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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 25 AVRIL 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Questions au Gouvernement (p. 3235).

CONFLIT SOCIAL À DASSAULT AVIATION (p. 3235)

Mme Jacqueline Fraysse, M. Alain Richard, ministre de la défense.

NATURE DES DOCUMENTS REMIS À L'OCCASION DE LA JOURNÉE D'APPEL DE PRÉPARATION À LA DÉFENSE (p. 3235)

MM. François Léotard, Alain Richard, ministre de la défense.

CONFLITS SOCIAUX À LA POSTE (p. 3236)

MM. Rudy Salles, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

ATTENTAT DE QUÉVERT (p. 3237)

MM. Jean Gaubert, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

PRIX DES CARBURANTS (p. 3238)

MM. Michel Lefait, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

AGRESSION CONTRE UN PARLEMENTAIRE (p. 3239)

M. Christian Bataille, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. le président.

TRAFIC DE MARCHANDISES DANS LES ALPES (p. 3240)

MM. Jean-Jacques Filleul, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transport et du logement.

ÉCONOMIE SOLIDAIRE (p. 3240)

M. Jean Pontier, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

PRÉSENCE DE TOTAL EN BIRMANIE (p. 3241)

Mme Marie-Hélène Aubert, M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

DÉCLARATION D'UN MEMBRE DU GOUVERNEMENT À LA PRESSE (p. 3242)

MM. Pierre Lequiller, Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel.

FUITES DANS L'AFFAIRE DUMAS (p. 3243)

M. Patrick Devedjian, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

DESSERTE DE STRASBOURG PAR LE TGV-EST (p. 3243)

MM. Bernard Schreiner, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

NAUFRAGE DE L' ERIKA (p. 3244)

M. Serge Poignant, Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Suspension et reprise de la séance (p. 3245)

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE-ANDRÉ WILTZER

2. N omination de députés en mission temporaire (p. 3245).

3. Nouvelles régulations économiques. Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (p. 3245).

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Eric Besson, rapporteur de la commission des finances.

M. André Vallini, rapporteur pour avis de la commission des lois.

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis de la commission de la production.

QUESTION PRÉALABLE (p. 3259)

Question préalable de M. José Rossi : MM. Alain Madelin, le rapporteur, le ministre, Philippe Auberger, François Goulard, Dominique Baert, Jean-Jacques Jégou, Yves Cochet, Christian Cuvillez. - Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion du projet de loi à la prochaine séance.

4. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 3273).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 25 AVRIL 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

N ous commençons par une question du groupe communiste.

CONFLIT SOCIAL À DASSAULT AVIATION

M. le président.

La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le ministre de la défense, depuis huit semaines, un conflit très important paralyse la quasi-totalité des établissements du groupe aéronautique Dassault Aviation.

L es salariés, dont certains gagnent moins de 6 500 francs nets par mois, réclament des augmentations significatives de leurs salaires, l'application de la loi sur la réduction du temps de travail accompagnée de créations d'emplois et la mise en place d'un système de préretraites.

Or la direction de Dassault Aviation refuse toute ouverture de négociations sérieuses.

Pourtant, la situation financière du groupe permettrait de répondre favorablement aux exigences des milliers de salariés concernés. En effet, les excellents résultats de l'exercice 1999, les dividendes de 295 millions que le principal actionnaire de l'entreprise va empocher demain et les placements financiers qui s'élèvent à 7,5 milliards de francs attestent que les revendications des personnels sont plus que réalistes.

Le blocage actuel est donc d'autant plus inadmissible.

Il illustre d'ailleurs une situation plus générale marquée par le développement des inégalités salariales, la multiplication des plans de licenciements et l'offensive politique actuelle du MEDEF.

Il nous apparaît que, face à cette situation, le Gouvernement ne peut rester spectateur.

En ce qui concerne Dassault Aviation, compte tenu de la place que l'Etat actionnaire occupe dans ce secteur, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous précisiez ce que vous comptez faire pour contribuer à la recherche d'une issue positive à ce conflit. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Alain Richard, ministre de la défense.

Madame la députée, comme vous le soulignez justement, le Gouvernement considère qu'il est concerné par ce conflit et s'efforce de rapprocher les différents points de vue.

Cela étant, la situation a quelque peu changé par rapport à celle que vous décrivez, puisque, aujourd'hui, l'Etat n'est plus actionnaire de Dassault. Il a transféré ses actions à Aérospatiale et maintenant à EADS. Toutefois, comme le ministère de la défense exerce sa tutelle sur ce secteur, il doit veiller à la qualité du dialogue social.

Il y a en effet un problème de rémunération chez Dassault, et c'est l'un des points principaux sur lesquels se développe le conflit. Parmi les salariés concernés, une fraction perçoit des bas salaires. C'est donc un des points sur lesquels nous demandons à l'entreprise de faire un effort, sachant que, en moyenne, le personnel industriel de chez Dassault touche des salaires élevés en raison de son haut niveau de qualification ; raison de plus pour consentir un effort en faveur des bas salaires.

Comme vous l'avez dit, les résultats de Dassault Aviation sont très bons. Du reste, ils ne proviennent pas principalement de la branche militaire, secteur dans lequel nous avons demandé à l'entreprise de réaliser des efforts de prix significatifs.

Vous avez également évoqué l'accord sur la réduction du temps de travail. Un accord a été passé chez Dassault en application de la première loi sur la réduction du temps de travail. Le problème consiste à ajuster cet accord aux dispositions de la deuxième loi. C'est un autre point sur lequel le ministère de la défense transmet des recommandations dans l'optique d'une réussite du dialogue social.

Je saisis d'ailleurs cette occasion pour souligner que, dans l'ensemble des entreprises dépendant du ministère de la défense, 100 000 salariés sont désormais concernés par des accords relatifs à la réduction du temps de travail, soit plus de la moitié des effectifs concernés, et que le bilan de ces accords en termes d'emplois préservés ou créés est supérieur à 5 000 emplois.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

NATURE DES DOCUMENTS REMIS A L'OCCASION DE LA JOURNÉE D'APPEL DE PRÉPARATION À LA DÉFENSE

M. le président.

La parole est à M. François Léotard.

M. François Léotard.

Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le Premier ministre, en vertu des responsabilités que lui confère l'article 21 de notre Constitution.

Les faits sont simples, et je les rappellerai brièvement.

Un jeune appelé à la Journée d'appel de préparation à la défense dans un régiment de l'armée de terre a exprimé récemment son étonnement quant à la nature des documents qui lui ont été remis à cette occasion. On y


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apprend - et je cite ce jeune garçon qui a le courage de signer sa protestation - comment avorter sans prévenir papa et maman, (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), comment occuper un logement sans payer son loyer (mêmes mouvements sur les mêmes bancs), comment faire la chasse au racisme - là, c'est très bien -, comment refuser de présenter ses papiers à un agent qui vous les demande, et j'en passe.

On y trouve aussi des opinions aussi intéressantes que celle-ci : « il faudrait supprimer le mariage pour que tous les couples soient égaux ». (« Oh ! » sur les mêmes bancs.)

Je tiens, monsieur le Premier ministre, ce document à votre disposition. Il est édité par le ministère de la jeunesse et des sports. (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Lucien Degauchy.

C'est scandaleux !

M. Charles Cova.

Le ministère est infiltré !

M. François Léotard.

Entre 1991 et aujourd'hui, pendant neuf années, sous l'autorité de deux Présidents de la République et sous la responsabilité de quatre gouvernements différents, notre pays a eu le courage d'envoyer en Croatie, en Bosnie, au Kosovo, plusieurs milliers de jeunes gens au nom d'une certaine conception des droits de la personne et non de leurs propres droits. Soixantedix de ces jeunes sont morts...

Un député du groupe socialiste.

Amalgame !

M. François Léotard.

... entre 500 et 600 sont revenus blessés de ce qui fut une guerre, marqués profondément et durablement dans leur chair.

Ma question est donc celle-ci : n'y a-t-il pas un décalage, voire une contradiction, entre cet engagement qui honore notre pays et la façon dont votre gouvernement s'adresse aux jeunes en les flattant plus qu'en les informant ?

M. Lucien Degauchy.

Oui !

M. François Léotard.

Deuxièmement, si les jeunes Français ont naturellement des droits - et, bien entendu, ceux qui sont issus de l'immigration comme les autres n'ont-ils pas aussi à entendre ce jour-là, qui sera peut-être le seul dans leur vie, qu'ils ont aussi des devoirs envers leur pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

E nfin, et plus précisément, monsieur le Premier ministre, puisque vous êtes, en vertu des fonctions que vous confère l'article 21 de la Constitution, responsable de la défense nationale, vous semble-t-il utile de continuer à diffuser ce jour-là un tel document dont on peut douter qu'il réponde à l'objectif fixé par la loi de préparation à la défense ? (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de la défense. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Un député du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

Quelle lâcheté ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Richard, ministre de la défense.

Monsieur le député, je crois que vous avez bien compris quel est l'objectif principal de la Journée d'appel de préparation à la défense. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Cette journée vise à informer et à sensibiliser les jeunes à leurs responsabilités de futurs citoyens en matière de défense. (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

Vous savez très bien, puisque nombreux sont les parlementaires qui ont fait l'effort de se rendre dans les centres de JAPD, que du bon travail y est fait.

Mme Odette Grzegrzulka.

Exact !

M. le ministre de la défense.

Je suis sûr, monsieur Léotard, que cela a aussi été votre cas et que vous avez pu constater que, lors de cette journée, les notions de devoir, de solidarité entre l'ensemble des Français et d'engagement pour une cause nationale sont très largement abordées. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Jean-Luc Préel.

Et le document en question !

M. le président.

Mes chers collègues, si vous posez des questions, essayez d'écouter les réponses qui leur sont faites. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le ministre de la défense.

Ceux qui avaient voté le principe du rendez-vous citoyen avaient bien prévu que les jeunes bénéficieraient d'initiations et de transmissions d'informations très éloignées des questions de défense.

Nous nous sommes concentrés, avec l'approbation de la majorité de l'Assemblée nationale, sur une journée de sensibilisation aux enjeux de défense, assortie d'une détection de l'illettrisme, question qui a d'ailleurs fait l'objet d'une unanimité. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Afin de mieux informer les jeunes, un certain nombre de documents leurs sont distribués. Celui que vous avez cité comporte, j'en conviens absolument, des mentions qui appellent des commentaires. Mais, naturellement, vous n'en avez extrait que des citations incomplètes. (Protestations sur les mêmes bancs.) Les jeunes sont en train de devenir majeurs quand ils lisent ces documents et ils savent « en prendre ou en laisser ». Du reste, il ne s'agit pas d'un message de l'Etat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe D émocratie libérale et Indépendants ; claquements de pupitres.)

M. Jean-Luc Préel.

Lamentable !

CONFLITS SOCIAUX À LA POSTE

M. le président.

La parole est à M. Rudy Salles.

M. Rudy Salles.

Monsieur le président, l'opposition nationale ne peut que regretter l'absence de réponse du Premier ministre et la non-réponse du ministre de la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 25 AVRIL 2000

d éfense nationale sur un sujet extrêmement grave.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, avec l'application de la loi sur la réduction du temps de travail, on assiste au développement d'un certain nombre de grèves dans les services publics. Je prends l'exemple de La Poste dont les activités ont été paralysées il y a quelques semaines à Toulouse, puis à Nice où ce conflit s'est prolongé, enlisé pendant près d'un mois et demi.

Les conséquences de ces grèves sont souvent dramatiques, non seulement pour les entreprises, mais aussi souvent pour les particuliers eux-mêmes. Il n'est évidemment pas question de remettre en cause le droit de grève, qui est un droit constitutionnel. Néanmoins, il convient d'apporter quelques éléments de protection des usagers.

Aussi, ma question est-elle double.

Ne croyez-vous pas, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'heure est venue d'instaurer un service minimum en cas de grève dans les services publics, et en particulier à La Poste, afin d'éviter que les usagers ne soient très régulièrement les otages de conflits sociaux durables ? C'était d'ailleurs le contenu d'une proposition de loi de l'opposition, débattue ici même l'an dernier, mais que la majorité plurielle avait refusée.

Deuxièmement, pouvez-vous nous assurer que le stock de lettres en souffrance, qui s'élève à plusieurs centaines de milliers à Nice, parviendra dans sa totalité et dans un délai raisonnable à ses destinataires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, la grève de Nice que vous évoquez a eu lieu dans le respect du préavis normal prévu par la loi. A la suite d'un recours en contentieux effectué par plusieurs membres locaux de professions libérales, le juge des référés a décidé que ce droit de grève devait s'exercer sous le contrôle du juge du tribunal de grande instance, lequel s'est d'ailleurs refusé à condamner La Poste à verser des astreintes, tout en lui rappelant les conditions d'exercice normal du droit de grève. La Poste a observé toutes les dispositions légales en la matière.

Vous m'interrogez sur le service minimum. A cet égard, je tiens à signaler que la médiation organisée par La Poste a permis d'aboutir sans doute tardivement, c'est vrai à une solution heureuse et positive.

(Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Cela dit, le Gouvernement n'a nullement l'intention de procéder, même par le biais d'un service minimum, à une limitation du droit de grève. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Le client ne veut pas d'un service minimum, comme vous l'avez dit, mais plutôt d'un service maximum.

(Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Il est attaché à la qualité du service public.

Si la négociation concernant l'aménagement-réduction du temps de travail à La Poste prend un certain nombre de semaines, c'est bien précisément parce que La Poste et le Gouvernement souhaitent que la qualité du service (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs), notamment la réduction du délai de transmission des objets postaux, puisse être au coeur de l'évolution du service public de La Poste, comme de l'ensemble des autres services publics.

Le métier de postier est difficile et il est impossible de remplacer un postier au pied levé. La qualification, le sens du terrain, le rapport à la clientèle de nos facteurs sont essentiels à la qualité du service public. (Exclamations sur les mêmes bancs.)

La vraie solution au problème que soulève votre question consiste en une prévention des conflits par la négociation et par le dialogue social. Il faut éviter que la négociation connaisse des blocages retardant la mise en oeuvre de l'aménagement-réduction du temps de travail.

Cette prévention des conflits, cette négociation et cette concertation doivent s'effectuer en plein accord avec la méthode qu'a choisie La Poste et que je rappelle : chaque postier est impliqué dans cinq réunions, interrogations ou participations pour mettre en oeuvre l'aménagementréduction du temps de travail. Cette méthode a déjà permis à 75 000 postiers de passer aujourd'hui aux 35 heures effectives.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Rudy Salles.

Blablabla !

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe socialiste.

ATTENTAT DE QUÉVERT

M. le président.

La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert.

Monsieur le ministre de l'intérieur, mercredi dernier, une jeune femme a trouvé la mort dans un attentat perpétré sur le territoire de la commune de Quévert, dans les Côtes-d'Armor. Celui-ci n'a pas été revendiqué, mais venant après d'autres concernant des bâtiments publics et après les vols d'explosifs de Plévin à l'automne dernier, de fortes présomptions pèsent sur des mouvements qui, pour n'être pas représentatifs de l'identité bretonne, n'en ont pas moins une activité certaine.

Si, dans une dictature, un poseur de bombes peut être considéré comme un résistant, en démocratie, c'est un terroriste.

Au nom du groupe socialiste, je vous demande, monsieur le ministre, de nous faire part des moyens que le Gouvernement entend mettre en oeuvre pour démanteler ces réseaux dont certains pensent, avec de bons arguments, qu'ils sont liés à d'autres groupes terroristes français ou européens.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et des groupes Radical, Citoyen et Vert, sur quelques bancs du groupe communiste et sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

Monsieur le député, dans la nuit du 18 au 19 avril, deux engins explosifs ont été déposés, l'un devant la poste centrale de Rennes, lequel a été désamorcé par les démineurs à sept heures quarante-cinq,...

M. Guy Teissier.

On le sait, c'est dans le communiqué !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 25 AVRIL 2000

M. le ministre de l'intérieur.

... l'autre devant la porte d'un établissement McDonald's de Quévert, ce dernier engin ayant provoqué la mort de Laurence Turbec, employée de l'établissement.

Les premières analyses effectuées par les services de la police judiciaire ont permis de constater que l'explosif utilisé à Quévert et à Rennes provenait probablement du stock dérobé à Plévin...

M. Guy Teissier.

Nous le savons, nous l'avons lu dans les journaux !

M. le ministre de l'intérieur.

... dont je vous rappelle que cinq tonnes ont d'ores et déjà été récupérées par la police au Pays Basque français. Le 28 septembre dernier, près de huit tonnes d'explosifs avaient été dérobées à Pl évin dans les Côtes-d'Armor.

M. Edouard Landrain.

Nous le savons ! Vous ne nous apprenez rien !

M. le ministre de l'intérieur.

L'enquête a montré que cette attaque avait été menée par un commando de l'ETA militaire secondé par des individus évoluant dans la mouvance de l'armée révolutionnaire bretonne.

(Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Edouard Landrain.

C'était dans le journal !

M. le président.

Mes chers collègues !

M. le ministre de l'intérieur.

Plusieurs tentatives d'attentats ont été commises depuis lors en utilisant ces explosifs. Trois ont eu lieu en France et ont été revendiquées par l'armée révolutionnaire bretonne : il s'agit des tentatives du 25 novembre 1999 contre les bureaux de l'ANPE à Saint-Herblain, du 29 novembre contre les bureaux de l'ANPE de Rennes et du 13 janvier de cette année contre la recette perception de Dol-de-Bretagne.

Enfin, deux tentatives ont été déjouées par la police espagnole qui a intercepté deux fourgonnettes piégées entre Saragosse et Madrid.

Depuis le 28 septembre dernier, seize personnes ont été interpellées - sept de l'ETA militaire, huit de l'ARB et neuf sont encore détenues.

M. Edouard Landrain.

Tout cela est dans le journal !

M. le ministre de l'intérieur.

Vous me demandez ce que le Gouvernement comptait faire. D'abord s'élever avec force contre ces pratiques inacceptables dans une démocratie.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Au nom d'une identité, d'une identité meurtrière, on s'arroge le droit de terroriser, voire de tuer. Il est d'ailleurs étonnant que tant d'attentats commis depuis un peu plus d'un an - dix-sept en 1999, sept en 2000 - n'aient pas fait plus de victimes. Ceux qui incriminent l'Etat prétendu jacobin, comme dans l'attentat de Belfort, doivent savoir qu'ils couvrent par avance ce genre de pratiques.

Le Gouvernement considère que la seule réponse qui doit être apportée à de tels actes réside dans la ferme détermination de tout mettre en oeuvre pour poursuivre et confondre les terroristes.

Pour cela, il entend conserver à la lutte policière et judiciaire contre le terrorisme, l'organisation efficace qui est la sienne, capable d'exploiter le renseignement et de réagir vite puisque, vous le savez, le renseignement est centralisé par la direction centrale des renseignements généraux qui définit, avec la police judiciaire et la division nationale anti-terroriste, les objectifs de procédure et les éléments de preuve permettant de neutraliser les activistes.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Ces moyens ont été accrus à ma demande. Cette organisation a déjà permis, en coopération permanente avec l'Espagne, d'opérer de nombreuses arrestations dans les rangs de l'ETA et en Bretagne même.

M. Jean-Luc Préel.

Et en Corse ?

M. le ministre de l'intérieur.

Je ne doute pas que cette action résolue permettra d'amener devant la justice les assassins de Laurence Turbec, quelle que soit leur bannière.

Je rappelle que l'ARB ne s'est pas dissociée de cet attentat. Le rédacteur en chef de l'hebdomadaire Breizh Info, actuellement sous contrôle judiciaire, a même déclaré qu'il se refuserait à condamner l'ARB s'il s'avérait que la responsabilité de cette structure fût en cause.

Je considère que cette structure doit prendre ses responsabilités, comme tous les démocrates, comme tous les républicains, comme tous ceux qui pensent que l'identité républicaine française mérite d'être défendue. Ce qui est en cause, c'est en effet l'Etat républicain, celui de tous les citoyens qui, quelle que soit leur origine, qu'ils soient bretons, basques, francs-comtois ou picards...

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Ou corses !

M. le ministre de l'intérieur.

... se déclarent tout simplement des citoyens français.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

PRIX DES CARBURANTS

M. le président.

La parole est à M. Michel Lefait.

M. Michel Lefait.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le ministre, depuis un certain nombre de mois, les responsables de l'OPEP ont décidé d'augmenter très sensiblement le prix du baril de pétrole, qui est monté jusqu'à 30 dollars. Cette décision est l'une des causes de la flambée du prix des carburants à la pompe, qui ont connu des sommets inégalés (« Et les taxes ? » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Or, chacun le sait, ce poste de dépenses pèse considérablement dans le budget des Français les plus modestes, et notamment de ceux qui empruntent quotidiennement leur véhicule personnel pour leurs trajets domicile travail.

Nous le savons, monsieur le ministre, vous êtes de ceux qui estiment que la fiscalité ne doit pas être une entrave à la forte croissance économique que notre pays connaît fort heureusement aujourd'hui. Nous souhaiterions connaître vos orientations en la matière et savoir quelle suite vous comptez donner à la rencontre que vous avez eue mercredi dernier avec les pétroliers.

(Applaudisse-


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ments sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, les pétroliers ont été rapides à répercuter les hausses du prix du pétrole brut lorsqu'elles se sont produites ; le Gouvernement considère qu'ils doivent répercuter avec la même rapidité les baisses lorsqu'elles se produisent.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. -

« Et les taxes ? » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Vous l'avez souligné, les prix à la pompe ont augmenté considérablement. Cette hausse est liée essentiellement à l'évolution des prix du pétrole brut.

(« Et aux taxes ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Certes, les taxes sur l'essence sont élevées (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), mais, honnêtement, on ne peut attribuer l'élévation du prix des produits à la pompe à ces taxes.

En effet, depuis deux ans, ces taxes, exprimées en francs par litre, n'ont pas augmenté sauf pour le gazole.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

C'est la réalité.

L'OPEP a décidé, à la fin du mois de mars, de baisser le prix du baril de pétrole, qui passe de 34 dollars à 24 dollars. Il est évident que cette baisse doit être respectée, d'autant que la décision prise par le Gouvernement de baisser la TVA d'un point au 1er avril doit se traduire par une baisse de six centimes à la pompe pour l'essence et de quatre centimes pour le gazole.

J'ai invité - le mot est neutre - au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, avec Mme Lebranchu et M. Pierret, les pétroliers et les grands distributeurs le 19 avril afin de procéder à un échange de vues sur le sujet. Je leur ai indiqué qu'il restait des marges de baisse et, comme il faut toujours vérifier sur le terrain ce qui est dit, j'ai demandé dès le lendemain à deux cents contrôleurs de la direction compétente de faire des relevés de prix et de les publier.

M. Patrick Devedjian.

Faites le plein, c'est plus facile ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Cette opération sera reconduite cette semaine.

Par ailleurs, la commission des finances a saisi le Conseil de la concurrence d'une demande de rapport sur ce point. Ce rapport sera rendu public. Il est clair pour le Gouvernement qu'il reste des marges à la baisse et que ces marges doivent être mises à profit rapidement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Claude Billard.

Très bien ! AGRESSION CONTRE UN PARLEMENTAIRE

M. le président.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille.

Madame la ministre de la justice, au nom du groupe socialiste dans son ensemble (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance), je tiens à exprimer notre entière solidarité avec notre collègue Vincent Peillon (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe communiste, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du g roupe Démocratie libérale et Indépendants), victime, samedi dernier, lors d'une manifestation publique, d'une sauvage agression de la part de quelques dizaines d'individus qui se disent chasseurs.

M. Charles Cova.

Des amis de Gremetz !

M. Christian Bataille.

Dans ce contexte, je veux rappeler le caractère positif de la loi sur la chasse, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale. Cette loi de tolérance et d'équilibre (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République) définit les droits et devoirs des chasseurs et non-chasseurs. Elle comporte des acquis pour les chasseurs, notamment la légalisation de la chasse de nuit et l'autorisation de la chasse à la passée parmi d'autres avancées favorables au monde de la chasse.

Le groupe socialiste condamne sans réserve un tel comportement agressif et violent qui porte gravement atteinte aux principes qui cimentent la République. On peut manifester ses désaccords mais les débordements de ces derniers jours font suite à toute une série d'événements dont ont été victimes non seulement les élus et les forces de l'ordre mais aussi des journalistes, des touristes, des membres d'associations ou de simples citoyens.

Ces faits sont inacceptables. Madame la ministre, pouvez-vous informer la représentation nationale des mesures que le Gouvernement entend prendre pour éviter que ne se renouvellent de tels actes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Ce n'est pas Mme Voynet qui répond ?

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le député, l'agression commise samedi contre Vincent Peillon, député de la Somme, est intolérable et indigne d'une démocratie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe communiste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) La violence était telle qu'elle n'a pu être contenue que par le sang-froid et le professionnalisme des gendarmes - cinq d'entre eux ont été blessés ainsi qu'un maire UDF. Elle n'avait pour seul objet que de porter atteinte physiquement à un représentant de la nation.

Ces actes, qui ne laissent aucune place ni au dialogue et au débat ni au respect des valeurs essentielles de notre République, ont été condamnés dès dimanche par le Premier ministre. Le Gouvernement réaffirme aujourd'hui solennellement la condamnation de telles agressions.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 25 AVRIL 2000

La justice a été saisie immédiatement et le procureur de la République d'Abbeville a fait procéder sur-le-champ à une enquête de flagrant délit confiée à la brigade des recherches d'Abbeville. Cette enquête a permis de recueillir des témoignages et de rechercher sur des films vidéo des images qui, espérons-le, permettront d'identifier les personnes ayant participé à ces actes de violence.

Selon les informations qui m'ont été adressées par le procureur général d'Amiens, ces recherches devraient conduire le procureur de la République d'Abbeville à ouvrir très rapidement une information judiciaire et, donc, à saisir un juge d'instruction.

L'expression exclusivement violente de certains groupes contre l'Etat et ses représentants se verra opposer - j'en prends l'engagement devant l'Assemblée nationale - une égale fermeté dans la réponse des autorités de l'Etat.

Dans une démocratie, toutes les opinions peuvent être exprimées, de multiples formes d'expression, y compris des manifestations spectaculaires, sont admises, mais la destruction des biens d'autrui et, plus encore, les violences contre les personnes ne sont pas admissibles et ne seront pas admises.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Les instructions que j'ai adressées dès août 1997 à l'ensemble des parquets de France sous forme de directives générales sont très claires. Elles seront renouvelées si nécessaire. Chaque fois que de tels actes se produiront, la justice sera saisie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe communiste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Mes chers collègues, permettez-moi d'associer à cette condamnation, que j'espère unanime, la présidence de l'Assemblée nationale.

TRAFIC DE MARCHANDISES DANS LES ALPES

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.

M. Jean-Jacques Filleul.

Monsieur le ministre de l'équipement, des transports et du logement, le Conseil supérieur du service public ferroviaire, que j'ai l'honneur de présider, prépare un avis sur le fret ferroviaire français dans l'espace européen. Il ne pouvait qu'être sensible aux difficultés de circulation dans l'arc alpin, devenu l'un des points noirs du transport de marchandises du fait de l'extrême densité du trafic des poids lourds sur les routes alpines, comme sur celles, plus en amont, du Lyonnais et de la vallée du Rhône.

Le tunnel de Fréjus a été emprunté, ces douze derniers mois, par plus de 1,5 million de camions. Lors de notre récent déplacement à Chambéry, en présence de M. le ministre Besson, les élus régionaux nous ont confirmé la gravité de la situation, accentuée par la fermeture du tunnel du Mont-Blanc. Le franchissement des Alpes pose le problème de la régulation des modes de transport dans ces régions sensibles.

La sécurité et la qualité de vie dans les vallées, l'environnement, le niveau des nuisances imposent des mesures urgentes. L'opinion les attend. Le transport combiné, le transport des poids lourds sur les trains, la route roulante, ne sont pas des procédés utopiques. Ils demandent une volonté politique, des moyens considérables, à l'échelle de l'Europe. La perspective du Lyon-Turin fait naître un réel espoir au terme de quinze années.

Monsieur le ministre, afin de répondre aux difficultés actuelles, comment envisagez-vous d'aborder ces problèmes d'ici 2015, en particulier lors de la présidence française de la Communauté européenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Marie-Hélène Aubert.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le député, permettezmoi de vous dire tout d'abord que j'attends avec beaucoup d'intérêt le résultat du travail du Conseil supérieur du service public ferroviaire, notamment sur le trafic de marchandises à l'échelle européenne.

S'agissant des traversées alpines, qui sont particulièrement difficiles, comme le sont les traversées pyrénéennes, la détermination du Gouvernement est totale en ce qui concerne la réalisation de la liaison Lyon-Turin.

Nous la ferons, en partenariat, bien sûr, avec l'Italie et selon les engagements européens. Je le répète, après la terrible catastrophe du Mont Blanc, il est hors de question que la réouverture du tunnel aux poids lourds soit permise si de nouvelles mesures de sécurité, mais également de régulation, ne sont pas prises.

Pour réaliser le Lyon-Turin, il ne faut pas perdre de temps. Le précédent sommet franco-italien a décidé de prendre des mesures non seulement en ce qui concerne les études, mais également pour la réalisation, qui devront être concrétisées à l'automne prochain.

Une réunion d'étape est prévue le 15 mai à Modane pour avancer. J'espère que la situation que connaît l'Italie actuellement ne retardera pas cette réunion. Les premiers crédits pour les galeries de reconnaissance seront débloqués pour l'année prochaine.

Le projet porte sur une ouverture au trafic voyageur, au trafic marchandises et à ce que vous avez appelé

« l'autoroute roulante », c'est-à-dire au ferroutage. Le gabarit doit permettre de faire passer les camions dans cette zone sensible sur les trains.

Sans attendre 2012-2015, le Gouvernement a d'ores et déjà pris des dispositions pour renforcer le trafic sur les lignes historiques - la ligne Modane pourrait voir son trafic doubler d'ici dix ans -, rouvrir ou mieux utiliser c ertaines lignes existantes, je pense aux lignes des Carpates ou du Tonkin.

Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, un conseil des ministres des transports sera consacré au mémorandum que nous avons déposé.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe Radical, Citoyen et Vert.

ÉCONOMIE SOLIDAIRE

M. le président.

La parole est à M. Jean Pontier.

M. Jean Pontier.

Je pensais poser cette question au secrétaire d'Etat à l'économie solidaire, mais, dans ma précipitation, j'ai dû faire une mauvaise lecture de ses attributions, et je m'adresserai donc plutôt à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je me félicite, au nom du monde des entreprises d'insertion, des associations intermédiaires, ainsi que des entreprises de travail temporaire d'insertion, de la création


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d'un secrétariat d'Etat à l'économie solidaire et de la nomination à ce nouveau poste d'un homme de terrain, qui a eu à connaître de ce secteur, que je situe entre l'Etat, le secteur public, les services publics et le secteur privé des entreprises et qui, depuis quinze ans, s'est développé pour agir au bénéfice des laissés pour compte sous différentes formes juridiques et fiscales.

La loi de juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions a, dans son article 11-4, mentionné l'existence, en ce domaine de « l'intermédiaire », d'un secteur mixte.

Le décret qui devait en définir les modalités d'application tarde à venir, laissant dans l'inconfort et la fragilité toutes ces associations supports.

Voulant lire dans la désignation de ce nouveau département ministériel un signe fort de l'engagement solidaire de l'Etat, je souhaiterais, madame la ministre, savoir si le Gouvernement pense devoir consulter en la matière les a ssociations concernées et publier prochainement ce décret relatif au secteur mixte, dont les grandes lignesr estent toujours inconnues des acteurs du terrain.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, la question que vous me posez est, pour moi, l'occasion de me réjouir, avec vous, de la nomination d'un secrétaire d'Etat à l'économie solidaire.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.- Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) C'est aussi, pour moi, l'occasion de vous redire tout l'attachement du Gouvernement à l'insertion par l'économique. Ayant eu l'occasion, avant d'être ministre, de créer certaines entreprises d'insertion par l'économique, je suis très attachée, comme Guy Hascoët, à ce secteur.

La loi de lutte contre l'exclusion a d'ailleurs reconnu à part entière ce secteur de l'insertion par l'économique, qui, je le rappelle, vise à donner une activité à des personnes éloignées de l'emploi ayant, par ailleurs, des difficultés en termes de logement, de santé ou autre.

L a loi de lutte contre les exclusions distinguait deux catégories d'associations : celles qui ont une vocation essentiellement sociale et celles qui ont une vocation économique - c'est le secteur des entreprises d'insertion, des régies de quartier et des associations intermédiaires.

Mais cette loi prévoyait aussi que certaines structures aient des activités mixtes, c'est-à-dire à la fois commerciales et sociales.

Le décret qui vous inquiète et qui vient d'être signé a donné lieu à une grande concertation avec, je vous rassure, les organisations et le Conseil national de l'insertion par l'économique. En effet, il n'était pas facile d'élaborer des règles qui, à la fois, permettent la transparence des activités, évitent la concurrence au secteur privé et autorisent des associations à exercer des activités commerciales.

Nous avons donc deux cas de figure.

Dans le cas où les structures dont il s'agit ont, comme les régies de quartier, par exemple, une vocation essentiellement commerciale, elles ne pourront plus recourir aux contrats emploi-solidarité ou aux CEC pour assurer cette vocation, mais elles pourront, dans le cadre d'une comptabilité propre, conventionner avec l'Etat si elles ont une activité sociale et recourir alors à ces contrats. En revanche, les structures sociales qui ont une faible activité commerciale, au-dessous de 20 ou 30 % de leurs ressources, pourront quant à elles continuer de bénéficier de ces contrats aidés par l'Etat.

Cette solution permet à la fois d'assurer la mixité des activités, de ne pas faire concurrence au privé et d'assurer la pérennité des structures, ce qui est votre souci comme celui du Gouvernement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

PRÉSENCE DE TOTAL EN BIRMANIE

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Monsieur le président, ma question, à laquelle s'associe Pierre Brana, s'adresse à Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, mais elle pourrait s'adresser aussi bien au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Elle concerne l'investissement de l'entreprise Total en Birmanie.

En 1994, l'Etat français apportait un soutien décisif, via la COFACE, au projet de gazoduc Yadana de Total, qui traverse aujourd'hui la Birmanie sur une soixantaine de kilomètres, pour acheminer du gaz d'un gisement offshore dans le golfe de Martaban à une centrale thaïlandaise près de Bangkok.

Or la Birmanie est sous le joug d'une junte militaire brutale et corrompue, qui a écrasé dans le sang il y aura bientôt dix ans la démocratie naissante à la suite des élections remportées par le parti de Mme Aung San Sou Kyi, prix Nobel de la paix. Ce régime vient d'être à nouveau très sévèrement condamné par les Nations unies, notamment pour son recours massif au travail forcé et ses multiples violations des droits de l'homme, accablant toujours une population réduite à la peur et à une extrême pauvreté.

Comme l'a montré la mission d'information que nous avons conduite pour la commission des affaires étrangères l'an passé et comme l'a confirmé un reportage diffusé le 11 avril dernier par Canal Plus, l'armée birmane a saisi l'occasion de ce chantier pour se livrer dans la région à un véritable nettoyage ethnique, déportant des milliers de villageois avec une extrême violence vers des camps de réfugiés où s'ils s'entassent aujourd'hui, et utilisant le travail forcé pour le bénéfice indirect de l'entreprise Total au moins dans la phase préliminaire du chantier.

Par ailleurs, Total a déjà versé quelques millions de dollars...

M. François Goulard.

Ce sont des amis de Jospin !

Mme Marie-Hélène Aubert.

... à une junte connue pour vivre du narcotrafic et qui trouve là non seulement les moyens militaires pour renforcer son oppression, mais aussi une reconnaissance inespérée dont elle fait grand cas à l'étranger.

Voilà donc le bilan désastreux de l'investissement de Total en Birmanie, le plus important dans ce pays pourtant vivement déconseillé aux entrepreneurs du monde entier, et dont le sinistre éventuel serait de plus assumé par le contribuable français ! L'entreprise Total nous ferait-elle alors payer sa coopération avec une dictature, comme elle tente de le faire pour les conséquences de la marée noire en Bretagne ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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Confronté au même problème avec le gazoduc Yetagun construit par l'entreprise Premier Oil, le gouvernement Britannique vient au moins d'afficher sa colère en demandant à cette entreprise de se retirer de Birmanie.

(Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Rudy Salles.

C'est trop long, monsieur le président !

M. le président.

Madame Aubert, veuillez conclure, s'il vous plaît.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Je conclus, monsieur le président.

Monsieur le ministre, que comptez-vous faire face à cette situation,...

M. Francis Delattre.

Rien !

Mme Marie-Hélène Aubert.

... compte tenu du fait que la politique de dialogue constructif prônée jusqu'ici par la France n'a donné aucun résultat ? Quelles initiatives allez-vous prendre pour que les pouvoirs publics et l'industrie pétrolière se préoccupent réellement de transparence - aujourd'hui encore, les parlementaires que nous sommes n'ont même pas accès à la liste des projets soutenus par la COFACE -, des droits de l'homme et de l'environnement, à l'égard d'investissements dont l'impact est énorme et qui suscitent trop souvent de légitimes contestations, en Asie comme en Afrique ? L'heure est à la régulation économique, dit-on. Il s'agit là d'un domaine concret et éminemment stratégique où elle doit s'exercer de toute urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Cochet.

Très bien !

M. le président.

Avant de donner la parole à M. le ministre des affaires étrangères, je voudrais vous rappeler, mes chers collègues, qu'il serait souhaitable que les questions soient brèves, ce qui donnerait un peu plus d'allant à cette séance. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Madame la députée, si vous le voulez bien, je concentrerai ma brève réponse sur la Birmanie.

Dans ce pays, la situation est tout à fait déplorable et cela fait plusieurs années que le régime au pouvoir a été condamné et sanctionné. Les Quinze ont d'ailleurs, il y a quelques jours, confirmé les sanctions lors d'un Conseil

« affaires générales » et précisé les mesures à prendre à l'encontre des responsables de ce régime. De plus en plus, nous nous attachons à ce que les sanctions n'aient pas de répercussion sur la population. Ainsi, les titulaires des différents postes de responsabilité voient, s'ils en ont, leurs avoirs gelés ; d'autres mesures concernent l'interdiction de visas ou le renforcement de l'interdiction de toute exportation de matériel servant à la répression.

Telle est la réalité de notre politique à l'égard de la Birmanie.

La question que vous avez posée porte sur un investissement réalisé en Birmanie. Je voudrais tout d'abord vous rappeler que, dans ce pays, notre part de marché est infime - 0,5 % - et que, par conséquent, ce n'est pas ce que la France y fait ou n'y fait pas qui y change grandchose.

Le Royaume-Uni, auquel vous avez fait allusion, et les

Etats-Unis ont effectué plus d'investissements que la France en Birmanie : la différence est considérable et s'explique par des raisons historiques.

Depuis très longtemps, la Birmanie est un pays fermé sur lui-même, en proie à de longues guerres civiles entre le centre et les périphéries. Tous les pays européens considèrent qu'il est peu sensible aux actions qu'ils peuvent entreprendre, car il ne vit pas de l'aide extérieure, dont l'apport à son économie est marginal. Aucune action de ce genre, j'en conviens, n'a réussi à dévier le cours d'un régime qui, j'en suis pleinement d'accord, mène une politique détestable.

On ne peut cependant caractériser la présence de Total comme vous le faites, et je ne reprendrai donc pas les mêmes termes que vous avez employés. Nous sommes malgré tout sensibles au fait que des entreprises occidentales, françaises ou autres, puissent apporter une contribution concrète, une amélioration, au mode de vie des Birmans. C'est dans ce sens qu'il y a quelques jours j'ai écrit au PDG de Total, M. Desmarret, pour lui demander de faire évoluer les conditions d'insertion de son entreprise dans ce pays.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

En même temps que nous conduisons une politique de condamnation et de sanctions, nous restons très attentifs à la réalité de la situation du peuple birman.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons à une question du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

DE CLARATION D'UN MEMBRE DU GOUVERNEMENT À LA PRESSE

M. le président.

La parole est à M. Pierre Lequiller.

M. Pierre Lequiller.

Monsieur le Premier ministre, un nouveau ministre de votre gouvernement, M. Mélenchon, a fait une déclaration, reprise par l'AFP, le 17 avril dernier, à propos de la réception du Président russe par Tony Blair : « Je trouve assez consternant ce pétaradant Tony Blair, monté sur un ressort. [...] Ce pauvre Blair est lamentable d'un bout à l'autre ! C'est du socialisme domestiqué. [...] Domestiqué par le fric. »

(Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. François Goulard.

Voilà qui est distingué !

M. Pierre Lequiller.

Monsieur le Premier ministre, que pensez-vous des déclarations de M. Mélenchon, nommé ministre de la République par vos soins, qualifiant ainsi un Premier ministre étranger d'un pays ami de l'Union européenne, et comment comptez-vous les gérer sur le plan diplomatique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué à l'enseignement professionnel.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mes chers collègues, ne soyez pas aussi pétaradants, s'il vous plaît ! (Sourires.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 25 AVRIL 2000

Vous avez la parole, monsieur le ministre.

M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel.

Croyez, monsieur le député, que votre compassion pour le Premier ministre travailliste de Grande-Bretagne me touche beaucoup. (Sourires.) Je vous rassurerai donc, s'il en était besoin : mon libre commentaire politique n'avait pas de signification gouvernementale. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. François Goulard.

Vous êtes un irresponsable ! M. le ministre délégué à l'enseignement professionnel.

Je vous propose, dans ces conditions, d'en rester à ce qui peut être utile à cette heure. Ainsi, restons-en là ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste. Exclamations et huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean Ueberschlag.

Ridicule !

M. le président.

Mes chers collègues, je vous en prie ! Vous ne souhaitez pas, je suppose, que nous escamotions les questions du groupe RPR. (Sourires.)

Nous en venons donc aux questions du groupe du Rassemblement pour la République.

FUITES DANS L'AFFAIRE DUMAS

M. le président.

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian.

Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Madame la garde des sceaux, il y a quelques semaines, M. Roland Dumas était renvoyé en correctionnelle et, à cette occasion, des actes de procédure couverts par le secret de l'instruction étaient publiés dans la presse.

Le procureur de la République de Paris a été amené à fournir des explications sur les fuites qui avaient pu avoir lieu et sa lettre a été également publiée dans la presse.

Mais quelle surprise n'a-t-on pas eue de découvrir, à la faveur de cette lettre et de ces explications, que le procureur de la République de Paris avait adressé à la chancellerie une copie du projet de réquisitoire de renvoi, avant donc qu'il ne soit signé.

Pourtant, madame, vous ne cessez de proclamer depuis trois ans urbi et orbi que votre gouvernement ne donne pas d'instructions individuelles dans les dossiers. Pourquoi alors vous faites-vous adresser les actes principaux de procédure dans les affaires à caractère politique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le député, il y a eu en effet une parution dans la presse du réquisitoire concernant M. Roland Dumas.

M. François Goulard.

Un de vos amis !

Mme la garde des sceaux.

Ce réquisitoire a été publié, je le souligne, le jour même où je défendais ici en deuxième lecture le projet de loi relatif à la présomption d'innocence. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Guy Teissier.

Circonstance aggravante !

Mme la garde des sceaux.

J'ai estimé que cette fuite était, eu égard au secret de l'instruction, inadmissible. J'ai diligenté une enquête de l'inspection générale des services judiciaires pour déterminer son origine.

M. Jean Ueberschlag.

Et alors ?

Mme la garde des sceaux.

S'agissant du réquisitoire supplétif, j'ai vérifié, car je tenais à en avoir le coeur ne t, l'éventuelle responsabilité de personnes à la chancellerie.

Je puis vous dire que ce réquisitoire est arrivé à la chancellerie en même temps que le journal Le Monde le publiait en avant-première.

Telle est la réponse que je peux vous apporter. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Par conséquent, il n'y a aucune dérogation, et là encore moins que jamais, à la ligne tenue par le Gouvernement, qui n'est en aucun cas de donner des instructions au parquet dans une quelconque affaire que ce soit.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

DESSERTE DE STRASBOURG PAR LE TGV-EST

M. le président.

La parole est à M. Bernard Schreiner.

M. Bernard Schreiner.

Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, Strasbourg, siège du Parlement européen et du Conseil de l'Europe, est de plus en plus menacée. La grogne des parlementaires européens à l'encontre de Strasbourg ne cesse de grandir. Lors de sa récente visite à Paris, Mme Nicole Fontaine, présidente du Parlement européen, vous en a certainement fait part.

Je n'évoquerai pas ici les griefs de certains parlementaires à l'encontre du bâtiment lui-même car il y a beaucoup plus grave : je veux parler des griefs, de plus en plus nombreux et persistants, liés à l'accessibilité de Strasbourg.

Il est clair que l'aéroport de Strasbourg-Entzheim ne peut rivaliser avec celui de Bruxelles ou d'une autre capitale européenne, même si la chambre de commerce du Bas-Rhin a fait de gros efforts pour améliorer la desserte aérienne de Strasbourg. Mais il manque toujours le TGV, artère vitale pour relier Strasbourg aux aéroports internationaux de Paris. Or nous constatons que l'Etat français ne fait rien pour accélérer la réalisation de ce TGV.

M. Didier Boulaud.

Remontez donc le Rhin à la nage !

M. Bernard Schreiner.

Monsieur le Premier ministre, votre gouvernement a-t-il vraiment la volonté politique d'ancrer définitivement le Parlement européen à Strasbourg et d'y maintenir le Conseil de l'Europe ? Je me permets d'en douter.

Le temps presse : le mécontentement des parlementaires européens gagne même les rangs des députés français.

A partir du mois de juillet, la France envisage une ambitieuse présidence de l'Union européenne. Pouvonsnous en attendre non plus de nouvelles promesses, mais enfin la réalisation des engagements concernant le TGV est-européen ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et indépendants.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 25 AVRIL 2000

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le député, en ce qui c oncerne le dossier aérien, Mme Fontaine, comme d'autres parlementaires, nous a alertés. Nous sommes intervenus, notamment auprès d'Air France, pour voir comment la desserte de Strasbourg peut être la plus efficace possible, y compris pour ce qui concerne le Parlement européen.

Quant au dossier du TGV est-européen, un protocole d'accord a été signé le 29 janvier 1999, sur la base d'une augmentation de la participation de l'Etat, qui est passée de 3,5 milliards à 8 milliards de francs. Ce protocole, passé entre l'Etat, les collectivités locales et régionales, RFF et la SNCF, porte sur la réalisation de trois cents kilomètres de lignes nouvelles entre la région Ile-deFrance et la Lorraine via Strasbourg.

Vous vous êtes interrogé sur les délais de réalisation.

Je puis vous informer qu'une convention de financement, établie il y a quelques jours, doit être soumise à la délibération des collectivités locales. Elle sera signée dans le courant du mois de mai, c'est-à-dire dans quelques semaines.

Les études d'avant-projet des travaux ont démarré à la mi-1999.

Les travaux de première étape et les premiers sondages ont été réalisés en février 2000.

Quant aux travaux de génie civil, ils commenceront au mois de juin 2001. Si je suis encore là (« Non ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - « Si ! » sur les bancs du groupe socialiste), j'espère pouvoir vous inviter à poser la première pierre.

(Sourires.)

En revanche, je ne serai peut-être pas là pour la mise en service, qui interviendra en 2006.

(Sourires.)

Quoi qu'il en soit, monsieur le député, le dossier était bloqué quand ce gouvernement a été nommé. Grâce à la mobilisation de celui-ci, et en particulier de ses membres alsaciens et lorrains, ainsi que des responsables régionaux, le projet est non seulement lancé, mais il se réalisera.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

Merci pour ces précisions, monsieur Gayssot. J'espère que vous serez présent demain pour répondre aux questions d'actualité.

(Sourires.)

NAUFRAGE DE L' ERIKA

M. le président.

La parole est à M. Serge Poignant.

M. Serge Poignant.

Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Madame la ministre, cela fait quatre mois que la catastrophe de l' Erika s'est produite au large des côtes de l'Atlantique. Nous vous avons interpellée à plusieurs reprises, François Fillon, moi-même et d'autres collègues des départements concernés par la marée noire. Au-delà des réponses que vous vous êtes efforcée d'apporter à des questions techniques, vous nous avez fait beaucoup de promesses.

Aujourd'hui, je voudrais vous interroger sur trois points.

Premièrement, les indemnisations sont très loin d'être à la hauteur des attentes et des besoins. Elles sont toujours minimes. Qu'en est-il exactement ? Deuxièmement, sur les moyens aussi, beaucoup de promesses ont été faites. Je me suis personnellement rendu sur les côtes de Loire-Atlantique ce week-end pascal, et j'ai pu mesurer combien ces moyens étaient très faibles au regard des besoins, qui sont considérables. Qu'en est-il exactement ? Troisièmement, de nouvelles plaquettes de produit frais sont venues souiller les côtes de l'Atlantique au cours du week-end. S'agit-il de fuites ou de produits de dégazage ? L es populations et les professionnels concernés s'efforcent de demeurer sereins. Les collectivités locales, les communes, les régions, les départements font tous de gros efforts.

C'est au nom de ces populations et de ces collectivités, qui ont vraiment le sentiment d'être oubliées, que je vous interroge, madame la ministre : que faites-vous, que fait le Gouvernement, que fait l'Etat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Monsieur le député, vous pouvez reconnaître que je n'ai jamais cherché à cacher la réalité.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Face à ceux qui nous sommaient d'annoncer que les plages seraient propres et que l'essentiel des problèmes était derrière nous, j'ai toujours dit qu'il nous faudrait gérer dans la durée les arrivées échelonnées de produits pétroliers au gré des vents et des marées.

Le dernier week-end, de La Baule à Groix, en passant par Belle-Ile, de nouvelles arrivées d'hydrocarbures ont été constatées. Des prélèvements ont été effectués ; ils sont en cours d'analyse.

Il s'agit de répondre à la question que chacun se pose : s'agit-il de déballastages sauvages ou bien de déchets qui proviennent de l' Erika ? Il est indispensable de répondre à cette question.

D'après la préfecture maritime, il ne semble pas que l'on puisse attribuer ces nouvelles arrivées de produits polluants à des suintements de l'épave de l' Erika. En effet, celle-ci fait l'objet d'une surveillance quotidienne et l'on n'a pas constaté de fuite. Il est probable que ces nouvelles arrivées correspondent au redépôt de plaques arrachées de rochers non encore nettoyés par les vents violents et la mer agitée par les fortes marées de ce week-end pascal.

Le plan Polmar est en vigueur. Les agents mobilisés, civils et militaires, sont toujours aussi nombreux. Ilss eront maintenus autant que nécessaire - plus de 2 000 personnes sont actuellement mobilisées. Je vous rappelle que le CIADT du 28 février dernier a porté le montant total des crédits affectés au plan Polmar à 560 millions de francs pour ce qui concerne la part de


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l'Etat et a fait prendre en charge par ce fonds l'équivalent de 900 contrats à durée déterminée, que nous prolongerons éventuellement si les besoins en termes de nettoyage perdurent.

S'agissant de l'accès aux plages, le maire de La Baule a décidé d'interdire à nouveau l'accès à la plage qui avait été réouverte et il a bien fait. Il applique les décisions qui ont été arrêtées à la suite d'une concertation interministérielle. Il s'agit en effet d'apporter et de diffuser une information transparente sur la propreté des plages, de préciser si elles ont été touchées ou non, de demander à la DDASS d'attester de leur propreté et du caractère approfondi du nettoyage.

Il est donc évident que l'accès aux plages, à La Baule comme ailleurs, sera à nouveau possible sans restriction dès que les opérations de nettoyage en cours auront été terminées. Mais je veux bien convenir avec vous - j'étais en Bretagne ces jours derniers - que je n'ai pas vu beaucoup d'agents au cours de ce week-end pascal. Cela dit, ils ont droit, comme vous et moi, à un minimum de repos.

S'agissant des indemnisations, j'ai rencontré, il y a quelques jours, M. Jacobsson du FIPOL. Il m'a confirmé son intention d'accélérer le traitement des dossiers en précisant que très peu avaient été envoyés au FIPOL en janvier et en février et que celui-ci avait été confronté à un afflux massif depuis le début du mois de mars. Les premières indemnisations devraient donc s'accélérer.

Quant aux opérations préalables au pompage du fioul, elles se poursuivent sous la responsabilité de JeanClaude Gayssot. Vous en connaissez la complexité. Nous avons l'intention de commencer le pompage proprement dit au mois de juin pour utiliser les meilleurs créneaux météorologiques.

La réhabilitation des sites de stockage intermédiaire de déchets se poursuit et devrait se terminer bientôt. Actuellement, près de 200 000 tonnes de déchets pollués collectés sont stockés sur plusieurs sites de Donges. J'ai, par ailleurs, demandé aux préfets de procéder à l'inventaire des sites de déchets hérités du passé, de la marée noire de l' Amoco-Cadiz et du Tanio.

Il y en avait dans l'estuaire de la Seine, à La Rochelle. Nous souhaitons profiter des opérations en cours pour apurer ces sites, dont certains sont dans des endroits extrêmement fragiles du point de vue environnemental et concernant la ressource en eau.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Pierre-André Wiltzer.)

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE-ANDRÉ WILTZER,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

2

NOMINATION DE DÉPUTÉS EN MISSION TEMPORAIRE

M. le président.

J'ai reçu de M. le Premier ministre des lettres m'informant qu'il avait chargé M. Yves Cochet et M. Bernard Derosier de missions temporaires dans le cadre des dispositions de l'article L.O. 144 du code électoral.

Les décrets correspondants ont été publiés au Journal officiel des 11 et 14 avril 2000.

3

NOUVELLES RÉGULATIONS ÉCONOMIQUES Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques (nos 2250, 2327).

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés - le pluriel est de mise ! (Sourires) -, c'est la première fois depuis ma prise de fonction que j'ai l'honneur de présenter, au nom du Gouvernement, un projet de loi devant votre assemblée. Je le fais avec beaucoup de plaisir, compte tenu à la fois de l'estime que j'ai pour chacun de ses membres, du respect que j'éprouve pour cette institution au coeur de la démocratie et de la nature du texte que nous allons examiner, la loi sur les nouvelles régulations économiques.

Cette réforme, pour l'examen de laquelle je remercie particulièrement M. Besson, le rapporteur, et les députés qui y ont travaillé, en particulier ceux de la commission des finances, a été préparée par mes prédécesseurs. J'aur ai donc pour tâche, avec d'autres collègues, dont Mme Guigou, ministre de la justice, d'exposer cette réforme et de la défendre devant vous.

Réforme, ai-je dit, car c'est bien de cela qu'il s'agit. Ce texte fait partie d'un ensemble de réformes que le gouvernement conduit par Lionel Jospin souhaite mettre en oeuvre afin de rendre notre économie et notre société plus efficaces, plus justes, plus transparentes, mieux accordées aux nécessités du monde moderne.

En ce qui concerne le ministère dont j'ai la charge, nous aurons, dans les mois qui viennent, à mettre en place plusieurs réformes importantes, certaines étant de nature législative. C'est par un rapide calendrier de ces réformes que je voudrais commencer mon propos afin que, appelés à travailler ensemble pour l'intérêt du pays, nous puissions mesurer, également ensemble, ce qui va figurer sur ce que j'appellerai notre agenda réformateur, auquel il faudra évidemment ajouter les textes portés par les secrétaires d'Etat qui m'entourent.


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Outre la loi sur les nouvelles régulations économiques, à laquelle je vais venir dans un instant, nous aurons, dans un proche avenir, à examiner plusieurs lois de finances appliquant diverses réformes. D'abord le collectif budgétaire 2000, que je présenterai demain à votre commission des finances et qui comporte en particulier un volet d'allégements fiscaux tout à fait significatif. Ensuite le débat d'orientation budgétaire, dont nous commencerons à parler, monsieur le rapporteur général, dès demain.

Enfin, à l'automne, la loi de finances pour 2001. Et nous aurons, l'an prochain, une séquence voisine, à l'exception du collectif.

Dans ces diverses occasions, nous ferons en sorte qu'il soit possible de mettre en oeuvre, outre une politique de croissance solidaire et durable, qui est évidemment l'essentiel, un certain nombre de réformes d'apparence technique que nous avions étudiées lorsque je siégeais parmi vous et qui concernent notamment la procédure budgétaire, la maîtrise des dépenses publiques et la transparence de la gestion.

J'indique que le Gouvernement est également très ouvert à la future et j'espère prochaine réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 sur les lois de finances, réforme de fond sur laquelle travaille votre commission des finances, et notamment son rapporteur général, M. Migaud.

Réforme également, l'important projet de loi sur l'épargne salariale que je soumettrai dès le début du mois de mai à la concertation des partenaires sociaux et économiques et des groupes politiques, avant de le déposer sur le bureau de votre assemblée en juin, pour examen lors de la rentrée parlementaire d'automne et adoption définitive avant la fin de cette année.

R éforme encore, un décret portant précisément réforme des marchés publics, tant il est vrai que les textes concernant ces matières ont besoin d'être dépoussiérés, simplifiés, allégés, en pensant notamment aux petites et moyennes entreprises et aux élus qui, à des titres divers, en sont souvent les victimes.

M. Jean-Pierre Baeumler et M. Christian Cuvilliez.

Tout à fait ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Réforme à nouveau la loi sur l'information que nous préparons avec le secrétaire d'Etat Christian Pierret, notamment, afin de mettre pleinement notre législation à l'heure des nouvelles technologies et de l'Internet. Car l'Internet et l'euro, mesdames et messieurs les députés, sont peut-être les deux principaux changements qui nous environnent et qui vont transformer la vie de beaucoup de nos concitoyens.

J'aurai à préparer avec vous, cette fois sans texte nouveau, mais par l'anticipation et par l'explication, le passage à l'euro concret au 1er janvier 2002, qui constituera, pour la plupart de nos compatriotes, un bouleversement extrêmement important sur les plans psychologique, sociologique, économique et pratique. Nous devrons essayer de le réussir ensemble.

Réforme toujours, celle que s'attachera à concrétiser, avec le Président de la République et le Premier ministre, l a présidence française de l'Union européenne au deuxième semestre de cette année. Pour ce qui concerne le domaine dont j'ai la charge, le secteur économique et financier, il s'agira, en particulier, de favoriser des avancées en matière d'appui à l'innovation, d'harmonisation fiscale européenne, de lutte contre les mouvements spéculatifs, les centres off shore et le blanchiment de l'argent sale. Ce sera donc certainement une présidence réformatrice.

Réforme enfin, et j'allais dire d'abord, celle qui concernera le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, sur laquelle nous avons travaillé, dès ces premières semaines, avec les organisations syndicales. J'en présenterai les premières décisions et orientations dans trois jours, le vendredi 28 avril, lors d'un comité technique paritaire ministériel, car il est clair qu'il doit y avoir et qu'il y aura une réforme-modernisation du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Hunault.

Quel programme ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Cette réforme-modernisation menée autour des notions de simplification, de transparence, d'adaptation-formation aux nouvelles technologies, de dialogue et d'expérimentation, sera partie intégrante et, je l'espère, exemplaire de l'indispensable réforme-modernisation de l'Etat et des services publics.

Vous le voyez, ce programme, en pleine cohérence avec l'ensemble beaucoup plus vaste de l'action du Gouvernement, est chargé. Pour qualifier l'objectif général que nous poursuivons, j'ai employé, il y a quelques semaines, l'expression de « croissance réformatrice ». Il s'agit, en effet, par notre action à tous, de briser le mur des deux millions de chômeurs - et je crois que c'est posssible car notre priorité est et demeure l'emploi, de renforcer la solidarité et l'égalité des chances, d'alléger les charges pour les entreprises et pour les particuliers, d'affronter avec les meilleurs atouts la compétition mondiale.

Cela suppose à la fois des réformes par la croisssance, car il est évident que la croissance facilite les réformes, et des réformes pour la croissance, car celle-ci a besoin de celles-là pour se nourrir durablement. C'est dans cet esprit, mesdames et messieurs, que s'inscrit le projet sur les nouvelles régulations économiques dont je vais maintenant pour parler.

La régulation n'est pas un choix conjoncturel. C'est une approche d'ensemble, une démarche de nature politique qui est, je l'espère, assez largement partagée dans cette assemblée. Cette approche peut contribuer, en effet, à combler un certain nombre de nouveaux fossés, à rapprocher l'individuel et le collectif, le public et le privé, le global et le local, mais aussi à lier davantage et mieux la démocratie et l'entreprise.

Pour ce qui me concerne, je ne crois pas en effet que le marché puisse tenir, seul, lieu de contrat entre l'économie et la société. Nous savons tous que le jeu non régulé des forces du marché peut accroître les inégalités. Si la compétition, assurément, est stimulante, elle ne doit se traduire ni par la loi de la jungle ni par des lois d'exception qui pénaliseraient finalement ceux qui créent, ceux qui commercent, ceux qui entreprennent. L'économie est liée à l'initiative, à la créativité, mais elle ne doit pas être un vase clos, une sorte de champ de foire. Il faut l'assortir de règles, si possible simples, justes et acceptées. Il y va de l'intérêt de tous, aussi bien les salariés que les chefs d'entreprise, aussi bien les consommateurs que les entrepreneurs. Bref, il faut un certain nombre de garde-fous.

Dans cet esprit, il nous semble que la régulation est un instrument très utile.

A travers la régulation, en effet, on peut légitimement réclamer davantage de règles et, d'une certaine façon, moins de réglementation. Avec la régulation, il ne s'agit pas pour l'Etat de ne rien faire, mais de montrer que l'on


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peut souvent faire plus légèrement, plus clairement, plus volontairement, plus efficacement. En légiférant sur les régulations, le texte contient une certaine vision de l'Etat.

L'Etat n'a pas à s'occuper de tout, il doit être un arbitre et un garant. Il est celui qui peut le mieux prendre en compte le temps long, celui des considérations d'intérêt général auxquelles le marché, spontanément, ne répond pas, car ce n'est pas sa fonction. L'Etat régulateur établit les règles du jeu, instaure des équilibres pour que chacun des acteurs de l'économie, aussi bien les sociétés géantes que les PME, aussi bien les producteurs que les distributeurs, aussi bien les salariés que les actionnaires, aussi bien les consommateurs que les entreprises, puisse voir reconnue à sa juste valeur sa contribution à la croissance, j'allais dire en tirer profit, non pas dans une logique d'affrontement, même s'il y a des conflits inévitables, mais à travers une relation aussi partenariale et transparente que possible.

Corriger les dysfonctionnements, empêcher un certain nombre de captations, réduire les inégalités, éviter les déséquilibres qui pénalisent l'économie, c'est le fondement des nouvelles régulations que propose ce texte. Il s'articule autour de trois axes essentiels, que je vais maintenant, en quelques mots plus techniques, résumer.

Le premier champ de régulation concerne le secteur financier. Nous voulons promouvoir un système sûr et compétitif qui ne laisse pas les salariés à l'écart lors des grandes opérations d'achat ou de vente, de prise de participation ou de fusion. Le texte prévoit de nous doter d'instruments plus efficaces qu'aujourd'hui, afin d'assurer une plus grande clarté et le respect de l'égalité entre les opérateurs économiques dans le déroulement de ces processus très complexes.

Cet objectif se décline autour de quelques thèmes.

D'abord, et je pense que c'est normal, mieux associer les salariés aux grandes opérations financières qui se font jour. Nous croyons à la nécessité de l'information et de la consultation de celles et de ceux qui travaillent dans l'entreprise. Nous pensons qu'il n'est pas normal que ces derniers, comme cela arrive, apprennent par hasard ou devant leur poste de télévision que leur entreprise va changer de mains, que sa stratégie risque d'être entièrement revue et qu'à partir de là des effets néfastes pour leur propre emploi pourront éventuellement advenir.

C'est d'ailleurs une question de bon sens et de vision moderne de l'économie : une fusion réussit rarement, voire jamais, s'il n'y a pas l'adhésion des personnels.

Quelle motivation, quelle insertion, quelle intégration pourraient exister si les salariés avaient le sentiment de n'être que des pions ? Cette situation est préjudiciable à tous et de nombreux dirigeants d'entreprise en sont conscients. Désormais, les salariés devront donc être informés officiellement par le dirigeant de l'existence d'une offre publique d'achat ou d'échange sur leur entreprise. Le comité d'entreprise pourra inviter l'auteur de l'offre à présenter son projet.

Notre objectif est aussi d'introduire davantage de transparence dans le déroulement des offres publiques d'achat et des offres publiques d'échange pour éviter que le contrôle et l'avenir de nos entreprises ne dépendent d'opérations opaques qui souvent s'étirent interminablement. La durée de ces opérations doit être limitée ; la fiabilité du système financier français devrait en sortir renforcée aux yeux des investisseurs, y compris étrangers.

Nous pensons en effet que nos entreprises ont besoin de solidité juridique pour financer leur développement. Un exemple parmi d'autres illustre l'amélioration proposée.

Une disposition donnera à la Commission des opérations de bourse le pouvoir d'exiger la publication immédiate d'un rectificatif lorsqu'une information aura induit le public en erreur en cours d'opération, jeté le discrédit sur un concurrent ou sera manifestement déloyale. A ces pratiques dommageables, le texte apporte la correction nécessaire.

Le projet permet également une plus grande transparence dans le fonctionnement des régulateurs financiers, eux-mêmes dotés d'instruments juridiques renforcés pour faire respecter et assurer l'égalité de traitement de tous les acteurs de l'économie. Ainsi, le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, le CECEI, dont on a entendu parler à propos de diverses opérations bancaires, pourra donner des autorisations conditionnelles liées au respect d'engagements souscrits par le demandeur. Ce système est fréquemment utilisé à l'étranger. Il sera étendu en matière d'assurance, domaine où l'autorité p rudentielle sera le ministre de l'économie et des finances.

Le dernier volet qui se rapporte au secteur financier traite du renforcement de notre dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux. Il appartiendra à Mme Guigou de vous le présenter dans quelques minutes, j'estime important d'insister dès maintenant sur le caractère exemplaire que doit revêtir notre action dans ce domaine.

En ce qui concerne d'abord la coopération internationale, j'ai eu la grande satisfaction de constater, au cours de la récente réunion du G 7 et de celle du Fonds monétaire international, que les idées développées par la France avaient fait leur chemin. Ainsi, le FMI a admis qu'une prochaine étape de l'action de la communauté internationale pourrait être l'élaboration d'une liste des territoires délinquants. Il a même été envisagé de sanctionner internationalement les territoires qui ne suivraient pas les règles de la probité en cessant, le cas échéant, toute relation financière avec eux.

Par ailleurs, la mise en place d'une obligation de déclaration systématique des transactions financières s'efforcera de répondre au problème posé par les centres off shore.

Ces propositions ont déjà été soumises avec succès à certains de nos partenaires. Elles devront progressivement être mises en oeuvre en coordination avec eux.

Le projet de loi tend aussi à renforcer l'efficacité interne de notre dispositif de lutte contre le blanchiment d'argent sale en clarifiant la notion de soupçon et en élargissant les possibilités de sanctions pénales à d'autres activités financières délictueuses. Cela constitue un signe fort de la volonté de la France d'être au tout premier rang dans la lutte contre la criminalité en col blanc, laquelle constituera, je l'ai déjà souligné, l'une de nos priorités lors de la présidence française du conseil économique et financier de l'Union européenne.

Un deuxième volet de cette loi porte sur la régulation de la concurrence. Mme Lebranchu en sera la principale oratrice pour le Gouvernement.

La recherche d'une économie compétitive et innovante suppose, en effet, une concurrence loyale qui est un facteur de cohésion sociale et dont le consommateur bénéficie alors réellement. Vous savez que les fondements du droit de la concurrence datent essentiellement, pour la France, de 1986. Cependant, en quatorze ans, le contexte économique a énormément évolué. On assiste désormais à de larges mouvements de restructuration et de concentration qui affectent parfois, et même souvent, le bon fonctionnement de la concurrence, l'équilibre des relations entre les entreprises, donc, à plus ou moins court terme, les prix et l'emploi.


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Dans ce contexte, il était parfaitement légitime de chercher à corriger un certain nombre de situations. Si la liberté contractuelle doit rester la règle, elle ne saurait conduire à des abus qui seraient susceptibles d'écraser les petits producteurs, alors même que le consommateur, quie st parfois un alibi un peu commode, n'en est aucunement le bénéficiaire final.

Une pression à outrance sur les conditions d'achat est alors imposée par une minorité de distributeurs qui sont en l'occurrence particulièrement mal nommés, pour des raisons essentiellement, voire exclusivement, financières.

Je pense qu'il relève de la compétence des pouvoirs publics d'éviter ce type de dérives.

Le Gouvernement a donc souhaité soutenir le civisme marchand qui est la marque d'un grand nombre de sociétés du secteur, en créant une commission des pratiques commerciales destinée notamment à élaborer des codes de bonne conduite.

La prévention, nous le savons, n'exclut pas la répression. C'est pourquoi le texte prévoit une meilleure définition des abus, l'interdiction pure et simple de certaines clauses, l'élargissement des capacités d'action en justice du ministre de l'économie, même en l'absence de réactions de la victime, car celle-ci, souvent découragée, peut être réticente ou hésiter à saisir les juridictions. Les conséquences financières pour les auteurs de ces pratiques abusives seront nettement plus lourdes qu'aujourd'hui, afin de devenir, nous l'espérons, dissuasives.

Il est également proposé de rénover le dispositif de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles qui permettent à leurs instigateurs de tromper - le mot doit être employé - le consommateur, ou une collectivité locale lorsqu'il s'agit de marchés publics, et de capter alors une rente indue. Il s'agit, en particulier, de conforter les sanctions et les pouvoirs du conseil de la concurrence pour une meilleure efficacité du traitement des affaires et pour une plus grande effectivité du droit. Je pense que personne ne peut récuser cette avancée.

De même, le bon fonctionnement concurrentiel, qui est le gage d'une croissance plus riche en emplois, suppose un meilleur contrôle des concentrations afin de vérifier que celles-ci contribuent réellement au progrès économique. Reconnaissons que le système actuel est assez peu compréhensible et guère transparent, voire pas du tout.

Une harmonisation avec le dispositif européen étant devenue nécessaire, le projet de loi vise à instaurer une procédure systématique et lisible, avec une notification obligatoire au-dessus de seuils de chiffre d'affaires définis de manière objective ; à mettre en place une procédure nettement plus rapide pour les opérations simples, et à accorder le maximum de garanties pour les opérations qui posent les questions les plus délicates et supposent une saisine pour avis du Conseil de la concurrence. Il s'agit aussi d'améliorer la transparence par une information du marché sur les opérations en cours tout en préservant ce qui est normal - le secret des affaires des entreprises concernées.

Ces dispositions équilibrées permettront au ministre de l'économie et, le cas échéant, au ministre du secteur intéressé de disposer d'une capacité d'intervention dont il faudra savoir user à bon escient.

La troisième et dernière partie de ce projet de loi est consacrée, vous le savez, mesdames, messieurs les députés, à la régulation de l'entreprise.

Favoriser l'équilibre des pouvoirs au sein des entreprises est nécessaire en soi, mais cela contribue aussi à améliorer leur efficacité. Cela nécessite notamment des administrateurs qui soient effectivement présents et réellement concernés par la stratégie de l'entreprise, un pouvoir de direction éventuellement mieux réparti et - cela est important - des actionnaires minoritaires qui puissent plus facilement ou qui puissent tout simplement jouer leur rôle d'actionnaire. Malgré certaines avancées réalisées ces dernières années, trop souvent encore, le fonctionnement de certaines entreprises hexagonales ne répond pas à ces exigences.

Pour remédier à cette situation, il vous est proposé quatre orientations principales : assurer un meilleur équilibre des pouvoirs entre les organes dirigeants en encourageant la dissociation entre, d'un côté, les fonctions de président du conseil d'administration et, de l'autre, celles de directeur général, tout en limitant le cumul des mandats d'administrateur et de dirigeant d'entreprise ; doter les sociétés d'un fonctionnement plus clair, notamment par la transparence des rémunérations des mandataires sociaux et l'extension du champ des conventions réglementées ; renforcer les pouvoirs des actionnaires minoritaires en abaissant de 10 à 5 % le seuil d'exercice de certains droits essentiels ; enfin, faciliter à la fois démocratie et utilisation des nouvelles technologies en introduisant, par exemple, mais ce n'est qu'un exemple, une possibilité de vote électronique afin de permettre une participation plus souple, plus rapide, plus générale des actionnaires minoritaires.

Il est évident que l'Etat actionnaire devra donner l'exemple en matière de démocratisation et de transparence, ces mesures s'appliquant au secteur public.

Par ces dispositions, nombreuses dans le texte, les différents partenaires de l'entreprise devraient être en mesure d'exercer mieux et plus complètement leurs responsabilités dans la gestion, dans les orientations stratégiques, et dans le contrôle de l'activité de l'entreprise. Je pense que tout le monde a à y gagner.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, vous savez qu'initialement, l'épargne salariale aurait dû faire partie de ces dispositions.

M. Germain Gengenwin.

Eh oui ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Cependant, ce texte était déjà suffisamment ample - il comporte beaucoup d'articles - et la réflexion sur ce point, je le reconnais, n'était pas encore assez mûre à l'époque, sauf à prendre du retard sur l'ensemble. C'est pourquoi il a été décidé de le séparer des autres aspects du texte.

Je précise cependant que, comme j'y ai fait allusion au début de mon propos, le projet de loi sur l'épargne salariale, désormais bien avancé, sera soumis à concertation générale au mois de mai, déposé sur le bureau de votre assemblée au mois de juin et examiné dès le début de la session, à l'automne.

Tel qu'il est, ce projet de loi sur les régulations économiques, à la fois significatif et concret, devrait contribuer à un certain rééquilibrage des rapports de forces et des rapports d'influence, à davantage de transparence et, nous l'espérons, à plus d'efficacité.

Certains estimeront peut-être que le politique n'avait pas à s'occuper de ces sujets, qu'il n'appartenait pas au Parlement d'intervenir en ces matières et qu'il aurait été préférable d'attendre que le secteur agisse spontanément et par voie de conventions.

Au contraire - et je tiens à le souligner -, l'intervention du Parlement, c'est-à-dire du politique, dans la mise en place de ces régulations, me paraît essentielle car


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autant il peut arriver que des autorités de régulation se substituent à l'action directe de l'Etat pour intervenir, pour encourager, pour sanctionner, autant, dans mon approche, il me paraît primordial de laisser au politique et à personne d'autre, le soin de fixer l'esprit des règles en application desquelles sera opérée la régulation.

M. Dominique Baert.

Très bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il doit également revenir au politique de vérifier directement ou indirectement si le régulateur agit conformément à sa mission.

(« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Contrairement donc à une lecture que je trouve rapide et superficielle, la régulation ne signifie pas la mort du politique ou celle de l'Etat. Elle traduit une adaptation salutaire de différents modes d'action en fonction des évolutions nationales et internationales de l'économie et de la société moderne car elle est également une manière de répondre à la mondialisation. En effet, si nous acceptons cette dernière, nous tenons à en corriger certains effets, certains excès pour la ramener, nous l'espérons, à une échelle plus humaine.

Tout ou presque tout, nous le savons, devient mondial : les marchandises, les échanges, les sièges sociaux, les capitaux. En conséquence naît un droit moderne, celui de la régulation.

Au plan international comme au niveau national, nous plaidons pour davantage de croissance mais sans creusement des inégalités. La régulation peut nous aider à atteindre cet objectif, non pas en définissant une sorte de règle qui tournerait sur elle-même en circuit fermé, mais en constituant le pivot d'une démocratie économique plus forte dans laquelle chaque partenaire - salarié, chef d'entreprise, consommateur ou usager - pourra se retrouver.

Le texte qui vous est proposé constitue donc une étape utile dans notre volonté de moderniser les structures de notre économie, de concilier les principes et les pratiques et de garantir une croissance réformatrice durable et solidaire. Il constitue un outil économique et la réponse à une exigence sociale. Ce projet de loi tend à montrer que les mutations technologiques et économiques peuvent être mieux mises au service du développement des entreprises et d'une croissance qui soit réellement partagée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je veux d'abord remercier les membres des commissions qui ont apporté leur précieux concours aux travaux parlementaires, malgré les délais très courts dans lesquels ce texte a été soumis à leur examen. Je m'adresse plus particulièrement à M. Eric Besson, rapporteur du projet pour la commission des finances, et au président de cette dernière, M. Henri Emmanuelli.

M. Besson a réussi, dans des conditions difficiles, à présenter une analyse fouillée du texte, tout en intégrant les travaux de la commission des lois et ceux de la commission de la production et des échanges qui ont été saisies pour avis. Je remercie donc aussi leurs deux rapporteurs, M. Vallini et M. Le Déaut, qui ont apporté de très utiles contributions au débat.

Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie vient de vous exposer la conception du Gouvernement sur la régulation économique en vous montrant que ce projet de loi s'inscrivait dans un ensemble plus vaste de réformes actuellement en préparation.

Dans un instant, je vous présenterai les mesures visant à améliorer la démocratie et la transparence dans le fonctionnement des sociétés commerciales, et celles qui devraient permettre d'améliorer la lutte contre le blanchiment des capitaux. Auparavant, j'insisterai brièvement sur le rôle central du droit pour la régulation, y compris en matière économique.

Quel est le rôle du droit des sociétés ? A cet égard, il faut d'abord souligner que les sociétés commerciales sont des personnes morales créées par le droit, inventées et représentées par le droit. Comme les associations et comme les personnes physiques, ces sociétés doivent pouvoir se constituer - réunion des parts sociales ou du capital, publicité - puis exister - nom et raison sociale - et enfin manifester leur volonté : cela concerne les questions de partage des responsabilités au sein d'une société commerciale, de conclusion de contrat ou d'engagement de responsabilité. Enfin, ces sociétés doivent respecter les droits des tiers, notamment de leurs actionnaires, de leurs salariés et de leurs clients.

J'interviens à ce titre parce que le droit des sociétés doit veiller à ce que le droit joue, en ce domaine, un rôle qui ne soit ni excessif ni insuffisant : ni excessif, parce que, s'il l'était, le droit paralyserait les entreprises par des impératifs injustifiés ; ni insuffisant, parce que l'absence de droit plongerait les entreprises dans des incertitudes, donc dans des risques financiers et contentieux qu'elles ne seraient pas en mesure de supporter.

Si le rôle du droit est fondamental dans le fonctionnement interne des entreprises, celui du juge l'est tout autant. En effet, lorsqu'il y a conflit, le juge civil ou le juge commercial doit trancher, régler les disputes entre associés, entre associés et salariés, entre la société et ses clients. Ces pourquoi d'ailleurs - je le souligne en passant - notre projet de réforme de la justice commerciale a autant d'importance pour assurer aux entreprises une justice impartiale et reconnue qui réponde aux attentes des partenaires économiques.

Le juge pénal, quant à lui, est compétent lorsqu'une infraction est caractérisée et sanctionnée par notre droit pénal.

On voit donc à quel point le droit est essentiel pour réguler les relations entre les différents acteurs dans l'entreprise, pour trancher les conflits, pour réprimer les comportements illégaux. Ce droit prend d'autant plus d'importance que l'exigence de démocratie et de transparence augmente dans nos sociétés.

Le rôle du droit est aussi de plus en plus important dans la lutte contre les nouvelles formes de criminalité.

Parmi celles-ci, la criminalité organisée qui s'appuie sur l'argent sale est évidemment une préoccupation majeure.

C'est la raison pour laquelle je veux insister sur ces deux aspects essentiels dont je suis responsable dans ce projet de loi : la réforme du droit des sociétés dans le sens d'une plus grande démocratie et d'une plus grande transparence dans l'entreprise ; les armes nouvelles que nous nous donnons au plan national pour lutter contre le blanchiment de l'argent sale.

Le premier objectif résulte du constat que le fonctionnement interne d'une entreprise ne saurait être abandonné à la seule appréciation des dirigeants ou des principaux actionnaires. En effet, les entreprises sont des lieux


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de rencontre d'intérêts multiples qui peuvent être convergents mais qui ne se confondent pas : intérêts des salariés, intérêts des dirigeants, intérêts des actionnaires majoritaires, intérêts des petits épargnants. Les entreprises sont ainsi des biens sociaux et non la propriété personnelle de quelques-uns.

Pour adapter le droit aux exigences de transparence et de démocratisation, la réforme qui vous est soumise introduit des mécanismes de régulation dans le fonctionnement même des entreprises en assurant l'équilibre des pouvoirs dans les assemblées générales, l'équilibre des armes devant le juge, et la défense des intérêts des plus faibles dans les processus de décision. Cela correspond à la tranposition dans le droit de l'entreprise de la conception classique de l'équilibre des pouvoirs ou des contrepouvoirs sans lesquels il ne peut y avoir d'autorégulation satisfaisante. Telle est la démarche qui a été suivie pour moderniser des aspects importants de notre droit des sociétés, dont il faut rappeler qu'il n'a pas fondamentalement évolué depuis trente ans.

Or, pendant ce temps, notamment durant la dernière décennie, les entreprises françaises se sont profondément transformées sous l'effet de l'internationalisation de leurs activités et de leur capital. Nos entreprises - cela est heureux - sont plus riches, plus puissantes. Elles font des choix de gestion qui ont des conséquences directes sur la vie de milliers de salariés, sur l'emploi, sur la répartition des richesses, sur l'avenir de bassins entiers d'activité, parfois sur l'environnement. Il faut donc que les processus de décision, internes aux entreprises, soient plus clairs et mieux compris sans pour autant que cela nuise à l'efficacité de leur gestion.

Or, malgré les progrès réalisés par certaines d'entre elles, notamment en matière d'information des actionnaires et de réduction des participations croisées qui en v errouillaient les organes dirigeants, nos entreprises restent marquées par une forte concentration des pouvoirs et un manque de transparence dans leur fonctionnement.

Les conseils d'administration ne jouent pas pleinement leur rôle. Leurs attributions propres sont mal définies. Le poids des présidents-directeurs généraux et le cumul des mandats réduisent l'indépendance des administrateurs.

Pour garantir une meilleure efficacité des organes dirigeants, le projet de loi recherche tout d'abord un meilleur équilibre des pouvoirs à travers quatre mesures principales.

La première est la clarification des responsabilités du conseil d'administration. Dans le droit actuel, le conseil d'administration est un organe de gestion pouvant agir en toute circonstance au nom de la société. Ce rôle est largement fictif dans la mesure où les réunions des conseils sont très épisodiques et que, même au sein des grandes sociétés cotées, la moyenne n'est encore que de quatre à cinq réunions par an.

Le projet supprime cette fiction et confie au conseil d'administration une mission claire d'orientation générale de la stratégie de l'entreprise et de contrôle de l'équipe dirigeante.

La deuxième mesure distingue les fonctions de directeur général, véritable exécutif de la société, et celles de président du conseil d'administration, chargé de veiller au bon fonctionnement des organes collégiaux de contrôle, fonctions que le droit actuel confond en la personne du président-directeur général.

Cet assouplissement permettra aux sociétés françaises de recourir, si elles le souhaitent, à une forme d'organisation très répandue à l'étranger. Cette forme sociale, avec un président et un directeur général distincts, reste toutefois différente de la société à conseil de surveillance dont les membres ne sont pas civilement responsables des actes de gestion, alors que les membres d'un conseil d'administration le sont.

Ces dispositions permettront de faire disparaître un archaïsme du droit français, le PDG obligatoire, sans pour autant le remplacer par une autre rigidité, le PDG interdit. Les entreprises auront le choix.

La troisième mesure consiste en une forte limitation du cumul des mandats d'administrateur.

En effet, malgré les promesses d'autodiscipline, l'étude des rapports annuels des entreprises montre que cette spécificité française perdure. En 1999, une centaine de mandataires sociaux, appartenant à dix grandes sociétés, occupent les deux tiers de tous les sièges des sociétés cotées au CAC 40.

M. Christian Cuvilliez.

C'est extravagant !

Mme la garde des sceaux.

On constate également que les trente personnes réalisant les plus forts cumuls occupent à elles seules 194 sièges d'administrateur dans ces sociétés cotées.

M. Christian Cuvilliez.

Epoustouflant !

Mme la garde des sceaux.

Il n'est pas satisfaisant qu'un groupe réduit de personnes siège dans trop d'organes dirigeants, parfois d'entreprises concurrentes. C'est une source évidente de conflits d'intérêts et une des causes du manque d'indépendance des administrateurs.

Il faut donc que la loi limite clairement les cumuls, tout en maintenant une souplesse pour la gestion des groupes. Les mesures proposées vont dans ce sens et devraient favoriser une ouverture de ces organes dirigeants et un renouvellement des administrateurs.

La quatrième mesure proposée pour un meilleur équilibre des pouvoirs est la possibilité de réunir les conseils par vidéoconférence. Elle permettra également une meilleure participation de tous les administrateurs et des réunions plus fréquentes.

Deuxième axe du projet de loi : une plus grande transparence du fonctionnement des sociétés. Celle-ci constitue un autre facteur puissant d'autorégulation.

Les décisions, lorsqu'elles sont rendues publiques, sont en général mieux justifiées et les intérêts des décideurs mieux connus. Cet objectif de transparence se traduit par trois mesures.

La première est la communication des rémunérations des mandataires sociaux dans les rapports annuels des sociétés. Cette exigence est légitime car les mandataires sociaux sont juges et parties dans l'attribution de leurs rémunérations. Ils reçoivent à titre personnel des avantages qu'ils s'accordent à eux-mêmes au nom de la personne morale qu'ils représentent.

M. Christian Cuvilliez.

On n'est jamais si bien servi que par soi-même !

Mme la garde des sceaux.

Cette situation est différente de celle d'un salarié face à son employeur, et justifie donc un traitement particulier.

La deuxième mesure de transparence est une meilleure information et un meilleur contrôle des actionnaires sur les contrats sur lesquels existent des risques de conflit d'intérêts. Depuis la loi de 1867 sur les sociétés anomymes, le législateur a toujours prévu que, lorsque les administrateurs et les dirigeants ont un intérêt personnel dans un contrat, ils doivent se tourner vers les actionnaires pour le faire approuver. C'est le régime bien connu des « conventions réglementées ou autorisées ».


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Alors que la loi de 1966 n'identifiait un conflit d'intérêts que lorsque les sociétés engagées dans un contrat avaient des administrateurs communs, le projet étend ce critère et reconnaît un risque de conflit d'intérêts lorsqu'il y a des liens en capital entre les deux contractants.

Enfin, il est indispensable que les entreprises aient la possibilité d'accéder à l'identité réelle de leurs actionnai res non résidents. Je rappelle en effet que la part des actionnaires non résidents dans le capital des grandes sociétés cotées est en très rapide augmentation, que la fourchette moyenne est désormais de 40 à 45 % d'actionnaires étrangers pour les sociétés cotées constituant l'indice CAC 40 et que le seuil de 50 % est dépassé pour plusieurs d'entre elles.

Compte tenu de ce contexte, le projet prévoit d'autoriser expressément les non-résidents à exercer leurs votes en utilisant des intermédiaires. Mais ces derniers devront être des professionnels officiellement déclarés aux autorités de marché françaises. En contrepartie de ce droit nouveau, un dispositif très rigoureux permettra de lever l'anonymat des actionnaires et de sanctionner les récalcitrants par une suspension de leurs droits de vote et de leurs dividendes.

Troisième objectif du projet de loi : renforcer les droits des actionnaires, et notamment des actionnaires minoritaires.

N otre droit actuel considère en effet qu'il faut atteindre le seuil de 10 % du capital pour être reconnu comme un actionnaire minoritaire doté de droits particuliers. Ce seuil est trop élevé, notamment dans les grandes sociétés cotées et le capital est très éparpillé.

Il faut donc l'abaisser, faute de quoi les droits prévus par la loi resteraient largement théoriques.

Pour cela, le projet de loi abaisse à 5 %, au lieu de 10 % actuellement, le seuil de détention du capital qui permet d'exercer collectivement certains contrôles, notamment l'expertise de gestion, laquelle pourra désormais être demandée sur les filiales lorsque l'intérêt du groupe est concerné, et non plus seulement sur la société mère.

Pour renforcer les droits des actionnaires, le projet met également en place des procédures civiles d'injonction de faire, plus efficaces que les sanctions pénales, pour obtenir des informations ou des documents sociaux.

Lorsque, par négligence ou obstruction, les dirigeants ne respectent pas leur devoir d'information vis-à-vis des actionnaires, le recours au juge pénal est souvent inefficace car les amendes infligées sont trop tardives et peu dissuasives. Au contraire, la contrainte civile prononcée immédiatement par le juge des référés sera d'autant plus dissuasive que le projet de loi prévoit de faire supporter les astreintes, non pas par la personne morale, mais par les dirigeants eux-mêmes.

Ces mesures, qui visent à substituer la contrainte civile à la contrainte pénale, s'inscrivent dans une démarche plus générale qui nous amène à nous interroger sur la portée de la sanction pénale et donc sur sa nécessité dans les cas où une sanction civile ou administrative obtiendrait des résultats aussi, ou plus, efficaces.

C'est une réflexion de portée plus générale, que nous avons menée ensemble dans d'autres circonstances et sur d'autres textes, mais je crois important de l'engager aussi sur le droit des sociétés.

Enfin, trop d'actionnaires exercent mal leurs droits du fait de la rigidité du vote par procuration. En instaurant la possibilité du vote électronique, le projet devrait permettre d'augmenter les taux de participation aux assemblées générales et d'améliorer leur fonctionnement démocratique.

L'ensemble de ces mesures de modernisation visant à introduire plus de démocratie et plus de transparence dans le fonctionnement des entreprises concerne toutes les entreprises mais s'adressent plus particulièrement aux sociétés cotées qui ont vocation à conserver le statut de société anonyme.

Elles constituent le deuxième étage d'une réforme du droit des sociétés, dont le premier a été voté en juillet 1999, dans la loi sur la recherche et l'innovation. On se souvient que cette loi a généralisé le statut de société par actions simplifiée, qui a considérablement assoupli le droit des entreprises non cotées.

Je voudrais, à ce titre, vous informer du grand succès de cette nouvelle forme sociale. Selon les dernières statistiques du registre du commerce montrent que près de 3 000 sociétés par actions simplifiées ont été créées de puis la promulgation de la loi de juillet 1999, et le rythme actuel est de 500 par mois.

Parallèlement, nous enregistrons une baisse du nombre des sociétés anonymes, ce qui semble confirmer que les sociétés non cotées, et notamment les sociétés innovantes, ont vu l'intérêt pour elles d'abandonner le statut lourd et contraignant de la société anonyme pour celui de la société par actions simplifiée.

Voilà un exemple de traduction rapide dans les faits des dispositions votées par le Parlement.

J'en viens à la deuxième série de mesures que je suis chargée de vous présenter : la lutte contre le blanchiment des capitaux.

Le projet de loi qui vous est soumis comprend un important volet consacré à la lutte contre le blanchiment des capitaux. Je sais combien votre assemblée est préoccupée par cette question, puisqu'elle a créé l'an passé une mission d'information sur les paradis financiers, qui vient de rendre publics les premiers résultats de ses travaux.

Cette convergence des priorités du Gouvernement et de l'Assemblée a donné l'occasion à M. Peillon, président de cette mission, et à M. Montebourg, son rapporteur, de faire des propositions très significatives d'amélioration du projet de loi. Nous savons en effet que la croissance très rapide des échanges internationaux et surtout la dématérialisation des flux de capitaux ont créé les conditions propices à un développement sans précédent du blanchiment de l'argent provenant du trafic de stupéfiants ou d'autres activités criminelles organisées : trafic d'armes, d'être humains, corruption, contrebande à grande échelle.

Les mécanismes, désormais bien connus, qui favorisent la criminalité financière conduisent à donner la priorité à la lutte contre l'anonymat des transactions, qui se développe principalement dans les paradis financiers.

Ces centres, souvent des micro-Etats dépourvus d'activité réelle, ruinent par leur absence de législation efficace et leur secret bancaire les efforts de tous les autres pays engagés dans la lutte contre le blanchiment.

Selon le dernier rapport de l'ONU sur ce sujet, les actifs déposés dans ces paradis financiers s'élèvent à 5 000 milliards de dollars, soit plus de 3 % du PIB mondial. Le Fonds monétaire international, quant à lui, les évalue à 8 000 milliards de dollars, soit près de 5 % du PIB mondial.

Evidemment - et heureusement - la totalité des fonds déposés dans ces « centres off-shore » ne sont pas de l'argent sale. Mais les experts internationaux estiment cependant qu'entre 500 et 800 milliards de dollars proviendraient d'activités criminelles organisées. Ces sommes


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sont non négligeables, et de plus en plus importantes.

Elles donnent une idée de l'ampleur des défis que doivent relever les pays démocratiques.

Toutes les organisations internationales ont pris des initiatives pour renforcer l'action internationale de lutte contre cette forme de criminalité : le G8, avec son rôle d'orientation, comme récemment, lors de la réunion de Moscou, le GAFI avec l'élaboration des critères et de la liste des pays non coopératifs, l'OCDE avec ses travaux récents sur le secret bancaire, et, bien entendu, l'Union européenne.

La France joue un rôle d'impulsion majeur dans toutes ces enceintes. Il y a un instant, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie vous a dit que la lutte contre le blanchiment de l'argent serait une priorité de la présidence française de l'Union européenne et nous mènerons à bien cette priorité, Laurent Fabius dans le cadre du conseil Ecofin et moi-même dans le cadre du conseil des ministres de la justice et des affaires intérieures, de façon à obtenir des résultats.

En effet, au sommet de Tampere, premier sommet des chefs d'Etat et de gouvernement consacré à l'espace judiciaire européen qui, sous notre impulsion, a accordé une attention particulière à la lutte contre le blanchiment des capitaux, nous avons adopté un programme de travail pour le développement de la coopération policière et judiciaire en Europe : cela devrait notamment avoir des incidences importantes sur cet aspect de la lutte contre la criminalité transfrontières.

Cette action européenne est d'autant plus nécessaire que l'instauration de la monnaie unique a fait de l'Europe un champ particulièrement attractif pour le blanchiment d'argent. Jusqu'à la création de l'euro, le dollar était infiniment plus attractif ; l'euro est maintenant à égalité avec lui. Ces actions constitueront un des axes essentiels du programme de la présidence française le semestre prochain.

Ces actions menées au plan international ou européen étant rappelées, qu'en est-il de notre dispositif national ? Est-il assez performant ? Le dispositif instauré en 1990, qui a créé la cellule TRACFIN, a été amélioré à plusieurs reprises, notamment en 1993 et 1998. Mais il doit, nous semble-t-il, être encore renforcé dans le sens des mesures recommandées au niveau international, notamment par une meilleure prévention vis-à-vis des relations avec les paradis financiers et par un renforcement des moyens de répression permettant une action internationale efficace. Tel est le sens des mesures présentées dans le projet de loi.

La mise en place d'un signalement automatique à TRACFIN de toutes les transactions avec les paradis financiers est une mesure très forte qui, si elle était suivie par nos partenaires européens et internationaux,...

M. Philippe Auberger.

Avec des si, tout est possible !

Mme la garde des sceaux.

... pourrait faire date dans l'histoire de la lutte contre le blanchiment.

M. Arnaud Montebourg.

C'est une mesure historique !

Mme la garde des sceaux.

Ce mécanisme permettra d'accroître considérablement le flux des informations reçues par ce service et lui donnera une capacité plus grande pour déclencher les mécanismes répressifs. Il faudra renforcer en conséquence les moyens de cette cellule de prévention.

Le changement d'échelle dans la collecte d'informations doit évidemment s'accompagner d'un renforcement des armes mises à la disposition de la justice pour réprimer cette criminalité financière.

Deux dispositions principales vont en ce sens.

La première est l'abaissement aux délits punis de cinq ans d'emprisonnement - contre dix actuellement de l'incrimination d'association de malfaiteurs ; c'est une mesure essentielle pour faciliter la répression en amont et le travail de la police. Elle va, en outre, dans le sens d'une harmonisation européenne qui facilitera la coopération des services répressifs au sein de l'Union.

La seconde est la possibilité de procéder à des saisies, puis de prononcer des peines de confiscations des biens des personnes condamnées pour blanchiment. Cette mesure est également décisive pour dissuader l'investissement de l'argent sale en France et pour punir efficacement les délinquants. Ce dispositif répond également à une demande exprimée au niveau européen.

L'ensemble des mesures proposées dans le projet de loi ainsi que le durcissement de notre arsenal préventif et répressif que proposent les nombreux amendements de votre assemblée constitueront le renforcement le plus important de notre dispositif anti-blanchiment depuis sa création par la loi de 1990.

Nous répondrons ainsi à l'attente de nos concitoyens qui ne supportent plus de voir l'enrichissement frauduleux et impuni se développer avec arrogance en marge des règles démocratiques alors qu'eux-mêmes continuent de subir les conséquences de la compétition économique internationale et sont, par leurs efforts et leurs sacrifices, les vrais créateurs des richesses ainsi accaparées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Eric Besson, rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

M. Eric Besson, rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous allons débattre est - Mme la garde des sceaux vient de le souligner - une oeuvre collective. C'est vrai pour le Gouvernement, pour les ministres qui sont au banc du Gouvernement comme pour ceux qui nous rejoindront pendant le débat. Vous me permettrez donc, monsieur le ministre de l'économie, de saluer en introduction vos deux prédécesseurs, Dominique Strauss-Kahn et Christian Sautter, qui ont porté ces nouvelles régulations sur les fonts baptismaux.

(Riress ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

C'est vrai aussi pour l'Assemblée puisque pas moins de trois commissions ont été mobilisées dans des délais très courts et des conditions parfois difficiles.

Je voudrais remercier pour leur esprit de collaboration Jean-Yves Le Déaut et Jean-Claude Daniel pour la commission de la production, André Vallini et Jacky Darne pour la commission des lois, et Dominique Baert, qui m'a beaucoup aidé à la commission des finances.

Evoquant ces « nouvelles régulations » économiques, le Premier ministre indiquait récemment à juste titre qu'il s'agissait d'un texte en apparence technique dont les enjeux politiques étaient importants. Les aspects techniques nous occuperont largement tout au long de l'examen des quelque 600 amendements qui ont été déposés.

Je souhaite donc aborder ici les enjeux politiques.


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Ce texte a été trop critiqué pour être totalement mauvais, trop caricaturé pour que ne naisse l'envie d'en faire découvrir des charmes peut-être masqués au premier regard.

(Sourires.)

Comment, si l'on résume les reproches contradictoires qui lui sont adressés, un même texte pourrait-il tout à la fois être anodin et outrancier, ne pas modifier struct urellement les règles du capitalisme et « organiser l'appauvrissement de l'espace économique », pour reprendre l'expression - toujours pleine de nuances il est vrai - du président du MEDEF ? Il nous faut revenir sur ces critiques et observations, car certaines méritent débat.

Je chercherai à les résumer en quatre questions.

Premièrement, la régulation est-elle la consécration du dessaisissement de l'Etat ? Deuxièmement, doit-on parler « du » texte de régulation ou « d'un » texte de régulation ? Troisièmement, ce texte est-il, comme le prétend une partie de l'opposition, marqué par l'interventionnisme excessif de l'Etat ? Quatrièmement, va-t-il assez loin, est-il vraiment un texte de gauche ? La régulation est-elle la consécration du dessaisissement de l'Etat ? La question est importante. Car le terme même de

« régulation » revêt des acceptions très différentes selon ses utilisateurs. Pour les uns, et nous rejetons cette thèse, le champ économique et social aurait désormais, de par le cocktail formé de la mondialisation, de la dérégulation et du libéralisme, vocation à devenir totalement autonome, l'Etat s'interdisant d'y intervenir autrement que par la régulation dès lors entendue comme une simple fonction de surveillance du respect des règles du jeu du capitalisme.

Dans cette vision-là, des experts et des autorités indép endantes, forcément raisonnables et nécessairement convaincus des bienfaits du libéralisme pur et dur, seraient les seuls interlocuteurs des acteurs économiques.

Cette vision n'est pas celle de la gauche. Pour elle, l'Etat reste le garant de l'intérêt général, le seul à dispo ser de la légitimité nécessaire pour l'incarner ou, à tout le moins, pour le défendre.

Certes, par délégation si l'on peut dire, des autorités indépendantes peuvent contribuer à ce respect de l'intérêt général. Certes encore, l'évolution des forces économiques et le rôle croissant des marchés financiers rendent désormais indispensable l'existence d'arbitres indépendants et spécialisés. Le texte que nous allons étudier va d'ailleurs donner à plusieurs d'entre eux - le CECEI, la COB, le Conseil de la concurrence ou le CMF - des moyens d'action supplémentaires nécessaires, en même temps qu'il leur imposera légitimement le respect de procédures affichées et transparentes.

Mais il faudra un jour, monsieur, dresser le bilan provisoire de l'existence de ces autorités indépendantes et nous poser à nouveau des questions de base à leur égard, non par malveillance ou esprit de dénigrement, mais pour vérifier l'adéquation de leurs résultats à leurs objectifs initiaux.

M. Didier Migaud.

Très bien !

M. Eric Besson, rapporteur.

Celles qui existent sontelles toujours indispensables ? Sont-elles, au passage, réellement indépendantes, non seulement au regard du politique, puisque telle est leur vocation, mais à l'égard des intérêts professionnels des uns et des autres ?

M. Dominique Baert.

Bonne question !

M. Eric Besson, rapporteur.

Savent-elles se cantonner, dans leurs actes et dans leurs discours, au domaine ou au secteur qui leur ont été confiés ? Certaines n'ont-elles pas - je pense aux autorités monétaires française et européenne - une fâcheuse tendance à s'estimer compétentes et à discourir sur tout et notamment sur des sujets économiques et sociaux qui ne relèvent pas de leur compétence et pour lesquels elles n'ont été investies d'aucune légitimité ? Les députés de gauche continuent de croire en l'Etat, y c ompris lorsqu'il s'agit d'économie et même s'ils reconnaissent et admettent l'évolution de ses moyens d'intervention. Certains amendements adoptés par la commission des finances portent la trace, y compris dans ce qu'elle peut revêtir de symbolique, de ces préoccupations.

Ainsi, nous avons adopté un amendement aux termes duquel l'émetteur d'une offre publique visant une entreprise relevant du secteur financier doit en informer d'abord le ministre de l'économie, à charge pour lui d'en informer ensuite le gouverneur de la Banque de France, président du CECEI. La faiblesse structurelle des banques françaises au niveau international, que vient encore d'illustrer la prise de contrôle du Crédit commercial de France, peut nous faire craindre des offres publiques d'entreprises étrangères qui aboutiraient à une délocalisation du pouvoir effectif d'un secteur majeur pour l'économie nationale. Aussi, sur ma proposition, la commission des finances a-t-elle adopté ce matin un amendement complémentaire portant à huit jours le délai dans lequel doit être informé le ministre chargé de l'économie et ce afin de lui permettre, en concertation avec le président du CECEI, d'évaluer les conséquences et les risques de l'offre publique. Notons au passage que ce dispositif préventif s'inspire clairement d'exemples étrangers et, pour n'en citer qu'un, du dispositif anglais - difficilement c ontestable, Londres étant considérée par beaucoup comme La Mecque de la finance libérale.

De la même façon, parce que nous tenons à réaffirmer le primat du politique et que, en l'espèce, nous avons considéré que la loi n'avait pas besoin d'accorder aux commissions des assemblées le pouvoir d'auditionner les présidents d'autorités indépendantes, pouvoir que nous détenons déjà depuis l'ordonnance du 17 novembre 1958, nous avons voté la suppression pure et simple de l'article 13 du projet de loi.

M. Jérôme Cahuzac.

Très bien !

M. Eric Besson, rapporteur.

Si donc elle ne saurait être considérée comme un dessaisissement de l'Etat, la régulation doit être prise tout à la fois comme le moyen de préciser, de définir les règles du jeu de l'économie de marché afin de la rendre compatible avec l'intérêt général, mais aussi de limiter les voies par lesquelles cette économie de marché met à mal des principes sur lesquels elle est supposée fondée, tendant alors vers le monopole, l'entente, l'abus de position dominante.

Le texte que vous nous proposez relève selon nous de cette seconde définition de la régulation, celle d'une modernisation des règles du jeu, mais aussi d'une canalisation de certaines des dérives du capitalisme ; c'est pourquoi il emportera notre adhésion.

Deuxième question : peut-on parler « du » texte de régulation ou doit-on le considérer comme « un » texte de régulation ?


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Vous nous avez expliqué il y a quelques instants, monsieur le ministre, qu'il s'agissait pour vous d'une étape. Il s'agit bien, à notre sens, d'un texte de régulation - et ce

« un » n'a à notre sens rien de péjoratif. Disons simplement que la régulation du capitalisme est un processus dont la nécessité durera aussi longtemps que le capitalisme lui-même.

Nous ne pouvons ignorer les ressources du capitalisme, sa capacité à se renouveler, à trouver ou à créer de nouvelles aires et de nouveaux segments pour la commercialisation de produits et de services, à dénicher des secteurs à marge élevée qui lui permettent d'éviter la supposée baisse tendancielle du taux de profit, à se jouer des obstacles placés sur sa route ou à les contourner. Qui parmi nous aurait pu, il y a dix ans, prévoir le développement de l'économie Internet ? Lequel ou laquelle d'entre nous pourrait décrire les évolutions futures du nouveau capitalisme ? Ces évolutions nécessiteront de nouvelles régulations.

On pourrait soutenir au demeurant que cette majorité a déjà voté depuis bientôt trois ans plusieurs textes qui relèvent, par tels ou tels de leurs aspects, d'une régulation du capitalisme entendue au sens large, qu'il s'agisse de l'emploi, de la lutte contre l'exclusion, de l'aménagement du territoire ou même de la lutte contre la ségrégation sociale qui inspirait le projet de loi dit SRU.

Le Gouvernement a déjà annoncé d'autres projets vous y êtes revenu tout à l'heure, monsieur le ministre que l'on pourrait qualifier de régulation : celui relatif à l'épargne salariale, que, avec l'accord de Jean-Pierre Balligand, nous baptiserons Désiré lorsqu'il viendra en discussion devant l'Assemblée nationale (Sourires), ou encore ceux relatifs à la réforme des marchés publics, à l'intervention économique des collectivités locales, ou même le texte dit de « modernisation sociale », dont le contenu annoncé par le Premier ministre nous paraît relever de la régulation de l'économie de marché.

Pour aller jusqu'au bout de ma pensée sur ce point, je crois que le budget lui-même est, chaque année, la forme la plus achevée de régulation de l'économie de marché qui nous soit proposée. C'est en effet par le budget que s'expriment les priorités de la nation, que ses représentants choisissent les dépenses socialement utiles que le marché n'a pas vocation à offrir ou satisfaire - je pense notamment aux fonctions dites régaliennes de l'Etat - ou qu'il ne satisfait que partiellement ou insuffisamment.

La politique fiscale d'un pays traduit aussi, mieux que toute autre, la forme de régulation que celui-ci a choisie.

Plus que jamais, à l'ère du capitalisme triomphant, la politique fiscale est déterminante. On connaît la force du c apitalisme : sa capacité incontestable à créer des richesses. On connaît aussi sa principale faiblesse : son incapacité à en assurer une juste répartition. Sans forcer le trait, j'aurais volontiers tendance à affirmer que la régulation principale du capitalisme réside désormais dans la politique de redistribution.

Convenons ensemble à ce stade - mais nous aurons probablement, dès demain, l'occasion de vous entendre sur ces points lors du débat d'orientation budgétaire que cette régulation-là n'est pas des plus aisées, la France étant confrontée à des partenaires européens qui n'hésitent pas, dans certains secteurs, à pratiquer un véritable dumping fiscal et social.

Si la régulation du capitalisme doit être une préoccupation et un processus permanents, il est bon parfois de rassembler en un texte des innovations, des avancées ou des réponses à des dysfonctionnements, et c'est ce que vous nous proposez.

On a dit de ce texte qu'il était technique ; mais lar égulation d'un système économique et financier complexe ne saurait se dispenser de technicité.

On l'a dit hétérogène ; mais son hétérogénéité est le reflet de la diversité du champ qu'il prétend couvrir.

On l'a dit de circonstance, mais assumons ces réponses aux circonstances ! Assumons d'avoir voulu réglementer davantage les offres publiques, après les OPA ou OPE qui ont touché l'année dernière les secteurs bancaire et pétrolier. Acceptons d'avoir voulu contrôler davantage les concentrations et les pratiques commerciales après que les menaces sur les intérêts des consommateurs ou des producteurs ont été bien mises en exergue par le rapport Charié-Le Déaut. Assumons encore de vouloir être en pointe - vous l'avez dit, madame le garde des sceaux dans la lutte contre le recyclage de l'argent sale, sans moralisme certes, comme nous y a incité le président Emmanuelli, mais avec la détermination de citoyens avertis et conscients, grâce à la mission de nos collègues Peillon et Montebourg, que le blanchiment de l'argent du crime, de la drogue et du proxénétisme est l'une des menaces majeures des années à venir pour nos économies occidentales, qu'il peut saper les bases de nos règles sociales, fiscales et éthiques.

Assumons enfin d'avoir cherché à clarifier le rôle et les fonctions des organes dirigeants des entreprises ou d'avoir souhaité introduire de la transparence dans les systèmes de rémunération et d'attribution de stocks-options, après que le départ du PDG d'un grand groupe pétrolier a fait l'objet d'une transaction de plus-values auxquelles ne sont guère habituées les victimes de licenciements ou de départs négociés...

Troisième question : ce texte est-il marqué par l'interventionnisme excessif de l'Etat ? C'est ce qu'a prétendu l'opposition, ou plus exactement une partie de l'opposition. Distinguons en effet les

« ultras » des « modérés ». Le chef de file des « ultras », le président du MEDEF, n'est paradoxalement pas un homme politique, mais un chef d'entreprise, ou plus exactement un chef d'entreprise dont on peut se demander s'il n'aspire pas à faire de la politique,...

M. Dominique Baert.

Il y en a d'autres !

M. Eric Besson, rapporteur.

... aspiration qui, au demeurant, devrait attirer notre sympathie à une époque où l'on nous explique que tout le monde ne rêve plus que d'être chef d'entreprise plutôt qu'homme politique.

(Sourires.)

Point n'est besoin de caricaturer son discours, qui trouve dans cet hémicyle quelques adeptes chez les libéraux ; il se suffit à lui-même...

P ensant refléter l'air du temps, le président du MEDEF a expliqué en substance, pour commenter ce projet de loi, que l'Etat devrait se mêler de ce qui le regarde, c'est-à-dire, à l'entendre, ne pas toucher à l'économie, et que le mieux que puisse faire le Parlement serait désormais de se consacrer exclusivement aux projets dits de société. C'est oublier, ou feindre d'oublier, ce que l'économie doit à l'Etat : comme le rappelle Robert Boyer, économiste spécialiste des théories de la régulation,

« le marché est une institution comme les autres, non pas une alternative à une économie sans institution ; sans sys-


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tème juridique, pouvoir de coercition de l'Etat, système de paiements bien réglé, codification de la qualité et règles d'admission, les marchés sont incapables de fonctionner de façon efficace ».

Les libéraux ou les ultra-libéraux parlent de l'économie comme d'une science exacte, mieux - ou pire -, comme d'une religion révélée. Il faut sans cesse leur rappeler que l'économie est d'abord économie politique, que l'économique et le social ne sauraient être dissociés, leur montrer que le pays qu'ils citent en permanence comme leur modèle, les Etats-Unis, n'est pas, loin s'en faut, un pays sans règles et sans régulation - l'affaire Microsoft vient encore de le démontrer -,...

M. Jean-Paul Charié.

Très juste !

M. Eric Besson, rapporteur.

... leur suggérer enfin que le seul pays que l'on pourrait qualifier vraiment de libéral aujourd'hui, au sens de M. Seillière et de ceux des hommes politiques qui pensent comme lui, serait la Russie, dépourvue aujourd'hui de lois, de règles, de protections sociales, en proie à la déliquescence de l'Etat, à la délinquance et aux mafias.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Pour ces ultras, et je crains que l'on en ait un exemple tout à l'heure au moment des motions de procédure, le présent projet ne peut être qu'une abomination bureaucratique.

Fort heureusement, l'opposition compte aussi des modérés capables de reconnaître certaines des vertus de ce texte, comme l'ont montré les travaux en commission auxquels ont contribué quelques députés de l'opposition, dont je tairai les noms, afin de ne pas leur porter préjudice.

(Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Christian Cabal.

Des noms !

M. Jean-Paul Charié.

Nous assumons !

M. Eric Besson, rapporteur.

Dans ce cas, je citerai M. Auberger, M. Inchauspé ou M. Jégou, par exemple ! Ceux-là ont compris que ce texte pouvait aussi moderniser l'économie de marché en la rendant plus transparente, plus codifiée, plus démocratique, en informant les salariés en cas d'OPA-OPE ou de concentration, en protégeant les intérêts des actionnaires minoritaires, en atténuant les effets de l'abus de position dominante des grands distributeurs.

Nous savons tous que, sans l'intervention de l'Etat, beaucoup de nos libertés ne sont que formelles ; c'est vrai aussi du champ économique où la liberté d'entreprendre, liberté théorique, est battue en brèche par les difficultés de l'accès au financement, les insuffisances de la couverture sociale ou les carences de l'accompagnement des créateurs. C'est pourquoi je me réjouis de constater que nous allons offrir par ce texte des moyens supplémentaires aux chômeurs-créateurs, puisque la commission des finances a accepté l'amendement sur le micro-crédit que j'ai proposé.

M. Alain Madelin.

Très bien !

M. Eric Besson, rapporteur.

J'apprends avec plaisir que le Gouvernement a déposé ce matin un amendement portant sur la libération du capital des SARL, qui constituera la première application législative des mesures annoncées par le Premier ministre, le 11 avril, lors des états généraux de la création d'entreprise organisés par Mme Marylise Lebranchu.

M. Dominique Baert.

Bravo !

M. Eric Besson, rapporteur.

Quatrième et dernière question : ce texte va-t-il assez loin, est-il vraiment un texte de gauche ? Pour parler simplement, il convient de ne pas tourner autour du pot. Ce texte est un texte de régulation du capitalisme et non de renonciation au capitalisme. Il illustre parfaitement la formule du Premier ministre à laquelle adhère, je le crois, une majorité d'entre nous :

« oui à l'économie de marché, non à la société de marché ».

Parce que nous disons oui à l'économie de marché, nous ne prétendons pas ici en modifier les règles fondamentales ; le paradoxe veut même que ce soit à la gauche qu'il revienne de les faire respecter. Les fondements théoriques de l'économie de marché supposent la multiplicité de producteurs de taille petite ou moyenne, alors que le capitalisme contemporain tend à la concentration et aux risques de monopoles que ce texte cherche justement à écarter.

Mais parce que nous disons oui à l'économie de marché et que nous sommes intégrés à un système mondialisé, nous nous interdisons de fait des ruptures avec des aspects du capitalisme qui choquent nombre d'élus de gauche. Le rapporteur que je suis en est pleinement conscient. J'ai été conduit en commission des finances, et je le serai de nouveau en séance, à appeler à voter contre des amendements de la majorité plurielle dont j'avoue franchement partager parfois la philosophie ou les objectifs,...

M. Christian Cuvilliez.

Eh bien alors ? M. Eric Besson, rapporteur. ... mais qui constitueraient une rupture avec le cadre économique et social qui est aujourd'hui le nôtre.

A ceux qui, à gauche, estiment que le texte ne va pas assez loin, je répondrai que si nous devions un jour non plus réguler le capitalisme, mais refuser telle ou telle de ses méthodes ou de ses conséquences, cela ne pourrait se faire qu'après une échéance politique majeure, présidentielle ou législative, et un mandat clair donné par le peuple. Or, que l'on s'en réjouisse ou que l'on s'en désole, il ne me semble pas que le mandat qui nous a été donné en 1997 soit un mandat de rupture avec la capitalisme.

Si chacun est libre d'estimer que ce projet aurait pu se montrer plus ambitieux sur tel ou tel point, et il m'arrivera de le dire moi-même au cours de la discussion article par article, ne boudons pas notre plaisir et saluons comme il se doit les avancées réelles qu'il comporte.

M. André Vallini, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Tout à fait !

M. Eric Besson, rapporteur.

Après l'adoption de ce texte, dès l'été si j'ai bien compris le calendrier envisagé par le Gouvernement, les OPA et OPE seront davantage encadrées, tout comme les concentrations, la lutte contre le blanchiment d'argent sale renforcée, les pratiques anticoncurrentielles mieux combattues, les abus de la grande distribution limités.

Dès cet été, le droit à l'information, et donc à l'action des salariés des entreprises touchées par des offres publiques ou des concentrations, aura été renforcé, les


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relations clients-fournisseurs ne pourront plus comporter des clauses léonines de délais de paiement, la création d'entreprises sera encouragée, l'agriculture et l'arboriculture seront aidées.

J'avais prévu un long développement sur ce dernier point mais, comprenant que je vais déborder sur le temps qui m'était imparti,...

M. le président.

En effet !

M. Eric Besson, rapporteur.

... je vais m'acheminer vers ma conclusion et je reviendrais ultérieurement sur les fruits et légumes, sujet qui - Jean-Pierre Brard, Jérôme Cahuzac et quelques autres pourraient en témoigner - me tient particulièrement à coeur.

La facilité consiste généralement à finir sur une citation. Je vais y céder, bien que l'auteur auquel je songe ne soit pas de ceux que l'on attende a priori dans un débat sur la régulation, puisqu'il s'agit de Michel Platini.

Dans un entretien avec le journal Le Monde , daté du 19 avril, le très grand footballeur que fut Michel Platini analysait clairement les dérives actuelles du football professionnel. « Ce qui me soucie le plus, disait-il, est de voir que ceux qui tirent profit de l'arrêt Bosman sont les clubs des pays où les droits télévisés sont les plus importants.

Les clubs norvégiens et danois ne pourront plus jamais rien gagner. Pis : les pays qui font de la formation se font prendre leurs jeunes à la fin de leurs contrats d'aspirant.

Voilà pourquoi il faut trouver un système où ce n'est pas l'argent qui fait gagner. Sinon, tous les pauvres vont crever et les riches vont se retrouver entre eux. Ce capitalisme dur, moi je n'en veux pas. »

M. Jean-Paul Charié.

Très bien !

M. Eric Besson, rapporteur.

Nous sommes nombreux ici à penser que la régulation doit permettre de cantonner ce capitalisme dur dont nous ne voulons pas non plus.

Quant à moi, je peux aujourd'hui avouer que j'ai toujours été un fervent supporter de Michel Platini.

(Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Christian Cuvilliez.

Et de Gueugnon !

M. le président.

La parole est à M. André Vallini, le rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. André Vallini, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a été saisie pour avis des dispositions de ce projet de loi relatives à la lutte contre le blanchiment d'argent sale et au fonctionnement des sociétés commerciales. Techniques en apparence, ces dispositions du projet de loi sont, en fait, éminemment politiques car elles traduisent une approche citoyenne du monde des affaires et de l'entreprise.

Examinons, d'abord, ce qui a trait à la lutte contre le blanchiment des capitaux.

Mme Guigou a rappelé tout à l'heure les sommes énormes qui transitent par les circuits de blanchiment.

Elles sont difficiles à évaluer mais, en tout cas, elles menacent la stabilité économique et monétaire de nombreux pays, dont le nôtre. Il s'agit donc d'une criminalité en col blanc, dangereuse, qu'il faut réprimer car, de plus, elle est un obstacle au bon fonctionnement de notre économie. Ce projet de loi comporte neuf articles qui vont permettre de renforcer l'arsenal juridique français de lutte contre le blanchiment des capitaux. Cela démontre la volonté du gouvernement de Lionel Jospin d'être à l'avant-garde dans la lutte contre l'argent sale. Vous l'avez dit, madame la ministre, et surtout vous le prouvez, dans ce domaine, par une action résolue depuis votre nomination.

Le deuxième volet de ce projet de loi, sur lequel je vais m'attarder un peu plus, concerne le « gouvernement d'entreprise ». La commission des lois a été saisie de plusieurs dispositions qui vont, effectivement, dans le sens de c e que l'on appelle aujourd'hui le « gouvernement d'entreprise ».

Récemment, M. Seillière, le président du MEDEF, a rendu public le montant de sa rémunération et de ses stock-options. En fait, il n'a pas fait preuve d'une audace solitaire et inconsidérée puisqu'il s'inscrit dans un mouvement qui va vers plus de transparence dans les entreprises, en France aussi. Cela a été rendu nécessaire - le mouvement est maintenant irréversible - pour trois raisons.

D'abord, le développement dans les années 80 et 90 des OPA, notamment des OPA hostiles, aux Etats-Unis, et en Europe, qui se sont traduites souvent par un changement dans la direction des entreprises, mais aussi par une valorisation du cours des actions des sociétés visées.

Si les actionnaires ont ainsi pu réaliser des plus-values substantielles, ils se sont aperçus aussi, parfois, que de nombreuses sociétés pouvaient être mieux gérées qu'elles ne l'étaient jusque-là. Et ils ont commencé à s'interroger sur la qualité de la gestion de leurs dirigeants. Ils ont constaté que l'équipe dirigeante n'avait pas forcément géré la société au mieux des intérêts des actionnaires. I ls ont réclamé plus d'information et une association accrue à la gestion de l'entreprise.

Le deuxième phénomène qui explique la montée du gouvernement d'entreprise, ce sont les faillites retentissantes de groupes puissants dans les années 80 et 90 - je pense à Maxwell, à la BCCI ou encore aux difficultés du Crédit Lyonnais que nous avons tous en mémoire.

Toutes ces affaires ont jeté un doute sur la qualité et l'efficacité des contrôles internes des sociétés, sur la sincé rité des comptes présentés aux actionnaires, ainsi que sur la véracité des audits internes. Bref, les actionnaires se sont rendu compte qu'ils n'avaient pas assez de contrôle sur le fonctionnement de l'entreprise et qu'il fallait donc le renforcer, ainsi qu'améliorer la transparence du fonctionnement de l'entreprise.

Enfin, le troisième phénomène économique qui a contribué à l'émergence du gouvernement d'entreprise tient à la montée en puissance des fameux fonds de pension, notamment américains. Leur force financière, que nous connaissons tous, est aussi une contrainte pour eux.

En effet, lorsqu'un épargnant veut se désengager d'une entreprise pour investir dans une autre, il peut le faire facilement en cédant son titre financier et eu en acquérant d'autres. Tel n'est pas le cas pour un fonds de pension parce que tout désengagement brutal de sa part peut provoquer une baisse importante du titre de la société dans laquelle il a investi ses capitaux et donc causer une perte de patrimoine qu'il ne pourrait assumer vis-à-vis de ceux qui lui ont confié le soin de gérer leur épargne.

Devant cette impuissance à recourir aux mécanismes du marché pour sanctionner des gestions défaillantes, les fonds de pension ont été conduits à exiger un renforce-


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ment de leurs pouvoirs en tant qu'actionnaires et donc, aussi, une amélioration de l'information qui leur est fournie.

Au-delà des fonds de pension, tout milite pour garantir un fonctionnement plus équilibré et plus transparent des entreprises françaises qui sont caractérisées par une trop grande opacité et par une trop grande concentration des pouvoirs.

Ce projet de loi permettra d'atteindre ces objectifs à travers quatre grandes orientations.

La première, qui a été développée par Mme Guigou et sur laquelle je ne m'étendrai pas, vise à assurer un meilleur équilibre des pouvoirs entre les organes dirigeants des sociétés.

La deuxième tend à doter les sociétés d'un fonctionnement plus transparent - M. Fabius en a beaucoup parlé.

La troisième orientation vise à renforcer les pouvoirs des actionnaires minoritaires. A ce sujet, la commission des lois vous proposera des amendements qui vont plus loin que le projet de loi lui-même.

Enfin, la quatrième orientation tend à faciliter l'utilisation des nouvelles technologies dans les sociétés : vote électronique et visio-communication, par exemple.

En conclusion, mes chers collègues, toutes ces mesures témoignent de l'engagement de la gauche moderne, de la gauche d'aujourd'hui, en faveur d'une économie maîtrisée, encadrée, régulée. Certes, ce texte n'est pas le « grand soir » auquel nous avons pu rêver, les uns et les autres, dans notre jeunesse, car il s'inscrit dans la réalité économique d'aujourd'hui, celle d'un capitalisme de plus en plus dur aux faibles, mais pas seulement à eux, d'un capitalisme financier plus qu'industriel, d'un capitalisme anonyme plus que responsable, bref, d'un capitalisme de plus en plus aveuglé par la recherche d'un profit maximum à très court terme.

Face à ce capitalisme, il est juste de dire que l'Etat ne peut pas tout. La mondialisation économique en est, bien sûr, la cause. Mais, il est faux de prétendre que l'Etat ne peut plus rien. Ce projet de loi en est la preuve.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis de la commission de la production et des échanges.

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis de la commission de la production et des échanges.

Monsieur le président, mesdames et monsieur les ministres, mes chers collègues, le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques tend à instaurer une meilleure régulation de la concurrence. Ce n'est pas peu dire et je crois que nous sommes tous d'accord sur ces bancs - la mission d'information sur les relations entre la production et la distribution a d'ailleurs rendu récemment, avant les assises de la distribution, un rapport adopté à l'unanimité - pour dire qu'il existe un profond malaise dans le commerce et que si des mécanismes de régulation ne sont pas rapidement mis en place, des centaines d'entreprises, des milliers d'agriculteurs vont disparaître.

Ces risques dénoncés par les agriculteurs et les patrons de petites et moyennes entreprises ne sont pas surévalués.

Il ne s'agit pas de revendications poujadistes de petits patrons. Ce malaise est justifié. Nous sommes en accord total avec le Gouvernement, qui estime qu'il convient de moraliser les pratiques commerciales, de lutter plus efficacement contre les pratiques anti-concurrentielles et de contrôler de manière plus transparente les concentrations.

On assiste à un mouvement de concentration sans précédent dans la grande distribution qui conduit à de véritables oligopoles. Les rapports entre distributeurs et fourn isseurs font penser à un sablier dans le goulot d'étranglement duquel passeraient les 70 000 producteurs des PME-PMI et les 300 000 agriculteurs qui vont vendre à 60 millions de consommateurs français - bien plus au niveau européen. Ce goulot d'étranglement, ce sont les cinq supercentrales d'achat qui contrôlent la vente de 90 % des biens de grande consommation. Par ailleurs, du fait d'un phénomène d'intégration, certaines enseignes ne font plus seulement de la distribution mais de la production, des entreprises travaillant pour leurs marques de distributeur, et elles contrôlent, en aval, des activités bancaires.

Aujourd'hui, la question est simple : souhaitons-nous que quelques grands groupes mondiaux contrôlent la totalité de la production dans notre pays ? Nous ne sommes pas contre la grande distribution, qui est un grand secteur économique en France, mais à condition que règnent des rapports commerciaux équitables entre le secteur de la production et celui de la distribution.

Par une page entière de publicité, il y a quelques jours, une grande enseigne faisait la promotion de fraises d'Espagne à 4,90 francs la barquette de 500 grammes.

M. Philippe Auberger.

Des garriguettes ?

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis.

Justement non, mon cher collègue, malheureusement, de mauvaises fraises ! Il est évident que quand arriveront sur le marché français, en début de campagne, les garriguettes dont vous parliez à l'instant, leur prix aura été tiré vers le bas du fait qu'un prix virtuel aura été fixé par des campagnes de promotion.

Et on peut lire aujourd'hui dans un grand quotidien du soir, parce que, maintenant, la politique ne se fait plus seulement à l'Assemblée nationale, mais dans de grands journaux à coup de manchettes publicitaires...

M. François Goulard.

Ce n'est pas nouveau ! Interdisez la presse pendant que vous y êtes !

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis.

... que les consommateurs paient, car ce sont eux, ceux-là mêmes que nous voulons défendre, qui paient ces publicités ; on peut lire, disais-je, qu'une de ces grandes enseignes prétend que nous serions pour des prix élevés. Pas du tout ! Nous souhaitons tous que le consommateur bénéficie des prix les plus bas, mais à condition que la qualité reste bonne. Car il y a souvent un rapport entre le prix et la qualité, avec un peu de bon sens, chacun le comprend.

On ne peut pas à la fois pressurer les PME-PMI, leur faire vendre à bas prix, par le biais notamment des marques de distributeurs, en exigeant d'eux de la qualité et en leur imposant des cahiers des charges et des contraintes qui font craindre, dans des périodes de crise - pensons à la dioxine ou à la listériose pour les rillettes que, malheureusement, la qualité ne soit plus au rendezvous.

Alors, oui aux prix bas, à condition que subsiste une certaine qualité et qu'existent des rapports équitables entre production et distribution. Personnellement, je ne connaissais pas les relations qu'elles entretenaient. Toute la mission d'information a été choquée de ce qu'elle a constaté. Autant une coopération commerciale réelle peut se justifier, la promotion et la mise en place d'un produit sur un linéaire font partie du travail de la grande distri-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 25 AVRIL 2000

bution, autant le fait que 35 % du prix d'achat soit aujourd'hui reversé sous forme de « coopération commerciale » à la grande distribution n'est pas acceptable. Et on peut se demander si le consommateur y gagne. Car, en tout état de cause, c'est lui qui paye. Les gains de productivité qu'a connus le secteur de la production de biens de grande consommation depuis quelques années sont aujourd'hui passés dans le seul secteur financier de la grande distribution.

M. Arnaud Montebourg.

Très bien !

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis.

Il est donc évident que ces « corbeilles de la mariée », ces référencements sans contrepartie, toutes ces pratiques Michel-Edouard Leclerc, lui, prétend « proposer des réductions de prix loyalement obtenues lors de négociations commerciales » ! - sont inadmissibles. Citons aussi celle qui consiste à exiger qu'on aille payer en Suisse 10 000 euros pour avoir le droit d'être référencé dans une grande enseigne en France. Sont-ce là des prix loyalement obtenus ? Tous mes collègues, quelle que soit leur appartenance, ont pu constater cela, Jean-Paul Charié ici présent peut en témoigner.

Cela peut atteindre jusqu'à 35 % du chiffre d'affaires.

C'est excessif. Les petites entreprises françaises, qui ne peuvent se permettre des centaines de millions de frais de publicité à la télévision, seront étranglées si une ré gulation n'est pas instituée. Ce n'est pas le cas des grandes firmes multinationales qui fabriquent des produits de biens de grande consommation qui ont, elles, les moyens de se défendre. Voulons-nous aboutir à un face à face entre le secteur de la grande distribution et des multinationales ? Ce marché des biens de grande consommation est important : 2 500 milliards annuels de produits de biens de consommation ! Avec des centaines de milliards en

« coopération commerciale » et des délais de paiement portant sur des centaines de milliards.

M. Jean-Jacques Jégou.

Vous n'avez rien à proposer sur ce point !

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis.

Après ces constatations, le texte de loi qui nous est proposé apparaît de nature à moraliser ces pratiques abusives.

Il s'agit, entre autres, d'éviter que des entreprises ne soient déréférencées très rapidement. Ainsi une petite entreprise de ma circonscription, Gouvy, qui fabrique des pelles de jardin...

M. Jean-Jacques Jégou.

Très bonne entreprise !

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis.

... a été d éréférencée, en quelques semaines, par Castorama, racheté par des fonds de pension anglais,...

M. François Goulard.

Et voilà !

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis.

... qui a estimé qu'il y avait suffisamment de fournisseurs au niveau européen pour se passer d'une petite entreprise qui travaillait à cette production depuis vingt-cinq ans.

M. François Goulard.

C'est M. Mélenchon qui a raison à propos de Tony Blair : ces gens sont dangereux !

M. le président.

Mon cher collègue, veuillez ne pas interrompre l'orateur !

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis.

Il s'agit donc de pratiques inadmissibles auxquelles le Gouvernement a raison de s'attaquer. Pour ce qui est du volet agricole, nous présenterons des amendements qui vont plus loin que le texte du Gouvernement, car nous ne pouvons pas nous permettre que se renouvelle la crise des fruits et légumes que nous avons connue l'an passé, à cause de prix fixés à l'avance dans les catalogues de certains professionnels.

M. Arnaud Montebourg.

Très bien !

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis.

Nous ne sommes pas pour une législation tatillonne ni pour une économie administrée. Nous souhaitons aller vers des codes de bonnes pratiques et vers des relations contractuelles, à condition que cela ne reste pas des voeux pieux ! Car tout le monde invoque des codes de bonnes pratiques, mais ce n'est pas ce que nous observons aujourd'hui. Oui, donc, au contrat, à condition qu'il soit respecté et que, comme la COB pour les opérations de bourse, une commission puisse vérifier les relations contractuelles entre producteurs et distributeurs. Sur ce point aussi, un certain nombre d'amendements viendront enrichir le texte gouvernemental.

Il faut également imposer le respect de la qualité d'origine. Il importe que l'agrément des signes officiels de qualité alimentaire ne soit délivré qu'au groupement de producteurs qui a mis au point le référentiel.

Nous demandons aussi une meilleure organisation des filières agricoles.

Les délais de paiement fournissent une trésorerie à bon compte aux distributeurs. Nous avons noté une tendance à l'allongement des délais de paiement. Cela correspondait, et correspond encore, par exemple, dans le secteur de l'automobile, à la rotation des stocks. Ce n'est pas le cas dans les grandes surfaces, où les produits, notamment alimentaires, sont vendus en quelques jours. Les délais de paiement sont trop longs, si bien que des producteurs faute d'être payés doivent emprunter. La commission a donc souhaité que, passé le délai de quarante-cinq jours, l'acheteur ait à fournir une lettre de change pour que le fournisseur puisse obtenir de l'argent auprès des banquiers.

Nous avons également souhaité améliorer le fonctionnement du Conseil de la concurrence, et sanctionner les pratiques anticoncurrentielles.

Le présent texte nous apparaît un bon texte. Les propositions qu'il contient restent raisonnables. Il ne s'agit pas d'un retour à une économie administrée, comme le déplorent certains. Il ne s'agit pas de brimer la grande distribution française, mais de remettre de l'éthique et de la moralité dans un système dont tout le monde reconnaît les dérives et les abus.

Une économie compétitive repose sur une concurrence loyale. Personne ne nie aujourd'hui qu'il y a nécessité de moraliser les pratiques commerciales. Il faut pour cela mettre fin à des pratiques féodales et à des contrats léoniens, ainsi qu'assurer plus de transparence dans les relations commerciales.

La loi de la République ne signifie pas la loi du plus fort. Note philosophie est de faire appliquer la loi, de privilégier les relations contractuelles entre les parties et de donner quelques outils législatifs et réglementaires supplémentaires aux pouvoirs publics et au Conseil de la concurrence pour établir des relations commerciales équilibrées. C'est d'ailleurs ce que nous ont demandé toutes les parties et c'est également ce qu'ont demandé, à l'unanimité, tous les groupes politiques de cet hémicycle représentés à la mission d'information, présidée par Jean-Paul Charrié et dont j'ai été le rapporteur.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 25 AVRIL 2000

Nous n'avons pas voulu créer un nouveau droit de la concurrence, mais une nouvelle régulation de ce droit.

Voilà pourquoi nous souhaitons que ce texte soit très largement voté par l'Assemblée nationale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Question préalable

M. le président.

J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie libérale et Indépendants u ne question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Alain Madelin.

M. Alain Madelin.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre - ministre de l'économie, des finances et de l'industrie -, mesdames les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi a une histoire. Il était en effet un peu plus de vingt heures, ce lundi 13 septembre 1999, quand Lionel Jospin, notre Premier ministre, interpellé sur France 2 à propos des licenciements de l'entreprise Michelin qu'il n'avait pu éviter, pas plus qu'il n'avait pu éviter ceux de Renault à Vilvoorde au moment où il avait pris ses fonctions, se laissait aller à dire, je le cite : « Il ne faut pas attendre tout de l'Etat et du Gouvernement. Ce n'est pas par la loi, par les textes, que l'on va réguler l'économie. »

M. Pierre Forgues.

Il avait ajouté autre chose !

M. Alain Madelin.

Propos de bon sens, mais qui eurent pour effet de déclencher une tempête médiatique alimentée par tout ce que la gauche compte de consciences politiquement correctes. Que n'avait-on entendu ? Il suffit d'ailleurs de relire les titres de la presse de l'époque :

« La faute de Jospin », « Jospin déçoit les siens », « Il a raté son émission », « Il a manqué le lancement de sa deuxième étape ». Pire encore : « Le tournant libéral de la gauche ».

M. François Goulard.

Quelle horreur !

M. Alain Madelin.

On ira même jusqu'à parler sur ces bancs de « la dérive libérale du Gouvernement ».

(« Oh ! » sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis.

C'est du théâtre !

M. Alain Madelin.

Pour ses détracteurs, le Premier ministre venait, en tenant de tels propos, de signer un aveu d'impuissance face à la mondialisation, lequel sonnait la fin du volontarisme socialiste.

Lionel Jospin se devait de réagir. Il le fit à Strasbourg, deux semaines plus tard, le 27 septembre, dans un véritable discours de réarmement moral pour troupes socialistes dépitées. Voici que, emphatique, il déclarait que, face à la mondialisation débridée, « c'était la mission de la g auche d'inventer de nouvelles régulations ».

(« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Régulation : le mot était lâché. Il fut répété plus de vingt fois dans so n discours : « Camarades, une seule solution : la régulation ! » Voilà qui rappellera certains souvenirs aux plus anciens d'entre vous.

(Rires et applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Et Lionel Jospin d'annoncer aussitôt le dépôt d'un prochain projet de loi destiné à corriger les excès du capitalisme triomphant, un projet phare, un projet de société, la réponse socialiste au mondialisme et au libéralisme, un projet de loi sur les régulations économiques.

Mme Nicole Bricq.

Tout à fait ! Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

M. Alain Madelin.

On allait voir ce qu'on allait voir ! J'attendais donc avec impatience de savoir quelle était la réponse socialiste au nouveau monde. Nous y voici.

Quel décalage entre l'ambition affichée et ce texte ! Quelle pauvreté ! Il s'agit d'un patchwork de mesures sorties des fonds de tiroir de Bercy, qui ne méritaient sûrement pas l'honneur d'un projet de loi mais qui auraient p u tout naturellement trouver leur place dans un DDOEF. Il s'agit d'un texte amputé d'un volet que l'on disait essentiel monsieur le Premier ministre, vous vous êtes exprimé à ce sujet tout à l'heure - celui de l'épargne salariale.

Je cherche alors la réponse socialiste annoncée aux défis du nouveau monde. Je cherche même un simple exposé des motifs qui eût donné un sens à tout ce bric-à-brac. Je cherche en vain.

Oh oui ! monsieur le Premier ministre, je sais bien que ce texte n'est pas le vôtre et je vous fais volontiers crédit que vous nous eussiez sans doute donné un texte de meilleure facture. (Sourires sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance.)

On nous parlait de réponses apportées au libéralisme.

Or nous voici avec des propositions qui, dans leur esprit tout au moins j'en critiquerai plus tard la démarche et les modalités -, relèvent au fond d'une saine défense d'une économie de marché.

A défaut d'exposé des motifs, il s'agit, si j'en crois l'étude d'impact, d'améliorer l'allocation des ressources, de stimuler l'innovation grâce à l'ouverture du marché et à la concurrence. Très bien ! Il s'agit aussi d'améliorer la transparence des autorités de régulation financière et des organes dirigeants des entreprises. Très bien !

M. Pierre Forgues.

En effet, très bien !

M. Alain Madelin.

Il s'agit encore d'améliorer l'information sur le déroulement des opérations financières pour les acteurs de la vie économique, notamment pour les actionnaires minoritaires. Fort bien !

Mme Nicole Bricq.

Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

M. Alain Madelin.

Mais on nous disait vouloir corriger les excès du capitalisme triomphant. Or voici seulement quelques mesures destinées à accompagner les OPA.

Certes, ce texte contient des dispositions intéressantes comme l'utilisation de la visioconférence dans les conseils d'administration et les conseils de surveillance, ou l'étiquetage du chocolat. (Rires.)

De telles dispositions ne sont pas inutiles, mais reconnaissez, chers collègues, qu'elles n'ont pas la dimension d'un projet de société ou d'une réponse socialiste au capitalisme triomphant.

M. Pierre Forgues.

Nous sommes modestes !

M. Alain Madelin.

Reconnaissez que l'ambition de Strasbourg n'est pas au rendez-vous. Il y a eu publicité mensongère, tromperie sur la marchandise.

M. Pierre Forgues.

Non !

M. Alain Madelin.

Je sais que dans vos rangs mêmes, pour des raisons bien entendu très différentes des miennes, nombreux sont ceux qui pensent de même et qui se sont étonnés publiquement de la modestie d'un tel projet en soulignant qu'il n'était pas le texte novateur attendu et qu'il ne pouvait être accepté en l'état.


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Ce sont là les raisons, toutes les raisons de cette question préalable.

Le monde change. Le monde bouge. Il faut repenser le rôle de l'Etat, imaginer de nouvelles règles. La démarche était la bonne, mais, avec ce texte, elle ne débouche sur rien. Voilà pourquoi je vous propose de revoir votre copie.

On a dit le Gouvernement en panne de réformes, condamné à l'immobilisme. Certains ont vu déceler dans cet immobilisme des raisons électorales ou préélectorales.

Moi, je vous propose une autre explication : s'il y a panne de réformes, c'est peut-être parce qu'il y a panne d'idées.

Paul Thibaud, cet intellectuel proche de vous, en a fait l'impitoyable constat cette semaine dans L'Express

Mme Nicole Bricq.

Jean-Christophe Cambadelis lui a répondu !

M. Alain Madelin.

Certes, et je rends hommage à M. Cambadelis qui a bien voulu dire que libéralisme signifiait modernité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Je livre donc à votre réflexion cette seule citation de Paul Thibaud : « Lionel Jospin considère avec distance, avec réserve et sans imagination un monde qui ne l'inspire pas. »

Si le présent texte marque sûrement, c'est vrai, une formidable évolution des idées socialistes depuis l'époque c'était en 1983 - où Lionel Jospin disait : « Pourquoi ne pas imaginer un modèle économique empruntant à la fois à Keynes distribuer mieux - et à Marx : réformer les structures ? » et signe votre ralliement au bon fonctionnement d'une économie de marché, il prolonge le passé plus qu'il n'ouvre l'avenir. Je crois qu'aujourd'hui comme hier, vous êtes en retard d'un monde.

Dans les années 70, au bon vieux temps du programme commun, vous proposiez une rupture avec l'économie de marché. J'ai même entendu il y a quelques instants un des orateurs du groupe socialiste se remémorer cette bonne vieille rupture avec le capitalisme.

Absurde ! Dans les années 80, vous engagiez la France, à contrecourant du monde, sur la voie des nationalisations, du recrutement massif dans les entreprises et la fonction publiques, la voie du creusement des déficits budgétaires pour relancer l'économie.

Au début des années 90, après la chute du mur de Berlin, vous persistiez encore à proposer à la France ce douteux modèle de l'économie mixte, dont le symbole et la facture ! - restera le Crédit lyonnais, et qui permettait de justifier, en toutes circonstances, les interventions de l'Etat.

Je crois que le fait de vous être trompés, avec constance, sur tout, depuis trois décennies, d'avoir toujours eu un temps de retard sur l'évolution du monde, explique sans doute le vide de votre projet. Car ce projet de loi, il faut l'admettre, relève beaucoup plus de la vieille t radition réglementaire française que d'une nouvelle approche régulatrice. Et nous aurons l'occasion d'y revenir en détail dans le débat, pour le cas, bien entendu, où vous ne voteriez pas cette question préalable.

M. Pierre Forgues.

Et les Français, mon cher collègue, que disent-ils ?

M. Alain Madelin.

Je voudrais, sans attendre, survoler les principales dispositions des trois volets de ce texte.

D'abord, le volet concernant la concurrence. A défaut d'épargne salariale, ce volet constitue effectivement l'essentiel du projet. Comment, pourtant, ne pas s'interroger sur le fait que la France a le triste privilège d'avoir sans doute la législation sur l'encadrement des relations commerciales la plus touffue et la plus détaillée de tous les pays développés, alors que dans le même temps les relations entre les producteurs et les distributeurs y sont exécrables.

Notre droit de la concurrence condamne à juste raison les ententes et les abus de position dominante. Mais il est vrai que l'application de ce droit, qui est contenu dans l'ordonnance de 1986, laisse pour le moins à désirer.

Pour éviter que les centrales d'achat exigent des avantages sans contrepartie, sous forme d'engagement écrit, pour éviter le chantage au déréférencement, pour sanctionner la rupture brutale d'une relation commerciale établie, la loi Galland du 1er juillet 1996 est venue renforcer ce dispositif. Toutefois, en matière de commerce, les choses sont ainsi faites que le propre du bon négociateur est d'essayer d'arracher un avantage supplémentaire par rapport à ses concurrents. Et c'est ainsi que l'on a vu ces interdictions contournées par de douteuses innovations conduisant à l'explosion de vraies, mais aussi de fausses coopérations commerciales.

Or voici que l'on ajoute, en quelque sorte, une couche de nouvelles interdictions, avec, bien entendu - c'est une tradition française, dès qu'un problème se pose -, l'inévitable création d'une commission, en oubliant d'ailleurs au passage les consommateurs, qui sont pourtant les premiers intéressés, me semble-t-il, au bon fonctionnement de la concurrence.

Si j'estime positif de proposer dans ce projet de juger l'abus de dépendance économique non plus par rapport à ses effets sur les marchés, comme c'est le cas aujourd'hui, mais comme un comportement fautif en soi, je pense que, sur le reste, vous suivez une mauvaise méthode.

Si l'on avait voulu en effet vraiment répondre au souci d'équilibrer les relations producteurs-distributeurs, mieux aurait valu, à mes yeux, suivre les recommandations du rapport déposé par M. Villain, l'ancien directeur général de la concurrence, ou encore l'avis du Conseil de la concurrence sur le projet de loi de 1996. Or, curieusement, ce dernier avis, qui présentait l'avantage de proposer une loi nouvelle, fondée sur l'abrogation des règles d'interdiction désuètes, n'a pas été rendu public. Il est d'ailleurs symptomatique de constater que plusieurs des articles du projet de loi ne font que reprendre des amendements écartés lors des débats parlementaires de 1995 et 1996, pour cause de nocivité, d'inutilité ou d'effets pervers.

J'aurais pour ma part plus volontiers suivi la démarche régulatrice proposée par le Conseil de la concurrence en renforçant encore son rôle et ses pouvoirs.

Premièrement, il faudrait supprimer l'article 34 de l'ordonnance de 1986 qui interdit à un producteur industriel d'imposer un prix de revente. En effet, soit il choisit le bon prix et il trouvera des revendeurs, soit il se trompe, il impose un mauvais prix, et il fera ainsi l'affaire de ses concurrents.

Deuxièmement, il conviendrait de s'assurer - et c'est d'abord à mes yeux une affaire de moyens - du bon fonctionnement de la justice civile et commerciale de façon que le principe de notre droit civil selon lequel tout acte causant un préjudice engage la responsabilité de son


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a uteur et entraîne réparation puisse s'appliquer p leinement aux relations commerciales entre les producteurs et les distributeurs.

E nfin, troisièmement, pour que tout cela puisses'appliquer, il faudrait instaurer un régime d'indemnisation pénalisant, inspiré du modèle anglosaxon des dommages au multiple, afin de favoriser l'action en justice.

S'agissant du contrôle des concentrations, j'aurais plus volontiers donné le pouvoir d'instruction et de décision au Conseil de la concurrence, avec un commissaire du Gouvernement qui présenterait ses observations comme en matière d'ententes et d'abus de position dominante.

D e même, il conviendrait d'aligner les critères d'interdiction sur ceux du droit communautaire car ceux que vous proposez restent flous et seront une source d'arbitraire.

Enfin et surtout, il faudrait transférer le contentieux du contrôle des concentrations à la cour d'appel de Paris, c omme pour les ententes et les abus de position dominante.

Je m'arrête là sur la concurrence - nous y reviendrons peut-être dans le débat -, car les dispositions concernant la lutte contre le blanchiment, la régulation financière ou celle de l'entreprise appellent moins de commentaires à ce stade.

O ui, bien sûr, à la transparence des opérations f inancières. Et je vois dans votre souci actuel de transparence comme le remords de ce raid manqué sur la Société générale ou le regret de ces délits d'initiés qui remontaient jusqu'au plus haut sommet de l'Etat.

Demander à une entreprise qui fait une offre publique d'achat sur une autre entreprise d'en informer le comité d'entreprise et de se rendre, le cas échéant, à sa convocation vous donne, sans doute à bon compte, le moyen de vous poser en défenseur du personnel. Mais reconnaissez franchement que cette disposition ne change pas grand-chose. C'est une démarche qui va de soi ou qui devrait aller de soi.

Q uant à la disposition prévoyant la présence systématique d'un administrateur représentant l'Etat dans les entreprises privées dans lesquelles ce dernier détient même indirectement 10 % du capital, elle est le signe que vous croyez toujours à la présence éclairée de ces hauts fonctionnaires dans les entreprises et que les scandales du Crédit lyonnais et bien d'autres affaires publiques ne sont pas venus entamer votre foi. Il s'agit, là encore, d'un contresens car le problème actuel n'est pas tant de faire entrer les administrateurs de l'Etat dans les entreprises que d'en faire sortir l'Etat en achevant les privatisations.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Quant aux dispositions relatives à ce qu'on appelle la gouvernance d'entreprise, il me semble - j'y reviendrai qu'avant de donner des leçons l'Etat ferait mieux de donner l'exemple. L'exemple d'une bonne gouvernance publique, du ministère de l'éducation nationale à la gestion de Bercy, l'exemple de la transparence en matière de rémunérations ou d'évaluation. Et s'il s'agit de refuser l es monopoles, les abus de position dominante et l'ouverture à la concurrence, l'Etat ferait mieux de commencer par appliquer de tels principes au secteur public.

M. Gilbert Gantier.

Très juste !

M. Alain Madelin.

Cela étant, tout ce qui renforce la transparence et le rôle des actionnaires va dans le bon sens. Je le dis d'autant plus volontiers qu'il me semble avoir, plus souvent qu'à mon tour, dénoncé dans le passé ce capitalisme de connivence qui a trop souvent été celui d e la France, avec ses privilèges, ses réseaux, ses dangereuses consanguinités et ses entreprises publiques qui, après avoir fait le bonheur des serviteurs de l'Etat, à l'instar de ces évêchés que l'on obtenait autrefois en approchant de près le roi, ont fait parfois leur fortune à la faveur des dénationalisations.

Renforcer le rôle des actionnaires va dans le bon sens c ar des actionnaires bien organisés peuvent peser fortement sur la direction d'une entreprise, demander des comptes à ses dirigeants en matière de salaires, d'inté-r essement, d'indemnités de départ, dénoncer les turpitudes éventuelles du management.

Oui, le bon fonctionnement d'une économie de marché exige que les rémunérations des dirigeants des g randes entreprises soient le résultat de décisions tranparentes des actionnaires et non le produit d'un système opaque de connivences, de parachutes dorés ou de stock-options de faveur.

A propos de stock-options, monsieur le Premier ministre, comment ne pas s'inquiéter des velléités du président de notre commission des finances d'en alourdir la fiscalité ? Sachez que vous serez jugé, le moment venu, non sur votre art du compromis au sein de la famille socialiste pour obtenir une solution chèvre-chou, mais sur votre capacité à donner à notre pays une fiscalité moderne et compétitive en matière de stock-options.

J'achèverai là l'examen des dispositions de ce texte. Il est clair qu'elles relèvent d'une approche réglementaire classique et ne constituent en rien une nouvelle vision régulatrice face au nouveau monde, à la nouvelle société et à la nouvelle économie qui se dessinent.

S'il y a nécessité de repenser aujourd'hui les règles du jeu de notre société, c'est parce que, confusément, nous sentons que nous sommes en train de changer de monde.

Sans doute, comme l'avait vu Marx, et d'autres avant lui, les modes de production engendrent, à leur façon, des modes d'organisation sociale.

Dans l'histoire de l'humanité, il n'est arrivé que deux fois que les hommes aient inventé des modes de production de richesses totalement nouveaux. Deux fois, ce bouleversement a provoqué l'apparition de nouvelles formes de gouvernement dans nos sociétés.

La première grande révolution, vers la fin du premier millénaire, a été généralisation d'une civilisation fondées ur le mode de production agricole, entraînant la civilisation rurale, patriarcale et féodale.

La deuxième révolution, aux

XIXe et XXe siècles, a été lar évolution industrielle. Production de masse.

Consommation de masse. Pouvoir de masse. Idéologie de masse. Démocratie de masse. La révolution industrielle a changé toutes les habitudes des peuples concernés. Elle a é té, c'est vrai, rude pour l'homme, rude pour l'environnement. Elle a suscité un mode d'organisation pyramidal des pouvoirs, dans l'entreprise comme dans la société. Eh oui, le XXe siècle a été le siècle du pouvoir, de l'autorité, de la hiérarchie, avec ce modèle industriel taylorien ! Le siècle des Etats-nations qui se faisaient la guerre, le siècle du tout politique, jusqu'aux idéologies t otalitaires. Et les idées dominantes ont été tout naturellement celles de la confiance dans l'Etat, celles du dirigisme, du socialisme et des avatars marxistes.


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Avec le

XXIe siècle s'ouvrent un nouveau monde et une n ouvelle économie. Voici qu'intervient la troisième grande vague de l'histoire de l'humanité. En bref, la civilisation de l'usine fait place à la civilisation du savoir, et Internet est le symbole le plus évident, le plus spectaculaire de ce bouleversement planétaire. Internet est le résultat, je le dis au passage, de la défiscalisation aux

Etats-Unis et de la déréglementation, qui ont laissé un champ libre à l'arrivée de nouvelles technologies.

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis.

Et de la recherche !

M. Alain Madelin.

Ce qui caractérise la civilisation Internet, c'est qu'il n'y a pas de tour de contrôle. Et ce que j'appelle les idées libérales, celles de la confiance dans la personne, dans sa liberté, dans sa responsabilité, s'affirment aujourd'hui comme les idées dominantes de ce nouveau monde.

Toutes les structures traditionnelles, collectives, sontr emises en cause. A commencer par l'Etat, son administration et son fonctionnement. Voilà pourquoi, oui, il faut réorganiser l'Etat et repenser nos règles du jeu.

Le vieux monde reposait sur une structure centralisée et pyramidale. Le nouveau monde fonctionne de façon horizontale et s'appuie sur des réseaux. Son organisationr epose sur les principes de décentralisation, de subsidiarité, de liberté, de responsabilité individuelle.

Dans l'ancien monde, la société et l'économie étaient considérées comme des machines, au fonctionnement m écanique. Dans le nouveau, elles constituent des systèmes vivants, autonomes, largement auto-organisés, autorégulés.

Dans le vieux monde, la réglementation - nous y voici - fournissait un cadre de contrôle. Dans le nouveau monde, elle est beaucoup plus, elle devient un cadre d'accueil.

Au fond, il existe deux conceptions de la régulation,e lles étaient en filigrane dans les interventions précédentes.

O ui, la mondialisation de l'économie, l'interdépendance croissante des hommes dans une société de plus en plus complexe remettent en cause les systèmes nationaux de régulation étatique. Et là réside votre problème : vous ne concevez la régulation qu'au travers de l'Etat et de la politique, du primat du politique, comme l'a dit Lionel Jospin et comme vous l'avez répété il y a un instant. Sans doute est-ce là le tropisme naturel d'un gouvernement qui ne compte aucun représentant dus ecteur privé et dont les trente-trois ministres ou secrétaires d'Etat sont tous issus de la fonction publique ou du secteur public. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe D émocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Yves Cochet.

C'est faux !

M. Alain Madelin.

Vous parlez de régulation parce que ce mot est à la mode, il est moins compromettant que le terme de réglementation. Il fleure bon le nouveau monde.

Mais quand vous dites régulation, en réalité vous pensez réglementation.

S'agit-il du temps de travail ? Voilà que vous imposez la même durée pour tous dans un texte de loi qui a vu les ministres et les parlementaires discuter dans le détail d u temps de pause et de restauration, du temps d'habillage et de déshabillage. Ce n'est pas du tout cela la régulation du monde moderne. La régulation moderne, elle échappe à la logique purement politique.

M. Pierre Forgues.

Demandez aux ouvriers !

M. Alain Madelin.

Elle échappe à la logique du tout politique.

M. Pierre Forgues.

Vous n'êtes jamais allé dans une usine !

M. Alain Madelin.

Et avec le nouveau monde, avec la mondialisation, avec la construction européenne...

M. Arnaud Montebourg.

Allez l'expliquer à vos électeurs de Redon. Vous faites le contraire à Redon ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement p our la République, du groupe de l'Union pour la d émocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Vous voulez des preuves ?

M. Alain Madelin.

... le droit ne change pas seulement de dimension, il change aussi de nature. L'Etat a perdu le monopole de la production des normes juridiques.

M. Pierre Forgues.

Allez dire cela à l'usine !

M. Alain Madelin.

C'est là, je le reconnais, un fait difficile à admettre par des socialistes, plus volontiers portés au volontarisme de l'Etat.

M. Pierre Forgues.

Ce n'est pas ce que vous dites.

M. le président.

Monsieur Forgues, s'il vous plaît.

M. Henri Emmanuelli, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Madelin est provocant !

M. Alain Madelin.

Mais de même que vous avez dû admettre la fin de la toute-puissance de l'Etat sur la production économique, il va vous falloir admettre la fin de la toute-puissance de l'Etat sur la production du droit.

M. Christian Cuvilliez.

Un anar de droite !

M. Alain Madelin.

Mettre la régulation à l'heure d 'Internet impose un changement de perspectives.

Comme l'a excellemment dit notre collègue Christian Paul, député socialiste de la Nièvre, organisateur des rencontres parlementaires sur la société de l'information :

« On ne peut pas regarder l'Internet avec les lunettes jacobines et centralisatrices du

XIXe siècle. »

M. Pascal Clément.

Très bien !

M. Christian Paul.

Pas avec les vôtres non plus !

M. Alain Madelin.

Ou encore, « la société de l'information a besoin de la justice, pas de l'Etat ». C'est aussi la conclusion du Commissariat au plan dans son rapport sur le rôle de l'Etat dans les médias, qui supplie l'Etat « de résister à la tentation de réguler des services ou des réseaux qui sont loin d'avoir atteint leur maturité ».

Comme l'écrivait, dans Libération du 19 avril, à mes yeux fort justement, Zaki Laïdi dont j'apprécie le travail de réflexion qu'il joue à gauche, « il faut admettre une fois pour toutes que le système capitaliste est un système ouvert dont la régulation est indispensable, mais dont la régulation optimale ne passe pas nécessairement par l'Etat ».

M. Pierre Forgues.

Par qui alors ?

M. Alain Madelin.

Nous voici, me semble-t-il, au coeur du débat sur les nouvelles régulations. Il faut rompre avec cette conception du droit qui confond le droit et l'Etat.

On connaît le raisonnement, il est encore présent dans nos esprits : la politique, c'est le pouvoir, le pouvoir, c'est la souveraineté, la souveraineté s'incarne dans l'Etat.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 25 AVRIL 2000

M. Henri Emmanuelli, président de la commission des finances.

Le pouvoir, c'est le peuple !

M. Alain Madelin.

L'Etat fait la loi, donc le droit se confond avec le pouvoir, il échappe à la morale, ce qui a fait dire dans le passé : « Vous avez juridiquement tort p arce que vous êtes politiquement minoritaires. »

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

C'est, à mes yeux, une erreur historique de la pensée politique, je dirai même une horreur juridique, un vice conceptuel que de réduire le droit à la loi du plus fort ou à la loi du plus nombreux. Là se trouvent en germe toutes les constructions totalitaires.

Il existe, selon nous, un droit antérieur, extérieur, supérieur aux Etats. Un droit universel qui condamne les violations des droits de l'homme et qui ne met plus aujourd'hui les dictateurs à l'abri de la souveraineté de leurs Etats. Un droit qui réside, au bout du compte, dans la conscience humaine. Un droit qui tire sa justification non du pouvoir mais de la morale et de l'idée que les hommes se font de la justice.

C'est une approche libérale et constitutionnelle du droit à laquelle il faudra bien se faire, car elle domine aujourd'hui dans le monde,...

M. Gilbert Gantier.

Très bien !

M. Alain Madelin.

... même si, je le reconnais, elle a aujourd'hui du mal à se frayer un chemin en France, tant il est vrai que, dans notre pays, la tentation est forte de confondre le pouvoir, la justice et la loi au nom de la volonté souveraine. Il a fallu attendre 1974 pour que le Conseil constitutionnel puisse enfin faire prévaloir un droit supérieur sur les lois ordinaires. L'acceptation de ce rôle, dont je ne suis pas sûr qu'elle soit encore partagée par tous, ne s'est pas faite sans problème. N'est-ce pas Lionel Jospin qui déclarait, en 1980, que jamais la volonté d'un peuple ne s'était laissé arrêter par une cour constitutionnelle, empruntant, en cela, le chemin tracé trois ans plus tôt par François Mitterrand, pour qui le Conseil constitutionnel était une institution dont il faudrait se défaire ? Oui, mais le Conseil constitutionnel a trouvé sa place dans nos institutions et, avec lui, l'idée qu'il existe un droit supérieur. Voilà pourquoi je crois que si le monde a besoin de nouvelles règles elles ne passent pas toutes par l'Etat. Je prendrai quelques exemples pour me faire bien comprendre.

Déjà s'impose à la France un droit international et européen de plus en plus prolifique. Il y aurait beaucoup à dire sur ce droit. Sans doute un tel droit résulte-t-il directement ou indirectement d'une ratification politique.

Il est composé, en réalité, à partir de sources de droits multiples et complexes, reflets de l'expérience d'une société, qui échappent à la logique du tout politique, à la logique étatique nationale.

Autre exemple : certaines professions ont leurs règles édictées par leurs propres autorités, auxquelles l'Etat vient donner son agrément a posteriori grâce au contrôle exercé par le Conseil d'Etat.

Dans différents secteurs - la franchise, la publicité, les séjours scolaires à l'étranger entre autres - sont apparus des codes de bonne conduite sans qu'il soit d'ailleurs besoin de créer par la loi des commissions nationales. Ce sont des règles d'autocontrôle à qui, en cas de conflit, le juge ou l'arbitre donnera force juridique pour les rendre obligatoires.

Par ailleurs, nombre de normes techniques sont laissées aux intéressés, même si leur élaboration se fait, le plus souvent, sous le contrôle des pouvoirs publics.

E nfin, je pense aux autorités administratives indépendantes, que certains députés de la majorité qui s'exprimaient voici un instant à cette tribune semblent vouloir sinon remettre en cause, du moins rediscuter le rôle, en les contraignant à rendre des comptes. C'est dire que vous avez encore mal accepté toutes ces autorités indépendantes que sont la COB, le Conseil de la concurrence, la Commission bancaire, la Commission de contrôle des assurances, le CSA, l'ART, toutes inspirées des commissions ou des agences anglo-saxonnes. Quel est leur rôle ? Elles fixent des règles du jeu entre les acteurs économiques, définissent les équilibres souhaitables et sanctionnent les manquements à ces règles. Elles rendent des avis, des recommandations dans des rapports qui font autorité, en France comme ailleurs - et ailleurs plus qu'en France. Elles se juridictionnalisent, même si, à l'origine, ce n'était pas très clair, comme cela se manifeste p ar leur soumission croissante au principe du contradictoire et du respect des droits de la défense, ainsi que par leur soumission soit à l'ordre administratif, soit à l'ordre judiciaire.

P renez l'exemple de Microsoft, que nous offre l'actualité. Son démantèlement, reconnaissez-le, serait une décision lourde. Ce qui importe ici, ce n'est pas de savoir si cette décision est ou non justifiée, c'est de voir qu'une t elle décision est judiciaire et qu'elle échappe au politique. Ce ne sont ni les ministres américains, ni même le président des Etats-Unis qui prennent ces décisions, ce sont les juges. C'est cela l'autre approche de la régulation.

A vec ses 8 000 lois, ses 100 000 décrets, ses 3 60 000 règlements, sans oublier les 30 000 textes d'origine européenne et la trentaine de codes de 2 000 pages, la France devrait non pas ajouter des lois aux lois, mais simplifier, clarifier, codifier les règles essentielles et remplacer, chaque fois que possible, la loi, ou plus exactement le détail de la loi par le contrat ou la confiance en une autorité régulatrice. (Applaudissementss ur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Bien des questions de la vie économique et sociale, régies aujourd'hui autoritairement, uniformément par la norme générale de l'Etat, pourraient être restituées au contrat ou à la négociation d'intérêts communs dans le cadre des principes de la loi et sous le contrôle des tribunaux.

Sans doute faudra-t-il revenir un jour à une lecture plus exigeante de l'article 34 de la Constitution : « La loi détermine les principes fondamentaux... ».

M. Gilbert Gantier.

Eh oui !

M. Alain Madelin.

Sans doute faudra-t-il un jour laisser aux acteurs de la vie économique et sociale, aux pouvoirs locaux - c'est le problème de la Corse -, aux partenaires sociaux - c'est le problème de la refondation sociale -, le soin de définir leurs propres règles du jeu, les conditions d'application de la loi au moyen d'autorégulations, d'autorités indépendantes ou d'espaces de liberté contractuelle.

On ne fixe bien les principes que d'en haut, mais on ne règle bien les choses que d'en bas. Telle aurait dû être, à mon sens, un nouvelle approche de la régulation. Car, je le répète, le nouveau monde a besoin de nouvelles règles. Mais, de grâce, épargnez-nous les clichés de l'antilibéralisme primaire - j'en ai déjà entendu tout à l'heure (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) - selon lesquels le monde libéral serait régi par une sorte de loi de la jungle où chacun pourrait faire


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ce qu'il veut ! Ne récitez plus, s'il vous plaît, la formule de Jospin « Oui à l'économie de marché, non à la société de marché », car, bien sûr, le marché n'est pas tout et tout n'est pas marchandise.

Contrairement aux caricatures auxquelles la majorité de cette assemblée cède parfois, la pensée libérale ne donne pas la priorité à l'économie. C'est avant tout une p hilosophie de la liberté et de la responsabilité personnelle.

A la différence de Lionel Jospin, selon lequel être socialiste c'est affirmer qu'il existe un primat du politique sur l'économique, les libéraux considèrent qu'il existe un primat du droit et de certaines valeurs sur la politique et sur l'économie. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Robert Lamy.

Très bien !

M. Alain Madelin.

Je crois à l'efficacité d'une économie de marché. Elle constitue le meilleur moyen d'assurer la p rospérité, la mobilité, le progrès social. Mettre l'économie au service des hommes, ne pas réduire l'homme à l'économie, oui, bien sûr ! Pour nous, le marché est un moyen, non une fin, et l'efficacité économique et sociale du marché est inséparable d'uno rdre juridique fondé sur un ensemble de valeurs éthiques.

M. Jean-Paul Charié.

Très bien !

M. Alain Madelin.

Pour être concret, je prendrai l'exemple du commerce mondial. Nous souhaitons remplacer les rapports de force par des rapports de droit et c'est pourquoi nous souhaitons la réussite de l'OMC.

Nous disons clairement que le commerce n'est pas tout et qu'au-dessus des lois du commerce il y a les droits de l'homme. Dans le commerce international, nous condamnons fermement les violations des droits de l'homme, le non-respect des droits sociaux, le travail i ndustriel des enfants. Quelques promesses d'achat d'Airbus par la Turquie ne doivent pas nous empêcher de reconnaître le génocide arménien. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Arnaud Montebourg.

Le message est passé à M. Chirac !

M. Alain Madelin.

L'entrée de la Chine dans le commerce mondial n'efface pas notre exigence de respect des droits de l'homme.

M. Pierre Forgues.

Des mots !

M. Alain Madelin.

Certes, la mondialisation - et je peux comprendre votre interrogation - n'efface pas la pauvreté. La pauvreté existe, elle est même choquante dans les pays riches, dramatique dans les pays les moins avancés. Mais ce serait sans doute encore un cliché que de confondre la mondialisation avec la pauvreté. Le libreéchange et la mondialisation sont perçus partout dans le m onde comme des chances de prospérité, de développement et de paix. Et le refus de l'ouverture, comme ce fut le cas en Algérie, en Corée du Nord, au Burundi, au Rwanda, et dans bien d'autres pays, est perçu comme le plus sûr moyen d'enfermer les peuples dans la pauvreté.

A la question « la mondialisation a accru les inégalités, considérez-vous cette évolution comme inévitable ? », je voudrais vous livrer cette réponse sans équivoque : « Je ne pense pas ou plutôt je ne pense plus qu'il soit souhaitable d'avoir une société sans inégalités. Cela se termine par l'écrasement de l'individu. Lorsque les sociaux-démocrates parlent d'égalité, ils devraient penser à l'égalité des chances et non l'égalité des résultats. Cette égalité des chances, elle ne doit pas être donnée une seule fois, mais à chaque crise existentielle que rencontre l'individu. La solidarité doit être comprise comme la possibilité pour chacun de se voir offrir de nouvelles perspectives. Quant à savoir ce qu'il fait de cette chance, c'est à l'individu d'en décider. »

M. Claude Gatignol.

Très bien !

M. Alain Madelin.

Cette réponse, que vous pourriez juger comme ultralibérale, c'est celle de Gerhard Schro der à la veille de la rencontre de Florence des sociauxdémocrates et des socialistes européens.

La pire injustice, ce n'est pas tant d'être pauvre à un moment de sa vie que de savoir que l'on ne pourra que le rester et de transmettre cet état de pauvreté à ses enfants, comme c'est encore trop souvent le cas, hélas ! en France.

Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la France est loin de pratiquer cette politique ultralibérale tant décriée, comme en témoignent nos triples records de prélèvements publics, de dépenses publiques et de réglementation. La réponse est ailleurs et je souhaite, comme chacun icis ûrement, que cette nouvelle économie, source de nouvelle prospérité, profite à tous, à commencer par ceux qui sont exclus de l'emploi et pour lesquels vous devriez, monsieur le Premier ministre, avec votre gouvernement, c onsidérer avec plus d'intérêt les propositions de nouvelles formes de contrat de retour à l'emploi qui émanent des entreprises.

Si nous défendons sur ces bancs les fonds de pension à la française, ce n'est pas seulement pour prévenir le krach programmé de nos retraites : c'est aussi, et peut-être avant tout parce que l'actionnariat populaire est le meilleur moyen d'arriver à une meilleure justice entre les revenus du capital et les revenus du travail, le moyen de partager les fruits de la croissance boursière de nos entreprises.

(« Très bien ! » sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Faisons un instant un rêve : imaginons que, au milieu des années 80 nous ayons créé, comme le proposaient alors les libéraux pour résoudre le problème des déficits prévisibles de nos retraites, des fonds de pension à la française, sans toucher aux retraites par répartition mais en instaurant une petite cotisation supplémentaire de 3 % elle fut largement supérieure quand il s'est agi de venir au secours de nos systèmes de retraites par répartition. J'ai entrepris de faire un calcul : aujourd'hui, chaque Français disposerait actuellement d'un capital de 600 000 francs et, en 2020, au pire moment pour nos retraites, d'un capital de 2 millions de francs. La société en eût été changée car cette insolente prospérité boursière, qui peut légitimement choquer certains sur les bancs de cette assemblée ou ailleurs, n'aurait pas été seulement celle de quelques-uns : elle eût été partagée. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Exclamations sur les bancs du groupe communiste.) J'ajoute qu'un groupe d'actionnaires, même très minoritaire, même très actif, peut prendre l'opinion à témoin, peser sur les choix et introduire dans la gestion d e l'entreprise des critères sociaux, des exigences politiques - les droits de l'homme -, ou encore des exigences environnementales - la protection de la nature.

C'est pourquoi je crois que l'actionnariat populaire, les fonds de pension, les salariés actionnaires ne sont pas seulement des moyens de sauver nos retraites, de rendre


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n otre économie plus efficace, de développer un capitalisme populaire : ils sont aussi le moyen de rendre l'économie plus morale.

Alors, mesdames, messieurs de la majorité, épargneznous vos distinctions entre économie de marché et société de marché. L'économie de marché ne produirait ni valeur ni sens, mais vous sentez au travers de mes propos que j'entends bien donner du sens à l'économie et à la société telle que nous la vivons, et placer au-dessus de l'économie un certain nombre de valeurs auxquelles nous croyons.

M. Pascal Clément.

Très bien !

M. Alain Madelin.

J'aurais souhaité que vous preniez dans le texte la dimension de ce nouveau monde, que v ous ouvriez de vastes chantiers à cette nouvelle régulation ainsi présentée. Hélas ! Je crains que la modestie de ce texte ira nourrir tous ceux qui pensent que le politique est aujourd'hui impuissant face à ce nouveau monde. Pour ma part, je n'en crois rien : l'impuissance politique, elle est pour les conservateurs ! Elle n'est pas pour les réformateurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Monsieur le Premier ministre, compte tenu de la m odestie du texte, vous avez voulu dans votre intervention liminaire l'inclure dans une vision beaucoup plus large, que vous avez appelée l'« agenda réformateur ».

« Agenda réformateur », voilà une bonne expression.

Voici le nôtre : le nouveau monde a besoin de nouvelles règles et de nouveaux droits ; la nouvelle société a besoin d'un nouvel Etat ; la nouvelle économie a besoin d'une nouvelle fiscalité et les nouvelles activités ont besoin de nouvelles relations sociales.

Ce que je dis ne reprend au fond que la voie tracée par tant de pays autour de nous. Rassurez-vous, je ne demande pas au Gouvernement, à votre gouvernement, de prendre modèle sur Ronald Reagan ou sur Margaret T hatcher. Je lui demande simplement de prendre exemple sur ceux qui, en Europe, relèvent de sa famille p olitique : Tony Blair, Massimo D'Alema, Gerard Schro der.

Contrairement à ce que vous sembliez dire, les idées que j'exprime ne sont pas des idées ultra-libérales. A l'aune de Tony Blair, de Massimo D'Alema ou de Gerhard Schro der, elles seraient jugées aujourd'hui en Europe comme ultra-modérées.

Tony Blair dit, par exemple, que, pour relever les défis économiques et sociaux, il faut renouveler et modifier la conception même du gouvernement. L'Etat ne doit pas essayer de tout faire lui-même, mais collaborer avec les secteurs privés et associatifs : il doit être décentralisé.

Massimo D'Alema veut, ou plus exactement voulait, car il a été déconfit par plus libéral que lui (Sourires) , moins d'Etat, mais un Etat plus efficace.

Blair et Schro der, ensemble, affirment à l'intention de tous les socialistes européens : « Nous devons réaliser un p rocessus de véritable libération de la société, de l'économie, du marché, de l'accession à l'emploi » ;

« Nous soutenons les syndicats modernes, » - je ne dirais pas autre chose - « ceux qui soutiennent et non entravent le changement économique ». Et encore : « La qualité des services publics doit être rigoureusement surveillée, la mauvaise performance extirpée. »

Je pourrais poursuivre longtemps ce jeu des citations, un peu cruel pour vous car il montrerait le retard des socialistes français par rapport au monde et par rapport à leurs propres amis en Europe.

La nouvelle économie, la nouvelle société a, c'est vrai, besoin d'abord d'un nouvel Etat.

Transparence, concurrence, justice, lutte contre les a bus de position dominante : voilà bien des mots empruntés à votre projet de loi et que l'Etat, me semblet -il, devrait songer à s'appliquer à lui-même.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Car c'est l'Etat qui, beaucoup plus que les entreprises, a aujourd'hui besoin de nouvelles règles. Avant de donner des leçons, il ferait bien de donner l'exemple ! Il y a un besoin de justification des interventions de l'Etat, un besoin de refondation de l'action publique. Le rapport qualité coût de notre service public n'est pas optimal et les défauts de celui-ci ont été mis en évidence par les travaux d'analyse comparative de l'inspection générale des finances et par le rapport de la Cour des c omptes récemment rendu public. Saupoudrages, cloisonnement excessif, absence de vision prospective, de gestion des ressources humaines et même de simples indicateurs d'activité et de performance : ce n'est pas moi q ui le dis, c'est le très sérieux Conseil d'analyse économique auprès du Premier ministre dans sa livraison du 11 février dernier.

Vous le voyez, le chantier de la réforme de l'Etat est immense, car l'Etat viole allégrement ou contourne les lois qu'il impose aux particuliers ou aux entreprises.

Je citerai à cet égard quelques exemples.

Si vous êtes fonctionnaire, vous pouvez bénéficier d'un avantageux système de fonds de pension, la PREFON, pour préparer votre retraite.

M. Gilbert Gantier.

Eh oui !

M. Alain Madelin.

Les salariés du secteur privé n'y ont pas droit. Pourquoi ?

M. Yves Cochet.

Il n'y a que 70 000 fonctionnaires qui en bénéficient. Comme réussite, on fait mieux !

M. Alain Madelin.

Ce n'est pas le problème ! Leur nombre augmente : l'an dernier, il y eut un vrai boom de la PREFON chez les fonctionnaires. Peut-être en avonsnous assuré une bonne publicité.

Q uoi qu'il en soit, je serais curieux de savoir transparence oblige - quels sont les ministres f onctionnaires de ce gouvernement, si prompts à dénoncer le spectre des fonds de pension à l'américaine, qui ont choisi pour eux-mêmes le système PREFON.

(Rires et applaudissements sur les bancs du groupe D émocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Si vous construisez sans autorisation une paillote sur u ne plage, on vous la fera détruire, et c'est un euphémisme. Mais si l'on construit une route dans le Val-de-Marne, un pont à l'Ile de Ré, une tour à Paris, et ce en violation de la loi et au mépris des décisions du tribunal administratif, ces ouvrages bénéficieront, par leur nature publique, d'une exorbitante immunité. Pourquoi ? On traque le travail noir et la fraude. Fort bien ! Mais l'Etat distribue parfois des primes, parfois hors impôt, à certains de ses serviteurs, dans l'opacité la plus totale. Où est dans votre texte la moralisation dont vous parlez ? On limite le temps de travail, mais il n'est pas rare que, dans les hôpitaux publics, des internes - c'est d'actualité - fassent quatre-vingts ou quatre-vingt-dix heures par semaine. Une telle situation conduirait un chef d'entreprise ordinaire devant la justice de son pays.

Vous dites vouloir combattre la précarité. Mais l'Etat donne lui-même le plus mauvais exemple : vacataires de la fonction publique sans droit à l'allocation chômage,


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CDD à répétition pendant quinze ans, vingt ans et plus ! Tout cela est interdit dans le privé ! Et je ne parle de la p référence nationale appliquée par nombre d'administrations ou d'entreprises publiques.

Au fond, tout se passe comme si vous disiez : faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais ! Monsieur le Premier ministre, comment peut-on parler de nouvelles régulations et passer sous silence l'immense chantier de la réforme de l'Etat ? Pour illustrer l'urgence de cette réforme, je prendrai un seul exemple, tiré de l'actualité : le droit de grève dans les services publics. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

E n quelques mois, nous avons vu plus de 1 500 mouvements de grève à La Poste et une grève de plus de quarante jours à Nice, aujourd'hui heureusement achevée.

M. Christian Cuvilliez.

Tout a une fin !

M. Alain Madelin.

Et tout cela pourquoi ? Parce que l'Etat ne sait pas mettre en oeuvre pour lui-même les 35 heures qu'il a exigées des entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Il y a quelque chose de surréaliste à voir ceux qui vont bénéficier de cette mesure refuser les petits aménagements qu'elle nécessite et paralyser ce que vous appelez le service public de La Poste et qui me semble aujourd'hui bien éloigné de la grande et belle tradition aéropostale.

Que peuvent ressentir les artisans, les commerçants, les professions libérales, les petits entrepreneurs qui voient leur activité paralysée par ces grèves des 35 heures, eux qui vont payer, par leurs impôts, la facture des 35 heures en travaillant 45, 50 heures et plus ?

M. Nicolas Forissier.

Très juste !

M. Alain Madelin.

Croyez-moi, monsieur le Premier ministre, vous qui parlez de régulation, une France moderne a besoin de règles du jeu modernes, comme pratiquement tous les pays autour de nous. Cela est plus i mportant, plus urgent que la réglementation des visioconférences dans les conseils d'administration. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Je reviens à l'« agenda réformateur ». Oui à un nouvel

Etat, et l'on connaît les chemins de cette réforme de l'Etat : l'audace dans la décentralisation par une a mbitieuse redistribution des pouvoirs et une vraie réforme de la fiscalité locale ; la transparence dans la g estion de l'Etat ; l'évaluation permanente et contradictoire de l'action publique ; le développement d'autorités et d'agences indépendantes ; le développement des concessions de service public ; la simplification et la recodification du droit ; l'affirmation d'un vrai pouvoir judiciaire doté de vrais moyens ; le redéploiement de l'Etat et la modernisation de ses services, les f onctionnaires étant bien sûr intéressés à cette modernisation. Ces derniers ont d'ailleurs tout à y gagner : des responsabilités plus affirmées, une plus g rande souplesse de gestion des carrières, uner evalorisation de leur métier, une meilleure reconnaissance de leur effort et de leur mérite.

Voilà des problèmes auxquels vous allez être bientôt confronté avec la reprise de la réforme de Bercy que vous nous annonciez tout à l'heure. Mais il ne s'agit pas de réformer seulement Bercy : il s'agit de réformer l'Etat, l'Etat tout entier ! Monsieur le Premier ministre, vous nous avez dit partager ces préoccupations de réforme de l'Etat, de même que vous nous aviez dit, lorsque vous étiez p résident de l'Assemblée nationale, partager notre préoccupation d'un meilleur contrôle, d'une meilleure évaluation de l'argent des contribuables. Vous nous avez exposé dans un article tout ce que pourrait être ce

« nouvel âge de l'Etat ». Maintenant, vous êtes au pied du mur. Croyez bien que cet « agenda réformateur », nous le scruterons et que nous regarderons s'il y a décalage entre les effets d'annonce et les réalités, s'il y a tromperie sur la marchandise ou publicité mensongère.

A la réforme de l'Etat s'ajoute, nouvelle économie oblige, une réforme fiscale. L'une et l'autre vont de pair car, pour prélever moins, il faut dépenser moins et, pour dépenser moins, il faut absolument réformer l'Etat.

D'ailleurs, la part d'argent que l'on prélève et que l'on affecte à la dépense publique constitue la ligne de partage, la frontière entre ce qui relève des choix collectifs et ce qui relève des choix individuels. Je crois qu'avec le nouveau monde cette frontière va se déplacer, qu'elle doit se déplacer au profit des personnes, au profit de leur liberté de choix et de l'exercice d'une responsabilité plus grande.

Mais s'il faut dépenser moins, pour ces raisons et pour d'autres, il faut aussi prélever mieux. La nouvelle économie a besoin que la France se dote d'une fiscalité compétitive, en matière d'épargne comme en matière d'impôt sur le revenu, pour retrouver le plein emploi, pour mieux récompenser le travail, l'effort, la création et l'esprit d'initiative.

Oui, il faut profondément réformer l'impôt sur le revenu ! J'énumérerai trois pistes : premièrement, intégrer la CSG pour en faire une première tranche d'impôt proportionnel, payé par tous les Français ; deuxièmement, instaurer une forme d'impôt négatif, sorte de crédit d'impôt, ce que la première mesure facilitera, pour favoriser la reprise du travail de ceux qui sont aujourd'hui enfermés dans des revenus d'assistance ; troisièmement, réduire le nombre de tranches et abaisser leurs taux, y compris le taux marginal, si l'on veut éviter de voir tant de talents, n'en déplaise aux observations de certains, partir à l'étranger.

Nouvel Etat, nouvelle fiscalité, nouvelles relations sociales, enfin.

La nouvelle croissance, celle qui nous permet et qui vous permet d'espérer le retour du plein emploi, passe nécessairement par de nouvelles formes de travail et d'emploi. Elle a besoin de capacités d'adaptation et de souplesse et, pour cela, elle appelle de nouvelles règles du jeu. Nous devons absolument rompre tant avec les pratiques actuelles qu'avec celles des années antérieures, afin de désétatiser nos relations sociales et faire le choix clair de la confiance dans les relations contractuelles et paritaires.

Je souhaite que l'initiative de refondation sociale des partenaires sociaux réussisse. Je souhaite qu'on leur donne une véritable autonomie dans l'élaboration des règles qui les concernent. J'ajoute, en direction de Marc Blondel, de façon à être bien compris, que la loi devra toujours fixer l es principes et les règles applicables en l'absence d'accord. Mais il existe un formidable champ de liberté contractuelle qu'il faut laisser les partenaires sociaux défricher pour trouver ces nouvelles formes de travail et d'emploi dont nous avons besoin afin de retrouver le plein emploi.


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De même, je souhaite que l'on renonce à l'étatisation de notre système d'assurance maladie et qu'on sauve le paritarisme. En ce domaine encore, de nouvelles règles de responsabilisation sont nécessaires. Avec de telles règles, des partenaires sociaux responsables des grands équilibres et des principes de solidarité pourraient alors procéder à des délégations de gestion - subsidiarité oblige : délégation de gestion à des caisses, à des assurances, à des mutuelles, selon un cahier des charges précis et en v eillant au respect des principes fondamentaux de solidarité de notre sécurité sociale.

Monsieur le Premier ministre, tous ces choix sont ceux d'une société moderne qui ne s'en remettrait pas pour tout à l'Etat ou à la loi, ceux d'une société qui ferait d'abord confiance à la liberté et à la responsabilité des personnes. Je vous ai cité quelques exemples de ce qu'aurait pu, de ce qu'à mes yeux aurait dû être l'approche d'un gouvernement moderne abordant l'immense chantier des nouvelles régulations.

Croyez bien que je mesure l'épreuve que ce texte représente pour vous (Rires ), épreuve que je voudrais vous éviter en faisant voter la question préalable.

On a salué votre arrivée au gouvernement en disant que vous étiez moderne et libéral. Si tout le monde n'apprécie pas sur ces bancs, sachez bien que, pour ma part, je me réjouis que ces deux mots soient aujourd'hui considérés ensemble comme un compliment.

(Sourires.)

Vous souhaitiez sans doute incarner un nouveau souffle pour le Gouvernement. Quant à nous, nous attendions un texte fondateur. Or nous ne voyons qu'une collection de mesures hétéroclites, sans véritable sens, sans véritable portée. Je sais bien que ce texte n'est pas le vôtre, qu'il a été préparé par vos deux prédécesseurs et que vous en recevez en quelque sorte l'héritage sans avoir eu le temps ni la liberté de le mettre à votre main. Mais il faut aujourd'hui que vous le défendiez, et c'est sans doute pour vous un mauvais départ.

Permettez-moi de terminer par une citation, que vous reconnaîtrez sans doute : « Le plus souvent, on se contente de mettre aux normes le vieux monument de l'Etat. On ravale plus qu'on ne refonde. C'est dommage. » C'est ce que vous écriviez, monsieur le

Premier ministre, il y a un peu plus d'un mois dans le quotidien Le Monde.

Quelle belle formule que la vôtre : « On ravale plus qu'on ne refonde. » Elle s'applique si bien à ce texte.

P ermettez-moi donc de vous emprunter pour ma conclusion les derniers mots que j'ai cités : « C'est dommage. »

(Applaudissements sur les bancs du groupe D émocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Eric Besson, rapporteur.

Difficile de tout commenter dans ce véritable torrent verbal ! Dans un premier temps, M. Madelin s'est gargarisé d'un lapsus. Chacun sait en effet que lorsque le Premier ministre a dit, un jour, que la loi ne devait pas réguler l'économie, il a voulu dire en fait que la loi ne devait pas administrer l'économie.

M. François Goulard.

Il faut un décodeur pour saisir la nuance !

M. Eric Besson, rapporteur.

Ce lapsus a d'ailleurs été reconnu comme tel dès le lendemain.

Au fur et à mesure de votre discours, vous avez étéo bligé d'admettre, monsieur Madelin, que ce texte comportait de nombreux points positifs. On vous a entendu approuver certaines dispositions, invoquer le bon sens. Avec un peu plus d'objectivité, vous auriez pu allonger beaucoup la liste. Vous vous êtes néanmoins efforcé de souligner, avec une ironie qui se voulait féroce, l'écart entre ce que vous estimiez être les ambitions initiales du texte et son contenu réel. Sans vouloir vous offenser, il est vrai que nous avons là un véritable expert en la matière. Nous sommes en effet quelques-uns à nous souvenir d'un jeune libéral, membre de la « bande à L éo », qui fut ensuite un éphémère ministre de l'économie et des finances, mais on a du mal à trouver l'empreinte libérale qu'il a laissée pendant son court passage ! D'ailleurs, comme le disait tout à l'heure Arnaud Montebourg, on n'a pas le sentiment qu'il ait beaucoup fait preuve de cette démarche libérale en administrant sa ville en Bretagne. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Michel Ferrand.

Ce n'est pas à la hauteur du débat ! C'est minable !

M. Eric Besson, rapporteur.

Ça ne vous fait pas plaisir, mais c'est la réalité ! M. Madelin n'est pas resté dans l'histoire comme un ministre libéral ayant marqué notre économie.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

C'est nul !

M. Eric Besson, rapporteur.

Monsieur Madelin, vous avez voulu railler ce que vous avez dit être la vieille tradition réglementaire de la gauche, des socialistes notamment, et vous nous avez infligé un petit cours d'histoire en remontant au premier millénaire, cours marqué par des oublis et quelques erreurs. Dénoncer l'Etat est quasiment une obsession chez vous. J'ai d'ailleurs noté que vous aviez beaucoup plus parlé de l'Etat et de vos problèmes par rapport à lui que de régulation. Vous nous parlez en permanence de neuf, de n ouveau monde. Vous êtes toujours en quête de nouveauté, comme d'un gadget. Sachez simplement que, si mes souvenirs d'étudiant sont bons, ce sont les sophistes grecs du Ve siècle qui ont été les premiers à mettre en cause l'Etat, et de façon un peu plus subtile et sophistiquée que vous. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Michel Ferrand.

Comment peut-on être aussi mauvais ?

M. Jean Auclair.

Quel pédant !

M. Jean-Luc Warsmann.

Un peu d'humilité !

M. Eric Besson, rapporteur.

Vous reprochez p aradoxalement à la gauche d'aider à adopter de nouvelles règles pour favoriser l'économie de marché.

Comme je l'ai dit à la tribune, nous voulons en effet que s'appliquent certains principes théoriques fondamentaux de l'économie de marché. Nous voulons lutter contre les monopoles, contre les concentrations, contre les pratiques anticoncurrentielles. Mais nous avons le souvenir de la formule de M. Barre sur « le socialisme du quotidien ».

Quant au Président de la République que vous avez contribué à faire élire, si je me souviens bien, il a parlé un jour de « travaillisme à la française » !


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Vous vous êtes livré à une petite complainte, monsieur Madelin, lorsque vous vous êtes dit caricaturé, mais le problème, avec vous, c'est qu'il suffit de vous citer pour v ous caricaturer. D'ailleurs, votre intenvention est caricaturale et nous pourrons encore nous nourrir de citations de votre propre bouche.

Vous parlez en permanence de « nouveauté », mais vous n'arrivez pas à vous renouveler ! S'agissant des mêmes règles, si elles sont américaines, vous dites que c'est de la régulation, mais si elles sont françaises, c'est de la réglementation !

M. Claude Goasguen.

Sophisme !

M. Eric Besson, rapporteur.

Lorsque vous avez parlé du primat du politique sur l'économique en nous reprochant cette conviction, je me suis amusé l'espace d'un instant à regarder M. Séguin et j'ai cru déceler quelques doutes sur son visage.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean Auclair.

Vous vous prenez pour une voyante !

M. Eric Besson, rapporteur.

Enfin, vous nous avez dit être amoureux de la règle et du droit. La question préalable vise à démontrer qu'il n'y a pas lieu de délibérer. Or, vos collègues ont délibéré avec nous en commission, nous avons adopté plusieurs amendements de l'opposition et vous ne nous avez dit en rien pourquoi nous ne devrions pas délibérer. Je propose donc à l'Assemblée de rejeter votre motion.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, votre intervention était extrêmement dense, fouillée.

M. François Goulard.

Brillante ! (Sourires.)

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je ne voudrais pas être discourtois, mais vous comprendrez que j'y réponde brièvement.

A la fin de votre propos, faisant preuve d'une sollicitude à laquelle je suis extrêmement sensible, vous avez dit que soutenir ce texte devait être, pour moi, une très lourde épreuve. J'en ai connu de plus redoutables dans ma vie ! J'affronte celle-ci avec bonne humeur et avec le sentiment d'avancer, parce que je pense que ce texte sera utile. Dans votre intervention, sorte de fresque de la société actuelle à laquelle vous accolez fréquemment l'adjectif « nouveau », figuraient trois séries d'idées et, encore une fois, j'espère que vous m'excuserez si je n'entre pas dans tous les détails.

D'abord, même si vous avez jugé la plupart des dispositions insuffisantes ou trop réduites par rapport à l'ambition et au titre de ce texte - il faut faire la part de ce qui relève de l'opposition politique -, vous avez au fond estimé qu'elles étaient positives, et je vous en remercie infiniment. Certes, il a fallu se livrer à un petit travail de décryptage, mais, sur ce point en tout cas, nous partageons votre sentiment. En ce qui concerne les nouvelles régulations financières, les nouvelles régulations p our l'entreprise, les nouvelles régulations pour l'ensemble de la société, nous pensons que l'adoption de ce texte permettra de progresser.

Vous vous êtes ensuite livré à un exercice un peu différent consistant - c'est une figure de rhétorique classique - à présenter une vision caricaturale de notre position. Et vous voudriez - ce serait commode - que nous ressemblions à cette caricature. Vous avez ainsi cité à de nombreuses reprises un auteur dont visiblement vous êtes spécialiste, Karl Marx, qui a d'ailleurs fait des analyses très intéressantes. Mais la majorité plurielle, telle qu'elle se présente aujourd'hui dans la fidélité à ses choix, n'incarne pas au mieux les idées de l'auteur dont vous vous êtes réclamé.

V ous nous dites que la société moderne est décentralisée. C'est parfaitement exact ! Tout ne peut pas venir du sommet. Mais l'histoire récente de notre Parlement montre que ce n'est pas de ce côté gauche de l'hémicycle que vous trouverez les opposants les plus virulents non seulement au concept, mais à la pratique de la décentralisation.

Selon vous, une nouvelle vision de la société suppose que l'on ne s'arrête pas à une conception classique de la souveraineté, que l'on sache la dépasser. Vous avez raison, même s'il existe une réalité nationale et même s'il est légitime que l'Etat défende ses intérêts. Mais en vous é coutant, je pensais aux initiatives extrêmement courageuses prises par les pouvoirs publics - Président de la République, Premier ministre, Gouvernement - en matière de politique extérieure, initiatives qu'à l'époque, je l'imagine, vous avez soutenues, et qui ont bien montré que nous savions dépasser la stricte application de la notion de souveraineté puisque nous avons défendu non seulement le droit d'ingérence, mais le devoir d'ingérence.

Et nous continuerons à le faire De la même façon, vous avez estimé - et là aussi vous avez raison - qu'il fallait parfois savoir dépasser le pré carré national lorsque l'intérêt économique, l'intérêt so cial ou un autre intérêt très fort l'exigeait. Mais, monsieur Madelin, vous savez fort bien qu'ils sont issus de nos bancs ceux qui, d'ailleurs rejoints sur ce point par nombre d'entre vous, ont pris ce qui est probablement la décision la plus spectaculaire en matière d'engagement international et de dépassement des frontières nationales, celle de créer une monnaie européenne unique. Ainsi, partant d'une analyse à certains égards juste de ce que va être le monde moderne, vous projetez de nous une vision qui ne correspond absolument pas à la réalité non seulement de ce que nous professons, mais de ce que nous pratiquons.

Vous avez dit aussi - je ne voudrais pas être trop long, mais je tiens à être très précis - et j'ai eu moi-même maintes occasions d'insister sur ce thème, que les lois étaient trop nombreuses, que les règlements étaient souvent trop lourds, qu'il fallait simplifier et codifier.

Oui, bien sûr, mais nous avons engagé un travail très important de codification, auquel l'Assemblée a d'ailleurs bien voulu se prêter, - nous avons même parfois procédé par ordonnances, ce qui n'est pas simple - et, à la fin de cette législature, nous aurons non pas du tout un parangon mais en tout cas un système plus clair de codification. En tout cas, nous y travaillons. Donc, lorsque l'on veut avoir un débat de fond, comme vous avez essayé de le faire, monsieur Madelin, il faut s'adresser à son opposant, en l'occurrence la majorité plurielle, tel qu'il est, et non pas tel qu'on voudrait qu'il fût.

Lorsque vous avez développé vos propositions tous azimuts en matière de fiscalité, d'emploi, de politique internationale - ne serait-ce qu'à ce titre, mais il y en a bien d'autres, il était intéressant que cette discussion ait lieu -, j'ai eu du mal à me repérer. Certes, vous ne voulez pas définir à vous seul la règle à suivre, et vous avez raison : ce serait une forme d'ambition qui passerait pour excessive. Vous vous êtes donc placé dans une


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certaine filiation. Etait-ce une habileté de votre part ou votre conviction de fond, auquel cas votre déclaration serait intéressante même si, pour certains, elle pourrait se révéler embarrassante ? Votre idée - j'allais dire votre idéal - telle que vous l'avez exposée il y a quelques instants à cette tribune, et les colonnes de cet hémicycle n'ont pas tremblé, était marquée du double signe de Tony Blair et de Gerhard Schro der ! Je sais bien, monsieur Madelin, qu'aujourd'hui les frontières politiques sont parfois un peu brouillées, mais j'ai été vice-président d e l'Internationale socialiste - c'est aujourd'hui M. Hollande qui y siège - et j'ai bien le sentiment que ce sont les représentants de la majorité plurielle, en l'occurrence les représentants socialistes, qui siègent aux côtés des hommes et des femmes que vous avez vousmême présentés comme les modèles à suivre ! Que nous ayons, sur certains points, des différences avec ces collègues, c'est certain !

M. Alain Madelin.

Demandez à M. Jean-Luc Mélenchon ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mais il y a tout de même moins de différences entre nous et eux qu'entre nous et vous ! (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - « C'est à voir ! » sur les mêmes bancs.)

Si d'un coup, par une sorte de transposition politique du célèbre pilier de Claudel, vous nous expliquez que, en préparant cette intervention sur les nouvelles régulations économiques, vous avez eu la révélation que la ligne à suivre était désormais la ligne social-démocrate, alors, à ce titre et à ce titre déjà, ce débat n'aura pas été tout à fait inutile ! (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

En outre, monsieur Madelin, pour revenir au concret, à ce qui sépare les socio-démocrates des libéraux - je ne sais pas si vous revendiquez toujours ce titre -, je reprendrai vos exemples, en particulier, celui de la réforme de l'Etat.

La réforme de l'Etat est indispensable. Cela dit, c'est un sujet très difficile et souvent très ambigu parce que, si tout le monde est pour la réforme, lorsqu'on commence à creuser, on s'aperçoit que c'est un pavillon qui couvre des marchandises assez diverses. Je ne veux pas être cruel, mais dans un passé qui n'est pas si lointain, en tous cas dans la tête de nos compatriotes, des ministres, voire tel ou tel Premier ministre, s'étaient engagés en faveur d'une certaine conception et même d'une certaine pratique de la réforme de l'Etat. Je ne me rappelle plus si vous étiez toujours ministre à l'époque ou si vous aviez quitté vos fonctions, mais peu importe car vous apparteniez à la majorité.

Je ne veux pas condamner ce qui a été fait, même si j'ai mon jugement, mais l'expérience a montré que si l'on a borde ces problèmes de réforme de l'Etat sans c omprendre ce qu'est une tradition culturelle, sans admettre qu'il y a une régulation à opérer, que certaines décisions pour le long terme ne peuvent appartenir qu'à l'Etat, même si celui-ci ne doit pas détenir tous les pouvoirs, que si le marché joue un rôle essentiel, il doit néanmoins être encadré dans certains domaines - sinon, c'est la myopie -, on risque de s'exposer aux mécomptes que vous avez connus il y a quelques années et qui soyons honnêtes ! - expliquent pour une bonne part que nous soyons au pouvoir aujourd'hui.

M. Jean-Michel Ferrand.

Il n'y a pas que cela ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En effet, il y a nos mérites propres aussi ! (Rires.)

De même, vous nous avez dit, dans une espèce de prosopopée - là j'ai eu un moment d'inattention, je n'ai pas observé la réaction de M. Philippe Séguin, mais pour en avoir plusieurs fois bavardé avec lui je crois connaître sa position à ce sujet - que le nec plus ultra de la démocratie moderne c'était les autorités indépendantes et que, au fond, l'Assemblée n'était malheureusement que politique avec un petit « p », sachant qu'entre le politique et le politicien, dans cette acception, il n'y a pas grande distance. Je ne suis pas d'accord avec vous ! Certes, les autorités indépendantes ont un rôle très important à jouer - vous en avez créé plusieurs et nous aussi -, mais le politique n'en conserve pas moins un rôle fondamental et ce n'est pas par hasard que j'ai prononcé tout à l'heure certains mots à la tribune. Dans une d émocratie, moderne ou ancienne, respectant les fondements du droit, c'est en effet aux élus de la nation qu'il revient en dernière analyse de faire les choix principaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Entendons-nous bien, si nous créons des autorités de régulation c'est parce que nous estimons que, dans le domaine audiovisuel, par exemple, il n'est pas bon que ces oit le Gouvernement qui prenne, directement ou indirectement, des décisions de régulation comme cela a très longtemps été le cas. Mais c'est au pouvoir politique de décider en vertu de quels principes les autorités de régulation doivent agir et de juger, en fin de compte, si leurs décisions sont conformes à leur mission ou non. En effet, aussi respectables soit-elles, ces autorités n'ont pas la légitimité démocratique qui se trouve dans cet hémicycle.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Alain Madelin.

C'est ce que j'ai dit ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Non.

Vous avez aussi parlé de l'OMC. La position de la majorité plurielle n'est pas de dire que, face à la mondialisation, il ne faut pas d'organisation mondiale. Il en faut une, mais on doit faire en sorte qu'elle puisse influer sur la mondialisation, la transformer, la réguler, pour qu'elle cesse d'être, comme elle l'est souvent spontanément, impitoyable, et pour qu'elle intègre une dimension humaine, une dimension de long terme, une dimenson de réduction des inégalités au sein des pays riches et entre les pays riches et les pays pauvres.

C'est là une différence qui nous sépare, non pas peutêtre de vous, mais qui se manifeste, au sein du monde politique, entre, d'un côté, des forces progressistes, des f orces de gauche qui estiment que face à la mondialisation il faut des organisations mondiales, mais régulées autrement, et d'autres forces qui considèrent ou bien qu'il ne faut pas d'organisation du tout, ou bien qu'il faut des organisations qui obéissent au seul principe de liberté qu'elles se donnent. C'est une différence très importante que j'ai constaté à nouveau à Washington la semaine dernière, aussi bien dans les sessions de la Banque mondiale que dans celles du Fonds monétaire international. Dans le grand débat qui doit exister entre, disons, les libéraux - je ne sais s'il faut les appeler ainsi et la gauche, les progressistes, les sociaux-démocrates, d'autres plus révolutionnaires, il y a certainement cette différence, et d'autres. La place de l'Etat non plus n'est pas la même. Non pas que pour les uns l'Etat doive tout


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faire, et pour les autres rien. Mais il reste que nous estimons, au nom de notre conception de l'histoire et du monde moderne, et au regard de la réalité nationale et internationale, que le politique et l'Etat doivent continuer à jouer un certain rôle.

Au moment de conclure, monsieur Madelin, vous m'avez opposé une citation d'un des meilleurs auteurs que je connaisse (Sourires) , pour expliquer que, au fond, il ne fallait pas délibérer. Je pense, j'espère que vos collègues en décideront autrement. Mais puisque vous avez fait preuve, et je vous en remercie, d'un certain humour dans votre propos, je voudrais opposer à cet auteur que vous venez de rendre célèbre un autre qui l'est depuis longtemps, Paul Valéry. Fort de cette citation, permettez-moi, au nom du Gouvernement, de vous présenter mes excuses. Paul Valéry écrit en effet : « Il faut toujours s'excuser de bien faire : rien ne blesse plus. »

(Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en arrivons aux explications de vote sur la question préalable.

Vu l'heure, je remercie les porte-parole des groupes de bien vouloir concentrer leurs interventions.

Pour le groupe RPR, la parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger.

Mes chers collègues, chacun a pu apprécier la forte élévation du propos de M. Madelin et également, d'ailleurs, de la réponse que vient de lui faire le ministre. Donc, mon propos sera bref.

J'ai d'abord retenu de l'intervention de M. Madelin une critique implacable du texte du Gouvernement : décalage entre les ambitions et les propositions, bric-àbrac, absence d'innovation. En fait, il a voulu dire, et je n e pense pas excéder sa pensée, qu'appeler cela

« nouvelles régulations » est une forme d'imposture. Selon lui, ce texte, qui n'est que l'expression de la vieille t radition réglementaire française, traduit une panne d'idées au Gouvernement. Autant de jugements que l'on ne peut qu'approuver. Cette critique est non seulement implacable, mais elle est très juste.

L'ayant formulée, M. Madelin a appelé à une certainer éforme de l'Etat, notamment dans le domaine é conomique. Il a demandé l'achèvement des privatisations : qui pourrait être contre ? Il a demandé l'exemplarité, la bonne gouvernance, la transparence de l'Etat : qui pourrait être contre ? Qui pourrait nier qu'il y a d'énormes efforts à faire dans ce domaine et que, pour l'instant, le Gouvernement ne nous a pas montré le chemin ? Les propositions de M. Madelin sont à la fois équilibrées et d'évidence. Il s'est demandé à juste titre si l'objet de ce texte était véritablement du domaine de la loi et s'il y avait intérêt à multiplier ce type de régulations. Dans ce domaine, la loi n'est pas l'alpha et l'oméga. Légiférer d'abondance, ce qui est le cas avec ces 74 articles, est un aveu d'impuissance que nous voulons dénoncer.

Ce texte traduit enfin une incontestable volonté de recentralisation. Alain Madelin l'a démontré sur certains points, nous le confirmerons article après article. Qu'il s'agisse des relations entre l'Etat et les collectivités locales, de l'organisation de l'enseignement ou de bien d'autres d omaines, le gouvernement actuel et sa majorité cherchent constamment à recentraliser les tâches au profit de l'Etat, alors qu'il faudrait au contraire provoquer une évolution décentralisatrice, qui soit au plus proche des réalités, et notamment du fonctionnement concret des marchés.

Ce texte traduit une sorte de schizophrénie vis-à-vis de l'Etat qui atteint la majorité et le Gouvernement. Dans c es conditions, le groupe RPR votera la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union p our la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Pour le groupe DL, la parole est à

M. François Goulard.

M. François Goulard.

Il y a deux façons d'aborder ce texte.

M. Bernard Outin.

La bonne et la mauvaise !

M. François Goulard.

La première consiste à faire a bstraction du titre et à en lire simplement les dispositions. On y voit alors un texte portant diverses dispositions d'ordre financier et, pris ainsi, il y a lieu d'en débattre, il y a lieu de dire que certaines mesures emportent notre approbation, que d'autres justifient notre abstention, que d'autres encore suscitent notre opposition résolue. C'est ce que nous aurions pu faire en ne présentant pas cette question préalable.

M ais l'autre façon d'aborder ce texte est d'en considérer le titre. Et non seulement le titre, mais aussi l'intention politique, celle d'un Premier ministre qui a voulu dire à sa majorité : « J'ai une méthode, j'ai les moyens de réguler l'économie et de lutter contre ce que vous n'appréciez pas dans le mouvement d'ouverture des frontièrers et de libération des économies. »

Dès lors que l'on se situait dans ce contexte politique, il était indispensable, monsieur le ministre, de poser la question préalable. Car, à l'évidence, tel qu'il nous est présenté, avec son exposé des motifs indigent, pour ne pas dire inexistant, après la présentation très distante que vous en avez faite à l'instant, après celle aussi des rapporteurs, après les échanges en commission, ce texte ne peut pas prétendre poser la question de la régulation économique.

Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de débattre.

L'échange de haute portée auquel nous venons d'assister a certes lieu d'être, mais il doit s'inscrire dans le cadre de l'examen d'un autre texte, avec d'autres attendus politiques. C'est la raison pour laquelle, bien entendu, le groupe Démocratie libérale votera la question préalable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Dominique Baert, pour le groupe socialiste.

M. Dominique Baert.

« Camarades, une seule solution, la dissolution ! » : voilà la forme moderne du « Courage, fuyons ! », voilà la réponse de la droite et du libéralisme c'est souvent la même chose - à la crise.

La gauche, monsieur Madelin, a choisi une autre méthode, celle de l'action et de la régulation. Vous citiez, Laurent Fabius et Lionel Jospin - vous avez, il est vrai, d'excellentes lectures - mais vous les lisez mal, comme vous avez sans doute mal lu un économiste pourtant réputé libéral, Léon Walras, qui écrivait : « Nous ne saurions, pour notre part, admettre ce parti pris de doter l'individu de toutes les vertus et l'Etat de tous les défauts. »

Car, chers collègues, trois vérités sont à formuler.


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L a première, c'est que l'action de l'Etat a ses f ondements propres que tous les économistesr econnaissent. L'action publique a ses justifications é conomiques, qu'elles s'appellent infrastructures, investissements en capital, investissements en capital humain ou externalité.

D euxième vérité : l'Etat porte l'intérêt collectif, Laurent Fabius l'a rappelé avec talent. A ce titre, l'Etat se doit d'édicter des règles, de créer le cadre économique et social. Pourquoi ? Parce qu'il est le garant de la cohésion sociale. Parce qu'il est le seul détenteur du pouvoir réglementaire. Le Conseil constitutionnel lui-même ler appelle. C'est pourquoi nous voulons clarifier les pouvoirs des autorités de régulation. Vous voulez solder l'Etat, comme vous avez liquidé, en son temps, le Fonds industriel de modernisation : curieuse approche de la modernité ! Nous croyons, nous, à l'Etat garant. C'est notre choix, parce que c'est un choix collectif.

Troisième vérité : la mondialisation n'est pas le libre échange. La nécessaire compétitivité à laquelle contraint l'accentuation des relations commerciales n'implique ni le démantèlement des règles, au contraire, ni la régulation par la seule « main invisible ». Faire croire cela, c'est non seulement de l'usurpation, c'est une atteinte aux libertés, une atteinte à la liberté d'exister des faibles pour favoriser la liberté de préexister des forts.

Oui, monsieur Madelin, il y a bien une question préalable au bon fonctionnement de notre économie, c'est de voter ce texte, première étape de nouvelles régulations. Votre question préalable n'est pas la nôtre.

Nous, nous réaffirmons que l'Etat a un rôle à jouer pour édicter des règles qui garantissent, par exemple, que lors des OPA ou des OPE, les salariés soient informés de leur devenir. Est-ce trop exiger ? Nous ne le croyons pas.

Nous, nous réaffirmons que le jeu du marché n'a pas à b royer les petits producteurs pour que les grands distributeurs confortent sans cesse leurs marges. Est-ce trop exiger ? Nous ne le croyons pas.

Nous, nous affirmons que le blanchiment de l'argent sale, issu des activités criminelles, doit être combattu sans relâche où que cela se passe. Est-ce trop exiger ? Nous ne le croyons pas.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Nous non plus !

M. Dominique Baert.

Voilà quelques exemples, pris dans la vie quotidienne, des excès d'un système que nous ne renonçons pas à contenir, voire à contrecarrer. Il est du devoir d'un homme politique de se souvenir, quand il conduit une action, qu'il le fait surtout pour des p ersonnes physiques et non pas d'abord pour des personnes morales.

Voilà pourquoi, au nom du groupe socialiste, je vous demande, mes chers collègues, de rejeter cette mauvaise question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Jégou, pour le groupe UDF.

M. Jean-Jacques Jégou.

Monsieur le ministre monsieur le Premier ministre a-t-on dit tout à l'heure, mais j'aurai peur d'anticiper (Sourires) -, j'ai été surpris de vous entendre parler d'entrée de jeu des réformes à venir que notre assemblée aurait à examiner. Vous saurez, je le sais, vous accommoder d'un texte qui n'est pas le vôtre, mais cela montre bien qu'il souffre de certaines insuffisances. J'aurai l'occasion d'y revenir ce soir dans la discussion générale.

Nous avons ensuite entendu le rapporteur, M. Eric Besson, qui a accompli un gros travail - je rappellerai aussi le peu de temps dont la commission des finances a disposé pour étudier ces 74 articles -, essayer de s'excuser p endant toute son intervention des méfaits du capitalisme. Il existe d'autres moyens, peut-être plus optimistes, de parler des régulations économiques.

Quoi qu'il en soit, il y a bien des absents dans ce projet de loi. Le programme chargé que vous nous annoncez pour la rentrée en témoigne. Dès le début septembre, en plein examen de la loi de finances par la commission, nous aurons à traiter enfin de l'épargne salariale, débat reporté depuis près d'un an.

Ce projet, c'est une autre de ses nombreuses lacunes, ne traite aucun des problèmes européens. Je sais bien que, dans moins de deux mois et demi, commence la présidence française de la Communauté européenne. Mais voilà justement qui nous laisse à penser que ce texte n'a pas d'avenir. Nous aurons certainement, tant sur le plan des OPE et des OPA que du blanchiment, à remettre sur le métier cette affaire de régulations, puisque vous nous a vez annoncé des efforts particuliers pendant la présidence française. Cela montre bien que toutes ces dispositions auraient pu attendre.

C'est pourquoi, après avoir entendu pendant plus d'une heure, avec son talent coutumier, Alain Madelin critiquer vigoureusement ce texte et brosser une fresque de la transformation du monde, le groupe UDF votera la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Pour le groupe Radical, Citoyen et Vert, la parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet.

Monsieur Madelin, j'ai relevé dans vos propos une confusion et une omission.

L a confusion tient à ce qu'on pourrait appeler brièvement votre éloge de l'Internet. D'une certaine manière, vous avez raison : la topologie de l'Internet est une topologie « acentrée » qui n'a pas de tour de contrôle. Un échange assez libre s'établit entre des personnes, des sociétés, des entreprises ou des groupes sans qu'un régulateur central puisse en dicter ni la forme ni le contenu.

Mais vous semblez croire aussi, semble-t-il - peut-être me trompé-je - que, dans les sociétés qui font marcher l'Internet, il en va de même et que, chez Microsoft, Cisco ou Dell, il y a une sorte d'assemblée générale permanente électronique où l' e-mail remplacerait la hiérarchie. C'est évidemment faux et je vois mal M. Bill Gates, M. Steve B almer ou d'autres penser que la hiérarchie, leur hiérarchie, autrement plus rigoureuse qu'elle ne l'est parfois en France, devrait s'écrouler du simple fait que nous entrons dans le monde de l'Internet et de la nouvelle économie que vous avez si bien décrit. Il y a là une grande confusion qu'il faut dénoncer comme telle.

L'omission, je l'ai relevée dans vos propos sur la réforme de l'Etat. Je résume mais je ne crois pas caricaturer : moins d'impôts et moins d'Etat, moins des ervices publics donc, car il faut bien voir les conséquences et aller jusqu'au bout de votre propre pensée.


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Alors là, peut-être est-ce un argument classique mais s'il doit y avoir moins de services publics, il faut nous dire et dire évidemment à l'opinion, à nos concitoyens qui aiment les services publics, par où vous allez commencer ! Et puis il faut quantifier. Vous parlez des internes : y a-t-il trop d'internes, trop d'infirmières, trop de services de santé publique en France ?

M. Alain Madelin.

Vous disiez la même chose pour France Télécom !

M. Yves Cochet.

Songez-vous d'ailleurs, dans ce nouveau monde, à privatiser la santé ? Car certains, de la nouvelle économie, le veulent, et totalement.

Même chose pour l'éducation. Est-ce qu'il y a trop de professeurs, trop d'ATOS dans les universités, les collèges et les lycées ? Certains, de la nouvelle économie aussi, dans des sociétés d'outre-Atlantique, songent à privatiser l'éducation. Si c'est votre cas, dites-le.

Votre propos était lyrique, parfois même idyllique, mais vous n'êtes pas allé jusqu'au bout de votre démarche et je m'en étonne car, d'ordinaire, vous faites preuve d'une certaine audace au grand dam, semble-t-il, de votre propre groupe parlementaire, qui vous invite parfois à ne pas aller trop loin. En matière sociétale, vous avez parfois partagé l'audace de la majorité plurielle, par exemple en ce qui concerne le PACS.

Vous auriez dû aller au bout de votre pensée et nous dire, par exemple, si les sociétés travaillant sur Internet devraient être, elles aussi, des réseaux horizontaux. Je ne le crois pas et elles n'en donnent pas l'exemple, ni pour c e qui concerne leurs salariés, ni au regard de l'application du droit du travail, ni quant aux conditions de travail.

Pour ce qui est de la réduction des services publics, dites-nous par lequel vous allez commencer.

Parce que vous n'êtes pas allé au bout de votre pensée et, surtout, parce que nous sommes hostiles à votre position sur le fond (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants) , le groupe Radical, Citoyen et Vert votera contre la question préalable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Christian Cuvilliez, pour le groupe communiste.

M. Christian Cuvilliez.

La lecture du texte m'ayant conduit à formuler quelques réserves, je pensais que

M. Madelin serait plutôt favorable aux mesures proposées. Or je me suis aperçu qu'il estimait qu'il n'y avait pas lieu d'intervenir, exposant à mots couverts l'avis émis par M. Seillière de manière épidermique, à savoir q ue l'intervention de l'Etat dans le domaine du fonctionnement des entreprises était hors de propos : moins elle serait réelle, mieux cela vaudrait ! Sous le discours, modéré dans le ton, se cache, selon moi, un schéma séditieux. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

En effet, le

« moins d'Etat » conduit à la suppression de l'Etat.

M. François Goulard.

Menottez-le ! (Sourires.)

M. Christian Cuvilliez.

En fait, il s'agit d'une sédition rampante qui vient de loin car elle se traduit par la remise en cause de l'Etat, par la remise en cause de la fiscalité, par la remise en cause de la fonction publique, par la remise en cause de toutes sortes d'institutions liées aux idées mêmes de nation et de République.

M. Alain Madelin.

Comme Tony Blair !

M. Christian Cuvilliez.

Si cela ne constitue pas un discours séditieux, je ne sais pas de quoi il s'agit !

M. François Goulard.

C'est un homme à faire tomber le mur de Berlin !

M. Christian Cuvilliez.

M. Madelin rêve d'une société idéale dans laquelle tout le monde serait actionnaire. Or, de ce point de vue, certaines des propositions qu'il formule et des initiatives qu'il préconise sont déjà mises en oeuvre. On a ainsi vu, dans un conflit récent sur les 35 heures, le patron d'un grand groupe multinational, que ses employés appellent maintenant J6M - il est passé de trois M à six à cause des stock-options ! -, en a proposé vingt à chacun de ses employés, en guise d'augmentation de salaire et en compensation de la mise en oeuvre des 35 heures, pour les inciter à reprendre le travail. Cela est très intéressant ! Dans France Télécom, vous avez deux catégories d'actionnaires : les actionnaires volontaires, qui ont souscrit au moment où l'entreprise a ouvert son capital, et ceux auxquels on a dit que, dorénavant, leurs primes seraient payées en actions. Ils n'ont pas eu le choix car on ne leur a pas demandé quel mode de rémunération ils souhaitaient.

M. Christian Cabal.

Ils s'en félicitent !

M. Christian Cuvilliez.

Vous avez un prosélytisme de l'actionnariat qui se manifeste ainsi et qui vous conduit à célébrer tous les modes de rémunération atypiques, notamment tous ceux qui s'apparentent aux stock-o ptions, c'est-à-dire à des paris sur l'avenir, et constitueraient des modes de rémunération à généraliser.

Bien entendu, nous ne pouvons pas accepter cette perspective.

J'ajoute que, comme l'ont souligné plusieurs de mes c ollègues, il faut combattre l'ouverture et la déréglementation. Nous en avons déjà discuté lorsqu'une tentative calamiteuse pour faire adopter l'AMI a été dénoncée dans cette assemblée comme une forme de subversion contre les pouvoirs politiques, contre les pouvoirs de l'Etat, contre les pouvoirs nationaux, car il tendait à leur substituer les pouvoirs des entreprises sans barrières, sans barrages, de telle sorte qu'elles puissent g ouverner à leur manière dans la société idéale d'actionnaires que veut M. Madelin.

E n considération de toutes ces données, vous comprendrez que le groupe communiste s'oppose à la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

M. le président.

La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.


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ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures quinze, troisième séance publique : Discussion, après déclaration d'urgence, du projet de l oi no 2250 relatif aux nouvelles régulations économiques ; M. Eric Besson, rapporteur, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport no 2327) ; M. André Vallini, rapporteur pour avis, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et d e l'administration générale de la République (avis no 2309) ; M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis, au nom de la commission de la production et des échanges (avis no 2319).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT