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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Quinquennat. - Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle (p. 5371).

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 5371)

MM. Bernard Charles, José Rossi, Jacques Floch, Jean-Louis Debré, Jacques Brunhes, Philippe Douste-Blazy, Jean-Pierre Michel, François Hollande, Mme Marie-Hélène Aubert,

M.

Jean-Pierre Blazy, Mme Nicole Feidt,

M.

François Colcombet.

Clôture de la discussion générale.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION (p. 5394)

M otion de renvoi en commission de M. Myard : MM. Jacques Myard, Gérard Gouzes, rapporteur de la c ommission des lois ; Hervé Gaymard, Hervé de Charette. - Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion du projet de loi à la prochaine séance.

2. Ordre du jour des prochaines séances (p. 5398).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

QUINQUENNAT Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à la durée du mandat du Président de la République (nos 2462, 2463).

Discussion générale

M. le président.

La parole est à M. Bernard Charles, premier orateur dans la discussion générale.

M. Bernard Charles.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour débattre de la seule réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans. Ce projet de loi donne l'impression d'une réforme de circonstance. Il peut faire penser que le monde politique est plus enclin à s'intéresser à son sort qu'aux grands problèmes du moment.

Soyons francs : le quinquennat sec n'est pas aujourd'hui la préoccupation essentielle des Français.

Pour leur part, les députés radicaux de gauche ont souhaité, vous le savez, poser le débat dans sa globalité dans l e cadre d'une véritable réforme constitutionnelle moderne adaptée à notre temps, c'est-à-dire aller vers la VIe République.

En effet, qu'il s'agisse de l'Etat, des collectivités territoriales, de la coopération intercommunale, nous estimons que la place de nos concitoyens dans cet édifice global doit être mieux prise en compte. Il est dommage aujourd'hui de ne pas poser toutes les questions relatives à l'organisation de la démocratie dans notre pays.

C'est pourquoi nous avons déposé en commission plusieurs amendements qui traduisent que la seule instauration du quinquennat, même si elle impulse un mouvement, est notoirement insuffisante pour moderniser nos institutions et mobiliser notre opinion publique. Par volonté de ne pas allonger inutilement le débat, nous avons décidé de les retirer en séance.

Cette humeur réformatrice - évolution ponctuelle doit rapidement faire place à un chantier d'importance.

Nous ne souhaitons pas que la nécessaire réforme des institutions s'arrête là. Osons nous pencher sur les problèmes de fond. Réfléchissons, sans dégrader nos acquis républicains, sur l'adaptation de notre fonctionnement démocratique aux enjeux de demain.

Cette réforme, qui, comme l'a brillamment rappelé Mme la garde des sceaux, est portée depuis longtemps par la gauche, nous l'assumons pleinement car elle enclenche un processus inéluctable. Mais nous souhaitons qu'elle en appelle d'autres : régime présidentiel, séparation des pouvoirs, renforcement des pouvoirs du Parlement, renforcement de la démocratie des citoyens, de la démocratie locale et de la démocratie sociale.

Ces ambitions, ces idées seront, nous en sommes sûrs, parmi les thèmes forts des prochaines échéances électorales nationales.

L'équilibre général de nos institutions doit, en effet, être modifié.

Il se caractérise aujourd'hui par l'opposition de deux légitimités : celle du Président de la République, élu au suffrage universel et soutenu par la majorité qui l'a porté au pouvoir, et celle de la majorité parlementaire lorsqu'elle ne correspond pas à la première. C'est ce que nous vivons actuellemment : la majorité présidentielle est la minorité parlementaire et inversement.

Les institutions de la Ve République ont été adoptées en 1958. Par leur histoire, les radicaux n'en ont jamais été des fervents défenseurs. Mises en place pour un homme, le général de Gaulle, ces institutions se caractérisent, il faut le reconnaître, par leur capacité d'adaptation - que nous avons vécue au fil du temps - puisqu'aucune crise de régime n'est venue troubler ces vingt dernières années, malgré cinq alternances parlementaires ! Pour autant, on ne peut pas considérer que nos concitoyens sont, aujourd'hui, placés au coeur de nos institutions. La mutation de notre société, la construction européenne, les conséquences de la mondialisation montrent que la société civile peut être amenée aujourd'hui à s'exprimer parfois en marge du cadre institutionnel. Nous ne pensons donc pas que la seule réduction de la durée du mandat présidentiel suffise à régler la question, centrale à nos yeux, de la place de nos concitoyens dans l'organisation de notre société, le corollaire étant la perception que ces derniers doivent avoir du pouvoir politique, de son fonctionnement et de sa transparence.

C'est pourquoi nous estimons qu'un cadre institutionnel rénové qui prenne en compte les aspirations rappelées et rationalise nos procédures constitutionnelles et parlementaires doit être proposé.

Les amendements que nous avions déposés en commission se caractérisent par l'intégration au bloc de constitutionnalité des principes définis par la Convention europ éenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales, la suppression du poste de Premier ministre et le transfert de ses prérogatives au Président de la République et la réduction du mandat présidentiel à cinq ans.

Selon nous, le Président de la République devrait s'exprimer, symboliquement, devant le Congrès, pour lui exposer ses orientations pour l'année à venir. Ses pouvoirs


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seraient, d'ailleurs, modifiés, puisque le droit de dissolution disparaîtrait, ainsi que toutes les mesures coercitives vis-à-vis du Parlement. Le cadre parlementaire ne serait plus considéré comme un simple passage obligé.

La pratique actuelle instaurée par le Premier ministre, au sein de la majorité plurielle, ne préfigure en rien celle que pourraient adopter ses successeurs. Rien ne garantit la pérennité d'une telle pratique qui assure la pluralité des opinions et qui est clairement acceptée par un exécutif, dès lors que les bases majoritaires sont respectées.

S'agissant du Parlement, nous proposons de procéder à une réduction du mandat de sénateur, qui, aujourd'hui d'une durée de neuf ans, ne correspond en rien aux exigences de notre société. Nous considérons aussi que la majorité d'entre eux doit être élue au suffrage universel, de manière à en rééquilibrer la composition.

Président de la République, députés et sénateurs seraient élus le même jour pour une même durée. L'enjeu du débat serait ainsi très clair puisqu'il s'agirait de porter au pouvoir une majorité clairement définie et identifiée.

Europe, rationalisation des pouvoirs, réhabilitation du Parlement avec impossibilité pour le Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale et en parallèle impossibilité pour l'Assemblée de renverser le Gouvernement : autant de modifications qui devraient rendre à nos concitoyens confiance dans nos institutions.

Nous souhaitons, madame la ministre, que la majorité plurielle engage une réflexion approfondie sur l'avenir de ces institutions, afin de faire, dès qu'elle en aura les moyens, des réformes porteuses d'avenir, qui mobiliseront les Français.

Nous avons exprimé notre vision globale pour l'avenir.

Je l'ai exposée clairement au début de mon intervention en appelant de mes voeux la VIe République. Mais nous voterons sans état d'âme le projet de loi constitutionnel qui nous est proposé, car il constitue, cependant, une avancée politique non négligeable.

M. Gérard Gouzes, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. José Rossi.

M. José Rossi.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, cent ans après l'adoption du septennat présidentiel, le Président Pompidou proposait de réduire la durée de ce mandat de sept à cinq ans. Sans l'opposition de la gauche d'alors, la vie politique française sous la Ve République aurait sans doute pris sur beaucoup de questions essentielles des orientations différentes et cela aurait concouru à la modernisation de notre démocratie.

Vous avez rappelé, madame la garde des sceaux, qu'au début de la Ve République, la gauche était favorable au quinquennat mais elle ne l'était pas en 1973.

Un quart de siècle plus tard, l'initiative parlementaire d'un ancien Président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, la volonté de l'actuel Président de la République, Jacques Chirac, et l'accord du gouvernement de Lionel Jospin vont permettre de faire enfin aboutir une réforme approuvée depuis de longues années par une très large majorité de Français.

Ce consensus institutionnel au sommet de l'Etat est rassurant pour nos concitoyens. Il doit être un encouragement à aller vite, non pour échapper au débat mais pour concrétiser enfin une décision qui s'impose.

Je voudrais livrer la réflexion du groupe Démocratie libérale en deux affirmations.

Première affirmation : il faut passer du septennat au quinquennat pour épanouir la démocratie mais aussi pour affermir la fonction présidentielle menacée par les pratiques successives de la cohabitation et par les évolutions de notre société.

S econde affirmation : il faut en même temps reconnaître que, si le quinquennat tel qu'il nous est proposé n'a pas vocation aujourd'hui à transformer la nature de nos institutions, il peut néanmoins apparaître comme un signal fort pour la modernisation de notre démocratie.

Le passage du septennat au quinquennat s'impose d'abord parce que les deux modèles français de septennat sont dépassés et inadaptés à l'évolution de la pratique des institutions.

Le septennat présidentiel, nous l'avons longuement dit hier, est, il faut le savoir, une exception française, une exception qui a d'ailleurs débouché sur deux modèles différents : le septennat Mac-Mahon et le septennat de Gaulle.

Le premier modèle, le septennat Mac-Mahon, résulte, vous l'avez dit, d'un accident de l'histoire. Il est issu d'un compromis entre monarchistes et républicains qui avait pour vocation de tailler un costume sur mesure pour le maréchal Mac-Mahon.

Ce choix ne doit rien à la mise en oeuvre de grands principes constitutionnels ni au fruit d'une réflexion approfondie sur l'avenir institutionnel de la France. Le quinquennat était tout simplement jugé trop bref pour les monarchistes et la décennie, trop longue pour les républicains.

Ce septennat personnel, répondant aux ambitions du maréchal-président, recevait, le 30 janvier 1875, la légitimité démocratique qui lui manquait par l'amendement du libéral Wallon qui ouvrait ainsi la voie à un pouvoir présidentiel fort mais démocratique.

Cette perspective aura été de courte durée puisque, dès la crise du 16 mai 1877 et l'interprétation des textes par le président Grévy, la fonction présidentielle est entrée dans une longue période d'hibernation qui a marqué la P résidence de la République sous la IIIe et la IVe Républiques.

Le second modèle, le septennat de Gaulle, découle, au contraire, d'une volonté forte de restaurer de l'autorité de l'Etat. Dans le contexte politique et institutionnel de 1958, il était certes essentiel de donner des gages aux parlementaires en reprenant la durée du mandat présidentiel de sept ans héritée des Républiques précédentes. Mais l'objectif du général de Gaulle était de garantir d'abord la stabilité des institutions et d'affirmer le rang de la France dans le monde. Aussi le septennat ne pouvait-il rester une coquille vide. Ce sont donc des pouvoirs présidentiels considérablement renforcés qui allaient rendre un sens au septennat et apporter à l'effort national de reconstruction, d e modernisation et d'indépendance un instrument approprié.

Le pari du général de Gaulle a été gagné. La Ve République a bénéficié d'institutions fortes et stables.

Elle a éliminé les crises constitutionnelles et les exécutifs intermittents des régimes précédents. Sa longévité n'est aujourd'hui surpassée que par celle de la IIIe République.

Ses opposants les plus déterminés ont d'ailleurs abandonné leurs critiques originelles dès qu'ils ont accédé au pouvoir.

Pourtant, dès 1973, le Président Pompidou avait compris qu'il serait difficile à un président qui ne serait pas doté de la personnalité historique du général de Gaulle de préserver, pendant sept ans, son autorité sans


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revenir devant les électeurs, et de garder ainsi, de manière incontestable, la légitimité que seul le suffrage universel donne.

Les périodes de cohabitation qui se sont succédé à partir de 1986 - de 1986 à 1988, de 1993 à 1995, et enfin de 1997 à 2002 vraisemblablement - ont été des signes d'une forme d'affaiblissement de la fonction présidentielle telle qu'elle avait été conçue par le général de Gaulle.

Personne ne peut contester aujourd'hui que la conception du général de Gaulle d'un chef de l'Etat « clé de voûte des institutions » a été profondément transformée.

Pour le général de Gaulle, c'est du Président de la République qu'émanaient toutes les dimensions du pouvoir d'Etat : pouvoir diplomatique, militaire, gouvernemental et administratif.

En lien direct avec le peuple, le président ne pouvait rester en fonction que s'il bénéficiait de sa confiance, confirmée régulièrement par le suffrage universel.

Le septennat était donc la durée nécessaire pour être maître du temps. C'était d'ailleurs une durée théorique, car il appartenait au président de vérifier la confiance que lui accordait le pays par l'intermédiaire du référendum ou d e la dissolution. Si cette vérification n'était pas concluante, le président démissionnait. C'est ainsi qu'au lendemain du référendum perdu du 27 avril 1969, le général de Gaulle quittera le pouvoir après quatre années de son second septennat.

Cette conception tout à la fois populaire et aristocratique du pouvoir, aucun de ses successeurs - Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand ou Jacques Chirac - ne l'a faite sienne. Les partis se sont présidentialisés en présentant leur chef à l'élection pré sidentielle et en faisant de celle-ci la compétition politique suprême. Dès lors, le président est devenu de fait le chef de la majorité parlementaire, quand il en existait une derrière lui, quitte à compléter l'élection présidentielle p ar une dissolution pour y parvenir. Ce fut ainsi le choix, réussi, de François Mitterrand en 1981 et en 1988 ; jusqu'en 1986, le Président a toujours obtenu la victoire des siens aux élections législatives. Ce parlementarisme majoritaire original, où le chef de la majorité parlementaire est à l'Elysée et son second à Matignon, a fonctionné parfaitement jusque-là.

Mais depuis 1986, le président a vu son camp perdre à trois reprises les élections législatives, et son principal opposant devenir Premier ministre. Le président Mitterrand n'a démissionné ni en 1986 ni en 1993, par plus que le président Chirac en 1997. En tout état de cause, aussi bien François Mitterrand que Jacques Chirac ont contribué à susciter par leur pratique une question fondamentale que chacun peut se poser sur l'avenir de la fonction présidentielle.

Veut-on, dès lors, oui ou non, avec le quinquennat, donner un nouvel élan à la fonction présidentielle, ce qui permettrait de retrouver par d'autres voies la suprématie du président ? Ou considère-t-on, à l'inverse, que l'évolution parlementariste de nos institutions est durable ? Le choix du quinquennat a vocation, en réalité, à stabiliser et à renforcer la fonction présidentielle dans un contexte politique moins favorable.

Il existe en effet en Europe une tendance à un pouvoir présidentiel modeste. C'est évidemment le cas dans la plupart des pays qui n'élisent pas le chef de l'Etat au suffrage universel ; mais dans d'autres qui, il est vrai, n'ont pas dans l'Europe le poids considérable de la France, l'élection au suffrage universel du président n'empêche pas la prédominance d'un régime parlementaire. C'est le cas en Finlande ou en Irlande. On assiste également à une réduction du poids présidentiel dans d'autres pays d'Europe, comme le Portugal ou la Pologne.

Enfin, au moment où la construction européenne s'élabore à un niveau intergouvernemental, où les relations internationales se sont pacifiées, peut-être les peuples ressentent-ils moins la nécessité de la présence à la tête de l'Etat d'un chef assurant tout à la fois la dimension politique et la dimension militaire.

Le maintien du septennat, compte tenu de l'état de la politique française et du contexte international, pourrait donc, si l'on n'y prenait garde, entraîner paradoxalement un déclin significatif de la fonction présidentielle. Mais le passage au quinquennat, contrairement à certaines idées reçues, peut tout aussi bien être l'occasion d'une restauration de la prééminence du Président, résultat du suffrage universel sollicité plus fréquemment et de la réduction des risques d'une cohabitation rendue plus improbable.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous devons passer, nous semble-t-il, du septennat au quinquennat, mais sans bouleversement institutionnel. Aux yeux du groupe Démocratie libérale et Indépendants, il s'agit de la première étape non d'un bouleversement futur, comme certains le préconisent - peut-être se produira-t-il -, mais tout simplement d'une modernisation, qu'il faut souhaiter la plus rapide possible, de notre démocratie.

Pour atteindre cet objectif, il faut accepter aujourd'hui l e quinquennat sans bouleversement institutionnel, comme nous le proposent le Président de la République et le Gouvernement. C'est ce qui est prévu par le projet de loi constitutionnelle soumis à l'Assemblée nationale.

Et plutôt que de tirer des plans sur la comète, dans un débat toujours recommencé opposant les tenants du régime présidentiel à ceux du régime parlementaire, pourquoi ne pas réfléchir tranquillement à une modernisation en profondeur de notre démocratie, tant au niveau du P arlement que des collectivités territoriales de la République ? Le quinquennat, répétons-le, n'entraîne pas à lui seul un bouleversement institutionnel susceptible de remettre en cause l'équilibre des pouvoirs.

Il est vrai que, dans cette assemblée, cette affirmation est parfois contestée : chacun doit avoir son analyse sur la question. Mais une analyse pratique et pragmatique du moment ne peut, me semble-t-il, qu'aboutir à ce constat.

Les juristes, de leur côté, sont partagés. Pour certains, le quinquennat est la voie ouverte au régime présidentiel.

Pour d'autres, c'est le probable retour au régime d'assemblée. C'est ignorer que notre Constitution a pris ses marques et qu'elle s'est enracinée dans la société française.

Le risque de dérive vers l'un ou l'autre type de régime est extrêmement faible. Peut-être est-il parfois évoqué avec quelques arrière-pensées pour bloquer encore le quinquennat alors que les Français l'attendent.

En revanche, force est de reconnaître qu'il serait dangereux, sans approfondissement, de jouer les apprentis sorciers constitutionnels en voulant tout changer brutalement. Les institutions de la Ve République ont suffisamment démontré leur adaptabilité pour que l'on n'ouvre pas une boîte de Pandore. La Constitution est le produit d'un savant équilibre qui prend en compte le caractère original de la nation française.

Certes, pour certains, chaque révision constitutionnelle est l'occasion d'un grand soir. C'est quand même en France une constante qui nous a fait vivre en deux siècles sous douze constitutions différentes alors que les EtatsUnis en sont toujours à leur première - largement amen-


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dée, il est vrai. Sachons dès lors reconnaître la force de la Constitution de la Ve République, qui a su rester stable sur l'essentiel et se faire accepter par les Français. Nous mesurerons à l'expérience l'impact du quinquennat. Et s'il fallait préparer une nouvelle voie pour un nouvel équilibre constitutionnel, il conviendrait de rechercher le même consensus que celui qui semble se dégager aujourd'hui sur le quinquennat.

Je ne suivrai donc pas ceux qui pensent que le régime sera dénaturé par le quinquennat et qu'il faut supprimer dès maintenant la fonction de Premier ministre qui serait devenue inutile, tout comme le droit de dissolution ou le principe de la responsabilité du Gouvernement.

Faut-il rappeler que, de 1958 à 1986, quand majorités présidentielles et parlementaires coïncidaient, nul ne s'est risqué à affirmer l'inutilité du Premier ministre ? Quand au droit de dissolution, il constitue un outil clé pour trancher un conflit. La force de nos institutions tient aussi à leur souplesse. Ne prenons pas le risque de les rigidifier. Garantir le rôle du Premier ministre, affirmer la responsabilité parlementaire, maintenir le droit de dissolution, c'est l'essence même de l'esprit des institutions de la Ve République. Il serait dangereux de vouloir à partir du quinquennat imposer, sans approfondissement, un régime nouveau qui ne tiendrait pas compte de l'originalité française.

A utre question souvent évoquée : le quinquennat remettra-t-il en cause la stabilité du pouvoir exécutif ? Comment pourrait-on valablement répondre oui, alors qu'en réalité, quand on y regarde de près, c'est le système actuel qui a produit au bout du compte les changements d'équipe gouvernementale les plus nombreux ? Depuis 1986, en quatorze ans, sept premiers ministres se sont succédé, soit presque autant que lors des vingt-huit premières années de la Ve République.

Qu'en est-il par ailleurs de la menace d'un retour au régime des partis ? Elle est évidemment exagérée, compte tenu des pouvoirs que continue à détenir l'exécutif face au Parlement.

De même, nous dit-on, l'image du Président de la République serait écornée par le quinquennat, car il serait contraint de descendre trop souvent dans l'arène électorale. C'est oublier que le Président de la République tire son autorité du suffrage universel et d'abord de sa propre élection.

Il n'est donc pas nécessaire de réfuter à l'infini tous ces arguments de façade. A un certain moment, il faut savoir décider. Les députés de Démocratie libérale sont franchement favorables au quinquennat. Nous sommes en cela cohérents avec le premier point des « dix choix pour la France » qui figurent dans notre projet politique. Nous considérons que l'exécutif doit toujours être en situation de proposer et d'agir. Nous estimons que l'esprit de réforme ne doit pas être entravé par des cohabitations sclérosantes.

Sans bouleversement institutionnel, est-il possible dès lors de moderniser notre démocratie ? Au-delà du quinquennat, la question qui intéresse en effet tous les Français est de savoir quel projet et quel avenir donner à la France du

XXIe siècle. Or la redistribution des pouvoirs sera à l'évidence l'un des grands enjeux des prochaines consultations nationales, législatives et présidentielle.

Le Parlement, les partenaires sociaux et les collectivités t erritoriales, comme l'a indiqué le Président de la République, seront le champ privilégié d'une nouvelle donne démocratique. Les Français réclament un Parlement plus vigilant sur le suivi de l'action de l'exécutif.

Ses fonctions de contrôle et d'enquête, nous le demandons depuis longtemps, devra être considérablement renforcées. L'évaluation des politiques publiques, notamment budgétaires, devra bénéficier des moyens d'analyse et d'investigation adaptées à l'importance de sa mission. Je me réjouis que la commission des finances travaille aujourd'hui dans cet esprit et soit sans doute en mesure de nous présenter des propositions pour la rentrée parlementaire.

Dans le même esprit, le travail parlementaire sera aussi revalorisé par un choix politique clair, à l'opposé d'une prolifération législative et réglementaire contraire par sa complexité à toute pratique démocratique. L'Etat central doit savoir cesser de vouloir tout décider et tout encadrer.

Il doit laisser aux partenaires sociaux et aux collectivités territoriales plus de champ, d'initiative et de liberté.

C'est une nouvelle gouvernance, plus efficace, plus humaine et plus transparente, qui doit prendre le relais de la gestion technocratique qui nous est trop souvent imposée. Il faudra enfin avoir le courage de toiletter le c orps législatif et réglementaire pour alléger les contraintes insupportables qui bloquent de plus en plus les citoyens et les entreprises.

Mais surtout, dans le cadre de cette nouvelle gouvernance pour une modernisation de notre démocratie, le grand chantier des prochaines années sera celui du pouvoir local. Au-delà d'un discours en apparence ouvert, le Gouvernement dont vous êtes membre, madame la garde des sceaux, a laissé se développer, comme l'ont récemment qualifiée les présidents de région, sous l'autorité du président Raffarin, une forme de recentralisation rampante qui rétablit de fait la tutelle de l'Etat sur les collectivités territoriales.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Elle ne rampe plus, elle galope !

M. José Rossi.

Le remplacement de certains impôts directs locaux au cours des dernières années par des dotations de l'Etat en a été la preuve la plus tangible.

Alors que nos partenaires européens ont su pour la plupart réussir des transferts de compétence massifs à leurs collectivités territoriales sans le moindre préjudice pour leur unité nationale, on ne peut que constater le gâchis et les dysfonctionnements que génèrent encore en France l'omnipotence des bureaux parisiens qui freinent l'initiative et l'émergence d'élites locales.

Au début de ce siècle, les collectivités locales pourront répondre, mieux que le pouvoir central, aux nouveaux besoins sociaux. Au temps de l'économie mondiale et de la révolution numérique, les structures souples et légères, en phase avec celles de l'Internet, seront plus adaptées et plus efficaces.

Mais, au-delà des compétences et des ressources, les collectivités territoriales devront aussi disposer d'un vrai pouvoir normatif. Les élus du suffrage universel qui dirigent avec dévouement et compétence les régions, les départements et les communes n'ont plus vocation à assumer les tâches qui revenaient aux directeurs de préfecture d'il y a vingt ans. Elles ont droit à un vrai pouvoir de gestion et pas seulement d'administration.

Il faut leur donner la possibilité de trouver sur le terrain, dans les domaines de compétences qui leur sont reconnus, des réponses politiques conformes à l'attente des Françaises et des Français qui leur ont fait confiance.

Il nous appartiendra à cet égard d'analyser avec beaucoup d'intérêt la proposition de loi constitutionnelle annoncée récemment dans la presse par le président du Sénat


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Christian Poncelet qui, à l'article 72 de la Constitution, suggère de reconnaître à côté du principe de libre administration des collectivités territoriales, celui de leur autonomie de gestion, précisément pour garantir la responsabilité des élus terrioriaux.

En conclusion, mes chers collègues, voilà pourquoi le quinquennat pourrait donner un sens à la construction d'un nouvel édifice démocratique. Ce débat prendra toute sa dimension après les grandes consultations nationales de 2002. Une démocratie renforcée au sommet de l'Etat, l'instauration d'un vrai pouvoir local qui reste encore à créer, telle est la suite qu'il faudra inévitablement donner à la réforme constitutionnelle qui nous est proposée. Ce projet de loi constitutionnelle, signal fort de modernisation de notre démocratie, permettra de libérer les énergies réformatrices.

Le quinquennat peut, si nous le voulons ensemble, constituer une véritable rampe de lancement pour la refondation de notre démocratie. Le groupe Démocratie libérale dira oui au quinquennat, avec un vote franc et massif. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Floch.

M. Jacques Floch.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, on peut se poser la question de savoir pourquoi nous sommes là. Pour moderniser la Constitution de la France, comme le disent certains ? Cela ne veut rien dire en soi. A cause d'un caprice de Valéry Giscard d'Estaing ? Argument un peu dérisoire... Pour entamer un mouvement de révision plus profond, plus réfléchi, plus efficient du texte de 1958 ? Peut-être.

Mais, manifestement, beaucoup, y compris le Président de la République, ne veulent, ne peuvent s'engager dans un tel processus à leurs yeux iconoclaste, incongru, qui s'apparente aux yeux de certains à une deuxième mort du général de Gaulle.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Ça y est, c'est la cohabitation qui, une fois de plus, sert d'alibi... Alors supprimons la cohabitation !

M. Marcel Rogemont.

Supprimons l'opposition, ce sera mieux ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Guy Teissier.

C'est bien là votre tendance !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Peut-on laisser parler l'orateur ?

M. le président.

Mes chers collègues, si vous vouliez laisser s'exprimer l'orateur, ce serait plus correct et sans doute intéressant, car vous pourriez ainsi l'entendre...

M. Renaud Donnedieu de Vabres et M. Guy Teissier.

Mais on veut supprimer l'opposition, monsieur le président !

M. le président.

Personne ne veut supprimer l'opposition...

M. Guy Teissier.

Si ! Un stalinien !

M. le président.

Ce n'est pas possible ! Je me dois de faire la remarque qui s'impose. Ce serait dommage...

(Sourires.)

M. Jacques Floch.

Je puis vous assurer, monsieur le président, que je ne proposerai pas la suppression de l'opposition...

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Ce serait supprimer le peuple !

M. Jacques Floch.

J'ai trop de plaisir à travailler, au moins en commission des lois, avec certains de ses membres.

M. le président.

Voilà un propos de nature à vous rassurer : M. Floch ne veut pas supprimer l'opposition.

(Sourires.)

M. Jacques Floch.

Ce sera la bonne nouvelle du jour ! Rien d'étonnant donc à ce que les raisonnements à court terme aient le plus souvent prévalu : un ancien Président de la République qui trouve dans cette proposition le moyen de décrire l'inconstance d'un de ses successeurs ce qui s'appelle, en cette période de football, jouer contre son camp ; des groupuscules d'extrême droite ou de droite extrême qui y voient un moyen de mettre en veilleuse leurs discordes internes et peut-être de se refaire un petit poids électoral ; pour l'extrême gauche, c'est l'occasion de tirer à boulets rouges sur la gauche et en particulier sur les socialistes ; pour d'autres enfin, une simple étape que l'on n'est pas obligé de terminer, même si certains pensent qu'en la gagnant, ce sera toujours cela de pris.

Les socialistes sont dans cet état d'esprit : la cohabitation régnant,...

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Voyez ! Qu'est-ce que je disais ? C'est la cohabitation le nouveau parapluie !

M. Jacques Floch.

... nous ne pouvons aller plus loin dans une réforme, une vraie, dans une modernisation réelle de la Constitution, en commençant par la durée du mandat présidentiel, non pas pour « faire moderne », je le répète, mais simplement pour être efficaces.

Sept ans autorisent à trop prendre son temps, alors que l'on a besoin d'un Président constamment à l'heure, prêt pour les grands défis : la concurrence mondiale, la construction de l'Europe, le maintien de la paix, la lutte contre les inégalités, l'organisation du partage équitable, la formation, la culture, la justice ; de leur côté, les citoyens entendent renforcer leur contrôle sur leurs élus et particulièrement sur le premier d'entre eux.

Si, en 1958, Michel Debré a proposé le septennat au général de Gaulle, c'est qu'il savait pertinemment que celui-ci, depuis le discours de Bayeux, voulait une présidence au-dessus des contingences partisanes et surtout au-dessus de ce qu'il dénonçait comme un système de

« clans » qui auraient régné en maître, paraît-il, sous les

IIIe et IVe Républiques.

Nous n'en sommes plus à cette époque de notre histoire. Nous en avons fini. On peut, on doit aujourd'hui en tirer simplement les leçons.

D'abord, pourquoi sept ans ? Un accident de l'histoire, cela a été dit et répété : le temps nécessaire pour qu'un gêneur, le comte de Chambord, disparaisse et permette aux monarchistes, il y a cent trente ans, de présenter quelqu'un de plus convenable, de plus acceptable pour régner sur la France. La République est née de cette cruauté politique. Aucune raison de science politique derrière cela, rien que de l'opportunité, reprise en 1958.

Opportunité certes, mais également réalité politique acceptée, utilisée par Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand ; le premier parce qu'il estimait qu'il avait d'autres chats à fouetter, le second parce qu'il savait que le temps lui était compté.

Cinq ans obligent à une réelle efficacité, à une réelle volonté politique de réformes constantes, mais ils s'accompagnent de beaucoup d'autres éléments de trans-


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formation de la vie publique. Car l'acceptation de cette loi constitutionnelle engendrera des conséquences d'une très grande ampleur, dont aujourd'hui on ne connaît que des interrogations.

Quels pouvoirs pour le Président ? Quel devenir pour la fonction de Premier ministre ? Quel équilibre entre le législatif et l'exécutif ? Quelle majorité pour quel Président ? A cela s'ajoutent les conséquences inéluctables sur la durée des autres mandats électifs - celui des sénateurs, celui des maires et des conseils municipaux, celui des conseils généraux - mais aussi sur la nouvelle répartition des pouvoirs.

Quel devenir pour la décentralisation, actuellement inachevée, car, face à un pouvoir national fort, il faudra proposer des pouvoirs locaux consistants, exigeant leur part de responsabilité ? Et, à notre niveau, celui de l'Assemblée nationale, croyez-vous que, face à un président omnipotent, omniprésent, nous nous satisferons de voir notre ordre du jour organisé par d'autres, notre pouvoir d'amendement limité par injonction présidentielle, nos possibilités de contrôle limitées par un règlement qui apparaîtra de plus en plus obsolète ? Tous ceux qui n'ont pas mesuré cela en proposant une limitation de la durée du mandat présidentiel doivent se poser des questions sur leur capacité d'analyse politique et, surtout, ils ont oublié que nos concitoyens ne sont ni sourds ni aveugles. Eux assureront leur contrôle sans se poser la question de savoir si leur président disposera d'une majorité conforme à ses choix car si la cohabitation dérange le monde politique, elle ne perturbe pas trop les Françaises et les Français.

Pour nous, socialistes, le vote de cette proposition est une étape, seulement une étape. Mais demain lorsqu'un des nôtres sera présent à l'Elysée, nous serons obligés de reprendre l'ouvrage et de le remettre sur le métier. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Un réel débat devra être ouvert, un débat citoyen...

M. Hervé Gaymard.

Et durable !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Entreprise citoyenne, débat citoyen... parlons plutôt des citoyens !

M. Jacques Floch.

Je sais bien que cela vous dérange quand on parle de la participation des citoyens au débat politique. Vous n'aimez pas trop cela. Mais on y arrivera, car ce débat ne doit pas seulement avoir lieu entre quelques spécialistes du droit constitutionnel.

Le devenir et l'organisation de la nation, de son gouvernement, de sa représentation nationale appartiennent à toutes et à tous, ne vous en déplaise.

Aussi, nous socialistes, nous faudra-t-il faire un effort d'ouverture vers tous ceux qui partagent notre volonté de développement économique et social, d'équilibre politique.

A la vue des nombreux et intéressants amendements déposés par le groupe communiste, les radicaux, les Verts, on sait que le débat sera fort et rude, mais obligatoirement constructif.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Ils proposent la suppression de l'élection du Président de la République au suffrage universel !

M. Jacques Floch.

Aussi, nous socialistes, ne pouvonsnous nous contenter de formules trop générales car nous sommes témoins d'un paradoxe : la démocratie, apparemment bien établie, est rendue fragile par le désenchantement civique, sentiment dont on doit assumer ensemble la responsabilité.

Car, comment vanter la solidité des institutions et ne pas être capables d'assurer pleinement la cohésion sociale porteuse de cette force ? Comment se satisfaire du fonctionnement des institutions et voir se pérenniser des niveaux de vie précaires, engendrant de grandes pauvretés ? Comment parler du quinquennat à un chômeur de longue durée, à un sans-logis, à un exclu de la culture, du sport, des loisirs, du savoir ? C omment ne pas reconnaître dans les classes moyennes, parfois ferventes abstentionnistes, les citoyens éclairés lorsque leurs élus refusent le débat sur les institutions de la République, la durée et le cumul des mandats, la parité hommes-femmes, l'hypertrophie des exécutifs, l'anémie du Parlement, la faiblesse historique, mais aussi entretenue, des autres formes de pouvoir - le pouvoir syndical, le pouvoir associatif, entre autres ? Comment parler du quinquennat sans imaginer de nouvelles relations avec le juge en s'assurant de la protection des victimes ou simplement des citoyens ? Comment parler du quinquennat sans penser à renforcer les fonctions du Parlement, d'un Parlement rénové, capable de contrôler l'exécutif comme cela est son droit et son devoir, par le contrôle de la politique étrangère, de l'administration, de l'exécution des lois et du budget, mais aussi par une vraie représentation du Parlement dans tous les organes chargés de la protection des droits et garants des libertés tels que le Conseil constitutionnel, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le Conseil supérieur de la magistrature, pour ne citer que ceux-là ! Comment parler du quinquennat sans exiger que la loi soit élaborée par le Parlement sur la base d'un réel débat avec l'exécutif ? Comment parler du quinquennat sans rompre avec toutes ces élections au second degré ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

C'est incroyable !

M. Jacques Floch.

Dérangerais-je M. Renaud Donnedieu de Vabres ? S'il continue de m'interrompre, je lui rendrai la pareille !

M. Jean-Louis Debré.

C'est petit !

M. Jacques Floch.

En commission des lois, il sait se tenir, pas dans l'hémicycle, apparemment !

M. le président.

Poursuivez, mon cher collègue !

M. Jacques Floch.

Comment parler du quinquennat sans rompre avec ces scrutins indirects qui déforment, dénaturent la réalité politique de la nation ? Par exemple l'élection des sénateurs, des exécutifs des agglomérations, autant d'écrans protecteurs d'élus qui donnent l'image de perpétuels assiégés. Tout comme ces élections effectuées sur des bases territoriales obsolètes, comme la plupart des élections cantonales, ou des élections tellement proportionnalisées qu'elles engendrent des exécutifs bizarres et inefficaces.

Mais aussi comment parler du quinquennat sans poser la question du statut des élus, de leur contrôle, de la circulation des idées, des projets, des critiques entre gouvernants et gouvernés ? Toutes les réformes institutionnelles s'appuyant sur une lecture nouvelle de la Constitution ne sauraient suffire à redonner un souffle ambitieux à notre vie publique. Il


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faut y ajouter une pratique du pouvoir, un contrat de participation et de responsabilité, une dynamique de justice, de croissance, de partage des fruits de cette croissance.

Oui, on peut parler du quinquennat mais en considérant que c'est ouvrir une porte sur une belle aventure, l'aventure d'une nouvelle construction. Les socialistes, en votant cette loi constitutionnelle, s'engagent dans cette grande réalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Louis Debré.

M. Jean-Louis Debré.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici donc réunis pour engager la procédure qui doit aboutir à une révision constitutionnelle portant instauration du quinquennat.

Rendons-nous à l'évidence : des multiples aménagements apportés ces dernières années à la Constitution de la Ve République, celui qu'il nous est proposé d'apporter aujourd'hui est le plus lourd de signification. La modification de la durée du mandat présidentiel est, qu'on le souhaite ou qu'on le déplore, un acte important. Il doit être perçu, dans cette assemblée et dans le pays, comme tel.

Dès lors, puissions-nous, au cours des débats parlementaires, nous efforcer d'éclairer l'opinion publique sur les enjeux véritables de cette réforme, sans les négliger, mais sans pour autant les exagérer.

Mes chers collègues, il ne s'agit, en effet, ni d'une réforme anodine, ni d'un grand soir institutionnel.

Il ne s'agit pas d'une réforme anodine, car elle touche à la fonction présidentielle, qui demeure la clé de voûte de notre constitution.

M. André Angot et M. Patrick Ollier.

Très bien !

M. Jean-Louis Debré.

En ramenant de sept à cinq ans la durée du mandat du chef de l'Etat, nous nous apprêtons à modifier les conditions d'exercice du lien qui unit les Français au Président de la République, et nous devons le faire en connaissance de cause. L'abandon du septennat marque la fin de la « monarchie républicaine » dans laquelle d'aucuns voient la singularité de nos institutions.

Mais cet abandon, que nous allons sans doute traduire dans le droit, n'est-il pas, d'une certaine manière, déjà consommé dans les faits ? Le sort de cette fonction présidentielle originelle, née du double traumatisme de 1940 puis de 1958, conçue comme une réponse institutionnelle à la crise de l'Etat et à l'affaiblissement de la nation, n'est-il pas, avant même que nous nous prononcions, déjà scellé ? Il ne faut pas être très grand clerc pour reconnaître que la monarchie républicaine, à la fois arbitrale et exécutive, concentrant sur elle la dimension symbolique, affective, du pouvoir et la gestion quotidienne des affaires, a vécu.

Et cela pour deux raisons essentielles.

La première est circonstancielle. A l'épreuve de l'alternance, nos institutions se sont progressivement habituées à la cohabitation, au point que les Français n'ont pas craint de renouveler l'expérience à trois reprises. Il en est évidemment résulté une transformation de l'image et de la réalité de la fonction présidentielle.

La seconde raison est plus profonde. La diminution avérée du rôle du politique, notamment national, conduit à s'interroger légitimement sur les contours du pouvoir exécutif. Cette réflexion est devenue d'autant plus pressante que le contexte économique, le contexte social dans lequel l'Etat, et ses représentants, évoluent s'est transformé : rapidité de l'information, propension à mettre en cause la responsabilité individuelle et collective, aspiration des citoyens à être fréquemment consultés se conjuguent pour fragiliser toutes les fonctions électives. Et la magistrature suprême n'échappe pas à la règle.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est ce que nous disons !

M. Jean-Louis Debré.

Le Président de la République, en dépit des justes réserves que lui inspiraient les possibles conséquences d'une inflexion de l'esprit de la Constitution, a voulu prendre acte de la nécessité de rendre plus fréquemment la parole au peuple, en même temps qu'il s'efforce, dans la pratique quotidienne, de donner à sa fonction présidentielle une vocation plus arbitrale, plus humaine, plus proche des Français que ses prédécesseurs immédiats. C'est la raison pour laquelle, après avoir pesé le pour et évalué le contre, il a choisi, avec l'assentiment du Gouvernement, de s'engager dans la voie de la réduction à cinq ans du mandat présidentiel.

Pour autant, si cette affaire est naturellement d'importance, elle ne saurait être assimilée à un grand soir institutionnel. Entendons-nous bien : s'il existe un lien éventuel entre la durée du mandat et la nature du régime, il ne s'agit en aucun cas d'un lien automatique, d'une influence mécanique. La meilleure preuve en est que le septennat a traversé intact trois Républiques...

M. Patrick Ollier.

Eh oui !

M. Jean-Louis Debré.

... aux régimes d'inspiration fort différente, à savoir la IIIe , de nature parlementaire, la IVe , proche du régime d'assemblée et la Ve , plutôt parlementaire ou plutôt présidentielle en fonction des circonstances auxquelles elle se trouve confrontée.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

La moyenne des mandats est de cinq ans !

M. Jean-Louis Debré.

Déduire de la seule durée du mandat présidentiel la forme du régime me paraît très présomptueux. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Et c'est faire peu de cas des relations entre les pouvoirs telles qu'elles sont définies par la Constitution. C'est faire abstraction du rôle des personnalités qui ont la charge d'assurer son bon fonctionnement. C'est omettre l'importance du « fait majoritaire », permis par un mode de scrutin législatif qui, sans être inscrit noir sur blanc dans nos institutions, s'impose comme un des éléments indispensables à l'équilibre de nos institutions. Aussi est-ce la raison essentielle pour laquelle le groupe RPR refuserait que soit introduite, au prétexte de la révision que nous discutons aujourd'hui, une dose plus ou moins forte de proportionnelle dans un mode de scrutin qui a fait ses preuves.

M. Didier Quentin.

Très bien !

M. Jean-Louis Debré.

A ceux, mes chers collègues, qui jugent inéluctable un bouleversement de l'architecture constitutionnelle, je rappellerai enfin qu'il ne faut pas oublier qu'en la matière, l'usage qu'on fait des textes, l'esprit dans lequel on les applique, valent autant que la lettre de ces textes.

M. Patrick Ollier.

Bien sûr !

M. Jean-Louis Debré.

J'en prendrai un seul exemple.

Le général de Gaulle, que d'aucuns décrivent comme un défenseur obstiné du septennat, était certes attaché à ce


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que le Président de la République dispose de la durée pour agir, notamment en matière de politique étrangère.

Mais le privilège de la durée s'accompagnait chez lui d'une obsession de la légitimité qui le conduisit, à intervalles réguliers, à remettre en cause devant le peuple français les pouvoirs qu'il tenait de lui.

M. Arnaud Lepercq.

Très bien !

M. Jean-Louis Debré.

C'est cette vérification périodique du lien de confiance entre les Français et le Président qui comptait autant, qui compte autant que la durée stricto sensu du mandat. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Le quinquennat doit permettre ce retour devant le peuple dès lors que le recours au référendum-plébiscite ou l'hypothèse d'un refus de la cohabitation n'apparaissent plus aujourd'hui pertinents.

Il ne peut être apprécié, en revanche, comme une diminutio capitis du rôle du Président de la République.

D'abord, parce que celui-ci, quoique élu pour une durée équivalente à celle de l'Assemblée nationale, conserve une légitimité supérieure : il est issu directement du suffrage universel ; c'est la rencontre entre un peuple et un homme qui fonde sa légitimité. Ensuite, parce qu'il continue de détenir des pouvoirs constitutionnels étendus, notamment ceux qui figurent à l'article 19 de la Constitution, pouvoirs dont il est le détenteur exclusif. Ces attributions lui donnent les moyens de surmonter les blocages institutionnels ou politiques qui pourraient survenir et entraver le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Elles renforcent sa position d'arbitre, de garant du bon fonctionnement des pouvoirs publics.

En définitive, ainsi d'ailleurs que l'indique l'exposé des motifs du projet de loi qui nous est soumis, c'est toujours le scrutin présidentiel qui, à l'avenir, donnera le « la » de la vie politique intérieure, c'est toujours la fonction présidentielle autour de laquelle s'orientera le débat public.

Assisterons-nous, de ce fait, à une « présidentialisation » du régime, à un glissement lent mais inéluctable vers le régime présidentiel ? Rien ne permet de l'affirmer. Continuent de coexister, dans notre Constitution, un Président de la République et un Premier ministre dont le rôle et la légitimité sont de nature différente, mais non concurrente. C'est manifeste en cas de concordance des majorités présidentielles et parlementaires. C'est également le cas en période de cohabitation, car vous ne m'en voudrez pas de rappeler que le chef du Gouvernement est, certes, adossé à une majorité parlementaire qui soutient son action, mais qu'il procède malgré tout du chef de l'Etat, ne serait-ce que par sa nomination.

M. Arnaud Lepercq.

Tout à fait !

M. Jean-Louis Debré.

Quant aux relations entre l'exécutif et le législatif, elles demeurent régies par les mêmes règles. A cet égard, le maintien du principe de la responsabilité gouvernementale et des mécanismes régulant le processus législatif ne sont pas des ornements dont nous pourrions faire l'économie, mais des éléments indispensables au bon fonctionnement des pouvoirs publics.

En réalité, mes chers collègues, le retour devant les Français tous les cinq ans apparaît simplement comme l'exigence d'une responsabilité accrue, une réponse, un moyen parmi d'autres, serais-je tenté d'ajouter. Comment expliquer autrement les multiples allers et retours, oscillations, hésitations auxquels son éventuelle adoption a donné lieu, sur tous les bancs, depuis vingt-sept ans qu'on parle de cette réforme ? Moins, en tout cas, par des controverses doctrinales que par des concours de circonstances. En réalité, à partir du moment où il est apparu qu'on pouvait, sans risque majeur pour la stabilité institutionnelle, pratiquer l'alternance législative, dénouer, à l'occasion des élections présidentielles, des conflits de légitimité, le quinquennat n'a pas figuré au rang des priorités politiques. Il a, tout au plus, servi d'argumentaire électoral aux uns et autres.

C'est pourquoi je voudrais dire ici, après avoir entendu ce que j'ai entendu la nuit dernière, que, s'agissant de ce sujet, personne n'a de leçon à donner et à recevoir.

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de Rassemblement pour la République.) Il n'y a pas ceux, d'un côté, qui seraient restés fermes, inébranlables dans leurs convictions, et, de l'autre, ceux qui auraient changé d'avis par opportunisme. Etrange relecture de l'Histoire que celle qui aboutirait à cette conclusion, car, enfin, la majorité d'aujourd'hui s'est fort bien accommodée du septennat quand M. Mitterrand était à l'Elysée, le parti socialiste n'a pas prêté son concours à M. Pompidou lorsqu'il a lancé la procédure de passage à cinq ans du mandat présidentiel. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Robert Pandraud.

C'est le moins qu'on puisse dire !

M. Jean-Louis Debré.

En sens inverse, reconnaissez que, dans nos rangs, nombre de voix se sont élevées pour prôner l'instauration du quinquennat, voire pour aller plus loin encore, et sans attendre que ce sujet soit à la mode.

C'est dire que ceux qui voudraient s'approprier le bénéfice d'une réforme tendant à moderniser la vie politique feraient fausse route.

M. Patrick Ollier.

Très juste !

M. Jean-Louis Debré.

Si, au sein de la majorité et au parti socialiste, comme je l'ai entendu hier soir, certains cédaient à cette tentation, croyez-moi, ils feraient fausse route.

Ce sujet n'appartient à personne. Il doit être collectivement assumé pour que les Français soient vraiment et durablement convaincus que le changement proposé contribuera à la vitalité démocratique sans remettre en cause l'équilibre des institutions, aux termes même de l'exposé des motifs.

Nous nous réjouissons qu'il en soit ainsi. Nous nous réjouissons, membres de groupe RPR, que l'adhésion générale à notre socle constitutionnel permette l'adaptation sereine de la Ve République aux évolutions imposées par notre temps.

Que de chemin parcouru depuis 1958, depuis les débuts d'une Constitution contestée par une gauche qui, sous l'impulsion de François Mitterrand et de Pierre Mendès-France, y voyait un régime autoritaire, plus proche de la dictature que de la République.

C'est pour nous, gaullistes, un motif de satisfaction, de f ierté, de voir la Constitution, notre Constitution, reconnue pour ce qu'elle est : un modèle d'équilibre, de souplesse et d'efficacité, qui permet, et c'est ça qui est important, l'exercice d'une véritable démocratie. Prenons garde cependant à ne pas l'ébranler sans avoir pris la peine de définir une alternative crédible.

Sans doute, cette prudence ne satisfera pas celles et ceux qui auraient souhaité qu'à la faveur de cette modification, un vaste débat s'ouvre, précisément, sur l'équilibre actuel de nos institutions. Vaste débat qu'ils estiment


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d'autant plus nécessaire que, pour eux, le quinquennat ouvrirait inexorablement la voie à la définition d'une nouvelle architecture constitutionnelle.

Qu'ils se rassurent ! Le projet de loi constitutionnelle n'a pas pour objet d'entraver ou de brider leurs réflexions. On peut, à bon droit, vouloir pour la France un autre régime que celui qui a assuré la stabilité politique et institutionnelle depuis maintenant plus de quarante ans. On peut défendre incontestablement l'idée que le quinquennat « sec » n'est pas une fin en soi et qu'il porte en germe des évolutions futures vers un régime d'assemblée ou un régime présidentiel. Pour les uns, ce serait une chance et, pour les autres, dont je suis, ce serait un risque et une erreur.

Mais, quelle que soit sur ce point notre opinion, accordons-nous pour reconnaître que ce n'est ni le lieu, ni le moment d'engager une discussion de ce type. Il y aura, dans l'avenir, de multiples occasions de le faire. Mais, de grâce, n'entamons pas les débats de demain avant d'avoir réalisé les réformes d'aujourd'hui. Au demeurant, si, d'aventure, la Ve République devait connaître des adaptations ultérieures, ce serait à la lumière des enseignements tirés de celle que nous allons bientôt décider. C'est dire que ce quinquennat n'est ni une réformette, ni une révolution, mais une réforme au sens plein du terme.

C'est pourquoi, madame la garde des sceaux, nous attendons que le Gouvernement utilise les moyens qui sont à sa disposition pour éviter que ce débat ne soit dénaturé, d'autant que, si j'ai bien compris, il ne s'agirait pas pour quelque composante de votre majorité de s'en tenir à l'architecture générale de nos institutions, mais d'explorer des chemins incertains, sans rapport avec l'objet du débat.

Qu'il soit bien clair que le groupe RPR apportera son concours à toutes les initiatives qui permettront de circonscrire cette discussion à son thème véritable et unique : la réduction du mandat présidentiel.

Profiter de cette occasion pour ouvrir la boîte de Pandore de l'innovation démocratique, pour se livrer, par voie d'amendement, aux surenchères les plus diverses ne signifierait pas seulement faire échouer une réforme qui correspond à l'intérêt public. Cela ne servirait pas, mes chers collègues, l'image et la réputation de l'Assemblée nationale et du Parlement, qui peuvent trouver, dans la question posée, matière suffisante à un débat sérieux et fécond, plutôt que le prétexte à s'égarer ailleurs.

Je voudrais, sur ce point, répondre à ceux qui accusent, à la légère, le Président de la République et le Gouvernement de vouloir brider les droits du Parlement en signalant les risques liés à la multiplication des amendements.

Si telle avait été leur intention, des moyens beaucoup expéditifs auraient pu être utilisés,...

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est exact !

M. Jean-Louis Debré.

... l'exhumation du texte de 1973 ou même le recours à l'article 11 de la Constitution.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'était délicat !

M. Jean-Louis Debré.

Le choix d'une procédure incontestable et reprise à zéro ne témoigne pas seulement d'un respect formel pour les assemblées. Il a surtout pour but de s'assurer que le consensus transpartisan qui existe sur ce sujet s'établit bien au Parlement avant, espérons-le, de se manifester dans le pays.

Cet accord, que nous souhaitons le plus large possible, est, à nos yeux, une condition sine qua non de la réussite de la réforme institutionnelle. Il évite qu'elle ne soit interprétée comme une manipulation de la Constitution à des fins personnelles, ou comme un oukase visant à assurer le triomphe, la domination d'un camp sur un autre.

Notre responsabilité, aux uns et aux autres, est en effet de conforter l'attachement des Français envers leurs institutions et non de l'affaiblir.

Un dernier mot, si vous le voulez bien, mes chers collègues. Nul, plus que moi, n'évoque ces questions institutionnelles avec un mélange de passion et de respect pour la Ve République, mais ne nous méprenons pas sur l'intention du constituant, sur les motivations profondes des fondateurs de la Ve République. Il ne s'agissait pas pour eux de faire une Constitution pour l'éternité. Il s'agissait d'abord et avant tout de trouver, avec pragmatisme, les moyens d'asseoir, de nouveau, l'autorité d'un Etat amoindri, de restaurer la dignité d'un Parlement abîmé dans des querelles stériles, de redonner au peuple français une souveraineté confisquée par le système des partis.

Ce patrimoine que nous avons porté est devenu le patrimoine commun de tous les Français. A nous tous de le préserver, sans pour autant le figer dans le marbre de notre Constitution.

Celle-ci a su évoluer avec son temps, surmontant les épreuves, s'adaptant aux situations les plus inconfortables, prouvant sa solidité, sa modernité, son efficacité, peutêtre parce qu'elle est finalement brève et sujette à des interprétations différentes. Gardons-en surtout l'esprit, alors que nous en modifions, peut-être un peu trop souvent, la lettre.

On nous dit que nous ne sommes pas enthousiastes ; nous répondons seulement que nous cherchons d'abord, simplement et modestement, à être utiles.

Etre utiles, c'est moderniser nos institutions. Etre utiles, c'est être en harmonie avec l'esprit de ces institutions et donner au peuple, source de la légitimité, les moyens de s'exprimer. C'est pourquoi le groupe RPR votera une réforme nécessaire à la modernisation d'une Constitution que nous croyons bonne pour notre pays.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Patrick Ollier.

Excellente démonstration ! Enfin des arguments !

M. le président.

La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l'objet de la discussion de ce projet de loi revêt une importance particulière. Cette nouvelle réforme constitutionnelle n'est pas une simple adaptation fonctionnelle. C'est une réforme majeure dont les conséquences prévisibles sont considérables.

M. Pascal Clément.

Parfaitement !

M. Jacques Brunhes.

Dès lors, madame la ministre, vous me permettrez de regretter avec force les modalités de son examen. Je l'ai déjà dit hier : adoption du texte en Conseil des ministres le 8 juin ; commission des lois le lendemain à neuf heures trente avec, comme ordre du jour, la nomination du rapporteur ; neuf heures trente et une, rapport. Aucune audition de ministre pour une loi constitutionnelle, c'est une première !

M. Dominique Bussereau.

Tout à fait !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

M. Jacques Brunhes.

Discussion le 14 juin en séance de nuit et le 15. Et pour couronner le tout, fait unique dans les annales de la Ve République, interdiction par le Président de la République, dans les faits, d'amender le texte par la représentation nationale.

Je le dis sereinement mais très fermement, cette précipitation qui escamote le débat de fond est indigne du Parlement.

M. Pascal Clément.

Absolument !

M. Jacques Brunhes.

Nous avions pourtant l'occasion d'aborder enfin les questions clés de la crise de nos institutions que chacun s'accorde à relever.

Les raisons de cette crise sont multiples. Elles ont la même origine que la crise de la société et la crise de la politique. Il est logique que les inégalités croissantes conduisent les Français à s'interroger sur le fonctionnement de la démocratie représentative et qu'ils soient plus exigeants à l'égard de leurs élus.

Le fait nouveau réside d'ailleurs dans le mécontentement chronique qui, depuis 1986, conduit les électeurs à sanctionner systématiquement les majorités sortantes, provoquant régulièrement des « cohabitations ». Les citoyens d isent « non » aux inégalités que la croissance des richesses produites permettrait au contraire de réduire. A chaque scrutin, ils cherchent une solution pour que ça change. En dépit et à partir des acquis des trois dernières années, nous poursuivrons sans relâche notre action pour des réformes de structure permettant de répondre aux exigences de notre peuple.

Le projet qui nous est soumis ne répond en rien à lui seul aux exigences de démocratie de notre époque.

Le seul argument qu'invoque le Président de la République, avec une absence de conviction qui a frappé tous les Français, c'est que le raccourcissement « sec » du mandat à cinq ans serait à la fois plus moderne - en quoi, on peut se le demander ! - et plus conforme aux pratiques observées chez nos voisins.

Certes, les Français souhaitent être consultés plus souvent, plus entendus, respectés, et pouvoir se mêler davantage des affaires publiques.

Dans cette perspective, l'adoption du quinquennat n'est pas inimaginable, mais cette mesure ne peut être prise isolément, de façon purement arithmétique, sans que s'engage une réflexion d'ensemble sur les institutions.

Sinon, nous aurons la même désaffection des citoyens, qui est un signe politique fort et inquiétant. En fait, la réduction de sept à cinq ans du mandat présidentiel ne résout pas le défaut originel du régime.

La Ve République souffre de déséquilibres exorbitants qui favorisent à l'excès les pouvoirs de l'exécutif. C'est presque une banalité de le rappeler. Je dois pourtant le faire puisque, monsieur le rapporteur, vous n'évoquez même pas cette question-clé, signe de votre embarras et des contradictions entre vos propos d'aujourd'hui et ceux d'hier.

François Mitterrand, lettre de mission à la commission Vedel, 30 novembre 1992 : « La Ve République a multiplié les garanties capables d'assurer l'autorité et la stabilité de l'exécutif. Mais elle n'a pu le faire qu'en réduisant à l'excès le rôle du Parlement. Une réforme de nos institutions doit donc corriger ce nouveau déséquilibre entre les pouvoirs. »

M. Arnaud Lepercq.

En quatorze ans, il n'a pas réussi à le faire !

M. Jacques Brunhes.

Candidat Chirac, 1995 : « J'ai regretté longtemps la dérive monarchique de nos institutions, il est temps d'y mettre fin. »

M. André Gerin.

Absolument !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

C'est pour cela qu'il faut le quinquennat !

M. Bernard Accoyer.

C'est pour cela que nous sommes là aujourd'hui !

M. Jacques Brunhes.

Si le fait que M. de Villiers ait été muet sur cet aspect essentiel de notre crise institutionnelle ne me surprend pas, votre discrétion, elle, m'inquiète, monsieur le rapporteur...

Si la cohabitation a atténué quelque peu la présidentialisation du régime, elle ne peut pas nous faire oublier le passé, d'autant que nous ne légiférons pas pour aujourd'hui seulement.

De 1995 à 1997, pour ne prendre que cette période, rappelez-vous, le renforcement du pouvoir personnel a d'abord été marqué par l'élargissement du fameux domaine réservé, dont on ne trouve aucune trace dans la Constitution.

M. André Gerin.

Exactement !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Le Gouvernement a-t-il fait voter sur le Kosovo ?

M. Jacques Brunhes.

Le Président a décidé seul de la reprise des essais nucléaires, a décidé seul de l'abandon du caractère national de notre défense,...

M. André Gerin.

Tout à fait !

M. Jacques Brunhes.

... a décidé seul de l'avenir du service national.

M. Arnaud Lepercq.

On était là, quand même !

M. Jacques Brunhes.

Représentants du peuple, nous avons appris ces décisions devant nos télévisions, en écoutant nos radios ou en lisant nos journaux.

M. Arnaud Lepercq.

Il fallait venir ici !

M. Jacques Brunhes.

Cela n'a pas été discuté ici !

M. Arnaud Lepercq.

Si !

M. Jacques Brunhes.

Nous ne cesserons jamais de dénoncer cette monarchie élective qui fait que celui qui a été élu à la Présidence de la République accapare des pouvoirs considérables et n'a de comptes à rendre à personne, ni au peuple ni à la représentation nationale. Il n'a même pas à appliquer le programme sur lequel il a été élu : voir M. Chirac avec son programme de 1995 et ses modifications profondes, pour ne pas dire totales, de l'automne 1997.

M. André Gerin.

La fracture sociale !

M. Jean-Pierre Blazy.

C'est pour cela qu'il a dissous l'Assemblée !

M. Jacques Brunhes.

Ce système génère contre le pluralisme une République de spectateurs et de courtisans. Je l'ai dit hier.

Les Français en ont compris le risque en provoquant des cohabitations. Elles atténuent certes les pouvoirs du Président de la République, car le centre de gravité se déplace davantage vers l'autre pôle de l'exécutif, le Gouvernement, et, grâce aux efforts de celui en place aujourd'hui, vers le Parlement, mais nous ne pouvons pas débattre de la loi fondamentale au regard des seuls rapports de force politiques du moment, chacun peut en convenir.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

Les causes premières de la crise de nos institutions qui, je le répète, proviennent de la crise de la socité, tiennent essentiellement à un défaut originel : le déséquilibre entre l'exécutif et le législatif. Le rôle du Parlement est réduit à l'excès.

Face à la dérive présidentialiste, la commission Vedel de 1993 rappelait : « Un voeu unanime, exprimé sous des formes diverses mais avec force par les acteurs du jeu politique et par l'opinion : donner au Parlement une place et un rôle qui doivent être, dans une démocratie, les siens. » Or la réforme qui nous est proposée, souvent

d'une manière si simplifiée qu'elle en devient simpliste, je le regrette, peut-elle aller dans ce sens ? Peut-elle résoudre le défaut originel du régime ? A l'évidence, non. Elle l'aggrave.

M. André Gerin.

Absolument !

M. Jacques Brunhes.

Que fait-on aujourd'hui, dans une précipitation suspecte ? On ressort le quinquennat comme une solution à la crise. On parle de modernisation, mais ce n'est pas une modernisation, ou alors ditesnous laquelle. C'est surtout une erreur, volontaire ou non, de diagnostic. Comment, pour sortir d'une crise née de l'abus de centralisation, peut-on prétendre aller plus loin dans la concentration du pouvoir ? Comment les mêmes causes n'auraient-elles pas les mêmes effets ? Comment les élus qui partent en guerre contre le jacobinisme étatique peuvent-ils concilier leurs anathèmes avec la soif d'une démocratie confisquée ?

M. André Gerin.

Très bien !

M. Jacques Brunhes.

On avance que le quinquennat ne changera rien aux rapports entre les institutions et n'empêcherait pas, ou rendrait moins fréquente, la différence entre la majorité présidentielle et la majorité légi slative. Mais si cela ne devait rien changer, alors pourquoi le faire ? Il s'agit en fait d'une étape dans un processus.

On ne peut pas aujourd'hui instaurer un régime présidentiel, c'est-à-dire supprimer la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée. Les Français le refusent dans leur majorité. Cela ne correspond ni à notre histoire ni à notre pratique, malgré les voeux exprimés sur certains bancs, je le regrette beaucoup.

Mais on peut instaurer un régime encore davantage présidentialiste. Si les scrutins présidentiel et législatif coïncidaient, les prérogatives du chef de l'Etat se trouveraient renforcées au détriment du Parlement. Ce couplage favoriserait également une bipolarisation de la vie politique autour des seuls partis en situation d'avoir un candidat élu à la Présidence de la République. Bref, nous irions vers un dangereux appauvrissement du pluralisme...

M. André Gerin.

Absolument !

M. Jacques Brunhes.

... et une limitation considérable des choix offerts aux citoyens.

S'agissant du quinquennat, nous n'avons pas le fétichisme des chiffres. C'est l'histoire qui fait rouler les dés.

Mais l'important, c'est que le mandat du Président de la République soit plus long que le mandat législatif. La tradition française s'appuie sur cette double articulation, qui oxygène la politique, des mandats présidentiel et législatif de durée différente. C'est ce qui peut empêcher la présidentialisation accrue et nous y tenons. Nous déposerons un amendement pour éviter la concomitance des deux consultations. Nous voulons aussi un Gouvernement responsable devant l'Assemblée nationale, avec un Premier ministre désigné par le Président de la République.

Autre argument avancé : la réduction de son mandat authentifierait la présidence citoyenne. Mais citoyenne en quoi ? C'est une illusion qui ne peut que renforcer le pouvoir d'un individu seul face à l'Assemblée nationale et au Gouvernement.

M. André Gerin.

C'est très grave !

M. Jacques Brunhes.

J'ajoute, et n'y voyez pas malice, que la notion de Président-citoyen a été proposée pour la première fois à la convention socialiste de 1996. La précaution adjectivale, « citoyen », accolée à « Président » n'est pas en soi une garantie, vous en conviendrez. On a trop vu un Président se mouler dans les institutions après avoir pourtant écrit Le Coup d'Etat permanent.

J'ajoute encore, et toujours sans malice (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République) ,...

M. René André.

Qui oserait penser cela ? (Sourires.)

M. Jacques Brunhes.

... que dans le même chapitre de votre convention, chapitre intitulé « Rééquilibrer les pouvoirs » - vous pourrez vérifier, monsieur Hollande -, il était prévu la suppression de l'article 16. Je rappelle aussi, et toujours sans malice, qu'un très long chapitre préconisait le retour du Parlement. Il était intitulé : « Restaurer sa souveraineté législative ».

M. François Hollande.

Vous avez de bonnes lectures !

M. Jacques Brunhes.

Il y a là des sources d'accords multiples sur l'essentiel.

M. Guy-Michel Chauveau.

C'est toujours vrai !

M. Jacques Brunhes.

Mais, hélas, ces points ne sont pas discutés.

Quel argument reste-t-il, dès lors, aux signataires et partisans du texte ? C'est en fait le seul, hormis l'insondable modernité : le quinquennat « sec » serait un premier pas, une « poignée », comme je l'ai entendu dire en commission, permettant d'ouvrir la porte à des réformes futures.

M. Jean-Pierre Blazy.

Eh oui !

M. Jacques Brunhes.

Mais l'expérience de réformes constitutionnelles à répétition, ou de textes organiques ou ordinaires, m'amène à constater que le rééquilibrage des institutions est toujours remis à plus tard. M. Debré a indiqué tout à l'heure que nous aurons de multiples occasions d'en débattre. J'en doute. Jusqu'à présent, monsieur Debré, ce plus tard a toujours été un jamais.

M. Arnaud Lepercq.

Allons !

M. Jacques Brunhes.

Et c'est ce que nous craignons aujourd'hui.

C'est la raison pour laquelle nous avons déposé, au nom du groupe communiste, une quinzaine d'amendements - je ne parlerai pas des amendements individuels, qui n'engagent que leur auteur. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Avant de les évoquer, je veux, madame la ministre, faire remarquer que pour redonner sa souveraineté législative au Parlement, pour reprendre votre formule, il n'est pas toujours nécessaire de réformer la Constitution. Cela peut se faire aussi par des lois ordinaires, sur le mode d'élection des députés,...

M. Jean-Louis Debré.

Et voilà !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

M. Jacques Brunhes.

... ou sur le statut de l'élu - tant attendu et toujours remis à demain -, ou par une simple résolution de l'Assemblée en faveur de l'examen de propositions d'origine parlementaire chaque semaine au lieu de chaque mois, ce qui donnerait une autre acceptation au mot « niche parlementaire »,...

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

La niche, c'est pour les toutous !

M. Jacques Brunhes.

... la niche étant, selon le Larousse, un « renforcement dans un mur pour déposer un objet décoratif », comme le rappelle souvent avec l'humour qu'on lui connaît l'ami Louis Mermaz.

Bref, nous sommes prêts, madame la ministre, à ouvrir immédiatement le chantier des réformes indispensables, dont certaines ont heureusement abouti, comme la parité, ou partiellement, comme le non-cumul. Poursuivons donc. Il y a urgence.

Nos amendements visent tous à rééquilibrer les pouvoirs du Parlement. Nous les défendrons cet après-midi, je ne les détaillerai pas ici. Ils ne portent que sur l'essentiel. Ils viseront notamment à ce que le Parlement puisse exercer pleinement ses missions de législateur, ses missions de contrôle des pouvoirs du Gouvernement, sa fonction de tribune des grands débats nationaux.

Je veux simplement, pour terminer, faire deux observations. L'une porte sur le Sénat. Les sénateurs communistes évoqueront la durée excessive du mandat sénatorial et le rôle de la Haute Assemblée. Mais comment ne pas relever le véritable verrou oligarchique qu'est aujourd'hui le Sénat, qui bloque la machine législative sur l'indépendance des juges, le droit de vote des immigrés, le cumul des mandats, pour ne prendre que les exemples les plus récents.

M. Jean-Pierre Blazy.

Très bien !

M. Arnaud Lepercq.

Quand même !

M. Jacques Brunhes.

Ma seconde observation portera sur l'attitude des diverses formations de droite.

Je ne redis rien de la pathétique conversion du Président de la République au quinquennat, qui l'engage à s'engager sans s'engager, ni de celle de Valéry Giscard d'Estaing, partisan convaincu du sextennat - voir la page 165 de son livre Deux Français sur trois.

A ceux qui parlent de renforcer les pouvoirs en faveur du Parlement, Charles Pasqua, comme M. de Villiers hier, répond : qu'« il vaudrait mieux renforcer les pouvoirs du Président de la République ». L'aveu est de taille.

Il est contraire à toute notre philosophie. Le trait saillant de notre Constitution et sa pratique, c'est l'abaissement du Parlement, même si cela est moins vrai en période de cohabitation.

Le quinquennat « sec » non seulement ne résout pas ce problème mais l'aggrave. Nous ne pourrons donc voter ce texte puisque, hélas, il restera en l'état.

Je le répète, ce n'est pas la réduction à cinq ans de la durée du mandat présidentiel qui nous pose problème en soi. Mais c'est le fait que ce soit la seule réforme avancée.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Eh oui !

M. Jacques Brunhes.

La crise des institutions est un formidable défi. Ce qui nous est proposé est en deçà de cet enjeu.

Mais notre débat et notre vote de la semaine prochaine ne vont pas clore la discussion. Notre pays a besoin d'un grand débat sur des institutions modernes, démocratiques et favorisant la participation citoyenne. Le fossé qui sépare les institutions de la société ne cesse de se creuser chaque jour davantage. Des questions multiples se posent concernant la durée de tous les mandats, le scrutin proportionnel, la démocratie participative, dans la société, dans l'entreprise, le statut de l'élu, etc. C'est ce débat de fond que nous entendons engager avec les citoyens, par des initiatives politiques faisant apparaître l'exigence d'une démocratie de nouvelle génération. Avec tous ceux qui le souhaitent, nous entendons travailler à un projet de République moderne. Les mois qui nous séparent d'un éventuel référendum permettront de mener une grande bataille politique. Forts de cette démarche, si référendum il y a, les communistes décideront alors de la position à a dopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Philippe Douste-Blazy.

M. Philippe Douste-Blazy.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, débattre d'une réforme constitutionnelle, c'est débattre des rapports qu'entretiennent et qu'entretiendront les Français avec la vie démocratique. Débattre d'une réforme constitutionnelle, ce n'est pas débattre entre constitutionnalistes, c'est débattre entre citoyens.

A ceux qui trouvent ce débat décalé, voire dérisoire, je voudrais dire que le scepticisme grandissant des Français, contrairement à certains discours convenus, trouve sa source dans la lente mais sûre paralysie de nos institutions. A ceux qui pensent que le subtil équilibre de notre vie politique convient aux Français, je veux rappeler que les retards que nous accumulons dans de trop nombreux domaines et les décalages qui se creusent avec nos voisins européens prennent aussi leur source dans la configuration institutionnelle particulière qui est aujourd'hui la nôtre. Travailler à la réforme des institutions, c'est travailler à la réforme de notre société. Travailler à la réforme de nos institutions, c'est travailler pour les Français.

Alors oui, je le sais, les sondages d'opinion nous montrent que les Français soutiennent massivement la réforme du quinquennat, mais qu'ils sont loin de la considérer comme une réforme essentielle. Les Français considèrent que les institutions n'ont pas de lien direct avec leur quotidien, qu'elles appartiennent à un monde lointain, celui des idées et des pratiques politiques. Pourtant, il nous revient, mes chers collègues, de montrer aux Français qu'il n'en est rien et que les institutions, leur équilibre, leur force, leur cohérence influencent directement la vie du citoyen. A nous d'expliquer et à nous de convaincre.

Cette modification constitutionnelle, qui vise à réduire la durée du mandat présidentiel, pose trois questions, auxquelles nous devons répondre au moment de la voter.

Le quinquennat est-il conforme à l'esprit de nos institutions ? Pouvons-nous envisager aujourd'hui les effets que cette réforme pourra avoir dès demain sur le déroulement de notre vie politique ? Enfin, l'adoption du quinquennat est-elle une réforme en soi ou bien, à l'inverse - et c'est ce que souhaite le groupe UDF -, une nouvelle étape de la modernisation d'ensemble des institutions de notre République ? En effet, au moment d'engager le débat sur une modification qui affectera la première de nos institutions, celle du Président de la République, c'est à l'esprit de notre Constitution que nous devons d'abord nous référer. Cet esprit, qui « procède de la nécessité d'assurer aux pouvoirs publics l'efficacité, la stabilité et la responsabilité ».


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

Première question : le quinquennat est-il conforme à l'esprit de nos institutions ? Si, depuis maintenant près de vingt ans, l'UDF appelle de ses voeux la réduction de la durée du mandat présidentiel à cinq ans, si le Président Valéry Giscard d'Estaing a rouvert ce débat, c'est bien parce qu'elle va dans le sens d'une plus grande efficacité, d'une stabilité mieux assurée, et d'une responsabilité accrue.

Oui, le quinquennat est conforme à l'esprit de la Ve République, parce qu'il renforce la responsabilité politique du Président de la République.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Très bien !

M. Philippe Douste-Blazy.

Une responsabilité accrue, tout d'abord, parce que l'élection du Président de la République au suffrage universel direct aura lieu plus fréquemment devant le peuple souverain. D'ailleurs, cette exigence de démocratie pourrait être complétée par une limitation à deux mandats successifs pour le Président de la République, afin de donner à la vie politique de notre pays un rythme démocratique compatible avec les évolutions de notre société. C'est là le sens de l'amendement déposé par le groupe UDF.

Le quinquennat est conforme à l'exigence de responsabilité car l'esprit de la Constitution de la Ve République veut que le Président procède du peuple tout entier et que le peuple soit appelé à lui renouveler régulièrement sa confiance : tel est le sens du quinquennat, tel est le sens du recours à la démocratie directe par la voie du référendum.

Oui, le quinquennat est conforme à l'esprit de la Ve République parce qu'il contribue non seulement à une plus grande responsabilité, mais aussi à une plus grande stabilité des pouvoirs publics. Cette stabilité signifie avant tout la continuité de l'action politique. Or le septennat n'assure pas cette continuité, c'est une durée brisée, car, au plus tard dans la cinquième année de son mandat, a lieu l'autre rendez-vous essentiel de la vie politique du pays, je veux parler des élections législatives. La cohérence de l'action politique s'en trouve singulièrement affaiblie.

Certes, le quinquennat ne suffit pas à garantir la coïncidence des élections présidentielle et législatives. Celle-ci pourra toujours être rompue, soit par la démission - ou le décès - du chef de l'Etat, soit par l'usage du droit de dissolution.

Néanmoins, le quinquennat favorisera incontestablement cette coïncidence, d'autant que, si elle venait à être rompue, elle pourrait toujours être rétablie par la dissolution. Clef de voûte de nos institutions, le Président de la République conserve, et doit conserver, le pouvoir de décider l'heure et les voies par lesquelles le peuple tout entier est appelé à se prononcer.

Oui, enfin, le quinquennat est conforme à l'esprit de la Ve République parce qu'il contribue à une plus grande efficacité de nos institutions. Comment ne pas voir, en effet, que l'efficacité de la Ve République est remise en cause par la cohabitation, situation qui n'est plus exceptionnelle dans la mesure où elle se renouvelle régulièrement depuis 1986. Situation que les fondateurs de la Ve République n'avaient sans doute pas prévue et que notre histoire politique contemporaine a imposée. Cohabitation dont je voudrais simplement rappeler qu'elle a instauré le quinquennat de fait depuis 1986.

Aucun système politique ne peut garantir cette concordance, pas même le régime présidentiel. La cohabitation est d'ailleurs fréquente aux Etats-Unis.

Une constitution n'est pas faite pour programmer la vie politique. Elle est là pour garantir, dans les institutions, les principes de la démocratie et fixer les règles essentielles de son fonctionnement. Et ce sont les événements, dont certains sont appelés à faire puis à devenir l'Histoire, qui la feront vivre et qui lui donneront un sens.

Ainsi de véritables institutions démocratiques doiventelles offrir à une nation tous les moyens légaux et constitutionnels de résoudre les crises politiques qu'elle peut avoir à traverser.

La Constitution de 1958 met à la disposition des pouvoirs publics une échelle graduée de moyens pour sortir institutionnellement de la crise.

L'adoption du quinquennat ne remettra pas en cause cette graduation des moyens, elle doit au contraire la préserver.

Responsabilité, stabilité, efficacité, souplesse. Ainsi, mes chers collègues, la réduction à cinq ans de la durée du m andat présidentiel apparaît comme une réforme conforme à l'esprit de nos institutions. C'est dans cet esprit que le Président Jacques Chirac a pris l'initiative de cette réforme constitutionnelle.

L'UDF, je l'ai rappelé, a préconisé cette réforme de longue date. Nous n'allons pas aujourd'hui bouder notre plaisir.

M. Didier Quentin.

Très bien !

M. Philippe Douste-Blazy.

Je voudrais poser maintenant la deuxième question de ce débat : pouvons-nous mesurer aujourd'hui les effets que cette réforme aura demain sur nos institutions et sur le déroulement de la vie politique ? Ne nous leurrons pas, l'institution du quinquennat est une modification importante de notre Constitution.

Nous ne sommes pas de ceux qui en minimisent la portée, mais vouloir en apprécier, dès aujourd'hui, toute l'étendue des conséquences, voilà qui serait très aventureux.

Lorsque, en 1974, le Président Giscard d'Estaing a voulu élargir le droit de saisine du Conseil constitutionnel à l'opposition parlementaire, certains ont brocardé une réforme qu'ils jugeaient sans importance. On sait qu'ils durent revoir leur jugement, car cette révision de la loi fondamentale est apparue pour ce qu'elle est : l'une des deux plus importantes depuis 1958, la pierre angulaire d'un statut de l'opposition parlementaire dont notre pays manquait cruellement, et, surtout, une contribution fondamentale au parachèvement de l'Etat de droit.

Aujourd'hui, les constitutionnalistes les plus éminents se divisent sur les conséquences du quinquennat. « Une Constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique », disait le général de Gaulle. Seule la pratique du quinquennat nous instruira sur ses implications exactes sur le fonctionnement des institutions.

M. Pascal Clément.

Autrement dit, c'est un pari sur l'avenir ?

M. Philippe Douste-Blazy.

Cette réforme a mûri, monsieur Clément, pendant trente ans. La voici enfin parvenue à maturité. Franchissons cette étape, prenons le temps d'en mesurer toutes les conséquences, afin, s'il est nécessaire, d'apporter les dispositions complémentaires qui s'avéreraient utiles pour qu'elle produise tous les effets heureux qui en sont attendus.

La question de l'adaptation des calendriers électoraux, c'est-à-dire de la concordance des majorités présidentielle et parlementaire se pose d'ores et déjà.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

Le fondateur de la Ve République redoutait que, si les mandats du Président de la République et des députés devaient coïncider, la désignation du chef de l'Etat ne fût mêlée « à la lutte directe des partis ». Ce risque existe sans doute mais il faut, pour l'apprécier, le mettre en regard avec celui qui découle nécessairement de l'architecture a ctuelle de nos institutions : le Président de la République, au cours de son mandat, est contraint à descendre dans l'arène des élections législatives.

Le Président Giscard d'Estaing avait répondu lui-même à cette objection, le 27 janvier 1978, dans son discours de Verdun-sur-le-Doubs : « La Constitution a voulu que chaque Président assiste nécessairement à des élections législatives, et, si elle l'a doté de responsabilités aussi grandes, ce n'est pas pour rester un spectateur muet. »

Si nous voulons, mes chers collègues, améliorer l'efficacité du fonctionnement de nos institutions, l'ordre des élections doit être le plus favorable possible à la désignation d'une équipe cohérente, porteuse d'un projet et soudée autour d'un homme. Ce double rendez-vous démocratique doit être l'occasion de sceller un véritable contrat entre le peuple, la majorité sortie des urnes et le Président de la République, qui oriente son action.

Aux pouvoirs issus de ce contrat passé entre le Président de la République et la nation, doivent correspondre des contrepoids. Pour l'UDF, ceux-ci passent par un renforcement des pouvoirs du Parlement et des collectivités locales.

Enfin, l'UDF estime qu'il faut répondre à une troisième question : comment faire du quinquennat une é tape vers la modernisation d'ensemble de notre République ? Je veux parler, en l'occurrence, de l'indispensable rééquilibrage des pouvoirs et des responsabilités.

Le pragmatisme avec lequel les grandes questions institutionnelles doivent être abordées ne saurait cependant servir d'alibi, madame la ministre, pour différer des choix qui ne peuvent attendre, et encore moins pour occulter des questions dont le pays escompte qu'elles soient clairement posées.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Très bien !

M. Philippe Douste-Blazy.

Le dernier orateur socialiste, il y a un instant, à cette tribune, a invoqué la cohabitation pour justifier que de telles réformes ne soient pas engagées. Ce n'est qu'un alibi, puisque, pendant dix ans, sous la présidence de François Mitterrand, ses amis en avaient la faculté politique et juridique.

M. Jean-Marc Ayrault.

Et la décentralisation, alors ? Ce n'est pas la droite qui l'a faite !

M. Philippe Douste-Blazy.

Ce débat est, pour nous, l'occasion de prendre date solennellement et d'ouvrir les perspectives que nous aurons à explorer. Trois d'entre elles me paraissent pouvoir être évoquées aujourd'hui : le rééquilibrage entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ; le rééquilibrage des pouvoirs au sein de l'exécutif ; enfin, le rééquilibrage des pouvoirs entre le niveau central et les niveaux de proximité.

M. Jean-Louis Idiart.

Ah !

M. Jean-Marc Ayrault.

Voilà une perspective intéressante !

M. Philippe Douste-Blazy.

La réforme du quinquennat nous oblige en effet à évoquer le grand chantier institutionnel de demain : le rééquilibrage entre les pouvoirs exécutif et législatif. Le groupe UDF souhaite un débat approfondi sur les moyens de revaloriser le rôle du Parlement, tant dans sa fonction législative que dans sa fonction de contrôle démocratique. On verra d'ailleurs, à cette occasion, que l'une ne va pas sans l'autre et que la France n'aura de bonnes lois que si l'administration est efficacement contrôlée.

Le vote des lois de finances n'est pas satisfaisant pour un Etat démocratique comme le nôtre. La réforme de l'ordonnance de 1959 et de l'article 40 de la Constitution, souvent évoquée, jamais réalisée, doit être enfin envisagée.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance.

Très bien !

M. Philippe Douste-Blazy.

L'article 44, alinéa 3, de la Constitution ne répond pas suffisamment à l'esprit de dialogue et de confiance qui doit animer les relations entre un gouvernement et sa majorité. Il apporte au droit d'amendement des parlementaires une restriction d'autant moins acceptable que son utilisation reste à la discrétion du Gouvernement, sans que ce dernier ait, en contrepartie, à engager sa responsabilité politique, comme c'est le cas lorsqu'il recourt à l'article 49, alinéa 3.

Les droits de l'opposition, qui avaient été renforcés, en 1974, par la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel, doivent l'être encore par un élargissement du pouvoir de création de commissions d'enquête parlementaires.

M. François Léotard.

Très bien !

M. Philippe Douste-Blazy.

Cette revalorisation du rôle du Parlement contribuera à redonner du sens à la responsabilité politique du Gouvernement, dans la mesure où ce dernier devra, même en période de concordance des majorités, rester responsable devant le Parlement, dont les pouvoirs de contrôle doivent être renforcés.

D es relations qu'entretiendront les deux pouvoirs dépendra la nature du régime. Là encore, un débat doit être ouvert, dans la sérénité, en prenant la mesure de tout ce qui sépare notre pays de celui où le régime présidentiel s'est enraciné ; n'oublions pas que, comme le dit Montesquieu, les lois « doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites que c'est un très grand hasard si celles d'une nation peuvent convenir à une autre ».

Enfin, mes chers collègues, le chantier le plus important, sans doute, sera celui du rééquilibrage des pouvoirs entre le niveau central et les niveaux de proximité, c'est-àdire la définition de la place de l'Etat entre les collectivités territoriales, d'une part, et l'Union européenne, d'autre part.

M. Jean-Louis Idiart.

On finit par progresser !

M. Philippe Douste-Blazy.

Comment ne pas voir que le malaise démocratique dont notre pays souffre prend sa source dans l'insuffisante vitalité d'une démocratie locale que, depuis des siècles, le pouvoir central n'a jamais laissée pleinement s'épanouir ? « Sans institutions communales, nous a pourtant averti Tocqueville, une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n'a pas l'esprit de la liberté. »

M. Claude Goasguen.

Très bien !

M. Philippe Douste-Blazy.

Comment ne pas voir que l'efficacité et le crédit des institutions publiques sont menacés par l'enchevêtrement inextricable des compétences dans lequel se débattent les collectivités locales, depuis une décentralisation restée au milieu du gué ?

M. Jean-Louis Idiart.

Et vous, vous êtes restés sur la berge !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

M. Jacques Brunhes.

Vous êtes tombé dans la Garonne !

M. Philippe Douste-Blazy.

Trop souvent, l'Etat a délégué des compétences en retenant les moyens correspondants et, dans presque tous les cas, il a voulu diviser pour régner et conserver partout des leviers de contrôle. On a bâti une machine monstrueuse qui gémit sous le poids de ses complications. Et vous, vous recentralisez. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Claude Goasguen et M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Il a raison !

Mme Véronique Neiertz.

C'est la meilleure !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est un procès d'intention !

M. Philippe Douste-Blazy.

On peut en juger à la lumière de la politique du Gouvernement en matière d'assurance-maladie, de gestion de l'appareil d'Etat ou de dialogue social. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Véronique Neiertz.

N'importe quoi !

Mme Martine David.

C'est en allant de Lourdes à Toulouse que vous prétendez décentraliser ?

M. Philippe Douste-Blazy.

Comment ne pas voir que le centralisme - qui a donné, en son temps, son unité et son identité à la France, grâce à l'uniformité de la loi n'est plus en mesure, aujourd'hui, d'assurer le succès ni même l'application d'une réforme ? Le droit à l'expérimentation est devenu une nécessité...

M. Claude Goasguen.

Très bien !

M. Philippe Douste-Blazy.

... si nous voulons pouvoir forger et appliquer les nouvelles règles qu'attend un monde nouveau. Pour cette raison, le groupe UDF déposera un amendement qui vise à inscrire dans la Constitution le droit à l'expérimentation.

M. Pascal Clément.

Très bien !

M. Philippe Douste-Blazy.

Comment ne pas voir que l'émiettement des compétences et des moyens est à la source d'un déficit de responsabilité, que les citoyens indignés croient trop souvent pouvoir combler en se tournant vers la justice pénale, sans avoir conscience qu'en fin de compte, une pénalisation généralisée de la vie publique signifie moins, et non davantage, de responsabilité ? Comment ne pas voir, enfin, que la lancinante question du cumul des mandats est avant tout la conséquence de l'insuffisante autonomie des collectivités locales ? Ces questions, nous devons nous les poser, et nous veillerons avec détermination, pour notre part, à ce qu'elles le soient. Le rendez-vous des élections présidentielles devra en être l'occasion.

Monsieur le président, mes chers collègues, c'est dans cette mesure que l'étape que nous franchissons aujourd'hui sera féconde. Dans sa très grande majorité, le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance votera ce projet de révision de la Constitution et participera de manière forte, active et claire à la nécessaire explication de cette réforme aux Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie franç aise-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Martine David.

Pas terrible !

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans une intervention télévisée qui fera vraisemblablement date dans les annales de la République, confié, le Président de la République nous a donné la seule raison qui justifie cette réforme : cinq ans, c'est mieux que sept, parce que c'est plus court.

(Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

Alors, il est vrai qu'appeler les électeurs à voter tous les cinq ans plutôt que tous les sept ans permettra, je dirai, une meilleure respiration démocratique. Mais quand on a dit cela, on n'a pas dit grand-chose. Ce qu'on peut regretter, et ce que, je regrette, personnellement, c'est que cette réforme ait été lancée comme une espèce de TGV, sans aucun débat national préalable sur le devenir de nos institutions. A l'aube du troisième millénaire, quel régime voulons-nous ? Quelles institutions voulons-nous pour la République ? Les députés du Mouvement des citoyens sont favorables au quinquennat, mais dans la mesure où cette réforme engage la marche en avant vers un véritable régime présidentiel à la française,...

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Pas à l'américaine, surtout !

M. Jean-Pierre Michel.

... qui doit tenir compte, bien entendu, du fait que la France n'est pas un Etat fédéral.

Car le régime présidentiel est, selon nous, le seul qui redonnera au Parlement tout son sens, tous ses droits, qui lui redonnera, en somme, un rôle important.

Il est également souhaitable, nous le croyons, d'en finir avec la dyarchie au sommet de l'Etat, qui n'existe, en Europe, que dans un autre pays, la Finlande. En France, le moins que l'on puisse dire, c'est que cette dyarchie est une source de perte de temps, de perte d'efficacité ; en outre, en période de cohabitation, elle se traduit par la recherche d'un consensus émollient, qui empêche de porter devant les Français le débat sur les grands enjeux de notre société.

Cette réforme, que nous allons voter, devrait au moins nous permettre de limiter les possibilités de cohabitation, cette cohabitation émolliente, et redonner tout leur sens au scrutin présidentiel et au scrutin législatif. Autant que faire se peut, l'élection des députés doit suivre celle du Président de la République, et il doit y avoir concordance entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire.

A cet effet, la seule bonne solution, c'est que le Gouvernement - nous le lui demandons fermement - prenne l'initiative de déposer un projet de loi prorogeant de quelques mois le mandat de la législature actuelle ; ainsi, le scrutin présidentiel se tiendra avant le scrutin législatif.

Sinon, la réforme n'aurait aucun sens. Au surplus, au soir du deuxième tour des prochaines élections législatives, l'un des deux candidats à l'élection présidentielle que la rumeur nous promets - et je veux bien la croire - se trouverait disqualifié. Ainsi, pour des raisons de circonstance et de fond, le Mouvement des citoyens estime éminemment souhaitable que l'élection du Président précède celles des députés.

Notre vote positif sur cette réforme ira dans ce sens.

Nous avons déposé un amendement, un seul, qui sera défendu en séance : il tend à faire peser une épée de Damoclès sur le Président de la République pour l'inciter à quelque retenue dans le maniement de l'arme de la dissolution. Notre amendement a été repoussé en commis-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

sion des lois, il le sera à nouveau en séance plénière, je le sais bien, mais il s'agit surtout de souligner que notre système doit évoluer vers un véritable régime présidentiel.

Notre vote sera donc positif aujourd'hui, et, plus tard, nous appellerons nos concitoyens à voter « oui » au quinquennat, ou nous le ferons nous-mêmes si un Congrès est convoqué - cette dernière solution serait d'ailleurs, à mon avis, bien préférable et bien moins coûteuse.

Ce vote positif doit être compris comme le point de départ de la nécessaire réforme globale de nos institutions, qui devra intégrer le paramètre européen, car il faudra bien que la plus grande intégration politique des

Etats européens ait des répercussions sur le régime institutionnel. Il faudra en débattre sereinement, sans se lancer d'invectives, qui ne font pas avancer le débat. Et puis, cette réforme devra aussi intégrer l'exercice de la démocratie locale ; à cet égard, les conclusions de la commission Mauroy devraient être prises en compte.

Tel est, monsieur le président, mes chers collègues, le sens du vote positif des députés du Mouvement des citoyens.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. François Hollande.

M. François Hollande.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question qui nous est posée ce matin est simple, peut-être trop simple, estimeront beaucoup d'entre nous : approuvons-nous ou pas la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans ? A cette seule interrogation, les socialistes entendent répondre clairement. Oui, nous considérons que le quinquennat est une réforme utile et souhaitable ; elle emporte donc notre adhésion. Oui, nous pensons que cette réforme s'inscrit dans une évolution globale ; elle n'en constitue qu'une étape - que nous aurions aimée, je dois le dire, plus substantielle et plus riche. Oui, nous pensons que cette réforme ne constitue certes pas la première préoccupation des Français, mais que la question de la démocratie, elle, demeure un sujet essentiel dans un pays comme le nôtre. Permettez-moi, mes chers collègues, de reprendre ces trois points.

Notre adhésion au quinquennat ne relève en rien d'un choix de circonstance. Lionel Jospin en faisait une de ses propositions lors de la campagne présidentielle de 1995.

Nous l'avions reprise, nous, les socialistes, à l'occasion du scrutin législatif de 1997. Et le Premier ministre avait évoqué, lors de sa déclaration de politique générale, en 1997, la nécessaire harmonisation des mandats électifs, sur une base de cinq ans.

Pour être franc, nous n'imaginions pas qu'il fût possible, au cours de cette législature, de parvenir au quinquennat. Le chef de l'Etat avait, jusqu'à présent, écarté avec constance toute idée de réduction du mandat présidentiel.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Comme François Mitterrand !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Le Président Mitterrand n'a jamais pris position contre le quinquennat !

M. François Hollande.

L'opposition, à la rare exception de Valéry Giscard d'Estaing, n'en faisait pas jusque-là un de ses thèmes prioritaires. Et le Premier ministre luimême avait indiqué qu'il ne souhaitait pas s'engager dans cette voie, faute d'un consensus.

Il a donc fallu une heureuse conjonction, née d'une initiative parlementaire inopinée, de la réaffirmation d'une volonté gouvernementale et d'une soudaine prise de conscience présidentielle pour que la réforme, enfin, puisse être de nouveau présentée devant le Parlement par la voie de l'article 89 de la Constitution, avec une chance d'être adoptée.

Cette opportunité du quinquennat, nous ne la laisserons pas s'échapper, car cette réforme présente à nos yeux deux avantages majeurs par rapport à la situation actuelle.

Premier avantage, le quinquennat redonne plus souvent la parole aux citoyens pour désigner le Président de la République à qui notre Constitution attribue de larges pouvoirs dont ne dispose aucun chef d'Etat en Europe. A bien des égards, le septennat, dont chacun connaît l'origine historique, ne correspond plus au rythme de la vie démocratique, surtout si les élections intermédiaires, en cas de désaveu du Président de la République - et cela peut arriver -, n'entraînent plus son départ.

Second avantage, le quinquennat limite les risques, sans les écarter toutefois, de la cohabitation dont, il est vrai, tout le monde se plaint, mais dont chacun s'accommode. Mais cette cohabitation, en devenant si fréquente, peut finir par modifier insensiblement la nature de nos institutions, en faisant du chef de l'Etat tantôt un chef de l'exécutif doté de très larges pouvoirs - et même de pouvoirs sans limites autres que la fidélité ou l'infidélité de sa majorité parlementaire - tantôt, lorsqu'une élection intermédiaire est venue le priver de ce soutien législatif, un simple arbitre, voire le chef de l'opposition.

M. Marcel Rogemont.

Très bien !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Très lucide !

M. François Hollande.

Pour ces seules raisons, plus de démocratie, plus de cohérence, notre approbation du quinquennat se justifie en tant que telle. Cette réforme s'inscrit d'ailleurs dans le mouvement de rénovation de la vie publique auquel, les uns et les autres, mais plus les uns que les autres (« C'est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste) , nous nous sommes attelés depuis 1997 : parité, limitation du cumul des mandats, réforme des modes de scrutin pour les régions comme pour le Sénat.

Mais avouons, les uns et les autres, et là de bonne foi...

M. Jacques Myard.

Ne parlez pas de ce qui n'existe pas !

M. François Hollande.

... qu'à l'occasion du quinquennat, nous aurions pu procéder à d'autres évolutions de nos institutions.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Lesquelles ?

M. François Hollande.

Certains ont évoqué la nécessité de donner plus de pouvoir au Parlement et, il est vrai que, sur ce plan-là, si nous n'étions pas contraints aujourd'hui - j'y reviendrai -, nous aurions pu aller plus avant.

M. Jacques Myard.

Ça, on le sait !

M. François Hollande.

Nous aurions pu envisager une augmentation du nombre des commissions pour mieux contrôler l'exécutif. C'est l'article 43 de la Constitution qui en limite le nombre à six, aujourd'hui. Nous aurions pu aussi prévoir une limitation de l'usage de l'article 49-3.

Notons toutefois que ce Gouvernement n'y a pas eu recours. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Martine David.

Il fallait le dire !

M. François Hollande.

Mais d'autres gouvernements, plus tard, n'auront-ils pas la tentation de céder à cette facilité ? Nous ne devons pas simplement prévenir les comportements d'aujourd'hui ; nous devons penser égale-


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ment à ceux de demain. C'est pourquoi nous estimons utile de prévoir dans la Constitution la limitation de l'usage de l'article 49-3 aux seules lois de finances ou lois de financement de la sécurité sociale. Nous aurions pu encore souhaiter un meilleur contrôle de l'engagement de nos forces armées dans les opérations extérieures.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Très bien !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

La prochaine fois, nous voterons donc lorsqu'il s'agira d'engager une opération au Kosovo !

M. François Hollande.

Ce fut souhaité au moment du conflit du Kosovo - c'est l'article 35 de la Constitution.

Des évolutions indispensables devront se faire jour dans les prochains mois.

Enfin, nous aurions pu, dès à présent, supprimer l'article 16 dont personne ne pense aujourd'hui qu'il soit un utile recours, y compris dans les périodes de crise.

M. Jacques Myard.

Fossoyeur de la Constitution !

M. François Hollande.

J'entends qu'il y a encore, sur certains bancs, des nostalgiques de l'article 16...

M. Jacques Myard.

D'une Constitution qui fonctionne, monsieur Hollande !

M. François Hollande.

... qui n'avait pas néanmoins donné au Parlement tous les moyens d'assurer le contrôle de l'exécutif dans ces circonstances.

La deuxième direction que nous aurions pu emprunter est celle de l'harmonisation de la durée des mandats. Elle doit concerner tous les mandats.

M. Kofi Yamgnane.

Très bien !

Mme Véronique Neiertz.

A commencer par celui des sénateurs !

M. François Hollande.

Dès lors que le Président de la République sera, demain, élu pour cinq ans, rien ne justifie - ni leur rôle constitutionnel ni leur mode d'élection que nos collègues sénateurs puissent disposer d'un mandat de neuf ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jacques Myard.

Dans quelques années, vous vous mordrez les doigts d'avoir dit cette sottise !

M. François Hollande.

Qu'est-ce qui justifie aujourd'hui que des élus du suffrage universel, certes, mais sur un mode indirect, puissent disposer d'un mandat aussi long ?

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Et renouvelable !

M. François Hollande.

Certains de nos collègues sur ces bancs s'imaginent peut-être déjà siégeant dans une autre assemblée et ne souhaitent qu'aucun de ces privilèges ne soit abandonné. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Marie Demange.

L'intérêt de la République ne vous intéresse pas ! C'est du sectarisme !

M. François Hollande.

Honnêtement, il n'y a guère de sectarisme à souhaiter que tous les sénateurs, de gauche comme de droite, puissent être élus moins de neuf ans. Il y a là une égalité de traitement que personne ne pourra remettre en cause. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Appelez Charasse !

M. Jacques Myard.

Charasse ! Charasse !

M. François Hollande.

Mais oublions le Sénat, puisqu'il y a ici des nostalgiques de telle ou telle disposition constitutionnelle ou législative, et revenons à notre débat d'aujourd'hui. Il eût été possible dans ces deux directions - renforcement des droits du Parlement, harmonisation de la durée des mandats - d'aller plus loin et même d'obtenir dans cette Assemblée une majorité sur ces différents points de réforme pour compléter la modernisation de nos institutions.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Proposez un projet !

M. François Hollande.

Mais dès lors que le Président de la République a fixé comme condition du bon aboutissement de la réforme du quinquennat, le rejet de tout ajout, et donc de tout amendement, nous en prenons acte, avec regret, mais aussi avec responsabilité.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Fastoche !

M. François Hollande.

En effet, chers collègues, vouloir tout faire, comme certains nous le demandent, c'est décider, en fait, de ne rien faire. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Exactement !

M. François Hollande.

Se limiter, aujourd'hui, au quinquennat, puisque c'est la règle du jeu qui nous est fixée, c'est, en fait, garantir son adoption.

Au terme de cette procédure, il reviendra au Président de la République de décider s'il préfère la voie du référendum à celle du Congrès, puisque les deux procédures sont possibles. L'adhésion des Français semble à première vue acquise sur le quinquennat, même s'il faut toujours être prudent en cette matière - certaines décisions peuvent se révéler parfois aventureuses. Il est incontestable aussi que le quinquennat n'est pas la première préoccupation des Français.

M. Jacques Myard.

Oh oui !

M. François Hollande.

Nous pouvons les comprendre : l'emploi, la précarité, le pouvoir d'achat constituent leur première priorité. C'est leur exigence première.

Mme Véronique Neiertz et M. Marcel Rogemont.

Absolument !

M. François Hollande.

Il ne faudrait pas, pour autant, abandonner la perspective d'un renforcement de notre démocratie. Le Gouvernement, le Parlement doivent rester sur les objectifs prioritaires annoncés au début de la législature. Mais il serait trop commode, au prétexte que les questions constitutionnelles ou institutionnelles ne passionnent pas en première analyse les Français, de reporter, de retarder, de remettre toujours à plus tard les évolutions indispensables.

M. Pierre-André Wiltzer.

Quelles contorsions !

M. François Hollande.

La démocratie est une chose trop rare dans le monde et trop précieuse dans notre pays pour qu'elle ne justifie pas de la part de ses représentants une ambition et une attention de tous les instants.

M. René Couanau.

Vous parlez d'une attention !

M. François Hollande.

La vitalité d'une nation, la cohésion d'une société, la confiance d'un peuple reposent sur un pacte démocratique solide et renouvelé et sur des institutions efficaces et crédibles. N'opposons pas, comme certains le font, l'économie et le droit, la négociation sociale et la loi. La République, dans le monde d'aujourd'hui, est un atout qu'il faut régulièrement consolider.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

C'est dans cet esprit que les socialistes continueront, au-delà même du quinquennat, à travailler pour faire franchir à notre pays une nouvelle étape de la décentralisation, pour rendre la justice plus indépendante et plus responsable et donner aux citoyens de nouveaux droits.

Par avance, je le dis donc nettement, les socialistes entendent rééquilibrer nos institutions sans en changer la nature. Nous récusons toute évolution vers un régime présidentiel qui ne correspond ni à notre tradition...

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Très bien !

M. François Hollande.

... je fais référence à la IIe République qui n'a pas laissé un souvenir très vivant pour les démocrates -, ni à nos comportements politiques, car nous n'appartenons pas à un pays fondé sur le fédéralisme.

De même, nous affirmons la nécessité du fait majoritaire à l'Assemblée nationale autour de partis qui doivent être à la fois dynamiques et ouverts.

M. Kofi Yamgnane.

Ce n'est pas le cas du RPR !

M. François Hollande.

Certains critiquent sans cesse les partis. Mais, je le dis, ici, les partis concourent à l'expression du suffrage ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est dans la Constitution !

M. François Hollande.

C'est la vitalité même du système démocratique parlementaire qui justifie la présence des partis politiques. Oui, nous sommes pour le rappel du fait majoritaire dans l'Assemblée nationale, ce qui ne peut que limiter, c'est vrai, l'introduction d'une dose de proportionnelle dans notre mode de scrutin.

Ce que nous voulons, en revanche, c'est un meilleur contrôle des gouvernants par le renforcement des droits du Parlement, c'est une plus grande liberté laissée au législatif, c'est une plus grande participation des citoyens aux décisions qui les concernent. Les textes constitutionnels et législatifs, qu'il faudra modifier, sont autant en cause que la pratique même de la Ve République depuis 1958.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Il faut le faire maintenant !

M. François Hollande.

Oui, il faut changer les textes mais il faut aussi changer la pratique de nos institutions.

Nous pouvons le dire puisque chacun, à tour de rôle, a pu gouverner ce pays, puisqu'il y a eu des présidents de la République de gauche comme de droite. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Néri.

Très bien !

M. François Hollande.

Une fois rappelées nos intentions pour les années à venir, il nous faut prendre une précaution. Dans un débat institutionnel, en effet, rien n'est pire que la confusion, l'hésitation ou la contradiction. Les socialistes entendent donc être clairs : nous voulons le quinquennat non comme un aboutissement ou comme une concession à l'air du temps, mais comme une étape vers un régime plus équilibré et vers une démocratie plus vivante. Nous voulons le quinquennat aujourd'hui pour mieux justifier demain les réformes et les évolutions qu'il va mécaniquement provoquer.

Mes chers collègues, un pas important va être franchi.

Nous nous ne nous arrêterons pas en chemin.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Nous non plus !

M. François Hollande.

Nous continuerons de marcher sur la voie des réformes.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord d'exprimer notre étonnement devant le caractère « surréaliste » du débat d'aujourd'hui. Débat qui pourrait s'apparenter à une partie de billard à trois bandes entre un ancien, un actuel et, du moins nous l'espérons, un futur chef de l'Etat.

En effet, l'Assemblée nationale, sommée de se prononcer, à la hâte et surtout sans modification possible de ce texte, se voit une fois de plus considérée comme une simple chambre d'enregistrement d'une réforme tout à coup d'une urgence absolue : la réduction à cinq ans du mandat présidentiel. J'ai par ailleurs vérifié la date de parution du texte qui nous est soumis aujourd'hui : 8 juin 2000, soit le lendemain de la date limite de dépôt des amendements en commission. C'est dire la considération apportée aux propositions de la représentation nationale ! Nous n'arrivons pas à nous y résoudre, quant à nous. Mais peut-être est-ce parce que nous ne sommes représentés ici que depuis trois ans.

Tout cela pour débattre, mais je devrais presque dire discuter poliment entre nous, d'une réforme que, bien sûr, nous approuvons puisqu'elle fait partie depuis longtemps de notre projet constitutionnel, mais qui est loin d'être substantielle parmi les profondes modifications dont auraient besoin des institutions de la Ve République à bout de souffle.

Ainsi, la façon même d'initier cet important débat est révélatrice des travers d'une Ve République qui donne l'essentiel du pouvoir à l'exécutif, Président de la République et Gouvernement.

C'est donc une évolution considérable qui est nécessaire, vers une VIe République, et seule cette évolution peut contribuer à enrayer le discrédit qui entoure, aux yeux de nos concitoyens, le monde politique. Nous avons besoin non pas de rapiéçages périodiques et de plus en plus fréquents, mais d'un nouvel acte fondateur...

M. René Couanau.

Très bien !

Mme Marie-Hélène Aubert.

... pour une République plus représentative de la diversité sociale, plus démocratique, plus transparente, plus réactive, plus souple et en phase avec les enjeux et les préoccupations de la société française d'aujourd'hui. Contrairement à ce qu'on tente parfois de nous faire croire, le débat sur nos institutions est donc intimement lié à celui sur la pertinence et l'efficacité des politiques publiques que nous entendons mener, dans le contexte extrêmement mouvant de la mondialisation économique notamment. Et c'est en cela qu'il peut et doit intéresser les Français.

Dans cette perspective, les Verts, par les thématiques quotidiennes qu'ils portent et leurs expériences de démocratie locale, inscrites aussi au sein d'une vision plus globale, résolument européenne voire planétaire, ont beaucoup à apporter, je crois.

C'est pourquoi nous avons appuyé de toutes nos forces les réformes proposées par cette majorité tendant à la limitation du cumul des mandats et à l'établissement de la parité. C'est pourquoi aussi nous avons porté la proposition du droit de vote pour les étrangers aux élections locales et soutenu l'ouverture aux langues régionales, la réforme cohérente et globale des modes de scrutin instituant une proportionnelle aménagée, ainsi que le renforcement des pouvoirs du Parlement et de ses moyens d'exercer réellement ses missions.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

Aussi avons-nous déposé une vingtaine d'amendements, pour sortir enfin nos institutions de l'amidon dans lequel elles se trouvent encore raidies.

En effet, la discussion de la réforme du quinquennat doit être un moyen, bien qu'il soit issu d'un curieux concours de circonstances, d'engager une large réflexion sur toutes ces questions, et d'abord au sein de notre majorité, qui devra bien être en mesure, d'ici à deux ans, d'articuler un projet cohérent de nouvelle Constitution.

Faute de quoi nos concitoyens auraient une fois de plus le sentiment que les politiques se servent du système actuel plus qu'ils ne cherchent à l'adapter aux besoins de la société d'aujourd'hui.

C'est avec regret que nous avons constaté en commission que cette occasion risquait de ne pas être saisie. Les Verts porteront ces débats au sein de la société avant et à défaut de pouvoir le faire correctement dans les institutions.

Bien entendu, nous nous exprimerons favorablement sur la réduction de la durée du mandat présidentiel à cinq ans, puisque nous réclamons cette réforme de longue date, comme la réduction de l'ensemble des mandats et la limitation de leur cumul dans le temps. Toutefois, nous considérons cette réforme simplement comme une poignée de porte, trouvée un peu par hasard par la facétie d'un ancien Président de la République, destinée bientôt à ouvrir la maison appelée VIe République qu'il nous reste encore à construire. C'est dire l'ampleur de la tâche qui nous attend. Pour notre part, nous y sommes prêts.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Blazy.

M. Jean-Pierre Blazy.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, une Constitution n'est pas un texte mort et gravé dans le marbre pour l'éternité. L'histoire constitutionnelle de notre pays nous le montre. Celle de la Ve République aussi puisque la Constitution de 1958 a déjà subi une douzaine de révisions.

Si la volonté de mieux régler nos institutions démocratiques, de les adapter sur la base du respect des grands principes républicains définis depuis deux siècles préside aux évolutions de notre droit constitutionnel, les circonstances et les contingences du moment sont parfois, voire souvent, déterminantes. De ce point de vue, la durée du mandat présidentiel en est l'illustration la plus évidente.

A 127 ans d'intervalle, il y a là une parfaite continuité.

En 1873, Mac-Mahon, partisan du comte de Chambord petit-fils de Charles X, c'est-à-dire légitimiste, entend, avec la majorité monarchiste de l'Assemblée, gagner du temps. La loi du 20 novembre 1873 dispose que « Le pouvoir exécutif est confié pour sept ans au maréchal Mac-Mahon ». Le pouvoir était confié à une personne, et non pas de façon constitutionnelle. La restauration monarchique était possible, mais la République triompha.

Le septennat avait ainsi été créé pour assumer une forme de régence et rétablir la monarchie.

En 1962, le général de Gaulle, précisément partisan d'une « présidence monarchique »,...

M. Jacques Myard.

Non !

M. Jean-Pierre Blazy.

... a l'idée de faire élire au suffrage universel le Président de la République. André Fontaine nous le rappelle dans un article récent paru dans le Monde . Selon lui, le général de Gaulle songeait depuis longtemps à renforcer l'autorité des présidents à venir.

« L'attentat du Petit-Clamart (...) le persuada d'accélérer l e mouvement. En quelques semaines, l'affaire fut réglée », nous explique André Fontaine.

M. Jacques Myard.

Cela s'appelle la stabilité de l'Etat !

M. Jean-Pierre Blazy.

Les circonstances toujours au service de la « présidence monarchique ».

A ujourd'hui, Jacques Chirac, Président de la République, propose le quinquennat sec. Il ne s'agit pas, cette fois, j'en conviens, de renforcer la tendance monarchique de l'institution présidentielle. Les explications embrouillées du Président masquent difficilement une vérité de circonstance : le Président sera plus facilement candidat à sa propre succession s'il réduit d'abord la durée de son éventuel futur mandat. Qu'on ne s'effarouche pas de ce propos : il n'est que le rappel des prises de position de quelques responsables RPR, en particulier de Nicolas Sarkozy.

Cependant, au-delà des contingences qui expliquent souvent les modifications constitutionnelles, les socialistes, à l'instar du groupe des cinq constitutionnalistes éminents, ne bouderont pas leur plaisir de voir la durée du mandat présidentiel réduite à cinq ans, ce qui, du reste, était une proposition du candidat Jospin à la présidentielle de 1995, sans cesse réaffirmée depuis à la fois par le Premier ministre et par les socialistes.

S'il y a bien lieu de discuter dès maintenant des évolutions nécessaires au-delà de l'adoption du quinquennat, les amendements ayant pour objet de réviser la Constitution, voire d'en changer, sont inopportuns pour l'heure.

Mais le débat est indispensable, j'en conviens, pour éclairer l'avenir et présenter des perspectives nouvelles.

En effet, qui peut prétendre que le quiquennat, même sec, serait sans conséquences sur le fonctionnement de n os institutions ? Peut-on, dans une République moderne, admettre un tel déséquilibre entre l'exécutif et le législatif ?

Pour justifier la prépondérance de l'exécutif et surtout du chef de l'Etat « de qui doit procéder le pouvoir exécutif », selon la définition donnée dès 1946 dans le discours de Bayeux, le général de Gaulle affirmait vouloir restaurer le vieux principe de la séparation des pouvoirs mis à mal, selon lui, par la suprématie parlementaire sous la IIIe République. En 1958, il a donc voulu la subordination du Parlement à l'exécutif, en clair au président de la République lorsque la majorité parlementaire coïncide avec la mouvance du locataire de l'Elysée, ce qui est le schéma idéal bien évidemment, et au Premier ministre en période de cohabitation ; il faut d'autant plus soutenir ce dernier qu'il est l'adversaire du Président.

Sans dire comme Paul Reynaud, partisan du « non » au référendum de 1962, demandant à l'Assemblée de censurer le Premier ministre Georges Pompidou, que « la République est ici et nulle part ailleurs », je considère que la République est tout autant ici qu'à l'Elysée ou à Matignon. A partir du quinquennat, qui représente le bon rythme pour la démocratie au

XXIe siècle - à cet égard, le Sénat ne pourra en rester à un mandat de neuf ans...

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Tout à fait !

M. Jean-Pierre Blazy.

... et qui permet au peuple souverain de s'exprimer, de choisir ses représentants à l'Assemblée nationale et d'élire le président de la République, il s'agit surtout de faire vivre concrètement la République.

Celle-ci n'est ni un objet neutre ni un objet vieillot, mais il est évident qu'il faut, au-delà de la réforme du quinquennat sec que nous soutenons en dépit des arrière-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

pensées de circonstance des uns et des autres, rechercher les réponses institutionnelles indispensables pour que la République puisse évoluer en fonction d'une société qui subit de profondes transformations.

F aut-il un vrai régime présidentiel ? Faut-il une VIe République ? Autant d'interrogations intéressantes auxquelles il faut réfléchir dès aujourd'hui, d'autant que notre République, au sein d'une Europe trop souvent indifférente aux citoyens, est devenue bien technicienne et éloignée des citoyens. Or la République peut être en danger lorsqu'elle se révèle indifférente au sort des citoyens. Si certains, ailleurs, rêvent déjà de faire élire un président de l'Union au suffrage universel, faisons déjà en sorte de rapprocher la République des citoyens. Dans ce sens, le quinquennat doit constituer une première étape sur la voie de la modernisation et de la démocratisation indispensable de nos institutions.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Feidt.

Mme Nicole Feidt.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui appelés à discuter du projet de loi constitutionnelle relatif à la durée du mandat du Président de la République, et pour dire plus simplement les choses, à réduire ce mandat de sept à cinq ans, c'est-à-dire d'instaurer le quinquennat, et j'allais ajouter : point final.

En effet, M. le Président de la République a été parfaitement clair sur le sujet en déclarant, lors de son entretien avec la presse : « Je souhaite qu'il n'y ait pas d'amendement », ce que d'aucuns ont qualifié de « quinquennat sec », étrange expression, mais qui résume bien le vote du Parlement. C'est à prendre ou à laisser.

Au-delà de la discussion sur le rôle du Parlement, voire sur son utilité - ce que laisse supposer cette affirmation -, nous avons laissé passer l'occasion d'engager la réflexion et la discussion sur l'évolution de nos institutions en phase avec les aspirations de notre société qui, elle, est loin d'être figée.

Cela étant, nous dirons, suivant l'adage populaire et de bon sens : « à chaque jour suffit sa peine », et nous considérerons l'aspect positif de cette évolution, le quinquennat ne devant qu'être une étape de la modernisation de la vie publique.

Les socialistes ne peuvent que se satisfaire de la prise en considération d'une proposition que l'actuel Premier ministre, Lionel Jospin, défendait en 1995, lors de l'élection présidentielle, puis en 1997 lors des élections législatives nées de la dissolution, comme l'ont rappelé François Hollande et Jacques Floch. Elle va enfin aboutir et c'est tant mieux ! Si donc, pour beaucoup d'entre nous, cette étape était inscrite depuis longtemps dans nos programmes, cela n'était semble-t-il pas le cas pour tous les acteurs de la vie politique, loin sans faut. Rappelons qu'en 1991, l'actuel titulaire de la présidence de la République y semblait favorable, qu'en 1995, il était « réservé », puis indiquait que cela n'était pas « d'actualité », qu'en 1997, il était de nouveau « très réservé » et qu'en 1999, il considérait le quinquennat comme « une erreur ».

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Dépêchons-nous avant qu'il ne change d'avis !

Mme Nicole Feidt.

Puis brusquement, en juin 2000, sa conversion soudaine nous amène au pas de charge à discuter ce texte aujourd'hui. Certes, il n'est jamais trop tard pour bien faire.

Inventé à l'orée de la IIIe République par une majorité monarchique cherchant à régler sur la durée les inextricables querelles de succession retardant la restauration, le septennat n'a, pour lui, que la force de l'habitude mais plus aucune justification démocratique. Sa longueur est incompatible avec la réalité des compétences du chef de l'Etat qui ne supporte d'autre contrôle que celui du suff rage universel. Le quinquennat donnera donc aux citoyens une meilleure capacité de sanction ou d'approbation. Ce n'est qu'un premier pas, et je comprends que le Premier ministre n'ait pas repoussé cette opportunité. En tout état de cause, pour les socialistes, ce n'est acceptable que s'il y a une suite, comme l'a fort justement dit notre collègue Jacques Floch.

Notre Constitution, malgré son caractère figé, ne correspond plus aux évolutions de la société moderne. Il faut donc, n'en déplaise à tous ceux qui croient que l'héritage est une valeur fixe, adapter profondément le texte constitutionnel. Il faudra y réfléchir sereinement, mais fermement, pour entamer en temps opportun cette toilette approfondie.

Malgré les limites données à notre discussion, ne boudons pas notre plaisir - Mme la garde des sceaux l'a rappelé hier - et malgré les regrets de ne pouvoir débattre de l'organisation de notre démocratie et de nos institutions, nous voterons pour ce texte.

Prenons date afin que le débat ait lieu. La République est notre bien commun. Si elle doit sans cesse être consolidée dans ses fondements, elle doit aussi être régulièrement réexaminée à la lumière des évolutions de la sociétée n adaptant ses mécanismes institutionnels afin de répondre de manière approfondie aux nouvelles aspirations des citoyens. Mes chers collègues, la modernisation de notre vie publique et de notre démocratie en dépend ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. François Colcombet.

M. François Colcombet.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre pays a longtemps connu l'instabilité constitutionnelle. A vrai dire, nous avons à peu près tout expérimenté, pour le meilleur et pour le pire. Mais au fil des ans, nous avons au moins acquis une expérience collective et des références, ce qui explique sans doute que lorsqu'en 1958 la IVe République, qui donnait un rôle important à l'Assemblée, a été remplacée par le régime de la Ve , beaucoup de bons esprits nourris des expériences de l'Histoire se soient à juste titre émus.

Cette Constitution faisait, en effet, penser au régime q ui avait succédé à la République de 1848 et, lorsqu'en 1962 le général de Gaulle a ajouté à la Constitution l'élection directe au suffrage universel, on ne pouvait pas ne pas évoquer le coup d'Etat de 1851. Mais la situation troublée - nous étions en plein dans les soubresauts de la décolonisation - expliquait, sinon justifiait, ce régime plus autoritaire. Force est de constater d'ailleurs qu'il est parvenu à ramener le calme, à réussir la décolonisation et à renforcer la position de la France dans le monde.

Depuis, les Français bénéficient, si l'on peut dire, d'un régime quasi royal. Le Président a en effet plus de pouvoir qu'un monarque constitutionnel. Les seules différences résident dans le mode de désignation - le suffrage universel a remplacé le droit divin - et dans la durée du mandat limité à sept ans, mais sept ans renou-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

velables, autant dire plus que bien des règnes. De Gaulle et Mitterrand ont « tenu » presque aussi longtemps que Louis-Philippe.

Cette royauté républicaine, ce despotisme tempéré de démocratie s'accompagnent pour le Président de prérogatives royales. Chef de la justice, il exerce le droit de grâce.

Chef des armées, il bénéficie d'une intangibilité personnelle. Il n'y aura jamais eu autant de poursuites judiciaires pour outrage au Président que dans les premières années du gaullisme. On entend encore l'écho de cette intangibilité dans les propos de notre président de l'Assemblée nationale, rappelant à M. Mamère qui s'était avisé de traiter le Président de la République comme un homme politique ordinaire, que sa personne reste sacrée.

M. Jacques Myard.

Il est insolent ! (Sourires.)

M. François Colcombet.

Néanmoins, ce despotisme à la française, tempéré par la démocratie,...

M. Jacques Myard.

Un despotisme éclairé !

M. François Colcombet.

... a eu, convenons-en, la chance d'être exercé par des despotes plutôt éclairés.

Le Président de Gaulle avait d'ailleurs soin de ressourcer sa légitimité par des référendums.

M. Jacques Myard.

On ne peut pas mettre un dictateur en ballotage.

M. François Colcombet.

Le Président Pompidou avait médiocrement commencé : n'avait-il pas inspiré quelques lois liberticides, dont celle subordonnant la constitution des associations à l'autorisation préfectorale ? Ce fut, nous nous en souvenons tous, l'occasion pour le Conseil constitutionnel de faire une entrée remarquée en donnant un coup d'arrêt à cette tentation classiquement bonapartiste. Cette déconvenue fit peut-être réfléchir le président qui fut le promoteur de la première tentative d'instauration du quinquennat. L'arrivée de VGE commence comme un festival de despotisme éclairé : il n'hésite pas à imposer à sa majorité des réformes de société dont elle ne veut pas. Rappelons que c'est la droite qui avait saisi le Conseil constitutionnel de la loi sur l'IVG. Rappelons aussi cette réactualisation du toucher des écrouelles : la poignée de mains télévisée à un prisonnier pour signifier que les détenus ont des droits, qu'ils sont des hommes.

La leçon vaut encore aujourd'hui. Ce beau début s'est, hélas ! bien vite ensablé : la loi Sécurité et liberté, inspirée par Peyrefitte, témoigne d'un retour du refoulé autoritaire.

Changement de décor avec l'arrivée de la gauche au pouvoir : François Mitterrand, comme ses prédécesseurs, bénéficie d'une majorité solide, et il continue, sans difficulté, la lignée des despotes éclairés : abolition des juridictions d'exception, de la peine de mort, autant de notables progrès vers plus de liberté. Mais l'apport le plus intéressant à cette présidence réside, contre toute attente, dans le fait que la Constitution de 1958 se révèle d'une solidité à toute épreuve.

M. Jacques Myard.

Vous voyez...

M. François Colcombet.

La mise en place du programme commun, avec les nationalisations, la décentralisation, l'entrée concrète dans l'Europe,...

M. Jacques Myard.

Alors !

M. François Colcombet.

... et même la cohabitation ont suscité des débats véhéments après tout, maîtrisés dans des conditions très acceptables et parfaitement démocratiques.

Revenons à ce propos sur le rôle de stabilisateur joué par le Conseil constitutionnel, qui, après un début discret s'est affirmé. Giscard d'Estaing a d'ailleurs réalisé sa plus belle réforme de monarque éclairé en ouvrant la saisine du Conseil constitutionnel à l'opposition. Il n'a, hélas ! pas été possible d'aller plus loin et de l'ouvrir aux citoyens comme le souhaitait, je vous le rappelle, François Mitterrand.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Il faudra revoir cela aussi.

M. François Colcombet.

Désormais, notre Conseil constitutionnel veille aux empiétements de pouvoir et aux excès liberticides.

M. Jacques Brunhes.

Le Conseil constitutionnel est antidémocratique !

M. François Colcombet.

Les déclarations des droits de 1789 et de 1946, qui étaient de pieux objets de musée, ont repris vie, car elles sont maintenant des outils vivants d'évolution de la loi. Notons aussi le nombre important de retouches apportées à la Constitution - une douzaine environ - et quelques échecs dus à l'attitude, en général, attentivement conservatrice du Sénat, sur le CSM, par exemple. A ce propos, rappelons que cette institution a, depuis 1958, subi une évolution intéressante.

A l'origine, c'est un simple conseil du prince - et c'est le prince qui nomme les juges à sa guise ;...

M. Jacques Myard.

Heureusement !

M. François Colcombet.

... il devient, au fil des ans, et en particulier sous François Mitterrand, un conseil dont les avis sont toujours suivis. Cette évolution est enfin concrétisée par la réforme de 1993 : le Conseil supérieur de la magistrature est désormais une institution en grande partie autonome,...

M. Arthur Dehaine.

Parlez-nous du quinquennat.

M. François Colcombet.

Vous avez voté cette réforme, ne vous étonnez donc pas.

Le pouvoir du prince en est d'autant atténué dans un secteur on ne peut plus sensible, celui de l'indépendance indispensable des magistrats.

C'est donc dans un esprit à peu près comparable à celui de ces évolutions que s'inscrit, à mon avis, la réforme du quinquennat.

Mme Véronique Neiertz et M. Bernard Roman, président de la commission.

Très bien !

M. François Colcombet.

Diminuer la durée d'élection du monarque, c'est atténuer son pouvoir,...

M. Jacques Myard.

Quel aveu !

M. François Colcombet.

... c'est l'obliger à rendre compte plus souvent. C'est l'obliger à être plus attentif aux désirs de ses mandants. Il ne doit plus, comme dans la conception gaullienne, tirer son inspiration d'une vision quasi mystique de la France, mais de l'avis renouvelé des citoyens, à la tête desquels il n'est et dont il ne reçoit ses importants pouvoirs que pour mieux être à leur service.

Mais, de ce raccourcissement de mandat, on peut toutefois attendre une action plus ramassée, plus tonique de l'exécutif, et donc une nouvelle atténuation du rôle du Parlement qui, convenons-en, joue un rôle original et non négligeable en période de cohabitation.

Aussi serait-il souhaitable que les éventuels dangers de cette évolution soient corrigés par des retouches au fonctionnement de nos institutions, voire par une autre


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

réforme constitutionnelle touchant les pouvoirs et le rôle du Parlement. Les pouvoirs du Parlement, vous le savez, c'est de représenter le peuple, de faire la loi, de contrôler le fonctionnement des institutions, et c'est surtout d'être le lieu où, comme le nom l'indique, l'on parle, où les choses sont dites à haute voix, de façon contradictoire et sous le contrôle des citoyens.

C'est l'institution irremplaçable qui fait que la démocratie fonctionne à visage découvert.

Il y a peu de choses à dire sur la représentation, si ce n'est que, avec la loi sur la Nouvelle-Calédonie, nous avons montré que, dans le cadre de notre Constitution, nous étions capables d'amorcer des évolutions assez proches de ce qu'avait fait de Gaulle par rapport aux pays anciennement colonisés.

Je dirai un mot du contrôle et du développement des commissions d'enquête qui jouent un rôle très dynamique et très tonique. A ce propos, nous ne pouvons que souhaiter que les travaux de certaines d'entre elles, par exemple sur les tribunaux de commerce, débouchent sur une proposition du Gouvernement et sur une loi inspirée par le Parlement.

Mais, avant de conclure, je voudrais m'attarder sur la fonction de confection de la loi. Beaucoup a déjà été dit sur le pouvoir d'initiative, sur le rythme de production de la loi. Le rôle du Gouvernement y est, à mon avis, un peu trop important. Mais je voudrais insister sur un autre aspect : celui du domaine même de la loi. La Constitution de 1958 a strictement limité les pouvoirs du Parlement. Vous savez que, sauf en matière pénale, tout ce qui relève de la procédure, c'est-à-dire des moyens de mise en oeuvre de la loi, est du domaine réglementaire.

M. Jacques Myard.

C'est de la bonne administration de l'Etat !

M. François Colcombet.

Or, comment imaginer une véritable réforme - par exemple sur le divorce, sur les incapables majeurs - sans aborder le problème de la procédure ? Nous avons récemment voté une loi sur le référé administratif. Si nous n'avions voté que la partie réellement législative, nous aurions dit qu'il est possible de faire un référé administratif, et tout le reste aurait été d u domaine du règlement. Bien entendu, on ne peut pas se contenter de demander cela au Parlement. Il faut lui donner un pouvoir plus grand.

Regardons enfin ce qui s'est passé pour un texte qui nous a beaucoup passionnés, et qui a davantage rempli l'hémicycle que le présent projet : la loi sur la chasse.

M. Jean-Pierre Blazy.

C'est vrai !

M. François Colcombet.

En 1998, nous avons voté une loi fixant la date d'ouverture de la chasse au gibier d'eau.

Cette loi était, je le rappelle, à la fois contraire à nos engagements européens et notoirement inconstitutionnelle, en raison de la nature réglementaire de ses dispositions. Il s'en est d'ailleurs fallu de peu que le Conseil constitutionnel ne soit saisi. Nous avons été bien peu de parlementaires à vouloir le faire. Heureusement, les tribunaux ont remis les choses en ordre et nous ont obligés à ressaisir le Parlement.

M. Jacques Myard.

Ils ont méprisé la loi !

M. François Colcombet.

Le débat sur ces fameuses dates de chasse a pu reprendre, et le Gouvernement n'a trouvé une solution élégante qu'en sortant de sa poche le projet de décret : c'est à la vue de ce projet, c'est-à-dire du travail réglementaire, que le Parlement a pu se prononcer et a voté la loi sur la chasse.

M. Bernard Roman, président de la commission.

C'est tout à fait exacte !

M. François Colcombet.

Les députés veulent à juste titre savoir comment les textes qu'ils votent seront appliqués...

Mme Véronique Neiertz.

Absolument !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est leur rôle !

M. Jean-Pierre Blazy.

C'est vrai !

M. Jacques Myard.

Les directives, aussi !

M. François Colcombet.

... ne serait-ce que parce que c'est à eux que les citoyens demanderont des comptes, et non aux fonctionnaires, non à l'administration.

(« Absolument ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jacques Myard.

On n'a pas besoin de réformer la Constitution pour ça !

M. François Colcombet.

Quant aux opérations de retardement et parfois de dénaturation de la loi auxquelles les services de l'Etat se livrent quelquefois...

M. Jacques Myard.

Vous faites la critique du Gouvernement !

M. François Colcombet.

... les exemples sont innomb rables. C'est une critique constante sous la Ve République.

Mme Véronique Neiertz.

Absolument !

M. François Colcombet.

Ainsi, la loi sur l'eau de 1992 n'est pas entièrement appliquée aujourd'hui.

M. Jacques Myard.

Heureusement, parce qu'elle est mauvaise.

M. François Colcombet.

La loi sur les pitbulls, plus récente, qui a été appliquée dans un délai relativement rapide...

Mme Véronique Neiertz.

Elle est inapplicable !

M. François Colcombet.

... l'a été au bout d'un an.

Mais, entre-temps, les amateurs de ces animaux malfaisants avaient développé leurs élevages avec un sentiment de totale impunité. On connaît le résultat ! Si les décrets étaient sortis en même temps que la loi ou si la loi avait compris la partie dite réglementaire, nous n'aurions pas connu cette situation.

L'idéal serait bien évidemment que les lois soient appliquées sans délai et dans l'esprit où elles ont été votées

Autrement dit que le Parlement ait un droit de regard sur les textes d'application ou, bien mieux, que le champ de compétences de la loi soit élargi. C'est une piste sur laquelle nous devons nous engager le plus vite possible si nous voulons que la nécessaire réforme du quinquennat se place, comme tant d'autres réformes, dans un système faisant de plus en plus prévaloir la démocratie sur le despotisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je formulerai quelques brèves remarques à la fin de cette discussion générale que j'ai trouvée extrêmement intéressante. Elle nous aura permis de faire le point sur le fonctionnement de nos institutions.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

Le débat a d'abord démontré que le passage au quinquennat était une réforme attendue et nécessaire. Enfin rendue possible, elle se justifie par elle-même, ce qui n'empêche nullement d'envisager d'autres perspectives et de nouvelles évolutions.

Ainsi que je l'ai souligné hier et comme chacun a pu le c onstater, cette réforme était donc attendue par l'ensemble de nos concitoyens. Après avoir écouté les différents intervenants, je peux affirmer qu'il en est de même sur presque tous les bancs de l'Assemblée. En effet, exception faite de M. Villiers et de M. Luca, personne n'a prôné l'immobilisme et le statu quo.

Je n'ai d'ailleurs trouvé, dans les arguments qu'ils ont développés, aucune raison de refuser la réforme du quinquennat. Ils m'ont plutôt paru figés dans le passé, voire pour M. de Villiers, dans une conception des institutions qui relève davantage de la monarchie que de la République.

(« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Aucun autre orateur, même si certains ont indiqué qu'ils souhaitaient d'autres évolutions ou qu'ils voulaient que l'on aille plus loin dans la réforme, n'a revendiqué le maintien d'un septennat indéfiniment renouvelable, c'està-dire le statu quo.

Je tiens donc à remercier tous les orateurs, quels que soient les bancs sur lesquels ils siègent, en commençant par le rapporteur et le président de la commission des lois.

Du côté des orateurs de la majorité, j'ai bien noté l'approbation de ceux du groupe socialiste, notamment François Hollande, Jacques Floch, Jean-Pierre Blazy et, il y a quelques instants, Nicole Feidt et François Colcombet. J'ai également relevé l'accord donné par JeanPierre Michel au nom du Mouvement des citoyens, celui de M. Bernard Charles, qui a ouvert la discussion générale, pour les Radicaux, et celui de Mme Marie-Hélène Aubert au nom des Verts. Je reviendrai sur l'attitude annoncée par le groupe communiste, en attendant de voir quelle position il adoptera au moment du vote.

Les principaux orateurs de l'opposition se sont également exprimés sans ambiguïté en faveur de la réforme, qu'il s'agisse de M. Jean-Louis Debré, de M. Douste-Blazy ou de M. Rossi. Il semble donc que la réforme proposée soit de nature à recueillir l'assentiment le plus large. Cela prouve donc qu'elle était nécessaire.

Cette réforme permettra de donner davantage de pouvoir aux citoyens puisqu'ils seront appelés plus souvent à se prononcer sur un choix fondamental pour le fonctionnement non seulement de nos institutions mais aussi de notre démocratie, c'est-à-dire celui du Président de la République. Ce dernier devra, en effet, remettre en jeu sa responsabilité politique plus fréquemment. Cela constitue la suite logique du pouvoir donné aux citoyens, en 1962, de l'élire au suffrage universel. Lorsque l'on accorde ainsi un pouvoir aux citoyens, ils souhaitent évidemment s'en servir à intervalles réguliers.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Cette réforme s'impose avec force parce qu'elle est le résultat de plusieurs évolutions, dont la première a concerné la Constitution elle-même avec l'introduction de l'élection au suffrage universel dont je viens de parler.

Il y a aussi eu celle de la pratique constitutionnelle avec l'intervention de périodes de cohabitation qui n'avaient pas été prévues lors de la rédaction de la Constitution, même si la réforme envisagée ne supprimera pas totalement cette possibilité.

Il faut encore relever l'évolution de la société qui veut que tout détenteur d'un pouvoir politique doive le soumettre à l'appréciation régulière des citoyens pour des périodes plus adaptées au rythme de notre démocratie.

Mme Véronique Neiertz.

Cela vaut aussi pour le Sénat.

Mme la garde des sceaux.

Sans doute !

M. René André.

C'est obsessionnel !

Mme la garde des sceaux.

Selon l'heureuse formule employée par M. Bernard Roman, cette réforme va parfaire notre démocratie.

Dans la mesure où elle a été rendue possible, il faut la mettre en oeuvre maintenant. Cela ne devrait pas poser de problème puisque, au-delà de l'accord intervenu entre le Président de la République et le Premier ministre, elle recueille un assentiment très large sur les bancs de cette assemblée.

Comme cela est normal pour toute réforme touchant aux institutions qui sont le cadre de notre vie politique, donc ne préjugeant en rien des choix qui pourront être opérés ultérieurement pour telle ou telle orientation de l'action politique, celle-ci n'a nullement vocation à être confisquée par qui que ce soit : elle sera la réforme de tous ceux qui l'auront voulue, de tous ceux qui ne l'auront pas refusée (Sourires sur les bancs du groupe socialiste), de tous ceux qui, ensuite, la feront vivre.

Ainsi que je l'ai souligné hier dans mon intervention liminaire, je répète, après M. Debré ce matin, que telles sont l'approche et la démarche du Gouvernement.

M. Bernard Roman, président de la commission.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Cela confirme que, grâce à sa souplesse, notre Constitution peut évoluer, s'adapter et accompagner la rénovation de notre vie politique.

Réaliser cette réforme maintenant, revient à faire aboutir un débat ouvert depuis quarante ans, alternativement par toutes les forces politiques. Comme je l'ai rappelé hier, en effet, dès le début des années soixante, dès la décision de faire élire le Président de la République au suffrage universel, le Club Jean Moulin a posé cette question. Le moment est donc venu de traduire en actes et dans les faits cette intention. Nous contribuerons ainsi à asseoir la crédibilité de la politique.

Enfin, cette réforme, aujourdui, se justifie par ellemême, ce qui n'empêche nullement que, demain, soient ouvertes d'autres perspectives.

Elle introduit, en effet, par elle-même, un changement dans la Constitution actuelle, sans pour autant nous faire basculer ni vers un régime présidentiel j'ai souligné pourquoi hier - ni vers un régime d'assemblée. Elle instaurera simplement une solidarité plus grande entre le Président de la République et la majorité, puisqu'ils seront élus pour la même durée et à peu près au même moment. Je ne pense d'ailleurs pas qu'il faille déplorer cette évolution qui constitue plutôt une suite logique. Il me semble au contraire qu'il sera bon que le responsable suprême de l'exécutif soit obligé de se montrer plus attentif aux desiderata de sa majorité. Quant au Premier ministre il gardera le rôle essentiel qu'il joue actuellement.

Cette réforme, que je vous demande d'adopter, ne fera pas non plus obstacle à d'autres perspectives.

A cet égard, vous avez été nombreux à élargir le débat et à exposer des visions des institutions politiques parfois fort différentes de la pratique actuelle. Alors que certains,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

comme Bernard Charles, souhaitent que l'on aille vers un régime présidentiel, d'autres veulent que l'on accroisse les pouvoirs du Parlement. Tel a été notamment le cas de tous les orateurs du groupe socialiste et de M. Brunhes au nom du groupe communiste. Ceux de l'opposition n'ont pas été non plus indifférents à ce sujet.

Il était à la fois légitime, utile et intéressant que ces visions soient exposées à l'occasion de ce débat, car lesr éformes constitutionnelles doivent être longuement mûries, longuement réfléchies, longuement débattues.

Nous savons tous que la discussion sur ces sujets devra être poursuivie. François Hollande, qui a été très applaudi sur la gauche de l'hémicycle, a d'ailleurs souligné avec beaucoup d'honnêteté qu'il faudrait continuer à travailler sur de nombreux thèmes qui ont été évoqués, en particulier sur les pouvoirs du Parlement. J'ai relevé que, dans son intervention, M. Brunhes avait insisté sur la question du statut de l'élu et qu'il y attachait une grande importance.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est essentiel !

Mme la garde des sceaux.

Je lui indique que le Gouvernement partage son analyse sur la nécessité de revoir le dispositif de février 1992. Il a certes fait ses preuves, mais il doit désormais être étendu et complété. A cet égard, je rappelle les propos qu'a tenus le Premier ministre devant l'Association des maires de France le 24 novembre dernier :

« Nous devons aussi améliorer les conditions d'exercice des mandats locaux. Dans moins de dix-huit mois, nos concitoyens seront appelés à désigner leurs conseils municipaux... Certains appréhendent la désaffection des candidats et l'indifférence des électeurs. Ces craintes sont sans doute quelque peu exagérées. Mais elles reflètent les difficultés réelles que vous rencontrez dans l'exercice de vos missions. »

Il avait poursuivi que la réflexion sur le statut de l'élu poursuivie et que ce sujet ferait certainement partie de c eux qu'étudiera avec une particulière attention la commission sur la décentralisation dont la présidence a été confiée à M. Pierre Mauroy.

Vous savez d'ailleurs mieux que quiconque, monsieur Brunhes, que votre sensibilité politique est étroitement associée à ces travaux puisque Mme Fraysse siège dans cette commission...

Je profite de l'évocation de la commission de décentralisation, qui devra nous présenter des propositions, pour revenir sur les propos tenus sur la décentralisation, non seulement par le groupe communiste, mais également par l'UDF. En effet, ce sujet habite la majorité depuis des décennies.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Tout à fait !

Mme la garde des sceaux.

N'oublions pas que nous devons à Gaston Defferre les grandes lois de décentralisation adoptées il y a vingt ans.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Contre la droite !

M. Jacques Myard.

Vous faites le contraire dans tous les domaines !

Mme la garde des sceaux.

Contre la droite, en effet ! Cette majorité a encore fait adopter par le Parlement des dispositions allant dans le sens d'un renforcement des pouvoirs effectifs des collectivités locales. Je pense à la modification du mode de scrutin pour les conseils régionaux qui leur permettra de pouvoir enfin gouverner, à l'augmentation sans précédent des crédits alloués aux contrats de plan Etat-région qui favorisera les actions concrètes sur le terrain,...

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Très juste !

M. Jacques Myard.

L'Etat reprend d'une main ce qu'il donne de l'autre ! Renseignez-vous, madame la ministre !

Mme la garde des sceaux.

... à la loi Chevènement sur l'intercommunalité, à la loi Voynet sur l'aménagement du territoire qui offre une nouvelle conception du regroupement des collectivités locales désormais fondé sur des projets de terrains et non imposé par des oukases édictés par le pouvoir central.

Mme Martine David.

C'est toujours la gauche !

M. Jacques Myard.

Vous tuez Gaston Defferre une deuxième fois !

M. Kofi Yamgnane.

Vous avez voté contre !

Mme la garde des sceaux.

Sur cette question de la décentralisation, le Gouvernement et la majorité ont non seulement mis en oeuvre une réflexion approfondie, mais ils ont aussi commencé à traduire en actes ce qui, chez certains, ne reste que des mots.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jacques Myard.

Plus c'est gros plus ça passe ! La réalité est exactement inverse !

Mme la garde des sceaux.

S'il est légitime que le débat ait été élargi, la seule décision à prendre aujourd'hui concerne le quinquennat, réforme qui constitue un progrès, qui se justifie par elle-même, mais qui n'empêche ni d'autres perspectives ni d'autres évolutions.

Telles sont les raisons pour lesquelles il faut l'adopter et faire en sorte qu'elle recueille, dans cette assemblée, la plus large approbation possible.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Motion de renvoi en commission

M. le président.

J'ai reçu de M. Jacques Myard une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard.

Il n'est jamais aisé de dire non à ses amis, non à un ami ! Pour autant ne doit-on pas leur dire la vérité ?

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Il va faire le grand écart !

M. Jacques Myard.

Pour autant, il est des situations et cette proposition de réforme en est une - dans lesquelles l'expression du non constitue non seulement un service à rendre à ses amis, mais également une ardente obligation au nom de l'intérêt général, au nom de l'intérêt supérieur de la nation, dont le député, même s'il est isolé, est l'émanation. Or, en définitive, c'est bien au peuple et à lui seul que nous devons rendre des comptes.

Dans cette enceinte où ont résonné tant de voix historiques, où le destin parfois heureux mais aussi tragique de la France s'est joué, il y a toujours eu des voix, peut-être isolées, mais fortes de leurs convictions, pour parler en conscience et rappeler l'essentiel. C'est l'honneur du député d'exprimer ses convictions. Tel est le devoir que je me suis fixé au nom de la cohérence de mon action.

Comme Montesquieu, en effet, je suis persuadé que « si, dans notre pays, il y a plus d'avantages à faire sa cour qu'à faire son devoir, alors tout est perdu ».


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

Toutefois, au-delà de l'honneur du député, c'est aussi l'honneur du Parlement de débattre pour éclairer l'opinion alors que la pensée unique veut nous imposer un débat presque à la sauvette, dans lequel certains arguent que rien de grave n'est en cause, que réduire le mandat présidentiel de sept à cinq ans ne constitue pas une atteinte aux institutions de la Ve République. En effet les Français, seuls détenteurs de la souveraineté nationale, doivent savoir ce qui est réellement en cause afin qu'ils puissent trancher, le moment venu, en toute connaissance de cause, car eux seuls devront trancher.

C'est pourquoi, aujourd'hui, modestement, j'estime que l'honneur d'un député, même isolé, rejoint l'honneur de la démocratie.

Qu'il me soit d'abord permis d'évoquer l'opportunité de cette réforme de la Constitution.

Alors que, de 1958 à 1992, elle avait été révisée quatre fois en trente-quatre ans, de 1992 à 1999, soit en sept ans, elle a été révisée neuf fois sans compter celle qui vous est chère, madame la garde des sceaux mais qui a connu quelques avatars - et celle-ci pourrait bien être la dixième. Je les rappelle.

Juin 1992, dispositions constitutionnelles permettant de ratifier le traité de Maastricht sur l'Union économique et monétaire ; juillet 1993, responsabilité pénale des ministres avec la création de la Cour de justice de la République ; novembre 1993, dispositions concernant le droit d'asile ; août 1995, session parlementaire unique, aménagement des immunités parlementaires et élargissement des possibilités de recours au référendum ; février 1996, loi de financement de la sécurité sociale ; juillet 1998, avenir de la Nouvelle-Calédonie ; janvier 1999, dispositions permettant de ratifier le traité d'Amsterdam ; juillet 1999, dispositions permettant de reconnaître la Cour pénale internationale et dispositions relatives à l'égalité entre les femmes et les hommes.

La Constitution est donc devenue malléable, modifiable à volonté, au gré de toutes les modes. Le président d u Conseil constitutionnel, Yves Guéna, lui-même, dénonçait récemment, dans un grand journal du soir, ce prurit révisionniste qui banalise totalement la valeur de la loi fondamentale et lui enlève son caractère sacré. En effet, il n'y a pas de loi fondamentale, il n'y a pas de constitution pour un peuple sans l'aura de sacré qui lui confère son autorité, laquelle s'impose à la fois aux acteurs de la vie publique - le Gouvernement, les ministres, les parlementaires - et aux simples citoyens.

Certes, il ne s'agit pas de faire de toute révision constitutionnelle un tabou. D'ailleurs, chaque constitution prévoit sa révision. Le général de Gaulle lui-même avait a dmis qu'il faudrait parfois adapter celle de la Ve République à certaines évolutions de la vie moderne.

Pour autant, il n'est pas acceptable que notre texte fondamental soit modifié pour un oui ou pour un non.

Les Anciens le savaient déjà, eux qui avaient coutume de proclamer que « les citoyens se doivent de défendre les lois fondamentales de la cité plus fort que ses murailles. »

Montesquieu l'a répété plus tard en réaffirmant qu'« on ne peut changer les lois que d'une main tremblante ».

Portalis, l'un des pères du code civil, nous rappelle, lui aussi, « qu'il convient d'être sobre de nouveautés en matière législative et, à plus forte raison, en matière constitutionnelle ».

Malheureusement, rien de tel aujourd'hui.

C'est devenu un concours national que de modifier la Constitution et, de ce que nous en savons, de ce que vous venez de dire, madame, ce n'est pas prêt de prendre fin.

Cela est grave, car ce qui est en cause n'est pas circonscrit, n'est pas limité au seul texte constitutionnel sur lequel je reviendrai dans quelques instants. Ces révisions à répétition de la Constitution ont des effets bien au-delà du texte constitutionnel lui-même : elles sapent, elles ruinent tout principe d'autorité dans notre société.

Aujourd'hui, dans l'esprit de nos concitoyens, les choses sont simples : la Constitution est un texte ordinaire, modifiable à souhait. La loi apparaît-elle contraignante ? On la change ! Ne soyez pas étonnés si les instituteurs, les professeurs, les policiers ne sont plus respectés et sont contestés sans relâche.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Cela n'a rien à voir avec la diminution de la durée du mandat présidentiel !

M. Jacques Myard.

Que vous le vouliez ou non, en procédant à ces salves de révisions constitutionnelles, c'est l'autorité, fondement même de la vie en société, que vous jetez bas ! Souvenez-vous de ce que Platon vous dit dans La République : « Lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois et les chefs ironisent sur les dieux de la cité et qu'ils ne reconnaissent plus au-dessus d'eux l'autorité de rien et de personne, alors c'est là en toute beauté en toute jeunesse le début de la tyrannie. »

Plus près de nous, le général de Gaulle relevait de la même manière que « le trouble dans l'Etat a pour conséquence inéluctable la désaffection des citoyens à l'égard des institutions ».

Il est évident que ces révisions provoquent le trouble, madame. Alors, pourquoi tant de hâte à vouloir modifier une nouvelle fois la Constitution et, par voie de conséquence, la dévaloriser et, avec elle, dévaluer l'autorité, force structurante de toute société civilisée ? Hier, vous avez argué qu'il fallait réduire la durée du mandat présidentiel au motif que les pays partenaires et amis européens avaient, quant à eux, des durées de fonctions présidentielles ou assimilées plus courtes. Depuis quand le mimétisme est-il devenu un principe constitutionnel ? La réponse à cette hâte semble tenir en quatre mots :

« Il faut être moderne. » Le quinquennat, ce serait la

modernité. Voilà le mot lâché ! Ce serait le joker qui doit faire taire toutes les critiques car, si vous êtes contre, vous vous mettez vous-même hors jeu, vous êtes ringard.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est vrai que votre propos sent la naphtaline !

M. Jacques Myard.

Quelle dérision, monsieur le rapporteur ! Quelle vacuité de pensée, quel aveu d'impuissance intellectuelle chez les thuriféraires de ce quinquennat habillé en parangon de la modernité ! Etre moderne, ce n'est pas changer pour changer. Etre moderne, mes chers collègues, n'est rien de tout cela ! Etre moderne, c'est avoir un projet pour la France.

C'est redresser l'Etat bafoué quotidiennement dans ses missions régaliennes : la police, la justice, l'éducation nationale. C'est mettre un terme à la communautarisation rampante de la République, c'est redonner aux Français le goût et la volonté du vouloir-vivre ensemble.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

C'est leur redonner les moyens de maîtriser leur destin aujourd'hui malmené par une série de processus liés à la construction européenne comme aux effets de la mondialisation subie. C'est cela, être moderne ! Votre proposition de réforme s'apparente à un aveu, celui de votre impuissance à restaurer l'autorité de l'Etat.

Vous faites diversion. Je le regrette. Vous tentez de détourner le peuple des difficultés qui l'assaillent.

Je vais maintenant dire pourquoi il me semble que le septennat est la règle du mandat présidentiel.

L'exposé des motifs de votre projet de loi constitutionnelle relève du révisionnisme historique, puisque vous prétendez que la règle qui fixe à sept ans le mandat du Président de la République, règle établie en 1873, l'aurait été pour des motifs tenant aux circonstances.

Contrairement aux lieux communs que vous tenez pour vérité historique, le septennat dépasse largement les c ontingences historiques du retour hypothétique du comte de Chambord et du rétablissement de la monarchie.

En affirmant, comme vous le faites, que le septennat serait né des circonstances, vous lancez une grave insulte à l'intelligence des constituants de 1873.

La réalité est tout autre, car les constituants de 1873 avaient parfaitement conscience que le mandat du chef de l'Etat ne pourrait être un mandat de courte durée, que le Président de la République fait corps avec l'Etat et qu'il lui est naturellement, institutionnellement, consubstantiel.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Il est le roi !

M. Jacques Myard.

Voilà le fondement du septennat qui n'a jamais été remis en cause par quiconque ni sous la IIIe ni sous la IVe République. Cette consubstantialité s'explique aisément par les missions de l'Etat qui sont incarnées et même personnifiées par le Président de la République.

A Bayeux, le 16 juin 1946, le général de Gaulle exprimait avec son génie ce qui semblait alors une évidence oubliée : « Au chef de l'Etat la charge d'accorder l'intérêt général... la continuité dont une nation ne se passe pas, à lui l'attribution de servir d'arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit, dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître, par des élections, sa décision souveraine ; à lui, s'il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoit d'être le garant de l'indépendance nationale et des traités conclus par la France. »

Michel Debré, le 27 août 1958 devant le Conseil d'Etat, déclarait solonnellement : « Il faut une clef de voûte. Cette clef de voûte, c'est le Président de la République. »

Imagine-t-on une clef de voûte sans durée ? Et surtout sans durée supérieure aux autres mandats électifs ? C'est d'ailleurs ce que Michel Debré devait redire en 1973 :

« Le septennat a été maintenu, car il représente non pas la tradition, mais un caractère de la stabilité ! » J'insiste sur ces derniers mots : le septennat représente « un caractère de la stabilité ».

Oui, le septennat, c'est la garantie pour la nation que le chef de l'Etat - comme le dit le général de Gaulle en 1962 - « répond de la République ». Ses successeurs l'ont, en cela, suivi.

A ce titre, il est utile de rappeler certaines expériences.

Je vous rapporte tout d'abord un dialogue :

« Question. - Vous aviez envisagé, à un certain moment, la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans. Pourquoi avez-vous changé d'avis sur ce point ?

« Réponse. - Pourquoi ? Je m'étais posé la question en termes abstraits et en me disant : quelle est la durée pendant laquelle l'électeur reconnaît la légitimité du pouvoir qu'il délègue ? Je m'étais dit : est-ce que sept ans ce n'est pas trop long pour cette délégation ? Mais j'ai assisté, depuis 1976, à la reprise de la lutte sourde des partis contre la stabilité des institutions. Du temps du général de Gaulle, cette lutte avait été très assoupie. Depuis 1976, dans la majorité et dans l'opposition, on l'a vue réapparaître. C'est une composante du caractère français. Je me suis dit que je ne serais certainement pas celui qui céderait un pouce de terrain devant la reconquête de l'exercice du pouvoir par les partis. Or le raccourcissement du mandat présidentiel en eût été une des formes. J'ai dit que je laisserais les institutions de la Ve République, après mon départ de la présidence, dans l'état exact où je les ai trouvées... »

Mais qui parle ainsi ? M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la République...

M. Jean-Pierre Blazy.

Le pyrotechnicien d'Auvergne !

M. Jacques Myard.

... lui-même, dans le journal l'Express, le 10 mai 1980.

Je rappellerai simplement que la cohérence doit être la première qualité de l'homme politique.

Je souhaiterais maintenant analyser les effets de la règle que vous proposez : le quinquennat.

Beaucoup prétendent - sans trop y croire - que la substitution du quinquennat au septennat ne serait en réalité qu'une réformette sans conséquence, une simple réduction arithmétique - cela a été dit - de la durée du mandat présidentiel et qu'en tout état de cause, il faut s'en tenir au quinquennat sec ! Je ne partage bien évidemment pas cette vision des choses.

En premier lieu, le quinquennat va avoir une conséquence mécanique sur la vie politique nationale et, en définitive, sur la marche et le fonctionnement de nos institutions.

Il ne vous a pas échappé, madame la ministre, que la France connaît sept types de scrutin : l'élection présidentielle, pour sept ans encore ; l'élection des députés pour une période qui ne dépasse pas cinq années. L'élection des sénateurs a une durée, ne vous en déplaise, de neuf ans, renouvelable par tiers. Vous l'avez oublié !

Mme Nicole Bricq.

Non, nous ne l'oublions pas !

M. Bernard Roman, président de la commission.

Mais cela va changer !

M. Jacques Myard.

L'élection des députés européens a lieu tous les cinq ans, celle des conseillers régionaux, tous les six ans...

M. Bernard Roman, président de la commission.

Cinq ans maintenant. Nous l'avons modifiée !

M. Jacques Myard.

Je vous l'accorde ! L'élection des conseillers généraux a lieu tous les six ans et celle des conseillers municipaux a lieu tous les six ans, également.

Tous les gouvernements, quels qu'ils soient, redoutent ces échéances : le fait de réduire le mandat présidentiel va en conséquence et mécaniquement obliger à tenir sept élections nationales en six ans. Autant dire que la France sera en élection permanente. L'action gouvernementale risque fort d'être paralysée.

En deuxième lieu - et c'est là le noeud gordien du quinquennat - faire coïncider dans la durée le mandat du Président de la République et celui des députés équivaut


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

à mettre sur le même plan leur légitimité. C'est politiquement lier leur sort. Ce n'est plus la Ve République, on passe à autre chose, on change de régime.

Le général de Gaulle, dans sa conférence du 31 janvier 1964, avait dénoncé déjà cette dérive, non certes à propos du quinquennat dont il n'était pas question, mais à propos d'une élection simultanée du Président et des députés. « Il ne faut pas, disait-il, que le Président soit élu simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérerait le caractère et abrégerait la durée de sa fonction de chef de l'Etat. »

Le quinquennat, mes chers collègues, aboutira inéluctablement à cette situation. C'est le retour, dont certains se félicitent - au moins le disent-ils de manière haute et c laire - au régime d'Assemblée. Ce n'est plus la Ve République.

En revanche, si l'on veut aller vers le régime présidentiel, qu'on le dise, qu'on en débatte, mais qu'on ne le fasse pas à la sauvette, qu'on n'avance pas masqué comme vous le faites avec une certaine délectation non feinte, madame !

Est-il besoin d'ajouter que ce quinquennat sera sans effet sur la cohabitation, laquelle est présentée comme n'étant pas véritablement souhaitable, et j'en conviens.

En troisième lieu, cette réforme constitue sans coup férir un formidable affaiblissement du Président de la République, dont le chef de l'Etat et l'institution n'ont guère besoin aujourd'hui.

Cet affaiblissement vient bien mal à propos, notamment dans le débat qui s'engage au niveau européen. Ce projet ne sert pas la France.

Non, il ne s'agit pas d'une réforme arithmétique, d'un quinquennat sec. C'est une réforme boomerang, dont les effets affaibliront malheureusement durablement les institutions et, en conséquence, notre pays.

Fondement même de nos institutions, le septennat est directement lié à la pérennité de l'Etat, à la pérennité de la République. Il n'est pas, comme vous osez l'écrire, le fruit des circonstances. C'est votre réforme qui est de circonstance.

Croyez-vous que c'est la réforme que les Français attendent, eux qui subissent l'insécurité dans nos villes, eux qui sont inquiets pour l'avenir de leur retraite, eux qui subissent pour encore près de trois millions d'entre eux le chômage ? Voilà les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, ce projet, qui ne répond à aucune nécessité institutionnelle ou politique, doit être renvoyé en commission.

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Gérard Gouzes, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

J'ai relevé, dans les propos de M. Myard une disproportion énorme entre l'objet pour lequel nous sommes réunis aujourd'hui et l'image qu'il en a donnée : pour lui, c'est la fin de nos institutions, la fin de notre pays, bref la fin du monde.

La France en a vu d'autres et elle en verra d'autres !

M. Jacques Myard.

La France vous survivra, heureusement !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Mais vos propos étaient manifestement exagérés, monsieur Myard ! En effet, ce n'est pas parce que l'on veut donner plus souvent la parole aux Français, ce n'est pas parce que l'on veut être plus démocrates que tout va s'arrêter. Au contraire, je crois pertinemment que c'est la meilleure façon de réconcilier les Français et la politique.

Ce n'est pas non plus parce que l'on va diminuer de deux ans la durée du mandat présidentiel que les policiers, les instituteurs vont être déstabilisés tout d'un coup.

M. Jacques Myard.

C'est déjà fait !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Si vous dites que c'est déjà fait, ce que je ne crois pas et ce que personne ne croit ici sérieusement, cela laisserait supposer que ce que nous allons voter n'a rien à voir avec ce dont vous parlez.

M. Jacques Myard.

Ça va l'aggraver !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Finalement, le problème est plus simple. Nous sommes en l'an 2000, à l'aube du

XXIe siècle et, compte tenu des pouvoirs considérables du chef de l'Etat, une investiture de sept ans apparaît aujourd'hui tout simplement excessive.

Permettez-moi de citer le rapport Vedel, qui s'était déjà penché sur cette question. Il expliquait qu'en démocratie il n'y a pas d'autorité sans responsabilité. On ne peut pas à la fois reconnaître au Président de la République des pouvoirs qui cumulent en fait ceux d'un chef d'Etat présidentiel et ceux d'un chef de gouvernement parlementaire et lui accorder pour sept ans un statut d'irresponsabilité. Voilà, mes chers collègues, quelle est la situation, le tout pouvant être aggravé par le caractère non renouvelable de ce mandat.

C'est à cette conception monarchique que vous avez défendue, monsieur Myard, que nous devons dire non...

M. Jacques Myard.

C'est de l'autoflagellation ! Nous ne sommes plus sous la monarchie, que je sache !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

... plus à l'ami que l'on croit se tromper.

C'est à une conception dépassée...

M. Jacques Myard.

Nous ne sommes plus sous Louis Philippe !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

... une conception qui n'est plus de notre temps que nous devons, par conséquent, opposer notre « non ».

Dès lors, une demande de renvoi en commission, pour quoi faire ?

M. Jacques Myard.

Pour enterrer le projet !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Tout a été dit.

Le projet comporte un article unique, même si, il est vrai, il ouvre un débat, et un débat sain pour notre démocratie. C'est lui seul qui est en cause aujourd'hui.

Mes chers collègues, une immense majorité de Français veut le quinquennat. Vous ne pouvez pas le nier. Une immense majorité de la classe politique et des groupes politiques, y compris ceux qui veulent aller plus loin, veulent finalement passer par le quinquennat. Cette convergence est une chance pour la France.

Votre demande de renvoi en commission, monsieur Myard, est inutile, sans intérêt. Sans vouloir être cruel, je dirai que c'est l'illustration et la défense d'une cause perdue, d'une cause dépassée.

M. René André.

Elle n'est pas sans intérêt !

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est pourquoi, mes chers collègues, je demande à notre assemblée de rejeter cette motion de renvoi en commission, qui n'est finalement rien d'autre, monsieur Myard, qu'une motion dilatoire.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 15 JUIN 2000

M. Jacques Myard.

Et vous vous y connaissez en procédures dilatoires !

M. le président.

Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Hervé Gaymard.

M. Hervé Gaymard.

Je voudrais faire à mon collègue

M. Jacques Myard deux observations.

La première est de forme. Ce projet a été examiné en commission des lois. Nous avons un rapport dans lequel, au-delà des observations proprement dites du rapporteur, une quinzaine de pages sont consacrées à la transcription des discussions qui se sont déroulées en commission. La commission a donc débattu ; pourquoi y reviendrionsnous ? Ma seconde observation a trait au fond. Lors de la conférence de presse du 31 janvier 1964, le général de Gaulle, que mon collègue Myard a cité, déclarait, si ma mémoire est bonne : « Une constitution, c'est un état d'esprit, des institutions et une pratique. »

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

Je l'ai moi-même dit.

M. Hervé Gaymard.

L'état d'esprit, c'est bien évidemment la démocratie, la République et la légitimité du peuple souverain.

Les institutions, ce sont de nouvelles institutions modernes, une nouvelle République pour mettre fin aux errements précédents, à ce « cadre mal bâti dans lequel se disqualifie l'Etat et s'égare la nation », comme le disait le général dans son discours de Bayeux de 1946. Ce sont elles qui ont permis à notre pays de jouir d'une stabilité institutionnelle qu'il n'avait pas connue depuis des lustres.

Une pratique enfin : la Constitution n'est pas un carcan intangible, c'est une loi fondamentale qui vit. Nous l'avons d'ailleurs bien vu avec la cohabitation. On n'a pas à être pour ou à être contre : la cohabitation existe, c'est tout. Nous avons eu le discours du Président de la République Giscard d'Estaing en 1978, à Verdun-sur-leDoubs, dont parlait Philippe Douste-Blazy tout à l'heure, l'article de M. Balladur paru dans le Monde en automne 1985, la décision du président Mitterrand en 1986 de ne pas démissionner alors que ses candidats se retrouvaient minoritaires dans la nouvelle Assemblée nationale. Autant de pratiques grâce auxquelles la Constitution a permis la cohabitation, avec des phases de République plus parlementaire, où la prééminence présidentielle se cantonne au domaine « réservé », théorisé p ar Jacques Chaban-Delmas, et d'autres pendant lesquelles, les deux majorités coïncidant, cette prééminence s'accroît. C'est dire que nos institutions ne sont pas figées. Elles ne sauraient être conservées dans la naphtaline.

Sur la durée du mandat présidentiel, les circonstances historiques qui ont abouti au septennat, ont été rappelées plusieurs fois et par tous. Chacun s'accorde à reconnaître que la respiration démocratique, la volonté des Français d'être davantage consultés sur le choix de leur Président, nous conduisent naturellement au quinquennat.

Voilà ce que je tenais à vous répondre, cher collègue Myard. Ce débat n'a pas lieu d'être excessif ni insignifiant, pour reprendre l'expression de Talleyrand. C'est la raison pour laquelle le groupe gaulliste ne votera pas cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Hervé de Charette.

M. Hervé de Charette.

Monsieur le président, mes chers collègues, je voudrais saisir l'occasion de ces quelques instants pour adresser à M. Myard mes très sincères félicitations.

Dans ce débat sur le quinquennat, le non-dit paraît souvent l'emporter, c'est évident, sur le dit. L'esprit de manoeuvre ou les tactiques partisanes ou politiciennes semblent occuper plus d'espace que la réflexion politique et a fortiori la réflexion consitutionnelle.

M. Jean-Marc Ayrault.

Il doit parler de Giscard ! (Sourires.)

M. Hervé de Charette.

C'est bien pourquoi j'ai trouvé plaisir à entendre parler mon collègue Myard dont, à chaque fois qu'il s'exprime, et tout particulièrement dans cette circonstance, j'ai apprécié sa sincérité (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) et la force des convictions qu'il a exprimées à cette tribune. Et il a bien fait, car, s'il est un lieu privilégié pour la sincérité et le combat politique, c'est bien l'Assemblée nationale. Hommage soit donc rendu à

M. Myard.

M. Gérard Gouzes, rapporteur.

C'est le baiser qui tue !

M. Hervé de Charette.

Cela étant, le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, vous le savez, est favorable au quinquennat. Nous entendons que le débat ait lieu et, par conséquent, nous ne pouvons que souhaiter le rejet de la motion de renvoi présentée par

M. Myard et voter contre.

M. Jean-Pierre Blazy.

Quelle dialectique !

M. le président.

Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

M. Jacques Myard.

Pour ! (La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

M. le président.

La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, no 2462, relatif à la durée du mandat du Président de la République : M. Gérard Gouzes, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 2463).

Discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, no 2456, modifiant la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : M. Didier Mathus, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 2471).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT