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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 MAI 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Questions au Gouvernement (p. 4211).

ENSEIGNEMENT ARTISTIQUE (p. 4211)

MM. Alain Clary, Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle.

ÉVOLUTION DES INSTITUTIONS (p. 4211)

MM. Jacques Brunhes, Lionel Jospin, Premier ministre.

QUINQUENNAT (p. 4213)

MM. Valéry Giscard d'Estaing, Lionel Jospin, Premier ministre.

GRÈVE DES CONVOYEURS DE FONDS (p. 4214)

MM. Jean-Pierre Dufau, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES EN SEINE-MARITIME (p. 4215)

M. Didier Marie, Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

RÉTRIBUTION DES ÉLÈVES DES LYCÉES PROFESSIONNELS EN STAGE DANS LES ENTREPRISES (p. 4215)

MM. Joseph Rossignol, Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel.

CONSTRUCTION EUROPÉENNE (p. 4216)

Mme Marie-Hélène Aubert, M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

PERSONNELS HOSPITALIERS (p. 4217)

M. Pascal Clément, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

CRÉDIT LYONNAIS (p. 4218)

MM. Jean-Luc Warsmann, Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

2. S ouhaits de bienvenue à un chef d'Etat étranger (p. 4219).

3. Questions au Gouvernement (suite) (p. 4219).

SÉCURITÉ (p. 4219)

MM. Robert Lamy, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

SÉCURITÉ DES PAIEMENTS PAR CARTES BANCAIRES (p. 4220)

M. Gérard Hamel, Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.

Suspension et reprise de la séance (p. 4220)

PRÉSIDENCE DE M. YVES COCHET

4. Débat d'orientation budgétaire pour 2001. - Déclaration d u Gouvernement et débat sur cette déclaration (p. 4220).

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances.

MM. Philippe Auberger, Pierre Méhaignerie, Alain Bocquet, François d'Aubert.

Renvoi de la suite du débat à la prochaine séance.

5. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 4240).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 MAI 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

N ous commençons par les questions du groupe communiste.

ENSEIGNEMENT ARTISTIQUE

M. le président.

La parole est à M. Alain Clary.

M. Alain Clary.

Monsieur le président, ma question qui s'adresse à Mme Tasca, ministre de la culture et de la communication, porte sur la situation des écoles nationales d'art et sur le devenir de l'enseignement artistique en France.

Depuis 1974, nous constatons l'absence totale d'une véritable politique de l'enseignement artistique en France.

Or, en ce début du mois de mai, les personnels des écoles nationales d'art ont engagé un mouvement de grève dont l'ampleur a surpris. Leurs revendications portent sur la reconnaissance que les écoles nationales d'art font partie de l'enseignement supérieur, sur un véritable statut juridique des écoles nationales d'art, sur la mise en place et l'harmonisation des statuts et des rémunérations des enseignants, reconnaissant leur activité de recherche ou de création, sur la résorption de la précarité des personnels vacataires, sur la création d'emplois administratifs et de documentation.

Q uelles mesures Mme la ministre compte-t-elle prendre pour répondre à ces très justes exigences ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle.

M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle.

Monsieur le député, votre question s'adresse certes à Mme Tasca, qui est retenue aujourd'hui à Bruxelles, mais, ayant participé aux négociations qui ont eu lieu autour de ce dossier, je vais m'efforcer de vous fournir quelques éléments de réponse.

La grève, qui a commencé début mai et a concerné toutes les écoles nationales d'art, a revêtu une ampleur inusitée, traduisant ainsi un malaise profond. Dès le début du mouvement, j'ai reçu personnellement les représentants des écoles nationales d'art et nous sommes entrés au coeur de ce dossier trop peu traité depuis longtemps.

La négociation qui s'en est suivie entre les représentants des écoles et notre ministère a débouché sur un protocole d'accord de fin de grève signé le 12 mai. Ce protocole repose sur trois principes essentiels.

Premièrement, les écoles nationales d'art participent pleinement de l'enseignement supérieur et les enseignants qui y interviennent sont des artistes et des théoriciens dont la situation est à considérer à partir de ce constat.

Deuxièmement, les écoles participent de la création, tant par leurs activités propres que par leur insertion dans le tissu de l'art contemporain.

Troisièmement, cette reconnaissance s'exprime dans le cadre d'une politique prioritaire en faveur des enseignements artistiques à laquelle nous croyons, Catherine Tasca et moi-même, et à laquelle nous souhaitons favoriser une impulsion nouvelle, ce qui est essentiel pour donner du sens à toutes nos interventions ultérieures.

Un plan de développement des écoles nationales d'art a été établi. Il comprend, entre autres, des mesures relatives au statut des écoles, passant par une réforme du centre national d'arts plastiques, le CNAP, et donnant à ces écoles un statut d'établissement public administratif ; des dispositions concernant le statut des enseignements - donc à mettre en oeuvre avec le ministère de l'éducation nationale - afin de régler les questions d'équivalence et de passerelle vers les autres établissements européens ; enfin des mesures statutaires pour l'ensemble des personnels des écoles.

Ce protocole concerne aussi la vie étudiante et le fonctionnement des écoles. Un processus de mise en oeuvre a été élaboré avec la création d'un comité de suivi composé de représentants du ministère et des écoles. Ce comité se réunira dès cette semaine et un calendrier a été arrêté pour chacun des points que j'ai soulevés.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

ÉVOLUTION DES INSTITUTIONS

M. le président.

La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes.

Monsieur le Premier ministre, le problème des institutions est à nouveau publiquement posé à travers la question de la durée du mandat présidentiel.

Nos institutions sont en crise. Les causes premières tiennent essentiellement à la permanence d'un défaut originel reconnu : le déséquilibre entre l'exécutif et le législatif car le rôle du Parlement est réduit à l'excès.

Ainsi, le droit d'initiative du législateur reste infime.

L'article 40 lui retire toute prérogative financière. Il est tout à l'honneur de votre gouvernement de ne jamais avoir usé de l'article 49-3, mais il reste malheureusement bien inscrit dans la Constitution. L'Assemblée peut à peine modifier plus d'un millième du budget de la nation sans parler du fait que 80 % des normes applicables en France proviennent des instances européennes.

Monsieur le Premier ministre, une révision efficace de nos institutions ne saurait être limitée au seul aménagement arithmétique de la durée du mandat présidentiel,


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d'autant que 66 % des Français se déclarent favorables à un renforcement des pouvoirs du Parlement. Donner à ce dernier la place et le rôle qui doivent être les siens était la proposition première de la commission Vedel en 1993.

En revanche, cette dernière ne s'était pas prononcée en faveur d'un quinquennat qui, par la simultanéité ou le couplage de fait des élections présidentielles et législatives, pourrait conduire à un nouvel affaiblissement du rôle du Parlement et à une présidentialisation accentuée.

Quelles mesures entendez-vous proposer, monsieur le Premier ministre, pour que, à l'inverse, le Parlement puisse jouer pleinement son rôle de législateur, de contrôleur de l'action du Gouvernement, de tribune des grands débats nationaux et exercer son droit d'initiative et son pouvoir de décision ? Plus généralement, ne pensez-vous pas que notre pays a besoin d'un grand débat sur une constitution moderne, démocratique et favorisant la participation citoyenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le député, une réflexion globale sur les institutions de notre pays dépasse naturellement, vous en conviendrez, le cadre d'une question d'actualité. Elle relève d'un large débat public et de la libre réflexion des formations politiques.

M. Marc Laffineur.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Les grandes échéances démocratiques sont faites pour que ces questions fondamentales que vous avez rappelées soient traitées devant le peuple.

M. Richard Cazenave.

Et alors ?

M. le Premier ministre.

Cela ne signifie pas pour autant que, répondant à votre question, je suis indifférent aux préoccupations que vous avez exprimées. Néanmoins, je préfère me limiter à faire écho à votre préoccupation centrale relative aux pouvoirs du Parlement et au respect dû à celui-ci dans notre pays.

M. Pierre Lellouche.

Rassurez-nous !

M. le Premier ministre.

Respecter le Parlement, monsieur le député, c'est d'abord respecter la parole donnée.

Ainsi, depuis trois ans, nous avons soumis à vos débats, - et nous continuerons de le faire - de grands textes correspondant aux orientations que nous avions présentées aux Français en 1997.

M. François Baroin.

Ce n'est pas très original !

M. le Premier ministre.

Respecter le Parlement, c'est aussi, naturellement, respecter sa majorité. Nous avons donc toujours noué avec la majorité de cette assemblée les rapports confiants qui étaient nécessaires.

Vous avez rappelé vous-même que jamais nous n'avons utilisé, comme élément de discipline, l'article 49-3.

Respecter le Parlement, c'est encore donner aux parlementaires, aux députés en particulier, le temps de se consacrer pleinement à leur mandat. C'est pourquoi nous avons proposé une législation limitant le cumul des mandats qui a été votée par une majorité dans cette assemblée, même si elle a été amputée dans l'autre.

M. Gilbert Meyer.

Cinéma !

M. le Premier ministre.

Respecter le Parlement, c'est également tenir compte de l'équilibre de notre société et de ses évolutions. Dans cet esprit, nous avons élaboré une révision de la Constitution pour que des lois puissent accorder une place plus grande aux femmes dans la vie publique de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Respecter le Parlement, c'est faire en sorte que cette enceinte soit le lieu où sont débattues les grandes questions d'actualité.

M. Pierre Lellouche.

C'est pour cela qu'il n'y a pas eu de débat sur l'Europe !

M. le Premier ministre.

Qu'il s'agisse de l'Europe, de la crise au Kosovo, des intempéries et de la marée noire qui ont frappé notre pays, chaque fois que vous l'avez souhaité, nous vous avons ouvert le débat qui était nécessaire. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Bernard Accoyer.

Et les retraites ?

M. le président.

Mes chers collègues, je vous en prie !

M. le Premier ministre.

Néanmoins, je pense comme vous, monsieur le député, qu'il y a encore un caractère insatisfaisant dans la façon et dans les règles selon lesquelles le Parlement, notamment l'Assemblée nationale, exerce son contrôle sur le pouvoir exécutif.

M. Richard Cazenave.

C'est un discours de politique générale !

M. le Premier ministre.

Dans le domaine budgétaire et fiscal, le Gouvernement, particulièrement le ministre de l'économie et des finances, Laurent Fabius, ancien président de cette assemblée, examinera avec attention les propositions faites par la commission des finances et son président, Didier Migaud. (Rires, exclamations puis huéess ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Excusez-moi, je voulais parler des propositions du rapporteur général, Didier Migaud, élaborées avant qu'Henri Emmanuelli ne reprenne sa place à la présidence de la commission des finances, ce dont, il le sait, je me réjouis.

(Applaudisssements sur les bancs du groupe socialiste. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Nous sommes prêts dans d'autres domaines - politique étrangère ou défense par exemple - à examiner, dans le p lein respect des prérogatives du Président de la République, comment le contrôle du Parlement peut être amélioré.

Vous voyez que nous pouvons agir dès maintenant et reprendre le débat plus largement quand le moment sera venu. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

M. Pierre Lellouche.

Fallait-il vraiment intervenir pour dire ça ?

M. le président.

Nous en venons au groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 MAI 2000

QUINQUENNAT

M. le président.

La parole est à M. Valéry Giscard d'Estaing.

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Monsieur le Premier ministre, ma question s'adresse à vous et elle porte sur la réforme du quinquennat. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous avez pris connaissance de la proposition de loi constitutionnelle déposée par un certain nombre de mes collègues et par moi-même, visant à ramener de sept à cinq ans la durée du mandat présidentiel et à limiter à deux le nombre des mandats successifs que pourrait exercer un Président de la République.

Pourquoi maintenant ? Pourquoi la voie parlementaire ? Maintenant, parce qu'il était difficile de le faire plus tôt (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) car se posait alors l'irritante question de savoir si le Président de la République devait se l'appliquer à luimême. (Mêmes mouvements.)

M. le président.

Mes chers collègues, écoutez l'orateur avec l'attention que le sujet mérite.

M. Valéry Giscard d'Estaing.

D'autant que cette question était irritante moins pour nos collègues que pour le Président de la République. (Rires.)

Par ailleurs il n'est pas souhaitable de proposer cette réforme trop tard parce qu'il est évident que la règle du jeu doit être fixée avant l'ouverture de la pré-campagne présidentielle.

Pourquoi avoir choisi la voie parlementaire ? A cet égard, je vous demande, mes chers collègues - car je m'adresse à vous autant qu'au Premier ministre d'être attentifs à cet aspect de la question.

M. Jean-Claude Lefort.

On n'est pas à l'école !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Ce choix tient à plusieurs raisons.

D'abord, seule cette voie est ouverte, car l'autre voie prévue par l'article 89 de la Constitution nécessite une initiative du Président de la République...

Mme Odette Grzegrzulka et M. François Patriat.

Et il ne l'a pas prise !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

... sur proposition du Premier ministre.

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Or le Président de la République avait exprimé publiquement son hostilité au quinquennat sous toute ses formes (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) et, en période de cohabitation, il était difficile au Premier ministre de présenter une proposition contraire à la position prise par le Président de la République. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Voyez, monsieur le président, ce n'est pas moi qui rallonge ma question, ce sont les applaudissements ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en tiendrons compte, monsieur le Président ! (Sourires.)

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Cette voie parlementaire est légitime sachant qu'il est vraisemblable que les deux chefs de l'exécutif seront eux-mêmes candidats. Le Parlement offre une enceinte où l'on dispose de davantage de recul pour débattre de ce sujet.

Mme Odette Grzegrzulka.

C'est exact !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Enfin, on nous parle souvent, et il y a un instant encore, de revaloriser le rôle du Parlement. Dans le cas particulier, il ne s'agit pas de revaloriser son rôle, mais de lui permettre de l'exercer.

Plusieurs députés socialistes.

Très bien !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Car cette disposition figure, comme vous le savez, dans notre constitution et nous permettra d'apporter un démenti à ce que Robert Schuman appelait, déjà, « la puissance d'indécision du Parlement ».

Et voici ma question, monsieur le Premier ministre (« Ah ! » sur divers bancs) : dans la voie parlementaire de révision de la Constitution, l'article 89 ne confère aucun rôle particulier au Gouvernement. Mais la pratique parlementaire nous enseigne que l'adoption d'un texte peut être compliquée ou facilitée par l'attitude de celui-ci. En effet, il intervient à plusieurs stades de nos délibérations et il est toujours présent dans cette enceinte.

Nous vous demandons donc, monsieur le Premier ministre, si vous êtes disposé à permettre à l'initiative parlementaire de révision de la Constitution de suivre son cours normal, c'est-à-dire d'être débattue dans cette enceinte et d'y faire l'objet d'un vote, avant que le peuple, qui détient la souveraineté nationale, ne soit appelé à dire le dernier mot. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance et sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le Président, la réforme du quinquennat dort depuis vingtsept ans dans l'antichambre d'un congrès que le Président Pompidou n'avait pas réuni.

Un député du groupe du Rassemblement pour la République.

Giscard non plus ! Un député du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Ni Mitterrand ! (Rires.)

M. le Premier ministre.

Les Français, quand on les interroge sur le raccourcissement du mandat présidentiel, répondent massivement qu'ils sont pour. C'est également ma conviction, celle de ma formation politique et semble-t-il - celle de la majorité. Depuis quelques semaines, des personnalités importantes, notamment de l'opposition, ont affirmé que cette réforme était souhaitable et qu'elle était devenue possible.

Vous-même, monsieur le Président Giscard d'Estaing, avez dans un article tout récent, précis et argumenté comme d'habitude - proposé explicitement d'engager cette réforme et de le faire sur la base d'une initiative de membres du Parlement, en vertu de l'article 89 de la Constitution qui traite de la révision constitutionnelle.

Aujourd'hui, vous m'interrogez sur mes intentions, et je vais vous les dire. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Sur le fond, ma position est claire. Je suis favorable au quinquennat depuis longtemps. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Je l'ai proposé, lors de la campagne présidentielle de 1995, parce que, à mes yeux, la vie démocratique a besoin, pour respirer, de mandats d'une longueur raisonnable.

M. Charles Ehrmann.

Comme au Sénat ? (Rires.)


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M. le Premier ministre.

Je rappelle aussi que, dès ma déclaration de politique générale - et j'y viens donc en 1997, j'avais marqué que l'harmonisation des mandats électifs sur une base de cinq ans me semblait être un élément essentiel de l'oeuvre de modernisation de la vie publique dans laquelle j'entendais engager le Gouvernement. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Toutefois, comme vous l'avez souligné, monsieur le Président, depuis que je suis devenu Premier ministre, je ne me suis plus exprimé d'une manière explicite sur le mandat présidentiel, parce que je ne voulais pas qu'une déclaration de ma part pût être interprétée, dans le contexte particulier de la cohabitation, alors que le Président de la République en exercice s'était déclaré expressément, et de manière réitérée, contre le quinquennat.

Aujourd'hui, on me dit que la situation a changé et qu'un large accord peut être réalisé. Dès lors, je vous confirme que, naturellement, je suis favorable à la mise en oeuvre de cette réforme, qui ne saurait, bien évidemment, concerner le mandat actuel.

Sur la méthode, nous savons que l'article 89 de la Constitution, qui traite des révisions constitutionnelles, ouvre concurremment deux voies.

La première est celle d'une initiative de membres du Parlement débouchant sur un référendum. C'est la voie que vous proposez, monsieur le député, et elle est parfaitement légitime. Si elle devait être empruntée, le Gouvernement, qui a une grande influence sur l'ordre du jour des assemblées, ferait ce qui dépend de lui pour la faciliter afin qu'elle aboutisse rapidement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) L'autre voie est celle d'une initiative du Président de la République, sur proposition du Premier ministre, débouchant soit sur une réunion du Congrès, soit sur une consultation du peuple par référendum. Si le Président de la République entendait prendre cette initiative, avec le même objectif d'un aboutissement effectif et rapide que celui que vous avez exprimé, alors, ainsi que je le lui ai indiqué, je serais naturellement prêt à lui faire la proposition nécessaire.

En effet, quelle que soit la voie choisie, c'est pour moi l'objectif qui prime. Parce qu'on reparle aujourd'hui de toutes parts de la réforme du quinquennat, faisons-la, enfin ! Et si l'on est résolu à la faire, pour que les règles du débat démocratique soient claires et sûres, alors faisons-la vite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Nous passons aux questions du groupe socialiste.

GRÈVE DES CONVOYEURS DE FONDS

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Dufau.

M. Jean-Pierre Dufau.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M onsieur le ministre, les convoyeurs de fonds observent depuis plus d'une semaine un mouvement de grève pour réclamer de meilleurs conditions de sécurité et de rémunération - salaires et primes. Indéniablement, ils exercent un métier à risque. Les agressions mortelles dont ils ont fait l'objet au cours des dernières années en témoignent. Améliorer les conditions de sécurité devient un impératif. De statut privé, leur profession revêt un caractère d'intérêt général ; la pénurie de billets de banque dans les distributeurs le montre bien.

Métier à risque, métier d'intérêt général : les revendications salariales des convoyeurs de fonds sont fondées.

Alors que les donneurs d'ordres, secteur bancaire et grande distribution, enregistrent des profits gigantesques, est-il admissible qu'un convoyeur de fonds expose sa vie pour 6 000 francs par mois ?

Mme Nicole Bricq.

Très juste !

M. Jean-Pierre Dufau.

Je sais, monsieur le ministre, que vous suivez attentivement les négociations en cours et que des avancées ont eu lieu. Il est urgent d'améliorer les conditions de sécurité et de formation des convoyeurs de fonds. Il est urgent de trouver un accord sur leur statut et leur carrière, notamment sur le problème du minimum conventionnel.

Mme Nicole Bricq.

Très bien !

M. Jean-Pierre Dufau.

Le groupe socialiste espère ardemment la réussite des négociations en cours. Face à cette situation d'urgence, quelle est la position du Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le député, j'approuve totalement vos propos de même que les groupes de la majorité et, j'en suis convaincu, des personnalités de l'opposition.

Suite aux drames insoutenables et tragiques dont vous avez parlé, un conflit est apparu. Si l'on examine les faits sérieusement, comme vous l'avez fait, on ne peut que convenir qu'il s'agit d'un métier à haut risque - ce sont les mots que vous avez utilisés et j'en suis d'accord -, fort utile, servant même l'intérêt général.

Sur les problèmes directement liés à la sécurité, M. Jean-Pierre Chevènement s'est exprimé la semaine dernière. Des progrès ont déjà été obtenus pour la protec tion de ces personnels grâce au décret du 28 avril dernier sur lequel je ne reviens pas. En outre, un projet de loi sera soumis au conseil des ministres ainsi que diverses mesures sur la sécurité.

Restent les questions liées à la reconnaissance de ce métier à sa juste valeur, qui doit se traduire dans les primes, dans les salaires et dans la convention collective, trois aspects que vous avez évoqués, monsieur le député.

Il s'agit bien entendu de questions à débattre paritairement. J'insiste, après vous, sur le fait que c'est aux salariés et aux entreprises directement concernés qu'il appartient de faire des propositions pour dégager des solutions.

En tout cas, soyez convaincu que le Gouvernement fait tout pour que les négociations aboutissent afin que le conflit cesse, et pour que soit rendue à ces travailleurs leur dignité, et que leur soit accordé ce qui leur est dû, tant en matière de salaires que de convention collective, à savoir, la pleine reconnaissance de leur métier et donc le respect de la société. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES EN SEINE-MARITIME

M. le président.

La parole est à M. Didier Marie.

M. Didier Marie.

Ma question, à laquelle s'associent

Mme Bredin, MM. Le Vern, Fuchs, Bateux et Dhaille, députés de Seine-Maritime, s'adresse à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Notre département a été, la semaine dernière, très sévè rement touché par de violents orages qui ont fait plusieurs victimes et causé des dégâts considérables. Je voudrais remercier l'ensemble des sauveteurs pour la rapidité et la qualité de leurs interventions, le préfet qui a efficacement mis en oeuvre les moyens nécessaires dégagés par le Gouvernement et saluer le mouvement de solidarité de la population.

Quelques jours après cette catastrophe, il convient de s'interroger sur son ampleur. Si ces phénomènes météorologiques sont exceptionnels et difficilement prévisibles, ils ont été, en Seine-Maritime comme dans d'autres départements, aggravés par une accumulation de facteurs imputables à l'homme : urbanisation des plateaux accompagnée de la création de parkings conduisant à remplacer progressivement les champs par du bitume, création d'infrastructures prenant insuffisamment en compte les problèmes d'écoulement des eaux, pratiques agricoles ayant pour conséquence l'imperméabilisation des sols. Ces facteurs aggravants sont connus et évoqués à chaque catastrophe, alors que nous avons élaboré et voté des lois pour remédier aux erreurs maintes fois dénoncées.

Madame la ministre, pouvez-vous nous expliquer comment, à travers les nouveaux instruments tels que la loi du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 avec les contrats territoriaux d'exploitation, dont bien peu sont signés en SeineMaritime, et celle en cours de discussion sur la solidarité et le renouvellement urbains, le Gouvernement compte améliorer la prévention de tels phénomènes météorologiques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Monsieur le député, à plusieurs reprises depuis le 6 mai, des précipitations orageuses particulièrement intenses ont touché le département de Seine-Maritime - 47 millimètres d'eau en moins de deux heures enregistrés à Dieppe le 7 mai, plus de 40 millimètres d'eau en moins de deux heures dans le secteur de Barentin le 10 mai - un phénomène qui ne se produit en moyenne qu'une fois tous les cinquante ans.

Je souhaite tout d'abord vous exprimer une nouvelle fois, monsieur le député, la solidarité et l'émotion du Gouvernement et vous faire part de son intention de se placer aux côtés des familles touchées par ces inondations.

Je voudrais notamment vous confirmer que la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sera mise en oeuvre dans les meilleurs délais.

Mais, comme vous, je crois nécessaire de s'interroger sur la répétition en Haute-Normandie de catastrophes naturelles dues à l'accélération du ruissellement et du phénomène d'érosion des limons. Je pense non seulement aux inondations et aux coulées de boue mais aussi aux problèmes récurrents, que connaissent bien les élus de cette région, de qualité des eaux acheminées par les réseaux de distribution.

J'évoquerai rapidement les questions liées à la maîtrise de l'urbanisme dans les secteurs soumis à ces phénomènes de ruissellement. Nous connaissons les outils qu'il faut utiliser : les POS, plans d'occupation des sols bien sûr, mais aussi les plans de prévention des risques. Nous avons mobilisé des moyens importants - ils ont doublé en deux ans - pour accélérer l'élaboration des plans de prévention des risques. Encore faut-il que les discussions locales n'allongent pas exagérément les délais.

J'insisterai davantage sur un point que vous avez vousmême souligné et qui concerne la modification des pratiques agricoles sur l'ensemble de la région. En effet, la Haute-Normandie a connu une régression massive des surfaces enherbées : 47 % de la superficie agricole étaient constitués de prairies permanentes en 1970 ; elles ont été progressivement remplacées par des cultures annuelles, comme le maïs, les pommes de terre ou les autres cultures de printemps, qui favorisent le ruissellement parce qu'elles laissent le sol nu pendant l'hiver. En 1997, on constatait que seules 20 % des surfaces de la région étaient toujours en herbe.

M ême si certaines solutions techniques existent, notamment celles mises au point avec l'INRA, leur mise en oeuvre s'est longtemps heurtée à l'absence de dispositifs de solidarité financière à l'échelon d'un bassin versant et à leur manque de « compétitivité », même si elles étaient rémunérées, en comparaison des soutiens à la production.

Un plan d'action doit être préparé dans les semaines à venir avec l'appui de la mission d'inspection spécialisée de l'environnement et du conseil général du génie rural. Il s'appuiera sur les mesures qui ont été prises dans le cadre de la loi d'aménagement du territoire en faveur de la prévention des risques naturels et sur l'intégration effective des mesures de protection dans les contrats territoriaux d'exploitation institués par la loi d'orientation agricole.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

RÉTRIBUTION DES ÉLÈVES DES LYCÉES PROFESSIONNELS EN STAGE DANS LES ENTREPRISES

M. le président.

La parole est à M. Joseph Rossignol.

M. Joseph Rossignol.

Ma question s'adresse à M. le ministre délégué à l'enseignement professionnel.

Monsieur le ministre, en faisant passer de vingt-trois à dix-huit heures, sans annualisation ni flexibilité ni pondération, le temps de travail hebdomadaire des professeurs des lycées professionnels, vous avez aligné le temps de service des enseignants des disciplines professionnelles sur celui de leurs collègues des disciplines générales. Cet important progrès social témoigne de notre attachement à cette filière et de notre volonté de lui donner l'attrait qu'elle mérite.

C'est dans cet esprit que vous réfléchissez aujourd'hui à l'idée d'une rétribution des élèves des lycées professionnels lors de leur passage en entreprise.

Alors que la reprise économique pose le problème d'un départ de ces élèves vers les entreprises avant la fin de leur cursus, il apparaît indispensable de trouver les moyens de les accompagner tout au long de leurs études, seules vraies garanties sur le marché du travail. Aussi, pourriez-vous nous faire part des pistes qui sont les vôtres sur ce sujet, notamment quant à la façon dont les entreprises pourraient financer la contrepartie du travail fourni par l'élève sans être financièrement pénalisées ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 MAI 2000

M. le président.

La parole est à M. le ministe délégué à l'enseignement professionnel.

M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel.

Aujourd'hui, monsieur le député, les entreprises qui le souhaitent peuvent consentir une gratification équivalente à 30 % du SMIC aux jeunes accomplissant une période de formation en entreprise. Faut-il systématiser, généraliser ? C'est ce qui serait certainement le plus utile pour lutter contre ce que l'on nomme l'évaporation des élèves en cours de formation, alors que notre intérêt est qu'ils achèvent leur cursus ? Cette rétribution est un engagement proposé par le ministre de l'éducation nationale à l'occasion du colloque de Lille, que vous avez sans doute en tête. Il s'agit d'une demande pressante des syndicats de lycéens et des conseils de la jeunesse institués par Mme Marie-George Buffet.

J'ai parlé de rétribution, pas de rémunération. En effet, i l faut que soit clairement établi que nos jeunes demeurent sous statut scolaire et non pas sous contrat de travail. Par ailleurs, cette solution doit être financièrement neutre car, si elle ne l'était pas, nous taririons l'offre de séjours en entreprise. Il faut tenir compte de ces deux données.

Le Premier ministre m'a chargé, aux côtés de Jack Lang, de mettre en place un protocole négocié pour organiser ces périodes de formation en entreprise. C'est un des éléments qui participeront de cette discussion.

Qu'il s'agisse de l'humanisme laïque qui m'anime ou de l'intérêt bien compris du pays, j'appelle l'attention de la représentation nationale sur le fait que notre pays a passionnément besoin que son service public d'enseignement professionnel soit à la hauteur des attentes qui se présentent aujourd'hui devant lui.

Nous assistons à un paradoxe : une pénurie de maind'oeuvre dans certains secteurs et la baisse des inscriptions dans les lycées professionnels.

Pour régler cette contradiction, il faut développer l'attractivité de notre service public et, dans ces conditions, prendre les mesures qui s'imposent. C'est ce que ce gouvernement veut faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe Radical, Citoyen et Vert.

CONSTRUCTION EUROPÉENNE

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Ma question s'adresse à Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, il y a quelques jours, Joschka Fischer, ministre des affaires étrangères de l'Allemagne, a fait une proposition, soutenue par le chancelier Schrder, sur la nécessité et les moyens de parvenir à une véritable Europe politique, fédérale, dotée à terme d'une Constitution, proposition qui rompt heureusement avec une politique de petits pas intergouvernementaux, symbole des frilosités et des égoïsmes de bon nombre d'Etats - et le nôtre n'est pas épargné - en matière de projet européen.

Cette déclaration revêt une importance particulière car elle émane d'une personnalité au pouvoir en Allemagne, au moment où tout le monde s'accorde, hélas !, à juger les relations du couple franco-allemand plutôt tièdes.

Certes, nos concitoyens s'inquiètent à juste titre de la vague libérale qui submerge l'Union européenne et qui constitue une menace pour l'emploi, les droits sociaux, l'environnement ou la diversité culturelle, mais, très largement, ils comprennent à quel point la poursuite de la construction européenne est vitale, parce que, et à condition que l'Europe constitue une réelle chance de progrès pour la démocratie, la paix, la justice sociale, bref pour un développement durable et partagé.

Dans cette perspective, comment envisagez-vous de raviver l'indispensable coopération entre la France et l'Allemagne pour sortir enfin la conférence intergouvernementale de son enlisement trop prévisible, voire voulu par certains, et franchir, lors de la présidence française de l'Union, une étape décisive vers une Europe politique et, à terme, fédérale ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance).

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Depuis quelque temps, madame la députée, les dirigeants européens, et notamment les dirigeants français et allemands - Joschka Fischer, dans son discours, rend d'ailleurs hommage au travail réalisé entre Français et Allemands qui a selon lui largement contribué à stimuler sa propre réflexion - sont de plus en plus soucieux d'apporter une bonne réponse à la question du grand élargissement de l'Europe qui s'avance et qui va entrer en vigueur au cours des prochaines années.

La première étape de cette réflexion, c'est ce à quoi nous travaillons dans le cadre de la conférence intergouvernementale. M. Joschka Fischer a voulu se placer au-delà en parlant, à titre personnel et en lançant dans ce débat des réflexions sur ce que pourrait devenir l'Europe au terme de trois étapes.

J'ai eu l'occasion de déclarer que ce débat était vraiment utile, qu'il était souhaitable qu'il s'intensifie, car les échéances se rapprochent. Différentes propositions ont été faites, allant des plus pragmatiques à des solutions à caractère véritablement fédéral, en passant par tout un éventail de noyaux durs avec des caractéristiques diverses.

Il est très important que ce débat s'amplifie, dans notre pays comme dans les autres, car la question de savoir comment faire fonctionner l'Europe à trente doit nous concerner tous. C'est maintenant urgent.

La France va prendre la présidence de l'Union dans quelques semaines, à partir du 1er juillet. Nous allons alors reprendre les travaux de la conférence intergouvernementale à un certain stade, et je rends d'ailleurs hommage au travail et à l'énergie de la présidence portugaise.

On sait que les problèmes sont compliqués. Une CIG a déjà échoué dans le passé à ce propos et la solution n'es t pas encore trouvée.

Notre rôle, à ce stade, n'est pas de mettre sur la table des propositions de nature à diviser les Européens mais de parvenir à un consensus le plus ambitieux possible pour l'avenir de l'Europe, en commençant par la première étape et non par la dernière.

Pour trouver le consensus, il faudra prendre en compte l'ensemble des positions politiques des uns et des autres, même si nous avons naturellement notre façon à nous de conduire le débat, je l'espère, pour aboutir à une conclusion positive.


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L'élément commun de toutes ces démarches, ce sont les coopérations renforcées, qui deviennent de plus en plus clairement le tronc commun de tous les progrès.

C'est d'ailleurs la première étape de la réflexion de M. Fischer.

C'est l'un des éléments prioritaires de notre présidence et, par ce système, si nous y arrivons, ce qui n'est pas encore acquis car il faut l'assouplir pour qu'il puisse fonctionner, nous pourrons mettre en oeuvre les coopérations concrètes les plus pragmatiques mais aussi, si c'est décidé vraiment démocratiquement par les Etats concernés, avancer vers les projets les plus ambitieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous passons au groupe Démocratie libérale et Indépendants.

PERSONNELS HOSPITALIERS

M. le président.

La parole est à M. Pascal Clément.

M. Pascal Clément.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Depuis quelques mois, madame la ministre, les différents personnels hospitaliers sont en grève. Nous avons eu les urgentistes, les internes, les infirmières-anesthésistes,...

M. Gérard Bapt.

C'est l'héritage !

M. Pascal Clément.

... nous avons les externes, et vous avez « réglé » le problème en distribuant une manne budgétaire qui provient de la croissance économique.

Au lieu d'en profiter pour le régler de manière structurelle, vous avez préféré mettre ici ou là quelques rustines sur les problèmes qui se posent à la sécurité sociale.

Prenons l'exemple des infirmières-anesthésistes. Ce sont des personnels qui ont cinq ans de formation, et l'on peut penser qu'elles ont des revendications salariales légitimes et que, jusqu'à présent, sous prétexte que leur représentation syndicale n'est pas nationale mais strictement professionnelle et qu'elle ne vous impressionne pas beaucoup, vous méprisez leur situation. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Ajoutez cette nouvelle qui vient de frapper le ciel européen, à savoir la décision de ces jours derniers de la Cour de justice européenne permettant aux citoyens de l'Union d'aller consulter librement où ils le désirent dans l'Union européenne aux frais de leur pays d'origine, et l'on peut penser que cette jurisprudence va très vite s'étendre jusqu'aux hôpitaux, si bien qu'un citoyen anglais pourra se faire soigner dans un hôpital français.

M. Didier Boulaud.

On le comprend !

M. Pascal Clément.

Dans cette perspective, comment pensez-vous régler le problème structurel des personnels hospitaliers, sachant que, pour clore le tout, votre CMU mal calibrée a provoqué d'énormes retards qui ne sont pas résorbés. Il serait peut-être temps de réformer sérieusement la sécurité sociale dans la perspective du droit européen qui est en train de naître ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, peut-être n'avez-vous pas eu l'occasion, et je peux le comprendre, de lire attentivement l'accord du 14 mars que nous avons signé avec une très grande majorité des organisations syndicales de l'hôpital.

Vous auriez pu y voir deux choses.

Tout d'abord, les organisations syndicales reconnaissent et acceptent la politique structurelle que nous menons sur l'hôpital depuis trois ans,...

M. Jean Bardet.

Ce n'est pas vrai ! Des personnels sont dans la rue !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... autour de trois objectifs : mieux répondre aux besoins à partir d'une analyse concrète et régionale de ces besoins, réduire les inégalités entre les régions et dans les régions et améliorer la qualité des soins et la sécurité dans les hôpitaux.

Je l'ai dit d'ailleurs devant vous, la responsabilité des organisations syndicales a été telle que ce sont les malades qui ont été au coeur des accords et que nous avons traité de conditions de travail, d'emploi, de qualité, de sécurité, et non pas directement de statut.

C'est la raison pour laquelle nous étions convenus que des problèmes particuliers de statut qui se posent encore pour certaines catégories, dont les infirmières anesthésistes, devraient être traités selon un calendrier que nous devons fixer avec les organisations syndicales à partir du mois de juin. Les infirmières anesthésistes se sont mises en grève depuis.

Comme je l'ai expliqué la semaine dernière, le premier problème qu'elles posent concerne les actes relevant de leur compétence, puisqu'elles ont, vous le savez, le monopole des actes d'infirmiers anesthésistes à l'hôpital, ce qui rend leur fonction extrêmement importante, et un décret va sortir dans quelques jours à partir de travaux que nous menons depuis un an.

En ce qui concerne les statuts, j'ai souhaité revoir leso rganisations syndicales interhospitalières pour leur demander dans quel ordre elles souhaitaient aborder les négociations, puisque nous avons signé le 14 mars. Cette réunion a eu lieu la semaine dernière et il a été convenu avec elles - je crois qu'il est bon de traiter avec l'ensemble des organisations pour éviter de distribuer une manne n'importe comment, comme vous l'avez si bien dit - de discuter à partir du 1er septembre sur les filières ouvrières, techniques et administratives et à partir du 1er décembre sur les filières paramédicales dont les infirmières anesthésistes.

M. le président.

Pourriez-vous conclure rapidement, madame la ministre ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je conclus, monsieur le président.

Quant à la jurisprudence de la Cour européenne de justice, la Commission européenne s'en est saisie et les directeurs de la sécurité sociale ont été réunis à plusie urs reprises afin que nous abordions ce problème avec l'ensemble des Etats membres.

Vous avez raison de dire qu'un grand nombre d'Européens viendront se faire soigner en France, car ils connaissent la qualité de notre service public hospitalier.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je vous précise, pour dissiper toute inquiétude, que, lundi, je réunis la commision des comptes de la sécurité sociale,


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où certains députés vous représentent. Alors que nous avions prévu en 1999 un déficit de 4 milliards, les comptes sont très nettement meilleurs. Nous aurons donc une bonne surprise lundi grâce à la politique structurelle que nous avons conjuguée depuis trois ans et grâce aux efforts des personnels.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons aux questions du groupe du Rassemblement pour la République.

CRÉDIT LYONNAIS

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann.

En 1992, M. Jean-Claude Trichet était directeur du Trésor.

M. Didier Boulaud.

Il a même été directeur du cabinet de Balladur !

M. Jean-Luc Warsmann.

Ce haut fonctionnaire est aujourd'hui fortement soupçonné d'avoir participé au maquillage des comptes du Crédit lyonnais dans le but de cacher l'énormité des pertes de cette banque. M. Trichet vient d'ailleurs d'être mis en examen par la justice pour d iffusion de fausses informations et publication de comptes sociaux inexacts.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

C'est scandaleux !

M. Jean-Luc Warsmann.

Le supérieur hiérarchique direct de M. Trichet était alors évidemment le ministre de l'économie et des finances, c'est-à-dire M. Michel Sapin.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Aussi, c'est à vous personnellement, monsieur Sapin, que je pose ces deux questions très simples : étiez-vous informé de cette manipulation des comptes du Crédit Lyonnais et aviez-vous donné des instructions afin de camoufler l'énormité de ces pertes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

C'est la troisième fois, monsieur le député, que l'opposition interroge le Gouvernement sur cette question.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Répondez ! M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

S'agissant de l'attitude de l'Etat, d'une affaire qui concerne plusieurs gouvernements successifs et de faits touchant à une banque aussi importante que le Crédit lyonnais, il nous est apparu légitime, conforme à la tradition républicaine, que vous réponde le ministre aujourd'hui chargé de ces question - c'est cela la continuité de l'Etat ! - mais, puisque vous semblez vouloir insister, et que je ne voudrais pas que cette insistance tourne à une forme d'obsession (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), je vais vous apporter quelques éléments de réponse.

D'abord, quelle est ma conception de la responsabilité politique ? Je suis toujours blessé, personnellement, en tant qu'individu,...

M. François Goulard.

Les contribuables aussi ! M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

... et en tant que ministre, aujourd'hui, et responsable politique, lorsque sont attaqués individuellement, comme vous venez de le faire, des hauts fonctionnaires qui ont agi conformément aux orientations de gouvernements successifs (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) , dans le cadre de leur mission, qui est la défense des intérêts de l'Etat, et dans le cadre de la recherche continuelle de l'intérêt général ! Telle la conception que j'ai exprimée devant la commission d'enquête qui s'est réunie sur ce sujet sous la haute présidence de M. Séguin et où j'ai commencé ma déclaration par des mots identiques.

Quelle a été mon attitude en tant que ministre, à l'époque ? J'ai nommé ceux qui avaient les qualités requises. J'ai voulu que la lumière pénètre là où, jusqu'alors, l'opacité était trop présente.

(Exclamations sur plu-s ieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Lucien Degauchy.

N'importe quoi ! M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

M. Trichet et M. Beaufret ont été nommés par moi au sein du conseil d'administration pour faire la lumière. C'est ce à quoi a contribué M. Beaufret sous l'autorité de M. Trichet.

M. Pierre Lellouche.

Dites ce qui s'est passé depuis 1981 ! M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

En septembre 1992, et la lettre figure dans tous les bons ouvrages, j'ai moi-même placé le Crédit Lyonnais sous contrôle de manière qu'aucun nouveau risque ne soit pris, mettant en cause les intérêts de l'Etat et du contribuable.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) En février 1993, alors que les premières informations apparaissaient, j'ai demandé que ce contrôle soit renforcé.

Monsieur le député, vous m'avez interrogé sur les comptes de l'année 1992 et de l'année 1993.

Je sais, pour la période où j'étais responsable, et j'ai la conviction, pour celle dont je n'étais plus le responsable,...

M. Jean-Luc Warsmann.

Ce n'était pas ma question ! M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

... qu'il n'y a eu aucun fait contraire à l'honneur, à la probité, et qu'aucune volonté de dissimulation n'a animé les responsables administratifs ou les responsables politiques.

M. Pascal Clément.

Ce n'est pas la question ! M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

Les comptes de l'année 1993 ont été arrêtés par l'assemblée générale au début de l'année 1994,...

M. Jean-Luc Warsmann.

Ce n'était pas ma question !

M. Lucien Degauchy.

On n'a rien dit sur ces années-là !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 MAI 2000

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme d e l'Etat.

... les comptes prévisionnels du premier semestre 1993 ont été arrêtés par le conseil d'administration en septembre 1993,...

M. Lucien Degauchy.

Le ministre ne répond pas à la question ! M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

... et les comptes de l'année 1992 ont été arrêtés par l'assemblée générale du 11 mai 1993. Vous savez maintenant à qui adresser vos questions.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

2

SOUHAITS DE BIENVENUE À UN CHEF D'ÉTAT ÉTRANGER

M. le président.

J'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence dans les tribunes de M. Alexandre Kwasniewski, président de la République de Pologne.

Je suis heureux de lui souhaiter, en votre nom, la bienvenue.

(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent longuement.) Nous aurons le plaisir de le recevoir vers seize heures quinze en la salle des fêtes de l'hôtel de Lassay. La séance sera, à cet effet, suspendue jusqu'à dix-sept heures.

3 QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite)

M.

le président.

Nous reprenons les questions au Gouvernement.

Nous poursuivons les questions du groupe du Rassemblement pour la République.

SÉCURITÉ

M.

le président.

La parole est à M. Robert Lamy.

M.

Robert Lamy.

Monsieur le président, M. Sapin a enfin répondu à la question qu'on lui posait, mais je regrette qu'il ait répondu à côté.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe socialiste.)

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.

A la fin de la semaine dernière s'est produit l'un de ces incidents dramatiques dont la répétition retire beaucoup de crédibilité au discours lénifiant du Gouvernement sur l'abattement de la criminalité en France.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Une jeune femme, fonctionnaire de la police de l'air et des frontières, a été agressée dans sa voiture, enlevée, rouée de coups à cause de son u niforme. Monsieur le ministre, nous n'avons pas entendu votre voix à propos de cette affaire dramatique qui concerne pourtant les forces de l'ordre.

L'impunité des malfaiteurs est telle qu'ils ont même osé s'attaquer à un ancien ministre de l'intérieur, M. Marcellin, qui, hier, a été agressé chez lui.

Mme Odette Grzegrzulka.

Cela n'a rien à voir !

M.

Robert Lamy.

Semaine après semaine, monsieur le ministre, vous répondez à nos questions par des numéros d'autosatisfaction et des déclarations invariables, du type :

« La justice a été saisie, les coupables seront punis. »

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M.

le président.

Un peu de silence, s'il vous plaît.

M.

Robert Lamy.

N'aurez-vous rien d'autre à dire à cette jeune victime, à laquelle nous exprimons notre sympathie ? Est-ce la seule réponse que vous apporterez aux interrogations des forces de l'ordre et de nos concitoyens, qui sont las de ne vous voir réagir que lorsque le mal est fait ? Il y a trois semaines, vous affirmiez, dans cet hémicycle : « Nous devons être capables de rompre le cycle de la violence, cet enchaînement de répression inévitable.

C'est là le sens de la politique du Gouvernement. » Mon-

sieur le ministre, les Français sont chaque jour les témoins de votre inefficacité. Oserez-vous donc continuer à affirmer que vous faites tout ce qu'il faut pour assurer leur sécurité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M.

le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M.

Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

Monsieur le député, le Gouvernement tient à affirmer sa sollicitude, sa sympathie à ceux de nos policiers qui, chaque jour, accomplissent d'énormes sacrifices pour maintenir la tranquillité et la sécurité de leurs concitoyens.

En effet, 9 000 policiers sont blessés chaque année, dont 4 000 en service.

(Murmures sur divers bancs.)

Je tiens aujourd'hui à rendre hommage à leur courage, comme je l'ai fait encore récemment, le 8 mai dernier, en remettant une distinction à plusieurs d'entre eux.

M. Eric Doligé.

Il faut s'occuper de la délinquance !

M.

le ministre de l'intérieur.

Vous avez évoqué un fait très regrettable, qui s'est produit hier soir et qui a touché l'un de mes prédécesseurs. En effet, M. Raymond Marcellin a fait l'objet d'une lâche agression à son domicile, et je tiens à lui témoigner toute ma sympathie.

M.

Eric Doligé.

C'est insuffisant !

M.

le ministre de l'intérieur.

Cela dit, vous le savez, cette délinquance est combattue avec énergie...

M.

Lucien Degauchy.

Non !

M.

le ministre de l'intérieur.

... et, quand j'ai évoqué la nécessité de rompre le cycle de la violence dans les quartiers populaires, je songeais en effet au rôle que doit jouer la police de proximité.

Bien entendu, la priorité qui est donnée à une police de proximité territorialisée, responsabilisée, polyvalente, agissant en partenariat - 368 contrats locaux de sécurité ont été signés à ce jour ...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 MAI 2000

M.

Lucien Degauchy.

C'est du pipeau !

M.

le ministre de l'intérieur.

... ne remet nullement en cause la nécessité de lutter avec énergie contre toutes les formes de la criminalité. A cet égard, je tiens à rendre hommage à la police qui, ces jours derniers encore, ayant élucidé trois affaires de braquage - contre un fourgon de la Brink's à Bordeaux en janvier 1999, contre une société de tir à Aix-en-Provence et contre un centre-fort de l'Ilede-France l'an dernier - a permis une trentaine d'interpellations.

Le travail de nos policiers est souvent obscur, mais il mérite d'être salué, car son efficacité...

M.

Lucien Degauchy.

Parlons-en !

M.

le ministre de l'intérieur.

... doit être soulignée dans ces affaires comme dans beaucoup d'autres.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

SÉCURITÉ DES PAIEMENTS PAR CARTES BANCAIRES

M.

le président.

La parole est à M. Gérard Hamel.

M.

Gérard Hamel.

Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, je souhaite vous interroger sur les problèmes que peuvent rencontrer les détenteurs de cartes bancaires, me faisant ainsi l'écho, je pense, de l'ensemble de la représentation nationale.

Avec le développement des nouvelles technologies, notamment d'Internet, nous sommes confrontés aujourd'hui à une nouvelle forme de délinquance, liée à l'utili-s ation frauduleuse des cartes bancaires. Plus de 2 500 plaintes dues à ce phénomène sont recensées chaque semaine et, à ce rythme, plus de 130 000 plaintes seront déposées cette année.

C'est l'utilisation malveillante des récépissés de paiement, sur lesquels figure le numéro de la carte bancaire et, quelquefois, les nom et prénom de son possesseur, qui permet le développement de cette délinquance.

Le Gouvernement compte-t-il rechercher une solution, avec l'Association française des banques, afin que le client qui voit sa carte utilisée abusivement et qui doit en changer ne soit pas contraint d'acquitter une nouvelle facturation du service ?

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.

Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.

Monsieur le député, depuis le 4 avril, date à laquelle, à la demande du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, j'ai réuni des représentants du GIE des cartes bancaires, de l'Association française des banques, des consommateurs et des industriels, deux groupes ont été chargés d'étudier ce dossier de manière approfondie.

Sous l'autorité de Christian Pierret, la direction chargée des nouvelles technologies mène actuellement, avec les industriels, une enquête confidentielle - dont les résultats ne seront, bien évidemment, pas publiés - sur la façon dont on pourrait utiliser les ressources du nouveau décryptage décidé par le Gouvernement afin de sécuriser davantage l'utilisation des cartes bancaires.

Une fois ce travail informel effectué, le groupe se réun ira à nouveau avec le double mandat d'étudier l'ensemble des fraudes et leur évolution. Comme vous le savez, la majorité des fraudes est due au vol de numéros de cartes bancaires, et nous avons demandé au GIE des cartes bancaires, à l'Association française des banques, à la Banque de France et aux associations de consommateurs de se mettre d'accord sur un nouveau protocole qui permette d'éviter que les « facturettes » ne se transforment en moyen de commander, sur le Net, par Minitel ou par correspondance, des objets qui sont facturés à autrui.

Le groupe des consommateurs a tenu avec raison à ce que soient également inscrits à l'ordre du jour les litiges qui opposent actuellement les détenteurs de cartes bancaires et les banques en cas d'utilisation frauduleuse du numéro de la carte. En dessous d'une certaine somme, le problème ne se pose pas, mais vous savez que les banques négocient désormais avec les assurances. C'est vers la mijuin, ou le début du mois de juillet, que nous devons recevoir les résultats de ces études.

Les banques et le GIE des cartes bancaires sont des entreprises de droit privé, et c'est au nom de la protection des consommateurs et du droit que le Gouvernement joue un rôle de médiateur dans ce dossier. Si, au terme de la concertation, il s'avère que les résultats obten us sont insuffisants et que nous devons alerter l'ensemble de nos partenaires européens sur l'utilisation frauduleuses des cartes à puce, des voies réglementaires et une négociation européenne seraient ouvertes. Mais nous pensons que, grâce aux deux mandats que nous leur avons confiés, ces autorités et les consommateurs nous soumettront des solutions qui permettront, sinon d'élimin er totalement les arnaques, qui, malheureusement, existent pour tous les moyens de paiement, du moins de protéger au maximum les consommateurs, notamment ceux qui achètent sur Internet où les vols de numéros sont plus nombreux qu'ailleurs.

Je vous remercie, monsieur le député, de nous avoir à nouveau posé cette question délicate, qui touche à la liberté bancaire et à la liberté individuelle.

M. le président.

Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à dixsept heures cinq, sous la présidence de M. Yves Cochet.)

PRÉSIDENCE DE M. YVES COCHET,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

4 DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE POUR 2001 Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration

M. le président.

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement et le débat d'orientation budgtaire pour 2001.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 MAI 2000

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je suis heureux que ce débat réunisse un public nombreux et choisi.

(Sourires.)

M. Henri Emmanuelli, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Plus choisi que nombreux ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Nous voici donc au début de cette semaine budgétaire de printemps, semaine qui comportera différentes séquences : aujourd'hui, nous allons discuter du débat d'orientation budgétaire ; demain, Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, vous présentera le collectif budgétaire ; après-demain, enfin, vous aurez à vous prononcer sur la loi de règlement du budget de 1998.

S'agissant du débat d'orientation budgétaire, traditionnellement, il ne se conclut pas par un vote, ce qui ne signifie nullement qu'il soit sans intérêt. Cette procédure, qui a débuté il y a de cela cinq ans, a été améliorée en 1997, année où on a pu commencer à parler d'une véritable stratégie des finances publiques. A cette occasion, il s'agit, pour le Gouvernement, de vous exposer ses grandes orientations, de vous écouter et de dialoguer avec vous, afin de préparer le débat budgétaire proprement dit, celui de l'automne.

Je veux d'emblée remercier les membres de la commission des finances, qui travaillent avec beaucoup d'ardeur sur ces sujets, ainsi que les députés qui sont présents dans cet hémicycle en dépit des sollications extérieures, et vous dire le plaisir que j'ai à participer à cette discussion.

J'aborde cette discussion budgétaire avec à l'esprit trois mots clefs : croissance, constance et transparence. C'est sous ce triple signe que je placerai mon propos, qui sera complété ultérieurement par des réponses à vos interventions.

M. Christian Cabal.

A ces trois mots clefs, ajoutez celui de souffrance ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Vous voulez sans doute parler de la vôtre ? (Sourires.)

Croissance, car - et je pense que personne ne le contestera, puisque vous êtes tous des spécialistes - les chiffres actuels attestent que nous connaissons la meilleure séquence économique depuis ving-cinq ans. A cet égard, je voudrais, comme je l'ai fait à l'occasion de la préparation de ce débat, citer des chiffres concernant, outre cette année ou l'année prochaine, une période un peu plus longue qui permet de voir de quoi il s'agit réellement.

Je prendrai d'abord la grandeur la plus caractéristique, celle de l'évolution du produit intérieur brut : cette évolution a été de 1,9 % en 1997, de 3,1 % en 1998 c'est-àdire sous cette majorité -, de 2,9 % en 1999, et elle devrait atteindre 3,6 % en 2000 et 3 % en 2001. Cela signifie que, sur la période 1998-2001, nous allons incontestablement enregistrer la meilleure séquence depuis vingt-cinq ans, ce qui rompt avec la période précédente pour des raisons sur lesquelles je reviendrai rapidement.

Ces résultats sont d'autant plus remarquables qu'ils tranchent avec ceux que nous avions enregistrés auparavant et qu'ils s'accompagnent d'un faible taux d'inflation puisque, même s'il convient de faire attention dans tel ou tel domaine, les observateurs impartiaux nous confirment que la France ne court pas de risque inflationniste important prévisible. Donc, pour le «

PIB », comme on dit, les choses vont bien ! Il en est de même et c'est extrêmement important pour toutes celles et tous ceux qui sont attachés à la justice sociale - pour le pouvoir d'achat global. Celui-ci a enregistré une hausse de 0,2 % en 1996 ce qui n'était pas beaucoup -, de 1,6 % en 1997, de 2,5 % en 1998, de 2,6 % en 1999, et cette hausse devrait s'élever à 2,7 % en 2000 et à 3 % en 2001.

Ces chiffres méritent tout de même d'être médités quand on se demande, à juste titre, comment est utilisé la croissance, à quoi elle sert. Je le répète, l'augmentation du pouvoir d'achat global, laquelle est d'ailleurs liée à l'amélioration de l'emploi, devrait atteindre 2,7 %, en 2000 et 3 % en 2001.

En ce qui concerne les investissements des entreprises - élément souvent passé sous silence mais qui détermine tout de même nos capacités d'emploi dans le futur -, nous avons malheureusement connu en 1996 une évolution négative de moins 0,8 %. En 1997, il y a eu une certaine inflexion positive qui s'est traduite par une hausse de 0,4 %. Puis, les trois années suivantes, nous changeons complètement de dimension : hausse de 7,9 % en 1998, de 7,6 % en 1999 et, normalement, de 7,2 % en 2000. Pour l'an prochain, il est prévu une hausse de 5,7 %. Ces chiffres montrent bien qu'il y a une rupture et traduisent le souci que nous avons - souci que, je crois, vous partagerez tous -, de préparer l'avenir.

Sans être trop long, je voudrais ajouter deux séries de chiffres concernant la balance commerciale et l'emploi.

En ce qui concerne la balance commerciale, donnée évidemment très importante, l'excédent était, avant 1997, inférieur ou égal à 50 milliards de francs par an. Après cette date, il a été en général supérieur à 100 milliards . Il convient de garder ces chiffres à l'esprit.

Enfin, j'en viens au dernier élément, qui est la conséquence de tout cela, car il n'y a pas plus de miracle en ce domaine que dans les autres, le glissement annuel en m atière d'emploi, qui était, en 1996, de plus 18 000 emplois - chiffre qui, tout en n'étant pas négatif, était tout de même assez faible -, s'est élevé à plus 208 000 emplois en 1997, plus 280 000 en 1998, plus 374 000 en 1999 et devrait atteindre plus 400 000 en 2000. Pour l'année 2001, les spécialistes sont partagés : pour certains, le glissement annuel en matière d'emploi devrait s'élever à plus 250 000 emplois, car les créations d'emplois liées à la réduction de la durée du travail seraient moindres que ce qu'elles sont actuellement, le premier mouvement ayant été extrêmement fort ; pour d'autres, le chiffre des créations d'emplois devrait être aussi élevé que celui de l'an 2000.

Toujours est-il, mesdames et messieurs les députés - et c'est cela qui importe -, que nous allons abattre le

« mur » des deux millions de chômeurs. Si nous parvenons à franchir ce seuil psychologique, ce sera extrêmement important puisque, au début de la législature, le nombre des chômeurs était nettement supérieur à trois millions.

Quand on examine quelle est la situation chez nos voisins - et c'est une contre-épreuve à laquelle il faut toujours procéder car il ne s'agit pas de regarder une situation uniquement dans l'absolu, il faut la voir aussi de façon relative -, nous nous apercevons que, au cours de la période 1998-2001, nous devrions être, par rapport aux quatre plus grands pays de l'Union européenne, parmi les meilleurs, mais que nous devrions également


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avoir, et je le dis sans faire de l'autosatisfaction, la plus forte croissance. Pour ces quatre années, la progression devrait être de 8,4 % en Italie, de 8,9 % en Allemagne, de 9,3 % en Grande-Bretagne et de 12,7 % en France.

Tels sont les chiffres officiels transmis par l'Union européenne.

Ces chiffres, bien entendu présents dans votre esprit, mais rarement réunis, nous permettent de dire - et chacun et chacune devra s'en féliciter - que nous avons la meilleure séquence économique depuis vingt-cinq ans.

D'ailleurs, les Français ne s'y trompent pas, puisque, pour la première fois depuis un quart de siècle, ils ont aussi, nous indique-t-on, un meilleur moral. Et quand on sait l'importance de la psychologie dans l'économie, il faut s'en féliciter. En particulier pour les personnes, encore trop nombreuses, qui se trouvent en difficulté.

En tenant de tels propos, je ne veux évidemment en aucun cas porter je ne sais quel jugement autosatisfait qui n'a pas lieu d'être. Mais vous reconnaîtrez aussi qu'il n'y a pas non plus lieu de pratiquer l'auto-flagellation, d'autant que nous observons, nous qui sommes très familiers de la vie politique, que cette pratique consiste en général à se flageller sur la poitrine d'autrui ! (Sourires.)

Il ne s'agit donc pas de cela, et je suis le premier à reconnaître qu'il reste encore beaucoup de travail à accomplir.

J'aborderai maintenant quelques points particuliers du domaine économique, financier et social.

En matière d'emploi, nous avons beaucoup progressé.

Il faut s'en féliciter et en féliciter les Français qui, grâce à leur action, ont permis ces résultats. Mais en même temps nous savons tous qu'il subsiste, pour être un peus chématique, deux grands problèmes auxquels nouss ommes déjà confrontés ou auxquels nous serons confrontés ! D'abord, une pénurie de main-d'oeuvre commence à apparaître dans certains secteurs et pourrait se développer en particulier dans les secteurs très qualifiés. Nous devons être capables de faire face aux offres d'emplois non satisfaites.

En second lieu, nous risquons de rencontrer des difficultés assez sérieuses en rapport avec la situation des populations non qualifiées. En effet, nous savons tous que les emplois disponibles sont de plus en plus fréquemment caractérisés une certaine technicité. Le temps n'est plus où une entreprise avait besoin de quelqu'un pour faire l'appoint. Désormais, il faut une qualification. Or nous savons très bien que, jusqu'à présent, nous n'avons pas fait preuve d'excellence dans cette matière qui consiste à assurer une qualification à des personnes qui n'en ont pas reçue en raison du déroulement de leur vie.

Et comme nos compatriotes entendent en permanence chanter l'amélioration de la situation économique et celle des résultats sociaux, une telle situation est d'autant plus insupportable pour ceux d'entre eux qui sont en difficulté ! En outre, cela pose toute une série de problèmes sociaux et de problèmes urbains que vous rencontrez dans vos circonscriptions.

Bref, autant je me félicite de l'amélioration extrêmement sensible de la situation de l'emploi, autant je souligne qu'il va falloir aborder de front les deux types de problèmes que posent, d'une part, le manque de personnels très qualifiés et, d'autre part, le nombre des personnes qui, au contraire, n'ont absolument aucune qualification.

De même, la croissance ne servirait à rien si elle n'était pas mise au service d'un objectif de solidarité sociale.

Car - et cela peut être constaté dans la plupart des circonscriptions -, il y a encore des personnes, des secteurs ou des professions déshérités voire abandonnés. Et lorsqu'on leur dit « mais cela va mieux », les intéressés nous répondent : « Au plan général, peut-être, mais pour nous, qu'est-ce que cela change ? » C'est pourquoi il faut, non

seulement pour des raisons politiques, mais aussi pour des raisons de cohésion sociale, être capable d'apporter desr éponses précises aux personnes concernées, qui se comptent encore par centaines de milliers.

De même, sans reprendre l'expression un peu trop galvaudée de la fracture...

M. Christian Cabal.

C'est pourtant une belle référence !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Oui, certaines références sont d'autant plus intéressantes que, parfois, elles se constatent dans les faits.

Cela dit, des progrès doivent également être accomplis en matière éducative, culturelle ou même territoriale, car notre conception de la société est telle que chacun, où qu'il se trouve sur le sol de France, doit pouvoir avoir une chance de réussir.

Nous avons également des problèmes à régler en matière d'ouverture européenne, de modernisation, de créativité ou de finances publiques.

Bref, ce n'est pas parce que les choses se sont nettement améliorées, qu'il ne reste pas de progrès à accomplir. Cela dit, si nous avions connu un grand échec, les membres de l'opposition auraient considéré, à juste titre, que nous en aurions été assez largement responsables. Je leur demande donc, ne serait-ce que par esprit de justice, de nous reconnaître au moins une toute petite part de responsabilité dans le succès que nous sommes heureux de constater.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. François Vannson.

C'est du gargarisme ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

C'est tout de même du gargarisme amélioré ! (Sourires.)

M. Michel Bouvard.

Disons raisonnable ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je vous remercie, monsieur le député, car, dans votre bouche, cet adjectif constitue un grand compliment.

M. Christian Cabal.

Ne chipotons pas ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

C'est une bonne synthèse.

(Sourires.)

L'explication de cette nouvelle donne économique est pour partie internationale : elle se trouve dans le développement qui se produit - et nous en sommes tous heureux - en de nombreuses parties du monde. Elle est aussi liée à ce que l'on appelle la nouvelle croissance.

Je lisais l'autre jour - et je fais volontiers mienne cette explication - qu'au fond, la révolution technologique qui est en train de se produire - capital plus travail plus information - était un véritable choc pétrolier à l'envers.

Lors du choc pétrolier, il y a un peu plus de vingt ans, la hausse des prix de l'énergie avait provoqué une poussée inflationniste, que l'on comprend, et avait sérieusement ralenti la croissance. Par un mécanisme inverse, la révolution technologique permet la diffusion de technologies nouvelles, baisse les prix de l'information et favorise la croissance. Cela explique, pour une part - les développements internationaux interviennent également -, que


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nous connaissions un cycle que je considère comme positif, et probablement pour assez longtemps, si des stupidités ne sont pas commises au plan international. Ainsi, - j'espère que je ne serai pas démenti par les faits - la croissance générale devrait être durable, sauf circonstances exceptionnelles difficiles à prévoir.

Ces résultats, s'ils sont pour partie liés à des donnes internationales, sont aussi la conséquence de choix opérés par ce Gouvernement.

M. Gérard Fuchs.

Absolument !

M.

le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En effet, sauf à ce que votre propre mandat ne soit pas justifié, une relation existe entre les choix politiques qui sont faits et les résultats économiques qui sont constatés. Nous avons eu l'épreuve et la contreépreuve.

Ainsi, sans être cruel, ni sur ce point ni sur les autres, je rappellerai que dans les années 1994-1995, alors qu'une reprise était amorcée, tous les économistes le savent, elle avait été stoppée dès l'été 1995 par une pol itique restrictive et d'augmentation des impôts qui, de fait, a abouti à amputer, peut-être même à tuer, les possibilités de croissance de l'époque. Et les spécialistes, rétroactivement, indiquent qu'en 1997 la production des salariés et des entreprises était inférieure de 240 milliards de francs à ce qui aurait pu être réellement produit.

Nous sommes sans doute nombreux dans cette assemblée à considérer que la croissance, si elle ne se décrète pas, peut se détruire, se construire ou s'entretenir. Je pense que cette équipe gouvernementale a fait les choix qui convenaient. Quand on regarde les premières décisions qui ont été prises en 1997 et 1998, et qui ont été poursuivies par la suite, réveil de la demande intérieure, consommation, emplois-jeunes, augmentation d'un certain nombre d'allocations, basculement des cotisations maladie des salariés sur la CSG, réduction des déficits publics qui a permis une baisse des taux d'intérêt, choix très important confirmé de notre qualification pour l'euro, j'y reviendrai en conclusion, élément tout à fait déterminant qui a permis la neutralisation des crises asiatique et russe, prélèvement sur la trésorerie des entreprises mais aucun prélèvement sur les ménages de sorte que la confiance et la consommation qui va avec n'ont pas été amputées, on s'aperçoit que si des observations de détail peuvent être formulées, il n'y a pas eu de grave erreur de politique économique et que les choix effectués ont été efficients.

Cela me permet de considérer que l'environnement général de croissance va se prolonger. Il reste, bien sûr, des difficultés à surmonter mais, en maintenant les choix que nous avons faits, nous devrions pouvoir présenter aux Français pour l'an prochain des résultats satisfaisants.

J'en viens ainsi à la deuxième partie de mon propos.

Après avoir parlé de la croissance, je vais essayer d'expliquer en quoi notre projet manifeste une constance dans les choix qui sont les nôtres.

P remier élément de constance : la maîtrise des dépenses. Un chiffre résume le choix du Gouvernement, confirmé par la lettre de cadrage que le Premier ministre a envoyée aux ministres et que j'ai demandé - j'espère que cela a été fait - d'adresser aux membres de la commission des finances.

M.

Philippe Auberger.

Nous ne l'avons par reçue !

M.

Christian Cabal.

La Poste se porte mal !

M.

Michel Destot.

Elle va arriver !

M.

le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Le chiffre retenu dans cette lettre de cadrage - et repris, bien sûr, dans notre texte - est une progression de 0,3 % en volume du budget de l'Etat, soit, compte tenu de l'inflation prévue, 1,2 % en valeur. Ce chiffre doit être rapproché de celui de 0 % qui avait été retenu l'an dernier.

Deux observations opposées nous sont adressées - peutêtre seront-elles exprimées dans ce débat : les uns trouvent que 0,3 %, c'est tout de même beaucoup et nous reprochent d'être laxistes ; les autres considèrent que 0,3 %, ce n'est pas grand-chose et qu'il sera très difficile de s'y tenir.

Pourquoi sommes-nous arrivés à ce choix ? Je rappelle, à celles et ceux qui voudraient comparer la prévision de 0,3 % pour l'an prochain et le 0 % en volume de l'an dernier, que ce résultat avait été obtenu grâce à l'allég ement de la charge de la dette, lui-même lié à la diminution des taux d'intérêt.

Cette année, nous nous situons dans une problématique différente puisque nous anticipons, pour l'année prochaine, un alourdissement de la charge de la dette de 7 milliards de francs.

M.

Philippe Auberger et M. Marc Laffineur.

Où est-il ce 0 % ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je vais y venir.

La prévision de 0,3 % en volume prévue pour l'année 2001 n'est en aucun cas synonyme de laxisme par rapport à nos prévisions de l'année précédente. Et je voudrais à cet instant expliquer la stratégie budgétaire du gouvernement de Lionel Jospin. Elle n'a pas changé depuis 1997-1998.

Notre stratégie est fondée sur un objectif d'évolution de la dépense publique qui est fixé indépendamment de la conjoncture puisqu'il est établi sur un rythme pluriannuel.

Pourquoi procédons-nous ainsi ? Parce que nous considérons qu'un tel encadrement confère à notre politique d es finances publiques un rôle de stabilisation de l'activité.

En cas de conjoncture plus favorable, le surcroît de recettes peut être affecté de différentes façons, notamment par le collectif - abaissement d'impôts, résorption de déficit... Cela permet un rétablissement automatique et évite le risque de surchauffe de l'économie.

En revanche, si - ce qu'à Dieu ne plaise - un ralentissement est constaté, il peut dans une large mesure être compensé par le maintien du montant des dépenses publiques et par un infléchissement du rythme de réduction des déficits publics.

M. Gérard Saumade.

Très bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

La politique des finances publiques est donc construite pour laisser jouer ce que les économistes appellent les « stabilisateurs automatiques ». Nous continuons à l'appliquer pour l'année 2001.

Mais l'un des grands problèmes, et les personnalités ici présentes qui ont participé à la gestion des finances publiques le savent, ce n'est pas simplement la prévision, c'est l'exécution des dépenses publiques.

M. Philippe Auberger.

Voilà !

M. Christian Cabal.

Et le 0 % ?


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M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Les gouvernements successifs ont imaginé de nombreuses séries de formules. Il y a eu, je ne sais plus quel était le Premier ministre à l'époque, le Fonds d'action conjoncturelle, puis toute une série de fonds de régulation. La conjoncture peut évoluer en cours d'année, des ministères peuvent connaître des insuffisances ou des dérapages. Si on attend la fin de l'année pour réagir, c'est trop tard ! Pour pallier cet inconvénient, un de mes prédécesseurs, M. Strauss-Kahn ou M. Sautter, je ne sais plus celui qui l'a décidé mais il a été bien inspiré, a proposé aux mini stères dits dépensiers, en rupture avec ce qui se faisait auparavant, de passer un contrat de gestion avec le ministère du budget, une sorte d'auto-assurance des ministères.

Dès lors que les ministères sont « intéressés » à la gestion de leur ministère, ils sont invités à entreprendre un effort de réflexion et à agir. C'est une des raisons pour lesquelles l'exécution ne fait pas apparaître trop de mécomptes.

En tout cas, je l'affirme, la prévision de 0,3 % d'augmentation du budget en volume, qui est parfaitement conforme à nos engagements européens, sera respectée, même si ce ne sera pas facile. En effet, vous le savez, le budget prévoit de consacrer 42 % des dépenses à la fonction publique. Or, ce chiffre de 0,3 % d'augmentation doit intégrer les crédits de la défense et les dépenses sociales, honorer nos engagements en matière de contrats de plan et de politique de fonction publique.

Nous ne pouvons pas aller plus loin, beaucoup le reconnaissent, au risque de laisser s'opérer un dérapage des finances publiques. Il est donc un peu facile, pour ne pas dire démagogique, de prétendre que nous pourrions faire beaucoup moins, car, déjà, ce chiffre ne sera pas facile à respecter.

J'ajoute d'ailleurs, puisque la presse s'en est fait l'écho, que nous devrions tous réfléchir au problème suivant : dans les années 90, la France a connu une grande crise, conjoncturelle ou structurelle, qui a conduit l'Etat à jouer, pour de nombreux régimes sociaux, le rôle d'assureur en dernier ressort. Ainsi, quand l'UNEDIC s'est trouvé en grande difficulté, l'Etat lui a apporté son soutien, comme il l'a fait pour d'autres régimes sociaux.

C'était tout à fait normal et légitime. Aujourd'hui, nous sommes heureusement entrés dans une période de croissance. Mais nous n'avons pas modifié nos modes de fonctionnement. Or certains régimes sociaux - il ne faut pas généraliser - sont, par construction, dans une situation plus aisée tandis que le budget de l'Etat connaît une situation plus difficile. Je rappelle tout de même que les transferts opérés du budget vers les collectivités locales et les régimes sociaux s'élèvent à 500 milliards de francs.

Autrement dit, avant même de commencer à discuter de quoi que ce soit, 500 milliards de francs sont d'ores et déjà affectés aux collectivités locales et aux régimes sociaux.

M. Michel Bouvard.

Ce ne sont pas les collectivités locales qui coûtent le plus cher ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Et leur évolution est plus rapide, il faut s'en féliciter d'une certaine façon, que celle des dépenses de l'Etat.

C'est une question de fond que je veux soulever parce que, au stade où nous en sommes du débat d'orientation budgétaire, je serais extrêmement intéressé de connaître la position des différents groupes politiques sur ce sujet. Je pense que c'est un des points fondamentaux de la maîtrise des dépenses à long terme dans notre pays.

Deuxième élément de constance, en même temps que la maîtrise des dépenses, la réduction des déficits, et je voudrais vous donner, là aussi, quelques chiffres - nous ne pouvons pas l'éviter dans un débat budgétaire.

En ce qui concerne les administrations publiques, les

« Apu » pour employer cette horrible abrévation, je prendrai la séquence 1997-2003, puisque nous avons remis à l'Union européenne nos objectifs pour 2003. Elle fera taire, je crois, certaines observations critiques, voire accusations, qui nous sont adressées sur le fait que nouss erions moins rigoureux maintenant qu'à d'autres moments.

Les déficits des administrations publiques, par rapport au produit intérieur brut ont connu l'évolution suivante : moins 3,5 % en 1997, moins 2,7 % en 1998, moins 1,8 % en 1999, moins 1,5 % en 2000, moins 1,2 % en 2001, moins 0,7 % en 2002, moins 0,3 % en 2003.

Vous le constatez - en matière de finances publiques, on est obligé d'avoir des projections de long terme - la pente est significative.

Je veux un instant m'arrêter sur le chiffre de moins 1,5 % qui a été retenu pour l'année 2000. Pour la Commission européenne, ce chiffre est le niveau de ce qu'elle appelle le solde protecteur qui conduit, quelle que soit la conjoncture, à ne pas dépasser les 3 % qui déclencheraient la procédure des sanctions pour déficit public excessif, prévue par le pacte de stabilité de 1997. Ce chiffre, que nous avons respecté en l'an 2000 et que nous réduirons encore en l'an 2001 puisque nous avons prévu moins 1,2 %, montre bien que nous sommes sur la trajectoire prévue, et qui me semble utile et bonne, de la réduction des déficits.

En ce qui concerne les administrations de sécurité sociale, l'évolution cesse d'être négative, elle doit même devenir excédentaire, notamment pour les raisons que j'indiquais il y a un instant : moins 0,5 % en 1997, moins 0,1 % en 1998, plus 0,2 % en 1999, plus 0,4 % en 2000, plus 0,5 % en 2001, et sans doute plus 1 % en 2003.

Pour les collectivités locales, la situation est à peu près stable.

Dans le budget, qui nous intéresse au premier chef, les valeurs absolues, peut-être sont-elles plus parlantes, une partie en exécution, l'autre partie en prévision, sont less uivantes : moins 267 milliards pour 1997, moins 247 milliards pour 1998, moins 206 milliards pour 1999.

Pour 2000, nous espérons, je le maintiens, moins 200 milliards, et pour 2001, moins 195 milliards. Et la descente continue puisque nous serons à moins 2,2 % en 2001 et, d'après nos engagements, à moins 1,8 % en 2003.

Donc, si l'on peut, le rapporteur général l'a fait et beaucoup d'autres le feront, observer que sur tel ou tel point il faudrait une légère modulation, ce qui est important, c'est la pente, et elle est incontestable dans les chiffres que je viens de vous donner. Et je rappelle que le service de la dette représente tout de même à peu près 230 milliards par an, c'est-à-dire les deux tiers de l'impôt sur le revenu.

Constance dans la maîtrise des dépenses, constance dans la réduction des déficits, constance aussi, du moins je le crois, dans le choix des priorités.


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La priorité des priorités, c'est l'emploi, et tout le budget est tourné vers cet objectif - même si, l'an prochain, des variations pourront intervenir dans le budget même de l'emploi. Car le fait que la situation de l'emploi s'améliore a des conséquences positives, heureusement, sur le budget de l'emploi qui, s'il a continué à prendre en charge toute une série de dépenses essentielles, a moins de charges - d'une certaine façon, n'exagérons rien - au fur et à mesure que le chômage recule.

Les priorités qui figurent dans la lettre de cadrage sont au nombre de quatre : l'éducation, la justice, la sécurité et l'environnement. C'est la confirmation des priorités choisies par le Gouvernement lors des années précédentes.

Cette constante est une bonne chose car si l'on changeait de priorité chaque année, cela ne signifierait plus grand chose.

Enfin, quatrième élément de constance, la baisse des prélèvements obligatoires et des impôts.

M. Marc Laffineur.

Oh ! Constance de la baisse des impôts ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l 'industrie.

Là aussi, je voudrais m'expliquer aussi complètement que possible.

Les chiffres concernant les prélèvement obligatoires pour les années 1997 à 2001 sont les suivants - les uns sont constatés, les autres projetés : 44,9 % pour 1997, 44,9 % pour 1998, 45,7 % pour 1999 - une montée -, 44,7 % pour 2000 et 44,2 % pour 2001, soit une descente.

Ces chiffres appellent de ma part deux observations.

Nous savons tous, en tant que techniciens, à quoi nous en tenir sur cette notion de prélèvements obligatoires.

Mais je ne suis pas certain que, pour nos concitoyens, ce soit d'une clarté limpide d'autant que les prélèvements obligatoires étant un ratio, ils peuvent évoluer de façon assez surprenante. Je prends un exemple.

Si, au cours d'une année donnée, la croissance est très élevée et que, au cours de l'année suivante, la croissance est, quoique forte, un peu moins élevée, on a une montée des prélèvements obligatoires et nos concitoyens ne comprennent pas qu'on leur dise que les impôts baissent, mais que les prélèvements obligatoires augmentent. En 1999, la croissance a été moindre que l'année précédente et elle a été accompagnée d'une forte désinflation, ce qui a abouti à un chiffre très élevé.

Gardons à l'esprit les termes de « prélèvements obligatoires », mais préoccupons-nous surtout des impôts et des cotisations car ce sont à eux que nos concitoyens sont le plus sensibles.

En 2000, ainsi que vous l'avez rappelé, comme d'autres, avec beaucoup de force, monsieur le rapporteur général, nous connaîtrons une diminution des impôts peut-être sans précédent : la prévision était de 40 milliards, auxquels s'ajoutent les 40 milliards du collectif, qui cumule une baisse de la taxe d'habitation, une baisse de l'impôt sur le revenu et la baisse de la TVA.

Je rappelle ce sera peut-être contesté, mais les chiffres parlent d'eux-mêmes - que la baisse de TVA qui vous est proposée et que vous allez, je l'espère, approuver alors qu'elle est déjà entrée dans les faits au mois d'avril, et celles qui sont déjà intervenues je pense en particulier à la baisse ciblée concernant les travaux dans les logements, excellente mesure au demeurant - représentent au total en année pleine 60 milliards de francs - 29 milliards plus 31 milliards. La hausse décrétée par M. Juppé et par M. Madelin représentait quant à elle 57 milliards ! Ainsi, en termes purement comptables, les décisions que vous avez déjà prises ou que vous vous apprêtez à prendre effaceront, conformément à l'engagement de la majorité, les hausses de TVA décidées par des équipes précédentes.

Pour 2001, mesdames et messieurs, le Gouvernement vous invite à poursuivre ce mouvement de baisse dans le cadre des contraintes que j'ai rapidement exposées. Plusieurs pistes vous sont proposées, sur lesquelles - le présent débat n'aurait pas de sens si le budget était déjà fixé - j'aimerais connaître votre opinion.

Le Premier ministre a fait savoir que c'était surtout vers les impositions directes que nous devions porter notre regard : cotisations, impôt sur le revenu et autres.

En tout cas, la volonté du Gouvernement est de poursuivre le mouvement, tout en oeuvrant à la maîtrise des dépenses et à la réduction des déficits. Sur ce point, je ferai quelques remarques.

Je voudrais d'abord dénoncer un travers, auquel succombent nombre d'entre nous. Certains ont parlé de

« concours Lépine fiscal ». Je ne sais pas si l'expression est bien choisie, mais il est tout à fait normal que les parlementaires puissent proposer des idées. Sinon, quel intérêt auraient-ils à siéger ?

M. Michel Bouvard.

Il est vrai qu'il y a une « épine fiscale » ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je n'ai pas parlé de l'almanach Vermot, mais du concours Lépine ! (Sourires.)

Nous devons avoir à l'esprit qu'en même temps que nous nous penchons sur les réformes futures il nous faut réfléchir, voter j'allais dire savourer - les réformes actuelles.

On considère souvent que la bonne réforme fiscale, c'est toujours la suivante, et ce n'est le fait ni de ce gouvernement, ni de cette majorité, ni de cette opposition.

Mais il demeure qu'en France on souffre du travers qui consiste à parler très peu de ce qui est décidé, que ce soit pour l'approuver ou pour le contester, mais beaucoup de ce qui sera éventuellement décidé dans six mois ou un an. Je ne pourrais, même si je le souhaitais, arrêter le cycle de l'imagination. Mais j'aimerais qu'on s'arrête un petit peu, comme vous le ferez demain sans doute, sur ce qui est bel et bien décidé et sur ce qui se traduira par un allégement sur les feuilles d'impôt des Français.

Deuxième remarque : parmi les pistes les plus intéressantes qui nous sont proposées, il y a celles des « trappes à inactivité » - vous savez les uns et les autres de quoi il s'agit. Lorsque des personnes qui se trouvent dans une situation très difficile font l'effort pour trouver un travail et qu'elles en trouvent un, elles sont souvent pénalisées sur le plan de la fiscalité nationale ou locale. Or nombre d'entre nous partagent la philosophie selon laquelle il faut essayer d'encourager les personnes à retrouver un travail.

Si nous pouvions prendre des dispositions pour rendre moins évidentes, voire supprimer des « trappes à inactivité », nous aurions fait oeuvre utile.

Troisième remarque : il est un débat auquel je n'ai jamais compris grand-chose et qui opposerait les couches modestes et les classes moyennes. Je suis convaincu qu'il nous faut alléger les prélèvements tant sur les premières que sur les secondes. Il est évident que, si nous nous engageons dans des abaissements de prélèvements qui ne profitent pas aux personnes qui sont en difficulté ou qui ont des ressources modestes, celles-ci diront, et elles


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 MAI 2000

auront raison, que c'est injuste. Mais si nous ne faisions pas, dans le même temps, l'effort qui s'impose pour des personnes qui ont des revenus plus importants et qui sont, elles aussi, très créatrices, qui apportent quelque chose à la société, nous ne comprendrions pas grandchose à la société moderne.

Loin d'opposer une série de couches sociales à une autre, il convient, en ce domaine, de faire le lien entre les couches moyennes et les couches modestes, sans jamais oublier que la bonne réforme est celle qui allie efficacité et justice.

Mme Nicole Bricq et M. Alain Tourret.

Très bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Toujours sur le chapitre de la constance, je tirerai deux ou trois leçons de portée générale, avant d'en venir à la transparence.

Ma première conviction est qu'il n'y a pas de service public satisfaisant sans moyens convenables, mais aussi qu'on ne peut juger de l'efficacité des services publics seulement d'après la masse des dépenses qu'on leur consacre. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Sinon, on passerait à côté de la question.

Je demande donc que l'on retienne, de part et d'autre, ces deux aspects. L'efficacité doit être recherchée et l'évaluation est une nécessité, qu'il s'agisse du privé ou du public. Quant à la maîtrise des dépenses publiques, tous les gouvernements essaient bien sûr d'y parvenir. L'objectif est de donner des moyens satisfaisants aux services publics qui, dans notre esprit tout au moins, ont un rôle essentiel à jouer dans la cohésion sociale et le dynamisme économique. C'est dans cet esprit que nous préparons le budget de 2001.

J'évoquerai ensuite ce qui se passe en Europe, où nous observons un mouvement général de réduction des déficits. Nous plaidons, à juste titre, me semble-t-il, pour une meilleure coopération des politiques économiques on a même parlé, en ce qui concerne la France, d'un

« gouvernement économique ». Sans passer évidemment sous les fourches caudines de qui que ce soit, nous sommes amenés à concerter nos politiques avec celles de nos voisins. Nous aurons, sur tel ou tel point, des inflexions, des différences, des disparités, ce qui est tout à fait normal car, s'il y a l'unité européenne, les différentes nations ont aussi leur spécificité. Il demeure que nous observons dans les autres pays un mouvement général de réduction des déficits. Il en va de même en France, ce que j'ai traduit en vous donnant des chiffres.

J'ai ainsi été conduit à parler de « surplus ». J'évite pour ma part le mot « cagnotte », qui ainsi que je l'ai dit à cette tribune dès ma nomination, me paraît déplacé ; en effet, quel particulier parlerait de « cagnotte » s'il avait en poche un « surplus » égal à 1 % de la dette qu'il a contractée ? Parlons donc plutôt de « surplus » et réjouissons-nous quand des surplus apparaissent.

J'ai déjà dit que, pour l'année 2000, si des surplus devaient être constatés, nous les affecterions à la réduction des déficits. Cette façon de procéder nous permettra d'atteindre les chiffres que j'ai évoqués tout à l'heure, tout en sachant - ne l'oublions jamais ! - que les déficits d'un jour sont les impôts du lendemain.

M. Michel Bouvard.

Très bien ! Voilà une vérité dont il faut toujours se souvenir ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je voudrais à cet égard, très brièvement mais très nettement, évoquer une partie d'un sujet qui sera, pour l'essentiel, traité, comme je l'ai annoncé, dans six semaines. Mais comme j'ai fait cette annonce la semaine dernière, il ne reste plus que cinq semaines. (Sourires.)

Bref, je veux parler de la fameuse question des licences pour la troisième génération des téléphones mobiles. Je ne suis pas du tout en situation de vous préciser quel sera le choix du Gouvernement. De toute façon, ce n'est pas dans le cadre d'un débat budgétaire que nous devrions en discuter. Il y a plusieurs procédures possibles et toute une série de dispositions à prendre. Je puis cependant vous indiquer que les recettes ne seront en aucun cas affectées aux dépenses de fonctionnement de l'Etat...

M. Pierre Lequiller.

Très bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... et qu'elles seront, pour l'essentiel, affectées à la réduction des déficits sous forme d'une dotation complémentaire au fonds de réserve des retraites. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Tourret.

Excellent ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En effet, dès lors que les recettes sont tirées d'une technologie d'avenir, il est parfaitement logique qu'elles soient affectées pour leur grande part à la préparation solidaire de l'avenir. C'est la voie que suivra le Gouvernement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Tourret.

Très bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Quant aux charges, je ne reviendrai pas sur les discussions qui ont eu lieu ici et là. Ce que nous proposons n'est ni l'alpha ni l'oméga de la politique économique, mais c'est nécessaire pour des raisons tant de créativité et de localisation que d'harmonisation européenne.

Nous continuerons donc, dans le futur, à maîtriser nos dépenses publiques. Le budget est un instrument essentiel de la politique économique, mais il n'a jamais été - malheureusement - un pactole ! Troisième mot d'ordre, après la croissance et la constance : la transparence. Cette question n'a rien de nouveau, et nous avons tous à l'esprit non pas un, mais deux exemples récents.

Je me suis laissé dire, mais peut-être mon information est-elle erronée, que l'une des raisons pour lesquelles l'assemblée précédente avait été dissoute, ce que l'on ne peut pas, surtout de ce côté-ci de l'hémicycle, contester (« C'est vrai ! », sur plusieurs bancs du groupe socialiste), c'était que telle ou telle direction, tel ou tel ministère, telle ou telle administration, avaient fait des prévisions qui avaient impressionné à ce point en haut lieu que l'on avait considéré que, décidément, il était absolument impossible de mener une politique économique satisfaisante, qu'en aucun cas on ne pouvait se qualifier pour l'euro et que donc, dans ces conditions, mieux valait dissoudre l'Assemblée nationale.

Je répéterai ce qu'un autre orateur disait à cette tribune dans un autre débat : l'indignation que l'on peut avoir à cet égard n'a d'égal que la satisfaction que l'on peut également en ressentir.

(Sourires sur les bancs du groupe socialiste.) Il est de fait que la transparence n'est pas toujours absolue.


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Un débat, qui continuera, j'en suis sûr, dans les heures et les jours qui viennent, s'est engagé sur les « surplus » pour l'année 2000 et sur les remarques formulées par tel ou tel organisme. Je m'empresse de dire, d'autant plus que des questions d'actualité sont souvent posées à ce sujet, que les remarques de cet organisme, que je respecte parfaitement - je parle de la Cour des comptes - s'expliquent essentiellement par une différence d'approche des périmètres.

Quoi qu'il en soit, que l'on prenne l'exemple de l'année 1997 ou d'autres, le constat me paraît évident : nous avons besoin, mesdames et messieurs les députés, de plus de transparence.

M. Philippe Auberger.

Ça, oui ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il ne s'agit pas d'une question simplement technique, comme on le dit parfois. Il y va de la conception démocratique et de l'efficacité du service public. Car il existe une sorte de triangle formé par la transparence, la démocratie parlementaire et l'efficacité de la dépense.

Tout cela va ensemble.

Je dirai donc, en bon français, que nous avons besoin d'une véritable glasnost budgétaire.

M. Philippe Auberger.

Oh ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Un certain nombre de mesures de transparence vous seront proposées dès le prochain exercice budgétaire, donc dans le budget que vous aurez à examiner à l'automne et dont nous abordons aujourd'hui les grandes lignes.

Ainsi et premièrement, les lettres de cadrage du Prem ier ministre seront désormais communiquées aux membres des commissions des finances.

M. Philippe Auberger et M. Alain Barrau.

Très bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Deuxièmement, nous opérerons une neutralisation des changements de technique et de périmètre en adoptant une charte de budgétisation qui ne sera pas modifiée pour faciliter les comparaisons d'une année sur l'autre.

M. Philippe Auberger et M. Alain Barrau.

Très bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Troisièmement, afin de mieux garantir la sincérité des prévisions de recettes, nous demanderons dorénavant son avis à la Commission économique de la nation sur les prévisions de recettes qui sont celles du Gouvernement, avant même de saisir votre commission des finances.

Quatrièmement, nous informerons, et nous ouvrirons avec elles la discussion, les commissions des finances sur les programmes pluriannuels des finances publiques transmis à l'Union européenne, éléments sur lesquels il n'y avait pas lieu jusqu'à présent à discussion.

M. Philippe Auberger et M. Michel Meylan.

Bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l 'industrie.

Cinquièmement, nous fournirons, pour chaque ministère, à partir du budget qui vous sera présenté à l'automne, avec des indicateurs affectés, un résumé lisible, compréhensible, des objectifs, des coûts et des résultats quantifiés.

Sixièmement, nous opérerons une description complète des dépenses publiques et en particulier pour ce qui concerne la lisibilité des relations entre l'Etat et la sécurité sociale ainsi que l'ensemble des emplois publics.

Septièmement, nous enverrons à tous les contribuables, en même temps que la déclaration de l'impôt sur le revenu, une information synthétique sur le budget pour lequel cet impôt sera demandé.

Huitièmement, nous fournirons un compte rendu de l'état réel des finances publiques, qui permettra notamment de connaître le déploiement de la comptabilité d'exercice, les coûts complets et l'utilisation du patrimoine de l'Etat, ainsi que les engagements futurs de l'Etat - je pense en particulier aux garanties. Nous fournirons ainsi une comptabilité hors bilan.

Neuvièmement, nous donnerons un rôle clé à l'efficacité de la gestion à travers le développement du contrôle de gestion, l'évaluation systématique de l'action publique en liaison avec la Mission d'évaluation et de contrôle, et le développement de la contractualisation.

Dixièmement, nous opérerons une accélération des comptes rendus et des contrôles parlementaires en déposant le projet de loi de règlement au mois de juin, avant même la discussion du projet de loi de finances pour l'année suivante. Vous pourrez donc discuter du projet de loi de règlement à l'automne.

Onzièmement, nous améliorerons le suivi de la relation entre les prévisions de la loi de finances et l'exécution en rendant désormais publics des comptes rendus annuels de gestion pour chaque ministère et en publiant les rapports au Premier ministre associés aux décrets de virements ou d'avances pour préciser les mouvements de gestion.

Douzièmement, nous communiquerons aux présidents et aux rapporteurs généraux des commissions des finances la situation budgétaire de l'Etat tous les quinze jours.

Tout cela sera mis en oeuvre dès le budget de cet automne.

M. Alain Barrau.

Excellent ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Au nom du Gouvernement, je dis mon accord pour préparer, une fois connus les résultats de la mission Migaud, la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances.

M. Alain Barrau.

Très bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mesdames et messieurs les députés, la transparence - prenons-y garde - ne doit pas empêcher la délibération interne de l'administration, ni la délibération gouvernementale. Ne confondons pas les genres, comme on a parfois tendance à le faire. Nous estimons néanmoins que la transparence est essentielle à la démocratie et à la gestion efficace de l'Etat, et je sais que cette maison y est très attachée. J'ai eu l'occasion d'y travailler avec vous tous lorsque je présidais l'Assemblée. Il me paraît normal qu'en changeant de fonctions, je ne change pas de convictions.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.) Je ne saurais conclure sans aborder, brièvement, deux points.

D'abord, l'euro et l'Europe forment un cadre absolument incontournable pour notre débat.

Le Premier ministre a expliqué en des termes choisis ce que seraient les objectifs de la présidence française.

Lorsque l'on aborde la question de l'euro, il ne faut jamais oublier que les résultats que je vous ai rappelés il y a un instant et ceux que, nous l'espérons tous, nous


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pourrons atteindre, ne sont pas séparables de la décision de faire de l'euro la monnaie unique et de voir la France y participer avec force.

C'est très largement l'euro qui nous a servi de « bouclier monétaire » en nous mettant à l'abri des turbulences internationales. N'oublions pas non plus que les trois quarts de notre commerce se font avec nos voisins situés dans la zone euro.

M. Alain Tourret.

C'est vrai ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

C'est aussi très largement l'euro qui a eu pour conséquence le développement de la coordination des politiques économiques, laquelle nous permet de donner plus d'efficacité à la politique économique française.

C'est pourquoi, sachant que les fondamentaux de l'économie européenne, et singulièrement de l'économie française, sont bons, je ne doute pas que, au-delà de telle ou telle turbulence, l'euro saura être une monnaie solide, stable, permettant des taux d'intérêt bas ; je le répète, c'est nécessaire pour notre développement économique.

Nous devrons surtout avoir cela présent à l'esprit l'année prochaine, lorsque nous préparerons, avec encore plus d'énergie que cette année, le passage concret à l'euro, qui, pour les Français, sera un bouleversement de première grandeur ; en effet, pour la première fois, ils auront l'Europe dans leurs poches, si je puis dire. Nous ne pouvons pas rater ce passage déterminant sur le plan politique comme sur le plan psychologique et sur le plan économique. Sur cette question, je veux vous faire passer un message d'optimisme et de volonté.

Mon deuxième message concerne la politique des finances publiques. Je ne pense pas qu'une politique des finances publiques puisse être bonne en soi. Elle est bonne ou elle est néfaste pour la cohésion du pays, pour la solidarité, pour les réformes. En ce qui me concerne, je ne sépare jamais les considérations sur les finances publiques de celles sur l'économie des réformes que nous avons à entreprendre.

Si beaucoup de réformes sont encore devant nous, nous en avons déjà opéré certaines. Je parle volontiers de la « croissance réformatrice » parce que je pense que ces dernières, pour une bonne part, sont responsables de la croissance actuelle. Et cette croissance n'a elle-même de sens que si elle sert à réaliser les réformes que nos compatriotes attendent.

S'agissant du service public et de l'Etat, ce n'est pas faire offense aux administrations de constater qu'elles ne sont pas encore toujours en mesure de rendre compte comme il le faudrait de leurs performances. Nous savons, les uns et les autres, que l'Etat s'est d'abord organisé pour veiller à l'application uniforme des lois au moyen d'un contrôle détaillé exercé par la hiérarchie administrative.

C'est seulement assez récemment que l'exigence d'efficacité de l'action administrative est venue au premier plan des attentes de la société et qu'elle se retrouve dans les comptes demandés par la représentation nationale, c'est-àdire par vous-mêmes. Ces attentes doivent être satisfaites grâce à plusieurs outils. J'en ai cité quelques-uns : la mesure des résultats socio-économiques, l'amélioration des modes de gestion des services, la démarche de la qualité.

La réforme que nous engageons, avec Mme Parly et les autres secrétaires d'Etat, dans le ministère que je dirige, ira délibérément en ce sens. Loin de porter atteinte à la nature même de l'Etat, je considère que son efficacité est l'une des conditions de sa légitimité à long terme et la justification des réformes indispensables. Seuls ceux qui, par idéologie, récusent l'Etat, peuvent vouloir son inefficacité et son immobilisme.

Mme Béatrice Marre.

Parfaitement ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Au contraire, ceux qui, comme beaucoup d'entre nous, plaident pour le service public, doivent aussi plaider pour son efficacité, donc pour sa transparence, pour son meilleur contrôle et pour un rôle accru du Parlement.

M. Alain Barrau et M. Gérard Saumade.

Très bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je le disais l'autre jour à des syndicalistes, j'estime qu'il n'y a pas d'opposition entre l'efficacité de l'Etat et sa réforme. L'un des problèmes actuels les plus angoissants, c'est le creusement d'un fossé entre le public et le privé que l'on constate parfois. D'ailleurs, des personnes du privé, quelles que soient leurs convictions, nous demandent si nous allons être capables de réformer convenablement l'Etat.

Dans l'esprit de beaucoup d'entre nous, et en tout cas dans le mien, c'est précisément parce que l'Etat a un rôle à jouer - pas un rôle envahissant, mais un rôle primordial, un rôle d'impulsion, d'accompagnement, de maîtrise - que nous devons le réformer dans le sens d'une plus grande efficacité et d'une plus grande justice. Le budget que vous serez appelés à examiner à l'automne le permettra. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert, sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance et sur quelques bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, le débat d'orientation budgétaire est maintenant bien ancré dans notre calendrier. Il permet aux parlementaires de faire entendre leur voix et de présenter leurs suggestions, de façon relativement précoce au regard de la préparation par le Gouvernement et son administration du budget de l'année suivante, même si cette préparation demeure l'apanage de l'exécutif.

Un regret cependant : ce débat serait sans doute plus fructueux s'il intervenait avant l'envoi des lettres de cadrage par le Premier ministre.

M. Jacques Barrot.

Très bien !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Mais peut-être procédera-t-on ainsi dans les années à venir...

Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, j'approuve les propositions que vous venez de formuler à propos des comptes publics : ils doivent en effet être plus transparents et soumis à un contrôle parlementaire plus aisé et plus efficace.

D'ailleurs, chacun pourra s'exprimer sur la politique budgétaire au cours de cette semaine, qui sera marquée par la concomitance de trois actes importants de la conduite des finances publiques : l'examen, jeudi, du projet de loi de règlement de l'exercice 1998, qui offre une vision rétrospective ; l'examen, demain, du collectif de printemps, qui assure, en temps réel, une actualisation de l'exercice en cours ; le débat d'aujourd'hui, qui, après la définition, il y a quelques mois, du programme pluriannuel des finances publiques, nous projette dans un futur quasi immédiat.


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Vous avez, monsieur le ministre, rappelé les trois directions qui doivent être données à la politique budgétaire.

Pour ce qui me concerne, je dirai que la politique budgétaire menée depuis 1997 présente deux caractéristiques : la constance - vous l'avez dit également - et l'obtention de premiers résultats positifs.

Cette politique, dont l'objectif est l'emploi, encore l'emploi, toujours l'emploi, s'articule autour de trois axes : financer les actions publiques prioritaires tout en assurant la maîtrise de la dépense ; poursuivre la réduction des déficits publics ; réduire le poids des prélèvements obligatoires, impôts et cotisations. Il est que que jamais nécessaire de s'en tenir à ces trois axes, sans dogmatisme, avec pragmatisme, en pratiquant les adaptations que rendent nécessaires les évolutions conjoncturelles et les résultats obtenus.

Financer les actions publiques prioritaires, tout en assurant la maîtrise de la dépense, ne consiste pas à céder à une quelconque mode qui exigerait moins d'Etat, moins d'intervention publique. Il faut, à cet égard, tenir compte à la fois de nos traditions nationales et des exigences du corps social, les unes et les autres n'étant bien évidemment pas dépourvues de tout lien.

L'opposition ne s'y trompe d'ailleurs pas car, après avoir psalmodié l'antienne convenue sur la réduction de la dépense publique, voire sur la réduction du nombre de fonctionnaires, elle est dans l'incapacité de décliner ces pétitions de principe. Nous attendons d'ailleurs ses propositions : faut-il réduire le nombre des infirmières ? celui des policiers ? celui des professeurs ? quels services publics faut-il fermer dans les villes, dans les banlieues, dans le monde rural. Je constate que vérité à Paris n'est pas toujours vérité universelle pour ces élus de l'opposition qui, une fois de retour dans leur circonscription, demandent d es moyens supplémentaires en faveur des services publics...

M. Alain Clary.

La main droite ignore ce que fait la main gauche, c'est bien connu !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

L'opposition ellemême montre les limites de son exercice puisque dans un document issu du premier atelier de l'alternance, elle demande pas moins de 12 milliards de francs supplémentaires pour « améliorer la justice au quotidien ».

Ce qu'il faut, c'est chercher en permanence, non pas à réduire quantitativement ou qualitativement les services offerts à nos concitoyens, mais à réaliser les gains d'efficacité permettant d'améliorer ce service, par la réforme de l'Etat - vous en avez parlé, monsieur le ministre -, le recours aux nouvelles technologies, une meilleurs organisation de travail et les redéploiements nécessaires, lorsque c'est utile.

Il ne faut pas se dissimuler que la fonction publique est au coeur du débat puisqu'au total, en prenant en compte les pensions, elle représente plus de 42 % des dépenses du budget général.

Des efforts sont nécessaires, sans qu'il faille s'arc-bouter sur des dogmes comme celui de la stabilité de l'emploi public. La politique de l'emploi public doit s'inscrire dans un choix de politique économique qui repose sur une analyse sereine et objective des besoins dans les différentes administrations et sur une appréciation des actions possibles en matière de redéploiements d'effectifs.

La norme globale d'évolution de la dépense, telle qu'elle est proposée par le Gouvernement, s'inscrit dans le cadre fixé depuis 1997 et suit les orientations figurant dans le programme pluriannuel des finances publiques pour 2001-2003, notifié aux autorités communautaires, il y a quelques mois.

Si l'on se réfère aux dépenses totales des administrations publiques rapportées au PIB, agrégat qui neutralise les effets de périmètre, on observe que notre pays se situait, en 1999, avec 52,4 %, au-dessus de la moyenne de l'Union européenne, 46 %, et de la moyenne des Etats de la zone euro, 46,8 %. Il reste que l'on assiste à une décroissance certaine, après le pic constaté pendant la gestion de l'actuelle opposition, qui se pose aujourd'hui en donneuse de leçon : 53,9 % en 1996, 52,6 % en 1997, 52,4 % en 1998 et 1999, 51,5 % pour 2000 et 50,5 % pour 2001.

L'objectif de 0,3 % de progression en volume de la dépense, retenu dans les lettres de cadrage pour 2001, garantit en effet une baisse de la part de la dépense publique dans le PIB, sans interdire que, chaque fois que des besoins réels seront précisés et identifiés, le recours à la dépense soit accepté et assumé, dès lors qu'il sera associé à une saine gestion des deniers publics et à des efforts sensibles de redéploiement.

Les efforts de gestion engagés depuis un an, à la suite, notamment, du rapport sur l'efficacité de la dépense publique présenté il y a quinze mois, vont dans le bon sens : gestion contractuelle des économies, préparation de rapports d'activité présentant des indicateurs de performances, examen des crédits au premier franc, en particulier pour les crédits d'intervention, autant de progrès méthodologiques qui devront être consolidés et amplifiés, comme vous l'avez vous-même proposé.

La définition de priorités peu nombreuses et durables est aussi un gage de sérieux et d'efficacité. Outre l'emploi - priorité des priorités -, domaine dans lequel les succès obtenus dégonflent les crédits nécessaires, quatre priorités budgétaires sont affirmées pour 2001, dans la ligne de celles des années précédentes : l'éducation nationale, la justice, la sécurité et l'environnement.

A cet égard, il faut souligner que le plan d'ensemble pour l'amélioration du service public éducatif, récemment présenté par M. Jack Lang, nécessitera de mobiliser les moyens nécessaires pour ce qui constitue manifestement en dépit des classifications budgétaires - un investissement productif.

Ainsi, les orientations retenues ou proposées en matière de dépenses sont bonnes. Elles impliquent un effort de gestion, car la norme fixée pour 2001 - 0,3 % en volume, soit 1,2 % en valeur, compte tenu d'une inflation prévisionnelle de 0,9 % -, qui paraît moins contraignante que celle fixée pour 2000, offre en réalité moins de marge de manoeuvre, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, compte tenu de l'évolution à la hausse de la charge de la dette.

D'ailleurs, ne faudrait-il pas s'interroger sur l'indicateur retenu et l'intérêt qu'il y aurait à bâtir la norme de progression des dépenses en raisonnant hors charge de la dette ? Autre observation de méthode : l'Etat est comptable, aux yeux des autorités communautaires, de l'évolution de la dépense publique, dont il n'assure directement qu'une petite moitié, le reste impliquant d'autres acteurs sécurité sociale, collectivités locales -, dont l'autonomie de décision est certaine.


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Toute initiative sera donc bienvenue, qui pourra contribuer à une meilleure articulation entre les différents sous-ensembles composant les administrations publiques, et en particulier entre l'Etat et la sécurité sociale, dont les dépenses, en 1998, représentaient 24,1 % du PIB.

Enfin, il faudrait être attentif à une recommandation du Conseil européen qui nous incite à placer notre stratégie dans une véritable perspective pluriannuelle, en observant qu'il est nécessaire d'assumer une correction rapide de tout écart par rapport aux objectifs fixés, en cours d'année ou, au plus tard, l'année suivante.

Aux côtés de la croissance, il est clair que la maîtrise de la dépense, selon les modalités que j'ai définies, et la recherche de l'allocation optimale de la ressource, conditionnent la poursuite des deux autres objectifs de notre politique budgétaire.

La poursuite et l'amplification de la réduction des déficits publics est en effet un ardent impératif.

Il ne s'agit pas là de céder à un quelconque dogmatisme ou de se résigner à des injonctions communautaires ressenties comme une contrainte sans justification.

Si le déficit peut être accepté en période de difficultés économiques, il doit être réduit en période d'expansion retrouvée : l'arme budgétaire ne vaut que si elle est rechargée, si l'on peut dire, quand l'approvisionnement est disponible.

En outre, vivre en déficit, c'est-à-dire à crédit, s'analyse comme un arbitrage implicite, à la fois égoïste, en défaveur des générations futures, et injuste, puisque le service de la dette mobilise les ressources de tous au profit des détenteurs de la rente.

Le chemin parcouru dans la réduction des déficits est réel. Naguère, nos prédécesseurs aux affaires doutaient de la possibilité de passer sous la barre de 3 % marquant la qualification pour l'euro. Après des déficits de 2,7 % en 1998, 1,8 % en 1999 et 1,5 % en 2000, nous avons pris de l'avance par rapport au cheminement tracé dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance.

L'objectif pour 2001 est de l'ordre de 1,1 % à 1,3 %, le solde de l'Etat, qui resterait légèrement supérieur à 2 %, devant être en partie compensé par les excédents des autres acteurs, en particulier la sécurité sociale et les collectivités locales.

Comme le note le rapport présenté par le Gouvernement, ce décalage résulte du rôle de garant de la solidarité nationale qu'a joué l'Etat, en période de crise, vis-à-vis des autres acteurs publics.

Qu'un rééquilibrage soit nécessaire et possible, chacun en conviendra. Mais faut-il placer sur le même plan, à cet égard, les administrations de sécurité sociale et les collectivités locales ? S'il est indispensable - je l'ai déjà dit à propos de la maîtrise de la dépense - d'aller vers la clarification et la nette identification des financements propres à chaque secteur, il faut avoir présent à l'esprit que les collectivités locales, dans une période où la réduction du déficit de l'Etat a largement reposé sur la réduction des investissements financés par celui-ci, ont pris le relais en matière d'investissements publics. Il ne faut pas l'oublier.

Un mouvement a été engagé, il faut le poursuivre, étant précisé que, comme le note la Cour des comptes dans son rapport sur l'exécution budgétaire de 1999, l'amélioration du déficit, cette année-là, a reposé, pour l'essentiel, sur l'augmentation des recettes fiscales et, plus g énéralement, des prélèvements obligatoires. Nous sommes donc en avance sur nos prévisions de réduction du déficit, mais il en résulte également que notre engagement de réduire les impôts n'est pas respecté.

M. Philippe Auberger.

Eh oui !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Voilà pourquoi le collectif budgétaire qui nous sera présenté demain assure un nécessaire rééquilibrage de la politique budgétaire, un ajustement, en affectant à des baisses d'impôts les quatre cinquièmes des recettes supplémentaires apportées par la croissance.

La baisse des impôts est, en effet, le troisième pilier de notre politique budgétaire.

Les bons résultats obtenus en matière de croissance économique et de redressement des finances publiques doivent nous conduire à concrétiser cette priorité, étant entendu - je tiens à vous le rappeler - qu'elle n'est pas la seule et qu'elle doit se décliner parallèlement aux deux autres précitées.

Alourdi de près de deux points par la précédente majorité, de 42,9 % en 1993 à 44,8 % en 1996, le taux des prélèvements obligatoires a été stabilisé à 44,9 % en 1997 et 1998, mais il a connu une nouvelle poussée en 1999, atteignant 45,7 %. je ne reviendrai pas sur l'analyse qui a été faite des effets mathématiques et mécaniques à l'origine de ce mouvement. En effet, derrière la notion quelque peu abstraite de prélèvements obligatoires, il y a une réalité tangible pour les ménages et les entreprises, à savoir les impôts et les charges ; il faut reconnaître qu'ils sont globalement trop élevés.

L'environnement international et européen montre des discordances suceptibles de conduire à des arbitrages défavorables à notre pays.

Certes, comparaison, surtout internationale, n'est pas raison, et il faut toujours corriger les différences de prélèvements obligatoires des différences de structures ou de qualité des services publics. Le bas niveau des prélèvements, aux Etats-Unis, laisse le citoyen bien démuni face aux risques sociaux et, pour être qualifiées de volontaires, les cotisations aux compagnies d'assurance privées n'en constituent pas moins une obligation.

Quoi qu'il en soit, et s'il faut s'efforcer de rechercher, au niveau européen, les moyens de concrétiser la libre circulation par une harmonisation fiscale, il est illusoire de croire que cette harmonisation se fera systématiquement par un alignement vers le haut.

Renforçons aussi la justice fiscale et, en même temps, l'efficacité économique en luttant contre les trappes à inactivité et à pauvreté. Des mesures ont déjà été pro posées en matière d'impôts locaux. La baisse d'un point du taux des deuxième et troisième tranches d'impôt sur le revenu va également dans ce sens.

Symétriquement, interrogeons-nous sur certains phénomènes qui peuvent se produire à l'autre extrémité de l'échelle des revenus. Je veux parler des délocalisations, réelles ou supposées. Psychose ou réalité ? Le phénomène est difficile à appréhender.

Je remercie le Gouvernement d'avoir entrepris, à la suite des demandes que j'avais présentées, une première étude sur le sujet, que je publie en annexe à mon rapport écrit. Ce premier travail mérite d'être approfondi. Toutefois, plusieurs indices vont dans le même sens que les éléments diffus que l'on peut rassembler de sources diverses sur le départ à l'étranger de certains contribuables dans des proportions plus importantes que ce qui découlerait du simple jeu de la mobilité des individus. Dans ce contexte, j'observe que, si ce mouvement était confirmé


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et significatif, le départ de contribuables fortement imposés, faisant souvent preuve d'un dynamisme économique certain, constituerait un préjudice fiscal et économique indéniable pour notre pays. Il ne s'agit pas de se lancer dans une course au moins-disant fiscal pour cette population, mais d'apprécier la situation et d'adapter le cas échéant nos règles, afin que ces dernières ne soient pas préjudiciables, au final, au maintien de l'emploi dans notre pays.

Ainsi que l'observe la note qui m'a été transmise, ce serait le cumul des impositions pesant sur le revenu qui serait à l'origine de ces départs. Afin de prévenir les risques de délocalisation, sans remettre en cause le système fiscal et social français, dont il ne faut pas oublier - et je ne l'oublie pas - qu'il a pour contrepartie un haut niveau des prestations, notamment en matière de santé et d'éducation, les orientations futures sur ce point pourraient reposer, d'une part, sur un renforcement de la coordination entre les différents impôts et, d'autre part, sur une meilleure prise en compte des conséquences du cumul des impositions lorsque le législateur procède à un aménagement ou à un allégement de l'une ou de plusieurs d'entre elles.

D'une façon plus générale, quelles pourraient être, en 2001, les orientations en matière de baisses d'impôts ? Il faut observer, s'agissant des prélèvements indirects, qu'avec 60 milliards de francs de baisses ciblées ou de baisse générale de la TVA depuis 1997, l'actuelle majorité aura rendu aux Français ce que le gouvernement de M. Alain Juppé leur avait confisqué en 1995.

Le dossier ne doit cependant pas être considéré comme clos et certains impôts posent question - je pense en particulier à la redevance audiovisuelle - sur laquelle la mission d'évaluation et de contrôle se penche actuellement.

Il reste que le chantier retenu pour 2001 est, à juste titre, celui de l'imposition sur le revenu au sens large, incluant bien entendu la CSG. La réflexion devra porter sur tous les aspects : barème, indexation des différentes variables, quotient familial, situation des célibataires, liens avec l'ISF, en prenant en compte un double souci d'efficacité économique et de justice fiscale. L'emploi devrait être, là encore, au coeur de nos préoccupations.

Madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, la stratégie budgétaire menée depuis trois ans commence à porté ses fruits : la croissance est là ; le chômage recule fortement tout en restant trop élevé. Il faut donc garder le cap autour de nos trois objectifs : dépense maîtrisée, déficit réduit, impôts allégés. C'est cet équilibre qui f ait, j'en suis convaincu, que la France est aujourd'hui en tête au niveau des résultats obtenus et qu'elle le restera si nous poursuivons cette politique. C'est ce que nous vous proposons.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Philippe Auberger, premier orateur inscrit.

M. Philippe Auberger.

Monsieur le ministre, je me réjouis que, comme vos prédécesseurs, vous ayez décidé d'organiser ce débat d'orientation budgétaire qui nous permet de discuter dès le printemps des grands choix qui président à la préparation de la loi de finances pour 2001.

Je me réjouis également que, prévenant la critique que j'avais l'intention de vous adresser à cet égard, vous ayez accepté que le Parlement puisse désormais débattre, avant sa transmission à Bruxelles, de la programmation triennale des finances publiques. Cela n'a pas été le cas cette année ; nous avons bien obtenu du Gouvernement qu'il nous expose la lettre qu'il a transmise à Bruxelles avant son envoi, mais il n'y a pas eu de débat public à proprement parler. Or c'est un document très important puisque le rapport que vous nous avez transmis pour la discussion d'aujourd'hui repose précisément sur la programmation triennale. Compte tenu de votre engagement, il y aura donc, à l'avenir, une parfaite coordination entre programmation triennale et débat d'orientation bugétaire.

Ce débat porte naturellement sur le choix des priorités et surtout sur l'ordre des priorités.

L'une des priorités affichées est la réduction du déficit budgétaire. Ces dernières années, le déficit budgétaire avait atteint un niveau historique. Il faut continuer à le réduire puisqu'il est encore relativement élevé.

D'ailleurs, en bonne orthodoxie, seules les dépenses d'investissement civil devraient faire l'objet d'un financement par emprunt, car seule cette charge peut légitimement peser sur les générations à venir. Or on en est très loin puisque les investissements civils représentent à l'heure actuelle un peu plus de 70 milliards de francs alors que le collectif budgétaire affiche un déficit de 205 milliards de francs pour l'an 2000. Il y a donc encore un très gros effort à consentir.

La situation, il est vrai, s'améliore, mais assurer l'équilibre financier primaire n'est pas satisfaisant en soi. Qu'il ne soit pas nécessaire d'emprunter pour payer les charges des emprunts passés n'est pas un motif de satisfaction, même si l'argument est longuement développé dans le rapport sur l'orientation budgétaire.

Il ne faut pas oublier non plus que l'équilibre primaire n'est obtenu que grâce à la réduction des charges d'intérêt de la dette, elle-même due à la baisse des taux d'intérêt à court terme. Or, comme vous l'avez justement souligné, ce phénomène est malheureusement derrière nous.

Dans ce contexte, il faut reconnaître que les objectifs de réduction du déficit budgétaire qui ont été fixés pour 2000 et pour 2001 sont peu ambitieux.

Pour l'année 2000, le déficit prévu dans le collectif qui va être discuté demain est de 215 milliards de francs, en diminution de 50 millions seulement par rapport au déficit initial annoncé au mois d'octobre, lors de la discussion de la loi de finances : 50 millions, ce n'est vraiment pas à la hauteur du problème. Ce déficit de 215 milliards est du reste encore supérieur au déficit atteint à la fin de l'année 1999, soit 205 milliards.

Dans ces conditions, votre prévision de 195 milliards pour 2001 chiffre annoncé dans la presse et qui devrait nous être confirmé lorsque vous nous transmettrez, et je vous en remercie, les lettres de cadrage - nous paraît encore beaucoup trop élevée. Il faudrait une baisse nettement plus significative du déficit.

Cette nécessité est d'autant plus forte que l'amélioration globale des déficits publics, que vous avez soulignée à juste titre dans vos prévisions, repose essentiellement, faute d'une réduction suffisante du déficit budgétaire, sur l'amélioration des comptes des diverses administrations centrales, des collectivités locales et de la protection sociale. Or, pour cette dernière, en particulier, on sait que l'équilibre actuel est malgré tout assez fragile, que les dépenses continuent à évoluer assez rapidement et qu'il faut constituer des excédents pour le fonds de réserve des retraites. Il faut donc être nettement plus volontariste pour 2001, surtout si on obtient une croissance qui atteint et peut même légèrement dépasser les 3 %.


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Cette nécessité correspond d'ailleurs à nos engagements européens. Le pacte de stabilité et de croissance prévoit en effet que tous les Etats membres de l'Union européenne s'engagent à adhérer à l'objectif de moyen terme de soldes budgétaires proches de l'équilibre ou en excédent. Ce terme du pacte a été rappelé par la Banque centrale européenne dans son rapport annuel.

Quelle était la situation de la France à cet égard à la fin de 1999, situation retracée par la BCE dans le même rapport ? Le besoin de financement des administrations publiques pour la France représentait 1,8 % du PIB alors que, pour les onze pays de la zone euro, il était en moyenne de 1,2 %. L'écart en notre défaveur est donc très net. Quatre pays sont en excédent et la France n'est que huitième sur les onze. Trois pays seulement sont derrière nous.

La réduction de l'ensemble des déficits publics obtenue en 1999 représente 0,9 % du PIB en France contre 0,8 % en moyenne pour les pays de la zone euro. Nous faisons donc à peine mieux que des pays dont la situation est en moyenne plus favorable que la nôtre au regard de ce critère. C'est dire que nous devons encore faire des efforts.

Le rapport annuel de la Banque centrale européenne le confirme : « Une attitude plus combative en faveur des ajustements budgétaires s'impose. » On ne peut être plus

clair.

Que prévoient les programmes actualisés pour 2002 et 2003 de l'ensemble des prévisions triennales des membres de l'euro ? Selon le rapport mensuel de la BCE du mois de mars, ces programmes prévoient que, fin 2001, c'est-àdire à l'échéance retenue par notre débat d'orientation budgétaire, seules l'Allemagne et l'Autriche, avec un défécit public de 1,5 % du PIB, feront moins bien que la France. A cette date, nous ne serons plus le huitième, mais le neuvième des onze pays de l'euro.

On s'étonne parfois de la faiblesse de l'euro. Elle est certes due à divers facteurs, mais notamment au fait qu'en matière de finances publiques, les efforts de la France, l'un des deux grands pays, avec l'Allemagne, de la zone euro, sont encore insuffisants et doivent donc être poursuivis et amplifiés.

La Banque centrale européenne, d'ailleurs, fait une recommandation très précise à cet égard dans son rapport annuel. Elle indique qu'à l'horizon de la planification budgétaire, toute recette supplémentaire de l'Etat résultant d'une croissance supérieure aux prévisions ce qu'elle appelle les « dividendes de la croissance » - devrait normalement être affectée à l'accélération des progrès sur la voie du rééquilibrage des finances publiques plutôt qu'à l'allègement de la pression fiscale. Il est incontestable que nous avons des efforts à accomplir dans ce domaine et qu'il devront être plus accentués en 2001 si on veut respecter le pacte de stabilité et de croissance.

La deuxième priorité consiste naturellement à assurer une réelle maîtrise des dépenses publiques. Le rapport provisoire de la Cour des comptes pour 1999 nous donne, à cet égard, un certain nombre d'indications.

Nous sommes tombés d'accord, semble-t-il, pour soumettre les lois de finances à la Cour des comptes pour avis préalable, dans le cadre d'une ordonnance de 1959 rénovée, mais les avis qu'elle donne déjà a posteriori ne doivent pas être pour autant écartés. Que peut-on lire dans ce rapport ? Que, malgré divers changements de référence, l'évolution globale des dépenses publiques en volume pour 1999 a été de 2,8 % et non de 1,1 %, comme cela avait été annoncé urbi et orbi par le Gouvernement ! Avec 2,8 % d'augmentation, on ne peut pas parler d'une réelle maîtrise des dépenses publiques. (« Eh non » ! sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Michel Bouvard.

Il faut le souligner !

M. Philippe Auberger.

Et, là encore, des efforts considérables restent à faire.

Pour 2001, on affiche un objectif de 0,3 % en volume.

C'est bien. Mais jusqu'à présent, et notamment en 2000, on avait bénéficié d'une baisse des taux d'intérêt autorisant une réduction des crédits pour la dette, et ce ne sera plus le cas ; on avait largement utilisé les économies sur les crédits militaires et sur les dépenses civiles d'équipement, tandis que, dans l'ensemble, les autres crédits, notamment les crédits de personnel et d'intervention, avaient enregistré des augmentations relativement fortes, et on ne pourra pas continuer ainsi.

Or, pour 2001, il y a deux foyers de dépenses publiques qui, à mon avis, n'ont pas été correctement analysés dans le rapport d'orientation budgétaire et qui mériteraient un examen beaucoup plus attentif du Gouvernement.

Le premier foyer est celui des crédits dévolus à la fonction publique. Quelle sera leur évolution ? Nous sommes encore dans l'incertitude sur le point de savoir si les recrutements nets vont, oui ou non, reprendre dans la fonction publique. Pour éviter une recrudescence des dépenses dans ce domaine, due notamment à des recrutements qui ne seraient pas compensés par des suppressions d'emplois dans d'autres services ou ministères, il faudrait en venir enfin à inscrire dans la loi de finances non plus les évolutions relatives des emplois, c'est-à-dire les créations d'une part et les suppressions d'autre part, mais les recrutements nets envisagés pour une année entière, comme le fait toute entreprise publique ou privée qui se respecte et qui pratique une gestion prévisionnelle des effectifs. Ainsi, les choses seraient beaucoup plus claires et il serait plus facile de maîtriser la dépense consacrée à l'emploi public.

Le deuxième foyer de dépenses qui, à mon avis, est insuffisamment analysé concerne le Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, désigné sous le nom barbare de FOREC dans le rapport d'orientation et destiné à financer l'allègement des cotisations sociales opéré dans le cadre des 35 heures.

Déjà, on peut noter que, pour l'année 2000, ce fonds est déséquilibré. Et l'on peut trouver désinvolte de répondre au rapporteur général du budget que ce déséquilibre n'est pas le fait de Bercy mais résulte d'une décision du Conseil constitutionnel. J'en donne volontiers acte, mais Bercy n'est pas pour autant déchargé de toute responsabilité en ce qui concerne le rééquilibrage. Que ce soit dans le cadre d'une loi de finances ou d'une loi de financement de la protection sociale, ce fonds présenté initialement en équilibre doit être équilibré à nouveau et le rester pendant toute l'exécution de l'année 2000.

Doté à l'origine de 65 milliards de francs, le FOREC doit passer progressivement à 115 milliards de francs au bout de cinq ans. Comment va-t-il être alimenté en 2001 pour parvenir à l'équilibre ? Par des recettes fiscales affectées, comme cela a été le cas en 2000 ? Ou bien par des crédits budgétaires ou par tout autre crédit ? La question mérite d'être examinée de très près, car il faut absolument maintenir l'équilibre de ce fonds. De façon générale, d'ailleurs, il n'est pas souhaitable de créer de tels fonds, car ce sont des foyers de déficit et de déséquilibre.

M. Michel Bouvard.

Très bien !


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M. Philippe Auberger.

Certes, ils permettent de présent er une évolution flatteuse des dépenses publiques stricto sensu de l'Etat, mais il est un peu trop facile de botter en touche et de mettre à gauche un certain nombre de fonds pour masquer les augmentations.

La troisième priorité, c'est naturellement l'évolution des recettes fiscales.

Pour 2001, il est prévu en gros 40 milliards de francs de diminutions d'impôts, afin de respecter les engagements pris en ce qui concerne l'évolution des prélèvements obligatoires. Mais il faut savoir que, sur ces 40 mill iards, 20 milliards sont en quelque sorte engagés prématurément : le complément pour la réduction du taux normal de la TVA, pour 12 milliards ; la poursuite de l'allègement de la taxe professionnelle par suppression de la part salariale, pour 5 à 6 milliards ; la suppression du droit au bail en faveur des locataires, pour 2 à 3 milliards. Ces 20 milliards étant déjà utilisés, la réforme fis cale, notamment en ce qui concerne l'impôt direct, sera évidemment réduite à la portion congrue, surtout si on fait la comparaison avec l'augmentation de près de 35 milliards subie par l'impôt sur le revenu pour les années 1998 et 1999. Il y a donc un très gros effort à faire dans ce domaine.

Je terminerai en formulant quelques observations.

D'abord, monsieur le ministre, vous avez raison de dire qu'il faut alléger en priorité la charge supportée par les classes moyennes et par les revenus moyens parce qu'ils sont très lourdement taxés. Ils ont notamment été pénalisés par l'abaissement du plafond du quotient familial.

Cette décision devrait être revue.

M. Michel Bouvard.

Très juste !

M. Philippe Auberger.

Subsiste ensuite, vous l'avez également rappelé, le problème de la trappe de pauvreté. Je relève à ce sujet que l'excellente revue Economie et statistiques a repris un calcul qui montre que ce serait plus au RMiste de base qu'au mannequin vedette de s'exiler à Londres parce qu'il est très lourdement taxé. En effet, l'INSEE a calculé que pour 1 000 francs de revenu net supplémentaire perçus par un chômeur, un RMiste ou une personne percevant l'allocation de parent isolé reprenant un emploi, il en coûte 4 630 francs de charges à l'employeur.

M. Edouard Landrain.

Scandaleux !

M. Philippe Auberger.

Deux millions de personnes sont dans ce cas. S'il est normal de faire en sorte qu'elles accèdent à l'emploi et qu'elles gagnent davantage afin de compenser l'effort qu'elles accomplissent, il faut aussi alléger de façon drastique et rapidement la charge supplém entaire trop considérable que supportent les employeurs.

M. Michel Bouvard.

Excellent !

M. Philippe Auberger.

Enfin nous considérons que les efforts prévus dans le cadre du collectif en matière de taxe d'habitation ne sont pas suffisants. Il faudrait notamment réduire la part correspondant aux frais d'assiette et de recouvrement qui atteint actuellement 4,4 %. Il est en effet anormal d'avoir un coût d'assiette et de recouvrement d'un impôt qui soit aussi élevé. C'est un signe d'insuffisante productivité...

M. Michel Bouvard.

D'archaïsme !

M. Philippe Auberger.

... des services financiers. Il faut incontestablement consentir un effort dans ce domaine et faire en sorte que le contribuable en bénéficie.

Incontestablement, les orientations bugétaires proposées sont généralement bonnes. Néanmoins, il subsiste bien des zones d'ombre et, surtout, nous estimons que la politique présentée n'est pas suffisamment volontariste, qu'il s'agisse de la diminution du déficit de l'Etat, de la maîtrise des dépenses publiques ou de la réforme fiscale.

P our cette dernière, il manque une architecture d'ensemble. Un rapport a d'ailleurs été élaboré sur ce sujet, dans le cadre du conseil d'analyse économique placé auprès du Premier ministre. Dans ce domaine, les décisions sont prises au fil de l'eau, au gré des collectifs, alors qu'une politique fiscale d'ensemble s'impose.

Les orientations budgétaires devraient avoir un caractère nettement plus volontariste que celles affichées jusqu'à présent, tant dans le rapport écrit que dans les prop os que vous avez tenus, monsieur le ministre.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Méhaignerie.

M. Pierre Méhaignerie.

Monsieur le ministre, mon voisin de séance dont le sérieux, la rigueur et l'objectivité ne peuvent pas être contestés, je veux parler de Raymond Barre, résumait ainsi son sentiment à la fin de votre intervention : « Le discours est bon, mais les travaux pratiques le sont beaucoup moins. »

M. Gérard Bapt.

Il s'agit d'orientations !

M. Pierre Méhaignerie.

Tout le problème réside dans la divergence que nous avons tous constatée, d'une part, entre le rapport déposé par le Gouvernement - que nous pourrions cosigner -, appuyé par votre discours et, d'autre part, l'action menée en 1999, le collectif budgéraire que vous allez présenter demain et la préparation du budget de 2001 dont nous avons certains éléments.

Si le document écrit conforte nos thèses en ce qui concerne la réduction du déficit qui doit être une priorité, car nous avons du retard sur nos voisins européens, la maîtrise de la dépense publique et la nécessaire réforme de l'Etat que nous ne voyons pas venir, il est en contradiction avec tous vos actes.

Ainsi, en 1999, les dépenses publiques ont progressé de 2,8 % en volume - nous sommes loin du 0,3 % ! -, et les prélèvements obligatoires ont franchi un seuil qu'ils n'avaient jamais atteint.

Tel est encore le cas dans le collectif budgétaire, j'y reviendrai, et dans les perspectives annoncées pour 2001.

En particulier le taux de 0,3 % de nouveau avancé pour l'augmentation des dépenses publiques nous laisse profondément sceptiques, compte tenu de l'expérience de 1999, des mesures que nous sentons arriver quant à l'application des 35 heures dans la fonction publique avec des créations d'emplois, et des réformes sur le régime de retraite que l'on ne pourra pas repousser sans cesse.

Cela nous conduit, monsieur le ministre, à vous interroger sur cette divergence entre le discours et ce que nous avons connu dans le passé. S'agit-il d'un virage dans votre politique ou cela concrétise-t-il simplement le fossé existant entre les souhaits et la pesanteur des alliances électorales et des pressions du quotidien ?

M. Edouard Landrain.

Et voilà !

M. Pierre Méhaignerie.

A ce propos je vais reprendre quelques-unes de vos réflexions.

Vous avez ainsi souligné que la meilleure séquence économique des vingt-cinq dernières années se déroulait actuellement. Nous ne le contestons pas, mais si nous


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approuvons partiellement vos explications selon lesquelles il faut en rechercher les causes non seulement dans l'environnement international mais aussi dans la qualité du pilotage de la politique conjoncturelle, je tiens à ajouter qu'une autre cause non négligeable réside dans la réduction du déficit opérée par les gouvernements précédents.

En la matière la baisse des taux d'intérêt a été déterminante. L'environnement actuel a donc été largement préparé par les gouvernements précédents.

Vous avez condamné la période de la politique conjonctuelle 1993-1995, mais je rappelle qu'à l'époque le trou était tel - 6,3 % de déficit budgétaire - qu'il é tait impossible de l'aggraver et que la nécessité d'obtenir la qualification pour l'euro imposait des disciplines budgétaires extraordinairement strictes. Nous souhaiterions que M. Migaud le rappelle un peu plus souvent dans un souci d'objectivité pour la qualité de nos débats.

M. Philippe Auberger.

Absolument !

M. Edouard Landrain.

Il oublie vite !

M. Pierre Méhaignerie.

Je veux également, monsieur le ministre, vous poser quelques questions sur ce qui reste à faire.

En matière d'emploi le problème de la pénurie de main-d'oeuvre est grave. Pourtant il ne semble pas que vous ayez formulé des propositions à cet égard. Il s'agit du sujet sur lequel nous contestons le plus les choix du collectif budgétaire.

Page 14 de votre rapport, il est pourtant écrit que pour réduire la pénurie de main-d'oeuvre, une démarche prioritaire devrait viser à utiliser pleinement notre potentiel d'actifs, en encourageant, est-il précisé, le retour à l'emploi de ceux qui en ont été progressivement écartés.

Nous étions donc fondés à penser que le collectif budgétaire allait remédier à cette faiblesse d'autant plus grave que nous avons lu et entendu de nombreux prévisionnistes, y compris au sein de votre ministère, situer le chômage structurel en France entre 7,5 et 9 %.

Selon les chiffres de l'INSEE 50 % des entreprises manquent aujourd'hui de main-d'oeuvre et chacun sait que, dans de nombreuses branches, il est extrêmement difficile de trouver de la main-d'oeuvre dans le secteur privé.

Page 74 de votre rapport, il est précisé qu'il serait possible d'atteindre l'objectif de la création d'un million d'emplois d'ici à la fin de la législature. Nous estimons que cela sera impossible, s'il n'est pas remédié aux causes de la pénurie de main-d'oeuvre. Or plusieurs rapports - le département d'Ille-et-Vilaine en a réalisé un intitulé Les retours à l'emploi des bénéficiaires des minima sociaux - montrent que, comme nous le savons parfaitement, l'une des principales causes des difficultés du retour à l'emploi réside dans le manque de confiance des personnes en elles-mêmes. Il y a aussi le sentiment qu'elles ne trouveront que des emplois précaires et, pour 80 % d'entre elles, le principal frein au retour à l'emploi - cela aussi est écrit dans votre rapport - tient au fait que la différence entre le montant des prestations et le revenu du travail est totalement insuffisante. Elle est même parfois en faveur des premières.

Dans le collectif budgétaire, monsieur le ministre, vous proposez une réduction du taux de la TVA. Nous contestons ce choix, d'abord parce que, pour les deux tiers, cette baisse ne sera pas répercutée, selon ce qu'a dit au sein de la commission des finances un représentant du groupe communiste.

M. Alain Clary.

C'est selon l'INSEE !

M. Pierre Méhaignerie.

Merci !

M. Augustin Bonrepaux.

Vous ne voulez pas qu'on corrige vos erreurs !

M. Pierre Méhaignerie.

Ensuite la TVA peut être parfois protectrice dans le débat sur la mondialisation.

Par ailleurs votre proposition de baisser la taxe d'habitation est totalement déresponsabilisante, d'autant que certaines collectivités régionales en ont déjà profité pour l'augmenter fortement. A cet égard nous présenterons des propositions pour que ces collectivités régionales ne soient pas avantagées par rapport à celles qui auront stabilisé leurs dépenses.

M. Edouard Landrain.

Très bien !

M. Pierre Méhaignerie.

Cette réduction de la taxe d'habitation est aussi profondément injuste.

J'ai déjà cité le cas du dégrèvement de la taxe d'habitation qui profite cinq fois plus à des départements dont le revenu par habitant est très supérieur à ce qu'il est ailleurs. Ainsi, dans les Alpes-Maritimes, le dégrèvement représente déjà 455 francs par habitant contre 90 francs en Haute-Saône, en Haute-Loire ou dans le département des Hautes-Alpes. Avec la nouvelle mesure, vous allez aggraver les injustices ! M. Didier Migaud rapporteur général.

C'est le système de péréquation qui est à revoir !

M. Pierre Méhaignerie.

Est-il judicieux de faire en sorte que celui qui dispose de deux ou trois habitations soit prioritaire ? A notre avis il s'agit d'une erreur de stratégie. Nous pensons que les 42 milliards de recettes de TVA et de taxe d'habitation qui seront perdus auraient mieux été utilisés pour inciter au retour au travail par une revalorisation des bas salaires.

Nous avons d'ailleurs présenté une proposition dont nous espérons l'adoption par la commission des finances, qui tend à instaurer, sous forme de crédit de cotisations sociales, un crédit d'impôt de 6,1 % pour tous les salaires situés entre le SMIC et 1,3 SMIC, ce qui permettrait de revaloriser de 420 à 520 francs par mois le revenu de sept millions de salariés. L'accroissement de ces bas salaires, donc de la différence entre le montant des prestations et les revenus du travail, devrait favoriser bien des retours à l'activité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Il est indéniable que, aujourd'hui, pour de nombreux jeunes, un SMIC à 5 400 ou 5 500 francs n'est pas très incitatif. Si vous voulez vraiment corriger les inégalités, comme vous l'avez souhaité, monsieur le ministre, il vaudrait mieux travailler dans cette direction.

A ceux qui souhaitent revaloriser le SMIC, je rappelle que, dans une économie ouverte comme la nôtre, le salaire brut payé par l'employeur, cotisations sociales comprises, est supérieur à ce qu'il est en moyenne dans les autres pays européens alors que le salaire net, c'est-àdire déduction faite des cotisations sociales, est largement inférieur à la moyenne des pays européens.

M. Edouard Landrain.

Voilà le problème !

M. Pierre Méhaignerie.

Page 64 de votre rapport, un tableau extrêmement pertinent montre qu'entre 1990 et 1998 l'écart entre salariés du secteur privé et salariés du secteur public s'est aggravé de 5,9 %. En la matière, il devrait être possible de réclamer une véritable réforme stratégique capable d'inciter au retour au travail et allant dans le sens de la convergence européenne. Elle aurait permis de mettre en concordance votre discours, que


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nous partageons, et les travaux pratiques qui en sont bien éloignés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet.

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, si la croissance est indéniablement de retour depuis 1997 - la politique de relance de la majorité de gauche plurielle y a indéniablement contribué - on ne saurait sans dommage enjoliver la situation.

Soutenir la consommation, investir dans des domaines aussi décisifs pour l'avenir que la formation, la recherche, la santé, demeure plus que jamais fondamental pour aller vers l'objectif du plein emploi. Nous apprécions que le collectif budgétaire que nous avons réclamé et qui sera discuté demain soit sensible au mouvement social, en confirmant notamment l'engagement de dépenses nouvelles pour l'école, l'hôpital, au grand dam de la droite et du MEDEF qui ne voient de salut que dans la réduction des déficits par contraction de la dépense et dans la poursuite des privatisations.

Néanmoins, le collectif pourrait sans doute aller plus loin pour contrer ce recul social et cette inflexion mériterait d'être confirmée et largement amplifiée dans la loi de finances pour 2001.

Cela est d'autant plus d'actualité que les premiers craquements des marchés financiers, la remontée des taux d'intérêt à court et long termes, la baisse de l'euro alertent sur des difficultés futures pour la croissance. Un risque de retournement de la conjoncture dès 2001 est même évoqué par l'OCDE. C'est dire combien nous apparaissent légèrement optimistes les hypothèses de croissance retenues par le ministère de l'économie et des finances.

Dans un contexte de ralentissement de la croissance et de poursuite de la remontée des taux, l'application du programme triennal pour 2001-2003 impliquerait un freinage important de la dépense. Cela serait contradictoire avec la conduite d'une politique de gauche et avec les objectifs de progrès économique et social partagés par la majorité.

A l'occasion de sa présidence de l'Union européenne, la France pourrait prendre l'initiative d'une large concertation pour rediscuter les choix concernant la politique monétaire et le crédit, en relation avec les attentes populaires en matière d'emploi et de formation. Doit donc être posée la question d'un dépassement du pacte de stabilité et de la politique ultralibérale menée actuellement par la Banque centrale européenne, qui ne convainc plus personne, pas même les marchés financiers.

Nous proposons, pour dynamiser la croissance en Europe alors que l'activité commence, semble-t-il, à décrocher aux Etats-Unis, une relance sélective du crédit prenant appui sur la politique monétaire et sur une politique budgétaire beaucoup plus expansive et centrée sur des objectifs chiffrés en matière de création d'emplois et de développement des ressources humaines.

Nous militons en faveur de nouvelles priorités budg étaires permettant une progression de la dépense publique et sociale efficace. Il est en effet évident qu'une croissance riche en emplois correctement rémunérés, accompagnée des recettes fiscales et sociales qu'ils génèrent, est la mieux à même de contribuer à l'équilibre des comptes sociaux et à la réduction durable du déficit.

Comment penser que l'on pourrait mieux répondre aux besoins sociaux et faire en sorte que le budget pèse de manière plus effective sur les déterminants de la croissance si la progression réelle de la dépense demeure, comme cette année, huit fois moins importante que le taux de croissance escompté ? Nous avons apprécié la mise en cause du dogme du gel de l'emploi public, notamment par le Premier ministre.

Mais la réponse effective aux besoins des services publics risque de buter très vite sur le cadre étroit fixé pour l'augmentation de la dépense.

Comment, dans ce cadre, assurer un débouché aux jeunes inscrits dans le dispositif « nouveaux servicesnouveaux emplois », c'est-à-dire les emplois-jeunes ? Des moyens devraient être dégagés pour la formation et pour q ue les associations et les collectivités locales accompagnent les jeunes vers l'insertion professionnelle.

Ces emplois nouveaux méritent, tout le monde le pense, d'être pérennisés. Il s'agit d'une urgence sur laquelle mon ami Patrick Malavielle reviendra dans le cours du débat. L'entrée des jeunes dans la vie sociale étant semée d'obstacles, pourquoi ne pas imaginer un prêt à taux zéro pour aider les jeunes couples mariés ou pacsés à s'installer ? Dans le rapport de présentation des orientations pour 2001, vous insistez sur la nécessité d'une remise en cause, à moyen terme, du niveau des transferts financiers de l'Etat en direction des administrations fiscales et des collectivités locales.

Or l'augmentation de ces transferts est directement liée à la compensation d'allégements d'impôts décidés par l'Etat et à une augmentation des dépenses de fonctionnement correspondant à des services rendus à la population.

Comme le développera mon ami Daniel Feurtet, nous considérons qu'il faut au contraire faire bénéficier beaucoup plus largement les collectivités locales des fruits de la croissance. Elles doivent pouvoir assumer les compétences que leur a conférées la décentralisation, et notamment de pouvoir soutenir, par le biais de leur investissement, l'activité économique et l'emploi. La réforme de la fiscalité locale doit donc renforcer l'autonomie financière des collectivités.

Certains propos sur la nécessité de baisser le prélèvement sur les facteurs économiques fortement mobiles, risquant de se délocaliser à l'étranger, ne sauraient justifier des mesures revenant à accepter le dumping social et fiscal qui prévaut en Europe même. Les initiatives que la France a prises en faveur d'une harmonisation fiscale européenne, qui s'inscrivent dans un refus des logiques libérales, doivent se conjuguer avec l'engagement d'une réforme fiscale de progrès dans notre pays, réforme dont parlera tout à l'heure mon ami Maxime Gremetz. Cette réforme reste à accomplir pour une grande part.

Le débat fiscal est aujourd'hui largement tronqué : on parle des impôts, mais pas des dépenses qu'ils financent.

Vous avez évoqué, à juste titre, monsieur le ministre, le déficit de main-d'oeuvre qualifiée. C'est le cas dans le secteur des hautes technologies. Cela exige d'augmenter les moyens de l'éducation nationale pour lui permettre de répondre aux nouveaux besoins qui s'expriment.

On évoque, par ailleurs, des taux qui seraient trop élevés, mais non les multiples réductions - pour certains, elles sont de taille ! - dont continuent à bénéficier les plus hauts revenus.


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Alors que 90 % des revenus du capital, comme l'avait établi le conseil des impôts, il y a quelques années, ne sont pas assujettis à l'impôt progressif sur le revenu, il est nécessaire de revenir sur le diagnostic et les enjeux.

Les chiffres en témoignent : on ne paie globalement pas plus d'impôts aujourd'hui qu'il y a quarante ans. Les impôts de l'Etat et des collectivités locales représentent aujourd'hui 22,5 % du produit intérieur brut, soit autant qu'au début des années soixante. Ce qui est en cause, ici, c'est bien leur inégale répartition. La question posée n'est pas « moins d'impôts », mais « mieux d'impôts ».

Tout d'abord, il n'est pas vrai qu'il y a trop de prélèvements obligatoires en France. Une récente étude de l'OCDE a évalué la pression fiscale nette pour un ménage avec deux enfants à seulement 15 % en France, contre 16,7 % au Royaume-Uni, 18,7 % aux Etats-Unis et 20,9 % en Allemagne.

La baisse des impôts pour tous constitue donc un mot d'ordre démagogique qui peut, certes, flatter l'opinion, mais elle ne pourrait qu'avantager, en valeur absolue, les plus aisés, encourageant, par exemple, les comportements f inanciers irresponsables de certaines entreprises qui accroissent leurs profits disponibles pour les opérations financières. Rappelons que l'impôt sur le revenu, avec sa progressivité, est d'abord un outil de redistribution sociale et de solidarité.

La réforme fiscale devrait permettre d'alléger la pression sur les revenus du travail en changeant le sens des incitations. Elle devrait encourager les investissements les plus créateurs d'emplois, l'effort de recherche et de formation et dissuader, dans le même mouvement, les placements, les revenus financiers tout en pénalisant la spéculation.

Les baisses de la taxe d'habitation mériteraient d'être poursuivies pour les familles modestes avec la réforme du mode de calcul de l'impôt. Mais elles doivent être compensées par la prise en compte, même à un taux réduit, des actifs financiers des entreprises dans l'assiette de la taxe professionnelle. Par ailleurs, la réduction du foncier bâti est une revendication légitime de la part des contribuables les plus modestes, notamment des retraités ou des RMIstes qui se voient souvent contraints d'abandonner la maison qu'ils ont acquise au cours de leur vie car cet impôt représente une charge trop lourde.

On ne saurait réduire, dans notre fiscalité, le poids déjà très faible du seul impôt progressif. Il faut aménager le barème dans le sens qui est proposé dans le collectif qui nous est soumis demain et y créer de nouvelles tranches. Rien ne justifie, comme cela a pu être suggéré, de baisser le taux marginal ou de mettre en cause la déduction de 20 % pour les salariés en échange d'une baisse, par nature injuste, de toutes les tranches.

Dans l'esprit d'une « taxe Tobin » à la française, une cotisation sociale additionnelle pourrait être prélevée sur les revenus financiers des entreprises et des banques à hauteur de ce que cotisent les salaires. Ces recettes viendraient consolider le système de retraite par répartition, accroître les dotations de l'UNEDIC pour l'allocation formation-reclassement, et permettre l'augmentation des minima sociaux. Augmenter de manière significative ces minima, comme revaloriser de 6 % le SMIC en juillet prochain, permettrait de mobiliser les moyens nouveaux dégagés par la croissance pour réduire les inégalités et soutenir la consommation populaire.

Les plus gros patrimoines ont profité largement de l'explosion des revenus financiers et boursiers. Améliorer le rendement de l'impôt de solidarité sur la fortune serait juste, alors que la précarité continue à progresser dans notre pays et touche près de deux millions de personnes, dont une majorité de jeunes.

Les impôts indirects, ce sont ceux que tout le monde paie quel que soit son revenu, quelle que soit sa faculté contributive. La TVA, en est l'exemple type. Elle pénalise relativement plus les ménages à faible revenu, car plus le revenu est important, moins cet impôt pèse sur le pouvoir d'achat. Là, nous avons un vrai problème de justice sociale. Il faut réduire le taux de TVA et s'assurer que la baisse est répercutée dans les prix pour le consommateur.

La récente baisse de 1 % va dans le bons sens. Il faut poursuivre l'effort. Le seuil minimum euro-compatible étant de 15 %, il reste de la marge.

La poursuite des baisses ciblées de TVA doit être également prolongée par un allégement de la fiscalité sur les carburants, qui représente quelque 85 % du prix payé par le consommateur. C'est excessif.

S'il faut une plus grande efficacité et une plus grande justice des prélèvements obligatoires, il convient également de dépenser mieux. La recherche d'une plus grande efficacité des aides publiques à l'emploi est emblématique de la voie dans laquelle nous devons nous engager, de même que le contrôle des fonds publics alloués aux entreprises, comme Robert Hue nous en a fait adopter le principe ici même, en janvier dernier.

Une baisse des charges financières des entreprises, en particulier pour les PME-PMI, par un crédit au taux d'autant plus abaissé que ces entreprises investiraient pour promouvoir l'emploi, la recherche et la formation, aurait un effet levier considérable, sans présenter les effets pervers de la baisse des cotisations sociales à laquelle on a trop souvent recouru. Cela vaut en particulier pour les très petites entreprises, dont on connaît les difficultés d'accès au crédit bancaire.

Ainsi, dans le secteur de l'artisanat et du petit commerce qui compte 800 000 entreprises - lesquelles souhaitent, on en rencontre chaque jour dans nos circonscriptions, créer de l'emploi, mais qui n'osent pas tenter l'aventure - on mesure bien l'impact sur le chômage qu'aurait la création d'un seul emploi dans chacune d'elles ! Pour cela, il conviendrait de desserrer l'étau du système bancaire qui écrase les petits entrepreneurs. C'est pourquoi nous insistons pour que le pôle financier public soit structuré dans cet objectif d'un nouveau crédit pour l'emploi, et non pour servir les marchés financiers.

Il nous faut encore renforcer le rôle du Parlement dans le suivi de l'exécution des lois de finances. Le rapport de la Cour des comptes sur l'exercice 1999 montre les progrès à mettre en oeuvre pour assurer une vraie transparence. Vous venez d'annoncer douze mesures pour l'améliorer. C'est une bonne chose. Il faut sans doute poursuivre dans cette voie pour démocratiser toujours plus la politique budgétaire.

Cela vaut notamment pour la gestion de la dette publique, qui est aujourd'hui particulièrement opaque.

Elle mériterait de faire l'objet chaque année d'un débat public. C'est la demande que je vous adresse, monsieur le ministre.

Ce débat est d'autant plus urgent, qu'avec la remontée des taux d'intérêt, les charges de la dette sont objectivement appelées à repartir à la hausse, réduisant du même coup les marges de manoeuvre.

Comment ne pas évoquer également la politique de l'Etat actionnaire, trop marquée aujourd'hui par une stricte logique patrimoniale ? Une approche nouvelle est


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possible, qui tournerait le dos aux privatisations et redonnerait du sens à l'intervention publique en matière économique et industrielle.

L'Etat doit, selon nous, être plus offensif sur le terrain d'expérimentation sociale de nouveaux critères de gestion.

Cela permettrait, dans le cadre d'une nouvelle mixité, donnant la priorité à l'efficacité sociale, de dépasser la stricte rentabilité financière pour concrétiser de grands objectifs de politique industrielle et de développement de l'emploi qualifié.

Les choix mis en oeuvre depuis juin 1997, par-delà les retombées de l'amélioration de la conjoncture économique en Europe, ont permis d'obtenir des résultats.

C'est le cas sur ce terrain capital qu'est la lutte contre le chômage, mais nous devons redoubler d'efforts pour obtenir davantage de résultats encore.

Pour nous inscrire dans la perspective du plein emploi, de la réduction des inégalités et d'une croissance plus efficace dans la solidarité, nous devons nous donner les moyens de mobiliser beaucoup plus activement et de manière cohérente tous les leviers de l'action publique : le budget, la fiscalité, la politique monétaire et le crédit.

Cela est d'autant plus d'actualité face à la montée d'incertitudes qui risquent de compromettre la croissance et le travail déjà accompli.

Alors que nos concitoyens affirment une confiance inégalée dans l'avenir, on ne saurait sous-estimer les attentes, pour ne pas dire les impatiences sociales, qui s'expriment dans le pays. Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, ils souhaitent que le changement se traduise plus concrètement dans leur vie quotidienne. Mettre en oeuvre des réponses à la hauteur des défis auxquels doivent faire face le Gouvernement et sa majorité suppose que l'on prenne cette aspiration au sérieux.

Les députés communistes souhaitent donc que ce débat d'orientation budgétaire soit le point de départ d'un vrai débat intégrant les réflexions et les attentes du mouvement social. Une concertation effective devra prendre en compte la richesse des points de vues et les propositions de toutes les composantes de la majorité. Il y va de notre réussite commune. Il y va de l'intérêt de la France et de la grande majorité de nos concitoyens qui n'ont que leur travail pour vivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. François d'Aubert.

M. François d'Aubert.

Voilà donc commencé le débat d'orientation budgétaire qui, monsieur le ministre, ne me paraît pas très bien engagé, d'abord, parce qu'il arrive un peu tard, tout le monde le reconnaît, ensuite, parce qu'il est dominé par un certain non-dit gouvernemental. Nous allons y revenir.

Vous avez longuement parlé de la croissance. Pour 2001, nous pensons qu'elle est sous-évaluée et fragilisée.

C'est vrai qu'aujourd'hui son taux est honorable, avec une bonne conjoncture, créatrice d'emplois. Mais les comparaisons internationales montrent que nos performances n'ont rien d'exceptionnel en ce qui concerne le taux de croissance, ni en ce qui concerne celui de réduction du chômage.

En même temps - beaucoup l'ont souligné - l'exclusion augmente. Parmi ceux qui étaient au bord de la route, certains ont retrouvé un emploi mais beaucoup d'autres sont maintenant très proches du fossé.

C'est le paradoxe de cette croissance qui est, certes, soutenue - et nous nous en réjouissons - par l'innovation technologique mondiale, les technologies de l'information, et par l'existence de l'euro, mais qui profite aussi de deux avantages, un peu curieux et dont l'un est déterminant : la dévaluation de fait de 25 % de l'euro, qui dope nos exportations et crée une sorte de droit de douane sur nos importations, et le niveau qui reste, heureusement, historiquement bas des taux d'intérêt, montrant que le combat mené par les précédents gouvernements pour la qualification de l'euro a porté ses fruits.

Monsieur le ministre, on pourrait vous soupçonner de sous-évaluer, encore une fois - je pense aussi à vos prédécesseurs -, les performances futures, en 2000 même, de l'économie française.

Je conçois que vous vouliez, vis-à-vis de votre majorité, éviter un débat sur la répartition des fruits de la croissance, sur la cagnotte, que vous rebaptisez « le surplus ».

Nous pensons que ce débat, nous l'aurons finalement de nouveau à la fin 2000.

Quant à vos évaluations, elles nous paraissent timides.

Pour 2000, le collectif prévoit 3,6 % de croissance, certains experts plutôt 4,2 % ; pour 2001, alors que l'OFCE avance le chiffre de 3,8 %, vous venez de confirmer celui de 3 %. Je sais bien que ce ne sont que des prévisions, mais l'impression domine que vous sous-estimez les perspectives de croissance.

Ce qui est plus ennuyeux, c'est que cette croissance française est aussi un peu une croissance « à la française » : elle est fragilisée et bridée par quelques handicaps lourds.

D'abord des prélèvements obligatoires records. En 1997, votre gouvernement avait promis de les stabiliser ; ils ont augmenté de 0,1 %. En 1998, il avait promis de les baisser, ils n'ont été que stabilisés. En 1999, alors que promesse était faite de les baisser, ils ont explosé de 0,8 %, soit 196 milliards de francs.

Avec ces prélèvements obligatoires représentant 45,7 % du PIB, c'est la sphère publique qui se dilate, alors qu'elle se dégonfle à peu près dans tous les autres pays d'Europe.

Cultiver ainsi l'exception française ne peut que peser sur la croissance et l'emploi, notamment en cas de retournement de conjoncture.

Deuxième handicap : un prélèvement fiscal qui tourne - le mot est peut-être un peu fort, mais beaucoup de Français le pensent - au racket et freine la modernisation et l'initiative.

S tructurellement, vous vous en êtes certainement aperçu, le rendement de l'impôt en France augmente deux fois plus vite que le PIB : de 7,8 % en 1999, soit le double de la croissance. Je suppose que le ministère des finances s'en réjouit, mais je ne suis pas sûr que les contribuables, les classes moyennes en particulier, ne s'en inquiètent pas.

En 1999, le produit fiscal net - ce sont les chiffres de la Cour des comptes - a augmenté de 113 milliards de francs, alors que vos prédécesseurs avaient annoncé une baisse de 16 milliards de francs. Cette année-là fut un peu l'année du prélèvement le plus dur : l'impôt sur le revenu a concerné 1 300 000 contribuables de plus, ce qui constitue un record.

Les 80 milliards de baisses d'impôt promises pour 2000 sont donc loin de restituer aux Français les 113 milliards de francs que vous avez pris dans leurs poches en 1999, et qui représentent près du double de ce qui était, jusqu'à une date récente, considéré comme le record historique, celui enregistré en 1996, année où, c'est vrai, pour qualifier la France pour l'euro et réduire le déficit, les impôts avaient augmenté de 58 milliards.


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Par ailleurs, vos baisses d'impôt ont pour caractéristique de ne pas vraiment se voir, ou de réserver souvent de mauvaises surprises. Ainsi la taxe d'habitation, qui est censée baisser cette année, va augmenter, M. le rapport eur général l'a indiqué dans son rapport, pour 250 000 cohabitants. Pas de chance ! De même, la baisse de deux des tranches d'impôt sur le revenu, annoncée par M. Jospin, va certes permettre à 650 000 contribuables de ne plus y être assujettis, mais il ne faut pas oublier que l'année dernière ils étaient 1 300 000 de plus à le payer. Cela fait donc tout de même 650 000 contribuables de plus ! Quant aux plus-values fiscales, le Gouvernement nous explique depuis quelques mois qu'il s'agit du simple effet mécanique de la croissance. Pas uniquement, hélas ! C'est aussi le résultat de choix politiques anti-famille, antiépargne, anti-classes moyennes : augmentation du taux de l'IS et de l'IR, revalorisation trop faible du barème et, surtout, durcissement de l'IR avec la baisse du plafond de 16 000 à 11 000 francs par demi-part du quotient familial, ce qui rapporte à l'Etat pas loin de 9 milliards de francs de plus chaque année.

L'IR augmente de 30 milliards en 1999, record historique, alors que la réforme du gouvernement Juppé, abandonnée par votre gouvernement, l'avait fait baisser de 16 milliards en 1997.

Et puis il y a un nouveau ratio, qu'il serait bon d'officialiser, le rapport entre le supplément d'impôts par rapport à l'année précédente et le supplément de PIB. Là, on atteint un niveau historique, puisque 50 % du supplément de PIB, c'est-à-dire en fait la croissance, a été capté par des impôts levés par l'Etat.

C'est carrément décourageant pour ceux qui innovent, créent des entreprises et de la valeur, désespérant pour ce que l'on appelle parfois les locomotives de la croissance.

Cela explique pour une bonne part les délocalisations et les expatriations fiscales, sur lesquelles, d'ailleurs, règne une sorte d'opacité qu'il serait bon de lever. Nous aimerions savoir, par exemple, le nombre de « quitus fiscaux », même si ce n'est plus obligatoire, qui ont été délivrés par le ministère des finances en 1999.

Troisième handicap, le poids des dépenses publiques, qui brime la croissance et l'emploi.

Nous le savons maintenant, les pays qui ont vu leur chômage le plus baisser sont ceux qui ont réduit la dépense publique. Il y a une corrélation démontrée entre taux de chômage et niveau des dépenses publiques. Or, avec 53,4 % en 1999, la France a le taux de dépenses publiques par rapport au PIB le plus élevé d'Europe, loin devant nos grands voisins. L'Allemagne est à 46,7 %, le Royaume-Uni à 39 %, l'Espagne à 40,7 % et l'Italie à 49 %.

Le quatrième handicap, nous y reviendrons, est un déficit élevé, qui nous place en queue de l'Euroland et continue de nous endetter.

Il y a, enfin, des handicaps structurels, qui pèsent sur l'avenir de la croissance : d'une part, les insuffisances de notre compétitivité qui sont régulièrement relevées par certains instituts, et on peut imaginer que les 35 heures ne sont pas précisément un facteur de compétitivité pour l'économie française ; d'autre part, le poids de l'idéologie, qui bloque la réforme du financement des retraites.

A ce sujet, vous proposez des fonds de pension, même s'ils n'osent pas dire leur nom. Dans le jargon, on les appelle maintenant les plans partenariaux d'épargne salariale. La CGT a d'ailleurs dit hier tout le bien qu'elle en pensait. Mais, curieusement, vous les privez des attributs des vrais fonds de pension que sont les exonérations d'impôt et de charges sociales sur les versements ainsi que la sortie en rente. La semaine dernière, on pouvait choisir entre la rente et la sortie en capital et puis, il y a quelques jours, vous avez annoncé qu'il n'y aurait pas de sortie en rente. Je voudrais connaître la doctrine du Gouvernement sur ce point.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Hors sujet.

M. François d'Aubert.

On retrouve aussi un brin d'idéologie dans le système de taxation des stocks-options que vous avez imaginé. Il est vrai que les taxes étaient trop élevées.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Hors sujet.

M. François d'Aubert.

M. Strauss-Kahn voulait les diminuer. Elles sont augmentées.

Le poids de l'idéologie bloque aussi ce qui peut donner de l'air aux entreprises publiques ou à celles qui ont déjà mis une partie de leur capital dans le privé. Nous souhaitons, nous, aller plus loin dans les privatisations et les dérégulations. Ainsi, France Télécom a besoin de 500 milliards de francs au moins pour rester compétitif, pour être un acteur mondial, en rachetant par exemple l'opérateur anglais Orange.

Lors de ce débat d'orientation budgétaire, vous nous avez dit des choses finalement très vagues, qui donnent l'impression que la doctrine budgétaire et fiscale du Gouvernement est très floue, contrairement à ce qu'on peut observer en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux EtatsUnis, où des choix précis sont annoncés. On ne cherche pas à ménager la chèvre socialiste et le chou libéral, si je puis m'exprimer ainsi.

En France, il y a une sorte d'esprit de catalogue. On ne trouve pas de véritable logique dans les diverses baisses d'impôts qui ont eu lieu depuis trois ans. On voit mal le cadrage fiscal.

Vous avez annoncé, c'est vrai, des mesures en faveur de la transparence. On ne peut que s'en féliciter.

M. Patrick Lemasle.

Oui ! Ça change !

M. François d'Aubert.

Je ne voudrais pas faire d'ironie mais, si je comprends bien, le budget 2000 est en fait le dernier budget opaque de l'histoire budgétaire...

M. Jean-Louis Idiart.

Et vous, qu'avez-vous fait ?

M. François d'Aubert.

... puisqu'il n'a pas les douze qualités qui seront celles du budget 2001.

Pour 2001, trois questions se posent : quel niveau de recettes permettra la croissance, quel niveau de dépenses vous imposera votre majorité et quel niveau de déficit vous autorisera Bruxelles ? En ce qui concerne le niveau des recettes, des baisses d'impôt sont nécessaires, mais je vous ai trouvé tout à l'heure bien discret, peu allant, sur le sujet. Le propos est vague. On n'a pas l'impression qu'il y a là une véritable volonté politique de votre part.

Or la France souffre de surfiscalisation, nous cumulons à peu près tous les maxima fiscaux, sur les personnes - impôt sur le revenu, impôt sur l'héritage, ISF, plusvalues - ou sur les sociétés : IS, contribution sur les bénéfices, etc.

Quelles sont donc les priorités pour les réductions d'impôt ? A nouvelle économie, nouvelle fiscalité favorisant la reprise du travail, la création de valeur, l'innovation.

Notre priorité, à Démocratie libérale, va à la baisse et à la restructuration de l'impôt sur le revenu. Structurellement, il faut un impôt à deux étages, avec fusion de la


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CSG et de l'IR et retenue à la source. Il faut par ailleurs a baisser le taux marginal, diminuer le nombre de tranches, revaloriser correctement les tranches en fonction de la croissance du PIB. L'impôt sur le revenu doit baisser pour tous, je le dis très clairement, y compris pour les tranches les plus élevées, pour éviter les délocalisations.

Il faut aussi essayer de lutter contre ces trappes à inactivité dont vous avez parlé fort justement tout à l'heure, et là, nous proposons une solution un peu différente, qui est celle d'un impôt négatif par le biais de l'instauration d'une allocation différentielle qui favoriserait le retour au travail.

Je cite pour mémoire l'indispensable suppression de la redevance télévision...

M. Dominique Baert.

C'est le seul point sur lequel je suis d'accord avec vous !

M. François d'Aubert.

... qui, bientôt, n'aura plus de sens dès lors qu'on pourra avoir sur le même écran Internet et des émissions de télévision. Vous n'allez tout de même pas taxer des gens avec la redevance sous prétexte qu'ils ont Internet chez eux ! Pour le niveau de dépenses, il y a une règle très claire : les baisses d'impôt ne sont crédibles que si elles s'accompagnent d'une baisse des dépenses publiques.

Cette baisse des dépenses se justifie par le niveau élevé du déficit public par rapport au reste de l'Euroland et par les recommandations de Bruxelles qui sont à ce sujet très claires : « prendre promptement des mesures pour corriger tout écart significatif par rapport aux cibles de dépenses fixées par secteur ». La France, on le voit, est plutôt mal notée à Bruxelles.

Avec une certaine audace, monsieur le ministre, vous avez parlé de constance dans la maîtrise de la dépense publique. Ce serait plutôt la constance dans l'écart entre la prévision et l'exécution. Vous me direz que ce n'est pas nouveau, mais cela prend une ampleur particulière.

Non seulement la France ne parvient pas à baisser ses dépenses publiques, mais elle ne maîtrise pas leur augmentation.

Les dépenses de l'Etat ont progressé de 2,8 % en volume en 1999, contre 1 % annoncé, et je vois mal comment vous réussiriez le gel annoncé de la dépense en 2000 alors que le coût du financement des 35 heures et de la CMU va monter en régime et sera beaucoup plus important en 2001, alors que, année électorale oblige, l'année prochaine, un nouvel accord de salaires de la fonction publique sera évidemment signé, se traduisant inéluctablement par une augmentation qui concernera plus de 40 % de la dépense de l'Etat, alors que les effectifs de la fonction publique vont encore augmenter, alors que vous n'hésitez pas à utiliser les prélèvements sur recettes - c'est une tradition mais, dans une optique de transparence, il serait bon également de régler ce problème parce que ce sont des dépenses supplémentaires qui doivent s'ajouter au budget de l'Etat -, et alors que les prétendus redéploiements internes à 30 milliards par an n'ont ni réalité, ni consistance.

Et puis, il est peut-être un peu présomptueux d'annoncer que la part de la dépense publique dans le PIB aura baissé de 2,1 points en 2001, mieux que huit de nos dix partenaires de la zone euro. C'est vraiment une prévision qui nous semble très optimiste.

Alors, où faire des économies ? C'est la vraie question.

On peut les trouver dans le train de vie de l'Etat, dans la suppression de certains organismes administratifs, dans les administrations centrales, en supprimant des directions inutiles.

Troisième point, la réduction du déficit et de l'endettement.

Il faut effectivement poursuivre la réduction du déficit mais, pour nous, la baisse des impôts est prioritaire.

Vous aviez dit, dans une interview célèbre maintenant au journal Les Echos, vouloir poursuivre la baisse des déficits au même rythme que depuis 1997, mais ce n'est pas très exigeant : depuis 1997, le déficit a baissé de 1,7 point de PIB alors qu'il avait baissé de 2,5 points entre 1993 et 1997. Il est vrai qu'il fallait se qualifier pour l'euro.

Il faudrait, logiquement, que le déficit de 2001 soit nettement inférieur à celui de 2000, lui-même inférieur à celui de 1999. C'est loin d'être acquis.

En réalité, une baisse du déficit compatible avec une forte réduction d'impôt passe non seulement par une baisse en volume de la dépense publique mais par un désendettement de l'Etat, non seulement parce que, en termes européens, la cote d'alerte a été atteinte l'an dernier, mais aussi parce que le service de la dette représente encore quelque 230 milliards de francs, comme vous l'avez dit tout à l'heure.

Deux ressources exceptionnelles permettraient d'alléger l'endettement de l'Etat.

M. le président.

Je vous prie de conclure, monsieur d'Aubert.

M. François d'Aubert.

Je termine, monsieur le président.

La première, ce sont les cessions de participation de l'Etat, lesquelles représentaient le 4 mars 2000 - c'est vrai que la date est favorable, c'était le sommet boursier 1 100 milliards de francs : France Télécom, 898 milliards ; Thomson multimédia, 61 milliards, etc. Ces 1 100 milliards - mettons aujourd'hui 1 000 - représentent un cinquième de la dette publique. Cela permettrait une baisse d'environ 20 % du service de la dette, c'est-à-dire une p etite cinquantaine de milliards de francs. C'est considérable.

Il y a une seconde ressource exceptionnelle, la mise aux enchères des licences UMTS de la troisième génération de téléphones mobiles, et là, nous ne sommes pas d'accord avec votre proposition d'abonder le fonds de retraite. Il me semble d'ailleurs que M. Jospin a annoncé 1 000 milliards un peu au hasard il y a quelques semaines. Je ne vois pas comment les quelque 100 ou 150 milliards que pourrait rapporter la mise aux enchères pourraient effectivement abonder suffisamment ce fonds.

Il faut que vous nous disiez comment cela marchera.

Nous disons non à une procédure mixte telle qu'elle a l'air d'être envisagée par votre majorité. Cette espèce d'adjudication encadrée, une exception française de plus, n'a aucun sens et cumulerait les inconvénients des deux systèmes, c'est-à-dire d'une vraie adjudication ou du concours de beauté.

Il faut établir, en revanche, un cahier des charges précis. La justification de la mise aux enchères ne doit pas être uniquement budgétaire, même si cela peut servir, mais doit correspondre à la mise sur le marché d'un produit rare. Quant à ce que cela rapportera à l'Etat, il vaudrait mieux l'affecter au produit du remboursement de la dette de la CADES et supprimer en même temps la CRDS.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 MAI 2000

Voilà, monsieur le ministre, quelques propositions et, en même temps, c'est vrai, quelques doutes, sur vos évaluations de croissance, sur votre réelle volonté de baisser les impôts, de maîtriser la dépense publique et même de baisser le déficit, ce qui veut dire très simplement que le groupe Démocratie libérale n'approuve pas ces orientations budgétaires.

M. Pierre Méhaignerie.

Très bien !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Ce n'est pas surprenant !

M. le président.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique : Suite du débat d'orientation budgétaire pour 2001.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT