se répandait dans la population, on pourrait craindre des conséquences graves en termes de racisme ou d'exclusion. D'autant que, pour nombre de nos concitoyens, l'élaboration d'un projet de loi uniquement consacré au stationnement et au logement des gens du voyage, à une période où toutes les demandes de logement à loyer modéré ne peuvent être satisfaites, est déjà susceptible d'apparaître comme un traitement « préférentiel » lié à la crainte des capacités de

« nuisance » des gens du voyage.

Ainsi, plusieurs points devraient précisés. Il faudrait définir un délai impératif d'obtention du référé - de vingt-quatre à quarante-huit heures -, ce qui implique que la justice dispose de moyens suffisants pour statuer dans ces délais ; généraliser des pratiques plus souples ne supposant pas l'identification formelle des contrevenants ; appliquer dans un délai très court fixé par la loi de l'ordonnance d'expulsion - la police et la gendarmerie doivent à cet égard disposer aussi des moyens nécessaires pour faire appliquer la loi.

La présentation que j'ai faite de ce projet de loi a été critique, monsieur le secrétaire d'Etat. Mais être dans l'opposition ne signifie pas forcément s'opposer systématiquement, et force est de reconnaître que ce texte constitue une avancée significative dans le traitement du stationnement des gens du voyage.

Ce projet de loi doit déboucher sur une loi qui servira à chacun d'entre nous dans nos fonctions de maire : il mérite donc que nous l'examinions sans a priori

La justification avancée pour ne pas prendre en compte certains correctifs est un souci de célérité. Ce souci est certes louable mais il laisse à de nombreux parlementaires un arrière-goût d'inachevé, doublé d'un sentiment de défiance. Circulaires et décrets d'application pourront certes pallier nombre des imperfections constatées. Toutefois, quelles certitudes réelles pouvons-nous avoir qu'ils iront dans le sens que nous souhaitons ? La discussion d'aujourd'hui doit nous permettre d'obtenir, d'une part, des gages de la bonne volonté du Gouvernement de travailler en collaboration avec tous les parlementaires et, d'autre part, des précisions sur la manière dont l'esprit de ce texte sera traduit et dont ses lacunes seront corrigées, tant dans sa rédaction définitive que dans les textes d'application qui en découleront.

Plusieurs de nos amendements ont été repoussés, sans qu'on ressente la volonté de les prendre en compte. Le groupe Démocratie libérale souhaite qu'ils puissent être exposés. D'ailleurs, j'ai déjà présenté certains d'entre eux

Je regrette qu'il n'ait été dressé aucun état des lieux précis de la communauté des gens du voyage. Comme l'a souligné notre collègue Weber, le dernier recensement remonte à 1961 : les données qu'il contient sont dès lors devenues approximatives. Pourtant, la réussite du projet de loi passe par une meilleure connaissance sociologique des populations qu'il concerne - il serait notamment utile d'établir des statistiques par département.

En outre, l'Etat devrait assumer la responsabilité pleine et entière des grands rassemblements traditionnels ou occasionnels : le projet de loi fait un premier pas dans cette voie, mais cela mériterait d'être affirmé sans ambiguïté. Pourquoi ne pas le faire par le biais de l'élaboration d'un schéma national intégré dans les réflexions sur l'aménagement du territoire ? Par ailleurs, des interrogations pratiques subsistent sur lesquelles nous n'avons pu obtenir de réponses satisfaisantes.

Quelles sont les dispositions, en particulier financières, qui s'appliqueront aux communes qui ne seraient pas intégrées dans un schéma départemental mais souhaiteraient réaliser une aire d'accueil ? Le problème des plans d'occupation des sols et de leur mise en conformité n'est pas résolu. La commission a souhaité que le Gouvernement donne son avis avant de statuer. Le schéma devrait être opposable afin de permettre aux communes, en particulier à celles qui éprouveront des difficultés à imposer leur choix du terrain d'implantation, de disposer des moyens juridiques nécessaires.

Chaque aire d'accueil fonctionnera selon un règlement intérieur propre dont la rédaction sera laissée à ses gestionnaires. Il apparaîtrait cependant opportun qu'un certain nombre de dispositions soient communes et figurent dès à présent dans le texte de loi et non uniquement dans les textes d'application. Je pense à la notion de participation des gens du voyage aux frais de fonctionnement de ces emplacements, laquelle est imparfaitement prise en compte par la notion de droit d'usage, et à la question du carnet de circulation ou du livret spécial de circulation à présenter au gardien de l'aire, point sur lequel le projet de loi reste étrangement muet.

Une définition du terme générique d'aire d'accueil participerait aussi à une meilleure lisibilité du projet. Les élus risquent en effet d'être confrontés à des inter-


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rogations portant sur la typologie des aires - taille, équipements à prévoir, programmation -, avec, en filigrane, un enjeu financier indéniable.

Des moyens humains et financiers devraient être débloqués pour faciliter la scolarisation des enfants. Le taux d'analphabétisme dans la population tsigane, estimé à 70 %, est en effet largement lié à la non-scolarisation des enfants et constitue un facteur aggravant des difficultés d'intégration que ceux-ci rencontrent.

Le groupe Démocratie libérale et Indépendants compte sur le Gouvernement pour entendre la voix des parlementaires.

Ce projet de loi, de par son objet, doit déboucher sur une loi utile à chacun des maires de notre pays, acceptée de tous et fruit d'un travail de concertation.

Nous souhaitons en outre que les bénéficiaires de ces mesures comprennent que si l'on peut aujourd'hui vivre autrement, différemment, on doit aussi respecter les règles qui permettent à tous de vivre ensemble.

La mise en oeuvre de ce texte dans de bonnes conditions ne se fera qu'au prix de cette écoute, de ce dialogue, de cette bonne volonté commune.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Daniel Vachez.

M. Daniel Vachez.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, madame le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, chaque jour, en France, quelque 30 000 caravanes de gens du voyage cherchent à stationner sur moins de 10 000 emplacements disponibles. Ce constat résume, à mon sens, l'essentiel de la problématique qui nous intéresse aujourd'hui et à laquelle sont confrontés de très nombreux maires, aux quatre coins du territoire national.

Ce sont ainsi plusieurs dizaines de milliers de caravanes qui, quotidiennement, stationnent de façon irrégulière.

Ces stationnements illicites, et parfois sauvages, ont un coût financier important pour les communes, les entreprises ou les propriétaires concernés. Ils provoquent l'incompréhension des habitants, conduisent à une montée des tensions souvent très vives entre sédentaires et itinérants et nourrissent les discours extrémistes.

Nous avons été de très nombreux parlementaires à alerter le Gouvernement sur les menaces de plus en plus fortes que faisaient peser ces stationnements irréguliers pour la cohésion et la paix civile de nos communes. Il y a urgence à agir, avons-nous répété depuis le début de la législature. Il y a urgence à améliorer des dispositions légales qui, parce qu'elles sont fondées uniquement sur la bonne volonté des acteurs locaux, se sont avérées largement inefficaces et n'ont pas permis de résoudre la question du stationnement des gens du voyage.

C'est donc avec une grande satisfaction que nous avons accueilli le dépôt de ce projet de loi et surtout la décision d'inscrire très rapidement ce texte à l'ordre du jour de notre assemblée.

Le Gouvernement démontre ainsi qu'il prend en compte la très forte attente exprimée par la représentation nationale et par de nombreux élus locaux. Il manifeste en même temps qu'il a pleinement conscience de l'urgence de la situation et de la nécessité d'y apporter très rapidement des solutions concrètes. Enfin, il fait aussi montre d'un réel courage politique en s'attelant à un problème difficile et complexe qui, depuis neuf ans, et en dépit de différentes tentatives, n'avait jamais trouvé de traduction législative adéquate. Cela devait, me semble-t-il, être souligné.

J'ajoute que le projet de loi que nous examinons aujourd'hui constitue également l'aboutissement de l'important travail de réflexion qui a été mené au sein du groupe socialiste, en étroite concertation avec les ministères concernés, et tout particulièrement le secrétariat d'Etat au logement.

Lors de ces travaux, nous avions défini trois axes majeurs qui nous semblaient incontournables : faire en sorte que les obligations qui incombent aux départements et aux communes, en application de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990, soient effectivement appliquées ; instaurer une solidarité financière vis-à-vis des communes qui aménagent des aires, notamment pour faire face aux frais de fonctionnement ; enfin, permettre aux maires des communes qui ont satisfait à leurs obligations d'obtenir plus facilement et plus rapidement un jugement ordonnant l'expulsion des caravanes qui stationnent en dehors des aires aménagées. Bref, nous plaidions pour un dispositif qui assure un équilibre entre droits et devoirs de chacun.

Je dois dire, à ce propos, que nous avons été parfaitement entendus du Gouvernement, puisque ces axes constituent l'armature du présent texte, lequel répond donc à notre souci d'équilibre. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Ce projet de loi, on l'a dit, ne prétend pas régler l'ensemble des difficultés auxquelles sont confrontés les gens du voyage.

M. Charles Cova.

C'est dommage !

M. Daniel Vachez.

Il tente d'apporter des réponses concrètes à ce qui est apparu comme le problème le plus urgent : celui de la pénurie d'aires de stationnement.

Notre priorité est donc, selon la formule de notre rapporteur, Raymonde Le Texier, de permettre la réalisation d'un maximum d'aires en un minimum de temps. Il s'agit bien de démultiplier, dans les délais les plus courts possible, une offre de stationnement adaptée aux besoins des gens du voyage, ce qui, logiquement, contribuera à réduire les stationnements irréguliers.

Les schémas départementaux demeurent le socle du dispositif retenu. Il nous est en effet apparu que le cadre départemental est le plus pertinent pour apprécier au mieux les différents types de besoins et pour y apporter des réponses adéquates.

Il ne s'agit pas de conférer aux voyageurs de nouveaux droits, mais de leur permettre d'exercer effectivement ces droits, au même titre que chaque citoyen français. Je crois d'ailleurs bon de rappeler, comme d'autres orateurs l'ont fait avant moi, que l'immense majorité des gens du voyage sont des citoyens français de très longue date.

Or pouvoir disposer de conditions de stationnement stables, sans être quotidiennement rejeté d'un terrain à l'autre, constitue, de toute évidence, le préalable indispensable au plein exercice de toute une série d'autres droits tels que la scolarisation, l'accès aux soins ou à la citoyenneté.

La Commission nationale consultative et les futures commissions départementales consultatives des gens du voyage constituent le cadre institutionnel le mieux adapté pour traiter de ces questions, en concertation avec les gens du voyage eux-mêmes.

A cet égard, je souhaite que le Gouvernement profite de l'examen de ce projet de loi pour s'engager à relancer sans attendre la Commission nationale consultative des


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gens du voyage, laquelle ne s'est pas réunie depuis plus de quatre ans. Nous avons absolument besoin d'une structure vivante au sein de laquelle toutes les parties prenantes - élus, ministères, gens du voyage - puissent dialoguer de façon continue et approfondie.

M. Charles Cova.

Très bien !

M. Daniel Vachez.

A l'échelon départemental, les commissions consultatives auront également un rôle moteur à jouer pour suivre l'élaboration et la mise en oeuvre des schémas, prendre en compte au plus près du terrain les besoins exprimés par les gens du voyage et les attentes formulées par les élus locaux, ou désamorcer les éventuelles sources de conflit.

La priorité affichée et revendiquée par ce texte est donc de développer les capacités d'accueil et de stationnement des gens du voyage. Tenant compte des insuffisances de la loi actuelle, le Gouvernement a cherché à rendre les dispositifs, à la fois plus précis et plus incitatifs en vigueur ce qui répond à notre préoccupation.

D'une part, le projet de loi rappelle l'obligation jurisprudentielle qui est faite à toutes les communes de participer à l'accueil des gens du voyage, en mettant à leurs disposition un terrain sommairement aménagé pour stationner au minimum quarante-huit heures. Il réaffirme également l'obligation de réaliser une aire d'accueil aménagée pour toutes les communes de plus de 5 000 habitants. Mais cette obligation est précisée puisqu'elle devra être satisfaite au plus tard deux ans après la publication du schéma départemental. A défaut, le préfet pourra se substituer à la commune qui ne respecterait pas ses obligations et inscrire les coûts afférents aux dépenses obligatoires.

Certes, nous souhaitons que cette disposition ne constitue que l'arme ultime dans les mains du préfet.

Mais cette perspective nous apparaît indispensable pour assurer la réussite du dispositif. Nous ne pouvons hélas pas compter sur la seule bonne volonté de toutes les communes. Depuis neuf ans, les exemples sont nombreux de communes qui refusent systématiquement d'assumer leurs obligations. Ce sont d'ailleurs souvent les mêmes, il est intéressant de le noter, qui refusent la construction de logements sociaux.

C'est pourquoi nous disons aujourd'hui avec force qu'aucune commune ne doit pouvoir se défausser de ses responsabilités, par exemple en prenant la décision unilatérale de verser une contribution financière qui viendrait l'exonérer de l'obligation d'aménager une aire sur son territoire. Il est, à cet égard, souhaitable de clarifier la rédaction de l'article 3, qui pourrait laisser planer un doute sur les intentions du législateur. A cet effet, un amendement du rapporteur a été adopté en commission ; il répond à cette attente et nous souhaitons qu'il soit voté en séance.

J'ajoute, pour en finir sur le caractère plus contraignant du texte, que nous souhaitons que, le moment venu, le Gouvernement veille à une application correcte de la loi afin que les préfets fassent un usage raisonnable mais néanmoins réel des facultés qui leurs sont ouvertes.

D'autre part, le Gouvernement a prévu de renforcer de façon très significative le soutien financier qu'il apporte aux communes pour la réalisation et la gestion des aires.

Ce soutien prend la forme d'un doublement de l'aide à l'investissement nécessaire à l'aménagement des aires, qui passe de 35 à 70 %. Il conviendra, sur ce point, de préciser que les dépenses de réhabilitation ouvrent bien droit à cette prise en charge majorée. Il apparaît, en effet, que sur les 10 000 places de stationnement officiellement disponibles, plus de la moitié ne respectent pas les normes aujourd'hui en vigueur et nécessitent donc d'importants travaux de rénovation.

Mais ce soutien prend surtout la forme d'une aide versée directement aux gestionnaires des aires d'accueil, qui devrait permettre d'assurer environ 50 % des coûts de fonctionnement. Cela constitue une avancée extrêmement importante qui lève un frein à la réalisation d'aires par les communes.

Enfin, le Gouvernement a également prévu un abondement de la DGF versée aux communes sur lesquelles est implantée une aire d'accueil. Cet abondement est amplement justifié en raison des coûts engendrés par une telle implantation, notamment pour le budget social de la commune. Vous le savez, même si elle est très diverse, la population des gens du voyage connaît souvent de graves difficultés sociales et économiques qui nécessitent des interventions fortes de la part des services sociaux des communes. En proposant d'instaurer cet abondement de la DGF, le Gouvernement démontre le bien-fondé de notre demande. Toutefois, le ratio retenu d'un habitant par caravane apparaît plus symbolique que vraiment fidèle à la réalité constatée sur le terrain. Nous aurons l'occasion d'en reparler lors de l'examen de l'article concerné.

Plus précises et plus incitatives, les dispositions de ce texte se donnent donc les moyens de l'ambition affichée par ce projet de loi.

Dans le même temps, il nous est toujours apparu indispensable d'oeuvrer à un dispositif qui assure un équilibre entre droits et devoirs de chacun : droit des gens du v oyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes ; devoir des collectivités locales d'aménager des aires en nombre suffisant ; mais aussi droit des communes à empêcher le stationnement des caravanes en dehors des aires aménagées ; devoir des gens du voyage de respecter les règles de la vie collective en n'occupant pas des terrains parfaitement inadaptés tels que des stades, des espaces verts, des zones d'activité ou des parkings de supermarché.

Or force est de constater que, jusqu'à présent, les maires ont le plus grand mal à faire cesser ces stationnements illicites, quand bien même ils ont réalisé une aire.

Les communes qui ont rempli leurs obligations sont même souvent confrontées à un afflux de voyageurs, qui v ient rapidement saturer ses capacités d'accueil et engendre de graves difficultés avec les habitants sédentaires.

Il était donc indispensable de permettre aux maires des communes qui ont satisfait à leurs obligations d'obtenir plus facilement et plus rapidement un jugement ordonnant l'expulsion des caravanes qui stationnent en dehors des aires aménagées.

A cet égard, le projet de loi apporte des améliorations sensibles à la procédure existante, lesquelles sont de nature à répondre aux préoccupations des maires. L'usage systématisé du référé heure par heure et la possibilité d'une application de la décision de justice au seul vu de la minute vont permettre de réduire de façon sensible les délais de la procédure.

Mme Christine Boutin.

Pas du tout !

M. Daniel Vachez.

La possibilité pour le juge de prononcer une injonction valable sur l'ensemble du territoire communal et la proposition du rapporteur d'unifier le contentieux au profit du juge civil - proposition que le


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groupe socialiste souhaite vivement voir adoptée - sont également de nature à simplifier de façon notable les procédures.

Enfin, la faculté ouverte au maire d'agir en justice en lieu et place d'un propriétaire défaillant dès lors que ce stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques, cons titue un élargissement très appréciable de son pouvoir d'intervention.

Certains auraient souhaité aller plus loin, notamment autoriser, sur simple décision administrative, l'évacuation forcée des caravanes qui stationnent de façon illicite.

Outre le fait qu'une telle proposition serait contraire à notre Constitution - je rappelle, en effet, que son article 66 dispose que l'autorité judiciaire est garante des l ibertés individuelles -, chacun doit bien prendre conscience des menaces que ferait peser sur notre démocratie une telle disposition.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Si l'on créait un régime d'exception pour une certaine catégorie de la population, on ouvrirait alors la voie à tous les arbitraires. Ce qui s'appliquerait aujourd'hui aux gens du voyage pourrait se retourner demain contre un simple locataire en conflit avec son p ropriétaire et, après-demain, contre n'importe quel citoyen pour n'importe quel motif.

Oui, les maires qui ont aménagé des aires sont en droit de réclamer des procédures judiciaires plus faciles, plus rapides et plus efficaces. Non, il ne nous appartient pas de nous engager et d'engager la représentation nationale sur une voie hautement périlleuse qui aboutirait à la négation des principes fondamentaux de notre droit.

Mme Nicole Bricq.

Très juste !

M. Daniel Vachez.

Pour conclure, je soulignerai à nouveau que ce projet de loi constitue une avancée très importante et longtemps attendue. Certes, nous ne résoudrons pas l'ensemble du problème de l'accueil des gens du voyage du jour au lendemain. Mais ce texte, qui conjugue à la fois incitation et contrainte, fournit un certain nombre d'outils extrêmement précieux, de nature à améliorer très sensiblement, dans les trois ou quatre a nnées qui viennent, les problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Je le répète après M. le secrétaire d'Etat et Mme la rapporteur, l'enjeu de ce projet est de permettre la réalisation d'un maximum d'aires en un minimum de temps, afin de sortir de la pénurie que nous connaissons actuellement et qui explique pour l'essentiel les tensions auxquelles nous sommes confrontés. Cela nécessitera la mobilisation et la responsabilisation de chacun, en premier lieu des maires. Nous avons tous intérêt à la réussite de cette loi pour sortir de la confrontation qui a trop souvent cours et qui sape nos principes républicains.

Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est avec conviction que le groupe socialiste votera votre projet de loi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Lionnel Luca.

M. Lionnel Luca.

Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est effectivement un projet de loi fort attendu par tous les maires de France que vous nous présentez aujourd'hui.

Rien que pour cela, il mérite l'attention, et on se réjouira que le Gouvernement assume ses responsabilités en la matière, comme vous l'avez dit tout à l'heure. Je dirai :

« Enfin ! », car la précédente loi et son article 28 désormais fameux datent malgré tout du 31 mai 1990 ; mais il est vrai que vous n'avez pas occupé des fonctions ministérielles durant tout ce temps.

Les élus locaux, depuis lors, se sont trouvés bien seuls face au problème du stationnement des gens du voyage.

Bien seuls devant ceux qui revendiquent l'installation sauvage, qu'il y ait ou non une aire d'accueil, et qui l'ont souvent utilisée comme prétexte pour s'établir où bon leur semble. Bien seuls, parfois, face au représentant de l'Etat, qui hésite le plus souvent à faire appliquer les procédures judiciaires et les décisions d'expulsion pour ne pas créer des situations inextinguibles donnant ainsi l'impression que la loi n'est pas la même pour tous, selon qu'on ne peut plus payer ses dettes ou qu'on présente certaines caractéristiques. Ils se sentent bien seuls face à la population, qui ne peut admettre ce laxisme et ce traitement inégal.

La volonté du Gouvernement et du Parlement est, à défaut de résoudre un problème difficile, pour ne pas dire insoluble, de réduire à tout le moins des tensions dues à une incompréhension réciproque. Et je vois plutôt un avantage au fait que des députés aient un mandat de maire car, sinon, notre débat sur les aires d'accueil et les gens du voyage serait beaucoup plus théorique, beaucoup plus idéologique. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Georges Tron.

C'est évident !

M. Lionnel Luca.

L'expérience et le réalisme des maires permettront que notre débat ne soit pas polémique.

Mme Nicole Bricq.

Nous ne sommes pas tous maires et pourtant nous nous intéressons au sujet !

M. Georges Tron.

Le point de vue n'est pas le même !

M. le président.

Mes chers collègues, nous n'examinons pas le projet sur le cumul des mandats mais un texte concernant les gens du voyage, ce qui revient parfois au même. (Sourires.)

M. Lionnel Luca.

Nous attendons de vous, monsieur le secrétaire d'Etat, un pragmatisme débarrassé de préjugés qui ne peuvent qu'aggraver la situation. Car les préjugéss ont nombreux. Pour les uns, ces populations ne devraient jamais avoir le droit de s'arrêter à un endroit, surtout lorsque c'est chez eux. Pour les autres, au nom d'un romantisme passéiste, de l'image du pauvre romanichel tirant sa roulotte, victime de l'exclusion, elles devraient être partout chez elles.

Mme Nicole Bricq.

C'est manichéen ! Attention aux dérapages non contrôlés !

M. Lionnel Luca.

Votre projet de loi prétend à l'équilibre. Mais les articles ne confirment guère ce qu'affirme l'exposé des motifs.

En ce qui concerne la forme, on ne peut qu'être surpris par la rapidité, pour ne pas dire la précipitation, avec laquelle vous nous présentez ce projet de loi à la veille d'élections, anticipant peut-être d'autres élections à venir.

Car, depuis le débat de l'an dernier sur l'exclusion, on avait plutôt l'impression d'une hâte fort lente ! Vous nous expliquerez sans doute ce qu'il en est. On regrettera en définitive l'insuffisance de la concertation, contrairement à ce que vous avez affirmé, tant avec les parlementaires qu'avec les différents partenaires, concertation qui ne peut se limiter aux seules associations dites représentatives des gens du voyage.

Cela dit, il faut le reconnaître, ce projet de loi contient des améliorations qu'on ne saurait nier.

Mme Nicole Bricq.

Ah !


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M. Lionnel Luca.

D'abord, la volonté affichée que les schémas départementaux prennent en compte les réalités locales introduit une souplesse importante.

Ensuite, la possibilité offerte aux communes de satisfaire à leurs obligations de différentes manières.

Surtout, et c'est sans doute là l'aspect le plus positif de ce projet, l'engagement financier de l'Etat, dont l'absence a pendant longtemps représenté une cause de blocage d éterminante pour nombre de communes, cet engagement pouvant être complété par celui des départements.

Vous le voyez, monsieur le secrétaire d'Etat, quelles que soient les critiques que je serai amené à formuler dans quelques instants, le groupe RPR aborde ce débat avec l'ouverture d'esprit nécessaire, car il considère que ce débat doit rester technique et non devenir politique.

Mais le projet comporte néanmoins des ambiguïtés, des i nsuffisances, et parfois même une certaine dose d'arbitraire.

L'ambiguïté, c'est l'affirmation, que vous avez réitérée, d'une volonté d'équilibre entre les différentes parties. S'il est précisé que les gens du voyage devront payer un droit d'usage pour les aires d'accueil mises à leur disposition, rien n'est dit sur d'autres obligations qui leur incomberaient, par exemple en cas de vandalisme.

M. Georges Tron et M. Charles Cova.

Tout à fait !

Mme Raymonde Le Texier, rapporteur.

Le code pénal s'applique ! Nous n'allons pas édicter une législation spéciale !

M. Lionnel Luca.

Or le vandalisme n'est pas toujours accidentel.

Par ailleurs, le schéma départemental peut prévoir des aires d'accueil, mais celles-ci peuvent ne pas convenir.

M. Georges Tron.

Tout à fait !

M. Lionnel Luca.

Combien de fois, dans le département des Alpes-Maritimes, ai-je vu refuser des aires d'accueil parce que des esprits mauvais y rôdaient ou au motif que c'était trop humide, et que, finalement, seul le bord de mer convenait ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Raymonde Le Texier, rapporteur.

Pas d'aires d'accueil à côté des cimetières, ni sous les ponts !

M. Lionnel Luca.

Le bord de mer est sans doute plus a gréable que les collines, mais les Alpes-Maritimes peuvent offrir d'autres aires d'accueil acceptables.

Il faut également envisager la participation contributive à la vie communale lorsque l'installation dure.

En ce qui concerne l'application par le préfet des décisions de justice, notamment pour les expulsions, on peut comprendre qu'il faudrait envoyer les contrevenants dans des aires d'accueil, mais encore faudrait-il que celles-ci soient libres. Dans le cas contraire, quelle solution appliquera le préfet ?

Mme Raymonde Le Texier, rapporteur.

Quelle mauvaise foi ! Le texte est clair !

M. Lionnel Luca.

Finalement, les seuls qui auront des contraintes et des obligations seront les maires, qui donnent une fois de plus l'impression qu'ils sont les seuls responsables de la situation actuelle, que le projet de loi leur est destiné.

M. Georges Tron et M. Charles Cova.

Tout à fait !

M. Lionnel Luca.

J'en viens aux insuffisances. Ce projet vise à parer au plus pressé, en laissant de côté bon nombre de questions auxquelles il ne répond pas. Ainsi, il se limite aux seuls schémas départementaux, en faisant l'impasse sur le schéma national qu'avait envisagé la proposition de loi sénatoriale rapportée par notre collègue président de l'Association des maires de France, Jean-Paul Delevoye.

De même, le schéma national aurait pu prendre en compte les grandes migrations sur le territoire national, dans la perspective de l'aménagement du territoire, car elles posent les problèmes les plus délicats.

Par ailleurs, l'échelon régional n'est à aucun moment envisagé, ce qui est assez étonnant.

L'augmentation de la DGF est certes intéressante, mais elle est insuffisante.

Le pouvoir que vous dites donner aux maires est également insuffisant. Ils ont déjà un pouvoir en ce qui concerne les terrains communaux mais vous dites vouloir leur en donner un sur les terrains privés. Cependant, la constitutionnalité d'une telle mesure n'est pas évidente.

Mme Raymonde Le Texier, rapporteur.

Ah ?

M. Lionnel Luca.

Insuffisance aussi pour certains problèmes qui ne sont pas traités au fond, comme la scolarisation, la sédentarisation, l'achat de terrains ou les problèmes fiscaux.

J'ai évoqué tout à l'heure un romantisme passéiste et l'image du romanichel tirant sa roulotte. Force est de reconnaître que ce romantisme est très souvent remplacé aujourd'hui par le matérialisme de la grosse berline, souvent étrangère,...

Mme Raymonde Le Texier, rapporteur. On l'attendait, celle-là ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Georges Tron.

M. Luca a tout le même le droit de s'exprimer !

M. Lionnel Luca.

... tractant une caravane interdite à la plupart des indigènes. C'est cela, la réalité !

M. le président.

Mes chers collègues, je vous en prie ! Monsieur Luca, puis-je vous inviter à conclure, car vous avez épuisé votre temps de parole ?

M. Lionnel Luca.

J'en viens au dernier point, c'est-àdire à la dose d'arbitraire, avec le pouvoir de substitution...

M. Georges Tron.

Il faut la moucher !

Mme Raymonde Le Texier, rapporteur.

C'est scandaleux ! Qu'est-ce que ça signifie ? Où vous croyez-vous ?

M. Georges Tron.

Laissez M. Luca s'exprimer ! Votre attitude est scandaleuse !

M. le président.

Je vous en prie, mes chers collègues !

M. Georges Tron.

C'est la première fois qu'un rapporteur se comporte comme cela ! C'est scandaleux !

Mme Raymonde Le Texier, rapporteur.

Ce sont vos propos qui sont scandaleux !

M. le président.

Mes chers collègues, ce petit affrontement amusant est terminé !

M. Lionnel Luca.

La dose d'arbitraire, disais-je, c'est le pouvoir de substitution donné aux préfets en cas de blocage.

Le schéma départemental est élaboré conjointement avec le président du conseil général, dont on se passera en fin de compte puisque seule la signature du préfet vali-


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dera ce schéma. C'est un recul significatif du rôle du conseil général. Et il n'est pas prévu que les conseils municipaux devront délibérer ; les maires se verront donc imposer l'emplacement de l'aire d'accueil et les obligations financières correspondantes.

C'est faire bon compte de la démocratie locale et exprimer sinon du mépris, du moins un manque de confiance à l'égard des élus locaux, qui sont pourtant les représentants légitimes de la population. C'est là encore un effet d'une recentralisation dont le seul mérite est de ne pas être insidieuse.

Ambiguïtés, insuffisances, arbitraire : il y a donc beaucoup de chemin à faire pour améliorer ce texte. Le débat sur les articles, le sort que vous réserverez aux amendements destinés à l'améliorer pour créer un véritable équi libre entre les obligations et les droits des uns et des autres, les engagements que vous prendrez en ce qui concerne les futurs décrets d'application, qui rendront ou non cette loi réellement applicable, détermineront notre position définitive sur ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre.

Monsieur le secrétaire d'Etat, madame le rapporteur, mes chers collègues, saluons ce projet de loi relatif à l'accueil des gens du voyage en notant que sa discussion répare l'échec partiel de la loi du 31 mai 1990, une loi qui, en dépit de ses généreuses intentions, n'a pas permis d'accueillir les gens du voyage dans des conditions satisfaisantes. Notre échec à tous dans une stratégie d'amélioration de l'accueil relève d'une addition de dissymétries. Dissymétrie entre la volonté affichée de réaffirmer bien fort l'attachement au principe de l'accueil de tous et la réalité des structures offertes jusqu'alors.

Au fil des ans, en effet, une certaine renonciation était constatée parmi les collectivités territoriales quant aux procédures d'aménagement. S'il paraissait acquis aux maires que des aires devaient être mises à disposition, en revanche, ils préféraient laisser à leurs voisins l'initiative.

La crainte était grande chez les élus qui souhaitaient se doter d'une aire d'accueil que les communes voisines s'abstiennent. De ce fait, à leurs yeux, seuls ceux qui auraient appliqué la loi auraient risqué de voir affluer chez eux une population légitimement désireuse d'être accueillie dignement.

Dissymétrie aussi entre les communes. Ce sont principalement les communes les plus pauvres, les plus rurales qui sont souvent les plus exposées à la nécessité d'accueillir les non-sédentaires. A cet égard, il serait peut-être bon qu'une péréquation s'opère entre communes riches et pauvres, concernant l'aide de l'Etat.

Les 30 % du coût d'aménagement restant à la charge de la commune peuvent être difficiles à assumer pour telle commune et ne poser aucun problème pour telle autre, on le sait très bien. Ainsi peut-on imaginer une modulation de l'aide qui serait fonction du potentiel fiscal de la ville et s'ajouterait au déplafonnement de la dépense engagée pour le calcul de la subvention.

Par ailleurs, persiste une inégalité entre les communes dotées des moyens de défendre leurs droits face à toutes les violations, entre autres face à l'occupation privative du domaine public, et celles qui ne peuvent compter que sur des forces de maintien de l'ordre disséminées. Cela constitue un autre obstacle à une saine application de la loi, et il est difficile de demander à des habitants contribuables de participer financièrement à l'aménagement d'aires s'ils vivent aux alentours et si les forces de l'ordre ne sont pas susceptibles d'assurer pleinement la tranquillité publique.

Les deux dissymétries précédemment évoquées sont atténuées par le dispositif que vous proposez, monsieur le secrétaire d'Etat, en faveur de l'intercommunalité. On ne peut que se féliciter de la possibilité d'aménagements intercommunaux, qui peut apporter une solution aux oppositions souvent stériles auxquelles les maires sont confrontés. Elle est susceptible de faire obstruction à la frilosité ambiante. Elle permet une meilleure répartition de l'effort financier et apporte une réponse plus globale à l'accueil des gens du voyage dans un bassin de vie. L'intercommunalité atténue le caractère brutal du seuil de 5 000 habitants, qui crée par ailleurs une difficulté dans certains départements, comme celui dont je suis l'élu, qui compte 816 communes. Parmi celles-ci, dix seront assujetties à l'obligation d'aménagement, la très grande majorité des zones rurales, souvent fort étendues, où les gens du voyage peuvent désirer s'installer - et où ils s'installeront - ne serait pas aménagée, et les maires de ces communes ne disposeraient pas des moyens leur permettant d'empêcher efficacement les atteintes au droit d'occupation du domaine public et les atteintes à l'ordre public s'ils n'avaient pas la possibilité de recourir à la solution que leur offre la loi, à savoir la coopération intercommunale.

J'espère que cette formule se généralisera, car ce n'est pas le niveau de présence d'une population sédentaire qui devrait déterminer les modalités d'accueil des gens du voyage, mais les surfaces et les territoires.

En définitive, nous devons rendre égale la qualité de citoyen. Nous sommes égaux devant le droit de vivre de façon digne. Il est inacceptable, inhumain, de supporter à la périphérie de nos agglomérations de véritables bidonvilles.

Pour autant, la notion de droit a pour incontournable pendant l'existence de devoirs : devoir de participer aux frais de séjour, devoir de se conformer aux normes législatives et réglementaires, devoir pour les futurs bénéficiaires de cette loi de fréquenter uniquement ces aires de stationnement et de rompre avec les habitudes détestables qui les conduisaient souvent, jusqu'alors, à mépriser les règlements, à ne pas respecter les espaces publics, et souvent même la propriété privée.

Dans ce cadre, les devoirs devront être scrupuleusement rappelés à tous. Nous risquerions sinon de voir monter l'insatisfaction de tous, maires, contribuables et gens du voyage. Il est donc souhaitable que l'Etat, en contrepartie de l'effort des collectivités locales, ne laisse pas les maires désarmés. La loi, à ce sujet, prend des engagements que je salue. Le Gouvernement, en faisant adopter ce texte, assume une grande responsabilité vis-àvis des exécutifs locaux comme des gens du voyage.

De l'efficacité de l'aide que l'application de la loi apportera aux maires dépendra en grande partie la réussite de votre projet, monsieur le secrétaire d'Etat. Si l'on doit laisser à chacun le droit de déterminer ce que peut être sa vie, la qualité de citoyen impose, au-delà du strict respect de l'égalité et de la légalité républicaine, d'êt re assujetti aux mêmes devoirs que tous. En saluant l'ambition de votre projet, en espérant qu'il rencontrera l'adhésion et la responsabilité de tous les acteurs de sa réussite, les députés du Mouvement des citoyens voteront pour


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l'adoption de ce texte.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'inadéquation entre les places disponibles pour les caravanes et le nombre de gens du voyage pose de réelles difficultés dans de nombreuses régions, dont l'Ile-de-France. A ce titre, je voudrais associer à mes propos mon collègue PierreAndré Wiltzer, élu de l'Essonne.

Comme vous tous, je suis sollicitée depuis de nombreuses années par les maires sur la nécessité de régler le problème de société qu'est celui de la gestion de l'accueil des gens du voyage. J'ai donc été d'abord très intéressée par ce projet de loi dont l'objectif semble être d'étendre massivement la création d'aires d'accueil. Mais, avec les maires que j'ai pu consulter sur ce texte, malgré le très peu de temps qui nous a été laissé pour son étude, j'ai regretté qu'en réalité votre projet, monsieur le secrétaire d'Etat, se concentre sur un aspect technique du problème, sur la nécessité de prévoir davantage d'aires d'accueil, et n'envisage le phénomène des gens du voyage que sous cet angle unique en occultant totalement le phénomène dans sa globalité.

Il est vrai que ce texte donne une véritable impulsion pour la création de structures d'accueil : le projet prévoit de porter le nombre de places d'accueil de 10 000 à 30 000, ce qui devrait suffire pour 100 000 voyageurs.

Néanmoins, ces chiffres sont-ils fiables ? On peut se poser la question puisque le dernier recensement de ces populations remonte, paraît-il, aux années 60.

C'était votre volonté, semble-t-il, d'aborder le problème uniquement sous un aspect technique. Mme le rapporteur indique que ce projet est un « préalable à toute avancée ultérieure », mais les étapes suivantes ne sont pas annoncées. Nous ne savons rien des intentions du Gouvernement quant aux conditions de vie des gens du voyage, à leur sécurité, à la scolarisation de leurs enfants. Le Gouvernement compte-t-il envisager un jour la vie des gens du voyage sous son angle social et non pas seulement technique ? Il est regrettable que l'on ne nous propose pas une réforme d'ensemble. Celle-ci serait du reste nécessaire pour l'organisation même des schémas départementaux. Une meilleure prise en compte des conditions de vie des gens du voyage permettrait de mieux adapter nos propositions pour l'aménagement des aires d'accueil.

Par ailleurs, le texte prévoit que l'organisation des aires d'accueil relèvera d'un schéma départemental. Dans un souci de décentralisation et d'efficacité, beaucoup de maires que j'ai consultés estiment qu'il serait plus adéquat de mettre en place des schémas d'arrondissement. J'ai déposé un amendement en ce sens et nous aurons l'occasion d'en discuter plus tard.

L'exposé des motifs du projet de loi et le rapport insistent sur l'importance de parvenir à un équilibre entre droits et devoirs des gens du voyage. Selon Mme le rapporteur, le déséquilibre aurait souvent été au détriment de leurs droits. L'examen du texte a amené certains élus directement concernés, y compris de votre majorité, en tout cas dans ma circonscription, à la conclusion inverse.

En effet, qu'en est-il réellement des devoirs de cette population ? Il est vrai qu'il est essentiel de garantir le droit de tout citoyen de circuler dans notre pays en toute liberté. En outre, les sédentaires doivent accepter que, sur un même territoire, d'autres groupes de personnes aient choisi un style de vie différent. Cependant, reconnaissons que la coexistence de ces deux modes de vie fondamentalement différents n'est pas évidente et qu'elle pose de nombreux problèmes aux communes. La cohabitation harmonieuse entre les gens du voyage et leurs « voisins » n'est jamais facile et la sérénité ne règne pas toujours.

Dans le texte qui nous est soumis aujourd'hui, les droits des gens du voyage apparaissent bien supérieurs à leurs devoirs. Le respect et l'entretien des installations sur les aires ne semblent pas faire l'objet d'une stricte exigence. Que dire de leur participation aux taxes locales, au paiement de l'eau et de l'électricité, au ramassage des ordures, à l'impôt sur le revenu, compte tenu de l'origine souvent obscure de leurs ressources ? Faut-il préciser que la proportion de familles de gens du voyage qui bénéficient du RMI est grande, alors que leur niveau de vie semble élevé en apparence ? Les devoirs des sédentaires en la matière semblent beaucoup plus surveillés que ceux des nomades. La solution est non pas de contraindre tout le monde à la sédentarisation, mais de trouver les moyens de faire respecter certains devoirs exigés de tout citoyen.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie et Indépendants.) Et pourquoi faudrait-il que les habitants des communes supportent seuls le coût des services fournis aux gens du voyage ? Ni leur mode de vie ni l'état de leurs finances ne le justifient, c'est à l'Etat de répondre présent ! O n peut craindre également que l'investissement demandé aux maires soit surévalué et que les moyens dont ils disposent pour que les « voyageurs » accomp lissent leurs devoirs et respectent l'organisation et l'emplacement des aires d'accueil soient sous-évalués.

Qu'on le veuille ou non, la nécessité de passer par le juge pour faire respecter certains arrêtés ralentit la procédure d'expulsion. Or l'atteinte portée à l'Etat de droit est parfois très sérieuse. Mme le rapporteur estime que si l'on passait outre cette intervention du juge, on risquerait de multiplier les décisions arbitraires et discriminatoires.

Mme Laurence Dumont.

Bien sûr !

Mme Christine Boutin.

Je préfère considérer, pour ma part, que les maires sont des personnes tout aussi responsables et avisées que les juges et que leur pouvoir de police doit leur permettre de traiter ces questions.

M. Jean-Jacques Weber et M. Charles Cova.

Très bien !

Mme Christine Boutin.

Enfin, d'importantes questions ne sont qu'incomplètement abordées dans ce projet de loi. Je voudrais, pour conclure, en aborder quelques-unes.

Q u'est-ce qui pourrait justifier que seules les communes de moins de 5 000 habitants qui le souhaitent contribuent au financement des aires de stationnement ? Si solidarité il doit y avoir, ce que je crois, toute commune de France devrait être appelée à participer à l'investissement...

M. Bernard Schreiner et M. Georges Tron.

Très bien !

Mme Christine Boutin.

... et au fonctionnement des aires d'accueil, qu'elles soient communales ou intercommunales. C'est une solidarité nationale qui doit jouer et toutes les communes devraient être concernées.

S elon quelles modalités le préfet décidera-t-il de contraindre les communes réfractaires à constituer leur aire ? Achètera-t-il lui-même le terrain ? Modifiera-t-il le


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plan d'occupation des sols ? Les maires de ma circonscription que j'ai consultés sur ce sujet aimeraient connaître la réponse.

M. Charles Cova.

Il y a du chemin à faire !

Mme Christine Boutin.

L'occupation par les gens du voyage des terrains publics est une chose, mais l'occupation de terrains privés en est une autre. En l'absence d'autorisation expresse du propriétaire ou de l'occupant, cette occupation représente une atteinte réelle et grave au droit des personnes. N'est-il pas souhaitable que ces droits soient mieux protégés que par des procédures de référé, toujours longues ? F aute de répondre à ces questions et d'aborder l'ensemble des problèmes et des conditions de vie des gens du voyage, il est à craindre que ne se renforcent les tensions. Il est pourtant de notre devoir de tout faire pour les éviter, en respectant la dignité de toute personne, qu'elle soit sédentaire ou membre de la communauté des gens du voyage.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet de loi qui vise à organiser, par la création d'aires d'accueil aménagées dans les communes, un droit à un habitat adapté aux gens du voyage, marque une étape i mportante dans notre volonté d'avancer dans un contexte de solidarité nationale.

Ce projet pose ainsi les bases du respect de la libre circulation des gens du voyage, tout en leur offrant la possibilité d'accéder à des structures aménagées s'ils déciden t de s'établir plus durablement. C'est en cela qu'il me paraît essentiel. Il garantit la possibilité d'un choix de vie aux individus. Dans le même temps, en posant un cadre législatif, il crée les conditions du respect, au niveau collectif, de l'environnement envers les personnes vivant sur les aires d'accueil et de ces personnes envers les populations et les règles de vie des communes dans lesquelles elles s'installent.

On ne connaît que trop bien les problèmes posés par la concentration des gens du voyage dans des lieux qui ne sont pas organisés dans un cadre de solidarité et d'intercommunalité. Je citerai l'exemple du camp de Ginestous à Toulouse, largement montré du doigt et qui pose problème aux élus locaux. Leur souci d'éviter les installations illicites, qui occasionnent très souvent des difficultés de coexistence, est compréhensible. Malheureusement, la solution à ce problème est souvent apportée au détriment des gens du voyage, de leur droit à vivre dans des conditions décentes et de leur intégration dans les communes.

Ils sont souvent rejetés loin du coeur de la ville et certains se retrouvent même parfois à proximité de déchetteries ! Les communes et les élus doivent assumer leurs responsabilités et remédier au déficit d'aires d'accueil. Seule une volonté politique s'appuyant sur l'action associative, à l'instar de ce que fait le syndicat intercommunal pour l'étude et l'accueil des nomades de l'agglomération toulousaine - le SIANAT -, peut permettre de créer les conditions d'un bon accueil et d'une bonne coexistence.

Ce syndicat a fait la preuve que les élus peuvent, en s'organisant, dépasser les présupposés négatifs communément véhiculés à ce sujet.

Précisément, ce projet de loi vise à fixer un cadre qui satisfasse l'aspiration légitime de chacun d'aller et venir librement, de pouvoir stationner dans de bonnes conditions et qui implique les gens du voyage dans la vie en communauté à l'échelle des villes.

Parce qu'il touche à la question essentielle du « vivre ensemble », ce projet de loi participe au processus de construction d'une société où les êtres sont destinés à communiquer et à coexister dans le respect de leurs différences de culture et de mode de vie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Je vous remercie, madame BenayounNakache, d'avoir respecté votre temps de parole. Je souhaite d'ailleurs que chacun fasse de même, pour que nous puissions terminer la discussion générale cet après-midi.

La parole est à M. Charles Cova.

M. Charles Cova.

Cela faisait longtemps que nous attendions une discussion sur un texte relatif à l'accueil et au stationnement des gens du voyage. En cela nous pouvons être satisfaits de l'initiative du Gouvernement. Ce texte a au moins le mérite d'exister. Espérons que ce mérite ne s'arrête pas là ! L'évolution de notre discussion nous le dira.

Votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, présente, il est vrai, un intérêt : il prévoit un financement partiel par l'Etat des airs d'accueil. Pour le reste, vous reprenez, et on le comprend, les principes énoncés par la loi de 1990 et certaines des modalités envisagées par la proposition de loi sénatoriale.

Toutefois, et je crois que c'est vraiment essentiel, les principes ne sont rien s'ils ne sont pas confortés par des moyens permettant de leur donner un sens concret. Or, sur ce point, force est de constater une absence quasi totale de moyens pour faire appliquer votre texte. Par des mesurettes vous voulez donner l'impression de renforcer l'autorité administrative et celle des maires.

Si ce texte constitue une certaine avancée, permettezmoi, malgré tout, de développer quelques arguments soulignant ses lacunes et ses imperfections.

La première lacune, et elle est de taille, réside dans le caractère restreint du champ d'application du texte. Il porte exclusivement sur le passage des gens du voyage dans nos communes. Vous ne prenez nullement en compte la diversité des modes de vie de ces populations, ni la diversité de l'habitat du monde du voyage. Votre texte n'aborde à aucun moment l'hivernage et la semisédentarisation et il ne traite pas davantage de la sédentarisation, des terrains familiaux ou encore de l'habitat adapté. Vous ne distinguez pas les types de comportement selon la nationalité ou selon le pays d'origine des gens du voyage. Vous ne prenez pas en compte l'afflux croissant des populations venant des pays de l'Est, qui va, à court terme, créer une situation inextricable.

Ensuite, même si, sous la forme de principes, vous accordez des droits, vous ne précisez pas les devoirs et obligations qui doivent peser sur ces populations. Votre texte se trouve ainsi déséquilibré, contrairement à ce que vous dites.

Enfin, si notre assemblée aborde cette question aujourd'hui, c'est plus parce que les élus locaux, qu'ils soient de droite ou de gauche, perpétuellement confrontés au stationnement illégal des gens du voyage, vous pressent d'agir vite, qu'en raison de votre volonté d'aboutir à la parution d'un texte réglant un bonne fois pour toute ce problème. Or, vous le savez bien, nous ne pourrons


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apporter un début de solution à ces conflits récurrents que si nous donnons aux maires les moyens légaux les plus utiles et les plus efficaces pour faire respecter notre droit par les gens du voyage. Il faut bien l'avouer aux maires de notre pays : après l'adoption de ce texte, les choses ne vont guère changer pour eux. Ils rencontreront les mêmes difficultés si les décrets d'application et les circulaires ne précisent pas les moyens coercitifs capables de convaincre les récalcitrants aux schémas départementaux.

Monsieur le secrétaire d'Etat, si le texte devait rester en l'état malgré nos observations et nos amendements, ce serait une occasion manquée.

Comme sans doute beaucoup de mes collègues, j'ai transmis votre projet de loi à l'ensemble des maires de ma circonscription. Ils m'ont fait part de leurs réflexions et de leur scepticisme. Il est intéressant de noter que tous, de droite comme de gauche, souhaitent le renforcement de leurs prérogatives en matière de police. Or, vous leur refusez la seule possibilité d'agir qu'ils réclament.

Toute initiative législative qui ne leur accorderait pas cette possibilité serait vouée à l'échec. Leurs témoignages confirment la nécéssité de leur permettre de recourir au juge en réduisant les délais d'instance et en accélérant la procédure devant le préfet pour lui demander expressément qu'il soit fait d'usage de la force publique afin d'expulser des nomades stationnant irrégulièrement, au mépris des schémas départementaux. Telles sont les mesures qu'il vous faut prendre, monsieur le secrétaire d'Etat, si vous souhaitez résoudre en urgence une partie du problème du stationnement anarchique des gens du voyage dans nos communes.

Oui, monsieur le secrétaire d'Etat, quelle occasion manquée ! Ce texte aurait pu être approuvé par tous les groupes de notre assemblée. Il aurait dû nous rassembler et donner aux élus locaux les moyens nécessaires qui leur font défaut. Vous auriez pu faire l'unanimité autour de vous. Vous avez manqué cette chance. Et si vous ne voulez pas écouter l'opposition, tenez au moins compte des remarques des maires de gauche qui souhaitent, eux aussi, davantage de fermeté et des pouvoirs de police accrus.

Je m'interroge également, comme l'a déjà fait un de mes collègues, sur le calendrier fixé par votre projet de loi. Est-ce un calcul électoraliste de votre part ? Je n'ose pas y songer ! Pourtant, l'obligation faite aux maires de réserver des terrains d'acceuil tombera curieusement juste après les prochaines élections municipales ! D'ici là, si j'ai bien compris, pas de vagues ! En réalité, ce texte est très éloigné des vrais enjeux et je crains qu'il ne constitue qu'une demi-mesure. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez manqué un rendez-vous essentiel pour la vie quotidienne des collectivités locales en mettant à mal le mouvement de décentralisation que vous avez initié. Dommage ! Pour ma part, je ne voterai pas votre texte en l'état. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. André Aschieri.

M. André Aschieri.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, madame le rapporteur, mes chers collègues, redéfinir les dispositions relatives à l'accueil des gens du voyage était une nécessité. Aussi ce projet de loi est-il attendu par tous. Par les gens du voyage euxmêmes, qui rencontrent de plus en plus de difficultés pour stationner, par les populations locales, qui vivent mal la situation actuelle, et sans doute encore davantage par les élus locaux, qui se retrouvent souvent bien seuls pour gérer les problèmes et éviter que les tensions qui surgissent dans les localités ne tournent rapidement au conflit ouvert.

La loi du 31 mai 1990 n'a pas répondu aux objectifs qu'elle s'était fixés. Sur 1 739 communes de plus de 5 000 habitants concernées, 20 % seulement possèdent u ne aire de séjour. Cela représente moins de 10 000 emplacements. Dans les Alpes-Maritimes, un plan départemental a été adopté. Il n'est pas respecté. Comment le serait-il ? Le sentiment d'inégalité de traitement entre les communes est très répandu. A titre d'exemple, des communes de moins de 10 000 habitants se voient imposer un nombre d'emplacements presque équivalent à celui de la commune de Nice, qui en compte 350 000.

En revanche, des villes comme Antibes, qui a satisfait auxe xigences du plan départemental, ou ma propre commune, qui possède dix aires de stationnement, se voient confrontées parfois à l'arrivée de centaines de caravanes et à leur installation sauvage accompagnée de destruction de clôtures, de branchements électriques pirates ou d'ouverture forcée de bornes d'incendie. En un jour, plus de 200 caravanes se sont ainsi installées sans autorisation dans mon village.

L es communes qui appliquent la réglementation aujourd'hui sont bien mal récompensées. Ce sont souvent elles qui attirent des convois disproportionnés alors que certaines, plus urbanisées, qui n'ont rien prévu, sont préservées de ces charges. Les communes qui jouent le jeu en retirent donc parfois plus de désagréments que les autres.

La loi préconise aussi le développement de petites aires d'accueil de type familial pour permettre la sédentarisation ou la semi-sédentarisation de ceux qui le souhaitent.

C'est une très bonne initiative, que j'ai expérimentée. Elle marche bien parce qu'elle responsabilise les bénéficiaires.

L'ambition de votre projet de loi est grande, monsieur le secrétaire d'Etat, puisqu'il vise à permettre une cohabitation harmonieuse de tous sur le territoire national. La tâche n'est pas facile, mais la difficulté doit nous stimuler plutôt que nous inciter au renoncement. Notre société a de plus en plus de mal à accepter les modes de vie différents. Chaque citoyen se sent chaque jour un peu plus soumis aux contraintes de l'organisation sociale.

La liberté d'aller et venir est reconnue par notre constitution. Il est normal qu'elle s'accompagne de possibilités de stationnement dans des conditions décentes pour les gens du voyage. Les Verts auraient souhaité qu'à la notion de stationnement soit substituée celle d'habitat, car cette mobilité vécue depuis des siècles constitue bien un « mode d'habiter » particulier.

On pourrait également reprocher au texte proposé de ne pas aborder l'ensemble des questions posées par ce mode de vie. On y évoque surtout le stationnement, mais on n'y trouve nulle trace des dispositifs afférents aux activités économiques poursuivies par les gens du voyage, des conditions de scolarisation des enfants, de l'accès aux droits sociaux, des titres de circulation et de la domiciliation.

Vous avez choisi, monsieur le secrétaire d'Etat, de limiter l'objet du texte. Il repose sur trois principes fondamentaux : la responsabilité des communes, qui ont la charge de l'accueil, l'intervention et l'incitation de l'Etat, qui subventionnera l'investissement et aidera au fonctionnement, et la lutte contre les stationnements irréguliers. Ces trois volets de la politique mise en oeuvre sont i nséparables. L'absence d'un seul remet en cause l'ensemble.


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On peut s'inquiéter de voir l'aide au fonctionnement prévue au travers de la dotation globale de fonctionnement se limiter à un seul habitant supplémentaire pris en compte par emplacement réalisé, alors que chaque emplacement accueille cinq ou six, voire dix personnes, et est souvent occupé pendant plusieurs mois de l'année.

Il nous revient de faire vivre la paix sociale et de faire reculer l'incompréhension et l'hostilité des riverains. Les habitants sédentaires supportent, en effet, de moins en moins bien la présence dans leur environnement immédiat de personnes qui paraissent parfois - il faut le dire jouir d'un train de vie supérieur au leur. Les attelages modernes n'ont plus rien à voir - et c'est heureux - avec les roulottes des vanniers ou des étameurs qui, autrefois, stationnaient aux entrées des villes.

Pour parvenir à cet apaisement, l'Etat et les communes doivent assurer une mission de médiation permanente, d'éducation des uns et des autres, d'information sur les droits et les devoirs respectifs de chacun. Quand la loi est claire et connue, elle est acceptée et respectée. C'est souvent l'incompréhension qui crée les conflits.

Enfin, le succès des dispositions nouvelles réside avant tout dans l'observation, par les gens du voyage euxmêmes, d'un code de bonne conduite. Comme tous les citoyens de notre pays, ils doivent rendre à la communauté nationale une part de ce qu'elle leur apporte. Chacun, à la mesure de ses moyens et de ses talents, doit contribuer à la vie de la société. L'équilibre des droits et des devoirs de chacun est à la base du contrat social.

La perception, la lisibilité du respect de ce contrat par l'ensemble des habitants - sédentaires ou gens du voyage sera la meilleure garantie de notre réussite. C'est la raison pour laquelle, votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, vient à point nommé pour donner à cette volonté les moyens qu'elle mérite.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Antoine Leonetti.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet relatif à l'accueil des gens du voyage était attendu par les élus - peut-être surtout par eux -, par les populations locales, par les gens du voyage. La situation actuelle est en effet très loin d'être satisfaisante. Périodiquement, dans toutes les villes, qu'elles observent ou non la loi, des stationnements anarchiques sont effectués dans l'illégalité et créent entre les populations nomades et les populations sédentaires des tensions qui sont à l'origine d'actes de rejet ou même de violence.

L'objectif du texte qui nous est présenté aujourd'hui est donc louable. Il cherche à mieux définir les obligations respectives des communes, dont le rôle est l'accueil, et de l'Etat, dont le rôle est de faire respecter la loi et l'ordre public.

Un équilibre est par ailleurs souhaité entre les droits légitimes de personnes qui ont choisi un mode de vie non sédentaire et le devoir qui leur incombe d'être respectueuses de l'ensemble des règles collectives.

A l'heure actuelle, nous sommes loin de cet équilibre harmonieux et permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, d'apporter ici le témoignage d'une ville qui respecte le droit et qui a aménagé, comme le lui prescrit la loi du 31 mai 1990, article 28, une aire d'accueil pour les gens du voyage.

Les villes comparables à la mienne disposent de moyens légaux pour interdire le stationnement irrégulier sur le territoire communal, moyens hélas purement théoriques. Il faut bien constater que, malgré l'aménagement d'une aire d'accueil, elles n'ont pas été épargnées par l'occupation illicite de terrains publics ou privés sur leur territoire, au mépris complet des arrêtés d'interdiction du maire et malgré les plaintes auprès des juridictions compétentes. Ces plaintes demandaient quelquefois plus d'un mois pour être suivies de décisions dont la date d'exécution coïncidait, comme par hasard, avec la veille ou le lendemain du jour où les nomades avaient décidé de partir, laissant derrière eux bien des dégâts à la charge des contribuables.

Comment s'étonner, dès lors, que les schémas départementaux soient rares et que les communes ne se soient pas soumises avec enthousiasme à des obligations légales qui ne les protégeaient en rien ? Cette violation évidente de la loi pratiquée de manière répétée, délibérée, avec quelquefois des violences, dé gradations de biens publics ou privés, branchements illégaux d'eau et d'électricité au mépris des normes sanitaires les plus élémentaires se produit sous les yeux d'une population consternée, irritée et révoltée devant l'absence de respect de la règle et de la loi.

Le maire, quant à lui, est contraint de négocier, de

« négocier la loi » avec les gens du voyage, en tentant de calmer les populations sédentaires qui s'étonnent, à juste titre, que, sur l'aire de stationnement où la veille ou l'avant-veille on emmenait leurs véhicules en stationnement illicite à la fourrière, on tolère des dizaines de caravanes sans que les forces de l'ordre interviennent.

Votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, définit mieux les contraintes et les obligations des communes.

Il met en place des mesures incitatives financières qui, au demeurant, pénalisent a posteriori les premiers de la classe, les bons élèves qui ont appliqué la loi un peu avant les autres. Il permet même, reconnaissons-le, une exécution théoriquement plus rapide des décisions de justice. Mais il ne résout pas vraiment le problème.

Nous aurions pu nous inspirer de la proposition de loi du groupe UDF qui imposait un délai maximum de soixante-douze heures pour l'exécution des décisions de justice, après recours éventuel au pouvoir d'expulsion du représentant de l'Etat, saisi automatiquement par le maire en cas d'occupation illicite. En fait, vous persistez dans les erreurs que vous avez commises à propos des polices municipales en ôtant le pouvoir au maire et en le donnant au préfet. Vous faites preuve d'une méfiance permanente vis-à-vis des élus locaux. Vous réduisez les pouvoirs de police des maires. Vous les soumettez à des obligations et charges de plus en plus lourdes sans leur attribuer pour autant des moyens de décision correspondant à leurs responsabilités. Vous êtes pour une décentralisation très particulière, où l'Etat se décharge financière ment de ses missions de police, de justice, d'éducation ou de culture, mais veut toujours conserver le pouvoir.

Lorsqu'une infraction aussi grave que l'occupation illicite d'un terrain privé ou public est commise sur le territoire d'une commune qui respecte la loi en ayant aménagé une aire d'accueil pour les gens du voyage, l'expulsion doit s'exécuter sans délai, comme pour tout autre citoyen. C'est en respectant ce principe simple, compréhensible par chacun, que l'on restaurera l'Etat de droit, de plus en plus bafoué dans notre République.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.

M. Jean-Jacques Filleul.

A l'instar des collègues qui m'ont précédé, en particulier Mme le rapporteur, je souhaite tout d'abord vous féliciter, monsieur le secrétaire d'Etat, de l'avènement de ce texte, attendu et courageux, qui traite d'un problème très spécifique mais ô combien explosif, surtout si nous n'y portons pas une attention particulière.

Je ne cacherai pas ma satisfaction, car le projet de loi, s'il ne prétend pas traiter l'ensemble de la question des gens du voyage, n'en comporte pas moins des dispositifs qui apparaissent urgents pour les maires, mais aussi pour les populations non sédentaires. Je soutiens l'ambition pratique que traduisent ses trois principaux objectifs : l'aménagement en un minimum de temps d'un maximum d'aires d'accueil ; l'équilibre entre les droits et les devoirs de chacun, à savoir ceux des collectivités, des gens du voyage et de l'Etat ; la nécessité de diversifier les réponses en matière d'habitat.

Les députés du groupe socialiste, impliqués dans ce projet de loi de par leur propre expérience sur le terrain et leurs compétences locales, y trouvent des réponses adaptées et surtout coercitives aux difficultés dont ils vous avaient fait part. Il était temps de légiférer.

En effet, notre vécu, l'expérience accumulée montraient depuis longtemps les limites de la législation actuelle, qui était mal appliquée. Comme dans la société tout entière, les évolutions dans ce domaine délicat sont telles qu'elles font peser sur la vie quotidienne une situation de plus en plus conflictuelle et difficilement contrôlée par les maires, derniers maillons d'une chaîne pesante en termes de responsabilité et d'interventions sans réelle portée concrète.

Les conséquences sont de continuels conflits, souvent à la limite de la rupture, des incompréhensions réciproques des provocations entre les populations sédentaires et les gens du voyage.

Dans mon département d'Indre-et-Loire, et plus particulièrement dans les plaines ligériennes entre la Loire et le Cher, lieux de stationnement et de passage ancestraux, la tension est parfois vive et, depuis seize ans que j'exerce mon mandat de maire, je ressens une dégradation de la situation, une évolution négative des comportements, une lassitude des élus et aussi, il faut bien le dire, de la gendarmerie, car à force de tourner en rond sans réglementation adaptée, sans schéma départemental appliqué, que faire d'autre à longueur d'année que repousser plus loin tel ou tel groupe, tenter en vain de la convaincre de s'installer sur l'aire d'accueil intercommunale existante, rédiger des référés, solliciter des expulsions ? En répondant positivement et rapidement à nos sollicitations, vous avez, monsieur le secrétaire d'Etat, suscité un espoir fort de parvenir à des résultats substantiels, au terme des dix-huit mois d'adoption des schémas départementaux et des deux ans de construction des aires d'accueil.

Car l'une des finalités déterminantes de ce projet est bien de mailler le territoire d'aires d'accueil ou familiales de tailles différentes. Cette évidence, largement pointée par la volonté de l'Etat de s'engager dans la réalisation et dans les financements, sera un moteur décisif de la réussite de l'application de cette loi. Simplement, il me paraît nécessaire d'inscrire les différentes lectures dans des délais raisonnables pour une mise en oeuvre rapide, si possible à la fin de l'année.

Permettez-moi, en conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous proposer de compléter sur un point le texte que vous nous soumettez.

Nous savons par expérience que, depuis quelques années, des groupes de gens du voyage s'installent sur des terrains agricoles, souvent de petits terrains situés en marge des zones urbaines, qu'ils achètent à des prix hors marché, défiant souvent toute concurrence. Ils y vivent avec de nombreuses caravanes, sans aucune commodité et sans qu'il soit possible de leur faire respecter une quelconque réglementation.

Pour remédier à cette déréglementation qui mettrait gravement en cause tout l'édifice négocié sur le territoire communal si elle était poursuivie une fois la nouvelle loi appliquée, je plaide pour un amendement qui ouvrirait aux maires un droit de préemption dans des zones sensibles identifiées sur le plan d'occupation des sols. Il ne serait pas, en effet, concevable de laisser s'implanter des groupes de gens du voyage hors de tout champ réglementaire, alors qu'il importe - et c'est l'objet de ce texte attendu - que chacun, dans ce pays, ait des droits et des devoirs, quant aux règles de l'urbanisme en particulier.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Patrice Martin-Lalande.

Vous avez raison !

M. le président.

La parole est à M. Bernard Schreiner.

M. Bernard Schreiner.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l'accueil des gens du voyage que nous examinons aujourd'hui est le résultat de la volonté conjointe de l'Etat et des collectivités locales de faire évoluer une situation de fait que tous déplorent et qui n'a que trop duré.

En tant que représentant d'une commune rurale confrontée au stationnement abusif et illégal des gens du voyage, je voudrais me faire l'interprète des réactions nombreuses de mes collègues maires ruraux, toutes tendances politiques confondues, qui doivent faire face, au quotidien, aux mêmes difficultés.

Si les axes de ce projet de loi s'inscrivent dans la continuité des propositions faites par l'Association des maires de France présidée par notre collègue Jean-Pierre Delevoye, de nombreux problèmes restent en suspens. Surtout, ce texte ne comporte pas, dans le domaine juridique, de réelles avancées qui permettraient aux maires d'exercer correctement leurs pouvoirs de police.

M. Charles Cova.

Eh non !

M. Bernard Schreiner.

Parmi les points qui ne sont pas suffisamment explicites ou dont le traitement ne va pas assez loin au regard de la logique du texte, figurent, outre les aspects réglementaires que j'évoquais précédemment, le bon fonctionnement du schéma départemental, les implications financières et le rôle des groupements de communes.

Le projet qui nous est soumis devait, aux yeux de beaucoup, réaffirmer un nécessaire équilibre entre droits et devoirs. Les devoirs des maires sont très précisément définis. Malheureusement, ceux des gens du voyage ont été soit omis, soit occultés.

Le premier de leurs devoirs devrait être de respecter les lois et règlements en vigueur dans notre république. Or, même dans les communes appliquant la loi de 1990 qui porte votre nom, monsieur le secrétaire d'Etat, des stationnements illicites sont quotidiennement constatés. Le


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

texte qui nous est proposé n'apporte aucune réponse pratique au parcours du combattant que les maires doivent effectuer pour faire respecter la loi.

Pour que le droit et le maintien de l'ordre public soient assurés, il est indispensable de donner aux maires les moyens de l'autorité qu'ils représentent, nécessité que le texte méconnaît.

Pour que le schéma départemental d'accueil fonctionne de manière équilibrée, il est indispensable que les maires ou les présidents des groupements de communes de plus de 5 000 habitants, qui sont les premiers intéressés par ce dispositif, soient associés à l'élaboration du schéma.

Enfin, pour que les principes présidant à la rédaction de ce texte ne restent pas lettre morte, il est vital que les compensations financières et aides de l'Etat soient réellement des aides.

Le 30 octobre 1997, en réponse à une des mes questions, le ministre de l'intérieur s'était engagé, dans cet hémicycle, à veiller à ce que l'aide de l'Etat aux communes soit doublée. Le texte va dans ce sens. Cependant, des lacunes demeurent.

Ainsi, il n'est pas prévu de délai de réactualisation régulière des aides de l'Etat.

Par ailleurs, la bonification forfaitaire de la DGF à raison d'un habitant pour une caravane me semble bien minime, voire symbolique. Faire de la surenchère serait facile, mais je crois qu'il serait raisonnable de relever le forfait à trois ou quatre habitants par caravane, compte tenu de la composition des familles de gens du voyage.

Enfin, il est un point occulté dans le texte tant il semble tabou. Si personne n'entend remettre en cause l'obligation pour les communes de réaliser, d'entretenir et de faire fonctionner des aires de stationnement pour les gens du voyage, il me semble quand même anormal qu'à aucun moment on ne songe à leur demander une participation financière, au moins aux frais de fonctionnement de ces aires.

La solidarité nationale a ses limites et nos concitoyens ne peuvent ni admettre ni comprendre qu'ils doivent prendre en charge les dépenses liées à la réalisation et au fonctionnement des aires de stationnement destinées à des personnes qui ne paient aucune taxe, aucun impôt dans la commune, alors qu'elles circulent dans des véhicules très souvent haut de gamme - 4 4 du dernier cri -e t habitent des caravanes généralement imposantes, l'ensemble valant aisément le prix d'un logement.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Pour de grandes familles, il faut de grandes caravanes !

M. Georges Tron.

Qui nous causent de grands problèmes !

M. Bernard Schreiner.

Madame, je subis ce problème depuis des dizaines d'années dans ma commune et je n'ai pas de leçons à recevoir de vous !

M. le président.

Pouvez-vous conclure, monsieur Schreiner ?

M. Bernard Schreiner.

Si ce texte nous semble aller dans la bonne direction, monsieur le secrétaire d'Etat, il ne peut rester en l'état. J'espère donc que le Gouvernement laissera à la représentation nationale le soin de le compléter et surtout de l'améliorer, faute de quoi nous ne pourrons l'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Laurence Dumont.

Mme Laurence Dumont.

« Amer savoir, celui qu'on tire du voyage », écrivait Baudelaire.

Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, de quoi, au fond, parlons-nous ce soir ? Du droit à la différence, de la difficulté de notre société à admettre ceux qui sont un tant soit peu différents. C'est en cela que ce projet de loi revêt à mes yeux une importance capitale.

En effet, la tension monte entre les gens qui ont choisi ce type de vie hors normes que nous respectons, allant de lieu en lieu, vivant en caravane, perpétuant un héritage culturel et un mode de vie historique, qu'on a baptisés du terme générique de gens du voyage, et ceux qui ont choisi d'être sédentaires.

Notre devoir, loin des comportements démagogiques parfois de mise, est de lutter contre cette discrimination dont les voyageurs sont victimes. Ne pouvant évidemment, ou malheureusement, ni réglementer, ni abolir les préjugés, il s'agit pour nous de créer les conditions pour atténuer progressivement la méfiance réciproque que se vouent gens du voyage et sédentaires.

L'accueil, objet de ce projet de loi, m'apparaît être, de ce point de vue, une première étape à l'intégration recherchée, même s'il nous faudra impérativement, par la suite, aborder les aspects éducatifs et socio-économiques de la situation des gens du voyage, pour atteindre notre objectif.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Eh oui !

Mme Laurence Dumont.

J'ai pour ma part été saisie à plusieurs reprises de cette question du stationnement par des élus de ma circonscription. Les maires réclament en général des mesures supplémentaires pour expulser les voyageurs gênants. Ils mettent en avant des débordements, parfois même des exactions, qui restent cependant le fait d'une minorité.

Peut-on alors, comme le font d'autres propositions de loi qui circulent sur ce sujet, ici ou au Sénat, trouver une solution durable aux problèmes de stationnement et à l'intégration des gens du voyage en ne préconisant que des mesures de coercition ? Assurément non ! Tant que la communauté nationale ne donnera pas sa place aux gens du voyage, qui en font pourtant partie, tant qu'elle ne les traitera pas comme tels, au regard de leurs droits comme de leurs devoirs, tant qu'elle ne garantira pas au travers de l'existence d'aires d'accueil, de passages ou d'aires familiales, le droit au logement, ces gens seront contraints d'occuper d'autres aires, d'autres lieux, illégalement.

En effet, chers collègues, il n'y a pas de liberté d'aller et venir s'il n'y a pas un droit au stationnement dans des conditions correctes, humaines, dignes de notre société pour les gens du voyage.

M. Patrice Martin-Lalande.

Nous sommes bien d'accord !

Mme Laurence Dumont.

Le texte proposé aujourd'hui par le Gouvernement répond à cet impératif. Alors, gageons qu'à mesure que les aires d'accueil seront créées, les occupations illicites se feront plus rares. Toutefois, celles-ci ne pouvant disparaître en un jour, il serait juste et utile de donner aux maires ayant pris leurs responsabilités les moyens de faire cesser rapidement le stationnement illégal qui perdurerait.

A cet égard, le projet de loi répond aux attentes des élus locaux. Il leur sera désormais possible de saisir le tribunal de grande instance en cas d'occupation illicite d'une propriété privée et le juge pourra, quant à lui, déli-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

vrer des injonctions à quitter les lieux valables sur tout le territoire de la commune et dans le temps. Ces dispositions permettront d'intervenir rapidement et éviteront aux élus d'avoir à réitérer les procédures de saisine de la justice.

Par ailleurs, en participant au financement tant de l'investissement que du fonctionnement des aires d'accueil, l'Etat prend ses responsabilités au titre de la solidarité nationale. Je me félicite d'une telle disposition car je n'ignore pas le coût de ces équipements pour nos communes.

Enfin, j'insisterai sur le fait que les schémas départementaux et les aires d'accueil devront véritablement prendre en compte la diversité des modes de vie et, par conséquent, de l'habitat du monde du voyage. Le succès de cette nouvelle législation, attendue tant par les élus que par les voyageurs, dépend essentiellement de l'acceptation des structures proposées et donc de l'adaptation de celles-ci aux besoins des intéressés. L'Etat dans nos départements, les conseils généraux et les communes devront s'appuyer sur une réelle concertation avec les gens du voyage et les associations qui les représentent afin que les aires de stationnement provisoire, semi-permanent ou permanent ne soient pas des aires de relégation, mais bien d'intégration de cette population.

Mes chers collègues, au détour d'un projet de loi qui peut paraître limité dans son ambition ou son objet, c'est notre fonction même de représentants de la nation que nous enracinons un peu plus. (Exclamations et rires sur plusieurs bancs du groupe de Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) N'oublions jamais que siège dans cet hémicycle une Assemblée nationale élue, composée de députés en charge de la vie sociale et de la représentation des gens.

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Patrice Martin-Lalande.

De tous les gens !

Mme Laurence Dumont.

Et parmi ces gens, il y a aussi des gens du voyage. Alors, à nous de faire mentir Baudelaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Charles Cova.

Pauvre Charles ! (Sourires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Gérard Hamel.

M. Gérard Hamel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est avec soulagement que tous les maires de France vont apprendre que les élus nationaux ont, enfin, décidé de mettre fin à un flou, pour ne pas dire un vide juridique, comme me l'a récemment confié un maire de ma circonscription. En effet, confrontés chaque jour à l'accueil des gens du voyage, les maires se sentent abandonnés et surtout désarmés.

Il est donc louable que vous abordiez ce problème à travers ce projet de loi, qui, je l'espère, permettra certaines avancées. Cependant, je ne peux que regretter l'absence d'éléments nouveaux essentiels.

Ainsi, monsieur le secrétaire d'Etat, votre intention est de faire respecter la loi, et je l'approuve. En effet, s'il est demandé, depuis 1990, aux communes de plus de 5000 habitants de créer une aire d'accueil sur leur territoire, les résultats ne sont guère fameux. Cela a été rappelé. Aujourd'hui, vous avez décidé d'imposer des dispositions très strictes aux maires et aux départements afin d'améliorer ces résultats. Mais la mauvaise volonté de certains élus locaux s'explique par le fait que la population a l'impression que les gens du voyage ne tiennent pas compte des lois qui s'appliquent à tous.

M. Charles Cova. Très bien ! M. Gérard Hamel. Cette injustice ressentie par les p opulations sédentaires est à l'origine des relations conflictuelles qu'elles entretiennent avec les gens du voyage. Chacun accepte que les nomades aient un mode de vie différent de celui de la majorité de nos concitoyens,...

M. Patrice Martin-Lalande. Bien sûr !

M. Gérard Hamel.

... mais personne ne comprend qu'ils puissent échapper à la loi commune.

M. Charles Cova. Très bien ! M. Gérard Hamel. Les relations sont d'autant plus difficiles que les maires n'ont pas d'interlocuteur privilégié qui puisse se réclamer d'une véritable représentativité.

En ce qui concerne le stationnement, il reviendrait aux communes et aux départements d'assurer la majeure partie des coûts de fonctionnement alors que l'Etat prendrait en charge une partie non encore définie des coûts d'investissement. Vous vous réservez donc la bonne part, monsieur le secrétaire d'Etat, car vous n'ignorez pas que le vandalisme, les déprédations et la surpopulation entraîneront des coûts de fonctionnement bien plus lourds que ceux qui sont nécessaires à l'aménagement d'une aire d'accueil.

Votre projet de loi laisse encore dans l'ombre d'autres points essentiels.

Il conviendrait ainsi de tenir compte des différences qui existent au sein de la population des gens du voyage.

En effet, les grands rassemblements temporaires exigent des aménagements et un fonctionnement différent de ceux d'une aire où vit pendant plusieurs mois une population plus restreinte.

Par ailleurs, si des procédures juridictionnelles existent, leur mise en oeuvre requiert inévitablement des délais qui aggravent la situation créée par un stationnement irrégulier. La responsabilité des gens du voyage doit donc être affirmée et le texte aurait dû prévoir le paiement d'une participation, fixée par la commune, pour le stationnement sur une aire aménagée.

M. Charles Cova. Et une caution ! M. Gérard Hamel. Le partenariat que l'Etat propose aux communes et aux départements ne sera efficace que si l'obligation de construction des aires s'accompagne, dès l'annonce d'une décision de justice, de l'octroi immédiat de forces de police ou de gendarmerie destinée à la faire exécuter.

De plus, si le cadre départemental reste le plus approprié, un schéma national apparaît nécessaire pour les grands rassemblements, qui devraient relever de la seule compétence de l'Etat.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous l'ai dit, votre projet de loi va dans le bon sens, mais il passe aussi à côté des problèmes d'intégration comme la scolarisation ou la lutte contre les activités criminelles ou délictueuses.

Bien que la majorité de cette population soit française, elle possède la même structure que celle d'un pays en voie de développement avec les mêmes problèmes de scolarisation et d'analphabétisme. Le taux de scolarisation est de 50 %. Si cette situation perdure, elle portera atteinte à la communauté des gens du voyage et mettra en péril


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

l'avenir des jeunes générations. Ces élèves ne doivent pas ê tre systématiquement orientés vers des structures ouvertes aux enfants en difficulté.

Puisque les gens du voyage refusent souvent de confier leurs enfants à des tiers, pourquoi alors ne pas fixer en un lieu donné les anciens auxquels seraient confiés les enfants, comme l'a proposé le préfet Delamon ? Pour la scolarisation préélémentaire, l'école sur le terrain semble être la meilleure solution, dans des salles implantées sur les aires de stationnement, à côté des caravanes.

Le problème de la scolarisation des enfants dans le contexte très spécifique du voyage justifie une approche originale, mais que, malheureusement, le projet de loi ne mentionne pas.

Enfin, comme je l'ai déjà dit, afin de réduire les tensions entre les populations sédentaires et les gens du voyage, l'Etat et ses administrations doivent vérifier que les activités des gens du voyage ne vont pas à l'encontre de la loi républicaine.

Si la majorité des gens du voyage est de nationalité française, les déplacements de ces populations sont aussi l'un des moyens utilisés dans le cadre de l'immigration clandestine, notamment en provenance d'Europe de l'Est, et il serait temps que l'Etat développe des moyens de contrôle.

Le contrôle des ressources financières des gens du voyage n'est pas abordé non plus.

M. le président. Monsieur Hamel, veuillez conclure !

M. Gérard Hamel.

Je conclus, monsieur le président.

Les populations sédentaires ont bien souvent le sentiment que les gens du voyage échappent à tout contrôle, qu'il soit fiscal, social ou douanier.

Si le RMI est un droit...

M. Charles Cova.

Non, c'est une allocation ! M. Gérard Hamel. ... pour les gens du voyage dont les revenus sont quasi-inexistants officiellement, il est assorti de devoirs, notamment l'insertion professionnelle. Le RMI ne peut s'appliquer durablement sans cette contrepartie.

Les allocations familiales sont en principe versées sous condition de scolarisation des enfants. Les difficultés que rencontrent ces familles dans l'éducation de leurs enfants ne doivent pas empêcher une juste application de cette disposition.

Ces quelques exemples montrent qu'il reste beaucoup à faire en termes de contrôle, sans parler du travail au noir ou des contrôles fiscaux.

Dès lors, ce texte, aussi attendu soit-il, ne suffira pas à résoudre tous les problèmes rencontrés quotidiennement.

Aussi, j'espère que le Gouvernement ne s'arrêtera pas là.

Il faut que l'Etat considère les maires comme des partenaires imaginatifs et fiables.

C'est pourquoi j'ai déposé, comme d'autres collègues d e l'opposition, des amendements équilibrés, dont l'unique but est de compléter et d'enrichir le texte.

Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est de votre volonté à examiner et à accepter ces amendements que dépendra notre adhésion à votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Blazy.

M. Jean-Pierre Blazy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'échec de l'application de l'article 28 de la loi su 31 mai 1990 relatif à la mise en oeuvre du droit au logement nous conduit aujourd'hui à examiner un projet de loi qui tend à proposer un meilleur équilibre entre les droits et les devoirs en matière d'accueil des gens du voyage.

La situation que nous constatons ne peut, en effet, perdurer. Le dispositif existant a prouvé son insuffisance. Il n'était pas assez incitatif en termes financiers pour les communes. Le schéma départemental, lorsqu'il existe, n'est pas appliqué ; il reste souvent virtuel. De plus, il est paradoxal de constater que les communes qui ont réalisé des aires d'accueil sont celles qui sont confrontées aux problèmes les plus aigus, du fait de la présence continue de gens du voyage, souvent en surnombre par rapport aux capacités des aires existantes.

Les communes qui ne sont pas encore dotées d'une aire de stationnement et qui sont situées dans les périphéries urbaines connaissent également des situations très difficiles qui conduisent à une exaspération des citoyens et des élus.

M. Patrice Martin-Lalande.

Hélas !

M. Jean-Pierre Blazy.

La commune de Gonesse, située en grande couronne parisienne, dont je suis le maire et qui a un projet d'aire d'accueil, a connu une quarantaine d'intrusions au cours des deux dernières années, soit plus d'une par mois ! Et le domaine public n'est pas le seul concerné : des terrains privés, et en particulier des entreprises, sont particulièrement exposés.

M. Georges Tron.

Eh oui !

M. Jean-Pierre Blazy.

Actuellement, quand je rencontre des chefs d'entreprise de ma commune ou de ma circonscription, ils me parlent non pas des 35 heures mais d'abord de leurs craintes par rapport aux gens du voyage.

M. Charles Cova.

Eh oui !

M. Jean-Pierre Blazy.

Sachant que les frais nécessaires à l'ouverture d'une procédure en référé pour expulsion s'élèvent en moyenne à 12 000 francs et qu'on a pu constater lors de ces passages une propension à la dégradation, la charge pour les communes devient de plus en plus lourde.

M. Georges Tron.

Très juste !

M. Jean-Pierre Blazy.

De plus, la multiplication de faits délictueux caractérisés, trop souvent impunis, provoque une révolte profonde des habitants qui s'accompagne d'un mouvement de rejet massif et d'un sentiment d'impuissance et de mal-être prononcé chez les élus.

Le paroxysme a été atteint lorsque, récemment, un maire d'une commune voisine de la mienne a démissionné en condamnant l'impuissance des pouvoirs publics face à

« l'envahissement de sa commune ».

Il était plus que temps, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement présente le projet de loi que nous examinons aujourd'hui. Celui-ci manifeste la recherche d'une volonté d'équilibre entre droits et devoirs reconnus aux gens du voyage comme aux collectivités locales en charge de leur accueil.

Si l'Etat, d'une part, et les collectivités locales, d'autre part, s'engagent dans les délais les plus rapides possibles à réaliser les places de stationnement nécessaires, permettant ainsi de concrétiser les droits des gens du voyage, il est en même temps indispensable de faire en sorte que cette partie de la population française adopte un comportement citoyen.

M. Georges Tron.

Très bien !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

M. Jean-Pierre Blazy.

S'agissant du pouvoir des maires, l'importance de l'article 9 me paraît évidente. Je considère que l'opposition manifeste, sur ce point, un peu de mauvaise foi.

M. Lionnel Luca.

Ce n'est pas notre genre !

M. Jean-Pierre Blazy.

En effet, l'article 9 confère aux maires la faculté de se substituer aux propriétaires de terrains privés pour obtenir l'expulsion des gens du voyage en situation d'infraction, ou en cas d'atteinte à l'ordre public.

Ce dispositif est, en outre, complété par un pouvoir d'injonction du juge, éventuellement assorti d'astreintes, qui évitera aux maires d'engager de nouvelles procédures dès lors qu'une décision de justice aura été obtenue à l'encontre de gens du voyage en infraction sur le territoire de leur commune. De plus, dans un souci d'accélérer l'exécution des décisions de justice prise en la forme des référés, la signification aux intéressés devient facultative , le jugement pouvant être exécuté au seul vu de la minute.

Les amendements adoptés par la commission qui visent à confier au président du tribunal de grande instance la compétence en matière d'expulsion des gens du voyage, y compris sur les terrains appartenant au domaine public, constituent à cet égard une avancée importante. En effet, il faut en la matière agir avec célérité pour éviter le dé veloppement d'un sentiment d'impunité et de mépris face à l'autorité du maire.

Monsieur le secrétaire d'Etat, au coeur de l'article 9 réside la crédibilité de ce texte, qui suppose l'affirmation de l'Etat de droit et des principes républicains pour chacun et pour tous.

Je tiens, par ailleurs, à saluer le travail méritoire de mes collègues Raymonde Le Texier et Daniel Vachez qui ont su vous convaincre qu'il y avait urgence à légiférer et qui ont largement inspiré la philosophie du texte que vous nous présentez.

Un député du groupe du Rassemblement pour la République.

Tout à fait d'accord !

M. Jean-Pierre Blazy.

Monsieur le secrétaire d'Etat, si ce projet de loi très attendu constitue une avancée importante, je crains qu'il ne puisse régler tous les problèmes.

On sait que ce sont les communes situées en périphérie des grandes agglomérations qui connaissent le plus grand nombre de difficultés et qui, probablement, les connaîtront encore en dépit de la réalisation que nous espérons rapide des aires d'accueil indispensables. Nous serons à même de pouvoir évaluer rapidement l'efficacité du nouveau dispositif dans les quatre à cinq années qui viennent.

E n tant que maire, confronté comme beaucoup d'autres à l'accueil des gens du voyage, je souhaite vivement la réussite de cette loi, que j'espère voir adopter de façon aussi consensuelle que possible. Il est vraiment nécessaire de progresser sur cette question très sensible.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Patrice MartinLalande.

M. Patrice Martin-Lalande.

Ce n'est pas la première fois, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous avons l'occasion de parler de ces problèmes-là ici. Je m'étais permis, lors du vote de la loi sur l'exclusion, de les évoquer largement en mettant en avant les propositions déjà votées par le Sénat. Vous m'aviez alors répondu que vous souhaitiez que cette question soit revue plus globalement ultérieurement. Nous y sommes, et je m'en réjouis, même si je regrette qu'elle ne soit peut-être pas suffisamment prise dans sa globalité.

Maire d'une commune de Sologne, je connais bien les problèmes que pose l'accueil des gens du voyage, et notamment à l'ouverture de la chasse. Les gens du voyage arrivent alors nombreux en caravanes pour pratiquer ce sport bien agréable mais dans des conditions qui rendent difficiles le maintien de l'activité économique. A l'issue de la réunion de concertation que j'ai organisée lundi dernier avec les maires et les responsables sociaux et éducatifs de ma circonscription, il ressort que chacun est bien convaincu qu'aucune solution ne sera durable si l'équilibre entre droits et devoirs n'est pas assuré.

Cela signifie que les communes doivent remplir leur obligation d'accueil, corollaire de la liberté d'aller et de venir, que personne ne conteste, mais aussi que les gens du voyage doivent apporter un certain nombre de garanties : respect des règles de stationnement, transparence des revenus - cela a été dit tout à l'heure -, respect des règles d'hygiène et des obligations de scolarisation.

Sur tous ces points, le projet de loi que vous nous soumettez, monsieur le secrétaire d'Etat, nous semble insuffisant. Il ne traite que la question du logement, ce qui est déjà important, mais laisse de côté les obligations scolaires, sociales, économiques. Pour équilibrer le dispositif, il faudra donc le compléter.

Le projet de loi nous semble insuffisant car il est déséquilibré sur un certain nombre de points.

Tout d'abord, l'Etat consent un effort financier, ce qui est une bonne chose, mais sans que soit fournie aucune précision sur le niveau de son intervention, ni aucune garantie sur sa perennité, alors que les communes qui seront engagées dans le schéma seront, elles, obligées de tenir leurs engagements dans la durée.

Ensuite, le préfet voit son pouvoir renforcé, mais c'est au détriment du président du conseil général et des maires, auxquels il peut se substituer. Le président du conseil général participe avec le préfet à l'élaboration et à l'approbation du schéma, mais, ce faisant, il pourra imposer des charges aux communes sans que la loi oblige le conseil général à participer au financement de l'aménagement : il pourra le faire, mais n'y sera pas obligé.

Enfin, les gens du voyage voient leurs droits mieux inscrits dans la loi, ce dont on se réjouit, mais, en dehors de l'éventuelle redevance de place, aucune disposition n'est prise pour les obliger à respecter leurs devoirs légaux, aucune sanction efficace n'est prévue en cas d'infraction, aucun progrès n'est accompli en ce qui concerne l'une des sources d'incompréhension déjà soulignée par d'autres collègues, à savoir la transparence des revenus.

La loi permettra donc aux maires d'engager plus vite la procédure, et aux juges et aux préfets d'être mieux assurés q ue les communes auront rempli leurs obligations - ceux-ci ne pourront plus invoquer le motif selon lequel les communes ne remplissent pas leurs obligations pour ne pas intervenir -, mais elle n'apporte aucune assurance nouvelle que les gens du voyage seront contraints de respecter la légalité républicaine et, surtout, que le juge et le préfet agiront plus vite.

Le projet de loi apporte des améliorations, bien qu'insuffisantes, pour régler l'éternel problème que nous connaissons tous : celui de l'inévitable course de vitesse où s'affrontent la mobilité des gens du voyage, qui vont d'un endroit de stationnement illégal à un autre, et la relative lenteur de la justice et de l'exécution de ses décisions. Les maires auront davantage de pouvoirs pour


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 2 JUIN 1999

engager la procédure, mais aucun pouvoir nouveau pour assurer en temps utile la décision de justice et son exécution de manière efficace.

En conclusion, le projet de loi élargit les possibilités d'accueil des gens du voyage, ce qui est bien, mais pas les moyens d'éviter les dérapages. Il apporte des améliorations, mais il n'est pas décisif sur les problèmes de terrain, qui continueront à peser lourdement sur les épaules des maires. Il nous semble donc nécessaire qu'il soit complété, et c'est pourquoi nous avons déposé plusieurs amendements portant sur des points sensibles, tels que l'idée d'une enquête publique pour décider d'un lieu d'implantation, le droit légalement affirmé de limiter à quarante-huit heures le stationnement de passage, le nonplafonnement de la dépense subventionnable, la consultation de l'ensemble des communes, et pas seulement des c ommunes concernées, l'obligation de prescrire de rejoindre l'aire de stationnement aménagée, lorsqu'elle existe.

Nous espérons ainsi aboutir, monsieur le secrétaire d'Etat, à un texte plus équilibrée. Ce sera, pour ma part, la condition d'un vote positif (Applaudissements sur les bancs du groupe de Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Martine Lignières-Cassou.

Mme Martine Lignières-Cassou.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme cela a été exellemment dit par notre rapporteur, le texte de loi ne traite pas de toutes les questions touchant à la vie des gens du voyage mais veut régler le problème le plus urgent, celui du stationnement, dans un souci d'équilibre entre les droits et les devoirs de chacun.

Pour en avoir discuté régulièrement, à la fois avec les élus, les chefs d'entreprise et les habitants, nous savons tous ici combien cette question est source de conflits et de tensions, d'autant que les besoins des gens du voyage en matière d'accueil sont complexes, leur mode de vie ayant profondément évolué. Vous avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat, les estimations qui ont pu être effectuées : 70 000 d'entre eux environ sont des itinérants permanents ; environ 70 000 des semi-sédentaires et environ 100 000 des sédentaires.

De plus, pour compliquer les choses, les voyages recouvrent aujourd'hui des motivations très différentes : le travail, comme la cueillette ou les vendanges ; le rassemblement religieux, qui est aussi familial, ou le voyage permanent.

Les réponses que nous devons apporter en termes d'accueil sont nécessairement multiples. C'est pourquoi le texte distingue clairement les aires d'accueil permanentes et les terrains destinés aux grands rassemblements ponctuels.

Je voudrais attirer votre attention sur la nécessité de diversifier les réponses. La solution traditionnelle pour les sédentaires du terrain d'accueil principal n'est pas la seule.

L'aire d'accueil a par ailleurs un coût, non seulement en investissement mais aussi en fonctionnement, et le texte de loi le reconnaît puisqu'il prévoit d'aider le gestionnaire sur ces deux chapitres.

Nous savons par ailleurs que le logement collectif en HLM n'est pas adapté au mode de vie de ces familles. Il convient, me semble-t-il, d'encourager des solutions familiales diffuses. Les gens du voyage, en achetant des terrains ou des maisons, ont montré qu'ils le souhaitaient, même s'il nous faut encadrer cette pratique.

Cette formule est mieux adaptée aux conditions de vie actuelle des gens du voyage : elle est plus responsabilisante pour les familles - chacune étant responsable de sa consommation d'eau et d'électricité par exemple -, elle est également moins coûteuse pour la collectivité et, surtout, elle facilite l'intégration des gens du voyage.

Le projet de loi qui nous est présenté prend en compte la question des terrains familiaux, à l'article 8. Celui-ci prévoit de modifier l'article L.

443-3 du code de l'urbanisme qui soumet à autorisation l'aménagement de terrains bâtis ou non bâtis en vue de l'installation de caravanes constituant l'habitat permanent de leurs utilisateurs.

Il conviendrait cependant, à l'article 1er du projet de loi, d'inclure au contenu du schéma d'accueil départemental les terrains familiaux.

C'est le sens de l'amendement que j'ai déposé à l'article 1er : il vise à ce que soient pris en compte les

« terrains communaux de sédentarisation ».

En revanche, je crois qu'il nous faut réfléchir, même si les esprits ne sont pas encore mûrs, à une adaptation de la législation relative à l'allocation logement familial.

Aujourd'hui, quand une collectivité crée un terrain familial et confie l'opération à un bailleur social qui construit, sur un lot privatif, une pièce à vivre avec salle d'eau, cette opération peut ouvrir droit à l'APL. En revanche, cette possibilité ne l'est pas, la plupart du temps, dans le cas d'un terrain familial « privé ». Il me paraît souhaitable d'assouplir les conditions de surface de logement requises pour l'octroi de l'allocation logement à une famille installée sur un terrain bâti autorisé en application de l'article L.

443-3 du code de l'urbanisme. Les dispositions actuelles ne permettent en effet qu'une possibilité de dérogation aux normes de surface.

Je crois, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que cette question devra être retravaillée, car les terrains familiaux sont à encourager.

M. Patrice Martin-Lalande.

Sous certaines conditions !

Mme Martine Lignières-Cassou.

Il ne faudrait pas que cette formule soit difficile à mettre en oeuvre et qu'en conséquence son développement en soit freiné. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La discussion générale est close.

La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique : Suite de la discussion du projet de loi (no 1598) relatif à l'accueil des gens du voyage : Mme Raymonde Le Texier, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1620).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT


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