page 06886page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE-ANDRÉ WILTZER

1. Réduction négociée du temps de travail. - Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (p. 6887).

QUESTION PRÉALABLE (p. 6887)

Q uestion préalable de M. Philippe Douste-Blazy : M. Jacques Barrot, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité ; MM. Gérard Terrier, Domin ique Dord, Patrick Delnatte, Maxime Gremetz, Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Yves Cochet. - Rejet par scrutin.

M. Maxime Gremetz.

Suspension et reprise de la séance (p. 6902)

M. le président.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 6902)

M.

Yves Rome, Mme Roselyne Bachelot-Narquin,

MM. Maxime Gremetz, Hervé Morin, Yves Cochet.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

2. Dépôt d'une proposition de résolution (p. 6918).

3. Dépôt de rapports en application de lois (p. 6918).

4. Ordre du jour des prochaines séances (p. 6918).


page précédente page 06887page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE-ANDRÉ WILTZER,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures quinze.)

1 RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail (nos 1786 rectifié, 1826).

Je rappelle que cet après-midi, l'Assemblée s'est arrêtée après le rejet de l'exception d'irrecevabilité.

Question préalable

M. le président.

J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jacques Barrot.

M. Jacques Barrot.

Monsieur le président, madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, madame la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, il me faut exposer toutes les raisons qui nous font souhaiter, avant la discussion de ce projet, la levée d'un préalable majeur. Je serais tenté de dire que je n'ai jamais soutenu une question préalable avec une aussi profonde conviction qu'il y a effectivement un préalable à lever avant tout le reste.

M. Maurice Leroy.

C'est vrai !

M. Bernard Outin.

On peut se tromper !

M. Jacques Barrot.

Nous ne sommes pas hostiles à l'aménagement-réduction du temps de travail. Loin de là, nous l'avons prouvé en encourageant les partenaires sociaux à conclure les accords nationaux d'octobre 1995 et en initiant la loi qui porte le nom de notre collègue Gilles de Robien. En dépit de la durée limitée de son application, elle a permis de réelles avancées et vous n'êtes pas fâchée, madame la ministre, de comptabiliser les créations d'emplois qui lui sont dues dans les savants exercices statistiques que vous avez suscités pour valoriser le premier temps de votre démarche, celui qui, précisément, ne suscitait pas de notre part d'opposition de principe, dans la mesure où il était incitatif.

Mais aujourd'hui, nous changeons de registre. Le projet de loi engage la France dans une démarche générale, marquée du sceau de l'obligation légale et de l'uniformité.

Il le fait en précisant, parfois jusque dans le détail et au risque d'une extrême complexité, les modalités de ce passage à une durée légale hebdomadaire de 35 heures.

Madame la ministre, s'il y a quelqu'un qui connaît l'histoire du droit du travail, c'est bien vous ! Dans un droit de la durée du travail qui, depuis l'ordonnance du 16 janvier 1982, en passant par les lois Séguin de 1987, la loi quinquennale de 1993, la loi Robien de 1996, et enfin votre première loi de juin 1998, affirme de plus en plus sa source conventionnelle, cette seconde loi va faire irruption, comme si, finalement, votre majorité était animée d'une méfiance fondamentale, irréductible, vis-à-vis de ce qui est contractuel.

N'est-ce pas là le fait d'une vision manichéenne qui ne peut concevoir les rapports des salariés et de leur entreprise que sous la menace permanente d'un abus patronal ? Dès lors, seuls la loi et le règlement seraient en mesure de faire échec à ce risque d'abus.

Et pourtant, les temps ont changé : la communauté de l'entreprise a réussi à s'organiser, la collectivité des salariés a appris, au fil du temps, à négocier, à obtenir de la direction la signature d'accords qui permettent d'équilibrer, de concilier les besoins d'efficacité de l'entreprise face à ses clients et les aspirations de ses salariés.

Alors, pourquoi faut-il qu'en 1999, au lieu d'avancer plus loin, plus résolument dans le dialogue social, la France se replie en quelque sorte sur la loi et le règlement au risque de très graves inconvénients ? Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Tout à fait !

M. Jacques Barrot.

Voilà la question centrale : faut-il, un siècle après les grandes lois de la République, qui ont heureusement pallié l'inexistence du dialogue social à l'époque, agir comme si la négociation sociale entre partenaires patronaux et syndicaux n'avait pas aujourd'hui une meilleure capacité à construire un modèle social beaucoup plus performant, un modèle capable d'épouser la diversité des aspirations sociales, de tenir compte des évolutions d'entreprises de moins en moins marquées par le taylorisme, de plus en plus inspirées par une logique de missions et de responsabilités individuelles, par la constitution d'équipes et de réseaux ? Là est le coeur de notre question. Je serais tenté d'affirmer que tout le reste est négociable et, d'ailleurs, nous reconnaîtrons ici et là dans le texte certains progrès ponctuels : la simplification des types de modulation, la possibilité d'instaurer des cycles par accord d'entreprise et pas seulement par accord de branches, notamment.

En m'éloignant des polémiques partisanes, je voudrais successivement décrire les dangers de la démarche retenue qui justifient cette question préalable, souligner les effets pervers d'une partie du dispositif législatif et réglementaire retenu et vous conjurer de ne pas laisser passer la chance de rouvrir ce débat sur des perspectives plus


page précédente page 06888page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

larges et d'en profiter pour doter la France d'un droit de la durée du travail moderne, novateur et à la mesure des défis de demain.

Vous me permettrez tout d'abord de critiquer vivement une démarche que, en mon âme et conscience, je crois à contresens, dangereuse à la fois pour le dynamisme de notre économie et, peut-être plus grave, pour l'avenir de la négociation sociale.

Recourir à des obligations légales uniformes, c'est désespérer du renouveau du dialogue social en France, c'est s'isoler un peu plus en Europe, c'est plus ou moins transiger avec un malthusianisme rampant qui est à l'oeuvre dans la doctrine du partage du travail, renoncer à une économie française plus dynamique, porteuse de croissance, c'est-à-dire créatrice d'emplois, et c'est, enfin, aggraver dans bien des cas la condition des salariés les plus modestes, tout en renonçant à répondre aux aspirations d'un encadrement de plus en plus attentif à un traitement plus personnalisé, plus diversifié de ses conditions de travail.

N'est-ce pas désespérer de la négociation sociale ? Franchement, madame la ministre, l'attitude du Gouvernement est paradoxale.

Il a appelé de ses voeux la négociation sociale depuis un an. Il a mis en valeur les accords de branches signés depuis 1998, et, puisque je suis votre prédécesseur et que je n'ai pas l'habitude de parler la langue de bois, je vous reconnaîtrai sur ce point une supériorité sur ce que j'avais moi-même obtenu. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

Il est vrai qu'en matière d'accords de branches, vous avez fait mieux, peut-être par la menace que vous avez fait peser sur ces dernières. Le Gouvernement a, par ailleurs, beaucoup insisté sur les accords d'entreprises, bien qu'ils n'aient concerné que 10 % de celles comportant plus de vingt salariés.

Et le voilà qui va allègrement provoquer la caducité d'une partie des conventions conclues, sur des points essentiels à l'équilibre des accords, même si elles ont été signées par des centrales syndicales. Cela ne risque-t-il pas de mettre fin à un foisonnement d'initiatives, d'approches, qui mettaient sur les rails cette nouvelle vie contractuelle beaucoup plus intense, plus riche d'avancées sociales originales ? A cette critique, vous allez objecter que l'adoption de la nouvelle loi ne signifie pas la fin de la négociation sociale. Ne réservez-vous pas les aides financières aux entreprises qui passent un accord d'entreprise ? Cet argument ne rend pas compte de la réalité. En fait, la négociation, si négociation il y a, se trouvera très contrainte par une série de paramètres édictés par la loi, au risque d'ailleurs d'une complexité excessive, qu'il s'agisse des règles régissant le recours aux repos compensateurs, du traitement financier des heures supplémentaires ou, tout simplement, du régime de ces heures supplémentaires.

Et cela entraînera la révision d'accords de branche, voire d'accords d'entreprise. Tout à l'heure, vous avez contesté ce point, affirmant que les accords d'entreprise demeureraient en l'état. Il n'en reste pas moins que la loi devrait normalement entraîner une telle révision.

La liste des remises en cause serait longue. Ainsi, le BTP a prévu des contingents conventionnels d'heures supplémentaires, et cet accord a, à ma connaissance, fait l'objet d'une extension ministérielle. Seraient également remises en cause les dispositions relatives à l'organisation de la formation professionnelle dans certains accords - je ne sais ce qu'en pense Mme Péry, qui est à vos côtés -, et il en irait de même des modes de rémunération des personnels d'encadrement imaginés dans le secteur de la chimie et de l'accord de branche des experts comptables, qui a été signé par tous les syndicats sauf un et simplifie le régime des heures supplémentaires de la trentecinquième à la trente-neuvième.

Les initiatives des partenaires sociaux, passées et à venir, vont se trouver ainsi strictement encadrées par des dispositions dont la lisibilité n'ira pas de soi, c'est le moins qu'on puisse dire. N'est-ce pas là un aveu de défiance à l'égard du dialogue social, et, d'une certaine manière, le risque d'un affaiblissement du syndicalisme qui croit aux vertus de la négociation ? Tout cela donne le sentiment que la négociation sociale, loin de connaître un nouvel essor dans le pays, risque d'enregistrer un véritable recul.

Le deuxième reproche qu'on peut formuler à l'encontre de votre démarche, c'est le risque d'isolement.

Nos amis européens, à Cologne, ne s'y sont pas tromp és. La réduction administrative du travail, pour reprendre l'expression de l'OCDE, avec fixation non seulement de la durée hebdomadaire mais du niveau de la rémunération et du régime des heures supplémentaires, est une exception française : elle nous isole des autres pays européens. Alors que, dans l'Europe entière, c'est le contrat social qui permet de répondre aux attentes des entreprises et des salariés, en France, le Gouvernement choisit la méthode autoritaire par la loi. L'esprit de la directive européenne de 1993 n'est-il pas justement de réserver l'ordre public social fixé par la loi à ce qui concerne le repos et la sécurité des travailleurs, donnant pour tout le reste à la loi un caractère supplétif, subsidiaire par rapport à l'accord conventionnel ? C'est le même esprit qui inspire le protocole social annexé au traité de Maastricht, lorsqu'il reconnaît aux accords collectifs européens une légitimité suffisante pour prévoir leur adoption tels quels par le Conseil ; ce fut d'ailleurs le cas pour le travail à temps partiel, dont je me réjouis au passage que le texte du Gouvernement retienne la définition prévue par l'ordonnance.

Plus récemment, une recommandation du Parlement européen en matière d'aménagement-réduction du temps de travail, d'octobre 1997, préconisait un processus législatif non contraignant fondé sur le dialogue social au niveau de l'entreprise, en tenant compte du rôle vital des PME dans la création d'emplois.

Tournant le dos à ces orientations européennes, le gouvernement français prend le risque de briser le dynamisme du renouvellement des rapports sociaux, véritable levier des avancées sociales dans le modèle social européen à venir.

Le troisième reproche qu'on peut formuler à l'encontre de ce texte - et il me tient particulièrement à coeur c'est la tentation malthusienne, le malthusianisme, toujours prêt à trouver tous les alibis et tous les arguments pour faire renoncer à une économie française plus dynamique. Mais, nous le savons, il n'y aura pas d'avancées sociales durables sans une économie compétitive, sans des entreprises bien portantes.

M. Maurice Leroy.

Très bien !

M. Jacques Barrot.

Je ne fais pas a priori ce reproche au Gouvernement, mais je pense qu'il y a au sein de la majorité des tentations malthusiennes jointes à une vision du travail qui est considéré avec suspicion et, peut-être, sans le dire, comme une forme d'aliénation.


page précédente page 06889page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Pourtant, nous savons tous que c'est la croissance qui est aujourd'hui la première pourvoyeuse d'emplois, et de loin !

M. Maurice Leroy.

Bien sûr !

M. Jacques Barrot.

Mais alors, est-il raisonnable d'imposer à tous une réduction du temps de travail qui n'est souhaitable ni dans tous les secteurs d'activité ni dans toutes les entreprises ?

M. François Rochebloine.

La réponse est non !

M. Jacques Barrot.

Celle-ci pourra, dans certains cas, je vous l'accorde volontiers, déclencher une réorganisation bénéfique du travail. Mais, dans beaucoup d'autres cas, elle s'avérera maléfique pour la croissance de l'entreprise.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

C'est évident !

M. Jacques Barrot.

Le ressort principal de notre économie n'est plus seulement une activité industrielle reposant sur des tâches décomposées, répétitives, aisémen t divisibles, organisées à la chaîne, où le travail libéré par les uns peut aussitôt être poursuivi par d'autres et où les travailleurs sont largement interchangeables. Dans les conditions modernes de production, à l'heure de la société de l'information et de l'économie des services, partout, dans un monde en plein développement, contingenter uniformément le travail, c'est tout simplement freiner la production et prendre le risque de perdre des marchés.

Sur le plan macro-économique, force est de constater qu'en combinant l'entrée tardive des jeunes sur le marché du travail, le départ prématuré des travailleurs de plus de cinquante-cinq ans et, désormais, la réduction générale du temps de travail hebdomadaire, la France aura le plus faible taux d'utilisation de son potentiel productif.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Tout à fait !

M. Jacques Barrot.

...soit 40 à 44 %, contre 51 % pour l'Europe et 68 % pour les Etats-Unis. Pour certaines entreprises, il ne sera pas possible de compenser intégralement le surcoût induit par la réduction du temps de travail, qui sera la source d'une fragilisation.

Ce malthusianisme inspire aussi certains discours sur les cadres. Certes, et je veux être très clair sur ce point, l'encadrement français ne peut pas accepter sans contrepartie les rudes mobilisations qu'entraîne la concurrence mondiale.

Mais peut-on pour autant prétendre faire le bonheur des cadres en leur suggérant un certain désengagement vis-à-vis des enjeux et des défis de leur entreprise ? (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) C'est là une vraie question.

Une fois encore, loin d'être des adversaires de la réduction du temps de travail, nous disons oui lorsqu'elle est choisie de part et d'autre, avec la volonté de mieux organiser, pour la dynamiser et l'améliorer, la vie des salariés au travail, mais non lorsqu'elle est imposée par une sorte de revanche idéologique contre l'exploitation patronale et l'aliénation par le travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

La France a besoin d'aimer ses entreprises, surtout si elle les veut porteuses d'un modèle fait à la fois d'efficacité et de réussite sociale.

Quatrième grief : je crains que ce texte ne crée de graves déceptions chez les salariés,...

M. Maurice Leroy.

C'est sûr !

M. Jean-Claude Lefort.

Oh oui !

M. Jacques Barrot.

... et en particulier chez les plus modestes d'entre eux.

Rien ne nous dit que, sur ce chantier tel que vous l'avez conçu, les salariés seront gagnants. Une partie d'entre eux y perdront, car les déséquilibres créés par la loi risquent fort d'être corrigés à la base par des décisions négatives pour l'emploi, pour le pouvoir d'achat et pour les conditions de travail.

En ce qui concerne tout d'abord l'accès à l'emploi, l'alourdissement du coût du travail pèsera surtout sur les emplois les moins qualifiés. Le passage obligatoire aux trente-cinq heures payées trente-neuf affectera particulièrement certaines entreprises de main-d'oeuvre et de sous-traitance. Et les gains de productivité rendus nécessaires seront acquis parfois au prix de la disparition d'emplois devenus insuffisamment productifs par rapport au coût du travail.

Tout cela, comme l'ont souligné bien des économistes, risque d'accélérer la diminution du nombre des emplois les moins qualifiés. Or ce sont ces emplois qui seront les plus nécessaires...

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Bien sûr !

M. Jacques Barrot.

... pour arracher au chômage de longue durée les salariés les plus en difficulté. On peut de ce fait prédire sans trop de risque - je souhaite me tromper - une plus grande insécurité pour les travailleurs sans grande qualification.

M. Jean-Louis Debré.

Tout à fait !

M. Jacques Barrot.

En ce qui concerne le bilan de votre loi en matière de créations d'emplois, vous voyez, madame la ministre, que je n'ai pas commencé par une polémique, et je suis très mesuré car je sais combien il est difficile d'apprécier les effets d'une politique sur l'emploi.

Mais ne croyez-vous pas que vous devriez être beaucoup plus prudente que vous ne l'êtes ? Vos chiffres se fondent sur des accords conclus par des entreprises qui ne sont pas représentatives de l'ensemble du tissu productif français. Ces chiffres intègrent des emplois effectivement créés, mais certains le sont par effet d'aubaine.

J'ai ainsi entendu sur France Inter le directeur des ressources humaines de Gemplus, leader mondial de la carte à puce. Il a reconnu qu'il était entré dans le système parce qu'il avait été très largement attiré par des effets d'aubaine.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Tout à fait !

M. Jacques Barrot.

Je ne voulais pas faire un faux procès en généralisant mais il fallait insister sur ce point.

Surtout, dans cette comptabilité établie avec beaucoup de sophistication, on ne fait pas toujours la différence entre les promesses d'embauche et les embauches effectives.

M. Jean-Louis Debré.

Eh oui !

M. Jacques Barrot.

Qui dit que les embauches se réaliseront ? Il faudrait attendre au moins deux ans pour faire un bilan sérieux...

M. Bernard Accoyer.

Tout à fait !

M. Jacques Barrot.

... prenant en compte non plus seulement les promesses mais les réalités, un bilan qui ne se contente pas d'additionner des déclarations contenues


page précédente page 06890page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

dans des accords qui vont à la pêche aux subventions mais qui tienne également compte des conséquences macroéconomiques réelles induites par la loi.

L'accès à l'emploi nous pose donc un problème.

En ce qui concerne le pouvoir d'achat, les salariés français savent bien que les trente-cinq heures payées trenteneuf, cela se paie et se paiera fréquemment par un renoncement à voir leur niveau de vie continuer à augmenter et à profiter pleinement de la croissance. Souvent, chaque fois qu'elle sera possible, l'annualisation permettra à l'entreprise de ne pas payer d'heures supplémentaires tout en permettant aux salariés de travailler moins, c'est évident. Mais il n'est pas sûr que cela profite aux salariés situés en bas de l'échelle.

M. Maurice Leroy.

Tout à fait !

M. Jacques Barrot.

En effet, ceux-ci aspirent plus souvent à une augmentation de leurs rémunérations qu'à une réduction du temps de travail.

M. Jean-Louis Debré.

C'est le bon sens !

M. Jacques Barrot.

Quant aux conditions de travail, nous avons eu droit à des sondages qui ont montré qu'un tiers des salariés passés aux trente-cinq heures déploraient l'imposition, au nom du surcroît de productivité nécessaire, d'un rythme de travail beaucoup plus stressant. Et des rapports ont, à juste titre, donné l'alarme sur le risque de voir des accords sur la réduction du temps de travail n'intégrer aucune préoccupation de santé et de sécurité. C'est d'ailleurs pour quoi l'ordre public social, c'est-à-dire ce qui relève de la loi, doit veiller à tous ces aspects relatifs à la santé et la sécurité des travailleurs.

Mais, dans la mesure où cette réduction du temps de travail imposée conduira dans certains cas à trouver des formes de compensation sur le tas, on peut penser que la qualité des conditions de travail y perdra.

Ces menaces affecteront les salariés les plus vulnérables.

Le projet de loi - nous aurons l'occasion de le montrer accentue la disparité des situations et aggrave l'inégalité des conditions faites aux travailleurs selon les entreprises où ils travaillent ; d'ailleurs, Hervé Morin insistera à nouveau sur notre grande crainte d'une accentuation de la fracture sociale entre entreprises et entre salariés.

A vouloir le retour en force de la loi là où l'accord de branche et l'accord d'entreprise avaient des chances de mieux prendre en compte la diversité des attentes sociales, on va au-devant de vraies frustrations et de sérieuses déceptions.

Je serais tenté de dire qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire. Pourquoi le Gouvernement s'obstinerait-il ?

M. Jean-Louis Debré.

Par aveuglement idéologique !

M. Jacques Barrot.

Pourquoi ne constaterait-il pas la richesse des expérimentations permises par le dialogue social ? Tout à l'heure, madame la ministre, je vous ai entendue célébrer - et vous n'aviez pas tort - l'innovation que constitue, dans un accord d'entreprise, la prise en considération des besoins de certains salariés pour leur vie familiale.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Oui !

M. Jacques Barrot.

Ce n'est pas moi qui, sur ce plan, vous contredirai. Mais je constate qu'il s'agit du fruit d'un accord d'entreprise...

M. Jean-Louis Debré.

Eh oui !

M. Jacques Barrot.

... et que, précisément, c'est la dynamique de la négociation sociale qui produit de tels effets. Pourquoi diable faudrait-il interrompre ce processus de dialogue social en faisant intervenir massivement la loi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Yves Rome.

Vous avez mal lu le texte !

M. Jacques Barrot.

Pourquoi ne pas laisser libre cours à la poursuite de la négociation sociale au lieu de la brider, de la compromettre par une loi dont la complexité et les surcoûts, malgré les aides, vont entraîner des effets pervers ?

M. Gérard Bapt.

Il n'y avait pas de négociations !

M. Yves Rome.

Il n'y a pas que la loi !

M. Jacques Barrot.

Ce texte est très habile.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Merci !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Enfin une qualité !

M. Jacques Barrot.

Mais l'habileté n'est pas toujours une qualité.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est vrai !

M. Jacques Barrot.

Parfois, la politique est en cause parce que l'habileté est excessive et la vérité insuffisante.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Tout à fait !

M. Jacques Barrot, Madame la ministre, la construction de votre loi peut donner le sentiment que l'accord d'entreprise étant rendu nécessaire pour bénéficier des allègements sociaux, on mettra vraiment le cap sur les accords d'entreprise Mais, en même temps, je me rends compte que ces accords d'entreprise vont être totalement conditionnés par une série de dispositions que le texte a précisés jusque dans le détail, sans parler des amendements de la majorité, que nous voyons arriver avec quelque appréhension.

M. Maxime Gremetz.

Le MEDEF aussi !

M. Jacques Barrot.

On se demande ce qu'il restera à négocier quand on aura écrit la partition des acteurs sociaux jusque dans le détail. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Ce dispositif législatif est complexe, inégalitaire et coûteux.

La complexité et l'incertitude qui ressortent du texte vont perturber des entreprises et parfois menacer les salariés. Je vous ai donné raison lorsque vous réussissiez des simplifications, des assouplissements, comme la fusion des trois dispositifs de modulation en un seul ou la possibilité ouverte à l'accord d'entreprise de décider des cycles. Ces progrès...

M. Yves Rome.

Il y en a d'autres !

M. Jacques Barrot.

... n'autoriser pas, non plus qu'ils n'excusent, les trop nombreuses complexités introduites par le projet.

Guidée, dans le meilleur des cas, par le souci de ménager les transitions et, plus souvent, par la simple volonté d'imposer des solutions, vous avez prévu des dispositions extrêmement compliquées.


page précédente page 06891page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Il en est ainsi du régime des heures supplémentaires, qui ouvrent droit tantôt à des bonifications en faveur des salariés, tantôt à une contribution qui pénalise l'entreprise sans apporter quoi que ce soit aux salariés.

M. Maxime Gremetz.

Arrêtez !

M. Jacques Barrot.

J'essaie d'exprimer le point de vue de la minorité et, en bon démocrate, vous allez me laisser continuer !

M. Maxime Gremetz.

Bien sûr !

M. Jacques Barrot.

Les règles de valorisation des heures supplémentaires étant variables selon que l'entreprise vit ou ne vit pas sous l'empire d'un accord collectif, il y aura manifestement incertitude pour les salariés et, bien sûr, inégalité entre eux, mais je reviendrai sur ce point. Comment expliquera-t-on, par exemple, au salarié qui effectuera des heures supplémentaires dans une entreprise où il n'y a pas eu d'accord collectif qu'il ne pourra bénéficier que d'une bonification de 15 % alors que son voisin, qui a la chance de travailler sous l'empire d'un accord collectif, bénéficiera, lui, d'une bonification de 25 %. Et il faudra aussi lui expliquer pourquoi, pendant l'année 2000, il sera carrément privé de bonification ! N'est-ce pas prendre les salariés en otages et risquer d'ouvrir la porte aux conflits sociaux ? Un texte d'une telle complexité n'a du reste pas manqué de prendre au piège ses auteurs. Je n'ai pas la prétention d'avoir tout compris et il est possible que je me trompe mais il me semble que, lorsqu'elles feront le choix d'une valorisation des heures supplémentaires sous forme de repos compensateur, les entreprises n'ayant pas signé d'accord se verront avantagées par la loi. Alors que les entreprises sous l'empire d'un accord collectif devront s'acquitter d'une majoration de 25 %, celles-là ne seront soumises qu'à une majoration de 15 %, puisque, dans ce cas, la contribution de 10 % n'est pas due. Ce n'est pas le moindre des paradoxes de cette loi que de faire émerger, à force de complexité, des solutions qui vont à l'encontre des objectifs affichés ! De même, le recours à la loi et au règlement pour classifier les cadres et définir toutes les règles régissant les différents régimes auxquels ils seront assujettis va montrer ses limites. D'autant plus qu'à vouloir aborder de manière simplificatrice des situations très diverses et très évolutives, la loi entravera la recherche de formules innovantes plus en prise avec l'autonomie croissante des tâches confiées à l'encadrement. Pire encore : des amendements prétendent interdire la définition « de l'équivalence » par la voie conventionnelle, seule vraie manière, dans bien des cas, de mesurer et de compenser de manière appropriée les dépassements d'horaires exigés du cadre du fait de la variété de ses missions.

On pourrait multiplier les exemples de situations auxquelles la loi prétendra répondre au prix d'une extrême complexité. Ces complications, ce juridisme donneront des moyens d'action supplémentaires à l'administration et au juge, c'est vrai, mais ils rebuteront ceux qui ne sont pas des spécialistes, ils perturberont ces moyennes et petites entreprises toutes entières mobilisées par les attentes de leurs clients et peu expertes en définitions juridiques.

M. Bernard Accoyer.

C'est très grave !

M. Jacques Barrot.

Les salariés eux-mêmes, quand ils seront insuffisamment informés et conseillés, risquent bien de s'y perdre et de vivre ces contraintes venues d'en haut comme des dispositions incompréhensibles et faussement protectrices.

M. Bernard Accoyer.

Bien sûr !

M. Jacques Barrot.

Cette complexité appellera inéluctablement une tendance à multiplier les contrôles. Il y aura tant de paramètres à prendre en compte pour bien savoir sous quel régime vit l'entreprise ! Nous allons tout droit vers une suradministration, vers une insécurité juridique accrue alors qu'il faudrait libérer les énergies et faire confiance à un dialogue social ouvert.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Comme chez Michelin !

M. Jacques Barrot.

Enfin, le projet de loi apporte une autre source d'incertitude et d'inquiétude pour les salariés. C'est vrai, madame la ministre, qu'il n'est pas facile - et je ne vous en fais pas grief - de clarifier la relation entre l'accord collectif et le contrat individuel. Mais voilà que le projet de loi autorise, dans des conditions pour le moins contestables, le licenciement d'un salarié qui refuserait les nouvelles conditions de travail fixées par l'accord collectif.

M. Bernard Accoyer.

C'est surréaliste !

M. Jacques Barrot.

Voilà que, dans cette circonstance, l'employeur bénéficie pour ce licenciement de la présomption d'une cause réelle et sérieuse. Autrement dit, la charge de la preuve d'un licenciement abusif, décidé dans le cadre du passage aux 35 heures, reviendra au travailleur. Je comprends l'émotion créée par cette disposition à mon sens mal ficelée.

M. Bernard Accoyer.

C'est n'importe quoi !

M. Jacques Barrot.

C'est une curieuse manière de sécuriser les salariés que d'autoriser en quelque sorte par avance leur licenciement, pour cause de désaccord sur les termes d'une convention dont on a vu combien elle pouvait être contrainte par la loi.

M. Dominique Dord.

C'est brai !

M. Jacques Barrot.

Au reproche de complexité, on peut ajouter celui de l'inégalité.

Car, enfin, on peut légitimement s'étonner de voir les différences de traitement que vont subir les salariés selon qu'ils appartiennent à telle ou telle entreprise. Même si leur entreprise affiche un horaire collectif de 35 heures, dès lors qu'il n'y a pas eu accord collectif, ils seront traités différemment quant au mode de rémunération des h eures supplémentaires, quant au recours au repos compensateur.

Leur situation variera en outre très sensiblement en fonction du sort fait à leurs entreprises, placées ellesmêmes en situation inégale. L'accès aux nouveaux abattements de charge n'est pas lié, comme cela paraîtrait aller de soi, au passage effectif à un horaire collectif de 35 heures. Il y faut, en plus, un accord d'entreprise.

Il ne serait pas honnête de prétendre que l'absence d'accord est toujours imputable à l'employeur. La situation des entreprises françaises, à cet égard, varie beaucoup, notamment avec une présence syndicale très disparate : 80 % des entreprises ayant un effectif compris entre onze et cent salariés n'ont pas de section syndicale.

Lorsque les interlocuteurs syndicaux font de la surenchère - je ne dis pas que ce soit général mais ça arrive - ou lorsqu'il n'y a pas d'interlocuteur syndical ou mandaté, faut-il vraiment que le chef d'entreprise qui fait l'effort de réduire la durée du travail soit pénalisé par rapport à ses concurrents qui, parfois, auront réussi à arracher des accords tout à leur avantage ? Il y a là une injustice grave


page précédente page 06892page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

et une inégalité - Dominique Dord l'a évoqué tout à l'heure - que le Conseil constitutionnel pourrait bien sanctionner.

Je ne vois vraiment pas comment on peut opérer une différenciation absolue entre une entreprise étant passée effectivement à 35 heures, durée du travail collectif affichée, et une entreprise ayant fait de même mais avec en plus un accord dans la poche, et en faire dépendre l'octroi des aides !

M. Germain Gengenwin.

Sans parler du secteur public !

M. Jacques Barrot.

Suprême paradoxe de ce texte, alors même qu'il confie à la loi la fixation de l'essentiel des règles de passage à 35 heures, il exige au finish un accord collectif pour mériter des abattements de charges censés corriger les surcoûts des 35 heures.

Nous sommes favorables au développement, voire à la généralisation de l'accord collectif d'entreprise. Mais ce n'est sûrement pas de cette manière que l'on peut y parvenir.

L'accord peut et doit être incité. Nous avions dit oui à votre premier dispositif, madame la ministre, dans la ligne de la loi Robien.

M. Marcel Rogemont.

Eh bien, dites-le encore !

M. Jacques Barrot.

Mais la situation sera bien différente à partir de l'an prochain. La durée légale passant à 35 heures, les entreprises seront pénalisées par des surcoûts qui n'existaient pas encore. Les aides, désormais, n'auront plus un rôle d'incitation mais de correction des surcoûts. Qu'il y ait accord ou non, ces surcoûts existeront. J'ajouterai même que ces surcoûts existeront, qu'il y ait réduction de la durée du travail ou non.

Dès lors, je ne vois pas comment vous pouvez réserver vos faveurs aux seules entreprises qui, ayant conclu un accord...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Oh !

M. Jacques Barrot.

... les faveurs de la République, nous nous comprenons.

M. Yves Rome.

Je préfère ça !

M. Jacques Barrot.

... entreprises qui, par hypothèse, sont celles qui s'accommodent le plus facilement de votre loi, en laissant les autres dans la panade. Sans doute ne font-elles pas ce que vous voulez, et c'est là toute leur faute dans votre vision moralisatrice de l'économie, mais elles font travailler les Français, fournissent leurs clients, se battent pour gagner des marchés. En les punissant, c'est l'économie que vous frapperez !

M. Bernard Accoyer.

C'est vrai !

M. Jacques Barrot.

Je dis cela un peu brutalement parce que se pose là un réel problème de fond. Je le répète, je ne vois pas comment on peut prétendre traiter aussi différemment deux entreprises alors même qu'elles ont toutes les deux fait l'effort de passer à 35 heures.

Qui plus est, au moment où vous subordonnez l'octroi des aides à un accord collectif, vous limitez les moyens d'y parvenir et vous improvisez de nouvelles règles avec un traitement différencié des syndicats, ce qui ne va pas sans problème.

L a procédure de mandatement mise en oeuvre depuis 1996, qui a permis dans votre premier dispositif de parvenir à un certain nombre d'accords d'entreprises, est alourdie.

Plus encore, madame la ministre, je soulignerai - et là, vous comprendrez pourquoi j'y mets toute ma passion que vous êtes revenue sur les solutions définies par l'accord interprofessionnel du 8 avril 1999, qui reconduisait l'accord du 31 octobre 1995. Les entreprises dépourv ues de délégués syndicaux pouvaient conclure des accords collectifs avec les représentants élus du personnel, notamment membres du comité d'entreprise, sous réserve de validation par une commission paritaire de branche.

Ce dispositif expérimental semblait porter ses fruits puisqu'il a donné lieu à des accords dans une trentaine de branches professionnelles. Pourquoi, aujourd'hui, l'interrompre au même moment où vous faites de l'accord d'entreprise une condition sine qua non pour faire bénéficier les entreprises de plus de cinquante salariés des abattements de charges en compensation du surcoût des 35 heures ? Je n'arrive pas à le comprendre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Les entreprises françaises risquent de se trouver placées devant ce dilemme : soit elles tenteront de se plier à une procédure de négociation d'accords collectifs qui, dans certains cas, leur posera des problèmes très difficiles, soit elles devront se priver de l'aide de l'Etat pour compenser le surcoût lié au passage aux 35 heures.

Parmi les risques d'inégalité figure aussi le problème du SMIC, cela a été dit par Dominique Dord et par certains orateurs de l'opposition. Je ne m'y attarderai donc pas.

La discussion montrera assez les difficultés auxquelles vous allez vous heurter dans le traitement des salariés au bas de l'échelle des rémunérations. Quant aux débats internes à votre majorité, ils manifestent déjà, s'il en éta it besoin, les imbroglios auxquels va conduire cette législation. Pour ne prendre qu'un exemple, qui a déjà été évoqué, qu'en sera-t-il d'un salarié travaillant pour plusieurs employeurs qui ne pourra obtenir de ses employeurs ni une réduction du temps de travail ni une augmentation du salaire horaire ?

M. Maurice Leroy.

Bon exemple !

M. Jacques Barrot.

En fait, dès lors que pour les anciens salariés à temps plein la réduction du temps de travail s'effectue sans diminution du salaire mensuel, par souci d'équité, on ne peut que souhaiter que la majoration des taux de salaire profite à tous les salariés à temps partiel. Il doit en être ainsi parce que prévaut le principe jurisprudentiel : « à travail égal, salaire égal. » Mais du

coup, l'entreprise sera confrontée à une inflation généralisée des salaires horaires qui peut menacer son développement.

Par ailleurs, les petites entreprises auront plus de mal que les grandes à appliquer la réduction du temps de travail : les tâches ne sont pas toujours substituables et les embauches ne sont pas aisément fractionnables. Les entreprises positionnées sur des secteurs où il y a pénurie de main-d'oeuvre seront pénalisées. Et les entreprises positionnées sur des secteurs très exposés à la concurrence internationale et vivant sur de très faibles marges souffriront beaucoup plus.

C'est dire qu'il ne faut pas se tromper. La loi que vous nous proposez pourra certes être appliquée dans des conditions convenables par un certain nombre d'entreprises, mais le problème c'est qu'elle ne pourra pas répondre aux besoins de toutes les entreprises françaises.

M. Maurice Leroy.

Très bien !


page précédente page 06893page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

M. Jacques Barrot.

Je prendrai un exemple concret, celui d'une entreprise de trois cents salariés, employant une main-d'oeuvre peu qualifiée, qui est confrontée à une concurrence internationale très vive. L'intention du chef d'entreprise est bien de conclure un accord pour passer aux 35 heures. Mais les aides supplémentaires correspondant au nouvel abattement de charges ne lui permettront pas de procéder aux embauches nécessaires pour compenser la perte de quatre heures de production. Que va-t-il faire ? Il va délocaliser et les aides seront finalement utilisées pour financer la délocalisation de ces quatre heures de travail.

M. Bernard Accoyer.

C'est évident !

M. Jacques Barrot.

L'entreprise - je précise qu'elle n'est pas dans mon département, mais dans un département voisin - y gagnera sans doute un peu. Mais en quel sens ? La loi aura eu pour conséquence de permettre à des travailleurs français de réduire leur temps de travail, mais elle aura aussi fait perdre à l'économie française quatre heures de production au bénéfice de pays étrangers.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.

Très juste !

M. Jacques Barrot.

Et cette stratégie apparaît la seule nous avons envisagé la situation sous tous les angles, madame la ministre - qui permette à cette société de maintenir sa position sur le marché. Nous touchons bien un des effets pervers de la démarche retenue.

(Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. André Gérin.

C'est du chantage !

M. Jacques Barrot.

Non, ce n'est pas du chantage ! Je reconnais que c'est un cas parmi d'autres à partir duquel nous ne pouvons pas tirer de conclusions générales.

M. Jean-Claude Lefort.

Alors, pourquoi en parlezvous ?

M. Jacques Barrot.

Mais le cas que je viens de citer est bien réel. Je soumettrai en privé à Mme la ministre les données concernant cette entreprise, car son responsable n'a aucun reproche à se faire.

M. André Gérin.

Courage, fuyons !

M. Jean-Claude Lefort.

C'est un « barrotineur » !

M. Jacques Barrot.

Je l'ai déjà dit, le danger le plus grave réside dans cette perte d'emplois moins qualifiés.

M. André Gérin.

C'est le bonnet d'âne Michelin !

M. Maurice Leroy.

Mais qu'est-ce que vous faites pour le cas Michelin ! C'est vous qui gouvernez quand même !

M. Jacques Barrot.

Cela est d'autant moins acceptable que l'Etat, je devrais dire la nation, va consacrer des sommes très importantes pour financer cette réduction du temps de travail, imposée à toutes les entreprises françaises. Les soixante milliards supplémentaires qui doivent être mobilisés pour financer à terme les abattements de charges impliquent la mobilisation de moyens financiers qui auraient pu très utilement servir à baisser...

M. Thierry Mariani.

Les charges !

M. Jacques Barrot.

... les charges sur les emplois moins qualifiés.

M. Thierry Mariani.

Ils ne veulent pas !

M. Jacques Barrot.

Madame la ministre, vous avez bien voulu le reconnaître : l'enrichissement de la croissance en emplois moins qualifiés passe essentiellement par les baisses de charges bien ciblées. On peut penser avec nostalgie à l'effet qu'aurait pu avoir une baisse très significative, allant bien au-delà des quarante milliards consacrés à la ristourne dégressive déjà existante. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) M. Piketty serait mieux placé pour exposer ces questions à cette tribune.

Vous me permettrez d'exprimer dans cette question préalable, une deuxième inquiétude grave : elle concerne la manière dont le Gouvernement entend mobiliser les sommes nécessaires au financement des 35 heures.

M. Jean-Jacques Weber.

Hélas !

M. Jacques Barrot.

Je ne m'étendrai pas sur les inconvénients d'une nouvelle contribution sociale sur les bénéfices, au moment où nos voisins, principaux concurrents, continuent à baisser leur impôt sur les sociétés.

M. Bernard Accoyer.

Encore des impôts !

M. Jacques Barrot.

Je n'évoquerai pas les complexités de la nouvelle écotaxe. Je m'en tiendrai à un seul problème, majeur : l'appel aux organismes sociaux et de prévoyance pour contribuer au fonds d'allégement des charges liées à la réduction du temps de travail.

M. Bernard Accoyer.

C'est un scandaleux hold-up !

M. Jean Ueberschlag.

C'est anticonstitutionnel !

M. Jacques Barrot.

Le Gouvernement avance comme prétexte qu'en favorisant la création d'emplois, cette réduction du temps de travail abondera à l'avenir les ressources des organismes. A-t-on jamais vu des budgets sérieux bouclés avec la promesse des recettes incertaines ?

M. Maxime Gremetz.

Vous êtes, si je comprends bien, pour la suppression des allégements de charges !

M. Jacques Barrot.

Mais il y a pire, en l'occurrence l'Etat sollicite une sécurité sociale dont le redressement reste, dans l'état actuel des choses, très lié à la croissance des ressources et qui est toujours menacée par un retournement de la conjoncture. Est-il logique de prétendre renforcer dans la loi de financement de la Sécurité sociale la responsabilité des partenaires sociaux dans la gestion des caisses et dans le même temps de leur demander de prêter main forte à l'Etat en lui apportant les bénéfices de leur bonne gestion, si tant est qu'il y ait des bénéfices ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Et que dire d'un prélèvement sur les régimes de retraite, en particulier sur les régimes de retraites complémentaires obligatoires, qui sont censés, eux aussi, constituer des réserves pour pouvoir honorer à l'avenir les droits ouverts par leurs ressortissants ? Un prélèvement sur les réserves de l'ARRCO au bénéfice du fonds de compensation des charges paraîtrait comme une provocation au moment où l'Etat lui-même avoue la nécessité de faire des réserves dans le régime général. De plus, à chaque franc de cotisation pour la retraite complémentaire correspondent des droits à pension, et il est donc inconcevable de prélever sur les rentrées de l'AGIRC et de l'ARRCO pour financer les aides aux 35 heures. Cela reviendrait à mettre en cause les droits des retraités.


page précédente page 06894page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Mme Christine Boutin.

C'est invraisemblable !

M. Jacques Barrot.

J'espère bien que nous ne mettrons pas en cause, à travers ce texte, la gestion partenariale de nos grands systèmes de prévoyance collective.

M. Maurice Leroy.

C'est déjà fait !

M. Jacques Barrot.

Cette question n'est pas secondaire.

Les partenaires sociaux ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, madame la ministre, puisque l'un après l'autre, les grands syndicats représentatifs vous ont signifié leur refus de voir les fonds destinés à nos grands systèmes de prévoyance collective utilisés à d'autres fins, en l'occurrence pour compenser partiellement les surcoûts liés à la réduction du temps de travail.

Mais rassurez-vous, madame, je ne ferai pas de procès au ministre de l'emploi et de la solidarité ; j'attends avec impatience la venue du ministre de l'économie et des finances (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance), car je pense qu'il y a, du côté de Bercy, un certain nombre d'arrière-pensées qu'il faudra bien dissiper.

M. Maurice Leroy.

Où est-il, M. Strauss-Kahn ?

M. Jacques Barrot.

Il ne faut pas que le ministère des finances, pour cause d'abondement de ressources, vienne assécher la démocratie sociale,...

M. Bernard Accoyer.

Très bien !

M. Jacques Barrot.

... comme s'il n'y avait de force de changement que l'Etat. Non, il faut faire confiance aux forces de transformation sociale qui sont à l'oeuvre dans notre société, les respecter et les accompagner.

Enfin, j'évoque pour mémoire le problème majeur de la transposition des 35 heures dans le secteur public (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Comment le Gouvernement fera-t-il face a ux dépenses publiques supplémentaires ? Comment, s'agissant de la fonction publique hospitalière, réussira-t-il à maintenir la qualité de service dans le cadre des contraintes que vous êtes bien placée pour connaître ? Est-ce bien là aujourd'hui une priorité nationale alors que la sphère publique est appelée à un surcroît d'efficience ? Car c'est bien cette optimisation que les Français, auxquels sont demandés les prélèvements les plus élevés d'Europe, souhaitent d'abord, quel que soit leur horizon.

Et c'est bien elle qui permettra de sauver un service public à la française.

J'en viens, madame la ministre, à ce qui pourrait être - et j'utiliserai ce terme avec beaucoup de modestie - une alternative. D'abord, vous me permettez de redire que les succès remportés sur le chantier de l'emploi et dans la lutte contre le chômage ont bien manifesté que la première arme contre le chômage reste la croissance.

M. Jacques Desallangre.

Ça n'a pas toujours été dit !

M. Jacques Barrot.

La création de nombreux emplois marchands exprime cette vérité première qui veut que la première pourvoyeuse d'emplois soit la croissance. Mais elle manifeste aussi que nous avons su progressivement enrichir la croissance en emplois, notamment par la baisse des charges sur le travail moins qualifié.

Par ailleurs, la France a connu un développement du temps partiel qui, s'il reste dans certains cas subi, ou l'occasion de certains abus, n'en reste pas moins un moyen de retour à l'emploi ou de maintien en activité. Ainsi, notre expérience française est là pour confirmer le bienfondé des stratégies de certains de nos voisins européens qui ont beaucoup emprunté à la baisse du coût du travail, à l'individualisation des horaires et au développement des emplois courts, qui ne sont pas pour autant systématiquement frappés de précarité, comme on l'affirme trop facilement.

Les travaux des instances européennes valident ces approches, manifestant ainsi qu'il n'y a pas d'arme absolue contre le chômage mais une série d'armes qui permettent de l'encercler et de le réduire.

Dans ce contexte, l'aménagement-réduction du temps de travail ne peut pas être présenté comme une panacée, mais comme une arme parmi d'autres, et qui ne peut être efficace que si on l'utilise avec un certain mode d'emploi.

Au fond, ce que nous voulons ce soir, c'est essayer d'infléchir votre démarche en disant : Chiche ! Oui à la réduction-aménagement du temps de travail, mais avec un autre mode d'emploi. En voici quelques éléments.

D'abord, sommes-nous d'accord sur le fait que le droit de la durée du travail doit être le fruit de la négociation collective ? Je le rappelle, la directive européenne de 1993 considère que, hormis ce qui touche à la sécurité et à la santé des travailleurs, sujets qui relèvent de la loi, tout le reste doit être d'origine contractuelle. Si nous sommes d'accord sur ce point, alors nous devons simplement nous demander comment arriver à une négociation collective plus active, comment légitimer les accords d'entreprise.

Là est le sujet fondamental.

Pendant longtemps le droit du travail s'est borné à édifier une législation protectrice du salarié, jugé la cible de tous les abus possibles de la part de la direction de l'entreprise. Peu à peu a commencé à émerger une autre c onception de l'entreprise, considérée comme une communauté qui se donne elle-même ses règles d'organisation et s'efforce progressivement d'intéresser tous ses membres. Je note d'ailleurs, dans la majorité, un certain nombre d'appels à un renouveau de l'intéressement, et j'y vois le signe d'une évolution favorable.

M. Jean-Louis Debré.

Très bien !

M. Jacques Barrot.

Dès lors, je ne comprends pas pourquoi, ayant pris la mesure de cette évolution de l'entreprise comme communauté d'intérêts, on en est réduit à demander à la loi et au règlement de légiférer s ur la durée du travail.

Dans ce nouveau paysage, il faut ouvrir des voies beaucoup plus larges, beaucoup plus diversifiées à l'accord collectif, pour permettre de trouver, au cas par cas, le juste équilibre entre les exigences économiques de l'entreprise et les aspirations de ses salariés. Il est vrai, madame la ministre, que ce n'est pas la tâche la plus facile.

Pour avoir des accords collectifs qui fassent autorité, il faut à la fois légitimer la négociation elle-même par des procédures adaptées et légitimer les signataires. Il faut faire preuve d'imagination. Le syndicalisme français, pour jouer tout son rôle, doit dépasser sa recherche traditionnelle de représentativité et s'assigner une ambition beaucoup plus forte, qui est celle d'incarner une légitimité. Mais cette légitimation ne peut se faire, en définitive, que sur le terrain, et non pas par une sorte de monopole délivré systématiquement d'en haut.

Les partenaires sociaux, dans l'accord interprofessionnel du 30 octobre 1995, se sont rapprochés de cette idée. Le recours aux délégués élus du comité d'entreprise, voire au référendum sous certaines conditions, leur a paru acceptable, au moins à titre expérimental. Votre texte prévoit


page précédente page 06895page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

certes un recours au référendum et aux délégués du personnel, mais de manière très restrictive. Le véritable enjeu pour l'avenir, c'est de favoriser un droit de la durée du travail de nature conventionnelle, où la loi ne soit que subsidiaire. Pour cela, il faut impérativement favoriser la signature d'accords d'entreprise, qui se heurtent aujourd'hui à des obstacles tantôt formels - il s'agit des modalités -, tantôt matériels, la sous-représentation syndicale, qui freinent leur développement. La loi, au lieu de fixer le contenu des accords, doit faciliter leur émergence en réformant leurs modalités.

Or ces modalités doivent tenir compte de deux contraintes. Première contrainte : il faut légitimer les acteurs de la négociation. Dès lors que l'accord n'a plus pour simple objet de créer des avantages supplémentaires mais qu'il prévoit des concessions mutuelles, il est indispensable que, sous une forme ou sous une autre, il recueille l'assentiment de la majorité du personnel de l'entreprise. Deuxième contrainte : l'insuffisance, dans certaines entreprises, de la représentation syndicale.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler.

La faute à qui ?

M. Jacques Barrot.

Pour tenir compte de ces deux c ontraintes, il serait souhaitable d'imaginer d'autres conditions de validité d'un accord d'entreprise, en rendant possibles simultanément, et pour toutes les entreprises, plusieurs manières de procéder.

On pourrait imaginer l'accord négocié dans le cadre de la commission paritaire, mais à condition que l'audience des signataires soit supérieure à 50 % des inscrits. Car ce que je critique dans le texte, c'est qu'il considère comme majoritaires des syndicats qui représentent 50 % des suffrages exprimés. Nous ne pouvons parler de légitimité que si est acquise la majorité des inscrits.

M. Gérard Terrier.

Balayez devant votre porte !

M. Marcel Rogemont.

La démocratie, c'est 50 % des suffrages exprimés !

M. Jacques Barrot.

Deuxième formule possible : l'accord négocié dans les mêmes conditions, ou par mandataire, mais qui ne prend vie, si les signataires ont une audience inférieure à 50 %, qu'après ratification par référendum, à la majorité simple des inscrits. L'accord négocié avec les élus du comité d'entreprise serait encore une solution. Bref, il s'agit d'élargir à toutes les entreprises des modalités de convention plus démocratiques, pour éviter les blocages et accroître la légitimité des accords.

Evidemment, l'élaboration d'un droit de la durée du travail de nature conventionnelle pourrait se conjuguer avec une optimisation de l'organisation de l'entreprise.

Les bons accords d'entreprise, il est normal d'y inciter et de les encourager.

Madame la ministre, je suis de ceux qui pensent, à la lumière de la loi de Robien - que j'ai fait voter par cette assemblée - comme du dispositif de votre première loi, que l'on pourrait revoir intelligemment les incitations aux accords, en maintenant une baisse des cotisations pour les entreprises de main-d'oeuvre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)...

Mes chers collègues, j'essaie de montrer que le Parlement peut aussi être imaginatif.

... mais en recourant aussi, pour les entreprises plus capitalistiques, où les baisses de cotisations peuvent déclencher des effets d'aubaine, à des provisions pour investissement qui, tout en prévenant ce risque, leur apporteraient l'encouragement que justifie manifestement un accord d'entreprise aménageant la réduction du temps de travail.

Dans ce nouveau cadre d'essence contractuelle, il serait aussi plus aisé de relier temps de travail et temps de formation. Car s'il y a un reproche que je fais à ce texte, c'est bien d'avoir laissé passer la chance de donner le départ à un dispositif de formation tout au long de la vie.

Mme Péry est là et je sais que le Premier ministre a annoncé un texte pour l'année prochaine. Mais, franchement, est-il de bon sens de statuer sur la réduction du temps de travail sans immédiatement lier un tel dispositif à cette législation ? Assurer la formation tout au long de la vie, c'est une des données majeures de l'avenir, et c'est probablement ce qui peut vraiment garantir les salariés contre le chômage de longue durée.

Avant de conclure, je ferai un dernier plaidoyer pour une démarche nouvelle en matière d'individualisation des horaires. Tout se passe comme si le temps partiel était vraiment suspect. Franchement, ne peut-on pas distinguer clairement un temps partiel contraint et un temps partiel choisi ? N'est-il pas facile de vérifier, par exemple, si l'entreprise a accepté de garantir aux salariés à temps partiel des conditions de retour au temps plein plus favorables que les dispositions légales ? Si tel est le cas, c'est une preuve manifeste que l'entreprise a offert un temps partiel sans avoir l'arrière-pensée de contraindre mais en répondant à une attente du salarié. Dès lors, ne serait-il pas convenable que l'entreprise qui offre à ses travailleurs à temps partiel des garanties sociales équivalentes à celles de leurs collègues à temps plein - par exemple, en matière de retraite - puisse bénéficier de la déduction d'impôts et de cotisations sociales ? Cela permettrait au temps partiel choisi de prendre en France toute la place qu'il doit occuper, conformément aux attentes des salariés.

Madame la ministre, vous avez évoqué le souhait d'un grand nombre de femmes et d'hommes de consacrer plus de temps à leur vie familiale. Cela suppose une individualisation des horaires et un développement du temps partiel non pas contraint mais choisi, dès lors que ceux qui font ce choix sont assurés de valider leurs droits à la retraite à taux plein. Il faut, là encore, faire preuve d'imagination. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur de nomb reux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) C'est pourquoi nous proposons de sous-amender l'amendement tendant à supprimer sauvagement l'abattement de 30 % sur le temps partiel, en précisant que cette suppression n'a pas lieu d'être...

M. Maxime Gremetz.

Oh !

M. Jacques Barrot.

...dès lors que l'entreprise assure au salarié à temps partiel le droit à un retour au temps plein.

M. Alfred Recours.

Pour faire la distinction, ce sera drôle !

M. Jacques Barrot.

C'est ainsi, en effet, que l'entreprise justifie qu'elle est favorable à un temps partiel choisi et non à un temps partiel contraint.

Ces raisons, mesdames les ministres, militent fortement pour que l'on remette l'ouvrage en chantier. Il ne faut pas laisser perdre l'occasion que constitue la définition d'un nouveau droit de la durée du travail pour faire franchir à notre pays un nouveau cap : celui d'une vie contractuelle plus intense et plus innovante au sein de nos entreprises.

Le débat d'aujourd'hui, faute d'une clarification initiale, risque de s'avérer dangereux. Certains membres de votre majorité, insatisfaits des complexités de la loi, vont


page précédente page 06896page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

se tourner vers plus de réglementation encore, alors même qu'il faudrait en revenir à une démarche d'en bas, contractuelle et volontaire, capable de traiter équitablement les entreprises appréhendées dans leurs différences et de répondre à la diversité des attentes sociales.

Les données nouvelles d'une conjoncture que modifie sensiblement le retour de la croissance justifient amplement un recentrage de la démarche gouvernementale.

J'évoquerai à ce propos le souvenir du gouvernement Mauroy. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean-Louis Debré.

Mauvais souvenir ! Et c'est plutôt au gouvernement Rocard qu'il faut les comparer !

M. Jacques Barrot.

Permettez, mes chers collègues, c'est un hommage que je veux rendre à la sagacité de Pierre Mauroy qui, alors même que des promesses électorales imprudentes avaient été faites, s'en est tenu à trenteneuf heures, estimant, dans le contexte de la fin de l'année 1982, qu'il était prudent de différer le passage à d'autres étapes.

M. Jean-Louis Debré.

En ce temps-là, ils étaient raisonnables !

M. André Angot.

Maintenant, ils font n'importe quoi !

M. Jacques Barrot.

Le Gouvernement, loin de s'en trouver affaibli, tirerait avantage d'un réexamen. Tout cela serait conforme à ce que le Premier ministre a souvent décrit comme sa méthode préférée...

M. Jean-Louis Debré.

Méthode de gribouille ! Un député du groupe du Rassemblement pour la République.

Il a peur d'Aubry !

M. Jacques Barrot.

...faite de confrontation des projets aux réalités et aux souhaits profonds des Français.

Voilà pourquoi cette question préalable, qui n'est pas inspirée par la défense du statu quo , se veut un appel à une autre démarche, à une autre loi, à la fois plus modeste et plus ambitieuse. Au lieu d'empiler règlements sur règlements, elle pourrait libérer l'innovation, elle pourrait faciliter l'évolution de nos entreprises, vécues comme de vraies communautés de femmes et d'hommes, communautés plus solidaires et plus responsables à la fois, modèle de ce que doit devenir l'entreprise « à la française ». Là, nous nous différencions de l'économie financière, pour laquelle, en effet, l'entreprise n'est qu'une association d'intérêts financiers.

M. Yves Rome.

Dites-le plus fort !

M. Jacques Barrot.

L'entreprise est une communauté de femmes et d'hommes. Encore faut-il lui donner ses chances et lui faire confiance.

Il n'est pas trop tard pour saisir cette chance mais, pour cela, il faut renoncer à la démarche et au texte que vous nous proposez aujourd'hui. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Louis Debré.

Il faut renoncer au socialisme !

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je souhaite répondre à M. le ministre Barrot,...

Mme Nicole Catala.

Excellent connaisseur de ces questions !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

...que j'ai écouté, comme d'habitude, avec beaucoup d'intérêt.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mais oui, d'abord parce que c'est mon prédécesseur, ensuite parce qu'il connaît bien ces questions,...

M. Marcel Rogemont.

Mais pas les réponses !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

...enfin parce qu'il est toujours intéressant de débattre avec quelqu'un qui n'use pas de l'anathème et essaie d'aller au fond du sujet. J'essaierai de lui répondre sur le même ton, même si, bien évidemment, je ne partage pas tout ce qu'il a pu dire.

Tout d'abord, je le remercie de s'être félicité d'un certain nombre de simplifications introduites dans la loi, sur la modulation du temps de travail, sur les protections dans le cadre du temps partiel, par exemple.

Evoquant une tentation malthusienne, vous avez dit, monsieur le ministre, que contingenter le travail, c'est freiner la production. Je vous réponds, très simplement mais très clairement, que le plus grand contingentement du travail dans notre pays, aujourd'hui et depuis des années, c'est le chômage.

M. Marcel Rogemont.

Très juste !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Si la production et la croissance n'ont pas été au rendez-vous, c'est parce que le chômage était trop important, que les Français n'avaient confiance ni en eux-mêmes ni en l'avenir, qu'ils ne consommaient plus, qu'ils épargnaient, bref qu'ils n'alimentaient pas la croissance.

Eh bien, depuis deux ans, les faits sont là, le cercle vert ueux confiance-consommation-croissance-emploi s'est réformé grâce à la réduction du chômage. Si nous ne la soutenons pas, nous contingentons effectivement la croissance. La réduction du temps de travail contribue à ce soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Tentation malthusienne, ajoutez-vous, car désengagement des cadres. Mais il y a un an, monsieur Barrot, chacun ici craignait que l'on ne puisse leur appliquer la réduction de la durée du travail. Nous savons depuis des années - les chefs d'entreprise le disent eux-mêmes qu'il y a une démobilisation des cadres.

M. Dominique Dord.

Pas la peine de l'accélérer !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Nous savons que les jeunes cadres ne veulent plus tout sacrifier à leur travail. Ils veulent pouvoir mobiliser leurs capacités dans l'entreprise, ils souhaitent un travail autonome qualifiant, mais ils veulent aussi une part de temps pour vivre. Donc, je ne crois pas au désengagement des cadres avec la loi sur les trente-cinq heures.

M. Bernard Accoyer.

Si !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je pense aujourd'hui à une nouvelle mobilisation par des organisations du travail qui laissent du temps aux hommes et aux femmes pour vivre, quelle que soit leur place dans l'entreprise. Et je suis convaincue que nous aurons en particulier une nouvelle mobilisation des cadres, car ils vivront mieux et, dès lors, travailleront mieux.

Un sujet essentiel qui nous tient à coeur, à vous comme à moi, est le problème de la négociation. Avec cette loi, dites-vous, nous mettons fin - nous avons déjà mis fin - au dialogue social. Mais à quel dialogue social ?


page précédente page 06897page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

M. Yves Rome.

Il n'y avait rien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous avez soutenu, et vous avez eu raison, l'accord national interprofessionnel sur la réduction de la durée du travail.

Sur les trente accords de branche signés en un an et demi, la très grande majorité - vous le savez mieux que moi car vous étiez au Gouvernement - ne traitaient que le problème d'un pont ou de la réduction de deux ou trois heures de la durée du travail sur le trimestre. Voilà la réalité de l'accord national interprofessionnel ! Quant à la loi de Robien, j'en ai critiqué les modalités mais jamais le principe. Elle était trop coûteuse pour les finances publiques. (« Et la vôtre ? » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Beaucoup plus coûteuse que la nôtre, toutes les études économiques le montrent. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) D'ailleurs, les entreprises nous demandent de revenir aux aides de Robien tellement elles étaient favorables, notamment parce que c'étaient des aides au prorata du salaire et non pas, comme aujourd'hui, des aides forfaitaires favorables aux bas salaires.

M. Marcel Rogemont.

Exactement !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Pour le reste, cette démarche, que j'ai saluée lorsque j'ai présenté la première loi, avait l'intérêt de lancer le processus de réduction de la durée du travail. Car Gilles de Robien comme vous-même, monsieur Barrot, et comme nous aussi, nous croyons que la réduction du temps de travail est une piste, parmi d'autres, certes, mais une piste indispensable pour réduire le chômage.

Quand nous sommes arrivés au Gouvernement un an et demi après le vote de la loi de Robien, six cents accords avaient été signés dans ce cadre. Il est vrai que la déclaration de politique générale de Lionel Jospin annonçant la loi sur les 35 heures leur a donné un coup de fouet, puisque 2 000 accords de plus ont été passés avant le vote de la première loi compte tenu du caractère avantageux des aides. Je m'en réjouis d'ailleurs, car ce sont des accords de réduction de la durée du travail.

Mais encore une fois, quand nous sommes arrivés au pouvoir, où en était le dialogue social sur ce thème ? Dans les bilans que vous avez présentés à la commission nationale de la négociation collective, vous-même avez regretté qu'on ne négocie pas sur la durée du travail dans notre pays. Moi aussi, je le regrette, mais c'est la réalité.

Moi aussi, je rêve de vivre dans un pays où l'Etat pourrait éviter d'intervenir dans ce domaine parce que les syndicats seraient forts et que les entreprises négocieraient spontanément. Mais la réalité est autre et les trois millions de chômeurs que nous avons trouvés nous ont dit : agissez pour réduire le chômage. C'est ce que nous faisons.

Je ne crois pas - d'ailleurs M. Dord l'a reconnu tout à l'heure, et M. Morin l'avait admis en commission - que notre première loi ait cassé le dialogue social, bien au contraire. Quand aujourd'hui une entreprise sur deux négocie sur les trente-cinq heures, quand 16 000 accords sont déjà signés un an après le vote de la loi, quand, dans les entreprises de vingt salariés et plus, un salarié sur quatre est déjà couvert par un accord, est-ce que nous brisons le dialogue social ? Ne l'avons-nous pas, au contraire, favorisé ? Par ailleurs et comme je l'ai déjà dit, cette seconde loi doit beaucoup au contenu des accords et à la négociation collective. La maturité des chefs d'entreprise et des syndicalistes qui ont négocié nous a permis de traiter par exemple le problème des cadres, le problème de la modulation, bien mieux encadrée et maîtrisée, le problème du temps partiel, davantage choisi, même si des progrès restent à faire, j'en suis convaincue. Ce texte étend en outre le champ de la négociation notamment aux modalités de paiement des heures supplémentaires - en temps ou en heures - et aux contreparties du travail à temps partiel.

Nous sommes persuadés que le passage aux 35 heures ne réussira que si la négociation a lieu. Celle-ci est engagée depuis un an maintenant et nous avons essayé avec ce texte de trouver un équilibre entre la loi et la négociation.

Vous prétendez, monsieur le ministre, que nous ne reconnaissons pas les accords de branches étendus. Je peux admettre que d'autres qui ne connaissent pas bien ce sujet tiennent de pareils propos, mais pas vous. Vous savez très bien que, lorsque certaines organisations syndicales dans le secteur du textile ou de la chimie ont signé des accords prévoyant des contingents d'heures supplémentaires au-delà des 130 heures sans autorisation de l'inspection du travail, il ne s'agissait pas, car cela aurait été contraire à la loi de 1978, de ne plus appliquer le système du repos compensateur à partir de 130 heures. J'espère donc que ce n'est pas cela que vous m'avez demandé.

Monsieur le ministre, nous respectons totalement les accords de branche dans la seconde loi. Il pourra y avoir des contingents supérieurs à 130 heures. Ils permettront uniquement de ne pas avoir à demander l'autorisation de l'inspection du travail comme cela se fait depuis vingt et un ans. Je l'ai dit, les seules clauses que nous avons exclues sont celles qui sont illégales : le travail le dimanche ou l'exclusion des cadres de la réduction du temps de travail.

Donc ce deuxième texte va poursuivre le mouvement de négociation qui est essentiel pour réussir les 35 heures ; sur ce point, nous nous rejoignons.

Monsieur le ministre, vous avez ensuite exprimé des craintes sur les salaires et les conditions de travail.

S'agissant des salaires, je rappellerai simplement qu'au cours du débat l'année dernière vous aviez déjà annoncé que les salaires seraient bloqués à cause de notre loi. Or, en 1998, le pouvoir d'achat a augmenté de 2,8 %. C'est la meilleure progression depuis vingt ans. Dois-je vous rappeler que le pouvoir d'achat des salaires nets n'a pas progressé entre 1993 et 1997 ? Pis, qu'il a baissé en 1993, en 1994 et en 1996. Alors, qui baisse le pouvoir d'achat ? Pas nous. Et en tout cas pas les accords sur la durée du travail. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Thierry Mariani.

En 1993, vous étiez au pouvoir !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je veux bien partager la responsabilité pour cette année-là.

Nous avons eu tort de ne pas réduire alors la durée du travail.

M. Jean Auclair.

C'est dommage ! Il aurait fallu commencer plus tôt !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est dommage, en effet !


page précédente page 06898page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Sur les conditions de travail, je partage en grande partie vos propos. Mais, là aussi, il faut essayer de regarder la réalité en face. Aujourd'hui, 85 %, et non 100 %, des salariés se disent satisfaits par l'accord qu'ils ont signé.

M. Jean Auclair.

Cela ne fera qu'empirer ! Nous en reparlerons dans un an !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Cela signifie qu'un certain nombre de personnes se sentent stressées et ont des difficultés à faire face à une surcharge de travail. Mais oserai-je vous dire que, depuis vingt ans que nous procédons à des analyses sur les conditions de travail des salariés - l'INSEE et le ministère réalisent tous les trois ans une enquête sur ce sujet -, les salariés disent que leur charge de travail augmente, soit parce qu'ils doivent s'adapter aux nouvelles technologies, soit parce qu'on leur demande sans cesse d'évoluer, soit encore parce qu'ils ont l'impression qu'on a compressé le travail par rapport aux autres éléments ? Evidemment, la réduction de la durée du travail ne mettra pas fin spontanément à ce mouvement, auquel nous devons être extrêmement attentifs. Je vous rejoins, monsieur Barrot, sur l'idée que la loi doit remplir tout son rôle - et j'espère que vous voterez les articles qui vont dans ce sens - en plaçant des garde-fous. Nous en mettons sur la modulation, par exemple, en prévoyant des délais de prévenance.

A cet égard, je me réjouis d'ores et déjà de constater que la modulation après la loi de 1998 n'est pas celle d'avant la loi de 1998. Je l'ai souligné tout à l'heure, très peu d'entreprises fixent des bornes maximales au-delà de quarante-deux heures, alors qu'on allait souvent au-delà de quarante-six, ou quarante-huit heures auparavant. Seulement 9 % des entreprises françaises ont aujourd'hui des modulations au-dessus de quarante-deux heures plus de dix semaines par an. Cela montre une certaine maîtrise.

En outre, la loi fixe des contreparties pour la modulation comme pour le travail à temps partiel.

Il est d'ailleurs paradoxal de nous demander de légiférer pour protéger - je partage ce point de vue - et de souhaiter en même temps que la loi ne prévoie rien pour tout laisser à la négociation. Il va falloir essayer de concilier ces deux exigences.

J'en arrive au problème des charges. Là encore, il suffit de regarder les tableaux et de faire les calculs : la baisse des charges que nous proposons va bien au-delà de la réduction du coût du travail. Elle entraînera une baisse du coût du travail de l'ordre de 5 % pour les salaires mensuels moyens en dessous de 10 000 francs.

Comme je l'ai reconnu l'année dernière lorsque vous avez présenté votre proposition de loi - nous n'étions pas tous d'accord sur ces bancs - il y avait effectivement un problème de charges sociales, notamment sur les bas salaires . Nous nous étions donc engagés à faire en sorte que les cotisations patronales ne portent pas uniquement sur les salaires, afin d'élargir l'assiette de la sécurité sociale et en même temps de baisser les coûts du travail pour les entreprises de main-d'oeuvre, les services, le commerce et l'artisanat. Aujourd'hui, nous le faisons ! Mais, contrairement à ce qui avait été fait avec la ristourne dégressive, laquelle, bien sûr, avait été financée par les ménages, nous souhaitons que cette baisse des charges s'accompagne d'une contrepartie. C'est la raison pour laquelle nous la lions à la réduction de la durée du travail, même si, en termes de coût, elle va au-delà du coût de la réduction de la durée du travail. Voilà pourquoi nous établissons ce lien. Et voilà pourquoi, comme le rappelait le rapporteur tout à l'heure, il est important que les accords soient signés par des syndicats majoritaires ou avec l'accord de la majorité des salariés après consultation.

En fait, nous proposons deux réformes articulées l'une à l'autre. C'est sans doute pour cela que l'Union professionnelle artisanale se réjouit de cette loi. (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je tiens à votre disposition la dépêche du président Delmas, qui ne représente que 800 000 entreprises.

Je comprends que cela puisse ne pas vous intéresser.

(Mêmes mouvements.) Mais peut-être lui sait-il de quoi il parle.

M. Maurice Leroy.

Envoyez-le sur le terrain, vous allez voir !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Enfin, je précise que le problème constitutionnel du conditionnement de l'allégement des charges à un accord d'entreprises a été soulevé devant le Conseil d'Etat. Or celui-ci a considéré que, dès lors que la négociation est au coeur de la loi, car c'est bien une réduction négociée de la durée du travail que nous mettons en oeuvre, il était justifié de faire passer cette réduction des charges par la négociation, et ce d'autant plus que les possibilités de négociat ions sont très larges : branches, entreprises, mandatements, délégués du personnel, consultation du personnel dans les toutes petites entreprises si, au terme d'un certain délai, cela n'a pas été fait.

Monsieur Barrot, l'année dernière, vous nous aviez dit que, pour vérifier si la réduction de la durée du travail était une bonne ou une mauvaise chose, il faudrait voir ce que feraient les investisseurs étrangers. Eh bien, la France aujourd'hui est classée troisième ou quatrième pays pour l'accueil des investissements étrangers...

M. Bernard Accoyer.

Pour l'instant ! Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité ... et en 1998, les investissements étrangers en France sont en hausse de 20 % par rapport à 1997.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Et demain ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ce chiffre parle de lui-même, comme d'ailleurs les prévisions que font les instituts macro-économiques sur l'évolution, en 2001, de la croissance et de l'emploi en France par rapport à nos autres concurrents.

Voilà, monsieur le ministre, ce que je souhaitais vous dire. Nous sommes l'un et l'autre attachés à la négociation, mais aussi, je crois, au progrès social et donc à la réduction du chômage. Il y a des moments où le politique doit prendre ses responsabilités. J'ai entendu votre appel à autre chose. Mais je ne suis pas sûre d'avoir compris à quoi. Nous, en ce moment, nous savons où nous allons : vers les trente-cinq heures pour créer des emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Gérard Terrier, pour le groupe socialiste.

M. Gérard Terrier.

Cette question préalable était truffée d e paradoxes. Paradoxe déjà dans la présentation, puisque, monsieur Barrot, vous vous êtes appliqué tout au long de votre intervention à dire que vous vouliez autre chose et que vous étiez prêt à débattre positivement. Mais alors, pourquoi une question préalable ? Vous


page précédente page 06899page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

savez en effet que, si nous l'adoptions, le texte serait pratiquement renvoyé à jamais. Comment enrichir un texte dont on ne veut pas ? J'ai d'ailleurs été surpris que ce soit vous qui opposiez cette question préalable. Pour certains, la défense d'une notion de procédure constitue une tribune. Mais, compte tenu de votre notoriété, je suis convaincu que vous n'en avez nullement besoin. C'est le deuxième paradoxe.

M. François Rochebloine.

C'est ridicule !

M. Gérard Terrier.

Enfin, monsieur Barrot, votre façon d'allier quelques compliments savamment distillés à l'égard de l'action du ministre pour les faire suivre aussitôt de critiques bien souvent non fondées était pour le moins paradoxale.

Venons-en à votre argumentation, même si Mme la ministre y a répondu pour l'essentiel.

M. Bernard Accoyer.

Pour l'essentiel seulement ?

M. Gérard Terrier.

Vous souteniez les accords de Robien. S'agissant de cette démarche que nous ne combattons pas, les résultats sont éloquents : c'est six fois moins d'emplois et deux fois moins vite qu'avec la loi Aubry I. Réjouissons-nous donc d'avoir eu une loi qui mette en oeuvre ce que vous déclarez être votre priorité : la lutte contre le chômage et, bien entendu, le progrès social.

Nous sommes également d'accord sur le fait que la croissance est un élément clé pour la création d'emplois.

Mais la croissance, cela se gagne, monsieur Barrot.

M. Alfred Recours.

Cela se mérite !

M. Gérard Terrier.

Or, depuis trois ans, le Gouvernement oriente toute sa politique économique vers la relance de la croissance...

M. Dominique Dord.

Racontez-nous comment !

M. Gérard Terrier.

... notamment en augmentant le pouvoir d'achat des bas salaires qui stimule la croissance.

Cela nous permet de faire des projets...

M. Maurice Leroy.

Des bêtises !

M. Gérard Terrier.

... que vous n'aviez même pas osé imaginer alors que vous étiez aux affaires.

M. Maurice Leroy.

C'est sûr !

M. Gérard Terrier.

Je comprends que vous soyez gêné.

A votre place, je le serais tout autant.

Par ailleurs, vous ignorez totalement la situation des cadres dont la transformation de nos économies a fait une catégorie sociale complètement à part. Ainsi, les DRH font de plus en plus confiance aux actionnaires et les cadres exécutent des missions qui ne sont pas celles qui devraient leur être dévolues. Nombreux sont ceux qui tapent simplement sur des ordinateurs. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

De ce fait, il y a un divorce entre les cadres et l'entreprise. (Mêmes mouvements).

Cette loi a le mérite de prendre pour la première fois en compte cette catégorie sociale.

M. Thierry Mariani.

C'est une caricature !

M. Gérard Terrier.

Vous prétendez que la loi impose.

Or elle n'impose rien du tout si ce n'est de choisir.

Durant votre intervention, monsieur Barrot, vous n'avez cessé de chanter les louanges de la première loi. Que ne l'avez-vous votée ? Peut-être en direz-vous autant de celle-là quand nous parlerons de la prochaine ? Je vous demande d'y regarder à deux fois pour ne pas avoir toujours une loi de retard sur ce que nous proposons.

Le présent texte va donc, incontestablement, renforcer le dialogue social. Il est plein de vertus et nous allons en ajouter d'autres. C'est parce que nous voulons que cette loi soit davantage performante pour l'emploi et pour les conditions sociales que nous repousserons votre question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Dominique Dord, pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. Dominique Dord.

Le groupe Démocratie libérale et I ndépendants tient, par ma voix, à exprimer à Jacques Barrot sa solidarité la plus totale avec l'argumentation développée. N'en déplaise aux esprits chagrins qui préféreraient voir l'opposition en désaccord dans ce débat.

M. Marcel Rogemont.

Vous avez bien assez de points de discorde comme cela !

M. Dominique Dord.

Je le redis, notre solidarité est totale, point par point.

(Applaudissement sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Avec son autorité personnelle, un sens très minutieux de la rhétorique et le sens de la mesure et de la précision, Jacques Barrot a fait preuve d'un esprit d'ouverture qui, apparemment, vous a surpris. Son intervention était équilibrée et républicaine, comme aurait dit Jean-Pierre Chevènement.

M. Alfred Recours.

Il se moque !

M. Dominique Dord.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera la question préalable.

Nous non plus, mes chers collègues, nous ne sommes pas défavorables à la réduction du temps de travail.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Ah ?

M. Dominique Dord.

Là encore, ne vous en déplaise.

Mais nous sommes plus encore attachés, et par-dessus tout, à la liberté de choix des partenaires sociaux, et singulièrement des salariés. S'ils souhaitent travailler moins et que l'on puisse tout faire pour leur permettre de travailler moins, très bien ! Mais s'ils souhaitent travailler plus ou gagner plus, ...

M. Alfred Recours.

Ou être exploités plus !

M. Dominique Dord.

... ou avoir des conditions de travail différentes, nous ne devons leur fermer aucune porte.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Jacques Barrot a posé des questions fondamentales qui devraient on peut toujours rêver ! - vous ébranler car elles partent non pas d'un dogme plaqué sur une réalité économique et sociale qui n'existe que dans vos têtes, mais de cas concrets, de la réalité économique et sociale de l'entreprise.

Nous fonderons notre vote sur les points essentiels qu'il a développés et sur lesquels j'avais essayé moi-même, mais avec moins de talent, d'attirer l'attention de l'assemblée. Pardon à Jacques Barrot de les reprendre très vite et sans doute trop schématiquement.

Oui, ce texte nous isole en Europe de nos voisins et donc affaiblira nos entreprises. Oui, ce texte désespère et remet en cause le dialogue social. Oui, il est fondé sur


page précédente page 06900page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

une approche malthusienne. Oui, les salariés risquent d'être, avec les petites entreprises, les principales victimes de ce texte, en termes de créations d'emplois cela a été excellemment démontré -, en terme de progression du pouvoir d'achat et en terme d'amélioration des conditions de travail. Oui, les conséquences du passage aux 35 heures dans la fonction publique seront dévastatrices, et vous le savez parfaitement, mes chers collègues, vous qui repoussez cette application dans la fonction publique au-delà de l'échéance de 2002.

M. Maurice Leroy.

Faites ce que je dis, pas ce que je fais !

M. Dominique Dord.

Oui, ce texte est épouvantablement complexe, inextricable et constitue un maquis juridique dans lequel les petites et moyennes entreprises se perdront. Oui, il introduit des discriminations inacceptables entre salariés, notamment les plus modestes. Oui, il est coûteux, trop coûteux, horriblement coûteux (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste), et vous obligera à lever de nouveaux impôts. Oui, mes chers collègues, il faut remettre l'ouvrage sur le métier. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Patrick Delnatte, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. Patrick Delnatte.

Le groupe du Rassemblement pour la République approuvera aussi cette question préalable qui a été présentée par notre collègue Barrot au nom du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.

Son argumentation a été très précise et très rigoureuse.

Il a eu également le souci de présenter une alternative.

Vous avez eu là le témoignage du travail d'une opposition unie qui prend date pour l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

Je retiendrai quatre arguments parmi tous ceux qu'il a présentés. Premier argument, c'est une loi obligatoire pour toutes les entreprises.

M. Alfred Recours.

Y aurait-il des lois non obligatoires ?

M. Patrick Delnatte.

D'une part, elle prévoit un carcan technocratique d'une incroyable complexité qui ne tient pas compte de la diversité des situations des branches professionnelles et des types d'entreprise ; d'autre part, elle fait fi des résultats du dialogue social.

Mme Odile Saugues.

C'est fou !

M. Patrick Delnatte.

Deuxième caractéristique : un coût exorbitant, mal maîtrisé et hors de proportion avec les résultats obtenus ou escomptés.

M. Alfred Recours.

Moins qu'avec la loi de Robien.

M. Patrick Delnatte.

A terme, ce coût s'élévera à 110 milliards de francs, financés non pas par des économies de gestion mais par des surcoûts imposés aux entreprises et aux régimes sociaux.

M. Alfred Recours.

N'importe quoi !

M. Patrick Delnatte.

Oui, madame la ministre, encore une fois, vous posez une mine qui explosera à la face de vos successeurs. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Boulaud.

Ce ne sera pas vous ! Alors, qu'est-ce que cela peut vous faire ? (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Mes chers collègues, un peu de silence, s'il vous plaît !

M. Patrick Delnatte.

Troisième argument : cette loi remet en cause les règles de la représentativité syndicale.

Nous savons tous que la cohésion sociale de ce pays a besoin de corps intermédiaires solides, efficaces et indépendants. Or, vous les remettez en cause par ce texte.

Enfin, quatrième argument, cette loi obligatoire et durcie par les surenchères de la majorité plurielle compromet l'intérêt des salariés.

M. Maurice Leroy.

La majorité est désunie.

M. Patrick Delnatte.

Elle ne comporte aucune garantie sur le maintien et la progression de leur pouvoir d'achat.

L'ascenseur social sera en panne. Enfin, les conditions de travail seront durcies par la course à la productivité.

Tels sont les arguments qui nous font approuver la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le groupe communiste. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Maxime Gremetz.

Monsieur le président, mon explication de vote sera rapide. (

« Oh non » ! sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) D'abord, nous voterons, pour les raisons que j'ai déjà indiquées, contre cette question préalable. En effet, nous voulons engager le débat.

J'ai écouté M. Barrot avec beaucoup d'intérêt. Il a posé des questions tout à fait légitimes. J'ai cru comprendre qu'il était, lui aussi, favorable à la réduction du temps de travail. C'est l'objet de ce projet de loi. Celui-ci doit être soumis à la critique, pour être enrichi, mais j'aurais préféré que M. Barrot s'inscrive dans le débat comme nous allons le faire plutôt que de défendre une question préalable.

M. Jacques Barrot.

Mais je vais le faire.

M. Maxime Gremetz.

Nous aurions ainsi confronté nos idées et tiré des enseignements.

J'ai relu avec beaucoup d'attention les débats que nous avons eus lors de l'examen de la première loi. C'est très instructif. On y trouve des perles !

M. Maurice Leroy.

Elles proviennent de tous les bancs !

M. Dominique Dord.

On pourrait reprendre vos propos depuis vingt ans, ce serait pas mal !

M. Maxime Gremetz.

En effet, ces perles remarquables ont des origines diverses. Mais je vous les réserve pour plus tard.

M. Maurice Leroy.

Nous aussi !

M. Maxime Gremetz.

J'ai cru comprendre, monsieur Barrot, qu'en définitive vous aviez été chargé de poser une question que j'ai beaucoup entendue lors de la réunion du MEDEF.


page précédente page 06901page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

M. Thierry Mariani.

Vous y étiez ? (Rires sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Maxime Gremetz.

La deuxième loi serait acceptable si vous étiez sûrs que les accords de branche passés soient validés.

Mme la ministre a répondu par l'affirmative. Cette première réponse n'est d'ailleurs pas sans soulever beaucoup de questions, mais nous allons en débattre au cours de l'examen de ce second projet de loi sur les 35 heures que nous souhaitons améliorer par nos amendements afin de pouvoir le voter. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Thérèse Boisseau, pour le groupe UDF.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Le groupe UDF est bien évidemment d'accord avec les propos de M. Jacques Barrot, que je remercie très chaleureusement pour la qualité de son intervention. Je partage également les préoccupations de mes amis du groupe Démocratie libérale et du groupe RPR. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants - « Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Albert Facon.

C'est la Sainte Alliance !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

L'aménagement-réduction du temps de travail, monsieur Gremetz, nous y sommes favorables.

Nous sommes même, puis-je vous le rappeler, les pionniers en la matière (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ) puisque la loi dite de Robien a été proposée par nous.

M. Jean-Claude Lefort.

Les 40 heures, ce n'est pas vous !

M. Didier Boulaud.

De Robien au tableau !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

L'aménagement-réduction du temps de travail est plus que jamais d'actualité, c'est une question qui se pose à tous les pays européens.

Mais nous sommes les seuls à la régler par une loi autoritaire et généralisée. Tout le monde y travaille et commence à résoudre le problème, mais par la négociation.

Je voudrais à ce propos reprendre quelques points de l'intervention de M. Jacques Barrot pour justifier notre vote sur cette question préalable et, tout d'abord, en ce qui concerne l'harmonisation européenne.

J'avais cet après-midi au téléphone des amis espagnols.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.

) Ils me disaient : décidément, on ne vous comprend pas, vous, les Français.

M. Bernard Outin.

Chirac n'a qu'à leur expliquer. Il y est.

M me Marie-Thérèse Boisseau.

« Vous réclamez l'Europe sociale et, à la première occasion, vous faites cavalier seul. Où allez-vous avec votre loi sur les 35 heures ? »

M. Maurice Leroy.

Dans le mur !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Mes chers collègues, l'aménagement-réduction du temps de travail, nous ne le réussirons pas tout seuls, sans nos amis européens. Nous sommes maintenant dans l'Europe et nous sommes même dans le monde. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

J'ai bien compris que, dorénavant, nous aurions un dialogue de sourds. Permettez-moi quand même d'affirmer mes convictions, ou plutôt les convictions du groupe de l'UDF.

Le deuxième point a trait à la négociation. Nous sommes très inquiets car nous sommes convaincus que cette loi va brider la négociation.

Il y a obligation de passer à 35 heures, les heures supplémentaires, le temps partiel, le SMIC, le compte épargne-temps, et j'en passe, tout est bouclé. Les partenaires sociaux n'ont plus aucune initiative majeure, le dialogue social est bafoué, car vous remettez en cause des accords qui ont été signés à l'occasion de la première loi.

M. Michel Vergnier.

Mais non !

M. Alfred Recours.

C'est faux !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

C'est une erreur fondamentale. Ce problème de l'aménagement-réduction du temps de travail est difficile, il ne peut pas être réglé par une loi aussi caricaturale. Sa solution passe par la compréhension, le dialogue, l'adhésion de tous. Il doit être traité au plus près du terrain par une négociation de tous les instants entre les partenaires sociaux. Votre loi ne va pas dans ce sens. Comme l'a souligné M. Barrot, nous sommes très inquiets.

M. Didier Boulaud.

Ah !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Le législateur est là pour faciliter la vie des entreprises, encourager les initiatives et dynamiser les innovations parce que, jusqu'à preuve du contraire, ce sont elles qui créent la richesse dans notre pays.

M. Michel Vergnier.

Pas seulement !

M. Yves Cochet.

Oh !

M me Marie-Thérèse Boisseau.

« Les entreprises », monsieur Cochet, c'est un terme générique, qui recouvre à la fois les patrons et les salariés. Ils sont tous embarqués sur le même bateau ! C'est cette richesse qui crée des emplois et qui donne l'espoir aux salariés de progresser au sein de leur entreprise.

Dernier point parmi beaucoup d'autres, je suis très inquiète car cette loi va créer de nouvelles inégalités alors que notre rôle de législateur doit être au contraire de mettre un peu plus de cohérence dans notre société.

Inégalités entre les entreprises françaises et les entreprises étrangères.

M. Albert Facon.

Avec tous les gamins qui travaillent 50 heures par semaine ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Aujourd'hui, que vous le vouliez ou non, mes chers collègues, c'est la réalité, un certain nombre d'entreprises, dans la perspective des 35 heures, délocalisent une partie de leurs activités à l'étranger parce qu'elles ne peuvent pas faire autrement.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Boulaud.

Ils font travailler les enfants.

M. Albert Facon.

C'est scandaleux !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Les entreprises ne pourront pas faire autrement ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Albert Facon.

Le travail des gosses, c'est scandaleux !


page précédente page 06902page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

M. le président.

Un peu de silence, mes chers collègues, vous retardez l'oratrice !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Inégalités entre les entreprises françaises qui pourront obtenir des gains de productivité et les répercuter et les autres. Inégalités entre les entreprises françaises dont les infrastructures sont suffisantes pour comprendre la complexité de la loi, la digérer et l'appliquer et les autres.

M. Albert Facon.

On revient au Moyen Age !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Inégalités entre les salariés, qui seront de toute façon aspirés par le haut grâce au développement des nouvelles technologies, et les autres.

Comme l'a précisé Jacques Barrot, cette loi, en réduisant les marges de manoeuvre des entreprises, exclura de plus en plus les salariés non qualifiés et les rejettera du monde du travail dans un souci de productivité accrue.

Ces quelques points essentiels nous conduisent, avec Jacques Barrot, à vous demander de voter cette question préalable afin de remettre cette loi « sur le métier », comme l'a dit Dominique Dord !

M. Didier Boulaud.

Les canuts au travail !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

L'aménagement-réduction du temps de travail mérite une réflexion plus approfondie et un plus grand consensus chez les élus de la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Avant de donner la parole au dernier intervenant inscrit dans les explications de vote, j'indique à l'Assemblée que sur le vote de la question préalable, il y aura un scrutin public à la demande du groupe UDF.

Je vais d'ores et déjà faire annoncer le scrutin de manière à permettre à nos collègues de regagner l'hémicycle.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le groupe Radical, Citoyen et Vert.

M. Yves Cochet.

Comme M. Barrot et Mme Boisseau, je suis un Européen convaincu.

Cela me conduit à replacer la position de la France dans le cadre européen.

A ux Pays-Bas, les salariés travaillent moins de 1 400 heures par an.

M. Pierre Méhaignerie.

C'est dû au temps partiel !

M. Yves Cochet.

En Allemagne et en Suède, ils sont à 1 550 heures. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Bernard Accoyer et M. Thierry Mariani.

Avec le temps partiel !

M. Yves Cochet.

On ne peut donc pas parler, à propos de la première ou la seconde loi sur les 35 heures, d'une sorte d'exception française.

M. Albert Facon.

Il a raison !

M. Yves Cochet.

On pourrait presque soutenir le contraire : la France est presque en retard, retard que, heureusement, ces deux lois sur la réduction du temps de travail devraient nous permettre de combler.

M. Albert Facon.

Ils veulent faire travailler les enfants !

M. Pierre Méhaignerie.

C'est absurde !

M. Yves Cochet.

Mais oui, monsieur Méhaignerie, admettez que les comparaisons statistiques ne sont pas sur ce point en faveur de la France ! Vous avez également établi une comparaison avec la loi Robien. Comparons donc dix-huit mois d'application de la loi Robien et dix-huit mois d'application de la première loi Aubry ! Loi Robien, 500 accords, moins de 20 000 emplois créés ou préservés. Première loi Aubry, 17 000 accords et plus de 120 000 emplois créés ou préservés. Voilà la différence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

Quant à la seconde loi, j'espère bien qu'une fois amendée, elle apportera une réponse plus efficace encore au problème de l'emploi.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe Radical, Citoyen et Vert se prononcera contre la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

Mes chers collègues, nous allons, avant de procéder au scrutin, attendre que le délai réglementaire de cinq minutes se soit écoulé.

....................................................................

M. le président.

Je mets aux voix la question préalable de M. Douste-Blazy.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même, et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été cou plés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

....................................................................

M. le président.

Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin : Nombre de votants ...................................

316 Nombre de suffrages exprimés .................

316 Majorité absolue .......................................

159 Pour l'adoption .........................

120 Contre .......................................

196 L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

M. Maxime Gremetz.

Monsieur le président, je demande la parole.

M. le président.

La parole est à M. Maxime Gremetz.

M. Maxime Gremetz.

Monsieur le président, afin de nous réunir pour discuter d'une question importante, n ous souhaitons une suspension de séance de dix minutes.

M. Thierry Mariani.

C'est l'obstruction qui commence ! Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures cinq, est reprise à vingt-trois heures vingt.)

M. le président.

La séance est reprise.

Discussion générale

M. le président.

Nous abordons la discussion générale.

J'informe l'Assemblée que je lèverai la séance vers une heure. J'espère que cela nous permettra d'entendre un orateur de chaque groupe.


page précédente page 06903page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

La parole est à M. Yves Rome.

M. Yves Rome.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a à peine plus d'un an, les Paco-Rabanne du MEDEF, relayés par l'opposition parlementaire, promettaient l'apocalypse économique au Gouvernement et à la majorité de gauche s'ils s'obstinaient à vouloir inciter les entreprises à réduire le temps de travail. Or la station Mir ne s'est pas écrasée sur Paris et la première loi sur la réduction du temps de travail a pris son envol et suivi un rythme de croisière tout à fait conforme aux prévisions les plus optimistes de ses initiateurs.

M. Thierry Mariani.

Non, un fameux rapport avait annoncé la création de 400 000 emplois !

M. Yves Rome.

Une nouvelle fois, l'exception française a pris consistance. Elle s'est illustrée dans une démarche innovante en dopant la reprise économique et la croissance par une politique volontariste de l'emploi.

Les majorités précédentes, que vous souteniez, monsieur Mariani, avaient louvoyé entre l'inefficacité économique et l'impuissance sociale pour finir par baisser les bras en juin 1997 et considérer qu'en dehors de la main invisible du marché capitaliste il n'était point de salut possible. Le gouvernement de Lionel Jospin et la majorité de gauche ont, au contraire, apporté la démonstration que la volonté politique pouvait, dans le même mouvement, installer la croissance dans la durée et conduire desr éformes économiques et sociales bénéfiques pour l'emploi.

A cet égard, le bilan de la loi du 13 juin 1998 est, à ce jour, extrêmement parlant puisque la réduction du temps de travail a permis, en sus de la croissance, de créer ou de préserver plus de 125 000 emplois.

Il est donc clairement établi non seulement que la réduction du temps de travail a un effet amplificateur sur la création d'emplois, mais aussi qu'elle constitue une alternative efficace aux plans sociaux et aux licenciements.

Ainsi, en fin de semaine dernière, dans mon département de l'Oise, une entreprise agroalimentaire a signé un accord de réduction du temps de travail à 32 heures. Le plan social qui prévoyait, depuis plusieurs mois, la suppression de soixante-seize emplois a été abandonné au profit d'un accord qui évite ces licenciements.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Très bien !

M. Yves Rome.

La direction générale de cette société précise même qu'il permettra « de maintenir les rémunérations et de poursuivre l'objectif de réduction des coûts », donc d'accroître la compétitivité de l'entreprise.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Voilà un bon exemple !

M. Yves Rome.

Preuve est ainsi faite, même si certaines grandes entreprises ou des syndicats patronaux font mine de ne pas l'avoir encore compris, que la recherche d'une compétitivité accrue et d'une société du plein emploi peuvent aller de pair mais, surtout, doivent aller de concert.

Tel est bien le sens de ce projet de loi relatif à la réduction négociée...

M. Thierry Mariani.

Autoritaire !

M. Yves Rome.

... du temps de travail, qui s'appuie sur l'expérience incomparable des centaines d'accords de branche et des milliers d'accords d'entreprise conclus depuis un an.

L'approche souple et pragmatique qui a prévalu jusqu'ici, complétée par un important travail de réflexion, d'auditions et de dialogue au sein de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, présidée par Jean Le Garrec, porte aujourd'hui ses fruits.

Le projet de loi qui nous est soumis concilie, en effet, les règles indispensables à une société organisée et la souplesse nécessaire en ces périodes de profondes mutations économiques et technologiques. Ce texte dessine par ailleurs un réel projet d'avenir dans lequel se réorganiseront le temps consacré au travail, celui passé dans des activités sociales ou privées, celui utilisé à la formation professionnelle et personnelle.

Enraciné dans l'expérience tirée de la négociation collective...

M. Dominique Dord.

Pas du tout, vous la remettez en cause !

M. Yves Rome.

... mais aussi animé de la volonté de changer l'avenir, le projet de loi nous invite enfin, ici et maintenant, à remodeler les rapports de production dans le sens de la solidarité, du respect mutuel, de la liberté et, en un mot, de l'efficacité.

L'innocuité économique de la réduction du temps de travail est largement démontrée et son intérêt social, lui, n'est plus à démontrer.

M. Dominique Dord.

Si !

M. Yves Rome.

Surtout, ce projet de loi est un texte de son temps, une réflexion moderne sur l'organisation du travail. N'en déplaise au MEDEF, l'organisation du travail n'est pas immuable et ne peut rester crispée sur les postulats et les rigidités de la société industrielle du

XIXe siècle.

En filigrane du débat qui s'ouvre aujourd'hui, il faut bien se poser la question de savoir ce qu'est réellement une heure de travail. Les 40 heures de 1936 et les 35 heures de l'an 2000 ont-elles bien la même signification, à cinq heures près toutefois ? Le grand mérite de ce projet de loi est de se hisser à la hauteur des problématiques de notre temps et d'impulser des réponses innovantes.

Le débat porte autant sur la quantité des heures de travail que sur leur qualité, tant pour le salarié que pour l'entreprise. Aujourd'hui, en effet, que représente une heure de travail au service de l'entreprise ? A l'évidence les réponses sont extrêmement diverses, selon les secteurs d'activités, selon la nature des tâches ou selon le rang dans la hiérarchie de l'entreprise.

L'intelligence du projet de loi est de s'être saisi de cet enjeu de modernité. Il pose des règles, des jalons et des limites. Mais, surtout, il ouvre des pistes et confie à la société le soin de négocier et d'écrire les formes encore en gestation de l'organisation moderne du travail.

M. Dominique Dord.

Il n'y a plus rien à écrire, tout est fixé !

M. Yves Rome.

Ce projet de loi est donc un texte pleinement moderne qui rénove, simplifie et clarifie le droit du travail.

Ainsi, la fusion des différents types de modulations constitue une avancée notable.

M. Philippe Auberger.

Non ! Vous ne démontrez rien, vous vous contentez d'asséner des affirmations !

M. Yves Rome.

Plus important encore dans cet esprit, ce texte ouvre enfin le code du travail aux cadres, qui ont, à différentes reprises dans l'année écoulée, manifesté leur vif intérêt pour la réduction du temps de travail.


page précédente page 06904page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

La gestion des cadres relevait, en effet, d'un système exorbitant, qui les rendait particulièrement vulnérables aux exigences de leurs employeurs et, pour résumer, taillables et corvéables à merci sans contrepartie assurée de rémunération, de considération ou de carrière.

Le projet de loi met fin à cette exception et fait ainsi oeuvre de solidarité et de démocratie dans l'entreprise. Il n'échappera à personne que cette entrée en force des cadres dans notre droit du travail est le gage d'entreprises davantage soudées autour d'un projet collectif et donc, à terme, plus performantes et plus compétitives.

M. Thierry Mariani.

C'est bien !

M. Yves Rome.

Cette dynamique nouvelle, ainsi confortée, bouleversera durablement...

M. Dominique Dord.

Oh oui !

M. Yves Rome.

... les relations sociales au sein des entreprises.

M. Thierry Mariani.

C'est bouleversant !

M. Yves Rome.

Texte de clarification, de souplesse et de solidarité, le projet de loi est aussi un texte de liberté et de responsabilité.

M. Dominique Dord.

Ça, c'est vite dit !

M. Yves Rome.

Si les accords conclus dans les mois écoulés ont, on peut le reconnaître, exercé une influence déterminante sur le contenu même du projet de loi, ce dernier ouvre à son tour de nouveaux champs de négociations autour de la compensation des heures supplémentaires ou encore du temps choisi.

Ces nouveaux espaces ouverts au dialogue et à la démocratie dans l'entreprise supposent un peu de temps et aussi des règles fixant les modalités d'expression des salariés.

C'est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit une période d'adaptation...

M. Dominique Dord.

Ah !

M. Yves Rome.

... mais aussi la possibilité de consultations directes du personnel...

M. Dominique Dord.

C'est là que tout se gâte !

M. Yves Rome.

... sur le contenu même des accords qui influeront sur leur vie professionnelle et privée.

En ce sens, la réduction du temps de travail est bien un stimulant majeur de renouvellement et de modernisation du syndicalisme...

M. Thierry Mariani.

Il agit comme le Viagra !

M. Yves Rome.

... mais aussi le support d'une citoyenneté nouvelle au sein de l'entreprise.

La réduction du temps de travail offre l'opportunité aux salariés, par la négociation, de devenir pleinement acteurs au sein de leurs entreprises.

En ce sens, le projet garantit que la dimension personnelle et les contraintes de la vie familiale des salariés seront prises en compte dans la dimension collective que constitue l'organisation du travail dans l'entreprise.

Tel est le sens des opportunités offertes par le texte de calendriers individualisés lors de l'exercice de la modulation.

Tel est aussi l'objectif recherché dans l'instauration d'un délai de prévenance dans le cadre de la modulation ou du temps partiel qui est lui-même, par différentes dispositions du texte, de moins en moins subi et de plus en plus choisi.

Le projet de loi constitue d'abord l'aboutissement législatif d'une démocratie revivifiée par les négociations collectives telles que voulues et proposées par la première loi Aubry.

M. Philippe Auberger.

Encore des portes ouvertes ! Mais démontrez, au lieu d'affirmer !

M. Yves Rome.

Le projet de loi est ensuite un levier puissant pour de nouvelles conquêtes démocratiques, conciliant au sein de l'entreprise avancées sociales et progrès économiques.

A cet égard, le travail de la commission, du rapporteur, M. Gaëtan Gorce, et des groupes politiques de la majorité a été particulièrement fructueux.

M. Thierry Mariani.

« Riche » !

M. Yves Rome.

Il a permis d'enrichir le texte proposé par le Gouvernement qui avait fait lui-même le choix de l'ouverture et du dialogue.

M. Dominique Dord.

Du dialogue « fécond » !

M. Yves Rome.

Le travail parlementaire a été et sera, je n'en doute pas, à la hauteur de l'enjeu. Il a permis tout d'abord de réaffirmer fortement que la négociation sur la réduction du temps de travail est obligatoire lorsque se profilent des plans sociaux.

Tel est le sens de l'amendement Michelin qui a été mis en oeuvre avec succès, avant l'heure, par l'entreprise Rivoire et Carret dans le département de l'Oise que je citais au début de mon propos.

Les travaux de la commission ont également permis, à l'initiative des différentes composantes de la majorité plurielle, de préciser et de compléter le texte sur des points essentiels.

Il en est ainsi de la définition plus explicite du temps de travail effectif, ou encore de la création obligatoire d'instances paritaires de suivi de l'accord de réduction du temps de travail dans les entreprises.

D'autres avancées ont eu lieu sur l'allégement de charges pour les entreprises de moins de vingt salariés s'engageant avant 2002 sur la réduction du temps de travail. Des précisions ont également été apportées sur la définition des cadres dirigeants, sur le contrôle de la charge de travail effective des cadres et sur le régime du complément différentiel de salaire.

Le débat parlementaire qui s'ouvre aujourd'hui va faire franchir une étape décisive à la réduction du temps de travail.

M. Thierry Mariani.

Une étape « historique » !

M. Yves Rome.

En ce sens, il fera date, au même titre que la décentralisation, le RMI ou la couverture maladie universelle.

M. Thierry Mariani.

Et au même titre que les nationalisations !

M. Yves Rome.

La dimension historique, monsieur Mariani, de cette réforme, ne doit pas nous échapper...

M. Thierry Mariani.

Et cela ne nous échappe pas !

M. Yves Rome.

... et ne peut pas être ignorée par l'opposition nationale.

M. Dominique Dord.

Ça, c'est sûr !

M. Yves Rome.

Aussi, pour conclure mon propos, je tiens à mettre en garde nos collègues des droites et du centre sur les attitudes qu'ils adopteront à l'endroit de la réduction du temps de travail.


page précédente page 06905page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

M. Thierry Mariani.

Ah !

M. Philippe Auberger.

Ce sont des menaces ?

M. Yves Rome.

Ne vous trompez pas de débat. Face à une réflexion sur la société de demain et à une mise en forme d'une économie moderne, vous ne pouvez vous satisfaire de n'être que le bras armé du MEDEF et le porte-parole du lobby patronal. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Dominique Dord.

C'est une obsession !

M. Yann Galut.

Non, un constat !

M. Yves Rome.

Sinon, vous prendriez encore une fois de plus le risque de courir derrière l'histoire et la société, au lieu de maîtriser la première et d'éclairer la seconde.

Sinon, vous seriez contraints à emprunter une nouvelle fois ce chemin abrupt et amer qui, en deux occasions déjà, vous a conduits de positions étriquées, aveugles, frileuses et conservatrices, à l'obligation de mea culpa tardifs. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Yann Galut.

Comme pour le PACS !

M. Philippe Auberger.

Arrêtez ça !

M. Dominique Dord.

Il y a quelques égarements !

M. Yves Rome.

Les outrances d'aujourd'hui vous conduiront aux regrets de demain aussi sûrement que votre conservatisme sur le PACS et votre démagogie sur l'immigration vous ont menées à des révisions déchirantes.

M. Philippe Auberger.

Vous êtes des ayatollahs.

M. Thierry Mariani.

Nous ne nous sentons pas coupables !

M. Yves Rome.

Je vous invite au contraire, mesdames, messieurs de l'opposition, avec nous, si c'est possible, à être les femmes et les hommes qui ont dit non : non à la domination du plus fort, non au capitalisme débridé et au libéralisme sauvage, non au chômage et à l'exclusion.

Je vous invite - mais je crains que cela ne soit pas possible - à faire vivre avec nous cette exception française qui, si souvent dans l'histoire, a précédé et éclairé le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Thierry Mariani.

Comme c'est beau !

M. Philippe Auberger.

M. Rome se prend pour une lumière !

M. le président.

La parole est à Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre délégué, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur - j'essaie de n'oublier personne (Sourires) -, mes chers collègues, l'abaissement de la durée du travail est un mouvement ample et continu depuis le début du siècle que les revendications salariales et les modifications du droit du travail ont accompagné plus qu'elles ne l'ont suscité. Cette diminution s'est généralisée alors que s'installait un chômage de masse qui excluait des publics toujours plus nombreux.

Pierre Larrouturou note que notre pays a travaillé 33,4 milliards d'heures en 1998 contre 38 milliards en 1974 et qu'entre ces deux dates la population active a crû de 15 % et le PIB de 60 % ! Dans le même temps, le nombre des chômeurs passait de 500 000 à plus de 3 millions... Comment peut-on alors essayer de faire croire aux Français que la réduction autoritaire du temps de travail sera l'outil de la lutte contre le chômage ?

M. Thierry Mariani et M. Hervé Morin.

Très juste.

M. Dominique Dord.

C'est une démonstration magistrale !

M me Roselyne Bachelot-Narquin.

Car c'est bien l'objectif que vous vous êtes fixé, madame la ministre, et c'est à l'aune de cette promesse que nous devons évaluer votre dispositif.

Si vous en êtes arrivée là, c'est à la suite d'une triple erreur.

Vous avez d'abord considéré le travail comme à la fin du

XIXe siècle, quand les deux tiers des salariés étaient des ouvriers confinés dans des tâches répétitives et peu qualifiées de production. Cette vision passéiste veut que le travail soit source d'asservissement et d'abrutissement alors qu'il est de plus en plus l'outil de l'émancipation et de la réalisation de soi.

M. Jacques Godfrain.

Très juste !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Vous avez ensuite jugé que, pour combattre le chômage, aucune politique active n'avait été efficace et que la seule solution était de répartir la pénurie. La reprise de la croissance apporte aujourd'hui un sévère démenti aux pessimistes et aux utopistes, puisque, décidément, ce ne sont jamais les gouvernements qui font baisser le chômage, mais bien les entreprises et leurs salariés.

M. Thierry Mariani.

Absolument !

M. Bernard Accoyer.

Très bien !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Enfin, vous avez fait une promesse électorale inconsidérée mais qui avait le mérite de la simplicité : demain, vous gagnerez autant en travaillant moins, et en plus il y aura moins de chômeurs.

Aujourd'hui, les salariés se demandent comment ils vont payer ce conte de fées, car une seule chose est sûre, ce sont bien les salariés et les contribuables - et personne d'autre - qui paieront les 35 heures.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

L'année dernière, c'était les entreprises !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Il faut reconnaître que vous avez procédé d'une façon dont le législateur ou le gestionnaire public ferait bien de s'inspirer systématiquement : faire précéder la mise en place définitive d'une mesure par une phase expérimentale qui permette d'évaluer l'effet du dispositif et les difficultés rencontrées.

Première constatation : cette période d'observation est bien trop courte pour permettre une analyse pertinente ; en effet, la négociation entre les partenaires sociaux a nécessité entre 6 et 9 mois et la plupart des accords viennent simplement d'être signés, empêchant tout bilan sérieux. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles Mme Notat avait sollicité un report d'un an de la date du 1er janvier 2000.

La deuxième leçon à tirer est que le dispositif n'a pas rencontré le succès escompté eu égard aux douceurs financières promises et à l'échéancier inéluctable. Faut-il rappeler qu'un emploi créé dans ce cadre rapportait à


page précédente page 06906page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

l'entreprise plus de 600 000 francs et qu'il fallait, pour toucher cette somme, qu'il soit impérativement souscrit avant le 30 juin ? Sur 14 millions de personnes potentiellement concernées, seulement un peu plus de 2 millions ont été couvertes et encore seulement par des accords de branche non opérationnels. La moitié de ces salariés de plus relèvent d'un accord non aidé, les partenaires sociaux ayant refusé d'être liés à une obligation d'embauche irréaliste. Quand on compare l'argent public injecté aux résultats engrangés, on ne peut que constater l'extrême modicité de ceux-ci. En effet, vous annoncez 120 000 emplois créés, mais en fait vous avez tout mélangé pour rendre le tableau présentable.

M. Dominique Dord.

Bien sûr !

M. Bernard Accoyer.

Manipulation !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Vous avez mélangé emplois virtuels, effets d'aubaine, emplois du secteur public, emplois simplement sauvegardés, en vous gardant bien de faire la seule présentation crédible qui aurait défalqué de votre résultat...

M. Thierry Mariani.

Ils ne peuvent pas le faire !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Les emplois détruits, ceux qui ont été délocalisés ou ceux dont l'implantation a été faite ailleurs.

La troisième leçon à tirer de cette période expérimentale est qu'elle a, c'est vrai, permis, dans de nombreuses entreprises, de réanimer un dialogue social particulièrement anémié. Des partenaires qui se regardaient comme le Turc regarde le Grec (Sourires) se sont rendu compte que les intérêts des salariés et des entreprises allaient de pair. Ils sont parvenus à s'entendre en tenant compte des spécificités de leur secteur d'activités avec un sens de la responsabilité que je veux saluer et qui fait espérer - pourquoi pas - un véritable renouveau du dialogue social.

Hélas ! trois fois hélas ! vous n'avez pas tiré les leçons de cette phase probatoire, sauf sur un point : la réduction du temps de travail n'a pas créé et ne créera pas d'emplois, et le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui renonce clairement à cet objectif. D'ailleurs, des membres éminents de votre majorité l'ont constaté.

Dont acte !

M. Jean-Louis Debré.

Il n'y a plus de majorité !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

L'OCDE a confirmé que la réduction du temps de travail n'était pas synonyme de créations d'emplois. Elle non plus ! Les chiffres en témoignent : 4,5 % de chômeurs aux Etats-Unis pour 1966 heures de travail annuel par salarié...

M. Yves Rome.

Et 36 millions de pauvre !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin...

et 11,9 % de taux de chômage en France pour 1656 heures. Cette simpleo bservation condamne, en elle-même, votre projet puisque c'est le critère sur lequel vous vouliez être jugée, madame la ministre.

Mais rentrons dans votre logique, comme vous nous y invitez. Vous laissez tomber les chômeurs, pour vendre l'idée que les salariés seraient plus heureux et les entreprises plus performantes dans le cadre d'un dialogue social rénové.

Un dialogue social rénové ? Allons donc ! Les branches ont signé non pas des centaines d'accords, monsieur Rome, mais 117 accords, dont beaucoup ont été étendus.

M. Yves Rome.

Nous disons la même chose !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Or, contrairement à vos assertions, votre loi ne permet la mise en oeuvre d'aucun de ces accords. Quand on les analyse, on retrouve un certain nombre d'éléments de façon récurrente : une annualisation comprise entre 1610 et 1645 heures - et vous la fixez à 1600 heures - un contingent d'heures supplémentaires variant de 140 à 210 heures - et vous le maintenez à 130 heures. Vous auriez pu au moins tenir compte dans votre projet de cet effort de concertation.

Vous leur accordez maigrement une année pour rentrer dans les clous. Nicole Notat le déclarait au journal OuestFrance :

« les partenaires sociaux n'ont jamais été aussi maltraités, il y a une dérive grave du poids de l'Etat dans les relations sociales de notre pays ». Ce n'est pas moi qui le dis. C'est une ardente partisane de la réduction du temps de travail : Mme Notat.

Pour faire bon poids, vous avez introduit à l'article 11, sans aucune concertation avec les organisations représentatives, une disposition qui bouscule la représentativité syndicale. Certes, l'étiolement de ces organisations mérite sans doute que la puissance publique envisage une série de dispositions où pourraient être discutées, par exemple, les modalités d'instauration du chèque syndical dans le cadre d'une conférence consacrée à la modernisation du syndicalisme dans notre pays.

Mais véritablement, aujourd'hui les partenaires sociaux ont le sentiment que vous vous êtes moqués d'eux et qu'ils ont gaspillé beaucoup de temps et de salive pour rien. C'est la raison pour laquelle nous demandons instamment que votre loi respecte les modalités de ces négociations ou, à tout le moins, étende la période d'adaptation à un délai que je ne peux imaginer inférieur à cinq ans.

M. Alfred Recours.

Cinquante ans, c'est mieux !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Nous déposerons des amendements sur ce sujet parce que c'est le bon sens et aussi par respect pour les partenaires sociaux et pour le travail qu'ils ont fourni.

M. Philippe Auberger.

La majorité fait de l'antisyndicalisme !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Si le dialogue social a été bafoué, on pouvait espérer que c'était au bénéfi ce du bonheur des salariés. Ceux-ci font preuve en tous cas d'un remarquable bon sens. Dans un sondage effectué par l'intitut CSA - à la demande de la CGT, monsieur Gremetz -, seulement 26 % des personnes interrogées considèrent comme prioritaire la réduction du temps de travail et la mise en place des 35 heures.

M. Philippe Auberger.

Ça vous ennuie, ça !

M. Bernard Roman.

Les Français ont voté pour les 35 heures !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Ils refusent majoritairement l'instauration de règles trop rigides au sein des entreprises et souhaitent qu'on laisse à ces dernières toute souplesse pour négocier.

Il faut faire confiance à notre peuple : bien sûr, si on lui demande s'il veut travailler moins en gardant le même salaire, il répond oui de manière enthousiaste, de la même façon que répondrait un contribuable à qui on demanderait s'il préfère gagner au Loto plutôt que de payer un quatrième tiers provisionnel.

M. Bernard Accoyer.

C'est sûr, ça !


page précédente page 06907page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Mais les salariés se doutent bien que ce ne sont pas les patrons qui paieront les pots cassés des 35 heures, mais bien eux. Ils ont d'ailleurs déjà commencé à les payer, et ce de trois façons : par une perte de rémunération, une flexibilité accrue des horaires et un durcissement des conditions de travail.

M. François Goulard.

Bien sûr !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Certes, allez-vous me rétorquer, 87,7 % des accords aidés prévoient une compensation salariale intégrale, suivie d'une modération salariale.

Mais interrogés par l'institut Louis-Harris, 80 % des salariés concernés ont vu leur rémunération diminuée principalement par le jeu de la baisse ou de la suppression des heures supplémentaires.

M. Dominique Dord.

Eh oui.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Celles-ci constituent un élément fondamental des revenus de la personne, celui avec lequel on rembourse les traites de son pavillon ou les études de ses enfants.

M. Yves Cochet.

Vous parlez des chômeurs, là ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Dominique Dord a très bien rappelé ces faits dans son exception d'irrecevabilité. C'est pourquoi nous déposerons un amendement qui permettra à ces salariés de garder leur niveau de revenus s'ils le souhaitent, car, décidément, on ne peut rationner le travail.

Quant à la flexibilité et à la modulation des horaires, elles sont présentes dans un accord sur deux. Pour beaucoup de salariés, les trente-cinq heures, c'est l'aggravation des horaires décalés, le travail du samedi ou du dimanche, tout ceci venant se percuter avec la dégradation des conditions de travail, fréquemment observée : les rythmes de travail se sont intensifiés puisque l'on demande de faire en trente-cinq heures ce que l'on faisait en trenteneuf heures,...

M. Bernard Accoyer.

Exactement !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

... et les risques de stress et de surmenage sont majorés.

D'après la même étude Louis Harris, 86 % des salariés concernés considèrent que leur charge de travail a augmenté. Il est vrai que, dans certaines entreprises, les plus grandes et les plus performantes en particulier, la réduction du temps de travail a été bénéfique pour l'ensemble du personnel. Toutefois, on peut penser qu'un dialogue social et une négociation bien orientés auraient permis d'obtenir les mêmes résultats sans imposer les brodequins d'acier de la loi à des entreprises qui le font payer aux salariés.

Et puisque l'on en est au chapitre, pour nous prioritaire et essentiel, des conditions de vie des salariés, je veux revenir sur la question de la conciliation de la vie professionnnelle et de la vie familiale, conciliation primordiale pour les femmes et je l'espère de plus en plus pour les hommes s'ils acceptent enfin de prendre leur juste part des tâches domestiques - on peut toujours rêver. (Sourires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Là encore, les reculs qui accompagnent le passage aux 3 5 heures sont particulièrement néfastes pour les femmes : la diminution du temps de travail, souvent, n'est pas du temps « pour soi », mais du temps « pour eux », les renvoyant non pas à des activités ludiques ou sociales, mais bien à des activités ménagères dont elles sont déjà saturées.

M. Philippe Auberger.

Mais oui !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Cette dérive sera accentuée par la perte de pouvoir d'achat constatée dans l'étude Louis Harris et qui sera compensée par la diminution des heures d'emplois de service : aides à domicile, nourrices agréées, femmes de ménage... sans compter que ces emplois étant majoritairement tenus par des femmes, celles-ci perdront leur source de revenus.

M. Bernard Accoyer.

Evidemment !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Quant à la flexibilité, corollaire de 50 % des accords conlus, comment peut-elle aider à mieux s'occuper de ses enfants quand elle vous oblige à travailler hors des temps scolaires ou quand les crèches sont fermées ou encore pendant le week-end ?

M. Thierry Mariani.

Très juste !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

La vérité est que cette loi ne fait qu'accentuer la porosité entre la vie personnelle et la vie professionnelle, et, à ce jeu-là, ce sont toujours les femmes qui perdent. Mais c'était le prix à payer pour mettre en place une réforme mal pensée sans détruire l'appareil de production.

Alors, un dialogue social mis à mal, des salariés à qui on fait durement payer les quelques heures de travail « en moins » ?

M. Yves Rome.

Quatre heures en moins.

M me Roselyne Bacherot-Narquin.

... faut-il croire comme le titre un grand journal économique, que vous mitonneriez une petite cuisine néo-libérale ? Certaines déclarations pourraient le faire croire. Bien entendu, personne n'est dupe : certaines entreprises tireront tout bénéfice des possibilités de réorganisation offertes par vos deux lois. Quand on constate que votre dispositif a permis avec les préretraites de dégraisser massivement l'industrie automobile de plusieurs milliers d'emplois.

M. Philippe Auberger.

Aux frais de l'Etat ! Mme Roselyne Bachelot-Narquin ... et d'ainsi rééquilibrer leur pyramide des âges, quand on voit des salariés qui auraient pu négocier de substantielles augmentations de salaires se faire envoyer dans les cordes au motif qu'il faut bien que l'entreprise avale les trente-cinq heures, on comprend que vous ayez trouvé quelques complices, y compris dans le patronat.

M. Philippe Auberger.

Eh oui !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Mais la vérité de fond est tout autre. Oh ! je ne me fais aucun souci pour les grands groupes, quand j'entends M. Goutard, PDG de Valéo, dont une des usines est à Angers, ...

M. Philippe Auberger.

Et une autre à Sens ! Mme Roselyne Bachelot-Narquin ... nous annoncer tranquillement, avec une augmentation des bénéfices du groupe de 20 % et une augmentation du chiffre d'affaires de 33 %, qu'il « n'allouera plus certains contrats à certaines usines de l'Europe de l'Ouest » et qu'il va donc préférer la République tchèque, la Pologne ou la Hongrie.

L'entreprise Packard-Bell qui emploie plusieurs centaines de salariés, toujours à Angers, a besoin de quinze jours pour déménager et s'installer partout dans le monde. Là encore, les victimes seront les salariés et leurs familles.


page précédente page 06908page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

M. Philippe Auberger.

Eh oui !

M. Dominique Dord.

Très juste.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Mais je me fais du souci pour tout le réseau de petites et moyennes entreprises qui structurent le tissu économique et social de notre pays.

M. Thierry Mariani.

Absolument !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Votre projet les met dans un carcan insensé avec un système de calculs des heures supplémentaires imaginé par un technocrate givré : quatre niveaux de taxation, deux catégories d'entreprises, une période transitoire et plusieurs dates d'application.

Un syndicaliste, qu'on ne peut soupçonner de complicité avec le patronat, a reconnu devant la commission des affaires sociales que le mécanisme était effroyablement complexe et l'a qualifié du terme classique d'« usine à gaz ».

Pour les petites entreprises, il est indispensable que le régime des heures supplémentaires ne soit pas limité à la seule période transitoire et que le recours à celles-ci soit élargi quand on voit les difficultés de recrutement dont nous ont fait part certains secteurs comme les métiers de bouche et de restauration, mais il en existe d'autres. Nous avons aussi sur ces sujets déposé des amendements.

Ces petites entreprises vont de plus se trouver confrontées à des difficultés organisationnelles fort bien expliquées par Jacques Barrot. Qui prendra alors en charge le surcroît de travail causé sinon l'artisan... et l'épouse de l'artisan, celle qui tient la caisse, fait la comptabilité, taillable et corvéable à merci ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérales et Indépendants.)

Et vous me dites, des trémolos dans la voix, que les 35 heures, c'est du temps pour soi, pour le bricolage et le jardinage ? Pour quelques-uns, peut-être, mais pas pour tout le monde ! Nous avons déposé des amendements pour que soit prise en compte par des aides spécifiques cette dimension tout à fait particulière de la très petite entreprise. C'est dans ces très petites entreprises que se créeront les emplois et l'affaire Michelin est venu le rappeler à ceux qui auraient douté de cette vérité d'évidence.

(« Eh oui » ! sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Charges supplémentaires, difficultés organisationnelles, travail au noir : voilà tout ce qui rendra plus difficile la vie pour nos petites entreprises et les empêchera de créer les emplois qu'on aurait pu attendre d'elles.

Le 27 janvier 1998, je vous avais dit, madame la ministre, que vous aviez construit la plus coûteuse et la plus sophistiquée des machines à exclure : les chiffres du budget nécessaire au RMI nous en donneront prochainement la confirmation lors de l'examen de la loi de finances.

M. Philippe Auberger.

Je l'ai dit il y a une semaine ! Elle ne voulait pas l'avouer !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Je vous avais dit que nous verrions un gouvernement de gauche mettre en pièces le SMIC : c'est fait ! Je vous avais dit que les salariés paieraient les 35 heures par la perte du pouvoir d'achat et le durcissement des conditions de travail : nous le vérifions tous les jours. Je vous avais dit que votre loi ne créerait pas d'emplois : vous avez capitulé en rase campagne en espérant que la croissance permettrait à notre pays, à ses entreprises et à ses salariés de supporter les effets néfastes d'une mesure absurde à laquelle vousmême n'avez jamais cru, et vous ne vous êtes pas gênée pour le dire.

M. Alain Cousin.

Très bien !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Le débat sur la réduction du temps de travail est-il clos ? Bien sûr que non, il ne fait même que commencer ! Mais cet aménagement ne pourra être pensé que sur la durée de la vie de l'individu pour faire en sorte que l'on ne concentre pas sur la période vingt-cinq quarante-cinq ans l'activité professionnelle maximum, la mise en place de nouveaux liens affectifs, la procréation et l'éducation des enfants, pendant qu'on laisse la moitié des plus de cinquante ans dans l'inactivité et que l'on retarde de plus en plus l'entrée des jeunes sur le marché du travail. C'était bien cela le défi qui nous était lancé...

M. Alain Cousin.

Tout à fait !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

... et non pas une réduction du temps de travail uniforme qui fait fi des nouvelles aspirations des salariés et des extraordinaires mutations biologiques, sociétales et économiques du millénaire qui s'annonce.

M. Alain Cousin.

Voilà les vraies questions !

M. Philippe Auberger.

Il faut prendre un peu de hauteur !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Vous comprendrez que le Rassemblement pour la République ne puisse voter un texte qui considère que la France n'a pas changé depuis le

XIXe siècle.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Philippe Auberger.

Quel punch !

M. le président.

La parole est à M. Maxime Gremetz.

M. Bernard Accoyer.

Voilà la majorité plurielle !

M. Maxime Gremetz.

Monsieur le président, madame la ministre, la réduction du temps de travail est un enjeu majeur de civilisation et de société. Le groupe communiste y a toujours été très attaché. D'ailleurs, rappelons que notre groupe est à l'origine de la première proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale en 1996 visant à réduire le temps de travail à 35 heures, comme élément du processus continu de réduction du temps de travail. Cette initiative nous avait déjà permis de préciser notre conception de la réduction du temps de travail et les objectifs qu'elle devait s'assigner.

Aujourd'hui, nous réaffirmons ces objectifs. Il sont triples : libérer du temps pour les salariés, créer des emplois stables et correctement rémunérés et, enfin, mettre en oeuvre une nouvelle organisation du travail qui allie plus grande liberté pour l'individu, amélioration des conditions de vie et de travail et droits nouveaux pour les salariés comme gage d'efficacité économique.

Libérer du temps pour s'éduquer, se former, se distraire, participer à la vie associative, pour se cultiver, pour être avec sa famille, pour exercer pleinement sa citoyenneté.

Les progrès de notre société dépendent, pour une part, de l'importance et de l'utilisation qui peut être faite du temps libre accordé aux salariés. Donner de vrais moyens aux gens pour qu'ils puissent s'épanouir dans leur travail


page précédente page 06909page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

et en dehors, c'est agir pour une meilleure cohésion sociale, pour plus de solidarité, pour plus de responsabilité civique.

Les salariés et les personnes privées d'emploi attendent beaucoup des débats que nous entamons.

M. Dominique Dord.

Ils ne vont pas être déçus !

M. Maxime Gremetz.

La réduction du temps de travail peut être également un outil efficace de lutte contre le chômage, en créant des emplois stables et correctement rémunérés.

M. Thierry Mariani.

Ce n'est pas le cas !

M. Maxime Gremetz.

La réduction du temps de travail, pour avoir une influence positive sur la baisse du chômage, doit contribuer à créer, bien sûr, des emplois.

Mais la qualité des emplois importe tout comme le nombre. Aussi, il faut tendre vers un maximum d'emplois stables et à temps plein avec des salaires décents. C'est dans ces conditions que nous pourrons asseoir la relance de notre économie, et donc notre croissance, de façon pérenne.

A l'aube de l'an 2000, trop de jeunes sont exclus du monde du travail pendant que des cadres sont contraints à faire des heures supplémentaires non payées. Des salariés sont fatigués, usés par trop de travail, alors que d'autres en espèrent un. La réduction du temps de travail, au sens où les communistes la conçoivent et souhaitent la mettre en oeuvre, permet de créer des emplois pour les chômeurs, les précaires, en particulier pour les jeunes.

Enfin, le passage aux 35 heures implique une nouvelle organisation du travail, synonyme d'amélioration des conditions de travail, se traduisant par des droits nouveaux pour les salariés comme gage d'efficacité économique. Pour cela, la négociation est indispensable, c'est évident. Les salariés et leurs représentants doivent pouvoir être informés et consultés sur tous les aspects, avant, pendant et après la réduction du temps de travail. La loi doit satisfaire ces deux aspects complémentaires : favoriser une négociation qu'elle encadre de garanties.

Du reste, l'histoire nous l'a montré, chaque avancée significative des droits des travailleurs s'est toujours accompagnée d'un cadre législatif dont l'application a été rendue possible par des droits renforcés ou nouveaux permettant une négociation réellement efficace.

La loi de 1848 limitant le travail des femmes et des enfants n'a pu être appliquée faute de vrais droits pour les salariés et leurs représentants.

La loi du 23 avril 1919 portant à 8 heures la durée maximale par jour et à 48 heures pour la semaine avait été précédée le 19 mars de la même année d'une autre l oi qui instituait le droit à la négociation collective et à la formation de conventions collectives en parallèle de droits nouveaux pour les syndicats.

La loi du 21 juin 1936, dite loi des 40 heures, avait été précédée, le 7 juin 1936, d'une autre sur la négociation collective et les droits syndicaux.

A chaque étape d'une réduction significative du temps de travail, nous retrouvons la combinaison de trois facteurs : la loi fixe le cadre de la réduction du temps de travail, encourage la négociation collective et donne de nouveaux droits aux représentants des salariés pour la mise en place et l'application des mesures législatives.

La seconde loi relative aux 35 heures, madame la ministre, doit donc fixer un cadre clair concernant ses objectifs et donner des garanties fortes aux salariés tout en favorisant la négociation et non en s'y substituant.

C'est dans cet esprit que nous avons abordé le débat en commission et que nous allons le poursuivre. Nous partageons la volonté du Gouvernement d'améliorer, avec cette seconde loi, la première. C'est pourquoi elle doit reprendre, pour le moins - pour le moins, j'insiste -, les mesures positives que nous avons votées l'an passé.

Citons en premier lieu l'obligation de créer des emplois pour obtenir des aides ou la prise en compte du travail posté pour une réduction du temps de travail supplémentaire que nous avions fait voter.

C'est également dans cet esprit constructif, utile aux objectifs que nous avions définis en commun avec les membres de la majorité plurielle, que nous présentons deux séries d'amendements qui sont le fruit de nombreuses discussions avec les organisations syndicales, des inspecteurs du travail, des juristes et des salariés de nombreuses entreprises dans toute la France.

Tout en proposant - et j'y insiste - de retranscrire dans la nouvelle loi les bonnes dispositions de la précédente, nous vous encouragerons à rendre effective une véritable application de la réduction du temps de travail répondant aux objectifs tels que nous les avons définis.

Comme le Gouvernement, nous voulons réussir la réduction du temps de travail, nous voulons qu'elle se traduise réellement par une avancée et par des créations d'emplois. D'autres lois affichaient déjà cette volonté - faut-il le rappeler ? - en conditionnant les aides financières au titre de la réduction du temps de travail au niveau du taux d'emplois créés.

Ainsi, en 1993, la loi quinquennale de M. Edouard Balladur, que nous avons combattue ensemble, sur ces bancs, socialistes, communistes et autre gauche plurielle, nuit et jour, la loi quinquennale de M. Balladur envisageait, par accord, une réduction du temps de travail de 10 % en contrepartie de 10 % d'embauche. C'est cela la réalité de la loi Balladur, n'est-ce pas, monsieur Bartolone, nous qui la combattions ensemble ?

M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville.

Eh oui !

M. Maxime Gremetz.

En 1996, la loi de M. de Robien prévoyait 10 % de réduction du temps de travail en échange de 10 % d'embauche sur une durée d'au moins deux ans. Et la critique que nous lui faisions, vous et nous, c'est qu'elle prévoyait deux ans de maintien d'embauches effectives, mais sept ans de subventions et d'exonérations de charges patronales.

En 1998, la loi du 13 juin conditionnait les aides à deux obligations : réduire le temps de travail d'au moins 10 % pour un volume de création d'emplois d'au moins 6 % ; puis les aides étaient majorées pour une réduction du temps de travail de 15 % accompagnée de 9 % d'embauche. Telle est la première loi que nous avons votée ensemble et c'est cela que nous voulons revoir dans la seconde.

Aujourd'hui, la seconde loi ne subordonnerait plus les aides à des créations d'emplois.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

C'est vrai !

M. Bernard Accoyer.

C'est un constat... et un abandon ! C'est logique !

M. Maxime Gremetz.

C'est inacceptable. Ce recul ne peut recevoir notre assentiment. Il est, je le répète, inacceptable pour nous, et nous ne l'accepterons pas.

A ce propos, ayant relu les débats sur la première loi, je vais vous citer, madame la ministre. Vous disiez exactement la même chose que moi : « Les systèmes que vous


page précédente page 06910page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

avez mis en place - vous vous adressiez à la droite -, tel le mécanisme de ristourne dégressif entre 1 et 1,33 fois le SMIC, coûtent très cher, 40 milliards par an, et n'ont entraîné pour l'instant que la création de 40 000 à 45 000 emplois par an. »

M. Bernard Accoyer.

Elle a changé d'avis depuis !

M. Maxime Gremetz.

« Nous nous refusons à renforcer ce dispositif ...

M. Bernard Accoyer.

Elle fait exactement le contraire !

M. François Goulard.

Bien vu, Maxime !

M. Maxime Gremetz.

On va en parler !

« Nous nous refusons à renforcer ce dispositif trop général et coûteux pour préférer une aide aux entreprises qui bougent en réduisant la durée du travail et en créant des emplois. »

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est ce que nous faisons !

M. Maxime Gremetz.

Voilà ce que nous proposons de faire, madame la ministre. C'est ce que vous demandiez dans la première loi mais plus dans la seconde.

Ce recul, disais-je, est inacceptable si vous voulez combattre efficacement le chômage par une augmentation sensible de la demande de travail et donner un sens à la réduction du temps de travail.

Il est indéniable, et les enquêtes le confirment, que cette double condition a contribué à favoriser l'emploi.

Comment peut-on parler des résultats de la première loi sans prendre en compte cette disposition qui a permis justement de créer des milliers d'emplois ? Vous avez présenté, madame la ministre, le bilan de la première loi. Si elle n'avait pas comporté cette disposition, il n'y aurait pas eu - nous en avons la conviction profonde, au groupe communiste - autant de création d'emplois.

C'est pourquoi nous avons, avec nos collègues des Verts et du MDC, déposé un amendement commun reconduisant cette conditionnalité dans la future loi, à savoir 10 % de réduction du temps de travail pour 6 % de création d'emplois. Et une majoration des aides en cas de réduction du temps de travail de 15 % pour la création d'un volume d'emplois de 9 %. Ne parlons pas de surenchère...

M. François Goulard.

De « sous-enchère » !

M. Maxime Gremetz.

... puisqu'il s'agit de reconduire dans la seconde loi un principe qui nous paraissait très bon dans la première.

M me Roselyne Bachelot-Narquin et M. Bernard Accoyer.

C'est logique !

M. Maxime Gremetz.

Plusieurs de nos amendements actuels prolongent cette idée de défense qualitative des emplois et visent à encourager l'emploi à temps plein et à durée indéterminée, car la qualité des emplois créés est une donnée essentielle dans la lutte contre la précarité.

De même que nous souhaitons enrayer la précarité qui se développe et même explose, nous souhaitons stopper le versement aveugle des aides sans contrepartie en emplois.

Les fonds publics versés aux entreprises doivent véritablement servir l'emploi. C'est fondamental pour un gouvernement de gauche.

La création d'une commission nationale pour contrôler l'utilisation des fonds publics...

M. Bernard Accoyer.

Et d'une police spéciale ?

M. François Goulard.

Une guépéou ?

M. Maxime Gremetz.

... et évaluer leur efficacité pour l'emploi et la formation est primordiale afin que cessent les abus. Elle pourra - elle devrait - s'appuyer sur le suivi effectué par l'instance paritaire que nous avions créée lors de la première loi et qu'on ne retrouve pas dans la seconde...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Eh oui ! Quelle trahison !

M. Maxime Gremetz.

... instance paritaire présente dans chaque entreprise et que nous proposons de réintroduire dans la présente loi.

Une nouvelle fois, un de nos amendements tentera d'apporter une réponse concrète à ce souci, car il nous semble plus juste que les aides soient allouées essentiellement à la création des emplois.

L'affaire Michelin en témoigne : aujourd'hui, on veut licencier 7 500 personnes alors que l'entreprise a réalisé 2 milliards de profits. De plus, elle a - va-t-on continuer ? - entre 1983 et 1995 bénéficié de 10 milliards d'aides publiques pour supprimer 15 000 emplois. C'est i ntolérable ! Trop d'entreprises ont bénéficié d'aides conséquentes sans qu'aucun emploi ne soit créé. Pire, il y a eu des licenciements.

Cette question majeure est étroitement liée à celle du financement. Si c'est par le financement que l'on mesure les vrais objectifs d'une loi, l'orientation choisie par le texte ne peut nous satisfaire.

Que constate-t-on ? Que le total des aides apportées aux entreprises sans qu'elles soient obligées de créer des emplois représente 105 milliards à terme - 105 milliards ! dont 65 milliards la première année. Et l'on s'aperçoit que l'ensemble du financement repose sur les ménages.

Ne plaignons pas les entreprises : ce n'est pas sur elles que repose ce financement, ce n'est pas sur les profits, les revenus financiers.

M. Germain Gengenwin.

Un petit peu tout de même !

M. Maxime Gremetz.

L'augmentation du tabac, 39,5 milliards, l'extension de la TGAP aux lessives et assouplissants, 3,2 milliards, une partie du paiement des heures supplémentaires, 5,4 milliards - qui, normalement, devraient aller aux salariés...

M. François Goulard.

Il a raison ! M. Maxime Gremetz ... financeront le passage aux 35 heures.

M. Bernard Accoyer.

C'est logique, tout ça !

M. Maxime Gremetz.

Sans oublier la contribution de l'UNEDIC - plus de 10 milliards - et de la sécurité sociale - 5,5 milliards.

Nous ne pouvons approuver non plus cette mesure injuste sur le fond et d'autant plus indéfendable que 41 % des chômeurs ne sont pas indemnisés, que les minima sociaux ne sont pas revalorisés et que les soins dentaires et optiques sont très mal remboursés, notamment pour les enfants.

M. Bernard Accoyer.

Ainsi que les prothèses auditives !

M. Maxime Gremetz.

De plus, la participation des entreprises est quasi nulle. Il n'est prévu qu'une faible taxe sur les bénéfices, 4,2 milliards, alors même qu'on supprime la surtaxe sur les bénéfices de l'impôt sur les sociétés - 12,5 milliards - et on abaisse la taxe professionnelle de 2,5 milliards.


page précédente page 06911page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Le MEDEF se plaint du sort réservé aux entreprises ? En réalité, il n'est pas mécontent, il faut le dire.

Mieux encore, comme le souligne le rapport, « ces mesures sont financièrement neutres pour l'ensemble des entreprises et n'alourdissent en rien le prélèvement fiscal applicable à celles-ci ».

M. François Goulard.

Ça, ce n'est pas tout à fait exact !

M. Maxime Gremetz.

Il faut, c'est notre conviction - vous allez moins vous réjouir, madame, messieurs de la droite -, faire contribuer davantage ces entreprises - et nous vous soumettrons nos propositions - surtout lorsque l'on sait qu'elles ont réalisés l'an passé 2 134 milliards de profit, soit 30 % d'augmentation, pour les plus grandes d'entre elles.

Si vous appliquiez en toute logique - madame la ministre, je vous demande d'y réfléchir - les 3,3 % sur ces 2 134 milliards - ce n'est pas moi qui invente les chiffres - cela rapporterait 64 milliards de francs, c'est-àdire de quoi financer la loi sur la réduction du temps de travail.

Mais il y a plus scandaleux encore : après avoir perçu les aides, certaines entreprises mettent en oeuvre un plan de licenciement dit « économique ». Dit « économique », car il ne s'agit pas toujours, loin s'en faut, de licenciements liés à des difficultés économiques mais plutôt d'une volonté d'accroître les profits financiers au détriment de l'emploi. Ce n'est pas, on l'a bien compris, notre conception de l'entreprise citoyenne.

A cet égard, nous avons déposé une proposition de loi sur les licenciements économiques qui obligerait à tenir réellement compte de la situation financière des entreprises afin de mettre un terme aux abus actuels qui, entre autres mesures, font des licenciements une simple mesure de gestion. Figure aussi dans cette proposition une exigence ancienne des parlementaires communistes : instituer un système de bonus malus applicable au risque licenciement qui augmenterait la contribution des entreprises qui licencient et allégerait les cotisations de celles qui ne licencieraient pas.

Cette proposition a fait l'objet, le 27 avril dernier, d'une présentation publique par mes amis Alain Bocquet, André Lajoinie et moi-même. Nous la soumettrons au débat dans le cadre de notre fenêtre parlementaire de décembre.

Nous ne pouvons donc que nous féliciter quand d'autres font des propositions qui vont dans le même sens. Je veux parler de la proposition d'une modulation des cotisations versées à l'UNEDIC qui serait fonction du comportement des entreprises face à l'emploi.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Ça va être facile à mettre en oeuvre !

M. Maxime Gremetz.

Quant à l'amendement « Michelin », nous proposerons de lui donner, en l'améliorant, sa pleine efficacité. On ne peut seulement demander aux entrepreneurs de négocier les 35 heures pour pouvoir ensuite annoncer un plan social financé. Il faut aboutir à un accord sur les 35 heures,...

M. Bernard Accoyer.

C'est l'autorisation administrative !

M. Maxime Gremetz.

... sinon, Michelin va annoncer une négociation, mais mettre la barre tellement haut qu'il n'y aura jamais d'accord, et il pourra annoncer ensuite un plan social. C'est pourquoi nous proposons de faire du passage aux 35 heures un préalable à toute présentation d'un plan social. Si l'un des buts principaux de la réduction du temps de travail est de créer des emplois, elle doit avoir cet effet le plus rapidement possible.

La période de prétendue adaptation et la faible majorat ion des premières heures supplémentaires reportent l'application réelle de la loi. Ces dispositions donnent la possibilité, pour un très faible coût, de ne pas changer la durée réelle du temps de travail.

M. François Goulard.

Ça c'est vrai, mais c'est suspect !

M. Maxime Gremetz.

Les créations d'emplois seront ainsi reportées.

Pour cette raison, nous voulons encore améliorer la définition de la durée du temps de travail effectif sur laquelle nous nous étions battus avec succès lors de la première loi. Cette définition doit inclure les pauses, les temps de repas et de transport quand le salarié ne peut utiliser ces périodes pour ses occupations personnelles.

Les astreintes et les heures d'équivalence sont rarement justifiées, la plupart doivent être incluses, en temps réel, dans le temps de travail effectif. Nous notons avec satisfaction l'évolution sur ce sujet en commission.

Par ailleurs, le temps de travail effectif doit permettre au salarié de bénéficier d'un droit à la formation professionnelle et continue tout au long de sa vie. Nous proposons une prise en compte beaucoup plus large de cet enjeu fondamental pour l'avenir économique de notre pays que celle proposée à l'article 10, notamment en demandant au Gouvernement de s'engager à présenter sans tarder un projet de loi, annoncé depuis plusieurs mois, et mon ami Patrick Malavieille interviendra plus précisément sur cette grande question de société.

L'amélioration des conditions de travail et de vie, l'objectif de création d'emploi et l'efficacité économique recherchée ne peuvent s'obtenir en offrant la possibilité de recourir aisément et de façon abusive à la flexibilité.

La flexibilité est imposée de façon de plus en plus contraignante. Ses effets néfastes sur la santé des salariés sont attestés. Elle doit être strictement limitée à des impératifs liés au type d'activité, et, là où elle existe, e lle doit être mieux encadrée. Par exemple, le délai de prévenance en cas de changement d'horaire doit être porté à quinze jours et non limité à sept jours comme le prévoit le projet de loi.

Concernant les travailleurs à temps partiel, le texte de loi doit être le terrain de réelles avancées afin de faire de cette forme de travail un temps vraiment choisi. C'est pourquoi nous souscrivons à la volonté du Premier ministre de mettre un frein au recours abusif aux emplois précaires. Nous avons donc déposé un amendement qui tend à taxer fortement les entreprises qui abusent des contrats précaires, soit plus de 10 %, comme vous l'aviez proposé, madame la ministre, il y a plus d'un an.

De même, en commission, un amendement commun à la majorité plurielle, tendant à supprimer l'abattement de 30 % des cotisations sociales accordé pour les contrats à temps partiel, a été adopté. Il s'agit d'une première avancée pour freiner l'emploi précaire !

M. Bernard Accoyer.

Attention les dégâts !

M. Maxime Gremetz.

Mon amie Muguette Jacquaint, qui se bat depuis plusieurs années pour faire progresser la législation sur ce thème, interviendra plus longuement dans la discussion.

Tous les salariés doivent bénéficier de la RTT, le contraire serait discriminatoire et freinerait d'autant l'efficacité de la loi. Chaque fois qu'une forme de travail pré-


page précédente page 06912page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

sente des aspects plus contraignants que la norme, l'équité veut que les salariés défavorisés par ces formes d'emplois soient mieux protégés. C'est le cas des travailleurs postés ou affectés au travail de nuit ou à des travaux particulièrement pénibles, pour lesquels nous demandons une RTT supplémentaire de quatre heures, 2,5 millions de salariés sont concernés. Nous l'avions obtenu lors de la première loi. Vous ne pouvez pas continuer à refuser notre amendement qui vise à rétablir cette mesure de justice dans la seconde loi.

Les salariés de la fonction publique...

M. François Goulard.

On en parle peu !

M. Maxime Gremetz.

... doivent également être intégrés dans la loi. Les créations d'emplois dans ce secteur doivent recevoir des aides financières. Ce serait une aberration que le Gouvernement verse des aides sans aucune contrepartie en termes d'emplois aux entreprises privées et les refuse pour les créations d'emplois dans la fonction publique. Pis, il serait inconcevable que le Parlement vote une loi de cette ampleur pour une partie seulement des salariés de France.

M. Germain Gengenwin.

Très bien !

M. Maxime Gremetz.

Nous ne pouvons pas, comme d'autres, encourager l'opposition entre les salariés du public et ceux du privé.

M. Bernard Accoyer.

Cela ne manque pas de logique !

M. Maxime Gremetz.

Quand nous parlons de tous les salariés, ce sont aussi les cadres. Leurs conditions de travail sont en constante dégradation. Leurs salaires, pas si élevés que cela si l'on tient compte de leurs véritables horaires, se trouvent parfois en dessous du SMIC. Ils sont victimes du chantage à l'emploi comme les autres salariés, sont licenciés à cinquante-cinq ans, n'ont, comme la plupart des salariés, que leur force de travail à vendre.

M. le président.

Veuillez vous acheminer vers votre conclusion, mon cher collègue.

M. Jean-Claude Lefort.

M. Gremetz a été interrompu !

M. Maxime Gremetz.

Les cadres doivent bénéficier comme les autres de la réduction du temps de travail.

Décompter leur temps de travail en jours en retirant toute référence horaire revient à laisser comme seule obligation horaire le repos minimum de 11 heures entre deux jours travaillés. En résumé, il deviendra possible de travailler 13 heures par jour, 65 heures pour une semaine de cinq jours travaillés, 78 heures pour une semaine de six jours et, pour l'année, 217 jours multipliés par 13 heures, soit un total de 2 821 heures par an.

La démonstration est édifiante, le décompte en jours est un marché de dupes. Tous les salariés y perdent.

Qaund les cadres sont contraints à de tels horaires, le climat dans l'entreprise s'en ressent profondément. Le respect des horaires des cadres est une garantie pour le respect des horaires de tous les salariés.

Comme nous l'avons dit, pour que la réduction du temps de travail soit un progrès social et qu'elle réponde aux aspirations des salariés, en plus de ne pas remettre en cause les acquis sociaux, elle doit garantir le maintien des salaires.

Conformément à l'engagement du Premier ministre, dans son discours de politique générale en juin 1997, la réduction du temps de travail ne doit pas se conjuguer avec une perte de salaire.

Nous partageons, en effet, son analyse : « Réduire le temps de travail sans perte de salaire représente à la fois un progrès économique, susceptible de créer de nombreux emplois, et un progrès social. »

L'augmentation du pouvoir d'achat est donc une nécessité pour permettre à des milliers de salariés de vivre dans de meilleures conditions, mais c'est aussi une nécessité économique, car, plus les salaires sont élevés, plus la relance de la consommation et de l'économie est favorisée.

Pour répondre à l'engagement du Premier ministre, nous proposons que le taux horaire du SMIC soit relevé de 11,4 %.

M. le président.

Mon cher collègue, il faudrait vraiment que vous vous acheminiez vers une conclusion.

M. Maxime Gremetz.

Considérant que les gains de productivité atteignent 4,3 %, « que les charges patronales baissent de 14 %, qu'il est accordé des aides incitatives et structurelles pour un smicard, la flexibilité accrue nous permet de gagner en productivité », comme le précise M. Buguet, vice-président du syndicat de l'artisanat et du bâtiment.

La démonstration est faite que le maintien des salaires n'entraînera pas de surcoût pour l'entreprise.

Dans ce cadre, les exonérations de cotisations sociales ne nous paraissent pas être une bonne solution tant on connaît les difficultés financières de notre sécurité sociale et l'effet quasi nul sur l'emploi. C'est pourquoi nous vous proposons une alternative reposant sur la bonification de crédit pour les entreprises qui investissent pour l'emploi.

Concernant l'ouverture des droits à l'allégement, la seconde loi prévoit que les accords aidés seraient conditionnés à la signature d'accords conclus par des syndicats représentant la majorité des salariés aux élections professionnelles. Nous saluons cette avancée, mais pourquoi la limiter aux accords aidés ? L'ABC de la démocratie, c'est que cela s'applique à tous les accords d'entreprise, et que cela soit étendu aux accords de branche. Rappelons que ces derniers sont d'application directe, donc sans aucune négociation, dans les entreprises de moins de cinquante salariés. J'ai bien vérifié, madame la ministre : c'est bien ainsi que les choses se passent.

Il est certain que l'extension du principe majoritaire à tous les accords, comme nos amendements le proposent, serait non seulement une mesure élémentaire de démocratie mais aussi une meilleure garantie pour le bon contenu des accords.

D'ailleurs, si tous les droits nouveaux que nous proposons - meilleure formation, assistance et protection du salarié mandaté - sont conçus dans un but démocratique, nous sommes persuadés qu'ils sont aussi un gage d'efficacité économique.

La seconde loi, dont l'enjeu politique est considérable, pour la gauche plurielle comme pour le monde du travail, doit veiller à apporter des garanties fortes pour les salariés, particulièrement en matière d'amélioration des conditions de travail, de maintien du pouvoir d'achat, de formation professionnelle, de recul de la précarité, de droits nouveaux.

Les créations d'emplois, stables et à temps plein, doivent être plus fortement encouragées, pas seulement par une remise à plat des aides financières publiques mais aussi par une limitation dissuasive de la modulation, de l'annualisation et des heures supplémentaires, dont l'abus actuel freine considérablement ces créations.


page précédente page 06913page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

M. le président.

Il vous faut conclure, monsieur Gremetz.

M. Maxime Gremetz.

J'ai terminé, monsieur le président.

C'est donc conscients de l'enjeu et avec conviction que nous entendons continuer à nous battre, dans un esprit lucide et constructif, pour que la seconde loi réponde aux objectifs de progrès social.

Elle doit fixer un cadre législatif apportant de vrais points d'appui pour les salariés, et favoriser plus fortement les négociations comme moyen d'atteindre et de confirmer les objectifs déjà définis lors de la première loi.

Je pense, et nous espérons, que la raison prévaudra, que la seconde loi modifiera dans un sens positif la première, permettant ainsi un progrès social réel répondant a ux attentes de millions de salariés, de chômeurs, d'hommes et de femmes qui constituent le peuple de gauche.

C'est dans cet esprit que nous avons présenté nos amendements, c'est dans cet esprit que nous allons les défendre, avec beaucoup d'énergie, vous le savez,...

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ah oui !

M. Maxime Gremetz.

... et c'est en fonction du résultat que nous déterminerons notre vote sur un projet de loi qui, le groupe communiste l'a dit et répété très clairement ce matin, ne peut pas être voté en l'état. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

Je pense que nous ne pourrons pas tenir l'objectif qui était le nôtre d'entendre un orateur de chaque groupe.

M. François Goulard.

Ce n'est pas normal !

M. le président.

Il nous reste trente-cinq minutes.

Deux orateurs peuvent encore prendre la parole. Je crains que, pour M. Goulard, ce ne soit plus difficile.

M. Bernard Accoyer.

C'est très dommage. Et c'est une atteinte aux droits de l'opposition. (Sourires.)

M. le président.

La parole est à M. Hervé Morin.

M. Hervé Morin.

Je voudrais tout d'abord, madame la ministre, prendre la défense de deux de mes collègues de la commission des affaires sociales que vous n'avez pas félicités et remerciés pour leur travail. Je pense à Maxime Gremetz et à Yves Cochet, qui, eux aussi, ont beaucoup participé au travail de la commission des affaires sociales.

Il est un peu dommage que vous ne les ayez pas félicités.

(Applaudissements et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Maxime Gremetz.

Ça, c'est vrai.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Diviser pour régner. Cela ne marche pas ! (Sourirees.)

M. Gérard Terrier.

Stratégie connue, pour mieux les enfoncer après.

M. Hervé Morin.

Comme j'ai de bonnes lectures, madame la ministre, je commencerai par citer une dépêche AFP du 12 septembre 1991 : « Je ne crois pas à une réduction nationale de la durée du travail pour créer des emplois », déclariez-vous lors de l'assemblée générale de la confédération CFDT.

M. Bernard Accoyer.

C'était au Zénith. Ils étaient 5 000 !

M. Hervé Morin.

Qu'y a-t-il de fondamentalement changé dans notre pays pour que vous nous proposiez aujourd'hui une loi générale, absolue, d'inspiration centralisatrice et technocratique ? Quelle mouche vous a piquée...

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Soyez poli !

M. Hervé Morin.

... pour que, entre 1991 et aujourd'hui, vous ayez changé d'opinion sur ce sujet ?

M. Bernard Accoyer.

Arrêtez-vous, et attendez la réponse !

Mme Françoise Boulard.

Elle sait que cela ne créra pas d'emplois !

M. Hervé Morin.

Nous sommes aujourd'hui les seuls en Europe à nous lancer dans une réduction générale et absolue de la durée du travail. Ni l'Italie, ni l'Espagne, ni l'Allemagne, ni les Pays-Bas, ni les pays scandinaves ne se sont lancés dans une telle politique.

Je me limiterai à trois questions : la réduction autoritaire de la durée du travail est-elle un cadeau pour l'économie française ? Est-elle un cadeau pour les salariés ? Est-elle un cadeau pour le dialogue social ? D'abord, la réduction du temps de travail générale et autoritaire est-elle un cadeau pour l'économie française et les entreprise ? Soyons clairs : la place sans comparaison de la sphère publique dans le monde occidental, la sur-administration, les contrôles et les contraintes ont eu un coût social considérable. Jacques Barrot a expliqué tout à l'heure quelles seraient demain les contraintes de cette nouvelle loi sur la réduction du temps de travail.

Le premier coût est social. De 1980 à 1995, il n'y a eu aucune création d'emploi dans le secteur marchand ou presque en France. De 1990 à 1998, la France n'a créé que 160 000 emplois supplémentaires dans le secteur marchand, soit 0,6 % de la population active. Dans le même temps, aux USA, 12,5 millions d'emplois étaient créés, soit 9,9 % de la population active. Certes, les Américains ont les working poors mais nous, nous cumulons l'exclusion au travail, le chômage et la précarité.

Le passage aux 35 heures a ensuite un coût économique. Il faut être clair sur le sujet, l'entreprise France connaîtra une perte de compétitivité. C'est une perte mécanique. On produira au même prix avec un coût plus élevé. Certes, l'augmentation des coûts salariaux sera compensée en partie et, au niveau de chaque entreprise, la sitution sera différente. Il y aura des entreprises gagnantes - les PME-PMI à forte croissance qui ont choisi de réfléchir sur l'organisation liée à l'aménagement et à la réduction du temps de travail, celles qui bénéficieront de l'effet d'aubaine, celles qui sont très automatisées, celles qui sont déjà à moins de 39 heures par semaine mais il y aura aussi les perdantes : les sociétés de services sans gains de productivité, les sociétés déjà en difficulté ou les petites entreprises où l'emploi n'est pas fractionnable.

Il y aura donc des dégâts collatéraux. Le premier concernera les délocalisations et l'investissement. Je citerai Jacques Delors, que vous connaissez bien (Sourires), et qui s'exprimait ainsi dans Le Nouvel Observateur en 1998 : « Il faut aussi rendre la plate-forme plus attrayante pour l'activité économique. Les chiffres suivants devraient nous faire réfléchir. Les investissements français à l'étran ger ont représenté 30 milliards de dollars américains, ce qui est bon, contre seulement 20 milliards pour les inves-


page précédente page 06914page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

tissements étrangers en France, ce qui n'est pas assez. En clair, il faut rendre la France plus attractive parce que les entreprises françaises investissent beaucoup plus à l'étranger que le monde n'investit chez nous. »

Deuxième dégât collatéral : le sentiment d'incertitude et d'insécurité juridique qui risque de casser les vertus de la croissance, de l'emploi et de l'investissement.

Autre dégât collatéral : la création de goulots d'étranglement. Car l'aménagement et la réduction du temps de travail ne règlent pas le vrai problème de l'économie française, qui est un problème de qualification.

Il y aura des goulots d'étranglement dans certains secteurs. Des difficultés considérables d'embauche existent déjà dans le bâtiment et le secteur des transports ; l'aménagement et la réduction du temps de travail ne feront que les accroître.

Il y aura pour finir un coût budgétaire. Soyons honnêtes : celui-ci n'est pas de 110 milliards, mais de 70 milliards, puisque la ristourne dégressive coûte environ 40 milliards. Mais ces 70 milliards, ce sont les Français qui les paieront. Il y aura bien, mécaniquement, un prélèvement fiscal supplémentaire pour payer le non-travail que constitue le passage au 35 heures général et absolu dans l'ensemble du pays. Ils le paieront directement, soit par la contribution sur les heures supplémentaires, soit par les ponctions effectuées sur les caisses de sécurité sociale, soit indirectement, par l'impôt sur les entreprises.

Et quand une personne achètera, demain, un paquet de lessive, il faudra qu'elle sache qu'elle participe au financement de la réduction du temps de travail à travers l'écotaxe.

M. Yves Bur.

C'est la ménagère qui paiera !

M. Hervé Morin.

Les députés du groupe UDF pensent qu'il aurait fallu faire autrement, en diminuant de façon massive les charges sociales. Ces 70 milliards auraient dû être consacrés à une véritable réduction, massive, des cotisations et charges sociales qui pèsent sur les entreprises.

Pour un salaire de 120 000 francs, les charges patronales représentent 59 526 francs en France contre 9 328 francs en Angleterre ; on voit la différence entre la France et d'autres pays.

Cette réduction importante des charges sociales qui aurait été autorisée par la croissance nous aurait permis de réduire le chômage, mais aussi d'augmenter le salaire direct, incitant ainsi à la reprise du travail.

La réduction du temps de travail est-elle un cadeau pour les salariés ? Il faut reconnaître que certains d'entre eux aspirent à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, notamment chez les cadres, et les différentes lois de réduction du temps de travail - la loi Robien puis votre première loi sur les 35 heures - ont déclenché une véritable révolution mentale au sein du personnel d'encadrement. Mais travailler quatre heures de moins, est-ce, en soi, un projet de société ? L'aménagement et la réduction du temps de travail a uraient dû offrir l'occasion d'esquisser - soyons modestes - un projet de société, car la loi sur les 35 heures dépasse largement la seule question du temps de travail. Puisque vous ne traiterez pas de l'emploi, ce texte aurait pu, au moins, traiter du travail. Entre les périodes terriblement actives des salariés de 25-50 ans et celles, affreusement inactives, des chômeurs et des exclus, on pouvait inciter à de nouveaux rythmes de travail, à un autre partage du travail.

Je vous cite à nouveau, madame la ministre. Vous disiez en 1993, une dépêche du 7 février de l'AFP en fait foi,...

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous êtes abonné à l'AFP ! (Sourires.)

M. Hervé Morin.

... que vous étiez convaincue que la baisse de la durée individuelle du travail est une priorité pour diminuer le chômage et améliorer les conditions de vie.

C'est plutôt vers cela que nous aurions souhaité aller : non vers une réduction générale et autoritaire de la durée du travail, mais, au contraire, vers une réduction individuelle du temps de travail, qui aurait pu favoriser l'épanouissement de la vie personnelle, professionnelle et familiale des Françaises et des Français.

La réduction du temps de travail telle qu'elle est aujourd'hui prévue produira aussi des dégâts collatéraux sur les salariés. Face aux 35 heures, quelle sera la position, quelle sera l'attitude des entreprises ? Plus de flexibilité ? Plus de polyvalence ? Plus d'utilisation du capital ? Toutes ces réponses risquent de provoquer bien des dégâts, dont seront victimes les salariés les plus vulnérables.

Il y aura d'abord une nouvelle fracture sociale entre les salariés des différentes entreprises, entre ceux des entreprises de plus de vingt salariés et ceux des entreprises de moins de vingt salariés,...

M. Germain Gengenwin.

C'est vrai !

M. Hervé Morin.

... entre ceux qui appartiennent à des entreprises qui peuvent supporter le passage aux 35 heures et s'offrir des conseils pour comprendre la loi, et ceux qui appartiennent à des entreprises qui ne pourront pas s'offrir ces conseils. Entre ceux qui peuvent obtenir des avantages indirects grâce au comité d'entreprise, ceux qui peuvent discuter dans le cadre d'un dialogue social, et les autres salariés, qui ne pourront pas discuter, faute d'interlocuteurs, faute de mandataires, faute de syndicats présents dans les entreprises, de l'aménagement et de la réduction du temps de travail.

Fracture sociale entre les cadres, car cette catégorie va imploser avec la création de trois sous-catégories : cadres dirigeants, cadres forfaitisés et cadres intégrés.

Fracture sociale massive, enfin, entre les salariés du secteur privé et ceux du secteur public. Dans le secteur privé, l'aménagement et la réduction du temps de travail s'effectuent avec des concessions ; dans le secteur public et les grandes entreprises nationales, la réduction du temps de travail a été octroyée largement, sans aucune concession réelle.

M. Yves Bur.

Tout à fait !

M. Hervé Morin.

Deuxième dégât collatéral, la flexibilité. Il est clair que, pour un certain nombre de salariés, la flexibilité sera accrue et massive. Et je prends le pari que la gauche réussira ce qu'elle a déjà su réussir au début des années 80. En 1981, vous avez distribué largement : cinquième semaine de congés payés, trente-neuf heures, augmentation des minima sociaux. Mais, en 1984, vous avez été obligés de reprendre d'une main ce que vous aviez donné de l'autre. Vous avez fait ce que la droite n'avait jamais su faire, en décidant une désindexation des salaires par rapport aux prix et un blocage du pouvoir d'achat.

Je suis persuadé que, du fait de cette loi autoritaire et absolue, la flexibilité entrera massivement dans les entreprises, bien au-delà de la volonté des salariés.

Troisième dégât : l'intensité au travail va augmenter. Il ne fait aucun doute, pour un certain nombre de salariés, qu'ils devront faire en 35 heures ce qu'ils devaient faire


page précédente page 06915page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

en 39, avec les risques d'explosion des accidents du travail et des maladies professionnelles qu'une telle situation engendrera.

Quatrième dégât : les effets sur le SMIC. Heureusement que nous sommes là, car, depuis le début, nous dénonçons la création d'un double SMIC. Dieu merci, la commission des affaires sociales va revenir sur cette création car, sinon, la politique de la gauche aurait abouti à sonner la fin du salaire minimum dans ce pays.

Cinquième dégât : le gel des salaires et la faible progression du pouvoir d'achat. Je suis intimement persuadé que les Français, notamment ceux situés en bas de l'échelle des salaires, souhaitent avant tout gagner plus, et non pas travailler moins.

M. Bernard Accoyer et M. François Goulard.

C'est vrai !

M. Hervé Morin.

Dans une société de profusion où l'offre est immense, il n'y a pas de plus grand malheur que de ne pouvoir consommer et de ne pas avoir un pouvoir d'achat en constante augmentation.

Les députés du groupe UDF pensent que, au lieu de cette démarche autoritaire et obligatoire, on aurait pu retenir une démarche favorisant la réduction individuelle du temps de travail.

Il fallait s'interroger sur les raisons pour lesquelles les formules de réduction individuelle du temps de travail ne marchent pas dans notre pays, et mener ensuite une réflexion sur l'entrée dans le travail, la suspension du travail, son rythme, les modalités de départ à la retraite, c'est-à-dire toutes les formules de temps partiel choisi, de compte-épargne temps simple, voire de système négatif de congés, puisqu'il existe aujourd'hui seize systèmes de congés, qu'il serait bon de simplifier et d'unifier.

L'occasion était unique de dépoussiérer le droit du travail en faisant confiance aux syndicats dans un dialogue social modernisé, créant de nouveaux espaces de liberté individuelle. Le droit du travail est aujourd'hui fondé sur la suspicion quant au consentement du salarié, mais cette suspicion concerne aussi les syndicats et leur capacité à défendre les salariés.

Troisième point : ce texte favorisera-t-il le dialogue social ? En premier lieu, la loi est un camouflet pour les partenaires sociaux puisqu'elle remet en cause des accords qui ont été signés entre chefs d'entreprise et syndicats, accords que vous avez souvent agréés et étendus. C'est un premier camouflet pour la confiance que vous devriez avoir dans le dialogue social.

En second lieu, ce projet de loi aurait dû contenir un ou deux articles au maximum, fixant la durée du travail à 35 heures et renvoyant à la négociation sociale l'ensemble de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail.

Et nous pensons que ce texte aurait dû comporter un titre II relatif à la démocratie sociale.

Six points auraient dû être abordés pour que la démocratie sociale fonctionne mieux dans notre pays.

Il fallait d'abord régler le problème de la place de la loi et de l'accord. La loi est chargée de l'ordre public social, elle est supplétive, et l'accord est chargé de déterminer l'organisation du temps de travail.

Il aurait en second lieu fallu régler le problème de la concurrence entre délégués du personnel, comité d'entreprise et délégués syndicaux, en donnant à chacun la place qui lui revient.

En troisième lieu, il aurait fallu redéfinir la notion de représentativité et de légitimité, ainsi que celle de droit d'opposition.

En quatrième lieu, il aurait fallu préciser la place de l'accord interprofessionnel, celle de l'accord de branche et celle de l'accord d'entreprise.

Enfin, il aurait fallu préciser la place des salariés et de la consultation au sein de l'entreprise, en vue de favoriser un syndicalisme de proposition, au lieu du syndicalisme d'opposition qui caractérise trop le dialogue social en France.

L'aménagement-réduction du temps de travail était l'occasion de créer une vraie démocratie sociale où les syndicats, ayant retrouvé une réelle audience auprès des salariés, auraient discuté avec le patronat, branche par b ranche, entreprise par entreprise, de l'organisation sociale de ce qui constitue, pour le chef d'entreprise comme pour les salariés, un gagne-pain.

Ma conclusion tiendra en deux points.

Premièrement, les deux manifestations d'hier, tout en étant de nature contradictoire, nous confortent dans notre opposition. Les uns estiment que la loi ne va pas assez loin, les autres que c'est aux chefs d'entreprise et aux syndicats de régler ces questions. Ces deux manifestations démontrent au moins que ce n'est pas par la loi qu'il faut traiter en détail de l'aménagement et de la réduction du temps de travail.

En second lieu, nous reviendrons très rapidement sur cette loi du fait de la contradiction fondamentale entre le financement des retraites et celui de la réduction du temps de travail.

M. François Goulard.

Très juste ! Il y a une contradiction de fond !

M. Hervé Morin.

On ne peut pas dire aux Français qu'ils vont travailler moins aujourd'hui mais plus demain pour financer leur retraite. A cause de cette contradiction absolue, nous serons obligés de remettre en cause demain la loi que nous examinons aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie franç aise-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet.

Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'histoire de l'activité économique est celle de la réduction du temps de travail.

M. François Goulard.

C'est faux !

M. Yves Cochet.

Nul ne peut contester l'évidente corrélation entre réduction du temps de travail, augmentation du niveau de vie et développement de l'activité économique.

Processus séculaire, la réduction du temps de travail n'a pas seulement accompagné, elle a provoqué et stimulé le perfectionnement des modes de production à travers deux mouvements décisifs et complémentaires.

D'une part, l'aménagement continu d'espaces de temps libre, l'abaissement de l'âge de la retraite, les congés payés, la diminution des maxima journaliers et hebdomadaires ainsi que l'allongement des études témoignent d'une première dynamique heureuse répondant à l'aspiration des salariés, soucieux de jouir des fruits de la croissance et de s'épanouir dans leur vie citoyenne et personnelle.


page précédente page 06916page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

D'autre part, la redistribution du travail a suscité un formidable mouvement de diversification des formes du travail, en même temps qu'elle offrait aux salariés un large choix de formes de vie et rendait le marché du travail accessible à des catégories de population qui en étaient jusqu'alors exclues, les femmes par exemple.

Cette double dynamique illustre avec justesse le caractère progressiste du processus de réduction du temps de travail. A travers lui, il en va de notre capacité à réinventer le travail et à faire taire ceux qui prédisaient la fin du volontarisme d'Etat.

Pour nous, les Verts, la référence au temps de travaile st intéressante car elle permet d'abord de borner l'emprise patronale sur la vie du salarié - car le temps, c'est la vie, et voler du temps, c'est voler de la vie ; ensuite, d'évaluer la prestation du salarié, et, enfin, par cette mesure uniforme du temps, de permettre la synchronisation des temps sociaux, du système éducatif, des rythmes hebdomadaires, du week-end, etc.

Bref, la réduction du temps de travail a été au coeur de toutes les luttes sociales. Elle est l'expression de la résistance opiniâtre des individus au temps et à son emprise.

Discipliner le temps par une organisation des tâches plus homogène et plus équilibrée, telle est la pierre angulaire, philosophale, d'une politique de réduction du temps de travail à la fois historique, volontariste, dynamique et universelle.

Pourquoi « universelle » ? Parce que le processus de réduction du temps de travail n'est pas une exception française, comme j'ai tenté de le démontrer dans mon explication de vote sur la question préalable. Certains observateurs, malheureusement peu au fait des évolutionse n Europe, pensent que les responsables politiques engagent la France dans une impasse économique, sociale, voire culturelle. On serait là en présence de la fameuse exception française, qui amène bien des esprits à imaginer que certains de nos gouvernements ne visent qu'à une chose : se distinguer des autres.

Pas du tout : l'Union européenne est un espace traversé par de forts mouvements de réduction du temps de travail, à tel point qu'en ce domaine il faudrait plutôt parler d'un certain retard français.

Partout, cette réduction du temps de travail a recouvert les mêmes modalités : écrêtement des horaires les plus longs, contraction des heures supplémentaires, allongement des congés annuels, etc.

Ainsi, la réduction du temps de travail, après avoir été un processus historique et progressiste, est devenue un phénomène spatial propre à l'Europe, symbole d'une Union européenne imaginative et solidaire, bref moderne.

J'en viens précisément à la modernité, qui a parfois été contestée, notamment dans l'une des deux manifestations d'hier. La modernité économique suppose de répondre aux exigences du présent, à savoir la lutte contre le chômage et l'enrichissement de l'activité en emplois. Tel est l'objectif majeur et double de la réduction du temps de travail, objectif auquel les Verts ne peuvent évidemment que souscrire.

Tous les organismes d'études et d'analyse, économique, s'accordent d'ailleurs à reconnaître l'effet positif de la réduction du temps de travail sur l'emploi et sur l'activité.

Du point de vue microéconomique, c'est-à-dire celui des entreprises, la réduction du temps de travail offre une chance inédite de donner à l'économie française le souffle qui lui manque parfois, par la réorganisation du travail, le rajeunissement des effectifs, l'accroissement de la durée d'utilisation des équipements et l'allongement de la durée d'ouverture des services.

Du point de vue macroéconomique, la réduction du temps de travail constitue un puissant levier de la politique de l'emploi et, à notre avis, la réponse la plus pertinente et la plus adaptée qui nous ait été proposée depuis de longues années dans la lutte contre le chômage.

D'ailleurs, Lionel Jospin lui-même l'a dit à propos de la réduction du temps de travail : « Il s'agit bien d'inventer un nouveau modèle de développement, fondé sur la solidarité et le consensus social. »

En effet, le processus de réduction du temps de travail en général, et le projet des 35 heures en particulier, ne sont pas simplement un dispositif économique ou une mesure politique ponctuelle. Ils renferment des conséquences qui engagent les générations futures, les salariés comme les entreprises. Bref, c'est toute l'économie et la société qui vont être bouleversées durablement et irréversiblement, quoi qu'en dise M. Madelin, qui est absent ce soir.

Mais la réduction du temps de travail mise au service d'une véritable politique des temps pourrait aussi contribuer à bousculer deux archaïsmes de notre fonctionnement social.

Le premier est bien connu et ses traits ont été suffisamment débattus. Il s'agit, madame Péry, madame Aubry, de la place des femmes dans notre société. La réduction du temps de travail, contrairement à ce que disait Mme Bachelot, est au contraire une chance historique pour les femmes d'obtenir enfin une égalité concrète avec les hommes.

Le deuxième archaïsme est la faiblesse du caractère participatif de notre démocratie. La politique est bien trop souvent abandonnée aux spécialistes, aux administratifs ou même aux politiques que nous sommes. L'idée qu'un surcroît de participation et de débat au sein des conseils de quartier ou des structures locales, ou même au sein de l'entreprise, serait une bonne chose pour notre fonctionnement fait parfois sourire. Mais elle invite à réfléchir à la mise en place de nouvelles instances au sein desquelles les citoyens, les travailleurs pourraient participer utilement à la détermination de leurs conditions de vie commune, ainsi qu'au développement de nouvelles modalités de négociation.

Au capitalisme et à la mondialisation libérale, il nous faut opposer l'impératif du développement humain en reconstruisant notre société sur des bases plus solidaires, plus imaginatives. Objectif ambitieux s'il en est et noble par sa portée ! J'en viens à quelques critiques.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Jusqu'à présent, c'était parfait ! (Sourires.)

M. Yves Cochet.

Vous les attendiez, madame la ministre. (Sourires.)

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Oui, c'est normal !

M. Yves Cochet.

Si votre premier projet de loi, l'an dernier, a suscité enthousiasme et espoir au sein de notre mouvement et de la population française en général, le deuxième frappe par ses hésitations et ses insuffisances. Je l'ai déjà dit, cela n'est pas un mystère : ce texte projet de loi ne nous paraît pas votable en l'état et les Verts comptent bien, en tant quer membres de la majorité plurielle, combler à ses lacunes qui constituent une sorte de déviation par rapport à la première loi.


page précédente page 06917page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

Entendons-nous bien, madame la ministre, les Verts, à l'image de la majorité des Français, sont favorables au processus de réduction du temps de travail, je viens de le dire longuement. Nous ne voulons ni en bloquer ni en ralentir la marche. Contrairement à l'opposition de droite, qui est singulièrement dégarnie à cette heure de la nuit...

M. Nicolas Forissier.

Je suis là, quand même !

M. Yves Cochet.

... si nous souhaitons amender ce projet, c'est pour l'améliorer, et non le saboter. Car notre engagement, depuis trente mois, est de contribuer au succès de la majorité plurielle. Le Gouvernement ne doit donc pas se tromper d'ennemi, nous ne sommes pas du tout une oppositon interne à la majorité.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Nous le savons !

M. Yves Cochet.

Le succès de la réduction du temps de travail sera celui de toute la majorité, de tout le Gouvernement et donc aussi, je l'espère, celui des Verts.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Absolument !

M. Yves Cochet.

Au nom de cette conviction, nous refusons une réduction du temps de travail qui soit purement défensive. Au contraire, nous irons ardemment dans le sens d'une loi plus offensive.

Le texte que vous nous proposez comporte des lacunes importantes qu'il convient de combler. Les députés Verts ont déjà soumis à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales plus de soixante-dix amendements qui vont dans le sens du premier projet de loi tout en corrigeant les imperfections du second.

J'indique les trois grandes orientations de nos amendements.

Première orientation : davantage de précisions autour de la définition du temps de travail effectif. Afin de rendre réelle la réduction du temps de travail, il convient d'actualiser sa définition, d'abaisser les durées maximales du travail, de réduire le contingent d'heures supplémentaires. La réduction du temps de travail doit aussi être la réduction réelle du temps des travailleurs pour en embaucher d'autres.

Deuxième orientation : davantage d'incitations vers les 35 heures, voire les 32 heures, par des mesures d'encouragement liées à la taxation du travail précaire, à la limitation du travail de nuit, à l'effacement de la période d'adaptation et à la conditionnalité des aides.

T roisième orientation : d'avantage d'équité. Un ensemble de mesures doit tenir compte des catégories de personnes les plus exposées, comme les femmes, dont il faut harmoniser les temps sociaux, les smicards, dont il faut assurer pour tous - nouveaux et anciens - la garantie mensuelle salariale, les salariés gravement malades, auxquels il est nécessaire de permettre les soins sur leur temps de travail sans perte de salaire.

Or, que propose ce projet de loi ? Pas assez de précisions, ni d'incitations, ni d'équité.

Cependant, votre projet de loi, madame la ministre, présente quelques avantages. Et il concrétise un engagement de la majorité plurielle. S'il doit être voté au nom de cette majorité, il doit aussi en refléter les opinions diverses. En ce sens, certaines orientations prises par le projet présentent des aspects positifs auxquels nous ne pouvons qu'adhérer.

D'abord, je me félicite que cette loi entre en vigueur dès le 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de vingt salariés et au 1er janvier 2002 pour les autres. En effet, il est nécessaire que la réduction du temps de travail soit rapidement opérationnelle, au moins pour deux raisons.

La première est économique et sociale. Au regard de l'ampleur et de l'ancienneté du chômage en France, retarder l'application de la réduction du temps de travail serait une mesure cruelle pour les centaines de milliers de chômeurs qui attendent que des postes se libèrent pour sortir du drame du non-emploi.

La seconde raison est politique. Du point de vue des échéances, plus la réduction du temps de travail interviendra rapidement et plus la majorité plurielle, qui engage ici son avenir politique, disposera du temps nécessaire pour en mesurer les effets bénéfiques.

Par ailleurs, ce projet de loi présente un deuxième aspect majeur intéressant, c'est le choix fait par le Gouvernement de privilégier la négociation. En impliquant tous les partenaires sociaux - les syndicats, les salariés, les entreprises - dans la mise en place de la réduction de temps du travail, je suis convaincu du bon choix du Gouvernement. Le chapitre VIII du projet de loi intitulé

« Développement de la négociation et allégement des cotisations sociales » est une illustration significative de cette démarche louable.

Je voudrais exposer deux autres raisons qui me font croire au bien-fondé de cette méthode de négociation.

D'abord, la négociation répond à un souci de réalisme économique. Incitative, cette méthode exclut toute orientation dirigiste ou étatique - contrairement à ce que prétend parfois l'opposition - dans la mesure où elle prend en compte aussi bien les aspirations des chefs d'entreprise que celles des salariés et celles de leurs représentants syndicaux.

Enfin et surtout, la méthode de négociation est un impératif constitutionnel. A ce stade de la réflexion, il n'est pas inutile de rappeler dans les termes mêmes du préambule de la Constitution de 1946 :

« Tout homme... » - à l'époque, on avait encore un

vocabulaire un peu sexiste - « ... peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ; tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ».

A travers ce projet de loi, c'est la démocratie d'entreprise qui sort renforcée dans la mesure où chaque accord d'entreprise est subordonné à l'approbation majoritaire des syndicats ou des salariés. Rien ne pourra être entrepris sans ces derniers.

Les grands chantiers des 35 heures sont donc à nouveau ouverts. Ils annoncent une véritable révolution économique, sociale et culturelle. Par le vote de cette loi, c'est notre responsabilité de majorité que nous engageons.

C'est la confiance des salariés que nous risquons. Nous sommes obligés de réussir.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est vrai !

M. Yves Cochet.

Depuis 1936, on n'avait pas vu cela.

Prenons conscience que cette loi sera la première grande loi du

XXIe siècle, madame la ministre. Elle inaugure une nouvelle société où emploi et solidarité devront être conjugués au service d'un même idéal, le bien-être des citoyens dans toutes les dimensions de la vie, que ce soit au travail ou en dehors du travail.


page précédente page 06918page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

C'est pourquoi nous avons le devoir de l'amender pour l'améliorer et peut-être de la voter dans une quinzaine de jours. Mais cela dépend aussi de vous, madame la ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et quelques bancs du groupe socialiste.)

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Merci pour cet excellent discours, monsieur Cochet !

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2 DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION

M. le président.

J'ai reçu, le 4 octobre 1999, de M. Jacques Floch, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les enlèvements d'enfants par l'un de leurs parents vers un pays étranger.

Cette proposition de résolution, no 1827, est renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

3 DÉPÔT DE RAPPORTS EN APPLICATION DE LOIS

M. le président.

J'ai reçu, le 4 octobre 1999, de M. le Premier ministre, en application de la l'article 120 de la l oi de finances pour 1992 (no 91-1322 du 30 décembre 1991), un rapport sur les conditions de mise en oeuvre de l'agrément prévu en faveur des investissements réalisés dans certains secteurs économiques des départements et territoires d'outre-mer en 1998.

J'ai reçu, le 5 octobre 1999, de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, en application de l'article 24 de la loi no 84-46 du 24 janvier 1984, le rapport du comité consultatif du Conseil national du crédit et du titre pour 1998-1999.

4

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Aujourd'hui, à quinze heures, première séance publique : Questions au Gouvernement ; Eloge funèbre de Maurice Janetti ; Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (no 1786 rectifié) relatif à la réduction négociée du temps de travail : M. Gaëtan Gorce, rapporteur, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 1826).

A vingt et une heures, deuxième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 6 octobre 1999, à une heure.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT

DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE AUX D

ROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES En application de l'article unique de la loi no 99-585 du 12 juillet 1999, il y a lieu de désigner les 36 membres composant cette délégation « de manière à assurer une représentation proportionnelle des groupes [...] et équilibrée des hommes et des femmes ainsi que des commissions permanentes ».

A cette fin, en application de l'article 25 du règlement, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître au secrétariat général de la présidence (service de la séanc e) avant le jeudi 14 octobre, à dix-sept heures, les noms des candidats qu'ils proposent.

La liste des candidats sera affichée à l'expiration du délai et la nomination prendra effet dès la publication des noms au Journal officiel (Lois et décrets) du lendemain, le vendredi 15 octobre.

D ÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT

DURABLE DU TERRITOIRE En application de l'article 10 de la loi no 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, il y a lieu de désigner les 15 membres composant cette délégation.

A cette fin, en application de l'article 25 du règlement, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître au secrétariat général de la présidence (service de la séanc e) avant le jeudi 14 octobre, à dix-sept heures, les noms des candidats qu'ils proposent.

La liste des candidats sera affichée à l'expiration du délai et la nomination prendra effet dès la publication des noms au Journal officiel (Lois et décrets) du lendemain, le vendredi 15 octobre.

TEXTE SOUMIS EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION Transmission

M. le Premier ministre a transmis, en application de l'article 88-4 de la Constitution, à M. le président de l'Assemblée nationale, le texte suivant : Communication du 4 octobre 1999 No E 1308. - Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion d'un accord sous forme d'échange de lettres relatif aux produits de la pêche, modifiant l'accord européen entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République de Bulgarie, d'autre part (COM [99] 431 final).


page précédente page 06919

ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1999

ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL de la 3e séance du mardi 5 octobre 1999 SCRUTIN (no 177) sur la question préalable opposée par M. Douste-Blazy au projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail.

Nombre de votants .....................................

316 Nombre de suffrages exprimés ....................

316 Majorité absolue ..........................................

159 Pour l'adoption ...................

120 Contre ..................................

196 L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN Groupe socialiste (252) : Contre : 166 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Non-votant : M. Laurent Fabius (président de l'Assemblée nationale).

Groupe R.P.R. (137) : Pour : 59 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe U.D.F. (70) : Pour : 42 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Non-votant : M. Pierre-André Wiltzer (président de séance).

Groupe Démocratie libérale et Indépendants (44) : Pour : 17 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe communiste (35) : Contre : 17 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe Radical, Citoyen et Vert (33) : Contre : 13 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Non inscrits (6).

Pour : 2. - MM. Lionnel Luca et Philippe de Villiers .