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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire étrangère (p. 6847).

2. Questions au Gouvernement (p. 6847).

TRANSPORT ROUTIER (p. 6847)

MM. Jacques Fleury, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

MICHELIN (p. 6848)

Mmes Odile Saugues, Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

SÉCURITÉ ALIMENTAIRE (p. 6848)

Mme Monique Denise, M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

RENTRÉE SCOLAIRE (p. 6849)

M. Yvon Montané, Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL DANS LES CLINIQUES PRIVÉES (p. 6850)

M. Jean-Claude Lemoine, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

SITUATION DES PRODUCTEURS DE FRUITS ET LÉGUMES (p. 6851)

MM. Léon Vachet, Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

FISCALITÉ DES ASSOCIATIONS (p. 6851)

Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

RENTRÉE SCOLAIRE (p. 6852)

M. François Sauvardet, Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

GYNÉCOLOGUES MÉDICAUX (p. 6853)

M. Jean-Antoine Leonetti, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

SÉCURITÉ (p. 6854)

MM. Pierre Cardo, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

MICHELIN (p. 6855)

M. Jean-Claude Sandrier, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

MANIFESTATIONS LYCÉENNES (p. 6856)

M. Patrick Malavieille, Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

ADMINISTRATION DE LA JUSTICE À LA RÉUNION (p. 6856)

Mmes Huguette Bello, Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Suspension et reprise de la séance (p. 6857)

3. Réduction négociée du temps de travail. - Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (p. 6857).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

PRÉSIDENCE DE Mme NICOLE CATALA

M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la commission des affaires culturelles.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (p. 6871)

Exception d'irrecevabilité de M. José Rossi : MM. Dominique Dord, Georges Sarre, Hervé Morin, Yves Rome, François Goulard, Bernard Accoyer, Maxime Gremetz. Rejet par scrutin.

Mme la présidente.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

4. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 6883).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE ÉTRANGÈRE

M. le président.

Je suis heureux de souhaiter, en votre nom, la bienvenue à une délégation parlementaire, conduite par M. Guennadi Seleznev, président de la Douma d'Etat de la Fédération de Russie. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par les questions du groupe socialiste.

TRANSPORT ROUTIER

M. le président.

La parole est à M. Jacques Fleury.

M. Jacques Fleury.

Monsieur le ministre de l'équipement, des transports et du logement, demain, le conseil des ministres européens des transports doit traiter de l'harmonisation des réglementations dans le domaine des transports routiers, notamment au travers de deux projets de directive. L'un tend à rétablir le trafic des poids lourds le week-end, ce qui constituerait un recul inacceptable à tous points de vue ; l'autre prévoit une harmonisation du temps de travail à une durée également inacceptable.

Nous ne pouvons qu'être solidaires des syndicats européens qui se mobilisent aujourd'hui contre ces deux projets de directive et qui réclament une harmonisation à la baisse du temps de travail des roulants. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

Nous ne pouvons, en effet, pas accepter des directives qui, au nom de la liberté de circulation, amèneraient les routiers à travailler dans des conditions totalement inadmissibles.

M. Bernard Roman.

Très juste !

M. Jacques Fleury.

Il n'est pas humainement acceptable que des salariés soient contraints de travailler jusqu'à 78 heures par semaine.

M. Bernard Roman.

Tout à fait !

M. Jacques Fleury.

Il n'est pas acceptable, sur le plan de la sécurité routière, que des chauffeurs épuisés soient ainsi lancés sur nos routes, au mépris de toute sécurité routière.

Il n'est pas acceptable, du point de vue de l'environnement, que des décisions européennes encouragent sans limite le développement du trafic routier.

C'est maintenant que l'Europe doit choisir la société dans laquelle nous vivrons demain. La France doit être à la pointe pour refuser le tout-camion et les pollutions qu'il engendre et pour proposer une Europe porteuse de progrès social.

Monsieur le ministre des transports, quelle position allez-vous défendre, demain, au nom du gouvernement français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le député, la position que je vais soutenir se résume simplement : je vais défendre avec la plus grande détermination et la plus grande fermeté, l'idée selon laquelle les interdictions de circulation, les acquis qui ont été obtenus, à la fois pour les routiers salariés et pour les transporteurs - puisqu'une organisation patronale soutient ces acquis -, ne sauraient être remis en cause. Les interdictions concernant le weekend doivent être maintenues.

(« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe socialiste.)

S'il doit y avoir harmonisation à l'échelle européenne, elle doit se faire par le haut et non par le bas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

C'est une question de progrès social, vous l'avez dit.

C'est aussi un problème de sécurité routière et de choix de société, si l'on ne veut pas que se perpétue le développement intensif du transport routier sur les routes, alors que nous devons favoriser le rail.

Je plaiderai également en faveur de l'harmonisation sociale, de telle sorte que nous puissions lutter avec plus d'efficacité contre le dumping économique et social. Le gouvernement français a déposé, en novembre 1997, un mémorandum qui va dans ce sens. Il s'agit, non seulement pour les salariés du transport routier, mais également pour les artisans de ce secteur, de faire en sorte que tous exercent leur profession dans des conditions de travail égales, qui prennent en compte temps de conduite et temps de service, avec les chargements et déchargements mais aussi les coupures. Le progrès social doit être à l'ordre du jour dans le transport routier. J'agirai avec la plus grande fermeté dans ce domaine.

Aujourd'hui, quelques pays s'opposent à une telle conception, mais nous pouvons rassembler encore plus fortement pour convaincre. Et je dois reconnaître, mesdames et messieurs les députés, que les prises de position du Parlement français, comme cela a été le cas pour le transport ferroviaire, sont très utiles.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

M. Laurent Dominati.

Merci ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Demain, fort de l'assurance qu'il existe sur tous les bancs de l'Assemblée nationale une volonté de lutter contre le dumping économique et social, une volonté de faire en sorte que l'harmonisation sociale se fasse par le haut et non par le bas, fort de cette aide, je pourrais non seulement défendre au mieux les positions de la France mais aussi faire en sorte que l'Europe qui se construit soit une Europe du progrès social et non une Europe de la régression.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

MICHELIN

M. le président.

La parole est à Mme Odile Saugues.

Mme Odile Saugues.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, le 8 septembre dernier, la manufacture Michelin annonçait 7 500 suppressions d'emplois en Europe d'ici à trois ans,...

Mme Odette Grzegrzulka.

Scandaleux !

Mme Odile Saugues.

... et publiait dans le même temps des résultats financiers en forte progression sur le seul semestre 1999. L'indignation a été vive et légitime.

La mobilisation des salariés, à Clermont-Ferrand mais aussi à Soissons, a été exceptionnelle, compte tenu du climat et du contexte que nous connaissons bien.

L'affaire Michelin est révélatrice d'un profond malaise face à l'évolution du capitalisme. On est passé dans ce cas du paternalisme absolu, d'un ordre moral qui prétendait régenter la cité et la vie des salariés, à une gestion qui considère désormais les hommes comme de simples v ariables d'ajustement et qui définit la destruction d'emplois comme une création de valeurs.

Au-delà de ce triste exemple, chacun a pris conscience de la nécessité absolue de faire progresser la démocratie sociale dans les entreprises françaises, car l'entreprise ne peut et ne pourra jamais se résumer aux seuls dirigeants et aux seuls actionnaires.

Dans son discours de politique générale, M. le Premier ministre annonçait que la modernisation de nos institutions serait inachevée si la démocratie s'arrêtait aux portes de l'entreprise. Madame la ministre, dix-sept ans après les lois Auroux, comment entendez-vous marquer fortement votre attachement, notre attachement à l'extension de la démocratie sociale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Madame la députée, je crois que, comme vous l'avez dit, le dossier Michelin est sans doute révélateur de ce que doivent être, ou ne pas être, les relations entre une entreprise et ses salariés.

On demande aux salariés beaucoup d'engagement personnel, beaucoup d'implication pour aider les entreprises dans les efforts qu'elles réalisent pour gagner des marchés.

Et la contrepartie de cet engagement, de cette implication, c'est bien sûr des devoirs de la part des entreprises, notamment au moment où elles doivent faire des annonces difficiles.

Je crois, comme vous, que ce qui nous a d'abord choqués dans l'affaire Michelin et dans la façon dont les licenciements ont été annoncés, ce sont les circonstances de l'annonce et la brutalité de celle-ci.

M. Pierre Lellouche.

Nationalisez Michelin !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Comment ne pas comprendre que des décisions aussi graves que celle de l'annonce de 7 500 licenciements sont de nature à plonger dans l'angoisse des dizaines de milliers de familles, alors même qu'elles n'étaient informées de rien ? Comment une entreprise de cette taille et de cette force - force dont nous sommes fiers d'ailleurs - peut-elle annoncer aujourd'hui 7 500 licenciements sans informer préalablement les représentants du personnel ?

M. Jacques Myard.

Qu'est-ce que ça aurait changé ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Comment, enfin, justifier une telle annonce devant un public d'analystes financiers, au risque d'accréditer l'idée que ce qui serait favorable aux cours de la bourse serait toujours défavorable aux salariés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Pierre Lellouche.

Et le plan social de Renault ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Une entreprise d'une telle notoriété, qui a contribué à l'image de la France à l'étranger, ne peut pas laisser à penser que l'économique et le social s'opposent, que ce qui est bon pour l'un est mauvais pour l'autre.

M. Pierre Lellouche.

Exactement !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Nous avons l'impression d'avoir été ramenés très loin en arrière en quelques jours.

Ainsi que vous l'avez souligné, il convient donc de faire en sorte que la démocratie sociale ne reste pas aux portes des entreprises, de prévenir les restructurations lorsqu'elles doivent avoir lieu, d'améliorer la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, de mieux former les salariés - et le projet de loi que prépare Mme Péry nous y aidera. (

« C'est du vent ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mais lorsque des licenciements sont inévitables, il convient également de faire en sorte, comme vous vous y êtes employée, madame la députée, qu'une négociation sur la durée du travail permette d'alléger les effets de ces licenciements, que tout soit fait pour aider au reclassement des salariés et pour ne laisser personne au bord de la route.

Quand on est une grande entreprise, qui jouit d'une certaine notoriété, on a des devoirs et on se doit de montrer à l'ensemble des autres entreprises qu'on est prêt à les respecter. C'est, je crois, ce que vous avez voulu nous dire, et c'est pour cela que nous nous battons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean Ueberschlag.

Blablabla ! SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

M. le président.

La parole est à Mme Monique Denise.

Mme Monique Denise.

Monsieur le ministre de l'agriculture et de la pêche, la sécurité alimentaire est une question qui préoccupe aujourd'hui tous les Français, et l'Assemblée nationale va d'ailleurs désigner une commission d'enquête à ce sujet pour les six prochains mois.


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La filière des viandes, plus particulièrement, a été, ces derniers temps, au centre d'un certain nombre de turbulences. Aussi, j'aimerais que vous nous précisiez, d'une part, quelles raisons ont poussé le Gouvernement à accentuer sa prudence vis-à-vis des importations de viande bovine britannique - je veux parler de l'embargo - et, d'autre part, quelles mesures sont envisagées pour soutenir les élevages qui, en France aussi, subissent le contrecoup du repli de certaines productions - je pense, en particulier, aux élevages de volailles, nombreux dans ma région, fortement touchés par ce que l'on a appelé la crise de la dioxine. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Madame la députée, il est difficile de répondre brièvement à ces deux questions graves et si sérieuses, mais je vais tenter de le faire.

S'agissant de la crise de la dioxine, le refus de l'Union européenne de venir en aide aux aviculteurs, refus que nous ne connaissons que depuis environ une semaine, nous a conduits à mettre au point un plan de soutien national aux aviculteurs touchés par cette crise.

Ce plan de soutien, qui reposera à la fois sur des mesures dites « agri-dif » - agriculteurs en difficulté - et sur une intervention du fonds d'allégement des charges, est actuellement soumis à l'arbitrage et devrait être annoncé au plus tard le 21 octobre.

Pour ce qui est de l'embargo, je rappelle que le Gouvernement et le Parlement français ont souhaité, il y a un peu plus d'un an, que soit créée par la loi l'agence française de sécurité sanitaire des aliments, qui est une agence indépendante.

Conformément au contenu de la loi, le gouvernement français a été obligé de soumettre pour avis à cette agence le projet d'arrêté interministériel de levée de l'embargo.

L'agence a rendu son avis vendredi dernier, et il est négatif. Le gouvernement français a décidé de le suivre. Pouvait-il faire autrement ? D'ailleurs, que n'aurait-on dit si le Gouvernement avait fait fi de cet avis et avait décidé d'appliquer la levée de l'embargo voulue par l'Union européenne ? Ce faisant, nous n'avons voulu obéir qu'au seul principe de précaution, dont nous avons déjà eu l'occasion de débattre à de nombreuses reprises, et non adopter un comportement protectionniste comme le prétendent certains médias britanniques. Mais nous savons bien qu'en prenant cette position nous sommes en opposition, voire en contradiction avec une décision communautaire. Il nous faut donc maintenant trouver les moyens de sortir de cette situation non seulement en faisant valoir auprès de l'Europe - ce que nous nous apprêtons à faire - que l'avis des scientifiques français est un élément nouveau dans la gestion de la crise et qu'il doit être pris en compte par les autorités européennes, mais aussi en recherchant toutes les voies juridiques, voire jurisprudentielles - peut-être en s'appuyant sur des exemples passés pour que l'on puisse reconnaître le droit à la France d'être plus précautionneuse que ne l'a été l'Union européenne.

Je tiens simplement à ajouter que cette position de précaution et de fermeté voulue par le gouvernement français n'est évidemment pas un geste de défiance ou

« d'inamitié » à l'égard de nos amis britanniques.

I l nous faut maintenant résoudre ce problème ensemble. C'est pourquoi nous devons nous garder les uns et les autres de toute déclaration à l'emporte-pièce qui, en jetant de l'huile sur le feu, rendrait plus difficile encore la solution de ce délicat problème.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

RENTRÉE SCOLAIRE

M. le président.

La parole est à M. Yvon Montané.

M. Yvon Montané.

Madame la ministre déléguée, chargée de l'enseignement scolaire, la rentrée scolaire est marquée par un mouvement lycéen.

M. Thierry Mariani.

Zéro défaut !

M. Yvon Montané.

Sans en contester la nature, la sincérité ou la légitimité, il semble qu'il porte plus sur des revendications d'ordre pratique, de vie quotidienne et matérielle que sur des revendications d'ordre général.

L'inégalité géographique des mobilisations témoigne d'ailleurs de l'aspect particulier, voire singulier, de certaines demandes qui ne sauraient mettre en cause tout un système ou l'ensemble du travail accompli par le Gouvernement pour répondre aux urgences et aux problèmes mis en évidence voilà un an.

En ce qui concerne le mouvement de déconcentration, les informations qui remontent des rectorats semblent satisfaisantes et prouvent la pertinence de ce système tant pour les enseignants que pour les élèves.

M. Thierry Mariani.

C'est un échec !

M. Yvon Montané.

La réforme des lycées, la lutte contre l'échec scolaire, les emplois-jeunes dans l'éducation nationale sont autant d'avancées positives qui montrent que le Gouvernement a su entendre le mécontentement.

Toutefois, il convient une fois encore de ne pas sousestimer le message qu'envoient ces milliers de lycéens au Gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) et qui dénote sinon l'impatience de la jeunesse,...

M. Thierry Mariani.

Ah oui !

M. Yvon Montané.

... tout au moins sa volonté louable d'étudier dans de bonnes conditions. En effet, ces jeunes mettent souvent en lumière les dysfonctionnements ou les carences de la rentrée.

Ainsi, comme le rappellent également les enseignants, 2 000 postes ne seraient pas pourvus, en particulier dans les lycées professionnels. De nombreux proviseurs et principaux ne comprennent pas pourquoi des enseignants, pourtant nommés, ne sont pas présents au moment de la rentrée et les parents d'élèves demandent la mise en place rapide des conseils de vie lycéenne. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Pouvez-vous, madame la ministre, faire le point sur la réforme engagée l'année dernière et nous indiquer quelles mesures le Gouvernement entend prendre ou a prises pour résoudre le problème que je viens d'évoquer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire, pour répondre en deux minutes.


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Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

En effet, monsieur le député, la rentrée scolaire dans les lycées a connu quelques problèmes (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Toutefois vous avez oublié de souligner que, dans le premier degré, la rentrée s'était excellemment déroulée.

Alors que, grâce à la déconcentration, tous les emplois du temps étaient complets au mois de juillet, des problèmes ont surgi dans les lycées, et ce pour deux raisons.

D'une part, la demande des jeunes pour entrer dans les lycées professionnels - type d'enseignement que nous revalorisons - s'avère très forte. Certains lycées ont préféré accueillir ces jeunes, plutôt que de leur fermer la porte. Nous sommes donc confrontés aujourd'hui à des difficultés d'ajustement auxquelles nous allons faire face.

D'autre part, nous avons enregistré, peu de jours après la rentrée, un nombre quelque peu surprenant de congés de maladie.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Un peu de silence, s'il vous plaît ! Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

Je dis les choses très clairement et sans démagogie.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Tous ces problèmes peuvent être réglés académie par académie, puisque les recteurs ont reçu toutes les autorisations de recrutement nécessaires. Toutefois, pour être franche, il faut reconnaître que dans certaines spécialités très pointues de lycées professionnels - ébénisterie, imagerie médicale, formation de géomètres -, spécialités qui expliquent le grand succès de certaines filières professionnelles, il est difficile de trouver partout des enseignants. Mais ce problème sera réglé dans les semaines qui viennent, soyez-en sûr.

(Exclamations sur les mêmes bancs.)

Il n'y aura aucun préjudice pour les élèves, puisque partout où il y a des problèmes de remplacement, les cours seront rattrapés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe du Rassemblement pour la République.

RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL DANS LES CLINIQUES PRIVÉES

M. le président.

La parole est à Jean-Claude Lemoine.

M. Jean-Claude Lemoine.

Ma question, à laquelle se joint mon ami René André, s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité et concerne la réduction du temps de travail dans les cliniques privées. (« Bonne question ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Madame la ministre, l'application des 35 heures dans ces établissements semble impossible, comme vous l'a d'ailleurs signalé le responsable d'une clinique de ma circonscription dans plusieurs courriers, dont le premier date de 1998, courriers que j'ai moi-même relayés auprès de vous, mais qui sont restés à ce jour sans réponse.

(« Oh ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Lucien Degauchy.

C'est scandaleux !

M. le président.

Un peu de silence, s'il vous plaît !

M. Jean-Claude Lemoine.

Cette impossibilité tient à plusieurs raisons : d'une part, le décret de 1956 impose aux établissements de respecter un effectif de personnels soignants qui soit fonction du nombre de lits autorisés ; d'autre part, ces établissements sont confrontés à un manque de personnel, notamment infirmier. Actuellement, les effectifs permettent à peine, dans le cadre de la semaine de 39 heures, de répondre à l'ensemble des demandes. Et il ne faut pas oublier que la formation des infirmiers dure trois ans et que le nombre de postes offerts au concours est, à ce jour, très insuffisant.

A ces difficultés s'en ajoutent d'autres, comme la baisse des tarifs décidée récemment.

Aussi, compte tenu de ces obstacles et de la spécificité de ses missions, comment le secteur hospitalier privé, qui est de plus en plus taxé et emploie, je le rappelle, 120 000 salariés, pourra-t-il appliquer votre loi, dite des 35 heures, au 1er janvier 2000 ?

M. Edouard Landrain.

Il ne pourra pas !

M. Jean-Claude Lemoine.

Je souhaiterais connaître, madame la ministre, la solution que vous préconisez.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Thierry Mariani.

Il n'y en a pas !

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Le problème des cliniques privées est assez proche de celui de l'ensemble du secteur médico-social. Or je remarque qu'aujourd'hui l'ensemble du secteur médicosocial a conclu des accords de branche que nous avons tous étendus. C'est le cas des centres de lutte contre le cancer et des différents établissements qui dépendent des conventions de 1955 ou de la FEHAP, dont nous allons étendre l'accord.

Les cliniques privées fonctionnent de la même manière, avec une enveloppe globale et un mode de relations avec l'Etat et les collectivités locales du même type. Elles peuvent donc entrer dans la même logique et, comme l'ensemble du secteur médico-social, bénéficier des aides qui sont ouvertes à toutes les entreprises en pareil cas.

Vous avez eu raison, monsieur le député, d'évoquer le problème de la pénurie d'infirmières, dont nous nous sommes préoccupés dès notre arrivée aux responsabilités, en augmentant le nombre de postes. Je remarque, et je m'en réjouis, qu'avec la réforme des études, le nombre des candidats croît sans cesse, contrairement à ce qui se passait les années précédentes, mais c'est vrai qu'il faut trois ans pour former les infirmières.

M. Thierry Mariani.

Répondez à la question !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

La question, c'est aussi cela ! Il faut donc négocier, des aides peuvent être accordées et, aujourd'hui, les écoles d'infirmières sont capables de répondre aux demandes.

Nous allons engager ce chantier ensemble. Dans la prochaine loi de financement de la sécurité sociale, nous proposerons d'avoir des relations de même nature avec l'hôpital et avec les cliniques privées.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

M. Bernard Accoyer.

Raison de plus !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

En effet ! Il faut en profiter pour se poser plusieurs questions : m eilleur accueil des malades, meilleure organisation interne, décloisonnement des services et décloisonnement au sein des services.

C'est ce qu'a fait le secteur médico-social, c'est ce que l'on attend du secteur hospitalier, qu'il soit public ou privé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

SITUATION DES PRODUCTEURS DE FRUITS ET LÉGUMES

M. le président.

La parole est à M. Léon Vachet.

M. Léon Vachet.

Monsieur le ministre de l'agriculture et de la pêche, les producteurs de fruits et légumes traversent aujourd'hui une crise sans précédent, qui s'ajoute à plusieurs années difficiles.

Cette crise exige des réponses à long terme et à court terme.

Les réponses à long terme concernent la réforme de l'organisation commune des marchés et la mise en place des organisations de producteurs. Merci, messieurs les socialistes de votre silence : on voit que vous aimez les producteurs ! Lors d'une précédente question d'actualité, j'avais déjà a ppelé votre attention sur ce dossier, monsieur le ministre. Vous m'aviez répondu que vous étudiiez une réforme dans le sens d'un assouplissement des conditions d'adhésion aux organisations de producteurs. Pouvez-vous nous informer de l'état d'avancement de cette réforme, notamment en ce qui concerne, premièrement, la prise en compte des propositions de la profession visant à créer des associations de producteurs ayant des règles moins rigides qui compléteraient efficacement le dispositif existant et, deuxièmement, en ce qui concerne la réforme de l'organisation commune des marchés et les problèmes des fonds opérationnels ? S'agissant des réponses à court terme, M. le Premier ministre a récemment annoncé le déblocage de 450 millions de francs en faveur des producteurs de fruits et légumes. Nous attendons de voir ce qu'il en sera après des mesures-gadgets comme le double étiquetage qui, malgré un aspect informatif intéressant, n'apporte aucune réponse sérieuse aux problèmes des producteurs, ou comme les contrats territoriaux d'exploitation, qui représentent un début d'agriculture administrative alors qu'on sait que celle-ci a échoué partout.

C'est pourquoi je souhaite que vous informiez la représentation nationale sur deux points.

Premièrement les crédits alloués seront-ils réservés aux adhérents des organisations économiques ou seront-ils, c omme cela paraît normal et légitime, attribués à l'ensemble des producteurs ? La crise des fruits et légumes frappe l'ensemble des producteurs ; or le problème de la ventilation des crédits, qui n'a pas été clairement définie, inquiète fortement le monde agricole.

M. le président.

Pouvez-vous conclure, s'il vous plaît ?

M. Léon Vachet.

Je termine monsieur le président.

Deuxièmement, qu'en est-il de la prise en compte des demandes de réforme de l'organisation commune des marchés et des organisations de producteurs ? (« La question ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Monsieur le ministre, pouvez-vous répondre aussi précisément que possible à ces questions ? (Applaudissementss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur le député, vous avez dit que le double étiquetage était une mesure-gadget.

M. Léon Vachet.

C'est vrai !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Je vous rappelle que cette mesure a été demandée par l'ensemble des organisations de producteurs...

M. Thierry Mariani.

Elles ne demandaient pas que ça !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

... et qu'elle a été votée à l'unanimité par l'Assemblée à l' occasion de l'examen de la loi d'orientation agricole. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Si c'est une mesure-gadget, vous auriez dû faire attention à votre vote ! Nous avons annoncé un plan, que le Premier ministre a confirmé et qui a été mis en place. Les mesures de caractère social qu'il contient seront accessibles à tous les producteurs sans exception. Les mesures de caractère économique seront liées à un engagement des producteurs de s'engager dans une organisation de producteurs. Nous avons défini ces positions avec les deux fédérations de producteurs de fruits et légumes, de manière consensuelle, après une longue concertation, parce que nous partageons tous l'analyse que le secteur des fruits et légumes souffre en profondeur d'un manque d'organisation.

Ce plan, que vous ne connaissez pas (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) , mais que tous les producteurs connaissent parce que nous l'avons élaboré avec eux au cours de longues réunions de travail, va être mis en oeuvre de manière déconcentrée au niveau des DDA, après un audit de chacune des exploitations touchées.

M. Thierry Mariani.

Quand ?

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Vous m'avez enfin interrogé sur la réforme de l'organisation commune des marchés des fruits et légumes. Comme nous en avions pris l'engagement au début de cet été, la France ainsi que l'Italie et l'Espagne ont déposé un mémorandum pour réformer cette OCM. La présidence portugaise, qui commencera, comme vous le savez, au premier semestre de l'an 2000, s'est engagée à faire aboutir ce dossier. Elle a donc demandé à la présidence finlandaise, au deuxième semestre de 1999, de préparer cette discussion, et nous avons bon espoir que cette OCM puisse être réformée dans le sens souhaité par la France, l'Italie et l'Espagne, mais, au-delà, également par le Portugal et la Grèce, afin de permettre un assouplissement et une meilleure incitation des producteurs à s'organiser.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

FISCALITÉ DES ASSOCIATIONS

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann.

Mme Marie-Jo Zimmermann.

Monsieur le Premier ministre, vous mesurez, j'en suis sûr, le poids et le rôle


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

indispensable du monde associatif et de ses bénévoles pour la dynamisation de nos zones urbaines et de nos zones rurales.

Il y a plusieurs mois, vous avez pourtant décidé de soumettre toute action commerciale d'une association à but non lucratif à l'impôt sur les sociétés et à la TVA.

Un grand nombre de collègues de mon groupe et des autres groupes de l'opposition vous ont alors vigoureusement alerté sur les inquiétudes du monde associatif face à cette réforme.

Il est clair en effet que de très nombreuses associations sportives, culturelles et de loisirs ne peuvent financer leurs actions sur la seule base des cotisations de leurs adhérents. Je dirai même que l'affirmation d'un tel principe conduirait inévitablement à l'exclusion de nombreux enfants et adultes du champ d'activité de ces associations.

Pour continuer à mener leur action d'éducation, elles doivent donc sans conteste recourir à certaines activités commerciales : organisation de loteries, de buvettes, de spectacles, entre autres.

Or soumettre ces actions au régime des impôts commerciaux, c'est remettre en cause la capacité de financement de ces associations.

Face à l'inquiétude du monde associatif, vous nous avez tout d'abord répondu qu'il ne s'agissait que de mettre fin à une tolérance de l'administration fiscale visà-vis de l'application de la loi. Il est vrai que vous ne nous avez pas habitués à de telles tolérances.

Ensuite, vous avez décidé de tenir compte de nos observations et d'accorder par circulaire un délai d'adaptation aux associations. Aujourd'hui, les associations, à quelques mois de la mise en oeuvre de votre réforme, sont de plus en plus inquiètes.

Allez-vous enfin tenir compte de leur appel et permettre aux associations à but non lucratif d'avoir les moyens d'exister ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au budget.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

Madame la députée, vous avez en fait posé la question de la fiscalité des associations à caractère sportif.

Plusieurs députés du groupe Rassemblement pour la République.

De toutes les associations !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Lorsque, en juin 1997, nous sommes arrivés, aux responsabilités, il régnait un climat d'insécurité fiscale (Exclamations et riress ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) , car des contrôles fiscaux tombaient sur les associations pour une raison très simple : d'après les dispositions fiscales antérieures, toute activité commerciale accessoire, comme celles que vous avez mentionnées, madame la d éputée, entraînait automatiquement la taxation de l'ensemble de l'activité de l'association.

C'est pourquoi nous avons procédé en deux temps.

D'abord, une instruction, élaborée après une longue concertation, a rappelé, le 15 septembre 1998, le principe de non-imposition des associations, principe affirmé par la loi de 1901, et a défini clairement dans quelles conditions certaines activités commerciales accessoires pourraient être taxées, et elles seulement. Je précise qu'en dessous d'une somme de 250 000 francs par an ces activités accessoires ne sont pas taxées.

Ma collègue Marie-George Buffet et moi-même avons rencontré à plusieurs reprises les représentants du mouvement sportif, et manifesté notre souhait d'encourager le secteur associatif dans tous les domaines. La volonté du Gouvernement est d'assurer aux associations une sécurité fiscale qui leur faisait défaut il y a deux ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

RENTRÉE SCOLAIRE

M. le président.

La parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet.

Ma question s'adresse à Mme Ségolène Royal, puisque M. Allègre n'est pas là pour assurer au moins la rentrée parlementaire.

M. Bernard Accoyer.

Il est en arrêt maladie !

M. François Sauvadet.

Je vous le dis très franchement, madame la ministre, le groupe UDF ne se satisfait pas des propos que vous avez tenus tout à l'heure, même s'ils se voulaient rassurants : les problèmes que nous avons connus au cours de cette rentrée tiendraient, en somme, à l'absence de quelques personnes malades. La réalité est tout à fait différente. Sans parler des fermetures de classes, je rappellerai simplement que M. Allègre avait évoqué, il y a deux ans déjà, devant la représentation nationale une rentrée « zéro défaut ».

M. Thierry Mariani.

Absolument !

M. Lucien Degauchy.

C'est plutôt zéro pointé !

M. François Sauvadet.

Vous aviez également annoncé que la mise en place d'un nouveau système apporterait une solution à tous les problèmes, notamment de nomination. Vous aviez par ailleurs assuré, après des manifestations lycéennes, que les conditions d'études des collégiens et des lycéens seraient revues et améliorées.

Or que constate-t-on après ces deux années ? Que c'est tout simplement le contraire qui s'est produit.

M. Thierry Mariani.

Absolument !

M. François Sauvadet.

Comme l'an dernier, les lycéens sont dans la rue. Ils ont compris que vos discours ne sont pas suivis d'effets, et les statistiques que vous avancez cachent une réalité bien différente : il y a toujours des dizaines de milliers d'élèves sans professeur en France.

M. Christian Bourquin.

La question !

M. François Sauvadet.

Et ces élèves sont tentés de vous mettre un zéro pointé.

Ma question est donc très simple : quelles dispositions allez-vous prendre d'urgence pour que les jeunes aient enfin, et très rapidement, des enseignants dans leurs classes ainsi que des conditions de travail acceptables ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

Monsieur le député, vous voudrez bien excuser Claude Allègre, qui est retenu en Espagne par le Président de la République.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je lui ferai part de vos cris d'impatience, il en sera très certainement très honoré ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Un peu de silence, s'il vous plaît ! Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

Monsieur le député, les chefs d'établissement et les équipes de direction sont sur le pont tous les jours...

M. Thierry Mariani.

Le bateau coule ! C'est Titanic ! Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

... pour régler le plus vite possible les problèmes d'absence qui peuvent se présenter. Permettez-moi de demander en leur nom, pour leur dévouement et pour le lourd travail qu'ils assument, un peu de tolérance aux lycéens, aux parents et à certains élus. Il ne faut pas, en effet, oublier le travail fait et les progrès accomplis.

De l'impatience, oui : qui ne souhaiterait que les choses soient réglées plus vite et mieux ? Nous nous y employons . De la nervosité, non. Surtout de la part de ceux qui ont supprimé 100 000 emplois dans l'éducation nationale (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) et mis un million de personnes dans la rue lorsqu'ils ont porté atteinte au service public de l'éducation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

GYNÉCOLOGUES MÉDICAUX

M. le président.

La parole est à M. Jean-Antoine Léonetti.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Ma question s'adresse à Mme Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Madame la secrétaire d'Etat, vous venez d'entrer en fonction et il y a un dossier auquel il est impératif de s'attaquer de toute urgence. La disparition des gynécologues médicaux est programmée. Seuls subsisteront dans peu de temps les gynécologues-obstétriciens, dont nous savons qu'ils exercent en fait une autre spécialité puisqu'ils réalisent des accouchements et opèrent les malades.

L es gynécologues médicaux, le plus souvent des femmes, qui travaillent pour des femmes, sont des acteurs majeurs de la santé, vous le savez. Ils ont fait beaucoup pour améliorer la condition féminine, ils ont dépisté efficacement les cancers féminins, conseillé les femmes en matière de contraception, et ils jouent un rôle important dans l'éducation sanitaire des femmes.

On ne peut une fois de plus accuser l'Europe de cette harmonisation car rien ne s'oppose, sur le plan légal, à ce que cette spécialité soit exercée sur le territoire national.

Les 300 000 femmes françaises qui ont signé une pétition pour demander le maintien de cette spécialité s'adressent à vous en tant que ministre et en tant que femme pour vous demander des mesures concrètes à même d'apaiser leur inquiétude légitime.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Monsieur le député, une émotion légitime s'est répandue en France à l'annonce que la gynécologie médicale disparaîtrait. Or il n'en est rien. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.) A plusieurs reprises, dans cette assemblée, Bernard Kouchner a été conduit à préciser qu'il n'était pas question de supprimer la gynécologie médicale. Nicole Péry elle-même a affirmé que telle n'était pas notre intention.

Quant à moi, je me suis, en arrivant au secrétariat d'Etat à la santé et à l'action sociale, emparée du dossier pour faire le point. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur plu-s ieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Oui, messieurs ! Pour faire le point ! Nous avons constaté qu'il n'y avait aucun risque de disparition des gynécologues médicales. La seule nouveauté réside dans le fait que les médecins généralistes bénéficieront d'une formation à la gynécologie. Il faut en effet savoir que nombre de femmes de notre pays n'accèdent pas à la consultation d'un gynécologue en ville et qu'elles ne consultent qu'un médecin généraliste. Il importe donc que les médecins généralistes puissent suivre ces femmes, qu'il s'agisse de leur santé, de leur développement dans la vie, de la contraception, de la ménopause, de leur accompagnement vers l'accouchement et la gynécologie-obstétrique.

Pour réconforter, pour rassurer les gynécologues qui s'émeuvent, un certain nombre de postes supplémentaires ont été ouverts pour permettre la formation de spécialistes en gynécologie médicale et en gynécologie-obstétrique. Ce seront 30 postes qui auront été ouverts en 1999 et 30 autres le seront en 2000. Rappelons au passage que la plupart des étudiants en médecine qui s'orientent vers cette discipline sont des femmes.

Les inquiétudes devraient en conséquence s'apaiser, m ais je sais que beaucoup de praticiennes restent inquiètes - l'information est allée très loin dans nos départements.

Un groupe de travail a été constitué à mon ministère.

(Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Ce groupe associe les syndicats des gynécologues médicaux. Des processus d'amélioration de la maquette de formation sont en cours. J'ai bon espoir que, dans les semaines qui viennent, nous aboutissions à un accord formel avec les syndicats des gynécologues médicaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons à une question du groupe Démocratie libérale et Indépendants.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

SÉCURITÉ

M. le président.

La parole est à M. Pierre Cardo.

M. Pierre Cardo.

Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.

Monsieur le ministre, au cours des derniers mois, vous avez multiplié les déclarations sur le nécessaire renforcement de la prévention et de la répression, promu les contrats locaux de sécurité et annoncé une augmentation des forces de police, particulièrement dans les lieux les plus difficiles. Or à ce jour, nombreux sont les élus locaux à n'avoir pas signé ces contrats, bien qu'ils en partagent les objectifs.

Nombre d'inspecteurs ou d'agents expérimentés sont partis ou partent en retraite sans que leur remplacement soit prévu. Des commissariats déjà pauvres n'ont vu arriver, pour l'essentiel, que des adjoints de sécurité peu formés et inadaptés à des missions parfois périlleuses.

De nombreux quartiers sont tombés sous la coupe d'un système semi-mafieux fondé sur la violence et qui ôte à des habitants, dont le quotidien est déjà difficile, des droits qui leur sont dus dans un Etat républicain.

Et ce ne sont pas les CRS qui apparaissent pendant quelques heures pour rétablir l'ordre qui peuvent être convaincants ! Quant aux BAC - brigades anticriminalité - et autres brigades d'intervention, elles ne peuvent, trop déconnectées de la police de proximité, donner toute leur efficacité.

Monsieur le ministre, quand aurons-nous les renforts annoncés et attendus en vrais policiers et en matériel moderne ? Quand définirez-vous le rôle d'une vraie police de proximité ? Quand admettrez-vous que, dans nombre de secteurs, c'est elle qui subit douloureusement la loi du milieu, et non l'inverse ? Quand réagirez-vous auprès du garde des sceaux pour que les parquets coopèrent vraiment aux contrats locaux de sécurité ? Accepterez-vous encore longtemps que des procureurs n'aient toujours pas défini de politique pénale en direction des mineurs et que certains refusent d'adapter leurs procédures aux populations peut-être parce qu'ils n'ont pas bénéficié de la pédagogie du « pavé dans la figure » ? Je n'accepte pas le discours qui m'a été tenu il y a peu et selon lequel « la justice est faite pour les gens normaux dans les lieux normaux ». C'est là la négation de l'Etat de droit et la reconnaissance de zones de non-droit. Je pensais que le républicain que vous êtes ne l'aurait jamais accepté. Avez-vous les moyens de le démontrer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

Monsieur le député, vous posez le problème des départs à la retraite. Ils sont effectivement nombreux dans la police nationale compte tenu des recrutements opérés après 1968, qui ont été très importants. Ainsi, ce sont 25 000 départs en retraite qui sont prévus dans les cinq prochaines années.

M. Yves Nicolin.

A quel âge ?

M. le ministre de l'intérieur.

Des mesures ont été prises pour remédier à la situation.

En 1998, le Premier ministre a autorisé 230 postes en surnombre et 1 664 en 1999, soit près de 2 000 au total.

On compte actuellement 6 300 élèves en formation dans les écoles de la police nationale.

Monsieur le député, votre département, celui des Yvelines, fait partie des vingt-six départements prioritaires...

M. Dominique Bussereau.

Et les autres ?

M. le ministre de l'intérieur.

...bénéficiaires de 1 200 redéploiements, qui seront effectués cette année même. Le mouvement sera poursuivi.

V otre département bénéficie de 329 adjoints de sécurité. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Ce mouvement aussi devrait s'amplifier.

Ces jeunes jouent un rôle tout à fait utile...

M. Jean-Antoine Leonetti.

Ils ne servent à rien !

M. le ministre de l'intérieur.

... et sont, je tiens à le dire, bienvenus dans les circonscriptions auxquelles ils sont affectés.

Parlons maintenant de la violence. Elle est globalement contenue. (« Ce n'est pas vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) La violence est globalement contenue et les chiffres dont je dispose en font foi. Je n'ai jamais caché que deux points étaient préoccupants : les violences urbaines et la délinquance des mineurs. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mais il faut distinguer les incendies de voiture, qui augmentent de 25 %, et les violences en milieu scolaire, qui diminuent de 23 %. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Ce sont des faits ! Ce sont des chiffres ! Le département des Yvelines bénéficiera dès l'année prochaine de la fidélisation d'un escadron de gendarmerie mobile,...

M. Laurent Dominati.

Il n'y a pas que les Yvelines !

M. le ministre de l'intérieur.

... comme plusieurs autres départements qui, depuis le 1er octobre, bénéficient de la fidélisation...

Un député du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

Et les parquets ?

M. le ministre de l'intérieur.

... de compagnies républicaines de sécurité - cinq au total plus deux détachements - et de six escadrons de gendarmerie mobile, soit 1 650 policiers et gendarmes au total.

Naturellement, cet effort s'inscrit dans la durée. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Le point a été fait sur la mise en oeuvre des contrats locaux de sécurité : plus de 300 ont déjà été signés et 400 sont en cours d'élaboration. (Exclamations sur les mêmes bancs.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

S'agissant de la police de proximité, je rappelle que 67 sites sont en cours d'expérimentation et que des assises nationales qui se tiendront au mois de mars prochain précéderont la généralisation qui interviendra en trois phases.

Je voudrais appeler votre attention sur le fait qu'il s'agit d'une lutte de longue haleine et aussi que, dans les Yvelines, pour les huit premiers mois de l'année les faits constatés accusent une baisse de 0,3 % et les faits constatés de voie publique une baisse de 0,5 %.

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe communiste.

MICHELIN

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Sandrier.

M. Jean-Claude Sandrier.

Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

L'annonce simultanée par la direction de Michelin d'un plan de 7 500 suppressions d'emplois et d'une hausse record des bénéfices a profondément choqué nos concitoyens et les salariés de l'entreprise.

A cela, il convient d'ajouter l'information venant des

Etats-Unis de l'embauche par Michelin de 1 700 personnes en Caroline-du-Sud.

M. Lucien Degauchy.

Ils ne font pas les trente-cinq heures là-bas !

M. Jean-Claude Sandrier.

Quand on sait que Michelin a touché cinq milliards de francs de fonds publics ces dernières années, cette annonce apparaît comme symbolique du comportement des grands groupes industriels et financiers aujourd'hui. Sous prétexte de mondialisation, de concurrence et de rentabilité pour les actionnaires, on en vient à oublier ce qui est pourtant à la base de toutes richesses, c'est-à-dire les femmes et les hommes qui les produisent, et à oublier des régions et des villes comme Clermont-Ferrand, Bourges ou Soissons.

Face à cette attitude cynique, faut-il redire que la mondialisation dominée par le monde financier n'est ni une fatalité incontournable, ni un accident de l'histoire ? C'est un défi à relever, qui procède donc de la responsabilité politique.

M. le Premier ministre a donné certains signes positifs, mais la pression des marchés financiers est telle que des mesures d'envergure s'imposent.

Le groupe communiste avance, notamment dans sa proposition de loi, un certain nombre de dispositions qui sont à notre sens essentielles pour faire des licenciements pour motifs économiques l'ultime recours, en examinant entre autres les charges autres que salariales et en assoc iant les institutions bancaires et financières à la recherche de solutions alternatives, pour organiser le contrôle de l'utilisation des fonds publics accordés aux entreprises pour l'emploi et la formation, pour mettre un terme aux abus concernant les emplois précaires, pour prendre les initiatives internationales et concertées avec nos partenaires européens afin de pénaliser le dumping social lié aux délocalisations, de supprimer les paradis fiscaux et de taxer la spéculation financière.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, notre groupe, notamment mes amis Pierre Goldberg et A ndré Lajoinie, élus de la région Auvergne, vous demandent comment le Gouvernement envisage d'avancer dans cette direction. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, j'ai rappelé tout à l'heure avant vous l'émoi qu'avait suscité l'annonce brutale par Michelin de 7 500 licenciements.

Il faut dire les choses simplement : il y a dans notre pays une réglementation sur l'information et la consultation des personnels qui doit être respectée. Personne ne peut se mettre à l'abri de la loi. Les pratiques qui font fi de la loi doivent être sanctionnées.

Il convient d'anticiper et d'éviter un certain nombre de licenciements par la gestion prévisionnelle des emplois, par la réduction du temps de travail et par la loi sur la formation professionnelle que nous préparons avec Nicole Péry.

Mais nous devons aussi dire aux entreprises que, si elles souhaitent prendre un certain nombre de décisions, elles ne doivent pas s'étonner que l'Etat en tire un certain nombre de conséquences.

Michelin a, depuis dix ans, reçu de l'Etat de 4 à 5 milliards de francs pour supprimer des emplois par les préretraites.

J'ai rappelé combien j'avais souhaité réduire les préretraites dans les entreprises qui faisaient des bénéfices car je pense que le coût des restructurations doit alors être payé par elles.

Un député du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Et Renault ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est à cause de cela si, les deux dernières années, ni Renault ni Peugeot n'ont eu de plan social alors que, depuis dix-sept ans, l'Etat versait chaque année un milliard à l'industrie automobile. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Nous avons dit, et le Premier ministre l'a récemment rappelé à Strasbourg, que l'argent public doit être utilisé pour les entreprises et dans les régions qui en ont besoin.

Lorsqu'une entreprise qui fait des bénéfices décide de restructurer, elle doit en payer les conséquences, notamment en ce qui concerne les salariés. C'est pourquoi nous examinerons, comme le Premier ministre nous y a invités, la possibilité, dans la loi que vous allez voter, je l'espère, dans quelques jours, de négocier sur la durée du travail avant toute acceptation d'un plan social. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous devons donc faire en sorte que les aides publiques aillent vers les entreprises qui en ont besoin et nous devons, ensemble, y réfléchir. Je sais qu'il s'agit là d'une préoccupation qu'a votre groupe depuis très longtemps. Cette préoccupation est partagée par le Gouvernement.

Enfin, toujours dans le même esprit, je dirai que, si le recours au travail temporaire et au contrat à durée déterminée est légitime dans un certain nombre de cas - surcroît occasionnel d'activités ou remplacement d'absents -, les entreprises ne peuvent y recourir de manière forte et permanente, pour 15 ou 20 % de leur effectif, en rejetant


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

ainsi le coût social et financier sur le reste de la collectivité. C'est pourquoi le Premier ministre a annoncé que, d'ici à la fin de l'année, le Parlement serait saisi d'une disposition visant à pénaliser de telles pratiques.

M. le président.

Veuillez conclure, madame la ministre !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Dans un pays où les entreprises demandent la liberté, il faut que celles-ci sachent que la contrepartie de la liberté, c'est la responsabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) On est responsable quand on décide des licenciements et quand on gagne de l'argent ; on doit donc en payer le prix. Il n'est en effet pas acceptable de demander toujours plus aux salariés et de ne pas les accompagner dans les moments les plus douloureux de leur vie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

MANIFESTATIONS LYCÉENNES

M. le président.

La parole est à M. Patrick Malavieille, pour une question très courte.

M. Patrick Malavieille.

Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

Madame la ministre, depuis la rentrée scolaire, un certain nombre de lycéens sont dans la rue, ainsi que cela a été rappelé. Ils manifestent leurs inquiétudes et sont en cela rejoints par les enseignants et les parents, qui appellent à l'action dans les tout prochains jours.

Il y a quelques mois, les lycéens s'étaient félicités, et nous avec eux, que des décisions et des engagements positifs soient pris avec le recrutement de personnels enseig nants et non enseignants, avec l'amélioration des emplois du temps, avec la démocratie dans les établissements et avec la construction d'installations sportives.

Il y a à l'évidence un fossé important entre les engagements pris et la réalité que vivent les jeunes dans les lycées.

Nous savons combien les jeunes sont attentifs au respect des engagements pris et à la parole donnée, et loin de la démagogie de nos collègues de droite sur ces questions. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Yves Nicolin.

Pas vous ! Pas ça !

M. Patrick Malavieille.

Aussi souhaitons-nous, madame la ministre, connaître les mesures rapides et immédiates que vous comptez prendre pour que vos décisions de 1998 soient perceptibles par les lycéens et que ceux-ci puissent travailler dans les meilleures conditions. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire, pour une réponse courte.

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

Monsieur le député, je vous rappellerai tout d'abord que toutes les promesses qui ont été faites par Claude Allègre ont été tenues. (Vives protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants).

M. Thierry Mariani.

C'est grotesque ! Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

D'ailleurs, les lycéens ne le contestent pas.

M. Bernard Accoyer.

Arrêtez ! Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

Première promesse : la baisse des effectifs, en particulier en classe terminale. L'objectif de trente-cinq élèves maximum a été annoncé. Il est atteint sauf dans certaines disciplines très pointues, dans des lycées professionnels, qui sont très demandées.

Deuxième engagement : la création d'emplois d'enseignant dans les disciplines déficitaires. C'est fait ! Création de 3 000 emplois de surveillant : c'est fait ! Mise à disposition des lycées de 10 000 aides éducateurs : c'est fait !

M. Bernard Accoyer.

On voit le résultat ! Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Pourquoi les lycéens sont-ils dans la rue ? Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

Création de 1 000 emplois d'assistant étranger : c'est fait ! Création de 800 postes d'infirmière et d'assistante sociale en deux ans pour le second degré : c'est fait ! Enfin, le prochain projet de loi de finances prévoit la création de 1 000 emplois administratifs et de services, qui aideront les lycées à fonctionner.

Troisièmement, les textes sur la démocratie lycéenne sont prêts.

Quatrièmement, les 4 milliards de francs de prêt à taux zéro promis aux régions sont délégués dans chacune d'elles. Mais il y a des conseils régionaux plus dynamiques que d'autres, et il faut se tourner vers eux pour savoir ce qui est fait de ce potentiel.

Cinquièmement, les heures de soutien individualisé pour les élèves sont mises en place dans les lycées et permettent un travail par petits groupes.

Sixièmement, la formation des enseignants se fait désormais en dehors des heures de classe.

Vous le voyez, monsieur le député, les engagements du Gouvernement ont été tenus.

M. Thierry Mariani.

Non, ils ne sont pas tenus ! Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

Le service public de l'éducation revient au premier rang des priorités gouvernementales et le prochain projet de loi de finances confirmera de nouveau cette priorité.

M. Lucien Degauchy.

C'est nul ! Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

Vous aurez donc, monsieur le député, avec votre groupe, l'occasion, comme je l'espère, de le voter.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

M. le président.

Nous en venons à une question du groupe Radical, Citoyen et Vert.

ADMINISTRATION DE LA JUSTICE À LA RÉUNION

M. le président.

La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello.

Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Madame la ministre, j'ai eu plusieurs fois l'occasion d'appeler votre attention sur les conditions dans lesquelles la justice est administrée à la Réunion et sur le trouble qui en résulte pour la population.

Deux faits nouveaux nous imposent de renouveler aujourd'hui la demande de création d'une enquête formulée il y a un an et demi.

Au mois de septembre, une délégation de la commission des lois de l'Assemblée nationale s'est rendue à la Réunion et a pu notamment visiter la prison, rue Juliette-Dodu, à Saint-Denis. La presse a rapporté la réaction unanime de la délégation, qui rejoint et renforce l'indignation de la population : honte pour la R épublique, prison humainement inacceptable, s'indignent les parlementaires ! L'un d'eux ajoute que les conditions de sécurité lui semblent d'une inconséquence rare. Il le dira avec plus de cruauté encore dans le rapport qu'il aura à rédiger.

Toujours au mois de septembre, une affaire remontant à 1994 rebondit : des révélations sont venues éclairer les circonstances dans lesquelles un travailleur avait, au cours d'une manifestation, reçu une grave blessure qui lui avait valu la perte d'un oeil. Un gendarme avait fait usage d'une arme prohibée dans les opérations de maintien de l'ordre.

Pendant quatre ans, le silence et le mensonge ont empêché la vérité d'éclater. Les gendarmes ont tous déclaré sous serment avoir fait l'objet de pressions. Le colonel de gendarmerie alors en poste à La Réunion vient de réaffirmer au juge d'instruction qu'il avait très rapidement appris la vérité et qu'il l'avait portée à la connaissance des plus hautes autorités administratives et judiciaires de l'île dès cette époque.

Quoi qu'il en soit de la question des responsabilités, vous comprendrez donc, madame la ministre, que ces événements graves qui s'ajoutent à une longue liste de dysfonctionnements et d'injustices rendent plus urgente encore la création d'une commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de la justice à La Réunion.

Vous comprendrez également que nous vous demandons solennellement de veiller à ce que, après cinq ans de manoeuvres, la procédure aille jusqu'au bout pour que la vérité éclate, quelles que soient les personnalités en cause.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Madame la députée, vous me posez deux questions.

La première porte sur la maison d'arrêt de Saint-Denisde-la-Réunion. C'est effectivement, l'une de nos maisons d'arrêt les plus surpeuplées. Il y a à La Réunion avec 1 128 détenus pour une capacité de 610 places.

Pour remédier à cette situation, nous avons déjà pris un certain nombre de mesures. Depuis 1997, nous avons consacré 13 millions de francs à la rénovation du centre de détention du Port pour désengorger la maison d'arrêt de Saint-Denis où nous avons réalisé des travaux de sécurité et construit un nouveau quartier des mineurs.

Mais il faudra construire une nouvelle maison d'arrêt à Saint-Denis-de-la-Réunion. J'ai demandé au préfet d'activer les recherches de réserves foncières. Nous allons pouvoir les constituer dès l'année prochaine. J'ai d'ailleurs envoyé cette semaine une mission de techniciens de l'administration pénitentiaire pour évaluer les possibilités en ce domaine.

Dans l'immédiat parce que, évidemment, la construction d'un nouvel établissement ne sera pas achevée avant quelques années, nous envisageons la construction de deux nouveaux bâtiments dans le centre de détention du Port, et la réhabilitation d'un quartier de la maison d'arrêt de Saint-Pierre. Nous allons ainsi créer quatre-vingtquinze places pour désengorger la maison d'arrêt de Saint-Denis. De plus, dans le budget 2000, nous prévoyons également de réhabiliter les parties les plus vétustes de cet établissement.

Votre deuxième question concerne cette affaire très grave d'un travailleur qui a perdu un oeil au cours d'une manifestation. Je voudrais rappeler devant l'Assemblée nationale que la justice a, depuis 1994, activement instruit cette affaire et qu'elle continue. Elle a ouvert une information qui a été confiée à un juge d'instruction indépendant quatre jours après les faits, ce qui est extrêmement rapide, même en cas de flagrant délit. Un an et demi après, lorsqu'une information anonyme a fait état de la possible implication d'un adjudant-chef de gendarmerie, le juge d'instruction a immédiatement procédé à de nouvelles investigations, notamment, en 1996, à l'audition du colonel Guillaume, qui était en poste à l'époque. Dès lors que des gendarmes locaux étaient susceptibles d'être mis en cause, l'enquête a été confiée à l'inspection générale de la gendarmerie nationale, qui est compétente sur le plan national.

Je rappelle enfin qu'il y a eu des mises en examen, celle, en avril 1998, de l'adjudant-chef soupçonné d'avoir blessé M. Hilarion, et celle, en juin 1999, d'un capitaine de gendarmerie. Les juges d'instruction continueront de mener leurs investigations et continueront de se prononcer en toute indépendance, y compris sur les demandes qu'ont formulées, début octobre, les parties civiles pour que soient auditionnées certaines personnalités en poste dans l'île au moment des faits.

La justice a procédé, je crois, avec méthode et avec diligence, comme elle doit le faire. Et elle continuera ainsi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq.)

M. le président.

La séance est reprise.

3 RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail (nos 1786 rectifié, 1826),...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

M. Richard Cazenave.

« Négociée » ?

M. le président.

..., appelé, dans notre jargon, projet de loi sur les 35 heures.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, monsieur le ministre délégué à la ville, madame la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, madame la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, faire que le temps de la vie soit un peu plus le temps de la liberté, c'est la première ambition du projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui.

Les hommes sont depuis toujours engagés dans une perpétuelle course contre le temps. Ce temps dont la conscience populaire affirme que « c'est de l'argent », tant il est précieux. Combien de fois disons-nous, jour après jour, que nous manquons de temps et nous courons après ce temps, pour nous mais aussi pour les autres. Mais nous souhaitons aussi que ce temps soit mieux maîtrisé, plus valorisé, qu'il nous permette d'être plus autonomes.

Les enjeux de la loi sont clairs : non seulement rechercher un meilleur équilibre quantitatif entre le temps de travail, le temps pour soi, le temps pour les autres, mais aussi améliorer la qualité de la vie de travail comme de la vie personnelle. Il nous faut donc - c'est la première chose - trouver une meilleure articulation entre le temps de travail et le temps hors travail.

La réduction du temps de travail a toujours été au coeur des grandes luttes sociales de notre pays pour l'amélioration des conditions de vie, pour la défense et le développement de l'emploi. Souvenons-nous ! Il faut toujours se souvenir de l'histoire, notamment dans les grands moments. C'est d'abord la première loi limitant la durée du travail des enfants en 1841, puis celles de 1906 et de 1919 accordant le repos hebdomadaire aux salariés et ramenant la durée de travail à 8 heures par jour et 48 heures par semaine. Vint enfin 1936, date importante pour beaucoup,...

M. Louis Mexandeau.

Bravo !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... la durée du travail est abaissée à 40 heures et la conquête du temps libéré commence avec les congés payés.

D epuis, le chemin parcouru est immense. Ces conquêtes se confondent avec les plus belles heures des luttes sociales de notre pays. Elles ont ouvert la voie à une société qui sait mieux concilier les temps sociaux et les temps de la vie personnelle. Et pourtant ce combat est loin d'être achevé dans notre pays comme partout ailleurs.

La conquête du temps libéré est un des enjeux majeurs du

XXIe siècle. Elle va sans doute changer notre rapport au travail, mais elle ne remet pas en cause la place du travail, qui reste intacte pour la société comme pour chacun des individus. Car le travail permet non seulement de gagner sa vie, mais aussi d'acquérir de l'autonomie et d'être reconnu pour son utilité sociale. C'est ce travail, que beaucoup attendent, qui permet aux plus démunis de sortir de l'assistance.

Mais le temps de travail doit également permettre à chacun de valoriser ses compétences, son expérience ainsi que ses capacités de mobilisation et d'imagination. D'où l'importance d'une organisation du travail moins stressante, plus qualifiante, plus valorisante, d'une réflexion sur la remise en cause de l'organisation taylorienne, sur le mode de fonctionnement de l'entreprise, d'une meilleure articulation entre le travail de l'homme et celui des machines. C'est aussi l'enjeu de cette loi et beaucoup d'accords nous ont montré que des progrès pouvaient être réalisés.

Le temps libéré grâce à la réduction du temps de travail c'est plus de temps pour les autres, sa famille, ses proches, plus de temps pour soi, plus de temps collectifs - les temps que nous sommes capables de consacrer ensemble à un meilleur fonctionnement de la société.

D'abord, bien sûr, plus de temps pour sa famille et ses proches. Chacun partage le constat de la difficulté à concilier aujourd'hui travail et vie familiale, travail et enfants. La réduction de la durée du travail constitue un levier formidable pour trouver dans la négociation dess olutions appropriées, notamment pour les femmes d iraient certains, mais heureusement aussi pour les hommes qui aspirent, eux aussi, à avoir une vie familiale.

Ce temps retrouvé, c'est la vie quotidienne améliorée.

C'est d'abord du temps pour soi, nous disent ceux qui sont déjà passés au 35 heures. C'est du temps pour faire du sport, pour bricoler, jardiner, du temps pour la culture, mais aussi - pourquoi pas ? - du temps pour flâner, pour réfléchir, tout simplement du temps pour vivre chaque jour. Et nous en avons tous besoin, moi la première ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Une demi-journée par semaine, une journée tous les quinze jours, des congés supplémentaires dans l'année - j'en rêve avec vous ! (Sourires), ce sont autant d'espaces de liberté supplémentaires conquis sur le temps ou à conquérir.

Plus de temps collectifs : la réduction du temps de travail est un formidable appel d'air pour encourager le bénévolat, l'engagement et, tout simplement, l'exercice de la citoyenneté. C'est du temps pour aider les plus démunis, les personnes âgées, les handicapés. C'est du temps pour accompagner les enfants et les jeunes dans leurs activités sportives et culturelles. Et c'est aussi du temps pour s'investir dans une association, un syndicat ou pourquoi pas, mesdames, messieurs les députés ? - dans un parti politique.

Un député du groupe du Rassemblement pour la République.

Ben voyons !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Eh oui ! C'est ça la démocratie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

La réduction du temps de travail, c'est enfin un puissant levier pour créer du lien social, de la fraternité, de la convivialité dans une société qui en manque parfois cruellement.

M. Jacques Myard.

On recherche toujours ce qu'on n'a pas, madame la ministre !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Et je crois que nous sommes nombreux à souffrir de ce manque de douceur de la société.

M. Bernard Roman.

La douceur, les membres de l'opposition ne savent pas ce que c'est !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

De la chaleur, de la douceur, voilà ce qui nous manque ! (Riress ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

M. Bernard Accoyer.

Ce n'est pas l'avis du président, madame la ministre !

M. Thierry Mariani.

Et la tendresse !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Enfin, je les trouve quand même quelque part sur ces bancs !

M. le président.

C'est mon avis aussi. D'ailleurs, je vais soumettre cette proposition au vote ! (Sourires.)

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ce chantier de l'organisation des temps, que nous avons ouvert avec la réduction de la durée du travail, est immense et, évidemment, il ne sera pas épuisé avec ce projet de loi. Nous devons engager une réflexion sur l'ensemble de l'organisation de notre société afin d'harmoniser les temps sociaux : l'organisation des horaires des bureaux, des services, des entreprises, celle des transports, le développement des modes de garde, la démocratisation de l'accès à la culture et aux loisirs. C'est un grand chantier que cette deuxième loi ouvre.

Mais dans la situation de chômage de nos pays, le processus historique de réduction de la durée du travail, que nous consacrons prioritairement à l'emploi, doit aujourd'hui être accéléré. Le Premier ministre, Lionel Jospin, a fixé une priorité : l'emploi. Il l'a rappelé publiquement le 27 septembre dernier : « Le combat contre le chômage est pour nous l'objectif qui ordonne tout le reste. » Et tous

ceux qui reconnaissent cette priorité le savent, contre le chômage nous devons utiliser toutes les armes disponibles - nous le faisons depuis deux ans : la confiance, la consommation, la croissance, l'aide aux créateurs d'entreprise, le soutien aux nouvelles technologies, les emplois-jeunes et bien sûr la réduction de la durée du travail. Si certains contestent la forme de cette réduction, il existe aujourd'hui dans notre pays un large accord sur sa nécessité.

La politique volontariste du Gouvernement dans ce domaine commence d'ailleurs à porter ses fruits. Des dizaines de milliers d'emplois ont été créés ou sauvegardés à la suite de ces négociations.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Thierry Mariani.

C'est un échec !

M. Bernard Accoyer.

Une escroquerie !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

La seconde loi que nous discutons aujourd'hui vise à généraliser ce mouvement pour accentuer l'effet sur l'emploi.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Thierry Mariani.

On le voit !

M. Bernard Roman.

On va comparer nos bilans !

M. le président.

Je vous suggère de garder un peu d'énergie pour la suite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Accoyer.

Ne vous faites pas de souci !

M. Thierry Mariani.

On est bien reposés !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mais nous savons bien que la réduction de la durée du travail n'est pas facile à mettre en oeuvre - je l'ai dit à plusieurs reprises - car elle touche à la fois à la vie quotidienne des salariés, à l'organisation du travail et à l'organisation de la société. C'est pourquoi si la loi doit fixer le cap, seule la négociation permet de mettre en oeuvre les conditions du succès. Un tel mouvement est rarement spontané, notamment dans notre pays. Nous pouvons le regretter mais c'est ainsi et, comme il est nécessaire, cela justifie le volontarisme du Gouvernement dans ce domaine...

M. Thierry Mariani.

L'autoritarisme !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... et le choix effectué d'engager le processus général de passage à 35 heures par la loi. Mais, là encore, nous savons que la loi ne peut pas tout. Il n'est guère de transformation sociale véritable - nous venons de voir à quel point la réduction de la durée du travail engage une profonde évolution dans notre pays - qui se fasse sans reposer sur une mise en mouvement profonde de la société. La réduction du temps de travail, pour réussir, doit s'appuyer sur l'implication des salariés et des chefs d'entreprise. Elle repose sur la confiance dans la négociation.

M. Alfred Recours.

Très juste !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Cette confiance était déjà inscrite dans la loi du 13 juin et nous n'avons pas à le regretter ! La négociation a été exceptionnelle tant par son ampleur que par sa qualité. Aujourd'hui, 84 % des chefs d'entreprise et 85 % des salariés qui sont passés aux 35 heures se déclarent satisfaits de l'accord qu'ils ont signé.

M. Thierry Mariani.

Que vous ne respectez pas !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ces chiffres sont sans appel.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jacques Myard.

Alors pourquoi faire une loi ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ils vous gênent peut-être, mais ils sont sans appel ! Ils démontrent combien la réduction du temps de travail dans notre pays a eu des conséquences positives pour les uns comme pour les autres. Ainsi, 81 % des chefs d'entreprise jugent que la réduction de la durée du travail a eu un impact positif sur le fonctionnement de leur entreprise et sur le climat social (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), 65 % jugent qu'elle a eu un impact positif sur l'organisation du travail et 64 % qu'elle a eu un impact positif sur l'image de leur entreprise.

M. Bernard Accoyer.

64 % de 5 % !

M. Jacques Myard.

Pourquoi la CGT est-elle dans la rue ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

De plus, 81 % des salariés passés à 35 heures déclarent que l'accord signé correspond à ce qu'ils souhaitaient, 86 % considèrent avoir gagné, pour leur vie familiale et personnelle, à la mise en place de la réduction de la durée du travail.

M. Bernard Accoyer.

C'est une présentation complètement fallacieuse !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ces chefs d'entreprise ou ces salariés se déclarent satisfaits.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

J'entends néanmoins, et je comprends, les inquiétudes de ceux qui n'ont pas encore franchi le pas, car il n'est pas facile de passer à la réduction de la durée du travail. D'ailleurs, s'il était facile de créer des emplois dans ce pays, cela se saurait depuis longtemps et nous n'en serions sans doute pas là aujourd'hui ! (Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alfred Recours.

Absolument !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est parce que nous entendons ces inquiétudes que le Gouvernement est ouvert aux propositions qui amélioreront la loi. Cette attitude est normale dans une démocratie,...

Mme Odette Grzegrzulka.

Cela change !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... mais elle nécessite aussi - je me permets de vous le dire étant donné ce que j'entends - que l'on dépasse les slogans et les anathèmes.

M. Jacques Myard.

Ah bon ? C'est une autocritique !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Nous avons fixé un cap et nous nous y tiendrons.

Pour l'instant, je préfère donc m'en tenir au message d'espoir et de responsabilités qui nous a été adressé par les quelque 50 000 représentants syndicaux, chefs d'entreprise qui ont négocié ce passage aux 35 heures et qui ont conclu 16 000 accords de réduction du temps de travail dans notre pays.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Bernard Accoyer.

Pourquoi annulez-vous les accords de branche ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Plus d'une entreprise sur deux a déjà négocié ; 2,2 millions de salariés sont couverts par un accord d'entreprise, 8 millions par les accords de branche.

M. Thierry Mariani.

Vous vous en moquez de ces accords !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ainsi, aujourd'hui 27 % des salariés des entreprises de plus de vingt salariés sont aux 35 heures ou vont y passer en application d'un accord déjà signé.

M. Alfred Recours.

Eh oui !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est considérable ! Qui aurait parié sur un tel bilan, il y a seulement un an ? (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Ce bilan est bon quantitativement,...

M. Bernard Accoyer.

Cela a été fait sous la contrainte !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... mais il est bon aussi par la qualité de ses résultats. La négociation a permis des avancées essentielles dans trois domaines, et tout d'abord une meilleure articulation entre le temps de travail et les autres temps de la vie. Bien souvent - je le dis parce que c'est ainsi - ce sont les femmes qui ont porté dans la négociation ce souci de la vie quotidienne...

Mme Françoise de Panafieu.

Le but de la loi, c'est la création d'emplois !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... et qui ont fait entrer la vie hors travail et leurs souhaits dans l'entreprise.

Le temps libre c'est plus de liberté, mais il est vite rempli et, là aussi, les sondages nous éclairent : 69 % des salariés passés à 35 heures consacrent une partie de leur temps libre à leur famille et à leurs proches ; 40 % à bricoler ou à jardiner (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

Cela vous ennuie ? Vous êtes contre le bricolage et le jardinage ?

M. Bernard Roman.

L'opposition est une caricature de la droite réactionnaire !

Mme Odette Grzegrzulka.

Ils ont décollé de la réalité !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ils sont 40 % à pratiquer une activité sociale, culturelle ou sportive et 35 % à se reposer.

M. Jacques Myard.

Cela fait plus de 100 % !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Dans la négociation, le rythme de vie des salariés, leurs obligations familiales, la prise en charge des enfants, parfois même la pression du temps de transport n'ont plus été des sujets tabous. Et je le dis clairement, mesdames, messieurs les députés, je crois que c'est la première fois que des préoccupations des salariés hors de l'entreprise sont rentrées dans une négociation et ont été prises en compte dans un accord.

M. Bernard Roman.

Tout à fait !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Le temps de transport, la vie familiale, les heures de sortie liées aux horaires des crèches ou des écoles, c'est une novation dans la négociation sociale et nous pouvons nous en réjouir.

M. Jacques Myard.

Bricolage ! Jardinage ! Jardinage, bricolage !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Cette intervention n'est pas du niveau du débat qui nous occupe !

M. Yves Durand.

Voilà le niveau de la droite ! Plusieurs députés du groupe socialiste.

Zéro !

M. le président.

Chers collègues, vous n'êtes pas obligés de faire en sorte que le débat ressemble à la caricature qu'on en attend ! Un petit peu de silence donc et que chacun maîtrise son expression ! Madame la ministre, vous avez la parole.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Merci, monsieur le président. Et si M. le député n'aime ni bricoler ni jardiner, il pourra au moins chanter car il nous a montré combien il avait du talent ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Cette évolution intervient à un moment où la société elle-même change et où les individus n'expriment plus les mêmes aspirations que dans le passé.

L a réduction du temps de travail favorise et accompagne l'évolution de la société en faveur d'une réelle égalité entre les hommes et les femmes, notamment en faveur d'une répartition nouvelle des tâches au sein de la famille et du couple. D'ailleurs - écoutez bien cela,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

parce que c'est intéressant (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) - d'après un sondage, si 66 % des femmes déclarent qu'elles vont utiliser leur temps libre à s'occuper de leur famille et de leurs enfants, 71 % des hommes font de même. Sans doute ceux-ci veulent-ils rattraper leur retard, et nous en sommes absolument ravis.

M. Jacques Myard.

Parlons de l'AGED !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est dont cette réalité sociale qui est entrée au coeur des négociations.

M. Thierry Mariani.

Et les emplois ?

M. Bernard Accoyer.

Venons-en à la création d'emplois !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

La négociation, deuxième domaine majeur, a aussi défini des souplesses et des garanties pour les salariés...

M. Bernard Accoyer.

Et les créations d'emplois ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je constate que les garanties pour les salariés ne vous intéressent pas. C'est dommage ! La négociation a aussi défini des souplesses et des garanties pour les salariés comme pour les chefs d'entrep rise. Les uns et les autres ont appris à mieux comprendre leurs contraintes respectives et à trouver ensemble des solutions. Ainsi, la mise en place de la modulation a dû être justifiée par le chef d'entreprise.

Elle est devenue mieux maîtrisée, mieux cadrée qu'aupa-r avant. Les plafonds fixés n'excèdent pas quarantedeux heures - sauf dans 9 % des cas. Des calendriers prévisionnels sont établis ainsi que des délais de prévenance.

Ce sont autant de garanties nouvelles pour les salariés.

De la même manière, des garanties sont apportées aux cadres et aux salariés à temps partiel. Je rappelle que, pendant des années, la législation n'avait pas traité de la durée du travail des cadres. La jurisprudence avait fait évoluer les choses tout en créant une réelle insécurité juri dique, et pour les entreprises, et pour les salariés.

M. Jean Ueberschlag.

Vous les maltraitez !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Venons-en aux accords. Il y a un an, monsieur le député, vous nous disiez que, pour les cadres, ce n'était pas possible.

M. Yves Rome.

Eh oui !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Il y a un an, vous vous montriez sceptique concernant la possibilité, en France, de réduire la durée du travail des cadres. Or, aujourd'hui, 80 % des accords traitent de la réduction de la durée du travail des cadres et la loi peut s'en inspirer.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.- Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Thierry Mariani.

Vous ne les respectez pas, les accords !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Si vous le permettez, je répondrai plus tard. Il n'est pas nécessaire de reprendre ici, tout de suite, les arguments de M. Seillière, qui ne sont d'ailleurs pas obligatoirement les mieux fondés concernant notre texte.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Protestation sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Concernant le temps partiel, là encore la négociation a été féconde et a créé de nouvelles garanties dans de nombreux cas. Mais il faut encore avancer. Beaucoup d'accords donnent à cette occasion le choix de passer à un horaire plus élevé, voire à 35 heures, introduisant ainsi un véritable temps choisi.

Enfin, et surtout, la réduction du temps de travail crée des emplois, beaucoup d'emplois.

M. Thierry Mariani.

Prouvez-le !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Avant, on le disait. Enfin, nous, nous le disions...

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

En effet !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Maintenant, on le sait, mesdames et messieurs les députés !

M. Bernard Accoyer.

Personne n'y croit !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Les engagements de création ou de maintien des emplois atteignent aujourd'hui 125 000.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Vous auriez peut-être été contents de réduire le nombre des chômeurs de 130 000, comme nous l'avons fait l'année dernière ? (Protestations sur les mêmes bancs Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mais vous ne l'avez pas fait ! Vous auriez peut-être été contents que la création d'emplois permise par les 35 heures atteigne aujourd'hui le niveau de la réduction du chômage de l'année dernière, année exceptionnelle ?

M. Michel Hunault.

Merci la croissance !

Mme Odette Grzegrzulka.

Ils sont jaloux !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Eh bien ! il en est ainsi, même si, aujourd'hui, cela ne vous plaît pas !

M. Jacques Myard.

La France est le pays d'Europe qui, ces deux dernières années, a créé le moins d'emplois !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Bien évidemment ! Ce qui explique que les organisations internationales viennent de saluer la France qui, en 2000 et 2001, sera le pays dont le taux de croissance sera le plus élevé ? C'est sans doute parce que vous avez raison, monsieur le député...

M. Jean Ueberschlag.

En tout cas, ce n'est pas grâce à vous !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Et encore moins grâce à vous, si je puis me permettre ! Ces chiffres démentent les pronostics les plus pessimistes.

Mme Françoise de Panafieu.

La France est un pays à haut risque social !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

On nous a dit que ces emplois auraient été créés de toute façon. Nous savons aujourd'hui que ce n'est pas vrai.

Nous avons fait une enquête qui permet de comparer les entreprises d'un même secteur d'activité et de même situation financière. Il apparaît très clairement que, sur ces 125 000 emplois, 15 000 seulement auraient été créés en tout état de cause.

L'effet net sur l'emploi des 35 heures est aujourd'hui de 110 000.

Créer 100 000 emplois par an grâce à la réduction de la durée du travail, nous savons désormais que c'est possible.

M. Jacques Myard.

J'affirme donc je suis !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Et face aux sceptiques, à ceux qui pensent que ce n'est jamais possible, à ceux qui pensent que ça ne marchera jamais, il est temps d'opposer les faits ; j'espère que nous le ferons au cours de ce débat.

Mesdames et messieurs les députés, c'est à partir de cette réalité, de ces négociations, que nous avons bâti le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui.

Au moment d'en tracer devant vous les contours, je voudrais remercier chaleureusement Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) pour le travail considérable qu'il a accompli avec sa commission et pour son engagement personnel en faveur des 35 heures.

Je voudrais saluer tout particulièrement Gaëtan Gorce (Applaudissements sur les mêmes bancs) pour sa contribution personnelle à l'élaboration de ce projet de loi,...

M. Bernard Accoyer.

Il est vrai qu'il a été d'une souplesse exemplaire !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... pour l'énergie qu'il y a investie, en publiant deux rapports...

M. Jean-Pierre Baeumler.

Oui, d'excellents rapports !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... qui ont permis d'avancer dans la connaissance de ce qui se passe sur le terrain et en assurant un suivi sans relâche de l'évolution des discussions dans les entreprises. La qualité de ce texte lui doit beaucoup ; je suis convaincue qu'à l'issue du vote, elle lui devra plus encore.

Que soient également remerciés Yves Rome et Gérard Terrier pour leur implication dans l'élaboration de ce texte (Applaudissement sur les mêmes bancs) et, plus généralement, l'ensemble des parlementaires qui y ont ou qui vont y contribuer.

Ce texte s'inspire largement des négociations. J'entends dire que nous n'aurions pas respecté les accords, alors que ce sont eux-mêmes qui l'ont nourri.

Les accords de branche, d'abord, dès lors qu'ils respectaient l'esprit de la loi - c'est-à-dire la quasi-totalité d'entre eux - ont eux-mêmes été respectés. Seules les dispositions qui vidaient la loi de son contenu - par exemple, celles visant à sortir les cadres de toute législation sociale ou à recourir au travail du dimanche hors des cas prévus - ont été exclues au moment de l'extension de ces accords ou le seront lorsque nous reprendrons dans la loi certains d'entre eux.

Les accords d'entreprise, ensuite, sont validés, comme nous nous y étions engagés.

Sur ce sujet, comme sur d'autres, je tiens toutes les informations à la disposition des parlementaires. Parlons des faits et évitons les slogans, nous y avons intérêt.

Nous avons fait en sorte que cette loi s'appuie largement sur le résultat des négociations. Mais nous avons aussi fait un choix clair et très important, qui est de conserver les conditions vertueuses qui ont assuré le succès de la première étape.

Quelles sont ces conditions ? Il faut tout d'abord laisser toute sa place à la négociation. Nous avons fixé un mode d'emploi qui permet l'implication maximale des salariés et des chefs d'entreprise.

Nous pouvons leur faire confiance : ils nous ont montré leur maturité dans la négociation qui a eu lieu. C'est de la négociation qu'émergent des solutions équilibrées et adaptées à la réalité de chaque entreprise. C'est ainsi que nous sommes parvenus à des milliers d'accords « sur mesure » et c'est ainsi qu'il faut continuer.

Il faut aussi, pour pouvoir généraliser les 35 heures, laisser du temps à la négociation. Il est vrai que ce n'est pas facile. La réduction du temps de travail doit intégrer l'aspiration des salariés au temps libre, la nouvelle répartition des tâches, une meilleure utilisation des équipements, les demandes des clients. Un accord a besoin de temps pour être élaboré et signé : le premier bilan nous montre qu'il faut environ six à neuf mois.

La période d'adaptation est à ce titre fondamentale.

Elle évitera des décisions unilatérales, qui risqueraient de remettre en cause l'équilibre des intérêts entre les salariés et les entreprises.

Pour réussir, ce mouvement doit également toucher toutes les catégories de salariés.

La réduction du temps de travail doit rassembler les salariés, puisque tous souhaitent aujourd'hui de meilleures conditions de travail et un surcroît de temps libre.

Mais elle va plus loin. Elle crée des solidarités nouvelles entre les actifs et les chômeurs ; elle permet aux salariés de notre pays de vivre la solidarité très concrètement dans les décisions qu'ils prennent pour réduire la durée du travail et pour créer de l'emploi.

Enfin, la meilleure garantie de l'adhésion des salariés, c'est de prendre en compte leurs souhaits. Cela a d'ailleurs été fait, puisque dans 90 % des cas les salariés ont été consultés, sous une forme ou sous une autre - directement, par une assemblée générale, ou indirectement, dans les ateliers, dans les bureaux - sur le contenu de la loi. Et c'est bien normal, puisque l'on touche là à des éléments de leur vie personnelle. Il faut donc continuer à faire en sorte qu'ils puissent faire entendre leur voix.

Par ailleurs, l'allégement des charges sera conditionné à un accord signé par un ou des syndicats majoritaires ou à l'adhésion d'une majorité des salariés recueillie par une consultation. C'est l'assurance d'une contrepartie réelle en matière d'emploi des baisses de charges sociales. Mais cela ne remet pas en cause la représentativité des syndicats, qui ont toujours le pouvoir d'engager les salariés par leur signature.

Je crois comprendre qu'aujourd'hui la majorité des syndicats en France souhaite travailler sur ce problème de la représentativité. C'est à eux de le faire, mais ce n'est pas l'objet de ce projet de loi, qui ne traite que le problème de la contrepartie, en matière d'emplois, à l'allégement des charges sociales - ce qui rejoint le débat que nous avons eu tout à l'heure sur les aides publiques et leurs contreparties.

M. Thierry Mariani.

Et l'article 11 ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Une autre condition majeure est que la réduction du temps de travail puisse être financée pour créer le plus grand nombre d'emplois.

A cet égard, le bilan est plus qu'encourageant. En effet, les salariés et les chefs d'entreprise se sont placés spontanément dans les conditions optimales que les instituts de recherche et d'études macro-économiques nous avaient indiquées l'année dernière, c'est-à-dire : des gains de productivité de l'ordre de 3 % à 3,5 % ; une modération salariale de 2 % à 2,5 % répartie sur plusieurs années et des aides d'Etat. Je précise que, dans 100 % des cas, les salariés payés au SMIC gardent bien évidemment leur salaire et, même que, dans 85 % des cas, il en est de même des autres salariés.

M. Thierry Mariani.

Et dans 15 % des cas, leur salaire baisse !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ces conditions réunies permettent effectivement le meilleur

« effet emploi ». Il n'est donc pas étonnant qu'aujourd'hui plus de 125 000 emplois aient déjà été créés ou sauvegardés.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Mais s'appuyer sur la négociation ne doit pas nous faire oublier la nécessité de trouver un bon équilibre entre le rôle dévolu à la loi et la place laissée à la négociat ion.

C'est également l'objectif poursuivi par ce texte.

La négociation a toute sa place, mais la loi doit jouer son rôle, définir un cadre et une méthode pour le passage aux 35 heures, les durées légales et maximales, les limites et les contreparties pour les salariés aux souplesses demandées par les entreprises. Et c'est bien l'objet de ce projet de loi.

Celui-ci ouvre de nouveaux espaces de négociation. Par exemple, l'accord pourra prévoir de payer en argent ou en temps la taxation des heures supplémentaires, ou encore de mettre en place - avec des contreparties, cette fois-ci de nouvelles formes de travail à temps partiel choisi.

Mais, et c'est tout à fait naturel, la loi doit fixer les garanties. Il en est ainsi pour la modulation.

Nous avons simplifié et unifié le système de modulation tout en apportant des contreparties impératives pour les salariés : délais de prévenance, définition des périodes de modulation dans l'accord, afin d'éviter la précarisation liée à la modulation. Je me réjouis d'ailleurs de constater que, dans les accords signés, 9 % seulement des entreprises concernées par la modulation maintiennent une durée du travail supérieure à 42 heures sur plus de dix semaines dans l'année. Cela nous change des modulations antérieures à la loi sur les 35 heures.

M. Gérard Bapt.

C'est vrai !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

De même, la loi veut favoriser le temps partiel choisi.

Ce n'est pas un sujet facile. Le temps partiel est aujourd'hui considéré par beaucoup de nos concitoyens qui le vivent comme une forme de travail subie et précaire. Mais il y a aussi une autre réalité, celle de ceux qui veulent travailler à temps partiel pour mieux accorder leur vie professionnelle et leur vie personnelle.

Il est difficile pour le législateur de définir les bonnes conditions. C'est pourquoi ce projet encadre plus efficacement le temps partiel en renforçant les droits des salariés, en encadrant mieux les heures supplémentaires, en permettant aux salariés, et c'est aussi une novation, de refuser une modification de la répartition des horaires, notamment pour des raisons familiales.

La seconde loi doit enfin permettre de dégager des solutions originales et pragmatiques aux problèmes qui n'étaient pas traités dans le code du travail avant la première loi, et cela depuis longtemps.

J'ai parlé des cadres, tout à l'heure. La négociation a ouvert la voie à une solution, je l'espère, au problème de la durée du travail des cadres.

La plupart des accords ont distingué trois catégories de cadres que nous retrouvons dans le texte : les cadres qui suivent un horaire collectif - ils sont entre 55 % et 60 % -, qui seront soumis au droit commun ; les cadres dirigeants, dont l'horaire ne peut être ni prédéterminé ni décompté, et qui ne seront pas soumis aux dispositions sur la durée du travail ; enfin et surtout, une troisième catégorie dont les responsabilités et le type de travail ne permettent pas toujours de décompter le temps de travail.

Ceux-ci ne doivent pas rester à l'écart du mouvement de réduction de la durée du travail. Nous devons penser pour eux à de nouvelles formes de réduction. C'est ce qui a été fait dans certains accords, par exemple, en octroyant des jours de congés complémentaires. La loi fixe à cet égard un plafond de 217 jours travaillés dans l'année.

C'est une avancée sociale majeure pour les cadres.

Deuxième grand domaine dans lequel nous devons continuer à avancer : la formation. Celle-ci ne devra pas souffrir de la diminution de la durée de présence dans l'entreprise. Moins de temps de travail ne doit pas signifier moins d'opportunités de formation pour les salariés.

Le projet prévoit d'accorder aux salariés de nouvelles possibilités de développement des compétences. Il ne s'agit toutefois que d'un premier volet d'une ambition beaucoup plus large, dont le point d'orgue sera le projet de loi actuellement préparé par Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Cette réforme visera à établir un droit à la formation tout au long de la vie.

Cette seconde loi prend aussi en compte la spécificité des petites et moyennes entreprises. Outre les délais supplémentaires, elle propose d'insérer dans le code du travail la formule de réduction du temps de travail en jours sur le mois, qui a été largement utilisée. Elle favorise les groupements d'employeurs et des modalités spécifiques de négociation pour les petites structures.

D'une manière générale, la seconde loi peut être l'occasion, pour le secteur de l'artisanat et du commerce, de modifier son image vis-à-vis des jeunes en réduisant la durée du travail et en leur offrant des conditions de travail plus attractives qu'aujourd'hui. C'est d'ailleurs ce que nous a rappelé Jean Delmas, le président de l'Union professionnelle artisanale. Lui qui représente aujourd'hui le commerce et l'artisanat dans notre pays a considéré que cette seconde loi allait dans le bon sens.

(Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Bernard Accoyer.

Il est bien seul !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Il est bien seul, mais il représente plus d'un million d'entreprises, ce qui n'est pas négligeable ! Nous savons tous combien le commerce et l'artisanat créent d'emplois aujourd'hui ; ils créent du lien social et font partie des secteurs auxquels les Français sont particulièrement attachés.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Concernant les salaires, le Gouvernement respecte ses engagements. Les salariés payés au SMIC garderont évidemment leur rémunération, et leur pouvoir d'achat continuera de progresser.

Les salariés payés au SMIC dont la durée du travail sera réduite, à temps plein ou à temps partiel, auront la garantie du maintien de leur salaire antérieur grâce à la mise en place d'un complément différentiel, qui évoluera non seulement comme les prix, mais aussi comme la moitié du salaire moyen des salariés.

L eur rémunération sera maintenue, leur pouvoir d'achat aussi.

Je tiens à dire très simplement les choses : il n'y a pas deux SMIC. Il n'y en a qu'un seul. C'est le SMIC horaire actuel, qui continuera de s'appliquer.

Le principe « à travail égal, salaire égal » sera pleinement respecté...

M. Yves Cochet.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... et même précisé dans le code du travail pour les salariés nouvellement embauchés, à temps plein ou à temps partiel, ayant réduit leur temps de travail.

Enfin, la généralisation des 35 heures va de pair avec un système d'allégement structurel des cotisations sociales patronales, qui doit permettre d'assurer non seulement un financement équilibré du dispositif de réduction de la durée du travail, mais aussi une réduction du coût du travail dans notre pays.

Il s'agit aussi d'un nouveau mode de financement de la protection sociale, sur lequel nous reviendrons dans le projet de loi sur le financement de la sécurité sociale : pour la première fois dans notre pays, les cotisations patronales ne seront pas uniquement assises sur les salaires, mais également sur les profits et les activités polluantes. C'est une novation tout à fait essentielle, qui complète ce que nous avons fait en basculant les cotisations salariées vers la CSG, il y a deux ans ; je crois que nous n'avons pas à nous plaindre de cette réforme.

Cette réduction des charges, je voudrais le souligner, va bien au-delà de la compensation du coût de la réduction de la durée du travail pour les bas salaires. Ainsi, par exemple, à 1,3 SMIC, elle permet une baisse du coût du travail de l'ordre de 5 %.

Ce système entraînera par lui-même un effet favorable sur l'emploi. Il ne constitue pas, comme le faisait la ristourne dégressive, une « trappe à bas salaires » tirant les salaires vers le bas. Il n'est pas financé par les ménages et il favorise clairement les entreprise de main-d'oeuvre, les petites entreprises, le commerce, l'artisanat et les services.

Nous le savons aujourd'hui, ce sont eux qui créent principalement les emplois dans notre pays.

M. Gérard Hamel.

Ce sont aussi eux qui sont dans la rue !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, les éléments majeurs du projet de loi qui vous est présenté.

Quelques mots pour conclure.

La première loi a permis d'impulser un mouvement sans précédent dans notre pays.

M. Thierry Mariani.

C'est un échec !

M. Marcel Rogemont.

120 000 emplois !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Le texte qui vous est soumis tire les conséquences de ce mouvement. Il fixe les règles générales, apporte des souplesses et des garanties nouvelles et laisse une plus grande place à la négociation.

Je le répète devant vous, cette loi n'est faite ni pour plaire ni pour déplaire à tel ou tel, mais pour réussir.

M. Thierry Mariani.

Elle échouera !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ce n'est pas une loi contre les entreprises. C'est une loi qui doit leur permettre de mieux fonctionner. Et si les entreprises fonctionnent mieux, si elles sont plus compétitives, ce sera pour demain plus de richesses et plus d'emplois, perspective dont nous nous réjouissons ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

C'est une loi qui doit améliorer les conditions de travail et les conditions de vie de nos concitoyens. Nous devons être extrêmement attachés à cet aspect des conséquences des 35 heures.

C'est surtout, dans le contexte actuel, une loi pour l'emploi. Ce n'est pas facile de faire les 35 heures, je l'ai dit, mais chacun sait qu'il n'est pas facile non plus de réduire le chômage. Pourtant, c'est l'attente majeure de nos concitoyens.

Ce texte, je le comprends, suscite des inquiétudes et des critiques.

M. Marcel Rogemont.

De l'espoir aussi !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Le débat nous permettra d'en parler. Je ne doute pas, d'ailleurs, que ce débat sera de qualité...

M. Jean Ueberschlag.

Cela dépend en partie de vous, madame la ministre.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... car les Français ne comprendraient pas qu'il ne le soit pas, vu leur attachement de plus en plus grand à cette réforme.

Cette loi, j'y insiste, peut être améliorée et enrichie.

Nous le ferons ensemble, j'en suis convaincue. En tout cas, nous le ferons avec tous ceux pour qui l'engagement politique est fondé sur la recherche du progrès social et de la solidarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Odette Grzegrzulka.

Nous sommes là !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous êtes là, en effet, et heureusement ! Réussir les 35 heures, c'est bien sûr redonner de l'espoir à tous ceux qui n'ont pas d'emploi.

M. Marcel Rogemont.

Exactement ! C'est surtout d'eux qu'il faut parler.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Nous en avons rencontré beaucoup - et vous aussi, sans doute, dans vos circonscriptions - qui sont déjà rentrés dans l'entreprise grâce aux 35 heures.

M. Thierry Mariani.

Quelle démagogie !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Si c'est de la démagogie de lutter contre le chômage, nous ne partageons pas les mêmes valeurs, c'est clair ! Réussir les 35 heures, c'est donc redonner de l'espoir aux chômeurs, disons les choses telles qu'elles sont. Mais c'est aussi construire une société où chacun vive mieux et


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

où nous vivions mieux ensemble. Tel est le sens de mon engagement politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur de nombreux bancs du groupe communiste.)

(Mme Nicole Catala remplace M. Laurent Fabius au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme NICOLE CATALA

vice-présidente

Mme la présidente.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, on dit parfois que nécessité fait loi. Face à la montée du chômage, ce seul argument pourrait suffire à justifier la mise en chantier d'une réforme visant à réduire le temps de travail à 35 heures. Le chômage, depuis le début des années 70, a augmenté de près d'un million de personnes en moyenne chaque décennie. De 1993 à 1997, les chômeurs de longue durée ont dépassé le million et le nombre total de chômeurs a augmenté de plus de 100 000 par an.

Ce processus, destructeur pour notre société, s'est interrompu depuis deux ans, puisque 750 000 emplois ont été créés et que le chômage a reculé de 350 000 personnes. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Patrice Martin-Lalande.

Vous n'y êtes pour rien !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Chacun, messieurs, devrait se réjouir de ce recul !

M. Thierry Mariani et M. Richard Cazenave.

C'est moins que chez nos voisins !

M. Bernard Accoyer.

Pourquoi faisons-nous moins bien que les autres ?

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

La reprise de la croissance, complétée par la mise en place des emplois-jeunes et par les premiers effets de la réduction du temps de travail, est à l'origine de ce résultat.

M. Bernard Accoyer.

Vous n'y croyez pas vous-même !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Je souhaiterais, mes chers collègues, que la sérénité avec laquelle nous abordons ce débat puisse être partagée.

De tous les pays de l'Union, le nôtre est celui qui dispose des plus forts taux de croissance et de création d'emplois. Cependant, même poursuivie à ce rythme, la croissance restera sans doute insuffisante pour faire reculer le chômage de masse accumulé au cours des dernières années. L'objectif de la réduction du temps de travail, celui dont il ne faut jamais s'éloigner dans ce débat, est de faire reculer le chômage et d'enrichir la croissance en emplois stables.

Au-delà de ce premier enjeu, la réforme qui nous est proposée est d'autant plus fondée qu'elle a également pour objet de dire et de stabiliser le droit dans un domaine où, à force de dérogations, c'est le respect du principe qui faisait exception. Bousculé par le développement des services, par les nouvelles formes d'organisation du travail, par les aspirations diverses des salariés, le temps de travail est aujourd'hui en miettes. Le bloc des salariés à horaire collectif fixe, heureusement majoritaire, s'érode progressivement devant la montée des horaires individualisés, atypiques ou modulés sans que le droit n'en fixe clairement ni les règles ni les limites.

M. Bernard Accoyer.

On voit qu'il connaît bien l'entreprise. Quel spécialiste !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

A un temps de travail en miettes correspond trop souvent un droit du temps de travail en friche, accumulation de dispositions disparates, conçues souvent en fonction des besoins du moment, sous la pression, d'abord, des exigences économiques, et faisant peu de place aux attentes des salariés.

Le meilleur - ou le pire - exemple nous en est fourni par les trois types de modulations sédimentés de loi Séguin en loi Balladur. A tel point que certains observateurs ont pu justement considérer que, s'agissant du droit de la durée du travail, coexistaient une surréglementation, parfois issue de la loi, et une dérégulation sur le terrain faute de dispositions permettant de distinguer clairement les principes intangibles et les différents niveaux auxquels pouvaient être négociées les dérogations.

La loi dont nous allons débattre peut être l'occasion de bâtir un nouveau droit du temps de travail, prenant en compte les contraintes des entreprises, soucieux des aspirations des salariés et orienté vers l'objectif de l'emploi.

Pour s'engager dans ce débat, notre assemblée dispose désormais de points d'appui solides.

D'abord, nous ne pouvons plus aujourd'hui aborder ce sujet comme si rien ne s'était passé au cours des dix-huit derniers mois.

M. Thierry Mariani.

Un échec !

M. Marcel Rogemont.

Si 120 000 emplois, c'est un échec...

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Nous disposons désormais du formidable matériau que constituent la centaine d'accords de branche et les milliers d'accords d'entreprise qui ont été signés.

M. Thierry Mariani.

Que vous méprisez !

M. Bernard Accoyer.

Sur lesquels vous vous asseyez !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Au cours des mois écoulés s'est en effet engagé un mouvement sans précédent de relance de la négociation collective, qui témoigne - et il faut leur rendre hommage - de la très forte et très courageuse implication de la plupart des partenaires sociaux en faveur de la réduction du temps de travail. Le projet qui nous est présenté s'inspire d'ailleurs très largement du résultat de ces négociations dont nous avons, nous aussi, à tenir compte.

M. Thierry Mariani.

Alors, il fallait respecter les accords !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Ensuite, nous pouvons mesurer concrètement l'impact de la réduction du temps de travail sur l'emploi.

M. Thierry Mariani.

Il est faible !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Que l'on triture les résultats obtenus comme l'on veut...

M. Bernard Accoyer.

« Triturer », c'est le mot juste !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur ... et d'abord pour les critiquer, il reste que les 35 heures ont permis de créer ou de préserver plus de 120 000 emplois, le plus souvent des emplois stables sous forme de contrat à durée indéterminée et sans perte de salaire.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

M. Marcel Rogemont.

Il faut le répéter !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Notre assemblée peut s'appuyer sur cette leçon du terrain pour aborder la discussion dans des conditions plus précises et plus claires, me semble-t-il, que voici dix-huit mois.

Enfin, nous avons pu préparer ce débat très en amont, en particulier dans le cadre de notre commission des affaires sociales. A l'initiative de son président, Jean Le Garrec, la commission a en effet eu l'occasion, tout au long des mois écoulés, d'auditionner les représentants des g randes organisations syndicales et professionnelles, d'effectuer des visites sur le terrain dans plus d'une dizaine d'entreprises et de consulter de très nombreux experts, juristes, sociologues ou économistes. C'est dire que, si les délais dont nous disposons pour débattre peuvent paraître un peu courts, nos débats ont été largement préparés au cours des derniers mois. Aussi pourrons-nous très vite nous concentrer sur l'essentiel.

J'observe d'ailleurs que, dans notre commission, peu de voix se sont élevées pour contester l'efficacité de la réduction du temps de travail pour créer de l'emploi. Sans doute l'opposition a-t-elle paru divisée.

M. Bernard Accoyer.

Ce n'est pas vrai ! Nous ne contestons pas le principe !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Nous avons eu le sentiment qu'il y avait ceux qui y croyaient et ceux qui n'y croyaient pas, mais que la frontière entre les uns et les autres pouvait parfois se déplacer plus à droite que dans les limites de l'actuelle majorité.

Le débat a donc porté moins sur les résultats possibles et attendus que sur la méthode. C'est d'ailleurs une vraie question que celle de la place respective de la loi et de la négociation dans notre système de relations sociales, en particulier s'agissant de la réduction du temps de travail.

Mais plutôt que de s'engager dans une discussion de principe, ne vaut-il pas mieux s'en tenir à une règle simple : lorsqu'une méthode a échoué, il faut savoir en changer !

M. Bernard Accoyer.

Précisément !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Sauf, naturellement, à introduire le doute sur la sincérité de ses intentions ou la force de sa volonté.

Comment ne pas rappeler qu'au cours des vingt dernières années, toutes les tentatives de promouvoir la réduction du temps de travail à l'échelon de la négociation interprofessionnelle ont été bloquées : 1979, 1982, 1984, 1989, et plus encore 1995 ? A tel point que la majorité d'alors, après bien des hésitations, a décidé de recourir à un dispositif d'incitation par la loi pour tenter de doper une négociation bien longue à s'engager.

Pour utile qu'elle était, cette nouvelle législation, faute de butoir, n'a pas non plus permis d'engager un processus d'ensemble, confortant par son échec tous les diagnostics réalisés à la demande de toutes les majorités par tous les rapports qui ont été présentés : rapport Brunhes, rapport Mattéoli, rapport Minc, rapport Boisonnat,...

M. Philippe Briand.

Des rapports, toujours des rapports !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

... tous concluaient à la nécessité pour la loi de fixer à la négociation une échéance afin de surmonter les rigidités qui bloquent obstinément le compteur de la réduction du temps de travail depuis le début des années 80.

La loi du 13 juin 1998 et le projet de loi qui nous est soumis tiennent compte tout naturellement des conséquences de ces deux décennies, en proposant une formule inédite permettant de faire alterner les interventions de la loi avec celles de la négociation. A la loi votée en 1998 de donner l'impulsion, aux négociateurs d'apporter les solutions innovantes. A la loi, aujourd'hui, de fixer le cadre de leur généralisation ; à la négociation, demain, d'en assurer la bonne adaptation à la réalité du terrain et des entreprises.

Finalement, on pourrait presque dire que ce qui sépare la loi de Robien des deux lois Aubry, c'est ce qui distingue sans doute une velléité d'une volonté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Thierry Mariani.

C'est du bricolage sémantique !

M. Bernard Accoyer.

Avant le jardinage !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Refuser ce processus, c'est au fond renoncer, toutes choses égales par ailleurs, à réduire effectivement le temps de travail. C'est peut-être aussi prêter le flanc à une interrogation légitime. Cette impuissance à mettre en oeuvre, au cours des années passées, une réduction collective et négociée du temps de travail ne cache-t-elle pas au fond une préférence pour une réduction individualisée, plus subie que voulue, en somme le développement du temps partiel, instrument de précarité et de flexibilité s'il en est ?

M. Yves Rome.

Tout à fait !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

De 1990 à 1997, le nombre de salariés à temps partiel a augmenté de près de 40 %.

M. Bernard Accoyer.

C'est Mme Aubry qui avait encouragé le temps partiel !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Le nombre de salariés déclarant supporter le travail à temps partiel de manière subie a augmenté dans le même temps de 75 %. La très faible baisse du temps de travail effectif enregistrée au cours des vingt dernières années est due exclusivement au temps partiel. La France est sans doute le pays où le temps partiel est à la fois le plus aidé et le plus subi.

M. Thierry Mariani.

Qui est au gouvernement ?

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

C'est d'ailleurs la raison qui a conduit votre commission à souhaiter aligner sur le régime de la réduction collective du temps de travail le régime des aides applicables au temps partiel, en proposant de supprimer pour les nouveaux contrats l'abattement spécifique, et à encourager un encadrement conventionnel qui, en matière de temps partiel, fait aujourd'hui cruellement défaut.

M. Gérard Bapt.

Très bien !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Au terme de ces discussions, la commission a adopté le projet qui vous est soumis avec la double préoccupation de l'enrichir et de préserver son équilibre.

D'abord, en définissant mieux la notion de temps de travail effectif. Notre assemblée avait déjà eu l'occasion, en 1998, de préciser cette notion qui constitue en quelque sorte le mètre-étalon de la réduction du temps de travail. Un amendement, adopté par l'ensemble de la majorité, tend à préciser que, sous réserve de répondre au critère fixé par le premier alinéa de l'article L.

212-4 du code du travail, les temps de pause, de restauration, d'habillage et de déshabillage ne pourront être remis en cause à l'occasion de la négociation sur le temps de travail. De la même façon, la commission a entendu réserver


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les aides publiques accordées dans le cadre des plans sociaux aux seules entreprises ayant réellement réduit leur temps de travail à 35 heures.

M. Bernard Accoyer.

Gesticulation médiatique !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Le même souci d'offrir aux négociateurs un cadre clair et stabilisé...

M. Philippe Auberger.

Clair, c'est beaucoup dire ! Voir les heures supplémentaires !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

... a également conduit la commission à mieux définir le régime des astreintes et à limiter le recours aux équivalences.

M. Bernard Accoyer.

Quelle clarté ! Rien que des marchandages en commission !

Mme la présidente.

Du calme, monsieur Accoyer !

M. Bernard Accoyer.

Je suis bien obligé de le rappeler.

Mme la présidente.

Non, vous n'êtes pas obligé d'interrompre. Seul M. Gorce a la parole.

M. Bernard Accoyer.

Le rapporteur ne rapporte pas les faits tels qu'ils se sont produits en commission !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Monsieur Accoyer, vous aurez l'occasion de les préciser ultérieurement. Connaissant votre faconde, je ne doute pas que vous le ferez.

Mme la présidente.

Poursuivez, monsieur le rapporteur.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

La commission a par ailleurs souhaité mieux encadrer les modulations du temps de travail en exigeant, par exemple, que soient précisés les motifs économiques et sociaux qui peuvent justifier qu'on y recoure, et ce sur une proposition commune de l'ensemble des groupes de la majorité.

La commission a en outre souhaité abaisser la durée maximale de travail sur douze semaines de 46 à 42 heures, sachant naturellement la difficulté d'harmoniser la baisse des maxima conçus pour assurer la protection de la santé des salariés avec un objectif plus général de réduction du temps de travail. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

Le régime des heures supplémentaires a également été précisé par la proposition du groupe communiste d'abaisser de 47 à 43 heures le seuil de déclenchement de la majoration de 50 %. La commission a également été sensible à la préoccupation du Gouvernement de garantir aux cadres une réduction effective de leur temps de travail, en mettant en place, dans des cas fixés par la négociation, des règles spécifiques. La mise en place des 35 heures a servi de révélateur au malaise profond que connaît cette catégorie de salariés, désormais exposée réellement au risque du chômage, mal récompensée de ses efforts au regard des gratifications que se consentent les personnels dirigeants, vivant de l'intérieur la contradiction entre les règles proclamées du management participatif et la réalité d'une gestion beaucoup plus unilatérale des stratégies de développement comme de personnel.

Le souci de la commission a d'abord été de limiter strictement la catégorie des cadres dirigeants auxquels ne s'appliquent que les règles relatives aux congés payés. Un amendement présenté par toute la majorité y a pourvu.

Notre souci a été ensuite de rappeler que les cadres relèvent naturellement du droit commun et d'indiquer que seul un accord pouvait déterminer les catégories de cadres susceptibles de relever de régimes de forfaits, en particulier les forfaits jours. En rappelant que les 217 jours sont un plafond, la commission a laissé une large place à la négociation ; en s'appuyant sur un meilleur encadrement conventionnel de ce régime, elle a voulu apporter aux cadres les garanties supplémentaires nécessaires, grâce à une meilleure définition et à un plus grand contrôle de leur charge de travail.

Quant au temps partiel, il a été au centre de notre réflexion. Le projet, dans sa rédaction initiale, comporte déjà de nombreuses avancées : encadrement conventionnel ; délai de prévenance ; protection de la vie familiale ; facilitation des activités multisalariales, et surtout suppression du temps partiel annualisé, introduit en 1993 par la loi quinquennale et qui s'était traduit par une formidable dégradation des conditions de travail des salariés travaillant quasiment au sifflet. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Bernard Accoyer.

J'en connais un autre qui travaille au sifflet !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

C'est à croire, messieurs, que vous ne rencontrez jamais, dans vos permanences, des salariés qui viennent vous expliquer la réalité de leurs conditions de travail à temps partiel.

M. Philippe Briand.

Dans nos entreprises, oui, on en rencontre des salariés ! Et tous les jours !

M. Jean-Pierre Brard.

Exploiteur !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

La commission a eu le souci de prolonger cet effort législatif en cherchant à privilégier le temps choisi. Un amendement dû à notre collègue Catherine Génisson organise ainsi concrètement les conditions d'exercice du droit des salariés à passer du temps partiel au temps plein et vice-versa. Parallèlement, la question de la rémunération des heures complémentaires a trouvé sa solution dans le principe de la majoration des heures effectuées au-delà d'un quota de 10 %.

M. Thierry Mariani.

Et on crée un impôt de plus !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

La réduction du temps de travail pose aussi très clairement la question des temps de formation. Il convient en effet d'éviter à la fois que la réduction du temps de travail se fasse au détriment du temps de formation et que celui-ci soit systématiquement imputé sur le temps libre. A cet égard, la négociation d'entreprise a en quelque sorte devancé la négociation interprofessionnelle à laquelle revient le soin, depuis l'accord de 1991, de déterminer les conditions du coinvestissement. L'amendement adopté par la commission s'efforce de sécuriser les résultats des accords signés dans les limites d'une négociation à venir sur la formation professionnelle. A cet égard, nous devons insister sur la nécessité de mettre en place le plus rapidement possible la réforme de la formation professionnelle autour des principes définis il y a quelques semaines par Mme Péry.

M. Jean Ueberschlag.

On peut toujours rêver ! Depuis le temps que vous nous la promettez !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Enfin, la commission a été attentive aux conditions de mise en oeuvre de la réduction du temps de travail.

Tout d'abord en adoptant une série de dispositions visant à encourager les PME à anticiper sur la date du 1er janvier 2002. Si votre commission est suivie, ce dont je ne doute pas, ces entreprises pourront bénéficier du nouvel allègement de cotisations et des aides incitatives à la condition qu'elles s'engagent dans un processus de réduction réelle et vérifiée du temps de travail sur les deux ans qui viennent.


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Parallèlement, en portant une attention vigilante aux conditions de consultation des salariés. La condition d'un a ccord majoritaire pour l'obtention des allègements constitue la clef de voûte de ce projet de loi. Cette disposition, qui garantit aux salariés qu'ils auront bien leur mot à dire, conditionne l'équilibre de la négociation et celui des accords. La commission a cependant souhaité indiquer, d'une part, que la consultation ne devrait pouvoir être engagée qu'avec l'accord des organisations syndicales et, d'autre part, qu'elle devrait pouvoir être effectuée dès avant et non pas nécessairement après la signature de l'accord.

D'autres points ont retenu l'attention de la commission : je fais allusion en particulier à la question du SMIC. Je me bornerai à rappeler à ce propos ce qu'a indiqué Mme la ministre, à savoir qu'aucun salarié qui verra son temps de travail réduit n'y perdra et que son pouvoir d'achat sera garanti à son niveau et dans sa progression.

M. Thierry Mariani.

Et les heures supplémentaires ?

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Enfin, à l'initiative notamment des Verts, un amendement a été adopté qui vise à prolonger le processus de réduction du temps de travail vers les 32 heures.

M. Thierry Mariani.

Seulement ?

M. Bernard Accoyer.

Pourquoi s'arrêter là ?

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Comme vous l'aurez observé, la commission a adopté de nombreux amendements, plus d'une soixantaine, issus de tous les groupes de la majorité, le plus souvent à l'unanimité de celle-ci. Il semble que l'opposition ait préféré se réserver pour le débat en séance plénière. Le texte a ainsi pu être enrichi tout en en préservant les équilibres, en particulier s'agissant de l'article 2 relatif aux heures supplémentaires et à la période d'adaptation.

A cet égard, si tous les députés de la majorité se sont retrouvés autour de l'objectif de création d'emplois, des points de vue différents ont parfois pu être exprimés sur la manière d'y parvenir. Il existe, en effet, deux solutions : soit lier le bénéfice des allègements à une condition précise et quantifiée de créations d'emplois, avec le risque de ne pas tenir compte de la diversité de la situation des entreprises ; soit la conditionner à un accord de réduction du temps de travail approuvé par la majorité des salariés, ce qui semble être la garantie que la question de l'emploi sera bien au coeur de la négociation et de l'accord. C'est cette dernière option qui nous est apparue la plus satisfaisante et qui continue de nous apparaître comme la meilleure pour prendre en compte à la fois la réalité du terrain et l'objectif de création d'emplois.

N'est-ce pas au fond la force entraînante de notre projet que de s'appuyer sur la relance de la négociation collective dans toutes les entreprises ? Cette loi n'est rien d'autre qu'une loi de modernisation économique et sociale : modernisation économique, puisqu'elle permet de négocier sur tous les aspects de l'organisation de l'entreprise ; modernisation sociale, puisqu'elle fait passer le souffle de la discussion et du dialogue dans l'ensemble des entreprises françaises.

Cette évolution, qu'il s'agit de pousser, permettra peutêtre de régler l'éternel dilemme évoqué au début de ce débat : quelle place doit être faite à la loi et à la négociation. L'une ne s'oppose à l'autre que pour autant que, dans l'entreprise, le salarié ne peut s'appuyer sur les instances de représentation et de négociation susceptibles de lui apporter les garanties qu'autrement il réclame au législateur. La formule de l'accord majoritaire qui vous est proposée constitue, de ce point de vue, la préfiguration intéressante d'une réflexion qui reste à conduire sur le long terme.

Mes chers collègues, depuis plus d'un siècle, notre histoire a été jalonnée de grandes réformes sociales. La République a toujours su trouver en son sein des hommes, des femmes et des majorités pour rappeler que le temps de travail et le droit du travail ne s'arrêtaient pas à la porte des ateliers et des bureaux et que le progrès d'une nation dépendait aussi de sa cohésion.

De Waldeck-Rousseau adoptant le droit syndical à Clemenceau et la journée de 8 heures, de Léon Blum à la semaine de 40 heures, à Pierre Mauroy et François Mitterrand avec la cinquième semaine de congés payés et les 39 heures. ...

M. Jean-Claude Lemoine.

On a vu le résultat !

M. Thierry Mariani.

Ce n'est pas une référence, Mitterrand ! Parlez-nous donc des nationalisations et de la retraite à soixante ans ! M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

... jusqu'aux 35 heures aujourd'hui, c'est le même fil qui court, reliant différentes périodes par une même idée de la société.

M. Bernard Accoyer.

On connaît le résultat !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Sans doute, les termes du débat se sont-ils déplacés. Il ne s'agit plus d'arracher par la loi pour les salariés le droit élémentaire à la santé ou à la dignité, encore que, parfois, on puisse craindre que ces acquis ne le soient jamais définitivement. Et même si le président du MEDEF, replongeant dans son passé, peut retrouver parfois les accents du Comité des forges, ...

M. Philippe Auberger.

Oh là là !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

... il se trouve et il se trouvera, encore aujourd'hui, des groupes ou des intérêts pour exprimer leur profonde hostilité à toute réforme.

Mais, au fond, l'hostilité qu'ils expriment nous est utile puisqu'elle nous permet de mesurer l'ampleur de la transformation proposée. Eux, ne parlent que de risques, jamais de potentialités.

M. Thierry Mariani.

Ringardes !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Modernes, pas modernes les 35 heures ? Depuis des années, les entreprises exigent de plus en plus de leurs salariés en termes de formation, d'évolution des compétences, d'implication, de disponibilité. Jusqu'aux années 60, cette exigence trouvait sa contrepartie dans la stabilité des horaires et la sécurité de l'emploi. Depuis deux décennies, les termes de ce contrat sont rompus.

On ne peut demander aux salariés de s'adapter toujours plus aux nouvelles formes de travail et de la concurrence sans jamais leur ouvrir de perspectives, sans jamais donner une garantie pour l'avenir. C'est ce débat que la loi des 35 heures nous permet d'ouvrir. Elle incite chaque chef d'entreprise, chaque représentant syndical, chaque salarié à l'engager dans son entreprise.

Penser que l'avenir de l'entreprise passe uniquement par la flexibilité, la précarité et jamais par la négociation et le consensus social, c'est s'en tenir à une vision de l'entreprise héritée du siècle passé. J'ai cru entendre prononcer l'adjectif « ringard ». Ce qualificatif me semble aller comme un gant à ceux qui défendent de pareilles conceptions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)


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La performance de l'entreprise ne se juge plus seulement sur la production dans un temps donné, elle intègre désormais d'autres éléments liés à la compétence, à la réactivité, à la responsabilité des salariés. L'obtenir ne se décrète pas. C'est tout le sens de la négociation sur la réduction du temps de travail qui, bâtie pour l'emploi, n'est pas non plus bâtie contre les entreprises.

Ce grand débat sur la réduction du temps de travail, revenu aujourd'hui dans notre assemblée par la volonté politique d'une majorité, celle issue des élections de 1997, d oit être mis au service d'une grande ambition : construire une société du plein-emploi, faire reculer le chômage de masse, bâtir un droit qui prenne en compte les contraintes des entreprises et les aspirations des salariés. C'est tout le contraire d'une vision manichéenne, tout le contraire d'une approche caricaturale de notre économie et de notre société, tout le contraire de ce qui, malheureusement, nous est parfois donné à entendre lorque le débat se déplace de cet hémicycle pour avoir lieu sur des tréteaux occupés par ceux qui, manifestement, n'ont pas l'habitude de les fréquenter. (Protestationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Bernard Accoyer.

Que voulez-vous dire exactement ?

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

C'est la démarche dans laquelle nous sommes engagés. Je ne doute pas que, au terme de ces quinze jours de débat, nous y soyons parvenus par la coopération de l'ensemble des groupes ici présents.

Je suis persuadé que, à l'issue de nos discussions, nous aurons fait progresser et le droit du travail et l'emploi.

C'est en tout cas le voeu que je forme avec l'ensemble des groupes de la majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

La parole est à M. le président de l a commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Madame la présidente, mesdames les ministres ce pluriel est bien agréable ! (Sourires) - monsieur le ministre je ne vous en oublie pas pour autant, monsieur Bartolone ! (Sourires) -...

M. Marcel Rogemont.

Il est là pour le quota ! (Sourires.)

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

... chers collègues, je souhaite aborder ce débat difficile et important avec beaucoup de sérénité. Il est vrai, et j'en suis très fier, que nous pouvons nous appuyer sur le travail considérable de la commission. S'agissant tant du nombre des auditions auxquelles elle a procédé que des deux remarquables rapports intermédiaires rédigés par M. Gaëtan Gorce, elle a accompli un travail sans précédent. Cela nous permet d'avoir une vision contrastée et précise du débat que nous allons engager. Bien entendu, des oppositions se sont manifestées. Mais cela ne me choque pas dans la mesure où il y a aussi une capacité d'écoute.

Madame la ministre, nous abordons donc cette discussion avec une grande volonté, celle que vous venez d'exprimer très clairement et que nous ne pouvons que soutenir.

Je tiens tout d'abord à saluer avec beaucoup de respect ce qui vient d'être fait par 16 000 chefs d'entreprise et 50 000 salariés. Les 16 000 accords conclus, après négociation, avec beaucoup d'intelligence et dans l'intérêt de l'entreprise et des salariés, constituent un événement sans précédent. Nous sommes bien loin du tohu-bohu qui a c aractérisé certaines réunions publiques. L'événement important, c'est bien ces accords signés au cas par cas.

M. Marcel Rogemont.

Exactement !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Je souhaite qu'il s'agisse là de l'amorce d'une démarche qui va changer profondément la vie économique et sociale dans notre pays. Voilà le point de départ de notre débat. Tout le reste n'est qu'accessoire.

Bien sûr, je voudrais aussi remercier M. Gaëtan Gorce pour la qualité de son travail, ainsi que tous ceux qui participent au petit groupe de travail permanent, Yves R ome, Gérard Terrier, Catherine Génisson. Bien entendu, je n'oublie pas la jeune équipe d'administrateurs qui nous a apporté compétence et dévouement.

M. Maxime Gremetz.

Il faut parler de toute la commission !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Monsieur Gremetz, j'aurai dans quelques instants l'occasion de m'adresser à vous, ce que, du reste, je fais toujours avec plaisir (Sourires.)

N'ayez crainte, je n'oublie personne de la majorité plurielle. Mais il est normal que je commence par citer l'équipe qui a travaillé avec le rapporteur.

Monsieur le rapporteur a évoqué tous les apports qui ont enrichi le texte, souvent d'ailleurs à la suite d'amendements votés par l'ensemble des groupes de la majorité plurielle et sur des questions non secondaires, monsieur Gremetz. Je pense notamment à la durée effective du temps de travail ou du temps partiel. Je suis sûr que vous ne manquerez pas de rappeler dans vos interventions ces points importants sur lesquels nous sommes parvenus à un accord.

Ce rappel ayant donc été effectué par M. Gaëtan Gorce, j'aborderai, quant à moi, les quatre points suivants : l'exception française, le dialogue social, l'entreprise et l'emploi.

L'exception française, tout d'abord. C'est un argument que l'on nous oppose souvent. La France serait en la matière isolée, nous dit-on. Mais je ne suis pas sûr que cela soit aussi vrai que certains veulent bien le dire. J'observe ainsi qu'en Italie ou en Allemagne une grande attention est portée à ce que nous faisons. La pression énorme du chômage pèse en effet sur toute l'Europe et il est normal que nos voisins regardent ce qui se passe chez nous.

M. Jacques Godfrain.

La pression est plus ou moins forte selon les pays !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Toutefois, s'il est bien une exception française - et elle est regrettable - c'est celle qui veut que rien ne peut bouger dans ce pays par la démarche contractuelle sans que la loi en donne le signal et l'encadre.

M. Georges Sarre et M. Yves Rome.

Très bien !

M. Bernard Accoyer.

Ça, c'est le socialisme !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

On retrouve cette constante dans toute l'histoire sociale de la France, que je connais quelque peu.

Je prendrai deux exemples, qui ont d'ailleurs été mentionnés par M. Gaëtan Gorce. D'abord, celui de l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 que j'avais salué. Il liait lutte contre le chômage et réduction du temps de travail. Mais il n'a donné aucun résultat, pas même le début du commencement d'un mouvement, rien.


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Mon second exemple a trait à une loi que j'apprécie. Je l'ai d'ailleurs beaucoup soutenue dans ma région, n'hésitant pas à faire financer des expertises, je veux parler de la loi de Robien. Cette loi importante, arrachée un peu difficilement à une majorité hésitante en juin 1996, ne concernait, au bout de deux ans d'application, que 300 000 salariés, et encore j'arrondis au chiffre supérieur ! Voilà pourquoi nous avons été conduits à proposer une loi d'incitation à la négociation qui, en dix-huit mois à peine, a concerné dix fois plus de salariés en deux fois moins de temps. Ce résultat n'est pas contestable : il est déjà inscrit dans la réalité sociale de notre pays.

Personnellement, je pense que cette exception française devrait évoluer. Pour cela, il importe que nous ayons le souci de réaffirmer, de reconstruire un dialogue social beaucoup trop faible.

J'en arrive ainsi au deuxième point que je souhaitais aborder. Il faut progressivement faire évoluer le dialogue social par l'incitation et la négociation. C'est toute la démarche de ce texte. Certains prétendent qu'il est dirigiste. Non, il donne le la. Il prévoit un abattement fort sur les calculs des cotisations patronales tout en évitant et Dieu sait que l'on en a discuté ! - la trappe à bas salaires avec une seule contrepartie : l'obligation de négocier. Et nous avons eu le souci, dans l'article 11, de renforcer les points sur lesquels la négociation doit porter.

Bien entendu, ce texte concerne aussi sur les rémunérations, l'emploi, la lutte contre la précarité, l'égalité profes sionnelle que nous inscrivons enfin dans un texte juridique relatif à l'emploi. C'est la méthode la plus solide pour construire l'avenir, consolider l'entreprise, renforcer le rôle de l'action syndicale et pour s'adapter à des situations extrêmement évolutives.

M. Bernard Accoyer.

Heureusement que les entreprises se consolident autrement !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Il est vrai, monsieur Cochet, monsieur Gremetz, que nous avons un débat dans le cadre de la majorité plurielle.

M. Bernard Accoyer.

Ils n'ont pas l'air enthousiaste !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Ils écoutent. En effet, au sein de la majorité plurielle, nous nous parlons et nous nous écoutons !

M. Jean-Pierre Brard.

C'est mieux qu'au RPR !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Il ne me choque pas que, face à la baisse des cotisations patronales, on veuille garantir l'emploi. Mais je considère que la pire des méthodes consisterait à essayer de quantifier cette approche par la loi. Cela reviendrait à ne pas tenir compte de l'évolution progressive.

Mesdames, messieurs, s'il nous faut renforcer l'article 11 sur la nature de la contractualisation, discutons-en. S'il nous faut renforcer les contrôles d'utilisation des fonds publics, discutons-en. J'ai moi-même fait remarquer à plusieurs reprises à propos du FNE que les grandes entreprises qui y avaient eu recours doivent 2,7 milliards à l'Etat. C'est dans le rapport de la Cour des comptes. S'il nous faut revoir les différents dispositifs, faisons-le. Mais borner cette démarche que nous voulons extrêmement progressive ne permettra pas d'atteindre l'objectif que nous visons. Il s'agit en fait de retenir les leçons de la grande philosophe Hannah Arendt. Les contradictions sont chose naturelle - c'est la fameuse dialectique des contradictions -...

M. Bernard Outin.

Eh oui !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

... et c'est par le mouvement social que nous les dépasserons.

M. Jacques Godfrain.

Dans les manifestations !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Les enfermer dans un texte juridique, fût-il de qualité, ne résoudra rien. Le débat est important et doit être posé dans son ensemble. Nous allons l'ouvrir à partir des travaux de la commission mais nous tiendrons compte de la suite de la discussion.

M. Jean-Pierre Brard.

M. Le Garrec est un grand philosophe ! (Sourires.)

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Non, simplement quelqu'un qui s'est intéressé de très près à l'histoire du mouvement ouvrier et du mouvement social.

Ce qui, au demeurant, est la moindre des choses quand on préside la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Pierre Brard.

Ce n'est pas contradictoire !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Certes !

M. Jean-Pierre Brard.

Il faut se rappeler toujours les grands ancêtres !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

J'en arrive à mon troisième point : l'évolution de l'entreprise.

En 1975, il y a eu un grand débat sur le rôle futur de l'entreprise auquel, comme bien d'autres, j'ai participé. Je me souviens de toutes les théories développées alors sur l'enrichissement des tâches. On voulait une entreprise pluriactive s'adaptant à l'évolution rapide des mutations technologiques et de la demande. Malheureusement, ce débat a été complètement étouffé sous le poids de la crise économique et du chômage. Tout ce qui avait été envisagé dans tel ou tel colloque, dans telle ou telle intervention syndicale, dans tel ou tel article a été brutalement freiné. Eh bien, aujourd'hui ce débat reprend toute son importance.

Nous sommes dans l'obligation de remettre en cause la conception de l'emploi comme seule variable d'ajustement des entreprises. Il faut dénoncer le discours schizophrénique du patronat qui ne pense qu'à mettre au chômage ou dans des situations de précarité les femmes et les hommes de plus de cinquante-cinq ans - et demain, sans doute, de plus de cinquante ans - tout en réclamant parallèlement l'allongement de la durée du travail pour financer les retraites.

M. Philippe Vuilque.

Tout à fait !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Les deux types de discours sont en effet tenus dans le même mouvement !

M. Philippe Vuilque.

Eh oui !

M. Bernard Accoyer.

Si certains discours sont schizophréniques, d'autres sont complètement paranoïaques !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Il est donc indispensable de passer d'une conception encore défendue par une partie du MEDEF selon laquelle l'emploi est la seule variable d'ajustement, à une autre conception où l'emploi apparaît comme un facteur dynamique, d'intelligence, de compétence et d'expérience.

Cette mutation est en cours. A cet égard, si j'étais animateur du MEDEF - mais cela ne risque pas de m'arriver ! (Sourires) - je considérerais que ce qui se passe chez les cadres est révélateur de cette évolution.

Mme Catherine Picard et M. Yves Rome.

Très bien !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

La conception de l'entreprise change. Elle ne correspond plus du tout à celle de certains patrons. Or comment


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c onstruire une économie combative, volontaire et gagnante sans mobiliser les cadres ? Si quelqu'un pense le contraire, je veux bien en discuter quand il le voudra.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Brard.

Le Garrec au MEDEF ! Avec une particule ! (Sourires.)

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Le dernier sondage concernant les cadres est fondamental.

Quatrième et dernière remarque, contrairement à l'idée qui semble largement partagée dans notre société, on ne peut durablement s'installer dans le chômage. Cela peut être mortel, sauf à suivre les Etats-Unis qui créent des emplois pauvres pour les pauvres, conception que nous récusons, tout au moins je le pense.

Un député du groupe socialiste.

Oh oui !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Si l'on veut s'attaquer durablement au chômage, il faut savoir que pour avoir un chômeur de moins, il faut créer deux emplois. Je ne crois pas à la vision malthusienne d'une diminution de la population à la recherche d'un emploi.

A ce sujet, M. Juppé a exprimé un point de vue intéressant dont nous avions déjà débattu au sein de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, mais dont je comprends qu'il puisse mettre en difficulté une grande partie de l'actuelle opposition.

M. Yves Rome.

C'est vrai !

M. Bernard Accoyer.

Merci !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

En effet, il met ainsi en cause des positions défendues par beaucoup pendant des années. Mais c'est un autre débat ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Un chômeur en moins, deux emplois créés. Pour arriver à résoudre cette équation, il nous faut non seulement la croissance, bien évidemment...

M. Yves Rome.

C'est sûr !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

... il nous faut non seulement les emplois-jeunes, les créations d'entreprises - M. Gérard Terrier y travaille -, le développement des nouvelles technologies, mais il nous faut également épouser le mouvement historique depuis l'origine de notre société industrielle et économique que constitue l'abaissement de la durée du travail lié à l'évolution des techniques et aux mutations de l'entreprise.

Nous rattrapons d'ailleurs le retard pris ces dernières années.

Telle est la cohérence de votre action, madame la ministre, action que nous soutenons.

Dans cette cohérence, la lutte contre l'exclusion n'est pas un des moindres enjeux.

Rien en effet ne serait pire que d'amorcer cette démarche vers le plein emploi en laissant de côté 900 000 ou 1 million de femmes ou d'hommes en difficulté.

Nous nous battons sur un projet complet, un plan d'ensemble, dont la réduction du temps de travail est un des éléments forts.

J'ai horreur de la démagogie.

M. François Vannson.

Vous vous en accommodez bien !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Parler de société, ce n'est pas être démagogue, monsieur ! Mais nous ne sommes pas dans un vide sidéral, nous sommes en contact avec la société.

Quand un syndicaliste CGT de l'imprimerie Gesquière, près de Lille - vous la connaissez, madame la ministre - me dit, après un accord de 35 heures et l'embauche de trois chômeurs de longue durée : « Tout compte fait, on apprend à travailler autrement », je considère que nous parlons bien à la société.

Quand un chômeur de longue durée, qui venait d'être embauché, dit sur une grande radio, voilà deux jours, que le débat sur les 35 heures, la lutte contre le chômage, c'est dans nos têtes, car notre société, sans oser le dire, s'accommode assez bien d'un chômage persistant, je trouve que c'est un vrai débat.

Quand l'atelier d'écriture de Tourcoing fabrique un livre, crée des emplois et tourne un film, c'est la société que nous représentons dans cet hémicycle.

Quand je vais voir Rosetta au cinéma - que vous verrez sans doute si ce n'est pas encore fait - qui se bat comme un petit taureau, ...

M. Georges Sarre.

Elle est mieux que cela !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

... farouchement, pour ne pas tomber dans le trou, je prends un coup sur la figure. C'est aussi cela la société, madame la ministre, et vous la connaissez.

Madame la ministre, avec sérénité, avec conviction, nous avons la volonté politique d'être près de vous, de vous soutenir. Nous discuterons, nous serons peut-être parfois en désaccord avec vous, mais nous irons jusqu'au bout de ce débat car c'est un enjeu fondamental pour l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente.

J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie libérale et Indépendants une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Dominique Dord.

M. Dominique Dord.

Madame la ministre, ce qui m'épate le plus chez vous, si vous me permettez cette familiarité, ce n'est pas tant votre refus obstiné, au fond assez sympathique, de passer à une vision du monde en technicolor, ce n'est pas tant de vous en tenir à cette vision, qui confine parfois au romantisme, à l'angélisme, d'un monde du travail simplifié où tout est noir ou blanc, non, ce qui me surprend le plus, c'est l'aplomb superbe, imperturbable, efficace sans doute...

M. Bernard Accoyer.

Sidérant !

M. Jean-Pierre Brard.

Ça vous impressionne !

M. Dominique Dord.

... avec lequel vous êtes capable d'asséner doctement tant de contrevérités. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République.)

Je me pose la question de savoir qui vous cherchez à tromper.

Est-ce votre opposition ? Ce serait nous faire trop d'honneur.

M. Maxime Gremetz.

Ce serait facile !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

M. Jean-Pierre Brard.

Et vous ne le méritez pas !

M. Dominique Dord.

Est-ce votre majorité ? Ce n'est pas impossible. Sont-ce les Français, à travers nous ? A moins, je m'interroge, que ce ne soit vous-même. Car enfin, mes chers collègues, madame la ministre, deux ans après, qui croit encore aux 35 heures ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Qui n'y croit plus ?

M. Dominique Dord.

Interrogé aux Etats-Unis par les industriels américains éberlués, Lionel Jospin lui-même a eu cette réponse, à la fois merveilleuse et tragique de franchise et de réalisme : c'est une promesse électorale, nous la tiendrons.

M. Jean-Pierre Brard.

Eh oui ! Ce n'est pas à vous que cela arriverait !

M. Dominique Dord.

Le Premier ministre s'est certes souvenu de la promesse, mais il a oublié en route l'objectif, c'est-à-dire les 500 à 700 000 créations d'emplois.

M. Yves Rome.

Il y en a eu 120 000 en un an !

M. Dominique Dord.

Deux ans après la première loi, le Premier ministre fait donc cette réponse, un peu courte, par laquelle il ne cherche même plus à convaincre de l'efficacité économique, et encore moins de l'utilité sociale du texte dont nous avons commencé à débattre. Il ne lui reste que la cohérence électorale.

Vous me direz que ce n'étaient que des patrons, américains de surcroît, ce qui, dans votre monde en noir et blanc...

M. Jean-Pierre Brard.

Le vôtre est étoilé !

M. Dominique Dord.

... les rend peu suspects d'intelligence avec nos plus audacieuses innovations sociales.

Mais le Premier ministre, monsieur Brard, n'avait pas davantage convaincu, quelques mois auparavant, nos partenaires européens qui sont pourtant presque tous socialistes et qui auraient pu trouver dans les 35 heures un merveilleux symbole pour construire l'Europe sociale que vous appelez de vos voeux.

M. Jean-Pierre Brard.

Lisez Oskar Lafontaine !

M. Dominique Dord.

Et ces mêmes pays créent pourtant, sans les 35 heures et à croissance comparable, plus d'emplois que nous !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ce n'est pas vrai !

M. Dominique Dord.

Serait-ce donc pour cela que la Commission européenne, deuxième interlocuteur tout de même digne de foi, n'est elle-même pas convaincue ?

M. Jean-Pierre Brard.

Ce sont ces gens qui nous font manger de la vache folle !

M. Dominique Dord.

Dans un rapport du 8 septembre dernier, elle n'attribue en effet qu'une mention passable à notre politique sociale, ce qui, en langage diplomatique, vous en conviendrez, mes chers collègues, n'est tout de même pas très élogieux, en tout cas largement en dessous de la moyenne.

Alors, M. Le Garrec nous dit : exception française !

M. Yves Rome.

Mais oui !

M. Dominique Dord.

Revoilà cette fameuse exception française que vous vous plaisez à conforter encore alors qu'elle pénalise déjà si lourdement nos entreprises et leurs salariés dans une économie mondialisée, ouverte, où les exceptions de chaque pays sont retenues contre lui pour essayer de lui prendre des parts de marché.

Si, à l'extérieur de nos frontières, personne n'y croit, à l'intérieur non plus ! Regardez autour de vous : personne n'y croit, ni les chefs d'entreprise, bien sûr, ni les partenaires sociaux, les représentants des salariés qui refusent de présumer du résultat en rechignant à ce que l'UNEDIC, qui aurait pourtant tout intérêt à ce que ce dispositif fonctionne, participe au financement de nos 35 heures.

M. Jean-Claude Lemoine.

Sauf Blondel !

M. Dominique Dord.

Deux directeurs des ressources humaines sur trois, dans nos entreprises françaises, considérant quant à eux que la loi ne créera pas d'emplois, ni dans leur entreprise, ni dans le pays.

M. Yves Cochet.

On n'est pas à la porte de Versailles ici !

M. Dominique Dord.

Le Centre des jeunes dirigeants d'entreprise - avec lequel vous avez pourtant signé, madame la ministre, une convention le 15 septembre 1998 pour mettre en place une expérimentation du texte conclut dans son rapport de juin 1999, page 26, que la loi est inadaptée car, centrée sur la réduction obligatoire du temps de travail, elle ne tient pas compte de la diversité des entreprises et des situations qui ne fait que s'accroître. On dit même que certains ministres, et non des moindres, n'y croient plus non plus, à supposer qu'ils y aient cru un jour ! Vous-même, madame la ministre, si vous y croyiez tant, pourquoi avoir refusé que l'Etat donne l'exemple en appliquant à la fonction publique d'Etat les 35 heures, en précurseur ? Pourquoi jouez-vous la montre dans les discussions paritaires, en attendant bien entendu l'échéance de 2002 ? Ayez l'honnêteté de le reconnaître, madame la ministre, vous n'y croyez plus !

M. Michel Meylan.

Eh oui !

M. Dominique Dord.

Vous qui avez retiré de votre deuxième loi toute référence à la création d'emplois, contrairement à la première, et qui préférez, pour des raisons d'opportunité électorale, repousser une grande part de l'application de ce texte jusqu'à après 2002.

Dans ce contexte, vous aurez beaucoup de mal, malgré votre habileté, à convaincre cette fois-ci les Français de l'efficacité de votre loi.

Mais la procédure parlementaire a ceci de particulier qu'alors même que c'est votre texte qui est en accusation, que cela devrait être à vous de le défendre et de prouver son efficacité, c'est à nous qu'il appartient de plaider, d'expliquer qu'il est nuisible et, pour ce qui me concerne, contraire à la Constitution.

M. Bernard Accoyer.

Eh oui !

M. Dominique Dord.

Je souhaite le faire en décortiquant chacun des trois principes politiques qui soustendent ce texte.

Vous aviez invoqué d'abord un principe de solidarité à l'égard des demandeurs d'emploi : le partage du travail.

Ce principe ne résiste pas, j'y reviendrai, à l'épreuve des faits.

Vous posiez ensuite un principe de société, pour lequel vous avez à nouveau plaidé vigoureusement tout à l'heure, en faveur des salariés : réduire leur temps de travail pour libérer leur vie quotidienne. Ce principe heurte de plein fouet une autre aspiration sociale, tout aussi vitale à leurs yeux pour la vie quotidienne, l'amélioration du niveau de vie.


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Enfin, vous acceptiez, en contrepartie des deux premiers principes, un troisième principe, que l'efficacité de l'entreprise soit recherchée à travers l'aménagement concerté du temps de travail. Or votre texte nie les accords déjà signés.

Non, mes chers collègues, ce texte ne constituera pas un progrès social, ni pour les demandeurs d'emploi, ni pour les salariés, ni pour les entreprises.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Aucun des trois objectifs que vous fixez ne sera atteint par le texte, dont plusieurs dispositions se heurtent par ailleurs à notre loi fondamentale.

Premier principe, sur lequel je veux revenir, le principe du partage du temps de travail, un principe de solidarité.

C'est une idée simple, à la fois généreuse et séduisante, dans notre société française minée par le chômage : si chacune des personnes qui ont un emploi travaille 10 % de moins, alors les 10 % de demandeurs d'emploi pourraient retrouver un travail.

Qui n'est pas séduit par cette idée ? Des débats précédents ont d'ailleurs montré qu'un terrain d'entente pouvait être trouvé sur le sujet dans notre assemblée, dès lors qu'on laisse la liberté aux partenaires sociaux de la reprendre à leur compte ou pas et qu'on ne cherche pas à l'imposer, dans une vision totalement ringarde et dépassée du monde économique.

De même, ne nous choque pas nécessairement l'idée, pourtant peu libérale, d'incitation financière à la création d'emplois, à condition toutefois, et c'est là notre différence, qu'elle n'engendre pas de dépenses publiques nouvelles, c'est-à-dire à condition d'une activation pour l'emploi des dépenses sociales dites passives car utilisées pour indemniser le non-emploi.

Ce débat nous intéresse donc tout autant que vous. Il nous semble pouvoir avoir sa place, à condition qu'il permette de forger un outil de plus à la disposition des entreprises et non pas un outil obligatoire, une nouvelle contrainte, un carcan supplémentaire. Un dispositif de plus dans la boîte à outils contre le chômage, oui, bien sûr, cent fois oui. Mais un moule obligatoire, malthusien, dépassé, bien sûr que non.

Ce principe de réduction du temps de travail ne nous paraît pas acceptable parce que cette nouvelle obligation ne produira pas de résultat. Les emplois qu'elle créera, véritablement ou par simple effet d'aubaine, ne compenseront pas ceux qu'elle détruira par ailleurs, qui seront créés dans d'autres pays, ou qui ne seront pas créés du fait de l'attente de l'application de ce texte.

Son coût est très élevé, tant il est vrai, et les accords de Robien comme ceux signés après votre première loi le montrent presque tous, que, et c'est d'ailleurs heureux, la réduction du temps de travail s'accompagne nécessairement d'un maintien des rémunérations. Toute embauche supplémentaire représente donc mathématiquement un coût net correspondant à 10 % de la masse salariale, coût insupportable en l'état par nos entreprises. Et l'Etat l'a bien compris, qui, au lieu de donner l'exemple avec sa propre administration, donne des leçons de générosité aux autres, aux entreprises, et ce avec l'argent des contribuables.

M. Georges Sarre.

Difficile de faire autrement.

M. Dominique Dord.

J'ajoute, et cela a été pour moi un motif de surprise lors de la préparation du budget primitif de la collectivité locale dans laquelle je siège, que les collectivités locales elles-mêmes auront à payer les conséquences des 35 heures, puisqu'un certain nombre d'associations que nous subventionnons devront mettre en oeuvre ce dispositif.

Face à cette augmentation brutale du coût du travail, les entreprises ont besoin d'exonérations et de délais pour s'adapter. Mais les exonérations que vous leur accordez ne sont que des compensations très partielles. Et pendant les délais qu'heureusement vous leur accordez, elles gèlent les embauches en France, elles gèlent les salaires, elles investissent dans leurs outils de travail, mécanisent pour arriver à des gains de productivité, ont recours au travail précaire, aux temps partiels, qui deviendront d'ailleurs plus attractifs que les temps pleins à la française, grâce à la nouvelle directive communautaire. Elles ont recours, enfin, à l'intérim et à l'embauche... hors de nos frontières.

Loin de créer des emplois dans la période de mise en place néces sairement longue de ce texte - et votre majorité a bien senti le danger du délai qui court -, la loi a commencé à en détruire ou à ne pas en créer de nouveaux, et à multiplier les situations de précarité - contre lesquelles vous venez de vous élever en essayant de commencer à les combattre, comme dans l'histoire fameuse du pompier pyromane.

Autre objection de principe, par ailleurs, notre tissu écomique reste fait d'un nombre considérable de petites entreprises, pour lesquelles les 35 heures sont un véritable casse-tête, une construction archaïque qui ne permettra pas de créations d'emplois.

Comment créer un poste comptable dans une PME ? Il faudrait dix comptables dans l'entreprise. Comment créer un poste d'agent de maintenance ? Il en faudrait dix. Que signifie le partage du temps de travail dans les entreprises de quatre, trois, deux ou un salariés, qui sont pourtant près de deux millions dans notre pays ? Tout cela n'existe que dans vos têtes, dans vos rêves les plus idéologiques mais pas dans l'artisanat, pas dans le commerce, pas dans les services.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Que faites-vous de l'Union professionnelle artisanale ?

M. Dominique Dord.

Enfin, cette mécanique politique, mes chers collègues, nie et balaie d'un revers de la main, le considérant comme quantité négligeable, le problème sérieux, crucial, de la formation, de l'impréparation des demandeurs d'emploi aux postes ainsi dégagés. Elle considère comme négligeable le problème de la qualification professionnelle alors qu'il est crucial, vous le savez pertinemment, dans un grand nombre de métiers.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Face à ces arguments de principe et dans la bourrasque qui s'emparait de la presse cet été, qui commençait à faire état des mauvais chiffres des 35 heures, vous avez tenté de publier, il y a quelques semaines, un bilan chiffré de la première loi. Dans la tempête médiatique, vous avez eu recours à la technique bien connue du leurre ou du nuage de fumée.

M. Yves Rome.

Oh !

M. Dominique Dord.

Inutile de dire que la polémique qui a accompagné la sortie de ce bilan au sein même de votre ministère, plus précisément à la direction de la statistique, dont la presse s'est fait l'écho au mois d'août, a totalement discrédité ce bilan.


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Plus récemment, le bureau d'informations et de prévisions économiques a confirmé cette inefficacité sur l'emploi en démontrant qu'en 2004, le taux de chômage s'élèverait malheureusement encore de 9,5 % de la population active, ce qui ruine votre démonstration chiffrée.

En effet, même si l'on admet que la loi peut créer quelques dizaines de milliers d'emplois, le bilan des emplois non créés, ou créés à l'étranger, du fait de cette loi serait probablement édifiant. Mais il est impossible à dresser, je vous le concède. Et ne prétendez pas que cela est tout le contraire - comme vous avez tenté de le faire en commission - et que l'investissement étranger en France n'a jamais été aussi fort.

M. Yves Rome.

Eh oui ! Cela vous dérange.

M. Dominique Dord.

Cela est sans doute vrai, mes chers collègues, mais cette réalité n'a aucun rapport avec la création d'emplois. On connaît même des investisseurs étrangers qui ne prennent des participations dans les entreprises françaises que lorsqu'elles ont supprimé des milliers d'emplois. N'établissez donc pas un parallèle entre des éléments qui n'ont aucun lien entre eux.

Comment parler de création d'emplois quand, à l'une de mes questions, l'un de nos interlocuteurs - patronaux, il est vrai, monsieur Brard - a relevé en commission l'apparition d'un nouveau pic dans les courbes mesurant les effectifs des entreprises : la bosse des dix-neuf. Il tient au fait que des entreprises refusent de passer à vingt salariés parce qu'elles redoutent l'application de la loi et qu'elles préfèrent gagner deux ans. Est-ce ainsi que nous allons créer des emplois ? En deux ans, d'ailleurs, madame la ministre - contrairement à ce que vous avez dit tout à l'heure -, la baisse du taux du chômage en France, malgré une croissance forte, n'est que de 1,4 % alors que 11 % de la population active reste au chômage. Tous les pays qui ont un taux de chômage comparable ou supérieur au nôtre font mieux que nous, sauf l'Italie, je vous le concède.

M. Jacques Desallangre.

Quelles sortes d'emplois créent-ils ?

M. Dominique Dord.

Or nous sommes les seuls à imposer les 35 heures. Comment ne pas y voir une corrélation, mais négative, à l'inverse de celle que vous appelez de vos voeux ? Ces statistiques expliquent-elles le refus des partenaires sociaux de participer au financement du dispositif ? Ontils à ce point si peu confiance dans la réussite du projet qui est pourtant supposé permettre une augmentation des cotisations et une baisse des allocations ? Pour toutes ces raisons, nous pensons que les modalités de la loi ayant trait au partage du temps de travail sont m anifestement inappropriées à l'objectif de création d'emplois que vous vous étiez fixé et qui, lui, est, bien entendu, légitime. Nous estimons donc que ce texte est contraire au cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui a valeur constitutionnelle, vous le savez.

En effet, il ne permettra pas d'assurer au mieux le droit pour chacun et chacune des Français d'obtenir un emploi. En réduisant à 1 600 heures la durée annuelle du temps de travail, soit 15 % de perte annuelle de capacité productive pour chaque salarié et même 23 % pour les cadres - vous commettez à l'égard des salariés et des entreprises une erreur manifeste d'appréciation.

M. Jean-Pierre Brard.

Quel sophisme !

M. Dominique Dord.

C'est comme ça que l'on dit, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard.

Vous êtes un sophiste !

M. Dominique Dord.

Vous portez ainsi abusivement atteinte à la liberté des salariés et des entrepreneurs de notre pays de gérer ensemble leurs relations, au mieux de l'intérêt social de l'entreprise.

M. Jean-Pierre Brard.

Comme chez Michelin !

M. Michel Meylan.

Et chez Renault ?

M. Dominique Dord.

Je vous fais remarquer, monsieur Brard, que l'instauration des 35 heures n'a pas empêché Michelin de prévoir des licenciements.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Pas encore !

M. Yves Rome.

Cela viendra !

M. Dominique Dord.

On verra.

Or cette liberté de gérer leurs relations a été reconnue comme principe constitutionnel par une jurisprudence constante. Pourtant, vous y portez atteinte en édictant des limitations que ne justifie pas l'intérêt général puisque vous fixez vous-même, bien qu'ayant diminué la capacité productive maximale de chaque salarié de 15 %, un objectif théorique de création de 600 000 emplois, soit seulement une augmentation de 4 % des emplois salariés.

Et l'on sait ce qu'il en est de cet objectif ! Le système que vous mettez en place pour l'horaire légal va mécaniquement supprimer des heures de travail effectif. Nous sommes donc très très loin de l'objectif de création d'emplois.

En alourdissant encore un peu plus le coût du travail, dans un système ouvert à la compétition internationale, vous augmentez le prix de revient des entreprises et vous diminuez de manière significative leur compétitivité, puisque nos principaux partenaires commerciaux ne se sont pas engagés dans la même voie que nous.

Quels résultats aura cette nouvelle charge, même étalée, même partiellement compensée, sur la santé de nos entreprises les plus fragiles ou soumises à la concurrence la plus vive ? Quelles conséquences cela aura-t-il sur l'emploi en leur sein ? Pour ces raisons appuyées sur des données objectives, nous pensons que les articles 3, 4, 5 et 11 du projet de loi doivent être considérés comme non conformes à la Constitution, car manifestement inappropriés à l'objectif que vous fixez pourtant vous-même dans les cinq premiers mots de l'exposé des motifs de votre texte qui commence par : « Afin de favoriser l'emploi ».

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Eh oui !

M. Dominique Dord.

Il y a loin de ce que vous écrivez ainsi au résultat qu'aura votre texte.

A supposer même que le partage du temps de travail ne tienne pas à l'épreuve des faits ce qui me semble désormais avéré et démontré - il reste un deuxième principe que vous avez encore mis en avant dans votre intervention liminaire, madame la ministre, et dans le texte. Il s'agit de la réduction du temps de travail, qui n'en est qu'un des éléments et qui revêt, à notre avis, une urgence sociale moins grande, à partir du moment où l'on a écarté le principe du partage du temps de travail.

La réduction du temps de travail reste néanmoins inscrite. Vous n'avez d'ailleurs parlé pratiquement que de cela dans votre discours. A cet égard, je veux aussi essayer de vous exposer le plus précisément possible notre sentiment.


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Vue de ma fenêtre, comme de la vôtre, madame la ministre,...

M. Georges Sarre.

La nôtre est plus large.

M. Dominique Dord.

... et comme de celle de l'ensemble de nos collègues, l'idée d'une réduction du temps de travail pour moi-même n'est pas faite pour me déplaire. Je trouve d'ailleurs cette éventualité séduisante.

M. Jean-Pierre Brard.

Nous sommes pour !

M. Dominique Dord.

Toutefois, au-delà du caractère anecdotique de nos propres emplois du temps, qui sont absolument démentiels, un nombre non négligeable de nos compatriotes, parmi les plus occupés ou les plus avancés dans leur parcours professionnel, se posent probablement la même question. L'idée de travailler moins est incontestablement dans l'air du temps, même si la durée annuelle effective du travail en France est parmi les plus courtes du monde. A cet égard, le débat est donc légitime, même si la réponse est moins simple qu'il n'y paraît, y compris sur le plan politico-philosophique.

En effet, mes chers collègues, sommes-nous encore dans l'esprit des grandes luttes sociales d'antan...

M. Yves Rome.

Oui !

M. Dominique Dord.

... pour prôner la libération des hommes du joug du travail ?

M. Jean-Pierre Brard.

Tout à fait !

M. Dominique Dord.

Je ne le crois pas.

M. Yves Rome.

Qu'en pense-t-on chez Michelin ?

M. Dominique Dord.

Cher monsieur Brard, le travail est-il moins enrichissant que le loisir ? Vaste question.

M. Jean-Pierre Brard.

Vous vous la posez parce que vous êtes du mauvais côté.

M. Dominique Dord.

Que n'importe quel loisir ? Autre vaste question ! Le travail est-il vraiment cette punition, ce châtiment quasi biblique qu'il nous faudrait réduire à tout prix !

M. Jean-Pierre Brard.

Allez voir sur les chaînes de Citroën !

M. Dominique Dord.

L'effort doit-il être valorisé ou plutôt découragé ?

M. Yves Rome.

Il doit surtout être rémunéré !

M. Dominique Dord.

Ce sont autant de vastes questions qu'il est, à mon avis, un peu simple de considérer comme réglées a priori.

Quoi qu'il en soit, et malgré ces considérations plutôt philosophiques (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) ...

M. Jean-Pierre Brard.

C'est faire injure à la philosophie !

M. Jacques Desallangre.

Il s'agit de la philosophie de la corbeille !

M. Dominique Dord.

Disons historiques, si vous ne voulez pas qu'elles soient d'ordre philosophique ! Je suis d'ailleurs content de vous avoir réveillés, mes chers collègues ! (Sourires.)

Quoi qu'il en soit, la baisse de la durée du travail est devenue le sujet central de votre projet de loi, ce deuxième texte ne comportant plus, je le rappelle, aucune disposition relative à la création d'emplois, par partage du travail.

Cela pose également la question - que vous avez évoquée, madame la ministre - du rééquilibrage, pour nos concitoyens, entre vie de famille et vie au travail. A cet égard non plus, le texte ne nous laisse pas indifférents.

Cependant, pour que la vie de famille ou la vie à l'extérieur du travail y trouve son compte, encore faudrait-il que le salarié ainsi « libéré » soit remplacé et qu'on ne lui demande pas de faire en moins de temps ce qu'il faisait auparavant en quelques heures de plus. Si le temps au travail devient en effet plus tendu et que, par ailleurs, le pouvoir d'achat est limité, on peut s'interroger sur la réalité du bénéfice personnel et familial que votre texte donnerait aux intéressés.

Il est deux autres raisons de principe pour que cette réduction du temps de travail soit traitée avec précaution.

D'abord s'est-on posé la question de la perception de ce texte par nos compatriotes sans emploi ? Ne comportet-il pas à leur égard une certaine indécence provocatrice ? Ensuite, pour ceux qui s'accommodent d'une situation de non-emploi alors qu'il serait probablement grand temps qu'ils essayent d'entrer dans une dynamique d'emploi...

M. Jean-Pierre Brard.

Quel mépris !

M. Dominique Dord.

... il présente sans doute le danger de réduire ou d'affaiblir la valeur sociale du travail et de les conforter dans une espèce d'assistanat, alors que nous devrions au contraire tout tenter pour essayer de les en sortir.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Jean-Pierre Brard.

Quelle honte de tenir de tels propos !

M. Dominique Dord.

Non, monsieur Brard, il faut voir la vie telle qu'elle est.

M. Bernard Accoyer.

Ce n'est tout de même pas le parti communiste qui va nous expliquer ce qu'il faut faire !

M. Dominique Dord.

Nous pouvons nous raconter des histoires ici, à la tribune, mais nous aurons ensuite à payer le coût de cette espèce d'obscurantisme !

M. Jean-Pierre Brard.

Adressez-vous aux privilégiés et faites-les payer !

Mme la présidente.

Monsieur Brard, vous n'avez pas la parole. Je vous demande de laisser M. Dord défendre son point de vue. Lui seul a la parole.

M. Jean-Pierre Brard.

Il tient des propos insolents !

M. Michel Meylan.

Nous ne sommes pas à la Douma !

M. Dominique Dord.

Merci, madame la présidente.

Sur le plan des principes il est également paradoxal et même choquant - je n'ose pas dire démagogique ! - de proposer d'instituer cette réduction généralisée de 10 % du temps du travail quand l'urgence sociale commanderait que l'on demande à nos compatriotes de travailler plus longtemps, sans doute cinq ans d'activité supplémentaires si l'on en croit un fameux rapport que vous avez vous-même commandé, soit 15 % d'augmentation du temps de travail, pour assurer le survie de leur régime de retraite.

Je conçois bien qu'il soit plus facile de promettre la première mesure que d'imposer la seconde.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ni l'un ni l'autre ne sont faciles !

M. Dominique Dord.

Telles sont les quelques objections de principe que je tenais à formuler sur cette idée de réduction du temps de travail.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Si l'on s'attarde sur les modalités de mise en oeuvre de cette mesure, les objections sont encore plus nombreuses.

Ainsi une application obligatoire est impossible. Audelà des considérations de principe, je veux essayer de démontrer que la réduction obligatoire n'est que très marginalement compatible avec notre organisation sociale et qu'elle pose, elle aussi, quelques problèmes de constitutionnalité.

Oui, certains de ceux qui travaillent le plus, ou qui sont les plus avancés dans leur carrière, aspirent à une baisse de leur temps de travail. Toutefois, ce sont les moins nombreux et souvent ceux qui ont le plus de responsabilités, qui sont les plus qualifiés, donc les plus difficiles à remplacer, et dont les horaires effectifs n'ont rien à voir avec l'horaire légal. Or le texte ne les touchera pas alors qu'ils seraient les premiers intéressés.

Pour les autres, les plus nombreux, le point d'équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle n'est-il pas atteint ? Qu'est ce qui vous permet d'affirmer aujourd'hui le contraire ? Est-ce un progrès social que d'essayer d'abaisser encore la durée du travail ? Si oui, pourquoi s'arrêter à 35 heures et ne pas fixer 34, 32 ou 28 heures ?

M. Yves Rome.

Aidez-nous !

M. Dominique Dord.

La réponse est loin d'être uniforme. Là réside la faiblesse de votre approche obligatoiree t indifférenciée. En effet, l'économie, l'entreprise impliquent la diversité car telle est la vie. Une réponse indifférenciée est, par nature, anti-économique et antisociale. Selon vous 80 % des salariés ont été satisfaits de passer aux 35 heures. Honnêtement je trouve ce taux assez faible ! En effet, dans la mesure où l'on permet aux gens de travailler moins et d'être payés autant, il devrait y avoir 100 % de satisfaction ! Le problème est que les résultats changent si l'on pose la question différemment.

Ainsi le journal Le Monde - peu suspect d'être enclin au libéralisme - a publié, dans son édition du 10 juillet 1997 une enquête de l'Observatoire du monde du travail très intéressante. Elle montrait que 58 % des salariés préféreraient une augmentation de leur pouvoir d'achat à une baisse de leur temps de travail.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Cela a changé depuis !

M. Jacques Fleury.

Ils n'ont pas le choix !

M. Dominique Dord.

Qu'avez-vous à leur répondre ? Nous considérons aussi que le texte proposé porte atteinte à la liberté des salariés. En effet pour nombre d'entre eux, singulièrement pour les plus modestes, donc souvent pour les plus jeunes, l'aspiration prioritaire est la hausse du pouvoir d'achat, pour élever leur famille, pour s'installer dans la vie, pour s'ouvrir à la culture ou à d'autres connaissances.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Ce n'est plus vrai !

M. Dominique Dord.

Or la petite expérience des accords qui ont été signés en application de votre loi, madame la ministre, montre que réduction du temps de travail et hausse du pouvoir d'achat sont incompatibles.

M. Bertrand Kern.

Pas du tout !

M. Dominique Dord.

Très curieusement d'ailleurs, alors que l'activité économique est repartie dans notre pays, les salaires font du surplace. En effet une part des fruits de la croissance - comment s'en étonner d'ailleurs ? - est consacrée par les entreprises à payer le prix du passage aux 35 heures ou à le préparer et non pas aux salaires.

Selon les statistiques de votre propre ministère, le salaire horaire de base d'un ouvrier n'a augmenté que de 0,6 % au cours du deuxième semestre de l'an dernier. De même, en 1998, deux cadres sur trois ont vu leur pouvoir d'achat diminuer.

M. Jean Vila.

C'est la faute des patrons et non la nôtre !

M. Dominique Dord.

En méconnaissant totalement cette aspiration, tout aussi légitime que celle à la réduction du temps de travail, vous portez atteinte - et ce n'est pas le moindre des paradoxes - à la liberté du salarié. Et je ne vise pas l'approche quasi militaire dans laquelle s'effectuent les contrôles, approche détestable qui nous renvoie aux pires pratiques de notre histoire. Faut-il tout compter, tout décompter : les heures, les minutes, les temps de pause, les déjeuners ? Faut-il interdire les dépassements, menacer ceux qui travaillent ?

M. André Vauchez.

C'est ce que fait Michelin !

M. Dominique Dord.

Faut-il regarder, comme cela a été fait à Toulouse, qui est sur le parking de l'entreprise à huit heures du matin et qui y est encore à dix-neuf heures pour arrêter les éventuels « délinquants » ? Je laisse de côté cet aspect archaïque et grotesque qui sera pourtant remis en avant par votre texte, pour viser seulement la liberté de choisir du salarié, celle qui est attachée à son choix de vie, car elle a valeur consitutionnelle.

En réduisant de manière conséquente le nombre d'heures que les salariés pourront effectuer chaque année, vous méconnaissez l'importance économique, quelquefois vitale, du surplus de rémunération obtenu en contrepartie d'heures supplémentaires travaillées. Tel est notamment le cas pour ceux qui ont accédé ou souhaitent accéder à la propriété. Or vous réduisez leur capacité productive maximale de 15 %, en faisant chuter de 1 963 heures par an à 1 667,5 heures leur capacité maximale de travail.

Faut-il vous rappeler que la plupart de nos compatriotes n'ont que leur force de travail à investir et que pour tous ceux qui sont en bas de l'échelle des salaires, l'essentiel est non de travailler moins mais de pouvoir gagner plus ? C'est pourquoi nous pensons que les articles 3, 4 et 11 du projet portent atteinte à leur liberté individuelle.

M. Jean-Pierre Brard.

De qui parlez-vous ? De Jaffré ?

M. Dominique Dord.

Enfin, toujours en matière de réduction du temps de travail, ce texte introduit plusieurs modalités discriminatoires entre salariés. Elles seront sans doute au coeur d'une partie de nos débats.

Tel est le cas pour le SMIC avec l'article 16 du projet de loi. Je n'insiste pas.

Tel est aussi le cas pour les salariés travaillant dans des entreprises de plus de vingt salariés car ceux appartenant à des entreprises n'ayant pas réduit le temps de travail continueront à travailler 39 heures payées 39 pendant toute l'année 2000.

Une autre discrimination, tout aussi insupportable, tient au fait que dès 2001, dans les entreprises de plus de vingt salariés, dès 2003 dans les autres, la majoration pour heures supplémentaires qui sera attribuée aux salariés sera de 25 % ou de 15 % selon que l'entreprise aura ou non réduit son temps de travail. De quel droit pouvons-nous ainsi pénaliser les salariés ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

On pourrait également évoquer les discriminations qui apparaîtront entre salariés selon qu'ils appartiendront à de grandes ou à de petites entreprises, à des entreprises privées ou à des entreprises publiques, à des entreprises commerciales ou à la fonction publique.

Toutes ces discriminations sont bien entendu inacceptables d'un point de vue social et d'un point de vue constitutionnel, l'égalité étant, fort heureusement, la règle absolue. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Un autre argument, plus technique, qui milite en faveur de l'inconstitutionnalité ressort de l'article L.222-1 du code du travail.

En effet, si le Gouvernement avait respecté les dispositions législatives relatives aux jours fériés, il aurait dû ins tituer une durée annuelle de 1 645 heures. Or il a fixé la barre à 1 600 heures. Par conséquent, soit la réduction hebdomadaire doit ramener la durée du travail non pas à 35 heures, mais à 34 heures et 2 minutes, c'est-à-dire qu'elle serait alors de 13 % et non de 10 %, ce qui change tout ; soit, sans vouloir le dire, le Gouvernement a l'intention de modifier l'article L. 222-1 et les suivants du code du travail. Il interdirait ainsi de fait le travail tous les jours fériés, alors qu'à ce jour seul le 1er mai est obligatoirement chômé.

Notre assemblée ne peut donc réduire, comme cela lui est proposé, à 1 600 heures la durée annuelle maximale de travail sans modifier formellement les articles L. 222-1 et suivants du code du travail. Or tel n'est pas le cas dans les articles 3, 4 et 11 du projet.

Au-delà du partage du temps de travail dont on a vu qu'il ne fonctionnait pas ; au-delà de la réduction du temps de travail qui se heurte à une autre aspiration sociale plus prioritaire, en l'occurrence l'augmentation du pouvoir d'achat ; reste un troisième élément : l'aménagement concerté du temps de travail. C'est le troisième principe que l'on retrouve à l'arrière-plan de ce texte.

Même si, pour tout dire, il est d'inspiration plutôt plus libérale, il mérite également d'être débattu.

Dans la quasi-totalité des accords signés à ce jour, un aménagement différent du temps de travail dans l'entreprise est prévu. La plupart du temps il vise à faire sauter la référence hebdomadaire à l'organisation du travail.

Conséquence un peu inattendue de ce texte : c'est vous qui contribuerez à faire sauter cette rigidité du code du travail en devenant les apôtres par obligation, les dévôts un peu pressés, de l'annualisation et de la flexibilité.

Cela dit, ne culpabilisez pas trop. La loi de Robien le permettait tout aussi bien... et sans doute même mieux puisque seules les entreprises qui en éprouvaient le besoin pouvaient y avoir recours après signature d'un accord partenarial.

Cette capacité d'adapter l'organisation du travail en contrepartie de bénéfices sociaux avait d'ailleurs motivé le soutien des libéraux à ce texte.

Dans mon propre département, quelques entreprises ont mis en place librement ce type de solutions, par exemple pour mieux coller à la saisonnalité de leur activité ou pour adapter leur organisation sociale bouleversée par une forte mécanisation.

Chaque fois que de tels types de solutions ont été adoptés à la suite d'une démarche volontariste des salariés et des chefs d'entreprise, le dialogue social s'en est trouvé enrichi. On peut s'interroger en revanche sur l'enrichissement du dialogue social, dont vous vous glorifiez pourtant, dans les entreprises où votre loi sera subie et remettra en cause des accords déjà passés, c'est-à-dire dans une immense majorité d'entre elles.

Un aménagement désiré du temps de travail dans l'entreprise est source de dialogue social fécond, comme vous l'avez dit, mais pas un aménagement décrété contre les partenaires sociaux.

Or votre loi méconnaît cette liberté contractuelle.

Par votre deuxième loi, non contente d'imposer une disposition très largement rejetée par les entreprises, vous portez, madame la ministre, atteinte à l'économie des conventions légalement conclues que vous avez vousmêmes encouragées. Et ce n'est pas là le moindre des paradoxes de cette loi. En cela, vous méconnaissez la liberté qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Alors que vous affichiez vous-même dans l'exposé des motifs de la loi du 13 juin 1998 la voie que le Gouvernement entendait privilégier et que vous avez d'ailleurs rappelée à cette même place il y a quelques instants, la voie de la négociation sociale, pour s'adapter à la diversité des situations, tout se passe ici comme si vous aviez tiré parti des accords déjà signés pour condamner une série de dispositions sur lesquelles les partenaires sociaux s'étaient pourtant mis d'accord. Vous avez bien « tiré les leçons des accords intervenus », au sens littéral du terme, mais pas dans le sens où on pouvait s'imaginer que vous alliez le faire. Vous avez tiré les leçons des accords signés pour en infléchir substantiellement le contenu... alors que l'objectif de tous ces accords était de préserver la compétitivité des entreprises tout en accordant aux salariés un certain nombre de garanties.

L'article 14-II de votre loi nous semble contraire à la Constitution qui protège l'économie des accords légalement conclus et ses incidences viennent rompre l'équilibre de ces accords.

On pourrait prendre plusieurs exemples.

Le plus éclatant concerne l'annualisation du temps de travail. L'ensemble des accords signés a fixé le seuil de la durée annuelle du travail au-delà duquel commencent à être décomptées les heures supplémentaires entre 1 610 et 1 645 heures. Or votre texte fixe ce seuil à 1 600 heures et revient donc sur ces accords.

C'est la même chose en matière d'heures supplémentaires. La grande majorité des accords de branche qui ont été partenarialement signés ont porté leur contingent conventionnel annuel d'heures supplémentaires à plus de 130 heures : jusqu'à 210 heures, soit 188 heures en moyenne pour l'ensemble des accords signés. Vous revenez sur ces dispositions, puisque vous nous proposez un contingent annuel maximal de 130 heures. En maintenant le repos compensateur à 100 % pour les heures supplémentaires effectuées au-delà de 130 heures, votre texte rend ces accords impossibles à mettre en oeuvre.

On pourrait dire la même chose pour les dispositions qui ont été conclues concernant la formation professionnelle, le temps de travail des cadres ou les salaires : les accords passés deviendront caducs en raison de la loi, alors même que c'est vous qui avez encouragé les partenaires sociaux à les négocier et à les signer.

Les articles 2, 3, 4, 5, 11, 14.II et 16 portent donc des atteintes graves à l'économie des accords collectifs de branche et à l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995. Ils sont eux aussi contraires à l'esprit de liberté proclamé dans l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

J'en arrive à ma conclusion, mes chers collègues.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Ah !

M. Dominique Dord.

Je sais que cela va faire plaisir à nombre d'entre vous.

M. Thierry Mariani.

Non, continuez !

M. François Goulard.

C'est remarquable !

M. Dominique Dord.

Vous voulez que je relise mon texte ?...

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Non !

M. Dominique Dord.

Tels sont, mes chers collègues, les fondements de cette exception d'irrecevabilité. Nous n'aurons sans doute pas le bonheur de la voir adoptée,...

M. François Goulard.

On ne sait jamais !

M. Thierry Mariani.

Elle l'a bien été pour le PACS !

M. Dominique Dord.

... comme ce fut le cas pour le PACS où l'ardeur de votre majorité, mes chers collègues, était sans doute moins grande encore, ce qui est tout dire !

M. François Goulard.

C'était un texte indéfendable !

M. Dominique Dord.

Il nous faudra donc, plus tard, déposer un recours devant le Conseil constitutionnel.

M. François Goulard.

Oui !

M. Dominique Dord.

Mais ce n'est pas ce qui importe à ce stade.

Dans le débat d'aujourd'hui - et pour conclure, encore une fois...

M. Thierry Mariani.

Non !

M. Dominique Dord.

... il est, évidemment, facile de vous jeter la pierre. Mais, voyez-vous, même si nous ne partageons pas vos choix et encore moins vos méthodes, nous admettons que le rythme auquel se propagent les effets de la mondialisation bouleverse tout : tous nos archaïsmes et un certain nombre de nos certitudes.

M. Jean-Pierre Brard.

C'est une autocritique ?

M. Dominique Dord.

Non, c'est un constat collectif, cher collègue.

Au fond, nous ne vous reprochons pas d'avoir essayé.

Ce qui nous paraît incompréhensible, et donc condamnable, c'est votre entêtement,...

M. François Goulard.

C'est diabolique !

M. Dominique Dord.

... votre attirance pour cette impasse dans laquelle vous vous êtes vous-mêmes engagés et votre mépris pour les accords paritairement signés.

Oui, vos dogmes sont devenus obsolètes et, à vouloir les conserver, les imposer coûte que coûte, les plaquer sur une vision du monde qui n'existe plus, passer en force une nouvelle fois,...

M. Jean-Pierre Brard.

C'est pathétique !

M. Dominique Dord.

Oui, c'est pathétique, monsieur Brard ! Passer en force une nouvelle fois, disais-je, c'est contre votre propre camp, madame la ministre, c'est-à-dire contre la France, que vous marquez des buts. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Jean-Pierre Brard.

Il y manque quelques trémolos !

M. Dominique Dord.

Comment vouloir, en effet, et en même temps, des acteurs forts dans l'économie mondiale et les contraindre toujours davantage en chargeant toujours plus leur sac à dos de charges sociales ou fiscales nouvelles ?

M. Edouard Landrain.

Eh oui !

M. Dominique Dord.

Ce qui nous semble sincèrement dommageable et ce qui crée le malaise dans le pays, c'est que chacun sait pertinemment que les résultats visés par ce texte ne seront pas atteints, que, probablement, nos entreprises, parce qu'elles n'ont pas le choix - et ce sera sans doute vrai pour les plus grandes -, s'adapteront bon an mal an parce qu'elles ne pourront pas faire autremente t qu'il ne restera finalement de ce texte qu'une contrainte supplémentaire que nous mettrons des années à faire disparaître.

Or une étude publiée dans Perspectives de l'emploi de l'OCDE en juin dernier met en évidence un renforcement du degré de contraintes de la législation française depuis dix ans et une corrélation - hélas négative ! - entre rigueur législative et taux d'activité et taux d'emploi.

Madame la ministre, si je comprends bien que vous ne souhaitiez pas revenir en arrière pour faire plaisir à l'opposition - ce serait trop beau ! -, faites-le au moins pour les salariés français, pour les petites entreprises et pour la compétitivité de notre économie. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. Jean-Pierre Brard.

A genoux !

Mme la présidente.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Georges Sarre.

M. Georges Sarre.

Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, une fois de plus, et sans surprise, l'opposition divisée (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants),...

M. Michel Meylan.

C'est de la provocation !

M. François Goulard.

Le débat va montrer où elle se trouve, la division !

M. Georges Sarre.

... nous présente une exception d'irrecevabilité dénuée de tout fondement juridique. Voyez, chers collègues de l'opposition, les efforts que vous avez dû faire pour déposer deux amendements ! (Exclamations sur les mêmes bancs.)

Il n'y a dans ce texte pas la moindre atteinte aux prescriptions constitutionnelles !

M. Thierry Mariani.

Si ! M. Dord l'a démontré.

M. Georges Sarre.

Il y a en revanche peut-être, je le lui accorde volontiers, une atteinte à ses sacro-saints principes et à sa conception de la société.

M. Jean-Pierre Brard.

Très bien !

M. Georges Sarre.

Nous considérons que l'économie et le progrès technologique doivent définitivement être au service de l'homme et de la société.

M. Jean-Pierre Brard.

Bravo !

M. Georges Sarre.

L'opposition, pour ce qui la concerne, est en faveur de la mondialisation libérale qui confie tous les pouvoirs au marché et cède à la finance mondiale.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Déréglementation, libéralisation des mouvements de capitaux, flexibilité, réduction du coût du travail et du montant des impôts, voilà, mes chers collègues de droite, votre nouveau credo, voilà votre catéchisme. Il récuse la question sociale. Eh bien nous, nous la posons et la traitons ! A l'heure actuelle, la masse de travail annuel décroît dans notre pays. L'impératif, à nos yeux, c'est déjà d'arrêter de se résigner, d'expliquer à tout va que cette tendance est inéluctable, que c'est la fin du travail et que, demain, les salariés verront réduire toujours un peu plus leur part du gâteau.

Il n'y a pas de fatalisme à cela. Nous pouvons et devons parvenir à ce que la quantité de travail disponible augmente.

M. François Goulard.

Ou réduire le temps de travail !

M. Georges Sarre.

Bien sûr, pour cela, il nous faut une politique de croissance ambitieuse. Il faut soutenir la consommation, augmenter les bas salaires.

Bien sûr, dans le même temps, il faut éponger les dégâts de cette décrue du travail. Elle laisse chaque année sur le bord de la route des quantités innombrables de jeunes et de plus de cinquante ans. Certains en leur temps ont appelé cela la « fracture sociale ».

M. François Goulard.

La formule vous plaît !

M. Georges Sarre.

Mais peut-être l'avez-vous oublié ! La droite défend une fois encore la position de certaines organisations patronales.

M. François Goulard.

La droite n'est donc pas divisée !

M. Georges Sarre.

Si, vous n'avez pas pu vous mettre d'accord ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Les organisations patronales ont pris position avant même de connaître la première loi sur les 35 heures.

Depuis, elles n'ont eu de cesse de vouloir entraîner dans leur scepticisme les entrepreneurs, les salariés et une partie des acteurs économiques, sans heureusement y parvenir.

Un « oukase », « Germinal », « Jurassic Park », « une loi néfaste », « inapplicable », des « naufrages innombrables en perspective »...

M. Thierry Mariani.

Titanic !

M. Georges Sarre.

... que n'a-t-on entendu lors de la grand-messe noire organisée par le MEDEF ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. François Goulard.

C'est grotesque !

M. Edouard Landrain.

Pour la majorité, le MEDEF est le diable !

M. Georges Sarre.

Comme quoi les réfractaires d'aujourd'hui sont décidément les mêmes que les réfractaires d'hier. De tout temps, ceux qui ont été hostiles par principe à toute idée de diminution du temps de travail et à la moindre amélioration des conditions de vie des travailleurs ont cherché à nous convaincre qu'il ne fallait surtout rien faire car nous allions... ruiner nos entreprises. Et pourquoi pas la France ! Les organisations se sont lancées dans une politique de dénigrement systématique et une grande offensive de retardement.

Voilà presque trois ans que cette réforme est sur l'ouvrage et le MEDEF nous parle encore du « couperet », de la « guillotine » de l'an 2000. Il nous explique à l'envi qu'il faut encore un peu de temps, toujours plus de temps.

M. Dominique Dord.

Pourquoi pas ?

M. Georges Sarre.

Pour négocier soi-disant... Pour ne rien faire en réalité. Bien sûr, nous sommes pour la négociation. Mais, à un moment, la loi doit passer.

M. Dominique Dord.

Donneur de leçons !

M. Georges Sarre.

Le discours de la menace par la faillite est une vieille rengaine mais c'est aussi un a priori idéologique, voire théorique. Ce projet, mes chers collègues, mérite mieux que des oppositions simplistes de ceux qui nous pronostiquent des cataclysmes pour mieux le rejeter en bloc.

Il va sans dire que nous voterons contre l'exception d'irrecevabilité. Je souhaite que nous entamions à présent le vrai débat, que nous abordions le texte de manière pragmatique en faisant le point sur nos convergences et nos divergences. Mais surtout en gardant toujours à l'esprit notre volonté, que je voudrais croire commune, de faire reculer le chômage et de créer des emplois.

M. Dominique Dord.

Comment pouvez-vous en douter ?

M. Georges Sarre.

Car, pour ce qui nous concerne, nous aborderons avant tout ce texte avec la volonté d'agir en faveur de l'emploi. La bataille pour l'emploi est la priorité de ce projet, plus encore de la majorité plurielle.

Elle demeure la grande exigence de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Hervé Morin, pour le groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.

M. Hervé Morin.

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance votera bien entendu l'exc eption d'irrecevabilité présentée par notre collègue

M. Dominique Dord...

M. François Goulard.

Très bien !

M. Michel Meylan.

La droite n'est pas divisée !

M. Hervé Morin.

... et cela pour au moins quatre raisons. Jacques Barrot aura tout loisir de développer notre position lorsqu'il défendra la question préalable.

Première raison : nous pensons que, dans un monde complexe, évolutif, la diversité est nécessaire et que l'aménagement et la réduction du temps de travail ne peut s'effectuer par une loi dirigiste et technocratique.

Il n'y a rien de comparable entre un artisan, une société spécialisée dans le service informatique, une société de restauration, un groupe hôtelier, et un groupe automobile. Une loi ne peut régler de façon uniforme et générale l'aménagement et la réduction du temps de travail.

M. Edouard Landrain.

Très bien !

M. Hervé Morin.

Dans un monde moderne, il faut faire la place à la différence, qu'il s'agisse de la différence d e taille entre les entreprises, de la différence de contraintes, de la différence d'organisation entre ces entreprises, ou encore de la différence entre les partenaires dans les négociations.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

En compliquant le droit social, en multipliant les règles, en précisant à l'excès le jeu social et en confisquant le dialogue social qui commençait à naître dans notre pays, votre loi ne résoudra pas la question de l'emploi ni n'améliorera la performance des entreprises.

Deuxième raison pour laquelle nous voterons l'exception d'irrecevabilité présentée par M. Dord : nous estimons que votre loi a un coût prohibitif pour l'économie : entre 60 et 70 milliards de francs. Elle met en place un nouveau système redistributif, comme si la France n'en avait pas encore assez. Troisième raison : votre loi est inconstitutionnelle au moins pour deux motifs. Le premier motif est qu'elle taxe les régimes de protection sociale et remet en cause le paritarisme et le second, qu'elle conditionne l'accès aux deniers publics et aux impôts, en faisant dépendre les réductions de cotisation sociale d'un accord d'entreprise.

Quatrième raison pour laquelle nous voterons l'exception d'irrecevabilité : nous pensons que votre loi ne créera pas d'emploi, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, on ne peut pas projeter sur le reste de l'économie les chiffres réalisés dans le cadre de la première loi. Pourquoi ? D'une part, parce qu'on a obligé les entreprises publiques à « faire du chiffre » et, d'autre part, parce qu'on a créé un amalgame entre emplois créés et emplois sauvegardés. Deuxièmement, on a confondu création d'emplois et engagement à en créer. Troisièmement, on a ajouté les salariés qui étaient déjà à 35 heures et ceux qui sont soumis à la loi Robien au bilan du Gouvernement. Enfin, on a nié les considérables effets d'aubaine, qui sont estimés à 50 % non pas par l'affreux MEDEF mais par le Centre des jeunes dirigeants.

Pour toutes ces raisons, nous pensons, sans pouvoir mesurer les effets négatifs liés aux délocalisations d'activités, que cette loi ne créera pas d'emploi et risque même d'affaiblir largement l'économie française. Pour toutes ces raisons, le groupe UDF votera l'exception d'irrecevabilité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme la présidente.

Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Yves Rome.

M. Yves Rome.

Vu de la fenêtre des libéraux, le monde n'est pas le même, M. Dord vient d'essayer de nous en faire la démonstration.

M. Michel Meylan.

Il a réussi !

M. Yves Rome.

Il ne croit pas aux effets bénéfiques de la loi. Il croit à la seule loi du marché.

M. Thierry Mariani.

Il n'a pas dit ça !

M. Michel Meylan.

Il faut écouter !

M. Yves Rome.

Il a tenté de nous l'expliquer sans y croire vraiment pendant près de trois quarts d'heure.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Thierry Mariani.

Vous n'avez pas écouté !

M. Yves Rome.

Je le renvoie aux propos de M. Robert Buguet, président de la confédération de l'artisanat et du bâtiment : « On ne signerait pas si on allait à la catastrophe. »

M. Marcel Rogemont.

Il fallait le rappeler !

M. Yves Rome.

Je pense que M. Dord devrait se rapprocher de M. Buguet qui poursuit : « Et partout où nous mettons en place les 35 heures, nous observons que la productivité s'améliore. Nos collègues des grosses entreprises représentés par le MEDEF le savent bien et nous le disent. Mais nous, nous n'avons pas un double discours celui que vous avez, monsieur Dord - selon que l'on parle en privé ou en public aux médias. »

M. Dominique Dord.

Vous êtes fort pour les procès d'intention !

M. Yves Rome.

« Seulement notre entreprise est notre seule fortune et nous ne signerons pas un accord en disant qu'il nous conduit à la catastrophe. »

M. Jean-Pierre Brard.

Voilà un bon patron !

M. Yves Rome.

Alors, monsieur Dord, je crois que toute votre démonstration tombe du seul fait de l'argumentation du président de la CAPEB.

En fait, cette loi est une loi qui fait autorité. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui est issu d'une démarche originale. Nous avions voté en 1998 une loi incitative pour laisser aux partenaires sociaux le temps de mettre en oeuvre la réduction du temps de travail.

M. Thierry Mariani.

Ils ont compris !

M. Yves Rome.

Le débat a eu lieu dans de nombreuses entreprises.

Monsieur Dord, 16 000 accords, un certain nombre d'emplois créés - plus de 125 000...

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Dominique Dord.

A peu près !

M. Yves Rome.

... nous ne voyons pas le même monde, mais cela n'est pas fait pour nous étonner venant de votre part.

Le changement ne repose pas sur la seule initiative de l'Etat. Il est également mené par le mouvement social luimême. Cependant c'est au législateur de fixer les temps sociaux et de garantir l'ordre public social.

M. Dominique Dord.

Oui !

M. Yves Rome.

Selon la Constitution, la République est une et indivisible. Par conséquent, nous nous devons d e déterminer les principales règles communes à l'ensemble des salariés.

Les garanties doivent être les mêmes pour tous. Dans cette perspective, oui, le texte fait autorité...

M. Bernard Accoyer.

Non ! C'est un texte autoritaire ! Il ne faut pas confondre !

M. Yves Rome.

... mais c'est pour plus de protection des salariés.

Il ouvre un processus qui modifie en profondeur les entreprises et les relations sociales. La réduction du temps de travail n'est pas fondée sur un modèle de société industrielle totalement dépassé, comme vous l'affirmiez.

M. Dominique Dord.

Ah bon ?

M. Yves Rome.

Au contraire, elle stimule l'effort de modernisation et de réorganisation interne dans les entreprises. Elle accompagne le changement d'organisation du travail lié au développement de l'informatique et des réseaux de communication.

Le projet de loi prévoit la variabilité des horaires et des aménagements du temps de travail permettant d'individualiser les calendriers des salariés. Le texte concilie aussi


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

garantie et souplesse pour les entreprises et le personnel.

Ainsi, nous répondons aux attentes des salariés tout en faisant progresser collectivement l'entreprise. La vie personnelle et familiale des employés est enfin prise en considération. La réduction du temps de travail réintroduit l'humain dans l'économie de marché que vous voulez pour seule règle. Elle instaure de nouvelles relations de travail au sein de l'entreprise.

C'est pour toutes ces raisons que nous rejetterons votre exception d'irrecevabilité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

Pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants, la parole est à M. François Goulard.

M. Jean-Pierre Brard.

Un expert modéré !

M. François Goulard.

Vous ne serez pas étonnés, mes chers collègues, que le groupe Démocratie libérale et Indépendants vote l'exception d'irrecevabilité.

(« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Si nous avions besoin d'être convaincus, le discours remarquable de Dominique Dord l'aurait fait et j'espère que tel a été aussi votre cas.

M. Thierry Mariani.

Ils sont bouchés !

M. François Goulard.

De multiples raisons nous poussent à voter cette exception d'irrecevabilité. La première et la principale est certainement que cette loi est profondément contraire aux intérêts de notre pays. Elle constituera pour les salariés, pour les entreprises et pour l'ensemble de notre collectivité, une véritable catastrophe dans les années à venir. Cela, à soi seul, justifierait le vote de l'exception d'irrecevabilité.

M. Marcel Rogemont.

M. Goulard, Cassandre ! Un député socialiste.

C'est le Paco Rabanne de l'Assemblée !

M. François Goulard.

De multiples raisons juridiques et techniques fondent cette exception et fonderont, demain, le recours que nous ne manquerons pas de déposer devant le juge constitutionnel.

Mais je reviendrai simplement sur un des points qui a été évoqué par Dominique Dord. Il s'agit de l'inégalité particulièrement choquante que vous créez à propos du salaire minimum. Nous le disons depuis le début des discussions sur les 35 heures, depuis l'examen de la première loi, votée ici en juin 1998 : il n'y a pas de solution satisfaisante qui permette à la fois de maintenir le SMIC mensuel et de ne pas augmenter le SMIC horaire. Cette contradiction de départ que vous avez niée avec une insistance qui confinait à l'entêtement, nous la retrouvons dans la deuxième loi et c'est un motif sérieux d'inconstitutionnalité.

Aux termes de votre loi, des salariés percevront le SMIC en travaillant 35 heures ; d'autres devront travailler 39 heures pour toucher le même salaire. Et ceux qui sont pénalisés par votre loi sont naturellement les plus défavorisés dans notre pays, parce que ce sont ceux qui sont obligés de cumuler plusieurs emplois partiels pour arriver à atteindre le niveau du SMIC.

Cette inégalité touchant un minimum social est absolument injustifiable. Elle est totalement illégale et totalement contraire à notre loi fondamentale. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Un député du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

Mais ça, ils ne le comprennent pas !

M. François Goulard.

Et s'il en était besoin, elle démontrerait à notre pays que le souci social n'est pas celui qui vous anime en présentant cette loi funeste des 35 heures ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme la présidente.

Pour le groupe RPR, la parole est à M. Bernard Accoyer.

M. Bernard Accoyer.

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, bien entendu, le groupe RPR votera l'exception d'irrecevabilité, excellement défendue par Dominique Dord.

M. Kofi Yamgnane.

C'est étonnant !

M. Bernard Accoyer.

D'abord, parce que ce texte est dangereux pour les salariés français et pour les entreprises implantées en France. Et s'il n'y avait qu'une raison, ce serait celle-là.

M. Thierry Mariani.

Très bien !

M. Bernard Accoyer.

Ensuite, parce qu'il n'y a pas de logique dans ce texte contraignant et autoritaire qui va conduire nos entreprises dans une impasse, par un conflit de concurrences à l'intérieur même de la communauté entrepreneuriale française et face aux entreprises étrangères.

Enfin parce que ce texte revient, par la contrainte, sur la logique de la première loi qui a été votée en 1998 par la majorité.

En effet, la logique de la création d'emplois est abandonnée, et cela, reconnaissons-le, est honnête, car la manipulation des chiffres qui tend à faire croire que la première loi, la réduction autoritaire du temps de travail, aurait conduit à la création d'un nombre important d'emplois, est irrecevable.

P ourquoi auriez-vous, seule, madame la ministre, trouvé la pierre philosophale pour lutter contre le chômage, alors que, partout dans le monde, la logique de la réduction autoritaire et généralisée du temps de travail n'est pas considérée comme un moyen de le maîtriser ? Il s'agit donc bien d'un texte purement dogmatique.

En réalité, vous allez tenir ainsi une promesse de campagne hâtivement faite voilà plus de deux ans.

M. Yves Dord.

Elle sera tenue !

Mme Catherine Picard.

Car nous, nous tenons nos promesses !

M. Bernard Accoyer.

Mais à quel prix ? A quel prix pour les entreprises ? A quel prix pour les salariés dont François Goulard a excellemment démontré qu'ils recevront des rémunérations ne correspondant plus à l'équité indispensable ? A quel prix pour ceux qui, grâce au développement du temps partiel, avaient pu trouver des ressources, un emploi et une dignité ? A quel prix pour les entreprises soumises à la concurrence internationale ? A quel prix pour les entreprises qui, aujourd'hui, dépendent d'investisseurs internationaux, ou même nationaux, lesquels décident, en raison de cette nouvelle contrainte, d'investir ailleurs que dans notre pays ? A quel prix pour les entreprises qui, employant essentiellement des personnels très qualifiés - des cadres, des ingénieurs - facturent leur travail au prix de journée et se trouveront dans l'obligation de délocaliser leurs sièges sociaux ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

A quel prix, madame la ministre, pour l'économie française ? A quel prix pour les salariés français ? A quel prix pour la France ? Non ! Une telle gesticulation politique n'est pas acceptable quand on en mesure les conséquences...

M. Marcel Rogemont.

Plus de 120 000 emplois créés !

M. Bernard Accoyer.

... et alors qu'il y a tant de priorités : la réforme de la protection sociale, la garantie des retraites, la maîtrise des déficits et de la dépense publique.

Il s'agit là, je le répète, d'une gesticulation politicienne dont le coût est inacceptable.

M. Marcel Rogemont.

120 000 emplois créés !

M. Bernard Accoyer.

Parce que les causes d'inconstitutionnalité sont multiples et parce que ce texte est irrecevable pour la France, et surtout pour les salariés qui en constituent le tissu actif, le groupe du Rassemblement pour la République votera l'exception d'irrecevabilité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme la présidente.

Avant de donner la parole au dernier intervenant dans les explications de vote, j'indique à l'Assemblée que sur le vote de l'exception d'irrecevabilité, il y aura un scrutin public, à la demande du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

Je vais d'ores et déjà faire annoncer le scrutin, de manière à permettre à nos collègues de regagner l'hémicycle.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le groupe communiste.

M. Maxime Gremetz.

Madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, nous ne voterons pas cette exception d'irrecevabilité. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Vous n'en êtes pas surpris, chers collègues de droite, vous qui, avec le MEDEF, vous opposez depuis des décennies à la réduction du temps de travail. Nous y sommes, quant à nous, favorables.

M. Guy Teissier.

C'est nous qui avons commencé à la réduire !

M. Maxime Gremetz.

Vous vous demandez dans quel état sont nos entreprises ! Eh bien, je vais vous le dire ! (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Guy Teissier.

Fossoyeurs !

M. Maxime Gremetz.

Faut-il vous rappeler que les entreprises, qui ont manifesté nombreuses hier, ont réalisé 2 136 milliards de profits l'année dernière, soit 30 % de plus ?

M. Thierry Mariani.

Et les salaires ?

M. Maxime Gremetz.

Faut-il rappeler également, puisque nous en sommes à l'heure des rappels, que M. Jaffré s'en va avec 300 millions de stock-options ? Faut-il rappeler enfin les 6 736 milliards de cotations boursières ? L'argent va à l'argent au lieu de s'investir dans la production, dans la formation, dans les salaires.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Un député du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

Quel rapport avec les 35 heures ?

M. Maxime Gremetz.

Faut-il rappeler, messieurs de la droite, que vous n'avez cessé de déréglementer le travail, d'organiser la flexibilité, et que vous avez combattu la première loi sur les 35 heures, alors que nous l'avons soutenue - nous l'avons même proposée, en 1996 ! - et nous l'avons enrichie. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Alors, pourquoi repoussons-nous cette exception d'irrecevabilité de la droite ? Parce que vous voulez encore plus de profits, plus de précarité, plus de flexibilité, c'est évident !

M. Guy Teissier.

A Cuba !

M. Maxime Gremetz.

Nous voulons, nous, députés communistes, que le débat ait lieu. Il s'est engagé en commission. Nous voulons le poursuivre devant l'Assemblée nationale. Nous avons déposé de multiples amendements. Nous nous prononçons en particulier en faveur d'une réduction du temps de travail qui permette de libérer du temps pour la citoyenneté et de créer des emplois...

M. Thierry Mariani.

Ce n'est pas le cas !

M. Maxime Gremetz.

..., qui permette une nouvelle organisation du travail ; cela passe par des droits nouveaux pour les salariés, les organisations syndicales et les comités d'entreprise que vous ne pouvez pas voir en peinture ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Evidemment, nous considérons que, en l'état, le texte n'est pas satisfaisant.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

C'est pourquoi nous avons fait ces propositions et nous les défendrons avec vigueur.

Nous voulons en particulier réintroduire dans la loi une disposition que vous avez combattue bec et ongles.

La réduction du temps de travail doit signifier création d'emplois : 10 % de réduction du temps de travail doit aboutir à 6 % de création d'emplois.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

Et nous estimons que l'affectation de 105 milliards à la réduction du temps de travail doit être contrôlée : c'est pourquoi nous proposons le contrôle de l'utilisation de ces fonds publics.

Comme l'a dit le Premier ministre dans son discours d'investiture, nous soutenons une réduction du temps de travail sans diminution de salaire, avec maintien du pouvoir d'achat. C'est pourquoi nous proposerons qu'il n'y ait pas de double SMIC, comme nous demanderons que l'on n'aille pas vers un accroissement de la flexibilité qui fait tant de mal à l'ensemble des salariés.

Vous voyez que nous ne sommes pas dans le même c amp : nous, nous nous battons pour une bonne deuxième loi sur les 35 heures.

Mme la présidente.

Je prie chacun de bien vouloir regagner sa place.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même, et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été cou plés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

....................................................................

Mme la présidente.

Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin : Nombre de votants ...................................

330 Nombre de suffrages exprimés .................

330 Majorité absolue .......................................

166 Pour l'adoption .........................

119 Contre .......................................

211 L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Mes chers collègues, M. Jacques Barrot m'a fait savoir que la durée de son intervention pour la défense de la question préalable excéderait une heure. Dès lors, pour la bonne organisation de nos travaux, il me paraît préférable que nous reportions cette discussion à notre prochaine séance, qui commencera à vingt et une heures quinze.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

Mme la présidente.

Ce soir, à vingt et une heures quinze, troisième séance publique : Discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, no 1786 rectifié, relatif à la réduction négociée du temps de travail ; M. Gaëtan Gorce, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 1826).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL de la 2e séance du mardi 5 octobre 1999 SCRUTIN (no 176) sur l'exception d'irrecevabilité opposée par M. Rossi au projet de lo i relatif à la réduction négociée du temps de travail.

Nombre de votants .....................................

330 Nombre de suffrages exprimés ....................

330 Majorité absolue ..........................................

166 Pour l'adoption ...................

119 Contre ..................................

211 L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN Groupe socialiste (252) : Pour : 1. - M. Jean-Pierre Kucheida.

Contre : 173 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Non-votant : M. Laurent Fabius (président de l'Assemblée nationale).

Groupe RPR (137) : Pour : 64 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Non-votant : Mme Nicole Catala (président de séance).

Groupe UDF (70) : Pour : 23 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe Démocratie libérale et Indépendants (44) : Pour : 29 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe communiste (35) : Contre : 22 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe Radical, Citoyen et Vert (33) : Contre : 16 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Non-inscrits (6).

Pour : 2. - MM. Lionnel Luca et Philippe de Villiers.

Mise au point au sujet du présent scrutin (Sous réserve des dispositions de l'article 68, alinéa 4, du règlement de l'Assemblée nationale) M. Jean-Pierre Kucheida, qui était présent au moment du scrutin ou qui avait délégué son droit de vote, a fait savoir qu'i l avait voulu ne pas prendre part au vote.