page 06362page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Questions au Gouvernement (p. 6363).

HARMONISATION DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR EN EUROPE (p. 6363)

MM. Jacques Guyard, Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

RECONSTRUCTION DU KOSOVO (p. 6363)

MM. René Mangin, Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

LANGUES RÉGIONALES (p. 6364)

MM. Jean-Yves Le Drian, Lionel Jospin, Premier ministre.

LÉGISLATION RELATIVE À LA CHASSE (p. 6365)

M. René André, Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

ÉPREUVE D'HISTOIRE-GÉOGRAPHIE AU BACCALAURÉAT (p. 6367)

M me Jacqueline Mathieu-Obadia, M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

POLITIQUE DE LA SANTÉ ET DU MÉDICAMENT (p. 6368)

M. Jacques Godfrain, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

RECONSTRUCTION DANS LES BALKANS (p. 6369)

M me Marie-Thérèse Boisseau, M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

AVENIR DES RETRAITES (p. 6369)

M. Francis Delattre, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

IMPO T SUR LA FORTUNE (p. 6370)

MM. Félix Leyzour, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

L'IVG ET CONTRACEPTION (p. 6371)

M. Guy Hascoët, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

2. Convocation du Parlement en congrès (p. 6372).

Suspension et reprise de la séance (p. 6373)

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT

3. Action publique en matière pénale. - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 6373).

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) (p. 6373)

MM. Gérard Gouzes, Jacques Floch, Guy Hascoët.

Clôture de la discussion générale.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION (p. 6379)

Motion de renvoi en commission de M. José Rossi :

M. Claude Goasguen, Mme la garde des sceaux, MM. André Vallini, rapporteur de la commission des lois ; Arnaud Montebourg, Pascal Clément, Jean-Luc Warsmann. - Rejet.

DISCUSSION DES ARTICLES (p. 6389)

Article 1er (p. 6389)

MM. Pascal Clément, Jean-Luc Warsmann, Mme Nicole C atala, M. Pierre Albertini, Mme Huguette Bello,

M. Jacques Brunhes.

Amendement de suppression no 58 de Mme Catala : MM. Jean-Luc Warsmann, le rapporteur, Mme la garde des sceaux. - Rejet.

Amendement no 12 rectifié de la commission des lois : M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux, MM. Jean-Luc Warsmann, Alain Tourret.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

4. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 6394).


page précédente page 06363page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commencons par les questions du groupe socialiste.

HARMONISATION DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR EN EUROPE

M. le président.

La parole est à M. Jacques Guyard.

M. Jacques Guyard.

Monsieur le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, il y a maintenant un an, le 25 mai 1998, à l'occasion des huit cents ans de la Sorbonne, vous réunissiez les trois principaux ministres de l'éducation nationale d'Europe pour parler de la coordination et de la cohésion de nos formations supérieures. Vendredi et samedi dernier, à Bologne, avec vingt-six autres ministres européens chargés de l'enseignement supérieur et de nombreux présidents d'université, vous définissiez une stratégie commune visant à aligner l'ensemble des formations du continent européen sur les niveaux bac + 3 et bac +

5. Le choix de ces deux lieux n'est pas indifférent.

Bologne et la Sorbonne sont les deux plus vieilles universités d'Europe, les deux plus prestigieuses aussi. Elles sont le symbole, parfaitement lisible, de l'université d'origine : même filières de formation, mêmes titres comme c'était le cas à l'époque, où l'on y utilisait de surcroît la même langue.

Avant-hier, lundi, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche adoptait, par un vote très majoritaire, la nouvelle architecture de l'enseignement supérieur que vous proposez : une licence à bac + 3, un mastère à bac + 5, réunissant tous les diplômes existants à ce niveau, et, bien sûr, la recherche à bac + 8. Ce vote a rassemblé les représentants des étudiants, les représentants des employeurs et la majorité des représentations syndicales.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, informer le Parlement et, à travers nous, l'opinion publique de cette réforme majeure de l'architecture universitaire et de ses conséquences, ainsi que des ouvertures nouvelles qu'elle offre à nos étudiants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Monsieur le député, je vous remercie de votre question. (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Effectivement, il y a quatre cent cinquante ans, l'université européenne s'est disloquée, sous la pression des guerres de religion. Du même coup, l'université française s'est elle aussi divisée en deux filières : l'université proprement dite et les grandes écoles. Il était temps de revenir sur cette division.

L'an passé, avec mes homologues allemand, anglais et italien, nous avons ébauché cette harmonisation européenne. Cette année, le colloque de Bologne a rassemblé vingt-neuf pays européens et le nouveau cursus que nous avons proposé sera repris par l'Italie, l'Allemagne, la Belgique, la Suède, le Danemark, l'Autriche et l'ensemble des pays de l'Europe de l'Est. Comme vous l'avez relevé, le CNESER, fait rare, a approuvé cette architecture européenne par 32 voix contre 11. Celle-ci permettra dans notre pays de rapprocher l'université et les grandes écoles.

Pour la première fois en effet, ces dernières décerneront un grade, le mastère, et ouvriront un concours d'entrée au niveau de la licence. Nous avons donc fait un premier pas sur le chemin. Ensuite, « l'employabilité » à l'échelle d e l'Europe sera assurée par l'harmonisation des diplômes. Le Gouvernement français a l'ambition de voir dans les cinq ans tous les élèves de l'enseignement supérieur effectuer un séjour de six mois minimum dans un autre pays européen, qui sera reconnu par l'ensemble des diplômes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Si, après vingt-cinq ans d'échecs, notre démarche a pu enfin aboutir, c'est parce que nous avons respecté la diversité européenne au lieu de chercher à uniformiser.

Signalons enfin que, sur la proposition de la France, le prochain colloque se tiendra à Prague. Les pays de l'Est se sont montrés extrêmement sensibles à cette marque de confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

RECONSTRUCTION DU KOSOVO

M. le président.

La parole est à M. René Mangin.

M. René Mangin.

Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.

La paix s'installe enfin au Kosovo. Le retrait des forces militaires et paramilitaires s'est opéré dans l'efficacité. Les bombardements ont cessé. Le drapeau de l'ONU flotte sur Pristina et l'UCK accepte la démilitarisation. Le groupe socialiste s'en félicite.

Mais la KFOR découvre l'étendue du désastre humanitaire. Des images inouïes nous heurtent jour après jour.

De cette situation doit naître un formidable élan de solidarité. Le groupe du G8, réuni à Cologne, a évoqué la situation dans les Balkans et la gestion de l'après-conflit.


page précédente page 06364page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Monsieur le ministre, pouvez-nous informer la représentation nationale sur l'aide internationale pour la reconstruction du Kosovo, et sur la position de la France par rapport à l'aide au peuple serbe ? Sur le terrain, les besoins, tant matériels qu'immatériels, sont immenses. La solidarité ne doit pas se briser dans la précipitation, mais s'installer dans la durée. Aussi apparaît-il primordial de réguler cette solidarité, notamment en aidant à la mise en place d'un parrainage entre les communes françaises et celles du Kosovo. La France pourrait y apporter sa méthode et sa cohérence.

M. Yves Fromion.

La méthode socialiste ?

M. René Mangin.

Ce parrainage, en alliant proximité de l'action et efficacité, faciliterait l'établissement des projets de reconstruction dont l'identification impose des moyens logistiques importants, et une coordination efficace. Nos collectivités territoriales sont de nature à répondre à ces problèmes. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur cette démarche ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

M. Yves Fromion.

Quel formidable élan !

M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

Monsieur le député, le retrait des troupes serbes laisse en effet apparaître toute l'horreur des crimes perpétrés, mais aussi l'ampleur des destructions commises pour l'essentiel par les forces serbes : armée, police ou groupes paramilitaires.

La question de la reconstruction du Kosovo est désormais prioritaire. Dès à présent, l'Union européenne et la Banque mondiale s'emploient à une première évaluation des dommages. Je rappelle que l'Union européenne a calculé que le montant de la reconstruction s'élèverait à environ 3 milliards d'euros, alors que M. Wolfensohn, président de la Banque mondiale, que nous avons rencontré hier, l'estime autour de 2,2 milliards de dollars.

Quoi qu'il en soit, la somme est tout à fait considérable.

Le cadre stratégique et politique est connu : c'est le pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est, tel qu'adopté par les ministres des affaires européennes dès le mois d'avril à Luxembourg.

Une task force, comme on dit,...

M. Arthur Dehaine.

En français dans le texte ! M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

Même le ministre de la francophonie peut accepter d'utiliser parfois des expressions simples ! ...

constituée par la Banque mondiale et l'Union européenne sera chargée de la conduite des opérations, en attendant qu'une agence européenne dont le principe a été arrêté à Cologne se mette en place. Elle devrait être opérationnelle au début du mois de septembre.

La participation de la France s'exercera tout à la fois à travers ses obligations multilatérales, dans le cadre de la Banque mondiale et de l'Union européenne, et d'une manière bilatérale. Dans ce cadre, les collectivités locales pourront apporter leur participation.

Vous avez évoqué le peuple serbe. L'expérience que nous avons acquise dans d'autres continents montre que, souvent, la coopération civile peut prendre le relais d'une coopération d'Etat rendue difficile ou impossible pour desr aisons politiques. Les collectivités locales françaises peuvent s'y employer et tenter de restaurer la démocratie en même temps que le développement dans cette région.

Le problème reste de coordonner des initiatives très nombreuses.

M. le président.

Pouvez-vous conclure, monsieur le ministre ? M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

Pour y faire face, nous avons mis en place une cellule spécifique au sein du ministère des affaires étrangères, qui agit en étroite coordination avec les associations d'élus, en particulier les grandes fédérations que j'avais d'ailleurs impliquées en emmenant leurs présidents à Tirana et à Skopje il y a quelques semaines. Nous sommes donc très mobilisés.

M. le président.

Je vous prie de conclure.

M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

Enfin, la priorité donnée au Kosovo ne doit pas faire oublier le Monténégro, qui a également besoin de notre aide, ni la Macédoine et l'Albanie, où plusieurs dizaines de projets de coopération de collectivités locales sont d'ores et déjà engagés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

LANGUES RÉGIONALES

M. le président.

La parole est à M. Jean-Yves Le Drian.

M. Jean-Yves Le Drian.

Monsieur le Premier ministre, en jugeant contraires à la Constitution le préambule et l'article 7 de la charte européenne des langues régionales et minoritaires, le Conseil constitutionnel rend sans effet sa signature récente par le Gouvernement français en mai dernier à Budapest.

Vous aviez pourtant précisé que l'application de cette charte en France serait assortie d'une déclaration liminaire interprétative montrant clairement que celle-ci ne saurait porter atteinte à l'unité du peuple français, conformément du reste à la décision du Conseil constitutionnel du 9 mai 1991 sur le statut de la Corse.

Monsieur le Premier ministre, vous avez souhaité, à plusieurs reprises, valoriser les langues régionales et estimé qu'elles faisaient partie du patrimoine de la République.

Avez-vous l'intention de prendre une initiative pour sortir de l'impasse dans laquelle la décision du Conseil constitutionnel place notre pays après la ratification de cette charte ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. le président.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'ai toujours adopté à l'égard des langues et cultures régionales une attitude de compréhension et de confiance. Cela a été le cas lorsque, ministre de l'éducation nationale, j'ai contribué au développement de l'enseignement de ces langues ; cela l'est tout autant depuis que je dirige le Gouvernement.

J'ai demandé, au cours de l'année 1998, à Nicole Péry, puis à Bernard Poignant de me présenter un rapport sur cette question et de formuler toutes propositions utiles pour le développement harmonieux et concerté des langues et cultures régionales.

Le Gouvernement a décidé de mettre en oeuvre la proposition symbolique et forte du rapport Poignant visant à ce que, à l'instar de dix-huit autres pays européens, la France signe, puis ratifie la charte européenne des langues régionales minoritaires.


page précédente page 06365page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

J'ai été soutenu dans cette démarche par un mouvement d'opinion, relayé depuis plusieurs années par de nombreux élus nationaux et régionaux, toutes tendances politiques confondues, qui a souhaité que notre pays s'engage dans ce processus.

La charte européenne des langues régionales et minoritaires a donc été signée, assortie d'une déclaration interprétative, le 7 mai dernier par Pierre Moscovici au nom de la France, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la création du Conseil de l'Europe.

Le 20 mai dernier, le Président de la République a décidé de saisir le Conseil constitutionnel, en application de l'article 54 de la Constitution, afin qu'il tranche la question de la compatibilité de la charte avec la Constitution, question sur laquelle des spécialistes de droit constitutionnel avaient exprimé des positions divergentes.

Un député du groupe du Rassemblement pour la République.

Il y a de quoi ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Yves Fromion.

Langue de bois !

M. le Premier ministre.

Il y a le bois, il y a le petit bois et il y a les copeaux.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Yves Fromion.

Et la sciure ! (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

S'il vous plaît !

M. Yves Fromion.

Sans oublier les cendres des paillotes !

M. le Premier ministre.

Je ne vois pas en quoi la fraction d'un tout pourrait être différente du tout.

M. François Vannson.

C'est pitoyable !

M. le Premier ministre.

Le Conseil constitutionnel a estimé que la charte comportait des clauses contraires à la Constitution. Il a en revanche admis, il est intéressant de le noter, qu'aucun des trente-neuf engagements que le Gouvernement avait accepté de prendre n'était contraire à la Constitution.

M. Jacques Myard.

Oh !

M. le Premier ministre.

Tirant les conséquences de cette décision, conformément à l'article 89, alinéa 1, de la Constitution qui dispose que l'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République, sur proposition du Premier ministre, et aux membres du Parlement, j'ai proposé ce matin au Président de la République de prendre l'initiative d'une révision de la Constitution. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Edouard Landrain.

Très bien !

M. Jacques Myard.

Scandaleux !

M. Jean-Michel Ferrand.

N'y avait-il rien de plus urgent ?

M. le Premier ministre.

Il m'avait pourtant semblé, en prenant cette initiative, répondre, mesdames et messieurs les députés de l'opposition, à la demande exprimée par certains de vos amis, tel M. Josselin de Rohan-Chabot, et d'autres encore. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. Edouard Landrain.

C'est vrai !

M. le Premier ministre.

Telle que je l'ai proposée, cette révision pourrait prendre la forme d'un article 53-3 nouveau de la Constitution, ainsi rédigé : « La République peut adhérer à la charte européenne des langues régionales ou minoritaires signée le 7 mai 1999. »

M. Jean-Michel Ferrand.

Faites plutôt un référendum sur la sécurité. Cela intéresse davantage les Français !

M. le Premier ministre.

Comme le Parlement l'a fait récemment pour le traité d'Amsterdam ou la Cour pénale internationale...

M. Pierre Lellouche.

Et vous allez réviser la Constitution pour ça ?

M. le Premier ministre.

... vous pourriez ainsi autoriser la ratification de la charte sans mettre en cause les principes auxquels se réfère le Conseil constitutionnel.

M. Jacques Myard.

N'importe quoi !

M. Pierre Lellouche.

Quelle est la langue de la République, monsieur le Premier ministre ?

M. le Premier ministre.

Je sais à quel point cette question est sensible et n'ignore pas les débats parfois vifs auxquels elle donne lieu.

M. Jacques Myard.

Et ce n'est pas fini !

M. le Premier ministre.

Nous sommes tous ici profondément attachés à l'unité du peuple français et à l'indiv isibilité de la République.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Cette unité s'est forgée au fil de l'histoire.

M. Yves Fromion.

Le peuple corse, c'est vous !

M. le Premier ministre.

A travers la reconnaissance des langues et des cultures régionales, il ne nous est pas demandé de remettre en cause ces valeurs fondamentales mais de reconnaître - et parfois même de sauver - un patrimoine dont la diversité enrichit la France.

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jacques Myard.

N'importe quoi !

M. le Premier ministre.

Je suis convaincu que la France est suffisamment forte pour garantir le développement de ces langues et de ces cultures qui font partie de son histoire.

Ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ce n'est ni mettre en cause la République ni porter atteinte à l'unité nationale, ni même affaiblir la langue française qui est la langue de la République.

M. Pierre Lellouche.

Ah, quand même !

M. le Premier ministre.

Nous vivons tous ensemble avec la même loi, nous sommes égaux en droit mais nous ne sommes pas tous identiques. Reconnaître cette richesse au sein de la République, voilà la démarche que je souhaite pour notre pays.

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe du Rassemblement pour la République.

LÉGISLATION RELATIVE À LA CHASSE

M. le président.

La parole est à M. René André.

M. René André.

Monsieur le Premier ministre, nous sommes nombreux dans cet hémicycle, et ce sur tous les bancs, à considérer que vous reportez depuis trop long-


page précédente page 06366page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

temps le règlement du contencieux qui vous oppose aux chasseurs. Sans doute, nous en convenons, n'est-il pas facile à régler, mais vous taire plus longtemps serait considéré comme une marque de mépris, et pas seulement à l'égard des 1 200 000 Français qui ont voté aux dernières élections européennes pour la défense des droits de la chasse. L'attitude de Mme la ministre de l'environnement, Mme Voynet - tout le monde en convient aussi -, ne vous a pas facilité la tâche.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Chassez-la du Gouvernement !

M. René André.

Mais, à trois semaines de l'ouverture de la chasse au gibier d'eau, est-il raisonnable que ne soient toujours pas réglés les problèmes des dates d'ouverture et de fermeture de cette chasse, que l'avenir de la loi Verdeille soit toujours en suspens et, surtout, qu'aucune solution ne soit proposée au problème de la chasse au gabion ou à la passée ?

M. Yves Fromion.

C'est exact ! C'est lamentable.

M. René André.

Il est temps que cesse la guérilla que votre ministre de l'environnement nous donne l'impression d'entretenir à plaisir, comme nous l'avons encore vu hier soir au Sénat.

Nous voudrions, une nouvelle fois, vous tendre un rameau d'olivier (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste) et vous faire une proposition. MM. Martin-Lalande et Lemoine et les membres du groupe du Rassemblement pour la République ont déposé une proposition de loi qui réglerait tous ces problèmes. Et, hier soir, le Sénat a adopté à l'unanimité - opposition comme majorité, qui au Sénat, sont inversées par rapport à l'Assemblée nationale - un texte qui règle le problème de la loi Verdeille,...

M. Maxime Gremetz.

Bravo !

M. René André.

... et celui de la chasse au gabion et à la passée.

La proposition que je vous fais et qui réglerait toutes les difficultés, c'est que, sans tarder, c'est-à-dire tout de suite, vous saisissiez l'Assemblée nationale soit de la proposition de loi déposée par MM. Martin-Lalande et Lemoine, soit du texte adopté hier par le Sénat afin que, pour l'ouverture de la chasse au gibier d'eau dans trois semaines, le problème soit réglé.

Etes-vous prêt, monsieur le Premier ministre, à le faire ? De grâce, ne nous parlez pas d'examen en commission, comme vous le faites à chaque fois ! Cela ne sert qu'à retarder la solution du problème. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l 'aménagement du territoire et de l'environnement.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Applaudissements les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. Yves Fromion.

Provocation !

M. Philippe Vasseur.

Le Gouvernement soutient Mme Voynet !

M. le président.

Un peu de silence !

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Convenez-en avec moi, monsieur le député, depuis vingt ans, depuis l'adoption de la directive concernant les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux migrateurs, aucun ministre de l'environnement n'a formulé des propositions qui aient recueilli l'assentiment des chasseurs.

Convenez-en également avec moi, aucun conflit en matière de chasse n'a été durablement réglé par l'adoption d'une proposition de loi, dans l'urgence et l'émotion, et à titre provisoire, pour éviter conflits et contentieux.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Lellouche.

Vous avez une curieuse conception de la loi ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Puisque vous affirmez que la proposition de loi sénatoriale adoptée hier constitue une avancée, je vous en dirai deux mots.

La chasse de nuit est interdite depuis 155 ans.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Maxime Gremetz.

Et alors ?

M. René André.

Ce n'est pas vrai. Venez dans la baie du Mont-Saint-Michel ou en baie de Somme ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Si des tolérances se sont développées, elles n'ont jamais concerné que l'aube ou le crépuscule et non la nuit.

J'ai manifesté hier à l'égard des sénateurs ma disponibilité pour une validation de la chasse à l'aube et au crépuscule sur des durées de temps limitées. Pourquoi ? Parce que, comme vous le savez, la Commission européenne insiste beaucoup sur la nécessité d'une identification rigoureuse des oiseaux, condition indispensable à la crédibilité des plans de gestion dont vous avez souhaité la reconnaissance l'année dernière, plans de gestion qui, tenant compte de l'état de conservation des espèces, doivent au moins permettre de les identifier.

Concernant la loi Verdeille, la Cour européenne des droits de l'homme a insisté sur la nécessité de reconnaître le droit de gîte, de remettre en cause l'obligation d'adhésion à des ACCA - associations communales et intercommunales de chasse agréée - et a souhaité que soit traité le problème de l'inégalité de traitement entre petits et grands propriétaires.

Je regrette, monsieur André, que, l'année dernière, le monde de la chasse ait refusé obstinément toute évolution de la loi qui aurait pu nous éviter la condamnation.

M. Arnaud Lepercq.

Vous faites de la provocation permanente ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Ma démarche de médiation auprès d'eux a été refusée.

M. Patrick Ollier.

C'est faux ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

J'ai demandé au Conseil d'Etat de charger l'un de ses membres d'évaluer toutes les conséquences du jugement rendu.

Parce que toutes les lois votées à titre provisoire et dans l'urgence ont généré d'interminables conflits et contentieux lourds de conséquences,...


page précédente page 06367page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

M. Pierre Lellouche.

C'est ce que vous avez fait ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

... non seulement pour moi, non seulement pour la France, mais aussi pour la chasse, parce qu'il n'y a pas de solution pour une chasse durable (Vives exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)...

M. le président.

S'il vous plaît ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

... en l'absence de concertation entre chasseurs, protecteurs et usagers de la nature, parce que le Gouvernement partage l'analyse de Mme la rapporteuse de la proposition de loi sénatoriale sur la chasse (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

M. le président.

S'il vous plaît, mes chers collègues, laissez parler Mme la ministre.

Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

... qui propose le vote d'une loi d'orientation sur l'organisation générale de la chasse, il a bien l'intention de suivre ce chemin et de mettre rapidement en chantier un texte qui traite des différents aspects qui créent aujourd'hui des contentieux.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste. - Huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) ÉPREUVE D'HISTOIRE-GÉOGRAPHIE AU BACCALAURÉAT

M.

le président.

La parole est à Mme Jacqueline Mathieu-Obadia.

M me Jacqueline Mathieu-Obadia.

Monsieur le ministre de l'éducation nationale, le recteur de l'académie de Versailles vient d'adresser une circulaire aux correcteurs des épreuves d'histoire-géographie du baccalauréat.

Cette circulaire, émanant de vos services, décide d'apporter des modifications importantes dans la notation de ces épreuves. En clair, il est demandé aux correcteurs d'être indulgents, et même très indulgents. Par exemple, sur les deux parties de l'épreuve d'histoire-géographie, l'une cotée sur 12, l'autre sur 8, il y aura lieu de ne tenir compte que de la meilleure des deux notes, ce qui revient à dire que, si l'épreuve cotée sur 8 est bonne, l'élève obtiendra immédiatement 10. Vous avez bien entendu, l'élève obtiendra immédiatement 10 sur 8, ce qui veut dire qu'il aura, d'emblée, la moyenne globale des deux épreuves : 10 sur 20.

M.

Didier Boulaud.

Seul le RPR aurait pu avoir 20 ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M me Jacqueline Mathier-Obadia.

Monsieur le ministre, je pense à la fois aux enseignants, aux élèves et aux parents.

Les enseignants, d'abord. Pensez-vous que ce soit une façon de valoriser la matière qu'ils enseignent et le mal qu'ils se donnent pour la faire comprendre et aimer de leurs élèves, que de brader ainsi leur épreuve ? Je pense à certains élèves, ensuite. Pourquoi travailler, pourquoi faire des efforts si, au terme de l'année, l'épreuve d'histoire-géographie du baccalauréat est de toute façon couronnée de succès ?

M.

Christian Bourquin.

La question !

M me Jacqueline Mathieu-Obadia.

Je pense aux parents, enfin. A quoi va servir le diplôme ainsi dévalué ? Quelle sera leur inquiétude quand leurs enfants, aussi peu formés, vont entrer à l'université ? Monsieur le ministre, est-ce là l'égalité des chances ? N'est-ce pas plutôt un nivellement des connaissances par le bas ?

M. Alfred Recours.

N'importe quoi !

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia.

Je n'ose croire, monsieur le ministre, que ce peut être là votre conception du lycée du

XXIe siècle.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Madame la députée, je vous remercie de votre question.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

L'épreuve d'histoiregéographie à laquelle vous faites allusion est une nouvelle épreuve créée par mon prédécesseur, M. Bayrou (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), et avec laquelle je n'ai absolument aucun rapport.

M. Yves Fromion.

Bel exemple !

M. Jean Auclair.

Et alors ?

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Il est de tradition, lorsqu'il y a une nouvelle épreuve au baccalauréat, de demander à l'inspection générale de rédiger un texte d'orientation. Je ne suis encore pour rien dans cette opération.

Cela a été fait avant mon arrivée.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Yves Fromion.

Ce n'est pas vous !

M. Franck Borotra.

Vous servez à quoi, alors ?

M. Jean-Michel Ferrand.

Vous êtes payé pour quoi ?

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Ce texte d'instruction (Exclamations sur les mêmes bancs), sur lequel vous ne trouverez aucune signature de la hiérarchie de l'éducation nationale, a été transmis il y a un an et demi, deux ans.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Franck Borotra.

C'est ça : je n'y suis pour rien, mais je règne !

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia.

Elle vient d'être transmise par le recteur de l'académie de Versailles !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Oui, mais parce que l'épreuve a commencé cette année.


page précédente page 06368page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

M. le président.

S'il vous plaît, mes chers collègues, laissez parler M. le ministre. Pensez aux candidats bacheliers qui vous regardent.

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Certains recteurs ont transmis cette lettre.

Madame, je crois être connu dans l'éducation nationale (« Oh oui ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) pour ma rigueur et ma justice et non pour mon laxisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Lellouche.

Vous n'avez pas répondu à la question !

POLITIQUE DE LA SANTÉ ET DU MÉDICAMENT

M. le président.

La parole est à M. Jacques Godfrain.

M. Jacques Godfrain.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Comme mes deux prédécesseurs, je n'utiliserai ni l'invective ni le slogan et je souhaite, donc, en retour, que Mme la ministre n'utilise ni l'un ni l'autre. (Applaudissements sur divers bancs.) Demain, vous le savez, madame la ministre, les professionnels de la santé vont manifester massivement leur inquiétude et, à leurs côtés, de façon peut-être moins spectaculaire, les salariés des industries du médicament feront également part de leur angoisse.

Pourquoi ? D'abord, parce que les mesures que vous avez prises à l'encontre de l'activité de la santé au sens général du terme - hospitalisation publique, hospitalisation privée, radiologies, soins dentaires, ophtalmologie, cardiologie, biologie - sont telles que les professionnels de la santé se posent des questions sur la politique que vous voulez mener à leur égard.

J'ajoute que l'informatisation des cabinets médicaux n'est pas réalisée aujourd'hui. De plus, on observe un renoncement à l'égard des réformes globales dont nous avons tous besoin et que prévoyait d'ailleurs le plan Juppé (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Les mesures que vous prenez aujourd'hui sont à la fois pénalisantes et disparates.

Le président du Comité économique du médicamente nvoie actuellement aux activités pharmaceutiques, notamment françaises, des lettres pour faire accepter d'ici au 14 juillet des prélèvements arbitraires qui pèseront sur les prix.

Que comptez-vous faire, madame la ministre, pour rassurer à la fois le monde médical et pharmaceutique mais aussi le monde des malades et des patients ? Demain, des centaines de brevets ne seront peut-être pas déposés et des milliers de chercheurs français se demanderont pourquoi ils cherchent. Leur avenir est entre vos mains et dépend des décisions que vous allez prendre. Petit à petit, les Français se sentiront moins bien défendus sur le plan de la santé.

C'est la raison pour laquelle, madame, je vous demande de bien vouloir expliquer aux Français dans leur ensemble et pas simplement aux professionnels pourquoi, demain, du fait des mesures que j'ai décrites, ils risquent d'être moins bien défendus contre la maladie. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, je sais qu'un certain nombre de professionnels de la santé manifesteront demain leur inquiétude quant à leur avenir, mais je sais aussi - et vous l'avez d'ailleurs rappelé - que, depuis plusieurs mois et ces dernières semaines encore, des professionnels de la santé ont compris qu'on ne pourrait pas continuer à prétendre tout rembourser, sans aucune limite, sans changer les pratiques (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République)...

M. François Vannson.

Il fallait le dire avant !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... et sans organiser autrement les rapports avec la CNAM et avec le Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

J'ai signé - et je m'en réjouis - des accords avec les radiologues, les cardiologues et les laboratoires biologiques que vous venez de citer. Je remarque que MG-France, syndicat très important de médecins généralistes,...

M. Jean Auclair.

C'est un syndicat socialiste jusqu'au fond des os !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... a signé depuis deux ans une convention avec la CNAM et respecte strictement les honoraires convenus.

M. Jean Auclair.

Ce sont vos supporters ! C'est un syndicat de gauchistes !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

J'ajoute, monsieur le député - et je vous remercie de me donner l'occasion de m'en expliquer - que nous travaillons depuis deux ans avec l'industrie pharmaceutique pour que les prix des médicaments, en France, ne soient pas fixés au regard du poids de tel ou tel laboratoire et de sa pression sur tel ou tel autre, mais bien au regard de leur effet médical, pour harmoniser les prix et les taux de remboursement pour le malade avec le plus grand effet médical rendu et aussi pour aider les laboratoires les plus innovants.

Si M. Mesuré, président du SNIP français, a déclaré dans un journal du matin il y a quinze jours : « Nous sommes prêts à faire des économies car, pour la première fois, nous avons une politique du médicament qui répond aux malades et à l'innovation pharmaceutique », c'est bien parce qu'il ne partage pas les craintes que vous avez exprimées sur la politique menée par le Gouvernement.

Je me réjouis que, depuis deux ans, pas à pas - et c'est difficile, je le reconnais -, nous ayons fait régressé le déficit de la sécurité sociale de 55 milliards à peut-être 5 milliards en fin d'année sans augmenter les cotisations, sans baisser les remboursements... (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française.

Ce sont des histoires !


page précédente page 06369page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

M. François Goulard.

Et la CSG ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... mais en étroite concertation avec les professionnels de la santé.

C'est peut-être cela qui vous gêne le plus, monsieur le député, mais croyez bien que nous continuerons d'appliquer notre méthode - qui est la concertation - et de protéger la sécurité sociale, garante de la santé pour tous les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - « Baratin ! » sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

Nous en venons à une question du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

RECONSTRUCTION DANS LES BALKANS

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Ma question s'adresse à

M. le Premier ministre.

Après trois mois de guerre, la République fédérale de Yougoslavie est en ruine et ses voisins sont exsangues. La reconstruction des Balkans est la plus grande entreprise de la sorte depuis la Seconde Guerre mondiale.

Les moyens à mettre en oeuvre feront certes l'objet, à l'automne prochain, d'une grande conférence internationale mais, sur le terrain, il y a urgence : 1 million de réfugiés sont en passe de retourner dans leurs villages dévastés. Or, dans trois mois, c'est l'hiver.

Par ailleurs, quels que soient les discours et les positions officielles, les contrats se tissent tous azimuts et les affaires vont bon train. Des délégations yougoslaves se sont déjà rendues dans plusieurs pays européens, notamment en Allemagne et en Italie. Simultanément, c'est par centaines qu'ont été délivrés chez nos voisins des visas pour des chefs d'entreprises et des hommes d'affaires, alors que ces mêmes visas se comptent sur les doigts d'une ou deux mains seulement en France.

Pourquoi, une fois de plus ce défaut de réactivité de notre pays ? La France se doit d'être beaucoup plus présente dans la restructuration de cette région. Son rôle ne peut pas se limiter à une simple participation financière.

M. Strauss-Kahn l'a lui-même reconnu puisqu'il déclarait récemment : « Dans les principaux secteurs, eaux, électricité, télécommunications et travaux publics, nos entreprises peuvent - je dirai, doivent - jouer un rôle majeur. »

La semaine dernière, le ministère anglais du commerce et de l'industrie a pris l'initiative d'une mission économique au Kosovo. Que pense faire le gouvernement français ? Comment compte-t-il encourager les entreprises françaises à participer effectivement à cette reconstruction, avec d'autres, notamment les entreprises russes qui sont déjà très présentes sur le terrain ? Il en va bien sûr, avant tout, de l'intérêt des populations kosovares et serbes, mais il en va aussi de l'intérêt de la France et, à terme, il en va de cette reconstruction harmonieuse de l'Europe dont nous rêvons tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

Madame la députée, après le retour de la paix au Kosovo, vous avez raison de poser la question de la place que devront occuper les entreprises françaises dans la reconstruction. L'essentiel, aujourd'hui, est de répondre aux besoins humanitaires. Mais il est clair que nous devrons aussi refonder des structures administratives, et aussi économiques et sociales. Les évaluations du coût de la reconstruction sont en cours et vous avez, tout à l'heure, eu mention de celle du G8.

L'Union européenne assumera légitimement l'essentiel du coût de cette reconstruction, soit par des financements issus du budget communautaire, soit par les contributions des Etats membres aux budgets des institutions financières, soit au travers de financements bilatéraux. Une prochaine conférence des donateurs devrait se tenir rapidement.

Naturellement, les entreprises françaises devront bénéficier pleinement de ces financements et l'un de nos objectifs essentiels sera de les aider à se placer le mieux possible pour les obtenir. C'est pourquoi le gouvernement français créera, dans les tout prochains jours, une structure de coordination qui permettra, entre autres, d'aider nos entreprises à bénéficier de ces crédits.

Cela dit, les procédures qui régissent l'attribution de ces financements sont parfaitement transparentes, notamment en ce qui concerne les règles d'appel d'offres et de passation de marchés au niveau communautaire. Nos entreprises, pour la plupart, les connaissent parfaitement et je sais que le MEDEF organisera, le 28 juin, une rencontre avec les principaux acteurs de l'aide internationale, notamment européenne, pour répondre à leurs interrogations.

Vous avez raison, madame la députée, il faut agir vite.

Nous allons le faire. Le Gouvernement va mettre en place le dispositif nécessaire mais il faut aussi respecter, bien sûr, les règles en vigueur en la matière, et nous avons ce souci. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons à une question du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

AVENIR DES RETRAITES

M. le président.

La parole est à M. Francis Delattre.

M. Francis Delattre.

Monsieur le Premier ministre, vous venez de déclarer solennellement que le grand soir des retraites n'était pas pour demain.

Depuis dix ans, en fait depuis le rapport Rocard, nous assistons à une escalade verbale sur ce dossier difficile ; mais aucune décision à l'horizon ! Or la situation est connue de tout le monde : nous avons, tous les ans, 110 000 retraités supplémentaires ; à partir de 2005-2006 ils seront 250 000 et, en 2040, un Français sur trois sera en retraite alors que nous en sommes actuellement à un Français sur cinq.

Il est évident qu'il faut prendre des décisions. Si rien n'est fait, elles devront être prises dans l'urgence en 2005 et elles risquent, de ce fait, de ne pas être les mieux adaptées à la situation.

Or, depuis deux ans, monsieur le Premier ministre, qu'a fait votre gouvernement ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)


page précédente page 06370page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

M. Didier Boulaud.

Il a fait baisser le chômage, c'est déjà pas mal !

M. Francis Delattre.

Il a pris une décision, il a enterré une promesse électorale et il a commandé un rapport au commissariat au Plan.

D'abord, la décision : vous avez décidé de rendre inapplicable la loi dite Thomas...

Mme Odette Grzegrzulka.

Scandaleuse !

M. Francis Delattre.

... qui ouvrait, à côté des retraites par répartition, la possibilité pour tout un chacun d'une retraite par capitalisation. Ce qui a eu pour dégât collatéral, auquel vous semblez, monsieur le Premier ministre, rester insensible, que 40 % du capital boursier des grandes entreprises françaises sont désormais entre les mains des fonds de pension américains.

Deuxième décision ou plutôt non-décision, l'enterrement de la promesse électorale. Vous n'avez pas cru devoir, contrairement à ce que vous aviez annoncé, indexer les retraites sur les salaires. Elles restent indexées sur les prix, ce qui d'ailleurs nous semble sage, mais qui - il faut le savoir - distingue la droite de la gauche,...

M. Christian Bourquin.

La question !

M. Francis Delattre.

... car nous sommes bien incapables de faire des promesses aussi intenables ! Enfin, vous avez commandé un rapport à M. Charpin.

(« La question ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Veuillez conclure, monsieur Delattre.

M. Francis Delattre.

Elle va venir, la question ! Le rapport Charpin envisage trois scénarios, et l'Assemblée nationale aimerait bien connaître celui vers lequel vous allez vous orienter.

Si vous ne faites rien, les retraités verront progressivement leurs revenus amputés d'environ 40 %.

Si vous augmentez les cotisations, il faudra faire un effort de l'ordre de 50 %, puisqu'il s'agit de trouver 300 milliards. Comme le revenu disponible des salariés français est déjà l'un des plus altérés, cela semble bien difficile.

Enfin, il y a la solution qui semble avoir la préférence de M. Charpin. Elle consiste à dire que, la retraite à soixante ans, c'est fini, et qu'il faudra bien augmenter la durée des cotisations et la porter - pour tous, cette fois à quarante-deux ans et demi.

M. le président.

Posez votre question, s'il vous plaît.

M. Francis Delattre.

Ma question est extrêmement simple.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

De ces trois scénarios, lequel sera suivi par le Gouvernement ? Etes-vous déterminé à réduire l'inégalité profonde et croissante des Français devant la retraite ? Sinon cela différencierait encore davantage l'opposition de la majorité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, je vous rassure : il n'y a sur ce sujet, comme sur aucun autre, aucune escalade verbale.

Le Gouvernement applique strictement la méthode que le Premier ministre a définie : diagnostic, concertation, décision.

En ce qui concerne les retraites, le rapport Charpin, sans doute pour la première fois, dresse, en effet, un bilan complet de la situation dans le secteur public et dans le secteur privé, en prenant en compte les efforts des salariés, le contrat social dans lequel il s'inscrit, mais aussi les difficultés qui vont être les nôtres.

Je remarque que ce bilan conforte l'idée que les retraites par répartition doivent être la base de notre système, et donc la décision prise par le Gouvernement de ne pas poursuivre l'application de la loi Thomas qui visait à remplacer les retraites par répartition par des retraites par capitalisation. (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Pour ce dossier comme pour les autres, sans céder au catastrophisme ni à la précipitation, nous prendrons les décisions qui s'imposent en les replaçant dans leur contexte global.

Car les personnes âgées sont confrontées aujourd'hui à plusieurs problèmes : le niveau de leur retraite, mais aussi la prise en charge de la dépendance et leur place dans la société. J'ajoute que beaucoup de salariés sont inquiets car ils ont commencé à travailler tôt dans des emplois pénibles et ils sont usés par le travail.

C'est l'ensemble de ces éléments que nous devons prendre en compte pour trouver des solutions. Celles-ci ne tarderont pas, soyez-en assuré, mais elles seront mises en place progressivement.

M. Bernard Accoyer.

Normalement, ça devrait déjà être fait !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Car encore une fois - et vous êtes bien payés pour le savoir c'est en prenant des décisions selon cette méthode et non pas dans un bureau, de manière technocratique, qu'on règle les problèmes de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Nous passons à la question du groupe communiste.

IMPÔT SUR LA FORTUNE

M. le président.

La parole est à M. Félix Leyzour.

M. Félix Leyzour.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Au moment où la réflexion est déjà engagée pour la préparation du budget de l'an 2000, le magazine économique américain Forbes vient de publier la liste des 460 personnes les plus riches du monde. Il ressort de cette enquête que les grandes fortunes françaises se portent bien.

Madame de Bettencourt,... (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Eh oui, encore elle ! ... PDG de l'Oréal, reste en tête avec 83,5 milliards de francs ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) J'observe que vous connaissez le sujet !


page précédente page 06371page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Elle précède Gérard Mulliez du groupe AuchanFlunch-Décathlon dont la valeur du portefeuille s'élève à 59 milliards de francs,...

M. Bernard Accoyer.

La grande distribution !

M. Félix Leyzour.

... François Pinault du groupe Printemps-La Redoute-FNAC avec 38,5 milliards de francs, la famille Seydoux du groupe Gaumont-Pathé avec également 38,5 milliards de francs.

Je ne cite que les premiers de la classe sur les quelque 200 000 personnes disposant d'un patrimoine supérieur à 4,7 millions de francs.

On sait qu'avec la hausse de la Bourse et la reprise du marché immobilier, les patrimoines ont bénéficié à plein du retour de la croissance.

M. Yves Fromion.

Qui est-ce qui a privatisé ?

M. Félix Leyzour.

Ils ont même progressé plus vite que la croissance elle-même et l'écart s'accroît entre les plus riches et la grande masse des Français.

Dans la loi de finances de 1999, des mesures ont été prises qui ont permis déjà d'augmenter le produit de l'impôt sur les grandes fortunes. L'évolution des patrimoines que je viens d'évoquer montre qu'il y a encore de la ressource et que le dossier de l'impôt sur les grandes fortunes, comme celui de l'impôt sur les sociétés, mérite d'être rouvert, si nous voulons que la fiscalité conjugue justice et efficacité au service de l'emploi, de la formation, de l'enseignement et de la santé, au lieu de nourrir la spéculation.

Je le dis avec d'autant plus d'insistance que nous apprenons que, vendredi prochain, lors de la réunion de la commission nationale de la négociation collective, le SMIC serait revalorisé de l'obligation légale mais qu'il ne bénéficierait d'aucun coup de pouce.

Pourriez-vous, monsieur le ministre, au vu de ces derniers éléments connus, nous indiquer si vous êtes disposé à ouvrir de nouveau le dossier de l'ISF et à engager le débat sur cette importante question ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, je veux d'abord vous remercier d'avoir salué les efforts que la majorité tout entière, et le Gouvernement avec elle, ont fait depuis deux ans pour renforcer notre impôt de solidarité sur la fortune afin de le rendre plus juste et de le faire plus largement contribuer à la solidarité.

Les mesures qui avaient été prises ne sont pas rien, et il faut que nous attendions de savoir le rendement atteint cette année pour en faire l'analyse avec exactitude. Je vous rappelle que nous avons, que vous avez, car c'est la majorité qui a voté cela - ce qui n'est pas le cas de l'opposition - intégré dans le barème la surtaxe de 10 % de façon définitive. Nous avons augmenté le taux de la tranche supérieure d'encore 10 %, ce qui frappe directement les 800 familles les plus riches dont vous n'avez cité que les plus importantes. Nous avons durci les règles du plafonnement en matière de paiement et supprimé les possibilités de réfaction de 20 % pour les résidences secondaires. Nous avons, tous ensemble là aussi, soumis à l'ISF les biens immobiliers possédés par des non-résidents.

Nous avons révisé les règles qui permettaient de soustraire des dettes de l'actif, ce qui était à l'origine de quelques scandales qui avaient ému l'Assemblée nationale. Nous avons aussi, ensemble, révisé la manière de calculer la valeur vénale des biens immobiliers occupés, de façon qu'ils n'échappent pas à l'ISF.

Ces mesures découlent très largement d'une proposition de loi qui avait été déposée par le groupe communiste et dont le premier signataire était M. Robert Hue.

Elles sont maintenant intégrées dans notre législation et nous allons, en 1999, en voir les effets. Elles devraient conduire à une augmentation du rapport de l'ISF de l'ordre de 30 %. Ainsi, depuis 1997, car il y avait déjà eu des dispositions en ce sens dans la loi de finances précédente, le rendement de l'ISF aura augmenté en deux ans de quelque 50 %.

M. Jean-Claude Sandrier.

Cela représente combien ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

De 10 à 15 milliards de francs.

M. Maxime Gremetz.

Ce n'est pas beaucoup ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Dans le même temps, nous avons modifié l'impôt sur le revenu du capital, monsieur Gremetz, il faut en tenir compte aussi. De ce fait, grâce notamment à l'application de la CSG aux revenus du capital, 25 milliards supplémentaires rentreront dans les caisses de l'Etat.

Nous avons, par conséquent, opéré un rééquilibrage important de notre fiscalité, mais il nous est évidemment loisible de l'examiner à nouveau.

Ce que je vous propose, monsieur le député, c'est que nous attendions les résultats de l'ISF 1999 - les déclarations viennent d'être remplies, les paiements interviendront bientôt - pour faire une analyse exacte de la situation. A partir de quoi nous verrons ce qu'il convient de faire. Bien entendu, dès que ces informations seront connues, le Gouvernement s'engage à les communiquer à la commission des finances et au Parlement dans son ensemble, de façon qu'un bilan complet de ce qui a été fait au cours de ces deux premières années de la législature pour rééquilibrer la fiscalité du travail et la fiscalité du capital puisse être correctement établi. Il faut que la majorité puisse voir le travail accompli et constater que le Gouvernement remplit un de ses plus importants engagements électoraux. En effet, - et si je ne vous en donne pas la primeur, du moins est-ce la première fois que j'ai l'occasion de m'exprimer sur ce sujet à l'Assemblée - le résultat est que les 10 % des Français les plus riches ont vu leurs impôts augmenter au cours de ces deux ans et que les autres, les 90 %, ont vu les leurs plutôt diminuer - légèrement, c'est vrai - grâce aux baisses de TVA, et grâce à la CSG, car n'oublions pas que le transfert des cotisations sociales vers la CSG a été l'origine d'un gain de pouvoir d'achat pour les salariés de 1,1 %.

Je vous donne donc rendez-vous dès que nous aurons l'information sur les mesures qui ont été prises dans la dernière loi de finances pour discuter de la façon dont il faut envisager l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons à la question du groupe Radical, Citoyen et Vert.

L'IVG ET CONTRACEPTION

M. le président.

La parole est à Guy Hascoët.

M. Guy Hascoët.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.


page précédente page 06372page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Le 19 mars dernier, madame la ministre, vous avez rendu un rapport public commandé au professeur Nisand sur « l'IVG en France ». Cette étude souligne l'actuelle discontinuité du service public en ce domaine et dresse la liste des inégalités rencontrées par les femmes dans l'accès tant à la contraception qu'à l'avortement. En conclusion, elle énonce vingt-cinq propositions pour y remédier.

Alors que le Gouvernement termine de planifier les mesures qu'il a choisies pour répondre à ce défi, le professeur Israël Nisand fait l'objet d'une campagne d'insultes antisémites et de menaces de mort, orchestrée en sous-main par « Droit de naître », une association filiale de Tradition-Famille-Propriété,...

Mme Nicole Bricq.

Quelle horreur !

M. Guy Hascoët.

... qualifiée de « mouvement sectaire » par le rapport de notre collègue, Jacques Guyard.

Pourriez-vous indiquer à la représentation nationale, madame la ministre, par quelles mesures concrètes et selon quel échéancier le Gouvernement entend venir en a ide aux femmes en détresse, particulièrement aux mineures, aux étrangères, aux femmes hors délai ? Pour maintenir une égalité d'accès aux soins, le Gouvernement prévoit-il des programmes d'éducation et de sensibilisation aux différents modes de contraception ? Par ailleurs, nous ne doutons pas que le Gouvernement défende l'autorité de la République et la sécurité de ses agents lorsqu'elle est menacée en raison de leurs fonctions.

Aussi, pourriez-vous indiquer à la représentation nationale comment le Gouvernement entend soutenir juridiquement et protéger le professeur Nisand ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, je vous remercie de cette question car le professeur Nisand, qui nous a remis un rapport sur la manière d'améliorer la prise en charge de l'IVG dans notre pays pour les personnes en grande difficulté, c'est-à-dire tout simplement d'appliquer la loi de 1975, fait en effet l'objet, comme d'autres personnes dont moi-même, de menaces de mort, et en ce qui le concerne, de manifestations antisémites et d'insultes particulièrement déplacées. Je regrette que, vingt-cinq ans après le vote de cette loi, il y ait encore, dans notre pays, des femmes et des hommes pour proférer les mêmes insultes que celles que Mme Veil avait dû entendre ici.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Je regrette aussi que l'interruption volontaire de grossesse, dont nous sommes tous d'accord pour penser qu'elle doit être le dernier recours, que tout doit être fait pour l'éviter et qu'il faut développer la contraception pour ne pas en arriver là, ne soit pas pratiquée partout sur le territoire comme elle devrait l'être, quand une autre solution n'est pas possible - je le répète, l'objectif étant toujours, selon le Gouvernement, de rechercher une autre solution.

Le professeur Nisand nous dit, et nous ne pouvons que nous en réjouir, que la loi que Mme Veil a fait voter n'a pas contribué à banaliser l'IVG, contrairement à ce que certains craignaient. Mais il nous dit aussi qu'il reste encore des publics en grande difficulté, des femmes ens ituation de grande précarité qui ont dépassé les dix semaines de gestation, des jeunes filles qui n'arrivent pas à obtenir l'autorisation paternelle ou maternelle, et que le service public n'est pas toujours et partout à la hauteur.

C'est sur ses propositions que nous travaillons dans l'esprit de la loi de 1975. Mais avec Nicole Péry et Bernard Kouchner, nous entendons annoncer en même temps des mesures destinées à promouvoir la contraception, car l'important est d'éviter l'interruption volontaire de grossesse. Une grande campagne sera lancée car on constate que, chez les jeunes, aujourd'hui, le nombre d'IVG augmente, le préservatif ayant souvent remplacé la contraception sans en avoir l'efficacité. Nous avons renégocié avec les laboratoires pharmaceutiques en ce qui concerne les pilules de troisième génération et de façon que le RU 486 continue à être produit en France et que la pilule du lendemain soit disponible à un tarif abordable dans l'ensemble des pharmacies.

C'est donc bien l'ensemble du problème qui doit être traité, comme le pense d'ailleurs le professeur Nisand, à qui j'ai affirmé hier encore personnellement que le Gouvernement était à ses côtés et que, bien évidemment, il l'accompagnerait financièrement et politiquement s'il décidait de porter plainte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

2

CONVOCATION DU PARLEMENT EN CONGRÈS

M. le président.

J'ai reçu de M. le président de la République la lettre suivante :

« Paris, le 23 juin 1999.

« Monsieur le président,

« Les projets de loi constitutionnelle suivants :

« Projet de loi constitutionnelle insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale

« Projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes

« Ont été votés en termes identiques respectivement par l'Assemblée nationale le 10 mars 1999 et le 6 avril 1999 et par le Sénat le 4 mars 1999 et le 29 avril 1999.

« J'ai décidé de soumettre ces projets au Congrès en vue de leur approbation définitive dans les conditions prévues par l'article 89 de la Constitution.

« Par ailleurs, dès lors que le Congrès envisage de modifier son règlement, il a paru souhaitable, c onformément au précédent du décret du 18 décembre 1963, d'ajouter à son ordre du jour la modification de ce règlement.

« Je vous adresse, ci-joint, avant sa publication au Journal officiel, le décret de convocation du Congrès auquel sont annexés les textes des projets de loi constitutionnelle que cette assemblée aura à examiner, sous votre présidence, dans la journée du 28 juin 1999.


page précédente page 06373page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

« Veuillez croire, monsieur le président, à l'assurance de ma haute considération. »

J ACQUES C

HIRAC Le décret de convocation du Congrès auquel sont joints les textes des projets de loi constitutionnelle que cette assemblée aura à examiner sera annexé au compte rendu de la présente séance.

En ma qualité de président du Congrès, j'ai fixé à neuf heures trente et quinze heures les heures d'ouverture des d eux séances que le Congrès tiendra le lundi 28 juin 1999.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Arthur Paecht.)

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

3 ACTION PUBLIQUE EN MATIÈRE PÉNALE Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale et modifiant le code de procédure pénale (nos 957, 1702).

Discussion générale (suite)

M. le président.

Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Gérard Gouzes.

M. Gérard Gouzes.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici repartis dans ce débat sur la Chancellerie et le parquet et je voudrais évoquer une problématique tout à fait concrète et relater ici même ce qui vient de se passer dans une affaire récente qui concerne l'un de nos collègues que je cite avec son autorisation : il s'agit de M. Jacques Heuclin, député de Seine-et-Marne.

Je relève dans les documents qu'il m'a confiés, après qu'il a fait l'objet d'un non-lieu il y a quelques jours seulement, que le directeur de la police judiciaire de Versailles écrivait dans un rapport du 22 avril 1996 : « Au vu des investigations et notamment des auditions des personnes citées dans les différents courriers anonymes, il semble que cette dénonciation avait pour but de déstabiliser M. Heuclin avant les élections municipales de juin 1995. »

C'est dans ces conditions que, sur rapport du procureur de la République de Melun, et par dépêche du 30 octobre 1996, le procureur général près la cour d'appel de Paris, M. Alexandre Benmakhlouf, proposait le classement sans suite de l'affaire Heuclin, que, pourtant, vous vous en doutez, les médias avaient déjà abondamment commentée.

Début janvier 1997, note collègue Heuclin était désigné par les instances locales du Parti socialiste comme candidat aux prochaines élections législatives. Mal lui en prit, car dès le 12 février 1997, et sans aucun élément nouveau, le même Alexandre Benmakhlouf écrivait à M. le procureur de la République de Melun - et je tiens le document à la disposition de chacun : « Un nouvel examen des faits résultant de l'enquête préliminaire me conduit à formuler un certain nombre de réserves et à reconsidérer le bien-fondé de la décision de classement sans suite intervenue. »

Dès cet instant, notre collègue, mis en examen, subira toutes les infamies possibles de son adversaire RPR, M. Jean-Pierre Cognat, bien connu pour ses amitiés avec

M. Jacques Toubon, à l'époque garde des sceaux.

Aujourd'hui, M. Heuclin a bénéficié d'un non-lieu, et on ne peut que s'interroger sur les conditions dans lequelles il aura été, à deux reprises, mis en cause, et chaque fois à la veille de consultations électorales.

Certes, il est toujours possible d'imaginer que tout cela n'était le fruit que de circonstances absolument fortuites, mais lorsque l'on connaît les conditions de la nomination de M. Alexandre Benmakhlouf, ancien juriste à la mairie de Paris, contre l'avis même du Conseil supérieur de la magistrature, comment les relances des poursuites contre un adversaire politique à la veille de consultations électorales ne seraient-elles pas entachées de suspicion ? Voilà un exemple vivant, vécu, réel, découlant d'un système qui aura affecté la justice d'une partialité qui, à mon avis, la déshonore et lui interdit de prétendre à l'objectivité indispensable à sa mission. D'ailleurs, les électeurs de M. Heuclin ne s'y sont pas trompés, puisqu'ils l'ont réélu maire et député.

Si nous voulons redonner à notre justice la crédibilité républicaine à laquelle aspire une majorité de Français, voilà, mes chers collègues, ce qu'il est indispensable de réformer, voilà ce qu'il faut voir disparaître, c'est-à-dire une justice soumise aux manipulations politiques.

Comme le soulignait récemment M. Sainati, secrétaire général du syndicat de la magistrature, les élus ont une occasion historique de provoquer un rééquilibrage de nos institutions. Qui s'y refuserait, et pourquoi ? Avec la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, dont nous nous étonnons qu'elle n'ait pas encore été inscrite à l'ordre du jour du Congrès, puis avec le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui, madame la ministre, nous allons fixer dans la loi la pratique que vous avez instaurée depuis deux ans à la tête de votre ministère.

Dans notre pays, le parquet est constitutionnellement le garant de la liberté individuelle. Laissons donc le Conseil supérieur de la magistrature, rénové, restauré, étendre son rôle à tous les magistrats du parquet. Attribuons au Conseil supérieur de la magistrature le pouvoir de donner un avis conforme sur la carrière des parquetiers, sur proposition du garde des sceaux. Aucun chantage, aucune menace sur la carrière de l'un ou de l'autre ne sera plus possible.

En ce qui concerne le fonctionnement de l'institution elle-même, séparons ses deux missions principales, que sont, d'une part, l'application de la politique pénale décidée par le Gouvernement et, d'autre part, la conduite de l'action publique dans chaque affaire.


page précédente page 06374page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Et tout aussi délicat que soit l'exercice consistant à concilier le principe de la séparation entre parquet et exécutif - qu'on appelle à tort, à mon avis, « le principe de l'indépendance du parquet » et qu'il vaudrait mieux appeler « le principe de l'impartialité du parquet » - et la nécessité d'une certaine cohérence, dans la politique pénale du Gouvernement, vous y parvenez, madame la ministre, parce que vous ne confondez pas autonomie et gouvernement des juges, impartialité et indépendance.

Nous ne sommes pas, je le dis sincèrement, pour l'indépendance pour l'indépendance. Nous ne voulons pas laisser la politique pénale aux mains de magistrats toutpuissants. Il ne peut y avoir autant de politiques pénales que de procureurs et nous voulons que soient conservées, l'unité de direction, la subordination hiérarchique et l'indivisibilité qui font la caractéristique du ministère public, sous l'impulsion du garde des sceaux. Le ministère public a une raison d'être et de vivre plus importante que celle d'être simplement l'agent du pouvoir exécutif auprès des tribunaux.

Faut-il rappeler également que l'action publique n'appartient pas au ministère de la justice. Celui-ci peut bien prescrire de l'intenter, mais la loi ne l'autorise pas à en interdire l'exercice.

A Mme Catala, qui cherchait hier en vain une contradiction entre mes propos d'hier, ceux de 1993, et mes positions d'aujourd'hui - malheureusement, elle n'est pas là pour m'entendre -, je répondrai en citant encore M. Sainati : « Personne ne nie l'exigence d'un contrôle du judiciaire, mais du contrôle à la tenue en laisse il n'y a qu'un pas ». Et ce pas, on ne pouvait le franchir sans porter atteinte à l'égalité et à l'impartialité que chaque just iciable attend de la justice dans le cadre des choix de société faits par les électeurs.

Cela posé, où voit-on que les critiques à gauche resteraient vives ? S'agissant de la nécessaire instauration d'un véritable régime de mise en responsabilité des magistrats du parquet, il n'est pas sûr que des critiques subsistent après les assurances que vous nous avez données, madame la garde ds sceaux, sur la manière dont vous entendez faire respecter vos directives générales sur l'application de la politique pénale dans le pays. Au reste, nul ne saurait ignorer que cette responsabilité exige des dispositions organiques.

Pour ce qui est de la proposition de Jacques Floch d'attendre que le futur projet de loi organique sur le statut des magistrats soit promulgué pour faire entrer en vigueur la réforme du parquet, il s'agit surtout d'un signal fort que nous voulons adresser au Président de la République, qui bloque sans raison valable le réforme du Conseil supérieur de la magistrature,...

M.

Claude Goasguen.

C'est une caricature !

M.

Gérard Gouzes.

... mais, en aucun cas, d'une volonté de freiner la réforme tant attendue sur l'impartialité de notre justice.

M.

Jacques Floch.

Très bonne explication !

M.

Gérard Gouzes.

Quant au « gouvernement des juges », la formule est en elle-même antinomique et contradictoire et tient plus du fantasme que de la réalité.

M.

Arnaud Montebourg.

Un mythe !

M.

Gérard Gouzes.

Nous le savons, le pouvoir politique en France a toujours nourri le martyrologue judiciaire. Tous les pouvoirs politiques, quels qu'ils soient, certains peut-être plus que d'autres - jusqu'à la caricature ces dernières années -, tous ont cherché à disposer d'une magistrature docile. Ne pas « tenir ses juges » relevait de la part du garde des sceaux d'une faute politique.

Montesquieu, toujours lui, le disait clairement : « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçait ces trois pouvoirs : celui de faire les lois, celui d'exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. »

La Cour européenne des droits de l'homme a jugé récemment, le 24 novembre 1994, qu'un tribunal doit, au sens de l'article 6 de la Convention, répondre à une série d'exigences telles que l'indépendance à l'égard de l'exécutif comme des parties en cause.

De Montesquieu à la Cour européenne, et grâce à ce Gouvernement - qui ne fait finalement que tenir ses promesses -, la France va pouvoir enfin nourrir l'espoir de disposer d'une autorité judiciaire impartiale et responsable.

Votre projet de loi, madame la garde des sceaux, est finalement équilibré, parce qu'il concilie ce que d'autres voulaient inconciliable. Espérons que cela vouera à l'échec, en tout cas faute de les dissuader, toutes les tentatives de reprise en main.

Selon un éminent juriste : « On peut craindre qu'un ministère public aussi fortement constitué que le nôtre et entièrement soumis au pouvoir exécutif ne soit, au point de vue politique, une arme trop puissante dans les mains d'un gouvernement. »

Est-ce donc par un remord tardif que le Président Jacques Chirac a parlé de « couper le cordon entre le parquet et la Chancellerie » ?

M. Arnaud Montebourg.

On attend les actes !

M. Gérard Gouzes.

Cette formule, à mon avis vide de sens, serait-elle à l'origine du trouble de l'opposition aujourd'hui ? Entre Charybde et Scylla, c'est Montesquieu qui doit redevenir la référence qui fait que, dans notre Constitution, on parle d'autorité judiciaire et non de pouvoir judiciaire.

Ni trompe-l'oeil, ni texte tendant à instituer un gouvernement des juges, votre projet, madame la garde des sceaux, rétablit la justice républicaine,...

(« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste).

M. Claude Goasguen.

Pourquoi, avant, elle était monarchiste ?

M. Gérard Gouzes.

... égale, impartiale et juste, que notre démocratie exige pour tous ses citoyens. Voilà pourquoi ce projet est attendu et que nous serons à vos côtés pour le faire adopter par notre assemblée.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Arnaud Montebourg.

Voilà de quoi ravir le ministre de l'intérieur ! (Sourires.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Floch.

M. Jacques Floch.

« La justice puise sa légitimité de sa relation avec le peuple souverain... Elle doit d'autant plus ê tre préservée des ingérences partisanes. » En deux

phrases, issues de la conclusion du rapport Truche, tout a été dit ou presque.

C'est le « presque », madame le garde des sceaux, mes chers collègues, qui est important, car combien de déclarations fracassantes, de proclamations à répétition et de slogans pour affiches nous ont annoncé depuis quelques


page précédente page 06375page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

années que la justice allait devenir indépendante ! Mais comment, de quoi et pourquoi allait-elle être indépendante ? Nul ne le précise, mais elle va être indépendante. Les magistrats, les juges, ces êtres malheureux enfermés dans leurs cours et tribunaux, pourront enfin respirer librement et il sera mis fin à cette quête, cette quémande vieille de deux siècles visant à faire en sorte que le pouvoir politique ne dicte plus les décisions que sera amenée à prendre l'autorité judiciaire.

C'est un rituel : chaque tentative de réformer notre système judiciaire engendre l'absence d'objectivité et une forte dose d'hypocrisie. Car en fait, nombreux sont ceux qui souhaitent que rien ne se fasse afin d'assurer leur petite tranquillité dans leur petit coin.

M. Claude Goasguen.

Mitterrand !

M. Jacques Floch.

C'est pour cela, madame le garde des sceaux, que votre projet dérange : il met fin à une situation qui ne peut perdurer ; il précise votre rôle, la nature et la forme des relations que vous devez entretenir avec les procureurs généraux et celles que ces derniers doivent avoir avec les procureurs de la République.

Seuls les inconséquents, les nostaliques des temps passés peuvent tenter de nous faire croire que le ministre de la justice, responsable de la politique pénale, est étranger à des poursuites qui intéressent l'ordre public sur l'ensemble du territoire national. Il s'agit d'une responsabilité éminente, d'une responsabilité majeure du gouvernement. Mais cela ne veut pas dire, ne peut pas vouloir dire que la soumission hiérarchique des membres du parquet est absolue. Ceux-ci ne sont pas obligés de venir chercher des ordres, des instructions. D'ailleurs, un procureur très médiatisé ne se gênait pas pour dire à ses collègues : « Si vous ne voulez pas d'instructions particulières, n'en demandez pas ! » Très nombreux sont les magistrats qui, tout en respectant les règles, n'ont jamais été soumis à la moindre pression. Ils ont fait leur travail, et je ne suis pas sûr que leur carrière en ait pâti. D'ailleurs quel mépris manifestent tous ceux qui osent prétendre que l'indépendance des magistrats est liée à leur déroulement de carrière : je n'ai jamais compris que cette affirmation ne soit pas considérée comme un outrage à magistrat ! Je crois, madame la ministre, que vous avez réussi à résoudre un difficile problème. Votre projet est équilibré, juste et raisonnable. Mais pour bien le comprendre, il ne faut pas le sortir de son contexte : la réforme globale du système judiciaire de notre pays et l'ensemble des volets qui la composent. Il s'agit d'instaurer une justice accessible et compréhensible par tous, grâce à un meilleur accès au droit, une réelle alternative aux poursuites, une simplification de la procédure civile. Il s'agit de mettre en place une justice moins liberticide, par le renforcement de la présomption d'innocence et l'institution d'un véritable droit des victimes, éternels oubliés du droit et de la justice.

Ce texte va permettre de fixer des règles pour clarifier votre rôle, madame la garde des sceaux, et celui du parquet, tout en accordant - on l'oublie un peu trop, comme si cela dérangeait certains -, de nouvelles garanties aux justiciables. Comme vous osez dire et écrire que des hauts fonctionnaires aussi éminents que des magistrats vont être obligés de rendre des comptes, pas seulement à vous mais aussi à l'ensemble des citoyens, certains parlent déjà de « soviets judiciaires » ! Heureusement que le ridicule a cessé de tuer ! Bref, aussi ne parlons plus de subordination, mais d'émancipation de l'autorité judiciaire sur le plan organique ! Ce texte constitue donc un des éléments de ce bloc fort et compact que constitue la réforme d'ensemble que nous voulons.

M ais, aujourd'hui, il reste un frein majeur qui empêche d'avoir une réflexion globale, de prendre des décisions cohérentes et équilibrées : le fait que la réforme du Conseil supérieur de la magistrature ne soit pas une réalité et que les lois organiques qui en découlent ne puissent être votées, qu'il s'agisse du statut des magistrats ou des responsabilités de ces derniers. Tout cela déséquilibre complètement le bloc de la réforme.

Le Président de la République est le seul responsable de cette défaillance, comme si, à l'Elysée, on ne souhaitait pas appliquer ou voir appliquer tous les engagements pris en 1995, voire en 1997, on ne souhaitait pas placer « la responsabilité en regard du pouvoir exercé dans l'indépendance par les magistrats ».

Car l'indépendance qu'il s'agit de garantir à la justice, donc à ceux qui la rendent, est un exercice de liberté à l'abri de toutes contraintes, sauf celles de la loi. C'est un pouvoir considérable avec les conséquences que l'on sait.

Dès lors, l'évolution que vous préconisez en matière d'indépendance de l'institution judiciaire, madame la garde des sceaux, conduit obligatoirement à poser la question de sa responsabilité. Mais l'institution judiciaire, c'est aussi bien entendu, la situation des magistrats.

I ndépendance, autonomie, transparence, régulation sont autant de mots qui vont de pair avec responsabilité.

C'est pourquoi, madame la garde des sceaux, j'ai déposé un amendement qui tend à lier l'application de ce projet de loi au sort que le Président de la République réservera à l'ensemble de la réforme de l'institution judiciaire. En un mot, il s'agit de faire en sorte que tout cela ne soit pas seulement des mots. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Guy Hascoët.

M. Guy Hascoët.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, quand le Premier ministre, ici même, le 19 juin 1997, a prononcé sa déclaration de politique générale, il a très clairement exprimé la volonté du Gouvernement de réinstaurer la confiance, de moraliser la vie publique, de diversifier et de féminiser la représentation électorale, bref, d'ouvrir un chantier qui non seulement réponde aux attentes de notre société et de nos concitoyens, mais qui permette également à la politique de retrouver toute sa place et aux citoyens de ne plus douter de leurs représentants.

Ainsi, nous avons été conduits à voter la parité, à ouvrir le chantier du cumul des mandats et celui des modes de scrutin. Et depuis maintenant deux ans, madame la garde des sceaux, nous sommes à vos côtés pour vous aider à accomplir cette lourde tâche qui consiste à réformer la justice.

Le premier volet de cette réforme a consisté à rapprocher la justice des citoyens, qu'il s'agisse de la loi relative à l'accès aux droits, de la loi sur la résolution amiable des conflits ou encore de la loi tendant à améliorer l'efficacité de la procédure pénale.

Le deuxième volet s'attache à mettre en oeuvre une justice au service des libertés publiques, et c'est l'objet du texte que nous avons examiné il y a peu sur la présomption d'innocence.

Enfin, nous discutons aujourd'hui d'un texte qui porte sur l'indépendance et l'impartialité.


page précédente page 06376page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Nous soutenons ce texte dont l'esprit semble s'inscrire dans une approche nouvelle, une philosophie qui correspond à une évolution réelle de notre société. Certains se réfèrent sans cesse à Montesquieu. Hélas !, il ne pouvait pas imaginer la réalité de la communication moderne...

M. Gérard Gouzes.

Montesquieu est moderne ! M. Guy Hascoët. ... ni le lien qui s'instaurerait entre le citoyen et la représentation politique à travers le prisme des médias, notamment audiovisuels. Il est des terrains sur lesquels ce brillant auteur ne pouvait anticiper ou deviner ce qui se passe aujourd'hui.

Si nous soutenons l'esprit de la réforme, c'est parce qu'il nous semble correspondre à une évolution nécessaire. Pour notre part, nous n'avons pas peur du nouvel équilibre qu'il propose d'installer entre l'exécutif et les magistrats.

Ce texte introduit, en instituant l'obligation de motiver les classements sans suite, un élément très important de démocratisation. Nous savons tous que le fait que la plainte déposée par la victime d'une agression ou d'un délit n'ait pas de suite, ou que le recours de tel ou tel mouvement associatif débouche sur une impasse, le tout sans fournir d'explications - et cela représente chaque année des centaines de milliers de procédures - a contribué à donner peu à peu le sentiment que la justice était gérée loin des gens.

Ce texte apporte une réponse de ce point de vue, et c'est certainement celle qui a le plus d'importance. Il faut en finir avec les soupçons et le lien supposé entre l'intervention du politique et le choix des magistrats de poursuivre ou pas. C'est certainement l'un des aspects les plus intéressants, parce qu'il concerne un grand nombre de nos concitoyens et un volume d'affaires très important.

Vous proposez de donner une responsabilité accrue aux magistrats, en vous fondant sur deux principes : la fin des instructions particulières ou individuelles, qui était nécessaire et urgente ; une responsabilisation accrue des magistrats, l'exécutif précisant l'esprit dans lequel il souhaite voir appliquer les lois. Un certain nombre de collègues s'inquiètent et demandent : « Qui va évaluer et contrôler que les magistrats appliquent bien le texte ? » Et l'on en revient toujours au même point : pour pouvoir évaluer ou contrôler l'action quotidienne des magistrats, il faudrait pouvoir s'attaquer à la réforme de leur statut, qui est au point mort car nous n'avons pu nous réunir en congrès à Versailles pour voter la réforme constitutionnelle qui permettrait d'achever la réforme concernant le Conseil supérieur de la magistrature.

Nous savons bien que ce décalage dans le calendrier n'est pas le fait du Gouvernement, mais qu'il est dû à une décision présidentielle.

Nous assumons pour notre part ce double mouvement d'une responsabilisation accrue et d'une clarification des directives générales du garde des sceaux. Nous avons déposé très peu d'amendements. Un élément du texte pourrait cependant permettre d'aller plus clairement encore dans l'esprit de la réforme, je veux parler du statut de la police judiciaire. Car, à partir du moment où l'on prétend casser le lien qui peut exister entre l'intervention de l'exécutif et le déroulement des procédures, il paraîtrait logique d'aller jusqu'au bout et de considérer comme nécessaire de créer des unités de police judiciaire rattachées directement au parquet et aux magistrats, des unités dont le lien avec les ministères de tutelle, c'est-à-dire le ministère de l'intérieur et le ministère de la défense, serait redéfini, car il y a une contradiction à demander à des fonctionnaires d'appliquer à la lettre des directives, alors que pour leur avancement, ils dépendent d'un autre ministère, qui n'est pas celui de la justice. Je sais que c'est une question compliquée, sensible, mais elle pourrait offrir l'occasion d'un véritable débat dans cet hémicycle, car elle est cohérente avec l'esprit de ce texte ; elle est posée depuis des décennies et nous avons l'occasion de lui apporter une réponse.

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde ses sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je répondrai rapidement aux orateurs qui se sont exprimés depuis hier après-midi dans la discussion générale.

En écoutant, hier surtout, certains orateurs de l'opposition, je songeais à ce que pourrait penser le Persan de Montesquieu qui serait projeté sans autre information dans cet hémicycle et écouterait nos débats. Il se demanderait sans doute à quel âge d'or ce Gouvernement a renoncé de façon absolument insensée ; un âge d'or où le garde des sceaux, tel un ange tutélaire, recourait aux instructions individuelles pour protéger la veuve et l'orphelin ; un âge d'or où les procureurs destinataires des inst ructions individuelles s'inclinaient sans discuter et n'utilisaient jamais leur liberté de parole à l'audience.

Ce Gouvernement proposait de mettre fin, par ses propositions insensées, au climat de sécurité, de sérénité e t de confiance qui avait marqué, jusqu'en 1997, les relations entre les citoyens, la justice et les politiques sans parler, naturellement, de la très grande confiance qui existait jusque-là entre l'exécutif et le pouvoir judiciaire.

Je pense que ce Persan se serait rendu compte assez vite par lui-même, sans qu'on ait besoin de lui donner beaucoup d'explications que les instructions individuelles, atomisées, aléatoires, n'ont jamais fait une politique pénale cohérente et impartiale que ces instructions individuelles n'ont jamais fait l'objet d'une quelconque évaluation à la Chancellerie - d'ailleurs, il est très difficile, même en faisant de la spéléologie profonde, de trouver trace de ces instructions écrites dans les dossiers de la Chancellerie, que la sécurité, la lutte contre le terrorisme, la maîtrise des conflits sociaux n'a pas été moins bien assurée en l'absence d'instructions individuelles - c'est le moins qu'on puisse dire ; enfin que la crise de confiance qui sévissait jusqu'à ébranler les fondements de notre démocratie il y a encore deux ans est en passe aujourd'hui de s'éloigner de nous.

M'adressant aux orateurs qui ont douté du nouveau système que je vous présente, rappelle qu'il propose d'élaborer une politique pénale affirmée dans ses choix, situant clairement les responsabilités de chacun, ce qui est précisément le contraire de l'hypocrisie et du fauxsemblant, dans la mesure où chacun voit ses responsabilités clairement décrites, sait ce qu'il peut faire et ne pas faire.

Lorsque j'ai décidé, avec le Premier ministre, qu'il n'y aurait plus d'instructions individuelles, j'ai décidé aussi qu'il n'y aurait plus d'exception à cette règle. En effet, s'il y avait eu une exception, on aurait pu prétendre que l'engagement n'était pas tenu. Or je l'ai tenu, y compris dans les affaires civiles - nous avons pourtant été sollicités - parce que je pense que, dans les affaires commerciales, certains développements peuvent déboucher sur le pénal. En ce qui concerne les nominations, dont on n'a pas beaucoup parlé, hormis Gérard Gouzes, ma ligne de conduite n'a pas varié.


page précédente page 06377page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Contrairement à mes prédécesseurs, même récents, je n'ai ni écarté, ni évincé, ni « placardisé » aucun procureur général, ni aucun procureur.

M. Gérard Gouzes.

Ce n'était pas la même chose du temps de Toubon !

Mme la garde des sceaux.

Il n'y a eu aucune exception au principe que j'avais fixé de ne nommer personne sans avoir l'aval du Conseil supérieur de la magistrature.

C'est une nouveauté radicale qu'on ne rappellera jamais assez. Je dis à ceux qui se sont permis de mettre en cause certains hauts magistrats que ceux-ci ont été nommés avec avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Mme Frédérique Bredin.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

La réforme définit donc clairement le rôle de chacun. Certains se sont interrogés sur celui du garde des sceaux. J'ai même entendu des descriptions qui ne correspondent pas tout à fait à la conception que je me fais de mon rôle, que je rappellerai brièvement.

Le garde des sceaux assure le bon fonctionnement des services régaliens, non seulement des juridictions, mais aussi de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse. Il coordonne les informations pour sa mission du ministère du droit. Il a évidemment un rôle interministériel important, avec d'autres administrateurs et juridictions, comme le SGCI et le Conseil d'Etat, puisqu'il est constamment sollicité pour garantir la sécurité juridique de nombreuses réformes. Il prépare les réformes législatives, pas seulement pour les grands codes, civil et pénal, et veille à l'application des lois que vous avez votées : c'est le sens des directives de politique judiciaire. Enfin, il traite des relations européennes et internationales des autorités et services judiciaires.

Certains ont demandé à quoi servaient les informations que je reçois, dès lors qu'il n'y a plus d'instructions individuelles ? Elles servent d'abord à ceux qui les ont donn ées, c'est-à-dire aux procureurs généraux. Lorsque ceux-ci envoient des informations à la direction des affaires criminelles et des grâces, nous leur renvoyons des synthèses, des comparaisons, des échanges d'expériences et d'informations. Par exemple, en matière d'élaboration de contrats locaux de sécurité, après une première circulaire, au vu des informations que nous ont retournées les procureurs généraux, nous avons, trois mois après, envoyé une seconde circulaire pour préciser ce que devait être le contenu des contrats locaux de sécurité, à la lumière des premières expériences que nous avions analysées.

Ces informations servent ensuite au garde des sceaux pour sa mission gouvernementale, pour mener les politiques pénales, rédiger et évaluer les directives générales de politique pénale, pour aussi, et réformer la loi lorsque nous vous avons proposé de voter une loi sur la délinquance sexuelle, nous nous sommes appuyés sur les rapports que nous avaient fournis, à notre demande, les parquets pour assurer l'égalité devant la loi ; pour déceler également, les conduites aberrantes, qui, selon les cas, pourront aboutir à déclencher une directive générale comme aujourd'hui - et, lorsque la loi sera votée, le droit d'action propre du garde des sceaux.

Il faut bien évidemment avoir des informations précises : pour faire entendre la voix de la justice dans le concert interministériel, mais aussi pour assurer aux autorités de l'Etat l'information dont elles ont besoin sur les principales procédures, et, enfin, pour permettre au garde des sceaux d'informer le Parlement. Il m'arrive, vous le savez, d'être interrogée par la représentation nationale sur les affaires délicates. Cela a été le cas à propos de la Corse, des violences urbaines et des grandes affaires financières. Il arrive même que des commissions d'enquête auditionnent le garde des sceaux, comme ce fut le cas pour la commission d'enquête sur les sectes. Le garde des sceaux doit-il être la seule autorité qui n'ait pas la possibilité de rendre compte au Parlement ? Non, ce n'est pas ma conception.

Je rencontre donc les procureurs et les procureurs généraux. Il m'arrive même de recevoir des premiers présidents et des présidents de juridiction ; car je suis ministre et j'assume ma fonction.

M. Gérard Gouzes.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

J'ai la charge de ce département ministériel et j'en suis responsable devant le Parlement. J'estime qu'il m'incombe d'en connaître les acteurs et d'établir avec eux un dialogue dans lequel chacun respecte la dignité de l'autre. A cet égard, j'ai entendu ici, hier après-midi, des propos que j'ai jugés véritablement insultants. En effet, lorsque je reçois des magistrats, j'ai à coeur de me conformer, dans ces relations, qui ne sont pas privées mais relèvent de mon activité de ministre, à l'engagement que j'ai pris publiquement de ne pas confondre information et instructions. Et les magistrats ont eux-mêmes la dignité de ne pas mettre en question cet engagement qui a été pris au plus haut niveau, puisqu'il est aussi celui du Premier ministre de la France.

On peut avoir une autre vision de la justice, celle d'une justice et de magistrats aux ordres, soumis, qui attendraient les instructions comme un malade attend l'oxygène. Ce n'est pas la mienne et ce n'est pas, croyez-le bien, celle des magistrats avec qui je travaille et que je rencontre, car ils ont parfaitement, eux, compris le sens de ce que nous voulions faire. Je mets d'ailleurs au défi ceux qui ont prétendu que j'utilisais ces informations et ces rencontres pour véhiculer des instructions déguisées ; je les mets au défi d'établir la réalité de leur insinuations ! Nous frisons là le ridicule. Croyez-vous qu'après deux ans d'une telle pratique, si j'avais véritablement joué ce double jeu, vous n'en auriez pas été informés, non plus que la presse ? N ous devons, dans une démocratie adulte, nous comporter comme des adultes soucieux de mettre leurs comportements en adéquation avec leurs paroles, sans avoir peur de leurs responsabilités et assumant celles-ci devant l'opinion publique, le ministre les assumant pour sa part devant la représentation nationale.

Je crois que c'est une grande conquête de la démocratie que notre code de procédure pénale dispose dans son article 12 : « La police judiciaire est exercée sous la direction du procureur de la République. » Quand j'entends

certains dire qu'il ne faut pas que la police obéisse trop à la justice, je ne suis pas d'accord. Je ne crois pas que le droit brûle celui qui s'y frotte, il est là pour protéger la liberté de chacun d'entre nous.

Quant aux citoyens, ils auront désormais un droit de regard. Il n'y aura pas de relations directes, bien entendu.

Les procureurs de la République et les procureurs généraux ne détiennent leurs prérogatives que dans le cadre de l'application des orientations générales de politique pénale définies par le garde des sceaux, au nom du Gouvernement et sous le contrôle du Parlement.

Mais la responsabilité des procureurs et des procureurs généraux vis-à-vis des justiciables sera accrue, puisqu'ils devront rendre publique la mise en oeuvre des orienta-


page précédente page 06378page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

tions générales, motiver les classements sans suite et accepter que ceux-ci puissent être contestés devant des commissions de recours.

Permettez-moi de revenir un instant sur le très important sujet de la responsabilité. Nul avant moi n'avait osé envisager que le Conseil supérieur de la magistrature ne comprenne pas une majorité de magistrats. Nul n'avait osé proposer la publicité des audiences disciplinaires de cette instance. Nul n'avait proposé que la durée des fonctions de chef de juridiction et de chef de cour d'appel soit limitée,...

M. Arnaud Montebourg.

Très bien ! C'est très important !

Mme la garde des sceaux.

... ni de faire voter un dispositif élargi de responsabilité sans faute et d'indemnisation pour les détentions provisoires injustifiées. Et s'il faut que nous améliorions encore sur ce point le projet de loi relatif au renforcement de la présomption d'innocence, j'y suis prête.

M. Gérard Gouzes.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Personne n'avait jusqu'ici accepté une disposition comme celle contenue dans l'amendement proposé par Alain Tourret, qui prévoit un remboursement par l'Etat des frais exposés à l'occasion d'une procédure pénale achevée par un non-lieu, une relaxe ou un acquittement. Personne n'avait proposé une commission d'instruction des plaintes des citoyens en cas de dysfonctionnement des tribunaux.

Cela dit, il reste des pistes sur lesquelles nous devons encore travailler. Je pense à la distinction entre la responsabilité collective de l'Etat et la responsabilité personnelle des magistrats eux-mêmes. Sur ce sujet, nous avons beaucoup avancé. Il existe des comparaisons internationales qu'il convient d'étudier. Le récent colloque de l'Ecole nationale de la magistrature, consacré à la responsabilité des magistrats, a également apporté des éléments de réflexion fort intéressants.

Je rappelle que l'article 43 de l'ordonnance de 1958 prévoit que la faute commise par un magistrat « s'apprécie pour un membre du parquet compte tenu des obligations qui découlent de la subordination hiérarchique ».

L'article 5 de cette même ordonnance prévoit que les membres du parquet sont soumis spécifiquement, pour l'exercice de leur fonction, à l'autorité du garde des sceaux et au contrôle de leurs chefs hiérarchiques. Sur ce point, la réforme ne change rien.

Il est vrai que le problème de la responsabilité se pose de manière plus aiguë en raison de la pénalisation et de la juridiction croissantes de notre société. Je souligne que les magistrats du siège connaissent, eux aussi, un régime de responsabilité, défini par l'article 43 de l'ordonnance de 1958 : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire. »

On entend souvent dire que tous ces principes restent théoriques et ne sont pas appliqués. Sachez que, depuis un an, j'ai saisi plus d'une trentaine de fois les chefs de cour pour des demandes d'explication. Cela a été le cas, par exemple, à l'occasion d'une mission effectuée au Gabon qui avait soulevé certains doutes chez plusieurs magistrats. Cela a été le cas quand on a appris que certains magistrats enseignaient dans des entreprises, dans des conditions qui paraissaient devoir être examinées de plus près. Cela a également été le cas lorsque des polémiques publiques ont mis en cause des magistrats. Je citerai celle dont la presse fait état depuis deux jours, concernant un procureur adjoint financier qui, dans le nord de la France, a mis en cause un responsable du SRPJ.

J'ai diligenté l'inspection générale des services judiciaires pour en avoir le coeur net.

Au demeurant, ce corps d'inspection a été renforcé : cinq postes en plus par rapport aux dix qui existaient déjà dans le budget de cette année. Ce renforcement m'a permis de saisir le Conseil supérieur de la magistrature quinze fois en un an pour divers manquements : violation du secret de l'instruction, propos racistes, ingérence, corruption, dont six fois sur quinze pour pure et simple insuffisance professionnelle.

Les textes qui vous ont été soumis ou qui vous seront soumis - telle la réforme constitutionnelle sur la composition du Conseil supérieur de la magistrature, qui ne comprendra pas une majorité de magistrats - contribueront à une meilleure responsabilité.

Le texte sur la présomption d'innocence, lorsqu'il institue le juge de la détention provisoire, lorsqu'il prévoit des délais d'enquête et d'instruction, lorsqu'il généralise et renforce le statut des témoins assistés, lorsqu'il développe le droit de la défense, pendant la garde à vue et tout au long de l'enquête, lorsqu'il indemnise les détentions provisoires, contribue à une amélioration de la responsabilité.

Je ne vous parlerai pas des textes sur l'accès au droit, car, dans la mesure où l'on introduit plus de proximité, on aboutit aussi à une plus grande responsabilité.

J'en viens aux textes futurs qui seront examinés par le Parlement.

Le projet de loi organique sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature prévoit, d'une part, que les décisions disciplinaires de ce conseil seront publiques et motivées et, d'autre part, que celui-ci pourra être saisi en formation disciplinaire non plus seulement par le garde des sceaux, mais aussi par tous les chefs de cour.

Pour ce qui le concerne, le projet de loi organique sur le statut des magistrats prévoit d'instaurer une durée limitée pour l'exercice des fonctions de chef de cour d'appel et de tribunal de grande instance. Il prévoit aussi qu'on ne pourra pas avancer dans la carrière si l'on ne change pas d'affectation. Ce texte créera une commission d'examen des plaintes des justiciables avec information du garde des sceaux, pour les cas où le comportement des magistrats apparaîtrait contraire à la déontologie. De plus, nous avons engagé une réforme de l'Ecole nationale de la magistrature en mettant en place une formation qui intègre d'ores et déjà un enseignement sur la responsabilité des magistrats au regard de la jurisprudence du Conseil supérieur de la magistrature.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Cela est essentiel !

Mme la garde des sceaux.

Hier, Frédérique Bredin a cité, dans son intervention consacrée à cette très importante question, le cas d'un homme qui avait été injustement mis en cause dans une affaire de viol de deux petites filles de dix et onze ans, à Toulon.

Cet homme avait été mis en examen le 4 septembre 1998 et placé sous mandat de dépôt. Les prélèvements de sang et de sperme avaient été effectués immédiatement et envoyés au laboratoire, à Marseille. Mais ce n'est que le 15 mars 1999, c'est-à-dire plusieurs mois plus tard, que le laboratoire a adressé les résultats au juge. Ces résultats mettaient hors de cause le prévenu. Il est important de savoir que le juge a adressé deux rappels au labo-


page précédente page 06379page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

ratoire, le 11 décembre et le 4 mars, pour obtenir ces résultats. Deux jours après l'envoi des résultats, le suspect était remis en liberté.

Tout cela pour dire que les juges ont le dos large et qu'on les rend souvent responsables de dysfonctionnements dont ils ne sont pas responsables, voire, comme vous le savez, de violations du secret de l'instruction qui sont souvent imputables à d'autres.

J'en arrive aux moyens, que plusieurs députés ont à juste titre évoqués.

Je rappelle que, dans les deux budgets dont j'ai été responsable en 1998 et 1999, les crédits du ministère de la justice ont connu une progression de plus de deux fois et demie supérieure à la progression moyenne des crédits de l'Etat.

En matière de personnels, alors que depuis dix ans on n'avait jamais créé en moyenne plus de quarante postes de magistrat par an, on en a créé en 1998 soixante-dix et, cette année, cent quarante. J'ai bon espoir que nous continuions cet effort l'année prochaine.

Les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse ont aussi considérablement augmenté. Permettez-moi de rappeler, notamment à l'attention de M. Warsmann, qui n'est pas présent pour écouter ma réponse, que, pour ce qui concerne la protection judiciaire de la jeunesse, sujet extrêmement important puisqu'il est lié à la délinquance des mineurs, que nous avions, en 1997, le même nombre d'éducateurs qu'en 1985. Or, de 1985 à 1997, le nombre des délinquants déférés à la protection judiciaire de la jeunesse est passé de 100 000 à 150 000. Ce n'est qu'à partir de 1998 que nous avons repris les recrutements et que nous sommes repassés au-dessus du niveau de 1985.

J'ajoute que, si nous en étions là, c'est parce qu'en 1986, 1987 et 1988, il y a eu une dépression profonde, que l'on mesure parfaitement sur les graphiques, du recrutement des éducateurs à la protection judiciaire de la jeunesse.

M. Gérard Gouzes.

Exact !

Mme Véronique Neiertz.

Absolument, et spécialement en Seine-Saint-Denis !

M. Arnaud Montebourg.

On n'en a pas besoin dans le 16e arrondissement !

Mme la garde des sceaux.

Ce que je propose - beaucoup ici l'ont compris et je les remercie de leur soutien -, c'est de restaurer la responsabilité politique en la fondant exclusivement sur l'intérêt général et sur la protection de l'égalité de tous dans la justice. Pour y parvenir, il nous faut une loi car, pour opérer une rupture aussi radicale avec le passé, je préfère que l'on écrive clairement dans la loi que les instructions individuelles sont interdites.

M. Gérard Gouzes.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

En effet, si l'on maintient dans la loi que les instructions sont légitimes, et même si l'on précise qu'elles sont écrites, elles resteront légitimes et on trouvera, par conséquent, qu'il est moins illégitime de les utiliser de façon dévoyée.

Je pense qu'il vaut mieux inscrire dans la loi cette interdiction pour avoir une garantie supplémentaire que de prochains gardes des sceaux hésiteront à violer la loi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Arnaud Montebourg.

CQFD ! Motion de renvoi en commission

M. le président.

J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie libérale et Indépendants une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Gérard Gouzes.

Il va sans doute y renoncer, monsieur le président !

M. Claude Goasguen.

En ai-je l'air, monsieur Gouzes ?

M. le président.

Vous avez la parole, monsieur Goasguen.

M. Claude Goasguen.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est toujours facile et peu risqué de faire de la « justice indépendante » un slogan politique.

Mme Véronique Neiertz.

Qui a commencé ?

M. Claude Goasguen.

La méthode n'est pas nouvelle.

Elle fut employée par beaucoup de gens, par l'actuel Premier ministre, après bien d'autres.

Mme Véronique Neiertz.

Oui : par le Président de la République !

M. Arnaud Montebourg.

Par le Président Chirac ! (Sourires.)

M. Claude Goasguen.

Les engagements électoraux oublient souvent les réalités passées. L'indépendance a aujourd'hui pour but de sanctionner un hélicoptère, en oubliant les camarades d'Urba, les camarades de l'Olympique de Marseille ou ceux de la MNEF...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Ou de la mairie de Paris ! (Sourires.)

M. Arnaud Montebourg.

Mais où est donc Tiberi ?

M. Gérard Gouzes.

Ce ne sont pas des « camarades » : ce sont des amis !

M. Claude Goasguen.

En guise de prolégomènes, je voudrais vous dire que, de ce point de vue, les leçons de morale auxquelles nous avons eu droit depuis quelques heures me font penser - je veux rester courtois - à la parabole évangélique de la paille et de la poutre. Quand on a eu un Président de la République dont nous avons découvert hier à quel point il gérait cyniquement l'indépendance de la magistrature et quand on a été assez proche de lui, on devrait hésiter à donner des leçons de morale à la terre entière.

Pour le présent et pour l'avenir, mesdames, messieurs, essayez de temps en temps de penser au passé ! Je vous en remercie par avance.

Il est toujours périlleux pour la société de légiférer dans le domaine de la justice et de la protection des libertés à coups de slogans et de caricatures. Le remède est souvent pire que le mal et le projet dont nous débattons aujourd'hui en constitue une superbe illustration.

D'abord, il convient de préciser la terminologie : il ne s'agit pas ici de justice ou de juges dont l'indépendance n'est contestée par personne sur ces bancs, mais de l'action publique et du parquet, du ministère public.

L'unicité d'appellation ou de corps ne doit pas tromper l'opinion publique.

Dans l'ancien droit, on disait : « Tout juge est procureur général. Il n'en est plus ainsi depuis l'ordonnance de 1670. Le rôle du parquet est de représenter la société


page précédente page 06380page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

et l'Etat devant le juge. Les magistrats dont il est question ici ne sont des juges qu'administrativement. Ils sont vos représentants, madame la ministre. Ils sont vos gens.

Sous l'Ancien Régime, on les appelait les « gens du Roy » - c'était plus significatif.

Si les Français appréciaient les détours procéduraux et connaissaient ce sérail au langage ésotérique, ils céderaient sans doute moins aux emportements démagogiques de phrases hypocrites qui ne veulent rien dire. Vous ne faites d'ailleurs rien, je le relève, pour les informer objectivement de leurs droits et des dangers qui les menacent.

Par vos amalgames, vous semblez au contraire entretenir le sentiment que la justice dans son ensemble était jusqu'à présent aux mains du pouvoir politique sans vous interroger sur la légitimité des uns et des autres ni sur la nature des officiers du ministère public que l'Etat, c'est-àdire vous, a investis d'une mission de défense de l'intérêt public.

Nous voilà donc face à votre texte électoraliste, qui s'est fait attendre et que l'on nous présente au sein d'une multiplication de textes. Sous le nom de « réforme de la justice », vous vous contentez d'une addition de slogans.

Le débat sur la présomption d'innocence nous a montré que vous préfériez les effets d'annonce à la réalité des solutions modernes et difficiles à mener dont notre société a besoin.

Vous avez multiplié les consultations. Vous avez rencontré les pires oppositions, notamment celle des magistrats, qui dénoncent le déséquilibre de votre texte.

Nous avons même failli voir au dernier moment notre discussion décalée en raison des nombreuses divisions au sein même de votre majorité sur ce texte. Vos alliés de la majorité plurielle se sont montrés parfois virulents à l'encontre du projet de loi, et ont même prétendu défendre des motions de procédure. Nous étions tout prêts, en ce qui nous concerne, à leur céder notre place dans le tirage de ces motions (Sourires), mais, d'une façon très surprenante, ils ont changé d'avis. Je n'ose suggérer que le parti socialiste, lui-même divisé sur ce point, ait fait jouer les rapports de force et votre stratégie, maintes fois observée, de l'autoritarisme et de la réduction à l'unicité, sous le nom de majorité plurielle, de la réalité de votre comportement politique.

Bref, après plusieurs mois, nous voilà enfin devant votre fameuse révolution judiciaire, celle qui doit mettre fin, je vous cite, « à la tradition de soumission du parquet au pouvoir politique ».

A vos yeux, la suppression de toute instruction individuelle doit garantir l'impartialité de l'accusation, une meilleure transparence et le respect des libertés publiques.

Présentant la soumission du parquet au pouvoir politique comme une caractéristique infamante, vous postulez que la solution passe par une plus grande autonomie pour les chefs de parquet sans contrepartie en termes de responsabilité.

Je précise que nous discutons d'un texte juridique qui, de votre propre aveu, ne prendra sa vraie signification que par le vote de deux autres textes à venir.

M. Arnaud Montebourg.

Ah bon ?

M. Claude Goasguen.

L'un concerne le CSM. Il est déjà voté mais il n'a pas encore été sanctionné constitutionnellement ; l'autre est un projet de loi organique dont nous découvrons des morceaux assez elliptiques et contradictoires, par-ci, par-là, chez des amis à vous bien informés.

Votre loi ne peut donc prendre sa dimension que par le vote d'une autre loi hypothétique. Voilà, vous en conviendrez, une méthode de discussion singulière, qui montre les limites réformistes de votre démarche.

Mais ce qui importe, c'est d'affirmer la fidélité à votre slogan. Vous voulez abattre un hélicoptère ? Faites-le ! Il y avait d'autres manières mais, pour le moins, nous vous demandons de ne pas hypothéquer par votre attitude l'avenir des relations entre le juge et le citoyen, car c'est de cela qu'il s'agit.

En tant que libéraux, et soucieux de l'équilibre de nos institutions et de la défense des droits de l'homme, nous nous élevons en faux contre votre affichage politique.

Nous vous demandons de reconsidérer les fondements de votre démarche. La hiérarchisation de l'accusation est une tradition qui résulte d'une volonté évidente de garantir la légitimité et le caractère démocratique de cette prérogative si importante.

Nous nous opposons aussi à ce que vous laissiez répandre une vision d'un système d'accusation totalement soumis aux aléas d'un pouvoir politique partial. Votre responsabilité politique, issue du suffrage universel, la charge de l'intérêt général et elle est légitime bien au-del à de la légitimité personnelle d'un procureur, qui n'a pas vocation à représenter la société non pas par lui-même, mais par la légitimité que le pouvoir, c'est-à-dire vousmême, lui donnez.

Il convient donc de nous interroger sur l'opportunité de rendre l'accusation indépendante du pouvoir démocratique.

Nous nous opposons à votre projet car il est à nos yeux la pire des réponses à la problématique suivante : l'accusateur public, celui qui détient l'arme absolue d'ouvrir les poursuites à l'encontre des citoyens, n'est-il pas obligé de rendre des comptes et d'assumer sa responsabilité face à la société tout entière ? Comment pourrait-il le faire sans responsabilité ni contrôle ? Pour notre part, nous ne pouvons répondre que par l'affirmative à la question de la hiérarchie. Nous constatons en conséquence que votre texte vient ouvrir une brèche essentielle dans les fondements de la légitimité du parquet dans notre pays.

Loin de garantir l'impartialité de l'accusateur, votre projet de loi va multiplier les causes de partialité de la justice, au mépris de la liberté et de l'égalité des citoyens, en insérant au sein de l'institution judiciaire une dérive nouvelle, celle de l'indépendance incontrôlée du système d'accusation.

De plus, parce que vous craignez les dérives ultérieures nées d'un corporatisme judiciaire, que vous instituez, vous attentez à la dignité du parquet par des sanctions indignes de sa tradition et par une substitution de pouvoirs, que j'estime infamante et qui n'améliorera pas la confiance des citoyens dans la justice.

Au fond, vous réalisez un tour de force, en maniant, avec la même maladresse l'indépendance et la dépendance excessive.

Le déséquilibre du texte et l'absence totale d'évaluation de ses conséquences justifient la motion de renvoi en commission que je défends, mesdames, messieurs, devant vous.

En premier lieu, madame la ministre, l'affirmation que vous avez faite de vouloir rompre avec une tradition de soumission du parquet au pouvoir politique n'est qu'un affichage politique. Avec la fin des instructions individuelles et la revendiaction de ce qui serait une nouvelle


page précédente page 06381page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

pratique, plus morale et désintéressée - je vous renvoie à ma remarque précédente - des affaires judiciaires, le Gouvernement croit faire plaisir aux médias et conforte son sentiment d'inaugurer pour la première fois dans ce pays une pratique propre de la politique. Il ne convainc que lui-même, et encore.

Vous faites semblant de croire que la suppression formelle des instructions individuelles pourrait changer fondamentalement la nature et les fonctions spécifiques du parquet. Cela est faux et hypocrite.

La possibilité donnée au garde des sceaux d'intervenir dans des affaires politiquement sensibles, même à caractère individuel - au sens premier du terme et non au sens médiatique d'affaires politiquement sensibles -, doit être au contraire maintenue au nom de la préservation de l'ordre public et des libertés individuelles.

Représentants de la nation, de l'intérêt général au procès pénal, investis d'une mission de défense de l'intérêt public, les procureurs ont une mission de souveraineté.

Dans une République qui a inscrit sa souveraineté nationale au fronton de sa Constitution, cette fonction ne peut se passer d'une forme de légimité démocratique. Et cette légitimité, c'est justement la soumission au garde des sceaux, et donc au Gouvernement, démocratiquement désigné, qui en est le fondement.

Il ne s'agit pas d'une soumission aveugle et brutale.

Elle garantit la liberté de parole du procureur, ainsi que son autonomie de gestion des dossiers. Dans 99 % des cas, les procureurs disposent d'une totale liberté dans la conduite des enquêtes et des poursuites.

M. Gérard Gouzes.

C'est le 1 % restant qui pose un problème !

M. Pascal Clément.

En tout, cela ne fait même pas 1 % !

M. Claude Goasguen.

Doit-on légiférer aveuglément pour le 1 % restant ? Même si l'importance de ces dossiers n'est pas contestable, monsieur Gouzes, vous risquez, comme on dit vulgairement, de jeter le bébé avec l'eau du bain.

La réforme constitutionnelle de 1993 avait marqué un grand pas dans le renforcement des garanties statutaires d es magistrats du parquet sans remettre en cause l'architecture ni les fondements de la distinction des fonctions entre siège et parquet.

Aujourd'hui, madame la ministre, votre réforme vient conforter une fausse image de la nature des fonctions du parquet. Elle tend à entretenir les confusions et les abus de pouvoir d'un juge multipotent, au mépris de la distinction fondamentale des fonctions de poursuite et de jugement, affirmée et sauvegardée par la Cour européenne des droits de l'homme depuis l'arrêt Piersack de 1982.

Les avocats envisagent votre projet de loi avec beaucoup d'inquiétude. Les magistrats semblent également contester les principes qui vous inspirent. Ainsi, les trente-cinq premiers présidents des cours d'appel, réunis en assemblée plénière le 28 mai 1998, ont pris unanimement position pour le maintien d'une distinction franche entre les fonctions de magistrat du parquet et celles de magistrat du siège.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Mais la distinction demeure !

M. Claude Goasguen.

Dans son compte rendu, la conférence des présidents considère que « les responsabilités du parquet et du siège étant de nature différente, »...

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Bien sûr !

M. Claude Goasguen.

... « il convient que les citoyens puissent les distinguer clairement », alors même que leurs images respectives sont de plus en plus « brouillées ». Ces m agistrats déplorent en effet « une dynamique qui conduira les citoyens à éprouver de plus en plus de difficultés à distinguer les magistrats du siège et ceux du parquet prenant des décisions quasi juridictionnelles et perçues comme de véritable juges ».

Vous voulez tenir vos promesses malgré tout, mais vous vous heurtez à la réalité du système judiciaire. Vous avez donc opté pour le faux-semblant. Vous prônez l'indépendance et la transparence et vous mettez en place un système inapplicable et porteur de nouvelles dérives.

Le slogan que vous avez choisi est la suppression des instructions individuelles. A elle seule, cette disposition mettrait fin à des décennies d'interventions politiciennes.

En réalité, votre texte faillira à son objectif et ne pourra supprimer la partialité de l'accusation.

Inconséquence, d'abord, dans la mesure où vous prenez le risque de déséquilibrer l'ensemble de nos institutions républicaines en légiférant à partir de quelques dysfonctionnements, comme s'il fallait détruire sans réformer.

Le soupçon de partialité de la justice a pu effectivement résider dans le sentiment que l'exécutif pouvait plus ou moins discrètement intervenir dans des affaires particulières, pour des raisons étrangères à l'intérêt géné ral.

L'article incriminé est l'article 36 du code de procédure pénale, qui permet au garde de dénoncer au procureur général les infractions dont il a connaissance et de lui enjoindre d'engager ou de faire engager les poursuites.

Cet article, qui permet justement au garde de veiller au respect de l'intérêt général, en ordonnant au parquet de poursuivre, a pu faire l'objet d'abus et servir de prétexte à des instructions de non-poursuite dans des situations que vous connaissez parfaitement.

Le soupçon, à lui seul, comme je l'ai entendu dire, menaçait gravement le pacte social et les institutions. Il était nécessaire d'y mettre fin.

Nous avons donc suggéré d'encadrer la procédure de l'article 36, d'en garantir la transparence par le biais d'instructions écrites, versées au dossier. Permettez-moi de vous dire que cette garantie protégeait davantage. Quelle est, en effet, la solution que vous proposez ? Vous proposez de supprimer carrément l'article 36, qui ne traite d'ailleurs pas seulement des affaires individuelles, mais de toute infraction.

Vous affirmez, madame, que depuis votre entrée en fonction, aucune instruction n'a jamais été donnée dans les affaires individuelles. Permettez-moi, même si cela doit vous gêner par rapport aux orateurs, de vous dire que je ne suis pas convaincu.

Pouvez-vous nous éclairer sur le sens de cette affirmation, tirée d'une interprétation toute personnelle des compétences que vous donne cet article du code de procédure pénale ? Cela doit-il signifier que vous n'avez jamais enjoint de poursuivre lorsque vous avez eu connaissance d'une infraction quelconque, laissant faire et fermant les yeux ? Doit-on comprendre que sur des affaires de haute importance intéressant l'intérêt général tout entier, vous n'ayez jamais fait part à chaud, si je puis dire, au procureur général en charge d'une affaire de votre opinion et de celle du Gouvernement ?


page précédente page 06382page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Je souhaite au préalable souligner qu'en l'occurrence, ce n'est pas d'affaires sensibles, qui engageraient des personnalités publiques dont je me préoccupe ici, mais de la responsabilité du Gouvernement en matière pénale, qui doit forcément passer, parce que toute infraction pénale résulte d'un fait particulier, par des instructions sur des cas individuels. Je pense en conscience qu'il est indispensable, du point de vue de l'intérêt général, que la Chancellerie puisse intervenir à propos d'affaires particulières.

Certaines ont une dimension politique au sens noble du terme, dont un gouvernement ne peut se désintéresser, et nombreux sont ceux qui, parmi votre majorité, ont exprimé le même sentiment.

Prenons, par exemple, l'affaire du terrorisme en Corse.

Doit-on laisser le procureur général gérer le problème seul, en ignorant la dimension nationale et politique de la question corse ? N'est-il pas raisonnable, voire essentiel, que le Gouvernement puisse donner son avis sur la poursuite de tel ou tel individu impliqué dans une opération terroriste ? Vous paraît-il normal que le Gouvernement, responsable de la politique de la nation, ne puisse contrôler la façon dont sont conduites les poursuites en matière de séparatisme corse ? Les orientations générales des politiques pénales que vous proposez en compensation, et dont je reparlerai plus tard, me paraissent largement insuffisantes pour répondre à de tels cas, d'une extrême complexité et qui requièrent un grand pragmatisme.

Comment le Gouvernement pourra-t-il agir promptement sur les occupations illégales de bureaux des Assedic ou sur les fameuses grèves de transporteurs routiers ? Vous savez bien que dans des cas comme ceux-là, qui se ramènent toujours, in fine, à des poursuites particulières, la préservation de l'ordre public ne peut se résoudre aux inspirations d'un procureur, quelles que soient ses compétences. Et si le procureur se trompe, vers qui se tournera le souverain, c'est-à-dire la représentation nationale qui demandera des comptes ? Que répondrez-vous sur le banc du Gouvernement, sinon par le geste de Ponce Pilate ? Où se trouvent ici l'esprit et la lettre de l'article 20 de la Constitution ? Votre projet de loi bute en fait sur la question de la définition de l'« affaire individuelle ». En droit pénal, permettez-moi de vous dire que toutes les affaires sont individuelles. En conséquence, en supprimant délibérément l'article 36, vous priverez le Gouvernement d'un instrument important de la politique pénale dont il est responsable.

Qui plus est, ce système est assez hypocrite. En supprimant l'article 36, vous substituez aux relations claires entre le procureur général et le ministre un système opaque et officieux.

La suppression de l'article 36 empêchera-t-elle le garde des sceaux de rencontrer les procureurs généraux ? Non.

De leur téléphoner ? Non. D'évoquer ensemble des affaires individuelles ? Non. Et vous l'avez confirmé tout à l'heure.

Alors qu'aujourd'hui vous vous félicitez de ne jamais intervenir dans de telles affaires, comment doit-on interpréter la sollicitude que vous manifesteriez plus précisément, aux dires de certains hebdomadaires nationaux, pour des dossiers brûlants qui sembleraient concerner certains élus de votre majorité ? N'est-il pas surprenant de constater qu'il a suffi, dans la sombre histoire des paillotes corses, que le procureur d'Ajaccio affirme qu'« aucun élément ne permettrait de remonter plus haut que le niveau local » pour que cessent immédiatement les spéculations sur une éventuelle audition des conseillers du cabinet du Premier ministre ? Les lenteurs du procureur de Paris - qui n'est pas étranger à votre famille politique, puisqu'il conseillait M. Nallet quand il était garde des sceaux dans l'affaire de la MNEF vous laissent si indifférente que vous ne jugez pas utile de lui en parler, même lorsque, par hasard bien sûr, vous le rencontrez ? Ce même bon M. Dintilhac qui, hier, venait nous expliquer avec beaucoup d'humour à la télévision les charmes de l'autonomie comparés aux affres de l'indépendance...

L'hypocrisie est à son comble si l'on veut bien étudier précisément les termes de votre projet de loi : « Le ministre de la justice est informé, à sa demande, de toute autre affaire dont les parquets sont saisis. » Vous avez

parlé, madame, du devoir d'information qui était auparavant toujours lié « aux interventions dans les affaires individuelles et présentait un caractère aléatoire ». Si l'on vous suit bien, avant vous, c'était le néant, et depuis que vous êtes arrivée, c'est la lumière ! Toujours est-il que nous continuons à nous interroger...

Qu'est-ce qui, dans votre texte, garantit le caractère non aléatoire de ce devoir d'information ? Le procureur général informe le ministre de toute affaire qu'il estime devoir porter à sa connaissance, tandis que le ministre lui-même s'informe de toute autre affaire qu'il estime digne d'intérêt. Où est la certitude, la transparence, la publicité ? S'il s'agit d'une interprétation du « dialogue » entre le ministre et le procureur auquel faisait référence la commission Truche, il manque un détail qui a toute son importance : dans les conclusions de la commission, les échanges d'avis et d'informations étaient écrits et publics.

A elle seule, cette disposition viendrait ruiner l'ensemble de votre édifice. Elle reprend d'une main ce qui a été donné de l'autre car elle permettra à coup sûr au garde des sceaux de faire part de son avis sur telle ou telle affaire, bref de revenir à ce que vous faites par ailleurs mine de condamner.

Pour contester ce propos, certains font valoir que dorénavant les procureurs généraux auront les moyens de résister à de telles pressions.

Le rapporteur écrit : « Si d'aventure un procureur recev ait des instructions, en particulier téléphoniques, contraires à la loi, les nouvelles garanties apportées à son statut permettraient de les ignorer sans prendre le risque de condamner sa carrière ». Cette réponse me paraît des plus fallacieuses : d'une part, les procureurs ont toujours eu la possibilité de ne pas obéir à une injonction illégale de non-poursuite car, comme tous les fonctionnaires, vous le savez, ils ont le droit et même le devoir de ne pas obéir à un ordre manifestement illégal ; d'autre part, leur parole est libre.

M. le rapporteur fait sans doute référence aux nouvelles garanties statutaires, peut-être aux nouvelles règles de nomination instituées par le projet de loi constitutionnelle éventuel relatif au CSM ? S'il s'agit d'autre chose, M. le rapporteur est bien informé, car pour ma part, je ne sais toujours pas ce que contient le projet de loi organique relatif au statut des magistrats.

Je conçois tout à fait que de telles règles, lorsqu'elles entreront en vigueur, atténueront le pouvoir du garde des sceaux dans la gestion de carrière des magistrats. C'est ce que vous avez voulu dire. Mais j'ai bien employé le verbe

« atténuer », et non « supprimer ».


page précédente page 06383page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Et encore, cela est-il si sûr ? A vous entendre depuis quelques jours, on a le sentiment inverse, à savoir que vous n'entendez en rien renoncer à vos prérogatives juridiques - au point que ce texte privilégie désormais la dépendance sur l'indépendance - en matière d'avancement et de nomination de vos parquetiers.

Même avec cette réforme, c'est toujours le garde des sceaux qui reste l'autorité de proposition, comme l'autorité de déclenchement des poursuites disciplinaires. Et c'est avoir une curieuse conception du CSM que de penser qu'il pourra « par ses refus réitérés, contraindre le garde des sceaux à lui faire des propositions permettant la promotion d'un magistrat que le ministre aurait injustement "oublié" ».

L'autorité du garde des sceaux, vous venez de le dire avec beaucoup de force, madame la ministre, restera très forte. Vous avez affirmé froidement en commission des lois que tout procureur un tant soi peu indiscipliné verrait sa carrière sanctionnée ! Y a-t-il jamais eu affirmation plus brutale d'une réelle mise au pas des procureurs, confirmant la partialité recherchée de l'accusation et venant contredire l'ambition affichée du Gouvernement ? Permettez-moi de vous dire que vous ne parviendrez pas à traiter les procureurs comme des préfets judiciaires.

Vous ne pouvez pas d'une main contribuer à la naissance d'un corporatisme judiciaire et, de l'autre, penser que ce corporatisme se soumette à l'Etat...

Par votre texte démesuré, vous donnez tous les prétextes aux magistrats de se rebeller, en utilisant les pouvoirs que vous leur accordez, contre les brimades que vous envisagez.

Ce projet de loi ne répond donc en rien à l'objectif affiché d'indépendance. A l'inverse, je crains qu'il ne renforce les cas de partialité, au détriment des libertés des citoyens.

L'atomisation de la politique pénale engendrée par le projet de loi est, de plus, contraire à la liberté et à l'égalité des citoyens.

Trente-trois gardes des sceaux, trente-trois tentations de partialité, telle sera la conséquence de votre projet de loi. Où est le grand progrès vers les libertés ? En effet, le projet de loi fait des procureurs généraux les bénéficiaires apparents de la nouvelle loi. L'article 37 nouveau du code de procédure pénale leur transfère directement l'intégralité des pouvoirs actuels du garde des sceaux, les transformant en seuls juges de l'opportunité des poursuites.

Certes, le ministre peut mettre en mouvement l'action publique si l'intérêt général le commande, en cas d'inaction du procureur général. En réalité, ce système remplace l'instruction individuelle à poursuivre, mais en déconsidérant publiquement le choix du procureur, qui se verra obligé de représenter le ministère public à l'instance.

Toutefois, aucune possibilité de contrôle dans le sens de l'inopportunité des poursuites n'est prévue, assurant ainsi aux procureurs généraux un pouvoir absolu de poursuivre, même lorsque cela apparaîtra contraire à l'ordre public.

Je m'interroge sur la légitimité qu'a ce procureur général, juge ultime de l'opportunité des poursuites. Vous paraît-il donc normal que cette compétence, qui traduit l'exercice d'un pouvoir ô combien attentatoire aux libertés individuelles, soit déléguée du garde des sceaux, désigné par le peuple et responsable devant la représentation nationale, à un fonctionnaire qui, quels que soient ses mérites, n'est qu'un fonctionnaire de catégorie A du ministère de la justice ? A mon sens, cette disposition porte gravement atteinte à la hiérarchie des normes et aux règles d'ordre public de compétences dans notre organisation administrative. Elle pose plus fondamentalement une grave question de légitimité démocratique, que le Conseil constitutionnel sera certainement amené à étudier.

La concentration de pouvoirs si importants aux mains du seul procureur général est d'autant plus inquiétante que la nouvelle autonomie de ce personnage, chef incontesté dans son ressort, va faire de lui une personnalité locale de premier plan. Cette situation me semble peu propice à protéger ce magistrat des pressions partisanes, non seulement des pressions d'ordre politique, mais surtout des rapports de force locaux - que vous n'ignorez pas - qui sont autant de pressions tendant à faire dévier l'action du ministère public de l'intérêt général.

Cette évolution deviendra peut-être incontournable.

L'autorité du procureur va changer dans l'instance. Il se transformera en autorité politique locale ayant, en outre, un ascendant supplémentaire de fait sur les magistrats du siège. Votre modernité, madame la ministre, ressemble furieusement à la justice d'Ancien régime.

Le procureur général deviendra localement plus puissant qu'un préfet, lui qui pourra en outre décider par luimême des moyens de police judiciaire dont il aura besoin. Les dispositions relatives à un plus grand contrôle de la police judiciaire ne feront qu'aggraver la dérive du système que vous concevez.

Nous sommes favorables, par principe, à la constitution de brigades de police judiciaire sous le contrôle des magistrats, tandis que l'intérieur aurait en charge la police administrative et la police de sécurité. Mais accorder une telle maîtrise des moyens de la police judiciaire au seul procureur doté d'une telle indépendance me semble dangereux.

Qui tranchera en cas de conflit entre le commissaire de p olice et le procureur général sur l'affectation des moyens ? A qui s'adressera le ministre de l'intérieur, saisi par son administration de l'existence d'un conflit, pour régler cette question à un échelon politique ? N'est-il pas normal que ce soient les instances politique au plus haut niveau qui tranchent en dernier ressort sur les priorités de la politique de sécurité publique lorsqu'il y a conflit ? Accorder autant de pouvoir à un procureur, c'est favoriser des situations de conflits attentatoires, à terme, à la préservation de la liberté.

Ce système est donc contraire à l'égalité des citoyens devant la justice. Il va donner lieu à une atomisation importante de la politique pénale, menée localement par des procureurs indépendants, difficilement contrôlables.

Nous aurons ainsi copié ce qu'il existe de pire dans le système italien d'aujourd'hui, soit de sérieux problèmes de coordination de l'action publique et de phénoménales divergences juridiques dans la conduite des instances.

On disait : « Vérité en deçà, erreur au-delà ». Encore une fois, madame la garde des sceaux, votre politique a un furieux parfum d'Ancien régime.

Ce système est d'autant plus liberticide qu'aucune contrepartie n'est prévue en termes de responsabilité.

Dès la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif au CSM, nous avions réclamé des précisions sur les contreparties, en termes de responsabilité du parquet.

Nombreux sont ceux qui, même dans votre majorité - hier, Mme Bredin a tenu tout un discours sur la question de la responsabilité - soulignent les risques que présente ce texte.


page précédente page 06384page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Madame la garde des sceaux, vous jouez à cache-cache sur ce sujet en nous faisant croire qu'il faut attendre le vote du Congrès sur le CSM pour avoir connaissance des dispositions sur le statut de la magistrature. En réalité, rien ne vous empêche de nous faire connaître dès maintenant les dispositions statutaires qui permettraient d'accroître la responsabilité des magistrats.

Cette transparence nous permettrait de nous prononcer en toute connaissance de cause, plutôt que de vous donner un blanc-seing total. Je ne peux ici que répéter la phrase fameuse d'un membre, ô combien éminent ! de votre majorité : « Oui, décidément, votre texte ne marche pas sur ses deux jambes ! » Vous prônez enfin la fausse bonne solution de l'indépendance de l'accusation, tout en mettant au pas d'une façon scandaleuse l'ensemble de l'institution judiciaire déboussolée. Car votre indépendance renforcera la partialité.

L'indépendance de la justice - qui est une notion moderne, libérale, affirmée par la Convention européenne des droits de l'homme comme par la Constitution - n'est cependant pas un absolu. Elle ne doit être qu'un instrument destiné à mieux garantir les droits du justiciable.

En France, l'indépendance de la justice résulte d'une conception particulière de la théorie de la séparation des pouvoirs. Je me garderai, après avoir écouté mon collègue, de reparler de Montesquieu. Ce n'est sûrement pas le lieu. Je me contenterai d'observer que le système français est assez équilibré, et seuls quelques événements graves, et quantitativement marginaux, ont pu entacher la crédibilité de l'ensemble d'une institution respectable. En y regardant de plus près, on remarque d'ailleurs qu'aucun système n'est parfait et que les défauts de la justice en France ne sont pas plus criants qu'ailleurs.

On peut même considérer qu'ils le sont moins, eu égard à l'importance des contestations de décisions aux

Etats-Unis, et des condamnations du Royaume-Uni sur la base de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le système italien, notamment, en instituant un exercice de l'action publique irresponsable a mis en danger l'égalité des citoyens devant la loi pénale.

M. Arnaud Montebourg.

C'est sans rapport avec le sujet !

M. Claude Goasguen.

Vraiment ? Ne sommes-nous pas en Europe, monsieur Montebourg ? Aurait-on oublié qu'une élection a eu lieu il y a quelques jours ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. François Cuillandre.

En tout cas, les électeurs n'ont pas oublié.

M. Alain Tourret.

Cela a été dur pour vous !

M. Claude Goasguen.

La République française a envisagé la justice davantage comme une fonction de l'Etat que comme un contre-pouvoir.

La question fondamentale est donc la suivante : l'indépendance de l'accusation est-elle le moyen d'assurer une meilleure garantie des droits des citoyens justiciables ? Nous ne le pensons pas. Le passé de la France démontre que l'indépendance croissante du juge aboutit à un conflit entre la justice et les deux autres pouvoirs.

La justice, lorsqu'elle n'est plus une institution responsabilisée, peut être tentée par les dérives corporatistes.

Votre projet de loi risque de nous faire revivre un débat que nous avions dépassé. Non seulement vos intentions sont dangereuses, mais, à y regarder de plus près, on perçoit dans votre texte une volonté manifeste de reprendre d'une main ce qui a été donné de l'autre. C'est l'un des aspects des contradictions de votre politique.

Vous avez largement développé le thème de l'omnipotence virtuelle du procureur général, que vous compensez sommairement de trois manières.

En premier lieu, le maintien du principe d'opportunité des poursuites est atténué par la motivation de la décision de classement sans suite et la possibilité de recours contre de tels classements. L'objectif est louable, même si la rédaction de ces dispositions nous semble présager de n ombreuses difficultés d'interprétation : la procédure choisie est complexe, aléatoire et sera source d'erreurs. En effet, l'ouverture du recours à toute personne n'ayant pas qualité pour se porter partie civile, mais ayant un intérêt suffisant, nous fait craindre des dérapages.

D'une part, elle pénalise la partie civile qui ne pourra que supporter le coût financier et moral de la constitution de partie civile, tandis que l'autre partie, par définition moins directement concernée par le dommage, aura une voie de contestation plus facile. D'autre part, qu'est-ce qu'une partie n'ayant pas qualité pour se porter partie civile, mais « ayant un intérêt suffisant à agir » ? N'y a-t-il pas, ici, un mélange approximatif de notions de droit pénal et de droit administratif, qui risque d'ouvrir ce type de recours à toute association ou tout groupe de personnes animées d'un esprit partisan et procédurier n'ayant pu se voir reconnaître la possibilité de s'associer à l'action publique. Va-t-on davantage encore vers une certaine privatisation de l'action publique ? En deuxième lieu, vous excipez - c'est même de plus en plus le centre de votre discours -, pour mieux soumettre le magistrat, de la vertu des orientations ou des directives générales de politique pénale, qui prétendent maintenir un certain lien entre la chancellerie et le parquet et qui sont considérées comme le nouvel et unique instrument de la conduite de la politique pénale par le garde des sceaux. Elles ne font que remplacer, en réalité, les circulaires qui définissent au sein du ministère les axes de la politique pénale, mais il semble que le projet leur donne un caractère normatif, du fait de leur publication, mais également de l'obligation - et vous l'avez confirmé qui pèse sur les procureurs de s'y conformer. Est-ce à dire que les citoyens justiciables pourront s'en prévaloir pour contester une décision du procureur, par exemple en cas de classement sans suite ? Le projet reste, en effet, silencieux sur la nature juridique de tels actes. S'agit-il d'actes réglementaires ? Non puisqu'ils ne seraient pas susceptibles de recours administratifs.

Considérant les droits conférés par de telles orientations, de tels actes ne peuvent être considérés comme des circulaires ou des directives au sens administratif, monsieur le rapporteur, quand bien même le vote de votre amendement les désignerait comme étant des « directives ».

Votre amendement est d'ordre sémantique, car il n'a pas de fondement juridique. S'agit-il alors d'actes de gouvernement, non susceptibles de contestation ? Drôle de modernité, vous en conviendrez, dans un ordre juridique administratif qui voit justement cette catégorie diminuer, au nom des principes de transparence et de démocratie.

M. Arnaud Montebourg.

La garde des sceaux vous a répondu sur ce point juridique !

M. Claude Goasguen.

Non !


page précédente page 06385page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Il me semble en effet que ces actes feront évidemment grief aux personnes visées par des orientations, même de façon générale, et qu'elles pourront s'en prévaloir. Je vous rappelle qu'en vertu d'une jurisprudence administrative constante depuis l'arrêt du Conseil d'Etat Jamart de 1936 les ministres ne disposent d'aucun pouvoir réglementaire, sauf en ce qui concerne l'organisation interne de leurs services. Je veux bien que ces orientations concernent en partie l'organisation des services du ministère public, mais elles vont bien au-delà, si on écoute vos discours, puisqu'elles définissent les priorités de la politique pénale du Gouvernement.

Je suis donc perplexe et je m'interroge : dans la mesure où de tels actes doivent être pris conformément à la loi, toute orientation-directive ne peut que reproduire et expliquer la loi. C'est aujourd'hui le cas des circulaires, qui n'ont qu'une valeur indicative et ne font pas grief. La classification des lois, le choix de poursuivre tel délit plutôt que tel autre déterminé par un acte normatif et obligatoire me semble donc constituer une violation de la loi.

De tels actes, non attaquables, ne peuvent donc être juridiquement sanctionnables. Quelle sera la sanction applicable, en effet, dans l'hypothèse où des instructions individuelles seraient déguisées sous la forme d'orientations générales ? En troisième lieu, c'est un vrai pouvoir de substitution au parquet que votre texte octroie au garde des sceaux. Le principe est louable, il s'agit de tempérer la toutepuissance du procureur général que nous dénonçions. Le problème, c'est que cette notion « d'intérêt général » laisse une latitude très importante au garde des sceaux, qui pourrait même, rien ne l'en empêche, choisir par avance le type d'affaire pour lesquelles il préférerait être à l'origine de la poursuite. Ce mécanisme hasardeux autorisera le développement de nombreux abus et de polémiques : nous aurons bientôt les infractions à deux vitesses : celles du garde des sceaux, sulfureuses, sensibles et médiatiques, celles du procureur général, qui auront peu de chances d'être commentées au journal de vingt heures, ce journal qui fascine le Gouvernement. Il y a ici une possible atteinte à l'unité de la politique judiciaire.

Là encore, vous rappelez le passé ; votre pouvoir de substitution ressemble à la pratique de l'évocation, chère aux rois de France, qui avait pour conséquence de laisser la justice dans une indépendance incontrôlée dans la plupart des cas, et de justifier la colère légitime des juges dans les cas, peu nombreux mais sensibles, de l'intervention brutale. On en connaît la fin, madame la garde des sceaux, il n'est pas toujours inutile d'étudier l'histoire, car les juges restent les juges, pouvoir quelquefois concurrent du politique sous le contrôle d'une opinion publique désormais omniprésente.

L'indépendance de l'accusation voudrait n'être qu'un leurre, accordé de façon irresponsable là où le maintien de l'autorité du garde des sceaux aurait été essentiel, et repris brutalement pour désavouer cette autonomie.

Vous connaissez les réserves émises sur la constitutionnalité de votre démarche. Nous y reviendrons. Au fil des consultations et de la présentation de vos projets de loi vous avez beaucoup parlé de la justice mais, en réalité, vous avez esquivé la vraie réflexion sur la réforme de la justice.

Vous avez déposé des textes sans cohérence et pas plus dans ce projet que dans les précédents, vous n'avez réformé la justice.

Trois pistes de réflexion sur le statut de l'accusation pouvaient être suivies.

Désirons-nous un système d'indépendance absolue de l'accusateur, ouvrant la voie à un corporatisme judiciaire naturellement contrebalancé par une forte responsabilité du juge ? L'exemple italien, où les juges contractent des contrats d'assurance pour se prémunir contre une responsabilité civile et pénale démesurée, ne semble pas garantir une meilleure justice.

Préférons-nous une séparation totale des fonctions de juge et de parquetier, par la création d'un corps d'avocats de l'Etat, fonctionnarisé et hiérarchisé, comme en Allemagne, où l'indépendance de la justice n'est pas un thème de propagande politique ? Ce système, préconisé par certains avocats, semble toutefois bien trop éloigné de notre tradition juridique.

Pour notre part, nous estimons qu'une réforme souple et progressive du statut des magistrats du parquet et de l'accusation est possible en France. Tous les spécialistes s'accordent à reconnaître qu'une distinction plus franche est nécessaire entre les fonctions de magistrats du siège et de magistrats du parquet. Au début de mon exposé, j'ai cité la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l'ordre des avocats ou la conférence des prem iers présidents de cour d'appel. Ces réflexions démontrent qu'on peut envisager un système peu éloigné de celui qui existe aujourd'hui, instaurant simplement, à l'intérieur d'une magistrature unique, une fonction de parquetier. On pourrait ainsi s'inspirer du modèle ibérique, où le ministère public constitue une magistrature séparée. Au Portugal, par exemple, les deux carrières de magistrats débutent ensemble puis se séparent dès l'année de stage pour ne plus se rejoindre qu'en fin de cursus, avec l'accession éventuelle à la Cour suprême. Le ministère public est administré par l'équivalent du CSM et soumis aux instructions du ministre de la justice.

Une plus grande différenciation, au sein du statut de la magistrature maintenu, de ces deux fonctions, par une modification du déroulement des carrières et du fonctionnement du CSM serait la solution d'avenir, plus respectueuse de la tradition juridique française et surtout des libertés. Car, mes chers collègues, cela permettrait sans doute d'aborder avec plus de courage la seule vraie réforme, celle que vous évitez soigneusement depuis des mois, celle qui défend les droits de l'individu face au juge. Une séparation plus franche du parquet et du juge permettrait d'en finir avec cette survivance française, à savoir notre procédure inquisitoriale, totalement tournée vers la recherche de l'aveu, et dont le maintien artificiel nécessitera désormais toutes les hypocrisies pour éloigner le soupçon d'une pression politique.

Mes chers collègues, la meilleure sauvegarde de l'indépendance du juge réside dans la séparation du siège et du parquet, qui sont deux métiers différents. Cette séparation permettrait la mise en place d'une vraie procédure accusatoire, respectueuse des droits de la défense. Tant il est vrai que la plus grande impartialité réside dans les possibilités accordées contradictoirement à la défense des droits de l'individu, hors de cette philosophie archaïque de l'aveu ! Ce projet est donc bien déséquilibré, paradoxal et dangereux pour l'avenir de la justice en France. Il ne pose pas les vraies questions sur sa modernisation. C'est pourquoi je défends, au nom du groupe Démocratie libérale, cette motion de renvoi en commission afin qu'il soit permis d'entreprendre une nouvelle réflexion sur les moyens de rétablir la confiance des Français en leur justice.

M. Pierre Albertini.

Très bien !


page précédente page 06386page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

M. Gérard Gouzes.

Ce sont des lieux communs, tout ça !

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Monsieur le député, je vous exposerai quelques remarques que m'ont inspirées votre motion de renvoi en commission.

Votre théorie de l'impartialité me semble juste à 99 %, le problème étant posé par le 1 % restant, qui constitue la zone de tous les dangers : celle où, hélas ! les principes se perdent.

S'agissant de la Corse, le Gouvernement doit-il donner des instructions et aboutir à Tralonca ou doit-il s'en abstenir et aboutir à l'arrestation des suspects dans l'assassinat du préfet Erignac ?

M. Arnaud Montebourg.

Très beau paradoxe !

Mme la garde des sceaux.

Je préfère les orientations générales et je les pratique pour la Corse comme pour les autres départements. Je tiens à le souligner devant l'Assemblée nationale.

Vous avez présenté le procureur général comme un fonctionnaire de catégorie A du ministère de la justice.

Permettez-moi de vous dire que cette définition est inédite. Peut-être n'est-elle pas tout à fait fausse en termes budgétaires...

M. Claude Goasguen.

Merci, madame le ministre !

Mme la garde des sceaux.

... mais elle souffre d'une certaine imprécision que j'espère volontaire.

La Constitution, dans ses articles 64 à 66, fait des magistrats les garants de la liberté. C'est leur mission, leur statut et leur devoir.

Dans le système que je propose, la hiérarchie existe.

Elle sera même décrite pour la première fois dans le code de procédure pénale, si du moins vous adoptez ce texte.

Le lien n'est pas coupé mais refondé sur la base de l'intérêt général.

Enfin, vous avez dit que je n'avais rien proposé sur la responsabilité et que j'aurais dû éclairer l'Assemblée nationale sur le contenu des textes futurs. Permettez-moi de vous dire que, si vous m'aviez écoutée, vous auriez eu des indications précises sur les dispositions qui seront contenues dans les projets de loi organiques qui viendront en discussion devant votre assemblée dès que le Congrès aura approuvé le projet de loi constitutionnelle réformant le Conseil supérieur de la magistrature.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. André Vallini, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration g énérale de la République.

M. Goasguen a balayé l'ensemble du projet de loi pour redire beaucoup de choses qu'on entend depuis hier sur le fond du texte. Je ne reviendrai donc que sur quelques points.

Le premier concerne la capacité de résistance qu'auront les magistrats du parquet à des instructions déguisées.

Vous avez fait allusion, monsieur Goasguen, au rapport que j'ai écrit au nom de la commission des lois, et vous avez vous-même fort bien analysé ma pensée : il est évident que la réforme du CSM qui est en gestation, et qui sera définitive une fois que le Président de la République se sera enfin décidé à nous convoquer à Versailles,...

M. Claude Goasguen.

C'est déjà le cas.

M. André Vallini, rapporteur.

... permettra aux magistrats du parquet de résister aux injonctions illégales, aux instructions déguisées du garde des sceaux, puisque celui-ci n'aura plus seul le pouvoir de nomination d'un magistrat du parquet.

M. Jean-Luc Warsmann et M. Claude Goasguen.

Il peut faire des propositions.

M. André Vallini, rapporteur.

Il n'aura qu'un pouvoir de proposition, et le CSM devra donner un avis conforme.

M. Claude Goasguen.

C'est ce que je dis.

M. André Vallini, rapporteur.

C'est là un progrès considérable de l'indépendance des magistrats du parquet à l'égard du pouvoir politique et de ses instructions illégales et occultes.

M. Claude Goasguen.

Vous n'êtes même pas persuadé de ce que vous dites !

M. André Vallini, rapporteur.

En ce qui concerne les circulaires ou orientations, qu'on appellera peut-être directives si mon amendement est retenu...

M. Claude Goasguen.

Cela ne changera rien.

M. André Vallini, rapporteur.

L'arrêt du Conseil d'Etat

« Notre-Dame du Kreisker » de 1954 leur confère en droit public une valeur interprétative et non pas normative. Mais il se trouve que le même Conseil d'Etat, dans un avis de 1996 concernant les circulaires du ministre de l'intérieur relatives au droit des étrangers, reconnaît que, en vertu de son pouvoir hiérarchique, le ministre peut encadrer le pouvoir discrétionnaire du préfet en matière de régularisation des étrangers. On peut donc s'inspirer de cet avis.

M. Claude Goasguen.

Le garde des sceaux a un pouvoir hiérarchique ? Je croyais qu'il fallait l'abandonner !

M. André Vallini, rapporteur.

Evidemment, le garde des sceaux a un pouvoir hiérarchique sur les magistrats du parquet.

Il peut donc encadrer leur action par des orientations générales, des directives générales, ou des circulaires, peu importe le mot.

M. Claude Goasguen.

Les magistrats du parquet ne sont pas obligés de les suivre !

M. André Vallini, rapporteur.

Enfin, s'il y a un texte qui n'a pas à être renvoyé en commission, c'est bien celui-là ! Je vous rappelle qu'il a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale en juin 1998. Il y a donc un an que vous le connaissez.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est bien le problème !

M. André Vallini, rapporteur.

Pour ma part, j'ai commencé à travailler, avec l'ensemble des membres de la commission des lois qui le souhaitaient, à la rentrée 1998.

J'ai organisé des auditions ouvertes à l'ensemble des membres de la commission. C'est ainsi que nous avons auditionné l'Association des avocats pénalistes, la Conférence des bâtonniers, le Conseil national des barreaux, l'Ordre des avocats à la cour de Paris, l'Association française des magistrats instructeurs, l'Association professionnelle des magistrats, la Conférence nationale des premiers présidents, la Conférence nationale des procureurs généraux, le Syndicat de la magistrature,...

M. Pascal Clément.

Tous contre !


page précédente page 06387page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

M. André Vallini, rapporteur.

... l'Union syndicale des magistrats, le syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale, le syndicat national des officiers de police et le syndicat synergie officiers.

M. Claude Goasguen.

Vous écoutez vos adversaires !

M. André Vallini, rapporteur.

Ces auditions étaient ouvertes à l'ensemble des membres de la commission.

Vous avez assisté à quelque-unes d'entre elles, de même que M. Clément, M. Houillon et Mme Catala...

M. Gérard Gouzes.

Pas Goasguen !

M. André Vallini, rapporteur.

... pas régulièrement, certes, et avec une assiduité toute relative. Maintenant il est trop tard pour dire que nous n'avons pas travaillé en commission.

M. Pascal Clément.

Nous avons lu votre rapport !

M. André Vallini, rapporteur.

La commission a eu neuf mois pour travailler sur ce texte et il est vraiment trop tard pour demander qu'il soit renvoyé en commission.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Claude Goasguen.

Vous auriez pu auditionner vos partisans.

M. le président.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Arnaud Montebourg, pour le groupe socialiste.

M. Arnaud Montebourg.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous avons compris que l'opposition ne voulait pas de ce texte et que, pour elle, tous les moyens étaient bons pour justifier ce refus.

Comme M. le rapporteur vient de le dire, l'élaboration du projet de loi a fait l'objet d'un important travail préparatoire en commission. Or nous n'y avons guère vu l'opposition argumenter.

Il est à noter également que le constat qui est à l'origine du texte présenté par Mme la garde des sceaux et de la réaction législative qui a conduit la majorité parlementaire à le soutenir est universel. Je vais vous lire, monsieur Goasguen, la déclaration du Président de la République, M. Jacques Chirac,...

M. Gérard Gouzes.

M. Goasguen ne soutient pas le Président de la République !

M. Arnaud Montebourg.

... à l'occasion de l'installation de la commission de réflexion sur la justice, présidée par M. Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation.

Mme Odette Grzegrzulka.

Très bonne référence !

M. Arnaud Montebourg.

Alors que vous expliquez qu'abandonner les instructions individuelles serait uner égression, un recul, la négation même de notre République, je veux vous rapporter les paroles du président de cette république, président que, je crois, vous avez soutenu ou avec lequel vous avez quelques rapports.

M. Claude Goasguen.

Pas pour l'instant, non !

M. Arnaud Montebourg.

Dans une déclaration officielle, en date du 21 janvier 1997 - vous étiez, à l'époque, député de la majorité...

Mme Odette Grzegrzulka.

Hélas !

M. Arnaud Montebourg.

... il a prononcé ces paroles, désormais gravées dans le marbre de la documentation française : « Nos concitoyens soupçonnent la justice d'être parfois » - M. le Président a le sens de la litote ! - « soumise à l'influence du Gouvernement. Parce que c'est notre conception de la démocratie qui est en cause, j'ai souhaité que la réalité et l'ampleur de ce manquement aux textes fondamentaux soient très soigneusement examinés. »

Ils ont été examinés et les propositions faites par la commission Truche sont aujourd'hui dans le projet de loi présenté par Mme la garde des sceaux à la représentation nationale et sont sur le point d'être adoptées, malgré vous. Puisque vous refusez les leçons de morale,...

M. Claude Goasguen.

Oui !

M. Arnaud Montebourg.

... vous pourriez au moins nous faire la grâce de reconnaître que nous tirons les leçons de tout un passé.

M. Christophe Caresche.

Il a raison !

M. Claude Goasguen.

Vous tirez les leçons du vôtre de passé !

M. Arnaud Montebourg.

Je n'aurais pas la cruauté, comme M. Gérard Gouzes, ancien président de la commission des lois, de rappeler ici les petites scélératesses de certains magistrats, qui se sont conduits non pas même comme des préfets judiciaires mais comme des sous-préfets aux ordres d'un clan, tel le procureur général M. Benmakhlouf, qui fut chargé de contrôler les affaires de la ville de Paris, alors qu'il avait été auparavant un militant politique de cette même ville. Est-il besoin de rappeler la manière dont il s'est acharné sur un parlementaire socialiste, qui a bénéficié de deux non-lieux, tout en classant successivement les affaires Juppé 1, Juppé 2, Juppé 3 et les affaires Tibéri, le père, la mère, le fils. Et pourquoi pas le Saint-Esprit ? (Sourires.)

Mme Odette Grzegrzulka.

Il fallait le rappeler ! N'ayez pas la mémoire courte, messieurs de l'opposition.

M. Claude Goasguen.

Ça suffit ! Et François Mitterrand ?

M. Charles Cova.

Vous vous croyez dans un prétoire ?

M. Arnaud Montebourg.

De tout cela, je conclus, mon cher Goasguen, que l'opposition est incorrigible et inaccessible aux évolutions profondes qui, aujourd'hui transforment la société française.

M. Claude Goasguen.

Arrêtez de donner des leçons.

Lisez Le Monde !

M. Arnaud Montebourg.

Je ne suis pas étonné qu'elle fasse régulièrement l'objet d'un rejet massif de la part du corps électoral !

M. Claude Goasguen.

Nous en reparlerons !

M. Charles Cova.

Nous reviendrons ! Et nous nous souviendrons de tout ça !

M. Arnaud Montebourg.

Je prie chacun de mes collègues de repousser la motion présentée par M. Goasguen au nom de M. José Rossi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Pascal Clément, pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. Pascal Clément.

Si on avait des doutes sur le bien fondé du renvoi de ce texte en commission, ce que vient de dire M. Montebourg, qui se pare des plumes de la vertu...


page précédente page 06388page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Mme Odette Grzegrzulka.

La mémoire est une vertu !

Mme Nicole Catala.

Ça lui va très bien, les plumes ! Pour ce qui est de la vertu, je ne sais pas.

M. Pascal Clément.

... les lève immédiatement et nous encourage même à voter des deux mains la motion.

J'invite chacun d'entre vous à reprendre son calme.

Nous pourrions citer de part et d'autre de longues listes d'affaires. Cela pourrait nous occuper de longues heures et je ne suis pas sûr que l'un ou l'autre camp gagnerait le concours tellement les choses sont partagées et elles le sont, comme j'ai tenté de le dire hier - et je regrette que cela n'ait pas encore marqué les esprits - à cause du dévoiement de la loi actuelle. C'est cela qui crée le problème. Si l'article 36 du code de procédure pénale était appliqué, il n'y aurait pas lieu de faire une loi.

Le renvoi en commission du texte est nécessaire parce que le Gouvernement a tiré une conclusion qui, à nos yeux, n'est pas la bonne. Un texte n'est pas appliqué : il conclut qu'il faut un autre texte.

Vous interdisez au garde des sceaux d'enjoindre à un procureur de poursuivre mais, comme vous voyez bien la limite de cette mesure, vous lui permettez de se substituter au juge - donc de devenir autorité judiciaire - pour mettre en mouvement l'action publique. C'est à sa racine même que votre texte est inconstitutionnel. C'est à sa racine même qu'il est vicié et le Conseil constitutionnel sera très probablement obligé de l'annuler.

Je ne vois pas comment vous pouvez continuer à penser que ce texte est bon et équilibré. Il manque une phase à votre dispositif : reconnaître au garde des sceaux la capacité d'exiger une poursuite afin que le procureur fonde sa légitimité de l'opportunité des poursuites sur la légitimité démocratique du garde des sceaux et non pas sur la sienne. Il n'en a pas. Nous aurions ainsi un système cohérent.

Je le répète pour la énième fois, tout le mal vient d'une mauvaise application de l'article 36.

M. Gérard Gouzes.

Il faut le supprimer !

M. Pascal Clément.

Il ne s'agit pas de corroborer ce jugement ni de dire qu'il était bien d'avoir les uns et les autres dévoyé cet article. C'était profondément illégal et profondément regrettable. Mais pourquoi diantre ne pas appliquer tout simplement la loi qui existe déjà depuis longtemps ? Voilà le débat. Voilà qui justifie le renvoi du texte en commission.

On ne peut pas substituer le garde des sceaux à un juge. Ce n'est pas lui l'autorité judiciaire. C'est le magistrat, mais le magistrat n'a pas la légitimité démocratique.

Seul le garde des sceaux, membre du gouvernement, l'a.

Voilà le problème. Voilà la difficulté. Elle n'est pas résolue. Au contraire, elle est aggravée par le texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. Jean-Luc Warsmann.

Je voudrais d'abord répondre à Mme la garde des sceaux qui a cru bon de faire remarquer que j'étais absent lorsqu'elle a parlé.

M. François Lamy.

Vous n'étiez pas là non plus quand

M. Goasguen a parlé.

M. Gérard Gouzes.

Ne vous justifiez pas, monsieur Warsmann !

M. Jean-Luc Warsmann.

Madame la garde des sceaux, un parlementaire doit se partager entre le travail qui se fait dans l'hémicycle et celui qui s'effectue dans des réunions. Mais, rassurez-vous, des téléviseurs permettent de suivre ce qui se passe dans l'hémicycle. Je sais ce que vous avez dit et j'aurai d'ailleurs l'occasion de vous répondre.

Je me permets de faire cette mise au point car, n'ayant jamais été parlementaire, cela vous a sans doute échappé.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Odette Grzegrzulka.

Diffamation ! Elle a été parlementaire européenne. Relisez le Who's who !

M. Jean-Luc Warsmann.

Mes chers collègues, le procédé qui consiste pour un ministre à faire remarquer à un député qu'il était absent à un moment donné du débat, faisant ainsi mentionner son absence au compte rendu, est particulièrement déloyal, car il laisse croire que le député ne travaillait pas à ce moment-là. Je tenais à y répondre et à rectifier les faits. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

D'ailleurs, mes chers collègues, je vois que vos rangs sont aussi bien clairsemés. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.) Mais je ne dirai pas des collègues qui ne sont pas ici qu'ils ne travaillent pas car il se tient en ce moment des réunions de groupes. Je ferme la parenthèse.

M. Arnaud Montebourg.

Ne nous provoquez pas !

M. Gérard Gouzes.

Vous êtes cinq sur les bancs de l'opposition !

M. Jean-Luc Warsmann.

Demandez un scrutin public.

Nous verrons bien !

M. le président.

Pourrions-nous revenir aux explications de vote, monsieur Warsmann ?

M. Jean-Luc Warsmann.

J'y reviens, monsieur le président.

Il y a plusieurs façons d'aborder le débat. On peut, intervention après intervention, s'envoyer quelques gracieusetés bien choisies et parler d'affaires. Moi, j'ai sous les yeux Le Monde d'hier et je vais me permettre d'en lire quelques extraits.

Dans une lettre d'un conseiller à l'Elysée à un ministre, le premier écrivait au second : « Je me propose de parler de cette affaire au procureur de la République afin que les réquisitions à l'audience aillent dans le sens d'une peine amnistiable. »

Autre extrait : « Un bordereau adressé au directeur de cabinet du ministre de la justice se conclut ainsi : "En soulignant que la requérante est une relation de M. le président de la République et en vous priant de bien vouloir envisager d'attirer sur cette affaire l'attention de M. le procureur général". »

C'est le plus bel exemple d'interventionnisme politique.

M. Arnaud Montebourg.

Soutenez notre projet dès lors !

M. Gérard Gouzes.

Raison de plus pour approuver le projet du Gouvernement !

M. Jean-Luc Warsmann.

J'ai oublié de vous préciser que le président de la République en question s'appelait François Mitterrand et que les citations que je vous ai faites proviennent des archives privées de celui-ci.

M. Claude Goasguen.

Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann.

Cessons donc de nous lancer des invectives. J'appelle tous ceux qui ont soutenu M. François Mitterrand pendant quatorze ans et tous


page précédente page 06389page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

ceux et toutes celles qui ont été ses proches collaborateurs à un peu d'humilité. Il serait à l'honneur de ce débat d'échanger des convictions, des valeurs sur ce que l'on pense être les meilleures solutions pour faire fonctionner la justice dans l'avenir. Concentrons-nous sur cette tâche.

Nous avons des opinions divergentes ! Echangeons-les.

Nous aurons déjà rempli notre objectif.

J'interviendrai enfin sur le fond. M. Goasguen a bien montré les problèmes que pose ce texte et notamment son irrespect de l'égalité de traitement entre les différentes juridictions et entre les différents ressorts des trentetrois parquets. Il a également bien démontré la faiblesse des directives ou orientations générales. Je souhaite que nous puissions nous concentrer sur ces aspects qui ne sont pas que techniques puisqu'ils vont conditionner toute la politique pénale de la France dans les années à venir.

Le groupe RPR votera bien évidemment la motion présentée par M. Claude Goasguen. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Personne ne demande plus la parole ? Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

Discussion des articles

M. le président.

J'appelle maintenant dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du règlement, les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

Article 1er

M. le président.

Je donne lecture de l'article 1er : C HAPITRE Ier Dispositions relatives à l'action publique en matière pénale

« Art. 1er . - Il est inséré dans le titre Ier du livre Ier du code de procédure pénale, après l'article 29, un nouveau chapitre ainsi rédigé :

« C HAPITRE Ier bis

« Du ministre de la justice

« Art.

30 . - Le ministre de la justice définit les orientations générales de la politique pénale destinées aux magistrats du ministère public. Ces orientations sont portées à la connaissance des magistrats du siège et rendues publiques.

« Art.

30-1 . - Le ministre de la justice ne peut donner d'instructions aux magistrats du ministère public dans les affaires individuelles.

« Art.

30-2 . - Lorsque le ministre de la justice estime, en l'absence de poursuites pénales, que l'intérêt général commande de telles poursuites, il peut mettre en mouvement l'action publique. Il ne peut à cette fin déléguer sa signature.

« Le ministre saisit par voie de réquisitoire ou de citation directe la juridiction compétente. Une copie de l'acte de poursuite est adressée, par l'intermédiaire du procureur général, au procureur de la République compétent. En cas d'urgence, ces transmissions peuvent se faire par tout moyen, à charge de joindre l'original de l'acte de poursuite à la procédure dans les meilleurs délais. La procédure se déroule dans les mêmes conditions que si l'acte émanait du ministère public.

« Art.

30-3 . - Le ministre de la justice informe chaque année le Parlement des conditions dans lesquelles les orientations générales de la politique pénale ont été mises en oeuvre.

« Il précise également le nombre et la qualification des infractions pour lesquelles il a fait application des dispositions de l'article 30-2. »

Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article.

La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen.

Je renonce à mon temps de parole, monsieur le président.

M. le président.

La parole est à M. Pascal Clément.

M. Pascal Clément.

Madame la garde des sceaux, je ne pense pas qu'il soit utile de s'appesantir sur l'article 1er , puisqu'il présente l'essentiel de votre projet dont nous avons longuement parlé déjà dans la discussion générale.

Il est tout d'abord précisé que « le ministre de la justice définit les orientations générales ». Qui peut nier le rôle du garde des sceaux dans cette affaire ? Il est ensuite indiqué que « ces orientations sont portées à la connaissance des magistrats du siège et rendues publiques ».

Quoi de plus normal ? Nous arrivons tout de suite après au fond du débat :

« le ministre de la justice ne peut donner d'instructions aux magistrats du ministère public dans les affaires individuelles ». Je ne vois pas l'intérêt, je le répète à nouveau - peut être cela rentrera-t-il dans certains esprits - de priver le ministre de la justice de cette possibilité et je suis convaincu que ce texte ne pourra pas être pérenne.

Ce qui est choquant, ce n'est pas qu'un garde des sceaux puisse donner des instructions individuelles de poursuivre, mais qu'il donne des instructions individuelles de ne pas poursuivre. On croit que cette dernière possibilité est prévue par le code de procédure pénale, sous prétexte qu'elle existe dans la pratique depuis longtemps. Je persiste à considérer que cette réforme est inutile et dangereuse. Nous verrons d'ailleurs plus loin, que vous serez obligés de substituer le garde des sceaux à l'autorité judiciaire dans les cas où vous souhaitez qu'une affaire soit poursuivie.

Je lisais récemment vos propres propos, madame la garde des sceaux. Vous vous êtes déjà appliqué à vousmême le principe de cette loi et vous avez, si j'ai bien compris, par deux fois, c'est-à-dire pour deux affaires, déploré de ne pas demander au procureur du ressort de poursuivre. Pourquoi s'amputer de ce pouvoir ? Qu'un garde des sceaux, représentant le peuple à travers la démocratie parlementaire, demande à un procureur de poursuivre, quoi de plus normal ? Que peut-il y avoir de choquant à cela ? C'est le dévoiement qui choque, pas l'article 36 ! Tout votre système repose sur la fiction selon laquelle le dévoiement de l'application de l'article 36 est inscrit dans le code de procédure pénale. Ce n'est pas le cas et les dévoiements doivent être sanctionnés avec force. Mais sanctionner ne veut pas dire ajouter une loi supplémentaire.


page précédente page 06390page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

La France est un pays extraordinaire : si une loi n'est pas appliquée, au lieu de sanctionner, on en fait une autre ! Les Français adorent faire les lois mais ils détestent les appliquer.

En amputant le pouvoir du ministre de la justice de la capacité de donner des instructions aux magistrats du ministère public, vous aurez encore, je le crains, un dévoiement. Il y aura des instructions, des directives qui, certes, ne seront pas individuelles, mais qui seront données de façon indirecte et qui, à travers le dialogue strict ou rapproché - je ne sais plus l'expression exacte que vous avez employée hier - qui existera entre le garde des sceaux, la chancellerie et les procureurs, exercent une influence très forte sur les responsables du parquet.

Il est également prévu à l'article 1er que « le ministre de la justice informe chaque année le Parlement des conditions dans lesquelles les orientations générales de la politique pénale ont été mises en oeuvre ». C'est - est-il besoin de le dire ? - le devoir de tout ministre qui, devant l'Assemblée nationale ou le Sénat, rend compte de sa politique. L'inscrire dans la loi me paraît superfétatoire. Je n'y vois aucun avantage, car je considère que c'est l'évidence même.

Il est enfin indiqué que le ministre « précise le nombre et la qualification des infractions pour lesquelles il a fait application des dispositions de l'article 30-2. », c'est-à-dire

de l'article avant. Cela tient du surréalisme ! Nous aurons bientôt un garde des sceaux qui donnera l'impression de suivre toutes les affaires sans en diriger aucune.

Je pense qu'il y a là une contradiction fondamentale et je voulais, une fois de plus, la dénoncer avant d'aborder l'examen des amendements sur cet article.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann.

L'article 1er tend à supprimer les instructions individuelles. Elles sont pourtant un moyen de réguler la politique pénale nationale, et la Chancellerie a pu y recourir dans le passé, par exemple, pour marquer son intérêt pour une poursuite, pour que les procureurs requièrent de manière plus lourde dans tel ou tel domaine, pour infléchir telle ou telle jurisprudence.

Je l'ai dit hier dans la discussion générale, je suis personnellement favorable à la suppression de ces instructions individuelles. Mais que l'on ne vienne pas dire qu'il s'agit d'une révolution et que cette mesure suffira à rendre transparent le fonctionnement de la justice. D'ailleurs votre projet ne suit pas du tout cette logique.

D'abord, vous ne supprimez pas toutes les instructions i ndividuelles, puisqu'elles sont toujours possibles en matière commerciale ! J'ai vu que l'argument avait porté puisque Mme la garde des sceaux a indiqué dans sa réponse qu'elle comptait s'en priver aussi en matière commerciale, bien que ce ne soit pas dans le texte de loi qu'elle nous présente aujourd'hui.

Ensuite, ce qu'elle retire d'une main, elle se le rend de l'autre en se donnant un droit de déclenchement direct de l'action publique. Ainsi, quand le procureur de la République aura refusé d'engager l'action publique, le garde des sceaux le fera à sa place. Quel retentissement pour l'affaire ! Et quelles conséquences cela aura ! Si le tribunal ne condamne pas et forme un jugement de relaxe, quel désaveu pour le garde des sceaux ! Si une condamnation est prononcée, en revanche, voilà que ressurgira le soupçon, puisque la décision judiciaire aura été directement mue par le Gouvernement.

La deuxième disposition du projet de loi que je dénonce avec force est l'obligation que vous faites aux procureurs généraux d'informer le ministre de la justice de toutes les affaires individuelles. Jamais le Parlement n'a voté une telle disposition ni même un texte aussi vague.

Vous nous avez dit, madame la garde des sceaux, que vous en aviez besoin pour élaborer la politique du Gouvernement dans tel ou tel domaine. Non, madame la garde des sceaux ! Pour élaborer la politique du Gouvernement en matière de répression du trafic de drogues, vous n'avez pas besoin de connaître le nom et le prénom des différentes personnes poursuivies pour trafic de drogue et vous n'avez pas besoin d'avoir les actes de procédure correspondant à ces dossiers. Vous avez besoin d'une information générale, et non d'une information particulière.

Vous avez également parlé d'un échange : quand un procureur général vous donne le détail d'une affaire, d'une instruction, vous lui donnez d'autres informations ! Cela m'a fait peur. On est là à la limite de l'information et de l'instruction. Encore une fois l'argument n'est pas bon.

De plus - et c'est particulièrement choquant - vous exigez d'être avertie dans l'heure de toute affaire dite

« sensible », c'est ce que vous avez pudiquement appelé

« l'information nécessaire des autorités de l'Etat ». Non, le Parlement n'a pas à vous donner le pouvoir d'exiger d'un procureur général ou d'un procureur, dans l'heure, toutes les pièces de l'affaire Dumas ! Pour moi, ce n'est pas cela, une politique pénale. Une politique pénale ne repose pas sur des informations individuelles.

Je conclus en insistant bien sur le fait que tout en affirmant, la main sur le coeur, ne plus vous intéresser aux affaires individuelles, vous faites exactement l'inverse.

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Catala.

Mme Nicole Catala.

Madame la ministre, je proposerai tout à l'heure la suppression de l'article 1er du projet qui contient l'essentiel de la réforme que vous entendez réaliser. Je voudrais d'ores et déjà en donner les raisons.

Je suis en effet persuadée, j'ai essayé de l'expliquer hier, que cette réforme est purement fallacieuse. Vous dites v ouloir empêcher les instructions individuelles du ministre. Mais vous savez très bien, même si vous affirmez ne l'avoir jamais fait, qu'elles resteront toujours possibles par la voie du téléphone... Or, au motif d'atteindre un objectif qui ne pourra pas se réaliser, qui ne pourra pas se concrétiser avec un garde des sceaux interventionniste, c'est l'architecture même de notre organisation judiciaire en matière pénale que vous menacez.

La réforme que vous voulez imposer porte atteinte, je l'ai dit, à des principes fondamentaux et particulièrement à celui qui veut que seul le garde des sceaux peut porter la responsabilité politique des décisions qu'il convient de prendre en matière de déclenchement des poursuites dans des affaires particulièrement difficiles ou mettant en cause l'ordre public. Un magistrat ne peut pas assumer seul la responsabilité de l'ordre public qui appartient au seul exécutif. En déplaçant cette responsabilité du niveau politique au niveau judiciaire, vous investissez les magistrats d'une responsabilité qui n'entre pas dans le cadre de leurs attributions légitimes. Je vous mets aux défi de définir à leur charge une responsabilité supplémentaire. Vous ne pouvez leur conférer des pouvoirs accrus sans contrepartie. Ce n'est pas concevable. Cette réforme est donc mauvaise.


page précédente page 06391page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Elle est également mauvaise en ce qu'il n'est pas possible, vos propos eux-mêmes le laissent deviner, de distinguer les affaires individuelles des affaires de portée générale. J'ai cité l'exemple de l'affaire Erignac ; on pourrait en trouver bien d'autres. Cette distinction, permettez-moi le terme, ne tient pas la route. Non seulement votre réforme n'est pas viable, mais elle se révélera extrêmement dangereuse.

M. le président.

La parole est à M. Pierre Albertini.

M. Pierre Albertini.

Je m'efforce depuis hier de suivre ce débat avec le maximum d'attention dont je sois capable ; or je m'aperçois qu'avec l'article 1er nous nageons en plein paradoxe.

De la rareté des instructions individuelles et écrites de poursuivre, vous déduisez, madame la ministre, que celles-ci sont inutiles et que l'on ne peut s'y référer pour une politique pénale - ce dont nous sommes du reste p arfaitement convaincus. Vous enfoncez des portes ouvertes ; il est vrai que c'est plus facile, et bien moins douloureux, que d'enfoncer des portes fermées...

M. François Colcombet.

Dire qu'il faut venir à l'Assemblée nationale pour entendre ça !

M. Pierre Albertini.

La conclusion que, pour notre part, nous en tirons est tout autre : nous aurions pu, au fond, laisser le temps à la loi d'août 1993 de s'appliquer.

Celle que vous nous proposez de voter ne constituera certainement pas le remède absolu que vous croyez. Car à côté de la lettre des textes il y a leur esprit. Et dans le fonctionnement de toute institution, a fortiori l'institution judiciaire, à côté de ce qui est explicitement affiché, il y a toujours, nous le savons, une part de non-dit au moins aussi importante.

Certes, madame la garde des sceaux, nous vous créditons des bonnes paroles que vous nous prodiguez largement depuis deux ans. Mais, au-delà de votre personne, c'est le fonctionnement global de l'institution qui nous préoccupe. Et, à ce propos, je ferai deux observations.

Premièrement, votre présentation de tout à l'heure, en réponse à la motion de renvoi en commission, m'a paru quelque peu idyllique... Si la justice se portait bien, cela se saurait ! Or, s'il est une institution en crise profonde, et de longue date, c'est bien elle. Qui peut évaluer la performance du système judiciaire ? A vrai dire, personne.

Qui peut dire que les parquetiers et les magistrats du siège aujourd'hui collaborent dans un esprit de parfaite harmonie ? Pour ma part, j'ai été très surpris de la prise de position des premiers présidents de cour d'appel. Pourquoi ont-ils demandé une séparation totale entre le parquet et le siège ? On peut certes avancer des petits problèmes de rivalité sur la gestion des moyens, des querelles de préséance ou d'autorité.

Mais, plus fondamentalement, il y a surtout le fait que la notion d'indépendance, qui devrait s'appliquer totalement au siège, ait été par confusion étendue au parquet où elle n'a pas le même sens. Car il ne peut y avoir d'indépendance fonctionnelle du parquet, mais seulement indépendance statutaire.

Et surtout, on oublie trop souvent que le métier de parquetier aujourd'hui n'a plus rien à voir avec ce qu'il était il y a vingt ou trente ans.

Mme la garde des sceaux.

C'est vrai.

M. Pierre Albertini.

Les procureurs sont de plus en plus souvent hors de leur palais. Ils participent à la politique de prévention, ce qu'ils ne faisaient pas il y a vingt ou trente ans, du moins pas dans cette proportion. Ils sont sollicités pour la politique de la ville, et directement confrontés à l'opinion publique, pour répondre immédiatement, en temps réel, aux problèmes de délinquance de masse, notamment aux problèmes de délinquance juvénile, ils sont amenés à appliquer des sanctions, ou tout au moins des réponses de plus en plus souvent extrajudiciaires. Comment voulez-vous, dans ces conditions, que les parquetiers ne s'interrogent pas sur leur rôle et, inversement, que les magistrats du siège ne se demandent pas quel est le point commun entre des métiers aussi fondamentalement différents ? Reste enfin la question de la responsabilité politique, qui touche au pouvoir politique en tant que tel. J'appréhenderais votre texte avec moins de craintes, madame la garde des sceaux, si le pouvoir politique était fort, s'il existait une véritable responsabilité politique. Osons le dire, mes chers collègues, sans masochisme excessif : globalement, le pouvoir politique n'a cessé de s'affaiblir depuis vingt ou trente ans. Il n'y a plus de responsabilité politique, et ce au plus haut niveau de l'Etat.

On évoque, on dénonce, on déplore la pénalisation excessive, et à juste titre. Mais aurait-on vu, sous la

IIIe République, des ministres, y compris le premier d'entre eux, affronter sans démissionner des drames aussi graves que le sang contaminé, l'affaire de la vache folle ou le dopage généralisé dans les milieux sportifs ? Non. Dans tous les cas, la responsabilité politique aurait immédiatement désigné, à défaut de coupable, le gouvernement en place, dont elle aurait arrêté le sort.

M. Jacques Brunhes.

Pourquoi ne parlez-vous pas du Président de la République ?

M. Arnaud Montebourg.

Ils l'ont enterré !

M. Pierre Albertini.

Tel n'est plus le cas aujourd'hui.

La pénalisation, la juridisation de la société se développe sans pour autant satisfaire personne : on croit trouver des réponses mais on ne les trouve jamais. Et pour cause : quand la responsabilité devient collective, comment voulez-vous désigner un coupable ? Quelle injustice de trouver un bouc émissaire alors que c'est le système entier qui fonctionne mal ! Si le pouvoir politique avait la force de fixer le cap, s'il était obéi, s'il donnait des repères, si nos concitoyens adhéraient plus fondamentalement aux valeurs de notre République, nous aurions sans doute voté sans nous interroger la modification que vous nous proposez. Mais précisément parce que ce n'est pas le cas, parce que l'on ne peut nier le risque d'une atomisation, d'une corporatisation de la justice, nous vous demandons de bien réfléchir aux conséquences des dispositions que vous nous demandez d'introduire dans le code de procédure pénale.

Voilà notre interrogation, madame la garde des sceaux : je la crois légitime.

Je comprends qu'un désir de vertu nous gagne les uns et les autres, de manière plus ou moins partagée et plus ou moins rapide. Mais, de grâce ! Cessons de nous envoyer à la figure les dérives, nombreuses sous le double septennat de François Mitterrand, comme celles, plus récentes, que nous avons tous à l'esprit et que l'opinion publique a d'ailleurs sanctionnées ! Arrêtons ce petit jeu.

Préoccupons-nous de l'avenir. Préoccupons-nous aussi de rétablir le pouvoir politique dans ce qu'il devrait être : le pouvoir issu du peuple, celui qui donne l'orientation, celui qui est capable de gouverner le pays.

M. le président.

La parole est à Mme Huguette Bello.


page précédente page 06392page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Mme Huguette Bello.

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, symbole de nos libertés, l'indépendance de la justice reste l'un des plus précieux héritages des conquêtes révolutionnaires, qu'il nous faut faire vivre et renforcer pour le progrès de la démocratie. Si la mémoire collective garde encore vivace le souvenir d'une justice soumise aux injonctions du politique, ce temps semble aujourd'hui révolu. Une fois de plus, la vie a précédé la loi et l'indépendance des magistrats est déjà inscrite dans la réalité.

Il nous est aujourd'hui proposé, pour mettre la loi en concordance avec cette situation objective, d'y inscrire les conditions d'une justice indépendante et impartiale.

Souhaiter une justice indépendante renvoie ipso facto à la question de la responsabilité des magistrats. Beaucoup de choses ont été dites sur ce thème, madame la ministre.

Mais avant même les considérations juridiques, une question générale se pose.

Personne ici n'aura la naïveté de penser qu'un gouvernement ou un ministre n'a jamais été saisi de la tentation d'intervenir, plus que de raison ou mal à propos, dans les affaires de la justice. Je suis profondément convaincue que de tels errements doivent désormais être évités et combattus. Je me demande toutefois si ce soupçon que la représentation nationale est appelée à porter sur le comportement du pouvoir exécutif est entièrement vertueux.

Ne pensez-vous pas que, dans le monde comme il va, d'autres tentations, autrement plus fortes, menacent l'indépendance de l'autorité judiciaire, quelles que soient par ailleurs l'intégrité et la loyauté des magistrats ? N'y aurait-il rien à dire du pouvoir des médias, des campagnes qu'ils sont capables d'organiser ? A cette époque de pouvoir médiatique, peut-on être sûr qu'un homme, du seul fait qu'il est un juge, saura, si rien ne vient borner ses ambitions, résister à l'ivresse de se bâtir, par l'image, une notoriété rapide ? Quelle femme, quel homme prétendrait garder, sous le coup de telles pressions, l'intégralité de son sang-froid et de son jugement ? Demandons-nous aux magistrats d'être des surhommes ? Le peuple a besoin de sentir que la justice doit être rendue en son nom : il a besoin non seulement qu'elle le dise, mais qu'elle le fasse. S'il a le sentiment que la justice n'est pas rendue en son nom, mais en fonction de considérations étrangères à sa cause, que pourra-t-il contre les magistrats ? Quel moyen aura-t-il de les ramener à la règle ? Devra-t-il penser que l'autorité de la chose jugée est supérieure à sa souveraineté ? Par ailleurs, les conséquences des décisions que les juges sont appelés à rendre sont souvent très lourdes.

Est-ce l'intérêt de la justice, est-ce leur propre intérêt que de pouvoir décider du sort de chacun sans avoir à répondre de leurs actes, sans être soumis à aucune forme objective de responsabilité ? L'attente des Français porte sur une justice indépendante, mais surtout impartiale en toutes circonstances et en tout lieu. Nous devons nous demander de quelle façon, corrélativement au renforcement de l'indépendance de l'autorité judiciaire vis-à-vis du pouvoir politique, garantir l'indépendance des magistrats vis-à-vis d'euxmêmes.

Le plus juste des hommes peut-il, par ses seules forces, se libérer de ses préjugés, de ses craintes, de ce que lui suggèrent, lui proposent ou lui interdisent ses appartenances sociales, culturelles, philosophiques ou politiques ? Et dans nos sociétés insulaires et lointaines, comme je l'ai déjà montré ici, ce risque n'est-il pas encore plus grand ? A la Réunion, un magistrat peut-il s'extraire, seul, des contingences d'une société sur laquelle pèse encore fortement le poids de l'esclavage et de la colonisation ? La volonté morale d'impartialité peut-elle vraiment s'épanouir s'il n'y a jamais de comptes à rendre ? A la Réunion, à une époque qui n'est pas si lointaine, le parquet s'est senti tellement à l'abri de toute mise en cause de sa responsabilité qu'il a pris la liberté de constituer, sans aucune base légale, une officine dénommée « cellule anti-corruption » qui s'est chargée, en dehors du cadre du code de procédure pénale, mais avec la complicité de certains services de l'Etat, d'ouvrir des enquêtes sur des personnes que menaçaient les foudres de la justice.

Si ces pratiques contribuent à nourrir la défiance des Réunionnais vis-à-vis de la justice et à renforcer le sentiment au sein de la population d'une inégalité devant la loi, elles ternissent également, outre-mer, l'image de l'Etat et vont à l'encontre des efforts du Gouvernement dans bien d'autres domaines.

Rétablir la crédibilité de la justice pour tous les citoyens suppose de combattre tous les arbitraires, qu'ils soient politiques ou judiciaires.

Parlant de l'indépendance de la justice, Montesquieu disait que « le pouvoir doit arrêter le pouvoir ». Pas d'excès de pouvoir du politique ; pas d'abus de pouvoir des magistrats. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg.

J'y renonce, monsieur le président.

M. le président.

La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes.

Je viens d'entendre M. Albertini évoquer les problèmes de la vertu en politique. J'avais moi-même abordé cette question dans cet hémicycle, il y a de cela quelques années : c'était en 1997, au moment du plan Juppé.

Socrate disait que la première chose qu'il apprendrait à un citoyen ayant à assurer des responsabilités publiques, c'était justement la vertu. Or qu'est-ce que la vertu en politique ? La vertu en politique, c'est d'abord mettre en oeuvre la politique, le programme sur lequel on a été élu.

M. Arnaud Montebourg.

Très bien !

M. Jacques Brunhes.

Voilà ce que je disais en novembre 1997, au moment où le plan Juppé allait très exactement à l'encontre de ce que le Président de la R épublique avait annoncé lors de la campagne, à l'encontre de ce sur quoi il s'était fait élire, c'est-à-dire la lutte contre la fracture sociale. Vous devriez examiner, monsieur Albertini, les raisons de l'échec de cette politique...

M. Pierre Albertini.

Nous avons payé en avril 1997, monsieur Brunhes !

M. Arnaud Montebourg.

Et cela continuera !

M. Jacques Brunhes.

... et méditer les motifs pour lesquelles les citoyens ont justement sanctionné, lors de l'élection qui a suivi, cet écart par rapport au programme initial.

M. Pierre Albertini.

Croyez bien que j'ai fait cette analyse depuis longtemps !


page précédente page 06393page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

M. Jacques Brunhes.

Reconnaissez au moins que ce Gouvernement fait preuve de vertu, notamment en matière de justice, dans la mesure où ce qu'ont annoncé tant M. le Premier ministre dans son discours d'investiture que Mme la garde des sceaux dans son discours de janvier 1998 sur les orientations en matière de justice, a été transcrit dans les faits, et à la lettre. A cet égard, oui, on peut parler de discours vertueux ; vous ne pouvez le nier, c'est impossible. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

Mme Catala a présenté un amendement, no 58, ainsi rédigé :

« Supprimer l'article 1er »

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann.

L'amendement no 58 a été défendu.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. André Vallini, rapporteur.

Défavorable.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Evidemment défavorable.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

58. (L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Mes chers collègues, la présente séance devra être levée à dix-neuf heures cinq au plus tard. Pour la clarté de nos débats, je vous propose que nous entendions la présentation par M. le rapporteur de l'amendement no 12 rectifié de la commission, puis l'avis du Gouvernement et, le cas échéant, les autres intervenants, et que nous interrompions ensuite nos travaux, en reportant à ce soir l'examen des nombreux sous-amendements déposés sur cet amendement de rédaction, car il serait incohérent de s'arrêter au milieu de leur examen.

M. Vallini, rapporteur, a présenté un amendement, no 12 rectifié, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi l'article 1er :

« Il est inséré, dans le titre Ier du livre Ier du code de procédure pénale, après l'article 29, un chapitre ainsi rédigé :

« C HAPITRE Ier bis

« Du ministre de la justice

« Art.

30. - Le ministre de la justice définit les directives générales de la politique pénale. Il les adresse aux magistrats du ministère public pour application et aux magistrats du siège pour information.

« Il ne peut donner aucune instruction dans les affaires individuelles.

« Art.

30-1. - Lorsque le ministre de la justice estime, en l'absence de poursuite pénales, que l'intérêt général commande de telles poursuites, il met en mouvement l'action publique.

« Lorsque le ministre estime, en l'absence d'appel ou de pourvoi en cassation contre une décision de refus d'informer, de non lieu ou de relaxe dans une procédure pour laquelle il a été fait application des dispositions de l'alinéa précédent, que l'intérêt géné ral commande un tel recours, il interjette appel ou forme un pourvoi en cassation.

« Le ministe saisit par voie de réquisitoire ou de citation directe la juridiction compétente. Il ne peut à cette fin déléguer sa signature.

« Une copie de l'acte de poursuite, d'appel ou de pourvoi est adressée, par l'intermédiaire du procureur général, au parquet compétent. En cas d'urgence, ces transmissions peuvent se faire par tout moyen, à charge de joindre l'original de l'acte de poursuite à la procédure dans les meilleurs délais.

Les délais d'appel et de pourvoi du ministre de la justice sont les mêmes que ceux du procureur général. La procédure se déroule dans les mêmes conditions que si l'acte émanait du ministère public.

« Art.

30-2. - Le ministre de la justice rend publiques les directives générales mentionnées à l'article 30.

« Il informe chaque année le Parlement des conditions de mise en oeuvre de ces directives générales. Il précise également le nombre et la qualification des infractions pour lesquelles il a fait application des dispositions de l'article 30-1. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. André Vallini, rapporteur.

Cet amendement procède à une réécriture de l'article 1er afin d'en clarifier la rédaction, et, surtout, de réaffirmer plus nettement que les magistrats du parquet sont placés sous l'autorité du ministre de la justice et de préciser le contenu du droit d'action propre du garde des sceaux.

Ainsi, à l'article 30 du code de procédure pénale, il est proposé de préciser que le ministre définit les « directives » générales - à la place d'« orientations » - de la politique pénale. C'est la première modification.

Il est également précisé que ces directives sont transmises aux magistrats du ministère public pour « application », ce qui n'était pas prévu dans le texte, puisque ces magistrats sont soumis, comme je le rappelais tout à l'heure, au principe hiérarchique tandis que ceux du siège n'en sont destinataires que pour information.

L'article 30 définit aussi les conditions dans lesquelles le ministre est amené à exercer son pouvoir hiérarchique.

Je souhaite préciser qu'il ne peut donner « aucune » instruction individuelle, alors que le texte du Gouvernement parlait de ne plus donner d'instructions individ uelles, pour que les choses soient très claires et

« inscrites dans le marbre de la loi », selon la formule chère à M. Montebourg. Je propose donc d'inscrire dans ce marbre : le garde des sceaux ne pourra plus donner aucune instruction dans les affaires individuelles.

A l'article 30-1, je propose de distinguer plus clairement les conditions de mise en mouvement du droit d'action propre du garde des sceaux des modalités de mise en oeuvre de cette décision.

Je souhaite préciser également que lorsque le ministre estime que l'intérêt général commande des poursuites pénales, il « doit » mettre en oeuvre l'action publique et qu'il peut - c'est une innovation importante par rapport au texte du Gouvernement - « faire appel ou former un pourvoi en cassation » contre une décision mettant fin aux poursuites dans les procédures - et j'insiste bien pour lesquelles il aura préalablement mis lui-même en mouvement l'action publique. Il s'agit en quelque sorte d'accorder un droit de suite au ministre de la justice.

Enfin, je propose de regrouper dans l'article 30-2 toutes les dispositions relatives à l'information, c'est-à-dire la « publicité des directives générales » de la politique pénale - c'est le premier alinéa - l'« information du Parlement », chaque année, sur les conditions de mise en oeuvre de ces directives et sur l'utilisation par le ministre de son droit d'action propre de mettre en mouvement l'action publique.


page précédente page 06394page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Voilà la teneur de l'amendement no 12 rectifié de la commission.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Je suis tout à fait favorable à l'amendement no 12 rectifié de la commission des lois qui réécrit le texte de l'article 1er du projet pour en renforcer la cohérence et la lisibilité. Je pense, effectivement, que le terme de « directives générales » met mieux l'accent à la fois sur la responsabilité propre du garde des sceaux et sur les obligations qui en découlent pour les magistrats du parquet. Dans le même esprit, je crois très opportun de préciser que ces directives sont adressées pour application aux magistrats du parquet et pour information aux magistrats du siège. Les magistrats du parquet doivent ainsi appliquer les directives du garde des sceaux. Cela signifie que les directives doivent être prises en compte et qu'en principe, les décisions intervenant dans des affaires particulières doivent les mettre en oeuvre, sauf situation particulière, bien entendu, qui peut justifier de s'en écarter.

Je suis également favorable à la précision selon laquelle

« aucune » instruction ne peut être donnée dans une affaire individuelle. Plus fortement cette interdiction sera affirmée et plus certainement elle sera respectée par les futurs gardes des sceaux concernés.

Je suis favorable encore au regroupement dans un même article des dispositions essentielles concernant la publicité des directives de l'exercice du droit d'action et de l'information du Parlement.

Enfin, je termine par ce point en raison de son importance - et j'en profite pour remercier votre commission d'avoir procédé à une réflexion aussi approfondie -, je suis, à la réflexion, favorable à la possibilité donnée au garde des sceaux de former un appel ou un pourvoi dans les procédures qu'il a lui-même initiées - nous sommes bien d'accord sur ce point - contre les décisions de refus d'informer de non-lieu ou de relaxe. Un tel appel ou un tel pourvoi est, en effet, la suite logique du droit donné au garde des sceaux de mettre l'action publique en mouvement selon les indications données dans le projet de loi.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann.

J'aimerais poser deux questions à Mme la garde des sceaux.

Première question : la substitution au terme « orientations » du terme « directives » a-t-elle des conséquences sur la nature juridique de ces textes ? Seconde question : le non-respect par un magistrat du parquet de ces directives peut-il entraîner des sanctions disciplinaires ? Des procédures disciplinaires ont-elles déjà été engagées ces derniers mois pour non-respect de ces textes généraux ?

M. le président.

La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret.

Cet amendement appelle quelques observations de ma part. Il constitue incontestablement un progrès par rapport à la rédaction initiale, parce qu'il présente plus de cohérence, mais également, sur le plan politique, parce qu'il resserre - ce que nous souhaitons les liens entre le pouvoir politique et l'autorité judiciaire.

En cela, il nous semble une excellente chose.

En particulier, en ce qui concerne l'action propre du garde des sceaux, qui me semblait très insuffisante puisqu'il n'existait pas de possibilité d'un quelconque droit de suite pour le garde des sceaux, le droit d'interjeter appel d'une décision, droit limité certes, trop limité à mon sens, au non-lieu et à la relaxe, constitue un progrès.

Et même si je considère que cela ne va pas assez loin et que j'ai déposé pour cette raison des sous-amendements sur lesquels nous aurons à discuter tout à l'heure, le progrès est incontestable, je le répète, et je remercie le rapporteur qui a tenu compte, pour réécrire l'article 1er , des observations pressantes que je m'étais permis de lui adresser.

M. le président.

Cet amendement fait l'objet de dixsept sous-amendements mais nous allons lever la séance avant d'en commencer l'examen.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de la discussion du projet de loi, no 957, relatif à l'action publique en matière pénale et modifiant le code de procédure pénale ; M. André Vallini, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1702).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures cinquante.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT

A N N E X E DÉCRET DU 23 JUIN 1999 TENDANT À SOUMETTRE DES PROJETS DE LOI CONSTITUTIONNELLE AU PARLEMENT CONVOQUÉ EN

CONGRÈS

« Le Président de la République,

« Sur le rapport du Premier ministre,

« Vu l'article 89 de la Constitution,

« Décrète :

« Art.

1er Le projet de loi constitutionnelle insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale, voté en termes identiques par l'Assemblée nationale le 6 avril 1999 et par le Sénat le 29 avril 1999 et le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femm es et les hommes, voté en termes identiques par le Sénat le 4 mars 1999 et par l'Assemblée nationale le 10 mars 1999, et dont les textes sont annexés au présent décret, sont soumis au Parlement convoqué en Congrès le 28 juin 1999.

« Art.

2. L'ordre du jour du Congrès est fixé ainsi qu'il suit :

« 1o Modification du règlement du Congrès ;

« 2o Vote sur le projet de loi constitutionnelle insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale ;

« 3o Vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes.


page précédente page 06395

ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 JUIN 1999

« Art.

3. Le présent décret sera publié au Journal officiel de la République française.

« Fait à Paris, le 23 juin 1999.

« Signé : J ACQUES C

HIRAC »

« Par le Président de la République :

« Le Premier ministre,

« Signé : L

IONEL J

OSPIN »

PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE INSÉRANT AU TITRE VI DE LA CONSTITUTION UN ARTICLE 53-2 ET RELATIF À LA

COUR PÉNALE INTERNATIONALE Article unique Il est inséré, au titre VI de la Constitution, un article 53-2 ainsi rédigé :

« Art.

53-2. - La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998. »

PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE

RELATIF À L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES Article 1er L'article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. »

Article 2 L'article 4 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ils contribuent à la mise en oeuvre du principe énoncé au dernier alinéa de l'article 3 dans les conditions déterminées par la loi. »