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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Questions au Gouvernement (p. 7645).

RISQUES SISMIQUES AUX ANTILLES (p. 7645)

M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

35 HEURES À LA POSTE (p. 7646)

MM. Guy Hascoët, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

MUMIA ABU-JAMAL (p. 7646)

M M. Jacques Brunhes, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

POLITIQUE DE SANTÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2000 (p. 7647)

M. Michel Herbillon, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

FINANCEMENT DES 35 HEURES (p. 7648)

Mmes Anne-Marie Idrac, Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

EMPRUNTS DES ARTISANS (p. 7649)

M. Philippe Martin, Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.

NÉGOCIATIONS DE l'OMC (p. 7650)

MM. Jacques Myard, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

POLITIQUE DE SANTÉ (p. 7650)

M. Lucien Degauchy, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

INNOVATION ET CRÉATION D'ENTREPRISES (p. 7651)

MM. Jean-Yves Le Déaut, Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

TRANSPORT DE PRODUITS TOXIQUES (p. 7652)

MM. Jean-Claude Daniel, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

DOTATIONS AUX COLLECTIVITÉS LOCALES (p. 7653)

MM. Jean-Yves Caullet, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

PAKISTAN (p. 7653)

MM. Jean-Claude Perez, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Suspension et reprise de la séance (p. 7654)

PRÉSIDENCE DE Mme NICOLE CATALA

2. Loi de finances pour 2000. Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 7654).

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) (p. 7654)

MM. Philippe Auberger, Christian Cuvilliez, Pierre Méhaignerie, Yves Cochet, François d'Aubert, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; Jean-Louis Idiart.

M. le ministre.

MM. Edmond Hervé, Pierre Hériaud.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

3. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 7683).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par le groupe Radical, Citoyen et Vert.

RISQUES SISMIQUES AUX ANTILLES

M. le président.

La parole est à M. Alfred MarieJeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne.

Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Peu de temps après les séismes survenus en Turquie et en Grèce, et avant celui de Taïwan, le mensuel Sciences et Avenir de septembre 1999 traita la question des Antilles face au risque sismique dans un article intitulé : « Dans l'attente de la secousse ».

Devant l'émoi ainsi créé, le rapport Gemitis, jusque-là camouflé, fut enfin rendu public.

Ce rapport est édifiant et terrifiant : destruction de la plupart des édifices collectifs, 3 000 à 4 800 morts pour la seule Fort-de-France dans le cas d'un tremblement de magnitude 7 sur l'échelle MSK.

De plus, l'article de presse évoqué est accusateur.

Premièrement, il affirme que la prévention n'est pas à la hauteur malgré l'existence d'un réseau de formateurs aux risques naturels le réseau Sésam.

Deuxièmement, il constate l'existence d'un réel décalage entre la réglementation et les recommandations de la science et le fait que les « effets de site » ne sont pas pris en compte.

Troisièmement, il reconnaît que, face aux risques sanitaires générés, les moyens envisagés sont très peu dévelo ppés.

Sans ajouter à la clameur, affolante, nous constatons que les carences relatives à la formation, à la réglementation et à la santé sont importantes.

Dans ces conditions, madame la ministre, quelles m esures concrètes d'amélioration envisagez-vous de prendre, en dehors des commandes de cercueils déjà passées ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Monsieur le député, votre question, essentielle, me permet de faire le point sur la politique du Gouvernement en matière de prévention des risques sismiques et, plus généralement, de prévention des risques naturels aux Antilles.

Vous avez insisté sur le risque sismique, mais vous auriez pu également évoquer le risque cyclonique - un cyclone José frôle en ce moment l'île de la Désirade, au large de la Guadeloupe -, les glissements de terrain qui, il y a deux ans, ont lourdement frappé la Polynésie ou le risque volcanique.

Les informations contenues dans l'article que vous avez cité sont exactes, monsieur le député. Le risque sismique aux Antilles est très élevé et un séisme important aurait les conséquences que vous décrivez. Je ne peux cependant pas vous laisser dire que ces informations seraient dissimulées de quelque façon que ce soit. Tous les documents qui émanent de mon ministère sont rendus publics et on peut les trouver sur son site Internet. Nous avons le souci de faire en sorte que les élus, les partenaires du développement de ces territoires soient au courant de l'étendue et de la réalité du risque.

La stratégie de prévention que nous devons développer s'articule autour de trois objectifs.

Premièrement, toute construction neuve doit être parasismique conformément à la réglementation. Nous avons beaucoup travaillé avec Jean-Claude Gayssot pour développer des actions concrètes de formation ou d'information auprès des professionnels de la construction ou des élus comme auprès des habitants eux-mêmes qui, au moment de construire, doivent savoir quelles possibilités s'offrent à eux.

Deuxièmement, il s'agit de préparer des plans de secours spécialisés pour les séismes, qui soient réellement opérationnels. Les plans existent. Ce qui est le plus difficile, c'est de les tester en vraie grandeur, pour vérifier le caractère opérationnel des matériels, des personnels et la tenue au séisme des établissements de santé et des établissements publics, notamment.

Troisièmement, il faut réhabiliter et conforter le bâti existant, avec, en toute première ligne, les bâtiments de classe D : hôpitaux, centres de crise, bâtiments qui abritent des centres de secours. Nous sommes en train d'estimer le coût de la réhabilitation de ces bâtiments. Le montant des travaux tourne autour de 1,5 milliard de francs.

Ces travaux seront financés grâce à la mobilisation de l'Etat et des collectivités locales, dans le cadre des contrats de plan, mais sans doute aussi hors enveloppe des contrats de plan, compte tenu des sommes en jeu. Je pense notamment aux travaux de réhabilitation de l'hôpital de Pointe-à-Pitre. L'Etat a déjà engagé le financement des études nécessaires pour préciser le coût de cette mise aux normes. La mobilisation des collectivités locales à nos côtés apparaît indispensable.


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La prévention des risques, monsieur le député, nécessite bien sûr la mobilisation de l'Etat, des collectivités et des administrations, mais aussi celle de l'ensemble de la population antillaise et des professionnels qui doivent intégrer pleinement les conséquences de ces risques. Une stratégie de prévention c'est bien, mais cela suppose que, dans tous les actes de la vie, on prenne en compte le risque.

Mon ministère finance d'importants programmes de recherche et de coopération sur les risques naturels et, plus particulièrement, sur le risque sismique. Depuis deux ans, les crédits consacrés à l'élaboration des plans de prévention des risques ont été sensiblement augmentés.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

35 HEURES À LA POSTE

M. le président.

La parole est à M. Guy Hascoët, pour une question rapide.

M. Guy Hascoët.

Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, comme vous l'avez souhaité, le 17 février dernier, les syndicats de La Poste ont signé un accord national sur les objectifs et sur la méthode de négociation pour parvenir à un accord sur les 35 heures.

Cet accord prévoit neuf étapes, dont cinq pour organiser une concertation dans chaque bureau de poste avec les salariés.

Quelle ne fut donc pas la surprise des postiers du Nord, et plus particulièrement de ceux de Roubaix lorsqu'ils ont reçu, avant toute discussion, une grille de refonte de l'organisation de leur bureau, sans discussion préalable, sans constat partagé, sans analyse des paramètres d'évolution et des solutions pour parvenir à un accord.

Pourtant, monsieur le secrétaire d'Etat, la loi sur les 35 heures est conçue et construite autour de l'idée d'un dialogue social. Elle parie sur la modernité du dialogue social entre les acteurs.

Pour prendre un exemple concret, au niveau du service de distribution de Roubaix, la grille proposée, de manière unilatérale, prévoit trois hypothèses : l'une pour passer de soixante-dix à vingt tournées et les deux autres hypothèses, de soixante-dix à dix-neuf. Il y a là, avouons-le, peu de paramètres de dialogue et de choix. Si une telle méthode était utilisée dans le privé pour dialoguer avec les salariés, sans doute nous offusquerions-nous.

L'Etat entend-il conduire un processus de négociation qualitatif à La Poste ? Avez-vous l'intention, si ce n'est de recadrer les responsables de La Poste, au moins de recadrer la méthode qu'ils utilisent ?

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie, pour une réponse très brève.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, selon l'accord du 17 février 1999, La Poste doit participer à la politique de solidarité en faveur de l'emploi. Si ce n'est pas le cas à Roubaix nous allons le vérifier, à partir des indications précises que vous nous avez fournies -, nous ferons en sorte que cela le devienne. La méthode ? Le dialogue social. Le projet ? Etre gagnant - gagnant pour les clients, pour le personnel, pour les entreprises et pour la collectivité nationale.

En deux ans, 20 000 recrutements à temps plein doivent être organisés. 2 000 jeunes seront formés en alternance. Nous développerons l'emploi stable ainsi que la réduction du nombre de CDD à La Poste.

Une impulsion sociale a été donnée lors de la signature du contrat d'objectif et de progrès de juin 1998. Nous avons voulu marquer cette obligation de réduction de la précarité et de la transformation des CDD en CDI.

L'accord de La Poste a aussi pour objectif d'améliorer la qualité de la distribution et les délais d'attente au guichet.

Notre objectif est, par la concertation et la négociation locale, de suivre les neuf phases auxquelles vous venez de vous référer. Les postiers doivent être associés à chaque phase du projet et, ensuite, consultés individuellement. Il y a 310 000 postiers. On comprend que la méthode soit à la fois lourde, nécessaire mais longue.

Les organisations syndicales, de leur côté, doivent être associées au diagnostic, à l'élaboration des solutions préalablement à la conclusion des accords dans chaque établissement, à Roubaix comme ailleurs.

200 négociations locales ont été déjà abouti, permettant à près de 10 000 postiers de passer aux 35 heures et d'améliorer, nous l'espérons, leur vie quotidienne.

Demain, un comité de suivi va se réunir et fera en sorte que toutes les situations de blocage puissent être levées par la même méthode de dialogue et de concertation - 150 000 postiers sont actuellement engagés dans cette démarche, soit environ un postier sur deux.

Le service public postal doit être fidèle à ses valeurs. Il doit être plus performant, respectueux de son personnel et respectueux de ses clients. Nous allons dans ce sens, monsieur le député, croyez-le-bien.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons au groupe communiste.

MUMIA ABU-JAMAL

M. le président.

La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, Mumia Abu-Jamal est ce journaliste noir américain de Philadelphie condamné à la peine capitale il y a dix-sept ans, en juillet 1982, à l'issue d'un procès entaché d'irrégularités flagrantes selon l'avis de juristes et d'experts de notoriété internationale.

Mumia Abu-Jamal a été reconnu coupable du meurtre d'un policier blanc dans des conditions qui ont fait dire à son avocat : « Il n'y a jamais eu de procès Mumia, mais une condamnation à la peine capitale. »

En 1995, le gouverneur de Pennsylvanie, Thomas Ridge, avait signé l'arrêt d'exécution de Mumia AbuJamal. La mobilisation internationale réclamant la vie sauve pour Mumia, pour un procès juste et équitable, alliée au combat acharné des avocats, avait stoppé l'engrenage final. Or cette fois, le même Thomas Ridge a fixé l'exécution d'Abu-Jamal au jeudi 2 décembre 1999 par injection létale.

Quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir sur les activités politiques de celui que l'on surnomme à Philadelphie « la voix des sans-voix », deux questions se posent à tous les démocrates : celle de la pratique de la peine de mort aux Etats-Unis et de la situation faite aux droits de l'homme, que dénonce régulièrement Amnesty International, et celle, aujourd'hui urgente, de sauver Mumia.

Aux Etats-Unis, des manifestations ont lieu dans tout le pays. Trente-huit sénateurs ou représentants réclament la révision du dossier « vide de preuves ». En Europe et dans le monde, un vaste mouvement de protestation se développe contre le crime qui se prépare.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

Notre groupe, mais aussi de très nombreux députés de l'Assemblée, sont intervenus et ont manifesté leur émotion et leur souci d'un procès juste et équitable.

En réponse à une lettre de Robert Hue, le Président de la République lui-même annonçait, en novembre 1998, une démarche des autorités françaises qu'il souhaitait élargir aux partenaires européens pour solliciter une mesure de clémence.

Devant l'urgence extrême, je vous demande donc, monsieur le ministre, quelles initiatives nouvelles et rapides notre gouvernement envisage de prendre pour empêcher l'irréparable et appuyer la demande de révision du procès ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, c'est en effet au 2 décembre prochain que le gouverneur de Pennsylvanie a fixé la date de l'exécution de M. Abu-Jamal. Ce journaliste, ancien dirigeant des Panthères noires, a été condamné pour le meurtre d'un policier, dans les conditions, contestées, que vous avez rappelées. Je précise que la Cour suprême est saisie d'un recours en révision et qu'elle n'a pas encore rendu son jugement.

Comme nous nous y étions engagés, nous avons saisi toutes les occasions de dire aux autorités américaines, fédérales mais aussi, quand nous l'avons pu, locales, notre totale opposition à la peine de mort, opposition qui tend d'ailleurs à devenir une caractéristique de l'Europe d'aujourd'hui. Nous avons incité nos partenaires européens à faire de même, dans toutes les circonstances.

Mais nous n'en sommes pas restés là. Au-delà de ce dramatique cas particulier, et j'espère que la Cour suprême saura orienter les choses dans un sens différent de ce qui est annoncé, l'Union européenne, en grande partie sous notre impulsion, a été à l'origine d'un projet de résolution adopté au sein de la commission des droits de l'homme en vue d'élargir le mouvement mondial destiné à mettre fin à la peine de mort. Et comme cette initiative de l'Union européenne a rencontré un grand écho, pour renforcer l'assise mondiale de ce mouvement, nous avons l'intention d'aller plus loin en demandant l'inscription de cette question à l'ordre du jour de l'assemblée générale des Nations unies.

Reste que, dans l'immédiat, c'est le cas de M. AbuJamal qui nous mobilise. Nous allons donc continuer, dans le court délai qui nous reste, à agir et à inciter nos partenaires européens à faire de même. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons au groupe Démocratie libérale et Indépendants.

POLITIQUE DE SANTÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2000

M. le président.

La parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon.

Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Madame la ministre, votre projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 ne soulève pas l'enthousiasme, c'est le moins que l'on puisse dire. Vous avez d'ailleurs reconnu ce matin qu'il était bancal, puisque vous avez dû reculer et renoncer - comme le demandait l'ensemble des partenaires sociaux - à l'idée de ponctionner l'UNEDIC pour financer les 35 heures.

Mais votre projet est tout aussi bancal en matière d'assurance maladie. Plusieurs dizaines de milliers de professionnels de santé, médecins, dentistes, psychiatres, sagesfemmes, kinésithérapeutes, podologues et j'en passe, ont manifesté dans la rue, dimanche dernier, pour vous le faire savoir.

M. Maxime Gremetz.

Vous n'y étiez pas !

M. Michel Herbillon.

Ils demandent que le Gouvernement cesse de les considérer comme des coupables, comme des fautifs, et de les présenter comme les responsables du dérapage des dépenses maladie.

Ils expriment leur inquiétude face à la dérive de notre système de santé et face à l'absence de projet à moyen et à long terme du Gouvernement pour réformer véritablement et efficacement notre système de protection sociale.

Comme sur le problème des retraites, le Gouvernement préfère jouer la carte de l'immobilisme, se cantonner dans une politique de gestion purement comptable et se raccrocher à l'espoir que la croissance et les recettes supplémentaires suffiront à elles seules à résoudre les difficultés.

Ce n'est pas ainsi, madame la ministre, que vous créerez les conditions nécessaires à l'élaboration d'une véritable politique de santé publique, garantissant des soins de qualité à nos compatriotes et associant, dans un esprit d e concertation et dans un climat de confiance, l'ensemble des professionnels de la santé.

Ce que redoutent les Français, madame la ministre, derrière votre logique purement comptable, c'est l'arrivée d'une médecine à deux vitesses dont ils ne veulent pas. Ils constatent que, petit à petit, nous glissons vers un système où les besoins réels de santé s'effacent devant la priorité donnée à l'équilibre budgétaire. Les Français craignent que notre système de soins à la française soit en train de disparaître et que, à terme, ils ne puissent plus choisir librement leur médecin.

Madame la ministre, ma question sera double.

Quand le Gouvernement cessera-t-il de faire peser toujours plus de contraintes, toujours plus de réglementations, toujours plus de tracasseries sur les professionnels de santé ? Quand, au lieu de l'immobilisme et de la logique purement comptable, mettrez-vous en oeuvre une véritable politique de santé qui offrira enfin aux acteurs de la santé, aux médecins, aux malades, aux gestionnaires d'hôpitaux des règles du jeu et des outils leur permettant de faire preuve, en toute liberté, de comportements responsables ? Avant que vous ne me répondiez, madame la ministre, j'ai une requête à vous adresser. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) De grâce, épargnez-nous la sempiternelle réponse que le Gouvernement réserve à chacune des questions de l'opposition ! Nous en avons eu encore l'exemple hier, lorsque vous êtes remontée aux années soixante. Epargnez-nous ce couplet qui consiste à vous défausser systématiquement sur ce qu'auraient fait ou n'auraient pas fait les précédents gouvernements.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

Madame la ministre, le coup de l'héritage, le coup du

« c'est pas moi, c'est l'autre », ce n'est plus crédible ! Vous êtes au pouvoir depuis deux ans et demi maintenant et ce qu'attendent les Français, ce sont les réponses du gouvern ement actuel à leurs préoccupations d'aujourd'hui.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, bien sûr, je vais accéder à votre requête.

(« Ah » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

D'abord, je ne peux pas dire que l'excédent de la Sécurité sociale qui sera dégagé l'année prochaine, c'éta it vous. Puisque c'est nous ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Ensuite, la manifestation contre la gestion comptable à laquelle vous faites allusion, c'est celle d'il y a quatre ans.

Ce n'est pas celle de dimanche dernier. Je l'ai suivie. Les professionnels de la santé n'étaient pas des dizaines de milliers, vous le savez. Les généralistes n'étaient pas là, de nombreux spécialistes non plus, les pharmaciens n'étaient pas là, pas plus que tous ceux qui, aujourd'hui, acceptent la politique du Gouvernement, une politique qui se fait avec les médecins et les professionnels de santé. Pourtant, c'est vrai, certains continuent à renâcler contre une politique qui vise à pérenniser la Sécurité sociale, à mieux allouer nos ressources et à améliorer la qualité des soins.

Depuis deux ans, nous avons signé un accord avec les généralistes qui respectent aujourd'hui les honoraires.

Nous avons mis en place des schémas régionaux d'organisation de la santé. Les hôpitaux et les cliniques respectent aujourd'hui leur budget.

Nous avons négocié avec les spécialistes qui - dérapaient - et nous avons conclu des accords avec les radiol ogues, les cardiologues, avec les pharmaciens, qui mettent en place aujourd'hui la substitution par les médicaments génériques, et même avec l'industrie pharmaceutique, à laquelle vous n'aviez jamais osé toucher.

Aujourd'hui, les Français sont heureux de savoir que les taux de remboursement des médicaments seront fixés en fonction de l'effet médical et non pas de tractations dans un bureau du ministère de la santé. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean Bardet.

Cela ne veut rien dire !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Aujourd'hui, les Français constatent que, peu à peu, car ce n'est pas facile, les comptes de la sécurité sociale se redressent et que nous luttons contre les inégalités hospitalières.

M. Jean Bardet.

Nous allons vers une médecine à deux vitesses !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

A cet égard, je souhaite les rassurer, puisque c'est là aussi votre requête : il ne sera pas porté atteinte à la liberté de choix des médecins. Même les 6 millions de Français qui vont bénéficier de la couverture universelle, et qui seront donc soignés gratuitement, pourront choisir leur médecin, leur hôpital ou leur clinique.

Alors moi aussi, monsieur Herbillon, j'ai une requête à vous adresser : sortez des slogans, regardez les faits, les Français apprécieront. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Nous en venons au groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

FINANCEMENT DES 35 HEURES

M. le président.

La parole est à Mme Anne-Marie Idrac.

Mme Anne-Marie Idrac.

Ma question s'adresse également à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité et porte sur le financement de la loi sur les 35 heures votée hier après-midi.

En effet, le projet de budget, dont la discussion a commencé, est du plus grand flou sur cette question.

Quant au projet de loi de financement de la sécurité sociale en cours d'examen en commission, il entoure ce sujet d'un épais rideau de fumée.

En outre, madame la ministre, vous avez annoncé, ce matin selon une dépêche, que vous acceptiez de renoncer à faire participer l'UNEDIC au financement des 35 heures. Rien dans la dépêche ne permet de savoir si, pour vous, il s'agit d'une ouverture, d'une novation ou d'un revirement. Pour nous, il s'agit plutôt d'une reculade. En tout état de cause, les partenaires sociaux et l'opposition ont eu raison de refuser un rapt sur les cotisations et les régimes de protection sociale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Les Français apprécieront certainement que l'action politique phare du Gouvernement fasse l'objet de tels tâtonnements, d'une telle improvisation ou de tels bricolages.

Après cette reculade, la question est de savoir, madame la ministre, comment vous allez sortir de l'impasse. Allezvous créer de nouvelles taxes sur les pollutions ? Ce serait très ennuyeux pour Mme Voynet, car cela voudrait dire qu'il faudrait beaucoup de pollution pour avoir beaucoup d'argent ! Allez-vous créer de nouveaux impôts, en sus de la contribution sur les bénéfices et de la cotisation sur les heures supplémentaires déjà prévues ? Là, ce serait votre collègue des finances qui serait bien ennuyé au regard de ses objectifs en matière de prélèvements obligatoires.

Quoi qu'il en soit, madame, les Français ont le droit de savoir. C'est votre action phare et c'est leur argent, celui des cotisants et des contribuables. Comment, encore une fois, allez-vous financer cette loi qui ne l'est pas aujourd'hui ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Madame la députée, je vais redire ce que j'ai déjà dit hier et que j'ai répété à plusieurs reprises pendant les débats sur la durée du travail. Mais cela est bien naturel car les députés sont les premiers à devoir connaître la façon dont les crédits publics sont utilisés.

Nous avons donc réuni deux grandes réformes, la baisse des charges sociales et la réduction de la durée du travail. Les 65 milliards de baisse des charges au-delà du coût de la réduction de la durée du travail sont financés.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française.

Ce n'est pas la question !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je reprenais ces explications car Mme Idrac n'a pas assisté à tout le débat sur la durée du travail. Je voudrais que les choses soient claires pour elle. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Claquements de pupitres sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Quant aux 40 milliards correspondant au coût de la réduction du temps de travail proprement dite, ils sont financés par le budget de l'Etat et les fonds de la sécurité sociale, et nous avions envisagé de faire participer l'UNEDIC.

Mais les partenaires de l'UNEDIC nous ont fait savoir qu'ils ne souhaitaient pas financer cette réforme. Ainsi que je l'ai dit à plusieurs reprises devant la commission des affaires sociales, la commission des finances et dans cette enceinte même, le Gouvernement est d'accord pour renoncer à cette participation à condition que nous arrivions à un accord qui fixe, pour l'avenir, les rapports entre l'Etat et l'UNEDIC.

A cet égard, je souhaite rappeler certaines choses. Vous nous dites que les Français sont en droit de savoir.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française.

Oui !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Eh bien, il faut leur dire que, depuis 1993 et en fonction d'accords passés par le précédent gouvernement, l'Etat a donné 35 milliards à l'UNEDIC, alors même que cet organisme a été excédentaire dès 1994.

Aujourd'hui, le contentieux avec l'UNEDIC, qui traîne depuis des années, n'a toujours pas été réglé. J'ai donc rencontré les partenaires sociaux. Nous avons commencé les négociations. On ne peut pas à la fois nous demander de négocier et nous reprocher de le faire ! Il faut trouver des modalités de relations claires entre l'UNEDIC et l'Etat. Je crois au paritarisme mais je considère aussi qu'on ne peut pas appeler l'Etat quand cela va mal et renoncer à la solidarité quand tout va bien. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) C'est autour de cela que nous négocions actuellement avec les partenaires sociaux.

Soyez rassurée, madame, il n'y a pas de problème de financement de la réduction du temps de travail (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) , et ce d'autant moins que la taxation de 10 % des heures supplémentaires, qui va rapporter entre 7 et 8 milliards de francs, a été versée au fonds de réduction des charges sociales. Les artisans, les commerçants, les entreprises de main-d'oeuvre et de services, qui attendent cette réforme, seront certainement heureux d'apprendre que l'opposition ne nous rejoint pas sur ce sujet. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Nous en venons au groupe du Rassemblement pour la République.

EMPRUNTS DES ARTISANS

M. le président.

La parole est à M. Philippe Martin.

M. Philippe Martin.

Ma question s'adresse à M. le premier ministre.

Comme vous devriez le savoir, monsieur le Premier ministre, nos artisans sont aujourd'hui des maillons indispensables de la revitalisation des zones rurales. Ils jouent notamment un rôle important dans le domaine de l'emploi. Or, ils sont souvent confrontés à des difficultés administratives et financières et ont très souvent recours à l'emprunt pour assurer la continuité de leur entreprise.

Le monde artisanal est très attaché à son organisation de type familial. Les formules de société à responsabilité limitée - SARL, EURL - y sont rares. En conséquence, en cas de difficulté dans les règlements d'un emprunt, c'est l'ensemble du patrimoine de l'artisan qui peut être saisi par ses créanciers. Plus grave, une pratique, de plus en plus courante de la part des banques, consiste à demander, lors de la signature d'un prêt, la caution solidaire de la femme de l'artisan. C'est l'ensemble du patrimoine familial qui devient alors saisissable. Cette pratique bancaire crée des situations de désarroi pour des familles qui ont soutenu à bout de bras l'entreprise familiale ; elles se sentent spoliées.

Aussi, comme en matière de relations entre les distributeurs et les producteurs, il me paraît aujourd'hui nécessaire de redéfinir des relations sereines entre les artisans, les petites entreprises et leurs financiers privilégiés, les banques. Pourquoi ne pas prévoir que, comme pour les salariés, une part du patrimoine familial de l'artisan sera déclarée insaisissable ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.

Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.

Monsieur le député, cette question nous est posée très souvent par les artisans et les commerçants, qui recourent effectivement peu à l'EURL et qui, je partage le constat avec vous, même lorsqu'ils ont choisi un statut de type EURLSARL, se trouvent confrontés à la demande d'une caution familiale de type conjoint, ou de type famille, ce qui est encore plus grave, par l'ensemble du système bancaire français.

En souriant, je dirai que vous me demandez de nationaliser les banques, monsieur le député, ce qui n'est pas à l'ordre du jour. Sans sourire, je vous répondrai qu'il nous faut réhabiliter le système de la garantie d'emprunt pour les tout petits projets, c'est-à-dire ceux qui nécessitent moins de 500 000 francs d'investissement.

Avec le Premier ministre et dans le cadre des Assises de la création d'entreprise, nous avons envisagé d'étendre la caution de garantie SOFARIS, SIAGI ou SOCAMA - ce


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

sont les caisses de caution mutuelle des artisans et de commerçants - à l'ensemble des petites entreprises artisanales, qui en ont besoin pour protéger leur patrimoine familial. Il s'agit pour l'instant d'une négociation de médiation. Si cette dernière échouait, nous pourrions envisager une disposition en ce sens dans le cadre du texte sur la régulation économique annoncé par M. le Premier ministre et que le ministre de l'économie et des finances prépare avec l'ensemble du Gouvernement.

A l'heure actuelle, un grand nombre de jeunes, qui ont acquis tout simplement le domicile familial, hésitent à créer leur entreprise pour ne pas risquer, en cas d'échec, à mettre en cause ce bien. On ne peut pas se contenter de constater les échecs : 80 % quand les artisans sont tout seuls, 50 % quand ils sont soutenus par des actions de type pépinières d'entreprises ou autres. Il faut précisément s'occuper de ceux qui échouent. C'est l'objectif de la négociation en cours avec l'Association française des banques et le crédit coopératif et des assises de la création d'entreprise. C'est le sens des mesures visant à étendre la garantie SOFARIS, SIAGI, SOCAMA. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

NÉGOCIATIONS DE L'OMC

M. le président.

La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard.

Ma question s'adresse au Premier ministre. Elle porte sur un sujet d'actualité d'importance, je veux parler des négociations qui vont avoir lieu dans quelques semaines à Seattle dans le cadre de l'OMC.

Actuellement, vous êtes en train de négocier avec la Commission un mandat de négociation qui va inclure un certain nombre de matières non communautaires, notamment les services et la propriété intellectuelle. Allez-vous préserver les compétences nationales et celles du Parlement et ne pas céder à la tentation de la communautarisation excessive ? Dans le passé, nous avons été quelquefois déçus, voire trompés par les agissements de la Commission, qui a outrepassé facilement son mandat. Cette fois-ci, le gouvernement de la République, s'il existe encore (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste), sera-t-il présent physiquement à la table des négociations pour sauvegarder les intérêts français ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, le Gouvernement prépare cette négociation internationale avec beaucoup de soin et en concertation avec le Président de la République, les organisations syndicales, que j'ai réunies à cet effet à mon ministère, et le Parlement - je veux d'ailleurs saluer à cette occasion l'excellent rapport de votre collègue Mme Béatrice Marre.

Mme Yvette Roudy.

Tout à fait ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ainsi que vous l'avez souligné, le mandat de négociation est en discussion à Bruxelles. Je dois dire qu'il nous convient assez largement, notamment dans le domaine agricole où nous sommes sur le point d'obtenir satisfaction.

Il reste cependant deux sujets très importants sur lesquels il nous faut encore avancer et auxquels nous sommes très attachés. Le premier a trait à la diversité culturelle. Nous voulons pouvoir continuer à intervenir dans le secteur culturel pour défendre la culture française.

M. Christian Cabal et M. Charles Ehrmann.

Très bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Nous ne céderons pas sur ce point.

Le second sujet porte sur les droits sociaux. Nous voulons que, dorénavant, dans les négociations commerciales, et en liaison avec l'Organisation mondiale du commerce et l'Organisation internationale du travail, le commerce avec des pays qui feraient travailler les enfants ou les populations carcérales soit frappé d'interdiction.

Le résultat n'est pas encore acquis sur ces deux points qui font aujourd'hui encore l'objet de débat, voire de combat.

Pendant ce temps, à Genève, le projet de résolution de la conférence de Seattle qui va se tenir à la fin du mois de novembre se prépare. Il n'est pas encore satisfaisant puisque nos partenaires américains souhaitent s'en tenir à un mandat étroit ne portant que sur l'agriculture et les services, nous, Européens, voulons l'étendre à l'environnement ou la sécurité alimentaire, tous sujets qui nous semblent préoccuper nos concitoyens et sur lesquels notre fermeté est absolue.

S'agissant du rôle que joue le gouvernement français, je tiens à vous rassurer. Sachez que non seulement le Parlement y a déjà été associé avec le rapport de Béatrice Marre, mais qu'un débat a été organisé la semaine prochaine à la demande, je crois, du groupe communiste. En outre, le Gouvernement souhaite qu'à l'occasion de la réunion qui se tiendra à Seattle la délégation officielle comprenne des parlementaires de la majorité et de l'opposition afin que la représentation nationale soit associée à la discussion et à ses suites. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical Citoyen et Vert.)

POLITIQUE DE SANTÉ

M. le président.

La parole est à M. Lucien Degauchy.

M. Lucien Degauchy.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, le week-end dernier, et en dépit de ce que vous avez déclaré tout à l'heure, ce sont bien des dizaines de milliers de professionnels de santé qui ont exprimé leur mécontentement...

M. Maxime Gremetz.

Vous n'y étiez pas !

M. Lucien Degauchy.

... à l'égard de votre politique en matière de soins ambulatoires.

Parallèlement, dans les hôpitaux publics, que vous avez renoncé à réformer, le mécontentement est tout aussi grand et tout aussi justifié du fait d'un manque réel, tant en moyens qu'en personnel.

M. Jean-Michel Dubernard.

Très juste !

M. Lucien Degauchy.

Face à ces inquiétudes légitimes et alors que vous bénéficiez de recettes abondantes du fait des prélèvements records que vous imposez aux Français, votre projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'an 2000 ne prévoit rien.

En attribuant à la CNAM la seule médecine de ville, en entérinant les tarifs flottants qui ont échoué partout, en vous gardant le secteur de l'hospitalisation pour éviter de le réformer, vous conduisez chaque jour un peu plus notre système de soins dans l'impasse.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

A titre d'exemple, je citerai le cas des hôpitaux de l'Oise, et notamment de celui de Compiègne. Cet hôpital récent, à l'équipement plus que performant, ne peut en effet assurer sa mission de service public des urgences. La raison en est simple : un manque flagrant de personnel.

Le conseil d'administration a d'ailleurs décidé de vous interroger directement en adoptant une motion pour dénoncer cette situation, motion que je vous remettrai tout à l'heure.

Madame la ministre, que comptez-vous faire pourr épondre aux attentes des personnels hospitaliers (« Rien ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), mais aussi de l'ensemble des professionnels de santé, et pour réformer notre système de soins ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, n'est-il pas merveilleux qu'en ne faisant rien ou en faisant tout mal, nous arrivions néanmoins à redresser les comptes de la sécurité sociale ? (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Il faut croire qu'il y a quelque chose audessus de nous qui nous permet d'avancer. (Rires et exclamations sur les mêmes bancs.) Un député du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

C'est Dieu !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

En effet, quand nous sommes arrivés aux affaires, le déficit était de 54 milliards. Aujourd'hui, les généralistes et les spécialistes tiennent leurs honoraires. Cela n'était pas arrivé depuis des années et des années.

M. Christian Cabal.

C'est faux !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Quant à la CNAM, elle nous a demandé avec raison de pouvoir engager avec l'ensemble de la médecine de ville, et dans une autonomie de gestion, une contractualisation pour gérer la médecine de ville. C'est ce que nous allons prévoir dans la loi de financement de la sécurité sociale qui, je l'espère, sera votée dans quelques jours. Cela permettra de continuer par la négociation à faire en sorte que l'ensemble des professionnels de santé, les médecins, les professions paramédicales, sur lesquelles Philippe Nauche travaille actuellement, les pharmaciens que nous avons enfin reconnus comme de vrais agents de la santé, participent véritablement à la mise en place du système de soins.

Nous reprochez-vous aujourd'hui de permettre à la CNAM, c'est-à-dire à la gestion paritaire, de négocier avec les professionnels de santé ? Si c'est cela, il faut le dire ! Si vous préférez que l'on continue à laisser faire, si vous souhaitez mettre en déficit la sécurité sociale pour la confier à l'assurance privée, il faut en effet le dire ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Tel n'est pas, en tout cas, notre projet.

Quant aux hôpitaux et aux cliniques, nous faisons, là aussi, ce qui n'a pas été fait, c'est-à-dire que nous traitons l'hôpital et la clinique de la même manière. Et je croyais avoir compris que certains d'entre vous réclamaient cela depuis longtemps.

Par les schémas régionaux d'organisation de la santé, nous essayons de permettre à chaque Français, où qu'il soit, d'être traité avec une assurance de sécurité et de qualité, avec les priorités que sont la cancérologie, la périnatalité, les urgences, les soins palliatifs. Nous avons pour objectif de réduire en cinq ans les inégalités entre les différentes régions, alors qu'il aurait fallu attendre vingt ans avec vos propositions.

Nous faisons en sorte qu'aujourd'hui les hôpitaux et les cliniques, par la tarification à la pathologie et par les conventions passées avec les agences régionales d'hospitalisation, soient traités de la même manière et aident le secteur hospitalier à évoluer en fonction des besoins.

M. Philippe Briand.

Ce n'est pas vrai !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Voilà, sans revenir sur ce que nous faisons avec l'industrie pharmaceutique, le travail très concret qui est mené.

Alors, monsieur le député, on a le droit de poser des questions sur Compiègne - et j'y répondrai extrêmement volontiers -, on a le droit de dire que ce qui est bon pour les autres n'est pas bon pour sa ville, mais quand on a des responsabilités, on doit s'efforcer de faire en sorte que tout le monde évolue dans le même sens pour pérenniser notre système de sécurité sociale. C'est ce que nous faisons pas à pas, car ce n'est pas facile. Nous le faisons notamment avec les professionnels du secteur hospitalier dont je rappelle, bien qu'il soit fortement critiqué sur les bancs de l'opposition (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), qu'il a commencé à évoluer bien avant les autres. C'est un secteur d'excellence qui remplit aujourd'hui, globalement, très bien sa mission. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons au groupe socialiste.

INNOVATION ET CRÉATION D'ENTREPRISES

M. le président.

La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

En 1998, les Assises de l'innovation ont émis le voeu de rendre le transfert de la recherche publique vers les entreprises, en particulier, en direction des PME, plus aisé. Quant à vous, monsieur le ministre, vous avez été à l'initiative de la loi sur l'innovation et la recherche, promulguée en juillet 1999, qui favorise la création d'entreprises par des chercheurs.

On oublie parfois que la poêle Tefal est le résultat de recherches fondamentales sur les quasi-cristaux, que la carte à puce sort de nos laboratoires ou que la détection de maladies génétiques se fait dans nos laboratoires de g énomique. Nous vous en félicitons, monsieur le ministre, car nous pensons que cette politique va dans le bon sens...

Mme Odette Grzegrzulka.

Elle n'intéresse pas la droite.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

M. Jean-Yves Le Déaut.

..., car l'emploi de demain se créera sur les gisements de matière grise, concentrés notamment dans les universités.

Vous avez, en mai 1999, lancé un concours national de création d'entreprises de technologies innovantes. Le nombre important de dossiers reçus est la preuve de la vitalité de la recherche française et, à l'inverse de ce qui est communément exprimé, les jeunes chercheurs n'hésitent plus à sauter le pas et à créer leur entreprise.

Pouvez-vous à cet égard, monsieur le ministre, faire le bilan de ce concours national et nous dire combien de jeunes sociétés créées par des chercheurs ont bénéficié du soutien de votre ministère ? Je rappelle que la priorité de ce gouvernement est à la fois l'emploi et l'aménagement du territoire. Dès lors, comment comptez-vous favoriser la déclinaison de cette politique dans les différentes régions françaises autour de leurs pôles universitaires et de leurs centres de recherche ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Monsieur le député, le concours de création d'entreprises innovantes a effectivement été lancé en mars dernier et les résultats sont connus depuis trois semaines. Ce concours s'inscrit dans le cadre d'une série d'initiatives que nous avons prises en étroite collaboration avec Dominique Strauss-Kahn et Christian Pierret à la suite des Assises de l'innovation qui, je le rappelle, comprennent la loi sur l'innovation - je remercie à cet égard la représentation nationale de l'avoir votée rapidement -, la mise en place d'un capital-risque p our entreprises innovantes - 600 millions -, un concours de création de fonds d'amorçage et d'incubateurs - 200 millions -, et un concours d'entreprises innovantes - 100 millions. Bref, près de 1 milliard de francs auront donc été dégagés.

Nous avons eu la surprise et le plaisir d'enregistrer 2 000 demandes de créations d'entreprises. Celles-ci ont été examinées par des jurys régionaux, puis par un jury national présidé par Jean-Louis Beffa, président de SaintGobain. Sur 2 000 demandes, les jurys ont estimé que près de 800 étaient aptes à donner naissance à des entreprises dans le domaine des nouvelles technologies innovantes. Les jurys en ont retenu 244, 79 à créer immédiatement et 185 au mois de janvier.

En dix ans - je le rappelle -, il ne s'était créé que 3 20 entreprises à partir de la recherche publique.

L'enthousiasme des jeunes - car la grande majorité sont des jeunes : des jeunes sortant de grandes écoles, des jeunes diplômés de l'université, des jeunes chercheurs montre qu'il existe non seulement une potentialité d'innovation, mais également une volonté d'entreprendre chez les jeunes de ce pays. La réponse est en elle-même un encouragement formidable pour le Gouvernement qui poursuivra dans cette voie avec la coopération du ministère de la recherche et de la technologie et du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) TRANSPORT DE PRODUITS TOXIQUES

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Daniel.

M. Jean-Claude Daniel.

Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le secrétaire d'Etat, le samedi 9 octobre 1999, un camion allemand chargé de solvants, de matières plastiques, de peintures, mais surtout de 900 détecteurs de fumée équipés de pastilles d'américium 241, radioéléments très toxiques, prenait feu sur l'autoroute A 31 entre Chaumont et Langres. Les centres de secoursincendie et la gendarmerie diligentaient quarante personnes sur les lieux. Au moment de l'intervention, les personnels n'ont pas eu connaissance de la nature du chargement et n'ont donc pas pris toutes les précautions indispensables qu'une telle situation impose. C'est très tardivement, cinq jours après l'accident, que les informations sur le contenu du camion ainsi que les risques encourus par les personnes exposées ont été communiqués. Aujourd'hui, les résultats des investigations techniques et sanitaires entreprises tant sur le site de l'intervention que sur celui du stockage des déchets du camion incendié, à Pagny-sur-Meuse, ne sont pas encore tous connus. Cette affaire, malgré la qualité du travail de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants - OPRI - met en évidence des carences dans les procédures d'alerte et la mise en place des dispositifs de sécurité.

Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, comment comptezvous améliorer la réglementation du transport des produits toxiques et, en particulier, des radioéléments ? Quelles mesures souhaitez-vous prendre concernant la procédure d'alerte et de contrôle pour garantir la sécurité d'intervention des équipes exposées et permettre un contrôle technique et sanitaire efficace et rapide en amont et en aval ? E nfin, monsieur le secrétaire d'Etat, comment comptez-vous garantir la transparence et la sûreté dans le transport des produits contenant des radioéléments ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, l'accident que vous venez de décrire, en effet, n'est pas acceptable. Dès qu'ils en ont été informés le 13 octobre dernier, l'Office de protection contre les radiations ionisantes et l'autorité de sûreté - la DSIN, la direction de la sûreté des installations nucléaires - ont immédiatement mis en oeuvre les procédures prévues à cet effet.

Dès que l'information a été connue et confirmée par les services de secours et de gendarmerie, des actions immédiates ont été entreprises par l'OPRI à la demande de ma collègue Mme Gillot afin, d'une part, d'identifier t ous les intervenants impliqués dans cet accident - puisque, au départ, ils ne savaient pas qu'il s'agissait d'américium 241, un radioélément très toxique - et, d'autre part, d'évaluer leur éventuelle contamination par ce produit. A ce jour, une quarantaine de personnes font l'objet d'investigations poussées : des pompiers, des gendarmes, des personnels de l'autoroute, des dépanneurs, etc.

Parallèlement, à ma demande et à celle de ma collègue Dominique Voynet, l'autorité de sûreté nucléaire a diligenté une inspection pour connaître les conditions de transport de ces matières radioactives et établir les responsabilités éventuelles, en particulier en matière de respect de la réglementation des transports.

Aujourd'hui même, ce sujet est abordé dans une réunion entre la direction de la sûreté des installations nucléaires française et l'autorité de sûreté allemande.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

Cet accident montre, s'il en était besoin, l'importance qu'il faut attacher à la sûreté et à la transparence dans le transport des produits concernant des radioéléments.

Depuis juin 1997, à la demande expresse du Premier ministre, nous avons demandé à la DSIN de mettre en oeuvre avec une particulière rigueur, tout d'abord une action sur les transports de matières radioactives qui représentent les plus hauts niveaux de radioactivité - elle a ainsi diligenté cinquante inspections précises en 1998 -, et ensuite un renforcement de son action en direction des transports de matières nucléaires en dehors de l'industrie électronucléaire elle-même puisque c'est l'exemple que vous évoquez. Ainsi, des inspections ont eu lieu depuis le début de 1999 dans les aéroports ou les hôpitaux.

Depuis le 1er octobre de cette année, après avoir consulté notamment le Conseil supérieur de la sûreté et de l'information nucléaire, le CSSIN, une échelle INES des transports a été mise au point pour informer le public des dangers encourus et des mesures qu'il convient de prendre. Ce dispositif est encore récent et si, à la lumière de l'expérience, il s'avère nécessaire de renforcer les inspections et de prendre des mesures complémentaires, nous les prendrons sans délai. Nous attachons, en effet, une très grande importance à une sécurité absolue en matière de transport des matières radioactives et à une information totalement transparente à cet égard.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

DOTATIONS AUX COLLECTIVITÉS LOCALES

M. le président.

La parole est à M. Jean-Yves Caullet.

M. Jean-Yves Caullet.

Monsieur le ministre de l'intérieur, le recensement général de 1999 fait apparaître une augmentation de la population de près de deux millions d'habitants par rapport aux derniers chiffres pris en compte pour le calcul et la répartition des dotations de l'Etat aux collectivités locales. A cette augmentation correspond également une évolution sensible de la répartition géographique de la population.

M onsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser quelles seront les conséquences de cette double évolution, à la fois sur le calcul du montant global de la dotation globale de fonctionnement et sur le niveau des ressources des collectivités résultant de sa répartition ? Comment envisagez-vous en particulier, monsieur le ministre, de garantir dans ce contexte un niveau suffisant pour les dotations dites d'aménagement, notamment la dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale ? Et enfin, de manière plus générale, quelles dispositions pourront être prises pour éviter une chute qui pourrait être brutale des ressources des communes dont la population est en baisse, tout particulièrement, mais pas seulement, dans les communes rurales ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

Monsieur le député, vous avez tout à fait raison, le recensement faisant apparaître une augmentation d'environ 1,8 million d'habitants pris en compte pour le calcul des d otations aux collectivités locales, il risquerait de s'ensuivre une baisse des dotations de solidarité, si le Gouvernement n'avait pas résolu de prendre un certain nombre de dispositions.

Le Gouvernement, par le biais d'un projet de loi spécifique et du projet de loi de finances, propose d'étaler sur trois ans la prise en compte des effets du recensement, aussi bien pour les collectivités dont la population baisse que pour celles dont la population augmente. C'est dire que la dotation forfaitaire sera gelée pendant trois ans pour les collectivités dont la population baisse.

L'effort est d'environ 1,6 milliard de francs. La baisse des dotations de solidarité serait très importante, supérieure à 20 %, si le Gouvernement n'avait pas prévu d'abonder de 200 millions de francs les dotations de solidarité, de 500 millions de francs la dotation de solidarité urbaine, et s'il ne prévoyait pas, à la faveur du débat budgétaire - mais je sais que des amendements ont été déposés dans ce sens par la commission des finances -, de faire en sorte que la dotation de solidarité rurale aussi dispose d'un concours supplémentaire au moins égal à 200 millions de francs.

De sorte que, au total, le contrat de croissance et de solidarité verra les concours de l'Etat aux collectivités locales augmenter de 2,4 milliards de francs - engagement tenu -, ce à quoi le Gouvernement ajoute, sous des formes diverses, 1,8 milliard de francs de concours. C'est donc un effort de quatre milliards supplémentaires qui permettra aux collectivités locales d'éponger le choc et de pouvoir regarder l'avenir avec confiance. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

PAKISTAN

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Perez.

M. Jean-Claude Perez.

Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.

Monsieur le ministre, même si les informations qui nous parviennent du Pakistan, qui subit actuellement une très grave crise économique et qui vit essentiellement des subsides accordés par le Fonds monétaire international, se veulent rassurantes et font état d'un calme relatif dans le pays, le coup d'Etat militaire perpétré le 12 octobre est pour le moins inquiétant, dans la mesure où il créera un nouveau facteur d'instabilité dans cette région, notamment en Inde et en Afghanistan.

L'Inde, en conflit avec le Pakistan dans la province du Cachemire, a placé son armée en état d'alerte maximale.

Cette escalade est d'autant plus inquiétante que ces deux pays possèdent l'arme atomique, le Pakistan ayant notamment procédé à six essais nucléaires en mai 1998.

E n conséquence, je vous demande, monsieur le ministre, de me faire connaître la position de la France sur ces événements.

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, j'évoquerai d'abord rapidement la situation au Pakistan. Ce qui c'est passé le 12 octobre est l'aboutissement d'un processus de dégradation continue dans un pays dont la situation économique est très mauvaise, dans lequel la situation politique est très instable et qui est de plus en plus critiqué par le monde entier, notamment pour son soutien au répugnant régime des talibans en Afghanistan.

Par ailleurs, l'armée a toujours occupé une place considérable dans le régime pakistanais avant même les événements du 12 octobre ; c'est manifestement elle qui avait engagé son pays dans cette aventure tout à fait risquée et inconsidérée au Cachemire. A la suite de quoi, sous les p ressions internationales, le gouvernement avait dû


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

reculer, ce qui a ouvert une phase aige de conflits entre le gouvernement et son armée. Le Premier ministre, M. Sharif, a essayé de sortir de ce drame en destituant le chef d'état-major des armées et c'est ce dernier qui l'a renversé.

Compte tenu de la situation du Pakistan et de son environnement - je veux parler de l'Afghanistan et de l'Inde - nous ne pouvons naturellement pas avoir de doute sur l'objectif : il faut faire rétablir les institutions, la démocratie et des élections correctes, comme celles qui avaient amené M. Sharif au pouvoir. La condamnation internationale a été unanime et les principes qui nous animent sont parfaitement clairs.

En ce qui concerne l'impact de telle ou telle mesure et notamment de sanctions, il faut bien mesurer notre action parce que notre expérience dans ce domaine montre que, dans de nombreux cas, nous aboutissons au résultat inverse de l'effet recherché.

En conclusion, les pays occidentaux, les Etats-Unis d'un côté, l'Europe de l'autre et le Commonwealth, par ailleurs, ont pour le moment suspendu toute aide nouvelle au Pakistan et sont en train d'examiner la situation qui est relativement stable et calme mais ce n'est naturellement pas suffisant par rapport au rétablissement nécessaire des institutions démocratiques. Nous allons donc nous concerter pour examiner quelles sont les mesures à arrêter dans les tout prochains jours. Nous voulons peser sur la situation dans le sens que je vous indique sans porter atteinte à la situation d'une population déjà en mauvaise posture ; c'est l'un des principes généraux qui nous guide quand il faut recourir à des sanctions et que nous n'avons pas le choix.

(Aplaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de Mme Nicole Catala.)

PRÉSIDENCE DE Mme NICOLE CATALA,

vice-présidente

Mme la présidente.

La séance est reprise.

2 LOI DE FINANCES POUR 2000 Suite de la discussion d'un projet de loi

Mme la présidente.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2000 (nos 1805, 1861).

Discussion générale (suite)

Mme la présidente.

Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Dans la suite de cette discussion, la parole est à M. Philippe Auberger, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. Philippe Auberger.

Madame la présidente, monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, monsieur le secrétaire d'Etat au budget, mes chers collègues, la croissance est revenue, les perspectives pour l'année 2000 sont bonnes.

M. Jean-Pierre Brard.

Alléluia !

M. Philippe Auberger.

Notre économie est repartie sur un rythme de création d'emplois convenable. Qui pourrait se plaindre de telles perspectives ?

M. Jean-Pierre Brard.

Vous vous étiez donc trompé !

M. Philippe Auberger.

Mais attention, il ne faut pas céder à l'euphorie et encore moins à l'anesthésie.

M. Jean-Pierre Brard.

Non, mes frères !

M. Philippe Auberger.

En effet l'expérience récente nous a montré que certains anesthésiants pouvaient être puissants mais également mortels.

M. Michel Inchauspé.

Exact !

M. Philippe Auberger.

La situation actuelle ne doit pas masquer les trois principaux défauts de nos finances publiques : l'excès des prélèvements, le fort déficit et l'accroissement des inégalités.

Nos prélèvements obligatoires continuent leur montée inexorable, ce qui est grave pour le dynamisme de notre économie. Pourtant M. le ministre nous avait promis, dans son discours d'investiture, en juin 1997, une stabilisation des prélèvements obligatoires. Chaque année, dans chaque loi de finances, on nous a promis une diminution de ces prélèvements obligatoires. Or non seulement ils n'ont pas baissé, mais ils ont augmenté depuis 1997 et l'on peut estimer cette augmentation à au moins 0,7 % du PIB. Cela aura représenté, en 1999, un prélèvement supplémentaire de 3 000 francs par ménage.

Bien sûr, on peut trouver toutes sortes de circonstances...

M. Jean-Pierre Brard.

Atténuantes !

M. Philippe Auberger.

... ou faire des calculs qui expliquent cette situation. Certains vont même jusqu'à remettre en cause la notion de prélèvements obligatoires depuis qu'elle est en leur défaveur. Cependant casser le thermomètre n'a jamais fait tomber la fièvre.

Contrairement aux affirmations faites dans le cadre de la loi de finances pour l'an 2000, ces prélèvements n'ont aucune chance de baisser l'année prochaine.

On nous a bien annoncé, avec beaucoup d'emphase, que les prélèvements sur les ménages allaient diminuer d'environ 24 milliards de francs. Mais qui peut oublier que, sur la base des estimations de recettes qui nous sont présentées et qui sont vraisemblablement sous-évaluées, auront augmenté : le produit de la TVA de 100 milliards de francs en trois ans - 1998, 1999 et 2000 - celui de l'impôt sur le revenu de 40 milliards de francs, celui de la taxe intérieure sur les produits pétroliers de 20 milliards de francs, soit, au total, 160 milliards de francs, au regard desquels les allégements promis sont bien peu de chose ?

M. Gilles Carrez.

On prépare les élections !

M. Philippe Auberger.

On nous dit que l'Etat tiendra ses promesses en supprimant définitivement la taxe exceptionnelle de 10 % sur les résultats des sociétés et en poursuivant la réforme de la taxe professionnelle, ce qui représente un total de 14 milliards de francs. En revanche, on oublie de dire que vont rapporter : le changement du régime fiscal relatif aux relations entre maisons mères et


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

filiales, 4,2 milliards de francs, la nouvelle contribution sociale sur les bénéfices des sociétés, 4,3 milliards de francs,...

M. Jean-Jacques Jégou.

C'est l'amendement Brard !

M. Jean-Pierre Brard.

Eh oui !

M. Philippe Auberger.

... l'écotaxe, 3,2 milliards de francs, la nouvelle taxation sur les heures supplémentaires, entre 8 et 10 milliards de francs - ce chiffre a d'ailleurs été confirmé tout à l'heure par Mme Aubry -, soit, au total, plus de 20 milliards de francs. C'est dire que la baisse de la pression fiscale sur les entreprises est loin d'être aveuglante.

Nos prélèvements fiscaux seront donc toujours sur une pente ascendante. En déclarant d'ailleurs que la gauche pouvait être battue par l'excès des prélèvements, le président de notre assemblée, M. Laurent Fabius, a adressé une solennelle mise en garde au Gouvernement et à sa majorité.

Ensuite, le projet de budget pour l'an 2000 annonce une diminution du déficit de 20 milliards de francs, ce qui ramènerait l'ensemble des déficits publics à 1,8 % du PIB. Mais cet effort est manifestement insuffisant. Il nous placerait dans le peloton de queue de l'Union européenne.

M. Jean-Pierre Delalande.

Absolument !

M. Philippe Auberger.

La réaction de nos partenaires au sein de l'Euro 11 ne s'est d'ailleurs pas faite attendre.

Ainsi, il y a une dizaine de jours, M. Gerrit Zalm, ministre néerlandais des finances, a déclaré : « La France doit faire davantage d'efforts pour réduire ses déficits publics, surtout quand on connaît l'excellence des perspectives de croissance dont se flatte l'Hexagone. »

M. Jean-Pierre Brard.

De quoi se mêle-t-il, ce représentant du pays de la fraude ?

M. Philippe Auberger.

Nous avons en effet dépassé, à la fin de l'année 1997, sous la gestion socialiste, le seuil de 60 % de dette publique par rapport au PIB, chiffre maximum prévu par le traité de Maastricht. Ce seuil a été constamment dépassé depuis.

Il est bien prévu, dans le rapport économique, social et financier, de repasser au-dessous de ce seuil en l'an 2000.

Mais qui peut croire un tel pronostic ? Certes nous sommes revenus, depuis un an, à un excédent primaire positif. Nous n'avons donc plus besoin d'emprunter pour acquitter une partie des intérêts de la dette.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

Dont acte !

M. Philippe Auberger.

Néanmoins ce solde, d'après le rapport sur les comptes de la nation, est insuffisant. Il y est ainsi indiqué : « La stabilisation du ratio d'endettement public, après neutralisation des flux de créance, aurait nécessité un excédent primaire deux fois plus élevé. »

M. Arthur Dehaine.

Dont acte ! (Sourires.)

M. Philippe Auberger.

Quand on sait que la dette publique totale dépasse 5 000 milliards de francs, soit plus de 200 000 francs par ménage français, dont près de 80 % de dettes d'Etat, on comprend qu'il serait urgent d'agir énergiquement, d'autant que le rapport économique, social et financier, note perfidement : « La période actuelle de redémarrage de l'activité en Europe constitue une opportunité pour chaque Etat membre d'accumuler des réserves afin de pouvoir les utiliser en cas de retournement conjoncturel. »

M. Jean de Gaulle.

C'est clair !

M. Philippe Auberger.

Enfin notre croissance s'accompagne d'une aggravation des inégalités.

Les emplois créés n'ont pas entraîné de diminution du nombre de titulaires du RMI.

M. Arthur Dehaine.

Eh non !

M. Philippe Auberger.

Au contraire l'évolution des crédits affectés à leur indemnisation en 1999 laisse à penser que leur nombre aura augmenté de 8 %, c'est-à-dire qu'il y a cent mille RMistes supplémentaires chaque année.

Ainsi une véritable trappe du non-travail a été installée et rien d'efficace n'a été entrepris pour la fermer.

Parmi les emplois créés, beaucoup sont précaires. Au cours des deux dernières années, le nombre des emplois intérimaires a cru de près de 60 %, ce qui a représenté environ 40 % des emplois créés. Cela montre que beaucoup d'entreprises ont cherché à contourner les rigidités excessives de notre code du travail en matière d'embauche par le recours à l'intérim. On ne voit pas en quoi une taxation éventuelle de ce type d'emplois apporterait une solution.

Enfin, dans une étude récente, l'INSEE a démontré que les inégalités de revenus ont recommencé à se creuser et que les inégalités de patrimoine ne cessent de s'aggraver.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Jusqu'en 1997 !

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Vous citez l'étude sur 1996 !

M. Philippe Auberger.

Ce constat est d'actualité même si le rapport économique, social et financier essaie, sur la base des mesures prises depuis juin 1997, de faire apparaître une tentative de redistribution. La démonstration est, en effet, bien maladroite : elle confond trop de déciles de revenus - or chacun sait que si l'on veut faire une courbe de Gini, il faut analyser décile par décile - et elle ne traite pas de la baisse des droits de mutation, laquelle, chacun le sait, est franchement antiredistributive.

Il faut donc se faire une raison : les mesures de fiscalité immobilière prises, cette année, n'ont aucun effet redistributif.

M. Jean-Louis Idiart.

Nous pouvons donc taxer !

M. Philippe Auberger.

La loi de finances pour l'an 2000 présente au surplus quatre lacunes.

En premier lieu la maîtrise des dépenses publiques est insuffisante.

M. Jean-Pierre Delalande.

C'est vrai !

M. Philippe Auberger.

Or elle est la clef de la diminution des charges fiscales comme du déficit et de l'endettement.

M. Jean-Pierre Delalande.

C'est l'évidence !

M. Philippe Auberger.

Certes, on nous annonce une augmentation des dépenses publiques de 0,9 %, ce qui correspond à l'inflation, mais ce chiffre est trompeur.

D'abord il est obtenu par des économies de constatation : baisse des charges de la dette publique, baisse des crédits militaires.

Ensuite, certains crédits sont manifestement sousestimés, notamment ceux concernant le RMI, les allocations sociales, la revalorisation des traitements de la fonction publique, ce qui laisse présager des dérapages en cours d'année, lesquels seront financés par la sousestimation des recettes.


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Enfin, certains postes de dépenses, très importants et surtout susceptibles de connaître de fortes progressions à l'avenir, ont été renvoyés à des fonds spécifiques, hors budget - le fonds pour l'allégement des charges sociales dans le cadre des 35 heures et le fonds destiné à financer la couverture médicale universelle - si bien que le taux de progression des dépenses affiché est très en deçà de la ré alité.

M. Jean-Pierre Delalande.

Nous avons un budget virtuel !

M. Philippe Auberger.

En réalité, nos dépenses publiques vont augmenter, en l'an 2000, de 3 %.

L'Assemblée nationale, par sa mission d'évaluation et de contrôle, avait présenté, dans le sens d'une meilleure utilisation des crédits, quelques propositions modestes sur le congé individuel de formation, sur la non-reconduction des crédits de préretraite FNE, sur la suppression du crédit d'impôt pour les créations d'emplois.

M. Jean-Jacques Jégou.

Eh oui !

M. Philippe Auberger.

Mais la plupart d'entre elles n'ont pas été retenues.

M. Jean-Jacques Jégou.

Provocation !

M. Philippe Auberger.

La loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale confirment une innovation importante ; la poursuite de l'allégement des charges sur les bas salaires. En la matière on revient de loin car, il y a deux ans, lors de la présentation de la loi de finances pour 1998, Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité n'avait pas de mots assez durs pour fustiger les allégements de cette nature, décidés par le gouvernement précédent...

M. Georges Tron.

Absolument !

M. Jean de Gaulle.

C'est vrai !

M. Philippe Auberger.

... au motif, mes chers collègues, que cela était financé par un prélèvement supplémentaire reposant en partie sur les ménages.

Or que fait-on aujourd'hui ? Les deux tiers du fonds prévu à cet effet seront financés par les taxes sur les tabacs, un prélèvement qui repose intégralement sur les ménages.

M. Jean-Pierre Brard.

Contre le vice !

M. Philippe Auberger.

Parmi les autres ressources, on relève la taxe sur les activités polluantes, qui frappe, par exemple, les lessives et les adoucissants. Elle pèsera donc indirectement sur les ménages, personne ne peut le contester.

M. Michel Bouvard.

Absolument !

M. Philippe Auberger.

En vérité, si tous les experts s'accordent...

M. Jean-Pierre Brard.

Vos experts !

M. Philippe Auberger.

... sur le bien-fondé d'une politique d'allégement des charges sur les bas salaires, ils ont demandé, à l'instar de M. Malinvaud, que ces allégements soient financés par des économies sur les dépenses et non par une aggravation du prélèvement fiscal,...

M. Jean-Pierre Delalande.

Eh oui, c'est la sagesse !

M. Philippe Auberger.

... d'autant que personne n'a mesuré exactement l'incidence de ces prélèvements fiscaux sur les entreprises et les risques spécifiques qu'ils font peser sur l'emploi.

La troisième défaut de cette loi de finances tient à l'absence de véritable politique fiscale. Chaque année, on égrène, de-ci de-là, quelques allégements de TVA dits ciblés. On parle, pour demain, de l'impôt sur le revenu et de la taxe d'habitation. Tout cela prend des allures de saupoudrage, sans plan d'ensemble, sans perspectives, sans cohérence.

M. Georges Tron.

C'est vrai !

M. Philippe Auberger.

Le financement du fonds d'allégement des charges sur les bas salaires, dont je viens de p arler, par quatre impôts nouveaux - contribution sociale, TGAP, taxation des heures supplémentaires, contribution des organismes sociaux - est, à cet égard, caricatural.

Notre pays ne peut sortir de l'excès de fiscalité que par une politique résolue, en décidant d'y consacrer des moyens importants durant plusieurs années, avec des lignes directrices claires et un souci à la fois d'allégement et de simplification.

M. Jean-Pierre Delalande.

Très bien !

M. Philippe Auberger.

Il est d'ores et déjà certain, mes chers collègues, qu'il ne sera pas possible de mener simultanément, l'année prochaine, comme on nous le dit, une réforme de l'impôt sur le revenu, une réforme de la taxe d'habitation et l'allégement de la taxe sur la restauration.

M. Jean-Pierre Brard.

Cassandre !

M. Philippe Auberger.

Il faudra choisir. A cet égard, d'ailleurs, la réforme de l'impôt sur le revenu initiée en 1997 avait quelques chose d'exemplaire.

M. Jean-Pierre Delalande.

Absolument ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ah !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

C'est vous qui le dites !

M. Philippe Auberger.

C'était un choix ! Enfin, si l'on veut asseoir notre croissance sur des bases plus saines et plus durables, il faut privilégier un financement équilibré des investissements des entreprises, donc un appel plus large à l'épargne à risque. Cela avait été fai t avec les privatisations de 1986-1987 comme avec celles de 1993. Un grand nombre de nos concitoyens avait alors accédé, pour la première fois, à la détention d'actions, et le capital de nos grandes entreprises était passé de l'Etat à la nation.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

De l'Etat à l'Allemagne !

M. Philippe Auberger.

Malheureusement cet effort a été stoppé et beaucoup ont été découragés de conserver leurs titres.

A cet égard le groupe RPR a présenté au printemps dernier, une proposition très intéressante : exiger de chaque entreprise cotée procédant à une augmentation de capital, de réserver une partie de cette augmentation à ses salariés à des conditions avantageuses.

M. Jean-Pierre Delalande.

Eh oui !

M. Philippe Auberger.

Cette proposition n'a pas eu l'heur de plaire à la majorité.

M. Jean de Gaulle.

Hélas !

M. Philippe Auberger.

Je le regrette, car il s'agissait d'un moyen simple de développer la diffusion du capital des entreprises et d'associer directement les salariés à l'évolution de la valeur de ce capital.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

M. Jean-Pierre Delalande et M. Jean de Gaulle.

Absolument !

M. Philippe Auberger.

Non seulement on ne nous propose rien de concret allant dans ce sens, mais nous avons assisté, la semaine dernière, à une palinodie au sein de la majorité de la commission des finances.

En effet, le matin a été adopté un amendement pour faciliter la transmission des entreprises à caractère familial, lequel ne faisait que reprendre une disposition votée à la fin de l'année 1995 et que l'opposition d'alors s'était empressée de faire annuler par le Conseil constitutionnel...

M. Jean-Louis Idiart.

Nous ne sommes pas sectaires !

M. Philippe Auberger.

... et, le soir, on nous a demandé de voter un durcissement de la fiscalité sur les stock-options...

M. Jean-Pierre Brard.

C'est de la dialectique ! (Sourires.)

M. Philippe Auberger.

... sans traiter, d'ailleurs, des problèmes de transparence et des modalités de répartition les concernant.

Il n'est que temps, mes chers collègues, de moderniser la diffusion du capital des entreprises et de l'ouvrir à l'ensemble des salariés et à l'ensemble de la nation.

M. Christian Cuvilliez.

Et les chômeurs, là-dedans ?

M. Philippe Auberger.

L'été dernier, les batailles boursières arbitrées largement par des fonds étrangers nous ont montré l'urgence de telles dispositions. Il faut définitivement réconcillier les Français avec le capital de leurs belles entreprises. Or rien ne nous est proposé dans ce domaine.

En définitive, ce qui frappe dans ce projet de loi de finances, c'est son manque de courage. Nous vivons une période où les perspectives de croissance sont exceptionnelles, nettement supérieures à notre potentiel de croissance à moyen terme. Et nous avons la possibilité de remédier à nos faiblesses si nous en avons la volonté.

M. Jean-Pierre Delalande.

Très bien !

M. Philippe Auberger.

Or la politique proposée n'est pas volontariste. Elle se borne à accompagner la croissance et à laisser pratiquement dans le même état tous nos défauts.

M. Jean-Pierre Delalande.

Absolument !

M. Philippe Auberger.

Cela, d'ailleurs, nous rappelle la période 1989-1990. Il est vrai que beaucoup d'acteurs de cette période sont à nouveau en charge des responsabilités. Mais on aurait pu penser que, l'expérience aidant, ils auraient retenu la leçon du passé.

M. Michel Bouvard et M. Charles Cova.

Eh non !

M. Philippe Auberger.

Qui peut accepter, en effet, mes chers collègues, que le rétablissement de nos finances publiques soit à ce point tributaire de la bonne conjoncture aux Etats-Unis ? Qui peut croire que la croissance de ce pays se poursuivra encore longtemps au rythme actuel et que les valeurs boursières américaines continueront à a tteindre des sommets excessifs, irrationnels, dirait M. Greenspan ? Les lendemains risquent d'être douloureux, très douloureux.

M. Jean-Pierre Delalande.

Bien sûr !

M. Philippe Auberger.

Ce projet de loi de finances devrait nous préparer à ces lendemains. Il préfère céder à la facilité et à l'euphorie du présent.

M. Jean-Pierre Delalande.

Comme d'habitude !

M. Philippe Auberger.

C'est pourquoi le groupe du rassemblement pour la République votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Christian Cuvilliez, pour le groupe communiste.

M. Christian Cuvilliez.

Madame la présidente, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les députés, ce troisième budget de la législature nous fait entrer dans l'an 2000 et dans l'ombre du millenary round sans véritable impulsion. Il est vrai que l'élaboration de la loi de finances se révèle toujours un exercice difficile pour le Gouvernement et que sa discussion au Parlement n'est pas toujours exempte de simplifications abusives et de jugements lapidaires.

Les députés communistes sont membres de la majorité.

A ce titre, ils prendront toutes leurs responsabilités, en disant franchement leurs interrogations et leurs critiques.

Ils veulent que la politique de la majorité soit jugée par les Français sur ses engagements, et d'abord le premier d'entre eux, l'emploi.

Le budget 2000 bénéficie d'une conjoncture jugée favorable avec une croissance du PIB estimée à 2,8 % et une hausse des prix inférieure à un point. Quoi qu'il en soit, c'est insuffisant pour entraîner une réduction massive du chômage.

L'explosion de la précarité alors que les inégalités s'accroissent, des rentrées de la TVA décevantes soulignent combien la faiblesse de la consommation populaire continue de peser sur la croissance et fragilise la reprise.

Favoriser, notamment par le budget, une croissance soutenue mais aussi plus riche en emplois stables et qualifiés demeure plus que jamais d'actualité.

Les communistes sont convaincus que l'austérité dans la gestion des dépenses n'est pas un bon choix. Certes, un ministre de l'économie et des finances a le rôle difficile de prévoir le pire plutôt que de tabler sur une conjoncture idyllique, mais c'est une idée discutable de considérer que les réserves constituées lors des phases de reprises pourraient permettre de faire face en cas de retournement de la conjoncture. N'est-ce pas renoncer par avance à peser sur les déterminants de cette conjoncture ? Nous savons ce que cette logique doit au pacte de stabilité européen, même si - et la droite s'en plaint - dans la zone euro, la France se distingue heureusement des politiques aberrantes de l'Allemagne ou de l'Italie qui procèdent à ces coupes radicales dans les dépenses sociales.

Les politiques monétaires et budgétaires déflationnistes menées peu ou prou partout en Europe, très pénalisantes sur le front du chômage, risquent de nous laisser désarmés lorsque la phase de rémission que nous connaissons aujourd'hui arrivera à son terme.

Il ne faut pas surestimer le poids des contraintes. La France dispose de marges de manoeuvre pour concrétiser des avancées pour l'emploi.

Ce que nous récusons, ce n'est pas le principe d'un accord européen, mais son contenu totalement dicté par une logique financière.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

Un accord des Quinze faisant de la réduction du taux de chômage dans chaque pays une clé des politiques budgétaires conduites dans chaque pays et en coopération est indispensable, tout comme il est indispensable de mobiliser en ce sens la politique monétaire et du crédit.

L'emploi, que le Premier ministre avait mis justement en avant dès juin 1997, a été « poliment » écarté au fil des Conseils européens par nos partenaires, notamment allemand et anglais. Agir en France de manière plus déterminée pour relancer l'emploi, la formation, les investissements efficaces ne pourrait qu'aider aux évolutions nécessaires sur le plan européen.

La droite est mal inspirée de dénonce le laxisme du budget. Il est un peu simpliste d'enfermer le choix entre la baisse des déficits publics et l'augmentation des dépenses. C'est pourtant elle qui a fait exploser l'endettement de l'Etat au milieu de la décennie, ce qui plombe toujours le budget d'une charge de la dette, à peine réduite d'une année sur l'autre, d'environ 230 milliards.

Cette dépense, plus de deux fois supérieure aux crédits consacrés à la solidarité, rapporte des revenus importants à de gros patrimoines et surtout aux banques et établissements financiers pour leurs stratégies de fusion. La dette profite à quelques uns ! C'est bien en dynamisant la croissance réelle que l'on peut le mieux faire reculer l'endettement, comme en témoigne la période récente, et c'est d'autant plus vrai que la conjoncture mondiale demeure incertaine.

Le système économique perpétue des contradictions majeures. La priorité donnée à la rentabilité financière au détriment de l'emploi et de l'investissement engendre la guerre économique, les délocalisations, la précarité, l'exclusion et des inégalités vertigineuses de revenus et de patrimoines, l'INSEE vient d'en rendre compte récemment. Le surendettement du tiers monde, aggravé par la pression sur les prix des matières premières, pèse sur la conjoncture mondiale et hypothèque une consolidation durable de la reprise. La concurrence planétaire, focalisée sur la seule baisse du coût du travail, entraîne d'immenses gâchis de capacités humaines.

La dictature des marchés financiers - comme on dit au détriment de la démocratie et des droits des peuples crée un monde dangereux sans que le pôle européen n'atténue les risques, au contraire. A l'intérieur comme à l'extérieur de l'Europe, le dumping social avive les antagonismes. Et les prochaines négociations de l'OMC, pour laquelle tout sans exception est marchandise, risquent encore d'affaiblir les économies les plus faibles. Certaines voix le disaient ici même cet après-midi.

Voilà des raisons pour lesquelles la France, sans faire cavalier seul, mais parce qu'elle trouverait de nombreux appuis dans la communauté internationale, se doit de contester un monde unipolaire et promouvoir de nouvelles coopérations mutuellement avantageuses.

Autre facteur majeur d'incertitude en France : le MEDEF, qui s'acharne à saboter les choix politiques voulus par les Français en 1997 et qui multiplie les entraves à la politique de l'emploi.

M. Bernard Outin.

C'est vrai !

M. Christian Cuvilliez.

L'axiome, déjà si peu crédible hier car usé jusqu'à la corde, selon lequel les profits de demain feraient l'emploi d'après-demain, est balayé par le c omportement cynique des multinationales comme Michelin, groupe qui a pourtant reçu quelque 10 milliards d'aides de fonds publics en quinze ans. Un budget vertueux se devrait de s'opposer à cette sorte de détournement des dépenses fiscales.

Y aurait-il trop de dépenses publiques ? Le budget de l'Etat-providence, si souvent brocardé par les ultralibéraux, n'est souvent que l'ambulance du patronat. Les mesures de solidarité en faveur de ceux que le chômage fait tomber dans la trappe de la pauvreté, de la couverture maladie universelle aux préretraites en passant par le RMI, sans parler des allégements de cotisations patronales transférés vers un fonds de la sécurité sociale, ce qui fait beaucoup parler en ce moment, sont en fait mises à la charge de la collectivité qui est tout à la fois conduite à garantir des minima sociaux et empêchée de les augmenter.

L'augmentation des minima sociaux serait pourtant indispensable pour porter la croissance à un niveau supérieur et éviter d'autres transferts de charges aux collectivités locales.

Chaque année, 170 milliards sont versés directement aux entreprises, sans parler des 110 milliards que leurr apporteront les 35 heures. Soit un pactole de 12 000 francs par an et par salarié du secteur privé. Pour quelle efficacité ? Avec quels contrôles ? Pour quelle

« culture de résultats », monsieur le secrétaire d'Etat ? Les propositions des communistes ne sont ni étatistes ni dirigistes : elles tirent les conséquences de l'échec d'un certain libéralisme.

C'est le patronat qui dilapide les fonds publics et privatise le seul profit tandis qu'on collectivise l'accompagnement de la crise. Son discours libéral n'arrive pas à masquer l'inefficacité économique et les gaspillages.

M. Germain Gengenwin.

Quel vilain patronat !

M. Christian Cuvilliez.

Aujourd'hui, avec une capacité d'autofinancement historique, confrontés, il est vrai, à l'exigence de la part de leurs actionnaires d'un retour sur fonds propres de plus en plus élevé, les grands groupes qui bénéficient largement des aides publiques rechignent toujours à l'idée d'investir dans l'industrie et de prendre le risque de l'innovation, pour ne retrouver leur audace que dans les batailles boursières ! Les fonds publics, aujourd'hui distribués sans obligation de résultat, doivent changer de nature pour répondre à l'objectif national de création d'emplois.

Ils pourraient, comme nous le proposons, contribuer à baisser les charges financières, aujourd'hui considérables, des PME-PMI qui s'engagent à développer l'emploi ou la formation. Cela aurait un effet multiplicateur important, sans induire les effets pervers de la baisse du coût du travail. Je me réjouis d'ailleurs que nous ayons, lors du débat sur les 35 heures, renforcé le contrôle des aides publiques destinées à créer des emplois.

Il est temps de passer d'une logique laxiste de subsides à une logique responsable d'incitation en donnant aux salariés, qui aujourd'hui ne sont pas citoyens dans l'entreprise, des points d'appui solides, démocratiques pour se mobiliser sur la politique de l'emploi et, par exemple, prendre part aux décisions des conseils d'administration.

Il faut établir un dispositif démocratique rigoureux de prévention des licenciement. Si les acteurs du mouvement social, dont on a vu, le 16 octobre dernier, une manifestation importante, ont un rôle essentiel à jouer, cela ne saurait occulter la responsabilité propre des responsables politiques.

Le budget 2000 doit mieux contribuer à l'efficacité économique au niveau tant de la justice fiscale que des dépenses.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

Nous aurions souhaité que soit engagée, dès cette année, la réforme de l'impôt direct qui devrait faire en tout état de cause l'objet d'une grande consultation politique et syndicale.

La France connaît trois grands impôts directs : l'impôt sur le revenu, la taxe d'habitation dont la réforme est plus urgente que ne l'est l'extension très contestable des bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise, mais aussi la contribution sociale généralisée, dont le prélèvement est simplement proportionnel aux revenus, alors que l'impôt sur le revenu, lui, a un barème progressif.

On a trop réduit le nombre de tranches, pas seulement supérieures. Or plus il y a de tranches, moins se font sentir les effets de seuil que trop de contribuables, notamment les célibataires, ont ressenti cette année, et plus la justice fiscale est respectée à travers la progressivité. Impôt sur le revenu et CSG devraient avoir un barème progressif identique.

Dans l'immédiat, il faut introduire un seuil significatif d'exonération de la CSG pour les petits revenus des salariés et des retraités et de ceux qui ont des revenus d'assistance. Notre groupe de la majorité le souhaite : nous attendons les réponses du Gouvernement en ce sens.

Le dossier des stock-options et des fonds partenariaux de retraites est-il vraiment enterré devant les contestations légitimes qu'il fait naître au sein de la majorité et audelà ? Vous avez confirmé, monsieur le ministre, votre volonté de refondre l'ensemble du système de participation des salariés aux bénéfices des entreprises. Quatre p rincipes, avez-vous dit, devraient sous-tendre cette réforme : la transparence, la mutualisation des fonds, la gestion assurée par les salariés et l'utilisation de cette épargne pour financer les entreprises.

Nous aurons donc l'occasion de revenir sur cet important dossier, mais permettez-moi simplement de poser une question : au lendemain de la journée mondiale contre la misère, organisée par ATD-Quart monde : comment les gens, enfermés dans une situation de nonressource, peuvent-ils être associés à un régime de stockoptions, même transparent, et de fonds de pensions, même amélioré ? Et ne faut-il pas prendre les mesures qui interdisent les stock-options ou qui sanctionnent immédiatement les grands prédateurs ? Le débat, je le dis au passage, n'est pas un débat socialo-socialiste. C'est un débat entre l'ensemble de la gauche et l'opinion publique en France.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Pas seulement la gauche !

M. Christian Cuvilliez.

Les revenus du capital doivent être taxés comme ceux travail, sans les multiples exonérations, taxations forfaitaires sur les plus-values ou autres dont ils bénéficient aujourd'hui.

Les importantes mutations de notre appareil productif, les transformations profondes qui interviennent dans les grandes sociétés capitalistes - avec, d'une part, la dispersion du capital entre une multitude d'actionnaires et, d'autre part, la concentration du pouvoir entre les mains de quelques-uns -, l'exacerbation et les nouvelles formes q ue prend la compétition internationale constituent autant de défis pour une action publique dont l'ambition ne doit pas se limiter à accompagner cette mondialisation sur fond de guerre économique. Tout en tenant compte de cette nouvelle donne, nos efforts doivent nous conduire à ne pas laisser faire les pratiques libérales, il nous faut mettre en place dès cette loi de finances des dispositifs résolument antispéculatifs.

Notre demande de renforcement d'une fiscalité plus juste sur ces revenus ne sera que partiellement prise en compte à travers la réduction de l'avoir fiscal des sociétés, de 45 à 40 %. Or, si on allait plus loin, ce sont des dizaines de milliards qui pourraient, dans un premier temps, servir à des dépenses utiles, d'autant qu'après la réduction l'an dernier de la taxe professionnelle, avec la suppression de la surtaxe d'impôt sur les sociétés, les entreprises bénéficient, avec ou sans la contributions ociale des bénéfices, d'un allégement fiscal net pour 2000.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Il a certainement déjeuné avec Robert Hue !

M. Christian Cuvilliez.

Douze milliards d'allégement de l'impôt sur les sociétés, c'est presque autant que le produit de l'impôt sur la fortune en une année, alors que la mesure décidée en 1997 n'a fait que révéler, et seulement pour les plus grosses sociétés, un taux d'impôt sur les sociétés particulièrement bas.

Ne serait-il pas plus juste d'accorder en fin d'exercice budgétaire cet avantage aux seules sociétés qui auraient créé des emplois, et de pénaliser de manière significative celles qui, bien que dégageant des bénéfices importants, continuent à licencier et à recourir au travail précaire ? Suivez mon regard : il va jusqu'à Clermont-Ferrand ! L'exemple caricatural de Michelin et Wolber doit conduire le Gouvernement avec le Parlement à prendre des dispositions concrètes, maintenant ! L'ISF a toujours un rendement inversement proportionnel à sa légitimité reconnue par l'opinion. Sa valeur fondamentale auprès des citoyens a empêché la droite de le supprimer. Pour autant, il ne prend toujours pas en compte la richesse réelle, vivante, et donne un poids relatif trop grand à l'immobilier. On peut d'autant moins considérer que ce dossier est clos et se contenter des adaptations à la marge votées l'an dernier que cet impôt ne rapporte cette année que 13 milliards de francs, moins que prévu, ...

M. Jean-Jacques Jégou.

Une misère !

M. Christian Cuvilliez.

... et que les inégalités de patrimoine se sont sensiblement accrues au cours de la décennie. Il faut en comparer le rendement aux dépenses de financement du RMI qui dépasseront 28 milliards de francs l'an prochain.

Son assiette doit être universelle et inclure, en particulier, les biens professionnels.

M. Yves Cochet.

Très bien !

M. Christian Cuvilliez.

Un tel choix permettrait de respecter la vocation de cet impôt dont le rendement pourrait alors doubler sans pénaliser une catégorie de contribuables plus qu'une autre. Et pourquoi n'inclurait-il pas aussi les oeuvres d'art thésaurisées, hors de la création contemporaine et de celles exposées, ne serait-ce que de temps en temps, au public ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Facile à dire !

M. Christian Cuvilliez.

Autre dossier majeur, le poids trop élevé des impôts indirects en France qui alimente l'injustice sociale.

Le Gouvernement, sous le patronage de Jean-Claude Gayssot, ...

M. Jean-Jacques Jégou.

Il n'est pas encore Premier ministre !

M. Christian Cuvilliez.

Je savais que vous manifesteriez votre enthousiasme !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

Le Gouvernement, dis-je, a pris une mesure importante en réduisant la TVA pour les 10 millions de ménages qui réalisent chaque année des travaux d'entretien dans leur logement. Nous apprécions également la suppression du droit de bail pour les locataires que nous avions proposée en un an et qui sera réalisée sur deux ans, mais nous considérons qu'il est possible et nécessaire d'aller plus loin dans les baisses ciblées de la TVA.

Nous avons fait un certain nombre de propositions en ce sens, en commission des finances sur lesquelles nous reviendrons dans le débat. Je pense ici à la diminution de la TVA sur les produits alimentaires de consommation courante, dans le domaine de la restauration et pour les activités de main-d'oeuvre, ou bien encore sur les abonnements relatifs aux livraisons d'énergie caloriques, alimentés par la géothermie et la cogénération.

La fraude fiscale, sur laquelle Jean-Pierre Brard reviendra dans son intervention, fera l'objet d'un traitement particulier à la fois dans cette discussion générale et dans la discussion des amendements.

Une majorité de Français approuve le principe d'un prélèvement sur les mouvements de capitaux. Vous avez exprimé, monsieur le ministre, votre réticence, au sujet de la taxe Tobin. Mais plus de cent députés parmi lesquels tous les communistes et apparentés, ont signé un appel...

M. Yves Cochet.

Très bien !

M. Christian Cuvilliez.

... pour que soit engagée l'exploration d'une méthode de régulation des flux de capitaux.

Nous attendons des initiatives significatives a cet égard dès cette année.

Mme la présidente.

Mon cher collègue, vous avez dépassé votre temps de parole.

M. Christian Cuvilliez.

J'en viens, madame la présidente, à ma conclusion. Je n'insisterai pas sur les c oncours aux collectivités locales, dont mon ami, M. Daniel Feurtet, a déjà parlé hier, même si nous trouvons que l'effort, indiscutable, réalisé cette année ne vous dédouane pas, monsieur le ministre, des retards pris les années précédentes.

Dans la discussion du projet de budget pour 2000, les députés communistes présenteront un certain nombre d'amendements visant à plus de justice fiscale et à une dépense plus efficace pour la croissance, l'emploi et la solidarité.

Comme nous avons commencé à le faire en commission, nous développerons des propositions concrètes qui s'articuleront autour de quatre axes d'intervention : aider l'investissement à l'emploi en pénalisant les entreprises qui licencient alors qu'elles dégagent des bénéfices ou bien encore en mettant en place une taxe spécifique qui permette de limiter le recours au travail précaire ; soutenir la demande par la justice fiscale ; donner des moyens supplémentaires aux collectivtés locales ; enfin, lutter contre la fraude et la spéculation financière.

Le budget confirme et renouvelle l'accord donné par les partis au Gouvernement. Ce dernier se doit d'autant plus de prendre en compte les propositions de notre groupe que la conjoncture reste incertaine et qu'il est temps de donner un deuxième souffle à la politique de gauche en répondant aux souhaits des salariés.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

C'est un avertissement !

Mme la présidente.

J'invite les orateurs à respecter leur temps de parole afin de ne pas allonger la discussion générale de façon excessive.

La parole est à M. Pierre Méhaignerie, pour le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

M. Pierre Méhaignerie.

Monsieur le ministre, vous disiez, hier soir, à juste titre : « Pas d'autosatisfaction ».

On ne peut que vous donner raison, compte tenu de notre situation comparée concernant le chômage, les déficits ou le niveau des prélèvements obligatoires. Vous ajoutiez : « Mais nous avons des motifs de satisfaction. »

M. Yves Cochet.

C'est vrai !

M. Pierre Méhaignerie.

Vous avez presque raison.

Presque, parce que vous auriez dû préciser : « à court terme », et parce qu'il faudrait aussi que vous acceptiez que ces motifs de satisfaction soient équitablement partagés : on les doit en effet à la croissance en Europe et aux

Etats-Unis, au pilotage de la politique conjoncturelle, mais aussi au courage de la majorité précédente.

M. Jean-Louis Idiart.

En effet, elle est allée jusqu'au sacrifice ! (Sourires.)

M. Pierre Méhaignerie.

Pensons à la réduction des déficits, à la baisse des taux d'intérêt et, sous la houlette d'Alain Juppé et de Jacques Barrot, à l'allégement des charges sociales, auquel sont dus plus de 30 % des emplois créés aujourd'hui.

La satisfaction est justifiée à court terme, ai-je dit. Et c'est là que nous divergeons, messieurs les ministres. Car le Gouvernement ne se donne pas les moyens d'une croissance saine et durable. L'optimisme à court terme, je l'ai entendu s'exprimer ici, dans cette enceinte, et pratiquement dans les mêmes termes, dans les années 19811982, celles des dépenses publiques massives et des nationalisations. La suite, ce furent des années de stagnation, de recul de la croissance et du pouvoir d'achat en France, beaucoup plus marqués que dans les autres pays européens. Et ce fut la même chose dans les années 19881990, période de réhabilitation de la dépense publique, qui a elle aussi été suivie par une longue période de difficultés.

Aujourd'hui, dans les choix que vous faites, ne répétezvous pas les mêmes erreurs ? Nous sommes convaincus que oui.

Il y a quelques semaines, l'Union européenne publiait une étude sur l'évolution de la richesse par habitant des différentes régions d'Europe. Quelle ne fut pas notre surprise de constater que cette évolution dépasse en Irlande de près de dix points celle que connaissent des régions comme la Bretagne et les Pays de Loire, alors qu'il y a vingt ans, elle avait dix points de retard,...

M. Yann Galut.

On le doit aux financements européens !

Mme Nicole Bricq.

Oui. Parce que l'Irlande était très en retard.

M. Pierre Méhaignerie.

... et que, pour un indice moyen de 100, des régions comme le Piémont ou la Lombardie se situent à l'indice 120 ! Au cours de ces vingt dernières années, nous avons pris du retard, non seulement sur le plan de la croissance, mais aussi sur celui de l'emploi. Et il y a à cela des explications qui tiennent aux choix politiques qui ont été faits ces vingt dernières années.

Je prendrai un autre exemple qui devrait conduire la majorité à plus de modestie. Il y a quelques semaines, un groupe de parlementaires, dont j'étais, a visité des entreprises à Stuttgart. Nous avons constaté que le pouvoir d'achat des salariés de l'industrie allemande, après impôt, était de 20 % supérieur à celui des salariés de l'industrie française.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Eh oui !

M. Christian Cuvilliez.

C'est parce que les patrons les paient plus.

M. Pierre Méhaignerie.

Vous parlez de plein emploi, de lutte contre les inégalités. Nous partageons cette ambition. Mais peut-être aurait-il fallu plus d'humilité à la majorité pour constater que, dans ce pays, entre 60 % et 80 % des salariés, selon les régions, préfèrent une amélioration de leur pouvoir d'achat par la baisse des charges sociales à une généralisation autoritaire des 35 heures.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Messieurs les ministres, notre retard s'explique en grande partie par la montée incessante des prélèvements obligatoires et de la dépense publique.

M. Jean Vila.

Ce n'est pas vrai !

M. Pierre Méhaignerie.

Hier soir, M. Fuchs disait, à juste titre, que la fonction publique rend un service public.

M. Yann Galut.

Exactement !

M. Pierre Méhaignerie.

C'est vrai. Mais la question qu'il faut se poser est : à quel coût pour la nation ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Et quelle est la nature des dépenses ?

M. Gérard Bapt.

Faut-il diminuer les salaires dans la fonction publique ?

M. Pierre Méhaignerie.

Quand on lit les rapports successifs de la Cour des comptes, qui mettent en évidence le niveau croissant des gaspillages, quand on sait que les 29 heures sont pratiquées dans beaucoup d'administrations...

M. Yann Galut.

C'est faux !

M. Pierre Méhaignerie.

... on peut, outre la question de la sécurité, se poser celle des conséquences de la montée incessante des prélèvements publics.

M. Yann Galut.

Dites-nous où on travaille 29 heures par semaine !

M. Pierre Méhaignerie.

Je vais vous le dire, monsieur Galut. Dans le cadre des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle, nous avons procédé à beaucoup d'auditions. Et nous avons constaté l'existence, y compris dans la police, ayons le courage de le dire, d'horaires de 28 heures ou de 29 heures. Il est tellement plus facile à l'administration de dire oui que de dire non ! Moi-même, quand j'étais ministre de la justice, j'ai eu sous mes fenêtres, pendant deux mois, les salariés de l'administration pénitentiaire. Ils me demandaient non pas la retraite à cinquante ans, mais son équivalent, la bonification indiciaire. Pendant deux mois, je l'ai refusée. Parce que la comparaison avec la situation de ceux qui travaillent dans d'autres branches, comme le bâtiment - je pense par exemple aux couvreurs ou aux maçons -, m'amène à dire qu'il y a dans ce pays de plus en plus de disparités entre le secteur protégé et le secteur qui ne l'est pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Christian Cuvilliez.

Allez expliquer cela aux gardiens de prison !

M. Yann Galut.

Et les revenus des patrons ?

Mme la présidente.

Mes chers collègues, laissez parler l'orateur !

M. Pierre Méhaignerie.

Je vous ai cité un exemple que j'ai vécu, mes chers collègues. Et on ne peut nier qu'il y a dans ce pays des disparités qui ne sont pas acceptables.

M. Yann Galut.

Ça, c'est clair !

M. Jean-Jacques Jégou.

Ce ne sont pas celles que vous croyez, monsieur Galut !

M. Pierre Méhaignerie.

On aurait pu espérer que les leçons du passé, et en particulier de l'histoire économique des deux Europes, modifieraient les comportements politiques. Ailleurs, c'est le cas ! Mais pas en France, messieurs les ministres, ou alors insuffisamment.

S'il y a dans ce budget trois mesures positives que nous saluons - la baisse de la TVA, la poursuite des privatisations et la baisse des droits de mutation sur les transmissions des PME -, beaucoup d'autres allient l'insouciance du court terme et les conséquences néfastes de certaines alliances idéologiques.

Ce qui montre l'insouciance du court terme, cela a été dit tout au long de cette discussion, c'est le poids du déficit. Vous ne le réduisez pas plus, et même un peu moins, que les gouvernements précédents dans des périodes autrement plus difficiles.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ce n'est pas vrai.

M. Pierre Méhaignerie.

Le ministre des finances néerlandais, comme l'a rappelé tout à l'heure M. Auberger, demande à la France de consentir un effort supplémentaire - j'ai ici le communiqué de presse. M. Zalm s'interroge aussi, précise-t-on de même source, sur les conséquences négatives de la loi sur les 35 heures sur le budget français. Il se demande également si la faible réduction des déficits ne placera pas la France et l'Europe, lorsque des vents contraires souffleront, dans des situations difficiles.

La deuxième preuve d'insouciance, c'est le niveau des dépenses publiques. Quoi que vous disiez, elles augmentent de près de 3,5 % d'une année sur l'autre.

L'insouciance, c'est enfin l'ignorance des propositions faites par la mission d'évaluation et de contrôle.

Les réformes coûteuses créent des charges qui seront lourdes pour vos successeurs ou pour vous-mêmes, et vous le savez. Ce sont les 35 heures, ce sont les 35 heures dans la fonction publique - dont on refuse de nous donner le chiffrage -, ce sont les emplois-jeunes, ce sont les retraites dans le secteur public - sujet qui n'est pas abordé.

Bien sûr, vous ne prêtez guère attention à nos critiques...

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Si, si !

M. Pierre Méhaignerie.

... mais elles sont largement partagées par d'autres que nous, que ce soit au sein de la majorité actuelle - le président de l'Assemblée nationale les a exprimées pour la deuxième année consécutive - ou à l'étranger : le ministre des finances néerlandais a parlé au nom des ministres des finances de l'Europe. La presse étrangère, dont vous parliez hier, n'est pas en reste. Ainsi, la Frankfurter Allgemeine Zeitung écrit : « Après quelques années de croissance, la France n'est pas en mesure de présenter un budget à peu près équilibré. Si la conjoncture en Europe devait se retourner, le réendettement de la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

France atteindrait vite des taux incompatibles avec le pacte européen de stabilité et de croissance. » Je pourrais

également citer le Financial Times - mais vous me direz sans doute qu'il est orienté -, qui a parlé des « fiscal follies françaises ».

L'alternative à ce budget, quelle est-elle ? C'est, d'abord, une discipline de la dépense publique. Nous pensons que cette année, avec la baisse des taux d'intérêt et des frais financiers, l'objectif de 0 % de croissance était parfaitement envisageable.

C'est ensuite une meilleure gestion de l'Etat. A cet égard, je tiens à vous dire quelle a été notre déception à la lecture du projet, qui n'a guère tenu compte des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle.

M. Jean-Jacques Jégou.

Eh oui !

M. Jacques Barrot.

Très bien !

M. Pierre Méhaignerie.

Je ne citerai que quelques exemples. En ce qui concerne la police, la MEC avait conclu - et cet avis était largement partagé sur tous les bancs - à l'existence de marges de manoeuvre en termes de productivité. Une amélioration non négligeable de l'efficacité est possible, qui permettrait de gager l'essentiel, voire la totalité des dépenses supplémentaires. Or on constate dans le budget du ministère de l'intérieur une augmentation de plus de 792 millions de francs.

M. Jean-Jacques Jégou.

C'est une provocation !

M. Yann Galut.

Si je comprends bien, il faut moins de policiers ?

M. Pierre Méhaignerie.

S'agissant de la politique autoroutière, monsieur le secrétaire d'Etat, le projet de loi de finances propose de faire passer la taxe due par les concessionnaires d'autoroutes à 4,5 centimes par kilomètre parcouru, soit une augmentation de 12,5 % !

M. Yves Cochet.

C'est très bien !

M. Pierre Méhaignerie.

Il semble évident que les sociétés autoroutières devront alors répercuter sur les utilisateurs le coût qu'entraînera cette nouvelle ponction. Pourtant, la MEC avait préconisé que l'Etat mette fin aux ponctions afin de leur permettre de rétablir leur équilibre.

Je pourrais citer un exemple analogue avec l'AFPA. Je serai donc tenté de dire que, pour nous, la MEC, c'est terminé. Nous n'irons plus.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Vous allez faire de la peine au président !

M. Pierre Méhaignerie.

En effet, nous mesurons que le rapport de force au sein du Gouvernement, ou la peur des syndicats, est sans commune mesure avec le contrôle du Parlement, et même avec les observations de la Cour des comptes.

M. Jean-Jacques Jégou.

C'est un manque de courage !

M. Pierre Méhaignerie.

Nous en tirerons donc les conséquences.

La troisième priorité qu'il aurait fallu retenir, ce sont les mesures en faveur des salariés et des petits salaires.

L'idée de Jacques Barrot et de Franck Borotra était de passer progressivement de 35 à 100 milliards d'allégements. La franchise des charges sociales aurait ainsi pu permettre aux entreprises de reprendre confiance en l'avenir en leur donnant une meilleure visibilité. Elle aurait contribué au développement des emplois dans le secteur des services. Et surtout, elle aurait rendu possible une revalorisation des salaires directs. Car, dans de nombreuses branches, l'allégement des charges sociales aurait pu conduire à un relèvement des minima de branche.

M. Jean Vila Ça n'a jamais marché !

M. Pierre Méhaignerie.

Et un relèvement de 700 ou 800 F du salaire direct, même étalé sur deux ou trois ans, aurait l'avantage de revaloriser, dans le secteur privé, les bas salaires d'hommes et de femmes qui ont des conditions de travail difficiles. Il aurait aussi l'avantage, chers collègues, de rendre plus attractifs des emplois pour lesquels certaines entreprises, même dans des régions dont le taux de chômage est de 15 %, ont du mal à trouver de la main-d'oeuvre.

M. Jean-Jacques Jégou.

C'est vrai !

M. Pierre Méhaignerie.

Il aurait également favorisé le retour au travail, dans la mesure où la différence de revenus entre celui qui touche le SMIC et celui qui vit des prestations sociales est aujourd'hui infime. C'est donc une véritable mesure de justice, qui eût été préférable aux 35 heures. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean Vila.

La loi sur les 35 heures aurait dû relever le SMIC !

M. Pierre Méhaignerie.

Elle aurait surtout dû laisser la liberté aux salariés ! Certains préfèrent l'amélioration de leur pouvoir d'achat à une réduction de leur temps de travail.

Les réformes que j'ai évoquées ne sont possibles en France que si elle sont fractionnées. C'est tout l'intérêt de la décentralisation, de l'expérimentation et de la responsabilité. Dans la presse d'hier, je lis par exemple, dans un article intitulé : « La difficulté d'application de la loi contre l'exclusion sous le feu des critiques », qu'« on a le sentiment que l'exclusion n'intéresse plus grand monde ».

L'une des raisons en est, messieurs les ministres, qu'il eût été préférable de motiver ceux qui sont sur le terrain.

Nous sommes en présence d'une quarantaine de décrets et d'arrêtés, et de dizaines de commissions, d'où une démobilisation des acteurs de terrain, étouffés qu'ils sont par les réglementations. Dernièrement, lors d'un débat sur l'insertion des bénéficiaires du revenu minimum, quelqu'un faisait remarquer que, dans un département où nous faisons un effort particulier, il était auparavant possible, sur cinquante chantiers d'insertion, d'embaucher, du jour au lendemain, une personne en difficulté. Désormais, en application de la dernière loi, il faudra demander l'autorisation à l'ANPE. Et quand le salarié de l'ANPE sera en vacances, cela prendra plusieurs semaines...

M. Jean-Jacques Jégou.

C'est ça, la France.

M. Pierre Méhaignerie.

... alors qu'il y a parfois des cas difficiles, qui ne peuvent attendre. Oui, il faut plus de décentralisation, plus d'expérimentation, plus de responsabilité.

En parlant de responsabilité, j'évoquerai un sujet qui intéresse M. le président de la commission des finances.

Nous avons parlé de taxe d'habitation, le dossier redevient d'actualité. Je voudrais simplement dire que si l'on décide une réforme de la taxe d'habitation, elle ne devrait pas favoriser ceux qui dépensent beaucoup et ceux qui gèrent mal. Car, et le président de la commission des finances est d'accord avec moi, les tableaux que je lui ai transmis montrent que le département des Alpes-Maritimes bénéficie d'un dégrèvement de quatre cents francs par habitant, soit six fois plus que pour la Creuse, la Corrèze ou la Lozère.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

M. Germain Gengenwin.

Eh oui !

M. Pierre Méhaignerie.

Est-ce la meilleure façon de responsabiliser nos compatriotes ? Non, il ne me semble pas que gérer d'en haut en permanence aille dans le sens de la responsabilité. Or nous sentons de plus en plus une perte d'autonomie des collectivités.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

C'est la péréquation qui est mal ajustée.

M. Pierre Méhaignerie.

C'est vrai aussi. Mais l'un n'exclut pas l'autre.

En conclusion, monsieur le ministre de l'économie et des finances, je reviendrai sur les quatre conditions que vous avez énoncées pour reconquérir le plein emploi. Et nous sommes nombreux à partager votre point de vue sur ce point.

Vous avez dit, d'abord, que les facteurs macroéconomiques devaient être assez favorables. Nous regrettons que le niveau de la réduction du déficit et la montée des dépenses publiques n'y contribuent guère.

Deuxième condition : il faut miser sur l'innovation et l'ouverture internationale. Certes, mais je ne crois pas que votre majorité, au sein de la commission des finances, vous ait beaucoup suivi sur le soutien à l'innovation.

M. Philippe Auberger.

Oh que non !

M. Pierre Méhaignerie.

On peut lire la phrase suivante dans le dernier numéro du Nouvel Observateur, sous la plume d'Elie Cohen : « Pour doper la croissance, il faut des réformes en profondeur, allant de la diminution du coût du travail non qualifié...

M. Gérard Bapt.

C'est ce que nous faisons !

M. Pierre Méhaignerie.

... à la réduction du nombre des obligés de l'Etat. » C'est ce que vous ne faites pas.

« Faute de ces réformes de structures, poursuit Elie Cohen, l'embellie actuelle risque d'être, comme après les trois années du gouvernement Rocard, un essai non transformé ».

M. Yann Galut.

C'est du libéralisme à tout crin !

M. Jean-Jacques Jégou.

Voyons ! C'est dans Le Nouvel Observateur !

M. Pierre Méhaignerie.

Je ne crois pas qu'Elie Cohen soit un représentant du libéralisme à tout crin, pas plus que moi-même.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

La preuve que si !

M. Pierre Méhaignerie.

Non, pas de caricature. Moi, je me dis social-libéral, et j'en suis fier, parce que ce sont les pays qui ont suivi ces voies qui ont les meilleurs résultats...

M. Yann Galut.

Ça, c'est vous qui le dites !

M. Pierre Méhaignerie.

... et le meilleur pouvoir d'achat pour les salariés.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseA lliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

Troisième condition du plein emploi énoncée par M. Strauss-Kahn : faire de la croissance le moteur des réformes. Or ces réformes, dont chacun sait pourtant qu'elles sont nécessaires, sont retardées. Je pense à celle des régimes de retraite du secteur public, ou à celles susceptibles d'agir sur l'évolution des dépenses publiques.

Quatrième et dernière condition : que la croissance soit solidaire. Nous partageons avec vous cet objectif. Mais si les 35 heures se justifient, nous ne le contestons pas, dans certaines entreprises, il est des secteurs où c'est l'amélioration du pouvoir d'achat qui est primordiale : pourquoi avoir choisi une seule voie, autoritairement ?

M. Philippe Auberger.

Par idéologie !

M. Pierre Méhaignerie.

Autrement dit, si je ne doute pas, monsieur le ministre de l'économie et des finances, de votre lucidité, il reste que vos actes ne sont pas en accord avec elle. Toutes les raisons objectives que je viens de rappeler nous conduiront donc à voter contre le budget de votre gouvernement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le groupe Radical, Citoyen et Vert.

M. Yves Cochet.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, le marathon législatif des 35 heures vient de se terminer. A présent, s'ouvrent les discussions sur le projet de loi de finances 2000. Entre les deux, la corrélation est évidente. Ce budget, par ses orientations et ses priorités, déterminera la nature et les modalités de financement du grand chantier social de la réduction du temps de travail.

Il en ira de même avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Dans la mesure où les 35 heures vont bouleverser la vie professionnelle et personnelle des salariés, redéfinir les modes de production de l'entreprise et redynamiser l'économie nationale, le budget pour 2000 doit tout faire pour servir et faciliter leur succès.

Dans l'ensemble, les trois lignes forces du budget - stabilité des dépenses publiques, baisse des impôts et réduction du déficit budgétaire - rencontrent nos aspirations.

Certaines mesures concourent à servir l'emploi.

D'abord, la priorité donnée à l'emploi, pierre fondatrice des succès de la majorité plurielle, doit demeurer.

Cette nécessité s'exprime à travers un ensemble de mesures en faveur de la création d'entreprises, donc d'emploi, et de la continuation de la suppression de la taxe professionnelle sur les salaires. De même, dans un autre registre, l'application du taux réduit de TVA aux services d'aide à la personne et aux travaux dans les logements est de nature à favoriser la création de postes dans ces secteurs à fort gisement de main-d'oeuvre.

Ensuite, l'engagement pour une économie plus solidaire est désormais le vecteur décisif de ces orientations grâce à des mesures comme la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Peut-être M. Brard en parlera-t-il ? De même, les simplifications administratives auront un effet bénéfique. La suppression des droits de timbre est une initiative heureuse dans la mesure où elle touchera l'éducation, la citoyenneté, l'emploi et l'activité économique.

Enfin et surtout, les orientations écologiques de ce budget ont enfin répondu aux appels des Verts et de la population désireuse d'une qualité de vie au quotidien.

En matière de fiscalité écologique, j'ai noté le transfert de la pollutaxe - la TGAP - sur le PLFSS.

Les Verts auraient donc pu être enchantés par ce projet de budget mais ils ne le sont pas totalement. Je vais vous expliquer pourquoi.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

D'abord, nous déplorons le cadeau fait aux plus riches de ce pays par le biais de l'actualisation du barème de l'ISF - d'où un manque à gagner de 60 millions - et la non-intégration des biens professionnels dans cet impôt : nous avons déposé un amendement sur ce dernier point.

Nous regrettons également la suppression de la taxe de défrichement et qu'il n'ait pas été tenu compte des revendications de la population sur des questions comme celles relatives à la défiscalisation de l'épargne solidaire ou à la taxation des documents publicitaires distribués dans les boîtes aux lettres.

Enfin, les Verts ne comprennent pas que, parmi toutes les suppressions des droits de timbre consenties dans ce projet de loi, celle relative au droit de timbre sur la carte de séjour ne soit pas mentionnée.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Ce ne sera plus le cas !

M. Jean-Louis Idiart.

Un amendement a été voté en ce sens !

M. Yves Cochet.

Au-delà de ces différents points, je voudrais solennellement vous faire part, messieurs les ministres, de la nécessité et de l'urgence de stopper deux dérives redoutables de notre économie et dont l'actualité nous a révélé les effets déplorables et douloureux.

D'une part, le scandale des stock-options doit être enrayé. A cet égard, les Verts proposent deux amendements. Le premier tend à alourdir la fiscalité sur les stock-options et à rendre rétroactives les mesures prises en ce sens.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Baissez l'impôt sur le revenu, et vous éviterez le problème !

M. Yves Cochet.

M. le président de la commission des finances a également déposé un amendement en ce sens.

Notre second amendement vise à limiter le champ d'application des stock-options.

D'autre part, il faut limiter les dégâts provoqués par les mouvements de spéculation internationale. C'est pourquoi les Verts ainsi que 104 députés de la majorité et un député de l'opposition proposent d'instaurer dans notre pays la taxe Tobin.

D'abord, les stock-options.

Samedi dernier, 16 octobre, à Pau, les salariés d'Elf en étaient à leur quarante-septième jour de grève. Ils s'opposent à un plan de licenciement car ils ne comprennent pas que leur entreprise refasse le « coup Michelin », en annonçant à la fois 8 milliards de bénéfices et 2 000 suppressions de postes.

M. Yann Galut.

Ils ont raison !

M. Yves Cochet.

Quelques jours auparavant, Philippe Jaffré, l'ancien président d'Elf quittait de façon provoquante ses fonctions en empochant des plus-values estimées entre 250 et 300 millions de francs. Philippe Jaffré, évidemment, eût assurément préféré partir avec une telle somme sur la pointe des pieds. Seulement, voilà, il est celui par qui le scandale des stock-options est arrivé, celui qui a mis à nu, malgré lui, des pratiques scandaleuses dans une société aussi fragilisée par les crises sociales que la nôtre.

M. Yann Galut.

Très juste !

M. Yves Cochet.

Ainsi, en 1997, une fuite opportune en provenance du conseil d'administration d'Elf a permis de comprendre pourquoi certaines directions, soucieuses de l'avenir d'Elf plutôt que de rentabilité à court terme, sont restées étrangement inertes. Après s'être octroyé à lui-même 60 000 stock-options, Jaffré a distribué le reste selon son bon vouloir : 10 000 à 15 000 pour la très haute hiérarchie, en fonction des critères connus de lui seul ; 2 000 à 5 000 pour les cadres dirigeants ; entre 600 et 1 000 pour certains autres cadres ; 400 à 500 titres, soit entre 240 000 et 300 000 francs, pour une petite dizaine de techniciens. Les syndicats ont calculé que ces primes « maison » représentaient 1 000 embauches,... la transparence en moins.

Curieusement, en effet, les plans d'attribution de stock-options sont décidés dans le plus grand secret, juste avant les plans de fusion-acquisition. L'ampleur et la complexité des opérations de fusions-acquisitions multiplient évidemment les possibilités de délits d'initiés. Mais sur 1 148 situations douteuses, 19 ont été transmises à la COB et une seule a donné lieu à une condamnation, dérisoire de surcroît.

D'où l'émergence, au milieu de cette cacophonie, d'un besoin de moralisation. Mais la morale n'est pas la seule en cause ! Au-delà du scandale, de l'injustice sociale, de l'injustice fiscale, de l'impunité dont jouissent les puissants, ce sont les valeurs de transparence et de solidarité qui ont été bafouées à travers le cas Jaffré, lequel, malheureusement, est loin d'être unique.

La pratique des stock-options est un système de rémunération des chefs d'entreprises, un pillage légal qui vous permet, tant que vous êtes fort, de « taper » allègrement dans la caisse, en toute légalité. Et le meilleur, c'est que, en effet, cela rapporte beaucoup, et plus qu'ailleurs.

La plus-value potentielle pour le haut-management des quarante plus grandes sociétés françaises est de 46 milliards de francs, alors que, à l'échelle européenne, les trente-six premières sociétés non françaises parviennent, chichement, mais malgré tout grassement, à 26 milliards de francs de plus-values potentielles. Les entreprises françaises seraient championnes, juste derrière leurs concurrentes nord-américaines, dans l'offre des petits magots à leurs dirigeants ! Ainsi, une entreprise cotée en bourse sur trois utilise des plans de stock-options. La motivation dépasse la crainte de la fiscalité imposée à ces mânes financières.

Un tel système aurait prétendument une triple fonction : d'abord, assurer un complément de rémunération à quelques milliers de cadres dirigeants ; ensuite, intéresser ces derniers à l'objectif de valorisation de l'entreprise, ce qui passe le plus souvent par des réductions d'emplois ; enfin, retenir dans les entreprises travaillant dans le domaine des nouvelles technologies nos cerveaux afin d'éviter qu'ils s'expatrient, aux Etats-Unis notamment.

Les stock-options ne concernent, en fait, que la crème de l'élite. La réalité du système montre qu'il y a un énorme problème que la morale ne peut résoudre à elle seule.

Qu'on en juge : en France, une vingtaine de milliers de cadres dirigeants concentreraient à eux seuls entre leurs mains une trentaine de milliards de plus-values potentielles. Et dans ce cercle déjà fermé, les membres d'organes de direction au sens étroit se réservent la part du lion. La plus-value par tête est pour ceux-ci de 66 millions de francs dans le groupe AXA, de 53 millions de francs dans le groupe L'Oréal, de 39 millions chez Vivendi, de 33 millions chez Promodès. On est loin des entreprises de croissance innovantes pour lesquelles ce système a été conçu. Les quinze entreprises du secteur des nouvelles technologies les plus généreuses en stock-options totalisent moins de 600 millions de francs de plus-values potentielles.


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Le président de l'association patronale Croissance Plus estime que les stock-options sont un symbole de l'utilisation abusive d'un outil qui peut être excellent. Et il ajoute : « Quand une entreprise s'introduit en bourse, elle enrichit ses actionnaires, pas ses salariés » ! Certains membres du Gouvernement ou de la majorité plurielle veulent nous faire croire que la transformation des salariés en capitalistes, au sens propre du terme, est inéluctable. M. le ministre de l'économie déclarait ainsi il y a quelques jours : « Il s'agit, à l'intérieur de l'économie de marché, de modifier le rapport de forces en faveur des salariés. » Hélas, je crois que c'est une vision idyllique,

celle d'une cogestion de rêve ! Monsieur le ministre, vous n'avez pourtant pas l'habitude de rêver.

Je vous prie de revenir à deux notions évidentes. Il y a d'abord une contradiction d'intérêts entre les salariés et les actionnaires.

M. Yann Galut.

Exactement !

M. Yves Cochet.

Pour faire monter l'action, on réduit les coûts, et pour réduire les coûts, on licencie. Les salariés d'Elf, à Pau, viennent d'en faire l'expérience douloureuse. Ils se retrouvent à la fois actionnaires et virés ! La seconde évidence que vous devez avoir présente à l'esprit, c'est que l'actionnariat est une façon d'éviter les augmentations de salaires. On donne des actions au lieu d'accorder des augmentations, et c'est autant de perdu pour la sécurité sociale et les caisses de retraites, puisque l'entreprise ne paie évidemment pas de charges sociales sur l'intéressement.

C'est pourquoi, mes chers collègues, il ne faut pas que l'amendement Bonrepaux se perde en route, sous le prétexte d'un futur projet de loi sur l'actionnariat salarié. Un projet qui permettrait de donner des actions plutôt que des salaires. Un projet pour lequel le débat ne fait que commencer tant il y a de contradictions. Le salarié actionnaire aura-t-il plus de pouvoirs sur les décisions de l'entreprise ? Et pour valoriser ses actions procédera-t-il à son propre licenciement ? L'intéressement aux résultats revient périodiquement dans l'histoire du capitalisme. Il affiche deux objectifs : un partage plus équitable des richesses ; plus de pouvoirs pour les salariés. Comment ne pas applaudir ? Seulement, ce n'est pas tout à fait cela !

Mme Nicole Bricq.

Ce n'est pas une raison pour que ça continue !

M. Yves Cochet.

Je crois, madame Bricq, que perdre 54 % sur deux millions, c'est autre chose que perdre 5 % sur 8 000 francs. Ça n'a pas le même impact sur la vie des gens ! D'ailleurs, ce ne sont pas les mêmes personnes qui sont concernées.

Du point de vue des entreprises, le système des stockoptions, conçu pour fidéliser et motiver les salariés, peut aboutir à des situations imprévues, qui ont d'ailleurs été relevées récemment dans un article du Monde, surtout si les stock-options sont distribuées très largement. Quand s'approche l'échéance à compter de laquelle les bénéficiaires peuvent enfin réaliser leurs gains, c'est le syndrome de Perrette et du pot au lait qui se répand parmi le personnel. Ce dernier se met à rêver plus de sa part dans la vie future qu'à ses performances professionnelles. Certains, qui ne le proclament pas ouvertement, pensent même à s'en aller discrètement. D'autres, à qui on propose de se remettre en cause en changeant d'affectation interne, en viennent d'autant plus à refuser le défi qu'ils ont le sentiment d'avoir assuré financièrement leur avenir ; ils n'ont plus envie de prendre de risques. Or le risque n'est-il pas le moteur des entreprises ? Les cabinets de recrutement eux-mêmes s'inquiètent d'un retournement, lequel est perceptible dans les catégories intermédiaires comme les cadres et les spécialistes, qui déclinent toute proposition extérieure. Ils attendent passivement de pouvoir réaliser leurs stock-options et sont insensibles à l'appel des sirènes. C'était l'avantage recherché, certes, mais il menace de stériliser l'offre des compétences.

C'est pourquoi, en complément de la proposition de M. le président de la commission des finances, nous soutiendrons deux amendements sur la question des stockoptions. Cela dit, nous sommes prêts, après discussion, à fusionner nos amendements avec celui de M. Bonrepaux.

Il n'est pas possible, comme le propose François Hollande, d'attendre le printemps. Il ne s'agit pas de répondre à des émotions collectives, d'être démagogiques et populistes - nous laissons cela à d'autres -, mais il s'agit d'agir dès maintenant.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Alors, baissez l'impôt sur le revenu !

M. Yann Galut.

Et la redistribution, vous connaissez ?

M. Yves Cochet.

Il faut s'attaquer au mal tout de suite, avant que des phénomènes d'évasion ne se produisent, avant que le patronat et ses bataillons de cadres dirigeants

« stock-optionnés » ne nous opposent des arguments. Car c'est le politique que la population interpelle.

Au prochain congrès de l'Internationale socialiste, qui aura lieu le mois de prochain, Lionel Jospin produira un manifeste intitulé : « Vers un monde plus juste ». On y lit la phrase suivante : « Les socialistes savent que la force de l'économie de marché est d'être une incomparable productrice de richesses. »

Mais, le marché, chers collègues socialistes, n'est ni une richesse ni une valeur. Le marché produit toujours plus de marché. Ainsi, monsieur le ministre, puisque vous aimez les déciles, savez-vous qu'en dix ans, le revenu des 10 % de personnes les plus modestes a baissé net de 2,8 %, tandis que celui des 10 % de personnes les plus riches a augmenté de 4 % par an de 1990 à 1995, puis de 10 % par an entre 1995 et 1999.

M. Yann Galut.

C'est cela, la réalité du marché !

M. Yves Cochet.

Maintenant que les chiffres ont parlé, je poserai une seule question, chers collègues, notamment de la majorité : sommes-nous prêts à entacher notre législature d'un pareil scandale sur les stock-options ?

Mme Nicole Bricq.

Cela fait vingt ans que ça dure !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Baissez l'impôt sur le revenu !

M. Yves Cochet.

J'en viens à l'instauration en France de la taxe Tobin.

A cette fin, nous avons déposé un amendement qui a été cosigné par 104 députés de la majorité et un de l'opposition appartenant au groupe UDF. Cet amendement tend à instaurer une taxe de 0,05 % sur les opérations portant sur les devises, soit un taux deux fois moindre que celui que proposait James Tobin lui-même, qui est pourtant un libéral modéré plus qu'un extrémiste notoire.

Dans une interview accordée au journal Le Monde, le mardi 17 novembre 1998, à Thomas Ferenzi et Alain Frachon qui lui faisaient remarquer qu'on avait objecté que la taxe ne pourrait marcher que si tous les pays l'acceptaient, ce qui paraissait difficile, James Tobin a répondu que c'était vraiment une critique facile, ce type


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de critique qu'on formule en imaginant qu'elle suffit à démolir une idée. Il ajoutait qu'il y avait pensé et qu'il fallait vraiment le prendre pour un demeuré ou un idiot pour croire qu'il n'avait pas travaillé à cet aspect des choses. Il poursuivait en indiquant que l'acceptation de la taxe Tobin pourrait être une des conditions préalables pour obtenir le statut de membre du FMI et de la Banque mondiale. Enfin, il indiquait qu'il aimerait qu'on discute des mérites de son projet avant de dire a priori que cela ne peut pas marcher.

Seraient exonérés de cette taxe tous les mouvements de capitaux afférents à l'économie réelle, tels que les exportations et importations de biens et services ou les investissements directs. L'assiette de cette taxe permettrait donc de limiter son impact aux seules opérations spéculatives, dont je vous rappelle qu'elles sont de l'ordre de 2 000 milliards de dollars par jour, tandis que les mouvements de l'économie réelle sont de l'ordre de 40 milliards de dollars par jour, soit cinquante fois inférieurs aux mouvements de la spéculation. A mon avis, ces deux chiffres suffisent à caractériser ce qu'il faut bien appeler une folie du capitalisme, au sens psychiatrique du terme.

Politiquement, comme le montrent le nombre des députés signataires de l'amendement ainsi que le succès grandissant des comités de citoyens favorables, en France et dans le monde, à l'instauration d'une telle taxe, le moment serait on ne peut mieux choisi.

Selon un sondage publié par L'Expansion, journal qui ne passe pas pour être extrémiste, 60 % des Français sont favorables à l'instauration de la taxe Tobin : 70 % dans la majorité ; 54 % dans l'opposition.

M. Jean-Jacques Jégou.

La moitié des gens ne savent pas de quoi il s'agit !

M. Yann Galut.

Pourquoi méprisez-vous les gens, monsieur Jégou ?

M. Yves Cochet.

Je rappelle aussi, pour mémoire, que le candidat Lionel Jospin a déclaré, lors de la campagne présidentielle de 1995, qu'il était favorable à la taxe Tobin.

M. Yann Galut.

C'est même lui qui en a parlé le premier !

M. Yves Cochet.

En effet, et il faut lui en rendre hommage. M. Jospin disait : « Je proposerai dès le prochain sommet européen que les mouvements de capitaux supportent une taxe de 1 . » Pour ma part, je propose un

taux de 0,5 , soit deux fois moins que le candidat Jospin en 1995. Il paraît même que, en privé, M. Trichet y serait favorable ! (Murmures sur divers bancs.) En tout cas, en 1995, M. Séguin, lui, était favorable à l'instauration de cette taxe. (Mêmes mouvements.)

Mme Nicole Bricq.

Ici, c'est l'Assemblée nationale, pas le café du commerce !

M. Yves Cochet.

Maintenant, j'examinerai brièvement la situation de nos banques.

Avouons que la plupart de nos banques mènent une politique spéculative aventureuse, voire débridée, ce qui est très grave. Ainsi, deux d'entre elles, la Société généra le et la BNP, furent présentes dans le fonds spéculatif LTCM qui s'est effondré l'an dernier, et elles ont donc participé à son renflouement selon les perscriptions de M. Greenspan. A propos, monsieur le ministre, puisque l'on parle beaucoup de transparence aujourd'hui, pourriez-vous nous dire combien ces deux banques avaient misé dans LTCM et combien elles ont perdu dans le renflouement de ce fonds ? Est-ce 200 millions ? 500 millions ? Moi je l'ignore, mais je voudrais le savoir.

Plus généralement, toutes les banques françaises ont spéculé sur la dette russe. Ont-elles gagné de l'argent ou en ont-elles perdu ? Et combien ? Pour ma part, je pense q u'elles ont beaucoup perdu et je voudrais savoir combien.

Bref, nos banques spéculent car elles espèrent faire apparaître des profits dans leurs bilans, ce qui, au demeurant, pourrait être louable. Mais, en fait, elles organisent cette spéculation sur un marché de gré à gré, hors norme, hors de tout contrôle public, hors de toute règle prudentielle. Même sur le marché spéculatif de Chicago, que vous connaissez mieux que moi, monsieur le ministre, il y a des règles : on spécule, mais l'on doit décaisser tous les jours le montant exact de ses pertes. Quoi qu'il en soit, si l'on spécule, on ne peut pas cumuler la spéculation, à l'instar de ce que font les joueurs de casino qui jouent encore plus pour tenter de se refaire. Mais nos banques ne font même pas cela, elles organisent un véritable marché noir. Je crie « danger » ! Nos concitoyens sont révoltés par de telles pratiques.

La philosophie de notre amendement Tobin est donc très simple et très modérée : il faut calmer les banques, les encourager à la prudence.

A cette proposition, plusieurs mauvaises réponses ont été faites, auxquelles je répondrai très rapidement. Certains disent : « Laissons faire nos banques, sinon les banques anglaises et hollandaises agiront à notre place. »

Mais est-ce parce que les banques luxembourgeoises organisent le blanchiment de l'argent noir que nous devons laisser les banques françaises faire de même ? C'est une vraie question.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ça n'a aucun rapport !

M. Yves Cochet.

Au nom de quel projet politique ? Au nom de la concurrence ? Mais alors, parce que certains pays ne respectent pas la législation du travail, il faudrait faire de même en France ? Et parce que certains pays n'observent pas les 35 heures, il ne faudrait pas les observer en France, au nom de la concurrence ? Je crois que cet argument ne tient pas, ni politiquement ni moralement.

Deuxième argument parfois utilisé contre la taxe Tobin : elle serait inapplicable techniquement. On me répond : « Appliquer une taxe Tobin en France, ce serait comme l'appliquer en Bretagne. Les Bretons iraient déposer leur argent à Sarcelles. »

(Sourires.) C'est l'argument le plus éculé que je connaisse. Il consiste à assimiler les très gros spéculateurs à la masse des petits épargnants normaux.

Première question : est-ce que, dans un tel cas, l'argent breton fuirait massivement la Bretagne pour aller à Sarcelles ? Imaginons que la Bretagne instaure une taxe Tobin de 0,05 % et que les Bretons ouvrent un compte dans une banque de Sarcelles. La succursale brestoise de la banque de Sarcelles sera évidemment taxée comme les banques bretonnes.

Deuxième question : est-ce qu'un Breton fera gérer son patrimoine à Sarcelles ? Oui, si c'est un très gros épargnant...

Mme la présidente.

Pouvez-vous conclure, monsieur Cochet ?

M. Yves Cochet.

Je termine, madame la présidente.

... qui désire spéculer. Sinon, il restera en Bretagne et ne sera pas touché par la taxe.


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Quelle incidence aura cette taxe sur les banques de Bretagne ? Elle sera très faible en ce qui concerne l'argent spéculatif qui quitterait leurs guichets. La mini-taxe sera répercutée sur les coûts de gestion, donc son incidence sera dérisoire.

Par contre, il y aura une incidence sur les profits spéculatifs potentiels de la banque bretonne.

Mme la présidente.

Votre temps de parole est expiré, monsieur Cochet.

M. Yves Cochet.

L'intérêt de la taxe Tobin, c'est qu'elle est spécifique, qu'elle ne touche que la spéculation.

En résumé, je crois que la ritournelle de l'impuissance politique, de la contrainte extérieure ou de la loi fatale des marchés agace de plus en plus de monde et affaiblit la démonstration. C'est pourquoi je crois que, pour la taxe Tobin comme pour les stock-options, il faut agir, et dès maintenant. (M. Yann Galut et M. Jean-Louis Fousseret applaudissent.)

Mme la présidente.

La parole est à M. François d'Aubert, pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. François d'Aubert.

Selon vous, messieurs les ministres, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes : les dépenses publiques se stabiliseraient, les impôts diminueraient, les 35 heures créeraient de l'emploi sans augmenter les prélèvements obligatoires. Comment cela est-il possible ? C'est miraculeux, un peu trop peutêtre.

Une explication vient à l'esprit : le Gouvernement est passé virtuose dans l'art du trompe-l'oeil. Communiquer, encore communiquer, toujours communiquer, même si c'est au prix du camouflage des dépenses,...

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Mais non !

M. François d'Aubert.

... de vraies-fausses baisses d'impôts et de beaucoup de tours de passe-passe, le dernier consistant à sortir le coût et le financement des 35 heures d e toute visibilité budgétaire et parlementaire par d'habiles débudgétisations - il y a longtemps que l'on en avait pas fait une comme celle-là - et autres affectations de ressources.

Le résultat, c'est un budget artificiel, mais aussi un budget creux, car il n'y a pas de réforme de l'Etat sousjacente, il n'y a pas de vision à moyen et à long terme.

Pas de grand soir fiscal, comme vous l'aviez annoncé, pas de taxe Tobin - je suis désolé de le dire à M. Cochet -, pas de réforme de l'Etat, pas de vraie réduction des dépenses ni de vraie baisse des impôts. Ce budget vaut autant par ses carences que par ses microréformes, dont certaines ont même été annulées, et c'est bien triste pour vous, monsieur le ministre, par votre majorité en commission des finances.

Pourtant, monsieur le rapporteur général, vous parlez de budget volontaire et sincère. Il est difficile d'aller plus loin dans le contresens !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Pas du tout !

M. François d'Aubert.

Vous parlez d'abord d'une baisse des impôts. Je rappellerai un passé récent, afin d'éclairer vos promesses pour l'an 2000. Car c'est le troisième budget que vous nous présentez ; il y en a même eu trois et demi exactement, puisqu'il faut tenir compte de la loi de finances rectificative de 1997.

M. Pierre Forgues.

Et la TVA, elle baisse, oui ou non ?

M. François d'Aubert.

En 1999, les impôts d'Etat devaient, selon vous, baisser de 21 milliards de francs. En réalité, les Français paieront cette année 88 milliards d'impôts de plus qu'en 1998, ainsi que le montrent les chiffres du ministère des finances. On est toujours trahi par les siens ! En 1999, une diminution des impôts de 7,7 milliards était promise aux ménages. Patatras ! A lui seul, l'impôt sur le revenu aura augmenté, toujours d'après les calculs de la DGI, de 16 milliards de francs en 1999, et M. le rapporteur général le confirme dans son rapport.

A cela s'ajoutent une ponction supplémentaire opérée par la CSG - le deuxième impôt sur le revenu - de 36 milliards de francs ainsi que les dégâts collatéraux de l'alourdissement de l'impôt sur le revenu sur la taxe d'habitation, qui sont particulièrement ressentis dans beaucoup de communes où, bien que les taux aient diminué ou aient été stabilisés, certains contribuables voient leurs impôts augmenter. C'est tout simplement le résultat mécanique des modifications, des manipulations opérées sur l'impôt sur le revenu en 1998 et 1999.

Dans la distribution des cadeaux fiscaux de 1999, les entreprises étaient inscrites pour la fameuse suppression progressive de la part salariale sur la TP, qui était votre produit vedette l'année dernière. L'allégement promis devait représenter 8,4 millards de francs. Or le rapport de la DGI - décidément, les fonctionnaires sont incorrigibles - montre qu'il manque 1,8 milliard de francs à l'appel, soit 20 % de votre promesse.

Par ailleurs, on espérait 25 000 créations d'emplois de cette suppression de la part salariale. Avec beaucoup d'acrobaties, le même rapport explique qu'on se situe entre 18 000 et 25 000. Il précise même, et vous avez sans doute apprécié, monsieur le ministre, que, dans le secteur des biens intermédiaires, les créations nettes d'emplois ont été, grâce à cette disposition, de 500 pour toute la France. Formidable ! Avez-vous demandé comment ce chiffre avait été calculé ? Nous nous le demandons pour notre part.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l 'industrie.

Comment pouvez-vous critiquer quelque chose que vous ne comprenez pas ?

M. François d'Aubert.

Je comprends très bien ! Je constate simplement que vous faites des promesses mais que, l'année suivante, quand on fait les comptes, il y a moins que ce que vous aviez promis. Ce n'est pas plus compliqué que ça ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

La croissance est pourtant là !

M. François d'Aubert.

Autoproclamé l'année dernière champion de la baisse des prélèvements obligatoires, vous annonciez leur diminution pour 1999. Pas de chance : ils augmentent. Si au moins, grâce à cette augmentation, vous pouviez mettre à votre actif une baisse conséquente du déficit public, mais ce n'est pas le cas. Depuis quelques jours, vous vous efforcez de trouver des explications, ou plutôt des alibis assez grossiers, au considérable décalage entre vos promesses et une avalanche fiscale que les Français supportent de plus en plus mal.

La croissance n'était pas tout à fait au rendez-vous, c'est l'une de vos excuses. Mais alors, pourquoi vous êtesvous obstiné sur le taux de 2,7 %, qui sera démenti par les faits en 1999, alors que nous disions sans cesse, et on nous le reprochait, que nous n'atteindrions pas ce taux et que la croissance serait probablement de 2,4 %. Finalement, n'êtes-vous pas victime d'une communication trop optimiste, du baratin fiscal trop enveloppant qui est le vôtre depuis trois ans ?


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M. Pierre Forgues.

Vous, c'est le verbalisme parlementaire !

M. François d'Aubert.

S'y ajoute une communication que l'on qualifierait dans le monde de l'entreprise de mensongère. On n'en est pas loin quand, comme vous l'avez fait, on sous-estime sciemment les conséquences des nouveautés fiscales anti-famille que furent, en 1998 et 1999, la diminution du montant déductible de la pension alimentaire versée aux enfants majeurs, la suppression de l'AGED, et surtout l'abaissement du plafond du quotient familial, qui « rapportent » pas moins de 4 milliards de francs et pénalisent beaucoup plus de familles que vous ne l'aviez annoncé.

Après avoir laissé espérer, depuis deux ans, aux Français des baisses d'impôts, ce gouvernement aura réussi le tour de force de leur faire payer au moins 150 milliards d'impôts de plus, auxquels il faut ajouter 212 milliards de CSG. C'est cela qui est historique. Et, puisque vous aimez vous référer aux années 1996-1997, je rappelle que la ponction fiscale supplémentaire a été de 114 milliards en 1996. C'était trop, mais le but était de se qualifier pour l'euro et, en tout cas, c'était moins que les 150 milliards que vous infligez aux Français depuis deux ans.

Mais l'année 1999 est également historique car la ponction de l'Etat sur le supplément de croissance, donc la ressource supplémentaire de l'Etat, aura été de 35 %. En 1996 - j'ai compris que vous aimez cette année-là -, la ponction était de 29 %, et elle était de 21 %, en 1997.

Là encore, ce n'est pas nous qui battons les records, c'est vous ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En 1997, elle était de 90 %, cela figure dans le rapport économique et financier.

M. François d'Aubert.

Ces chiffres sont incontestables et figurent dans le rapport de M. le rapporteur général.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Pas du tout !

M. François d'Aubert.

Si. Et ils figurent également dans les documents du ministère des finances.

M. Raymond Douyère.

Vous les avez mal interprétés !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Changez de lunettes !

M. François d'Aubert.

Malgré votre art consommé de la communication sélective, monsieur le ministre, les Français finiront bien par se rendre compte que vous n'avez jamais eu l'intention de revenir sur les hausses temporaires d'impôts décidées par le précédent gouvernement, en particulier sur les deux points de TVA qui nous ont permis de nous qualifier pour l'euro et de diminuer l es taux d'intérêt, diminution dont vous bénéficiez aujourd'hui et qui rapportent, ne l'oubliez pas, 80 milliards au budget. Etes-vous prêt à y renoncer ? Apparemment pas. Mais alors, quid de votre promesse électorale de 1997 ? Malgré vos silences, les Français se rendront peut-être aussi compte que vous avez stoppé net la baisse de l'impôt sur le revenu engagée par le précédent gouvernement,...

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Et non financée !

M. François d'Aubert.

... ou encore la réduction d'impôt au titre des prêts à la consommation, qui était une mesure fiscale sociale que vous vous êtes bien gardés de renouveler au moment de son échéance.

On comprend mieux maintenant la conception de la justice fiscale de la majorité plurielle : elle consiste à faire payer davantage les riches et à prendre plus à tout le monde. Alors, permettez-nous d'être circonspects, voire méfiants, quand vous promettez des baisses d'impôts pour 2000 et en laissez miroiter d'autres pour 2001. Nous craignons les déconvenues, et les Français aussi, je crois ; votre politique fiscale est de moins en moins crédible.

Pour 2000, c'est probablement reparti comme en 1999 pour une sous-évaluation des recettes fiscales de l'Etat, histoire de ne pas trop donner d'idées coûteuses à la majorité plurielle.

On n'arrive pas à croire, par exemple, et, semble-t-il, M. le rapporteur général non plus, que les recettes de l'impôt sur le revenu augmenteront de 18 milliards de francs « seulement ». Rendez-vous à la future révision des recettes du projet de loi de finances de 2000 pour faire les comptes.

Vous annoncez également que les Français connaîtront en l'an 2000 la « baisse des impôts la plus forte de la décennie ». Cette prévision me semble bien imprudente, car si les Français comparent les recettes fiscales de 2000 avec celles de 1999, ce qui est la seule comparaison qui vaille,...

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Cette comparaison n'a pas de sens !

M. François d'Aubert.

... car il ne faut pas raisonner en tendance, les Français se rendront compte qu'au lieu de la baisse annoncée de 39 milliards, avec - faut-il le rappeler ? - une bonne partie de mesures décidées l'année dernière, ce qui signifie qu'elles servent deux fois, c'est davantage encore qui sera ponctionné par l'Etat.

Surtout si on leur fait savoir que, pour cacher cette hausse forte et prévisible de la ponction fiscale, vous basculez hors du budget de l'Etat tout le financement par l'impôt et les taxes du nouveau fonds créé, dans la loi sur les 35 heures, pour financer l'allégement des charges sociales - je n'ose pas l'appeler Strauss-Kahn,...

M. Francis Delattre.

Appelez-le Aubry !

M. François d'Aubert.

... disons plutôt le fonds Aubry.

Ce fonds va en effet mobiliser la taxe sur les tabacs, l'écotaxe, la contribution sociale sur les bénéfices, et il faudra également trouver - c'est la découverte de la matinée - les quelque 7 milliards qui devaient être apportés par l'UNEDIC et qui, si l'on a bien entendu Mme Aubry, ne sont plus là.

M. Gilbert Gantier.

Eh oui !

M. François d'Aubert.

Où va-t-on les trouver ? Probablement en augmentant le taux de la CSG sur les bénéfices, ou encore en augmentant l'écotaxe, mais toujours avec davantage de prélèvements et d'impôts.

L'an dernier, je l'ai dit, c'était la baisse de la TP qui était en promotion. Cette année arrive en fanfare le taux réduit de la TVA sur les travaux d'entretien.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

A la demande du Parlement !

M. François d'Aubert.

Ce dispositif, il faut le noter, est juridiquement d'une grande fragilité. Car, alors même que le taux réduit s'applique, du moins en principe - nous nous pencherons sur les difficultés d'application -, depuis le 15 septembre dernier, cette mesure n'a toujours pas été juridiquement entérinée par Bruxelles, même si, apparemment, un accord politique est intervenu avec nos partenaires européens. Il n'y a rien de signé, rien d'écrit dans une directive. Ceux qui en bénéficient aujourd'hui sont donc en quelque sorte, et je les plains, dans l'illégalité par rapport au droit communautaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ce que vous dites est scandaleux !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Et ridicule !

M. François d'Aubert.

C'est pourtant la vérité.

Attention, monsieur le ministre, ce ne sont pas des questions qu'il faut traiter avec désinvolture, vous nous l'avez souvent dit à propos de la baisse des charges dans le secteur textile. Faut-il vous rappeler que la France est soumise à une enquête de Bruxelles à propos des célèbres contrats d'assurance DSK, dont la fiscalité est dans le collimateur ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur d'Aubert, puis-je vous interrompre ?

M. François d'Aubert.

Je vous en prie, monsieur le ministre.

Mme la présidente.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, avec l'autorisation de l'orateur.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il y a dans le débat politique un certain nombre de limites qu'il faut respecter, et qu'on ne respecte généralement pas lorsqu'on n'a rien d'autre à dire.

Vous n'avez pas le droit de faire peur à nos concitoyens en leur assénant des balivernes, alors qu'un accord est intervenu à Bruxelles pour nous autoriser à diminuer notre taux de TVA. Vous n'en avez pas le droit moral.

Mme Raymonde Le Texier.

Il ne sait pas ce que ça veut dire ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Critiquer la politique du Gouvernement, c'est votre droit, mais cela ne change pas grand-chose à la réalité. Vous n'avez par contre pas le droit de dire que la baisse de TVA qui intervient pourrait poser un quelconque problème aux particuliers qui en bénéficient, alors qu'elle a été autorisée à Bruxelles par une décision du dernier conseil ECOFIN.

Ou vous ne suivez pas ce qui se passe, ou vous ne connaissez rien aux procédures européennes, ...

M. Raymond Douyère.

Les deux ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... ou vous êtes en train de dire quelque chose qu'il ne faut pas avoir peur de qualifier de mensonge.

Mme Raymonde Le Texier.

Les trois !

Mme la présidente.

Poursuivez, monsieur d'Aubert.

M. François d'Aubert.

Je précise simplement que, ceux qui ont profité ou vont profiter de cette disposition sont à la merci d'un recours pour annulation.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Pas du tout, et vous le savez !

M. François d'Aubert.

Il y a eu un accord politique au sein du conseil ECOFIN, et je n'ai pas dit le contraire, mais, sur le plan juridique et fiscal, il n'y a toujours pas de document écrit de Bruxelles.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Ce que vous dites est ridicule !

M. François d'Aubert.

Non ! Il y a eu un accord politique, pas un accord juridique, et nous reviendrons sur ce point au cours du débat.

Je ne mens pas du tout aux artisans ou aux commerçants.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Si !

M. François d'Aubert.

Ce dispositif est d'une grande fragilité juridique.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Pas du tout ! C'est vous qui êtes fragile !

M. François d'Aubert.

La diminution du taux de la TVA sur les travaux est une mesure intéressante, il faut le dire,...

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Merci de le reconnaître !

M. François d'Aubert.

... mais on sentait venir l'usine à gaz. Effectivement, nous ne nous sommes pas trompés et, quand on observe l'application de cette mesure sur le terrain, on constate que les débuts sont pour le moins chaotiques ; les journaux, d'ailleurs, s'en émeuvent En effet, on a l'impression que la technocratie fiscale s'en est donné à coeur joie, comme si Bercy voulait saboter une mesure contre laquelle votre ministère s'est battu, tout le monde le sait, mais en vain, pendant des mois.

Pour le moment, en tout cas, personne n'est content.

D'abord, les gens à revenus modestes n'ont pas les moyens financiers de recourir à des artisans,...

M. Pierre Forgues.

Ce que vous dites est scandaleux !

M. François d'Aubert.

... ils font leurs travaux euxmêmes et continuent d'acheter leurs fournitures à 20,6 %.

Ils trouvent cela anormal, et on les comprend.

Quant aux clients qui font faire des devis depuis le 15 septembre, ils ne voient pas arriver les baisses de prix que, logiquement, devrait entraîner le taux réduit, car les artisans ne savent pas quel taux utiliser tant les « discriminations réglementaires » sont obscures.

Quid, par exemple, des travaux sur un balcon-terrasse ? Comment concilier le taux de 5,5 % pour les travaux sur les balcons et celui de 20,6 % pour les travaux sur les terrasses, alors qu'il s'agit souvent d'un ensemble ? Quid, encore, de l'aménagement d'espaces verts, qui est taxé à 20,6 % mais qui entre pourtant dans la catégorie, bien définie, des travaux liés à l'habitation, qui sont taxés à 5,5 % ? En gros, lorsqu'on change ses carreaux, on est taxé à 5,5 %, mais, quand on plante de la vigne vierge, on est taxé à 20,6 % ! Il est difficile de comprendre cette logique ! En juillet, le ministre des finances mettait en avant un cadeau de 19 milliards de francs pour 10 millions de ménages ; je me demande d'ailleurs comment étaient calculés ces deux chiffres.

Aujourd'hui, changement de registre. Pour le cabinet du ministre - je cite la presse -, la TVA à taux réduit n'est en aucun cas une mesure pour aider les ménages, mais pour aider les entreprises et lutter contre le travail au noir. On a donc déjà un peu dérapé en ce qui concerne l'objectif. Mais il est difficile pour les entreprises de s'y retrouver dans une réglementation trop complexe qu'elles doivent gérer de bout en bout. On aurait voulu décourager les professionnels que l'on ne s'y serait pas pris autrement. En ce moment, par exemple, certains continuent à acheter leurs matériaux au taux de 20,6 % et à les facturer à 5,5 %, en attendant que l'Etat - quand ? comment ? - leur rembourse la différence.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Les contentieux, là aussi, ne devraient pas tarder à apparaître.

Le budget évoque un cadeau fiscal d'une vingtaine de milliards. Ce cadeau risque fort de n'être jamais dépensé en totalité. La TVA à taux réduit, c'est une fausse bonne idée plus une vraie fausse baisse d'impôt ; nous sommes bien partis pour cumuler les deux.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

Quand vous annoncez des baisses d'impôts, ceux-ci augmentent. Quand vous annoncez une baisse des prélèvements obligatoires, ceux-ci augmentent aussi. Il y a manifestement, monsieur le ministre, un problème de cohérence entre vos slogans et ce que vous faites.

Mais ce n'est pas le seul révélateur d'une démarche fiscale bien souvent chaotique depuis deux ans et demi. Il y a eu les allers et retours et les zigzags concernant la fiscalité de la famille. Il y a eu hier et aujourd'hui les multiples épisodes de la surtaxe de l'impôt sur les sociétés, supprimée mais aussitôt ressuscitée sous forme de CSG sur les bénéfices. Aujourd'hui, et tout à l'heure encore, avec l'intervention de M. Cochet, nous assistons à un psychodrame à l'intérieur de la majorité plurielle sur le thème des stock-options ; on est au comble de la confusion et de la dyslexie fiscale au sein de la majorité ! En effet, le même jour - bel exemple de cohérence - , la commission des finances taxe les stock-options, c'est-àdire ceux qui gagnent de l'argent en travaillant (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) , et diminue les droits frappant ceux qui héritent d'une entreprise, ce qui est plutôt une bonne mesure.

Il y a un problème en ce qui concerne la cohérence et la lisibilité idéologique de ces dispositions.

Tout le monde le sait et nous l'avons dit, le cas Jaffré est un dévoiement du système des stock-options. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mais rien n'empêche de mettre au point un système qui soit transparent, qui permette de distribuer les stock-options dans toute l'entreprise, du haut en bas de l'échelle salariale et, surtout, qui soit incitatif sur le plan fiscal. Or sur ce point aussi, monsieur le ministre, vous avez bien du mal avec votre majorité. Alors que vous n'avez même pas réussi à faire passer en commission le dispositif concernant les entreprises de croissance, vous voilà maintenant assiégé par M. Cochet...

M. Yves Cochet.

Mon influence est plus modeste que cela !

M. François d'Aubert.

... et plus de cent de ses collègues, qui font une promotion bien gênante de la taxe Tobin. Je suis d'accord avec vous : cette taxe est stupide.

Malheureusement, ils sont cent à communier dans cette stupidité fiscale que représenterait l'instauration d'une taxe qui serait totalement incontrôlable et qui passerait complètement à côté de l'objectif visé.

Pourquoi un tel manque de cohérence dans votre a pproche fiscale, dont on pourrait citer d'autres exemples ? Simplement parce que vous n'accompagnez pas ce désir, que je voudrais croire sincère, de baisse des impôts d'une volonté affirmée de maîtrise de la dépense publique, bien que vous ayez endossé la casaque d'un socialo-libéralisme à votre façon mais qui n'est pas celui de la majorité plurielle.

Maîtriser la dépense, c'est un slogan intéressant. Mais il est lui aussi mensonger. La programmation budgétaire pour 2000-2002 et encore moins le projet de loi de finances pour 2000 ne sont cohérents avec les intentions affichées. Vous annoncez pour l'an prochain une stabilisation en volume des dépenses de l'Etat, et donc que le niveau des dépenses augmentera de 0,9 %, comme l'inflation. Mais les choses ne se passeront pas comme cela, ainsi que la presse et de nombreux spécialistes en ont fait la démonstration. En effet, si l'on réintègre les dépenses du fonds Aubry et que l'on prend en compte, ce qui est légitime, le dérapage de plus de 6 % des prélèvements sur recettes, on arrive à une hausse minimale des dépenses de 1,8 % en volume, soit le double de ce que vous annoncez. Et si Philippe Auberger a tout à l'heure cité un chiffre supérieur, c'est parce que d'autres dépenses pourraient être également prises en compte.

Je passerai rapidement sur les facilités qui vous sont offertes cette année grâce à la baisse de la dette, conséquence d'une gestion prudente, peut-être impopulaire, de la précédente majorité concernant les déficits.

Que faites-vous de tout cela ? On le voit bien dans la structure des dépenses : toujours plus de fonctionnement, toujours moins d'investissement et, si j'ose dire, toujours autant d'irresponsabilité !

Mme la présidente.

Pourriez-vous conclure, monsieur d'Aubert ?

M. François d'Aubert.

Je vais conclure, madame la présidente.

Les dépenses de personnels et de fonctionnement des titres III et IV progressent de 17,8 milliards de francs, soit une augmentation à elle seule supérieure à la progression officiellement affichée des charges du budget.

Irresponsabilité aussi, quand on voit que rien n'est préparé pour l'avenir.

Ainsi que Pierre Méhaignerie le relevait tout à l'heure, le dossier des retraites est en friche : nous en sommes toujours à des rapports et vous attendez probablement celui qui vous dira exactement ce que vous pensez. Ce n'est pourtant pas le problème car les retraites seront en crise en 2005.

On le voit également avec les dettes d'organismes publics du type de la SNCF.

On le voit enfin avec votre faculté extraordinaire d'augmenter les dépenses de fonctionnement.

Quant au fameux fonds Aubry, était-il nécessaire de créer un établissement public administratif pour le gérer, avec un président, un directeur et du personnel ? C'est ce qui est prévu bien que ce ne soit pas encore dit. Tout cela va alourdir le fonctionnement de l'Etat.

J'aurais voulu expliquer qu'en matière de déficit vos efforts étaient nettement inférieurs à ceux qui avaient été faits par la précédente majorité. Mais je n'en aurai pas le temps. Je signalerai simplement que, si le déficit a été ramené de 2,9 à 1,8 %, nous restons parmi les mauvais élèves de la classe euro.

Nous ne pourrons rester longtemps à la remorque de nos partenaires économiques.

Qu'attendez-vous pour faire de véritables réformes ? Même M. Fabius vous le demande de temps à autre, et cela de plus en plus souvent.

Nous demandons une réforme, une baisse de l'impôt sur le revenu. Quant à la TVA, ayez l'honnêteté de la baisser, d'abord de 1 point, puis de 2, ...

M. Gérard Bapt.

Il ne s'agit pas d'honnêteté, mais de choix économiques et sociaux !

M. François d'Aubert.

... car aujourd'hui la croissance le permet. C'est ce que nous avions dit que nous ferions et c'est ce que nous aurions fait. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Oui, il était possible, depuis l'année dernière, de baisser la TVA.

Tout cela passe aussi, monsieur le ministre, et sur ce point vous avez raison, par des mesures d'incitation à l'innovation, par des mesures d'incitation fiscale fortes pour favoriser le capital risque. Mais, à cet égard, vous avez une autre difficulté : il ne s'agit pas de votre propre volonté politique, mais de la non-volonté de la majorité plurielle, qui ne comprend pas très bien ce genre de problème.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

Il faut aussi s'engager dans la voie de la simplification.

A ce sujet, je ne résisterai pas au plaisir, ou plutôt à la tristesse de faire allusion au statut fiscal de la microentreprise. Ce statut, qui devait sortir au mois de mai, est paru avec trois mois de retard : une instruction fiscale de cent pages, monsieur le secrétaire d'Etat, visent à simplifier l'imposition des micro-entreprises, c'est-à-dire des entreprises d'une ou deux personnes, qui auront assurément besoin d'une aide extérieure.

Alléger le poids des administrations, ne pas remplacer les fonctionnaires partant à la retraite - ou pas tous supprimer les établissements publics dont on n'a pas besoin, ...

M. Jean-Louis Idiart.

Lesquels ? Des noms ! En Mayenne, par exemple !

M. Jean Vila.

Il ne les aime décidément pas !

M. François d'Aubert.

... autant de champs à explorer pour redéfinir les missions de l'Etat dont vous vous souciez peu, au risque de faire de la France le pays développé le plus archaïque.

Mme la présidente.

Il vous faut conclure, monsieur d'Aubert !

M. François d'Aubert.

Et je ne parlerai pas de l'image des 35 heures à l'étranger : c'est aberrant ! La France apparaît comme une sorte de pays moyenâgeux, le plus archaïque en matière de gestion publique à l'orée du nouveau millénaire.

Il y a là autant de raisons pour s'opposer à votre politique budgétaire et fiscale. Le groupe Démocratie libérale votera contre votre projet de budget tel qu'il nous est présenté.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Louis Mexandeau.

Nous n'en attendions pas moins !

Mme la présidente.

La parole est à M. Jean-Louis Idiart, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Louis Idiart.

Madame la présidente, messieurs les ministres, l'examen de la loi de finances est le moment privilégié pour fixer les priorités annuelles d'un gouvernement et de sa majorité en les replaçant dans les perspectives définies par le Premier ministre dans son discours d'investiture.

Cette loi est la troisième depuis l'accession aux responsabilités de la majorité plurielle issue des élections de 1997.

Je me souviens encore des difficultés que l'on annonçait, de la situation de mauvais élève de la classe qui devait faire bien des efforts pour entrer dans l'euro. Après les élections, l'effet de surprise passé, l'opposition prophétisait une catastrophe puisque, par principe, seule la droite détient le savoir, la vérité en matière économique.

Et nous venons de nouveau, après avoir entendu un certain nombre d'orateurs, porte-parole des groupes de droite, d'entendre cette magnifique démonstration.

Messieurs, vous nous avez toujours donné beaucoup de leçons, ...

M. Louis Guédon.

Soyez bon élève !

M. Jean-Louis Idiart.

... vous avez été brillants, vous avez été rigoureux, ...

M. Philippe Auberger.

Certes !

Mme Raymonde Le Texier.

Mais dissous ! (Sourires.)

M. Jean-Louis Idiart.

... vous êtes même allés jusqu'à vous sacrifier sur l'autel politique pour que votre politique économique puisse être convenablement conduite.

Mais vous avez été sanctionnés, et gravement, par le suffrage universel. Il y a quelques mois aux dernières élections européennes, le suffrage universel vous a de nouveau sanctionnés.

M. Francis Delattre.

Ça va, ça vient ! (Sourires.)

M. François d'Aubert.

Soyez donc prévoyants !

M. Jean-Louis Idiart.

Tout cela devrait vous inciter à plus de modestie. Vous demandez au Gouvernement d'être plus modeste. Mais vous devriez d'abord faire l'apprentissage de la modestie et votre deuil d'un certain nombre de choses pour, un jour peut-être, accéder une nouvelle fois aux responsabilités.

M. Francis Delattre.

Merci !

M. Jean-Louis Idiart.

Mais, d'après les déclarations que nous venons d'entendre, vous ne semblez pas en prendre le chemin. Les Français qui nous écoutent aujourd'hui ne peuvent pas croire ce que vous venez de dire car les résultats sont là, et ils sont têtus.

Les lois de finances pour 1997, 1998 et 1999 ont avec sagesse encouragé la consommation, misant sur la croissance et contre votre défaitisme. Nous avons fait des efforts pour relancer l'économie, pour introduire plus de justice dans les recettes fiscales comme dans nos choix de dépenses.

La croissance mondiale était au rendez-vous, mais elle était, dans ce pays, soutenue, accompagnée, tonifiée, et c'est la raison pour laquelle nous avons obtenu de meilleurs résultats que les pays voisins. Ces bons résultats sont avant tout ceux de la France, de la France qui crée, de la France qui innove, de la France qui croit en elle-même dans le cadre de l'Europe mais dans le respect de celles et de ceux qui travaillent beaucoup, dont on parle peu dans les médias et qui, trop souvent, sont ensuite oubliés au moment du partage des fruits de la croissance. La confiance revenue a contribué à ces résultats.

Les résultats de la France sont bons. Chacun le reconnaît. Les chroniqueurs les plus avertis, y compris ceux qui ne nous aiment pas beaucoup, en témoignent.

Les organismes mondiaux le soulignent.

Je ne reviendrai pas, messieurs les ministres, sur les chiffres, notre rapporteur général et le président de la commission des finances nous les ayant successivement présentés, sinon pour dire que le Gouvernement a toujours su faire preuve de réalisme et d'exactitude dans ses prévisions.

Ces constats dressés, le rôle du Gouvernement et de la majorité plurielle est de bien poursuivre l'action entreprise jusqu'au terme de la législature. Nous savons que le chemin est encore long et difficile car nous ne pouvons nous contenter de gérer la chose publique en « bon père de famille » : nous devons poursuivre la transformation de notre société par des réformes de notre Etat pour qu'il soit plus apte à jouer son rôle au service des citoyens dans une économie très ouverte et dont les décideurs pèsent très lourdement sur les choix ; par un soutien actif à la modernisation de nos entreprises, en permettant à toutes leurs composantes d'y jouer leur rôle ; par une politique fiscale plus juste en direction de celles et de ceux qui sont le plus en difficulté, et plus dynamique pour soutenir la consommation, donc la croissance.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

Mais tout cela passe par un fil conducteur dont nous ne devons jamais nous écarter : l'emploi. Chacun de nos actes, chacune de nos propositions doit être nourrie de cette question : est-ce créateur d'emplois ? Vous avez entrepris, messieurs les ministres, une réforme de l'Etat. Nous savons que ce travail difficile doit être conduit en tenant compte de ce qui existe pour atteindre l'objectif visé. Réformer l'Etat ne signifie pas, comme en rêvent les libéraux, l'affaiblir mais, bien au contraire, le rendre plus proche des citoyens tant en ce qui concerne l'organisation des services que la proximité géographique.

L'Etat doit être respectueux des citoyens, mais il doit aussi être respecté. Je ne suis pas sûr qu'il faille laisser le soin de le réformer aux seuls hauts fonctionnaires car, parfois, ce qu'ils appellent « simplification » en est une pour eux mais pas forcément pour le citoyen. Je ne suis pas sûr non plus qu'ils aient dans leur manuel de réformes un chapitre sur l'« aménagement intelligent du territoire ».

Veillons à ce que la concertation et le débat soient ouverts.

La modernisation de l'Etat est une nécessité si l'on veut être à la hauteur des enjeux internationaux et ne pas être à la traîne.

La mission d'évaluation et de contrôle de la commission des finances, instrument nouveau du Parlement, a formulé plusieurs recommandations. Si certaines ont déjà été reprises, beaucoup restent à exploiter.

Je ne comprends pas ce qu'a déclaré M. Méhaignerie tout à l'heure : puisque tout ce que lui et ses amis ont proposé ou souligné cette année n'est pas mis en application immédiatement, ils ne veulent plus travailler dans le cadre de cette mission.

Je vous rappelle, messieurs, que vous avez été aux responsabilités.

Vous me semblez souffrir d'amnésie. En effet, lorsqu'une mesure est proposée, nous savons les uns et les autres qu'il faut se battre pour qu'elle soit définitivement mise sur pied. Nous avons déjà fait et nous continuerons de faire des propositions, mais je suis d'ores et déjà certain que les avis de la MEC seront respectés.

Je vous recommanderai, aux uns et aux autres, d'être vigilants afin de réussir car c'est là un moyen de participer à la modernisation de l'Etat et à la modernisation de la dépense.

Quant à vous, messieurs les ministres, je vous incite à garder les documents en question sur votre table de chevet, car nous ne manquerons jamais de vous en rappeler les termes.

L'entreprise est un instrument fort de la politique de croissance de ce pays.

Dans votre projet de loi, l'engagement de poursuivre le processus de suppression de la taxe professionnelle sur les salaires est tenu. Je remarque que la droite n'en parle plus après en avoir fait son cheval de bataille dans les années 80 : à l'époque, il ne pouvait pas y voir de débat ni de confrontation électorale sans que la taxe professionnelle soit vouée aux gémonies. Aujourd'hui, l'opposition n'en parle plus, après l'avoir créée dans les années 70, puis combattue. Logique oblige ! La contibution additionnelle de 15 %, puis de 10 % à l'impôt sur les sociétés sera supprimée, tandis que diminuera la TVA sur les services d'aide à la personne. Plusieurs amendements tendront à corriger l'effet que cela pourrait avoir sur certaines associations.

Seront également supprimées des taxes sur la création d'entreprise tandis que seront abaissés les droits de mutation sur les fonds de commerce et les cessions de clientèle.

Enfin, un amendement déposé par notre rapporteur général favorisera la transmission des PME et garantira le patrimoine national.

L'entreprise, c'est avant tout une équipe et un projet, ce n'est pas seulement des taxes et des capitaux. La loi sur la réduction du temps de travail vient de le rappeler en incitant au dialogue et à la remise à plat de l'organisation dans l'entreprise, au service d'une ambition nouvelle.

En matière fiscale, la mesure phare porte sur la baisse de la TVA sur les travaux dans les logements. Les socialistes sont satisfaits que leur proposition se voie ainsi concrétisée.

M. Alain Barrau.

Très bien !

M. Jean-Louis Idiart.

Cela témoigne à la fois de l'écoute du Gouvernement en direction de sa majorité plurielle, et du respect de nos engagements, des engagements pris en commun.

Cette mesure est à la fois juste et économiquement efficace. Elle permettra de remettre en état des logements dégradés et d'en moderniser d'autres. Elle permettra de surcroît de lutter contre le travail au noir. Elle répond aux attentes des professionnels du bâtiment, qui nous le témoignent quotidiennement dans nos permanences.

La baisse de la TVA, contrairement aux mesures antérieures qui ne concernaient que les personnes soumises à l'impôt sur le revenu, s'applique à tout le monde. La suppression du droit de bail pour les locataires va dans le même sens, tout comme la nouvelle baisse des taxes sur les ventes de logement. Nous saluons ces mesures, qui vont dans le bon sens.

Nous devons continuer, car nous n'avons pas encore totalement corrigé les décisions prises en 1995. Nous nous ne sommes pas encore dégagés de cette augmentation, qui pèse toujours. Nos collègues des groupes de droite devraient, au moins pendant une période, être modestes. Ils devraient ne pas être aussi exigeants à notre égard, eux qui l'ont été si peu vis-à-vis d'eux-mêmes.

La baisse de la TVA demeure plus que jamais à l'ordre du jour. Devrais-je rappeler que cet impôt si moderne, si efficace, si productif de recettes, est très injuste pour celles et ceux qui consomment la quasi-totalité de leurs revenus et sont donc parmi les plus humbles ? Au moment où s'ouvre le débat sur la réforme des impôts directs, nous ne voudrions pas que les fortes mesures de cette année concernant la TVA vous fassent considérer que le moment de la pause est venue. Il s'agit, certes, d'une belle étape, mais seulement d'une étape.

M. Alain Barrau.

Très bien !

M. Jean-Louis Idiart.

Je pense à d'autres secteurs comme la restauration ou les produits pour grands malades. Ils devront être pris en compte et nous y veillerons.

Je n'oublie pas que, successivement, les gouvernements Balladur et Juppé ont réduit l'impôt sur les plus hauts revenus, tandis qu'en même temps ils augmentaient la TVA.

M. Yves Cochet.

Eh oui !

M. Jean-Louis Idiart.

C'est un signe très clair de notre différence d'orientation.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

S'il est nécessaire de toiletter les impôts directs, nous avons à veiller à ce que cela se fasse en direction des plus modestes, taxés injustement.

La nécessaire et tant attendue réforme des impôts locaux, que vous souhaitez conduire, devra éclaircir la controverse qui est née entre partisans des dotations redistribuées par l'Etat, on l'a vu au sujet de la taxe professionnelle, et les partisans de l'autonomie de décisions sur les taux.

Nous devrons conduire sagement un tel débat. Il a lieu dans tous les groupes politiques. Nous avons le devoir de l'aborder, franchement, en tenant compte de sa complexité et de la difficulté à trouver un consensus en ce domaine. Abordons-le sans préjugés et sans a priori.

Mais déjà, dès cette année, les mesures proposées en matière de taxes d'habitation sont intéressantes et vont dans le bon sens.

Dans les semaines qui se sont écoulées, nous avons les uns et les autres en tout cas les uns - été scandalisés par les sommes versées à un président d'entreprise absorbée par un concurrent.

Quel paradoxe ! Après avoir mis à feu et à sang son groupe, pour des affaires internes, puis en annonçant 2000 suppressions d'emplois dans une région que nous connaissons bien, entraînant une grève de deux mois, exposant ainsi son entreprise aux convoitises extérieures, le voilà licencié et récompensé grassement par le biais d'indemnités et de stock-options. Plus tu fais des sottises, plus tu touches ! Cela n'est pas sain et nous éclaire en tout cas sur les excès du système.

Notre devoir est de garantir la liberté d'entreprendre.

Mais notre devoir est tout autant de ne pas permettre de tels agissements. Nous avons ainsi été amenés à adopter un amendement du président Bonrepaux sur la taxation d es stock-options et à présenter un amendement Hollande-Migaud sur les modalités de taxation des indemnités de licenciement les plus élevées.

Bien sûr, le débat est ouvert avec le Gouvernement.

Nous saluons l'initiative qu'il a prise de confier une mission à notre collègue Balligand et à M. de Foucauld.

Mais un bon débat permet de mieux éclairer encore une mission ministérielle. Car il ne s'agit pas de freiner mais d'avancer. C'est la raison pour laquelle, nous proposons également de supprimer l'alinéa 2 de l'article 10 du projet de loi de finances.

De même, messieurs les ministres, un grand nombre de parlementaires, inquiets de certains effets pervers de la mondialisation, souhaiteraient voir taxer les opérations sur les devises réalisées sur le marché des changes. D'aucuns, par fidélité au symbole, parlent de taxe Tobin.

Ce débat ne peut échapper à notre assemblée et la commission des finances y a été sensible. Nous pensons qu'il est nécessaire, sur ce point aussi, que le débat soit ouvert. L'amendement déposé par le rapporteur général, Didier Migaud, qui tend à ce que le Gouvernement fasse certaines propositions au niveau bruxellois, va dans la bonne direction.

Le rapport confié à nos collègues Fuchs et Feurtet, pour faire écho à ce que nous avons entendu tout à l'heure à cette tribune, n'est pas destiné à renvoyer le sujet aux calendes grecques. Il doit permettre de le traiter rapidement. C'est dans ce sens que nous entendons soutenir ces initiatives.

M. Gérard Bapt.

Très bien ! Mais il ne faut pas agir dans la précipitation !

M. Jean-Louis Idiart.

Nous soutiendrons donc l'amendement déposé par M. le rapporteur général.

Nous nous réjouissons également de la suppression d'un grand nombre de taxes, soit près de quarante-huit.

(« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Notre collègue Cochet a fait une proposition. Il nous excusera de l'avoir précédé en commission des finances, où nous avons décidé de supprimer le timbre sur la carte de séjour par le biais d'un amendement conjoint avec

M. Dray.

M. Yves Cochet.

Très bien !

M. Jean-Louis Idiart.

Je pense donc que ce projet de loi, votre projet de loi, notre projet de loi de finances est b on. Notre discussion et l'adoption d'amendements venant des groupes de la majorité plurielle l'amélioreront encore.

Monsieur le premier ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous pouvez compter sur notre vote favorable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, un orateur par groupe s'étant exprimé, le moment est venu pour le Gouvernement de répondre aux observations qui lui ont été présentées, tant par la majorité que par l'opposition.

Je commencerai par les interventions du rapporteur général et du président de la commission des finances.

Le rapporteur général, M. Didier Migaud, a souligné au début de son propos la situation de la conjoncture économique française. Je crois que c'était utile. Il a rappelé que notre politique économique était adaptée à cette conjoncture. C'est en fait la clef du mystère que certains ont voulu souligner dans l'opposition en se demandant comment nous pouvions avoir de si bons résultats. C'est pourtant assez simple : à une conjoncture économique donnée, nous avons appliqué une politique qui convenait.

Peut-être l'avons-nous appliquée par chance ? En tout cas, nous avons fait la politique que nous avions annoncée dans notre campagne électorale et qui résultait de notre analyse de la situation de la France. Elle correspondait aux problèmes. La thérapeutique a apporté des résultats.

Je suis heureux que M. Migaud se soit employé à justifier notre prévision de croissance, qui se situe dans une fourchette. En effet, les aléas sont suffisamment nombreux dans ces périodes où l'économie mondiale se globalise, pour que nous n'ayons pas la prétention de faire une prévision plus fine.

Le rapporteur général a souligné également le problème de lisibilité que pose l'existence d'un projet de loi de finances et d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il a raison. Nous pouvons nous efforcer de rendre les choses plus lisibles. M. Migaud a d'ailleurs fait des propositions en ce sens dans son rapport.

A décharge, je dirais que ce n'est pas ce gouvernement qui a mis en place le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce n'est pas une critique, car je crois que ce projet est utile. Il n'en reste pas moins qu'il en résulte des difficultés de compréhension. Tout ce qui pourra être proposé ou fait pour améliorer la situation sera bienvenu.

Par ailleurs, M. Migaud a repris ce qui est détaillé dans son rapport, où il explique clairement et minutieusement que la hausse des dépenses de l'Etat est bien à 0 % en


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volume. C'est un exercice un peu compliqué. Il convient de tenir compte des problèmes de périmètres qui évoluent année après année. C'est particulièrement vrai, cette année notamment, en raison de la suppression d'un certain nombre de fonds de concours et de comptes d'affectation spéciale ; de la liaison entre le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale et du transfert de la TGAP comme ressource de la sécurité sociale.

Il faut savoir traiter ces problèmes de périmètres, mais chacun ici est un expert et sait lire le rapport du rapporteur général. Chacun est donc à même de retrouver les chiffres qui traduisent une croissance nulle en volume de la dépense publique.

J'ai apprécié que le rapporteur général souligne la qualité des travaux de la MEC sur la police notamment et la façon dont le Gouvernement en a tenu compte. Je reviendrai sur ce point à propos de la remarque de M. Méhaignerie. Il me semble que, pour un début, c'est assez prometteur et je souhaite qu'on poursuive dans ce sens.

Vous avez souligné, monsieur le rapporteur général, que la mesure sur la TVA découlait d'une proposition de l'Assemblée exprimée avec force, puisqu'elle avait pris la forme d'une résolution.

Je suis heureux de constater que, en suivant cette proposition, le Gouvernement, qui s'y était d'ailleurs engagé au début de 1999, plusieurs mois avant que le budget ne soit préparé, rejoint les souhaits d'une grande partie de l'Assemblée.

M. le rapporteur général a ensuite évoqué l'amendement qu'il présentera et qui vise à faciliter les mutations d'entreprise. Le Gouvernement y est favorable, et nous trouverons ensemble une rédaction qui nous satisfasse tous. C'est en tout cas une initiative heureuse, et je suis très reconnaissant à l'Assemblée de s'être engagée dans cette voie.

M. le rapporteur général a encore dit qu'il fallait être vigilant sur la fiscalité du carburant. Certes. Encore que nous ne fassions, cette année comme l'année dernière, aucune hausse sur le super sans plomb. Cela ne s'était pas produit, sauf l'année dernière, depuis fort longtemps. Je remarque qu'il y a deux manières d'apprécier le rapprochement des tarifs du gazole et de l'essence sans plomb. Celui-ci est utile, et nos amis écologistes le demandent. Mais si, pour les rapprocher plus vite et pour ne pas augmenter la fiscalité que paient les ménages, nous n'augmentons pas l'essence sans plomb, nous risquons des reproches. Car en n'augmentant pas la fiscalité à due concurrence de l'inflation sur l'essence, nous risquons de pousser à la consommation, ou du moins de ne pas la freiner, ce qui va à l'inverse des préoccupations écologiques. Les choses sont bien compliquées ! (Sourires.)

Quoi qu'il en soit, nous avons choisi de ne pas augmenter l'essence sans plomb. Ainsi, ce sont 2 ou 3 milliards que les ménages n'auront pas à payer, contrairement à ce qui se serait passé si l'ajustement s'était fait.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Encore faut-il que les pétroliers jouent le jeu ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En effet, monsieur le rapporteur général : encore faut-il que les pétroliers jouent le jeu et qu'ils ne rattrapent pas dans les prix la hausse qui aurait pu résulter d'une nouvelle taxation. Le problème reste ouvert.

Mais ce qui est vrai pour les carburants l'est pour d'autres domaines analogues.

Enfin, vous avez évoqué, monsieur le rapporteur général, la question du seuil de taxe d'habitation, qui a été ramené de 1 500 à 1 200 francs. Là aussi, le Gouvernement est favorable à la mesure que propose la commission des finances. Nous aurons l'occasion d'en discuter lorsqu'il sera présenté.

M. le président de la commission des finances, Augustin Bonrepaux, a principalement insisté sur trois points.

Le premier a été de justifier, en matière de TVA, le choix du bâtiment. Je n'y reviens pas longuement. Il a donné tous les arguments en ce sens, et ce sont ces arguments, en effet, qui ont convaincu le Gouvernement. Sur cette base, le Gouvernement a réussi à convaincre ses partenaires européens d'autoriser une réouverture de la liste des expériences tentables pendant trois ans. Cela nous a p ermis, aujourd'hui, contrairement à ce que disait

M. d'Aubert, de mettre en place cette mesure.

Le débat fut très difficile auprès de nos partenaires, nombre d'entre eux étant opposés à toute révision de la liste. Il ne suffit pas de claquer des doigts pour que des révisions ciblées de taux de TVA soient mises en oeuvre ! Celle-ci a été obtenue, notamment, grâce à l'appui que l'Assemblée nationale a apporté au Gouvernement ; je crois que chacun en est très satisfait.

Deuxième point, le président Bonrepaux a évoqué son amendement sur les stock-options. Je comprends tout à fait sa préoccupation, et nous aurons l'occasion d'en parler beaucoup plus longuement au moment où cet amendement viendra en discussion. Je crois, d'ailleurs, que nous partageons tous sa préoccupation. Nous verrons la réponse qu'il convient d'apporter à ce problème complexe que personne ne nie et qu'un événement récent a mis en lumière. Il était en effet plus que temps de faire quelque chose.

Si je me laissais aller à la facilité, je dirai que lorsque le Gouvernement, il y a un an, a proposé qu'on légifère sur ce sujet, cela ne s'est pas fait parce qu'il était peut-être un peu en avance sur le mouvement. Mais si on l'avait fait il y a un an, on aurait moins besoin de le faire maintenant.

Toujours est-il qu'à quelque chose malheur est bon.

Les événements de l'été font que nous sommes tous d'accord sur l'idée qu'il faut revoir cette situation-là, nous en reparlerons longuement lors de l'examen de cet amendement.

Troisième point, le président Bonrepaux a abordé une question sur laquelle le président Cochet est revenu très longuement dans son intervention. Il s'agit de la taxation des mouvements de capitaux, en l'occurence des transactions sur devises, connues sous le terme générique de taxe Tobin.

Cela mérite une longue discussion, que nous aurons au moment de l'examen de ces amendements. Et nous verrons quelle conclusion il convient d'en tirer.

J'en viens aux orateurs de cet après-midi. M. Auberger a évoqué les prélèvements obligatoires. Cela n'a été une surprise pour personne. Il est normal que l'opposition en fasse ses choux gras. Nous enregistrons en effet cette année une hausse des prélèvements obligatoires. Leur taux qui était de 44,9 % en 1997, lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, sera de 45,3 % en 1999, soit une hausse de 0,4 %. Nous n'avions pas prévu cette hausse qui tient à des phénomènes comptables et mécaniques, liés notamment à une inflation plus faible que prévu. Mais c'est de notre faute, et il ne me paraît pas illégitime que l'opposition le souligne.

Là où les choses ne vont plus, monsieur Auberger, c'est lorsque vous vous lancez ensuite dans un compte en mil-


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liards. Cela dit, je reconnais que vous n'êtes pas celui qui l'a fait avec le plus de force : M. d'Aubert s'y est engagé avec la délicatesse d'un bulldozer ! Très honnêtement, cela n'a pas de sens et vous ne pouvez pas le soutenir intellectuellement. En effet, chaque année, la croissance économique fait qu'il rentre plus d'impôt. Quand bien même on ne changerait strictement rien - aucun amendement, aucun article de loi, ni dans un sens ni dans l'autre - à la fiscalité existante, celle-ci rapporterait plus à l'Etat, simplement parce que l'économie s'est développée.

Le fait que les impôts, tels qu'ils existent, rapportent plus de milliards à l'Etat, n'est à mettre ni au crédit ni au débit du Gouvernement. Il faut calculer l'écart que la politique du Gouvernement, par les décisions qu'il prend, apporte par rapport à cette évolution tendancielle - écart en plus ou écart en moins.

Ne pas tenir compte de l'évolution tendancielle n'a aucun sens. Si l'économie s'écroulait, que la croissance chutait de 10 %, on aurait beaucoup moins de recettes et vous ne viendriez pas nous féliciter en disant « Ah ! c'est formidable, vous avez baissé les impôts ! ». Ce serait absurde.

De la même manière, dire que les impôts augmentent en milliards parce qu'il y a de la croissance, n'a pas de sens. Ce qui a du sens, c'est de rapporter ces impôts au PIB, et c'est le taux de prélèvements obligatoires, dont j'ai dit ce qu'il fallait en penser il y a un instant.

Si l'on veut compter en milliards de francs, il faut calculer l'écart entre ce qui se réalise et le tendanciel, pour apprécier ce qui se serait passé s'il n'y avait eu aucune mesure de prise. On peut alors constater que les mesures annoncées par le Gouvernement ont permis une baisse d'impôt par rapport au tendanciel.

Que le tendanciel ait été très dynamique, parce que l'année 1998 a été florissante, que les entreprises aient fait plus de bénéfice que quiconque l'avait escompté, qu'elles paient donc en 1999 des impôts sur les bénéfices comme on ne l'a jamais vu, personne n'y peut rien.

Aurions-nous pu le prévoir ? Sans doute. Encore que, en août ou en septembre 1998, il était bien difficile de s'apercevoir que l'année en cours était à ce point formidable - nous ne l'avons su qu'après coup - que cela donnerait lieu en 1999 à des impôts sur les bénéfices aussi importants. Mais j'accepte la critique, nous n'avons pas su le prévoir.

Il reste que c'est du tendanciel. Pour accuser ou créditer le Gouvernement, il faut se baser sur l'écart qui s'est formé par rapport à ce tendanciel. Or celui-ci est bel et bien comme nous l'avions annoncé.

M. Christian Cuvilliez.

On ne va pas se plaindre ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ensuite, monsieur Auberger, vous avez repris une critique du déficit assez classique et sur laquelle je n'épiloguerai pas. Quand les autres sont au pouvoir, on trouve toujours que le déficit ne diminue pas assez... J'admets en tout cas que vous disiez que la baisse du déficit n'est pas suffisante.

M. Jean-Jacques Jégou.

Il le disait aussi quand il était rapporteur du budget ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Voilà qui montre son honnêteté intellectuelle ! Monsieur Auberger, vous avez cité mon collègue néerlandais, Gerrit Zalm. En prononçant son nom, vous avez hésité. J'y vois l'indice que c'est sans doute la première fois que vous lisiez ses propos, ce que je regrette. (Sourires.) Si vous les aviez parcourus plus souvent, vous vous seriez aperçu que, généralement, Gerrit Zalm félicite la France pour la politique budgétaire qu'elle conduit aujourd'hui,...

M. Philippe Auberger.

J'ai manqué de chance ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... et notamment parce que son objectif de dépenses est fixé en termes réels. Mais il sera déjà très flatté que vous l'ayez lu une fois. Et il sera sans doute amusé d'apprendre que cela vous a servi pour faire votre intervention. (Sourires.)

M. Philippe Auberger.

Non, c'est simplement que j'ai choisi à bon escient !

M. Yann Galut.

Un à zéro ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Vous avez dit que le ratio de la dette au PIB avait dépassé 60 %. Certes. Mais soyez honnête jusqu'au bout et n'oubliez pas de prendre en compte le changement de mode de calcul imposé par la comptabilité européenne. Toute la série a été réévaluée. Le changement de mode de calcul n'est pas discutable en soi ; il explique simplement que le ratio a dépassé 60 %. La politique du Gouvernement n'est pas en cause. Au contraire, pour la première fois en 2000, ce ratio va commencer à baisser.

Je l'avais annoncé comme une promesse en 1997, que j'ai renouvelée en 1998 : nous y sommes, c'est en l'an 2000 que nous allons avoir, pour la première fois depuis vingt ans, une baisse du ratio de la dette sur PIB.

Vous avez souligné, monsieur Auberger, que la croissance s'accompagne d'une augmentation des inégalités.

C'est souvent le cas dans les périodes de croissance et il faut effectivement lutter contre ce phénomène. Pour autant, des moyens de lutte sont en place. A cet égard, je veux indiquer à la représentation nationale, car j'entends souvent des informations erronées sur ce sujet que, en proportion des emplois créées, il y a eu moins de CDD en 1998 qu'en 1997 et moins en 1999 qu'en 1998.

Bien sûr, comme au cours de cette période il y a eu plus d'emplois créés, cela donne toujours beaucoup de CDD, mais en proportion ils ont tendance à décroître.

Cela signifie que nous commençons à nous installer dans la croissance. L'emploi à durée indéterminée retrouve une part plus importante. Et il faut espérer que ce mouvement va se poursuivre.

Evoquant ces inégalités qui ont augmenté, vous avez cité un rapport, dont vous avez eu l'honnêteté, là aussi, de dire que la période qu'il couvrait n'allait pas au-delà de 1996 et que vous extrapoliez après cette date. Ce qui est sûr, c'est que le rapport indique une augmentation des inégalités du début de la décennie jusqu'en 1996.

Si je n'avais pas peur d'être pédant, je vous dirais que la courbe que vous avez citée est en réalité la courbe de Lorentz. C'est à partir de cette courbe de Lorentz que l'on calcule le coefficient de Gini.

Mme Nicole Bricq.

Là, ça fait quarante à zéro ! (Sourires.

)

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Vous avez parlé de M. Malinvaud...

M. Jean-Jacques Jégou.

S'appelle-t-il bien Malinvaud, au moins ? ( Sourires.

)

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Oui !


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Faisant allusion à M. Malinvaud, vous avez indiqué qu'il proposait de financer la baisse des cotisations sur le travail non qualifié par une limitation des dépenses. C'est effectivement très bien. Sauf qu'il faut que, pour d'autres raisons, on ait trouvé qu'il était fondé de limiter les dépenses.

Dans un article qui date de 1993 - permettez-moi de vous y renvoyer -, Edmond Malinvaud, associé à un très bon économiste belge qui s'appelle M. Drèze, expliquait que, à défaut de pouvoir procéder ainsi, il fallait financer la baisse des cotisations sur le travail non qualifié par une écotaxe. C'est lui qui a lancé le thème du « double dividende », repris souvent depuis par nos amis écologistes.

Premier dividende : on y gagne sur l'emploi car on baisse les cotisations sur le travail non qualifié. Deuxième dividende : on y gagne sur la pollution du fait du système de financement par écotaxe. Puisque M. Malinvaud fait partie de vos maîtres - comme des miens d'ailleurs -, prenons l'ensemble de ses références.

S'agissant de la réforme de l'impôt sur le revenu de 1997, je ne vous suivrai pas quand vous dites qu'elle était exemplaire. Mais j'admets qu'elle le soit pour vous, c'est un choix politique. Elle avait en tout cas pour caractéristique, outre qu'elle n'était pas financée - mais ce n'est pas le sujet (Sourires ) -, de ne concerner que les tranches d'impôt sur le revenu les plus élevées.

M. Philippe Auberger.

Non ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En effet, je corrige ce que je viens de dire : elle concernait principalement les tranches de l'impôt sur le revenu les plus élevées. Et comme il n'y a que la moitié des Français qui paient l'impôt sur le revenu, la réforme ne touchait pas du tout l'autre moitié de nos concitoyens.

C'est pourquoi le Gouvernement propose pour l'année prochaine une réforme des impôts directs concernant l'impôt sur le revenu et la taxe d'habitation, de façon que, à la hausse ou à la baisse, cela touche l'ensemble des Français. Ainsi, nous ne nous retrouverons pas dans la situation que vous aviez créée et que nous avons assumée pour la première année, reconnaissez-le, alors même que les mesures en question n'étaient pas financées. C'est de là, du reste, qu'est venu ce problème de déséquilibre budgétaire si flagrant qu'il a conduit à une dissolution dont je ne saurais me plaindre.

M. Louis Mexandeau.

Nous non plus ! ( Sourires.

)

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Merci de l'écho, monsieur Mexandeau. (Sourires.

)

Pour conclure, vous avez parlé de courage. C'est toujours bien, quand on est responsable politique, d'invoquer cette qualité. Mais à vos yeux, nous serions courageux si nous menions la politique que vous nous indiquez, vous, monsieur Auberger. Comme nous considérons, quant à nous, que cette politique va dans le mur, ce serait non pas du courage mais de l'inconscience.

Du reste, cette politique-là, vous ne l'avez pas menée non plus. Reconnaissez-le ! En matière de hausse des dépenses publiques, la majorité précédente n'a pas véritablement été un modèle. C'est peut-être la politique que vous souhaitiez à l'époque et qui n'a pas été conduite par la majorité que vous souteniez, que vous continuez de souhaiter aujourd'hui. (Sourires .) En tout cas, cette politique-là ne donne pas les résultats de la nôtre. On a pu le constater en France comme dans d'autres pays. Certes, elle permet parfois une baisse plus importante du déficit.

Mais la baisse du déficit n'est pas l'alpha et l'oméga de la vie en collectivité. L'alpha et l'oméga de la vie en collectivité, c'est plus de pouvoir d'achat, plus d'emplois, moins d'inégalités. Donc avec la politique que vous préconisez, la France n'aurait pas la meilleure croissance des grands pays européens ni créé un million d'emplois en deux ans et demi.

Monsieur Cuvilliez, je reviendrai d'abord sur une divergence. Selon vous, l'emploi est absent des politiques européennes. Ce n'est pas exact. Autour de la table du Conseil européen, les dirigeants, dont un grand nombre aujourd'hui sont de gauche, tiennent à souligner que l'emploi est leur préoccupation. Dans tous les conseils européens auxquels j'ai participé, c'est-à-dire la quasitotalité, la question de l'emploi a toujours été considérée par ceux-là comme au centre de la problématique. Bien sûr, il faut voir ce qu'on se donne ensuite comme moyens pour traduire la préoccupation dans les faits. Et là je suis d'accord avec vous, on peut sans doute faire mieux.

Je vous rejoins aussi quand vous dites que les fonds publics doivent avoir des obligations de résultats. Sur le principe, vous avez raison, même si, dans la pratique, il n'est pas toujours facile de le vérifier. Il faut toujours faire attention à l'utilisation des fonds qu'on manie, mais quand ces fonds sont publics, quand ils proviennent de l'argent qui est prélévé sur les contribuables, l'obligation de vérification est encore plus impérative. Nous nous y efforçons, Christian Sautter et moi. J'admets volontiers la critique, car nous sommes encore loin du compte. Trop de fonds publics sont utilisés sans que soit très bien prouvée leur efficacité. Nous avançons mais sans doute pas encore assez vite.

Vous avez, par ailleurs, évoqué une idée, oserais-je le dire, révolutionnaire. Disant cela, je ne voudrais pas choquer certains de vos amis, monsieur Cuvilliez. ( Rires.

) En effet, introduire en France les salariés dans les conseils d'administration des entreprises privées - ils le sont déjà dans les entreprises publiques - est une idée révolutionnaire. Et je ne m'exprime ici qu'à titre personnel car cela ne relève de ma compétence. Comme citoyen, en tout cas, je rejoindrai bien volontiers votre position. Faut-il le faire ? Est-ce difficile ? Les autres membres des conseils d'administration ne risquent-ils pas de se réunir d'abord en préconseils qui décideront de tout ? On le sait, il existe des moyens de tourner les règles. Mais sur le principe, je vous rejoins totalement, les salariés doivent être au courant des décisions qui sont prises dans les conseils et qui engagent l'avenir de leur entreprise.

Selon vous, la réforme de l'impôt direct aurait dû pouvoir se faire dès cette année. Mais vous avez aussi reconnu l'utilité d'un débat sur cette question. Dès lors, il faut se donner le temps de bien le conduire. Evidemment, le plus tôt aurait été le mieux pour la réforme, mais un débat regroupant les forces syndicales et les forces politiques s'impose sur un sujet aussi vaste. Il est donc plus raisonnable de se donner le temps nécessaire.

J'en viens aux deux grandes mesures proposées qui découlent de la sensibilité que vous représentez au sein de la majorité plurielle. La première concerne la suppression du droit de bail. Cette réforme, très importante, va toucher plus de 80 % des locataires dès le 1er janvier et plus précisément 90 % des locataires de HLM. Elle entraînera une diminution de 2,5 % sur le montant du loyer, ce qui n'est pas négligeable. Cette mesure est due à une initiative de Jean-Claude Gayssot.


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La seconde tend à prévoir la poursuite de la limitation de l'avoir fiscal dans certaines situations au sein des entreprises. Nous aurons l'occasion d'en reparler lorsque l'amendement viendra en discussion. Je vous confirme que le Gouvernement y est favorable.

Je remercie M. Méhaignerie pour la placidité et la sérénité de son ton, qui n'ont, pour autant, en rien altéré la vigueur de ses critiques.

En tout cas, il est agréable pour un ministre d'entendre que nous ne sommes pas d'accord sur tout sans qu'il y ait de véhémence dans le propos. Vous avez même, monsieur Méhaignerie, fait état de motifs de satisfaction en m'invitant toutefois à reconnaître que nous devons les partager avec la majorité précédente.

Je ne veux pas entamer ici un débat en paternité. Vous avez attribué 30 % des emplois créés aujourd'hui à l'effort d e la majorité précédente, j'en conclus que 70 % reviennent à la majorité actuelle. Soit, j'accepte vos chiffres. (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Raymonde Le Texier.

Ce n'est pas si mal ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Vous avez par ailleurs repris un thème qui vous est cher mais qui me plaît moins, je vous le dis franchement. Je veux parler de la sempiternelle comparaison, que vous voudriez infamante - pour moi, elle ne l'est pas -, avec la période 1988-1993. Selon vous, nous aurions, à cette époque, gâché la croissance comme nous la gâchons aujourd'hui.

D'abord, je trouve que cette période n'a pas été si mauvaise pour la France. Les courbes du chômage étaient alors à la baisse. C'est après qu'elles sont remontées. Vous voulez sans doute me faire entendre que des mesures de fond plus importantes auraient dû être prises. On peut toujours dire cela. Il reste qu'une autre majorité a succédé et que je n'ai pas vu beaucoup de ces mesures de fond apparaître non plus.

En tout état de cause, la situation présente n'a rien à voir avec celle d'alors. A l'époque, nous n'étions pas les meilleurs élèves de l'Europe en matière de croissance, de création d'emplois. Aujourd'hui, nous le sommes.

Par ailleurs, et c'est la raison pour laquelle je ne partage pas votre sentiment, je vous trouve injuste avec le gouvernement d'il y a dix ans. C'est tout de même celui qui, dans notre pays, a mis en place la CSG, dont je crois que vous approuvez le principe, et le RMI. Ce sont des grandes réformes structurelles que je ne voudrais pas qu'on oublie pour établir une comparaison que je trouve, honnêtement, un peu oiseuse.

Vous avez également souligné que l'Irlande nous avait rattrapés. C'est bien. C'est le fruit de la solidarité européenne. Mais il faut maintenant arrêter de financer par l'intermédiaire du fonds de cohésion des pays qui ont rattrapé leur retard. Le but a été atteint. En tout cas, monsieur Méhaignerie, il ne faut pas se plaindre de ce qu'un pays comme l'Irlande nous ait rejoint dans l'Union après avoir hésité compte tenu des liens qui existent entre ce pays et le Royaume-Uni. Pour elle, il n'était pas simple d'entrer dans la zone euro. Il faut donc se féliciter de ce que l'Europe, par la solidarité des territoires, ait permis à l'Irlande de rattraper le niveau moyen.

Vous avez beaucoup critiqué les vingt dernières années.

Mais honnêtement, cette période est partagée politiquement entre la droite et la gauche.

M. Pierre Méhaignerie.

Non !

M. Philippe Auberger.

Ah, si cela pouvait être vrai ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je n'ai pas fait le compte.

M. Francis Delattre.

C'est deux tiers un tiers ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je ne suis pas certain qu'il y ait une grande différence.

Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que les deux dernières années et demie, ce gouvernement n'a pas accru l'écart. Il l'a, au contraire, rattrapé puisque le pouvoir d'achat est maintenant plus élevé en France que chez nos voisins.

A cet égard, il y a un point de fait que je veux préciser une fois pour toutes dans ce débat budgétaire. Je ne vais pas y revenir chaque fois, même si beaucoup d'orateurs de l'opposition l'ont évoqué. Vous vérifierez les chiffres et vous contesterez la réalité de ce que je vais vous dire si vous pensez qu'ils n'en sont pas le reflet, mais je sais que c'est le cas. La dépense publique est une bonne chose lorsqu'elle est bien utilisée. Néanmoins, il faut essayer de rendre les mêmes services au moindre coût. Vous reprochez beaucoup à la majorité actuelle de ne pas limiter plus encore la croissance de la dépense publique. Regardez les chiffres alors que, de 1995 à 1997, la dépense publique d'Etat a augmenté en moyenne de 1,7 % par an, depuis 1997, le rythme est passé à 0,3 % par an.

Certes, on peut trouver que c'est encore trop. Il reste que l'écart est quand même de un à cinq, et même un peu plus. Cela ne me semble pas autoriser la critique.

M. Gérard Bapt.

Très bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En vous écoutant, j'ai appris, monsieur Méhaignerie, que vous étiez celui qui avait refusé la bonification du cinquième aux salariés de l'administration pénitentiaire qui défilaient sous vos fenêtres. Je ne sais si vous avez eu raison ou tort parce que, immédiatement après votre départ, M. Toubon l'a accordée. Dans ces conditions, pour ce qui est de la majorité précédente, c'est match nul. (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous avez salué trois mesures positives, dont la baisse de la TVA et des droits de mutation. Comme vous n'avez pas dit un mot de la suppression du droit de bail et que je ne pense pas que vous soyez contre cette disposition, j'en déduis qu'il doit s'agir d'un oubli.

Vous avez en outre indiqué que M. Gerrit Zalm - il est décidément à l'honneur, aujourd'hui ! - s'était interrogé sur l'influence des 35 heures sur le budget. C'est exact. Mais, après avoir entendu mes explications, il est parti rassuré. Il ne peut donc pas vous servir de caution.

Vous avez cité le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Je ne savais pas que vous vous intéressiez de si près aux journaux allemands.

M. Philippe Auberger.

C'est un très bon journal ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je ne prétends pas que le gouvernement français ne fasse l'objet que de commentaires élogieux, mais le regard que la presse internationale porte aujourd'hui sur la France est, vous le reconnaîtrez avec moi, généralement beaucoup plus positif - même s'il est toujours un peu critique et c'est normal - qu'il ne l'était il y a trois ans, cinq ans, dix ans ou même quinze ans.

M. Christian Estrosi.

Facile ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Cela étant, je ne pense pas que la presse internationale soit obligatoirement le critère auquel il faille se référer, pas plus d'ailleurs que la presse nationale. Mais enfin, puisque c'est vous qui l'évoquiez, laissez-moi vous dire que je ne m'en plains pas.


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Enfin, évoquant la diminution du déficit, vous avez indiqué qu'on l'avait plus diminué au cours de la législature précédente. Je crois que c'est inexact. De 1993 à 1997, il est passé de 6 à 3,5 % du PIB, si l'on ne compte pas la soulte de France Télécom, ce que vous avez eu l'honnêteté de faire. Cela fait donc une baisse de 0,6 % par an. Depuis que nous sommes aux affaires, il a été ramené de 3,5 à 1,8 % pour le budget de 2000. Cela fait aussi une baisse de 0,6 % par an. C'est ni mieux ni moins bien, me direz-vous.

M. Pierre Méhaignerie.

Les conditions ne sont pas les mêmes ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Oui, c'est vrai. De la même manière, ces deux 0,6 % n'ont pas la même signification : de 1993 à 1997, vous avez obtenu une baisse de 40 % alors que nous, nous sommes parvenus à une diminution de 50 % en trois ans et demi. Alors, oui, c'est vrai, les conditions n'étaient pas les mêmes. Et vous pouvez regretter que nous ne le réduisions pas davantage cette année. Encore une fois, c'est votre position, pas la mienne. En tout cas, ne dites pas, parce que c'est erroné, que nous l'avons diminué à un rythme inférieur au vôtre.

Enfin, comme vous l'avez rappelé, monsieur Méhaignerie, il faut faire de la croissance le moteur des réformes. Il ne faut pas faire des réformes l'instigateur de la croissance. Il s'agirait d'une politique trop libérale, vous qui ne vous dites pas libéral, mais social-libéral, si j'ai bien compris.

M. Francis Delattre.

Comme vous ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Non, pas comme moi, mais comme vous voudriez que certains le soient ! Vos rêves, malheureusement pour vous, ne se réalisent pas !... (Sourires.)

M. Francis Delattre.

Comme vos voisins européens, alors ! Tony Blair par exemple ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Vous avez, pas vous personnellement, mais les gouvernements que vous avez soutenus, mené des politiques fondées sur l'idée que la réforme permettrait la croissance. Nous pensons exactement le contraire : c'est la croissance qui permet la réforme. C'est d'ailleurs sur ces bases que vous avez engagé une réforme des retraites en décembre 1995, qui, loin de permettre la croissance, a tout bloqué. Résultat : des centaines de milliers de Français dans la rue ! Car on ne fait pas la réforme, dans un vieux pays comme le nôtre, quand on ne donne pas aux salariés auxquels la réforme s'adresse des assurances et le sentiment qu'ils n'y perdront pas. Or pour qu'ils n'y perdent pas, il faut que la croissance soit là. Il faut donc commencer par la restaurer. Ensuite, chacun est prêt à regarder comment les choses doivent évoluer. Car les salariés ne sont pas plus bêtes que les parlementaires ou les membres de gouvernement. Ils savent très bien que le monde bouge, et ils veulent bien que les choses bougent, à condition de ne pas y perdre, ce qui est bien normal. Et ils n'y perdent pas si la croissance est là.

C'est pourquoi ce gouvernement a choisi la démarche inverse de celle du gouvernement précédent : retrouver la croissance, puis, à partir de là, engager les réformes.

Vous dites qu'on n'en voit venir aucune. Mais il fallait que la croissance soit bien assurée. Maintenant, elle l'est et les réformes sur les retraites, par exemple, viendront.

Je préfère mille fois cette démarche à l'autre où on commence par la réforme et où, trois mois après, on est obligé de s'arrêter parce que la France est dans la rue, sans avoir ni la réforme ni la croissance.

Permettez que nous prenions notre temps. Une législature dans notre pays, c'est cinq ans. On fera le bilan des réformes et de la croissance au bout de ces cinq ans.

Nous voulons d'abord assurer la croissance, la réforme venant en son temps.

Au total, je vous l'ai dit en commençant, je trouve vos remarques - même si je ne les partage pas ! -, de bon aloi, et je vous en remercie.

M. Philippe Auberger.

Il a une bonne note ! (Sourires.)

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Cochet qui, comme moi - je le dis donc sans acrimonie -, est enseignant d'origine, a commencé par noter la copie du Gouvernement en mettant beaucoup de « très bien », y compris sur la fiscalité écologique, matière dans laquelle il est évidemment expert. Après, ça s'est un peu gâté ! (Sourires.)

Vous avez longuement évoqué, monsieur Cochet, deux sujets : les stock-options et la taxe Tobin. Je n'en débattrai pas maintenant, car nous le ferons lors de l'examen des amendements.

S'agissant des stock-options, vous avez bien mis en évidence la nécessité de la transparence - je partage tout à fait ce point de vue - et évoqué une question très importante, à savoir dans quelle mesure elles modifient la relation entre les salariés et les actionnaires. C'est une question de fond, dont nous discuterons le moment venu, non seulement à l'occasion de la loi de finances, mais à propos du rapport de votre collègue Balligand sur l'épargne salariale, puis, au moment de la loi qui suivra.

Nous discuterons aussi, je l'ai dit tout à l'heure au président Bonrepaux, du problème posé par la taxe Tobin, ce que l'on peut en faire ou en penser, à l'occasion de l'amendement qui viendra en débat. Pardonnez-moi donc de ne pas développer ce sujet maintenant. Sinon, on n'aurait plus rien à dire au moment de l'amendement, ou on se répéterait, ce qui évidemment, comme dit Bergson, serait le début du comique ! J'en viens à M. d'Aubert. Je regrette qu'il ne soit pas là. Ferait-il partie de ceux qui s'intéressent plus aux questions qu'ils posent qu'aux réponses qu'on leur apporte ? (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Raymonde Le Texier.

C'est bien possible ! M. Francis Delattre On lui communiquera votre réponse ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je vous en remercie.

J'ai eu le sentiment, en écoutant M. d'Aubert, qu'il avait du mal à admettre qu'un gouvernement de gauche réussisse. Cela déclenche chez lui une poussée d'adrénaline qui le conduit parfois à dire des choses qu'il ne dirait pas dans une autre enceinte, car il sait pertinemment qu'elles sont fausses.

Quand il prétend, reprenant là une argumentation proche de celle développée par M. Auberger et que j'ai déjà critiquée tout à l'heure, que l'année dernière les impôts n'ont pas baissé de 21 milliards comme je le disais mais qu'en fait, ils ont augmenté de 88, c'est confondre le point de vue tendanciel et l'action du Gouvernement. Honnêtement, ce n'est pas sérieux.

Que la TVA rapporte plus quand il y a de la croissance, encore heureux ! Mais les impôts, eux, pendant ce temps, ont baissé.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

Toujours selon M. d'Aubert, il manque 1,8 milliard de francs à l'appel sur la baisse de la taxe professionnelle. La réalité est toute autre : la baisse de la TP, qui était évaluée pour l'Etat à 7,2 milliards de francs, lui coûtera en fait 8,4 milliards de francs. La baisse est donc plus forte que ce qui avait été prévu dans le projet de loi de finances qui vous a été soumis l'année dernière.

Mais M. d'Aubert est également un peu malhonnête intellectuellement. Je regrette de devoir le dire en son absence, mais ce n'est pas moi qui l'ai forcé à partir, à moins que le seul fait que j'envisage de lui répondre ait suffi à le faire partir.

M. Jérôme Cahuzac.

Très bien !

M. Francis Delattre.

Cela m'étonnerait !

M. Jérôme Cahuzac.

Moi pas.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Voilà moins d'une heure en effet, je l'ai interrompu, ainsi que cela doit figurer au compte rendu, après l'avoir entendu affirmer que les prélèvements marginaux sur la richesse nationale sont beaucoup plus élevés qu'ils ne l'étaient au cours de la fameuse année 1996 que j'aurais, selon lui, beaucoup critiquée. Selon moi, ces prélèvements étaient, en 1996, de 90 %, ce qu'il a aussitôt nié en affirmant à nouveau que c'était cette année que le niveau de prélèvement était le plus élevé, invoquant alors le rapport de M. Migaud

M. Didier Migaud, rapporteur général.

En faisant une erreur.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Absolument.

Comme je peux toujours me tromper, je me suis donc reporté au rapport de l'excellent rapporteur général. Voici ce que l'on peut y lire à la page 209 : « Compte tenu de ces prévisions, la part du surplus de richesse nationale prélevée par la sphère publique sous forme de prélèvements s'élèverait à 32,5 % en 2000, contre 45 % en 1998, 57,6 % en 1997 et, il faut le rappeler, 86,9 % en 1996. »

M. Didier Migaud, rapporteur général.

CQFD ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

J'avais arrondi à 90 % en 1996. En tout état de cause, 86,9 % en 1996, ce n'est pas moins qu'aujourd'hui.

Je ne pense pas que M. d'Aubert se soit trompé. Je pense qu'il sait pertinemment que ce qu'il a dit est erroné.

M. Alain Barrau.

C'est d'ailleurs pour cela qu'il n'est pas là !

Mme Nicole Bricq.

Il a eu honte ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je ne sais pas si c'est la raison pour laquelle il n'est pas là. Il avait sans doute un rendez-vous plus important...

Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que la réalité des chiffres se trouve dans le rapport : la part des prélèvements supplémentaires sur la richesse nationale créée décroît depuis que la gauche est au pouvoir. Elle sera l'année prochaine - c'est une prévision - de 32,5 % contre près de 90 % en 1996.

Cela veut dire qu'en 1996 cette fameuse hausse de la TVA, fait qu'il y a eu X milliards de créés par le pays - c'était la croissance du PIB - et près de 90 % ont été prélevés par la sphère publique et on s'étonne que la croissance ait été étouffée !

M. Pierre Forgues.

Démonstration lumineuse ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je ne souligne pas le fait que M. d'Aubert ait été circonspect sur la baisse de la TVA. C'est son problème.

Les Français qui, depuis le 15 septembre, paient 5,5 % de TVA sur des travaux de rénovation à leur domicile ne sont pas circonspects, eux ! Ils le constatent tous les jours.

Les Français qui, sur les droits de mutation, paient 20 % de moins que l'année dernière ne sont pas circonspects non plus. Pas plus que les Français qui, à partir du 1er janvier, paieront 2,5 % de droit de bail en moins, taxe qui disparaîtra à terme.

Les débats sur le taux de prélèvements obligatoires les intéressent sûrement, mais ça leur est un peu étranger. Ce qui compte, à leurs yeux, c'est de payer moins, et cela, ils savent très bien que c'est le cas.

M. d'Aubert a aussi fait état de l'hostilité des artisans.

Permettez-moi de vous communiquer une information qui date de ce matin - je ne peux pas faire mieux ! et qui émane de M. Robert Buguet, président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la CAPEB. Chacun ici connaît la CAPEB, n'est-ce pas ?

M. Philippe Auberger.

Elle est d'obédience socialiste ! M. Buguet s'est précipité pour négocier les trente-cinq heures ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ecoutez, monsieur Auberger, ce que je vais dire vous plaira ! M. Buguet dit, à propos de la TVA : « Cette mesure, contrairement à ce que l'on raconte » - pourtant, il n'avait pas encore entendu M. d'Aubert, mais peut-être l'avait-il écouté ailleurs ! - est une mesure qui n'est pas compliquée : gérer deux taux de TVA, les artisans l'ont fait il n'y a pas si longtemps lorsque la TVA est passée de 18,6 à 20,6. Et pour autant, à cette époque, ils ont perdu des clients. » Il n'est pas mauvais, M. Buguet

! (Rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

« Aujourd'hui, ils gèrent deux taux de TVA et ils gagnent des clients en masse.

Baisser les prix de 15 % sans qu'il en coûte un centime à l'entreprise artisanale, c'est quand même quelque chose de fabuleux. » Dixit M. Buguet, président de la CAPEB.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Philippe Auberger.

C'est un bon socialiste ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

D'ailleurs, c'est tellement vrai que votre collègue M. Carrez, n'a pu s'empêcher, dans un élan de sincérité dont je le remercie, de dire hier, à la tribune, qu'il voterait la mesure.

M. Gérard Bapt.

Ah ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Dans ces conditions, il est normal que le discours que vous avez tenu ait consisté à critiquer le budget par tous les bouts. Mais chacun est à même d'en voir la réalité : la maîtrise de la dépense publique, la baisse du déficit, pas exagérée mais mesurée et progressive, pour maintenir la croissance qui est là.

Si je ne voulais pas le gêner, je dirais : quelle différence entre M. d'Aubert et M. Méhaignerie ! Il y a, dans ce que nous avons entendu de la part de M. d'Aubert, une moitié de démagogie, une moitié de « xyloglossie », mais cela ne fait pas un discours politique de grande qualité !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

M. Pierre Forgues.

M. d'Aubert a eu raison de partir ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

On le lui dira ! M. Idiart lui a pourtant très bien répondu - devinant sans doute qu'il allait s'échapper - sur le sens de la politique qui est conduite : à savoir, rechercher la croissance et le pouvoir d'achat pour faire baisser le chômage. Et les résultats de cette politique sont là. Toutes les critiques qui sont faites par l'opposition auraient, il y a deux ans, été plus crédibles. « La politique que vous allez conduire n'est pas bonne, elle ne donnera pas de bons résultats, etc. » Sauf que deux ans et

demi plus tard, les résultats sont là. Le déficit baisse à un rythme soutenu, au moins égal à ce qui existait avant, et pourtant la croissance n'est pas cassée. A propos des impôts, vous confondez ce qui est tendanciel et ce qui est volontaire. Car si les impôts augmentaient aussi fortement que vous le dites, nous ne pourrions pas avoir la croissance que nous avons. Ou alors, tous les théorèmes dont vous nous avez abreuvés depuis des années selon lesquels les impôts empêchent la croissance seraient faux.

Il vous faut choisir entre la contradiction interne dans votre pensée libérale qui est de dire que les impôts empêchent la croissance ou la contradiction momentanée qui est de constater que les impôts ne peuvent pas avoir augmenté autant que vous le dites, sinon la croissance ne serait pas au rendez-vous.

Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Monsieur Idiart, vous avez beaucoup parlé des oubliés de la croissance, c'est un sujet très important. Quand je dis « la croissance est là, j'espère qu'elle durera », je parle en moyenne. La moyenne, c'est bien, mais dans la moyenne, certains s'en sortent mieux que d'autres.

Vous avez donc eu bien raison de mettre l'accent sur les inégalités - je l'avais fait dans mon exposé liminaire, mais vous l'avez rappelé et je vous en sais gré. Lorsque la croissance repart, il y a ceux qui prennent le train et ceux qui restent sur le quai de la gare. Nous avons, nous, mission, dans la majorité plurielle, de faire en sorte, non seulement que la croissance soit au rendez-vous avec le pouvoir d'achat, mais qu'elle diminue les inégalités, en emmenant tout le monde avec nous. Y réussissons-nous ? Oui, un peu, mais pas totalement. On y réussit en mettant en place la CMU, les emplois-jeunes, la disparition l'année prochaine du droit de bail qui touche tout le monde. Mais on n'y réussit peut-être pas autant qu'il le faudrait. Vous avez donc raison de rappeler au Gouvernement qu'il doit rester vigilant à l'égard de la population qui profite moins du retour de la croissance.

Ensuite vous vous êtes livré, monsieur Idiart, à une défense et illustration de la MEC, la mission d'évaluation et de contrôle, sans doute pour répondre à M. Méhaignerie. Je regrette pour ma part la position de ce dernier, encore que s'agissant d'une institution de l'Assemblée nationale, le Gouvernement n'ait pas à s'en mêler. Cela dit, j'ai été intéressé par les travaux de la MEC, ce qui y a été fait est utile pour le Gouvernement. La première année, il ne faut pas s'attendre à ce que cette institution tourne à plein régime, mais je pense que, en arrivant au régime de croisière, son apport sera encore plus bénéfique. Sur ce point, je vous ai trouvé quelque peu injuste, monsieur Méhaignerie. Vous ne pouvez pas au début de votre discours citer le président de l'Assemblée nationale pour critiquer le Gouvernement et, à la fin de votre discours, casser ce qu'il a mis en place, c'est-à-dire la MEC.

(Sourires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Il faudrait, donc, par reconnaissance, que vous continuiez à participer à cette institution.

Enfin, M. Idiart a soutenu qu'il fallait veiller dans la réforme de l'Etat à garantir l'accessibilité de tous au service public. C'est aussi un point très important. Quand on raisonne en moyenne on peut dire qu'on arrive à gérer telle ou telle chose globalement, mais lorsqu'on raisonne localement, de façon individuelle - pour les exclus - ou localisée - pour les territoires -, on voit bien ce que que veut dire. Il est donc très important pour nous tous d'être capables de mener une politique macroéconomique, mais aussi d'avoir une vision de ses effets sur chacun des points du territoire, de cerner les problèmes qu'elle pose et d'y apporter des réponses adaptées.

A la fin de votre intervention, vous avez, monsieur Idiart, parlé avec sagesse des stock-options et de la taxe Tobin. Nous aurons sans aucun doute l'occasion de retrouver cette sagesse lorsque nous discuterons ensemble des amendements sur cette question.

En guise de conclusion, je reprendrai la vôtre : la discussion parlementaire est faite pour que ce projet de loi, - que vous jugez bon - et je vous en remercie -, soit encore meilleur lorsque des amendements auront été votés. C'est dans cette démarche que le Gouvernement va s'engager et dans cet esprit de sagesse qu'il suggère à l'Assemblée de poursuivre ses travaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme. la présidente.

La parole est à M. Edmond Hervé.

M. Edmond Hervé.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la reconnaissance des collectivités locales comme acteurs économiques ne peut que favoriser la réussite de votre stratégie de nouv elle croissance solidaire dans laquelle nous nous reconnaissons pleinement et qui mérite notre implication totale. Acteurs économiques, les collectivités locales le sont en intervenant dans une variété de champs. Elles réalisent 70 % des investissements publics civils de notre pays. Elles participent financièrement à de nombreuses politiques autonomes ou partenariales, qu'il s'agisse de la formation, de la recherche, de l'environnement, de la culture, de la solidarité, de la création d'entreprises, d'aménagement du territoire ou de logement. Elles jouent un rôle déterminant en matière d'emploi.

Je pense que la réussite de la politique des emploisjeunes leur doit beaucoup et certaines collectivités, monsieur le secrétaire d'Etat, ont montré le chemin des 35 heures. Les analystes objectifs s'accordent pour dire que l'investissement public local exerce une influence stimulante sur la croissance nationale.

Depuis 1996, les collectivités locales dégagent une capacité de financement qui contribue pleinement au respect des critères de Maastricht.

Dès lors, il importe que les collectivités locales disposent des moyens nécessaires à l'accomplissement de leurs missions. Au nombre de ces moyens figure la fiscalité locale.

Dans un double souci de loyauté et d'efficacité, il nous faut poser une question de principe : notre pays doit-il oui ou non conserver un système fiscal local ?

M. René Dosière.

Oui !

M. Edmond Hervé.

Ce système est défini par la loi qui laisse une certaine liberté aux collectivités pour déterminer le montant de l'impôt, le taux des différentes taxes, leur rapport et leur utilisation.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

Pourquoi cette question de principe d'un système fiscal local se pose-t-elle ? Parce qu'il existe d'autres systèmes de recettes locales. Ainsi en Grande-Bretagne, depuis 1991, 80 % des dépenses nettes des collectivités locales sont financées par les transferts de l'Etat. En France - les collègues membres des conseils d'administration d'hôpitaux publics le savent bien - nous connaissons le principe d'une enveloppe globale affectée unilatéralement à chaque établissement.

Cette question du principe se pose avant toute autre.

En France, en effet, la part de la fiscalité directe locale à la charge de l'Etat ne cesse de croître. En 1997, elle atteignait 23 % de produit fiscal local dont 30 % du produit de la taxe professionnelle. La réforme de cette dernière, par suppression de la part salariale dans le calcul de sa base et par compensation, n'a fait qu'accroître les pourcentages cités.

Il convient de souligner d'ailleurs que la part de prise en charge par l'Etat diminue pour la taxe d'habitation mais augmente pour la taxe professionnelle. Nous constatons aujourd'hui une tendance transversale, mêlant tout à la fois doctrine, non-dit, suspicion, désintérêt et manque de courage, à accepter ou à entretenir cette dynamique de substitution à laquelle, je le reconnais, participent certaines associations d'élus locaux.

J'ai prêté beaucoup d'attention à un passage de l'intervention de M. Carrez qui en a appelé, hier soir, à un partage de l'impôt sur le revenu, de l'impôt sur les sociétés et de la TVA entre l'Etat et les collectivités locales. A ce sujet, je veux formuler trois observations.

La première est qu'il s'agit d'une novation profonde dans les positions du Rassemblement pour la République.

Ensuite, les objections à la référence à la TVA comme ressource locale sont connues : difficulté de localisation, variabilité du produit, mauvais indicateur de santé économique. M. Carrez lui-même y avait vu, lors d'un débat au sein de la commission des finances le 16 janvier 1998, une pénalisation des salaires et de l'emploi. Pour ma part, je ne pense pas que l'on puisse en appeler à la libre administration des collectivités locales et avancer sans précaution le recours à la TVA.

Enfin, l'idée d'adosser les ressources fiscales locales à la fiscalité d'Etat est parfaitement acceptable dès lors que les collectivités locales restent libres d'en fixer le montant.

Dans un rapport de 1998, j'ai moi-même proposé, pour des raisons de simplicité et d'équité, d'étudier comme référence le recours à la base de la CSG.

Cette substitution peut prendre différentes formes : la suppression pure et simple de l'impôt local, la création d'une taxe professionnelle à taux unique - elle a été proposée l'année dernière -, la mise en place de zones franches, l'instauration de régimes dérogatoires, comme celui de la taxe professionnelle de France Télécom, ou encore la mise en oeuvre de compensations, de dégrèvements et d'exonérations.

Cependant il arrive parfois, monsieur le ministre, que l'on dégrève sans compenser. Ainsi vous avez décidé, cette année, une mesure rétroactive de dégrèvement de la taxe d'habitation des résidences universitaires gérées par le CROUS et sans prévoir la moindre compensation. Or cela concerne toutes celles que gère cet organisme et pas seulement celles dont il est propriétaire. Cette décision va provoquer des minorations de recettes fiscales importantes : 2 millions de francs pour Toulouse et Rennes, que je connais bien, et 545 000 francs pour Le Havre.

Vous comprendrez donc que je plaide pour le maintien du principe d'un système fiscal local.

M. René Dosière.

Bien sûr !

M. Edmond Hervé.

C'est d'ailleurs, en Europe, une heureuse exception française qu'il nous faut maintenir.

L'exception est heureuse car c'est en France que la part de la fiscalité dans les ressources locales est la plus élevée, loin devant l'Allemagne par exemple. En 1996 elles ont représenté 54 % du total des ressources des collectivités locales.

Il faut maintenir ce principe parce qu'il assure la décentralisation, mobilise les compétences et les initiatives, donne cohérence et sens à l'élection locale en réconciliant le citoyen et le contribuable. Or vous savez, mes chers collègues, que rien n'est plus dangereux pour la démocratie que le divorce entre le citoyen et le contribuable.

Sur ces bases nous pouvons engager les modernisations qui conviennent mais à condition, dans la recherche d'un consensus, de respecter quelques idées très simples : chacun doit payer proportionnellement à sa capacité contributive ; les impôts parce qu'ils financent une diversité de services rendus doivent reposer sur une diversité d'assiettes et viser la totalité des revenus ; enfin, le citoyen contribuable doit pouvoir comprendre le régime fiscal qui l'intéresse. Une certaine spécialisation fiscale reste nécessaire.

Telles sont, exposées à grands traits et sans être exhaustives, quelques réflexions que je crois utiles au dialogue fiscal entre le Gouvernement, sa majorité et le Parlement.

M. René Dosière.

Très utiles !

M. Edmond Hervé.

Monsieur le secrétaire d'Etat, ce dialogue doit se dérouler sans exclusive.

Je regretterais beaucoup que, sous prétexte que cela relèverait du domaine réglementaire, ne soit pas discuté ici le futur des cotisations communales à la CNRACL.

En la matière, en effet, l'expression « déficit de la

CNRACL » n'est pas appropriée, (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) - même si, à ce propos il y a une divergence d'appréciation entre nous - d'autant que ce régime présente le second meilleur rapport démographique de tous les régimes.

M. Philippe Auberger.

C'est la surcompensation !

M. Edmond Hervé.

Si difficulté il y a, elle tient à l'obligation de compensation et de surcompensation, que je ne conteste d'ailleurs absolument pas. Dans ce cas, cependant, puisqu'il s'agit de solidarité nationale, n'en appelons pas aux contribuables locaux.

Mme la présidente.

Pouvez-vous conclure, mon cher collègue ?

M. Edmond Hervé.

Telles sont les observations que je voulais formuler, monsieur le secrétaire d'Etat, en vous assurant de notre soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Pierre Hériaud.

M. Pierre Hériaud.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, quelles que soient les astuces de présentation d'un budget et quelles qu'en soient les raisons, dissimulées ou non, on ne peut pas laisser la représentation nationale d'abord, le pays tout entier ensuite, accepter, sans remarques, le budget que nous allons examiner pour l'an 2000.

Notre commission des finances a déjà examiné, outre la première partie concernant les recettes et l'article d'équilibre, un certain nombre de budgets ministériels


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

dont elle continue l'examen. Nous avons donc constaté que le taux d'évolution des dépénses était déterminé, à périmètre constant, selon la formule magique, par les tendances lourdes des principales masses qui évoluent entre 3 et 4 % d'une année sur l'autre. Dès lors il est évident que ce taux moyen est aussi celui de l'évolution réelle du budget de l'Etat.

Or telle n'est pas la réalité affichée puisque, avec une assurance qui n'a d'égale que la virtuosité magicienne, le budget 2000 est présenté en augmentation de 0,9 %, c'est-à-dire tout juste égale à l'inflation, donc avec une croissance nulle en volume. Cherchez l'erreur ! Il n'y en a pas puisque l'on ne parle pas de la même chose, compte tenu des délocalisations budgétaires opérées.

Déjà, par construction, chacun le sait, le budget de l'Etat amalgame les dépenses de fonctionnement et celles d'investissement qui jouent souvent le rôle de variables d'ajustement. Néanmoins, même s'il ne gère pas la maîtrise des dépenses publiques, il est nécessaire pour le Gouvernement de se parer des plumes du paon et d'afficher, urbi et orbi, l'exploit de n'augmenter le budget que de la hausse prévisionnelle des prix.

Là réside la tromperie, car le périmètre constant, vous le savez bien, devient déformable et élastique à souhait.

Le budget de l'Etat est donc destructuré, dépecé. On en ajoute et on en retire en tant que de besoin, pour faire varier les recettes et les dépenses, en brut comme en net d'ailleurs. Il est créé des fonds nouveaux par prélèvement de recettes budgétaires pour aller au secours du budget de la sécurité sociale qui, lui aussi, sera toujours équilibré...

demain.

C'est donc à un exercice de budget consolidé - l'Etat plus sécurité sociale, plus 35 heures et emplois - qu'il faut se livrer, après les retraitements comptables nécessaires.

Toutes ces manipulations ne sont permises que par la période de croissance que connaît l'économie. Tant mieux si la croissance est là ! Mais est-elle bien utilisée ? La réponse est non ! Il est de bonne guerre, quand ce n'est pas de mauvais goût, de s'appuyer sur un passé mal géré pour s'enorgueillir des résultats positifs présents, mais est-ce aussi évident ? En cinq ans, selon le rapport d'orientation budgétaire, le déficit a été réduit de 1,6 %, passant de 4,5 % du PIB à 2,9 % à la fin de 1998, en ce qui concerne le seul budget de l'Etat. L'honnêteté vous obligerait à dire, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'avec une croissance de 4,9 % le taux de déficit a été réduit de 1 % sur la période 19931996, passant de 4,5 % à 3,5 %, alors que, avec une croissance de 5,2 %, vous ne l'avez réduit vous-même en 1997 et 1998 que de 0,6 %. Je m'en réfère à vos propres documents.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Et la soulte ?

M. Pierre Hériaud.

Vous surfez sur la croissance, tant qu'elle est là, sans vous attacher aux réformes qu'elle vous permettrait de réaliser. C'est donc cela qu'il faut masquer avec des artifices comptables, tombant ainsi sous le jugement de Bossuet : « La plus grande aberration de l'esprit, c'est de ne pas voir les choses comme elles sont, mais comme l'on voudrait qu'elles soient ! »

M. le secrétaire d'Etat au budget.

C'est une autocritique ?

M. Pierre Hériaud.

La représentation nationale doit donc savoir, et avec elle le pays tout entier, ce qu'il en est réellement du budget pour 2000, par comparaison à celui de 1999.

Ainsi, les recettes fiscales avant prélèvement doivent être abondées de 66 milliards de francs pour la sécurité sociale, de 5,3 milliards de francs pour la CMU, de 0,2 milliard de francs pour le fonds amiante.

Il faut aussi savoir que les dépenses, présentées en trompe l'oeil, sont en augmentation non de 0,9 % mais de 3,5 %. Tout cela conduit à constater des situations ubuesques.

Par exemple, monsieur le président de la commission des finances, vous avez fait remarquer, lors de l'examen du budget de l'Union européenne, avant hier soir, qu'il était insupportable de voir le budget européen prévoir un accroissement de 3,2 % du prélèvement français, hors ajustement des 2 milliards de francs de non-exécution des fonds structurels européens, alors que le budget de l'Etat ne progressait que de 0,9 %. Il aurait été opportun d'avoir, présents à l'esprit, les chiffres réels pour opérer une comparaison valable !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Mais non !

M. Pierre Hériaud.

Je sais que vous connaissez tout cela et que vous n'êtes pas dupes, mais il importe d'exposer ici la vérité aux Français sur le budget 2000 que votre majorité votera au terme des débats.

Le déficit de l'Etat et de la sécurité sociale, puisqu'il faut bien agréger les deux, sera passé de 4 % du PIB en 1997 à 2,6 % ou 2,7 % au 31 décembre 1999. Nous sommes sur la bonne voie, je le reconnais, mais cela est surtout dû à la croissance et à l'action des collectivités locales.

Je ne reprendrai pas les observations formulées à ce propos par mon prédécesseur à cette tribune. Il est évident que nous ne nous sommes pas concertés, mais je voulais évoquer les mêmes problèmes concernant les collectivités locales. Je me borne donc à souligner qu'elles ont concouru pour 0,3 % à améliorer notre déficit budgétaire, ce qui nous a permis de satisfaire aux critères de Maastricht et d'entrer dans la zone euro.

Elles payent tout, elles remboursent les échéances en c apital pour leurs emprunts, elles maîtrisent leurs dépenses et elles dégagent des capacités nettes d'autofinancement. Certes l'Etat leur fait les gros yeux quand leurs budgets augmentent avec des progressions supérieures à celle du PIB, mais, dans le même temps, il leur transfère une DGF qui n'augmente à peine que de la moitié de cette croissance.

Pourtant, les dotations de l'Etat représentent une part non négligeable des ressources des collectivités locales, parfois jusqu'à 30 à 40 % pour les communes. Comment, dès lors, peuvent-elles équilibrer leurs budgets ? Et je passe sur la modification de la taxe professionnelle, pour laquelle ma propre commune n'a pas bénéficié d'une compensation intégrale. Je passe aussi sur la question de la CNRACL.

Sans l'attaquer personnellement, je tiens à revenir sur une déclaration récente, rapportée par la presse, du rapporteur général, selon laquelle le projet de budget pour 2000 serait encore plus sincère que celui des années précédentes. On demeure pour le moins perplexe devant une telle déclaration, hésitant entre le constat de l'ironie et celui du cynisme - car je ne voudrais pas y voir des deux à la fois - avec l'allégeance en prime.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Comparez avec les budgets que vous avez votés !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 20 OCTOBRE 1999

M. Pierre Hériaud.

En conclusion de tout ce qui précède et au moment d'engager le débat, je tiens à souligner que nous ne pouvons accepter les déclarations euphoriques et anesthésiantes sur une présentation tronquée de ce budget 2000.

Selon vous, les impôts vont baisser, le déficit va être réduit et les dépenses sont maîtrisées.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

C'est vrai !

M. Pierre Hériaud.

Il n'y a qu'une réalité : les prélèvements obligatoires augmentent.

L a conclusion du syllogisme fait apparaîtrre le sophisme du raisonnement et de la démonstration.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

La référence n'est pas la même ! Ce sont deux années différentes !

M. Pierre Hériaud.

Je ne veux pas revenir non plus sur les propos tenus par le ministre néerlandais des finances, car ils ont été suffisamment rappelés. Mais c'est en ce sens que nous avons déposé et soutiendrons des amendements, notamment en ce qui concerne l'article d'équilibre afin de tenter d'améliorer ce projet de loi de finances pour 2000. Dans l'instant, il faut bien le dire, rien ne nous autorise à accorder le minimum de crédit que vous souhaiteriez à ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme la présidente.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui, à la demande de la commission des finances, débutera à vingt et une heures trente.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

Mme la présidente.

Ce soir, à vingt et une heures trente donc, troisième séance publique.

Suite de la discussion générale et discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2000, no 1805.

M. Didier Migaud, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie et du Plan (rapport no 1861).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT