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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE Mme NICOLE CATALA

1. Nomination d'un secrétaire de l'Assemblée nationale (p. 3156).

2. Référé devant les juridictions administratives. - Discussion, en deuxième lecture, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi (p. 3156).

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

M. François Colcombert, rapporteur de la commission des lois.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 3157)

MM. Pierre Morange, Jacques Brunhes, Emile Blessig, Gilbert Gantier.

M. le secrétaire d'Etat.

Clôture de la discussion générale.

DISCUSSION DES ARTICLES (p. 3160)

Article 3 (p. 3160)

Amendements nos 6 et 7 de M. Montebourg : MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement no 6 ; rejet de l'amendement no

7. Adoption de l'article 3 modifié.

Article 4 (p. 3161)

Amendement no 1 de la commission des lois : MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.

Amendement no 5 du Gouvernement : MM. le secrétaire d'Etat, le rapporteur, Emile Blessig. - Adoption.

Adoption de l'article 4 modifié.

Article 7 (p. 3162)

Amendement no 4 de M. Blessig : MM. Emile Blessig, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.

Adoption de l'article 7.

Article 16 (p. 3163)

Amendement no 2 de la commission : MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.

Adoption de l'article 16 modifié.

Article 17 (p. 3163)

Article 17 bis (p. 3164)

Le Sénat a supprimé cet article.

Amendement no 3 de la commission : MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.

L'article 17 bis est rétabli et se trouve ainsi rédigé.

Article 17 ter (p. 3164)

Après l'article 17 ter (p. 3164)

Amendement no 9 de M. Colcombet : MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Retrait.

Amendement no 8 rectifié de M. Colcombet : MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.

Articles 18 et 19 (p. 3165)

EXPLICATION DE VOTE (p. 3165)

M. Emile Blessig.

VOTE SUR L'ENSEMBLE (p. 3165)

Adoption de l'ensemble du projet de loi.

3. Consultation de la population de Mayotte. - Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat (p. 3165).

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

M. Jacques Floch, rapporteur de la commission des lois.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (p. 3168)

Exception d'irrecevabilité de M. Philippe Douste-Blazy : MM. Henri Plagnol, le secrétaire d'Etat, Jérôme Lambert.

- Rejet.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 3173)

MM. Henry Jean-Baptiste, Dominique Bussereau, Jérôme Lambert, Pierre Morange, Jacques Brunhes.

M. le secrétaire d'Etat.

Clôture de la discussion générale.

DISCUSSION DES ARTICLES (p. 3181)

Article 1er (p. 3181)

M. Henry Jean-Baptiste.

Adoption de l'article 1er

Article 2. - Adoption (p. 3181)

Article 3 (p. 3181)

Amendement no 1 de M. Jean-Baptiste : MM. Henry JeanBaptiste, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.

Adoption de l'article 3.

Articles 4 et 5. - Adoption (p. 3182)

Article 6 (p. 3182)

Amendement no 2 de M. Jean-Baptiste : MM. Henry JeanBaptiste, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.

Amendement no 3 de M. Jean-Baptiste : M. Henry JeanBaptiste. - Retrait.

Adoption de l'article 6.

Articles 7, 8, 9 et 10. - Adoption (p. 3183)

VOTE SUR L'ENSEMBLE (p. 3183)

Adoption de l'ensemble du projet de loi.

Suspension et reprise de la séance (p. 3183)

4. Proposition de loi sur l'esclavage. - Discussion, en deuxième lecture, d'une proposition de loi (p. 3183).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteuse de la commission des lois.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 3186)

Mme Huguette Bello,

MM. Louis Mermaz, Pierre Morange, Jacques Brunhes, Henry Jean-Baptiste.

Clôture de la discussion générale.

DISCUSSION DES ARTICLES (p. 3190)

Article 2 (p. 3190)

Le Sénat a supprimé cet article.

Amendement no 1 de la commission des lois : Mme la rapp orteuse, MM. le secrétaire d'Etat, Louis Mermaz, Jacques Brunhes. - Adoption.

L'article 2 est rétabli et se trouve ainsi rédigé.

Article 3 bis (p. 3191)

Amendement no 2 de la commission : Mme la rapporteuse,

M. le secrétaire d'Etat. - Adoption.

Amendement no 3 de la commission : Mme la rapporteuse,

M. le secrétaire d'Etat. - Adoption.

Adoption de l'article 3 bis modifié.

Article 4 (p. 3192)

Le Sénat a supprimé cet article.

Article 5 (p. 3192)

Le Sénat a supprimé cet article.

Amendement no 4 de la commission : Mme la rapporteuse,

M. le secrétaire d'Etat. - Adoption.

L'article 5 est rétabli et se trouve ainsi rédigé.

VOTE SUR L'ENSEMBLE (p. 3192)

Adoption de l'ensemble de la proposition de loi.

5. Fin de mission temporaire d'un député (p. 3192).

6. Déclaration de l'urgence d'un projet de loi (p. 3192).

7. P résomption d'innocence et droits des victimes. - Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire (p. 3192).

8. Gens du voyage. - Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire (p. 3192).

9. Ventes de meubles aux enchères publiques. - Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire (p. 3193).

10. Adoption d'une résolution portant sur des propositions d'actes communautaires (p. 3193).

11. Dépôt d'une proposition de loi organique (p. 3193).

12. Dépôt d'un rapport (p. 3193).

13. Dépôt d'un projet de loi modifié par le Sénat (p. 3193).

14. Dépôt d'une proposition de loi adoptée par le Sénat (p. 3193).

15. Dépôt d'une proposition de loi adoptée avec modifications par le Sénat (p. 3194).

16. Suspension des travaux de l'Assemblée (p. 3194).

17. Ordre du jour des prochaines séances (p. 3194).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE Mme NICOLE CATALA,

vice-présidente

Mme la présidente.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

NOMINATION D'UN SECRÉTAIRE DE L'ASSEMBLE E NATIONALE

Mme la présidente.

L'ordre du jour appelle la nomination d'un secrétaire de l'Assemblée nationale.

Je n'ai reçu qu'une candidature, qui a été affichée : celle de M. Alain Tourret.

En conséquence, je proclame M. Alain Tourret secrétaire de l'Assemblée nationale.

(Applaudissements.)

2 RÉFÉRÉ DEVANT

LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES Discussion, en deuxième lecture, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi

Mme la présidente.

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif au référé devant les juridictions administratives (nos 2186, 2302).

Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, votre assemblée examine aujourd'hui en deuxième lecture le projet de loi relatif au référé devant les juridictions administratives.

Mme Guigou, ministre de la justice, tient à saluer la remarquable contribution de la commission des lois de l'Assemblée nationale et de son rapporteur, M. Colcombet, à l'amélioration de ce texte important. Le travail législatif, qui s'achemine maintenant vers son terme, a montré la convergence des deux assemblées sur l'essentiel.

Il existe, à l'évidence, un consensus sur les finalités et le contenu de la réforme. Mais entendu, au-delà des points de convergence, il subsiste des points de divergence.

J'évoquerai d'abord les points de convergence.

Votre assemblée a introduit, en première lecture, des précisions pertinentes que le Sénat a adoptées sans modification.

Ainsi, à l'article 1er , le juge administratif des référés devra se prononcer « dans les meilleurs délais ». A l'article 3, vous avez ajouté que le référé-suspension n'accompagnait pas les seules requêtes en annulation au sens strict, mais qu'il pouvait s'étendre à l'ensemble des procédures en réformation. Vous avez par ailleurs indiqué que la suspension ordonnée par le juge administratif pouvait aussi viser des décisions de rejet.

Le Sénat a adopté l'article additionnel que vous aviez introduit, tendant à instituer un recours administratif préalable obligatoire en matière de litiges individuels des fonctionnaires. Les sénateurs ont même étendu la mesure à la fonction publique militaire. Vous les rejoignez sur ce point.

J'en viens maintenant aux enrichissements apportés au texte en cours de la procédure parlementaire.

Le Sénat a souhaité introduire un dispositif inspiré du référé judiciaire dit « à heure fixe ». Je ne doute pas que votre assemblée - M. Colcombet au premier chef - y soit particulièrement sensible.

Cependant, l'assignation judiciaire à heure fixe n'étant pas transposable sans aménagement aux spécificités du procès administratif, Mme la ministre de la justice a proposé un amendement qui adapte au contentieux administratif ce dispositif propre à la procédure civile. L'idée est simple : les parties connaîtront, dès l'introduction de la procédure, la date et l'heure à laquelle l'affaire sera examinée par le juge. Cette mesure constituera une avancée considérable dans le mode de fonctionnement des juridictions administratives.

Il en ira de même de l'amendement adopté par le Sénat, qui fixe au juge un délai de quarante-huit heures pour statuer dans le cadre du référé-liberté.

L'architecture de la réforme est donc fixée. Le seul point délicat portait sur les voies de recours. L'accord s'est finalement fait entre les assemblées : seules les décisions prises en matière de référé-liberté peuvent faire l'objet d'un appel devant le Conseil d'Etat, les décisions prises dans le cadre des autres procédures de référé relevant du contrôle de cassation.

J'en arrive aux dispositions sur lesquelles les deux assemblées ont exprimé des divergences.

C'est le cas de l'article 4, relatif au référé-liberté, dans sa partie réservant la compétence du juge judiciaire. Votre commission des lois souhaite rétablir la rédaction qu'elle avait adoptée en première lecture. Il n'existe pas de divergence de fond : il s'agit d'une simple question de rédaction qui devrait pouvoir être réglée sans difficulté.

Les deux assemblées divergent également sur les dispositions particulières à certains contentieux.

Il en va ainsi de la suspension automatique en cas d'insuffisance de l'étude d'impact en matière d'environnement. Cette indication, conforme à la jurisprudence, a paru utile à Mme la ministre, qui comprend donc le souhait de votre commission de rétablir le texte que vous aviez adopté le 14 décembre dernier.

Enfin, dans la logique du rôle dévolu au préfet en matière de contrôle de légalité, la ministre demande que, par voie d'amendement à l'article 4 du projet de loi, soit


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rétablie pour le référé-liberté la possibilité complém entaire d'intervention du préfet, laquelle a été supprimée par le Sénat.

En conclusion, madame la présidente, je souhaite souligner qu'au fil des débats la réforme des procédures d'urgence devant les juridictions administratives, impulsée par le Gouvernement, a conservé son architecture première.

Il conviendra, dès l'entrée en vigueur du projet de loi - l'élaboration en cours des décrets d'application permettra d'éviter tout retard -, de transmettre cette dynamique aux magistrats et aux agents des greffes sur qui repose la réussite de la réforme. Je ne doute pas que, conscients des enjeux pour le devenir de la juridiction administrative, ces agents et ces magistrats s'y emploieront avec force, efficacité et conviction. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. François Colcombet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelless, de la législation et de l'administration générale de la République.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous examinons pour la deuxième fois le projet de loi relatif au référé en matière administrative.

Le point de départ de la réflexion a été la constatation, faite par tous les orateurs au fil des lectures, que le contentieux, aussi bien judiciaire qu'administratif, avait tendance à augmenter dans des proportions phénoménales. On peut se demander ce que cela signifie ; on peut aussi le déplorer ; on peut encore s'en réjouir. M. Carbonnier, spécialiste de la sociologie du droit, a fait remarquer que les grands procès avaient à une certaine époque remplacé les guerres privées, et que cela constituait certainement un progrès. De la même façon, nous pouvons soutenir qu'il vaut toujours mieux aller devant le juge plutôt que de révolvériser son voisin et divorcer plutôt que d'empoisonner son conjoint ! (Sourires.)

S'adresser à la justice est donc toujours préférable.

Mais le résultat est que la justice est très encombrée et cela d'autant plus que, dans un pays démocratique comme le nôtre, l'accès à la justice est facilité, notamment par ce qu'on appelle l'aide judiciaire, l'aide juridique, l'aide juridictionnelle. Chaque fois que l'on ouvre un peu plus les possibilités d'accéder à la justice, on s'aperçoit que de nombreuses personnes s'en servent comme le prouve l'accroissement du contentieux du divorce et des accidents.

Face à cette situation, il n'y a qu'une chose à faire : non pas diminuer la qualité de la justice, mais améliorer son fonctionnement.

S'agissant de la juridiction administrative, le ministère de la justice a bien pris la mesure du problème. Vous n'ignorez pas que la durée d'un contentieux devant le tribunal administratif est actuellement de deux ans, et qu'il est de trois ans devant une cour administrative d'appel, ce qui est manifestement beaucoup trop. D'où la création de quelques nouvelles juridictions - à Melun et, bientôt, à Cergy-Pontoise. Je n'oublie pas la création d'une nouvelle cour administrative d'appel à Douai. Mais tout cela ne suffit pas. Le développement du référé, dont il est question aujourd'hui, est à mon avis une très bonne réponse car il permet de faire s'engager la discussion entre les parties, ce qui a très souvent pour effet de « dégonfler » le contentieux. L'expérience montre qu'en effet, après un référé, les parties finissent fréquemment par s'entendre et transiger.

J'ajoute qu'au Conseil d'Etat un groupe travaille actuellement sur le développement de la médiation en matière administrative.

Développer le référé et le compléter par la médiation, c'est, à mon avis, aller dans une voie de progrès, dans laquelle s'est déjà largement engagée la juridiction judiciaire.

Pour toutes ces raisons, le projet tel qu'il est proposé me paraît tout à fait bienvenu.

Il s'agit d'un texte tout à fait technique, quelquefois aux confins du réglementaire, ce que l'opposition se fait un plaisir de remarquer. Mais que celle-ci me permette de lui rappeler que, lorsqu'elle proposait de faire figurer dans une loi les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse, elle ajoutait allègrement du réglementaire au législatif.

(Sourires.)

Nous sommes tous aux confins de ces deux domaines.

Mais revenons au texte qui nous est aujourd'hui soumis.

Il faut reconnaître que, sous un aspect un peu particulier, s'agissant d'une juridiction aussi distinguée que le Conseil d'Etat, tout cela évoque un « travail dans la dentelle », non pas parce qu'il y aurait des trous, mais parce que l'architecture est extrêmement sophistiquée et très raffinée.

Alors qu'en matière judiciaire, on a quelques textes simples, on aura, en matière administrative, un empilement de textes qui présenteront de légères différences entre eux. Mais il faut en passer par là.

En matière judiciaire, des progrès ont été réalisés et les réformes successives ont amélioré le fonctionnement. En matière administrative, il faudra assez vite, me semble-t-il, simplifier ce que nous faisons aujourd'hui, qui est une première démarche que nous devons accomplir.

Je vous proposerai, moyennant quelques modifications que la commission a adoptées tout à l'heure, de voter le projet de loi, sans doute à l'unanimité puisque, sur beaucoup de points, nous sommes plus que d'accord.

Discussion générale

Mme la présidente.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Morange, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. Pierre Morange.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes invités cet après-midi à examiner, en deuxième lecture, un projet de loi qui tente de donner au juge administratif les moyens juridiques de traiter les situations d'urgence, en conférant au juge des référés administratifs des pouvoirs sinon équivalents, du moins proches de ceux du juge des référés en matière civile.

Ce projet de loi va dans le bon sens et a été accepté dans son principe par les deux assemblées. L'Assemblée nationale et le Sénat sont en effet parvenus à un accord sur de nombreuses dispositions.

C'est ainsi que l'Assemblée se trouve aujourd'hui saisie des neuf articles qui restent en navette.

La commission des lois a décidé de rétablir la rédaction de l'Assemblée nationale adoptée en première lecture pour ce qui concerne les articles 4, 16 et 17 bis.

L'article 4 concerne la définition du référé-injonction.

L'article 16 est relatif à la suspension de décision en vue d'assurer la protection de l'environnement, et


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l'article 17 bis concerne l'appel des décisions du juge des référés devant le président de la cour administrative d'appel.

Concernant le référé-injonction, qui est une innovation majeure du projet, il nous semble préférable de retenir la rédaction sénatoriale, qui rappelle que le référé-injonction ne modifie pas les règles de compétences entre les deux ordres de juridictions, administratif et judiciaire.

Quant à l'article 16, l'Assemblée nationale propose d'assimiler l'insuffisance de l'étude d'impact à une absence d'étude d'impact, pour obtenir la suspension de droit d'une décision. Il me semble que cette sanction ne doit pas être automatique dans les cas d'insuffisance simple.

Il s'agit, à ce stade, de considérations techniques qui ne remettent pas en cause les orientations générales positives du projet. Pour autant, une question substantielle se pose : les dispositions du texte sont-elles suffisantes pour améliorer le fonctionnement de la juridiction administrative ? Je ne le crois pas car, comme l'a rappelé fort justement en première lecture notre orateur Jean-Luc Warsm ann, cette réforme n'apporte aucun moyen supplémentaire et elle est elle-même coûteuse. En effet, la réforme n'a de sens que si elle est accompagnée de moyens réels. La lenteur des procédures s'explique en partie, nous le savons, par l'accroissement substantiel des contentieux. Or le texte, facilitant l'accès des citoyens aux tribunaux, risque d'accroître significativement le recours au juge administratif.

Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, la réforme risquet-elle de rester lettre morte si vous ne vous donnez pas parallèlement les moyens d'augmenter le nombre de magistrats et de greffiers.

Notre groupe s'abstiendra, comme en première lecture, à moins que le Gouvernement ne présente une étude d'impact digne de ce nom et ne prévoie les moyens suffisants pour nous permettre de répondre à l'attente des Françaises et des Français, qui souhaitent une justice administrative rapide et efficace.

Mme la présidente.

La parole est à M. Jacques Brunhes, pour le groupe communiste.

M. Jacques Brunhes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons en deuxième lecture répond à l'une des orientations que s'est fixées le Gouvernement pour promouvoir une justice au service des citoyens, orientations que nous approuvons et que nous accompagnons ici.

Une justice accessible pour tous, plus rapide, plus actuelle et s'adaptant aux transformations de la société relève d'un objectif d'autant plus ambitieux dans le domaine qui nous occupe aujourd'hui que l'on connaît l'état d'engorgement de nos juridictions administratives.

L'afflux des contentieux, l'alourdissement du stock des affaires en attente, la lenteur des délais de jugement, qui a d'ailleurs valu à la France d'être condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, génèrent, malgré les efforts entrepris ces dernières années, des conséquences souvent dramatiques pour nos administrés qui sont confrontés à la toute-puissance de l'administration.

Améliorer cette situation est devenue une exigence incontournable, notamment en ce qui concerne les procédures d'urgence. C'est ce à quoi s'attache ce projet. Il faut mesurer l'amélioration considérable qui découlera des dispositions proposées pour les justiciables, qui pourront d ésormais bénéficier rapidement d'un minimum de garanties face à l'administration.

L'innovation commune aux trois procédures d'urgence proposées - le référé-suspension, le référé-injonct ion, le référé-conservatoire - introduit une simplification et un assouplissement qui ne peuvent qu'engendrer des effets positifs pour les administrés.

Si la navette parlementaire a permis d'améliorer le dispositif proposé en conservant toute la cohérence du projet, nous sommes, pour notre part, très attachés à la rédaction de l'article 4 que notre Assemblée avait adoptée...

M. François Colcombet, rapporteur.

Très bien !

M. Jacques Brunhes..., c'est-à-dire à la faculté, pour ler eprésentant de l'Etat, d'accéder au « référé-liberté » quand l'atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale est le fait d'une collectivité territoriale. Mais j'ai entendu, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous aviez déposé un amendement visant à revenir au texte de l'Assemblée.

Vous me permettrez, pour conclure mon propos, d'insister sur une question lancinante qui me semble essentielle dès lors que l'on s'engage dans une telle réforme. Je veux parler, vous l'aurez compris, de la question des moyens dont la juridiction administrative ne dispose pas encore suffisamment, malgré les efforts déjà réalisés. La mise en place de cette importante réforme tendant à une bonne application des procédures d'urgence nécessitera, à l'évidence, des postes supplémentaires de magistrats et de greffiers.

En effet, si les moyens nécessaires n'étaient pas débloqués, nous risquerions de constater une forte augmentation des recours et une multiplication des ordonn ances d'irrecevabilité comme solution au désengorgement. Ce n'est pas l'objectif recherché. Peutêtre, monsieur le secrétaire d'Etat, pourriez-vous informer notre assemblée des intentions du Gouvernement en ce domaine, intentions qui devraient, nous n'en doutons pas, tendre à démultiplier les efforts déjà consentis.

Au regard de ces observations, le groupe communiste votera pour ce projet de loi, en souhaitant vivement que les moyens financiers qui l'accompagneront en permettent une application rapide et efficace.

Mme la présidente.

La parole est à M. Emile Blessig, pour le groupe UDF.

M. Emile Blessig.

Ne nous y trompons pas, ce texte important modifie de manière substantielle le traitement de l'urgence devant les tribunaux administratifs. Certains n'ont pas hésité à parler de « révolution », révolution pacifiée, policée, certes, mais révolution. Ses principales caractéristiques sont les suivantes : un juge des référés administratifs, juge unique, statuant sans conclusions du Gouvernement ; l'extension du principe de l'oralité des débats ; le pouvoir d'adresser des injonctions temporaires à l'administration ; la suppression, dans la plupart des cas, de la possibilité d'appel, seul le recours en cassation restant ouvert.

Cette révolution aura aussi des conséquences en termes d'activité. A titre d'exemple, devant le seul tribunal de grande instance de Paris, en 1998, plus de 15 000 décisions ont été rendues en référé alors que toutes les chambres civiles ont rendu 27 533 décisions au fond.

Autrement dit, le contentieux de l'urgence devant le tribunal de grande instance de Paris représente 54 % des décisions. La même année, sur les 138 000 affaires enregistrées devant les tribunaux administratifs, 7 000 ont concerné l'urgence et 7 500 des demandes de sursis. Au total, pour l'ensemble du pays, 17 500 requêtes étaient


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fondées sur l'urgence, soit 10 %. Ces chiffres montrent l'importance de ce texte pour l'organisation et la pratique de notre justice administrative puisqu'il doit permettre un traitement décent de l'urgence devant la juridiction administrative.

Nous allons passer d'un contentieux de l'urgence réduit à la portion congrue du fait des textes et de la jurisprudence à un contentieux de masse, sous l'effet d'un consumérisme juridique dans l'air du temps, mais pas uniquement, car le recours au juge face à l'administration dans le cadre d'une procédure rapide, souple et efficace est un contre-pouvoir source de liberté dans une société démocratique. L'exercice d'une voie de recours en tant que manifestation d'une liberté publique suppose une justice non seulement plus rapide dans ses réponses, plus compréhensible dans son approche du monde contemporain, mais aussi plus proche du citoyen et plus accessible au grand nombre. Si les deux premières conditions sont remplies par les dispositions du présent texte, je regrette que le Sénat et la commission soient revenus sur la possibilité, en matière de référé-injonction, d'interjeter appel devant le président de la cour administrative d'appel car, ce faisant, le texte méconnaît les critères de proximité et d'accessibilité. J'aurai l'occasion d'y revenir au moment de la discussion des articles.

J'en viens à la question des moyens humains et financiers. Comme l'ont soulevé les orateurs précédents, selon les estimations, l'application de cette réforme nécessiterait le recrutement de quarante à soixante magistrats et de soixante-quinze greffiers supplémentaires. Mais n'oublions pas que ce texte aura des incidences importantes sur l'organisation des services contentieux dans les préfectures et dans les collectivités locales - régions, départements et communes. Or seules les très grandes communes disposent de services juridiques compétents. Sans moyens adéquats, une situation de déséquilibre risque de s'instaurer entre les intérêts catégoriels et individuels et l'action de l'Etat et des collectivités territoriales. Dans un tel cas de figure, ce texte produirait des effets contraires à ceux escomptés. Dans les administrations d'Etat, et tout particulièrement dans les services juridiques des préfectures, l'inquiétude est donc réelle.

En conclusion, à ces réserves près, le texte va assurément dans le bon sens, celui de la modernisation de l'appareil de notre justice administrative, pour lui permettre de mieux prendre en compte l'intérêt général face à des intérêts particuliers dont la légitimité n'est pas tou jours clairement établie.

Mme la présidente.

La parole est à M. Gilbert Gantier, pour le groupe Démocratie libérale et indépendants.

M. Gilbert Gantier.

Le texte que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture constitue une timide tentative tendant à améliorer le fonctionnement des juridictions administratives françaises, ce qui n'est pas convenons-en - une mince affaire.

Mais plus encore, il est l'illustration de ce que la juridiction administrative, spécificité française par excellence, a atteint ses limites. J'en veux pour preuve l'afflux considérable de contentieux auxquels les tribunaux administratifs doivent faire face : pas moins de 124 000 affaires enregistrées en 1998 - je n'ai pas les chiffres de 1999 -, avec pour conséquence directe un délai théorique d'élimination du stock d'affaires proche de deux ans. Le récent rapport du Conseil d'Etat, rendu public le 20 mars dernier, n'est d'ailleurs pas pour nous rassurer quant à l'évolution de ce stock. Cette situation n'est malheureusement pas surprenante dans un pays où, c'est peu de le dire, la position de l'Etat est dominante par rapport aux citoyens et où les pratiques colbertistes sont plus que profondément enracinées.

Nous n'avons de cesse de dénoncer les lourdeurs, voire les dysfonctionnements, des services de l'Etat en France et nous ne pouvons que constater, et regretter, la lourdeur parallèle des juridictions administratives. Ce texte en constitue l'aveu même. L'Etat est incapable de donner au service de la justice les moyens d'être efficace, c'est-à-dire tout simplement de remplir convenablement sa mission.

A l'évidence, si l'on voulait véritablement améliorer le fonctionnement de ces juridictions, il faudrait aller au bout de la logique qu'impose la spécificité française des juridictions administrative ; c'est-à-dire réformer la justice administrative, ce qui veut dire réformer l'Etat. Or, jusqu'à présent, en guise de toute réponse nous devons nous contenter de mesurettes et de quelques aménagements techniques et, là encore, le texte que nous examinons est éloquent. Pour régler les problèmes rencontrés par la juridiction administrative, vous nous proposez, monsieur le secrétaire d'Etat, une procédure sommaire, le « référé », un jocker supposé remédier à l'urgence de certaines situations. Mais sans vouloir préjuger de l'avenir, l'expérience nous a d'ores et déjà appris que ce type de procédure n'était qu'un remède partiel, incapable de mettre un terme à l'incapacité de notre justice à traiter les affaires dans un délai raisonnable, à défendre les droits du citoyen, tout simplement à éviter le déni de justice.

Je ne peux m'empêcher, à ce propos, de vous rappeler la fin de non-recevoir de votre majorité sur la proposition de loi présentée il y a peu de jours par mon collègue François Goulard et qui avait pourtant pour objet de protéger le contribuable injustement sanctionné en lui accordant un droit à dédommagement. Cette proposition était animée du même esprit que celui que vous prétendez être le vôtre aujourd'hui : une meilleure prise en compte des droits des citoyens.

Ce projet de loi s'inscrit dans un contexte de frémissement en faveur des droits des citoyens face à l'administration toute-puissante. Si la création d'un référé-suspension, par exemple, va dans le bon sens en permettant l'obtention plus aisée de l'effet suspensif d'un recours, cette mesure reste insuffisante. Si l'on veut véritablement mettre les droits de la défense des citoyens au premier rang des objectifs de cette réforme, la question majeure est non pas de créer un référé, mais de renverser le principe de l'effet non suspensif des recours. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que les tribunaux administratifs ne sont pas des tribunaux comme les autres. Ce sont des tribunaux d'Etat, liés à l'exercice de l'administration, et à qui l'on demande finalement de s'auto-sanctionner.

Dans ces conditions, les droits de la défense des citoyens semblent bien peu de chose, entravés qu'ils sont par l'effet non suspensif des recours. Le sursis demeure en France une exception et son octroi est soumis au bon vouloir du juge administratif, qui ne l'ordonne qu'à contrecoeur en raison de son a priori favorable aux intérêts des personnes publiques au nom de l'intérêt général.

Une vision moderne de la juridiction administrative impliquerait que l'effet suspensif devienne la règle, ce principe pouvant être équilibré par un certain nombre de cas d'exécution immédiate, limitativement énumérés, et par la possibilité de son rétablissement par le tribunal administratif.

Ainsi, si ce texte témoigne d'une très légère avancée en faveur des droits de la défense des citoyens face à l'administration, il ne s'agit encore, reconnaissons-le, que d'un


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frémissement bien timide, ne contribuant pas à rompre avec la logique héritée des anciens conseils de préfecture.

Pour ces raisons, au nom du groupe Démocratie libérale et Indépendants, je m'abstiendrai sur ce texte.

Mme la présidente.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Je souhaite répondre aux orateurs qui ont interrogé le G ouvernement sur la question des moyens.

MM. Morange, Brunhes et Blessig ont évoqué la nécessité de doter en personnels les tribunaux administratifs qui devront appliquer ces nouvelles procédures.

Le texte ne produira ses pleins effets qu'à partir de 2001. Le projet de budget pour 2001 est en cours de préparation et les arbitrages n'ont pas encore été rendus, mais les demandes de postes sont de l'ordre de soixante pour les magistrats et de quatre-vingt-cinq pour les agents des greffes. A titre de comparaison, la loi de finances de l'an 2000 a créé, dans l'ordre administratif, quarante postes de magistrat et quarante-cinq d'agent du greffe. Je ne peux pas présumer du nombre qui sera finalement retenu, mais je transmettrai à Mme la ministre de la justice les sollicitations de la représentation nationale et je ne doute pas qu'un effort particulier sera consenti pour prendre en compte les effets de cette réforme. De même, s'agissant des greffes le ministère de la justice tiendra compte des demandes exprimées en faveur d'emplois mieux « pyramidés » - excusez cette expression administrative ! -, notamment parce que les débats, qui sont oraux, nécessitent des agents qualifiés.

M. Gantier a évoqué l'importance du stock devant les tribunaux administratifs des affaires qui ne sont pas audiencées devant les tribunaux administratifs. C'est vrai, mais comme l'a souligné M. le rapporteur, les délais ont diminué, notamment grâce à la création des cours administratives d'appel, le délai moyen a ainsi été ramené à moins de deux ans. Par ailleurs, la chancellerie va soumettre à la concertation un projet de décret destiné à aménager la procédure et à la rendre plus simple et plus rapide. En effet, le délai est de trois ans environ, et les justiciables peuvent s'interroger sur la longueur des procédures. C'est l'une de nos préoccupations dans l'ordre administratif comme dans l'ordre judiciaire.

Mme la présidente.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Mme la présidente.

En application des articles 91, alinéa 9, et 106, alinéa 3, du règlement, j'appelle maintenant, dans le texte du Sénat, les articles du projet de loi sur lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique et qui font l'objet d'amendements.

Article 3

Mme la présidente.

« Art. 3. - Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

« Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision. »

Je suis saisie de deux amendements, nos 6 et 7, présentés par M. Arnaud Montebourg.

L'amendement no 6 est ainsi rédigé :

« Dans le premier alinéa de l'article 3, substituer aux mots : "peut ordonner" le mot : "ordonner". »

L'amendement no 7 est ainsi rédigé :

« A la fin du premier alinéa de l'article 3, supprimer le mot : "sérieux". »

Ces amendements sont-ils défendus ?

M. François Colcombet, rapporteur.

Oui, madame la présidente.

Mme la présidente.

Quel est l'avis de la commission ?

M. François Colcombet, rapporteur.

La commission a accepté ces deux amendements qui tendent à répondre au souci de M. Gantier de faciliter la suspension de l'exécution d'une décision dans le cadre d'une requête en annulation. Les préoccupations de M. Montebourg et M. Gantier sont sans doute inspirées du système allemand, où la suspension est pratiquement automatique, contrairement à ce qui se passe en France. Ces deux amendements visent à instaurer un système intermédiaire.

L'amendement no 6 a pour objet de faire en sorte que le juge des référés soit tenu d'ordonner la suspension ; alors que le projet de loi lui laisse la liberté de le faire ou non, lorsqu'il est fait état d'un doute sérieux.

Quant à l'amendement no 7, il tend à remplacer la notion de « doute sérieux » par celle de « doute ». L'adoption de ces deux amendements aboutirait à un système comparable à celui qui existe en Allemagne.

Après y avoir réfléchi, j'ai proposé à la commission d'accepter les deux pour que nous puissions en discuter en séance publique, mais si l'amendement no 6 me semble pouvoir être adopté sans difficultés, je suis en revanche, à titre personnel, défavorable à l'amendement no

7.

Mme la présidente.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Le Gouvernement est défavorable à ces deux amendements.

L'amendement no 6 est en effet contraire à la jurisprudence qui reconnaît au juge un minimum de pouvoir d'appréciation pour ordonner la suspension d'une décision. Il est contestable au regard des jurisprudences convergentes des cours européennes, du Conseil constitutionnel et de nos juridictions suprêmes, qui suppriment les cas où le juge voit sa compétence liée par les textes en l'absence de toute appréciation sur les faits de l'espèce.

Au surplus, le juge administratif n'a fait qu'une utilisation très exceptionnelle de son pouvoir de ne pas accorder le sursis pour un motif d'intérêt général. Il n'y a qu'un seul cas connu depuis trente ans.

Voilà pourquoi le Gouvernement est défavorable au premier amendement. Il l'est encore plus au second qui tend à supprimer le qualificatif « sérieux ». Il ne resterait donc, en l'occurrence, que la condition d'urgence à respecter pour que le juge octroie la suspension d'une décision. En effet, les juges ont toujours des doutes. Mais les seuls doutes qu'ils éprouvent à l'issue de la lecture rapide d'une requête ne sont pas suffisants. Encore faut-il, pour que la condition posée ait un sens et une


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portée pratiques, que le doute soit assez « sérieux » pour justifier une suspension. Supprimer ce qualificatif reviendrait à entraîner une suspension automatique dès que la requête est introduite et cela paralyserait complètement l'action administrative. C'est pourquoi le Gouvernement est radicalement opposé à l'amendement no

7.

Mme la présidente.

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Colcombet, rapporteur.

Je pense qu'il n'y a pas d'inconvénient à essayer de modifier notre pratique.

Le modèle germanique a montré que l'Allemagne ne s'est pas effondrée avec un droit différent.

Je propose donc de ne voter que le premier amendement et de maintenir l'exigence que le doute soit

« sérieux » pour que le juge puisse ordonner la suspension. Il y aurait donc deux conditions : doute sérieux et urgence.

Pour ma part, en tout cas, je ne voterai pas l'amendement no 7, comme nous le suggère vivement M. le secrétaire d'Etat.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no

6. (L'amendement est adopté.)

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no

7. (L'amendement n'est pas adopté.)

M. Jacques Brunhes.

Quelle autorité, monsieur Colcombet ! (Sourires.)

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'article 3, modifié par l'amendement no

6. (L'article 3, ainsi modifié, est adopté.)

Article 4

Mme la présidente.

« Art. 4. - Lorsqu'une atteinte grave et manifestement illégale est portée à une liberté fondamentale du fait d'une personne morale de droit public ou d'un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde de cette liberté, sans préjudice des compétences reconnues aux juridictions de l'ordre judiciaire. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

M. Colcombet, rapporteur, a présenté un amendement, no 1, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi la première phrase de l'article 4 :

« Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Colcombet, rapporteur.

Il est proposé de rétablir la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture sur la définition du référé-injonction. En effet, si les deux assemblées ont manifesté le même souci de lever toute ambiguïté quant à la répartition des compétences entre les juridictions judiciaire et administrative, la rédaction de l'Assemblée définit plus précisément, me semble-t-il, le champ de compétence de chacune des juridictions.

C'est un point très important car il s'agit d'un texte à

« double entente », qui sera lu aussi bien dans le monde judiciaire que dans le monde administratif. Mieux vaut donc déterminer très clairement la frontière plutôt que de développer un contentieux frontalier.

Mme la présidente.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Le Gouvernement estime que la différence n'est pas fondamentale et ne porte que sur la rédaction. Il s'en remet donc à la sagesse de l'Assemblée.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no

1. (L'amendement est adopté.)

Mme la présidente.

Le Gouvernement a présenté un amendement, no 5, ainsi rédigé :

« Compléter l'article 4 par l'alinéa suivant :

« Cette demande peut être présentée par le représentant de l'Etat si l'atteinte mentionnée à l'alinéa précédent est le fait d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public local. »

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Aux yeux du Gouvernement, le représentant de l'Etat, gardien de la légalité dans le département, doit bénéficier d'une possibilité complémentaire d'intervention dans le domaine sensible des libertés. C'est d'ailleurs sa fonction constitutionnelle.

Mme la présidente.

Quel est l'avis de la commission ?

M. François Colcombet, rapporteur.

La commission a accepté cet amendement qui ouvre le référé-injonction au représentant de l'Etat lorsque l'atteinte grave et manifestement illégale est le fait d'une collectivité locale. Il s'agit d'un retour au projet de loi initial, dont le texte avait été maintenu en première lecture par l'Assemblée nationale.

Le Sénat a voulu donner aux collectivités locales un pouvoir, à mon avis, exorbitant. Le représentant de l'Etat, gardien de la légalité dans le département, doit bénéficier d'un pouvoir d'intervention dans le domaine sensible des libertés.

Mme la présidente.

La parole est à M. Emile Blessig.

M. Emile Blessig.

Il me semble que le représentant de l'Etat dispose déjà de ce pouvoir avec le déféré-liberté.

J'aimerais obtenir quelques précisions sur les rapports entre les deux procédures.

Mme la présidente.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Dans le cadre du déféré-liberté, monsieur Blessig, le représentant de l'Etat ne dispose pas d'autant de pouvoirs que dans le cadre de la procédure de référé-injonction prévue à l'article 4.

Dans le premier cas, le préfet peut seulement demander la suspension d'une décision ; dans le second, il pourra demander toute mesure au juge.

Mme la présidente.

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Colcombet, rapporteur.

Il s'agit de deux domaines très voisins, mais qui ne se recouvrent pas exactement, celui des libertés publiques et celui des libertés fondamentales. S'agissant des actes ou des omissions d'agir des collectivités locales, le champ de l'atteinte aux libertés peut être très large.

A mon avis, la décentralisation réussit bien lorsque l'Etat exerce fermement toutes ses prérogatives, et en particulier lorsque le représentant de l'Etat veille scrupuleuse-


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ment à ce que les collectivités locales respectent la législation. Là où il y a eu du laisser-faire, on a constaté des abus. Là où l'Etat s'est montré ferme, les juges ont tranché et, dans la majorité des cas, tout s'est bien passé.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no

5. (L'amendement est adopté.)

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'article 4, modifié par les amendements adoptés.

(L'article 4, ainsi modifié, est adopté.)

Article 7

Mme la présidente.

« Art. 7. - Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale.

« Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles 3 et 4, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique.

« Sauf renvoi à une formation collégiale, l'audience se déroule sans conclusions du commissaire du Gouvernement.

« Les décisions rendues en application des articles 3, 5, 6 et 9 sont rendues en dernier ressort.

« Les décisions rendues en application de l'article 4 sont susceptibles d'appel devant le Conseil d'Etat dans les quinze jours de leur notification. En ce cas, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat ou un conseiller délégué à cet effet statue dans un délai de quarante-huit heures et exerce le cas échéant les pouvoirs prévus à l'article 6. »

M. Blessig a présenté un amendement, no 4, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi le dernier alinéa de l'article 7 :

« Les décisions rendues en application de l'article 4 sont susceptibles d'appel devant les cours administratives d'appel dans les quinze jours de la notification.

En ce cas, le président de la cour administrative d'appel, ou un conseiller délégué à cet effet, statue dans les quarante-huit heures au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. »

La parole est à M. Emile Blessig.

M. Emile Blessig.

Cet amendement, qui avait été adopté par l'Assemblée en première lecture, a pour objet de substituer au droit d'appel du référé-injonction devant le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat un droit d'appel devant le président de la cour administrative d'appel.

Les raisons qui militent en faveur de cette mesure tiennent, à mon sens, à la nécessité de prendre en compte la différence de nature qu'introduira dans le contentieux a dministratif l'extension des procédures d'urgence.

Comme je l'ai dit, nous allons passer d'un contentieux modeste et réduit - moins de 10 % du volume des affaires - à un contentieux beaucoup plus important.

L'appel ne concerne que les cas les plus graves, c'est-àdire le référé-injonction mettant en cause une liberté fondamentale. Comment justifier que les arguments développés en faveur du juge des référés en première instance rapidité, oralité simplicité, proximité - soient rejetés en matière d'appel ? Les conditions d'exercice d'une voie de droit, et notamment d'une voie de recours, entrent dans le champ des libertés. A mon sens, la solution retenue ne répond pas aux critères d'accessibilité au plus grand nombre et de proximité.

L'éloignement géographique est l'un des motifs invoqués par M. le rapporteur. Il a dit et même écrit que, dans certaines régions, on se rend plus rapidement à Paris qu'au siège de la cour d'appel. L'argument, je l'avoue, ne me paraît pas très pertinent.

M. François Colcombet, rapporteur.

Adressez-vous à la

SNCF ! (Sourires.)

M. Emile Blessig.

Personne n'imagine que les temps de transport soient le nouveau principe d'organisation judiciaire de notre pays. Et si tel devait le cas, pourquoi avoir créé des cours administratives d'appel ? En outre, l'éloignement du juge n'est pas uniquement g éographique. La distance qui sépare la juridiction suprême du citoyen est souvent beaucoup plus grande encore que la distance géographique.

Enfin, monsieur le rapporteur, le système que vous préconisez supprime en l'occurrence un degré de juridiction puisqu'il n'y aura plus de recours en cassation. Cela me paraît particulièrement grave s'agissant des libertés.

Vous invoquez également la nécessité d'une harmonisation rapide de la jurisprudence. Il existe à l'heure actuelle sept cours administratives d'appel, présidées par sept conseillers d'Etat. L'harmonisation de la jurisprudence entre ces sept présidents dans le but d'une meilleure application de la loi vous paraît-elle si difficile à réaliser qu'il faille recourir directement au Conseil d'Etat ? Je m'interroge.

De plus, il existe en procédure administrative un mécanisme de question préalable, régi par l'article 12 de la loi du 31 décembre 1987. Lorsqu'une question sérieuse est susceptible d'intéresser le règlement de nombreux litiges, la juridiction peut interroger le Conseil d'Etat. Il est vrai qu'il y a moins de dix questions par an, entre cinq et huit, dans ce domaine.

Votre troisième argument est celui des moyens. Là, la réponse est simple. De toute façon, le traitement de ces appels nécessitera des moyens supplémentaires. Préférezvous les affecter au Conseil d'Etat ou ne vaut-il pas mieux les allouer aux cours administratives d'appel, qui en ont un grand besoin ? Dans le cadre de la procédure a ctuelle, le Conseil d'Etat, en 1999, a évoqué 3 429 affaires en matière d'appel sur les référés.

Le dernier argument concerne le parallélisme des procédures. Les cours administratives d'appel ont déjà à examiner des affaires relevant d'un certain nombre de procédures d'urgence, en vertu des articles R.

128 pour le référé-instruction, R.

129 pour le référé-provision, R.

136 pour le constat d'urgence. Qu'allons-nous faire ? De la dentelle, monsieur le rapporteur ? Absolument ! Mais quelle dentelle ? Je ne suis pas sûr que, dans l'esprit de nos concitoyens, l'appel devant le Conseil d'Etat réponde à l'objectif de simplicité et de facilité d'accès.

Quant au parallélisme avec le déféré-liberté de l'article

L. 2131-6 du code général des collectivités publiques, qui prévoit effectivement un appel devant le président de la section du contentieux, je souligne qu'il s'agit d'un champ de compétences relativement restreint et d'une procédure réservée aux préfets. D'ailleurs, les statistiques du Conseil d'Etat, du moins celles que reprend le rapport, sont muettes à cet égard.

Ce texte - dois-je le rappeler ? - crée un juge des référés de droit commun en droit administratif. Le double degré de juridiction et le recours en cassation sont des


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garanties essentielles. Par conséquent, j'aimerais que l'on m'explique pourquoi on veut supprimer le recours en cassation en matière de liberté. Quant aux voies d'appel, lorsqu'elles existent, elles sont toujours ouvertes auprès de la cour administrative d'appel, juge d'appel de droit commun institué par la loi. Si l'on estime nécessaire d'aligner les procédures, faut-il vraiment aligner la procédure de droit commun sur la procédure spéciale ou ne serait-il pas plus logique d'aligner la procédure spéciale du déféréliberté sur la procédure de droit commun ?

Mme la présidente.

Quel est l'avis de la commission ?

M. François Colcombet, rapporteur.

La commission a rejeté l'amendement de M. Blessig, mais je reconnais qu'elle l'avait adopté en première lecture. Il apparaît ainsi que les clivages sur ce texte sont loin d'être politiques, puisque c'est la droite sénatoriale qui a proposé la rédaction qui nous est soumise.

Que les choses soient claires : je suis de ceux qui ont changé d'avis. Pour quelles raisons ? Je considère à titre personnel, monsieur Blessig, que certains des arguments que vous développez sont convaincants ou au moins partiellement convaincants. Le principal argument invoqué par la droite est celui des moyens.

Les cours administratives d'appel étant hyper-encombrées, les délais y sont de trois ans en moyenne, après deux ans pour le premier degré de juridiction. Cinq ans au total, c'est beaucoup. Et surcharger cette juridiction-là, ce serait rendre encore plus étroit le goulet d'étranglement.

Il y a plusieurs façons, d'ailleurs, de désengorger les cours d'appel, notamment faire en sorte qu'elles ne soient plus ces juridictions de grand luxe qui statuent, même sur un référé, à cinq juges plus un commissaire du Gouvernement. Là, vraiment, on dépasse les limites du raisonnable.

Mais j'ai entendu dire que, dans les cartons de la chancellerie, il y avait un projet d'allègement.

Reste qu'à court terme cela ne permettra pas aux cours administratives d'appel de faire face à un contentieux appelé à être assez important. C'est la raison pour laquelle j'ai changé d'avis et j'ai demandé à la commission de suivre la droite et le Sénat.

Au-delà du problème des moyens, sur lequel on se chipotera toujours, les clivages politiques n'apparaissent pas très nettement dans cette affaire. Et même sur les moyens, si le Gouvernement arrive à répondre à la demande de Mme la garde des sceaux et à financer une création massive de postes, nous parviendrons à faire évoluer favorablement ces juridictions.

Pour ces raisons, je propose à l'Assemblée de rejeter l'amendement de M. Blessig, mais non sans lui avoir auparavant rendu hommage car, à un moment ou à un autre, nous avons tous pensé comme lui.

Mme la présidente.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Le Gouvernement est défavorable à l'amendement de M. Blessig pour trois raisons.

La première, c'est que nous créons une nouvelle procédure de référé, procédure d'urgence visant à la mise en place de mesures provisoires. Or si nous prévoyions l'intervention de la cour administrative d'appel, nous aurions trois niveaux de juridiction : le tribunal administratif, la cour administrative d'appel et le Conseil d'Etat en cassation. Pour des mesures urgentes, convenez que la procédure risque d'être considérablement alourdie.

Deuxième raison, l'harmonisation de la jurisprudence est souhaitable pour cette procédure nouvelle et le fait que la décision relève du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat est de nature à la favoriser pour des décisions qui seront plus nombreuses que la dizaine que vous évoquiez.

Troisième raison, enfin, la rédaction proposée par le Sénat instaure une procédure homogène avec le déféré préfectoral, ce qui permettra d'unifier le contentieux des libertés devant le juge administratif.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no

4. (L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'article 7.

(L'article 7 est adopté.)

Article 16

Mme la présidente.

« Art. 16. - I. - Dans le dernier alinéa de l'article 2 de la loi no 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, les mots : « la juridiction saisie fait droit à la demande de sursis à exécution de la décision attaquée dès que cette absence est constatée selon une procédure d'urgence » sont remplacés par les mots : « le juge des référés, saisi d'une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit dès que cette absence est constatée ».

« II. - Non modifié. »

M. François Colcombet, rapporteur, a présenté un amendement, no 2, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi le I de l'article 16 :

« I. - Après les mots : "sur l'absence", la fin du dernier alinéa de l'article 2 de la loi no 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature est ainsi rédigée : "ou l'insuffisance d'étude d'impact, le juge des référés, saisi d'une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit dès que cette absence ou cette insuffisance est constatée". »

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Colcombet, rapporteur.

Je propose de rétablir la rédaction résultant de l'amendement adopté par l'Assemblée en première lecture, pour ce qui concerne les études d'impact insuffisantes. En réalité, la jurisprudence les assimile déjà à l'absence d'études d'impact. On pourrait donc se dispenser de légiférer, mais nous avons commencé à le faire et si nous ne revenions pas à notre position initiale, le juge administratif pourrait voir dans ce revirement un signe l'invitant à modifier sa jurisprudence.

De plus, entre la jurisprudence et la loi, il y a une différence de nature. Une jurisprudence peut toujours changer, tandis qu'une loi ne peut être modifiée que par une autre loi. Cette jurisprudence-là est bonne. Mieux vaut donc l'entériner dans la loi.

Mme la présidente.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Avis favorable, madame la présidente.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no

2. (L'amendement est adopté.)

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'article 16, modifié par l'amendement no

2. (L'article 16, ainsi modifié, est adopté.)

Article 17

Mme la présidente.

Cet article ne fait l'objet d'aucun amendement.

J'en donne lecture :


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« Art. 17. - Le premier alinéa de l'article 17-1 de la loi no 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives est ainsi rédigé :

« Lorsque le ministre chargé des sports défère à la juridiction administrative les actes pris en vertu de la délégation mentionnée à l'article 17 qu'il estime contraires à la légalité, il peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte at taqué. Il est statué sur cette demande dans un délai d'un mois. »

Article 17 bis

M me la présidente.

Le Sénat a supprimé l'article 17 bis.

M. François Colcombet, rapporteur, a présenté un amendement, no 3, ainsi rédigé :

« Rétablir l'article 17 bis dans le texte suivant :

« Sans préjudice des dispositions du titre II de la présente loi, le président de la cour administrative d'appel ou le magistrat qu'il désigne à cet effet est compétent pour statuer sur les appels formés devant les cours administratives d'appel contre les décisions rendues par le juge des référés. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Colcombet, rapporteur.

Cet amendement concerne les quelques cas dans lesquels l'appel est déféré à la cour administrative d'appel. Contrairement à l'hypothèse que j'évoquais tout à l'heure, ce n'est pas, dans ce cas, cinq juges qui statuent, mais trois plus le commissaire du Gouvernement, formation qui reste très lourde.

Je propose qu'en l'occurrence ce soit le président de la cour qui statue, de façon à accélérer la procédure.

C'est ce qu'avait déjà prévu l'Assemblée en première lecture. A lire les commentaires des sénateurs, je pense qu'ils n'ont pas compris notre démarche et ont pensé que nous avions créé un appel dans tous les cas. Il n'en est absolument pas question. Il s'agit simplement d'alléger la procédure dans les cas où l'appel existe déjà.

Mme la présidente.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Le Gouvernement est favorable à cet amendement et les explications du rapporteur sont pertinentes s'agissant de ce qui a probablement été une erreur d'interprétation du Sénat.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no

3. (L'amendement est adopté.)

Mme la présidente.

En conséquence, l'article 17 bis est ainsi rétabli.

Article 17 ter

Mme la présidente.

Cet article ne fait l'objet d'aucun amendement.

J'en donne lecture :

« Art. 17 ter. - Les recours contentieux formés par les agents soumis aux dispositions des lois no 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et no 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires à l'encontre d'actes relatifs à leur situation personnelle sont, à l'exception de ceux concernant leur recrutement ou l'exercice du pouvoir disciplinaire, précédés d'un recours administratif préalable exercé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. »

Après l'article 17 ter

Mme la présidente.

M. Colcombet a présenté un amendement, no 9, ainsi libellé :

« Après l'article 17 ter, insérer l'article suivant :

« Le premier alinéa de l'article 76 de l'ordonnance no 45-1708 du 31 juillet 1945 sur le Conseil d'Etat est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le recours en révision doit être formé dans un délai de deux mois. Le délai court à compter du jour où le requérant a eu connaissance de la cause qu'il invoque, dans les deux premiers cas visés à l'article 75 de la présente ordonnance, et à compter du jour où la décision a été notifiée, dans le troisième cas.

« Il est admis de la même manière que l'opposition a une décision par défaut. »

La parole est à M. François Colcombet.

M. François Colcombet, rapporteur.

Cet amendement, inspiré par le médiateur de la République, concerne le délai d'exercice du recours en révision.

La commission a admis que, dans le cas où le recours en révision est fondé, par exemple, sur la fausseté d'une pièce, c'est à compter du jour où le requérant s'aperçoit que ladite pièce est fausse que doit courir le délai de recours et non pas à partir du moment où la décision lui est notifiée. Mais cette disposition est si pertinente qu'elle serait déjà prévue dans un prochain texte. Au bénéfice de la réponse de M. le secrétaire d'Etat, nous pourrons prendre une décision éclairée.

Mme la présidente.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Il s'agit d'une disposition de nature réglementaire dont je confirme qu'elle figurera dans le code de justice administrative qui sera adopté d'ici à la fin juin, sur le fondement de la loi du 16 décembre 1999. Cet amendement me paraît donc inutile.

Mme la présidente.

L'amendement no 9 est-il maintenu, monsieur Colcombet ?

M. François Colcombet, rapporteur.

Je le retire puisqu'il est satisfait par ailleurs.

Mme la présidente.

L'amendement no 9 est retiré.

M. Colcombet a présenté un amendement, no 8 rectifié, ainsi libellé :

« Après l'article 17 ter, insérer l'article suivant :

« Après le premier alinéa de l'article 16 de la loi no du relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les disposition de la première phrase de l'alinéa précédent sont applicables aux requêtes, mémoires et productions adressées aux juridictions administratives, à l'exception de ceux prévus à l'article L.

28 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. »

La parole est à M. François Colcombet.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

M. François Colcombet, rapporteur.

Cet amendement, qui a été adopté par la commission, vise à étendre la règ le de la date d'envoi, édictée par l'article 16 de la loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les admnistrations - et vous avez assisté au débat, monsieur le secrétaire d'Etat -, aux délais de recours contentieux applicables aux juridictions administratives. C'est la date figurant sur le cachet de la Poste de la lettre contenant la réclamation qui ouvre le délai du recours contentieux.

Tout à l'heure, nous avons insisté sur l'importance de la SNCF dans l'exercice des libertés publiques, mais, en la matière, la Poste joue aussi un rôle non négligeable.

Mme la présidente.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. Il préfère en rester à la règle du droit administratif appliquée avec cohé-r ence par tous les tribunaux. C'est la date d'enregistrement au greffe qui fait foi. La notion de date d'envoi postal risque et d'entraîner des contentieux et pourrait avoir des conséquences graves dans l'exercice des délais de recours.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no 8 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles 18 et 19

Mme la présidente.

Les articles 18 et 19 ne font l'objet d'aucun amendement.

J'en donne lecture :

« Art. 18. - I. - Non modifié.

« II. - Supprimé. »

« Art. 19. - Les titres Ier et II ainsi que l'article 18 sont applicables en Nouvelle-Calédonie, dans les territoires d'outre-mer et dans la collectivité territoriale de Mayotte.

« Les articles 10 et 17 sont applicables dans la collectivité territoriale de Mayotte. »

Explication de vote

Mme la présidente.

La parole est à M. Emile Blessig, pour une explication de vote.

M. Emile Blessig.

Madame la présidente, chers collègues, le groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance est décidé à pratiquer une opposition ferme, mais constructive.

En l'espèce, nous avons dénoncé quelques insuffisances du texte, notamment s'agissant des moyens. M. le secrétaire d'Etat nous a toutefois apporté des précisions en matière de créations de postes. Nous espérons que ces promesses seront respectées et suivies d'effets. Dans l'ensemble, bien que certains amendements n'aient pas été acceptés, nous estimons que ce texte, qui représente une évolution fondamentale du droit administratif, doit être soutenu. C'est la raison pour laquelle nous le voterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente.

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(L'ensemble du projet de loi est adopté.)

3

CONSULTATION DE LA POPULATION DE MAYOTTE Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat

Mme la présidente.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, organisant une consultation de la population de Mayotte (nos 2276, 2304).

Le rapport de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République porte également sur la proposition de loi de M. Henry Jean-Baptiste et plusieurs de ses collègues, tendant à organiser la consultation de la population de Mayotte sur le choix de son statut définitif dans la République.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, votre assemblée examine aujourd'hui le projet de loi organisant une consultation de la population de Mayotte qui a été adopté à une très large majorité par le Sénat, le 23 mars dernier. Celui-ci n'a apporté au projet que quelques modifications techniques qui ont toutes été approuvées par le Gouvernement.

Votre commission des lois a préparé les débats sur ce texte en effectuant une mission à Mayotte en septembre dernier.

Mayotte, île de 373 kilomètres carrés, comptait au dernier recensement, effectué en 1997, 131 000 habitants auxquels il faut ajouter environ 15 000 Mahorais vivant soit à la Réunion, soit en métropole. La croissance démographique y est extrêmement rapide puisque la population a quadruplé en trente ans.

Mayotte est devenue française en 1841, plus de cinquante ans avant le reste de l'archipel des Comores.

L'esclavage y a été très vite aboli en 1846. Rattachée tardivement, pour des raisons de commodité administrative, au territoire d'outre-mer des Comores, créé en 1946, Mayotte a de tout temps cultivé un réel particularisme au sein de l'archipel. Celui-ci devait se manifester au moment où les autres îles se sont engagées sur la voie de l'indépendance. Pour en tenir compte, le législateur a permis aux Mahorais de choisir le maintien dans la République en prévoyant que le référendum d'autodétermination des Comores serait mis en oeuvre île par île.

La loi du 31 décembre 1975 a prévu l'organisation de deux consultations successives, l'une sur le rattachement aux Comores, devenues indépendantes, l'autre sur le futur statut de l'île en cas de maintien dans la République.

Le 8 février 1976, les Mahorais ont rejeté l'indépendance à la quasi-unanimité - 99,4 % -, puis refusé, le 11 avril 1976, le maintien du statut de territoire d'outremer. La loi du 24 décembre 1976, prise en conséquence, a érigé Mayotte en collectivité territoriale sui generis dotée d'un statut propre en vertu de l'article 72 de la Constitution. Cette loi reconnaissait en outre le caractère temporaire de ce régime et prévoyait que les Mahorais seraient consultés dans un délai de trois ans sur le futur statut de leur île.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

La loi du 29 décembre 1979 a prorogé ce délai pour une nouvelle durée de cinq ans. Mais, depuis lors, aucune consultation n'a été organisée et le régime statutaire, conçu comme provisoire en 1976, a perduré.

Il faut y voir, bien sûr, le poids du contexte international, mais aussi et surtout l'impossibilité pour les gouvernements successifs de se situer dans le cadre des options prévues en 1976 quant au contenu de la consultation.

Cette situation précaire a entraîné une réelle incertitude sur le droit applicable à Mayotte dans de nombreux domaines. Le Parlement a ainsi eu à connaître de nombreux textes, souvent sous la forme de lois d'habilitation autorisant le Gouvernement à prendre des ordonnances, qui étendaient, en les adaptant, des pans entiers de la législation métropolitaine, par exemple en matière de droit du travail, de droit rural, de droit pénal ou de droit des assurances. La dernière loi d'habilitation du 26 octobre 1999 a donné au Gouvernement le pouvoir d'établir par ordonnances des règles nouvelles en matière d'état des personnes, de régime de l'état civil et d'entrée et de séjour des étrangers - autant de domaines sensibles à Mayotte.

Lors du déplacement que j'ai effectué à Mayotte en novembre 1997, j'ai pris l'engagement, au nom du Gouvernement, d'ouvrir les discussions avec l'ensemble des forces politiques mahoraises pour organiser, enfin, la consultation attendue et doter l'île d'un statut qui ne soit plus provisoire.

Cette démarche s'est appuyée, en particulier, sur deux commissions de réflexion, animées à Paris par le préfet Bonnelle et à Mayotte par le préfet Boisadam. Ces travaux ont permis de rapprocher les points de vue tant des représentants des forces politiques et de la société mahoraises que des différentes administrations concernées de l'Etat.

Les discussions ont abouti à un accord conclu le 4 août 1999 à Paris avec les représentants des principales formations politiques de Mayotte. Ce texte a été soumis pour avis à la consultation du conseil général et des conseils municipaux de l'île : il a été approuvé par quatorze conseillers généraux sur dix-neuf et par seize des dix-sept conseils municipaux.

Cet accord a été signé officiellement le 27 janvier dernier à Paris et publié au Journal officiel de la République française du 8 février 2000. Il constitue donc le texte sur lequel les Mahorais auront à se prononcer avant le 31 juillet 2000 après l'adoption du présent projet de loi. Cette démarche correspond au voeu émis par le Président de la République le 3 décembre dernier, lors du sommet de la commission de l'océan Indien, prenant acte d'un contexte international qui paraît aujourd'hui apaisé.

Cet accord n'a pas été signé par les parlementaires de Mayotte. Je le regrette, car j'y vois plutôt la consécration de l'action inlassable qu'ils ont menée depuis plus de vingt-cinq ans pour affirmer l'enracinement de Mayotte dans la République. Cette donnée n'est plus contestée aujourd'hui. Par ailleurs, il faut prendre acte des évolut ions intervenues pour mieux préparer l'avenir de Mayotte. Cet accord signifie bien, pour la collectivité de Mayotte, la fin de l'immobilisme.

Si le Parlement approuve ce texte et si les Mahorais, consultés, l'approuvent également, les orientations qu'il contient serviront de base au futur projet de loi organisant le statut de Mayotte, qui devra être déposé au Parlement avant la fin de l'année 2000. Mayotte se verrait alors conférer l'appellation de « collectivité départementale ». L'île continuerait d'être, à ce titre, une collectivité sui generis, comme l'autorise l'article 72 de la Constitution.

Ainsi, l'accord - et ce point a été tout à fait clair tout au long des discussions avec les représentants des forces politiques mahoraises - n'entérine pas la transformation immédiate de Mayotte en département d'outre-mer.

L'écart des niveaux de vie et des conditions économiques et sociales et le fait que près de 95 % de la population de l'île reste régi par un statut de droit personnel obéissant au droit coranique excluent aujourd'hui une telle transformation. Le point 4 de l'accord tire les conséquences de ce choix en maintenant à Mayotte l'application du principe de spécialité législative. D'ailleurs, le rapport de mission de votre commission des lois explique bien cette nécessité.

Mais le futur statut, esquissé par le document d'orientation, ouvre clairement une phase de transition au cours de laquelle le régime statutaire de Mayotte sera rapproché du droit commun départemental tout en respectant les spécificités de la société mahoraise. Ainsi, l'identité lé gisl ative sera progressivement instaurée dans certains domaines, et un important effort de rénovation et d'adaptation du droit applicable localement continuera d'être mené.

Dans le domaine institutionnel, l'exécutif de la collectivité sera transféré du préfet au président du conseil gén éral. Les compétences de cette assemblée seront progressivement élargies pour se rapprocher de celles exercées par les départements et les régions de métropole.

Déjà, le Parlement a accepté que les élections du conseil général, qui étaient prévues en mars 2000, soient alignées sur le calendrier national. Elles se tiendront donc en mars 2001.

Dans le cadre du contrat de plan prévu pour la période 2000-2004, l'ensemble des concours de l'Etat sera de l'ordre de 4 milliards de francs. C'est plus qu'un doublement des moyens consacrés au cours de la période précédente au développement de l'île.

L'accord prévoit enfin une « clause de rendez-vous » fixé en 2010. A cette date, le Gouvernement et les principales forces représentatives de Mayotte feront le bilan d'application du statut de « collectivité départementale » et devront se prononcer pour doter l'île d'un statut définitif. Toutes les options sont laissées ouvertes - je le confirme - par l'accord, y compris la transformation en département d'outre-mer, étant entendu qu'à cette date le régime des départements d'outre-mer et donc l'article 73 de la Constitution pourrait avoir évolué. Donc, dans dix ans, toutes les possibilités juridiques seront ouvertes.

Le présent projet de loi, en organisant la consultation des Mahorais sur un accord politique dont je viens de rappeler les éléments fondamentaux, répond à une préoccupation exprimée par le législateur en 1976 et renouvelée en 1979, de sortir d'un statut conçu alors comme provisoire, mais également de consulter les populations intéressées sur leur avenir institutionnel.

Bien sûr, si la réponse des Mahorais était négative, c'est le statu quo institutionnel qui prévaudrait. Je veux être clair sur ce point.

Ce projet de loi marque une nouvelle et importante étape de l'histoire de Mayotte dans la République.

Depuis un quart de siècle, Mayotte vit dans une incertitude préjudiciable à son développement. L'accord signé le 27 janvier va permettre d'engager Mayotte sur la voie de la modernisation, dans le respect de l'identité locale.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

Votre commission des lois vous propose l'adoption du texte dans la rédaction du Sénat. Je souhaite très vivement qu'il en soit ainsi afin que la loi soit promulguée très rapidement et que les modalités de la consultation soient fixées dès les prochains jours, puisque un texte réglementaire devra les préciser.

Une adoption dès la première lecture du projet de loi démontrerait à tous nos concitoyens de Mayotte l'engagement de la représentation nationale à leurs côtés pour une mise en oeuvre de l'accord du 27 janvier 2000 et pour une évolution de Mayotte dans la République.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Jacques Floch, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous allons aujourd'hui essayer de régler un compte à l'histoire, à notre histoire contemporaine, mais aussi coloniale. Lorsqu'il y a cent soixante ans, celui qui possédait Mayotte vendit cette île à la France, il ne savait pas qu'il allait par la même soumettre son peuple à toutes les vicissitudes propres aux colonies. Mayotte devint pour les dirigieants de l'époque, une base pour notre commerce dans l'océan Indien sans que beaucoup soit fait pour son développement et pour la population locale qui ne comptait que peu ou pas du tout.

Le seul point positif de cette période fut l'abolition de l'esclavage, deux ans avant que Victor Schoelcher ne le propose à l'Assemblée nationale de la IIe République.

Mais si on y regarde de plus près ce n'est pas tout à fait vrai, car la politique conduite par la monarchie de Juillet en 1846, la IIe République, le second Empire, la

IIIe République, voire la IVe République, n'a pas permis d'avancées significatives. Nous étions, au moins sous la période de la IIIe République, dans la grande période coloniale française, avec ses progrès, mais aussi ses abus.

Telle est notre histoire. Nous devons l'assumer entièrement, y compris dans ses prolongements actuels dans les territoires dont nous avons à organiser le développement.

Mais si nous devons assumer notre histoire coloniale, nous devons aussi assumer notre histoire moderne qui nous oblige à garantir à nos concitoyens d'outre-mer le droit à la parole et le choix de leur destinée, malgré les accords ou pseudo-accords internationaux.

M. Henri Plagnol.

Très bien !

M. Jacques Floch, rapporteur.

Mais, car il y a un mais, il faut que ce choix soit librement consenti, sans contraintes.

M. Henri Plagnol.

Bravo !

M. Jacques Floch, rapporteur.

Chacun peut avoir à l'esprit des élections organisées sous la contrainte par des forces militaires - cela s'est vu souvent au cours de ce siècle et dans de nombreux pays. Je fais partie de la génération qui a fait la guerre d'Algérie. Je sais comment on organise un référendum. Je sais comment on fait se déplacer des populations dans les camions pour les faire voter dans des lieux plus sûrs. La France a fait cela, il n'y a pas si longtemps, tout juste quarante ans. Mais on sait comment cela s'est terminé et quelles sont nos difficultés à assumer cette partie de l'histoire de France.

Aujourd'hui, nous avons, monsieur le secrétaire d'Etat, à régler un contentieux qui n'est pas simple mais qui n'est pas non plus si difficile à régler si on s'appuie sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, adoptée par les fondateurs des Nations unies, dont le Français, René Cassin - auteur de ce texte -, et qui ont introduit le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

M. Henri Plagnol.

Excellent !

M. Jacques Floch, rapporteur.

Encore faut-il que les peuples soient disposés à le faire et en mesure de choisir.

M. Henry Jean-Baptiste.

En effet !

M. Jacques Floch, rapporteur.

Ils ne doivent subir ni pression militaire ni pression morale. En aucun cas, ils ne doivent se déterminer en fonction d'une sorte de chantage qui les influencerait en leur laissant entendre que, s'ils choisissent telle ou telle orientation, ils bénéficieront de l'aide internationale ou de l'appui de la France.

Ce chantage - et j'utilise ce mot à dessein - serait indigne de notre pays.

Quand on a eu comme moi la chance de visiter Mayotte, d'être charmé par le caractère exceptionnellement amical de sa population attachante, par la beauté du paysage, par la tranquillité qui se dégage de cette île, de son histoire et de sa culture, on en tombe facilement amoureux et on a envie de dire aux habitants de Mayotte : « Choisissez le meilleur destin possible pour vous. » Nous, de la métropole, nous sommes prêts à vous

aider et à respecter votre choix.

Qui empêcherait les Mahorais de faire ce choix ? Peutêtre, leurs voisins et cousins des Comores ? En effet, Mayotte et les Comores ont une histoire commune. Ils ont un voisinage commun - Anjouan n'est pas loin. Des familles sont séparées et habitent sur l'une ou l'autre des îles, du fait des décisions intervenues dans les années soixante-dix. Aussi, le développement social, économique des îles a été différent en raison du choix des populations.

M. Henry Jean-Baptiste.

Très juste !

M. Jacques Floch, rapporteur.

L'instabilité politique, sociale et économique de la République des Comores est responsable de l'écart qui se creuse, tous les jours, entre le niveau de vie de la population de Mayotte et celui de la population comorienne.

Mais les Comores ne sont pas les seuls voisins de Mayotte. Il y a les îles de Madagascar et de la Réunion.

Non seulement existent entre elles des liens de voisinage et de cousinage, mais une réelle attirance. On retrouve en effet nombre de Mahorais, voire de Comoriens à la Réunion, ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes à l'île et qui devrait donner à la France l'idée d'un appui généreux à cette entité de l'océan Indien.

On ne peut aujourd'hui parler d'un libre choix si on n'a pas ces images dans la tête. Mettez-vous à la place d'un citoyen ou d'une citoyenne mahorais qui se dit : « Si je ne choisis pas de rester à l'abri du drapeau tricolore, dans le giron de la République française, quel sera demain mon niveau de vie ? » Pensons aux parents qui se disent qu'ils auraient intérêt, pour leurs enfants, à rester à l'abri de la République française.

Y aura-t-il pour ceux-là un libre choix du coeur ? Un libre choix politique ? Je ne le crois pas. C'est pour cela, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous ne devons pas


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

nous contenter d'un simple aménagement institutionnel, mais maquer notre volonté de voir cet ensemble de l'océan Indien connaître un véritable développement, auquel participerait la France.

Ce débat a été l'occasion de consulter des livres car, comme nombre de mes collègues, ma connaissance de ces îles et de leur histoire était insuffisante pour pouvoir en parler. J'ai ainsi découvert une histoire humaine forte, un mélange de races, de populations et de religions, un apport considérable des différents pays entourant l'océan Indien : l'Arabie, le Mozambique, l'Afrique du Sud, Madagascar, l'île de la Réunion. J'ai découvert la Perse, des populations à l'identité forte, mais qui ont décidé de se donner une histoire commune.

Le texte que vous proposez au nom du Gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat, a l'avantage de ne pas bloquer la situation ni de présupposer une solution. Il permettra ainsi à Mayotte, dans les années à venir, d'exercer un libre choix. C'est pourquoi, si je dois rendre hommage à M. le député de Mayotte pour la constance de ses propositions et parce qu'il a voulu débattre avec nous de la réalité de son île, j'estime qu'il se trompe en proposant d'ores et déjà une solution.

M. Henry Jean-Baptiste.

Il n'y en a pas tellement d'autres !

M. Jacques Floch, rapporteur.

Il faut laisser le choix aux Mahorais, tout en prenant en compte, pour que ce choix soit juste, exemplaire, digne de la République française, la situation des pays voisins, que l'on doit aider à assurer leur plein développement.

Il est difficile, mes chers collègues, pour un Métropolitain qui ne vit pas la même situation économique, sociale et culturelle, de se mêler de la vie de personnes qui habitent à 8 000 kilomètres de la France. Mais c'est aussi facile une fois qu'on les a rencontrées.

Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai eu la chance, lorsque je suis allé à Mayotte, à la demande de Catherine Tasca, de parler avec des jeunes lycéens de quinze ans à vingt ans. Leur position était claire : « Si vous voulez que l'on reste dans le cadre de la République française, dites à nos parents de respecter les lois de la République. » Et les

jeunes filles insistaient sur le fait qu'on peut être bonne musulmane, respecter le Coran, tout en respectant les lois de la République.

Mme Raymonde Le Texier.

Absolument !

M. Jacques Floch, rapporteur.

Or la polygamie, ce n'est pas la loi de la République.

Mme Raymonde Le Texier.

Tout à fait !

M. Jacques Floch, rapporteur.

La non-éducation des enfants, ce n'est pas la loi de la République. La nonreconnaissance des enfants naturels, ce n'est pas la République. L'absence d'égalité en matière d'héritage, ce n'est pas la loi de la République. Le fait que les filles ne reçoivent pas la même éducation que les garçons, ce n'est pas non plus la loi de la République.

Si les Mahorais veulent rester au sein de la République française, ils peuvent rester bons musulmans, mais ils peuvent aussi, s'ils le veulent, devenir de bons républicains. S'ils font un autre choix, il faudra que la République française sache avec honnêteté, avec courage mais surtout avec générosité respecter leur décision.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente.

J'ai reçu de M. Philippe DousteBlazy et des membres du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Henri Plagnol.

M. Henri Plagnol.

Monsieur le secrétaire d'Etat, chers collègues, Jacques Floch a su parler avec son coeur. A mon tour, je ne peux pas ne pas repenser à la chaleur exceptionnelle de l'accueil que l'on reçoit dans cette petite île située à 8 000 kilomètres de la métropole, aux sons, aux couleurs, aux odeurs qui font le charme de l'« Ile aux parfums ».

Vue de Mayotte, la France apparaît d'une certaine manière plus grande, plus belle, plus généreuse, c'est une France idéalisée. Chacun des Mahorais, chacune des Mahoraises vous crie son choix d'être Français. Que serait la France si elle se réduisait à l'Hexagone, si elle n'avait pas ce supplément d'âme qu'est l'outre-mer ? Là-bas plus qu'ailleurs, on prend conscience de la vocation universelle de la France. J'ai à l'esprit le très beau texte qu'Erik Orsenna a écrit à l'occasion d'une série consacrée à l'identité de la France sur Arte. Commençant par les îles, il ouvre le documentaire en disant que c'est aux frontières maritimes, dans les îles lointaines que l'on comprend le mieux ce qu'est la France.

Après m'être rendu à Mayotte, j'ai poursuivi mon voyage vers les îles soeurs des Comores - Anjouan, Mohili - et la grande île de Madagascar. Comme vous, monsieur le rapporteur, j'ai senti leur détresse et l'insupportable écart de niveau de vie, impression renouvelée à Madagascar, surtout à l'intérieur des terres où j'ai eu la chance de me rendre. Mais on prend conscience aussi, et je crois qu'il faut avoir cette dimension à l'esprit dans notre débat, du rayonnement de la France dans cette région de l'océan Indien qui est, ne l'oublions pas, largement francophone.

On ne peut pas envisager l'avenir de Mayotte sans penser à son histoire, notamment au choix qui a été le sien en 1974, et qui a consacré l'exception mahoraise, à contre-courant du mouvement général, que l'on croyait irréversible, de décolonisation. On a reproché à cette population d'avoir, contre vents et marées, voulu rester française. Troublante exception mahoraise, qui déjoue le pronostic de tous ceux qui pensaient que, dans un délai rapproché, il n'y aurait plus de territoires d'outre-mer ! Cela fut le point de départ d'un combat de vingtcinq ans trop souvent ignoré en métropole, avec, chaque fois qu'ils en avaient l'occasion, la volonté réitérée des

M ahorais d'être intégrés de façon définitive à la République.

Puis vint le compromis de 1976, avec le statut provisoire. Je rappelle, car c'est très important, monsieur le secrétaire d'Etat, que les Mahorais avaient alors eu à choisir entre trois options : devenir un département d'outremer, adopter un statut sui generis ou d'autres solutions qui correspondaient à la pensée de l'époque qu'un jour Mayotte deviendrait indépendante.

Pour des raisons diplomatiques tenant à la sensibilité du contexte régional, avec les Comores et Madagascar, pendant très longtemps, la métropole s'est refusée à admettre le caractère irréversible du choix des Mahorais de 1974, au point que l'on s'est en quelque sorte installé dans le provisoire.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

J'ai un souvenir très précis, dont je ne suis pas fier, celui des Jeux de l'océan Indien à la Réunion, en 1997.

Les sportifs mahorais s'étaient vu interdire - sur un territoire français, lors de jeux organisés et financés par la France ! - de participer sous les couleurs de Mayotte pour ne pas irriter les Etats voisins et ne pas donner le sentiment que l'île était définitivement française.

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est vrai !

M. Henri Plagnol.

Je forme le voeu que cela ne se produira plus jamais, monsieur le secrétaire d'Etat.

Ces vingt-cinq ans sont cependant loin d'avoir été inutiles et la France n'a pas à rougir, bien au contraire, de son action à Mayotte. Je veux, à mon tour, rendre un hommage particulier à notre collègue Henry Jean-Baptiste qui a été, qui restera dans l'histoire de Mayotte - je sais qu'il n'aime pas qu'on le dise - un grand législateur.

C'est lui, en effet, qui a eu le privilège, que nous n'avons pas, de réécrire tous les codes pour les adapter à Mayotte.

A cet égard, il s'est illustré dans la tradition du code civil de Bonaparte. Il a également grandement contribué au rattrapage remarquable qu'a effectué Mayotte durant les quinze dernières années en matière de développement économique, social, culturel, dans les domaines scolaire, hospitalier, et bien d'autres.

Ces vingt-cinq ans ont également permis de relativiser bien des débats et ils nous donnent une chance de ne pas refaire les mêmes erreurs. Si l'on soumettait le même choix qu'en 1974 aux habitants d'Anjouan ou de Mohéli, il y a fort à parier qu'en raison de la misère dans laquelle ils se trouvent ils choisiraient sans hésiter d'être Français.

Donc, ne retombons ni dans les excès de l'assimilation, q ui ignore les spécificités culturelles, géographiques, humaines de Mayotte, ni dans le complexe colonial qui a tellement pesé qu'il a fait croire que la présence française outre-mer, inéluctablement, disparaîtrait.

Les problèmes d'identité ne se posent plus dans les mêmes termes aujourd'hui qu'hier. Aimé Césaire a eu récemment des mots très forts à ce sujet à la Martinique.

Et le Président de la République, Jacques Chirac, s'il nous a invités à faire preuve d'imagination et d'audace et à repenser le statut de l'ensemble de l'outre-mer, nous a également exhortés à ne jamais oublier le droit à l'autodétermination, qui est le point essentiel.

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est vrai !

M. Henri Plagnol.

Aujourd'hui, nous sommes dans un monde ouvert. Les distances ne sont plus un obstacle comparable à ce qu'elles étaient il y a encore trente ans.

Mayotte est reliée beaucoup plus facilement qu'avant à la métropole. Elle regarde les informations.

L'avenir, de toute évidence, est aux grandes régions.

C'est dans cette perspective qu'il faut situer l'enjeu de l'avenir institutionnel de Mayotte.

Par rapport à cette problématique, votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, a trois mérites évidents.

D'abord, il reconnaît le fait français à Mayotte, ce qui est un immense progrès. L'appartenance de Mayotte à la République française s'inscrit dans le cadre de la Constitution. C'est le couronnement du combat mené par le parti populaire mahorais et la génération de 1974.

Ensuite, il est proposé à Mayotte, pendant dix ans, un statut transitoire sui generis : celui de collectivité départementale, selon le nom de baptême sorti du cerveau fertile d'Henry Jean-Baptiste. Pourquoi pas ? Je considère comme vous qu'il aurait été déraisonnable de reconnaître aujourd'hui à Mayotte la qualité de département d'outremer en raison de l'écart culturel et économique évident qui existe entre elle et la métropole. Ne recommençons pas les erreurs qui ont été faites dans d'autres territoires d'outre-mer.

Enfin, il procède de la volonté d'insérer Mayotte dans son environnement régional. Je crois comme vous que Mayotte doit, avec l'aide de la République, trouver les moyens de bâtir une coopération plus étroite avec les îles des Comores. Cette coopération est très difficile pour des raisons évidentes, tenant à la fois au passé et aux écarts de développement, mais le passage de l'accord qui concerne la coopération régionale m'agrée. Je considère comme vous, monsieur le secrétaire d'Etat, que Mayotte pourra contribuer à l'action internationale de la République dans la zone et pourra appuyer ou initier des actions de coopération. Elle peut même être une vitrine pour la France.

La commission de l'océan Indien a su démontrer son efficacité. Pourquoi ne trouverions-nous pas les mêmes chemins en ce qui concerne la coopération avec les Comores et Madagascar ? S'il eut été une erreur, comme je le disais, de reconnaître aujourd'hui à Mayotte la qualité de département d'outre-mer, il faut cependant prendre garde à ne pas tomber dans une espèce de discours colonial à l'envers qui se fonderait sur le postulat inavoué que les Mahorais sont tellement différents qu'ils ne pourraient s'assimiler à la communauté nationale. Ce postulat affleure de temps en temps dans certains discours.

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est vrai !

M. Henri Plagnol.

Il est vrai que cela demande du temps. Mais, aujourd'hui, quant on parle d'appartenance à la communauté nationale, cela ne signifie pas traiter un territoire de l'océan Indien de la même façon qu'un département métropolitain. De ce point de vue, la proposition d'un statut provisoire de collectivité départementale s'inscrit pleinement dans l'évolution générale de l'outremer. Il suffit de penser à la transformation du statut de la Polynésie ou de celui de la Nouvelle-Calédonie. Et je pourrais citer d'autres exemples. Nous aurons d'ailleurs l'occasion d'en reparler, monsieur le secrétaire d'Etat, lors de l'examen de votre projet de loi sur l'outre-mer, que je trouve décevant pour ce qui concerne l'évolution institutionnelle.

Comme nous y a invités le Président de la République à la Martinique, je suis persuadé que l'heure est venue de réécrire le titre de la Constitution concernant l'outre-mer et de réfléchir à la création d'une nouvelle catégorie, celle des régions d'outre-mer, dont les statuts pourraient être adaptés en fonction de la volonté des populations et des spécificités géographiques, sans que nous soyons obligés d'aller à chaque fois à Versailles.

Mais, pour revenir à Mayotte, encore faut-il que cette évolution statutaire se fasse dans le respect des principes qui fondent notre Constitution, à commencer par le droit absolu des populations d'outre-mer de décider librement des évolutions institutionnelles qui les concernent.

De ce point de vue, votre projet - et c'est le sens de ma motion - contrevient gravement à la Constitution, et ce pour deux raisons : premièrement, il viole l'article 72 de la Constitution, et deuxièmement, il ne respecte pas les principes de clarté et de loyauté qui doivent présider à toute consultation d'une population sur l'évolution de son statut dans le cadre de la République.

Votre accord publié au Journal officiel, de toute évidence, ne s'inscrit pas dans le cadre de l'article 72 de la Constitution, aux termes duquel : « Les collectivités terri-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

toriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi. »

Comment pourrait-on considérer un seul instant que cet accord, signé par vous, monsieur le secrétaire d'Etat - et je ne mets pas en doute la qualité de votre signature -, puisse avoir une valeur législative ? Il est impossible de considérer que la création de cette nouvelle catégorie qu'est la collectivité départementale puisse seulement résulter d'un accord, même si celui-ci donne lieu à un vote des Mahorais. Comment pourrionsnous, en votant ce texte, en appeler, de façon curieuse et tout à fait hétérodoxe au regard de la procédure qu'exige la Constitution à une loi ultérieure ? Cela reviendrait à voter pour rien ! Le Conseil constitutionnel ne reconnaît pas l'incompétence négative du législateur, c'est-à-dire n'admet pas que nous n'exercions pas toute notre compétence dans un domaine aussi essentiel que la création d'une nouvelle catégorie de collectivité locale.

Il y aurait là, mes chers collègues, au-delà du cas de Mayotte, un précédent extrêmement dangereux. Chacun d'entre nous a en tête les revendications - souvent légitimes, je viens de le dire - qui s'expriment dans bien des territoires d'outre-mer pour une évolution statutaire.

Nous ne pouvons pas faire du bricolage institutionnel.

Cet accord n'a pas de valeur du seul fait qu'il est publié au Journal officiel . Il lui manque d'ailleurs des signatures très importantes, en particulier celles des parlementaires de Mayotte.

Sur le second vice constitutionnel, je voudrais insister encore davantage, parce qu'il concerne le principe d'autodétermination. Selon une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, puisqu'elle a encore été rappelée récemment à l'occasion de la Nouvelle-Calédonie, le respect des principes de clarté et de loyauté est exigé pour toute consultation d'une population sur l'évolution de son statut dans le cadre de la République. En d'autres termes, quand la population vote, il faut qu'elle sache très exactement sur quoi elle vote et quelles sont toutes les conséquences statutaires de son choix.

Manifestement, votre texte ne satisfait pas à ces exigences, et tout particulièrement la disposition concernant 2010. Je vais vous lire très exactement le passage de l'accord qui concerne ce point crucial qui est tout l'objet de notre débat et qui est la raison même pour laquelle les parlementaires de Mayotte n'ont pas cru devoir apposer leurs signatures.

Il y est écrit que « sur proposition du conseil général statuant à une majorité qualifiée, à l'issue de son renouvellement en 2010, le Gouvernement soumettra au Parlement un projet de loi portant sur l'avenir institutionnel de Mayotte ». Il n'y a donc aucune précision dans le texte. Tout est possible en 2010.

Il y a là une dénaturation du choix qui était offert aux Mahorais en 1976 : trois options claires leur étaient alors proposées, dont la possibilité d'adopter le statut de département d'outre-mer.

Je l'ai dit, je ne crois pas, pour ma part, que le statut de département d'outre-mer soit le mieux adapté, et je souhaite que, d'ici à 2010, notre approche constitutionnelle et statutaire des problèmes de l'outre-mer ait suffisamment évolué pour que nous ayons dépassé le débat consistant à se demander s'il doit y avoir ou non départementalisation. Il n'en reste pas moins que vous ne pouvez pas retirer aux Mahorais la faculté de se prononcer sur ce choix. C'est à eux de dire ce qu'ils veulent. Et s'ils veulent, un jour, compter parmi les départements d'outre-mer, c'est à eux d'en décider. Vous ne pouvez pas, par une formulation aussi floue que celle que je viens de lire, prétendre répondre à l'exigence de loyauté et de clarté. Il n'y a, en réalité, dans votre texte, aucune garantie sur la consultation qui sera proposée aux Mahorais en 2010.

Il est d'ailleurs très étrange que vous vous référiez à une proposition du conseil général statuant à majorité qualifiée. En quoi est-ce qu'une assemblée départementale, si éminente soit-elle, aurait-elle vocation à décider d'un projet de statut pour une population ? Il est, monsieur le secrétaire d'Etat, un peu paradoxal que vous valorisez à ce point la décision de l'assemblée départementale à Mayotte alors que vous faites rigoureusement le contraire à la Réunion, l'autre territoire français de l'océan Indien. Je rappelle qu'à la Réunion, vous n'avez retenu que l'avis des parlementaires, que vous ignorez à Mayotte, et que vous avez purement et simplement passé sous silence les deux délibérations du conseil régional et du conseil général de la Réunion, refusant, avec d'excellents arguments - c'est un autre débat - la bidépartementalisation.

Il est également très étrange et paradoxal, même si je ne méconnais pas les différences profondes entre ces deux territoires, de créer un département de plus à la Réunion et de refuser aux Mahorais la possibilité de se prononcer sur la départementalisation de leur archipel.

M. Jacques Floch, rapporteur.

Mais non ! Ils pourront le faire, s'ils le veulent !

M. Henri Plagnol.

Votre façon de procéder est un peu méprisante à l'égard des Réunionnais comme des Mahorais. Y a-t-il, mes chers collègues, un seul territoire de métropole qui accepterait que, par un simple accord publié au Journal officiel, signé par un secrétaire d'Etat et par des représentants choisis par le Gouvernement, il soit décidé d'une évolution statutaire en renvoyant à une incertitude en 2010 ?

M. Henry Jean-Baptiste.

Excellent !

M. Henri Plagnol.

Notre désaccord pourrait très facilement être levé. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous venez de préciser qu'en 2010, les options offertes aux Mahorais tiendraient compte de leurs aspirations et que, parmi ces options, figurerait la possibilité de devenir département d'outre-mer, si tant est que cette catégorie constitutionnelle existe encore. Une seule demi-phrase nous permettrait de voter des deux mains - et je suis sûr qu'Henry Jean-Baptiste serait le premier à s'en réjouir - la p érennisation de l'appartenance de Mayotte à la République !

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est vrai !

M. Henri Plagnol.

Pourquoi ne pas inscrire dans le texte du projet de loi cette garantie exigée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et seule conforme au droit à l'autodétermination, ce droit auquel nous sommes tous attachés ? Il est évident que toute l'évolution de l'outre-mer dans les années à venir sera commandée par ce principe essentiel.

Ne créons pas - et ce sera ma conclusion - un précédent dangereux. Ne faisons pas, pour nous débarrasser de la mauvaise conscience de la métropole à l'égard de Mayotte, du bricolage institutionnel. Tenons compte des vingt-cinq ans de combat qui ont eu lieu.

Procédons dans l'ordre et dans la clarté. D'ici à 2010, il faut espérer que le législateur saura faire preuve d'audace et ouvrira la voie à un statut de région d'outre-mer


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qui dépasse le clivage actuel entre les départementalistes et ceux qui en dénoncent, non sans quelquefois de bonnes raisons, les méfaits et les effets pervers, un statut qui permette toutes les adaptations, conformément aux voeux des populations et à leur génie propre, en maintenant bien entendu le pacte qui lie l'outre-mer à la France.

La seule chose que nous vous demandons, instamment et solennellement, monsieur le secrétaire d'Etat - et j'ai le sentiment en le disant de parler au nom de tous ceux qui ont mené le combat pour que Mayotte demeure française, et en particulier au nom du parti populaire mahorais -, c'est d'introduire dans la loi les garanties nécessaires sur le droit à l'autodétermination des Mahorais, maintenant et d'ici à 2010.

A cette seule condition, nous voterons des deux mains votre projet de loi. Sinon, nous le déférerons au Conseil constitutionnel.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme la présidente.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

L'exposé de M. Plagnol comportait au fond deux parties : dans la première, il a fait l'éloge de la méthode et du texte et, dans la seconde, il a cru relever des motifs d'inconstitutionnalité.

La méthode a consisté, sur la base d'une concertation, à laquelle d'ailleurs M. Henry Jean-Baptiste a contribué, à travailler avec les forces politiques et sociales de Mayotte pour dégager une solution à ce qui était, convenez-en, une impasse juridique.

Si les gouvernements de droite et de gauche qui se sont succédé de 1976 à nos jours n'ont mis en oeuvre ni la loi de 1976 ni celle de 1979, ce n'est pas faute d'une volonté politique - ou alors, il faudrait en accuser tous les groupes représentés dans notre assemblée - mais parce que les conditions de leur application n'étaient pas réunies. Il fallait sortir de cette situation.

M. Plagnol reconnaît trois mérites à la démarche entreprise : l'enracinement de Mayotte dans la République, le choix pour elle d'un statut transitoire pendant une période de dix ans et la volonté de l'ouvrir à son environnement régional. Je ne peux qu'approuver son analyse. Par le texte qui vous a été soumis et qui a été signé par moimême et par des responsables politiques mahorais, vous avez donc satisfaction, monsieur le député.

Sur cette base, je ne comprends pas que vous ayez présenté une exception d'irrecevabilité visant à montrer l'inconstitutionnalité du texte. Je le comprends d'autant moins que vous faites valoir, à cette fin, deux arguments qui - permettez-moi de vous le dire - sont en complète contradiction.

D'abord, vous dites que nous créons une nouvelle collectivité territoriale par l'article 72 de la Constitution.

Mais cette collectivité territoriale existe. Il ne s'agit pas d'en créer une nouvelle, mais de permettre à celle qui existe déjà d'évoluer.

M. Henri Plagnol.

C'est une nouvelle catégorie !

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Ensuite, vous nous dites qu'une collectivité territoriale ne peut être créée que par la loi. Si je suis votre raisonnement, monsieur Plagnol, nous ne consultons pas les Mahorais. Le Parlement fait la loi et l'impose. Ce n'est pas ma vision de l'outre-mer. L'outre-mer ne peut pas être régie par des textes et des lois édictés par le pouvoir central. Si le Parlement décide d'organiser la consultation des Mahorais, c'est bien pour que celle-ci éclaire le débat statutaire qui aura lieu plus tard. Vous vous enfermez donc dans une contradiction constitutionnelle de laquelle vous ne pouvez pas sortir.

Vous évoquez le Président de la République, qui a parlé du droit à l'autodétermination. Cela fait d'abord penser à l'indépendance ! On l'a invoquée, M. Floch le soulignait tout à l'heure, au début des années soixante. Si l'on prend l'autodétermination dans le sens, non pas de l'indépendance,...

M. Henri Plagnol.

Vous n'avez pas écouté !

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

... mais d'une consultation des populations sur leur avenir...

M. Henri Plagnol.

Bien sûr !

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

... il faut alors autoriser cette consultation et elle ne peut être que préalable au débat de l'Assemblée nationale. Si l'Assemblée nationale fait la loi, elle s'impose au peuple français et il n'y a plus de consultation. C'est donc un débat de fond.

Si vous vous appuyez sur l'article 72 pour affirmer qu'on ne peut pas consulter les Mahorais pour savoir si leur collectivité doit évoluer,...

M. Henry Jean-Baptiste.

Il faut des questions claires !

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

... vous fermez la porte à toute consultation de population outre-mer, et ce n'est pas dans l'esprit de ce que disait le Président de la République lorsqu'il déclarait à Fort-de-France que l'on doit s'appuyer, pour les évolutions institutionnelles, sur l'adhésion de la population. On ne peut consulter la population qu'au préalable ! Le législateur ne peut pas la consulter a posteriori pour l'application de la loi.

Votre argumentation sur ce point est donc totalement contradictoire avec le souhait que vous formulez par ailleurs, avec beaucoup de générosité, de prendre en compte la situation de Mayotte et de consulter les Mahorais.

J'en viens maintenant au principe de la consultation et aux obligations de loyauté et de clarté.

Effectivement, le Conseil constitutionnel a bien dit, dans sa décision du 2 juin 1987 relative à la NouvelleCalédonie, que la question posée aux populations intéressées devait satisfaire à la double exigence de loyauté et de clarté de la consultation, que, s'il était loisible aux pouvoirs publics, dans le cadre de leur compétence, d'indiquer aux populations intéressées les orientations envisagées, la question posée aux votants ne devait pas comporter d'équivoque, notamment en ce qui concerne la portée de ces indications. Il n'y a pas d'équivoque puisque le projet répond à la double condition de clarté et de loyauté, et il n'y a pas d'ambiguïté sur le statut de collectivité départementale et sur celui de département d'outre-mer puisque nous prenons bien le soin de préciser au départ que le principe de spécialité législative continuera de s'appliquer. Le texte est donc clair de ce point de vue et la question posée obéit bien aux exigences posées par le Conseil constitutionnel.

Vous souhaitez que nous inscrivions dès aujourd'hui un choix qui serait prédéterminé pour 2010, c'est-à-dire que moi, ministre de la République, j'enfermerais la consultation des Mahorais dans un cadre prédéterminé.

Ce serait rééditer ce qui s'est passé en 1976 et 1979, rien n'ayant pu être appliqué pendant vingt-cinq ans !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

Moi, je ne veux pas dès à présent déterminer ce qu'il sera possible de faire en 2010. Il y aura eu des évolutions et les décisions seront prises par le gouvernement de l'époque, après consultation et propositions du conseil général. On ne peut pas déjà s'inscrire dans un cadre, celui de l'article 73, qui, de plus, sera probablement appelé à évoluer.

Nous avons donc choisi de faire évoluer Mayotte petit à petit, progressivement, vers un statut proche de celui de département d'outre-mer par le conseil général, qui le sera demain sûrement un peu plus.

Vous nous dites qu'il faudrait consulter la population en 2010. Si je suis votre raisonnement, on ne devrait pas la consulter en 2000, puisque l'article 72 nous l'interdirait, mais on pourrait la consulter en 2010. Permettezmoi de vous dire que le Gouvernement de l'époque, le P arlement de l'époque, qui votera une loi à ce moment-là, et les Mahorais diront où ils en sont en 2010, diront quel sera leur choix. Le Parlement et le Gouvernement n'ont pas à fixer les choix au préalable.

Si, en 1976, la référence au département était une référence forte - et je comprends que ceux qui étaient attachés au fait que Mayotte soit dans la République aient été pour un statut départemental, parce que cela signifiait le non-retour aux Comores et le maintien de l'identité de Mayotte -, nous n'en sommes plus là aujourd'hui. Il faut prendre acte des évolutions qui sont intervenues.

Ces évolutions sont intervenues à Mayotte, mais elles sont intervenues aussi autour. Il a fallu beaucoup de diplomatie pour faire prendre en compte cette réalité qui n'était pas acceptée par les voisins. Comme vous, j'ai souffert que les Mahorais ne puissent pas courir sur le stade de Saint-Denis de la Réunion au moment des jeux de l'océan Indien. Je n'étais pas, en tant que membre du Gouvernement, favorable à ce qu'ils aient bien lieu dans ces conditions.

M. Henri Plagnol.

C'est vrai !

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

D'autres l'étaient, les collectivités territoriales de la Réunion aussi. Je le regrette. Maintenant, les choses sont en train d'évoluer. Il peut y avoir un match de football à Mayotte entre la sélection de Mayotte et celle de Madagascar, avec un match retour. Le sport précède souvent les évolutions.

Laissons donc ces évolutions avoir lieu dans l'environnement international, laissons les Mahorais concilier la modernité et la tradition, et procéder aux évolutions que souhaitait Jacques Floch, qui portent aussi sur leur statut personnel, c'est-à-dire ce qui est le plus intime et fait partie de leur propre civilisation, et ne prédéterminons pas aujourd'hui ce qui se passera en 2010.

L'exception d'irrecevabilité doit donc être rejetée, parce qu'elle n'a pas de fondement constitutionnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Jérôme Lambert.

M. Jérôme Lambert.

Dans un premier temps, on a entendu nombre de bons sentiments dans l'intervention de M. Plagnol, des souvenirs de voyage très évocateurs, des souvenirs historiques aussi, qui appartiennent à notre histoire commune et que nous connaissons bien, mais aussi de nombreuses contradictions.

L'histoire de Mayotte est en pleine évolution. Beaucoup de chemin a été parcouru depuis 1974, y compris d'ailleurs dans l'environnement mahorais : vinq-cinq ans, avec des ministres tels que Louis Le Pensec, avec lequel j'ai beaucoup travaillé, en tant que rapporteur du budget, qui ont oeuvré au développement de Mayotte que vous avez justement rappelé, monsieur Plagnol.

Manifestement, l'intervention toute récente, devrais-je dire le revirement, de M. le Président de la République sur l'avenir des DOM, éventuellement en dehors du champ de la République,...

M. Henry Jean-Baptiste.

Oh !

M. Dominique Bussereau.

Scandaleux ! Cela n'a rien à voir !

M. Jérôme Lambert.

... a permis à M. Plagnol d'évoquer ce point de vue, qui n'est sans doute pas celui de nos concitoyens de Mayotte tel qu'ils l'avaient déjà exprimé. M. Plagnol nous indique aussi son opposition à la départementalisation immédiate, et approuve donc l'évolution proposée,...

M. Henri Plagnol.

Oui !

M. Jérôme Lambert.

... évolution spécifique, mais en refusant le processus mis en place. Quelle gymnastique ! L'article 72 de la Constitution prévoit la création d'autres catégories de collectivités territoriales par la loi.

M. Henri Plagnol.

Oui !

M. Jérôme Lambert.

Ce sera le cas dès demain et, aujourd'hui, la loi que nous allons voter permettra d'engager le processus de création de la collectivité départementale.

Il est dangereux, dit M. Plagnol, de faire du bricolage institutionnel, mais il se réfère pourtant à la volonté du Président de la République de voir des statuts spécifiques, ce à quoi nous travaillons justement.

En second lieu, faire croire que la population de Mayotte ne comprendra pas pourquoi elle devrait voter, c'est, je crois, déconsidérer nos concitoyens et leurs représentants, qui ont souhaité cette proposition.

M. Henry Jean-Baptiste.

Il n'y a pas que ça !

M. Jérôme Lambert.

Enfin, M. Plagnol souhaite que d'ici à 2010, la situation se clarifie,...

M. Henri Plagnol.

Oui !

M. Jérôme Lambert.

... reconnaissant par là même la difficulté de la situation actuelle, difficulté à laquelle entend répondre le projet de loi approuvé par les instances locales de Mayotte.

Nous espérons tous que, d'ici à 2010, la situation se clarifiera mais ne promettons pas ce que nous ne pourrions éventuellement tenir. Tenons-nous en à travailler pour assurer l'avenir de Mayotte ! M. Douste-Blazy et le groupe UDF ont déposé cette exception d'irrecevabilité en souhaitant manifestement, par cet artifice, bloquer tout processus de modernisation de l'évolution de Mayotte. Nous retrouvons là un aspect assez peu sympathique de l'opposition, qui s'oppose souvent pour des questions idéologiques sans relation réelle avec l'intérêt général et l'attente de nos concitoyen s.

M. Jacques Floch, rapporteur.

Très bien !

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est fou de dire cela !

M. Jérôme Lambert.

Nous savons tous qu'une très large majorité des responsables politiques de Mayotte souhaitent l'évolution statutaire de leur île et nous voyons aujourd'hui comment ils sont considérés par certains de nos collègues de l'opposition, qui veulent bloquer ce processus.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

C'est pourquoi le groupe socialiste refusera cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'exception d'irrevabilité.

M. Dominique Bussereau.

Abstention du groupe Démocratie libérale et Indépendants ! (L'exception d'irrevabilité n'est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Henry Jean-Baptiste.

M. Henry Jean-Baptiste.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, beaucoup s'en souviennent dans cette assemblée et surtout au Sénat : Mayotte est cette petite île de l'océan Indien que vous avez décrite avec sympathie, monsieur Plagnol, qui est devenue française par sa propre volonté en 1841 et qui fit scandale dans les années 1975-1976 en refusant de suivre le territoire d'outre-mer des Comores dans sa décision unilatérale d'indépendance, contre ce que l'on nommait alors et que certains continuent aujourd'hui d'appeler « le sens de l'histoire ».

Henri Plagnol a raison, ce préjugé idéologique, et vous en savez quelque chose, messieurs, a beaucoup joué à l'encontre de la volonté mahoraise de demeurer dans la souveraineté française et de mieux s'ancrer dans les institutions de la République.

Il s'est d'abord exprimé dans les réticences diplomatiques à répondre aux constantes aspirations de ce petit peuple à un statut définitif pour son île.

Il se manifeste encore à présent, et chacun l'a constaté sur place, par les multiples lacunes du régime juridique de Mayotte, ou les retards bien visibles de son développement économique et social, comme de son système éducatif.

On le voit aussi resurgir de temps à autre, car les préjugés ont la vie dure, par exemple lors du récent débat sur la parité hommes-femmes. Un communiqué du ministère de l'intérieur entendait écarter Mayotte de ces dispositions nouvelles, contredisant ainsi le Document sur l'avenir de Mayotte , devenu l'accord du 27 janvier 2000, dont l'article 8 affirme que les droits des femmes dans la société mahoraise seront confortés.

M. Henri Plagnol.

Très juste !

M. Henry Jean-Baptiste.

C'était, chacun en conviendra, un curieux début pour ce fameux accord.

En réalité, l'on ignore, ou l'on veut ignorer, que, dans cette société réputée - et je cite le ministère de l'inté rieur - « traditionnelle, musulmane, rurale », ce sont justement les femmes qui ont joué un rôle à peu près déterminant dans le combat politique pour Mayotte française et que les jeunes générations de femmes ont une fonction sociale dynamique et reconnue. Il n'a pas échappé à plusieurs membres de la récente mission à Mayotte de notre commission des lois, et vous voyez que je n'hésite pas à vous rendre hommage, monsieur le rapporteur...

M. Jacques Floch, rapporteur.

Moi non plus ! (Sourires.)

M. Henry Jean-Baptiste.

... que c'est la loi républicaine et le droit commun qui sont les meilleures garanties de l'émancipation féminine et du progrès des sociétés.

M. Jacques Floch, rapporteur.

Eh oui !

M. Henri Plagnol.

Très bien !

M. Henry Jean-Baptiste.

Quoi qu'il en soit, mes chers collègues, tout s'est passé jusqu'à ces dernières années comme si Mayotte avait été sanctionnée de son obstination et peut-être de son outrecuidance à se vouloir française malgré tout.

La singularité mahoraise, l'exception mahoraise, comme on a pu le dire, est sans doute aussi dans cet attachement aux engagements pris, à la parole donnée. En tout cas, pour nous, il est tout à fait clair que la République manifeste aujourd'hui plus de considération à ceux qui souhaitent s'éloigner qu'à ceux qui témoignent de leur fidélité.

M. Henri Plagnol.

Très juste !

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est ainsi que Mayotte s'est trouvée placée dans le système hybride et un peu bâtard d'une collectivité territoriale à statut spécial, mais à titre provisoire, par deux lois, du 24 décembre 1976 et du 22 décembre 1979, qui ont prévu que la population serait consultée sur le choix, entre plusieurs options, de son statut définitif dans la République.

Cette consultation, souvent promise, plus souvent encore réclamée, j'en sais quelque chose, les Mahorais l'attendent depuis vingt-quatre ans ! C'est dire, mes chers collègues, que j'aurais dû aborder le débat d'aujourd'hui avec le sentiment de satisfaction, au moins relative, du devoir accompli, mais, je le dis sans joie, et même tristement, monsieur le secrétaire d'Etat, l'opération que vous proposez à la population de Mayotte est au mieux un marché de dupes, au pire une consultation truquée.

Certes, ce projet de loi, aujourd'hui soumis à l'examen de notre assemblée, présente et je n'ai aucun mal à le reconnaître - le mérite de sortir d'un provisoire qui durait depuis près d'un quart de siècle, mais son objectif véritable n'est pas d'appliquer la loi, comme les Mahorais ont pu longtemps l'espérer, mais de la tourner avant de l'abroger, non pas ouvertement mais implicitement et par voie de conséquence. Ce n'est pas le principe de la consultation qui est en cause nous l'avons souhaitée, nous sommes et y serons prêts -, c'est la méthode et la démarche que nous contestons et qui jettent une légitime suspicion sur l'ensemble du projet.

Vous avez souvent cité, monsieur le secrétaire d'Etat, les propos du Président de la République, notamment lors de la conférence de presse qui a suivi la commission de l'océan Indien, la COI, le 3 décembre 1999, à SaintDenis de la Réunion.

Je souhaite à mon tour y trouver quelques références, et notamment celle-ci, que je cite intégralement : « Une immense majorité de la population de Mayotte veut rester française et souhaite, pour dire la vérité, voir transformer Mayotte en département français. »

« Pour dire la vérité », ainsi s'est exprimé le Président de la République. Vous comprendez que cette exigence présidentielle vaut aussi pour votre projet de loi, qui doit être soumis à l'épreuve de vérité, et le ton est donné, m es chers collègues, dès l'exposé des motifs.

Ainsi, le premier paragraphe affirme, sans autre précision, que la loi de 1976 a prévu que la population serait consultée sur un statut nouveau, mais ce n'est qu'une demi-vérité puisque la loi de 1976, confirmée sur ce point par le législateur en 1979, a prescrit cette consulta-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

tion sur trois options statutaires : statu quo dans la collectivité territoriale, accession au statut de DOM et, éventuellement, adoption d'un statut différent.

Une telle omission n'est à l'évidence ni fortuite ni innocente. Il s'agit, en effet, d'évacuer par une sorte de chirurgie sélective les possibilités de choix par les Mahorais d'un statut, tout en gardant le principe de la consultation inscrit dans la loi. M. Floch, appuyé par le secrét aire d'Etat, nous conseille une consultation sans question. Effectivement, ce serait très commode une formule générale qui tiendrait lieu de ces options qui, depuis vingt-quatre ans, s'inscrivent dans la loi et que les Mahorais connaissent très bien.

C'est par contre une contrevérité manifeste lorsque l'exposé des motifs, quelques lignes plus loin, feint d'ignorer, contre toute évidence, et en jouant sur les mots, l'existence du Mouvement départementalise mahorais, qui compte dans ses rangs les deux parlementaires et q uatre conseillers généraux. Le MDM, facilement reconnaissable entre tous à Mayotte, est le parti de la fidélité aux engagements pris et à la parole donnée à la population. Le MDM existe bien, les deux missions de la commission des lois de l'Assemblée et du Sénat l'ont rencontré ! Et M. le secrétaire d'Etat, qui était venu ouvrir par anticipation la campagne de la consultation, voudra bien se souvenir sans doute qu'au pied du célèbre rocher de Dzaoudzi plus d'un millier de nos militants et de nos militantes sont venus l'accueillir joyeusement, chaleureusement, en le fleurissant, tout en lui signifiant, courtoisement mais clairement, le refus de ses projets : Karibou, ce qui veut dire bienvenue en mahorais, mais Karivendze : nous n'en voulons pas de vos projets.

Une telle contre-vérité concernant la place et même l'existence du MDM n'est pas non plus innocente : elle vise à masquer l'absence de ce consensus dont vous aviez fait initialement la condition même, sine qua non , essentielle et substantielle de l'accord.

C'est dire que le doute est permis sur la validité juridique, la portée et la réalité même d'un tel accord auquel renvoie le projet de loi.

Bien entendu, le consensus a été compromis, dès qu'il nous est apparu que le but de la manoeuvre n'était pas de doter Mayotte d'un statut, mais d'empêcher les Mahorais de se prononcer sur leur avenir institutionnel, dans les termes prévus par les lois de 1976 et 1979. Vous avez voulu, je le répète, leur enlever, même à terme, jusqu'à la possibilité de choisir éventuellement pour Mayotte le statut de DOM.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous connais bien, mais c'est tout de même là une bien étrange conception de la démocratie, qui contredit tous vos grands principes et vos habituelles proclamations, que l'on entend si souvent dans vos rangs, sur la libre détermination des peuples, le refus des exclusions ou la volonté d'intégration.

Mais avant d'en venir aux raisons de fond de notre désaccord, je voudrais m'interroger sur cette curieuse démarche adoptée pour faire avancer le dossier mahorais.

On s'est en effet inspiré du précédent de NouvelleCalédonie, qui se situait, chacun s'en souvient, dans un contexte d'affrontement entre des communautés hostiles, dont on avait obtenu qu'elles acceptent d'éviter ce que l'on avait appelé « le référendum couperet », afin de considérer ensemble l'avenir de leur territoire, en fixant des étapes, des délais. Or, la situation de Mayotte est très différente.

M. Henri Plagnol.

Très juste !

M. Henry Jean-Baptiste.

Car il s'agit ici d'une consultation statuaire prévue par la loi, et il est établi et bien connu depuis longtemps que c'est le statut de département d'outre-mer qui répond aux aspirations de l'immense majorité de la population, comme des élus mahorais.

Certes, vous avez pu obtenir la signature de certains élus, c'est vrai : les uns étaient fatigués de cette longue attente de vingt-quatre ans on peut le comprendre -, d'autres ont signé par calcul politique, par stratégie personnelle ou par pur et simple opportunisme.

C'est cette coalition hétéroclite qui a signé le document, puis l'accord sur l'avenir de Mayotte, mais avec quelles contreparties et à quel prix pour vous ? Ils ont exigé et obtenu que pas une ligne, pas une virgule, ne soit modifiée dans le texte du document signé le 4 août, qui est devenu in extenso , et sans aucune modification, le texte de l'accord signé « solennellement », comme vous dites, le 27 janvier 2000.

Ce prétendu « accord » était donc verrouillé dès le 4 août 1999 : le fameux consensus n'a été qu'un trompel'oeil, plus apparent que réel. C'est notre premier grief.

On a préféré, et je le regrette profondément, utiliser lourdement les dissensions locales et prendre parti dans ces absurdes querelles, plutôt que de poursuivre la patiente recherche c'est vrai qu'il fallait être patient et non pas précipiter le mouvement - d'un vrai consensus.

Bien entendu, les deux parlementaires n'ont pas été totalement oubliés. On nous a royalement proposé « de nous associer au processus engagé », mais en admettant simplement nos « réserves d'interprétation ». Merci, marhaba, merci beaucoup, marhaba niengui, comme on dit en mahorais. Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, il ne s'agit pas de simples « réserves d'interprétation », mais d'objections réellement fondamentales.

Mes chers collègues, je sais mieux que personne que Mayotte, en raison même de ses nombreux retards mais à qui la faute ? - et de ses spécificités, ne peut, sans tran-s ition, sans précaution, sans adaptation, « basculer » immédiatement, comme on l'a dit, dans un système départemental. Et cela, Henri Plagnol l'a bien compris, c'est ce qu'il a dit.

Les observations n'ont jamais manqué sur le contexte socioculturel de Mayotte, son organisation familiale et religieuse, son droit musulman et sa justice cadiale. Ce sont en effet des traits marquants de la culture mahoraise, qui mérite, comme toute autre culture, notre pleine considération, et qu'il faut surtout cesser de caricaturer, en ignorant que, dans ces sociétés jeunes, ouvertes à la modernité par l'éducation et la formation, certaines réalit és sont en constante évolution, même lorsqu'elles peuvent apparaître comme des survivances du passé.

Il demeure qu'à ces observations et ces interrogations nous avons répondu, vous le savez, par une double initiative. La première a été d'obtenir de votre prédécesseur, monsieur le secrétaire d'Etat, la nomination de deux groupes de réflexion, présidés par les préfets Bonnelle et Boisadam. Relisez leurs analyses, issues de dix-huit mois de travaux attentifs, patients, et surtout leur proposition de statut à caractère évolutif qui figure page quarante-six de cet excellent rapport publié à la Documentation française.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

En réalité, mes chers collègues, la Constitution française, dans sa sagesse, permet aux Mahorais, comme à d'autres « citoyens de la République qui n'ont pas le statut civil de droit commun », de conserver « leur statut personnel tant qu'il n'y ont pas renoncé ».

M. Henri Plagnol.

Bien sûr !

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est le texte même de l'article 75 de notre loi fondamentale ! C'est sur ces bases que d'éminents experts, et les plus qualifiés, vous le savez bien - je pourrais ici les citer, ce sont des gens de très haut niveau et d'une honnêteté scrupuleuse -, ont conclu qu'il n'existe pas d'incompatibilité entre les particularismes du droit personnel local et l'accession de Mayotte à un statut de département d'outre-mer, avec toutes les adaptations requises par les spécificités locales.

Encore faut-il « laisser le temps au temps », comme on dit. De là ma proposition, très largement acceptée, d'une période transitoire de dix ans, où Mayotte deviendrait u ne « collectivité départementale », et au terme de laquelle c'est-à-dire en 2010 - les Mahorais seraient consultés sur une double option statutaire : maintien de la collectivité départementale ou accession au statut de d épartement d'outre-mer. Cette formule, souvenezvous-en, avait même obtenu, par consensus, l'accord des délégations mahoraises.

J'ajoute que pour donner sa pleine cohérence à cette proposition, nous avions également souhaité, à titre complémentaire, la mise en oeuvre, pendant ces dix ans de « collectivité départementale », d'une politique forte de rattrapage économique et social et de mise à niveau juridique.

Or, ce que vous nous proposez, après de longues périodes de silence et des retraits successifs, c'est simplement, dans une formule vague et imprécise, « un projet de loi portant sur l'avenir institutionnel de Mayotte ».

Nous aurions attendu vingt-quatre ans pour cette formule de futur indéfini ! C'est un considérable recul par rapport aux questions précises de 1976. Cela signifie que tout est possible, même le pire. Rien, en tout cas, n'est certain.

Quoi qu'il en soit, le principe de la consultation en 2010 a été écarté de votre projet de loi : c'est notre deuxième grief.

Mais n'y-a-t-il pas, monsieur le secrétaire d'Etat, un paradoxe, voire quelque incohérence, à prévoir l'organisation d'une consultation, dès cette année, à propos d'un régime provisoire de « collectivité départementale » qui n'est, comme l'a noté M. Plagnol, ni défini, ni précisé, tout en refusant, dans dix ans, la consultation sur un statut définitif tel qu'il sera élaboré à partir d'une sorte d'évaluation de la période transitoire de la « collectivité départementale » !

M. Henri Plagnol.

Très juste !

M. Henry Jean-Baptiste.

Je rappellerai, en outre, que cette procédure de la consultation a toujours joué un rôle capital dans l'histoire de Mayotte, comme l'ont souligné les uns et les autres : trois consultations entre 1974 et 1976. Elle a été fortement recommandée par le rapport Tamaya-Lise pour toute modification statutaire, et c'est l'un des points forts du récent discours du Président de la République à Fort-de-France, en Martinique.

Mais, plus sérieusement, qui ne voit qu'une consultation ouverte des Mahorais - puisqu'on a largement évoqué les difficultés de nos relations avec l'environnement international - demeure la réponse la plus démocratiquement pertinente aux prétentions, pressions et surenchères de l'étranger à propos de l'avenir institutionnel de Mayotte ?

M. Henri Plagnol.

Bien sûr !

M. Henry Jean-Baptiste.

J'aurai la charité de ne pas rappeler ce projet de consultation sauvage auquel vous avez dû vous-même vous opposer, monsieur le secrétaire d'Etat, lorsqu'il n'était pas évident que vous aviez vraiment l'intention de consulter les Mahorais.

S'agissant des relations de Mayotte avec les Etats de la région, je voudrais vous redire, après le sénateur Marcel Henry, combien votre proposition d'« insertion dans l'environnement régional », dont vous faites de surcroît une priorité, suscite la méfiance des Mahorais. Pour une raison évidente, mes chers collègues, qu'il faut vous rappeler, c'est que Mayotte est la seule collectivité française à faire l'objet d'une revendication territoriale étrangère, jusques et y compris devant certaines instances internationales. Notre priorité, c'est vraiment le statut et c'est sur cette base sûre que Mayotte a pour ambition de devenir un pôle dynamique de la coopération française avec tous les pays de la région.

Sur le chapitre du développement économique et social, l'« accord sur l'avenir de Mayotte » - lisez-le énonce des généralités sur le mode du futur, toujours ce même futur indéfini, sans programmation, sans calendrier, sans évaluation.

Certes, vous êtes venu nous voir, monsieur le secrétaire d'Etat - et nous vous avons accueilli avec sympathie - et vous nous avez annoncé une augmentation des crédits du prochain contrat de plan. Tout cela appellera certes confirmation dans les faits, parce que nous avons longtemps - pas seulement Mayotte, mais l'outre-mer en général - battu des records d'annulations de crédits, de gels de crédits, de suspension des délégations de crédits...

Mais d'ores et déjà, je regrette très vivement la suppression de la convention Etat-Mayotte que nous avions obtenue en 1987 et qui s'est révélée, à l'expérience, l'instrument le mieux adapté aux actions de rattrapage et à la mise en oeuvre d'une véritable stratégie de développement. Ainsi, bien que l'accord du 27 janvier évoque, dans son article 5, « un pacte annuel de développement durable et solidaire » et promette des conventions et des contrats de rattrapage, votre premier geste concret est des upprimer la convention de développement EtatMayotte ! L'autre problème important est celui des fonds structurels européens. Il faudra bien sortir des généralités, dont se contente le texte de votre accord, pour traiter cette question essentielle du financement de notre développement et corriger l'extravagante disparité - un écart de un à quinze ! - des moyens respectivement affectés au développement de Mayotte et à celui des DOM. Les fonds structurels sont destinés, par définition, à effacer des retards structurels, des lacunes : or, le pays qui est, de l'avis général, le plus en retard, n'y a pas accès. Voilà un nouveau chantier que je vous signale. J'ajoute que ce problème explique aussi la volonté de Mayotte d'accéder au statut départemental.

En guise de conclusion, je vous livrerai quelques brèves réflexions, afin de prendre date.

Je veux, tout d'abord, réaffirmer ma conviction profonde, sincère que le statut de DOM, avec toutes les adaptations nécessaires, demeure pour Mayotte à la fois le plus sûr moyen d'ancrage dans les institutions de la République et celui qui lui offre les meilleures chances de modernisation économique et de progrès social. Certains à Mayotte l'ont oublié ou font mine de l'oublier : pas nous, pas le MDM. Loin d'être passéiste, notre démarche est, au contraire, ouverte sur l'avenir.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

L'autre jour, à Fort-de-France, le Président de la République a proposé à l'outre-mer français, et je m'en réjouis, de nouvelles perspectives. Mais celles-ci font apparaître votre projet pour Mayotte quelque peu fermé sur lui-même et verrouillé par des combinaisons politiciennes, qui ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Je crois, en effet, que s'imposeront peu à peu de nouvelles conceptions, moins soucieuses de « placage institutionnel » que d'adaptation aux réalités, comme il est d'ores et déjà évident que la départementalisation outremer ne peut plus se fonder, comme dans le passé, sur la notion d'assimilation mais sur l'affirmation des identités et des responsabilités locales.

Faute d'être explicitement reconnue dans sa finalité statutaire, comme cela était prévu au départ, la « collectivité départementale » risque de prolonger simplement le système actuel, hybride et lacunaire. Cela, les Mahorais l'ont parfaitement compris et me chargent de vous poser de nouveau, monsieur le secrétaire d'Etat, la question que Marcel Henry vous a posée, l'autre jour, au Sénat, question à laquelle vous n'avez pas clairement répondu : si, en dépit de toutes les manoeuvres et de toutes les pressions, votre projet n'était pas accepté par la population, reviendrez-vous alors à l'esprit comme à la lettre des lois de 1976 et 1979 ? Jugerez-vous utile de rétablir les conditions et les bases d'un vrai consensus entre les Mahorais ? Je crains, en définitive, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous n'ayez cédé à la tentation d'exercer, contre la volonté profonde de ce petit peuple courageux et qui n'a jamais douté de son avenir, ce qu'une grande voix - et vous la reconnaîtrez - dénonçait, il n'y a pas si longtemps, comme pouvant être, dans certaines circonstances,

« la force injuste de la loi ». En tout cas, le Conseil constitutionnel en décidera.

Nous retiendrons d'ores et déjà, en tout cas, que vous avez choisi non pas le consensus initialement affiché et proclamé, mais le passage en force. C'est dommage. Ce n'est pas très glorieux. L'UDF votera contre ce projet de loi qui tend à priver Mayotte de sa liberté de choisir son statut définitif dans la République française.

M. Dominique Bussereau et M. Henri Plagnol.

Très bien !

Mme la présidente.

La parole est à M. Dominique Bussereau, pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. Dominique Bussereau.

Le débat sur Mayotte, auquel notre collègue Henry Jean-Baptiste vient d'apporter une contribution brillante et pleine de coeur, doit être resitué dans le cadre d'un débat global sur l'outre-mer, débat que vous avez d'ailleurs vous-même entamé hier, monsieur le secrétaire d'Etat, en venant exposer devant notre commission des lois les grandes options de la loi d'orientation sur l'outre-mer qui a été adoptée hier matin en conseil des ministres.

Ce débat devra être serein. Et il faudra, je le dis en toute cordialité à mon excellent collègue Jérôme Lambert, éviter d'y introduire la caricature, et surtout pas celle de quelqu'un qui aime l'outre-mer et la connaît certainement mieux que nous tous, à savoir le Président de la République.

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est vrai !

M. Dominique Bussereau.

Ce que je crains, avec ce projet de loi, c'est que l'on s'engage dans la construction d'un véritable Meccano institutionnel.

M. Henry Jean-Baptiste et M. Henri Plagnol.

Tout à fait !

M. Dominique Bussereau.

On avait les départements d'outre-mer et les territoires d'outre-mer. On a eu ensuite les collectivités territoriales à statut particulier. On a eu les POM - dont vous êtes l'inventeur (Sourires) -, c'est-àdire les pays d'outre-mer. Et voilà que se dessine maintenant à l'horizon une « collectivié départementale » : c'est une meilleure invention technocratique, mais qui ne veut rien dire, à ceci près qu'on y entend, quelque part, le mot « département » - cela, c'est pour faire plaisir au sénateur Marcel Henry et à notre collègue Henry JeanBaptiste, sans toutefois leur donner complètement satisfaction.

M. Henry Jean-Baptiste.

Tout à fait !

M. Dominique Bussereau.

En outre, il y a un risque d'inconstitutionnalité, monsieur le secrétaire d'Etat, et je vous le dis, là encore, en toute cordialité. Un recours a été annoncé par mon collègue Henri Plagnol. Il aura lieu, il est prêt, et il est bien possible que le juge constitutionnel soit assez sévère pour ce Meccano et réserve au Gouvernement de mauvaises surprises.

Bien évidemment, il fallait bouger. La première fois que j'ai siégé dans cette assemblée, c'était en 1986 - comme Jérôme Lambert, d'ailleurs - et je me souviens que la première proposition de loi que j'ai signée était une proposition de loi d'Henry Jean-Baptiste, qui visait à reconnaître à Mayotte le caractère de département.

Depuis 1986, nous avons connu trois septennats différents, plusieurs majorités et divers gouvernements. Je ne peux donc pas vous faire grief, monsieur le secrétaire d'Etat, de proposer enfin à notre assemblée une évolution pour Mayotte.

Ce que je vous reproche, par contre, c'est de n'être pas allé jusqu'au bout de la logique du consensus.

M. Henry Jean-Baptiste.

Tout à fait !

M. Dominique Bussereau.

Vous avez certes réussi à faire signer un texte par le RPR et le parti socialiste - ce qui est merveilleux, cela n'arrive pas tous les jours, en particulier en métropole (Sourires) - mais alors, comment avez-vous fait votre compte, avec le talent que l'on vous connaît, pour ne pas réussir à faire signer votre texte par le sénateur Marcel Henry et le député Henry JeanBaptiste, à qui il suffisait pourtant d'entendre - et surtout de lire - un mot, celui de département ? Comment pouvez-vous présenter cette évolution, qui est astucieuse, en refusant de dire à ceux qui se sont battus toute leur vie pour le département que celui-ci peut être une des portes de sortie possibles ? Pourquoi refuser d'inscrire ce mot dans le texte ? Car après tout, comme vous l'avez d'ailleurs dit tout à l'heure avec justesse, ce sont ensuite les gouvernements, ou les majorités, qui décideront. Pourquoi fermer cette porte, qui a été tout l'espoir d'un combat politique pendant des années et des années dans ce pays ?

M. Jacques Floch, rapporteur.

Elle n'est pas fermée ! Les Mahorais décideront !

M. Henry Jean-Baptiste.

Elle n'est peut-être pas fermée, mais elle n'est pas ouverte non plus !

M. Dominique Bussereau.

Je vous indique tout de suite que le groupe Démocratie libérale et Indépendants ne pourra pas voter ce projet de loi. Certes, il ne votera par contre, mais il s'abstiendra.

Nous vous demandions seulement d'ajouter dans le texte un terme qui vous aurait permis d'obtenir un véritable consensus, ce qui aurait constitué un événement politique. Mais vous avez buté sur l'obstacle, et je le regrette.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

On verra bien ce que décidera le peuple mahorais, dont je vous rappelle, monsieur Floch, qu'il est composé de citoyens français, et non de « citoyens mahorais », comme vous l'avez dit. On peut espérer que cette consultation se déroulera sans les GMC auxquels vous faisiez allusion en rappelant les durs combats que vous avez menés durant votre jeunesse, comme bon nombre de nos compatriotes. Mais il s'agit d'un passé heureusement révolu.

Je regrette, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur, que vous n'ayez, l'un et l'autre, évoqué dans vos exposés respectifs, que les problèmes de Mayotte d'ordre institutionnel. D'ailleurs, l'un des défauts de votre politique actuelle concernant l'outre-mer, c'est la place excessive accordée aux problèmes institionnels par rapport aux problèmes économiques et sociaux.

J'entends bien que vous avez corrigé votre copie pour la loi d'orientation, puisque les articles économiques précèdent les articles institutionnels. Mais, en vous en tenant uniquement à cette histoire quelque peu bizarre de la bidépartementalisation à la Réunion,...

M. Jacques Floch, rapporteur.

Le Président de la République aussi !

M. Dominique Bussereau.

... vous avez, malheureusement, omis de dire un mot sur les problèmes économiques et sociaux.

S'agissant de la bidépartementalisation, je pense, mon-s ieur Floch, que la position du Président de la République est quelque peu différente de celle que vous lui prêtez.

Je dirai donc quelques mots des problèmes économiques et sociaux de Mayotte, lesquels n'ont été évoqués que par Henry Jean-Baptise.

D'abord, lors de la mission qu'elle a effectuée sur place, sous la conduite de Catherine Tasca, la commission des lois a pu constater, comme cela est écrit dans le rapport qu'elle a remis, que de nombreux services publics sont financés par la collectivité territoriale et non par l'Etat. J'espère que cette anomalie sera corrigée.

La commission des lois a également noté - et Jacques Floch ne pourra me démentir sur ce point - que l'organisation de la justice souffrait de diverses lacunes. J'aurais aimé, monsieur le secrétaire d'Etat, entendre de votre bouche que l'organisation de la justice à Mayotte, que la coexistence entre la justice cadiale qui a sa légitimité et son histoire, et la justice de la République, que l'évolution de ce système étaient pour vous des thèmes de réflexion. Peut-être nous le direz-vous tout à l'heure, mais, malheureusement - et je vous demande de m'en excuser -, je ne pourrai pas être là pour vous écouter.

J'aurais aimé vous entendre parler des problèmes scolaires d'une collectivité départementale où, lors de la dernière rentrée, il a fallu, en raison de la progression démog raphique, nommer beaucoup plus de nouveaux instituteurs que dans la plupart des départements métropolitains - en tout cas, davantage que dans le mien. Vous auriez pu évoquer le problème grave du niveau des enseignants, puisque la majorité d'entre eux ont uniquement le niveau qui est requis en métropole pour enseigner en cours moyen deuxième année, ce qui, bien sûr, pose problème.

J'aurais aimé vous entendre parler de l'état sanitaire de la population. La commission des lois a visité la nouvelle aile de l'hôpital de Mamoudzou, laquelle n'était pas encore en service, mais que vous avez inaugurée depuis, mais il n'en demeure pas moins que l'état sanitaire de la population pose un problème aigu.

J'aurais aimé vous entendre parler du développement économique de Mayotte et du développement dans l'île d'un tourisme maîtrisé et durable, selon une expression chère à Mme Voynet. (Sourires.)

S'agissant de ce dernier point, Jacques Floch et Henri Plagnol ont eu raison de rappeler la beauté extraordinaire de l'île de Mayotte. J'aurais donc aimé vous entendre parler des problèmes d'insécurité juridique liés au droit fiscal ou au droit foncier, évoquer les problèmes relatifs aux marchés publics, autant d'éléments qui gênent le développement économique de Mayotte.

Enfin, je me dois d'aborder, sans pour autant tomber dans la démagogie, le problème du contrôle de l'immigration et des moyens dont dispose la justice en la matière.

La commission des lois a constaté avec effaremment - mais elle aurait dû le savoir - que l'ordonnance de 1945 n'était pas applicable à Mayotte et donc que tout le contrôle de l'immigration reposait à la fois sur un texte de 1932 applicable à Madagascar et sur d'autres textes datant de 1849 ! Tout cela alors que Mayotte constitue pour les Anjouanais, dont l'île n'est située qu'à quelques quelques encablures, un fantastique appel vers la liberté, vers la santé et vers plus de protection.

L'excellent rapport Bonnelle, cité par Henry JeanBaptiste, montre que la moitié de la population est issue de l'immigration, phénomène que l'on ne retrouve dans aucune autre collectivité de la République. On nous a parlé d'environ 6 000 expulsions par an, mais peut-être ce chiffre est-il maintenant inférieur au chiffre réel. Il nous a également été indiqué sur place que 30 % de la population soignée - et tant mieux pour les valeurs de la République - étaient d'origine étrangère et que 50 % des naissances qui avaient lieu en maternité concernaient aussi des populations étrangères, souvent entrées de manière illégale.

Je sais que l'on ne peut pas mettre un gendarme, ou un douanier, ou un fonctionnaire de la police de l'air et des frontières derrière chaque cocotier, sur chaque plage et devant chaque bateau, mais, tout comme en Guyane, ce problème de l'immigration doit être pris en compte.

J'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, que, à l'occasion de ce débat, vous puissiez nous faire part de vos réflexions et de vos décisions futures en la matière.

Pour terminer, je dirai que la position de notre groupe sur ce texte a fait l'objet d'un débat. Nous sommes heureux, monsieur le secrétaire d'Etat, de constater qu'il y a une évolution, mais nous regrettons, comme je vous l'ai signalé précédemment, que vous ne soyez pas allé jusqu'au bout d'un processus qui aurait permis de parvenir à un consensus. Nous déplorons en particulier que l'excellent et long travail du sénateur Marcel Henry et de n otre ami Henry Jean-Baptiste ne soit pas mieux récompensé par l'histoire et par le vote du Parlement.

C'est la raison pour laquelle le groupe Démocratie libérale et Indépendants s'abstiendra sur ce projet de loi.

M. Henry Jean-Baptiste et M. Henri Plagnol.

Très bien !

Mme la présidente.

La parole est à M. Jérôme Lambert, pour le groupe socialiste.

M. Jérôme Lambert.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après les interventions d'Henry Jean-Baptiste et de Dominique Bussereau, permettez-moi de ne pas répéter des choses qui ont été excellemment dites tant sur l'histoire que sur la situation actuelle de Mayotte.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

Le groupe socialiste se félicite de l'examen du projet de loi organisant une consultation de la population de Mayotte, lequel devra permettre l'adoption d'un statut de collectivité départementale. En effet, depuis 1976, la population de cette île attend qu'une consultation soit organisée pour garantir l'évolution du cadre institutionnel dans un sens permettant d'assurer le développement de Mayotte, l'absence de toute garantie étant manifestement un frein réel à toute initiative durable.

L'intérêt que nous manifestons pour ce territoire, qui a choisi de rester français, de la même façon qu'il avait proposé de le devenir en 1841, marque aujourd'hui une étape importante.

Le texte adopté par le Sénat est conforme à nos attentes. Il permettra à la population mahoraise de prendre une part active et essentielle dans la définition des on avenir. Notre pays doit s'honorer d'une telle démarche qui respecte les citoyens de Mayotte. Toute autre démarche aurait sans doute été mal adaptée à une situation qui exige des réponses singulières.

A l'heure où nous allons bientôt examiner un texte important sur l'outre-mer et où chacun s'accorde à demander des mesures audacieuses et adaptées à chaque spécificité domienne, le présent texte propose des dispositions s'accordant à l'état de développement économique et social de Mayotte, cette île si attachante par son histoire et son environnement, mais qui aspire avant tout au progrès. Ce texte entend donc répondre aux appels de nos concitoyens mahorais, appels souvent relayés par Henry Jean-Baptiste.

Je tient d'ailleurs à rendre hommage à ce dernier qui, depuis quatorze ans, est député de Mayotte. Je respecte profondément notre collègue qui n'a eu de cesse d'inscrire l'avenir de la population mahoraise dans un cadre républicain adapté à une situation qu'il connaît bien.

Je regrette donc sincèrement que, à la veille de cette discussion, quelques divergences aient pu voir le jour.

Celles-ci portent heureusement plus sur des questions de forme que de fond. Je ne doute pas que la loi que nous allons voter permettra finalement de rassembler toutes celles et tous ceux qui sont attachés à Mayotte.

Oui, ce projet de loi met Mayotte sur la voie de la modernisation dans le respect de l'identité locale. Il lui permet de poursuivre son évolution dans un cadre plus clairement défini.

Le groupe socialiste votera donc ce texte et s'engage à oeuvrer pour que l'application qui en sera faite constitue une véritable avancée pour le peuple mahorais.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M me la présidente.

La parole est à M. Pierre Morange, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. Pierre Morange.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à associer à mon propos Hervé Gaymard et je regrette, avec lui, la modification de l'ordre du jour qui l'a empêché d'être présent parmi nous cet après-midi.

Plus de vingt-trois ans après la loi du 24 décembre 1976, nous voici enfin réunis pour débattre de l'avenir de Mayotte et décider de son organisation statutaire. Il a fallu près d'un quart de siècle avant d'entendre la volonté des Mahorais et de leurs élus. Je ne crois pas que la République s'honore d'une telle négligence, qui a été perçue parfois comme de la désinvolture.

Je voudrais rendre hommage aux Mahorais et à leurs élus qui, contre vents et marées, et souvent dans l'indifférence, ont manifesté leur attachement indéfectible à la République. Je voudrais aussi rendre hommage, bien évid emment, aux parlementaires de l'île : Younoussa Bamana, premier député de Mayotte, qui avant d'être élu avait exercé de fait les fonctions de préfet - ce qui est sans doute unique dans les annales de la République - et sans qui rien n'aurait été possible ; notre cher collègue Henry Jean-Baptiste, qui, depuis quatorze ans, est l'inlassable avocat de Mayotte et le principal artisan de son développement économique et social ;...

M. Henry Jean-Baptiste.

Merci !

M. Pierre Morange.

... Marcel Henry, qui représente la collectivité territoriale à la Haute Assemblée depuis 1977.

Il ne faut jamais légiférer de manière abstraite, et encore moins quand il s'agit d'une collectivité d'outremer qui partage le destin de la France depuis 1841, c'està-dire dix-neuf ans avant la Savoie et Nice !

M. Henry Jean-Baptiste.

Tout à fait !

M. Pierre Morange.

Bien sûr, il y a les principes, les rèlges juridiques, les statuts, mais il y a surtout les hommes à qui il s'agit de permettre de vivre, de se développer et de s'épanouir dans la dignité. Tel est, me semble-t-il, le souci qui doit nous guider dans le débat qui nous réunit aujourd'hui.

S'agissant de l'histoire mahoraise et comorienne, chacun sait les tumultes qui ont accompagné l'accession de l'archipel à l'indépence de 1975. Cette situation contrastait avec l'oubli et l'isolement dont il avait été l'objet précédemment : d'abord dépendance oubliée de Madagascar, puis territoire d'outre-mer déshérité, dans lequel Mayotte l'était encore davantage, en particulier à partir du transfert de la capitale à Moroni au début des années 60.

Cette histoire est bien vivante, notamment pour ceux qui l'ont vécue et qui en ont été les artisans ; il ne faut jamais l'oublier.

En ayant présent à l'esprit cette histoire et tout ce qu'elle recèle, nous sommes réunis ici aujourd'hui pour construire l'avenir de Mayotte à laquelle tant de liens nous rattachent. En vérité, je pense que notre décision doit répondre à trois exigences.

D'abord, il faut dépasser la question statutaire en accueillant sans arrière-pensée et définitivement Mayotte au sein de la République, c'est-à-dire en lui donnant le statut qui lui permettra de répondre à ses besoins.

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est une nécessité !

M. Pierre Morange.

Depuis vingt-cinq ans, la revendication départementaliste est une sorte de cri que lance Mayotte, laquelle veut rester définitivement dans la République et être considérée avec dignité. On doit entendre et comprendre ce cri. Mais aujourd'hui, la question ne se pose plus dans les mêmes termes : Mayotte est et restera française autant qu'elle le souhaitera, et nous savons qu'elle le souhaite ardemment. Il n'y a ni ambiguïté, ni menace de « largage », pour reprendre une expression que l'on entend trop souvent : nous sommes loin des atermoiements initiaux et des marchandages avortés de 1984 ! Pour autant, il est évident que le statut actuel est inadapté, comme cela est relevé avec beaucoup de justesse dans le rapport Bonnelle. Il est particulièrement anormal que le président du conseil général ne soit pas l'exécutif local comme c'est le cas dans toutes les collectivités de la République. Il faut donc inventer un nouveau statut qui permette de répondre aux besoins de Mayotte. Ainsi que l'a rappelé le Président de la République à la Martinique,


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le 11 mars dernier, « les collectivités françaises d'outremer peuvent aspirer légitimement à une reconnaissance de leur spécificité ».

Dans ces conditions, le statut de collectivité départementale est sans doute une solution adaptée, mais il subsiste encore trop de flou dans le calendrier des transferts de compétence. Nous serons particulièrement vigilants, monsieur le secrétaire d'Etat, à ce que le nouveau statut soit mis en oeuvre rapidement.

Si la consultation statutaire est positive, il faudra rapidement voter la loi statutaire, laquelle devra être claire, précise et applicable sans délais. Les Mahorais ont déjà attendu un quart de siècle, il ne faudra pas continuer à les bercer de bonnes paroles ! Il convient ensuite de poursuivre et d'amplifier le développement économique, social et culturel de Mayotte.

Selon tous les témoignages, il y a encore vingt ans, la description que l'on pouvait faire de Mayotte était à peine éloignée de celle qu'en faisait le procureur impérial Gevrey en 1870 dans son célèbre Essai sur les Comores.

En 1984, année où aurait dû se tenir la consultation statutaire, peu de décasements avaient été réalisés, une partie importante du réseau routier de la Grande-Terre n'était pas goudronnée, il n'y avait ni hôpital ni de port en eaux profondes, la Réunion était à cinq heures de vol et, du vendredi soir au lundi matin, l'île était totalement coupée du monde.

Aujourd'hui, beaucoup de progrès ont été accomplis, grâce au plan décennal décidé par Bernard Pons en 1987, qui a permis de réaliser les infrastructures indispensables - port en eaux profondes de Longoni, allongement de la piste de l'aéroport - et d'activer la construction de logements sociaux adaptés. Plus récemment, Dominique Perben, Jean-Jacques de Peretti et Hervé Gaymard ont fait voter la loi qui a permis de construire un hôpital digne de ce nom, qui faisait scandaleusement défaut.

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est vrai !

M. Pierre Morange.

Mais c'est peu dire qu'il reste beaucoup à faire, comme le relève avec justesse notre rapporteur. Il faut encore amplifier la construction de logements sociaux, dans le prolongement de ce qu'a fait avec beaucoup de talent la société immobilière de Mayotte que préside Henry Jean-Baptiste. Il convient de « prendre à bras-le-corps » la question de la formation des jeunes qui est évidemment inséparable du développement économique, compte tenu du fort taux de chômage et du doublement de la population en quinze ans. De ce point de vue, Mayotte dispose sans doute désormais des atouts qui lui faisaient défaut auparavant pour développer son économie touristique.

Enfin, Mayotte doit s'insérer pleinement dans son environnement régional.

Nous connaissons, bien sûr, les problèmes diplomatiques qu'a posés la question de Mayotte. Nous savons aussi les brimades et les vexations qu'elle a subies de la part de ses voisins du sud-ouest de l'océan Indien et les difficultés de mise en oeuvre de la coopération régionale, en dépit de la création de la Commission de l'océan Indien dès 1984.

M.

Henry Jean-Baptiste.

Tout à fait !

M. Pierre Morange.

Il faut dépassionner la question de Mayotte et permettre à cette collectivité départementale de la République d'évoluer comme il se doit dans son environnement régional.

Le 27 janvier dernier, la fédération du RPR de Mayotte, représentée par son président Mansour Kamardine, a signé, avec deux autres organisations politiques et avec l'appui de M. Younoussa Bamana, président du conseil général, l'accord sur l'avenir de Mayotte. Le groupe du Rassemblement pour la République votera donc le projet de loi qui est soumis aujourd'hui à l'approbation de l'Assemblée.

M.

Jacques Floch, rapporteur.

Très bien !

Mme la présidente.

La parole est à M. Jacques Brunhes, pour le groupe communiste.

M.

Jacques Brunhes.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi dont est saisie notre assemblée aujourd'hui s'inscrit pleinement dans le processus engagé en 1997 sur le devenir institutionnel de l'outre-mer et devrait permettre de répondre aux critiques radicales de ceux qui ont, à juste titre, dénoncé l'abandon de Mayotte durant des décennies.

La situation de Mayotte est unique : seule île de l'archipel à avoir opté, dès 1976 et à la quasi-unanimité, pour son maintien au sein de la République, elle se trouve actuellement dotée d'un statut - initialement provisoire - de collectivité territoriale sui generis, assez proche de l'organisation départementale qui prévalait antérieurement aux lois de décentralisation de 1982.

Aussi est-ce pour tenir la promesse qui avait été faite d'organiser une consultation démocratique, et répondre ainsi à une attente de près d'un quart de siècle, que nous sommes aujourd'hui réunis pour débattre de cette étape institutionnelle, à laquelle il convient d'assurer les conditions de clarté les plus à même de garantir l'expression des choix de la société mahoraise.

Fondé sur le document d'orientation que représente l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé le 27 janvier 2000, le présent projet de loi a été préalablement validé par une large majorité des élus locaux.

Quant aux craintes qu'une insertion de Mayotte dans son environnement régional ne conduise à un rapprochement forcé avec les Comores, il semble bel et bien qu'elles n'aient plus lieu d'être : d'une part, l'hypothèque diplomatique est désormais levée et ne peut plus justifier que l'on reste encore longtemps inerte vis-à-vis de Mayotte ; d'autre part, le statut de collectivité départementale permettra, jusqu'en 2010, d'associer l'île aux projets d'accords concernant la coopération régionale. A cet effet, l'accord signé et soumis à l'approbation de la population mahoraise rappelle que Mayotte fait partie intégrante de l'ensemble indo-océanique et que, à ce titre, son insertion dans cet environnement régional constitue une priorité ainsi qu'un réel atout partagé.

Si la population mahoraise accepte l'accord en question, cela ouvrira le champ à une période de dix ans durant laquelle sera mis en place un statut de collectivité départementale se rapprochant progressivement du statut de droit commun. Toutefois, cela ne fera pas sans soulever de nombreuses difficultés sur lesquelles je tiens, monsieur le secrétaire, à appeler votre attention.

Selon les termes mêmes de l'accord que vous avez signé avec le président du conseil général et les représentants d es trois principales formations politiques de l'île,

« l'organisation juridique, économique et sociale [devra être] adaptée à l'évolution de la société mahoraise ».

Car, bien que Mayotte ait été rattachée à la France en 1841 - soit bien avant Nice et la Savoie -, l'identité mahoraise est une des plus riches de l'océan Indien. Avec


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95 % de musulmans et 75 % de non-francophones, cette population insulaire bénéficie actuellement du maintien du statut personnel, conformément à l'article 75 de la Constitution, ainsi que d'une justice coutumière dite

« cadiale ». De même, cette dualité juridique et juridictionnelle s'accompagne à l'heure actuelle du principe de spécialité législative, qui implique que les lois de la République ne s'appliquent que sur mention expresse. Or une départementalisation « pure et dure » supposerait l'abandon de ce principe de spécialité législative au profit de celui de l'assimilation législative, dont le Conseil constitutionnel a limité la portée des adaptations nécessaires prévues par l'article 73 de la Constitution.

De cette façon, l'impossible départementalisation à court terme se conjugue à l'intenable statu quo pour militer en faveur d'un règlement institutionnel, adapté aux spécificités de l'île et répondant aux besoins immenses que continuent d'avoir ses habitants. Car, et le cas présent le démontre encore de manière plus aiguë, audelà des problèmes institutionnels ou, plus précisément, à travers eux, c'est bel et bien les questions du développement économique et social qui sont surtout en cause.

Mayotte est effectivement confrontée au défi de l'expansion démographique, accentuée par les fortes arrivées extérieures : les tensions intercommunautaires se nourrissent de la surnumérisation du pouvoir d'achat des métropolitains, qui ne rend cependant pas le revenu des Mahorais moins attractif pour les Anjouanais et autres Comoréens candidats à l'émigration. L'éducation et la formation devront être les moyens privilégiés du développement économique et social, lequel recouvre lequel la question de l'emploi.

Les ressources insulaires demeurent, à cet égard, grandement limitées, ainsi que nous avons pu le constater dans le cadre de notre mission pour la commission des lois. Par exemple, aucune entreprise ne transforme sur place les riches fragrances nécessaires à la fabrication du parfum et le tourisme reste fort peu développé du fait de la difficile accessibilité de l'île et de l'insuffisance des infrastructures.

Aussi, cette étape institutionnelle se devra-t-elle de répondre à l'ensemble de ces enjeux essentiels pour la jeunesse mahoraise.

Le statut de collectivité départementale demeurerait donc jusqu'en 2010, date à laquelle le conseil général proposerait, à la majorité qualifiée, que le Gouvernement soumette au Parlement un projet de loi portant sur l'avenir institutionnel de l'île. En outre, dans différents domaines, tels que la fiscalité et la douane, des efforts seraient consentis pour rapprocher la législation applicable du droit commun, afin notamment de permettre à terme l'éligibilité de Mayotte aux fonds structurels communautaires, et cela tout en conservant utilement le principe de la spécialité législative.

En conclusion, je voudrais à mon tour dire tout le respect que m'inspire notre collègue Henry Jean-Baptiste. Je respecte sa personne, bien sûr, mais aussi son intervention, à laquelle j'ai été sensible mais dont je ne partage pas les conclusions.

Monsieur le secrétaire d'Etat, le groupe communiste votera votre projet de loi en y ancrant les préoccupations fondamentales, notamment économiques et sociales, que je viens d'évoquer, et il prend d'ores et déjà date pour que le projet à venir dans la prochaine décennie parachève un développement qui soit plus que jamais soucieux de l'identité et de la diversité, de Mayotte, car celles-ci sont la richesse de l'île.

Que cette décennie conduise à un avenir qui soit décidé, comme nous le souhaitons, par les Mahorais euxmêmes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.) Mme la présidente.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M.

le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Madame la pré-s idente, je voudrais apporter quelques précisions à l'Assemblée.

J'ai, en tant que ministre, recherché le consensus a uquel M. Bussereau a fait allusion. Nous avons, M. Henry Jean-Baptiste, M. Marcel Henry, sénateur, et moi-même beaucoup discuté. Si l'accord qui a été signé le 4 août dernier, n'a été officiellement ratifié que le 27 janvier 2000, c'était pour tenter de rapprocher les points de vue et pour faire que l'ensemble des forces politiques et des représentants des Mahorais se reconnaissent dans un texte. Mais les conditions n'ont pas pu être réunies, et je le regrette.

Je ne pense pas qu'il était possible d'écrire dans une loi les mêmes questions qu'en 1976 et en 1979 : il fallait prendre acte des évolutions. On ne peut pas toujours regarder Mayotte dans le rétroviseur : il faut regarder vers l'avenir ! En ce sens, monsieur Henry Jean-Baptiste, la future consultation ne sera pas un marché de dupes. Il y aura un nouveau statut de Mayotte, dont le Parlement sera saisi, si les Mahorais en sont d'accord. Ils l'exprimeront par leur vote. Il ne s'agit donc pas d'un marché de dupes : il s'agit de sortir du provisoire pour construire quelque chose.

Je ne pense pas non plus, monsieur le député, que la consultation, dans le cadre de laquelle vous vous exprimerez, soit truquée : la loi que nous élaborons tend justement à faire en sorte que cette consultation soit claire, loyale, et que chacun puisse se prononcer en toute connaissance de cause.

Enfin, je dirai à M. Brunhes, à M. Bussereau et aux autres orateurs qui ont évoqué ce point qu'au-delà du statut l'essentiel reste évidemment le développement économique et social de Mayotte. A cet égard, la formation des jeunes est primordiale car, ne l'oublions pas, 60 % de la population de Mayotte a moins de vingt ans. Il y a là un formidable défi à relever.

Les maîtres de l'enseignement primaire sont de recrutement mahorais. J'ai inauguré l'institut de formation des maîtres. J'ai rencontré les jeunes maîtres mahorais bacheliers, qui se préparaient à enseigner dans les écoles. Des progrès considérables sont en train d'être réalisés.

Quant à la santé, des progrès sont également perceptibles, avec l'ouverture de l'hôpital dont nous avons parlé.

En ce qui concerne l'immigration, l'ordonnance qui précisera le droit applicable sera prise en conseil des ministres d'ici à la fin de ce mois. Nous sortirons alors d'une situation difficile sur le plan juridique comme sur le plan humain : en 1999, il y a eu, à Mayotte, 8 000 reconduites à la frontière. La pression qui s'exerce à cet égard sur cette petite île pose un problème réel, d'autant plus que la densité de la population y est cinq fois supérieure à celle de la métropole : on compte près de 400 habitants au kilomètre carré contre un peu plus de 80 en métropole. Mayotte ne peut donc pas recevoir des populations qui viennent de l'extérieur et qui vivent souvent dans des situations d'extrême pauvreté.

Mesdames, messieurs les députés, tous ces éléments me conduisent à dire en conclusion que la loi que vous allez voter permettra de consulter les Mahorais, de leur donner


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la parole. C'est tout à l'honneur de la République d'engager ce processus où les Mahorais sont citoyens à part entière de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Mme la présidente.

J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du règlement, les articles du projet de loi dans le texte du Sénat.

Article 1er

Mme la présidente.

« Art. 1er . - Une consultation sera organisée avant le 31 juillet 2000 afin que la population de Mayotte donne son avis sur l'accord sur l'avenir de Mayotte signé à Paris le 27 janvier 2000 et publié au Journal officiel de la République française le 8 février 2000.

« Un projet de loi prenant en compte les résultats de cette consultation sera déposée au Parlement avant le 31 décembre 2000. »

La parole est à M. Henry Jean-Baptiste, inscrit sur l'article.

M. Henry Jean-Baptiste.

L'article 1er pose le principe de la consultation. Au risque de me répéter, je dirai que je trouve étrange qu'une consultation, sans qu'aucune question digne de ce nom ne soit formulée, soit conçue comme un progrès, alors que nous attendons depuis vingt-quatre ans des questions précises.

En plus de dix ans - je suis député depuis 1986 -, j'ai vu deux séries de propositions de loi déposées sur le bureau de l'Assemblée. Parmi leurs signataires, on trouvait - en citant leurs noms, je leur témoigne toute ma gratitude - M. Michel Debré, M. Jean Foyer, qui connaît bien la question de Mayotte, et M. Deniau, qui n'ont pas laissé dans cette assemblée le souvenir de gens indifférents aux intérêts de la nation.

M. Jacques Myard.

M. Jean-Baptiste à raison !

M. Henry Jean-Baptiste.

Une proposition de loi a considéré que l'on pouvait poser ces questions. De qui était-elle signée ? Notamment de deux anciens ministres de l'outre-mer, dont M. George Lemoine, et des députés de l'outre-mer.

Au total, on compte pas loin de cent cinquante députés signataires.

Pourquoi faudrait-il admettre que l'avis de cent cinquante députés pèserait moins que l'avis d'un secrétaire d'Etat à l'outre-mer, que je respecte au demeurant ? Le problème qui se pose est celui du respect dû à l'institution parlementaire.

Quant au rapport Bonnelle, je vous rappelle que son élaboration à réuni des technocrates et des préfets. Nous avions tenu à faire venir les experts les plus renommés, dont un ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel et des éminences comme le professeur Luchaire. Tous nous ont assuré qu'il n'y avait aucune contradiction entre le statut personnel et l'accession à la départementalisation.

Nous avons également consulté sur la question du stat ut personnel d'éminents sociologues, tels que Mme Costa-Lascoux, qui fait autorité dans le monde entier sur les problèmes que posent les sociétés en évolution.

Que nous a-t-on dit ? Que nous avions - je vous renvoie à la page 46 du rapport Bonnelle - cinq solutions possibles, toutes tournant autour de la départementalisation. Et que nous objecte-t-on aujourd'hui, la main sur le coeur ? Qu'il est vraiment impossible de poser les mêmes questions qu'en 1976 et 1979.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne vous suivrai pas sur ce point. Vous et vos amis êtes majoritaires. Faites donc votre question vous-mêmes ! Mais souvenez-vous de ce que disait une grande voix, que vous reconnaîtrez, sur « la force injuste de la loi » !

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'article 1er

(L'article 1er est adopté.)

Article 2

Mme la présidente.

« Art. 2. - Sont admis à participer à la consultation les électeurs inscrits sur les listes électorales de Mayotte. »

Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Article 3

Mme la présidente.

« Art. 3. - Les électeurs auront à répondre par "oui" ou par "non" à la question suivante : "Approuvez-vous l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé à Paris le 27 janvier 2000 ?"

« Le corps électoral se prononcera à la majorité des suffrages exprimés. »

M. Jean-Baptiste a présenté un amendement, no 1, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi l'article 3 :

« Les électeurs auront à répondre par "oui" ou par "non" à la question suivante : "Approuvez-vous l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé à Paris le 27 janvier 2000, sous réserve qu'à l'issue de la mise en oeuvre de cet accord, en 2010, la population de Mayotte soit consultée sur le maintien du statut de collectivité départementale ou la transformation de Mayotte en département ?"

« Le corps électoral se prononcera à la majorité des suffrages exprimés.

« Si cette majorité répond positivement à cette question, le Gouvernement devra soumettre au Parlement, au plus tard le 31 décembre 2009, un projet de loi sur l'organisation de la consultation de la population de Mayotte sur la question suivante : "Souhaitez-vous que Mayotte demeure une collectivité départementale ou devienne un département ?" » La parole est à M. Henry Jean-Baptiste.

M. Henry Jean-Baptiste.

Je serai bref puisque j'ai déjà exprimé mon sentiment sur la question telle qu'elle figure à l'article 3.

C et amendement tend, de manière probablement désespérée, à restituer Mayotte dans ses droits d'être consultée, d'avoir le choix. Il restitue notre île dans ces droits qui résultent de deux textes législatifs datant de 1976 et de 1979.

M. le secrétaire d'Etat ne nous a pas convaincus qu'il était impossible d'organiser autre chose qu'une consultation sans question.

Mme la présidente.

Quel est l'avis de la commission ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

M. Jacques Floch, rapporteur.

La commission a rejeté cet amendement, qui donne l'occasion à M. Jean-Baptiste de confirmer ses propositions, mais qui est contraire à l'ensemble du texte tel que nous le concevons.

M. Henry Jean-Baptiste.

Evidemment !

M. Jacques Floch, rapporteur.

Surtout, cet amendement clôt le débat puisque notre collègue propose que l'on dise tout de suite ce que sera l'avenir de Mayotte, avant même que les Mahorais ne se prononcent.

M. Henry Jean-Baptiste.

Ils l'ont dit depuis 1976 !

M. Jacques Floch, rapporteur.

Le texte du projet de loi, à la suite de l'accord qui a été signé à Mayotte, a été approuvé par nos collègues sénateurs. Il ouvre le débat et permet le respect de la démocratie. Il permettra donc aux Mahorais de s'exprimer.

Dans ces conditions, mes chers collègues, je vous invite à rejeter l'amendement afin de donner tout son poids au projet de loi.

Mme la présidente.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Défavorable pour des raisons déjà explicitées.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no

1. (L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

Articles 4 et 5

Mme la présidente.

« Art. 4. - Les dispositions suivantes du code électoral (partie législative) sont applicables à la consultation :

« livre Ier , titre Ier : chapitres Ier , II, V, VI et VII, à l'exception des articles L.

15-1, L.

52-1 (deuxième alinéa),

L. 58, L.

66, L.

85-1, du I de l'article L.

113-1 (1o à 5o)

et des II et III de l'article L.

113-1 ;

« livre III, titre II, chapitre Ier : article L.

334-4.

« Pour l'application de ces dispositions, il y a lieu de lire : "parti ou groupement habilité à participer à la campagne" au lieu de : "candidat" et de : "liste de candidats".

« Les bulletins portant la réponse "oui" et ceux portant la réponse "non" sont imprimés sur des papiers de couleurs différentes. »

Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

« Art. 5. - Il est institué une commission de contrôle de la consultation, présidée par un conseiller d'Etat désigné par le vice-président du Conseil d'Etat. Cette c ommission comprend en outre deux membres du Conseil d'Etat ou des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel désignés par le vice-président du Conseil d'Etat et deux magistrats de l'ordre judiciaire désignés par le premier président de la Cour de cassation. » -

(Adopté.)

Article 6

Mme la présidente.

« Art. 6. - La commission de contrôle a pour mission de veiller à la régularité et à la sincérité de la consultation.

« A cet effet, elle est chargée :

« 1o De dresser la liste des partis et groupements politiques habilités à participer à la campagne en raison de leur représentation parmi les parlementaires et les conseillers généraux élus à Mayotte ;

« 2o De contrôler la régularité du scrutin ;

« 3o De trancher les questions que peut poser, en dehors de toute réclamation, le décompte des bulletins et de procéder aux rectifications nécessaires ;

« 4o De procéder au recensement général des votes et à la proclamation des résultats.

« Pour l'exercice de cette mission, le président et les membres de la commission de contrôle procèdent à tous les contrôles et vérifications utiles. Ils ont accès à tout moment aux bureaux de vote et peuvent exiger l'inscription de toutes observations au procès-verbal soit avant, soit après la proclamation des résultats du scrutin. Les autorités qualifiées pour établir les procurations de vote, les maires et les présidents des bureaux de vote sont tenus de leur fournir tous les renseignements qu'ils demandent et de leur communiquer tous les documents qu'ils estiment nécessaires à l'exercice de leur mission. »

M. Jean-Baptiste a présenté un amendement, no 2, ainsi rédigé :

« Substituer aux deux premiers alinéas de l'article 6 les trois alinéas suivants :

« La commission de contrôle a pour mission de veiller à la régularité de l'établissement des listes électorales en vue de la consultation prévue à l'article 1er ainsi qu'à la régularité et à la sincérité de cette consultation.

« Aux fins de veiller à la régularité de l'établissement des listes électorales, la commission de contrôle est habilitée à procéder ou à faire procéder, par tout officier ou agent de police judiciaire, à toutes investigations utiles. Même après la clôture définitive des listes électorales, elle peut réclamer, auprès du tribunal supérieur d'instance, l'inscription ou la radiation d'un électeur omis ou indûment inscrit par les commissions administratives chargées de dresser les listes électorales.

« Aux fins de veiller à la régularité et à la sincérité de la consultation, elle est chargée : ».

La parole est à M. Henry Jean-Baptiste.

M. Henry Jean-Baptiste.

Il faut que la consultation soit loyale et claire. Tout le monde en est d'accord : les parlementaires, le mouvement départementaliste mahorais et probablement la quasi-totalité de la population mahoraise.

Mais quand on utilise des procédures un peu obliques comme la consultation des conseils municipaux, alors qu'il s'agit d'un texte politique, d'ailleurs difficile d'accès, concernant l'avenir de Mayotte et que la vocation de ces conseils est de régler les problèmes communaux, on peut craindre un certain nombre de dérapages.

J'ai reçu il y a quelques jours une revue, à laquelle

Mme la présidente voudra peut-être un jour jeter un oeil.

Cette revue, éditée par l'administration, regroupe les délibérations de ces conseils municipaux. Je constate que ces délibérations y sont présentées comme un document de propagande électorale : « Les Mahorais disent oui pour une collectivité départementale au sein de la France. » De

quand est daté ce document ? Du mois de janvier 2000.


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Ainsi, alors que la loi organisant la consultation n'est pas encore votée, les conseils municipaux vous demandaient déjà en janvier de proclamer le « oui » des Mahorais.

Puisque ce sont les conseils municipaux qui établissent les listes électorales et qui les vérifient, je souhaite que la commission de contrôle voie ses pouvoirs étendus. En effet, je pense, mais je ne veux faire de procès à personne, que la tentation sera forte de s'inscrire dans la logique de l'appel à voter « oui » lancé dès le mois de janvier. Il s'agit là d'une anticipation que je juge dangereuse pour l'esprit démocratique, la clarté et la loyauté de la consultation.

Mme la présidente.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Jacques Floch, rapporteur.

La commission a rejeté l'amendement car il jette une suspicion tout à fait illégitime sur les conseils municipaux.

Je croyais qu'on en avait fini avec la période coloniale...

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est vrai !

M. Jacques Floch, rapporteur.

J'invite l'Assemblée à repousser l'amendement à son tour.

Mme la présidente.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

L'avis du Gouvernement est défavorable.

On ne peut pas à la fois demander que Mayotte relève du droit commun et, dès qu'on aborde la question des listes électorales, refuser l'application de ce droit commun en proposant que ces listes soient de nouveau contrôlées.

Il faut être cohérent ! Mayotte est dans la République. Les communes de

M ayotte existent, et elles établissent, comme les 36 000 communes de la République, les listes électorales.

Les mêmes procédures et les mêmes droits de recours s'appliquent. On ne peut y ajouter une procédure de contrôle.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no

2. (L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente.

M. Jean-Baptiste a présenté un amendement, no 3, ainsi rédigé :

« Compléter l'article 6 par l'alinéa suivant :

« Pour mener à bien ses missions la commission de contrôle peut s'adjoindre des délégués. »

La parole est à M. Henry Jean-Baptiste.

M. Henry Jean-Baptiste.

Je retire cet amendement, madame la présidente.

Mme la présidente.

L'amendement no 3 est retiré.

Je mets aux voix l'article 6.

(L'article 6 est adopté.)

Articles 7 à 10

Mme la présidente.

« Art. 7. Une durée totale de deux heures d'émission radiodiffusée et deux heures d'émission télévisée est mise à la disposition des partis et groupements mentionnés au 1o de l'article 6 par la société nationale chargée du service public de la communication audiovisuelle à Mayotte. Cette durée est répartie entre eux par la commission de contrôle en fonction de leur représentativité. Toutefois, chacun de ces partis ou groupements dispose d'une durée minimale de dix minutes d'émission radiodiffusée et dix minutes d'émission télévisée.

Les dispositions de l'article 16 de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication sont applicables à la consultation.

« La loi no 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion est applicable à la consultation. »

Je mets au voix l'article 7.

(L'article 7 est adopté.)

« Art. 8. - Le résultat de la consultation peut être contesté devant le Conseil d'Etat statuant au contentieux par tout électeur admis à participer au scrutin et par le représentant du Gouvernement à Mayotte. La contestation doit être formée dans les dix jours suivant la proclamation des résultats. »

- (Adopté.)

« Art. 9. - Les dépenses de la consultation seront imputées au budget de l'Etat. »

- (Adopté.)

« Art. 10. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités d'application de la présente loi. ».

- (Adopté.)

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente.

Je ne suis saisie d'aucune demande d'explication de vote.

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(L'ensemble du projet de loi est adopté.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)

Mme la présidente.

La séance est reprise.

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PROPOSITION DE LOI SUR L'ESCLAVAGE Discussion, en deuxième lecture, d'une proposition de loi

Mme la présidente.

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité (nos 2277, 2320).

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, vous examinez aujourd'hui, en deuxième lecture, la proposition de loi déposée par Mme Taubira-Delannon. Elle procède d'une démarche chargée d'une dimension symbol ique forte puisqu'il s'agit, pour notre pays, de


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reconnaître officiellement que l'esclavage et la traite auxquels il a pris part au cours des siècles passés constituent des crimes contre l'humanité.

Le Gouvernement a chaleureusement soutenu cette proposition de loi par ma voix et par celle de ma collègue E lisabeth Guigou. Je voudrais saluer l'initiative de Mme Taubira-Delannon et son travail savant où se conjuguent l'érudition et la passion.

M. Jacques Brunhes.

Et le talent !

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Tout à fait, monsieur Brunhes ! Le Sénat a examiné le texte le 23 mars dernier et vos collègues de la Haute assemblée ont montré, dans des interventions chargées d'émotion, qu'ils rejoignaient le fond de vos préoccupations. Je me félicite de cette élévation des débats sur un sujet qui doit recueillir l'adhésion de tous. Le Sénat a ainsi adopté sans modification l'article 1er , essentiel dans ce texte. De même, il a voté l'article 3, qui engage la France à introduire auprès des organisations internationales une requête en reconnaissance de la traite et de l'esclavage comme crimes contre l'humanité.

Au delà de la condamnation unanime, consensuelle de l'esclavage et de la traite, la discussion au Sénat a révélé des divergences d'appréciation sur le fond ou dans la forme, selon le cas. Il en est ainsi de l'article 2, que votre commission des lois tient à rétablir. Pour ma part, je comprends et j'approuve cette volonté d'insister sur la nécessité d'éduquer les jeunes générations dans le rejet des pratiques racistes, esclavagistes et contraires à la dignité des personnes.

Je n'étais pas favorable à ce que soit fixée par la loi la date de commémoration de l'abolition de l'esclavage en France métropolitaine. La date du 23 août n'est pas la plus opportune, non seulement parce qu'elle n'a pas de signification dans notre histoire nationale, mais aussi parce qu'elle est au milieu des vacances d'été. Je partage donc l'avis de votre commission.

Enfin, j'approuve la volonté de la commission de rétablir l'article 5, qui tend à donner aux associations défendant la mémoire des esclaves la possibilité de se porter partie civile en cas d'injure ou de diffamation raciste.

En conclusion, je voudrais souligner les convergences, voire les ralliements inattendus suscités par cette proposition de loi de Mme Taubira-Delannon. C'est une bonne chose. Il est bon en effet que notre pays regarde son histoire avec lucidité et qu'il établisse la vérité pour les gé nérations passées comme pour les générations futures. Je vous remercie.

(Applaudissements sur tous les bancs.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme la rapporteuse de la commission des lois constitutionnelles, de la l égislation et de l'administration générale de la République.

Mme Christiane Taubira-Delannon, rapporteuse de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous avons, le 18 février 1999, examiné et adopté à l'unanimité cette proposition de loi tendant à reconnaître la traite et l'esclavage en tant que crime contre l'humanité.

Ce texte est constitué de six articles, dont le premier proclame : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les p opulations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. »

Le 23 mars dernier, la commission des lois du Sénat a proposé de rédiger cet article comme suit : « L'esclavage, conformément à l'article 212-1 du code pénal, et la traite, quels que soient le lieu et l'époque où ils sont pratiqués, constituent un crime contre l'humanité. »

Cette formulation, générale et neutre, qui est une redondance de l'article 212-1 et que le secrétaire d'Etat, à l'occasion, avait qualifiée de tautologie, n'a pas satisfait l'assemblée sénatoriale, qui s'est probablement laissé convaincre à la fois par la déclaration posée mais ferme d u Gouvernement en faveur du rétablissement de l'article 1er et par les interventions magistrales de quelquess énateurs, notamment M. Lise, M. Vergès et Mme Bidard-Reydet. Le président de la commission des lois lui-même s'est montré réceptif à cette demande. Il a motivé la proposition de la commission par le souci de n'exclure de la condamnation aucune forme d'esclavage et surtout de ne pas laisser accroire que certaines formes d'esclavage seraient plus condamnables que d'autres.

Le maintien de l'article 1er a conservé à notre texte toute sa solennité. Cet article contient en effet tout le souffle de nos élans, toute la vigueur de notre détermination à refuser silence et complicité au crime. Il dit combien nous nous sentons frères des hommes, de tous les hommes, dans la souffrance mais aussi dans la révolte contre cette injustice inqualifiable qui a prétendu éjecter de l'humanité une part d'elle-même.

Cet article dit aussi que les déchirements entre les victimes nous sont étrangers, que nous les considérons comme une contribution sordide à l'oeuvre de destruction et que nous ressentons profondément l'arrachement que provoquent en nous les massacres, les génocides, les crimes qui définissent la victime non à partir de ce qu'elle aurait fait, mais à partir de ce qu'elle est. Parce que là est bien le privilège commun à toutes les victimes des crimes contre l'humanité : c'est qu'elles sont condamnées pour ce qu'elles sont.

Il n'en est que plus légitime, pour chacun d'entre nous, de nous définir par rapport à notre histoire, à notre appartenance, parce que c'est elle qui restructure, c'est elle qui reconstruit, c'est elle qui permet qu'enracinés dans notre singularité, nous puissions nous aventurer dans l'universel sans risquer de nous y dissoudre.

L'article 2 de la proposition de loi dispose que les m anuels scolaires et les programmes de recherche accordent à la traite et à l'esclavage toute la place qu'ils méritent. Il encourage la coopération entre l'Europe, l'Afrique, les Amériques, les Caraïbes et tous les pays qui ont connu l'esclavage, tant les supports de mémoire sont multiples, des archives écrites aux vestiges archéologiques et à la tradition orale.

L'assemblée sénatoriale a suivi l'avis de sa commission des lois et a adopté un amendement de suppression de cet article. Elle a préféré introduire à l'article 3 bis, dans l'alinéa visant le comité de personnalités qualifiées, dont les compétences sont d'ailleurs à définir, une précision donnant à ce comité le pouvoir de faire des propositions en matière de programmes scolaires.

Le Sénat reconnaît lui-même - il convient de le noter - que l'objet de l'article 2 mérite d'être approuvé. Cependant, s'appuyant sur la loi du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation, qui a institué le Conseil national consultatif des programmes, il rappelle que le contenu des


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programmes scolaires relève du pouvoir réglementaire et estime préférable d'inviter le Gouvernement à agir en ce sens, sans pour autant inscrire cette disposition dans la loi.

Le caractère réglementaire de cette disposition ne nous avait pas échappé et, déjà, en première lecture, nous avions débattu du strict partage de la loi et du règlement, tel qu'il est défini par les articles 34 et 37 de la Constitution. Mais l'inscription de dispositions réglementaires dans la loi peut être justifiée par des motivations extraj uridiques : souhait d'explicitation philosophique ou volonté d'affichage politique. C'est bien dans le champ éthique et politique que se situe le choix de transformer en dispositions législatives une urgence et une nécessité qui ont trop longtemps été négligées. Le Gouvernement qui, en vertu de l'article 41 de la Constitution, est seul habilité à contester la présence de dispositions réglementaires dans une loi, a d'ailleurs lui-même reconnu, par la voix du secrétaire d'Etat à l'outre-mer, l'importance du devoir de mémoire et l'intérêt d'inscrire dans les manuels scolaires l'histoire de ces événements.

Cette suppression de l'article 2 nous conduit à plaider pour l'éducation que nous souhaitons, car les enjeux de cette éducation et de cette recherche ne sont pas mineurs.

Il ne s'agira pas simplement de comptabiliser les 11 millions d'Amérindiens, devenus 2 millions en moins d'un siècle, d'y ajouter les 15 à 30 millions d'Africains enchaînés, en sachant qu'ils furent cinq ou six fois plus nombreux à périr dans les razzias et dans les cales de bateaux.

Il ne s'agira pas seulement de tenter de dénombrer les millions d'esclaves dont la liberté et la vie ont été vouées à la prospérité des colonies à sucre, à tabac, à coton, à métaux précieux.

Il ne s'agira pas seulement de se rappeler qu'entre la première razzia et la dernière abolition, il s'est écoulé plus de quatre siècles et demi.

Il ne s'agira pas de se contenter d'expliquer, par l'étude du capitalisme expansionniste alors émergent, que la traite et l'esclavage ont déplacé le centre de gravité de l'économie marchande internationale de la Méditerranée vers l'Europe atlantique, ni même de recenser toutes les sources de revenu, les bénéfices des plantations, les rentes de monopole, les recettes sur licence, les redevances sur cargaison, les taxes sur affranchissement.

Il ne s'agira pas seulement de se laisser saisir d'effroi par la lecture du Code noir et de le désapprouver.

Il ne s'agira pas d'examiner à la loupe la différence de nature et de degré dans les responsabilités entre les négriers et les intermédiaires.

Il ne s'agira pas non plus de se contenter de prendre acte de cette première mondialisation qui a lié les continents européen, africain, américain, impliqués dans le commerce triangulaire par la violence et la cupidité, puis le continent asiatique, devenu fournisseur de maind'oeuvre après l'abolition pour contenir le niveau des salaires.

Il s'agira aussi, dans cette éducation et cet enseignement, de dire que les sabotages, les insurrections, le marronnage étaient les moyens de refus du consentement qui collabore au crime.

Il s'agira de divulguer le plus largement possible la permanence de la solidarité transcontinentale dans la lutte contre le système esclavagiste, de dire l'essence commune entre les révoltes en Afrique et dans les colonies, les grèves ouvrières et paysannes de solidarité en Europe, les mouvements abolitionnistes partout.

Il s'agira de parler de peuples forgés dans la souffrance et dans l'irrépressible volonté de vivre et de tenter de pénétrer des cultures nouvelles.

Il s'agira de relier le racisme ordinaire à ses sources historiques, de combattre l'aliénation comme une pathologie de la domination et comme une régression collective, de restaurer l'estime de soi chez ceux dont la conscience et l'imaginaire portent encore les stigmates de cette abomination, parce que c'est à ce prix-là que nous retrouverons la confiance au monde.

Une éducation qui ne porterait pas l'empreinte de la justice, de la vérité, de la fraternité, serait une éducation d'épicerie ; elle ne serait pas meilleure que le silence actuel. L'éducation que nous voulons transmettre aux générations en éclosion n'est pas une éducation d'inventaire, elle est une éducation qui doit nourrir la conscience civique. Et elle ne doit pas être simplement, chichement, seulement enseignée aux enfants d'outre-mer, comme le prévoient certaines dispositions du Bulletin officiel du 24 février 2000. Elle doit retrouver sa place dans l'histoire de l'humanité. Nous ne pouvions donc pas consentir à ce que, déjà, soit clos le débat sur cette éducation.

L'article 3, relatif aux démarches auprès du Conseil de l'Europe, des organisations internationales et de l'ONU, avait fait l'objet d'un amendement de suppression de la part de la commission du Sénat. Cet amendement n'a pas été voté en séance. Cet article est donc maintenu. Il est bon effectivement, que le Parlement et le Gouvernement disent bien le niveau de conscience universelle qu'ils entendent partager avec le reste du monde et que les actes soient énoncés.

L'article 5, qui enrichissait l'article 48-1 de la loi sur la liberté de la presse en permettant aux associations défendant l'honneur et la mémoire des descendants d'esclaves de se constituer partie civile, a été supprimé. Le Sénat propose à ces associations d'introduire dans leurs statuts des dispositions particulières qui leur permettraient de relever de l'article 48-1 de la loi de juillet 1881.

Le Gouvernement lui-même a reconnu l'importance de l'article 5 par la voix de M. le secrétaire d'Etat estimant qu'il « permet de renforcer la vigilance dans le combat contre le racisme et contre toutes ses conséquences ».

Nous-mêmes, avant la première lecture, lors des travaux préparatoires, nous nous étions préoccupés des dispositions pénales en vigueur et nous avions retenu cette rédaction en strict complément de celles qui existaient déjà. Il est bon que les associations, forme privilégiée de mobilisation des citoyens, se sentent armées dans leur lutte contre le racisme.

Il nous restera simplement à réfléchir sur la réparation.

Le sénateur Othily avait présenté un amendement qu'il a retiré en séance, probablement parce que nous savons que notre réflexion a besoin d'être mûrie sur cette question-là.

C'est déjà une belle brutalité que cette irruption en pleine lumière de 150 ans de silence. Mais nous aurons à réfléchir sur les politiques publiques, sur les relations internationales, sur les initiatives culturelles, sur les actions de solidarité qui devront converger vers la réparation des méfaits et des effets de l'esclavage.

J'ai bien conscience que le choix d'un vote conforme de l'Assemblée aurait eu toute l'apparence d'une voie raisonnable. Mais j'ai assisté à la totalité de la séance publique du Sénat et j'ai surtout lu très attentivement le compte rendu des débats. Les sénateurs n'ont contesté le bien-fondé du contenu d'aucun article. Ils ont veillé à ce que, strictement, la loi conserve sa mission normative. Ils ont déploré qu'il n'y ait pas d'autres instances que le


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Parlement pour des déclarations solennelles, et le président de la commission des lois, lui-même, s'est montré très réceptif à l'attente des peuples d'outre-mer et de leur diaspora. Par conséquent, je pense que nous avons bon espoir de convaincre que le Parlement n'est pas un lieu par défaut, mais le lieu par excellence de légitimation, de représentation de la volonté populaire, d'expression solennelle du droit, surtout quand ce droit, par sa densité, a une dimension universelle.

Les mots en silex qui portent nos élans, nos espoirs, nos exigences ont besoin d'être nivelés et polis pour être traduits en loi, de devenir précis, justes et parfois même un peu froids pour dire les intentions ainsi que les conséquences. Nous en convenons, même si c'est avec un peu de tristesse que, parfois, nous les voyons perdre un peu de leur incandescence. Mais la combativité que nous investissons dans les causes qui servent les droits de l'homme et renforcent leur fraternité conserve toute son ardeur. Je vous remercie tous, vraiment tous, pour tout.

(Applaudissements sur tous les bancs.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, un an à peine après l'examen et l'adoption de cette proposition de loi par notre assemblée, le Sénat vient à son tour de reconnaître la traite et l'esclavage comme crime contre l'humanité. Nous ne pouvons que nous réjouir de ce vote unanime du Parlement français et particulièrement de cette convergence sur l'article 1er , dans lequel il est dit :

« La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. »

En adoptant cet article, le Parlement a accompli un acte décisif qui fait abstraction des subtilités juridiques, des distinctions géographiques, de la comptabilisation de l'horreur. Cette reconnaissance qui intervient un siècle et demi après l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises constitue une manière de rendre hommage à ces millions d'hommes et de femmes qui furent dépouillés de tout, en particulier de leur dignité humaine. Elle ramène à la lumière ce que l'histoire officielle a trop longtemps laissé dans l'obscurité : ces esclaves anonymes, ces esclaves rebelles qui, au prix de leur vie, ont refusé que l'humanité soit niée en eux.

Tout a été dit, dans cette enceinte ou au Sénat, sur ce système où le non-droit fut codifié, sur le martyre et les souffrances des esclaves, sur la résistance des marrons, sur la longue marche vers l'abolition. Mais cette proclamation du Parlement est aussi une occasion précieuse d'approfondir la méditation et la réflexion sur les conséquences du triomphe du système esclavagiste durant de longs siècles dans l'ensemble du monde.

A la Réunion, le décret d'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises concernait, il y a cent cinquante ans, plus des deux tiers de la population.

A l'échelle de l'histoire, ce passé est encore proche. Ces séquelles se manifestent toujours dans bien des aspects de la vie quotidienne. A-t-on jamais considéré dans ses justes dimensions le traumatisme consécutif à un tel héritage ? Bien des maux dont souffre notre société moderne sont à analyser à la lumière d'une catastrophe qui obscurcit près de la moitié de notre histoire. Dans les inégalités, dans la persistance d'un racisme latent ou manifeste, dans les accès de violence, dans la conscience malheureuse, dans les abus sexuels hérités du viol banalisé par le maître, survit une bonne part de cette époque effroyable.

Ce qui est vrai à la Réunion l'est aussi, à une autre échelle, pour tous les lieux où a sévi l'esclavage : l'Afrique, les Amériques, une grande partie de l'Asie.

Quand on considère que le système économique fondé sur l'esclavage s'est étendu à l'ensemble du monde, on ne peut que s'étonner qu'il n'ait fait l'objet en Occident que de bien peu de recherches. Sans doute faut-il s'interroger sur les raisons de cette carence, alors que les conséquences de cette période sont encore à l'oeuvre dans l'ensemble du monde. Quand le pape Jean-Paul II s'est agenouillé dans l'île de Gorée pour implorer le pardon du ciel pour tous les crimes commis contre les peuples victimes de l'esclavage et de la traite, c'est bien cette mondialisation de l'esclavage qu'il nous a montrée.

Il nous faut revenir sur ce passé pour lui poser des questions. Pourquoi, de la fin du XVe siècle au

XIXe siècle, l'esclavage a-t-il été, dans le monde, le système dominant ? Pourquoi des Etats, quand ils ont pris possession de ces territoires, y ont-ils installé un système économique qu'ils avaient aboli chez eux depuis des siècles ? Pourquoi ce choix a-t-il été si général parmi les nations c onquérantes : l'Espagne, le Portugal, la Hollande, l'Angleterre, la France hélas ? Pour justifier cette domination brutale et inédite qui s'exerce en temps de paix, il a fallu recourir à une argumentation d'ordre idéologique. En renversant les valeurs du christianisme, les puissances de l'époque se sont livrées à la traite et à l'esclavage, elles ont colonisé au nom de sa majesté très chrétienne. Ainsi, la dignité de l'homme, qui est au coeur du christianisme, a-t-elle servi, vidée de son sens, de prétexte civilisateur à la barbarie.

De la même manière, alors qu'ils violaient tous les principes du droit, les Etats dominants ont cru devoir, par le Code noir, codifier et par là légitimer la négation de l'humain. Jamais justification du crime contre l'humanité ne fut plus officielle et plus éclatante ! Jamais non plus crime contre l'humanité ne fut commis de façon aussi systématique et légale pendant de si longs siècles ! Jamais dans l'histoire de l'humanité tant de personnes ne furent déportées ! Comment imaginer que les sociétés qui ont subi la violence de la traite et de l'esclavage pourraient ne pas porter le poids de cet héritage séculaire ? Alors qu'un des acquis actuels du droit public international consiste à attribuer des indemnités aux travailleurs qui furent déportés ou obligés de travailler pour l'Etat dominateur, ne serait-il pas opportun et légitime que cette reconnaissance soit étendue à la période de l'esclavage, étant entendu qu'il ne s'agirait évidemment pas de réparations individuelles, mais de dédommagement collectif ? L'esclavage a été l'illustration exacerbée, durant 500 ans, de la domination de l'homme par l'homme. Le progrès technique n'a pas exonéré l'humanité de cette tentation.

Des preuves nous en sont quotidiennement fournies, aussi bien sur les continents qui ont subi l'esclavage et la domination qu'en Europe même. Notre vigilance doit donc s'exercer contre ces formes d'asservissement toujours renouvelées qui visent d'abord les plus faibles.


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Parmi ces plus faibles, les femmes. Elles continuent à payer un lourd tribut.

N'oublions pas que, dans cette histoire du silence, les femmes ont été les victimes les plus durement touchées : au moment de la capture et de la séparation d'avec leur famille ; au cours du voyage sur les bateaux négriers où ce qu'on appelait la « pariade » les livrait à l'équipage ; dans les exploitations, où aucun droit familial ne leur était reconnu, où avorter était une alternative qui leur paraissait souvent préférable à la mise au monde d'enfants esclaves, où, après l'abolition de la traite, des politiques que l'on pourrait dire d'élevage leur attribuaient une fonction reproductrice qui les soumettait à des esclaves étalons choisis par les maîtres.

Si, dans le martyrologe de l'esclavage, les femmes occupent une place particulière, elles ont eu aussi leur part de gloire dans cette épopée des esclaves marrons qui avaient l'audace de s'élever contre le système.

Ce souvenir de l'esclavage, c'est aussi se rappeler les luttes généreuses qu'animèrent dans l'Europe colonisatrice elle-même les hommes d'église, les philosophes, des poètes. A la révolte des marrons de la Réunion a fait écho, en 1848, la pétition des intellectuels réunionnais et français auxquels s'étaient joints les artisans du faubourg Saint-Antoine. Cette tradition, où convergent les forces démocratiques des pays dominants et celles des peuples colonisés, trouve une consécration éclatante à travers ce vote solennel du Parlement.

La France a été la première puissance à proclamer, en 1794, l'abolition de l'esclavage. Elle est aujourd'hui la première à reconnaître, à travers ce vote, que la traite et l'esclavage dans ses anciennes colonies étaient bien des c rimes contre l'humanité. Puisse ce message être entendu ! Puisse l'ensemble de la communauté international rendre universelle cette déclaration-là aussi ! (Applaudissements sur tous les bancs.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'initiative de Mme Christiane Taubira-Delannon, que nous avons écoutée avec beaucoup d'émotion et d'attention, comme Mme Huguette Bello, nous réunit aujourd'hui pour apporter une nouvelle contribution à cette proposition de loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. Ce texte fut adopté à l'unanimité en première lecture par notre assemblée le 18 février 1999 et a été discuté au Sénat le 23 mars dernier.

Tout est dit dans l'article 1er dont lecture vient de nous être donnée. Je ne m'y attarderai donc pas à nouveau, sinon pour souligner que l'Assemblée et le Sénat l'ont unanimement adopté. Ainsi, sera historiquement défini ce que l'on a aujourd'hui la lucidité et le courage d'appeler un crime contre l'humanité, crime auquel ont participé il y a des siècles, et encore quelque cent cinquante ans, plusieurs pays de l'Europe et du monde.

Des fortunes extraordinaires ont été constituées jusque sur les façades atlantiques de l'Europe à partir des souff rances et des cruautés inouïes engendrées par le commerce triangulaire. Dans le même temps, des économies coloniales, minières et de plantation se sont développées et allaient durer plus de trois siècles. Heureusement, au Code noir de Colbert, cent ans plus tard, devait répondre l'ère des Lumières, la prise de conscience des intellectuels de l'Europe et du reste du monde. Puis, le relais fut pris par le mouvement ouvrier qui se mobilisa, à partir du milieu du

XIXe siècle.

Le Sénat a donc adopté sans modification l'article 1er

Le débat - et vous y avez contribué, monsieur le secrétaire d'Etat - a contribué à lever les doutes, les incertitudes et la frilosité de la commission des lois de la seconde assemblée.

L'article 3 a également été adopté en termes identiques. Il demande au Gouvernement d'engager une action pour la reconnaissance de la traite négrière transatlantique et transocéanienne et de l'esclavage comme crime contre l'humanité afin que la position que nous sommes en train d'adopter soit également celle officiellement retenue par le Conseil de l'Europe, les organisations internationales et l'organisation des Nations unies. Et il est recommandé à ces instances de se mettre d'accord pour fixer une date commune de commémoration.

Alors, on peut regretter que le Sénat n'ait pas adopté en termes identiques la proposition émanant de l'Assemblée nationale car, aujourd'hui, le débat aurait été clos sur l'unanimité que l'on attendait des deux assemblées et qui, je l'espère, va finir par se manifester.

M. Henry Jean-Baptiste.

Tout de même !

M. Louis Mermaz.

En effet, peut-être pris par un souci juridique inévitable dans cette assemblée, mais que l'on aurait pu s'épargner, le Sénat a décidé de supprimer ce à quoi nous tenons beaucoup - et Mme Taubira-Delannon l'a très bien expliqué -, je veux parler de la demande faite au Gouvernement de faire en sorte que les manuels scolaires accordent à l'histoire de l'esclavage et de la traite négrière la place qu'elle mérite. Le moment ne me semble pas bien choisi pour ouvir un débat de juristes entre ce qui relève du législatif ou du réglementaire. L'Assemblée tiendra certainement à exprimer à nouveau son voeu, car expliquer aux nouvelles générations le passé - et un tel passé ! - est essentiel pour l'avenir de la démocratie.

L'article 3 bis , ancien article 4 tel qu'il avait été adopté par l'Assemblée nationale, demande qu'un décret fixe la date de la commémoration pour chacune des collectivités territoriales, ce qui est de bon sens puisque dans ces territoires l'abolition de l'esclavage ne s'est pas forcément produite les mêmes années ni surtout aux mêmes dates. Pour ce qui est de la France métropolitaine, nous souhaitons que la date de la commémoration annuelle de l'abolition soit fixée par le Gouvernement, après consultation la plus large possible. Contrairement aux sénateurs, il ne nous semble pas que la date du 23 août, celle du soulèvement des esclaves de Saint-Domingue, sous la conduite de l'extraordinaire Toussaint Louverture, doive être retenue, bien que ce soit un épisode important de l'histoire de la libération. En effet, le mois d'août est pour nous le temps de la dispersion scolaire.

L'article 3 bis , dans son dernier alinéa, reprend également un amendement de la commission des loi qui précise ce que doit être le comité des personnalités qualifiées.

Le Sénat s'est montré là constructif, puisqu'il a tenu à ce que soit précisées, non seulement les compétences et les missions de ce comité, mais également sa composition. Il s'agit ici de déterminer les cérémonies, les lieux et les actions qui perpétueront le souvenir de la triste histoire de l'esclavage, et surtout celui de l'abolition. Nous souhaitons en outre que ces dispositions soient précisées par décrets. Comme Mme Taubira-Delannon, nous tenons à ce qu'ils soient pris dans un délai de six mois après la publication de la loi. Nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d'Etat, tant il est vrai que certains décrets d'application tardent à sortir...

Un député du groupe socialiste.

Nous y veillerons !


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M. Louis Mermaz.

Enfin, nous souhaitons - et telle semble aussi la volonté du Gouvernement - que soit rétabli l'article 5, qui permettra aux associations défendant la mémoire et l'honneur des esclaves et de leurs descendants, d'ester en justice comme parties civiles lorsqu'il y a diffamation, injures ou délit de caractère raciste mettant en cause une ethnie, une nation, une race ou une religion.

Voici le texte que nous allons vraisemblablement voter unanimement une nouvelle fois. Il forme un tout et fait d'ores et déjà l'objet d'un retentissement certain dans les d épartements d'outre-mer et même au-delà, car il reconnaît les faits tels qu'ils se sont produits. D'autres pays européens, du moins ceux qui sont de véritables démocraties, ont suivi une démarche analogue : il en est ainsi de l'Allemagne, dont le chancellier Willy Brandt s'était agenouillé devant le monument commémorant l'holocauste des juifs. En revanche, la Turquie, qui s'obstine à ne pas reconnaître le génocide arménien, donne un bien triste contre-exemple. La liste serait longue des Gouvernements et des Etats incapables de reconnaître leurs crimes récents ou actuels. Dans ces pays, la démocratie et les droits de l'homme ne sont généralement pas respectés.

Dans un monde encore plongé dans tant de barbarie, le devoir de mémoire, que nous devons au passé, peut aussi constituer la garantie que le futur sera meilleur.

(Applaudissements sur tous les bancs.)

M me la présidente.

La parole est à M. Pierre Morange.

M. Pierre Morange.

Madame la présidente, monsieur le sécrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes invités à examiner la proposition de loi, adoptée à l'unanimité par notre Assemblée, le 18 février 1999, et modifiée par le Sénat le 23 mars dernier, visant à reconnaître la traite et l'esclavage comme crime contre l'humanité.

A cet instant, je pense à mon collègue et ami Anicet Turinay qui était intervenu au nom du groupe RPR, en première lecture et qui, d'emblée, avait fort justement rappelé, avec force et émotion, qu'il faut que cesse la politique de l'oubli.

Oui, mes chers collègues, il faut reconnaître la traite et l'esclavage en tant que crime contre l'humanité ! Il faut le faire à la mémoire des millions d'hommes et de femmes arrachés à l'Afrique, à la mémoire de ceux qui, par millions, sont morts dans des bateaux négriers, à la mémoire de ceux qui, pendant quatre siècles, ont subi le joug, l'humiliation et la torture, à la mémoire de ceux dont le sang paya une prospérité destinée à d'autres, à la mémoire de ceux qui se sont révoltés contre cette servitude, à la mémoire de l'extermination des populations originelles qui peuplaient l'Amérique et les Caraïbes.

L'oubli a été imposé, mais non consenti. Aussi, si, pour certains qui refusent aujourd'hui la repentance historique, l'histoire c'est du passé, je rappelle que la mémoire collective est le ciment de l'identité des peuples des départements d'outre-mer largement présente dans notre culture.

Nous le savons tous, le 27 avril 1848, quelques lignes, qui avaient la force de la loi, ont bouleversé le destin de milliers d'hommes et de femmes. Victor Schoelcher nous l'a rappelé, notre nation n'est pas construite sur une conception raciale illusoire ; elle ne se réduit pas à une vision métropolitaine du territoire.

Le mois dernier, en Martinique, le Président de la République, Jacques Chirac, a souligné cette richesse de la diversité et de l'identité qui fait la France de l'outremer : « Les Martiniquais, les Guadeloupéens, les Guyanais s'interrogent sur ce qu'ils sont dans ce monde qui change, sur ce qu'ils seront demain. Rares sont ceux qui voient, je crois, dans une rupture avec la France, la réponse à cette recherche identitaire. Mais le message qu'ils nous délivrent de manière pratiquement unanime est une formidable demande de reconnaissance de leur personnalité, de leur dignité, de leur identité, mais aussi de leur capacité à assumer eux-mêmes une partie beaucoup plus importante de leur destin. Nous ne devons pas, nous ne pouvons pas ignorer ce message ».

Mes chers collègues, le devoir de mémoire, celui que nous évoquons aujourd'hui par la qualification de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, ne peut, ne doit pas être simple oeuvre d'histoire humaniste.

Se rappeler et condamner de façon symbolique la traite et l'esclavage est indispensable pour que les générations futures chassent de leur imaginaire les traces encore si ancrées de l'inégalité entre les hommes.

L'esclavage subsiste encore, hélas ! dans nombre de pays, sous des formes renouvelées, insidieuses, odieuses : ici, c'est un contrat qui lie pour des années un travailleur à l'employeur ou l'enchaînement de plusieurs générations à la dette ; ailleurs, ce sont des enfants, des femmes, qui sont jetés à la rue et qui, pour pouvoir survivre, passent de la mendicité à la prostitution quant ils ne sont pas directement vendus. Et c'est sans compter les pays où l'esclavage « classique » et « coutumier » reste une tradition continuant à être pratiquée à l'abri des regards.

Condorcet qualifiait la traite et l'esclavage de « crimes de lèse-humanité ». La réalité fut affreuse. Mais ce fut une réalité assumée, une réalité affichée en un commerce fructueux qui a perduré 400 ans ! C'est bien là toute l'incroyable singularité de ce crime.

C'est pourquoi, mes chers collègues, la reconnaissance par notre assemblée de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité renforcera la volonté de la France d'user de toute son influence dans le monde pour c ombattre toutes les formes d'esclavage moderne.

(Applaudissements sur tous les bancs.)

M me la présidente.

La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y a plus d'un an, notre Assemblée adoptait en première lecture la proposition de loi de Mme Taubira-Delannon tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. Au cours de la discussion en première lecture, mon ami Ernest Moutoussamy, député de Guadeloupe, a déclaré : « Le texte de l'exposé des motifs de Mme Taubira-Delannon constitue un chefd'oeuvre parmi les innombrables pages écrites par notre Assemblée. » Je partage cette opinion.

Madame, vous nous avez tous remercié à l'instant. Je voudrais vous dire simplement que c'est nous qui vous remercions pour cette proposition de loi, pour la passion, le talent, l'émotion que vous avez mis à la défendre.

Nous vous savons gré de l'initiative que vous avez prise et dont on mesure aujourd'hui très largement la portée.

Ne perdons pas plus de temps, serais-je tenté de dire, et passons vite au vote. Les événements liés à la traite négrière qui ont emporté des millions d'hommes et de femmes doivent, en effet, être analysés et connus de l'opinion publique et cela non dans un but de vindicte mais pour rechercher la vérité et la dignité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

Il y a urgence, en effet, à prendre des mesures pour manifester au public l'histoire de ce crime et des insurrections qui l'ont combattu.

Il y a urgence à rendre hommage aux déportés de la traite, à ceux des Etats africains qui ont résisté les armes à la main à l'implantation du commerce triangulaire, aux abolitionnistes blancs et noirs dont la mémoire n'est peut être pas suffisamment honorée.

Ce débat n'est pas ordinaire puisqu'il nous invite à regarder le passé, tout le passé même s'il n'est pas celui que l'on voudrait voir.

Eclairer la mémoire collective sur ces actes barbares qui ont entaché notre histoire pendant trois siècles est un devoir de mémoire, un devoir de justice. Il appartient à la République de reconnaître le crime que constitue la traite et l'esclavage de plusieurs millions d'hommes, de femmes et d'enfants pour satisfaire les besoins économiques d'une France qui était alors la troisième puissance négrière européenne.

L'esclavage, mot déjà décrété « contradictoire au droit » par Rousseau et dit « barbare » par Montesquieu, ne doit pas être plus longtemps occulté.

La commémoration en 1998 de la deuxième abolition de l'esclavage, la reconnaissance par le Parlement, dès les prochaines semaines, de la traite et de l'esclavage comme crime contre l'humanité nous invitent à « abolir » encore et encore. Car la France contemporaine n'est pas à l'abri de toute dérive. Quand un système politique ou économique est en crise, il est tentant de désigner un bouc émissaire déjà coupable d'être différent !

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est vrai !

M. Jacques Brunhes.

C'est un terrain de choix pour le développement des actes et des propos racistes.

Par ailleurs, au plan international, quel autre mot que celui d'esclave pouvons-nous utiliser pour parler des femmes et des enfants qui subissent, au-delà de la soumission, des conditions de travail dégradantes et qui font l'objet de trafics au même titre que des marchandises ? Avec cette proposition de loi, nous nous tournons vers un bout de notre histoire que nous saurons condamner sans appel. Je ne reviendrai pas sur l'importance des dispositions qu'elle revêt pour les populations d'outre-mer.

Mon ami Ernest Moutoussamy l'a exprimé avec émotion en première lecture. Huguette Bello vient de le faire à nouveau après vous, madame Taubira-Delannon.

Je ne doute pas que notre assemblée réintroduira dans la proposition de loi certaines dispositions que le Sénat a supprimées pour confirmer la valeur symbolique et politique que nous devons lui donner.

Beaucoup de ces dispositions avaient d'ailleurs été élaborées en étroite concertation avec les associations de descendants d'esclaves à qui je souhaite rendre hommage aujourd'hui.

M. Henry Jean-Baptiste.

Très bien !

M. Jacques Brunhes.

Je souhaiterais conclure mon propos sur la question des réparations qui, je crois, ne peut être absente de nos débats. N'y a-t-il pas lieu de s'interroger sur les Etats qui se sont enrichis par l'esclavage ? N'ont-ils pas le devoir d'apporter une contribution à ceux qui se sont appauvris par lui ? A titre d'exemple, l'annulation de la dette publique des pays du Sud constituerait à notre sens une action forte de la France et un acte de réparation important.

Les députés communistes voteront ce texte qui proclame sans réserve que l'esclavage et la traite sont des crimes contre l'humanité.

Je vous remercie, madame la rapporteuse.

(Applaudissements sur tous les bancs.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Henry JeanBaptiste.

M. Henry Jean-Baptiste.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, enfin un texte consensuel !

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Ce ne fut pas le cas au Sénat !

M. Henry Jean-Baptiste.

Mes chers collègues, ce texte, tel qu'il nous revient du Sénat, après son adoption par notre assemblée en février de l'année dernière, n'appellera pas de ma part de longs commentaires, parce que tout ou presque tout a été dit et fort bien dit.

Je tiens cependant à exprimer à Christiane TaubiraDelannon l'appréciation très positive que je porte sur son initiative et à confirmer le vote très favorable à sa proposition de loi non seulement du groupe de l'UDF auquel j'appartiens, mais aussi du groupe Démocratie libérale dont je suis aussi le porte-parole.

Je pense que ce texte, qui tend à la « reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité », est un appel à la conscience universelle, en même temps qu'un devoir de mémoire pour tous et singulièrement pour ceux qui comme moi discernent, dans certaines réalités matérielles et psychologiques de l'outre-mer français, les séquelles, encore bien visibles, de ce qui fut - des siècles durant - une lourde « voie de f ait », un « attentat permanent » contre la dignité humaine.

La « mondialisation » contemporaine - comme on dit qui n'est pas seulement l'extension des échanges matériels, impose également le partage de l'information, de lar echerche, de la communication, mais aussi l'enrichissement et la diversification de la connaissance historique et, d'abord, à l'usage des manuels scolaires et pour l'édification de la jeunesse du monde.

C'est à cette condition initiale, me semble-t-il, que ce passé, lourd et douloureux, considéré sans traumatisme, analysé sans complexe et enfin mieux assumé, ne fera plus nécessairement obstacle au dialogue entre les hommes, dans toutes leurs diversités.

Mais la mémoire ne doit pas être sélective ni dans l'espace, ni dans le temps.

J'avais indiqué, lors du débat en première lecture, que l a traite négrière ne s'est pas limitée au hideux

« commerce transatlantique ».

L'océan Indien n'est pas en reste et j'ai rappelé qu'une ordonnance du 9 décembre 1846 était venue, avant le fameux décret de 1848, abolir à Mayotte le commerce des esclaves qui - si j'ose dire - « fleurissait » depuis près d'un siècle de trafics entre le comptoir de Zanzibar, les côtes orientales de l'Afrique et Madagascar.

Les pratiques esclavagistes furent également monnaie courante par les frontières sahariennes, de même que les traitements infligés aux Indiens d'Amérique comme aux populations amérindiennes ont lourdement pesé dans ces tragédies de l'histoire universelle.

Mais je n'entends pas, pour autant, m'associer aux amendements adoptés, au Sénat, par ceux qui présentent la « traite transatlantique », c'est-à-dire pour l'essentiel européenne, comme une étape parmi d'autres, un épisode en quelque sorte banalisé du martyrologe des Noirs esclaves.


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Il n'en est rien mesdames et messieurs,... Certes l'institution esclavagiste exista bien dans l'Egypte des pharaons, l'Empire romain ou les cités grecques, où l'esclave fut généralement un prisonnier de guerre, un guerrier vaincu.

Mais il est bien vrai que ce sont les pays européens qui, dès le

XVIe siècle, donnent à l'esclavage et à la traite toute leur extension et leur terrible ampleur, en direction principalement de l'Afrique et du Nouveau Monde, récemment découvert. Il y a tout à la fois changement d'échelle et de méthodes.

Un édit de 1518 de Charles-Quint, roi d'Espagne, autorise l'importation d'esclaves africains en Amérique et inaugure le système des « asientos », c'est-à-dire des concessions du monopole d'Etat à des compagnies à chartes, dont vous connaissez la brutalité et la rigueur.

Le Portugal, la Hollande et l'Angleterre s'engagèrent rapidement dans cette voie.

Et c'est le code noir de Colbert, en 1685, qui viendra conférer une base juridique précise et complète, jusque dans le moindre détail, à ce système qui touchera 20 à 30 millions de personnes et se prolongera sur plusieurs siècles.

Une organisation méthodique, avec de nombreuses complicités en Afrique même et des conséquences très lourdes sur le développement du continent noir.

Alors faut-il parler avec certains de réparation, de rédemption, de rachat ou de repentance...? Je n'en suis pas convaincu, parce que les dégâts causés, surtout au continent africain, sont littéralement inestimables..., et les responsabilités multiples.

Mais la réparation ne doit pas être simplement morale - et je remercie mon collègue Brunhes d'avoir appelé l'attention de l'Assemblée sur ce point. L'aide au développement de l'Afrique doit demeurer pour les Européens p lus qu'une ardente obligation, qui est d'ailleurs conforme à leurs intérêts bien compris. L'annulation de la dette serait en effet, une compensation, mais infinitésimale, à toutes les abominations subies par ce continent déshérité.

Je crois aussi que la proposition de loi de Christiane Taubira-Delannon oblige à rompre le silence prudent ou honteux des manuels scolaires et contraint d'élargir les programmes de recherches consacrés à la traite et à l'esclavage. Ces prises de conscience, même tardives et difficiles dans nos sociétés d'outre-mer, favoriseront un équilibre plus propice à leur épanouissement.

Et je sais que les associations domiennes, dont je salue la présence, nombreuse et attentive, ont un rôle utile, un rôle fondamental d'explication, de pédagogie, non seulement dans nos pays d'outre-mer, mais également pour les Domiens et Tomiens vivant en métropole. Je leur dis : votre rôle sera essentiel ! Enfin, le devoir de mémoire ne saurait être sélectif dans le temps.

Mes chers collègues, je suis convaincu que les commémorations, qui sont prévues, à juste titre, dans ce texte, n'ont de véritable portée, que si elles éclairent le présent et dessinent des perspectives d'avenir.

Faut-il oublier que notre époque est riche - hélas - de multiples abominations ? Les journaux et les postes de télévision en sont quotidiennement chargés.

Désormais, nous savons...

Il faut donc continuer d'espérer que la conscience morale rejoindra peu à peu la conscience psychologique et l'émergence des réalités. Le texte aujourd'hui soumis à l'examen de notre Assemblée y contribuera, j'en suis sûr.

Il doit être, selon nous, maintenu dans les termes où il a été voté en première lecture : il appelle à l'éveil d'une conscience politique, afin que, jour après jour, et sans désespérance, le respect des droits de l'homme soit progressivement assuré, partout dans le monde.

(Applaudissements sur tous les bancs.)

Mme la présidente.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Mme la présidente.

En application de l'article 91, alinéa 9, du règlement, j'appelle maintenant, dans le texte du Sénat, les articles de la proposition de loi sur lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.

Article 2

Mme la présidente.

Le Sénat a supprimé l'article 2.

Mme Taubira-Delannon, rapporteuse, a présenté un amendement, no 1, ainsi rédigé :

« Rétablir l'article 2 dans le texte suivant :

« Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l'exclavage sera encouragée et favorisée. »

La parole est à Mme la rapporteuse.

Mme Christiane Taubira-Delannon, rapporteuse.

Cet amendement rétablit l'article du texte initial adopté le 18 février 1999, sous réserve d'une nuance, qui conduit à remplacer la référence aux manuels scolaires par un renvoi aux programmes scolaires. Le contenu des programmes scolaires relève de la responsabilité de l'exécutif, alors que ce n'est pas le cas pour les manuels scolaires.

Mme la présidente.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Comme l'a indiqué Mme Taubira-Delannon dans son intervention, on peut s'interroger sur le partage entre loi et règlement dans l'article 2. La sollicitation forte qui est exprimée dans cet amendement porte d'ailleurs davantage sur une question de principe que sur la qualification juridique du texte.

Reconnaissant que l'Assemblée nationale veut marquer par là toute l'importance qu'elle accorde à l'instruction civique et à l'enseignement d'une histoire qui, comme M. Mermaz l'a dit tout à l'heure, a souvent été occultée ou insuffisamment exposée, je m'en remettrai à la sagesse de votre assemblée.

Mme la présidente.

La parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz.

Je veux remercier M. le secrétaire d'Etat de s'en remettre à la sagesse de l'Assemblée et de faire acte de sagesse en lui donnant sa place.

Le Sénat s'appuie sur la loi du 10 juillet 1989, que nous avons été nombreux à voter, qui prévoit qu'un Conseil national des programmes donnera son avis ou adressera des propositions au ministre de l'éducation


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

nationale sur la conception générale des enseignements.

D'autre part, il a prévu, dans sa grande sagesse, que le comité de personnalités qualifiées que nous souhaitons mettre en place pourra également donner son avis sur les programmes scolaires.

Avouez qu'il serait paradoxal que les seuls qui ne puissent pas donner leur avis soient les députés. Il est vrai que notre assemblée est aujourd'hui entourée de tant d'organismes et d'institutions que l'on finit par réduire considérablement les pouvoirs issus du suffrage universel.

Je me félicite donc que le secrétaire d'Etat ait eu la sagesse de s'en remettre à notre sagesse et je ne doute pas de cette sagesse-là.

(Sourires.)

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Très bien !

Mme la présidente.

La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes.

Madame la présidente, je regrette que M. le secrétaire d'Etat s'en remette à la sagesse de l'Assemblée. Le Gouvernement qui est quelquefois moins pointilleux sur la différence entre règlement et loi aurait en effet pu, dans une volonté de consensus général, accepter cet amendement symbolique. La sagesse devrait être aussi du côté de l'exécutif.

Mme la présidente.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Je répondrai à M. Brunhes que nous sommes dans le cadre d'une proposition de loi, qui relève d'abord du vote exprimé par les parlementaires.

J'ajoute, et Mme Taubira-Delanon l'a évoqué, que le président Larché de la commission des lois du Sénat avait demandé que le Gouvernement fasse jouer l'article 41 et oppose le caractère réglementaire du texte. Je ne l'ai pas fait car cela aurait pu avoir pour effet que le texte ne soit pas examiné.

Mme Nicole Bricq.

Vous avez bien fait !

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

C'est pourquoi je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée, comme je m'en suis remis à la sagesse du Sénat.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no

1. (L'amendement est adopté.)

Mme la présidente.

En conséquence, l'article 2 est rétabli et se trouve ainsi rédigé.

Article 3 bis

Mme la présidente.

« Art. 3 bis. - Le dernier alinéa de l'article unique de la loi no 83-550 du 30 juin 1983 relative à la commémoration de l'abolition de l'esclavage est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :

« Un décret fixe la date de la commémoration pour chacune des collectivités territoriales visées cidessus.

« En France métropolitaine, la date de la commémoration annuelle de l'abolition de l'esclavage est fixée au 23 août.

« Il est instauré un comité de personnalités qualifiées, parmi lesquelles des représentants d'associations défendant la mémoire des esclaves, chargé de proposer, sur l'ensemble du territoire national, des lieux et des actions qui garantissent la pérennité de la mémoire de ce crime à travers les générations, n otamment dans les programmes scolaires. La composition et les missions de ce comité sont définies par décret en Conseil d'Etat. »

Mme Taubira-Delannon, rapporteuse, a présenté un amendement, no 2, ainsi rédigé :

« Dans l'avant-dernier alinéa de l'article 3 bis, substituer aux mots : " au 23 août ", les mots : " par le Gouvernement après la consultation la plus large ". »

La parole est à Mme la rapporteuse.

Mme Christiane Taubira-Delannon, rapporteuse.

En première lecture, l'Assemblée avait souhaité que la date de commémoration de l'abolition de l'esclavage soit fixée en France par le Gouvernement après la consultation la plus large possible. Le Sénat, sur la proposition d'une sénatrice, a souhaité l'arrêter dans la loi. Le 23 août, malgré sa grande force symbolique qu'a rappelée M. Louis Mermaz, ne nous semble pas une date propice à la mobilisation des communautés scientifique, scolaire, artistique et culturelle.

Par conséquent, nous souhaitons rétablir la possibilité de consultation très large du Gouvernement et lui laisser le soin de définir la date.

Mme la présidente.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Favorable.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no

2. (L'amendement est adopté.)

Mme la présidente.

Mme Taubira-Delannon, rapporteuse, et M. Darsières ont présenté un amendement, no 3, ainsi rédigé :

« Dans le dernier alinéa de l'article 3 bis, substituer aux mots et à la phrase : " , notamment dans les programmes scolaires. La composition et les missions de ce comité sont définies par décret en Conseil d'Etat.

", la phrase suivante : " La composition, les compétences et les missions de ce comité sont définies par un décret en Conseil d'Etat pris dans un délai de six mois après la publication de la loi no ... du ... tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité." » La parole est à Mme la rapporteuse.

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteuse.

Compte tenu du rétablissement de l'article 2 que nous venons de voter, il convient de supprimer une disposition i ntroduite par le Sénat au troisième alinéa de l'article 3 bis, qui permettrait au comité de personnalités qualifiées de faire des propositions en matière de programmes scolaires. Etant donné que nous venons de rétablir l'article 2 sur l'éducation, la coopération et la recherche, cette disposition au sein de l'article 3 bis n'a plus lieu d'être.

Mme la présidente.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Favorable puisqu'il s'agit d'un amendement de coordination.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no

3. (L'amendement est adopté.)

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'article 3 bis, modifié par les amendements adoptés.

(L'article 3 bis, ainsi modifié, est adopté.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

Article 4

Mme la présidente.

Le Sénat a supprimé l'article 4.

Article 5

Mme la présidente.

Le Sénat a supprimé l'article 5.

Mme Taubira-Delannon, rapporteuse, a présenté un amendement, no 4, ainsi rédigé :

« Rétablir l'article 5 dans le texte suivant :

« A l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après les mots : "par ses statuts, de", sont insérés les mots : "défendre la mémoire des esclaves et l'honneur de leurs descendants,". »

La parole est à Mme la rapporteuse.

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteuse.

Là a ussi, il s'agit de rétablir le texte initial voté le 18 février 1999, donc de rétablir l'article 5 qui enrichit l'article 48-1 de la loi sur la liberté de la presse de juillet 1881, et qui permet aux associations dont l'objet social vise à défendre la mémoire et l'honneur des descendants d'esclaves de pouvoir ester en justice et de se constituer partie civile.

Mme la présidente.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Le Gouvernement est favorable au rétablissement de l'article 5.

Comme je l'ai exprimé au Sénat, cette disposition est tout à fait judicieuse car elle complète le dispositif juridique existant et permet de renforcer la vigilance dans le combat contre le racisme et ses conséquences. Le Sénat n'avait suivi ni l'Assemblée nationale ni la position du Gouvernement.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no

4. (L'amendement est adopté.)

Mme la présidente.

En conséquence, l'article 5 est rétabli et se trouve ainsi rédigé.

Vote sur l'ensemble

M. le président.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)

Mme la présidente.

Je constate que le vote est acquis à l'unanimité. (Applaudissements sur tous les bancs.)

5 FIN DE MISSION TEMPORAIRE D'UN DÉPUTÉ

Mme la présidente.

Par lettre du 6 avril 2000, M. le Premier ministre m'a informée que la mission temporaire précédemment confiée à M. François Asensi, député de l a Seine-Saint-Denis, prendra fin le 8 avril 2000.

6 DÉCLARATION DE L'URGENCE D'UN PROJET DE LOI

Mme la présidente.

J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant que le Gouvernement déclare l'urgence du projet de loi d'orientation pour l'outre-mer.

Acte est donné de cette communication.

7 PRÉSOMPTION D'INNOCENCE ET DROITS DES VICTIMES Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire

Mme la présidente.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 5 avril 2000.

« Monsieur le président,

« Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

« Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter l'Assemblée nationale à désigner ses représentants à cette commission.

« J'adresse ce jour à M. le président du Sénat une demande tendant aux mêmes fins.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. »

Cette communication a été notifiée à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

8

GENS DU VOYAGE Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire

Mme la présidente.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 5 avril 2000.

« Monsieur le président,

« Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage.

« Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter l'Assemblée nationale à désigner ses représentants à cette commission.

« J'adresse ce jour à M. le président du Sénat une demande tendant aux mêmes fins.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. »

Cette communication a été notifiée à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

9

VENTES DE MEUBLES AUX ENCHÈRES PUBLIQUES Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire

Mme la présidente.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 6 avril 2000.

« Monsieur le président,

« Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

« Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter l'Assemblée nationale à désigner ses représentants à cette commission.

« J'adresse ce jour à M. le président du Sénat une demande tendant aux mêmes fins.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. »

Cette communication a été notifiée à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

10 ADOPTION D'UNE RE

SOLUTION

PORTANT SUR DES PROPOSITIONS D'ACTES COMMUNAUTAIRES

Mme la présidente.

J'informe l'Assemblée qu'en application de l'article 151-3, alinéa 2, du règlement, est considérée comme définitive la résolution, adoptée par la commission de la production, sur la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane.

11 DE PO T D'UNE PROPOSITION DE LOI

ORGANIQUE

Mme la présidente.

J'ai reçu, le 6 avril 2000, de M. Emile Vernaudon, une proposition de loi organiquer elative à l'élection de l'assemblée de la Polynésie française.

Cette proposition de loi organique no 2329, est renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la l égislation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

12 DE PO T D'UN RAPPORT

Mme la présidente.

J'ai reçu, le 6 avril 2000, de M. Eric Besson, un rapport, no 2327, fait au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan sur le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques (no 2250).

13 DE PO T D'UN PROJET DE LOI

MODIFIE PAR LE SE NAT

Mme la présidente.

J'ai reçu, le 6 avril 2000, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par le Sénat, en deuxième lecture, portant création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Ce projet de loi, no 2326, est renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

14 DE PO T D'UNE PROPOSITION DE LOI ADOPTE E PAR LE SE NAT

Mme la présidente.

J'ai reçu, le 6 avril 2000, transmise par M. le président du Sénat, une proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à conférer à la lutte contre l'effet de serre et à la prévention des risques liés au réchauffement climatique la qualité de priorité nationale


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 6 AVRIL 2000

et portant création d'un observatoire national sur les effets du réchauffement climatique en France métropolitaine et dans les départements et territoires d'outre-mer.

Cette proposition de loi, no 2328, est renvoyée à la commission de la production et des échanges, en application de l'article 83 du règlement.

15 DE PO T D'UNE PROPOSITION DE LOI ADOPTE E AVEC MODIFICATION PAR LE SE NAT

Mme la présidente.

J'ai reçu, le 6 avril 2000, transmise par M. le président du Sénat, une proposition de loi, adoptée avec modifications par le Sénat, en deuxième lecture, relative à la prestation compensatoire en matière de divorce.

Cette proposition de loi, no 2325, est renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

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SUSPENSION DES TRAVAUX DE L'ASSEMBLE E

Mme la présidente.

Mes chers collègues, je vous rappelle que, sur proposition de la conférence des présidents, l'Assemblée a décidé, en application de l'article 28, alinéa 2, de la Constitution, de suspendre ses travaux pour les deux semaines à venir.

En conséquence, et sauf séance supplémentaire décidée en application de l'article 28, alinéa 3, de la Constitution, la prochaine séance de l'Assemblée aura lieu le mardi 25 avril 2000 à neuf heures.

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ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SE ANCES

Mme la présidente.

Mardi 25 avril 2000, à neuf heures, première séance publique : Discussion de la proposition de loi, no 2279, de M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une agence française de sécurité sanitaire environnementale : M. André Aschieri, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 2321) ; Fixation de l'ordre du jour.

A quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement ; Discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, no 2250, relatif aux nouvelles régulations économiques : M. Eric Besson, rapporteur au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport no 2327), M. André Vallini, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et d e l'administration générale de la République (avis no 2309), M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis au nom de la commission de la production et des échanges (avis no 2319).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT

BUREAU DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE A la suite de la nomination d'un secrétaire à laquelle l'Assemblée nationale a procédé dans sa première séance du 6 avril 2000, son bureau se trouve ainsi constitué : Président :

M. Raymond Forni.

Vice-présidents :

Mme Christine Lazerges, MM. Yves Cochet, P atrick Ollier, Pierre-André Wiltzer, Mme Nicole Catala,

M. Philippe Houillon.

Questeurs : MM. Serge Janquin, Patrick Braouezec, Henri Cuq.

Secrétaires : MM. René André, René Dosière, Mme Nicole Feidt, MM. Edouard Landrain, Pierre Lequiller, Germinal Peiro,

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. François Rochebloine, Mme Yvette Roudy, MM. Michel Suchod, Alain Tourret, Jean Ueberschlag.