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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

1. Questions au Gouvernement (p. 5325).

INSÉCURITÉ DANS LES TRANSPORTS PUBLICS (p. 5325)

MM. Jean Besson, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur ; le président.

POLITIQUE ÉTRANGÈRE DE LA FRANCE (p. 5326)

MM. René André, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

SITUATION DES INFIRMIÈRES LIBÉRALES (p. 5327)

M. André Schneider, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

TRANSPOSITION DE DIRECTIVES EUROPÉENNES (p. 5327)

MM. François Goulard, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

MESURE DES RAYONNEMENTS RADIOACTIFS (p. 5328)

M. Jacques Desallangre, Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

SERVICE PUBLIC DE LA POSTE (p. 5329)

MM. Jean-Michel Marchand, Christiant Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

DROITS DES FEMMES (p. 5330)

Mmes Raymonde Le Texier, Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

BUDGET DE LA CULTURE (p. 5330)

M. Marcel Rogemont, Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication.

SOINS INFIRMIERS À DOMICILE (p. 5331)

Mmes Odette Trupin, Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

DISCRIMINATION DANS L'ACCÈS AUX STAGES EN ENTREPRISE (p. 5332)

Mme Cécile Helle, M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel.

EFFET DES 35 HEURES (p. 5333)

M. Léonce Deprez, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

NÉGOCIATIONS COLLECTIVES (p. 5334)

M. Renaud Dutreil, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

DROITS DES FEMMES (p. 5335)

Mmes Janine Jambu, Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Suspension et reprise de la séance (p. 5336)

2. Quinquennat. - Discussion d'un projet de loi constitutionnelle (p. 5336).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Gérard Gouzes, rapporteur de la commission des lois.

3. Rappel au règlement (p. 5342).

MM. Jacques Brunhes, le président.

4. Quinquennat. - Reprise de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle (p. 5342).

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

5. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 5344).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

M. le président.

Mes chers collègues, je vous rappelle que nous accueillerons M. Abdelaziz Bouteflika, Président de la République algérienne démocratique et populaire, dans l'hémicycle à dix-sept heures quinze.

Je vous demande donc de regagner vos places, après la suspension de séance qui suivra les questions au Gouvernement, à dix-sept heures cinq au plus tard.

A l'issue de la réception donnée en l'honneur de M. Bouteflika dans les salons de la Présidence, la séance sera reprise vers dix-huit heures trente.

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par les questions du groupe du Rassemblement pour la République.

INSÉCURITÉ DANS LES TRANSPORTS PUBLICS

M. le président.

La parole est à M. Jean Besson.

M. Jean Besson.

Monsieur le ministre de l'intérieur, je tiens d'abord à vous dire que, après les propos malheureux et très regrettables que vous avez tenus la semaine dernière en répondant à une question de Michel Terrot, je n'ai pas manqué de rassurer la famille et les collègues du gendarme Yannick Redon sur le véritable état de santé de celui-ci. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous aviez annoncé son décès. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

En fait, il a subi une intervention chirurgicale de huit heures et son état de santé semble évoluer normalement. Je suis sûr que nous sommes unanimes sur ces bancs pour lui souhaiter un total rétablissement. (Applaudissements sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Monsieur le ministre, trois ans après l'annonce du plan gouvernemental de lutte contre l'insécurité et malgré vos très nombreuses déclarations, vous ne parvenez pas à faire croire aux Françaises et aux Français que l'insécurité dans les transports publics diminue. Simplement parce que c'est faux ! Il n'y a pas un jour sans qu'un fait divers, trop souvent dramatique, ne se produise dans nos villes.

L'insécurité augmente et porte du même coup gravement atteinte au bon fonctionnement des services publics.

Un rapport récent de l'union des transports publics révèle d'ailleurs cette augmentation préoccupante. Les principales victimes sont, bien sûr, les conducteurs et les contrôleurs, qui sont plus exposés que les autres à la violence. Le nombre des agressions a progressé en 1999 : 764 contre 733 en 1998, soit plus de deux agressions par jour, lesquelles ont été suivies d'un arrêt de travail.

La gravité des agressions augmente aussi. Le nombre moyen de jours d'arrêt de travail par agression est passé de 20,2 jours en 1997 à 26,5 en 1999.

Les agressions commises à l'encontre des voyageurs restent également très préoccupantes : 2 426 cas d'agressions ont été signalés l'an dernier.

M. le président.

Monsieur Besson, pouvez-vous en venir à votre question ?

M. Jean Besson.

Les moyens mis en oeuvre sont, bien évidemment, insuffisants. Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour que le droit à la sécurité de nos concitoyens soit enfin assuré ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur.

Monsieur le député, il arrive parfois que le vacarme qui couvre les interventions puisse aboutir à une mauvaise compréhension de celles-ci.

C'est ce qui m'est arrivé et j'ai cru, bien que suivant de près l'état de santé du gendarme Redon, à une issue fatale.

Bien entendu, j'ai écrit à Mme Redon pour lui dire combien je regrettais d'avoir commis cette erreur, que je trouve que vous exploitez sans élégance. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Je suis très heureux que le gendarme Redon soit toujours vivant. Je forme des voeux ardents pour son rétablissement.

Au passage, j'indique à la représentation nationale que, chaque année, des milliers de policiers et de gendarmes sont blessés en service et des dizaines paient de leur vie l'accomplissement de leur devoir. Je ne l'oublie jamais.

Chaque fois que je suis confronté à des situations difficiles, je garde à l'esprit le caractère très rude et très ingra t de la tâche qui incombe aux forces de l'ordre.

Vous posez une question sur l'insécurité dans les transports en commun. J'ai eu l'occasion à plusieurs reprises, et il n'y a pas très longtemps encore, d'indiquer les dispositions qui ont été prises en la matière.

Je rappelle que j'ai présenté récemment un projet de loi à ce sujet devant le conseil des ministres. Ce texte autorise la SNCF et la RATP à disposer de services de sécurité. Il définit la mission de ces services de façon extensive et précise les conditions dans lesquelles elless'exercent. Il précise également les conditions dans


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

lesquelles le port de la tenue peut être autorisée ou, au contraire, soumis à dispense. Il prévoit enfin dans quels cas le port d'armes peut être accordé.

J'ajoute que deux décrets sont en préparation. Ils portent, d'une part, sur le relevé d'identité et, d'autre part, sur l'armement des services internes de sécurité de ces deux entreprises.

La direction de la sécurité publique et la police de l'air et des frontières multiplient les actions dans les transports en commun pour enrayer la montée d'une violence qui est très réelle, dont les causes sont multiples et dont nous savons cependant tous qu'elle ne sera pas seulement réglée par les services de police et de gendarmerie.

Je suis choqué, monsieur le député, par votre intervention, comme je l'avais été par celle d'un de vos collègues élu également dans le Rhône. En effet, dans ce département, la politique menée en matière de sécurité, notamment par la police de proximité, a enregistré des succès particulièrement remarquables, puisque, en 1999, la délinquance de voie publique, celle dont souffrent le plus nos concitoyens a baissé de 12,4 % (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

M. Lucien Degauchy.

Allez dire ça aux victimes !

M. le ministre de l'intérieur.

... et que cette tendance se confirme pour les quatre premiers mois de l'an 2000 : la baisse est de 19 %. On observe que l'action des services de police dans votre département porte ses fruits. Par exemple, les résultats en matière de trafic de stupéfiants sont en amélioration de 27 %. De même, la délinquance des mineurs est en baisse de 3 % dans le département du Rhône et de 6,3 % dans la circonscription de Lyon.

M. Jean Ueberschlag.

Ça n'a rien à voir !

M. le ministre de l'intérieur.

Je vous donne tous ces résultats pour montrer que vous paraissez chercher à tirer profit de ce qui irait mal dans ce pays.

Quant à nous, qui nous efforçons de faire que ça aille mieux, nous continuerons à oeuvrer en ce sens, même si vous devez ne pas vous sentir bien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

Monsieur Besson, je vous le dis calmement, mais fermement, parce que je suis responsable de la tenue des débats, la politique et la liberté de parole permettent beaucoup, mais elles n'autorisent pas tout.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Louis Debré.

Il y a quinze jours, vous n'avez pas interrompu M. Mamère, monsieur le président !

M. Bernard Accoyer.

Censure !

POLITIQUE ÉTRANGÈRE DE LA FRANCE

M. le président.

La parole est à M. René André.

M. René André.

Monsieur le Premier ministre, en politique étrangère, on attend de la France - et donc du Gouvernement - qu'elle s'exprime d'une seule voix, claire et responsable. Or, au lieu de cela, c'est une véritable cacophonie que nous entendons, non seulement au sein de la majorité, mais, hélas, ce qui est plus grave, au sein de votre gouvernement.

Je puis vous citer plusieurs exemples. Alors que, aujourd'hui, M. Bouteflika, Président de l'Algérie, est en visite d'Etat en France et que nous allons le recevoir dans quelques instants au sein de notre assemblée, un groupe de votre majorité appelle à boycotter sa venue.

Hier, c'était votre ministre de l'intérieur qui vous mettait dans l'embarras, et, avec vous, la France, en donnant à penser qu'il s'en prenait à l'Allemagne.

Il y a fort peu de temps, c'était M. Mélenchon, l'un de vos ministres, qui, après avoir attaqué sévèrement M. Poutine, Président de la Russie, s'en prenait au Premier ministre anglais, M. Blair, dont il disait qu'« il est lamentable » et « domestiqué par le fric ».

M. Jean-Pierre Brard.

C'est pourtant vrai !

M. René André.

Enfin, ce matin - et ce n'est pas le moindre -, le président du groupe socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) critiquait la présence de M. le Président de la République à Damas,...

Mme Nicole Bricq.

Il a raison !

M. René André.

... alors qu'il avait à ses côtés votre ministre des affaires étrangères. Cependant que vos alliés communistes disaient, eux, approuver cette présence.

Faut-il rappeler, monsieur le Premier ministre, que, en se rendant à Damas, M. le Président de la République non seulement tentait d'atténuer les conséquences malheureuses de votre voyage au Moyen-Orient (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.- Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), mais, encore, s'inscrivait avec force dans la continuité de la politique de la France dans la région où des liens étroits, confiants, entre le Liban, la Syrie et la France sont si importants pour l'équilibre de cette région ?

Mme Nicole Bricq.

Et que faites-vous de l'assassinat de notre ambassadeur au Liban ?

M. René André.

Monsieur le Premier ministre, vous conviendrez avec moi que nos alliés allemands et anglais, ainsi que nos partenaires russes, algériens et syriens sont de bonne composition pour ne pas réagir plus qu'ils ne le font.

Que comptez-vous faire pour mettre fin à cette cacophonie, sauf à laisser penser que certains points de vue gouvernementaux seraient de peu de poids, pour ne pas dire inconséquents ?

Mme Martine David.

Et la cacophonie de l'opposition ?

M. René André.

Ne pensez-vous pas que le moment est venu de rappeler, non seulement aux membres de votre majorité, mais aussi à ceux de votre gouvernement, quelle est la politique étrangère de la France ? (Applaudissementss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, vous vous posez une question que personne au monde ne se pose.

(Exclamations sur les bancs


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Philippe Auberger.

Si, lui !

M. le ministre des affaires étrangères.

Sauf vous sans doute, puisque vous l'avez posée. Et j'imagine que vous vous la posez réellement.

Aucun interlocuteur de la France dans le monde n'a le moindre doute : tous connaissent la France, sa démocratie, la vitalité de son débat politique. Ils peuvent comprendre les nuances et les richesses de la majorité plurielle et du Gouvernement.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.- Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Cabal.

Comique !

M. le ministre des affaires étrangères.

Certains d'entres eux vont même jusqu'à tenter de comprendre l'extraordinaire diversité des positions de l'opposition sur ce sujet, voire sa cacophonie.

(Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Bernard Accoyer.

Baratin !

M. le ministre des affaires étrangères.

Mais dans tous les cas, nulle part il n'y a un doute : tous savent que la politique étrangère de la France est claire, que ses objectifs sont nets et qu'elle est conduite de façon cohérente.

Aucun des partenaires de la France n'en doute un instant.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean Ueberschlag.

Langue de bois !

SITUATION DES INFIRMIÈRES LIBÉRALES

M. le président.

La parole est à M. André Schneider, pour poser une question qui sera courte car son groupe ne dispose plus que de deux minutes.

M. André Schneider.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, les infirmières libérales sont inquiètes pour leur avenir car elles ont de plus en plus de mal à vivre de leur métier, et tous les Français en sont conscients.

En effet, l'heure de soins infirmiers s'élève en moyenne à quatre-vingt-cinq francs, dont il faut retirer 40 % de charges, ce qui ne fait que cinquante francs nets de l'heure. Et ce après quatre années d'études post-bac et trois ans d'expérience professionnelle ! Madame la ministre, les infirmières libérales ont un rôle social irremplaçable, ne l'oublions pas.

Disponibles, dévouées, efficaces et présentes auprès des personnes âgées ou handicapées, elles éprouvent de plus en plus de difficultés à vivre dignement.

A la limitation du nombre de leurs actes, qui les conduit en fin d'année à refuser des demandes de soins ou des déplacements à domicile, s'ajoute votre projet relatif aux soins infirmiers en cours d'élaboration qui va encore restreindre leur champ d'activité en limitant leurs interventions auprès des personnes dépendantes, âgées ou handicapées, que ce soit en établissement ou à domicile.

Madame la ministre, ce projet est particulièrement inquiétant pour les infirmiers et infirmières libéraux qui vont manifester le 22 juin prochain. Envisagez-vous de tenir compte de leur avis et de revoir ce projet ? Si oui, comment ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, nous allons effectivement développer les services infirmiers à domicile pour les personnes âgées. Je m'étonne que vous puissiez vous inquiéter d'un tel projet car nous savons bien que pour permettre aux personnes âgées de rester à domicile le plus longtemps possible - et c'est ce que souhaitent la grande majorité d'entre elles -, il faut développer les services de soins infirmiers à domicile pour personnes âgées, les fameux SIAD.

Le Gouvernement a donc élaboré un projet pour développer les SIAD. Sa mise en oeuvre s'étalera sur cinq ans pour un coût de 1,5 milliard.

Je crois qu'il ne faut pas mettre les SIAD et les infirmières libérales en concurrence. Ces dernières ont un rôle majeur à jouer, notamment dans le cadre de l'hospitalisation à domicile, que nous développons, ou de ceux du traitement des maladies chroniques et des soins apportés aux malades et aux personnes âgées - celles-ci ont d'ailleurs recours aux infirmières libérales.

Il ne s'agit pas d'envisager cela comme un problème de concurrence. Ce qu'il faut, c'est que nous soyons capables de faire en sorte que nos concitoyens, lorsqu'ils sont malades ou lorsqu'ils sont âgés, puissent le plus souvent possible rester à leur domicile.

Le second problème que vous évoquez est celui du coût de l'heure de soins infirmiers et des revenus des infirmières libérales. Je partage votre point de vue : actuellement, cette profession est confrontée à des difficultés, alors qu'elle remplit un rôle extrêmement utile et que ses horaires d'exercice sont souvent très difficiles.

Nous devons donc voir comment revaloriser la profession d'infirmière libérale et les rémunérations afférentes si nous voulons continuer à avoir des infirmières aussi professionnelles que celles que nous avons actuellement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons à une question du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

TRANSPOSITION DE DIRECTIVES EUROPÉENNES

M. le président.

La parole est à M. François Goulard.

M. François Goulard.

Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, notre pays vient de faire l'objet d'une deuxième mise en demeure de la part de la Commission européenne à propos de la directive sur l'ouverture du marché de l'électricité.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

La première mise en demeure portait sur votre retard à procéder à cette transposition dans notre droit interne.

La seconde tient au contenu même de la loi.

Lors de l'examen du projet de loi, l'opposition avait dit que vous ne procédiez pas à une transposition loyale de la directive européenne. Aujourd'hui, la Commission européenne lui donne raison.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

Quelles sont les conséquences d'une telle décision pour notre pays ? La première conséquence, c'est qu'il est vraiment regrettable, au moment où la France s'apprête à exercer la présidence de l'Union, de constater que nous sommes, avec la Grèce, le mauvais élève de l'Europe en matière de transposition de directives. Sur le plan diplomatique, cela ne nous place pas dans une position favorable.

M. Jean-Claude Lefort.

Et la directive sur les oiseaux ?

M. François Goulard.

D'autre part, vous menez un combat d'arrière-garde dans tous les grands domaines que l'Europe a décidé d'ouvrir à la concurrence. C'est vrai des télécommunications, où le dossier de la boucle locale est retardé, c'est vrai de l'électricité, c'est vrai du gaz, c'est vrai du courrier. En prétendant protéger les grandes entreprises publiques concernées, vous les affaiblissez en fait. Il vaudrait beaucoup mieux que, dès aujourd'hui, EDF affronte loyalement la concurrence sur le territoire n ational puisqu'elle y sera en tout état de cause contrainte.

Ne négligeons pas non plus le fait que les consommateurs ont tout à y gagner (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), comme le montre l'exemple du téléphone, où la concurrence fait baisser les prix chaque jour davantage.

Au-delà des difficultés que vous pouvez avoir avec certains éléments de votre majorité (Exclamations sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert), vous êtes-vous décidé à vous conformer au traité européen et donc à modifier la loi que nous venons d'adopter ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, nous nous efforçons évidemment de rattraper le retard dans les transpositions, que nous avons trouvé lors de la formation du gouvernement de M. Jospin.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) S'agissant de la transposition à laquelle vous avez fait allusion, nous n'avons pas encore reçu de la Commission le courrier dont vous avez parlé. Néanmoins, je crois savoir, d'après les informations qui sont en ma possession, qu'il serait reproché à la loi de fixer une durée minimale de trois ans pour les contrats de fourniture d'électricité.

Je rappelle, comme il ressort du débat qui a eu lieu ici même, qu'il s'agit d'un simple cadre général qui fixe la liberté contractuelle de négociation, laquelle est totale à l'intérieur de ce cadre, conformément à nos lois et aux directives européennes.

Cette durée minimale avait été jugée nécessaire par l'Assemblée nationale pour éviter un comportement trop volatile, qui découragerait l'investissement et gênerait la mise en oeuvre des objectifs à long terme, par ailleurs prévus par la loi du 10 février 2000, en matière de politique énergétique. Nonobstant la poursuite de cet objectif, une certaine latitude a été laissée aux cocontractants en ce qui concerne la fourniture d'électricité, ce que vous devez savoir puisque vous avez participé personnellement au débat dans cet hémicycle.

La rédaction de l'article 22 de la loi du 10 février 2000 me paraît susceptible de lever les interrogations de la Commission en ce qui concerne la libre circulation de l'électricité au profit des clients éligibles à la concurrence.

M. Dominique Dord.

Répondez à la question !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Il s'agit pour nous de satisfaire trois objectifs : concilier investissement et modernisation sociale et économique de notre secteur électrique ; concilier la structure du service public, la concurrence et l'ouverture du marché intérieur de l'électricité ;...

M. Franck Borotra.

Bla-bla-bla !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... concilier la tradition française du service public, du secteur public, et l'application sans ambiguïté et en toute loyauté des directives européennes, ...

M. Franck Borotra.

Langue de bois !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... pour laquelle nous avons pris des engagements et à laquelle nous travaillons avec rapidité et précision. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe Radical, Citoyen et Vert.

MESURE DES RAYONNEMENTS RADIOACTIFS

M. le président.

La parole et à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre.

Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Madame la ministre, la France est dotée d'une puissante industrie nucléaire civile, qui lui assure une indépendance énergétique d'autant plus précieuse qu'à terme charbon et pétrole sont menacés de tarissement.

Cette énergie nucléaire, qui ne produit aucune pollution atmosphérique, doit naturellement être maîtrisée pour maintenir à zéro les risques de catastrophes telles que celles qui ont eu lieu dans des pays technologiquement moins avancés que le nôtre.

Afin d'éviter les craintes légitimes qui accompagnent l'usage de sources de rayonnement, il est indispensable de disposer d'une unité de mesure incontestable qui permette d'éviter des peurs irraisonnées ou des politiques inutiles. C'est ce que propose notre prix Nobel de physique, Georges Charpak, qui s'exprime en ces termes :

« L'irradiation de notre corps par les éléments radioactifs naturels qui sont présents dans nos tissus me semble un étalon parfait pour apprécier la nuisance de sources radioactives artificielles. Je propose donc d'introduire une nouvelle unité d'irradiation, qui permettra aisément d'évaluer la gravité de tout accident donnant lieu à une contamination. Cette unité est le DARI - dose annuelle due aux radiations internes. »

Madame la ministre, dans le cadre des réflexions du Gouvernement sur la transparence en matière nucléaire, allez-vous retenir le DARI comme unité de mesure, ce qui, comme le dit George Charpak en conclusion, éliminerait totalement les problèmes nés d'incidents surmédiatisés, sans proportion avec leur impact réel sur la santé publique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs du groupe socialiste et du groupe du Rassemblement pour la République.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Monsieur le député, vous avez affirmé que l'énergie nucléaire ne produisait aucune pollution atmosphérique. Vous faisiez sans doute allusion à l'absence de contribution du nucléaire à l'effet de serre.

Mais l'industrie nucléaire rejette bien des produits radioa ctifs dans l'atmosphère. Ces émissions sont, bien entendu, strictement encadrées par les autorisations délivrées par l'autorité administrative, au titre de la réglementation sur les installations nucléaires de base.

Vous avez évoqué des catastrophes qui auraient eu lieu dans des pays technologiquement moins avancés que le nôtre. On ne peut certes pas qualifier l'incident de Tokaimura, au Japon, de catastrophe et celui de Three Miles Island, aux Etats-Unis, se rapprochait davantage de la définition. Ce ne sont pas des incidents mineurs. Ils invitent en tout cas, y compris dans les pays à très haut niveau de technologie,...

M. Bernard Accoyer.

Répondez à la question ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

... à maintenir un très haut niveau de vigilance et à renforcer nos efforts en matière de radioprotection et de sûreté.

M. Bernard Accoyer.

Répondez à la question ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Les unités de mesure des sources der ayonnement sont définies sur des bases physiques incontestables et internationalement acceptées. L'échelle INES, graduée de 1 à 7, permet d'appréhender quant à elle la gravité d'incidents et d'accidents. M. Charpak propose de définir une nouvelle échelle relative aux effets des radiations ionisantes, qui prenne en compte et la radioactivité naturelle et la radioactivité artificielle.

Il paraît, à ce stade, prématuré de formuler un avis sur la crédibilité de cet indice. J'ai suggéré à M. Charpak, après présentation de sa proposition à la section « radioprotection » du Conseil supérieur d'hygiène publique de France, de saisir l'Institut de protection et de sûreté nucléaire ainsi que le Conseil supérieur de la sûreté et de l'information nucléaire. Ces institutions seront le mieux à même de donner un avis sur l'utilité et la crédibilité de cet indice et sur la possibilité de s'en servir pour communiquer avec une population qui ne peut pas se contenter d'un simple indice mais qui a besoin pour se rassurer d'une stratégie cohérente, construite, maintenue dans la durée, d'attachement à la sûreté en matière de nucléaire.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

SERVICE PUBLIC DE LA POSTE

M. le président.

La parole est à M. Jean-Michel Marchand.

M. Jean-Michel Marchand.

Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le secrétaire d'Etat, le service public de L a Poste suscite de grandes inquiétudes chez les 300 000 postiers, mais aussi dans la population avec l'ouverture du marché postal à la concurrence. Vous avez déjà eu l'occasion de vous exprimer sur ce sujet.

Il suscite tout autant d'inquiétudes quant à sa réorganisation, et la présence postale sur l'ensemble du territoire ne manque pas de faire s'interroger les élus.

Au mois de juin 1998, l'Etat et La Poste signaient un contrat de plan fixant les objectifs à atteindre pour la période 1998-2001 - « objectifs ambitieux », était-il précisé

« pour les usagers, les personnels et l'entreprise ». Mais qu'en est-il exactement ? Si chacun reconnaît la nécessité de réorganiser ce grand service public, on doit bien reconnaître aussi qu'en bien des endroits la méthode utilisée et les raisons avancées ne doivent rien aux directives européennes.

En Maine-et-Loire comme dans bien d'autres départements, la concertation avec les élus se résume trop souvent à l'annonce de réduction des horaires d'ouverture des bureaux « sous prétexte » - et j'insiste sur ces termes -

« de réduction du temps de travail ».

Faut-il rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat, que là n'est pas le sens que nous avons voulu donner à la loi sur les 35 heures ? Faut-il rappeler aussi que, dans nombre de communes rurales, ce sont les mairies qui hébergent les bureaux de poste ? Aujourd'hui, la priorité est à l'aménagement du territoire avec les lois Voynet et Chevènement. Or, après les menaces pesant sur les gendarmeries, les perceptions, les douanes, parfois les écoles et, maintenant, sur les bureaux de poste, beaucoup ont le sentiment qu'on « déménage » le territoire.

M. Michel Bouvard.

C'est ça, la gauche !

M. Jean-Michel Marchand.

Vous avez compris, monsieur le secrétaire d'Etat, que les élus locaux ont besoin d'assurances quant à la place des services publics. Pouvezvous leur garantir que les services publics demeurent des outils essentiels d'aménagement du territoire, les assurer qu'il y aura égalité de traitement des citoyens sur l'ensemble du territoire national et leur confirmer que les services publics demeurent des atouts indispensables à un développement durable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, je puis vous confirmer de la manière la plus nette que le service public postal demeure un élément central de la cohésion sociale et territoriale du pays.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Maurice Leroy.

Voilà qui est très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Je vous remercie d'approuver cette démarche.

M. Yves Nicolin.

C'est du baratin !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Un chiffre prouve ce que je viens de dire : aujourd'hui, ce sont 150 000 postiers environ qui sont passés aux 35 heures. C'est là un élément décisif de la marche vers l'aménagement et la réduction du temps de travail.

Notre politique se résume à quelques points essentiels.

Premier point : le refus du « tout-libéral » voulu par certains au sein de la Commission européenne car celui-ci mettrait gravement en cause la présence postale territoriale, à laquelle vous êtes rattaché. Il faut une poste au service de tous, et de tous les territoires.

M. Maurice Leroy.

Voilà qui est très bien !


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M. le secrétraie d'Etat à l'industrie.

Deuxième point : le souci permanent de l'usager du service public. Au coeur du contrat de plan signé en 1998 entre La Poste et l'Etat pour la période 1998-2001 se trouve la volonté d'accroître la qualité du service avec, par exemple, l'objectif soient distribués à 85 % du courrier que J + 1, sans augmentation des tarifs, qui doivent bien entendu demeurer les mêmes sur l'ensemble du territoire au nom de la péréquation tarifaire territoriale.

M. Thierry Mariani.

M. Pierret radote !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Il s'agit d'ailleurs, mesdames et messieurs de l'opposition, d'une rupture radicale avec la période passée qui, elle, a connu une augmentation considérable du prix du timbre. (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Troisième point : l'égalité du territoire devant le service postal. La concertation doit être menée au plus près des citoyens, et c'est pourquoi j'ai créé il y a deux ans des commissions départementales de présence postale territoriale dans chaque département (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance), qui réunissent les élus, les usagers et les représentants de La Poste.

M. Thierry Mariani.

Et les syndicats ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Il s'agit d'assurer en tous points du territoire le meilleur service possible.

Vous serez donc, avec l'ensemble des élus ici présents, les maires, les conseils généraux et les conseils régionaux, associé en permanence à l'évolution d'un service qui doit toujours être au plus près des besoins des territoires.

Ainsi, le service public, une fois de plus, démontrera sa pertinence, et cela au niveau européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe socialiste.

DROITS DES FEMMES

M. le président.

La parole est à Mme Raymonde Le Texier.

Mme Raymonde Le Texier.

Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Madame la secrétaire d'Etat, la semaine dernière vous avez conduit la délégation française à la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies sur la situation des droits des femmes dans le monde, accompagnée, entre autres, de nos collègues Yvette Roudy, Martine Lignières-Cassou et Catherine Génisson.

Cinq ans après la conférence de Pékin, cette assemblée générale se devait de réaffirmer la volonté de la communauté internationale d'avancer sur le chemin de l'égalité des droits entre les hommes et les femmes.

A la fin de ce siècle, nous le savons tous, les descriminations que doivent subir les femmes dans le monde sont encore innombrables. Que ce soit en matière d'accès aux soins, d'éducation, de lutte contre les violences, publiques ou privées, de libertés individuelles, nous mesurons le chemin qui reste à parcourir. A titre d'exemple, rappelons que, dans le monde, les filles sont encore deux fois moins scolarisées que les garçons.

A quelques jours de la manifestation nationale contre les violences faites aux femmes et contre la pauvreté, qui se déroulera à Paris le 17 juin, je souhaite donc revenir sur la plate-forme signée par les pays membres de l'Organisation des Nations unies samedi dernier à New York.

Pouvez-vous, madame la secrétaire d'Etat, nous donner le sentiment du Gouvernement sur la teneur de l'accord auquel n'est parvenu ? Pouvons-nous considérer qu'au travers de cet accord la situation des femmes dans le monde devient réellement une préoccupation majeure de celles et de ceux qui ont le pouvoir de changer les choses ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Madame la députée, vous avez rappelé l'importance de la délégation française à New York, où l'Assemblée nationale était bien sûr représentée. Nous avons eu des négociations très âpres, plus âpres même qu'il y a cinq ans à Pékin, certains s'opposant à l'émancipation des femmes, d'autres trouvant insuffisant le dialogue actuel Nord-Sud. C'est pourquoi j'ai été particulièrement satisfaite que nous ayons pu nous mettre d'accord sur un document final.

Ce document final permet d'« acter » les acquis de Pékin, mais il marque aussi de réelles avancées, que l'exercice des questions au Gouvernement ne me permet pas exposer dans leurs détails. Je préciserai toutefois qu'elles concernent l'accès à la santé et aux centres de planification familiale, l'égalité dans l'éducation et la répartition des tâches entre les hommes et les femmes.

Permettez-moi un petit clin d'oeil, mesdames, messieurs les députés : si ce droit reste à construire dans les pays du tiers monde, il le reste aussi dans les pays de l'Union européenne, dont le nôtre.

(Mme Catherine Génisson applaudit.)

J'ai également pris acte avec beaucoup de plaisir du renforcement de la lutte contre les violences, publiques et privées, sur laquelle notre Gouvernement se mobilise aussi.

Enfin, je n'ai pas manqué d'évoquer notre grande loi sur la parité en politique. Je peux vous assurer qu'elle a suscité un grand intérêt.

Pour terminer, je vous dirai que, personnellement, j'ai toujours cru à la solidarité internationale et à la dynamique d'une démarche mondiale, procédant à la fois de la volonté des gouvernements et du soutien très large des associations, pour aider les femmes qui vivent encore, dans certains pays du monde, dans des conditions totalement inacceptables.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

BUDGET DE LA CULTURE

M. le président.

La parole est à M. Marcel Rogemont.

M. Marcel Rogemont.

Madame la ministre de la culture et de la communication, vous faites partie des ministres rares, très rares, trop rares, qui bénéficient de


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crédits budgétaires supplémentaires dans un collectif budgétaire. Chacun se souvient ici que nombre de vos prédécesseurs ont subi de fortes réductions de crédits lors du vote de collectifs. Je tenais donc tout d'abord à vous remercier, comme je tiens à remercier le Gouvernement et les députés qui ont voté le collectif budgétaire en première lecture et qui ne manqueront pas de le voter très prochainement à l'issue de la prochaine lecture.

C'est un signe fort que vous adressez à la culture, à l'art et aux artistes. Si les crédits supplémentaires concernent les dégâts dus à la tempête, ils concernent aussi le spectacle vivant, et c'est ce que je veux retenir, alors que, trop souvent, le spectacle vivant est décrié, au point parfois de désespérer des artistes qui, chaque jour, apportent leur réflexion, leur création à un public sans cesse plus nombreux.

(Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Ce signe fort intervient au moment où commence la saison des festivals d'été, véritable fête du spectacle vivant.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) J'ai bien compris que, de l'autre côté de l'hémicycle, le discours qui est tenu sur la culture, c'est beaucoup de bruit et peu de réflexion sur le fond ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Madame la ministre, qu'entendez-vous faire des crédits qui vous sont alloués ?

M. Bernard Accoyer.

Rien !

M. Marcel Rogemont.

Comment envisagez-vous d'approfondir la relation avec les artistes ? Quelle place voyezvous dans notre société pour les artistes, ces créateurs de l'inattendu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Un député du groupe du Rassemblement pour la République.

C'est Guignol !

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication.

Monsieur le député, vous avez raison de souligner le caractère tout à fait exceptionnel des crédits qui ont été accordés au ministère de la culture et de la communication dans le cadre du collectif budgétaire (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Le Gouvernement, ainsi que les parlementaires qui l'ont voté, ont voulu ainsi donner, dès cet exercice, un signe incontestable de notre engagement en faveur du spectacle vivant.

Vous vous posez la bonne question : quelle place voulons-nous donner à l'art et aux artistes dans notre société ? Elle mériterait de plus amples développements, mais la réponse du Gouvernement est claire : face au risque de standardisation croissant et à l'organisation mondiale d'un commerce culturel, la création, dans nos sociétés démocratiques, est une nécessité vitale.

Le sens profond de notre politique culturelle, c'est de reconnaître le rôle que jouent les artistes pour exprimer le monde, mieux le lire, le bousculer aussi, le dépasser et le transformer, au contact direct des publics et dans des lieux de rassemblement. Et il incombe aux responsables de l'action publique, au premier rang desquels on doit trouver le ministère de la culture, de rendre possible et accessible le spectacle vivant et de veiller à ce que cette création se conforte et se renouvelle.

C es crédits supplémentaires constituent une vraie chance pour mon ministère. Ils me permettent de mettre en oeuvre, dès 2000, quatre objectifs que je veux privilégier : veiller à la formation et à la solidité des métiers du spectacle ; reconstituer les marges artistiques des institutions culturelles, qui se trouvent aujourd'hui fragilisées par leurs charges de fonctionnement, et faire en sorte que l'équilibre soit maintenu ; reconnaître le travail accompli, souvent à la marge des institutions, par des équipes nouvelles, sous des formes et par des modes d'expression artistique d'un type nouveau ; enfin, prendre en compte le formidable mouvement de décentralisation culturelle, amplifié par la politique que nous avons menée à partir de 1981 et par l'extraordinaire floraison des initiatives des c ollectivités locales, avec lesquelles l'Etat se trouve souvent en partenariat - à cet effet, les deux tiers des crédits de ce collectif seront déconcentrés.

Voilà, monsieur le député, l'esprit dans lequel je compte mener ma politique à l'égard du spectacle vivant et les priorités que je me suis fixées.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

SOINS INFIRMIERS À DOMICILE

M. le président.

La parole est à Mme Odette Trupin.

Mme Odette Trupin.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, le Gouvernement souhaite favoriser le maintien des personnes âgées à domicile par des aides spécifiques. Les rapports de Jean-Pierre Sueur et de Paulette Guinchard-Kunstler, à ce titre, contiennent des propositions pertinentes.

Cependant, force est de constater que ces patients, dont l'âge et l'état de dépendance nécessitent des soins, des toilettes ou des interventions infirmières quotidiennes, rencontrent actuellement, notamment en zone rurale, des difficultés très importantes pour trouver des personnels correspondant à leurs besoins. Cela a déjà été évoqué tout à l'heure.

En raison de la limitation du nombre d'actes infirmiers et de la durée que réclament certains soins, les infirmières ne peuvent pas assurer la prise en charge régulière de ces actes. Ils sont alors accomplis, quant c'est possible, par la famille ou, en toute illégalité, par des aides ménagères à domicile, complaisantes, certes, mais dépourvues de qualification professionnelle adéquate.

M. Bernard Deflesselles.

On l'a déjà dit tout à l'heure !

Mme Odette Trupin.

Compte tenu de l'allongement ininterrompu de l'espérance de vie et de la difficulté croissante que rencontrent certaines personnes âgées pour trouver une aide pourtant indispensable, le maintien à domicile dans de telles conditions devient de plus en plus aléatoire.

Dès lors, madame la ministre, est-il envisageable de réexaminer la tarification des actes infirmiers, notamment de toilette, pour mieux l'adapter à leur nature et à leur durée ? Par ailleurs, quelles mesures pourraient être prises afin de pallier rapidement le manque de personnel de service, pour permettre aux personnes âgées ou dépendantes un maintien à domicile dans la dignité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste.)


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M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

Madame la députée, vous me permettez de revenir sur la nécessaire disponibilité des personnels infirmiers et soignants, notamment auprès des personnes âgées dépendantes, pour permettre leur maintien à domicile, ce qui correspond souvent à leur volonté, à leur choix et à celui de leur famille.

M. Bernard Accoyer.

Levez les yeux de votre papier !

Mme la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

Le Gouvernement a pris plusieurs décisions pour accroître l'offre, la qualité et le financement de ces soins. Ainsi, dans le cadre du budget de la sécurité sociale pour 2000, il est prévu de créer 2 000 places de soins infirmiers à domicile. Nous allons poursuivre et amplifier cet effort.

En effet, dans le cadre de la définition de la nouvelle politique de prise en charge de la dépendance, le Premier ministre a annoncé que, sur cinq ans, 1,2 milliard de francs seront consacrés à développer ces SIAD : cela représente quelque 20 000 places supplémentaires.

Par ailleurs, pour la rentrée prochaine, nous avons augmenté de 8 000 places le quota des écoles de soins infirmiers, de telle sorte que nous puissions répondre aux besoins, appelés à se développer dans les années à venir.

Je vous précise toutefois que les questions relatives au plafond d'actes infirmiers et à la cotation des actes relèvent de discussions conventionnelles entre les caisses de sécurité sociale et les syndicats. Cependant, je souligne que le plafond des actes a été déterminé pour garantir la qualité des soins infirmiers. Il correspond à une activité importante : quarante-huit semaines par an, soixante-deux heures de soins par semaine. Quant à la cotation des actes, elle a été réévaluée de plus de 6 % en 1999.

Enfin, il faut poursuivre la professionnalisation des aides à domicile. Certains actes ne nécessitent pas forcément la présence, la technicité d'un personnel infirmier.

Les soins de toilette ou de nursing peuvent être accomplis par d'autres professionnels, auxiliaires de vie ou aides à domicile, susceptibles, avec un encadrement et une formation adaptée, de compléter très efficacement la présence infirmière. A cet égard, les rapports de Paulette Guinchard-Kunstler et de Jean-Pierre Sueur, que vous avez cités, ont bien montré l'importance de la complémentarité et de la bonne coordination des intervenants à domicile.

Vous voyez donc, madame la députée, qu'il s'agit d'une préoccupation prioritaire du Gouvernement. Nous travaillons à la constitution de services à domicile polyvalents, qui pourront répondre à cette attente et permettre la prise en charge de la dépendance, y compris en milieu rural.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

DISCRIMINATION DANS L'ACCÈS AUX STAGES EN ENTREPRISE

M. le président.

La parole est Mme Cécile Helle.

Mme Cécile Helle.

Monsieur le ministre délégué à l'enseignement professionnel, dans un récent rapport qui vous a été remis par l'inspection générale de l'éducation nationale, il est fait état de pratiques discriminatoires à l'égard de certains élèves de lycée professionnel recherchant un stage en entreprise. L'étude relève que ces pratiques visent principalement les élèves d'origine étrangère, tout particulièrement les élèves originaires du Maghreb.

Si l'on peut se féliciter que, pour la première fois, ce phénomène fasse l'objet d'un rapport officiel des services du ministère de l'éducation nationale, il est consternant d'apprendre que, dans certaines filières, ces pratiques discriminantes peuvent toucher jusqu'à 50 % des jeunes.

Nous savons, vous comme moi, monsieur le ministre, que ces périodes de formation en entreprise sont obligatoires pour la validation des diplômes, CAP, BEP, bacs professionnels ou BTS. De nombreux lycéens se trouvent donc contraints d'accepter un stage de formation ne correspondant pas à leur profil.

Depuis maintenant deux ans, le Gouvernement a pris la mesure de ces discriminations, qui, en matière d'accès à l'emploi, au logement et aux loisirs, minent les fondements mêmes de notre République en remettant en cause le principe d'égalité de droits.

Dans la droite ligne de cette mobilisation, pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, en matière de stages de validation en entreprise, quelles mesures sont envisagées pour lutter efficacement contre les pratiques discriminatoires et pour redonner ainsi confiance aux jeunes filles et aux jeunes gens qui en sont aujourd'hui victimes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué à l'enseignement professionnel.

M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, madame la députée, nous commencerons par prendre la précaution moralement indispensable de dire que le racisme n'est pas une valeur dominante parmi ceux qui proposent des stages et des périodes en entreprise. Il convient de le rappeler, pour la dignité de l'ensemble des professionnels concernés.

(« On n'entend rien ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Lucien Degauchy.

De toute façon, il n'y a rien d'intéressant à entendre.

M. Francis Delattre.

Il devrait cracher son chewinggum.

M. le ministre délégué à l'enseignement professionnel.

Maintenant, alerté par les associations antiracistes, par le groupement d'étude contre les discriminations, mis en place par Mme Aubry, par les conférences départementales de la jeunesse, j'ai en effet commandé une enquête à l'inspection générale de l'éducation nationale.

Or celle-ci a confirmé ce que nous savions déjà, ce que nous pressentions, et jusque dans des proportions, à la vérité, tout à fait inouïes : dans certains établissements, jusqu'à 50 % des élèves d'une même division sont victimes de telles discriminations ! Il s'agit d'un rude coup pour l'unité de notre pays. En outre, la blessure ainsi infligée à nos jeunes est absolument insupportable, et ils se trouvent handicapés dans le déroulement de leur cursus scolaire, puisque cette période en entreprise conditionne la validation de leur diplôme.

Trois mesures seront donc prises.

La première, demandée par M. le Premier ministre lors des assises de la citoyenneté, consiste à introduire, dans la loi relative à la modernisation sociale, une clause prévoyant que ces discriminations pourront désormais être réprimées comme elles le sont à l'embauche et que la charge de la preuve sera inversée.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

Deuxième mesure, je vais publier une circulaire (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

M. François Goulard.

Encore une circulaire ! M. le ministre délégué à l'enseignement professionnel.

... à propos des périodes de formation en entreprise, qui permettra de suivre avec plus de soin chaque cas et, ainsi, de ne pas abandonner les jeunes à eux-mêmes.

Enfin, le Premier ministre a souhaité qu'un accordcadre relatif aux périodes de formation en entreprise soit conclu, en concertation avec nos partenaires des différentes branches économiques, en vue de prendre les mesures que la situation appelle.

Vous voyez, madame la députée, combien les grandes valeurs républicaines sont défendues par ce gouvernement. J'espère que, par votre entremise, les jeunes entendront ce message.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

EFFET DES 35 HEURES

M. le président.

La parole est à M. Léonce Deprez.

M. Léonce Deprez.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, hier, avant la séance de nuit consacrée à l'examen du projet de loi sur la chasse, nous recevions les représentants de la Confédération générale des petites et m oyennes entreprises. Et, nous l'avons ressenti, ils craignent d'entrer dans une ère nouvelle de turbulences.

Pour résumer : un, les salariés gagnent moins, du fait de la réduction du nombre d'heures supplémentaires ; deux, les entreprises paient plus ; trois, l'Etat paie aussi, alors qu'il devrait réduire ses dépenses publiques - tout le monde le reconnaît, même M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

J'attire donc votre attention sur la nécessité de prendre en considération la surchage, due à l'augmentation de la masse salariale - que l'on peut estimer à 5 % -, pesant sur les entreprises. Celles-ci souffrent également d'une pénurie de main-d'oeuvre croissante. Enfin, elles doivent faire face à une gestion du personnel de plus en plus complexe, en particulier pour les entreprises moyennes employant une centaine de personnes.

Madame la ministre, nous vivons encore dans une certaine euphorie, mais n'avez-vous pas le sentiment que nous allons bientôt commencer à subir les effets de l'application des 35 heures ? En conséquence, êtes-vous prête à présenter à la représentation nationale une étude d'impact évaluant les effets des 35 heures sur la productivité et la rentabilité des entreprises ? Plusieurs députés du groupe socialiste. Et l'emploi, alors ? M. Léonce Deprez. Etes-vous prête aussi à présenter à la représentation nationale les mesures nécessaires pour faire face à la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée que connaissent aujourd'hui toutes les entreprises, notamment les prestataires de services ? Nous attendons votre réponse, car les entreprises doivent contribuer à la croissance et à la création d'emplois. Nous souhaitons, quant à nous, que la croissance soit source d'un développement durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, je vous confirme que nous commençons à ressentir les effets des 35 heures.

(Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur plusieurs bancs du groupe du R assemblement pour la République.)

Je constate que 230 000 emplois ont été créés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) et que le chômage a baissé à un rythme deux fois plus élevé que l'année dernière, à taux de croissance égal. Ce sont bien les effets des 35 heures.

Du reste, il faut croire que de nombreuses petites entreprises s'y retrouvent (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), puisque 40 % des 31 000 accords enregistrés ont été signés dans des entreprises de moins de vingt salariés, et 70 % dans des entreprises de moins de cinquante salariés.

J'étais, ce matin même, avec le président de l'Union professionnelle artisanale, et nous avons regardé ensemble les différents problèmes que rencontrent actuellement les entreprises artisanales. On déplore effectivement une pénurie de main-d'oeuvre, qui nous a amenés à organiser des centaines de forums, partout en France.

(Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Eh oui, nous agissons sur le terrain, car c'est le lieu où les offres et les demandes doivent effectivement se rejoindre, que ce soit pour les métiers de bouche, l'artisanat du bâtiment ou les hôtels-cafés-restaurantrs. Ainsi, dans tous ces secteurs, l'ANPE a travaillé avec l'Union professionnelle artisanale pour mettre en place des formations rapides et pour répondre aux pénuries de maind'oeuvre.

Et puis, vous n'êtes pas sans savoir que Mme Lebanchu a mis en place un programme de simplification administrative sans précédent. Je remarque que l'Union professionnelle artisanale, comme la CGPME, s'est d'ailleurs félicitée des premières réponses apportées en la matière.

Sachez aussi, monsieur le député - les entreprises les plus petites l'ont bien compris -, qu'à notre époque, on ne trouve plus de jeunes pour occuper des emplois en leur demandant de travailler cinquante ou cinquante-cinq heures par semaine.

Enfin, le Gouvernement a associé à la réduction de la durée du travail une baisse des charges, qui entraînera une réduction du coût du travail de l'ordre de 5 %, une fois déduit le coût de la RTT.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. François Goulard et M. Yves Nicolin. C'est faux !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

On comprend donc pourquoi les entreprises préfèrent réduire la durée du travail à 35 heures dès maintenant et ne pas attendre 2002, comme la loi le leur permettrait.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Edouard Landrain.

N'importe quoi !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

NÉGOCIATIONS COLLECTIVES

M. le président.

La parole est à M. Renaud Dutreil.

M. Renaud Dutreil. Monsieur le Premier ministre, l'emploi repart, en France, comme dans tous les pays industriels, et ce phénomène, chacun en convient - si ce n'est ici, du moins dans le monde du travail et de l'entreprise -, doit moins aux 35 heures, en tout cas beaucoup moins aux vantardises des uns et aux coups de clairon des autres, qu'à une reprise vigoureuse de la conjoncture internationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants, et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Franck Dhersin et M. Germain Gengenwin. Très bien ! M. Renaud Dutreil. Cette reprise, toutefois, laisse au bord de la route un très grand nombre de nos concitoyens, pratiquement 3 millions d'entre eux, sans emploi ou dans une situation de précarité.

Ce matin, les partenaires sociaux - le MEDEF, la CFDT, la CFTC et la CGC - semblent avoir trouvé un t errain d'entente sur une réforme ambitieuse de l'UNEDIC.

Cette réforme vise à apporter à chaque demandeur d'emploi une aide personnalisée, assortie, le cas échéant, d'une formation. En contrepartie, et cela semble justice, le demandeur d'emploi s'engagera à rechercher effectivement un travail.

En outre, cette réforme devrait permettre de mieux indemniser les demandeurs d'emploi, à assurer aux jeunes une meilleure couverture face au problème du chômage et de réduire les cotisations des salariés et des employeurs, ce qui serait bon pour le pouvoir d'achat des salariés comme pour la reprise.

Depuis que cette négociation est engagée, vos ministres n'ont eu de cesse de s'immiscer dans cette négociation, afin d'influencer les partenaires sociaux, comme s'ils souhaitaient la faire échouer, notamment par une lettre du 3 juin adressée aux partenaires sociaux. On sait le peu de cas que Mme Aubry fait du dialogue social (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), mais on attendait mieux de M. Fabius, qui, lui, est habituellement plus mesuré, semble plus attentif à la liberté et a plusieurs fois employé le mot « contrat », ces temps derniers.

Alors, monsieur le Premier ministre, allez-vous respecter la liberté des partenaires sociaux ? Allez-vous respecter le dialogue social ? Allez-vous vous opposer à l'accord élaboré la nuit dernière, même s'il est signé par trois centrales syndicales, ou bien allez-vous laisser le dialogue social poursuivre son chemin, pour que les demandeurs d'emploi puissent trouver un travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie franç aise-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, je ne me lasse jamais de rappeler les faits. Je vais donc vous donner les statistiques de l'OCDE sur la réduction du taux de chômage ces six derniers mois en France et dans le reste de l'Europe. Elles viennent d'être publiées. (« Ce n'est pas la question ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. Yves Nicolin.

Hors sujet !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous verrez ainsi qu'en France, le chômage a baissé quatre fois plus vite que dans le reste de l'Europe : moins 1,2 %, contre moins 0,3 % de moyenne européenne, moins 0,8 % en Allemagne, moins 0,3 % en Espagne, en Belgique et aux Pays-Bas, moins 0,1 % en Italie et au Royaume-Uni. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Les faits sont têtus. En démocratie, il faut toujours s'en rapprocher.

Mme Christine Boutin.

La question !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Par ailleurs, monsieur le député, vous me faites un grand honneur en évoquant mes positions en matière de négociation collective. Dois-je vous rappeler que j'ai eu la chance d'être le directeur de cabinet de Jean Auroux lorsque nous avons fait voter la loi sur la négociation collective (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), au moment où vous disiez, sur ces bancs, qu'il ne fallait pas laisser les syndicats entrer dans l'entreprise, que la n égociation amputait le pouvoir unilatéral du chef d'entreprise ? Ce n'est donc pas à moi, qui me bats depuis 1975 dans mon ministère pour le développement de la négociation à tous les niveaux, de recevoir de vous des leçons en matière de négociation collective ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialise, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) D'ailleurs, à notre arrivée au pouvoir, nous avons trouvé un pays dans lequel la négociation était en panne. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Regardez les rapports présentés par M. Barrot à la Commission nationale de la négociation collective !

M. Bernard Accoyer.

Ça y est, elle rechute ! Elle ne peut pas résister à ses pulsions !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

On ne négociait plus au niveau interprofessionnel. Jamais la négociation de branche n'a été aussi ténue qu'entre 1993 et 1997, alors que, grâce à la réduction de la durée du travail, nous avons aujourd'hui un mouvement de négociations sans précédent dans les entreprises.

M. André Santini.

Et alors ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est nouveau, tant mieux ! Nous devons nous en féliciter.

M. Yves Nicolin.

Combien de grèves !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

J'en viens au protocole qui a été discuté cette nuit par les partenaires sociaux. Nous attendons des signatures - nous n'avons pas encore les réponses. De plus, une convention devrait reprendre, avant fin juin, les dispositions relevant de l'indemnisation chômage. En effet, certaines dispositions figurant dans ce texte relèvent des partenaires sociaux. Nous les examinerons le moment venu, lorsque cette convention nous sera présentée.

Ensuite, je voudrais redire clairement, et je suis étonnée que certains députés puissent s'en émouvoir, que, dans notre pays, l'Etat est garant de l'égalité des chances du retour à l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) C'est ce que le Gouvernement a rappelé avant cette négociation aux organisations patronales et syndicales pour ne pas les prendre en traître. Il ne peut


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être question pour nous d'accepter que le service public de l'emploi soit réservé aux chômeurs de longue durée et aux titulaires des minima sociaux, tandis que ceux qui sont sur les rails, indemnisés - ils ne sont que 40 % aujourd'hui -, bénéficieraient d'un traitement spécial de la part de l'UNEDIC, où les offres d'emploi seraient déposées. Cela irait à l'encontre de votre volonté de lutter contre l'exclusion et de nous attaquer, comme nous le faisons actuellement, au noyau dur du chômage, de longue durée en particulier. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Voilà ce que nous avons rappelé !

M. Edouard Landrain.

Ce n'est pas une réponse !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Par ailleurs, et c'est dans cet esprit que nous examinerons, avec intérêt, la convention lorsqu'elle nous sera présentée, je n'oublie pas que l'Etat a apporté 30 milliards à l'UNEDIC quand le chômage était important, notamment lorsque vous étiez au pouvoir.

M. Alain Néri.

Eh oui !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Il n'est donc pas anormal que nous nous attachions à clarifier les relations entre l'Etat et l'UNEDIC maintenant que la situation du chômage s'améliore - j'ai la faiblesse de penser que le Gouvernement n'y est pas pour rien - tant et si bien d'ailleurs, et je m'en réjouis, que l'on peut envisager d'améliorer l'indemnisation du chômage et même d'indemniser ceux qui, aujourd'hui, ne reçoivent rien.

C'est dans cet esprit, et seulement dans cet esprit, que nous examinerons, avec grand intérêt et en nous attachant à assurer l'égal accès de tous à l'emploi, l'accord qui devrait être signé.

(Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons à une question du groupe communiste.

DROITS DES FEMMES

M. le président.

La parole est à Mme Janine Jambu.

Mme Janine Jambu.

Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

En 1995, la fédération des femmes du Québec organisait, avec un énorme succès, une marche sur Montréal pour « du pain et des roses ». Cette cette initiative a permis d'améliorer la vie des femmes dans leur pays.

Le 17 octobre 1998, des femmes du monde entier décidaient d'organiser ensemble, tous continents réunis, des marches de l'an 2000 contre la pauvreté et contre les violences, marches qui se termineront à New York le 17 octobre prochain.

Paris accueillera, le 17 juin prochain, les marches françaises qui donneront aux femmes de notre pays l'occasion de présenter leurs revendications auprès des élus. Nous soutenons, pour notre part, cette initiative de lutte pour le droit de toutes au respect et à la dignité.

La France, madame la secrétaire d'Etat, a déjà fait beaucoup. Je pense notamment à l'enrichissement politique dont s'est doté notre pays en adoptant cette loi décisive sur l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. Mais il reste encore tellement de chemin à faire ensemble ! J'appelle particulièrement votre attention, madame la secrétaire d'Etat, sur certaines questions qui ne peuvent laisser insensibles. Je pense, entre autres, au devenir de la proposition de loi relative à l'égalité professionnelle au moment où tout confirme que les femmes constituent, à 90 %, des salariés précaires à temps partiel contraint et à la concrétisation des engagements pris par Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité en novembre dernier, tendant à prolonger le délai légal pour l'IVG ou encore à assurer la prévention et la prise en charge des grossesses des adolescentes.

Enfin, nous souhaiterions connaître les propositions d'action contre le trafic des femmes, désormais en pleine expansion, notamment dans les pays de l'Est européen où la pauvreté fait rêver aux illusions de l'Europe occidentale.

Les réponses que vous nous apporterez, madame la secrétaire d'Etat, sont non seulement attendues par de nombreuses femmes vivant sur notre sol, mais peuvent contribuer à dynamiser la marche des femmes au plan international.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Madame la députée, votre question est un suivi de la conférence institutionnelle de New York, de cette semaine, et vous avez évoqué la marche des femmes organisée par les associations et leso rganisations non gouvernementales. Toutes ont les m êmes objectifs : lutter contre les inégalités que connaissent les femmes dans le monde, lutter contre les violences subies. Mais, je l'ai bien compris, votre regard est plus hexagonal et vous souhaitez des réponses précises sur trois sujets : l'emploi des femmes, les droits fondamentaux et les violences.

Compte tenu de l'heure, je serai encore plus synthétique que je l'aurais souhaité. Sachez toutefois que la volonté gouvernementale est totale pour mener à bien votre proposition de loi sur l'égalité professionnelle, qui conduira les chefs d'entreprise et les branches à négocier tous les trois ans sur l'ensemble des sujets : égalité, salaires, construction des carrières, accès à la formation tout au long de la vie.

S'agissant des droits fondamentaux, je sais que Martine Aubry poursuit ses concertations avec les professionnels et les associations sur deux sujets : le délai légal de l'IVG et l'accompagnement des mineures en difficulté.

Enfin, vous abordez un troisième sujet qui me tient vraiment à coeur : le trafic des femmes. Certes, les trafics peuvent également concerner des hommes et des enfants, mais votre question porte sur les femmes. Je dois vous dire, madame la députée, que je ne peux pas entrer dans le débat actuel que connaît notre pays sur une prostitution qui serait libre et une prostitution qui serait forcée.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Pour moi, la prostitution est une violence subie par les femmes, et ce sujet sera traité tel quel. J'ai d'ailleurs utilisé la tribune des Nations Unies pour réaffirmer ce que sera la position de la France sur ce sujet, y compris dans les négociations de Genève.

Ce thème de la violence va mobiliser une bonne partie de l'énergie du secrétariat d'Etat aux droits des femmes l ors du second semestre 2000 et du premier semestre 2001. Des assises de la violence se tiendront en


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janvier 2001 : la lutte contre la prostitution sera l'un des thèmes que l'on y étudiera.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à dixhuit heures cinquante-cinq.)

M. le président.

La séance est reprise.

2

QUINQUENNAT Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à la durée du mandat du Président de la République (nos 2462, 2463).

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, j'ai l'honneur de vous présenter le projet de loi constitutionnelle qui réduit de sept à cinq ans la durée du mandat du Président de la République. Le projet de loi a été délibéré en conseil des ministres le 7 juin, à l'initiative du Président de la République, sur proposition du Premier ministre, conformément à l'article 89 de la Constitution.

P ourquoi le quinquennat ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi sous cette forme ? Telles sont les questions auxquelles je viens ici apporter les réponses du Gouvernement.

De ces trois questions, la première est évidemment la plus importante et c'est naturellement à elle que sera consacré l'essentiel de mon propos.

Pourquoi le quinquennat ? Pour deux raisons claires et fortes. Parce qu'il nous donnera un système plus démocratique. Parce qu'il rendra notre système plus cohérent.

D'abord, un système plus démocratique.

Nul ne doute que la Constitution est démocratique.

Mais nul ne doute non plus qu'elle peut l'être davantage encore.

La durée de sept années pour le mandat présidentiel, fixée à l'aube de la IIIe République, ne résulte, nous le savons, d'aucune logique ou réflexion constitutionnelle. Il faut se souvenir de cette période bouleversée de notre histoire. La France défaite devant la Prusse, la France divisée : communards contre versaillais, républicains contre monarchistes, laïcs contre cléricaux.

Si, un temps, la République, le régime qui « divise le moins le pays », selon Léon Gambetta, semble émerger, la coalition des monarchistes et des bonapartistes contraint Adolphe Thiers à la démission le 24 mai 1873.

L'Assemblée porte alors au pouvoir un légitimiste, le maréchal de Mac-Mahon, qui confie le gouvernement à Albert de Broglie pour rétablir « l'ordre moral », dans l'espoir de voir prochainement restaurer la monarchie et proclamer le comte de Chambord roi, sous le titre de Henri V. Çà et là, d'ailleurs, des pièces commencent à circuler à son effigie.

En octobre 1873, tout semble prêt pour la restauration. Coup de théâtre ! Voulant pousser plus loin son avantage, le comte de Chambord exige le maintien du drapeau blanc et refuse le drapeau tricolore issu de la Révolution. Cette exigence bloque tout. Les royalistes sont désemparés. Dans un dernier sursaut tactique, Albert de Broglie envisage de confier les pouvoirs présidentiels à Mac-Mahon pour éviter de fonder la République.

C'est ainsi que la question de la durée du mandat se trouve fortuitement posée. Henri de Chambord est alors âgé de cinquante-trois ans et n'a pas d'enfant. L'idée des monarchistes est de gagner du temps pour installer sur le trône le comte de Paris. C'est pourquoi, et c'est seulement pourquoi, est proposée à l'Assemblée la loi du

« septennat », qui sera votée le 20 novembre 1873.

La suite est connue : en 1875, Mac Mahon ne pourra s'opposer à l'institution de la IIIe République ni au fameux amendement Wallon faisant entrer, par une voix de majorité, la République dans la loi constitutionnelle.

La restauration n'aura donc jamais lieu.

Le « septennat » est donc un héritage des monarchistes que les Républicains ont accepté parce qu'il paraissait sans inconvénient. S'il a, en effet, été maintenu ensuite sous la IIIe et la IVe République, c'est sans doute parce que les pouvoirs du chef de l'Etat étaient alors faibles.

La question aurait pu se poser en 1958, dès lors que la Constitution de la Ve République renforçait considérablement les pouvoirs du Président de la République. Mais elle ne l'a pas été. On cherchera en vain une intention ouvertement exprimée par les promoteurs de la Constitution de 1958 sur ce point : la question n'a alors pas été débattue.

Mais, avec l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, la légitimité de son titulaire a été renforcée et son pouvoir accru. C'est pourquoi la question du raccourcissement du mandat du Président de la République est alors apparue dans le débat politique.

Cette réforme, je voudrais ici le rappeler, a d'abord été portée par la gauche. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Nicolas Sarkozy.

Quel sectarisme !

Mme la garde des sceaux.

Je n'oublie pas que c'est le Club Jean-Moulin qui, le premier, l'a avancée dès le début des années soixante. En 1964, Gaston Defferre l'avait inscrite au programme de la campagne présidentielle qu'il se proposait alors de conduire.

M. Gérard Gouzes, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

C'est vrai !

Mme la garde des sceaux.

Le quinquennat figurait aussi en toutes lettres dans le programme commun de 1972.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Eh oui !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est vrai !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Et Mitterrand l'a enterré !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

M me la garde des sceaux.

De l'autre côté de l'échiquier politique, mesdames et messieurs les députés, le président Pompidou exprima, par un message adressé le 3 avril 1973 à l'assemblée nouvellement élue, son intention de proposer le débat au Parlement d'un projet de loi constitutionnelle visant à ramener de sept à cinq la durée du mandat présidentiel. « Le septennat n'est pas adapté à nos institutions nouvelles », avait-il estimé.

Déposé en septembre 1973, le texte fut adopté à l'Assemblée nationale le 16 octobre et au Sénat le 18. Toutefois, la réforme ne fut pas conduite à son terme.

M. Jean-Louis Debré et M. Claude Goasguen.

A cause de qui ?

Mme la garde des sceaux.

Le débat s'est ensuite poursuivi. En 1995, au second tour de l'élection présidentielle, le candidat de la gauche, Lionel Jospin, exposait sa conception d'un « Président citoyen » et prenait parti pour le mandat présidentiel à cinq ans. Il s'engageait, s'il était élu, à conduire cette réforme.

M. André Angot et M. Jean-Louis Debré.

Et Mitterrand ? Vous l'avez oublié ?

Mme la garde des sceaux.

Lors des élections législatives de 1997, cet engagement était repris avec la limitation du cumul des mandats et la parité. Ces deux réformes ont été réalisées depuis, l'une pleinement, la parité, l'autre, faute de consensus, de façon encore partielle.

M. Bernard Roman, président de la commission.

Eh oui !

Mme la garde des sceaux.

Dans sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997, devant votre assemblée, le Premier ministre disait : « Comme je m'y suis engagé, je proposerai que les mandats électifs soient harmonisés sur une base de cinq ans. » Cette proposition s'inscrivait

dans une volonté de modernisation de notre démocratie.

En effet, le quinquennat obéit avant tout à une exigence démocratique. Qu'est-ce-qui, sommairement mais fondamentalement, caractérise la démocratie ? Le fait que les citoyens, à l'occasion d'élections libres et disputées, choisissent leurs gouvernants et qu'ils soient appelés à intervalles rapprochés à confirmer ou à modifier leurs choix politiques.

Elire le président plus souvent, c'est donner aux citoyens la possibilité d'exercer plus souvent l'un de leurs droits fondamentaux, celui du choix de leurs dirigeants.

C'est donc bien rendre notre système plus démocratique.

Il est donc justifié de faire aboutir aujourd'hui cette réforme qui donnera plus fréquemment aux Françaises et aux Français la possibilité de s'exprimer.

J'en arrive à la deuxième raison que j'avais évoquée : cette réforme rendra notre système plus cohérent. Et cela pour trois raisons : d'abord le quinquennat nous rapprochera des durées de mandat pratiquées par nos voisins ; ensuite, le quinquennat nous rapprochera de l'harmonisation de la durée des différents mandats électifs nationaux ; enfin, avec le quinquennat, les relations entre les trois institutions que sont le Président de la République, le Gouvernement et l'Assemblée nationale seront mieux ordonnées.

Reprenons ces trois points.

D'abord, dans aucun pays d'Europe le mandat exécutif n'est attribué pour une durée aussi longue. Seules l'Italie et l'Irlande ont un président élu pour sept ans, mais leurs pouvoirs sont bien moindres que ceux conférés par notre Constitution. Ce mandat est de six ans en Finlande et en Autriche, de cinq ans en Allemagne, en Grèce ou au Portugal.

Dans tous les Etats voisins, les députés sont élus pour des durées comprises entre quatre et cinq ans : quatre ans en Allemagne, en Autriche ou en Finlande, cinq ans en Italie, en Irlande et en Grande-Bretagne. Dans ce dernier pays, je rappellerai pour l'anecdote que la Chambre des Communes était élue pour sept ans en vertu du Septennial Act de 1716 - Rousseau disait : « Le peuple anglais est libre un jour tous les sept ans » - jusqu'à ce que le Parliament Act de 1911 réduise la législature à cinq ans.

Ensuite, cette réforme rapprochera la durée des différents mandats électifs nationaux puisque Président de la République et députés seront dorénavant élus et renouvelés à la même période. Exécutif et législatif disposeront ainsi d'une durée raisonnablement longue, et dont on peut penser qu'elle sera plus stable, épargnant ainsi à notre vie politique le rythme parfois haché qu'elle a connu jusqu'à présent.

Certes, des accidents peuvent toujours survenir qui provoqueraient de nouveaux décalages. Un président peut démissionner ou décéder, une assemblée être dissoute en cas de crise. Mais à regarder la chose de près, il apparaît que la proximité des deux scrutins sera très rapidement rétablie.

La cohabitation, si elle reparaît, ne le fera que de manière brève et exceptionnelle. Sa disparition, j'y insiste, n'est pas l'objet de la réforme. Sa raréfaction en sera un effet secondaire mais bienvenu.

M. Bernard Roman, président de la commission.

Tout à fait !

Mme la garde des sceaux.

Enfin, les relations entre le Président de la République, le Gouvernement et la majo-r ité parlementaire seront plus ordonnées puisqu'ils devront travailler davantage ensemble dès lors que leur renouvellement se fera de façon contemporaine.

Le Président, avec le quinquennat, sera plus attentif aux groupes parlementaires de sa majorité, puisque son mandat prendra fin en même temps que le leur, et sera exposé au même verdict, favorable ou défavorable.

Le Premier ministre gardera son rôle. Même sous les présidents les plus puissants, les plus interventionnistes, le chef du Gouvernement a rempli une fonction politique propre. Car son rôle est irremplaçable, au carrefour de tous les pouvoirs, au coeur de toute l'action de l'Etat, au centre de tout le système politique.

Ainsi, de quelque côté que l'on se tourne, le quinquennat offre des atouts considérables. Plus démocratique parce que donnant aux Françaises et aux Français la possibilité de s'exprimer plus fréquemment, plus cohérent parce que garantissant l'unité et la solidarité réelles des institutions, il est avant tout, ne l'oublions jamais, un pouvoir nouveau donné à nos concitoyens, le premier, en termes constitutionnels, qu'ils reçoivent depuis 1962. A cette date, il leur avait été donné d'élire eux-mêmes leur Président. Aujourd'hui, il leur sera donné de le faire plus souvent.

Cela m'amène à la deuxième question : pourquoi maintenant ? Nous savons que le sujet n'est pas au premier rang des préoccupations des Français.

M. Jacques Myard.

C'est le moins que l'on puisse dire !

Mme la garde des sceaux.

J'entends que des voix s'élèvent, çà et là, pour rappeler d'autres urgences, et insister sur la lutte contre le chômage ou l'insécurité.

M. Jacques Myard.

Par exemple !

Mme la garde des sceaux.

Le Gouvernement les a d'ailleurs mis au premier rang de ses priorités.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Fort justement !

M. Bernard Roman, président de la commission.

Et cela se voit !

Mme la garde des sceaux.

Mais qui pourrait croire sérieusement que, parce que nous allons consacrer quelques heures à ce débat, la victoire contre le chômage ou les progrès de la sécurité vont être retardés ? Plusieurs députés du groupe socialiste.

Bien sûr !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

N'ayez crainte, en même temps que nous débattons du quinquennat, d'autres sujets avancent, les membres du Gouvernement travaillent, l'Assemblée aussi, les Français s'activent. Il n'y a pas de temps perdu.

M. Bernard Roman, président de la commission.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

D'ailleurs, il n'est que de rappeler les résultats observés. Depuis trois ans, ce gouvernement s'est attaqué de front, et avec succès, à ces questions prioritaires.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Mieux qu'aucun autre !

Mme la garde des sceaux.

Pour la première fois depuis dix ans, le chiffre du chômage est repassé sous la barre symbolique des 10 % d'actifs, la réduction du temps de travail et les emplois-jeunes ont ouvert de nouvelles perspectives aux nouvelles générations et à l'ensemble du monde du travail.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Claude Goasguen.

Remplissage !

M. Bernard Roman, président de la commission.

Ces résultats vous gênent !

Mme la garde des sceaux.

Oui, c'est vrai, les questions institutionnelles ne sont jamais en tête des priorités des Français. Mais on pourrait dire la même chose des questions internationales. Faudrait-il pour autant ne jamais s'en occuper ? Ce serait absurde.

Je pourrais faire la même remarque à propos de nombreux sujets auxquels le Parlement a consacré du temps, sur lesquels il a légiféré, et il a eu raison de le faire. On ne s'est pas posé à chaque instant la question de la place que ces sujets occupaient dans la hiérarchie des préoccupations contemporaines. On s'est posé la question, plus sage, de savoir si ce que l'on voulait faire était utile ou non. Et, si la réponse était affirmative, nous l'avons fait.

Enfin, si les questions institutionnelles ne figurent pas au premier rang des préoccupations des Français, chacun sait bien que ceux-ci aspirent à un meilleur fonctionnement de nos institutions, qui ont régulièrement besoin d'être modernisées. Après le débat sur la parité et le cumul des mandats, l'actuelle réflexion sur la décentralisation démontre l'intérêt que nos concitoyens portent à des questions essentielles pour le fonctionnement de notre démocratie.

Telle est notre démarche sur le quinquennat. Car, enfin, voilà vingt-sept ans que cette question est posée.

Le débat a toujours été éludé jusqu'ici et, en l'éludant, on a surtout privé nos concitoyens d'un droit nouveau.

Toutes sortes de considérations, d'où l'opportunité était rarement absente, ont fait obstacle à cet aboutissement.

De fait, la question est suffisamment importante pour mériter une discussion claire, sereine, loyale.

Ces conditions n'étaient pas réunies jusqu'à présent.

Pour m'en tenir à la période récente, une discussion prématurée aurait pu conduire certains à mettre en cause le mandat en cours,...

M. Jean-Louis Debré.

Pas nous en tout cas !

Mme la garde des sceaux.

... ce qui aurait dénaturé le débat. Vous savez très bien que la majorité a voulu éviter de s'inscrire dans cette logique.

Des obstacles semblent donc avoir disparu, des signes ont été donnés dans l'opposition comme dans la majorité.

Aujourd'hui, les conditions si longtemps attendues sont enfin réunies. Il ne faut pas laisser passer l'occasion.

Les Français semblent très largement favorables au quinquennat. J'ai expliqué pourquoi, selon moi, ils ont raison. Le Président de la République a accepté de le proposer à un moment où nous pouvons tous en débattre sans arrière-pensées, je crois.

M. André Gerin.

Ce n'est pas si sûr !

Mme la garde des sceaux.

Engageons donc ce débat pour mener à bien la réforme.

Reste la dernière question : pourquoi avoir choisi la voie d'un projet de loi constitutionnelle portant exclusivement sur la durée du mandat présidentiel ? Le choix d'un projet de loi a été fait. Il atteste, par son existence même, l'accord des deux détenteurs du pouvoir exécutif. Il démontre que la réforme ne sera pas faite pour les uns contre les autres, mais par tous ceux qui la voudront et pour tous ceux qui la feront vivre.

Le choix de ne faire porter le projet que sur la seule durée traduit un souci de méthode. Sur ce sujet, nous avons le sentiment qu'il peut exister un accord suffisamment large. Il faut l'enregistrer. Je sais bien que certains veulent plus, ou autre chose. Intellectuellement et politiquement, cette exigence est légitime.

M. Bernard Roman, président de la commission.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Il est normal que chacun cherche dans ce débat à exposer sa vision de nos institutions et qu'il le fasse naturellement par la voie de la discussion parlementaire.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Le Gouvernement se réjouit qu'un débat s'engage. Il le veut libre. Mais il doit aussi songer à sa conclusion. Il comprend que les différents groupes exposent leurs propositions, certains par voie d'amendement. Ces propositions seront utiles à la réflexion constitutionnelle d'ensemble qui se poursuivra au-delà du texte qui vous est aujourd'hui soumis.

Mais à vouloir trop faire, le risque serait grand aujourd'hui de ne rien pouvoir faire.

M. Jean-Louis Idiart.

Très juste !

Mme la garde des sceaux.

Un progrès à la fois, cela laisse ouvertes toutes les autres perspectives qui se dessineront à leur heure, mais cela permet de clore utilement ce débat.

Aussi le Gouvernement, s'il est vivement intéressé par les débats qui vont se dérouler, est-il désireux de tout faire pour que cette question, cette seule question, soit tranchée au Parlement de manière claire, sans confusion, ni surcharge.

Pour conclure, qu'en est-il des risques invoqués par les adversaires de cette réforme ? Certains redoutent un basculement vers un régime présidentiel, d'autres un retour vers un régime d'assemblée, d'autres encore craignent les deux ! Reconnaissez que ces arguments sont difficilement compatibles entre eux.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

Le quinquennat n'est pas un glissement vers le régime présidentiel, qui supposerait, lui, la suppression du droit de dissolution et celle du poste de Premier ministre. Or rien de tel n'est envisagé.

M. André Angot.

Et la responsabilité ?

Mme la garde des sceaux.

Le quinquennat n'est pas, non plus, un glissement vers un régime d'assemblée, synonyme d'absence de majorité et dans lequel plane, à tout moment, la menace d'un renversement du gouvernement.

Cette réforme importante ne bouleverse pas nos institutions, mais elle introduit dans notre République plus de démocratie. Pour qui, comme le Gouvernement, croit aux avantages du quinquennat, pour qui, comme le Premier ministre, en défend l'idée depuis longtemps, pour qui, comme beaucoup ici, est convaincu que notre pays doit l'adopter, cette réforme suffit dans l'immédiat. Pour le reste, il sera temps de voir ensuite.

M. Jacques Myard.

Vous ne verrez rien, vous n'y serez plus !

Mme la garde des sceaux.

Bref, à chaque jour suffit sa joie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Gérard Gouzes, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voilà de nouveau réunis pour réviser la Constitution. La fréquence avec laquelle le législateur intervient dans ce domaine depuis quelque temps témoigne sinon du caractère obsolète de ses dispositions, du moins d'une certaine nécessité sociale que révèle notre temps à mettre en concordance notre règle suprême et l'évolution de l'opinion publique.

C'est ce que nous appelons la modernisation de nos institutions, dont la parité, la limitation du cumul des mandats ont été des éléments significatifs.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jacques Myard.

Tu parles !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Le projet de loi constitutionnelle qui fait l'objet de nos débats aujourd'hui resurgit, tel un serpent de mer, après vingt-sept ans puisqu'il a été adopté, ici même, le 18 octobre 1973. Il s'agit, aujourd'hui comme hier, chacun l'a compris, de la réduct ion de la durée du mandat du Président de la République, prévu à l'article 6 de notre Constitution.

Pourquoi donc reprendre ce sujet ? Pourquoi vouloir réduire la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans ?

M. Jacques Myard.

Je vous le demande ! (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

Faites taire M. Myard, monsieur Debré.

(Sourires.)

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Quel est l'intérêt d'une telle réforme en ce début de siècle ? Quelles conséquences peut-on en attendre sur l'équilibre de nos institutions ? Toutes ces questions, et d'autres encore, ne manqueront pas d'être posées tout au long de la discussion qui va s'ouvrir.

Au préalable, permettez-moi, mes chers collègues, avant de rappeler les conditions qui ont conduit nos prédécesseurs, il y a 127 ans, à adopter le septennat, à l'aube de la Troisième République, d'écarter la critique s'appuyant sur le caractère prétendument précipité et exclusif du projet, et de me féliciter de l'aspect parlementaire de la procédure qui a été choisie.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Certains relèvent donc la « hâte » dont le Gouvernement ferait preuve pour nous faire adopter cette réforme.

Cela n'est certainement pas pour que le Président de la République, élu en 1995, s'applique immédiatement à lui-même ce nouveau rythme démocratique. Ce n'est pas non plus parce qu'un ancien Président de la République, qui ne se l'était pas appliqué à lui-même, a eu l'idée d'interroger le Gouvernement à ce sujet il y a quelques semaines.

En fait, et l'interpellation venait à propos, il convenait de mener rapidement à son terme une révision constitutionnelle plébiscitée par plus des trois quarts de nos concitoyens, inscrite depuis longtemps dans les intentions du Premier ministre Lionel Jospin et à laquelle s'était résolu le Président de la République Jacques Chirac après de nombreuses consultations. Ainsi, quinquennat de convergence plus que quinquennat de convenance, la réforme, adoptée en Conseil des ministres le 7 juin, débattue par notre commission des lois le 8, nous est soumise ce 14 juin et sera votée la semaine prochaine, le 20 juin très exactement.

A ceux qui diraient que l'affaire est trop précipitée, je ferais remarquer que le débat a commencé, en réalité, dès 1 962, lorsqu'il s'est agi d'élire le Président de la République au suffrage universel. Ce débat a été poursuivi ici même en 1973, et il n'a cessé, depuis, d'alimenter les chroniques et les commentaires. Cela fait donc vingt-sept ans, mes chers collègues, sinon trente-huit, que cette idée chemine ! Ne croyez-vous pas qu'elle est désormais assez mûre pour être cueillie ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Ces propos sont sans intérêt !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Le Président de la République et le Premier ministre s'étant accordés sur le plus petit dénominateur commun, ne pensez-vous pas qu'il est urgent de réaliser une avancée rapide sur ce sujet, avant qu'un changement d'opinion n'intervienne subitement, comme cela peut se produire parfois en politique ? Il ne s'agit ni de surprendre ni d'esquiver un débat. Il s'agit, tout simplement, de prendre ses responsabilité à un moment opportun. Toutes les formations représentées sur les bancs de cette assemblée ont eu l'occasion d'examiner cette question pendant des années. Le débat a déjà eu lieu, je l'ai dit, en 1962, et il a agité le Parlement en 1973. Le Programme commun de la gauche lui même prévoyait, entre autres, le quinquennat.

M. Jacques Myard.

Mais François ne l'a jamais fait !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Le président François Mitterrand a mis en place la commission Vedel, et le Président Jacques Chirac a accepté le principe du quinquennat après avoir consulté tous les responsables politiques, tant de la majorité que de l'opposition.

Par conséquent, mes chers collègues, pourquoi l'Assemblée nationale devrait-elle passer son temps à réfléchir ou à tergiverser pendant des semaines, alors que tout a été dit, tout a été écrit sur le remplacement du septennat par le quinquennat ? Certes, je sais que certains s'étonnent de l'aspect réducteur de cette réforme, qui, en droit, toutes choses restant par ailleurs inchangées, ne consiste qu'à réduire de deux ans le mandat du Président de la République, quand


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

d'autres, au contraire, considèrent qu'il s'agit d'une réforme fondamentale et s'inquiètent de l'atteinte qu'ils croient voir portée à l'autorité du Président, ou bien, a contrario , sont persuadés de l'accentuation du caractère présidentialiste de la Ve République.

Ces points de vue contradictoires me laissent perplexe : il faut choisir l'un ou l'autre, car les uns et les autres ne peuvent pas avoir raison en même temps ! Il y a enfin ceux - et je ne les oublie pas - que cette réforme laisse sur leur faim. Ils souhaiteraient en effet que l'on aille plus loin dans la modification de notre Constitution. Je les comprends. Pour certains, il faudrait supprimer le droit de dissolution, l'article 49-3, l'article 16 et j'en passe, modifier les types de scrutin, augmenter les pouvoirs du Parlement. Toutes ces propositions ne manquent pas d'intérêt.

M. Bernard Outin.

Tout de même !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Elles mériteraient effectivement un examen approfondi, non seulement entre politiques, mais également avec l'opinion publique. Chacun peut donc comprendre que de telles réformes ne puissent être engagées à la légère, sans préparation ou sans concertation.

(Murmures sur les bancs du groupe communiste.)

M. Patrick Leroy.

Il faudrait donc attendre encore vingt-sept ans ! C'est décourageant !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Pour utiliser une formule simple, je dirais qu'on ne refait pas une constitution sur un coin de table, entre un croissant et un café ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. André Gerin.

Oh !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Il parle depuis dix minutes et il n'a encore rien dit d'intéressant !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Le Premier ministre Lionel Jospin a déclaré clairement : « Si, un jour, un débat plus large sur les institutions de la Ve République devait être engagé, j'aurais, comme citoyen, comme acteur de la vie politique et comme Premier ministre tenant à une certaine pratique, un avis sur nos institutions et leur fonctionnement. » Ainsi que Mme le garde

des sceaux l'a confirmé, ce propos laisse bien ouvert le débat sur nos institutions.

Cela étant, aujourd'hui l'enjeu est plus circonscrit.

D'ailleurs le même Lionel Jospin a ajouté : « Le débat ouvert ne doit pas être élargi d'une façon telle qu'il interdise de déboucher positivement sur la question simple qui est en discussion : la réduction du mandat présidentiel. »

La réforme constitutionnelle n'est donc ni précipitée ni réductrice. Elle a tout simplement le mérite d'être proposée par le Gouvernement à la demande du Président de la République et, s'agissant d'un projet de loi constitutionnelle, d'utiliser les voies prévues par l'article 89 de notre Constitution. Son vote, je vous le rappelle, devra intervenir en termes identiques, à la majorité simple, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Le projet de révision devra ensuite être soumis au peuple français par référendum. A titre exceptionnel, le Président de la République pourra y substituer le vote aux trois-cinquièmes du Parlement convoqué en congrès à Versailles.

En revanche, la voie parlementaire de l'article 89 n'autorise personne - je l'affirme de manière solennelle fût-ce le premier magistrat de ce pays, à interdire à notre assemblée l'usage du droit d'amendement (Protestationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République)...

M. Jean-Louis Debré.

Il ne l'a pas interdit ! Vous dites n'importe quoi !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

... ou du droit de débattre librement de tous les sujets qu'inspire cette réforme. Néanmoins, nous savons que l'article 98, alinéa 5, de notre règlement dispose que les amendements et les sous-amendements ne sont recevables que s'ils s'appliquent effectivement au texte qu'ils visent.

M. Jean-Louis Debré.

Voilà !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

En l'occurrence, il s'agit de l'article 6 de la Constitution.

M. Henri Cuq.

Et alors ?

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Mes chers collègues, le projet en discussion est relatif non à la révision de la Constitution mais à la durée du mandat du Président de la République (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République), même si, comme nous le constatons tous les jours, il fait l'objet de nombreux commentaires opposés et de nombreuses prises de position contradictoires entre éminents constitutionnalistes ou hommes politiques de tous bords.

M. Jacques Brunhes.

Restez sobre !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Il suffit de savoir comment, dans quelles conditions et à quelle époque a été instauré le septennat pour comprendre que cette durée n'a plus rien à voir ni avec notre respiration démocratique ni avec le rôle d'un président d'une République moderne.

D'inspiration monarchique - vous l'avez rappelé, madame le garde des sceaux -, le septennat, fixé opportunément en 1873 dans l'attente de la disparition du comte de Chambord, pouvait correspondre aux fonctions d'apparat qu'exerçaient les présidents de la IIIe , voire de la IVe République. Armand Fallières - permettez-moi de le citer, puisqu'il était originaire de Lot-et-Garonne - ou René Coty inauguraient les chrysanthèmes et avaient principalement un rôle d'arbitre, après avoir été élus par un collège de parlementaires.

M. Christian Estrosi.

Il va remonter au paléolithique !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Lors de la rédaction de la Constitution de 1958, les constituants de l'époque ont souhaité faire du Président de la République le guide de la nation, avec des pouvoirs considérables, sans commune mesure avec ceux des Républiques précédentes. Toutefois, de l'avis de tous les observateurs, son élection au suffrage universel...

M. Jean-Louis Debré.

Vous l'avez refusée !

M. Jacques Myard.

Ils ont voté contre !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

... a modifié de manière substantielle la nature même de la fonction.

Nul ne peut nier, en effet, mes chers collègues, que la réforme de 1962 à laquelle les Français sont attachés dans leur immense majorité...

M. Jacques Myard.

C'est nouveau pour vous !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

... a eu pour conséquence d'obliger les candidats à la Présidence de la République à mener une campagne nationale sur leurs grandes options qu'il s'agisse de politique intérieure ou de politique étrangère.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

Le Président de la République, encore élu pour sept ans, devenait le déterminant des choix fondamentaux de la nation, c'est-à-dire le gouvernant, sauf en période de cohabitation, ce que le général de Gaulle n'avait certainement pas imaginé. Ne considérait-il pas d'ailleurs que le référendum ou les élections législatives intermédiaires étaient la réponse à sa demande de légitimité au cours d'un long mandat de sept ans ? La pratique de la cohabitation, surtout depuis la dissolution volontaire de l'Assemblée nationale de juin 1997, et la méfiance à l'égard du référendum ont détruit le modèle de 1962. Celui-ci nécessite désormais une adaptation aux temps modernes comme dans toutes les grandes démocraties du monde.

Sept ans, cela est désormais trop long,...

M. Jacques Myard.

Vous aussi, vous êtes trop long ! (Sourires.)

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

... trop aléatoire, trop incertain. Le sénateur Henri Fréville expliquait déjà en 1973 : « Dès lors que le suffrage universel est reconnu comme la source principale du pouvoir et de sa légitimité, l'on comprendrait mal, sauf à recourir à des modes de pensée marqués profondément par des théories issues du

XIXe siècle finissant, que les pouvoirs du Président de la République puissent, par référence à leur durée, être à un moment quelconque sous-estimés, ce qui serait le cas lorsque la durée du mandat présidentiel serait notablement plus longue que celle de l'Assemblée nationale également élue au suffrage universel. »

Sept ans, c'est en outre trop long au regard des événements, des progrès techniques, de la mondialisation qui accélère les besoins de nouvelles réponses et les nécessaires adaptations du pays.

Comme le soulignait M. Etienne Dailly, rapporteur du Sénat en 1973 : « Prétendre que le candidat à la Présidence de la République va pouvoir proposer un programme pour sept ans, cela relève davantage de l'art divinatoire que de l'art politique. »

Comment, dans ces conditions, parler de promesses non tenues quand ni ceux qui les prononcent ni ceux qui les entendent ne les croient ? Comment, dans ces conditions, parler de réhabilitation du politique et de la politique auprès de nos concitoyens ? Pour autant, nous ne croyons pas davantage que la réduction du mandat présidentiel déséquilibre notre édifice constitutionnel. A cet égard, je confirme ce que disait

Mme le garde des sceaux.

(« La ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Dans la Constitution, il est écrit : « le garde des sceaux » ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) A moins de déposer un amendement pour modifier ce texte, cela restera ainsi dans la Constitution !

M. Jacques Myard.

Il faudrait accorder vos violons dans la gauche plurielle !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

En revanche, on peut dire « Mme la ministre » !

M. le président.

Il y a peut-être assez d'amendements, monsieur le rapporteur. Ce n'est pas la peine d'en suggérer d'autres ! (Sourires.)

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Certes, monsieur le président, mais je tenais à donner une leçon de droit constitutionnel à M. Myard ! Quoi que certains en disent, opter pour le quinquennat, n'est pas choisir le régime présidentiel, même si cette option serait nécessaire mais non suffisante pour ce type de régime.

Dans son discours de Bayeux, le général de Gaulle soulignait (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République) : ...

M. Jacques Myard.

Pas vous !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Il appartient désormais à toute la nation. Vous n'en avez pas l'exclusivité ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

...

« C'est du chef de l'Etat placé au-dessus des partis que doit procéder l'exécutif. »

Il est donc évident que la concomitance des scrutins présidentiels et législatifs donnerait plus de réalité, sans l'assurer, à cette formule, laquelle rejoindrait paradoxalement le concept de contrat de législature préconisé jadis par Pierre Mendès-France et Gaston Defferre.

Chacun peut donc constater que la réforme proposée, sans porter atteinte à l'équilibre des pouvoirs, pourrait donner à la pratique de nos institutions plus de vigueur et de jeunesse, et au Parlement plus de pouvoir qu'il n'en a aujourd'hui. Toutefois, il ne s'agit là que d'une supposition que vous voudrez bien concéder à mon optimisme naturel.

Sept ans, c'est parce qu'une durée trop longue parce que les temps modernes exigent que les électeurs se prononcent plus souvent sur les grandes orientations du pays. Pour cela, il faut qu'ils puissent s'exprimer tous les cinq ans, et non pas tous les sept ans.

A ceux qui craindraient que l'on vote trop et que l'on soit trop souvent en campagne électorale, je précise qu'il n'est pas de meilleur soutien à la démocratie que d'interroger le plus régulièrement possible le peuple. Je leur fais d'ailleurs remarquer qu'une diminution de deux ans de la durée du mandat présidentiel n'aura d'effets sensibles sur le rythme et le nombre des campagnes électorales que sur une longue période, ce que nous allons voter n'ayant d'effets apparents pour la première fois qu'en 2007.

Comme je me plais à le souligner dans mon rapport, en République, il est un principe simple que Jean-Jacques Rousseau a su énoncer clairement : « Plus le gouvernement a de force, plus le souverain... » - c'est-à-dire le

peuple - « ...doit se montrer fréquemment. »

Saura-t-on, en conséquence, trouver ici meilleure justification à la réforme qui nous est soumise ? Une constitution, pour aussi satisfaisante qu'elle paraisse, doit recevoir les adaptations exigées par l'évolution des événements et de l'opinion publique. A ceux qui craignent pour son équilibre, je rappelle qu'elle doit être aménagée à temps si l'on veut qu'elle résiste aux chocs de l'histoire, qu'elle doit accueillir, sans remettre en cause ses principes, les retouches nécessaires à son adaptation.

A ceux qui voudraient saisir cette ouverture constitutionnelle et chercher, dès aujourd'hui, à imposer des modifications substantielles, je répète ce que, comme quelques constitutionnalistes, le professeur Vedel écrivait récemment dans un quotidien du soir : « S'il n'y a pas tout ce que nous aurions pu souhaiter, au moins y en a-t-il assez pour que nous ne boudions pas notre plaisir. »

Demain, après cette première étape, nous ferons en sorte de poursuivre la modernisation de nos institutions, t elle que la souhaitent les Français, qui doivent comprendre qu'elle est le seul gage d'une meilleure efficacité dans les réformes attendues au quotidien.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

Le général de Gaulle, encore lui (Rires et exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République), toujours lui, déclarait, le 31 janvier 1964, qu'une constitution, c'était un état d'esprit, des institutions et une pratique. Et, à la question de savoir quelle était la meilleure constitution, il répondait en citant le philosophe Solon : « Dites-moi d'abord pour quel peuple et à quelle époque. »

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Que de citations !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Si l'on décidait, en l'an 2000, de proclamer le caractère intangible d'une constitution écrite en 1958 et 1962, pendant la guerre d'Algérie quel rapprochement tout à fait circonstanciel ...

M. Jacques Myard.

Changer ne signifie pas faire n'importe quoi !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

... cela ne suffirait pas à nous garantir des institutions stables et efficaces dans les années suivantes.

M. le président.

Monsieur Myard, cessez d'interrompre l'orateur ou nous allons avoir dix minutes de prolongations ! (Sourires.)

M. Jacques Myard.

Il faut réduire son mandat !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Mes chers collègues, je conclus.

M. le président.

Vous avez d'ailleurs épuisé votre temps de parole !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

L'histoire constitutionnelle est remplie de mises en garde contre tout excès de confiance dans les règles qui régissent un pays.

Entre l'immobilisme et le changement, entre le conservatisme et la réforme, entre l'archaïsme et l'avenir, je vous invite à choisir une première étape : celle du quinquennat. Demain sera un nouveau jour.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

3 RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Jacques Brunhes.

Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président.

La parole est à M. Jacques Brunhes, pour un rappel au règlement.

M. Jacques Brunhes.

Mon rappel au règlement se fondera sur l'article 58, mais, auparavant, je voudrais faire une remarque. J'ai noté l'ouverture de Mme le garde des sceaux sur la discussion des amendements et sur ce qu'ils pouvaient apporter dans la discussion constitutionnelle.

C'est la raison pour laquelle je ne peux accepter les propos du rapporteur selon lesquels certains amendements, qui sont étudiés, eux aussi, depuis le début de la Constitution, c'est-à-dire depuis 1958, seraient étudiés « sur un coin de table ». Ce n'est pas une bonne méthode, et ce ne sont pas de bonnes paroles, pour commencer un débat qui est, qu'il le veuille ou non, un débat constitutionnel, parce qu'il s'agit bien d'une loi constitutionnelle.

Sur l'ordre du jour, monsieur le président, j'ai besoin de quelques précisions.

Il y a eu conseil des ministres le 7 juin ; le 8, à neuf heures trente, réunion de la commission des lois avec nomination du rapporteur. A neuf heures trente et une, rapport ! (Sourires.) Pas d'audition de ministres, pour la première fois dans l'histoire d'une loi constitutionnelle ! Nous commençons l'examen de la présente loi aujourd'hui à dix-huit heures quarante-cinq et nous poursuivrons en séance de nuit. Je ne sais pas comment, demain, elle va se terminer. J'ai besoin de vos éclaircissements, monsieur le président, parce que la conférence des présidents indique pour demain matin : suite de l'ordre du jour de ce soir et examen, en nouvelle lecture, du texte sur la communication. Nous avons besoin de savoir comment va se dérouler le débat et quand l'Assemblée commencera l'examen du texte suivant.

M. le président.

Paraphrasant un homme politique célèbre, je dirai que la séance se terminera lorsque la séance sera levée.

(Sourires.)

Au-delà de cette boutade, je voudrais vous dire, monsieur Brunhes, que la conférence des présidents a prévu que l'examen du projet de loi constitutionnelle commencerait à l'issue de la réception de M. Bouteflika. Nous avons prévu d'entendre, avant la fin de la séance, le ministre, le rapporteur et le président de la commission des lois. Après quoi, nous interromprons nos travaux et les reprendrons à vingt et une heures trente. Nous examinerons alors les deux motions de procédure. Puis, si mes collègues en sont d'accord, nous renverrons la discussion générale - à moins qu'elle ne s'engage rapidement, auquel cas nous la commencerions dès ce soir - à la séance prévue demain matin. Il en est prévu aussi demain après-midi et demain soir éventuellement, et même, puisque le texte sur la communication est inscrit à l'ordre du jour, des séances sont prévues vendredi matin, vendredi après-midi et vendredi soir. Mais ce n'est que par prudence car nous pensons, comme vous sans doute, que nous n'irons pas jusque-là.

Voilà les débats clairement organisés.

Quant à votre remarque sur les propos du rapporteur, permettez-moi de vous dire...

M. Jacques Brunhes.

Vous n'avez pas à en juger, vous présidez !

M. le président.

Monsieur Brunhes, je juge de ce que je veux ! D'ailleurs, ce n'était pas un jugement, j'allais vous dire que, sans m'immiscer sur le fond, en faisant mon travail et rien d'autre, je considérais que cela ne relevait pas d'un rappel au règlement, c'est tout !

M. Jean-Louis Debré.

Il y a de la nervosité dans la majorité plurielle ! 4

QUINQUENNAT Reprise de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président.

Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à la durée du mandat du Président de la République.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la révision constitutionnelle dont nous débattons ce soir est inscrite dans un cadre que nous connaissons, un cadre qui a été défini par l'exécutif. La procédure de l'article 89 de la Constitution est en effet sans ambiguïté. Elle requiert l'accord du Président de la République et du Premier ministre. Le projet de loi présenté par le Gouvernement tient évidemment compte de cet impératif.

Et, du coup, si le champ de la réforme peut paraître à certains restreint, celui du débat est largement ouvert.

Nous l'avons exploré en commission des lois.

M. Jacques Brunhes.

Pas sur un coin de table !

M. Bernard Roman, président de la commission.

Les nombreux amendements que nous avons examinés ont suscité des échanges animés, passionnants parfois. Ils ne pouvaient pas être adoptés, et chacun l'a compris. Mais une discussion ample et aboutie a pu se développer sans contrainte. Ce débat se poursuivra ce soir et demain.

Pour ma part, je l'aborde sans états d'âme.

J'appartiens, en effet, à une formation qui, depuis des années, préconise le quinquennat.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Sans jamais tenir ses promesses !

M. Bernard Roman, président de la commission.

Les socialistes éprouvent donc, par rapport à d'autres, la confiance que confère la constance des choix et la sérénité que génère la cohérence.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Et les reniements successifs !

M. Bernard Roman, président de la commission.

Nous affirmons avec conviction que le quinquennat est une bonne réforme. Une réforme est bonne lorsqu'elle va dans le sens de la modernisation. Tel est bien le cas.

Le seul fait de donner à la souveraineté populaire l'occasion de s'exprimer plus souvent revient à intégrer l'accélération du temps dans notre société moderne.

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, vous l'avez rappelé, et chacun le sait, le septennat est un aléa de l'histoire. En serait-il autrement que, de toute façon, il serait vain aujourd'hui de nier l'évolution des rythmes dans notre société.

Ce n'est pas une banalité que de le reconnaître : le rapport des citoyens à la démocratie est modifié par la diffu-s ion immédiate de l'information dans ce qu'il est convenu d'appeler la société de la communication.

La connaissance des événements, la compréhension de leur portée, la réaction à leurs effets, se condensent aujourd'hui dans l'immédiat, ce qui leur donne un écho et une acuité sans précédent.

C'est certainement pour cela que les Français sont aussi massivement convaincus, comme l'indiquent les sondages, de la pertinence d'une réduction de la durée du mandat présidentiel. Ils savent bien que la démocratie doit être plus interactive. Et s'ils se déclarent si attachés à la cohabitation, je pense qu'ils l'approuvent plus par défaut que par choix. Elle est le seul moyen dont ils ont disposé, ces dernières années, faute de consultations plus fréquentes, pour contrebalancer le pouvoir présidentiel et équilibrer l'exécutif. La possibilité de faire entendre leur voix plus fréquemment, au rythme de cinq ans, si elle n'offre pas une garantie contre une cohabitation qui restera toujours possible - Mme la ministre s'est exprimée largement sur ce point et je partage son analyse - devrait en réduire la probabilité, sauf à considérer que les Français sont des inconstants, ce qu'ils ne sont pas - ils l'ont montré.

M. Pascal Clément.

En changeant d'avis à chaque échéance ?

M. Bernard Roman, président de la commission.

Cette réforme est bonne aussi parce que les institutions doivent évoluer.

La Constitution n'est pas un édifice intangible. Elle est ce que nous en faisons, à la fois dans la manière d'en adapter la lettre et d'en interpréter l'esprit. Et nous sommes, en tant que législateurs, dans ce que notre rôle a de plus noble, lorsque nous forçons ainsi le destin et affirmons notre foi dans le progrès en politique.

Le débat de ce soir nous confronte, une fois de plus, à la nécessité de rapprocher le pouvoir du citoyen et les institutions de la société. Et la modernité, c'est sans doute d'abord cela.

Mais la modernité, c'est aussi bien d'autres réformes sur lesquelles, en votant pour la réduction à cinq ans de la durée du mandat présidentiel, nous ouvrons des perspectives.

L'instauration d'un régime présidentiel - je veux être clair - n'en fait pas partie, à mes yeux. Le quinquennat seul n'introduit, en aucune manière, dans nos institutions, une séparation stricte des pouvoirs à l'américaine où le Président ne disposerait pas du pouvoir de dissolution et où le Parlement ne pourrait renverser le Gouvernement.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Très juste !

M. Bernard Roman, président de la commission.

Un tel régime n'est évidemment pas souhaitable en France, d'autant que le double exécutif a montré sa fiabilité et son efficacité. Contrairement à ce qui existe outre-Atlantique, le Gouvernement français doit demeurer l'émanation de la majorité parlementaire. Notre régime parlementaire a fait ses preuves. Sans doute doit-il être amélioré, notamment par une revalorisation du Parlement. Mais cette indispensable évolution n'appelle pas un changement de la nature de notre régime. Elle suppose simplement de réduire les facteurs de sclérose et de rigidité qui nous font quelquefois déplorer que le Parlement soit souvent sousemployé.

Mais, mes chers collègues, il nous faut, à ce niveau du débat, mesurer aussi nos propres responsabilités.

Certes, le parlementarisme rationalisé est souvent synonyme de soumission du législatif à l'exécutif.

M. Pascal Clément.

C'est clair !

M. Bernard Roman, président de la commission.

Les règles de procédure et le principe majoritaire ne suffisent pourtant pas à l'expliquer. Pouvons-nous affirmer que nous utilisons tous les moyens dont nous disposons pour assurer notre mission de législateurs ? Avons-nous suffisamment recours aux pouvoirs de contrôle que nous reconnaît la Constitution ?

M. Léonce Deprez.

Non !

M. Bernard Roman, président de la commission.

La réponse est non. A cet égard, je me félicite par avance de l'unanimité - ou de la quasi-unanimité - qui se dégagera


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 JUIN 2000

sur ces bancs pour en appeler au renforcement des pouvoirs des assemblées. Permettez-moi simplement, à ce stade de notre réflexion, de regretter que l'on ait gâché une occasion d'agir en ce sens lors des débats sur la loi organique limitant le cumul des mandats. Certes, la responsabilité en incombe avant tout à la majorité sénatoriale.

M. Pascal Clément.

Heureusement !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Le Sénat est un bon alibi !

M. Bernard Roman, président de la commission.

Mais nous avons ainsi raté la première marche de la rénovation parlementaire, la première occasion de parfaire cette démocratie inachevée.

Au-delà de la revalorisation du Parlement, d'autres champs - que je me contenterai de citer - méritent d'être explorés.

Je pense notamment à une meilleure définition des responsabilités respectives des deux têtes de l'exécutif, notamment dans un domaine dont on parle peu, à savoir en matière communautaire. La question européenne justifierait sans doute, à elle seule, une réflexion globale.

Dans le même esprit, je crois qu'il est temps aussi de redéfinir les liens entre le pouvoir central et les assemblées locales dans le cadre d'un nouvel acte de la décentralisation.

Ces débats, nous ne ferons que les effleurer à l'occasion de nos réflexions sur le quinquennat, puisque telle est la limite qui a été fixée à notre réflexion. Mais la conviction qu'ils inspirent et la passion qu'ils suscitent parfois soulignent bien leur pertinence et leur urgence.

Notre réflexion de ce soir préfigure ainsi de plus vastes débats. Et notre vote de demain pourrait bien n'être que le premier tour d'un changement institutionnel plus profond et plus conforme à l'attente des Français : celui qui, sans doute en 2002, lorsque les conditions politiques permettront de l'organiser, constituera le second tour de la modernisation.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Léonce Deprez.

Très bien !

M. Pascal Clément.

Dieu nous en préserve !

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SE ANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique : Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, no 2462, relatif à la durée du mandat du Président de la République : M. Gérard Gouzes, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 2463).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT