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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Questions au Gouvernement (p. 6925).

M. le président.

TVA DANS LA RESTAURATION (p. 6925)

MM. Michel Bouvard, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

APPLICATION DE LA DIRECTIVE NATURA 2000 (p. 6926)

M. Patrice Martin-Lalande, Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

DIFFICULTÉS DE LA RENTRÉE SCOLAIRE (p. 6926)

MM. Bruno Bourg-Broc, Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME ÉDUCATIF (p. 6927)

MM. Franck Dhersin, Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

NÉGOCIATIONS DANS LE CADRE DE L'OMC (p. 6928)

MM. Georges Sarre, François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

SÉCURITÉ DES INSTALLATIONS NUCLÉAIRES (p. 6929)

M. Yves Cochet, Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

R ÉGULATION DE LA COMMUNICATION ÉLECTRONIQUE (p. 6929)

M. Jean-Paul Bret, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

SITUATION DES HANDICAPÉS DE PLUS DE 60 ANS (p. 6930)

M. Marc Dolez, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

ÉQUILIBRE DES COMPTES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (p. 6931)

M. Alfred Recours, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

RÔLE DES PROFESSIONS PARAMÉDICALES DANS L'OFFRE DE SOINS (p. 6932)

M. Claude Lanfranca, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

SINCÉRITÉ DES COMPTES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (p. 6933)

M. Jean-Luc Préel, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

NÉGOCIATIONS DE L'OMC (p. 6934)

MM. Jean-Claude Lefort, François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

2. Eloge funèbre de Maurice Janetti (p. 6935).

MM. le président, Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

Suspension et reprise de la séance (p. 6936)

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

3. Rappel au règlement (p. 6936).

MM. Jacques Limouzy, le président.

4. Réduction négociée du temps de travail. - Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (p. 6937).

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) (p. 6937)

M.

François Goulard, Mme Catherine Génisson,

M.

Philippe Auberger, Mmes Muguette Jacquaint, Marie-Thérèse Boisseau,

MM. Jacques Rebillard, Nicolas Forissier, Gérard Lindeperg, Mme Nicole Catala,

MM. Patrick Malavieille, Pierre Méhaignerie, Jacques Desallangre, Gérard Terrier, Bernard Accoyer, Mme Odile Saugues,

MM. Germain Gengenwin, Alain Veyret, Alain Néri, Gérard Fuchs, Eric Doligé.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

5. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 6966).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Mes chers collègues, je vous indique d'emblée que je ne suspendrai pas la séance à l'issue des questions parce que je prononcerai aussitôt l'éloge funèbre de notre regretté collègue M. Janetti.

Nous commençons par les questions du groupe du Rassemblement pour la République.

TVA DANS LA RESTAURATION

M. le président.

La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie et des finances. Car, une fois de plus, notre groupe souhaite interroger le Gouvernement sur ses intentions en matière de TVA dans la restauration.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République. - « Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Lors de la discussion de la résolution qui précédait le conseil des ministres européen, avant l'été, nous avions réclamé avec insistance que les baisses de TVA soient élargies à la restauration et que le Gouvernement fasse une demande en ce sens auprès des autorités communautaires et du conseil des ministres européen. Hélas, bien qu'un certain nombre de parlementaires de la majorité nous aient soutenus sur ce point dans le passé, nous avons été bien seuls pour défendre un amendement lors de la discussion de la résolution.

Nous avons observé que, lors du conseil des ministres européen consacré aux questions économiques, le Gouvernement français ne demandait pas l'élargissement à la restauration du champ des baisses de TVA autorisées par l'Union européenne. Or il se trouve que, lors de ce conseil, le Portugal, qui, lui, a procédé à une baisse, a demandé que l'autorisation lui en soit expressément accordée. Intervenant à la télévision il y a quelques semaines, le Premier ministre a annoncé qu'il soutiendrait la position portugaise, peut-être dès le prochain conseil des ministres ECOFIN, qui doit avoir lieu à la fin de cette semaine.

Lors du prochain conseil, le Gouvernement soutiendrat-il la proposition portugaise de baisse de la TVA dans lar estauration ? En cas d'acceptation de cette baisse, entend-il donner aux restaurateurs français un avantage identique à celui dont les Portugais vont bénéficier ? Dans notre pays coexistent dans la restauration plusieurs taux de TVA, ce qui constitue un inconvénient, au niveau de la concurrence, dans le secteur du tourisme international. La mesure que je réclame permettrait de créer des emplois et faciliterait l'accès d'un plus grand nombre de Français à un loisir gastronomique.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Sur le loisir gastronomique, la parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

(Sourires.)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Le sujet est important. Au cours de l'année qui a abouti à la loi de finances qui vous sera présentée, une importante question a été débattue : le G ouvernement proposerait-il ou non d'importantes baisses de la TVA ? Si oui, dans quels domaines ? Le Gouvernement s'est interrogé sur les différentes voies possibles pour organiser une baisse massive de TVA au profit des ménages. Finalement, après avoir hésité entre la restauration et les travaux dans le bâtiment, les deux principaux domaines, il s'est rangé à l'avis de votre assemblée qui a voté une résolution demandant au Gouvernement de mettre en oeuvre tout ce qui était possible pour obtenir de nos partenaires européens la possibilité de baisser la TVA applicable aux travaux dans le bâtiment.

Suivant les souhaits de l'Assemblée, le Gouvernement a entrepris cette démarche et a obtenu - ce n'avait pas été le cas dans le passé - de nos partenaires européens qu'il soit possible de baisser la TVA des travaux dans le bâtiment -, ce que, je le crois, les Français apprécient largement.

M. Alain Barrau.

Très bien ! Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Mais ce n'est pas la question ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Evidemment, quand on a commencé à faire quelque chose de bien, il n'y a pas de raison de s'arrêter.

Vous nous dites que ce que nous avons fait est bien, monsieur le député, et je vous remercie de vos félicitations (Sourires), mais vous nous dites aussi qu'il faut aller plus loin.

M. Bernard Accoyer.

Eh bien oui, c'est votre boulot ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Pour aller plus loin, vous envisagez la restauration. Vous le savez, la restauration, à l'heure où je vous parle, n'est pas inscrite dans la liste des secteurs susceptibles de faire l'objet d'une baisse. Mais, vendredi prochain, le 8 octobre, cette question doit revenir en débat.

Vous vous demandez si le Gouvernement va soutenir cette position ? Vous me voyez surpris par cette question,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

puisque vous avez rappelé que le Premier ministre, s'exprimant à la télévision, avait dit que nous soutiendrions cette position. Car il n'y a pas de différence entre ce que fait le Gouvernement et ce que dit le Premier ministre.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Dès lors, votre question est inutile dans la mesure où vous aviez déjà la réponse.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Charles Cova.

Si vous voulez, nous pouvons nous en aller...

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Le Gouvernement soutiendra donc la proposition de nos voisins portugais d'inclure la restauration dans la liste. Je ne sais si elle sera adoptée ou non, mais si elle l'est, nous pourrons réfléchir au problème pour une autre année, car nous avons l'intention de baisser la TVA plusieurs fois afin de rattraper la hausse que vous, vous avez décidée en 1995 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

APPLICATION DE LA DIRECTIVE NATURA 2000

M. le président.

La parole est à M. Patrice MartinLalande.

M. Patrice Martin-Lalande.

Madame la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, le Conseil d'Etat, la plus haute juridiction administrative de notre pays, a donné raison avant-hier à la Coordination nationale Natura 2000, qui contestait depuis près de deux ans la façon dont vous appliquez la directive européenne.

M. Philippe Vasseur.

Très bien !

M. Patrice Martin-Lalande.

Pour le Conseil d'Etat, vous avez méconnu les termes d'un décret de mai 1995, qui prévoit notamment que les préfets disposent de quatre mois pour consulter les élus locaux avant d'établir les fameuses listes de sites naturels abritant des espèces ou des habitats d'intérêt communautaire. Selon la presse, l'annulation n'aurait pas d'effet sur le fond, puisque les sites classables ont été réintégrés dans une autre proposition de classement déposée ultérieurement et respectant, cette fois-ci, le droit.

Il n'empêche que la censure du Conseil d'Etat souligne la raison principale du retard de la France dans Natura 2000 : il s'agit de l'échec de la concertation. Il faut partir d'une idée simple : s'il y a des sites à classer en France, c'est que la gestion de ces sites a permis le maintien du patrimoine naturel le plus remarquable. Pour continuer à le préserver, il faut mobiliser ceux qui le gèrent quotidiennement, les agriculteurs, les forestiers, les pisciculteurs, les chasseurs et même, sur le littoral, les ostréic ulteurs. Je le vis en Sologne : le maintien d'un partenariat nécessite d'une part une concertation approfondie, et donc le temps - pour lequel vous avez été sanctionnée, madame la ministre ; d'autre part, le respect des autres.

La concertation doit aussi être menée dans la transparence. La France continuera de prendre du retard et de risquer d'être condamnée par la Cour européenne de justice, tant que vous n'aurez pas clarifié deux questions essentielles. D'abord, comment la chasse pourra-t-elle être encore pratiquée dans les sites classés Natura 2000 ? Il faut sortir du trouble entretenu volontairement sur ce point depuis plusieurs années. Ensuite, quels modes de gestion seront imposés aux actuels responsables du patrimoine naturel dans les futurs sites classés ? En conclusion, madame la ministre, que comptez-vous faire pour engager enfin une vraie concertation sur le règlement de ces questions afin d'éviter à notre pays une condamnation de la Cour européenne de justice, ainsi que des retards dans la mise en oeuvre des fonds structurels européens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaises-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Le Conseil d'Etat vient d'annuler...

M. Bernard Accoyer.

Il a bien fait ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

... la circulaire que j'avais adressée aux préfets, le 11 août 1997, au sujet de la mise en oeuvre du réseau Natura 2000.

J'avais pris cette circulaire, d'une part, pour marquer la fin du gel, décidé en 1996 par le gouvernement de M. Juppé, du processus d'élaboration des listes de sites à inscrire ; d'autre part, pour obtenir la suspension des procédures d'infraction, engagées par la commission contre la France pour défaut de présentation de sites. A l'époque, le principe de l'envoi de cette circulaire avait reçu l'avis favorable du comité national Natura 2000, auquel participent, sur ma proposition, chasseurs, forestiers et agriculteurs, bien sûr. Par retour, les préfets m'ont communiqué dans l'urgence une liste de 543 sites, liste qui, transmise à la commission, a permis à celle-ci la suspension des poursuites engagées. En revanche, ce n'était pas satisfaisant du point de vue de la concertation, à laquelle nous tenons, et de la présentation requise par la directive.

C'est la raison pour laquelle nous avons renouvelé depuis la transmission de dossiers complets, pour 531 de ces 543 sites, après la concertation prévue par le décret de 1995.

En conclusion, la décision du Conseil d'Etat ne remet pas en cause le processus Natura 2000. Sans masquer les critiques justifiées concernant la circulaire du 11 août 1997, elle a le mérite principal de souligner la vraie raison du retard français : l'immobilisme du précédent gouvernement sur ce dossier. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

DIFFICULTÉS DE LA RENTRÉE SCOLAIRE

M. le président.

La parole est à M. Bruno Bourg-Broc.

M. Bruno Bourg-Broc.

Monsieur le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, hier, en votre absence, votre éminente collègue, Mme la ministre déléguée à l'enseignement scolaire, nous a gratifiés d'une réponse édifiante sur les dérapages constatés lors de la rentrée scolaire. Le manque de professeurs serait dû à un nombre étonnant - extraordinaire pour tout dire - de congés de maladie ! Attribuer le désordre réel aux congés maladie dépasse, et de loin, tout ce qu'on pouvait imaginer !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

M. Bernard Accoyer.

Et ça ne va pas arranger les comptes de la sécurité sociale ! (Sourires.)

M. Bruno Bourg-Broc.

Les jeunes, pas plus que leurs parents, n'arrivent pas à comprendre. Vous nous aviez promis une rentrée « zéro défaut ». Vous aviez tonné sur le thème : « la déconcentration est la clé de la bonne gestion des personnels ». Or, depuis plusieurs jours, les mêmes problèmes sont à l'origine des mêmes manifestations qu'il y a un an. Pour toute réponse, les congés maladie, vous dites aux jeunes : « Ayez confiance, je continue de réformer ».

Autrement dit, vous tenez le même discours que l'année dernière. Une nouvelle fois, vous trompez tout le monde : les jeunes, qui n'ont pas de profs devant eux, et les profs, que vous continuez à désigner comme boucs émissaires. Vous êtes un porteur d'espoirs, mais de fallacieux espoirs. Et au bout du compte, pour les jeunes, c'est le désespoir ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour qu'enfin dans nos écoles, dans nos collèges, dans nos lycées, la situation soit en adéquation avec votre discours optimiste ? Quand accepterez-vous enfin de gérer sérieusement l'éducation nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

J'étais hier avec le Président de la République en Espagne. (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Voilà pourquoi je ne pouvais pas vous répondre.

Monsieur le député, lorsque nous prenons des engagements, nous les tenons. Et je tiens à vous dire que tous les postes, tous, étaient pourvus au 1er septembre.

(Vives exclamations sur les mêmes bancs.)

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Ce n'est pas la question !

M. le président.

S'il vous plaît !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Mais nous nous sommes heurtés à deux difficultés. D'abord, à une difficulté récurrente, que vous ne résoudrez pas par des déclarations : dans l'enseignement professionnel, il est désormais difficile de recruter dans certaines spécialités. Et cela est dû à la reprise économique dans notre pays - ce n'était pas le cas du temps où vous étiez au Gouvernement ! (Protestations sur les mêmes bancs.)

La seconde difficulté, c'est que nous avons eu effectivement à déplorer cette rentrée une augmentation des absences de près de 30 % par rapport à l'année dernière.

Je fais une enquête pour savoir pourquoi.

(Vives exclamations sur les mêmes bancs.)

M. le président.

Un peu de silence !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Cela dit, les moyens de remplacement ont été mis en place.

(Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs.)

M. le président.

S'il vous plaît !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Ce ne sont pas les vociférations qui résoudront les problèmes ! Les remplaçants sont en place. La réforme du lycée se met en place. La réforme du lycée professionnel, marquée par la coopération avec les entreprises, se met en place.

Que cela vous plaise ou pas, je tiendrai mes engagements ! (Exclamations sur les mêmes bancs. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME ÉDUCATIF

M. le président.

La parole est à M. Franck Dhersin.

M. Franck Dhersin.

Monsieur le ministre de l'éducation nationale, ne vous rasseyez pas, ma question s'adresse à vous. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Je ne suis évidemment absolument pas satisfait par votre réponse précédente. Vous affirmez tenir vos engagements alors qu'il n'en est rien ! Vous nous dites que vous allez faire une enquête. Je crois que votre réponse va faire rire toute la France ! Hier et aujourd'hui, le Gouvernement donne la même réponse aux problèmes qui se posent dans les collèges comme dans les lycées. Vous tentez maintenant de nous faire croire que la rentrée s'est bien passée. Tel n'est pas notre sentiment et tel n'est surtout pas le sentiment des lycéens et des enseignants qui, là où vous voyez « zéro défaut », vous décernent un « zéro de conduite » ! (Applaudissements sur les mêmes bancs. Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Le système éducatif dont vous avez la charge, monsieur le ministre, apparaît de plus en plus désorganisé. Comme à la précédente rentrée, vous vous montrez incapable de gérer les effectifs de l'éducation nationale, alors même que vous bénéficiez d'une diminution conséquente des effectifs dans les collèges.

M. Bernard Accoyer.

En effet, et c'est ça le scandale !

M. Franck Dhersin.

Nous allons voir le budget de l'éducation nationale dépasser les 300 milliards de francs.

Parfait. On se demande seulement ce que vous en faites...

Car plus vous dépensez, plus l'illétrisme progresse dans notre pays ! (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

C ette mauvaise utilisation de l'argent public est incompréhensible. Quand allez-vous comprendre que l'on ne peut plus gérer un million de fonctionnaires de manière aussi centralisée ? Votre immobilisme, monsieur le ministre, va-t-il devenir votre seule ligne politique ou allez-vous enfin passer aux actes en proposant des réformes concrètes et enfin applicables ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Monsieur le député, il semble vous avoir échappé que la déconcentration réclamée par tout le monde depuis longtemps, nous l'avons


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

faite ! (Protestations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Et le dialogue a lieu sur le terrain entre les responsables des établissements et ceux de l'administration. A vous entendre attaquer pareillement l'école publique, je me pose des questions ! (Exclamations sur les mêmes bancs. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Car nous sommes tous attachés à cette école, que nous voulons moderne et que nous sommes en train de déconcentrer pour l'adapter aux réalités d'aujourd'hui. Si vous l'aviez fait hier, je n'aurais pas à le faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe Radical, Citoyen et Vert.

NÉGOCIATIONS DANS LE CADRE DE L'OMC

M. le président.

La parole est à M. Georges Sarre.

M. Georges Sarre.

Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Un peu de calme ! Allez-y, monsieur Sarre, vous n'êtes pas homme à vous laissez démonter !

M. Georges Sarre.

Mais je ne suis pas démonté, je voudrais seulement que l'Assemblée s'apaise un peu ! (Sourires.)

Les négociations qui vont s'ouvrir à Seattle dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce engageront l'avenir de millions d'entreprises et de millions de salariés dans notre pays.

M. Bernard Accoyer.

Comme la loi sur les 35 heures !

M. Georges Sarre.

Ces négociations seront conduites au nom de l'Union européenne et de la France par la Commission de Bruxelles. Voilà qui n'est pas très rassurant, lorsque l'on constate, sur des dossiers précis, que la Commission fait passer systématiquement le droit à la libre concurrence avant toute autre considération, comme dans le dossier de la vache folle ou dans celui du transport routier.

Dans quelques jours, la Commission va présenter au Conseil des ministres européens un mandat de négociations incluant, outre l'agriculture, les services et de nombreux autres secteurs. Or la Commission semble déterminée à ce qu'aucun des secteurs de l'activité humaine ne puisse échapper au libéralisme, à la concurrence, allant ainsi beaucoup plus loin que ne le demandent les USA.

De nombreuses questions se posent. Quels moyens se donne le Gouvernement français pour défendre, au niveau européen et à l'OMC, les intérêts de nos producteurs et des salariés et le modèle social qui est le nôtre ? Quels moyens se donneront les quinze gouvernements pour assurer le contrôle démocratique des négociations au sein de l'OMC, négociations qui seront menées par uno rganisme non élu, la Commission de Bruxelles ? L'économie mondiale, qui ne le voit, risque d'être totalement administrée par les multinationales ! L'Assemblée nationale doit être saisie de ces questions avant le début des négociations. Je voudrais vous demander, monsieur le ministre, qu'un débat soit organisé le plus rapidement possible pour que l'Assemblée nationale puisse faire part de ses réflexions et propositions. Je vous demande un débat solennel, car la représentation nationale ne peut vivre en dehors des mouvements profonds traversant une opinion publique qui exige que les parlem entaires prennent leurs responsabilités politiques.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe du Rassemblement pour la République, ainsi que sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Monsieur le député, vous avez souligné, à juste raison, l'importance du prochain cycle de négociations qui se tiendra à Seattle. La mondialisation ? Nos entreprises et nos salariés y sont confrontés tous les jours.

M. Bernard Accoyer.

Et avec les 35 heures, qu'est-ce que ça va être !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Les résultats obtenus, notamment dans les domaines de l'industrie et de l'agriculture, montrent clairement que nous savons en tirer profit. Vous trouverez à ce propos dans le rapport économique, social et financier, annexé au projet de loi de finances pour 2000, beaucoup d'éléments chiffrés. Je n'en mentionnerai que deux.

Dans l'industrie, la part de la production française exportée est passée de 32 % en 1986 à 47 % aujourd'hui.

M. Bernard Accoyer.

Nous sommes les meilleurs.

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Dans le domaine agricole et agroalimentaire, les exportations ont progressé en moyenne sur la même période de 4,7 %. L'internationalisation profite à la croissance et à l'emploi. Fort logiquement, le Gouvernement souhaite que soit renforcé le rôle de l'OMC qui stabilise le cadre des échanges internationaux.

Le nouveau cycle de négociations durera au minimum trois ans. Comme l'a rappelé récemment le Premier ministre, il fonctionnera selon le principe de l'engagement unique : rien ne sera acquis tant que tout ne sera pas acquis. En d'autres termes, le nouveau cycle ne décidera rien si tout le monde n'est pas d'accord. La France ne va pas à Seattle s'engager dans une mécanique irréversible, elle s'y rend pour commencer un processus long de négociations dont elle pourra conserver la maîtrise au sein de l'Europe et avec l'Europe.

S'agissant des places respectives de la Commission européenne et des Etats membres, si c'est bien la Commission le négociateur, il est clair qu'elle négocie sur la base du mandat donné par les Etats membres. Dans le mandat qui lui sera confié, vous retrouverez les orientations et les positions que le Gouvernement vous avait présentées lors du débat parlementaire de juin sur l'OMC.

Vous souhaitez qu'un nouveau débat parlementaire ait lieu ? Le Premier ministre y est tout à fait favorable et m'a demandé de l'organiser. (« Ah ! » sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Je ne peux vous en préciser la date aujourd'hui, la conférence des présidents devant en débattre et le calendrier parlementaire étant largement rempli, occupé par le projet de loi de finances. M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement, précisera les modalités de ce débat dans les jours à venir.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

Enfin, l'OMC sera à l'ordre du jour de la conférence économique qui se tiendra le 10 octobre à Bercy, le jour même où se tiendra un conseil des affaires générales.

J'espère, monsieur le député, avoir répondu à votre interrogation. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

SÉCURITÉ DES INSTALLATIONS NUCLÉAIRES

M. le président.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet.

Ma question s'adresse à Mme Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Elle a trait au nucléaire.

La semaine dernière, jeudi dernier exactement, un accident nucléaire dit de criticité s'est produit sur le site de Tokaimura au Japon. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'un accident a lieu sur ce site. En 1997, une explosion avait déjà donné lieu à un rapport, falsifié, de la direction de l'entreprise aux autorités.

Notez-le, chers collègues, nous ne sommes pas du tout dans l'Ukraine de 1986 à Tchernobyl. Nous sommes dans un grand pays moderne qui sait ce que c'est que de faire de la belle industrie. Or, manifestement, les salariés embauchés pour traiter ce problème nucléaire n'étaient ni formés aux risques ni informés des dangers qu'ils couraient en manipulant de telles substances. Nous avons vu la semaine dernière des images assez surprenantes montrant des dirigeants de l'entreprise avouer que depuis des années, et de manière délibérée, ils avaient triché sur l es manquements aux normes de sécurité.

Je crois, mais peut-être ce point de vue n'est-il pas partagé sur tous ces bancs, que l'industrie nucléaire n'est pas du tout une industrie comme les autres ; elle est beaucoup plus dangereuse.

M. Jean Bardet.

Vous avez entendu parler des coups de grisou ?

M. Yves Cochet.

Il faut donc observer la plus grande vigilance sur les normes de sécurité dans cette industrie.

Dans quelques mois, vous allez, madame la ministre, présenter un projet de loi sur la transparence nucléaire, notamment dans le domaine de l'information, de l'autorité de contrôle, de la responsabilité en cas d'accident, et de ce qu'on nomme les normes de radioprotection, que connaît bien Mme Rivasi.

De quelle manière allez-vous aborder la question de la responsabilité nucléaire ? Pensez-vous, comme moi, que les installations nucléaires doivent êtres soumises aux normes des installations classées pour la protection de l'environnement, ICPE, de la même manière que d'autres secteurs industriels ? En cas de manquement aux règles de sécurité, des sanctions financières et pénales pourraient ainsi être prises contre les personnes morales et même les personnes physiques qui seraient directement responsables de ces manquements.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

Une réponse courte, si vous le voulez bien, madame la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement...

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Un accident grave de criticité est survenu dans l'unité d'enrichissement en uranium 235 de combustible destiné au surgénérateur de Joyo à Tokaimura. Il s'agissait, certes, d'une erreur humaine, mais nous savons qu'elle a eu lieu dans un contexte plus général de relâchement des procédures de sûreté, reconnu d'emblée par les autorités japonaises qui l'ont, je dois le souligner, communiqué de façon transparente. Ainsi, Christian Pierret et moi-même avons été tenus régulièrement au courant à la fois par la direction de la sûreté et de l'information nucléaire et par l'ambassade de France au Japon.

Ce relâchement des procédures de sûreté ne concerne pas seulement le Japon, même si l'installation en cause a déjà connu un incident sérieux de niveau 3 en 1997. La récente condamnation de l'exploitant de la centrale de Millstone aux Etats-Unis à une amende de 10 millions de dollars montre qu'un tel phénomène peut se produire partout.

Je vous invite à ce propos à lire le rapport annuel de la direction de la sûreté. Il montre l'importance fondamentale d'une vigilance de tous les instants en ce qui concerne la formation des personnels, la révision régulière des procédures de sûreté et la motivation, à titre personnel et humain, des salariés.

Quelles leçons pouvons-nous tirer de cet accident ? D'abord, j'ai demandé à la direction de la sûreté de procéder à un examen des circonstances pour améliorer encore les conditions de sûreté dans les installations comparables en France comme celle de Romans, même si la technologie n'y est pas tout à fait la même.

Bien sûr, le projet de loi que j'aurai l'occasion de présenter au nom du Gouvernement dans quelques mois va améliorer encore le système en organisant, comme l'avait demandé le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale en juin 1997, une séparation claire entre les fonctions de production et les fonctions de contrôle.

Il est prévu de soumettre le secteur nucléaire à des règles comparables à celles des installations classées.

Comme l'industrie chimique, le nucléaire est une industrie à risque et on ne peut ni le banaliser ni le traiter à la légère. Il faut revoir l'importance des peines. Aujourd'hui, exploiter une installation nucléaire sans autorisation, contrevenir aux prescriptions techniques, ne pas déclarer des incidents est passible, dans le pire des cas, de 10 000 francs d'amende. Cette peine n'est pas de nature à faire peur à des exploitants indélicats.

Le projet de loi prévoit aussi la mise en place de garanties financières. Un effort particulier est d'ores et déjà engagé pour ce qui concerne le dispositif d'élaboration et de diffusion d'une information accessible au public. C'est la tâche du Conseil supérieur de la sûreté et de l'information nucléaire, présidé par M. Philippe Lazar, qui a déjà, je crois, bien travaillé. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe socialiste.

RÉGULATION DE LA COMMUNICATION ÉLECTRONIQUE

M. le président.

La parole est à M. Jean-Paul Bret.

M. Jean-Paul Bret.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de la justice.

Lors de la vingtième université de la communication à Hourtin en août dernier, le Premier ministre a rappelé les efforts engagés par le Gouvernement en faveur des nou-


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velles technologies de l'information et de la communication. Un projet de loi tendant à réguler le nouvel espace public qu'est le web devrait être présenté au Parlement dès le début de l'année prochaine. Le Gouvernement va engager dans ces jours prochains une vaste consultation sur l'utilisation et la réglementation du web.

Si le net offre un immense espace de liberté, de connaissance, cet outil démocratique peut aussi devenir une arme redoutable dressée contre nos valeurs républicaines et contre nos principes. Car il est anonyme, sans contrôle, peu coûteux et souvent très efficace. Le web loge et véhicule le meilleur comme le pire. Le pire, ce sont malheureusement des réseaux pédophiles, des organisations sectaires, des groupes néo-nazis ou révisionnistes, ou encore des mafias internationales.

Madame la ministre, quelles normes juridiques peuvent être appliquées sur le net, et plus largement quelle est la politique du Gouvernement en matière de contrôle et de régulation du net ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

A Hourtin, le 26 août dernier, le Premier ministre avait affirmé la volonté du Gouvernement de promouvoir le développement de la société de l'information. Les nouvelles technologies de l'information sont, il est vrai, une formidable chance pour nos sociétés. Une chance pour le développement économique et la création d'emplois, une chance pour les échanges humains, les liens culturels, une chance aussi pour l'aménagement du territoire même, si l'on songe que certains territoires désertifiés pourront, par le biais du télétravail, être reliés à d'autres.

Le Gouvernement veut donc aider et promouvoir le développement des technologies de l'information. Mais, et vous avez raison de le souligner, il faut aussi nous prémunir contre les risques, d'ailleurs inhérents à toute activité humaine.

Il faut assurer la protection de la vie privée et des droits des personnes. La multiplication des fichiers et leur interconnexion, aujourd'hui, portent non seulement sur le nom des personnes, mais aussi sur leur voix, leur image, et sur les données génétiques.

Il faut également pouvoir se protéger contre le risque, pour les consommateurs, des contrefaçons et celui, pour les créateurs, du piratage de leurs images.

Il faut encore sécuriser les échanges électroniques. S'il est intéressant de faire ses courses sur Internet, il faut quand même éviter de courir le risque que quelqu'un d'autre en profite pour vider votre compte en banque parce qu'il aura repéré votre noméro de carte bancaire.

Il est en outre très important de veiller à ce que cet instrument formidable de liberté qu'est la toile ne puisse pas être utilisé de façon dévoyée par les organisations criminelles, notamment pour blanchir l'argent sale.

Parce qu'une infraction pénale reste une infraction pénale et qu'un propos raciste, qu'il apparaisse sur du papier, à la télévision ou sur le web, reste un propos raciste, il faut des règles, des régulations, des repères.

Pour répondre à ces questions, le Premier ministre a annoncé trois projets de loi.

Le premier, que j'ai déjà présenté en conseil des ministres, sur la signature électronique, va promouvoir le commerce électronique mais donnera la même qualité de preuve à la signature électronique qu'à la signature sur papier.

Le deuxième nous permettra d'adapter la très grande loi de 1978 sur l'informatique et les libertés aux nouvelles conditions de ces technologies de l'information.

Enfin, une grande loi portera sur la société de l'information.

Si je suis chargée de présenter les deux premiers projets de loi, Dominique Strauss-Kahn défendra le troisième, mais nous sommes, Dominique Strauss-Kahn, Catherine Trautmann et moi-même, concernés par ces textes et nous travaillerons de concert.

Il va nous falloir inventer de nouvelles régulations. De quoi s'agit-il ? De régulations multipolaires, qui font appel, pour une large part, à l'autorégulation, de façon décentralisée et transparente.

Il va nous falloir aussi articuler ces régulations nationales sur les régulations européennes et internationales, car la toile est mondiale.

Enfin, il va nous falloir prendre garde au fossé numérique. J'attire votre attention sur ce point, que le Premier ministre avait abordé à Hourtin. L'internet peut être une véritable chance. Les jeunes, dans les quartiers défavorisés, ont une proximité immédiate avec ce langage électronique. Encore faut-il leur donner la possibilité d'y accéder. Quant aux pays en développement, ils courent le danger de subir un nouveau facteur d'exclusion. Il est de notre responsabilité, à nous, gouvernements de pays démocratiques, de veiller aussi à ce que ce fossé numérique ne se creuse pas et ne crée pas davantage d'exclusion. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

SITUATION DES HANDICAPÉS DE PLUS DE 60 ANS

M. le président.

La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez.

Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Elle concerne la situation des personnes handicapées mentales âgées de plus de soixante ans.

Jusqu'à soixante ans, ces personnes bénéficient, en effet, des dispositions de la loi de 1975. Après, elles perdent leur statut initial d'handicapé et deviennent des personnes âgées. Elles relèvent ainsi, dans la plupart des cas, d'un régime beaucoup moins favorable.

Cette situation, souvent très lourde de conséquences, est contraire aux principes posés par la loi de 1975. Elle est paradoxale dans la mesure où le changement de statut intervient à un moment où la vulnérabilité de la personne handicapée augmente. C'est la raison pour laquelle, madame la ministre, je vous demande de bien vouloir nous indiquer si le Gouvernement entend prendre des dispositions pour y remédier, en apportant, en particulier à la loi de 1975, les modifications qui me semblent s'imposer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Vous le savez, le Gouvernement est très sensible à la question posée par le vieillissement des personnes âgées handicapées. Ce phénomène a pris une ampleur nouvelle ces dernières années, compte tenu de l'amélioration des conditions de vie de ces personnes et


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des progrès liés à la médecine. Cela, qui est heureux, crée aussi des difficultés d'adaptation, d'autant que le phénomène se conjugue avec le vieillissement des parents des personnes handicapées.

A ce jour, plus de 40 000 adultes handicapés, soit 22 % des adultes accueillis en établissement, ont plus de quarante ans. Nous devons nous attacher à proposer des solutions de nature à éviter toute rupture et à garantir le plus possible le maintien des conditions de vie en milieu ordinaire pour ces personnes, lorsque cela correspond à leur choix.

Le problème soulève, vous l'avez indiqué, monsieur le député, deux questions majeures : le statut de ces personnes et la prise en charge.

Une personne handicapée bénéficie à soixante ans d'une pension de retraite, dans les conditions de droit commun, d'une pension d'invalidité ou, à défaut, du minimum vieillesse. Lorsqu'elle est hébergée en institution, la personne handicapée devient-elle, après soixante ans, une personne âgée soumise au régime de l'aide sociale, notamment avec l'obligation alimentaire ? Ou reste-t-elle une personne handicapée exonérée de cette obligation ? Il n'y a pas de réponse simple à cette question de fond ni en droit, ni en pratique, vous le savez bien.

Un récent groupe de travail du Conseil d'Etat a souligné la force des arguments en faveur du maintien du régime de l'aide sociale aux personnes handicapées tout en faisant valoir l'entorse au principe d'égalité vis-à-vis de l'ensemble des citoyens. Une autre solution doit être trouvée dans une réforme plus globale du dispositif d'aide sociale. Vous avez notamment cité une piste avec l'adaptation de la loi de 1975. Vous le savez, une mission parlementaire travaille actuellement sur ce dossier. Nous attendons ses conclusions pour engager une révision d'ici à la fin de l'année. Nous entendons poursuivre dans les mois à venir les consultations nécessaires, en étroite concertation avec les associations représentatives des personnes handicapées, avant d'arrêter une position définitive, avec le calendrier que je viens de vous indiquer.

Pour ce qui est du type de prise en charge à développer pour les personnes handicapées vieillissantes, différentes études ou rapports ont souligné la nécessité d'offrir des solutions diversifiées. Et je compte m'appuyer sur les propositions du rapport de Mme Paulette GuinchardKunstler sur les personnes âgées dépendantes. Elles pourraient, en effet, se décliner pour les personnes handicapées vieillissantes.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) ÉQUILIBRE DES COMPTES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

M. le président.

La parole est à M. Alfred Recours.

M. Alfred Recours.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, à l'arrivée de ce gouvernement, le déficit de la sécurité sociale s'élevait à 54 milliards de francs.

Cette année le déficit est tombé à 4 milliards de francs.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. Exclamations et rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Charles Cova.

Merci Juppé !

M. Alfred Recours.

Nous aurions préféré parvenir, et nous l'espérions, à l'équilibre.

M. Philippe Auberger.

Nous aussi !

M. Alfred Recours.

Néanmoins nous sommes passés, en deux ans et demi, de 54 milliards à 4 milliards ! Un tel résultat est dû en grande partie aux effets de la croissance.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Il est dû aussi...

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

A Juppé !

M. Alfred Recours.

... aux réformes engagées, loin de tout immobilisme, en matière de protection sociale depuis deux ans et demi.

(Rires sur les mêmes bancs.)

Je ne rappellerai pas la réforme des cotisations d'assurance maladie des salariés qui a d'ailleurs, en redistribuant du pouvoir d'achat, contribué à la relance de la consommation, donc à la croissance et donc à la création d'emplois.

Le conseil des ministres a adopté ce matin le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'an 2000.

Quelles perspectives nous sont ouvertes aujourd'hui...

M. Alain Juppé.

Excellentes !

M. Alfred Recours.

... pour régler durablement ces questions de déficit que d'autres n'avaient jamais su résoudre (Exclamations sur les mêmes bancs), sauf à augmenter les participations par des alourdissements de cotisations ou à accélérer les déremboursements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, je crois que vous avez bien rappelé les faits. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Les faits : 54 milliards de déficit à notre arrivée, 4 milliards aujourd'hui et sans doute 2 milliards d'excédent l'anné prochaine (Rires et exclamations sur les mêmes bancs.)

après la mise en place d'un fonds de réserve pour les retraites, de l'ordre de 15 milliards au 1er janvier 2001.

La croissance, et les recettes complémentaires qui y sont liées, la baisse du chômage, et les recettes complémentaires qui y sont liées, et la réforme de la CSG, ont contribué pour une partie à la réduction du déficit. Mais les mesures correctrices que nous avons été conduits à p rendre, pour éviter que certaines professions ne dérapent...

M. Jacques Myard.

C'est le Gouvernement qui dérape !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... - et ces mesures nous ont parfois été reprochées - auprès des radiologues, des cardiologues, des laboratoires de biologie, qui ont pourtant signé un accord avec nous, auprès des dentistes et des cliniques, ont eu pour résultat - et c'est une grande première - que les honoraires des médecins sont entrés cette année naturellement et sans sanction dans la ligne des objectifs que le Parlement avait fixés pour les généralistes.

De la même manière, alors que les dépenses de médicaments restent encore beaucoup trop importantes,...

M. Olivier de Chazeaux.

Il faut supprimer les médicaments !


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Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... elles n'ont augmenté cette année pour la première fois que de 5 % - si je puis dire - pour une augmentation moyenne dans les pays industrialisés de 8 % - 10 % en Allemagne, 12 % aux Etats-Unis - grâce aux réformes structurelles dont vous avez parlé : promotion du générique, réévaluation des prix des médicaments - on ne s'y était encore jamais attelé - et versement de contributions par l'industrie pharmaceutique.

Enfin, l'hôpital, tant critiqué sur certains rangs, tient ses budgets et répond de mieux en mieux - grâce, de plus en plus, je dois le dire, à un personnel de grande qualité et à des spécialistes excellents - aux besoins de nos concitoyens. L'hôpital évolue, et les schémas régionaux d'organisation de la santé le montreront. Ces derniers permettent d'avoir, en cancérologie et en périnatalité, des pôles d'excellence dans chaque région et de convertir les lits de court séjour en lits de moyen et long séjour dont nous avons tant besoin.

Les grandes réformes prévues dans la loi de financement donnaient à l'assurance maladie, comme elle le souhaitait, une entière liberté pour gérer la médecine de ville.

Nous lui confions un secteur qui, aujourd'hui, respecte les objectifs fixés par la sécurité sociale en matière d'honoraires.

Deuxièmement, les hôpitaux et les cliniques seront dorénavant traités de la même manière avec des méthodes d'accréditation et une tarification à la pathologie. Nous n'oublions pas cependant que les hôpitaux publics remplissent des missions de service public, ne choisissent pas leurs malades ni les pathologies et font de la recherche et de l'éducation.

M. Renaud Muselier.

Ce n'est pas vrai !

M. Charles Miossec.

Mensonges, bien sûr !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Troisièmement, nous mettons en place depuis trois ans - et le Premier ministre a présidé la conférence de la famille une politique de la famille ambitieuse, à la fois équitable et permettant aux familles d'avoir des avancées complémentaires. (Protestations sur les mêmes bancs.)

M. Olivier de Chazeaux.

Arrêtez !

M. Renaud Muselier.

Mensonges !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Les allocations familiales seront versées jusqu'à l'âge de vingt ans cette année et les allocations de logement et le complément familial jusqu'à vingt et un ans. Et nous augmenterons de 0,5 % le pouvoir d'achat des allocations familiales comme des retraites.

M. Renaud Muselier.

Ce n'est pas vrai !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Enfin, une réforme des cotisations patronales permettra, avec celle que nous avons engagée sur la CSG pour les cotisations salariales il y a deux ans, d'avoir un financement de la sécurité sociale appuyé non plus uniquement sur les salaires, mais sur les revenus du capital et du patrimoine d'un côté, sur les profits des entreprises et sur les entreprises polluantes de l'autre.

Voilà comment, mes chers collègues, par cette quatrième loi de financement de la sécurité sociale, nous arriverons, je crois, à un excédent pérenne (Exclamations sur les mêmes bancs) sans avoir augmenté les cotisations (Protestations sur les mêmes bancs) ni baissé les remboursements.

Je crois que c'est une première ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Vives exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Renaud Muselier.

Ce ne sont que mensonges ! Et vous oubliez le malade.

RÔLE DES PROFESSIONS PARAMÉDICALES DANS L'OFFRE DE SOINS

M. le président.

La parole est à M. Claude Lanfranca, pour une question courte.

M. Claude Lanfranca.

Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

A la suite du rapport rédigé par Mme Anne-Marie Brocas sur les professions paramédicales, le Gouvernement a décidé de redéfinir la place des professions paramédicales dans le système de soins et de leur donner les moyens d'exercer pleinement leurs responsabilités professionnelles. Le projet de création d'un office des professions paramédicales fait l'objet d'une mission exploratoire en vue de sa constitution.

Mais, au-delà de cet aspect organisationnel, je souhaiterais que, devant la représentation nationale, vous fassiez le point des actions engagées ou prévues par le Gouvernement sur ce sujet. En particulier, je souhaiterais que vous p uissiez expliciter les actions que vous avez, avec Mme Aubry, présentées aux professionnels en septembre dernier sur la complémentarité des interventions médicales et paramédicales, le développement des recommandations de bonne pratique et le renforcement des réseaux et filières de soins. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Monsieur le député, je ne vais pas pouvoir, compte tenu des contraintes du temps, être aussi explicite que vous le souhaitez. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Le Gouvernement a voulu redéfinir la place des professionnels paramédicaux dans le système d'offre de soins en les considérant comme de vrais professionnels et en leur confiant des responsabilités. Deux objectifs sont visés. Le premier est justement l'amélioration de l'offre de soins en garantissant et en améliorant le service rendu à l'usager, le second est la responsabilisation des professionnels paramédicaux dans l'exercice de leur profession.

M. Renaud Muselier.

Cela ne veut rien dire ! Mme la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Un groupe de concertation a travaillé pendant un an sur cette question et a permis de dégager les grandes orientations que, connaissant bien le sujet, vous avez rappelées.

La complémentarité des interventions des paramédicaux avec celles des médecins est recherchée et approfondie grâce à un certain nombre de dispositions.

Des recommandations de bonne pratique vont être développées afin d'améliorer la qualité des soins. C'est l'ANAES qui en est chargée en concertation avec les professionnels.

Le renforcement de l'autonomie des professionnels paramédicaux a bien évidemment comme corollaire le renforcement de leurs responsabilités économiques avec


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des bilans rapprochés et un suivi des dépenses systématisé chaque année, l'intégration dans les réseaux et les filières de soins.

M. Renaud Muselier.

Où est le malade dans tout ça ? Vous l'oubliez tout le temps ! Mme la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Nous avons ensuite décidé d'étudier l'opportunité de réaliser et de mettre au point un office des professions paramédicales.

M. Renaud Muselier.

Et le malade ? Mme la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Cet office devra être chargé d'appliquer à la fois les règles de déontologie et les bonnes pratiques. Et c'est votre collègue Philippe Nauche qui a été chargé d'une concertation.

M. Renaud Muselier.

Vous ne pensez jamais au malade ! Mme la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Comme vous le voyez, ces mesures représentent un effort sans précédent de modernisation de la pratique des professions paramédicales.

Je peux vous dire que l'ensemble des professionnels que nous avons reçus, Martine Aubry et moi-même, le 1er septembre dernier, ont été tout à fait satisfaits et ont réservé un accueil très favorable à ces propositions.

(Exclamations sur les mêmes bancs.)

La phase de mise en oeuvre est en voie de réalisation et va se poursuivre dans la meilleure concertation au profit des usagers et des malades, monsieur Muselier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Renaud Muselier.

Ah ! quand même !

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

SINCÉRITÉ DES COMPTES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Préel.

M. Jean-Luc Préel.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.) Madame la ministre, vous avez présenté ce matin la loi de financement de la sécurité sociale au conseil des ministres. Vous en êtes satisfaite. Nous ne le sommes pas : parce que les comptes ne sont pas présentés de manière sincère (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) et que nous sommes inquiets pour l'avenir, pour la santé et pour la retraite de nos concitoyens.

En effet, vous ne tenez pas compte d'engagements aujourd'hui non financées. Vous masquez de nombreux reports de crédits, notamment au niveau hospitalier : des dépenses de personnels et de médicaments ne pourront être financées en 1999 et seront reportées en 2000. Dans de nombreux hôpitaux, la prime de service ne peut malheureusement pas être payée - et le personnel en est très inquiet. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Les 35 heures ne sont pas financées aujourd'hui.

M. François Sauvadet.

Eh oui !

M. Jean-Luc Préel.

Le déficit de l'assurance maladie, contrairement à ce que vous dites, augmente cette année : il était de 9,6 milliards en 1998, 12,3 en 1999. (« Et voilà ! » sur les mêmes bancs.)

Pourtant, vous ne basez pas vos calculs sur les besoins de la population et vous négligez la prévention.

Si les comptes de la protection sociale que vous présentez laissent apparaître un déficit que vous dites maîtrisé, c'est parce que, contrairement à ce que vous prétendez, vous avez augmenté les prélèvements. (« Oui ! » sur les mêmes bancs.)

Les retraités qui paient aujourd'hui la CSG le savent : plus 5 milliards ! (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Vous prenez en compte un excédent de la branche retraite, 4 milliards, dont l'avenir, chacun le sait, est très préoccupant.

M. Richard Cazenave.

Oui !

M. Jean-Luc Préel.

Vous ne faites rien pour préparer l'avenir des retraites (« Rien ! » sur les mêmes bancs), rien pour assurer dès cette année le financement des futures retraites. Et pourtant il y a urgence.

M. Thierry Mariani.

C'est honteux !

M. Jean-Luc Préel.

Ne nous dites pas, s'il vous plaît, comme tout à l'heure que c'était pire avant.

(« Si ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Odette Grzegrzulka.

C'est pourtant la vérité !

M. Jean-Luc Préel.

Vous êtes en charge depuis plus de deux ans et demi de ces problèmes et de ces dossiers.

Assumez-les ! Ne m'obligez pas à rappeler qu'en 1993 le déficit que vous nous avez laissé était de 100 milliards.

(Huées sur les mêmes bancs.)

Ne nous renvoyons pas à chaque fois les chiffres de nos prédécesseurs, car cela n'a aucun sens. Réglez les problèmes d'aujourd'hui.

M. Richard Cazenave.

Bravo !

M. Jean-Luc Préel.

Finalement, comment allez-vous assurer l'avenir de la famille...

M. Jean Auclair.

Ça, elle s'en fout !

M. Jean-Luc Préel.

... l'avenir de la santé et de la retraite,...

M. Lucien Degauchy.

Ce n'est pas son problème !

M. Jean-Luc Préel.

... sans recourir à des artifices ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, à qui je demande de bien vouloir donner une réponse courte.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Les faits, toujours les faits, la démocratie l'impose ! Bilan des quatre dernières années de la gauche avant 1993 : 15 milliards de déficit en moyenne. Bilan des quatre années de la droite : 50 milliards de déficit. Voilà la réalité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Vives exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Olivier de Chazeaux.

Ce n'est pas vrai ! En 1993, le déficit était de 100 milliards !

M. Charles Cova.

Plus c'est gros, plus ça passe !

M. le président.

Un peu de silence, je vous prie, mes chers collègues. La parole est à Mme la ministre.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ce qui m'attriste, monsieur le député...

(Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

M. le président.

S'il vous plait, chers collègues !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous n'aimez pas les faits, messieurs. Je n'y peux rien ! (Vives exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Richard Cazenave.

Ce ne sont pas des faits, ce sont des mensonges !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ce qui m'attriste, monsieur Préel...

(Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. le président.

Je vais vous faire réagir, messieurs, mais j'ai l'impression que vous craignez la réponse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Vives exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je peux le comprendre !

M. le président.

Madame la ministre, vous seule avez la parole.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ce qui m'attriste, monsieur le député, c'est que, dans votre question, vous donnez l'impression de regretter que notre sécurité sociale passe enfin à l'excédent l'année prochaine.

(Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Parlons sérieusement ! Vous osez mettre en cause la sincérité des comptes, alors que c'est le secrétaire de la commission des comptes, membre de la Cour des comptes, qui, comme il l'a toujours fait par le passé, les a réalisés. On ne peut pas dire de telles choses en démocratie. Vous savez que ces comptes sont sincères. (« C'est faux ! » sur plusieurs bancs des mêmes groupes.)

Vous connaissez suffisamment cette question pour le savoir.

Vous dites que nous masquons des dépenses pour l'année prochaine. (« Oui ! » sur les bancs des mêmes groupes.)

Si tel est le cas, nous n'aurons donc pas l'excédent de 2 milliards. Nous verrons bien si ce que vous dites est vrai, mais vous verrez que ce ne sera pas le cas.

Vous dites que, cette année, les dépenses maladie se sont accrues plus vite que l'année dernière. (« Oui ! » sur les mêmes bancs.)

Vous étiez à la commission, monsieur Préel. Ce n'est pas vrai. (« Si ! » sur plusieurs bancs des mêmes groupes.)

Cette année, les dépenses maladie, et je ne m'en réjouis pas, ont dépassé l'objectif prévu de 2,3 milliards. Elles étaient de 8,3 milliards l'année dernière. A cause des dépenses de médicaments, nous n'avons pas encore atteint l'objectif que nous nous étions fixé, mais les honoraires sont dans les clous et j'espère que, l'année prochaine, les médicaments y seront également !

M. Olivier de Chazeaux.

Dans les clous ? Dans les choux, oui !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Quant aux retraites, comment osez-vous, monsieur le député, vous qui avez abaissé le pouvoir d'achat des retraités pendant quatre ans (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) , dire que nous ne pensons pas à eux, alors que, depuis un an, et dans la prochaine loi de financement de la sécurité sociale, nous augmentons leur pouvoir d'achat de 1 % ? Comment pouvez-vous dire, alors que je viens de rappeler que le fonds de réserve aura, au 1er janvier 2001, les excédents de la caisse vieillesse de 1999 et de 2000, que nous gâchons les excédents qui sont aujourd'hui dans le fonds de réserve pour les retraites ?

M. Bernard Accoyer.

Avec les 35 heures, on n'est pas sorti de l'auberge !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je crois décidément que vous avez fort peu d'arguments à opposer aux mesures qui permettent à notre sécurité sociale de se redresser pour le plus grand bien des Français. Ce redressement nous permet de mener une politique familiale et nous permettra demain, je l'espère, de mieux rembourser un certain nombre de dépenses tout en contribuant à régler le problème des retraites. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe communiste.

NÉGOCIATIONS DE L'OMC

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Lefort.

M. Jean-Claude Lefort.

Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur. Les négociations OMC qui vont s'ouvrir à Seattle présentent un enjeu considérable. Tous les secteurs qui composent l'activité humaine et sociale y seront l'objet de négociations. Deux problèmes majeurs en découlent.

Le premier concerne le rôle respectif de l'économique et du politique. A la différence de ceux qui veulent que seule la loi du marché administre désormais l'ensemble des activités humaines - on l'a vu avec l'AMI - nous considérons que l'économique doit être subordonné au politique. C'est au politique de façonner le monde et non l'inverse. De ce point de vue, nous nous félicitons de la volonté du Gouvernement, que vous venez d'annoncer, d'organiser un débat à ce sujet dans notre assemblée. Il convient qu'il ait bien lieu. C'est un impératif politique.

Le second problème majeur est le suivant. Qui l'emportera dans ces négociations entre les intérêts particuliers et l'intérêt général ? Alors que le rapport annuel du PNUD souligne que les inégalités se sont encore aggravées sur la planète, d'aucuns voudraient encore aller plus loin dans ce sens à l'occasion de ces négociations et instaurer leur monde : un monde unipolaire et uniforme.

Plutôt que de rester au bord du chemin à regarder le monde se faire sans nous, nous préférons agir pour la promotion d'une mondialisation qui, à l'inverse de celle d'aujourd'hui, soit celle du progrès.

Monsieur le secrétaire d'Etat, nous entendons, nous aussi, qu'il ne peut y avoir d'accord dans ces négociations tant que tout ne sera pas réglé à Seattle. Mais ce n'est pas


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

la France qui négociera, c'est l'Union européenne. C'est pourquoi le mandat donné à la Commission doit être clair, ferme et offensif. Il doit aussi être transparent dans sa mise en oeuvre, car c'est l'opinion publique, déjà mobilisée, qui fera la différence à chaque instant.

Je souhaite donc que vous nous indiquiez un peu plus nettement que précédemment les grandes lignes que le Gouvernement entend faire prévaloir dans ce sens à l'occasion du Conseil européen du 11 octobre prochain qui sera consacré précisément à la définition du mandat confié à la Commission européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Monsieur le député, je vous remercie de votre question. Le débat parlementaire de juin dernier a parfaitem ent illustré la profonde convergence entre vos préoccupations et celles du Gouvernement.

Sur le rôle respectif de l'économique et du politique, je suis, comme vous, convaincu de la nécessité du primat du politique. Et c'est précisément le rôle de l'OMC de fixer des règles négociées entre Etats pour établir un ordre juridique qui doit s'imposer aux forces du marché.

Vous vous interrogez également à propos de l'impact de l'ouverture commerciale sur le développement. Le bilan est contrasté, mais pas complètement négatif, loin de là. Il demeure en effet le groupe des 77 l'a rappelé récemment - que le nouveau cycle devra mieux associer les pays en développement au bénéfice de l'ouverture commerciale. Des propositions concrètes seront présentées à Seattle pour être discutées pendant le cycle, de sorte que le prochain cycle ne voie pas une mondialisation à deux vitesses.

Quant au mandat de la Commission, je tiens à vous rassurer. Nous avons suivi sans faiblir les orientations qui vous avaient été présentées en juin. J'ai participé vendredi dernier à Florence au conseil informel des ministres du commerce extérieur et je serai présent à Luxembourg le 11 octobre prochain pour défendre la position française sur les orientations à donner à la Commission pour la préparation de la conférence ministérielle.

J'ai retenu du débat que nous avons eu à Florence qu'il y avait un large consensus à quinze sur nos objectifs pour le prochain cycle de négociation : comme je l'ai rappelé, il doit être large et englober les nouveaux sujets de régulation avec un engagement unique.

Par ailleurs, comme vous le savez, les ministres de l'agriculture se sont mis d'accord le 27 septembre sur des objectifs qui reprennent toutes nos préoccupations. Il reste encore, pour adopter les conclusions qui fixeront la position qui devra être défendue par la Commission, des questions à régler, que j'ai défendues avec fermeté à Florence.

La première concerne le degré d'ambition que nous pouvons fixer en matière de prise en compte par l'OMC des règles sociales de base définies par l'OIT.

La seconde a trait et c'est important - à la façon dont il sera fait référence à la capacité des Etats à soutenir la création et la diffusion d'oeuvres audiovisuelles et à réglementer dans ce domaine. Il faut absolument préserver l'acquis de Marrakech, à savoir l'exception audiovisuelle. Vous savez que pour nous, comme pour vous, cette question est essentielle.

Monsieur le député, l'OMC est aujourd'hui observée par nos concitoyens, et nous avons tous vis-à-vis d'eux à la fois un devoir de pédagogie et un devoir de réussite dans la défense de nos intérêts. Nous nous y attacherons, comptant sur votre soutien, avec beaucoup de fermeté.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

2 ÉLOGE FUNÈBRE DE MAURICE JANETTI (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent.)

M. le président.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, madame, Maurice Janetti était un homme de la Méditerranée. Entre les deux guerres, sa famille, chassée par l'adversité, avait quitté l'Italie pour venir s'installer dans le Haut-Var. Fidèle au souvenir de ses parents, Hermitte et Madeleine, fidèle à ses racines, Maurice Janetti n'oubliait jamais de se présenter comme un fils d'immigré. Au début de l'été, la mort l'a emporté dans son sommeil.

Il était né en 1933, là où il repose, à Seillons-Sourced'Argens, un petit village distant de quelques kilomètres des vingt hameaux de la commune de Saint-Julien-leMontagnier qu'il a administrée jusqu'au dernier jour.

C'est dans l'ancienne école où il avait débuté qu'il avait logé la mairie. Il y occupait en tant que maire l'ancien bureau du directeur. Comme les autres enfants, avec les cahiers et les encriers, il y avait apporté autrefois du bois pour se chauffer et une gamelle pour manger. Il avait le souvenir lumineux de ces années de pauvreté. De là venait sans doute l'origine de son engagement. C'était là qu'il avait compris que, en République, c'est par le mérite que devait se former l'élite. De la blouse grise des hussards noirs à son écharpe bleu, blanc, rouge, une manière de dire, avec la fédération des oeuvres laïques ou par la création de centres de vacances pour enfants, que la boucle était bouclée.

Il était vêtu d'un éternel costume de velours noir et c'était un personnage à la Frédéric Mistral. Il en parlait la langue qu'il avait apprise enfant et jamais oubliée. Il en portait le gilet brodé dans lequel on glisse une montre de gousset.

Presque taciturne au Palais-Bourbon, en tout cas silencieux, il devenait disert aussitôt chez lui dans le Verdon.

Sous le soleil, il arpentait la garrigue, il écoutait le bourdonnement des abeilles, suivant l'odeur du thym et du laurier. Sur son chemin, tout paysan, tout cultivateur, tout vigneron rencontré pouvait engager conversation. La saison qui serait sèche ou pluvieuse, la route ou le pont à refaire, les mots quotidiens de ceux qui savent qu'ils n'ont pas besoin d'en rajouter pour être estimés. Son visage était buriné, ses yeux malicieux, tout cela disait son histoire et sa légitimité : celle d'un républicain de bonne volonté. Il aimait simplement l'action politique et, par civisme, il croyait en ce qu'il accomplissait pour le bien commun.

En matière d'environnement, partisan spontané du développement durable, Maurice Janetti aurait pu rendre des points à beaucoup. Pour défendre une certaine idée de la France méridionale, agreste et pastorale, c'est en b atailleur acharné qu'il menait des combats durs.


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Combien de préfets ont fini par craquer, à son dixième coup de téléphone, lorsqu'il demandait leur aide, le printemps venu, pour accomplir le travail de débroussaillage et éviter que, trois mois plus tard, des hectares ne partent en fumée. Les ingénieurs, ceux d'EDF en particulier, se souviennent de sa détermination, le mot est faible, pour qu'une ligne à haute tension ne vienne pas défigurer une terre où il ne voulait voir pousser que des chênes et des oliviers, des vignes et des blés, des troupeaux et leur berger. Cette fascination pour la nature coexistait avec le fait qu'il était chasseur et, même sans doute un peu braconnier. Sous la garde de son chien Icare, avec son fusil, renards et bécasses le saluaient et le respectaient, disait-il avec le plus grand sérieux.

En matière d'intercommunalité, Maurice Janetti avait su agir. Sur chaque berge du Verdon, des communes, des cantons, les Alpes de Haute-Provence et le Var se regardaient en chiens de faïence. Pour sauver un territoire et des paysages, pour faire s'asseoir à une même table tous ceux que l'avenir d'une vallée concernait, Maurice Janetti avait piqué une colère comme il en avait l'habitude, terrible, brève, et sans rancune. Des emplois, une activité, des ressources en eau, des myriades de villages magnifiques et le Verdon. Voilà ce qu'il avait su préserver, et quand on le félicitait, il se contentait de répondre :

« j'avais un projet et je voulais le faire partager... ».

Maurice Janetti n'a jamais mis son drapeau dans sa poche. A gauche, une fois pour toutes. Sénateur succédant en 1978 à Pierre Gaudin, décédé dans les mêmes conditions que lui, conseiller régional, député en 1986, puis en 1996, à la faveur d'une élection partielle, et encore en 1997, il était immuable dans la victoire ou l'adversité. Ses adversaires le savaient courtois en campagne, mais je crois qu'ils craignaient sa flamme. Il avait embrassé une fois pour toutes la cause républicaine en rejoignant le parti socialiste aux côtés de Jean-Pierre Chevènement, et par la suite, il avait professé en économie des opinions qu'il partageait avec Jean Poperen, devenu son ami. Il se comportait en laïc déterminé avec l'élégance, disait-il, d'entretenir soigneusement les trois églises de sa commune, déplorant d'un même souffle l'érosion des pierres, le silence des clochers et l'absence de curé.

Cet humaniste se désespérait de ne pas avoir un Don Camillo à fréquenter...

C'était aussi, avant l'heure, un défenseur de la ruralité.

La ville, il ne l'aimait pas beaucoup et n'y venait guère. Il préférait les fontaines de sa « terre promise » au béton des agglomérations. « Un village qui lit est un village qui vit » répétait-il. Au volant de sa voiture, sorte de bureau encombré de journaux, il arpentait sa circonscription très vaste, en allant à travers la montagne au devant de ses administrés. Il visitait toutes les communes, il parlait aux uns et aux autres dans ses permanences. Qu'il vente, qu'il grêle, dans l'orage ou la canicule, pour voir un ami secrétaire de section allant gaillardement sur ses quatre-vingtdix ans, il avalait encore quelques dizaines de kilomètres supplémentaires. Bien sûr, il pouvait arriver en retard et c'était même chez lui une règle.

Mais quand on a un député qui, chemin faisant, fait son marché de fromages de chèvre ou tombe en arrêt devant un âne et qui, après l'avoir acheté à son propriétaire ébahi, entreprend de le faire grimper dans son véhicule pour ne pas s'en séparer, il faut s'attendre presque à tout. Qu'importe d'ailleurs puisque à quelque heure qu'il arrive, Maurice Janetti devant l'assistance improvisait un discours qui rappelait davantage, en matière de club, les Cordeliers que l'Interallié, citait de mémoire Pablo Neruda et emportait l'adhésion. Il ne se ménageait pas.

Mes chers collègues, le peuple des hautes terres a accompagné son cercueil recouvert du drapeau tricolore.

Vous ne l'entendrez donc plus fredonner Ferré ou Mouloudji. Je pense, nous pensons aujourd'hui à sa famille, à ses enfants Jacques, Frédéric, Christian, à son ancien suppléant, à ses amis du groupe et du parti socialiste. Dans toute vie, lorsqu'elle s'achève, il y a souvent un message ou un symbole. Le 18 juillet dernier, Maurice Janetti, qui n'y participait que rarement, était venu à Toulon malgré la fatigue, à une commémoration. C'était celle de la rafle du Vel'd'hiv. Nous n'oublierons pas Maurice Janetti.

(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence.)

La parole est à M. le ministre des relations avec le Parlement.

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, madame, au nom du Gouvernement, je tenais à m'associer à la peine de l'Assemblée nationale et, en tout premier lieu, à celle de la famille de Maurice Janetti, député de la sixième circonscription du Var, dont nous honorons aujourd'hui la mémoire.

Je ne reviendrai pas sur le parcours de celui qui était maire de Saint-Julien-le-Montagnier depuis 1965, conseiller général de Rians depuis 1974, parlementaire pendant quatorze ans, d'abord sénateur, puis député, ce qui est assez rare.

Je souhaiterais ici saluer celui qui a été également un compagnon de Jean Poperen, et dont il était le conseiller lorsque ce dernier était ministre des relations avec le Parlement, de 1988 à 1991. Maurice Janetti était un militant socialiste sincère, un homme de convictions, fidèle sa vie durant aux idéaux humanistes et républicains. Il était également très attaché à son département du Var, qu'il n'a jamais quitté, mais aussi à la région Provence - Alpes - Côte d'Azur.

Avec Maurice Janetti, nous avons perdu un ami, un homme de coeur, un homme de convictions.

Au nom du Gouvernement, je veux transmettre à Mme Janetti, aux enfants, parents, alliés et camarades de Maurice Janetti, à ses collègues du Var ainsi qu'aux membres du groupe socialiste mes sentiments d'amitié sincère et chaleureuse.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Raymond Forni.)

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

3 RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. le président.

La parole est à M. Jacques Limouzy, pour un rappel au règlement.

Faites en sorte qu'il soit bref, monsieur Limouzy, pour ne pas retarder les travaux de l'Assemblée !


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M. Jacques Limouzy.

Rappel au règlement insolite, certes, monsieur le président, mais lié à l'article 58 qui règle nos débats et donc aussi l'entrée dans cette salle.

Nous avons vu apparaître, lors de la rentrée, deux bustes éminents dans le salon Pujol, le salon situé à ma gauche mais au vomitorium de droite.

M. le président.

Ce n'est pas le salon que je fréquente le plus volontiers mais vous allez m'expliquer. (Sourires.)

M. Jacques Limouzy.

Nous n'en avons pas vu apparaître de buste dans le salon de gauche, pour faire l'équilibre comme il est de tradition dans cette maison.

C'est ainsi, vous devez le savoir, qu'il y a, dans le salon des Quatre Colonnes, Jean Jaurès d'un côté et Albert de Mun de l'autre. De même, dans l'entrée qui mène au chalet de nécessité, il y a les deux battus, malheureusement, de l'élection présidentielle qui précéda le second Empire, Lamartine d'un côté, Cavaignac de l'autre.

La question, vous la poserez à qui vous voudrez mais cela relève d'une décision du Bureau, est de savoir pourquoi on a choisi Gambetta, qui n'était pas précisément de gauche, et Charles Floquet. Je suis l'un des plus anciens dans cette maison, et tous les jeunes me demandent ce que ces bustes font là. Je suis obligé de répondre que je n'ai pas connu personnellement ces personnages et que je ne peux rien dire.

Par ailleurs, nous attendons les bustes de la gauche dans le salon Delacroix. Pourriez-vous me dire, si vous le savez, quels sont les deux bustes qui vont apparaître ? Dans tous les cas, il conviendrait, je crois, d'informer l'Assemblée nationale de ce remue-ménage dans les équilibres qui président à l'entrée de l'hémicycle.

Tout cela est lié directement à l'article 58, celui qui règle nos débats, certains pouvant être fâcheusement impressionnés par le buste de tel ou tel, ou par l'absence de buste. Ceux qui sont là sont d'ailleurs soigneusement nettoyés et étrillés. Ils sont parfaits !

M. le président.

Monsieur Limouzy, l'article 58 règle nos débats dans l'hémicycle. Quant à prétendre qu'il réglerait aussi les débats au sein de l'opposition dans les salons qui précèdent l'hémicycle, je ne m'y hasarderai pas.

Je demanderai donc simplement quel est le motif du déplacement de ces statues qui semblent beaucoup vous préoccuper. Je n'ai pas de réponse pour l'instant à vous donner, mais le bureau évoquera cette grave question, et nous vous apporterons une réponse.

4 RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail (nos 1786 rectifié, 1826).

Discussion générale (suite)

M. le président.

Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Mes chers collègues, je vous demande de respecter scrupuleusement le temps de parole qui vous a été imparti car il reste quatre heures vingt-cinq de discussion.

Dans la suite de cette discussion, la parole est à

M. François Goulard.

M. François Goulard.

La politique de réduction imposée et non pas négociée du temps de travail que vous avez engagée il y a deux ans, madame la ministre de l'emploi, et que vous confirmez aujourd'hui par cette nouvelle loi, en la rendant définitive, restera, et c'est notre conviction profonde, l'une des grandes erreurs de cette législature.

Elle sera à inscrire au nombre des grands reculs ou des grands retards que notre pays doit aux gouvernements de gauche depuis 1981 et, si vous me pardonnez cette expression, je pense que, sur l'échelle de Richter des catastrophes socialistes, elle est à mettre au même niveau que les nationalisations de 1981.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Vous avez le sens de la mesure !

M. François Goulard.

Comme toujours, dans ces cas-là, la France est, par extraordinaire, le seul pays au monde à adopter une telle orientation. La gauche de 1981 nationalisait, alors qu'un vaste mouvement de libéralisation se manifestait à peu près dans le monde entier.

M. Yann Galut.

On voit les résultats en Angleterre pour les transports !

M. François Goulard.

Les gouvernements de gauche creusaient les déficits et augmentaient les impôts quand la plupart des autres gouvernements s'efforçaient de les réduire. Plus récemment, vous avez enterré le dossier des retraites quand tous les autres pays font de leur sauvegarde une priorité absolue. Et, lorsque le Gouvernement de Lionel Jospin engage une politique de réduction imposée du temps de travail, il est le seul, absolument le seul à le faire.

Vos amis politiques, travaillistes britanniques, sociauxdémocrates allemands, ne cachent pas ce qu'ils pensent de votre politique des 35 heures : ils s'en réjouissent. Ils s'en réjouissent à condition qu'elle ne s'applique qu'en France.

Ils s'en réjouissent parce qu'elle rendra leurs économies comparativement plus compétitives.

L'Italie, qui, dans une période récente, envisageait la réduction du temps de travail, a reculé, en particulier devant le peu de réceptivité des syndicats.

En Allemagne, où certaines branches confrontées il y a quelques années à des difficultés, avaient réduit à la suite d'accords négociés leurs horaires de travail, sans d'ailleurs éviter les licenciements, on assiste aujourd'hui à un allongement de la durée du travail dans certaines de ces industries.

Dans les différents pays qui nous entourent, où d'ailleurs la durée du travail n'est pas fixée par la loi mais par la convention collective, nul ne songe évidemment à introduire une réglementation là où les choses s'organisent par la négociation.

Pratiquement personne non plus d'ailleurs ne songe à inciter financièrement à la réduction du temps de travail.

Quand elle se produit, et elle se produit dans certaines activités, dans certains pays, c'est un choix, un choix souverain des partenaires sociaux.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

Et si personne ne songe dans le monde entier à ces solutions que vous prétendez mettre en oeuvre, c'est que la réduction imposée du temps de travail - l'expression que je vais employer n'est pas polémique, elle traduit le fond de ma pensée - est une absurdité économique et une absurdité sociale.

C'est une absurdité économique, car, contrairement à ce que vous prétendez, la réduction du temps de travail aboutira non à augmenter l'emploi dans notre pays mais, au bout du compte, à le réduire.

Aucun économiste sérieux ne soutient que la réduction du temps de travail est un moyen de lutte contre le chômage. Il y a bien sûr quelques services placés sous votre autorité qui prétendent le contraire...

Mme Odette Grzegrzulka.

Il ose dire qu'ils ne sont pas sérieux !

M. Dominique Dord.

Il a raison.

M. François Goulard.

... mais aucun économiste sérieux n'a jamais établi que la réduction du temps de travail était un moyen de lutte contre le chômage. Aucune expérience, ni à l'étranger ni en France, ne vient établir qu'on peut développer l'emploi en réduisant le temps de travail.

M. Philippe Auberger.

Autoritairement !

M. François Goulard.

En 1982, le gouvernement Mauroy avait réduit la durée du travail de 40 à 39 heures et ajouté une semaine de congés payés. Les salariés français avaient donc vu leur durée annuelle du travail baisser sensiblement. Aucun effet positif sur l'emploi n'a été enregistré.

M. Dominique Dord.

Au contraire !

M. François Goulard.

Au contraire, en effet. Dans les années qui ont suivi 1982, non seulement le chômage a progressé mais il a progressé plus fortement qu'avant.

La foi dans les vertus de la réduction du temps de travail, que vous exprimez les uns et les autres à gauche, repose, quand on analyse vos discours, vos propos, vos écrits, sur deux croyances qui sont l'une et l'autre parfaitement erronées.

La première de ces croyances, c'est que les progrès de la productivité nous condamnent à réduire le temps de travail. Cela, on l'a entendu dans vos discours à de nombreuses reprises. C'est la vieille crainte de la machine, destructrice d'emplois, qui se perpétue...

M. Philippe Auberger.

Les canuts !

M. François Goulard.

Exactement, mon cher collègue ! Depuis la révolte des Canuts au début du

XIX E siècle.

Aujourd'hui, ce n'est plus seulement la machine, c'est l'ordinateur qui chasserait l'emploi des entreprises. Chacun sait que c'est une ineptie économique totale.

Si la durée du travail avait dû suivre le rythme des progrès de la productivité depuis deux siècles, depuis les débuts de l'ère industrielle, nous travaillerions aujourd'hui moins d'une heure par jour ! Si l'on regarde notre histoire économique, les périodes de forts gains de productivité, avec accroissement de la population active, comme la période de 1945 à 1975 que l'on a appelée les Trente Glorieuses, sont des périodes sans chômage. Pendant ces trente années où la productivité s'est considérablement accrue année après année, le taux de chômage en France est resté constamment inférieur à 2 %.

Seconde croyance, totalement erronée, celle qu'on peut partager le travail. Il y a derrière cette croyance celle qu'il y aurait dans l'économie un nombre constant d'heures de travail, que l'on pourrait à sa guise répartir en un nombre plus ou moins grand de bénéficiaires, par exemple en réduisant le nombre d'heures dévolues à chacun d'entre eux. Et bien non ! Le nombre d'heures de travail n'est pas une constante dans une économie et, en croyant les répartir, vous en réduisez le nombre total. Cela résulte de multiples mécanismes économiques que je ne peux aborder que très rapidement ici.

L e premier phénomène, c'est que le nombre d'embauches que vous attendez à la suite de la réduction du temps de travail sera infiniment plus faible que vous ne le pensez. Elles se heurtent à de multiples obstacles : préférence de certaines entreprises pour les investissements de productivité - au lieu d'embaucher, on investit en machines, en logiciels ; pénurie de main-d'oeuvre pour certaines qualifications, et de multiples exemples existent aujourd'hui dans notre économie ; impossibilité pour les petites entreprises, comme cela a été dit à plusieurs reprises à cette tribune, de compenser par une embauche, les quatre heures, les douze heures perdues du fait du passage de 39 à 35 heures. Bref, il y a de multiples raisons pratiques, bien réelles, qui limitent considérablement les embauches.

S'y ajoutent des raisons tout simplement financières : une entreprise confrontée à une hausse des coûts salariaux telle que celle que provoque la réduction du temps de travail n'a simplement pas les ressources financières lui permettant de procéder à des embauches. J'y reviendrai.

Il y a surtout les effets économiques qui sont multiples et que vous vous gardez bien d'évoquer. Ils jouent tous, sans exception, dans le sens d'une diminution du nombre d'emplois.

Ces effets économiques s'appellent hausse des coûts salariaux, et nous savons qu'elle est considérable, augmentation massive des prélèvements obligatoires, en particulier à travers le gigantesque mécanisme d'allégement des charges sociales qui ne compense d'ailleurs pas la hausse des coûts salariaux et nous y reviendrons. Ils s'appellent aussi perte de production - Jacques Barrot hier soir évoquait le contingentement de la production -, dans toutes les entreprises où, pour diverses raisons, la baisse de la d urée du travail ne sera pas compensée par des embauches, perte de production également imputable au durcissement en régime permanent des règles applicables aux heures supplémentaires.

En réalité, le passage de notre économie aux 35 heures va créer de multiples goulets d'étranglement qui sont autant de freins à son développement.

Un exemple parmi d'autres. Chacun sait que les entreprises de service informatique croulent aujourd'hui sous les commandes mais qu'elles sont dans l'impossibilité de procéder à des recrutements tout simplement parce que le marché de l'emploi ne leur permet pas de trouver des ingénieurs supplémentaires. Que se passera-t-il du fait de la réduction du temps de travail ? On aura un blocage, un goulet d'étranglement, et de tels goulets d'étranglem ent sont des pertes de richesses collectives pour l'ensemble de notre pays.

Ces deux postulats auxquels vous croyez et qui sont fondamentalement inexacts sont révélateurs en fait d'une conception de l'économie essentiellement malthusienne.

Vous ne croyez pas aux possibilités spontanées de l'économie de se développer et c'est pour cette raison que vous vous inscrivez dans une logique de partage de la pénurie.

Vous ne pensez qu'à contraindre l'économie en croyant ainsi servir vos objectifs et, en fait, vous entravez son développement et vous obtiendrez le résultat inverse de


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celui que vous pensiez atteindre. C'est dans le libre développement de l'économie que résident les solutions et non dans la contrainte, comme vous le pensez.

C'est si vrai que le plein emploi est aujourd'hui rétabli dans plusieurs pays, sans, bien sûr, que ceux-ci aient eu recours à la réduction du temps de travail. Je sais que l'exemple fait bondir certains mais, aux Etats Unis, où, qu'on le veuille ou non, le plein emploi est aujourd'hui atteint, il y a depuis dix ans un allongement de la durée du travail.

On peut indiquer aussi, et je le dis pour l'édification de mes collègues de gauche, que le recul du chômage que nous connaissons incontestablement dans notre pays depuis juin 1997 est infiniment moins rapide en France que dans la plupart des autres pays, y compris ceux dont le taux de chômage était au départ beaucoup plus faible que le nôtre.

Entre juin 1997 et juin 1999, selon les chiffres de l'OCDE, le chômage a reculé de 23 % en Espagne, de 32 % en Suède, de 33 % en Irlande, de 20 % en Finlande, de 33 % au Portugal et, aux Pays-Bas, qui avaient un taux de chômage très faible, 5,5 %, il a reculé de 40 % alors qu'il reculait de 11,2 % dans notre pays. Les

Etats-Unis sont passés d'un taux de chômage de 5 % en juin 1997 à 4,3 % en juin 1999, soit un recul de 14 %.

La France est donc encore actuellement, dans cette période de croissance mondiale, l'un des pays où le chômage recule le moins.

C'est dire, madame la ministre, que vos bilans de l'application de la loi du 13 juin 1998, qui claironnent comme des communiqués de victoire, ne nous impressionnent que modérément. Les 120 000 emplois que vous annoncez à grand renfort de publicité et de littérature ne sont que des trompe-l'oeil.

Un bilan comporte généralement deux colonnes au moins.

M. Philippe Auberger.

L'actif et le passif.

M. François Goulard.

Les vôtres n'en ont qu'une. Vous avez oublié le signe moins. Vous avez oublié que, si une économie connaît à tout moment un flux de créations d'emplois, elle peut également connaître des suppressions d'emplois.

M. Gilbert Gantier.

Eh oui !

M. François Goulard.

Mais de cela, vous ne dites mot.

M. Philippe Auberger.

C'est le sens de l'algèbre !

M. François Goulard.

Or, ces suppressions d'emplois, imputables, par exemple, aux délocalisations qui se produisent sous nos yeux, qu'on le veuille ou non, et que votre politique aurait favorisées - mais ce n'est qu'une hypothèse -, ne sont ni évoquées ni comptabilisées.

Quant à la colonne des signes plus, elle regroupe trois catégories. On y trouve tout d'abord les emplois dans les entreprises publiques, qui sont annoncés mais pas encore créés et sur lesquels nous passerons très vite : ce sont des créations d'emplois qui obéissent à des ordres gouvernementaux.

Une deuxième catégorie est celle des emplois dits « préservés » par des entreprises ayant signé une convention avec l'Etat - c'est ce que l'on appelle le volet défensif du dispositif incitatif adopté en 1998. Je crois que cette comptabilisation n'a aucun sens.

Rien ne vous dit, en effet, que ces emplois n'auraient pas été préservés en l'absence de passage aux 35 heures et sans aides de l'Etat...

M. Yves Rome.

Il va y avoir de l'orage ! Vous faites de la météorologie !

M. François Goulard.

Et rien ne vous dit non plus qu'ils seront durablement préservés. Lorsqu'on fait le bilan de l'application de la loi de juin 1996, on s'aperçoit que plusieurs des entreprises qui avaient bénéficié d'aides de l'Etat pour le passage aux 35 heures et qui étaient censées préserver des emplois ont soit procédé à des licenciements, soit...

M. Philippe Auberger.

Coulé !

M. François Goulard.

... disparu.

M. Gérard Terrier.

On ne peut pas contester que des emplois ont été préservés !

M. François Goulard.

Mais si ! La comptabilisation actuelle est purement administrative, elle n'a aucun sens économique.

M. Yves Rome.

Vous jouez les Paco Rabanne ?

M. François Goulard.

Enfin, ce que vous appelez les emplois créés,...

Mme Odette Grzegrzulka.

Ils l'ont bien été !

M. François Goulard.

... ne sont que des engagements de créations d'emplois.

Mme Odette Grezgrzulka.

C'est insupportable ! Mensonger !

M. Gilbert Gantier.

Ça vous gêne !

M. le président.

Mes chers collègues, évitez ces interpellations directes qui empêchent M. Goulard de s'exprimer dans la clarté et dans le silence.

Mme Odette Grzegrzulka.

Il vomit les mensonges !

M. Philippe Auberger.

Oh, vous avez déjà le monopole du vomissement !

M. le président.

Monsieur Auberger, je vous en prie.

M. François Goulard.

Les emplois que vous prétendez créer par l'application de la loi de 1998 ne le sont pas encore. Pour l'instant, ils ne représentent qu'un engagement, valable pour une période très limitée, surtout si on la compare à la durée de versement des subventions par l'Etat.

Je reformule ma remarque : qui peut dire que ces emplois n'auraient pas été créés sans la loi ? Il n'y a là qu'un classique effet d'aubaine. Mme Aubry nous dit qu'il a été mesuré. Ses services ont bien du talent...

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est vrai !

M. François Goulard.

En vérité, personne ne sait comment mesurer l'effet d'aubaine.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous l'ignorez peut-être, vous, mais les experts le savent !

M. François Goulard.

Personne ne peut dire ce qui se serait passé en l'absence de dispositif.

Quand on étudie les bilans que vous publiez - vos services nous permettent assez largement de le faire -, on s'aperçoit que le rythme des créations d'emplois dans les entreprises qui ont signé des conventions avec l'Etat n'a pas sensiblement évolué par rapport à la période antérieure à 1998. Il est donc parfaitement loisible de penser que le passage aux 35 heures et le versement de subventions ne se sont traduits par aucune inflexion.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

M. Yves Rome.

Oui, l'argumentation est légère !

M. François Goulard.

Si l'on veut bien, d'autre part, considérer que, pour les entreprises de plus de 20 salariés, l'obligation de passer aux 35 heures au 1er janvier 2000 est une certitude, certitude réaffirmée aujourd'hui...

M. Yves Rome.

Quand vous aurez voté la loi !

M. François Goulard.

... si l'on veut bien prendre en considération cette obligation et cette certitude, on doit se demander pourquoi les entreprises qui ont l'intention de créer des emplois pour compenser le passage aux 35 heures ne le font pas tout de suite. Cette décision anticipée de quelques mois entraîne en effet le versement d'une subvention de plusieurs milliers de francs par salarié. Le réflexe rationnel d'un chef d'entreprise ayant l'intention d'embaucher après le passage aux 35 heures serait évidemment d'anticiper le mouvement pour toucher ces subventions.

Or que constatons-nous ? Moins de 2 % des entreprises françaises ont eu ce réflexe apparemment rationnel.

Au lieu de publier des communiqués de victoire, madame la ministre, vous devriez reconnaître, comme moi, l'échec programmé de votre politique de réduction imposée du temps de travail.

Mme Odette Grzegrzulka.

Cassandre !

M. François Goulard.

Si les entreprises avaient été plus nombreuses à avoir l'intention d'embaucher à l'occasion du passage aux 35 heures, elles auraient en plus grand nombre anticipé cette décision.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Bien sûr !

M. François Goulard.

C'est d'ailleurs ce que les chefs d'entreprise vous répètent depuis l'annonce de la première loi.

M. Yves Rome.

Vous ne fréquentez pas les mêmes que nous !

M. François Goulard.

Vous avez choisi, avec obstination, de ne pas les écouter. C'est oublier que les emplois sont créés par les entreprises, pas par les textes de loi.

Mais je suis peut-être un peu injuste. Mme la ministre sait probablement aussi bien que moi : les 35 heures ne créeront pas d'emplois et feront au contraire peser un risque considérable sur la poursuite de la croissance. En effet, comme si l'on craignait l'échéance fatidique de 2002, on a discrètement introduit dans ce texte, à l'article 2, une période transitoire pour le régime des heures supplémentaires, qui concerne aussi bien leur décompte que les majorations qu'elles entraînent. Si le texte est voté en l'état, de nombreuses entreprises pourront maintenir un horaire de 39 heures jusqu'en 2002, pour un coût assez modique. Je ne crois pas qu'un tel dispositif ait été introduit par hasard dans le projet de loi : il attire d'ailleurs les foudres de certains membres de la majorité - je les comprends.

Je remarque aussi que, l'an passé, votre discours avait commencé sur le thème de l'emploi. D'après vous, la première loi était d'abord motivée par la volonté de créer des emplois. Cette année, vous avez commencé par de généreuses considérations sur le temps libre. Apparemment, l'emploi est passé au second plan.

C'est une absurdité économique, disais-je, de verrouiller l'économie et de l'empêcher de se développer.

M. Yves Rome.

Que de clichés !

M. François Goulard.

C'est une absurdité sociale de peser arbitrairement sur les salaires. A qui fera-t-on croire qu'on peut gagner autant en travaillant quatre heures de moins par semaine ? Comment peut-on prétendre sérieusement que la hausse de 11,4 % du coût de l'heure travaillée ne sera pas compensée par ce qu'on appelle pudiquement la modération salariale ? Vous en faites d'ailleurs vous-même le constat, madame la ministre, avec le mécanisme d'indemnité compensatrice pour les salariés payés au SMIC. La progression que vous prévoyez pour cette indemnité fait que la hausse du SMIC sera, dans les prochaines années, limitée par rapport à ce qu'elle aurait été naturellement.

M. Yves Rome.

Avec Juppé ?

M. François Goulard.

Ce dispositif est bien l'aveu que votre loi entraînera au mieux une modération salariale et au pire un gel des salaires, car on ne peut pas, en même temps, avoir plus de temps libre et plus de revenus. Vous faites, pour l'ensemble des Français, le choix arbitraire de plus de temps libre et donc de moins de revenus. Or, s'il est vrai que certains de nos compatriotes aspirent à davantage de temps libre, ce qui est très respectable, d'autres aspirent, de façon tout aussi respectable, à davantage de revenus. C'est donc à une liberté de choix fondamentale que vous vous attaquez.

Votre loi est également condamnable du point de vues ocial, en cela qu'elle va encourager des pratiques contraires aux intérêts des salariés. Votre position est indéfendable : vous allez créer un sous-SMIC, payé 10 % de moins que le SMIC actuel, pour des salariés qui resteront à temps partiel. Nous verrons apparaître des contrats à 34 heures payés trente-quatre fois le SMIC horaire, c'est-à-dire sensiblement moins que le SMIC mensuel actuel. Pour ma part, je n'appelle pas cela un progrès social.

Ils convient aussi d'évoquer la dégradation des conditions de travail qu'a entraînée la modulation à laquelle certaines entreprises sont passées en contrepartie des 35 heures. L'annualisation recherchée par les entreprises ne se fait pas toujours en faveur des salariés.

Le prélèvement arbitraire de 10 % que vous pratiquez sur les heures supplémentaires est également condamnable du point de vue social. Est-il admissible que ceux qui travaillent davantage soient contraints de payer un prélèvement supplémentaire sur leur salaire ? Mme Roselyne Bachelot-Narquin et M. Gilbert Gantier.

Non, bien sûr, c'est scandaleux !

M. François Goulard.

Sur un tout autre plan, pourquoi abaisser aujourd'hui la durée du travail de façon autoritaire, alors que, nous le savons fort bien, nous allons devoir, dans quelques années, pour assurer l'équilibre de nos régimes de retraite, retarder l'âge de départ en retraite ?

M. Philippe Auberger.

Absolument !

M. Yann Galut.

Ça, c'est vous qui le dites !

M. François Goulard.

Quelle logique y a-t-il à réduire la durée du travail alors qu'il va falloir, c'est à peu près certain, travailler davantage ? Je rappelle, pour ceux qui l'ignoreraient, que la France détient le record de la durée de vie active la plus courte.

M. Bernard Outin.

Tant mieux !

M. Yann Galut.

C'est une bonne chose !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

M. François Goulard.

Les jeunes entrent de plus en plus tard dans la vie active et les actifs quittent de plus en plus tôt le monde du travail.

M. Yves Rome.

Vous le regrettez ?

M. François Goulard.

C'est dans ce contexte, avec la perspective de devoir allonger la durée du travail, que l'on réduit le temps hebdomadaire de travail...

M. Yann Galut.

C'est une bonne chose !

M. François Goulard.

C'est absolument incompréhensible.

M. Yann Galut.

Pour vous !

M. Yves Rome.

Quel aveu, en effet !

M. Yann Galut.

Les salariés le savent, eux !

M. François Goulard.

Ce projet de loi, contrairement à ce que vous dites, est aussi un recul pour la négociation collective.

M. Yves Rome.

Vous êtes un expert en la matière !

M. François Goulard.

Comment en effet se targuer, comme vous le faites, madame la ministre, d'encourager la négociation collective, alors que votre projet de loi remet en cause un nombre considérable d'accords qui viennent tout juste d'être conclus par les partenaires sociaux ? Comment voulez-vous développer la confiance des partenaires sociaux dans la négociation collective quand celle-ci est soumise au couperet de la loi ? Sans doute votre texte prévoit-il un assez grand nombre d'accords sur des chapitres particuliers, mais, chaque fois, c'est en restreignant la marge d'intervention des entreprises. Que penser, par exemple, de l'accord n écessaire à l'obtention des allégements de charges sociales et qui, en réalité, va imposer aux entreprises de donner une contrepartie nouvelle aux salariés pour bénéficier de la simple application de la loi ? C'est une conception assez particulière de la négociation entre partenaires sociaux.

M. Gérard Terrier.

Donnant, donnant !

M. François Goulard.

Votre conception de la négociation collective est encadrée, contrainte, sous contrôle ; c'est la négation d'un véritable dialogue social.

Il faudra revenir, dans le détail, sur chacune des dispositions du texte, celles qui concernent les heures supplémentaires, le temps partiel, le temps de travail des cadres.

Mais je voudrais en évoquer certaines qui tranchent par leur importance. Je pense en particulier, en raison de son poids économique et financier, au dispositif d'allégement des charges sociales. Ce mécanisme gigantesque va déplacer plus de 100 milliards par an, sans compenser les hausses de coûts salariaux. Comment ne pas s'inquiéter des conséquences qu'aura un tel mouvement de prélèvements et de subventions ? Comment ne pas s'inquiéter d'abord - et je ne suis pas le premier à le faire à cette tribune - de son financement qui s'apparente fort - passez-moi la comparaison - au chèque sans provision ? C'est en effet en anticipant de très hypothétiques créations d'emplois que vous justifiez de pratiquer ce que d'autres ont appelé un véritable hold-up sur l'UNEDIC et les organismes de sécurité sociale.

M. Gilbert Gantier.

C'est inadmissible !

M. François Goulard.

Si vous aviez l'intention de ponctionner ces organismes à raison des emplois supplémentaires que vous attendez, l'honnêteté aurait voulu que vous attendiez au moins que ces emplois soient au rendez-vous. Il n'en est rien. Vous ajoutez, pour faire bonne mesure, deux prélèvements nouveaux...

M. Gilbert Gantier.

De la cavalerie !

M. François Goulard.

... Une majoration de l'impôt sur les sociétés et une taxe sur les activités dites polluantes.

M. le président.

Monsieur Goulard, voulez-vous conclure, je vous prie ?

M. François Goulard.

Monsieur le président, je n'ai pu m'exprimer hier soir à cause de mon collègue Gremetz qui avait largement dépassé son temps de parole.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Maxime Gremetz.

Allons, monsieur Goulard ! Quelle mesquinerie !

M. François Goulard.

Si vous le permettez, monsieur le président, je voudrais donc pouvoir conclure normalement.

M. le président.

Monsieur Goulard, je ne sais pas ce qui s'est passé hier soir, mais, aujourd'hui, vous disposiez de trente minutes. Je vous donne une minute pour conclure, pas une de plus.

Mme Odette Grzegrzulka.

Hier soir, M. Goulard était inscrit pour vingt minutes. Aujourd'hui, pour trente !

M. Yves Rome.

C'est dix de trop !

M. le président.

Monsieur Goulard, veuillez conclure.

Je vous interromprai dans une minute.

M. François Goulard.

Du point de vue économique, madame la ministre, ce mécanisme s'analyse de la façon suivante...

Mme Odette Grzegrzulka.

M. Goulard a bénéficié d'un bonus !

M. François Goulard.

Monsieur le président, j'aimerais pouvoir parler dans le calme.

M. le président.

Poursuivez, monsieur Goulard. Ne vous laissez pas interrompre.

M. François Goulard.

Vous accroissez les prélèvements sur l'ensemble de l'économie pour financer partiellement le surcoût qu'entraîne, pour les entreprises, le passage aux 35 heures. Cela signifie que vous créez un impôt supplémentaire, considérable, que tous les Français vont supporter sur leur travail, pour financer un travail moindre.

M. Gérard Terrier.

Concluez !

M. François Goulard.

Prélever davantage sur le travail pour financer le non-travail, cela ne me paraît pas relever d'une logique économique très pertinente.

M. Gilbert Gantier.

C'est la logique socialiste !

M. François Goulard.

Cette loi est aussi un extraordinaire bond en avant dans la complexité du code du travail, qui va s'enrichir de plusieurs dizaines de pages particulièrement incompréhensibles, génératrices de difficultés d'interprétation et d'application. Il faudra des années de jurisprudence avant que tout cet édifice soit consolidé.

Vous auriez d'ailleurs dû penser aux PME qui seront les plus pénalisées par les 35 heures, parce qu'elles sont les premières victimes de cette complexité de notre code du travail.

M. le président.

Monsieur Goulard, je vous remercie.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

M. François Goulard.

Elles seront pénalisées parce qu'elles auront beaucoup plus de mal que les autres à compenser les heures perdues par la réduction du temps de travail. Quand on sait que les emplois se créent dans l es PME, non dans les grandes entreprises, c'est commettre une erreur profonde que de négliger les spécificités et les difficultés particulières des PME.

M. le président.

Monsieur Goulard, vous avez épuisé votre temps de parole. Je vous prie de bien vouloir conclure.

Mme Odette Grzegrzulka.

Il nous a épuisés aussi !

M. François Goulard.

Eh bien, monsieur le président, je m'arrête là ! Je constate simplement que les membres de la majorité bénéficient, eux, d'une certaine tolérance.

M. Robert Lamy.

Deux poids, deux mesures !

M. le président.

Monsieur Goulard, avec moi, il n'y aura de tolérance pour personne, ni pour la gauche ni pour la droite. Je vous rappelle que vous disposiez de trente minutes, ce qui me paraît largement suffisant pour exprimer un point de vue.

M. Germain Gengenwin.

M. Gremetz disposait hier soir de vingt minutes. Il a parlé beaucoup plus !

M. le président.

La parole est à Mme Catherine Génisson, qui dispose de cinq minutes, pas une de plus.

M me Catherine Génisson.

Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je suis délibérément à côté de celles et de ceux qui croient que la réduction du temps de travail exprime « le souci de solidarité qu'un pays peut manifester dans le domaine de l'emploi, et qu'elle modifie les relations dans l'entreprise, et notre façon de vivre ».

M. Gilbert Gantier.

Quelle surprise !

Mme Catherine Génisson.

Soit, ce n'est pas une surprise. (Sourires.) La loi du 13 juin 1998 incitait les entreprises à entamer les négociations et à préparer les accords de réduction du temps de travail, en anticipant le projet de loi que nous examinons aujourd'hui.

On avait déjà tout entendu sur certains de ces bancs.

Cette loi d'incitation, disait-on, n'avait d'incitatif que le nom. Elle allait briser le beau mouvement philanthropique naturel de l'économie de marché, elle sonnerait l'apocalypse économique de notre pays.

La vérité est tout autre. Nous ne pouvons que le constater, 16 000 accords témoignent aujourd'hui du large engagement des entreprises ; 120 000 emplois ont été créés ou préservés, 27 % des salariés des entreprises de plus de vingt salariés sont concernés, le taux de satisfaction dépasse les 80 %. Ce sont des faits. Ils sont dignes de respect.

Deux conceptions s'affrontent. Il y a, d'une part, le

« laisser-faire » : le marché sait de lui-même ce qui est bon pour l'économie et les places financières, mais aussi pour les salariés, les chômeurs et l'ensemble du pays. Ce sont les théories des gardiens du temple de l'économie libérale, adversaires du volontarisme politique.

Car c'est bien de volontarisme politique qu'il s'agit, pour toutes celles et ceux d'entre nous qui défendent la réduction du temps de travail comme l'une des voies à suivre pour lutter contre le chômage, pour créer des emplois.

C'est aussi la volonté de dynamiser l'économie et de favoriser l'expansion de la croissance.

C'est enfin la volonté sociale et sociétale de libérer du temps, de redonner corps au dialogue social au sein de l'entreprise et de reprendre toute la mesure de problèmes majeurs tels que l'égalité professionnelle dans l'entreprise et l'organisation du travail.

La relance du dialogue social et la remise à plat du fonctionnement interne de l'entreprise sont autant d'occasions de placer ces préoccupations au coeur des accords, de donner aux femmes leur place dans l'entreprise, dans l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion.

Aujourd'hui, nous savons que 38 % du temps partiel est subi, qu'il concerne plus d'un million de femmes, qui pour 80 % d'entre elles perçoivent un salaire de moins de 3 650 francs. Nous savons également que dans les 5 000 premières entreprises, les femmes ne représentent que 7 % des cadres dirigeants, qu'elles ne sont que 34 % dans la catégorie des cadres alors qu'elles occupent la moitié des postes pour les fonctions intermédiaires et qu'elles représentent trois quarts des employés. On sait aussi, qu'à qualification égale, ou quand elles ont plus de trente-cinq ans, les femmes ont deux fois moins de chances que les hommes d'accéder à une formation.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires familiales, culturelles et sociales.

Très juste !

Mme Catherine Génisson.

Nous nous attacherons à ce que l'égalité professionnelle figure en bonne place au sein des accords.

La difficile traduction juridique de la définition du temps partiel choisi sera au coeur de nos préoccupations.

Déjà, dans le projet qui nous est soumis, de nombreuses avancées existent en matière de temps partiel. Les garanties écrites contractuelles quant à l'existence même du travail à temps partiel et la prise en compte du refus possible par le salarié des heures complémentaires proposées par l'employeur sans risque de licenciement constituent des avancées notables.

Comme vous l'avez souhaité, madame la ministre, nous enrichirons le texte. C'est ainsi que je proposerai, avec mes collègues du groupe socialiste, un certain nombre d'amendements visant à inciter les partenaires sociaux à intégrer dans leur réflexion l'égalité professionnelle entre femmes et hommes. Ainsi les accords ouvrant droit à l'aide structurelle devront-ils notamment comporter des engagements pour ce qui est de l'égalité professionnelle en matière de travail à temps partiel.

D'autres amendements seront proposés. Ils tendent à mettre en place des dispositions protectrices pour les salariés à temps partiel - qui sont, je le rappelle, majoritairement des femmes - en fixant les conditions de mise en place des horaires à temps partiel et les modalités de passage entre le temps partiel et le temps plein ; à encadrer le recours aux heures complémentaires ; à mieux protéger les salariés concernés par des modifications de leurs horaires de travail.

Je tiens ici à remercier celles et ceux qui partagent avec moi cette volonté : d'abord vous, madame la ministre, vous aussi, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, et également l'ensemble de mes collègues du groupe socialiste et de la majorité plurielle.

Tous nos efforts, tous nos débats, souvent animés certes, n'ont qu'un seul et même objectif : créer des emplois.

Cette création d'emplois s'accompagnera, je n'en doute pas, d'un mieux-vivre pour tous.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

La discussion au sein de l'entreprise aura donc une njeu essentiel : travailler mieux. Travailler mieux ensemble pour mieux vivre ensemble ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Bernard Outin.

Le MLF a cloué le bec au

MEDEF !

M. le président.

Merci, madame Génisson, d'avoir respecté scrupuleusement votre temps de parole.

L a parole est à M. Philippe Auberger, pour dix minutes.

M. Philippe Auberger.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous avons entendu hier unee xcellente intervention de Mme Roselyne Bachelot-Narquin sur les conséquences des 35 heures pour les personnes et les familles, sur le plan social et même sociétal. Plus modestement, je m'en tiendrai aux aspects économiques et financiers de ce projet de loi.

L'application du texte qui nous est soumis encouragera-t-elle les créations d'emplois ? Quels sont les effets du dispositif financier destiné à alléger les charges des entreprises qui passent aux 35 heures ? D'abord, il convient de rappeler que, si l'application d'une durée de travail inférieure se traduit par des effets bénéfiques sur la vie personnelle du travailleur, l'objet de la législation sur les 35 heures est, compte tenu des contraintes très fortes qui en résultent par ailleurs, de créer de vrais emplois supplémentaires et durables.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Tout à fait !

M. Philippe Auberger.

Le présent projet de loi a toujours été présenté par le Gouvernement comme un moyen - certains même ont dit un puissant moyen - de lutter contre le chômage. Il faut d'ailleurs relever que la France est le seul des grands pays développés où la réduction du temps de travail est considérée comme un moyen essentiel de lutter contre le chômage.

Pour appuyer cette thèse, vous nous aviez présenté, madame la ministre, peu avant la discussion de la 1re loi sur les 35 heures, des études de l'OFCE, d'une part, et de la Banque de France, d'autre part, études coordonnées par un service de votre ministère, la DARES. Elles tendaient à affirmer que la réduction du temps de travail à temps plein à 35 heures allait créer de 500 000 à 700 000 emplois supplémentaires.

J'avais en son temps prouvé que cette affirmation me semblait fallacieuse, que jamais un tel objectif ne pourrait être atteint dans le secteur marchand et qu'au mieux, il pourrait y avoir environ 200 000 emplois supplémentaires créés, sans écarter totalement le risque qu'il n'y ait aucune création d'emploi, voire des disparitions. Il semble d'ailleurs que mes propos recoupaient les résultats relevés à l'époque par la direction de la prévision.

Vous avez, il y a quelques semaines, largement diffusé une étude, sous votre propre timbre, sobrement intitulée :

« Les enseignements des accords sur la réduction du temps de travail ».

Que dit cette étude ? Elle révèle que, actuellement, plus de 15 000 accords sur la réduction du temps de travail ont été conclus au 1er septembre 1999, que les effectifs concernés sont plus de deux millions de personnes, soit environ 20 % des effectifs des entreprises susceptibles d'appliquer la nouvelle durée du travail, et que le nombre d'emplois créés ou maintenus serait pour ces entreprises de 120 000. Mais, de ce total, il convient de soustraire les entreprises qui ne sont pas éligibles à l'aide publique - les entreprises du secteur public notamment - et les accords d'entreprises non aidées qui ne remplissent pas les conditions prévues par la loi, ce qui ramène le chiffre annoncé à 85 000.

Mais ce chiffre n'est à l'heure actuelle que virtuel. En effet, chacun sait qu'il existe toujours un grand décalage - on le constate d'ailleurs au niveau du développement local - entre le chiffre des futures créations d'emplois annoncé par une entreprise et celui des créations réelles d'emplois, c'est-à-dire des embauches effectives. Ce décalage peut être d'autant plus important qu'aucune sanction véritable n'a été prévue pour le cas où l'annonce des cré ations d'emplois ne serait pas suivie d'effets.

Enfin, rien ne dit que ces créations d'emplois seront durables. L'expérience montre que, dans les cas d'annonce d'une forte augmentation des effectifs - 6 % au minimum -, il est fréquent de constater qu'au bout de trois à cinq ans il y a un fort déchet sur la durabilité de ces emplois, on l'a constaté au niveau local.

En réalité, deux autres sources permettent de recouper l'affirmation selon laquelle ce n'est pas 120 000 ou 85 000 emplois qui seront créés d'ici à la fin de l'année 1999, mais plutôt 40 000 emplois environ.

La première source, c'est la synthèse du ministère de l'économie, laquelle nous indique que, sur les 560 000 emplois créés depuis deux ans, 420 000 l'ont été grâce à la croissance économique, 80 000 grâce à la politique de réduction des charges sur les bas salaires et seulement 40 000 grâce à la réduction du temps de travail.

Ce chiffre de 40 000 emplois créés est celui qui a d'ailleurs été retenu dans les prévisions budgétaires en ce qui concerne l'aide spécifique à la création d'emplois consécutive à la réduction du temps de travail, et ce pour un crédit de 3,5 milliards de francs en 1999. D'après les informations recueillies auprès du secrétaire d'Etat au budget, il n'y a aucune surprise en ce qui concerne la consommation de ces crédits en 1999. D'ailleurs, la prévision pour l'année 2000, soit 4,5 milliards de francs, est cohérente avec celle de l'année 1999.

Dans ces conditions, personne n'est en droit d'affirmer que la première loi sur les 35 heures aura permis de créer en 1999 plus de 40 000 emplois aidés. Les annonces qui nous ont été faites, et qui ont été largement détaillées dans l'étude précitée, sont largement virtuelles : elles ne relèvent en rien de l'économie réelle !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Tout à fait !

M. Philippe Auberger.

Une deuxième question qu'il convient de se poser consiste à se demander si ces 40 000 emplois vont être créés grâce aux aides offertes ou s'ils auraient été de toute façon créés, et si, par conséquent, il s'agit simplement d'un effet d'aubaine.

L'étude de votre ministère, madame la ministre, n'élude pas la question mais elle la traite de façon vraiment peu scientifique. En effet, elle montre bien que, sur deux ans, un nombre non négligeable de créations d'emplois est dû uniquement à la conjoncture économique - plutôt favorable depuis 1998 - et absolument pas aux aides ou à la loi sur les 35 heures.

Dans ces conditions, on ne serait pas étonné qu'une étude fine des aides effectivement distribuées aux entreprises appliquant les 35 heures montre que la moitié des emplois effectivement créés en 1999 relèvent de l'effet d'aubaine.

La troisième question qu'il convient alors de se poser consiste à se demander si ce qui a pu être constaté depuis un an en ce qui concerne les 35 heures peut être extra-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

polable sur l'avenir. En bref, puisque 2 millions de personnes devraient être actuellement couvertes par des accords, est-ce que les 8 millions de personnes qui ont vocation à être couvertes par de tels accords vont l'être, et à bref délai ? Vous nous avez apporté la réponse à cette question, puisque vous avez estimé devant la commission des finances que 4 millions de personnes au plus seraient couvertes à la fin de l'année 2000 et 3,3 millions en moyenne annuelle. Nous sommes bien loin de la totalité des entreprises susceptibles d'être couvertes ! D'ailleurs, on peut considérer que le rythme de création d'emplois sera nettement plus faible pour l'avenir q ue ce qu'il a été jusqu'à présent. C'est ce que Mme Notat a d'ailleurs dit de manière imagée : « J'ai le sentiment qu'en matière de 35 heures nous avons mangé notre pain blanc » ; sous-entendu, maintenant le pain de la création d'emplois sera désormais plus gris.

M. Yves Rome.

Prenez du levain !

M. Philippe Auberger.

On peut par conséquent estimer q ue l'on n'arrivera même pas à atteindre les 200 000 emplois, et que l'on sera sans doute bien audessous de ce chiffre.

En outre, il convient également de tenir compte des emplois qui seront détruits par l'application obligatoire des 35 heures. En effet, l'augmentation des charges salariales qui en résultera ne pourra pas toujours être répercutée par les entreprises. Cette application va entraîner des disparitions d'emplois, soit par non-remplacement, soit par licenciement, soit par externalisation des tâches.

Toujours est-il qu'une étude du Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts, le CSERC, indique :

« On ne peut pas négliger le risque d'effets négatifs des hausses du coût salarial sur l'emploi, surtout pour les travailleurs peu qualifiés, lorsque ces hausses sont fortes ou brutales et rompent durablement l'équilibre entre salairee t productivité. » Le CSERC ajoute

: « Le nombre d'emplois perdus résultant d'une augmentation du SMIC de un point est évalué dans une fourchette de 4 000 à 20 000 emplois. » Tout dépendra à cet égard de ce qui

sera décidé en ce qui concerne le SMIC.

Quant aux entreprises de moins de vingt personnes, compte tenu des difficultés qu'elles auront à appliquer la loi sur les 35 heures, difficultés que vous avez d'ailleurs reconnues récemment, madame la ministre, puisque vous envisagez une aide spécifique en faveur de ces entreprises, on peut douter qu'elles créent des emplois et qu'elles parviennent aux 35 heures.

Tout laisse donc à penser que la création maximale d'emplois sera très inférieure à ce qui est attendu, en part iculier aux 200 000 emplois escomptés au départ.

M. Yves Rome.

Non, 120 000 emplois !

M. Philippe Auberger.

Dans ces conditions, il ne s'agit pas véritablement d'un système qui permettrait de créer des emplois.

Je voudrais ajouter brièvement, puisque nous aurons l'occasion d'en reparler au moment de la discussion du projet de loi de financement de la protection sociale, que le dispositif financier prévu pour financer la présente loi me paraît totalement déplacé. D'abord, il manie des sommes financières tout à fait démesurées. Il constitue également un démembrement de la puissance publique, par la création d'un établissement public administratif, démembrement qui a été sévèrement condamné par les plus hautes instances juridictionnelles de notre pays, le Conseil d'Etat et la Cour des comptes. Il va en plus exiger la création de trois ressources fiscales nouvelles : une taxe sur les heures supplémentaires, une augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes et une taxe sur les bénéfices des entreprises.

M. le président.

Voulez-vous conclure, monsieur Auberger, s'il vous plaît.

M. Philippe Auberger.

Je conclus, monsieur le président. De toute façon, nous aurons l'occasion de reparler de ce problème de financement des 35 heures. Le financement du dispositif a été très mal envisagé : il constitue une charge financière et fiscale supplémentaire pour les entreprises. Dans ces conditions, il n'aura pas les effets escomptés.

Ce projet de loi sur les 35 heures ne permettra donc pas d'obtenir les créations d'emplois qu'escomptaient ses promoteurs, surtout en matière d'emplois durables. Il coûtera cher aux entreprises et conduira à multiplier les prélèvements fiscaux nouveaux, dont les effets n'ont pas été convenablement étudiés et seront, en toute hypothèse, mal maîtrisés. Dans ces conditions, on ne peut qu'être conduit à condamner sans réserve un tel projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour dix minutes.

Mme Muguette Jacquaint.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les nouvelles formes de travail auxquelles doivent faire face ceux qui appartiennent au monde salarial et leurs familles sont l'une des caractéristiques de notre société. Elles sont appelées par les spécialistes de l'économie ou de la sociologie du travail

« les formes particulières d'emploi ». Elles recoupent plusieurs profils : les contrats à durée déterminée, l'intérim, le travail à temps partiel. Parfois, elles se superposent.

Les salariés, eux, parlent de précarité et de bas salaires.

l'INSEE, dans sa publication Données sociales, démontre le lien étroit entre l'envol du temps partiel et les bas salaires, jusqu'à faire référence à la notion de « working poors » utilisée outre-Atlantique.

Selon cette même étude, la proportion de faibles rémunérations est de 4 % pour les salariés à temps plein et de 69 % pour les autres.

De plus, elle révèle que les hausses même infimes du SMIC n'ont pas les mêmes effets selon les catégories de salariés. Pour la catégorie à temps partiel, elles ne font qu'assurer la progression infime de la rémunération horaire et ne se traduisent pas par une progression du pouvoir d'achat.

Dans la fonction publique, cette forme de travail est largement employée. C'est l'une des causes de l'accroissement du nombre des emplois non soumis aux garanties statutaires. C'est aussi l'une des causes des freins mis à l'évolution des carrières des femmes, notamment dans la haute fonction publique.

Cette explosion du travail à temps partiel crée donc une catégorie de salariés précaires, avec de bas salaires, souvent à la marge du salariat. Cela concerne près de quatre millions de personnes, dont près de 80 % de femmes. Or cette explosion est favorisée par la réglementation et l'exonération des charges.

Depuis le début des années 90, il existe un abattement de 30 % des cotisations patronales pour toute embauche.

M. Maxime Gremetz.

C'est scandaleux !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

Mme Muguette Jacquaint.

A cela s'est ajoutée l'exonération des cotisations familiales pour les bas salaires. La DARES, dans son rapport présenté en octobre 1998, révèle que le seul cumul de l'abattement de 30 % et de la ristourne dégressive représente une réduction de 20 % du coût du travail au niveau du SMIC.

En 1998, quelques aménagements législatifs ont eu lieu, notamment le relèvement du plafond du nombre d'heures de 16 heures à 18 heures pour bénéficier des exonérations. Ce nouveau dispositif en a quelque peu réduit l'utilisation forcée par certains du patronat.

Supprimer les 30 % d'abattement d'exonération des charges sociales, comme nous le proposons proposition qu'a adoptée la commission -, serait un pas supplémentaire dans la lutte contre le développement de cette forme de travail et de précarité.

M. Bernard Birsinger.

Très bien !

Mme Muguette Jacquaint.

L'état des lieux décrit prouve que cette forme de travail ne peut être tenue à l'écart de la réflexion pour améliorer les conditions de vie de la population, pour élaborer une politique de l'emploi et de progrès social.

Dès aujourd'hui, le projet de loi sur la réduction du temps de travail doit être le moyen de mieux réglementer cette pratique.

Son article 6 traite de cette question. Mais à son étude, il apparaît qu'il ne se traduit que par de minces progrès, lesquels pourront être annulés par toute une série de nouvelles dispositions.

Une nouvelle définition du temps partiel est intégrée dès les premiers alinéas. Ainsi « sont considérés comme salariés à temps partiel les salariés dont la durée de travail est inférieure à la durée légale du travail ». Cela paraît logique. Mais cette disposition et la déclinaison de celle-ci permettent un élargissement de son champ d'utilisation.

En effet, aujourd'hui, les limites sont fixées à 80 % de la durée légale ou conventionnelle. On ne peut que s'interroger sur cette nouvelle définition qui est due à une mise en conformité avec une directive européenne.

Il apparaît qu'une fois de plus l'Europe tente de donner le ton pour une harmonisation sociale par le bas, et non par le haut. Cette vision de l'Europe n'est pas la nôtre. Nous devons rester aux caractéristiques actuelles, c'est-à-dire au cinquième de la durée légale.

Après avoir élargi la notion de temps partiel, le projet de loi énumère les dispositions des clauses obligatoires du contrat de travail, dont certaines apparaissent comme des garanties pour le salarié.

Cependant, une question préalable ne doit pas être oubliée. Le salarié et l'employeur sont-ils sur le même plan lors de la signature d'un contrat de travail, lors de son application, lors de l'organisation du travail au quotidien ? Tous les salariés et les syndicalistes sont confrontés à ce dilemme. Les faits ont tranché : il y a une inégalité.

Cette remarque limite de fait les garanties énoncées dans le grand III de l'article 6 en faveur des salariés.

L'une des clauses prévoit un délai de sept jours pour porter à la connaissance du salarié la modification de ses horaires de travail. Ce délai est trop court pour organiser la vie familiale, d'autant plus qu'un accord de branche étendu peut faire varier ce délai de prévenance à trois jours. Nous proposons qu'il soit porté à quinze jours et nous demandons la suppression par la voie conventionnelle de la réduction du délai.

M. Bernard Outin.

Très bien !

Mme Muguette Jacquaint.

Ces modulations d'horaires autorisées se traduisent par un recul important. La vie au quotidien de nombreuses femmes qui ont choisi le temps partiel pour pouvoir, eu égard à l'insuffisance des modes de garde de la petite enfance, concilier vie professionnelle et vie familiale, deviendra un véritable casse-tête. Cela n'a rien à voir avec la notion de temps de travail choisi, qui a été largement développée pour expliquer cette forme de travail dont nous continuons à dire qu'elle doit être véritablement choisie.

Le projet de loi écarte également la possibilité d'un licenciement en cas de refus par le salarié d'une modification des horaires prévus dans le contrat de travail lorsqu'elle est incompatible avec des obligations familiales

« impérieuses ». Or la définition de cet adjectif est : « qui commande de façon absolue », ce qui est flou. Les conflits seront nombreux, les conseils de prud'hommes auront nécessairement fort à faire. De nombreuses questions se posent. Quelle sera, par exemple, l'instance qui d éfinira les « obligations familiales impérieuses » ? L'employeur, le salarié ou l'administration ? Devront-elles être justifiées ? Dans ce cas, ne s'agit-il pas d'une atteinte aux libertés individuelles ? Cet objectif devrait donc être supprimé et c'est à quoi tendra notre amendement.

Par ailleurs, les salariés peuvent refuser d'effectuer des heures complémentaires non prévues dans le contrat de travail, ainsi que celles indiquées dans le contrat s'ils ne sont pas informés trois jours avant la date à laquelle ces heures sont prévues, et ce sans sanction ni licenciement possibles. C'est une certaine garantie, mais, a contrario, si le salarié rejette la proposition alors qu'elle est faite dans les délais contractuels, s'agit-il d'un motif de licenciement ? Concernant les heures supplémentaires, on ne peut laisser à l'écart la question de leur rémunération. Afin de défendre les droits des salariés, le paiement des heures complémentaires doit être majoré de la même façon que pour les heures supplémentaires.

Enfin, la requalification du contrat de travail proposée est un moyen pour lutter contre les abus du patronat, qui utilise l'addition régulière d'heures complémentaires à la durée du temps partiel. Mais la condition doit être plus souple que celle prévue car un délai de douze semaines consécutives, comme le prévoyait le projet, ne permettait pas de limiter efficacement les dérives.

De même, l'organisation de la durée du temps partiel en deux fractions, avec une coupure de deux heures maximum, est une avancée certaine par rapport aux pratiques habituelles, notamment dans la grande distribution. Mais un simple accord étendu permet d'augmenter la période d'interruption. On ne peut que s'opposer à cette méthode car les garanties énoncées par la loi sont de fait largement réduites par les possibilités de renégocier et de diminuer les droits dans le cadre conventionnel ou dans celui d'un accord d'entreprise.

Il faudra d'ailleurs revenir sur l'article 6, qui dispose :

« Une convention ou un accord collectif étendu ou un accord d'entreprise ou d'établissement n'ayant pas fait l'objet de l'opposition prévue à l'article L. 132-26 peut prévoir que la durée hebdomadaire ou mensuelle peut varier dans certaines limites sur tout ou partie de l'année. »

M. le président.

Pouvez-vous conclure, madame Jacquaint, s'il vous plaît ?

Mme Muguette Jacquaint.

Cela ressemble beaucoup à une flexibilité que les salariés craignent, madame la ministre !


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Enfin, il faudrait que le temps partiel soit réglementé dans ce texte. Il faut améliorer les conditions de travail des salariés intéressés, mais aussi éviter le recours massif à cette formule. Le projet tel qu'il a été adopté en conseil des ministres ne le permet pas. Le groupe communiste a donc, comme je l'ai annoncé, déposé plusieurs amendements sur l'article 6.

M. Olivier de Chazeaux.

C'est l'heure !

Mme Muguette Jacquaint.

Leur adoption permettrait d'atténuer ses effets néfastes et les abus du patronat.

M. le président.

Madame Jacquaint, voulez-vous conclure ?

Mme Muguette Jacquaint.

Je termine, monsieur le président.

Les salariés, les syndicalistes mais aussi les associations féministes y sont très attentifs. Des améliorations doivent être apportées à ce projet.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, je voudrais aborder un seul sujet, mais un sujet majeur qui risque d'être le grand oublié de ce long débat, je veux parler de l'emploi, dont le gouvernement auquel vous appartenez a théoriquement fait sa priorité.

Malgré la création de 560 000 emplois depuis deux ans dans le secteur marchand, la France fait moins bien que ses voisins de la zone euro, puisque nous avons un des taux de chômage harmonisés les plus élevés. Notre pays reste un mauvais élève, toujours en queue de peloton, avec le troisième plus fort taux de chômage des 29 pays membres de l'OCDE.

M. Dominique Dord.

Tout à fait !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Malgré une croissance retrouvée, les chômeurs sont à peu près toujours aussi nombreux dans notre pays. Vous ne pouvez les passer par pertes et profits. Nous ne devons négliger aucune piste nous permettant de favoriser la création de nouveaux emplois. Je reste convaincue que l'aménagement-réduction du temps de travail, choisi et négocié, au plus près du terrain, tel que nous l'avions voté dans la loi Robien, peut créer des emplois.

M ais, soyons lucides, ses effets seront toujours modestes et sans commune mesure avec ceux de la baisse importante et stable des taux d'intérêt ou du développement sans précédent de nouveaux services : télécommunications, services informatiques, services financiers. Ainsi, aux Etats-Unis, où l'investissement en informatique augmente de 30 % par an, et la consommation de nouveauxs ervices de 6 % à 7 %, les technologies nouvelles expliquent près de la moitié de la croissance. Cette percée qui démarre en Europe est responsable en 1999 des trois quarts de la croissance française.

La loi du 13 juin 1998 a-t-elle créé des emplois ?

M. François Goulard.

Non !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Le chiffre annoncé de 120 000 emplois créés ou maintenus est très discutable, et, pour reprendre les termes de Marc Blondel, je dirai qu'il a un « côté propagande très irritant ». En effet, comme l'ont souligné certains orateurs, il s'agit à ce jour de promesses d'embauches plus que d'emplois vraiment créés. De plus, le ministère s'approprie les emplois créés ou sauvegardés de la loi Robien et comptabilise les salariés qui sont déjà à 35 heures parce qu'en travail posté.

Il faut également prendre en compte les effets d'aubaine dans les entreprises qui auraient de toute façon créé des emplois et les effets de substitution consistant à transformer des contrats à durée déterminée et d'intérim en emplois définitifs. La définition des emplois sauvés reste très floue : de quoi s'agit-il exactement et quelle est leur durée de survie ? Cette annonce de 120 000 emplois est d'autant plus discutable qu'elle ne prend pas en compte les emplois non créés. Pourtant, c'est une réalité : face à la perspective d'un passage obligatoire à 35 heures en l'an 2000, plus d'entreprises qu'on ne pense ont retardé, voire annulé, leurs projets d'embauches.

Tout indique que le plus dur reste à venir. Les entreprises qui ont déjà signé des accords sont celles qui avaient le plus de facilités pour le faire. Plus le temps va passer, plus les accords se feront sous la contrainte et risqueront d'entraîner des pertes d'emplois.

Enfin, le nombre d'emplois affecté aux 35 heures devrait être comparé non seulement à ceux que l'économie aurait de toute façon engendrés mais aussi à ceux qu'une politique alternative ayant un coût global identique ou inférieur aurait pu favoriser. Je pense bien sûr à une réduction massive des charges sociales et fiscales sans création en contrepartie de nouvelles taxations.

A u-delà de l'affichage et du tapage médiatique, madame la ministre, c'est sans doute parce que vous êtes convaincue, comme la majorité des Français, qu'une réduction du temps de travail autoritaire et généralisée ne créera pas d'emplois...

M. Maxime Gremetz.

Oh !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

... que vous changez de cap et que vous abandonnez toute ambition de créer des emplois dans la loi dont nous entamons la discussion.

« Où est passé l'emploi ? », titrait hier un quotidien.

M. François Goulard.

Très bien !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Notre loi Robien proposait des aides publiques en contrepartie de créations d'emplois.

M. Maxime Gremetz.

C'est la nostalgie !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

La loi du 13 juin 1998, même si c'est dans un esprit totalement différent, encourage aussi financièrement les seules entreprises qui créent ou maintiennent des emplois en même temps qu'elles réduisent leur temps de travail.

Dans la loi que nous discutons, les aides publiques sont subordonnées à la signature d'un accord collectif sur la réduction du temps de travail, mais en aucun cas à la création ou au maintien d'emplois.

De ces derniers, il n'est question qu'une seule fois, à l'article 11, paragraphe 2 bis, où il est simplement écrit que « la convention ou l'accord doit préciser le nombre d'emplois créés ou préservés ».

Vous avez compris que l'enrichissement de la croissance en emplois par l'aménagement-réduction du temps de travail obligatoire était un pari des plus risqués, et vous préférez ne pas l'engager.

Cette loi, en effet, ne créera pas d'emplois, voire sera dangereuse pour l'emploi.

Parce que les négociations s'engagent sur de mauvais rails. Elles mettent en balance, d'un côté, les enjeux positifs et les coûts supplémentaires potentiels, de l'autre les


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efforts de productivité, la modération salariale, l'équilibre travail-temps sociaux et la réduction du temps de travail.

L'emploi supplémentaire n'est, hélas, le plus souvent qu'une résultante très éventuelle, et non un objet intrinsèque de négociation.

Cette loi ne créera pas d'emplois parce que son application au 1er janvier prochain est trop précipitée ; les entreprises n'auront pas le temps de s'organiser et répondront par des heures supplémentaires plutôt que par des emplois.

Les dispositions de la loi sont déjà trop complexes et trop rigides. Attention : plus vous les durcirez et plus vous travaillerez contre l'emploi.

M. Germain Gengenwin.

Tout à fait !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Permettez-moi de citer la réflexion d'un chef d'entreprise employant 120 salariés, une PME française parmi beaucoup d'autres, qui disait il y a quelques jours : « Quand j'envisage la création d'emplois dans mon entreprise, la première question que je me pose n'est pas quels avantages vais-je en retirer mais quels nouveaux emmerds vais-je devoir affronter ! » Parce que le gel des salaires pendant plusieurs années et la disparition de primes vont rendre moins attractifs encore financièrement certains secteurs d'activité où les jeunes qualifiés refusent de s'investir parce qu'ils sont sous-payés.

Parce que les allégements de charges sociales prévus sont une incitation puissante mais insuffisante à la réduction du temps de travail.

En dépit des aides, le coût du travail au niveau du SMIC va augmenter d'environ 5 %. Cette augmentation, qui ne peut pas être compensée systématiquement par des g ains de productivité, entraînera des destructions d'emplois - 200 000 à 300 000 dans les deux ou trois ans à venir, prévoient certains économistes.

A coup sûr, votre projet exclura du marché du travail les salariés les plus fragiles, particulièrement les jeunes et les moins qualifiés, dont le coût du travail, trop élevé, est déjà un frein à l'emploi. Au lieu d'anticiper et de parer à l'aggravation des inégalités, cette loi va les accentuer.

En conclusion, le passage obligatoire aux 35 heures de toutes les entreprises est devenu une démarche totalement idéologique, menée en solitaire par le gouvernement de Lionel Jospin (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), loin de l'emploi, loin des réalités du terrain, sans tenir compte notamment des expériences antérieures.

Serge Pasquier, qui est un pionnier en ce domaine,s ouligne : « Nous avons su apporter des réponses concrètes pour améliorer la vie quotidienne dans l'entreprise, et pourtant nous avons le sentiment que notre expérience de terrain n'a servi à rien ».

Par ailleurs, le contexte socio-démographique aurait gagné à ce que la réduction du temps de travail sur l'année soit couplée avec l'augmentation du nombre d'années de travail destinée à faire face au financement des retraites.

Sans tenir compte des aspirations des salariés qui, en fonction de leur parcours personnel, peuvent désirer travailler davantage ou moins à certaines périodes de leur vie.

Sans tenir compte de la pénurie de personnel qualifié dans des domaines de plus en plus nombreux.

Sans tenir compte de la diversité des entreprises : celles qui n'ont aucune marge en matière de gains de productivité, celles qui peuvent répercuter leurs gains de productivité sur la réduction du temps de travail et celles qui ne le peuvent pas, celles qui ont la capacité de prévoir leur charge de travail et les autres...

Sans tenir compte de la multiplicité et de la diversité des activités, qui sont de moins en moins quantifiables.

Mais nous aurons l'occasion de reparler longuement de toutes ces questions au cours du débat.

Je répète cependant dès à présent que l'emploi me paraît être le plus grand perdant.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Rebillard.

M. Jacques Rebillard.

Madame la ministre, notre groupe tient à vous remercier, ainsi que votre conseiller, Olivier Faure, et le rapporteur, Gaëtan Gorce, pour la disponibilité dont vous avez fait preuve au cours de la préparation de cette loi.

Ce texte sur la réduction négociée du temps de travail vient devant le Parlement au moment où il est reproché à la majorité d'avoir fait état de son impuissance face aux lois du marché. Cette seconde loi vient prouver le contraire, et la manifestation du MEDEF de lundi le confirme.

La majorité ne se résout pas à être ballottée par le marché. Les radicaux de gauche se considèrent comme les défenseurs des salariés, mais aussi des petites et moyennes entreprises, qu'elles soient artisanales, commerciales ou industrielles.

Nous voulons intervenir dans ce débat pour que les améliorations du texte bénéficient aux PME-PMI. Il serait vain dans ce contexte d'opposer les salariés et les entreprises, tant leurs intérêts sont communs.

N'oublions pas que la RNTT va demander un effort supplémentaire aux entreprises alors qu'elles doivent faire face au passage à l'an 2000, à la mise en place de l'euro, à l'intégration de nouvelles normes techniques et environnementales. Tout cela pèse déjà fortement sur leur fonctionnement. Toutes n'ont pas de directeur des ressources humaines pour mettre en application cette loi et développer le dialogue social fructueux qu'elle nécessite.

M. François Goulard.

Voilà un membre de la majorité sensé !

M. Jacques Rebillard.

Il faut faire attention à ne pas trop charger la barque,...

M. Dominique Dord.

Excellent !

M. François Goulard.

Très bien !

M. Jacques Rebillard.

... car cela se retournerait fatalement contre les salariés.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

La différence entre nous et vous, c'est que nous, nous voterons la loi, tandis que vous, vous restez sur le bord du chemin.

(Exclamations et rires sur les mêmes bancs.)

Nous voulons à cette occasion rendre hommage à tous ces hommes et à toutes ces femmes responsables qui se battent chaque jour dans et à la tête de leur entreprise, car ce sont eux qui créent la richesse de la France.

(« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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Agissons pour que la RTT soit naturellement plus avantageuse pour les entreprises et leurs salariés, sans multiplier les contraintes. Nous ne sommes pas favorables à un durcissement de la loi.

(« Bravo ! » sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

En effet, nous constatons que le meilleur allié de ceux qui veulent durcir la loi est le MEDEF.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Très juste !

M. Jacques Rebillard.

Comment ne pas être étonné de la coïncidence entre l'annonce de suppressions d'emplois chez Michelin et la discussion de cette loi devant le Parlement ?

M. Alain Tourret.

Eh oui !

M. Jacques Rebillard.

Si l'on avait voulu durcir la loi, on ne s'y serait pas pris autrement !

M. Alain Tourret.

Eh oui !

M. Jacques Rebillard.

Nous considérons que toutes les entreprises n'ont pas les mêmes intérêts et qu'entre elles la lutte des classes existe.

En durcissant la loi, nous nous rendrions complices du MEDEF, des entreprises les plus importantes et les mieux structurées qui trouveront toujours un moyen de s'adapter.

M. Dominique Dord.

Alors, ne la votez pas !

M. Jacques Rebillard.

De même, nous sommes favorables aux allégements de charges, mais nous attirons sur ce point votre attention, madame la ministre, car il faut être vigilant si l'on ne veut pas que les effets positifs de ces allégements fondent comme neige au soleil. En effet, nous devons nous préoccuper des conséquences des concentrations monopolistiques, comme celle de Carrefour et de Promodès,...

M. Alain Tourret.

Très juste !

M. Jacques Rebillard.

... qui finissent par étrangler tous les fournisseurs au seul profit des grands groupes et de leurs actionnaires.

M. Alain Tourret.

Très juste !

M. Jacques Rebillard.

Les assises de la distribution, voulues par le Premier ministre, sont une excellente initiative. Les grandes centrales d'achat saignent littéralement leurs fournisseurs et il faut que cela cesse. Les charges sociales sont devenues trop lourdes...

M. Arthur Dehaine.

C'est ben vrai, ça ! (Sourires.)

M. Jacques Rebillard.

... parce que la pression à la baisse sur les prix sont devenues trop fortes.

Je vous rappelle aussi que de nombreux parlementaires vous ont saisie de la dégradation très rapide de l'emploi dans les secteurs du textile, de l'habillement et du cuir.

Parmi les solutions avancées, les allégements de charges liés à la RTT ont été proposés et sont censés résoudre une partie des problèmes. Profitons de la présente discussion pour apporter de réelles solutions à ces secteurs industriels encore très présents dans nos circonscriptions.

Ces considérations introductives étant exposées, je m'attacherai à analyser le projet de loi qui nous est soumis.

Nous considérons ce texte comme globalement positif, mais nous voulons l'améliorer sans l'alourdir. Nous avons constaté qu'il n'y était plus fait référence à la condition de créations d'emplois pour bénéficier des allégements de charges,...

M. Dominique Dord.

Vous aussi vous l'avez vu ! Comme Maxime Gremetz !

M. Jacques Rebillard.

... ces allégements étant subordonnés à un accord d'entreprise. Je dirai simplement que, dans les précédentes lois, notamment dans la loi Robien, il y avait une certaine hypocrisie dans la mesure où les accords offensifs et défensifs permettaient d'envisager toutes les hypothèses. S'appuyer en revanche sur des accords d'entreprise, c'est relancer le dialogue social, c'est faire confiance aux partenaires sociaux pour conclure des accords « gagnant-gagnant ». Nous trouvons cela préférable à toutes les autres solutions.

(« Bravo ! » sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Dominique Dord.

Excellent !

M. Jacques Rebillard.

Au cours de la discussion en commission, nous avons déposé une série d'amendements. Nous les défendrons durant ce débat. Ils porteront d'abord sur les très petites entreprises, de trois salariés et moins.

M. Alain Tourret.

Très bien !

M. Jacques Rebillard.

Nous pensons que, en dépit de leur bonne volonté, ces entreprises auront du mal à réduire leurs horaires sans recourir systématiquement aux heures supplémentaires. Des adaptations spécifiques s'imposent donc.

(« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je crois qu'on peut faire partie de la majorité et dire les choses comme elles sont pour faire progresser la discussion.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Dominique Dord.

Cela paraît difficile !

M. Jacques Rebillard.

Ce qui nous différencie, c'est que, en restant dans l'opposition, vous restez sur le bord du chemin.

Il nous semble important que les très petites entreprises soient reconnues. Elles sont nombreuses dans notre pays, sous forme familiale, dans le secteur commercial, et elles peuvent être un support efficace à la création d'entreprise.

Dans le même esprit, nous proposerons une série d'amendements favorables aux entreprises de moins de vingt salariés. Il y a ceux qui soutiennent les petites entreprises et ceux qui, en dépit de leurs paroles, en font moins. Nous voulons permettre à ces entreprises de bénéficier à la fois de l'aide incitative, de l'allégement de charges et de l'appui-conseil, tout en simplifiant les démarches pour y accéder. Afin d'aider celles qui auront du mal à créer des emplois, nous proposerons d'élargir le bénéfice des allégements de charge aux groupements d'employeurs qui mutualiseront les créations.

M. Alain Tourret.

Très bien !

M. Jacques Rebillard.

Nous défendrons un amendement qui encourage le passage à la semaine de quatre jours par un allégement plus substantiel des charges.

Nous pensons que l'organisation du temps de travail sur quatre journées est celle dont les effets sur l'emploi sont les plus forts.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Cela dépend des entreprises !

M. Jacques Rebillard.

Nous proposerons de rendre obligatoire l'intégration d'un volet formation dans les accords d'entreprise. En effet, la formation est l'une des


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conditions nécessaires au maintien de l'avance technologique de nos entreprises. Elle facilite la progression sociale des salariés et améliore leur employabilité en cas de licenciement. Nous pensons qu'une partie de la formation générale peut être prise sur le temps libre, et la formation à l'adaptation à l'outil de travail sur le temps en entreprise.

M. Alain Tourret.

Très bien !

M. Jacques Rebillard.

Profiter de la RTT pour rendre la formation obligatoire dans les entreprises, c'est faire un grand bond en avant, c'est encourager une évolution positive de la société. Reporter cette décision à plus tard, c'est appauvrir le dialogue social.

M. Dominique Dord.

Et voilà !

M. Jacques Rebillard.

La gauche, si attachée à toutes les formes de libération, devrait faire preuve de volontarisme en la matière.

Dans ses propositions, le Centre des jeunes dirigeants d'entreprises appelle cela la « coformation ». Il s'agit du seul mouvement patronal progressiste qui ait eu une attitude vraiment constructive vis-à-vis de cette loi. Je crois que nous devrions nous inspirer de ses propositions.

M. Dominique Dord.

Vous avez lu ce qu'il pense des trente-cinq heures à la page 26 de son rapport ?

M. Jacques Rebillard.

Oui, et c'est pour cela que je me permets d'en parler. Je pense que ces jeunes dirigeants ont été les seuls qui ont eu le courage de souligner les aspects positifs de la loi.

Dans un souci d'aménagement du territoire, nous proposons de conserver les avantages comparatifs des zones d e revitalisation rurale en matière d'allégement de charges.

M. Alain Tourret.

Excellent !

M. Jacques Rebillard.

Nous proposerons aussi un amendement qui garantit que le montant des réductions de charges évoluera parallèlement à celui du SMIC.

Enfin, nous défendrons un dernier amendement qui tend à limiter les conséquences du refus par un salarié d'accepter un accord de réduction du temps de travail, en préférant à celui-ci une indemnité de licenciement plus avantageuse, surtout si le salarié est proche de la retraite.

M. Dominique Dord.

Vous allez voir qu'ils vont voter contre le texte !

M. Jacques Rebillard.

Tous ces amendements n'apporteront aucune contrainte supplémentaire. Mieux : ils offriront une véritable chance de progrès.

Un point devra être encore éclairci durant le débat...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Un seul ?

M. Jacques Rebillard.

C'est celui du double SMIC, qui créera un salariat à double vitesse si nous n'y prenons garde.

Dans les mois qui ont précédé l'examen du texte qui nous est soumis, les radicaux de gauche ont rencontré de nombreuses organisations professionnelles et syndicales.

La plupart d'entre elles sont prêtes à jouer la carte de l'emploi, considérant que chacun doit apporter sa contribution à la lutte contre le chômage. N'oublions pas que les PMI-PME créent des emplois dans notre pays.

M. Dominique Dord.

Très juste !

M. Jacques Rebillard.

Alors, n'alourdissons pas les dispositions de la future loi !

M. Thierry Mariani.

Il ne faut pas la voter !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

M. Rebillard est d'une folle gaieté !

M. Jacques Rebillard.

Permettez-moi, avant de conclure, de citer Jean-Claude Guillebaud qui, dans son livre sur La Refondation du monde, écrit : « Le juridisme optimiste pèche aussi par étourderie. Il semble oublier une logique mille fois vérifiée qui tient en peu de mots : quiconque s'en remet au droit, à lui seul, pour asseoir la cohésion d'une société s'expose à la prolifération de celuici. »

(« Bravo ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Voilà qui condamne la loi que vous allez voter !

M. Jacques Rebillard.

Madame la ministre, nous vous demandons de faire confiance aux partenaires sociaux et d'éviter la prolifération du droit, qui ne peut nous conduire, dans une course irrésistible et désespérée, qu'à l'édiction de règles toujours plus précises et plus insidieuses.

M. Dominique Dord.

Quel plaidoyer !

M. Jacques Rebillard.

Vous l'avez compris, nous voulons mettre la réglementation au bon endroit, mais pas partout. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Les radicaux de gauche voteront ce texte. C'est ce qui les différenciera d'avec vous, messieurs !

M. Dominique Dord.

Il fallait tenir un autre discours !

M. Jacques Rebillard.

Ils voteront ce texte s'il est amélioré sans pour cela être, nous en sommes convaincus, alourdi ni plus contraignant.

M. Robert Lamy.

Vous n'êtes pas logiques !

M. Jacques Rebillard.

Mais d'ores et déjà, madame la ministre, nous considérons que vous avez su, depuis plus de deux années, redonner espoir aux chômeurs,...

M. Alain Tourret.

C'est vrai !

M. Jacques Rebillard.

... rassurer les salariés sur le maintien de leur pouvoir d'achat et donner aux entreprises les moyens, tout en allégeant leurs charges sociales, de se développer dans un environnement économique par une croissance musclée.

M. Alain Tourret.

Bravo !

M. François Goulard.

Ce doit être le cabinet de la ministre qui a écrit ce passage !

M. Jacques Rebillard.

Je pense que vous aurez compris que les radicaux ont le sens de l'équilibre...

M. Thierry Mariani.

Plutôt celui du grand écart !

M. Jacques Rebillard.

... et qu'ils savent progresser avec la majorité qui gouverne ce pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Thierry Mariani.

Qui a écrit la dernière page ? (Riress ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

M. le président.

La parole est à M. Nicolas Forissier.

M. Nicolas Forissier.

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur tous les aspects du débat déjà évoqués avec pertinence par mes collègues de l'opposition, notamment par Dominique Dord et François Goulard et, il y a quelques instants, par Marie-Thérèse Boisseau.

J'insisterai seulement - je tiens à le faire sans esprit de polémique mais avec toute la gravité nécessaire - sur les conséquences très négatives de cette loi sur l'avenir, le développement, la pérennité de nos entreprises, particulièrement de nos PME-PMI et de nos petites entreprises, madame la ministre.

Permettez-moi néanmoins de revenir quelques instants sur la première loi relative aux 35 heures, dont le bilan provisoire, c'est clair, n'est pas bon ; il est, pour tout dire, mauvais.

Les créations d'emplois liées au passage aux 35 heures sont en effet bien en deçà des prévisions qui étaient faites au moment de l'adoption de la loi. Je ne ferai pas le décompte des emplois créés ou préservés, des effets d'aubaine très nombreux, ni de la grande part du secteur public dans le total. Mais une chose est sûre, madame la ministre : alors que vous nous annonciez 600 000 emplois nouveaux en deux ans, vous ne pouvez avouer aujourd'hui que 120 000 emplois créés ou à créer,...

M. Dominique Dord.

C'est bidon !

M. Nicolas Forissier.

... avec toutes les réserves que je viens d'évoquer.

D'ailleurs, le rapport remis avant-hier au Parlement par le ministère de l'économie souligne combien la croissance est le fondement quasi exclusif de la création d'emplois que nous connaissons actuellement.

A vrai dire, madame la ministre, cet échec était programmé : il était inscrit dans l'esprit même de votre texte instituant la réduction du temps de travail obligatoire, avec cette incroyable vision malthusienne qui s'évertue à partager toujours plus la seule richesse existante, alors que l'emploi ne peut naître que de la création de richesses nouvelles.

Tous les acteurs de terrain qui se sont lancés dans l'application des 35 heures peuvent en témoigner. C'est notamment ce que dit le Centre des jeunes dirigeants d'entreprise qui, de façon volontariste, avec un esprit ouvert,...

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Très ouvert !

M. Nicolas Forissier.

... s'est efforcé de mettre en oeuvre les 35 heures sur un échantillon de 500 PME.

Après des mois d'efforts, le bilan que tirent ces jeunes dirigeants est très négatif,...

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Non, ce n'est pas du tout ce qu'ils disent !

M. Nicolas Forissier.

... votre première loi posant des problèmes considérables. Oui, c'est bien ce que l'on peut lire à la page 26 du rapport du Centre des jeunes dirigeants d'entreprise.

C e ne sont pas les subventions qui créent les emplois,...

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Nous sommes d'accord : voyez Michelin !

M. Dominique Dord.

M. Forissier et M. Gremetz ont raison !

M. Nicolas Forissier.

... et encore moins les règlements : c'est la croissance et la liberté d'initiative. Pour créer de l'emploi, il faut donner de l'oxygène aux entrepreneurs...

M. Maxime Gremetz.

... et aux salariés !

M. Nicolas Forissier.

... au lieu de les étouffer dans un carcan imposé d'en haut,...

M. Maxime Gremetz.

Il faudrait vous prendre au mot !

M. Nicolas Forissier.

... uniforme, et méprisant l'extraordinaire multiplicité et la diversité des situations que l'on trouve dans les entreprises.

Madame la ministre, l'un de nos collègues a rappelé hier - je ne résiste pas moi-même à ce plaisir -...

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

N'y résistez pas !

M. Nicolas Forissier.

... les propos que vous aviez tenus au mois de septembre 1991 devant les cinq mille militants du congrès de la CFDT : « La réduction du temps de travail ? Eh bien ! Vous allez être déçus : je ne crois pas qu'une mesure généralisée créerait des emplois. »

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Nicolas Forissier.

Vos propos ont été repris dans une dépêche de l'AFP !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Lisez la totalité de la dépêche si vous êtes de bonne foi !

M. Yves Rome.

C'est de la manipulation !

M. Nicolas Forissier.

Nous vérifierons !

M. Maxime Gremetz.

Vous êtes intellectuellement malhonnête !

M. Nicolas Forissier.

Je veux simplement vous dire que votre déclaration me semblait frappée au coin du bon sens, et je m'étonne que vous ayez abandonné ce bon sens.

La première loi a tout de même eu, au moins pour un temps, un effet positif - c'est une question d'honnêteté que de le reconnaître : je veux parler de la relance du dialogue social.

Les négociations ont en effet permis aux partenaires sociaux de rechercher des solutions pragmatiques, débouchant sur des accords de branche signés entre patronat et syndicats. Ces quelque 117 accords, il faut aujourd'hui les respecter !

M. Maxime Gremetz.

C'est ce qu'a demandé le

MEDEF !

M. Nicolas Forissier.

Ils sont le fruit de la négociation que vous aviez vous-même demandée ! Malheureusement, votre deuxième projet de loi revient sur ce seul point positif en bafouant les négociations conclues entre les partenaires sociaux.

En imposant par la loi un contenu qui ne s'était pas dégagé des négociations, en particulier en ce qui concerne les heures supplémentaires et l'annualisation, le nouveau texte rend caducs les accords de branche, ce qui est grave et ce qui risque de casser durablement le dialogue social.

Permettez-moi de vous dire enfin, et très sincèrement, que l'autosatisfaction dont vous avez fait preuve à cette tribune sur le premier bilan des 35 heures est proprement étonnante. Vous vous prévalez du fait qu'une entreprise sur deux négocie actuellement. Mais c'est parce qu'elles y


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

sont obligées et non parce que votre loi les passionne ! Le propre d'une entreprise, c'est de prévoir, d'anticiper, de s'adapter, en l'occurrence à ce que vous leur imposez !

M. Dominique Dord.

Excellent !

M. François Goulard.

Très juste !

M. Nicolas Forissier.

Toutes les entreprises que j'ai vues ces derniers temps, et j'en connais beaucoup,...

M. Yves Rome.

On ne fréquente pas les mêmes !

M. Nicolas Forissier.

... et qui ont mis en oeuvre les 35 heures, toutes sans exception l'ont fait pour anticiper en saisissant l'effet d'aubaine des subventions, afin de limiter la casse, de réduire les coûts inévitables de cetter éforme imposée, en intégrant des emplois qu'elles devaient de toute façon créer du fait de la croissance de leur activité. Et encore cela ne concerne-t-il, comme l'a rappelé François Goulard, que 2 % des entreprises françaises, ce qui augure mal de la suite.

Toutes les entreprises, ou presque, qui le voulaient ou qui le pouvaient ont anticipé et mis en oeuvre les 35 heures, ce qui ne fait pas beaucoup. Que va-t-il se passer maintenant pour les autres, et avant tout pour les PME-PMI et les petites entreprises ? Ce ne sont pas les grandes entreprises qui auront le plus de difficultés, mais les PME et les TPE. A cet égard, je rejoins, dans un esprit très ouvert, ce qu'a dit le collègue qui m'a précédé à cette tribune.

M. Yves Rome.

Alors, vous voterez avec nous l'amendement qu'il a défendu ! Nous sommes rassurés !

M. Nicolas Forissier.

Les PME et les TPE constituent l'essentiel de notre tissu économique et le seul vrai gisement d'emplois. Chacun le sait ! Qu'on le veuille ou non, malgré les aides et quoi qu'il arrive, le passage aux 35 heures engendre automatiquement pour l'entreprise un surcoût qu'il lui faudra bien assumer d'une façon ou d'une autre.

M. Arthur Dehaine.

C'est une perte !

M. Nicolas Forissier.

Je voudrais prendre, pour être concret, l'exemple d'une entreprise industrielle que je connais très bien. Cette entreprise emploie quinze per-s onnes. L'horaire collectif conventionnel étant de 169 heures, la production perdue s'évalue en moyenne à dix-huit heures par mois et par salarié. Afin de maintenir le niveau de production, il faut donc reconstituer un potentiel de main-d'oeuvre manquante évalué à 231 heures par mois, ce qui représente un coût annuel de plus de 220 000 francs. Certes, les aides proratisées, en fonction des niveaux de salaire, compenseront en partie ce coût, m ais seulement à hauteur d'un peu plus de 103 000 francs, et s'il y a accord d'entreprise, ce qui n'est pas toujours évident.

Le coût net des 35 heures pour cette entreprise s'élève donc à 116 500 francs, somme qu'il lui faut bien sûr supporter et qui correspond aux deux tiers de son bénéfice net après impôt. Son autofinancement futur sera en conséquence imputé d'autant.

M. Dominique Dord.

Et voilà !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Quelle gabegie !

M. Nicolas Forissier.

Cette PME ne peut répercuter ce surcoût sur les prix de vente, sous peine de voir ses clients se tourner vers la concurrence, ni le répercuter sur ses fournisseurs, car sa taille modeste ne lui permet pas de négocier une diminution de prix. Elle embauchera une ou deux personnes, mais en supprimant les heures supplémentaires au détriment des salariés et en finançant l'essentiel du coût des 35 heures par des gains de productivité.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Et les chômeurs ?

M. Nicolas Forissier.

Ce faisant - et c'est un point capital, madame la ministre -,...

M. Bernard Outin.

« Capital » est le mot !

M. Nicolas Forissier.

... elle perd toute marge de manoeuvre, tant il est vrai que les gains de productivité sont la principale variable d'ajustement dans la plupart des entreprises pour réagir sur les prix face à la concurrence.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Bien sûr !

M. Nicolas Forissier.

Quand on sait qu'il n'est pas toujours possible dans nombre d'entreprises de réaliser des gains de productivité, on ne peut qu'être persuadé que votre loi mettra nombre d'entreprises en péril et créera entre elles une profonde inégalité.

C'est donc la compétitivité de l'entreprise qui est en danger,...

M. François Goulard.

C'est vrai !

M. Nicolas Forissier.

... notamment face à la concurrence internationale, et en particulier au sein de l'Union européenne. Car l'Union européenne et la concurrence internationale sont une réalité incontournable pour les PME et nombre de TPE aujourd'hui, et pas seulement pour les grandes entreprises. Cela souligne d'ailleurs l'absurdité de cette loi, que nous sommes les seuls à mettre en oeuvre, au mépris de ce qui se joue chez nos voisins. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.) Cet affaiblissement grave de la compétitivité de nos PME, madame la ministre, mes chers collègues, jouera mécaniquement et inévitablement contre l'emploi.

Reprenons l'exemple de l'entreprise dont j'ai parlé à l'instant : cette entreprise peut aussi choisir de ne pas créer d'emplois supplémentaires et tenter de maintenir sa production en augmentant les cadences, en réduisant les temps de pause et les frais, en gelant les salaires, en supprimant les primes.

Tout cela, qui se retournera contre les salariés, nuira aussi à l'ambiance dans les entreprises,...

M. Dominique Dord.

C'est ce qu'ils ne veulent pas comprendre !

M. Nicolas Forissier.

... notamment dans les petites.

Cela nuira également à la qualité des produits, et donc au développement des entreprises concernées.

Toujours concrètement, chacun sait que la réduction obligatoire du temps de travail implique une réorganisation complète de l'entreprise. Or pour une PME, où le personnel n'est pas interchangeable et où il est difficile de pourvoir à son remplacement, la loi qui nous est présentée dans toute sa complexité est, du fait de toutes ses rigidités, le plus souvent impraticable. Elle ne tient compte ni de la réalité ni de la diversité des entreprises.

Dans l'entreprise que j'ai prise pour exemple, le passage aux 35 heures entraîne une réduction du potentiel de main-d'oeuvre évaluée à 231 heures manquantes par


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

mois. Reconstituer ce potentiel de main-d'oeuvre suppose la création d'un poste et demi. Mais les salariés qui y travaillent font en fait près de dix métiers différents ! Je ne connais pas de salarié polyvalent qui pourra compenser les quatre heures perdues chaque semaine par quinze salariés qui font dix métiers différents. Cela me semble relever du plus élémentaire bons sens, et il faudrait le reconnaître.

Dans nombre de secteurs, notamment dans ceux où la concurrence est vive, les groupements d'employeurs, que l'on a évoqués ici à plusieurs reprises, sont illusoires, si bien que cette entreprise est dans une impasse.

J'ai cherché, mes chers collègues, à partir de cet exemple concret, que l'on pourrait multiplier à l'envi tant la diversité des PME et des TPE est grande, à vous montrer que le projet de loi conduira les PME françaises à de grandes difficultés et à un affaiblissement réel et profond face à la concurrence étrangère, sans que l'emploi en bénéficie, car celui-ci ne se décrète pas et, surtout, ne naî t pas de l'étouffement.

La plupart des entreprises, quelle que soit leur taille, chercheront d'abord à absorber le coût supplémentaire du travail qui leur sera imposé, et cela au détriment des salariés et, forcément, au détriment de l'emploi.

Tout le monde aspire à plus de temps libre, mais les salariés savent bien, autant que les chefs d'entreprise, que l'on ne gagne pas plus en travaillant moins, que leur entreprise doit se battre sur tous les fronts pour vivre et se développer. Ils savent, dans leurs PME, que les 35 heures se répercutent sur la compétitivité de leur entreprise et, finalement, sur eux-mêmes.

Je voudrais ici prendre date, mes chers collègues, solennellement et sans esprit de polémique.

Je crois en effet sincèrement que cette loi, qui impose autoritairement la réduction du temps de travail, sera un désastre pour des milliers de PME ou de petites entreprises artisanales, commerciales qui, comme on se plaît à le répéter, mais sans en tirer malheureusement toutes les conséquences, sont les principaux gisements d'emplois dans notre pays.

Je prends date parce que cette loi, à l'opposé de son objectif déclaré, sera en définitive destructrice d'emplois dans toutes ces PME, qui ne disposeront ni du temps ni de la souplesse nécessaires à la réorganisation du temps de travail.

Je prends date pour tous les dirigeants d'entreprise, mais aussi pour tous les salariés. Car ils sont dans le même bateau. L'entreprise, ce n'est pas une entité abstraite, lointaine, c'est une équipe avec un capitaine et des joueurs qui ont tous un rôle.

M. Dominique Dord.

Très bien !

M. Nicolas Forissier.

Aussi, avant qu'il ne soit trop tard, j'aimerais vous soumettre quelques propositions visant à sauver ce qui peut encore l'être pour les PME.

Ces propositions permettraient à tout le moins de faire mieux fonctionner la loi qui va malheureusement être votée. Elles sont le fruit de l'expérimentation des chefs d'entreprise qui ont souhaité appliquer les 35 heures, et elles tendent toutes à introduire, dans le dispositif rigide de la loi, un peu plus de souplesse pour les PME.

Il faut en effet bien faire la différence entre les grandes entreprises qui ont les moyens financiers et humains de passer aux 35 heures et les PME ou les TPE.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

C'est totalement différent !

M. Nicolas Forissier.

Il n'y en a pas deux identiques, et chacune doit pouvoir aménager le temps de travail selon ses spécificités.

C'est pourquoi je propose, tout d'abord, d'accorder aux PME une période de transition d'au moins deux ans pour procéder à leur nécessaire réorganisation globale.

M. Arthur Dehaine.

Très bien !

M. Nicolas Forissier.

Ensuite, il faut élargir les possibilités d'aménagement du temps de travail, notamment en ouvrant la mécanique de l'annualisation sur la base du volontariat, à toutes les PME, même sans qu'il y ait eu, au préalable, d'accord d'entreprise. L'ensemble des entreprises qui le voudraient pourraient ainsi calculer les 35 heures en moyenne annuelle, dans une fourchette de 31 à 39 heures par semaine.

Troisièmement, les entreprises doivent pouvoir disposer d'un contingent d'heures supplémentaires suffisamment important - jusqu'à 200 heures - et la majoration du coût de salaire dû pour les quatre heures supplémentaires au-delà des 35 heures doit être encore abaissée.

Quatrièmement, il faut élargir le mécanisme du nouvel allègement - que je salue - de cotisations patronales de sécurité sociale qui, pour l'instant, est conditionné aux 35 heures hebdomadaires ou aux 1 600 heures annuelles, et à un accord. L'allègement des charges sociales patronales est un problème global qui ne peut être résolu par des mesures sélectives. Son caractère général est une des conditions de sa réelle efficacité.

Je voudrais enfin insister sur l'absolue nécessité de respecter les accords de branche conclus depuis la loi du 13 juin 1998, qui prennent en compte les contraintes spécifiques de chaque secteur. De même, les accords signés dans les enteprises doivent continuer de produire leurs effets.

Mes chers collègues, je crois que nous sommes tous favorables à l'aménagement du temps de travail. Mais cet aménagement ne peut se faire que de manière pragmatique, sur la base de la liberté et du contrat d'entreprise, sur la base d'un pacte entre employeurs et salariés.

Patrons et salariés doivent se mettre à la place les uns des autres. Par le dialogue social, ils doivent parvenir à des accords qui respectent la spécificité de l'entreprise.

M. Yves Rome.

Que les salariés prennent la place des patrons, c'est une excellente idée !

M. Nicolas Forissier.

Mais oui, écoutez les idées de l'opposition ! Elles sont aussi bonnes, et peuvent au moins améliorer ce texte.

M. le président.

Mon cher collègue, vous en avez terminé avec votre temps de parole !

M. Nicolas Forissier.

Je conclus, monsieur le président.

Le texte étudié ici privilégie une démarche totalement inverse, celle de l'autoritarisme et du dogmatisme, celle du carcan de la réglementation.

M. Yves Rome.

Des mots, des mots !

M. Nicolas Forissier.

Dans un esprit constructif - je crois que j'ai essayé de l'être -, la majorité et le Gouvernement pourraient...

M. Yves Rome.

Vous avez essayé, mais on ne l'a pas senti !

M. Nicolas Forissier.

J'ai essayé de l'être, je crois que c'est clair. La majorité et le Gouvernement, sur la base de l'expérience des chefs d'entreprise, pourraient écouter le


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

message qui vient du terrain et qui consiste simplement à demander un peu plus de souplesse pour que ce texte ne soit pas trop désastreux.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Gérard Lindeperg, pour cinq minutes.

M. Gérard Lindeperg.

Madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, chers collègues, je souhaite centrer mon propos sur les problèmes posés par l'articulation entre la formation professionnelle et la réduction du temps de travail.

M. Germain Gengenwin.

Très bon sujet !

M. Gérard Lindeperg.

Vous allez être très content, cher collègue ! Ce sujet important a pourtant été jusqu'ici très peu abordé.

Il faut tout d'abord rappeler que la loi de juin 1998 ne contient pas de dispositions visant à modifier le droit de la formation professionnelle en vigueur. Toutefois, la formation professionnelle est mentionnée à l'article 13 relatif au bilan d'application de la loi : « Celui-ci devra rendre compte de la place prise par la formation professionnelle dans la négociation. »

Autant une réforme de la formation professionnelle n'a pas sa place dans une loi consacrée à la réduction du temps de travail et à l'emploi, autant la formation professionnelle ne peut être passée sous silence puisque cette question a été débattue par les partenaires sociaux.

Il nous faut donc tirer les leçons des négociations qui se sont déroulées depuis le vote de la première loi pour donner aux négociateurs des repères leur permettant de poursuivre leur action dans la sécurité juridique, sans pour autant interférer avec la réforme de la formation professionnelle en préparation.

Quelles sont ces leçons ? Les accords qui abordent la formation - environ 20 % des accords d'entreprise et la moitié des accords de branche - sont souvent des « accords de gestion ». Ils fixent les objectifs et des priorités à cadre juridique inchangé : développement de la polyvalence en lien avec les nouvelles organisations du travail, amélioration de la qualification, formation des nouveaux embauchés. Si ces accords ne posent pas de problèmes juridiques, il n'en va pas de même des clauses relatives aux co-investissements.

Le développement des formules de co-investissement amène en effet les signataires à réflechir sur les responsabilités respectives du salarié et de l'employeur dans l'acte de formation.

De nombreux accords posent le principe d'une « responsabilité partagée » ou « conjointe » en matière de formation, en précisant qu'il appartient au salarié de mainten ir son « employabilité ». Le co-investissement en formation est une des modalités de ce partage des responsabilités et l'utilisation du compte-épargne temps pour la formation est abordée dans plusieurs accords de branches et d'entreprises.

C'est bien entendu autour du co-investissement que surgissent quatre séries de questions.

Premièrement, le temps de formation est-il ou non du temps de travail effectif et dans quel cas ? Deuxièmement, l'employeur peut-il ou non mettre à la charge du salarié la responsabilité de sa propre « employabilité » ? Dans quelles conditions ? Troisièmement, à quel niveau faut-il négocier les règles du co-investissement : l'entreprise, la branche, le niveau national interprofessionnel ? Quatrièmement, si l'on admet que la formation peut se dérouler pour partie hors du temps de travail, avec l'accord formel du salarié, quelle est alors sa situation juridique ? L'article 10, tel qu'il est rédigé, est trop ambigu. Il prête à interprétation et à contentieux. Il nous faut donc trouver une rédaction qui distingue plus nettement ce qui est négociable de ce qui ne l'est pas et c'est pourquoi je serai conduit à proposer un amendement le moment venu.

Selon moi, n'est pas négociable l'obligation pour l'employeur d'adapter les salariés à l'évolution de leur emploi. N'est pas négociable, dans ce contexte, l'assimilation de la formation à du travail effectif.

Sur ce socle, et dès lors que nous sommes d'accord sur ces deux points, la négociation a vocation à se déployer au niveau des entreprises et des branches dès lors qu'elle s'inscrit dans un cadre fixé par la négociation nationale interprofessionnelle.

Pour conclure, il nous faut à la fois faire preuve de rigueur et de souplesse. De rigueur en formalisant l'adhésion du salarié par un accord écrit et en respectant l'obligation de l'employeur. De souplesse en donnant trois ans aux partenaires sociaux pour fixer une règle du jeu dans le cadre d'un accord national interprofessionnel.

Il appartient en effet aux partenaires sociaux de fixer la doctrine du co-investissement que la future loi sur la formation professionnelle pourra, le cas échéant, consacrer.

Pour résumer d'une phrase, je dirai que la réduction du temps de travail ne doit pas conduire à une remise en cause des droits acquis depuis 1971. Bien au contraire, elle doit constituer un point d'appui pour donner un nouvel élan à la formation professionnelle dans le respect des droits des salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert,)

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Très bien !

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Catala, pour dix minutes.

Mme Nicole Catala.

Madame la ministe, avec ce texte, vous allez faire faire à notre pays un saut dans l'inconnu,...

M. Arthur Dehaine.

Un saut sans élastique !

Mme Nicole Catala.

... car aujourd'hui on ne peut pas a pprécier les conséquences économiques, sociales, humaines que votre réforme entraînera. Certaines entreprises s'adapteront, d'autres disparaîtront.

Certains salariés vivront mieux ; d'autres, dont les horaires de travail seront décalés ou fragmentés, plus mal.

Et nul ne sait aujourd'hui, pas plus vous que moi, si les avantages de la loi l'emporteront sur ses conséquences néfastes.

M. Alain Cousin.

Absolument !

Mme Nicole Catala.

Mais puisque c'est au nom de l'emploi que vous voulez ainsi faire accomplir à notre pays un saut dans l'inconnu, c'est sous cet angle que je souhaite d'abord apprécier la réforme que vous engagez.

Comme je l'ai déjà dit en première lecture, ce projet constitue à mes yeux un contresens économique. En vou-


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lant faire de la réduction autoritaire et générale du temps de travail un instrument de la politique de l'emploi, vous faites fausse route. Vous avez une vue inexacte des choses.

En effet, faire d'une mesure qui est généralement le résultat du progrès économique et technique un facteur d'amélioration de l'emploi revient à opérer un renversement de perspective que je crois erroné et que vous ne pouvez donc pas accomplir utilement.

Les chiffres que vous avez cités à propos des créations d'emplois que vous escomptez ne modifient pas ma conviction, qu'il s'agisse de ceux que vous avez annoncés au printemps ou de ceux que vous avez indiqués plus récemment. Car dans les données que vous nous fournissez, il y a une forte proportion d'emplois créés dans les entreprises publiques sur l'invitation du Gouvernement et une proportion non moins négligeable d'emplois préservés par l'effet de plans sociaux dans lesquels la réduction du temps de travail n'est qu'un paramètre parmi d'autres.

Il en résulte que sur l'ensemble des emplois que vous espérez voir créer, 60 % seulement pourront l'être dans le secteur marchand sur les deux ans qui couvrent, si j'ai bien compris, les années 1999 et 2000.

Si on compare ces 60 000 ou 80 000 emplois qui pourraient être créés dans le secteur marchand aux 500 000 ou 550 000 emplois qu'a créés, sur les deux années qui s'achèvent, la seule croissance, vous avouerez que c'est un résultat relativement modeste ! Et un résultat dont je ne suis pas sûre qu'il sera atteint ; car sur ces 60 000 ou 80 000 emplois, beaucoup doivent résulter d'accords professionnels, d'accords de branche, dont l'équilibre se trouve compromis par le texte que vous nous demandez d'adopter et qui, peut-être, ne seront pas appliqués.

Donc, je ne suis pas du tout convaincue par les chiffres que vous avez annoncés. Il faut, en tout cas, les mettre en regard de l'amélioration de l'emploi qui résulte de la seule croissance.

Pour parvenir à ces 80 000 postes, hypothèse optimiste, vous allez consacrer au financement du dispositif non seulement le montant de la ristourne dégressive, soit 40 milliards de francs, mais encore, l'année prochaine, 7 à 8 milliards de francs pour élargir l'allègement des cotisations sur les bas salaires et 40 milliards de francs pour atténuer l'impact des 35 heures sur les entreprises : en tout, en régime de croisière, une centaine de milliards de francs sera affectée au financement des 35 heures.

Alors, madame la ministre, ma proposition est très simple. Si vous voulez vraiment que ce pays connaisse un essor rapide, voire spectaculaire de l'emploi, ne réduisez pas la semaine de travail à 35 heures. Laissez-la à 39, abaissez-là éventuellement à 38 si vous voulez faire un geste social...

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Yves Rome.

Voilà le social : une heure !

M. Gérard Terrier.

Oh, c'est incroyable !

Mme Nicole Catala.

Nous le comprendrions sans peine. Mais affectez...

M. Bernard Outin.

On est comblé !

Mme Nicole Catala.

On ne sait jamais !

M. Gérard Terrier.

Mais ce n'est pas du marchandage !

Mme Nicole Catala.

Malgré les hurlements, pourrais-je profiter d'un instant d'attention ?

M. Bernard Accoyer.

Laissez parler Mme Catala ! C'est la voix de la sagesse !

Mme Nicole Catala.

Affectez ces 100 milliards de francs à l'allègement des cotisations sociales sur les salaires...

M. Maxime Gremetz.

Encore ?

Mme Nicole Catala.

Allez à deux fois le SMIC, allez au-delà de deux fois le SMIC...

M. Maxime Gremetz.

Encore ?

Mme Nicole Catala.

Oui, encore ! Car vous savez bien, monsieur Gremetz, que c'est de cette façon que nous améliorerons la situation de l'emploi.

M. Michel Hunault.

Mme Cathala a raison !

Mme Nicole Catala.

Nous obtiendrions alors, j'en suis convaincue, bien plus de 80 000 créations d'emploi !

M. Bernard Accoyer.

Tout à fait !

M. Yves Rome.

Que ne l'avez-vous fait ?

Mme Nicole Catala.

Je regrette de préciser que ce dispositif de ristourne dégressive remonte au gouvernement de 1994, c'est-à-dire au gouvernement de M. Balladur...

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est vrai !

Mme Nicole Catala.

... et qu'il a été poursuivi par le gouvernement de M. Juppé.

La vérité économique, madame la ministre, est là.

Je ne méconnais pas, monsieur Gremetz, que la réduction du temps de travail, c'est aussi et doit être l'une des manifestations du progrès social (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Mais là, nous sommes en présence d'un résultat : le résultat d'une conjonction de la croissance et des progrès techniques. Ce résultat, il appartient aux partenaires sociaux de le mettre en musique, d'apprécier ce qu'il est possible de faire à un moment donné...

M. Gérard Terrier.

Encore faut-il qu'ils le veuillent !

Mme Nicole Catala.

... et de réaliser les arbitrages qui, depuis plus d'un siècle, ont permis au monde du travail de bénéficier à la fois d'une amélioration du pouvoir d'achat et d'une réduction du temps de travail.

M. Gérard Terrier.

Convainquez le MEDEF !

Mme Nicole Catala.

Avec le texte actuel, le Gouvernement et sa majorité imposent aux salariés la réduction du temps de travail et leur retirent la possibilité d'obtenir dans les mois et années qui viennent une amélioration de leur pouvoir d'achat. C'est un choix autoritaire. Vous retranchez, vous retirez aux partenaires sociaux ce qui a toujours été dans leur rôle. Or, je le répète, depuis plus d'un siècle, ce sont eux qui ont réalisé ou proposé aux pouvoirs publics cette répartition des fruits de la croissance entre salaires et diminution du temps de travail...

M. Maxime Gremetz.

C'est un droit qu'ils avaient acquis dans la rue !

Mme Nicole Catala.

Je le répète, nous sommes en présence d'un choix autoritaire et je pense que beaucoup, parmi les salariés, ne l'approuveront pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Votre méthode, madame la ministre, a encore d'autres inconvénients dans la mesure où elle met en cause des notions fondamentales dans les relations du travail.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

Je n'en prendrai que deux exemples, à commencer par celui du SMIC. Vous ne pourrez pas protester puisque, à gauche, vous vous interrogez aussi beaucoup sur le devenir du SMIC.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Pas dans le même sens que vous !

Mme Nicole Catala.

Pourquoi pas dans le même sens ? Vous n'en savez rien !

M. Yves Rome.

On s'en doute !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous voulez augmenter le SMIC de 11,4 % ?

Mme Nicole Catala.

Moi, je suis...

M. Bernard Outin.

Pour l'augmentation généralisée des salaires !

Mme Nicole Catala.

Permettez-moi de m'exprimer ! Je ne sais pas pourquoi vous avez refusé le SMIC mensuel.

Je vous le demanderai, et vous nous le direz peut-être.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ah oui !

Mme Nicole Catala.

Vous avez reparlé hier du SMIC horaire, et non d'une rémunération mensuelle.

Ce texte porte atteinte de manière évidente à l'égalité des salariés devant le SMIC. Je prends l'exemple d'une entreprise qui passe de 39 à 35 heures et dont les salariés, qui vont ainsi connaître une réduction d'horaires, bénéficieront toujours de la rémunération mensuelle garantie c'est la moindre des choses ! Les personnes qui seront embauchées dans cette entreprise à 35 heures bénéficieront aussi, vous l'avez indiqué, de la même rémunération mensuelle garantie. On peut dire, indirectement, ce n'est pas indéfendable, que le SMIC horaire se trouvera augmenté de 11 %.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

A travail égal, salaire égal !

Mme Nicole Catala.

Mais ce ne sera pas vrai pour les salariés qui seront embauchés dans une entreprise nouvellement créée, à 35 heures. Ceux-là n'auront que le salaire horaire multiplié par le temps de leur travail.

M. Alain Cousin.

C'est le bon sens !

Mme Nicole Catala.

Nous aurons donc deux catégories de salariés : ceux qui seront embauchés à 35 heures dans une entreprise qui est descendue de 39 à 35 heures ; ceux qui seront embauchés dans une autre entreprise. Le principe d'égalité n'y trouve pas son compte.

Vous nous aviez dit, lors de la première lecture, que vous résoudriez le problème du SMIC. Pour ma part, je pense qu'il n'est pas résolu.

Je terminerai, monsieur le président, par le régime applicable en cas de cessation du contrat de travail dû au refus du salarié d'accepter une modification de son contrat à la suite d'une réduction d'horaire.

Vous avez imaginé un système hybride, dans lequel les règles applicables ne seront pas les mêmes selon que la cessation du contrat sera l'une des conséquences d'une modification réalisée par un contrat majoritaire dans l'entreprise ou qu'il ne le sera pas. Dans la première hypothèse, le licenciement sera soumis au régime des licenciements économiques mais on ne sait pas si toutes les règles du licenciement économique s'appliqueront. Par certains aspects, il s'agit aussi d'un licenciement personnel. Où en sommes-nous donc ? Nous introduisons une notion inconnue, un licenciement du troisième type, dont j'ignore quel sera exactement le régime et ses conséquences sur le droit des licenciements.

Ces quelques réflexions sont hâtivement formulées. Il reste que je suis absolument convaincue que vous faites fausse route, madame la ministre.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

J'avais compris, madame !

Mme Nicole Catala.

Le dispositif que je vous ai proposé serait bien plus efficace en termes d'emplois et ne vous entraînerait pas à retirer aux partenaires sociaux une grande partie du rôle qui a été traditionnellement le leur jusqu'ici. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Merci, madame Catala, de m'avoir évité d'avoir à rappeler le respect du temps de parole. Il est vrai que vous connaissez la tâche ingrate qui est la nôtre ! La parole est M. Patrick Malavieille.

M. Patrick Malavieille.

Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, depuis hier, beaucoup de nos collègues ont rappelé combien la réduction du temps de travail était un enjeu majeur de civilisation et de société. La formation professionnelle, quant à elle, est appelée à relever de grands défis afin de faire face à l'évo lution de la situation de l'emploi et de l'économie.

La France, par l'accord interprofessionnel de juillet 1970 et la loi de 1971, avait innové en matière de formation professionnelle, se plaçant de ce fait au premier rang européen. Près de trente années ont passé, et les grandes ambitions qui avaient motivé la loi de 1971 se sont, avec le temps, quelque peu essoufflées. Aussi le Gouvernement a-t-il pris l'engagement de soumettre au Parlement, après le débat sur les 35 heures, un projet de loi relatif à la formation professionnelle. Mme Nicole Pery a confirmé ce projet et ordonné différents rapports et enquêtes.

Ces enquêtes ont révélé d'importantes inégalités, une efficacité insuffisante sur la promotion sociale et un manque de certification des acquis.

Tout d'abord les inégalités. Elles sont flagrantes. Sur 14 millions de salariés, un tiers seulement accède à une formation de 40 heures environ chaque année. On constate une quasi-exclusion des ouvriers non qualifiés des PME de dix à dix-neuf salariés puisque leur taux d'accès est de 2,5 %, tandis que pour les femmes à temps partiel la discrimination est encore plus forte - près de 18 % d'écart avec les hommes et un taux d'accès de 8,5 %. Selon la taille de l'entreprise, la catégorie sociale, la branche professionnelle ou le sexe, il se manifeste d'importantes inégalités qui réduisent le droit à la formation à une probabilité très limitée et déterminée, principalement et trop souvent, par le chef d'entreprise.

Dans ce contexte, le groupe communiste, conscient et convaincu qu'il s'agit là d'un enjeu fondamental, et afin de participer à la réflexion, a travaillé à l'élaboration d'une proposition de loi relative au droit et à la formation professionnelle tout au long de la vie active. Ce projet est d'ailleurs le fruit d'une collaboration avec de nombreux acteurs intéressés par leur implication et leurs compétences sur ce sujet. Le débat se poursuit afin d'affiner et d'améliorer les travaux commencés.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

Notre projet s'inscrit dans la volonté de mise en place d'un plan « sécurité, emploi, formation ». Les grandes lignes de ces travaux sont étroitement liées avec le projet de loi sur la réduction du temps de travail.

Ces trois aspects sont indissociables pour donner toute sa dimension à la formation professionnelle. Nos grands objectifs tiennent compte aussi des défis qui sont posés et des insuffisances constatées.

La formation professionnelle doit répondre à la nécessité d'élever le niveau de compétence et de qualification.

C'est un facteur décisif dans la compétition économique et pour l'amélioration de la productivité. L'intérêt géné ral fait que nous sommes tous intéressés. Aussi serait-il injuste et néfaste que la formation professionnelle ne satisfasse que la rentabilité financière et les objectifs, à court terme, des actionnaires.

Pour ces raisons, on ne peut imposer aux salariés la responsabilité de leur employabilité. L'Etat, les régions, les représentants des employeurs et des salariés doivents'associer pour établir des plans de formation qui répondent à l'intérêt général.

Les inégalités doivent être combattues, tant pour tenir c ompte des différences entre catégories de salariés - femmes, jeunes, non diplômés - que pour les entreprises. La création d'un fonds de mutualisation serait de ce point de vue de nature à élargir l'accès à la formation professionnelle dans les PME.

La reconnaissance d'un droit individuel à la formation doit être reconnu au même titre que le droit au logement, le droit à la santé ou le droit à l'éducation.

M. Maxime Gremetz.

Tout à fait !

M. Patrick Malavieille.

C'est une des conditions qui permettrait de donner aux précaires et aux demandeurs d'emploi l'accès à la formation professionnelle continue tout au long de la vie.

Or, les objectifs du secrétariat d'Etat à la formation professionnelle et ceux que nous nous sommes fixés au g roupe communiste seraient mis en difficulté par l'article 10 du projet de loi sur la réduction du temps de travail, du fait, d'une part, du co-investissement, qui exclut une partie du temps de formation du temps de travail effectif ; d'autre part, de la distinction qui est faite entre formation d'adaptation et formation pour le développement professionnel ou personnel du salarié.

Avec nos collègues des Verts et du Mouvement des citoyens, nous avons donc déposé en commun un amendement visant à supprimer cet article.

Nous proposerons également des amendements de substitution qui visent à créer un chapitre intitulé :

« Sécurité emploi-formation ». Dans ce chapitre, le Gouvernement s'engagerait à présenter, au plus tard le 1er janvier 2001, un projet de loi de programmation destiné à garantir la sécurité de l'emploi et une formation pour tous. D'autres dispositifs seront proposés qui visent à prévoir, dans le plan de formation, les embauches nécessaires, l'abaissement du temps et de la charge de travail indispensables pour permettre la formation.

Cela implique également une nouvelle organisation du travail avec des droits nouveaux pour les salariés, gage selon nous d'une grande efficacité économique et sociale.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les ministres, notre objectif est bien d'affirmer avec force l'importance de la formation professionnelle à l'intérieur du projet de loi sur les 35 heures. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Méhaignerie.

M. Pierre Méhaignerie.

Madame la ministre, je voudrais ne pas revenir sur tout ce qui a été déjà dit cet après-midi. L'initiative des 35 heures est née dans un contexte électoral et dans une période de faible croissance, avec un niveau de chômage toujours plus élevé.

Lorsque cette loi jouera à plein, c'est-à-dire en 2003-2004, sera-t-elle encore adaptée à la situation de la France ? Je ne le crois pas tant les goulets d'étranglement sont déjà néfastes aujourd'hui pour trouver des salariés dans des secteurs comme la restauration, les industries agricoles et alimentaires, le bâtiment et les travaux publics.

Vous me répondrez que les 35 heures vont rendre les emplois plus attirants.

Mais, écoutez les salariés. Ce qu'ils souhaitent, c'est d'abord un pouvoir d'achat.

M. François Rochebloine.

C'est sûr !

M. Maxime Gremetz.

Ils veulent les deux ! Ce n'est pas vous qui travaillez à l'usine !

M. Pierre Méhaignerie.

Mais ils peuvent aussi avoir - comme cela s'est passé dans certains pays - ni l'un ni l'autre !

M. Maxime Gremetz.

Oh ! Il y avait longtemps qu'on ne vous avait pas vu et vous ne vous êtes pas amélioré !

M. Pierre Méhaignerie.

Des dizaines de millions de personnes ont vécu cette réalité.

M. Maxime Gremetz.

Vous tombez bien bas !

M. Pierre Méhaignerie.

Cette loi a-t-elle un sens dans les zones où le taux de chômage est à moins de 6 % - il y en a en France ? Je ne le crois pas parce que la difficulté aujourd'hui réside d'abord dans le fait de trouver de la main-d'oeuvre tant le problème de « l'employabilité » se pose avec acuité en France.

Si cette loi est inadaptée à la situation de l'emploi en 2002-2003, elle est aussi inadaptée à la diversité des attentes des salariés. Nombre de salariés ne souhaitent pas la flexibilité et le travail le samedi, d'autres souhaitent d'abord que la priorité soit donnée au pouvoir d'achat.

Or ils vont perdre des heures supplémentaires ou voir leurs salaires stagner.

Face à cette double inadaptation, on pouvait apporter une autre réponse à l'attente des salariés : que les 60 milliards induits par la croissance aillent prioritairement à l'allégement des charges sur les bas salaires.

M. Germain Gengenwin.

Eh oui !

M. Pierre Méhaignerie.

En France, 4 ou 5 millions de salariés à revenus modestes n'ont pas le sentiment d'appartenir à la classe moyenne. La véritable attente était là.

Nous pensions que les fruits de la croissance pouvaient aller, madame la ministre, à la franchise des cotisations sociales sur les 3 000 premiers francs. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ah !

M. Pierre Méhaignerie.

Notre situation, par des accords de branche et des minima de branches, se rapprocherait ainsi de celle de nos voisins, Pays-Bas, Allemagne, où le niveau des salaires dans l'industrie, le bâtiment et les travaux publics est plus élevé qu'en France.

C'est la raison pour laquelle, comme la quasi-totalité de mon groupe, je pense que cette loi est inadaptée.

Vous avez dit hier que notre taux de croissance était meilleur que celui de nos voisins.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mais oui !

M. Pierre Méhaignerie.

C'est vrai, mais il serait bon de se souvenir que dans la période 1980-1995, alors que le taux de croissance moyen de la France a été inférieur d'un demi-point à la moyenne des pays de l'OCDE, une autre réforme, celle des nationalisations, n'a pas eu le résultat espéré.

M. Maxime Gremetz.

Avec les privatisations, ça va ?

M. Pierre Méhaignerie.

Nous serions bien inspirés de nous interroger sur la méfiance de nos voisins vis-à-vis des 35 heures. Eux non plus, en 1981-1982, ne nous ont pas suivis sur la voie de la nationalisation, qui était pourtant présentée comme une grande conquête populaire, créatrice d'emplois.

M. Germain Gengenwin.

Eh oui !

M. Pierre Méhaignerie.

Si nos voisins européens ne nous suivent pas, c'est parce qu'ils sont persuadés, je le crains, que cette réforme des 35 heures ne créera ni les emplois espérés ni les conditions souhaitables de la croissance.

C'est la raison pour laquelle nous pensons que, si cette loi était un engagement électoral, c'est une faute profonde pour l'avenir de notre pays.

(Applaudissement sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous ouvrons la discussion sur le second projet de loi relatif à la réduction du temps de travail dans un contexte économique et social particulier : indicateurs économiques au vert, croissance soutenue, taux d'intérêt proche du niveau plancher, de grandes entreprises à la santé financière florissante avec des marges brutes d'autofinancement surprenantes.

Malgré cela, tout va-t-il si bien pour le plus grand nombre ? Le contexte social est-il si souriant pour tous ? Certes, les chiffres du chômage s'améliorent grâce à la politique menée par le Gouvernement, mais des salariés paient le prix fort de la politique impitoyable des grands groupes industriels qui, tout en réalisant d'importants bénéfices, restructurent et jettent sans états d'âme les salariés « Kleenex » sur le pavé.

Dans ma circonscription, où Michelin sacrifie son usine Wolber et 451 salariés, qui croira encore aux concepts d'« entreprise citoyenne » ou d'« entreprise lieu de progrès social » ? Pour moi et pour les milliers de personnes qui ont manifesté dans les rues de Soissons le 26 septembre, il s'agit simplement d'impostures intellectuelles. Et Michelin n'est malheureusement pas un cas isolé, nous pourrions citer Elf, Alcatel, CGE, et bien d'autres encore.

Lors de l'examen du premier projet, les députés du MDC ont voté le texte, bien que nos amendements n'aient pas reçu l'écho que nous attendions. Il nous semblait que la RTT devait être l'un des leviers en faveur de la création d'emplois, non pas dans le cadre d'une perception statique de partage du travail en tant que quantité finie, mais dans une perspective dynamique de relance de la demande intérieure et de croissance par la création d'emplois.

Au passage, je note que cette croissance a été décriée, pendant plusieurs années, par nos collègues de droite et certains de gauche. On nous répétait à l'envi : la croissance est une conception dépassée, vous savez bien que cela ne crée pas d'emplois. Aujourd'hui, nous ne sommes plus seuls à penser que la croissance crée des emplois.

Tant mieux !

M. Bernard Accoyer.

Nous n'avons jamais dit cela !

M. Jacques Desallangre.

Si, mais vous préférez ne pas vous en souvenir.

Nous souhaitions, nous le souhaitons encore aujourd'hui, par nos amendements, dont certains sont cosignés par nos collègues communistes et Verts, assurer l'effectivité du passage aux 35 heures, mais surtout que les aides de l'Etat et les sacrifices déjà consentis par les salariés f assent l'objet de réelles contreparties en matière d'emploi. Vous nous annoncez plus de 15 000 accords signés, près de 125 000 emplois créés ou sauvegardés, il faut s'en féliciter.

Cependant, nous devons également tirer les enseignements des accords déjà signés et surtout corriger les dérapages qui sont intervenus, dont certains ont été condamnés par les juridictions. Un certain nombre de craintes et de réserves que nous avions exprimées se sont malheureusement révélées fondées, notamment concernant les remises en cause des temps de pause, le recours à l'annualisation, les modulations abusives et la précarisation des emplois.

L e projet que vous nous présentez, madame la ministre, présente certes l'intérêt de pérenniser la réduction du temps de travail mais il apporte aussi des modifications importantes au droit du travail, et amoindrit la portée des normes protectrices des salariés. Nous souhaitons pouvoir parvenir ensemble à une amélioration significative du texte, car cette promesse des trente-cinq heures doit être un progrès pour les salariés, pas un fardeau supplémentaire.

J'émettrai dès à présent une première réserve sur l'importance accordée par le texte à la négociation. La droite vous reproche de l'encadrer ! On croit rêver. Mais sans doute suis-je tenté par le démon du malthusianisme dénoncé par M. Barrot.

Le projet de loi, comme vos argumentaires, prône la négociation et expose la toute confiance que vous lui portez. Affirmer ainsi le primat de la négociation présente cependant un risque, celui d'abandonner un des principes fondateurs du droit du travail : l'ordre public social. Ce principe permettait aux salariés de toujours bénéficier de la norme la plus favorable, qu'elle provienne d'une convention collective, d'un décret ou de la loi.

Dorénavant, tout pourrait se négocier entre patrons et salariés, que ce soit la durée du travail, l'annualisation, la modulation, et même les majorations et bonifications applicables aux heures supplémentaires. Pour ces raisons, ce n'est pas moi, croyez-le bien, madame la ministre, qui qualifierai votre texte de dirigiste. Il est vrai qu'il y a un monde entre M. Seillière et moi : le monde du travail et des travailleurs.

M. Maxime Gremetz.

Très bien, Jacques !

M. Jacques Desallangre.

Vous concédez aux employeurs, madame la ministre, que la durée du travail touche à l'organisation du travail et à la vie quotidienne d es salariés, et que les solutions ne peuvent être construites que dans l'entreprise.

Ce raisonnement pourrait être applicable à toutes les dispositions du code du travail qui sont aujourd'hui d'ordre public. Mais ce serait accepter la disparition de ce droit protecteur. Je crains que la confiance que vous


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

accordez à la négociation ne permette au patronat de transformer le rapport de force qui lui est favorable en une norme opposable et préjudiciable aux salariés.

Ne devrions-nous pas au contraire protéger les plus faibles ? Rééquilibrer le rapport de force en donnant plus de moyens juridiques aux syndicats ? Cette perception est d'ailleurs corroborée par les propos de M. Kessler qui vous priait, il y a quelques jours, sur LCI de valider certains accords que vous avez fort judicieusement refusé d'étendre. Cette demande illustre bien le déséquilibre du rapport de force qui perdure entre les syndicats et le patronat. La liberté de négociation ne peut être juste et équilibrée que dans un cadre juridique aux contours certains et impératifs.

M. Pierre Carassus.

Très bien !

M. Jacques Desallangre.

Les négociations devraient être mieux encadrées, mais aussi mieux contrôlées, tant par les syndicats que par les salariés. Vous avez déjà, madame la ministre, introduit une forme de contrôle majoritaire en conditionnant le bénéfice des allégements de charge à la signature de l'accord d'entreprise par les syndicats majoritaires et non plus par un seul syndicat représentatif, même minoritaire. C'est un progrès, mais il aurait été préférable, comme le suggère mon amendement no 1378, que la majorité soit requise pour valider l'accord d'entreprise. Cette condition de majorité se justifie pleinement, car les accords vont bouleverser les conditions de travail des salariés.

De même, après la signature de l'accord, il serait opportun d'introduire des procédures de contrôle, des contre-pouvoirs au sein de l'entreprise, afin de contrebalancer l'omnipotence de l'employeur. Notre collègue Georges Sarre défendra au nom du Mouvement des citoyens plusieurs amendements précisant ces aspects, car dire qu'aujourd'hui les contrôles sont d'inspiration militaire est tout simplement dérisoire, monsieur Dord.

La négociation doit être encadrée, les accords contrôlés.

Mais, pour être viables, les discussions devraient se fonder sur des concepts juridiques précis. Nous devrions pour cela préciser la notion de « travail effectif » car, comme je le craignais lors du vote de la première loi, la réduction du temps de travail s'est en partie effectuée en supprimant des coupures, des temps de pause ou de repos accordés auparavant de façon conventionnelle ou coutumière. Ces interprétations restrictives de la notion d'effectivité se sont révélées préjudiciables aux salariés et contraires à l'objet de votre loi, car les conséquences en furent une réduction moindre de la durée du travail et un volume d'embauche réduit. Les amendements que nous avons déjà déposés apportent une réponse aux interprétations discordantes de la notion d'effectivité.

L'ampleur de cette réduction du temps de travail pour tous les salariés, même cadres, doit aussi être examinée à l'aune des souplesses concédées au patronat. Je crains malheureusement que ce projet ne permette pas d'obtenir toutes les créations d'emploi escomptées. En effet, grâce à l'annualisation du temps de travail et à la modulation des horaires, les employeurs pourront adapter leurs besoins de main-d'oeuvre en fonction des nécessités de production, et échapper ainsi au paiement d'heures supplémentaires et à de nouvelles embauches. En revanche, l'instauration de ces mécanismes de flexibilité désorganisera la vie des salariés et nuira à l'objectif que nous nous sommes fixé : la création d'emplois. Seuls le plafonnement et le renchérissement important des heures supplémentaires structurelles dissuaderaient les employeurs d'en abuser et favoriseraient l'embauche de nouveaux salariés.

De plus, il est fort regrettable que ce second projet de loi remette en cause le coeur du dispositif de la première loi, c'est-à-dire la mise sous conditions des aides de l'Etat, et plus particulièrement celles de la création d'emplois. Il est indispensable que les entreprises bénéficiant des aides structurelles par allégement de cotisations sociales contribuent en contrepartie à l'intérêt général en créant ou en préservant des emplois menacés. L'aide structurelle, c'està-dire l'effort de la nation, devrait bien entendu être proportionnelle à l'effort de l'entreprise et être remboursée en cas de non-respect. La suppression de cette conditionnalité de l'aide hypothèque les effets bénéfiques escomptés de la loi et laisse craindre que la création d'emplois stables ne soit plus l'objectif premier du processus de réduction du temps de travail.

Nous voulons aussi lutter contre la précarisation des emplois. Il nous semble qu'il faut encadrer le recours aux contrats à durée déterminée, aux temps partiels imposés et à l'intérim, en s'assurant que les normes que nous édictons seront effectivement respectées.

Nous pourrions également exclure ces contrats du bénéfice de l'aide de l'Etat : les employeurs seraient alors vivement incités à recourir au contrat de droit commun qui doit rester ou plutôt redevenir le contrat à durée indéterminée.

Le mode de financement de ces allégements de charges patronales devrait également être révisé car, de l'aveu même de M. Kessler, ce sont en partie les salariés qui financeront ces aides par l'intermédiaire du fonds rattaché au budget de la sécurité sociale. Demain, les salariés quie ffectueront des heures supplémentaires au-delà des trente-cinq heures ne bénéficieront plus automatiquement de la majoration salariale de 25 % et 15 % pourront être récupérés et 10 % seront versés au fonds finançant les allégements de charge. Donc, au lieu d'être rémunérés pour les heures supplémentaires effectuées entre trentecinq et trente-neuf heures, les salariés vont en partie p ayer les allégements de charge consentis à leurs employeurs.

Les salariés risquent également d'être pénalisés par la réforme du droit à la formation professionnelle. Il est impératif que la formation fasse partie intégrante du temps de travail et qu'elle ne soit donc pas imputée sur le temps que les salariés auront mis en réserve. Nous souhaitons donc que cette disposition soit retirée et que la formation fasse prochainement l'objet d'un débat.

Une amélioration du texte est également souhaitée afin de résoudre l'épineuse question du double SMIC. L'augmentation de 11,4 % du SMIC lors du passage aux trente-cinq heures serait la solution la plus simple, la plus équitable et rééquilibrerait le partage de la valeur ajoutée, très défavorable aux salariés aujourd'hui. Les chiffres le prouvent sans conteste.

Les députés du MDC soutiennent votre politique de création d'emplois par la réduction du temps de travail.

Mais nous considérons que certaines dispositions doivent être revues et la méthode améliorée. Le résultat de nos débats sera donc déterminant car je ne prends pas ce texte, si important pour les travailleurs, pour une gesticulation politicienne, comme l'a dit un de nos collègues.

Il mérite que l'on prenne ses responsabilités avec détermination. Et si j'osais, je vous dirais, madame la ministre, de vous méfier des compliments que M. Barrot a su habilement vous adresser. Pour moi, ils suscitent plus d'inquiétudes que ses critiques.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

En conclusion, je ne pourrais voter ce texte que s'il était substantiellement amélioré dans un sens favorable à l'emploi et aux salariés. Pour moi, la loi ne doit pas être subsidiaire.

M. le président.

Tous les orateurs ont jusqu'à présent respecté leur temps de parole. Je les en remercie. C'est un exemple pour les autres.

La parole est à M. Gérard Terrier.

M. Gérard Terrier.

Monsieur le président, mesdames les ministres, cette loi constituera une avancée sociale sans précédent. Qui osait croire, il y a seulement quelques années, que l'on puisse effectuer une réduction aussi importante de la durée du travail ? Si cela est aujourd'hui possible, nous le devons surtout à la santé retrouvée et voulue de l'économie française.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Santé retrouvée de l'économie ! Il suffit d'observer l'ensemble des indicateurs économiques pour en être persuadé. Santé voulue ! Il suffit de regarder les mesures prises par le Gouvernement, qui a orienté la croissance par le soutien de la consommation intérieure.

Mais tous ces équilibres sont fragiles, et il faut les conserver. C'est pourquoi il est indispensable que ce texte reste équilibré. C'est d'ailleurs le message du Premier ministre que nous devons partager : « Cette loi, nous dit-il, doit être bénéfique pour les salariés et elle ne doit pas être contre les entreprises. » Elle se doit donc d'être

réaliste afin qu'elle ait une traduction et une application la plus forte possible dans les entreprises de notre pays.

Nous générons, et nous pouvons nous en réjouir, un formidable espoir chez les salariés. Ne prenons pas la responsabilité, en durcissant intempestivement cette loi, de créer une désillusion, par le simple fait qu'elle deviendrait inapplicable.

Cela ne veut pas dire que notre rôle de parlementaire, qui consiste à enrichir le projet, doit être abandonné. J'ai, de ce point de vue, toutes les assurances car nous avons, par un travail constructif et collégial, dans la majorité plurielle, apporté un grand nombre d'amendements lors de l'examen par la commission des affaires sociales.

M. Maxime Gremetz.

N'exagérez pas. Il suffit de lire le Journal officiel pour s'apercevoir que cela n'a rien à voir avec le travail et le nombre d'amendements sur le premier texte.

M. Gérard Terrier.

Certains de ces amendements sont loin d'être de portée mineure. Ils paraissaient même, il y a quelque temps, inaccessibles.

Je pense en particulier à la définition du temps de travail, à l'article 5 sur les cadres, au temps partiel, à la durée maximale.

Deux grandes conceptions sur la conduite des entreprises s'opposent. Certains considèrent qu'elles doivent être administrées à l'extrême, encadrées, corsetées par l a réglementation.

M. Alain Cousin.

C'est Mme Aubry !

M. Gérard Terrier.

D'autres considèrent que l'entreprise doit être libérale à l'extrême, laissant le marché et les fl ux financiers conduire les destinées de l'entreprise.

M. Alain Cousin.

C'est M. Strauss-Kahn !

M. Gérard Terrier.

Ces deux conceptions sont mauvaises. L'économie d'Etat a, dans un passé encore récent, démontré la faillite d'un tel système. L'augmentaion du chômage et de la précarité des emplois, le divorce des cadres avec leurs entreprises démontrent, si besoin en était, la perversité du second système.

La bonne conception est centrale. En effet, une entreprise doit être à la fois économique et sociale. Sociale, car une entreprise, c'est à la fois des dirigeants, des actionnaires, des salariés et des moyens de productions. Si l'une de ces composantes est mal considérée, c'est l'entreprise tout entière qui boîte. Economique, car une entreprise qui ne fait pas de résultats est une entreprise qui disparaît, avec les conséquences sur l'emploi que cela génère.

Les structures des entreprises, en particulier des plus grandes, ont considérablement changé. Il y a quelque temps encore, la richesse des entreprises était tirée du produit du travail ; celui-ci constituait alors un but.

Aujourd'hui, la richesse des grandes entreprises provient des placements financiers et le produit du travail n'est plus un objectif, mais un moyen. Il suffit d'analyser les bilans pour se persuader de cette affirmation.

Il est donc absolument nécessaire d'introduire plus de social dans les entreprises, afin que chaque salarié, chaque cadre y trouvent un épanouissement.

Comme la négociation entre partenaires sociaux piétine, de la seule volonté des représentants du patronat, il est indispensable d'encadrer par la loi des règles qui permettent d'atteindre ces objectifs.

Cette loi y répond pleinement. Et ne vous en déplaise, mesdames, messieurs de l'opposition, elle renforce la négociation sociale et laisse de larges espaces à la recherche de solutions adaptées à chaque situation particulière. Elle offre suffisamment de garanties protectrices pour les salariés. Et nous contribueront à les renforcer.

Elle n'altère pas du tout les conditions permettant la compétitivité.

Il est à constater que, chaque fois que dans notre pays, il y a eu une avancée sociale, le patronat, relayé par la droite, a eu le même discours d'opposition. Plus le progrès est important, plus l'opposition est intense, et je suis donc rassuré : l'opposition du patronat étant forte, j'en déduis que le progrès social que va générer cette loi est important. (Sourires)

Nous avons également beaucoup travaillé sur le statut des cadres. En effet, les récents sondages nous montrent le divorce de cette catégorie avec les DRH. Autrefois, ils étaient les principaux conseils des directions. Aujourd'hui.

les dirigeants sont plus attirés par l'avis des actionnaires et relèguent les cadres dans des rôles orientés davantage vers des missions d'exécution. Il est important que cette catégorie bénéficie de la réduction du temps de travail, et nous avons enrichi le texte dans ce sens. Pour la première fois, cette catégorie de salariés est prise en compte dans le dispositif réglementaire.

Comme en 1936, pour les quarante heures ou les congés payés, il y aura ceux qui auront contribué à une avancée sociale importante et les autres. Je veux faire partie de ceux qui pourront dire : « Oui, j'ai contribué à cette avancée sociale par mon soutien à ce projet de loi, participé et contribué à ce progrès qui fera date dans l'histoire sociale de notre pays ».

C'est donc avec la volonté d'enrichir ce texte, mais aussi avec l'assurance de mon soutien, que j'aborde la discussion de votre projet, madame la ministre, dont les socialistes pourront être fiers d'en avoir été le fer de lance. ( Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Bernard Accoyer.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

M. Bernard Accoyer.

Mesdames les ministres, monsieur le ministre, vous connaissez les raisons de notre opposition à ce texte : sa rigidité, la contrainte qu'il instaure, l'échec de la première loi (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

, malgré les chiffres que vous avancez et que nous contestons,...

M. Yves Rome.

Quel culot !

M. Bernard Accoyer.

... les risques graves qu'il repré-s ente pour les entreprises localisées en France, la complexité, l'iniquité des dispositions concernant les heures supplémentaires, le temps partiel et les cadres.

Mais ce n'est pas de cela que je vais vous parler. Je veux tout simplement vous faire part de mes observations sur le terrain après avoir, pendant plusieurs mois, rencontré et écouté de nombreux salariés et responsables d'entreprise dans le département dont je suis l'élu, la Haute-Savoie.

J'ai envoyé par courrier un questionnaire à un grand nombre de responsables d'entreprises de ma circonscription et j'ai à ce jour reçu 150 réponses. Ce sont les résultats de ce questionnaire que je vais maintenant commenter devant vous, résultats que je tiens, bien entendu, à votre disposition.

M. Gérard Terrier.

Ça ne mange pas de pain !

M. Bernard Accoyer.

Depuis la loi du 13 juin 1998, seulement 12 % des entreprises ont entrepris des négociations. Ces dernières n'ont abouti qu'environ une fois sur deux, soit dans 6 % des entreprises, et il n'y a eu création d'emplois que dans 2 % des entreprises qui ont bien voulu répondre au questionnaire que je leur avais envoyé.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ils n'ont pas de chance en Haute-Savoie !

M. Bernard Accoyer.

D'ailleurs, 3,8 % seulement des chefs d'entreprise estiment que les 35 heures sont favorables à l'emploi, 97 % considèrent qu'elles vont porter atteinte à la compétitivité de leur entreprise et 70 % les jugent inapplicables dans leur entreprise.

M. Gérard Terrier.

Nous n'avons pas les mêmes lectures !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ils ont écrit cela pour leur faire plaisir !

M. Bernard Accoyer.

Nous n'avons peut-être pas les mêmes lectures, mais, en ma qualité d'élu, je reçois dans mon département tous ceux qui veulent me rencontrer.

M. Yves Rome.

Vous ne voyez pas les bons !

M. Bernard Accoyer.

C'est mon travail. C'est ainsi que doit se comporter tout élu vis-à-vis de ses électeurs.

M. Yves Rome.

Il n'y a que les mauvais qui viennent vous voir !

M. Bernard Accoyer.

Je voudrais vous parler plus particulièrement d'un secteur mal connu et pourtant important, celui du décolletage, qui est une activité de soustraitance dans l'industrie de l'automobile.

La Haute-Savoie accueille la plus grande concentration d'entreprises de décolletage au monde mais un grand nombre d'entre vous, mes chers collègues de gauche comme de droite, avez des entreprises de ce type dans vos circonscriptions. J'espère que, comme moi, vous avez rencontré et écouté leurs responsables.

Ce secteur est soumis à une pression extrême sur les prix du fait des équipementiers, des constructeurs automobiles et, plus généralement, de la concurrence internationale et de la mondialisation. Or l'inquiétude dans ce secteur est grande car il est confronté à une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée en un moment pourtant favorable à cette activité.

M. Yves Rome.

La croissance revient en effet !

M. Bernard Accoyer.

L'application des 35 heures dans ce secteur se traduirait par une baisse de production d'environ 10 % : il lui serait alors impossible de répondre à la demande et il faudrait donc délocaliser les productions, quand ce ne serait pas les entreprises, l'investissement étranger dans le décolletage ayant déjà entraîné la fuite d'une partie du savoir-faire.

La seule solution, dans ce cas, c'est un moratoire, et vous avez été sollicitée à ce sujet, madame la ministre, afin de pouvoir former des jeunes avant l'application de la loi.

M. Alain Néri.

Attendre, toujours attendre !

M. Bernard Accoyer.

Les collectivités territoriales sont disposées à chercher avec vous une solution dans ce domaine.

Dans bien d'autres secteurs, la situation est particulièrement inquiétante.

Le passage aux 35 heures va créer une injustice entre les petites et les très grandes entreprises. Les rares entreprises qui, dans leurs réponses à mon questionnaire, se sont déclarées favorables aux 35 heures étaient de très grandes entreprises. Celles-ci ne rencontreront pas de difficultés pour s'adapter car elles ont les moyens financiers et humains pour le faire et peuvent sans problèmes délocaliser leur production. Elles toucheront les primes, vous pouvez leur faire confiance. Les petites entreprises, les PME, par contre, sont dans un état d'inquiétude maximale.

Les 35 heures créeront également des difficultés aux entreprises de services dans le domaine de la haute technologie, celles qui travaillent avec les cadres, du fait qu'elles facturent leurs prestations à la journée : elles se verront contraintes de délocaliser leur siège à l'extérieur de nos frontières. En Haute-Savoie, la frontière n'est pas loin elle n'est qu'à quelques kilomètres. Nous nous retrouverons dans quelques années, ou peut être même dans quelques mois, pour reparler de tout cela.

J'espère, madame la ministre, que mes remarques concernant des entreprises qui ont embauché ces dernières années jusqu'à 500 jeunes salariés par an, retiendront votre attention.

M. le président.

Monsieur Accoyer, veuillez conclure !

M. Bernard Accoyer.

J'ai bientôt terminé, monsieur le président.

Dans le secteur du décolletage, il n'y a pas de chômage. J'espère, madame la ministre, que que vous voudrez bien prêter aux entreprises des deux secteurs que j'ai cités votre concours afin d'essayer de résoudre les problèmes insurmontables qui vont être créés par l'application des 35 heures.

Si, malgré tout, vous persistiez, il est clair que l'opposition, le moment venu, lèverait la contrainte et rendrait aux partenaires sociaux la liberté qui n'aurait jamais dû leur être confisquée. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Alain Néri.

Vous voulez revenir à avant 36 ! Tant que vous y êtes, supprimez les congés payés !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

M. le président.

La parole est à Mme Odile Saugues.

Mme Odile Saugues.

Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dynamique, née de la loi du 13 juin 1998, montre que l'Etat tient toute sa place dans notre économie, incitant les partenaires sociaux à négocier, fixant le cadre de cette négociation, limitant les abus liés à la modulation, accompagnant financièrement les entreprises pour sauvegarder ou créer des emplois.

L'Etat laisse cependant un vaste champ à la négociation et au dialogue social. Les partenaires sociaux n'ont jamais autant débattu, les salariés n'ont jamais autant mesuré l'importance de la démocratie dans l'entreprise, grâce à l'implication des organisations syndicales.

De leur côté, les entreprises ont compris l'importance de ce débat qui est à la fois un enjeu économique et une conquête sociale. En réponse aux mots d'ordre idéologiques du MEDEF, relayés par quelques capitaines d'industrie dont l'aptitude au dialogue social n'est malh eureusement pas à la hauteur des prouesses technologiques, je ne citerai qu'un seul chiffre : fin août, 15 000 entreprises avaient déjà conclu un accord, et nombreuses sont celles qui sont engagées dans des négociations sur la réduction du temps de travail.

Bien sûr, il existe des irréductibles qui refusent toute idée de progrès social. Ce n'est pas une surprise. Certains ne déclaraient-ils pas que l'on ne pouvait plus entreprendre en France depuis le Front populaire ? Aujourd'hui, fidèles à leur histoire, ils rejettent l'aide de l'Etat pour sauver ou créer des emplois. Mais combien d'entre eux ont fait appel à l'argent des contribuables pour s'adapter face à la concurrence internationale, combien d'entre eux ont été soutenus par le biais du FNE ? L'argent public serait-il bienvenu pour réduire les effectifs et indécent quand il s'agit de lutter contre le chômage ? Ce discours, je ne peux l'entendre, je ne peux l'accepter.

Alors, oui, la loi doit être souple et incitative pour ceux qui s'engagent dans un processus de négociation.

Mais elle doit être contraignante pour ceux qui affichent ostensiblement leur cynisme à l'égard de la loi et leur mépris à l'égard des organisations syndicales, ainsi que pour ceux qui engageraient des négociations de façon factice et de mauvaise foi.

C'est pourquoi, j'ai déposé, avec mes collègues socialistes, un amendement visant à établir un lien direct entre la réduction négociée du temps de travail et la présentation d'un plan social.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur.

Très bien !

Mme Odile Saugues.

Avant d'envisager des suppressions d'emplois, l'entreprise aura dû conclure un accord ou, à défaut, avoir engagé sérieusement et loyalement des négociations, avec une réelle volonté d'aboutir à un accord.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Très bien !

Mme Odile Saugues.

Il s'agit de traduire dans les faits les paroles que Lionel Jospin a prononcées ici même, dans le cadre de sa déclaration de politique générale : « Le plan social doit être l'ultime recours, quand toutes les autres pistes ont été explorées. » Plus que toute autre,

cette phrase montre la volonté du Gouvernement d'agir et d'assumer toutes ses responsabilités face au comportement scandaleux de certains chefs d'entreprise.

Cet amendement est simple et concret. Son objet est de participer à la moralisation du recours au licenciement économique qui n'est pas et qui ne sera jamais un acte banal de gestion. On ne peut considérer les salariés comme une simple variable d'ajustement, ni assimiler la destruction d'emplois à un « gain de valeur » comme l'a écrit récemment la manufacture Michelin à l'intention de ses salariés.

Cet amendement traduit aussi, pour moi, la volonté de ne pas se contenter de l'indignation face à tel ou tel plan social. Oui, nous devons condamner, nous devons nous mobiliser, nous devons manifester notre réprobation dans l'hémicycle et dans la rue. Mais nous serons jugés sur nos actes et non à la longueur de nos banderoles.

M. François Rochebloine.

Vous pensez à la manifestation du 16 octobre ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est mieux que celle de la porte de Versailles !

Mme Odile Saugues.

Je suis particulièrement satisfaite de voir que le Gouvernement a accepté de rouvrir le débat sur la définition du temps de travail effectif. Chacun considère que l'apport de la première loi est réel et bénéfique pour les salariés.

Mais il convient de revenir sur le reste de l'article afin de lever les incertitudes, les ambiguïtés et les contradictions. L'amendement finalement retenu par la commission des affaires sociales répond à notre inquiétude. Bien sûr, tout ne sera pas réglé. Il reste un espace à la négocia tion qui permet de prendre en compte les spécificités des branches et des entreprises. Mais il était nécessaire de montrer le cap, sachant que cette nouvelle définition éclairera les partenaires sociaux et, le cas échéant, se traduira dans la jurisprudence.

Madame la ministre, nous devons nous donner les moyens d'appliquer cette loi dans les entreprises, car la montée en puissance des accords qui prévoient souvent une modulation importante doit s'accompagner d'une égale montée en puissance des missions et des moyens de l'inspection du travail. Il y a un an, le groupe socialiste a appelé votre attention sur cette nécessité au cours du débat sur le budget de l'emploi. Vous annonciez alors votre intention de créer de nouvelles sections, notamment dans des bassins d'emplois qui ont évolué. Cette préoccupation que nous partageons prend aujourd'hui toute sa force.

Je ne doute pas que l'examen détaillé de ce texte majeur nous permettra de revenir sur ces questions. Perm ettez-moi, pour conclure, de souligner que cette réforme aura fait naître un mouvement de dialogue social indispensable dans notre pays, mais aussi, et j'y attache une grande importance, un mouvement de dialogue politique très enrichissant entre le Gouvernement et sa majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Très très bien !

M. le président.

La parole est à M. Germain Gengenwin.

M. Germain Gengenwin.

Madame la ministre, un peu plus d'un an après le vote de la première loi sur la réduction du temps de travail, vous annoncez la signature de 14 000 accords collectifs engageant l'avenir de deux millions et demi de salariés. Aujourd'hui, le Parlement légifère de nouveau sur des mesures fondamentales qui risquent d'obérer dans de nombreux cas les accords, résul-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

tats des négociations syndicales, déjà signés, obligeant par là même les entreprises à se fondre dans un cadre encore plus étroit.

C'est une manière pour le moins assez particulière d'encourager la négociation et le dialogue social, pourtant mieux traités, je le reconnais, dans ce projet de loi que dans le précédent, où il n'était question que d'accords de branche. Votre texte donne, en effet, une nouvelle place à l'entreprise au coeur du dialogue social, alors que cette dimension, proche du terrain, était occultée dans la première loi.

J'ai la conviction que c'est au niveau de l'entreprise, au plus près des salariés et des patrons, que la négociation sur l'aménagement du temps de travail colle le mieux aux besoins réels de l'entreprise et aux aspirations des salariés.

Cela procure plus de dignité, plus de responsabilité et plus de considération au personnel. Malheureusement, le c orset dans lequel sont enserrées ces négociations d'entreprise laisse très peu de place à l'initiative. C'est regrettable car cette approche plus réaliste des rapports sociaux me paraît d'autant plus indispensable que le projet va concerner près de dix millions de salariés.

Il s'agit donc en quelque sorte de passer de l'expérimentation à la généralisation en faisant le pari très audacieux du prolongement des comportements d'aujourd'hui.

Or ceux-ci ne sont pas aussi flatteurs que votre bilan optimiste voudrait le faire croire.

Laissons aux 35 heures ce qui revient aux 35 heures, mais rendons à la croissance ce qui lui appartient !

M. François Rochebloine.

Tout à fait !

M. Germain Gengenwin.

En effet, les chefs d'entreprise que je connais ont tous reconnu qu'ils profitaient des primes mais que, de toute façon, ils auraient embauché.

Les contours de votre seconde loi se révèlent donc complexes, inadaptés aux besoins de l'entreprise et trompeurs pour les salariés qui n'en prendront véritablement toute la mesure qu'à terme. Le message qui leur est envoyé est évidemment très séduisant : durée du travail plus courte avec maintien du salaire : qui ne souscrirait pas à une telle démarche ? Or les mesures prévues dans ce texte, par les effets pervers qu'elles généreront, vont au contraire soumettre les salariés à des cadences élevées où la chasse aux heures creuses sera incessante. Leur pouvoir d'achat sera rogné par la limitation des heures supplémentaires, qui constituent pourtant un complément utile pour les salaires proches du SMIC. Je connais, madame l a ministre, des entreprises agro-alimentaires dans lesquelles, en saison creuse, on ne travaille plus l'aprèsmidi pour économiser ces heures en prévision des périodes de pointe.

La flexibilité est un outil indispensable aux entreprises pour être plus compétitives, c'est vrai, mais si vous la généralisez ici, c'est pour mieux masquer le caractère unilatéral de votre dispositif, et les mauvais coups seront surtout portés aux salariés.

Dans le même temps, les employés dont l'entreprise sera restée aux 39 heures verront leur salaire amputé d'une partie des majorations pour heures supplémentaires qui sera versée à un fonds spécial chargé de financer l'allégement des charges. Au bout du compte, ce sont les salariés eux-mêmes qui financeront la réduction de leur temps de travail.

De fait, ce projet crée de véritables inégalités de traitement entre les salariés, tant en termes de rémunération que d'organisation du temps de travail avec, à la clé, une véritable compression de l'échelle des salaires pour tous ceux qui sont proches ou au niveau du SMIC. Vous n'ignorez pas, madame la ministre, que le nombre des salariés au SMIC a progressé de 50 % en quatre ans. Et c'est un phénomène que nous risquons malheureusement d'accentuer.

Votre projet introduit de surcroît des distorsions de concurrence - au détriment de nos PME - entre les entreprises qui perçoivent des primes et sont exonérées de charges sociales et celles qui ne bénéficient pas de ces mesures.

Je ne crains pas ici d'affirmer que votre dispositif est totalement inadapté à la nouvelle structure de la croissance, certaines entreprises rencontrant des difficultés pour recruter de la main-d'oeuvre qualifiée - cela a été dit souvent.

La seule réponse qui me semble véritablement adaptée à ce problème est d'exclure du dispositif pendant deux ans les bassins d'emploi ou les branches professionnelles qui connaissent ces difficultés. Nous proposerons un amendement en ce sens.

S'agissant du temps de formation, un problème n'a même pas été évoqué : les heures de formation en apprentissage et sous contrats de qualification sont réparties sur deux ans. Les apprentis seront-ils les seuls à travailler trente-neuf heures ? Ou devra-t-on prolonger en conséquence le temps de formation, peut-être sur deux ans et demi ? Cela pose tout le problème de la formation professionnelle, que je n'aborderai pas faute de temps et qui soulèvera, madame la ministre, beaucoup plus de questions que vous ne l'imaginez.

D'ailleurs, le volet relatif à la formation dans le cadre du temps libéré n'a plus guère de raison d'être puisque Mme la secrétaire d'Etat à la formation professionnelle et v ous-même, madame la ministre, avez annoncé la semaine dernière la mise en place prochaine d'une première étape d'expérimentation et des mesures législatives dès le printemps prochain dans la perspective d'une réforme en 2001.

Vous n'abordez même pas le problème qui se posera aux organismes collecteurs de fonds, qui doivent financer les heures de formation. Au surplus, est-il sérieux de faire signer des accords collectifs sur des mesures qui risquent d'être remises en cause ? Tout cela nous donne une désagréable impression de déjà vu.

Quant au financement de votre dispositif, force est de constater qu'il n'est toujours pas bouclé, malgré l'obligation faite aux entreprises et aux salariés d'y participer. Les a llégements vont représenter en vitesse de croisière 105 à 110 milliards de francs par an collectés par un fonds spécial, que vous instituez et qui dépendra de la sécurité sociale.

Je ferai plusieurs remarques à ce sujet, car il s'agit de recourir massivement à des prélèvements supplémentaires, ce qui me semble extrêmement périlleux pour les finances publiques.

Pour financer les 35 heures, vous avez fait le choix d'une taxation plus lourde des entreprises par le relèvement de la taxe générale sur les activités polluantes n'importe qui paiera pour les 35 heures ! - et de la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés. Vous avez fait le choix également d'une ponction sur les salariés par l'institution d'une taxe sur les heures supplémentaires ainsi que celui d'une contribution imposée à l'UNEDIC. Sur ce point, les organisations syndicales vous ont donné leur avis...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

Et surtout, madame la ministre, vous vous livrez à un formidable tour de passe-passe budgétaire, qui va assainir singulièrement les comptes de l'Etat, puisque la politique d'allègement n'y figurera plus désormais. Même les 42 milliards du plan Juppé sont transférés sur ce compte spécial de la sécurité sociale ! En fait, vous débudgétisez la politique d'exonération des charges pour la rendre invisible.

M. François Rochebloine.

Eh oui !

M. Germain Gengenwin.

C'est regrettable. D'ailleurs, les membres de l'UDF de la commission des finances ont d emandé que ces chiffres leur soient présentés en commission mais ils n'ont évidemment pas eu gain de cause.

Que penser d'un tel ostracisme ? Cette attitude ne peut que contribuer à la cristallisation des positions sur ce texte et renforcer le clivage entre ceux qui croient à l'importance de l'information pour la démocratie et font confiance à la responsabilité des hommes, et ceux qui pensent que l'Etat doit, au contraire, tout encadrer et réglementer.

M. le président.

Veuillez conclure, monsieur Gengenwin.

M. Germain Gengenwin.

Je termine, monsieur le président.

Mesdames les ministres, monsieur le ministre, la diminution du temps de travail est dans l'air du temps, c'est vrai, mais l'imposer à marche forcée va à l'encontre des objectifs que vous voulez atteindre. D'ailleurs, ce texte ne concerne que la moitié des Français, puisque la fonction publique en est exclue. Comme l'a dit le premier d'entre vous à Strasbourg, la négociation avec la fonction publique sera ouverte, elle durera deux ans. Mais c'est une autre histoire, et nous verrons à ce moment-là.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Alain Veyret, pour cinq minutes.

M. Alain Veyret.

Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n'y a pas de démocratie sans suffrage universel, pas de légitimité sans l'aval des électeurs et pas de politique sans bataille électorale. Mais quelle légitimité plus forte pouvions-nous trouver que la confiance que les Français nous ont témoignée en juin 1997, et qui depuis n'a pas fléchi, sur un programme où le passage aux 35 heures et ses modalités occupent une place de choix ? Certes, depuis l'évocation et la mise en chantier de ce projet de loi, nous avons eu droit à une mobilisation de circonstance du MEDEF, dont l'argumentation n'a pas été sans rappeler celle invoquée à chaque étape des progrès sociaux dans notre pays. J'y reviendrai.

Je ne comprends pas les arguments développés par l'opposition contre ce texte, tant ils contredisent l'attitude qui fut la leur quand ils étaient au Gouvernement.

Certes, la question du SMIC constitue un véritable problème en l'état actuel du texte... et nous lui trouverons, j'en suis persuadé, une solution au cours de notre discussion. Mais nous sommes tout de même loin du SMIC jeunes, invention de M. Balladur qui mit la France dans la rue ! Ont-ils aussi oublié le discours qui prévalait il y a quelques années encore dans leurs rangs pour supprimer le salaire minimal « si préjudiciable à la croissance des entreprises » selon eux, alors que le travail est, en France, l'un des moins chers d'Europe et que les entreprises ne cessent d'annoncer des profits toujours en forte hausse.

Pourquoi fustiger ainsi une loi qui, certes, doit être encore améliorée - c'est d'ailleurs le rôle du Parlement -, mais dont la philosophie est de rétablir le dialogue social et la démocratie dans l'entreprise, trop souvent ignorés ces dernières années ? Pourquoi fustiger une loi qui rappelle le rôle dans l'organisation du travail et dans l'amélioration des conditions de travail des salariés qui, selon moi, savent mesurer autant que les chefs d'entreprise les conditions de la productivité ? Pourquoi fustiger une loi qui vise à trouver un équilibre subtil entre l'amélioration du sort des salariés - sans pour autant pénaliser la compétitivité et dans un partage équitable des richesses produites -, la lutte contre la précarité de l'emploi et la lutte contre le chômage, qui reste au coeur de nos préoccupations de législateurs ? Pourquoi fustiger une loi qui doit permettre par la négociation et le dialogue d'assurer les mutations nécessaires d'un monde du travail encore trop imprégné des archaïsmes de la révolution industrielle et l'accompagner sur le chemin du nouveau millénaire ?

« Quand le passé n'éclaire plus l'avenir, alors l'esprit marche dans les ténèbres. » C'est ce que disait avec

sagesse Tocqueville. Aussi, est-ce dans le passé que nous devons puiser l'énergie pour mener à bien ce projet, dans le souvenir des luttes sociales menées par des millions d'hommes et de femmes pour refuser la fatalité de la misère et du chômage, pour arracher un à un les droits et libertés que la République leur accordait en théorie mais qu'un patronat similaire à la frange qui a défilé dans nos rues lundi dernier ne leur reconnaissait pas concrètement.

C'est dans le souvenir des parlementaires dont nous portons l'héritage et qui avaient su incarner la protestation des masses laborieuses et prendre la tête du mouvement social que nous devons trouver notre détermination d'aujourd'hui.

Ils avaient su imposer par la loi les grandes avancées sociales de ce siècle, jalonnant ainsi le parcours de la France vers une société plus juste et plus solidaire. C'est la même démarche que nous, socialistes, avec l'appui de toute les forces de gauche, nous devons mener à son terme.

Ne nous trompons pas, la loi sur la réduction du temps de travail que nous discutons aujourd'hui est bien l'héritière des grandes lois sociales de 1919 et 1936. Elle est d'ailleurs soumise aux mêmes critiques que celles adressées aux lois sur les 40 heures et les congés payés. A l'époque, on parlait d'encouragement à la paresse, de mise à mort de l'économie, de fortune des cafetiers. Ce fut, en fait, une formidable avancée sociale et un moment de joie collective offert à tous ceux qui ne connaissaient que le paysage de rues noires, la bouche sombre de la mine, la fumée toxique des usines. C'était le temps enfin regagné sur l'exploitation et la misère. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Yves Rome.

Eh oui !

M. Alain Veyret.

C'est la même magie que nous devons recréer aujourd'hui entre la gauche et la nation, et, en dépit des difficultés liées à l'exercice du pouvoir dans un monde qui ne cesse de changer, nous devons toujours garder à l'esprit le mandat qui nous a été donné


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 6 OCTOBRE 1999

par ceux qui nous ont fait confiance en 1997 : faire reculer massivement le chômage, vaincre la précarité, assurer à tous un égal accès aux soins.

« Il n'y a pas de pensée sociale sans pensée humaniste. » Alors, bien sûr, certains - et je suis de ceux-là

mais peut-on me le reprocher ? -, animés d'une légitime impatience, poussent à réclamer plus d'avancée sociale, dans un temps plus court, mais je n'oublie pas que le parcours est long tant les égoïsmes en tous genres sont puissants. Je n'oublie pas que les réformes les plus légitimes ne peuvent se passer du secours du temps.

Comme le disait Jaurès, le courage c'est d'aller vers l'idéal et comprendre le réel. Je sais donc qu'au terme de la discussion de cette loi, il nous restera encore tant de chemin à parcourir mais nous pouvons le raccourcir, madame la ministre, si certains amendements sont adoptés : pour définir un temps de travail qui englobe les pauses et les avantages acquis dans les luttes passées des salariés, pour donner aux cadres une véritable réduction du temps de travail et une législation protectrice, pour limiter l'utilisation de contrats précaires et le temps partiel imposé, en conditionnant les aides publiques, pour lutter contre l'arrogance de ceux qui annoncent toujours plus de profits et toujours plus de licenciements et plongent allègrement leurs mains dans les coffres de l'Etat pour y puiser le financement des drames sociaux qu'ils provoquent, pour être sûrs que, demain, aucun salarié au SMIC n'aura le sentiment qu'on lui baisse sa rémunération.

Mes chers collègues, ce que l'on sait, ce que l'on croit juste, ce que l'on défend, c'est ce qu'on est capable de soumettre à l'adhésion des siens et à la critique du camp adverse.

M. le président.

Monsieur Veyret, je vous demande de conclure.

M. Alain Veyret.

Je vais terminer, monsieur le président.

M. le président.

C'était pourtant une belle conclusion.

Vous auriez pu vous arrêter là ! (Sourires.)

M. Alain Veyret.

Aujourd'hui, ce sont les yeux de tous ceux soumis à toujours plus de pression sur leurs horaires de travail, leur vie privée et leurs conditions de vie qui sont tournés vers nous, les yeux de ces classes modestes et moyennes qui ont mis leurs espoirs dans le vote exprimé en juin 1997.

Alors, madame la ministre, au même titre que la loi sur les emplois-jeunes, la loi contre les exclusions et la loi créant la couverture maladie universelle, votre loi, notre loi, portera la griffe de la gauche, cette expression d'une volonté collective qui place la défense du plus faible et de l'intérêt général au-dessus de toute autre considération.

Alors cette loi de réduction forte du temps de travail sera la dernière grande loi sociale de ce siècle.

M. le président.

La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri.

Monsieur le président, mesdames, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, la seconde loi sur la réduction du temps de travail est une loi indispensable et nécessaire. Elle est indispensable car elle permettra de créer des emplois, et l'emploi demeure impérativement notre priorité. Elle est indispensable pour améliorer les conditions de vie des salariés.

Elle est indispensable pour instaurer une protection des salariés, à l'heure où les manoeuvres engagées par certaines entreprises comme Michelin à Clermont-Ferrand, et sur d'autres sites de production d'ailleurs, tendent à nier tout respect du dialogue social et à remettre en cause les conquêtes sociales des générations précédentes.

M. Maxime Gremetz.

C'est la lutte des classes, camarade ! (Sourires.)

M. Alain Néri.

Elle est plus que jamais indispensable au moment où M. Seillière et le MEDEF se déchaînent avec une arrogance, un cynisme et un mépris intolérables envers les salariés, leurs organisations syndicales et même la représentation nationale.

Ce texte est un bon texte de base mais, comme tout projet, il est perfectible, et c'est à l'améliorer que se sont astreints les députés socialistes dans leurs propositions et leurs amendements. D'ailleurs, madame la ministre, vous avez toujours affirmé que vous souhaitiez que les parlementaires enrichissent votre projet de leurs réflexions.

Aussi, j'insisterai plus particulièrement sur la durée effective du temps de travail car, dans ce secteur, les dérives ont un caractère tout à fait exemplaire.

Lors de la première loi, nous étions arrivés à une définition acceptée largement sur ces bancs, en considérant que c'était le temps pendant lequel le salarié ne pouvait vaquer librement à ses occupations, mais la dure réalité des faits nous impose une définition plus précise de la durée effective du temps de travail afin que certaines dérives d'un certain patronat n'aboutissent pas à la conception inacceptable formulée par l'entreprise Michelin qui ose affirmer dans une note interne - je la tiens à votre disposition - que « le temps de travail effectif est le seul temps productif à l'exclusion du temps nécessaire à l'habillage, au casse-croûte, aux pauses, voire des jours fériés ».

M. Maxime Gremetz.

Elle n'est pas la seule !

M. Alain Néri.

Eh bien, nos anciens, mon grand-père, mes oncles, mon père, se sont battus pour avoir des temps de pause dans l'entreprise, pour n'avoir plus à se cacher derrière l'établi pour manger un quignon de pain ou se désaltérer. Monsieur Seillière, il faut que vous sachiez que nous n'accepterons pas un tel retour en arrière ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

La manufacture Michelin ose même un décompte horaire extravagant, aboutissant à afficher un horaire calculé en centièmes, précisant que 42 heures 8 centièmes de présence dans l'entreprise correspondraient à 34 heures 75 centièmes de travail effectif ! De qui se moque-t-on ? C'est un véritable affront au bon sens ! Cette définition est non seulement une dérive scandaleuse mais une véritable provocation. Nous la dénonçons comme telle et nous la récusons.

C'est pourquoi, avec nos collègues de la majorité plurielle, instruits par l'expérience, nous avons déposé un amendement qui a été adopté par la commission des affaires sociales et qui remet les pendules à l'heure, si vous me permettez l'expression, en donnant une définition qui précise les choses, de façon à préserver les droits des salariés et à insérer dans le code du travail que les temps nécessaires à la restauration, aux pauses, à l'habillage et au déshabillage, voire à la douche, sont des temps de travail effectif.

Contrairement à ce que vous affirmez sur les bancs de l'opposition, cette loi n'est pas une loi autoritaire puisqu'elle contribue, comme la première, au développement du dialogue social dans l'entreprise, mais elle est une loi de précaution indispensable contre les interprétations fallacieuses de certains.


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Cette loi vise avant tout au respect de l'homme et à sa prééminence dans l'entreprise, objectif qui devrait, je le pense et je le souhaite, être unanime sur tous nos bancs.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Gérard Fuchs.

M. Gérard Fuchs.

Monsieur le président, mesdames, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec l'instauration des 35 heures, et sans que tout le monde apparemment s'en rende compte, c'est une véritable mutation de société qui, je crois, va s'engager.

La réduction de la durée du travail, c'est bien sûr d'abord la création d'emplois.

M. Jacques Masdeu-Arus.

On les comptera !

M. Gérard Fuchs.

Au-delà des discours ou des attitudes, nous verrons bien à l'arrivée, chers collègues de l'opposition, si la réduction du temps de travail est faisable ou non, si elle est créatrice d'emplois ou non. Les premiers chiffres devraient vous convaincre. Nous ferons le bilan, le peuple nous jugera le moment venu.

M. Jacques Masdeu-Arus.

C'est la croissance qui crée des emplois.

M. Gérard Fuchs.

La réduction de la durée du travail est créatrice d'emplois par trois chemins.

Premier chemin, la voie directe, les 6 % liés à la première loi de l'année dernière : 120 000 emplois ont déjà été créés. Vous pouvez contester les effets d'aubaine, mais nous verrons.

La deuxième voie sur laquelle je veux insister est ce que j'appellerai la voie macro-économique. Un chômeur de moins, c'est du pouvoir d'achat supplémentaire, c'est plus de croissance et donc d'autres emplois. Je crois que la première loi sur la réduction du temps de travail a apporté sa contribution à la croissance que connaît aujourd'hui notre pays.

Enfin, la troisième voie est celle des nouveaux emplois, car le temps libre engendré par la réduction du temps de travail va créer de nouvelles activités et permettre à de nouveaux salariés d'apparaître. Et c'est là, je crois, à travers cette référence au temps libre, que l'on touche véritablement au changement de société.

Plus de temps libre, c'est d'abord moins de temps de travail pénible, mais c'est aussi plus de temps disponible pour la formation et l'épanouissement personnel, pour la participation à la vie citoyenne, qu'elle soit associative, syndicale ou, pourquoi pas ? - Martine Aubry l'a évoqué politique.

Je crois, en effet, que, face à une mondialisation qui est vécue de plus en plus comme menaçante, nous avons besoin de citoyens formés et responsables. La réduction de la durée du travail, c'est aussi pour moi une occasion de progresser dans cette direction, celle d'une maîtrise plus démocratique et plus collective du progrès et du marché.

Tout cela suppose bien sûr que le changement en cours n'ait pas pour conséquence ici ou là quelque recul.

Cela dépend d'abord bien sûr, diront certains, du mouvement social, mais cela dépend tout de même aussi de la nature du texte que nous votons, et je dois dire que j'ai eu à cet égard à un moment quelque inquiétude à propos du SMIC. Certaines imprécisions du texte initial pouvaient, en effet, entrouvrir des portes sur des chemins à mes yeux dangereux.

Parler des salaires égaux pour des emplois équivalents, c'était effectivement donner à certains patrons de mauvaise foi l'opportunité de procéder à des manipulations inacceptables. Ne pas évoquer explicitement la situation des entreprises nouvellement créées et de leurs salariés pouvait laisser croire à la possibilité de travailler 35 heures payées 35, ce qui pouvait signifier l'apparition d'un salaire mensuel net légal inférieur à 5 000 francs. Aucun député de la majorité plurielle, bien évidemment, ne pourrait l'admettre. Je crois essentielle la précision apportée grâce aux débats de la commission des affaires sociales, nourris pour une part du travail de mon groupe à savoir que le complément de salaire valable pour les salariés des entreprises existantes s'appliquera également aux salariés des nouvelles entreprises. Cela lève toute ambiguïté, et je n'imagine pas, bien sûr, que cette rédaction soit remise en cause au terme de notre débat.

Sous cette réserve, chers collègues, je dirai simplement que, ce soir, je suis un socialiste heureux, un député heureux et, plus simplement, un citoyen heureux, et j'espère que le projet de loi ainsi retravaillé recueillera une majorité significative de vos suffrages. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Je suis un président heureux, puisqu'il peut encore donner la parole à M. Eric Doligé, qui va devenir ainsi un opposant heureux.

(Sourires.)

M. Eric Doligé Puisque nous sommes tous heureux, monsieur le président, je rappellerai simplement que M. Néri, qui nous a donné une belle démonstration de sa vision de l'entreprise, est retraité de l'éducation nationale.

Il cherche à enrichir le texte mais, malheureusement, chaque fois qu'il intervient, il appauvrit un peu plus l'emploi. Je viens, moi, de passer vingt-cinq ans dans une PME à me battre pour l'emploi et mon pays et vous c omprendrez certainement, mesdames, monsieur les ministres, que j'aie du mal à rester sans réaction devant vos propositions.

La présentation de ce second projet de loi sur la réduction du temps de travail éclairera parfaitement les Français sur les deux visions de la société qui nous opposent.

Nos divergences portent autant sur le fond que sur la forme.

Pour réduire le chômage, vous voulez imposer par la loi la réduction du temps de travail à tous les salariés, qu'ils travaillent dans une multinationale ou dans une PME de cinq salariés, afin de gérer la pénurie, comme l'a fortement souligné Roselyne Bachelot dans son intervention. Nous, nous préférons la réduction du temps de travail choisie, négociée dans l'entreprise ou par branche d'activité. Nous faisons confiance aux partenaires sociaux pour gérer leur évolution sociale à leur rythme.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement. Au regard de la complexité du dispositif proposé, votre conception de l'organisation du travail est inquiétante. A votre décharge, je vous accorde qu'il n'était pas aisé de gérer toutes les contradictions internes à votre majorité : SMIC horaire et/ou rémunération mensuelle minimale, annualisation collective du temps de travail ou calendrier individualisé, accès direct aux modulations pour les entreprises ou seulement dans le cadre d'un accord de branche étendu.

A votre culte du règlement, de la contrainte, nous opposons la souplesse, la simplicité, la lisibilité. Ne pouvez-vous concevoir un régime simple et progressif des heures supplémentaires ? Pourquoi ne laissez-vous pas aux partenaires sociaux le soin d'organiser l'aménagement du temps de travail selon les contraintes de chaque secteur, de chaque entreprise ? Pourquoi, dans un premier temps,


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les avoir incités à s'entendre sur l'organisation du travail pour finalement mettre fin par la loi à l'application d'accords que vous avez vous-même étendus ? En relisant votre intervention sur les bienfaits du jardinage et du bricolage, madame la ministre, je dirai que votre meccano législatif pourrait se défendre si la France était le centre du monde, refermée sur elle-même. Or tel n'est pas le cas, vous le savez. Rappelez-vous, chez Péchiney, alors bénéficiaire, vous avez participé à des plans sociaux qui étaient destinés à assurer à votre groupe une position mondiale dominante alors menacée. N'y aurait-il pas une similitude avec un récent dossier ?

M. Jacques Masdeu-Arus.

Très bien !

M. Eric Doligé.

Certes, votre unique expérience professionnelle dans le privé fut dans la grande industrie, mais légiférer contre l'entreprise et les PME, celles qui représentent le vivier des emplois d'aujourd'hui et de demain,e st une attitude économiquement et politiquement suicidaire.

Nous, nous pensons que, pour créer des emplois, il faut au contraire un environnement juridique stable, un régime fiscal et social équilibré. Les lois ne doivent pas sans cesse perturber l'économie au rythme des promesses électorales.

Les prélèvements à hauteur de 45,3 % du PIB ne peuvent être créateurs d'emplois. Savez-vous que, lorsqu'une entreprise étrangère à la recherche d'un site dans mon département, vient me voir, trois désavantages comparatifs sont à chaque fois signalés : la réglementation du travail trop pesante, notamment les 35 heures à venir, l'attitude des pouvoirs publics à l'égard de l'industrie - interventionnisme constant - et le coût de la maind'oeuvre spécialement peu qualifiée en raison des coûts horaires ? J'ai à l'esprit un exemple précis qui montre que l'Espagne ou la Grande-Bretagne vont probablement bénéficier de nos faiblesses, et que 350 emplois et 700 millions de francs vont aller sous d'autres cieux.

Demandez-vous pourquoi, à croissance équivalente, nos partenaires créent plus d'emplois que la France ? En augmentant le coût du travail par le passage aux 35 heures, vous condamnez nécessairement à la fermeture ou à la délocalisation des secteurs entiers de notre industrie, ceux-là même qui éprouvent la plus grande difficulté à résister à la concurrence mondiale. Qu'adviendra-t-il du textile et de la mécanique ? Cela ne fait peut-être pas partie de vos préoccupations.

Avez-vous demandé aux salariés de ces branches ce qu'ils pensaient de votre dispositif ? Ne croyez-vous pas qu'ils préféreront travailler 39 heures, voire plus, afin d'assurer un salaire en fin de mois, plutôt que de réduire leur temps de travail, avec le risque de voir l'entreprise perdre encore plus de parts de marché et, finalement fermer ? Toutes les entreprises de nos circonscriptions nous demandent que les charges sur la main-d'oeuvre peu qualifiée soient abaissées, que l'impôt sur les sociétés soit réduit, que les prélèvements soient concurrentiels. Permettez-leur de mieux se défendre contre la concurrence internationale, et cessez de croire qu'une baisse des charges ne profite qu'au chef d'entreprise. Essayez enfin de concevoir l'entreprise comme une entité constituée de salariés et de dirigeants qui n'ont cure de la rhétorique sur la lutte des classes.

M. Jacques Masdeu-Arus.

Très bien !

M. Eric Doligé.

Faites confiance aux partenaires sociaux. Autorisez-leur le principe de subsidiarité. Ils sauront toujours mieux défendre leur intérêt que l'Etat ne le fera. Pour cela, il ne faut certes plus les considérer comme des éléments négligeables. Ils sont notamment révoltés de votre décision de vous approprier une partie des fonds de l'UNEDIC, au mépris des règles établies et dans le dos du Parlement.

Nous pensons que, dans le cas de la réduction de temps de travail et, plus généralement, de l'aménagement du temps de travail, la loi doit être subsidiaire à la convention ou à l'accord entre les partenaires sociaux.

Encore faut-il, pour cela, souhaiter le renforcerment du rôle de nos syndicats, et ne pas se contenter du fait que 7 % des salariés soient affiliés à nos organisations représentatives.

Le dialogue social ne se réduit pas pour nous à des textes de loi. A ce titre, nous aurions aimé vous voir proposer un projet sur la représentation des syndicats dans l'entreprise, et non pas quelque mesure autoritaire et dangereuse au détour d'un article.

Si vous manquez d'imagination, vous pouvez consulter Marc Blondel ou d'autres leaders. Ils pourront sûrement vous aider et seront de bon conseil. Pensez-vous que les salariés chercheront à se syndiquer si l'Etat n'a de cesse d'interférer dans les relations sociales et si le Gouvernement revient sur sa parole, comme vous le faites en balayant d'un revers de main le contenu des accords signés à ce jour ? Une association de chefs d'entreprise a récemment proposé aux parlementaires de faire un stage en entreprise.

J'ai cru comprendre que l'écho de cette proposition avait été faible. Serions-nous à ce point des spécialistes de l'entreprise ? J'en doute. Cette association pourrait, par exemple, vous inviter, madame la ministre, avec certains de vos experts, dans une entreprise du secteur textile. Il suffirait de quelques semaines pour que vous révisiez vos positions. L'expérience pourrait être enrichissante, pour vous, mais surtout pour l'emploi.

Madame la ministre, pensez à tous ceux qui, en ce moment, dans nos entreprises, se battent pour notre économie, pour enrichir le pays, et qui sont à votre merci. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures quinze, deuxième séance publique : Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (no 1786 rectifié) relatif à la réduction négociée du temps de travail : M. Gaëtan Gorce, rapporteur, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 1826).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT