page 05476page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Situation au Kosovo. - Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration (p. 5477).

M. le président.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

M.

Jacques Brunhes, Mme Nicole Ameline,

MM. Jean-Marc Ayrault, Didier Quentin, Yves Cochet.

PRÉSIDENCE DE Mme NICOLE CATALA

M. Dominique Baudis.

M. Jack Lang, président de la commission des affaires étrangères.

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

M. le Premier ministre.

Clôture du débat.

Suspension et reprise de la séance (p. 5499)

2. Pacte civil de solidarité. - Discussion, en nouvelle lecture, d'une proposition de loi (p. 5499).

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois.

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (p. 5504)

Exception d'irrecevabilité de M. Philippe Douste-Blazy : MM. Charles de Courson, le ministre, le rapporteur, Yann Galut, Claude Goasguen, Maurice Leroy, Patrick Delnatte, Mme Muguette Jacquaint. - Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

3. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 5516).


page précédente page 05477page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRE

SIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

SITUATION AU KOSOVO Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration

M. le président.

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la situation au Kosovo et un débat sur cette déclaration.

En application des décisions de la conférence des présidents, je vais d'abord donner la parole à M. le Premier ministre, après quoi nous entendrons, au maximum pour vingt minutes chacun, les représentants des différents g roupes, M. Brunhes, Mme Ameline, M. Ayrault, M. Quentin, M. Cochet et M. Baudis, puis, pour dix minutes chacun, les présidents de la commission des affaires étrangères et de la commission de la défense.

Enfin, s'il le juge utile, M. le Premier ministre reprendra la parole.

A partir du moment où il est convenu que la télévision retransmettra exceptionnellement les débats jusqu'à dixhuit heures, il serait bon que nous puissions finir à cette même heure.

M. Jean-Claude Abrioux.

Et les questions au Gouvernement ?

M. le président.

Une séance de questions au Gouvernement aura lieu, comme prévu, demain après-midi.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le 26 mars dernier, je vous avais exposé les raisons qui déterminaient l'engagement de la France, aux côtés de ses alliés, dans des opérations militaires aériennes contre les forces de répression serbes. Je vous avais décrit la logique de la décision prise par les autorités françaises. Il nous fallait rompre le refus obstiné de M. Milosevic de remplir les obligations fixées par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Il nous fallait tirer les conséquences du rejet par Belgrade de l'issue politique proposée à Rambouillet, laquelle dessinait pourtant, après quinze mois de négociation, un avenir pour le Kosovo. Il nous fallait signifier au régime serbe que nous n'accepterions pas qu'il poursuive, impunément, au Kosovo, comme en Croatie et en Bosnie, un cycle de violence barbare. Il nous fallait enfin le contraindre à accepter une solution conforme au droit international et respectueuse des droits fondamentaux de la personne humaine.

A chacune de mes interventions devant l'Assemblée nationale et le Sénat, comme lors des rencontres que j'ai eues à l'Hôtel de Matignon avec les présidents des groupes politiques et des commissions concernées, ou encore lors de nombreuses auditions des ministres des affaires étrangères et de la défense auxquelles ces commissions ont procédé, le Gouvernement a rappelé les objectifs et les modalités de l'intervention de nos forces armées. Chaque fois ont été exposées les conditions dans lesquelles ce conflit devait prendre fin. J'ai toujours insisté sur le fait que cette crise devait se terminer selon les termes fixés par la communauté internationale, et non ceux voulus par M. Milosevic.

C'est donc avec satisfaction, mais aussi avec prudence, que nous avons accueilli, la semaine dernière, l'annonce par les autorités de Belgrade qu'elles renonçaient à l'usage de la force au Kosovo et acceptaient les principes et les conditions que le G8 et le secrétaire général de l'ONU, au nom de la communauté des nations, avaient posés pour trouver une issue à la crise. Il restait à s'assurer que les engagements serbes se concrétiseraient. C'est là l'enjeu des discussions en cours au plan diplomatique comme au plan militaire. Les ministres des affaires étrangères du G8 viennent de se mettre d'accord, il y a une heure, sur un projet de résolution qui sera soumis au Conseil de sécurité des Nations unies ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Les discussions militaires vont reprendre. Je me réjouis avec vous de ce pas décisif accompli sur le chemin de la paix. Je suis heureux que notre diplomatie et en particulier le ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, aient contribué activement à cette dernière avancée.

(Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Mesdames et messieurs les députés, la stratégie poursuivie avec constance depuis dix semaines permet donc aujourd'hui d'envisager une sortie de crise. Je voudrais vous rappeler les fondements de cette stratégie.

Parce que M. Milosevic ne laissait pas d'autre issue, nous avons été conduits à exercer une logique de coercition.

Parce que le régime de Belgrade avait systématiquement opposé une fin de non-recevoir aux efforts des négociateurs de Rambouillet comme à toutes les autres f ormes d'interventions diplomatiques, notre stratégie devait employer des moyens militaires. Le décalage existant entre les forces de répression serbes et les populations kosovares sans défense exigeait le recours aux capacités militaires de l'OTAN.

Parce que Belgrade a ensuite persisté dans son refus de composer, nous avons décidé la montée en puissance des bombardements aériens pour imposer à l'adversaire notrer ésolution. Il a fallu poursuivre pendant plusieurs semaines la même stratégie sur un mode élargi : aux objectifs de la phase 1, touchant des centres de commandement et de défense aérienne, sont venus s'ajouter des objectifs militaires au Kosovo - sur les instruments mêmes de la répression - puis des objectifs de nature politique et économique, c'est-à-dire les instruments de la propagande et du soutien des forces.


page précédente page 05478page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

Mais, parce que la perspective de cette stratégie était l'arrêt de la répression au Kosovo, il ne s'agissait pas de faire la guerre aux Serbes. La pression sur le pouvoir de Belgrade fut croissante, mais toujours maîtrisée. Nous avons refusé l'emballement et l'escalade.

Cette stratégie est validée par les faits. Elle vient à bout de l'obstination de M. Milosevic, qui doit aujourd'hui accepter ce qu'il avait toujours refusé, notamment à Rambouillet : le déploiement d'une force alliée au Kosovo, pour assurer le retour des réfugiés et pour garantir l'existence, dans la République fédérale de Yougoslavie, d'un Kosovo autonome et démocratique.

Frappe après frappe, notre stratégie a déstabilisé le potentiel serbe. Les dégâts infligés aux forces de répression, la désorganisation de leurs approvisionnements et de leurs soutiens logistiques, la coupure des axes de communication ont permis d'atteindre le point de rupture attendu. L'affaiblissement du moral des troupes serbes, les premiers signes de désertion et les premières manifestations de contestation ont montré au régime de M. Milosevic qu'il était dans une impasse.

Certes, la stratégie suivie a mis du temps à produire tous ses effets. Mais vous savez bien qu'afin de réduire les risques encourus par nos soldats et de minimiser les dommages aux populations civiles, l'action militaire ne pouvait être totale, mais devait être contrôlée et progressive.

En dépit de toutes les précautions, plusieurs erreurs graves - se sont produites. Même si elles sont probablement inévitables dans un conflit de cette nature, nous devons déplorer ces victimes civiles.

Les résultats déjà obtenus montrent combien il convenait d'être constant dans notre stratégie. Je tiens à rendre hommage au courage, à la compétence et au professionnalisme de nos forces armées et je me réjouis, bien sûr, qu'il n'y ait eu aucune victime dans nos rangs.

Nous avons aujourd'hui l'espoir d'atteindre nos objectifs. Mais nous mesurons les conséquences dramatiques qu'a eu, pour les Balkans, l'obstination de M. Milosevic.

Nous savons les souffrances endurées par le peuple kosovar et nous tiendrons nos engagements de voir les réfugiés rentrer dans leur pays. Nous ne voulons pas humilier le peuple serbe, entraîné par ses dirigeants dans une dérive nationaliste et meurtrière. Nous souhaitons, au contraire, que cette épreuve libère ce pays d'une politique barbare qui l'a mis au ban de la communauté internationale.

Le retour de la paix, mesdames, messieurs les députés, est désormais possible. Jeudi dernier, les autorités fédérales yougoslaves ont accepté les bases d'un règlement du conflit dégagées par le président finlandais, M. Ahtisaari, s'exprimant au nom de l'Union européenne, l'émissaire russe, M. Tchernomyrdine, et l'envoyé américain, M. Talbott.

M. Milosevic s'est ainsi engagé à mettre fin à la violence au Kosovo, à retirer rapidement l'ensemble de ses forces militaires et de répression, à accepter - sous les auspices des Nations unies - le déploiement de forces de sécurité permettant le retour chez eux des réfugiés et des personnes déplacées, et, enfin, à accepter qu'une administration provisoire s'assure que le Kosovo bénéficiera d'un statut d'autonomie substantielle au sein de la République fédérale yougoslave.

Ce matin, en Allemagne, les ministres des affaires étrangères du G8 ont mis au point un projet de résolution organisant la mise en oeuvre de ces orientations. En attendant l'adoption par le Conseil de sécurité de l'ONU de cette résolution, l'Alliance s'attache à obtenir un début de retrait effectif et vérifiable des forces serbes, conduisant au déploiement au Kosovo de la force internationale de sécurisation. Les dernières discussions, provoquées par les autorités serbes, n'ont en rien entamé notre détermination d'aboutir au plus vite à une résolution au Conseil de sécurité.

Nous travaillerons jusqu'au bout pour que la paix revienne au Kosovo et que les réfugiés puissent y rentrer.

Nous savons que de nombreuses difficultés entraveront leur retour, notamment du fait des terribles destructions auxquelles se sont livrées les forces serbes et des milliers de mines antipersonnel qu'elles ont posées. Il est néanmoins essentiel de s'engager dans cette voie, qui traduira concrètement la victoire du droit sur la force. Tant que l'ensemble des réfugiés ne seront pas rentrés chez eux, nous resterons à leurs côtés, où qu'ils se trouvent.

Sur le plan humanitaire, vous le savez, la France s'est portée au premier rang de la communauté internationale pour secourir et protéger les réfugiés dans les camps de Macédoine et d'Albanie. Elle a, par ailleurs, accueilli plus de 10 000 Kosovars sur son sol depuis sept semaines. Elle maintiendra son effort humanitaire, tout en accélérant avec ses partenaires européens la mobilisation de ses ressources en faveur de la reconstruction du Kosovo.

Mesdames, messieurs les députés, dans la crise au Kosovo, la France a joué et continuera de jouer un rôle de premier plan.

Notre pays a pris toute sa part des actions militaires.

Au cours des trois derniers mois, la position de la France a été, à tout moment, en cohérence avec la ligne définie au sein de l'OTAN. La France a pleinement participé, au sein de l'Alliance, à toutes les phases des opérations militaires. Elle a été loyale et solidaire. Mais dans le schéma décisionnel, avant la prise de décision et au moment de son contrôle, la France s'est appliquée à faire valoir, avec une grande fermeté, ses points de vue. Autant notre détermination a été sans faille pour expliquer les décisions prises en commun au sein de l'Alliance, autant il m'apparaît normal que notre pays, étant donné son statut, ses responsabilités internationales et ses capacités militaires, ait toujours voulu peser aux moments décisifs. Les autorités françaises y ont constamment veillé. Je veux icir endre hommage au ministre de la défense, Alain Richard, et au chef d'état-major des armées, pour la mise en oeuvre de ces orientations. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Notre souci d'assurer, dans ce qu'il est convenu d'appeler « la phase 2 élargie », des mécanismes de contrôle adaptés, notre vigilance à éviter les risques de déstabilisation du Monténégro, notre exigence de voir les frappes, après les trois premières semaines, se concentrer en priorité sur les forces déployées au Kosovo, notre souci de conserver une logique de maîtrise et de retenue pour ménager les populations civiles : toutes ces orientations ont été prises en compte. (Mouvements et brouhaha sur divers bancs.)

M. le président.

Mes chers collègues, je pense que la courtoisie et que l'écoute attentive des propos de M. le Premier ministre impliquent que vous fassiez un peu de silence. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je vous en prie, il n'est pas nécessaire d'être grossier.

M. Patrick Ollier.

Qui l'a été ?

M. Christian Bergelin.

Personne !


page précédente page 05479page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

M. le président.

J'ai des oreilles pour écouter...

Poursuivez, monsieur le Premier ministre.

M. le Premier ministre.

Dès le début du conflit, le Parlement a souhaité être informé par le Gouvernement en temps utile. Nous avons souscrit à cette demande, et vous savez que vous avons regretté que le sommet de Berlin nous ait empêchés d'être présents quand ont commencé les premières frappes. Nous sommes aujourd'hui à un moment décisif, un moment-clé. Je pense que le Gouvernement, la présidence de l'Assemblée et la conférence des présidents ont bien choisi la date pour la tenue du présent débat. Je souhaite simplement pouvoir m'exprimer sans que les conversations se multiplient d'un côté de l'Assemblée. C'est une exigence légitime. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Richard Cazenave.

Ce que vous dites est si passionnant ?

M. le Premier ministre.

La France prépare désormais sa participation aux opérations de paix.

Le Parlement a été informé et associé par le Gouvernement à chaque étape du processus diplomatique en cours.

Alors que s'ébauche une nouvelle phase de l'engagement français dans les Balkans, je veux informer la représentation nationale des conditions de la participation française aux efforts de paix.

Ceux-ci reposent notamment sur la mise en place d'une force de sécurisation au Kosovo, appelée KFOR.

Son état-major central aura une responsabilité de coordination importante. Sa structure est en cours de négociation entre les alliés et les Russes. Cette force de près de 52 000 hommes comportera pour l'essentiel des contingents de l'OTAN,...

M. Maxime Gremetz.

L'OTAN, l'OTAN, l'OTAN !

M. le Premier ministre.

... mais aussi un important détachement russe - dont le volume reste à préciser - et d'autres contributions de pays amis. La France participera à hauteur de 7 000 hommes pour cette seule force. Notre effort devrait reposer sur une brigade, dont en particulier un bataillon blindé mécanisé comprenant des chars Leclerc , deux bataillons de génie pour le déminage et la reconstruction. Des bataillons étrangers pourraient se joindre à cette brigade.

Dans l'état actuel des discussions avec nos alliés, nous devrions nous déployer, au sein d'un ensemble découpé en plusieurs zones multinationales, dans la partie septentrionale du Kosovo, autour de Kosovska-Mitrovica. Nos forces devront sécuriser cet espace, aider le retour des personnes réfugiées et déplacées et favoriser le rétablissement d'une vie normale.

Il faut savoir que cette mission sera difficile. Nos forces interviendront dans un environnement dangereux, surtout au début, en raison des mines antipersonnel, des provocations possibles et de la tentation, pour certains, de recourir à la violence. Nous savons que le retour à la normale prendra du temps. Notre objectif est de garantir une solution politique stable au Kosovo. Cette force sera sans doute déployée pour une longue durée. Le Gouvernement y est prêt.

Mesdames, messieurs les députés, pour l'Europe politique, pour l'Europe de la défense, la crise kosovare a constitué un tournant.

Il nous faudra tirer toutes les leçons de ce conflit. Si l'Europe, dans son action politique, a fait preuve d'une volonté cohérente, en particulier en défendant sa conception des négociations diplomatiques, chacun a pu prendre la mesure du chemin qu'il nous reste à parcourir pour construire l'Europe de la défense.

L'Europe a fait montre de sa résolution.

Du Conseil européen de Berlin, le 24 mars dernier, à celui de Cologne, les 3 et 4 juin, en passant par le Conseil extraordinaire de Bruxelles, le 14 avril dernier, l'Union européenne a toujours pris ses responsabilités dans la gestion de la crise.

Elle l'a fait au nom des valeurs communes qui fondent précisément la construction de l'Europe : le respect des droits de l'homme, la démocratie, la liberté, le droit international. L'Europe ne pouvait accepter sans réagir que ces valeurs soient violées au Kosovo.

L'inculpation de M. Milosevic, ainsi que celle de quatre autres responsables politiques et militaires serbes pour crimes contre l'humanité, par la procureur général du Tribunal pénal international a souligné, si besoin était, combien notre réaction à cette barbarie était justifiée. Les termes de l'acte d'inculpation donnent raison aux pays qui se sont coalisés pour arrêter la force par la force, au nom du droit.

La décision du tribunal nous montre également la voie pour l'avenir de cette région. Il n'y aura pas de paix sans justice. Il n'y aura pas de développement économique et de stabilité politique sans l'établissement préalable d'un

Etat de droit qui protège toutes les populations et grâce auquel celles-ci pourront - quelle que soit leur origine ou leur religion - participer à l'épanouissement de la démocratie.

La solidarité des Quinze s'est traduite par leur engagement commun dans les opérations de l'Alliance, pour ceux qui en sont membres, et par la participation active de tous aux efforts de la diplomatie internationale. La France, par la voix du Président de la République et du Gouvernement, a joué, au sein des pays de l'Union, un rôle moteur.

Contrairement à ce que certains ont voulu dire, les Européens n'ont pas suivi les Etats-Unis. Ils ont participé pleinement à la prise des décisions militaires et à leur mise en oeuvre. Et ils l'ont fait parce qu'ils étaient convaincus que le recours à la force était devenu inévitable face à l'intransigeance de M. Milosevic.

S'il est vrai que les Etats-Unis ont fourni la plus grande part des moyens aériens, la participation européenne a été importante. A partir des éléments de la force d'extraction mise en place en Macédoine lors du déploiement des observateurs de l'OSCE, ce sont les Européens qui assurent l'essentiel de la présence de l'Alliance en Macédoine et en Albanie. Ce sont les Européens qui ont organisé la majeure partie de l'effort humanitaire dans ces pays, construisant des camps, protégeant la vie des centaines de milliers de réfugiés qui s'y trouvent. Ce sont les Européens qui fourniront plus de la moitié des forces de paix qui entreront bientôt au Kosovo pour assurer la mise en oeuvre des décisions du Conseil de sécurité.

Forte d'une diplomatie active, l'Europe a défendu sa conception de la négociation.

Après avoir contribué pendant des mois à la recherche d'un accord entre les parties, c'est sous l'impulsion de l'Europe, et plus particulièrement de la France et du Royaume-Uni, que les négociations de Rambouillet et de l'avenue Kléber se sont tenues. Les Européens n'ont pas cessé d'agir ensuite pour que, au-delà des opérations mili-


page précédente page 05480page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

taires, soient dessinées des perspectives de règlement pacifique du conflit. Je veux à cet égard rendre hommage au travail de nos diplomates.

C'est l'Europe - et singulièrement la France - qui a promu le retour de la Russie dans le jeu diplomatique, parce qu'elle était convaincue que ce partenaire majeur pour la paix et la sécurité sur le continent pouvait et devait prendre une part active au processus diplomatique.

Nous ne pouvons que nous réjouir du dialogue confiant qui s'est établi entre l'émissaire russe, M. Tchernomyrdine, et M. Ahtisaari, dialogue qui a permis de donner une dynamique nouvelle à la recherche d'une issue politique pour le Kosovo.

C'est également l'Europe - et je m'en suis fait l'écho ici même il y a plusieurs semaines - qui a la première réclamé que les Nations unies retrouvent leur place dans la recherche d'un règlement du conflit. C'est pourquoi nous avons appuyé sans hésiter la déclaration faite le 9 avril par le secrétaire général de l'ONU pour proposer les conditions d'une solution politique.

Nous sommes très satisfaits que le Conseil de sécurité soit amené à jouer tout son rôle dans la séquence qui s'est ouverte il y a quelques jours. Cette évolution est en effet conforme à notre conviction que le Conseil de sécurité doit jouer un rôle primordial en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale.

Dès le 14 avril, à Bruxelles, l'Europe a proposé un ensemble de mesures susceptibles d'aider les pays de la région à surmonter les conséquences de la crise, afin qu'ils puissent progresser ensemble - et dans le dialogue avec l'Union européenne - sur la voie du développement et de la démocratie. En incluant la Yougoslavie dans le projet de « pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est » proposé par la présidence allemande, l'Union atteste sa volonté de contribuer activement et positivement à un règlement à long terme des tensions dans les Balkans.

De la même façon, et à l'initiative du Président de la République, l'Union européenne a proposé de prendre en charge, dès qu'un accord de paix aura été obtenu, l'administration provisoire du Kosovo. Il y a là, me semble-t-il, le signe de la détermination des pays européens à agir ensemble, alors que l'Union européenne entre dans une nouvelle phase de sa construction politique.

Cette construction politique doit désormais faire sa place à la perspective d'une véritable Europe de la défense.

L'épreuve des Balkans a permis de cristalliser une conscience européenne en matière de défense.

Nous devons en tirer toutes les conclusions en termes de commandement, de conduite des opérations militaires, de performance comme de compatibilité des matériels et des équipements,...

M. Pierre Lellouche.

En termes de budget de la défense aussi !

M. le Premier ministre.

... de procédures de recueil et d'échange de renseignements, de planification et de suivi des actions militaires.

Il faut donc se réjouir des résultats positifs du sommet de Cologne, préparés par la déclaration franco-britannique de Saint-Malo et le communiqué franco-allemand de Toulouse. C'est un accord politique majeur qui a été obtenu à quinze. Il conforte la légitimité de l'Union européenne à traiter les questions de défense et de sécurité.

M. Pierre Lellouche.

Mais il faut pour cela prévoir de l'argent !

M. le Premier ministre.

Trois points essentiels ont en effet été acquis.

L'Europe doit se doter de moyens propres pour la préparation et le suivi des décisions, qu'il s'agisse du renseignement, de la planification statégique ou de l'analyse des situations de crise.

Elle doit pouvoir librement disposer de capacités militaires, que ce soit au travers du pilier européen de l'OTAN ou grâce à la mobilisation de moyens européens autonomes. Sur ce point, il faut saluer le projet de transformation du corps européen en un corps européen de réaction rapide.

Enfin, l'Europe doit procéder à une réforme institutionnelle qui passe par la création d'instances décisionnelles - le comité politique et de sécurité, le comité militaire, l'état-major européen - et l'intégration prévue, à terme, de l'UEO dans l'Union européenne.

Mesdames, messieurs les députés, à l'heure où je m'exprime, le processus de paix est en cours. La voie vers la paix est ouverte. Pour les Kosovars, pour tous les peuples des Balkans, pour l'Europe et pour la communauté internationale, nous nous devons de réussir.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur quelques bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Pour le groupe communiste, la parole est à M. Jacques Brunhes, premier orateur inscrit. (Brouhaha.)

M. Jacques Brunhes.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, « nous y sommes à 99 % », a dit hier soir Robin Cook, qui ne passe pas pour être d'un tempérament optimiste. Nous approchons donc d'une issue politique. Un accord vient d'être trouvé au G 8 ; une résolution sera proposée au Conseil de sécurité de l'ONU ; vous venez, monsieur le Premier ministre de le confirmer.

Aussi permettez-moi de dire d'emblée, même si tout n'est pas encore entièrement réglé, combien nous nous réjouissons de l'espoir qui s'est enfin levé au Kosovo avec la décision du Parlement yougoslave d'accepter les conditions fixées par le G 8 pour un accord de paix.

(Bruit.)

M. le président.

Mes chers collègues, ayez la courtoisie de faire silence. Ce n'est tout de même pas difficile deux après-midi par semaine ! Vous avez la parole, monsieur Brunhes.

M. Jacques Brunhes.

Comment ne pas apprécier cette décision si l'on songe à la répression, à l'épuration ethnique, à l'exode forcé, à la déportation de cette population kosovare réfugiée qui voit s'ouvrir la perspective d'un retour, de la démilitarisation et de l'autonomie de la province ? Comment ne pas l'apprécier, si l'on pense aussi à la population serbe, traumatisée par cette guerre qui a trop longtemps conforté Milosevic dans sa tyrannie et muselé l'opposition serbe (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), et si l'on se souvient que les bavures « collatérales », comme disent cyniquement les militaires, provoquées par les bombardements, que nous avons toujours réprouvés, ont fait des dégâts pas seulement militaires mais aussi humains, psychologiques et économiques incalculables ?

M. Yves Fromion.

Et le goulag ?

M. Jacques Brunhes.

Comment ne pas penser aux pays environnants, entraînés dans un cycle de déstabilisation qui gagnait le Monténégro, la Macédoine et l'Alba-


page précédente page 05481page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

nie ? Déstabilisation qui pouvait, hélas ! s'étendre à l'ensemble des Balkans, à tous les pays de la région, qui ont suivi les événements avec angoisse, de la Hongrie et la Bulgarie à la Roumanie, la Grèce, la Moldavie et la Turquie.

L'urgence, depuis le début du conflit, c'est d'enrayer cette logique de guerre qui pourrait nous entraîner dans un engrenage épouvantable.

Mais la question fondamentale qui se pose est bien de savoir si on n'aurait pas pu faire l'économie de cette guerre meurtrière.

M. Maxime Gremetz.

Tout à fait !

M. Jacques Brunhes.

Non pas par une simple négociation, mais par une bataille politique misant sur les opinions publiques, offrant au peuple serbe une perspective positive d'intégration à la communauté internationale, de reconstruction lui ouvrant une issue face au nationalisme du régime.

Car ce qui frappe, dans l'analyse de la situation actuelle, ce sont les différences essentielles entre le fameux volet militaire de Rambouillet et les dix points du G8.

M. Jean-Claude Lefort.

Tout à fait !

M. Maxime Gremetz.

Absolument !

M. Jacques Brunhes.

A Rambouillet, les deux parties en conflit étaient parvenues à un accord sur une autonomie substantielle du Kosovo et le respect des libertés des Kosovars, chacun le sait.

Aux termes des accords de Rambouillet, la province devait être dotée, à l'issue d'élections libres, d'un « autogouvernement », d'une assemblée, d'un président, d'une justice et de forces de police spécifiques.

M. Pierre Lellouche.

Ce qu'elle avait sous Tito ! Relisez l'histoire !

M. Jean-Claude Lefort.

Vous n'y connaissez rien !

M. Jacques Brunhes.

Or l'échec, sous la pression hégémonique des Etats-Unis, est venu de la partie militaire de Rambouillet, de l'entêtement à imposer l'OTAN, ...

M. Pierre Lellouche.

C'est grâce à l'OTAN qu'il y a la paix aujourd'hui !

M. Jacques Brunhes.

... et l'OTAN seule, pour veiller à l'application de l'accord,...

M. Yves Fromion.

Il faut dire que le pacte de Varsovie n'existe plus !

M. Jacques Brunhes.

... dans des conditions que l'on savait, et qui étaient inacceptables.

Depuis le début du conflit, nous n'avons cessé de dire, tous les intervenants de notre groupe l'ont répété, que la solution ne pouvait être que politique.

M. Pierre Lellouche.

Vous vous êtes tous trompés !

M. Jacques Brunhes.

Nous avons rappelé, comme de multiples voix, le rôle décisif que devaient jouer l'Union européenne, la Russie, les Nations unies - qui ont été mises à l'écart -, et exprimé le souhait que la France soit une force de proposition en ce sens.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

Or, à Rambouillet, on n'a aucunement cherché à rouvrir le volet militaire, inacceptable dans ses principes mêmes. La preuve que tous les efforts en faveur d'un accord politique n'ont pas été tentés, c'est que, entretemps, le contenu des dispositions militaires prévues a changé sur des questions de fond.

Les grandes différences entre le texte de Rambouillet et le document de paix en dix points accepté le 3 juin par la Yougoslavie pour le Kosovo sont, entre autres choses, les références à l'ONU et au rôle de la Russie.

M. Maxime Gremetz.

Absolument !

M. Jacques Brunhes.

Je cite le point 33 pour que les choses soient claires : « Le déploiement au Kosovo, sous mandat de l'ONU, de présences civiles et militaires efficaces et internationales, qui pourraient agir conformément à une éventuelle décision qui serait prise en vertu de l'article 7 de la Charte des Nations unies et pourraient garantir la réalisation des intérêts mutuels. »

Je cite également le point 5 : « La création d'une administration provisoire pour le Kosovo, dans le cadre d'une présence civile internationale, fera l'objet d'un accord au Conseil de sécurité de l'ONU. Sous cette administration, la population du Kosovo jouira d'une autonomie substantielle au sein de la République fédérale de Yougoslavie. »

M. Maxime Gremetz.

Pas de l'OTAN !

M. Jacques Brunhes.

Monsieur le Premier ministre, que n'a-t-on, à Rambouillet, poussé les négociations, comme nous le souhaitions, sur le rôle de l'ONU, du C onseil de sécurité et de la Russie, interlocuteur incontournable en ce qui concerne les problèmes des Balkans, alors même que, après soixante-quatorze jours de frappes, de misère répandue, nous aboutissons, avec ces dix propositions, à ce qui semble nécessaire dans le contexte d'aujourd'hui, à l'exception de certains points, dont cette référence imprécise à la participation substantielle de l'OTAN.

Qu'il me soit permis d'ouvrir une parenthèse. A Cologne, a été désigné, en application du traité d'Amsterdam, un Monsieur PESC, un Monsieur politique extérieure de sécurité commune.

Le sentiment fort d'une Europe se déliant de l'hégémonie de l'OTAN pouvait trouver là une expression significative. La désignation de M. PESC était donc essentielle.

Un de nos collègues qui avait interrogé un ministre s'était vu répondre, au nom du Gouvernement, que ce devait être une personnalité « non otanienne ». (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Or celui qui a été désigné est M. Solana, le secrétaire général de l'OTAN.

M. Pierre Lellouche.

Un socialiste espagnol !

M. Jacques Brunhes.

... celui-là même qui, le 25 mars, déclarait, au nom de l'OTAN, que les frappes dureraient deux ou trois jours, pas plus ! Vous comprendrez notre scepticisme et notre inquiétude. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

Pour en revenir au Kosovo et aux Balkans, il s'agit maintenant de garantir l'édification d'une paix solide et durable. Je dirai quelques mots sur les problèmes actuels.

Il est question de séquences. Faut-il d'abord arrêter les frappes puis voter la résolution du Conseil de sécurité, ou l'inverse ? Le retrait des troupes serbes est prévu sur sept jours, mais les Serbes en demandent onze. Certes, ce sont bien des problèmes ultimes. Mais, de grâce, monsieur le Premier ministre, ne faisons pas la guerre pour ça ! ( Exclamations sur les mêmes bancs.)

La relance des frappes, à ce point d'accord diplomatique, est inquiétante. Elle peut encore tout bloquer, si l'on en juge par certaines déclarations. Monsieur le Pre-


page précédente page 05482page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

mier ministre, il faut arrêter les bombardements, non par faiblesse mais pour lever tout obstacle ou tout prétexte venant retarder le retrait serbe.

La meilleure façon de faire pression sur le régime serbe n'est-il pas également et justement de donner un signal fort à une population aujourd'hui tétanisée par la guerre, mais qui peut très vite relever la tête et obliger Milosevic à respecter sa parole ? Monsieur le Premier ministre, comment ne pas évoquer le prix terrible de cette guerre : répression féroce, épuration ethnique, déportation commencée bien avant m ais accélérée par les frappes aériennes ? Celles-ci, commencées depuis sept semaines, ont fait 10 000 morts militaires, selon l'OTAN. Et combien de victimes civiles ? Des infrastructures militaires ont été détruites. Mais aussi le tissu économique et industriel de la Serbie et du Kosovo ! On parle, pour la reconstruction, de sommes énormes : 130, voire 200 milliards d'euros ! Il est urgent d'en finir avec ce fantastique gâchis.

D ans l'édification d'une paix solide et durable, l'Europe, stimulée par la France, doit prendre une part décisive. Vous l'avez constaté, monsieur le Premier ministre, nous avons soutenu et nous soutiendrons tout ce qui va dans le bon sens dans votre politique.

Je me permets de vous rappeler maintenant une proposition que nous développons depuis le 2 mai 1993 : une conférence européenne sur les Balkans pour la reconstruction, la sécurité et la paix dans la région, afin de prévenir les crises et, créer les conditions d'une paix juste et durable. Cela suppose une politique de développement, de résorption de la pauvreté, terreau favorable au nationalisme. Cette conférence devrait offrir un cadre impartial pour traiter des questions en discussion : minorités, frontières, institutions.

Toutes les nations d'Europe - pas seulement les Etats devraient être impliquées. La construction d'une paix durable dans les Balkans intéresse tout le continent. Sur un pied d'égalité - conformément aux principes initiaux de la conférence d'Helsinki -, chacune contribuerait à la garantie de la sécurité comme au développement de l'exYougoslavie. A une seule condition : que la guerre laisse place à la négociation. L'objectif serait d'aboutir à la constitution d'Etats de tous les citoyens, respectant mutuellement leur souveraineté et préservant en leur sein l'identité nationale de chaque communauté ou « minorité » et les droits fondamentaux de chaque individu. La tâche serait sans doute difficile et de longue haleine. Du moins un tel cadre, nouveau et attractif, offrirait-il aux populations une autre alternative que celle d'une guerre meurtrière ou d'une capitulation humiliante.

Maintenant, si on veut une organisation et une conception européennes de la sécurité du continent, il faut, monsieur le Premier ministre, commencer par couper le cordon ombilical avec l'OTAN ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.) Il ne faut pas faire un clone européen de l'OTAN ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

En matière de sécurité, on doit avoir une approche correspondant à notre expérience, privilégiant de façon absolue la prévention. Pour cela un organisme existe : l'OSCE, qu'il faudrait revaloriser. Enfin, s'agissant du volet militaire, nous avons avancé l'idée d'une coordination des moyens militaires européens sous l'égide de l'ONU.

Il est nécessaire de renforcer et de démocratiser le rôle de l'ONU, pour un règlement politique négocié en cas de risque de conflit.

En cas de crise, les pays européens, sous mandat strict de l'ONU ont la capacité de s'organiser et d'intervenir, si cela est jugé nécessaire, pour le maintien de la paix et de la sécurité ou pour des raisons humanitaires.

Pour leur part, les communistes considèrent qu'après la dissolution du pacte de Varsovie, l'OTAN n'a plus de raison d'être. (Exclamations sur les mêmes bancs.)

Monsieur le Premier ministre, votre Gouvernement et vous-même avez répondu aux questions que vous pose le groupe communiste, avec obstination, chaque matin, depuis le début du conflit. Vous avez réuni les responsables des groupes du Sénat et de l'Assemblée nationale à Matignon, vous l'avez rappelé tout à l'heure, et les présidents des commissions concernées. Les commissions de notre assemblée ont entendu et interrogé les ministres compétents. Trois débats ont eu lieu ici même. Et pourtant, monsieur le Premier ministre, nous avons le sentiment que l'Assemblée nationale est mise devant le fait accompli (Exclamations sur les mêmes bancs.)

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Patrick Ollier.

Eh bien, censurez le Gouvernement !

M. Jacques Brunhes.

Les bombardements sont décidés sans l'avis du Parlement.

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Jacques Brunhes.

Les dirigeants du pays entérinent à Washington des évolutions stratégiques d'une gravité exceptionnelle, sans que nous ayons à en débattre, encore moins à en décider par un vote.

M. Patrick Ollier.

Censurez le Gouvernement !

M. Jacques Brunhes.

Nous apprenons par la presse le coût de l'engagement de la France, sans rien connaître d'une évaluation précise et des conséquences des dépenses supportées par notre budget. Ce n'est pas acceptable.

Selon la commission Vedel sur la révision de la Constitution, mise en place en 1993 par le président Mitterrand, « Le Parlement comme législateur, comme contrôleur de l'action gouvernementale, comme tribune des grands débats de la nation doit voir s'élargir la possibilité d'exercer pleinement son droit d'initiative et son pouvoir de décision ».

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Jacques Brunhes.

J'insiste : pouvoir de décision, et pas seulement de contrôle !

Mme Christine Boutin.

Paroles, paroles... (Sourires.)

M. Jacques Brunhes.

Il faudra bien, monsieur le Premier ministre, apporter une réponse institutionnelle à cette question fondamentale de notre démocratie. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Un député du groupe Union pour la démocratie française-Alliance.

A quand le vote ?

M. Didier Boulaud.

Silence, les champions du 49-3...

(Protestations sur les mêmes bancs).

M. le président.

S'il vous plaît !

M. Jacques Brunhes.

Monsieur le Premier ministre, beaucoup de notre avenir se joue dans la manière dont nous saurons, nous, Européens, ouvrir la voie après la mise en oeuvre d'une solution pacifique dans les Balkans.


page précédente page 05483page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

Nous n'avons jamais oublié la complexité des problèmes posés. Nous avons mesuré chaque effort engagé, mais nous avons la certitude, en l'instant, que la France a un rôle à jouer, un rôle majeur, pilote même, stimulant, dans les moments qui viennent, pour mettre fin définitivement au conflit et pour garantir l'édification d'une paix solide et durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. Georges Sarre.

Très bien !

M. le président.

Pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants, la parole est à Mme Nicole Ameline.

Mme Nicole Ameline.

En vous écoutant, monsieur le Premier ministre, et en prenant acte de l'imminence du règlement de ce conflit, dont l'issue heureuse est largement due aux efforts de notre pays, et notamment à ceux du Président de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance) , c'est d'abord aux larmes silencieuses des enfants kosovars, aux visages tristes de leurs mères et à la douleur muette des plus âgés, de tous ceux que nous avons rencontrés dans les camps d'Albanie, que je pense en premier lieu.

Je pense particulièrement à celles et à ceux à qui nous avons demandé ce que la France pouvait faire de plus et de mieux, et qui nous ont répondu : « Aidez-nous simplement à rentrer chez nous. »

L'humanité perdue d'un peuple européen, victime d'un processus d'effacement et d'épuration parfaitement planifié, appuyé sur une violence extrême, appelait à l'évidence la mobilisation des consciences, le courage des démocraties ; elle dicte aujourd'hui une conception nouvelle du droit, du juste et du politique.

Ce que j'ai compris en Albanie à travers ces larmes, ces récits et ces regards, c'est que les Européens auraient sans aucun doute perdu leur âme, c'est que l'Europe aurait perdu son sens si nous avions assisté, impuissants ou indifférents, à la renaissance de l'inacceptable. Et l'émotion bouleversante ressentie dans ces camps, la reconnaissance exprimée à l'égard de la France, de ses forces human itaires et militaires qui ont exercé une action remarquable et admirable renforce notre conviction : en cette fin du XXe siècle, tout devait être mis en oeuvre pour éviter que cette dernière expression de la barbarie ne devienne le premier conflit du siècle prochain.

Liberté retrouvée, nous l'espérons dans quelques heures au Kosovo, liberté commémorée hier sur les plages de Normandie, avec les survivants des forces alliées qui, il y a juste cinquante-cinq ans, ont libéré l'Europe et en ont éradiqué le nazisme. Sans cette mobilisation, sans cette alliance de l'époque, que serions-nous aujourd'hui ? Que voudrait dire le mot liberté ? A quoi ressemblerait l'Europe ? (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Le combat pour le droit et les valeurs de la République est une cause juste. Elle est celle du courage et de la modernité. Nous avons eu raison de démontrer que, face à l'épuration ethnique, les démocraties occidentales ne sont pas des régimes faibles et que la force est légitime lorsqu'elle sert le droit.

Nous devons partir d'un simple constat : l'utilisation de la force contre Slobodan Milosevic a porté ses fruits.

Certes, il faut rester prudent. Nous n'en sommes pas encore à la conclusion de la paix. Mais chaque jour nous en rapproche.

Notre groupe, Démocratie libérale, s'est d'ailleurs toujours inscrit sur cette ligne, en plein accord avec la stratégie définie par le Président de la République...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Et par le Gouvernement !

Mme Nicole Ameline.

... dont il faut souligner la détermination sans faille dans la gestion de ce conflit.

Oui, nous avons eu raison d'intervenir pour mettre fin à la politique de déstabilisation de cette région par un dictateur passé directement du communisme au nationalisme. (Applaudissements sur les mêmes bancs.) Et il s'agit moins aujourd'hui de négocier une paix que de l'imposer, comme ce qui est entrepris.

L'histoire donne aujourd'hui raison à ceux qui ont refusé la conception de la souveraineté étroite et dépassée de ceux qui ont pris position contre les frappes aériennes.

F ace à la détermination des Etats membres de l'OTAN, on ne peut que déplorer, monsieur le Premier ministre, certaines déclarations contradictoires internes au Gouvernement français, lesquelles, à ce point ultime des négociations, pourraient jeter le trouble sur la position française et sur la cohérence de son action.

En effet, depuis le début de ce conflit, depuis le début des interventions aériennes, la France a montré son unité politique. Aussi, en cette période de contact tendue, difficile avec les militaires yougoslaves, nous ne pouvons que regretter que certains contestent l'action française. Et nous avons particulièrement déploré l'intervention de M. le ministre de l'intérieur précisant qu'une « suspension des frappes favoriserait une issue », profitant sans doute de l'attitude provisoirement conciliante de Milosevic, même si l'on sait que ce dictateur n'a jamais honoré ni sa parole ni sa signature.

Bien au contraire, dans la phase ultime des négociations dans laquelle nous nous trouvons et que vous avez vous-même rappelé, il faut plus que jamais rester fermes sur nos principes, sur nos méthodes, rester fermes sur nos convictions, rester fermes sur nos conditions. Les exigences formulées par le G8 forment un tout qui n'appelle aucune concession, même si on doit être conscient que l'impatience suscitée par un règlement positif de ce conflit ne doit pas compromettre la chronologie du processus de paix, dont on voit bien les perspectives : premièrement, assurer la mise en place d'une force de paix internationale ; deuxièmement, organiser le retour des réfugiés ; troisièmement, mettre en oeuvre le principe d'autonomie du Kosovo.

Ce conflit s'inscrit dans une formidable évolution qu'Alain Madelin a rappelée à cette tribune : celle du droit et celle des mentalités. Cette évolution prend toute sa place dans la voie tracée par la mise en place des tribun aux pénaux internationaux, pour l'ex-Yougoslavie comme pour le Rwanda, et par la création récente de la Cour pénale internationale.

Ainsi, pour la première fois, nous assistons à une intervention militaire et politique fondée sur un principe moral : la défense des droits de l'homme. « Toute défense efficace de la paix passe avant tout par la défense des valeurs morales », écrivait Alexandre Soljenitsyne.

(Murmures sur les bancs du groupe communiste.)

M. Christian Cuvilliez.

Il était contre les frappes, Soljenitsyne ?

Mme Nicole Ameline.

Il s'agit là d'une formidable novation juridique qui assure la primauté du droit sur la force, et celle de la démocratie sur la barbarie.

Certes, la France et les Européens n'ont pas vocation à intervenir partout où émergent des conflits. Il n'est pas question d'exalter le droit des peuples à disposer d'euxmêmes, quand on sait qu'il y a plus de 5 000 ethnies


page précédente page 05484page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

dans le monde. Mais il s'agit, tout aussi fermement, de refuser le droit des Etats à disposer des peuples. C'est dire l'importance du rôle de l'ONU dans le processus de décision à venir.

La pensée libérale se fonde sur les droits fondamentaux de l'homme, hérité de l'humanisme grec, particulièrement sur le droit du plus faible. Elle replace l'homme au coeur de l'action et du projet politique et c'est pourquoi nous sommes convaincus que le destin de l'Europe se joue au Kosovo. Car l'Europe ne serait rien sans un projet moral et politique.

Au-delà de la tragédie elle-même, et si nous savons en saisir l'opportunité, l'Union européenne peut retrouver non seulement un sens, mais aussi s'imposer comme une véritable puissance militaire et économique sur le vieux continent.

Ce conflit a donc joué le rôle d'un révélateur très puissant de la nécessité, pour les Européens, de concrétiser enfin la politique extérieure et de sécurité commune qu'ils ont inscrite dans le traité de Maastricht.

Seuls, les Etats membres ne disposent plus de l'influence tant diplomatique que militaire pour venir à bout des conflits qui ont surgi ou peuvent encore surgir en Europe. Ensemble, ils n'ont pas toujours su le faire et ils ont parfois donné la triste image de ne pouvoir que se taire d'une seule voix.

Mais aujourd'hui, on peut le constater et s'en réjouir, ces structures et cette volonté politique dont nous avons besoin commencent à se profiler et marquent l'évolution actuelle.

La défense européenne est une vieille ambition ; elle a d'ailleurs été un rêve, abandonné en 1954. Mais les premiers pas ont de nouveau été esquissés à Saint-Malo puis confirmés lors du dernier sommet franco-allemand, à la fin du mois de mai dernier. Paris et Bonn ont alors évoqué d'une seule voix la possibilité et l'intérêt de voir l'Union européenne se doter des moyens autonomes nécessaires pour agir et ont décidé de transformer l'actuel corps européen en un corps de réaction rapide européen, mieux adapté au nouvel environnement international.

On peut se réjouir de cette évolution, qui était une nécessité absolue et qui s'est récemment illustrée par la nomination de « M. PESC », qui sera M. Solana, l'actuel secrétaire général de l'OTAN. M. Kissinger ne pourra plus dire : « L'Europe, quel numéro de téléphone ? » La diplomatie européenne aura une voix, un visage et un nom.

Le Conseil européen de Cologne, très récemment, a approuvé une déclaration qui vise à jeter les bases de cette Europe de la défense, présentée comme le grand chantier européen des années 2000. Mais les traditions politiques des Etats diffèrent. Entre les pays neutres, entre ceux qui ont une appartenance atlantiste extrêmement affirmée et la France, dont la position est particulière, le chemin sera difficile. Mais la volonté politique existe aujourd'hui de s'atteler à cette tâche et que la nécessité s'en impose jour après jour.

Mais cette ambition de défense européenne devra se concrétiser par des moyens militaires nouveaux. Il est désormais urgent de réfléchir à la restructuration de l'industrie de défense européenne...

M. Pierre Lellouche.

Enfin !

Mme Nicole Ameline.

... comme il est urgent de prendre conscience qu'une défense européenne coûtera cher. Notre crédibilité est à ce prix.

Selon les études que nous connaissons tous, le budget d'équipement des armées américaines est de 80 milliards de dollars, soit deux fois plus que celui de l'Union européenne. Sur ces 80 milliards, 35 sont consacrés à la recherche et développement, quand, dans le même temps, nous ne leur affectons que 12 milliards, à rapprocher de la baisse structuelle de nos budgets militaires. A ce propos, monsieur le Premier ministre, nous serions heureux de connaître votre vision de la prochaine loi de programmation militaire.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Sur quelles armes stratégiques comptez-vous faire porter l'effort ? Je pense en particulier aux satellites de renseignements. Et dans quel esprit de coopération avec nos partenaires européens ?

M. Didier Boulaud.

Pour l'instant, c'est votre loi de programmation militaire que nous appliquons !

Mme Nicole Ameline.

Construire une Europe de la défense ne signifie pas pour autant tourner le dos à l'OTAN. Une défense européenne n'est et ne peut pas être un projet concurrent des Etats-Unis et de l'OTAN.

Elle doit s'inscrire dans le cadre de l'identité européenne et d'un pilier européen de la défense.

Tout au long de ce conflit, le Président de la République a insisté sur deux principes, qui constituent le fondement de la position française. D'une part, il a obtenu, lors du sommet de Washington, pour le cinquantième anniversaire de l'OTAN, que soit mentionné le rôle désormais essentiel de l'ONU dans les crises internationales. Il a d'ailleurs souligné l'importance de réintroduire l'ONU dans le processus diplomatique actuel avec la Yougoslavie. D'autre part, il a tenu à ramener à la table des négociations la Russie, puissance européenne sans laquelle il est illusoire de vouloir construire la stabilité et la paix en Europe. Du reste, cette initiative a eu quelque succès puisque, vous le savez, l'équipe diplomatique est composée de l'émissaire principal, du président de la Fédération de Russie, M. Tchernomyrdine.

L'Union européenne devra également utiliser sa puissance et sa volonté pour aider à la reconstruction de la région des Balkans, reconstruction politique mais aussi économique.

A cet égard, on ne peut que se féliciter du rappel par le Conseil européen de Cologne de l'engagement de l'Union à aider les Etats de la région à faire face aux conséquences désastreuses d'un conflit dont Milosevic assumera seul la responsabilité devant l'histoire. L'Union européenne a ainsi fait savoir qu'elle prendrait en charge la plus grande partie de la reconstruction du Kosovo, précisant néanmoins qu'il n'était pas question, pour la France notamment, de financer cette reconstruction tant que M. Milosevic serait au pouvoir.

Mais il faudra aussi aider économiquement la Macédoine, l'Albanie, et dans une moindre mesure la Bulgarie et la Roumanie. Ces Etats aussi ont été touchés directement, notamment à cause des destructions qui ont obstrué le Danube, l'une des principales voies de transport de la région. L'Albanie, surtout, a fourni un effort surhumain en accueillant 500 000 Kosovars, dont les deux tiers sont logés dans des familles. Quant à la Macédoine, qui compte deux millions d'habitants, elle a également accueilli plus de 200 000 réfugiés pour un coût estimé à 26 millions de dollars.


page précédente page 05485page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

Il ne suffira probablement pas de promettre à ces

Etats, détruits ou fragilisés, une association avec l'Union européenne, il faudra également donner à cette association une réalisation concrète, d'ordre politique et économique. De ce point de vue, la France a un rôle de premier plan à jouer.

Nous assistons, je l'ai dit, à une accélération de l'histoire, au retour de l'Europe. Dans les toutes prochaines années, nous allons devoir relever le plus grand défi qui soit : réussir l'élargissement, réussir ce qui devrait plutôt s'analyser comme la réunification politique du continent européen. Le groupe Démocratie libérale réaffirme son a ttachement à cet élargissement, considérant que l'ensemble des Européens ont vocation à rejoindre l'Union.

Comment ne pas s'étonner dès lors des réticences ou frilosités de certains, qui peuvent être considérées comme une humiliation, et en tout cas un frein supplémentaire au développement et à l'espérance de ces pays ? Nous avons non seulement à soutenir, mais à réussir cet élargissement, dans l'intérêt même de la stabilité politique, de la prospérité économique et du renforcement des valeurs communes de notre civilisation. Je terminerai en rappelant ce que Alain Madelin a écrit à propos de ce conflit (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

:

« Si le drame du Kosovo peut permettre aux Européens de retrouver la conscience de ce qui fait leur identité, leur génie, et leur unité, alors le XXe siècle n'aura été qu'une parenthèse de l'histoire, alliant les découvertes scientifiques les plus fabuleuses aux expériences politiques les plus insensées. Alors l'effondrement du mur de Berlin aura bien été le signe qu'un nouveau monde allait en remplacer un autre. »

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault.

Monsieur le président, mon-s ieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le document de paix présenté aux autorités de Belgrade par le prochain président de l'Union européenne, le président finlandais Martti Ahtisaari, l'Américain Strobe Talbott et le Russe Viktor Tchernomyrdine, et adopté par le parlement yougoslave le jeudi 3 juin dernier, esquisse dans ses grandes lignes une solution au conflit du Kosovo.

Que constate-t-on depuis le 3 juin ? La tendance suit incontestablement une ligne de paix. Elle n'est ni rectiligne ni évidente, mais elle est indéniable. La stratégie suivie, combinant recherche d'une solution négociée et pressions militaires, s'est avérée adaptée aux circonstances.

Ce document correspond au but qui était le nôtre depuis le début du processus de négociations internationales, qui a été interrompu à Rambouillet en raison du refus du gouvernement de Serbie de revenir à la table des négociations. Et c'est cette interruption qui a été à l'origine de la décision prise par l'OTAN de procéder à des frappes aériennes. Celles-ci, mes chers collègues, n'avaient pas pour but d'humilier le peuple serbe ; elles constituaient le moyen de contraindre le gouvernement de M. Milosevic à renoncer à l'épuration ethnique du Kosovo.

Pendant les dix semaines de ces frappes aériennes le gouvernement yougoslave, qui avait entamé cette épuration ethnique bien auparavant, l'a poursuivie jusqu'au paroxysme, en jetant sur les routes plus d'un million de personnes, provoquant ainsi une tragédie inouïe.

M. Milosevic, en retardant l'application de ce qui avait été convenu au mois de mars et en accentuant la répression jusqu'au délire, a pris une lourde responsabilité devant l'histoire et devant son peuple. Il est à l'origine d'un drame humain et d'un désastre matériel non seulement au Kosovo, mais aussi en Serbie et au-delà, dans les pays voisins. La justice internationale était donc fondée à lui demander des comptes.

Sans entrer dans les détails du document de paix, c'est bien dans la reconstitution d'un Kosovo rendu à ses habitants que réside l'objectif de l'OTAN, de l'Union européenne et des Etats-Unis. Cet objectif est le seul. Il n'y en a jamais eu d'autre.

Notre objectif, ce qu'on a parfois appelé « les buts de guerre », n'a jamais été d'instaurer une hégémonie quelconque, de créer un précédent dans la gestion de l'ordre international, de laisser de côté l'ONU, d'exclure la Russie des affaires européennes. Il s'agissait et il s'agit toujours de permettre à un peuple de vivre en paix chez lui.

Il s'agit aussi d'affirmer les principes des droits de l'homme sur lesquels s'est construite la démocratie et sur lesquels nous entendons développer l'Union européenne et assurer la paix à tout notre continent.

M. Didier Boulaud.

Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault.

Il ne s'agit donc pas d'affirmer la puissance du fort sur le faible, de donner des leçons, de promouvoir un modèle, mais d'affirmer le droit des individus à une existence paisible chez eux et de récuser une idéologie qui ferait de l'ethnie la base de la construction des Etats.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

La solution recherchée, à laquelle notre pays tend de toutes ses forces, vise donc, aujourd'hui comme hier, à permettre aux Kosovars de vivre en paix chez eux. L'exigence la plus grande, la plus urgente est donc l'évacuation du territoire du Kosovo par les forces militaires serbes, qu'il s'agisse de l'armée yougoslave, de la police ou des milices. La solution, c'est de garantir la sécurité du Kosovo par une force internationale puissante, commandée de la façon la plus simple possible, de manière à éviter les difficultés rencontrées en Bosnie.

La résolution du conseil de sécurité de l'ONU - nécessaire, bien sûr, à la mise en oeuvre de cette exigence doit tenir compte de ce précédent de la Bosnie.

Ne nous cachons pas cependant, mes chers collègues, la difficulté centrale qui demeure dans ce document de paix. Ce dernier réaffirme en effet la volonté de ne pas démanteler l'Etat yougoslave dont le Kosovo ferait toujours partie. Il est certain que c'est là que réside le point le plus douloureux. Quel Kosovar peut encore souhaiter aujourd'hui, après ce qui s'est passé au cours des dix dern ières semaines, appartenir à une entité étatique commune avec les Serbes ? Qu'allons-nous découvrir quand les forces internationales entreront au Kosovo ? Quelles horreurs ? Quels charniers ?

M. Didier Boulaud.

Voilà la question !

M. Jean-Marc Ayrault.

Le gouvernement Milosevic a été et demeure un gouvernement criminel ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical Citoyen et Vert.)

Qui le conteste, même


page précédente page 05486page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

parmi ceux qui ont désapprouvé les frappes aériennes ? Quel autre moyen d'ailleurs a-t-on proposé pour faire céder une dictature de haine et de terreur ?

M. René Dosière.

Aucun !

M. Jean-Marc Ayrault.

Qui va encore parler de manipulation de l'opinion publique ? Assurer la paix dans ce pays exsangue, permettre à des hommes et des femmes d'origine différente de vivre ensemble dans le même pays implique donc un engagement durable des forces militaires internationales sur place.

Il implique également un énorme effort financier et économique pour reconstruire ce territoire.

Seule, en effet, l'accession de cette région de l'Europe à un niveau de vie comparable à celui que connaissent les pays de l'Union européenne pourra faire que, peu à peu, s'établissent des relations non conflictuelles entre les peuples balkaniques.

M. Jacques Fleury.

Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault.

C'est une tâche à la hauteur de l'Union européenne et de ses capacités à entraîner dans l'essor économique ces zones qui sont, pour le moment, périphériques à sa richesse mais qui doivent intégrer progressivement le niveau auquel l'Europe occidentale est parvenue. Cette tâche de l'Union européenne, c'est aussi son devoir ! Pour les députés socialistes, il n'y a pas et il n'y aura de paix ni de sécurité sur le continent européen si l'Europe ne peut garantir à tous ses habitants un niveau de vie comparable. Il n'y aura pas de paix durable, il n'y aura pas de dépassement de haines nationales si perdurent des inégalités fondamentales de destin. Il est évident que le document de paix, pour important qu'il soit, doit être complété dans ses détails et accompagné de cet effort fraternel.

L'ampleur des problèmes posés par le million de réfugiés vivant dans de telles conditions de précarité matérielle et morale ne peut s'accommoder de tergiversations.

C'est pourquoi nous comprendrions mal des atermoiements du côté yougoslave, c'est-à-dire, en clair, du côté du gouvernement serbe.

Les calculs des chancelleries doivent s'effacer devant la juste appréciation des désespoirs et des détresses. Le jeu diplomatique a ses limites : elles se situent au juste point où l'appréciation du rang et du calcul s'incline face à la dignité que l'on doit redonner aux victimes de la barbarie. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

A l'inverse de ce qui n'a pas été fait en Bosnie, l'Europe a su prendre ses responsabilités. En même temps que se révélait cette volonté d'agir, il est clairement apparu que, sans les Etats-Unis, cette prise de conscience était sans armes. Il faut avoir le courage de le dire, mes chers collègues.

C'est justement pourquoi il faut se féliciter des décisions du dernier sommet de Cologne qui marquent un tournant décisif : l'Europe a pris l'engagement de se doter d'un mécanisme de décision en matière de politique extérieure et de réunir ses forces militaires dans une défense commune. En un mot, elle a pris la résolution - enfin ! de constituer les instruments de sa responsabilité.

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, dans un contexte difficile, notre pays a su, avec les autres puissances européennes, faire preuve d'une détermination sans faille. Le Gouvernement, appuyé sur sa majorité parlementaire, compris et soutenu par l'immense majorité de l'opinion publique, s'est montré digne de l'exigence fondatrice de notre République, celle de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen qui a - faut-il le rappeler ? - valeur universelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Pour le groupe du Rassemblement pour la République, la parole est à M. Didier Quentin.

M. Didier Quentin.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, comme l'a annoncé M. le Président de la République à Cologne, le 3 juin, un véritable espoir de paix est né. Cet espoir s'est renforcé avec l'annonce faite au début de cette séance d'un accord sur la chronologie d'un retour à la paix dans la résolution qui va être soumise au Conseil de sécurité. Le droit et la dignité humaine sont en passe de l'emporter.

On voudrait maintenant accélérer le temps et que la paix, à peine entrevue, soit déjà une réalité, que le drame des Kosovars prenne fin, que les Serbes réapprennent à vivre et à se réconcilier avec les autres peuples. Mais, comme on le voit depuis quelques jours, il est long de finir une guerre et, plus encore de construire la paix.

De nombreux points importants restent à régler : le temps effectivement nécessaire au retrait de l'armée serbe, la latitude de manoeuvre laissée à l'UCK, l'armée de libération kosovare. Des questions capitales doivent aussi trouver une réponse : la place des Russes au sein de la force internationale de maintien de la paix, le déploiement de cette force dès le début de l'évacuation des Serbes pour ne pas laisser un vide dangereux pour les civils, le délai nécesssaire au retour des personnes déplacées, si cruellement éprouvées.

Rien n'aurait été possible sans l'action déterminée, persévérante et convergente des Européens, des Américains et de la Russie. Ce qui va à l'encontre d'une idée, malheureusement trop souvent reçue, d'une soumission des Européens aux Américains.

De bout en bout, l'Europe aura joué un rôle politique moteur. La France et la Grande-Bretagne d'abord, mais aussi l'Allemagne et l'Italie, ont été des acteurs clés.

La responsabilité de l'Europe et de notre pays est aujourd'hui immense, à la mesure de la décision historique prise le 24 mars 1999, à dix-huit heures cinquante, en engageant les forces de l'OTAN dans des opérations aériennes en République fédérale de Yougoslavie, pour bien signifier qu'on ne pouvait plus tolérer le nettoyage ethnique engagé par Milosevic au Kosovo.

M. Patrick Ollier.

Très bien !

M. Didier Quentin.

C'est sans doute ce 24 mars que le véritable espoir de paix est né, quand les démocraties occidentales ont décidé que la barbarie ne passerait pas.

L'Europe ne pouvait pas accepter et n'a pas accepté que, sur son sol, les pires atrocités de ce siècle puissent se reproduire à l'orée du troisième millénaire. L'on peut d'ailleurs être anxieux en pensant à tout ce que l'on va découvrir dans les prochaines semaines. L'Europe ne pouvait pas accepter non plus que, par un engrenage déjà maintes fois éprouvé dans les guerres balkaniques, tout le continent soit entraîné dans la guerre.

Dans le concert des nations, la France n'a pas manqué à son devoir. Son engagement, décidé par le Président de la République et mis en oeuvre par le Gouvernement, selon le texte et l'esprit de nos institutions, est conforme à nos valeurs fondamentales et à une certaine idée de l'homme qui est au coeur de notre projet européen.


page précédente page 05487page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

Il importe de rappeler que les Occidentaux, en particulier la France, avaient tout mis en oeuvre pour trouver une solution pacifique. Dès le mois de mars 1998, le groupe de contact sur la Yougoslavie, comprenant la France, la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Allemagne et les

Etats-Unis, s'était saisi de la crise du Kosovo. Pourtant, malgré des mises en garde de plus en plus pressantes, le régime serbe n'avait fait qu'accentuer sa répression criminelle.

Toutes les voies non militaires ont donc été explorées en vain, jusqu'à la relance globale du processus diplomatique à Rambouillet que le régime de Belgrade fit malheureusement échouer. Nous étions alors face à nos resp onsabilités. Notre crédibilité était en jeu.

Courageusement, la France, sous l'impulsion du Président de la République, en liaison permanente avec les autres chefs d'Etat et de gouvernement responsables, a fait le choix de la fermeté, sans jamais fermer la porte de la négociation.

Il avait été bien dit à de nombreuses reprises, par le Président Chirac lui-même, et aussi dans cet hémicycle, qu'il faudrait, dans cette affaire, du temps et de la détermination. La tournure prise par les événements depuis quelques jours est venue désavouer tous ceux et toutes celles qui contestaient le cap fixé par le Président de la République. Et Dieu sait s'ils étaient nombreux à faire preuve de doute et d'un scepticisme confinant parfois au défaitisme.

Ces voix de Cassandre n'étaient pas seulement celles d'intellectuels...

M. Jacques Fleury.

Pasqua !

M. Didier Quentin.

... ou de soi-disant géopoliticienne de retour de Belgrade ; elles se faisaient entendre jusques et y compris sur certains bancs de la majorité plurielle.

(« Eh oui ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Claude Lefort.

Tout à fait !

M. Jacques Fleury.

Pasqua ! Villiers !

M. Didier Quentin.

L'acceptation du plan de MM. Tchernomyrdine et Ahtisaari est un grand soulagement et une victoire pour tous ceux qui croient à la fermeté, aux démocraties, à l'Europe. C'est la réussite d'une ligne de fermeté qui a fait reculer le dernier dictateur stalinien d'Europe.

M. Arthur Dehaine.

Eh oui !

M. Didier Quentin.

Cette victoire ne pouvait être éclatante, car il y aurait eu, dans l'hypothèse d'une guerre, éclair ou massive, un bilan en vies humaines, civiles ou militaires, beaucoup plus lourd que l'actuel décompte, déjà insupportable.

Cette guerre n'a pas été livrée contre un peuple, mais contre un dictateur et un régime responsable de violation des droits de l'homme. A cet égard, l'inculpation de Milosevic par le Tribunal pénal international, quoi qu'en aient dit certains, aura eu un effet bénéfique.

Il faut également souligner le mérite de notre diplomatie d'avoir réintroduit la Russie dans le processus de paix et, par là-même, le Conseil de sécurité des Nations unies.

Le Président Chirac n'a pas fait son voyage à Moscou,

« pour rien », comme certains avaient cru pouvoir ironiser. (« Eh oui ! » sur les mêmes bancs.)

Vendredi dernier, lors de sa conférence de presse, il a souhaité, à juste titre, « que la concertation avec la Russie puisse se prolonger et que la Russie puisse, comme aujourd'hui, prendre demain toute sa part à l'élaboration des modalités d'application de la solution de paix et de l'accord de paix ».

M. Pierre Albertini.

Il n'était pas le seul !

M. Didier Quentin.

Pour l'avenir du Kosovo, le groupe RPR sera attaché à une solution respectueuse de l'histoire et du droit. Ce sont les deux mots clés. Ils évoquent à la fois les droits humains des Kosovars et les droits historiques des Serbes dans cette région, berceau de leur nation.

Dans cet esprit, il faut se féliciter que, lors du sommet de Cologne, les chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze aient confirmé leur volonté de participer à la reconstruction de la région et de jouer un rôle de premier plan au Kosovo.

Il sera sans doute nécessaire, comme l'a suggéré la France, dans le cadre de la solution politique, d'installer une véritable administration provisoire de la province qui pourrait être dirigée par l'Union européenne. Il serait également souhaitable de mettre sur pied, avant l'été, une agence chargée d'organiser les programmes de reconstruction.

Les réfugiés du Kosovo devront être réinstallés dans leur pays, dans leurs droits, dans leur dignité et les diverses organisations internationales auront à guérir peu à peu cette honteuse blessure au flanc de l'Europe.

Toutefois, nous devons aussi songer aux civils serbes. Il convient de ne pas abondonner cette nation, fière et patriote, qui a été trahie par ses dirigeants et ruinée par une politique criminelle. Rien ne serait pire que d'abandonner les Serbes à leur désarroi en les diabolisant et en leur faisant payer les crimes de Milosevic. (Applaudissement sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Il faudra leur tendre la main car c'est aussi la Serbie qu'il s'agira de reconstruire et de réintégrer dans la famille européenne.

Par ailleurs, l'Union européenne devra affiner la préparation du pacte de stabilité pour l'Europe du sud-est qui concernera une dizaine de pays, de la Croatie à la Turquie, et dont l'évaluation budgétaire est menée sous la houlette commune de l'Union et de la Banque mondiale.

Ce pacte devrait reprendre un modèle déjà utilisé pour les pays d'Europe centrale et orientale, et viser à l'établissement de relations de bon voisinage entre les pays des Balkans. Le désarmement, la démocratisation, le respect des minorités, seraient ainsi accompagnés par une aide importante à la reconstruction et au développement.

L ongtemps considérée comme un nain politique, l'Europe s'est donc affirmée dans la crise du Kosovo. De bout en bout, elle aura joué un rôle politique moteur, sans oublier, bien sûr, son rôle humanitaire. Mais, entre temps, il a fallu la guerre. Or la guerre, même si je tiens à saluer le courage de nos soldats et de nos officiers, ceux qui ont participé aux opérations d'hier comme les 7 000 qui feront partie de la KFOR demain, a été avant tout l'affaire des Américains, pour la bonne raison qu'ils étaient les seuls à en avoir véritablement les moyens.

M. Richard Cazenave.

Voilà le problème !

M. Didier Quentin.

Dès l'instant que l'on choisissait l'option aérienne, les Etats-Unis possédaient seuls la variété et le nombre d'appareils requis. Sur le millier d'appareils mobilisés, plus de 800 étaient américains, la France ayant ensuite fourni la plus grande participation européenne, avec plus de 100 avions.


page précédente page 05488page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

L a leçon est simple : l'Europe politique restera incomplète sans une identité européenne de défense.

M. Guy-Michel Chauveau.

Eh oui !

M. Pierre Lellouche.

Et sans moyens de défense !

M. Didier Quentin.

A cet égard, le groupe RPR se félicite que les Quinze réunis à Cologne aient donné officiellement naissance à l'Europe de la défense, en convenant que l'Europe doit disposer « d'une capacité d'action autonome soutenue par des forces armées crédibles ». Il f audra, bien évidemment, s'en donner les moyens.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Claude Lefort.

M. Myard approuve-t-il cela ?

M. Richard Cazenave.

Telle est la réalité !

M. Didier Quentin.

Après la déclaration franco-britannique de Saint-Malo et les initiatives franco-allemandes de Toulouse, cela constitue une nouvelle étape très positive.

Les nominations de Javier Solana en qualité de M. PESC et de Pierre de Boissieu comme adjoint, représentent également un progrès dans l'organisation d'une défense commune à laquelle on sait que les Gaullistes sont très attachés depuis la présentation du plan Fouchet de 1961. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Pierre Albertin.

C'est plus discutable !

M. Jean-Pierre Lefort.

D'ailleurs il n'y a pas d'applaudissements !

M. Didier Quentin.

Ce conflit aura aussi consacré le droit d'ingérence au nom des droits de l'homme qui est l'une des contributions de notre pays à l'évolution des relations internationales.

Cependant le devoir de s'ingérer devra obéir à des règles qu'il appartiendra à la communauté internationale de définir, comme il lui reviendra de répondre aux grandes questions qui en découlent : comment rédiger juridiquement ce devoir d'ingérence pour l'établir en droit ? Quelle loi suprême, quelles autorités déciderontelles d'arrêter les massacres que l'on déplore trop souvent avec bonne conscience, mais sans réaction ? Comment éviter que l'ingérence dans les affaires des Etats, légitimée par la défense des droits de l'homme, ne conduise à une déstabilisation ou à un éclatement de la communauté mondiale ? Des réponses à toutes ces questions posées par le conflit du Kosovo dépendra sans doute, en partie, l'avenir du prochain siècle pour lequel le groupe RPR appelle de ses voeux un rôle toujours plus grand des Nations unies dans la prévention et le règlement des conflits.

Dans la longue histoire des guerres, ce conflit du Kosovo occupera sans doute une place remarquable, car il apparaîtra comme la première guerre de légitime défense des droits de l'homme. C'est pourquoi il devait absolument être gagné. Il marquera ainsi une date essentielle dans le combat pour nos valeurs et pour la démocratie contre la barbarie. Comme l'a dit le Président de la République : « Désormais, sur notre continent, chacun aura compris que ne seront plus tolérées des politiques racistes, des pratiques de purification ethnique qui faisaient honte à notre conscience et à notre mémoire ».

S'il est vrai, comme l'a écrit, Paulhan, que « la France, c'est partout où l'on ne se résigne pas », je crois, monsieur le Premier ministre, au nom du groupe RPR, que la représentation nationale peut être fière que notre pays ne se soit pas résigné et qu'il ait été à la pointe du combat contre la barbarie et pour la dignité humaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Pour le groupe Radical, Citoyen et Vert, la parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, je parle ici au nom des députés Verts.

Il nous a fallu choisir et nous avons choisi. Il nous a fallu opérer un choix tragique entre deux valeurs devenues, par la faute de Milosevic, inconciliables : la nonviolence et les droits humains.

L a non-violence, nous sommes fondamentalement convaincus de son bien-fondé. C'est pourquoi nous avons soutenu, dès le début, les démarches de résistance d'Ibrahim Rugova, ici même, l'an dernier, à une époque où aucun gouvernement occidental n'était disposé à le recevoir. Dans le même temps, notre attachement, également fondamental, aux droits des minorités et aux droits humains nous interdit de rester passifs face à la résurgence, en plein coeur de l'Europe, d'une dictature sanguinaire et raciste.

Un point de non-retour a été atteint : comment pactiser avec l'ultra-nationaliste Milosevic, inculpé de crimes contre l'humanité par le TPI, sans tomber dans un compromis aux relents munichois ? En même temps, l'escalade de la guerre, telle que menée par l'OTAN, nous révulse. Personne ne peut souhaiter transformer Belgrade en Dresde ; mais personne qui, non plus, ne peut se cantonner dans un angélisme qui, sur la base d'incantation au conditionnel passé ou d'un négationnisme en temps réel, aurait pour conséquence indirecte d'entériner la perpétuation de massacres et de pogroms.

Nous avons donc été déchirés car rien de ce présent de la guerre ne nous satisfait, ni la pluie de bombes avec son cortège de désastres humains et écologiques, de tragédies intimes jamais rapportées par les médias et de traumatismes infligés aux mémoires du futur ; ni la vertigineuse inadéquation entre les fins et les moyens puisque nous pensons qu'il fallait, depuis longtemps, agir au plus près des plus faibles, c'est-à-dire à terre, au Kosovo même.

Nous nous méfions aussi de ce manichéisme de propagande qui tendrait à faire apparaître tous les Serbes comme des méchants face à la puissance du bien avec, dans le rôle principal, les escadrons de l'OTAN sous commandement « étatsunien », ce même manichéisme que les Etats-Unis avaient fait jouer pendant la guerre contre l'Irak que nous avions fermement condamnée.

M. Christian Cuvilliez.

A la Grenade aussi !

M. Yves Cochet.

Ce manichéisme de la pensée fruste fait toujours écrire l'histoire par les vainqueurs.

Ainsi, l'enjeu, pour nous, n'est pas seulement que l'OTAN soit le vainqueur de cette guerre. Nous approuvons une intervention dans la mesure où il s'agit de défendre une minorité et des principes universels, de protéger les Kosovars et les Serbes eux-mêmes, d'instaurer une paix durable et juste dans les Balkans. A cet égard, nous rappelons la phrase de Gandhi : « Je n'hésite pas à dire que là où le choix réside entre la lâcheté et la violence, il faut se décider pour la violence. »


page précédente page 05489page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

Il se trouve que ces grands principes sont directement visés par la réalité historique des Balkans et que nous constatons, depuis dix ans maintenant, que le rêve milosevien d'une grande Serbie, au nom tantôt de l'histoire des vainqueurs tantôt de la revanche des vaincus, a eu pour traduction concrète, atrocement objective, la mort violente de plus de 200 000 personnes et la déportation de plus de deux millions d'hommes, de femmes et d'enfants.

Sans doute, dans les Balkans, l'histoire se répète-t-elle depuis trop longtemps. Sans doute aussi ne somme-nous pas tous contemporains, n'évoluons-nous pas tous au même rythme. Nos pays aussi ont connu l'avatar nationaliste et sont encore traversés, ici ou là, de réflexes archaïque, parfois délétères, qui ne les autorisent pas à se poser en donneurs de leçons.

Toutefois, la violence de la régression historique orchestrée par Milosevic et son régime est tellement absolue, systématique, suicidaire qu'il est impossible de la relativiser à l'aune de quelque considérant historique que ce soit.

Bien au contraire, la récurrence des exactions pratiquées par ce régime depuis dix ans a pris l'allure d'une

« épuration ethnique » délibérée, planifiée, organisée. Cet innommable s'est tragiquement banalisé, tant dans le vocabulaire médiatique que dans les faits mêmes, et ce, à la base, au nom d'une mythologie moyenâgeuse et fantasmatique, aux antipodes d'une conscience européenne qu'on voudrait éclairée, enfin, par les leçons du passé, conscience dont personne pour autant n'a jamais le monopole.

Sans remonter à la bataille du Champ des merles, nous constatons que tout a commencé au Kosovo.

Dès 1981, un an après la mort de Tito, les Albanais demandaient l'égalité des droits en Yougoslavie, c'est-àdire la constitution d'une République autonome, au même titre que le Monténégro ou la Macédoine. De nombreux étudiants étaient arrêtés et tués. En 1988, plus de 6 000 Serbes et Monténégrins résidant au Kosovo protestaient massivement contre le harcèlement des Kosovars albanais. En 1989, Milosevic abolissait l'autonomie du Kosovo et privait de ses droits l'immense majorité de la population. Stigmatisant la résistance albanaise il s'appuyait sur les courants ultranationalistes serbes pour prendre le pouvoir.

En février 1990, la Serbie envoyait des troupes, des chars, des avions et 2 000 policiers au Kosovo et dissolvait l'assemblée kosovare, dans un contexte de violence redoublée, tandis qu'en Bosnie les premiers massacres avaient pour but de détruire la mixité d'une société.

Au Kosovo, les purificateurs ethniques se heurtaient à une majorité albanaise soudée pendant dix ans dans la résistance non violente incarnée par Ibrahim Rugova.

En 1992, Rugova était élu président de la République autoproclamée du Kosovo. Mais cette résistance exemplaire n'a pas bénéficié du soutien international ; le Kosovo a été oublié lors des accords de Dayton qui, à l'automne 1995, ont mis fin aux combats en Bosnie.

La situation s'est dégradée, surtout après la violente répression qui s'abattit sur la jeunesse albanaise en septembre 1997 alors qu'elle manifestait pacifiquement pour demander la mise en oeuvre de l'accord sur les universités.

Pour beaucoup de Kosovars, cet acte a marqué la fin de l a résistance passive : en février 1998, la guerre commença. Ce furent le début des offensives serbes et la résistance de l'Armée de libération du Kosovo, UCK.

Attentats, morts dans les raids de police, manifestations contre la violence se succèdent. L'exode forcé commence.

L es pressions européennes et surtout américaines conduisent Milosevic à feindre d'accepter les négociations à Rambouillet sur le retour de l'autonomie du Kosovo.

Mais dans le même temps, il masse ses troupes dans la province.

En août 1998, la résolution 1199 de l'ONU exige de Belgrade un cessez-le-feu imméditat, le retrait de ses forces, un dialogue politique avec les Kosovars et le retour des réfugiés.

En septembre 1998, l'OTAN lance un ultimatum à Milosevic : stopper la violence ou subir les frappes aériennes. En octobre, la résolution 1203 du Conseil de sécurité exige que Belgrade se soumette aux demandes des Nations unies énoncées dans la résolution 1199. Pressions et navettes diplomatiques de Richard Holbrook finissent par aboutir à la mission de vérification par l'OSCE du retrait des forces serbes, autorisée par le Conseil de sécurité. Quelques semaines après le massacre de Raçak, s'ouvre, en février, la conférence de Rambouillet. On connaît la suite avec, le 23 mars, le début des bombardements de l'OTAN. Kofi Annan déclare alors légitime le recours à la force. Nous aussi.

A l'évidence, le recours à la force contre Milosevic fut légitime ; cela ne signifie pas pour autant que la tactique suivie, les bombardements ne posent pas de problèmes.

Pour commencer, c'est une opération de l'OTAN et non de l'ONU. A ce propos, monsieur le Premier ministre, j'estime que M. Solana n'avait pas vocation d'incarner la PESC. Il ne revient pas à une machine de guerre d'inaugurer la politique européenne de sécurité commune.

Ensuite, les Etats-Unis n'ont pas à jouer le rôle de gendarme du monde ni à utiliser une stratégie de guerre pour s'imposer à plus long terme dans d'autres opérations, notamment commerciales, dans lesquelles, au nom de leur hégémonie militaire, ils pourraient être encore plus tentés de faire prévaloir leur vision ultralibérale et unilatérale du commerce. En aucun cas la puissance militaire ne saurait tenir lieu de légitimité.

M. Jean-Pierre Blazy.

Très bien !

M. Yves Cochet.

Autre sujet de critique, de malaise majeur : la méthode qui consiste à affaiblir la Serbie par les bombardements de longue durée en restant le plus loin possible du terrain ne protège pas les principales victimes, en l'occurrence les Albanais du Kosovo. Pis, ces bombardements et ces vagues de réfugiés contribuent à déstabiliser les pays voisins, Macédoine, Albanie, BosnieHerzégovine où la paix, nous le savons tous, reste fragile, et plus largement toute la région, jusqu'à la Russie.

Pendant dix ans de guerre yougoslave, les Européens ont toujours fait la même erreur : ne pas soutenir sérieusement les démocrates sur le terrain, ne voir, tantôt comme interlocuteurs, tantôt comme adversaires, que les ultra-nationalistes, à commencer par Milosevic, et ne déterminer leur stratégie qu'en fonction des actes de ces criminels.

Les Verts, comme d'autres, ont crié en vain sur l'urgence à soutenir Rugova au Kosovo. On y pense seulement maintenant, alors que sa représentativité aux yeux des Kosovars semble affaiblie.

Nous critiquons l'OTAN et sa tactique, mais cette critique n'est recevable que pour autant que nous prenions nos responsabilités en affirmant la légitimité de la lutte contre Milosevic, contre l'idéologie qu'il incarne et en mettant en pratique une réelle solidarité avec ceux qui


page précédente page 05490page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

résistent. Car il ne suffit pas d'exprimer des regrets au conditionnel passé, forme d'irréel du présent face à l'irregardable ; il faut assumer notre responsabilité à tous, puisque tous nous sommes unis par une conscience européenne. Que devons-nous faire aujourd'hui ? Première proposition : s'il faut employer la force, celle-ci doit s'exercer directement, de manière ciblée et proportionnée, contre les tueurs et non à quelques centaines de kilomètres des lieux des crimes, sur les ponts du Danube ou les centrales électriques de Novi Sad, avec les catastrophes écologiques et sociales que ces destructions entraînent et leur cortège d'humiliations.

Deuxième proposition, il faut soutenir ceux qui, là-bas, s'opposent à Milosevic : le gouvernement du Monténégro, les forces démocratiques serbes coincées entre la répression et les bombardements de l'OTAN, les déserteurs qu'il faut encourager au lieu de leur refuser des visas. En clair, cela veut dire aussi que Milosevic ne peut plus être considéré comme un interlocuteur.

Troisième proposition, nous avons le devoir d'aider les Albanais du Kosovo à faire entendre leur voix. Ils se voient aujourd'hui réduits au statut de victimes, quand ils ne sont pas approchés comme des bêtes pestiférées dans les avions macédoniens où des hôtesses gantées de caoutchouc ajoutent l'humiliation du dégoût au drame de l'exil, ou quand les douaniers français les bloquent pendant des semaines dans les hangars de rétention de la zone d'embarquement du port de Calais ; au mieux, ils ont droit au cliché du guérillo historique de l'UCK. Ces hommes et ces femmes privés de leur identité, ces sanspapiers absolus, nous devons les aider à exister là où ils sont aujourd'hui, dans les camps, dans l'émigration ; nous devons les aider à s'organiser, avec leurs mouvements, leurs journaux, leurs associations, leurs écoles, à communiquer entre eux, à pouvoir circuler.

Au-delà de la nécessaire aide humanitaire, cette solidarité politique avec les Albanais du Kosovo, avec les démocrates serbes et monténégrins, est la meilleure manière de lutter contre l'horreur de la purification ethnique de Milosevic et de son allié Seselj, l'ami serbe du Front national ; c'est la meilleure manière de préparer la paix demain, sinon aujourd'hui, comme je l'espère. Une telle solidarité peut s'exprimer de manière très concrète, à l'échelle de chacun d'entre nous, en aidant matériellement des associations qui travaillent avec les démocrates serbes et les Albanais du Kosovo. La réinstallation des Kosovars chez eux est, évidemment, le seul objectif possible. Le jour viendra, peut-être dès demain matin, où, les armes s'étant tues, ces populations auront besoin d'un soutien concret, d'une solidarité structurée dans l'aide à la reconstruction, à leur réinstallation dans leurs villages, dans leurs maisons. C'est le sens des démarches de jumelage entre une ville ou un village du Kosovo et une ville ou un village de France que nous avons déjà engagées pour permettre dès à présent d'organiser une aide future.

Dans l'immédiat, il faut garantir le retour de tous les Kosovars au Kosovo.

Passons maintenant du local au global. La tournure prise par l'intervention de l'OTAN, sous la forme exclusive de bombardements et sous couvert des Etats-Unis, nous conduit à réaffirmer notre volonté de rompre avec l'hégémonie américaine, qu'elle soit du reste militaire, économique ou culturelle - tout cela va ensemble. Nous l'affirmons dans notre volonté pour l'Europe : cela passe d'abord par une profonde redéfinition de l'actuelle politique étrangère et de sécurité commune, la PESC. Or, à ce jour, ce n'est encore qu'une simple coopération intergouvernementale : chaque pays conserve des points de vue stratégiques différents en fonction de ses intérêts, et la politique de défense est en général confisquée par les exécutifs, voire par une partie de l'exécutif. Il est temps que l'Europe fasse preuve d'unité pour reconstruire les Balkans ; de même, les Balkans devront être intégrés à un espace politique européen s'affirmant comme un sanctuaire démocratique.

La reconstruction des Balkans devra en conséquence se faire sous l'égide de l'Europe. Nous préférerons un plan Prodi à un plan Marshall, et la mise en oeuvre de ce plan devra être conditionnée à une exigence d'abord politique : celle de l'instauration de la démocratie en Serbie même.

Pour les Verts, le concept de la sécurité des peuples doit être appréhendé dans un sens large, à même de prendre en compte ses aspects humains, sociaux, environnementaux, démocratiques et économiques. La paix ne saurait se résumer à l'absence de guerre ou à la gestion des conflits. La sécurité commune doit être organisée en reposant sur des relations plus justes entre les peuples.

Elle doit être garantie par un service civil de paix européen formé à la médiation stratégique.

Cette politique européenne de la sécurité commune suppose à terme un strict contrôle parlementaire des exportations d'armes et un débat européen sur les industries d'armements qui se nourrissent des débouchés guerriers qu'elles contribuent à perpétuer. Il est temps de démilitariser les consciences et les comportements, et de donner à l'enseignement les moyens d'intégrer une véritable éducation à la paix, à la non-violence, à la prévention des conflits et à la médiation.

La priorité doit être donnée, je le disais il y a quelques instants, aux mouvements démocratiques dans les pays totalitaires. En cas de conflit, la protection des populations civiles non armées par une force d'intervention au sol internationale est prioritaire. En l'occurrence, la couverture de l'OSCE - OTAN plus Europe de l'Est, Russie comprise - serait plus effective que celle de l'ONU qui a légalisé la guerre du Golfe mais livré Srebrenica au génocide ; de même, l'OSCE serait un cadre plus approprié pour une future conférence balkanique.

En Yougoslavie, la stratégie de l'OTAN a fait, dès le début, l'impasse sur cet impératif d'intervention terrestre.

De ce fait, les frappes sont apparues comme une punition infligée à tous les Serbes, alors qu'il s'agissait de mettre le régime de Milosevic hors d'état de nuire tout en protégeant la population kosovare exposée aux crimes des milices serbes.

Nous approuvons les démarches en cours à l'ONU, au G 8 et à Bonn où ont été préconisés, simultanément, l'adoption d'une résolution au Conseil de sécurité de l'ONU, le retrait vérifiable des forces serbes, la trêve des bombardements et la mise en place d'une force de police internationale associant notamment la Russie.

Enfin, parce que le modèle de l'Etat-nation se révèle parfois une sanglante impasse dans une région où tant de peuples sont entremêlés, parce que tant de crimes ont été commis au nom de ce modèle qui conduit à nier toute existence aux peuples sans Etat - Kosovars, Palestiniens, Kurdes, Tibétains, Tsiganes et bien d'autres -, d'autres solutions devront être trouvées pour permettre demain la réconciliation des peuples et la coexistence multiculturelle. Il ne devra plus être possible de rééditer une politique du deux poids deux mesures qui entérine d'un côté l'intervention de l'OTAN au Kosovo, mais laisse persécuter de l'autre la minorité kurde - ce n'est qu'une xemple. Si la Turquie prétend rester membre de l'OTAN alors que celle-ci intervient au Kosovo, elle doit


page précédente page 05491page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

accepter de reconnaître les droits de ses propres minorités. Bref, la conférence de paix que nous appelons tous de nos voeux, la conférence de paix dans les Balkans n'aura de chance de réussite que pour autant qu'elle sera accompagnée de son parallèle civil, économique et écologique, social et culturel.

(Mme Nicole Catala remplace M. Laurent Fabius au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme NICOLE CATALA,

vice-présidente

Mme la présidente.

La parole est à M. Dominique Baudis, pour le groupe de l'Union pour la démocratie française.

M. Dominique Baudis.

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs et monsieur les ministres, chers collègues, l'accord donné vendredi dernier par les autorités yougoslaves au plan de paix présenté par l'Union européenne a immédiatement soulevé un immense espoir. Le règlement du conflit paraissait tout proche ; mais on s'est vite aperçu que la plus grande prudence restait de rigueur face aux revirements de Milosevic, face à ses promesses non tenues et face aux hésitations des militaires yougoslaves à accepter le plan de retrait de leurs forces du Kosovo.

Ce conflit n'est pas fini : ce serait sans doute une erreur stratégique et politique de croire le contraire. Mais nous sentons bien, et les dernières informations le confirment, que nous arrivons à un tournant. Après deux mois et demi de frappes aériennes, de déportations massives de populations fuyant les atrocités, on distingue enfin les signes d'une sortie de crise. La fermeté manifestée par les Occidentaux et leurs efforts diplomatiques incessants ont permis d'aboutir à un projet d'accord. Au milieu des incertitudes qui prévalent toujours, il devient permis de tirer aujourd'hui quelques conclusions pour l'avenir.

Première conclusion : la stratégie de l'OTAN, fondée sur la diplomatie et les frappes, était la bonne, à condition qu'on s'y tienne, envers et contre tous ceux qui réclamaient un changement de stratégie. Nos démocraties ont montré qu'elles savaient s'engager ensemble pour la défense de valeurs universelles et pour le respect des droits de la personne humaine sur notre continent. Dans ce cadre, le groupe de l'UDF a soutenu avec détermination, clarté et conviction, la diplomatie française et la ligne adoptée dès le début du conflit...

M. François Sauvadet.

Tout à fait !

M. Dominique Baudis.

... alors que d'autres partis politiques appartenant à la majorité affichaient leurs états d'âme ou annonçaient même à cette tribune qu'ils feraient défection si un vote de notre assemblée devait avoir lieu. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Arthur Dehaine.

C'est malheureusement vrai !

M. Dominique Baudis.

Deuxième conclusion : nous avons assisté durant cette crise à l'émergence, à la naissance d'une politique commune de l'Union européenne.

C'est le représentant de l'Union européenne qui est allé discuter les points de l'accord avec les Russes et qui l'a ensuite présenté aux autorités serbes. Pour la première fois, l'Europe a su agir avec détermination pour la défense de valeurs communes. Cette évolution doit, à nos yeux, préfiguer une véritable politique étrangère européenne commune. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur quelques groupe du Rassemblement pour la République.)

Mais en même temps, la crise du Kosovo a révélé la faiblesse de l'Europe dans les domaines de la défense et la sécurité. Sur le plan militaire, elle est principalement restée l'affaire des Américains. Cette faiblesse de l'Europe s'aggravera fatalement si nous ne réagissons pas. C'est la leçon que nous devons tirer de ce conflit. Le groupe UDF réclame depuis longtemps une communauté européenne de défense comprenant des moyens d'observation, un armement, la mise en commun des forces et l'intégration des commandements.

Troisième conclusion : la France a joué un rôle majeur.

Elle a su réintroduire, comme elle le voulait, comme nous le souhaitions, la Russie et les Nations unies dans la recherche d'une solution de paix. Le Président de la République a su incarner cette politique de fermeté de la France. Il a joué un rôle essentiel dans les efforts diplomatiques, avec le Gouvernement.

M. Pierre Forgues.

Et le Premier ministre ?

M. Dominique Baudis.

Je l'inclus évidemment lorsque je parle du Gouvernement...

M. Maurice Leroy.

Ils n'en sont pas persuadés !

M. Dominique Baudis.

Le groupe UDF se félicite à cet égard que, dans un moment aussi dramatique, la France ait su faire preuve d'unité derrière le chef de l'Etat, audelà des divergences politiques. L'intérêt national a primé ; c'était l'essentiel, même si cela a échappé à certains. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Dans de telles circonstances, la cohésion et l'unité de la nation autour de l'Etat républicain et de son armée s'imposent. Cette unité a contribué au moral et à la confiance de nos soldats et a fondé notre crédibilité sur le plan international.

Je souhaite évidemment, à ce point de mon propos, rendre hommage aux forces françaises. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe socialiste.) Leur courage et leur dévouement vis-à-vis des populations réfugiées ont été exemplaires ; grâce à nos soldats, la France a pu pleinement tenir sa place sur la scène internationale.

La paix tient maintenant à l'élaboration d'une chronologie, d'un calendrier précis du retrait des forces serbes.

Le délai doit être le plus bref possible. Chacun le sait, Milosevic pourrait masquer les exactions commises par les forces serbes et pratiquer une politique de la terre brûlée lors de leur départ. Il faut donc que les forces de paix occupent le plus rapidement possible les positions ; tout retard peut relancer la guerre civile.

Plusieurs risques immédiats nous guettent sur lesquels, monsieur le Premier ministre, je voudrais vous interroger.

Le premier est celui de la partition du Kosovo. Quelle sera la configuration de la force de sécurité ? Des zones précises d'occupation seront-elles attribuées en fonction de la nationalité des contingents, comme on pouvait le comprendre à partir de votre propos tout à l'heure ? Y aura-t-il donc une zone contrôlée par les Russes ? Il faut éviter que cette répartition en zones attribuées à différents contingents ne préfigure une partition ultérieure du Kosovo, comme les zones d'occupation en Allemagne, en


page précédente page 05492page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

1945, ont déterminé la division du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

Vous avez indiqué le format des forces militaires qui seront envoyées par la France au Kosovo : combien d'hommes et quels matériels. Mais il s'agira, sans aucun doute, d'une mission de très longue haleine. Quels seront la capacité et le ryhtme de renouvellement de ces forces ? Quels dispositifs logistique et humanitaire prévoyezvous pour faire face à la situation, sans doute tragique, des populations qui sont restées à l'intérieur du Kosovo dans des conditions dramatiques ? Autre question : est-il possible, est-il concevable de faire revenir les réfugiés avant l'hiver ? Si ce n'est pas pos-s ible, la construction de camps en dur s'impose d'urgence : comment cette population fragilisée pourraitelle survivre à un hiver passé dans des régions très froides sous des villages de tentes ? L'UCK ne va-t-elle pas profiter des circonstances pour imposer son programme de grande Albanie ? Ses représentants à Rambouillet avaient accepté les accords notamment grâce à la promesse d'un référendum, d'ici à trois ans, sur le statut du Kosovo. Ce référendum ne figure pas, à ma connaissance en tout cas, dans le plan de paix.

Cela pourrait pousser l'UCK à ne pas rendre les armes et à régler ses comptes avec d'autres communautés. Quels seront nos moyens de pression pour la contraindre à déposer les armes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

C'est dire que nous devons être particulièrement exigeants pour une intervention rapide des troupes de l'OTAN afin de conjurer ces périls.

Le retour des réfugiés chez eux impose le déminage de la région. Or celui-ci est conditionné par la bonne volonté de l'armée serbe. L'accord prévoit, après le retrait, le retour d'un certain nombre d'unités militaires yougoslaves et serbes afin de localiser les champs de mines et de participer à leur suppression. Quels seront, là encore, nos moyens de pression et ceux de la communauté internationale ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Très bien !

M. Dominique Baudis.

Le plan de paix n'en parle pas.

Or c'est une question essentielle si l'on veut garantir aux réfugiés un retour chez eux en toute sécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Pour conclure cette intervention, je voudrais évoquer deux questions qui concernent le long terme mais qui me paraissent essentielles pour l'avenir de la région.

Tout d'abord, quel sera l'avenir politique du Kosovo ? Le plan de paix propose un processus politique qui garantira une autonomie substantielle pour la province, prenant en compte l'accord de Rambouillet, le principe d'intégrité territoriale des Etats et la démilitarisation de l'UCK.

Quel est l'avenir des différents acteurs politiques du Kosovo dans la perspective de la mise en place d'institutions autonomes ? Nous l'avons tous vu, ce conflit a exaspéré les tensions internes entre les Kosovars eux-mêmes.

Favoriser un accord entre les parties sera certainement une des tâches majeures des Occidentaux. Quel est sur ce point l'approche du Gouvernement français ? Ce conflit a également aggravé les haines et les rancoeurs et un constat s'impose à l'évidence : l'impossibilité de retourner au statut d'avant la guerre. La communauté internationale, liée par les accords d'Helsinki, ne peut soutenir pour autant les revendications indépendantistes du Kosovo. Elles sont contraires au principe du respect des frontières en Europe, et elles constitueraient un signal pour d'autres minorités, avec des risques immenses de déstabilisation générale.

Enfin, ma dernière question concerne l'avenir de cette région, non plus d'un point de vue politique mais économique. L'Europe a un rôle important à jouer dans la reconstruction des Balkans. Le président de la Commission européenne, M. Prodi, estime le coût de cette reconstruction entre cinq et six milliards par an pendant au moins cinq ans, soit l'équivalent de 2 % du PNB des pays de l'Union européenne.

L'accord de paix prévoit la mise en oeuvre d'un pacte sur la stabilité pour l'Europe du Sud-Est, avec un important volet économique. La stabilisation sur le long terme de ces pays nécessite une aide importante de la communauté internationale. La Commission européenne et la Banque mondiale viennent de mettre en place un secrétariat commun à Bruxelles pour gérer ce dossier et elles devraient tenir d'ici le mois prochain une conférence ministérielle sur la reconstruction.

Pour l'avenir, quelle sera la place de ces pays des Balkans ? A côté ou au sein de l'Union européenne ? Le pacte sur la stabilité leur offre la possibilité pour ces pays de conclure avec l'Europe des accords de stabilisation bilatéraux. C'est un processus qui prendra du temps mais qui est indispensable si nous voulons garantir durablement la paix sur notre continent.

Nous n'avons pas le droit d'oublier les pays voisins du Kosovo. Ils ont joué un rôle majeur dans cette crise, avec beaucoup de courage, soit en restant neutre, soit en soutenant l'intervention de l'OTAN et en accueillant chez eux un million de réfugiés, ce qui représente pour ces jeunes Etats, dont le revenu par habitant est très faible, une charge financière et humaine écrasante.

Le cas du Monténégro, qui a su, en dépit de son appartenance à la République fédérale de Yougoslavie, conserver sa neutralité, est à souligner. C'est pourquoi il me paraît indispensable d'être très vigilant face aux risques de déstabilisation.

Enfin, le dernier point que je souhaite évoquer, c'est celui de l'avenir de Slobodan Milosevic. Le 27 mai, le Tribunal pénal international annonçait l'inculpation du président yougoslave pour crimes contre l'humanité. Chacun avait bien senti qu'il s'agissait d'un tournant historique. Le président de notre groupe, Philippe DousteBlazy, avait souligné que c'était la première fois qu'un mandat international était lancé contre un chef d'Etat en exercice.

La force de sécurité au Kosovo aura-t-elle mandat pour arrêter des criminels de guerre présumés, recherchés par le Tribunal pénal international, comme c'est le cas de la SFOR en Bosnie ? En tout cas, et quelle que soit la réponse à cette question, notre groupe soutient la position de la France et des autres pays occidentaux pour lier l'aide à la reconstruction en Serbie au départ du président Milosevic. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

Il ne serait pas concevable que l'aide financière vienne renforcer et conforter un homme et un système nationalcommuniste qui sont depuis tant d'années les responsables de ce drame.

(« Eh oui ! » et applaudissements sur les


page précédente page 05493page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseA lliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme la présidente.

La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Jack Lang, président de la commission des affaires étrangères.

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la brièveté commande en cette fin de débat : je me bornerai à quelques mots.

Face à la dictature, une démocratie moderne est d'autant plus vigoureuse qu'elle parvient à mobiliser l'énergie populaire et à associer l'opinion par le libre débat de ses représentants. Même si certains d'entre nous ont pu regretter qu'en raison du sommet de Berlin le Parlement n'ait pas été appelé à se prononcer sur notre entrée dans le conflit...

M. Germain Gengenwin.

Eh oui !

M. Jack Lang, président de la commission des affaires étrangères.

... aujourd'hui chacun se félicite, monsieur le Premier ministre, de votre souci permanent, tout au long de cette période, de consultation et d'information de l'Assemblée.

Depuis dix ans, Milosevic nous a accoutumés à ses volte-face, ses ruses, ses trompe-l'oeil, suivis de réelles capitulations. Sa tactique imprévisible n'a empêché ni l'indépendance des républiques yougoslaves, ni la libération de la Krajina croate, ni la signature des accords de Dayton. Elle n'a eu d'autres résultats que de prolonger inutilement les souffrances de ses compatriotes et des peuples environnants et d'inspirer un sentiment profond de défiance aux pays occidentaux.

Les ultimes péripéties, sous la forme de manoeuvres dilatoires qui visent à retarder la paix tant attendue prouvent la justesse de notre stratégie : faire plier le régime de Belgrade, ne pas lâcher prise tant que les signes concrets d'application de l'accord de paix ne substituent pas clairement une logique de paix à une logique de guerre. Interrompre trop tôt les frappes aériennes, comme certains l'ont proposé, serait faire preuve d'un angélisme qui se retournerait contre la paix. Notre vigilance doit au contraire être mise en éveil en permanence, à chaque instant, minute par minute, heure par heure, jour après jour.

Ceux qui avaient douté de l'efficacité de notre action peuvent aujourd'hui constater...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Ils sont là-bas ! A gauche de l'hémicycle !

M. Jack Lang, président de la commission des affaires étrangères.

... qu'elle porte ses fruits.

L'adoption du plan de paix par le parlement serbe confirme que les coups que nous avons portés ont fait subir des dommages décisifs à l'appareil militaire serbe.

Elle a été accueillie avec soulagement par la population serbe qui mesure de plus en plus clairement les conséquences dramatiques de la politique suivie par ses autorités. Elle montre également que nous avons eu raison de parier sur une issue politique associant l'ONU et la Russie et que, contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là, l'inculpation de Milosevic n'a pas été un obstacle à cette solution.

Nous poursuivons un seul but : permettre aux Albanais du Kosovo de vivre paisiblement là où ils ont toujours vécu. Le territoire du Kosovo sera placé sous la protection d'une administration internationale et bénéficiera d'un régime d'autonomie. Aucun de ces objectifs ne pourra être atteint si les forces serbes demeurent sur place et si elles ne sont pas remplacées par des forces qui inspirent confiance aux Kosovars.

Chers collègues, la paix est à portée de la main. On le doit notamment, et je dirai d'abord, à l'Europe qui, en ces circonstances, aura bien défendu ses couleurs. Face à l'épreuve, une conscience européenne s'est forgée et les dirigeants de l'Union européenne ont été à la hauteur des événements. Chaque Etat aura consenti des sacrifices : naturellement, ceux qui ont été en première ligne dans le combat, mais aussi ceux qui - je veux le dire ici - telle la Grèce, avaient tout à redouter et ont fait preuve - le Premier ministre grec en particulier - d'un remarquable sens des responsabilités.

Les européens sont parvenus à définir une politique commune, leur analyses ont convergé et ils ont pesé comme il convenait au sein de l'Alliance atlantique, notamment en plaidant pour des frappes maîtrisées. Ils ont pris conscience aussi des failles de leur propre système d'armement qui les place dans une trop grande dépendance vis-à-vis des Américains.

La France, en participant pleinement aux opérations, aura sans doute convaincu ses alliés européens que sa volonté d'une plus grande autonomie par rapport aux

Etat-Unis n'est pas inspirée par des préjugés antiaméricains mais par la conviction que l'Europe doit, dans le domaine militaire, se doter des moyens de son indépendance. Beaucoup de chemin reste à parcourir pour construire une telle force au service des valeurs que l'Europe incarne.

Cette paix ne sera une paix juste que si nous sommes p rêts à consentir des efforts importants pour la reconstruction des Balkans. Aucune fatalité ne condamne ces peuples à se combattre éternellement. La démocratie et l'Union européenne sont de puissants antidotes contre les nationalismes qui empoisonnent les esprits. Si nous voulons que cette paix ne prépare pas une revanche, nous devons travailler au développement de la démocratie dans les Balkans et à leur complète association à l'édifice européen.

Cette première guerre de l'Europe unie doit nous inviter, ainsi que je l'exprimais à cette même tribune voici quelques semaines, à redessiner les contours de l'Union européenne et à amarrer à notre destin l'ensemble des pays des Balkans, y compris la Serbie.

La victoire ne doit pas être une victoire contre le peuple serbe mais une victoire des Serbes sur eux-mêmes et surtout contre leurs dirigeants. Le peuple serbe est un peuple frère, un peuple ami. Il a été blessé dans sa chair mais aussi dans son âme. Et nous avons le devoir de retisser les liens brisés ou distendus.

Je le redis avec force : sous le toit de notre maison commune l'Europe - la Serbie, je veux dire une Serbie libre, pluraliste et démocratique trouvera la place qui lui revient. A chacun d'entre nous de faire preuve d'imagination pour concevoir un statut original qui associerait cette Serbie libre à notre Union européenne.

Pour l'heure, nous devons veiller scrupuleusement à ce que, au sein même de la Yougoslavie, l'identité du Monténégro soit pleinement respectée. Cette république, ne l'oublions pas, a été, est un havre pour les opposants au régime de Milosevic. Certains de ses citoyens, et ils sont nombreux, craignent aujourd'hui sa vengeance.

La stratégie de paix de l'Union européenne doit inclure l'ensemble des Etats de la région qui, trop longtemps, il faut le dire, ont été abandonnés par l'Europe prospère. Je


page précédente page 05494page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

pense naturellement à deux Etats riverains du Kosovo, aujourd'hui en danger : l'Albanie, minée par des risques d'anarchie, et la Macédoine, modèle de cohabitations lavo-albanaise, menacée aussi d'une déstabilisation interne et qui, courageusement, a su faire face aux événements.

Je pense également à la Bulgarie et à la Roumanie qui ont consenti des sacrifices et méritent, en raison de leur comportement, notre gratitude. Mais ils ont aussi leur droit à vivre. Aucun de ces Etats ne doit disparaître, demain, derrière notre ligne d'horizon. Nous avons à leur égard un devoir de mémoire et de réparation. Plus pauvres encore que certains Etats du tiers monde, ces pays ont droit à notre amitié, à notre générosité, à n otre solidarité.

Les milliards que nous, Européens et Américains, avons su dégager pour les opérations militaires - et nous avons eu raison -, nous devons aussi être capables de les dégager pour reconstruire ces pays et pour faire la paix. Bientôt, monsieur le Premier ministre, nous pourrons tourner - espérons-le - définitivement, la page des orages nationalistes qui ont dévasté villes et villages, et décimé peuples et fratries.

Nous devons nous tenir prêts à écrire un nouveau chapitre de l'histoire européenne. Souhaitons-le plus heureux, plus pacifique, plus créatif.

Cette ténacité dont nos dirigeants ont fait preuve tout au long de cette guerre, le Président de la République, v ous-même, monsieur le Premier ministre, et vos ministres responsables dans ces domaines, cette ténacité, cette obstination, cet entêtement, cette volonté, nous devons aussi en être capables pour bâtir et construire une civilisation de paix fondée sur le droit.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'acceptation, il y a quelques jours, par les autorités de Belgrade du plan de paix qui leur était soumis par les envoyés de l'Union européenne et de la Russie a suscité indiscutablement un grand espoir. Le texte adopté est d'autant plus réaliste et crédible qu'il contient deux éléments essentiels qui conditionnent la sortie de la crise : l'association de la Russie au règlement et la reconnaissance pleine et entière de l'autorité du Conseil de sécurité des Nations unies, deux éléments dont j'ai eu l'occasion de souligner l'importance dès le début des bombardements.

Ainsi, après presque quatre-vingts jours d'opérations aériennes, d'abord sélectives puis de plus en plus dirigées contre des objectifs primordiaux pour l'économie et la vie civile yougoslaves, après des mois d'exactions et de crimes perpétrés par les forces serbes, après l'expulsion de centaines de milliers de personnes, une perspective crédible de retour à la paix est enfin apparue.

Les difficultés des négociations actuelles ne doivent pas dissimuler cette réalité fondamentale : la paix est désormais à notre portée.

Le pouvoir de Belgrade accepte les principes sans lesquels il ne peut y avoir de règlement. Il promet de donner les garanties indispensables à leur application et, en contrepartie, l'Alliance s'engage à suspendre les bombardements.

L'intérêt du texte accepté à Belgrade, c'est qu'il énonce les principes de base du règlement dans le détail : arrêt des violences, établissement par le Conseil de sécurité d'une administration intérimaire dans la perspective d'un statut d'autonomie pour tous les habitants du Kosovo, retour des réfugiés sous la supervision du HCR.

La partie serbe, de son côté, a accepté le principe du retrait de l'ensemble des forces militaires, paramilitaires ou de police. Ce retrait doit avoir lieu dans les sept jours, délai bref, comparé aux 180 jours prévus par le texte de Rambouillet. Il doit être total, alors qu'à Rambouillet, une présence militaire yougoslave de 2 800 hommes était envisagée et qu'un délai maximum de deux ans était prévu pour ménager la transition entre la police yougoslave et une nouvelle force de police multi-ethnique.

Quant à la force internationale de garantie, elle doit être déployée à mesure que les troupes serbes se retireront.

Toutes ces garanties paraissent satisfaisantes et suffisantes, d'autant plus que le dispositif doit être vérifiable, en partie par voie aérienne, les forces serbes devant retirer en priorité leurs armements antiaériens et se conformer à des procédures convenues pour l'évacuation de leurs troupes.

Il est donc un peu étonnant que le texte soumis aux Yougoslaves prévoie seulement que la suspension des frappes interviendra après le début du retrait vérifiable des forces serbes, sans autre précision, notamment quant au mode de vérification.

Il y a probablement là l'une des raisons des difficultés actuelles, et on ne peut s'empêcher d'observer le contraste entre une certaine volonté américaine de poursuivre les attaques aériennes aussi longtemps qu'il le faudra pour que le retour à la paix apparaisse comme une reddition yougoslave, et le souci européen de montrer que la guerre n'est pas conduite contre le peuple serbe mais contre ses dirigeants et qu'elle s'inscrit sans ambiguïté dans le cadre du droit international.

(« Très bien ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Nous ne devons pas, bien sûr, nous faire d'illusions sur les intentions de Belgrade. Les manoeuvres tentées par les militaires serbes au cours des pourparlers techniquesr eprésentent sans doute une ultime tentative pour remettre en cause certains éléments du plan de paix.

M. Milosevic ne peut pas non plus ignorer les poursuites engagées contre lui et il cherche à s'en protéger.

En dépit des blocages que semble rencontrer ces derniers jours le processus de paix, force est de constater que la fermeté de la stratégie alliée a payé. En dépit des tergiversations des Serbes depuis quarante-huit heures, il est clair que nous sommes parvenus à faire céder un régime autoritaire dont les objectifs politiques niaient l'essence même du droit international. Ils ont été largement évoqués à cette tribune : épuration ethnique, négation du droit des minorités, déportation.

Nous avons fait plier M. Milosevic en employant la force, mais également grâce à un processus diplomatique, ce qui ne fait cependant pas oublier deux erreurs d'appréciation qui ont été commises.

Le fait que l'action menée par les alliés n'ait pas été autorisé par une résolution des Nations unies constitue la première erreur.

Plusieurs députés du groupe communiste.

Tout à fait !


page précédente page 05495page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Sur ce point, nous avons non seulement perdu du temps mais également affaibli la légitimité internationale de l'action engagée puisque seule l'ONU est habilitée à conférer à ce que certains appellent le droit d'ingérence une légitimité internationale reconnue.

Plusieurs députés du groupe communiste.

Très bien !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Il fallait donc que les Nations unies soient réintroduites dans le règlement du conflit, ce qui supposait que la Russie soit directement associée au plan de paix. C'est chose faite désormais, et je m'en réjouis, d'autant plus que la France et l'Allemagne ont été pour beaucoup dans cette évolution.

La seconde erreur concerne les atermoiements stratégiques des alliés, qui ont fait suite probablement à une analyse très optimiste de l'efficacité des frappes aériennes sur la résistance de M. Milosevic.

En s'interdisant d'entrée l'option terrestre, l'OTAN a fait une erreur tactique, puisque l'on semblait ainsi signifier aux Serbes que l'on n'utiliserait pas contre eux une menace qu'ils ne pouvaient que redouter.

Quant aux bombardements, ils ont débuté de telle façon qu'ils ont pu laisser penser à M. Milosevic qu'il atteindrait son objectif à un coût raisonnable. Il est vrai que, par la suite, le renforcement militaire des forces alliées, devenu nécessaire, a été spectaculaire grâce aux Américains. Sans cela, les Européens auraient été impuissants à faire fléchir Milosevic, et il faudra d'ailleurs, à l'avenir, dans le cadre de nos ambitions en matière de défense européenne, en tirer les conséquences qui s'imposent.

En dépit de l'apport incontestable du savoir-faire américain tout au long de cette guerre, on peut déplorer les tergiversations des Etats-Unis au cours des derniers jours.

J'ai été personnellement choqué de voir M. Rubin, porteparole du département d'Etat, refuser le 4 juin de considérer l'adoption d'une résolution du Conseil de sécurité comme un préalable au déploiement de la KFOR. Les

Etats-Unis tiennent heureusement aujourd'hui un discours un peu différent, mais ce type de propos, même démenti par la suite, est le signe des différences réelles de perception et d'intérêts géostratégiques qui peuvent exister entre les deux rives de l'Atlantique, ce qui montre bien d'ailleurs l'urgence de faire émerger une identité européenne de sécurité et de défense digne de ce nom.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.) D'autres attitudes américaines sont également préoccupantes. Je pense par exemple au refus de prendre en considération les risques de représailles contre les quelque 200 000 Serbes du Kosovo. Je note à ce propos que le plan de paix parle de démilitarisation, et non de désarmement de l'UCK. Quant à l'éventuel exode de la population serbe, M. Bacon, porte-parole du Pentagone, l'a considéré dans une interview donnée le 5 juin comme une évolution peut-être regrettable, mais sans doute inévitable. Selon ses propres termes, à mesure que les Albanais du Kosovo reviendront, de nombreux Serbes retourneront probablement en Serbie. Nous devons être très attentifs à ce risque, car il ne faudrait pas créer une sorte de parallélisme entre deux types d'exode, ce qui, indiscutablement, favoriserait M. Milosevic et la suite de ses falsifications.

Enfin, il semble que les Etats-Unis aient refusé de tirer toutes les conséquences du rôle politiquement décisif de l'intervention de la Russie. Sans l'appui donné par les Russes aux demandes fondamentales et non négociables de l'Alliance, le pouvoir serbe ne se serait pas trouvé dans la position d'isolement qui, combinée à la pression militaire, l'a finalement amené à céder.

En dépit de toutes ces difficultés, nous pouvons espérer de manière raisonnable voir revenir la paix et trouver une solution politique au conflit. Les discussions engagées ces derniers jours tant au G8 qu'à Kumanovo sont certes complexes, mais je suis convaincu qu'elles peuvent aboutir, qu'elles sont d'ailleurs en train d'aboutir, et il faut bien garder à l'esprit les objectifs qui sont les nôtres.

Premier objectif, veiller à ce que M. Milosevic ne puisse pas remettre en cause la finalité du plan de paix.

Le souhait des Serbes de conserver une bonne partie de leurs troupes au Kosovo est incompatible avec cet objectif, parce qu'il remet en cause la solution politique envisagée, qui repose sur une administration provisoire de la province du Kosovo avec un désarmement des deux belligérants, les forces militaires serbes et celles de l'UCK.

Sans cette condition, il n'y aura ni confiance des réfugiés albanais du Kosovo pour revenir sur leur territoire ni confiance des Serbes du Kosovo pour rester sur celui-ci.

Deuxième objectif, le séquencement des opérations doit être logique.

L'arrêt des frappes aériennes est conditionné par un retrait vérifiable des troupes serbes, et la force d'interposition doit commencer à se déployer immédiatement après, ce déploiement impliquant le vote d'une résolution du Conseil de sécurité. La demande des Russes de voir cette résolution votée après que les bombardements ont été stoppés suppose qu'un accord ait été trouvé sur le projet de résolution et qu'on ait l'assurance que celle-ci sera bien adoptée.

Troisième objectif : il faut veiller à ce que les Russes restent partie prenante à l'application du plan de paix.

C'est à mon avis l'une des clés de la stabilité future des Balkans.

Il va de soi, par exemple, qu'on ne peut accepter que le contingent russe de la force d'interposition soit déployé dans une zone spécifique au nord du Kosovo, car cela ressemblerait au prélude d'une partition. En revanche, des arrangements de commandement peuvent être trouvés, à condition, bien entendu, que l'on respecte le principe de l'unicité de direction.

Ce conflit du Kosovo qui, je l'espère et je le pense, trouvera une issue rapide, doit nous conduire à réfléchir aux enseignements que nous pouvons en tirer.

En premier lieu, j'ai été personnellement frappé de voir à quel point un conflit ne ressemble à aucun autre et comment il faut adapter des stratégies préétablies aux particularités des situations politiques locales.

Dans le cas de la Yougoslavie, on a vu que la détermination de M. Milovesic était plus forte que prévu, mais que, en revanche, le contrôle exercé sur la population et les grandes institutions de ce pays était sans doute moins fort que ce qu'on avait pu penser. Il me paraît donc nécessaire, à l'avenir, d'accorder une place essentielle à ce que j'appellerai une bonne connaissance de l'adversaire.

Une réflexion s'impose également sur notre outil de défense dans ce genre de conflit dans lequel nos troupes seront désormais fréquemment engagées. Il est manifeste, par exemple, qu'il nous a manqué certains types de munitions au Kosovo. De même, une présence impor-


page précédente page 05496page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

tante et durable au sein de la SFOR, et maintenant de la KFOR, doit nous amener à réfléchir à la structuration de nos armées et au rôle que pourraient tenir les réserves, dont nous allons d'ailleurs examiner prochainement le statut dans notre assemblée.

Sur la question de l'Europe de la défense, le sommet européen de Cologne a permis de reprendre la marche en avant, alors même que le Kosovo mettait en lumière notre faiblesse globale par rapport aux Etats-Unis. Il nous faut désormais avancer vite et de manière concrète sur trois sujets principaux.

Premièrement, la structuration de nos forces et leur capacité à s'intégrer dans des opérations qui pourraient être décidées et commandées au niveau européen.

Deuxièmement, l'harmonisation des besoins opérationnels. La question du deuxième porte-avions, par exemple, devrait être envisagée dans un processus européen où l'on verrait les différentes marines s'entendre sur un type de bâtiment commun...

M. Charles Cova.

Depuis le temps qu'on en parle !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

... utilisable pour des missions de rétablissement ou de maintien de la paix dans un cadre multinational.

Troisièmement, la restructuration de l'industrie d'armement, ce qui nécessite que les Etats travaillent à l'harmonisation de leurs procédures d'achat, ce qui faciliterait la tâche des entreprises.

Enfin, dernier enseignement, même si l'on peut se féliciter de l'information fournie au Parlement par le pouvoir exécutif au cours du conflit, je continue à penser, monsieur le Premier ministre, qu'une intervention armée de ce type nécessitera à l'avenir l'approbation de la représentation nationale.

M. Félix Leyzour.

Tout à fait !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Il nous faudra donc adapter notre constitution en ce sens, à l'image de ce qui existe dans les autres démocraties occidentales.

En conclusion, je dirai que l'espoir sérieux que nous avons de trouver un règlement à cette crise, et les dernières dépêches que je viens de lire montrent qu'il est probable que les frappes puissent s'arrêter dans la soirée, ne doit pas faire oublier que le plus difficile reste à mettre en oeuvre. Après avoir fait la guerre, nous allons devoir montrer notre capacité à faire la paix, une paix qui ne se limite pas à la fin des actes de guerre. Il faudra en effet administrer la province du Kosovo et trouver les voies qui permettront aux peuples des Balkans de revivre ensemble.

Je souhaiterais que le Parlement soit étroitement associé au suivi des événements et des opérations qui vont se dérouler au Kosovo. Cela permettrait notamment de continuer à intéresser nos concitoyens à un dossier dont la gravité ne peut pas ne se mesurer qu'à l'aune de l'audimat des journaux télévisés.

M. Maurice Leroy.

Très bien !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Il est vrai, mes chers collègues, que l'hémicycle tristement clairsemé de cet après-midi devrait interpeller tous les groupes politiques de notre assemblée sur notre capacité collective à prendre en charge les grands débats et à faire respecter la voix du Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe communiste.)

Chacun aujourd'hui doit être conscient de l'ampleur de la tâche qui attend les Européens et de la lourde responsabilité qu'ils devront assumer au Kosovo et dans les Balkans pendant de longues années. Espérons que nous saurons nous montrer à la hauteur de cet enjeu, un enjeu capital à bien des égards pour l'Europe que nous voulons bâtir.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert ainsi que sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe communiste.) Mme la présidente. La parole est à M. le Premier ministre.

M. le Premier ministre. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, j'ai été un peu surpris de sentir que certains pouvaient être comme irrités par le fait que ce débat soit organisé aujourd'hui. Honnêtement, comment pouviez-vous imaginer que, alors que le destin de la paix était en jeu au Kosovo, alors que se nouait de façon dramatique et, je pense, maintenant positive l'issue de ce conflit, le Gouvernement ne propose pas d'organiser à la meilleure date possible un débat avec la représentation nationale ? Nous ne l'aurions pas fait, vous nous l'auriez reproché. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Exactement ! M. le Premier ministre. Nous le faisons et vous laissez entendre, plus qu'à mots couverts, qu'il y aurait un rapport avec une échéance électorale, ... Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. Mais non ! M. le Premier ministre. ... qui existe, c'est vrai, cependant que la crise du Kosovo existe.

M. Maurice Leroy. Nous sommes sûrs qu'il n'y a aucun rapport.

M. le Premier ministre. Je suis heureux qu'un certain nombre des députés de l'opposition soient là pour que je puisse répondre à leurs questions.

Pouvait-on faire l'économie de ce conflit en s'appuyant, par exemple, sur les opinions publiques, avezvous demandé, monsieur Brunhes. Honnêtement, je ne le crois pas. M. Milosevic a montré dans le passé - et il le montre encore dans ce conflit - qu'il ne faisait même pas cas de sa propre opinion publique. Comment imaginer que la pression des opinions publiques internationales aurait pu produire ce que seules la coercition et la détermination dans l'emploi de la force ont provoqué ? Vous avez raison de noter que, tragiquement, la Serbie et M. Milosevic se retrouvent aujourd'hui au même point qu'à l'issue des négociations de Rambouillet auxquelles ils ont refusé une issue positive, mais, s'il y a eu ces destructions, ces drames, cette déportation, ces victimes civiles en Serbie même, qui ne voit que la responsabilité repose sur les épaules des autorités serbes ? Vous avez également demandé, question que l'on a retrouvée dans le propos de plusieurs députés et notamment dans l'intervention du président de la commission de la défense nationale, comment nous nous efforcions d'amorcer le processus qui doit conduire à une issue.

Certains annoncent qu'ils ne se retireront pas tant qu'il n'y aura pas de résolution, d'autres qu'ils n'accepteront pas de résolution ou ne renonceront pas aux frappes tant qu'il n'y aura pas de retrait, d'autres encore, par exemple les Russes, qu'ils n'accepteront pas une résolution tant que les frappes n'auront pas cessé.


page précédente page 05497page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

Qui doit faire la preuve de sa bonne foi le premier ? J'estime que la diplomatie française, depuis hier, a émis des propositions utiles, en abordant ce débat - qui pourrait paraître dérisoire - dans un esprit de synchronisation, afin que l'ensemble du dispositif soit mis en place simultanément.

Vous avez évoqué aussi, monsieur le député, les conditions dans lesquelles le Parlement a été consulté - ou plutôt ne l'a pas été - au moment de la décision des frappes.

Mais rappelez-vous, dans les questions d'actualité qui ont précédé la décision, je vous avais laissé clairement entendre que des frappes seraient effectivement mises en oeuvre si M. Milosevic ne renonçait pas à sa politique.

M. Robert Pandraud.

Nous aurions préféré voter !

M. le Premier ministre.

En tant que chef du Gouvernement, monsieur Pandraud, je ne fais qu'appliquer les règles institutionnelles du pays.

M. Maurice Leroy.

Pour l'Irak, il y avait eu un vote !

M. le Premier ministre.

Naturellement, je ne suis pas hostile à ce qu'on réfléchisse à l'évolution des règles, mais dans l'immédiat, c'est ainsi que la question se pose.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. René Dosière.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Mme Nicole Ameline a abordé la question de la loi de programmation militaire ; elle s'est demandé si la France disposait des types d'armes adaptés - selon les enseignements à tirer du conflit.

Vous savez très bien, mesdames, messieurs, que jusqu'en 2002, le Gouvernement poursuit la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire adoptée en 1996 par la majorité précédente. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Charles Cova.

Mais la crise du Kosovo, c'est en 1999, pas en 1996 !

M. le Premier ministre.

A cet égard, nous respectons pleinement les engagements portant sur la stabilité des ressources du ministère de la défense.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer, dans la préparation de la prochaine loi de programmation, déjà amorcée dans les états-majors, en vue de la fin de 1999, il faudra effectivement tirer les enseignements du conflit du Kosovo sur le comportement et les performances de nos matériels, et certainement combler les carences que nous avons constatées sur le plan européen ou au niveau de nos propres forces armées.

Ainsi, il est vrai que les armées françaises ne disposent pas actuellement de missiles de croisière ; parmi les membres de l'OTAN, seuls les Etats-Unis et, depuis peu, le Royaume-Uni en possèdent. A partir de 2001, la France dotera l'armée de l'air de tels missiles : Apache en 2001, Scalp en 2003, fabriqués par le groupe Aerospatiale-Matra. Au demeurant, dès aujourd'hui, et l'expérience de ce conflit nous le montre, notre armée de l'air bénéficie, dans les combats aériens, d'importantes capacités de tir guidés laser, notamment celles des Mirage 2000 D. Et nos avions ont fait preuve d'une très grande dextérité - le terme n'est pas plaisant, mais c'est bien de cela qu'il s'agit - lors de leurs missions d'attaque directe contre les forces serbes. Nous étions d'ailleurs les seuls Européens capables de participer à toutes les missions aériennes de la coalition : reconnaissance, observation, appui au sol, défense aérienne et frappes contre des infrastructures. On constate ainsi une amélioration très sensible de nos moyens aériens depuis la guerre du Golfe, notamment pour les actions de nuit.

Il faut aussi souligner l'avantage acquis par la France en matière de renseignement sur le théâtre, par la conjonction de diverses capacités : satellites, avions de renseignement électronique, avions de reconnaissance, drones, système héliporté Horizon.

Si l'on veut ramener la paix et la stabilité dans les Balkans, a demandé M. Jean-Marc Ayrault, comment assurer aux peuples qui y vivent des conditions de vie comparables à celles que l'on a dans l'Union ? Il faut être lucide et raisonnable : cela ne pourra pas se faire d'un coup, ni très vite.

Il est indispensable de rétablir le plus rapidement possible des conditions de vie minimales pour les populations du Kosovo. Il faudra également faire en sorte que les pays qui ont eu le plus à souffrir des conséquences de la guerre - soit en raison de leurs liens économiques anciens avec la Serbie, soit, comme la Macédoine et l'Albanie, parce qu'ils ont accueilli des réfugiés - voient leurs efforts compensés, en quelque sorte, par l'action de l'Union européenne en leur faveur.

Enfin, il nous faudra aborder la question, soulevée également par M. Quentin et M. Baudis, des destructions en Serbie. Puisque nous n'avons pas fait la guerre au peuple serbe, qui a été engagé dans une impasse par ses dirigeants, nous pouvons accepter le principe d'une participation à l'effort de reconstruction de certaines installations détruites en Serbie,...

M. Robert Pandraud.

Et aussi en Albanie !

M. le Premier ministre.

... à l'exclusion, bien sûr, du potentiel purement et simplement militaire.

Le problème pourra être examiné. Deux questions se poseront alors : avec qui ? pour qui ? Toutefois, je ne suis pas sûr que le moment soit venu d'y répondre de façon trop précise.

M. Didier Quentin a posé une série de problèmes : la durée du retrait, l'attitude à l'égard de l'UCK, la place des Russes dans la force internationale.

Le retrait doit être aussi rapide que possible, mais, en même temps, maîtrisé. C'est l'objet des discussions militaires techniques qui devaient reprendre cet après-midi alors que j'étais avec vous - ou qui reprendront dans la journée, en tout cas à très brève échéance.

Notre attitude à l'égard de l'UCK est parfaitement claire : nous ne sommes pas favorables à ce qu'a la violence des Serbes puisse se substituer la violence d'autres forces. Notre but de guerre était le retour des réfugiés dans un Kosovo pluraliste, démocratique et pacifié. Nous ne mettons certes pas sur le même plan que l'armée serbe des hommes qui ont combattu au milieu de leur population face à une violence extrême et en dépit d'une très grande infériorité de moyens, mais nous ne souhaitons pas que règnent à nouveau les armes au Kosovo. C'est une question de principe. La France ne fait d'ailleurs pas partie des pays qui, au cours de la dernière période, ont armé l'UCK.

C'est notamment pour supprimer la tentation du recours à la violence que l'arrivée des premiers éléments de la KFOR doit se faire aussi vite que possible après le retrait des premiers éléments serbes. Je vous réponds donc de la façon la plus claire : nous ne voulons pas que les problèmes politiques, au Kosovo, soient réglés autrement que par la voie du dialogue politique, tel que nous le concevons.

La participation des Russes à la force est encore à discuter, non pas dans son principe - j'y reviendrai peut-être ultérieurement, en fonction d'autres questions -, mais dans ses modalités.


page précédente page 05498page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

Les zones envisagées au cours de la préparation de la mission de la force d'intervention et de sécurisation seront des zones multinationales, placées chacune sous la direction d'une nation cadre, qui devraient être au nombre de cinq. A ce stade, les nations cadres désignées sont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie et la France. Vous le voyez bien, on est loin d'un schéma de partition qui suscitait l'inquiétude d'un autre intervenant. La France doit se voir attribuer la zone septentrionale. Quant au volume et à la position des forces russes sur le terrain, au moment où je vous parle, ils restent encore à déterminer.

M. Yves Cochet et un autre orateur ont posé une question concernant le choix de M. Solana, actuel secrétaire général de l'OTAN, comme futur M. PESC. Je vous le dis très franchement, mesdames, messieurs les députés, le Président de la République et moi-même, nous nous sommes aussi posé la question, et pas du tout en raison de la personnalité de M. Solana, pour lequel nous avons beaucoup d'estime, de respect, dont nous connaissons non seulement l'expérience, mais aussi la francophonie et la francophilie, ce qui n'est pas sans importance lorsqu'il s'agit de choisir un responsable qui sera chargé d'animer la politique de sécurité commune.

Un député de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.

Et c'est un socialiste !

M. le Premier ministre.

Sans doute, mais cela n'a pas paru choquer le Président de la République - et confidence pour confidence, cela ne m'a pas choqué non plus.

(Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Je crois d'ailleurs me souvenir que les deux candidats présentés par l'Espagne étaient socialistes. Que voulez-vous que j'y fasse, s'il y a des gens de talent parmi les socialistes...

M. Maurice Leroy.

Seulement à l'étranger !

M. le Premier ministre.

... il faut l'accepter ! (Mêmes mouvements.)

P lus sérieusement, madame Ameline, nous nous sommes posé cette question, non en raison de la personnalité de M. Solana, mais en raison du symbole que pouvait représenter le choix, pour le premier M. PESC, du secrétaire général de l'Otan, à l'occasion d'un conflit qui, je l'espère, est en train de s'achever. Nos partenaires de l'Europe n'ont peut-être pas réagi avec la même sensibilité que vous, mesdames, messieurs, avec la même sensibilité que nous. Et puis nous avons beaucoup d'estime pour les qualités personnelles de M. Solana, dont nous pensons qu'il sera un très bon M. PESC. Au-delà de sa responsabilité d'aujourd'hui dans l'OTAN, je pense qu'il aura à coeur de contribuer au développement d'une véritable politique de sécurité commune.

Je crois avoir répondu, en me saisissant d'une interrogation de M. Quentin, à l'une des premières questions de M. Baudis. Il en a d'ailleurs posé plusieurs, mais pour éviter d'être trop long, je ne sais pas si je vais être en mesure de répondre à toutes dès ce soir.

M. Maurice Leroy.

M. Baudis a posé d'excellentes questions !

M. le Premier ministre.

La plupart étaient pertinentes, effectivement.

(Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

Ayant déjà parlé de l'UCK, je répondrai aux questions relatives aux problèmes humanitaires. Au Kosovo, dès l'arrivée des premiers éléments de la KFOR, nous devrions d'abord acheminer de l'aide alimentaire par voie terrestre et par largages à basse altitude - rendus possibles par l'absence de défenses aériennes -, dans un contexte qui serait pacifié. Nous devons ensuite distribuer aux réfugiés qui auront fait le choix de revenir très vite du matériel d'isolation et de protection leur permettant de réoccuper au moins les maisons qui ne sont que partiellement détruites. Nous devons aussi fournir des matériels de reconstruction, des outils, des matériaux, ainsi que des outils agricoles et des semences pour reprendre les cultures dans certains zones.

M. Charles de Courson.

Pour les semences, c'est un peu tard ! (Sourires.)

M. le Premier ministre.

Les Kosovars en auront besoin à tout moment, en toute circonstance.

Pour les réfugiés qui seraient appelés à passer l'hiver en Albanie ou en Macédoine, nous sommes en train de procéder, avec nos alliés et le HCR, au repérage des structures en dur disponibles, y compris d'anciennes casernes.

D'ores et déjà, dans les derniers camps installés, les structures sont plus dures et les matériaux choisis plus isolants.

Tout cela sera fait en coordination avec l'Europe, et nous invitons les collectivités locales, les ONG françaises et les entreprises françaises à se mobiliser.

En ce qui concerne le retour, en l'état actuel des choses, nous ne faisons que des hypothèses, mais la question va devenir aiguë. Nous devons y consacrer toute notre énergie : je vous prie de croire que, pour ce gouvernement, ce sera bien sûr un défi, mais en même temps u ne mobilisation vraiment positive, car il faudra reconstruire, alors que jusqu'ici, il s'agissait souvent de détruire pour refuser avec force l'épuration éthnique.

Les hypothèses actuelles sont les suivantes : retour plus rapide des paysans, sous réserve d'avoir maîtrisé les risques des mines antipersonnel ; retour plus lent des citadins, qui attendront sans doute que recommencent à fonctionner les services publics, ainsi que les systèmes collectifs de chauffage et de distribution d'eau.

D'autres questions de M. Baudis portaient sur les relations entre les pays des Balkans et l'Union européenne.

Le pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est, proposé par la présidence allemande, auquel nous avons nous-mêmes contribué, et l'action de la Banque mondiale, inspirée de propositions françaises, sont des initiatives importantes.

Vous avez posé une question plus précise : doit-on considérer que ces pays seront à côté de l'Union européenne ou qu'ils entreront dans l'Union européenne ? Aujourd'hui, monsieur le député, je réponds qu'ils seront à côté de l'Union européenne, et non en son sein. La démarche qui consiste à aider ces pays, à les associer à l'Union européenne par des accords est absolument indispensable, mais je pense que nous aurions tort de confondre deux plans, celui de l'aide et celui du processus d'adhésion ; l'élargissement de l'Union européenne doit être traité de façon spécifique. Il serait imprudent d'accélérer le processus et de prendre une décision à la légère pour des raisons émotionnelles ou humanitaires. Les mécanismes de l'élargissement se produiront comme ils sont engagés, avec les pays candidats. Les pays des Balkans pourront un jour être candidats, mais ils s'inscriront alors dans la démarche de l'élargissement, avec ses mécanismes de sélection, d'appréciation et de transition.

Quel sera le sort de M. Milosevic ? L'accepterons-nous comme interlocuteur ? Pourrons-nous aider la Serbie à se reconstruire, en partie, tant qu'il sera au pouvoir ? Quid de l'application des décisions du Tribunal pénal inter-


page précédente page 05499page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

national ? M. Jack Lang, à cet égard, le faisait remarquer d e façon pertinente, l'annonce de l'inculpation de M. Milosevic et de plusieurs dirigeants serbes, contrairement à ce que certains avaient prévu, ne s'est pas révélé être un obstacle sur la voie de la paix.

On peut même se demander - mais ce n'est qu'une hypothèse - si, voyant la condamnation, la stigmatisation internationale dont il était l'objet, M. Milosevic ne s'est pas dit, au contraire, que tant qu'il restait dirigeant de fait, tant qu'il conservait les manettes en main à Belgrade, il pouvait encore essayer d'apparaître comme l'interlocuteur pratique, nécessaire, inévitable, pour faire la paix, et que cela pourrait le servir.

Quoi qu'il en soit, cela n'a pas joué négativement, et nous pouvons en tirer une leçon : l'affirmation du droit international ne s'est pas révélée incompatible avec le réalisme qui guide souvent les nations et les dirigeants dans leurs choix. De ce point de vue, un progrès s'est peut-être opéré sous nos yeux.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Robert Pandraud.

Bravo pour l'ingérence !

M. le Premier ministre.

Je l'ai déjà indiqué, toutes ces questions recevront une réponse, et chacune de ces réponses sera inspirée par les principes qui sont les nôtres : les principes du Gouvernement, de la France, des autorités publiques françaises, dans le respect de nos engagements vis-à-vis du Tribunal pénal international.

Mais pour l'instant, nous sommes à un moment crucial où d'autres questions se posent à nous. Commençons par régler celles-ci. Nous aurons l'occasion de répondre aux autres par la suite.

Mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement sera attentif aux suggestions du président de votre commission des affaires étrangères et du président de votre commission de la défense. En raison de leurs responsabilités, des débats qu'ils conduisent avec vous, du dialogue qu'ils ont noué avec les ministres et parfois avec moi-même, ils disposent, dans cette affaire, d'une vision et d'une expérience qui nous seront utiles. M. Lang n'a pas posé de question. M. Quilès a évoqué divers sujets. Je ne réagirai pas à tous.

Je ne sais si l'on peut considérer comme une erreur le fait que nous n'ayons pas demandé une résolution des Nations unies au début du conflit. Ce n'est pas que j'aie, sur ce point, le moindre désaccord de principe avec le président de la commission de la défense nationale. Je pense qu'en effet, cela aurait été souhaitable. Dans la quasi-totalité des cas, il faudra se fonder sur cette démarche qui, pour nous, est essentielle.

Mais je pense aussi que tel que les choses étaient engagées, nous n'aurions sans doute pas obtenu une telle décision aux Nations unies.

En tout cas, nous nous rejoignons sur l'idée que la France a constamment cherché à réintroduire les Nations unies dans le processus politique et diplomatique, notamment quand nos partenaires américains ont bien dû rechercher avec nous une issue politique à un conflit militaire que nous étions en train de gagner.

Quant à l'erreur que pourrait constituer le fait d'avoir écarté l'option terrestre, disons que c'est aujourd'hui une bonne chose que cette question reste ouverte.

(Sourires.)

M. Jack Lang a parlé d'entêtement et de volonté. Oui, c'est avec volonté et même ténacité que nous devons faire voter une résolution aux Nations unies, obtenir le commencement puis la réalisation du retrait des forces serbes, arrêter les frappes, faire entrer la force de sécurisation internationale au Kosovo, préparer le retour des réfugiés, assurer la paix civile et mettre en place une administration provisoire dans un Kosovo reconstruit, bâtir une solution politique acceptable dans cette province et, enfin, mettre en oeuvre un plan de développement pour les Balkans.

Oui, nous venons de participer à une guerre tout à fait particulière, puisqu'elle était menée à en fonction de données qui sont celles d'un conflit international et qu'elle mettait en cause en même temps des valeurs, des principes et des références propres à nos nations. Nous avions conscience que nous étions à la fois sur un terrain international et presque sur un terrain intérieur, tout au moins si l'on considère que l'Europe fait désormais partie de notre vie politique intérieure.

Dans cette affaire, je pense qu'à l'issue de ce conflit si nous le réglons selon nos valeurs, selon nos principes et a ux conditions de la communauté internationale -, l'Europe aura peut-être contribué à marquer qu'elle est fondamentalement un espace de civilisation. Mais, pour exister dans le monde tel qu'il est, un espace de civilisation a besoin d'affirmer sa capacité à exister et de se faire respecter sur la scène internationale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

Le débat est clos.

Je vais suspendre la séance quelques instants.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures vingt.)

Mme la présidente.

La séance est reprise.

2 PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ Discussion, en nouvelle lecture, d'une proposition de loi

Mme la présidente.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 18 mai 1999,

« Monsieur le président,

« J'ai été informé que la commission mixte paritaire n'a pu parvenir à l'adoption d'un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité.

« J'ai l'honneur de vous faire connaître que le Gouvernement demande à l'Assemblée nationale de procéder, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, à une nouvelle lecture du texte.

« Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. »

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de cette proposition de loi (nos 1587, 1639).


page précédente page 05500page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

La parole est à M. le ministre des relations avec le Parlement.

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

Mesdames, messieurs les députés, puisque Mme Elisabeth Guigou est actuellement au Sénat pour présenter un projet de loi, c'est au ministre des relations avec le Parlement qu'échoit l'honneur de soutenir devant vous en troisième lecture, dois-je le préciser ? - la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité.

La navette parlementaire sur ce texte arrive bientôt à son terme. C'est l'aboutissement d'un lent processus de travail et de maturation législatifs, engagé au début des années 90 et ponctué par le dépôt de nombreuses propositions de loi.

Le Gouvernement regrette l'échec de la commission mixte paritaire et l'absence de discussion entre le Sénat et l'Assemblée nationale au cours de la deuxième lecture. Je rappelle que des millions de nos concitoyens, qui ne peuvent ou ne veulent pas se marier, homosexuels comme hétérosexuels, attendent cette loi pour sortir de l'insécurité juridique dans laquelle ils se trouvent.

Je tiens à souligner la qualité du travail de réflexion et de réécriture du texte accompli depuis le dépôt de cette proposition, sous l'impulsion de la présidente de votre commission des lois, Mme Catherine Tasca, et de vos rapporteurs, MM. Jean-Pierre Michel et Patrick Bloche, que je félicite pour leur ténacité et la qualité de leurs travaux.

Le texte qui vous est soumis est donc celui que vous avez adopté, en deuxième lecture, le 7 avril 1999. Faut-il une nouvelle fois réaffirmer l'intérêt de l'introduction de ce texte dans notre ordre juridique ? Le garde des sceaux a eu l'occasion, tant devant vous que devant le Sénat, de s'expliquer à ce sujet, et on pourrait concevoir qu'un tel rappel paraisse redondant.

Et pourtant, trop de remarques démontrent encore l'incompréhension et la suspicion persistantes qui animent un certain nombre de députés face à ce texte. Je me fais à l'idée de ne pas les convaincre, mais je ne peux laisser passer certaines contrevérités qui continuent à être trop souvent avancées.

C'est pourquoi je vais exposer brièvement, je vous rassure - ce qu'est le pacte civil de solidarité, ce que le texte comporte et ce qu'il ne comporte pas, en soulignant que, sur nombre de points, le travail parlementaire a permis de préciser et d'enrichir la proposition de loi.

Les principales critiques portées contre le pacte civil de solidarité se sont dès le départ focalisées sur l'idée qu'il porterait atteinte au mariage et à la famille. Que n'a-t-on entendu sur ce sujet, dans cet hémicycle et à l'extérieur ? Le pacte civil de solidarité ne porte pas atteinte à la famille. Ma conviction et, bien au-delà de ma position personnelle, celle du Gouvernement dans son ensemble, est que la famille est irremplaçable. Elle constitue le lieu où s'apprennent les règles de la vie sociale, les rapports entre l'autorité et la liberté, où se développe la solidarité entre parents et jeunes enfants, et, de façon réciproque, entre enfants ayant atteint l'âge adulte et parents ou grands-parents, lorsqu'un soutien doit être apporté à ceux-ci.

Il est clair que la famille devrait être défendue s'il apparaissait que celle-ci était attaquée dans ses fondements. Mais il est nécessaire, parallèlement, de s'interroger sur la réalité contemporaine de la famille. Celle-ci a évolué et s'est diversifiée depuis un quart de siècle. Ses diverses configurations doivent être prises en compte par la société et par le droit.

C'est à quoi réfléchit le groupe de travail sur le droit de la famille, installé l'été dernier à la chancellerie et qui remettra bientôt ses travaux. Le garde des sceaux engagera alors une très large concertation, en particulier avec les parlementaires, qui sont concernés au premier chef.

C'est en effet un sujet qui mérite attention et discussion au sein de toutes les familles politiques. Mais le droit de la famille et le PACS relèvent de deux débats différents.

En effet, le pacte civil de solidarité ne comporte aucune disposition mettant en cause la famille même si des menaces sont régulièrement agitées, manifestement pour effrayer -,...

Mme Christine Boutin.

Mais non ! Plusieurs députés du groupe socialiste Ce sont des fantasmes !

M. le ministre des relations avec le Parlement.

... et il ne comporte aucune dimension parentale. Il n'ouvre pas droit à l'adoption commune d'un enfant par ses membres et n'affecte pas les modalités d'exercice de l'autorité parentale.

Il n'autorise pas la procréation médicalement assistée des partenaires de même sexe.

Que leurs parents aient ou non conclu un pacte civil de solidarité, les enfants des couples hétérosexuels non mariés ne seront pas considérés différemment par les règles du code civil applicables à la famille naturelle.

Le pacte civil de solidarité ne menace pas le mariage, auquel il ne peut être comparé et avec lequel il est vain d'essayer d'entretenir une concurrence, tant il est évident que l'institution du mariage diffère absolument, sur les plans symbolique et juridique, du pacte civil de solidarité,...

Mme Christine Boutin.

C'est faux ! Le PACS comporte des droits, mais pas d'obligations !

M. le ministre des relations avec le Parlement.

... contrat conclu entre deux personnes pour organiser leur vie matérielle commune.

Quelles similitudes peut-on trouver entre le pacte civil de solidarité et le mariage alors que l'un et l'autre se distinguent,...

Mme Christine Boutin.

Non !

M. le ministre des relations avec le Parlement.

... aussi bien par les personnes qui peuvent y prétendre que par leurs modalités de conclusion ou de rupture, et par les devoirs et obligations qui découlent de l'une ou l'autre situation.

Il n'est donc pas sérieux de prétendre que le pacte civil de solidarité s'attaque au mariage.

Il ne l'est pas davantage de soutenir que les difficultés juridiques que poserait le texte le rendent inapplicable.

Un texte aménagé juridiquement : oui, c'est ce qu'est le pacte civil de solidarité.

Mme Odette Grzegrzulka.

Tout à fait !

M. le ministre des relations avec le Parlement.

Votre commission a, dans son rapport, très justement contredit ces arguments et considéré que les aménagements apportés au texte initial lui permettaient de proposer qu'il soit voté en l'état.

Mme Christine Boutin.

Heureusement que nous étions là ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


page précédente page 05501page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

M. le ministre des relations avec le Parlement.

C'est aussi la position du Gouvernement. Je rappellerai à cet égard un certain nombre d'améliorations, dont certaines résultent de la prise en compte des remarques des parlementaires, de tous les horizons politiques. Ainsi le PACS, a-t-il au cours des navettes, été clarifié sur plusieurs points.

Mme Christine Boutin.

Ah, vous voyez !

M. le ministre des relations avec le Parlement.

Il est désormais clairement affirmé par la loi que le pacte civil de solidarité constitue un contrat, qu'il emporte une obligation de résidence commune pour ses signataires, qu'il engendre une solidarité des dettes liées au logement, qu'il peut ouvir droit, en cas de faute lors de sa rupture, à l'allocation de dommages intérêts, conformément au droit commun de la responsabilité civile, enfin qu'il n'est pas ouvert aux majeurs sous tutelle.

J'ajoute que la procédure de conclusion du pacte civil de solidarité a été simplifiée et sa preuve facilitée par la remise, après visa du greffe du tribunal d'instance, d'un exemplaire de leur convention à chacun des partenaires.

Je pense en dernier lieu qu'il convient d'approuver la fin des discriminations subies par les concubins homosexuels et que le pacte civil de solidarité leur permettra de bénéficier des droits jusqu'alors réservés par certaines réglementations sectoreilles aux couples hétérosexuels.

Cette précision a été voulue par le Parlement, et le Gouvernement s'en réjouit, la lutte contre toute discrimination étant au coeur de ses préoccupations et de celles de sa majorité.

En définitive, au-delà du concubinage et en deçà du mariage, le PACS constitue une avancée pour ceux qui veulent organiser leur vie à deux.

Sans qu'aucun de ses acquis ne soit retranché, notre droit se voit ainsi complété de manière réaliste. Et c'est parce qu'il s'agit d'un texte d'une utilité sociale évidente (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

M. Claude Goasguen.

Oh, redites-le !

M. le ministre des relations avec le Parlement.

... que je demande à l'Assemblée de l'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical Citoyen et Vert.)

Mme Odette Grzegrzulka.

Avec enthousiasme !

Mme la présidente.

Mes chers collègues, du calme sur tous les bancs, s'il vous plaît ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Bernard Outin.

Vous parlez à Mme Boutin ?

Mme la présidente.

Ma remarque s'adresse à tout le monde ! La parole est à M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation générale de la République.

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en deuxième lecture, le Sénat a adopté une motion préalable, qui équivalait à refuser l'examen de ce texte. Dans ces conditions, la commission mixte paritaire qui s'est réunie à l'Assemblée nationale ne pouvait aboutir à un accord.

Je regrette, pour ma part, la position du Sénat qui, d'une part, rend vaine la navette parlementaire et bafoue le bicamérisme auquel je suis attaché et, d'autre part, met dans une position très inconfortable nos collègues de l'opposition,...

M. Yann Galut.

Ils ne sont même pas là !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

... lesquels vont répéter des arguments déjà entendus plusieurs fois et que les sénateurs n'ont même pas voulu développer.

La commission des lois a souhaité, mes chers collègues, que, en nouvelle lecture, vous adoptiez le texte tel qu'il est sorti de notre examen en deuxième lecture, c'est-à-dire enrichi par des apports du Sénat, notamment par l'introduction dans le texte d'une définition légale du concubinage, mais aussi par les suggestions qui ont été faites à l'Assemblée, sur des bancs divers, et qui ont été retenues.

Le débat d'aujourd'hui devrait être dépassionné, car il n'a plus d'enjeu - le PACS sera voté, n'en déplaise à certains -, mais placé sous le signe de l'optimisme, car la fin du parcours législatif est proche.

Lorsque ce texte sera définitivement adopté, notre loi républicaine comprendra trois statuts pour les couples : tout d'abord, celui des concubins qui, dans une union stable, bénéficieront des droits que la loi leur reconnaît déjà aujourd'hui ; ensuite, le PACS, contrat solennel, comportant un certain nombre d'engagements et de droits ; enfin, le mariage républicain, qui reste ce qu'il est et qui, on peut le souhaiter, sera renforcé par la réforme sur le droit de la famille que présentera Mme la garde des sceaux, vraisemblablement à l'automne prochain.

Ainsi, comme le disait le doyen Carbonnier - mais peut-être n'aurait-il pas souhaité que son adage fut appliqué de cette façon : « à chacun son droit, à chacun sa famille ».

M. Yann Galut.

Très bien !

M. Claude Goasguen.

Il ne parlait pas de cela !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Car pour nous, et c'est de là que tout le débat vient, la famille, ce n'est pas seulement un homme et une femme, mariés si possible, et qui ont des enfants ; cela ne correspond à rien aujourd'hui, et surtout pas à la réalité sociale qui nous entoure.

M. Yann Galut.

Tout à fait !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

La famille, c'est un homme et une femme, mariés, et si possible pour que ce mariage dure longtemps et qu'ils aient des enfants.

La famille, c'est aussi des couples qui vivent en union libre, longtemps, et quelquefois d'ailleurs plus longtemps que les couples mariés, et qui élèvent des enfants.

Mme Monique Collange.

Exactement !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

La famille, c'est aussi des familles monoparentales, c'est-à-dire, le plus souvent, des femmes seules, qui élèvent ainsi leurs enfants soit parce qu'elles ont voulu les avoir seules, soit à la suite d'un divorce ou d'une séparation.

Mme Christine Boutin.

Il s'agit donc bien de la famille !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

La famille, c'est aussi des couples homosexuels, dont certains, aujourd'hui, élèvent des enfants qu'ils ont eu d'un précédent mariage.

M. Yann Galut.

C'est la réalité sociale !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

C'est pour cela, chers collègues de l'opposition, que nous ne pouvons pas vous entendre. En fait, vous prêchez le conservatisme.


page précédente page 05502page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

M. Yann Galut.

Exactement !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Nous ne pouvons avoir, du côté de la majorité, une vision aussi rétrograde de la société.

Mme Odette Grzegrzulka.

Archaïque !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Avec cette troisième lecture, mes chers collègues de la majorité, vous aurez apporté votre pierre à une réforme importante, et certains journalites disent que ce sera une réforme-phare du Gouvernement.

M. Claude Goasguen.

Un phare ? Plutôt une lanterne rouge !

Mme Christine Boutin.

La ligne jaune a été franchie !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Pour ma part, je me réjouis que ce texte important, qui ne bouleverse pas la réalité sociale d'aujourd'hui mais la prend en compte dans le code civil, soit d'initiative parlementaire. Je remercie d'ailleurs le Gouvernement d'avoir laissé se poursuivre, et même favorisé, cette initiative. Je crois que nous serons tous fiers d'avoir apporté à notre société des réformes qu'elle souhaitait et qui permettront a de nombreux couples d'être réintégrés dans le champ social, ce qui assurera une plus grande stabilité à la République.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Monsieur le ministre des relations avec le Parlement, mes chers collègues, le 11 mai dernier, le Sénat décidait d'adopter une motion opposant la question préalable à la délibération de la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité, lors de son examen en deuxième lecture. Une semaine plus tard, la commission mixte paritaire ne parvenait pas, sur de telles bases, à un accord. Notre assemblée se trouve donc dans le cas, assez peu fréquent, d'avoir à examiner en nouvelle lecture le texte déjà adopté par elle en deuxième lecture.

Je ne saurais pour autant regretter exagérément cette situation qui a présenté, pour Jean-Pierre Michel et moimême, l'avantage évident de ne pas avoir à déposer d'amendements de rétablissement du texte précédemment adopté par l'Assemblée nationale. Nous avons même fait le choix, confirmé par nos deux commissions, de n'apporter aucune modification au pacte civil de solidarité tel qu'il avait été écrit à l'issue de notre deuxième lecture.

Nous nous trouvons confrontés au risque de la répétition, ce qui est d'autant plus paradoxal qu'une large partie de nos concitoyens a déjà assimilé le PACS, avant même son adoption définitive.

Il revient à cet égard au Gouvernement et à sa majorité d'avoir fermement défendu le droit, pour des parlementaires, de proposer une construction juridique nouvelle, rompant ainsi avec une certaine habitude qui voudrait que la fonction législative n'ait plus comme objectif que l'adaptation ou la modernisation de modèles déjà existants.

Le texte de la proposition de loi propose, en effet, un contrat d'un type nouveau pour le couple, renforce les solidarités possibles tout en levant les discriminations pesant notamment sur le concubinage, qui ne pouvait ê tre jurisprudentiellement qu'hétérosexuel. De portée générale, il s'oppose aux tentations de repli communautaire et contribue ainsi à renforcer la conception républicaine d'écriture des lois.

Le PACS est un lien social moderne, car il contractualise la relation solidaire entre deux personnes choisissant d'organiser leur vie commune autour d'un ensemble de droits et d'obligations. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous n'avons pas souhaité, en deuxième lecture, l'abandonner au profit du concubinage, qui reste une union de fait. Sur la définition même du concubinage, qui ne peut concerner que les personnes qui vivent en couple, nous avons considéré que sa constatation était préférable à son attestation ; sinon, nous risquions de le dénaturer en en faisant une union de droit. Sur ce point précis, M. Jean-Pierre Michel et moi-même n'avons pas souhaité reprendre la plume.

Ce texte parachève ainsi un processus qui, depuis la R évolution française jusqu'aux lois du début des années 80, a progressivement, et malgré des périodes de recul à des moments souvent sombres de notre histoire, fait de l'orientation sexuelle de chacun une affaire privée, au même titre que les opinions politiques ou religieuses.

La levée de toute discrimination individuelle, consacrant le principe de libre disposition de son corps, conduisait inéluctablement à mettre fin aux discriminations touchant les couples non mariés, qu'ils soient de même sexe ou de sexe différent.

L'homosexualité, sujet largement tabou jusqu'à peu, y compris dans cet hémicycle, est désormais présente dans le débat public.

Mme Christine Boutin.

C'est vrai. Surtout chez vous ! M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis.

Et vous y avez d'ailleurs contribué fortement, madame Boutin.

Mme Christine Boutin.

Merci, monsieur le rapporteur.

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis.

Ce changement essentiel montre, une nouvelle fois, la capacité de notre société à s'affranchir de ses conservatismes et à progresser sur le chemin de l'égalité des droits en rompant des silences souvent coupables et toujours discriminatoires.

Certes, l'homophobie n'est pas morte, mais elle est battue en brèche sur le terrain de la loi et au-delà. A cet égard, notre assemblée a souhaité franchir un pas supplémentaire, lors du récent examen du projet de loi relatif à la liberté de communication, en adoptant un amendement qui amène le Conseil supérieur de l'audiovisuel à veiller désormais à ce que les programmes des services de radiodiffusion et de télévision ne contiennent aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de moeurs.

Sauf à vouloir réduire le débat qu'a suscité cette initiative, on ne peut prétendre qu'en créant le PACS, nous avons abaissé la loi en en faisant l'auxiliaire de tous les arrangements de la vie privée et en plaçant ceux-ci sur le même plan. Le mariage républicain reste un modèle social et une institution de référence. Nous ne divergeons pas de l'opinion de la majorité sénatoriale sur ce point et nous avons eu l'occasion, à plusieurs reprises, de signifier que, tant d'un point de vue symbolique que juridique, le PACS n'était pas équivalent au mariage.

Faut-il, à cet égard, rouvrir le débat sur les conditions de la rupture d'un PACS, au moment même où la législation du divorce fait l'objet de multiples critiques, jusque dans Le Figaro magazine du week-end dernier, qui appelait à une révision de la loi de 1975 et à une réforme de la prestation compensatoire ? (Exclamations sur les bancs du groupe communiste.)


page précédente page 05503page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

M. Bernard Outin.

Eh oui ! Même Le Figaro magazine ! M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis.

De même, l'opposition entre le bonheur individuel et l'intérêt général est certainement un excellent sujet de philosophie pour un bachelier, mais elle a le défaut essentiel d'oublier un peu trop vite que près de cinq millions de nos concitoyens vivent aujourd'hui en couple hors mariage.

Mme Christine Boutin.

Ils ne demandaient rien ! M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis.

A ce moment de mon intervention, je souhaiterais inviter la représentation nationale à sortir du cadre habituel de nos échanges, au-delà des frontières de notre hexagone. Pour cela je vous propose de franchir l'Atlantique, sans pour autant aller chercher des références anglo-saxonnes. Ma francophonie militante m'amène, comme d'autres collègues d'ailleurs, à suivre tout particulièrement ce qui se passe dans une société historiquement proche de la nôtre, je veux parler du Québec.

Mme Christine Boutin.

Je l'attendais. (Sourires.)

Mme Odette Grzegrzulka.

Les grands esprits se rencontrent !

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis.

A l'initiative du député de Sainte-Marie Saint-Jacques, André Boulerice, que beaucoup d'entre nous connaissent, l'Assemblée nationale québécoise a adopté, le 19 mai dernier, le principe du projet de loi no 32 dont l'objet est de réviser l'ensemble de la législation du Québec afin de l'appliquer aux conjoints de fait de même sexe.

Pas moins de 28 lois et de 11 réglements sont directement touchés par ce projet de loi, et on peut ainsi observer que nos amis québécois ont également fait le choix d'un texte global, rejetant ainsi, comme la majorité de notre assemblée, la voie des petits amendements adoptés au fil des circonstances de la vie parlementaire.

Mme Christine Boutin.

Ils ont au moins le courage de la cohérence !

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis.

A cette occasion, Mme Linda Goupil, ministre de la justice, a déclaré : « Le Gouvernement a décidé d'agir et de revoir le cadre législatif des unions de fait afin de marquer l'évolution de la société québécoise dans ce domaine. En effet, la reconnaissance des couples de même sexe fait l'objet d'un vaste consensus et reflète les valeurs sociales actuellement acceptées par une grande partie de la population.

Les Québécoises et les Québécois seront d'ailleurs sans doute très fiers d'être partie prenante d'une société qui témoigne une fois de plus de son ouverture, de sa solidarité et du respect de ses minorités, d'une société qui mise sur la cohésion sociale et non sur les différences existant entre ses citoyens. »

Mme Odette Grzegrzulka.

Vive le Québec libre !

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis.

A votre avis, mes chers collègues, quelle a été la réaction à ces propos de la minorité de l'Assemblée nationale québécoise ? Pour cela, je citerai le début de l'intervention de M. François Ouimet, député de Marquette et porte-parole de l'opposition en matière de justice. Celui-ci a ainsi déclaré : « A mon tour de prendre la parole sur cet important projet de loi pour la société québécoise et d'indiquer d'emblée à la ministre ainsi qu'à tous les parlementaires de cette assemblée que l'opposition appuie ce projet de loi et que ça nous fait extrêmement plaisir de voir que le Gouvernement a finalement déposé un projet de loi qui vraisemblablement sera adopté avant la fin de la présente session. »

(Rires et exclamations sur divers bancs.)

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

On croit rêver !

M me la présidente.

Mes chers collègues, seul M. Bloche a la parole !

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis.

Et que s'est-il passé finalement ? L'Assemblée nationale québécoise a adopté, à l'unanimité, le projet de loi no

32.

M. Michel Meylan.

Les Québecois font comme ils veulent !

M. Charles Cova.

Ce ne sera pas le cas chez nous !

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis.

Du rêve à la réalité, tel est le passage qui me ramène au sein de notre Assemblée nationale afin d'évoquer le positionnement évolutif de nos collègues de l'opposition.

L'opposition française est divisée dans son opposition au pacte civil de solidarité. Cela était perceptible dès la première lecture, cela est devenu visible à la seconde. Il est vrai que les intiatives de la majorité sénatoriale, même non abouties, ont contribué grandement à creuser le fossé entre une opposition visitée par un âge d'or lointain où les couples ne pouvaient trouver d'autre salut que dans le mariage et une opposition essayant de ne pas faire le grand écart entre sa promotion de la liberté du marché et celle de la liberté des choix de vie privée.

Je laisserai à la première le risque de la lassitude, puisque le nouveau dépôt d'amendements déjà examinés en deuxième lecture sur un texte resté identique donnera l'impression d'une pièce déjà jouée.

A la seconde opposition, dont j'ai cru comprendre qu'elle préférait une rétrospective des conditions de notre actuel débat, je rappellerai que l'action politique a plutôt pour conséquence, pour une majorité, d'assumer ses responsabilités, notammment lorsqu'elle a pris des engagements à l'occasion d'une échéance électorale importante.

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis.

Le PACS est en débat depuis huit ans. La première proposition de loi a été déposée en 1992, et Jean-Pierre Michel était l'un des signataires. Il ne s'est naturellement rien passé entre 1993 et 1997. Et nous abordons la troisième lecture de cette proposition de loi, alors que le gouvernement de Lionel Jospin vient, de fêter son deuxième anniversaire.

Pendant toute cette période, les juges ont continué à juger en nous indiquant assez clairement que la loi devait prendre le relais d'une jurisprudence qui ne pouvait plus évoluer. Parallèlement, ceux qu'on appelle les experts, assez discrets jusqu'à l'automne dernier, ont rattrapé leur retard sans pour autant contribuer à une clarification du débat et en nous indiquant trop souvent qu'on pouvait être un intellectuel et être gêné par l'homosexualité.

Que nous restait-il donc à faire, sinon légiférer, avec la seule légitimité qui vaille, celle du suffrage universel ? Sans que personne sur ces bancs ait demandé, avant l'ouverture du débat parlementaire, la création d'une commission spéciale, sans qu'il ait été jugé utile de mettre en place des groupes de travail, qui ont souvent pour conséquence de vouloir résoudre un problème par l'immobilisme, nous avons travaillé dans le cadre des dispositions classiques prévues par le règlement de notre Assemblée nationale, tout particulièrement au sein des deux commissions qui avaient été saisies.

Ainsi la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a-t-elle été amenée à jouer pleinement son rôle, en prenant notamment en compte la dimension sociale du PACS et en adoptant des amendements renforçant cet aspect de la proposition de loi.


page précédente page 05504page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

C'est donc en cohérence avec le travail qu'elle a déjà accompli qu'elle a donné un avis favorable à l'adoption sans modification de la proposition de loi, rejetée par le Sénat en deuxième lecture, relative au pacte civil de solidarité.

Pour la première fois sans doute dans l'histoire des institutions de la Ve République, l'initiative parlementaire aura permis d'aborder complètement un sujet sociétal. La majorité de notre assemblée a ouvert un chemin qu'il faudra à nouveau emprunter pour persuader nos concitoyens que les représentants qu'ils se sont choisi sont, tout simplement, dans la vie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente.

J'ai reçu de M. Philippe DousteBlazy et des membres du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson.

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1981, la défunte Union de la gauche s'était fait élire sur le slogan :

« Changer la vie ». Ce fut un retentissant échec ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

Mes chers collègues !

M. Charles de Courson.

Aujourd'hui, la gauche veut changer de société en devenant libertaire. Car la philosophie politique qui sous-entend ce texte est libertaire.

M. Charles Cova.

Et liberticide !

M. Charles de Courson.

Elle constitue une grave atteinte à la cellule familiale, puisqu'elle substitue la paire, et non le couple, à la famille. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Vous créez un monstre protéiforme, une chimère juridique qui ne s'articule pas avec l'état du droit existant et qui nie les droits fondamentaux des êtres humains. Même une partie de votre majorité reconnaît, en privé, le caractère juridiquement monstreux de votre proposition de loi. (Protestations sur les mêmes bancs.)

Mme Raymonde Le Texier.

Vous pourriez préciser ?

M. Charles de Courson.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous n'étiez pas très nombreux, mes chers collègues, lorsque nous avons voté l'exception d'irrecevabilité, le 9 octobre 1998. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Patrick Malavieille.

Ça a changé !

M. Charles de Courson.

Le PACS est un contrat déséquilibré qui privilégie les droits de certains citoyens au détriment de ceux d'autres citoyens et qui accentue les inégalités sociales. Mais votre Gouvernement ne fait en ce domaine que poursuivre la logique déjà à l'oeuvre en matière économique.

En l'état actuel, ce texte est inconstitutionnel pour deux raisons de forme et quatre raisons de fond.

Je reprendrai brièvement les arguments irréfutables précédemment avancés ici par mes collègues de l'opposition quant à l'incohérence qui a marqué toute l'élaboration de ce texte. La « promenade sémantique » (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.) de votre projet est pourtant significative.

Mme Odette Grzegrzulka.

Messieurs les poètes, bonsoir !

M. Charles de Courson.

On a parlé de CUC ; pour ceux qui ne s'en souviennent plus, cela signifie : contrat d'union civile. On a parlé de CUCS, de contrat d'union civile et sociale. Et de PIC, de pacte d'intérêt commun.

Enfin, pour finir, de PACS.

M. Maurice Leroy.

Encore un effort !

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Le fond est resté le même, c'est ce qui compte !

M. Charles de Courson.

La chronologie témoigne d'ailleurs du malaise de la majorité pour élaborer un texter épondant aux exigences de minorités qu'elle croit composer clientèle électorale. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Malavieille.

C'est nul !

Mme Odette Grzegrzulka.

Liaisons dangereuses !

M. Charles de Courson.

Les fluctuations temporelles : huit ans de gestation, M. le rapporteur l'a rappelé, puis une soudaine nécessité impérieuse qui implique un examen au pas de charge en moins d'un an, ne sont pas moins savoureuses.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Au pas de charge ! En un an ?

M. Charles de Courson.

Cette absence de projet polit iquement clair se double d'une lâcheté originelle, puisque le Gouvernement fait traduire ses promesses électorales en un texte déposé par des députés de la majorité au lieu d'en assumer un lui-même. (« Et alors ? » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yann Galut.

C'est incroyable de la part d'un député !

Mme la présidente.

Mes chers collègues, laissez poursuivre M. de Courson !

M. Charles de Courson.

Ce texte d'ailleurs n'a pas fait l'objet d'un travail suffisant. Un calendrier incohérent a conduit au « saucissonnage » de la discussion de ce « projet majeur de société », pour reprendre votre expression favorite. Le déficit démocratique dont a souffert l'élaboration de ce texte est patent et constitue une atteinte à la dignité de la représentation nationale. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Maurice Leroy.

Tout à fait !

M. Francis Hammel.

Vous dites n'importe quoi !

M. Charles de Courson.

Ce texte, dont le Gouvernement a souligné encore tout à l'heure le caractère capital, n'a pourtant guère suscité de travail en commission. A cause de l'absence d'un réel programme d'audition, de nombreuses organisations représentatives des citoyens n'ont même pas été sollicitées. Pour donner quelques exemples, les associations familiales n'ont pas été auditionnées...

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Si !

M. Charles de Courson.

... pas plus que les églises, les courants de pensée et j'en passe. (« Les sectes ? », sur les bancs du groupe socialiste.)


page précédente page 05505page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

Il aurait également fallu pouvoir réfléchir à l'ensemble des problèmes posés par le texte et à ses conséquences fiscales, sociales, juridiques voire psychologiques. Pour mémoire, la commission des finances de l'Assemblée nationale n'a même pas été saisie pour avis. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Maurice Leroy.

En effet !

M. Charles de Courson.

Enfin, vous avez contourné le contrôle du Conseil d'Etat en passant par votre majorité parlementaire, sans doute afin d'éviter que la Haute assemblée ne souligne les incohérences juridiques de ce texte.

Mes chers collègues, le premier motif d'inconstitutionnalité quant à la forme tient au camouflet infligé à la représentation nationale. Peut-on tolérer que l'Assemblée nationale vote, en violation de son règlement,...

M. Maurice Leroy.

C'est intolérable !

M. Charles de Courson.

... une nouvelle proposition de loi quasiment semblable à celle rejetée le 9 octobre 1998 par l'adoption de l'exception d'irrecevabilité ? Je voudrais vous rappeler, mes chers collègues, l'article 91-4 du règlement de l'Assemblée nationale.

M. Maurice Leroy.

Ils s'assoient dessus !

Mme Odette Grzegrzulka.

Parlez-nous plutôt d'amour, monsieur de Courson ! (Sourires.)

M. Charles de Courson.

« Il ne peut être mis en discussion et aux voix qu'une seule exception d'irrecevabilité dont l'objet est de faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles, et une seule question préalable dont l'objet est de faire décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer. L'adoption de l'une ou l'autre de ces propositions entraîne le rejet du texte à l'encontre duquel elle a été soulevée. »

L'adoption de cette nouvelle version créerait un précédent redoutable, vidant de sa substance l'effet de l'exception d'irrecevabilité...

M. Maurice Leroy.

C'est vrai !

M. Charles de Courson.

... et de certaines dispositions du règlement de l'Assemblée nationale (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste), puisque l'article 84-3 du règlement dispose que « les propositions repoussées par l'Assemblée ne peuvent être reproduites avant un délai d'un an. »

(« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Or le texte proposé le 14 octobre 1998 reprenait pour l'essentiel les dispositions du précédent texte rejeté par la représentation nationale, à quelques ajouts près, destinés à maquiller la manoeuvre. La rapidité avec laquelle cette seconde version a été proposée témoigne d'ailleurs de ce tour de passe-passe, par lequel les dispositions du texte, comme mises dans un chapeau, sont simplement réinscrites dans un ordre différent.

M. Maurice Leroy.

C'est Michel Majax !

M. Charles de Courson.

L'ajout de deux dispositions - l'enregistrement du PACS à la préfecture et l'extension des avantages aux fratries - n'a donné le change que de manière bien passagère : elles ont été supprimées du texte au cours même du débat.

L'introduction au rapport de M. Michel fait d'ailleurs explicitement référence au vote du 9 octobre 1998 :

« cette motion de procédure doit son adoption à un rapport numérique momentanément favorable à l'opposition... »

M. Maurice Leroy.

C'était très élégant !

M. Charles de Courson.

Vous apprécierez l'humour de cette phrase ! Est-ce à dire que les motions de procédure n'ont pas vocation à être adoptées si elles émanent de la minorité parlementaire ? Etrange conception de certains de nos collègues et du Gouvernement en matière de démocratie !

M. Claude Gaillard.

Absolument !

M. Charles de Courson.

Au fond, le PACS ressemble à l'hydre de Lerne dont les sept têtes monstrueuses repoussaient au fur et à mesure qu'elles étaient tranchées. Mais Hercule, alias le Conseil constitutionnel, en viendra à bout. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Maurice Leroy.

Bravo Hercule !

M. Charles de Courson.

Deuxième argument de forme, ce texte enfreint également le principe posé à l'article 40 de la Constitution. En effet, celui-ci précise que : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. » Or le PACS va entraîner une diminu-

tion des recettes de l'Etat, puisque M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a indiqué que l'adoption de ce texte coûtera au moins six milliards de francs à l'Etat. Le coût, en fait, sera bien supérieur. A cet égard, il est curieux qu'aucune évaluation n'ait été faite à l'Assemblée nationale, notamment par la commission des finances, qui n'a même pas été saisie pour avis. Pourtant, les répercussions financières de ce texte ne font aucun doute.

M. Michel Meylan.

Eh oui !

M. Charles de Courson.

J'ai donc été contraint de me livrer à un certain nombre de travaux pour calculer l'ordre de grandeur du coût du PACS. En voici les résultats (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) : le manque à gagner pour le Trésor public en matière d'impôt sur le revenu se situe dans une fourchette de 1 à 3 milliards de francs...

M. Francis Hammel.

Quelle précision ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Charles de Courson.

... en fonction du pourcentage des personnes remplissant les conditions pour signer un PACS. Toute la question est de savoir combien elles seront à recourir au PACS...

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Charles de Courson.

... sachant que, plus le revenu est élevé, plus il devient avantageux de se pacser.

M. Maurice Leroy.

Le PACS, c'est fait pour les rupins !

M. Charles de Courson.

De même, en matière de droits sur les successions, l'abattement prévu par la proposition occasionnera un coût minimum de 4 milliards.

M. Bernard Outin.

M. de Courson a même calculé cela ! Apparemment, il a envie de se pacser !

M. Charles de Courson.

Mais il sera probablement bien supérieur - peut-être jusqu'à 9 ou 10 milliards - si le PACS est utilisé par de bons conseillers fiscaux, et que le droit actuel des successions est contourné.


page précédente page 05506page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

M. Bernard Birsinger.

En cas de mariage, le coût pour l'Etat sera encore plus élevé !

M. Charles de Courson.

Enfin, il y a le coût indirect du PACS, qui pèsera probablement beaucoup plus lourdement sur les contribuables, et surtout sur les cotisants sociaux, puisqu'il se situera entre 15 et 20 milliards par an : c'est ce qui résultera en effet, inéluctablement, du versement des prestations de retraite. Comme nous l'avons dit au cours des précédentes lectures, ce coût est bien inéluctable, même si vous le niez aujourd'hui, en nous expliquant que le texte, tel qu'il est, ne reconnaît aucun droit supplémentaire aux futurs pacsés en matière de retraite. Mais, mes chers collègues, soyons sérieux !

M. Francis Hammel.

Nous le sommes !

M. Charles de Courson.

Comment pourrez-vous refuser d'accorder au pacsé survivant avec enfant la pension de réversion que vous versez à la veuve d'un couple marié avec enfant ?

M. Maurice Leroy.

Bien sûr !

M. Charles de Courson.

Je suis étonné qu'une telle perspective puisse être envisagée sur les bancs de l'actuelle majorité, car je la qualifierai, purement et simplement, d'antisociale. Vous n'avez d'ailleurs pas compensé ces pertes de recettes par un gage, et ce dans l'ensemble des cas.

Mme Muguette Jacquaint.

Vous ne nous parlez que d'argent !

M. Patrick Malavieille.

Eh oui, il ne pense qu'à ça.

L'argent, il n'a que ce mot-là à la bouche ! Et la tendresse, bordel ?

M. Charles de Courson.

Certes, la proposition a été gagée s'agissant de certaines dispositions fiscales mais, sur de nombreux autres points, il n'a pas été tenu compte de l'article 40 alors pourtant qu'il y aura aggravation des dépenses.

J'en arrive ainsi au deuxième temps de ma démonstration : l'irrecevabilité financière du PACS tient également à l'aggravation des charges publiques. Par exemple, l'article 1er de la proposition prévoit le dépôt de l'enregistrement des PACS aux greffes des tribunaux d'instance.

Mais la proposition de loi ne prend aucunement en compte le coût supplémentaire en moyens humains, financiers et matériels engendré par ces nouvelles charges de gestion.

Autre exemple, les dispositions relatives au bail qui figurent dans l'article 9 ne prévoient pas de compensation financière à l'aggravation des dépenses liée au transfert de bail dans les OPAC ou les offices publics d'HLM, alors qu'il est de jurisprudence constante du Conseil constitutionnel que la notion de charge publique s'applique non seulement à l'Etat, aux collectivités locales et à la sécurité sociale, mais aussi à tous les organismes publics.

M. Maurice Leroy.

C'est l'article 40 !

M. Charles de Courson.

On voit donc bien que, sur ce premier point, la proposition de loi est anticonstitutionnelle.

J'en viens aux quatre raisons de fond pour lesquelles ce texte est contraire à la Constitution.

La première est que le PACS porte atteinte au droit de propriété pourtant consacré comme principe constitutionnel par la décision du 16 janvier 1982 du Conseil constitutionnel. Les praticiens, notaires, avocats et autres juristes se déclarent choqués par le principe d'indivision retenu pour les biens des personnes placées. De nombreux conflits naissent, en effet, des indivisions dans lesquelles des familles sont placées, et les drames familiaux ne pourront que se multiplier, générant des situations ubuesques.

Prenons l'exemple d'un couple marié qui divorce ; leur communauté de biens n'est pas encore réglée et il faut souvent des années pour y parvenir. Supposons que l'un des ex-époux décide de se « pacser », comme la proposition actuelle le lui permet. Eh bien, dans ce cas, les biens non encore liquidés à la suite du divorce tomberont dans l'indivision du PACS !

M. Maurice Leroy.

Bien entendu !

M. Charles de Courson.

L'ex-conjoint du pacsé verra tomber dans l'indivision des biens sur lesquels il peut légitimement prétendre exercer un droit de propriété. Or l'indivision est par nature un régime transitoire et inorganisé dans lequel le code civil prévoit que nul ne peut être contraint de demeurer. Selon l'article 815 du code civil :

« Nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut être toujours provoqué, à moins qu'il n'y ait été sursis par jugement ou convention. » Il aurait

donc fallu limiter la présomption d'indivision à certains biens et interdire la demande de partage judiciaire pendant la durée du pacte en imposant l'obligation de liquider l'indivision dans l'année suivant la fin du pacte.

Le PACS porte également atteinte aux droits des créanciers. Les effets de l'indivision dans les relations avec les tiers sont totalement passés sous silence. Pourtant, les conséquences tant juridiques que financières de l'indivision portent atteinte aux droits des créanciers. Quelles seront les solutions apportées, par exemple, à un couple de pacsés qui a emprunté pour l'achat d'un logement ? Le droit de propriété constitue l'un des droits fondamentaux consacrés par l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Je vous le rappelle : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. »

L'article XVII de cette déclaration précise encore : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. » Or l'insé-

curité juridique totale dans laquelle sont laissés les cocontractants d'un PACS s'étend également aux tiers et porte atteinte à leur droit de propriété sur les sommes qui leur sont dues. Le tiers peut ignorer que le pacte a été dissous, s'il l'a été automatiquement par exemple par le mariage de l'un des cocontractants. On voit donc bien que, sur le fond, le pacte constitue une atteinte au droit de propriété.

Plus grave, et c'est le deuxième argument que je voudrais développer, le PACS porte atteinte à la liberté individuelle. Il porte atteinte, tout d'abord, au respect de la vie privée, composante de la liberté individuelle dans la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel.

Notre collègue Jean-François Mattei a dénoncé, à juste titre « la confusion entre la liberté individuelle et l'organisation sociale ». Chacun, mes chers collègues, a le droit de choisir librement son mode de vie, mais ce n'est pas à l'Etat d'entériner et de traduire juridiquement ces choix individuels. Il ne revient pas à la loi de donner un cadre juridique et une légitimation sociale au couple homosexuel ou à la vie sous le même toit de deux personnes qui souhaitent vivre en union libre.


page précédente page 05507page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

Tout à l'heure, l'une de mes collègues s'est écriée :

« Monsieur de Courson, parlez-nous d'amour ! (Sourires.)

Mais, et je l'ai déjà souvent expliqué à cette chère collègue, l'amour relève non pas de la loi, mais de la vie privée. Et les sphères privée et publique doivent demeurer distinctes. C'est cette séparation entre la sphère publique et la sphère privée qui témoigne de la liberté dont bénéf icient les individus et c'est la garantie de cette distinction par la loi que l'Etat doit protéger. Or le caractère sexuel du PACS...

M. Francis Hammel.

N'est pas obligatoire !

M. Charles de Courson.

... et ses modalités de déclaration et d'enregistrement portent atteinte au principe constitutionnel de respect de la vie privée. Le caractère sexuel du PACS est clair, contrairement à ce qui est souvent dit, y compris par les rapporteurs. Sinon, pourquoi le texte maintiendrait-il des tabous sexuels, telle la prohibition de l'inceste prévue dès l'article 1er ? C'est bien que la raison première du PACS réside souvent dans la relation sexuelle entre deux personnes, même si elle n'est pas exclusive. Certes, le dépôt d'une déclaration de pacte ne vaut pas obligation de relations sexuelles, mais il établit une forte présomption. Or la relation sexuelle ressort éminement du domaine de la vie privée et ne doit pas constituer un objet juridique. Le principe même du totalitarisme réside dans la volonté que l'Etat régisse les relations de la sphère privée. Le respect de la vie privée s'oppose à ce qu'un tiers puisse avoir connaissance de son intimité. D'ailleurs, pour la Cour européenne des droits de l'homme, la vie affective et les relations sexuelles sont du domaine de la vie privée, de la sphère intime de chaque individu dans laquelle la société ne peut ni ne doit s'ingérer.

En outre, le PACS porte également atteinte à la liberté de se marier.

M. Francis Hammel.

Pas du tout !

M. Charles de Courson.

Donc, à la liberté individuelle puisqu'il n'est pas possible de se marier dans les trois mois suivant la signification de la décision de rupture unilatérale d'un pacte. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs consacré le principe de la liberté matrimoniale comme principe de valeur constitutionnelle, composante de la liberté individuelle, dans sa fameuse décision du 13 août 1993.

Troisième argument de fond, le PACS porte atteinte a u principe d'égalité. « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit », affirme l'article Ier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Eh bien, mes chers collègues, le PACS, qui prétend lutter contre des exclusions, génère en fait lui-même de nouvelles discriminations ! Première discrimination, le PACS rompt le principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Monique Collange.

Au contraire !

M. Charles de Courson.

Attendez donc l'argumentaire avant de protester !

M. Gérard Hamel.

C'est insupportable !

M. Charles de Courson.

Le principe d'égalité devant les charges publiques est consacré par la jurisprudence constitutionnelle comme un corollaire du principe d'égalité : c'est la fameuse décision du 12 juillet 1979. Mais le critère de différenciation qui justifierait que le législateur octroie des avantages fiscaux à une catégorie de citoyens doit être en rapport avec le but que le législateur s'assigne. C'est ce que rappelle la décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1981. Voilà pourquoi l'article 2 de la proposition de loi, en son deuxième alinéa, rompt l'égalité des citoyens devant les charges publiques. Le Conseil constitutionnel a en effet précisé dans sa fameuse décision sur la loi de finances pour 1999 que « les dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946 impliquent la mise en oeuvre d'une politique de solidarité nationale en faveur de la famille ». Or, n'en déplaise à MM. les rapporteurs, un couple homosexuel ne forme pas une famille, au sens des dixième et onzième alinéas de la Constitution de 1946.

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Charles de Courson.

En outre, le PACS sera d'autant plus avantageux que les pacsés auront des revenus et un patrimoine élevés. N'est-il pas paradoxal qu'une majorité, qui se prétend de gauche, propose un texte qui profite avant tout aux plus riches ? Mais il est vrai que vous n'en êtes pas à un paradoxe près...

M. Bernard Schreiner.

Oh, tout à fait !

M. Charles de Courson.

Qui va supporter la charge du PACS ? Un de mes collègues de la majorité a dit tout à l'heure : « Vive la baisse des impôts ! » Mais il va bien falloir financer le PACS, n'est-ce pas ?

Mme Christine Boutin.

En effet !

M. Charles de Courson.

Ce sont les couples mariés, les couples vivant en concubinage et les célibataires qui devront supporter la charge du PACS, puisque la diminution des prélèvements obligatoires pour les pacsés devra bien être compensée par une augmentation des prélèvements sur les autres catérogies sociales. Tant que les dépenses publiques n'auront pas été réduites, il s'agit en effet d'un jeu à somme nulle entre les différentes couches de la société. Les 7 millions de personnes vivant seules les célibataires, les veufs, les veuves, les divorcés - se retrouveront ainsi reléguées encore plus loin sur l'échelle des inégalités fiscales et sociales. Les couples concubins vont se retrouver dans une situation bien plus défavorable fiscalement que les pacsés.

En ordre décroissant d'avantages fiscaux et sociaux, le mariage demeure de peu l'institution la plus favorable, mais les obligations à la charge des époux en font un contrat dont le rapport est moins intéressant que le PACS. Puis vient le PACS, et enfin le concubinage qui sera le grand perdant. En effet, les couples concubins ne bénéficient pas des nombreux avantages que les pacsés vont se voir accorder. Ainsi, la proposition de loi n'a pas prévu que les pacsés ne pourraient pas bénéficier de la demi-part supplémentaire attribuée aux célibataires et divorcés qui élèvent seuls un enfant. Donc, les uns l'auront et pas les autres, alors qu'ils peuvent être dans la même situation juridique.

Enfin, il y a rupture d'égalité au sein des pacsés parce que le PACS est un produit à géométrie variable. Un PACS a minima n'est assorti d'aucune obligation ou presque. Mais, par l'adjonction de toute une série de disposition, il peut se transformer en un quasi-mariage. Il suffit d'y introduire, par voie conventionnelle, l'ensemble des éléments qui existent dans l'institution du mariage.

Or, mes chers collègues, vous accordez les mêmes droits à des personnes dont les PACS vont d'un contrat a minima à un quasi-mariage.


page précédente page 05508page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

Par ailleurs, et je vais reprendre l'exemple que vous nous avez souvent cité des deux veuves qui, parce qu'elles s'ennuient, parce que leurs enfants sont loin, habitent sous le même toit. Allez-vous donner à ces deux veuves, formant une communauté de vie à caractère non sexuel, les mêmes avantages qu'à un couple hétérosexuel avec trois enfants ?

M. Maurice Leroy.

Eh oui !

M. Charles de Courson.

On le voit, le PACS introduit une rupture d'égalité totale entre les différentes catégories.

M. Francis Hammel.

Les gens choisissent !

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Ils sont libres !

M. Charles de Courson.

On a même une double rupture, parmi les pacsés, entre ceux qui, d'une part, sont dans la même situation mais ont des PACS extrêmement hétérogènes, et ceux qui, d'autre part, ont un PACS identique mais sont dans des situations hétérogènes.

Enfin, le PACS est aussi contraire au principe d'égalité devant la loi. La première atteinte à ce principe se manifeste d'ailleurs dès le premier alinéa de l'article 1er

Mme Véronique Neiertz. Ou bien vous êtes pour et vous vous taisez (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et indépendants.) ou bien...

Mme la présidente. Madame Neiertz, vous n'avez pas la parole ! M. Charle de Courson. Les rédacteurs ont été tellement convaincus du danger de ce texte qu'ils l'ont rendu inaccessible aux mineurs et aux majeurs sous tutelle, à la suite, d'ailleurs, des observations de l'opposition. Pourtant, c'est un paradoxe, car ces mêmes catégories peuvent se marier dès l'âge nubile. Vous avouerez qu'il est assez étrange que des personnes, répondant aux mêmes conditions, puissent se marier mais pas se pacser.

M. Yann Galut. C'est bien la preuve que les institutions sont différentes ! M. Charles de Courson. L'incohérence de ce texte se manifeste également par sa volonté de donner un cadre juridique unique à des situations inassimilables : celle des couples homosexuels, celle des couples hétérosexuels et celle des communautés de vie à caractère non sexuel.

Ce texte entend accorder aux personnes pacsées tout ou partie des avantages fiscaux des couples mariés - déclaration unique de revenus, droits de succession minorés - et de leurs droits sociaux - droit au rapprochement p our les fonctionnaires, couverture maladie - alors qu'elles ne remplissent pas les mêmes fonctions sociales de transmission de la vie et d'éducation des enfants.

Or le Conseil constitutionnel précise dans une jurisprudence constante que « le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité p our des raisons d'intérêt général. Il faut un rapport logique entre la règle discriminatoire et l'intérêt général poursuiv i par l'objet de la loi. En l'occurrence, on ne peut discerner l'intérêt général qui justifierait ces discriminations.

Par ailleurs, la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel ne justifiera une différence de traitement que par une différence de situation. Or, précisément, les avantages fiscaux et sociaux accordés par le mariage sont justifiés par la contrepartie que représentent les obligations à la charge des époux.

En effet, le mariage instaure des engagements réciproques. La société préserve le respect de ce contrat et garantit les droits du plus faible. Les droits accordés par le mariage ne sont pas des cadeaux. Ils constituent la contrepartie de devoirs définis aux articles 203 et 212 à 215 du code civil, que ceux qui, parmi vous, sont maires ne manquent pas de rappeler lors de la cérémonie du mariage.

Or le PACS légitime l'irresponsabilité, puisque les avantages consentis à un couple le sont afin de récompenser une certaine stabilité affective, dans une logique de politique familiale.

Mme Christine Boutin.

Absolument !

M. Charles de Courson.

Ainsi les droits de succession se comprennent dans le sens d'une transmission verticale aux enfants, voire aux petits-enfants, et non dans celui d'une transmission horizontale entre co-pacsés, comme le souligne l'historien Philippe Garabiol.

L'irresponsabilité est donc bien la valeur principale prônée par la gauche : le désir de sa liberté, indépendamment de celle des autres, quelles qu'en soient les conséquences ; la culture de l'instant sans la moindre formalité.

Mme Christine Boutin.

Incroyable !

M. Charles de Courson.

Par ailleurs - il s'agit d'un point très délicat - le PACS peut être rompu par une décision unilatérale et non motivée de l'un des cocontractants. En cas de refus de la rupture par consentement mutuel le juge définit les règles de partage des biens. Tel est l'esprit de la proposition de loi.

Eh bien, mes chers collègues, cette décision individuelle de révocation est contraire au principe général de révocation par consentement mutuel des conventions posé par l'article 1134 du code civil : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. » En

l'espèce tout contractant d'un PACS sera un futur abandonné. Ce texte ne prévoit aucune protection contre le consumérisme qu'il met en oeuvre.

La majorité actuelle illustre bien le gouvernement des inégalités, en instaurant, à travers ce texte, une philosophie libertaire, donc liberticide, qui sera essentiellement préjudiciable au plus faible. Le PACS consacre ainsi la victoire de la loi du marché sous sa forme le plus extrême, pour ne pas dire la plus brutale, dans laquelle seule la loi du plus fort prévaut.

Le code civil prévoit les modalités de rupture du mariage, justement pour les réglementer et protéger le conjoint le plus démuni, par exemple à travers l'instauration d'une pension alimentaire. Ces dispositions ont précisément pour but d'éviter que la rupture ne dérive vers la répudiation. Or le répudié, ou l'ex-copacsiste malgré lui, sera privé de tout droit. On revient à l'état de nature ou, plutôt, à la loi de la jungle.

Pourtant, il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation, en particulier d'un arrêt de la chambre civile du 16 juillet 1992, qu'« une loi étrangère instaurant une répudiation sans prestation compensatoire, ni pension alimentaire, ni dommages et intérêts pour l'épouse doit être écartée comme étant contraire aux règles d'ordre public françaises. » C'est un élément essentiel qui rappelle

que le droit étranger en matière de répudiation ne s'applique pas en droit interne français.


page précédente page 05509page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

La répudiation est également contraire au principe du respect de la dignité de la personne humaine qui a été consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993.

La loi ne doit pas être mise au service d'intérêts catégoriels. Elle est le langage du corps social qui dit sa préférence pour certains modèles institutionnels.

Enfin, et j'insisterai particulièrement sur ce quatrième et dernier point, le PACS porte atteinte au principe constitutionnel de protection de la famille et de l'enfant.

Ainsi les dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946, qui a valeur constitutionnelle, précisent :

« La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.

« Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs... »

Or, mes chers collègues, le PACS porte effectivement atteinte au principe constitutionnel de protection de la famille. En effet la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 précise, dans son article 16, alinéa 3 :

« La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'Etat. »

M. Maurice Leroy.

Voilà !

M. Charles de Courson.

En faisant du mariage une forme de conjugalité parmi d'autres, le PACS affaiblit l'utilité sociale de cette institution, donc dénie le rôle de cohésion sociale à la famille.

Mme Dominique Gillot.

C'est faux !

M. Charles de Courson.

La famille est un véhicule de civilisation. Le mariage est l'institution privilégiée qui socialise les acteurs de l'avenir de la société, en particulier les enfants.

En revanche le PACS entraîne une fragilisation de la famille par les avantages offerts sans imposer les obligations correspondantes : les droits sans les devoirs. Ce mariage, que certains ont qualifié de « jetable », incitera une partie des couples hétérosexuels à choisir le PACS, c'est-à-dire plutôt une union précaire que pérenne. Pourtant le législateur doit réserver les principaux avantages fiscaux aux unions pérennes, gage de stabilité et de cohésion sociale.

Le PACS représente ce que certains ont appelé une sorte de « mariage kleenex », offrant généreusement une bonne partie des avantages du mariage en matière fiscale et sociale, tout en permettant qu'il soit rompu et reconclu à volonté, ad libitum diront certains, voire avec la même personne sans condition de durée, de délai, de limitation, de nombre.

Dans la proposition de loi que vous présentez à la représentation nationale, rien ne précise les conditions entourant la conclusion du PACS. Il pourrait y avoir des

« multipacsistes » (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), des récidivistes du PACS, qui enchaîneront les PACS toutes les semaines, puisque le délai de trois mois, je vous le rappelle, mes chers collègues, ne s'appliquera qu'en cas de rupture unilatérale et non s'il y a consentement mutuel.

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Charles de Courson.

On peut même envisager un concours de celui qui conclura le plus grand nombre de PACS en une année, dont le jury pourrait être présidé par Eddie Barclay (Rires et exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Jean Vila.

Ridicule !

Mme Muguette Jacquaint.

Ne soyez pas outrancier !

M. Charles de Courson.

J'ai même entendu plusieurs fois, ici, vanter les mérites du PACS, comme le nouveau produit à la mode : simple, commode, facile et sans frais.

Mme Véronique Neiertz.

Cela existe aussi pour le mariage !

Mme la présidente.

Madame Neiertz, un peu de calme !

M. Charles de Courson.

Peut-être verra-t-on se développer des agences de publicité proposant de conclure des PACS selon les revenus de chacun ou en fonction des avantages fiscaux à en retirer.

Le PACS sera certainement une cause d'augmentation des divorces. (Rires et exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Yves Rome.

Il faut être marié pour divorcer !

M. Charles de Courson.

En effet, mes chers collègues, le PACS se substituera au mariage. Je peux même vous en apporter la preuve. (« Ah ! » sur les mêmes bancs.)

Mme Véronique Neiertz.

Il y aura des PACS et des mariages. Il n'a rien compris !

Mme la présidente.

Un peu de silence, mes chers collègues, vos conversations créent un bruit de fond très désagréable !

M. Charles de Courson.

Souvenez-vous qu'à la fin de 1995, j'avais fait adopter un amendement qui visait à rétablir l'égalité fiscale entre les couples concubins et les couples mariés en matière de nombre de parts. Je rappelle d'ailleurs, mesdames, messieurs de la majorité, que vous l'aviez combattu, mais que vous ne l'avez pas remis en cause une fois au pouvoir. Or, aussitôt, le nombre de mariages, qui était en diminution constante depuis plus de quinze ans, s'est fortement redressé : il est passé de 255 651 en 1995 à 284 500 en 1997. (Exclamations sur les mêmes bancs.)

Mes chers collègues, c'est ce que certains ont appelé les

« mariages de Courson ».

D'ailleurs le vingt-septième rapport sur la situation démographique de la France qui a été présenté par Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité attribue très clairement cette augmentation au changement de la législation fiscale. Il ne fait aucun doute que l'éventuelle adoption de la proposition de loi sur le PACS portera un coup à l'institution familiale née du mariage et protégée par la Constitution.

La dévaluation relative du mariage, des solidarités fondées sur la famille et des transmissions aux générations successives, accentuera la montée des inégalités et, surtout, des exclusions. Vous qui prétendez lutter contre les exclusions, vous allez en générer de nouvelles, et en plus grand nombre encore.

En deux ans votre majorité a fait perdre aux familles plus de 15 milliards de francs.

(Vives protestations sur les mêmes bancs.) Mais pourquoi, mes chers collègues, en voulez-vous autant aux familles ? Feriez-vous vôtre ce triste slogan de l'entre-deux-guerres : « Familles, je vous hais » ? (Rires et exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Jean Vila.

Quelle honte !


page précédente page 05510page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

M. Charles de Courson.

Dans l'une de ses interventions, notre collègue Nicole Catala a souligné que le mariage est une institution et non le simple carrefour aléatoire de volontés individuelles...

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

C'est vrai !

M. Charles de Courson.

... qui, engagées un jour, peuvent se délier le lendemain, parce que nos sociétés ont besoin de la stabilité qu'il apporte. Eh bien le PACS est un contrat antisocial. Tous les psychologues, les psychanalistes.

(Rires et exclamations sur les mêmes bancs)...

M. Patrick Malavieille.

Vous les connaissez bien !

M. Charles de Courson.

... s'accordent à souligner le rôle fondamental du sens de la différence. En effet, la société se construit non sur la quête de la similitude, mais sur celle de la différence, de la recherche de l'altérité.

Comme le disait Renan : « Notre histoire ne s'est pas écrite avec des personnes seules...

M. Jean-Louis Idiart.

Exact ! C'est pourquoi le PACS est une bonne idée !

M. Charles de Courson.

... nées de parents inconnus et morts célibataires sans enfants. »

Enfin, la proposition de loi sur le PACS porte atteinte au principe constitutionnel de protection de l'enfant.

C'est par cet argument que je terminerai la défense de l'exception d'irrecevabilité.

Selon les affirmations répétées de Mme la ministre de la justice et des rapporteurs, le PACS ne concernerait pas l'enfant.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler.

C'est vrai !

M. Charles de Courson.

Est-ce à dire qu'aucun enfant ne sera admis dans le cadre du PACS ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)

Il est évident que l'enfant est la première personne concernée et la plus gravement touchée par le PACS, à la fois à cause des dangers inhérents au risque de répudiation - que deviendront les enfants d'un couple dont l'un des membres aura été répudié dans le cadre du PACS ? et à l'absence de protection de la cellule familiale. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Maurice Leroy.

Il a raison et cela vous gêne !

Mme Véronique Neiertz.

Ce sera comme les enfants dont le père fout le camp !

Mme la présidente.

Mes chers collègues, laissez M. de Courson achever son exposé. Si vous le trouvez long, vous avez intérêt à ce qu'il termine rapidement son propos ! (Vives exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Bernard Outin.

Vous aussi, madame la présidente !

Mme la présidente.

Si vous ne le laissez pas achever, c'est que vous souhaitez qu'il poursuive longuement son intervention. Ceux qui désirent que notre séance s'interrompe bientôt devraient le laisser poursuivre !

M. Maurice Leroy.

Qu'ils ne reviennent en séance qu'au moment du vote !

Mme Véronique Neiertz.

M. de Courson ne sait pas ce qu'est la famille !

M. Charles de Courson.

Mes chers collègues, un peu de bon sens ! L'enfant est lié à la vie de ses parents. En laissant planer des ambiguïtés, la proposition de loi remet profondément en cause les droits de l'enfant constitutionnellement protégés.

Prenons l'exemple d'une femme enceinte pacsée qui se dépacse en cours de grossesse, puis se repacse avec un autre homme. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Quelles seront alors les règles juridiques quant à la paternité ?

Mme Christine Boutin.

Très juste !

M. Maurice Leroy.

Bonne question !

M. Charles de Courson.

Le PACS ignore l'enfant. Le père ne voit peser sur lui aucune obligation à l'égard de l'enfant.

(Exclamations sur les mêmes bancs.)

Mme Véronique Neiertz.

Et le célibataire qui laisse son enfant ?

Mme la présidente.

Du calme, mes chers collègues !

M. Charles de Courson.

Nous pourrons donc assister à l'apparition de ce que certains ont appelé « les géniteurs nomades » sur lesquels ne pourra peser aucune présomption de paternité.

(Rires et exclamations sur les mêmes bancs.)

Mme Christine Boutin.

Très juste !

M. Charles de Courson.

Au fond vous aggraverez, par le PACS, ce qui a été qualifié de crise de la paternité.

(Mêmes mouvements.)

Attention, mes chers collègues, un PACS peut en cacher un autre.

(« Ah ! » sur les mêmes bancs.)

En effet, la proposition actuelle passe sous silence l'existence même de l'enfant. Il faut reconnaître au rapporteur, notre collègue Jean-Pierre Michel, d'avoir toujours été honnête et constant dans ses errements en affirmant qu'il souhaite que les homosexuels puissent adopter un enfant.

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Charles de Courson.

Le vrai problème de l'adoption que n'a jamais voulu trancher la majorité est très simple : pouvez-vous refuser le droit d'adoption à un couple homosexuel alors que vous le reconnaissez à un célibataire ?

Mme Yvette Roudy.

On n'en est pas là !

M. Charles de Courson.

Mes chers collègues, il y a absence de courage dans ce débat alors qu'il faut choisir.

M. Maurice Leroy.

Très bien !

Mme Christine Boutin.

Absolument !

M. Charles de Courson.

J'ai toujours combattu la thèse défendue par notre collègue Jean-Pierre Michel. D'ailleurs la plupart des membres de la majorité, à l'exception de quelques rares députés, refusent tant le droit d'adoption que le recours à la PMA aux couples homosexuels. Dans ces conditions on doit être cohérent. Or Mme la garde des sceaux n'a jamais voulu nous répondre clairement sur le problème de l'adoption.

(« Si ! » sur les bancs du groupe socialiste. - « Non ! » sur les bancs du groupe Rasssemblement pour la République, du groupe Union pour la démocratie-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Maurice Leroy.

Elle n'a jamais répondu !

M. Charles de Courson.

Elle est d'accord pour maintenir le droit d'adoption aux célibataires, mais elle le refuse aux couples homosexuels. Cela est totalement incohérent : soit on suit M. Michel et l'on accorde à tout le monde le droit d'adopter ; soit on admet la thèse dont je suis le partisan avec la quasi-totalité de l'opposition nationale et l'on réserve le droit d'adoption à la famille.

En tout état de cause l'enfant ne saurait constituer un objet, voire un animal de compagnie.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Le droit à l'enfant ne doit pas supplanter tout simplement le droit de l'enfant.


page précédente page 05511page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

Mme Christine Boutin et M. Jean Auclair.

Très bien !

M. Charles de Courson.

Le PACS joue le couple homosexuel contre la famille. Il s'avère, contrairement à ce que vous avez prétendu, messieurs les rapporteurs, totalement passéiste, car la réalité de demain c'est la parentalité.

Le PACS va aussi à contre-courant des progrès de la génétique. Le droit se préoccupe de plus en plus de garantir la double parentalité éducative et l'homme ne peut plus se dérober à sa paternité.

Mme Véronique Neiertz.

L'homme se dérobe trop souvent !

M. Charles de Courson.

Le vieil adage romain selon lequel la nature ne fait que des demi-confidences à la mère est tombé devant les progrès de la science, en particulier de la génétique.

Le contrat social ne se justifie qu'au travers de l'enfant.

La cellule familiale doit demeurer la base de notre société.

Il convient de l'aider et de l'encourager parce qu'elle permet d'accueillir l'enfant, de lui fournir une éducation, de lui transmettre des valeurs qui lui permettent de s'épanouir. Or le projet de PACS renvoie à une conception atomistique de la société - certains ont dit libertaire dans laquelle des individus isolés organisent contractuellement leur vie commune sans que l'accueil de l'enfant constitue la préoccupation centrale du dispositif juridique.

L'obligation d'assumer les liens de la filiation fonde les droits attachés au mariage. En revanche, le PACS contribuera à la dégradation du tissu social. Pourtant les sociol ogues, psychanalystes et historiens s'accordent à reconnaître que la violence chez les enfants est souvent liée au milieu familial, notamment à l'absence de stabilité et de repères familiaux.

Mme Dominique Gillot.

Oh !

M. Jean-Louis Idiart.

Et chez les « bourges », qu'est-ce que c'est ?

M. Charles de Courson.

Vous allez donc contribuer, mes chers collègues de la majorité, à la multiplication de ces « sauvageons » que votre collègue, ministre de l'intérieur, s'attache à combattre. (Vives protestations sur les mêmes bancs - « Très bien ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Yann Galut.

Lamentable !

Mme la présidente.

Mes chers collègues, seul M. de Courson a la parole. Il va conclure.

M. Charles de Courson.

Parce que cette proposition de loi constitue une violation caractérisée du règlement de l'Assemblée nationale, son texte est inconstitutionnel.

Parce que cette proposition de loi enfreint les principes de recevabilité financière posés par l'article 40 de la Constitution, son texte est inconstitutionnel. Parce qu'il porte atteinte au droit de propriété, ce texte et inconstitutionnel.

Parce qu'il enfreint les règles constitutionnelles relatives au respect de la vie privée, ce texte est inconstitutionnel.

P lus grave encore, parce qu'il viole le principe constamment réaffirmé de l'égalité de tous les citoyens devant les charges publiques et devant la loi, ce texte viole la Constitution.

Enfin - et c'est probablement le plus grave - parce qu'il remet profondément en cause les valeurs fondatrices de notre société - la famille et l'enfant -, ce texte est inconstitutionnel.

Mes chers collègues de la majorité, vous songez peutêtre encore à établir la société rêvée par les sociali stes utopiques de la fin du

XIXe siècle qui ont fait la critique du mariage, ainsi que toutes les écoles marxistes ou marxisantes.

(Rires et « oui ! » sur les bancs du groupe communiste.) Néanmoins, le PACS ne représente que les pires aspects des dérives de notre société vers l'individualisme, le narcissisme et l'hédonisme (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) où seul son bien-être personnel et sa prétendue liberté au détriment du respect de celle des autres comptent.

(Rires et exclamations sur les mêmes bancs.)

Au fond, votre projet est un projet libertaire...

M. Charles Cova.

Libertin !

M. Charles de Courson.

... qui nie la nécessaire organisation de la société. Vous allez ainsi aggraver une nouvelle fois les inégalités sociales dans ce pays.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Vous ne les voyez pas vous-même !

M. Charles de Courson.

C'est au nom de la défense des principes républicains que l'opposition nationale vous demande de déclarer ce texte inconstitutionnel et de voter l'exception d'irrecevabilité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme la présidente.

La parole est M. le ministre.

M. le ministre des relations avec le Parlement.

Ma collègue Elisabeth Guigou a déjà eu l'occasion de répondre à toute cette argumentation. L'Assemblée est donc parfaitement éclairée. Le Gouvernement ne souhaite évidemment pas que cette motion soit adoptée.

Mme la présidente.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Je ne reviendrai pas sur des arguments (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste) que Mme Boutin comme M. Mattei avaient déjà développés et que l'Assemblée nationale avait rejetés.

M. Maurice Leroy.

Ah non, elle a adopté la motion de M. Mattei ! M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Mon collègue de Courson a bien voulu rendre hommage à mon honnêteté ; je suis malheureusement peiné de lui répondre que j'ai trouvé dans sa déclaration bon nombre de contrevérités et d'arguments présentés d'une façon intellectuellement malhonnête.

(« Absolument ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

J'en ferai un rapide examen.

Tout d'abord, monsieur de Courson, il est faux de prétendre que les associations familiales n'ont pas été entendues.

M. Charles de Courson.

C'est pourtant le cas ! M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Elles ont été par deux fois entendues à l'Assemblée nationale, tant par la commission des lois que par la commission des affaires sociales qui a réuni à une table ronde toutes les associations constituant l'UNAF.

M. Maurice Leroy.

C'est faux !

Mme Christine Boutin.

Elles ont été entendues par les rapporteurs, pas par les commissions ! M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Ensuite, il est faux de dire que l'article 40 a été respecté, monsieur de Courson, à moins que vous ne remettiez en cause l'appréciation qu'a faite le président de la commission des finances.


page précédente page 05512page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

M. Charles de Courson.

Bien sûr ! M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Appelé à se prononcer sur tous les articles de ce texte, il en a déclaré un seul contraire à l'article 40, en l'occurrence l'article qui étendait les droits de sécurité sociale et que le Gouvernement a repris à son compte.

Il est tout aussi faux d'affirmer que les notaires s'inquiètent de l'indivision : c'est en effet sur la proposition expresse du président de la Chambre des notaires que nous avons retenu l'indivision comme régime de la communauté des biens. Vous auriez dû assister comme un certain nombre d'entre nous au dernier congrès des notaires à Marseille, dont le thème était justement la famille : on y a évoqué le PACS tous les jours et à chaque séance. Vous sauriez que, dès aujourd'hui, les notaires s'attachent à mettre ce dispositif en pratique en préparant une série de conventions...

Mme Christine Boutin et M. Claude Goasguen.

Ce n'est pas vrai ! Plusieurs députés du groupe communiste.

Si ! M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Madame Boutin, pardonnez-moi, mais vous mentez, tout comme M. de Courson. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Christine Boutin.

Non !

M. Jean Auclair.

C'est lui le menteur !

Mme la présidente.

Ah ! voilà qui suffit monsieur le rapporteur, veuillez conclure.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Mes chers collègues, je me suis toujours efforcé de préserver la sérénité du débat par des interventions calmes et argumentées.

M. Robert Lamy.

Que voilà un argument de poids !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Mais je n'admets pas le mensonge.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean Auclair.

Le menteur, c'est vous !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Il est également faux, monsieur de Courson, de soutenir que le préambule de la Constitution de 1946 définit la famille. C'est totalement inexact. Il indique simplement que la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. De ce fait, on peut tout y mettre. Mais là où vous pêchez,...

Mme Odette Grzegrzulka.

Il ne fait que cela !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

... c'est lorsque vous essayez de faire croire à la représentation nationale que la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, qui, elle, définit la famille, aurait valeur constitutionnelle.

Or chacun sait ici, et notamment les juristes, que la Déclaration universelle de 1948 n'est en aucune manière intégrée dans le bloc constitutionnel. En d'autres termes, cet argument n'a aucune valeur.

M. Yves Nicolin.

C'est un argument de boutiquier !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

C'est possible, mais j'aime mieux être un boutiquier honnête qu'un orateur malhonnête.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Christine Boutin.

Oh !

M. Claude Gaillard.

Quelle arrogance !

M. Yves Nicolin.

Quelle formule !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Les droits de l'enfant, enfin, ne sont en rien bafoués par ce texte.

M. Charles de Courson.

Ils sont ignorés, c'est pire !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Je vous rappelle, monsieur de Courson - ni vous ni moi n'étions alors députés -,...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Il n'était pas né !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

... qu'en 1972, une majorité différente de celle d'aujourd'hui a adopté un texte sur la filiation bien plus révolutionnaire que le texte sur le PACS.

M. Charles de Courson.

Et alors ?

M. François Goulard.

Cela n'a rien à voir !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

En effet, ce texte a mis sur le même plan l'enfant légitime et l'enfant adultérin en permettant à un homme marié avec des enfants de reconnaître un enfant adultérin. Et c'était très bien.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. François Goulard.

Et alors ?

M. Christian Jacob.

C'est Mitterrand qui l'avait demandé !

M. Jean Auclair.

C'était pour Mitterrand !

Mme Christine Boutin.

Qui a utilisé ce droit !

M me la présidente.

Mes chers collègues, laissez M. Michel conclure !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Je ne puis que regretter de voir que M. de Courson, Mme Boutin et bien d'autres aient remplacé sur ces bancs notre ancien collègue M. Pierre Mazeaud, alors rapporteur de la loi de 1972, qui avait su amener la majorité de l'époque à adopter un texte autrement plus révolutionnaire que celui que nous vous proposons aujourd'hui. Je vous demande, mes chers collègues, de repousser cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Yves Nicolin.

Nous en voilà aux arguments d'arrière-boutique !

Mme la présidente.

Mes chers collègues, je suis saisie de cinq demandes d'explication de vote. Je vous ai déjà signalé qu'il est de votre intérêt de laisser les orateurs s'exprimer dans le calme mais je n'ai pas été entendue.

J'espère que vous serez désormais plus respectueux de la parole d'autrui.

M. Jean-Louis Idiart.

Oh !

Mme la présidente.

Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Yann Galut.

M. Yann Galut.

Madame la présidente, mes chers collègues, j'ai été assez surpris par le discours de M. de Courson.

M. Jean-Pierre Blazy.

Nous aussi !

M. Yann Galut.

On m'avait prévenu, lorsque je suis arrivé ici, que M. de Courson intervenait beaucoup sur les questions de fiscalité. Vous n'avez pas failli à votre


page précédente page 05513page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

réputation, cher collègue : durant la demi-heure qu'a duré votre intervention, vous ne nous avez parlé du PACS que sous l'angle de la fiscalité et des revenus.

M.

Gilbert Meyer.

Et alors ?

M.

Yann Galut.

Comme l'a remarqué une de nos collègues, où est l'amour dans tout cela ? Où sont les gens dans tout cela ? Vous nous avez seulement parlé de l'aspect financier du PACS.

M.

François Goulard.

Caricature !

M.

Yann Galut.

On pouvait s'attendre à une analyse plus fine.

M.

François Goulard.

Oh, pas avec vous !

M.

Yann Galut.

Vous nous avez parlé du règlement et du premier rejet de l'exception d'irrecevabilité. Je ne reviendrai pas sur les arguments précédemment développés. Vous savez comme nous, monsieur de Courson, que le règlement n'est pas inclus dans le bloc de constitutionnalité.

M. Richard Cazenave.

C'est donc que le règlement ne sert à rien !

M.

Yves Nicolin.

A bas le règlement ! (Sourires.)

M.

François Goulard.

Supprimez le règlement !

M.

Yann Galut.

Vous avez ensuite invoqué le fameux article 40 de la Constitution. Le rapporteur vous a répondu que le président de la commission des finances s'était prononcé sur ce point ; je n'y reviendrai donc pas.

Mais vous avez avancé un autre argument qui n'avait pas été aussi prégnant dans les débats précédents : à vous entendre, le PACS permettrait la répudiation.

M.

François Goulard.

Bien sûr !

M.

Yves Nicolin.

C'est une évidence !

M.

Yann Galut.

Or c'est faux, monsieur de Courson, et vous le savez fort bien. Vous l'avez dit vous-même : le PACS est un contrat au sens de l'article 1134 du code civil.

Mme Christian Boutin.

Et alors ?

M. Claude Goasguen.

Il n'a même pas lu le texte !

M.

Yann Galut.

Or, comme tout contrat, celui-ci peut être rompu.

M

Claude Goasguen, M. Richard Cazenave et

M.

François Goulard.

Unilatéralement !

M.

Yann Galut.

En effet. Mais nous avons désormais prévu - et cela montre le rôle utile que peuvent jouer les parlementaires de tout bord, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, pour améliorer les textes - que les conditions de cette rupture pourront être également réglées par le juge. Cet élément très important n'apparaissait pas aussi clairement en première lecture.

M.

Richard Cazenave.

Et c'est sans doute ce que vous appelez des arguments honnêtes ? M. Yann Galut. Vous ne pouvez donc parler de répudiation ; s'il fallait vous nuire, cela voudrait dire qu'aucun contrat ne pourrait plus être remis en cause.

Mme Christine Boutin. Mais sur quelles bases !

M. Yann Galut.

Tout comme il peut y avoir rupture du mariage ou rupture dans le cadre du concubinage, il pourra y avoir rupture du PACS, et le juge au besoin en appréciera les conséquences.

Un autre de vos arguments a porté sur la famille. On peut évidemment s'interroger, comme l'a fait notre rapporteur, sur ce qu'est la famille. Certes, le préambule de la Constitution parle de la famille. Mais quand j'entends n os débats, quand j'entends les interventions de Mme Boutin, les vôtres ou les nôtres, je me dis que nous ne mettons pas ce terme le même sens que vous.

Qu'est-ce que la famille, monsieur de Courson ? Ce peut être un homme et une femme mariés. D'accord.

Mais s'ils ne peuvent pas avoir d'enfant, forment-ils toujours une famille à vos yeux ? Mme Christine Boutin et

M. Charles de Courson.

Absolument ! M. Maurice Leroy. Bien sûr ! M. Yann Galut. On peut en tout cas se poser la question.

De l'autre côté, prenons un homme et une femme qui ont des enfants sans être mariés. Est-ce aussi une famille ? Mme Christine Boutin. Absolument ! M. Charles de Courson. Oui ! M. Yann Galut. Là aussi, on peut se poser la question.

Mais partant de là, je ne vois pas en quoi le PACS remettrait en cause la famille. Ce n'est pas du tout la même chose.

Par ailleurs, le préambule de la Constitution parle tout à la fois de la famille et de l'individu. Or le PACS apporte également une réponse à des individus qui, par définition, ne peuvent constituer une famille : c'est le cas des couples homosexuels. Et le groupe socialiste est fier de défendre une avancée qui permettra aux couples homosexuels de se retrouver et de se voir reconnus.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous appelle à repousser cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Mme la présidente. La parole est à M. Claude Goasguen, pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. Claude Goasguen.

J'appelle évidemment mes collègues à voter cette exception d'irrecevabilité, pour de multiples raisons.

La première tient à l'exposé, passionné et brillant, de notre ami Charles de Courson. Tout en me demandant si Mme Guigou daignera ce soir partager nos travaux, je suis heureux, monsieur le ministre des relations avec le parlement, que vous représentiez le Gouvernement au moment où nous discutons de l'exception d'irrecevabilité, car il s'agit bien d'un problème de procédure parlementaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mes chers collègues, ce n'est pas la peine de crier ainsi.

Nous allons sièger toute la nuit, alors restons calmes.

M. Jean Vila.

A cause de vous !

M. Claude Goasguen.

Incontestablement, ce débat est une première. Nous sommes sur une grave question de société, qui touche aux droits des personnes et de la famille. Sur tous les grands débats de société qui marquent notre législation - adoption, PMA, bioéthique, avortement, immigration - il était de tradition de rechercher des procédures qui, sans être consensuelles, traduisaient néanmoins une volonté de parvenir ensemble à une situation de société à peu près admise par tous, et qui permette à chacun de se reconnaître, qu'il soit dans la majorité ou dans l'opposition.


page précédente page 05514page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

Plusieurs députés du groupe communiste.

Personne ne vous interdit de voter pour !

M. Claude Goasguen.

Malheureusement, tel n'est pas le cas du PACS. De mois en mois, de débat en débat, le fossé, loin de se combler, se creuse sans cesse davantage entre une majorité qui campe sur des positions... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Yvette Roudy.

A qui la faute ?

M. Patrick Malavieille.

Et une opposition intégriste !

M. Claude Goasguen.

Prenez vos responsabilités, nous prenons les nôtres ! Durant des heures et des heures de discussion, jamais nous ne sommes parvenus à faire passer un seul amendement, même technique...

M. Jean Vila.

Heureusement !

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis.

Faux ! Nous avons adopté deux de vos amendements !

M. Claude Goasguen.

Et Dieu sait si ce texte en avait pourtant besoin ! De surcroît, il sera vraisemblablement très difficile à des majorités parlementaires ultérieures d'apporter des modifications à cette loi, tant les mutations que vous introduisez dans le droit des personnes et de la famille sont profondes. En fait, nous avons le sentiment que vous nous forcez la main, que vous jouez de votre position majoritaire dans un coup de force permanent dans le domaine du droit des personnes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)

M. Bernard Outin.

Bravo pour le coup de force parlementaire !

Mme Véronique Neiertz.

C'est à croire qu'ils ne l'ont jamais fait !

M. Claude Goasguen.

C'est la raison pour laquelle jamais nous ne parviendrons à discuter sereinement sur un texte si mal engagé par un coup de force parlementaire.

Vous avez refusé d'appliquer le règlement de l'Assemblée. Le Conseil constitutionnel en jugera, ...

M. Patrick Malavieille.

Ridicule !

M. Claude Goasguen.

... mais vous persistez dans votre agression politique permanente en jouant d'une manière outrancière de votre position majoritaire et du caractère probablement irréversible des mesures...

Mme Véronique Neiertz.

Irréversible, c'est vrai !

M. Claude Goasguen.

... que vous nous amenez à voter sous la contrainte et sous la force. C'est la raison pour laquelle nous ne voterons jamais ce texte ; je vous appelle donc à adopter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissement sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Maurice Leroy, pour le groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.

M. Maurice Leroy.

Merci d'être venus plus nombreux que le 9 octobre...

M. Jean Vila.

Ce n'est pas votre cas !

M. Maurice Leroy.

Mes chers collègues, si cela vous ennuie d'écouter longuement l'orateur, organisez-vous : calmez-vous, tranquillisez-vous, laissez-nous débattre et ne venez qu'au moment du vote ! Mais souffrez que nous exposions notre argumentation.

M. Claude Lanfranca.

Nous sommes « zen » !

M. Maurice Leroy.

Monsieur le rapporteur, je voudrais vous rendre hommage d'avoir bien voulu, en réponse à notre collègue Charles-Amédée de Courson, reconnaître que c'est grâce à nous qu'a été votée la loi de 1972.

Mais, comme l'a remarquablement démontré à l'instant même Claude Goasguen, elle a été adoptée dans des conditions totalement différentes. Au lieu de présenter un texte à la sauvette, par le biais d'une fenêtre parlementaire, pourquoi ne pas avoir pris le temps d'un débat sérieux, le temps de la concertation, le temps des auditions, le temps d'une réflexion approfondie en commission ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Votre réaction est sympathique, mais reconnaissez que vous avez présenté un texte à la sauvette. Vous n'avez même pas eu le courage d'aller jusqu'au bout le 9 octobre, et vous vous retrouvez commis d'office, à chaque vote, à chaque motion, car vous avez une trouille monstrueuse : celle de vous retrouver minoritaires, comme ce fut le cas le 9 octobre ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jacques Fleury.

C'est le rôle de la majorité d'être majoritaire !

M. Maurice Leroy.

De grâce, nous sommes là pour débattre sérieusement.

Votre argument sur l'article 40 de la Constitution est tout aussi sympathique. Désormais, il y a deux poids deux mesures dans cette assemblée : à entendre notre excellent collègue Yann Galut, notre règlement lui-même n'a plus de valeur constitutionnelle !

M. Claude Lanfranca.

Il n'a jamais dit ça !

M. Maurice Leroy.

C'est à se demander à quoi il sert...

Je croyais pourtant qu'il était soumis pour approbation au Conseil constitutionnel, tout comme celui du Sénat, je vous le rappelle. C'est donc qu'il a toute sa valeur.

M. Patrick Malavieille.

Vous avez de beaux souvenirs !

M. Maurice Leroy.

Quant au reste...

Mme Véronique Neiertz.

Tiens, que reste-t-il ?

M. Maurice Leroy.

... s'il est exact que la plupart des articles ne posent pas problème au regard de l'article 40, Charles-Amédée a parfaitement démontré à la tribune...

(Rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean-Louis Idiart.

Que c'est beau !

M. Gérard Hamel.

Il y a du PACS dans l'air !

M. Maurice Leroy.

... que la partie dépenses n'est absolument pas recevable.

Enfin, il y a bel et bien rupture d'égalité devant la loi.

Notre rapporteur a évoqué les trois statuts qui coexisteront dorénavant : il y aura les couples mariés, les couples pacsés et les concubins.

M. Francis Hammel.

Et qu'en dit Charles-Amédée ?

M. Maurice Leroy.

Que voilà une remarque d'une élégance extrême ! Je vous rappelle au passage qu'il n'y a pas de mandat impératif dans cette assemblée.


page précédente page 05515page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

Ainsi, lorsque votre PACS sera adopté, un couple vivant en union libre avec des enfants, comme c'est le droit de chacun...

M. Francis Hammel.

Le PACS n'est pas une obligation !

M. Maurice Leroy.

Je vous remercie de le reconnaître mais laissez-moi finir ! Ce couple se retrouvera défavorisé par rapport à un couple pacsé qui, lui, pourra faire une déclaration fiscale unique tout en bénéficiant des demiparts liées aux enfants. C'est totalement aberrant.

M. Yves Nicolin.

Donc c'est socialiste !

M. Maurice Leroy.

Croyez-vous franchement que ce soit un progrès ? Auriez-vous oublié que, comme ce fut le cas avec la loi de 1972, monsieur le rapporteur, ce qui compte dans la société, ce que l'on protège avant tout, c'est l'enfant, l'amour et les droits de l'enfant ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Patrick Malavieille.

Et la tendresse, bordel ?

Mme la présidente.

Mes chers collègues, je vous invite à écouter l'orateur : il est très pénible de s'exprimer dans un tel brouhaha ! L a parole est à M. Patrick Delnatte, pour le groupe RPR.

M. Patrick Delnatte.

Mes chers collègues, séance après séance, lecture après lecture, les motifs d'inconstitutionnalité ont été exposés. Ce soir, notre collègue, M. de Courson, a apporté, avec beaucoup d'intelligence, des arguments nouveaux.

Bien évidemment, le groupe du Rassemblement pour la République votera cette exception d'irrecevabilité mais je crains que les simplifications outrancières auxquelles conduit la manière de légiférer que vous nous imposez éloignent encore davantage la représentation nationale des forces vives de ce pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Odette Grzegrzulka.

Tout ça pour ça !

Mme la présidente.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour le groupe communiste.

Mme Muguette Jacquaint.

J'ai relu, monsieur Leroy, les débats qui se sont tenus dans cet hémicycle sur le droit de vote des femmes et sur l'interruption volontaire de grossesse. Quand vous prétendez que vous n'avez pas eu le temps de bien étudier le problème...

M. Maurice Leroy.

Ce n'est pas la question !

M. Gilbert Meyer.

Oui, hors sujet !

Mme Muguette Jacquaint.

... on voit bien que vous ne faites que reprendre les discours prononcés depuis des décennies. Dans le débat que nous avons, aujourd'hui, à propos des changements qui se produisent dans notre société, c'est toujours les mêmes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Qu'on prenne deux mois, trois mois ou six mois pour examiner un texte, la démonstration en est faite, vous n'acceptez pas que la société évolue...

M. Richard Cazenave.

L'IVG, c'est nous, pas vous !

M me Muguette Jacquaint.

... et la famille aussi.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

C'est significatif de votre refus d'assumer vos responsabilités dans un débat de société d'importance.

M. Yves Nicolin.

Relisez donc Jeannette Thorez ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Muguette Jacquaint.

Depuis des mois, vous tentez de discréditer le débat, de diaboliser le PACS, d'affoler l'opinion. (Protestations sur les mêmes bancs.)

Mme Christine Boutin.

Quand on pense que les communistes envoyaient les homosexuels au goulag !

M. Patrick Malavieille.

Taisez-vous ! Ecoutez un peu, ça vous fera du bien !

Mme Muguette Jacquaint.

Votre échec a du mal à passer. Mais il faut que vous l'admettiez. Les propos outranciers et homophobes qui émaillent vos discours et le dernier en date, celui de M. Charles-Amédée de Courson...

M. Gilbert Meyer et M. Maurice Leroy.

Excellent !

Mme Muguette Jacquaint.

... ne me démentira pas révèlent l'idéologie rétrograde qui vous colle à la peau.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Fortement imprégnés d'un ordre moral dépassé qui, à la veille d'un nouveau millénaire...

Mme Christine Boutin.

Ah, enfin le cliché ! La voilà la pensée unique !

Mme Muguette Jacquaint.

... tourne le dos à toute évolution sociétale.

Il suffit de relire attentivement tous les débats de société, depuis des décennies, pour constater l'esprit retardataire dont vous faites preuve.

M. Yves Nicolin.

Vous appartenez à une espèce en voie de disparition !

M me Muguette Jacquaint.

Comment espérez-vous faire croire à l'opinion publique que la droite, même avec ses différences, fait preuve de bon sens et de courage dans la prise en compte de l'évolution de la notion de famille,...

M. Yves Nicolin.

Parce que vous faites mieux, peutêtre ?

Mme Muguette Jacquaint.

... de la notion de couple dans notre société, laquelle, que vous le vouliez ou non, évolue.

Mme Christine Boutin.

Et heureusement !

Mme Muguette Jacquaint.

Les besoins se modifient ; des aspirations nouvelles s'expriment, qui sont génératrices de nouveaux droits.

Comment pouvez-vous, dans le même temps, affirmer que la République n'a pas le droit de s'immiscer dans la vie privée des citoyens et nier qu'elle ait l'obligation d'accorder à tous sa protection...

M. Maurice Leroy.

Précisément, vous ne le faites pas ! Les concubins ne bénéficieront de rien !


page précédente page 05516

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 8 JUIN 1999

Mme Muguette Jacquaint.

... et de permettre à chacun de bénéficier d'un maximum de libertés ? Référez-vous aux principes fondateurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme !

M. François Vannson.

Le goulag en Sibérie, c'était respecter les droits de l'homme ?

Mme Muguette Jacquaint.

Vous l'avez fait d'ailleurs.

« Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. »

M. Richard Cazenave.

Parlez-en à Milosevic !

Mme Muguette Jacquaint.

Voilà qui devrait vous convaincre qu'il est temps de prendre à bras-le-corps l'évolution des modes de vie.

M. Maurice Leroy.

Précisément, vous ne le faites pas !

Mme Muguette Jacquaint.

Loin de porter atteinte à l'institution du mariage,...

Mme Christine Boutin.

Ça n'a rien à voir, n'est-ce pas ?

Mme Muguette Jacquaint.

... ou à quelque droit que ce soit, il s'agit, avec le PACS, de tendre vers l'égalité des droits et de mettre enfin un terme à des discriminations civiles et pénales - liées à l'orientation sexuelle - , qui paraissent aujourd'hui d'un autre âge.

Mme Christine Boutin Parlez-nous de la sexualité au goulag ! Mme Muguette Jacquaint Je ne surprendrai personne en affirmant que les parlementaires communistes et apparentés soutiennent, avec conviction, le pacte civil de solidarité, qui constitue un pas vers plus d'égalité des droits...

Mme Christine Boutin.

Tu parles ! On va voir ce qu'en dit le Conseil constitutionnel.

Mme Muguette Jacquaint.

... entre couple, mariés ou non, homosexuels ou hétérosexuels.

Vous comprendrez, dans ces conditions, que nous combattions, comme nous l'avons fait lors des deux premières lectures...

M. Maurice Leroy.

Sans succès le 9 octobre !

Mme Muguette Jacquaint.

... cette tentative de la droite de faire échec au PACS. Voilà pourquoi nous voterons contre la motion d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Mme la présidente.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

Mme la présidente.

Ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq, troisième séance publique : Suite de la discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi, no 1587, relative au pacte civil de solidarité : M. Jean-Pierre Michel, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1639), M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis no 1674).

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures dix.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT