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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE-ANDRÉ WILTZER

1. Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale. - Discussion d'une proposition de loi (p. 7325).

M. Jean Rouger, rapporteur de la commission des affaires culturelles.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 7326)

MM. Robert Gaïa, François Goulard, Daniel Paul, Jacques Godfrain, Mmes Annette Peulvast-Bergeal, Marie-Thérèse Boisseau,

M.

Yves Cochet.

Clôture de la discussion générale.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles.

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

DISCUSSION DES ARTICLES (p. 7336)

Articles 1er et 2. - Adoption (p. 7336)

Article 3 (p. 7336)

Amendement no 2 de M. Godfrain, avec le sous-amendement no 3 de M. Goulard : MM. Jacques Godfrain, François Goulard, le rapporteur, le président de la commission, Mmes la secrétaire d'Etat, Marie-Thérèse Boisseau. - Rejet du sous-amendement ; adoption de l'amendement.

Adoption de l'article 3 modifié.

Articles 4 à 7. - Adoption (p. 7337)

Article 8 (p. 7338)

Amendement de suppression no 1 du Gouvernement :

Mme la secrétaire d'Etat. - Adoption.

L'article 8 est supprimé.

VOTE SUR L'ENSEMBLE (p. 7338)

Adoption de l'ensemble de la proposition de loi.

2. Ordre du jour des prochaines séances (p. 7338).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE-ANDRÉ WILTZER,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

CONSEIL DE L'EMPLOI, DES REVENUS ET DE LA COHÉSION SOCIALE Discussion d'une proposition de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean Le Garrec et plusieurs de ses collègues relative à la création d'un Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) (nos 1516 rectifié, 1836).

La parole est à M. Jean Rouger, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean Rouger, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, mes chers collègues, notre époque est caractérisée par des évolutions sociales, économiques et culturelles rapides et incertaines. Notre société se distingue aussi par des inégalités, nouvelles ou anciennes, parfois changeantes, souvent profondes.

Nous devons donc nous doter d'outils fiables afin d'évaluer constamment notre société, en analysant, en déterminant les éléments constitutifs des coûts de production, en observant les revenus de nos concitoyens, en évaluant les disparités et la répartition de l'ensemble de ces revenus.

Dès 1966, cette nécessité d'éclairer les pouvoirs publics et les partenaires sociaux avait conduit à la création d'un outil d'observation destiné à offrir « une connaissance plus rapide et plus complète de tous les revenus constitutifs des coûts de production » ; c'était la naissance du Centre d'étude des revenus et des coûts, le CERC.

La qualité des études, l'indépendance et la compétence scientifique de ce centre d'études, ainsi que la crédibilité qu'il avait su acquérir au fil des années lui ont assez rapidement conféré un statut d'outil de recherche économique et social de qualité et d'utilité incontestable.

Véritable observatoire des revenus des Français, le CERC, en facilitant la diffusion d'informations d'ordre social et économique dans la société française a permis d'approfondir le débat public ; il a vérifié l'existence d'inégalités sociales et permis leur analyse. Il s'est imposé comme un outil d'information digne de l'exigence de notre vie démocratique.

Cependant, le 20 décembre 1993, lors de l'examen de la loi quinquennale relative à l'emploi et à la formation professionnelle, un amendement du Sénat lui a substitué le CSERC, le Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts.

Cette substitution a provoqué, à l'époque, de vives protestations au sein de la communauté des économistes français, parmi le personnel politique et chez de nombreux observateurs.

M. François Goulard. N'exagérons rien ! (Sourires.)

M. Jean Rouger, rapporteur.

En effet, ce changement d e dénomination s'est également accompagné d'une transformation de l'outil originel.

En lui agrégeant l'impérieuse nécessité de contribuer à la connaissance « des liens entre l'emploi et les revenus » et en lui demandant de « formuler des recommandations de nature à favoriser l'emploi », le CSERC a vu ses frontières d'investigation s'agrandir, fragilisant, par la même occasion, ses compétences, son efficacité et, pour partie, sa crédibilité.

Dès 1998, un rapport, demandé par le Premier ministre à Mme Join-Lambert, mettait en évidence la nécessité de faire évoluer, à nouveau, les missions du CSERC.

Ici même, notre collègue Jean-Michel Marchand et les membres du groupe socialiste ont également proposé, lors de l'examen du texte relatif à la lutte contre les exclusions, que les attributions du CSERC soient revues afin qu'il s'attache plus précisément aux questions relatives aux inégalités et à la cohésion sociale, et que cet outil bénéficie d'un plus grand pluralisme, d'une autonomie certaine et de la capacité d'une expression indépendante.

L'objet de la proposition de loi qui nous est présentée ce matin est donc de reconstituer « ce thermomètre des revenus » dans ses objectifs initiaux, en en précisant les contours et les missions, en en redéfinissant la composition et le mode de travail. La proposition de loi a également pour but de faire comprendre et épouser les évolutions de notre société tout en répondant à une nouvelle méthode d'évaluation dans le paysage statistique et institutionnel de notre pays.

En effet, force est de constater que les modifications nécessaires à la transformation du CSERC ne doivent en rien s'inscrire dans une volonté passéiste qui aurait pour objectif de redonner vie à l'ancien CERC. La majeure partie des personnels qui avaient fait la vitalité du CERC a été reprise au sein de différentes institutions en charge de l'observation des indices statistiques : l'INSEE, la DARES, le SESI ou bien encore l'IRES.

Ce nouvel organisme doit en priorité se libérer de tentations technocratiques afin de mieux répondre aux attentes de la société civile.

Il doit informer la représentation nationale, alimenter le débat économique et social et briller par son caractère pédagogique.

Ainsi, il est proposé, dans l'article 1er , que ce Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale contribue à améliorer « la connaissance des revenus, des inégalités sociales et des liens entre l'emploi, les revenus et la cohésion sociale ».

Comme l'ancien conseil, la mission du nouveau CERC prendra en compte l'emploi ; en revanche il n'aura pas à exercer de recommandations en la matière, cette fonction


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relevant, en effet, plutôt des services du Gouvernement.

Le Conseil, qui pourra être saisi par le Premier ministre, pourra également s'autosaisir des questions de sa compétence.

L'article 2, en proposant un conseil de taille réduite constitué de personnalités représentatives de la société civile, issues d'itinéraires divers et reflets de ses différentes composantes, se donne les moyens de son ouverture et de son indépendance. L'objectif est d'asseoir l'autonomie du Conseil sur l'autorité et la qualité des personnalités ainsi que sur leur légitimité et leurs expériences professionnelles.

Au-delà même de la composition du Conseil qui est une des garanties de son indépendance, les articles 3 et 4 posent des règles propres à assurer l'autonomie de cet organisme dans la poursuite de ses travaux.

Il est proposé que les rapports du Conseil, élaborés sous sa responsabilité, soient rendus publics par le Conseil lui-même et que la transmission de ses travaux au Premier ministre et aux présidents des Assemblées ne soit, en aucun cas, un préalable à leur publication. Il est raisonnable de penser que cette automaticité et cette transparence dans la publicité des travaux rejailliront sur leur clarté et leur lisibilité.

En outre, le président du Conseil pourra être entendu par les commissions des assemblées parlementaires à la demande des présidents de ces commissions.

Enfin, il sera interdit aux membres de solliciter ou d'accepter aucune instruction dans l'exercice de leurs activités.

L'article 5, quant à lui, définit les moyens dont le CERC disposera pour mener à bien ses travaux. Ainsi, le Conseil pourra se faire communiquer de la part des administrations les éléments nécessaires à l'exercice de sa mission. Cette mesure, destinée à valoriser et à mobiliser le potentiel des organismes d'études et de statistiques existants, évitera que le CERC ne s'enferme dans une logique de superposition de compétences.

L'article 6 stipule que la composition et le fonctionnement du Conseil sont renvoyés à un décret en Conseil d'Etat, ce qui est destiné à donner à la création de cet organisme une certaine souplesse.

L'article 7 enfin indique que le Conseil nouvellement créé se substitue au CSERC et abroge l'article de la loi qui avait mis en place ce dernier.

L'examen de cette proposition de loi par la commission des affaires culturelles familiales et sociales a donné lieu à une adoption sans modification.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Robert Gaïa.

M. Robert Gaïa. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en examinant aujourd'hui la proposition de loi de Jean Le Garrec, relative à la création d'un Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, les membres du groupe socialiste témoignent de la façon dont ils conçoivent l'information économique et sociale.

I ls soulignent ainsi l'importance qu'ils souhaitent accorder aux outils permettant de mieux répondre aux évolutions sociales, afin de lutter plus efficacement contre les nouvelles formes d'inégalités.

M. François Goulard. Ce n'est pas gagné ! M. Robert Gaïa. Si l'invalidation par le Conseil constitutionnel de l'article de la loi de lutte contre les exclusions qui permettait cette création a retardé son adoption, elle l'a surtout sorti de son contexte. N'oublions pas en effet que la volonté d'inclure cet organisme dans l'ambitieux texte de loi défendu par Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, témoignait du souci de notre majorité d'aborder la cohésion sociale sans parti pris mais avec un souci permanent de répondre au plus près des situations du terrain. Comme l'indiquait un ancien rapporteur du CERC, « en matière de sciences humaines, il n'y a guère d'étude appliquée qui vaille sans écoute attentive et respectueuse de ceux auxquels l'étude s'applique ».

L'esprit de cette proposition de loi est en effet d'aborder les évolutions de notre société avec un regard objectif.

Seules l'indépendance et la fonctionnalité d'un organisme de taille restreinte le permettent.

La qualité des travaux de l'ancien CERC et l'autonomie de ton qu'avait notamment su lui conférer son dernier président, mon ami Christian Goux, sont les références qui ont guidé la réflexion du groupe socialiste.

Les travaux réalisés par l'ancien Centre d'étude des revenus et des coûts sur des sujets parfois tabous, tels que le patrimoine des Français, les transferts financiers entre générations, la rémunération des jeunes entrant dans la vie active ou les revenus des plus de soixante ans, ont permis à cet organisme d'acquérir progressivement une légitimité et une compétence indiscutables.

C'est parce que ces études pouvaient être dérangeantes pour les gouvernements, quels qu'ils soient, qu'elles ont été d'autant plus utiles. Il est fondamental dans toute d émocratie de disposer d'organismes indépendants menant des travaux sur des questions essentielles du débat public.

A ce titre, sa suppression en 1994 a été une erreur.

Non seulement le gouvernement Balladur a cassé un organisme dont la durée n'avait fait qu'accroître l'autonomie, la compétence et donc l'utilité, mais surtout le conseil qui lui a succédé n'a pas été en mesure de répondre aux attentes des acteurs sociaux.

S'il était souhaitable d'adapter les missions du CERC, notamment à l'emploi, et de modifier son organisation en fonction de l'évolution du contexte institutionnel des statistiques et des études, la transformation opérée en 1994 l'a en fait profondément dénaturé.

La création d'un Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale est donc une nécessité dans une société dont les évolutions sont de plus en plus rapides.

En contribuant à une meilleure connaissance des revenus, des inégalités sociales et des liens entre l'emploi, les revenus et la cohésion sociale, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui entend intégrer l'ensemble des éléments constitutifs d'un panorama de la cohésion sociale.

Le président et les six membres qui le composeront seront nommés par décret. Leur autorité et leur légitimité devront être la meilleure garantie de son indépendance.

C'est cette procédure qui avait prévalu en 1966 lors de la création du CERC initial.

La qualité de ses publications, la létigimité qu'il a acquise et l'indépendance dont il a su faire preuve, au point d'en être supprimé, montrent qu'une telle procédure de nomination ne saurait constituer un obstacle à l'indépendance requise.


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Il faudra cependant veiller, comme l'a précisé M. le rapporteur, à ce que ces personnalités soient davantage représentatives de la société civile et de ses composantes plutôt que de la seule administration.

Au-delà de sa composition, la publicité des rapports du Conseil doit renforcer son autonomie. Contrairement au conseil mis en place en 1994, cette publicité sera générale, et il n'est pas exigé comme préalable la transmission des rapports au Premier ministre et aux présidents des assemblées.

Enfin, en tant que parlementaire, je me réjouis - et j'espère ne pas être le seul - que les commissions des assemblées parlementaires, à la demande de leurs présidents, puissent entendre le président du CERC. Cette procédure nous permettra d'éclairer utilement nos travaux et de mieux appréhender les évolutions sociales auxquelles nous sommes confrontés.

Mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans la continuité de l'action entreprise par le Gouvernement. La prise en compte des évolutions de notre société et les réponses apportées aux catégories les plus touchées par les adaptations qu'elles nécessitent exigent une approche non partisane des éléments constitutifs de ces changements.

Je regrette que l'opposition se soit servie d'un prétexte technique pour ne pas soutenir le symbole qu'aurait constitué la création de cet organisme lors du vote de la loi de lutte contre les exclusions. Au regard de l'utilité du CERC, de la compétence qu'il a mise en oeuvre et du respect qu'il avait acquis, au regard de l'importance des missions du CERC que nous vous proposons de créer et de l'indépendance dont il fera preuve, au nom de la lutte contre les inégalités, qui est notre combat permanent, le groupe socialiste votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. François Goulard.

M. François Goulard.

Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, certes, le nom de l'auteur de cette proposition de loi, en l'occurrence le président de la commission des affaires sociales, Jean Le Garrec, m'interdit d'ironiser...

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

J'espère bien ! (Sourires.)

M. François Goulard.

... sur l'événement que constitue la création d'un «

CERCS » pour remplacer le CSERC, qui lui-même avait succédé au CERC. (Sourires.) Je pourrais me borner à dénoncer un « machin » qui remplace un « machin », et qui va s'ajouter à beaucoup d'autres

« machins » générateurs de coûts et n'apportant en réalité pas grand-chose ; mais je ne crois pas que ce soit le fond de l'affaire. Et si Jean Le Garrec a voulu attacher son nom à la création, ou la « recréation », de cet organisme, cela m'interdit de penser qu'il s'agit d'un fait anodin.

Car derrière le mot d'indépendance, que les orateurs précédents ont employé à l'envi, se cache en réalité tout autre chose, la volonté de recréer une tribune, une sorte de porte-voix idéologique chargé de développer les thèses aujourd'hui officielles de la majorité qu'il représente.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

En effet, dans le texte qui nous est soumis, quelle disposition garantit réellement l'indépendance des membres de ce nouveau conseil ? Aucune. Tout est renvoyé à un décret. Et nous savons très bien que votre volonté est de nommer des personnalités qui vous conviennent, de leur offrir une tribune, et de les doter d'un label qui permette de faire passer vos idées en leur donnant un lustre qu'elles n'auraient pas eu autrement.

M. Robert Gaïa.

Je vois que vous respectez les chercheurs !

M. François Goulard.

Je prendrai, pour illustrer mes craintes, l'exemple de cet autre organisme qui, autrefois, avait une indépendance et dont les travaux avaient une valeur, à savoir la Commission des comptes de la sécurité sociale. J'ai lu avec stupeur dans le dernier rapport de cet organisme présenté à la presse des phrases dignes de la plus pure polémique politicienne.

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Oh !

M. François Goulard.

Cet organisme, qui, jusqu'à présent, manifestait une certaine hauteur de vue et aux avis desquels s'attachait un certain respect, se permet d'employer, par exemple, l'expression « gouvernements de droite » pour désigner les gouvernements qui ont précédé 1995...

Mme la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Ce n'est pas vrai ?

M. François Goulard.

... en établissant des comparaisons entre les chiffres actuels et les chiffres de cette période et sans faire référence bien sûr aux chiffres beauc oup plus impressionnants mais assortis du signe

« moins » de la période qui avait immédiatement précédé 1993.

Personne ne doit être dupe de l'opération que vous faites. Ce n'est pas une opération majeure, mais cela peut être pour vous une opération utile. Sachez en tout cas que nous, nous voyons clair dans ce jeu.

A plus long terme, se posera dans notre pays le problème de l'indépendance de l'expertise économique.

A cet égard, nous avons un important retard culturel, puisque, en France, l'expertise économique est très largement concentrée, pour ne pas dire uniquement, dans des organismes publics dont beaucoup dépendent directement du Gouvernement. Leur indépendance n'est donc pas du tout assurée. J'estime qu'il s'agit d'une faiblesse, tant sur le plan scientifique qu'au niveau de la démocratie.

J'appelle donc de mes voeux la constitution d'organismes d'analyse économique véritablement indépendants, par exemple, au sein de nos universités.

Mme Marie-Thérèse Boisseau. Est-ce possible ? M. François Goulard. Encore faudrait-il que les moyens nécessaires leur soient dévolus et que, corrélativement, tous les services d'études économiques existant dans l'administration disparaissent peu à peu pour laisser la place à de véritables laboratoires d'analyse économique.

Il s'agirait d'une réforme importante pour la démocratie. Elle permettrait notamment d'éviter des débats surréalistes comme ceux que nous avons sur le texte relatif à la réduction du temps de travail, pour lequel la plupart des pauvres études qui nous ont été présentées ont été réalisées sur ordre par des fonctionnaires soumis à l'autorité hiérarchique de leur ministre.

Mme la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Oh !

M. François Goulard.

Cela n'est pas satisfaisant et ce n'est pas à l'honneur de notre pays. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Robert Gaïa.

Vous étiez meilleur et plus drôle hier soir !


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M. le président.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul.

Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, notre groupe ne peut que se féliciter de la proposition qui nous est présentée aujourd'hui, dans le cadre d'un texte d'initiative parlementaire, de revenir sur la décision du gouvernement Balladur, prise au détour d'un amendement à la loi quinquennale sur l'emploi, mettant en cause l'existence du Centre d'étude des revenus et des coûts.

Le CERC, il n'est pas inutile de le rappeler, avait été créé par un décret du 18 avril 1965 et placé sous l'autorité du Commissariat général du plan. Il publiait chaque année, de sa propre initiative, des études sur la formation des revenus, sur l'éventail des salaires, sur la distribution des patrimoines et sur des comparaisons internationales.

Le constat annuel sur l'évolution des revenus français, réalisé depuis 1983 et qui éclairait l'évolution de l'éventa il des revenus, quelle que soit leur origine, a largement fait connaître le CERC bien au-delà des seuls spécialistes. Sa mission n'était pas de formuler des recommandations en fonction de leur nature ou des destinataires, mais bien d'éclairer, par la finesse technique et l'objectivité de ses analyses, tant les pouvoirs publics que les partenaires sociaux en contribuant à une connaissance plus rapide et plus complète de tous les revenus constitutifs des coûts de production.

Le CERC, dont l'indépendance et le pluralisme étaient largement reconnus, a contribué à un vrai débat autour des résultats de ses études, mais aussi sur les méthodes choisies. Son mode de fonctionnement original, fondé sur le dialogue entre un conseil pluraliste, donc représentatif de points de vue et d'angles d'approche différents, et une équipe d'étude regroupant une variété de compétences, a permis des avancées certaines dans la manière de concevoir la connaissance de la réalité économique et sociale.

La mise à mal du CERC, sous couvert de sa transformation en un Conseil supérieur de l'emploi des revenus et des coûts, a constitué, à cet égard, une véritable régression. Elle était malheureusement prévisible à la lecture des amendements adoptés au Sénat dans le cadre de l'examen de la loi quinquennale pour l'emploi, que nous avions alors dénoncée.

Le décret instituant le CSERC était particulièrement éclairant sur les motivations de cette transformation décidée en catimini, si ce n'est de manière honteuse,...

M. Jacques Godfrain.

Oh !

M. Daniel Paul.

... qu'il s'agisse de la composition du nouvel organisme - avec une majorité de représentants de la haute fonction publique assistés par une maigre équipe de chercheurs issus de quelques grands corps d'Etat - ou de son rôle : la production d'un unique rapport annuel, se limitant à une compilation de qui existait déjà ailleurs notamment dans l'administration.

Le CSERC n'était pas habilité à développer et encore moins à publier ses propres études. Son rapporteur était nommé et révoqué par le Premier ministre, avec tout ce que cela peut signifier au regard de l'indépendance de son fonctionnement.

Sous couvert d'un recentrage sur l'emploi, c'est bien la mise à mal d'un instrument précieux d'investigation, forcément dérangeant pour toutes les idées reçues, mais aussi - comment ne pas le dire ? - pour tout le gouvernement susceptible d'être l'objet de critiques.

Avec le démantèlement du CERC, un potentiel précieux a été dispersé ; toute une logique de coopération scientifique avec des centres de recherche étrangers - et en particulier européens - a été compromise.

Fort heureusement - et nous ne pouvons que leur en savoir gré - les chercheurs, renvoyés dans leurs administrations d'origine ou poursuivant sous d'autres cieux leur carrière universitaire, n'ont pas baissé les bras et ont souhaité continuer le CERC autrement. Une association a ainsi été créée regroupant quelque trois cents chercheurs mais aussi les partenaires sociaux. Elle a continué à apporter, depuis lors, une contribution précieuse au débat économique et social.

CERC-Association a, par exemple, dans son étude de juillet 1997, très bien montré comment, concrètement, la pauvreté avait progressé dans notre pays au cours des deux dernières décennies en examinant, par exemple, le nombre de nos concitoyens - quelque 3 millions de ménages, soit 6 millions de Français - qui bénéficiaient alors d'un revenu minimal garanti.

Cette même étude relativisait l'effort consenti par la collectivité pour lutter contre la précarité et les phénomènes de pauvreté et d'exclusion en montrant, en particulier, la baisse du niveau relatif des minima sociaux depuis 1983 et en donnant tous les éléments permettant de replacer l'évolution de ces minima en relation avec le revenu moyen des ménages.

Avec la création de ce nouveau CERC, ce travail d'investigation devrait retrouver tout son développement. Il est aujourd'hui plus que jamais nécessaire d'avoir une connaissance approfondie, partagée, confrontée sur les données et les faits économiques et sociaux.

Faire toute la lumière sur la manière dont se répartissent les richesses dans notre société, déterminer comment s'établissent concrètement les coûts dans la production, sont des objectifs au moins autant d'actualité aujourd'hui que lors de la création du CERC en 1965.

Les grands groupes industriels et financiers sont engagés dans une course effrénée à la rentabilité financière se traduisant par des fusions et des suppressions massives d'emplois, comme en témoigne l'exemple emblématique et d'actualité de Michelin. Cela accroît encore la nécessité de comprendre ce qui se passe à l'échelle macroéconomique, ainsi qu'au niveau des stratégies conduites par les entreprises, avec toutes les conséquences que cela peut avoir en cascade pour les tissus économiques régionaux et pour le corps social dans son ensemble.

Des formes nouvelles de précarité et d'exclusion apparaissent, liées à la manière dont s'opèrent la répartition e t la polarisation des richesses dans notre société. Leur développement appelle un effort approfondi de connaissance.

La proposition d'étendre les missions du CERC à l'étude des phénomènes relatifs à la cohésion sociale est donc des plus judicieuses.

L'action sur ces questions vaut non seulement pour les pouvoirs publics mais aussi pour les acteurs sociaux.

Face à la précarité qui mine les grands équilibres de notre société, affirmer par exemple la nécessité de nouveaux droits de contrôle et d'information pour les salariés, donc, de notre point de vue, d'une intervention sur les gestions, appelle un développement de la recherche théorique et de la recherche appliquée sur les grands paramètres économiques et financiers et sur les phénomènes sociaux. Nous savons combien certains intérêts peuvent rechercher l'opacité maximale, ce qui souligne d'autant l'enjeu de se donner les moyens d'un vrai débat démocratique permettant la participation et l'intervention des citoyens.

Cette indépendance dans l'expertise, que le CERC a défendue tout au long de son existence, est la condition même de l'approfondissement d'une démocratie qui doit


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s'élargir beaucoup plus à la sphère économique et sociale.

L'équipe du CERC, lors d'une contribution à un colloque organisé courant 1994, affirmait une certaine éthique de l'information économique qui mérite d'être rappelée, car elle donne tout son sens et sa perspective à la proposition de loi que l'on nous propose aujourd'hui d'adopter.

L'information sur les revenus, parce qu'elle nous renseigne sur le fonctionnement de notre société, constitue un élément crucial et souvent brûlant du débat social, pouvait-on lire dans cette contribution, qui ajoutait :

« Cette information doit être pertinente et correspondre à l'attente de la société. Le producteur d'information doit écouter les demandes de la société civile et se soucier de la multiplicité des approches.

« L'information produite doit être acceptée et on accepte plus facilement ce que l'on comprend. Plus que jamais l'effort de dialogue avec les acteurs est nécessaire pour valoriser l'information, la rendre utilisable.

« Il est indispensable de clarifier les concepts, d'expliquer les relations que l'on observe, de nuancer les typologies.

« A cette condition peuvent être évitées les erreurs de diagnostic auxquelles peuvent mener des conceptions simplistes et désincarnées de la société.

« Une information de qualité repose sur l'accumulation d'un savoir-faire rempart contre la passion du court terme et contre la tentation du jugement à l'emporte-pièce.

« Ce savoir-faire nécessite le développement de méthodes et l'acquisition progressive d'une expérience qui ne peut être capitalisée que dans la durée.

« Il ne saurait être remplacé par des expertises ponctuelles conduites par des équipes de passage. »

Cette manière de concevoir la connaissance pour l'action mériterait d'être partagée bien au-delà du CERC.

Trop de choix fondamentaux demeurent opérés dans le secret de cercles étroits de décideurs économiques sans que leurs finalités et leurs conséquences ne soient réellement mises en débat, alors qu'une démocratie vivante suppose que les citoyens ne soient pas seulement spectateurs, mais disposent des moyens de comprendre des décisions qui conditionnent leur vie la plus quotidienne.

J'ai l'impression de me retrouver dans le débat d'hier soir sur les 35 heures.

Contrôler l'usage des fonds publics censés contribuer à l'emploi, favoriser, à l'échelle des régions et des bassins d'emploi, la recherche de solutions alternatives aux plans sociaux en associant tous les acteurs concernés, en particulier les institutions bancaires, supposent un effort réel de transparence mais aussi de connaissance.

A pprofondir la démocratie économique et sociale nécessite que l'on mobilise dans une véritable logique de service public toutes les institutions existantes, non seulement l'INSEE et les différents organismes de recherche, mais aussi les établisssements du secteur financier public qui peuvent contribuer, par exemple, à mieux faire connaître la manière dont s'établissent les flux financiers dans les régions.

C'est en appréciant comme une avancée dans cette perspective le texte aujourd'hui en débat que notre groupe votera cette proposition de loi du groupe socialiste relative à la création d'un conseil de l'emploi des revenus et de la cohésion sociale.

(Applaudissements sur les bancs de groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Godfrain.

M. Jacques Godfrain.

Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il a fallu du temps pour que la majorité d'aujourd'hui, opposition d'hier, reconnaisse les vertus des ordonnances de 1966, proposées par le président Georges Pompidou, alors Premier ministre, auprès duquel travaillait Edouard Balladur. Il a fallu exactement trentetrois ans pour que le groupe socialiste, dénommé autrement à l'époque, et vos alliés, le groupe communiste...

M. Daniel Paul.

Le groupe communiste s'appelle toujours comme ça ! (Sourires.)

M. Jacques Godfrain.

Vous n'avez jamais changé, nous le savons ! ... reconnaissent que ces ordonnances comportaient de bonnes dispositions, que dis-je, d'excellentes dispositions puisque vous êtes aujourd'hui les premiers laudateurs de ce que le gouvernement de 1966 avait proposé aux Français en matière d'action économique et sociale.

Je suppose que, dans trente-trois ans, vous en viendrez - du moins ceux qui seront encore là...

M. René Mangin.

Nous serons toujours là !

M. Jacques Godfrain.

... à reconnaître que l'action menée en 1993 par le Premier ministre, Edouard Baladur, était bonne. Mais le temps est galant homme, nous le reconnaissons.

L'appréciation très positive que vous portez à l'égard du CERC, né d'une démarche ancienne, nous donne la satisfaction de constater que vous admettez que les gouvernements des années 60 ont pris de bonnes mesures.

A cet égard, vous ne manquez pas de sévérité contre la modification apportée en 1993 par le gouvernement d'Edouard Balladur à la suite d'un amendement du Sénat. Pourtant, cela témoigne d'une certaine contradiction dans votre attitude puisque, dans le même temps, vous estimez que ce genre d'organisme doit s'intéresser à l'évolution des choses et que ses frontières d'investigation doivent s'élargir, ce qui était précisément l'objet du changement introduit à l'époque, alors que le grand sujet de préoccupation du moment, l'emploi, était déjà d'actualité.

Si, en 1966, ce dernier n'avait pas fait partie des sujets à étudier en priorité par le CERC - ce qui se comprend car il y avait moins de 500 000 chômeurs -, en 1993, il avait été classé parmi les priorités de l'action du nouveau CSERC. Or c'est cet élargissement du domaine d'action que vous reprochez au CERC de 1993. Cela semble signifier que vous niez l'intérêt qu'il y à placer l'emploi dans les missions de ce nouvel organisme.

L'illogisme de votre démarche apparaît également à propos de l'indépendance de cet organisme. A cet égard, j'ai bien écouté les critiques formulées par M. Paul, au nom du Parti communiste, et par d'autres orateurs, mais aucun n'a cité un seul cas qui aurait permis de mettre en doute l'indépendance du CSERC.

Certes, il y a bien eu certaines allusions à la nomination des membres, ce qui est déjà une sorte d'offense pour les experts, pour les hauts fonctionnaires et aussi - même si vous avez oublié de les évoquer - pour les universitaires choisis. Mais en affirmant que l'indépendance de cet organisme est peu respectée, vous laissez entendre que ces personnalités pourraient céder à certaines pressions. Il n'est pas très honorable pour elles de faire planer ainsi un soupçon général. Si vous connaissez des cas précis, citez-les. Vous en aviez l'occasion, mais vous ne l'avez pas fait.

Je décèle encore une troisième contradiction dans votre attitude.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1999

Ainsi, le rapporteur a prononcé cette excellente phrase :

« Ce nouvel organisme doit en priorité se libérer de tentations technocratiques. » Bravo

! Il a ajouté : « Il doit alimenter le débat économique et social. » Re-bravo

! Mais comment se fait-il que personne n'ait songé, lors de la rédaction de ce texte, à prévoir au moins l'information du Conseil économique et social sur le contenu des rapports du Conseil de l'emploi ? A cet égard, le texte cite les assemblées parlementaires.

Fort bien, car un député ou un sénateur ne peut qu'être heureux d'être ainsi informé. Pourtant, s'il existe en France une institution dans laquelle les débats ont lieu dans la sérénité entre les acteurs économiques et sociaux, ceux-là mêmes auxquels vous faites allusion, c'est bien le Conseil économique et social créé après la Seconde Guerre mondiale.

Evidemment, il est à l'abri des grandes envolées médiatiques, des petites phrases, de la politique spectacle, à laquelle, sur tous les bancs, reconnaissons-le, les assemblées parlementaires se livrent parfois. En revanche, il présente l'avantage de permettre à des représentants d'organismes syndicaux, patronaux, associatifs, bref d'organismes rassemblant des forces vives de ce pays, de se parler en toute liberté.

On ne mesure peut-être pas assez, notamment dans cette assemblée, l'importance du dialogue qui se déroule dans la sérénité du Palais d'Iéna. Il conviendrait sans doute - et cette recommandation va au-delà de ce texte que l'on saisisse plus souvent les sections du Conseil économique et social et que l'on travaille davantage sur les rapports de son assemblée plénière.

Je veux ajouter une remarque qui se situe dans la ligne des propos tenus par plusieurs orateurs sur ce sujet, notamment M. Paul. Elle concerne les inégalités sociales régionales.

En effet, s'il est bien de procéder à un examen national des revenus, on constate que lorsqu'il faut alimenter le débat sur la régionalisation ou sur l'aménagement du territoire, nous sommes, bien plus souvent qu'on ne le croit, démunis de statistiques sur l'état social et économique des régions.

Même si l'on constate un certain abandon de la politique d'aménagement du territoire - nous en avons débattu hier avec Mme Voynet -, il serait important de faire en sorte que les conseils économiques et sociaux régionaux non seulement soient informés de ces études sur les revenus, sur la précarité, sur les inégalités sociales, sur l'emploi, mais également qu'ils soient à la source même de l'information.

Ils débattent eux aussi, comme le Conseil économique et social à Paris, et dans la même sérénité, et produisent des rapports qui contiennent des propositions excellentes pour les conseils régionaux, si ce n'est qu'elles sont plus politiques.

En conclusion, la proposition de loi que vous nous présentez ne vaudra que si, véritablement, il est reconnu que le texte de 1993 a réalisé un élargissement utile. J'attends de vous, madame la secrétaire d'Etat, que vous modériez un peu les critiques faites par les orateurs précédents à l'égard de l'organisme de 1993 et que vous demandiez à votre majorité de voter l'amendement que nous avons déposé tendant à transmettre le rapport du CERC également au Conseil économique et social ainsi que - permettez-moi d'insister car, même si un problème de forme se pose, nous pourrons le dépasser d'une manière ou d'une autre - aux conseils économiques et sociaux régionaux, car ils font, l'un comme les autres, un excellent travail.

Chacun, sur ces bancs, appelle de ses voeux un vrai débat démocratique sur les revenus, l'emploi et les inégalités sociales. Par mon amendement, j'apporte un élargissement et un approfondissement du débat démocratique et je ne doute pas que la majorité le votera.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Annette Peulvast-Bergeal, pour cinq minutes.

Mme Annette Peulvast-Bergeal.

Madame la secrétaire d'Etat, mesdames, messieurs - je constate que la parité est bien respectée aujourd'hui (Sourires) - créer un conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, oui ! Mais pourquoi et pour quoi faire ? Je répondrai à ces deux questions, - brièvement, car beaucoup de choses ont déjà été dites sur cette proposition de loi par notre éminent collègue et ami Le Garrec - en insistant sur l'utilité de cette création et sur les conditions nécessaires à la mise en place d'un conseil efficace, objectif et transparent, car, de ces conditions dépendra la capacité de celui-ci à coller au plus près aux réalités, et donc à prendre la juste mesure, à un moment donné, de la situation économique et sociale de notre pays.

Pourquoi cette proposition ? Jusqu'en 1994, à chaque printemps, le CERC, le centre d'études des revenus et des coûts, qui avait été créé en 1966, et dont les compétences avaient été élargies en 1976, rendait son rapport, lequel permettait notamment de préciser avec beaucoup de finesse l'évolution et la répartition des revenus dans notre pays. Cette instance, reconnue de tous et par tous, avait largement fait ses preuves par la qualité et l'importance des informations économiques et sociales fournies dans ses rapports.

Le Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts, mis en place par le gouvernement de M. Balladur en 1994 à la suite d'un amendement à la loi quinquennale sur l'emploi, n'a pas su occuper la place de cet organisme. Cette décision s'est heurtée à l'incompréhension générale. A l'époque, Jean Le Garrec, président actuel de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, avait déploré publiquement cette suppression et de nombreux parlementaires, dont le président actuel de l'Assemblée, Laurent Fabius, avaient interpellé le gouvernement de l'époque sur cette mesure injuste envers le travail fourni par les membres du CERC. D'autres personnalités dans cet hémicycle, dont M. Raymond Barre, avaient fait part de leur attachement à cette institution qui avait su fournir des informations précieuses sur l'évolution et la répartition des revenus et du capital dans les différentes catégories sociales.

Les publications de cet organisme avaient fait la preuve de l'indépendance de celui-ci, personne ne peut le nier, allant même jusqu'à indisposer différents gouvernements.

Pourtant, mes chers collègues, nous savons tous que les gouvernants ont tout à gagner à accepter un débat démocratique qui se déroule dans la clarté et dans la sérénité, comme cela vient d'être dit, plutôt que d'ignorer les faits qui ne correspondent pas à leurs voeux ou à leur volonté.

C'est toute la pertinence du gouvernement actuel d'avoir d'emblée affirmé sa volonté de garantir au futur CERC indépendance, autonomie et transparence.


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Tout le monde s'accorde aujourd'hui à penser que les quatre rapports fournis par le conseil supérieur mis en place par M. Balladur n'ont pas eu l'impact de ceux produits par le CERC et n'ont donc pas établi sa légitimité auprès des partenaires, qu'ils soient économiques, sociaux ou politiques.

La création du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale répond pleinement à la demande des acteurs sociaux, des associations et des syndicats et à la volonté du gouvernement de Lionel Jospin. Comme l'avait rappelé, dans cette enceinte, Bernard Kouchner, alors secrétaire d'Etat à la santé, lors du débat sur la loi relative à la lutte contre les exclusions, restaurer le CERC c orrespond aux préoccupations du Gouvernement.

Celui-ci avait d'ailleurs déjà engagé la concertation en amont avec différents partenaires sociaux et ces derniers avaient été amenés à se prononcer sur le rapport qui avait été commandé par le Premier ministre à Mme MarieThérèse Join-Lambert, inspecteur général des affaires sociales. Ces consultations l'avaient conforté dans le bienfondé de cette mesure.

J'ajouterai une remarque. Le travail de l'ancien CERC était effectué en contact étroit avec les partenaires sociaux. Il avait pour habitude de soumettre ses conclusions, fussent-elles provisoires, concernant l'activité et le revenu d'une catégorie spécifique à l'organisation professionnelle concernée, lui offrant ainsi la possibilité de s'exprimer. Ces initiatives étaient la preuve de sa volonté de nourrir le débat social. Nous souhaitons que le nouveau CERC puisse contribuer aux efforts de concertation sociale, auxquels nous sommes tous attachés. Il y a un véritable besoin de dialogue social, et le CERC devra en tenir compte dans l'avenir pour ses travaux.

Deuxième question : quelle utilité aura la nouvelle structure ? Elle devra être capable de fournir des études fines, précises, rapides, objectives sur les revenus, les disparités et l'emploi. L'article 2 de la proposition de loi répond à cette attente en prévoyant une structure légère, composée d'un président et de six membres remplaçant l'équipe de 40 chercheurs permanents du présent conseil.

Afin d'obtenir une évaluation plus près de la réalité dans des délais courts, il était nécessaire de retenir une composition beaucoup moins lourde. Cela se justifie d'autant plus qu'il existe de nombreux organismes réputés susceptibles de fournir au CERC des données et des analyses scientifiques. La recomposition dans ces conditions d'une équipe de chercheurs aussi importants ne se justifiait donc plus et la proposition qui est faite aujourd'hui ne crée pas un centre de recherche ou d'analyse de plus, mais plutôt une équipe autonome capable de mobiliser à tout moment le potentiel des organismes d'études et de statistiques déjà existants.

Nous sommes convaincus que le CERC tel qu'il ressortira de cette initiative parlementaire saura trouver sa p lace dans l'édifice des grands organismes publics d'études économiques et sociales et les observatoires de recherche qui prennent la mesure des paramètres sociaux, de l'état des revenus et des inégalités sociales.

Il saura être, comme le disait justement M. Marchand, le baromètre de la cohésion sociale, éclairant ainsi l'ensemble de l'évolution de la société civile et nourrissant le débat social et politique. C'est pourquoi, comme l'a dit déjà mon excellent collègue, M. Gaïa, le groupe socialiste votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi que nous étudions ce matin reprend le dispositif de l'article 152, voté dans le cadre de la loi relative à la lutte contre les exclusions et annulé par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 98-403 du 29 juillet 1998 au motif qu'il avait été adopté au terme d'une procédure irrégulière en méconnaissance des règles relatives au droit d'amendement.

En effet, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale avait introduit, après l'échec de la commission mixte paritaire, un article additionnel qui mettait fin au Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts, le fameux CSERC, institué par l'article 78 de la loi quinquennale du 20 décembre 1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, et créait à sa place un nouvel organisme ayant pour mission de contribuer à la connaissance des revenus, des inégalités sociales et des liens entre l'emploi, les revenus et la cohésion sociale.

Sans la vigilance de certains parlementaires, et notamment ceux du groupe UDF, qui ont pris soin de saisir le Conseil constitutionnel, le Gouvernement aurait enfreint les règles élémentaires du droit d'amendement.

Contrecarré dans ses projets, le groupe socialiste choisit aujourd'hui de faire adopter, dans le cadre de la fenêtre parlementaire, l'article censuré.

Mais quel est l'intérêt de ce nouvel organisme ? Le premier centre d'études des revenus et des coûts - le CERC -, créé en 1966, avait pour objectif de contribuer à une meilleure connaissance des revenus et des éléments constitutifs des coûts de production. Après la loi quinquennale, la mission de ce conseil, rebaptisé Conseils upérieur de l'emploi, des revenus et des coûts - CSERC -, a été élargi, comme mon collègue Jacques Godfrain vient de l'expliquer de manière tout à fait logique, à l'emploi, qui était devenu une préoccupation majeure dans notre société, ce qui implicitement supposait la cohésion sociale.

Les équipes et les structures en place au sein du C SERC sont parfaitement à même d'améliorer la connaissance des phénomènes d'exclusion, d'apprécier les besoins des populations concernées et d'évaluer les dispositifs de prévention et de lutte contre l'exclusion. C'est faire peu de cas, me semble-t-il, du travail accompli jusque-là par les membres de ce conseil que de proposer son abrogation pure et simple.

Par conséquent, il ne me paraît pas nécessaire a priori de dissoudre le CSERC pour créer un autre conseil, à moins qu'il y ait des raisons politiques... Mais cela augurerait mal de son indépendance et de l'objectivité de ses analyses. Nous n'avons en la matière aucune garantie.

Nous ne pouvons qu'espérer un regard lucide, honnête, exigeant, sur les réalités de notre société.

Je prendrai deux exemples.

La Fédération nationale des associations de réadaptation sociale, la FNARS, qui regroupe 650 organismes, tire la sonnette d'alarme à propos de l'application de la loi sur l'exclusion. La loi contre l'exclusion du 29 juillet 1998,

« a suscité une forte mobilisation », mais « sa mise en oeuvre est loin d'être achevée » et « le Gouvernement ne mobilise plus les acteurs là-dessus », déplore-t-elle. « Le démarrage quantitatif » du programme TRACE - accompagnement des jeunes en difficulté vers l'emploi - « est


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faible », « les revenus n'y sont pas garantis du tout » et les jeunes prennent TRACE pour « un stage parking de plus, sans sortir de la précarité », estime toujours la FNARS.

« On est en train de rater à nouveau une solution pour les jeunes ». Dans une lettre envoyée par ailleurs au Premier ministre, la FNARS affirme que les exclus « n'ont guère pu apprécier concrètement les retombées de la loi » et signale que « les budgets d'aide et d'action sociales ne bougent guère ». Pour la FNARS, il faudrait 1,5 milliard de francs supplémentaires par an pour remplir les objectifs « des structures créées par la loi ». En conclusion, la fédération nationale parle de la lutte contre l'exclusion comme d'une « priorité oubliée ».

M. François Goulard.

Très juste !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Le conseil dont vous allez voter aujourd'hui la création sera-t-il capable d'autant d'objectivité, d'autant d'honnêteté ?

M. François Goulard.

Très bonne question !

M. Patrick Rimbert.

Il le sera !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Second exemple : nous ne pouvons espérer que cet organisme nouveau aura aussi le courage de dépasser l'idéologie, de casser les concepts, d'accepter la réalité et de montrer les conséquences économiques et humaines de la loi sur les 35 heures sur laquelle nous sommes en train de travailler.

M. Patrick Rimbert.

Bien sûr que si !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Je le souhaite. Sera-t-il capable de dire que, du fait du caractère autoritaire, généralisé, complexe, rigide de la démarche, les effets sur l'emploi risquent d'être négatifs, et qu'en aucun cas ils ne seront positifs ? Je le répète, aujourd'hui, de très nombreuses entreprises réduisent leur voilure, se réorganisent de manière extrêmement serrée pour faire en sorte de ne pas créer des emplois. Pourquoi ? Parce que ces emplois vont coûter de plus en plus cher. Or, on le sait très bien, plus l'emploi coûte cher et moins il y en a.

J'ai posé, hier, de manière très objective et j'oserai même dire scientifique, à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité une question concrète et réaliste concernant les entreprises de l'agro-alimentaire, qui devront passer, du fait des dispositions que nous sommes en train de voter dans le cadre de la loi sur les 35 heures, de 39 à 30 heures, c'est-à-dire réduire pratiquement le temps de travail de 25 %. Elles sont extrêmement inquiètes, voire, pour certaines, désespérées, et elles se demandent vraiment comment elles vont faire.

Voilà un problème tout à fait concret entre mille autres dont je souhaiterais qu'il soit débattu de manière objective et auquel je voudrais qu'il soit apporté des réponses concrètes. Il en va de l'emploi dans notre société, des revenus et de la cohésion sociale ! Nous sommes donc pile dans le sujet.

Je voudrais aussi que le nouvel organisme soit capable de dire que, du fait des dispositions qui sont prises, les salaires vont être gelés pendant plusieurs années.

M. François Goulard.

Tout à fait ! Mme la secrétaire d'état à la santé et à l'action sociale.

N'importe quoi !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Des primes vont disparaître. Un certain nombre de petits emplois - et ce terme n'est pas péjoratif - dégageant de petits revenus vont être fragilisés du fait de la suppression d'heures supplémentaires qui permettaient aux ouvriers du bâtiment un exemple parmi d'autres - d'assurer progressivement l'achat de leur maison.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Madame Boisseau, voyons !

M. Yves Cochet.

Et les chômeurs ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

J'y pense, monsieur Cochet, mais je vous ai dit que les mesures que vous prenez ne créeront pas d'emplois.

M. René Mangin.

Vous vous trompez de texte ! Nous ne débattons pas ce matin des 35 heures !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Quand vous prenez des mesures tès coercitives sur le travail partiel et le temps de travail effectif, c'est contre les chômeurs que vous travaillez.

Les allégements de charges sociales, qui seront accordés jusqu'à hauteur de 1,8 SMIC, vont « scotcher » autour de celui-ci un nombre important de salaires et pousser au désespoir un grand nombre de jeunes.

M. Robert Gaïa.

Et le CERC dans tout cela ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Il faut que le CERC puisse analyser tout cela et en rendre compte objectivement puisque l'on ne veut pas écouter les élus de l'opposition.

J'évoquerai encore le problème, qui mériterait d'être constaté par un organisme indépendant, de tous ces jeunes qui, aujourd'hui, refusent de travailler parce qu'on leur propose des salaires de 5 000 francs nets. Ils disent :

« Ces salaires, nous n'en avons rien à faire. Si vous nous proposez 8 000 francs nets, alors nous travaillerons ! » Ce n'est pas un problème d'emploi, monsieur Cochet ? Et c'est une réalité !

M. Yves Cochet.

La réalité, c'est le chômage !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

J'aimerais que le CERC réalise des analyses sur tous ces sujets et les mette à notre disposition.

Enfin, en matière de cohésion sociale, j'aimerais que le CERC tire la sonnette d'alarme et dise que les dispositions rigides, coercitives qui sont prises dans la loi sur les 35 heures vont entraîner une course effrénée à la productivité, c'est-à-dire à l'embauche et au maintien dans les postes de personnels qualifiés,...

M. René Mangin.

Il faudra subventionner le bureau d'étude du CERC !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

... car la loi sur les 35 heures est en fait une machine à exclure les moins qualifiés et les non-qualifiés.

Voilà ce que j'attends de cet organisme.

En conclusion, le groupe UDF ne voit pas l'intérêt de passer du CSERC au CERC. On aurait pu, peut-être, en l'aménageant et en le faisant évoluer, garder le conseil qui est en place et qui avait fait ses preuves. Par ailleurs, notre groupe s'inquiète, car il n'a aucune garantie sur l'objectivité du nouvel organisme.

Il votera donc contre cette proposition de loi.

M. François Goulard et M. Jacques Godfrain.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Yves Cochet, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Yves Cochet.

Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, revoilà enfin le CERC, dont l'actuelle opposition, naguère au gouvernement, nous avait privés ! Englouti dans le singulier a rticle 78 de l'autoritaire loi quinquennale du 20 décembre 1993, madame Boisseau, le CERC renaît aujourd'hui de ses cendres.


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J'indiquerai d'ailleurs, pour la petite histoire, que ce CERC aurait pu être oublié si notre collègue des Verts M. Jean-Michel Marchand n'avait glissé un judicieux amendement dans le projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions l'an dernier. Grâce à lui et à l'assiduité de plusieurs dizaines de députés de la majorité qui ont bien voulu le suivre dans cette heureuse démarche, le CERC retrouve l'autorité et la place que vous, madame et monsieur de l'opposition - puisque vous n'êtes que deux en séance - mais c'est la parité...

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Nous sommes trois !

M. Yves Cochet.

... n'auriez jamais dû lui enlever.

Il n'est pas sûr que l'existence d'un CERC ait vocation à enthousiasmer les gouvernements quels qu'ils soient.

M. René Mangin.

Parfaitement !

M. Yves Cochet.

Le CERC s'est révélé être un organisme indispensable au fonctionnement des pouvoirs publics, de la démocratie et de l'économie nationale, mais avec beaucoup d'autonomie dans la pensée et dans les propositions.

M. René Mangin.

Exact !

M. Yves Cochet.

En effet, ce CERC n'a pas seulement la vague mission de « contribuer à la connaissance des revenus et des inégalités sociales », il est un pôle d'information - objectif - une tribune d'expression - démocratique - et un tremplin - décisif - pour l'action publique.

C'est pourquoi le CERC est à la fois décrié et désiré.

Depuis vingt-cinq ans, nous avons découvert le phénomène du chômage, des inégalités sociales et de la misère comme jamais auparavant, expressions de ce que l'on peut appeler la crise structurelle. Et tout un vocabulaire nouveau, cruel, est venu envahir notre langage : SDF, smicards, nouveaux pauvres, exclus, chômeurs de longue durée.

Le chômage et le mal-emploi ont généré une crise de confiance et la morosité s'est emparé des esprits : une vague de panique, de rumeurs, de déclarations alarmistes et de rapports alarmants ont nourri les médias. Désemparés, les gouvernements successifs ont créé, à qui mieuxmieux, des dizaines d'organismes, de centres d'analyse et de conseils statistiques, mais en vain.

Politiquement, le chômage et la misère, de débats de société sont devenus des outils électoraux, sur lesquels certains partis politiques, mouvements syndicaux ou groupuscules extrémistes se sont façonné une place dans l'échiquier médiatique. Les idées extrémistes, libérales comme nationalistes, ont trouvé là un terrain d'engraissement propice.

M. François Goulard.

Je n'ai pas suivi...

M. Yves Cochet.

Je peux répéter, si vous le voulez, monsieur Goulard !

M. François Goulard.

Ce n'est pas la peine. Je vous lirai avec intérêt !

M. Yves Cochet.

Je crois qu'il existe un extrémisme nationaliste, comme il y a un extrémisme libéral.

M. François Goulard.

Il y a aussi un extrémisme de l'autre bord !

M. Yves Cochet.

Les partis traditionnels quant à eux, perdant leurs certitudes idéologiques et électorales, ont dû se plier au jeu des alternances, aussi brèves qu'inefficaces en la matière. Au fur et à mesure, ils ont réalisé qu'ils n'avaient plus d'idées pour défendre l'emploi et lutter contre les inégalités. En réponse à la mondialisation et à la construction européenne, ils n'ont rien trouvé de mieux que la pensée unique libérale. Aux impératifs de solidarité et de volontarisme d'Etat, ils ont trop répondu libéralisme et flexibilité.

Il convenait d'apporter à ce débat un peu de sérénité, un peu de confiance aussi. En juin 1997, la majorité plurielle, bâtie sur le socle de la collégialité et du retour de la discussion,...

M. François Goulard.

C'est le moins qu'on puisse dire !

M. Yves Cochet.

... a pu enfin favoriser l'émergence d'une façon inédite de penser et de s'attaquer à la crise.

Elle est ainsi parvenue à rétablir la confiance et l'espoir grâce à une politique volontariste pour l'emploi. Mais la sérénité n'est pas encore totalement revenue dans les esprits, car la misère et les inégalités n'ont pas encore été enrayées.

L'échec des politiques de l'emploi menées avant 1997 m'amène à penser, chers collègues, que le chômage et la misère n'ont pas été bien diagnostiqués. En effet, il ne suffit pas de constater la misère dans les rues ou de lire les chiffres du chômage ; encore faut-il que ceux-ci soient expertisés pour être compris et que cette expertise soit publiée pour susciter notre capacité d'indignation et notre pouvoir d'action. Car l'Etat peut et doit agir.

La re-création du CERC est la première étape de cette exigence et de ce besoin d'agir. C'est lui qui nous donnera les moyens de ce diagnostic, de cette expertise, de cette capacité d'indignation et de ce pouvoir d'agir. Voilà pourquoi la création du CERC, que l'on aurait pu, après tout, assimiler à un simple institut d'analyse économique et statistique de plus, suscite tant d'émois et d'appréhensions.

En effet, c'est une initiative particulièrement audacieuse que de laisser jouer la transparence sur les coûts, les salaires et les inégalités. Car la transparence d'Etat est une idée qui ne va jamais de soi. L'ériger en méthode de gouvernement, comme nous le faisons désormais, apparaît finalement exceptionnel.

En tant que pôle d'information indépendant, de par sa composition comme de par ses missions, le CERC ne d evra souffrir d'aucune ingérence gouvernementale.

Jouant à fond la carte de l'objectivité et de l'indépendance organique et fonctionnelle, il a vocation à avoir les moyens de ses ambitions.

Vous comprendez donc aisément, chers collègues, qu'en 1993, confronté à une année de crise comme on n'en avait pas vue depuis ving ans, le gouvernement de M. Edouard Balladur, pris de panique, ait décidé de supprimer un CERC qui gênait et agaçait par des analyses qui n'allaient pas dans le sens des orientations gouvernementales, voire électorales. Dans la forme, le CERC, en tant qu'organisme transversal, clarifiera, synthétisera et reliera les analyses d'organes déjà existants. Organe d'inspiration démocratique, enfin, il démontrera sa capacité de concertation avec les partenaires sociaux et d'ouverture sur la société civile.

Avec le CERC, la démocratie est redynamisée, les intermédiaires sociaux sont interpellés.

Fort de ces ambitions, le CERC se doit enfin et surtout, madame Boisseau, d'accompagner les politiques de l'emploi, et en particulier, la mise en oeuvre des 35 heures.

A un moment où la réduction du temps de travail va bouleverser les habitudes des entreprises, des entrepreneurs et des salariés, les modes de production et le marché du travail en général, nous avons plus que jamais


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besoin d'analyses statistiques et politiques fiables, synthétiques et cohérentes. Dès lors, la réussite de la réduction du temps de travail doit être garantie par les bons diagnostics du CERC. C'est d'abord sur la mise en place des 35 heures qu'il devra prouver ses capacités et se poser à la mesure des ambitions qu'il affiche et de la confiance que nous plaçons en lui.

Nous voterons bien entendu cette proposition de loi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe comuniste.)

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole est à M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Madame le secrétaire d'Etat, c'est avec beaucoup de plaisir que je m'adresse à vous ainsi : compte tenu du travail que vous avez réalisé dans notre commission, il est très bien pour elle que vous soyez à cette place...

Je voudrais ensuite remercier notre rapporteur pour la qualité de son rapport, de même que les différents intervenants qui ont soutenu ce texte.

Je sais gré à Mme Peulvast-Bergeal d'avoir rappelé que j'avais moi-même dénoncé en 1994 la décision de M. Balladur. J'avais même dit à l'époque, monsieur Godfrain, que, ce faisant, le Premier ministre avait oublié l'esprit des ordonnances de 1966.

Il a fallu un peu de temps pour remettre les choses en route. M. Cochet a rappelé à juste titre que nous avions souhaité le faire dans le cadre de la loi sur l'exclusion.

Malheureusement, nous nous sommes heurtés à un problème d'articulation juridique, que le Conseil constitutionnel n'a pas manqué de soulever. Ces choses-là arrivent à n'importe quel gouvernement... D'autant que nous étions en droit de penser que le fait d'avoir évoqué ce problème en première lecture, dans l'esprit tout au moins, aurait pu reconvaincre le juge constitutionnel ; mais tel n'a pas été le cas. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas pour habitude de commenter les décisions du Conseil.

Ce n'est pas un hasard si ce débat s'est introduit au moment de la loi sur l'exclusion. Car il est clair que tous les gouvernements et le Parlement lui-même n'ont pas un regard suffisamment aigu sur la société française. A cet égard, le CERC, que j'ai bien connu - je l'avais même soutenu financièrement en 1991, alors que j'étais président de la commission des finances - était considéré comme un poil à gratter. Or je ne connais pas de gouvernement qui s'accommode aisément de poil à gratter...

M. Cochet a parlé de capacité d'indignation. J'ai moimême souvent utilisé cette expression, je la reprends : notre société a effectivement une capacité d'indignation insuffisante. Nous ne sommes pas en mesure de voir clairement les contraintes, les contradictions, les difficultés d'une société en mutation. A ce titre, la re-création d'un CERC m'apparaît tout à fait nécessaire. C'est une suite logique dans l'action que nous menons en appui du gouvernement de M. Jospin.

Dans le même esprit, pour chaque texte qui passe devant la commission des affaires sociales, je demande la préparation d'un rapport de suivi, dans un but d'interpellation du Gouvernement - je le rappelle à Mme Boisseau.

Ainsi, Mme Hélène Mignon nous a présenté hier la première étape de son rapport de suivi sur la loi contre l'exclusion. Ses conclusions sont claires : si cette loi est excellente, elle montre des insuffisances et des difficultés d'application sur le terrain. Dans les jours qui viennent, le Premier ministre et la ministre de l'emploi seront saisis de ce rapport. C'est ce que j'ai indiqué hier à la commission ; c'est ce que nous ferons avec les moyens dont nous disposons comme toute commission de l'Assemblée.

Cette manière de procéder est nouvelle : cela ne se faisait pas il y a quelques années. Ce disant, je ne porte aucun jugement de valeur. Mais c'est dans cet esprit que nous agissons. Et c'est pourquoi nous avons besoin d'un organisme, d'une petite équipe capable d'éclairer, de montrer ce qui se passe.

A ce propos, je trouve tout à fait intéressant que le rapport préconisant la création du CERC ait été rédigé par Mme Join-Lambert, auteur d'un rapport sur l'exclusion qui avait largement alimenté nos réflexions. Nous sommes bien là dans une parfaite continuité d'action.

Une remarque à l'adresse de M. Goulard : je suis de plus en plus agacé de l'utilisation du mot « idéologique ».

Parler de discours idéologique serait une injure. Mais enfin, qu'est-ce que c'est qu'une idéologie ? C'est un discours sur des idées. Et je me flatte d'avoir non seulement quelques idées justes ou fausses, on peut en débattre mais aussi quelques convictions.

M. René Mangin.

Et la droite n'en a plus !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Chaque fois que nous avançons une proposition, vous repondez que notre discours est idéologique. Eh bien oui ! Nous avons un discours idéoligique parque que nous avons un discours sur les idées. Ce à quoi s'ajoutent quelques convictions très fortes. Et vous aussi, monsieur Goulard, vous avez un discours idéologique, car vous aussi, je le reconnais, vous avez des idées : vous êtes un libéral de talent, je combats vos idées tout en les respectant. Mais jamais vous ne m'entendrez vous reprocher de tenir un discours idéologique.

Tout au contraire, je regrette parfois qu'il n'y ait pas dans nos débats publics un peu plus d'idées, si ce n'est un peu plus de convictions. Par conséquent, monsieur Goulard, madame Boisseau, arrêtons ce jeu sur les mots !

Je le supporte très mal et il n'a pas grande signification.

Monsieur Godfrain, vous avez présenté un amendement que, personnellement, je soutiens.

M. René Mangin.

Très bien !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Au demeurant, rappelez-vous - on me pardonnera de tenir des propos d'ancien combattant et d'évoquer des souvenirs agréables pour moi, mais peut-être ennnuyeux pour les autres : c'est moi qui ai conduit la réforme du Conseil économique et social en 1983, par une loi organique, en renforçant ses pouvoirs. Par conséquent, je souscris entièrement à l'idée d'adresser les rapports du CERC au Conseil économique et social, lieu de débat et de contacts, comme vous l'avez dit à très juste titre. Pour ce qui est des conseils économiques et sociaux régionaux, je suis plus nuancé, non que je sous-estime leur rôle, mais parce que multiplier la distribution des rapports crée parfois des difficultés. Quoi qu'il en soit cela ne me gêne pas outre mesure et le Gouvernement décidera.

Enfin, ma dernière remarque s'adressera au Gouvernement et au cabinet du Premier ministre, qui suit de très près ce texte. Un décret va paraître ; il est fondamental que la volonté de garantir l'indépendance du CERC y soit bien marquée. Je vous préviens en toute amitié, madame la secrétaire d'Etat : nous y serons très attentifs.

Car c'est là que l'on verra la différence avec l'ancien conseil, dont la composition rassemblait des gens de qualité,...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1999

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Pourquoi la changer alors ?

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

... mais essentiellement représentatifs des grands corps. Le nouveau CERC devra témoigner d'une plus grande capacité de regard critique sur la société - une capacité d'indignation, le mot ne me gêne pas. Nous serons très vigilants sur ce point, madame la secrétaire d'Etat. Vous pouvez compter sur moi pour soutenir votre action, mais si l'article 4 n'était pas conforme à notre volonté, je n'hésiterais pas à le faire savoir publiquement. Voilà qui devrait rassurer Mme Boisseau : je m'y engage devant l'hémicycle, car nous en avons absolument besoin. Nous vous faisons confiance, madame la secrétaire d'Etat. Fixer la composition du CERC par décret est la méthode logique et normale, mais nous entendons y porter un regard critique, le même regard critique dont je souhaite que le CERC, ainsi recréé, fasse preuve.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d'abord, comme vient de m'y engager Jean Le Garrec, à me féliciter de cette initiative parlementaire qui a conduit à la proposition de loi visant à créer auprès du Premier ministre un Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale - dont l'indépendance, monsieur Goulard, est garantie par l'article 4.

Si un tel organisme ne peut être considéré comme un élément de confort pour tout gouvernement, comme l'a rappelé Yves Cochet, il constitue un réel outil de transparence dont le Premier ministre, Lionel Jospin, avait souhaité la réinstauration dès septembre 1997, compte tenu de la situation créée par la suppression, à l'occasion la loi quinquennale du 20 décembre 1993, du Centre d'étude des revenus et des coûts, organisme à l'indépendance et à la légitimité reconnues.

Cette suppression et la création d'un Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts avaient soulevé de vives réactions. Vous avez été nombreux à la rappeler dans vos interventions. C'est la raison pour laquelle le Premier ministre avait confié à Mme Marie-Thérèse JoinLambert, inspecteur général des affaires sociales, une mission de réflexion sur les évolutions à envisager.

Une première proposition, sous la forme d'un amendement, avait déjà été présentée au cours du débat sur l a loi d'orientation relative à la prévention et à la lutte contre les exclusions, en première lecture, au printemps 1998, qui montrait la volonté du Gouvernement et du législateur.

Le Gouvernement, tout en reconnaissant l'intérêt de cette proposition, avait alors souhaité, avant de se prononcer, disposer du délai nécessaire à la poursuite de la consultation des partenaires sociaux sur les conclusions du rapport de Mme Join-Lambert. Aussi l'amendement avait-il été finalement rétiré.

Un article avait été voté en deuxième lecture. Mais le Conseil constitutionnel, dans une décision du 29 juillet, avait rejeté cette disposition au motif qu'elle intervenait après la commission mixte paritaire.

La proposition de loi que vous nous présentez aujourd'hui reprend les principales conclusions du rapport de Mme Join-Lambert.

Le nouveau Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale qui est proposé sera ainsi chargé de contribuer à la connaissance des revenus, des inégalités sociales et des liens entre l'emploi, les revenus et la cohésion sociale.

Ce dernier aspect n'est pas le moindre. Il s'inscrit, vous le savez, dans la volonté du Gouvernement de mener une politique de croissance soutenue par une action volontariste en matière d'emploi et de réduction des inégalités.

Au moment où notre économie va mieux, où dese mplois sont créés en nombre - 750 000 depuis juin 1997 - grâce à la croissance, mais aussi grâce aux emplois-jeunes et à la réduction du temps de travail, nous devons en priorité faciliter le retour à l'emploi des personnes qui en sont le plus éloignées et veiller à réduire les poches d'exclusion. C'est ce que nous faisons progressivement, avec une ténacité qui n'a pas fini de mobiliser nos efforts.

Grâce à la loi contre les exclusions, nous avons pu nous attaquer pour la première fois au noyau dur du chômage structurel - le recul de 105 000 du nombre de chômeurs de longue durée en un an en est la preuve. Je rappelle, à l'adresse de Mme Buisseau notamment, les moyens mis en oeuvre dans cette lutte contre l'exclusion : 51 milliards de francs sur 3 ans, 5 milliards en 1998, 13 milliards en 1999, et 20 milliards prévus pour 2000.

L'Etat a respecté ses engagements ; il continuera de le faire.

Cette politique de l'emploi et de croissance a rétabli la confiance des entreprises et des ménages et placé la France dans un cercle vertueux : création d'emplois, croissance, confiance. Celui-ci doit profiter à tous. C'est pourquoi il est indispensable d'étudier objectivement l'articulation entre revenus, emploi et inégalités sociales.

En ce sens, votre initiative me paraît répondre à un besoin réel. Ce qui est aujourd'hui requis, c'est l'affirmation d'une voie forte et indépendante capable de mettre à jour les difficultés auxquelles se heurte notre société, les contradictions que génère parfois notre système économique, mais aussi, monsieur Goulard, les opportunités liées à une croissance retrouvée qui échapperaient à la sagacité de certains observateurs.

Le CERC sera ainsi appelé à porter un regard critique, libre et objectif, sur le fonctionnement économique et social de notre pays. Il lui appartiendra de souligner les relations entre emploi et revenu, de dresser un état des lieux des inégalités sociales et des limites que rencontrent les mécanismes redistributifs, d'attirer, enfin, l'attention du Gouvernement, mais aussi de l'opinion publique, sur les évolutions souhaitables, en un mot de jouer ce rôle de poil à gratter tant prisé par M. Le Garrec, en posant ce regard critique et aigu sur notre société.

Pour ce faire, le CERC devra bénéficier de toutes les garanties d'indépendance. Votre proposition d'en faire un organisme dirigé par un conseil composé de personnalités reconnues pour leur compétence et représentant différentes sensibilités me paraît la bonne. Il sera ainsi résolument placé sous le signe de l'ouverture et du pluralisme, et votre amendement, monsieur Godfrain, qui vise à garantir que le rapport sera transmis au CES va dans ce sens. Nous en discuterons tout à l'heure, mais le Gouvernement y est favorable.

Cette initiative s'inscrit de plus en complémentarité avec les institutions qui ont déjà été mises en place.

Des dispositifs ont, en effet, été créés dans le cadre de la loi de lutte contre les exclusions pour faire progresser notre connaissance sur les questions sociales et pour don-


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ner la parole à ceux qui en sont généralement privés. Je pense en particulier à l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, dont la mission, sous la présidence de Mme Join-Lambert, est de faire procéder à des études permettant de mieux connaître la situation de l'exclusion dans notre pays. Je pense également au Conseil national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, dont la composition a été renouvelée pour représenter toutes les composantes de la société, sous la présidence de votre collègue Jean-Claude Boulard. Cette institution est dorénavant chargée d'un rôle très large de conseil du Gouvernement sur tous les aspects de la lutte contre les exclusions.

Ces structures bénéficient maintenant d'une indépendance reconnue par la loi et contribuent à l'expression de tous les acteurs concernés par la lutte contre les exclusions, les élus et les associations intervenant dans ce secteur, mais aussi les exclus eux-mêmes, et c'est là la plus grande utilité du dispositif.

Par ailleurs, l'administration s'est dotée elle-même, de façon interne, des moyens de mieux appréhender les phénomènes de revenus et de pauvreté, afin de pouvoir adapter les politiques qu'elle met en place et d'en évaluer les effets. C'est ainsi que la création de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques est venue compléter, sur l'ensemble du volet social, l'action déjà accomplie par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques en ce qui concerne l'emploi.

Le CERC, tel que vous le concevez, s'inscrit pleinement dans ce paysage institutionnel. Il pourra mobiliser le potentiel des services et organismes existants pour impulser et réaliser des travaux utiles à l'adaptation des politiques concernées. En rendant des rapports spécifiquement orientés sur la connaissance des revenus et des inégalités sociales, il dépasse le seul champ de l'exclusion p our s'interroger sur les implications sociales de l'ensemble de notre système économique. Il est placé auprès du Premier ministre, qui pourra le saisir, mais il pourra également s'auto-saisir des questions relevant de sa compétence.

Vous aurez compris qu'il ne s'agit pas de mettre fin au CSERC pour le seul plaisir de recréer un nouveau conseil mais de retrouver ce qui a fait l'originalité et le succès de l'ancien CERC, tout en prenant en compte les évolutions souhaitées.

Je terminerai en réaffirmant qu'en démocratie, il est bon de disposer d'un conseil indépendant - le décret d'application, n'en doutez pas, monsieur Le Garrec, en sera le garant -, menant des travaux sur des questions au coeur de notre société qui puissent éclairer le débat public et stimuler la créativité des réponses politiques.

Le Gouvernement est donc très favorable à cette proposition de loi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Discussion des articles

M. le président.

J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du règlement, les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Articles 1er et 2

M. le président.

« Art. 1er . - Il est créé auprès du Premier ministre un Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) chargé de contribuer à la connaissance des revenus, des inégalités sociales et des liens entre l'emploi, les revenus et la cohésion sociale. »

Je mets aux voix l'article 1er

(L'article 1er est adopté.)

« Art. 2. - Le Conseil est composé d'un président et de six membres, nommés par décret. » -

(Adopté.)

Article 3

M. le président.

« Art. 3. - Les rapports du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale sont transmis au Premier ministre ainsi qu'aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ils sont rendus publics par le conseil.

« Le président du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale est entendu par les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat, à la demande de leur président, pour leur présenter les rapports du conseil. »

M. Godfrain a présenté un amendement, no 2, ainsi libellé :

« Après les mots : "Assemblée nationale", rédiger ainsi la fin de la première phrase du premier alinéa de l'article 3 : ", du Sénat et du Conseil économique et social.". »

Sur cet amendement, M. Goulard a présenté un sousamendement, no 3, ainsi libellé :

« Après les mots : "du Sénat", rédiger ainsi la fin de l'amendement no 2 : ", du Conseil économique et social et des conseils économiques et sociaux régionaux.". »

La parole est à M. Jacques Godfrain, pour soutenir l'amendement no

2.

M. Jacques Godfrain.

Cet amendement était nécessaire, les orateurs de la majorité l'ont reconnu, M. le Garrec en particulier, ce qui nous a permis d'évoquer quelq ues bons souvenirs, et vous-même l'avez reconnu madame la secrétaire d'Etat.

Il n'est pas aussi innocent qu'il n'y paraît et il n'a pas pour but de faire plaisir au Conseil économique et social.

Le Conseil économique et social est le lien essentiel de la concertation sociale, et je suis navré que l'idée de lui transmettre les rapports du CERC n'ait pas effleuré les rédacteurs du texte. Il a fallu que le Président de la République en personne rappelle récemment au Gouvernement la nécessité de la concertation sociale avec les partenaires sociaux. Cet amendement est l'illustration de ce conseil pressant, s'agissant de cette enceinte de la place d'Iéna qui a montré toute son utilité et qui participera certainement dans les années à venir à tout débat sur la concertation et au débat d'idées, pas idéologique, monsieur Le Garrec, sur le développement et la situation économique et sociale.

J'ajoute que la corrélation du texte que vous nous présentez avec la loi sur les 35 heures ne laisse pas de nous intriguer. Rien dans ce texte, en effet, ne garantit l'indépendance et nous imaginons déjà les commentaires qui seront faits par ce nouveau CERC à propos de l'application de la loi sur les 35 heures. A l'avance, nous émettons les plus vives réserves.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1999

M. le président.

La parole est à M. François Goulard, pour soutenir le sous-amendement no

3.

M. François Goulard.

Mon sous-amendement vise à ajouter une dimension régionale en demandant que les rapports de ce nouvel organisme soient transmis également aux conseils économiques et sociaux de nos régions.

Je pense, en effet, que les études à caractère économique et social ont d'autant plus d'intérêt qu'elles peuvent être appliquées dans les régions. La dimension régionale des études économiques et sociales n'est pas suffisamment développée, en particulier parce que nous avons peu d'organismes qui revêtent une dimension régionale. Le sousamendement peut permettre, pour une modeste part, de corriger cette situation.

Monsieur Le Garrec, nous nous sommes sans doute mal compris tout à l'heure. Chacun d'entre nous est bien sûr porteur d'une idéologie et a, je l'espère, comme vous, des convictions affirmées que nous exprimons les uns et les autres dans cet hémicycle, mais il s'agit là d'études, de science, de connaissances, et c'est là que je réprouve l'approche idéologique. Je réclame au contraire l'impartialité, l'objectivité et donc l'indépendance, et j'espère que vous avez la même conception du travail scientifique.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission sur l'amendement et le sous-amendement ?

M. Jean Rouger, rapporteur.

Cet amendement et ce sous-amendement n'ont pas été examinés en commission.

Vous pourriez avoir satisfaction même si je suis défavorable à votre amendement, monsieur Godfrain, puisque l'article 3 prévoit ques les rapports sont rendus publics par le conseil lui-même. Ce qui compte, c'est la publicité.

Les rapports seront ainsi adressés simultanément à tous les publics, ce qui est une garantie d'indépendance.

L'adresse au Conseil économique et social a cependant une valeur emblématique. C'est l'élément positif de votre proposition que l'on peut retenir, bien que le Conseil économique et social ne soit pas une institution comme celles regroupant les élus politiques ou les autres collectivités et qu'il ait une image peut-être un peu plus volontaire, plus dynamique et plus à la recherche des informations.

Ma réponse n'est donc pas claire.

M. François Goulard.

Je suis d'accord ! (Sourires)

M. Jean Rouger, rapporteur.

Je pense que l'article 3, dans sa sobriété, répond à votre demande, mais je laisse à Mme la secrétaire d'Etat le soin de trancher. (Rires.)

M. le président.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

C'est d'une très grande honnêteté. A qui d'entre nous n'est-il pas arrivé d'avoir une hésitation à propos d'un amendement ou, comme vous, monsieur Goulard, hier soir, un fou rire qui vous a empêché d'aller jusqu'au bout de votre argumentation ?

M. François Goulard.

C'était un problème de gorge ! (Sourires.)

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Cela dit, les rapports seront bien évidemment transmis aux conseils économiques et sociaux régionaux, mais l'article met sur le même plan trois assemblées, l'Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil économique et social, et les conseils économiques et sociaux régionaux ne sont pas de même nature. Ils n'ont ni le même rôle, ni les mêmes attributions, ni la même représentativité.

Nous avons intérêt à mettre en valeur ces trois assemblées, le Conseil économique et social étant la troisième, mais les rapports du CERC seront bien entendu transmis à de nombreux organismes concernés et, en premier lieu, aux conseils économiques et sociaux régionaux. Le sousamendement ne me paraît donc pas nécessaire.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ? Mme la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Je pense également qu'il ne faut diluer la responsabilité ni du CERC ni du Conseil économique et social.

Je suis favorable à l'amendement de M. Godfrain qui tend à renforcer la présence du CES comme élément de consultation et d'expertise, à charge pour lui d'organiser lui-même la consultation ou la remontée des observations non seulement des conseils régionaux, mais aussi d'autres organismes qui existent et qui réfléchissent au niveau régional et au niveau départemental sur l'emploi, les conséquences et la mise en oeuvre des différents programmes de lutte contre l'exclusion. Je suis donc défavorable au sous-amendement no

3.

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Je reviens sur le sousamendement de M. Goulard, qui, manifestement, sera rejeté. On sait bien, madame la secrétaire d'Etat, que les problèmes d'emploi et de cohésion sociale ne seront pas réglés au niveau national mais au plus près du terrain, et j'insiste pour que ces rapports soient donnés aux conseils économiques et sociaux régionaux mais aussi dans les départements, ceux-ci les transmettant à leur tour aux communes, aux missions locales, afin qu'il y ait des remontées et des courroies de transmission dans tous les sens. La cohésion sociale, c'est au plus près du terrain qu'elle se fera, et certainement pas à Paris.

Je souhaiterais par ailleurs que la parité soit respectée au sein de ce conseil comme ailleurs. Pour régler des problèmes d'emploi, de revenus, de cohésion sociale, il est important qu'il y ait à la fois un regard féminin et un regard masculin.

M. François Goulard et M. Jacques Godfrain.

Très bien !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Ce conseil sera d'autant plus efficace qu'il sera mixte.

M. le président.

Je mets aux voix le sous-amendement no

3. (Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

2. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'article 3, modifié par l'amendement no

2. (L'article 3, ainsi modifié, est adopté.)

Articles 4 à 7

M. le président.

« Art. 4. - Dans l'exercice de ses activités, le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, en la personne de son président ou de l'un de ses membres, ne peut solliciter ni accepter d'instructions d'aucune autorité. »

Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

« Art. 5. - Les administrations de l'Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics sont tenues de communiquer au Conseil de l'emploi, des revenus et


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de la cohésion sociale les éléments qui lui sont nécessaires pour l'exercice de ses missions, sous réserve de l'application des dispositions législatives imposant une obligation de secret. » -

(Adopté.)

« Art. 6. - Un décret en Conseil d'Etat précise la composition et les modalités de fonctionnement du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale. » -

(Adopté.)

« Art. 7. Le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale se substitue au Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts institué par l'article 78 de la loi no 93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle.

« Cet article est abrogé à la date de la publication du décret mentionné à l'article 6. » -

(Adopté.)

Article 8

M. le président.

« Art. 8. Les dépenses résultant pour l'Etat de la présente loi sont compensées à due concurrence par une augmentation des droits sur les tabacs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »

Le Gouvernement a présenté un amendement, no 1, ainsi rédigé :

« Supprimer l'article 8. »

M. François Goulard.

Un amendement de générosité ! (Sourires.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Le Gouvernement propose de lever le gage qui est contenu dans l'article 8 et donc de supprimer cet article.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

1. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

En conséquence, l'article 8 est supprimé.

Vote sur l'ensemble

M. le président.

Je ne suis saisi d'aucune demande d'explication de vote.

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(L'ensemble de la proposition de loi est adopté).

2

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, no 1786 rectifié, relatif à la réduction négociée du temps de travail : M. Gaëtan Gorce, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 1826).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à onze heures trente-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT