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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Questions au Gouvernement (p. 9517).

INSTITUTIONS EUROPÉENNES ET DÉRÉGLEMENTATION (p. 9517)

MM. Pierre Goldberg, Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

RELATIONS FRANCO-ALLEMANDES

PENDANT LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE (p. 9517)

MM. François Léotard, Lionel Jospin, Premier ministre.

NOUVELLE CONVENTION D'ASSURANCE-CHÔMAGE (p. 9519)

M. Gérard Terrier, Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité.

ORGANISATION ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL HIVERNAL (p. 9520)

MM. Alain Néri, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

AIDE À LA FILIÈRE BOVINE (p. 9520)

MM. André Godin, Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

MESURES EN FAVEUR DES SOURDS (p. 9521)

M. Francis Hammel, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

SOMMET DE NICE (p. 9521)

MM. Georges Sarre, Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

EUROPE SOCIALE (p. 9522)

M. Jean Pontier, Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité.

SITUATION DE LA JUSTICE (p. 9523)

M. Philippe Houillon, Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.

CIRCULATION AÉRIENNE EN ÎLE-DE-FRANCE (p. 9524)

MM. Georges Tron, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

INTRODUCTION DE TÉLÉPHONES PORTABLES DANS LES PRISONS (p. 9525)

M. Robert Lamy, Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.

VIOLENCE À L'ÉCOLE (p. 9526)

Mme Martine Aurillac, M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel.

Suspension et reprise de la séance (p. 9526)

PRÉSIDENCE DE Mme CHRISTINE LAZERGES

2. Interruption volontaire de grossesse et contraception. Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (p. 9527).

QUESTION PRÉALABLE (suite) (p. 9527)

Question préalable de M. Jean-François Mattei (suite) : Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité ; M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles ; Mme Béatrice Marre, MM. Bernard Perrut, Patrick Delnatte, Mme Muguette Jacquaint, M. Yves Bur, Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure de la commission des affaires culturelles.- Rejet.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 9533)

MM. Bernard Charles, Bernard Perrut, Philippe Nauche, Mmes Jacqueline Mathieu-Obadia, Muguette Jacquaint, Marie-Thérèse Boisseau, Chantal Robin-Rodrigo, Sylvia Bassot, Yvette Roudy, Nicole Catala, Huguette Bello, Christine Boutin, Marisol Touraine, Nicole Ameline, Marie-Hélène Aubert, Roselyne Bachelot-Narquin,

MM. Jean Rouger, Patrick Delnatte, Bernard Accoyer.

Clôture de la discussion générale.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

3. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 9555).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par le groupe communiste.

INSTITUTIONS EUROPÉENNES ET DÉRÉGLEMENTATION

M. le président.

La parole est à M. Pierre Goldberg.

M. Pierre Goldberg.

Ma question s'adresse à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Un projet de réforme de l'article 133 du traité de l'Union européenne est proposé par le commissaire européen, M. Pascal Lamy. Cet article est essentiel pour le f onctionnement des institutions européennes, car il concerne le processus de décision. La Commission propose ni plus ni moins que de supprimer le principe du vote à l'unanimité des Etats membres pour les questions touchant aux secteurs des services, des droits de la propriété intellectuelle et des investissements, et de le remplacer par le vote à la majorité qualifiée, où les pays membres ne sont plus sur un pied d'égalité.

Le vote à l'unanimité était considéré, jusqu'à présent , pour certains secteurs comme une garantie contre toute déréglementation ou ouverture à la concurrence. Si cette procédure est supprimée, les Etats ne disposeront plus de leur droit de veto sur des décisions européennes qui représenteraient, à leurs yeux, une menace ou un recul social important.

Ainsi, notre pays ne serait plus maître de sa politique, notamment en matière d'enseignement public, de culture ou d'audiovisuel : on mesure donc la gravité d'une telle proposition. Cette réforme, si elle aboutissait, risquerait d'accélérer l'intégration de l'Europe dans les transformations libérales engagées dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, sous l'égide des Etats-Unis.

A la veille du sommet de Nice consacré à la réforme des institutions, que la France va présider, pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, ce que le Gouvernement entend faire pour s'opposer à la déréglementation libérale de secteurs essentiels qui font l'exception française.

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

Monsieur le député, il est exact que, dans une semaine, se tiendra à Nice la conférence intergouvernementale où nous devrons effectivement élaborer un nouveau traité pour préparer l'élargissement. D'une manière générale, nous souhaitons accroître la place du vote à la majorité qualifiée, parce que c'est le vote qui se pratique en démocratie et parce que si l'unanimité a des avantages elle est parfois aussi paralysante.

Vous avez évoqué la question très spécifique de l'article 133-5, relatif aux négociations commerciales multilatérales, notamment en matière de services - service public, service audiovisuel. Je veux vous assurer que le gouvernement français, dans cette affaire, se fera jusqu'au bout - jusqu'à Nice - le défenseur de notre identité culturelle. Nous considérons, en effet, qu'il serait dange-r eux d'accepter la majorité qualifiée pour certaines matières, comme l'audiovisuel ou la culture. Nous devons pouvoir conserver des moyens de défendre, dans les négociations commerciales multilatérales, une identité culturelle française, mais aussi européenne.

Certes, la Commission a adopté, sur ce point, une position très allante et, en tant que présidence de l'Union, on doit la prendre en considération. Mais la position de la délégation française est extrêmement claire : ce sera de préserver, en toutes circonstances, y compris sur ce point-là, l'identité culturelle européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

RELATIONS FRANCO-ALLEMANDES

PENDANT LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE

M. le président.

La parole est à M. François Léotard.

M. François Léotard.

Monsieur le Premier ministre, dans une semaine, s'ouvrira à Nice le Conseil européen qui mettra un terme, pour l'essentiel, à la présidence française. Si les institutions ne changent pas, la France assumera de nouveau cette responsabilité en 2008. Si entre-temps l'élargissement de l'Union se réalise, la prochaine présidence française sera exercée, dans les conditions actuelles, autour de 2020. Cet éloignement dans le temps rend plus nécessaire encore une réussite pour laquelle ni le Président de la République ni le Gouvernement n'auront ménagé leurs efforts.

Ma question n'a donc sur ce sujet ni volonté polémique, ni caractère partisan. Avec un certain irénisme, d'ailleurs, elle pourrait être posée non seulement au nom des groupes de l'opposition, mais au nom aussi de tous les parlementaires attachés à une véritable ambition politique pour notre continent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Cette question porte sur un sujet qui conditionne depuis 1958 les succès ou les échecs de la construction européenne. Je veux parler de la relation franco-allemande. Malgré les dénégations des deux gouvernements, ces relations connaissent un fléchissement, le mot est probablement un peu faible, que tous les observateurs impartiaux, des deux côtés du Rhin, s'accordent à reconnaître.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

Certes, la crise périodique du couple franco-allemand fait partie du paysage européen. Mais il se trouve qu'elle a toujours été surmontée, alors que, aujourd'hui, elle se traduit par une multiplication des frictions et des malentendus.

J e ne mettrai l'accent que sur deux questions, récurrentes, qui nous sont posées, au-delà du gouvernement fédéral, par la société politique allemande : premièrement, la règle de la double majorité dans la pondération des voix - majorité des Etats, majorité des peuples ; deuxièmement, la reconnaissance de la langue allemande comme langue de l'Union européenne.

Sur la première question, celle de la double majorité, la crise de l'élection présidentielle américaine montre que ce n'est pas une préoccupation secondaire. On peut, bien entendu, accepter la réunification allemande comme une fatalité. On peut aussi l'accepter comme une chance. Les 16 millions d'Allemands qui ont rejoint, en 1990, le camp de la démocratie méritent aussi d'être accueillis dans l'Union comme des citoyens.

Sur le second point, celui de la langue, nous devrions faire en sorte qu'une des très grandes langues de notre continent ait sa juste place dans notre culture et dans notre droit. Je rappelle que, dans nos deux pays, nous assistons, paralysés et impuissants, à l'affaiblissement constant de l'enseignement de la langue de l'autre.

Sur ces deux points, monsieur le Premier ministre - celui de la représentation des peuples, celui de la reconnaissance des langues -, il me semble important que le Parlement puisse avoir, avant la réunion de Nice, la position précise du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le d éputé, naturellement, sous la présidence française, l'accent a été mis sur la réforme des institutions de l'Union européenne, donc sur la conférence intergouvernementale. Cette réforme est très importante pour l'avenir de l'Europe avant l'élargissement.

M ais on observe également, dans le travail de l'ensemble du Gouvernement et des autorités françaises sous cette présidence, l'émergence d'une Europe des valeurs, d'une Europe des problèmes de fond, d'une Europe concrète dont les conseils des ministres successifs ont montré que, grâce à l'action des divers ministres, nous savions la faire avancer.

Je voudrais, mesdames et messieurs les parlementaires, que vous soyez conscients que, si le nombre des commissaires, les modes de vote, les problèmes de repondération ou de double majorité sont essentiels, ceux qui touchent à la sécurité alimentaire, à la sécurité maritime, à l a réforme sociale en Europe, ou à l'harmonisation fiscale sont plus importants, ou, en tout cas, aussi importants pour nos concitoyens.

Même si Nice doit être une étape décisive, la présidence française entend bien continuer à travailler sur certains de ces dossiers, au-delà de ce sommet et jusqu'au 31 décembre. En outre, même si la présidence ne nous revient plus avant 2008, l'influence de la France pourra tout de même s'exercer. Et je me demande parfois, la présidence ayant vocation à chercher les compromis, si l'on ne peut pas davantage être une force motrice et faire avancer les choses lorsqu'on ne l'a pas !

M. Robert Pandraud.

Tout à fait !

M. Pierre Lellouche.

C'est incroyable !

M. le Premier ministre.

Au 1er janvier 2001 comme au 31 décembre 2000, toutes les autorités françaises pourront continuer à travailler au service de notre pays et de l'Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste. - Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) S'agissant de la réforme des institutions, le ministre des affaires étrangères, celui des affaires européennes et les diplomates, d'autres ministres encore, moi-même et, naturellement, au premier rang, le chef de l'Etat, nous y travaillons. D'ailleurs, le Président de la République mène la tournée traditionnelle de la présidence qui doit lui permettre de rassembler les fils d'un compromis possible à Nice.

Voilà à quoi nous travaillons. Naturellement, pour l'instant nous en sommes encore à la négociation et il n'est pas possible, aujourd'hui, de faire des pronostics.

Bien sûr, nous souhaitons aboutir à un accord à Nice, mais nous voulons aussi que ce soit un bon accord, c'està-dire un accord qui permette vraiment de réformer les institutions européennes.

Je ne crois pas qu'il faille être trop préoccupés par les difficultés prétendues de la relation franco-allemande.

C'est un classique de l'histoire européenne et des sommets européens. En réalité, les relations sont bonnes, et nous travaillons.

Pour ce qui concerne la double majorité, la France est favorable à la repondération des voix, mais nous continuons à discuter avec l'ensemble de nos partenaires, et nous verrons bien.

Sur la question de la langue allemande, nous comprenons parfaitement que les autorités allemandes et notre ami le chancelier Schrder s'en soucient. Pendant la présidence française, nous avons veillé à ce que le statut de la langue allemande et son interprétation soient assurés.

Mais il faut comprendre - et il peut aussi s'agir de l'avenir du français - que, si nous institutionnalisions quoi que ce soit à cet égard, nos amis espagnols, italiens ou des autres pays membres pourraient eux aussi formuler des demandes.

Avec l'adoption de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que nous allons proclamer à Nice, nous allons faire un grand pas dans la réaffirmation de ce que sont les valeurs communes des peuples de l'Europe, d'une Europe démocratique. Je sais que certains, notamment parmi les forces sociales, auraient souhaité que cette charte ait un contenu contraignant, ce qui n'est pas l'avis de tous. En réalité, pour obtenir l'accord politique des Britanniques sur un contenu qui suscite leurs réticences, surtout lorsqu'il s'agit d'y intégrer les droits sociaux, qui y figureront pourtant, nous nous contenterons, je crois, d'une affirmation politique.

Sous notre présidence, l'Europe sociale a marché d'un bon pas. Le dernier résultat est celui que nous devons à la ministre de l'emploi et de la solidarité, Elisabeth Guigou, qui a obtenu un accord unanime sur l'agenda social, dossier très difficile, et sur la lutte contre les exclusions.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Nicolin.

Et les 35 heures ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

M. le Premier ministre.

Dans le domaine des échanges culturels et humains, je me réjouis que, grâce à l'action de Jack Lang et des autres membres de l'Union européenne,...

M. Yves Nicolin.

Baratin !

M. le Premier ministre.

... nous ayons pu adopter un grand plan de mobilité des étudiants, des chercheurs et des enseignants,...

M. Yves Nicolin.

Sans intérêt !

M. François Goulard.

Et c'est trop long !

M. le Premier ministre.

... que, grâce à Catherine Tasca, la ministre de la culture, nous ayons pu obtenir u ne enveloppe importante pour le programme Média Plus.

Je parlais tout à l'heure de l'harmonisation fiscale.

Dans un dossier qui paraissait inextricable, il faut se féliciter qu'à l'ECOFIN, sous la présidence de Laurent Fabius, le paquet fiscal ait été bouclé et ait débouché sur un accord, notamment sur la fiscalité de l'épargne. C'est un pas extrêmement important.

Je me réjouis aussi des progrès qui ont été accomplis dans le domaine de la sécurité des transports maritimes grâce à Jean-Claude Gayssot (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), de même que dans le domaine de la sécurité alimentaire grâce à Jean Glavany.

(Protestations sur les mêmes bancs.)

Vous voyez que les acquis de la présidence française sont excellents. Je ne doute pas que, sous la présidence de M. Chirac, à Nice, nous pourrons obtenir un résultat supérieur et consacrer ces premiers pas en avant.

Je suis sûr que c'était cela qu'au nom des trois groupes de l'opposition et des trois groupes de la majorité vous aviez envie d'entendre, monsieur le député.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe socialiste.

NOUVELLE CONVENTION D'ASSURANCE CHÔMAGE

M. le président.

La parole est à M. Gérard Terrier.

M. Gérard Terrier.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Demain jeudi, un rapport sur la nouvelle convention d'assurance chômage sera présenté au Conseil supérieur de l'emploi. Faisant de l'emploi sa priorité, et fidèle à ses engagements de défendre les chômeurs, le Gouvernement n'avait pas voulu signer les accords des 29 juin et 23 septembre 2000. Ce refus fort légitime était partagé par les organisations syndicales non signataires, par des organismes représentatifs des salariés et par les parlementaires de la majorité plurielle. Les critiques avaient été formulées par une lettre de Martine Aubry et Laurent Fabius, datée du 24 juillet 2000.

Contrairement aux idées reçues, ces accords ont fait l'objet d'améliorations. Ces améliorations sont-elles suffisamment significatives pour que le Gouvernement envisage de changer sa position ? Confirmez-vous, madame la ministre, l'amélioration de l'indemnisation du chômage par la suppression de la dégressivité et par l'extension de la couverture, ainsi que l'amélioration des moyens consacrés à l'aide personnalisée aux demandeurs d'emploi ? Les remarques contenues dans la lettre du Gouvernement, notamment en ce qui concerne le contrôle de la recherche d'emplois, ont-elles été prises en compte ? Enfin, pour être applicable, cet accord doit faire l'objet d'une adaptation législative. Pouvez-vous confirmer à la représentation nationale qu'elle se limitera à accorder l'autorisation au régime d'utiliser ses propres fonds pour autre chose que l'indemnisation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité.

A toutes vos questions, monsieur le député, je réponds "oui". (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Oui, l'indemnisation des chômeurs sera améliorée, d'abord par la suppression de la dégressivité, ensuite par l'amélioration de la couverture des fins d'emplois précaires, si bien que 200 000 chômeurs de plus au total seront couverts par l'assurance chômage.

Oui, les chômeurs bénéficieront d'un accompagnement personnalisé assuré par l'ANPE, le service public de l'emploi, avec chacune des personnes concernées et les moyens de ce suivi seront renforcés, puisque 15 milliards de francs seront consacrés aux plans d'aide personnalisée, c'est-à-dire quatre fois plus que ce qui était prévu en juin dernier, dans le premier projet d'accord.

Oui, au total ce seront 45 milliards de francs qui seront affectés à l'amélioration de l'indemnisation et à l'aide au retour à l'emploi.

Un député du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

Merci le MEDEF !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je vous confirme également, monsieur le député, qu'il n'y aura pas de changement dans les systèmes actuels de contrôle de l'indemnisation des chômeurs, pas plus que dans celui des sanctions. Le service public de l'emploi en sera toujours chargé et non les ASSEDIC comme le prévoyaient les précédents projets d'accord. Le PARE, plan d'aide au retour à l'emploi, et le PAP, projet d'aide personnalisée, seront systématiquement proposés, mais ne seront pas des conditions à l'indemnisation, lesquelles ne sont pas modifiées.

Le code du travail tel qu'il est aujourd'hui restera donc inchangé et l'autorisation législative ne concerne que le financement.

Les baisses de cotisations sont également moins importantes que ce qui était prévu dans les premiers accords puisqu'elles ne seront que de 28 milliards de francs sur trois ans au lieu de 71 milliards de francs, et seule la première baisse, celle de janvier 2001, est prévue, les autres sont conditionnelles.

Vous voyez donc que cet accord ne présente pas les risques de régression qui avaient été signalés par la lettre conjointe de Martine Aubry et de Laurent Fabius. Il représente au contraire un progrès. Bien sûr, on aurait pu espérer qu'il soit encore meilleur, mais, en tout cas, c'est un progrès pour les chômeurs, et ce sont ces éléments que le Gouvernement portera demain par écrit au Comité de l'emploi pour répondre aux questions des partenaires sociaux. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste.)


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ORGANISATION ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL HIVERNAL

M. le président.

La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le ministre, l'hiver arrive, les premières neiges sont à nos portes et les populations et les élus de nos zones rurales de montagne s'interrogent sur les conséquences de l'application de votre circulaire du 21 juillet 2000 relative à l'organisation et à la sécurité du travail hivernal.

Si je partage les objectifs poursuivis par votre circulaire, qui vise à améliorer les conditions de travail des personnels des directions départementales de l'équipement, objectifs compréhensibles et parfaitement louables, sa mise en oeuvre sur le terrain génère une grande inquiétude. En effet, il apparaît que de très nombreuses difficultés vont se faire jour pour maintenir des conditions de circulation convenables sur le réseau routier de nos départements de montagne et de demi-montagne, plus particulièrement en fin de journée et pendant les week-ends.

Il est impératif d'assurer la sécurité des usagers et des populations. Il faut garantir que les services publics tels que les transports scolaires, La Poste, les sapeurs pompiers, les médecins pourront remplir leurs missions.

Les communes rurales de montagne pourraient aussi connaître des difficultés gravement dommageables pour leur activité économique et touristique si les moyens matériels de déneigement ne pouvaient être mis en action faute de personnels et de chauffeurs.

Aussi, ne pensez-vous pas qu'il serait bon, et urgent, de surseoir à l'application de votre circulaire et de décider d'un moratoire de six mois qui permettrait d'engager une concertation avec les conseils généraux pour maintenir la qualité du service de viabilité hivernale et assurer la sécurité de nos populations ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République).

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des t ransports et du logement.

Monsieur le député, je comprends d'autant mieux votre préoccupation que de nombreux élus, sur tous les bancs de cet hémicycle d'ailleurs, m'ont posé ce type de question à la suite de cette circulaire.

Dès mon arrivée en 1997, j'ai donné suite à une demande forte des organisations syndicales de travailler sur les questions de l'exploitation et de l'entretien de l'infrastructure routière. Une conférence nationale a été organisée et les organisations syndicales ont demandé que cesse une situation anormale. Dans le Puy-de-Dôme, par exemple, que vous connaissez bien, certains agents de l'Equipement ont travaillé plus de vingt heures d'affilée dans des périodes passées. Une telle situation ne pouvait durer ! Ne me demandez pas de revenir sur cette circulaire, parce qu'il s'agit de la sécurité des agents, de leurs conditions de vie et de travail - en application d'ailleurs d'une directive européenne qui date de 1993 - et de la sécurité des usagers. Pour toutes ces raisons, je ne reviendrai donc pas sur la circulaire.

Cela dit, elle autorise une certaine souplesse et il faut voir comment elle peut être adaptée en fonction des situations particulières que vous avez évoquées. Je sais que des difficultés d'application existent et j'y suis très attentif. J'ai mis en place un dispositif de suivi et d'accompagnement spécifique, un document vient d'être diffusé par mes services. Les situations qui font apparaître des difficultés spécifiques, géographiques et climatiques - et, à l'approche de l'hiver, c'est bien compréhensible seront toute examinées au cas par cas, et nous en tiendrons bien évidemment compte.

Enfin, je souligne que, pour la première fois depuis vingt ans, les effectifs de l'équipement ne seront pas réduits de mille par an, comme c'était le cas dans le passé. Ils seront maintenus, et même en légère progression. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) AIDE À LA FILIÈRE BOVINE

M. le président.

La parole est à M. André Godin.

M. André Godin.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

La crise bovine inquiète les consommateurs, affecte très fortement les éleveurs ainsi que tous les professionnels du secteur. C'est un séisme économique sans précédent.

Pour sortir de la crise, il faut évidemment commencer par rendre confiance aux consommateurs en assurant une information lisible et précise.

A la demande de M. le Premier ministre, vous avez annoncé il y a quelques semaines un plan d'urgence pour soutenir la filière bovine, avec, notamment, des aides aux éleveurs, les premiers à avoir subi les effets de la crise. A leur tour, les entreprises de transformation et les abattoirs sont fortement touchés par l'ampleur et la durée de cette situation. Il existe en effet de graves menaces, notamment sur l'emploi, dans cette branche d'activité, et de risques de fermeture de sites.

Le prolongement de la crise est tel que je souhaiterais connaître l'état d'avancement de ce dossier et les mesures complémentaires que vous comptez prendre concernant plus spécifiquement les abattoirs publics et privés et le secteur de la transformation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur le député, je fais bien volontiers avec vous le point sur le plan de soutien à la filière bovine qui a été annoncé il y a huit jours et qui a fait l'objet de nombreux commentaires. J'avais dit d'entrée de jeu qu'il serait appelé à évoluer en fonction du déroulement de cette crise dont nous n'allons pas sortir d'un jour à l'autre et qu'il faudrait adapter nos dispositions.

Un certain nombre de mesures concrètes sont entrées en application, notamment les mesures dites de dégagement de marché, et notamment par le biais de stockages privés, qui fonctionnent, contraitement à ce que j'entends çà ou là. Nous avons l'objectif de sortir 50 000 tonnes à court terme. Hier soir, quand nous avons fait le pointage, 9 000 tonnes étaient déjà sorties du marché. Nous sommes donc en voie de résoudre ce problème.

D'autres problèmes ont été soulevés, et vous avez eu raison d'insister sur la situation des entreprises de l'aval et notamment des abattoirs publics.

Il y a eu vendredi dernier, à l'initiative de Mme Guigou et de moi-même, une réunion de nos services avec les confédérations syndicales de salariés pour étudier la situation de l'emploi dans ces entreprises de l'aval de la filière.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

J'ai rencontré ce matin l'ensemble des organisations professionnelles agricoles, et j'ai annoncé à l'heure du déjeuner un certain nombre de mesures nouvelles, notamment des mesures d'aide à la trésorerie des éleveurs grâce à des prêts très bonifiés, pour une enveloppe de 500 millions de francs.

Pour relayer ce plan, il nous faut maintenant des mesures européennes. Avec l'accord de la Commission, j'ai convoqué un conseil de l'agriculture extraordinaire, lundi prochain, le 4 décembre, à Bruxelles, avec un seul point à l'ordre du jour, la crise de l'ESB et ses conséquences : harmonisation des mesures de sécurité alimentaire, - nous visons l'interdiction ou la suspension des farines animales au plan européen, mesure d'harmonisation qui nous paraît indispensable - et plan du soutien à la filière. Nous voulons des interventions publiques et des aides directes à l'agriculture et aux éleveurs en particulier.

Ce rendez-vous est fixé à lundi. J'espère très sincèrement revenir vers vous la semaine prochaine avec des résultats concrets sur ces deux plans. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

MESURES EN FAVEUR DES SOURDS

M. le président.

La parole est à M. Francis Hammel.

M. Francis Hammel.

Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

Madame la secrétaire d'Etat, à la suite du rapport sur les droits des sourds que vous avez rédigé lorsque vous étiez parlementaire, un travail approfondi a été engagé entre les administrations et les associations afin d'envisager les suites concrètes à donner à vos propositions. Cette réflexion a mis en avant la nécessité de constituer des centres régionaux d'information sur la surdité, d'aller plus loin dans le remboursement des prothèses auditives pour certaines catégories et de faciliter l'accès des personnes sourdes à tous les moyens de compenser leur handicap.

Lors de la réunion du conseil national consultatif des personnes handicapées du 25 janvier dernier, une enveloppe de 10 millions de francs a été annoncée dans le cadre du plan « accès au milieu ordinaire » pour répondre à ces différents besoins. Pourriez-vous préciser à la représentation nationale les mesures qui ont été prises ou que vous envisagez de prendre pour améliorer l'intégration des personnes sourdes dans notre société ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

Monsieur le député, un arrêté paru le 11 octobre dernier répond très précisément à votre question sur les moyens mis en oeuvre pour améliorer la situation des personnes sourdes dans notre société.

L'âge du remboursement au meilleur taux des deux appareils va passer de seize ans à vingt ans, ce qui est extrêmement important pour ces personnes. Les personnes sourdes aveugles bénéficieront de cette prise en charge quel que soit leur âge. Par ailleurs, la base de remboursement des embouts pour les enfants sera multipliée par dix, ce qui constitue aussi un avantage considérable pour les parents. Cela représente un engagement financier de 20 millions de francs.

S'agissant de l'accès aux soins, 10 millions de francs serviront à développer les services adaptés au déficit de communication orale. La DGAS, la direction générale de l'action sociale, s'emploie actuellement à développer dans chaque département un centre d'information sur la surdité, très attendu par les parents.

L'amélioration de la scolarisation des enfants sourds réunit les services de Jack Lang et les miens de manière à mettre en place des projets qui répondent véritablement aux besoins de ces enfants. Avec Catherine Tasca, nous agissons pour que les programmes des chaînes hertziennes soient adaptés aux besoins des personnes sourdes et malentendantes.

Le développement de l'interprétariat en langue des signes française bénéficiera de 10 millions de francs de soutien, notamment dans les centres d'information sur la surdité.

Par ailleurs, un million de francs seront affectés, dès la campagne budgétaire 2001, aux COTOREP pour qu'elles embauchent des personnels compétents dans l'accueil et l'orientation des personnes sourdes.

Je ne doute pas que ces mesures concrètes répondent véritablement à l'attente des personnes concernées et contribuent largement à une meilleure intégration dans la société.

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe Radical, Citoyen et Vert.

SOMMET DE NICE

M. le président.

La parole est à M. Georges Sarre.

M. Georges Sarre.

Monsieur le ministre chargé des affaires européennes, le sommet de Nice se tient dans dix jours et les points durs de la négociation sur la réforme des institutions restent nombreux. Je souhaiterais, si cela est possible, et je pense que ça l'est, obtenir des réponses claires et précises.

(« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Le Chancelier allemand a réclamé, hier, devant le Bundestag, une pondération des voix au sein du Conseil européen « plus conforme à la réalité », autrement dit qui traduise en nombre de voix le poids démographique de l'Allemagne.

La question du nouveau format de la Commission européenne reste, à ce jour, sans solution definitive mais la question du contrôle politique que doivent exercer les gouvernements sur cette institution n'est pas posée.

Enfin, la pression pour que la Commission négocie seule à l'OMC en lieu et place des gouvernements démocratiquement élus, dans des domaines aussi essentiels que la santé, l'audiovisuel, l'éducation ou les services publics, demeure très forte.

Monsieur le ministre, le Gouvernement entend-il sur ces trois points faire preuve de fermeté pour préserver en Europe un axe franco-allemand équilibré, garantir la liberté et la souveraineté de la France sur les services, les investissements et, bien entendu, la propriété intellectuelle, bref faire avancer une conception de la construction européenne respectueuse de la démocratie et des peuples ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jacques Myard et M. Philippe de Villiers.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

Monsieur le député, il n'est pas totalement anormal qu'à huit jours du sommet de Nice, les choses soient un peu compliquées. C'est le moment où se confrontent les intérêts, où s'affrontent les conceptions, et, encore une fois, il me paraît tout à fait normal que nous ne soyons pas encore parvenus à un accord. Nous y parviendrons à Nice. Mais je veux répondre directement et de façon claire à vos questions.

La première concerne ce qu'on appelle le décrochage entre la France et l'Allemagne. Nous verrons ce qui se passera à Nice, mais je voudrais simplement rappeler une chose. L'égalité des voix au Conseil entre la France et l'Allemagne n'est pas un problème démographique, c'est un problème, en quelque sorte, de pacte fondateur de l'Union européenne. En 1957, quand a été signé le traité de Rome, il y avait à peu près 45 millions de Français et 57 millions d'Allemands, et il a toujours été entendu que l'Allemagne, potentiellement, pouvait inclure l'Allemagne de l'Est. Du point de vue philosophique, il paraît donc légitime de conserver une égalité perpétuelle - la formule est du chancelier Adenauer - entre la France et l'Allemagne. Il n'est pas non plus illégitime que le chancelier Schrder s'exprime comme il l'a fait. Je note par ailleurs que, pour sa part, il fait totalement confiance à la présidence française.

Pour ce qui est de la Commission, nous continuons de souhaiter que cet organe soit ramassé pour être fort. Cela ne sera peut-être pas possible dès le lendemain de Nice, mais nous allons peut-être vers une formule de plafonnement par étapes.

Enfin, s'agissant des négociations dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, je reprendrai la réponse que j'ai faite il y a quelques instants à M. Golberg. Depuis 1957, c'est la Commission qui est la négociatrice dans les négociations commerciales multilatérales, et on ne va pas revenir là-dessus. Quel mandat a-t-elle pour négocier ? Cela, c'est le rôle du Conseil et, en la matière, s'agissant de l'article 133-5, la position française est extrêmement claire : nous ne souhaitons pas que des négociations concernant des matières sensibles comme la culture ou l'audiovisuel passent à la majorité qualifiée parce qu'il y va de notre identité culturelle européenne et française.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Donc, monsieur le député, à notre façon, nous allons défendre une Union européenne respectueuse des nations et des peuples, mais aussi européenne.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

EUROPE SOCIALE

M. le président.

La parole est à M. Jean Pontier.

M. Jean Pontier.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Madame la ministre, le Gouvernement nous a indiqué à plusieurs reprises que l'Europe sociale serait le fil rouge de la présidence française de l'Union. Vous avez présidé hier et avant-hier, à Bruxelles, le dernier conseil sous présidence française des ministres de l'emploi et des affaires sociales de l'Union. L'ordre du jour y était particulièrement ambitieux puisqu'il s'agissait, sur différents aspects de l'Europe sociale, d'apporter des réponses attendues par les chefs d'Etat pour le sommet européen qui se tiendra à Nice les 7 et 8 décembre prochain.

A ce titre, le conseil que vous présidiez avait à satisfaire à une obligation de résultat sur les points suivants : quel sera l'agenda social européen pour les cinq ans à venir, quelle stratégie européenne l'Union entend-elle mettre en oeuvre en matière de lutte contre les exclusions, en particulier pour les deux années qui viennent, quelle sera la stratégie européenne pour l'emploi en 2001 ? Ma question est donc simple. Les résultats des réunions que vous avez présidées lundi et mardi sont-ils à la hauteur des ambitions que s'est fixées le Gouvernement ? Vous permettent-ils de nous dire que l'Europe sociale aura été effectivement le fil rouge de cette présidence française ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, il est vrai que le bilan social de la présidence française à la tête de l'Union, même si cette présidence n'est pas terminée, comme l'a rappelé tout à l'heure le Premier ministre, est en effet déjà très bon, puisque le conseil « emploi et politique sociale » du 17 octobre que présidait Martine Aubry avait déjà permis l'aboutissement de dossiers importants, qu'il s'agisse de la directive et du programme de lutte contre les discriminations, de l'approbation d'objectifs de lutte contre l'exclusion sociale, de la directive tendant à compléter la réglementation européenne relative à l'aménagement du temps de travail.

Le conseil que j'ai présidé hier et avant-hier comportait également un ordre du jour très chargé, puisque c'était le dernier conseil placé sous la présidence française. Il est vrai que nous avions placé la barre très haut. Il y avait effectivement une obligation de résultat, puisque nous devions transmettre au moins deux sujets au conseil européen de Nice.

Ainsi, l'agenda social européen - qui est la feuille de route pour cinq ans pour l'Union européenne - a été adopté à l'unanimité. Il porte sur des questions aussi importantes que l'accès à l'emploi, la protection des travailleurs, la lutte contre la pauvreté,...

M. Lucien Degauchy.

A quoi bon, puisqu'il n'y aura plus de pauvreté ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... la lutte contre les discriminations et l'égalité sociale entre les hommes et les femmes.

De même ont été arrêtées une stratégie européenne de lutte contre l'exclusion, laquelle a été complétée par un programme concret de 70 millions d'écus, et une stratégie européenne pour l'emploi, qui sera approuvée par le conseil européen de Nice. A quoi s'ajoute un rapport sur l'avenir des retraites en Europe.

Deux autres sujets très importants pour la vie concrète des citoyens ont été évoqués, même si les médias en ont moins parlé : d'une part, un programme sur l'égalité entre les hommes et les femmes, notamment sur l'articulation entre la vie professionnelle et la vie familiale pour les femmes, et, d'autre part, une directive sur la protection des travailleurs contre les vibrations, lesquelles sont responsables de plus de la moitié des maladies professionnelles touchant les muscles et le squelette.

Deux autres directives ont également très bien avancé, et j'espère que le conseil européen de Nice permettra de débloquer les choses. J'ai bon espoir que nous puissions parvenir très prochainement à un accord sur un type de société européenne, sujet dont nous parlons depuis


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

trente ans, mais il est vrai que cela relève du niveau des chefs d'Etat. Il s'agit également de la directive dite

« directive Renault-Vilevorde » sur laquelle nous avons fait de très gros progrès et qui a été mise à l'ordre du jour du conseil - j'espère, là aussi, qu'un accord pourra être conclu sous la présidence française.

Je crois que l'on peut dire en effet que l'Europe sociale est bien le fil rouge de la présidence française. Du reste, elle l'a été dès 1997 à l'initiative du Premier ministre, qui a demandé que le traité d'Amsterdam comporte un chapitre social, ce qui n'était pas prévu au départ. Donc, depuis trois ans, l'Europe sociale est notre fil rouge. Ce fut aussi le cas sous la présidence portugaise qui a précédé la nôtre. J'ai bon espoir qu'elle demeure aussi le fil rouge de la présidence suédoise - et j'ai commencé à travailler avec les Suédois à ce sujet - et par la présidence belge, qui succéderont l'an prochain à la présidence française.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons à une question du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

SITUATION DE LA JUSTICE

M. le président.

La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon.

Madame la garde des sceaux, hier, dans votre réponse à Michel Hunault, vous affirmiez que la justice n'était pas en crise. Le 13 novembre dernier, à l'occasion du débat budgétaire, vous affirmiez également que les priorités dégagées correspondaient aux attentes et permettaient d'améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien, et ce à grands renforts de chiffres.

Voilà pour le discours ! En ce qui concerne la réalité, elle est infiniment plus explosive : 85 % des affaires pénales sont classées sans suite ; autrement dit, dans 85 % des cas, il n'y a pas de réponse judiciaire. Cela veut dire que le sentiment d'insécurité progresse et que, parallèlement, le sentiment d'impunité se renforce chez les délinquants, ce qui nourrit mécaniquement une délinquance plus importante.

M. François Goulard.

C'est vrai !

M. Philippe Houillon.

L'aide juridictionnelle ne peut plus être assurée correctement, et c'est au préjudice des victimes et des plus défavorisés.

Les nouvelles mesures de la loi sur la présomption d'innocence ne pourront être appliquées faute de moyens et de préparation. Du reste, hier, dans votre réponse, vous ne disiez pas vraiment le contraire.

La réforme des cours d'assises et celle des tribunaux de commerce supposent des moyens que vous n'avez pas.

A Rennes, l'Etat vient d'être condamné à indemniser des justiciables en raison d'un arrêt « plus ou moins loupé »,...

M. Jean Michel.

Rendu en quelle année ?

M. Philippe Houillon.

... pour reprendre l'expression du magistrat qui a rendu cet arrêt et qui invoque, pour s'en justifier, une énorme surcharge de travail.

Le monde judiciaire unanime - magistrats, avocats et greffiers - quitte les prétoires et descend dans la rue. Partout, des grèves se mettent en place.

Quel extraordinaire décalage entre les discours et la réalité, entre la communication et l'action !

M. François Goulard.

Oh oui !

M. Philippe Houillon.

C'est grave, car - et c'est un lieu commun - l'institution judiciaire est un rouage capital de notre société. Nos concitoyens n'ont déjà guère confiance en la justice ; il ne faudrait pas qu'ils arrivent à en avoir peur.

Je comprends, madame la garde des sceaux, que, lors de votre arrivée à ce ministère, vous ayez pu, faute d'avoir eu le temps de dresser un inventaire, être un instant euphorique et que vous ayez pu tenir certains propros d'autosatisfaction. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Mais maintenant, vous ne pouvez ignorer la mesure réelle des choses.

Hier, dans la même réponse, vous demandiez à l'ensemble du monde judiciaire d'être exemplaire. Exemplaire, il l'est depuis des années et des années, face à l'inquiétante précarisation de la justice.

(Exclamations sur les mêmes bancs.)

Que comptez-vous faire, madame la garde des sceaux, pour que l'Etat, à son tour, soit exemplaire et pour éviter le bogue que tout le monde annonce ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.

Lorsque je vous écoute, monsieur le député, dresser un tel tableau de la justice de notre pays, tout en disant, en filigrane de votre question, que ces difficultés sont liées à la loi sur la présomption d'innocence, alors même que celle-ci n'est pas encore appliquée (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants),...

M. Jacques Myard.

M. Houillon n'a jamais dit cela !

Mme la garde des sceaux.

... je suis très étonnée.

Par exemple, vous dites que 85 % des affaires sont classées sans suite. Mais vous savez très bien, comme tout le monde, que plus de la moitié de ces affaires sont le fait d'auteurs inconnus et que ce problème n'est pas lié à la loi sur la présomption d'innocence, mais au fonctionnement de l'ensemble du système judiciaire.

Vos préoccupations ont été largement prises en compte par le Gouvernement. Auparavant, il était créé environ trente postes par an. Nous sommes passés à une vitesse très largement supérieure puisque, entre le budget de 1998, le premier présenté par ce Gouvernement, et celui pour 2001, 4 481 postes auront été créés.

(Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Le Premier ministre et Elisabeth Guigou, avec l'aide du Parlement, sont parvenus à augmenter le budget de la justice de 17,8 %. Alors si tout va mal monsieur, pourquoi n'y avez-vous pas réfléchi plus tôt ?

M. Jean-Michel Ferrand.

Si tout va bien, pourquoi avez-vous augmenté le budget de la justice ?

Mme la garde des sceaux.

Nous sommes en train de rattraper le temps perdu.

Je suis toutefois d'accord avec vous sur un fait (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

M. le président.

Mes chers collègues, je vous en prie ! Ce n'est pas au moment où Mme Lebranchu partage votre point de vue qu'il faut faire du bruit ! (Sourires.)

Poursuivez, madame la ministre.

Mme la garde des sceaux.

Mme Elisabeth Guigou, avec le soutien du Gouvernement et du Parlement, a répondu par anticipation aux besoins que va faire apparaître le projet de loi sur la présomption d'innocence et le droit des victimes.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. François Goulard.

Là n'est pas la question !

Mme la garde des sceaux.

Cependant, deux points posent problèmes, et je l'ai dit depuis le départ : les appels des décisions de cour d'assises, pour lesquels 163 postes de magistrats et 91 postes de greffiers ont été débloqués, et la « juridictionnalisation » de l'application des peines, qui nécessite 77 magistrats et 47 greffiers.

Elisabeth Guigou et moi-même, nous l'avons déjà dit plusieurs fois : pour que la situation devienne meilleure, il faut attendre la prochaine promotion de l'Ecole nationale des greffes,...

M. Jean-Michel Ferrand.

L'école nationale des grèves !

Mme la garde des sceaux.

... qui sortira au mois d'avril. Du 1er janvier au mois d'avril, nous serons confrontés à un réel problème d'application de la loi.

J'ai demandé à un responsable spécifiquement chargé de ce problème de préparer un rapport sur les services judiciaires afin de bien déterminer les postes à pourvoir.

Vous allez être saisis d'un texte sur le repyramidage de la magistrature - texte qui sera sans aucun doute adopté à l'unanimité, ce qui nous fera gagner du temps -, qui permettra d'installer des vice-présidents là où il n'y en a pas.

Bref, nous allons être confrontés à quelques semaines de difficultés. Cela étant, je vais travailler avec méthode et avec rigueur. Mais cessez de dire que la justice de votre pays est désorganisée, avant même que nous ayons ce rapport,...

M. Patrick Ollier.

Nous n'avons pas besoin de rapport pour le savoir !

Mme la garde des sceaux.

... avant même que nous sachions comment les choses vont se passer.

(Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) En fait, monsieur le député, c'est vous qui n'avez pas confiance dans ces magistrats. Moi je respecte et j'estime ces fonctionnaires...

M. Lucien Degauchy.

Bla-bla !

Mme la garde des sceaux.

... qui viennent d'obtenir, à la suite de négociations, une revalorisation de leurs indemnités - et ils avaient raison de le demander.

Nous continuerons à travailler de la sorte,...

M. François Goulard.

Ça promet !

Mme la garde des sceaux.

... car la justice exige du calme, de la sérénité, de la méthode, de la rigueur et le souci des libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe du Rassemblement pour la République.

CIRCULATION AÉRIENNE EN ÎLE-DE-FRANCE

M. le président.

La parole est à M. Georges Tron.

M. Georges Tron.

Monsieur le ministre des transports, il y a dix-huit mois, par des indiscrétions qui émanaient de pilotes de ligne et de contrôleurs aériens, les habitants des départements sud et est de Paris ont appris qu'il y avait un projet d'installation d'un nouveau couloir aérien en Ile-de-France.

Dans un premier temps, nous avons essayé d'interroger Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, mais son cabinet nous a répondu que cela ne relevait pas de ses compétences.

M. Yves Cochet.

C'est vrai !

M. Richard Cazenave.

A quoi sert-elle alors ?

M. Georges Tron.

Les nuisances sonores n'ont donc rien à voir avec l'environnement. Pardon, madame, de vous avoir dérangée ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Nous avons ensuite demandé à M. le ministre des transports de bien vouloir nous recevoir, tous élus et toutes associations confondus. Cela fait exactement un an, et nous n'avons toujours obtenu aucune réponse du cabinet du ministre. Aujourd'hui, j'interroge donc directement le ministre, au nom des habitants de l'Essonne, de ceux du Val-de-Marne...

M. Jean-Claude Lefort.

Non ! Nous ne nous associons pas à votre question !

M. Georges Tron.

... et de ceux de Seine-et-Marne (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), sur trois problèmes précis qui intéressent tous les riverains des aéroports de France.

Premièrement, pourriez-vous nous expliquer, monsieur le ministre, pourquoi il y a des passages répétés d'avions au-dessus de Paris et du sud et de l'est de la région parisienne, alors même que la DGAC et Aéroports de Paris nous disent qu'il ne s'agit encore que d'un projet ? Pourtant, nous voyons et nous entendons les avions.

Deuxièmement, étant donné que l'ensemble des règles qui président aux vols et au survol de Paris et de la région parisienne datent de 1947 et de 1958, ne pensezvous pas qu'il serait largement temps de les revoir ? Je sais que cela doit se faire dans le cadre d'une harmonisation européenne.

Troisièmement, étant donné que nous avons voté l'an dernier à l'unanimité la création d'une autorité indépendante chargée de donner son avis sur l'ensemble des projets relatifs au secteur aérien, en particulier sur la mise en place de nouveaux couloirs aériens, êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à prendre ici l'engagement de suivre l'avis que rendra l'ACNUSA sur ce projet, comme sur les autres ? Tous les riverains des aéroports ont besoin d'être rassurés, car, aujourd'hui, l'attitude du Gouvernement ne fait que les inquiéter. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le député, méfiez-vous des indiscrétions ! (Sourires.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

Certes, le développement du transport aérien est créateur d'activités économiques et d'emplois. Mais ce gouvernement a tenu, dès 1997, à faire de l'environnement, notamment des problèmes sonores auxquels sont confrontés les riverains, un enjeu, au même titre que la question de l'emploi. Sans négliger, sans nier les problèmes qui se posent...

M. Yves Nicolin.

Baratin ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Vous verrez si c'est du baratin ! Sans nier les problèmes qui se posent, disais-je, nous considérons que la lutte contre les nuisances sonores est une question majeure dans le cadre du développement du transport aérien.

Ainsi, le dispositif de circulation aérienne au-dessus de l'Ile-de-France doit-il concilier à la fois un haut niveau de sécurité - c'est l'objectif prioritaire -, la nécessité d e traiter un trafic en augmentation constante et l'objectif de maîtrise des nuisances sonores.

Dans ce cadre, l'ouverture prochaine d'une quatrième piste sur l'aéroport de Paris Charles-de-Gaulle...

M. Francis Delattre.

On vous a posé une question, répondez-y ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

... doit s'accompagner d'une adaptation du dispositif de circulation aérienne pour les avions en provenance et à destination du sud-ouest en particulier, qui sont actuellement conduits à transiter au-dessus de la région parisienne.

S'agissant de l'avenir, je vous indique que des simulations sont en cours pour traiter les nouvelles approches ; les résultats de ces simulations sont attendus pour la fin de cette année. Tenant compte des priorités que constituent les critères de sécurité, un nouveau logiciel performant (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) intègre comme un paramètre majeur le souci de la maîtrise des nuisances sonores.

A l'issue de cette réflexion, les nouvelles procédures d'approche et de décollage seront soumises à une large concertation, comme vous le souhaitez. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Au printemps 2001, les commissions consultatives de l'environnement des aéroports parisiens seront consultées sur ce dossier. Puis, en application de la loi du 12 juillet 1999, qui a été votée à l'unanimité, l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires sera saisie.

M. Jean-Michel Ferrand.

Enfin une information ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Enfin, monsieur le député, je vous informe, au cas où vous n'y auriez pas participé, qu'une réunion d'information vient de se tenir à la demande d'élus du département de l'Essonne...

M. Pierre-André Wiltzer.

Avec qui ? M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

A cet égard, je suis favorable à ce que tous les élus concernés soient associés en permanence aux consultations et aux réflexions préalables à la prise des décisions définitives.

M. Jean-Michel Ferrand.

C'est la moindre des choses ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

J'y veillerai personnellement, en tant que ministre, tout au long des futures années ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

INTRODUCTION DE TÉLÉPHONES PORTABLES DANS LES PRISONS

M. le président.

La parole est à M. Robert Lamy.

M. Robert Lamy.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de la justice et je la pose au nom des trois groupes de l'opposition, RPR, DL et UDF (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Madame la ministre, de plus en plus régulièrement, les gardiens de prison trouvent dans les cellules des détenus des téléphones portables. A titre d'exemple, l'un de ces appareils, utilisé par un prisonnier soupçonné d'appartenir au commando qui a assassiné le préfet Erignac, a été découvert le 11 novembre dernier dans la maison d'arrêt d'Osny où ce prisonnier est détenu. En juillet, ce sont huit téléphones portables qui ont été découverts aux Baumettes quelques jours après l'évasion spectaculaire de cinq détenus.

Ainsi, l'utilisation de ces appareils, pourtant formellement interdits, permet de préparer des évasions ou de continuer à perpétrer des actions à l'extérieur. Dès lors, l'intrusion de ces téléphones porte gravement atteinte à la sécurité publique.

De tels faits révélés au public ne contribuent certes pas à donner confiance en l'appareil judiciaire alors, précisément, que le sentiment d'insécurité, justifié au regard des chiffres, grandit chez nos concitoyens.

Madame la ministre, quelles mesures spécifiques allezvous prendre pour empêcher la présence de ces téléphones portables dans les prisons et pour mettre ainsi fin à un dysfonctionnement scandaleux qui porte atteinte à une fonction régalienne de l'Etat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le député, cette question importante pourrait être posée par tous les parlementaires. Elle implique que le ministère de la justice prenne un certain nombre de mesures, et il en a d'ailleurs soumis récemment plusieurs au Premier ministre.

Les gens s'imaginant que les appareils introduits dans les prisons sont du même type que ceux qu'ils utilisent, ils ne comprennent pas comment cela est possible. En fait, ces types d'appareils arrivent en pièces détachées, d'autant qu'il suffit, pour faire un téléphone portable, de la puce et de deux fils pouvant être branchés sur un poste de radio. C'est extrêmement difficile à détecter.

Il y a deux types d'entrées : il y a celles qui se font par colis, et qui peuvent en effet ne pas être détectées ; il y a également celles qui se font par le biais de personnes que je qualifierai d'indélicates.

Le constat que nous avons fait à partir d'une enquête précise va nous conduire à équiper nos prisons - elles ne le sont pas encore aujourd'hui - d'appareils de détection


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

de ces fils, puisque, encore une fois, la carte ne peut pas être détectée. Par ailleurs, des personnels vont être formés pour brouiller les émissions et détecter les ondes. Nous n'avons pas d'autre solution que celle-là.

Ce problème appelle de notre part beaucoup de sérénité, parce qu'il est grave et que sa solution passe à la fois par des enquêtes et par des réponses techniques.

Soyez assuré, monsieur le député, que nous ferons tout pour que des incidents de ce type ne se reproduisent pas.

Le ministère de l'intérieur travaille avec nous à la recherche d'une solution à ce problème et à la mise au point d'appareils de détection. Cela dit, aucun pays au monde n'a encore trouvé une solution parfaite.

En tout cas, je vous promets de vous rendre compte des mesures qui auront été prises en liaison avec le ministère de l'intérieur.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

VIOLENCE À L'ÉCOLE

M. le président.

La parole est à Mme Martine Aurillac.

Mme Martine Aurillac.

Ma question, que je pose au nom des trois groupes de l'opposition (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste),...

Un député du groupe socialiste.

Sauf Tiberi !

Mme Martine Aurillac.

... s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale.

Monsieur le ministre, à une question que je posais en novembre 1998 à Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire sur les problèmes de violence, de drogue et de racket à l'école, celle-ci me répondait : « Les c hefs d'établissement peuvent toujours solliciter le concours des services de la police et de la gendarmerie pour élaborer un bilan de sécurité de l'établissement. »

Voici près d'un an, votre prédécesseur, Claude Allègre, déclarait à son tour : « Face à la nature profondément inacceptable de la violence à l'école, c'est mon devoir d'agir. » Et il ajoutait qu'il fallait «

mettre au service d'une volonté politique une méthode évacuant les effets d'annonce sans lendemain ».

M. Charles Cova.

Vive Allègre !

Mme Martine Aurillac.

Monsieur le ministre, croyezvous, au regard des multiples actes de violence que l'on recense chaque jour dans nos écoles, que ce gouvernement soit réellement allé au-delà des effets d'annonce ?

Mme Odette Grzegrzulka.

Bien sûr !

Mme Martine Aurillac.

En effet, trois ans après les déclarations très médiatiques du Gouvernement, la situation continue d'empirer. Les élèves, les parents, les professeurs, l'ensemble du personnel éducatif en ont assez.

Aujourd'hui, ils éprouvent un sentiment de saturation totale, comme le montre la fermeture ces jours-ci d'un lycée parisien pour dénoncer les agressions physiques et verbales, les dégradations matérielles, la tension qui oblige certains professeurs à fermer leur porte à clé pendant les heures de cours.

Mme Odette Grzegrzulka.

Les bourgeois sauvageons du 7e !

Mme Martine Aurillac.

Depuis trois ans que la majorité est au pouvoir, qu'a-t-elle fait ? Quelles mesures efficaces allez-vous enfin prendre, monsieur le ministre, pour enrayer le développement intolérable de la violence à l'école ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué à l'enseignement professionnel.

(Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel.

Madame la députée, malheureusement, une institution ne peut, à elle seule, purger notre société de la violence qui l'anime.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Eric Doligé.

Qui peut agir alors ? Personne ? M. le ministre délégué à l'enseignement professionnel.

L'école fait face. Les enseignants font face. Ce gouvernement fait face. En témoignent les mesures que nous avons prises, que par ailleurs vous nous avez reprochées, comme la mise à disposition de moyens sans précédent depuis dix ans ou la création d'un comité d'action contre la violence.

Mais, madame, je n'entends pas nier la gravité des questions que vous posez.

M. Jean-Louis Debré.

A peine !

M. Jacques Myard.

Il ne manquerait plus que ça ! M. le ministre délégué à l'enseignement professionnel.

Tout un chacun les pose que ce soit au niveau local ou au niveau national.

Pour l'éducation nationale, il n'existe d'autre issue que d'élever, par le mérite et l'excellence, nos jeunes pour les détourner de la violence. L'éducation ne se décrète pas : elle se construit.

M. Yves Fromion.

Ce sont des mots ! M. le ministre délégué à l'enseignement professionnel.

Mais non, c'est la vie ! S'agissant du cas particulier que vous venez d'évoquer, madame, je considère, après le recteur d'académie, que la fermeture de cet établissement est une erreur. Il aurait fallu, sur place, tenir compte des avertissements des enseignants sur l'élévation du niveau de tension dans l'établissement.

La sécurité dans nos établissements comme la qualité des relations dans la communauté scolaire demandent du savoir-faire, du sang-froid et, par-dessus tout, il faut nourrir l'espoir que l'éducation l'emporte sur la violence.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Eric Doligé.

Vous êtes un rêveur ! Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de Mme Christine Lazerges.)

PRÉSIDENCE DE Mme CHRISTINE LAZERGES,

vice-présidente

Mme la présidente.

La séance est reprise.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

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INTERRUPTION VOLONTAIRE DE GROSSESSE ET CONTRACEPTION Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

Mme la présidente.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception (nos 2605, 2702).

Question préalable (suite)

Mme la présidente.

Ce matin, l'Assemblée a suspendu ses travaux après avoir entendu la présentation de la question préalable de M. Jean-François Mattei.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je souhaite, avant le vote sur la question préalable réagir aux interventions de ce matin.

Mais, auparavant, je veux saluer à nouveau le travail d es deux rapporteures, Martine Lignières-Cassou et D anielle Bousquet. De leur travail considérable de consultation de toutes les personnes qui ont une expérience, une expertise sur ces questions très difficiles de contraception et d'IVG - médecins, psychologues, obstétriciens, associations de planning familial, femmes, chercheurs, sociologues -, elles ont tiré toutes les deux des constats très objectifs que je partage entièrement. Je les remercie également pour leur implication personnelle.

Les propos de M. de Villiers étaient insultants,...

Mme Martine David.

Il n'est même pas là !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... pour les femmes d'abord, pour les médecins ensuite. Ils ne méritent que le mépris. Aussi n'y répondrai-je pas.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Martine David.

Ça n'en vaut pas la peine, en effet.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

En revanche, j'ai apprécié la tonalité de l'intervention de M. Mattei, même si je ne partage pas toutes les opinions qu'il a émises.

Il a situé le débat au niveau qui convient, sur un sujet de société que nous ne pouvons aborder qu'avec nos interrogations, nos expériences et beaucoup de modestie.

Monsieur Mattei, j'ai beaucoup apprécié que vous ayez dit avec une très grande clarté que l'allongement du délai pour l'interruption volontaire de grossesse ne devrait ni remettre en cause l'avortement ni même rouvrir la discussion. L'avortement est devenu un droit depuis la loi de 1975 et les conditions de l'exercice de ce droit ont été définies par la loi.

Je partage vos préoccupations sur les responsabilités que nous devons tous assumer face à l'insuffisante efficacité de la contraception. Il est bien entendu que l'IVG ne doit être que le dernier recours. Par conséquent, il faut absolument faire en sorte que les jeunes filles et les femmes puissent accéder aux modalités adaptées de contraception afin d'éviter, autant que faire se peut, l'interruption volontaire de grossesse dont nous savons qu'elle est toujours une épreuve douloureuse, en tout cas difficile, pour les femmes et pour les couples. Nous avons là une responsabilité collective, celle d'être plus efficaces en ce qui concerne la contraception.

Comme l'ont dit les deux rapporteures, nous devons permettre aux jeunes d'avoir un meilleur accès à la contraception. La société doit reconnaître la sexualité des jeunes, dont on doit pouvoir parler simplement, avec beaucoup de sérénité, de manière que les jeunes n'aient plus le mouvement de recul qu'ils ont souvent lorsque les adultes les entretiennent de ces questions. Ils ne doivent pas se sentir envahis par la parole des adultes : ces questions doivent être abordées non seulement avec la pudeur nécessaire, mais aussi avec la précision requise car il importe que les jeunes sachent que, lorsqu'on a des rapports sexuels, il faut se protéger des grossesses non désirées comme du sida et autres maladies sexuellement transmissibles.

Si nous pouvons, avec ce débat, faire avancer cette préoccupation dans la société, nous aurons déjà fait oeuvre utile.

Quelles que soient les circonstances, on ne peut imaginer que les femmes aient accès à l'IVG uniquement pour des raisons touchant à leur confort personnel. Je ne peux l'imaginer. Si les femmes ont le droit de choisir le moment où elles veulent un enfant, la décision de recourir à l'IVG est toujours difficile à prendre.

Je voudrais insister sur un point sur lequel je ne partage pas votre point de vue, monsieur Mattei : la nécessaire distinction entre l'interruption volontaire de grossesse fondée sur des raisons d'ordre social et l'interruption volontaire pour raison médicale liée à la santé de la mère ou de l'enfant.

Dans ces deux situations, il n'est pas question, dans l'actuel projet de loi, de priver la femme d'une quelconque aide et surtout pas de supprimer le droit à l'entretien préalable. La commission a déposé un amendement visant à ôter son caractère obligatoire à l'entretien préalable, mais uniquement pour les femmes majeures. En effet, si une femme majeure a pris sa décision et qu'elle a préféré en parler avec d'autres personnes qu'un médecin, ce choix doit être reconnu. Mais l'entretien préalable lui sera toujours proposé et il lui appartiendra de prendre la décision qui lui convient. Elle continuera de disposer de tous les moyens d'information sur les aides et les soutiens qu'elle pourrait obtenir si elle souhaitait mener sa grossesse à terme, et cela aussi lui sera rappelé.

S'agissant des mineures, le choix du Gouvernement a été de ne pas judiciariser la décision relative à l'IVG, et je crois qu'il faut s'y tenir. Je ne suis pas d'avis qu'il entre dans la compétence du juge des enfants de se mettre à la place des parents : sa mission consiste au contraire à protéger les enfants en aidant les parents à mieux faire.

Il n'est pas non plus question, dans l'esprit du projet de loi, que la personne susceptible d'accompagner la mineure dans sa démarche se substitue à l'autorité parentale. La portée de son action d'accompagnement se manifeste en présence, en conseils, en soutien. Mais les parents restent les parents.


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Cette personne ne participe en rien à la décision d'IVG elle-même ni à son consentement. Il n'y a donc, je le précise à Mme Lignières-Cassou qui s'est interrogée sur ce point, aucune responsabilité liée à l'acte d'accompagnement lui-même.

Quant à la responsabilité du médecin, sur laquelle M. Mattei a posé une question, ou à l'établissement concerné en cas d'IVG pratiquée sur une mineure sans autorisation parentale, les dispositions du projet de loi aboutissent à appliquer les règles du droit commun en matière de responsabilité. En effet, la loi autorise explicitement le praticien à pratiquer l'intervention avec le seul consentement de la mineure.

Dès lors, dans les établissements de santé publique, la responsabilité du praticien ne peut être mise en cause qu'en cas de faute détachable du service. En cas de faute non détachable du service, c'est la responsabilité de l'établissement qui se substitue à celle du praticien.

S'il n'y a ni faute du praticien ni faute de service, a ucun système d'indemnisation automatique n'existe actuellement. Les avancées de l'indemnisation ne relèvent que de la jurisprudence, et c'est bien la raison pour laquelle nous proposerons, dans le projet de loi sur le droit des malades et la modernisation du système de santé, un chapitre sur l'indemnisation des aléas thérapeutiques.

Pour ce qui concerne les établissements privés, il appartient au praticien d'apporter la preuve qu'il n'a pas commis de faute.

Je terminerai mon propos en disant quelques mots sur l'arrêt Perruche, qui est probablement dans tous les esprits.

Je voudrais d'abord rappeler qu'il s'agit d'un arrêt civil, et non pénal, de la Cour de cassation. Il ne s'agit donc pas d'une condamnation, comme l'a prétendu ce matin M. de Villiers, mais d'une réparation, d'une indemnisation d'une erreur médicale résultant d'une faute professionnelle.

Les parents avaient fait une demande, ils avaient exprimé une volonté qui n'a pas été prise en compte à la suite d'une erreur de diagnostic.

La décision de la Cour de cassation est favorable au jeune homme puisqu'elle lui garantit une protection matérielle si ses parents viennent à disparaître. Son futur sera donc assuré.

Mais un arrêt ne fait pas la loi et, s'agissant de ces questions, il faut être extrêmement attentifs aux dérives.

Il est bon d'engager un débat public. S'il apparaît, au terme de ce débat, qu'il faut légiférer pour éviter les dérives, nous proposerons de légiférer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. le président de l a commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des a ffaires culturelles, familiales et sociales.

Madame la ministre, je voudrais joindre mes remerciements et mes félicitations aux vôtres.

Les travaux de la commission ont été de grande qualité. Certes, il y avait des divergences, mais la commission a eu le souci de maîtriser un problème très difficile.

Les rapports de Mme Martine Lignières-Cassou et de Mme Danielle Bousquet ont été à la hauteur des travaux que nous avons conduits. Ils ont été empreints de la même qualité de réflexion et de la même rigueur de ton.

Je dois reconnaître que M. Mattei s'est placé dans la même ligne, avec l'intelligence qu'il a dans l'expression et, parfois - mais c'est plutôt un compliment que je lui fais -, une très grande habilité qui lui permet de retourner son argumentation dans le sens inverse de celui que nous pourrions souhaiter. (Sourires.)

M. Jean-Paul Bacquet.

M. Mattei a le sens de l'ambiguïté !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Mais après tout, monsieur Mattei, en disant cela, je ne fais que reconnaître vos qualités, même si des divergences nous séparent.

Cela dit, mes chers collègues, nous avons entendu ce matin une intervention qui fait tache, tant du point de vue de l'honneur du Parlement que de la qualité de ses travaux. (« C'est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Madame la ministre, vous avez eu raison de dire qu'on peut traiter cette intervention - je veux évidemment parler de celle de M. de Villiers - avec mépris.

Mme Martine David.

Il n'est même pas là !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Mais je pense que le mépris n'est pas suffisant : il faut la dénoncer ! Aucun d'entre nous n'a le droit d'utiliser les expressions qui ont été utilisées par M. de Villiers.

Mme Nicole Bricq.

Absolument !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Nous avons trop l'habitude des débats pour savoir qu'un dérapage, une phrase un peu maladroite, sont toujours possibles. Mais il est clair que le discours dont je parle était soigneusement écrit et ses phrases soigneusement pesées.

Mme Béatrice Marre.

Exact ! C'est inadmissible !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

On n'a pas le droit, dans un débat de cette hauteur, de cette gravité, d'utiliser des mots comme « eugénisme d'Etat » ou

« société prétotalitaire », ni encore de considérer que le parti que je représente comme un parti « nationalsocialiste », avec toutes les références historiques que cela sous-entend. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Madame la présidente, je dénonce, au nom de la défense de la qualité de ce Parlement dont nous sommes tous des acteurs, et eu égard à la qualité des travaux de notre commission, les propos de ce genre, qui sont inacceptables. Nous ne pouvons pas les laisser passer.

Telle est la déclaration que je souhaitais faire et qui figurera au Journal officiel en guise de réponse à M. de Villiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Yvette Roudy.

Il faut demander des excuses !

M. Patrick Delnatte.

C'est une mauvaise diversion !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Vous feriez mieux de répondre à M. Mattei, qui est notre porte-parole.

Mme Martine David.

C'est ça, l'union des droites ?

Mme la présidente.

Dans les explications de vote, la parole est à Mme Béatrice Marre, pour le groupe socialiste.

Mme Béatrice Marre.

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, M. Mattei a défendu ce matin une question préalable et invité notre


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assemblée à rejeter le projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception au travers d'une analyse, il faut bien le dire, particulièrement habile, et donc séduisante pour certains.

M. Mattei reconnaît bien volontiers la nécessité d'améliorer les lois Neuwirth et Veil pour réduire le nombre d'IVG et permettre aux femmes, à toutes les femmes, l'accès sur le sol français aux droits ouverts par ces lois en 1967 et 1975.

Il concède qu'il y a urgence à renforcer le droit à l'information et le droit à la contraception...

M. Francis Delattre.

Et les moyens !

Mme Béatrice Marre.

... - j'y reviendrai -, qui sont préalables au droit à l'IVG, et même qu'il est nécessaire d'améliorer l'accès à l'IVG tel que défini dans la loi de 1975.

Presque toutes les dispositions prévues par le texte du projet de loi sont donc, de son point de vue, acceptables ou pour le moins amendables. On aurait donc pu croire, à ce point de son discours, qu'il voterait le texte. Mais il n'en sera rien.

Monsieur Mattei, vous videz de tout contenu cette apparente approbation par une contestation en règle des deux mesures d'élargissement du droit à l'IVG que nous c onsidérons nous-mêmes comme constitutives de la nécessaire amélioration des lois de 1967 et de 1975, à savoir l'allongement du délai légal de dix à douze semaines de grossesse et la suppression de l'autorisation parentale pour l'accès des mineures à l'IVG.

Un mot d'abord sur les mineures.

Vous admettez l'existence du problème et affirmez que vous êtes favorable à la suppression de l'autorisation parentale. Mais, et c'est là une technique bien connue quand on veut repousser une proposition, vous nous expliquez que nous n'avons pas choisi la bonne voie. Je ne reviendrai pas sur le refus de judiciariser l'IVG pour les mineures, dont Mme la ministre vient de parler. Ce n'est pas notre choix. Je ne reviendrai pas non plus sur la responsabilité du médecin : il s'agit là en réalité de l'aléa thérapeutique, qui ne concerne ni spécifiquement l'IVG, ni a fortiori l'IVG pour les mineures car l'aléa thérapeutique est inhérent à tout acte médical et nous aurons l'occasion d'en reparler au printemps prochain.

En ce qui concerne l'allongement du délai légal, monsieur Mattei, vous avez été très habile.

En tant que parlementaire, vous nous assurez de votre p leine reconnaissance du droit à l'IVG. Le débat

« moral », dites-vous - je préfère qualifier ce débat d'« éthique » - a été clos en 1975 et l'allongement du délai de dix à douze semaines ne vous pose aucun problème à cet égard . Nous ne pouvons que nous réjouir que vous nous ayez rejoints sur ce point.

(Vives protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Francis Delattre.

La loi Veil, ce n'est pas vous !

Mme Béatrice Marre.

En tant que médecin, tout en vous défendant d'un mélange des genres pourtant souligné par une phrase étonnante, à savoir que « seuls les médecins peuvent comprendre » - nous, les femmes, ne le pouvons pas -, vous nous expliquez, non sans une forme de condescendance polie, que nous avons choisi une solution technique sans nous rendre compte qu'il s'agissait en réalité d'un choix politique, donc éthique.

Mme Yvette Roudy.

Ce n'est pas le médecin qui décide !

Mme Béatrice Marre.

Le saut qualitatif de l'embryogenèse se situerait, toujours pour ceux qui « savent », c'està-dire pour vous, très précisément entre dix et douze semaines.

Mais, monsieur Mattei, puisqu'il faut tout dire, pourquoi ne reconnaissez-vous pas que c'est en réalité entre huit et douze semaines que s'opère la transformation de l'embryon « à consistance liquide et gélatineuse », selon votre expression, en foetus en cours d'ossification ? Il s'agit donc d'un passage graduel et variable selon les individus. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la plupart de nos voisins européens, même dans le cas d'une interruption médicale de grossesse, accordent à la femme le libre choix d'avorter jusqu'à douze semaines.

Comme vous l'avez reconnu, la véritable question technique est celle de la formation des personnels, de l'environnement médical, bref, des moyens qui doivent effectivement être mis en oeuvre pour permettre l'application des lois lorsqu'elles nécessitent une intervention médicale lourde. Cela est déjà le cas, comme Mme Neiertz l'a dit avec beaucoup d'émotion ce matin, pour plus de 50 % des IVG actuellement pratiquées.

L'aspect émotionnel que vous évoquez pour les médecins, et que chacun peut comprendre, nous l'avons protégé par le respect de la clause de conscience à laquelle nous sommes toutes et tous très attachés.

Mme Yvette Roudy.

S'ils ne veulent pas assister les personnes en danger, alors...

Mme Béatrice Marre.

Quant à l'élargissement des conditions de l'IMG que vous proposez, il n'aurait de sens, dans ces quinze jours qui ne rouvrent pas, pour vous, le débat moral, que si la décision d'avorter revenait à la seule femme, comme chez nos voisins européens.

Le débat sur l'effet de seuil n'est pas très pertinent.

Vous n'y avez d'ailleurs pas insisté.

Reste votre dernier argument, qui nous ramène au coeur d'un débat éthique que vous vous défendiez d'aborder : les femmes seraient si tentées par le désir d'un enfant parfait, voire de celui d'un enfant de tel sexe plutôt que de l'autre, que les révélations de l'échographie leur feraient prendre la décision d'avorter.

(Protestations sur les bancs du groupe Démocraite libérale et Indépendants.)

Mme Sylvia Bassot.

M. Mattei n'a jamais dit cela !

Mme Béatrice Marre.

Si, c'est ce qu'il a dit ! Le Comité consultatif national d'éthique a répondu clairement sur ce point, puisqu'il juge excessif et, d'une certaine façon, attentatoire à la dignité des femmes et des couples le fait d'invoquer cette connaissance facilitée et banalisée du sexe ou de l'existence d'une anomalie pour empêcher la prolongation du délai légal.

Monsieur Mattei, je soulignerai, pour en finir avec la discussion sur l'allongement du délai légal, que nous fondons notre décision, dans le cadre du projet de loi, sur la responsabilité, tandis que vous fondez votre refus sur le soupçon.

M. Francis Delattre.

C'est nul !

Mme Béatrice Marre.

J'ajoute que le débat de nature éthique que vous appelez de vos voeux sans le dire, même si vous récusez aujourd'hui le terme d'eugénisme, car je comprends que vous ne vouliez pas vous associer à M. de Villiers,...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

M. Francis Hammel.

Quoique...

Mme Béatrice Marre.

... ne concerne pas les deux semaines d'allongement du délai légal de l'IVG. Il s'agit du débat sur les limites que notre société entend imposer à l'usage des découvertes scientifiques en matière de connaissance du vivant. Il interviendra, lui aussi, en mars prochain dans le cadre de la révision des lois sur la bioéthique. J'y suis personnellement favorable, partageant le point de vue du professeur Albert Jacquard, qui déclarait hier matin sur une radio publique que le plus important n'est peut-être pas tant la vie que le projet que l'on forme pour elle.

Mme Christine Boutin.

Quelle horreur !

Mme Béatrice Marre.

Pour conclure, je dirai, au nom du groupe socialiste, que l'examen du projet de loi n'appelle pas l'adoption d'une question préalable car il constitue un simple mais indispensable complément aux lois Neuwirth et Veil et, surtout, que ce texte, complété par un certain nombre d'amendements, doit être voté car il améliore les conditions de mise en oeuvre d'un droit désormais reconnu : le droit des femmes à disposer de leur corps.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert).

Mme la présidente.

La parole est à M. Bernard Perrut pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. Bernard Perrut.

Madame la présidente, mesdames les secrétaires d'Etat, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, plus de deux décennies après la discussion de la loi Veil, il ne s'agit pas, comme l'ont dit JeanFrançois Mattei et un certain nombre d'entre nous, de revenir sur un débat moral ou éthique. Mais la pertinence et l'importance des questions posées par Jean-François Mattei ce matin sont révélatrices des difficultés à élaborer une loi satisfaisante.

Ce projet de loi, qui prévoit le passage du délai légal de recours à l'IVG de dix à douze semaines, n'est pas recevable en l'état et pour un certain nombre de raisons.

Les réponses que le Gouvernement apporte sont insuffisantes...

Mme Yvette Roudy.

Mais non ! Elles sont très bien.

M. Bernard Perrut.

... face à la gravité des problèmes et des questions soulevées par l'interruption de grossesse.

Vous auriez pu prendre les vraies mesures qui s'imposent et doter de vrais moyens les structures chargées d'accompagner les personnes en difficulté. Jean-François Mattei l'a rappelé ce matin, de nouveaux problèmes médicaux se posent, l'acte opératoire pratiqué après la dixième semaine est totalement différent, la responsabilité médicale d'une toute autre nature, et c'est pourquoi il convient d'informer et d'accompagner au maximum les femmes. Le texte proposé fait trop facilement l'impasse sur cet aspect du problème et en minimise la dimension médicale alors qu'il conviendrait, au cas par cas, de médicaliser l'intervention.

Autre argument déjà développé ce matin, ce projet n'apporte pas de véritable réponse au problème des 5 000 femmes qui, chaque année, se trouvent hors délai pour pratiquer l'IVG.

La première raison en est que la loi de 1975 n'est pas correctement appliquée, faute de moyens, d'équipements et de personnels. Le sera-t-elle mieux à l'avenir ? C'est toute la question.

La deuxième raison relève de la méconnaissance apparente de la psychologie des femmes confrontées à un dilemme tragique,...

Mme Nicole Bricq.

Vous avez l'air de bien connaître les femmes !

Mme Yvette Roudy.

En effet !

M. Bernard Perrut.

... certaines hésitant jusqu'au dernier moment, ce qui est parfaitement compréhensible.

La troisième raison est que 2 000 femmes seulement sur les 5 000 se trouveront entre la dixième et la douzième semaine de grossesse. Que fera-t-on pour les autres ? Enfin, n'oublions pas que plus on prolonge la période de recours à l'IVG, plus la période coïncide avec celle du diagnostic prénatal, il y a des risques, comme cela a été parfaitement expliqué.

Vous avez pu le constater, mes chers collègues, beaucoup de questions ont été oubliées ou négligées. Il ne s'agit pas, je le répète, de s'opposer de manière partisane au projet du Gouvernement.

M. Bernard Outin.

Mais non...

M. Bernard Perrut.

Simplement, nous regrettons qu'il n'ait pu aller plus loin, plus en amont et plus en aval.

Qu'en est-il de la prévention et de l'information, particulièrement à l'égard des jeunes ? C'est en leur direction que nous devons agir. Or vous ne proposez pas de réponses suffisantes.

Il convient d'aménager les exceptions à l'autorité parentale dans des cas très déterminés, et nous en sommes d'accord. Mais vous n'en avez pas prévu toutes les conséquences. Qu'en est-il de la responsabilité en cas de complications médicales ? Nous proposerons nousmêmes un amendement à ce sujet dans la discussion des articles.

Madame la secrétaire d'Etat, les solutions proposées sont insuffisantes et ne sont pas dignes, à notre sens, d'un débat d'une aussi grande gravité. Jean-François Mattei s'en est largement expliqué en s'appuyant sur ses propres convictions et sur sa présence quotidienne aux côtés des femmes en difficulté.

Mme Yvette Roudy.

Surtout sur ses convictions !

M. Bernard Perrut.

Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons la motion de procédure qu'il nous a présentée ce matin.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme la présidente.

Pour le groupe RPR, la parole est à M. Patrick Delnatte.

M. Patrick Delnatte.

Comme beaucoup de nos collègues, nous avons apprécié l'intervention du président Mattei.

Mme Yvette Roudy.

Il va être gêné !

M. Patrick Delnatte.

Il l'a faite avec compétence, avec hauteur de vue.

Mme Martine David.

Avec ruse !

M. Patrick Delnatte.

Dans une approche humaniste, il a vu l'ensemble des problèmes soulevés par le texte, en dehors de toute polémique militante.

Mme Yvette Roudy.

Non, de manière partisane !

M. Patrick Delnatte.

Le président Mattei a parfaitement démontré que le passage de dix à douze semaines ne règle pas le problème de l'IVG en France et présente quatre inconvénients majeurs.


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Le premier est que la prolongation du délai ne règle que 40 % des cas de dépassement. Que fait-on des femmes qui sont au-delà des douze semaines ? Ce délai de douze semaines est arbitraire.

Le deuxième est que cette prolongation pose des problèmes techniques et de conscience pour les opérateurs de l'IVG. Le geste médical n'est plus le même.

Mme Yvette Roudy.

Si, c'est le même !

M. Patrick Delnatte.

Les réponses, nous les attendons.

Le troisième est que la prolongation ne règle pas les difficultés actuelles d'accès à l'IVG. Rien ne figure sur le manque de moyens techniques et humains, rien sur la mauvaise application de la procédure prévue par la loi de 1975. Il n'y a aucune mesure pour la prévention et l'éducation.

Le quatrième, enfin, est que la prolongation entraîne le risque de voir se développer l'IVG à partir d'un doute sur la conformité de l'enfant, que la médicalisation peut éviter.

Mme Béatrice Marre.

C'est cela, l'eugénisme !

M. Patrick Delnatte.

Ce texte n'apporte donc pas les réponses adaptées. Il pose de nouveaux problèmes, auxquels il ne répond pas non plus. En conséquence, nous voterons la question préalable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme la présidente.

Pour le groupe communiste, la parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint.

Le groupe communiste s'opposera à la question préalable de M. Mattei. Même si j'ai écouté avec beaucoup d'attention son intervention, je n'ai pas, et il le sait, la même approche que lui sur ce problème si important de l'IVG et de la contraception.

Les points qu'il a soulevés avaient déjà été discutés au sein de la délégation aux droits des femmes qui, au cours de ces dernières semaines, a entendu les représentants d'associations, du milieu médical et différents spécialistes de la question de l'IVG. De son côté, le groupe communiste avait réuni, le 16 novembre, plusieurs associations, les personnels des centres IVG et du planning familial.

Ces échanges ont permis de réaffirmer que le dispositif des lois Veil et Neuwirth nécessitait aujourd'hui d'évoluer afin d'être plus en phase avec la réalité. Comment répondre à la détresse et à l'urgence des quelque 5 000 femmes qui doivent partir à l'étranger, dans des conditions psychologiques et financières souvent difficiles, pour interrompre une grossesse au-delà du délai légal des dix semaines ? Comment aider ces mineures qui, ne parv enant pas à obtenir l'autorisation parentale, sont contraintes de poursuivre une grossesse non désirée et risquent de voir leur jeunesse et leur vie détruites ? Les débats très riches que nous avons eus en commission lors de l'examen des amendements ou au sein de la délégation aux droits des femmes ont permis d'affiner, d'enrichir par des propositions et des recommandations le texte que nous examinons aujourd'hui.

C'est dire l'importance de la question de l'IVG et de la contraception. Elle s'accompagne d'exigences et suscite des interrogations. Je suis persuadée que la discussion et l'examen des amendements nous permettront d'avancer, à condition que certains, tout en se disant sensibles aux droits des femmes et donc à la nécessaire modernisation de l'IVG et de la contraception, ne cachent pas leur désaccord profond par une manoeuvre d'obstruction systématique.

Les amendements, les recommandations de la délégation aux droits des femmes nous permettront sûrement de répondre, et vite, à l'exigence des femmes et aux besoins de santé publique. Ils permettront de montrer que ce que les femmes ont obtenu, avec l'aide du monde médical, doit aujourd'hui être modernisé. Ils permettront surtout de montrer que c'est aux femmes de décider, car c'est leur droit de mettre ou de ne pas mettre au monde.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

Pour le groupe UDF, la parole est à M. Yves Bur.

M. Yves Bur.

Je tiens à remercier notre excellent collègue Jean-François Mattei d'avoir su, avec compétence et humanisme, resituer le débat en nous aidant à en mesurer les enjeux.

Vingt-cinq ans après la loi Veil, le problème de l'IGV nous interpelle toujours. Il ne saurait être question de refaire le débat ni d'affaiblir une loi qui a répondu à une nécessité médicale absolue et a constitué un progrès social majeur pour les femmes.

Nous devons cependant nous interroger pour savoir si la situation actuelle est à la hauteur des espoirs placés dans cette loi. A ce titre, on peut penser que le niveaue ncore élevé d'interruptions de grossesses : plus de 200 000 en France, n'est pas satisfaisant...

Mme Yvette Roudy.

Il va baisser !

M. Yves Bur.

... et peut même être considéré comme un échec par rapport à d'autres pays.

Cette situation est liée à un déficit en matière d'éducation sexuelle, ainsi qu'à un manque d'information pour accéder à une véritable contraception adaptée aux besoins des femmes tout au long de leur vie.

Il aura fallu attendre l'an 2000 pour qu'une campagne d'envergure nationale consacrée à la contraception soit mise en route - même si cette campagne ne semble pas exempte de critiques quant à son contenu.

Il est nécessaire de poursuivre et d'amplifier les efforts engagés récemment en matière d'éducation sexuelle et d'information sur la contraception, notamment dans le milieu scolaire. C'est la condition préalable à toute diminution du nombre d'IVG.

Il est encore trop difficile d'accéder à une IVG, comme l'a d'ailleurs souligné dans son rapport le professeur Nisand : absence totale d'IVG dans certains services de gynécologie-obstétrique des hôpitaux publics ; contingentement des actes, par manque de moyens ou de personnels, voire a priori ; ignorance de la première consultation lorsque celle-ci a lieu en dehors de l'hôpital, ce qui aboutit à un acte plus tardif ; faible emploi de la procédure d'urgence prévue par la loi pour les grossesses de douze semaines d'aménorrhée. Ces insuffisances font qu'aujourd'hui encore 5 000 femmes sollicitent des avortements hors du délai légal des dix semaines de grossesse.

C'est bien la détresse des femmes concernées, à laquelle nous ne pouvons rester insensibles, qui nous conduit aujourd'hui à légiférer à nouveau sur cette question. Or il faut bien constater que le projet de loi ne permettra pas d'apporter une réponse globale satisfaisante à cette situation. En effet, comme l'a souligné Jean-François Mattei, l'allongement des délais, tel qu'il est proposé aujourd'hui, ne concerne que 40 % des femmes ayant dépassé les dix semaines de grossesse.

Mme Martine David.

C'est déjà ça !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

M. Yves Bur.

Au nom de quel principe pouvons-nous nous résigner à oublier les autres femmes et ne légiférer que partiellement pour mettre fin à une situation que nous reconnaissons tous comme inacceptable et indigne de notre pays ? Il y a là un raisonnement que je ne parviens pas à comprendre.

M. Bernard Outin et

Mme Yvette Roudy.

Il fallait aller jusqu'à quatorze semaines ?

M. Yves Bur.

C'est la raison pour laquelle la démarche du Gouvernement ne nous satisfait pas et que certains collègues du groupe UDF ont élaboré une réponse plus globale, qui ne laisse personne sans recours et sans soutien.

Dans le cadre de l'interruption médicale de grossesse, la prise en compte de motifs psychosociaux permettrait à ces femmes qui, dans leur détresse, sont prêtes à faire le voyage à l'étranger, de trouver une réponse à proximité et dans la dignité.

Si ce débat est important, c'est aussi parce que l'allongement des délais au-delà de dix semaines nous confronte aux progrès du diagnostic prénatal.

Mme Yvette Roudy.

Vous mélangez tout !

M. Yves Bur.

Cette évolution nous conduit à des interrogations qui relèvent déjà du débat sur la bioéthique. Si nous pouvons penser que, pour les 5 000 femmes qui sont concernées par ce débat, c'est bien la détresse, face à une grossesse non désirée, dans un environnement social souvent dégradé, qui motive leur démarche, la tentation de la sélection, le risque d'eugénisme (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

ne peuvent être évacués comme inexistants ou non pertinents ; et les innovations en matière de diagnostic prénatal ne feront qu'amplifier ce risque.

Mme Yvette Roudy.

Qu'est-ce que vous en savez ?

M. Jacques Heuclin.

C'est facile, les procès d'intention !

M. Yves Bur.

Parce que nous ne sommes pas certains de pouvoir maîtriser le rythme des innovations médicales, il convient de rester vigilants, comme le souligne d'ailleurs le Comité consultatif national d'éthique. Nous ne pouvons éluder ce débat. Nous devons encore approfondir notre réflexion pour ne pas laisser la charge de cette lourde responsabilité médico-légale aux seuls médecins.

Mme Yvette Roudy.

Ce ne sont pas eux qui décident !

M. Yves Bur.

Nous sommes nombreux à partager les interrogations de Jean-François Mattei. L'allongement des délais à douze semaines, sans régler toutes les situations de détresse évoquées, risque d'engendrer d'autres difficultés. Le groupe UDF votera donc cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme la rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M me Martine Lignières-Cassou, rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Madame la présidente, mesdames les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, je voudrais que l'on revienne sur l'échographie, puisque c'est le sujet dont la charge émotionnelle est la plus forte.

L'échographie est une technique de diagnostic prénatal dont le principal objectif est de découvrir d'éventuelles anomalies. Le nombre de malformations foetales est compris entre 2 et 3 %, et il ne varie pas selon la date de l'échographie.

Deux facteurs dominent la réflexion.

Le premier est celui de la responsabilité médico-légale.

Le médecin est tenu à une information claire, loyale et appropriée, alors que pèsent des incertitudes, évaluées à près de 30 %, sur le diagnostic, à onze semaines comme à vingt-deux semaines de grossesse. Cela conduit d'ailleurs la profession à se spécialiser et à travailler en réseau.

M. Yves Bur.

C'est une bonne chose !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Le second facteur porte sur nos pratiques sélectives face aux malformations, notamment aux malformations mineures - la zone d'ombre dont parle le professeur Milliez. Ces pratiques relèvent d'abord de notre conscience individuelle et la question se pose tout au long de la grossesse. Sont en jeu nos convictions et nos valeurs.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

En effet !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Ces choix individuels sont néanmoins dépendants du regard, de la place que notre société porte sur la différence...

Mme Christine Boutin.

Oui !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

... et de sa capacité à intégrer l'altérité. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

Mme Christine Boutin.

Absolument !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Très bien !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Mais vous faites comme si la question centrale était celle de la date de l'annonce. Prenez garde, ce faisant, de ne pas pervertir la relation entre la femme et le médecin.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Tout à fait !

M. François Goulard.

Votre propos est ridicule !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Comme si la préoccupation dominante du médecin était de contrôler la décision du couple, comme si la capacité de réflexion de la femme et du couple, leur libre arbitre n'existaient pas.

Mme Muguette Jacquaint.

En effet !

Mme Nicole Bricq.

Nous sommes des êtres majeurs !

M. Claude Goasguen.

Ce sont des élucubrations !

M me Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Nous sommes d'accord : l'échographie n'est pas un simple acte technique, loin s'en faut. Ce qui est déterminant, lors de l'annonce de la malformation, c'est tout autant l'acuité du regard médical que le poids des paroles du médecin.

Cette technique - et nous touchons là les limites du progrès - n'a de sens que si elle s'inscrit dans une relation de confiance entre le médecin et la femme, que si elle repose sur un accompagnement tout au long de la grossesse.

Il faut remettre de l'humain là où la technique et le médico-légal ont pris le pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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M me Christine Boutin, M. Christian Martin et

M. Patrick Delnatte.

Très bien !

M me Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

C'est d'ailleurs le sens de la réflexion qui est déjà engagée par les échographistes eux-mêmes - je pense à Soulé, à Gourand et à un certain nombre d'autres.

Vous portez un regard pessimiste sur l'évolution de la société. Pour ma part, je choisis la confiance et la responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Yvette Roudy.

C'est la différence entre la gauche et la droite !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Confiance dans la capacité de réflexion des personnes et de la société, confiance dans le libre arbitre, confiance dans la qualité de la relation entre le médecin et la femme. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Bernard Charles.

M. Bernard Charles.

Madame la présidente, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, vingt-cinq ans après l'adoption de la loi Veil, il nous appartient d'achever la

« révolution » que nos prédécesseurs ont commencée. Le projet qui nous est présenté prévoit l'alignement des délais légaux sur une norme européenne moyenne, l'aménagement de l'accès des mineures à l'IVG, l'abrogation de l'interdiction d'information - autrefois, on parlait de propagande. C'est beaucoup mais nous devons avoir l'audace d'aller plus loin encore.

L'IVG est une liberté imprescriptible. Cependant, ce droit ne devrait jamais être banalisé. L'IVG est et doit rester un ultime recours. Dans ce domaine, l'essentiel reste l'information, l'éducation, le soutien de la responsabilité individuelle à tous les niveaux et à tous les âges car donner la vie est un acte de conscience majeur. A l'évidence, le chevauchement avec le diagnostic prénatal, notamment par l'intervention de l'échographie et de l'analyse du liquide amniotique, n'autorise pas systématiquement une IVG du fait des renseignements obtenus sur l'embryon. Nous abordons ici un débat de société et de culture sur lequel nous aurons très certainement l'occasion de revenir plus globalement lors de la révision des lois sur la bioéthique qui aura lieu au deuxième trimestre de 2001.

Pour la plupart des gynécologues-obstétriciens, il est possible - et cela a été confirmé par l'avis de l'ANAES et du Comité national consultatif d'éthique - physiquement, médicalement, techniquement et sans danger pour la femme, quoique le risque zéro n'existe jamais, de porter de dix à douze semaines le délai d'interruption de grossesse. Notre objectif doit être non seulement d'aider les femmes en difficulté mais également d'inscrire dans la loi la liberté des femmes à disposer de leur corps.

Celles-ci n'ont pas besoin que de compassion ou de charité, elles exigent aussi qu'on reconnaisse leur liberté et leurs droits. Aussi, le défi que nous devons relever est celui de la laïcisation de la loi Veil.

Ce matin, M. de Villiers a argumenté son exception d'irrecevabilité en soulignant la contradiction fondamentale entre la dépénalisation et l'article 1er de la loi Veil. La loi conserve en effet la proclamation d'une croyance dans la valeur sacrée, non pas de l'être humain, mais de la vie dès le commencement, y compris celle de l'embryon et même du zygote. Nous devons mettre fin à cette contradiction.

Mme la garde des sceaux propose de dépénaliser l'IVG.

M. Christian Martin.

Eh oui !

M. Bernard Charles.

Nous devons aller au bout de cette logique : il faut faire passer toute référence à l'avortement du code pénal dans le code de la santé publique et, inversement, faire passer le délit d'entrave à l'IVG du code de la santé publique au code pénal.

Mme Yvette Roudy.

Exactement !

M. Bernard Charles.

Pour nous, l'IVG est un acte médical, pas un délit.

Mme Yvette Roudy.

Très bien !

M. Bernard Charles.

La dépénalisation complète ne signifie pas l'absence de répression des abus. Le code pénal n'a pas besoin d'incrimination particulière pour réprimer un acte médical illégal. En outre, après avoir débattu hier de l'égalité entre les hommes et les femmes, nous ne pouvons pas laisser dans le code pénal une incrimination inégalitaire qui ne s'applique qu'aux femmes.

Dans notre vision humaniste, les femmes sont libres parce qu'elles sont femmes, indépendamment du fait de savoir si elles sont majeures ou non. Nous n'acceptons pas que l'on puisse contraindre une mineure à poursuivre une grossesse.

Aussi, nous devons admettre pour tous les actes relatifs à la grossesse ce que la loi prévoit déjà pour tous les actes relatifs à l'accouchement : l'émancipation de la mineure.

Il n'est pas besoin d'aller chercher un « adulte référent », dont l'image se brouillerait avec celle des parents, et qui pourrait entrer en conflit avec eux, voire provoquer des problèmes juridiques ultérieurs. Je suis heureux que ce problème ait été soulevé en commission ; nous y reviendrons dans l'examen des articles. Pour nous, il s'agit non pas d'attaquer la famille, dont nous reconnaissons l'importance, mais d'affirmer la liberté des femmes à disposer de leur corps.

Les entretiens pré et post-IVG doivent être renforcés.

Nous en sommes tous convaincus. Ils doivent avoir pour objet d'accompagner la femme, pas de l'influencer. Ils doivent être systématiquement proposés et non pas obligatoires. Je me réjouis que, ce matin, Mme Danielle Bousquet ait repris à son compte notre proposition de créer un diplôme d'Etat pour sanctionner la formation laïque de ces « accompagnatrices ».

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Qu'est-ce qu'une formation laïque ?

M. Bernard Charles.

Il est dangereux en effet que cette fonction puisse être aujourd'hui exercée par des personnels mal formés ou des membres d'organisations sectaires.

Au-delà du délai légal, se pose le problème de l'IVG tardive. Tant que le foetus n'est pas viable, le problème n'est pas moral, il est exclusivement médical. Cela peut être dangereux et une commission d'experts doit être consultée. Mais nous exprimons notre inquiétude devant des amendements visant à introduire des « personnalités qualifiées » dans ces commissions. Il n'appartient pas à certains, qui veulent faire passer leur confession, leurs croyances ou leurs idées philosophiques, d'interférer dans une décision médicale.


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Nous devons aussi garantir la continuité du service public, dans les hôpitaux public comme dans les établissements privés.

Enfin, Mme Lignières-Cassou a souligné l'inégalité de la politique d'information sur la contraception selon les départements. De son côté, M. de Villiers s'est félicité d'avoir fait financer par le conseil général de la Vendée un centre d'aide aux femmes en détresse. Nul n'a le monopole du coeur et nous souhaitons nous aussi un meilleur accueil des femmes en difficulté. Mais nous ne voulons pas que l'inégalité géographique soulignée par Mme la rapporteure en matière d'information soit renforcée par une inégalité en matière d'accueil. Voire que cet accueil devienne un enjeu d'influence. Il appartient au seul service public, national et laïque, de remplir cette carence.

M. Bernard Outin.

Très bien !

M. Bernard Charles.

C'est pourquoi, mesdames, messieurs, le groupe Radical, Citoyen et Vert dans son ensemble - ce n'est pas si courant (Sourires) - ...

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

En effet ! Je vous écoute avec intérêt, monsieur Charles !

M. Bernard Charles.

... soutiendra le projet du Gouvernement et vous invite à l'enrichir pour en faire une grande loi laïque, celle de la liberté des femmes à disposer de leur corps.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Bernard Perrut.

M. Bernard Perrut.

Madame la présidente, madame la secrétaire d'Etat, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, si le but de ce projet est de faire progresser à nouveau les droits des femmes à disposer de leur corps et à maîtriser leur fécondité, nous ne pouvons cependant nous limiter à aborder le sujet sous le seul angle du délai légal. Nous devons en tout cas nous exprimer dans le respect des convictions des uns et des autres. Car il s'agit là d'un sujet important, qui touche à des questions d'ordre médical, mais aussi psychologique, familial, social, philosophique.

Le problème moral lié à l'avortement a été largement évoqué en 1975 puis en 1979, et il ne s'agit pas ici de refaire le débat. Toutefois, on ne peut mettre de côté, ni condamner, la réflexion légitime et respectable d'un certain nombre de nos concitoyens - et d'un certain nombre d'entre nous - sur le respect de la vie humaine. Car un embryon représente le commencement d'une vie, dont l'épanouissement, s'il n'est pas entravé, se traduira par la naissance d'un enfant. C'est pourquoi l'avortement restera toujours, quelle que soit l'évolution de la législation, un choix difficile,...

M me Yvette Roudy.

Personne n'a jamais dit le contraire !

M. Bernard Perrut.

... avec ses implications et ses conséquences, pour ne pas dire ses blessures, dans la vie et le coeur des femmes.

La loi Veil constituait un acte de reconnaissance de leur détresse, en même temps qu'un engagement très fort à respecter la liberté et la responsabilité, dans un cadre juridique défini. Elle a eu pour effet bénéfique de supprimer les pratiques clandestines entraînant des mutilations, voire la mort. Elle avait aussi pour but de réduire le recours à l'avortement volontaire par la mise en oeuvre d'un vaste dispositif préventif.

Mais aujourd'hui, on peut s'interroger sur le nombre toujours important d'avortements en France : 200 000, pour 750 000 naissances. Et le rapport du nombre annuel d'IVG au nombre annuel de naissances n'a guère changé depuis vingt ans. Nous sommes devant un problème grave, et je crains que ce projet de loi ne soit qu'une fuite en avant. La puissance publique paraît plus prompte à modifier la règle qu'à prendre les moyens pour assurer sa pleine efficacité. Est-il suffisant de se donner ici bonne conscience en assouplissant le dispositif existant au lieu de prendre les vraies mesures ? Chacun le sait, la loi de 1975 n'est pas appliquée par manque de moyens en structures, en équipements et en personnels. Les services assumant la responsabilité des avortements sont souvent considérés comme subalternes dans les hôpitaux, qui assument pourtant deux tiers des avortements. Les équipes sont débordées et certaines femmes, parfois repoussées, ne peuvent avorter dans les délais. L'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception a d'ailleurs récemment poussé un cri d'alarme, craignant pour la pérennisation de cette activité médicale. Mais enfermés dans vos certitudes, peut-être ne l'avez-vous pas entendu ?

Mme Yvette Roudy.

Pas du dout, nous sommes à l'écoute !

M. Bernard Perrut.

Certitudes qui trouvent vite leurs limites. Car allonger le délai ne fera, pour certaines femmes, que repousser la date de décision et le dilemne demeure le même. Alors pourquoi ne pas envisager quatorze ou vingt semaines ? La vie étant un processus continu, son interruption revêt la même signification quel que soit le moment de sa réalisation. Le délai de douze semaines constitue un choix arbitraire, et si 2 000 femmes sur 5 000 se trouvent hors délai entre la dixième et la douzième semaine, que ferons-nous pour les 3 000 autres ? N'y avait-il pas, mes chers collègues, d'autres moyens complémentaires à mettre en oeuvre pour éviter le plus grand nombre de ces situations difficiles ? L'allongement du délai soulève en tout cas des problèmes médicaux et même une interrogation chez les professionnels de santé. L'acte opératoire après la dixième semaine est notoirement différent car l'embryon est devenu foetus, cela a été dit. Il commence à s'ossifier et a pris une consistance solide. L'intervention nécessite alors d'autres moyens : une anesthésie générale et une fragmentation foetale.

Des femmes médecins gynécologues qui pratiquent l'IVG révélaient récemment dans un grand quotidien national que, pour elles, un avortement à douze semaines n'était pas aisément envisageable. « C'est un petit homme avec des doigts, des yeux, un coeur qui bat que nous faisons disparaître » (Protestations sur les bancs du groupe socialiste),...

Mme Yvette Roudy.

Arrêtez !

M. Bernard Perrut.

... précisait l'une d'elles, engagée pourtant depuis vingt ans dans cette profession.

La responsabilité médicale sera désormais d'une autre nature, et le respect de la clause de conscience me paraît plus que jamais s'imposer.

Mme Yvette Roudy.

Nous n'y touchons pas !

M. Bernard Perrut.

Je voudrais en tout cas que nous prenions mieux conscience des raisons qui incitent les femmes à avorter, car c'est bien là le fondement du problème.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

L'IVG est souvent la seule issue envisageable pour la femme enceinte qui subit des pressions psychologiques ou économiques : un logement trop exigu, une instabilité du c ouple, des difficultés financières, le chômage. S'y ajoutent aussi l'angoisse pour la jeune fille mineure et pour la femme seule qui craignent d'offrir un avenir instable à leur enfant. Trop souvent, les difficultés tiennent à l'impossibilité de concilier vie familiale et vie professionnelle. Dans l'ensemble, du reste, les raisons sont floues et difficiles à formuler pour la plupart : une angoisse profonde rejoint leur douleur de vivre et les fait craindre de ne pouvoir assumer une maternité qui est un état non seulement physique mais aussi psychique.

Une spécialité médicale récente, la maternologie, s'intéresse aux soins spécifiques à apporter aux femmes qui ont des difficultés à établir un lien avec leur enfant, que ce soit pendant la grossesse ou après la naissance de l'enfant. Mais il n'existe que deux centres de maternologie en France. Il est donc urgent de développer des structures de cette sorte, voire de faciliter l'enseignement de cette spécialité qui va dans le sens d'une meilleure protection de la famille et de l'enfant.

La recherche sur toutes les carences de l'IVG en France devrait être renforcée et des statistiques plus fiables sur les raisons qui conduisent à l'IVG devraient être établies pour apporter des solutions plus constructives à long terme que la loi que vous proposez. L'avortement n'est pas un acte bénin, la femme se trouve seule et a besoin d'être soutenue. Mais s'il est nécessaire d'assurer le suivi psychologique après l'IVG, il est tout aussi urgent de mieux accompagner la femme avant qu'elle ne prenne sa décision. A mon sens, on a aussi le droit de se battre pour la vie d'un enfant. Une femme enceinte a besoin d'être rassurée sur les moyens dont elle pourra disposer si elle garde son enfant. Il est de notre responsabilité collective, comme l'affirme le Comité national d'éthique, d'offrir des structures d'accueil et une aide matérielle à toute femme enceinte en détresse qui désirerait mener sa grossesse à terme.

Or vous allez dans le sens inverse en supprimant l'obligation d'entretien préalable pourtant indispensable. C'est là en effet qu'assistance et conseils appropriés sont apportés. Cet espace de parole est important, et il donne la possibilité de détecter des situations de détresse auxquelles on peut répondre autrement que par une IVG.

Il me semble encore important de ne pas aborder ce débat comme un sujet isolé de la politique familiale. Les hommes ont aussi leur place et leurs responsabilités dans la famille. Pourquoi n'en parlons-nous pas ? Quand vous évoquez les mineurs et la suppression de l'autorité parentale, qui ne peut être qu'exceptionnelle et encadrée, vous ne vous demandez même pas à qui appartiendra la responsabilité civile et pénale en cas de difficultés. Nous reviendrons sur ce point lors de l'examen des articles avec des propositions concrètes.

Enfin, n'oublions pas l'enfant, car plus on prolonge le délai de recours à l'IVG, plus le diagnostic prénatal devient précis. La seule existence d'un doute pourra alors conduire la femme à recourir à l'IVG, alors que le diagnostic a besoin de confirmation et de plus de temps.

« Le bénéfice du doute deviendra le maléfice du doute », écrit le professeur Nisand dans son rapport.

Mme Yvette Roudy.

Ça ne m'étonne pas de lui. Il ne résiste pas au plaisir de faire un bon mot !

M. Bernard Perrut.

Je terminerai cette intervention en évoquant la situation des jeunes filles, car une étude des services du ministère de l'emploi et de la solidarité montre qu'au cours de ces dernières années, ce sont les jeunes femmes de vingt à vingt-quatre ans qui ont été les plus nombreuses à avoir recours à l'IVG, mais la plus forte augmentation concerne les dix-huit à dix-neuf ans.

Chez les jeunes avant dix-huit ans, l'IVG est l'issue de plus d'une grossesse sur deux ; chaque année, près de 10 000 adolescentes tombent enceintes et 6 500 subissent cette intervention.

Quel échec ! C'est l'échec de notre politique, la vôtre, la nôtre ! C'est l'échec de notre société. Qu'attendonsnous pour promouvoir une véritable éducation à l'école ? L'éducation sexuelle reste insuffisante en France. Pour être efficace, elle doit être précoce, continue, et assurée par des professionnels habilités. Il est particulièrement urgent de mettre en place une éducation au respect de l'autre et à la responsabilité dans les relations affectives.

L'école, par le biais des réseaux d'aide aux parents, doit pouvoir sensibiliser les familles à ce rôle éducatif. Les professionnels de santé, gynécologues, sages-femmes, psychologues, doivent, quant à eux, pouvoir intervenir au sein des établissements scolaires pour aborder, par petits groupes, tous les problèmes liés à la sexualité, à la fécondité et à la maternité.

Pour toutes ces raisons, et comme l'a si bien expliqué ce matin Jean-François Mattéi, qui connaît bien les préoccupations des jeunes et des adultes qui demandent un avortement, le groupe DL ne votera pas ce texte, même si certains, pour des raisons personnelles, pourront vous apporter leur soutien. Sur des sujets de société, il faut en effet que chacun puisse voter en son âme et conscience.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Philippe Nauche.

M. Philippe Nauche.

L'histoire de notre société retient comme un progrès majeur les lois Veil et Neuwirth. Ce furent des avancées décisives du droit des femmes à disposer de leur corps et à maîtriser leur fécondité. La médicalisation de l'IVG a entraîné la disparition des nombreuses morts liées à l'avortement clandestin et à son cortège de septicémies et de séquelles invalidantes.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

On oublie trop souvent de le rappeler !

M. Philippe Nauche.

Il s'agit bien de faire progresser à nouveau, près de trente ans plus tard, le droit des femmes à maîtriser leur fécondité et à conduire leur vie. En effet le véritable enjeu du débat d'aujourd'hui est le droit des femmes à choisir. Le rôle des pouvoirs publics et du législateur est de permettre l'exercice du choix entre mener une grossesse à terme - ce qui doit être favorisé par la politique familiale mise en oeuvre par le Gouvernement et l'IVG, qui, comme l'ont rappelé d'autres orateurs, n'est pas un acte anodin. C'est sur ce point que porte notre débat.

Au-delà de ce droit réaffirmé des femmes, il s'agit d'un problème humain plus global. En effet la décision de la femme s'inscrit dans un itinéraire de vie. Elle constitue un moment important dans la vie d'une femme, mais aussi dans celle du couple s'il existe. La réaffirmation de ce droit de la femme conduit à un toilettage de la loi de 1975 proposé par le Gouvernement sur les éléments stigmatisants. La commission a d'ailleurs adopté de amendements symboliques tendant à transférer les pratiques hors la loi de l'avortement du code pénal vers le code de la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

santé publique, à l'exception notable de l'article 223-10 qui concerne le fait de pratiquer un avortement contre la volonté d'une femme.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Tout à fait !

M. Philippe Nauche.

Cela étant le nombre des interruptions volontaires de grossesse en France reste très élevé, trop élevé : 200 000 IVG par an et, parmi près de 10 000 adolescentes confrontées à une grossesse non désirée, 7 000 environ ont recours à l'interruption volontaire de grossesse. Par ailleurs 5 000 femmes environ, car les chiffres en la matière ne sont pas très précis, partent à l'étranger faute de trouver dans notre pays des réponses adaptées à la détresse qu'elles vivent.

A cet égard le comité consultatif national d'éthique écrit : « Le nombre et la proportion de femmes qui recourent à l'IVG dans notre pays sont supérieurs à ceux d'autres pays d'Europe ce qui est inacceptable et blesse tant l'esprit que la lettre de la loi de 1975. »

Une politique de santé publique responsable ne saurait donc s'exonérer à bon compte de la question posée par la détresse vécue par des milliers de femmes chaque année.

Ce n'est pas en érigeant des interdictions temporelles, ou des barrières légales que la question sera résolue, mais plutôt en faisant tout pour faciliter, dans un cadre éducatif, institutionnel ou associatif l'accès à la connaissance de la vie affective et sexuelle, du sens de la relation, de la maternité, de la paternité. C'est sur cette base que devrait être dispensée l'information sur la contraception pré et post rapports sexuels et sur les risques psychologiques et organiques d'une IVG.

Le recours excessif à l'IVG met en évidence, avec force, les insuffisances de la politique menée en matière d'information sur la contraception. Il s'agit moins d'un problème politique que d'une question de société. A cet égard on ne peut éluder la question de l'amélioration de la prise en charge de la contraception par voie orale.

Il faut tout mettre en oeuvre en matière de prévention afin d'éviter que l'IVG devienne l'ultime recours. Cela passe par une éducation des enfants et des adolescents, garçons et filles, à la sexualité et à la contraception, adaptée à leur âge et, surtout, continue.

En la matière l'implication de notre système éducatif est actuellement insuffisante. L'objet de l'un des amendements adoptés en commission est précisément de la renforcer.

Il convient également de conduire une politique continue et suivie d'information et de promotion de la contraception en améliorant son accessibilité. Des mesures significatives ont déjà été prises en faveur de la promotion de la contraception, en particulier quant à l'accessibilité au stérilet et à la contraception du lendemain. Néanmoins, la prise en charge de la contraception par l'assurance-maladie est encore très largement perfectible.

Dans ce même esprit de prévention, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a adopté des amendements relatifs à la stérilisation volontaire masculine et féminine. Il est en effet nécessaire de donner un cadre à cette pratique, qui concerne 25 000 à 30 000 personnes chaque année en France, essentiellement des femmes. Et encore ne s'agit-il que d'estimations. En tout cas, le contexte dans lequel sont admis ces actes est très controversé, puisqu'il n'existe pas vraiment de cadre légal, ce qui pose des problèmes qu'il nous appartient de résoudre.

Dans un rapport publié cette année, l'INSERM et l'INEDE ont essayé de mettre en évidence ces pratiques qui posaient problème. Il y est notamment précisé que les pratiques controversées en France sont aujourd'hui de trois ordres.

D'abord, des interventions stérilisantes pratiquées pour motifs thérapeutiques, mais sans information ni consentement de l'intéressé. Ces stérilisations, dites à l'insu, affectent surtout les femmes, mais elles sont devenues bien plus rares que par le passé. Ensuite, des interventions stérilisantes par ligatures ou amputation sans information ni consentement de l'intéressé, et sans motif thérapeutique. Il s'agit de la stérilisation sur demande d'un tiers, le plus souvent de femmes vulnérables du fait d'un handicap physique, économique ou social.

Enfin, des ligatures sans motif thérapeutique caractérisé, mais réclamées souvent par les intéressés eux-mêmes

Ce sont à proprement parler des stérilisations contraceptives féminines, mais aussi masculines. Néanmoins, elles n'ont pas de cadre légal.

Est ainsi posé le problème du consentement éclairé, voire du non-consentement, et de la procédure de décisions et de réflexion dans la démarche de la femme, de l'homme, du couple. Tel est l'objet de nos amendements qui visent à autoriser la vasectomie, la ligature de trompes volontaire à visée contraceptive, selon une procédure de c onsentement éclairé, accompagnée d'un délai de réflexion. En revanche, cela serait interdit chez les mineurs et il faudrait une procédure très précise pour les incapables majeures, respectant la dignité humaine et empêchant toute pratique systématique. L'autorisation de telles interventions nous paraît de nature à constituer un élément important de prévention de l'IVG.

Pour en revenir au corps même du texte, je veux souligner que l'allongement du délai de dix à douze semaines de grossesse correspond à une nécessité. Il s'agit en effet de fournir une réponse à la détresse de la plupart des femmes qui partent aujourd'hui à l'étranger, car cette possibilité sera associée à une meilleure information, à l'amélioration de l'accessibilité et à la réaffirmation qu'il s'agit bien d'une mission de service public réalisée dans des établissements de santé publics ou privés.

Je n' entrerai pas dans la polémique sur le pourcentage des cas qui seront résolus par cet allongement. Mais si des femmes vont de France en Hollande, en Angleterre ou ailleurs pour interrompre des grossesses de quinze ou seize semaines, cela tient surtout au fait que, au-delà des difficultés pratiques et financières, le véritable non-dit qui entoure cette question aboutit à un allongement considérable des délais.

L'avis de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé lève les réticences que nous avons pu entendre notamment dans l'intervention de notre collègue M. Mattei, fondées sur les difficultés de réalisation médicale et les éventuelles complications. En effet, l'explication fournie pour l'ANAES montre que s'il y a effectivem ent une très légère augmentation des risques, hémorragiques en particulier, cela relève plus de la formation des professionnels qui pratiquent l'IVG que d'un changement complet de nature de l'interruption volontaire de grossesse.

L'avis du conseil consultatif national d'éthique, quant à lui, insiste sur deux aspects particuliers qui fondent les positions de certains membres de l'opposition tant sur le refus d'allonger les délais et d'élargir l'interruption médicale de grossesse que sur le risque eugénique.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

Sur l'interruption volontaire médicale de grossesse, le CCNE indique : « L'IMG serait ainsi rendue accessible aux détresses psychologiques selon des modalités faisant intervenir des tiers. Cela reviendrait à substituer une autorisation médicale élargie à la seule décision de la femme. Cette solution pourrait sembler, à première vue, répondre aux difficultés rencontrées, mais elle changerait radicalement l'esprit de la loi de 1975 en redonnant à la société un droit de regard. »

En définitive, nous revenons ainsi au coeur du débat, car le problème est de savoir qui décide, et de déterminer ce qui peut relever de la décision médicale.

Quant aux risques eugéniques ou de sélection, le comité consultatif national d'éthique a écrit ces propos que je tiens à citer après d'autres collègues car ils me semblent essentiels : « Invoquer cette connaissance facilitée et banalisée du sexe ou de l'existence d'une anomalie mineure pour empêcher la prolongation du délai légal apparaîtrait au comité d'éthique excessif et, d'une certaine façon, attentatoire à la dignité des femmes et des couples.

Ce serait en effet leur faire injure et les placer en situation d'accusés potentiels que de penser que la grossesse est vécue de façon si opportuniste que sa poursuite ou son arrêt ne tiendrait qu'à cette connaissance. Ainsi le risque d'une dérive eugénique évoqué par la saisine ne paraît pas fondé. »

M. Jean Le Garrec, président de la commission. C'est fondamental.

M. Philippe Nauche.

Je le crois.

S'agissant des mineures chacun s'accorde à reconnaître la validité des propositions qui permettent de passer d'un double contentement obligatoire - celui de la mineure et le consentement parental - à la possibilité, si cela n'est pas possible, de se contenter de la seule décision de la mineure. Cela constituera un progrès considérable d'autant que ces situations sont encore plus difficiles à vivre quand le dialogue avec les titulaires de l'autorité parentale n'est pas possible.

En conclusion, je veux souligner que l'enjeu de ce projet de loi est avant tout humain. Mme Lignières-Cassou l'a fort justement souligné dans son intervention. En effet cette question concerne chacune et chacun d'entre nous car, si la place de l'homme n'a pas à être précisée dans la loi, il est bien évident que, lorsqu'existe un couple où tout ce qui peut être partagé et assumé ensemble doit l'être, cet événement constitue un épisode de la vie commune.

Ce texte est caractérisé par la volonté de mieux répondre aux situations de détresse, de réaffirmer le droit des femmes à choisir en leur âme et conscience, selon leurs propres critères moraux et philisophiques, dans le cadre de la laïcité républicaine. Si la loi n'a pas vocation à imposer des choix elle doit permettre à chacun d'exercer ses responsabilités en conscience.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme Jacqueline Mathieu-Obadia.

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, madame la secrétaire d'Etat, quelques minutes ne sauraient suffire pour aborder tous les aspects que recouvre ce projet de loi. Je me contenterai donc d'en choisir deux qui me permettront d'éclairer nos positions et le vote que nous émettrons.

Je regrette qu'un texte prétendant régler une situation particulièrement douloureuse - vous l'avez souligné ce matin, madame la ministre - pour de nombreuses femmes qui ont recours à l'IVG, ne soit pas la bonne loi que nous attendions. Comment envisager un seul instant qu'un délai supplémentaire de deux semaines accordé aux femmes qui ont décidé d'interrompre leur grossesse résoudra l'ensemble des problèmes que nous connaissons dans notre pays ? En effet, actuellement, 200 000 avortements sont pratiqués chaque années en France. Nous sommes l'un des rares pays développés à avoir un chiffre aussi élevé. Sur ces 200 000 interruptions de grossesse, 5 000 interviennent au-delà du délai légal défini par la loi Veil de 1975. Or ces 5 000 cas ne seront pas concernés par le projet de loi que vous nous présentez. Il n'en intéressera que 2 000. Les 3 000 autres seront toujours hors du délai légal. Dans ces conditions, que penser d'un tel projet de loi dont la justification essentielle est d'éviter aux femmes d'aller avorter à l'étranger, mais qui ne l'évitera qu'à 40 % d'entre elles ? Que penser au plan médical, cette fois, de ce projet ? L'interruption volontaire de grossesse est une source d'inquiétude pour les médecins, ceux-là même qui pratiquent régulièrement les interruptions volontaires de grossesse. A cet égard, je veux citer l'académie de médecine : « Plus on s'éloigne des premières semaines de la grossesse, plus le risque de complication devient grand. »

Il faut en effet savoir que c'est entre la dixième et la douzième semaine - cela a déjà été dit, mais je le rép ète afin que chacun en soit parfaitement conscient ...

M. Bernard Outin.

C'est faux !

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia.

... que se situe le passage, progressif il est vrai, du stade de l'embryon, qui est une masse gélatineuse et liquide, donc très accessible à l'aspiration, à celui de foetus dont le développement, le poids, la taille et l'ossification sont beaucoup plus importants.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Bernard Outin.

Ce n'est pas en répétant un mensonge qu'il devient vérité !

M me Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

C'est faux !

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia.

Je ne comprends pas que cela vous gêne : c'est la vérité. En tout cas cela pose des problèmes à ceux des médecins qui pratiquent l'IVG.

Par conséquent, si l'interruption de grossesse et l'expulsion sont relativement aisées avant la dixième semaine, elles deviennent plus difficiles au-delà. Il s'agira alors d'une véritable intervention chirurgicale, qui devra être pratiquée sous anesthésie générale. Certes il peut arriver aussi - cela a été souligné ce matin - qu'il faille recourir à l'anesthésie générale pour une interruption volontaire en début de grossesse, mais, après dix semaines, cela devient obligatoire avec pose de laminaires pour dilater le col utérin, nécessité de fragmenter le foetus pour l'expulser hors de l'utérus et, le plus souvent, curetage de sécurité de la paroi utérine. Les possibles complications mentionnées par l'académie de médecine, type perforation ou hémorragie, ne sont pas vaines inquiétudes.

En fait cet allongement ne fait gagner que deux semaines de doutes, d'indécision, de souffrances psychologiques supplémentaires pour les femmes qui, de toutes façons, veulent interrompre leur grossesse. Elles n'y gagneront qu'une intervention plus délicate dont les complications ne seront pas exclues. En outre, il restera toujours 3 000 femmes auxquelles aucune solution ne sera proposée.


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Ensuite je prétends, comme bon nombre de ceux qui m'entourent, que le vrai problème est celui du nombre bien trop élevé d'avortement pratiqués chaque année dans n otre pays. Pourquoi ne pas avoir le courage de reconnaître toutes les causes de cette situation et, surtout, pourquoi ne pas apporter les moyens d'y remédier ? Vous en avez certes parlé ce matin, madame la ministre, mais vous n'avez pas donné les moyens d'y remédier.

Pourtant nous savons tous et toutes que la cause principale est une étonnante absence d'information à la sexualité dans nos établissements scolaires - j'en parle d'expérience, pour en avoir réalisé pendant quelques années - et, en conséquence, la non moins étonnante ignorance des adolescents des mécanismes de leur propre sexualité.

Il y a également les échecs de la contraception dont la grande majorité découle aussi du manque d'information.

Faut-il rappeler à cet égard l'exemple des Pays-Bas qui possèdent tout à la fois une loi permettant l'interruption volontaire de grossesse jusqu'à vingt-deux semaines et un taux d'interruption volontaire de grossesse le plus bas d'Europe ? Dans ce pays a été mis en place une politique d'information et d'éducation à la sexualité extraordinairement développée ce qui explique le taux très faible du nombre des IVG parce que la corrélation entre l'éducation à la contraception et la réduction du recours à l'interruption volontaire de grossesse est évidente.

Quand on sait à quel point les conséquences psychol ogiques d'une interruption volontaire de grossesse peuvent, chez certaines femmes, être importantes, comment ne pas vouloir à tout prix éviter au plus grand nombre d'entre elles d'en arriver à faire ce choix ? C'est ce but qu'aurait dû poursuivre ce projet de loi.

M. Bernard Accoyer.

Eh oui !

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia.

En conclusion, nous disons non à une loi qui n'est pas adaptée et qui peut être dangereuse parce qu'elle ne répond que partiellement aux problèmes que nous connaissons, non à une loi qui, à aucun moment, ne propose les moyens de la mise en place d'une véritable information généralisée sur la contraception et d'une éducation à la sexualité dans les établissements scolaires de notre pays, pour les filles et pour les garçons, d'une information et d'une éducation précoces et continues, comme l'a souligné M. Perrut.

En revanche, nous avons tout à mettre en oeuvre pour éviter aux adolescentes et aux jeunes femmes d'avoir à connaître ce sentiment de si profonde désespérance qu'il les amène à demander d'interrompre avant son terme la grossesse qu'elles commencent.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint.

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, depuis la promulgation des lois Neuwirth en 1967 et Veil en 1975, la société a beaucoup évolué. Plus de vingt-cinq ans après, l'ajustement de notre législation s'impose comme une nécessité, afin de la faire concorder avec les réalités d'aujourd'hui.

Le droit à la maîtrise de sa sexualité, le droit à la maternité choisie sont entrés dans la vie grâce à des luttes longues, tenaces, qui ont exigé une mobilisation permanente de femmes, mais aussi d'hommes, qui font désormais figure de références. Ces lois, il fallait les obtenir, les faire appliquer ; aujourd'hui, il faut prendre les mesures pour empêcher tout recul. Si nous ne procédions pas à leur actualisation, les lois sur la contraception et l'avortement seraient peu à peu vidées de leur contenu.

Et que l'on en finisse enfin avec cette culpabilisation, ces propos outranciers que certains profèrent à longueur de discours, sur l'IVG de confort, sur l'irresponsabilité des femmes, mots d'ordres d'ailleurs très souvent repris par quelques associations qui, hier comme aujourd'hui, se sont toujours opposées à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse ! Nous respectons trop la liberté pour contester à qui que ce soit le droit de vivre ses décisions sur des questions aussi profondes et parfois graves, surtout dans le cas de l'interruption volontaire de grossesse qui, je le rappelle, est un acte sérieux dans toutes ses implications.

Ce sont ces acquis et ces libertés que le groupe communiste entend défendre avec un esprit de responsabilité pour contribuer à faire adopter et appliquer le projet de loi. Le droit de décider de donner la vie est un d roit fondamental, légitimement revendiqué par les femmes et les hommes de notre pays et rendu possible par le progrès des sciences et des connaissances. Vingtcinq ans plus tard, leur aspiration à une vie librement choisie, à une vie librement donnée est toujours aussi forte. Nous ne pouvons nous en étonner, parce que c'est cela, le véritable respect de la vie.

Cela veut dire en priorité développer l'éducation sexuelle dès le plus jeune âge, à l'école notamment, et l'accès à la contraception.

Cela veut dire également améliorer et appliquer la loi sur l'interruption volontaire de grossesse, qui doit être un ultime recours et non une méthode de contraception.

Cela veut dire enfin mettre en oeuvre une grande politique sociale et familiale.

Des mesures ont déjà été prises en ce sens et nous ne pouvons que nous en féliciter, telle la campagne d'information sur la contraception lancée en janvier 2000. Si toutefois nous pouvons juger positivement l'attention qu'elle a suscitée, nous devons faire en sorte que ces campagnes s'inscrivent dans la régularité. La dernière de ce type, lancée, sous l'impulsion de notre collègue Yvette Roudy, remonte à 1982. Le résultat en est que toute une génération a le sentiment de ne jamais avoir eu d'information sur la contraception et la sexualité.

Il est vrai que la priorité avait été donnée, en 1992, au préservatif du fait du sida. Nous le comprenons, tout en restant convaincus que cela n'a rien de contradictoire, d'autant que, nous le savons, tout relâchement dans l'effort d'information et de prévention génère des conséquences irréversibles. Nous le vérifions aujourd'hui avec les dernières statistiques connues sur le sida.

Je pense aussi à la contraception d'urgence dont le principe vient d'être adopté par le Parlement après l'aboutissement responsable de la commission mixte paritaire, ainsi qu'aux projets de loi sur la modernisation sociale et sur la famille que nous examinerons très prochainement. Il en est de même enfin avec le texte mis en débat aujourd'hui dans le but d'améliorer les lois de 1967 et 1975.

Quelle est la réalité d'aujourd'hui ? Les enquêtes de l'Institut national d'études démographiques montrent que le pourcentage des femmes déclarant ne pas utiliser de contraceptifs alors qu'elles ne veulent pas de grossesse est très faible : environ 3 %. Elles


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indiquent également que la contraception touche tous les milieux, urbains et ruraux, et l'ensemble des couches sociales.

En dépit de ce contexte, le nombre des interruptions volontaires de grossesse reste stable, ni ce n'est un léger accroissement chez les femmes de moins de vingt-cinq ans.

La conjonction de ces deux mouvements - diffusion de la contraception et stabilité des IVG depuis 1975 - soulève les questions de l'accessibilité et de l'acceptabilité de la contraception. Les mesures qu'appelle cette situation nous semblent être pour partie contenues dans ce projet.

La première disposition tendant à l'allongement des délais légaux d'IVG de dix à douze semaines devrait permettre à environ 6 000 femmes de subir cette intervention en France, plutôt que de les laisser partir hypocritement à l'étranger au motif qu'elle sont hors délais.

Doit-on craindre de cet allongement une multiplication du nombre d'IVG ?

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Bien sûr que non !

Mme Muguette Jacquaint.

Je ne le pense pas, et pour deux raisons.

Il suffit pour commencer de regarder autour de nous : l'expérience dans les pays européens qui se sont dotés d'une législation plus souple que la nôtre dément les risques de dérive, notamment celui des Pays-Bas où le nombre d'IVG est moindre qu'en France.

En outre, si les femmes qui ont une grossesse non prévue se décident très rapidement sur son interruption ou sa poursuite, il faut noter que les quelque milliers actuellement hors délais sont souvent issues de milieux défavorisés. Les difficultés psychologiques liées à une grossesse non prévue se cumulent chez elles aux difficultés financières et souvent à une instabilité affective.

Les décisions en matière d'IVG doivent se prendre en toute connaissance de cause. Souvent, un accompagnement psychologique est nécessaire avant, pendant et après l'IVG.

Mme Christine Boutin.

C'est vrai !

Mme Muguette Jacquaint.

Il semble très important d'informer les femmes sur les différentes méthodes d'IVG existantes, et de rendre plus accessibles les méthodes médicamenteuses.

Or l'hôpital public ne remplit pas totalement ce rôle, par manque de places, manque de personnel médical, certes, mais aussi du fait du blocage, pendant trop longtemps, de l'application de la loi par le biais de la clause de conscience.

Le courage et la détermination de celles et ceux qui ont apporté jour après jour leur compétence médicale et professionnelle à la pratique de ces interventions ont fait d es centres IVG de véritables services hospitaliers reconnus comme des lieux de soins et de prise en charge de la santé des femmes. Il reste toutefois beaucoup à faire, tant la faiblesse des moyens alloués aux centres perdure à tel point que l'on envisage la fermeture de plusieurs d'entre eux.

A ces difficultés s'ajoute un réel problème : celui du recrutement des médecins acceptant de pratiquer l'IVG.

Nous nous félicitons que ce projet de loi prévoie en son article 7 une disposition qui devrait avoir un impact certain sur le fonctionnement même des services gynécologiques. Il était nécessaire d'insister sur l'obligation faite aux responsables de service refusant de réaliser des IVG au nom de la clause de conscience de garantir sa pratique dans les meilleures conditions au sein même de leur service.

Conscients toutefois des difficultés que risque de poser l'application de cette mesure, nous soutiendrons l'amendement de la commission proposant de maintenir les deux derniers alinéas de l'article L.

2212.8 du code de la santé publique, qui laissent aux conseils d'administration des établissements de santé une certaine compétence.

En ce qui concerne les mineures, contrairement à ce que l'on a pu entendre, le projet de loi ne propose pas de supprimer l'autorité parentale pour accéder aux contraceptifs hormonaux ou pour subir une IVG. Il est d'ailleurs à noter que, dans la plupart des cas, les parents sont présents. Mais il ne faut pas se voiler la face. Trop d'adolescentes encore se retrouvent seules face à ce problème.

Les enquêtes montrent, comme le rappelle Nathalie Bajos, chercheuse en santé publique, que les parents ne sont pas toujours les meilleurs interlocuteurs dans une situation de grossesse non prévue. Dans les milieux où la sexualité est réprouvée, où l'accord parental est impossible à obtenir, il est légitime que la loi envisage ce cas de figure pour favoriser le dialogue autour de la sexualité, y compris sur l'IVG. Nathalie Bajos estime, et je fais miens ses propos, que cela ne peut qu'accroître la responsabilisation et améliorer l'accès des mineures à la contraception.

Le projet de loi va en ce sens en proposant, dans les cas où l'autorisation des parents est impossible, qu'un adulte référent choisi par la mineure se substitue à eux dans l'accompagnement de sa démarche. Comment pourrions-nous nous opposer à cette mesure, alors que la France autorise aujourd'hui les mineures à être mères sans l'accord des parents ?

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Tout à fait !

Mme Muguette Jacquaint.

Le débat, peut-être passionné, que nous aurons tout au long de l'examen du projet, ne dissimulera pas l'objectif que nous devons nous fixer : tenter de faire baisser le nombre d'interruptions volontaires de grossesse.

La condition préalable est le développement à grande échelle d'une information sur la contraception et, en amont, je l'ai rappelé au début de mon intervention, de l'éducation sexuelle dès le plus jeune âge dans le système scolaire.

Le mouvement français pour le planning familial est très fortement mobilisé pour une politique nationale d'information sexuelle adaptée aux particularités locales tout en assurant à l'ensemble de la population la même possibilité d'accès à l'information, d'écoute et de conseil. Il est temps de lui donner les moyens de développer davantage encore son action afin que ses centres soient connus, notamment des jeunes.

Les conseillères conjugales jouent également un rôle d'accueil et d'écoute primordial auprès des femmes. Elles sont encore trop rarement reconnues et leur statut pratiquement inexistant.

S'agissant de la contraception, un problème particulier reste posé : celui du remboursement des moyens contraceptifs. Si des avancées à cet égard ont été dernièrement enregistrées pour la RU 486 et le stérilet, la difficulté demeure pour les pilules de nouvelle génération. Bien que celles-ci soient très fréquemment prescrites pour des raisons liées à leur efficacité et à une meilleure tolérance, u n grand nombre de jeunes filles et de jeunes femmes sont amenées à changer de moyen contraceptif par le fait que


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cette génération de pilules n'est pas remboursée. D'une façon générale, il nous semble souhaitable de tendre vers le remboursement de tous les contraceptifs. Chaque femme doit pouvoir bénéficier des moyens les plus appropriés à son organisme et à sa santé, et non à ses ressources ou à son niveau social.

C'est avec optimisme que je devrais pouvoir conclure mon propos, mais certains événements continuent à tempérer mon enthousiasme : je veux parler de l'impunité dont peuvent se targuer aujourd'hui les opposants aux centres d'IVG et de leur pression morale tendant à imposer leur éthique contre la loi civile.

I l est temps de reconnaître que l'offensive des commandos anti-IVG, au nom de la religion, de la famille et de l'enfant, n'est en fait que la partie émergée d'un iceberg qui n'avoue ni sa véritable nature ni ses réels objectifs.

Je souhaite pour ma part que les propositions de la commission visant à intégrer dans le code pénal le délit d'entrave à la pratique légale de l'IVG, en précisant les contours de ce délit, par l'ajout notamment de la notion de pressions morales et psychologiques, soient retenues ; leur application permettra d'annihiler l'offensive de ces extrémistes.

Au bénéfice de ces quelques remarques, c'est avec beaucoup de conviction que les députés communistes et apparentés voteront ce projet de loi, en espérant voir ses dispositions rapidement mises en application. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lors de la présentation de la campagne d'information sur la contraception et l'IVG, Mme Aubry, alors ministre de l'emploi et de la solidarité, déclarait :

« Nous avons décidé collectivement de faire de l'avortement un droit par voie législative il y a plus d'un quart de siècle. Nous ne pouvons accepter aucun recul en matière de droits pour les femmes. Soyez assurés de ma détermination à ce que, dans les faits, les femmes puissent bénéficier pleinement de leurs droits, droit à la contraception et droit à l'IVG. »

C'est le même discours que j'entends depuis ce matin, tant de la part du Gouvernement que des rapporteures et des membres de la majorité. Vous ne serez pas étonnés si, avec les membres du groupe UDF, je ne le partage qu'à moitié.

Je suis d'accord quand vous parlez de droit à la contraception. « Un bébé si je veux », c'est l'affirmation d'un droit fondamental, d'une merveilleuse liberté qu'aucune femme ne voudrait voir remise en question.

Oui, la femme est devenue maître de son corps, mais de son corps seulement. Le problème change de nature quand la femme devient deux, qu'elle porte en elle un être humain en devenir qui, de toute évidence, n'est déjà plus elle, même si, pour un temps, il reste totalement dépendant. Et cette dépendance, à mes yeux, entraîne plus de devoirs que de droits.

Je m'inscris en faux lorsque Mme Aubry ou vousmême, madame Guigou, affirmez que nous avons décidé par voie législative, voilà plus d'un quart de siècle, de faire de l'avortement un droit. Cette interprétation de la loi Veil est totalement abusive. Nulle part, pas plus dans les attendus de la loi que dans le débat et dans l'argumentation de Mme Veil, il n'a été question de « droit » à l'avortement. Tout au contraire, l'article 1er réaffirme d'entrée de jeu le droit à la vie dès la conception. En garantissant le respect de tout être humain dès le commencement de la vie, la disposition législative alors présentée se posait comme une mesure d'exception à un droit fondamental, en aucun cas comme un droit universel qu'il faudrait ensuite reconnaître. Il s'agissait, dans un but bien précis de santé publique, d'éviter les avortements clandestins dont un certain nombre avaient des conséquences dramatiques sur la santé des femmes.

Nous ne partageons pas votre philosophie, madame la ministre. Pour le groupe UDF, qui se veut fidèle à l'esprit de la loi Veil, l'avortement n'est et ne saurait devenir un droit, aujourd'hui pas plus qu'hier.

Reste une triste réalité : une vie que l'on supprime à son commencement et par voie de conséquence une profonde blessure au coeur de la femme qui avorte, mais aussi au coeur de la société.

Alors tout doit être fait pour réduire le nombre d'avortements. « Quand j'évite un avortement à une femme, j'ai gagné mon salaire de l'année », me disait un praticien d'un centre d'orthogénie. Je m'étonne et je regrette vivement que la prévention ne soit pas l'objectif de ce projet de loi, pire, qu'elle soit complètement passée sous silence.

Deux cent vingt mille avortements, c'est trop, beaucoup trop ! Faire baisser le nombre d'avortements en France ne relève pourtant pas d'une mission impossible.

Toutes choses égales par ailleurs, certains pays font beaucoup mieux que nous - les Pays-Bas notamment, où l'on en pratique trois fois moins que chez nous.

M. Marcel Rogemont.

Mais jusqu'à vingt-deux semaines !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

La prévention de l'avortement passe, dans un contexte apaisé, par l'information et la contraception. Malheureusement, le contexte n'y est pas. Nous vivons dans une société déstructurée où nos concitoyens, sans point de repère, sont victimes de violences de toutes sortes avant d'en secréter à leur tour. Le sexe n'a jamais été aussi visible. Et pas n'importe quel sexe : un sexe violent et commercial. Jamais la parole des adultes n'a été aussi pauvre. Chez beaucoup de jeunes, les rapports sexuels sont plus souvent consentis que véritablement décidés. Avant toute chose, il faut un nouveau regard de la société sur la sexualité. « La sexualité, c'est le cadeau personnel du Bon Dieu ou du grand maître de l'univers.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Il faut protéger nos jeunes, non avec des tabous et de la pudeur, mais de la générosité », disait Israël Nisand.

Mme Yvette Roudy.

Ah ! En voilà un qui sait de quoi il parle !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Les politiques d'inform ation seront inefficaces si les intéressés ne se reconnaissent pas le droit d'y avoir accès parce que leur sexualité est socialement réprouvée. Plus le discours social sera favorable à la sexualité, plus les jeunes femmes auront facilement accès à la contraception parce qu'elles se sentiront reconnues et acceptées dans leur sexualité.

M. Marcel Rogemont.

C'est vrai !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

En matière d'information, tout est à faire. Les jeunes doivent pouvoir bénéficier d'une éducation à la sexualité de qualité et répétit ive, tant en milieu scolaire que dans les centres de planification et d'éducation familiale, et dans les médias.


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M. Pierre-Christophe Baguet.

C'est vrai !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Certains s'étonneront que je ne parle pas de la famille en priorité. Mais, comme le disait fort justement une conseillère familiale,

« quand on fait des bisous, on n'est pas du côté de l'éducation sexuelle ». Comme hier, il est toujours aussi difficile et délicat pour les parents de parler avec leurs enfants de maladies sexuellement transmissibles, de grossesse non désirée, d'homosexualité, de masturbation, de virginité, d'inceste.

Alors, beaucoup doit se jouer à l'école, non pas avec les professeurs qui, comme les parents, ne sont pas les mieux placés pour assurer l'éducation sexuelle de leurs élèves, mais avec des intervenants extérieurs spécialisés, des équipes constituées de médecins, d'infirmiers, de sages-femmes, de membres du planning familial. J'aurai l'occasion d'y revenir à propos d'un amendement.

Le médecin a une grosse responsabilité. Parce que les deux tiers de la contraception en France sont entre ses mains - pilules et stérilet. « Son discours devra être véritablement humaniste, replaçant la relation sexuelle dans le contexte qui est le sien, surtout chez les jeunes, valorisant le consentement mutuel, faisant apparaître la prise de responsabilités en matière sexuelle comme étant signe de maturité », disait le rapport Nisand.

Les centres de planification et d'éducation familiale ont aussi un rôle fondamental à jouer, car il existe très peu de lieux d'accueil pour les jeunes en grande difficulté. Mais ils ne sont pas assez connus, pas assez accessibles à tous, notamment en milieu rural, et peu pratiques car rarement ouverts quand les élèves sont libres. De plus, l'appellation même de ces centres n'est guère attrayante.

Comme aux Pays-Bas, tous ces intervenants devraient délivrer les mêmes messages, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, messages qui devraient être relayés par les médias de façon répétitive si l'on veut qu'ils atteignent leur but.

Pour ce qui est de la contraception, enfin, la société française aurait besoin aujourd'hui d'une loi globale incluant l'ensemble des risques liés à la sexualité. Dommage, elle attendra ! Pourquoi avoir associé dans un même texte une révision de la loi Veil sur l'avortement et quelques dispositions complémentaires sur la contraception ? Veut-on volontairement entretenir la confusion des genres ?

M me Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Mais non !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Il eût fallu rassembler et harmoniser dans une loi distincte les dispositions sur la pilule du lendemain que nous avons votées hier, celles sur la prescription et la suppression de l'autorisation parentale pour la contraception régulière des mineures qui nous sont proposées ici et traiter, de manière approfondie, après un large débat, d'une éventuelle gratuité de la contraception.

Malgré toutes ces mesures bénéfiques à terme, il y aura toujours, hélas ! des femmes enceintes en difficulté, voire en grande détresse...

Mme Yvette Roudy.

Il y en aura moins !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

... parce qu'il y a des femmes à risques, certes...

Mme Muguette Jacquaint et M. Marcel Rogemont.

C'est quoi, une femme à risques ?

Mme Yvette Roudy.

Sans doute une femme qui vit dans le péché !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

... mais surtout parce qu'il y a de nombreuses situations à risques dans notre société moderne.

Ces femmes, toutes ces femmes doivent être accueillies dans le plus grand respect de leur situation et de leur liberté. Or, vous ne leur laissez pas le choix. Vous partez du postulat qu'elles ont déjà clairement décidé d'avorter.

L'expérience montre que ce postulat est faux et qu'un certain nombre d'entre elles, justement parce qu'elles sont en plein désarroi, et souvent dans une solitude totale, n'ont pas pris leur décision lors du premier entretien.

M. Bernard Deflesselles.

Exact !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

L'intitulé du dossier guide actuellement distribué est tendancieux puisqu'il n'a trait qu'à l'interruption volontaire de grossesse alors qu'il s'adresse théoriquement à toutes les femmes enceintes en difficulté.

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Tout à fait !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Mais vous allez beaucoup plus loin avec l'article additionnel après l'article 3 qui supprime, dans le dossier guide, toutes les aides dont peuvent bénéficier les femmes qui veulent garder leur enfant.

Par ailleurs, en réécrivant totalement l'article L. 2212-3, vous dénaturez complètement l'esprit de la loi Veil qui voulait, chaque fois que faire se peut, donner toutes ses chances à la vie et ne recourir à l'avortement qu'en désespoir de cause.

Mme Yvette Roudy.

C'était il y a vingt-cinq ans ! Les temps ont changé !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Je ne peux abonder dans votre sens.

Non, l'avortement n'est pas la seule réponse à proposer aux femmes enceintes en difficulté.

Mme Muguette Jacquaint.

Nous n'avons pas dit cela !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Je souhaiterais qu'au moins autant de moyens soient alloués à l'accueil et au suivi des femmes qui décident de garder leur enfant que de celles qui veulent avorter. Actuellement, ces aides procèdent trop d'initiatives locales dont l'excellent travail mériterait d'être généralisé. Je pense notamment au service d'aide aux femmes enceintes en difficulté - SAFED mis en place par le conseil général d'Ille-et-Vilaine. Ce service fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre et accueille environ deux cents femmes par an, avant, pendant et après leur grossesse ou leur avortement. Je cite le personnel de ce service : « On bricole des solutions tous les jours malgré les aides à notre disposition. Pour que les bébés aient leurs chances, il faut soutenir leurs parents et eux-mêmes, longtemps, longtemps, car beaucoup ont deux générations déstructurées derrière eux. »

Malgré ces accompagnements, l'avortement est sans doute, dans d'autres cas, la moins mauvaise des solutions.

Ainsi j'ai reçu plusieurs témoignages particulièrement douloureux. Des médecins et des conseillères conjugales ont évoqué le cas de femmes se présentant dans un état de refus total, quasi physique, de leur grossesse. Dans ces cas, l'IVG est sans doute la moins mauvaise des solutions car une grossesse, c'est un événement biologique mais c'est aussi une parole d'amour et, sans cette dernière, un avortement peut être vécu comme une libération.

Les situations extrêmes existent et existeront toujours dans notre pays et elles doivent pouvoir être traitées décemment. Elles le sont dans le cadre de la loi Veil,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

c'est-à-dire jusqu'à dix semaines de grossesse. Au-delà, les hôpitaux et les cliniques sont extrêmement vigilants et prudents. Les centres de planification servent alors de béquilles à la société en accueillant les femmes hors délai et en les envoyant avorter à l'étranger.

Cinq mille femmes environ se retrouvent chaque année hors délai dans notre pays, pour des raisons diverses : raisons médicales ou familiales, viols, ignorance de la loi, échec de la contraception, lenteur et complexité des démarches, non-coopération du corps médical, dénis de grossesse ou ambivalence très forte.

Les femmes les plus souffrantes ont une très mauvaise image d'elles-mêmes, une position très masochiste. Elles ne savent plus combien de fois ni quand elles ont déjà eu recours à l'IVG.

Mme Yvette Roudy.

Mais qu'est-ce qu'elle raconte ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Une grossesse, c'est parfois pour elles le seul moyen de tenir debout. Les pays où il y a moins d'avortements sont peut-être aussi ceux où la souffrance est mieux entendue.

Ces femmes, parce qu'elles sont les plus démunies, devraient être les premières à pouvoir avorter dans leur pays. Se retrouver dans l'illégalité n'est pas facile à supporter ; aller dans un pays étranger quand on n'est jamais sortie de son département est encore plus difficile. Sans parler des soucis d'argent : certaines se prostituent pour payer le voyage...

Mme Yvette Roudy.

Oh non, quand même ! C'est du Zola !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

... qui ajoute encore à leur détresse, à leur souffrance et à leur solitude.

Nous n'avons pas le droit de nous défausser de nos problèmes sur nos voisins. Nous nous devons de les assumer dignement, en France. Dans cette optique, quelques aménagements de la loi Veil sont souhaitables, mais les propositions que vous nous faites sont totalement irrecevables à nos yeux. Elles procèdent toutes de la même philosophie, qui consiste à légiférer de manière générale po ur des cas marginaux, ce qui n'est jamais sain.

Il en est ainsi de l'autorisation parentale, dont on sait, suite à diverses enquêtes - dont celle du docteur Gaudry de 1999 - qu'elle ne pose un problème que dans moins de 10 % des cas,...

Mme Muguette Jacquaint et M. Bernard Outin.

Et alors !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

... et que dans les autres, elle permet de resserrer des liens familiaux souvent distendus.

Il en est ainsi de l'entretien préalable, que vous voulez supprimez alors qu'il n'est refusé que dans 2 à 3 % des cas,...

Mme Muguette Jacquaint et M. Bernard Outin.

On ne veut pas le supprimer, on le rend obligatoire !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

... et que tout le monde s'accorde pour en reconnaître les effets bénéfiques. Cet entretien préalable, c'était l'occasion pour la femme de mettre en mots sa souffrance, et également de faire place au père. Car l'IVG ne saurait être l'affaire de la seule femme, d'autant qu'elle peut traduire une crise de couple.

Il en est ainsi, et plus encore, de l'allongement du délai légal de dix à douze semaines, qui ne concerne que 1 % des femmes qui avortent. Non seulement cette dernière proposition ne règle pas le problème de toutes les femmes hors délai, mais elle soulève les réticences, voire l'hostilité du corps médical,...

M. Marcel Rogemont.

De quelques médecins !

Mme Muguette Jacquaint.

C'est faux ! Ne parlez pas au nom de tout le corps médical !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

... parce qu'elle entraîne un changement de technique, et surtout parce qu'elle provoque des interférences avec le diagnostic foetal.

Sur le premier point, laissons parler le professeur Frydman : « La bonne question est celle de savoir comment aider les femmes qui dépassent le délai légal. La réponse cantonne à deux semaines l'allongement de ce dernier et ne résout pas l'ensemble du problème...

M. Marcel Rogemont.

On est d'accord, mais elle le résout en partie !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

... qui est, en fait, la prise en charge de ces femmes. Elle ne concernerait donc que 1 % des femmes candidates à l'IVG aujourd'hui et ne règle pas le problème des 3 000 autres qui devront toujours partir à l'étranger. Le point crucial, c'est que ce projet ne constitue pas une prise en compte globale du problème mais une parcellisation de celui-ci. Cela me gêne car tout n'est pas résolu. »

L'allongement du délai légal a pour conséquences, quoi qu'en pensent quelques-uns, un changement de technique qui augmente légèrement les risques de complications. La limite de dix semaines retenue en 1975 par la loi Veil n'est pas arbitraire. Elle correspond, à quelques variations individuelles près, au passage de l'embryon au foetus et donc à des pratiques d'avortement différentes.

Surtout, l'allongement du délai légal à douze semaines va dramatiquement, et je pèse mes mots, interférer avec la première échographie foetale. C'est un problème spécifique à la France qui est, à ce jour, le seul pays au monde à pratiquer à la onzième semaine de grossesse, et de façon systématique, une première échographie, qui donne dans 5 % à 7 % des cas des images potentiellement pathologiques dont la plupart se résorberont par la suite.

M. Bernard Accoyer.

C'est un vrai problème !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Mais la conjonction de l'allongement du délai et du diagnostic prénatal va conduire immanquablement à des avortements préventifs.

Une interruption de grossesse pour une anomalie mineure ou curable est déjà particulièrement triste. Mais que penser quand elle sera décidée sur un avis erroné ou sur une information incomplète ou transitoire ?

La demande pressante des praticiens de la médecine foetale et de l'avortement, c'est que le législateur garde en l'état la loi Veil que d'autres pays nous envient, en l'aménageant simplement à la marge pour faire en sorte que les quelques milliers de femmes qui ont dépassé les dix semaines de grossesse puissent toutes avorter en France.

L'amendement que je proposerai et qui est cosigné par une trentaine de mes collègues va dans ce sens : maintien du délai légal à dix semaines mais possibilité d'avorter audelà pour raisons médicales, c'est déjà écrit dans la loi, jusqu'à vingt-deux semaines, pour des motifs psychosociaux d'une particulière gravité, examinés par une équipe pluridisciplinaire.

A ce stade du débat, je souhaiterais répondre aux critiques émises selon lesquelles nos amendements reviendraient à confondre IVG et IMG.

Mme la présidente.

Il faut conclure, madame Boisseau.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Tel n'est pas leur objet.

L'interruption médicale de grossesse demeure inchangée, car elle répond à des cas précis et ne doit pas être limitée dans le temps.


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Nous proposons d'introduire, à côté de l'interruption médicale de grossesse, une disposition particulière précisant que les femmes au-delà du délai légal et dans un état de détresse psychosociale d'une particulière gravité pourront bénéficier d'un accompagnement au cas par cas et d'une prise en charge par une équipe pluridisciplinaire. Il s'agit là d'une véritable alternative, équilibrée et, surtout, respectueuse de la dignité humaine et de la dignité des femmes.

Mme Yvette Roudy.

Nous en reparlerons lors de la discussion des amendements !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Madame la ministre, il faut prendre vos responsabilités et fixer clairement la ligne à ne pas dépasser. Cette ligne, pour reprendre la formule très réaliste de Roger Bessis : « C'est celle qui sépare un enfant quand je veux et un enfant si je veux, de un enfant tel que je le veux. Etroit sentier qui fait passer de l'interruption d'une grossesse non désirée ou non possible, à l'interruption de grossesse parce que cet enfant-là pourrait ne pas être conforme à une certaine idée que l'on s'en faisait. »

Voilà, madame la ministre, ce que je souhaitais dire sur ce texte. Vous avez compris que, pour toutes ces raisons et d'autres que je n'ai pas eu le temps d'exposer, le groupe UDF votera contre cette loi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Yvette Roudy.

Il a tort !

Mme la présidente.

La parole est à Mme Chantal Robin-Rodrigo.

Mme Chantal Robin-Rodrigo.

Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, le présent projet de loi vise à moderniser les lois Neuwirth et Veil.

Ces lois ont été, en leur temps, des textes courageux qui nécessitent cependant d'être réactualisés en tenant compte de l'évolution des mentalités mais aussi des techniques médicales.

Après le projet de loi sur la pilule du lendemain que nous avons adopté en deuxième lecture hier, le Gouvernement s'est engagé dans une réforme des lois précitées en tenant compte des constats suivants : échecs de contraception trop nombreux et, de ce fait, un taux d'IVG trop élevé ; pratique de la contraception encore défaillante chez les jeunes ; avortement à l'étranger pour plus de 5 000 femmes chaque année, parce que le délai légal est dépassé ; problème des jeunes filles mineures qui ne peuvent avoir accès à l'IVG sans autorisation parentale ; enfin, l'article L. 647 du code de la santé publique qui interdit toujours l'information sur l'avortement.

Tous ces points sont traités par le texte qui nous est présenté. De nombreuses auditions de spécialistes, de chercheurs, de gynécologues, d'associations de femmes et de juristes ont été organisées par la délégation aux droits des femmes. Je salue le travail d'écoute et d'information menée par notre rapporteure, Mme Martine LignièresCassou.

Quelles sont les principales dispositions de ce projet de loi ? Nous l'avons vu, il s'agit de l'allongement du délai légal de dix à douze semaines, du problème des mineures et de la dépénalisation. Faute de pouvoir argumenter en si peu de temps sur ces trois point, je consacrerai mon propos à l'allongement du délai légal.

Cette prolongation pose-t-elle des problèmes moraux et religieux supplémentaires ? Certainement pas. Le problème moral lié à l'avortement a été abordé au fond et réglé par les lois de 1975. Il a été reconnu aux femmes le droit de décider une interruption de grossesse dans des conditions bien définies. Le professeur Mattei disait ce matin : « Je ne vois pas de différence, au strict plan de la morale, entre un avortement réalisé à huit, dix ou douze semaines. » Je partage son avis.

L'allongement du délai soulève-t-il alors des problèmes médicaux spécifiques ? Là encore, la réponse est non. J'en veux pour preuve les statistiques émises par de nombreux pays où l'IVG est pratiquée bien au-delà de dix semaines.

La question est donc de savoir si la prolongation de quinze jours du délai légal apportera une véritable solution aux 6 000 femmes qui, chaque année, sont dans l'obligation de partir à l'étranger. Si la réponse est oui, sans conteste, j'ai envie de dire cependant : « Oui mais ».

Car, pour que cette loi soit efficace, il faut sans nul doute que des moyens nouveaux en structures, en équipements, en personnel hospitalier l'accompagne. Il est nécessaire aussi que soient poursuivis les efforts d'information, de prévention, d'accueil et de prise en charge. L'avortement n'est jamais un acte banal. Il doit demeurer l'ultime recours.

Enfin, à celles et ceux qui ont mis en avant le risque d'une dérive eugénique, le comité national d'éthique répond clairement : ce risque n'est pas fondé.

Le texte qui nous est présenté fait progresser, sans nul doute, le droit des femmes pour la maîtrise de leur procréation et de leur sexualité. Cependant, il est indispensable que les pouvoirs publics créent partout les conditions de son application.

Comme l'a dit mon collègue Bernard Charles, les députés radicaux de gauche voteront ce projet de loi prog ressiste qui permettra, mieux qu'aujourd'hui, aux femmes d'assumer en toute légalité des décisions douloureuses qui les concernent au premier chef.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme Sylvia Bassot.

Mme Sylvia Bassot.

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, plus de deux décennies après la loi Veil, nous voilà replongés au coeur du débat sur l'avortement. Il avait déjà, à l'époque, polarisé cet hémicycle, non pas sur des fondements partisans mais sur des fondements moraux, d'éthique et de convictions personnelles, et c'est l'honneur de cette assemblée.

Avec cette intervention pour expliquer mon opposition à ce texte, j'ai bien conscience d'aller à contre-courant du discours dominant, qui devrait tous nous pousser à accepter avec enthousiasme l'inéluctable évolution de notre société vers toujours plus de libertés individuelles, une société qui, sous couvert de modernisme, est en train de perdre des repères et des valeurs qui en sont l'essence même, comme la famille, le sens de la responsabilité, le respect de la vie.

Oui, le texte que vous nous présentez, madame la ministre, me dérange, m'inquiète et me heurte.

Il me dérange parce que l'attitude du Gouvernement pour légiférer dans ce domaine me semble relever davantage de la mode et de l'improvisation que de la sagesse et de la raison dont on devrait faire preuve en abordant un tel sujet.


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Je voudrais rappeler que nous avons la tâche délicate d'élaborer et d'approuver des lois qui doivent rechercher le plus possible le bien commun.

Le législateur, et plus largement l'élu, doit obéir à certaines exigences morales qui donnent à sa fonction et donc aux décisions qu'il prend une valeur forte.

Notre cohérence personnelle d'élus a besoin de s'exprimer par une conception juste de la vie sociale et politique, que nous sommes appelés à servir.

On pourrait parler en fait d'une certaine éthique politique, censée guider notre réflexion et notre action, qui ne me paraît pas assez présente dans ce projet de loi.

Ce texte m'inquiète également, car, si le droit ne peut pas et ne doit pas couvrir toute la sphère de la loi morale, il ne peut aller à l'encontre de la loi morale.

La loi ne peut contredire la loi naturelle. Celle-ci indique en effet les normes premières et essentielles qui règlent la vie, les exigences et les valeurs les plus hautes de la personne humaine.

Cela veut dire que les lois, quels que soient les domaines dans lesquels le législateur intervient, doivent toujours respecter et promouvoir la personne dans la variété de ses exigences spirituelles et matérielles, personnelles, familiales et sociales.

Manifestement, ce projet de loi n'entre pas dans ce schéma, puisqu'il nous fait faire un pas de plus vers la déresponsabilisation et le laxisme par rapport au droit à la vie.

Lorsque la loi Veil a été votée en 1975, nombre de médecins étaient favorables à ce texte, dans la mesure où, pensaient-ils, cette loi ne serait que transitoire, le temps d'une génération, c'est-à-dire le temps d'éduquer et d'informer les jeunes à venir.

Le constat vingt-cinq ans après est très inquiétant, puisque le nombre d'IVG pratiquées chaque année reste identique.

Les solutions que vous préconisez à travers ce projet de loi me heurtent aussi parce qu'elles reviennent à considérer que l'avortement relève de la fatalité.

On se préoccupe d'en faciliter l'accès, alors qu'il faudrait tout faire pour qu'aucune femme ne puisse penser qu'elle n'a pas d'autre solution.

La véritable liberté, ce n'est pas de pouvoir avorter plus facilement, mais de pouvoir garder son enfant.

En effet, une loi juste n'est pas une loi libertaire mais une loi qui se met au service de la liberté.

« Nous sommes les esclaves des lois, pour pouvoir être libres », disait Cicéron.

Je vous avouerai enfin que ce qui me heurte le plus, c'est que vous nous proposiez de supprimer l'autorité parentale dans le recours à l'IVG pour les mineures.

De quel droit l'Etat se substitue-t-il aux familles ? Notre société se drape derrière la responsabilité familiale lorsqu'il s'agit de la violence scolaire, mais comment peut-on espérer que des parents conservent une quelconque autorité sur leurs enfants si ces derniers peuvent la contourner avec la complicité active de l'Etat ? L'adolescence est toujours un cap difficile à passer.

Sur les bancs de notre assemblée, quels sont ceux ou celles qui ne sont pas entrés en conflit avec leurs parents durant cette période de leur vie, parfois jusqu'à la rupture, et qui les remercient encore aujourd'hui d'avoir été des garde-fous solides, leur évitant ce qu'il est convenu d'appeler des erreurs de jeunesse ? Je crains que cette mise à l'écart des parents n'affaiblisse leur responsabilité éducative et n'engendre un isolement encore plus important des jeunes en difficulté.

Pour conclure, je dirai que j'ai du mal à apprécier cet assaisonnement de circonstance de la loi Veil, qui, à l'époque, avait été longuement réfléchie et débattue, contrairement à ce texte indigeste.

« Etre homme, c'est précisément être responsable. C'est sentir, en posant sa pierre, que l'on contribue à bâtir le monde », a dit l'homme du Petit Prince. En fait de pierre bien taillée, je ne vois dans ce texte qu'un mauvais caillou, juste bon à faire trébucher un peu plus notre société. Je voterai donc contre ce projet de loi.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme Yvette Roudy.

Mme Yvette Roudy.

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous sommes réunis a ujourd'hui pour modifier, moderniser, adapter au monde nouveau dans lequel nous vivons, des lois qui, en 1967 et 1975, ont été des textes courageux, audacieux, qui ont conclu un chapitre héroïque de l'histoire des f emmes, lorsque celles de ma génération devaient combattre, défier, provoquer l'ordre moral établi. Nous le faisions par des manifestations publiques dans la rue, dans la presse. Nous le faisions parfois avec une certaine violence, et parfois dans le désordre, mais violence et désordre étaient ce qui caractérisait alors justement les conditions d'avortement des femmes poursuivies, telles des criminelles, par une loi scélérate de 1920.

Je garderai longtemps le souvenir en particulier de ce manifeste dit des 343 salopes, 343 femmes dont Simone de Beauvoir, Colette Audry et bien d'autres encore, femmes engagées qui m'avaient demandé de les rejoindre - ce que je fis naturellement - afin de faire éclater l'hypocrisie d'une société qui refusait de voir à quel point la situation était devenue inacceptable, scandaleuse, dangereuse, archaïque par rapport à celle de nos voisins, une société qui refusait d'admettre, comme il semblerait que ce soit encore le cas aujourd'hui dans certains milieux, qu'en matière de procréation, la voix des femmes est prépondérante.

Ces temps sont révolus, disons-nous. Nous vivons une époque plus apaisée, plus policée. Encore que les vieux démons d'un partriarcat qui ne renonce pas rôdent encore autour de nous, prêts à sortir leurs épées, dûment bénies, quand ils entendent le mot « droits » appliqué aux femmes, ces femmes qu'ils s'entêtent à considérer toujours comme des mineures, des être fragiles qu'il convient de protéger contre elles-mêmes, surtout quand il s'agit de leur sexualité et de ce pouvoir de procréer qui les obsède, dont ils n'acceptent pas qu'il puisse représenter un droit pour elles.

Parce que choisir de donner la vie au moment qui nous semble le plus opportun pour donner à l'enfant à venir ses meilleures chances de développement, parce que refuser une naissance imposée par le hasard, qui peut parfois s'appeler violence, parce que vouloir conduire son existence en être humain réfléchi et responsable serait, selon certains médecins, courir le risque de basculer dans je ne sais quel eugénisme ou serait le signe d'une tendance à s'abandonner à des avortements de complaisance, expression choquante en ce qu'elle révèle de mépris à peine masqué à l'encontre des femmes.


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Non, ce n'est pas à vous, chers docteurs, chercheurs, professeurs, aussi éminents soyez-vous, de décider à la place d'une femme.

M. Bernard Outin.

Très bien !

Mme Yvette Roudy.

Elle va vous consulter, vous entendre, croiser éventuellement vos avis, qui, parfois, sont contradictoires, mais, en dernier ressort, c'est elle qui décide. Il faut l'accepter et lui venir en aide parce qu'elle souffre. Elle est en état de détresse, elle a besoin de votre aide et de votre assistance comme peut en avoir besoin une personne en danger. Il est inutile d'habiller vos convictions intimes d'arguments scientifiques, aussi éminents soient-ils, et de prétendre parler au nom de la science.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Au demeurant, ce n'est pas à la science de dicter la loi.

La science peut proposer, conseiller, informer, mettre en garde, mais elle ne décide pas. En matière de loi, c'est le législateur qui décide.

Ce n'est pas non plus au prêtre de décider.

Mme Françoise Imbert.

Très juste.

Mme Yvette Roudy.

Je lisais lundi dernier une très longue interview dans un grand quotidien du soir, comme il est convenu de dire, de Mgr Lustiger. Il s'inquiète du fait que le nombre d'IVG ait augmenté de 1993 à 1998 et soit passé à 210 000. C'est vrai mais, en 1975, on en dénombrait bien plus, on atteignait le nombre de 250 000.

La loi de 1975 a réduit le nombre d'IVG jusqu'en 1993. Et puis, c'est vrai, les temps ont changé et notre vigilance s'est relâchée. Je suis d'accord avec lui pour dire que 210 000, c'est trop, mais, à mon avis, ce n'est ni l'interdiction, ni la répression qui peuvent en réduire le nombre. Cela nous ramènerait en arrière.

La réponse, c'est une meilleure contraception, une meilleure information des femmes et des hommes dans leurs responsabilités dès leur plus jeune âge. Il ne suffit pas de faire exceptionnellement une campagne d'information sur la contraception tous les quinze ans, et la dernière fut si discrète que nombre d'entre nous ne l'ont même pas vue passer. L'information sur la contraception est un droit et doit faire partie de la vie quotidienne.

Cette information doit être banalisée, intégrée à notre système éducatif. Ce n'est pas le cas, cela doit le devenir.

Il faut comprendre les comportements nouveaux, en tenir compte, et je voudrais dire ceci à Mgr Lustiger : Monseigneur, vous connaissez mal les femmes, et ça, on ne peut pas vous en vouloir (Sourires) , mais écoutez ce qu'elles disent, comprenez-les. Pour elles, l'IVG n'est pas, comme vous dites, une suppléance à la contraception. Pas du tout. Si on leur donne une bonne contraception, le nombre d'IVG va baisser, parce qu'une IVG n'est jamais une partie de plaisir. Croyez-moi, l'urgence éthique et sociale dont vous parlez, éminence, c'est d'écouter les femmes. Les origines d'une grossesse non désirée, c'est l'ignorance. L'information et la connaissance éloignent du désordre, pas l'interdit.

Cela dit, je suis d'accord avec le cardinal quand il dénonce les conditionnements que nous font subir la publicité et certains films d'un sexisme particulièrement violent, dont ne manquent pas de s'inspirer des pervers qui prennent les images au premier degré.

De même, j'avoue que j'ai quelques doutes à propos de la suppression de la prescription médicale en matière de contraception. Autant le médecin n'a pas à peser sur la décision de la femme, autant une consultation, parce qu'elle permet de vérifier un certain état de santé, peut être utile avant d'adopter une méthode de contraception qui reste tout de même un médicament. Là-dessus, je pense que notre ministre va nous éclairer.

Quant au remplacement, dans certains cas, de l'autorisation parentale, par le recours à un adulte référent choisi par la jeune fille, je ne crois pas que cela puisse représenter une cause de désordre supplémentaire, comme le craint Mgr Lustiger. Le désordre, il est là quand le parent est absent ; il l'est trop souvent parce qu'il ne veut pas voir que son enfant a grandi.

L'histoire d'il y a trente ans nous l'a appris, une femme résolue, décidée à ne pas poursuivre sa grossesse, ne la poursuivra pas. Elle défiera tous les dangers, prendra tous les risques, ira à l'étranger, entrera dans la clandestinité, recherchera l'argent qu'elle n'a pas forcément, s'endettera peut-être, comme le font ces 5 000 femmes et très jeunes filles qui traversent encore une frontière pour trouver ailleurs cette assistance que la France, leur pays, n'est pas capable de leur apporter.

Je remercie M. le Premier ministre qui, cet été, a su arbitrer un débat qui s'éternisait. Nous étions un certain n ombre, associations, députés, hommes, femmes, à demander avec insistance ce passage à la douzième semaine et il a arbitré.

Il faut admettre qu'une loi, fût-elle bonne, ne prévoit pas tout et ne résout pas tout. Seule sa mise en oeuvre nous dit ce qui va et ce qui ne va pas. Si la loi de 1975 a réduit les trafics financiers, les désordres, les souffrances, si elle a apporté plus de liberté aux femmes, il reste que les délais imposés, les consultations exigées, les tracasseries multiples, les freins de tous ordres, les intimidations, les campagnes violentes des anti-IVG, qui n'ont pas désarmé, et qui ne désarmeront pas, mettent souvent hors délai trop de femmes mal informées. C'est pour cela qu'il nous faut passer à douze semaines.

Pour terminer, je dirai ceci à nos opposants, médecins, prêtres ou d'autres encore : faites confiance aux femmes, observez combien elles savent faire face dans les moments difficiles de la vie, ce sont des êtres responsables et courageux, vous ne pouvez plus décider à leur place, ce temps est terminé ! Freud lui-même, à la fin de sa vie, avouait qu'il s'était trompé et admettait que les femmes, après tout, c'étaient aussi des êtres humains ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme Nicole Catala.

Mme Nicole Catala.

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, l'IVG existe, et il n'est pas question de la remettre en cause. Faut-il pour autant allonger de deux semaines le délai durant lequel la loi l'autorise ? Plusieurs députés du groupe socialiste.

Oui !

Mme Nicole Catala.

Les raisons de répondre non sont puissantes, mais celles de dire oui ont aussi leur force.

Dire non, c'est tout d'abord refuser une mauvaise réponse à une vraie question. Il y a en France plus d'IVG qu'ailleurs, les orateurs et les oratrices qui m'ont précédée l'ont relevé : 210 000 avortements par an, soit environ une grossesse interrompue sur cinq. De treize à quinze Françaises sur 1 000 ont recours chaque année à l'avortement alors que le chiffre n'est que de huit en Allemagne où le délai est pourtant de douze semaines et de six aux Pays-Bas où il est de vingt-deux semaines.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

Triste exception française, ce taux d'avortement tient à nos insuffisances, qui ont déjà été dénoncées : insuffisance de l'éducation sexuelle, tant de la part des parents que du système éducatif, insuffisance de l'information sur la contraception, qui n'a fait l'objet que d'une, peut-être deux campagnes publiques en vingt-cinq ans, insuffisance du dispositif d'écoute et de soutien aux femmes en détresse, insuffisance des capacités d'accueil des centres d'orthogénie.

C'est à ces insuffisances, à ces dysfonctionnements qu'il faut avant tout s'attaquer. Si une véritable mobilisation de notre société s'opère, et cela ne dépend pas seulement d'un texte de loi, le nombre global d'avortement diminuera, et donc aussi les demandes d'IVG hors délai, qui sont à l'origine de ce projet de loi.

Mauvaise réponse à une vraie question, ce projet de loi l'est aussi parce qu'il ne vise que 2 000 femmes sur les 5 000 qui vont chaque année solliciter un avortement à l'étranger, 2 000 qui présentent leur demande entre la dixième et la douzième semaine, au-delà du délai légal, ou dont la demande n'a pu être satisfaite dans le délai légal. Pour ces dernières, qui ont pris leur décision avant la fin du délai, mais qui n'ont pu accéder à l'intervention demandée en raison des lourdeurs et des insuffisances de notre dispositif, il faut modifier la loi. Il faut, dès lors que leur demande a été déposée dans les délais, leur donner accès à l'IVG, même si celle-ci intervient au-delà de dix semaines.

Enfin, on peut être incité à voter non par l'hostilité de la grande majorité des gynécologues et obstétriciens appelés à pratiquer ces interventions et que nous avons, à maintes reprises, entendus à la délégation aux droits des femmes. A leur hostilité s'ajoute depuis peu celle d'un certain nombre d'échographistes. Les uns, parce qu'ils ont vocation à défendre la vie, s'accommodent mal de devoir la détruire. Les autres, parce que les progrès de la technique leur permettent de déceler plus tôt des risques de malformations, craignent que les parents informés de ces risques n'optent pour un avortement de précaution, et ils ne le souhaitent pas.

A l'inverse, il est frappant de constater que la plupart des autres médecins, y compris parmi les plus hautes autorités médicales - le président de l'Académie de médecine, le président de l'Ordre des médecins - considèrent qu'un allongement de deux semaines du délai légal ne constitue pas un véritable changement, en tout cas pas un changement de nature dans notre dispositif.

Mme Christine Boutin.

C'est évident !

Mme Nicole Catala.

Il est aussi frappant de constater que le Comité national d'éthique, consulté à notre demande, estime que cet allongement ne crée pas de problème éthique particulier ni de problème nouveau.

Il est enfin frappant d'observer que le délai de dix semaines retenu en France est le plus court de tous ceux des pays qui nous entourent, qui, pour six d'entre eux, ont fixé un délai de douze semaines, mais pour l'un d'entre eux, de dix-huit semaines, et pour deux autres, de vingt-quatre semaines.

Peser au trébuchet - et je m'y suis appliquée - ces considérations contradictoires conduit, j'en témoigne, au doute et à l'incertitude. Pour cette raison, ce texte fait partie de ceux qui, à mes yeux, comme les lois relatives à la bioéthique, devrait revêtir un caractère expérimental : il faudrait, durant un délai de quelques années, renforcer notre dispositif d'éducation sexuelle et d'accès à la contraception, développer les centres d'orthogénie et accélérer l'examen des demandes. Et, au bout de quelques années, il conviendrait de dresser le bilan du chemin parcouru et de voir si la modification de la loi s'impose.

Malheureusement, je le regrette, ce n'est pas cet effort dans la durée que le Gouvernement a choisi de traiter le problème. Il nous propose un texte qui, je l'ai dit, comporte des aspects négatifs, des aspects préoccupants non négligeables.

Mme la présidente.

Je vous prie de conclure, madame Catala.

Mme Nicole Catala.

J'arrive à ma conclusion, madame la présidente.

Si, pour ma part, j'en viens à finalement accepter la médiocre réponse que ce texte entend apporter à de vraies questions, ce sera par solidarité humaine avec toutes les jeunes femmes qui se retrouvent enceintes sans l'avoir voulu, délaissées par leur ami ou compagnon, isolées dans un milieu familial ou social rigide ou trop traditionaliste pour comprendre leur épreuve et pour les soutenir. En pensant à ces jeunes femmes à peine sorties de l'adolescence et qui n'ont pas la maturité d'adulte nécessaire pour accueillir et élever un enfant, alors oui, on peut estimer qu'il faudrait voter ce texte. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello.

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, « en termes de santé publique, ces chiffres sont alarmants. Ils ne peuvent qu'inciter à réagir ». Ces quelques mots que je viens de vous lire sont tirés de l'exposé des motifs qui accompagne le projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. Il s'agit d'un commentaire appliqué à la situation pratique de l'IVG telle qu'elle se présente en France métropolitaine.

En l'occurrence, cette situation tient en quelques chiffres : 200 000 interruptions volontaires pratiquées chaque année, dont 7 000 sur des adolescentes confrontées à une grossesse non désirée, tandis que 5 000 femmes enceintes de plus de dix semaines se voient contraintes, si elles veulent se faire avorter, de se rendre à l'étranger.

Alarmante cette situation ? Sans doute ! Mais que dire alors de celle qui prévaut dans le même domaine chez moi, à l'île de la Réunion ? Qu'en dire sinon qu'elle n'est rien moins que dramatique. Dans un d épartement comptant seulement un peu plus de 700 000 habitants, ce sont plus de 4 500 femmes, parmi celles en âge d'enfanter, qui, chaque année, ont recours à l'IVG. Le chiffre enregistré l'an dernier dans l'île est exactement de 4 525.

Que signifie ce chiffre? Il veut dire que si, dans l'Hexagone, la proportion des femmes ayant recours à l'IVG représente 20,6 % des femmes enceintes - un constat considéré à juste titre comme préoccupant -, cette proposition fait un bond à la Réunion, pour atteindre les 24/25 %. C'est donc à peu près le quart des femmes réunionnaises en état de grossesse qui ont recours, chaque année, à la pratique de l'interruption volontaire. Il y a là de quoi s'alarmer. Dès lors, vous comprenez pourquoi je parle à ce propos de situation dramatique.

Dramatique, la situation au regard de la pratique de l'IVG à la Réunion se révèle l'être davantage encore si l'on examine, dans le détail, la structure de cette statistique. Elle l'est plus particulièrement par deux de ses aspects, qui nous obligent aujourd'hui, devant vous, mes-


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dames les ministres, et devant vous mes collègues de la représentation nationale, à tirer le signal d'alarme, à sonner le tocsin - je ne sais trop comment dire.

Le premier de ces aspects pariculiers propres au cas réunionnais est la proportion des jeunes filles de moins de dix-huit ans se soumettant, d'une année sur l'autre, à une IVG. Cette proportion est saisissante : bon an mal an, elle s'élève à 11,5 %. Ce pourcentage peut à première vue paraître comme guère parlant. Mais, il devient ô combien significatif dès l'instant qu'on le rapproche de son pendant métropolitain : l'effectif des adolescentes se soumettant volontairement à l'interruption de grossesse est, à proportion, trois fois plus élevé à la Réunion que dans l'Hexagone où l'opération - qui est pratiquée sur quelque 7 000 mineures - représentée seulement, si j'ose dire, 3,5 % des IVG.

Quant à la deuxième particularité propre à la Réunion, elle n'est pas moins alarmante : elle tient au fait que le comportement des femmes vis-à-vis de l'IVG tend, d'une certaine manière, à se banaliser.

A certains égards, la pratique de l'IVG n'est plus considérée tout à fait comme un « rattrapage » face à un état de grossesse non désirée. Elle n'est plus l'exception, le dernier recours pour se tirer d'une situation disons accidentelle, d'un état de détresse. Elle s'apparente, de plus en plus souvent, à un acte de santé courant. On a tendance à l'aborder comme s'il s'agissait d'une thérapie, et d'une thérapie ordinaire. Désormais, en effet, dans 40 % des cas, les femmes qui se présentent pour se soumettre à une IVG en sont à leur second avortement volontaire.

C'est dire que nous sommes là devant un problème. Et que, comme à tout problème, il convient de trouver des solutions.

Il s'agit d'abord de ramener à un niveau plus raisonnable la proportion des femmes enceintes ayant chaque année recours à l'IVG. Il s'agit ensuite de réduire sensiblement le nombre des adolescentes usant de ce procédé.

Il s'agit enfin de convaincre plus sûrement les femmes que l'interruption de grossesse n'est pas qu'une banale opération.

Et si l'on s'interroge sur l'efficacité à la Réunion des campagnes d'information relatives à la contraception, il faut savoir qu'elles sont de même nature, qu'elles utilisent les mêmes supports, les mêmes matériels et les mêmes documents qu'en métropole, lesquels sont diffusés avec la même intensité.

Dans ces conditions, pourquoi les campagnes d'information ont-elles des effets moindres à la Réunion ? Sans doute parce que les mentalités sont autres qu'en métropole, forgées qu'elles ont été par une histoire différente, une histoire marquée, entre autres, par des expériences traumatisantes vécues, à certaines époques, par les femmes de la Réunion. Elles se sont trouvées soumises, pour les unes, à la stérilisation forcée et, pour d'autres, à la c ontraception sous contrainte par administration de Déproprovéra, un produit destiné au traitement vétérinaire des vaches. Le tout avec la complicité des autorités ! Les campagnes d'information ont des effets moindres à la Réunion sans doute aussi parce que, pour des raisons tenant aux philosophies ambiantes et à l'attitude devant la vie, la réceptivité à ces messages, conçus en priorité, i l est vrai, pour un public métropolitain et reposant sur les données spécifiques de l'Hexagone, est moins grande chez nous qu'en métropole.

Ces hypothèses et ces constats permettent en tout cas de mettre l'accent sur une lacune, sur une déficience ayant de graves effets. Bref, il y a nécessité d'une adaptation à la réalité réunionnaise.

Cela signifie, tout au moins à première vue, que les moyens d'information sur la contraception et sur l'IVG ont besoin d'être revus, pour ce qui concerne la Réunion, tant du point de vue de la qualité que de la quantité.

Sans compter les autres mesures qui pourraient se révéler indispensables après un examen plus poussé du dossier.

Nous sommes, on le voit, en face d'une situation spéciale, qui nécessiterait une étude, menée par une mission de chercheurs et de spécialistes, elle-même composée en priorité de ceux qui, sur place, possèdent déjà des connaissances approfondies sur les réalités réunionnaises auxquelles ils se trouvent quotidiennement confrontés.

Aussi, je me permets, mesdames les ministres, d'insister pour que notre situation, la situation des femmes de la Réunion, soit prise en compte et fasse l'objet de décisions de votre part, débouchant sur des directives données en ce sens à votre administration. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin.

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, vingt-cinq ans après l'adoption de la première loi sur l'interruption volontaire de grossesse, il est normal et bienvenu de procéder à un bilan de son application et de s'interroger sur la façon de mieux répondre aux difficultés que rencontrent les femmes.

Les divers rapports et bilans relatifs à l'application de la loi de 1975 font tous le constat de la persistance d'un fort taux d'interruptions de grossesse, malgré la promotion et l'augmentation de la contraception. Tous les médecins, tous les responsables politiques et tous les élus sont d'accord pour dire que le nombre des avortements, est trop élevé. N'oublions pas que chaque avortement est un drame pour une femme, un couple ou une famille.

Nous savons tous combien les tensions sur ce sujet sont fortes entre ceux qui sont convaincus que la vie humaine est respectable dès son commencement et ceux qui pensent que l'avortement est un droit de la femme.

Je ne prétends ni faire diparaître cette tension, ni renoncer à mes convictions personnelles. Je reste persuadée que le respect de toute vie constitue le fondement de toute démocratie et des droits de l'homme. Mais nous devons cependant dépasser ce clivage et sortir de l'impasse. C'est ma proposition.

Le choix qui s'impose aux responsables politiques que nous sommes est de prendre les mesures nécessaires pour diminuer le nombre des avortements puisqu'il y en a trop.

Le projet de loi, en prévoyant d'étendre les délais l égaux d'avortement et en supprimant l'autorisation parentale pour les mineures, tend au contraire à faciliter l'accès à l'IVG et à le banaliser.

La commission, quant à elle, a décidé d'aller plus loin en supprimant le caractère obligatoire de l'entretien préalable et en restreignant l'information transmise aux femmes enceintes.

Comment peut-on croire sincèrement que c'est ainsi que l'on va diminuer le nombre des avortements ? Poser la question, c'est avoir la réponse avec certitude.


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Une politique de prévention de l'avortement ne peut se limiter à une politique de contraception, comme l'a dit très justement ce matin Mme Lignières-Cassou. Une telle politique est contradictoire avec une politique de facilitation de l'accès à l'IVG. Une véritable politique de prévention de l'interruption volontaire de grossesse consiste en une politique qui aide la femme à ne pas interrompre sa grossesse. C'est presque une évidence que de le dire.

On reste profondément surpris devant les solutions proposées, car, en effet, nous passons à côté de l'essentiel.

Nous évitons le véritable débat. Ce texte ne propose que de fausses réponses à un problème pourtant bien réel et profond. C'est la raison pour laquelle je n'entrerai pas, au cours de la discussion, dans le détail des propositions, tant elles sont inadaptées au problème que connaît notre pays et sur lequel nous sommes tous d'accord : la France est en échec face au nombre des avortements qui y sont pratiqués.

Recherchons une approche constructive et élaborons une solution alternative à l'IVG. C'est à cela que je vais m'attacher. Ce sera le sens de mes interventions et de mes amendements au cours du débat.

Pourquoi chercher une alternative à l'avortement ? Parce que, trop souvent en France, une femme enceinte en difficulté, quelle que soit la nature de sa détresse, n'a que le chemin de l'avortement. Elle n'a donc pas le choix. Notre société est plus dure qu'on veut bien l'avouer pour qui a peu de moyens ou pour qui est en situation de faiblesse ; elle accepte peu l'imprévu et ne permet pas de s'y adapter. Je m'explique.

Les pressions sur la femme enceinte, qui, en raison de son état, est toujours en situation de fragilité, sont réelles.

Ces pressions sont diverses : elles peuvent être économiques ou psychologiques, conjugales ou sociales, mais elles sont bien là. A un moment où la femme doit pouvoir être rassurée et entourée, la moindre pression devient insurmontable. La crainte de ne pouvoir offrir un avenir à son enfant, de ne pouvoir faire face à ses besoins matériels peut inciter la femme à interrompre sa grossesse. Et cela se comprend.

Mais en ne donnant aux femmes concernées que la possibilité d'interrompre leur grossesse, la France refuse de prendre en compte les vraies raisons de la détresse ou de la difficulté de certaines femmes enceintes et ne fait qu'accroître leur mal-être.

Depuis vingt-cinq ans, la souffrance post-abortive n'est pas toujours avouée ni reconnue. Toutefois, des femmes commencent à en parler, certaines y ont fait allusion à la tribune. La presse se fait l'écho de leurs témoignages.

Combien d'entre elles avouent que si elles avaient su avant ce qu'elles allaient devoir porter pendant toutes les années suivantes, elles n'auraient pas avorté. Pendant combien de temps allons-nous refuser d'entendre cette souffrance silencieuse ? Nous devrions prendre des mesures à long terme pour lutter contre toutes les formes de pression qui s'exercent sur les femmes, et ce afin de changer le regard de la société sur l'enfant, sur la femme enceinte, sur l'accueil réservé à une nouvelle vie. Il faut changer la façon dont nous percevons l'avenir, avoir plus confiance dans la force de la vie.

C'est la force de la vie qui, dans les situations les plus difficiles, les plus précaires, les plus instables, les plus désespérées, nous donne en effet l'espoir et la capacité de surmonter des obstacles en apparence infranchissables.

Une société qui ne croit plus en cette force de la vie est une société en grande difficulté.

Croire que l'avortement est une fatalité, c'est mépriser le ressort qu'a toute personne humaine, c'est refuser de croire en l'avenir. Donner une chance à la vie, c'est donner une chance au bonheur ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie franç aise-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme Marisol Touraine.

Mme Marisol Touraine.

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, plus de vingtcinq ans après son adoption, la loi Veil reste aujourd'hui comme un tournant décisif dans l'histoire des femmes et plus généralement dans notre histoire collective : le masque de l'hyprocrisie tombait, le champ des libertés publiques et sociales s'élargissait.

Je veux, après d'autres, saluer ici l'engagement de celles et ceux qui ont permis alors que se brisent les tabous. Je pense, bien sûr, aux responsables politiques mais aussi à celles qui ont osé révéler publiquement qu'elles avaient subi un avortement ; à l'époque, ce n'était pas chose facile.

Aujourd'hui, le climat s'est apaisé. Et pourtant, à lire ou à entendre certains, on peut se demander s'ils ne cherchent pas à raviver les braises d'un ordre moral dont les Français ne veulent plus.

M. Bernard Accoyer.

Oh ! là ! là !

Mme Marisol Touraine.

Le droit des femmes à maîtriser leur corps constitue assurément l'une des grandes conquêtes de la deuxième moitié de ce siècle : conquête pour les femmes, à l'évidence, personne ne le nie, mais aussi conquête pour les couples, qu'ils soient durables ou non, puisque désormais le choix peut - et doit - l'emporter sur la contrainte, la volonté sur la fatalité, l'autonomie sur la dépendance. Ce droit des femmes à maîtriser leur corps est aussi pour elles le droit d'avoir ou non des enfants, de devenir mères si elles le veulent et lorsqu'elles le veulent.

Contrairement aux prophéties des Cassandre en tous genres, qui, il y a plus de vingt-cinq ans, voyaient dans le vote de la loi Veil l'annonce de temps dissolus, les femmes ne choisissent jamais d'avorter le coeur léger. Il est choquant d'entendre certains affirmer qu'une femme pourrait avorter « comme elle achète un meuble ».

L'avortement est et reste une épreuve psychologique et personnelle. Il traduit sans doute la détresse, il traduit en tout cas l'incapacité d'accueillir un enfant de façon favorable. Nous connaissons bien les raisons qui poussent une femme à ne pas souhaiter garder un enfant : la jeunesse de la femme, des grossesses trop rapprochées, un logement inadapté, l'incertitude quant à la stabilité du couple ou, tout simplement, l'insuffisance des ressources pour assumer une famille constituent les principales raisons avancées par les femmes qui demandent à subir une IVG.

Au fond, pourquoi ne pas dire tout simplement que ces femmes ne veulent pas ou ne se sentent pas la capacité d'avoir un enfant comme ça, à ce moment-là, dans ces conditions-là ? Nous le savons bien, contrairement à ce que voudraient certains, il ne s'agit pas d'opposer le droit à la famille, la volonté de faire de la famille un pôle de stabilité dans notre société, au droit des femmes à décider de leur avenir. Pour que la famille puisse jouer pleinement son rôle, elle doit être voulue et assumée. Cela, notre


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société l'accepte désormais, par-delà les choix personnels, religieux ou éthiques notamment, toujours estimables et respectables.

D'où vient alors que certains ici refusent ce que la société comprend, ce que la société demande, et agitent pour cela le spectre de menaces nouvelles pour la santé des femmes, pour notre équilibre social, pour la pérennité même de nos valeurs ? S'il faut aujourd'hui encore rappeler ce que signifie concrètement le droit des femmes à disposer de leur corps signifie, c'est bien parce que, au-delà des principes, ce droit reste fragile comme le montrent les réactions de certains.

Car à écouter ces derniers, madame la ministre, le texte que vous présentez aujourd'hui au nom du Gouvernement constituerait un bouleversement, médical pour les uns, éthique ou social pour les autres. Cette loi n'est pourtant ni une révolution, ni un pur symbole : elle s'inscrit dans le cadre plus global d'une meilleure prise en charge des femmes confrontées à une grossesse non désirée.

L'importance de la loi dont nous débattons aujourd'hui tient d'abord à ce qu'elle reconnaît pleinement le droit pour une femme d'avorter ; ensuite à ce qu'elle adapte le droit existant pour tenir compte des réalités sociales contemporaines ; enfin à ce qu'elle le fait dans le respect des garanties qui doivent être apportées à la santé des femmes et à notre collectivité.

Certains, ici, ont notamment proposé d'élargir le champ de l'interruption médicale de grossesse pour éviter d'avoir à poser le problème de l'allongement du délai légal pour pratiquer un avortement. Cette voie ne paraît pas la bonne, car il est important de maintenir claire la distinction entre l'interruption volontaire de grossesse, qui relève d'un choix personnel, et l'interruption médicale de grossesse. Entretenir la confusion entre les deux, affirmer que l'une pourrait être remplacée par l'autre, c'est introduire un contrôle extérieur dans le choix de la femme, c'est introduire un contrôle extérieur sur ce qui doit rester une décision éminemment personnelle. C'est soumettre la décision de garder ou non un enfant à une décision médicale, à une logique médicale, comme si, au fond, nous ne pouvions accepter comme seules raisons d'une interruption de grossesse que des raisons d'ordre médical. En fait ressurgit le fantasme, toujours prompt à se manifester chez certains, d'un avortement par convenance, d'un avortement illégitime. Nous devons dire clairement qu'avorter est un droit, qu'avorter est un choix et que ce choix relève des femmes et d'elles seules.

Dans cet esprit, la suppression de l'entretien préalable obligatoire permettrait de bien établir que ce sont les femmes qui décident pleinement. Que le soutien psychologique puisse être demandé, et doive être proposé, bien sûr ! Mais personne ne peut ou ne doit prendre la décision ultime en lieu et place de celle qui, le cas échéant, devrait assumer sa responsabilité de mère.

Mais la reconnaissance de ce droit n'aurait qu'une portée symbolique s'il ne prenait pas en compte les situations sociales réelles. Les droits n'existent réellement que si ceux - en l'occurrence celles - qu'ils visent peuvent effectivement y accéder.

De ce point de vue, le délai légal d'une interruption volontaire de grossesse n'est pas, en soi, une référence absolue. Non, mesdames et messieurs de l'opposition, nous ne pensons pas qu'allonger la durée légale d'une interruption volontaire de grossesse, c'est être moderne. A l'évidence, la modernité ne se mesure pas au nombre de semaines durant lesquelles un avortement peut se réaliser.

Ce n'est donc pas pour cette raison que nous proposons de faire passer à quatorze semaines d'aménorrhée le délai de recours à l'IVG mais bien pour prendre en compte une réalité sociale dramatique, souvent évoquée. En effet, pour 200 000 avortements pratiqués chaque année en France, 5 à 6 000 sont réalisés à l'étranger par des femmes qui ne peuvent plus subir d'IVG en France : c'est trop ! Notre sens moral se trouve-t-il conforté de les voir faire ailleurs ce que nous leur refusons ici ? Est-il glorieux de préférer l'hypocrisie à la prise en charge des situations de détresse ? Nous savons bien, car tous nous le disent, que les médecins indiquent des cliniques, à Amsterdam, Londres, Madrid ou ailleurs qui accueillent ces femmes qui ont pris conscience trop tardivement de leur grossesse, n'ont pas su s'orienter ou ne connaissent pas la loi.

Celles-ci qui, dans leur très grande majorité, sont démunies socialement, sans repères ni soutien, ont besoin d'être soutenues et accompagnées pour pouvoir choisir.

Evidemment, à lui seul, l'allongement du délai ne suffit pas. Mieux informer et renforcer le rôle des associations qui, comme le Planning familial, se battent au quotidien, avec de faibles moyens, pour prévenir et orienter est nécessaire. Imposer que le médecin fasse connaître d'emblée à sa patiente son refus de l'avorter par conviction personnelle constitue un progrès. Aujourd'hui, rien ne favorise une prise de décision rapide. Imposer aux chefs de service, quelles que soient leurs convictions personnelles, d'organiser la prise en charge des avortements dans leur service est également une bonne chose. Martine Aubry l'avait dit, c'est bien d'une politique globale dont nous avons besoin.

A tous ceux qui invoquent la responsabilité des femmes, je réponds qu'il n'y a de responsabilité que celle qui peut effectivement être assumée. Pour être responsable, il faut avoir les moyens de l'être. A cet égard, c'est une bonne chose que les mineures ne se voient plus imposer l'accord parental, car si nous les considérons c omme suffisamment responsables pour assumer un enfant, nous devons aussi leur reconnaître, alors même que nous disons qu'il n'y a rien de plus important que de construire une famille, la responsabilité de dire qu'elles ne se sentent pas capables de mener à bien leur grossesse.

Pour conclure, je réponds à ceux qui invoquent, malg ré les réponses apportées par le Comité national d'éthique, les risques d'une dérive eugénique, que c'est habiller facilement leur doute moral en doute scientifique. Davantage encore, c'est affirmer l'idée que le progrès scientifique pourrait aboutir à limiter la liberté individuelle. Or le progrès scientifique ne doit pas se substituer au choix des individus. Tout comme le rêve d'une société conduite par la raison scientifique ne doit pas se substituer à une société dans laquelle la religion indiquerait le sens des choix et des décisions individuels.

Le progrès doit nous permettre de conquérir de nouveaux espaces de liberté et non pas encourager la régression des individus dans leurs choix personnels.

Madame la ministre, les femmes - elles en témoignent quotidiennement - ont su conquérir leur indépendance et la reconnaissance de la société, même si ces conquêtes paraissent parfois bien fragiles. Votre loi tend à garantir à toutes les femmes, notamment aux plus démunies, la possibilité d'exercer leurs droits. Ainsi, elle leur permettra d'être, demain, un peu plus responsables et un peu plus libres. C'est dire l'importance de la voie dans laquelle nous nous engageons aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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Mme la présidente.

La parole est à Mme Nicole Ameline.

Mme Nicole Ameline.

Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les secrétaires d'Etat, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous n'aurons pas à régler ce soir la question de savoir quand l'âme vient à l'humain, car, fort heureusement, en reconnaissant aux femmes le droit fondamental de maîtriser leur descendance, la loi de 1975 de Simone Veil a tranché la question morale liée à l'avortement, tout en conservant intacts les choix de conscience individuels.

Cependant, vingt-cinq ans après son adoption, le bilan de cette loi, malgré ses acquis, reste sévère. Chacun l'a rappelé à cette tribune, si l'avortement ne s'est pas substitué à la contraception, les chiffres demeurent ahurissants, surtout lorsque l'on sait combien cette décision est synonyme de gravité, de souffrance et qu'elle résulte d'un dilemme dramatique. Pourquoi sommes-nous dans cette situation qui nous place en tête des pays européens pour le nombre des avortements pratiqués ? C'est par cette réflexion, beaucoup l'ont souligné, qu'il aurait fallu engager le débat. C'est en amont que se situe le problème et donc les solutions. La solution en aval que vous nous proposez ne peut être satisfaisante.

Grâce à la loi Neuwirth, l'éducation sexuelle, l'information, la contraception sont les premiers éléments du libre choix des femmes. C'est sur ces points qu'il eût fallu faire porter, en priorité, l'effort. Sans doute avons-nous trop négligé la communication dans ce domaine. Car si les moyens existent, leur utilisation demeure encore trop aléatoire.

Autre observation, largement partagée elle aussi, l'allongement des délais proposé, s'il ne pose pas de réelle question de principe - en tout cas en ce qui me concerne -, il ne résout pas pour autant les difficultés d'application de la loi Veil. Je ne reviendrai pas, cela a déjà été largement évoqué, sur le manque de moyens, les difficultés d'accueil et de prise en charge qui ajoutent au dilemme tragique que vivent les femmes dans cette situation. La véritable course contre la montre qui se joue peut, dans certains cas, accélérer leur décision. La priorité aurait ét é, là aussi, de permettre que la réglementation de l'avortement soit réellement appliquée et applicable, grâce à des moyens mieux adaptés, pour que les femmes ne se retrouvent pas, pour des raisons qui ne tiennent pas à elles, hors délai. Un amendement visant à permettre une application réelle de ce droit a d'ailleurs été déposé.

Pour autant, je sais, comme vous, mesdames les secrétaires d'Etat, que derrière cette question, il y a le droit des femmes, tout simplement. Comment ne pas voir, aussi, dans l'allongement du délai proposé, un espace supplémentaire de liberté, de responsabilité, permettant sans doute un approfondissement du choix ? Comment ne pas être sensible à la détresse de milliers de femmes contraintes de trouver ailleurs les solutions qu'on leur refuse ici ? Comment ne pas souhaiter, malgré notre attachement fondamental au lien familial, que notre droit s'adapte à cette réalité nouvelle qui voit de très jeunes filles vivre le drame personnel et familial d'une grossesse non désirée ? C'est à toutes ces femmes que je pense, et pour cette seule raison, je serais tentée de dire : oui, d'emblée, faisons confiance aux femmes de notre pays, laissons-les librement exercer en conscience leur responsabilité. Je ne crois pas, en effet, à la banalisation des consciences. Et accréditer l'idée que les femmes - et les couples - pourraient choisir le recours à l'avortement avec désinvolture est attentatoire à leur dignité.

Cependant, l'évolution récente de notre droit jurisprudentiel soulève une interrogation, relayée par une certaine partie du corps médical, malgré les apaisements du Comité d'éthique. Dans une démocratie moderne, éclairée et responsable, la politique ne se résume pas à gérer les crises, elle doit servir un projet de société construit autour de convictions. Le doute est parfois légitime, parfois nécessaire, surtout lorsque s'ouvrent avec la science des perspectives nouvelles et infinies. Si le fait de naître peut être juridiquement constitutif d'un préjudice, ne risque-t-on pas de placer les femmes devant un choix impossible qui consiste non plus à se demander si l'on souhaite ou non avoir un enfant, mais si l'on est prêt à accepter tel ou tel enfant ? Sommes-nous prêts à entrer dans une telle logique ? La question se pose vraiment, mais la réponse appartient d'abord à l'intelligence et à la conscience de tout être humain et fait appel aux principes et aux valeurs qui sous-tendent notre société. C'est pourquoi je souhaite, comme d'autres orateurs qui se sont exprimés ici, que cette loi soit réévaluée d'ici quelque temps, afin de tenir compte des évolutions scientifiques et de la réalité sociale.

Si je considère que l'on ne peut pas voter contre ce projet, je crois qu'il faut absolument que nous soyons attentifs à l'évolution du droit dans ce domaine, pour tenir compte à la fois des valeurs qui nous animent, à titre personnel, et des principes qui doivent guider une démocratie en phase avec son temps. Je souhaiterais donc que le Gouvernement et la majorité tiennent compte, à l'issue de ce débat, des observations souvent très légitimes formulées par le groupe Démocratie libérale et Indépendants. Alors je prendrai, à titre personnel, une position, même si, je le répète, je ne pense pas qu'on puisse voter contre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Madame la présidente, mesdames les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, je tenais tout d'abord, au nom des députés Verts, à rendre hommage à mon tour à toutes celles et tous ceux issus des milieux politique, associatif, féministe, médical et intellectuel qui ont permis, par leur mobilisation courageuse et tenace, les grandes étapes des lois Neuwirth et Veil, et, à présent, les nouvelles avancées dont nous discutons aujourd'hui dans un climat heureusement plus apaisé.

Mes remerciements vont également à la rapporteure et à la délégation aux droits des femmes et à toutes celles qui sont présentes aujourd'hui. Je pense en effet que la parité, ou du moins le souci que nous avons eu de faire en sorte qu'il y ait beaucoup plus de femmes dans cette Assemblée depuis 1997, n'est pas pour rien dans les avancées que nous connaissons aujourd'hui dans le domaine de la contraception et de l'accès à l'IVG. Nous avons toujours milité et pour les droits des femmes, notamment celui de maîtriser leur corps et leur fécondité, et pour une approche globale, transversale, qui mette l'accent sur une p révention qui ne se réduise pas aux techniques employées, aussi nécessaires et utiles soient-elles, en matière de contraception ou d'interruption volontaire de grossesse.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

C'est pourquoi, tout en nous réjouissant de la révision de la loi qui nous est proposée et des éléments très positifs qu'elle contient, je souhaiterais insister, d'une part, sur le besoin d'articuler davantage les politiques de santé publique et d'éducation, d'améliorer les conditions de vie économiques et sociales, d'autre part, sur la nécessité de mettre réellement des moyens en face des ambitions légitimes que nous affichons.

En effet, si de nombreux progrès ont été réalisés ces dernières années dans la loi pour instaurer l'égalité entre les hommes et les femmes, dans les faits, le contexte social et culturel maintient encore trop souvent les femmes dans des situations de discrimination ou de domination, voire de violence, que ce soit dans la répartition des tâches domestiques, dans le domaine professionnel ou dans celui de la sexualité. Ainsi, ce n'est pas forcément par manque d'information sur la biologie de la reproduction ou sur les moyens de contraception qu'une grossesse non désirée puis une IVG surviennent, c'est aussi parce que la parole sur la sexualité reste largement taboue, que la fatigue et le stress empêchent d'appréhender à temps la situation, que les moyens matériels et financiers manquent pour intervenir au bon moment.

Lutter contre l'exclusion et la solitude, faciliter la transversalité entre les politiques éducatives, sanitaires, sociales et d'emploi devrait être la mission essentielle d'un grand secrétariat d'Etat aux droits des femmes mais aussi des conseils généraux chargés du volet prévention de la loi.

Or c'est peu dire que ces instances, essentiellement masculines, ne sont pas toujours sensibles à ces préoccupations et ne sont pas vraiment les plus à même d'avancer rapidement dans ce domaine. Et ce ne sont pas les élections cantonales de mars 2001 qui devraient changer la donne, car elles échappent encore à la loi sur la parité.

Un autre souci est de voir la nouvelle loi réellement appliquée grâce à des moyens accrus : moyens pour la fonction des personnels d'accueil, médicaux et enseignants, encore très insuffisants ; moyens pour régler le problème du devenir des gynécologues ; moyens pour la recherche publique, peu dotée en matière de santé des femmes, afin de proposer des moyens contraceptifs nouveaux et d'IVG avec le moins d'effets secondaires possibles ; moyens pour le fonctionnement des centres d'orthogénie et d'IVG et des permanences de planning familial pour le milieu associatif, aujourd'hui dans des situations extrêmement critiques ; moyens également pour des initiatives décentralisées et de proximité, qui, je l'espère, devraient être largement encouragées par les femmes qui arriveront massivement dans les conseils municipaux en mars 2001. Bref, quels budgets seront consacrés en 2001 et 2002 à ces besoins, mesdames les secrétaires d'Etat ? Enfin, si nous revendiquons, encore et toujours, un meilleur accès à la contraception et à l'IVG en France, nous sommes conscientes du chemin parcouru, nous savons les inégalités insupportables entre les pays du Nord et les pays du sud-est et, par contrecoup, les drames vécus par de nombreuses femmes étrangères résidant en France dont la situation doit être traitée dignement.

Nos programmes de coopération et d'aide au développement devraient inclure des programmes en faveur de la maîtrise de la fécondité et du planning familial, dans le respect des spécificités socioculturelles des sociétés concernées bien sûr, et en soutenant les initiatives des femmes localement. Notre solidarité doit être active et totale avec les femmes d'Afrique, d'Asie ou d'ailleurs, mutilées par des pratiques d'un autre âge ou épuisées par des maternités successives multiples dans un dénument absolu, sans oublier les femmes afghanes, qui connaissent un sort terrible.

Permettre aux femmes, ici ou là-bas, de devenir maîtresses d'elles-mêmes, de construire une relation sereine et heureuse avec leur compagnon et leur famille, quelle qu'elle soit, libérer la parole, le dialogue et l'écoute sur la sexualité, voilà ce à quoi nous allons contribuer en adoptant ce projet de loi, pour le droit tout simplement au bonheur. (Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Madame la présidente, mesdames les secrétaires d'Etat, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, l'interruption volontaire de grossesse est maintenant autorisée dans notre pays depuis vingt-cinq ans. Certes, les textes de 1975 méritent d'être adaptés et améliorés. Pour autant, le travail que nous allons effectuer ne saurait faire oublier l'incomparable avancée qu'a constituée la loi Veil pour les femmes.

La plupart d'entre nous ne peuvent même pas se représenter la somme de drames personnels et familiaux qu'ont constituée pendant des siècles les grossesses non désirées, épuisant les femmes et détruisant les couples, les avortements clandestins vécus dans la honte et la douleur au cours desquels beaucoup étaient mutilées et laissées stériles ou, pire encore, y laisaient leur vie, l'humiliation et l'horreur des curetages à vif pratiqués pour punir les femmes et « les empêcher de recommencer »...

Aujourd'hui, le bilan d'application du texte de 1975 est positif. Ceux qui avaient craint une banalisation de l'avortement se sont trompés, l'IVG n'est pas devenue un moyen de contraception, ni l'expression d'un caprice de femme oisive désireuse de ne pas gâcher ses vacances - cela s'est dit - et encore moins de supprimer un embryon d'un sexe non désiré. Nous étions en fait considérées comme des irresponsables qu'il convenait de mettre en tutelle. Aujourd'hui encore, ce procès en infantilisme est récurrent chez tous ceux qui voudraient conditionner l'accès à l'IVG à l'autorisation de comités d'experts ou à l'avis de collectifs médicaux.

En 1975, dans l'esprit de l'époque, le législateur avait donc instauré un maximum de « garde-fous » - ou devrais-je dire de « garde-folles » (Sourires) ? : délai d'autorisation de dix semaines, le plus court d'Europe, obligation de l'autorisation parentale pour les mineures, nécessité d'un entretien préalable et d'un délai de réflexion de sept jours.

Malgré ces précautions, ou à cause d'elles, le recours à l'IVG est encore important et nous place en Europe dans la fourchette haute du nombre d'avortements pour mille femmes - 15,4 - alors que le chiffre est beaucoup plus faible dans des pays à législation pourtant plus souple comme les Pays-Bas, où il est de 6,5, ou encore l'Espagne ou l'Allemagne.

Aujourd'hui, notre réflexion se doit d'être pragmatique et de répondre à deux objectifs : d'abord, mieux assurer l'accès à ce droit fondamental de toutes les femmes, certaines en étant pour l'instant privées ; ensuite, mettre en oeuvre les moyens d'information et de prévention pour diminuer de façon significative le recours à l'IVG.

Assurer l'accès au droit à l'IVG passe bien entendu par les trois mesures principales du projet de loi présenté : l'allongement du délai légal de dix à douze semaines, l'aménagement de l'autorisation parentale pour les mineures et la dépénalisation de l'information sur l'IVG.


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Je suis favorable à ces dispositions, même si je considère qu'il s'agit d'un « service minimum » et qu'il eût été possible d'aller plus loin. En effet, on ne réglera pas la totalité des difficultés et j'ai trouvé bien optimiste Mme la ministre quand elle a estimé que 80 % des femmes qui sont contraintes d'aller à l'étranger seraient prises en charge. Le chiffre devrait à mon avis être plus près de 40 %. Mais il serait incohérent de s'opposer au texte au motif qu'il n'apporte qu'une réponse partielle puisque, même avec ses insuffisances, il marque un progrès.

L'aménagement de l'autorisation parentale pose à n'en pas douter la question du statut de la pré-majorité et/ou de la majorité sanitaire, que je situerai à quinze ans puisqu'une jeune femme mariée à cet âge peut avorter sans l'autorisation de ses parents ou de son mari. Néanmoins, la solution de l'adulte référent me paraît acceptable, mais la question de fond reste posée.

Puisqu'il ne s'agit pas de rouvrir le débat en termes éthiques - Jean-François Mattei et le Comité national d'éthique viennent de le réaffirmer -, la meilleure sécurité sanitaire doit être assurée aux femmes. C'est sans doute là que le Gouvernement nous apporte les réponses les moins convaincantes parce que les plus exigeantes sur le plan budgétaire.

Ces réponses passent toutes par une revalorisation qualitative et quantitative de la situation des médecins qui travaillent dans les centres d'orthogénie. Certains centres présentent des conditions d'accueil et de travail inacceptables. Les médecins, vacataires pour la plupart, y exercent dans des conditions salariales indécentes et ils se disent prêts à assurer la formation nécessaire pour effectuer les IVG entre dix et douze semaines, ce qui est aisément à leur portée. Certains ont d'ailleurs anticipé cette évolution, mais ils et elles souhaitent aussi avoir une approche plus globale du « parcours IVG » : éducation sanitaire, dialogue sur la prévention et la contraception.

Cette approche nouvelle aura deux effets bénéfiques : pallier les difficultés de recrutement des médecins dans les centres d'orthogénie et assurer une prise en charge globale de la femme accueillie. De nombreuses préconisations en ce sens ont été collectées, dont le rapport de Mme Bousquet s'est fait l'écho, mais elles n'ont suscité aucune indication concrète de votre part. Ces indications, nous les attendons.

Finalement, un point nous réunit tous sur les bancs de notre assemblée : personne ne considère comme satisfaisant le chiffre d'au moins 220 000 avortements par an.

A cet égard, vos propositions manquent singulièrement d'audace et de propositions concrètes. Je vous propose que nous nous fixions ensemble l'objectif de 100 000 en dix ans, c'est-à-dire que nous faisions diminuer de moitié le nombre des IVG dans notre pays pour le ramener à 7,5

Pour cela, il convient d'abord de déployer une vraie politique d'accès à la contraception : remboursement des contraceptifs oraux de la nouvelle génération ; révision des tarifs du TIPS sur les dispositifs intra-utérins, tels que les stérilets, scandaleusement sous-remboursés ; prise en charge sur le modèle du préservatif masculin à un franc, du préservatif féminin ou Fémidom.

Il faut aussi développer la stérilisation aussi bien féminine que masculine, trop peu utilisée dans notre pays et parfois la seule méthode accessible pour certains couples ou certaines femmes.

Il importe également de développer une éducation à la sexualité et à la contraception, d'abord en direction des jeunes, comme beaucoup l'ont dit. Il serait faux de soutenir que rien n'a été fait en ce domaine puisque, en 1970, c'était 51 % des femmes qui avaient commencé leur vie sexuelle sans contraception alors que ce taux est tombé à 16 % en 1993.

Il faut maintenant faire porter l'effort sur les jeunes en lycée professionnel et en apprentissage. Une étude récente de l'INED montre que ce sont les jeunes scolarisés dans ces filières courtes qui reçoivent l'éducation à la sexualité et à la contraception la plus déficiente et que c'est dans les mêmes filières que les filles sont le plus exposées à des grossesses non désirées, d'autant que l'âge du premier rapport sexuel est plus précoce que dans les filières longues.

Enfin, un effort tout particulier doit être porté sur les centres d'information à la contraception et à la sexualité, surtout dans les quartiers en difficulté. A ce propos, je veux rendre un hommage empreint de respect et de tendresse aux pionnières du Mouvement français pour le planning familial. Celles-ci méritent des locaux de qualité, des appuis en moyens logistiques et en personnel.

Pour cela, les compétences entre les différents échelons de responsabilité territoriale méritent d'être clarifiés car chacun se renvoie la balle, tentant d'échapper ainsi à ses responsabilités financières.

Mesdames, messieurs, c'est ensemble qu'il nous faut mener une politique de santé publique soucieuse de liberté et de responsabilité.

Il y a vingt-cinq ans, Simone Veil était assise au banc du Gouvernement et personne n'a oublié ses larmes ni sa dignité. Aujourd'hui, dans un climat apaisé, les femmes nous demandent d'aller plus loin. A nous de ne pas les décevoir ! Je voterai donc le projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Mme Nicole Ameline applaudit également.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Jean Rouger.

M. Jean Rouger.

Madame la présidente, mesdames les ministres, chers collègues, les faits sont là : l'interruption volontaire de grossesse n'a pas une réalité seulement dans la loi, mais aussi en pratique. On estime qu'en France entre 180 000 et 200 000 femmes ont recours à une IVG chaque année. Mais on ne sait pas tout : des actions sont cachées et d'autres ne sont pas répertoriées sous ce nom.

Que l'on soit pour, que l'on soit contre, cette réalité est à prendre en compte.

Notre rôle de législateur doit nous conduire à proposer les meilleurs dispositions possibles pour que toutes les personnes concernées, les femmes en premier lieu, leur compagnon leur entourage familial et le personnel médical, pour que toutes ces personnes puissent vivre cet épisode de la vie dans les meilleures conditions qui soient.

Tel doit être l'objectif que nous devons garder en tête.

La loi Veil de 1975 a courageusement posé des règles pour affronter cette situation. Après la loi Neuwirth sur la contraception, ce fut une traduction forte de la volonté que chaque femme puisse avoir la liberté et les capacités concrètes de maîtriser sa féconditié et l'usage de son corps.

Vingt-cinq ans plus tard, malgré les difficultés d'évaluation et des recours à des praticiens à l'extérieur du pays, les avortements sont encore nombreux. Généralement répartis aux âges extrêmes de la vie féconde, ils


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concernent les jeunes femmes et des femmes en période préménopausique, mais ils s'inscrivent toujours dans des contextes de vie affective et sociale instable. Cela explique la lenteur et la douleur de la prise de conscience de la réalité de la conception.

L'allongement du délai que prévoit le projet de loi ne réglera certes pas tous les cas. On sait que 75 % des IVG sont pratiqués avant la huitième semaine, donc assez rapidement après la découverte naturelle de la grossesse. Pour les 25 % restants ainsi que pour les femmes sollicitant une IVG hors délai, soit la découverte de la grossesse est tardive - c'est souvent le cas pour les très jeunes femmes ou pour des femmes pensant être ménopausées -, soit la décision, qui n'est pas immédiate, doit être plus longuement réfléchie.

Qui peut oser nier le drame de l'avortement ? Nous devons faire en sorte que les intéressées puissent prendre le temps de la réflexion et celui du choix sans se retrouver dans l'illégalité.

Même quand elle est désirée, l'annonce d'une grossesse est souvent un moment déstabilisant. C'est encore plus compliqué lorsqu'elle intervient à un moment où l'on ne s'y attend pas.

Les techniques médicales désormais utilisées sont généralement satisfaisantes.

L'allongement des délais, s'il doit impliquer le recours à une anesthésie générale, ne présente pas de risques majeurs. Cela ne signifie évidemment pas qu'il n'y a aucun risque, comme pour tout acte chirurgical. Mais ce n'est pas l'allongement du délai qui est en cause. Et s'il est évident que le foetus grandit entre dix et douze semaines, il ne change pas vraiment de nature. C'est la technique qui doit changer, pour s'adapter et être efficace.

Je ne reviendrai pas sur les dérives eugéniques que craignent certains, car on en a déjà beaucoup parlé.

Les femmes qui demandent une interruption volontaire de grossesse ne le font pas pour simple convenance, parce qu'elles préfèrent un garçon ou une fille. Quant aux malformations, il est évident que l'on en sait plus à douze qu'à dix semaines. Mais on peut également penser que les progrès de la médecine et, en particulier ceux de l'imagerie médicale et des diagnostics cellulaires, permettront de déceler encore plus tôt le moindre problème. Mais ces situations relèvent de l'interruption médicale de grossesse, qui ne fait pas l'objet du même débat. C'est cependant une question à laquelle nous devons répondre en proposant des conditions propices rigoureuses et propices à l'élaboration d'une réponse spécifique.

Les accusations portées contre les femmes sont révélatrices de l'idée que leurs auteurs se font de la place des femmes dans notre société : réduites au rôle de génétrices, parfois incapables de prendre une décision convenable, elles ne seraient que des inconscientes qui se feraient avorter à la légère si le sexe de leur enfant ne leur convenait pas.

Certains préféreraient que ce soit des médecins qui prennent la décision. Je suis moi-même médecin et je ne détiens pas de vérité, en particulier en ce domaine. En tant que médecin, je pense ne pas avoir le droit de décider pour une femme d'un acte aussi important qu'une IVG ou la poursuite d'une grossesse.

La médecine est un art professionnel dont la technique est offerte à l'autre, quelle que soit la conviction de l'opérateur, technicien qui doit être au service de la liberté, de la demande et disponible pour nourrir et construire le choix de celle qui, parfois, ne sait plus et qui, toujours, souffre.

L'IVG est un échec pour chacun de nous. La personne qu'il convient de soutenir et d'aider dans cette situation précaire est une femme abandonnée. Elle porte un avenir qu'elle n'a pas décidé, qu'elle n'accepte pas, qui lui est imposé par les désordres ordinaires des comportements humains. Elle doit retrouver la liberté de choisir, les modalités de son choix, le moment et l'atmosphère indispensables à la création.

La possibilité réfléchie de refuser est un aspect de l'exercice de la liberté individuelle. La femme est le personnage central de la grossesse. Elle est l'actrice majeure de la création quel que soit son âge, y compris dans les périodes les plus fragiles et les plus extrêmes.

Le projet de loi consacre cette liberté individuelle et collective, face à une situation à forte charge affective.

Elle établit aussi l'ordre et le respect des valeurs : c'est la femme qui conçoit et qui crée ; c'est elle qui façonne la décision d'accomplir une grossesse. La famille initiale qui a modelé un peu les corps, les âmes et les tempéraments accompagne naturellement cette création dans toutes ses hésitations. Le rôle des parents ou de leurs substituts est indispensable pour seconder la jeune femme dans son désarroi et il prime sur l'avis technique du médecin.

Une partie du projet offre la possibilité pour la mineure de pallier l'absence des parents et les situations parentales conflictuelles par la présence d'un tuteur qui accompagne la réflexion et la décision, et dont le rôle doit être complété par une information et une éducation.

Le médecin doit une information complète, transparente, limpide. En aucun cas, ses opinions personnelles n'ont à peser dans l'échange. Son rôle s'ennoblit en ce qu'il permet l'émergence et la force de la décision de l'intéressée. Le médecin a ainsi une mission d'assistance technique, professionnelle et performante. Cette mission d'assistance psychologique, car la décision et la réalisation d'une IVG sont des étapes très difficiles à gérer et toujours infiniment personnelles, faites de solitude et de souffrance, est dans le même temps une obligation de respect de la liberté d'autrui, un engagement d'information et d'éducation pour ce professionnel de santé, et cela en toute humilité.

Je l'ai dit au début de mon intervention, il s'agit de favoriser l'exercice d'une des libertés les plus nobles de la personne, celle de la création. C'est la femme qui, de fait, porte cet honneur et cette responsabilité. Le projet de loi inscrit aussi cette réalité dans nos moeurs.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Patrick Delnatte.

M. Patrick Delnatte.

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, vingt-cinq ans après son adoption, force est de reconnaître que l'application de la loi Veil est loin d'avoir réglé le douleureux problème de l'importance de l'avortement en France.

Certes, cette loi a, fort heureusement, permis de mettre fin aux trois cents décès de femmes par an que l'on déplorait avant 1975 à la suite des avortements clandestins. Mais le nombre actuel d'IVG, estimé à plus de 200 000 par an, chiffre supérieur à celui d'autres pays d'Europe, témoigne d'un double échec de l'application de la loi Veil : échec de la prévention de la grossesse non d ésirée ; échec de l'accompagnement de la femme


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enceinte en difficulté, qui souhaite mener à terme sa grossesse car la plupart des dispositions prévues dans ce but n'ont pas été appliquées, ce que le Comité national d'éthique signale à juste titre. Nous pourrions légiférer avec plus de pertinence si nous avions disposé d'un bilan exhaustif de l'application de la loi Veil.

Ce double échec est encore plus insupportable lorsqu'on sait que la situation s'aggrave pour les jeunes femmes mineures non émancipées : on compte 6 000 IVG chez les moins de dix-huit ans et la proportion de mineures enceintes ayant recours à l'IVG ne cesse d'augmenter.

Plusieurs de nos collègues ont, comme nombre de nos interlocuteurs, montré que le projet de loi du Gouvernement n'apporte pas les réponses susceptibles de remédier à la gravité des faits.

Ne m'en tenant qu'au problème de l'IVG de la femme mineure non émancipée et au fait que le projet de loi lui donne la possibilité de se passer du consentement de l'autorité parentale si elle désire garder le secret dans des circonstances particulières, je soulignerai deux points essentiels.

Premier point : au cours de cette législature, le Gouvenement et sa majorité ont pris des mesures symboliques portant atteinte à l'institution familiale, tant sur le plan fiscal que sur le plan juridique et financier. Ces mesures sont loin d'être compensées par les nouvelles aides sociales accordées aux familles en fonction de leurs revenus.

Quant à la volonté du Gouvernement de je cite -

« soutenir les parents dans l'exercice de leur autorité parentale et d'assurer un équilibre dans le partage de la responsabilité parentale », il s'agit d'un pur effet d'affichage sans traduction concrète actuelle.

Second point : pour le cas difficile de la mineure enceinte, le dispositif proposé prévoit la présence d'un référent, si cette dernière désire garder le secret. Or ce dispositif est trop sommaire pour répondre aux besoins réels de la mineure et n'offre aucune garantie quant à ce référent.

Il faut respecter la liberté de la jeune fille, aussi bien celle qui ne peut obtenir l'autorisation parentale - violences sexuelles, inceste, absence ou carence de la famille que celle dont les parents font pression pour qu'elle avorte afin « de ne pas gâcher sa vie », alors qu'elle aurait souhaité mener à terme sa grossesse.

A la place du seul référent, nous proposons de regrouper les compétences du médecin, du psychologue c'est très important -, du travailleur social, de préférence un médiateur familial, pour aider la jeune fille à prendre sa décision, pour l'accompagner dans sa démarche et, après l'IVG, pour l'aider à surmonter le traumatisme de l'avortement et la solitude résultant de l'échec de la relation familiale. L'aide aux parents fait aussi partie de la démarche pour renouer le lien familial et donner à la jeune fille une vision positive de la famille, qu'elle pourra projeter dans son propre avenir.

La prévention des grossesses non désirées passe, en particulier chez les mineurs, garçons et filles, par l'éducation à la vie sexuelle et à l'affectivité, par la lutte contre les violences sexuelles. Dans ce domaine, les retards sont criants en France. Le maximum d'efforts doit être mené dans le système éducatif, ouvert sur les compétences extérieures et en complémentarité avec les parents.

L'expérience familiale est primordiale pour un développement social harmonieux. L'Etat a le devoir de soutenir et protéger la famille. Or la politique gouvernementale brouille ce message. A force de normaliser l'exceptionnel, les repères éthiques se perdent.

Le texte proposé n'apporte pas de réponse suffisante pour aider la mineure et sa famille à trouver un équilibre adapté à une situation de détresse. Sur ce point comme sur d'autres, nous ne pourrons l'accepter en l'état.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Bernard Accoyer, dernier orateur inscrit.

M. Bernard Accoyer.

Madame la présidente, mesdames les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, s'agissant d'un problème qui touche à l'être humain dans ce qu'il a de plus profond, le Gouvernement aurait pu décider de procéder méthodiquement, de rechercher le consensus le plus large. Et l'examen de ce projet de loi révisant la loi de 1975 sur l'interruption volontaire de grossesse en aurait été facilité.

Quel dommage que notre réflexion sur la révision des lois de bioéthique, que nous aurions dû ouvrir depuis plus de deux ans, n'ait pas été menée à bien, comme cela était pourtant prévu par la loi. Quel dommage que, pour l'essentiel, nous ne puissions pas réfléchir et choisir en toute connaissance de cause, à l'opposé d'attitudes que d'aucuns considèrent comme de parti pris ou de posture.

La politique n'a pas sa place dans un débat dont l'enjeu est de légiférer sur les droits fondamentaux de l'être. Sur ces questions, l'honneur d'un gouvernement est de rechercher la plus large adhésion possible. Tel n'a pas été le cas et on ne peut que le regretter.

Vingt-cinq ans après la promulgation de la loi Veil qui définit un cadre légal à l'avortement, les opinions sur l'avortement et plus généralement sur la loi elle-même ont, heureusement, évolué, différenciant les lois de la République et l'usage fait de ces droits qui relèvent, bien entendu, des convictions de chacun et de chacune et, hélas ! bien souvent également, des circonstances.

Il y a vingt-cinq ans, les débats passionnés sur l'avortement avaient abouti à l'adoption d'une loi qui a mis un terme aux terribles complications dues aux centaines de m illiers d'avortements clandestins alors pratiqués en France chaque année.

Cette loi de référence considère l'avortement comme l'ultime recours. Mais vingt-cinq ans plus tard, elle n'est toujours pas appliquée de façon satisfaisante.

En ce qui concerne son objectif premier qui était de faire baisser le nombre des avortements, l'échec est patent car, avec plus de 200 000 interruptions volontaires de grossesse chaque année, la France atteint l'un des chiffres les plus élevés des pays développés. Il marque l'échec des politiques d'information, d'éducation sexuelle, de contraception - y compris de contraception d'urgence - et d'aide aux femmes qui souhaitent poursuivre leur grossesse, mais ne l'estiment humainement ou matériellement pas possible.

Les institutions sanitaires elles-mêmes, vingt-cinq ans après la loi, restent très notoirement insuffisantes pour répondre à ses prescriptions. Ainsi, les quotas d'actes d'IVG imposés aux établissements d'hospitalisation privés constituent un facteur de retard.

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Tout à fait !


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M. Bernard Accoyer.

Il serait plus simple, plus avantageux et moins conséquent pour les femmes de supprimer ces quotas plutôt que d'allonger le délai légal.

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Il faut faire les deux !

M. Bernard Accoyer.

Il en est de même des difficultés administratives qui se posent dans les établissements d'hospitalisation publics et des manques de personnels.

En 1975, le délai légal de dix semaines n'a pas été fixé par hasard. C'est à cet âge que l'embryon devient foetus et cette évolution soulève des questions de nature éthique et technique.

Question éthique d'abord : même si, en l'absence de définition incontestable du statut de l'embryon, la vie commence, selon les convictions de chacun, à la conception ou bien plus tard, la morphologie de l'être en formation charnelle peut peser lourd dans le ressenti psychologique de la mère et même des opérateurs.

Question éthique encore, avec la crainte diversement évaluée de l'irruption de l'eugénisme et de réification de l'enfant, allant de pair avec les progrès du diagnostic in utero et de l'échographie.

Problèmes psychologiques avec l'allongement possible de la période d'hésitation et d'attente toujours difficile et douloureuse.

Problèmes techniques également, car d'un geste instrumental simple, l'IVG devient, après la dixième semaine, un geste chirurgical avec son lot incompressible de complications.

Il est donc regrettable que nous n'ayons pas centré notre réflexion et nos propositions sur la baisse du nombre des avortements sur le territoire national.

Il aurait fallu chercher à renforcer l'efficience des polit iques d'information et de contraception, aider les femmes qui souhaitent garder leur enfant mais qui s'estiment dans l'impossibilité de le faire, privilégier les priorités pour faire diminuer le nombre de femmes dont la grossesse dépasse dix semaines et qui se tournent vers une IVG.

Comment répondre aux détresses psychosociales audelà de dix semaines ? La recherche d'un dispositif se référant à l'interruption médicale de grossesse, prévue dans la loi Veil, bien défini dans son fonctionnement et ses délais, aurait pu être une voie intéressante pour des cas qui doivent, au demeurant, devenir de plus en plus rares.

Enfin, ce texte prévoit de supprimer le caractère obligatoire de l'autorisation parentale pour les mineures. S'il existe hélas ! des cas où la rupture familiale soulève les plus graves difficultés, deux problèmes méritent toutefois d'être soulevés.

La banalisation de la suppression de l'autorisation parentale, si elle devait s'étendre à d'autres circonstances, ne manquerait pas d'affaiblir davantage encore l'institution familiale et, par là même, le repère majeur auquel peut se raccrocher l'enfant dans notre société si difficile pour lui.

En outre, si la mineure peut choisir, comme le projet de loi le permet actuellement, n'importe quelle personne comme adulte référent, le risque existe de pressions, de contraintes, peut-être même de la part du géniteur pour lui imposer cet adulte référent. C'est pourquoi il convient de déterminer un cadre définissant l'adulte référent ; cela présenterait le double avantage d'être plus sécurisant pour les mineures et d'éviter la banalisation de la suppression de l'autorité parentale.

Toutes ces questions et les réponses insatisfaisantes que le texte du Gouvernement apporte me conduiront à ne pas voter celui-ci. A mes yeux, les solutions proposées n'améliorent pas valablement et durablement le texte de 1975. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme la présidente.

La suite de la discussion est reportée à la prochaine séance.

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ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

Mme la présidente.

Ce soir, à vingt et une heures quinze, troisième séance publique : Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, no 2605, relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception : Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 2726) ; Mme Danielle Bousquet, rapporteure pour avis au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (rapport d'information no 2702).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT