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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 JUIN 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Quinquennat. Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle (p. 5347).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (p. 5347)

Exception d'irrecevabilité de M. de Villiers : M. Philippe de Villiers, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. Patrick Devedjian, JeanPierre Soisson, Renaud Donnedieu de Vabres, Jacques Floch, Jacques Brunhes. - Rejet.

QUESTION PRÉALABLE Question préalable de M. Luca : MM. Lionnel Luca, JeanLuc Warsmann, Léonce Deprez, Jacques Floch. - Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

2. Dépôt de rapports (p. 5365).

3. Dépôt d'un rapport d'information (p. 5366).

4. Ordre du jour des prochaines séances (p. 5366).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

QUINQUENNAT Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à la durée du mandat du Président de la République (nos 2462, 2463).

Exception d'irrecevabilité

M. le président.

J'ai reçu de M. Philippe de Villiers une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Philippe de Villiers.

M. Philippe de Villiers.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, on se demande, après avoir entendu Jacques Chirac il y a quelques jours proposer le quinquennat, ce qu'a bien pu vouloir dire le Président de la République lorsqu'il a prétendu qu'il n'entendait pas modifier la Constitution. Le Président Chirac aura, en effet, présidé à six modifications de la Constitution depuis son biennat, puis son quadriennat, puis son quinquennat, soit presque autant, en cinq ans, que ses quatre prédécesseurs au cours des trente-quatre années précédentes, choisissant ainsi de nous faire vivre dans un état d'instabilité constitutionnelle tout à fait inédit depuis le début de la Ve République.

La Constitution de 1958 malmenée, ses principes fondamentaux bafoués, il ne restait plus qu'à brûler notre texte constitutionnel au bûcher des vanités d'une fausse modernité ! Après avoir abdiqué notre souveraineté, voilà qu'on s'attaque au souverain, garant de l'intégrité territoriale et du bon fonctionnement des pouvoirs publics.

En effet, après avoir transféré notre souveraineté monétaire avec le traité de Maastricht, puis notre souveraineté législative avec le traité d'Amsterdam, on nous propose de porter directement atteinte à l'autorité de l'Etat. En d'autres termes, après avoir démoli l'édifice, on piétine la clé de voûte ! Cette logique est indéniablement celle de ceux qui ne croient plus en la souveraineté nationale et qui ont cessé de croire en la France, la France, la nation devenues pour ceux-là des mots tabous, gênants, honteux, auxquels il est de meilleur ton de préférer aujourd'hui ceux d'Europe, de fédéralisme et de mondialisation.

Après avoir spolié le peuple français des attributs de la souveraineté qu'il avait confiés à la représentation nationale au nom de la Constitution et en vertu de l'élection, nous, les représentants du peuple, allons cette fois-ci lui demander, sous couvert de modernité, le régime qu'il incarne au profit d'un système plus apte à se fondre dans l'architecture fédéraliste de l'Union européenne.

Les tenants de cette eurocratie veulent en effet en finir avec nos singularités. D'ailleurs, vous l'avez dit tout à l'heure, madame la garde des sceaux, nous sommes les seuls à être dans la situation où nous sommes, il faut donc nous aligner sur les autres. Assez des singularités françaises, assez des singularités culturelles, scientifiques, sanitaires, économiques, monétaires, et, aujourd'hui, assez des singularités institutionnelles.

La réforme qui nous est proposée bouleverse - je dis bien bouleverse - tout l'équilibre de nos institutions, et cela pour trois raisons, trois raisons au moins, car il faudrait compter par avance celles que la pratique pourrait révéler au fil de cette grande dérive intellectuelle et politique : d'abord, elle porte atteinte au principe cardinal qui inspire la fonction, c'est-à-dire la durée ; ensuite, le Président de la République se trouve ainsi ravalé au rang de Premier ministre ; et, enfin, si l'on veut que cette réforme atteigne son objectif, à savoir éliminer les risques de cohabitation, il faut alors supprimer l'une des armes qui permet au chef de l'Etat d'assurer sa fonction d'arbitre suprême, à savoir le droit de dissolution.

Je reprendrai ces trois points, dont chacun me paraît d'une importance capitale quant à la logique, je dirai même la philosophie de la Ve République, mais, avant de les développer, je voudrais redire que le filigrane de nos institutions me semble être l'idée d'assurer l'autorité du bien commun, la res publica, par rapport aux intérêts particuliers et aux féodalités de toute nature et à leur encontre, et face aux empires extérieurs et à ces modernes empires cachés derrière le concept assez fumeux de mondialisation, les hégémonies modernes.

Or, en France, faire prévaloir l'autorité du bien commun ne fut jamais chose facile, tout simplemnet parce que la France n'a pas d'unité naturelle. A la différence, par exemple, de la Grande-Bretagne ou du continent nord-américain, ou même de l'Allemagne, fondée sur le concept de Volk, elle ne peut trouver d'unité que politique, je dirai même par la politique, et, plus précisément encore, par le rassemblement de son peuple, dans la très grande diversité de ses composantes, autour d'un Etat qui porte un bien supérieur, seul capable de dépasser des divisions sans cesse renaissantes.

Pour cela, il faut que l'Etat soit représenté, figuré, par un arbitre incontestable, impartial, au-dessus de la mêlée, incarnant l'Etat au sens précis du verbe incarner, et dont, disait Périclès, le visage tranche. C'est le principe fondamental de notre constitution que d'assurer la prééminence de l'autorité de l'Etat, expression d'une nation selon les


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deux principes d'indivisibilité pour ce qui est des affaires intérieures et de souveraineté pour ce qui est des affaires extérieures.

Ce principe d'autorité est incarné par un arbitre incontestable, et cet arbitre, c'est le Président de la République.

Certains, sur ces bancs, devraient se souvenir de ce qu'écrivit un homme peu suspect de vouloir instaurer le pouvoir personnel, Léon Blum, dans un court ouvrage qu'il écrivit en captivité, en 1941 : A l'échelle humaine.

Léon Blum y constatait que, si la France roula au désastre en 1940, c'est à cause « d'institutions trop chétives, incapables d'assurer assez de stabilité et de continuité du pouvoir pour mener une politique à laquelle le peuple puisse clairement s'identifier. »

On a souvent dit, à mon avis à juste titre, que de Gaulle, à Bayeux, n'a fait que reprendre, du moins pour l'essentiel, le raisonnement que Blum tenait dans cet ouvrage, qui semble préfigurer ce que sera, une quinzaine d'années plus tard, la Ve République.

M. Jean-Louis Idiart.

C'est un peu excessif !

M. Philippe de Villiers.

Ainsi, par delà les clivages traditionnels tout à fait légitimes qui peuvent exister dans cet hémicycle, il semble bien que toutes les traditions françaises républicaines se retrouvent sur la nécessité de placer à la tête de l'Etat un arbitre, et de lui donner tous les attributs de la continuité et de l'impartialité, afin de lui permettre précisément d'exercer cette fonction arbitrale, sans laquelle l'Etat perd sa légitimité qui l'autorise à exercer la contrainte.

Cela, c'est notre histoire qui nous le dicte, et, je le répète, la complexion même de la France, un pays dont la politique doit toujours parvenir à faire de la diversité naturelle une unité politique. De Gaulle parlait de combattre l'effervescence naturelle du peuple français.

Ce problème n'est pas nécessairement transposable ailleurs. A chacun son histoire. Et je n'ai jamais trouvé, per-s onnellement, même en entendant tout à l'heure Mme Guigou, que l'on éclairait le débat constitutionnel en faisant référence à des modèles étrangers, qui sont toujours les mêmes, le modèle parlementaire britannique ou le modèle présidentiel américain.

Comme celui de la Ve République, ces modèles ne se comprennent que par l'histoire des peuples qui les ont adoptés.

Le modèle présidentiel, qui n'existe à proprement parler qu'aux Etats-Unis, est l'héritage d'une situation où les délégués des Etats confédérés, réunis dans un congrè s, d evaient cohabiter avec un président, non de la République, mais de la fédération des Etats-Unis, qui fut d'abord George Washington. D'ailleurs, ce système présidentiel, que beaucoup décrivent comme adaptable à la France, convient précisément à un système fédéral, qui a peu de rapport avec l'Etat-nation à la française.

Quant au système parlementaire britannique, il ne se comprend que dans un cadre bien défini, avec une unité bien définie, laquelle est acquise par principe, et même par nature, grâce à l'insularité, et aussi par la présence de la couronne, laquelle incarne la continuité, la pérennité, l'unité du Royaume-Uni.

Si les constituants de 1958 ont choisi ce qu'on a appelé la « monarchie républicaine » - je crois que l'expression est de Georges Vedel -, c'est précisément parce qu'ils ont écarté à la fois la formule fédérale à l'amé ricaine, le parlementarisme à l'anglaise et l'anarchie vécue sous la IVe République, c'est-à-dire une absence de pouvoir, le pouvoir étant disséminé partout. C'est d'ailleurs l'essence, le ressort de la Ve République telle que l'a voulue le général de Gaulle, et c'est précisément ce que propose de détruire l'actuel Président de la République, héritier ô combien infidèle à la figure dont il prétend s'inspirer,...

M. Patrick Ollier.

C'est excessif !

M. Philippe de Villiers.

... en sapant les trois attributs cardinaux de la fonction présidentielle : la durée, la suprématie, la fonction arbitrale.

En face des risques que fait courir cette réforme hasardeuse, les arguments avancés par le Président de la République et le Premier ministre, ainsi que par les partisans du quinquennat, paraissent bien faibles. J'ai beau les écouter, relire leurs interventions, j'ai entendu tout à l'heure Mme la garde des sceaux, je ne trouve aucun argument véritable, juridique ou politique, qui assoie le quinquennat.

On n'entend plus qu'un mot autour de nous, lancé récemment par un homme absent ce soir, le président Giscard d'Estaing, reconverti dans sa nouvelle fonction de pyrotechnicien professionnel (Rires), c'est le mot « modernité ».

M. Jean-Pierre Blazy.

Il n'y a pas que le Puy-du-Fou, il y a aussi l'Auvergne !

M. Philippe de Villiers.

Je vous remercie de cette publicité inattendue qui me fait chaud au coeur.

(Sourires.)

M. Jean-Louis Idiart.

Pyrotechnicien, c'est pour le feu d'artifice. Là, c'est plutôt pyromane !

M. Philippe de Villiers.

Le quinquennat, alors, serait moderne. Quel bel argument que la modernité ! Pour ceux qui ne savent pas d'où vient ce mot, il a été, en fait, inventé par Baudelaire, qui l'appliquait aux défilés de mode.

Alors, qu'est-ce que la modernité ? La vraie modernité, ce n'est pas une affaire de mode, encore moins un slogan, c'est l'adaptation d'un ordre à une nécessité. A cet égard, je voudrais dire avec force et tranquillité qu'une réforme institutionnelle ne doit rien à des arguments de circonstance. Elle ne peut et elle ne doit répondre à des mouvements d'humeur, à des calculs personnels, à des querelles d'ambition nourries par une classe politique qui ne parvient plus à se renouveler et qui, pour se rajeunir, ne trouve qu'à bouleverser l'ordre institutionnel à l'abri duquel elle étale son insignifiance.

M. Jean-Louis Idiart.

Vous parlez du RPF ?

M. Philippe de Villiers.

La réforme de nos institutions ne peut et ne doit pas être le prétexte à des règlements de comptes ou à une surenchère politicienne démagogique.

Elle ne devrait surtout pas être le miroir de projections biologiques personnelles.

M. Jean-Claude Daniel.

Qu'est-ce que c'est ?

M. Philippe de Villiers.

Je crois que vous avez très bien compris !

M. Gérard Gouzes, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

C'est moderne !

M. André Billardon.

Encore une fois !

M. le président.

Mes chers collègues, je sais que M. de Villiers a du temps. Ce n'est pas une raison pour lui demander de répéter !

M. André Billardon.

On ne se lasse pas de l'entendre !


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M. Philippe de Villiers.

Je voudrais quand même expliquer ce que veut dire « projections biologiques personnelles ».

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Oui, parce que nous ne sommes pas modernes, nous !

M. Philippe de Villiers.

Cela veut dire : en telle année, j'aurai tel âge (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Jean-Pierre Blazy.

Là, on comprend tout !

M.

Philippe de Villiers.

Il est vrai qu'il y a un grand nombre d'hommes, appartenant notamment à ma génération qui se disent : « Ce serait mieux tous les cinq ans, parce qu'on pourra se présenter plus souvent. »

M.

Jean-Claude Daniel.

C'est Pasqua, cela !

M.

Philippe de Villiers.

Tout cela me paraît dérisoire et misérable, je crois que chacun en conviendra.

Je comprends que, si une majorité d'entre nous en est arrivée à ce stade, en tout cas officiellement parce que, dans les couloirs de cette assemblée, les avis ne sont pas du tout les mêmes, et c'est pour cela que tout le monde va, cette nuit, demain et après-demain, marcher au canon... Si chacun s'exprimait en conscience, il est bien évident que le vote ne serait pas acquis et que ma motion d'irrecevabilité serait sans doute votée.

Je comprends, disais-je, que, si une majorité d'entre nous en est arrivée à ce stade, si une majorité d'entre nous confond parfois l'intérêt suprême de la nation avec ses propres intérêts du moment, si une majorité d'entre nous confond la stabilité nationale garantie par des institutions en lien avec notre histoire et notre culture avec sa propre réélection ou son élection, la majorité de nos compatriotes se désintéressent totalement de la vie politique et se détournent des urnes.

La vraie réforme moderne serait de redonner aux Français les moyens de leur souveraineté.

Cette réforme-là est indépendante du quinquennat car la vraie question est la suivante : à quoi servirait-il donc d'élire tous les cinq ans un Président de la République qui n'aurait plus de pouvoirs ?

M.

Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est hors sujet !

M.

Philippe de Villiers.

La modernité, c'est un argument d'apprenti intellectuel en mal d'inspiration, et il ne faut d'ailleurs pas être mieux inspiré pour justifier pareillement cette réforme par l'accélération du temps que nous vivons au quotidien. Il y a d'autant moins de lien entre la vitesse du TGV, Internet, l'économie de marché et la durée d'un mandat présidentiel que notre nation a su s'insérer dans ce mouvement d'échanges intercontinentaux parce qu'elle a précisément pour elle la stabilité, parce qu'elle a avec elle le temps.

Le rôle et la fonction du Président de la République ne peuvent pas être de nature circonstancielle.

Le Président de la République incarne, à son corps défendant parfois, l'unité nationale, la durée et la stabilité. Il doit être au-dessus de la mêlée et il se doit de prendre en toutes circonstances le recul nécessaire à ses jugements pour le bien commun. Il ne doit pas participer aux querelles des partis, il ne doit pas s'inscrire dans des courses qui brouillent toute vision, toute perspective.

Bien au contraire, il a le devoir de se tenir en juste retrait et de regarder fixement la ligne d'horizon que son poste élevé devrait lui permettre mieux que quiconque d'observer.

M.

Gérard Gouzes, rapporteur.

Quel est son programme ?

M.

Philippe de Villiers.

J'y arrive, monsieur Gouzes ! Soyez patient ! Sinon, vous allez vous faire réprimander par M. le président.

(Rires.)

Il y a quelque sagesse dans cette longue durée et dans la fonction présidentielle telle que notre Constitution l'a définie, avec l'expérience des réussites et des échecs, car c'est un tamis ! La tradition ne retient que ce qui réussit.

Une sagesse qui s'exerce dans et avec la durée.

C'est avec cette même intention - je vais vous faire bondir que nos collègues sénateurs sont élus pour neuf ans à l'instar des juges du Conseil constitutionnel, parce que neuf ans, pour comprendre pratiquement et sereinement tout l'esprit et toute la portée de nos institutions, c'est parfois nécessaire ! On ne peut pas tout ramener, dans un pays, au même temps, à la même unité de temps. La mode du zapping ne s'impose pas à nos institutions.

Cette réforme, elle est inutile, elle est dangereuse, mais d'abord elle est inopportune. Le moment ne semble pas bon, parce que pendant qu'on parlera du quinquennat, on ne parlera pas du reste. Et le reste, c'est quoi ? C'est tout simplement les six mois de présidence française de l'Union européenne. Le débat national qui va mobiliser dans les six mois à venir la classe politique tout entière, nos médias et, par ricochet, l'opinion publique - si tant est qu'on puisse l'y intéresser - rendra inaudible toute parole sur l'action de la France à la tête des Quinze, éclipsera tout débat sur les mesures qui seront prises durant ces six mois. Je pense tout particulièrement, quoi qu'on puisse en penser par ailleurs, à la mise en place de la monnaie unique, à la charte européenne des droits fondamentaux et à la réforme des institutions de l'Union européenne. Ainsi, un débat peut-il en cacher un autre, en occulter un autre.

Cette réforme est motivée par des raisons sans lien avec l'intérêt général, et les Français le sentent. Et contrairement à ce qu'a affirmé le Président de la République dans cette fameuse émission - qui fera date, comme celle qui avait précédé la dissolution.

(Sourires) -, nous voilà engagés en pleine aventure institutionnelle. Après la dissolution de convenance, le quinquennat d'opportunité. Il s'agit d'une aventure institutionnelle délibérée, qui vise à servir des intérêts personnels de réélection. On fait d'une affaire institutionnelle une affaire politicienne. Et l'on voit, en masse, des leaders politiques se soumettre, finalement contre leur gré, à l'idée du quinquennat. Pourquoi ? Tout simplement pour ne pas déplaire. Pour ne pas déplaire à ceux qui sont les grands leaders, et qui distribueront le jour venu les portefeuilles et les investitures.

M. André Billardon.

Vous êtes mal parti !

M. Philippe de Villiers.

C'est une lamentable et désastreuse logique, qui fut celle déjà, il n'est pas bien difficile de s'en souvenir, de Maastricht.

Alors, monsieur Gouzes, je reprends au bond votre interpellation. La vraie question aujourd'hui pour les Français, et pour chacun d'entre nous, n'est pas : un mandat pour combien de temps ? Elle est : un mandat, pour quoi faire ? Un jour viendra, je le dis en conscience et sans esprit polémique, où les Français demanderont à l'actuel Président de la République : qu'avez-vous fait de votre septennat ? Réponse : j'ai dissous.

(Rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean-Claude Daniel.

Et dix sous, ce n'est pas cher !


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M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est mieux que cinq sous !

M. Philippe de Villiers.

Il a tout dissous : dissolution du creuset civique du service national, dissolution de sa majorité, dissolution de notre souveraineté monétaire, dissolution de notre souveraineté législative, dissolution de nos institutions. C'était la dernière, celle qui manquait.

(Rires sur les mêmes bancs.)

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est Terminator !

M. Philippe de Villiers.

Nous sommes tous très marqués par les grandes interventions du Président de la République à la télévision, toujours solennelles et longtemps préparées à l'avance.

(Sourires sur les mêmes bancs.)

Celle de M. Chirac sur le quinquennat rappelle étrangement celle qu'il avait faite pour annoncer la dissolution, elle était fondée sur la même évidence paradoxale à partir d'un raisonnement tellement subtil qu'il a perdu en route les Français. Le syllogisme est à peu près le suivant : ma majorité est trop importante ; je décide de la dissoudre ; donnez-moi une majorité moins importante pour mieux gouverner.

(Rires sur les mêmes bancs.)

Parallélisme des formes pour le quinquennat, pour celui qui n'aurait rien compris : sept ans, c'est trop long, il faut donc passer à cinq ans pour que je puisse faire dix ans.

(Rires sur les mêmes bancs.)

M. André Berthol.

Sept et cinq, cela fait douze !

M. Patrick Delnatte.

Il n'a rien compris !

M. Philippe de Villiers.

En d'autres termes, j'aurai plus de soutien si j'ai moins de députés pour me soutenir c'était en 1997 ; ou encore, aujourd'hui : avec un mandat plus court, je pourrai faire un mandat plus long.

(Rires sur les mêmes bancs.)

Eh bien, il n'est pas impossible, mes chers collègues, que l'histoire aventureuse du quinquennat trouve le même épilogue que le coup de la dissolution.

Parce que ce sont des évidences paradoxales, qui ne sont pas accessibles au commun des mortels et à nos concitoyens.

Pour être plus sérieux, je dirai qu'en élisant le chef de l'Etat pour cinq ans au lieu de sept, nous allons rompre un équilibre institutionnel bien établi et entraîner notre pays dans les abîmes trop connus de l'instabilité et du régime des partis.

M. Jean-Pierre Blazy.

Mais le RPF, c'est un parti !

M. Philippe de Villiers.

Il faut cesser de faire croire le contraire aux Français, comme trop d'entre nous l'ont fait au moment de Maastricht et d'Amsterdam. Il faut cesser de faire croire aux Français que cette réforme ne changera rien à l'équilibre de nos institutions.

Mes chers collègues, on peut penser que cette réforme est nécessaire, mais Mme Guigou puis M. Gouzes ont bien expliqué qu'« à chaque jour suffit sa joie ». C'est bien ce que vous avez dit, madame ? Bien. Cela signifie bien, je le dis à nos amis de l'opposition,...

M. Patrick Ollier.

Avec des amis comme ça, on n'a pas besoin d'ami !

M. Philippe de Villiers.

... que dans leur esprit, cette réforme n'est que le premier pas...

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Heureusement !

M. Philippe de Villiers.

... vers autre chose.

M. Jean-Pierre Blazy.

Il a tout compris ! Bravo ! C'est une bonne interprétation !

M. Philippe de Villiers.

Dans ce cas là, soyons logiques et transparents aux yeux du peuple français. Acceptons l'idée que cette réforme est un premier pas, et qu'elle va toucher à l'équilibre de nos institutions.

M. Pascal Clément.

Très bien !

M. Philippe de Villiers.

Car nous allons passer d'un équilibre, qui était ce qu'il était, à un déséquilibre te mporaire, comme la suite de mon propos tentera de vous le démontrer.

Un équilibre, c'est ce qui permet à un pays de vivre dans la paix civile pendant un certain temps. Or, depuis 1958, malgré tout, la France a vécu dans la paix civile et elle a absorbé les crises. Voilà ce que c'est que l'équilibre.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Mais notre Constitution a aussi évolué dans la pratique !

M. Philippe de Villiers.

Alors que le déséquilibre, c'est la IVe République : à la fois le désordre et l'impuissance.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Durand.

Elle a reconstruit la France après la guerre, la IVe République !

M. Philippe de Villiers.

Ah, vous êtes vraiment des nostalgiques de la IVe République ! Je m'en doutais, mais je vous remercie de cet aveu, il est intéressant.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Regardez devant vous !

M. Philippe de Villiers.

Le quinquennat aura des conséquences très graves pour l'avenir de notre pays. Je le dis haut et fort aux Français, qu'on soit ou non d'accord, il faut savoir que le quinquennat modifiera en profondeur la pratique démocratique de notre pays. Et il ne la modifiera pas dans le bon sens, loin s'en faut.

On dit à nos concitoyens que le quinquennat est sans danger - c'est ce qu'a affirmé Jacques Chirac à la télévision - mais nul ne leur explique les tenants et les aboutissants d'une réforme bâtarde, qui met fin à l'harmonie architecturale de notre Constitution sans proposer de nouveaux modèles. Nous voilà au milieu du gué. Ce fameux « quinquennat sec », comme il est devenu d'usage de le nommer, c'est-à-dire sans autre réforme concomittante que la modification de la durée du mandat du Président de la République, est un grain de sable dans la mécanique institutionnelle de notre pays et une réforme hypocrite qui n'ose pas avouer son objet : l'instauration du régime présidentiel.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Mais non !

M. Philippe de Villiers.

Le quinquennat est une réforme gigogne, calquée sur le modèle des poupées russes. Aujourd'hui, on ouvre une boîte : le quinquennat sec. Demain, ce sera le retrait du droit de dissolution pour le Président de la République. Après-demain, ce sera la suppression du Premier ministre.

M. Jacques Floch.

Non ! Ce n'est pas dans ce schéma que s'inscrit cette réforme !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Pures supputations !

M. Philippe de Villiers.

En fin de compte, quelles seraient, très concrètement, les conséquences immédiates du quinquennat sec ? D'abord, et à l'évidence, c'est l'arme de la durée que l'on écorne en ramenant le mandat de sept à cinq ans.

Cette séquence quinquennale ramène le mandat présidentiel à un mandat classique d'élu local...

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Il ne faut pas mépriser les élus locaux ! Ils jouent un rôle important !


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M. Philippe de Villiers.

... ou d'élu parlementaire.

M. Jacques Floch.

Pas de sénateur !

M. Philippe de Villiers.

On aurait un président « super député ». Or, tous ceux qui ont des responsabilités locales, et qu'il ne faut surtout pas mépriser...

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Ah ! Vous vous rattrapez !

M. Philippe de Villiers.

... savent bien que plus le mandat est court, plus la campagne électorale est permanente.

Nous savons tous - parlementaires, présidents de conseils généraux, maires, présidents de structures intercommunales - que la première année est une année de rodage, peu propice aux grandes entreprises, et que la dernière année, pour ne pas dire les deux dernières années, sont presque exclusivement accaparées par les grandes ou les petites nécessités de la réélection.

Bref, le quinquennat, c'est deux ou trois ans de présidence effective.

M. Pascal Clément.

Au mieux !

M. Philippe de Villiers.

Vous me direz, c'est une présidence à mi-temps, c'est-à-dire un peu celle du Président Chirac, en fin de compte.

(Sourires sur divers bancs.)

M. Jean-Yves Besselat.

Ça suffit !

M. Patrick Ollier.

Ce procès est grostesque ! Je suis consterné par ce que j'entends !

M. Philippe de Villiers.

Etes-vous sûrs que c'est ce que veulent les Français ? Etes-vous sûrs de vouloir faire du Président de la République un « super député » dont la cironscription serait le territoire national ? Je n'en suis pas sûr ! C'est en tout cas exactement contraire au sens, à l'exigence de la Ve République.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

M. Ollier ne dit rien. Si c'est nous qui avions dit cela, il aurait hurlé !

M. Philippe de Villiers.

Monsieur Gouzes, un peu d'audace !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Mais je disais cela à M. Ollier !

M. Philippe de Villiers.

Mais ayez un peu d'audace, justement !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Si nous avions dit ce que vous dites là, qu'est-ce que M. Ollier aurait dit !

M. Robert Pandraud.

Adressez-vous au Président de la République, pas à M. Ollier ! Pas de colloque singulier ici !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Mais M. Ollier est en face de moi ! Quant à M. Devedjian, il est pensif !

M. le président.

Mes chers collègues, le forum est terminé ? On peut revenir à l'intervenant principal. Principal pour l'instant, bien entendu ?

M. Patrick Ollier.

C'était une diversion, monsieur le

président

!

M. Jean-Pierre Blazy.

M. de Villiers dit des choses vraies !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Des choses intéressantes.

M. le président.

Monsieur de Villiers, je vous en prie, poursuivez.

M. Philippe de Villiers.

Qu'il soit local ou national, monsieur Gouzes, tout pouvoir raccourci dans sa durée est diminué dans sa nature.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Et augmenté dans sa responsabilité !

M. Philippe de Villiers.

Cela vaut fatalement pour le pouvoir suprême.

M. Jean-Claude Abrioux.

Si je comprends bien, l'idéal du fondateur de la Ve République, c'était la royauté !

M. Philippe de Villiers.

S'il vous plaît, n'insultez pas le général De Gaulle ! (Exclamations et rires sur divers bancs.)

Je n'ai pas encore cité le fondateur de la Ve Répulique.

Je comprends que vous cherchiez à cacher une certaine forme de gêne, de malaise, car ce doit être un moment difficile pour un député gaulliste que d'écouter ce que je suis en train de dire,...

M. Jacques Floch.

Très bien !

M. André Berthol.

Mais non, on s'amuse !

M. André Schneider.

C'est « Au théâtre ce soir » !

M. Philippe de Villiers.

... mais gardez votre gêne pour vous, le silence sera le mieux. Ecoutez la suite de mon propos !

M. Patrick Ollier.

C'est difficile de vous écouter, c'est vrai !

M. Philippe de Villiers.

« La réduction de la durée du mandat du Président de la République ne peut aboutir qu'à une désacralisation de la fonction présidentielle. » De

qui est cette phrase ? Elle est de Charles de Gaulle.

(Exclamations sur divers bancs.)

M. le président.

Je vous en prie, mes chers collègues, laissez poursuivre M. de Villiers.

M. Jean-Claude Abrioux.

On ne peut plus se taire !

M. Philippe de Villiers.

La réduction du mandat du Président de la République comporte le risque non seulement de la banalisation de son élection, ramenée au rythme électoral de l'Assemblée nationale, mais aussi un risque plus important encore - même si cela peut faire sourire certains d'entre nous -, celui de l'abaissement symbolique de son autorité, qui, en cas de crise, peut s'avérer très grave.

Je sais bien que dans leur passion de détruire l'Etat, qui est moderne, bien des hommes politiques, bien des hommes de parti, bien des thuriféraires d'un nouveau système qui effacerait l'Etat-nation au bénéfice de l'Europe ou des régions, ne rêvent précisément que de décapiter l'Etat une nouvelle fois en le privant de son sommet. Ils savent ce qu'ils font, ils savent que toutes les grandes entreprises - Vergennes l'a montré en matière diplomatique, comme Colbert ou de Gaulle l'ont montré pour ce qui est des grandes réformes économiques notamment ont besoin de temps. Il n'y a pas de vrai pouvoir en dehors de la durée, pas de pouvoir au sens où la politique est participation à l'Histoire.

M. André Berthol.

Vive le roi !

M. Philippe de Villiers.

L'Histoire, cela tombe sous le sens, requiert en effet des rythmes absolument irréductibles aux petits rythmes de la politique dans ce qu'elle a de plus quotidien, cette politique à la petite semaine qui fait tellement l'affaire des politiciens, car ils savent que plus aucun pouvoir suprême assuré de durer ne les regarde, ne les juge, ne les rappelle à l'ordre de l'intérêt supérieur de la nation.

M. André Berthol.

Vive le roi !

M. Philippe de Villiers.

Voilà la première raison pour laquelle je vous propose d'adopter cette exception d'irrecevabilité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 JUIN 2000

Mais l'on voit bien ici la seconde raison de notre opposition au raccourcissement du mandat présidentiel : il supprime le sommet de l'Etat, qui devient comme une pyramide privée de son faîte, l'hôte de l'Elysée n'étant qu'une sorte de second Premier ministre, c'est-à-dire en somme le chef de la majorité parlementaire, pour ne pas dire le chef d'un parti. En sorte que la logique du quinquennat voudrait - et l'on y arrivera - que l'on supprime purement et simplement le Premier ministre, car elle perd de vue la distinction que la Ve République a opérée entre ces deux pouvoirs : d'un côté, à l'Elysée, un pouvoir stable, et de l'autre, à Matignon, un pouvoir plus éphémère, reflétant la majorité parlementaire, avec les aléas que cela comporte, y compris les caprices de l'opinion.

Le président de la République devenu Premier ministre ou second Premier ministre, je vous laisse déterminer ce que sera alors l'équilibre de nos institutions et leur cohérence. Le quinquennat agira sur nos institutions conformément au principe de la théorie des dominos, l'un entraînant l'autre dans sa chute. Il aboutira rapidement à un régime dans lequel le Premier ministre n'aura plus vraiment de rôle et où le Président se retrouvera le chef de la majorité parlementaire.

On parle de régime présidentiel. Ce peut être la visée de cette réforme, mais c'est sans doute aussi et plus sûrement encore vers le régime parlementaire qu'elle va nous conduire.

Les députés gaullistes s'en vont !

M. Philippe de Villiers.

Le quinquennat ramènera la France au régime des partis et de l'Etat partisan qu'elle a dénoncé et fui en 1958.

Le général de Gaulle, le 31 janvier 1964, soulevait directement cette question en affirmant ceci : « Parce que la France est ce qu'elle est, il ne faut pas que le Président soit élu simultanément avec les députés...

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Ce n'est pas le but de la réforme.

M. Philippe de Villiers.

... ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérant le caractère et abrégeant la durée de sa fonction de chef de l'Etat. »

M. Pascal Clément.

Très bien !

M. Philippe de Villiers.

Observons d'ailleurs en passant que - et il est dommage que quelques députés gaullistes soient sortis, car c'est pour eux que je voulais évoquer ces quelques exemples - pendant les vingt-cinq premières années de la Ve République, les Premiers ministres disposaient eux-mêmes d'une durée de quatre ou cinq ans.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Ce sera bientôt le cas !

M. Philippe de Villiers.

Ce fut le cas de Michel Debré, de Raymond Barre, de Georges Pompidou, qui a dirigé le gouvernement pendant cinq ans et demi. Quant au Premier ministre actuel, on pourrait lui poser cette question :

« Monsieur le Premier ministre, ne prétendez-vous pas être Premier ministre pendant cinq ans ? » Il répondrait oui. Cela veut dire simplement que le quinquennat, ou le quadriennat, est à Matignon, mais pas à l'Elysée. Et c'est bien ainsi puisqu'il y a deux durées : l'une pour l'éphémère, pour le quotidien, pour le Gouvernement ; et l'autre pour le Président, c'est-à-dire pour l'arbitre.

M. Pascal Clément.

Très bien !

M. Philippe de Villiers.

On touche là à la troisième raison de mon opposition, qui est plus profonde qu'elle n'en a l'air. Non seulement le quinquennat rate son objectif consistant à écarter les risques de cohabitation - ce qui suffit d'ailleurs à disqualifier cette réforme, car désormais toute dissolution est interdite au chef de l'Etat puisqu'elle aboutirait à ce que les élections législatives et présidentielles soient de nouveau désynchronisées -, mais plus profondément, c'est l'impartialité, c'est la fonction d'arbitrage attachées à la fonction suprême qui disparaissent avec l'abandon, ou du moins l'obsolescence pratique, du droit de dissolution.

Armé de ce droit, le Président de la République garde un moyen de dénouer toute crise. Et lorsque Jacques Chirac l'a utilisé à contretemps voici trois ans - sans qu'aucune raison ne puisse être invoquée si ce n'est les intérêts de son parti ou de son camp -, il a bien montré à quel point cette fonction suprême, cette fonction arbitrale, cette fonction impartiale lui était inaccessible, a vouant ainsi son incompréhension totale de la Ve République.

Avec cette réforme, qui bouleverse l'équilibre constitutionnel de la Ve République, Jacques Chirac va au bout de son ignorance ou de son mépris de ce qui constitue la philosophie propre du gaullisme.

Or, avec la disparition programmée du droit de dissolution, nous allons au-devant de blocages lourds pour l'avenir, car le risque de cohabitation ne disparaîtra pas avec le quinquennat. On ne retrouve pas la cohérence entre majorité présidentielle et majorité parlementaire simplement parce que l'on change la durée d'un mandat.

C'est tout bonnement tricher avec la souveraineté populaire que d'oser tenir de tels propos.

C'est au peuple, et à lui seul, qu'il appartient de décider, de sanctionner. Si demain le quinquennat entre en vigueur, rien, absolument rien, ne nous permet d'affirmer que ne sortira pas des urnes une majorité parlementaire hostile au Président de la République. Rien non plus ne nous permet d'affirmer que les deux mandats - présidentiel et législatif - continueront de coïncider. Si tel ne devait pas être le cas, la France serait plongée dans une situation de campagne électorale permanente.

Les Français attendent d'autres réformes, et, s'il y a lieu, d'autres consultations référendaires qu'institutionnelles pour notre pays et pour leur avenir. Je ne crois pas que la réponse à la désaffection des Français pour la politique réside dans le quinquennat ou dans toute autre réforme institutionnelle. Depuis quelques années, on s'y essaie, on multiplie les réformes, on change les circonscriptions et les modes de scrutin. Les choses vontelles mieux ? Les taux d'abstention diminuent-ils ? Non ! Au contraire ils croissent à chaque nouvelle élection ! Ces taux d'abstention ne sont pas liés à la nature de nos institutions, mais directement aux gouvernants et à la déception qu'ils provoquent et nourrissent chez les Français.

Ce n'est pas la machine qui est mauvaise, c'est plutôt l'ouvrier qui ne sait pas s'en servir.

Il faut désormais renouer le pacte avec les Français ; ce n'est pas en bradant nos institutions - ou ce qu'il en reste - et notre souveraineté que nous y parviendrons.

En réalité, le quinquennat n'est pas du tout une priorité aux yeux des Français. Si une grosse majorité de nos concitoyens - de l'ordre de 80 % d'entre eux, nous dit-on - semble à ce jour préférer le quinquennat au septennat, la participation à un éventuel référendum serait très faible : 36 % environ.

M. Jean-Pierre Blazy.

C'est cela le problème !

M. Philippe de Villiers.

Seuls 4 % des Français considèrent cette réforme comme une priorité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 JUIN 2000

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Vous croyez aux sondages ?

M. Philippe de Villiers.

Oui, quand ils sont mauvais !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Pas quand ils sont mauvais pour vous !

M. Philippe de Villiers.

Si, justement. Le sondage que j'évoque ne va pas dans mon sens, puisqu'il indique que 80 % des Français préfèrent le quinquennat au septennat.

M. Bernard Roman, président de la commission.

Vous n'avez jamais eu de chance !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est vous qui décrétez que 4 % seulement considèrent cette réforme comme prioritaire !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Laissez-le parler ! De toute façon, il se moque de tout ce qu'on peut lui dire !

M. Philippe de Villiers.

Monsieur Gouzes, je fais état d'un sondage qui n'est pas bon pour le « non ». Je pensais au moins que vous reconnaîtriez ma sportivité.

Ce sondage appelle au moins deux réflexions.

D'abord, on constate qu'un clivage inquiétant se dessine entre les Français et la classe politique. Alors que, pour les Français, les priorités de l'heure sont la sécurité et le chômage, notamment, ils ont vu la classe politique tout entière, ou presque tout entière, se jeter avec ardeur et dans un consensus troublant dans la bataille du quinquennat. Une fois de plus, les Français vont dire que les hommes politiques s'occupent de ce qui les amusent, de ce qui amuse les médias, ou des derniers sujets sur lesquels ils peuvent donner l'impression d'avoir du pouvoir, mais pas des problèmes concrets.

Deuxième réflexion : le pourcentage élevé des Français favorables au quinquennat est en fait largement pollué, faussé par les jugements personnels inexprimés envers le Président de la République actuel - ou celui qui pourrait lui succéder. S'il avait mené une bonne politique depuis son élection, le pourcentage favorable serait-il aussi élevé ? Peut-être les Français se prononceraient-ils en faveur d'un deuxième septennat ? (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Martine David.

Bonne question !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Nous n'y avions pas pensé...

M. Bernard Roman, président de la commission.

C'est une attaque inutile contre Jacques Chirac !

M. Philippe de Villiers.

Il est fort probable qu'une grande partie des Français qui se déclarent favorables au quinquennat sont en réalité influencés par leur déception à l'égard de l'actuel Président. A tout prendre, pensent-ils sans doute, mieux vaut un quinquennat pour rien qu'un septennat pour rien. Et si on leur proposait un « biennat », ils y seraient encore plus favorables. (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Car les Français attendent du politique qu'il réalise le

« vivre ensemble » que l'on veut chaque jour effacer un peu plus de notre conscience collective au profit du communautarisme.

La mondialisation telle que certains la pratiquent et le village planétaire ne sont que les planches d'appel d'unee xacerbation croissante des individualismes et des communautarismes, contraires, par nature, au principe de la France.

Si nous retirons aux Français leur dernier grand repère institutionnel, si nous leur proposons de calquer les rythmes de la vie politique sur les rythmes de la vie médiatique, c'est-à-dire sur les rythmes du monde, si nous leur donnons l'exemple du politique fuyant les charges qui lui sont confiés pour jouer avec son image et se soumettre aux modes passagères, alors je crains que nous ne parvenions plus jamais à réconcilier nos compatriotes avec la politique.

Ce que les Français attendent, mes chers collègues, c'est tout simplement que le Président de la République les consulte sur les grands sujets qui engagent leur avenir, celui de leurs enfants, celui de notre société. D'ailleurs, M. Chirac n'a qu'à tenir parole ; il avait promis des référendums sur l'école et sur l'Europe.

Mme Martine David.

Il avait promis tellement de choses...

M. Philippe de Villiers.

Quels sont ces grands sujets ? La sécurité, la famille, le maintien de notre monnaie nationale, l'immigration, l'école.

M. Jacques Floch.

Et l'emploi !

M. Philippe de Villiers.

On peut en imaginer d'autres.

Ce sont des sujets sur lesquels nos compatriotes ont leur idée, sur lesquels ils veulent s'exprimer et pourraient être consultés, car ils les préoccupent directement, au fil des jours. Et c'est sur ces sujets qu'ils nous attendent en première urgence ! C'est sur ces sujets, et non pas sur des débats institutionnels dépourvus de tout caractère prioritaire, qui s'apparentent, à leurs yeux, à des débats internes au microcosme politique, tournant sur lui-même ! Or ces grandes réformes tant attendues ne peuvent se réaliser que dans la stabilité, favorisée par la durée.

Le septennat est indéniablement le temps institutionnel le plus propice à la France, tant à l'équilibre de ses institutions qu'à la mise en place des grandes réformes, qui nécessitent en effet un contexte particulier de durée et de sérénité pour prendre forme, réussir, c'est-à-dire pour désarmer les oppositions d'intérêt.

Le septennat est le temps institutionnel qui permet au Président de la République d'exercer avec hauteur son rôle d'arbitrage, à la bonne altitude, avec le plus d'autorité, dans la conduite des affaires internationales et aussi en cas de crise intérieure. Nous le savons, certaines expériences passées nous l'ont montré, en cas de noncoïncidence des majorités, cette fonction arbitrale n'est pas dénuée d'importance, quoi qu'on pense par ailleurs.

En outre, la force symbolique contenue dans cette fonction arbitrale, qui place le chef de l'Etat au-dessus des partis, la durée dont il bénéficie et qui lui permet de se prévaloir de cette posture en surplomb, pâtiraient naturellement d'un raccourcissement du mandat présidentiel.

D'ailleurs, le comité consultatif pour la révision de la Constitution l'a judicieusement écrit dans un rapport courageux remis au Président de la République : « La force symbolique que revêt la fonction arbitrale dans notre tradition nationale ne doit pas être sous-estimée. La supprimer risquerait de modifier si profondément la perception qu'ont les Français de la charge suprême que ce serait là porter une atteinte certaine à la réalité même de nos institutions. »

Enfin, je rappellerai que c'est une erreur de prétendre que le chef de l'Etat ne connaît pas, durant sept ans, de sanction à son action. C'est faux, bien évidemment. Les tenants de la thèse quinquennale semblent heurtés par ce qu'ils dénoncent comme une sorte de cumul - en temps


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 JUIN 2000

normal - de l'autorité et de l'irresponsabilité. Or non seulement le Président de la République peut recourir systématiquement au référendum de responsabilité en cours de mandat, mais les élections législatives, tous les cinq ans, sont l'occasion de confirmer ou d'infirmer ses orientations politiques.

Mais, quand il mutile nos institutions, l'actuel Président de la République n'est que trop obéissant, hélas, à sa logique de sabordage de ce qui fit la Ve République, c'est-à-dire l'affirmation haut et clair du principe de souveraineté nationale.

Par le suivisme diplomatique qui caractérise sa carrière - je pense à la réintégration dans l'OTAN, dont l'affaire du Kosovo fut la triste mise en scène - ou par le suivisme européen qu'il manifesta, en 1992, par son incroyable ralliement, contre son électorat, d'ailleurs, à la logique de Maastricht puis à celle d'Amsterdam, Jacques Chirac a jeté aux orties le souci de l'indépendance nationale.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Ce sont de graves accusations !

M. Bernard Roman, président de la commission.

Quelle sévérité ! C'est trop !

M. Philippe de Villiers.

Après avoir abandonné en matière de diplomatie et de monnaie, de politique de l'immigration, de souveraineté juridique et constitutionnelle - oeuvre du funeste traité d'Amsterdam -, il ne lui restait plus qu'à démolir les institutions, et c'est ce qu'il fait sous nos yeux aujourd'hui.

Après avoir pillé ce bel édifice, feu la Ve République, il restait au cambrioleur en chef à jeter les clefs au ruisseau.

(Exclamations et sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est un réquisitoire !

M. Philippe de Villiers.

Comme il arrive parfois d'être happé par le vide, on ne peut finalement qu'être fasciné par une si parfaite continuité dans la faiblesse, dans la logique d'abandon et, à la fin des fins, dans la lâcheté.

M. Jean-Pierre Blazy.

Mamère va faire un rappel au règlement. On n'a pas le droit de s'en prendre au Président de la République.

(Sourires.)

M. Jacques Floch.

Même Mamère n'avait pas été aussi loin.

M. Alain Cacheux.

Mamère, c'est zéro à côté.

M. Philippe de Villiers.

Tel est le bilan de M. Jacques Chirac, et c'est bien pourquoi, une fois encore, une ultime fois, je demande solennellement aux gaullistes qui siègent dans cette assemblée,...

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Y a-t-il un gaulliste dans la salle ?

M. Alain Néri.

Il n'y en a plus !

M. Jean-Pierre Blazy.

Ils ont fui !

M. Philippe de Villiers.

... s'il en reste, je demande aux esprits sensés qui siègent dans cette assemblée, s'il en reste,...

M. Bernard Roman, président de la commission.

Il en reste... à gauche !

M. Philippe de Villiers.

... de dire non au quinquennat.

Non ! de la part des gaullistes, qui veulent préserver les institutions fondatrices de notre stabilité. Non ! de la part des esprits sensés, car nous allons dans une impasse.

Non ! Il faut rejeter dès à présent, sans attendre le référendum dont personne, du reste, ne peut encore certifier qu'il aura bien lieu -, ce projet de loi constitutionnelle, en approuvant l'exception d'irrecevabilité que j'ai l'honneur de vous présenter.

Le vrai problème institutionnel de la France, aujourd'hui, c'est que la Constitution est peu à peu vidée de son contenu par la conception prévalente d'une Europe fédérale se construisant contre les nations et par une mondialisation subie, que l'on ne cherche pas à maîtriser.

La souveraineté française ressemble de plus en plus à un décor de façade. A quoi servirait-il d'élire un Président de la République pour cinq ans plutôt que sept, si la France devait être, demain, prisonnière d'un noyau dur fédéral, où l'Allemagne serait prépondérante ? A quoi servirait-il d'élire un président pour cinq ans plutôt que sept, si les autorités françaises se reconnaissaient impuissantes à influer en quoi que ce soit sur les conséquences du marché mondial sur la France ? Le quinquennat risque bien, hélas, mes chers collègues, de servir de paravent pour détourner l'attention des vrais problèmes, en particulier du vrai problème institutionnel.

C'est un effet pervers, peut-être voulu.

Le référendum éventuel sur le quinquennat servirait à esquiver le référendum nécessaire sur le futur traité de Nice, qui, d'après ce qui commence à se dessiner, va encore se traduire par un abandon supplémentaire de la liberté des Français à une Europe supranationale. On peut aisément deviner que, demain, le Président de la République et le Gouvernement nous diront : « Pourquoi réclamez-vous donc un référendum sur le traité de Nice ? Vous venez d'en avoir un sur le quinquenant, sujet bien plus important ! » Mais nous n'avons pas besoin d'un référendum sur le quinquennat, parce que nous n'avons pas besoin du quinquennat ! Au contraire, nous aurons besoin d'un référendum sur le traité de Nice, comme il en aurait fallu un sur le traité d'Amsterdam.

Mes chers collègues, il y a, en politique, une logique implacable de la stabilité. Mais il y a aussi une logique implacable de l'instabilité et du désordre. Tous les j uristes, constitutionnalistes et philosophes du droit reconnaissent la pertinence de la formule de Bernanos :

« Ce n'est pas nous qui tenons la règle, c'est la règle qui nous tient. » Ce ne sont pas les hommes qui font les ins-

titutions, ce sont les institutions qui font les hommes.

Les institutions de la Ve République ont pour objectif simple mais fondamental de sauvegarder l'intérêt supérieur de la nation vis-à-vis des féodalités, à l'intérieur - féodalités de l'argent, féodalités locales, féodalité s partisanes -, mais aussi son indépendance vis-à-vis des puissances extérieures.

La Ve République ne fut conçue ainsi que pour permettre à la France de sortir du suivisme atlantique dans lequel l'a maintenue, douze ans durant, de 1946 à 1958, une succession de gouvernements, à ce point inaccessibles aux grandes choses, c'est-à-dire à l'affirmation d'une politique française qui brillât de quelque éclat dans le monde, qu'ils étaient condamnés à suivre la puissance du jour, Washington.

M. Jean-Louis Idiart.

C'est à cette époque que la France s'est construite !

M. Philippe de Villiers.

Les hommes n'étaient ni pires ni meilleurs qu'aujourd'hui. La logique des institutions de l'époque les portait à la soumission.

La Ve République et sa clé de voûte, le Président de la République, sont incompréhensibles sans la volonté de l'indépendance nationale, dont la restauration fut voulue


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par les fondateurs de la Ve République. L'enjeu de cette réforme est donc simple ; le retour à la IVe , souhaité par beaucoup d'entre vous ; le retour à un système de partis, qui se jouent de la France et se moquent des Français.

Et derrière cet enjeu, il me semble qu'il y a un message envoyé par les Français aux hommes politiques : « Attaquez-vous à nos problèmes ! Ne touchez pas à ce qui marche, à ce qui marche encore ! »

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Quatre-vingts pour cent d'entre eux pensent qu'il faut instaurer le quinquennat.

M. Philippe de Villiers.

« Réformez, réparez, retouchez ce qui ne marche pas en France. Ce qui nous intéresse, pour nous et pour nos enfants, ce n'est pas la durée de vos mandats, c'est la durée de la France, sa survie. »

La question n'est plus de savoir si les hommes politiques sont renouvelables, mais si la France millénaire est encore renouvelable, si elle survivra en tant que communauté humaine, en tant que nation,...

M. Jean-Louis Idiart.

Bien sûr !

M. Philippe de Villiers.

... en tant que prototype de l'Etat-nation, c'est-à-dire en tant que projet, en tant qu'oeuvre de paix nécessaire à l'ordre du monde.

Bref, si la France est une exception dans l'histoire, s'il doit y avoir encore une exception française, si vous croyez à cette exception, vous voterez cette motion d'irrecevabilité, parce que l'abaissement de la France et le désordre institutionnel sont des propositions inacceptables, et par conséquent irrecevables.

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

M. Bernard Roman, président de la commission.

Mme la garde des sceaux est choquée par les propos outranciers de M. de Villiers !

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Je trouve décidément M. de Villiers très constant et très cohérent avec lui-même.

M. Alain Néri.

C'est déjà pas mal !

Mme la garde des sceaux.

Certes. Ce n'est pas donné à tout le monde.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est une exception ! (Sourires.)

Mme la garde des sceaux.

Finalement, en un peu moins d'une heure, il réussit à donner une vaste portée au quinquennat, mais une portée dans la détestation, naturellement. Il nous a expliqué que, pour lui, le quinquennat bouleversait, bloquait, démolissait, bradait, que c'était un cataclysme, fait d'abandon, d'hypocrisie et de lâcheté. Derrière le quinquennat se profileraient les monstres froids qui sont les obsessions de M. de Villiers, depuis des années : l'Europe, la modernité,...

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est un éternel conservateur !

Mme la garde des sceaux.

... la mondialisation, bref, l'éternel musée des horreurs auquel nous avons eu droit, il y a quelques années, au moment du référendum sur le traité de Maastricht, qu'il a abondamment évoqué tout à l'heure.

En revanche, je n'ai entendu parler ni de suffrage universel ni de République.

M. Alain Néri.

Ce n'est pas le genre de la maison !

Mme la garde des sceaux.

A la vérité, je n'ai décelé dans ses propos aucune raison de ne pas discuter du septennat (Murmures sur divers bancs)...

ou plutôt du quinquennat.

M. Pierre Lellouche.

Lapsus regrettable ! (Sourires.)

Mme la garde des sceaux.

Quant aux invectives personnelles qu'il a proférées à l'égard du Président de la République, elles me paraissent déplacées, et je pense que, du côté droit de l'hémicycle, on aura à coeur d'y répondre comme il se doit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Bernard Roman, président de la commission, etM. Gérard Gouzes, rapporteur.

Très bien !

M. le président.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Patrick Devedjian, au nom du groupe du Rassemblement pour la République.

M. Patrick Devedjian.

M. de Villiers a choisi de nous donner une leçon de gaullisme.

M. Jean-Pierre Blazy.

Vous la méritez bien !

M. Patrick Devedjian.

Je lui répondrai qu'il ne suffit pas de jouer à cache-cache avec M. Pasqua pour se croire gaulliste. (Sourires.)

J'attendais, de sa part, une véritable argumentation. Or je n'ai trouvé qu'un empilement d'arguments contradictoires et de quolibets, à l'égard de la personne du Président de la République, que M. Mamère n'aurait pas désavoués.

M. Jean-Pierre Blazy.

Il y avait quelques vérités !

M. Patrick Devedjian.

Je ne crois pas que ce soit de nature à engendrer la conviction, mais je comprends bien que cela ait pu, dans les rangs de la gauche, faire naître des sympathies pour son propos.

M. Alain Néri.

Pas du tout !

M. Guy-Michel Chauveau.

Sympathies ? Je ne sais pas si c'est le mot.

M. Patrick Devedjian.

Quoi qu'il en soit, cela donne une idée de la portée de son propos et de l'intention poursuivie.

Passe encore d'utiliser l'argument classique de l'irrecevabilité, de nous opposer qu'il est inconstitutionnel de modifier la Constitution.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Ce sera répété.

M. Patrick Devedjian.

On atteint là la cristallisation du conservatisme.

Mais, en même temps, le fait que M. de Villiers réclame des référendums peut faire sourire, car y a-t-il seulement un référendum auquel il ait voté « oui » ? Les référendums, si je comprends bien, c'est fait pour voter

« non ».

M. Jean-Pierre Blazy.

C'est facile !

M. Patrick Devedjian.

Quant à l'instabilité constitutionnelle sous prétexte que le Président de la République a modifié six fois la Constitution, dois-je lui rappeler que le général de Gaulle avait prévu, en 1969, une modification portant sur dix-neuf articles de la Constitution ? Par conséquent, les gaullistes n'éprouvent aucune hésitation face à une modification de la Constitution. Et ils hésitent d'autant moins que ce sont eux qui sont à l'initiative du quinquennat - M. de Villiers a oublié de le dire. C'est en effet le Président Georges Pompidou qui a initié le quinquennat en 1973 et la gauche a voté contre, François Mitterrand en tête. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Ce serait donc un comble que les gaullistes soient aujourd'hui


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dépossédés de leur initiative et que celle-ci apparaisse comme le suivisme de quelqu'un d'autre. En effet, s'il y a une constance pour nous, au-delà des hésitations légitimes et des difficultés qui peuvent survenir, c'est le maintien de cette idée qui, pendant vingt-cinq ans, n'a pas été réalisable, mais qui l'est peut-être aujourd'hui, du moins nous l'espérons.

Je voudrais dire en tout cas à M. de Villiers qu'il a de la Ve République une lecture qui n'est pas la nôtre, car il en fait un succédané de la monarchie.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est vrai !

M. Patrick Devedjian.

Je ne partage pas ses objections sur la IVe République et je lui rappelle que le général de Gaulle disait que cette République, dont on dit qu'elle est la cinquième, est en réalité toujours la même. Et c'est parce qu'elle est toujours la même qu'elle a hérité du septennat, lequel est non pas un pilier de la Ve République, mais l'héritage d'un compromis entre les monarchistes et les républicains réalisé en 1873. Les républicains voulaient cinq ans et les monarchistes dix ans, car ils espéraient la mort du comte de Chambord et la restauration de la monarchie par son fils qui acceptait le drapeau tricolore.

On le voit, les républicains étaient plutôt favorables au quinquennat (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Les républicains étaient de gauche !

M. Jean-Pierre Blazy.

Quel numéro d'équilibriste !

M. Patrick Devedjian.

C'est l'histoire, tout simplement !

M. Patrick Ollier.

Il faut la connaître !

M. Patrick Devedjian.

Aussi, quand on se veut traditionaliste, comme M. de Villiers, qui nous a fait l'éloge de la tradition à l'instant,...

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Maurrassien !

M. Patrick Devedjian.

... la moindre des choses est de choisir ses repères dans l'histoire qui explique beaucoup de choses, notamment que nous ne soyons pas attachés les uns ou les autres au septennat.

Il est paradoxal d'affirmer que le septennat serait plus démocratique que le quinquennat. Consulter le peuple plus souvent, retremper sa légitimité dans le suffrage universel plus souvent, ce serait moins démocratique ? Il faut avoir le goût du paradoxe pour le soutenir.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est vrai !

M. Patrick Devedjian.

Est-ce un hasard si les trois derniers septennats, ceux de François Mitterrand et celui de Jacques Chirac, ont tous été obérés par une cohabitation ? Sûrement pas ! C'est une dérive des moeurs politiques et l'expression du refus du peuple français d'une si longue continuité.

M. Jean-Louis Idiart.

C'est un retour à l'alternance !

M. Patrick Devedjian.

On l'observe assez bien, et avec peut-être plus d'intensité, depuis ce qui est arrivé à François Mitterrand. En 1988, les Français élisent un Président de la République pour sept ans. En 1989, le monde est totalement bouleversé, il change totalement : L'URSS s'effondre, l'Allemagne se réunifie. Et le Président de la République, qui a été élu avant ce bouleversement, est visiblement inadapté à la nouvelle organisation du monde. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Guy-Michel Chauveau.

C'est ridicule !

M. Patrick Devedjian.

J'étais sûr que cela vous ferait plaisir ! Le Président de la République ne comprend pas cette nouvelle organisation.

M. Guy-Michel Chauveau.

C'est nul !

M. Jean-Louis Idiart.

C'est honteux !

M. Patrick Devedjian.

Il ne comprend pas la réunification de l'Allemagne et se fait le petit télégraphiste du coup d'Etat de Moscou. Il montre ainsi qu'il ne comprend pas la nouvelle organisation du monde.

M. Jean-Louis Idiart.

C'est ridicule !

M. Patrick Devedjian.

Le mandat présidentiel doit être retrempé plus souvent dans la légitimité démocratique parce que le monde change aujourd'hui beaucoup plus vite qu'au temps de M. de Villiers, et, que la démocratie doit s'adapter à ces changements.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est ce que nous disons !

M. Patrick Devedjian.

Sans aucune hésitation et parce qu'ils sont à l'origine de ce projet, les gaullistes, les vrais, ... Plusieurs députés du groupe socialiste.

Il n'y en a plus !

M. Patrick Devedjian.

... voteront donc contre l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson.

Nous sommes contre la proposition de Philippe de Villiers et nous voterons la réforme du quinquennat.

M. Alain Néri.

C'est qui « nous » ? (Sourires.)

M. Jean-Pierre Soisson.

D'abord, monsieur Devedjian, permettez-moi de vous dire que le comte de Paris n'est pas le fils du comte de Chambord.

Ensuite, Mme la garde des sceaux a eu raison de dire tout à l'heure qu'en 1958, le comité consultatif constitutionnel, dont le secrétaire général était Raymond Janot, n'a pas évoqué un seul instant, dans ses travaux, la durée d u mandat présidentiel. Je rends hommage à Mme Guigou de ce qu'elle a pu dire. Etant proche de Raymont Janot, j'ai relu tous les travaux préparatoires à la Constitution de 1958 : pas une seule fois la question de la durée du mandat n'a été évoquée ! Permettez-moi de dire que je suis l'un des rares députés présents ici ce soir à avoir voté la réforme de 1973.

M. Jean-Pierre Blazy.

Et à avoir amené le Front national en Bourgogne !

M. Jean-Pierre Soisson.

Je vous ai écouté les uns et les autres. Relisez les débats de 1973 ! Vous n'avez rien ajouté à ce qui s'est dit à l'époque.

M. Jacques Brunhes.

Le débat n'a pas commencé ! Attendez demain !

M. Jean-Pierre Soisson.

Dans ces conditions, la solution la plus simple consiste à reprendre ce qui a été fait en 1973. Ce qu'a écrit Dominique Baudis dans un éditorial du Figaro me paraît la voie nord, la voie abrupte, la voie directe : organiser directement un référendum, sans recommencer un débat parlementaire qui n'apportera rien de plus.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 JUIN 2000

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Forfaiture !

M. Jean-Pierre Soisson.

Pour l'avenir, permettez-moi de dire ce que je pense : cette réforme n'est pas anodine.

M. Bruno Le Roux.

C'est vrai !

M. Jean-Pierre Soisson.

A terme, l'instauration du quinquennat changera profondément nos institutions.

Que vous le vouliez ou non,...

M. Jacques Floch.

On le veut !

M. Jean-Pierre Soisson.

... nous irons vers un régime p résidentiel. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Roman, président de la commission.

Ça on ne le veut pas !

M. Jean-Pierre Soisson.

François Léotard l'a très bien dit ce matin dans Libération . Nous irons vers un régime présidentiel avec une séparation des pouvoirs, la suppression de la dissolution et le développement de la décentralisation, donc des pouvoirs accrus pour les régions.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est de l'art divinatoire !

M. Jean-Pierre Soisson.

C'est pourquoi le groupe DL ne votera pas l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme Martine David.

Quel scoop !

M. le président.

Pour le groupe UDF, la parole est à

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je suis un peu étonné de la tonalité de nos débats parce que, pour moi, la réforme constitutionnelle tendant à instaurer le quinquennat n'a rien qui puisse brûler les doigts ou les lèvres. Je suis surpris de la retenue de Mme la garde des sceaux et du souverain détachement avec lequel elle nous a proposé cette réforme, ainsi que de la passion, exprimée avec un talent certes reconnu, et de la volience manifestées par Philippe de Villiers. Les réalités politiques auxquelles nous avons à faire face et les nécessités institutionnelles s'imposent à nous. Au début de cette réflexion, nous devons ici faire un constat lucide de la perception qu'ont nos concitoyens de la vie politique, des pouvoirs publics, du rôle de l'Etat. Il nous appartient de redéfinir sans attendre les termes du contrat qui lie l'élu au citoyen.

Le groupe UDF ne se satisfait pas de la montée des abstentions, des refus, du scepticisme, des ironies, du mépris qui jalonnent désormais tout parcours politique.

Combattre des idées, c'est déjà faire oeuvre de démocratie.

Le pire, c'est d'être confronté à des Français désabusés, pensant que la politique est impuissante et que les élus ne servent à rien.

Ce constat brutal que je formule devant vous légitime à mes yeux une réforme profonde de nos institutions.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce climat de paralysie et d'impuissance dans lequel nos concitoyens nous enferment. Il nous appartient de concentrer nos énergies, nos talents pour expliquer aux Français qui ne le croient pas que la réforme des institutions est nécessaire. Aujourd'hui, face à ce débat sur le quinquennat, ils se demandent de quoi il s'agit. S'agit-il d'un règlement de comptes sordide lié à des cicatrices du passé non assumées ou d'un projet pour l'avenir ? Je suis de ceux qui pensent qu'il s'agit d'un projet pour l'avenir. Et sachons rendre à César ce qui est à César : si ce projet aboutit ce sera grâce à la définition d'un accord politique entre le Président de la République, Jacques Chirac, et le Premier ministre, Lionel Jospin.

M. Jean-Pierre Soisson.

C'est vrai !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Le projet initié par Georges Pompidou alors qu'il était Président de la République n'a pas été mené à bien lorsque Valéry Giscard d'Estaing était président de l'UDF.

M. Alain Néri.

Voilà !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Dans ce débat, resituons donc les rôles de chacun et concentrons-nous sur la pédagogie à déployer auprès de nos concitoyens. La majorité a eu quatorze ans pour déclencher cette réforme, mais elle ne l'a pas fait.

Nous sommes face à un problème sérieux : essayer de définir un contenu concret à la réforme de nos institutions. Expliquons à nos concitoyens la nécessité du quinquennat ! Définissons-en la portée immédiate et lançons la réflexion sur les évolutions qui compléteront l'étape que nous allons franchir ! Le quinquennat est une idée populaire, mais n'apparaît pas comme une réforme nécessaire. Il nous appartient d'expliquer aux Français en quoi il l'est. Bien sûr, la priorité pour eux aujourd'hui, et je les comprends, c'est la lutte contre le chômage, l'insécurité, la violence, c'est la fiscalité, le financement de la santé et de la retraite, le rayonnement de notre culture, la formation des jeunes, l'unité nationale et l'intégration de chacun. Tels sont les grands chantiers qui attendent des réformes trop souvent en panne. Telles sont les priorités des Français. Mais pour concrétiser, il faut un système institutionnel adéquat.

L'efficacité de l'action politique est aujourd'hui brutalement remise en cause par l'abstention grandissante de nos concitoyens. Il nous appartient de redéfinir qui est en charge de quoi au niveau européen, au niveau national et au niveau local. De ce point de vue, le quinquennat n'est qu'une étape dans la réforme fondamentale de la redéfinition des responsabilités entre les uns et les autres. Il fera progresser la démocratie directe, car il aboutira à la définition et à la mise en place d'un système dans lequel les électeurs, les citoyens, pourront choisir un homme, une équipe, un projet.

En ce qui concerne les droits du Parlement - je le dis devant le président de l'Assemblée nationale qui a présidé avec efficacité une commission d'enquête -, à législation constante, nous avons la possibilité, si nous en avons individuellement la volonté, de contrôler avec efficacité le Gouvernement et l'administration.

En conclusion de cette explication de vote, je voudrais dire qu'au groupe UDF, pour la plus grande majorité d'entre nous, à quelques exceptions près parce que nous sommes pluralistes, nous n'avons pas le quinquennat honteux, nous n'avons pas le quinquennat frileux, nous n'avons pas le quinquennat réactif, le quinquennat alambiqué, le quinquennat incompréhensible et le quinquennat silencieux ! Mes chers amis, lançons une grande campagne d'explication ! Cher Philippe de Villiers, à votre

« non » ardent, correspondra notre « oui » résolu. C'est la raison pour laquelle le groupe UDF refuse de s'associer à cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseA lliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 JUIN 2000

M. le président.

La parole est à M. Jacques Floch, pour le groupe socialiste.

M. Jacques Floch.

Nous avons entendu le long plaidoyer de Philippe de Villiers sur ce que devrait être le septennat, ignorant ou feignant d'en ignorer l'origine.

Notre collègue Devedjian est un brillant avocat et un éminent parlementaire, mais un piètre historien ! En effet, contrairement à ce qu'il a dit, le comte de Chambord n'avait pas d'enfant. On attendait qu'il meure pour céder la place de prétendant au trône de France au comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe ! Et, en 1873, les républicains ne se sont pas associés aux monarchistes. Ces derniers avaient pris langue avec le médecin, le secrétaire particulier du comte de Chambord, à savoir le comte Yves de Monti de Rezé (Exclamations et rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République),...

M. Pierre Lellouche.

Un cousin de Fabius !

M. Jacques Floch.

... qui avait laissé entendre que le comte de Chambord disparaîtrait au bout de cinq ou six ans et que les monarchistes pourraient reprendre leur marche en avant et éviter l'institution de la République.

C'est cela, le septennat ! La IIIe République et la IVe République l'ont repris, mais on sait quelle était l'importance du Président de la République à l'époque. Et en 1958, pour les raisons qui ont été indiquées par Philippe de Villiers, Michel Debré a proposé le septennat au général de Gaulle pour assurer ce pouvoir arbitral, comme on disait à l'époque.

M. Patrick Devedjian.

Et en 1973 !

M. Jacques Floch.

Mais aujourd'hui, plus de quarante ans après, nous sommes dans une autre histoire.

M. Patrick Ollier.

Vous passez sur 1973 !

M. Jacques Floch.

Nous sommes dans un autre moment de la République française, de la vie de la France. Nous sommes au

XXIe siècle et les institutions de la République ont besoin de mandats qui permettent un réel contrôle des élus, en particulier du principal d'entre eux, c'est-à-dire le Président de la République.

Voilà pourquoi, aujourd'hui, le quinquennat apparaît c omme le moyen de revoir les institutions de la Ve République. Vous avez raison, mes chers collègues de la droite, de dire que nous avons l'intention - louable de modifier un certain nombre d'articles de la Constitution...

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

En quatorze ans, vous ne l'avez pas fait !

M. Jacques Floch.

C'est vrai mais en 2002, lorsque nous aurons gagné, une fois de plus, les élections législatives et qu'un des nôtres sera à l'Elysée,...

M. Jean-Luc Warsmann.

Un peu d'humilité !

M. Jacques Floch.

... nous entamerons cette nécessaire réforme de la Constitution. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Patrick Devedjian.

Vous l'avez déjà dit en 1981 !

M. Patrick Ollier.

M. Mitterrand n'était-il pas des vôtres ?

M. Pierre Lellouche.

Un peu d'histoire, que diable !

M. le président.

Chers collègues, laissez poursuivre

M. Floch.

M. Jacques Floch.

Autant que vous le sachiez tout de suite : pour nous, socialistes, le vote du quinquennat est une porte ouverte sur une révision plus complète des institutions de la Ve République. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Aujourd'hui, nous devons faire leçon de l'histoire. Nous sommes dans une autre époque, à un autre moment de la vie de la République. Il ne faut pas en être nostalgique, Philippe de Villiers. Il ne faut pas rêver à une espèce de régime bonapartiste...

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Monarchiste !

M. Jacques Floch.

... ce qui m'étonne de votre part.

Nous devons construire l'Etat démocratique, républicain auquel nous aspirons tous, le seul qui permettra de mener une vraie politique sociale et économique fondée sur le partage, au profit de l'ensemble de nos concitoyens.

Cela dit, j'ai écouté avec intérêt Philippe de Villiers.

Car c'est un vrai «

MMS ». Avant il venait le mardi, le mercredi, le samedi. Puis on l'a vu en mars, en mai, en septembre. Et maintenant c'est mon meilleur souvenir.

(Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes.

Le principe de toute souveraineté réside dans la nation - d'après la Déclaration des droits de l'homme de 1789. Mais il n'est pas possible d'identifier à la nation la masse des citoyens qui la compose. La nation est donc représentée par les titulaires de cette souveraineté que sont à la fois le chef de l'Etat et le Parlement. Le Parlement incarne la souveraineté nationale. Il en est même l'expression. Je constate, monsieur de Villiers, que vous n'avez pas prononcé une seule fois dans votre intervention, ni le mot « république », ni les mots

« suffrage universel », comme l'a souligné Mme la garde des sceaux, ni le mot « Parlement ».

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Ni le mot « peuple » !

M. Jacques Brunhes.

Le problème qui nous est posé ne date pas d'aujourd'hui, mais remonte aux origines de la Constitution, c'est celui de l'équilibre à instaurer entre le chef de l'Etat et le Parlement.

M. Duverger, avec ses formules fortes, considérait que l'abaissement du Parlement était le second trait saillant de la nouvelle constitution. Lorsque la Ve République a été instaurée, le 8 janvier 1959, certains se sont battus pour que celui que l'on considérait - ou qui se considérait comme le guide de la France ait, face à lui, des assemblées dont les prérogatives traditionnelles seraient maintenues.

Le débat sur le quinquennat fait resurgir ce problème de fond. Tous les constitutionnalistes constatent une dérive des institutions. Pendant sa campagne électorale de 1995, le candidat Chirac dénonçait la dérive monarchique des institutions. Et la commission Vedel soulignait l'excès des pouvoirs du Président et l'insuffisance des pouvoirs du Parlement.

Quinquennat pur ou quinquennat arithmétique, le problème n'est pas là. Le problème est lié aux pouvoirs du Président. Il conviendrait d'y répondre en augmentant les pouvoirs d'un parlement aujourd'hui déshonoré parce que sa fonction est devenue subalterne.

En 1958 ou en 1959, Paul Bastid disait : « N'humilions pas le Parlement ». En effet, il ne faut pas humilier le Parlement ! Or ce que vous proposez, monsieur de Villiers, c'est d'aggraver la présidentialisation. Je ne parle pas de régime présidentiel auquel je ne crois pas, mais de présidentialisation. Vous utilisez d'ailleurs exactement les mêmes termes que M. Pasqua ! (Rires.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 JUIN 2000

M. Jean-Claude Lefort.

Pour une fois !

M. Jacques Brunhes.

A ceux qui parlent de rééquilibrer les pouvoirs en faveur du Parlement, vous répondez, comme le fait M. Pasqua, qu'il vaudrait mieux renforcer les pouvoirs du Président de la République ! Eh bien cela, c'est la présidence impériale, c'est la République impériale,...

M. Jean-Claude Lefort.

Les Chouans !

M. Jacques Brunhes.

... c'est la tendance monarchique ! Que vous le vouliez ou non, c'est la République des courtisans et la République des spectateurs, ce qui est dangereux pour la démocratie.

M. Bernard Roman, président de la commission.

Excellent !

M. Jacques Brunhes.

C'est la raison pour laquelle nous nous opposerons à votre exception d'irrecevabilité.

Troisième et dernière observation, monsieur de Villiers : vous n'avez pas le monopole de la défense de la nation.

M. Jean-Claude Lefort.

Certainement pas !

M. Bernard Roman, président de la commission.

Au contraire !

M. Jacques Brunhes.

Vous décrétez que le débat est entre ceux qui croient en la nation et ceux qui n'y croient plus.

M. Jean-Claude Lefort.

La rose et le réséda !

M. Jacques Brunhes.

Qu'est-ce que qui vous autorise à vous arroger ce droit ?

M. Alain Néri.

Rien !

M. Jacques Brunhes.

Votre « coquinage » ou votre cousinage avec l'extrême droite ? Pour notre part, monsieur de Villiers, nous n'avons pas cessé de croire en la France et en la nation, de croire en ses vertus, de constater ses défauts, de mesurer sa diversité qui est aussi notre richesse ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Lucien Degauchy.

S'il y a quelqu'un qui peut dire cela, ce n'est pas vous !

M. Jacques Brunhes.

Mes chers collègues, il y a des choses que je ne vous autorise pas à dire ! Je suis ici au banc de Gabriel Péri, fusillé par les Allemands. Et je pourrais en citer d'autres, dont une plaque, sur ces bancs, honore la mémoire ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Louis Debré.

Vous n'avez pas le monopole de la Résistance !

M. le président.

Mes chers collègues, si nous en revenions à l'essentiel ?

M. Jacques Brunhes.

Je ne vous autorise pas à faire certaines critiques et je ne vous autorise pas, monsieur de Villiers, à laisser penser que vous seriez le défenseur de la France. Vous êtes plutôt le fossoyeur de la République.

N'insultez donc pas les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en avons terminé avec les explications de vote.

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

M. Jean-Louis Debré.

Combien de voix pour monsieur le président ?

M. le président.

Une...

M. Lionnel Luca.

Non, deux ! J'étais juste à côté de M. de Villiers.

Question préalable

M. le président.

J'ai reçu de M. Lionnel Luca, une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Lionnel Luca.

M. Lionnel Luca.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mesdames, messieurs les députés, en 1973, un projet de loi constitutionnelle, identique à celui soumis à notre examen en application de l'article 89 de la Constitution, a déjà été adopté en termes identiques par les deux assemblées mais, il n'a jamais été soumis au congrès par son initiateur, le président Pompidou, car il aurait manqué 21 voix à ce dernier pour atteindre la majorité requise des trois cinquièmes.

Suscité par le pronostic de la grave maladie du président, ce projet visait alors, selon l'exposé des motifs, à ramener le mandat présidentiel à cinq ans, sans pour autant faire correspondre la date des élections à celle de l'Assemblée nationale, ce qui aurait remis en cause l'esprit même des institutions. Déposé le 6 septembre 1973, il avait d'abord été adopté par l'Assemblée nationale le 16 octobre 1973, puis le 19 octobre 1973, en des termes identiques, par le Sénat.

Selon le Président Pompidou, la réforme projetée en 1973 ne remettait en cause ni « l'esprit des institutions » ni « l'équilibre des pouvoirs publics ». De même, selon le président Chirac, « le changement proposé (...) ne remet pas en cause l'équilibre des institutions ».

Le Président de la République insiste fortement sur ce p oint. Ainsi, lors de son intervention télévisée du 5 juin 2000, il déclarait : « Le problème est de savoir si l'on peut réduire la durée du mandat présidentiel aujourd'hui (...) sans remettre en cause nos institutions.

Cela, c'est le vrai débat. Sans changer la nature de notre Constitution... J'en ai conclu que l'on pouvait, aujourd'hui, raccourcir le délai du mandat présidentiel (...) sans changer nos institutions, et à partir de là, je deviens naturellement favorable (...)

« J'avais naturellement été favorable à la proposition de M. Pompidou (...) en 1973, parce que j'étais sûr que lui ne voulait pas changer les institutions.

« A partir du moment où il s'agit d'une modification institutionnelle, qui ne porte que sur la durée et sur rien d'autre, du mandat présidentiel (...) et à partir du moment où il n'y a pas d'autres mesures d'amendements qui pourraient nous tirer vers un régime d'assemblée, ou au contraire vers un régime présidentiel, alors il n'y a plus d'inconvénients (...).

« Je n'ai pas changé d'avis (...). J'ai suspecté ceux qui voulaient réduire le septennat à cinq ans, y compris chez mes prédécesseurs, d'être tentés par une modification de la Constitution, notamment par un régime présidentiel de type américain (...). Et c'est parce que j'ai acquis la conviction aujourd'hui que nous étions dans un moment


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 JUIN 2000

privilégié où le Premier ministre et moi-même étions d'accord pour limiter la modification de nos institutions au raccourcissement de sept ans à cinq ans du mandat présidentiel et rien d'autre que je me suis dit, alors, l'occasion ne doit pas être manquée. Il faut le faire maintenant. »

Bref, selon le Président de la République, puisqu'il y a accord entre la majorité et l'opposition pour ne modifier que la durée du mandat à l'exclusion de toute autre disposition, puisque cette modification unique n'engendre aucun changement dans notre Constitution, et notamment pas de présidentialisation du régime - ce que seuls des amendements additionnels ayant cet objet pourraient entraîner -, puisque la réforme « tend à limiter les risques de cohabitation » et puisque, enfin, le projet de révision une fois adopté en des termes identiques par chacune des deux assemblées - ce qui est une certitude - ne manquera pas d'être approuvé soit par le Congrès, soit par le peuple, la révision ne pourra pas ne pas devenir définitive, c'est-à-dire ne pas être inscrite dans la Constitution.

Dès lors, on comprend mieux pourquoi la révision, qui peut être instituée « sans risque » et qui ne touche pas à l'essence de la Constitution, sera approuvée par la voie référendaire. Il n'y a pas si longtemps, une révision projetée qui, elle, affectait les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale - je pense au traité d'Amsterdam - n'a pas été soumise au vote du peuple. Bien sûr, certains, toujours inquiets lorsqu'il s'agit de laisser le peuple s'exprimer, vont commencer d'entonner le refrain bien connu sur l'inutilité de la chose, au motif qu'elle n'intéresserait pas les Français. Il est vrai que pour le Président Pompidou, la même révision devait être approuvée par le Congrès et non par le peuple.

Incidemment, la façon dont le Président pose le problème au Parlement, encadre, implicitement mais nécessairement, le débat qui va s'y dérouler. En effet, si aucun des amendements - dont certains seraient susceptibles d'altérer le régime de la Ve République - n'est retenu, celui-ci ne risque pas d'être affecté par la seule réforme.

Pourtant, il n'y a pas lieu de discuter sur le fait de savoir si la seule modification proposée ne peut à elle seule produire des effets sur la nature même de la Constitution.

L e Président n'a-t-il pas longuement réfléchi et consulté avant de parvenir à cette conclusion suivant laquelle il est certain que le projet, s'il n'est pas modifié en fin de parcours parlementaire, n'aura aucune incidence sur l'équilibre des pouvoirs ? Je le cite : « S'il devait y avoir un texte qui soit amendé en fin de procédure parlementaire, j'arrêterai les choses. Parce que, je le répète, je ne veux pas d'initiatives qui soient susceptibles de changer nos institutions. » Or il est possible de montrer qu'il

est tout aussi certain que l'adoption du quinquennat aura nécessairement et obligatoirement pour effet de modifier en profondeur la nature même du régime.

Le comité consultatif pour la révision de la Constitution, dit « comité Vedel », du nom de son président, composé de manière peu contestable et d'ailleurs non contestée de seize des meilleurs experts français, avait été créé par le président Mitterrand en vue de formuler des propositions tendant à « adapter nos institutions » sans remettre en cause « l'architecture générale et l'esprit des institutions ». Son rapport fut remis le 15 février 1993, c'est-à-dire quelques semaines avant les élections législatives dont on connaît les résultats. Dans ce cadre, qui este xactement celui dans lequel le Président de la République entend inscrire son projet, le comité Vedel proposa de modifier pas moins de 44 articles de la Constitution concernant, sans exception, tous ses titres.

Il est remarquable, au regard de la diversité des membres composant le comité, que toutes les propositions, telles qu'elles ont été présentées dans le rapport, aient été rédigées à la suite d'un consensus. Quand celui-ci n'a pu être trouvé, le rapport donne le résultat des votes, indiquant le décompte des voix, et un commentaire exposant de façon substantielle les solutions entre lesquelles le comité s'est partagé et les raisons pour lesquelles elles ont été défendues par leurs tenants respectifs.

M. Jean-Pierre Soisson.

C'est la démocratie !

M. Lionnel Luca.

Malgré l'ampleur des discussions et la volonté de parvenir à un consensus, une seule question a fait apparaître des opinions contraires ou, en tout cas, divergentes : celle de la durée du mandat présidentiel.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Il y a eu plusieurs votes !

M. Lionnel Luca.

Par un premier vote, le comité s'est prononcé par dix voix pour le septennat et six voix pour le quinquennat.

Comme l'écrit Olivier Passelecq, après avoir rappelé que le rapport Vedel avait écarté toutes les questions qui pouvaient mettre en cause la nature même du régime de la Ve République, l'explication structurelle du maintien du statu quo en ce qui concerne le mandat présidentiel réside dans « l'incertitude des effets que pourrait produire sur la nature profonde du régime, à moyen ou à long terme, la réduction de sa durée à cinq ans ».

Or la seule question que le comité Vedel n'a pu trancher, faute de consensus, est d'emblée réglée par l'auteur du projet de loi pour lequel elle ne se pose pas du tout.

Celui-ci postule qu'en l'absence de toute autre modification du texte, la réforme projetée ne changera ni la nature de la Constitution, ni l'équilibre de nos institutions. Mieux encore, elle conduira à combler un défit démocratique et à améliorer l'équilibre institutionnel.

Le consensus existant dans la classe politique et dans l'opinion publique suffit, paraît-il, à montrer que la question ne se pose pas. Or la question du quinquennat se pose bel et bien. Et le fardeau de la preuve, si je puis dire, pèse sur les partisans du quinquennat, à qui il appartient d'établir pourquoi il faut réduire la durée du mandat présidentiel, cette réduction ne pouvant être souhaitée que dans le but d'améliorer ce qui existe.

Il ressort nettement des arguments avancés par les tenants du quinquennat que ce qui importe, c'est moins la valeur absolue - sept ans considérés comme trop long que la valeur relative de la durée du mandat présidentiel, qui est identique à celle du mandat des députés effectuée dans la foulée de l'élection présidentielle, et qui peut conduire à une coïncidence de coloration politique, c'està-dire à la non-cohabitation.

La discussion qui va avoir lieu dans les deux chambres, puis sur la place publique, en cas de référendum, devra porter sur la question de savoir si, oui ou non, l'instauration du quinquennat aura pour effet d'altérer profondément la nature de nos institutions.

Il ne s'agit pas, comme ce fut le cas en 1973, d'oublier de porter le débat sur cette question qui constitue le fond du problème. Récemment, le doyen Jeanneau rappelait qu'en 1973, devant les assemblées, le Gouvernement, pour rassurer l'opinion, s'employa à souligner que la réforme proposée n'accroissait en rien les prérogatives du Président, tandis que les opposants au quinquennat axèrent, eux, toute leur campagne sur les atteintes ainsi portées aux droits du Parlement, accentuant par là le déséquilibre entre l'exécutif et le législatif.


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Pour ses partisans, l'instauration du quinquennat présente de nombreux avantages. Je les rappelle : Eliminer la cohabitation de la vie politique ; Pallier le déficit démocratique lié au fait que, si le général de Gaulle a maintenu la durée du mandat présidentiel à sept ans, il avait accompagné ce choix du recours systématique, en cours de mandat, au référendum, dont l'issue affectait directement le mandat, pratique tombée en désuétude ; Inscrire dans le texte constitutionnel ce qui existe déjà dans les faits, à savoir que le Président est un Président capitaine, cumulant les fonctions de chef de gouvernement et de chef de majorité, que l'on se doit d'élire pour la même durée que la majorité qu'il conduit ; Institutionnaliser ce qui existe déjà dans les faits, à savoir le quinquennat, puisque depuis l'alternance de 1981 aucun Président de la République n'a pu accomplir un septennat « réel », ce que le doyen Vedel a résumé par la formule : « Sept ans égale cinq ans plus deux ans », mais, cette fois-ci, sans le subir ; Renforcer la logique gouvernementale, c'est-à-dire faire coïncider la durée du mandat présidentiel avec celle de la majorité gouvernementale, résultant elle-même de la majorité parlementaire ; Favoriser l'accomplissement de plusieurs mandats successifs, puisque, à l'exception de François Mitterrand, aucun autre président n'a réussi à accomplir deux mandats ; Prévenir l'érosion du pouvoir et l'affaiblissement de l'autorité présidentielle qui sont issus de la longueur excessive du mandat ; Renforcer l'autorité du Président de la République, par rapport à l'Assemblée nationale qui se prévaut régulièrement, parce qu'élue à intervalles plus fréquents, d'être l'interprète la plus fidèle et la plus à jour de la volonté populaire. Cela met le Président de la République dans une sorte « d'infériorité morale vis-à-vis du Parlement » au lieu d'être « aussi près du peuple que des députés », avait dit Georges Pompidou ; Contraindre le Président de la République à « occuper le terrain » en s'engageant pleinement du point de vue politique et à mettre pleinement en jeu sa propre responsabilité en fin de mandat ; Compléter la « révolution de 1962 » qui met fin à la fiction du Président de la République « arbitre au-dessus des partis » et à la fois « capitaine chef d'une majorité » pour consacrer ce qu'il est dans les faits - capitaine ou capitaine d'abord et arbitre accessoirement ; Enfin, clarifier les rôles respectifs du président et du Gouvernement dans la détermination de la politique de la nation.

Tels sont les principaux avantages supposés du quinquennat.

Avant de rappeler les inconvénients dirimants que l'on peut opposer à la réforme, il faut d'abord attirer l'attention sur deux points de sémantique qui recouvrent en réalité deux questions de fond.

On a tort d'affirmer que l'institution du quinquennat conduirait à l'instauration d'un régime présidentiel. En effet, et comme le rappelle le rapport Vedel, un régime présidentiel n'est pas celui où le parti du Président de la République dispose de la majorité au Parlement. Mais il ne faut pas se méprendre sur le sens et la portée de cette erreur. Le régime présidentiel, tel que l'entendent les constitutionnalistes, est caractérisé par une séparation rigide des pouvoirs, ce principe étant le critère déterminant qui permet de qualifier un régime politique. Cette qualification de « rigide » signifie surtout l'absence de moyen d'action réciproque susceptible de remettre en cause l'existence de tel ou tel organe législatif ou exécutif et qu'il n'y a pas de place pour des mécanismes de dissolution d'une chambre ou de mise en jeu de la responsabilité politique d'un organe exécutif en régime présidentiel.

En conséquence, l'exécutif apparaît monocéphale puisqu'il n'est pas nécessaire d'en détacher un organe responsable avant le Parlement. Aux Etats-Unis, la Constitution confie ainsi, au président, la totalité du pouvoir exécutif.

Ce modèle présente le paradoxe d'exercer une attraction considérable sur tous les continents tout en étant quasiment inimitable. Les transpositions effectuées en Asie, en Afrique et surtout en Amérique latine ne font qu'illustrer la dénaturation du modèle. Les réalisations sud-américaines, notamment, sont des « régimes présidentiels » très particuliers.

Les tentatives ayant eu pour effet ou pour objet de désigner le régime institué en 1958 ont, il faut bien le reconnaître, toutes échouées - régime parlementaire rationalisé, régime parlementaire présidentialisé, régime semiparlementaire, régime semi-présidentiel, etc. -, au point que le comité Vedel le définit comme un modèle « hors normes », voire « hors série ».

Comme le souligne encore le rapport Vedel, l'arbitrage du chef de l'Etat, inscrit à l'article 5 de la Constitution, peut être compris dans un sens faible ou dans un sens fort. Le premier est le sens de la langue juridique quotidienne, le second est le sens inventé pour l'article 5 de la Constitution. En effet, dès le discours de Bayeux, le général de Gaulle évoque la nécessité d'un arbitre « au-dessus des contingences politiques ». Pour Guy Mollet et Pierre Pflimlin, en 1958, qui s'interrogent sur le statut du Président de la République dans le projet de Constitution, celui-ci peut soit intervenir dans la vie politique, soit être un arbitre. Mais il ne peut faire les deux. Un accord des ministres d'Etat est obtenu sur le rôle d'arbitre du Président de la République.

Dans une note du 16 juin 1958, Raymond Janot, qui est le plus proche collaborateur de Michel Debré et du général de Gaulle, indique à ce dernier que l'accord sur le rôle d'arbitre est, dans une très large mesure, illusoire.

Dans la tradition des anciens présidents du Conseil, il précise qu'un arbitre est un personnage qui ne prend jamais parti sur les grands problèmes. Quelques jours plus tard, devant le Conseil d'Etat, le même Raymond Janot explique clairement qu'il ne faut pas confondre l'arbitrages elon la tradition et l'arbitrage selon Bayeux. Le 23 juin 1958, Guy Mollet décèle une certaine contradiction entre la possibilité prévue par le projet constitutionnel en faveur du Président de la République de dissoudre sans contreseing et son rôle d'arbitre.

Raymond Janot souligne encore que la conception traditionnelle de l'arbitre n'a aucun sens aujourd'hui. Pour lui, un arbitre est une personne qui décide dans certains cas particulièrement graves et qui, par conséquent, a le pouvoir propre de décider en ces cas graves. Il a expliqué au général l'importance des pouvoirs qu'il pourra exercer sans contreseing. Plus tard, Janot a précisé devant le Conseil d'Etat comment cet arbitre, entendu comme quelqu'un qui, dans un certain nombre de cas précis, prend un certain nombre de décisions, va intervenir dans la vie politique : « d'abord dans le fonctionnement des institutions comme l'autorité morale qu'il représente, ensuite par un certain nombre d'actes qui sont sa chose


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propre sans contreseing, enfin, dans les cas particulièrement graves, grâce aux dispositions de l'article 16 ». Voilà ce que veut dire le mot « arbitrage ».

Plus loin, il explique que le sens du mot « arbitre » tient à la conception même que la Constitution veut donner au rôle du Président de la République. « Si la Constitution est capable de créer une nouvelle Constitution, elle est capable aussi de créer des concepts juridiques, et précisément, ce concept que nous voudrions créer par ce texte. » D. Maus commente justement

: « Il s'agit de confier au Président de la République non seulement des pouvoirs, mais avant tout une mission. La seconde est plus importante que les premiers. »

Immanquablement, cette mission se verra grignotée, voire remplacée, par celle du chef de gouvernement ou de chef de majorité qui, corrélativement, ira sans cesse croissante.

Le Premier ministre qu'on a pu parfois, en certaines configurations politiques, qualifier de « chef de cabinet » pourrait alors se voir reléguer définitivement et structurellement dans ce rôle. Avec le quinquennat, la fonction de Premier ministre s'effacera quasi nécessairement.

C'est de cette conception sui generis du rôle d'arbitre placé au-dessus des partis que dérivent les pouvoirs conférés au Président de la République dans la Constitution de 1958.

De facto, en situation de quinquennat, le Président de la République ne saurait plus être arbitre au sens de la Constitution ni lorsque la majorité parlementaire a la même couleur politique ni lorsque cette coloration est différente. Puisque c'est sur ceux qui allèguent qu'il est nécessaire d'instituer le quinquennat que pèse le fardeau de la preuve, je voudrais bien que l'on m'expliquât comment un arbitre, au sens gaullien et constitutionnel du terme, pourrait alors exister ? L'abolition ou la dénaturation de la notion d'arbitre au sens ainsi évoqué entraînent nécessairement celle de la notion de chef d'Etat dans notre Constitution. Or le comité Vedel a lui-même identifié les données fondamentales de la Ve République : le mode d'élection et le rôle du chef de l'Etat, la fonction de Premier ministre, lar esponsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale, le bicaméralisme différencié, le contrôle de constitutionnalité des lois. Puisque l'institution du quinquennat paraît avoir des effets immédiats et profonds sur le rôle du chef de l'Etat et la fonction de Premier ministre, c'est-à-dire au moins deux des composants fondamentaux de la Ve République, on ne peut qu'en déduire que nous sommes entrés là dans une autre République.

Mais la réforme est aussi susceptible de toucher un troisième constituant fondamental de la Ve République : la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale.

En effet, il faudrait qu'on m'explique aussi quel pourra, ou plutôt, quel pourrait être le sens de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement face à un chef de l'Etat non seulement doté d'importants pouvoirs propres - la dissolution, le pouvoir d'initier un référendum - mais également élu strictement pour appliquer un programme et s'appuyer sur une majorité parlementaire qui, par hypothèse, défend le même programme ? De surcroît, on ne pourra plus guère renverser le Gouvernement sans obliger le chef de l'Etat à la dissolution.

Lorsque le chef de Gouvernement sera appelé à être un simple exécutant du programme présidentiel, c'est-à-dire finalement "un chef de cabinet", un face à face Président et Parlement, caractéristique de l'organisation de la séparation des pouvoirs en régime présidentiel, ne pourra être évité.

Dans ce face à face, le Premier ministre, supposé être tantôt le fusible du Président de la République, tantôt la courroie de transmission de celui-ci et tantôt le galet d'entraînement de la majorité présidentielle, deviendra un organe intermédiaire ayant la qualité de simple exécutant du programme présidentiel. Cet affaiblissement du premier ministre ainsi que ce renforcement du Président de la République seront mécaniquement accentués par la seule perspective, dès la date d'élection présidentielle, de l'échéance de la réélection. Cette logique a souvent été décrite : un président élu pour cinq ans seulement, se trouvera, en effet, poussé à s'emparer, dès son entrée en fonction, de tous les leviers de commandes pour accélérer la réalisation de son programme de manière qu'on en aperçoive les premiers résultats avant le terme de son mandat, mais, pour favoriser aussi sa réélection encore plus tentante dans un rythme électoral notablement raccourci. Et face à ce chef de l'Etat plus pressé qu'auparavant à inscrire dans les faits son action, le Premier ministre perdra le peu de latitude qui lui restait pour s'affirmer à certains moments comme chef de Gouvernement et se verra alors relégué, et cette fois définitivement, dans un rôle de chef de cabinet.

Par conséquent, l'argument récemment avancé, selon lequel l'institution du quinquennat n'instaurerait pas un régime présidentiel puisque subsisterait un Gouvernement responsable devant le Parlement, ne paraît pas suffisant en ne tenant pas compte de ces considérations.

Instaurer le quinquennat, c'est pousser trop loin la logique gouvernementale de notre Constitution. Cela revient à provoquer un bouleversement de celle-ci dont l'ampleur n'est peut-être pas souhaitée par ceux-là même qui voteront la réforme.

Le doyen Vedel a récemment écrit dans Le Monde que le quinquennat instaurerait un régime parlementaire véritable et non un régime présidentiel. A supposer que cela s'avère exact, il y a lieu de préciser que ce serait un régime parlementaire sans chef de l'Etat, alors que les régimes parlementaires que nous connaissons ont un chef de l'Etat qui assure cette fonction symbolique forte d'arbitrage. Cette fonction est définie par la trilogie de l'article 5 de la Constitution, qui garantit l'indépendance nationale, la continuité de l'Etat et l'intégrité du territoire. Il ne s'agit pas de prétendre que le Président de la République est principalement un arbitre. Je dis seulement qu'un pays comme la France, où les oppositions sont parfois très vives, ne peut se passer d'un arbitre, même exerçant à temps complet, qui soit en mesure, en certaines circonstances, de parler au nom de la nation.

D'ailleurs, mis à part les Etats-Unis - et encore - quelle démocratie comparable à la nôtre s'en passe ? Certainement pas l'Allemagne ou le Royaume-Uni.

Faire du chef de l'Etat un pur chef de Gouvernement, voire un chef de majorité parlementaire, est profondément contraire à notre tradition dans laquelle la force symbolique du chef de l'Etat demeure, même si le peuple a besoin d'une certaine personnalisation de ce chef dans lequel il a besoin de se reconnaître.

Comme l'écrivait Raymond Janot : « Une constitution n'est pas seulement un texte juridique, c'est aussi un texte psychologique. » Encore faut-il que la fonction de chef de

l'Etat n'ait pas été abolie, ce qui ne sera plus le cas une fois le projet adopté.


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Trois des cinq éléments fondamentaux de l'esprit ou de l'architecture générale de la Ve République sont abolis par l'effet de l'institution du quinquennat. On peut en tirer la conséquence qui s'impose.

A ceux qui douteraient de la réalité et de la validité des dénaturations ou abolitions que le présent projet de loi comporte, il suffit de rappeler ce que sont le rôle du chef de l'Etat, la fonction du Premier ministre et la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée.

Leur réalité et validité ont été soutenues dans le même temps par Mme Marie-Françoise Bechtel, qui avait été nommée rapporteur général du comité Vedel. Mais le décret du 2 décembre 1992 ayant institué ce comité avait astreint ses membres au secret de leurs délibérations.

Pourtant, en mai/juin 1993, soit deux mois après la remise du rapport, la fondation Jean-Jaurès, qui est à la famille de pensée social-démocrate ce que la fondation Robert-Schuman est à la famille démocrate-chrétienne et l'institut Charles-de-Gaulle à la famille gaulliste, organisait plusieurs séminaires sur la révision de la Constitution, dont l'objet était de discuter les propositions de ce comité.

Le premier de ces séminaires était intitulé : « Faut-il réduire la durée du mandat présidentiel ? ». Mme Bechtel, membre du Conseil d'Etat, y participait et s'opposa aux arguments avancés par un ancien membre du comité Vedel, par ailleurs professeur de sciences politiques et directeur de l'institut d'études politiques, de Paris, en faveur de l'institution du quinquennat, en montrant que, pousser jusqu'au bout la logique de nos institutions risque de nous conduire davantage à un déséquilibre qu'à un meilleur équilibre, contrairement au Président de la République qui pose, lui, que le changement proposé ner emet pas en cause l'équilibre des institutions. La démonstration est entièrement fondée sur les dénaturations et abolitions qu'une telle réforme ne manquerait pas d'engendrer sur les trois mêmes éléments fondamentaux de l'esprit et de l'architecture de la Constitution de la Ve République.

Mme Bechtel en conclut que les risques réels induits sont ceux d'un changement de régime dans les termes révélateurs suivants :

« Surtout les risques d'un changement de régime me paraissent mériter d'être scrupuleusement soupesés au regard des avantages que procurerait le quinquennat. Ces risques sont réels : demain, une inévitable présidentialisation du régime ; plus tard, un président dont le poids serait encore beaucoup plus considérable qu'il ne l'est aujourdhui et qui tendrait à effacer complètement un Premier ministre qui existe encore fortement ; à terme, assez probablement, l'instauration d'un véritable régime présidentiel. Il suffirait de supprimer la dissolution, de la remplacer par le droit de veto, de supprimer le Premier ministre et ce serait, à gros traits, le régime présidentiel que l'on nous présenterait alors comme la suite logique du quinquennat. »

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Cela est hors sujet !

M. Lionnel Luca.

Il n'en demeure pas moins que cette conclusion a été énoncée ! Elle poursuivait : « Tout cela me paraît très excessif. En définitive, si déficit démocratique il y a, il ne me paraît pas du côté du contrôle de la fonction présidentielle mais beaucoup plus du côté de l'exercice de la fonction parlementaire. »

On peut d'autant plus s'interroger sur l'enjeu ultime de la question du quinquennat qu'une immense majorité de la classe politique de la population affirme, sans sourciller, qu'il n'y a pas de problème alors que le comité Vedel dit exactement le contraire. Il est légitime de se demander pourquoi ce qui posait un véritable problème il y a seulement sept ans n'en poserait plus aucun aujourd'hui.

Qu'une minorité parmi la classe politique et la population unanimes soutienne que la question se pose mais qu'un glissement vers un régime présidentiel et vers la sortie de la Ve République non seulement ne se produira pas, affirmant au contraire que cette modification renforcera les principales qualités du régime tout en en supprimant ses inconvénients, est déjà moins préoccupant.

Que certains soient favorables au quinquennat même s'ils sont convaincus qu'il conduira à un changement de régime, c'est leur droit quand bien même jureraient-ils leurs grands dieux que tel ne sera pas l'effet de la réforme.

Il est grave néanmoins que les défenseurs du quinquennat aient plus ou moins consciemment occulté l'enjeu présidentialiste, en omettant de dire qu'un dilemme existe entre, d'une part, le statu quo avec notamment son incohérence cohabitationniste dont on a, à dessein, exagéré les périls, mais qui permet l'existence de majorités gouvernementales même si elles ne sont pas toujours présidentielles et qui présente aux yeux des Français l'avantage d'être susceptible de limiter les pouvoir du Président de la République qu'ils estiment hors de proportion ; et, d'autre part, un changement de régime, ou si l'on préfère, la volonté de résoudre le dilemme entre l'acceptation d'une possible réduction des pouvoirs du Président de la République et son refus par un accroissement tel de ces pouvoirs que cela correspondrait à un saut qualitatif vers une présidentialisation du régime.

Entre la cohabitation, qui constitue l'un des corollaires inévitables de notre régime, et un changement de régime, le choix est fait : le bébé non désiré est jeté mais avec l'eau du bain. Cohabitation et quinquennat ne sauraient cohabiter ! Le système institutionnel forgé pour permettre à l'exécutif de gouverner est tué, pour ne pas avoir permis à l'une de ses deux têtes de conserver sa primauté sur l'autre en toutes circonstances.

En acceptant un rôle de président au-dessus de la mêlée, le Président d'une cohabitation quinquennale risquerait de finir par ne plus avoir qu'à inaugurer les chrysanthèmes, si du moins on estime - ce qui est peut-être injuste - que les pouvoirs du président Coty se réduisaient à cela.

L'enjeu ultime du débat implique un changement non seulement de régime mais aussi de République car, comme le pense le doyen Jeanneau, « à la réflexion, l'enjeu est même beaucoup plus grave dans la mesure où il engage deux conceptions assez différentes de la démocratie : d'un côté, un gouvernement représentatif des diverses composantes de la majorité parlementaire et chargé de fixer et de faire évoluer collégialement la politique intérieure, économique et sociale du pays sous la haute surveillance du chef de l'Etat garant des intérêts supérieurs de la nation, notamment dans les domaines des relations extérieures et de la défense ; de l'autre, un Président déterminant lui-même, sur la base de son programme électoral, la politique nationale, l'adoptant au gré des circonstances et des influences de son entourage et la faisant exécuter par son Gouvernement.


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Il s'agit de deux modes d'exercice du pouvoir au nom desquels le général de Gaulle et le comité consultatif constitutionnel s'étaient déjà affrontés en 1958, mais qui méritaient bien d'être réévalués à la lumière d'une pr atique maintenant plus que trentenaire.

Au nom de la modernité, laquelle est associée, dans l'inconscient collectif, à celle de progrès, ce qui lui donne un prestige certain et lui confère un côté magique, on prétend débarrasser notre régime politique de survivances, de vieilleries qui paraissent démodées mais qui conservent une utilité. Tel est le cas du septennat, pièce maîtresse, dernier rempart du régime, de sorte qu'à ébranler ce mur de soutènement, on peut craindre de déstabiliser tout l'édifice et de déclencher d'autres désordres dont il est difficile d'évaluer l'intensité.

Si cette remise en cause de la Constitution au nom de la modernité ne nous paraît pas fondée, tel est encore moins le cas de la procédure d'urgence qui l'accompagne.

Elle apparaît malheureusement comme une manoeuvre politicienne supplémentaire qui prend les Français en otages et va les éloigner un peu plus de la vie publique...

M. Michel Hunault.

N'importe quoi !

M. Lionnel Luca.

... comme si, en cassant le thermomètre constitutionnel, on allait réduire la fièvre abstentionniste. Il suffit, pour s'en convaincre, de voir l'empressement dont font preuve les Français sur la question.

C'est bien évidemment une coïncidence si la proposition de quinquennat formulée par un ancien chef de l'Etat cruellement désavoué lorsqu'il a sollicité un second septennat, est intervenue trois jours après le quinquennat effectif du Président en exercice ! Cette réforme qui, qu'on le veuille ou non, apparaîtra aux yeux des Français comme de circonstance et de convenance, satisfera peut-être les deux têtes de l'exécutif et leurs partisans mais elle transformera une fois de plus la cohabitation en compromis. Ce n'est d'ailleurs pas le moindre des paradoxes que d'arguer que cette réforme diminuera les risques de cohabitation alors qu'on semble s'en délecter.

Tous les arguments invoqués ne sont que des prétextes fallacieux. Les Français ont bien compris qu'il s'agissait moins de réduire le mandat présidentiel que d'assurer plus sûrement la réélection de l'actuel titulaire du poste et/ou celle des candidats officiels ou potentiels à sa succession. En effet nul responsable politique d'aujourd'hui ne croit plus possible de renouveler la performance du général de Gaulle ou de François Mitterrand, car nul ne se sent de taille à incarner l'espoir des Français sur une durée aussi longue qu'un double septennat.

Les Français vont vite comprendre qu'ils auront plus sûrement un Président de la République pour dix ans plutôt que pour sept, car la logique politicienne du quinquennat appellera évidemment un deuxième mandat, sur le modèle américain et, par-delà, une certaine démagogie permanente.

Cédant aux effets de mode, aux réflexions superficielles, aux ambitions personnelles inassouvies et mal dissimulées, on détruit l'un des piliers de nos institutions qui a pourtant fait ses preuves. Une fois de plus, ce sont ceux-là mêmes qui avaient vocation à en être les remparts qui en sont devenus les lignes Maginot.

Le 31 janvier 1964, le général de Gaulle déclarait :

« Parce que la France est ce qu'elle est, il ne faut pas que le Président soit élu simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérant le caractère et abrégeant la durée de sa fonction de chef de l'Etat ».

Loin d'être une réforme moderne ou anodine, cette m odification n'est qu'un début de changement de République.

Pour toutes ces raisons, le Rassemblement pour la France considère qu'elle n'a pas de raison d'être et vous demande de voter la question préalable.

M. Philippe de Villiers.

Très bien !

M. le président.

Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann.

Dès les premières heures de ce débat, nous avons pu constater qu'il existait différentes approches de la question de quinquennat.

Il y a d'abord l'approche politicienne, comme celle exprimée par certains orateurs de la majorité selon lesquels le quinquennat serait une proposition traditionnelle du parti socialiste qui aboutirait aujourd'hui.

M. François Colcombet.

C'est vrai !

M. Jean-Luc Warsmann.

Quelle contre-vérité, mes chers collègues ! En effet, si, en 1973, le groupe socialiste n'avait pas voté contre, si l'orateur du groupe socialiste de l'époque, M. Mermaz, avait joint ses efforts à ceux de la majorité gaulliste d'alors, le quinquennat aurait été instauré. Si F rançois Mitterrand, durant ses deux septennats entre 1981 et 1995 - avait repris la procédure de 1973, ou s'il en avait engagé une autre le quinquennat serait la règle !

M. Jacques Floch.

Et si, et si, et si !

M. Alain Néri.

Et si Giscard l'avait fait en 1974 ?

M. Jean-Luc Warsmann.

Nous avons ensuite une approche cataclysmique selon laquelle le quinquennat engendrerait une véritable révolution dans nos institutions, dont il remettrait en cause les principaux piliers.

Nous avons même entendu dire qu'il provoquerait un déséquilibre psychologique des institutions ! Les tenants de cette thèse oublient un peu vite que si le général de Gaulle a été élu deux fois pour un septennat, il a également fait en sorte de rencontrer les Français à l'occasion de référendums, engageant chaque fois sa responsabilité. Il indiquait en effet aux Français qu'en cas d'échec il considérerait que son lien avec la population serait rompu et qu'il se retirerait.

Cela démontre que le général de Gaulle considérait luimême que cette durée de sept ans était longue et qu'il fallait susciter des occasions de solliciter le suffrage universel.

M. Jean-Louis Idiart.

On a tenu le même raisonnement pour la dissolution.

M. Jean-Luc Warsmann.

Depuis le départ du général de Gaulle le recours au référendum avec engagement de la responsabilité du Président de la République n'a plus été utilisé.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Giscard n'a pas fait de référendum !

M. Jean-Luc Warsmann.

D'ailleurs, si un président de la République utilisait le même procédé, aujourd'hui, une grande partie de nos concitoyens aurait tendance à le considérer comme une recherche de plébiscite.

Les temps ont changé. Il faut donc engager la discussion autour de la simple question de savoir quelles évolutions le quinquennat peut apporter dans nos institu-


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tions. Les évolutions positives sont nombreuses : rapprocher les rendez-vous avec le suffrage universel, confirmer le rôle de garant des institutions du Président de la République, rendre plus probable l'élection d'un président de la République sur un projet légitimé par les Français et confirmé par une majorité parlementaire qui lui donnerait l'occasion de le mettre en oeuvre.

Il est grand temps d'entrer dans le débat, grand temps d'échanger des arguments de fond, grand temps, pour le groupe RPR, de développer ses idées. Nous sommes favorables au quinquennat et c'est pourquoi, fort logiquement, nous ne voterons pas la question préalable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Bernard Roman, président de la commission.

Il faudrait tout de même que quelqu'un défende le Président de la République !

M. le président.

La parole est à M. Léonce Deprez.

M. Léonce Deprez.

Je ne suis pas de ceux qui ont des vues sombres sur l'avenir et j'approuve mon collègue Renaud Donnedieu de Vabres qui a exprimé, avec juste raison, un certain optimisme.

Nous sommes à la fin d'un siècle qui a démontré l'efficacité des institutions de la Ve République que nous devons au général de Gaulle. Commençons donc par reconnaître leur efficacité avant de vouloir les changer.

Les quarante années passées sous leur égide ont permis à l a France d'être, dans le cadre de l'Europe, une République respectée et respectable. Sauvegardons donc tous les effets bienfaisants de cette Ve République.

Ensuite, quatre Présidents de la République, respectables les uns et les autres, ont vécu l'expérience de la fonction. Or ils ont tous exprimé, à un moment ou à un autre, l'opinion qu'il fallait adopter le quinquennat comme solution pour le futur. Comment pourrions-nous ne pas tenir compte de leur position ? Par ailleurs, il est tout à fait logique qu'après quarante ans et au début d'un nouveau siècle, la République veuille se moderniser alors que le monde entier connaît tant d'évolutions dans tous les domaines. En la matière, la modernisation peut consister à donner un rythme unique de respiration à la démocratie en faisant en sorte que soient élus, en même temps, tous les cinq ans, celui qui sera à la tête de l'Etat et ceux qui représenteront le peuple à l'Assemblée nationale. Cela ne pourra avoir que des effets bienfaisants.

Nous regrettons souvent que la cohabitation donne plutôt l'impression qu'il y a une atmosphère de duel à la tête de l'Etat, même s'il est pacifique, alors qu'il devrait s'agir d'un duo. Il serait en tous points préférable qu'il s'agisse d'une coopération réelle entre l'élu du peuple qui est à la tête de l'Etat et les élus de la nation que nous représentons dans l'Assemblée nationale. Pourquoi ne pas croire et montrer aux Français que cela est possible ? C'est cette nouvelle phase de la République que nous devons préparer en donnant confiance aux Français dans cette évolution.

En fait est posée une question simple : voulez-vous que la République rythme sa démocratie tous les cinq ans ? Nous répondons oui. Ensuite il s'agira d'assurer le meilleur équilibre possible des pouvoirs, d'une part entre le Président de la République et les élus de l'Assemblée nationale, d'autre part, entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

N ous sommes nombeux à ne pas souhaiter la VIe République. Nous sommes certainement très nombreux à ne pas vouloir un régime monarchique à travers la République. L'évolution que nous allons voter va favoriser la démonarchisation de la République, qui était une dérive par rapport à ce qu'avait voulu le général de Gaulle. Voilà pourquoi il ne faut pas continer à répandre le doute et le pessimisme au prétexte que nous allons voter le quinquennat.

Nous devons, au contraire, initier un courant d'optimisme dans la nation et profiter de cette réforme qui devra être suivie d'autres pour redonner confiance aux Français dans la politique et dans la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Floch.

M. Jacques Floch.

Mes collègues du groupe socialiste ont bien écouté les deux orateurs précédents, particulièrement Jean-Luc Warsmann. Je leur demande simplement d'oublier son discours gaullien, mais d'accepter sa conclusion et de ne pas voter la question préalable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. René André.

Pour une fois M. Floch a été bon !

M. le président.

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2 DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président.

J'ai reçu, le 14 juin 2000, de Mme Catherine Picard, un rapport no 2472, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, sur les propositions de loi : 1o Adoptée par le Sénat, tendant à renforcer le dispositif pénal à l'encontre des associations ou groupements constituant, par leurs agissements délictueux, un trouble à l'ordre public ou un péril majeur pour la personne humaine (no 2034) ; 2o De Mme Catherine Picard et plusieurs de ses collègues, tendant à renforcer la prévention et la répression à l'encontre des groupements à caractère sectaire (no 2435) ; de M. Eric Doligé et plusieurs de ses collègues, tendant à créer un délit de manipulation mentale (no 2291) ; de M. Jean Tiberi et plusieurs de ses collègues, sur la protection des personnes vulnérables aux activités répréhensibles des sectes (no 2213) ; de M. Eric Doligé et plusieurs de ses collègues, tendant à renforcer notre dispositif légal de lutte contre les sectes (no 2156) ; de M. Jean-Pierre Brard et plusieurs de ses collègues, tendant à renforcer le dispositif juridique à l'encontre des associations ou groupements constituant, par leurs agissements délictueux, un trouble à l'ordre public ou un péril majeur pour la personne humaine (no 2151) ;


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 JUIN 2000

de M. Eric Doligé, tendant à permettre aux associations de lutte contre les sectes de se porter partie civile (no 1511) ; de Mme Catherine Picard et plusieurs de ses collègues, relative à la lutte contre les sectes et ouvrant à certaines associations le droit de se porter partie civile (no 1295) ; de M. Jean-Pierre Brard, relative aux conditions d'obtention d'un financement public pour les partis et groupements politiques (no 842) ; de M. Jean-Pierre Brard et plusieurs de ses collègues, visant à restreindre l'attribution de permis de construire à des associations à caractère sectaire (no 402) ; de M. Pierre Albertini et plusieurs de ses collègues, tendant à créer un Haut Conseil des cultes (no 376).

J'ai reçu, le 14 juin 2000, de M. Jean-Yves Caullet un rapport, no 2473, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, sur les propositions de loi organique : 1o De M. Emile Vernaudon, relative à l'élection de l'Assemblée de la Polynésie française (no 2329) ; 2o De M. Emile Vernaudon, destinée à améliorer l'équité des élections à l'Assemblée de la Polynésie fran çaise (no 1448) ; 3o De M. Michel Buillard et M. Dominique Perben, tendant à modifier la loi no 52-1175 du 21 octobre 1952 pour rééquilibrer la répartition des sièges à l'Assemblée de la Polynésie française (no 2410).

J'ai reçu, le 14 juin 2000, de M. Didier Migaud, rapporteur général, un rapport, no 2474, fait au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, en nouvelle lecture, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2000, modifié par le Sénat (no 2468).

J'ai reçu, le 14 juin 2000, de M. Patrick Leroy, un rapport, no 2475, fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, en vue de la lecture définitive du projet de loi modifiant la loi no 84610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives (no 2453).

3 DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

M. le président.

J'ai reçu, le 14 juin 2000, de MM. Gérard Fuchs et Daniel Feurtet un rapport d'information, no 2476, déposé, en application de l'article 146 du règlement, par la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, sur les mouvements internationaux de capitaux.

4

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Jeudi 15 juin 2000, à neuf heures trente, première séance publique : Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, no 2462, relatif à la durée du mandat du Président de la République : M. Gérard Gouzes, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 2463) ; Discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, no 2456, modifiant la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : M. Didier Mathus, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 2471).

A quinze heures, deuxième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT