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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 JANVIER 2000

SOMMAIRE

PRE

SIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Questions au Gouvernement (p. 27).

E

LECTION PRE

SIDENTIELLE AU CHILI (p. 27)

MM. Louis Mexandeau, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

CATASTROPHES NATURELLES ET ACCIDENTELLES (p. 27)

MM. Jean-Marc Ayrault, Lionel Jospin, Premier ministre.

DÉGA TS SUBIS PAR LA FILIÈRE BOIS (p. 29)

MM. François Brottes, Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

DE GA TS CAUSE S PAR LES OURAGANS (p. 29)

MM. Didier Quentin, Lionel Jospin, Premier ministre.

MARE E NOIRE (p. 30)

M. Louis Guédon, Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

RE

VISION DE LA CONSTITUTION (p. 31)

M. Valéry Giscard d'Estaing, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

FISCALITE

SUR LA RE PARATION DES DE GA TS

DES CATASTROPHES NATURELLES (p. 34)

MM. Jean-Claude Lenoir, Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

EFFETS DES INTEMPE

RIES EN DORDOGNE (p. 34)

MM. René Dutin, Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

DE GÂTS DE LA MARE E NOIRE EN BRETAGNE (p. 35)

M. Félix Leyzour, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

CONSE

QUENCES FINANCIE

RES DES INTEMPE

RIES (p. 36)

M. Michel Suchod, Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget.

Suspension et reprise de la séance (p. 36)

PRE

SIDENCE DE M. PHILIPPE HOUILLON

2. Fin de la mission d'une députée (p. 36).

3. Service public de l'électricité. - Discussion, en nouvelle lecture, d'un projet de loi (p. 37).

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Bataille, rapporteur de la commission de la production.

M. André Lajoinie, président de la commission de la production.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITE (p. 42)

Exception d'irrecevabilité de M. José Rossi : MM. François Goulard, le secrétaire d'Etat, Alain Cacheux, Claude Billard, Franck Borotra, Claude Birraux. - Rejet.

QUESTION PRE ALABLE (p. 49)

Q uestion préalable de M. Philippe Douste-Blazy : MM. Claude Birraux, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Pierre Ducout, Christian Cuvilliez, François Goulard, Franck Borotra. - Rejet.

DISCUSSION GE NE RALE (p. 57)

M. Guy Hascoët.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

4. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 58).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 JANVIER 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par les questions du groupe socialiste.

ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE AU CHILI

M. le président.

La parole est à M. Louis Mexandeau.

Un peu de silence, chers collègues !

M. Louis Mexandeau.

Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.

Le peuple chilien a choisi décidément le retour à la démocratie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Ancien collaborateur de Salvador Allende dont la fin tragique, il y a vingt-sept ans, faisait entrer le Chili dans un période d'horreur, M. Lagos, candidat des socialistes et des démocrates, a démontré par sa victoire que les Chiliens voulaient effacer jusqu'au souvenir de la dictature.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Faisons confiance à la démocratie chilienne pour traiter comme il convient le cas Pinochet et apaiser ainsi la douleur des victimes ou de leurs proches.

Monsieur le ministre, si la France peut aider à fermer cette triste parenthèse, je suis sûr qu'elle le fera.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, monsieur le député, l'élection présidentielle au Chili a été suivie dans le monde entier avec une extrême attention, teintée en France, je dois le dire, d'une émotion particulière, d'autant que le premier tour avait débouché sur un résultat très serré. Heureusement, au second tour, c'est M. Lagos qui a été élu, avec 51,31 % des suffrages. Il est le troisième président élu depuis le retour de la démocratie au Chili, après deux démocrates-chrétiens.

Vous rappeliez que Ricardo Lagos avait été un proche conseiller du président Allende et qu'il n'avait cessé de se battre ensuite avec courage pour le rétablissement de la liberté et de la démocratie au Chili. Vingt-sept ans après les événements que vous rappeliez, son élection marque, comme le Premier ministre, Lionel Jospin, le lui a aussitôt exprimé par téléphone et par écrit, un moment très émouvant pour tous ceux qui ont accompagné le combat du Chili pour la reconquête de ses libertés démocratiques.

A ce stade, nous ne devons pas penser uniquement au passé, mais aux défis économiques et sociaux que le Chili va devoir affronter désormais. Il doit savoir qu'il peut compter sur l'amitié et la coopération du gouvernement français dans cette tâche.

J'en viens à l'affaire Pinochet, dont le souvenir est très présent. A propos de l'actualité récente, sur mes instructions...

M. le président.

Chers collègues, un peu de silence, s'il vous plaît.

Poursuivez, monsieur le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères.

Sur mes instructions, l'ambassadeur de France à Londres est intervenu une nouvelle fois, à la fin de la semaine dernière, auprès du ministre britannique de l'intérieur pour appeler son attention sur l'émotion suscitée en France par l'annonce d'un éventuel retour du général Pinochet au Chili et demander de plus amples informations sur l'état de santé de celui-ci. Tous les moyens de procédure dont nous disposons ont été utilisés pour que le gouvernement britannique soit conscient de cette réaction et de cette situation. Il a d'ailleurs annoncé qu'il allait prendre très rapidement sa décision définitive.

Je relève que le président élu, M. Lagos, a exprimé le voeu, pour des raisons de consolidation de la démocratie au Chili par les Chiliens eux-mêmes, que le général Pinochet puisse répondre de ses actes au Chili. Quoi qu'il en soit, le président sait qu'il peut compter sur l'amitié du peuple français et sur la coopération du Gouvernement français dans les tâches qui l'attendent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

CATASTROPHES NATURELLES ET ACCIDENTELLES

M. le président.

La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault.

Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Notre pays est encore sous le choc des deux catastrophes qu'il vient de subir : les tempêtes d'un côté et, de l'autre, la marée noire provoquée par le naufrage du pétrolier Erika . Les premières, caprices de la nature, sont difficilement évitables. On ne peut que les constater, les déplorer et surtout y faire face et réparer les dégâts, même s'il importe d'en tirer toutes les conséquences. La seconde soulève l'indignation - je dirai même l'écoeurement - et un tel désastre, celui-ci évitable, ne suscite qu'une réaction : « Plus jamais ça ! » Au-delà de la détresse des habitants des régions touchées, ce sont nos forêts, nos paysages, nos rivages, notre patrimoine architectural historique qui sont ravagés ; des emplois et des activités économiques sont menacés.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 JANVIER 2000

Dès le lendemain de ces catastrophes, la France et les Français ont été exemplaires. La solidarité de la population, le dévouement et l'efficacité de tous les services publics, l'engagement de tous les instants des élus locaux ne seront jamais assez salués. Vous-même, monsieur le Premier ministre, comme les membres du Gouvernement, êtes présent sur le terrain aux côtés des élus et de la population.

Dès le 12 janvier, vous avez annoncé un plan de mesures dont l'ampleur est à la hauteur des dommages subis. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Pouvez-vous nous dire, monsieur le Premier ministre, ce qu'il en est de la mise en oeuvre de ce plan sur le court, le moyen et le plus long terme, afin de redonner espoir et courage à toutes les victimes et à ceux qui continuent de se battre courageusement pour réparer l'irréparable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, monsieur le député, à la fin du mois de décembre, notre pays a été frappé par deux catastrophes d'une exceptionnelle gravité.

Deux ouragans...

M. Jean-Louis Debré.

Trois, avec Voynet !

M. le Premier ministre.

... ont touché les deux tiers du pays, fracassant une partie de nos forêts. A cela s'est ajoutée une marée noire, conséquence, sans doute, avec le naufrage de l' Erika, de la violence de la mer, mais aussi, et peut-être surtout, conséquence d'un système qui privilégie encore le transport à bas prix de produits polluants et donc dangereux, au détriment de la sécurité et de l'environnement.

M. François Goulard.

Et la convention de 1992 ?

M. le Premier ministre.

Les deux tiers de nos départements, beaucoup de nos régions ont été frappés par les intempéries. Devant la représentation nationale, qui se réunit à nouveau aujourd'hui, je veux saluer la mémoire des victimes, prendre avec vous ma part du deuil des familles éprouvées dans la vie de leurs proches. Je pense aussi à tous ceux qui ont souffert durement, parfois plusieurs semaines, en étant privés d'électricité, de chauffage, de téléphone, et dont la vie quotidienne est encore, pour certains, fragilisée par la perte de leur outil de travail ou par des atteintes à leur patrimoine.

Une fois de plus, tous les élus des départements concernés, comme dans l'Aude par exemple, ont été présents sur le terrain auprès de leurs administrés et se sont mobilisés. Ils m'ont confié, quand j'étais auprès d'eux - ou m'ont écrit pour me le dire - à quel point leur département ou leur commune étaient éprouvés.

Je veux rendre hommage à nouveau au grand élan de solidarité qui s'est manifesté dans le pays à travers l'action des maires, des élus des autres collectivités, des fonctionnaires de l'Etat, des agents du service public, des militaires venus nombreux en renfort, des agents d'entreprises d'électricité étrangères venant témoigner la solidarité de l'Europe.

M. François Goulard.

Et des ministres en vacances !

M. Charles Cova.

Et de Mme Voynet !

M. le Premier ministre.

Les ministres compétents et moi-même (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) nous sommes rendus immédiatement sur le terrain, interrompant nos vacances. (Protestations sur les mêmes bancs.) Le président de la République lui-même s'est rendu sur le terrain. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Ecoutez, ne sondons pas les vacances des uns et des autres et ne regardons pas d'où ont été proclamées certaines mises en cause vengeresses.

M. André Santini.

Allons ! Allons !

M. le Premier ministre.

Vous faites preuve de bon sens, monsieur Santini.

Evidemment, le Gouvernement a pris immédiatement des mesures d'urgence. Par la suite, dès le 12 janvier, un plan d'ensemble a été arrêté, après un travail considérable, qui concerne l'ensemble des personnes et des biens ayant souffert des dégâts.

M. Philippe Briand.

C'est bien tout ce qui a été arrêté !

M. le Premier ministre.

Il concerne les particuliers, les agriculteurs, les pêcheurs, les conchyliculteurs, les propriétaires forestiers et même les agents économiques des autres secteurs d'activité touchés par les ouragans.

Ce dispositif d'ensemble répond à quelques principes d'action : d'une part, une mise en oeuvre rapide, en particulier pour celles et ceux qui sont confrontés à des situations de précarité dans leur vie personnelle ou professionnelle ; d'autre part, l'expression forte de la solidarité nationale à la hauteur des besoins, tels qu'ils sont aujourd'hui estimés.

Au total, les mesures annoncées représentent un effort budgétaire de plus de 4 milliards de francs pour l'année 2000, sans compter les prêts qui représentent euxmêmes 12 milliards de francs, auxquels il faut ajouter les 6 milliards de francs sur dix ans prévus pour l'aide à la reconstitution de la forêt.

Il est fait appel, autour de ces mesures, simultanément, à une série de dispositifs et d'actions adaptés à la diversité des situations, parce que justement celles-ci sont diverses : des dotations exceptionnelles, des prêts à taux nul, des délais, voire des dégrèvements pour le paiement des impôts et des charges sociales, des avances de trésorerie, des aides à l'indemnisation du chômage partiel.

Un plan national pour la forêt a été adopté, qui vise à aider ce secteur à faire face aux conséquences des destructions et, au-delà, bien sûr, à reconstituer la forêt française.

Le Gouvernement souhaite, par ailleurs, que l'Union européenne puisse apporter aussi son concours à la réparation des dommages causés par la tempête et la marée noire. Il saisira la Commission, dans les jours qui viennent, de demandes précises.

Enfin, le Gouvernement entend tirer les enseignements de ces catastrophes. Je réunirai, à cet effet, pour nouer le dialogue, les représentants des associations d'élus. Un comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire se tiendra à la mi-février à Nantes.

Auparavant, je réunirai les élus de la façace atlantique à l'hôtel de Matignon.

Un comité interministériel de la mer se tiendra à Nantes le jour du CIADT qui nous permettra d'annoncer les démarches qui seront engagées par le Gouvernement sur les plans national, communautaire et international...


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M. Lucien Degauchy.

Quel programme !

M. le Premier ministre.

... afin de renforcer la sécurité du transport maritime et mieux prévenir les pollutions.

A cet égard, le Gouvernement sera particulièrement attentif aux propositions de la commission d'enquête dont votre assemblée, paraît-il, prendra l'initiative.

Une mission d'évaluation des enseignements à tirer des ouragans sera mise en place.

Pour faire face aux besoins, le Gouvernement continuera de prendre toutes les mesures nécessitées par les circonstances et dégagera tous les moyens appropriés avec détermination et en étroite concertation avec l'ensemble des élus. Soyez certains que nous ferons face au défi de la reconstruction et que nous le ferons dans la durée.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

DÉGA TS SUBIS PAR LA FILIÈRE BOIS

M. le président.

La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes.

Monsieur le président, ma question s'adresse au ministre de l'agriculture, en charge de la forêt.

Avec l'équivalent de 500 000 hectares de forêt abattus, la tornade a fait des dégâts sans précédent dans les 15 millions d'hectares de nos massifs forestiers métropolitains.

Du Sud-Ouest en Est, certaines parcelles ont été totalement anéanties. C'est pourquoi, ici et là, la blessure est profonde, à la fois dans le coeur des forestiers mais aussi dans les paysages, comme vient de l'indiquer M. le Premier ministre.

Une course contre la montre est engagée pour sortir des forêts, avant les prochaines chaleurs, le maximum d'arbres à terre et pour les stocker correctement. Dans ce contexte, il ne faut pas ajouter, aux dégâts de la tempête, la mise en péril d'une filière très éprouvée. C'est la raiso n pour laquelle il faut garder son sang-froid sur deux aspects au moins, me semble-t-il.

D'une part, le volume de bois concerné ne justifie pas une chute vertigineuse des cours, qui serait artificielle et due à certaines pratiques malveillantes destinées à tirer profit du malheur des propriétaires forestiers sinistrés.

D'autre part, je réaffirme que le bois demeure un matériau de grande qualité, aux multiples usages. A ce titre, il faut l'utiliser en plus grande quantité, dans l'intérêt d'une forêt vivante et régénérée.

Dans un esprit de reconquête, pour les 500 000 emplois de la filière bois, pour les communes forestières, pour les propriétaires de la forêt privée, et face à une opinion sincèrement émue, le Gouvernement a déjà annoncé d'importantes mesures.

C'est pourquoi je vous remercie d'avance de nous dire, monsieur le ministre, quelles seront les modalités précises de mise en oeuvre et les interlocuteurs de ces dispositifs dans les différentes régions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur le député, le Premier ministre vient de confirmer que le plan gouvernemental annoncé mercredi dernier pour venir en aide aux sinistrés de tous les secteurs intégrait un plan national de sauvegarde de la forêt. Les dispositions de ce plan sont si nombreuses que je n'ai pas le temps ici de les développer toutes. J'indiquerai simplement qu'elles s'articulent autour de trois grands volets.

Le premier concerne la mobilisation de la ressource. En effet, nous avons probablement 115 millions de mètres cubes de bois à terre et 300 millions d'arbres abattus par cette tempête. Il nous faut donc absolument éviter que cette ressource ne dépérisse au sol. L'urgence est telle que nous n'avons que quelques mois pour mobiliser toutes nos capacités afin de ne pas perdre cette ressource.

Le deuxième volet, c'est le stockage. Nous voulons absolument l'encourager pour éviter que cette masse de bois n'arrive sur le marché et provoque des effondrements de cours. Nous aiderons donc les propriétaires à stocker et à mettre en place un système de gestion dans le temps de cet apport de bois.

Le troisième volet concerne la reconstitution de la forêt, le reboisement pour lequel nous devons tirer les leçons de l'évolution de notre forêt française depuis des décennies et retrouver, peut-être, les voies d'une plus grande biodiversité.

Je vous livrerai trois réflexions. La première pour confirmer devant la représentation nationale que le projet de loi forestière, qui devait être déposé devant le Parlement au premier semestre, vous sera soumis dans les délais prévus. La tempête nous offre une occasion supplémentaire d'en débattre et d'arrêter un certain nombre de dispositions législatives.

Mme Odette Grzegrzulka.

Très bien !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

La deuxième réflexion est un message à l'adresse des forestiers, en particulier des petits propriétaires forestiers privés, sûrement très découragés par ce qui leur arrive. Je veux leur dire de ne pas se laisser aller au découragement et de ne pas brader leur bois à vil prix. Nous allons garder leur bois et les aider à l'exploiter et à le stocker.

La troisième réflexion, mesdames, messieurs les députés, est un appel à la prudence que je demande à tous les élus de relayer auprès de nos concitoyens. La forêt française est dangereuse depuis quelques semaines. Nous avons eu, hier encore, un accident et nous risquons d'en connaître encore beaucoup d'autres. Il faut dire aux Français de ne pas se promener en forêt, ni même de regarder les bûcherons travailler car c'est, actuellement, une activité très dangereuse.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe du Rassemblement pour la République.

DÉGÂTS CAUSÉS PAR LES OURAGANS

M. le président.

La parole est à M. Didier Quentin.

M. Didier Quentin.

Monsieur le Premier ministre, je souhaite également vous interroger sur les conséquences des ouragans qui ont dévasté une grande partie de notre pays à la fin du mois de décembre. Je m'adresse à vous au nom de tous mes collègues des régions touchées et j'espère que, comme vous l'avez fait pour le groupe socialiste, vous aurez à coeur de nous répondre personnellement.

M. Edouard Landrain.

Très bien !

M. Didier Quentin.

Les dégâts sont considérables et je tiens d'abord à m'associer à l'hommage rendu aux victimes.

Dans de nombreux départements, comme la CharenteMaritime, des secteurs entiers de l'économie sont sinistrés : la sylviculture, la conchyliculture, la pêche, l'agriculture, l'horticulture et bien d'autres encore, sans parler de l'impact sur le tourisme.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 JANVIER 2000

Alors qu'il y a urgence, monsieur le Premier ministre, beaucoup de Français restent aujourd'hui dans l'incertitude quant aux moyens dont ils diposeront pour remettre en état leurs biens et leurs outils de travail. Ils ne baissent pas les bras, mais ils sont légitimement inquiets.

Certes, vous avez annoncé, le 12 janvier, un plan d'aides et vous venez d'y revenir, mais je m'étonne que vous n'ayez pas davantage approfondi la concertation avec les élus qui sont en première ligne sur le terrain. A cet égard, avez-vous l'intention d'organiser un vrai débat à l'Assemblée nationale sur le premier bilan des mesures déjà prises et sur celles à envisager, notamment pour indemniser les pertes d'exploitation des professionnels et aider les particuliers à faire face aux énormes dommages qu'ils ont subis ? Beaucoup s'interrogent encore sur le mode d'emploi des aides que vous avez annoncées et sur leurs critères d'attribution. Il reste trop de flou et trop d'imprécisions.

Or, je le répète, il y a urgence. Comment allez-vous financer toutes ces mesures ? Allez-vous présenter rapidement un collectif budgétaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. André Santini.

C'est bien de répondre vous-même, monsieur le Premier ministre !

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Ce n'est pas tout à fait ce que j'avais prévu, puisque je viens de m'exprimer assez longuement à ce propos. Sensible à l'appel lancé par votre collègue, je tiens à répondre à une question au moins de l'opposition sur ce sujet.

Je rappelle d'abord que la méthode du Gouvernement a été immédiatement celle de la concertation avec les élus : pas un seul des déplacements de mes ministres, pas un seul de mes déplacements n'a été effectué sans que, au réconfort apporté à la population, à la mesure prise de l'importance des dégâts, au travail amorcé avec les services de l'Etat, ne se soient ajoutées des réunions de concertation, d'échange, d'écoute des suggestions et des propositions avec les élus. Je l'ai fait moi-même systématiquement quand j'ai été sur le terrain, et les nombreux ministres, qui se sont rendus sur place ont agi de même.

En ce qui concerne l'hypothèse d'un débat centré sur ce thème à l'Asemblée nationale, je vous donne mon sentiment : je n'ai pas souhaité en prendre l'initiative parce que je pensais qu'il n'était pas forcément courtois de la part de l'exécutif, au premier jour de la rentrée parlementaire, de paraître dicter aux parlementaires la façon dont ils allaient reprendre cette session. (Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Lucien Degauchy.

Quel scrupule !

M. le Premier ministre.

Je suis donc, avec le Gouvernement, ouvert à des propositions émanant de la conférence des présidents et du président de l'Assemblée nationale, si vous souhaitez que nous organisions une discussion sur ce sujet.

M. Guy Hascoët.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Pour ce qui est des modes d'emploi et des critères d'utilisation des aides, j'ai entendu dire, par un représentant de l'opposition, que notre plan était complexe. Mais la réalité de ce que nous avons découvert sur le terrain est extraordinairement complexe. Il est d'ailleurs parfois utile de s'aviser que la réalité est complexe et qu'il ne faut pas l'aborder avec un esprit trop simplificateur. Ainsi, nous faisons en sorte que les mesures, les dispositifs, les modes d'action envisagés soient adaptés à la réalité de terrain.

Cela étant, nous sommes prêts, je l'ai indiqué, puisque j'ai proposé de recevoir les représentants des grandes associations d'élus, à discuter avec les élus de la région ouest, particulièrement touchée par la marée noire, et à expliciter les dispositions prévues, comme les ministres le font d'ailleurs dans le domaine de leurs compétences particulières. Je pense notamment au ministre de l'agriculture pour le plan Forêt, qui a été élaboré en tenant compte, de façon précise, des suggestions émises par les milieux professionnels et par des élus, notamment de l'opposition, des régions forestières. En la matière, nous avons ainsi pris en considération les avis des élus de l'est de la France et ceux formulés dans certaines lettres que j'ai reçues.

M. Didier Quentin.

Et alors ?

M. le Premier ministre.

Enfin, comme je l'ai déjà indiqué, les financements seront assurés par le budget de l'Etat et il est bien évident qu'il s'agira de ressources de nature à permettre de réparer vraiment les dégâts que nous avons constatés sans que l'Etat ait à se distraire de ses autres missions.

Quant aux instruments techniques par lesquels nous mettrons en oeuvre les financements qui seront engagés dans la ligne des décisions que nous avons prises, nous nous réservons naturellement le droit de les choisir en fonction du calendrier parlementaire et de ce que seront les meilleurs outils d'action. Nous vous répondrons à cet égard le moment venu. En attendant, rien n'en empêche d e dégager le début des financements nécessaires.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Charles Ehrmann.

Très bien ! MARÉE NOIRE

M. le président.

La parole est à M. Louis Guédon.

M. Louis Guédon.

Monsieur le Premier ministre, vous avez pu mesurer l'importance de la marée noire et vous rendre compte de l'inquiétude et du mécontentement parfaitement compréhensibles que manifestent, dans la dignité, les populations maritimes.

La volonté des habitants de nos côtes n'a d'égale que leur ardeur à laquelle est venue s'ajouter celle des sauveteurs, des militaires, des membres de la protection civile et des bénévoles pour nettoyer notre littoral.

Certes, si les postes de commandement ont permis de rationaliser, sous l'autorité des préfets, le plan POLMAR terre, plusieurs questions restent en suspens tandis que d'autres attendent des réponses urgentes. Ainsi, je forme le voeu que, à la suite des premières conclusions présentées dans le rapport du bureau des enquêtes sur les accidents en mer, une commission d'enquête parlementaire puisse apporter des solutions pragmatiques et rationnelles à des problèmes tels que ceux des pavillons de complaisance et des rapports entre les groupes pétroliers et leurs armateurs, et que soit enfin établie, en concertation avec nos partenaires européens, une véritable législation propre à sécuriser notre littoral.


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D'ores et déjà, nous avons constaté l'échec du plan POLMAR mer qui n'a pas été opérationnel ; il n'a pas permis de prévoir la dérive des masses de mazout avant qu'elles ne touchent la côte.

Les méthodes de dédommagement sont en place via les assureurs, via le FIPOL et son 1,2 milliard de francs, avec la prise en compte du plan POLMAR terre et la mise en oeuvre de la responsabilité des pollueurs.

Dans quel délai le Gouvernement pourra-t-il annoncer la date de remboursement des frais engagés et des pertes subies ? Quand, et pour quel montant, sera prise en compte la nécessaire campagne d'information attendue pour effacer le déficit d'image de notre littoral lorsqu'il aura été remis en état ? La population maritime attend des réponses précises, monsieur le Premier ministre.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l 'aménagement du territoire et de l'environnement.

(Exclamations et huées sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Ainsi que vous l'avez souligné, monsieur le député, la mobilisation dans les régions concernées par la marée noire a été massive et généralisé e.

M. Jacques Myard.

Sauf Voynet ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Elle a permis une excellente coordination des moyens de l'Etat - sécurité civile, police, gendarmerie, armée, agents de l'équipement - avec ceux des collectivités locales et des associations avec leurs bénévoles.

La première question est aujourd'hui celle de savoir comment réparer les dégâts dans les meilleures conditions. A cet égard, le préfet de la région Bretagne a été chargé de préparer un plan de nettoyage des plages et 750 personnes supplémentaires seront mobilisées pour accomplir cette tâche dans le respect de la bio-diversité et des équilibres naturels.

Une fois les déchets ramassés, il s'agit de veiller à ce qu'ils soient stockés, puis éliminés dans de bonnes conditions. Nous sommes dans une phase intermédiaire : les sites les plus dégradés ont été traités et les lieux de stoc kage intermédiaire ont été nettoyés. Il appartient maintenant à Total de présenter les différentes hypothèses techniques d'élimination des déchets.

Ensuite, il faudra prendre en compte le problème, non résolu à cette heure, que constitue la présence de 15 000 à 20 000 tonnes de fioul dans les soutes de l' Erika. Il s'agit d'une question très complexe sur le plan technique et il faudra encore quelques semaines de mise en point.

Nous essayons d'ailleurs de colmater les brèches constatées dans les cales du navire.

M. Lucien Degauchy.

On lui a préparé un papier qu'elle lit ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

J'en viens à la question de l'indemnisation de ceux qui ont été ou seront lésés par les conséquences de la marée noire.

L'assurance de l'armateur pourra être sollicitée jusqu'à 70 millions de francs et le FIPOL, financé par les compagnies pétrolières, interviendra à hauteur de 1,2 milliard de francs. Ce fonds devrait d'ailleurs commencer à indemniser ceux qui ont subi des préjudices à compter du 15 février.

M. François Goulard.

Et la convention de 1992 ? Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Mon ministère coordonne l'intervention du plan POLMAR sur le plan budgétaire : 40 millions puis 80 millions de francs seront mobilisés pour assurer, dans l'urgence, la rémunération de ceux qui engagent des dépenses, les collectivités locales notamment.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Cependant, nous n'avons pas l'intention de faire peser sur les contribuables les coûts d'intervention. Nous nous retournerons donc contre le FIPOL et contre Total.

Par ailleurs, le Gouvernement a mis en place l'aide de la BDPME et du FISAC ; un dispositif relais aidera les entreprises et les artisans à attendre les indemnisations si nécessaire.

Enfin, nous annoncerons, lors du CIADT qui se tiendra à la fin du mois de février, un programme complet de restauration de l'attractivité des régions concernées et de redynamisation économique. Un dispositif plus global d'aide aux régions touchées doit être monté dans les prochaines semaines.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Nul !

M. le président.

Nous passons au groupe UDF.

RÉVISION DE LA CONSTITUTION

M. le président.

La parole est à M. Valéry Giscard d'Estaing.

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Mes chers collègues, je vous demande d'abord de m'excuser si ma voix manque un peu de volume, mais je l'ai un peu perdue dans les forêts d'Auvergne (Sourires) où je suis allé, avec d'autres d'ailleurs, constater l'étendue des dégâts. Malheureusement la perte de ma voix ne suffira pas à faire repousser les arbres.

(Sourires.)

La question je pose, au nom du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance, s'adresse à M. le Premier ministre et porte sur la date de convocation du Congrès du Parlement, le 24 janvier prochain.

Vous avez engagé, monsieur le Premier ministre, avec l'accord du Président de la République, une procédure de révision de la Constitution. Or chacun sait ici qu'il s'agit d'un acte grave, parce que le premier caractère de la Constitution doit être sa stabilité. Je regrette donc la banalisation de la réforme de la Constitution (Applaudissement sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République) car c'est la troisième que l'on nous présente en douze mois ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Odette Grzegrzulka.

Nous travaillons, nous !

M. Arnaud Montebourg.

Vive l'Europe !

M. le président.

S'il vous plaît, monsieur Montebourg, taisez-vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 JANVIER 2000

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Cette fois-ci la révision concerne un aspect de la réforme de la justice, un aspect seulement puisque cette réforme fait l'objet de sept textes, dont six législatifs, deux seulement ayant été adoptés à ce jour.

Adressant vos voeux à la presse, monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré : « Le 24 janvier, à Versailles, les Français verront, parmi leurs représentants, ceux qui veulent l'indépendance de la justice et ceux qui, en réalité, ne l'acceptent pas. »

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste.)

M. Edouard Landrain.

Attendez la suite !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Le moins que l'on puisse dire est que, s'agissant d'une réforme constitutionnelle, il s'agit d'une présentation simplificatrice.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblem ent pour la République.)

Cet argument n'est pas acceptable pour un groupe humaniste et libéral comme le nôtre. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Au surplus, mes chers collègues, il n'a aucune vraisemblance, car la rédaction de l'article 65 de la Constitution, que vous nous demandez de modifier, provient d'une initiative de votre famille politique.

Mme Véronique Neiertz.

Et alors ?

M. Valéry Giscard d'Estaing.

C'est en effet en 1992 que le président Mitterrand a demandé à un comité consultatif, présidé par le doyen Vedel, de présenter des propositions de modification de l'article 65 qui allaient aboutir au texte actuellement en vigueur. Le projet a été déposé par le gouvernement Bérégovoy en 1993 puis, en raison du changement de majorité, il a été repris par celui d'Edouard Balladur.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Il a été voté par l'ensemble des députés, notamment des députés socialistes.

M. Didier Boulaud.

Nous n'étions pas nombreux !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Il porte les signatures de François Mitterrand et d'Edouard Balladur.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Un peu de silence, s'il vous plaît !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

A cet égard, je veux formuler une remarque à propos de l'argument, souvent répété, selon lequel le vote législatif devrait automatiquement entraîner le vote constitutionnel : or ils sont de nature différente. Sinon, la même procédure s'appliquerait. Souvenez-vous d'ailleurs que, lors de la réforme de 1993, le groupe socialiste à l'Assemblée nationale s'est abstenu, avant de voter pour au Congrès.

(Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Claude Lefort.

Et la question ?

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Monsieur le Premier ministre, la difficulté dans laquelle vous vous êtes placé (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) tient au fait que vous voulez nous faire avaler la coquille avant que le Parlement ne se soit prononcé sur le contenu.

Un député du groupe socialiste.

Et qui a convoqué le Parlement ?

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Je vais vous répondre tout à l'heure !

M. Jean-Claude Lefort et Mme Odette Grzegrzulka.

La question !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Il reste, en effet, deux lois importantes à adopter : celle qui détermine les relations entre le ministère de la justice et les procureurs - cette loi n'a été examinée qu'en première lecture - et celle qui fixe le nouveau statut des magistrats, en s'engageant dans la voie, que je juge dangereuse, de la mise en cause de leur responsabilité individuelle.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

La question !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

En toute logique, et en simple bon sens, la réforme constitutionnelle devrait, si elle est nécessaire, couronner l'édifice, et non précéder les débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Veuillez m'excuser, je voudrais, en réalité, poser deux questions au nom du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

La situation dans laquelle on a enfermé le Parlement n'est bonne pour personne. Car si le Gouvernement persiste, il court à un échec, le premier dans une procédure de ce genre. Et quel que soit l'art des sophistes, un échec est toujours un échec ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Et l'opposition ne peut pas donner son accord à un texte constitutionnel sans être assurée du contenu qu'il abritera. Il reste alors une solution possible, celle de rétablir l'ordre naturel des débats : l'adoption des lois sur la justice doit précéder la réforme de la Constitution.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

U n député du groupe socialiste.

Parlez-en à M. Chirac !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Pour cela, il faut renvoyer à une date ultérieure le congrès de Versailles.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Vous nous direz - vous nous l'avez déjà dit - que c'est une prérogative du Président de la République.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Eh oui !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Mais puisque, dans nos institutions, le Parlement a pour seul interlocuteur le Premier ministre, c'est à vous, monsieur le Premier ministre, que notre question s'adresse. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 JANVIER 2000

groupe Radical, Citoyen et Vert. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Un peu de silence, M. Giscard d'Estaing va achever de poser sa question.

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Si vous me permettez de la formuler ! Monsieur le Premier ministre, pensez-vous pouvoir transmettre au Président de la République (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) le souhait de notre groupe, et sans doute celui de beaucoup d'autres, de voir la date du Congrès sur la révision constitutionnelle reportée après l'adoption des projets de loi sur la réforme de la justice, pour en tirer sereinement les conclusions.

M. le président.

Voulez-vous conclure, je vous prie - parce que votre temps de parole est écoulé.

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Monsieur le président, j'aurai conclu d'autant plus rapidement qu'il y aura moins d'interruptions ! Monsieur le Premier ministre, en conclusion - puisque vous m'y appelez, monsieur le président - il s'agit d'une réforme de la Constitution. Mais qu'est-ce que la Constitution ? C'est la charte de tous les citoyens. Une réforme de la Constitution se gagne par la persuasion, elle ne s'arrache pas par la contrainte.

(Mmes et MM. les députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants se lèvent et applaudissent. - Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Didier Boulaud.

Giscard à la barre !

M. Jean-Claude Lefort.

Giscard, Président ! (Rires sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

(Protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Henri Plagnol.

Dégonflé !

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le Président, vous vous êtes d'abord interrogé sur les réformes constitutionnelles.

(« Ouh ! sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

Un peu de silence, s'il vous plaît !

Mme la garde des sceaux.

Je voudrais rappeler sur quoi ont porté les réformes constitutionnelles qui ont été conduites par ce Gouvernement devant le Congrès à Versailles : la révision du traité d'Amsterdam négociée par l'ancienne majorité, la modification du statut de la Nouvelle-Calédonie...

M. Maurice Leroy.

La réponse n'est vraiment pas au niveau !

Mme la garde des sceaux.

... - il s'agissait de confirmer les accords qui ont enfin restauré la paix civile en Nouvelle-Calédonie -...

M. Maurice Leroy.

Hors sujet !

Mme la garde des sceaux.

... l'institution de la Cour pénale internationale, car il nous faut une justice internationale, et la parité pour les femmes et les hommes dans la vie publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

F allait-il, monsieur le Président, renoncer à ces réformes extrêmement importantes qui portent aussi bien sur notre position internationale que sur de grandes réformes de société ? Ensuite, vous vous êtes interrogé sur la signification du vote qu'aura à émettre le Congrès, le 24 janvier prochain.

Eh bien, oui, il s'agira, le 24 janvier, de confirmer le vote émis, d'ailleurs de façon massive, il y a un an... (Protestations sur les bancs des groupes Union pour la démocratie française, Rassemblement pour la République, et Démocratie libérale) ...

par cette assemblée, mais aussi par le Sénat, réunis en Congrès, lequel, je le rappelle, a voté massivement la loi constitutionnelle : 697 voix pour, 62 contre.

Vous-même, monsieur le Président, avez voté pour, le 3 juin 1998. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Il s'agit donc, et ce n'est pas une présentation simplificatrice, d'accroître l'indépendance de la magistrature puisque les procureurs auront la garantie que leur nomination ne pourra plus jamais être soumise à des manipulations politiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Maurice Leroy.

Vous voulez le non, vous allez l'avoir !

Mme la garde des sceaux.

Cette réforme, vous avez raison, vient de loin puisqu'elle fait suite à la réforme constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature décidée par cette assemblée, réunie également avec le Sénat en Congrès en juillet 1993, réforme qui avait été, en effet, initiée par M. Mitterrand, conduite par le gouvernement de M. Balladur avec M. Méhaignerie, garde des sceaux, qui a été votée par la gauche, alors dans l'opposition, et qui en constitue l'étape immédiatement précédente puisqu'elle visait à donner des garanties de nomination aux magistrats du siège. (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.) Et ce dont il sera question, le 24 janvier prochain, c'est de prolonger la réforme de 1993 en donnant aux magistrats du parquet les mêmes garanties que cette réforme avait conférées aux magistrats du siège. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Celle que le Congrès sera appelé à voter le 24 janvier a été engagée par M. Chirac et conduite par le gouvernement de M. Jospin.

M. Jean-Luc Préel.

Qui ne sait pas nous répondre !

Mme la garde des sceaux.

J'ai eu l'honneur de la présenter au Parlement. Et j'espère que, comme la gauche l'a fait il y a sept ans, la droite saura, dépassant les réflexes politiciens (« Ouh ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) trouver la voie de l'intérêt général.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Quant au report du Congrès, vous savez très bien, monsieur le Président, que la décision de le convoquer et d'en fixer la date appartient au Président de la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 JANVIER 2000

République, dont ce gouvernement respecte les prérogatives. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

FISCALITÉ SUR LA RÉPARATION DES DÉGÂTS

DES CATASTROPHES NATURELLES

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir.

Depuis 1997, vous le savez, mes chers collègues, les prélèvements obligatoires, c'est-àdire les impôts et les cotisations sociales, ont augmenté de 420 milliards de francs. Dans le même temps, le Gouvernement et sa majorité ont créé quatorze taxes ou contributions supplémentaires. Le taux des prélèvements a atteint le pic historique de 45,6 %. Et nous venons d'apprendre qu'au cours du dernier trimestre de 1999, ces prélèvements ont augmenté de 7,7 %, c'est-à-dire bien au-delà du taux de croissance.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

C'est un scandale !

M. Jean-Claude Lenoir.

Hélas, pendant la même période, le revenu disponible des ménages a diminué de 0,7 % ! Or, au même moment, survient sur notre pays une tempête, catastrophe dont les conséquences sont très lourdes pour les victimes, qui doivent aujourd'hui réparer. Nombreux sont ceux qui se demandent si l'Etat est en mesure de faire acte de solidarité et de permettre aux victimes de cette catastrophe de financer les réparations nécessaires.

Deux mesures simples et justes viennent à l'esprit, et elles recueillent, je crois, l'assentiment de beaucoup.

Constatant d'abord que l'Etat risque de gagner de l'argent sur le dos des victimes puisque la TVA s'appliquant aux travaux et aux réparations offrira aux pouvoirs publics des recettes supplémentaires, je propose que son taux passe de 20,6 % à 5,5 % pour tous les travaux non pris en compte par la loi de finances 2000 (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants), ce qui représente un volume important, de façon à aider les victimes de la catastrophe.

Une seconde mesure simple s'impose : que le champ d'application de l'état de catastrophe naturelle soit étendu. Actuellement, le Gouvernement a classé 69 départements en état de catastrophe naturelle. C'est très sympathique, mais cette disposition ne concerne que les dégâts liés aux inondations et aux coulées de boue, excluant ceux liés à la tempête. Or nous disposons d'un dispositif généreux, qui s'applique dans les départements d'outre-mer, lorsqu'ils sont frappés par un ouragan. La France métropolitaine a été victime d'un ouragan. Nous souhaitons que l'état de catastrophe naturelle prenne en compte cette dimension de façon que l'Etat ne « fasse pas de gras » sur les victimes de la tempête. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme Odette Grzegrzulka.

Que c'est trivial !

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, le Premier ministre a annoncé un dispositif très complet d'indemnisation des dégâts dus aux intempéries, incluant les assurances et un dispositif budgétaire très important.

S'agissant de la TVA, la majorité de l'Assemblée a ramené à 5,5 %, l'an dernier, son taux pour les travaux d'entretien. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Cette disposition devrait un peu alléger les frais de réparations.

Sachez, monsieur le député, que le Gouvernement a pris toutes les dispositions nécessaires pour que les dégâts, tant des entreprises que des particuliers, soient réparés.

Quant aux cas particuliers, il existe des commissions départementales qui les examineront.

Ainsi, le Gouvernement, comme le Premier ministre l'a indiqué, a mis tout en oeuvre pour que les dégâts subis par nos compatriotes soient réparés.

M. Lucien Degauchy. Vous n'avez pas répondu !

M. le président.

Nous passons au groupe communiste.

EFFETS DES INTEMPÉRIES EN DORDOGNE

M. le président.

La parole est à M. René Dutin.

M. René Dutin. Monsieur le Premier ministre, le 6 janvier dernier, vous vous êtes rendu dans mon département, la Dordogne, pour constater l'ampleur des dégâts causés par la terrible tempête du 27 décembre, je vous en remercie.

Le dernier hameau à avoir été réalimenté en courant est situé en Dordogne, et, le jeudi 13 janvier, tous les foyers qui en étaient privés recevaient de nouveau l'électricité. Je tiens à remercier chaleureusement les agents d'EDF et à saluer ici leur dévouement. Ce sont 40 000 agents qui n'ont pas hésité à interrompre leurs congés, voire leur retraite, afin de rétablir le courant dans les 90 départements touchés. Preuve est ainsi faite de l'ancrage d'une véritable culture du service public dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

Il faut souligner aussi l'esprit d'entraide qui a prévalu au sein de la population et reconnaître l'effort fourni par tous les bénévoles et aussi, ne l'oublions pas, par les élus, contrairement à ce que certains pensent.

Au-delà de ces actions destinées à répondre à l'urgence de l'aide et du secours, se pose désormais l'épineux problème de la réparation. La Dordogne, l'un des départements du sud-ouest le plus durement éprouvés, va devoir panser ses plaies. Vous savez, monsieur le Premier ministre, combien la cicatrisation va être longue.

Le bilan humain est lourd dans l'ensemble de la France, et le bilan économique semble aujourd'hui encore difficile à évaluer.

Des personnes ont perdu leur logement ou leur outil de travail dans cette région agricole très durement touchée, et l'activité de certaines entreprises est paralysée. Les forêts ont été dévastées.

Des mesures d'aides ont d'ores et déjà été annoncées pour venir compléter l'indemnisation par les assureurs.

Néanmoins, de nombreux biens n'étaient pas assurables.

Il est donc urgent que la procédure dite de calamités agricoles soit mise en oeuvre.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 JANVIER 2000

Ma question est simple : ces mesures seront-elles suffisantes pour pallier les difficultés auxquelles doivent faire face une agriculture déjà durement éprouvée et une filière bois dont l'avenir se trouve gravement menacée, sans négliger par ailleurs les conséquences sur le tourisme dans l'ensemble de la région ?

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur le député, le Premier ministre s'est rendu en Dordogne et moi-même j'y suis allé quelques jours après, après l'annonce des dispositions gouvernementales, afin de participer à des réunions de travail, hier, avec les responsables de la filière forestière et avec les responsables agricoles. Comme vous, j'ai pu constater l'ampleur du service rendu par les services publics. Avec les élus, j'ai rendu hommage au travail accompli par les militaires, notamment dans les exploitations de noyers.

Je peux vous affirmer que l'ensemble des dispositions prises par le Gouvernement seront gérées d'une manière déconcentrée, c'est-à-dire au niveau des départements. Ce ne sont pas les ministres qui, depuis Paris, décideront des indemnisations. C'est au niveau des cellules préfectorales que ce travail sera fait après étude au cas par cas. Les biens assurables feront l'objet d'avances à taux réduit ; on fera appel aux procédures de calamités agricoles et au fonds d'allègement des charges mais aussi à des aides au redémarrage des exploitations, je pense en particulier aux exploitations forestières.

Tous les moyens sont en place, constituant une sorte de boîte à outils. C'est maintenant aux cellules départementales de mettre en musique toutes ces aides.

Ainsi je fais confiance à celle que j'ai vue à l'oeuvre en Dordogne hier. Je pense que ce travail sera fait très rapidement.

DÉGÂTS DE LA MARÉE NOIRE EN BRETAGNE

M. le président.

La parole est à M. Félix Leyzour.

M. Félix Leyzour.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Il peut paraître répétitif de revenir encore sur les problèmes liés à la marée noire après les diverses questions déjà posées à ce sujet. J'ai bien entendu les réponses de M. le Premier ministre mais l'importance du sujet mérite qu'on y revienne.

Tout d'abord, je tiens à exprimer la solidarité des députés communistes avec les populations et avec les élus des départements touchés, qui luttent courageusement pour nettoyer leurs rivages et protéger leurs activités économiques.

En tant que député des Côtes-d'Armor, département qui a déjà eu à faire face à de telles catastrophes, je veux ajouter que les populations de la côte nord de la Bretagne se sentent de nouveau atteintes et blessées par cette nouvelle marée noire.

J'ai donc mon opinion sur les conditions dans lesquelles, en pareille situation, il faut mettre à profit l'expérience accumulée et mobiliser rapidement tous les savoir-faire. Mais, connaissant la complexité des problèmes et la difficulté de la tâche, je me garderai de toute critique facile.

Le temps est toujours à la mobilisation, qu'il faut amplifier et organiser. Il est aussi au bilan, qui est encore difficile à établir. Le temps est également à l'indemnisation, et le Gouvernement s'y est engagé. Et puis, il faut faire payer les pollueurs : c'est une exigence qui vient du plus profond du pays.

Mais si on veut éviter la répétition des marées noires, il faut s'attaquer aussi à la racine du mal. Il faut remettre en cause le système qui consiste à rechercher le transport à bas prix, avec de vieux navires qui ne sont que des épaves. On connaît les dégats avec le pétrole. Demain, cela peut être pire encore avec des cargaisons de produits chimiques dangereux.

J'aimerais, monsieur le ministre, que vous reveniez sur ces questions en nous indiquant comment la France, qui est l'un des pays les plus exposés par la géographie, et qui a donc des responsabilités particulières, compte contribuer, premièrement, à changer les normes, à améliorer la réglementation et à sanctionner sévèrement chaque fois que cela sera nécessaire, deuxièmement, à faire concrètement reculer les pavillons de complaisance, troisièmement, à favoriser le remplacement des vieux navires dangereux par la construction de pétroliers modernes. La sécurité y gagnerait, et nos chantiers y trouveraient leur intérêt.

N'oublions pas, car l'expérience le prouve, que, lorsque les semaines se seront écoulées, que les mois auront passé, que la colère se sera apaisée, les stratèges du libéralisme et de la déréglementation tenteront, comme toujours, de contourner les problèmes et de faire durer la situation existante.

Dites-nous, monsieur le ministre, quelle sera la détermination du Gouvernement pour lutter contre de telles catastrophes.

(Applaudisssements sur les bancs du groupe communiste, sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le député, comment ne pas partager le sentiment que vous exprimez, notamment la détermination qui doit être la nôtre pour que, plus jamais, une telle situation ne se reproduise ? Comme vous l'avez dit, il faut changer la donne dans ce domaine. La réglementation internationale doit être plus rigoureuse. Il faut changer les normes. On ne doit plus autoriser des navires à simple coque à transporter des produits pétroliers ou des produits chimiques dangereux.

Il faut également modifier les conditions du contrôle : on peut avoir les meilleures normes du monde, si les navires ne sont pas contrôlés, cela ne sert finalement pas à grandchose. Il faut enfin faire évoluer la situation en matière de sanctions. Rien ne sert d'avoir de bonnes normes si l'on n'est pas sanctionné quand on ne les respecte pas.

Comme je l'ai expliqué devant l'Assemblée nationale dès qu'a eu lieu cette catastrophe, c'est le système qui est en cause, celui du transport à bas prix, M. le Premier ministre y est revenu tout à l'heure avec beaucoup de force. Ce système crée des risques pour les équipages, pour les hommes, mais aussi des risques majeurs pour l'environnement. C'est lui qu'il faut revoir. Je crois comme vous que le transport à bas prix comme les pavillons de complaisance sont en quelque sorte la forme maritime du dumping économique et social que le libéralisme de tout poil veut absolument exprimer à travers la planète. Il faut changer ce système.

Dès qu'ont été connus les premiers éléments de la commission d'enquête, avant même de rencontrer les pétroliers à la mi-février pour établir une charte de


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 JANVIER 2000

sécurité maritime, et avant même d'agir à l'échelle européenne pour faire largement progresser ce dossier, j'ai écrit aux pétroliers pour leur demander de ne plus affréter de vieux navires de plus de quinze ans ou en tout cas de plus de vingt ans, les contrôles de sécurité devant être renforcés pour tous les navires, notamment sur la structure, de ne plus afffréter de navires dont on ne connaît pas clairement les propriétaires, présents et passés et, surtout, les conditions de contrôle de la sécurité, enfin, de ne plus affréter de navires battant pavillon de complaisance et de privilégier le recours aux pavillons français et européens.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

Pour que ne se produise pas ce que vous craignez à juste titre, monsieur le député, c'est-à-dire que, une fois l'émotion retombée, on en revienne aux mauvaises pratiques, il faut que des décisons soient prises tout de suite à l'échelle de la France, à l'échelle de l'Europe et à l'échelle internationale avec l'Organisation maritime intern ationale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe Radical, Citoyen et Vert.

CONSÉQUENCES FINANCIÈRES DES INTEMPÉRIES

M. le président.

La parole est à M. Michel Suchod.

M. Michel Suchod.

Monsieur le président, à cette heure, je serai forcément bref, et je crois que vous apprécierez. Je voudrais tout de même, d'un mot, remercier le Gouvernement pour son engagement sur le terrain et rappeler à quel point les ouragans ont été pédagogiques pour les Français,...

M. Michel Meylan.

Ça, oui ! Il n'y a plus un écolo !

M. Michel Suchod.

... qui se sont rapprochés de leurs services publics, toutes catégories confondues, ceux des communes, des départements, de l'Etat, ainsi que des grandes entreprises nationales.

M. le Premier ministre a souhaité que nous nous occupions désormais de la reconstruction, qui aura lieu dans la durée. J'ai trois suggestions de nature financière à faire.

Pour les catégories les plus sinistrées, exploitants agricoles ou autres, ne pourrait-on pas étudier la possibilité de reporter les remboursements d'emprunt d'un an, en plafonnant peut-être à une certaine somme ? Ne devrait-on pas donner un certain nombre d'instructions aux services des assurances, dans la mesure où on voit bien aujourd'hui qu'une bataille est en cours sur l'évaluation des biens détruits, notamment à cause de la notion de coefficient de vétusté ? Les indemnisations seront-elles importantes et normales ? Enfin, nous sommes très sensibles, dans les soixanteneuf départements concernés, aux pertes d'exploitation. Je vous donnerai le simple exemple de restaurateurs qui avaient préparé le réveillon. Vous imaginez comment, après le lundi 27 décembre, le réveillon a été équilibré d'un point de vue financier ? N'y a-t-il pas des décisions à prendre pour faciliter les arrangements comptables et donc fiscaux ? Vous l'aurez compris, monsieur le président, cette question s'adresse à M. Sautter ou à Mme Parly. (Applaudissements sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat au budget.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs.)

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget.

Monsieur le député, je vous remercie pour votre question qui me permet de m'exprimer pour la première fois devant votre assemblée en tant que membre du gouvernement de Lionel Jospin.

Le Gouvernement a pris des mesures à la fois efficaces et humaines, face à l'ampleur des catastrophes subies par nos concitoyens.

De nombreuses entreprises et exploitations agricoles ont été confrontées notamment à des difficultés pour rembourser leurs emprunts. Les mesures prises concernent ces deux catégories. Le Gouvernement a en effet décidé d'accorder des délais de paiement tant pour les impôts que pour les cotisations sociales. Il a également décidé d'accorder des avances de trésorerie financées par la Banque de développement des PME au taux de 1,5 %, financées tant pour les exploitants agricoles que pour les entreprises avec l'aide de la Caisse des dépôts et de l'Etat.

Des mesures plus particulières au secteur agricole ont par ailleurs été décidées. Le fonds d'allègement des charges financières, à hauteur de 200 millions de francs permettra de restructurer la dette des agriculteurs en difficulté, somme à laquelle s'ajoutent 300 millions de francs qui permettront aux agriculteurs de bénéficier d'aides en trésorerie.

S'agissant maintenant des contrats d'assurance, vous faites allusion aux clauses de vétusté qui, lorsque les biens sont anciens, risquent de conduire à des indemnisations d'un montant faible, voire nul. Le Gouvernement a d'ores et déjà appelé l'attention des assureurs afin que des solutions humaines soient trouvées à cet important problème. Des discussions sont en cours. Par ailleurs, les commissions départementales qui ont été mises en place dans les soixante-neuf départements concernés, en liaison avec le ministère de l'intérieur, sont là pour définir les solutions à tous les problèmes, car tous les problèmes devront trouver une solution.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

La séance est suspendue.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Philippe Houillon.)

PRÉSIDENCE DE M. PHILIPPE HOUILLON,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

2

FIN DE MISSION D'UNE DÉPUTÉE

M. le président.

Par lettre du 13 janvier 2000, M. le Premier ministre m'a informé que la mission temporaire précédemment confiée à Mme Nicole Bricq, députée de la Seine-et-Marne, avait pris fin le 9 janvier 2000.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 JANVIER 2000

3 SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ Discussion, en nouvelle lecture, d'un projet de loi

M. le président.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 18 novembre 1999.

« Monsieur le président,

« J'ai été informé que la commission mixte paritaire n'a pu parvenir à l'adoption d'un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

« J'ai l'honneur de vous faire connaître que le Gouvernement demande à l'Assemblée nationale de procéder, en application de l'article 45, aliéna 4, de la Constitution, à une nouvelle lecture du texte.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. »

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de ce projet de loi (nos 1840, 2004).

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, l'examen, au mois de février dernier, du projet de loi de modernisation et de développement du service public de l'électricité par votre assemblée avait suscité des débats riches et conduit à de nombreuses améliorations du texte initial.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Les modifications apportées par le Sénat puis l'insuccès de la commission mixte paritaire ont mis en lumière l'existence de conceptions différentes de ce que doit être le système électrique français.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Nous sommes donc amenés, à partir d'aujourd'hui, à réexaminer ce texte pour rétablir l'équilibre politique auquel l'Assemblée nationale était parvenue à l'issue de la discussion en première lecture.

Toutefois, avant d'aborder plus particulièrement le sujet de la loi électrique, chacun comprendra que je souhaite revenir sur les événements qui sont intervenus ces trois dernières semaines.

Les conséquences de la tempête illustrent qu'un système électrique est à la fois essentiel et fragile face à des aléas qui peuvent être de multiple nature, comme des conditions climatiques extrêmes ou un bouleversement du contexte géopolitique de l'énergie. Nous pouvons en tirer quelques leçons immédiates et simples.

Toutes tendances politiques confondues, je crois que nous devons saluer le talent, les efforts et le mérite des agents d'EDF et des distributeurs non nationalisés. Tout cela montre que même s'il doit évoluer - et il le doit - le service public constitue une valeur fondamentale très présente dans les entreprises électriques, il mobilise les agents pour satisfaire les attentes légitimes du pays et mérite notre admiration et notre reconnaissance.

Ces valeurs du service public sont bien celles que le Gouvernement place au coeur de ses préoccupations, comme il l'a montré tout au long des débats sur la nouvelle organisation du système électrique français.

Par ailleurs, une analyse approfondie des dégâts occasionnés et de leurs causes doit être réalisée afin de prendre rapidement les mesures permettant d'éviter que de tels événements puissent se reproduire. Différentes questions peuvent être explorées. Je me propose de les résumer à l'Assemblée nationale.

Première question : celle de la résistance mécanique des pylônes et des lignes. J'ai d'ores et déjà demandé à mes services d'engager le travail sur la modification des spécifications techniques de résistance au vent et à la neige des pylônes et poteaux électriques, ainsi que sur la modification des exigences de distance par rapport aux arbres.

L'enfouissement des lignes présente l'avantage certain de réduire leur exposition aux intempéries et de respecter le paysage même s'il soulève également certaines difficultés qu'il ne faut pas négliger, par exemple, un accès plus difficile en cas de panne et une fragilité à l'égard des inondations éventuelles.

En ce domaine, EDF a déjà entrepris des efforts importants. Le taux actuel d'enfouissement en France reste cependant inférieur à celui de nos voisins européens.

J'ai donc demandé qu'une réflexion soit conduite sur la manière de relancer efficacement la politique d'enfouissement des lignes électriques.

Dans les zones rurales, ce sont les communes ou leurs groupements qui sont maîtres d'ouvrage des travaux d'électrification et il faut leur donner les moyens de traduire dans les faits ces objectifs. Au début de décembre 1999 - un mois avant la tempête -, j'avais ainsi veillé à ce que soit modifiée la répartition des ressources en faveur du financement de l'enfouissement dans les zones rurales.

Par ailleurs, la politique du Gouvernement en faveur du développement de la production décentralisée trouve déjà sa traduction dans un certain nombre de dispositions du projet de loi que nous allons examiner. Certes, les installations décentralisées de production ne sont pas une panacée et ne peuvent pas remplacer la sécurité d'alimentation à laquelle tend l'interconnexion généralisée et la mutualisation des aléas au niveau national, voire européen. En particulier, le parc de production d'EDF, notamment nucléaire, permet à l'entreprise de disposer d'une électricité parmi les plus compétitives en Europe.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

De même, la meilleure garantie pour l'approvisionnement électrique du pays reste un réseau interconnecté, alimenté par des unités de puissance importante.

Il n'en reste pas moins que les installations de production décentralisées peuvent permettre des économies de réseaux et contribuer également à la sécurité du système électrique. Une réflexion sera engagée sur les conditions qui permettraient d'avoir véritablement recours à ces installations comme dispositif de secours en cas de situation dégradée du réseau. Votre collègue Guy Hascoët, qui vient d'être chargé par le Premier ministre d'une mission auprès de moi, pourra apporter, dans des délais très brefs, des réponses pertinentes.

J'en viens au projet de loi.

A l'issue de la lecture au Sénat en octobre, malgré l'important travail réalisé, j'avais indiqué mon opposition à un certain nombre de modifications retenues par la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 JANVIER 2000

Haute assemblée, qu'il s'agisse du renforcement des pouvoirs de la commission de régulation de l'électricité dans des domaines qui relèvent de la politique énergétique, alors que celle-ci est par nature de la compétence du Gouvernement, sous le contrôle démocratique du Parlement, ou qu'il s'agisse du choix fait en faveur d'un système de grossistes sans encadrement ou du relèvement des seuils de simple déclaration et d'obligation d'achat.

Enfin, je m'étais opposé à un troisième choix contraire aux options politiques du Gouvernement et, je le crois, de la majorité qui le soutient, choix qui consiste en un début de séparation du GRT d'EDF alors que les intempéries ont démontré, s'il en était encore besoin, l'importance de conserver une entreprise intégrée.

Je souhaite donc que la nouvelle lecture devant l'Assemblée nationale permette de revenir à un texte plus équilibré. Croyez bien que le Gouvernement sera particulièrement attentif aux amendements qui iront dans ce sens.

Je voudrais maintenant insister sur quelques aspects qui me semblent essentiels dans le projet qui vous est soumis.

Premier point, ce projet a pour ambition de dessiner un service public de l'électricité conforté, qui allie dynamisme, équité et solidarité.

Le projet définit le contenu du service public de l'électricité : il précise les différentes missions de service public, les catégories de clients auxquelles elles s'adressent et les opérateurs qui en ont la charge, qu'il s'agisse du développement équilibré des capacités de production d'électricité, du développement des réseaux, ou de la fourniture d'électricité. Ce projet donne ainsi, pour la première fois, une valeur législative au principe de péréquation nationale des tarifs. C'est un acquis politique décisif.

Je tiens également à saluer la création d'une tarification

« produit de première nécessité » qui a été souhaitée par votre assemblée à l'initiative de votre collègue Claude Billard lors de la première lecture.

M. Alain Cacheux.

Excellent collègue !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Et je rends hommage à ce travail de très grande qualité.

Ce dispositif, associé au renforcement du mécanisme d'aide pour la fourniture d'électricité aux plus démunis et aux dispositions en matière de prévention des coupures aux personnes en situation de précarité, doit permettre la mise en oeuvre concrète d'un véritable droit à l'énergie dans le domaine de l'électricité.

Le projet de loi met en place des mécanismes de financement permettant de répartir équitablement les charges résultant des missions de service public entre les opérateurs du secteur et de garantir le bon accomplissement de ces missions.

Dans le domaine de la production, domaine ouvert à la concurrence, ces charges feront l'objet d'une répartition au moyen d'un « fonds des charges d'intérêt général de l'électricité ».

Dans le domaine de la distribution, qui reste sous monopole, ces charges feront l'objet d'une mutualisation entre les distributeurs, par le biais du fonds de péréquation de l'électricité institué par la loi de 1946 elle-même.

Le service public - c'est une évidence - doit également être démocratisé dans le même mouvement : afin de répondre au mieux aux besoins des citoyens, le projet prévoit que les instances compétentes au niveau local, et tout particulièrement les collectivités locales organisatrices de la distribution d'électricité, apportent leur contribution à la mise en oeuvre du service public de l'électricité et veillent au bon accomplissement de ses missions.

Deuxième trait fondamental du texte : le projet de loi donne au Gouvernement les moyens de mettre en oeuvre une politique nationale de l'énergie recueillant l'assentisment le plus large - le débat ici même à l'Assemblée nationale le 19 janvier 1999 l'a bien montré - en garantissant bien sûr le rôle essentiel de contrôle démocratique qui incombe au Parlement.

L'énergie n'est pas un bien de consommation comme les autres.

M. Alain Cacheux.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Elle fait l'objet, compte tenu des enjeux qui y sont attachés, d'une politique publique forte, la politique énergétique de la nation.

La programmation pluriannuelle des investissements traduira concrètement cette politique énergétique dans le domaine de l'électricité. Elle garantira la sécurité d'approvisionnement, la protection de l'environnement et, enfin, la compétitivité de la fourniture, à travers un développement équilibré des capacités de production.

Afin d'assurer le maintien d'une politique énergétique cohérente, la délivrance des autorisations devra être compatible avec la programmation pluriannuelle des investissements de production. Si les capacités de production installées s'écartent des objectifs de cette programmation, les pouvoirs publics pourront décider de ne plus accorder temporairement d'autorisations pour certains types d'installations. Une telle décision devra bien entendu respecter la plus grande transparence et faire l'objet d'une publicité adéquate.

Corrélativement, les pouvoirs publics pourront décider de recourir à la procédure d'appels d'offres quand les i nvestissements spontanés ne suffisent pas afin de répondre aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements de production.

La politique énergétique pourra donc, en tant que de besoin, être conduite soit avec un « frein », par le système des autorisations, soit avec un « accélérateur », par le système des appels d'offres.

L'obligation d'achat, dont le champ a été utilement précisé et renforcé, constituera également un outil indispensable pour favoriser le développement de la production décentralisée. Ainsi, pourront continuer d'être aidées des installations qui, bien que trop petites, présentent un réel intérêt pour la collectivité pour pouvoir raisonnablement rechercher des consommateurs éligibles.

Troisième et avant-dernier axe essentiel, le projet de loi vise à développer le rôle des collectivités locales - je sais que votre assemblée a été très sensible à cet aspect - po ur concilier autonomie locale et principe d'égalité et pour accroître la production décentralisée.

Le projet de loi réaffirme pour les collectivités locales leur qualité d'autorité concédante de la distribution, ainsi que leur mission de contrôle du service public concédé.

Il précise et élargit la possibilité pour les collectivités locales d'intervenir en matière de production décentralisée, notamment à partir d'énergies renouvelables, de déchets, ou au moyen des techniques de cogénération. De plus, la possibilité d'intervenir en matière de maîtrise de la demande d'électricité, notamment chez les particuliers, reçoit - et c'est la première fois là aussi - un fondement législatif clair. Maîtrise de l'énergie, maîtrise de la consommation d'électricité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 JANVIER 2000

Ce projet ne doit laisser planer aucun doute : les initiatives locales doivent être libérées, dès lors qu'elles coïncident avec les orientations de la politique nationale de l'énergie décidée par le Gouvernement et placée sous le contrôle démocratique du Parlement.

Quatrième et dernier axe, le projet de loi met en place les conditions nécessaires pour garantir l'avenir industriel de la grande entreprise publique EDF et lui permettre de demeurer le premier électricien européen, présent dans le monde entier.

Ainsi, EDF demeurera une entreprise publique intégrée de production, de transport, de distribution et de fourniture d'électricité. Elle sera en particulier le gestionnaire désigné du réseau de transport français.

L'objet légal d'EDF, c'est-à-dire son domaine autorisé d'intervention en tant qu'établissement public, est notablement accru vis-à-vis des clients éligibles pour lui permettre d'affronter la concurrence à armes égales avec les autres entreprises européennes.

La demande industrielle peut, en effet, inclure des prestations qui constituent le complément technique ou commercial de la fourniture d'électricité. Les concurrents d'EDF pourront offrir ces prestations aux clients éligibles alors qu'EDF, en vertu de son objet légal, ne le peut pas légalement aujourd'hui. Le projet de loi propose donc d'élargir les marges de manoeuvre d'EDF vis-à-vis des clients éligibles, dans le respect du principe d'égalité dans la concurrence.

M. Alain Cacheux.

Très bien.

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Doter EDF des mêmes capacité que les autres producteurs pour saisir les opportunités d'un marché européen en croissance et en mutation : voilà une grande ambition pour notre grande entreprise publique. En deux mots, mesdames, messieurs les députés, faisons ensemble de l'Europe le marché domestique d'EDF. La réussite et le développement de l'entreprise publique se feront au bénéfice du pays.

J'ai insisté sur les ambitions de ce texte en matière de développement mais aussi de modernisation du service public de l'électricité et j'ai réaffirmé quelques principes fondamentaux pour définir une véritable politique énergétique diversifiée et équilibrée au plan national. Je ne reviens pas sur le caractère particulièrement équilibré de ce texte, tel qu'il est issu des travaux de votre assemblée, il se traduira par une ouverture à la concurrence maîtrisée et équitable...

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. François Goulard.

Cela n'a échappé à personne !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... assurant aux utilisateurs des réseaux publics un accès dans des conditions transparentes et non discriminatoires dans le cadre d'une régulation transparente et, je le crois, efficace.

Vous le savez, ce texte permet également de conforter l'acquis depuis 1946 d'un demi-siècle d'une histoire industrielle brillante dans le secteur électrique. Ainsi, le statut du personnel des industries électriques et gazières sera intégralement conservé, voire conforté.

Il est maintenant crucial pour l'avenir des entreprises du secteur électrique français que cette réforme soit rapid ement promulguée par M. le Président de la République, et cela dans de bonnes conditions pour le système électrique français, pour le service public et pour l'égalité d'accès de tous à ce service public.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur de la commission de la production et des échanges.

M. Christian Bataille, rapporteur de la commission de la production et des échanges.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant de vous présenter en nouvelle lecture ce projet de loi relatif à la loi sur la modernisation et au développement du service public de l'électricité, il faut revenir sur les événements climatiques, d'une brutalité et d'une ampleur cruelles, qui ont privé d'électricité un nombre considérable de nos concitoyens au lendemain de Noël.

Je veux en premier lieu saluer bien bas le service public de l'électricité, EDF et ses salariés. Par leur capacité à se mobiliser et à réparer en tous lieux et en toutes circonstances les graves conséquences de la tempête, nos électriciens ont bien mérité de la collectivité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Par leur altruisme, leur détermination sans arrièrepensée, ils ont permis que soient réalimentés dans les plus brefs délais tous les foyers. Ainsi, depuis quelques jours, tous les Français bénéficient à nouveau du courant. Si c'était nécessaire, le constat a été fait que, aujourd'hui, l'électricité, c'est la vie. EDF, ses ouvriers, techniciens, cadres, dirigeants, renforcés par les électriciens des pays voisins et par les distributeurs non nationalisés, ont démontré par leur cohésion que le service public avait encore tout son sens et que l'industrie reste, dans ce pays, une grande aventure.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. Christian Bataille, rapporteur.

C'est parce que nous avons un service électrique uni et cohérent au niveau national que l'on a pu traduire la solidarité dans les faits et agir vite.

Avant toute chose, il convient de rappeler que la directive européenne sur le marché de l'électricité a été sign ée par le Gouvernement français en 1996.

M. Alain Cacheux.

Eh oui !

M. Christian Bataille, rapporteur.

Cet engagement, pris par notre pays comme par les autres gouvernements, a valeur de traité et, même si bien des aspects restent discutables, il ménage des marges de manoeuvre, puisqu'il ne concerne qu'environ 30 % du marché de l'électricité à travers les gros clients dits « éligibles ».

Il ne faut donc pas vouloir faire dire à l'Europe ce qu'elle ne nous impose pas. La loi n'évoque nulle part l'ouverture totale, encore moins une prétendue privatisation du service public.

M. Georges Lemoine.

Très bien !

M. Christian Bataille, rapporteur.

L'interprétation de la commission de la production et des échanges, constante depuis un an, est respectueuse du texte européen, mais la commission cherche à l'appliquer avec prudence et mesure.

M. Alain Cacheux.

Elle est pragmatique et modérée !

M. Christian Bataille, rapporteur.

Elle traduira dans notre droit une directive qui, dans les faits, s'applique depuis février 1999 et mettra un terme à la procédure d'infraction engagée contre la France.

Nous avions abouti en première lecture, le 2 mars 1999, à un équilibre délicat entre le strict respect des règlements européens et les exigences liées à la préservation du service public. Nos collègues du Sénat se sont


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éloignés de cette rédaction, et, malgré un travail qu'il faut saluer, ont abouti à un texte trop éloigné de la volonté politique exprimée par l'Assemblée nationale.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. Franck Borotra.

On n'a pas essayé de se rapprocher.

M. Christian Bataille, rapporteur.

Afin de doter le secteur de l'électricité d'une législation à la fois durable et acceptée, notre commission vous propose de revenir à l'esprit du texte adopté en première lecture, en retenant les aspects pertinents du travail du Sénat - qui, je le répète, doivent être salués - et en mettant à profit cette lecture pour apporter quelques adaptations destinées à améliorer encore le texte.

Quels sont les grands points en débat ? Premier point, la définition et le cadrage du service public de l'électricité. Contrairement à ce qu'affirme le Sénat, le service public de l'électricité reste un service tourné vers les besoins de la collectivité et vers l'ensemble des citoyens, géré selon les principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité. Ce serait un contresens et un abus que de décider que le service public doit être géré dans le

« respect des règles de concurrence ». Ce serait se ligoter inutilement et ôter au Gouvernement, représentatif de la volonté populaire, ses prérogatives que de vouloir concevoir la sécurité d'approvisionnement et l'indépendance énergétique dans un cadre européen. Certes, il est de bon sens pour l'exécutif d'échanger et de dialoguer avec nos partenaires européens, mais il doit garder une liberté de décision sur les choix énergétiques. Des différences fortes subsistent, nous le savons. La France n'a pas forcément tort, les autres pays européens n'ont pas nécessairement raison.

Par ailleurs, la péréquation tarifaire est un élément clé de la solidarité et de l'aménagement du territoire. La rédaction du Sénat, je le souligne, mettait en péril cette notion à laquelle tous les Français sont historiquement attachés.

M. Alain Cacheux.

Eh oui !

M. Franck Borotra.

Vous avez lu trop vite !

M. Christian Bataille, rapporteur.

Les problèmes du réacteur du futur, l'EPR, et de la cogénération sont des aspects importants de notre politique énergétique. Le Parlement a bien sûr à s'exprimer, à débattre, sur ce sujet, mais ces dossiers n'ont pas leur place dans le débat d'aujourd'hui. Il vous est proposé de nous en tenir au sujet.

Enfin, ce qui concerne le droit à l'électricité, nous avons retravaillé le dispositif initial pour tenir compte des expériences conduites en région parisienne. Le résultat sera une aide plus substantielle, plus significative par bénéficiaire.

Un autre grand point est le rôle imparti au régulateur, à la commission de régulation de l'électricité, la CRÉ. Il est essentiel. Si la CRÉ est un régulateur de l'accès et de l'usage des réseaux, on reste perplexe devant ce qu'on peut appeler la « créomania » qui semble avoir saisi le Sénat. La CRÉ est ainsi devenue une entité omniprésente, ultra-interventionniste se substituant au pouvoir politique, un ministère bis de l'énergie. Cela n'est pas la conception de la commission.

Au-delà du débat d'aujourd'hui, il faudrait d'ailleurs à mon sens s'interroger sur cette conception de type anglosaxon qui consiste à confier à un collège extérieur, d'ailleurs souvent composé d'anciens élus,...

M. Franck Borotra.

Vous passez votre temps à faire cela !

M. Christian Bataille, rapporteur.

... la détermination de choix politiques qui relèvent de l'exécutif et doivent traduire les choix électoraux des citoyens.

M. Alain Cacheux.

Très bien !

M. Christian Bataille, rapporteur.

Nous vous proposerons donc de recentrer la CRÉ sur ses attributions originelles.

M. Claude Birraux.

Nous ne l'oublierons pas !

M. Franck Borotra.

Oui, on vous le ressortira !

M. Christian Bataille, rapporteur.

Si le soutien à la production décentralisée a valeur d'encouragement, il doit rester mesuré et compatible avec une politique coordonnée, organisée, du service public, qui vient de démontrer toute sa valeur.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. Christian Bataille, rapporteur.

C'est pourquoi nous vous proposerons de revoir les seuils proposés par le Sénat en matière d'obligation de rachat d'énergie par EDF aux producteurs autonomes. Le Sénat avait choisi une option maximaliste de 20 mégawatts. Nous souhaitons revenir à l'équilibre de 12 mégawatts retenu en première lecture.

M. Alain Cacheux.

C'est raisonnable.

M. Christian Bataille, rapporteur.

Par ailleurs, et dans ce domaine, nous reviendrons principalement sur la contribution au fonds de service public et sur l'autorisation de nouvelles installations.

J'en arrive à un autre point important : le GRT, le gestionnaire du réseau de transport.

D'après le texte sénatorial, le GRT serait mis en place provisoirement par EDF, pour relever ensuite d'une législation ultérieure que nous ne connaissons pas aujourd'hui.

M. Claude Birraux.

Cela va de soi puisqu'elle est

« ultérieure » ! M. Christian Bataille, rapporteur.

Cela n'est pour nous pas acceptable.

S i le GRT doit bénéficier d'une indépendance comptable, celle-ci doit se concilier avec une présence fermement réaffirmée au sein d'EDF.

L'un des points les plus discutés du texte a été le degré d'ouverture du marché de l'électricité. Je vous propose, mes chers collègues, de ne pas suivre le Sénat sur une pente ambiguë qui pourrait conduire à des dérives dangereuses et de nous en tenir strictement à la directive européenne, qui ne propose rien de plus qu'une ouverture limitée aux gros clients.

Le dernier grand point de divergence avec le Sénat porte sur l'exercice du négoce. Le Sénat l'a très généreusement autorisé. La commission vous propose de le limiter aux besoins ponctuels de producteurs devant compléter leur offre.

J'ai salué tout à l'heure le travail du Sénat dont, vous l'avez compris, nous ne retiendrons pas, c'est clair, un certain nombre d'orientations politiques. Mais c'est bien notre rôle d'en débattre et de prendre acte de nos désaccords. Mais vous pourrez a contrario constater que nous vous proposons de prendre en compte des améliorations apportées au texte par nos collègues du Palais du Luxembourg pour ce qui concerne notamment la compensation intégrale des charges de service public, l'amélioration des dispositifs de sanction, la limitation des critères d'octroi de l'autorisation d'exploitation et, enfin, l'annualisation


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du paiement des redevances d'occupation du domaine public dues par les concessionnaires d'ouvrages électriques.

Au total, c'est une quinzaine d'articles sur cinquanteh uit que la commission vous propose d'adopter conformes.

Mes chers collègues, j'ai entendu ici ou là des commentateurs ou même des partenaires importants dire que la commission mixte paritaire avait eu tort de ne pas clôturer ce débat de manière accélérée, pour ne pas dire à l a hâte. J'espère quant à moi vous avoir démontré que, sur un texte aussi essentiel, un examen supplémentaire, finalement bien contenu par le calendrier, était nécessaire, tant les points de discussion importants le justifient. Je crois qu'on pourra dire dans l'avenir que le Parlement n'a pas édulcoré son rôle et que, malgré l'effervescence des événements, il a su porter son regard sur la longue durée.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. André Lajoinie, président de la commission de la production et des échanges.

M. André Lajoinie, président de la commission.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'actualité dramatique de ces dernières semaines, éclaire d'un jour nouveau l'examen en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

Face aux conséquences de la tempête sur les réseaux électriques, de télécommunications et de transports, les services publics ont su se mobiliser. Ils ont fait preuve de réactivité et de solidarité. Très rapidement, dans l'urgence, ils ont porté secours, restauré la fourniture d'énergie pour les familles et rétabli le moyens de communication.

Dans le même temps, une entreprise pétrolière privée a cherché à minimiser ses responsabilités dans une catastrophe écologique provoquée par le nauffrage d'un bateau qu'elle avait affrété. Sa recherche de profit l'avait pourtant conduite à choisir un navire ancien, au propriétaire inconnu, et dont la structure avait été, à plusieurs reprises, signalée comme fortement touchée par la corrosion. Il a fallu que l'indignation de l'opinion publique s'exprime fortement pour que cette société consente enfin à s'engager financièrement dans la lutte contre la pollution.

Ce parallèle montre montre combien le service public est une notion moderne. Lors de ces événements, Electricité de France et ses salariés ont fait la preuve qu'ils n'avaient pas besoin d'être sous la pression d'une concurrence pour être pleinement au service du public. La taille de l'entreprise n'a pas été un handicap pour sa capacité de réaction. Son caractère public n'a pas limité sa mobilisation, au contraire. Le statut de ses salariés n'a pas été un frein à leur engagement.

M. François Goulard.

Encore heureux !

M. André Lajoinie, président de la commission.

N'en déplaise aux inconditionnels du libéralisme, ce n'est pas en dépit de ses spécificités que l'entreprise a su être efficace. Dans de telles circonstances, une compagnie privée aurait dû faire face à des contraintes multiples et à des limites structurelles. Afin de reconstituer son réseau, elle aurait, n'en doutons pas, sous l'influence de ses actionnaires attachés au niveau de leur rémunération, imposé une augmentation de ses tarifs de vente d'électricité.

Nous pouvons même imaginer que, dans une situation concurrentielle, le coût soit trop élevé pour ses capacités contributives et que, en dépit de son assurance, sa pérennité soit mise en cause.

Les particularités du système électrique français traduisent donc l'importance de la mission de fourniture à tous de cette énergie si indispensable dans nos sociétés contemporaines. Le présent texte insiste fortement sur ce point.

Si les salariés ont travaillé si durement, dans des conditions difficiles, s'ils ont accepté d'interrompre leur congé, si des retraités sont volontairement retournés au travail, c'est parce que les notions d'intérêt collectif et d'intérêt général restent d'actualité.

D'ailleurs, la promptitude et l'efficacité de la réaction d'EDF ont permis non seulement de réapprovisionner rapidement les foyers en électricité, mais aussi d'éviter une paralysie de l'économie française et de notre tissu de PME. Ainsi les conséquences financières des tempêtes ont été limitées.

Dans ces conditions, l'intérêt d'un service public fort, développé, et de la spécificité des entreprises qui en ont la charge, est apparu aux yeux de tous.

Selon un sondage récent, 92 % des Français sont satisfaits de l'attitude qu'a eue EDF pendant cette période de crise. Ils sont également une majorité à considérer que les missions remplies aujourd'hui par les services publics seraient moins bien prises en charge par des entreprises privées.

La conception de la responsabilité sociale de l'entreprise, illustrée par le fonctionnement du service public pendant cette période de crise, doit être défendue en même temps qu'étendue, au-delà même du secteur public.

Cela étant, si, dans l'urgence de la crise, l'action d'EDF et des autres services publics a été très appréciée, et cela à juste titre, il faudra dresser un bilan sérieux de ce qui s'est passé. Vous avez eu raison, monsieur le secrétaire d'Etat, d'y avoir fait allusion.

Outre le problème de l'enfouissement du réseau, on devra assurément s'interroger sur les moyens humains et financiers consacrés à son entretien et à sa maintenance.

De même, avant de le reconstruire, un retour d'expérience est nécessaire. Les investissements ont-ils été suffisants ? Les normes techniques ne devraient-elles pas étre réévaluées ? On devra examiner ces questions, comme certainement beaucoup d'autres, dans la concertation, tout en gardant à l'esprit que le service public est un atout pour notre pays et qu'il ne doit pas être sacrifié aux logiques commerciales, sous peine de perdre son efficacité, et donc sa légitimité.

C'est en veillant au respect de ces principes que la majorité de l'Assemblée nationale avait examiné en première lecture le projet de loi de transposition de la directive européenne.

Sans rien annuler du caractère déstabilisateur du service public de la directive européenne, le travail effectué en février dernier a visé à utiliser la liberté laissée aux Eta ts pour défendre et développer le service public de l'électricité, et non à s'engager plus avant dans la libéralisation du secteur.

Le choix de la majorité sénatoriale fut inverse. Ainsi, les amendements adoptés par les sénateurs ont, par touches successives, profondément dénaturé le texte voté ici même. Les sénateurs ont notamment souhaité affaiblir le service public en engageant la dépéréquation des tarifs, en favorisant l'arrivée des intérêts privés dans le secteur,


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en autorisant une libéralisation allant au-delà des exigences de la directive et en limitant les moyens de maîtrise publique de la politique énergétique.

Dans ces conditions, la réussite de la commission mixte paritaire était impossible, non par dogmatisme, mais parce qu'une telle issue aurait conduit à édulcorer le texte de l'Assemblée nationale au profit de choix plus libéraux.

Cet échec de la recherche de compromis n'a pas, contrairement à ce qui a été dit abondamment, retardé l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence. En effet, depuis le 19 février dernier, les dispositions de la directive d'application immédiate sont en vigueur en France comme dans les autres pays de l'Union. Les producteurs privés ou étrangers peuvent donc d'ores et déjà fournir de l'électricité aux clients les plus importants.

Par ailleurs, un accord en CMP n'aurait avancé que de quelques semaines la fin du processus parlementaire, au détriment, entre autres, de la protection du service public.

Les très fortes pressions des milieux libéraux français et européens pour accélérer l'adoption d'un texte sont très politiques. C'est la volonté, affirmée par la majorité plurielle, de conserver EDF comme une entreprise publique et intégrée, de limiter l'ouverture du marché au minimum requis par la directive, de maintenir et d'améliorer le service public de l'électricité, qui est contestée.

Malgré ces pressions, la commission de la production et des échanges a conservé, pour cette nouvelle lecture, l'orientation qui fut la sienne en première lecture. Elle est donc revenue sur les modifications du texte votées par la droite sénatoriale.

Cela étant, le fait que l'électricité ne soit pas un produit comme un autre, ce qu'a démontré le préjudice subi par près de 10 millions de Français qui en ont été privés, reste une notion contradictoire avec la perspective d'une mise en concurrence croissante des producteurs au niveau de l'Union européenne.

Le besoin d'une réorientation de la construction européenne sur ces sujets apparaît donc toujours indispensable.

L'attachement revitalisé des Français au concept de service public doit pouvoir trouver chez nos voisins des sentiments similaires susceptibles d'imposer, au niveau européen, une primauté des missions de service public sur la concurrence.

L e Gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat, devrait rechercher ces convergences pour porter ce besoin de pérennité et de développement du service public.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président.

J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie libérale une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. François Goulard, pour une durée qui ne peut excéder trente minutes.

M. François Goulard.

Monsieur le secrétaire d'Etat, en présentant cette exception d'irrecevabilité en nouvelle lecture, je me placerai d'abord sur un plan strictement juridique pour vous dire qu'à notre avis vous courez un risque réel de sanction.

Vous savez que nous ne manions pas l'anathème de l'inconstitutionnalité à la légère. Votre collègue chargée de l'emploi et de la solidarité, Mme Aubry, a pu le constater à ses dépens, la plupart des points sur lesquels nous lui avions dit au cours de nos débats, avec constance et insistance, que sa construction était juridiquement fragile ont été retenus au moins partiellement par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 janvier.

Dans le cas présent, nous sommes convaincus que vous ne procédez pas à une transposition loyale de la directive européenne. C'est le vice premier et majeur du projet de loi que vous nous présentez.

L a directive européenne vise à poser des règles communes au marché intérieur de l'électricité. En cela, elle se conforme à un objectif fondamental des traités fondant l'Union européenne, celui de la liberté de la concurrence. Que vous le vouliez ou non, que vous l'acceptiez ou non, que certains membres de la majorité le reconnaissent ou non, la directive européenne libéralise le marché intérieur de l'électricité et enjoint aux Etats membres de prendre des mesures d'ordre interne qui permettent cette libéralisation.

Or non seulement vous n'avez pas satisfait à cette injonction dans les délais, mais vous présentez un texte qui, officiellement, publiquement, ouvertement, vise à conforter le « service public », termes qui recouvrent très exactement dans votre esprit le champ du monopole d'EDF.

A longueur de colonnes de journaux, d'émissions audiovisuelles, de rapports parlementaires, le Gouvernement et la majorité nous disent que leur objectif premier est de protéger le monopole d'EDF. L'analyse du texte faite par tous les observateurs et tous les spécialistes confirme la totale sincérité de vos propos publics.

(Sourires.)

Peut-on admettre que le gouvernement de notre pays, que la majorité que vous constituez, mes chers collègues, et que le législateur que nous sommes collectivement se conduisent ainsi ? Peut-on admettre que notre gouvernement affiche une politique contraire à celle voulue par l'Union européenne dans un domaine qui est de la compétence de l'Union, à savoir l'organisation du marché intérieur ? Peut-on admettre qu'une loi de transposition d'une d irective européenne affiche un objectif exactement contraire à celui de la directive qu'elle prétend transposer ? Peut-on admettre qu'en réalité notre pays viole ce qui est plus qu'un engagement international : un engagement européen ? La réponse de notre Constitution est claire. Elle est inscrite dans l'article 55 de notre loi fondamentale : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. » Cette réserve de récipro-

cité, au demeurant sans objet du fait de la transposition de la directive par tous nos partenaires de l'Union, ne vaut d'ailleurs pas en matière européenne, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.

Il y a donc inconstitutionnalité à ne pas respecter un traité. Il y a donc inconstitutionnalité à ne pas respecter une directive dont le caractère impératif est explicitement


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prévu par ce traité. Il y a donc inconstitutionnalité à faire semblant de transposer une directive européenne en tentant de s'opposer à sa mise en oeuvre.

Il n'est pas dans l'objet de cette motion de procédure de développer, au-delà des considérations constitutionnelles, les inconvénients juridiques qui peuvent résulter d'une telle manoeuvre au regard du droit européen. Mais nos partenaires européens ont une analyse qui rejoint très largement la nôtre, et cela pourrait, monsieur le secrétaire d'Etat, avoir des conséquences.

Vous avez, dans l'élaboration de ce texte, exploité toutes les exceptions, toutes les restrictions, toutes les limites que la directive admet à titre dérogatoire, à titre temporaire, pour en faire la règle unique de votre loi.

Je prendrai un exemple parmi tant d'autres : votre loi est placée sous le signe omniprésent, quasi obsessionnel, du service public. C'est bien ce qui ressort du titre de la loi, et l'article 1er en décrit les principes. C'est la référence constante et absolue : l'électricité, dites-vous, est un service public.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. François Goulard.

Vos orateurs saluent sa reconnaissance par la loi, et se réjouissent de sa proclamation en tant que principe fondateur.

Voyons maintenant - je me place sur le plan du droit comment la directive décrit le service public. C'est l'objet de son considérant no 13 : « considérant que, pour certains Etats membres, l'imposition d'obligation de service public peut être nécessaire pour assurer la sécurité d'approvisionnement, la protection du consommateur et la protection de l'environnement, que, selon eux, la libre concurrence, à elle seule, ne peut nécessairement garantir... »

Voilà comment est évoquée la notion de service public dans la directive. Ai-je besoin de souligner une à une les restrictions qui entourent cette référence ? Ai-je besoin de dire qu'entre l'imposition d'obligations de service public et le maintien d'un service public monopolistique, que vous souhaitez, il y a une distance considérable, pour ne pas dire un abîme ? En limitant la concurrence au minimum obligatoire dans la production, en l'excluant totalement du transport, bien sûr, mais aussi de la distribution, en ne séparant pas la gestion du réseau de l'opérateur monopolistique, en soumettant toute installation à un régime d'autorisations ministérielles délivrées au regard d'une planification établie sous la dictée d'EDF, en ne dotant pas le marché de l'électricité d'une véritable autorité de régulation, en interdisant de facto l'activité de trading d'électricité, vous ne transposez pas la directive 96/92 : vous cherchez à protéger la situation actuelle d'EDF en faisant un minimum de concessions formelles au texte européen.

De ce point de vue juridique, votre politique est à mon avis d'autant plus critiquable et vulnérable - j'insiste sur le dernier adjectif - que tous nos partenaires ont adopté des mesures de libéralisation autrement audacieuses et sans attendre, pour beaucoup d'entre eux, la directive. C'est sur ce critère-là qu'il faut aussi juger la loyauté de votre transposition et votre respect de la directive.

Je reviendrai très brièvement sur d'autres motifs d'inconstitutionnalité qui, pour être moins fondamentaux, n'en sont pas moins réels, et que j'avais, en première lecture, développés plus longuement que je ne le ferai aujourd'hui.

L'un des plus importants est l'extension de l'objet social d'EDF par l'article 42 du projet de loi, auquel vous avez fait allusion, monsieur le secrétaire d'Etat.

Cet article pose au moins deux questions, la première ayant trait au principe de spécialité des établissements publics, principe dégagé par la jurisprudence du Conseil d'Etat, mais inséparable du texte de l'article 34 de notre Constitution.

Sans respect du principe de spécialité, en effet, quel sens aurait la notion de catégorie d'établissements publics, dont la définition, dispose l'article 34, relève de la loi ? Or, en vous écartant du principe de spécialité tel que le définit le Conseil d'Etat, notamment dans un avis du 7 juillet 1994 concernant EDF, vous rendez inopérante la notion même de catégorie d'établissement public. Dans deux décisions de 1961 et 1979, le Conseil constitutionnel définit les catégories d'établissement public en se réfé rant à leur spécialité.

La seconde question est celle de la libre concurrence.

Par votre volonté, EDF reste et restera, suivant les marchés, soit en position de monopole, soit en position dominante. L'égalité des conditions de concurrence, y compris pour les clients éligibles, est plus que sujette à caution. Or l'objet même de l'article 42 est de permettre à EDF de venir concurrencer les entreprises privées pour toutes les prestations, de quelque nature que ce soit, touchant à l'électricité. On voit l'avantage qu'EDF pourra avoir sur ses concurrents privés en sa qualité de fournisseur d'électricité et de tous les travaux et services qui s'y rattachent.

Le législateur peut-il adopter des dispositions qui créent immanquablement, dès le départ, une situation de concurrence déloyale ? Le principe d'égalité comme celui de la liberté d'entreprise s'opposent, me semble-t-il, à ce que la loi puisse comporter de telles dispositions. La question est au demeurant très loin d'être théorique puisqu'avant même l'adoption de ce projet de loi, et dans des conditions qui peuvent paraître critiquables au regard de la législation en vigueur, EDF a procédé à plusieurs acquisitions d'entreprises, dont l'une très importante, qui lui permettent de concurrencer directement tout le secteur des entreprises privées, qui s'en sont d'ailleurs largement émues.

L'infraction aux principes d'égalité et de liberté d'entreprendre peut d'ailleurs être invoquée à d'autres titres. Ouvrant, même très timidement, même très partiellement, à la concurrence la production d'électricité, vous êtes tenus, à notre avis, sur ce marché ouvert à la concurrence, de respecter la liberté d'entreprendre et le principe d'égalité devant la loi. Or, la position très particulière conférée à EDF par votre loi sur ce marché même des clients éligibles interdit de considérer que ces deux principes de valeur constitutionnelle sont respectés.

L'extension du statut des agents d'EDF à l'ensemble des entreprises du secteur de l'électricité est également contestable pour les juristes au regard du principe d'égalité, et cela à deux points de vue.

D'une part, du point de vue des entreprises qui devront l'adopter et qui auront beaucoup de mal à absorber un surcoût considérable étant donné les clauses de la convention collective en question. Sur un plan économique, c'est une sorte de droit d'entrée sur le marché de la production d'électricité que ces entreprises auront à acquitter.


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D'autre part, du point de vue des salariés, car vous donnez par la loi un statut particulier, dérogatoire du droit commun du travail, à des salariés d'entreprises privées qui n'auront pas de lien avec le service public.

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

C'est déjà le cas aujourd'hui !

M. François Goulard.

C'est un véritable problème juridique.

J'avais évoqué, en première lecture, d'autres questions touchant à la protection de la liberté individuelle du fait des pouvoirs dévolus aux fonctionnaires habilités à opérer des contrôles. Je n'y reviens pas, sinon pour dire que nos préventions demeurent.

Les faiblesses de ce texte au regard de la Constitution comme du droit européen sont considérables. Elles le fragilisent et elles fragilisent la position de notre pays pour l'avenir. Mais il y a aussi, sur un plan moins juridique et plus politique, une contradiction sur laquelle je voudrais insister. Elle tourne autour du mot et du concept de service public. En effet, comment ne pas être frappé par le paradoxe qu'il y a à affirmer, avec lourdeur sinon avec force, que l'électricité est et doit demeurer un service public au moment même où vous l'ouvrez, faiblement sans doute - ô combien faiblement ! -, à la concurrence dont vous êtes contraint d'accepter le principe pour des raisons européennes ? Vous vous réjouissez de voir affirmée l'existence du service public de l'électricité au moment même où, pour les clients éligibles, la fourniture d'électricité cesse à l'évidence d'être un service public.

Nous savons qu'en doctrine, la définition du champ du service public est pour le moins entourée de flou. Il y a une définition organique - un service public est un service assuré par des organismes publics -, mais la définition des services publics par nature est infiniment plus difficile. Elle est surtout évolutive, et c'est cela, à mon sens, qu'il faut prendre en compte aujourd'hui.

Permettez-moi un parallèle entre deux grands secteurs de notre économie, qui suivent actuellement des évolutions à bien des égards comparables : l'électricité et les télécommunications. Je ferai un rapide historique. A l'origine, la production et la distribution d'électricité étaient largement privées. Au départ, lors de l'invention et des premières applications de l'électricité, à aucun moment on ne parle de service public. Après le télégraphe, le téléphone est au contraire d'emblée placé sous un régime administratif, mais pour des raisons qui n'ont strictement rien à voir avec des préoccupations d'ordre économique ou social et qui sont tout simplement des raisons de basse ou de haute police, l'Etat ayant vu tout le parti qu'il pouvait tirer d'un contrôle étroit des communications.

Je passe sur l'évolution de ces deux grands secteurs.

Dans l'après-guerre, il ne fait de doute pour personne que l'électricité et le téléphone relèvent du secteur public et du service public. Vient l'époque contemporaine. Les évolutions globales de l'économie, les évolutions techniques, la diversification possible de l'offre, les exigences de la demande et des consommateurs, l'Europe, puissant levier de cohérence, nous amènent, après tous les pays du monde d'ailleurs, à libéraliser les télécommunications. Les grandes proclamations sur le maintien, l'intangibilité dus ervice public des télécommunications marquent les débats d'alors, tout comme elles marquent ceux d'aujourd'hui. Et pourtant, à l'heure actuelle, qui ne voit le glissement qui s'est opéré en seulement quelques années, quelques courtes années ? D ans l'esprit du public, les télécommunications relèvent du marché. La concurrence y est vive. On se réclame d'autant moins du service public que la concurrence a permis une formidable baisse des prix. La diversification de l'offre, des produits, y compris pour les plus modestes de nos concitoyens, est une réalité visible pour tout le monde. Il reste naturellement des obligations de service public. Elles sont légitimes, utiles, mais somme toute relativement marginales. Que vous le vouliez ou non, les télécommunications ont aujourd'hui quitté la sphère du service public pour celle de l'économie de marché et chacun - je dis bien : chacun - en tire avantage.

Le domaine du service public n'est pas figé. Il n'est gravé ni dans la Constitution ni même dans la loi. Oh, je comprends que l'on puisse avoir la nostalgie du service public traditionnel, comme celle de la marine à voile ou de la lampe à pétrole, pour reprendre une expression du général de Gaulle. On peut inscrire de beaux principes dans la loi, ces beaux principes que sont la continuité, l'égalité et celui, plus récent, d'adaptabilité. En réalité , la continuité n'est pas toujours le trait dominant des services publics. Parlez-en aux usagers de la ligne B du

RER ! Quant à l'égalité, le service public ne respecte pas l'égalité des concitoyens devant lui, et on peut le déplorer. Les Français sont-ils égaux devant le service public hospitalier ou devant le service public de l'éducation ? Nous savons bien qu'il y a des lycées et des hôpitaux plus p erformants que d'autres. Nous savons également qu'EDF a des tarifs diversifiés et qu'elle favorise les gros consommateurs au détriment des petits.

S'agissant de l'adaptabilité enfin, peut-on considérer les services publics français comme des modèles en termes de capacité d'adaptation aux réalités ? Au contraire, et c'est une critique à adresser à l'ensemble du monde politique qui est censé les régir, ils mettent plus de temps que le reste de la société, que le reste de l'économie, à tenir compte des réalités nouvelles.

Ma conviction, au terme de la présentation rapide de cette motion de procédure, c'est que vous tentez aujourd'hui, certains en conscience, d'autres en ne se faisant strictement aucune illusion, d'aller à l'encontre d'un mouvement qui est déjà largement réalisé chez pratiquement tous nos partenaires européens. Il est vain de vouloir s'y opposer. La barrière juridique que vous tentez d'ériger ne résistera pas au temps et le moment est très proche où ce Gouvernement ou un autre, peut-être d'ailleurs la même tendance politique, sera amené à changer le texte que vous nous proposez de voter. Je ne crois pas que notre pays puisse faire cavalier seul dans un tel domaine. Je le crois d'autant moins, monsieur le secrétaire d'Etat, que tant sur le plan juridique que sur celui de la conformité à la Constitution et au droit européen, votre texte comporte de sérieuses lacunes qui motivent la présentation, par le groupe Démocratie libérale et Indépendants, de cette exception d'irrecevabilité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Je veux répondre aux arguments essentiels que vient de développer M. Goulard. A ses yeux, la libéralisation ne serait pas suffisamment forte. Je lui réponds très calmement, comme les orateurs de plusieurs groupes l'ont d'ailleurs fait lors de la discussion en première lecture : oui, la libéralisation est


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maîtrisée parce que la directive ne prévoit pas autre chose qu'un certain cantonnement dans l'ouverture du marché et qu'une progressivité dans le temps expressément organisée par le texte européen ! Ensuite, M. Goulard nous reproche de conforter le m onopole EDF, confondant d'ailleurs dans cette démarche production et distribution. Je veux rappeler clairement à l'Assemblée nationale que la distribution ressortit expressément, de par le texte de la directive, à la subsidiarité. Il est donc loisible au Gouvernement et à sa majorité d'organiser la distribution vis-à-vis des clients non éligibles comme elle l'a été depuis la grande loi de 1946. Cela n'est en aucune façon contraire aux dispositions de la directive.

Vous nous dites, monsieur Goulard, que nous restons fidèles au service public. C'est un hommage que rend le vice à la vertu, si vous me permettez l'expression qui n'a rien d'insultant. Oui, c'est nous rendre hommage de dire que nous respectons le service public et son esprit, et ce faisant, d'ailleurs, tous les textes européens permettant, sous différents concepts - vous avez évoqué d'autres secteurs, celui des télécommunications notamment , de garantir la vision nationale du service universel qui, chez nous, s'appelle service public et conquête sociale autour des différents services publics.

Vous avez soulevé quatre points de manière très claire.

Je ne crois pas que l'on puisse raisonnablement soutenir que le degré d'ouverture du marché que nous avons retenu serait à l'origine d'une rupture d'égalité.

S'agissant de la définition de l'éligibilité d'abord, nous sommes fidèles au considérant no 5 de la directive qui prévoit que « le marché intérieur de l'électricité doit être mis en place progressivement pour que l'industrie électrique puisse s'adapter à son nouvel environnement de manière souple et rationnelle et pour tenir compte de la diversité actuelle de l'organisation des réseaux électriques ». C'est donc l'un des premiers considérants de la directive qui donne à la France la faculté d'organiser son d egré d'ouverture du marché comme elle l'entend, pourvu qu'elle respecte les termes de la progressivité prévue par le texte européen. La directive impose un niveau minimal d'ouverture du marché national, mais elle laisse une place à la subsidiarité pour la définition des clients éligibles. Elle reconnaît donc pleinement les spécificités nationales des secteurs électriques des différents Etats membres.

J'en viens à votre deuxième objection concernant le service public. Le texte est construit conformément aux règles européennes. Deux hypothèses existent : soit il y a charge financière de service public et monopole, par exemple pour la fourniture de courant aux particuliers, aux clients non éligibles, et les charges sont alors clairement établies charges de péréquation et traitement des plus démunis - ; soit il y a obligation de service public dans un secteur couvert par la directive, par exemple la production, et il y a alors cofinancement des charges du service public entre les opérateurs. Nous avons d'ailleurs agi ici exactement dans le même esprit que celui qui a inspiré le texte présenté à l'Assemblée nationale en juin 1998. Vous aviez alors voté les principes qui dirigent l'extension de la desserte gazière et la Commission a ensuite validé ce texte.

Troisièmement, on ne peut pas soutenir que l'article 42 du projet de loi relatif à l'objet de EDF serait contraire à la Constitution. Le principe de spécialité qui s'applique à un établissement public tel que EDF a pour objet de définir les compétences qui lui sont données pour que l'entreprise assume les missions qui lui sont confiées. Les dispositions de ce projet de loi concernant EDF ont pour objet d'adapter les compétences de l'opérateur au nouveau contexte économique et il appartient au législateur, monsieur Goulard, de fixer le cadre général de la mission impartie à cet établissement et de déterminer les activités qu'il peut exercer au titre de ces règles constitutives.

C'est pourquoi le projet de loi distingue nettement les activités d'EDF à l'égard des clients éligibles et celles destinées à satisfaire les besoins des clients non éligibles.

Pour les premiers, il est essentiel qu'EDF puisse affronter ses concurrents à armes égales et proposer à ses clients éligibles des offres globales de prestations techniques ou commerciales accompagnant la fourniture d'électricité. La notion d'offre globale a fait l'objet d'un débat très approfondi, ici même, au mois de février dernier.

En ce qui concerne les non-éligibles, EDF, comme la directive l'y autorise, conservera le monopole de la fourniture d'électricité mais ne pourra l'accompagner que de prestations de conseil très limitées, destinées à promouvoir la maîtrise de la demande d'énergie ou les économies d'énergie, trop peu présentes pendant des années, avant 1997, de notre politique énergétique. Cette disposition permet de répondre aux objectifs de politique énergétique et environnementale en favorisant les économies d'énergie, tout en recherchant le moindre coût pour les clients.

On retrouve le même balancement entre les deux objectifs essentiels.

En revanche, l'interdiction prévue par l'article 46 de la loi du 8 avril 1946 est maintenue : EDF ne pourra offrir aux clients non éligibles des services portant sur la réalisation ou l'entretien des installations intérieures, la vente et la location d'appareils utilisateurs d'énergie. Cette interdiction permet de sauvegarder les intérêts des autres entreprises, notamment ceux des artisans et des petites et moyennes entreprises de ce secteur. Dès lors qu'EDF agira dans le cadre de la spécialité définie par la loi, l'entreprise devra le faire dans le strict respect des règles de la concurrence, sous le contrôle de droit commun du Conseil de la concurrence.

J'ajoute que l'observatoire de la diversification des activités d'EDF, récemment réuni, aura vocation à se prononcer sur l'application des dispositions de l'article 42 du projet de loi.

Je précise enfin qu'à la suite d'une différence d'interprétation juridique entre EDF et l'entreprise Clemessy j'ai saisi le Conseil de la concurrence de ce différend. En effet, le Gouvernement entend être très strict pour l'application des règles de la concurrence et donc des règles implicites ou explicites découlant de la directive européenne à cet égard.

Quatrième et dernier point, qui est central, en effet : il n'y a pas, monsieur Goulard, de contradiction entre le maintien du statut du personnel des industries électriques et gazières à toute l'industrie électrique et le droit communautaire.

Tout d'abord, la directive n'a pas prévu de dispositions sociales particulières qui seraient de nature à imposer dans ce domaine une quelconque harmonisation. On peut le regretter, mais il en résulte deux conséquences : il faut considérer que la définition des modalités sociales d'exercice de l'activité relève de la subsidiarité, c'est-à-dire de l'intervention nationale librement déterminée par le législateur de chacun des Etats membres ; dans le cadre ainsi tracé, les pouvoirs publics sont donc libres de fixer les règles en la matière.


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Pour ces raisons, il est non seulement loisible aux pouvoirs publics d'agir dans le domaine social, mais il importe que les dispositions sociales soient telles que, sur le territoire français, les opérateurs du secteur électrique soient mis dans les mêmes conditions, des conditions équitables, de concurrence. C'est ce que nous appelons u nanimement le respect des règles d'égalité entre l'ensemble des opérateurs. C'est ce principe que, dans sa sagesse, la législation de 1946 avait mis en oeuvre puisque l'ensemble des industries électriques et gazières sont concernées par le statut du personnel ainsi défini.

Je ne peux donc adhérer à la logique qui voudrait que les agents des entreprises issues du monopole bénéficient de ce statut alors que les salariés des nouveaux entrants seraient soumis à des conditions moins favorables. Il y aurait là à la fois une conception étriquée de la justice sociale et une rupture d'égalité dans la situation sociale objective et donc concurrentielle entre EDF et les nouveaux entrants. Pour ces raisons, le projet de loi qui vous est soumis conserve la dynamique sociale de 1946 en maintenant le champ d'application du statut du personnel des industries électriques et gazières tel que la loi de 1946 l'a défini, avec le même régime d'exceptions et en prévoyant l'introduction de mécanismes de négociation collective appropriés.

Voilà pourquoi, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement vous demande de repousser l'exception d'irrecevabilité défendue par M. Goulard.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et vert.)

M. le président.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Alain Cacheux, pour le groupe socialiste.

M. Alain Cacheux.

Mon explication sera brève, car M. le secrétaire d'Etat a dit l'essentiel de ce qu'il faut penser des propos tenus par M. Goulard. On doit d'ailleurs vous remercier, monsieur Goulard, d'avoir clairement défendu la conception libérale qui est la vôtre et d'avoir ainsi invoqué des arguments d'une certaine cohérence en les poussant à leur extrême.

La transposition de la directive européenne, dites-vous, ne serait pas loyale. Il y aurait donc violation d'un engagement international, ce qui serait contraire à la Constitution. Mais le caractère loyal de la transposition, monsieur Goulard, c'est vous qui le définissez. Ce qui serait loyal, c'est ce qui est conforme à votre conception. En effet, vous avez bien voulu reconnaître que les dérogations et limites que nous avons prévues sont autorisées par la directive. Notre texte y est donc conforme et nous respectons parfaitement les engagements de notre pays.

Dès lors, l'argument de la non-loyauté de la transposition ne tient pas la route.

Si la directive a laissé cette marge de manoeuvre, c'est bien parce qu'il y a, selon les pays, des conceptions différentes du service public, spécificité française que l'on a essayé de traduire au plan européen sous l'appellation de service universel ou de service d'intérêt général. Chaque pays peut ainsi adapter à ses réalités propres le régime du secteur de l'électricité.

Vous invoquez ensuite une atteinte à l'égalité des conditions de la concurrence. A vous en croire, élargir le principe de spécialité et permettre ainsi à EDF de présenter une offre multi-énergie aux clients éligibles, ce serait déloyal. Par contre, autoriser les entreprises privées à le faire, ce serait conforme aux principes de la plus loyale concurrence. Voilà une bien curieuse conception de l'égalité ! Mais sans doute est-ce celle des libéraux : tout ce qui est bon pour le secteur privé est louable ; tout ce qui est bon pour le secteur public est condamnable.

Parmi les atteintes à l'égalité de la concurrence, vous retenez l'application du statut des personnels des industries électriques et gazières à l'ensemble des entreprises du secteur électrique. Or, M. le secrétaire d'Etat a eu raison de le rappeler, c'est la situation actuelle. De plus, vous savez fort bien que, dans une industrie aussi capitalistique que la production d'électricité, où le poids de la masse salariale est un élément second, même s'il n'est pas secondaire, axer le débat autour du statut des personnels, c'est nécessairement le fausser. Enfin, en voulant pousser à son paroxysme la logique de la concurrence, les libéraux montrent qu'ils cherchent à se donner les instruments juridiques de reculs sociaux.

Votre troisième argument tient au caractère évolutif de la notion de service public. Vous avez raison de soutenir qu'une évolution est possible. Tels services, aujourd'hui inclus dans le service public, peuvent progressivement glisser vers le secteur privé. Mais la réciproque est vraie et vous avez oublié de le rappeler. Pour ce qui est des baisses de prix, d'ailleurs, vous vous êtes bien gardé de prendre l'exemple de l'électricité, qui n'est pas tellement démonstratif, et vous avez choisi celui des télécoms.

Au fond, nous avons eu le sentiment d'un discours dogmatique, figé, replié sur l'idéologie libérale, alors que le projet qui nous est soumis a pour principe le pragmatisme et l'adaptation aux réalités françaises. Après les tempêtes de fin d'année, nous avons la conviction qu'un service public de qualité répondant aux préoccupations de nos concitoyens est une conception tout à fait moderne.

L'entreprise publique qui l'a mise en oeuvre ces dernières semaines a fait honneur au service public français.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Claude Billard, pour le groupe communiste.

M. Claude Billard.

Au lendemain des terribles tempêtes qui ont sévi sur notre territoire, et avec quelle force destructrice ! nous pensions que M. Goulard aurait eu la décence de reconnaître l'efficacité, le rôle irremplaçable du service public et des hommes et des femmes qui assurent ses missions.

M. François Goulard.

C'est vrai aussi pour les couvreurs !

M. Claude Billard.

Or, à entendre notre collègue, par ailleurs grand pourfendeur des entreprises publiques, il faut aller vers toujours plus de déréglementation, en quelque sorte vers un libéralisme échevelé. En fait, pour lui, il y a trop de service public, trop d'égalité, trop de solidarité.

Ce que vous n'admettez pas, mon cher collègue, c'est que la France soit le pays où la transposition de la directive en matière d'électricité ne s'effectuera pas selon des critères strictement libéraux. Voilà une réalité qui fait fu lminer l'opposition et le patronat.

Ce que ne tolère pas non plus l'opposition, c'est que le projet de loi instaure un véritable droit à l'électricité, en ouvrant une tranche sociale de consommation pour les familles les plus modestes.

Toutes ces avancées que nous avons obtenues en première lecture et que nous souhaitons voir confirmées ou même élargies en deuxième lecture, sont autant de motivations qui conduiront le groupe communiste à se pro-


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noncer contre l'exception d'irrecevabilité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

Pour le groupe du Rassemblement pour la République, la parole est à M. Franck Borotra.

M. Franck Borotra.

Mes chers collègues, je me demande si vous avez bien écouté l'intervention de M. Goulard.

M. Alain Clary.

Oh oui !

M. Franck Borotra.

Alors, vous ne l'avez pas comprise.

M. Claude Billard.

Ça !

M. Franck Borotra.

M. Goulard aura l'occasion, au cours du débat, de défendre la thèse libérale qui est la sienne. Mais, dans son exception d'irrecevabilité, monsieur Cacheux, il a défendu une thèse juridique. On peut contester la valeur de ses arguments, mais sur le plan du droit et non de l'idéologie.

Il est vrai, monsieur Billard, que la transposition de la directive effective par le gouvernement français est la plus proche des positions communistes. Dans aucun autre pays d'Europe, les communistes ne continuent à avoir autant d'influence que chez nous.

M. Alain Clary.

Est-ce que cela gênait le général de Gaulle ?

M. Franck Borotra.

Le général de Gaulle, messieurs, était trop pragmatique pour envisager qu'une loi datant d e cinquante ans puisse accompagner l'organisation économique et électrique du pays au

XXIe siècle. Votre remarque prouve que vous ne le connaissiez pas. C'est normal, puisque vous passiez votre temps à le condamner.

M. Alain Clary.

La lampe à huile, c'est vous !

M. Franck Borotra.

Même M. Bataille ne se risquerait pas à de telles propositions. Et pourtant nous aurons l'occasion de dénoncer le caractère sectaire du rapport qu'il a produit.

M. Alain Cacheux.

Oh !

M. Christian Bataille, rapporteur.

Je le conteste !

M. Franck Borotra.

Si, si, et vous le savez bien.

Il est vrai qu'EDF s'est très bien conduit pendant cette tornade. Je suis le premier à le reconnaître. Mais comme tous les services ! Je préside le conseil général d'un département qui a subi plus d'un milliard de francs de dégâts.

Et je peux vous dire que les élus, les services techniques des communes, les entreprises privées que nous avons obligées à venir sur le terrain, les couvreurs, tout le monde s'est admirablement conduit ! On ne peut pas mettre d'un côté ceux qui se seraient bien conduits parce qu'ils appartiennent au secteur public et, de l'autre, ceux qui se seraient moins bien conduits parce qu'ils relèvent du secteur privé. Au moins, le ministre a évité ce travers.

On peut tous se mettre d'accord pour affirmer que tous les services, toutes les entreprises qui remplissent un service collectif se sont mobilisés pour permettre à la population de passer le moins mal possible la crise provoquée par la tornade.

M. Alain Clary.

En particulier le service public !

M. Alain Cacheux.

Et Total Fina ?

M. Franck Borotra.

Nous aurons l'occasion, dans les jours qui viennent, de discuter de tout cela. Nous avons le temps, le Gouvernement le sait.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais brièvement répondre aux arguments que vous avez utilisés. Car vous ne m'avez pas convaincu, encore moins, même, qu'en première lecture.

Vous avez parlé d'une « libéralisation maîtrisée ». Ce serait bien si c'était vrai. Et je n'irais pas vous condamner d'avoir maîtrisé la libéralisation, puisque c'est moi qui ai fait inscrire cette mention dans la directive. Mais en réalité, vous procédez à une libéralisation étranglée. L'ouv erture affichée est une chose. Les conditions dans lesquelles de nouveaux opérateurs peuvent pénétrer sur le marché en sont une autre. Or vous passez votre temps à les vider de leur contenu. Et du même coup vous passez d'une libéralisation maîtrisée, objectif que nous poursuivons ensemble, à une libéralisation étranglée.

Deuxièmement, en reprochant à M. Goulard de dire que vous confortez le monopole, vous entretenez une confusion. Vous passez votre temps à confondre volontairement monopole et service public. Il peut y avoir une différence entre les deux...

M. François Goulard.

Bien sûr !

M. Franck Borotra.

... mais vous, vous ne cessez d'expliquer que ceux qui sont pour la remise en cause du monopole sont contre le service public. Ce n'est pas vrai et nous aurons l'occasion de nous en expliquer longuement.

Troisièmement, en ce qui concerne le service public, le texte européen reconnaît effectivement le service universel. Pour la première fois ont été inscrites dans une directive les missions de service public ou les missions d'intérêt général. Mais il faut bien comprendre que ces notions bougent dans le temps. En l'an 2000, les missions de service public ne sont pas nécessairement les mêmes qu'en 1950. Il faut accepter de discuter de cette évolution. On l'a déjà fait pour La Poste et les télécoms. Les missions de service public évoluent, monsieur le secrétaire d'Etat, ce n'est pas un dogme sur lequel on peut s'appuyer indéfiniment.

Il est vrai que le degré d'ouverture du marché, c'est au Gouvernement et au Parlement de l'arrêter comme ils l'entendent. Vous avez raison sur ce point. Seulement, ce n'est qu'une potentialité. On a fixé un taux d'ouverture du marché aux alentours de 30 %. Encore faut-il que les conditions de la concurrence avec l'opérateur public faites aux opérateurs extérieurs leur permettent d'obtenir cette part de marché. Or vous ne cessez de les rendre plus restrictives.

Quatrièmement, vous considérez à juste titre que les charges du service public doivent être assumées par la totalité des opérateurs.

M. le président.

Monsieur Borotra, il faudrait conclure.

M. Franck Borotra.

C'est intéressant, monsieur le président, et c'est autant de gagné pour la suite. Enfin, en principe...

Mais je vous rappelle, monsieur le secrétaire d'Etat, que, selon la jurisprudence européenne, les charges du service public doivent être supportées par les entreprises à due concurrence de leurs parts de marché, ce qui n'est pas la formule que vous avez retenue.

Je terminerai par le statut du personnel des entreprises électriques et gazières. Personne ne conteste son maintien.

Ce dont on discute, c'est de son extension à d'autres entreprises. Le coût qui en résulte étant supérieur de 40 % au coût moyen des entreprises concurrentes, on peut s'interroger. Déjà, vous ne résolvez pas le problème


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essentiel des retraites d'EDF. N'allez-vous pas, de surcroît, pousser les entreprises privées à produire en dehors du territoire français pour y importer ensuite leur électricité ? C'est une question à laquelle il faut répondre. Vous ne pouvez pas seulement invoquer l'intangibilité des avantages acquis.

Nous allons rediscuter de tout cela, mais vous ne m'avez pas du tout convaincu. Dans ces conditions, le groupe RPR votera l'exception d'irrecevabilité.

M. le président.

Pour le groupe UDF, la parole est à

M. Claude Birraux.

M. Claude Birraux.

A l'instar de Franck Borotra, je me demande si vous avez vraiment écouté les arguments de François Goulard tant les réponses du secrétaire d'Etat et du porte-parole du groupe socialiste semblent convenues, comme s'ils voulaient s'abriter derrière le service public pour éluder les bonnes questions qui ont été posées.

M. Goulard n'a pas évoqué le niveau de libéralisation mais l'adéquation avec l'esprit et la lettre de la directive, à propos de quoi des questions restent en suspens - auxquelles vous ne répondez pas.

Il est tout de même curieux que notre pays soit celui qui, en Europe, traîne le plus les pieds, alors que d'autres gouvernements socialistes ont traduit la directive sans avoir les mêmes états d'âme que le Gouvernement socialiste français, ce qui ne les empêche pas de se produire sur les mêmes tribunes de l'Internationale socialiste.

De bonnes questions sur la compatibilité avec la directive ont donc été posées : elles n'ont pas obtenu de réponse. Pourtant, et vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, les principes directeurs sont simples : indépendance des organismes de contrôle ; équité et égalité de traitement entre les opérateurs. Manifestement, dans le domaine du commerce, cette égalité de traitement fait défaut puisque vous limitez l'ouverture à la concurrence à un seuil de production, sachant que, en France, il n'y a qu'un producteur. Tous les autres sont donc, de fait, exclus. Vous savez bien que ce point comporte un risque de contentieux.

En ce qui concerne la réciprocité, elle n'est pas garantie dans le domaine du commerce, pas plus que dans l'attitude d'EDF en matière de prise de participations. Devants on intention d'entrer dans une société allemande, M. Gerhard Schrder, Chancelier du gouvernement socialiste allemand, n'a fait qu'un commentaire : « Il faudrait peut-être quand même que les entreprises allemandes puissent un jour entrer dans le capital d'une entreprise française. »

M. Christian Bataille, rapporteur.

La réciproque est encore plus difficile !

M. Claude Birraux.

L'article du journal dans lequel il s'exprimait évoquait la possibilité de trouver un biais par une filiale d'EDF comme Electricité de Strasbourg. Ce sont là de véritables questions de fond auxquelles vous ne voulez pas répondre parce que le langage est convenu.

Je conseille à mon collègue Billard de savourer particulièrement cet instant, qui ne se renouvellera peut-être pas, où le Gouvernement et le groupe socialiste sont à ses pieds et lui disent : « Ne vous inquiétez pas, la directive, on la traduit sans la traduire. Il n'y aura pas de conséquence, rien ne va changer, tout continuera comme avant ». Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, continuer, ce serait démentir votre propos selon lequel l'Europe doit devenir le marché d'EDF.

Finalement, aujourd'hui, le principal adversaire d'EDF, c'est le Gouvernement soutenu par la majorité. C'est la raison pour laquelle nous voterons l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. François Goulard, pour une explication de vote rapide. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Elle est de droit !

M. Christian Bataille, rapporteur.

C'est pour dire que M. Goulard est d'accord avec M. Goulard ?

M. François Goulard.

Mes chers collègues, vous aurez remarqué que je n'avais pas utilisé tout mon temps de parole. Je n'ai pas l'intention d'être excessivement long dans ce débat, je voudrais simplement vous dire que nous pouvons nous aussi, si vous le souhaitez, adopter le ton de la caricature et de la polémique. Nous savons aussi le faire ! Je remercie M. le secrétaire d'Etat d'avoir répondu sur le ton dont il a usé. Nos arguments et nos positions, naturellement, sont fondamentalement différents mais, au moins, il a répondu aux arguments juridiques que j'avais cru devoir avancer. Aborder le débat sous un autre angle, c'est l'empêcher de progresser, alors qu'il est, je vous le rappelle, mes chers collègues, lourd de conséquences pour l'ensemble d'un grand secteur économique français. Nous devrions mettre plus de sérieux, à mon sens, dans la façon dont nous discutons de ces questions-là.

Vous me dites, cher collègue Billard, que je suis favorable au recul social - admettons ! - et que la concurrence, c'est le recul social. Soit ! Dans cette logique, je peux considérer que France Télécom, c'est le recul social.

Que fait le Gouvernement de gauche pour empêcher que France Télécom, entreprise dont le capital est majoritairement détenu par l'Etat, ne procède à un recul du statut social de ses salariés ? Une telle remarque montre à quel point votre réflexion n'a aucun fondement.

Les excès du libéralisme, argument facile ! Monsieur Cacheux, le gouvernement allemand est socialiste, si je ne m'abuse. J'entendais ce matin, à la radio, un Allemand qui expliquait, dans un très bon français, le fonctionnement pour les particuliers de l'abonnement à l'électricité : sans changer de compteur, sans changer la manière de procéder habituellement, il avait le choix entre plusieurs types d'abonnement en fonction de sa consommation et de ses besoins. Et tout cela aboutissait à une baisse des prix.

M. Christian Bataille, rapporteur.

Vous êtes un obsédé des prix !

M. François Goulard.

C'est la situation aujourd'hui dans un pays voisin de la France, gouverné par des socialistes et qui ne passe pas pour un parangon de l'ultralibéralisme. Alors s'il vous plaît, soyons sérieux ! Abordons ce débat technique d'importance considérable avec des arguments sérieux. Nous gagnerons beaucoup de temps et nous ferons progresser le projet de loi que nous sommes chargés d'examiner.

M. le président.

Personne ne demande plus la parole ? Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)


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Question préalable

M. le président.

J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Claude Birraux, pour une durée qui ne peut excéder trente minutes.

M. Claude Birraux.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, intervenant lors de la première lecture de ce texte, je disais : « Si la fée électricité n'est plus aussi féerique qu'antan, le poids de l'histoire a été de rendre banal pour chacun des Français ce simple geste consistant à appuyer sur un interrupteur. »

Les événements de cette fin d'année 1999 ont hélas ! démontré toute la signification de ce geste banal pour le confort et le bien-être de nos concitoyens.

Je voudrais, en ce début de propos, rendre hommage au travail exemplaire, à la conscience professionnelle et au dévouement des personnels d'EDF pour faire face aux conséquences de la tempête et rétablir la distribution d'électricité.

M. Christian Bataille, rapporteur.

Ce n'est pas ce que M. Borotra semblait dire !

M. Claude Birraux.

Si nous examinons le texte en deuxième lecture, ce n'est pas parce que la commission mixte paritaire a échoué, elle n'en a pas eu l'occasion. La majorité a, en effet, choisi de rejeter sans examen le travail du Sénat.

Détail pittoresque qui illustre le peu de considération que porte le gouvernement Jospin au Parlement, c'est en lisant la presse, avant la réunion de la commission mixte paritaire, que nous avons appris qu'un accord avait été décrété impossible. Plaignez-vous, mes chers collègues, du manque de considération pour le Parlement, alors que c'est vous-mêmes, élus de la majorité, et le Gouvernement que vous soutenez, qui affichez et entretenez sans vergogne ce mépris du Parlement en étant « médiaticodépendants » ! Monsieur le secrétaire d'Etat, vous le rappeliez vousmême au Sénat, le 5 octobre dernier : « L'échéance pour la transposition de la directive était fixée au 19 février 1999 par la directive elle-même » ! Nous avions déjà dénoncé le retard pris en 1999 et nous étions prêts à faire des efforts considérables pour qu'un compromis soit possible en commission mixte paritaire. Mais puisque vous considérez maintenant que nous avons le temps et que, si nous avançons moins vite que les autres, c'est en raison, selon vos propres termes « de la profondeur du débat démocratique », eh bien nous allons débattre ! Chacun mesure l'enjeu capital pour le secteur énergétique que représente la traduction de la directive sur l'ouverture du marché de l'électricité. Après une phase de croissance et de succès technologiques, en particulier dans le domaine nucléaire, l'électricien EDF, jusqu'alors en situation de monopole, va devoir relever un nouveau défi, celui de la concurrence dans un marché devenu européen.

La mise en oeuvre de l'ouverture du marché de l'électricité n'est possible que dans la transparence et la clarté des choix. Or ce texte et la procédure que vous suivez sont en trompe-l'oeil et illustrent parfaitement la méthode Jospin : donner dans les mots l'illusion de choix, alors que les faits et les actes démentent ces choix. Je vous donne quelques exemples.

« Profondeur du débat démocratique », disiez-vous dans une interview, le 19 novembre dernier. Aviez-vous déjà oublié votre déclaration à la tribune du Sénat, le 5 octobre ? Je vous cite : « La transposition s'impose, de manière à respecter les engagements internationaux de la France et à éviter que des contentieux liés à une absence de transposition de la directive ne conduisent, sur des décisions de tribunaux, à une application directe de la directive, sans protection du service public. » Vous pour-

suiviez : « C'est pourquoi il est crucial pour l'avenir du secteur électrique français et du service public de l'électricité, mais aussi pour la crédibilité de la France, que la réforme soit maintenant menée dans les meilleures conditions et les meilleurs délais. »

Je suis d'accord avec vous, mais vous, le 19 novembre, vous n'étiez plus d'accord avec vos propres déclarations du 5 octobre.

Les faits démontrent que, pour des raisons uniquement politiciennes - c'est la CFDT qui le dit - et électorales, M. Jospin est prêt à brader les engagements internationaux de la France, sa crédibilité et même l'avenir du secteur électrique et du service public.

Les réactions hostiles ne se sont pas faites attendre.

D'abord, la Commission européenne, bien sûr, qui a l'impression que le Gouvernement se moque d'elle et qui déclenche la procédure d'infraction.

Ensuite, EDF elle-même a réagi publiquement à ce blocage politicien. Pourtant, sa structure et l'origine de ses dirigeants ne peuvent pas raisonnablement laisser penser que cette maison soit une ruche où bourdonnent des gens de l'opposition. On comprend l'embarras d'EDF.

La ministre hollandaise de l'économie, encore, déclarait à la fin du mois de novembre : « La France va être mise sur la liste des pays non autorisés à livrer de l'électricité ici aux clients sous les 100 gigawattheures ».

Enfin, les détracteurs d'EDF en Allemagne n'y vont pas de main morte : « La France fait figure de forteresse de l'étatisme comme on n'en connaît plus ni à l'ouest ni même à l'est de l'Europe ». EDF n'a pas tort de

« craindre de voir son image ternie » et de « courir le risque de voir son activité internationale entravée ».

Peu importe au Gouvernement, peu importe l'intérêt véritable pour l'entreprise publique EDF. Les intérêts politiques de M. Jospin face à M. Robert Hue sont, eux, préservés ! Clarté des choix et transparence sont deux paramètres incontournables pour définir une politique énergétique.

Et le long terme est un impératif sans lequel il n'y a pas de politique digne de ce nom. Un claquement de doigts, un oukase ne sont pas suffisants, les Allemands en font l'amère expérience.

La mise en oeuvre de la politique énergétique nationale se fondera sur une programmation pluriannuelle des investissements. Or, là encore, votre politique est faite de non-choix. Votre enthousiasme est touchant, monsieur le secrétaire d'Etat. Ne disiez-vous pas au Sénat : « La programmation pluriannuelle des investissements permettra de garantir la sécurité d'approvisionnement, la protection de l'environnement et la compétitivité de la fourniture au travers d'un développement équilibré et bien conçu en amont des capacités de production, faisant la part qui lui est due à chaque source primaire d'énergie. »

Aujourd'hui, vous contraint de donner, comme aux enfants qui ne veulent pas manger, non pas une cuillère pour papa et une cuillère pour maman, mais une cuillère pour le PC, une pour les Verts, une pour les anti-


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nucléaires, une pour les pronucléaires et une pour le PS quand même. Or ce n'est pas la même soupe qu'il y a dans chaque cuillère.

M. François Goulard.

Très bien !

M. Claude Birraux.

Ainsi, pour le PC, il y a du nucléaire et de l'EPR, ce qui donne la nausée aux Verts.

Alors, vous ne choisissez pas. Pourtant, la structure même de notre production électrique, même si elle doit évoluer, nous impose de préparer l'avenir. Les intérêts politiciens et électoraux de M. Jospin nous préparent à un débat consacrant, une fois encore, l'absence de choix.

Il est curieux, d'ailleurs, que vos alliés verts soient friands de débats lorsqu'il s'agit de contester tel ou tel choix qui n'est pas le leur, et fermés à toute discussion quand il s'agit de leurs propres options. N'ont-ils pas réclamé à cor et à cri un débat avant toute décision sur l'avenir de Superphénix et fermé les portes à toute discussion lorsqu'ils sont arrivés dans la majorité ? En quelque sorte, circulez, il n'y a rien à voir, ce sont nos options, elles ne sont pas discutables ! Ainsi, sur l'EPR, par exemple, ils ont brillé par leur absence au débat organisé par l'office parlementaire, qui réunissait pourtant des participants de haut niveau français et allemands.

Ainsi, la loi sur la transparence nucléaire de Mme la ministre de l'environnement se prépare-t-elle dans la clandestinité et l'obscurité la plus totale. C'est réussi pour la transparence ! A moins que sa vision ne soit perturbée, elle qui n'a pas vu de catastrophe écologique dans la marée noire de l' Erika, tandis que tous les Verts ont aperçu le fantôme de Tchernobyl en Gironde ! Clarté et transparence sont indispensables, avec des dispositifs inattaquables, pour que l'entreprise EDF soit libre d'affronter le marché sans handicap, avec des règles du jeu ne laissant aucune place à une suspicion qui deviendrait illégitime. Or ce n'est pas le cas, en particulier pour le gestionnaire du réseau de transport, le GRT.

Le Sénat, pressentant que la formule retenue avait beaucoup d'inconvénients, proposait de ne retenir définitivement une définition qu'après un an d'expérience. Il faisait ainsi preuve de sagesse et de prudence, et vous ne pouvez pas, monsieur le rapporteur, lui reprocher de se donner le temps de la réflexion avant de passer à l'action, et d'adapter, de la manière la plus pratique possible, le statut du GRT.

Vous préférez revenir au texte initial, confiant la gestion du réseau à un service « indépendant » au sein d'EDF, au risque de générer des conflits d'intérêts et d'entretenir une suspicion préjudiciable à EDF même. Ce choix est, en outre, contraire à l'avis adopté par le Conseil de la concurrence et aux positions retenues par le rapport de M. Dumont, député de la majorité en mission. « Nous considérons que la meilleure solution serait que ces activités soient confiées à un gestionnaire du réseau indépendant (...) ce gestionnaire pourrait prendre la forme d'un nouvel établissement public dans lequel seraient détachés les agents d'EDF accomplissant aujourd'hui ces tâches », écrivait M. Dumont. Je suis bien d'accord avec lui.

Le statut indépendant du GRT permet seul de garantir l'indépendance de la fonction de gestion du réseau et la loyauté de la concurrence. Ces orientations s'inscrivent dans la logique de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne sur l'exigence d'indépendance et d'impartialité, garante de l'absence de risque de conflits d'intérêts sur le marché.

La Commission de régulation de l'électricité, vous la voulez réduite à la portion congrue, lui attribuant en quelque sorte un rôle de figuration. Pour asseoir son autorité, elle a besoin d'être indépendante du Gouvernement. La directive elle-même précise que cette autorité doit être indépendante des parties pour régler les litiges relatifs aux contrats, aux négociations et aux refus d'accès et d'achat. Elle doit être un véritable juge de paix, à l'image de l'Autorité de régulation des télécommunications. A qui ferez-vous croire que cette commission, flanquée d'un commissaire du Gouvernement, lequel assure la tutelle de l'entreprise publique EDF, pourrait ne pas être à la fois juge et partie ? L'incantation sur l'extension du statut des industries électriques et gazières à toute nouvelle entreprise entrant dans la production ne saurait dissimuler la fragilité du système et son manque de transparence. Le rapport Dumont note encore que, jusqu'à ce jour, la mise en oeuvre du statut était gérée par des circulaires internes d'EDF applicables à l'ensemble du secteur. La transparence et l'équité imposent de garantir le respect des engagements passés et d'engager un processus d'évolution du statut compatible juridiquement avec les textes en vigueur, dans une négociation collective de branche des industries électriques et gazières. Or ce n'est pas le cas, et vous savez parfaitement que plusieurs de ces dispositions ne sont pas conformes en particulier à la loi Auroux. Ce serait s'engager dans une modernisation que vous vous obstinez à refuser.

En ce qui concerne les retraites, la situation n'est ni claire ni transparente. En effet, un rapport récent de la Cour des comptes met en évidence, d'une part, que les provisions faites par EDF ne sont pas différenciées entre celles liées au démantèlement des installations nucléaires et celles destinées à la prise en charge de retraites. Or, vers 2015, le financement des retraites à EDF devrait connaître quelques difficultés. Comme le note encore avec justesse M. Dumont, l'application pure et dure aux nouveaux opérateurs n'est pas acceptable.

Et de proposer de sortir la gestion des retraites des comptes d'EDF, de créer une caisse spécifique gérée paritairement, de mettre en place un nouveau système adapté au nouveau paysage du secteur électrique, tout en garantissant au personnel et aux retraités le maintien du niveau actuel des retraites, et de prévoir l'avenir en réfléchissant au mode de financement du régime spécial ! Une solution satisfaisante a été trouvée pour les télécommunications. Pourquoi ne pas engager maintenant le processus d'adaptation et de modernisation, d'autant que la directive rend possibles les interventions de l'Etat destinées à respecter les engagements antérieurs à sa mise en oeuvre ? Vous ratez une occasion qui ne se représentera pas, monsieur le secrétaire d'Etat.

Puisque j'évoque les télécommunications, je me permets un petit commentaire sur le thème de l'idéologie libérale que l'on ne manquera pas, une fois de plus, de mettre en avant pour éviter de répondre aux vraies questions. A cet égard, peut-être pourriez-vous utilement rappeler quel est le gouvernement qui a ouvert par deux fois le capital de France Télécom,...

M. François Goulard.

Sûrement un gouvernement ultra-libéral ! (Sourires.)

M. Franck Borotra.

Il a bien fait !


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M. Claude Birraux.

... ce qui a rapporté bien des milliards à l'Etat. Cela nous intéresserait et devrait intéresser davantage encore ceux qui mettent en avant le statut de service public d'EDF pour surtout ne rien changer et refuser toute évolution de cette entreprise.

M. Franck Borotra.

Scandaleux !

M. Claude Birraux.

Sur tous ces projets, une réponse claire et transparente du Gouvernement serait un gage de sa volonté de moderniser le statut pour l'adapter aux réalités d'aujourd'hui. Son silence témoigne de sa vision statique des choses. Il entre à reculons dans le marché européen de l'électricité afin d'obtenir de petits profits politiciens avec le parti communiste, méthode Jospin oblige, mais quel décalage entre l'affichage des mots et la réalité des faits ! L'Europe doit devenir le marché d'EDF, vous exclamez-vous. Nous en sommes bien d'accord, mais vous ne donnez pas les moyens à l'opérateur national de se lancer dans cette conquête sans crainte d'être freiné.

Il est vrai que, pour ne pas déplaire à Robert Hue, pour lui faciliter la tâche lors du congrès de son parti (Protestations sur les bancs du groupe communiste)...

M. René Dutin.

N'importe quoi !

M. Christian Cuvilliez.

C'est du délire !

M. Alain Clary.

C'est pitoyable.

M. Claude Birraux.

... vous vous comportez comme si l'Europe n'existait pas. Vous devriez leur expliquer que le mur de Berlin est tombé, que Staline et Brejnev sont bien morts, et que l'économie planifiée s'est désintégrée toute seule.

Pourquoi, dans ces conditions, restreindre la possibilité de trading - achat pour revente d'électricité - par les producteurs, à un volume qui ne pourra dépasser un seuil fixé en proportion de leur production annuelle ? Cette mesure est contraire au principe d'équité et d'égalité des chances entre opérateurs et favorise exclusivement celui qui avait le monopole : EDF.

Enfin, dans ce même chapitre, le Gouvernement s'est opposé à la création de bourses d'électricité. Le comble de l'hypocrisie est ainsi atteint, puisque ces bourses existent déjà ailleurs et qu'EDF en est l'un des partenaires et des acteurs à l'étranger ! Vos déclarations, sur le mode incantatoire, comme les exclamations passées et, peut-être, à venir sur l'apport génial de certains amendements du PC, n'y changeront rien : votre projet ne règle rien, car le Gouvernement refuse, pour des raisons électorales, d'effectuer des choix clairs, précis et transparents. Il n'est pas en mesure d'élaborer une politique énergétique claire, de long terme, du fait de ses dissensions.

Le Gouvernement, qui croit être audacieux en affirmant que l'Europe doit devenir le marché d'EDF, refuse en fait de prendre en compte la dimension européenne, toujours à cause des divergences de sa majorité. Il oublie, en étant protectionniste à l'excès, que la loi de la réciprocité est le fil conducteur de la directive.

Le Gouvernement refuse de résoudre, pour le long terme, certains problèmes liés au statut, comme à l'avenir des retraites, alors que la directive lui offre des possibilités d'intervention de l'Etat qui ne se représenteront pas. Il est même resté muet sur ses intentions concernant la traduction de la directive Gaz, alors que la commission de régulation sera commune.

Parce que, en fin de compte, le Gouvernement entre à reculons dans ce marché de l'électricité, parce qu'il reste arc-bouté et figé sur des positions rétrogrades et passéistes, parce que, faute d'effectuer des choix clairs et transparents, il s'expose à des contentieux juridiques qui lui imposeront une concurrence plus dure, dont il ne veut pas mais à laquelle les juridictions risquent bien de le contraindre, je vous invite, chers collègues, à adopter cette question préalable afin de l'obliger à revenir avec un texte qui prenne réellement en compte et la dimension européenne et les intérêts même de l'entreprise EDF à laquelle vous pouvez être assurés que nous sommes très attachés.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Bataille, rapporteur.

Monsieur le président, mes chers collègues, je ne peux laisser sans réponse certains des propos tenus par notre par ailleurs excellent collègue Claude Birraux que je côtoie souvent et dont j'apprécie les analyses sur la politique énergétique. J'ai donc été quelque peu surpris de la volonté polémique qui ressortait de son intervention avec des reproches essentiellement politiciens.

De la même façon, j'ai été un peu surpris d'entendre

M. Franck Borotra parler de rapport sectaire.

M. Franck Borotra.

On en reparlera !

M. Christian Bataille, rapporteur.

Si un rapport est le reflet des débats en commission...

M. Franck Borotra.

Je visais les propos du rapporteur !

M. Christian Bataille, rapporteur.

... il est aussi le reflet de l'opinion de la majorité.

M. Franck Borotra.

J'ai parlé d'un rapporteur électrosectaire !

M. Christian Bataille, rapporteur.

Vous pouvez être heureux de votre bon mot mais vous l'avez déjà répété à plusieurs reprises. Nous avons souri la première fois, mais nous n'allons pas recommencer à chaque fois ! Notre collègue Claude Birraux a donc adopté un ton volontairement polémique mais, pour illustrer son propos, il a cité les éléments de la réussite du Gouvernement. Or, si l'opinion considère que le Gouvernement réussit, cela vous est sans doute désagréable mais nous n'allons pas nous en plaindre. Bien au contraire, nous nous en réjouissons sur tous les bancs de la majorité. Il est donc normal que le rapporteur d'un tel projet fasse en sorte que les amendements adoptés reflètent l'équilibre entre toutes les composantes de la majorité. Cela est conforme aux pratiques parlementaires. Peut-être l'opposition jalouse-t-elle la majorité parce que cette dernière agit en parfaite cohérence alors qu'elle-même a bien du mal à trouver la sienne. Divers événements le confirment tous les jours.

Il est ainsi indéniable que le projet, le rapport, les propos que j'ai pu tenir, les amendements acceptés et notre attitude par rapport à l'analyse du Sénat traduisent un équilibre qui tient effectivement compte de certaines préoccupations non seulement du parti communiste mais aussi des Verts, du Mouvement des citoyens et des Radicaux. Il ne faut pas s'en étonner : cela est volontaire et j'y souscris totalement.

M. Birraux a regretté que nous n'ayons pas considéré le travail du Sénat comme il l'aurait mérité. Je tiens à rectifier cette appréciation et à rappeler, comme je l'ai fait dans mon propos initial, que la commission a retenu plusieurs propositions du Sénat qui lui ont semblé inté-


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ressantes. Certes, les dispositions en cause n'appartiennent pas à la colonne vertébrale du projet et, sur les sujets essentiels, la commission a préféré reprendre les dispositions adoptées par l'Assemblée en première lecture.

Tel a notamment été le cas pour le GRT, le gestionnaire du réseau de transport. En effet, la commission a exprimé des réticences à l'égard d'un démantèlement accentué d'EDF et elle a recherché un équilibre qui, tout en assurant et affichant la séparation comptable pour ce qui est des transports, permet l'intégration de ce gestionnaire dans la stratégie et dans la politique définies au sein d'EDF, car c'est une nécessité.

En ce qui concerne la CRÉ - la commission de régulation de l'électricité - je ne vais pas me répéter. Je rappelle simplement qu'une réelle divergence politique nous oppose sur ce sujet. Pour nous la commission est le garant que l'ouverture partielle à la concurrence prévue dans ce texte s'effectuera dans de bonnes conditions et en assurant l'indépendance de notre opérateur par rapport au marché. En revanche la CRÉ n'a absolument aucune vocation à définir la politique énergétique. Je ne développe pas cet argument, laissant ce soin à M. le secrétaire d'Etat, car le Gouvernement, qui est l'émanation des choix de la nation, est le mieux placé pour définir la politique énergétique.

Quant aux conditions dans lesquelles la commission mixte paritaire a été préparée et s'est déroulée - poi nt sur lequel, en ma qualité de rapporteur, je veux répliquer le plus fermement -, je puis vous assurer que j'ai fait mon travail sans recevoir la moindre instruction du Gouvernement.

M. François Goulard.

Il est triste que vous soyez obligé de le préciser !

M. Christian Bataille, rapporteur.

Il se trouve que les conclusions que j'ai présentées à la commission qui les a adoptées, ont été en parfaite adéquation avec les intentions du Gouvernement. Nous devons nous en réjouir, car cela est plutôt logique et rassurant. Le contraire aurait même été étonnant.

Vous ne devez pas vous étonner non plus que je sois venu travailler au sein de la commission mixte paritaire en ayant préparé sa réunion, donc en ayant vérifié que sa majorité resterait cohérente et s'exprimerait dans un certain sens. Cela est dans la nature des choses et il est vrai que le sort de la CMP était sans doute scellé avant même que ses travaux ne commencent.

Je suppose d'ailleurs que, lorsque vous déteniez la majorité, vous travailliez de la même manière et avec la même fermeté. Vous ne veniez sans doute pas les mains dans les poches le jour de la CMP en vous disant que l'on verrait bien ! Ce travail a donc été préparé. Il a été cohérent et ce tte cohérence va continuer à s'exprimer aujourd'hui entre les composantes de la majorité. Nous verrons, article après article, que les voeux des uns et des autres ont été pris en considération. De votre côté vous pourrez formuler vos remarques et indiquer que vous voyez, dans tel ou tel amendement, la marque de telle ou telle partie de la majorité. Cela étant je voudrais vous convaincre qu'il faut surtout y voir la marque du rapporteur, expression collective de la commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le rapporteur a, de l'avis du Gouvernement, apporté les arguments essentiels pour répondre à l'intervention de M. Birraux. Je me bornerai donc à ajouter quelques éléments.

Auparavant, je tiens à indiquer à M. Goulard que, lorsqu'il prend l'exemple allemand, il oublie un détail - qui n'en est pas un à nos yeux - essentiel. Affichant sa volonté de promouvoir en France le système allemand, libéralisé selon ses voeux, il n'a pas mentionné qu'il n'existait pas de péréquation tarifaire en Allemagne. Il y subsiste donc de très grandes inégalités en matière de fourniture d'électricité.

M. Alain Cacheux.

Eh oui !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

C'est une différence fondamentale avec la conception française.

M. Alain Cacheux.

Il est pour l'inégalité !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Je dois d'ailleurs reconnaître qu'elle a été défendue non seulement de notre côté de l'hémicycle, mais également par M. Borotra lorsqu'il a négocié la directive au nom de la France.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai, mais il a évolué depuis !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Il y a ainsi une différence d'appréciation notable entre le négociateur M. Borotra, ministre de l'industrie de l'époque, et le député Goulard qui, il y a quelques instants, a oublié cet acquis historique français fondamental du service public.

J'en viens à la réponse à M. Birraux.

D'abord, je suis choqué - même si je suis persuadé que telle n'était pas l'intention de M. Birraux - lorsque j'entends dire que la démarche du Gouvernement que conduit Lionel Jospin procéderait d'un certain mépris du Parlement.

En effet, monsieur Birraux, il est évident qu'il appartient bien au Parlement, dans le cadre de ses droits constitutionnels, de définir l'orientation qu'il souhaite donner aux travaux d'une commission mixte paritaire. Il est donc évident que lorsque l'opinion exprimée par la majorité des députés est très éloignée de celle manifestée par la majorité des sénateurs, la commission mixte paritaire ne peut aboutir à un texte d'accord qui serait ensuite soumis aux deux assemblées. Il s'agit d'une fonction naturelle du Parlement, qui est toujours maître sans que le Gouvernement intervienne de quelque façon que ce soit - de la teneur du texte sur lequel se prononce la commission mixte paritaire.

Par ailleurs, M. Birraux a parlé de trompe-l'oeil à propos du texte qui vous est soumis.

A cet égard je dois d'abord souligner que la situation est très claire depuis le 19 février dernier. En effet, puisque, à cette date limite, la transposition de la directive dans le droit positif français n'avait pas été opérée, celle-ci s'applique désormais directement. Ainsi tous les consommateurs de plus de 100 gigawattheures peuvent faire appel à la concurrence. Il est essentiel d'en informer l'opinion publique.

Cela a permis à certaines entreprises, très peu nombreuses au demeurant, éligibles à ce droit au regard des critères fixés pour l'ouverture automatique à la concurrence, de ne pas s'adresser à EDF sur notre sol. Pour autant je ne suis pas inquiet pour EDF car je suis certain que la qualité de sa prestation et de ses fournitures à l'égard des clients éligibles incitera, lorsque la directive sera applicable, soit, comme aujourd'hui, directement,


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soit demain, lorsque le texte sera intégré au droit français, les entreprises à se tourner naturellement vers elle à titre principal car cela sera conforme à leurs intérêts, sans préjudice des choix qui leur seront offerts dans le cadre d'une ouverture maîtrisée à la concurrence.

Tout est clair sur la programmation annuelle des investissements dont il faut rappeler le bien-fondé.

Tout est clair aussi sur l'existence d'une seule politique énergétique du Gouvernement, monsieur Birraux. Nous avons choisi qu'elle soit équilibrée. Vous en avez discuté, ici même, mesdames, messieurs les députés, il y a bientôt un an et vous avez confirmé qu'il fallait faire appel à la fois à l'énergie électronucléaire en laissant ouverte l'option nucléaire, mais en choisissant, à chaque instant, la technologie la plus pointue pour assurer l'avenir technologique et industriel de nos productions nationales.

Vous avez aussi demandé - c'est une bonne décision qu'elle repose de plus en plus sur les énergies nouvelles renouvelables pour lesquelles la France se situe d'ailleurs, rappelons-le avec fierté, parmi les premiers pays de l'Union européenne si je me réfère au taux de production d'énergie primaire issue des énergies nouvelles renouvelables. Le Premier ministre a même confié récemment à M. Guy Hascoët, présent cet après-midi, une mission pour les développer encore. Et nous faisons appel - le moins possible progressivement, parce que nous voulons respecter les objectifs de Kyoto - aux énergies fossiles.

Une seule politique énergétique, une seule politique équilibrée. Nous préparons, par ailleurs, en effet, et c'est notre honneur, une loi sur la transparence. Et nous le faisons en parfaite coordination au sein du Gouvernement, notamment entre ma collègue Dominique Voynet et moi-même.

Monsieur Birraux, je pensais que vous étiez d'accord avec cette idée forte que c'est le Gouvernement qui définit la politique énergétique de la nation. Je veux rendre à cet égard hommage au travail qu'a effectué votre collègue,

M. Dumont...

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... un travail de qualité, courageux et à la franchise rafraîchissante. Mais je veux dire que ce n'est pas parce que le rapport parlementaire était d'une excellente facture que toutes ses conclusions ont été adoptées par le Gouvernement lorsqu'il vous a présenté le texte du projet de loi.

Ainsi, s'agissant du GRT, le gestionnaire du réseau de transport, mesdames, messieurs les députés, il faut le redire clairement juste avant le débat qui va transposer la directive : le Gouvernement pense que, s'il doit être individualisé, le GRT ne doit pas être transformé en établissement public industriel et commercial, c'est-à-dire autonomisé, ce qui était la solution préconisée par certains. Le Gouvernement, comme le lui permettaient les latitudes ouvertes par la directive, n'a pas suivi ceux qui lui conseillaient d'aller dans ce sens. Le GRT ne sera pas autonome mais simplement individualisé. Et il a besoin, naturellement, monsieur Birraux - faut-il le redire ? - de l'expertise et de la compétence des quelques milliers de personnes qui, aujourd'hui, au sein d'EDF, assurent cette fonction de conduite ou de dispatching au plan national.

Car EDF est aujourd'hui la seule entreprise qui, en France, puisse offrir cette technicité au service d'une fonction régulatrice du réseau de transport, laquelle doit être effectuée dans la transparence, comme vient de l'indiquer le rapporteur, dans la séparation comptable et dans la plus grande rigueur, pour l'accès de tous au réseau de transport.

Claire également, notre volonté commune de faire d'EDF une grande entreprise publique et intégrée ; publique à 100 %, intégrée - j'en ai parlé tout à l'heure qui soit à la fois un service public et une entreprise présente sur les marchés internationaux.

Pour ma part, je suis très fier, comme certainement tous les députés de cet hémicycle, de voir que l'opérateur historique distribue de l'électricité à Londres par l'intermédiaire de London Electricity. Je suis très fier de voir qu'un autre opérateur historique - mêlons-les tous les deux dans le même hommage au service public - distribue le gaz à Berlin, avec Gaz Allgemeine Gesellschaft. Et je suis très fier aussi qu'EDF prenne une participation décisive, dans les toutes prochaines semaines, dans la distribution d'énergie au Bade-Wurtenberg en Allemagne.

M. Pierre Ducout.

Nous aussi, monsieur le ministre !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Ce sont les marques du succès d'une entreprise publique, présente sur les marchés européens et internationaux.

Enfin, et ce sera ma conclusion, clairs sont les apports importants retenus dans le texte et qui émanent de tous les bancs de la majorité plurielle. Les députés du groupe communiste et du Mouvement des citoyens ont obtenu, en première lecture, des avancées décisives sur le droit à l'électricité et le tarif social, ceux du groupe socialiste sur le rôle des collectivités locales et le champ du service public, les Verts sur la production décentralisée et les radicaux de gauche sur l'action d'EDF comme conducteur de travaux. Oui, c'est vrai, il y a eu un travail collectif qui s'inscrit dans une ligne politique.

Le Gouvernement entend, à l'occasion de cette transposition, lorsque la motion de M. Birraux aura été rejetée, ce dont je ne doute pas, inscrire sa démarche politique dans la grande continuité qui prévaut depuis 1946 à l'égard de la grande entreprise EDF, tout en respectant totalement, sans aucune réserve, les directives européennes qui organisent désormais le marché intérieur de l'électricité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Pierre Ducout pour le groupe socialiste.

M. Pierre Ducout.

Après l'intervention de notre rapporteur et celle de M. le secrétaire d'Etat, je serai bref.

La question préalable signifie qu'il n'y a pas lieu de débattre. Pourtant, notre collègue, Claude Birraux, a bien insisté sur le fait que nous allions débattre. Lui-même, d'ailleurs, qui suit de très près ces problèmes d'énergie, a été très présent en commission et il débat bien. D'ailleurs, il y a présenté des propositions et le rapporteur, pour la présente lecture, a proposé d'en reprendre certaines. Gardons cela en tête car même si sa position reste pour nous un peu trop libérale, elle ne présente pas le caractère systématique de celle de notre collègue Goulard, vraiment ultralibéral.

C'est dire que M. Birraux, s'il désirait s'exprimer, ne voulait pas forcément nous convaincre qu'il n'y avait pas lieu de débattre ! Je me limiterai, par conséquent, à quelques observations sur certains points qu'il a soulignés. Ils ont d'ailleurs déjà été relevés.

Nous savons tous, mes chers collègues, qu'il n'y a pas, de la part du Gouvernement de mépris à l'égard du Parlement. Plusieurs d'entre nous ont participé à la commission mixte paritaire et nous avons fort bien compris que les différences entre le texte émanant du Sénat et celui qui avait été voté en première lecture par l'Assemblée étaient telles qu'elles ne permettaient pas de parvenir à un


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texte commun. Cela a été dit à propos du GRT, de la CRE, ainsi que de l'ouverture exagérée au trading, points que nous partageons sur presque tous ces bancs.

Sur la question de la réciprocité nous savons que l'entreprise EDF a perdu des marchés au seuil de 100 gigawatts-heure, par exemple celui de la Principauté d'Andorre. Mais, a priori, nous pensons que les moyens qui sont donnés à notre entreprise publique lui permettront de garder un pourcentage très important des clients éligibles. En 2003, cela représentera plus de 30 % de l'électricité dans notre pays. Quant à sa présence sur le marché européen, notre ambition est qu'EDF devienne un des premiers, sinon le premier énergéticien en Europe dans les années qui viennent.

Claude Birraux a évoqué la préparation du long terme, qui est un impératif, nous en sommes bien d'accord.

Nous avons participé au débat qui a eu lieu dans cet hémicycle au début de l'année dernière quant à la part du nucléaire, du gaz - nous connaissons les expériences et le savoir-faire d'EDF en ce qui concerne les cycles combinés gaz - et des énergies renouvelables qui doivent nous permettre de garder une position de force en matière énergétique.

Il a parlé des problèmes de clarté et de transparence. A ce propos je voudrais dire un mot sur l'incident survenu dans mon département à la centrale de Blaye. La DSIN, autorité française de sûreté nucléaire, et l'IPSN, Institut de protection et de sûreté nucléaire, ont été correctement impliqués et ont bien suivi cet incident. Certes, il faut aller plus loin dans la transparence, vis-à-vis de nos concitoyens ainsi que des élus, sur un sujet aussi délicat. Car il est indispensable que nous conservions la confiance en cette action qui a porté sur plusieurs décennies et qui a été soutenue sur tous les bancs de cet hémicycle, à savoir la mise en place de notre complexe nucléaire.

Pour ce qui est de son avenir, nous voulons qu'EDF ait toute sa place dans la présente transposition. Cela ne passe naturellement pas par son démantèlement. En particulier, seule la séparation comptable pour le GRT nous paraît absolument indispensable.

Pour nous, le statut du personnel d'EDF est un atout, les événements qui viennent de se dérouler l'ont montré.

Je suis sûr que la qualité des services et l'attachement des agents à cette entreprise seront aussi des atouts importants dans le millénaire qui s'ouvre.

M. Alain Cacheux.

Très bien !

M. Pierre Ducout.

S'agissant des avancées obtenues au cours du débat, incontestablement, le groupe socialiste a voulu insister sur le rôle des collectivités locales. EDF a encore des progrès à faire pour travailler en liaison avec elles en toute transparence.

Chers collègues, en repoussant cette question préalable, le groupe socialiste va participer à la préparation d'une bonne loi de transposition, qui devrait être opérationnelle début février et nous permettre de satisfaire ainsi aux exigences de la Commission européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Christian Cuvilliez, pour le groupe communiste.

M. Christian Cuvilliez.

Nous avons beaucoup parlé aujourd'hui de cette actualité si terrible, tempêtes et marée noire, qui a porté un préjudice grave à nos concitoyens, les plongeant quelquefois dans la détresse et dans le malheur.

Face à ces événements, nous avons assisté à deux attitudes. D'un côté, le groupe Total-Elf-Fina, et son PDG, qui a, spontanément, offert une journée de salaire à une association écologique pour résoudre le problème de la marée noire. De l'autre, le service public d'EDF a mobilisé ses agents, les a fait sortir de leur maison où ils étaient en vacances, leur a demandé de se priver de ces moments familiaux que sont les fins d'année, et a obtenu de ses retraités qu'ils reprennent du service, tandis qu'il trouvait également des concours venant de l'étranger pour réparer le plus rapidement possible des dommages considérables.

Nous avons là deux pôles énergétiques dont l'un a représenté la logique du marché, spontanément.

M. François Goulard.

N'est-ce pas un peu manichéen ?

M. Christian Cuvilliez.

Et poussant plus loin l'analyse, je rappellerai que, en mangeant Elf, Total avait permis à

M. Jaffré de partir avec quelques valises de stock-options, soit 250 millions. Comparons : 250 millions d'un côté, une journée de salaire de l'autre ! S'agissant d'EDF, son comportement est, bien entendu, le résultat d'une culture d'entreprise qui s'est développée au cours des années, et à laquelle nous sommes, comme ses agents, très attachés.

Mais il est un autre élément qui nous conduit à rejeter la question préalable, M. le ministre y a insisté, c'est qu'il y a risque, en laissant jouer les logiques de marché, de disloquer, non pas le monopole, mais l'unité d'un établissement, mise au service d'une politique décidée par les citoyens, à travers leurs représentants, et qui a fait la force et l'efficacité d'EDF et la fera encore longtemps si on ne la détruit pas. Qui pourrait d'ailleurs imaginer qu'un parc nucléaire comme le nôtre eût pu être constitué sans une telle unité ? Or, le parc nucléaire français est pris en exemple dans le monde entier et EDF n'a pas attendu la directive européenne pour conquérir des marchés : il est le partenaire privilégié des Chinois, avec nos autres opérateurs, pour la construction de centrales. Il ne faudrait donc pas, à la faveur d'une directive qui s'imposerait à nous, briser cette unité et cet élan.

Le risque était d'ailleurs le même en ce qui concerne la stratégie du transport de l'énergie. Le GRT est un élément qu'il faut maintenir, en liaison avec les centres de production. On a vu, à l'occasion de la tempête, combien le maillage du territoire par le réseau a été déterminant pour le rétablissement de l'électricité chez les gens. Qu'il faille envisager d'enterrer les lignes, là où c'est possible, en basse ou moyenne tension, soit, qu'il faille améliorer le service aux habitants, sans aucun doute. Mais qu'il faille garder le maillage et le réseau, cela ne fait pas l'ombre d'un doute et cela doit continuer à s'inscrire dans une vue stratégique générale de l'établissement.

A contrario, on a pu voir - et c'est le modèle anglosaxon qui inspire souvent les libéraux de l'opposition les effets de la privatisation des chemins de fer britanniques, les British Railways, sur la sécurité...

M. François Goulard.

Et en Norvège, où il y a une entreprise publique de transport ?

M. Christian Cuvilliez.

... qui a diminué au point de créer des accidents extrêmement graves dans la région de Londres. Le gouvernement de Tony Blair tend du reste à revenir en arrière dans ce domaine.

Enfin, il est injuste de supposer un seul instant que c'est une combinaison politicienne qui serait à l'origine de tous les amendements qui nous ont été consentis, et qui seront repris au cours de ce débat.


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Le succès de cette entreprise tient à son organisation mais aussi à ses agents. Effectivement, ils sont deux à trois fois plus nombreux que ne le sont les agents des entreprises concurrentes dans les pays voisins. Est-ce un handicap ? Je ne le crois pas. Leur statut social, la manière dont ils sont formés - par des formations internes - les qualifications qu'ils obtiennent, les résultats à quoi tout cela concourt, montrent qu'il faut préserver cet avantage et ce statut social. Nous sommes, à ce titre - c'est ce que Claude Billard et mes collègues ont défendu en première lecture -, l'expression d'un courant d'opinion qui est celui des agents et des usagers.

La politique tarifaire, si nous y sommes pour quelque chose, c'est évidemment la population qui en sera bénéficiaire. Le statut social, s'il est préservé et si nous y sommes pour quelque chose aussi, ce sont les agents qui en bénéficieront. Voilà tout ce qui nous sépare. Le reste n'est que billevesée. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. François Goulard, pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. François Goulard.

J'enchaînerai sur la vision - à peine manichéenne ! - de notre collègue Cuvilliez qui a opposé, dans une belle symétrie, le comportement de Total Fina, société sur laquelle je n'ai pas d'appréciation personnelle à porter, et celui, d'ailleurs admirable, des agents du service public.

Comme l'a rappelé Franck Borotra, des salariés d'entreprises privées se sont eux aussi montrés solidaires dans les récents événements. Les couvreurs, que je sache, ne relèvent pas du service public ; la plupart d'entre eux n'en ont pas moins fait leur devoir.

M. Alain Cacheux.

Mais ils ont aussi augmenté leur chiffre d'affaires !

M. André Lajoinie, président de la commission.

Petit argument, monsieur Goulard !

M. Christian Cuvilliez.

Comparaison n'est pas raison !

M. François Goulard.

Pour ce qui est de la catastrophe de la marée noire, dans la symétrie qu'il a campée, il aura sans doute échappé à M. Cuvilliez - cela devrait l'intéresser - qu'il sera, sur le plan juridique, difficile de mettre en jeu la responsabilité de Total. Savez-vous pourquoi, mes chers collègues ? Tout simplement parce que la convention internationale qui régit les questions de responsabilité en cas de pollution marine a été amendée en 1992 pour y introduire une clause exonérant explicitement l'affréteur de toute responsabilité en la matière. Et savez-vous qui étaient alors négociateurs et signataires pour la France ? Roland Dumas, ministre des affaires étrangères, Ségolène Royal, ministre de l'environnement et Louis Le Pensec, ministre de la mer.

Alors, messieurs les donneurs de leçons, regardez un peu de votre côté ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Plus sérieusement, parce que la polémique n'a aucun intérêt dans de telles matières, monsieur le secrétaire d'Etat, dans votre réponse à l'excellente intervention de notre collègue Birraux, qui a montré une fois de plus sa parfaite connaissance du sujet, vous avez eu des accents enflammés pour vanter les mérites et les succès d'EDF sur les marchés européens et étrangers, ce dont nous nous réjouissons, naturellement.

Mais croyez-vous que nos partenaires vont longtemps admettre qu'EDF procède à des acquisitions dans leurs pays alors que le nôtre est totalement fermé à la concurrence dans le domaine de l'électricité ?

M. Christian Bataille, rapporteur.

Le mois prochain, ce problème sera résolu !

M. François Goulard.

Poser cette question, c'est y répondre. Nous savons pertinemment que vous ne pourrez pas maintenir à la fois la fermeture en France et la volonté d'expansion à l'étranger.

Monsieur le secrétaire d'Etat, on peut vanter aujourd'hui les performances d'EDF, et je suis le premier à les reconnaître. Mais dans le monde actuel les positions respectives des entreprises peuvent très vite varier.

Vous qui êtes très attentif à ce secteur, vous connaissez les difficultés que rencontre France Télécom dans ses alliances internationales. Cette très belle entreprise, qui avait une position extrêmement forte, peut demain, voir sa place très largement contestée si elle ne sait pas réagir - j'espère qu'il n'en sera pas ainsi - aux nouvelles conditions du marché.

Eh bien, si EDF n'est pas mise à même de réagir, à l'instar de ses concurrents internationaux, comme une entreprise, elle peut perdre sa très belle position actuelle, la perdre demain ou dans un avenir très proche et ne plus être le fleuron que vous vous plaisez à célébrer ce soir.

M. le président.

La parole est à M. Claude Birraux, pour le groupe UDF.

M. Claude Birraux.

Monsieur Cuvilliez, vous n'étiez pas là mais le début de mon intervention a consisté à rendre hommage aux agents d'EDF. Les choses ne sont pas aussi manichéennes. La solidarité des électriciens européens s'est largement manifestée à travers l'aide et le soutien en hommes et en matériel apportés par les collègues électriciens d'autres pays d'Europe, que les entreprises soient publiques ou privées.

M. François Goulard.

Très juste !

M. Claude Birraux.

S'agissant de la CMP, je veux bien croire, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement respecte les prérogatives du Parlement, mais les membres de cette commission ont lu dans un journal du soir et, le lendemain, dans un journal économique, que vous refusiez même de discuter des points de désaccord, et reconnaissez qu'il n'est pas acceptable pour des parlementaires, quels qu'ils soient, de lire dans le journal quelle décision sera prise le lendemain. Dans la mesure où 70 % des amendements du Sénat avaient été adoptés avec votre accord, je reste persuadé qu'un accord était possible en CMP. On va reparler du GRT. Le Sénat avait suggéré de revenir dans un an sur son statut, mais il n'avait pas proposé un établissement public indépendant ou la filialisation, en recherchant précisément un accord en CMP.

Enfin, ne vous méprenez pas ! Je n'ai pas dit que j'étais contre la transparence. Avec l'office parlementaire et un certain nombre d'éminents collègues qui sont ici présents, nous avons largement contribué à ce que la transparence commence à s'instaurer dans le domaine du nucléaire.

M. Christian Bataille, rapporteur.

C'est juste !

M. Claude Birraux.

M. le rapporteur acquiesce. Je le préfère dans le rôle de rapporteur de l'office parlementaire que dans celui de rapporteur de ce texte...

M. Christian Bataille, rapporteur.

Moi aussi !


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M. Claude Birraux.

... mais nous avons, je crois, largement contribué à la transparence, ce qui, pour moi, est un impératif absolu.

Après l'échec du Gouvernement devant le Conseil d'Etat, pour le premier projet de loi, au mois de juin, j'ai déposé une proposition de loi qui vise à concilier l'exigence de transparence avec d'autres exigences comme l'efficacité ou la compétence. Il s'agit surtout de ne pas priver le Gouvernement des pouvoirs qui sont les siens, les pouvoirs de police et le pouvoir de définir les orientations et la politique. Vous êtes toujours dans les discussions. Je vous fais une bonne suggestion : inscrivez ma proposition de loi à l'ordre du jour et je suis sûr que les six groupes parlementaires pourront trouver un consensus sur ce sujet. Cela simplifiera les réunions interministérielles, qui semblent un petit peu compliquées.

S'il faut adopter la question préalable, c'est pour que le Gouvernement revienne avec un texte plus conforme à l'esprit et à la lettre de la directive et aux intérêts mêmes de l'entreprise EDF, en suivant, monsieur Dumont, votre excellent rapport auquel je me suis référé et auquel je me référerai encore.

M. le président.

Pour le groupe RPR, la parole est à

M. Franck Borotra.

M. Franck Borotra.

Je vais être très bref car les explications de vote sur les motions de procédures ne constituent pas le débat de fond. Nous aurons l'occasion de développer nos arguments.

Je souhaite tout de même que l'on évite de tomber dans le simplisme. On l'avait évité à l'occasion de la première lecture. Nous ne nous étions pas mis des étiquettes ou des labels nous opposant de manière irréductible.

Nous sommes en nouvelle lecture. On devrait éviter les propos simplistes que je viens d'entendre dans la bouche de certains orateurs.

M. Pierre Forgues.

Comme Goulard ! (Sourires.)

M. Franck Borotra.

Non ! Il exprime un point de vue et des convictions et il les argumente. C'est autre chose que d'opposer des idées simples ou simplistes et fausses à des argumentations plus fouillées ! D'abord, je vais revenir sur l'affaire de la CMP. Vous dites que vous respectez le Parlement. Je ne vous fais pas de procès d'intention, mais c'est l'Hôtel Matignon luimême qui a dit que l'arbitrage avait été rendu la veille...

M. Christian Bataille, rapporteur.

Non !

M. Franck Borotra.

Ça, c'est la langue de bois, monsieur Bataille ! Ecoutez les journalistes ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Lisez Le Monde ! Ils ont dit eux-mêmes qu'il y avait eu un arbitrage politique. Ayez le courage de le dire ! Il fallait faire plaisir aux communistes ! Vous leur avez fait plaisir ! Ce n'est pas très intelligent, mais ce n'est pas scandaleux ! (Sourires sur les bancs du groupe communiste.)

M. Alain Cacheux.

Le rapporteur a tout fait pour que la commission aboutisse !

M. Franck Borotra.

Au Sénat, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez eu un comportement très ouvert. Sur 250 amendements, vous en avez acceptés 187...

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Rédactionnels !

M. Franck Borotra.

... Montrant bien que vous étiez prêt à discuter, et vous avez conclu que, sur trois ou quatre points, il y avait un désaccord entre le Sénat et vous. La CMP devait permettre de trouver un accord sur ces trois ou quatre points. Je ne vous en veux pas, monsieur le rapporteur. Vous savez que j'ai pour vous de l'amitié, non pas politique, mais personnelle. (Sourires.)

On aurait pu discuter sur ces trois ou quatre points et cela a été : non ! Ce n'est pas la conception que nous avons du fonctionnement du système ! Vous m'avez reproché d'avoir dit que votre rapport était sectaire. J'en ferai la démonstration ce soir dans la troisième motion de procédure. Je dirai ce que vous avez écrit. Il y a quinze ans que je suis parlementaire, je n'ai jamais vu ça ! Et je le regrette, parce que je considère que, a priori, vous n'êtes pas spontanément sectaire. Je voudrais donc savoir ce qui s'est passé ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Je dis ce que je ressens !

M. le président.

Un peu de silence ! Laissez parler M. Borotra, qui nous avait promis d'être bref !

M. Franck Borotra.

Ce n'est pas ma faute, monsieur le

président

!

M. le président.

Poursuivez !

M. Franck Borotra.

Deuxièmement, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur, j'aimerais qu'à l'occasion de ce débat, on essaie d'éviter de se battre pour ou contre EDF. Tout le monde est pour EDF.

M. Roland Metzinger.

Sauf Borotra !

M. Franck Borotra.

Je l'ai défendue probablement plus que la plupart d'entre vous et dans des circonstances qui étaient difficiles.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

C'est vrai.

M. Franck Borotra.

Vous oubliez les conditions dans lesquelles vous aviez embourbé le dossier.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) C'est la vérité. Vous vous souvenez, monsieur le secrétaire d'Etat, la totalité des quatorze autres pays européens étaient contre la position française. Qu'on évite donc de se battre pour ou contre EDF.

Le problème qui se pose, ce n'est pas la remise en cause d'EDF. Il faut préparer EDF à l'évolution qui aura lieu sur le marché français et sur le marché européen et faire bouger l'entreprise à l'intérieur pour qu'elle devienne une entreprise comme les autres. M. Franck Borotra.

Qu'on en parle, tranquillement. On peut avoir des conceptions différentes, mais tout le monde est d'accord, à part probablement les communistes, pour dire que cela ne pourra pas rester en l'état et que, dans les dix années qui viennent, il y aura des transformations profondes.

M. Claude Billard.

Nous aussi, nous sommes pour que le service public bouge, pour qu'il se modernise.

M. Franck Borotra.

Enfin, le rapporteur a dit que la politique énergétique du Gouvernement était le reflet des courants qui la constituent.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Bataille, rapporteur.

Non !

M. Alain Cacheux.

Ça, c'est polémique !

M. Pierre Forgues.

C'étaient les courants électriques ! (Sourires.)

M. Franck Borotra.

Si, vous l'avez dit, monsieur le rapporteur. Or, si cette politique a du mal à être cohérente, c'est tout simplement parce qu'elle cherche à concilier des courants contradictoires,...

M. Jean-Yves Le Déaut.

Alternatifs ! (Sourires.)

M. Franck Borotra.

... et il faudra bien que vous tranchiez sur ce sujet.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 JANVIER 2000

On ne peut à la fois faire cadeau de Superphénix aux Verts, leur proposer de bloquer l'évolution du nucléaire, en particulier à travers certaines dispositions sur la transparence - moi je suis favorable à la transparence mais je ne suis pas favorable à un système ayant pour conséquence de bloquer l'évolution du nucléaire - ou bien les voir continuer à contester La Hague, qui est indispensable à notre système, et aussi, de l'autre côté, le monopole et le refus de l'ouverture. C'est inconciliable, monsieur le secrétaire d'Etat.

Si vous voulez déboucher sur une politique énergétique forte et claire, vous n'avez qu'à venir devant le Parlement et faire voter des orientations claires. Et on n'attend pas 2002, on peut le faire dès à présent. Il y a eu un débat l'année dernière. On aurait pu le faire sur Superphénix, on ne l'a pas fait, on pourrait le faire sur les EPR, ou sur la situation de la loi Bataille. Clarifiez tout cela. On verra qui est pour et qui est contre. Du même coup, votre politique deviendra cohérente, elle aura de la force et p eut-être la soutiendrons-nous. Les trois quarts de l'Assemblée nationale sont prêts à soutenir une politique claire dans le domaine énergétique. Il faut sortir de la confusion et des contradictions.

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Guy Hascoët.

M. Guy Hascoët.

Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'étais le dernier intervenant lors de la première lecture et j'ouvre aujourd'hui le débat. J'avais eu l'occasion de dire que nous l'abordions, non pas de manière idéologique et avec l'intention d'asséner, de répéter à chaque intervention notre position fondamentale sur le sujet de l'énergie, mais de manière très pragmatique en regardant les éléments du texte permettant d'adapter dans de bonnes conditions la directive européenne sur l'électricité pour assurer l'avenir en matière d'évolution énergétique.

J'avais eu l'occasion de dire très clairement que notre logique était de considérer que la question de l'énergie est majeure, et sera tellement majeure dans les décennies à venir qu'il ne saurait être question de la laisser à la seule règle du marché.

M. Alain Cacheux.

Très bien !

M. Guy Hascoët.

Pour nous, effectivement, il est important qu'une politique publique et des régulations publiques interviennent pour définir progressivement au fil des années ce que doit être une grande politique de l'énergie.

Ce qui nous semblait nécessaire à l'occasion de ce débat, c'était sans doute de redéfinir le cahier des charges de la mission de service public. Même si nous reconnaissons les mérites de l'établissement public, il n'était pas question pour nous de confondre service d'intérêt général en matière d'énergie avec les intérêts de l'établissement public lui-même.

Nous avons bien évidemment à prendre en compte les intérêts de l'établissement public et à être à son éco ute, mais il nous fallait aussi réaffirmer, et nous l'avons fait avec d'autres au cours de ce débat, le droit légitime des c ollectivités locales et territoriales au sein de la République d'être des acteurs du service public de l'énergie. Il nous fallait réaffirmer la nécessité d'ouvrir le cahier des charges des missions de service public sur d'autres missions nouvelles. Je pense notamment à l'affirmation que la recherche d'une maîtrise de la demande devient tout aussi essentielle que la recherche des moyens de production pour l'avenir, que la nécessité de mener à bien la diversification et de permettre que se fraient un chemin toute une série de nouvelles filières qui ont parfois connu quelques déboires, pour ne pas dire quelques retards, dans notre beau pays de France, d'optimiser les énergies. Peutêtre qu'à l'occasion d'autres débats après celui-ci, nous aurons l'occasion de regarder d'un peu plus près ce qui pourrait être la logique suivante : la bonne énergie pour le bon usage à sa bonne place.

Notre objectif est donc de faire un texte qui, dans son équilibre, permette tout à la fois cette diversification, cet enrichissement du cahier des charges de missions de service public, d'asseoir et de créer des dynamiques industrielles nouvelles, permettre de réfléchir à l'ensemble des éléments de recherche nécessaires pour ouvrir cet horizon et ces avenirs. Et puis, bien évidemment, et l'actualité se rappelle à nous de manière brutale, de s'interroger sérieusement sur la traduction ramenée au plus près du terrain et de nos concitoyens de ce qu'est la maîtrise de la demande quand on parlera demain d'anticiper le réchauffement climatique ou de faire face à la dérive de l'effet de serre et des conséquences qui, semble-t-il, commencent à s'annoncer de manière très concrète et très brutale - en espérant que ce ne soient pas là les prémices d'une série d'événements que nous aurions à subir régulièrement.

Nous sommes arrivés, après des débats compliqués mais riches, à faire adopter un certain nombre d'amendements, les uns et les autres, ayant enrichi le texte initial.

Personne, par rapport à sa position de départ, ne peut être satisfait à 100 %. Certains auraient souhaité sans doute que rien ne bouge, d'autres auraient souhaité qu'on en profite pour traiter d'autres sujets que l'adaptation en droit français de la directive européenne. Moi-même j'ai obtenu un certain nombre d'amendements mais j'aurais souhaité peut-être encore plus de générosité. Au bout du compte ce texte, à l'issue de la première lecture, a trouvé son équilibre.

Si vraiment, monsieur Borotra, sans entrer dans des jeux par trop policiciens, l'objectif du Sénat avait été de permettre à la CMP d'aboutir, il aurait fallu que cette question soit prise en compte en amont dans la nature des amendements déposés. Or certains amendements avaient de fait pour vocation de rendre impossible tout accord. De ce point de vue-là, personne ne peut se tromper : l'accord en CMP a été rendu impossible par certains éléments volontairement déposés dans le débat au Sénat.

Nous allons assister, j'en suis convaincu, à une évolution rapide dans le domaine de l'énergie. Je ne sais pas si, quand on se projette à huit ans, on aura autant de temps que ça pour constater un certain nombre d'évolutions, soit dans les technologies, soit dans l'évolution des services, dans le paysage national ou européen. Nous devrons donc sans doute en prendre acte, ou essayer de mesurer ou d'évaluer plus précisément ces changements à mesure qu'ils se présenteront à nous.

En attendant, ce qui me paraît essentiel, c'est de parvenir à conclure ce débat dans de bonnes conditions et à rester dans cette logique d'équilibre, qui est la seule capable de le faire aboutir, de permettre à l'établissement public lui-même d'entrer dans une nouvelle phase de son


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 JANVIER 2000

histoire. Le retard des établissements publics français n'est pas un avantage pour eux. Plus nous tardons, plus nous les handicapons dans leur capacité à engager certaines évolutions qui sont incontournables, et nécessaires pour assurer leur avenir.

Alors je serai, comme en première lecture, pragmatique et vigilant, pour assurer l'équilibre de nos travaux, pour que nous arrivions à un texte qui puisse entrer en application. On a parlé de l'attitude de négociateurs dans le passé et de la position des quatorze autres pays européens.

Je ne sais pas s'il y en avait quatorze mais, ce qui est certain, c'est que la position française a été jugée singulière et qu'elle est toujours considérée ainsi. Il nous faut donc trouver le chemin pour respecter nos engagements européens tout en préservant certaines spécificités et en assurant l'avenir de l'énergie en France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, no 1840, relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité : M. Christian Bataille, rapporteur au nom de la commission de la production et des échanges (rapport no 2004).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT