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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Questions au Gouvernement (p. 6957).

POLITIQUE EUROPÉENNE SUR L'EFFET DE SERRE (p. 6957)

Mmes Marie-Hélène Aubert, Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

POLITIQUE EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ ALIMENTAIRE (p. 6958)

MM. Bernard Charles, Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

DIRECTIVES EUROPÉENNES SUR LES SERVICES PUBLICS (p. 6958)

MM. Claude Billard, Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

POINT SUR LE SOMMET DE BIARRITZ (p. 6959)

MM. Pierre Lequiller, Lionel Jospin, Premier ministre.

COTATION DE L'EURO ET INDÉPENDANCE DE LA BANQUE EUROPÉENNE (p. 6961)

MM. François Loos, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

MISE EN UVRE DE LA DIRECTIVE EUROPÉENNE « HABITATS » (p. 6962)

M. Didier Quentin, Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

EUROCOMPATIBILITÉ DU PROJET FRANÇAIS DE BUDGET POUR 2001 (p. 6963)

MM. Gilles Carrez, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

DIRECTIVE EUROPÉENNE SUR LES CARBURANTS (p. 6964)

MM. Eric Doligé, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

POINT SUR LE SOMMET DE BIARRITZ (p. 6966)

MM. Alain Barrau, Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

POLITIQUE EUROPÉENNE DE SÉCURITÉ CIVILE (p. 6967)

MM. Gérard Fuchs, Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.

POINT SUR LA QUESTION DE L'ÉLARGISSEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE (p. 6967)

Mme Yvette Roudy, M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

TRANSPORTS EUROPÉENS (p. 6968)

Mme Odile Saugues, M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Suspension et reprise de la séance (p. 6969)

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE LEQUILLER

2. Loi de finances pour 2001 . - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 6969).

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) (p. 6969)

M. François d'Aubert.

3. Modification de l'ordre du jour (p. 6973).

4. Loi de finances pour 2001 . - Reprise de la discussion d'un projet de loi (p. 6973).

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) (p. 6973)

MM. Augustin Bonrepaux, Philippe Auberger, Christian Cuvilliez, Pierre Méhaignerie, Yves Cochet.

Clôture de la discussion générale.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION (p. 6989)

Motion de renvoi en commission de M. Jean-François Mattei : MM. François Goulard, Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances ; Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie ; Jean-Pierre Brard, Yves Cochet, Philippe Auberger, Pierre Méhaignerie. Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion du projet de loi de finances à la prochaine séance.

5. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 6995).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

A l'occasion de la présidence française de l'Union européenne, nous allons, mes chers collègues, innover : les questions de cet après-midi vont porter exclusivement sur des thèmes européens.

Nous commençons par les questions du groupe Radical, Citoyen et Vert.

POLITIQUE EUROPÉENNE SUR L'EFFET DE SERRE

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Ma question s'adresse à Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Madame la ministre, du 13 au 24 novembre aura lieu, à La Haye, la sixième conférence des parties à la convention-cadre sur les changements climatiques. Cette réunion sera une étape décisive du processus engagé avec la signature du protocole de Kyoto en 1997, puisqu'elle précisera les modalités concrètes d'application des règles prévues par ce protocole.

A Kyoto, l'Union européenne s'était engagée à réduire de façon volontariste ses émissions de CO 2 de 8 % d'ici à 2008. Si c'est un succès, cela reste bien en deçà de ce que les experts, désormais unanimes, considèrent comme nécessaire pour infléchir la tendance. Il est vrai que les

Etats-Unis, les plus gros pollueurs de la planète, ont signé du bout des doigts et ne jurent que par les permis à polluer.

Pourtant, chez nous, les pluies diluviennes de ce dernier week-end, comme les tempêtes de la fin 1999, constituent sans doute des indices supplémentaires d'un changement climatique aux conséquences importantes, sans parler de la grave pollution de l'air et pas seulement en milieu urbain.

Combien faudra-t-il donc de drames de cette nature pour que, enfin, des mesures concrètes soient mises en oeuvre ? Or, de conférences en réunions d'experts, les progrès, il faut bien le reconnaître, sont millimétriques.

Quant aux politiques de transport et d'énergie, elles ne sont pas à la mesure des enjeux. Pour ne citer qu'un exemple, l'engagement de l'Union européenne pour les réseaux de transport ferroviaire ou pour la rationalisation du trafic aérien, qui contribue de plus en plus à l'effet de serre, reste dérisoire, alors que le coût du pétrole ne peut que renchérir dans l'avenir.

Assumant la présidence de l'Union dans le domaine de l'environnement, votre rôle, madame la ministre, sera essentiel à La Haye, et nous connaissons votre détermination à ce sujet.

Comment abordez-vous ce grand rendez-vous afin qu'il débouche sur des avancées significatives ? Quelle est la position de la France et de l'Union européenne dans ces négociations en matière notamment de permis à polluer négociables, de puits de carbone et de recours à l'énergie nucléaire, qui pourraient constituer de dangereuses échappatoires.

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Madame la députée, la conférence de La Haye sur les changements climatiques constitue, dans le champ de l'environnement, la priorité de la présidence française. L'enjeu, vous le connaissez, il est de réunir les conditions permettant une ratification rapide du protocole de Kyoto, afin qu'il entre en vigueur avant 2002, pour le dixième anniversaire du sommet de la Terre de Rio. Je souligne que la France est le premier

Etat de l'OCDE à avoir réuni les conditions permettant une ratification du protocole, puisque vous avez, mesdames et messieurs les députés, comme les sénateurs, voté à l'unanimité le projet de loi déposé en ce sens.

L'objectif de cette convention est la réduction, à l'échelle planétaire, des émissions de gaz à effet de serre, par étapes. La première étape consiste en la stabilisation des émissions au niveau de 1990 en l'an 2000. La deuxième étape sera leur réduction, à l'échelle des pays de l'OCDE, d'environ 5 % en 2010. Vous le savez, l'Union européenne s'est engagée, pour sa part, à réduire de 8 % ses émissions de gaz à effet de serre dans cette période.

Les ingrédients d'un accord politique à La Haye sont connus : nous devons assurer à la fois l'efficacité environnementale du protocole, son efficacité économique et ses ambitions en termes de justice sociale en ce qui concerne les pays en voie de développement.

Pour y arriver, nous disposons de « politiques et mesures ». Sous ce terme générique, sont rassemblés tous les outils qui doivent nous permettre de mener, au niveau national comme au niveau international, des stratégies de réduction des émissions. La France est, là encore, l'un des premiers pays à s'être dotés d'un programme national de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre. Il reste, à bien des égards, trop vague et théorique. Il nous faut donc lui adjoindre des mesures concrètes et chiffrées, assorties de calendriers de réalisation.

En outre, nous devons mobiliser différents mécanismes qui s'adressent soit aux pays en voie de développement, soit aux pays de l'est européen, soit aux pays de l'OCDE.

Seul le cadrage très rigoureux de ces différents mécanismes nous permettra de garantir une réduction effective des émissions.


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Nous ne souhaitons pas « vendre de l'air chaud » ni seulement parler de la réduction des émissions ; nous souhaitons la faire réellement. La rigueur dans la mise en place de ces mécanismes est notre seule garantie à cet égard.

A cette heure, madame la députée, je peux vous le confirmer, les positions des trois groupes en présence dans cette négociation évoluent bien. Après la réunion de Lyon, après celle de Ijmuiden, aux Pays-Bas, la semaine dernière, et avant celle qui aura lieu avec les pays africains à Dakar, en fin de semaine, je crois que nous pouvons être raisonnablement optimistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

POLITIQUE EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

M. le président.

La parole est à M. Bernard Charles.

M. Bernard Charles.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

De l'encéphalite spongiforme bovine aux organismes génétiquement modifiés, la sécurité des aliments reste au centre des préoccupations de l'agriculture française. Les répercussions sur le fonctionnement de l'Union européenne sont nombreuses, qu'il s'agisse de décider d'un embargo sur le boeuf britannique ou de réagir à la présence fortuite d'OGM dans les semences importées. Les réponses des Etats membres sont diverses et contradictoires.

Or les problèmes ne pourront que s'aggraver dans les années à venir, alors que nous nous apprêtons à élargir l'Union européenne à de nouveaux pays qui n'ont pas nécessairement le même niveau de préoccupation et de protection dans le domaine sanitaire.

Monsieur le ministre, que fait concrètement la France, pendant sa présidence de l'Union européenne, pour répondre aux défis que pose, aujourd'hui, la sécurité alimentaire et à ceux qui découleront, demain, de l'élargissement ?

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur le député, il est bien difficile de faire le bilan en quelques minutes des travaux de l'Union sous la présidence française, en matière d'agriculture et de pêche. Je me concentrerai sur le sujet que vous avez évoqué.

En matière de sécurité alimentaire, nous avons déjà bien progressé dès le mois de juillet, notamment en permettant au Conseil « agriculture » de conclure sur un dossier qui était pour nous essentiel, et dont nous débattions depuis plus d'un an, notamment quand le Gouvernement français avait décidé de maintenir l'embargo sur le boeuf britannique, celui de l'étiquetage de la viande bovine. La mise en place, cet automne, de règles d'étiquetage de la viande bovine dans l'ensemble de l'Union européenne est, pour nous, un gros progrès. Il était très attendu et c'est un pas décisif vers une meilleure information et une plus grande transparence pour les consommateurs.

Nous avons eu, au conseil de l'agriculture informel de Biarritz, début septembre, un débat d'orientation générale sur la qualité, la sécurité et la diversité alimentaires. Le débat fut tellement riche quant à l'avenir des OGM, et notamment à la nécessaire harmonisation des réglem entations européennes dans ce domaine, que la Commission a pris, devant le conseil informel, l'engagement de déposer cet automne des propositions à cet égard. Nous pensons en disposer au mois de novembre.

Enfin, deux autres domaines vont faire l'objet de travaux d'ici à la fin de notre présidence.

D'abord, à la suite du livre blanc de la commission sur la sécurité alimentaire, il s'agira d'appliquer ses propositions, notamment la mise en place de l'autorité européenne de sécurité alimentaire. La balle est dans le camp du Parlement européen qui doit rendre non pas un mais plusieurs rapports, puisque plusieurs commissions du Parlement sont concernées. Dès que nous les aurons, nous serons en mesure d'avoir un premier débat d'orientation sur ce sujet - et ce avant la fin de la présidence française.

En tout cas, nous faisons tout pour cela.

Enfin, nous aurons aussi l'occasion de revenir sur l'harmonisation des règles de lutte contre l'épidémie d'ESB, qui frappe l'ensemble de l'Union, même si tous ses membres ne le reconnaissent pas. Le groupe de travail qui, depuis plusieurs mois, cherche à harmoniser ces règles par le haut est en passe d'aboutir : ses propositions devraient être bientôt sur la table du conseil de l'agriculture - il aura pris moins d'un an.

Ainsi, vous le voyez, monsieur le député, sur tous ces sujets, nous avons progressé.

Reste les problèmes que pose la perspective de l'élargissement. Les négociations que mène la Commission avancent avec tous les pays candidats d'une manière assez satisfaisante, même si l'agriculture reste un point très sensible. Autant nous pouvons concevoir la nécessité de périodes de transition et d'exceptions temporaires, autant il est un sujet sur lequel il ne saurait y avoir de dérogations, c'est celui de la sécurité alimentaire. Nos concitoyens européens n'accepteraient pas que l'élargissement se fasse au prix d'une moindre sécurité alimentaire. La reprise de l'acquis communautaire sera, sur ce point, une règle de base pour l'ensemble des candidats. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe communiste.

DIRECTIVES EUROPÉENNES SUR LES SERVICES PUBLICS

M. le président.

La parole est à M. Claude Billard.

M. Claude Billard.

Ma question s'adresse à M. le ministre chargé des affaires européennes.

Conformément aux décisions du sommet européen de Lisbonne auxquelles a souscrit le Gouvernement, la Commission de Bruxelles entend accélérer la libéralisation et l'ouverture à la concurrence, et ce sous la domination des marchés financiers. Les secteurs de l'énergie, des transports, des télécommunications, des services postaux sont dans la ligne de mire. Les récentes propositions du commissaire Bolkestein concernant la poste en sont la plus flagrante illustration.

Les négociations entamées à Genève sur le commerce des services, tout comme l'adoption par le sommet de Biarritz de la charte des droits fondamentaux, qui vident de tout contenu la notion de services publics, témoignent que les pressions dérégulatrices sont toujours à l'oeuvre.

Or le décalage ne cesse de croître entre ce qui se met en place au nom de l'Europe et les aspirations de notre peuple, légitimement attaché à des services publics garants de la cohésion sociale et territoriale.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

La présidence française de l'Union européenne devrait être l'occasion de faire reculer la logique libérale (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), et de construire un modèle européen de services publics fondé sur la coopération et s'appuyant sur le meilleur des expériences nationales.

Monsieur le ministre, quelles initiatives la France entend-elle prendre pour s'opposer aux dangereuses orientations de la Commission ? Ne pensez-vous pas qu'il faudrait proposer, comme l'idée en a d'ailleurs été émise au Parlement européen, un moratoire sur l'application des directives libéralisant les services publics, ce qui permettrait d'évaluer leur impact économique et social et d'envisager une éventuelle réorientation de la construction européenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert ainsi que sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

Monsieur le député, vous avez raison de le souligner, sous la présidence française de l'Union européenne, de nombreux dossiers concernant les services publics sont à l'ordre du jour. Le Conseil européen de Lisbonne, en mars dernier, a rappelé l'engagement de l'Union à parvenir, dans un délai raisonnable, à des solutions satisfaisantes pour une ouverture à la concurrence de certains secteurs, notamment ceux de l'énergie et des transports.

Il est vrai aussi que la Commission a pris un certain nombre d'initiatives complémentaires, qu'elle a transmises au Conseil au début de notre présidence. Je pense à l'initiative « Ciel unique européen », au règlement sur les obligations de service public dans les transports publics de voyageurs et, bien sûr, à la directive postale que vous évoquiez mais sur laquelle Christian Pierret a rappelé hier, ici-même, les très vives objections qui sont les nôtres.

Ces dossiers sectoriels sont traités plus particulièrement par Jean-Claude Gayssot et par Christian Pierret.

Nous leur portons tous nos soins par ce que c'est notre rôle en tant que président, mais aussi toute notre attention, voire de la vigilance, parce que nous sommes très soucieux de la place des services publics, et notamment de la place des entreprises publiques qui agissent dans ces secteurs.

La présidence française a aussi souhaité entreprendre une démarche d'ensemble, que je qualifierai d'horizontale, sur la place en Europe des services publics qu'on appelle

« les services d'intérêt économique général », de manière à disposer d'un cadre politique de référence en la matière.

C'est vrai, nous sommes confrontés à la logique libérale que prônent à la fois la Commission et certains Etats membres défendant des intérêts économiques, industriels et commerciaux nationaux. Dans ce contexte, la Commission a fourni une nouvelle communication, qui nous paraît plus équilibrée quant au maintien des obligations de service public face au marché intérieur.

Croyez, monsieur le député, que nous sommes très déterminés à faire face à cette logique libérale. En tant que président du conseil du marché intérieur, j'ai pris l'initiative d'organiser un premier débat public au Conseil sur cette question, le 28 septembre dernier, débat qui a été très riche et qui a permis de constater que la cause des services d'intérêt économique général gagnait du terrain au sein des nations européennes.

La volonté de la présidence française est de poursuivre ce débat, et soyez certain que nous avons le souci, au Conseil européen de Nice, de faire adopter un cadre qui permette un meilleur équilibre entre le service public et le marché.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe Démocratie libérale et Indépendants.

POINT SUR LE SOMMET DE BIARRITZ

M. le président.

La parole est à M. Pierre Lequiller.

M. Pierre Lequiller.

Monsieur le président, mes chers collègue, ma question, posée au nom des groupes RPR, UDF et DL, s'adresse à M. le Premier ministre.

M. le Premier ministre, le sommet de Biarritz aura été marqué par un évènement symbolique, encore inimaginable il y a quelques semaines : la présence du nouveau p résident yougoslave Kostunica, venu en priorité rejoindre la maison Europe, comme l'a si justement dit le Président de la République.

Pour nous, le grand dessein de l'Europe, c'est précisément son unification politique afin d'y consolider la paix.

Or, depuis dix ans que le mur de Berlin est tombé, nous n'avons toujours pas satisfait le désir d'Europe des pays de l'Est. Il est grand temps d'y répondre positivement et c'est pour eux, comme pour nous, que l'Europe doit se réformer.

La réforme institutionnelle, nécessaire à l'élargissement, piétine encore et le sommet de Biarritz, que vous avez qualifié de riche et utile, n'a pourtant pas rempli les objectifs espérés. Il n'a pas réduit les profonds désaccords qui subsistent sur des questions essentielles pour l'avenir de l'Europe, même s'il y a les avancées sur la coopération renforcée, l'extension de la majorité qualifiée et la Charte des droits fondamentaux. (« C'est déjà pas mal ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Au-delà même de ces trois points, le Président de la République a particulièrement insisté sur les enjeux politiques pesant sur la présidence française.

Il nous faut donc encore résoudre les deux problèmes fondamentaux sur lesquels le traité d'Amsterdam avait échoué, hier, et sur lesquels la CIG paraît aujourd'hui bloquée : la repondération des voix et la composition de la Commission.

A deux mois du sommet de Nice, l'Assemblée nationale devrait savoir quelles options précises vous avez retenues et quelles propositions concrètes s'y rattachent.

Comment comptez-vous y rallier nos partenaires ? Parviendra-t-on enfin à un système de décision à la majorité qualifiée et à une repondération des voix qui restaure le poids des grands pays, notamment celui de la France ? Parviendra-t-on aussi à limiter le nombre de commissaires afin d'assurer l'efficacité de la Commission ? A plus long terme, l'élargissement soulève un autre problème essentiel, celui de la présidence tournante de l'Union, qui déjà l'affaiblit ; lorsque les pays membres seront vingt-sept, la France ne sera à sa tête que tous les treize ans et demi. L'expérience prouvant qu'il faut aborder les difficultés potentielles très en amont, ne pensezvous pas que cette question mérite d'être soulevée dans les meilleurs délais ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)


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M. le président.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Si vous le voulez bien, monsieur le député, dans la mesure où différents ministre ont répondu ou vont répondre à des questions plus précises, je situerai vos questions dans l'impression générale que je retire du sommet de Biarritz, qui s'incrit lui-même au coeur du mouvement de la présidence française.

A propos de la Conférence intergouvernementale, qui est l'un des dossiers essentiels que doit traiter notre pays sous sa présidence, la réponse vous sera bien sûr donnée à Nice, car, pour le moment, nous sommes encore dans une dynamique de négociation.

Nous avons noté avec plaisir que, sur deux dossiers, celui de la majorité qualifiée que vous avez évoqué, sur lequel des pas en avant ont été réalisés, et celui des coopérations renforcées, nous sommes sortis de l'immobilité de la présentation des positions nationales pour commencer à entrer dans un processus de recherche de compromis.

Deux autres questions se sont révélées plus difficiles, et d'abord la réforme de la Commission, à laquelle vous avez fait allusion. Peut-on espérer une commission plus restreinte ? Faudra-t-il, comme le voudraient certains, garder un commissaire par Etat ? Comment pourrions-nous alors hiérarchiser cette commission pour qu'elle soit efficace ? Vous connaissez la position de la France : nous sommes pour une commission restreinte et efficace.

Sur la question de la pondération des voix, nous sommes entrés dans le vif du sujet. On ne peut pas dire que la démarche de compromis soit devant nous, mais au moins avons-nous bien posé les problèmes. Nous ne voulons pas nous laisser enfermer dans un débat stérile qui opposerait petits pays, par leur démographie, et grands pays. Les décisions que nous devons prendre en matière de repondération doivent respecter les Etats quelle que soit leur taille et, en même temps, être fondées sur le principe démocratique de la majorité des voix, qui ne peut être sans rapport, bien sûr, avec la démographie de chacun des Etats.

Je pense que nous faisons des pas en avant sous la présidence du Président de la République, Président de l'Union. Nous avons avancé dans deux directions, posé clairement les problèmes sur les deux autres sujets.

A Nice, notre mission est certes de prendre en compte nos propres intérêts nationaux, mais aussi, en tant que président, de faire à l'ensemble des Etats membres des propositions qui permettent d'arriver à un accord. Nous serons confrontés à une question. Ne pas aboutir à un accord sur la CIG serait un échec, mais trouver un accord a minima qui ne permettrait pas de réformer sérieusement les institutions de l'Union avant qu'elle ne s'élargisse ne serait pas un succès. Nous aurons donc à exercer nos responsabilités. Nous le ferons ensemble, les ministres qui seront présents, le Premier ministre et, naturellement, le chef de l'Etat, Président de l'Union.

Nous avons aussi approuvé à Biarritz un texte fondamental qui est la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, pas important dans la définition d'un socle de valeurs communes auxquelles se rattachent explicitement, même s'il y sont implicitement déjà ralliés depuis longtemps, les Etats de l'Union.

A été saluée l'originalité de la méthode d'élaboration. Y ont participé des représentants des chefs d'Etat et de gouvernement, des représentants du Parlement européen et des représentants des parlements nationaux.

Le texte auquel nous sommes parvenus est important parce que non seulement il reprend les droits fondamentaux de la personne humaine hérités du mouvement des lumières et des valeurs de la démocratie telles qu'elles se sont épanouies au

XIXe siècle et intègre - certains pays ne le voulaient pas et l'action de la présidence française a été à cet égard très importante - les droits économiqu es et sociaux produits du mouvement de progrès et des grandes luttes sociales de la fin du

XIXe et de la première moitié du XXe , mais il fait aussi sa place à des droits nouveaux touchant l'environnement, la bioéthique, le principe de précaution, qui démontrent que l'Union européenne est capable d'intégrer dans ses principes et peut-être dans son droit la modernité. C'est un pas en avant du sommet de Biarritz.

Je voudrais aussi, insérant maintenant ma réponse dans le cadre plus global de la présidence française, vous dire que, sur toute une série de sujets qui étaient l'une des premières priorités de notre présidence, à savoir les questions qui concernent les Français dans leur vie quotidienne, lesquels Français ne sont pas constamment l'oeil rivé sur la conférence intergouvernementale et sur les institutions, vous en conviendrez,...

M.

Jacques Myard.

Heureusement !

M.

le Premier ministre.

... nous avons fait aussi des pas en avant importants.

Dans la lutte contre la criminalité financière, une étape majeure est intervenue avec la directive contre le blanchiment des capitaux...

Mm Nicole Bricq.

Très bien !

M.

le Premier ministre.

... et l'adoption d'une décision conférant à EUROPOL des compétences plus larges en la matière.

Concernant la sécurité alimentaire, le ministre de l'agriculture rappelait l'accord intervenu en juillet sur l'étiquetage de la viande bovine, et nous continuerons à agir pour obtenir une autorité européenne de la sécurité alimentaire.

Dix mois après la catastrophe de l' Erika , le renforcement de la sécurité des transports était pour nous une priorité. Un accord a été acquis entre ministres pour renforcer le contrôle des navires par l'Etat du port et éliminer progressivement les pétroliers à simple coque des eaux européennes.

Je laisserai au ministre de l'économie et des finances le soin de répondre, si vous l'interrogez, sur le problème de la préparation de l'introduction des pièces et des billets en euros au 1er janvier 2002 (Exclamations sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), ou expliquer ce que nous avons fait pour l'Eurogroupe pour affirmer la monnaie européenne.

Nous avons obtenu des progrès dans les domaines de l'emploi, du sport, de la lutte contre le dopage, de l'éducation. (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Vous devriez être contents, mesdames et messieurs, de voir que la présidence française pourra présenter un bon bilan !

M. Laurent Dominati.

Et l'élargissement ?

M.

le Premier ministre.

Une présidence est souvent jugée sur un ou deux dossiers que les observateurs estiment emblématiques mais c'est aussi sur sa capacité à


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faire avancer les grandes questions qui préoccupent les Européens et les Français dans leur vie quotidienne qu'on devrait la juger.

M.

Alain Barrau.

Très bien !

M.

le Premier ministre.

A cet égard, je parle sous le contrôle de M. Patriat, je pense que la présidence française sera un bon cru ! Enfin, vous avez évoqué la venue symbolique du nouveau président élu de la République fédérale de Yougoslavie, M. Kostunica. Nous avons rencontré un homme qui nous a tous impressionnés par sa pondération, le caractère réel de l'enracinement de ses convictions démocratiques, sa volonté d'avancer pas à pas. Au moment où nous devions faire face à l'assombrissement du dossier du Proche-Orient, il était heureux de voir s'écrire une nouvelle page de l'histoire de la démocratie en Europe. C'est aussi cela l'esprit de Biarritz ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M.

le président.

Nous passons au groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

COTATION DE L'EURO ET INDÉPENDANCE DE LA BANQUE EUROPÉENNE

M.

le président.

La parole est à M. François Loos.

M. François Loos.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie et des finances et je la pose au nom des trois groupes de l'opposition, RPR, DL et UDF.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Elle porte sur un domaine qui va moins bien, puisqu'il s'agit de la dévaluation de l'euro.

L'euro vaut actuellement 0,85 dollar, contre 1,15 dollar environ à ses débuts. Les Français ont vu dans l'évolution du prix de l'essence la conséquence de cette dévaluation et l'extrême faiblesse des efforts du Gouvernement pour en tempérer l'effet, mais le problème est encore plus grave : 25 % de dévaluation pour l'euro, notre monnaie, conçue pour être forte, stable et garantir des taux d'intérêt bas. Tel est le jugement des opérateurs économiques internationaux sur la politique européenne ! On aurait pu penser que c'était pour stimuler le commerce extérieur qu'il fallait un « coup de gonflette » monétaire. Pas du tout ! Il était excédentaire avant, avec un euro fort. Il l'est aujourd'hui beaucoup moins avec un euro faible.

Pour tenir une monnaie, la politique monétaire de la Banque centrale européenne ne suffit pas, il faut aussi une politique budgétaire et fiscale...

M. Christian Bataille.

Pourquoi ne l'aviez-vous pas fait ?

M. François Loos.

... et, dans ces domaines, le Gouvern ement français donne un très mauvais exemple ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

En dépit de l'embellie économique, certes plombée par les 35 heures, et le fait que les recettes fiscales continuent d'augmenter en France, les déficits demeurent très importants alors que l'Espagne, par exemple, atteint l'équilibre.

Y aurait-il donc une politique budgétaire européenne limitée à l'internationale socialiste ? (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Monsieur le ministre, mes questions sont simples. Le Gouvernement français, qui assure la présidence de l'Union pour six mois, ne fait rien pour l'harmonisation fiscale. Pourquoi ? S'agissant des taux d'intérêts et de l'inflation qui menace, avez-vous autre chose à proposer que l'indépendance de la banque de M. Duisenberg ? Qu'allez-vous faire si l'inflation repart ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, votre question, si je l'ai bien comprise, comporte de nombreuses facettes. Je crains, dans le temps modeste qui m'est imparti, de ne pouvoir les saisir toutes.

D'abord, il est tout à fait exact que, au cours du dernier mois, la France, comme les autres pays d'Europe, a connu une remontée assez sensible du taux d'inflation mais, après avoir fait le point avec mes collègues ministres des finances hier même à Luxembourg, je peux vous dire que, par rapport aux pays que vous avez cités, notre pays a heureusement, grâce aux efforts de tous les Français, un niveau d'inflation plus faible.

Il est vrai que, sur un plan budgétaire, l'Espagne obtient des résultats très importants,...

M. Thierry Mariani.

Elle ne connaît pas les 35 heures ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... mais mon homologue espagnol est convenu que, pour l'inflation, ils étaient nettement au-dessus de 3 %. Mon homologue irlandais a remarqué qu'ils étaient au-dessus de 4 % et mon homologue belge qu'ils étaient au-dessus de 3,5 %.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean Auclair.

Le déficit est de combien ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous avons bon espoir de voir le taux redescendre à la fin de l'année.

En ce qui concerne l'euro, en norme annuelle autour de 1,6-1,7 %, et l'an prochain encore plus bas puisque c'est le centre de votre question, il est parfaitement exact qu'il s'est affaibli depuis quelques semaines. Grâce à des interventions, la présidence française, vous pouvez le penser, ayant joué un rôle, ce qui était normal, il a pu un moment remonter, puis a connu une nouvelle faiblesse, puis une légère remontée.

Les raisons pour lesquelles l'euro est faible sont très complexes. En tout cas, et nous sommes tous d'accord, ministres des finances, sur ce point, nous avons intérêt à ce que cette monnaie soit plus forte et même nettement plus forte qu'elle ne l'est aujourd'hui. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Si c'est aussi votre avis, je m'en félicite car c'est la position de fond du Gouvernement français et de celle de mes collègues.

J'ai cru comprendre que vous faisiez allusion à « la banque de M. Duisenberg ». Ce n'est pas « sa » banque et je me garderai bien de commenter telle ou telle déclara-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

tion faite par celui-ci ou celui-là. Je pense que nous avons tous intérêt à ce que l'euro soit fort. Pour que l'euro soit fort, nous avons intérêt à avoir une coordination, y compris sur le plan fiscal (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) et à améliorer notre coordination économique.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Les 35 heures ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Dernier point, puisque votre information n'est peut-être pas parfaite. Hier même, nous avons adopté en commun une directive sur la TVA qui traînait depuis six ans ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Nous avons avancé sur la directive fiscale en ce qui concerne le commerce électronique, et nous avons bon espoir de progresser, avant la fin de l'année, sur le « paquet fiscal » de Feira.

Voilà, monsieur le député, si vous êtes européen comme moi, des éléments suceptibles de vous rassurer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe du Rassemblement pour la République.

MISE EN UVRE DE LA DIRECTIVE EUROPÉENNE « HABITATS »

M. le président.

La parole est à M. Didier Quentin.

M. Didier Quentin. Ma question, que je pose au nom des trois groupes de l'opposition (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)... Voilà la droite plurielle qui s'exprime !

M. le président.

Merci, monsieur Quentin, cela va me permettre de globaliser les temps de parole ! (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) M. Didier Quentin. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre car elle concerne plusieurs départements ministériels. Elle porte sur la mise en oeuvre de la directive européenne « Habitats », dite Natura 2000, qui instaure un réseau d'espaces protégés, engageant la France pour de nombreuses années, et qui touche à des intérêts sensibles : les activités économiques et de loisir du monde rural, l'évolution des plans d'occupation des sols, le droit de propriété, et il y aurait bien d'autres enjeux à citer.

Votre gouvernement avait été sanctionné une première fois en septembre 1999 par le Conseil d'Etat, qui avait donné raison à tous ceux qui contestent depuis plus de trois ans votre façon pour le moins désinvolte d'appliquer cette directive européenne.

M. Christian Jacob.

C'est le moins qu'on puisse dire ! M. Didier Quentin. Le Conseil d'Etat soulignait déjà lar aison principale du retard de la France dans Natura 2000, à savoir l'insuffisance et l'échec de la concertation.

Je constate aujourd'hui que la sanction du Conseil d'Etat ne vous a pas servi de leçon. En effet, il se dit beaucoup que votre gouvernement aurait l'intention de procéder par ordonnance pour transcrire Natura 2000 dans notre droit interne. Ainsi, vous persisteriez à vouloir priver la représentation nationale d'un examen attentif et complet de ce dossier si sensible pour nos populations rurales.

Le groupe RPR et nos amis de DL et de l'UDF s'insurgent contre une telle confiscation du débat démocratique (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie Libérale et Indépendants), qui risque de surcroît de nourrir des sentiments anti-européens.

Ma question est donc double. Quand cesserez-vous d'entretenir le trouble et la confusion autour de Natura 2000 et d'attiser ainsi les passions autour de ce dossier qui gagnerait à être traité dans la transparence et la sérénité ? Allez-vous, oui ou non, disjoindre cette question de l'ensemble des ordonnances prévues et déposer rapidement un projet de loi au Parlement afin d'engager le vrai débat démocratique attendu par tous les usagers et protecteurs de la nature ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l 'aménagement du territoire et de l'environnement.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Monsieur le député, la p rogression indéniable du contentieux national et communautaire concernant la directive « Habitats » traduit l'importance et la complexité des enjeux liés à cette directive et à la directive « Oiseaux ».

M. Jean-Louis Debré. C'est de la bouillie pour chats ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Des procédures d'infraction ont été engagées par la Commission européenne contre la France au titre de la directive « Oiseaux » - le problème est pratiquement réglé - mais aussi en raison d'un classement insuffisant des zones de protection spéciale ou d'une transmission insuffisante de propositions nationales au titre de la directive « Habitats ».

La Commission a également pointé l'absence de transposition de l'article 6 de la directive dans notre droit national.

M. Christian Jacob. Cela fait trois ans que vous êtes au Gouvernement ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. La Commission ne s'est pas contentée d'engager des mesures d'ordre juridique. Elle nous a également fait savoir que le respect de nos engagements c ommunautaires risquait de conditionner désormais l'attribution des fonds structurels européens,...

M. Thierry Mariani. Chantage ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. ... en particulier dans le cadre des DOCUP - documents uniques de programmation - du plan national de développement rural.


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Vous invoquez le chantage, monsieur le député. Sachez en tout cas que, si chantage il y a, c'est un chantage qui paraît mené non seulement par la direction générale chargée de l'environnement au sein de la Commission...

M. René André. C'est un chantage que vous soutenez ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. ... mais aussi par la direction générale chargée des politiques régionales.

De réels progrès ont été accomplis : 1029 propositions de sites représentant 5 % du territoire ont été examinées par la Commission dans le cadre des séminaires biogéographiques.

M. Christian Jacob. Sans acune concertation ! M. Christian Estrosi. Sans démocratie ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Pas plus qu'elle ne met en cause la poursuite du processus, la décision du Conseil d'Etat qui annule les transmissions réalisées dans l'urgence en 1997 n'affecte ces premiers acquis. Nous avons, il est vrai, été amenés à transmettre à nouveau, de façon plus réglementaire, 531 des 543 premiers sites qui l'avaient été en 1997.

Vous vous en souvenez, en 1997, le processus était bloqué. Nous avons réinstallé la France dans une position plus honorable au coeur des discussions communautaires.

Mais, c'est vrai, il nous reste à transposer l'article 6 de la directive.

M. André Berthol. Faxez-nous la réponse ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Vous devez le savoir, le contenu de l'article en question a été largement débattu au sein du comité national de suivi et de concertation Natura 2000 (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République),...

M. Christian Estrosi. C'est à l'Assemblée qu'il faut débattre ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. ... où sont représentés l'ensemble des utilisateurs de la nature : chasseurs, agriculteurs, forestiers, protecteurs de l'environnement, élus représentatifs des différentes associations d'élus. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Christian Estrosi.

C'est ici qu'il faut débattre ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Il nous faudra bien transposer cette directive. Le Gouvernement envisage de le faire dans le cadre d'un projet d'ordonnance.

M. René André. Et le Parlement ? Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Vous parlez de désinvolture, monsieur le député. Mais à désinvolture, désinvolture et demie. La situation bloquée que nous avons trouvée en 1997 (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République)...

M. Christian Jacob. Qu'avez-vous fait depuis trois ans ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

... ne l'est plus.

Il vous reste à franchir la dernière étape et à ne pas prendre en otage les fonds structurels pour une sorte de match retour de la loi sur la chasse qui ne vous grandirait pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste. - Huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

EUROCOMPATIBILITÉ DU PROJET FRANÇAIS DE BUDGET POUR 2001

M. le président.

La parole est à M. Gilles Carrez.

M. Gilles Carrez. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Depuis hier, nous avons commencé à examiner le projet de budget pour 2001.

M. Julien Dray. Vous n'avez pas été là souvent.

M. Gilles Carrez. C'est un mauvais budget (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) car il augmente les dépenses de façon inconsidérée et il ne baisse pas suffisamment les impôts.

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

M. Gilles Carrez.

Les dépenses, d'abord. Le nombre de fonctionnaires augmente de 20 000 et vous avez abandonné la réforme de l'Etat, un Etat qui coûte de plus en plus cher, alors qu'il faudrait au contraire décentraliser, redéployer les moyens existants vers des priorités comme, par exemple, la sécurité.

M. Jean-Luc Reitzer.

Très juste !

M. Gilles Carrez.

Les impôts, ensuite. Le plan Fabius, chers collègues, ne rend aux Français que le quart de ce que vous leur avez pris depuis 1997.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Jamais les prélèvements obligatoires n'ont été aussi élevés en France, et les classes moyennes sont les grandes oubliées.

Mme Odette Grzegrzulka.

C'est faux !

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Et l'Europe ?

M. Gilles Carrez.

Le déficit budgétaire ne va pas baisser en 2001 par rapport à 2000. Or, la situation économique se dégrade. Le commerce extérieur français est à nouveau en déficit.

M. Albert Facon.

La question !

M. Gilles Carrez.

La consommation ralentit à cause du blocage du pouvoir d'achat, dû aux 35 heures. Et l'inflation repart à la hausse. Et si, par malheur, la conjoncture se retournait, la France risquerait de se retrouver comme en 1992-1993, quand la gauche...

M. le président.

Monsieur Carrez, pouvez-vous en arriver à votre question, s'il vous plaît ? (Vives exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Gilles Carrez.

J'y arrive, monsieur le président, sereinement !

M. le président.

Merci, monsieur Carrez. Sereinement, arrivez-en à votre question !

M. Gilles Carrez.

Quand la gauche, en 1992-1993, a creusé par centaines de milliards les déficits, le pays a mis cinq ans à s'en remettre.

(Vifs applaudissements sur les


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b ancs du groupe du Rassemblement pour la République. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Charles Cova.

Ça fait mal quand on dit la vérité !

M. Jean-Luc Reitzer.

La vérité leur fait toujours mal !

M. Gilles Carrez.

J'en viens donc, monsieur le président, à ma question. Monsieur le ministre, en arrivant au Gouvernement, vous avez dit que vous alliez canaliser les ardeurs de la gauche dépensière, de la gauche des hausses d'impôts. Or, la Commission de Bruxelles s'inquiète du laxisme, du laissez-aller de votre politique budgétaire, avec un déficit persistant et une augmentation de l'endettement de l'Etat.

M. Albert Facon.

La question !

M. Gilles Carrez.

Ma question est la suivante.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Qu'allez-vous répondre, monsieur le ministre, aux commissaires européens, alors que la plupart de nos voisins, l'Espagne, par exemple, se sont désormais interdit tout déficit public ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur Carrez, je réponds avec plaisir à votre question sereine, en me félicitant que les arguments que vous avez eu un peu de difficulté à développer hier (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) trouvent aujourd'hui un public plus nombreux ! Soyons précis, monsieur Carrez. En 1997 - c'est une date qui vous rappellera quelque chose -, la loi de finances, telle qu'elle était prévue par nos prédécesseurs, envisageait un déficit budgétaire de 287 milliards de francs.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Cette année, il sera de 186 milliards de francs, c'est-à-dire un peu plus de 100 milliards de déficit en moins. Voilà les chiffres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Philippe Briand.

C'est scandaleux !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Soyons précis, monsieur Carrez. En 1997 - c'est une date qui vous rappellera quelque chose -, les dettes de l'Etat s'élevaient à 60 % de la richesse nationale. L'an prochain, elles s'élèveront à 57,2 % de la richesse nationale. Voilà les chiffres ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Yves Fromion.

Parlez-nous de la croissance !

M. le président.

Monsieur Fromion, je vous en prie ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur Carrez, la marque principale qu'a laissée le Gouvernement que vous souteniez était une augmentation des impôts. Chacun a à l'esprit l'augmentation de deux points de la TVA...

M. Yves Fromion.

Vous êtes malhonnête ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... et l'augmentation de 10 % de la taxe de M. Juppé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Vives protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Nous avons baissé la TVA, et, cette année, nous supprimons la taxe de M. Juppé : soyons précis ! (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

Voyez-vous, je crois qu'il faut que vous vous habituiez à une réalité : ce n'est pas parce que la politique que nous suivons vous embarrasse (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) qu'il faut travestir la vérité des faits ! (Exclamations sur les mêmes bancs.) Voilà la réalité, monsieur Carrez ! Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Ce n'est pas vrai ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Un dernier mot, j'étais habitué, de votre part, à plus de mesure. Dans la France que vous décrivez, qui, si j'ai bien compris, est « au bord de la catastrophe », je

« ne sais pas ce que je dois faire ». Est-ce la part du constat ? A l'évidence, non. (Exclamations sur les mêmes bancs.) J'ai l'impression, sans vous forcer, que ce serait votre souhait.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Yves Fromion.

Vous êtes malhonnête !

DIRECTIVE EUROPE

ENNE SUR LES CARBURANTS

M. le président.

La parole est à M. Eric Doligé, pour une brève question.

M. Franck Borotra.

Pourquoi « brève » ? Arrêtez de donner des leçons !

M. le président.

Du calme, monsieur Borotra ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Monsieur Doligé, vous avez la parole.

M. Eric Doligé.

Monsieur le président, je pense que cela ne vous gênera pas que je pose ma question au nom des trois groupes RPR, UDF et DL (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste), auxquels je suis certain que beaucoup d'autres groupes aimeraient s'associer.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Tiberi, par exemple !

M. Eric Doligé.

Hier, à propos de la baisse de la TVA sur la restauration traditionnelle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), notre collègue Dominique


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Dord a brillamment mis en évidence qu'il y avait deux Laurent Fabius - nous venons d'ailleurs d'en voir un troisième.

Le premier, du haut de son perchoir, estimait nécessaire l'application de la TVA à 5,5 % dans la restauration.

Le second, de sa forteresse de Bercy, s'abrite derrière la directive TVA pour ne rien faire. C'est ce que nous a expliqué M. Pierret, hier.

Comptez-vous être également conservateur, monsieur le ministre, sur le dossier du prix des carburants, premier sujet de mécontentement de nos concitoyens, comme de l'ensemble des Européens ? Ces prix continuent de croître et atteignent des niveaux tout à fait inacceptables, que ce soit pour les entreprises ou pour les ménages, voire les collectivités.

Alors que la fiscalité reste la composante majeure du prix des carburants, les Français attendent avec une impatience légitime que le Gouvernement baisse sérieusement les taxes, lesquelles, dois-je le rappeler, représentent près de 80 % du prix qu'ils paient, même après l'instauration de la TIPP flottante.

L'une des solutions que nous avions préconisées pour obtenir une baisse significative des tarifs était l'application du taux réduit de la TVA sur les carburants. Ainsi, sur un litre de supercarburant sans plomb à huit francs, la réduction de la TVA de 19,6 % à 5,5 % représenterait une baisse supérieure à un franc.

Comme toujours, par facilité, vous vous défaussez sur l'Europe en nous opposant la directive TVA. Dans le cadre de votre présidence du Conseil des ministres de l'économie de l'Union européenne, les Français qui nous regardent doivent savoir que vous avez pourtant le pouvoir de faire bouger les choses.

M. le Premier ministre vient de nous dire que les bonnes questions sont celles qui intéressent les Français dans leur vie de tous les jours.

M. Patrice Martin-Lalande.

En voilà une !

M. Eric Doligé.

Alors, je vais vous poser une bonne question (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) : allezvous proposer à vos collègues européens, qui ont tous à faire face au même mécontentement, une révision de cette directive permettant d'appliquer le taux réduit de la TVA aux produits pétroliers et bien sûr, ensuite, à la restauration ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, en vous remerciant de votre question, je confirme que nous avons effectivement, comme c'était notre rôle en tant que ministres des finances, représentant les gouvernements de nos différents pays, examiné la question que vous soulevez. Et nous nous sommes demandé, de façon ouverte, si, face à la hausse constatée des prix pétroliers, la bonne réponse était la baisse de la fiscalité.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Oui ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Et la réponse unanime, alors même que les situations sont assez diverses dans les différents pays, a été de dire que telle n'était pas la voie à suivre.

M. Yves Fromion.

Il faut encore l'augmenter ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Pourquoi ? Parce que tout le monde constate, dès lors que, comme c'est votre cas, l'on regarde honnêtement les choses, que, s'il y a eu une hausse massive du prix de l'essence au cours de ces derniers temps, c'est parce que les pays producteurs et les sociétés productrices ont massivement augmenté les prix.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Philippe Auberger.

Et la baisse de l'euro ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

J'aimerais, mesdames, messieurs qui siégez sur les bancs de l'opposition et qui faites des gestes avec la main, que vous ne repreniez pas systématiquement les arguments des compagnies pétrolières ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Autant il est nécessaire, comme nous l'avons fait, d'écouter les demandes d'un certain nombre de professionnels et de faire ce qu'il est nécessaire de faire sur le fioul domestique ou pour telle ou telle catégorie, autant une mesure systématique de diminution de la fiscalité aboutirait exactement à l'inverse du but poursuivi. De grâce, sur ce point comme sur les autres, évitons la démagogie.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Yves Fromion.

Ecoutez donc les Français ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, vous qui vous exclamez, comprenez avec moi, si possible, que si l'on branche un cordon direct entre les décisions des pays producteurs et les budgets publics, ce n'est pas trente-cinq dollars que vaudra le baril de pétrole mais soixante-dix dollars, et cela immédiatement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Yves Fromion.

Ecoutez les Français ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Puisque je vois que vous vous exclamez, monsier le député,...

M. Yves Fromion.

Les Français s'exclament aussi ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... je vous rappelle - mais vous le savez comme moi - qu'une baisse d'un franc sur le prix du carburant, cela représente une diminution de 50 milliards de francs des recettes fiscales.

M. Arnaud Lepercq.

Vous les avez gaspillés avec les 35 heures ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Dès lors, si nous pouvions avoir cet exercice, je vous retournerais volontiers, monsieur Doligé, la question : sur quel budget proposez-vous cette diminution de 50 milliards ? Est-ce que vous proposez que le budget de


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l'éducation nationale soit amputé de 50 milliards ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Est-ce que vous proposez que le budget du ministère de l'intérieur soit amputé de 50 milliards ? (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

De grâce, mesdames et messieurs de l'opposition, évitez la démagogie ! Une politique d'écoute, oui ! Une politique de vérité, oui ! Ce n'est pas sur ce chemin, qui est le chemin des sociétés pétrolières, qu'on trouve la réponse à la question légitime que posent les Français.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Où est la démagogie ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il y a un problème qui est posé par les hausses du prix du pétrole. Ce n'est pas en baissant massivement la fiscalité qu'on le résoudra.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Arnaud Lepercq.

C'est du mauvais Fabius !

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe socialiste.

POINT SUR LE SOMMET DE BIARRITZ

M. le président.

La parole est à M. Alain Barrau.

M. Alain Barrau.

Monsieur le président, deux remerciements tout d'abord, et une question. D'abord un remerciement à votre égard, monsieur le président,...

M. Philippe Auberger.

La question !

M. Alain Barrau.

... parce que, reprenant des suggestions faites depuis longtemps sur plusieurs de ces bancs, vous avez concrétisé cette proposition d'une heure de questions d'actualité sur l'Europe. Et j'espère que cela continuera après la présidence française.

Mme Nicole Bricq.

Cela n'intéresse pas les membres de l'opposition ; ils s'en vont !

M. Alain Barrau.

Manifestement, nous avons encore, collectivement, des progrès à faire, puisque d'aucuns n'ont pas compris que l'intérêt de cette heure de travail consistait à parler ensemble, avec nos différentes visions de l'Europe, des enjeux européens.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Autre remerciement : nous avons réuni à Versailles, h ier et avant-hier, la commission qui rassemble l'ensemble des commissions des affaires européennes des parlements nationaux des pays membres de l'Union, des pays candidats et du Parlement européen.

Au nom de l'ensemble de ceux qui ont siégé à Versailles, et notamment mes collègues sénateurs qui étaient à mes côtés lors de l'organisation de cette COSAC, je tiens à remercier M. le Premier ministre, M. le ministre des affaires étrangères, M. le ministre des affaires européennes (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants),...

M. Francis Delattre.

Remerciez aussi l'inventeur de la brosse à reluire !

M. Alain Barrau.

... Mme la garde des sceaux de l'époque, M. le ministre des relations avec le Parlement européen, pour avoir honoré les parlementaires de leur présence et d'être intervenus tout de suite après le sommet de Biarritz sur les enjeux de la présidence française.

C'est cela, faire vivre la démocratie et faire vivre le débat européen dans notre pays.

J'en arrive à ma question.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Je la poserai à partir de la réponse très complète que le Premier ministre a donnée tout à l'heure à la question qui lui était posée sur quelques points précis. Sur la CIG comme sur la charte, il a été extrêmement clair. Peut-on avoir un peu plus de détails sur le contenu des autres politiques, notamment sur l'Europe des citoyens que nous préconisons, et en particulier en ce qui concerne l'agenda social et la mise en oeuvre du Conseil européen de Tampere ? Dernier aspect : en cas de succès à Nice - un succès que nous souhaitons tous, j'imagine, parce que le Président de la République est exactement dans la même situation que le Gouvernement par rapport aux enjeux de la présidence française -, seriez-vous favorable, monsieur le Premier ministre, favorable à la rédaction d'une déclaration politique sur l'élargissement à l'horizon du 1er janvier 2003,...

M. Philippe Briand.

Allô !

M. Alain Barrau.

... pour que l'Union soit prête à accueillir les nouveaux pays candidats, comme cela a été décidé à Helsinki ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

Monsieur le député, merci d'abord de vos remerciements et merci aussi de votre invitation. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Patrick Devedjian.

Ah, comme ils s'aiment ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Je rappellerai, après le Premier ministre, que le Conseil européen de Biarritz a été, effectivement, un bon sommet, où a soufflé un esprit qui nous permet d'envisager avec davantage d'optimisme la possibilité d'une conclusion de la conférence intergouvernementale à Nice.

Je crois que c'est un acquis tout à fait fondamental.

Par ailleurs, nous avons adopté, approuvé la charte qui sera ensuite proclamée par les trois institutions : le Parlement européen, le Conseil, la Commission. Ce sera une conquête fondamentale.

Mais, comme l'a rappelé le Premier ministre, l'une des premières priorités, sinon la première priorité, celle qui intéresse nos concitoyens, c'est de faire vivre l'Europe au


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quotidien. Nous le faisons dans les différents Conseils des ministres, notamment au Conseil transports, avec JeanClaude Gayssot. Le Conseil européen a déjà examiné la question de la sécurité maritime, avec la perspective de l'élimination des bateaux à simple coque d'ici à 2015, et nous l'espérons, avant, dès 2010. Le Premier ministre l'a demandé explicitement. Nous avançons également dans le domaine de la sécurité alimentaire. Nous avançons dans le domaine des services publics. Nous avançons, avec Jack Lang, dans celui de la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs. Je pourrais allonger cette liste, car c'est là la première préoccupation du Gouvernement.

Comme vous l'avez dit, ces avancées ont lieu avec, pour toile de fond, la perspective de l'élargissement. Pour réussir celui-ci, nous devons réussir la conférence intergouvernementale, car le Parlement a été extrêmement précis sur ses exigences en matière de réformes institutionnelles. J'espère que, à Nice, nous serons capables d'avoir une vue d'ensemble à la fois de la situation pays par pays et des perspectives de la négociation. Les conclusions du sommet de Nice permettront, je crois, de parvenir à un traité qui sera le traité de l'Europe politique pour l'élargissement à moyen terme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

POLITIQUE EUROPÉENNE DE SÉCURITÉ CIVILE

M. le président.

La parole est à M. Gérard Fuchs.

M. Gérard Fuchs.

Monsieur le ministre de l'intérieur, pour beaucoup de Français, aujourd'hui encore, l'Union européenne est avant tout une grande puissance économique qui tente de s'affirmer sur la scène internationale.

Pourtant, il existe, et dans le traité de Maastricht et dans celui d'Amsterdam, des chapitres relatifs aux affaires intérieures, qui concernent directement la vie de nos concitoyens.

Je suis de ceux qui souhaitent que, demain, davantage d'actions européennes communes soient menées en matière de lutte contre le crime organisé ou d'amélioration de la protection civile. En effet, aujourd'hui, les criminels ne connaissent plus les frontières alors que celles-ci s'imposent encore aux magistrats et aux juges. De même, lorsqu'une catastrophe naturelle intervient dans un pays - je l'ai vécu à la fin de l'année dernière en Normandie, nos amis italiens viennent de le vivre -, une coopération entre voisins est indispensable.

Monsieur le ministre, vous participiez hier, à Luxembourg, à un conseil « affaires intérieures ». Pouvez-vous me dire si, en matière de lutte contre la criminalité et de renforcement des actions pour une meilleure protection civile, de nouvelles perspectives ont été tracées ? Quels résultats peuvent en être attendus au bénéfice de la sécurité des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.

Monsieur le député, la lutte contre le blanchiment de l'argent sale et contre le crime organisé a effectivement fait l'objet d'une discussion hier, à Luxembourg, dans le cadre d'un conseil européen sur les affaires intérieures et judiciaires que Mme Guigou et moi-même coprésidions. En outre, une réunion exceptionnelle s'est tenue hier après-midi avec les ministres de l'économie et des finances, réunion à laquelle Laurent Fabius et François Huwart ont participé.

Le conseil de Tampere avait, en octobre 1999, donné une impulsion décisive à l'intervention de l'Union européenne en ce domaine. Sous la présidence française, d'importantes avancées ont été enregistrées. Un an après le conseil de Tampere, il a été décidé hier de franchir une nouvelle étape dans la lutte contre la criminalité financière. Des décisions importantes portent sur un certain nombre de points.

Vis-à-vis des pays et territoires non-coopératifs, des mesures ont été prises pour obtenir - d'abord par le dialogue - que ces pays et territoires figurant sur la « liste noire » procèdent aux réformes nécessaires pour lutter contre le blanchiment des capitaux.

En matière de transparence des entités juridiques, il s'agit de résoudre les difficultés posées par les structures juridiques opaques qui cachent les véritables bénéficiaires.

En ce qui concerne la coopération judiciaire et policière, le conseil a réaffirmé que ni le secret fiscal ni le secret bancaire n'étaient opposables aux enquêtes judiciaires nécessaires pour lutter contre le blanchiment des capitaux.

Le conseil a par ailleurs adopté des textes destinés à faciliter la coopération judiciaire et la coopération policière. Du reste, à la suite d'une réunion rassemblant des experts et les directeurs généraux de la police des quinze pays de l'Union européenne, des décisions ont été prises pour élargir le champ d'Europol, de manière que cette dimension soit prioritairement présente dans la coopération policière.

Pour ce qui est du second point de votre question, il est vrai que les pays européens sont de plus en plus conduits à agir sur le terrain de la protection des populations. On se souvient des interventions, parfois difficiles, en faveur des réfugiés du Kosovo, des interventions sur le terrain dans les Balkans, ou de celles destinées à venir au secours des victimes des tremblements de terre en Turquie.

Il s'agit de questions qui se posent aussi au sein de l'Union européenne. Souvenez-vous des tempêtes de 1999 et des pollutions maritimes provoquées par le naufrage de l' Erika . Pensez, hélas ! au drame vécu actuellement dans les pays des Alpes du Nord, notamment en Italie.

Face à ces sollicitations croissantes, il était nécessaire d'améliorer les coopérations et les coordinations. Bien entendu, il est hors de question de remettre en cause l'organisation interne des Etats, notamment la nôtre, qui est totalement efficace. Toutefois, il a paru nécessaire - et ça a été acté hier - d'avancer dans le sens d'une plus grande coordination des moyens d'intervention mobilisables, soit de manière permanente, soit face à une situation donnée, et des demandes d'intervention provenant d'autres Etats, notamment des Etats tiers. Il a paru également nécessaire de procéder à une meilleure évaluation des moyens nécessaires pour faire face à certaines situations et des actions de secours engagées. Enfin, il a semblé utile de favoriser les actions de recherche et de développement, de formation et d'information du public.

M. André Santini.

C'est trop long !

M. le ministre de l'intérieur.

Bien entendu, la finalité de ce dispositif, de cette recherche d'une transparence qui nous fait encore défaut, c'est une plus grande coordination : c'est dans ce sens que nous allons travailler.

L'objectif est d'aboutir vite. Tel est le sens des décisions unanimement arrêtées hier.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert).

POINT SUR LA QUESTION DE L'ÉLARGISSEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE

M. le président.

La parole est à Mme Yvette Roudy.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

Mme Yvette Roudy.

Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.

A cet instant frappent à la porte de l'Europe une douzaine de pays de l'Europe centrale et orientale, sans parler de ceux qui, comme la Yougoslavie, ont vocation à rejoindre l'Union. Ces pays sont impatients d'entrer en Europe, parce qu'il est indispensable pour eux de renforcer leur démocratie et de se développer. C'est un immense espoir pour eux, et c'est fondamental.

En même temps, pour nous, leur adhésion est un impératif de réussite, dans un monde où la chute du mur de Berlin a provoqué une profonde redistribution des cartes. Nous savons qu'en ce moment des conflits divers ont lieu ou menacent d'éclater à travers le monde et que la voix de l'Europe est plus que jamais attendue - et elle doit se faire entendre, singulièrement au Moyen-Orient.

La question de l'élargissement se pose donc avec urgence. M. le Premier ministre a dit ailleurs qu'elle était réglée et qu'elle ne se posait plus. Serait-il possible de nous donner davantage de précisions quant au calendrier de l'élargissement de l'Union et aux conditions d'adhésion des pays postulants ? Serait-il également possible de nous indiquer si nos institutions vont être modifiées avant cet élargissement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

Madame la députée, vous avez raison de rappeler que l'élargissement est pour nous plus qu'une priorité : c'est la toile de fond de toute notre action. Vous avez également raison de rappeler que la réforme institutionnelle doit être faite avant l'élargissement. A cet égard, il est clair que le traité d'Amsterdam est de nature à répondre aux exigences du Parlement ? Quelle sera notre action en matière d'élargissement pendant la présidence française ? D'abord, nous voulons aller aussi loin que possible dans les négociations d'élargissement. Nous aurons, pour ce faire, deux sessions ministérielles : l'une en novembre, l'autre en décembre.

Nous voulons aussi dresser un bilan précis, pays par pays, chapitre par chapitre, afin de bénéficier, au Conseil européen de Nice, d'une vue d'ensemble qui nous permettra de dessiner la perspective de conclusions de certaines négociations qui doivent maintenant être bien avancées.

Puis se tiendront deux réunions de la conférence européenne, auxquelles participeront les quinze pays membres, les douze pays candidats en négociation, plus la Turquie.

Nous avons bien sûr à l'esprit la perspective plus vaste qui s'ouvre avec la nouvelle situation dans les Balkans.

Un sommet aura d'ailleurs lieu à Zagreb sur ce point.

Pour ce qui est de la date d'adhésion, nous n'avons pas l'intention d'en fixer une nouvelle sous la présidence française. Il en existe déjà une, celle du 1er janvier 2003.

Faisons en sorte que, à cette date, l'Union européenne soit prête à accueillir de nouveaux pays candidats. A ce moment-là, nous verrons bien quelle est la situation.

Telle doit être notre perspective, une perspective à la fois très volontaire, très exigeante et très réaliste car l'élarg issement est non seulement une formidable chance mais aussi un formidable défi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

TRANSPORTS EUROPÉENS

M. le président.

La parole est à Mme Odile Saugues.

Mme Odile Saugues.

Monsieur le ministre de l'équipement, des transports et du logement, les transports sont au coeur des préoccupations de la présidence française de l'Union européenne. Leurs problèmes ont été mis en lumière de manière dramatique, ces derniers mois, non seulement avec le naufrage de l' Erika , qui pose avec force la question de la sécurité maritime en Europe, mais aussi avec l'incendie du tunnel du Mont-Blanc, qui souligne la nécessité absolue de développer le transport combiné en Europe.

L'actualité européenne des transports, ce sont aussi les variations brutales et continues du prix du pétrole, qui, en France, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Allemagne et même en Belgique, ont suscité l'inquiétude et la colère de très nombreux secteurs professionnels. Ce sujet a été longuement abordé lors du conseil des ministres des transports, qui s'est tenu le 20 septembre dernier à Luxembourg. Il a été rappelé notamment qu'aucune politique de cartel ou d'entente ne devait venir renchérir les coûts à la pompe et que l'harmonisation sociale d ans les transports routiers était incontournable et urgente. Sur ce dernier point, il semble, monsieur le ministre, qu'un pas important ait été réalisé le 2 octobre dernier lors de la rencontre que vous avez eue avec vos collègues européens.

Il est vrai que les attentes sont immenses, d'autant que l'Europe des transports en est encore à l'état embryonnaire et que les premières étapes de son développement n'ont malheureusement pas toujours concilié la performance économique et le progrès social et humain.

Le dernier conseil des ministres européens des transports de la présidence française se tiendra les 20 et 21 décembre prochains. Pouvons-nous espérer que, à l'issue de cette présidence, les routiers européens rouleront dans un cadre réglementaire plus harmonieux ? En outre, la présidence française sera-t-elle la locomotive du transport ferroviaire communautaire ? L'Europe des transports deviendra-t-elle enfin, sous l'impulsion de la France, une réalité, en particulier en matière de sécurité maritime ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Madame la députée, vous avez raison de souligner la dimension européenne des transports. Il s'agit d'une question qui recèle des enjeux importants mais touche aussi à la vie quotidienne.

Nous sommes confrontés à un enjeu social, celui de l'harmonisation, mais aussi à un enjeu de sécurité et à un enjeu d'efficacité des services publics.

S'agissant des routiers, vous vous souvenez que, à la suite du conflit de 1997, le Premier ministre avait envoyé à l'Europe un mémorandum pour réclamer l'harmonisation sociale dans ce secteur. Depuis, nous nous battons. Il faut reconnaître que c'est difficile car il existe en Europe une majorité de droite qui s'oppose à cette harmonisation sociale. Toutefois, en dépit des difficultés, nous avançons dans les domaines du contrôle, de la formation et de la sanction. Nous avançons aussi dans le domaine de ce que l'on appelle « l'autorisation du conducteur », qui vise à faire en sorte que des entreprises européennes n'emploient pas, pour effectuer du transport en Europe, de la maind'oeuvre de pays tiers en la payant aux conditions de ces pays. Si nous obtenons satisfaction sur ce point - et je pense que nous y parviendrons -, ce sera une réelle avancée.

Reste que, s'agissant de la directive « temps de travail », qui est une question majeure, et du « règlement 38-20 », nous nous heurtons à davantage de difficultés. Toutefois,


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nous nous battons pour que les choses puissent avancer, en particulier lors du conseil des ministres des transports de décembre prochain.

En ce qui concerne les chemins de fer, nous en sommes au stade de la conciliation, c'est-à-dire que le comité de conciliation est saisi de cette affaire dans le cadre de la procédure de codécision prévue à l'échelle de l'Europe pour certaines matières. En effet, alors que le conseil des ministres a adopté à l'unanimité une position qui constitue une véritable avancée pour développer le transport ferroviaire, le Parlement a, quant à lui, grâce au vote de la majorité de droite, introduit dans le texte des amendements qui dénaturent complètement cette avancée et en appellent à la libéralisation du transport, tant de celui des voyageurs que de celui des marchandises.

Nous sommes donc en phase de conciliation, mais nous faisons tout pour aboutir à un résultat. Il est évident que, sur cette question, il faut non seulement tout faire pour préserver l'avancée du conseil des ministres de décembre 1999, mais également ne rien faire qui puisse la mettre en cause et qui puisse aller dans le sens de l'ultralibéralisme que certains souhaiteraient.

Pour ce qui est du maritime, après le naufrage de l' Erika , priorité est donnée à la responsabilisation pour que cette dimension devienne non seulement l'affaire des pays concernés, de la France bien sûr, de l'Europe également, mais aussi de tous les pays appartenant à l'organisation maritime internationale.

Nous avançons en ce qui concerne la responsabilisation des sociétés de classification et nous devrions déboucher sur une élimination plus rapide que prévu des navires à simple coque transportant des matières dangereuses ou du pétrole. Je rappelle que cette élimination était envisagée pour 2019. Or elle devrait avoir lieu d'ici à 2010, si ce n'est avant pour certains navires.

Il faut également avancer en matière de responsabilisation, de renforcement des contrôles et d'harmonisation des conditions sociales des marins. On ne peut pas laisser la politique de recherche du plus bas prix se traduire par la navigation de navires poubelles qui se cassent, comme ce fut le cas de l' Erika, ou qui utilisent de la maind'oeuvre sous-payée et sous-qualifiée, avec les risques que cela comporte.

Tels sont les objectifs du conseil des ministres de décembre 2000 sur lesquels la France va marquer et marque déjà des points.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous avons terminé avec les questions au Gouvernement.

Avant de suspendre la séance, j'indique que je vais maintenant réunir la conférence des présidents dans les salons de la présidence.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. Pierre Lequiller.)

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE LEQUILLER,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

2 LOI DE FINANCES POUR 2001 Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2001 (nos 2585, 2624).

Discussion générale (suite)

M. le président.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François d'Aubert.

M. François d'Aubert.

Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, c'est avec un optimisme empreint d'irénisme que vous avez pronostiqué hier que 2001 serait une année de croissance soutenue et que le Gouvernement, grâce à une stratégie budgétaire alliant baisse des impôts, assainissement budgétaire et maîtrise des dépenses, poserait les conditions d'une croissance pérenne. A y regarder de plus près, le tableau semble loin d'être aussi idyllique.

La semaine dernière, on vous reprochait, notamment la presse, d'adopter une stratégie du silence en matière budgétaire, voire en matière économique. Hier, nous avons eu l'impression que vous optiez, veuillez excuser l'expression, pour une stratégie du « papotage économique » à propos d'une situation instable et d'une année 2001 quis 'annonce extraordinairement complexe et incertaine.

Nous avons eu le sentiment que le Gouvernement, le m inistère des finances et vous-même, monsieur le ministre, étaient incapables de fournir une évaluation crédible et précise de ce qui pourrait se passer.

Pour la croissance, les événements récents le montrent, ses fondations donnent l'impression de s'effriter. L'inflation dépasse déjà les 2 %, le prix du baril était à 35 dollars ce matin. Certes, février n'est pas octobre, et personne ne peut dire où nous en serons, mais vous avez parié sur 25 dollars pour le mois de février.

La Banque centrale européenne, dont les réactions sont parfois imprévisibles, vient de relever ses taux directeurs et s'oriente manifestement vers un durcissement de sa politique monétaire.

L'euro continue de se déprécier, pour deux raisons connues : d'une part, le différentiel des conditions de croissance entre une Europe, qui met du temps à se moderniser, et les Etats-Unis, qui sont déjà fortement engagés dans la nouvelle économie, d'autre part, l'absence de perspectives politiques pour l'Europe, qui entraîne une faiblesse de l'euro par rapport au dollar.

A côté de ces facteurs, il existe des causes plus internes à l'effritement de la croissance, comme le nivellement des salaires lié à l'application de 35 heures ou la progression des impôts. Le pouvoir d'achat des salariés s'en trouve très, pour ne pas dire trop, contenu.

En guise d'assainissement budgétaire, les dépenses de l'Etat, hélas ! dérapent d'année en année et plus que vous ne le dites. La baisse du déficit est sacrifiée - nous ne sommes pas les seuls à le constater : l'Europe le fait aussi et aucune marge de manoeuvre budgétaire structurelle n'est dégagée.


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Au lieu d'une croissance soutenue, ne risque-t-on pas plutôt d'avoir, en 2001, une croissance vacillante, en cette année qui sera complexe sur le plan économique et financier ? Le risque inflationniste conduit d'abord à une remontée des taux d'intérêt et à un durcissement de la politique monétaire.

Vous affirmez, monsieur le ministre, que, pour garantir une croissance soutenue, la BCE doit contenir l'évolution à la hausse des taux d'intérêt. Pourtant, plusieurs facteurs objectifs de remontée de l'inflation ont décidé la BCE à remonter ses taux directeurs de 0,5 % en deux mois, ce qui n'est pas négligeable.

L'incertain retour de l'inflation pourrait donc mettre fin au contexte de détente monétaire amorcé depuis 1995, conforté par la baisse des déficits et l'effort qui avait été fait par le précédent gouvernement pour baisser de près de 3 points le déficit par rapport au PIB, ce qui avait permis le développement inédit d'une croissance extrêmement forte depuis 1997.

La flambée du baril de pétrole est renforcée par la faiblesse de l'euro par rapport au dollar. Sur ces deux points, le Gouvernement a un pronostic pour le moins optimiste puisqu'il construit ses hypothèses économiques sur un euro à 0,95 dollar alors qu'il vaut aujourd'hui 0,85 dollar, et sur un prix du baril à 25,6 dollars, à atteindre dès février 2001, alors qu'il a franchi allègrement la barre des 35 dollars ces derniers jours. Il est vrai que le prix du baril peut évoluer chaque jour, et dans tous les sens.

En outre, les tensions salariales qui sont liées aux 35 heures et qui donnent déjà lieu à des revendications salariales dans la fonction publique et le secteur privé, font également courir le risque d'une spirale prix-salaires, donc d'une inflation par les coûts.

Vous avez annoncé un taux d'inflation de 1,5 % pour l'année prochaine. Ce taux est probablement un peu sous-estimé. L'inflation a déjà atteint 2,3 % cette année et l'augmentation des prix du pétrole risque fort de la faire grimper au-delà de ce que vous avez prévu.

Par ailleurs, la demande ralentit et l'appareil productif a tendance à s'étrangler - c'est le problème de l'offre.

Monsieur le ministre, vous affirmez que la demande intérieure est le socle de notre développement économique. Aujourd'hui, cette demande s'essouffle. Ce ralentissement s'explique par le nivellement des salaires, contrepartie des 35 heures, et par les réductions d'heures supplémentaires, très durement ressenties par les salariés des entreprises qui ont signé un accord sur ces 35 heures.

J'ai cru comprendre que, sur tout ce qui tourne autour du partage du travail, vous aviez une conception assez moderne, affirmant que le partage du temps de travail procédait d'une vision malthusianiste. Je ne sais pas si v ous appliquez effectivement ce raisonnement aux 35 heures, mais on serait fortement tenté de le croire en lisant ce que vous écrivez dans certains journaux.

Le ralentissement de la demande s'explique aussi par une ponction fiscalo-sociale, qui augmente - les chiffres sont terribles - de 8 % en moyenne alors que les revenus salariaux ne progressent quant à eux que de 1 à 2 %.

Cette ponction affaiblit le pouvoir d'achat par une sorte de confiscation de la croissance par l'impôt. En 1999, deux tiers du supplément de croissance ont été captés par des prélèvements obligatoires supplémentaires. C'est évidemment excessif ! C'est évidemment insupportable ! La France, le solde extérieur se dégradant et les importations se renchérissant, pourra-t-elle faire l'économie d'une demande intérieure forte en 2001, alors que c'est la demande intérieure qui a tiré la croissance française en 1998 et sorti notre pays du « trou d'air » en 1999 et en 2000 ? L'offre est également inadaptée aux besoins actuels de la demande, et vous en prenez conscience un peu tardivement. Il est vrai que votre aggiornamento libéral - quand on explique que l'économie marche mal parce que l'offre est insuffisante, on adopte plutôt une approche libérale par opposition à celle qui fait référence à la demande, qui est une approche keynésienne, plutôt socialisante - est récent. L'offre devient donc tout à coup votre souci principal, avec raison. Des goulets d'étranglement apparaissent dans le secteur productif, notamment dans le BTP. Ceux d'entre nous qui sont maires peuvent le constater dans leurs communes respectives : les appels d'offres ne sortent pas faute de concurrence et les travaux se prolongent.

Nous avons donc une nouvelle et inquiétante exception française : la production industrielle a diminué au mois de septembre. L'appareil productif est handicapé par le faible nombre d'heures travaillées, donc par des gains de productivité médiocres, par la médiocre formation des salariés - cette formation n'est pas assez partagée - et par la faiblesse relative de l'investissement. Cette offre bridée et rigide à court terme ne peut donc déboucher sur un contexte de croissance similaire à celui des Etats-Unis, lequel permet un taux de croissance élevé.

Enfin, les corrections boursières des dernières semaines génèrent un climat de forte incertitude.

Il semble donc, monsieur le ministre, que vos données économiques soient d'ores et déjà quelque peu fissurées, ce qui aurait tendance à fausser l'ensemble des hypothèses économiques du budget de 2001.

J'en viens maintenant à votre plan de réduction d'imp ôts, spectaculairement présenté, spectaculairement

« vendu », et suscitant une réaction des contribuables plutôt mitigée. En effet, on se trouve aujourd'hui confronté à quelque chose qui ressemble fort à une révolte des contribuables. Il y a donc une sorte d'urgence fiscale à laquelle il est demandé au Gouvernement de faire face. Il y a l'urgence européenne, et l'urgence fiscale, l'urgence des contribuables.

La révolte fiscale gronde. Elle est prête à éclater à la première occasion comme, il y a trois semaines, avec la grève des routiers, protestation spontanée contre l'augmentation asymptotique du prix des carburants depuis un an et demi.

Autre indice : de plus en plus de Français quittent la France pour des pays où les impôts sont plus bas.

Il existe, ne vous en déplaise, une compétition fiscale en Europe. De jeunes salariés vont occuper en Angleterre des emplois dans les services à cause de salaires directs plus élevés car allégés de cotisations salariales et patronales. D'autres partent créer outre-Manche des start-up, quand ce ne sont pas de jeunes chercheurs qui partent dans des laboratoires américains, sans idée de retour - c'est là une innovation : fréquemment, il y a cinq ou dix ans, les chercheurs revenaient.

Les résidents fiscaux extérieurs se multiplient, attirés par une fiscalité sur le patrimoine généralement moins agressive. Bien souvent, les quartiers généraux des grandes entreprises comme les centres d'activités financiers à haute valeur ajoutée préfèrent, hélas, Londres, Bruxelles, Amsterdam ou New York à Paris.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

Cela devrait pouvoir se mesurer, mais l' omertà qui existe à Bercy est de rigueur. Il faudrait pourtant mesurer, rapidement et honnêtement, ce que représentent en pertes d'assiette fiscale, en expatriation de talents, généralement jeunes, en créations de nouvelles entreprises ne se faisant pas en France, en créations de richesses françaises à l'étranger, en pertes d'emplois à haute valeur ajoutée, ce rejet d'une France surfiscalisée et cette immigration antifiscale, sans doute unique en Europe.

Quant aux Français dans leur ensemble, ils sont, selon un récent sondage de la SOFRES, 86 % à considérer que le niveau des taxes, impôts et cotisations est « insupportable et excessif » en France, et 60 % à penser que leurs impôts ne vont pas baisser et qu'au fond votre réforme est « mirobolante ». C'est en effet le mot juste car il signifie « trop beau pour avoir des chances de se réaliser ».

Si la colère antifiscale est aussi forte contre le Gouvernement et la majorité plurielle, c'est non seulement parce que les impôts n'ont jamais été aussi lourds globalement, mais c'est également parce que leur accumulation ponctuée par des arrivées, maintenant presque mensuelles, de feuilles d'impôts de plus en plus complexes et alourdies,e xaspère individuellement chaque Français, chaque famille, chaque retraité, chaque salarié, du privé comme du public, chaque chef d'entreprise, chaque membre de profession libérale et, de façon plus globale, tous ceux qui pensent appartenir aux classes moyennes.

Si cette colère antifiscale monte aussi dangereusement, c'est encore parce que votre politique fiscale frappe par son hypocrisie, par son illisibilité, qui est certaine, et par une incohérence qui n'est plus à démontrer.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe communiste.) Ne vous étonnez pas que votre politique d'allégements ne soit pas crédible et que, malgré votre annonce très médiatisée de baisse historique des impôts, votre plan fiscal fasse une sorte de « flop ».

M. Jean-Louis Idiart.

Tiens donc !

M. François d'Aubert.

Ne vous en déplaise, monsieur le ministre, les Français comprennent bien que l'énormité des plus-values fiscales accumulées depuis quatre ans les autorise à exiger ce que j'appellerai, comme d'autres, un

« juste retour fiscal » de leur effort, non pas sous forme de dépenses supplémentaires de l'Etat, non pas sous forme de 20 000 créations de postes administratifs supplémentaires ou de frais généraux d'un Etat de moins en moins à leur service - c'est du moins comme cela que les choses sont ressenties - mais tout simplement sous forme de baisses d'impôts, comme on le fait à peu près partout en Europe, parce qu'une baisse d'impôt, c'est du pouvoir d'achat en plus.

Cela, une bonne partie de votre majorité plurielle - ceux, comme M. Ayrault, dont la baisse des impôts n'est, disent-ils, pas leur « tasse de thé » - a du mal à le comprendre.

Rendez l'argent, oui, mais on en est loin ! Car les Français sentent bien toute l'hypocrisie de votre démarche de « repenti de la pression fiscale ». Je ne vous rappellerai pas l'année 1982, alors que vous étiez ministre...

M. Jean-Louis Idiart.

Les repentis, ça vous tourmente !

M. François d'Aubert.

Vous n'étiez pas mauvais dans le genre ! Ce côté « repenti de la pression fiscale », les Français ne le comprennent pas vraiment.

L'affaire de la « cagnotte » leur a fait comprendre que vous - vous ou votre prédécesseur - leur cachiez le montant réel des excédents fiscaux. Cette année, cela continue, et cela continuera en 2001.

Pour 1999, le Gouvernement a avoué 13, puis 31 milliards de francs de surplus fiscaux, alors que la Cour des comptes a démontré qu'il s'agissait en réalité de 57,5 milliards. En 2000, on nous a annoncé 51,4 milliards de francs, puis en plus 30 milliards de francs durant l'été.

On nous en dévoilera sans doute 20 de plus lors du collectif de novembre.

Les excédents fiscaux pour la fin de l'année ne sont toujours pas connus alors que, dès le mois d'août, le Gouvernement a une vision très précise de l'exécution budgétaire et de la base de départ pour le calcul des recettes de 2001.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Si seulement !... (Sourires.)

M. François d'Aubert.

Mais si, vous l'avez ! Si ce n'était pas le cas, monsieur le ministre, ce serait triste du point de vue du fonctionnement de Bercy ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Déjà en 1999, les Français avaient mal compris comment on pouvait à la fois leur promettre des baisses d'impôts de 16 milliards et prendre dans leurs portefeuilles quelque 113 milliards de plus par rapport à l'année d'avant.

Même incompréhension pour 2000 : d'un côté, 80 milliards de baisses annoncées et, de l'autre, 115 milliards supplémentaires de rendement.

Même probable incompréhension pour 2001 : moins de 50 milliards de francs de baisses annoncées et 135 milliards de francs de hausse spontanée des recettes fiscales, ce qui aboutit à une hausse nette de près de 90 milliards de francs.

Vous ne leur dites pas non plus la vérité sur les causes réelles de l'augmentation du rendement de l'impôt sur le revenu. Il y a, certes, la croissance nominale des revenus pour environ un tiers de la hausse, mais il y a aussi, pour un autre tiers, la revalorisation trop faible des tranches du barème et, pour le dernier tiers, les durcissements de l'impôt sur le revenu, qui remontent à 1997-1998, notamment avec la réduction du plafond du quotient familial.

Enfin, les Français voient bien les tours de passe-passe de cette baisse d'impôts, ou tout au moins d'une partie de cette baisse, qui est directement financée, ou gagée, par des hausses, ou plutôt par des suppressions de

« dépenses fiscales » touchant les mêmes catégories, comme en témoignent l'abaissement homéopathique du taux marginal de l'impôt sur le revenu gagé par la suppression de l'abattement de 8 % sur les dividendes, ou bien l'abaissement du taux de l'impôt sur les sociétés financé par la modification du régime des amortissements et autres modifications du régime des sociétés.

Les Français ont la désagréable impression d'être doublement floués : quand les impôts montent, alors que vous leur avez promis des baisses et, quand les impôts baissent, ils voient bien que les baisses sont gagées par des hausses.

Après quatre ans de politique fiscale, où est la cohérence, où sont les réformes pour une fiscalité moderne, adaptée à la nouvelle économie, euro-compétitive, favorisant la créativité, les facteurs de production, assurant un rendement correct, corrigeant les injustices et les absurdités ? Les bricolages doivent cesser ! Il faut réformer !


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Le bricolage de l'impôt sur le revenu doit cesser. Où est, par exemple, la cohérence lorsque, d'une année sur l'autre et à conjoncture comparable, on fait « entrer » puis

« sortir », puis entrer de nouveau des centaines de milliers de contribuables dans l'impôt sur le revenu ? Tantôt, par civisme fiscal, on déplore que moins d'un foyer fiscal sur deux paie l'impôt sur le revenu - en 2001, ce seront 2 millions de foyers qui en sortiront après, il est vrai, que 1,6 million y furent entrés en 1999.

Tantôt, au titre d'une autre conception de la justice fiscale, qui n'est pas la nôtre, on se réjouit que 80 % de l'impôt sur le revenu soit payé par 20 % des contribuables.

Où est la cohérence dans le temps ? L'impôt sur le revenu a retenu toute votre attention, mais pas tout à fait assez.

La baisse du taux marginal ? Nous la voterons tout en sachant qu'elle ne suffira pas à mettre fin aux délocalisations fiscales, motivées au moins autant par le niveau du taux marginal que par l'accumulation fiscale de l'impôt sur le revenu et de la CSG, le taux moyen total se situant toujours aux alentours de 60 %.

Si vous y ajoutez l'imposition des plus-values, les cascades de taxes sur l'épargne, voire l'ISF, ce n'est pas demain la veille que les exilés fiscaux reviendront en France. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

La baisse de la CSG pour les bas revenus ? Nous la voterons aussi, mais il s'agit quand même, avouez-le, d'un bricolage : la CSG perd son universalité et elle présente l'amorce du caractère d'un impôt progressif alors qu'il s'agissait à l'origine d'un impôt proportionnel, et tout cela sans régler pour autant la question des trappes à inactivité et de la sortie de l'assistance.

Bricolage toujours avec la nouveauté - bravo, monsieur Migaud ! - de la TIPP « flottante » alors qu'il faudrait plutôt, comme nous le proposons, éviter la double impo-s ition, qui est probablement l'une des choses qui choquent le plus les Français, c'est-à-dire la TVA appliquée à la TIPP.

M. Henri Emmanuelli, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Vous auriez dû la supprimer quand vous étiez ministre !

M. François d'Aubert.

Monsieur Emmanuelli, c'est un peu facile ! Je pourrais quant à moi vous rappeler ce que vous avez fait quand vous étiez secrétaire d'Etat. Je pourrais faire de même pour ce qui concerne M. Fabius.

En 1982, n'avez-vous pas doublé l'imposition sur les plus-values, créé l'ISF et instauré une tranche d'impôt sur le revenu à 65 % ?

M. Henri Emmanuelli, président de la commission.

Vous devriez remonter à l'époque de la création de l'impôt sur le revenu, du temps de M. Caillaux !

M. François d'Aubert.

Revenons au bricolage.

Que penser de la TGAP affectée à la réduction du temps de travail ? Il fallait l'inventer ! Globalement, cette baisse d'impôts n'est pas historique, que ce soit par rapport au plan Juppé, qui prévoyait 75 milliards de francs de baisse d'impôt sur le revenu, ou par rapport à la réforme fiscale lancée en Allemagne, qui prévoit 291 milliards de francs d'allégements fiscaux jusqu'en 2004.

Mais il y a des oublis : la TVA, par exemple.

A cet égard, vous pensez avoir fait tout le chemin, c'est-à-dire avoir fait baisser cette taxe. Mais il reste des

« poches » de TVA, en particulier pour la restauration.

Pour notre part, nous demandons d'ailleurs que la TVA sur la restauration soit ramenée au taux réduit.

Monsieur le ministre, je ne suis pas d'accord avec le raisonnement que vous avez tenu l'autre jour et selon lequel l'abaissement du taux à 5,5 % ne ferait pas baisser le prix des repas. Mais le problème n'est pas là ! Le problème, c'est la survie d'entreprises de restauration ! A cause des 35 heures,...

M. Bernard Outin.

... donc sans le travail au noir !

M. François d'Aubert.

... elles n'arriveront pas à faire face.

M. Philippe Auberger.

Mme Aubry l'a dit !

M. François d'Aubert.

La TVA à 5,5 % serait tout simplement un moyen d'éviter la faillite d'une bonne partie de la restauration française.

M. Olivier de Chazeaux.

C'est vrai !

M. François d'Aubert.

J'en arrive à mon troisième et dernier point.

La sortie de route des dépenses et le sacrifice de la réduction du déficit empêchent de parler d'assainissement des comptes publics.

Vous avez pour objectif une « évolution maîtrisée de nos dépenses », mais là encore il est difficile de vous suivre.

Cette année, le programme pluriannuel de finances publiques, envoyé à Bruxelles, affichait une progression des dépenses de 0,3 % en volume - cela renvoie au fameux 1 % en trois ans. Mais ce chiffre, et M. de Courson l'a démontré hier, n'est qu'un leurre statistique, et les dépenses, inexorablement, dérapent.

En effet, comme le prouve le rapport sénatorial Lambert-Marini sur la transparence des comptes de l'Etat, le Gouvernement se livre à divers retraitements budgétaires ainsi qu'à des débudgétisations de recettes importantes pour masquer la dérive importante des dépenses de l'Etat.

En 1999, le dérapage a été de 3,5 % en volume.

En 2000, l'objectif était le gel des dépenses en volume.

Elles ont en réalité augmenté de 1,8 % en volume.

Pour 2001, le Gouvernement affiche une croissance de 0,3 % en volume. Comment le croire alors que les prélèvements sur recettes dont les deux tiers vont aux collectivités locales sont en réalité des dépenses et qu'ils augmentent de 6,6 % ? Jouant une sorte d'antidécentralisation et d'anti-autonomie des communes en leur supprimant des ressources propres, le Gouvernement s'engage dans un engrenage qui est techniquement terrible sur le plan budgétaire, celui de la subvention systématique des collectivités locales, qui pèsera de plus en plus lourd sur les finances de l'Etat tout en réduisant les libertés locales.

Le FOREC est financé sur recettes fiscales. Le financement des 35 heures est débudgétisé, c'est manifeste, et il explose. On constate, monsieur le ministre, combien le m althusianisme, en matière d'emploi, coûte cher.

Mme Aubry nous avait juré, en 1998, que les 35 heures seraient appliquées à prélèvements constants. Or en 2001, il faudra supporter 25 milliards de francs supplémentaires pour financer les exonérations de cotisations patronales qui accompagnent les 35 heures. Pour boucler le finance-


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ment du dispositif, il faudra également transférer sur le FOREC la taxe sur les conventions d'assurance et la taxe sur les véhicules de société.

Je pourrais citer bien d'autres exemples de débudgétisations. Si l'on veut reconstituer le montant réel de l'évolution de la dépense publique, on s'aperçoit qu'en 2001, les dépenses de l'Etat n'augmenteront pas de 25 milliards de francs, comme l'annonce le Gouvernement, mais de 76,5 milliards de francs. Telle est, en réalité, la cause de votre timidité en matière de baisse d'impôts. La crédibilité de la nécessaire baisse des impôts passe par une vraie maîtrise de la dépense publique. Or il n'y a aucune maîtrise, les chiffres en exécution le montrent bien. Ils ont été vérifiés par la Cour des comptes, ils sont vérifiés par les autorités européennes, ils sont vérifiés par le Sénat, qui publie des rapports sur le sujet.

Les dépenses augmentent, et, en même temps, les déficits ne sont pas maîtrisés, ils ne vont pas réellement baisser : on peut parler plus que jamais, plus encore que l'année dernière, de déficits flottants. Nous sommes dans une sorte d'impasse budgétaire.

Monsieur le ministre, nous avons des doutes sur votre stratégie budgétaire, qui est une stratégie molle. Ce n'est pas tout à fait celle du silence, parce que vous vous êtes exprimé hier, mais on n'en voit pas très bien les lignes directrices. Naturellement, vous subissez la pression de votre majorité plurielle, qui pousse à la dépense, la pression de Bruxelles, qui pousse à la baisse des déficits, la pression des contribuables, qui, eux, demandent très légitimement à être allégés.

Tout cela est difficile à concilier, mais en réformant l'impôt, en vous orientant vers une vraie baisse de la dépense, il serait simple de stabiliser, en 2001, le niveau de la dépense en valeur. Déjà, vous seriez sur le bon chemin de la maîtrise de la dépense et vous pourriez sans doute suivre plus facilement, sur le moyen terme, un calendrier budgétaire conforme à la discipline européenne, celle qui nous assure la stabilité monétaire. En même temps, vous pourriez satisfaire les besoins des services publics, tout en les réformant, car le grand oublié, c'est la réforme de l'Etat, et faire diminuer réellement la pression fiscale et sociale qui pèse sur chaque contribuable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) 3

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président.

Mes chers collègues, au cours de la réunion de la conférence des présidents qui vient d'avoir lieu, il a été décidé que l'Assemblée siégerait demain, jeudi 19 octobre, à neuf heures trente, pour poursuivre l'examen des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2001.

Par ailleurs, la date de l'examen en séance publique des crédits du ministère de la justice a été fixée au lundi 13 novembre, matin.

4 LOI DE FINANCES POUR 2001 Reprise de la discussion d'un projet de loi

M. le président.

Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2001.

Discussion générale (suite)

M. le président.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Augustin Bonrepaux.

M. Augustin Bonrepaux.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, mes chers collègues, avant d'examiner ce quatrième projet de budget du gouvernement de Lionel Jospin, il me semble utile de rappeler brièvement le bilan de la politique qu'il a mise en oeuvre depuis 1997.

Les comptes publics se sont rétablis parce que le retour de la croissance a été favorisé par la progression du pouvoir d'achat et l'encouragement à la consommation. Le solde général du budget, qui atteignait 284 milliards en 1997, sera ramené à 186 milliards en 2001 - près de 100 milliards de baisse - et, pour la troisième année consécutive, le solde primaire du budget de l'Etat sera largement positif.

Dans ce contexte de confiance rétablie, le pouvoir d'achat des ménages a connu une progression voisine de 3 % au cours des trois dernières années. Quant aux entreprises, placées dans une situation financière très favorable, elles ont engagé des investissements à un rythme très élevé. Cette évolution de notre économie, accompagnée par des mesures très volontaristes en faveur de l'emploi, comme les emplois-jeunes ou la réduction du temps de travail, a conduit à une réduction du chômage sans précédent, de 12,3 % à 9,6 %, avec une perspective de 8,8 % pour 2001. Une telle évolution doit inciter le Gouvernement à poursuivre dans la voie de cette politique qui a si bien réussi à notre pays depuis trois ans.

C'est dans une conjoncture plutôt favorable, d'ailleurs, que se présente le budget pour 2001, puisque, pour la quatrième année consécutive, la France devrait bénéficier d'une croissance toujours élevée : ce projet de budget table sur un taux de croissance du produit intérieur brut, en volume, de 3,3 %, hypothèse réaliste, au milieu d'une fourchette de 3 à 3,6 %. Les prévisions concernant le taux d'inflation - 1,2 % et les effets attendus des mesures d'allégement de la fiscalité permettent d'envisager une croissance du pouvoir d'achat du revenu disponible des ménages supérieure encore à 3 %.

Cette hausse du pouvoir d'achat, liée à la hausse des salaires mais aussi à la progression des effectifs, va accroître la demande adressée aux entreprises, ce qui entraînera encore une croissance dynamique des investissements : près de 7 %. Cette progression de la demande interne doit permettre de pallier le léger fléchissement de la demande externe lié à la décélération de l'économie américaine.

Le budget qui nous est présenté pour 2001 est conforme aux orientations pluriannuelles que nous avons adoptées et qui, depuis trois ans, assurent la réussite


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économique : maîtrise des dépenses publiques, réduction progressive du déficit, réduction des prélèvements obligatoires.

La maîtrise des dépenses se poursuit, avec une augmentation en volume limitée à 0,3 %, qui intègre d'ailleurs un alourdissement de la dette lié à l'augmentation des taux d'intérêt. Notons tout de même que l'éducation nationale, la sécurité et la justice sont les priorités de ce projet de budget.

Le déficit budgétaire sera donc en nette diminution, passant de 215 milliards dans la loi de finances initiale pour 2000 à 186 milliards, soit une baisse de 30 milliards.

Quant au besoin de financement des administrations publiques, il sera ramené à 1 % du produit intérieur brut. Il faut se souvenir que, en 1997, il était supérieur à 3 % et que la soulte de France Télécom avait été intégrée dans ce calcul.

Au contraire, le déficit de l'Etat, égal à 1,95 % du produit intérieur brut, ne tient pas compte des recettese xceptionnelles qui pourraient provenir des licences UMTS.

La première caractéristique de ce budget est bien sûr le plan de diminution massive des prélèvements obligatoires, qui s'étalera sur trois ans. Il représentera un coût de 200 milliards, au total, en incluant les mesures déjà votées en loi de finances pour 2000 et lors du collectif.

En 2001, les allégements se monteront à 59 milliards, dont 48 milliards de mesures nouvelles et 11 milliards au titre de la suppression des salaires dans l'assiette de la taxe professionnelle et du droit de bail. Globalement, ce plan se traduira par une baisse d'un point du taux des prélèvements obligatoires : 44,7 %, contre 45,7 % fin 1999, et je rappelle qu'il était déjà de 44,9 % en 1997.

Pour les ménages, l'objectif essentiel de ces baisses d'impôts repose sur trois préoccupations : la justice fiscale, le retour à l'emploi, la réduction des trappes à pauvreté.

Pour l'impôt sur le revenu, cet allégement prendra la forme d'une réduction des six taux du barème, mais, à la différence de la réforme de 1996, un effort significatif est concentré sur les quatre premières tranches du barème : 3,5 % pour les deux premières, 2,5 % pour les deux suivantes et seulement 1,5 % pour les deux dernières. Ainsi cet allégement bénéficiera-t-il surtout aux 15 millions de contribuables modestes, qui verront leur impôt baisser de 1 500 francs en moyenne au terme de la réforme.

Mme Béatrice Marre.

Très bien !

M. Augustin Bonrepaux.

Pour les contribuables les plus modestes, d'ailleurs, un aménagement du mécanisme de la décote viendra renforcer ces allégements dès 2001.

Quant à l'ajustement à la hausse du quotient familial, il permettra de mieux prendre en compte les charges de famille.

M. Philippe Auberger.

C'est une nécessité ! Il était temps de s'en apercevoir !

M. Michel Bouvard.

Mais c'est un tout petit ajustement !

M. Augustin Bonrepaux.

Mais la réduction du seul impôt sur le revenu n'aurait aucun effet sur les ménages non imposables, qui constituent les catégories les plus nécessiteuses. Aussi, monsieur le ministre, j'exprime toute ma satisfaction de voir enfin mise en oeuvre une mesure de réduction de la CSG et de la CRDS pour les bas revenus d'activité. Cette réduction, nous l'avons réclamée à plusieurs reprises,...

M. Pierre Méhaignerie.

Nous aussi !

M. Augustin Bonrepaux.

... et vous comprendrez que nous soyons très satisfaits de l'obtenir aujourd'hui. En effet, elle constitue certainement à la fois la meilleure mesure de justice fiscale et le meilleur encouragement au retour à l'emploi.

Cette réduction de la CSG et de la CRDS sur les revenus situés entre le SMIC et 1,3 SMIC...

M. Pierre Méhaignerie.

Et pour les revenus inférieurs au SMIC, rien !

M. Augustin Bonrepaux.

... s'appliquera progressivement d'ici à 2003 : un tiers en 2001, deux tiers en 2002, la totalité en 2003. Pour les salariés payés au SMIC, la suppression de la CSG et de la CRDS représentera l'équivalent d'un treizième mois.

Après l'adoption de l'amendement proposé par le groupe socialiste pour que la réduction s'applique jusqu'à 1,4 SMIC, 1,3 million de personnes supplémentaires seront concernées. Au total, 8 millions de personnes bénéficieront de cette réduction de la CSG et de la CRDS.

M. Jean-Louis Dumont.

Très bonne mesure !

M. Augustin Bonrepaux.

Notre souci de justice fiscale doit nous conduire à ne pas favoriser de façon excessive les revenus les plus élevés, mais surtout à n'oublier personne, aucune catégorie, et surtout pas les catégories les plus défavorisées. Or le dispositif qui nous a été proposé présentait l'inconvénient de faire la part un peu trop belle aux plus hauts revenus et d'oublier les catégories non imposables dont le revenu est supérieur à 1,3 SMIC. Le groupe socialiste a donc souhaité corriger ce projet en proposant plusieurs amendements.

Le premier réduit les allégements d'impôts pour les plus hauts revenus en supprimant les déductions fiscales pour les dividendes, ce qui représente une économie de 500 millions.

Un autre amendement tend à alléger la CSG jusqu'à 1,4 fois le SMIC, ce qui représente un coût supplémentaire de 1 milliard.

Enfin, le groupe socialiste a souhaité revenir sur une décision du gouvernement précédent, celui de M. Balladur, qui avait pris un décret rétablissant la redevance audiovisuelle pour les personnes non imposables âgées de plus de soixante-dix ans.

Mme Béatrice Marre.

Eh oui ! Il faut le rappeler.

M. Augustin Bonrepaux.

Cette mesure coûtera 600 millions.

Ces dépenses seront financées par le prélèvement sur les sociétés pétrolières, dont nous proposons l'augmentation de 3,5 milliards à 5,5 milliards, et par la réduction des avantages consentis aux revenus élevés, comme je l'ai expliqué précédemment.

Pour les entreprises, les réductions d'impôts ont le souci de l'efficacité économique. Elles prennent d'ailleurs le relais de la réduction de taxe professionnelle intervenue en 1997 et de la réduction du prélèvement sur les transmissions d'entreprise. Cette année, elles ont pour objectif de réduire la contribution exceptionnelle instituée par le gouvernement Juppé.

Je rappelle au passage que, si le produit de l'impôt sur les sociétés a nettement progressé en 2000, c'est que les bénéfices des entreprises ont augmenté - on peut s'en réjouir - et ce n'est pas à cause de l'augmentation du


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

taux, puisque nous l'avons ramené à celui qui était en vigueur en 1997. Et maintenant, nous nous attaquons à cette contribution exceptionnelle de 10 % instituée par le gouvernement Juppé : son taux sera ramené à 6 % en 2001 et à 3 % en 2002. Au final, en 2003, le taux de l'impôt devrait tomber à 33 %, contre 36,6 % aujourd'hui. Il sera donc comparable à celui de nos principaux partenaires.

Pour financer partiellement cette importante baisse, le taux de l'avoir fiscal pour les sociétés non-mères sera abaissé à 25 % pour les crédits d'impôt utilisés en 2001 et à 15 % pour ceux utilisés en 2002.

Pour les plus petites entreprises, la baisse de l'impôt sur les sociétés est encore plus spectaculaire : pour celles qui sont détenues par des personnes physiques et dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions, le taux sera abaissé à 25 % en 2001 et à 15 % en 2002 sur les 250 000 premiers francs de bénéfice. Cette mesure, qui touchera 270 000 entreprises, aura un coût de 2,3 milliards en 2001, mais de 6,4 milliards en 2002. Voyez l'effort qui va être réalisé vis-à-vis des petites et moyennes entreprises ! La suppression de la vignette s'inscrit pour sa part dans la lignée des suppressions de taxes déjà réalisées depuis trois ans, notamment sur la carte d'identité et sur le permis de conduire. Elle sera certainement appréciée de tous les automobilistes, qui, d'une part, réaliseront une économie et, d'autre part, n'auront pas à aller faire la queue dans les bureaux de tabac.

Mme Béatrice Marre.

Très juste !

M. Philippe Auberger.

Et la taxe sur les roues de secours ? (Sourires.)

M. Augustin Bonrepaux.

Mais, monsieur le ministre, s'il s'agit d'une simplification, il faudra bien un jour que cette suppression s'applique à l'ensemble des véhicules.

M. Jean-Louis Dumont.

Tout à fait !

M. Augustin Bonrepaux.

En effet, si l'on pouvait se passer de tous les contrôles, on ferait une économie, et les contrôles les plus difficiles sont précisément ceux qui portent sur les véhicules de société. Mais nous le savons bien, tout ne peut pas être fait en même temps, et cette mesure aurait un coût supérieur à 2 milliards, qu'il n'est pas possible de prendre en charge cette année.

Pourtant, il est indispensable que tous ceux qui ne sont pas concernés par les réductions fiscales déjà prévues aient droit, eux aussi, à une diminution de charges.

M. Henri Emmanuelli, président de la commission.

M. Bonrepaux est remarquable !

M. Augustin Bonrepaux.

Je pense notamment aux artisans travaillant sous le régime unipersonnel, qui ne bénéficieront pas de la baisse de l'impôt sur les sociétés. Le groupe socialiste propose donc que la vignette soit supprimée pour tous les véhicules de moins de deux tonnes.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.).

M. Michel Bouvard.

C'est bien de se rallier à nos propositions.

M. Augustin Bonrepaux.

Cette disposition représente certes une charge de 300 millions, mais elle sera significative vis-à-vis de la catégorie visée, et celle-ci comprendra que nous ne l'oublions pas.

M. Philippe Auberger.

Enfin une proposition utile !

M. Jean-Louis Idiart.

La droite parle, nous agissons !

M. Michel Bouvard.

La vignette a été créée par les socialistes.

M. Augustin Bonrepaux.

Je demande quand même, monsieur le ministre, que nous supprimions totalement cet impôt dans l'avenir. Il est difficile de soutenir que cela porterait atteinte à l'autonomie fiscale des collectivités locales. En effet, ce sont les départements les plus aisés, ceux qui disposent des bases d'imposition les plus favorables - par exemple la Marne avec le foncier bâti et la taxe professionnelle, ou encore la Manche...

M. Pierre Méhaignerie.

C'est totalement faux !

M. Augustin Bonrepaux.

C'est totalement exact ! Ces départements ont fait du dumping fiscal et ont, de ce fait, détourné les bases d'imposition des sociétés.

M. Philippe Auberger.

Nous ne sommes pas au conseil général de la Marne ou de la Manche !

M. Henri Emmanuelli, président de la commission.

Justement ! Il est question de péréquation.

M. Augustin Bonrepaux.

Finalement, ce sont ces départements qui ont conduit au gel des taux de la vignette. En effet, les autres départements ne pouvaient pas les augmenter, parce qu'ils étaient soumis à des comparaisons pour dix francs ou quinze francs de plus.

Ce sont donc ces départements qui sont responsables des divagations, des dérives de la vignette.

M. Henri Emmanuelli, président de la commission.

Voilà un homme qui sait de quoi il parle !

M. Augustin Bonrepaux.

En agissant ainsi, ils ont porté préjudice aux autres départements. Au demeurant, comme la base de l'impôt croît davantage dans les départements les plus peuplés et les plus riches, cette progression contribuait à l'aggravation des inégalités. Et je pense que la compensation aux collectivités locales calculée en fonction de l'évolution de la DGF, qui sera d'ailleurs très favorable cette année, permettra de faire progresser tous les départements au même rythme, et ainsi d'harmoniser cette recette.

Des améliorations notables sont également apportées à la TIPP. A ce propos, je rappelle que, pour la TIPP aussi, c'est en 1995, et même dès 1993, que nous avons connu les plus fortes hausses, c'est-à-dire sous les gouvernements de M. Balladur et de M. Juppé. Je rappelle enfin que, depuis 1999, nous n'avons pas augmenté le taux des carburants sans plomb.

Cette année, la taxe sur le fioul domestique a été réduite de 30 % dès le 21 septembre. Cette mesure a bénéficié aux utilisateurs de fioul comme combustible pour le chauffage et aux agriculteurs autorisés à l'utiliser comme carburant.

Malheureusement, cette baisse a été peu ressentie par les utilisateurs, en raison de l'augmentation des produits pétroliers.

M. Michel Bouvard.

Due à la faiblesse de l'euro et à l'embargo contre l'Irak !

M. Augustin Bonrepaux.

Cela montre que la régulation du cours des produits pétroliers par la baisse de la fiscalité est aléatoire : les cours s'envolent et, aujourd'hui, il est démagogique de réclamer une baisse des taux.

Enfin, nous ne devons pas oublier que nous avons le devoir de réguler la consommation des produits pétroliers pour préserver l'environnement.

M. Jean-Louis Dumont.

Très bien !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

M. Augustin Bonrepaux.

Pour cette année, une pause est proposée concernant le rattrapage de l'écart de taxation du gazole avec le super carburant. Et pour la troisième année consécutive, il n'y aura pas d'augmentation d'impôt sur l'essence sans plomb. Un dispositif de régulation a ainsi été mis en place pour neutraliser la hausse de TVA par une réduction équivalente de la TIPP.

Au-delà de ces diminutions importantes d'impôts, il faut signaler d'autres mesures, par exemple en faveur des agriculteurs, concernant l'investissement outre-mer et la taxe sur les salaires.

La priorité accordée à quelques services publics, auxquels sont très attachés les Français, constitue la deuxième caractéristique de ce budget.

Le budget de l'éducation nationale connaîtra une hausse notable : 2,7 %, soit dix milliards supplémentaires qui permettront, notamment, de créer 6 600 emplois. Ces moyens ont déjà contribué à la réussite de la rentrée sco laire. Ils vont permettre de renforcer l'encadrement pédagogique des enfants, d'assurer l'égalité d'accès à l'enseignement supérieur par l'achèvement du plan social étudiant et de lutter contre les inégalités dans l'enseignement scolaire.

S'agissant du budget de l'intérieur, en progression de 4,4 %, la priorité donnée à la sécurité et à la police de proximité se traduit par la création de 800 emplois supplémentaires, avec pour principal objectif le redéploiement des agents actifs sur la voie publique, Quand aux crédits de la justice, en progression de 3,1 %, ils permettront par exemple de mettre en oeuvre la l oi sur la présomption d'innocence et de créer 1 550 emplois de magistrats, de renforcer la prise en charge des mineurs et la protection de la jeunesse.

D ans les services pénitentiaires, la création de 550 postes - dont 330 de surveillants - pour améliorer la prise en charge des détenus paraît déjà insuffisante aux personnels des prisons, ce qui confirme, monsieur le ministre, l'importance des besoins mis en évidence par le rapport de la commission spéciale que vous connaissez bien.

L a progression des retraites agricoles, prévue à l'article 24, est conforme aux engagements pris par le Gouvernement pour porter cette retraite au niveau du minimum vieillesse pour les chefs d'exploitation. Néanmoins, monsieur le ministre, il paraît indispensable que le Gouvernement inscrive en priorité en 2001 le projet de retraite complémentaire, afin qu'elle soit effective au 1er janvier 2002.

Enfin, la progression de 3,4 % de la DGF et de la DGD devrait donner satisfaction aux collectivités locales.

Mais l'insuffisance des crédits nécessaires au financement de la coopération des agglomérations devient inquiétante, car elle a plusieurs conséquences graves pour les autres collectivités. Elle réduit les moyens attribués à la coopéra tion en milieu rural, elle diminue la péréquation vis-à-vis des communes DSU et DSR, elle accroît le prélèvement sur la DCTP.

M. Pierre Méhaignerie.

Eh oui !

M. Augustin Bonrepaux.

Le groupe socialiste souhaite corriger ces dérives par deux amendements. Mais cela ne sera pas suffisant dans l'avenir, monsieur le ministre. Il faut que le Gouvernement prenne conscience qu'un fossé risque de se creuser entre les agglomérations et le milieu rural...

M. Michel Bouvard.

En effet !

M. Augustin Bonrepaux.

... si des moyens supplémentaires ne sont pas apportés à la coopération. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Bouvard et M. Gérard Saumade.

Très juste !

M. Augustin Bonrepaux.

Bien sûr, nous sommes très satisfaits de ce budget. Certains prétendent, dans l'opposition, que les dépenses sont trop élevées. Je n'ai pourtant pas le souvenir qu'ils nous aient donné l'exemple de la maîtrise des dépenses qu'ils préconisent aujourd'hui. Je me souviens d'ailleurs que toutes leurs tentatives pour réduire ces dépenses étaient vouées à l'échec par leurs gouvernements.

M. Jean-Louis Idiart.

Tout à fait !

M. Augustin Bonrepaux.

J'ai entendu M. le ministre dire qu'il était très attentif à leurs propositions, s'ils voulaient bien préciser quels sont les services publics dont ils entendent réduire les emplois et les moyens.

M. Michel Bouvard.

La redevance télé, par exemple...

M. Augustin Bonrepaux.

Je peux vous assurer, monsieur le ministre, que le groupe socialiste apportera tout son soutien à ce budget, parce qu'il répond à l'attente des Français, parce qu'il donne à nos services publics les moyens de fonctionner, parce qu'il prépare l'avenir et renforce la cohésion sociale par les mesures de justice et de solidarité qu'il propose. Par nos amendements, nous allons nous préoccuper de renforcer ces mesures, afin de le rendre encore plus juste et plus solidaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger.

Après la calamiteuse loi de finances pour l'an 2000 où deux ministres de l'économie successifs se sont embrouillés dans leurs explications et ont tenté de masquer la très forte augmentation des recettes fiscales en 1999 comme la sous-estimation manifeste de celles de 2000, vous aviez, monsieur le ministre, à relever un lourd défi : nous présenter enfin une loi de finances plus sincère et mieux équilibrée. En bref, réaliser ce que vous prôniez précédemment en tant que président de l'Assemblée nationale : volonté de transparence, pour permettre au Parlement de contrôler réellement nos finances publiques ; engagement de maîtrise des dépenses et des déficits ; promesse de baisses d'impôt significatives pour permettre à chacun de bénéficier enfin des fruits de la croissance. Force est de reconnaître que vous n'est pas parvenu à relever ce défi.

M. Michel Bouvard.

Malheureusement...

M. Henri Emmanuelli, président de la commission.

Mais si !

M. Philippe Auberger.

D'abord, votre loi de finances pour 2001 est d'une opacité jamais égalée.

M. Henri Emmanuelli, président de la commission.

Allons bon !

M. Philippe Auberger.

Vous avez non seulement poursuivi, mais même amplifié les transferts de recettes et de dépenses de la loi de finances à la loi de financement de la sécurité sociale. Cela vous permet de masquer la très forte progression des dépenses de l'Etat et rend, de ce fait, illusoire tout contrôle de l'équilibre de ces deux lois.

M. Gilles Carrez.

Il a raison !

M. Philippe Auberger.

Qu'on en juge : il faut faire appel à six ressources fiscales différentes pour financer les fonds d'allégement des charges sociales des entreprises.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

Certains fonds, comme le fonds de réserve des retraites, sont dotés alors qu'ils ne sont même pas constitués. On procède à des transferts pour l'allégement de la CSG alors que ces transferts n'ont même pas été décidés. Enfin, vous voulez affecter certaines ressources comme la taxation des rejets de CO 2 , alors que celle-ci sera, au mieux, décidée à l'occasion du collectif de fin d'année. A cet égard, la charte de budgétisation annexée à la loi de finances est un monument d'obscurité et d'hypocrisie.

Bref, monsieur le ministre, lorsque vous étiez président de notre assemblée, vous nous aviez fait réfléchir plusieurs mois pour améliorer le contrôle parlementaire sur la loi de finances. Et vous proposez, par cette loi de finances, de tourner complètement le dos à vos bonnes résolutions ! Les hypothèses économiques sur lesquelles vous avez bâti votre loi de finances ne résistent pas à l'examen.

Vous prévoyez une croissance moyenne de 3,3 % en 2001, alors que nous nous engageons actuellement, d'après l'INSEE, sur une pente de croissance inférieure.

Qu'est-ce qui vous permet de prévoir pour 2001 une croissance plus forte alors que tous les indicateurs économiques, notamment depuis la rentrée, vont en sens inverse ? Vous nous annoncez une hausse des prix de 1,2 % inférieure à la hausse actuelle, alors que tout converge vers une progression de l'inflation - hausse du pétrole et des matières premières, revendications salariales, renchérissement du coût de l'argent... Le coût moyen du baril de pétrole est actuellement de 35 dollars, et vous le voyez descendre à 25 dollars l'année prochaine. Comme si la crise pétrolière allait rapidement et durablement disparaître.

Vous envisagez une réévaluation de l'euro par rapport au dollar. Selon vous, il vaudra en moyenne 0,95 dollar en 2001, alors qu'il en vaut actuellement à peine 0,85.

Bref, aucune de vos prévisions n'apparaît véritablement fiable ni en phase avec la réalité du moment. Dans ces conditions, vos prévisions budgétaires apparaissent sujettes à caution. Vous vous êtes fait, dans le passé, le chantre de la maîtrise des déficits et des dépenses publics. Pour 2001, vous annoncez un déficit de 186 milliards de francs, à comparer aux 215 milliards de francs que vous aviez inscrits pour l'an 2000 dans le collectif de printemps. Mais vous oubliez de dire qu'au mois de juin lors du débat d'orientation budgétaire, vous nous annonciez un montant de plus-values fiscales supplémentaires de 30 milliards de francs - montant passé, après réexamen des prévisions au mois de septembre, à 40 milliards de francs. Le chiffre de 186 milliards de francs ne correspond donc pas à un progrès par rapport à l'exécution de l'année 2000, telle qu'on peut la prévoir, mais au contraire à une régression.

Bien plus, vous nous annoncez que vous ne mettrez pas à l'encaissement 15 milliards de francs de recettes diverses : prélèvements sur la Caisse des dépôts, reversement de la COFACE en raison, dites-vous dans le rapport économique et financier, sic , « de la bonne situation de l'exécution budgétaire ».

M. Michel Bouvard.

Fantastique !

M. Philippe Auberger.

Ce montant vient gonfler le montant des recettes pour 2001 et diminuer d'autant le déficit budgétaire de cette année-là, mais, ce faisant, vous avez oublié que nous sommes en déficit, que celui-ci doit être couvert par l'emprunt et que ce sont ainsi 15 milliards de francs d'endettement supplémentaire qui entraîneront des charges d'intérêt, et donc une dépense inutile de 750 millions de francs. Qui peut croire qu'il s'agit là d'une bonne gestion ? En vérité, notre déficit budgétaire pour 2001 est plus élevé que celui pour 2000 et la situation s'aggrave, alors que nous sommes déjà l'un des pays de la zone euro où le niveau des déficits publics est parmi les plus élevés.

M. Gilles Carrez.

Mauvais élève !

M. Philippe Auberger.

Vous prétendez avoir une bonne maîtrise des dépenses publiques. Qui peut le croire ? D'abord, vous affichez un taux de progression en volume des dépenses de l'Etat, si bien que l'évolution des dépenses publiques prévue dans la programmation triennale transmise à la Commission de Bruxelles au début de cette année n'est plus respectée. En effet, la progression, qui est inscrite dans le rapport économique et financier pour l'ensemble des dépenses publiques, est de 1,8 % alors que vos prédécesseurs avaient annoncé 1,1 % à Bruxelles.

Ensuite, on sait bien que les dépenses publiques qui connaissent le plus fort taux de croissance : dépenses relatives aux 35 heures - 20 milliards de francs supplémentaires en 2001 -, dépenses de la CMU, fonds

« amiante », ont été sorties artificiellement du budget pour masquer la réalité de cette croissance.

Enfin, les transferts aux collectivités locales, qui constituent un facteur important d'augmentation de la dépense, du fait de la suppression de certains éléments de cette fiscalité, augmentent énormément, de 19 milliards de francs.

Ainsi, nos dépenses publiques augmenteront nettement plus que vous ne voulez bien le dire.

En outre, vous nous annoncez cette année la création de 11 337 de postes dans la fonction publique d'Etat, auxquelles il faut ajouter une dizaine de milliers de régularisations de surnombre et de titularisations d'auxiliaires.

Cela correspond, au total, à plus de 20 000 postes supplémentaires rendus permanents. Un grand journal du soir l'annonçait d'ailleurs en toutes lettres, hier.

Aucun redéploiement de fonctionnaires entre les ministères et les administrations n'est prévu pour 2001, ce qui signifie que, malgré les milliards de crédits dépensés c haque année en informatique, en bureautique, en moyens modernes de communication, aucun progrès de productivité n'est réalisé dans l'administration.

M. Pierre Méhaignerie.

Exactement !

M. Philippe Auberger.

Quelle entreprise, publique ou privée, soumise à la concurrence pourrait accepter une pareille situation ? Où est la réforme de l'Etat, maintes fois annoncée, notamment par M. le Premier ministre ?

M. Pierre Méhaignerie.

Nulle part !

M. Philippe Auberger.

Elle est absente ! Enfin, aucun crédit n'est prévu pour revaloriser les traitements des fonctionnaires et les pensions, alors que, avec un taux d'inflation supérieur à 1,6 %, il paraît bien hasardeux de croire qu'il sera possible de passer la fin de l'année 2000 et toute l'année 2001 sans procéder à aucune revalorisation.

M. Christian Cuvilliez.

On ne peut pas vouloir chasser les fonctionnaires et, dans le même temps, les augmenter !

M. Philippe Auberger.

La nécessaire provision pour anticiper le fait que les pensions dues par l'Etat seront de plus en plus lourdes n'est pas non plus prise en compte.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

Bref, les dépenses publiques sont de moins en moins bien tenues, comme le souligne d'ailleurs pudiquement le rapport économique et financier : « Le déficit structurel de nos finances publiques va passer de 1 % du PIB en 2000 à 1,3 % en 2001. » C'est écrit en toutes lettres

!

M. Michel Bouvard.

Cela a échappé au ministre !

M. Philippe Auberger.

Peut-être cela lui a-t-il échappé, mais c'est la vérité.

Enfin, le programme d'allégements fiscaux, annoncé comme le plus ample des cinquante dernières années, est particulièrement décevant. Il faut dire que, depuis trois ans, nos concitoyens ont été échaudés s'agissant des baisses d'impôt.

M. le Premier ministre nous avait annoncé, dans son discours de politique générale, au mois de juin 1997, que les prélèvements obligatoires seraient, dans un premier temps, stabilisés et, dans un deuxième temps, baisseraient.

Or, s'ils ont bien été stabilisés en 1998, ils ont très fortement augmenté en 1999 - de 0,8 % - jusqu'à atteindre le niveau, jamais observé auparavant, de 45,7 %. C'est l'un des taux les plus hauts de l'Europe des Quinze.

Au printemps dernier, M. le Premier ministre, toujours, en annonçant une nouvelle vague de baisses d'impôt pour 2000, nous certifiait que celles-ci permettraient d'effacer la fâcheuse augmentation constatée en 1999.

Hélas ! on nous annonce maintenant que l'on parviendra, au mieux, à effacer cette augmentation à la fin de l'année 2001.

Comment, dans ces conditions, s'étonner que les enquêtes de l'INSEE auprès des ménages traduisent une chute de leur confiance dans la politique économique et budgétaire suivie par le Gouvernement ? Ce dernier ne tient pas ses promesses ! Comment peut-on d'ailleurs prétendre parvenir à diminuer en 2001 la pression fiscale autant qu'en 2000, avec une diminution des impôts de près de moitié ? C'est impossible.

Les mesures fiscales proposées correspondent, pour une large part, à un trompe-l'oeil. Lorsqu'on additionne toutes les mesures d'aggravation de la fiscalité des entreprises, y compris le produit attendu de la contribution sociale sur les bénéfices et l'augmentation de la TGAP, on obtient un montant supérieur aux allégements partiels consentis.

En ce qui concerne l'impôt sur le revenu, il faut certes saluer la conversion, bien tardive, de la majorité en faveur de cette nécessaire réforme qui avait été engagée par M. Juppé en 1997 et que le Gouvernement avait brutalement arrêtée. De même, après avoir diminué de façon drastique le plafond du quotient familial, il vient de décider de le relever légèrement. Ce qui prouve bien que c ette mesure pénalisait injustement de nombreuses familles à revenus moyens.

M. Michel Bouvard et M. Gilles Carrez.

Tout à fait !

M. Philippe Auberger.

Mais les aménagements proposés, s'ils ne sont pas négligeables, sont faits à dose homéopathique, puisqu'il faudra au moins trois ans pour rendre ce qui est pris chaque année en plus, depuis 1997, au titre de cet impôt.

La mesure qui consiste à réduire la CSG pour les bas salaires vise à limiter les trappes à inactivité. Mais elle remplace ces trappes à inactivité par des trappes à bas salaires.

M. Pierre Méhaignerie.

Eh oui !

M. Philippe Auberger.

En effet, comme le souligne justement l'OFCE, pour augmenter de 100 francs le salaire net d'un travailleur au SMIC, l'entreprise devra désormais payer 334 francs. Alors que chacun s'accorde sur la nécessité de revaloriser prioritairement les bas salaires et que les études de l'INSEE montrent que le pouvoir d'achat du salaire mensuel par tête progressera au mieux de 0,6 % cette année, ce qui est bien peu au regard d'une croissance estimée à 3,2 %, est-il vraiment juste et raisonnable d'accroître encore le coût des augmentations à ce niveau de rémunération ?

M. Pierre Méhaignerie.

Non !

M. Philippe Auberger.

D'ailleurs, qui a, contre toute attente et malgré des mises en garde répétées, basculé d'un seul coup les cotisations salariales d'assurance maladie sur la CSG en 1998 ? C'est le gouvernement Jospin.

M. Bernard Outin.

C'est une bonne mesure !

M. Philippe Auberger.

Quant à la fiscalité indirecte, il est absolument nécessaire de la faire évoluer. C'est le seul moyen, pour ceux qui ne paient pas l'impôt sur le revenu et qui vont être exonérés progressivement de la CSG, de bénéficier aussi d'allégements fiscaux et donc de l'augmentation du pouvoir d'achat net qui s'y rattache.

La priorité actuelle, dans ce domaine, et les Français nous le disent, est la diminution de la taxation des carburants. Le Gouvernement s'est laissé surprendre par la forte augmentation du prix du pétrole. Il a encaissé sans pudeur les plus-values qui en résultaient, y compris, puisqu'elles interviennent environ pour 25 %, celles découlant de la baisse de l'euro par rapport au dollar. Il n'a surtout pas vu la profonde injustice que cela représentait pour ceux qui sont obligés, pour aller travailler, d'utiliser leur véhicule...

M. Michel Bouvard.

Tout le monde n'a pas le métro et le bus à sa porte !

M. Philippe Auberger.

... et qui ne voient pratiquement pas leur pouvoir d'achat augmenter car ils doivent supporter des dépenses de carburants de plus en plus lourdes. Nul doute que, pour eux, la baisse de 20 centimes du litre de carburant ou la suppression de la vignette sont des aumônes ! Ces personnes, en outre, utilisent généralement des véhicules fonctionnant au diesel, pour des raisons d'économie, et elles savent que les taxes sur ce carburant n'ont cessé d'augmenter significativement depuis 1997.

En définitive, ce qui frappe surtout à propos de la politique fiscale du Gouvernement, c'est le fait qu'elle est mal répartie entre les différentes tranches de revenus.

Dans une récente étude, l'OFCE vient ainsi de démontrer que les principaux bénéficiaires sont le premier et le quatrième quarties de revenus alors que le deuxième et le troisième en bénéficieront pratiquement très peu.

M. Pierre Méhaignerie.

Absolument !

M. Philippe Auberger.

Les revenus moyens sont donc les oubliés de cette réforme fiscale.

M. Michel Bouvard.

C'est vrai !

M. Philippe Auberger.

Comment, dans ces conditions, s'étonner que nos concitoyens ne croient pas aux baisses d'impôts qui leur sont annoncées ? Seule une minorité en profitera vraiment.

Mes chers collègues, nous venons de vivre trois années 1998, 1999 et 2000 - où, sous l'effet de la bonne conjoncture internationale, nous sommes parvenus à une croissance significative pour notre pays. Aujourd'hui, nous en percevons déjà un infléchissement. Or cette croissance n'a pas été mise à profit pour remettre réelle-


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ment de l'ordre dans nos finances publiques. Les déficits demeurent trop élevés et les dépenses d'intérêts liées à la dette repartent à la hausse, ce qui est mauvais signe.

Même si la dette par rapport au PIB baisse, les dépenses d'intérêts augmentent. Il faut faire un effort.

De même, nos dépenses publiques ne sont pas réellement maîtrisées. Elles augmentent en réalité beaucoup trop rapidement. Et on ne voit nullement trace dans ce projet du budget de la réforme de l'Etat maintes fois annoncée.

Enfin, les allégements fiscaux sont insuffisants pour ramener nos prélèvements fiscaux à un niveau plus raisonnable et ne pas décourager l'initiative.

Bref, alors que nous présidons actuellement l'Union européenne, rien de significatif n'est fait pour nous mettre davantage en phase avec les politiques de nos partenaires, en particulier l'Allemagne qui a arrêté un programme d'allégements fiscaux beaucoup plus ambitieux quoi que vous en pensiez, monsieur le ministre - et l'Italie qui en prépare un.

Aujourd'hui, alors que nos responsabilités européennes sont immenses et à quelques mois du passage total à l'euro, on ne peut pas dire que la politique économique et budgétaire présentée va réellement contribuer à renforcer l'euro et à l'amener à s'apprécier. C'est plutôt le contraire. Si l'on en croit le jugement peu amène des responsables de la Banque centrale européenne et, depuis hier, des membres de la Commission européenne.

Le Rassemblement pour la République appelle à une politique budgétaire et fiscale plus claire, plus cohérente, plus juste et plus efficace. C'est pourquoi il votera contre le présent projet de budget.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Christian Cuvilliez.

M. Christian Cuvilliez.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les députés, nous voici donc appelés à examiner le projet de loi de finances pour l'année 2001, autrement dit, le dernier vrai budget de notre mandature, celui dont nous aurons à assumer pleinement l'exécution et le contrôle, celui qui sera perçu comme l'acte final de notre bilan dans l'opinion publique avant les échéances électorales de 2002, lesquelles auront lieu, je l'espère, selon le calendrier prévu - législatives d'abord et quinquennat sec ensuite.

La question que le groupe communiste se pose donc en ce moment - même s'il subsiste toujours une incertitude sur ce choix - est moins de savoir s'il va voter ou non ce budget que de savoir si ce budget est bon, s'il répond bien aux exigences de l'intérêt national, aux attentes prioritaires de notre population, aux engagements que nous avons souscrits, bref, s'il s'agit ou non d'un budget de croissance solidaire.

A cet égard, nous ne sommes plus, en matière de croissance, dans le climat euphorique qui régnait avant l'été, lors du débat d'orientation budgétaire. La hausse des prix constatée en septembre est de 0,6 %, soit un taux de 2,2 % pour les douze derniers mois, et les tensions inflationnistes perceptibles au début de l'année sont devenues plus fortes sous l'effet de plusieurs facteurs : Un certain tassement de la consommation ; Des goulets d'étranglement apparus dans plusieurs secteurs d'activité, notamment celui des bâtiments et travaux publics, avec des difficultés de recrutement et une offre inférieure à la demande ; La persistance d'un chômage endémique que les bons résultats enregistrés en matière d'emploi ne peuvent masquer, et d'autant plus cruel pour ceux qui en pâtissent qu'il n'est partout ailleurs question que de la corne d'abondance ; Enfin et surtout, la brutale augmentation des prix du brut qui a fait gagner en six mois aux grandes sociétés pétrolières ce qu'elles gagnaient en un an il y a peu de temps, et qui provoque une réaction en chaîne de hausses sévères des prix pour tous les produits dérivés du pétrole et l'ensemble des activités directement liées à cette source d'énergie, certes indispensable aux économies d'aujourd'hui, mais terriblement polluante par les accidents de parcours qu'elle connaît, dans ses trajectoires de transport maritime et plus encore dans les tribulations de ses cotations boursières.

Nous qui avions échappé aux turbulences des marchés asiatiques en 1998-1999, nous voici à présent entraînés au bord d'une spirale financière qui se grossit de la tragédie du Moyen-Orient, de l'anémie persistante de l'euro, des décisions autocratiques de la Banque centrale europ éenne, du brusque déséquilibre de notre balance commerciale, des oukases parfois insensés de la Commission européenne, des effets de yo-yo du NASDAQ et des mouvements erratiques de capitaux spéculatifs qu'on serait bien avisé de taxer, à due proportion du risque permanent de déstablisation qu'ils font peser sur les économies organisées.

La locomotive américaine s'essouffle, elle qui, paraît-il, tire les wagons de la croissance dans l'ensemble des pays du G7 et dans l'Union européenne, et qui s'alimente des prélèvements, voire des prédations que les Etats-Unis opèrent dans le monde entier, ce qui est peut-être le véritable acte fondateur de la mondialisation.

Du même coup, le climat social et politique s'assombrit. Regrettons à cet égard qu'il n'y ait pas encore d'experts en météorologie suffisamment avertis pour nous prévenir sinon nous protéger de ces variations saisonn ières. Pour y pourvoir, le Gouvernement, comme d'autres avant lui, quand c'était possible, se contente de constituer une épargne de précaution, en même temps qu'il prône une épargne à risques pour les autres mortels.

La voir affublée du sobriquet de « cagnotte », même si le caractère excessif et dénaturé du terme n'échappe à personne, n'a pas manqué d'avoir une triple répercussion : d'abord dans la population où chacun et chacune a évalué, puis réclamé une juste part des fruits de la croissance ; ensuite chez les parlementaires, où chacun et chacune s'est senti dépossédé de la mission de contrôle et d'infléchissement des choix budgétaires que lui confèrent la Constitution et le suffrage universel ; enfin dans les comptes de la nation, suspectés d'être insincères.

Ce qui nous importe le plus, c'est naturellement le niveau des espérances satisfaites et des espérances déçues dans la communauté nationale, puisque délégués par elle, vous pour gouverner, nous pour légiférer, c'est à elle que nous devrons rendre des comptes et c'est à nous de toute façon qu'elle en demandera.

Or, on a vu surgir, cet été, dans certaines catégories professionnelles des formes nouvelles d'exaspération qui, au-delà des situations de crise réelle vécues par les intéressés, masquent mal des formes d'impatience politique, de radicalisation extrême, pour ne pas dire de poujadisme, avec les dangers de contamination que cela comporte.

On a vu grandir dans la dispersion - mais dans ce domaine, les agents fédérateurs ne manquent pas - l'exigence d'une augmentation du pouvoir d'achat. Ceux qui


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l'estiment trop faible n'entendent pas le voir s'accroître par des déductions de contributions fiscales directes, elles aussi relativement faibles, ou par le jeu de revenus différés issus de systèmes d'épargne qui ne les préservent pas des aléas, et encore moins des difficultés immédiates. Ils réclament un plus grand pouvoir d'achat de leurs revenus et allocations directes et cette demande est d'autant plus légitime qu'elle serait, une fois satisfaite, un des facteurs du maintien ou de la relance de la croissance par la consommation interne.

O n a vu, enfin, à l'occasion d'un référendum commandé par l'opportunité et le calcul politiques, plutôt que par la nécessité ou l'urgence, 70 % des électeurs et électrices de ce pays dire de toutes sortes de manières que la question posée leur importait peu au regard des priorités que constituent pour eux l'éducation, la santé et le logement.

Le projet de budget 2001 est-il en phase avec ces impatiences, ces attentes, ces espérances ? Pas suffisamment, je le crains.

Si l'on considère, pour commencer, la manière dont la marge de progression globale du budget se répartit pour 2001 entre les trois grands ensembles qui le structurent, on constate que, avec 48,4 milliards d'allégements fiscaux annoncés urbi et orbi et près de 30 milliards consacrés à la réduction du déficit, il ne subsiste plus que 25 milliards pour les dépenses actives, soit 0,3 % en volume alors que le taux de croissance est encore estimé entre 3 et 3,5 %.

Cette distribution nous est présentée comme répondant à un triple objectif d'intérêt général. En réalité, el le est le résultat d'un savant dosage pour satisfaire les principes de c onvergences de l'Union européenne, invariablement énoncés pour favoriser la libéralisation des marchés : Baisse des coûts salariaux et des charges fiscales, considérées comme des entraves au développement de l'activité économique prise sous l'angle exclusif de la rentabilité financière ; Réduction des déficits budgétaires, au motif que l'endettement des Etats nuit à la mobilité, voire à la fongibilité de masses financières énormes ainsi et, de façon d'ailleurs toute relative, confisquées et tenues hors de l'accès direct aux places financières ; Freinage systématique des dépenses d'utilité publique - la prévision est en France de plus de 1 % sur les trois ans qui viennent. A cet égard, la grande offensive de l'accord général sur le commerce des services, conduite actuellement sous couvert de l'OMC et prônant une insidieuse politique de privatisation-marchandisation de la santé, de l'éducation et de tous les grands services contrôlés par les Etats pour répondre aux besoins collectifs de leurs populations, représente un risque peut-être encore plus grave pour l'équilibre de nos sociétés humaines que l'AMI - Accord multilatéral sur l'investissement -, que nous avons combattu, le NTM - New Transatlantic Market -, le PET - Partenariat économique transatlantique et autres actions libérales qui, mises en échec à Seattle, réapparaissent évidemment dans les autres lieux où l'OMC se transporte.

Or, de ce triptyque récurrent - déficit, fiscalité, dépenses d'intérêt général -, de ses ordres de grandeur, qu'avons-nous eu à discuter ? Rien ! Pourtant, il nous semble bien qu'en période de croissance l'ordre des facteurs aurait dû être inversé, certes avec une politique de stabilisation-modération de l'endettement pour ne pas obérer l'avenir, certes avec une diminution significative des prélèvements fiscaux devenus pour certains vexatoires - comme la vignette - ou plus souvent inappropriés, inéquitablement imputés entre contribuables. En tout cas, il fallait soutenir de manière plus affirmée l'emploi, l'éducation, la santé, le logement, comme le souhaitent une grande majorité de nos compatriotes - et d'abord les moins fortunés -, et améliorer en direct leur pouvoir d'achat.

Vous l'avez reconnu, monsieur le ministre, l'embellie constatée dans les statistiques du chômage, due à la politique volontariste du Gouvernement pour soutenir la croissance et réduire le sous-emploi, s'est vérifiée par l'augmentation en deux ans de la masse salariale globale dans notre pays.

Bien sûr, les 350 000 jeunes qui ont commencé à travailler, les 232 000 salariés qui ont retrouvé un emploi à la faveur des 40 000 accords portant sur la réduction de la semaine de travail à 35 heures, les 770 000 demandeurs d'emploi réintégrés en trois ans dans la vie professionnelle, selon vos propres estimations, sont les bénéficiaires de cette augmentation globale de la masse salariale.

Et ces résultats sont très positifs. Mais les autres, la grande masse des salariés en activité normale, ont connu, quant à eux, une stabilisation, voire une régression, de leur pouvoir d'achat. Et les retraités ou les bénéficiaires d'allocations sociales, de substituts de rémunération ont carrément pris du retard sur le mouvement général de progression que je viens d'indiquer.

Je ne le dirai jamais assez. Nous sommes - vous Gouvernement, nous parlementaires de la gauche plurielle l'expression politique d'un corps social essentiellement constitué par les forces du travail. Peuvent se joindre à cet ensemble des citoyens dégagés des contingences matérielles, des partisans et des artisans de l'économie sociale, une poignée de philanthropes multimillionnaires, une minorité agissante de citoyens fortunés et humanistes qui pèsent de leur savoir, de leur pouvoir et de leur sagesse sur le mouvement des idées.

Mais, au-delà, quel avantage peuvent trouver à être gouvernés par d'autres qu'eux-mêmes tous ceux qui fondent leur savoir, leur pouvoir sur l'argent comme moyen et comme fin de toute activité économique et sociale, tous ceux qui s'enorgueillissent à tort ou à raison, d'appartenir à l'élite de la nation ? J'en prends l'opposition à témoin. Du même coup, je ne vois pas pourquoi il faudrait leur consentir des avantages de courtisans.

Je dis cela en pensant au caractère inéquitable des dispositifs qui encouragent à l'accumulation privée, plutôt qu'ils ne les associent dans l'effort de solidarité nationale, les détenteurs de grandes fortunes, de patrimoines colossaux, de revenus parasitaires.

Je dis cela en pensant qu'une réforme structurelle de la fiscalité des personnes physiques, sans être confiscatoire, devrait être conçu pour les faire participer réellement au développement dynamique et solidaire des ressorts de la collectivité. Une société constituée demain - dans le cadre libéral actuel - d'un fort contingent d'actionnaires est menacée de devenir réactionnaire dans son organisation interne comme dans ses relations externes. Ni vous ni moi ne pouvons vouloir cela.

Il en va de même des entreprises. J'en connais qui ont été créées et qui sont gérées par des militants du progrès scientifique et technique, des novateurs auxquels notre soutien sans réserve doit être apporté, parce qu'ils fondent leur ambition sur une réussite partagée avec leurs collaborateurs, leurs salariés, avec une volonté de contribuer au mieux-être des gens, à la protection de notre environnement, avec une logique de « développement durable »,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

respectueuse de la vie des autres pour aujourd'hui et pour demain. A celles-là, nous devons consentir toutes les facilités possibles pour accompagner leur effort ou consolider leurs résultats.

J'en connais d'autres - et non des moindres - qui s'inscrivent dans tous les plis de la modernité, de l'innovation, de la logique des besoins fondamentaux ou nouvellement apparus dans le monde, pour jouer - le verbe n'est pas trop fort - d'une stratégie de captation, de domination exclusive, d'expansion illimitée au point d'ignorer ou de combattre le droit des Etats et les Etats de droit pour faire prévaloir les règles déshumanisées de leurs comptes et de leurs bilans - avec, en contrepartie des profits qu'ils engrangent, des coupes sombres dans l'emploi et dans la vie des hommes.

A ces entreprises et à ceux qui les dirigent, je ne vois pas pourquoi nous accorderions plus de moyens, plus de pouvoirs, plus d'immunités juridiques ou fiscales.

Je sais que nous sommes placés dans un réseau compliqué d'institutions et d'influences que nous avons nousmêmes contribué à renforcer - ne serait-ce que dans le processus libéral de la construction de l'Union européenne - et que nous n'avons pas l'autorité pleine et entière pour nous affranchir des critères de convergence de Maastricht, des modalités de fonctionnement du marché telles qu'elles sont établies, de pôles économiques et sociaux solidement constitués.

Mais, dans la marge de manoeuvre - de subsidiarité qui nous reste, à vous Gouvernement et à nous Parlement, pourquoi ne pas inscrire d'une manière plus forte, plus lisible et plus conforme à ce que nous disons que nous sommes et plus conforme à ce qu'attendent de nous ceux qui nous ont élus, la marque, les inflexions d'une politique de transformation sociale raisonnée et déterminée ? Comment donc traduire dans la loi de finances 2001 de tels choix de justice sociale, de soutien à la croissance solidaire ? Comment aller plus loin dans les directions que vous avez vous-même indiquées pour que ce budget soit meilleur qu'il n'est ? En premier lieu, nous proposons que, par une sélectivité accrue des avantages fiscaux que ce budget comporte, la redistribution en faveur des citoyens les plus défavorisés soit accentuée. Un transfert des recettes qui seraient maintenues en ne modifiant pas les conditions de taux des tranches supérieures du barème de l'impôt sur le revenu des personnes physiques vers l'exonération de la CSG pour les personnes - actifs ou retraités - dont les revenus n'excèdent pas une fois et demie le SMIC serait, à cet égard, d'une portée plus que symbolique s'agissant d'une mesure évaluée à 700 millions de francs.

Les impôts dits locaux, qui pèsent sur les ménages sans considération de leur niveau de ressources, même atténués par les mesures déjà prises antérieurement, représentent une charge de plus en plus insupportable.

Pourquoi ne pas moduler définitivement la taxe d'habitation en fonction des revenus et, dans l'immédiat, pourquoi ne pas exonérer, totalement ou partiellement, ceux des assujettis au foncier bâti que des revers de fortune ont rendus impécunieux ? Pourquoi ne pas revenir à des baisses de TVA significatives et ciblées sur des produits ou des services de grande consommation, ceux qui touchent à l'alimentation, à la santé, notamment par le biais des travaux et activités des hôpitaux, à la sécurité routière - je songe plus particulièrement à certains équipements de protection des motocyclistes et des automobilistes -, celles qui, déjà partiellement prises en compte dans le domaine du chauffage urbain, de la collecte et du traitement des ordures ménagères pourraient être généralisées dans ces secteurs ? Comment ne pas s'interroger, dans le contexte des surcoûts pétroliers dont tout le monde pâtit et - indépendamment de la taxe intérieure sur les produits pétroliers devenue flottante, ce qui est une réponse d'opportunité que nous approuvons - sur le caractère anormal de la TVA prélevée au prorata de la TIPP ? Pourquoi ne pas supprimer l'anachronique taxe sur les salaires, ou en tout cas la réduire, pour les professions de santé publique ou pour les associations sportives, de jeunesse et d'éducation populaire ? Cela ne romprait pas l'équilibre général du projet de loi de finances pour 2001 et cela contribuerait à conforter le sentiment qu'un effort fiscal est réellement accompli en faveur de l'intérêt général.

Et pourquoi ne pas exonérer de la vignette parasitaire, outre les travailleurs indépendants, ce qui semble acquis, les collectivités locales et les associations fondées sur le régime de la loi de juillet 1901 ? Ce serait une belle façon de célébrer son centième anniversaire l'an prochain.

En second lieu, et s'agissant de la fiscalité des entreprises, nous sommes, je le disais tout à l'heure, favorables à toutes les mesures qui servent l'investissement productif et la création d'emplois, et résolument opposés à tout ce qui s'apparente à de la « graisse de rentier » ou à une rampe de lancement pour la spéculation.

D'accord avec votre proposition de baisse de l'impôt sur les sociétés, à 15 % pour les PME-PMI en phase de développement, d'accord avec l'idée de supprimer la surtaxe Juppé et de réduire l'impôt sur les sociétés pour les entreprises qui créent de la valeur ajoutée, en intégrant des objectifs d'emplois, de formation et de qualification, nous ne le sommes plus quand vous généralisez cette baisse de l'impôt sur les sociétés au point qu'elle profitera aussi aux firmes qui font de l'emploi une simple variable d'ajustement de leurs résultats, qui concoctent des plans sociaux dévastateurs et licencient en affichant des profits.

Je vous renvoie à l'amendement Michelin.

D'accord, nous ne le sommes pas non plus quand vous maintenez l'avoir fiscal à un niveau de privilège une fois et demie supérieur à ce qu'il était à sa création et quand vous tenez les actifs financiers à l'abri des cotisations sociales et fiscales et des prélèvements dont les rémunérations du travail sont affectées, ou quand vous les tenez à l'écart de la base d'évaluation de la taxe professionnelle en remplacement de la part salaires.

Les députés communistes considèrent que, dans l'état actuel du projet de loi de finances pour 2001, la perspective et le débat sont faussés.

Tout a été conçu et mis en oeuvre depuis le début de l'été - avec les contretemps contrariants qu'on a dits pour focaliser l'attention du public et de tous les acteurs politiques sur le clavier fiscal dont nous débattons comme s'il ne s'agissait, je le disais en préambule, que du seul levier de manoeuvre budgétaire pour l'an prochain.

J'ai le regret de le dire, cela ne peut pas être le cas.

L'Office français des conjonctures économiques a calculé que, sous cet angle, votre projet, toutes mesures confondues, donnerait 80 milliards d'avantages à 25 % des ménages - les plus riches - alors que les 75 % restants ne bénéficieraient que de 20 milliards. Ne croyez-vous pas, monsieur le ministre, que, pour le moins - indépendamment de la mesure que vous avez accepté de prendre sur les dividendes des détenteurs de revenus mobiliers à raison de 500 millions de francs -, les 700 millions de francs


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de cadeaux, s'ajoutant aux autres effets du barème, octroyés aux 260 000 contributeurs les mieux pourvus dans les tranches marginales supérieures, devraient être réaffectés à de plus justes causes ? Si tel n'est pas le cas, nous voterons contre l'article 2.

D'une manière plus générale, ne croyez-vous pas que ces 40 milliards de francs de la loi de finances pour 2000, les 40 milliards de francs de la loi de finances rectificative du printemps 2000 et les 48,4 milliards de francs de la loi de finances pour 2001, soit 128,4 milliards de francs consacrés aux allégements fiscaux, auraient tout aussi bien pu être affectés, au moins pour partie, et pourraient tout aussi bien encore être utilisés, à relancer les grands chantiers structurants de la recherche scientifique, de la communication, prise sous tous ses aspects, du transport, de la santé, du logement social, de l'éducation, bref - et je le répète pour la dernière fois - tous les grands chantiers du plein emploi et de la formation ? Nous restons dans l'attente de corrections de trajectoire pour ce budget de 2001, qui sera la dernière pleine page de notre bilan de mandature. Il y va d'ailleurs de la confiance des forces vives de ce pays. Ne gâchez pas la chance que nous vous offrons de la regagner. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Méhaignerie.

M. Pierre Méhaignerie.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous étions nombreux, du moins dans l'opposition, à apprécier l'article du ministre de l'économie sur la nécessité de la « stabcroissance ». Notre surprise n'en a été que plus grande en constatant le fossé qui sépare cet article de la réalité du budget.

Hier, en vous écoutant, monsieur le ministre, j'ai noté un certain détachement dans votre discours, et peut-être le regret de ne pas avoir été plus loin dans la maîtrise des dépenses publiques.

Jugeons de ce fossé entre le discours et les actes et essayons d'examiner quelle interprétation lui donner.

Que disaient vos écrits ? Au plan national, que nous devons veiller à quatre orientations : bien maîtriser nos dépenses publiques, traiter avec souplesse la question des 35 heures, répartir équitablement la richesse créée et passer à l'acte II de la décentralisation afin de moderniser l'Etat.

Qu'en est-il des actes ? En ce qui concerne la maîtrise des dépenses publiques, nous nous étonnons que pour la troisième année consécutive le budget fasse l'objet d'une telle manipulation telle qu'elle laisse penser que ces dépenses ne s'accroîtrons que de 1,5 % alors que, en réalité, elles augmentent de 4 %.

M. Charles de Courson.

Hélas !

M. Pierre Méhaignerie.

Vous avez dans votre ministère un spécialiste incontesté de la tuyauterie budgétaire, qui rend incompréhensible le budget et permet toutes les interprétations.

Nous ne pouvons que prendre deux rendez-vous.

D'abord avec la Cour des comptes qui dira le niveau exact des dépenses publiques en 2001 ; ensuite, au moment de vérifier les hypothèses sur lesquelles repose ce budget, qui paraissent extraordinairement peu fiables, ne serait-ce qu'un taux d'inflation à 1,2 % ? Laisser les dépenses publiques repartir à la hausse sans souci de leur efficacité au service du pays, c'est s'obstiner dans la seule exception française consistant à créer des emplois dans l'administration centrale alors qu'aucun effort de productivité n'a été engagé.

Ainsi, malgré les rappels à l'ordre de la Cour des comptes, le Gouvernement continue à opérer de nombreux tours de passe-passe budgétaire et à utiliser deux langages selon qu'il discourt au niveau européen ou s'adresse à sa majorité.

En matière de dépense publique, le budget de 2001 n'est donc pas conforme aux engagements pris devant Bruxelles et cela est d'autant plus malvenu que la France préside actuellement le Conseil européen.

Ce manque de respect manifeste à l'égard des règles budgétaires relatives à l'accompagnement de la monnaie unique témoigne d'une certaine irresponsabilité à l'heure où l'euro est menacé.

D'ailleurs, le commissaire européen pour les affaires économiques et monétaires, Pedro Solbes, déclarait le 11 octobre en ce qui concerne la France : « Notre préoccupation, en tant que Commission, porte sur le taux d'expansion des dépenses publiques, qui sera plus élevé que le taux de croissance, et ceci n'est pas cohérent avec les recommandations de la Commission. »

Ainsi, alors que dix pays de l'Union européenne ont tout mis en oeuvre pour atteindre l'équilibre budgétaire, la France n'engage pas les efforts nécessaires.

En outre, la trop forte augmentation de la dépense publique n'est pas seulement actuelle, elle est à venir.

M. Charles de Courson et M. Jean-Jacques Jégou.

Hélas !

M. Pierre Méhaignerie.

D'aucuns ont parlé de l'apothéose des dépenses sociales laissées par Mme Aubry pour les prochaines années.

La trop forte augmentation de la dépense publique, actuelle et à venir, ne permet pas de jeter les bases d'une croissance saine et durable. Vous vous mettez bien, monsieur le ministre de l'économie, en contradiction avec vos écrits, que nous avions publiquement soutenus.

Venons-en à la deuxième orientation. Depuis plusieurs mois nous interpellons le Gouvernement, sans succès - j'ai interrogé M. Pierret hier mais il n'était pas en mesure de me répondre -, sur les pénuries de main-d'oeuvre, dont vous mesurez bien les conséquences sur l'affaiblissement de la croissance et sur l'augmentation de l'inflation. Il y a deux mois, vous aviez exprimé la même crainte et d emandé un assouplissement dans l'application des 35 heures pour les PME. Depuis, plus rien ! Sauf, avanthier, un nouvel article recommandant, une nouvelle fois, de prendre en compte la diversité des situations concrètes, de veiller à ce que les entreprises ne se heurtent pas à une impossibilité de produire davantage, au risque de pénaliser l'économie française.

Sur ce point, le groupe UDF a deux questions à vous poser. Quelle est la nature des blocages qui vous empêchent d'appliquer cette recommandation ? Etes-vous au moins décidé désormais à laisser la liberté aux salariés de choisir, pour leurs heures supplémentaires, entre le repos compensateur ou le salaire majoré ? Beaucoup, on le sait, privilégient une augmentation de leur pouvoir d'achat. Nous serions heureux d'avoir votre réponse car il est déjà bien tard ! Troisième orientation, et le fossé se creuse encore, répartir équitablement la richesse créée. La croissance, depuis plusieurs années, a bénéficié davantage à l'Etat qu'aux citoyens. Or il y a une relation directe entre dépenses publiques élevées et salaires relativement faibles.


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A qui profitent les baisses d'impôts ? Plusieurs collègues, tant de la majorité que de l'opposition, ont posé la question et rappelé les conclusions de l'OFCE à ce propos. Pour ma part, je constate qu'il y a eu un éparpillement des mesures afin de toucher le plus grand nombre de contribuables et de répondre aux revendications de diverses catégories, plus particulièrement celles qui sont les plus aptes à bloquer le fonctionnement de l'Etat.

Pour corriger ce qui apparaît comme un désavantage pour les classes moyennes - même M. Suchod a dit hier qu'elles se sentaient grugées - nous proposerons, courageusement, de transférer les 13 milliards de la vignette à l'amélioration de la baisse de la contribution sociale généralisée. Car la baisse brutale pour les salaires compris entre 1 fois et 1,2 fois le SMIC aboutira à une nouvelle trappe à bas salaires.

M. Philippe Auberger.

Eh oui !

M. Pierre Méhaignerie.

Je ne crois pas que 180 francs de plus par mois - et au bout de trois ans ! - seront significatifs pour les salariés qui gagnent 1,2 fois le SMIC.

M. Augustin Bonrepaux.

Vous tenez un double discours !

M. Pierre Méhaignerie.

Nous proposerons un amendement pour corriger cet effet et faire en sorte que, entre 1 et 1,3 fois le SMIC, la baisse de la cotisation sociale, que nous aurions préférée à la CSG, soit identique, c'està-dire de l'ordre de 450 francs par mois. En effet, je ne crois pas que nous devions séparer le salarié qui gagne le SMIC de celui qui gagne 1,2 fois le SMIC, car cela risquerait de créer des distorsions et une véritable trappe à bas salaires.

M. Philippe Auberger.

La même baisse pour tout le monde !

M. Pierre Méhaignerie.

Voilà donc les raisons qui nous conduisent à penser que, pour ce qui est de « répartir équitablement la richesse créée », nous pourrions faire mieux.

Quatrième point, vous évoquiez l'absolue nécessité de passer à l'acte II de la décentralisation. Or, pour la quatrième fois en deux ans, vous portez atteinte à l'autonomie financière des collectivités locales ! Car c'est bien à cela qu'aboutit la suppression de la vignette ! Même vos amis politiques ne se privent pas de se plaindre de cette recentralisation financière. Rien dans ce budget n'indique que vous obéissiez, comme vous l'écriviez à « la nécessité d'un recentrage de l'Etat sur ses fonctions essentielles ».

Vous ajoutiez : « Un véritable changement conceptuel est nécessaire pour une partie de notre classe politique plutôt conservatrice, dépensophile et étatolâtre. »

A lire ce projet de budget, on ne peut émettre, monsieur le ministre de l'économie, que trois hypothèses pour expliquer le fossé entre vos discours et vos actes.

Première hypothèse, quelqu'un d'autre aurait écrit l'article, mais je n'y crois pas. Deuxième hypothèse, vous avez abandonné vos convictions profondes face à ce que vous appelez « les pesanteurs et archaïsmes d'une partie de la classe politique française ». Enfin, troisième hypothèse, M. Jospin a arbitré en faveur d'une majorité restée profondément « dépensophile ».

Nous savons que le citoyen se désintéresse de plus en plus du débat démocratique à cause du fossé grandissant entre le discours et les actes. Voilà pourquoi nous pensons et, conformément à votre propre discours, qu'un autre budget serait préférable. Et comme vous vous êtes plaint de l'absence de projets dans l'opposition, nous avons travaillé depuis plusieurs mois sur une alternative budgétaire et une alternative fiscale.

L'alternative budgétaire que nous proposons serait conforme à nos engagements européens et rendrait - je me tourne vers le rapporteur général du budget - plus crédible notre critique de l'orthodoxie monétaire de la BCE, laquelle serait plus justifiée si le Gouvernement ne succombait pas aux avantages du laxisme budgétaire.

Nous proposerons dix milliards de francs d'économies budgétaires et un effort de productivité des services publics. Souvenons-nous des critiques de la Cour des comptes sur les horaires dans certains secteurs publics, ceux des ATOS, des employés de l'AFPA ou de la police, par exemple. Or c'est dans ces secteurs que l'on crée le plus de postes. On peut s'étonner de cette divergence et s'interroger sur l'effectivité du contrôle du Parlement et de la Cour des comptes.

Nous avons le sentiment que l'Etat étant faible, il est soumis à la pression médiatique et à la pression de ceux q ui peuvent bloquer le fonctionnement de l'Etat.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Ainsi, certains services publics, certes nécessaires, qui ont bénéficié il y a quelques mois ou quelques années de la retraite à cinquante ans, aujourd'hui, réclament davantage. L'Etat se soumet de plus en plus à l'influence des corporatismes.

Voici maintenant notre alternative fiscale. La caractéristique majeure de la fiscalité française, c'est, un peu, l'impôt sur le revenu et pas du tout les taxes locales, qui sont plutôt moins élevées chez nous que chez nos partenaires.

Mais la véritable anomalie fiscale française, c'est le poids des charges sociales pesant sur le travail, et payées par le salarié et l'employeur.

La Commission européenne, dans le cadre de l'examen annuel de la politique de l'emploi des Quinze, a estimé que le taux de taxation moyen du travail n'avait pas diminué en 1999, et restait trop élevé, 64,67 %, par rapport au salaire brut. Il en va de même pour le taux de taxation du salaire minimum, 48,34 %, alors que la moyenne européenne se situe autour de 42 %. Telle est l'anomalie fiscale française ! L'entreprise française, qui est quelquefois accusée, paie des salaires globaux légèrement supérieurs à la moyenne européenne, alors que le salarié reçoit un salaire net assez nettement inférieur à la moyenne des pays européens.

Au moment où l'attente première des salariés, après quinze années de rigueur, est l'augmentation du pouvoir d'achat, nous savons bien que cette hausse est formidablement freinée par l'obligation de mettre en oeuvre les 35 heures. Que reste-t-il si ce n'est l'utilisation de la baisse de l'impôt ou des cotisations sociales ? C'est la raison pour laquelle nous avons déposé depuis plusieurs mois un amendement allant dans ce sens, que nous avons ensuite transformé en proposition de loi.

Au lieu de saupoudrer les baisses d'impôt, nous proposons de les concentrer sur la baisse des cotisations sociales salariales.

M. Jean-Jacques Jégou.

Très bien !

M. Pierre Méhaignerie.

La première étape permettait de revaloriser le salaire direct des salariés ayant un revenu compris entre 1 et 1,3 SMIC , ce qui correspondrait à un revenu supplémentaire d'environ 450 francs par mois, soit un mois supplémentaire par an. Dans un second temps, l'année prochaine, il serait nécessaire d'aller entre 1,3 et 1,6 SMIC.


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Cette mesure aurait de nombreux avantages, cela a d'ailleurs été dit sur tous les bancs : améliorer le pouvoir d'achat de sept millions de salariés et, monsieur Bonrepaux, 450 francs de plus par mois pour sept millions de salariés, c'est mieux que 180 francs au bout de trois ans, c'est mieux que la suppression de la vignette et c'est plus juste ;...

M. Philippe Auberger.

Ça, c'est sûr !

M. Pierre Méhaignerie.

... inciter au retour au travail en améliorant le différentiel entre revenus sociaux ; lutter contre les trappes à pauvreté et l'exclusion ; répondre aux pénuries de main-d'oeuvre qui se concentrent sur les métiers où les conditions de travail sont perçues comme difficiles et les salaires trop faibles - quand on voit le différentiel d'espérance de vie entre salariés en France,...

M. Charles de Courson.

Sept ans !

M. Pierre Méhaignerie.

... nous avons des efforts à faire pour ceux qui travaillent dans les secteurs les plus difficiles ; réduire les risques de délocalisation.

L'étalement dans le temps de votre mesure lui fait perdre son efficacité sociale : un salarié à 1,2 SMIC gagnera d'ici à trois ans 180 francs de plus par mois, ce qui ne peut concrètement décider quelqu'un à se remettre au travail.

Il aurait été possible de mieux répartir les fruits de la croissance en concentrant l'effort sur ceux qui travaillent pour des salaires nets qui, dans la comparaison européenne, restent faibles. Je pense que, pour cet amendement tendant à utiliser autrement les 12 milliards consacrés à la suppression de la vignette, nous aurons le soutien de certains des membres de l'opposition qui ont montré l'injustice de cette suppression.

Ce choix de justice aurait certainenemt permis d'éviter la cacophonie, le sentiment d'improvisation et la surenchère du « et moi, et moi, et moi » dans les jours qui ont suivi votre décision. Je suis convaincu que les manifestants auraient compris que notre priorité était de concentrer l'effort sur les sept millions de salariés ayant un revenu compris entre 1 et 1,3 SMIC.

M. Augustin Bonrepaux.

Cela n'a pas toujours été votre préoccupation.

M. Pierre Méhaignerie.

Cela l'a toujours été, monsieur Bonrepaux, vous le savez parfaitement. Je vous rappelle que ce sont les pays qui ont les dépenses publiques les plus élevées qui ont en général les salaires les plus faibles.

M. Jean-Jacques Jégou.

Très bien !

M. Pierre Méhaignerie.

Il existe une relation directe entre la montée des dépenses publiques et la faiblesse des salaires. C'est un peu schématique, mais c'est une orientation assez générale.

Telles sont donc les quatre raisons qui ont conduit le groupe UDF à proposer une alternative et à rejeter votre budget : absence de maîtrise des dépenses publiques, confirmée par Bruxelles et par les rapports de la Cour des comptes ; absence de réforme de l'Etat dans une période d'expansion propice aux réformes de structure ; alourdissement des dépenses futures du fait des engagements pris pour les 35 heures dans le secteur public et des recrutements supplémentaires de fonctionnaires, qui ne nous apparaissent pas justifiés ; éparpillement des mesures fiscales qui ne permettent pas une amélioration significative du pouvoir d'achat.

Un budget plus conforme à nos engagements européens, un budget permettant d'assurer une revalorisation du travail, aurait permis de renforcer l'efficacité, l'équité et la cohésion sociale dans notre pays.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage les trois objectifs affichés du projet de loi de finances pour 2001, à savoir faire baisser les impôts, poursuivre la réduction du déficit budgétaire de l'Etat et favoriser l'emploi. Je préciserai cependant en quoi le premier de ces objectifs - la baisse des impôts - ne nous convient qu'à moitié lorsqu'on l'examine de plus près. J'évoquerai ensuite les manques de ce projets de loi de finances par le biais de quelques amendements et articles additionnels qui me semblent devoir y être ajoutés.

Dès l'article 2, nous abordons la baisse de l'impôt sur le revenu et nous sommes en plein dans le sujet.

Certes, la baisse des taux est supérieure pour les quatre tranches inférieures à ce qu'elle est pour les deux tranches supérieures. Cependant, en chiffres réels, cette baisse profite aux ménages les plus aisés avec l'argument de dissuader l'exil fiscal. Une étude de vos services, monsieur le ministre, montre que le départ à l'étranger de certains gros contribuables est essentiellement le fait d'héritiers soudains ou de spéculateurs chanceux, soucieux d'échapper à l'ISF plutôt qu'à l'IRPP.

M. Pierre Méhaignerie.

Revenons aux plafonnements !

M. Yves Cochet.

Ainsi, si l'article 2 demeurait en l'état, comme l'a dit M. Cuvilliez à juste titre, le quartile le plus riche de nos concitoyens obtiendrait un gain de 79 milliards de francs à l'horizon 2003, tandis que le quartile le plus pauvre aurait sur trois ans un gain de 19 milliards de francs seulement. Et encore, l'allégement de l'IRPP ne profite qu'à la moitié la plus favorisée de nos concitoyens, puisque l'autre moitié n'a même pas la chance de payer l'impôt sur le revenu.

En revanche, votre proposition de ristourne de CSG et de CRDS en faveur des bas salaires est tellement satisfaisante que la majorité de la commission des finances a poussé un peu plus loin encore cette heureuse disposition.

J'en viens aux transports et à l'énergie.

Les choses se gâtent lorsqu'on aborde le domaine automobile et pétrolier. Je souhaite que le Gouvernement et la majorité plurielle guérissent de la schizophrénie politique qui nous saisit tous depuis deux mois.

D'un côté, depuis trois ans, à ma grande satisfaction, et plus encore en ce début de l'année 2000, le Gouvernement s'efforce de mettre en place des instruments de modération de la demande en énergies non renouvelables, appelle donc régulièrement à la sobriété et à l'efficacit é énergétique, surtout dans le domaine des transports routiers et aériens.

Ainsi le Premier ministre disait, à Lyon, le 11 septembre dernier : « Cette situation doit donc nous inciter à accentuer, au niveau mondial, nos programmes en faveur des économies d'énergie et de la promotion des énergies alternatives. Pour la France, et à la suggestion de Mme Dominique Voynet, je souhaite que soit mis sur pied avant la fin de cette année un plan d'économies d'énergie qui touche l'ensemble des secteurs d'activités. »

Je ne puis évidemment que partager ces objectifs.

Encore faut-il qu'ils trouvent une traduction budgétaire correspondant à ce volontarisme que j'approuve.


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D'un autre côté, la présentation de votre projet de loi de finances, en septembre dernier, qui a coïncidé, d'une certaine manière, avec le mini-choc pétrolier, a ouvert les vannes, si je puis m'exprimer ainsi, à une foultitude de revendications corporatistes et catégorielles, en gros pour rouler plus et à moindre coût, ce que je ne puis accepter.

Nous ne pourrons pas tenir nos engagements internationaux pris à Kyoto il y a près de trois ans, qui seront, je l'espère, confirmés par des mesures fortes à l'échelon européen puis à l'échelon mondial, au prochain sommet de La Haye dans un mois, si nous ne mettons pas un frein à notre addiction croissante à la drogue pétrolière.

Il est grand temps d'ouvrir enfin les yeux sur ce que nous, écologistes, appelions jadis les signaux faibles - on parle bien parfois en politique de signal fort ! - c'est-àdire les indices du changement climatique dû à nos émissions de gaz à effet de serre, dont les conséquences deviennent visibles.

Ainsi, ne parlons plus de « catastrophes naturelles » quand on observe les chaleurs excessives de certains étés depuis dix ans, les inondations dites exceptionnelles dans l'Aude, et même dans votre propre région, monsieur le ministre, en Haute-Normandie, en 1999, ou les ouragans de décembre dernier. M. Jégou nous a accusés hier d'être des « intégristes verts » alors que ce dont je parle, ce sont des réalités extrêmement concrètes et dramatiques dont je crains, hélas ! qu'elles ne se reproduisent à plus grande échelle dans les prochaines années.

La suppression de la vignette et la baisse de la TIPP ne sont pour personne de bonnes nouvelles. Ce sont des signaux pervers qui pourraient laisser croire que la voiture et le camion sont encore les indicateurs d'une bonne santé économique alors que c'est le contraire.

Quand je vois le succès du Mondial de l'automobile il y a quelques jours, je m'inquiète. Nous ne sommes plus dans les années cinquante, lorsque c'était Billancourt qui tirait l'ensemble de l'économie !

M. Arthur Dehaine.

Il ne faut pas désespérer Billancourt !

M. Christian Cuvilliez.

Ah, Billancourt !

M. François Goulard.

Si cela plaît aux Français !

M. Yves Cochet.

Est-ce faire preuve de la moindre anticipation, du moindre courage et de la moindre clairvoyance politique que de parler ainsi, mon cher collègue ? Essayons d'être un peu courageux ! Il y a des décisions urgentes à prendre. Sinon, dans vingt ou vingt-cinq ans, nos propres enfants seront sans doute un peu plus en souffrance ! Il faut prendre conscience que nous courons de graves dangers avec le développement des véhicules à moteur thermique.

M. Charles de Courson.

Il faudra imposer la patinette !

Mme Nicole Bricq.

C'est très à la mode !

M. Yves Cochet.

J'apprends d'ailleurs que la suppression de la vignette s'étendrait par amendement aux petits véhicules utilitaires professionnels. La moindre des choses serait qu'en contrepartie, nous adoptions mon amendement de rétablissement de la vignette pour tous les véhicules de plus de dix chevaux, c'est-à-dire les voitures de riches qui polluent le plus.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

La vignette était un frein à la pollution, mais, en plus, cela pouvait dissuader d'acheter des grosses voitures. En la supprimant, on ouvre les vannes ! Nous sommes cependant parvenus avec nos collègues socialistes, encore qu'il y ait une petite ambiguïté qu'il nous faudra lever rapidement, à rédiger un amendement commun instaurant un crédit d'impôt pour aider les ménages et les professionnels à équiper leurs véhicules en GPL ou en GNV, les moins polluants parmi les carburants fossiles ! J'espère que notre assemblée adoptera cet amendement, qu'on pourra appeler indifféremment la

« Jospinette », la « Fabiusette », la « Voynette », la « Pierrette », la « Bricquette » ou la « Cochette ». Peu importe pourvu qu'il passe... (Sourires.)

P our terminer sur le chapitre énergétique, nous sommes évidemment satisfaits de l'article 47 de ce projet de loi de finances pour 2001 qui concerne l'aide aux é nergies renouvelables. Néanmoins, j'ai déposé une dizaine d'amendements supplémentaires afin que le tournant industriel dans le domaine des énergies renouvelables, appelé de ses voeux par le Premier ministre et par vous, monsieur le secrétaire d'Etat, soit encore plus affirmé.

A l'UNESCO, le 29 mai dernier, lors d'un colloque sur les énergies renouvelables auquel vous assistiez, monsieur Pierret, le Premier ministre s'adressait ainsi aux industriels de l'énergie renouvelable : « Dans un souci d'efficacité économique, pour conforter notre indépendance énergétique, pour contribuer à la protection de l'environnement et à la lutte contre l'effet de serre, afin aussi de remplacer de l'énergie importée par des emplois locaux, le Gouvernement a voulu refaire de la politique d'utilisation rationnelle de l'énergie une priorité nationale. (...) C'est une véritable industrie des énergies renouvelables qu'il nous faut développer. (...) Il s'agit de vous aider à conquérir des marchés dont l'importance a été t rop longtemps sous-estimée. » Nous pouvons bien

entendu adhérer à un tel discours ! Je vois que vous hochez la tête. Vous savez qu'il y a un rendez-vous crucial pour les énergies renouvelables, ce sont les décrets d'application de la loi électrique du 10 février 2000. Le prix garanti pour le rachat de l'électricité d'origine renouvelable est naturellement un facteur crucial si, comme le propose le Premier ministre, notre pays développe une véritable industrie des énergies renouvelables, y compris à l'exportation. Je crois que les industriels sont prêts à se lancer, mais il faut qu'ils soient incités à le faire par des prix garantis pendant un certain nombre d'années, de telle manière que cette industrie, qu'il s'agisse de l'éolien ou de bien d'autres domaines, puisse enfin décoller, à l'exemple de ce qui se passe en Allemagne et en Espagne.

J'en viens à la taxe Tobin.

L'an dernier, nous avions eu quelque espoir, monsieur le ministre, en vous entendant vous interroger sur la pertinence de cette disposition pour freiner la spéculation.

Au Parlement, une résolution de la délégation parlementaire à l'Union européenne et un rapport de la commission des finances ont montré la faisabilité et l'utilité de cette taxe. Quelle ne fut donc pas notre surprise quand nous reçûmes cet été un rapport anonyme de Bercy qui rejetait l'idée même de la taxe Tobin.

M. Philippe Auberger.

Comment peut-on accepter une idée pareille ?

M. Yves Cochet.

M. Auberger ne veut pas y croire, on peut le comprendre. C'est un libéral qui veut, au contraire, augmenter les profits spéculatifs ! (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

M. Philippe Auberger.

Je n'ai jamais dit ça !

M. Yves Cochet.

Sans entrer dans les détails du débat qui aura peut-être lieu cette nuit ou demain, je veux simplement dire que la faiblesse des arguments contenus dans le rapport de Bercy n'a fait que renforcer ma conviction sur l'opportunité et la faisabilité de l'instauration d'une taxe Tobin ici et maintenant. Son produit pourrait d'ailleurs être affecté au développement des pays du Sud, ce qui ne peut que rencontrer notre assentiment.

Enfin, nous présentons également deux séries d'amendements dans deux domaines que le Gouvernement et sa majorité ont récemment promus, et je m'en félicite, mais, curieusement, avec des handicaps. Il s'agit de l'économie solidaire, pour laquelle nous proposons quatre amendements d'équité fiscale, qui devraient, je pense, compléter utilement l'article 9 de la récente loi sur l'épargne salariale, et de la situation des personnes pacsées, dont nous fêtons d'une certaine manière le premier anniversaire avec un grand succès populaire, et il faut, je crois, s'en féliciter. On leur impose curieusement des délais pour les aligner sur le régime fiscal du mariage,...

M. François Goulard.

Avec quotient familial, bien sûr !

M. Yves Cochet.

... comme si le fisc estimait qu'il y a moins d'amour dans le PACS que dans le mariage (« Oh ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) D'ailleurs, M. le président de la commission des finances m'approuve.

M. Henri Emmanuelli, président de la commission.

Vous m'avez volé la formule.

M. Charles de Courson.

Amour et fiscalité n'ont jamais fait bon ménage ! (Sourires sur divers bancs.)

M. Yves Cochet.

A propos d'économie solidaire, messieurs les ministres, j'observe avec un peu de chagrin et de dépit la faiblesse des crédits alloués à ce secrétariat d'Etat pour l'année 2001, 80 millions de francs, je crois, dont seulement 33 millions pour aider les projets de l'initiative « dynamique solidaire » alors que cette initiative a rencontré tellement de succès en quelques semaines - elle s'est, je crois, conclue la semaine dernière -, que votre collègue M. Hascoët, a reçu plus de 2 500 projets alors qu'il s'attendait à en recevoir simplement mille. Et il n'a que 33 millions de francs pour satisfaire ces 2 500 personnes qui veulent créer des emplois, créer des entreprises ! Il s'agit d'anciens chômeurs, de gens qui veulent créer par exemple, des start-up de nouvelles technologies, d'économies d'énergie ou d'énergies renouvelables. Ce n'est donc pas suffisant !

M. Pierre Méhaignerie.

Pourquoi recentraliser des aides qui sont bien gérées à l'échelon local ?

M. Yves Cochet.

En revanche, je me félicite, bien sûr, de l'augmentation de 9,2 % des crédits du ministère de l'environnement,...

Mme Nicole Bricq.

Ah !

M. Yves Cochet.

... notamment des 100 millions de francs supplémentaires consacrés à la lutte contre le bruit.

Hélas ! madame Bricq, il ne s'agit pas des nuisances sonores aéroportuaires, mais des points noirs autoroutiers.

Mais enfin, il faut bien commencer par quelque chose.

Quand on demande à nos concitoyens quelle est la nuisance environnementale qu'ils ressentent le plus durement, ils répondent : « Le bruit ! » Il faut donc lutter contre le bruit. Et 300 créations d'emplois, dans le domaine de l'environnement, c'est très utile, monsieur Méhaignerie.

M. Charles de Courson.

Par ordonnance ?

M. Philippe Auberger.

Des gardiens pour Natura 2000 ?

M. Yves Cochet.

Oui pour Natura 2000, par exemple, ce qui serait très utile pour protéger les zones sensibles.

Cependant, je suis un peu surpris par l'enthousiasme que manifestent certains quand je constate que l'aménagement du territoire voit ses crédits diminuer. On peut certes me répondre que beaucoup de crédits, et je l'admets, ont été inscrits dans les contrats de plan Etatrégions, ce qui va dans le bon sens. Malgré tout, les effectifs dévolus à l'aménagement du territoire n'augmentent que de trois postes. Je souhaiterais un peu plus.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'espère que vous entendrez favorablement nos propositions d'amendement dont la cohérence politique est de rendre ce budget plus social, plus écologique et plus juste. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mesdames, messieurs les députés, d'abord merci à chacun - il n'y avait pas de dames, je crois - de s'être exprimé comme il l'a fait. Merci à chacune et à chacun d'avoir participé à ce débat. Christian Pierret ayant répondu hier aux orateurs qui s'étaient exprimés, je voudrais revenir en quelques mots sur les propos des six orateurs qui sont intervenus cet après-midi. J'espère que vous me pardonnerez si je le fais de façon assez cursive, et dans l'ordre chronologique.

M. d'Aubert est intervenu le premier, M. d'Aubert à qui, j'en suis sûr, ses collègues transmettront mes observations puisqu'il n'a pas eu la possibilité de rester. Je voudrais d'emblée le rassurer, car il a prononcé une diatribe extrêmement forte contre les intentions et les actes du Gouvernement, et en particulier les miens, en matière fiscale. Je ne suis pas l'inventeur de la gabelle... (Sourires.)

M. Jean-Claude Abrioux.

Ni de la taille ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... ni d'ailleurs de la taille. Ni même, cher collègue, puisque vous semblez être un peu spécialiste, de l'impôt sur les portes et fenêtres. (Sourires.)

Mais il est vrai que, rompant ainsi avec ce qui se faisait dans le passé, nous allons supprimer - grâce à votre vote, j'espère - des impôts. C'est une novation.

L'analyse de M. d'Aubert, extrêmement critique, comme chaque année, a porté sur toute une série de sujets. Il a en particulier, tirant les leçons de notre séance de questions d'actualité de cet après-midi, insisté, comme d'autres députés de l'opposition, sur la nécessité de réduire le déficit. Je l'ai dit hier, je le maintiens aujourd'hui, plus nous pourrons réduire le déficit, plus j'en serai satisfait. Qu'on me permette cependant d'attirer l'attention sur le fait que poursuivre cet objectif en commenç ant par allonger l'addition de soixante à quatrevingts milliards est légèrement paradoxal ! M. d'Aubert, avec d'autres de ses collègues de l'opposition, nous dit qu'il faut baisser la TVA sur la restauration, profession au demeurant extrêmement sympathique. Mais chacun sait


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que cela coûterait vingt milliards. Mais il ne s'arrête pas en si bon chemin, puisqu'il propose de faire passer la TVA sur l'essence de 19,6 % à 5,5 %, soit une quarantaine de milliards de recettes en moins. Dans ces conditions, monsieur le président, je me félicite qu'il n'y ait que deux séances de questions d'actualité par semaine ! Parce que soixante-dix milliards d'augmentation du déficit en une après-midi, sur proposition il est vrai de nos collègues de l'opposition, ce n'est peut-être pas le meilleur moyen de commencer. Je le dis très amicalement à M. d'Aubert, l'opposition, dans son effort pour chercher des solutions nouvelles - effort qu'a illustré M. Méhaignerie -, devrait tout de même essayer d'aller davantage au fond des problèmes. On ne peut pas, d'un côté, appeler à une réduction des déficits et, de l'autre, proposer comme hors-d'oeuvre une diminution des recettes de soixante-dix milliards.

M. Bonrepaux a bien voulu faire une analyse positive du budget, auquel il a apporté le soutien de son groupe.

M. Henri Emmanuelli, président de la commission.

Il a été brillant ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ce qui m'a frappé dans ses propos, mais ce n'est pas nouveau de sa part, c'est la défense et l'illustration du service public. J'ai apprécié la reconnaissance qu'il a bien voulu marquer à l'égard de la mesure proposée par le Gouvernement en matière de CSG, même s'il sait, comme tous les membres de la majorité, que le Gouvernement est tout à fait ouvert à l'idée de porter de 1,3 à 1,4 fois le SMIC la limite supérieure de l'abattement, idée partagée par les différentes familles de la majorité.

De même, j'indique d'entrée de jeu que le Gouvernement acceptera la proposition faite par M. le rapporteur général, Didier Migaud, comme par le groupe socialiste et le groupe communiste, d'une disposition positive pour les personnes de plus de soixante-dix ans en ce qui concerne la gratuité de la redevance - disposition dont je crois d'ailleurs me rappeler qu'elle a existé dans le passé, mais qui avait été supprimée par le Gouvernement de M. Balladur.

M. Jean-Pierre Brard.

Rappelons-le, en effet : M. Balladur a voulu priver les retraités des « Feux de l'amour » ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Brard veut intervenir sur le thème « Qui veut gagner des millions ? » (Sourires.)

M. Bonrepaux a eu des propos, comme toujours chez lui, extrêmement forts et pleins de sens, sur la vignette. Je partage tout à fait son opinion. D'ailleurs, la première fois que nous nous sommes parlé de la suppression de la vignette - c'était il y a quelques semaines ou il y a quelques mois -, il m'avait dit, d'entrée de jeu : « C'est un mauvais impôt, les Français seront très heureux qu'il soit supprimé. »

M. Philippe Auberger.

Vous portez atteinte à la mémoire de M. Ramadier ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Non, je ne porte pas atteinte à la mémoire de M. Ramadier...

M. Jean-Pierre Brard.

Nous fermons le cercueil, c'est autre chose ! (Sourires.)

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... car j'observe que, parfois, il est déjà difficile à certains vivants de maîtriser leur langage : il ne faut pas, en plus, faire parler les morts. (Sourires.)

Mais s'agissant de M. Ramadier, je voudrais simplement souligner qu'il y a eu une certaine erreur de chiffre. Il avait dit : « La vignette, ça durera un an. »

M. Philippe Auberger.

C'est normal, l'impôt est annuel.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Eh bien, cette majorité va voter la suppression de cette vignette qui ne devait durer qu'un an. Et je pense, en dépit de ce que vous avez dit - et vous êtes très constant sur ce point, cher ami Cochet -, que la suppression de la vignette est une bonne chose. Bien sûr, il ne faut pas suivre aveuglément les sondages d'opinion, mais il n'est pas non plus interdit de tenir compte de l'opinion, ni toujours recommandé de prendre l'exact contrepied de l'opinion. (Sourires.)

Sur ce sujet, la majorité et le Gouvernement sont parfaitement unis, et je m'en réjouis.

En ce qui concerne M. Auberger, il a considéré que les hypothèses économiques étaient très favorables. Evidemment, c'est un sujet sur lequel on peut discuter en permanence. Vous le savez, puisque vous suivez ces choses, nous avons repris les observations de la plupart des spécialistes au moment où nous avons arrêté le budget.

D'autre part, les contacts que j'ai eus hier encore avec mes collègues des différents autres pays nous font penser que, sauf accident majeur qui peut toujours arriver, notre prévision était dans l'ordre de ce qui est généralement admis comme une anticipation raisonnable. C'est donc sur cette base que nous avons avancé.

Je me sépare de l'analyse de M. Auberger - même si je le remercie d'avoir proposé une analyse - sur plusieurs points, et notamment sur l'absence supposée de réforme de l'Etat. Ce gouvernement est tout à fait déterminé à aller dans le sens d'une réforme de l'Etat. Peut-être n'est-ce pas toujours spectaculaire, mais enfin, on sait par expérience que le spectaculaire n'est pas non plus toujours le plus efficace. Mais aussi bien la communication, dont vous avez pris connaissance l'autre jour, du ministre chargé de ces questions, M. Sapin, que ce qui se fait par exemple dans ma propre administration, montre que du travail a été fait, et va continuer d'être fait. Et je considère, comme vous, monsieur Auberger, que c'est un point absolument crucial - je l'ai d'ailleurs traité, bien que trop rapidement peut-être, dans mon intervention : il n'y a pas d'efficacité profonde et de défense réelle du service public s'il n'y a pas de réforme de l'Etat. Au fond, ceux qui défendent le service public doivent être les premiers réformateurs. Et si on n'a pas comme souci la réforme et l'efficacité de l'Etat, il y aura, à terme, une réaction de nos concitoyens contre l'Etat. C'est la raison pour laquelle vous me trouverez toujours de ceux qui souhaitent réformer l'Etat. J'espère que nous vous montrerons, monsieur Auberger, puisque vous êtes un homme qui s'incline très volontiers devant la réalité, que nous avons cette détermination.

M. Charles de Courson.

Cela fait trois ans et demi que le Gouvernement nous dit cela.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Cuvilliez est intervenu sur de nombreux sujets. Il a abordé en particulier, et il a eu tout à fait raison de le faire, la question du pouvoir d'achat. Il m'a dit : « La croissance est générale, les profits sont importants. Mais quelle est votre prévision en ce qui concerne le pouvoir d'achat ? » Je voudrais lui redire, à lui comme à toute l'Assemblée, que nous considérons - et c'est là pour nous un point central - qu'en 2001, il y aura des progressions de pouvoir d'achat. Simplement, et M. Cuvilliez le sait car il est bon économiste, ces progressions de


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pouvoir d'achat doivent être conciliées avec l'ensemble des réalités économiques et aussi avec le fait, qu'on oublie souvent, qu'une partie de la masse salariale nouvelle disponible ira aux créations d'emplois qui auront lieu, en 2001 comme cette année. Par conséquent, le pouvoir d'achat par tête, comme l'on dit, progresse et progressera - ce qui est une bonne chose - mais certainement moins que s'il n'y avait pas eu du tout de créations d'emplois.

Cela dit, c'est notre choix. Nous considérons, dans la majorité, et avec vous, monsieur Cuvilliez, que l'aspect central doit être la création d'emplois. Cela ne veut pas dire qu'il ne doit pas y avoir d'augmentation de pouvoir d'achat, mais il est clair que celle-ci sera moins forte que s'il n'y avait pas ce phénomène positif de créations d'emplois.

M. Cuvilliez a insisté, comme le fait fréquemment son groupe, sur les questions économiques, notamment sur les actifs financiers. Je dois lui confirmer ce que je lui disais à titre privé il y a quelques heures : nous sommes tout à fait ouverts à une réflexion, voire à la création d'un groupe de travail, sur ces sujets. Je sais qu'ils intéressent beaucoup le groupe communiste et il est tout à fait normal de les aborder.

M. Cuvilliez a également demandé, concernant la diminution de la CSG, que la limite supérieure des salaires concernés par cette mesure soit supérieure à ce qui avait été envisagé par le Gouvernement. Je lui confirme que nous ne pouvons pas aller jusqu'à 1,7 ou 1,8 fois le SMIC, comme il le souhaiterait, car cela représente des masses financières que nous n'avons évidemment pas à notre disposition. Par contre, nous irons jusqu'à 1,4 fois le SMIC.

Enfin, il a développé avec talent des thèses sur ce qu'il a ppelle la mondialisation ultralibérale, qu'il veut combattre. Je dois lui dire que, même si nous pouvons avoir telle ou telle différence d'approche, c'est une mondialisation humanisée que nous souhaitons développer et non pas, évidemment, les excès que l'on connaît parfois.

M. Méhaignerie a évoqué, entre autres points, la question de l'opacité. Je l'ai trouvé très sévère sur la charte budgétaire. Car celle-ci ne dit rien d'autre que ce qui nous a été demandé par la Cour des comptes : il faut trouver un moyen de se retrouver dans le budget. Vous, monsieur Méhaignerie, vous êtes un spécialiste du budget, mais beaucoup d'autres personnes ne pourraient pas s'y retrouver. Cette charte pemet de fixer les périmètres et de comparer ce qui est comparable.

Mais je voudrais vous rassurer, monsieur Méhaignerie, sur la question de l'ordonnance de 1959. C'est effectivement un domaine sur lequel j'avais beaucoup insisté lorsque je siégeais à la présidence de cette maison, avec votre soutien à tous. Je me retrouve maintenant ministre des finances, mais je n'ai absolument pas changé. Vous pouvons donc compter sur moi pour soutenir activement le projet élaboré par votre commission et par le rapporteur général, M. Migaud. Je m'en suis entretenu également avec les responsables du Sénat. Nous devons pouvoir arriver dès le début de l'année prochaine à ce qui sera une grande réforme. J'espère que nous ne tarderons pas - je trouve même que les dates retenues dans certains ordres du jour sont un peu lointaines. Il est important de modifier cette ordonnance de janvier 1959, dont nous savons bien qu'elle est la « constitution budgétaire » de cette maison.

Vous m'avez interrogé, monsieur Méhaignerie, si j'ai bien compris, sur la question des 35 heures et l'offre, et sur ce que j'ai pu écrire ou dire à ce sujet. Je vous dirai les choses tout de go. J'ai fait réaliser une étude sur le premier semestre de l'année 2000, et j'ai observé dans cette étude que, s'il y avait une demande soutenue, de l'ordre de 5 %, il existait en revanche ce que l'on appelle communément des problèmes d'offre. L'un d'entre vous, je crois, disait que ceux qui sont du côté de l'offre sont à droite et que ceux qui sont du côté de la demande sont à gauche. C'est simpliste ! J'ai entendu M. Cuvilliez se préoccuper, et à juste titre, de ce que proposent les entreprises. En définitive, l'activité économique, c'est à la fois des salariés qui travaillent, différentes personnes qui consomment et des entreprises qui produisent. Donc, n'ayons pas un débat aussi schématique ! Quoi qu'il en soit, cette étude qui m'a été transmise montre que la demande reste soutenue - et c'est une bonne chose -, mais qu'en revanche nous avons des goulets d'étranglements ou en tout cas des difficultés, dans un certain nombre de secteurs. J'ai demandé que la même étude soit faite pour maintenant et sur l'ensemble des branches, parce qu'il faut faire attention, nous n'avons pas une vision extrêmement claire de ce qui se passe pour les petites entreprises de moins de dix salariés, etc. Une fois que j'aurai ces résultats, je les porterai à la connaissance du Gouvernement, du Premier ministre, de vous-mêmes, et à partir de ce moment là, nous verrons comment nous devons agir.

La loi a été votée, nous savons bien quelles sont les dispositions qui existent. En même temps, le souci de toutes celles et tous ceux qui sont ici, c'est que la croissance soit la plus durable possible et que le maximum de personnes puissent trouver ou retrouver un travail et qu'il y ait un soutien du pouvoir d'achat. Donc, n'ayons pas de discussion théorique et encore moins théologique ! Regardons quelle est la situation concrète et à partir de là, essayons d'avancer dans le respect des textes qui ont été votés ! Voilà, c'est tout. Je suis quelqu'un qui essaie d'être aussi pratique que possible. Je pense que nous avons bien identifié, les uns et les autres, quels sont les objectifs en termes de croissance, de pouvoir d'achat, d'offre, de formation, et c'est à partir de cela qu'il faut avancer.

M. Pierre Méhaignerie.

Il faut laisser la liberté de choix entre le repos compensateur et une majoration de salaire ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

S'agissant de la question des cotisations sociales, question que nous avons déjà eu l'occasion de discuter, nous avons choisi la voie de l'allégement de la CSG. D'autres pensaient à d'autres pistes, mais je pense qu'il faut s'en tenir à celle qui a été proposée.

M. Cochet, intervenant avec sa clarté habituelle, a souligné les aspects qui lui paraissaient positifs dans ce budget et ceux qui lui semblaient l'être moins.

Sur la taxe Tobin, c'est un débat que nous avons eu et que nous aurons encore. Je tiens à vous signaler, monsieur Cochet, que le rapport sur la taxe Tobin, que vous avez qualifié d'« anonyme », porte une signature, celle du Gouvernement, même si ce rapport a été préparé par les services, comme c'est normal.

Les deux idées directrices - rassembler plus de moyens financiers en faveur des pays en développement et lutter contre la spéculation - nous paraissent à l'un et à l'autre parfaitement justes. Nos opinions divergent sur les modalités d'application de cette taxe. Pour notre part, nous estimons qu'elles sont inefficaces.


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Je laisse de côté l'échange que vous avez eu avec certains de vos collègues et qui pourrait donner matière à une thèse intitulée « amour et fiscalité ». C'est un thème que vous pourrez développer les uns et les autres à vos moments perdus.

En ce qui concerne l'environnement, j'ai noté, et je vous en remercie, que vous avez bien voulu souligner que les crédits du ministère de l'environnement avaient beaucoup augmenté.

En revanche, je serai beaucoup moins sévère que vous ne l'avez été à propos des crédits du secrétariat d'Etat à l'économie solidaire. D'abord, parce que ceux-ci ont augmenté d'un peu plus de 100 %.

M. Jean-Pierre Brard.

Quand on part de rien, trois fois rien, cela ne fait pas beaucoup ! (Sourires.)

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Non, monsieur Brard, trois fois rien, cela fait zéro ! Mais en l'occurrence, il ne s'agit pas de trois fois rien, puisque ce secrétariat d'Etat était précédemment doté d'environ 30 millions.

Cela dit, monsieur Cochet, je vous dirai amicalement que l'économie solidaire serait peut-être encore davantage soutenue si, lorsque, comme cela a été le cas, le secrétaire d'Etat à l'économie solidaire a défendu un certain texte de loi, vous aviez, avec d'autres, voté un article rédigé et introduit par lui, à ma demande. Si vous aviez accepté cette disposition, l'économie solidaire aurait peut-être encore plus de force !

Mme Nicole Bricq.

C'est vrai ! M. Cochet n'a pas voté la disposition en question.

M. Philippe Auberger.

Vous êtes pris le doigt dans le pot de confiture, monsieur Cochet ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Le secrétaire d'Etat à l'économie solidaire est dès lors en droit, non pas de vous reprocher votre vote d'ailleurs, il ne l'a certainement pas fait - mais de me dire : « Nous voulons faire quelque chose de bien pour l'économie solidaire, or voilà que quelques députés ne souhaitent pas voter une telle mesure. » C'est ce qu'il a

fait et je lui ai répondu : « Je vais utiliser toute ma force de persuasion - mais jusqu'à présent, cela n'a pas été suffisant - pour faire en sorte que M. Cochet la vote. »

M. Philippe Auberger.

Dans une bataille navale, on dit : « Touché ! »

M. Charles de Courson.

Touché - coulé ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Pour le Gouvernement, l'économie solidaire est un secteur important. Des actions sont menées, mais peut-être ne sont-elles pas suffisantes. Pour autant, la disposition d'esprit du Gouvernement à l'égard de ce secteur est vraiment tout à fait positive.

J'ai compris également que vous n'êtes pas très favorable à la voiture. (Sourires.)

M. Yves Cochet.

A certains types de voitures !

M. Jean-Pierre Brard.

M. Cochet est favorable à la voiture à pédales !

M. Philippe Auberger.

Il vient à l'Assemblée à trottinette ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

A certains types de voitures, dites-vous. Il est vrai que, dans ce domaine comme dans les autres, il faut éviter les excès. Il convient aussi de se souvenir de la phrase célèbre de cet écologiste avant la lettre - mais qui possédait aussi d'autres qualités - qui s'appelait Jean Jaurès : « Aller à l'idéal, mais si possible comprendre le réel. »

Un tel précepte s'applique à nombre de domaines dont celui de l'automobile.

M. Jean-Pierre Brard.

Jaurès est une bonne référence !

M. Charles de Courson.

Mais inadaptée au problème ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Jean Jaurès est en effet une très bonne référence, monsieur Brard.

Il suffit de lire ou relire les oeuvres de Jaurès, pour se rendre compte que, même sur des problèmes qui ne pouvaient pas se poser exactement dans les mêmes termes au moment où il écrivait, Jaurès donnait tout de même la ligne juste. C'est le propre des très grands esprits.

M. Jean-Pierre Brard.

C'est mieux que Maurras ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En tout cas, nous avons fait notre maximum, même si je ne suis pas sûr, pour ma part, de m'être haussé exactement à ce niveau cet après-midi.

Pour terminer, et avant que l'Assemblée examine la motion de renvoi en commission et entre dans le vif du sujet, je voudrais, comme je l'ai fait hier, au début de mon intervention, remercier ceux qui sont intervenus ou qui vont intervenir. Je tiens à vous dire que Christian Pierret et moi-même sommes extrêmement satisfaits de la tonalité avec laquelle ces débats démarrent et que nous sommes à votre disposition, comme il est normal de la part du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Motion de renvoi en commission

M. le président.

J'ai reçu de M. Jean-François Mattei et des membres du groupe Démocratie libérale et Indépendants une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. François Goulard.

M. François Goulard.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, on peut le regretter, mais nous sommes obligés de constater que, cette année, le débat budgétaire a plutôt moins retenu l'attention qu'à l'ordinaire. Est-ce dû à la concurrence de l'actualité ou au départ de certains ministres ? Est-ce l'effet d'une annonce anticipée des mesures fiscales au mois de septembre ? Je crois, pour ma part, que c'est plutôt l'absence d'une vraie ligne directrice, d'une vraie politique au sens plein du terme, qui nous vaut cette perte d'intérêt regrettable.

Ou pour dire les choses autrement, on sent trop qu'à l'approche des échéances les considérations électoralistes l'ont emporté sur toutes les autres. En effet, quelle autre inspiration voir dans ce budget que le souci, en matière de dépenses, de ne causer aucun mécontentement, et, en matière de recettes, de dispenser quelques aménités fiscales bien choisies pour valoir au Gouvernement la reconnaissance de telle ou telle partie de l'opinion.

M. Jean-Pierre Brard.

C'est ce que vous n'avez pas fait avant 1997 !

M. François Goulard.

Cette manière de gouverner, monsieur Brard, même si nous y sommes, depuis trois ans, accoutumés, ne peut pour autant nous satisfaire.

M. Jean-Pierre Brard.

C'est rassurant !


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M. François Goulard.

Et si je présente ce soir, au nom du groupe Démocratie libérale et Indépendants, une motion de renvoi en commission, c'est pour manifester qu'à notre sens une loi de finances devrait être autre chose qu'une manoeuvre de préparation des élections.

(« Oh ! » sur quelques bancs du groupe socialiste.)

S i telle n'était pas la préoccupation, comment admettre, mes chers collègues - et plusieurs des orateurs de l'opposition ont bien sûr développé ce thème cet après-midi -, que le déficit budgétaire demeure encore considérable alors que la croissance aurait dû permettre d'en venir à bout ? Si nous ne profitons pas des périodes de croissance pour réduire la dette de l'Etat, quand le ferons-nous ? Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie s'est attaché hier à établir que ses prévisions étaient raisonnables. Nous l'espérons. Dans l'intérêt du pays, personne ne souhaite que les faits lui donnent tort. Mais qu'il manque un point de croissance, comment comptezvous juguler le déficit qui augmenterait mécaniquement de 50 ou 60 milliards ? Est-ce une hypothèse parfaitement théorique de voir la croissance fléchir dans les prochains mois ? Quel sera l'impact réel de la hausse du prix du pétrole ? Surtout, la réapparition de tensions inflationnistes en Europe ne va-t-elle pas conduire nos autorités monétaires européennes à utiliser l'arme des taux d'intérêts, avec les conséquences que l'on sait sur la vigueur de nos économies ? Il est pour le moins imprudent d'aborder la période qui s'ouvre, plus incertaine sans doute que les trois ans et demi écoulés, sans avoir avancé davantage dans la réduction du déficit budgétaire.

Les pays raisonnables, et il y en a, ont mis à profit la période récente pour assainir leurs finances publiques, grâce à une véritable maîtrise des dépenses publiques. Au sein de l'Union européenne, des pays aussi divers que la Suède, le Luxembourg, l'Irlande, la Finlande et le Royaume-Uni dégagent désormais un excédent budgétaire ou sont sur le point de le faire.

M. Jean-Pierre Brard.

Le Liechtenstein !

M. François Goulard.

M. Fabius, qui nous a quittés il y a quelques instants, est un adepte des politiques budgétaires keynésiennes. Il nous l'avait montré à ses débuts lorsque, ministre du budget du gouvernement Mauroy, il avait organisé la plus forte progression des dépenses publique que la France ait connue.

Mais, pour être conséquent, encore faudrait-il que le déficit budgétaire ne perdure pas pendant les phases de croissance, phases où, pour les keynésiens, la relance n'est pas nécessaire. C'est pourtant le trait majeur du budget que vous nous présentez. Avant un allégement fiscal qui est très relatif - nous y reviendrons -, votre budget présente le paradoxe d'être en fort déficit malgré des anticipations de croissance plutôt optimistes.

Comment remédier à cette situation ? En renonçant à voir les impôts progresser inexorablement comme ils le font et comme ils vont continuer de le faire, malgré vos cadeaux fiscaux ? Sûrement pas ! La seule voie acceptable, c'est celle qu'ont suivie les autres pays que je citais à l'instant, c'est celle de la maîtrise des dépenses publiques.

J'entends d'avance l'objection que le ministre de l'économie et des finances a opposée tout à l'heure, lors des questions au Gouvernement, d'une façon que vous me permettrez de qualifier d'un peu facile, en demandant : « Faut-il réduire le budget de l'éducation ? Faut-il réduire les moyens alloués à la police ou à la justice ? » Cette objection est assez facile de la part d'un gouvernement qui a chargé la barque de la dépense publique d'une bonne centaine de milliards pour cause de 35 heures. Voilà 100 milliards bien mal employés qui contribuent à réduire, d'ailleurs très incomplètement, le coût des 35 heures pour les entreprises françaises.

Mais au-delà des dépenses nouvelles que vous infligez à nos dépenses publiques et à notre économie, nous prétendons, oui, que l'on peut non seulement éviter la dérive que connaît avec vous la dépense publique, mais encore réduire cette dernière en termes réels.

S'agissant de la dérive des dépenses publiques, j'observe qu'aucune objection sérieuse n'a été entendue dans les réponses du ministre de l'économie et des finances à la suite de la brillante démonstration de Charles de Courson, qui a établi, à mon avis, de manière totalement incontestable et parfaitement objective,...

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Selon vous !

M. François Goulard.

... que la dérive des dépenses était non de 1,5 % mais de 3,2 %, chiffre qui n'est pas étonnant, puisque, nous le constatons à la lecture de ce budget, aucun effort de rigueur particulier n'a été entrepris.

A ceux qui pensent que le niveau des dépenses publiques atteint aujourd'hui par la France constitue une fatalité, sauf à remettre en cause les grands services publics comme l'éducation ou la police, on peut faires implement remarquer que nos dépenses publiques dépassent de quatorze points la moyenne de celles des pays de l'OCDE et de plus de six points la moyenne de celles de l'Union européenne.

Si les Allemands manquaient de routes et d'écoles,...

M. Jean-Pierre Brard.

Parlons des trains britanniques !

M. François Goulard.

... si les autres petits Européens étaient moins bien éduqués que les petits Français, si la sécurité était beaucoup plus grande dans les pays voisins qu'en France, je pense que cela n'aurait pas échappé aux observateurs.

En vérité, la qualité des services publics français n'est sûrement pas supérieure à celle des pays comparables, mais ils coûtent sensiblement plus cher. Oui, nous pouvons avoir, dans notre pays, des services collectifs d'une qualité inchangée, voire supérieure, pour un coût plus faible. Oui, la mauvaise gestion publique est dispendieuse et se paie en pourcentage de la richesse nationale.

M. Jean-Louis Idiart.

Allez voir Thatcher !

M. François Goulard.

Nos administrations sont à peu près totalement dépourvues de moyens modernes de gestion : ni de comptabilité analytique, ni de contrôle de gestion. Les règles d'une gestion moderne des moyens matériels et financiers sont largement ignorées. La gestion des ressources humaines dans le secteur public est caractérisée par le gaspillage des compétences et engendre la démotivation des fonctionnaires.

M. Jean-Pierre Brard.

Ce n'est pas comme chez Michelin !

M. François Goulard.

La réforme de l'Etat qu'évoquait le ministre de l'économie et des finances à l'instant, la réforme de la gestion de l'Etat ne se borne pas, comme a l'air de le penser M. Sapin, à la suppression de la fiche d'état civil. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Elle devrait être une priorité nationale et elle va très audelà, monsieur le rapporteur général, de la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959 qui n'est, si vous me permettez l'expression, que la partie émergée de l'iceberg.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

On est tenté de demander au ministre de l'économie et des finances quand il va engager une réforme sérieuse de ses propres services, laquelle permettrait de supprimer cette spécificité française qui nous place à part de tous les pays développés et qui veut que nous ayons pas moins de t rois directions distinctes pour le recouvrement de l'impôt ! La réduction de la dépense publique est possible. Elle devrait constituer une priorité absolue. Elle seule est gage de réduction de l'impôt et de diminution de la dette publique. La croissance offrait une occasion de réduire de manière significative le déficit budgétaire. Cette occasion, vous êtes en train de la manquer.

En matière de recettes et de fiscalité, vous gaspillez également les occasions que vous offrait la croissance, tant il est vrai que toute réforme fiscale appelle des moyens considérables. Ces moyens, la croissance vous les fournit, mais vous les gaspillez sans engager aucune réforme fiscale digne de ce nom.

Nous avons entendu M. Fabius répondre hier par avance à des critiques qui ne lui étaient pas encore adressées.

Mme Nicole Feidt.

Ça ne va pas tarder !

M. François Goulard.

Craignant d'être attaqué précisément sur l'absence de réforme fiscale de ce projet de loi de finances, il nous a dit : « La réforme, c'est l'allégement des impôts. » Non

! Même des allégements d'une autre ampleur que ceux qui nous sont proposés n'épuisent pas, à l'évidence, le sujet de la réforme fiscale, et M. Fabius devrait le savoir mieux que personne.

Notre système fiscal appelle des réformes profondes sur des points fondamentaux. Or ce projet de budget passe totalement à l'écart de ces réformes quand il ne vient pas complexifier davantage ce qui appellerait clarification et simplification. Je citerai brièvement quelques exemples.

Le premier exemple que j'évoquerai est celui de la fiscalité locale. Avec la suppression de la vignette automobile pour les véhicules des particuliers, vous supprimez une ressource importante des départements. Ce faisant, vous poursuivez un mouvement qui a été engagé par ce gouvernement depuis 1997 et qui consiste à réduire progressivement l'autonomie fiscale des collectivités locales.

M. Jean-Louis Idiart.

Vous, vous n'avez rien fait !

M. François Goulard.

Mais en agissant ainsi, vous créez un problème nouveau pour les collectivités, sans pour autant vous attaquer au problème traditionnel et bien connu de la fiscalité locale, qui est celui de l'injustice profonde des bases de la taxe d'habitation et de la taxe sur le foncier bâti. En réduisant l'assiette de plusieurs impôts locaux et en en supprimant d'autres, vous ne faites qu'accentuer à terme les difficultés des collectivités locales à trouver des ressources grâce à des impôts qui ont aujourd'hui - et, je dois le dire, depuis assez longtemps démontré leurs limites.

Cette situation ne pourra pas durer, vous le savez comme chacun d'entre nous. Les collectivités locales ont besoin de liberté. Une certaine incapacité de l'Etat à gérer convenablement certains grands services publics appelle un vaste mouvement de transfert de compétences.

M. Jean-Yves Caullet.

Et la péréquation ?

M. François Goulard.

Les collectivités locales ont par conséquent besoin d'une fiscalité rénovée et évolutive, qui leur permette de faire face à l'accroissement très souhaitable de leurs responsabilités. De cette réforme-là, on ne trouve aucune trace, bien au contraire, dans le projet de loi de finances qui nous est soumis.

Mes chers collègues, voir un gouvernement socialiste baisser de manière considérable la fiscalité qui pèse sur les entreprises, c'est un fait étonnant. Malheureusement, cette bonne nouvelle ne nous concerne pas, puisque c'est en Allemagne qu'une vaste réforme fiscale est engagée au bénéfice des entreprises. En 2001, les entreprises allemandes verront en effet le taux de l'impôt sur les sociétés, qui est aujourd'hui d'un peu plus de 42 % pour les bénéfices mis en réserves, et de plus de 31 % pour les bénéfices distribués, réduit à environ 26 %, c'est-à-dire 25 % plus une surtaxe de 5,5 %. En France, la suppression de la surtaxe de l'impôt sur les sociétés devrait être faite dans des conditions de prudence et de progressivité telles que nous pouvons douter de votre intention réelle de baisser si peu que ce soit la fiscalité des entreprises. Cette mesure est d'ailleurs soigneusement gagée, puisque trois majorations de l'impôt sur les sociétés sont chargées d'y pourvoir : la modification du régime mère-fille, la réforme de l'amortissement dégressif, et enfin la réforme de l'avoir fiscal. Les entreprises qui ont à subir de plein fouet le choc des 35 heures qu'évoquait Pierre Méhaignerie tout à l'heure ne vont pas voir leur tâche facilitée.

En réalité, vous négligez un phénomène qui devrait pourtant occuper de plus en plus nos esprits, je veux parler de la concurrence fiscale entre Etats. La concurrence fiscale existe pour les particuliers. Tout le monde sait par exemple qu'aujourd'hui les portefeuilles financiers importants ont tous déserté la France : il n'y a plus de fortune importante qui soit gérée en France. Leurs heureux détenteurs ont transféré leurs avoirs dans des pays à la fiscalité plus favorable, en particulier au sein de l'Union européenne. Eh bien, ce phénomène vaut aussi pour les entreprises. Et craignez, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'un environnement fiscal, social, administratif de plus en plus défavorable fasse bientôt fuir des sièges sociaux français vers d'autres pays. Ce point me semble mériter au moins autant d'attention que les oeuvres d'art.

M. Jean-Pierre Brard.

Parlons-en ! Qui défendez-vous ?

M. François Goulard.

Monsieur Brard, je fais simplement observer que le maintien des sièges sociaux en France est au moins aussi important que la fuite éventuelle des oeuvres d'art.

M. Jean-Pierre Brard.

Vous protégez la fraude !

M. le président.

Monsieur Brard, laissez parler l'orateur !

M. François Goulard.

La surfiscalité des entreprises est telle, et l'écart d'imposition des entreprises entre la France et l'Allemagne par exemple est si important, que de nombreux fiscalistes d'entreprise se demandent si l'article 209 B du code général des impôts ne devrait pas s'appliquer aux filiales établies en Allemagne. Je rappelle que l'article 209 B du code général des impôts prévoit une imposition dérogatoire en France des bénéfices réalisés dans des filiales ou succursales établies dans des pays à fiscalité privilégiée.

Je regrette également que des impôts résiduels mais pourtant importants ne soient pas progressivement supprimés, je vise en particulier la taxe sur les salaires.

Cette taxe pèse sur deux grands domaines : d'une part, le secteur financier, qui a malheureusement refusé la TVA à une certaine époque, d'autre part, le secteur sanitaire et social, notamment les hôpitaux publics et privés,...

M. Christian Cuvilliez.

C'est vrai.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

M. François Goulard.

... et les associations qui emploient de nombreux salariés dans ce secteur. A l'heure où l'on consent un certain nombre de cadeaux fiscaux, un allégement fiscal dans ce domaine aurait été le bienvenu.

M. Jean-Pierre Brard.

C'est vrai.

M. François Goulard.

Il aurait profité à un secteur important qui n'a pas à supporter une fiscalité dérogatoire. Mais l'impact électoral d'une telle mesure aurait été, il est vrai, des plus limités.

(Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Cuvilliez.

Oh !

M. François Goulard.

L'impôt sur le revenu, quant à lui, fait l'objet, cette année, d'une certaine sollicitude, tant en ce qui concerne l'impôt sur le revenu traditionnel que son avatar plus récent, la CSG. Même si la distinction entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale empêche d'y voir clair - on passe d'un impôt à l'autre suivant les années - ces deux formes de prélèvement présentent, du point de vue économique et social, bien des similitudes, nous en avons beaucoup parlé cet après-midi. La CSG est, en quelque sorte, une première tranche, acquittée par tous, de l'impôt sur le revenu.

Les allégements que vous opérez ignorent la notion de foyer fiscal et, de ce fait, n'atteindront pas l'objectif d'équité que vous mettez en avant, puisque n'en bénéficieront pas dans des conditions d'égalité des personnes qui ont des charges de famille différentes. Vous ne nous empêcherez pas de voir dans cet édifice très complexe qui se dessine une oeuvre inachevée, insatisfaisante à de nombreux points de vue, et qui laisse pour son avenir de nombreuses questions en suspens.

Je relève tout de même un motif de satisfaction, la baisse de tous les taux de l'impôt sur le revenu, y compris du taux marginal de 54 %.

M. Jean-Pierre Brard.

Vous nous donnez raison, alors ?

M. François Goulard.

Certains jugeront cette baisse trop modeste, en particulier celle du taux marginal. Il est vrai qu'elle est très faible et très progressive.

M. Jean-Pierre Brard.

Vous trouvez que M. Messier paie encore trop d'impôts ?

M. François Goulard.

Rassurez-vous, il a des moyens de payer beaucoup moins d'impôts que vous et moi.

M. Jean-Pierre Brard.

On ne vous le fait pas dire !

M. François Goulard.

Plus qu'un symbole, cette baisse prend à mes yeux la valeur d'une conversion. Que la majorité socialiste, communiste et vert accepte un budget - même si une partie refusera sans doute l'article en question - dans lequel la baisse du taux supérieur de l'impôt sur le revenu est prévue, constitue, mes chers collègues de la majorité, un changement considérable. En acceptant cette baisse symbolique, vous reconnaissez, que vous le vouliez ou non et quels que soient les habillages ou les habiletés de présentation, vous reconnaissez les méfaits de la fiscalité confiscatoire. (Exclamations sur les bancs du groupe communiste.)

Qu'il me soit permis de saluer avec une certaine solennité cette mutation de l'opinion dominante de la gauche socialiste et communiste. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République.)

Je voudrais, pour terminer, revenir rapidement sur un débat que M. le rapporteur général a tenté d'ouvrir, mais que le Gouvernement a vite refermé, je veux parler des recettes liées à l'attribution des licences de téléphone mobile de troisième génération. Le rapporteur général s'est interrogé, à juste titre, sur le nombre d'opérateurs nécessaires. A regarder les pays étrangers, il semble que cinq opérateurs pouvaient parfaitement se justifier. Mais une autre question mérite d'être posée, elle concerne la méthode. Alors que les recettes ne parviennent pas à combler un déficit budgétaire qui reste considérable, je constate que la méthode retenue est différente de celle d'autres pays partenaires de la France en Europe - la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie et la Hollande - et qu'elle va nous coûter une centaine de milliards de francs.

Je déplore la méthode retenue pour plusieurs raisons, mais particulièrement pour cette raison financière et budgétaire.

Mes chers collègues, à cause de toutes ces faiblesses du projet de loi de finances qui nous est soumis, le groupe Démocratie libérale vous propose de voter la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Je serai bref, monsieur le président, parce que je n'ai entendu, dans l'intervention de notre collègue François Goulard, aucun argument nouveau.

Tous ces arguments, nous les entendons depuis le début de la discussion budgétaire. La commission des finances a beaucoup travaillé, a tenu plusieurs réunions dont deux très importantes au cours desquelles elle a examiné 250 amendements. Ce matin encore, nous en avons vu 200 autres au cours de la réunion qui s'est tenue en vertu de l'article 88 du règlement. Il me semble donc tout à fait inutile que la commission des finances se réunisse à nouveau, et j'invite notre assemblée à ne pas adopter la motion de renvoi en commission.

M. Didier Chouat.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Je rejoins la conclusion du rapporteur général et j'invite l'Assemblée à rejeter la motion de renvoi en commission.

M. Goulard nous critique sur notre manière de gouverner et qualifie ce budget d'électoraliste. Moi, je le juge volontaire.

Volontaire, car il sert des priorités : l'éducation nationale, la justice, l'environnement, monsieur Cochet, la sécurité. Il est donc au service d'une politique, qui, certes, n'est peut-être pas celle que vous souhaitez mais qui est clairement affichée.

Vous jugez imprudent le pari que nous faisons sur la croissance pour contenir les déficits. Pour moi, ce projet de budget est raisonnable car fondé, je l'ai rappelé cette nuit, sur une croissance qui se situe entre 3 et 3,6 %, et la croissance constatée en septembre, rapportée sur une année, est de 3,25 %.

Nous faisons un effort considérable pour réduire les déficits. Cela montre bien que nous ne sommes pas imprudents face aux impératifs européens et nationaux de réduction des déficits. Nous l'avons montré, Laurent


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

Fabius en a parlé ici même, en réponse à une question d'actualité cet après-midi : le déficit a été réduit de 100 milliards de francs entre 1997 et 2001.

Nous sommes également raisonnables et prudents lorsque nous prévoyons - ce chiffre n'a pas été suffisamment mis en avant lors de la discussion générale - que l'ensemble des dispositifs prévus en faveur des entreprises à l'occasion du passage aux 35 heures représentent 33 milliards de francs d'allégements divers. S'il ne s'agit pas d'une vision dynamique favorable à la croissance, favorable à l'investissement et à l'innovation, c'est que nous n'avons pas les mêmes critères.

Vous nous accusez par ailleurs d'être archaïques du fait de notre référence au service public. C'est, pour la gauche, un honneur que de se référer à la modernité des services publics, que de faciliter leur évolution, que de rester cohérent avec les options politiques que ceux-ci sous-tendent et les 11 337 emplois supplémentaires sont destinés à servir nos priorités, et en particulier dans l'éducation nationale.

Enfin, vous dites que ce budget ne contient pas de réforme fiscale. Il vous faut beaucoup d'audace pour juger ce budget timide sur ce point.

Mme Nicole Feidt.

Il faut surtout être de mauvaise foi !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

En effet, la fiscalité locale que nous proposons garantit parfaitement l'autonomie des collectivités locales.

M. Pierre Méhaignerie.

Non ! Bêtise !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

La dotation globale de fonctionnement est augmentée dans une proportion remarquable.

M. Pierre Méhaignerie.

Et la DCTP ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Le transfert de l'Etat vers les collectivités locales augmente de 4,2 %, chiffre jamais atteint au cours des dernières années.

M. Pierre Méhaignerie.

Vous dites n'importe quoi !

M. Philippe Auberger.

On voit que vous n'êtes plus maire de Saint-Dié !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

La réforme fondamentale de l'impôt sur les sociétés est tout à fait comparable à celle opérée par d'autres pays membres de l'Union européenne, elle nous met en bonne place dans cette compétition économique.

Enfin, ce projet de budget prévoit une réforme de la fiscalité favorable aux plus défavorisés et aux classes moyennes, une baisse de l'impôt sur le revenu, pour 11 milliards de francs, une réforme généreuse des dégrèvements de taxe d'habitation, pour 5 milliards de francs, la suppression de la vignette automobile, pour 12 milliards de francs, une baisse de la TVA, pour 60 milliards de francs.

Au total, l'allégement en faveur des ménages est substantiel. En outre, il n'est pas neutre car il est dirigé principalement vers les plus démunis et vers les classes moyennes.

M. Pierre Méhaignerie.

Le rapport dit l'inverse !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Ce projet de budget est donc l'expression d'une véritable réforme fiscale.

Jamais une réforme d'une telle envergure n'a été entreprise au cours des années où vous souteniez un autre gouvernement.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Philippe Auberger.

Les Français ne vous croient pas ! Ce sont eux qu'il faut convaincre, pas nous !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Ce projet de budget se caractérise par une dernière valeur. S'il est volontaire et raisonnable, s'il est cohérent et audacieux, il est en effet aussi, et c'est l'honneur du Gouvernement et de la majorité qui le soutient, juste.

M. Pierre Méhaignerie.

N'importe quoi !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Nous voulons adapter cette réforme fiscale à l'objectif de justice fiscale, à l'objectif de justice sociale. La discussion des articles le prouvera : ce qui irrigue la pensée fiscale du Gouvernement, c'est bien la justice.

Voilà ce qu'il fallait faire, un budget dynamique, un budget qui prépare la France de demain, un budget cohérent avec les valeurs politiques défendues par la majorité.

(« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. JeanPierre Brard, pour le groupe communiste.

M. Jean-Pierre Brard.

Et apparentés, monsieur le président.

(Sourires.)

Vous avez du mal à vous y faire ! On dit couramment que certains mots ont perdu leur sens. Mais, grâce à M. Goulard, il en est un qui fait la démonstration qu'il a gardé toute sa force, c'est l'adjectif

« réactionnaire ». (Rires sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

A côté de vous, monsieur Goulard, même MM. Carrez, Auberger et Méhaignerie sont de dangereux gauchistes ! (Sourires.)

M. François Goulard.

A qui le dites-vous !

M. Jean-Pierre Brard.

Dans cet aréopage, M. Gantier occupe une position centriste. (Sourires.)

Je ne veux pas lui nuire pour ne pas lui faire perdre les voix des aristocrates qui peuplent son arrondissement.

M. Goulard « idéologise ». C'est intéressant, il fait la démonstration que l'opposition a besoin de faire, en quelque sorte, son aggiornamento...

Toutes ses forces composites et éclatées devraient en quelque sorte tenir concile pour faire leur Vatican II et ne plus parler la langue de bois politicienne.

M. Philippe Auberger.

Quel jésuite, ce Brard !

M. Jean-Pierre Brard.

Je m'imaginais un Montreuillois, une Montreuilloise vous écouter, monsieur Goulard. Ils m'auraient demandé : « Mais, monsieur le maire, quelle langue parle donc cet homme-là ? » Ils n'auraient pas pu comprendre, parce que vous ne parlez pas des problèmes de la vie quotidienne des gens, des préoccupations des familles.

Certes, vous nous avez emmenés à l'étranger. Autrefois, des gens comme vous nous emmenaient à Moscou. (Sourires.) Hier, c'est nouveau, c'est M. Gantier qui nous y a emmenés. Alors, comme vous n'allez plus à l'Est,...

M. François Goulard.

Heureusement !

M. Jean-Pierre Brard.

... vous allez à l'Ouest. Et vous nous dites que, dans d'autres pays, c'est mieux. Vous citez le Luxembourg. Au moins, vous êtes fidèles à vos valeurs, celles qui sont cachées dans les coffres-forts. (Sourires.)

M. François Goulard.

J'ai cité aussi la Suède et la Finlande.

M. Jean-Pierre Brard.

Vous citez la Grande-Bretagne.

Voyez comment s'en sort M. Blair dans les élections partielles ! C'est à cela que vous voulez pousser la majorité


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

plurielle ? Evidemment, le Gouvernement est bien inspiré de ne pas suivre l'exemple d'outre-Manche, qui serait tout à fait mortifère.

Vous nous dites qu'il faut réduire en termes réels la dépense publique et vous comparez des carottes et des navets. Et vous le savez parfaitement ! Car, si vous voulez vous faire soigner en Grande-Bretagne, il vaut mieux ne pas être malade ! (Sourires.)

M. François Goulard.

Oui, c'est une médecine totalement étatisée !

M. Jean-Pierre Brard.

Si vous voulez prendre le train en Allemagne, il vaut mieux ne pas être pressé et, éventuellement, prendre une assurance pour que votre veuve en profite. (Rires.)

Parce que, l'opinion publique ne le sait pas, en Allemagne, les trains n'arrivent pas à l'heure et la quantité d'accidents est nettement supérieure à ce qui se passe chez nous.

M. François Goulard.

C'est pourtant une compagnie nationalisée !

M. Jean-Pierre Brard.

Quant à l'insécurité, je vous recommande Berlin et Kreutzberg, vous m'en direz des nouvelles.

Bien sûr, comparaison n'est pas raison, mais vous n'avez cité aucun exemple précis qui vienne à l'appui de votre fausse démonstration parce que vous ne pouvez pas en trouver.

Evidemment, pour vous, l'impôt est, par nature, condamnable. Et vous avez mis le Gouvernement en garde, c'est peut-être d'ailleurs votre seul argument valable. Il faut dire que le Gouvernement vous met en appétit - à propos du barème de l'impôt sur le revenu.

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Du différentiel !

M. Jean-Pierre Brard.

Cela me rappelle ce que disait August Bebel...

M. Jean-Louis Idiart.

Bien connu à Montreuil ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard.

...

« Quand mon adversaire me félicite, je me demande quelle bêtise j'ai commise. »

M. Goulard vous tressant des lauriers, vous devriez quand même, monsieur le secrétaire d'Etat, vous demander si vous ne faites pas fausse route. Mais nous en reparlerons à l'article 2.

Le problème n'est pas que nos services publics seraient plus chers qu'ailleurs ou qu'ils souffriraient d'une mauvaise gestion. C'est qu'ils sont plus étendus qu'ailleurs. Et si, pour reprendre le chiffre cité un jour ici par Martine Aubry, malgré cinq millions de chômeurs, notre société n'a pas explosé, si nous n'avons pas connu les émeutes de Los Angeles ou de Brighton, cela tient peutêtre précisément aux valeurs sur lesquelles notre société est fondée et aux services publics qui ont garanti un minimum de solidarité dans cette période terrible dont nous ne sommes pas encore complètement sortis.

Monsieur Goulard, tout le monde l'aura compris, votre motion de renvoi en commission n'était qu'un prétexte pour prendre la parole. Mais vous ressuscitez le Club de l'horloge...

M. François Goulard.

C'est Julien Dray le Club de l'horloge !

M. Jean-Pierre Brard.

... et autre lieu de l'élaboration idéologique pour mettre en avant les concepts les plus dangereux pour notre société auxquels, heureusement, les Français ont tourné le dos en 1997. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le groupe Radical, Citoyen et Vert.

M. Yves Cochet.

Au nom du groupe Radical, Citoyen et Vert, je tiens d'abord à féliciter M. Goulard. D'une part, il a été bref et, d'autre part, il est l'un de nos collègues les plus assidus. Il est vraiment de tous les combats - de tous les combats libéraux, veux-je dire qui consistent à dire et à répéter jusqu'à satiété, d' une manière que l'on pourrait, ce qui, dans sa bouche, est parfois une critique qualifiée...

M. Philippe Auberger.

De pédagogique ?

M. Yves Cochet.

... de théologique,...

M. Jean-Pierre Brard.

C'est même téléologique ! (Rires.)

M. Yves Cochet.

... que le libéralisme est le remède à tous nos soucis.

On peut donc comprendre que, pour des libéraux purs de son espèce, moins il y a d'Etat et mieux on se porte.

Pour ma part, je ne le crois pas.

Le projet de loi de finances du Gouvernement, avec les amendements que nous allons y apporter, contribuera à la défense de nombreux services publics de qualité.

Monsieur Goulard, notre système de santé, sur lequel nous reviendrons lors de l'examen du PLFSS, est malgré tout le meilleur du monde d'après les études comparatives récentes menées par quelques organismes internationaux.

Il est le meilleur globalement, tous critères confondus.

M. Philippe Auberger.

Il est le plus cher !

M. Yves Cochet.

Pour avoir la qualité, il faut y mettre le prix, monsieur Auberger ! Je dirai la même chose de beaucoup de services publics en France, que M. Brard vient de comparer.

Pour toutes ces raisons et compte tenu du fait que nous avons déjà, en commission, examiné le projet de loi et déposé des amendements, que nous allons commencer de discuter ce soir, notre groupe invite l'Assemblée à ne pas adopter la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Philippe Auberger, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. Philippe Auberger.

Je suis un peu étonné des propos qu'a tenus tout à l'heure M. le secrétaire d'Etat.

Le Premier ministre nous a dit qu'il souhaitait que ses ministres soient davantage à l'écoute des Français. Je veux bien croire que M. Pierret n'ait plus le temps de tenir des permanences, comme nous le faisons en tant que députés de base. Mais un certain nombre d'analyses ont été faites.

Prenons, par exemple, les enquêtes sur le moral des ménages réalisées par l'INSEE. Celle du mois de septembre montre que le moral des Français a nettement chuté par rapport à ce qu'il était avant l'été. Si le Gouvernement ne veut pas en tenir compte, il n'a qu'à supprimer carrément ces enquêtes et il ferait ainsi des économies. Il peut même supprimer l'INSEE si ses enquêtes ne lui conviennent pas.

Mais il n'y a pas que les enquêtes de l'INSEE.

D'autres organismes analysent l'opinion publique et leurs conclusions ont bien montré que les propositions d'allégements fiscaux du Gouvernement ne répondaient pas du tout à l'attente des Français. Il serait bon que le Gouvernement s'en imprègne.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2000

La présentation de ces allégements faite le 31 août dernier a essuyé un fiasco complet auprès de l'opinion publique et seule une toute petite minorité de gens croient aux propositions et aux promesses du Gouvernement en ce domaine. Celui-ci serait bien inspiré d'en tenir compte, à moins qu'il n'interdise les sondages d'opinion, ce qui serait une façon de procéder.

J'ajoute que d'autres analyses, très scientifiques, ont été aussi conduites.

L'année dernière, le rapport économique et financier s'était essayé à évaluer l'incidence des différents allég ements fiscaux en fonction du revenu des personnes. Cette année, cette approche n'a même pas été esquissée.

L'Observatoire français des conjonctures économiques a quant à lui été le seul à faire une analyse scientifique rigoureuse, sous la conduite d'un certain nombre de professeurs de sciences économiques très doctes, dont son président, de l'incidence des allégements fiscaux, quartile par quartile. Il ressort de cette analyse, qui est incontestée et incontestable, que ces allégements ne vont pas du tout dans le sens qu'indique le Gouvernement : seuls le premier et le quatrième quartile sont véritablement intéressés par ces allégements, le deuxième et le troisième n'en retirant pratiquement rien.

Je rappelle que cette analyse a été reprise par plusieurs journaux quotidiens.

Je veux bien que le Gouvernement soit sourd et muet, qu'il n'écoute pas le pays. Mais alors il convient de condamner sa méthode, et c'est pourquoi il faut renvoyer le projet de budget qui nous est proposé devant la commission des finances, qui le réexaminera. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Méhaignerie, pour le groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.

M. Pierre Méhaignerie.

Je ferai simplement deux observations.

D'abord, on peut comprendre que M. Pierret réponde négativement aux questions de M. Goulard. Mais si ses réponses continuent d'être aussi caricaturales, nous n'aurons d'autre solution, pour amener le Gouvernement à un peu plus de rigueur, que de demander des suspensions de séance. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Ensuite, je rappellerai que beaucoup de nos partenaires européens, y compris sociaux-démocrates, estiment que les conditions du progrès social, et en particulier pour ce qui touche au pouvoir d'achat, passent par des réformes d'essence libérale.

Evitons de caricaturer les positions des autres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

M. le président.

La suite de la discussion du projet de loi de finances est renvoyée à la prochaine séance.

5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq, troisième séance publique : Suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2001 (no 2585) : M. Didier Migaud, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport no 2624.)

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT