page 10412page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Avenir des institutions. - Questions orales avec débat (p. 10413).

MM. Alain Juppé, Robert Hue, Valéry Giscard d'Estaing, Jean-Pierre Chevènement, Alain Madelin, Jean-Marc Ayrault, Renaud Donnedieu de Vabres, Bernard Charles, Arnaud Montebourg, Jean-Jacques Guillet, Noël Mamère, Paul Quilès, Bernard Derosier, Julien Dray, André Vallini.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Clôture du débat.

2. Ordre du jour des prochaines séances (p. 10442).


page précédente page 10413page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1 AVENIR DES INSTITUTIONS Questions orales avec débat

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion de cinq questions orales avec débat sur l'avenir des institutions.

Je rappelle que ces cinq questions ont été publiées au Journal officiel et au feuilleton.

Je souhaite que les orateurs inscrits dans le débat respectent scrupuleusement le temps qui leur est imparti.

La parole est à M. Alain Juppé, qui dispose de trente minutes.

M. Alain Juppé.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l'intérieur, monsieur le ministre des relations avec le Parlement, mes chers collègues, le débat que vous avez voulu organiser ce matin, monsieur le Premier ministre, me semble étrangement surréaliste.

Il est d'abord, me semble-t-il, en complet décalage avec les préoccupations et les attentes des Français, qui portent aux questions institutionnelles un intérêt non prioritaire.

Nous l'avons vu au mois de septembre dernier.

Il est aussi en décalage avec le contexte et le calendrier politiques. On dit souvent qu'on ne change pas les règles du jeu juste avant le début de la partie. L'un de vos amis, M. Claude Estier, dans un bloc-notes de L'Hebdo des socialistes du 8 décembre, l'a rappelé excellemment à propos de l'inversion du calendrier : « Ce n'est pas un débat institutionnel. Il ne s'agit pas de changer notre Constitution ou de rééquilibrer les pouvoirs, même si nous pouvons le souhaiter. Il serait difficile d'engager maintenant un débat institutionnel de fond en période de cohabitation et à quatorze mois d'échéances décisives. » On ne

saurait mieux dire.

Quelle est donc, en réalité, la seule question concrète à l aquelle vous nous demandez de répondre d'ici à demain ? Elle est simple : faut-il inverser les dates des élections législatives et de l'élection présidentielle ? Dans sa simplicité, cette question apparaît bien pour ce qu'elle est : une manoeuvre. J'y reviendrai.

Mais pour tenter de donner quelque noblesse à la chose, on veut la parer du voile d'une réflexion de fond, et l'on déplace ainsi le problème : l'esprit des institutions commanderait de commencer par l'élection présidentielle pour continuer par les élections législatives. Pour notre part, monsieur le Premier ministre, nous ne le croyons pas.

Depuis 1962, nos institutions ont, en effet, un caractère mixte. Elles sont de nature présidentielle, compte tenu du poids qu'a donné au Président de la République son élection au suffrage universel direct et des pouvoirs étendus qu'il tient de notre loi fondamentale. Mais elles sont aussi de nature parlementaire : le Premier ministre est le chef de la majorité parlementaire et l'a toujours été ; l'Assemblée nationale détient le pouvoir de « renverser » le Gouvernement. C'est la spécificité des institutions de la Ve République et, compte tenu de la réalité française, c'est sans doute leur force. Ce fut longtemps l'avis de la plupart des constitutionnalistes.

La pratique de la Ve République va dans le même sens que l'analyse institutionnelle. Comme le rappelait avanthier M. Edouard Balladur, il y a eu, depuis 1962, six é lections présidentielles au suffrage universel direct ; l'élection présidentielle n'a immédiatement précédé les élections législatives que dans deux cas sur six, et encore, ce fut à l'initiative de M. Mitterrand, dont je ne suis pas sûr qu'il ait été le meilleur exégète de la Constitution voulue par le général de Gaulle.

En réalité, la question n'est pas de savoir s'il faut respecter l'esprit des institutions telles qu'elles sont, mais bien plutôt s'il faut en changer et passer, comme certains le souhaitent, de la Ve à la VIe République. C'est une question légitime sur laquelle chacun peut avoir son point de vue, et beaucoup d'entre nous se la posent.

Nous pensons, pour l'essentiel, que nos institutions sont bonnes et qu'elles ont fait preuve, depuis pratiquement un demi-siècle, d'une grande capacité d'adaptation.

Elles ont des défauts, bien entendu, et même un défaut majeur : elles nous exposent au risque de cohabitation entre les deux têtes de l'exécutif. Et décidément, la cohabitation n'est pas une bonne chose.

La constatation qu'elle est apparemment populaire n'y change rien. Je dis « apparemment » parce que, dans leur bon sens, jamais les Français n'ont voté à quelques semaines d'intervalle dans des directions différentes.

Nous avons tenté d'apporter un début de réponse à cette difficulté que pose la cohabitation avec le quinquennat, dont ce n'est pas, cependant, la principale raison d'être. L'objectif était d'abord d'adapter le rythme de nos institutions au rythme démocratique du monde moderne.

Le quinquennat ne constitue pas une garantie absolue contre la cohabitation mais il sera, j'en suis sûr, un gardefou efficace.

Nous pensons, en effet, qu'à quelques semaines de distance, les Français voteront dans le même sens, et cela quel que soit l'ordre des élections. Car, dans un court laps de temps, ce sera la même échéance électorale : si l'on devait commencer par l'élection présidentielle, l'impact du résultat serait évidemment très fort sur la consultation suivante, et si l'on s'en tient à commencer par les élections législatives, les candidats députés seront tout naturellement conduits à prendre position en faveur de tel ou tel candidat à l'élection présidentielle toute proche.


page précédente page 10414page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

C'est d'ailleurs ce que j'ai lu hier dans une longue démonstration publiée par le journal Le Monde sous la plume de M. Giscard d'Estaing : « les députés seraient interrogés moins sur le contenu de leur programme que sur le soutien qu'ils apporteront au candidat à l'élection présidentielle », dans le cas où l'on respecterait le calendrier existant. Mais l'auteur écrivait quelques lignes plus haut : « On voit le paradoxe qu'il y aurait de demander aux Français de se déterminer, d'abord sur le contenu d'un programme législatif, et de débattre ensuite du choix du Président. Le rôle du Président de la République se réduirait donc à assurer la mise en oeuvre d'un programme élaboré par les partis. » Comprenne qui pourra

! (Sourires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Le quinquennat est un garde-fou, disais-je, et non une garantie absolue contre la cohabitation. Si l'on veut une garantie absolue, il faut en réalité changer de Constitution, ce qui, bien sûr, peut se concevoir : soit en ramenant le Président au rôle qui était le sien sous la IVe République et en revenant à un régime purement parlementaire, avec le risque que l'on connaît bien, chez nous, de dérive vers le régime d'assemblée, soit en instituant un vrai régime présidentiel, c'est-à-dire en supprimant le poste de Premier ministre, le droit de dissolution et la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale.

Les partisans de ce saut vers la présidentialisation sont apparemment de plus en plus nombreux, parfois même dans nos rangs. Beaucoup d'entre nous continuent cependant à s'interroger comme ils l'ont fait au moment du référendum sur le quinquennat. Nous pensons que ce basculement vers un régime à l'américaine - qui, par les temps qui courent, cesse d'être un modèle universellement reconnu, je le note au passage - pourrait être dangereux. Que se passerait-il en cas de blocage entre le Président et l'Assemblée dans un régime présidentiel ? Avons-nous, dans notre tradition républicaine, les soupapes de sécurité nécessaires pour gérer de telles situations ? Je n'en suis pas sûr.

En toute hypothèse, une telle réforme serait si profonde qu'on ne peut pas la faire à la sauvette. Il faudrait un débat large et prolongé. Voyez la méthode suivie pour réformer un autre texte fondamental de nos institutions, l'ordonnance de 1959 sur les lois de finances : on y travaille depuis des mois, pour ne pas dire des années, au Sénat comme à l'Assemblée nationale. Et s'agissant du régime présidentiel, un tel travail devrait, à l'évidence, déboucher sur une consultation populaire.

Ce n'est donc pas de cela qu'il s'agit dans les trois heures consacrées à ce débat, et il nous faut revenir, monsieur le Premier ministre, à la question, à la seule question que vous nous posez, celle de l'inversion du calendrier. Elle apparaît clairement pour ce qu'elle est : une manoeuvre de circonstance ou de convenance, rien de plus.

D'ailleurs, le 19 octobre dernier, vous déclariez vousmême : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là » - c'est-à-dire au calendrier prévu - « et il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises. »

Où a-t-on vu que le consensus est esquissé ? L'opposition est très majoritairement hostile à cette inversion du calendrier et votre propre majorité, si j'ai bien compris, est fortement divisée.

Quelle est donc la motivation de votre initiative ? Pour la comprendre, il suffit de lire l'article d'Eric Perraudeau dans La Revue socialiste de novembre 2000 : « On oublie trop souvent que la défaite de la droite en juin 1997 ne s'est jouée qu'à un très petit nombre de voix. (...) Il aurait suffi » - pour que le résultat final soit inversé et que la gauche soit actuellement dans l'opposition - « qu'à l'échelle nationale moins de 1 % des électeurs modifient leur comportement.(...)

« On ne saurait non plus minimiser les 76 triangulaires, que la gauche gagna à 47 reprises. Si, comme l'a montré plusieurs fois Jérôme Jaffré, le calcul de la droite se révè le faux et empreint d'une certaine mauvaise foi, » - je cite cette phrase pour bien montrer qu'il s'agit d'une revue socialiste (Sourires) - « il n'en reste pas moins qu'une dizaine de circonscriptions auraient pu passer à droite sans le maintien du Front national au second tour. »

(« Eh oui ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Quant à l'évolution du rapport de forces politiques depuis 1997, La Revue socialiste la résume en une formule implacable : « une progression électorale de la gauche en trompe-l'oeil ! » Cette argumentation a dû faire « tilt », comme on dit, dans l'esprit des stratèges du parti socialiste. Et l'on comprend, dès lors, les raisons de leur volte-face : devant un risque élevé de défaite aux élections législatives, on a sans doute craint la mise sur la touche du Premier ministre comme champion de la gauche à l'élection présidentielle, ce qui apporte de l'eau au moulin de ceux qui pensent que les deux séries d'élections n'en feront qu'une.

D'où la parade : changeons de calendrier ! Monsieur le Premier ministre, l'opposition ne s'associera pas à cette manoeuvre, destinée à conforter la position du candidat socialiste à l'élection présidentielle ; nous espérons de tout coeur que les soutiens dont le parti socialiste a besoin pour mener à terme l'opération ne viendront pas de nos bancs.

En toute hypothèse, quel que soit le résultat du scrutin de demain, nous avons confiance. A en croire un journal - je sais qu'il ne faut pas toujours croire les journaux vous auriez dit : « C'est peut-être une manoeuvre, mais c'est de la belle manoeuvre. » Prenez garde de ne pas vous

retrouver dans le rôle de l'arroseur arrosé !

M. Didier Boulaud.

Vous êtes un spécialiste !

M. Alain Juppé.

Personne ne sait comment ce genre de chose peut tourner.

M. Bernard Roman.

Vous parlez d'expérience !

M. Alain Juppé.

Certes, mais j'ai déjà dit ici à plusieurs reprises que l'expérience m'avait mûri ! (Applaudissementss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Sourires sur les bancs du groupe socialiste.) J'espère, monsieur le Premier ministre, que, progressivement, il en sera de même pour vous.

En tout cas, s'il y a un point sur lequel nous pouvons tous nous retrouver, c'est qu'on ne sait pas à qui profitera la « belle manoeuvre », et nous livrerons la bataille présidentielle avec le même enthousiasme, quelle qu'en soit la date.

Pour nous, l'élection présidentielle de 2002 ne se jouera pas sur le terrain politicien où vous voulez nous entraîner, mais sur les questions de fond que se posent les Françaises et les Français et qu'ils poseront aux candidats.


page précédente page 10415page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

La France a-t-elle tiré le meilleur parti possible de l'embellie économique exceptionnelle que, comme tous ses voisins européens, elle a connue de 1997 à 2001 ? A-t-elle fait, pour préparer son avenir, aussi bien que les autres ? Quel est, surtout, le projet qu'on lui propose ? Projet européen, pour mieux faire l'Union sans défaire la Nation.

Projet démocratique, pour moderniser l'Etat et ses administrations, faire revivre les libertés locales, promouvoir une nouvelle démocratie de participation et de proximité.

Projet économique, pour nourrir une croissance forte, seule créatrice d'emplois, et donc stimuler nos performances en allégeant nos charges et nos contraintes.

Projet social, pour développer le dialogue contractuel et mieux assurer le partage des savoirs, des pouvoirs, de l'information et de la communication.

Projet environnemental, pour préserver la planète et l'espèce.

A toutes ces questions, j'ai confiance que, le moment venu, notre champion apportera des réponses convaincantes. Que ce soit avant ou après les élections législatives ! C'est pourquoi, et vous voyez, monsieur le président, que je respecte votre invitation à la concision, je conclurai en disant que nous attendons le scrutin de demain avec une franche désapprobation, un brin de curiosité et une sérénité à toute épreuve.

(Applaudissements prolongéss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Robert Hue, pour vingt-cinq minutes.

M. Robert Hue.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, le parti communiste a affirmé d'emblée son opposition à l'inversion du calendrier électoral de 2002 destinée à faire précéder les éle ct ions législatives par l'élection présidentielle. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Aujourd'hui, je confirme en son nom et au nom des députés du groupe communiste et apparentés notre hostilité à ce projet. En conséquence, nous voterons contre les propositions de loi organique qui nous sont soumises.

Il y a à peine trois mois, les Françaises et les Français étaient appelés à se prononcer par voie référendaire sur une modification de la Constitution réduisant de sept à cinq ans la durée du mandat présidentiel. Les promoteurs de ce projet, et celles et ceux qui s'y sont rangés, nous ont alors expliqué qu'il constituait un progrès de la démocratie. Nous avons mis en garde, pour notre part, contre les risques de dérive vers un pouvoir personnel accru qu'il recelait. Nous avons dit aussi que le quinquennat « sec » était un premier pas dans ce sens et qu'il serait suivi par d'autres. Eh bien, nous y voilà ! Il n'aura fallu que quelques semaines pour qu'une seconde étape soit franchie, qui constituera une aggravation sensible du caractère présidentiel du régime.

Je récuse l'idée que l'inversion du calendrier électoral serait commandée par des raisons de cohérence, ou plus exactement, je récuse cette prétendue cohérence ellemême. Car de quoi s'agit-il ? De faire de l'élection du Président de la République un scrutin hégémonique, tandis que, par le même mouvement, l'élection des députés deviendrait une formalité subalterne.

M. Claude Goasguen.

Très bien !

M. Robert Hue.

Alors que l'Assemblée nationale aurait bien besoin de voir ses compétences élargies, son rôle revalorisé (« Très bien ! » et applaudissements sur de nomb reux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) ,...

A ttendez, vous aurez beaucoup d'autres raisons d'applaudir ! ... c'est tout le contraire qui est clairement recherché avec la volonté de mettre les élections législatives à la remorque de l'élection présidentielle.

La démocratie et le pluralisme politique, constitutifs de l'identité de la France, s'en trouveraient gravement compromis. La logique de l'élection présidentielle pousse, en effet, à la bipolarisation de la vie politique. Elle tend à l'organiser essentiellement autour des formations comptant dans leurs rangs des personnalités réputées présidentiables, les autres, toutes les autres, étant vouées à n'y faire que de la figuration.

Or on veut à présent étendre ce véritable écrasement du pluralisme à l'élection des députés, par un mécanisme conduisant à choisir ces derniers essentiellement en fonction de leur proximité politique avec le Président. C'est grave, j'y insiste, pour la démocratie et très préoccupant pour l'avenir même de l'Assemblée nationale, qui risque de se voir cantonnée, plus encore qu'aujourd'hui, dans le rôle de simple auxiliaire d'un exécutif doté de l'essentiel des pouvoirs.

C'est grave aussi pour la politique car, en voulant limiter étroitement le choix proposé aux électrices et aux électeurs à un face-à-face personnalisé, c'est le fossé entre citoyens, d'une part, responsables de partis politiques, d'autre part, qui va continuer à s'élargir. J'ai même le sentiment que nos débats d'aujourd'hui, après ceux qui se sont déroulés ces dernières semaines, sont ressentis par l'opinion publique comme des faux-semblants. Ce que les Françaises et les Français semblent attendre, c'est un véritable travail citoyen d'élaboration débouchant sur des réformes profondes, susceptibles de démocratiser vraiment les institutions et de moderniser réellement la vie politique.

En lieu et place, on leur propose des changements minimum dont les conséquences négatives seront cependant maximum. Il y a dans cette attitude une inquiétante surdité politique.

Ainsi, à l'évidence, on se refuse à tirer les enseignements du référendum de septembre dernier : sept électeurs sur dix, toutes sensibilités confondues, se sont abstenus. Je sais bien qu'ils n'ont pas tous, loin de là, répondu ainsi à l'appel du parti communiste (Sourires), mais j'ai la conviction qu'ils ont voulu signifier par ce refus de vote qu'ils n'étaient pas dupes des raisons du « quinquennat sec » et qu'ils aspiraient à tout autre chose qu'à cet ersatz de modification constitutionnelle.

J'ajoute qu'il est singulier de voir la question de l'inversion du calendrier devenir subitement essentielle, primordiale, au point de nous appeler à la trancher dans la précipitation. D'autant plus singulier que lorsqu'il s'agit, par exemple, comme les communistes et d'autres le souhaitent, d'introduire dès à présent une certaine dose de proportionnelle pour les élections législatives ou de permettre le droit de vote des résidents étrangers, ces projets sont repoussés au prétexte que l'on ne pourrait changer les règles du jeu d'ici à 2002 et qu'il apparaîtrait électoraliste de légiférer dès à présent sur ces points.


page précédente page 10416page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Et, à propos de la proportionnelle, je veux indiquer ici que nous déposerons dans les prochains jours une proposition de loi visant à l'instaurer dès 2002.

Telles sont les raisons de l'opposition des députés communistes et apparentés au projet qui nous est soumis.

Elles sont fondées, outre les conséquences que je viens d'évoquer, sur un constat de fond : la France a besoin d'une profonde démocratisation de ses institutions, non seulement pour ne pas accentuer la dérive vers plus de pouvoir personnel avec son corollaire - un exécutif surpuissant au détriment d'un Parlement abaissé -, mais aussi pour favoriser un effort significatif de la démocratie sous toutes ses formes, dans toutes ses dimensions.

C'est de cette question que je veux dire à présent quelques mots, d'abord pour évoquer le nécessaire rééquilibrage des pouvoirs au profit du pouvoir législatif, ainsi que l'indispensable essor de la démocratie participative.

La proposition d'inverser le calendrier électoral de 2002 ne survient pas comme « un coup de tonnerre dans un ciel politiquement serein ». Dans un passé récent, nous avons eu à débattre des exigences de parité dans la vie politique ou encore du droit de vote des Européens. Et nous avons acté l'une et l'autre réforme en apportant à la Constitution les changements qu'appelaient ces exigences.

La construction européenne, le statut de la NouvelleCalédonie ont également conduit à des modifications constitutionnelles.

M. René Dosière.

Très juste !

M. Robert Hue.

Au total, une dizaine sont intervenues de 1992 à aujourd'hui, sans compter la tentative, malheureusement avortée, de modification du Conseil supérieur de la magistrature.

Autrement dit, il y a un problème réel d'adaptation de nos institutions à ce qui bouge, à ce qui change profondément en France et en Europe.

Répondre au coup par coup, à dose homéopathique, et surtout, en vérité, exclusivement dans le but de contenir les exigences citoyennes à une tout autre approche du fonctionnement de nos institutions et de la vie politique, c'est prendre la très lourde responsabilité d'aggraver la coupure entre représentants et représentés.

Oui, il y a une crise de la politique. Oui, il y a une crise de nos institutions républicaines en France à l'aube du XXIe siècle. Oui, de plus en plus, et de plus en plus nombreux, nos concitoyens ont le sentiment que la politique, telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui, ne sert à rien. Ils ont le sentiment d'avoir toujours moins de prise sur toutes les décisions qui intéressent leur vie quotidienne, leur avenir et celui du pays. D'où le mécontentement chronique qu'expriment les caractéristiques des résultats électoraux de ces dernières années. L'abstention progresse régulièrement, revêt un caractère structurel, tandis que les votants ont tendance à « sortir les sortants ».

Cette crise est réelle, profonde.

Elle n'est pas pour autant synonyme de désintérêt. Les enquêtes d'opinion consacrées au comportement et aux a ttentes des jeunes à l'égard de la politique en témoignent. Ils sont extrêmement méfiants à l'égard des politiques, c'est vrai, mais aussi très informés, beaucoup plus que les générations qui les ont précédés, et disponibles à l'engagement avec d'autres, au service des autres.

Et ils s'engagent, dans le mouvement associatif, dans les grandes causes qui leur offrent la possibilité de participer à des actions solidaires, humanistes. Ils s'engagent partout où ils ont le sentiment de pouvoir être utiles, de peser efficacement sur le cours des choses. A leurs yeux, la politique n'a pas cette qualité.

Comment répondre mieux, de façon convaincante, à leurs aspirations et, au-delà, aux aspirations de la très grande majorité des Françaises et des Français ? On peut, c'est ce qui nous est proposé, s'en tenir à une astuce pour régler un problème de fond, par exemple en opérant le couplage présidentielle-législatives pour en finir - ce qui reste à prouver - avec la cohabitation, en fait pour conditionner le vote des électrices et des électeurs.

C'était l'objectif du quinquennat sec. Comme rien n'indique qu'il garantira dans dix-huit mois la coïncidence entre majorité présidentielle et majorité parlementaire, on veut aujourd'hui inverser le calendrier, pour augmenter les chances qu'il en soit bien ainsi. Plutôt que de transformer les institutions pour les mettre à la hauteur des réalités nouvelles, on veut plier ces réalités à des institutions inadéquates, dépassées à bien des égards. On peut aussi - c'est la démarche que propose le parti communiste - décider de travailler à une transformation démocratique de grande ampleur de la vie politique.

M. François Vannson.

Faites-le !

M. Robert Hue.

Notre démocratie telle qu'elle est, je l'ai dit, est très en dessous des exigences modernes d'un véritable exercice de la politique par les citoyennes et les citoyens. Le suffrage universel est certes une conquête fondamentale de la démocratie. Mais aujourd'hui il est besoin d'élargir le champ de l'intervention des citoyens, pour leur permettre de participer effectivement aux choix, à l'élaboration des décisions, à l'évaluation de leur mise en oeuvre.

Il est donc urgent d'améliorer sensiblement le fonctionnement de la démocratie représentative. Il faut encourager une authentique diffusion des pouvoirs dans la société. Il faut en quelque sorte « desétatiser » l'Etat.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je vous avais dit que vous auriez d'autres occasions de m'applaudir ! Il faut donc entreprendre une décentralisation significative, effectivement organisée autour et aus ervice de l'intervention citoyenne dans les affaires publiques.

Les lois du début des années quatre-vingt ont permis d'entreprendre un cheminement vers cet objectif. Le rapport Mauroy, quant à lui, affirme des exigences, mais reste bien en deçà des réponses qu'elles appellent. Celles qu'il propose sont marquées en effet de la crainte persistante de voir les citoyens s'emparer de la chose publique.

Ce rapport, qui sur certaines questions présente des avancées, manque cependant de souffle, de l'ambition que commandent les défis qu'il nous faut relever.

Une décentralisation moderne et effective doit permettre que les décisions soient prises au plus près des besoins à satisfaire, donc des citoyens qu'elles concernent, avec, de leur part, le concours le plus direct possible.

Il faut ensuite que la délégation de compétences vers le haut, à des niveaux territoriaux plus larges, du communal et de l'intercommunal au national, en passant par le départemental et le régional, s'opère en fonction des impératifs de cohérence et d'efficacité, de solidarité, de progrès social.

De même, à toutes les étapes du pouvoir, il est indispensable d'engager une démocratisation en profondeur des processus de décision jusqu'au processus législatif.


page précédente page 10417page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Certes, et les communistes l'envisagent ainsi à propos de la Corse, la loi est et doit demeurer l'expression de la souveraineté et de la solidarité nationales. Dès lors, elle ne peut être votée que par les représentants du peuple tout entier, c'est-à-dire le Parlement.

Mais autre chose est d'en démocratiser l'élaboration et la mise en oeuvre.

Aujourd'hui, dans l'intervalle de cinq ans qui sépare deux élections législatives, les députés exercent ces responsabilités. Je ne propose pas naturellement de les en priver.

C'est le contraire : il faut qu'ils puissent les exercer plus pleinement, ce qui suppose un rapport constant de proximité avec celles et ceux qui leur ont confié le mandat de faire la loi.

Qu'est-ce qui interdit d'initier et de développer un débat démocratique permanent entre parlementaires et citoyens ? Pourquoi ces derniers ne pourraient-ils pas prendre des initiatives particulières, que la représentation nationale aurait l'obligation d'examiner, par exemple en instituant le principe de la proposition de loi d'initiative populaire, ou bien encore en faisant place, à l'Assemblée nationale, à des propositions de terrain, réfléchies et exprimées au niveau des collectivités territoriales, élaborées à partir des problèmes concrets auxquels élus locaux et citoyens sont confrontés ? Je suis persuadé que déployer ces possibilités nouvelles ne conduirait ni à « embouteiller » l'Assemblée nationale, ni à diminuer ses prérogatives. Il en résulterait au contraire un rééquilibrage sensible des institutions au profit du pouvoir législatif, au profit d'une citoyenneté plus épanouie, plus responsable.

On l'aura compris, le parti communiste, tous ses élus, ses parlementaires attachent une très grande importance, pour ressourcer la démocratie représentative, au développement de la démocratie participative. Ce que j'ai dit à propos de la décentralisation l'atteste.

J'ajoute que c'est pour la même raison que nous sommes particulièrement soucieux de l'élaboration d'un véritable statut de l'élu. Tant que nous en serons privés, il n'y aura pas d'égalité en politique. Des dizaines de milliers de femmes et d'hommes, de jeunes, seront objectivement dans l'impossibilité de s'y engager alors même qu'ils en auront le désir et les compétences.

M. Maurice Leroy.

Faites-le !

M. Robert Hue.

Oui, le statut de l'élu est une nécessité impérative pour démocratiser la pratique de la politique et pour contribuer à son nécessaire renouvellement. Cela exige d'agir pour mettre un coup d'arrêt à la « marchandisation » de la politique, et cela relève bien de la responsabilité publique. Cela demande aussi, bien sûr, de consentir des efforts matériels, de se doter, dans la transparence la plus totale et le contrôle le plus strict, des moyens nouveaux qu'exige la démocratie politique.

Au-delà des élus, il faut également donner un statut mieux établi aux associations et à celles et ceux qui les animent. Nous vivons sous le régime de la loi de 1901.

Elle a contribué à une spécificité française dont il faut se réjouir. Mais un siècle plus tard, il n'est pas trop tôt, c'est le moins que l'on puisse dire, pour en évaluer les effets. Je le répète : les associations sont nombreuses et actives. Elles irriguent le tissu local et contribuent à stimuler l'exercice de la citoyenneté, mais pas autant, loin s'en faut, qu'elles pourraient le faire, tout simplement parce qu'elles sont pour l'essentiel tolérées plus que réellement associées à la vie publique. Il en sera ainsi tant qu'elles ne disposeront pas des moyens d'un rôle plus actif, plus efficient dans la société, tant qu'elles seront, en fait, dans l'étroite dépendance des institutions et des collectivités qui assurent leur financement, souvent au gré de leurs propres objectifs.

Il est un second domaine dans lequel notre démocratie souffre de graves carences et sur lequel le débat public est en général esquivé, je veux parler des rapports entre politique et économie.

R appelons-nous, en septembre 1999, l'entreprise Michelin annonçait plusieurs milliers de licenciement en même temps qu'elle affichait des résultats financiers éclatants. Le fait, en soi très surprenant pour l'opinion publique, s'est mué en traumatisme quand les politiques firent l'aveu de leur impuissance face à une telle situation.

Ainsi, d'un pareil événement, en tout point contraire à l'intérêt public, il faudrait se résoudre à accepter les conséquences avec fatalisme.

Incontestablement, ce discours est marqué par la vague néolibérale qui a déferlé sur notre pays ces dernières années.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Les privatisations, les déréglementations, la remise en cause des services publics, tout cela a enraciné l'idée, souvent théorisée de surcroît, de l'incapacité de l'Etat et des responsables politiques à intervenir sur les questions économiques et à peser sur les choix des entreprises. Et cela même quand certaines se livrent à un véritable « jeu de massacre » contre l'emploi, contre les intérêts de leurs salariés, et souvent, par voie de conséquence, en ruinant la vitalité d'un bassin d'emplois tout entier.

M. Alain Cousin.

Avec votre complicité !

M. Robert Hue.

J'affirme qu'il faut, à l'inverse de la g ravissime « refondation sociale » préconisée par le MEDEF, reconquérir, dans le domaine économique, des outils d'intervention au profit de la puissance publique et de l'intérêt général.

Il faut s'y employer non pas pour « étatiser » mais pour donner une impulsion nouvelle à la démocratie. Ce qui est moderne et efficace, ce n'est pas d'amoindrir la propriété publique, c'est de la transformer en permettant aux usagers et aux salariés de participer à la définition de ses objectifs, à sa gestion et au contrôle de l'efficacité de ses choix.

Et je n'oublie pas, bien sûr, en évoquant ces questions, les pouvoirs et les responsabilités sociales et humaines considérables que confère la propriété du capital. On ne peut pas accepter la succession des plans sociaux, des licenciements, qui s'imposent du jour au lendemain avec une brutalité inouïe et sans autre raison que d'accroître les profits, les revenus du capital. On ne peut pas tolérer, en démocratie, que les salariés, leurs emplois, leurs salaires ne soient traités qu'en simples variables d'ajustement.

En 1997, la gauche avait pris un certain nombre d'engagements pour favoriser une intervention nouvelle des salariés et de leurs organisations dans la gestion des entreprises. Plus près de nous, en novembre dernier, le parti communiste a demandé que les engagements de 1997 soient tenus, et a avancé des propositions dans ce sens.

Je ne prends qu'un exemple : nous sommes partisans de conférer aux comités d'entreprise un pouvoir suspensif des décisions patronales quand elles sont gravement préjudiciables à l'emploi. On conviendra que cette proposition n'a rien à voir avec je ne sais quelle « soviétisation »


page précédente page 10418page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

des entreprises.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Elle permettrait simplement aux salariés, aux citoyens - mais ce serait un immense progrès - de mettre un pied dans la gestion.

Nous ne proposons donc pas de dresser dogmatiquement l'Etat contre le marché, mais de les démocratiser tous deux.

M. Alain Cousin.

Thorez doit se retourner dans sa tombe !

M. Robert Hue.

Et la nécessaire démocratisation du marché exige que les citoyens y exercent des pouvoirs nouveaux et élargis, à côté de ceux dont le capital dispose absolument seul pour l'instant.

Il vient tout de suite à l'esprit, en évoquant le marché, la dimension planétaire qu'ont pris, ces dernières années, tous les problèmes de nos sociétés. C'est donc ce troisième point que je veux aborder à présent, celui des rapports de la nation au monde et de ce qu'ils impliquent.

Ce que l'on a coutume d'appeler « mondialisation » est l'expression de rapports nouveaux entre les peuples sous l'effet, notamment, des prodigieux bouleversements qu'entraîne la révolution informationnelle.

Mais ce mouvement est largement confisqué par les marchés financiers, à leur profit exclusif. Ils cherchent en permanence à affaiblir le pouvoir des nations et les constructions possibles qui en émanent - l'Europe en est une, une organisation différente de l'OMC en est une autre - qui permettraient de renforcer les pouvoirs des citoyens, au service du progrès social, de la démocratie et du partage des connaissances.

A l'inverse, leurs efforts s'accomplissent sur une base ultralibérale, régressive au plan social comme au plan démocratique. C'est ainsi qu'aujourd'hui 80 % des normes sous lesquelles nous vivons sont décidées à Bruxelles. Les citoyens n'en sont aucunement saisis et, pire encore, l'essentiel de ce qui s'élabore procède d'une démarche à laquelle ne participe que le pouvoir exécutif national, sous les contraintes imposées par les dogmes du libéralisme.

C'est la raison pour laquelle les communistes plaident avec tant d'insistance en faveur d'une profonde démocratisation des institutions européennes, tout particulièrement du Parlement ; la raison aussi pour laquelle nous souhaitons que les négociations qui engagent notre pays soient menées sur un mandat clair donné par les parlementaires français. Encore faut-il qu'ils aient la possibilité d'être véritablement consultés pour en définir le contenu.

Et ce qui vaut a priori pour le mandat, vaut également, a posteriori, quand il s'agit d'évaluer les termes des accords conclus.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, les députés communistes et apparentés vont voter contre les propositions de lois organiques qui seront soumises cet après-midi à la représentation nationale, et visent à inverser l'ordre des consultations électorales de l'année 2002.

Outre les raisons que j'ai déjà évoquées, j'ajoute celleci : il n'est pas bon - dans la situation de crise de confiance à l'égard de la politique que nous traversons d e vouloir faire jouer à l'Assemblée nationale un médiocre rôle au service de ce qui apparaît, avec raison, comme une mesure de circonstance.

M. Charles Miossec.

Très bien !

M. Robert Hue.

En revanche, il est urgent d'ouvrir le très vaste chantier de la modernisation et de la démocratisation de nos institutions et de la vie politique. C'est la seconde fois, en trois mois, que les attentes de nos concitoyens vont être déçues, de ce point de vue, si une majorité d'entre nous adopte l'inversion du calendrier.

Je le dis avec solennité : il est temps, grand temps, que notre assemblée se ressaisisse. Les communistes s'efforceront de contribuer de toutes leurs forces, à ce qu'il en soit ainsi, dans cette enceinte, bien sûr, mais aussi dans tout le pays, avec l'ensemble des citoyennennes et des citoyens, tant il est vrai que rien ne s'accomplira sans eux, à plus forte raison contre eux. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Valéry Giscard d'Estaing.

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, même si, comme cela est probable, y compris dans mon propre groupe, nous serons appelés à émettre des votes différents sur la proposition de loi organique qui nous sera présentée, cet après-midi, rien ne nous empêche, ce matin, de réfléchir ensemble à l'avenir de nos institutions.

Rien ne nous en empêche et tout nous y invite.

D'abord, c'est le rôle du Parlement. Chacun répète à l'envi qu'il faut restaurer les droits du Parlement. La première mesure, pour cela, est d'en faire l'enceinte normale des grands débats politiques de notre pays et le lien de réflexion sur les enjeux de son avenir. Tel est le cas aujourd'hui, puisque, avant de discuter cet après-midi des propositions de loi sur la date des élections législatives, débat qui prendra en compte les aspects tactiques et les enjeux politiques...

M. André Lajoinie.

Vous en connaissez un rayon !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

... nous avons, ce matin, un débat sur l'avenir des institutions. J'aurais aimé que ces deux débats fussent plus éloignés, pour nous laisser le temps de respirer, c'est-à-dire de réfléchir. Mais, ne chipotons pas, l'essentiel est que ce débat général ait lieu.

Il intervient dans une circonstance singulière : les hasards du calendrier politique inscrivent, pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, les élections législatives à une date précédant immédiatement celle de l'élection présidentielle. Cette configuration du hasard pose le problème des relations entre ces deux élections et, indirectement, la question du rôle du Président de la République dans la conduite de la vie politique de notre pays.

C'est pourquoi mon intervention portera sur trois points : la nature exacte de la situation où nous sommes placés, la signification de l'élection présidentielle dans la Ve République, et la relation entre la campagne présidentielle et la campagne législative.

D'abord la situation devant laquelle nous sommes placés est celle dans laquelle les élections législatives précé deraient immédiatement l'élection présidentielle, les deux campagnes se succédant sans discontinuité. Cette situation est sans précédent. Certains ont voulu évoquer le cas de 1973 : mais l'élection présidentielle normale devait avoir lieu en 1976, trois ans plus tard, et c'est seulement le décès du Président Pompidou, en avril 1974, qui en a avancé l'échéance.

(« Eh oui ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Et encore les deux consultations sont-elles restées éloignées de plus d'un an.


page précédente page 10419page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Je n'insisterai pas sur le rôle du hasard. Constatons seulement qu'il s'agit actuellement d'une coïncidence fortuite qui ne doit rien à la volonté du constituant ou du législateur.

A cet égard, soulignons d'abord, car ceci n'est pas indiqué clairement à l'opinion, que la date de l'élection présidentielle n'est nullement en cause : cette dernière aura lieu à la date fixée par la Constitution. Il n'y a aucune manipulation à cet égard, comme tend à le faire croire l'expression malheureuse d'« inversion des dates », selon laquelle on jonglerait avec les dates de ces deux élections comme avec des boules de billard. (Sourires.)

J'avais imaginé une expression plus « illustrative » encore, mais je ne la citerai pas. (Rires.)

Notons aussi que ces élections - et ce point n'a pas encore été évoqué dans les débats - mettront fin à la plus longue période de cohabitation de la Ve République, soit cinq années au total. Or les deux cohabitations précédentes, celles de 1986 et de 1993, ont été dénouées par une élection présidentielle. Il semble bien qu'il revienne à une élection présidentielle de mettre un terme à celle-ci.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean-Louis Debré.

Pourquoi ?

M. Pierre Lequiller.

Pourquoi pas une élection législative ?

M. Richard Cazenave.

C'est une pétition de principe !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Signalons enfin qu'on n'a pas attendu le dernier moment pour soulever ce problème : il a été évoqué à plusieurs reprises au printemps de l'an 2000 par des personnalités politiques, dont le président de l'UDF et je lui ai consacré un développement dans mon dernier essai politique remis à l'éditeur en juillet dernier. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean-Louis Debré.

Quel éditeur ?

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Rien ne vous empêche de le lire, monsieur Debré ! Plusieurs députés du groupe socialiste.

Il ne sait pas lire !

M. Julien Dray.

Il préfère lire San Antonio !

M. Patrick Devedjian.

Nous l'avons lu dans Le Monde hier !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Deux anciens Premiers ministres, Raymond Barre et Michel Rocard, ont soulevé publiquement cette question à l'automne.

M. Maxime Gremetz.

Comme par hasard !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Il s'agit de savoir si les élections législatives doivent avoir lieu juste avant ou juste après l'élection présidentielle.

Dans son intervention de jeudi dernier, le président Jacques Chirac s'exprimait ainsi : « Le problème est de savoir si dans l'esprit de nos institutions et pour le bon fonctionnement de celles-ci, l'élection présidentielle doit arriver d'abord et être suivie par les élections législatives.

Cette question se pose et on peut très bien défendre cette thèse. »

C'est la thèse que je défends (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) et je vais vous en donner les motifs. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.) Quel est en effet le sens de l'élection présidentielle ? Il tient à la fois à la place du Président de la République dans nos institutions et à la portée que l'opinion publique donne à son élection. Le rôle du Président est prééminent, au sens étymologique du terme. Cela ne signifie pas que son pouvoir soit absolu ou illimité. Cela indique simplement qu'il l'exerce au-dessus des autres pouvoirs, à l'exception du pouvoir judiciaire et dans les limites tracées par les lois.

Cette prééminence tient au fait que l'action du Président de la République doit prendre en compte la durée et assumer la globalité des intérêts de notre pays. Dans sa célèbre allocution du 20 septembre 1962, le général de Gaulle a déclaré que « le Président inspire, oriente, anime l'action nationale. Il est la clef de voûte de notre régime. » Il ne peut donc pas être rendu dépendant d'un

autre pouvoir.

C'est bien ainsi que l'opinion publique évalue le sens de l'élection présidentielle : il s'agit d'un moment de vérité collectif pour le pays, où il se prononce, après une campagne qui a pour fonction de l'éclairer, sur les grandes orientations de la vie nationale.

J'en viens au troisième point, la relation entre les deux campagnes : alors que la campagne présidentielle sert à fixer les grands objectifs, la campagne législative sert plutôt à déterminer les modalités de l'action.

M. Richard Cazenave.

C'est nouveau !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Ce n'est pas diminuer l'importance des élections législatives que de les définir ainsi. (Exclamations sur les bancs du groupe communiste.) Je sais que ce n'est pas votre thèse. Votre position est très cohérente ; elle explique d'ailleurs votre vote.

M. Maurice Leroy.

Cela ne les empêche pas de participer au Gouvernement !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Au cours de mon mandat présidentiel, les principales initiatives constitutionnelles que j'ai prises visaient d'ailleurs à affirmer le rôle du Parlement : instauration des questions hebdomadaires d'act ualité, saisine du Conseil constitutionnel par les membres du Parlement. Néanmoins, ces initiatives restaient compatibles avec la prééminence du rôle du Président de la République.

Or, imaginons, mes chers collègues, que la campagne des législatives précède de quelques semaines la campagne présidentielle. Elle serait conduite sur un programme élaboré par les partis politiques. Elle déboucherait sur un succès pour les uns et sur un échec pour les autres. Le parti qui aurait gagné élirait le président de l'Assemblée nationale et l'un de ses représentants serait appelé par le Président de la République à former le Gouvernement, un gouvernement pour moins de deux mois qui reprendrait à son compte le programme électoral approuvé par les électeurs. C'est alors que s'ouvrirait la campagne présidentielle. Quel pourrait être son contenu ? Pour le candidat du parti gagnant, il s'agirait d'expliquer qu'il appliquera le programme approuvé quelques semaines auparavant par les électeurs de sa majorité, autour duquel il se contenterait d'effectuer quelques faibles variations. Quant au candidat du parti perdant, il s'efforcerait d'élaborer un programme différent de celui qui aurait été défendu en vain par ses supporters. Il serait acculé à annoncer que s'il l'emporterait, il dissoudrait l'Assemblée nationale pour disposer d'une majorité lui permettant de tenir ses engagements.

M. Jean Ueberschlag.

Il y a eu un précédent !


page précédente page 10420page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Que deviendraient alors les grands débats entre les candidats, les tête-à-tête télé visés, qui permettent aux électeurs de se former un jugement sur les projets respectifs des deux candidats ? (Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Que leur resterait-il comme marge de proposition puisque les électeurs auraient déjà beaucoup tranché ? L'un se contenterait de répéter qu'il veillera à l'application du programme élaboré par les partis de sa majorité, l'autre dirait que les Français se sont trompés - ou plutôt qu'ils ont été trompés - et qu'il faut qu'ils reviennent sur le choix qu'ils ont effectué au moment des élections législatives.

Qui de vous, mes chers collègues, ne mesure la confusion qui en résulterait et l'abaissement concomitant du Président de la République dont le rôle se réduirait à ratifier, d'un côté, ou à contester, de l'autre, des orientations élaborées par les formations politiques ? Cela ne me paraît conforme, mes chers collègues, ni à la signification que le général de Gaulle a voulu donner à l'élection présidentielle, qui m'a valu de me séparer, pour le soutenir, de la formation politique à laquelle j'appartenais, ni à la lecture de la Lettre à tous les Français de François Mitterrand en mars 1988 dans laquelle il définissait, en dehors des références aux partis politiques, les objectifs détaillés de son action.

Prenons alors l'autre hypothèse, celle des élections législatives suivant l'élection présidentielle.

Les Français viennent d'élire leur Président. Ils ont donné la préférence à ses orientations, à son projet pour la France, aux initiatives qu'il a annoncées et aussi, dans une autre mesure, à sa stature présidentielle. Il reste à mettre en oeuvre cette politique. Le vote aux élections législatives va permettre d'en graduer les moyens : un vote massif facilitera une action rapide ; un vote plus réservé tracera des limites de prudence ou de crainte à l'action possible.

M. Patrick Devedjian.

Et s'ils sont contre ?

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Chacune des deux campagnes aura ainsi joué son rôle : la campagne présidentielle en permettant aux Français d'exprimer leur préférence quant à l'orientation à donner à la politique du pays sur les matières économiques et sociales, certes, mais aussi sur d'autres thèmes proposés par les candidats tels que le rôle de la France en Europe, les interventions extérieures ou le maintien de l'identité française, éventuellement l'évolution prudente de nos institutions ; la ou plutôt les campagnes législatives, puisqu'elles se déroulent dans le cadre du scrutin d'arrondissement, en donnant la mesure exacte du soutien des électeurs au projet de réforme et d'évolution du Président élu, soutien qui peut être massif, ou plus nuancé, ce qui conduira le Gouvernement en adapter les modalités et le rythme.

Un élément nouveau doit être pris en considération dans cette réflexion, mes chers collègues : l'adoption du quinquennat présidentiel en faveur duquel vous vous êtes prononcés le mardi 20 juin dernier par 466 voix contre

28.

M. Maurice Leroy.

Eh oui !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Désormais, la durée de la mandature présidentielle et celle de la législature parlementaire, la nôtre, seront identiques.

M. Jacques Baumel.

Hélas !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Cette identité de durée va faire sentir graduellement ses effets : les électeurs engloberont dans un même jugement ces deux durées.

On voit que le positionnement des électeurs pour les élections législatives s'effectuera en tenant compte du résultat de l'élection présidentielle. Celle-ci doit donc intervenir en premier lorsqu'elles sont voisines.

Mes chers collègues, le président Chirac a souhaité un débat d'ensemble sur l'avenir de nos institutions.

M. Richard Cazenave.

Oui, mais pas un débat à la sauvette comme ce matin !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Un tel débat est, en effet, utile, voire indispensable, car ce qui sera en question cet après-midi n'est rien de plus - mais rien de moins - que la rectification d'une anomalie de calendrier.

(« Bien sûr ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Murmuress ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Voici mon sentiment sur le fond du sujet.

La Ve République a donné à la France de bonnes institutions.

(« Merci ! » sur les bancs du Rassemblement pour la République.)

Nous devons les conserver. La primauté du Président de la République, que certains vont contester, à mon avis à tort, dans ce débat, la responsabilité politique du Premier ministre devant le Parlement, l'affirmation nécessaire du pouvoir législatif du Parlement, le droit de dissolution constituent un ensemble original et cohérent adapté à la psychologie et au comportement des Français.

Cet ensemble, comme toute construction humaine, a besoin d'être adapté, complété et, éventuellement, corrigé

Adapté, vous venez de le faire pour le quinquennat.

Complété, il est exact que le débat d'aujourd'hui n'épuise pas le sujet sur l'organisation future des élections. Celles-ci doivent-elles rester systématiquement rapprochées ? Peut-on envisager même de les fixer à la même date ? Les conséquences de la disparition d'un Président de la République en cours de quinquennat n'ont pas été étudiées.

Adapté, complété et éventuellement corrigé : je vise ici l'affirmation nécessaire du rôle législatif du Parlement et de son pouvoir de contrôle de l'action du Gouvernement.

Question difficile car il reste toujours dans notre vie politique des nostalgiques du régime d'Assemblée qui a fait s'écrouler la IVe République. Mais, avec le temps qui passe, le châtiment que la Ve République a infligé au Parlement pourrait, je crois, être atténué.

Ma dernière réflexion portera sur la méthode.

Si nous voulons réussir à améliorer nos institutions, procédons par touches successives. Gardons-nous des deux traits de caractère qui bloquent toute avancée dans ce domaine : la préférence pour la table rase, ou si l'on préfère le tout ou rien à défaut de faire le tout, on se contente de ne rien faire -, et la coupure trop profonde de la France en deux, qui rend difficile tout dialogue et la recherche de solutions bipartisanes.

Dans le pays de l'impressionnisme, mes chers collègues, agissons par touches successives. (Sourires.)

M. Philippe Auberger.

Nous sommes plutôt à l'ère du fauvisme !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Nous avons décidé le quinquennat, rétablissons l'ordre normal des élections pour 2002. D'autres viendront, après nous, compléter ce tableau.


page précédente page 10421page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Mes chers collègues, l'objet de ce débat n'est pas de persuader, mais de réfléchir ensemble. Mon intention, en intervenant, était d'essayer de vous faire partager mon expérience aux différents niveaux des institutions de la Ve République.

Je vous remercie de m'avoir écouté. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur quelques bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Maxime Gremetz.

Au revoir !

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les députés, j'aimerais aborder ce débat sur les institutions d'un point de vue plus général : celui de la crise du politique, de la crise de la démocratie qu'on ne peut appréhender à travers le seul débat institutionnel, quelle que soit l'importance de celui-ci. Ce qu'il est convenu d'appeler les « affaires » ne suffit pas à expliquer le désintérêt pour la chose publique, la montée de l'abstention, notamment dans les couches populaires, et l'émergence d'une démocratie censitaire de fait, qui guette aujourd'hui la République.

Le citoyen se sent mis à l'écart. Il a le sentiment d'une scène politique devenue théâtre d'ombres, parce que les hommes politiques ne se sont pas seulement inclinés devant la toute-puissance des marchés, ils ont abandonné la plupart des leviers de commande : pouvoir monétaire confié à une banque centrale européenne indépendante, politique budgétaire contrainte par des critères de convergence rigides, politique des impôts soumise à la concurrence du moins-disant fiscal dès lors que les mouvements de capitaux ont été libéralisés sans contrepartie, politique industrielle jetée bas par l'article 3 du traité de Maastricht qui proscrit toute mesure pouvant porter atteinte au

« principe d'une économie ouverte où la concurrence est libre », politique commerciale extérieure presque entièrement confiée à la Commission européenne, prolifération des directives et du droit dérivé européen s'imposant à la loi, même votée postérieurement, multiplication des autorités administratives indépendantes, judiciarisation de la vie politique et des rapports sociaux, primauté croissante du contrat sur la loi, mise hors jeu du Parlement, en cas d'intervention extérieure. La liste des abandons est longue, et j'aimerais vous faire constater, mesdames, messieurs les députés, que tous ont été consentis.

Que reste-t-il de l'article 3 de la Constitution aux termes duquel « Le principe de toute souverainté réside essentiellement dans la Nation » ? Que reste-t-il de l'article 6 selon lequel « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourrir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous » ? Les tenants du droit sans Etat, fondé sur le contrat et la jurisprudence, triomphent, laissant le champ libre aux marchés et à la loi du plus fort. Faut-il évoquer le pouvoir d'adaptation législative qui serait confié à une assemblée territoriale, (

« Hélas ! », sur quelques bancs du groupe R assemblement pour la République ) pour parfaire la description du déclin de la loi sous notre République ? Chacun le comprend, aucune république ne peut vivre sans principes.

Pour comprendre la crise du politique, il faut enfin évoquer la substitution d'une démocratie d'opinion à la démocratie citoyenne. Nous savons tous combien il est difficile de gouverner sous la pression des médias de masse et des sondages.

Dans l'univers de la communication, on ne parle plus de grand dessein ni de choix de société. Une bulle médiatique chasse l'autre, comme nuages dans le ciel, et tout l'art de gouverner dans les démocraties dites « avancées » semble bien souvent se résumer à l'art du démineur. Un ancien Premier ministre a cru jadis pouvoir théoriser une pratique moderne de la démocratie, en affirmant sans rire qu'aucun gouvernement n'était fondé à aller dans un autre sens que celui de l'opinion, telle que la mesurent les sondages. La « sondagiste » sacrifie ainsi le long terme.

Cette première maladie des gouvernements modernes se double d'une seconde, la « bougite » : ils se croient obligés de bouger en permanence, pour répondre à la demande insatiable de médias toujours assoiffés de nouvelles, croyant pouvoir ainsi échapper à l'accusation d'immobilisme.

J'observe d'ailleurs que la contestation elle-même ne porte plus de projets. Elle participe en profondeur de ce qu'elle prétend refuser : un monde qui a renoncé à se gouverner lui-même, au profit d'un ajustement permanent entre les actions des uns et les réactions des autres, ce qu'en termes modernes on appelle la « régulation ».

Je vous fais observer que tout se passe comme si la régulation tendait à remplacer la République, que je définis comme la capacité à se gouverner soi-même, selon les exigences d'un intérêt général librement débattu. L'élection n'a plus ainsi qu'une lointaine fonction de légitimation.

Sommes-nous condamnés, mesdames, messieurs les députés, à une démocratie d'apparences, les décisions réelles qui engagent le long terme échappant de plus en p lus aux gouvernants ? Le philosophe britannique Eric Hobsbawn a comparé les gouvernements modernes à des poulpes cachés derrière un nuage d'encre afin de donner le change aux électeurs.

Pour en venir à la France, la cohabitation qui brouille les responsabilités contribue encore plus à anesthésier le débat. Or il n'y a pas de démocratie sans débat d'idées, sans confrontation de projets. Et pour redonner aux citoyens le goût de la politique ce sera là l'essentiel de mon propos -, il faut les faire juges directement des grandes questions qui intéressent leur avenir. On ne vaincra pas le consumérisme civique en exhortant les citoyens à prendre dix minutes de leur temps pour aller voter, mais en repolitisant le débat publique. Il faut que le dépositaire de ce bien inaliénable qu'est la souvraineté selon Rousseau, c'est-à-dire le peuple, soit mis en mesure de l'exercer.

Et pour cela, il faut remettre le citoyen au coeur des institutions, en rendant son efficacité au suffrage universel. Aussi bien seul un ressourcement dans le peuple, une forme de démocratie semi-directe peuvent donner à l'exécutif la légitimité nécessaire pour résister à la pression quotidienne des sondages et des médias de masse, pour agir conformément à l'intérêt général.

Comment redonner aux citoyens la capacité d'influer sur le cours des choses ? Il faut refaire de l'élection du Président de la République très clairement l'élection directrice.


page précédente page 10422page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

On ne reviendra pas sur l'élection au suffrage universel du Président de la République, tout simplement parce que les Français y voient un élargissement de la citoyenneté, en ce qu'elle institue la responsabilité du Chef de l'exécutif devant le peuple.

Quant au Parlement, il faut revaloriser son rôle et j'y viendrai dans quelques instants.

Le Président n'est plus un arbitre depuis 1965. Il faut renoncer à l'illusion d'un retour durable au régime parlementaire ou à la pérennisation de la cohabitation qui, en institutionnalisant la rivalité de deux têtes de l'exécutif, conduit bien souvent à ce que les affaires de l'Etat soient traitées non plus en elles-mêmes, mais à travers le prisme de cette rivalité.

C'est cette responsabilité devant le suffrage universel de celui qui a vocation à tracer les grandes orientations de la politique nationale qui est l'apport déterminant de la Ve République à la démocratie.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Eh oui !

M. Jean-Pierre Chevènement.

Comment comprendre que ceux qui se réclament de l'héritage de la pensée du général de Gaulle puissent ne pas reconnaître cette évidence ? L'élection présidentielle est le moment structurant de notre vie politique. Il faut donc que l'élection présidentielle au suffrage universel intervienne avant l'élection législative. Il faut que le citoyen soit placé le plus souvent en position d'influer sur le cours des choses, d'où l'importance également du référendum, y compris d'initiative populaire dès lors que, comme le suggérait M. Tricot, serait requise une majorité d'électeurs inscrits. Il faut remettre la souveraineté populaire au coeur de nos institutions - c'est le moyen de rétablir une démocratie vivante - et, pour cela, il nous faut, naturellement, sortir de la cohabitation.

L'instauration du quinquennat a répondu au souci de réduire les risques de cette cohabitation. Seule l'intervention de l'élection présidentielle avant les élections législatives, conforme à l'esprit des institutions, peut donner sens à la réforme du quinquennat qui a été votée par le peuple.

N'instituons pas la confusion des pouvoirs en principe cardinal de nos institutions. Il faut permettre au suffrage universel d'exprimer des choix clairs, de déterminer qui gouverne, qui légifère et contrôle, et qui s'oppose. C'est cela une République moderne.

D'aucuns diront que, quand la présidentielle précède immédiatement les législatives, ces dernières tendent à confirmer le choix initial. Certes. Mais y a-t-il risque que les petits partis soient laminés par cette logique majoritaire ? Ce disant, je me tourne vers nos amis communistes.

M. Maxime Gremetz.

Eh oui !

M. Jean-Pierre Chevènement.

Si les législatives doivent normalement confirmer la présidentielle, celles-ci peuvent néanmoins permettre aux différents partis d'affirmer leur influence au premier tour de l'élection présidentielle et de défendre ainsi leur représentativité aux élections législatives suivantes.

Comme l'a écrit le doyen Vedel : « Le premier tour des présidentielles donne une chance exceptionnelle aux petits partis d'exister, de percer et de se renforcer, infiniment plus que des législatives éclatées et soumises aux pesanteurs locales. Le premier tour présidentiel s'apparente ainsi à un scrutin proportionnel. Chacun y vote pour celui qui est le plus proche de ses préférences, sans trop se soucier d'utilité. »

La présidentielle avant les législatives conforte ainsi la cohérence majoritaire mais n'empêche pas le pluralisme, nous le savons bien. Ce qui l'entrave bien davantage c'est le carcan majoritaire qui fait d'emblée les députés prisonniers du soutien au gouvernement qu'implique le caractère parlementaire de nos institutions.

Et c'est là-dessus qu'il faudra revenir en évoluant progressivement vers un régime plus présidentiel, seul à même de permettre la revalorisation du rôle du Parlement. Je ne ferai qu'évoquer quelques corrections qu'il conviendrait de faire au présidentialisme majoritaire : réforme en cours de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances, suppression de la limitation à six du nombre des commissions permanentes pour permettre la c réation d'une commission des affaires européennes capable de contenir et de contrôler l'inflation du « droit européen dérivé », modification de l'article 55 de notre Constitution pour limiter la supériorité des traités sur les lois aux seules lois votées avant la ratification desdits traités. Il me paraît souhaitable d'aller plus loin, et d'évoluer progressivement vers un régime plus présidentiel.

Nous savons qu'avec le quinquennat et la logique majoritaire qu'il induit, le gouvernement sera de facto responsable devant le Président de la République. Nous avons connu cette situation dans le passé. La responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée nationale devra tomber en désuétude, mais, en contrepartie, la dissolution devrait impliquer la remise en jeu simultanée du mandat des députés et du mandat du Président.

Ainsi seraient évités les risques de blocage souvent allégués pour écarter le régime présidentiel tel qu'il fonctionne aux Etats-Unis. Il y aurait une soupage de sûreté.

C'est dans une logique voisine que s'inscrivait, je le rappelle, l'amendement, déposé par Georges Sarre et les députés du MDC lors du débat sur le quinquennat, obligeant le Président de la République à démissionner s'il était explicitement désavoué par l'Assemblée élue après une dissolution. Ainsi, le gouvernement ne dépendrait plus de l'Assemblée mais du Président. L'Assemblée ne craindrait plus la dissolution qui n'interviendrait qu'en cas de conflit majeur où le peuple serait rendu juge. Le Parlement pourrait alors mieux exercer ses pouvoirs d'initiative et de contrôle. Dans ce cadre, on pourrait également instiller une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif dans la mesure où le Gouvernement aurait cessé de procéder du Parlement.

C'est donc par une méthode de glissements successifs que nous pourrions, de manière pragmatique, trouver un meilleur équilibre entre un Gouvernement qui gouverne et un Parlement qui débatte, légifère et contrôle tandis qu'en dernier ressort, il reviendrait aux citoyens de trancher.

La modification de l'ordre des échéances électorales n'est pas plus un « ajustement » que ne l'était l'instauration du quinquennat présidentiel. C'est un deuxième pas dans la bonne direction : celle d'une démocratie rendue aux citoyens et à la volonté du peuple.

Les députés du MDC, qui voteront cette modification, ne se dissimulent pas qu'elle rendra plus urgente et plus nécessaire encore une révision constitutionnelle encadrant notamment les conditions d'exercice du droit de dissolution. Nous attendons sur ce sujet, monsieur le Premier


page précédente page 10423page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

ministre, l'exposé de vos vues sur la place à donner au Parlement dans nos institutions car c'est un vrai problème.

Nous ne dissimulerons pas davantage que le renouveau de la démocratie dans notre pays dépasse largement les problématiques institutionnelles : il implique que les hommes politiques affirment des projets à long terme, proposent de véritables alternatives et pas de simples alternances, s'attachent à reprendre en mains les leviers de commande qu'ils ont laissé échapper, bref qu'ils s'attachent en tous domaines à relever l'Etat républicain.

Tel est le projet de notre mouvement. C'est dans cet esprit que nous nous prononcerons pour une élection présidentielle intervenant avant les élections législatives, non pas par intérêt de boutique, mais tout simplement parce que cela nous paraît conforme à l'intérêt public et à une démocratie vivante. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

Je rappelle aux orateurs que, lorsque la barrette disposée sur le pupitre clignote, le temps imparti est écoulé. (Sourires.)

La parole est à M. Alain Madelin.

M. Alain Madelin.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues : « Je suis pour l'inversion du calendrier (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) parce que je veux que Jospin gagne les présidentielles...

M. François Hollande.

Arrêtez-vous là ! Vous n'avez jamais été aussi bon ! L'essentiel est dit.

M. Alain Madelin.

Tout ce qui affaiblit la droite est bon.

M. Patrick Devedjian.

Cohn-Bendit !

M. Alain Madelin.

... Donc, il faut inverser le calendrier. C'est l'intérêt de Lionel Jospin. Il faut être franc en politique. »

Ces propos, on s'en sera, je l'espère, douté, ne sont pas les miens. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste). Ce sont ceux qu'a prononcés Daniel Cohn-Bendit dans un moment de franchise, il y a quelques jours, à la télévision.

M. Hervé Morin.

Voilà les références de Madelin maintenant !

M. Alain Madelin.

D'ailleurs, votre ministre de l'équipement, des transports et du logement, Jean-Claude Gayssot, s'il se refuse à parler de magouille - solidarité gouvernementale oblige - ne dit pas autre chose lorsqu'il reconnaît qu'il peut effectivement y avoir une manoeuvre.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Et il est vrai que cette modification du calendrier électoral que vous nous proposez aujourd'hui et qui nous vaut ce débat a toutes les apparences d'une manipulation électorale.

M. Claude Goasguen.

Eh oui !

M. Alain Cacheux.

Comme en 1997 ?

M. Alain Madelin.

En octobre dernier, monsieur le Premier ministre, vous affirmiez devoir conduire votre mission jusqu'aux élections législatives, pour ne parler des élections présidentielles qu'après les élections législative s. Un mois plus tard, voici que vous proposez de repousser les élections législatives. Vous étiez contre. Vous voici pour. C'est un changement si rapide qu'il laissa le site Internet de votre parti, le parti socialiste, afficher encore quelque temps la position officielle qui était jusqu'alors la vôtre. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-alliance) et qui tenait en cette phrase :

« Pas question pour nous de demander une modification que nos concitoyens pourraient considérer comme une modification de circonstance ou de convenance. »

Modification de convenance ! Vous avez dit convenance ? (Sourires.

)

Comment expliquer un tel revirement ? Par un souci de clarté, avez-vous dit. Pourtant, on murmure, on dit, on écrit que cette modification du calendrier serait en fait votre riposte à la demande écrite de retrait - d'ailleurs justifiée - des farines animales que vous a faite le Président de la République et dont la forme publique vous aurait déplu ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Plusieurs députés du groupe Démocratie libérale et indépendants.

Eh oui !

M. Alfred Recours.

Quel débat d'idées !

M. Alain Madelin.

Je n'ose y croire, monsieur le Premier ministre. Ce serait si petit ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. René Dosière.

Elevez le débat !

M. Alain Madelin.

On explique, on raconte, qu'il s'agit là d'un coup monté, avec la participation, bienveillante pour les uns, involontaire pour les autres - dans les couloirs de Strasbourg - d'une petite fraction de l'opposition.

M. René Dosière.

C'est un roman feuilleton !

M. Alain Madelin.

Je n'ose pas davantage l'imaginer : ce serait si trouble au moment où vous nous parlez de clarté.

Je ne saurais d'ailleurs mettre en cause, bien évidemment, les convictions des uns et des autres lorsqu'elles sont réfléchies et sincères.

Mais, dans votre cas, monsieur le Premier ministre, je crains de pouvoir affirmer que cette modification du calendrier électoral n'est pas l'affirmation d'une grande conviction mais le résultat d'un petit calcul d'intérêt.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Oui ! votre intérêt, comme l'a dit crûment Daniel Cohn-Bendit qui, à l'instar du patriarche de Constantinople au IVe siècle, joue au sein de votre majorité plurielle le rôle de saint Jean Bouche d'or.

(Rires et applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Je veux bien convenir, monsieur le Premier ministre, que le hasard et les circonstances nous ont fabriqué pour le printemps 2002 un curieux calendrier électoral. J'avais moi-même parlé, il y a quelque temps, du bogue des élections de 2002. Mais nous avons une tradition républicaine, une vertu républicaine, qui veulent que l'on mette le calendrier politique et la loi à l'abri des manipulations de circonstance. Et les questions posées par ce calendrier, renforcées par l'adoption du quinquennat, ne sauraient à mes yeux trouver leur solution dans la seule prolongation de quelques semaines du mandat de notre assemblée.


page précédente page 10424page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Nous avons dit « oui » au quinquennat. Notre « oui - n'était pas un point d'arrivée », mais plutôt un point de départ. Pas un « oui » sec, pas un « oui », point final, pas un oui, pour solde de tout compte.

M. Jean-Marc Ayrault.

Un « oui mais » !

M. Alain Madelin.

C'était un « oui », disions-nous alors, pour aller plus loin ; un « oui » pour ouvrir le chemin à d'autres réformes institutionnelles. Nous étions en effet convaincus que poser la question de la durée du mandat présidentiel nous amènerait inéluctablement à nous poser la question de la nature du pouvoir présidentiel et de la nécessité de redistribuer et de rééquilibrer les pouvoirs trop concentrés au sommet de l'Etat.

Et le débat sur l'avenir de nos institutions, que nous aurions dû avoir au moment du quinquennat,...

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Tout à fait !

M. Alain Madelin.

... voici qu'il s'ouvre aujourd'hui, je dirai : enfin ! Non pas sur le fond, hélas ! pour éclairer une réforme d'avenir, mais par commodité, pour accompagner une modification que vous qualifiiez, il y a un mois à peine, « de circonstance ou de convenance ».

Ce débat nécessaire, c'est celui de la reconstruction des institutions modernes d'une France moderne, et l'on ne saurait le limiter à l'adoption du quinquennat en septembre et à la modification du calendrier électoral en décembre. Une modification qui, nous dit-on, doit nous permettre de « revenir aux origines de la Ve République », de retrouver « l'esprit de nos institutions ». Curieux débat, curieux chassé-croisé où l'on voit les héritiers du gaullisme être contre, quand les héritiers de Lecanuet et de Mitterrand sont pour ! (Sourires sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme Christine Boutin.

En effet !

M. Alain Madelin.

Quant à moi, héritier de la tradition de séparation et d'équilibre des pouvoirs, du courant républicain, libéral et indépendant,...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Et de l'extrême droite !

M. Alain Madelin.

... j'ai la conviction qu'un tel retour aux sources de la Ve ne constituerait pas aujourd'hui un progrès, mais un recul. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Au moment où nous devrions faire plusieurs pas en avant sur le chemin de la modernisation de nos institutions, voici que nous ferions un pas en arrière.

Les institutions de la Ve République, faut-il le rappeler, ont été forgées dans des circonstances historiques exceptionnelles, celles de 1958, à la mesure d'une personnalité exceptionnelle, celle du général de Gaulle. Mais depuis, le monde a évolué,...

M. Michel Françaix.

Mais pas Madelin !

M. Alain Madelin.

... la société a évolué, nos institutions elles-mêmes ont évolué. Et ce n'est pas remettre en cause les vertus des institutions de la Ve République que de dire que le modèle d'origine ne constitue pas un modèle d'équilibre des pouvoirs satisfaisant pour la France d'aujourd'hui.

M. Alfred Recours.

Et le RPR applaudit ?

M. Alain Madelin.

Car les institutions de la Ve République sont aussi celles qui ont permis le développement de cette extraordinaire concentration des pouvoirs au sommet de l'Etat, si caractéristique de ce que l'on appelle « le mal français » et sans équivalent dans aucune autre démocratie. L'Elysée, Matignon, l'administration, l'Assemblée nationale et même la justice et la télévision au tout début de la Ve République, tous ces pouvoirs en une seule main ! Certes, une telle concentration des pouvoirs correspond à un moment compliqué de l'histoire dans un monde de guerre froide. Certes, cette concentration a été tempérée, au plan politique, par les vertus de nombreux présidents de la Ve République,...

M. Jean-Pierre Baeumler.

Cinéma !

M. Alain Madelin.

... mais elle a entraîné une confiscation des pouvoirs par la haute administration. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Franck Borotra.

Très bien !

M. Alain Madelin.

C'est ainsi que la France a été de plus en plus étatisée. On a ajouté les lois aux lois, les règlements aux règlements, les impôts aux impôts, les dépenses aux dépenses, les fonctionnaires aux fonctionnaires.

M. Jean-Pierre Baeumler.

Et les cumuls aux cumuls !

M. Alain Madelin.

Super-Etat à l'efficacité décroissante, incapable de se réformer lui-même, « l'absolutisme inefficace », diagnostiquera et écrira Jean-François Revel.

M. Jean-Claude Beauchaud.

Cumulard !

M. Alain Madelin.

« Omnipotence présidentielle » dont François Mitterrand restera le symbole, ce symbole si bien décrit par Alain Peyrefitte que je ne résiste pas au plaisir de vous citer : « La présidentialisation progressive du régime s'est faite omnipotence, l'Elysée interfère dans toutes les décisions, il forme un obscur super-gouvernement, dont les compétences sont d'autant plus envahissantes qu'elles ne sont nulle part définies. Au pouvoir que lui donne la Constitution, le chef de l'Etat a ajouté l'autorité qu'il détient sur le parti dont il a su faire sa chose. La liberté de manoeuvre de l'Elysée est sans limite ; on ne connaît rien de tel dans les grandes démocraties : la France est devenue au fil des temps une monarchie, élective, certes, mais quasi absolue. La toute-puissance à l'abri de l'irresponsabilité. L'Etat touche à tout... Jamais on a vu pareille colonisation sous la Ve République. L'esprit de parti est le parti du président. » C'est là le portrait des

institutions de la Ve République sous François Mitterrand, dépeint par Alain Peyrefitte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République.)

Certes, nos institutions ont évolué au fil du temps. La justice a affirmé son indépendance. Le Conseil constitutionnel est venu borner le pouvoir du législateur. Le droit européen s'est imposé. Des autorités indépendantes de régulation - n'en déplaise à Jean-Pierre Chevènement se sont affirmées.

Enfin et surtout, la cohabitation est venue changer la nature de nos institutions.

A la lecture présidentielle des institutions, celle qui faisait dire au général de Gaulle : « N'employez pas l'expression chef du Gouvernement pour parler du Premier ministre, le chef du Gouvernement, c'est moi. Car le Gouvernement procède de mon choix, il n'agit que moyennant ma confiance. » A cette conception-là a suc-

cédé, avec la cohabitation, une lecture plus parlementaire de notre Constitution, qui donne sa pleine dimension à


page précédente page 10425page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

son article 20 : « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation », confinant en période de cohabitation le Président de la République dans un rôle accessoire et un domaine réservé.

Au terme d'une troisième cohabitation, il est temps que nos institutions trouvent le moyen d'un meilleur équilibre et nous évitent de passer ainsi d'un extrême à l'autre.

Il est temps aussi de remettre en question cette centralisation excessive du pouvoir de l'Etat qui apparaît d'autant plus insupportable et archaïque que la France s'ouvre sur le monde et sur l'Europe et que les vieilles structures autoritaires, hiérarchisées, jacobines, craquent de toutes parts, remises en cause par une nouvelle société et une nouvelle économie.

La crise que nous vivons n'est pas une crise de la société française. Celle-ci est pleine de vitalité. C'est essentiellement une crise politique, la crise de tout un système de pouvoir et de décision aujourd'hui usé, incapable de se réformer et qui suscite la défiance.

M. Maurice Leroy.

Très bien !

M. Alain Madelin.

Oui, une crise de défiance face à une classe politique qui apparaît trop souvent coupée de la vie, repliée sur elle-même, face à un Gouvernement dont la quasi-totalité des membres sont issus de la fonction publique,... (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. François Hollande.

Pas le Président de la République ?

M. Alain Madelin.

... face à un Etat qui semble trop souvent assurer le triomphe des intérêts particuliers sur l'intérêt général et renoncer à faire respecter la loi, face à une corruption que l'on croit généralisée et des abus de bien public qui ne trouvent jamais ni responsable ni coupable.

Si nous voulons que cette démocratie de défiance fasse place à une démocratie de confiance, il nous faut mettre fin aux excès et aux dérives de cette concentration des pouvoirs, mieux séparer et équilibrer les pouvoirs, les redistribuer vers les citoyens, les collectivités locales, les partenaires sociaux.

Voilà les vrais enjeux d'une vraie réforme des institutions. Et convenez, monsieur le Premier ministre, que face à de tels enjeux, alors que nous changeons de siècle, de monde, d'économie et qu'il nous faut changer d'institutions, il y aurait de votre part un vrai manque d'ambition, un vrai manque de vision à nous proposer seulement de changer la date des élections.

J'entends bien, au-delà du calcul d'intérêt qui est le vôtre, les arguments qui, chez d'autres, plaident en faveur d'une telle modification. On dit nécessaire, dans une situation de concomitance de fait des calendriers électoraux, législatifs et présidentiels, de donner la priorité au choix présidentiel. Mais vouloir que l'élection législative suive l'élection présidentielle, n'est-ce pas prendre le risque d'absorber la majorité législative par la majorité présidentielle, et donc de renforcer la confusion des pouvoirs au risque d'aggraver le mal français ?

M. Gilbert Gantier.

Eh oui !

M. Alain Madelin.

Et vouloir de surcroît pérenniser, organiser la confusion des élections législatives et présidentielles comme le proposent certains, n'est-ce pas à coup sûr organiser, pérenniser cette confusion des pouvoirs ? Au reste, dans l'histoire de la Ve République, nous n'avons connu cette situation - élection présidentielle suivie des élections législatives - que deux fois, à l'initiative de François Mitterrand, en 1981 et 1988. Et je ne pense pas que, dans un cas comme dans l'autre, en dehors même de toute considération politique, nous ayons à nous féliciter des conséquences institutionnelles d'un tel choix : l'omnipotence présidentielle et partisane dont parlait Alain Peyrefitte.

M. Jacques Blanc.

Très bien !

M. Alain Madelin.

On dira aussi que ce nouveau calendrier est de nature à écarter les risques d'une nouvelle cohabitation. On peut le penser, mais c'est présumer du choix des Français. Et il y aurait, me semble-t-il, quelque illusion à prétendre vouloir forcer leur choix par une astuce de calendrier.

Oui, répétons-le, le véritable enjeu institutionnel est ailleurs : redistribuer les pouvoirs, mieux les séparer, mieux les équilibrer.

Il ne s'agit pas d'inventer d'idéales institutions mais, à partir de notre pratique et de notre réalité constitutionnelles, de modifier l'impressionnisme dont parlait le président Giscard d'Estaing, de modifier nos institutions sur tel ou tel point afin de les moderniser.

Deux modèles viennent à l'esprit.

Nous devons, disent les uns, nous doter d'un vrai régime présidentiel, à l'instar des Etats-Unis, c'est-à-dire un exécutif autour du Président,...

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Alain Madelin.

... un exécutif qui ne puisse être renversé par le Parlement, un Parlement puissant qui ne puisse être dissous, un droit de veto du Président et la disparition du poste de Premier ministre. Une telle révolution institutionnelle est-elle souhaitable ? Est-ce possible ?

M. Yves Durand.

Non !

M. Alain Madelin.

Conviendrait-elle à la France ? Je ne le pense pas.

Le régime présidentiel à l'américaine est lié à un système bi-partisan étranger à notre tradition, lié aussi à une culture de l'Etat de droit et à une pratique des contrepouvoirs qui nous font aujourd'hui défaut.

D'autres avancent que nous devrions revenir à un vrair égime parlementaire, à l'instar de l'Allemagne, de l'Angleterre ou de l'Italie, où le véritable chef de l'exécutif est issu des élections législatives. Dans cette hypothèse, le Président de la République, qui resterait élu au suffrage universel - comme en Finlande ou au Portugal -, verrait cependant ses pouvoirs limités, réduit à des fonctions protocolaires et représentatives, son rôle essentiel consistant à tirer les leçons des échéances électorales en nommant le Premier ministre, et le Premier ministre représenterait seul la France au Conseil européen.

Je pense cependant que si le régime parlementaire n'est pas en soi une mauvaise chose, il a toujours été en France, comme l'a noté le président Valéry Giscard d'Estaing, « un régime faible, du fait de la division de la majorité et du poids des coalitions ». Un gouvernement parlementaire entreprend rarement chez nous de grandes réformes. C'est pourquoi nous avons dû changer au moment de la décolonisation et des grandes crises institutionnelles de la Ve République. Au moment où la France a tant de réformes à accomplir, après tant de retard, je ne pense pas qu'elle puisse s'accommoder d'un pouvoir politique à faible capacité d'action.


page précédente page 10426page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Oui, comme vous l'avez noté, monsieur le président,

« le convoi politique français a besoin d'être tiré par une locomotive ».

Dès lors que nous avons fait le choix d'élire le Président de la République au suffrage universel, dès lors que nous refusons tant l'omnipotence présidentielle que le régime parlementaire qui condamne le Président à l'impuissance, il nous faut trouver la voie d'un régime présidentiel équilibré à la française.

Mme Christine Boutin.

Très bien !

M. Alain Madelin.

Et je voudrais ici brosser rapidement le tableau de cette modernisation de nos institutions : un président qui préside, un gouvernement qui gouverne et qui collabore avec le Parlement pour l'élaboration de la loi, un Parlement qui légifère et qui contrôle, une justice indépendante et impartiale, des collectivités locales responsables, un droit plus clair et plus léger qui laisse une plus large part au contrat.

Première modernisation : retrouver l'unité de l'exécutif.

Sous la Ve République, l'essence même du pouvoir présidentiel, c'est d'éclairer les Français sur leur destin et les grands choix auxquels ils se trouvent confrontés, de tracer un futur souhaitable, un futur possible et de définir une orientation dont il est le garant.

L'élection présidentielle n'est pas l'affaire des partis politiques, disait le général de Gaulle. Quoi qu'il en soit, elle les transcende. Elle permet la constitution d'un rassemblement ouvert qui déborde les frontières traditionnelles des partis politiques. Car le Président de la République se doit d'être respectueux de la diversité française,...

M. Patrick Lemasle.

Il faut le lui dire !

M. Alain Madelin.

... garant de l'unité de la nation, du respect de l'Etat de droit, et de la cohésion sociale, gardien des institutions et des grands principes de la République.

C'est pourquoi la sagesse, la tradition et notre pratique de la fonction présidentielle veulent qu'on distingue celle-ci de la fonction de Premier ministre.

Dans cette perspective, le Président nomme toujours, bien sûr, le Premier ministre - le premier des ministres et le Gouvernement, en conformité avec les orientations qu'il a définies et qui l'ont fait élire, afin d'assurer la nécessaire unité du pouvoir exécutif.

Cette unité du pouvoir exécutif ne signifie pas pour autant que le Président commande l'action du Gouvernement au quotidien. S'il doit inspirer, conseiller le Gouvernement, il doit aussi, bien évidemment, le laisser agir.

Il serait sage de donner de la souplesse à nos institutions et de continuer à laisser aux hommes, à leur tempérament, aux circonstances et au moment de l'histoire le soin de définir les rôles respectifs du Président et du Premier ministre.

Car l'histoire nous apprend qu'il y a, dans la vie des sociétés, des périodes de remise en ordre et des périodes de remise en cause. L'autorité politique suprême, celle du Président, remplit tantôt une fonction d'arbitrage, tantôt une fonction d'entraîneur. Saint Louis rendant la justice sous son chêne, Bonaparte entraînant la victoire au pont d'Arcole (Rires sur les bancs du groupe socialiste), pour reprendre la distinction imagée de Bertrand de Jouvenel, ces deux formes de pouvoir ont chacune leur vertu. Dans le premier cas, il s'agit de consolider l'ordre social, une fois celui-ci fondé. C'est là une mission d'équilibre où l'on demande à l'autorité politique des qualités de sagesse, une capacité de conciliation et d'apaisement. Dans le second, on exigera de l'autorité qu'elle fasse davantage preuve d'ardeur et de capacité d'entraînement pour fonder des choses nouvelles. Ainsi, les qualités que l'on demande à ceux qui ont à conduire le destin d'un pays varient selon les moments de l'histoire. Tantôt on verra le Président de la République davantage entraîneur, tantôt on le souhaitera davantage arbitre.

M. François Goulard.

Très bien !

M. Alain Madelin.

Deuxième modernisation : équilibrer les relations Parlement-Gouvernement.

Un régime présidentiel équilibré, c'est celui qui sait organiser la coopération entre les deux grands pouvoirs issus du suffrage universel. D'un côté, le Gouvernement qui procéderait du seul Président de la République, de l'autre, l'Assemblée nationale, qui doivent être associés sur un pied d'égalité, à la confection et à l'adoption des lois à la manière de la co-décision législative européenne. Dans cette perspective, le Parlement verrait ses moyens de contrôle renforcés, l'opposition mieux associée, quant au rôle du Sénat, qui ne saurait être une assemblée législative bis, il devrait être revalorisé dans sa contribution à la confection de la loi et à l'ouverture du nécessaire chantier de la recodification de nos lois.

Reste la question du droit de dissolution et du droit de censure qui devraient disparaître ou être limités. Et si des conflits importants venaient à surgir entre le pouvoir exécutif et le Parlement, il reviendrait aux Français de les trancher, le cas échéant, par référendum.

Troisième modernisation : assurer une justice indépendante et impartiale, car un régime présidentiel équilibré, c'est encore l'affirmation d'une justice indépendante et impartiale, ce qui pose le problème de son recrutement, de sa formation et de ses contre-pouvoirs de contrôle,...

M. François Goulard.

Eh oui !

M. Alain Madelin.

... une justice que l'on ne saurait réduire à l'application pure et simple de la loi, et qui doit, pour une part, être considérée comme une source de droit à part entière.

Quatrième modernisation : redistribuer les pouvoirs vers les collectivités locales et les partenaires sociaux.

Un régime présidentiel équilibré, c'est un régime qui sait redistribuer les pouvoirs.

M. François Loncle.

Et le cumul !

M. Alain Madelin.

Oui, il faut équilibrer le pouvoir central par le pouvoir donné aux régions. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Didier Boulaud.

Il n'a pas voté la loi sur la décentralisation et il nous donne des leçons !

M. Alain Madelin.

Vouloir une vraie régionalisation, donner vie au principe de libre administration des collectivités locales inscrit dans la Constitution suppose une pleine dévolution de blocs de compétence dans un grand nombre de domaines à nos collectivités régionales.

Cette dévolution doit s'accompagner de ressources fiscales propres, à rebours de la confiscation aujourd'hui engagée, et d'un « pouvoir normatif » délégué, ni législatif ni réglementaire, un pouvoir normatif.

Oui, il faut aussi équilibrer le pouvoir de l'Etat, n'en déplaise toujours à M. Jean-Pierre Chevènement, en donnant aux partenaires sociaux un vrai espace de liberté contractuelle, ...


page précédente page 10427page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Hervé de Charette.

Très bien !

M. Alain Madelin.

... leur donner la possibilité de définir, dans le cadre de lois générales, leurs propres règles du jeu, en fonction des réalités locales, économiques et professionnelles.

Voilà, monsieur le Premier ministre, comme vous nous y avez invités en organisant ce débat sur l'avenir de nos institutions, quelques pistes pour demain.

J'ai bien conscience que mettre en chantier les institutions modernes d'une France moderne, que définir un régime présidentiel équilibré à la française sont des tâ ches difficiles qui nécessitent de longs débats au-delà de cette courte matinée que vous nous avez offerte.

Je sais que de telles réformes exigent de rassembler, audelà des clivages politiques, et qu'il nous faut convaincre les Français de la nécessité de telles réformes pour, le moment venu, obtenir leur aval au moyen d'un ou plusieurs référendums.

Aujourd'hui, le chantier est ouvert, et, que le calendrier électoral soit bousculé ou non, voilà un débat qui, n'en doutons pas, sera au coeur du rendez-vous de la prochaine élection présidentielle. Dommage, monsieur le Premier ministre, que ce chantier, vous n'ayez cru devoir l'ouvrir qu'à la faveur de ce qui est, de ce qui reste pour vous un calcul politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, il ne s'agit pas aujourd'hui de défendre devant vous un simple report de date d'élections générales, il ne s'agit pas, dans l'esprit de ceux qui déposent une proposition de loi organique, de modifier sans plus de réflexion ni de signification tel ou tel élément d'un calendrier politique, pour la raison simple que notre calendrier institutionnel ne saurait être ramené à une seule question d'agenda.

Cette modification a une fonctionnalité, une utilité et une portée politique. Il s'agit, je le crois profondément, d'orienter l'avenir de nos institutions pour conforter notre démocratie.

Cette remise dans le bon sens de notre calendrier électoral n'est donc pas une fin en soi et n'épuise pas, après l'adoption par le peuple du quinquennat, le sujet de l'évolution de nos institutions. C'est justement l'occasion d'engager une réflexion et je me réjouis que notre assemblée y consacre ce matin un premier débat d'orientation.

D'aucuns diront qu'il s'agit d'un débat d'experts ou de spécialistes, passionnant certes, mais loin des préoccupations des Français. Je n'en crois rien. Le désintérêt supposé des Français pour la politique, la hausse de l'abstention lors des consultations électorales et plus récemment lors du référendum sur le quinquennat sont les signes d'un vrai malaise qui trouve sa source dans un mauvais fonctionnement de notre démocratie, et ce phénomène n'est pas propre à la France.

Notre devoir et notre ambition, c'est bien de répondre à cette exigence démocratique : les citoyens peuvent-ils encore peser sur les décisions qui les concernent, leur vote a-t-il encore un sens et la politique, l'action publique, peut-elle encore peser sur le cours des choses ? Chacun sait que, dans nos sociétés contemporaines, la complexité des mécanismes qui régissent la vie économique, sociale et civique est telle que bien des citoyens s'interrogent, non sans justesse, sur la pérennité et la solidité du lien social qui nous unit et, au bout du compte, sur la valeur démocratique, le sens des institutions qui nous représentent et dans lesquelles nous devrions nous reconnaître pleinement.

A mon sens, le devoir essentiel du politique consiste à adapter sans cesse l'appareil démocratique à l'attente démocratique. Pourquoi avoir une conception impériale et figée des institutions de la République ? Pourquoi les considérer comme des reliques que nous aurions pour seul devoir de préserver ou de vénérer alors que la vie nous montre elle-même que, sans bouleverser les textes, de nouvelles pratiques s'imposent ? Il s'agit bien pour nous d'apporter une pierre nouvelle dans la construction permanente et nécessairement renouvelée d'une démocratie vivante et moderne.

Pour travailler aux liens indispensables de confiance qui doivent unir l'électeur aux élus, les priorités me paraissent être aujourd'hui claires : lisibilité, crédibilité, efficacité, équité. C'est à ce prix que nos institutions conserveront et développeront leurs attraits et leurs valeurs sans lesquels notre République ne serait plus qu'une collection de consommateurs individualistes rassemblés sous le drapeau indistinct du marché.

Notre république moderne doit, à une époque de communication instantanée, être avant tout lisible. La compréhension de nos institutions est un devoir exigeant mais incontournable. Il est crucial que le citoyen puisse faire une claire lecture de notre ordre institutionnel contemporain.

Aujourd'hui, nous ne pouvons limiter notre réflexion à nos seules institutions nationales et centrales. C'est l'ensemble des quatre niveaux de décision qu'il faut prendre en compte : la nation et le local, l'Europe et le monde.

On parle de mondialisation, de globalisation. Assurément, au niveau mondial, de grands traités internationaux, et les institutions qui les font fonctionner l'ONU, l'OMC, le FMI, l'OMS... - influent sur notre vie quotidienne.

Peu à peu, notre planète s'organise, se donne des règles, pas toujours satisfaisantes, souvent imparfaites, mais qui sont autant de prémices d'un ordre mondial dont il faudra bien que la démocratie s'empare si l'on ne veut pas en confier l'irresponsable souveraineté aux forces de l'argent ou à la prédominance des puissants.

M. Richard Cazenave.

Et tout cela va être affecté par l'inversion du calendrier électoral ?

M. Jean-Marc Ayrault.

A nous d'ouvrir la voie à une meilleure représentation des peuples du monde, en poussant la porte de ces institutions, sans en laisser le monopole à des exécutifs technocratiques ou à des contestataires marginaux et violents. La naissance d'une opinion publique mondiale en montre l'urgence et la nécessité.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. Richard Cazenave.

Il suffit d'inverser le calendrier et on va tout régler ?

M. Jean-Marc Ayrault.

Le deuxième niveau est celui du regroupement des nations. En Europe, bien des progrès ont été accomplis depuis le traité de Rome de 1957. En un peu plus de quarante ans, les nations du vieux continent ont su construire une zone de paix, de prospérité et un espace social minimum.

Le choix essentiel entre une zone douanière et un regroupement d'Etats-nations a été fait, mais, à la veille de son élargissement et de la mise en place de l'euro,


page précédente page 10428page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

même si le traité de Nice est un bon accord et a permis non seulement de préserver l'essentiel mais aussi d'obtenir de nouvelles avancées, l'Union européenne doit conférer à ses institutions plus de légitimité populaire, une meilleure représentation des citoyens, une réelle dimension sociale, culturelle et politique, au risque sinon de créer une véritable crise de confiance dans l'Europe.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. Richard Cazenave.

Ce n'est pas brillant !

M. Jean-Marc Ayrault.

Le niveau national est assurément le mieux connu de nos concitoyens. Même si les Français ne rêvent pas de grand soir institutionnel, veillons à rendre nos institutions plus lisibles et plus compréhensibles. La question du calendrier des élections relève d'abord de ce souci de clarté et de cohérence.

(« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Les Français sont attachés à deux réalités institutionnelles : l'élection au suffrage universel direct du Président de la République et la stabilité gouvernementale, mais ils sont également demandeurs d'un rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement.

(« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Aucune grande formation politique ici représentée ne souhaite remettre en cause l'élection au suffrage universel direct du Président de la République,...

M. François d'Aubert.

Ça, c'était Mitterrand !

M. Jean-Marc Ayrault.

... quels que soient les choix faits en 1958 et en 1962, mais la fonction présidentielle doit éviter deux écueils : la dérive autoritaire et monarchique des débuts de la Ve République, et la concentration du pouvoir exécutif à l'Elysée lorsque le Président dispose d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale.

M. François d'Aubert.

C'est Mitterrand !

M. Jean-Marc Ayrault.

Nous devons donc trouver la voie vers une autre conception, celle d'un président citoyen, comme l'avait proposé Lionel Jospin en 1995 (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste), et, en réduisant la durée du mandat présidentiel à cinq ans, nous avons commencé à le faire - un président citoyen proche des préoccupations quotidiennes des Français...

M. Richard Cazenave.

Chirac !

M. Jean-Marc Ayrault.

... responsable des grandes orientations politiques du pays, respectueux des rôles du Gouvernement et du Parlement,...

M. Richard Cazenave.

Chirac !

M. Jean-Marc Ayrault.

... garant de l'impartialité de l'Etat, de la cohésion sociale, du respect de la liberté et de l'indépendance de la justice.

M. Richard Cazenave.

Chirac !

M. Jean-Marc Ayrault.

Cette conception d'un président citoyen ne peut s'accommoder d'une immunité absolue, héritée d'une autre époque, sous peine de créer une situation d'exception, source d'un véritable malaise et d'un malaise durable. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

Le droit de dissolution doit être strictement limité. Un président citoyen ne saurait user de son droit de dissolution pour des raisons de convenance personnelle ou en f onction de considérations purement tacticiennes.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

Mme Odette Grzegrzulka.

Chirac, monsieur Cazenave !

M. Jean-Marc Ayrault.

Le droit de dissolution ne peut être qu'un instrument permettant à la France de sortir d'une situation de crise, d'éviter une paralysie de ses institutions. Son usage ne peut, ne doit être qu'exceptionnel.

Mais si les Français sont attachés à la fonction présidentielle, ils sont attentifs à la capacité du Parlement à les représenter, sensibles, au fond, à l'équilibre des pouvoirs. Certains ont même cru voir un moment dans la cohabitation une réponse à cette attente. En tout cas, si c'est une réponse, c'est une fausse réponse ou une réponse de circonstance, qui montre que les choses ne peuvent rester en l'état.

Le parlementarisme rationalisé, poussé à l'extrême, n'est plus de mise aujourd'hui : le poids du pouvoir exécutif est trop fort.

La pratique parlementaire du gouvernement de Lionel Jospin depuis trois ans et demi montre qu'une autre perspective est possible...

M. François d'Aubert.

Par exemple, la transposition par ordonnance de cinquante directives communautaires !

M. Jean-Marc Ayrault.

... qui ne met en péril ni la stabilité gouvernementale ni l'existence d'une majorité et qui permet de gouverner notre pays. La suppression pure et simple de l'article 49-3 de la Constitution est non seulement possible mais souhaitable, comme celle du vote bloqué. Pour l'avenir, la question de l'instillation d'une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif est posée (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), afin de permettre une meilleure représentation de la diversité politique de notre pays.

Davantage de moyens de contrôle et d'évaluation, davantage d'initiatives propres : le Parlement a montré ces derniers temps son efficacité, et les Français l'ont appréciée, mais c'est sans doute à travers la réforme de l'ordonnance de 1959 et de la procédure budgétaire, proposée par notre collègue Didier Migaud, rapporteur général du budget, que le Parlement retrouvera une vraie crédibilité par rapport au pouvoir exécutif et que sera amorcée, j'en suis sûr, une véritable réforme du fonctionnement de l'Etat.

Cependant, cela ne suffira pas à redonner au citoyen pleinement confiance dans nos institutions.

Au niveau local, si l'élection municipale permet un choix en toute clarté, je ne suis pas sûr que le citoyen soit au fait des responsabilités propres confiées à la région, au département et désormais aux agglomérations. Les lois de décentralisation de 1982 ont montré la voie nouvelle et efficace que nous devons désormais poursuivre par de nouveaux transferts de responsabilités et la clarification des compétences entre les différents niveaux de collectivités, l'affectation à chaque échelon local d'un impôt spécifique et autonome,...

M. René Dosière.

Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault.

... l'amélioration de la démocratie de proximité.

La décentralisation - certains ici en veulent encore plus mais ils l'ont refusée en 1982...

Mme Odette Grzegrzulka.

Ils ont voté contre, ils sont étouffés dans leurs contradictions !

M. Jean-Marc Ayrault.

Après tout, tout le monde peut évoluer ! La décentralisation, l'expérience l'a montré, est une source de dynamisme, de progrès et de participation


page précédente page 10429page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

citoyenne. Alors, pas seulement sur la Corse mais sur toutes les autres questions liées à la décentralisation, abordons cette deuxième étape avec audace, et surtout confiance dans les capacités de la République, et je me réjouis, monsieur le Premier ministre, que le Gouvernement ait prévu de consacrer à cette grande question un débat à l'Assemblée nationale en janvier.

Mais les institutions n'auront la confiance durable des citoyens que si elles garantissent durablement le pacte républicain : garantir les droits mais aussi en conquérir de nouveaux, de nouvelles libertés, de nouvelles sécurités.

Chacun se souvient des grandes conquêtes des septennats de François Mitterrand : l'abolition de la peine de mort,...

M. Didier Boulaud.

Bravo !

M. Jean-Marc Ayrault.

... la suppression des juridictions d'exception,...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault.

...la libéralisation des radios et des télévisions.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Oui !

M. Jean-Marc Ayrault.

Il est loin le temps où Alain Peyrefitte, ministre de la communication du général de Gaulle, dictait de son bureau de ministre le texte du journal télévisé du soir au rédacteur en chef de l'ORTF.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Monsieur Madelin, vous avez de drôles de témoins de moralité !

M. Jacques Baumel.

Tout le monde n'a pas Mitterrand !

M. Jean-Marc Ayrault.

Ajoutons des droits nouveaux, des libertés nouvelles, des droits sociaux, des droits humains comme le RMI, les 35 heures, la CMU, la parité, la présomption d'innocence et l'indépendance de la justice, le pacte civil de solidarité, les droits des femmes, la sécurité alimentaire, la protection des citoyens contre les dérives de l'informatique ou la révision des lois bioéthiques,...

Mme Odette Grzegrzulka.

C'est nous !

M. Jean-Marc Ayrault.

... le droit de vote des étrangers aux élections locales.

Mme Odette Grzegrzulka.

C'est nous !

M. Jean-Marc Ayrault.

Des avancées qui sont déjà acquises et d'autres qui sont devant nous. C'est lorsque les institutions de la République sont concrètement au service des citoyens qu'ils en perçoivent le sens et l'efficacité et qu'ils ont confiance dans leur utilité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Mes chers collègues, j'arrive à ma conclusion.

M. Francis Delattre.

Quel souffle !

M. Jean-Marc Ayrault.

Que seraient nos institutions sans l'arrivée de nouveaux acteurs, hommes et femmes, représentatifs de la diversité de la société française ? Qu'il soit politique, économique ou administratif, il nous reste à ouvrir le « cercle enchanté » du pouvoir afin qu'il ne soit plus l'apanage quasi exclusif de deux ou trois filières de recrutement, ou plutôt d'autorecrutement. Le système actuel permet à un nombre très limité, trop limité de personnes de passer des grandes écoles au service de l'Etat,...

Mme Odette Grzegrzulka.

Eh oui !

M. Jean-Marc Ayrault.

... de l'Etat aux grandes entreprises publiques ou privées ou à la politique, voire au monde des médias et réciproquement. Rude tâche, sans doute la plus difficile, mais nécessaire. Cet état de fait, assez rare dans les grandes démocraties, donne le sentiment aux citoyens qu'il existe une sorte de caste accaparant le pouvoir, les rendant impuissants à peser sur les décisions qui les concernent.

M. Jean-Marc Ayrault.

La parité et ses progrès, le statut de l'élu, qui reste à réaliser pleinement, une nouvelle étape de la décentralisation, accompagnée d'une nouvelle étape de la limitation du cumul des mandats, une nouvelle conception de la formation, tout cela, j'en suis sûr, peut y contribuer.

En 1996, les socialistes avaient intitulé leur convention nationale consacrée à l'avenir de nos institutions « les acteurs de la démocratie ». Cela signifiait qu'il s'agissait bien de rendre leurs pouvoirs aux citoyens. Dans ce débat, c'est bien de cela qu'il s'agit et de rien d'autre.

Oui, redonner du sens à l'action politique, voilà l'exigence à laquelle nous devons répondre car, comme le disait si bien Pierre Mendès France il y a près de cinquante ans, « la République doit se construire sans cesse car nous la concevons comme éternellement révolutionnaire à l'encontre de l'inégalité, de l'oppression, de la misère, de la routine des préjugés, éternellement inachevée tant qu'il reste un progrès à accomplir ».

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Renaud Donnedieu de Vabres.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, le débat d'aujourd'hui ne doit pas être un débat pour certains d'entre nous. Il doit se tenir pour les Français, pour leur avenir. Il ne doit pas être centré sur la carrière présidentielle de certains.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. Jean-Pierre Baeumler.

Ca commence mal !

Mme Odette Grzegrzulka.

Nous ne sommes pas aux

« Guignols de l'info » !

M. Patrick Lemasle.

C'est dur pour Chirac, ce que vous dites là !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Dans quelques jours, nous allons tourner la page du siècle, avec son cortège de réussites économiques et sociales, de tragédies, de barbaries, de guerres, de morts, de performances scientifiques, de lâchetés humaines. Il nous revient aujourd'hui de définir l'esprit du siècle nouveau, sur le plan politique.

Mme Odette Grzegrzulka.

Restez modeste !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Il nous faut garder ce qui est solide dans la Constitution de 1958, revue en 1962, mais également refonder, redéfinir, rénover ce qui peut apparaître comme les archaïsmes d'un système impuissant.

Oui, mes chers collègues, nous devons avoir à coeur, dans ce débat, de renouer le lien entre la politique et le citoyen, de redéfinir des lieux d'efficacité. Lequel d'entre nous, quelle que soit sa position dans l'hémicycle, ne souffre pas de ce que la politique soit aujourd'hui considérée comme une activité marginale et parfois impuissante ? Le peuple français entre dans le nouveau siècle avec des exigences légitimes, des questions lancinantes, éternellement formulées, et qui ne sont pas réglées, qui sont même différées, voire oubliées.


page précédente page 10430page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Mme Odette Grzegrzulka.

C'est le blues de l'UDF !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Oui, nous devons en quelque sorte restaurer la primauté ou la priorité de l'action politique pour la rendre efficace.

Certes, nous savons parfaitement qu'aux yeux des Français, le débat institutionnel n'apparaît pas comme une priorité. Ils attendent légitimement des résultats concrets dans leur vie quotidienne et ne voient pas forcément le lien entre les questions institutionnelles et l'action immédiate menée à leur profit. Mais redéfinir les termes de l'efficacité de l'action politique mérite mieux qu'un débat d'une matinée, improvisé et forcément escamoté. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

La politique doit redevenir le lieu de l'efficacité.

M. Jean-Pierre Baeumler.

Il n'a rien à dire ! Ce sont des lieux communs !

M. Patrick Lemasle.

C'est du blabla !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

C'est pourquoi nous devons penser à de nouvelles architectures. Commençons d'abord par ne jamais utiliser, en parlant de nous-mêmes, le terme de « classe politique ». Mes chers amis, nous sommes des porte-parole.

M. Patrick Lemasle.

Des porte-parole ou des porteurs de valise ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Nous devons être un lien entre les citoyens et ceux qui prennent des décisions et qui agissent.

Mme Odette Grzegrzulka.

Faites votre travail au lieu de nous donner des leçons !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Donc, n'utilisons jamais ce terme de « classe politique » : nous ne sommes pas les membres d'un ghetto, mais des porte-parole.

Mme Christine Boutin.

Très bien !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

La question des institutions, elle se pose. Et il peut paraître parfaitement l égitime de choisir ce moment pour y répondre.

Après 1958, après 1962, il y a eu la réforme de l'an 2000, c'est-à-dire l'instauration du quinquennat.

M. Patrick Lemasle.

Justement !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

L'adoption du quinquennat...

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

... peut être une étape féconde, à condition d'être prolongée par une vraie réflexion sur la nature du régime qu'il suppose. Et là, mes chers collègues, nous sommes face à une alternative : soit le régime présidentiel, soit le régime parlementaire renforcé et modifié.

Le régime présidentiel, pour que ce soit clair vis-à-vis de nos concitoyens, suppose un seul exécutif, un président et un vice-président, et une réelle séparation des pouvoirs. Eventuellement, à ce moment-là, l'élection présidentielle peut précéder l'élection législative ou lui être concomitante. Voilà les principes du régime présidentiel.

M. François Goulard.

Il a raison.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Mais annonçons la couleur : si c'est dans cette direction que l'on va, faisons-le, mettons-le en pratique.

On peut aussi préférer, parce que l'on considère que c'est dans l'esprit français, s'en tenir au régime parlementaire. Et à ce moment-là, le primat de l'élection parlementaire exige qu'elle précède l'élection présidentielle ou, en tout cas, qu'elle en soit déconnectée.

M. François Sauvadet.

Très bien !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Alors, le calendrier actuel, avec l'antériorité de l'élection législative, ne peut pas nous choquer.

Dans les deux cas de figure, ce qui rassemble aujourd'hui les députés de l'UDF, qui sont divisés,...

M. Jean-Pierre Baeumler et M. Patrick Lemasle.

Ce n'est pas nouveau !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

... c'est le souci du rééquilibrage des pouvoirs. Ils reconnaissent tous cette nécessité, qui implique un renforcement des pouvoirs du Parlement, ainsi que des pouvoirs locaux. Nous pensons, les uns et les autres, que la démocratie moderne pour le nouveau siècle, c'est un homme, une équipe, un projet, mais ce sont aussi des contre-pouvoirs puissants.

M. François Goulard.

Oui !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

C'est également la clarification des responsabilités : il faut qu'on sache exactement qui, aujourd'hui, est responsable, et de quoi, au niveau européen, au niveau national et au niveau local.

Oui, nous appelons de nos voeux une nouvelle architecture des pouvoirs, qui respecte davantage les droits de l'opposition, par un recours plus fréquent aux commissions d'enquête et aux missions d'information, qu'elle doit avoir la possibilité juridique de déclencher, même si elle n'en assume par la présidence.

Mme Christine Boutin.

Très bien !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Mes chers collègues, le choix de la date est en fait le choix d'un système : définissons-le une fois pour toutes. Le débat de ce matin ne tranche pas cette question.

Monsieur le Premier ministre, sur ce beau sujet, auquel nous devons, les uns et les autres, essayer de faire réfléchir nos concitoyens, je dois malheureusement vous dire que la pratique politique de votre gouvernement contredit d'une certaine manière...

Mme Odette Grzegrzulka.

Laquelle ?

Mme Nicole Bricq.

Oui, de quelle manière ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

... la sincérité de votre démarche. Si vous aviez voulu un débat serein, vous auriez annoncé cette initiative non pas devant le congrès d'un parti, le vôtre - ce qui est tout à fait légitime -, mais en tant que Premier ministre, en liaison avec le Président de la République, directement concerné par cette réforme.

Mme Odette Grzegrzulka.

Il n'a rien dit et rien fait sur cette question !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Vous auriez invité à Matignon chacun des chefs de parti disposant d'un groupe à l'Assemblée nationale ou au Sénat, pour ouvrir le dossier de la réforme des institutions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants).

Si nous souhaitons, les uns et les autres, des droits renforcés pour le Parlement, force est de constater, dans votre pratique politique, que la position que vous avez prise, au nom du Gouvernement, concernant l'UNEDIC, concernant l'intervention française au Kosovo, concernant la gestion de la cagnotte, n'a pas été précédée par un vote. C'est pourtant cela, le contre-pouvoir parlementaire.

C'est cela, la légitimité que nous devons incarner.


page précédente page 10431page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Mme Christine Boutin et M. Edouard Landrain.

Très bien !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Nous devons p ouvoir, dans des débats cruciaux, prendre nos responsabilités.

Mme Odette Grzegrzulka.

Paroles ! Paroles !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Et sur le Kosovo, monsieur le Premier ministre, nous ne vous aurions pas fait défaut ! Et il serait apparu clairement, notamment aux yeux des soldats français engagés dans ce conflit, que sur certains sujets majeurs, nous savons parfaitement nous réunir. On ne peut donc pas nous accuser de sectarisme.

M. Patrick Lemasle.

Oh si !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Le débat qui s'ouvre ce matin, tel qu'il est conçu, n'entravera pas la dérive présidentialiste de votre démarche.

M. Patrick Lemasle.

Lieu commun !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

C'est la raison pour laquelle un certain nombre d'entre nous...

Mme Odette Grzegrzulka.

Un petit nombre d'entre vous !

M. Jean-Pierre Baeumler.

Minoritaires !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

... et comme vous le savez, non pas l'intégralité du groupe parlementaire auquel j'appartiens,...

M. Patrick Lemasle.

Et pas les meilleurs !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

... refusons de nous associer à ce que nous qualifions de manoeuvre, dictée par les impératifs de votre agenda politique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Patrick Lemasle.

Vous ne respectez même pas les décision de votre congrès !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

La logique de nos institutions, pour y revenir, c'est celle du choc frontal, de l'affrontement entre deux blocs, projet contre projet.

L'esprit de 1958, c'est le deuxième tour de l'élection présidentielle, qui voit, de par la loi constitutionnelle, deux candidats, deux projets s'affronter. Il y a donc une logique de la majorité et une logique de l'opposition.

Mme Nicole Bricq.

C'est la démocratie, ça !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

S'opposer, d'une certaine manière, est conforme à l'esprit de notre Constitution. Indépendamment de l'impératif politique, c'est un impératif constitutionnel.

Alors, oui, nous affirmons aujourd'hui avec sérénité notre détermination à préparer une alternative au socialisme...

Mme Odette Grzegrzulka.

On attend toujours vos projets !

M. Patrick Lemasle.

Vous avez du travail !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

... avec ouverture d'esprit, mais avec réalisme et dans un lieu solide avec nos partenaires. A ceux-ci, je dis qu'il n'y a pas de la part du groupe UDF de solidité à éclipse.

Mme Odette Grzegrzulka.

Ce n'est pas le débat. Nous ne sommes pas là pour régler vos comptes !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Oui, mes chers amis, nous avons à préparer l'alternative au socialisme.

Fixer une date, c'est satisfaire une convenance personnelle. Fixer un principe de rénovation politique, c'est poser la pierre angulaire d'une nouvelle architecture constitutionnelle, pour redonner sens à l'action politique.

Mme Christine Boutin.

Très bien !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

A l'image des Français, nombreux sont ceux qui, à l'UDF, ne croient pas que vous soyez, monsieur le Premier ministre, l'architecte des temps nouveaux. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Bernard Charles, pour dix minutes.

M. Bernard Charles.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes conviés aujourd'hui à réfléchir sur l'avenir de nos institutions. Je dois vous dire, monsieur le Premier ministre, que les radicaux attendaient avec impatience que cette question fasse l'objet d'un débat au sein de notre assemblée. En effet, nous étions restés sur notre faim, si je puis dire, lors du vote du quinquennat : peu d'échanges, pas de possibilité d'amendement.

M. Hervé de Charette.

C'est tout à fait vrai ! Et le Premier ministre n'en était d'ailleurs pas le seul responsable !

M. Bernard Charles.

La séance de ce jour fera oublier, je l'espère, ce défaut de démocratie lié à la cohabitation.

Cette discussion a commencé il y a longtemps, mais elle s'est accélérée lors du vote sur le quinquennat. Monsieur le Premier ministre, vous avez eu raison d'ouvrir ce débat. De grandes personnalités politiques, comme le président Giscard d'Estaing, comme les anciens Premiers ministres Raymond Barre et Michel Rocard, des partis de la gauche plurielle, tels le PRG et le MDC, en déposant des propositions de loi, ont publiquement exprimé, comme de nombreux constitutionnalistes, leur volonté de reconsidérer l'ordre des élections. Ce n'est pas une modification de circonstance qui nous est proposée, c'est un travail législatif qu'il est nécessaire d'engager. Voilà pourquoi le débat d'aujourd'hui ne peut être qualité, comme cela a été fait par de précédents orateurs, d'« opportuniste » ou de débat « de convenance personnelle ».

Nous le disons depuis plusieurs années, il est nécessaire d'engager une vaste réforme de nos institutions, c'est-àdire la création d'une VIe République.

M. Jean-Pierre Defontaine.

Tout à fait !

M. Bernard Charles.

Compte tenu de notre histoire, nous portons en Europe et dans le monde un héritage fort, la Révolution française et l'instauration de la République. Et nous lui sommes redevables d'un devoir tout particulier face à un idéal jamais achevé. Force est de constater que les valeurs fondatrices et le sens de l'intérêt général n'apparaissent pas authentiquement réalisés. La force des intérêts particuliers pèse excessivement sur la puissance publique. En outre, les Français, comme les Européens, sentent confusément que le déclin de la puissance publique signifierait le retour en force des inégalités, ainsi qu'une régression des valeurs démocratiques et du principe de laïcité.

M. Jean-Pierre Defontaine.

Très bien !


page précédente page 10432page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Bernard Charles.

L'essoufflement du modèle institutionnel de la Ve République, que chacun peut constater, avec notamment les pesanteurs liées à la cohabitation, appelle des réformes institutionnelles qui soient à la hauteur du besoin de modernisation de notre République.

Face à un sentiment d'usure qui affecte notre pays, une refondation républicaine s'impose.

« Rien n'est plus dangereux qu'une idée quand on n'a qu'une idée », affirmait Alain. Naturellement, la question du calendrier électoral, qui est à l'origine de cet échange, semble bien étroite face aux enjeux qui viennent d'être présentés. Pour autant, elle ne se résume pas à la recherche d'un meilleur ajustement calendaire. Nous devons trouver une réponse adaptée au blocage des mécanismes de la démocratie représentative, une réponse capable de valoriser l'exercice du pouvoir.

Il nous faut aujourd'hui décider de l'ordre le plus clair, le plus logique, afin d'élire pour cinq ans, à quelques semaines d'intervalle, le Président de la République et les représentants des Français. J'aurais pu dire : en même temps.

M. Jean-Pierre Defontaine.

Très bien !

M. Bernard Charles.

Car, en réalité, peu de jours séparent les deux élections dans le calendrier actuel. C'est cela qui pose vraiment problème. Nous allons, dans chaque mairie, dans chaque bureau de vote, mobiliser sur une courte période des milliers d'élus et de citoyens, des moyens financiers et humains considérables pour élire nos représentants, et le premier d'entre eux, le Président de la République.

J'ai noté avec satisfaction que le Président Giscard d'Estaing, dans une analyse récente, a jugé que la solution la plus satisfaisante et la plus conforme aux exigences de la modernité depuis l'adoption du quinquennat présidentiel serait en réalité que les deux élections aient lieu à la même échéance.

M. Jean-Pierre Defontaine.

Très bien !

M. Bernard Charles.

Un seul rendez-vous électoral pour composer une équipe légitimée, chargée de diriger la France pour cinq ans, serait en effet une innovation radicale dans notre vie politique. Cela est cohérent avec un régime présidentiel qui exige un exécutif fort et un législatif libre. Ce régime présidentiel doit en effet garantir l'expression du Parlement. Il doit organiser l'exercice du pouvoir exécutif tout en rendant plus claire l'action législative.

Nous avons déposé une proposition de loi qui prévoit le même jour, et pour cinq ans, l'élection du Président de la République, des députés et des sénateurs. Cela doit s'accompagner de nouvelles pratiques au Parlement, à commencer par la procédure budgétaire qui doit redevenir d'initiative parlementaire.

Au nom de l'équilibre des pouvoirs, la disparition du droit de dissolution et celle du droit de censure s'imposent aussi. Nous pensons également que cette réforme doit conduire à supprimer le poste de Premier ministre.

Mais je vous rassure, monsieur le Premier ministre, je n'ai aucune vocation à devenir le Raoul Villain de cette Assemblée. (Sourires.)

Aujourd'hui, il est donc pour nous question de l'avenir en nous décidant à faire un nouveau pas vers le régime présidentiel, le premier ayant été, hier, l'adoption du quinquennat. Outre les raisons énoncées tout à l'heure, cela rendrait plus probable une majorité parlementaire en cohérence avec le chef de l'Etat. Mais aussi, sur le plan de l'efficacité démocratique, cette réforme pourrait, en diminuant le nombre des consultations, favoriser le taux de participation des Français aux élections.

Comme ce texte n'a pas encore l'accord d'une majorité des partis de cette assemblée, les députés PRG du groupe RCV voteront, monsieur le Premier ministre, le report de la date d'expiration des pouvoirs à l'Assemblée nationale.

M. Jean-Pierre Defontaine.

Très bien !

M. Bernard Charles.

Nous estimons en effet que cette inversion du calendrier électoral permet déjà un rétablissement logique de l'ordre institutionnel et constitue en cela une avancée positive.

Mes chers collègues, plus de quarante années après la création de la Ve République, le vaste chantier de la rénov ation institutionnelle est inéluctable. Les radicaux l'attendent impatiemment. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, bien sûr que la crise morale est là, et bien là. Elle est même la torture quotidienne des élus que nous sommes tous, en lutte contre la défiance, contre le discrédit, quand ce n'est pas le mépris de nos concitoyens. Elle traduit la fin de l'indifférence institutionnelle des Français, qui ont recommencé soudain à réfléchir sur cette question qu'ils avaient abandonnée à leurs dirigeants il y a quarante ans.

Ils ont compris désormais qu'il ne suffit plus d'organiser l'alternance dans les urnes pour obtenir des changements de pratiques. Ce régime autoritaire, il faut bien le dire, d'inspiration bonapartiste, a digéré les alternances depuis vingt ans en ramenant tous les gouvernements, quels qu'ils soient, aux mêmes méthodes, aux mêmes décisions - à quelques nuances près -, à la même pratique gouvernementale, peut-être aux mêmes échecs et, plus grave, aux mêmes sanctions.

Ce fut, à votre honneur, monsieur le Premier ministre, de prendre de hautes et saines mesures pour tenter d'inventer une nouvelle pratique. Votre circulaire du 6 juin 1997, qui réglementait, entre autres, le cumul des mandats de vos ministres et organisait plus que ne le prévoit la Constitution le dialogue avec le Parlement et la société, reste pour moi, pour de nombreux de nos collègues et de nombreux citoyens de France, fervents républicains, un bel acte de rupture. Mais peut-on réformer quarante ans d'abus par une circulaire ? Peut-on déplacer des montagnes avec une plume d'oie solitaire ? Chacun, ici et ailleurs, a bien compris qu'il ne suffit plus, tous les cinq ans, de changer de disquette dans l'ordinateur institutionnel : il faut désormais s'attaquer au disque dur de l'organisation des pouvoirs ! Pendant trop d'années, les gaullistes - les vrais - ont réussi à enfermer les adversaires de la Ve République dans l'inévitable retour à la IVe . Ne l'ayant pas connue pour ma part, je crois possible des solutions intermédiaires institutionnelles nouvelles et douces, à la portée de nos mains modestes.

Nos concitoyens, il est vrai, sont aujourd'hui littéralement assoiffés de démocratie. Ils exigent davantage de délibérations, de discussions avant la prise de décision. Ils demandent des contre-pouvoirs là où il n'existe que confusion des pouvoirs. Ils réclament des possibilités de


page précédente page 10433page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

contrôle et de participation pour infléchir le cours des décisions publiques, participation pour eux-mêmes dans et sur l'action publique là où, précisément, le pouvoir leur est confisqué, souvent sans partage.

Nos échecs institutionnels - les nôtres, ceux de la présente législature, monsieur le Premier ministre - sur la réforme du cumul des mandats bloquée par le Sénat ou sur la réforme de la justice bloquée par la droite parlementaire nous montrent qu'il faut désormais se tourner vers la population et faire avec elle et pour elle les grandes et lourdes réformes qui ne pourront se réaliser que si l'on enjambe le corporatisme des professionnels du pouvoir, que nous donnons, à tort et tristement, l'impression d'être.

Plus loin encore et selon cette méthode, il faudra aussi réfléchir à l'opportunité de remettre en cause l'élection au suffrage universel du Président de la République. Je crois qu'elle est la cause de la grande désolation que connaît aujourd'hui notre pays : c'est elle qui conduit à s'intéresser aux hommes et à leur ego plutôt qu'aux choix et aux orientations politiques ; c'est elle qui amoindrit les différences entre les choix politiques en organisant la ressemblance et le recentrage des programmes et des actions ; c'est elle qui autorise les abus de pouvoir et l'irresponsabilité juridique, politique, judiciaire, notamment du plus haut dirigeant politique ; c'est elle qui, pour se financer, a conduit à cette corruption désastreuse, destructrice et malheureusement généralisée, qui nous détruit à petit feu et, avec nous, la croyance en la République.

Voilà pourquoi, monsieur le Premier ministre, il vous reste à nous dire comment vous changerez ce disque dur de nos institutions. Si vous ne le faites pas, les mêmes causes engendreront les mêmes effets que ceux observés tristement dans le passé. Si vous le faites, vous serez ce mécanicien de l'histoire qui aura su, avant les autres, de quoi souffre notre peuple.

Pour ma part, je souhaite que, victorieux dans quelq ues mois, vous soyez le dernier Président de la République élu au suffrage universel de cette République.

M. François Vanuson.

C'est incroyable ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Arnaud Montebourg.

Enfin, nous pourrons un peu moins nous passionner pour le pouvoir et ses luttes et un peu plus nous consacrer sérieusement, modestement,...

M. Yves Fromion.

« Modestement » ? Ça vous va bien !

M. Arnaud Montebourg.

... à la transformation de ce triste monde, qui en a bien besoin.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Guillet.

M. Jean-Jacques Guillet.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, « au fond, comme chef d'Etat, deux choses lui avaient manqué : qu'il fût un chef et qu'il y eût un Etat ». Cette réflexion, à la fois cruelle et tendre, du général de Gaulle à l'égard du dernier Président de la

IIIe République illustre sa préoccupation majeure : il faut à la France des institutions solides qui puissent résister à la tentation de division héritée de nos racines gauloises et lui assurent son indépendance ; il lui faut aussi un chef qui sache impulser le mouvement et assurer la continuité des pouvoirs publics, quelles que soient les circonstances.

Un chef, donc une volonté politique sans laquelle le fonctionnement même des institutions pourrait se trouver altéré ; un chef, dont le pouvoir repose depuis 1962 sur la légitimité que lui confère l'élection au suffrage universel direct.

Alors que la souveraineté populaire est, pour la première fois depuis 1793, constitutionnellement affirmée, la relation étroite entre les Français et le Président de la République est ainsi au coeur des institutions.

Dès le discours de Bayeux, le général de Gaulle précise le principe, qu'il fait admettre de tous en 1958, selon lequel c'est du chef de l'Etat que procède le pouvoir exécutif, les ministres et, bien sûr, le premier d'entre eux.

Jusqu'en 1986, la cohérence de nos institutions reposait clairement sur cette relation et sur ce principe, illustré a contrario par le départ du général de Gaulle en 1969, après un référendum dont le contenu anticipait sur de nécessaires évolutions, qui ont été ainsi retardées depuis trente ans.

Trois cohabitations ont depuis lors fait leur oeuvre, le Premier ministre et le Gouvernement se trouvant alors procéder, quels que soient les artifices, de la majorité parlementaire et non du Président, celui-ci n'ayant pas tiré les conséquences profondes de cette situation à chacun de ces moments. La fonction présidentielle, clef de voûte de ces institutions, ne pouvait que s'en trouver atteinte. Le Parlement lui-même, son pouvoir étant déjà rogné par la mise en oeuvre des traités européens, se voyait un peu plus abaissé, le Gouvernement devant constamment être assuré d'une majorité quasi automatique, puisque là était la seule source de sa légitimité. La cohabitation conduisait d'ailleurs à des débats tronqués et à la sauvette sur des sujets essentiels : euro, Amsterdam, quinquennat.

Chacun s'accorde aujourd'hui à vouloir sortir de ce désordre institutionnel, qui contribue précisément à l'élargissement du fossé entre les citoyens et leurs représentants. C'était, monsieur le Premier ministre, une des raisons invoquées par les deux têtes de l'exécutif pour justifier leur campagne commune en faveur du quinquennat, dont l'adoption ouvrait la boîte de Pandore. Les deux cohabitants se retrouvaient d'accord pour écarter la cohabitation. D'autres, par résignation ou parce qu'ils suivent leur pente naturelle, ont considé l'élection législative comme l'élection reine. Ce serait non pas revaloriser le rôle du Parlement, mais celui des partis confortés par la dotation que leur attribue l'Etat en fonction du seul résultat de l'élection des députés. Enfin, certains préconisent logiquement l'instauration d'un véritable régime présidentiel à l'américaine, qui fut condamné, en son temps, par le général de Gaulle.

Tous ces débats peuvent être légitimes à présent que nous avons instauré le quinquennat. Mais, parce qu'elles'inscrivait dans l'histoire, l'instauration de la Ve République avait comme premier but de mettre fin aux sempiternels débats sur les institutions dont la France souffre depuis deux siècles. Ces débats ne se tiennent que pour masquer la défaillance des hommes car ce ne sont pas les institutions qui ont échoué, mais l'usage qu'on en a fait.

Quelle que soit sa légitimité, le débat ne peut s'ouvrir que devant les Français.

Or à quel moment peut-on avoir ce débat, sinon à l'occasion de l'élection présidentielle, au lieu de le laisser emprisonné dans l'élection des députés ? N'est-ce pas le moment, le seul moment où un candidat peut présenter un projet et y faire adhérer les Français en les convainquant de le suivre sur le chemin qu'il leur aura tracé ?


page précédente page 10434page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Que vaudraient des réformes, même proposées par référendum, qui n'auraient pas au préalable fait l'objet d'un contrat entre le Président et les Français ? Toute véritable évolution de nos institutions ne peut se réaliser que si, à la tête de l'Etat, fort de l'appui de la nation, le Président de la République donne la nécessaire impulsion. Il va de soi, dans ces conditions, que l'on doit renouer avec l'esprit de la Ve République et je me réjouis que, sur presque tous ces bancs, on en fasse l'éloge, même tardif.

M. Jacques Myard.

C'est la repentance !

M. Jean-Jacques Guillet.

Après l'adoption du quinquennat, un tel sentiment aurait dû conduire, parce qu'il est de bon sens, à une quasi-unanimité sur le principe selon lequel l'élection présidentielle ne saurait être subordonnée à l'élection législative, ni à la majorité parlementaire qui se dégagerait alors. Elle doit donc la précéder lorsque les deux élections sont si proches l'une de l'autre. C'est pour cette raison essentielle, monsieur le Président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, que modifier le calendrier, c'est bien renouer avec l'esprit de nos institutions, c'est le respecter, c'est l'intérêt de la France ! (M. Jacques Myard applaudit.)

M. le président.

La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis aujourd'hui pour débattre de l'avenir de nos institutions.

Ce n'est pas la première fois que notre assemblée débat des questions institutionnelles. A l'initiative de la majorité plurielle et du gouvernement qui en est issu, plusieurs réformes ont été adoptées pendant cette législature : nous avons voté la parité hommes-femmes pour toutes les élections ; nous avons modifié la Constitution pour instaurer le quinquennat ; nous avons aussi réformé le mode de scrutin pour les élections régionales et les élections sénatoriales ; nous avons renforcé l'intercommunalité. Enfin, je n'oublie pas la démarche extrêmement positive engagée pour la Corse.

Dès votre déclaration de politique générale, vous aviez insisté, monsieur le Premier ministre, sur la nécessité de restaurer le pacte républicain. Vous n'aviez pas manqué de souligner l'urgence qu'il y avait à prendre des mesures institutionnelles de grande ampleur pour tenter de rétablir une confiance qui était alors totalement détruite entre les citoyens et leurs institutions, entre les citoyens et le personnel politique et, pour tout dire, entre les citoyens et la politique.

A cet égard, on peut affirmer que votre gouvernement a un certain bilan à faire valoir auprès des Françaises et des Français. Tout le monde reconnaît que votre attitude personnelle n'y a pas été pour rien. Pour autant, nous pensons que les grandes réformes des institutions sont encore devant nous. Contrairement à ce qu'a récemment affirmé le Président de la République, sans convaincre personne,...

M. Alain Barrau.

C'est sûr !

M. Noël Mamère.

... notre pays vit une grave crise politique. Nous croyons même qu'il s'agit d'une véritable crise de régime.

Parmi ses causes, il y a bien sûr le climat détestable créé par les affaires politico-financières et aggravé chaque jour par de nouvelles révélations. Comment ne pas partager l'écoeurement des Français quand on apprend que l'intérêt général a été sacrifié au profit d'intérê ts particuliers, pour la simple raison que ces intérêts privés pouvaient acheter la décision d'un certain nombre d'élus ?

M. Patrick Lemasle.

C'est le système Chirac !

M. Noël Mamère.

Le fait que ces accusations concernent principalement le parti du Président de la République ne peut que contribuer à saper la confiance des Français dans leurs institutions. Le fait que le Président se refuse obstinément à témoigner ne peut qu'alimenter ce terrible sentiment d'une justice à deux vitesses, qui serait dure avec les faibles et faible avec les puissants.

Néanmoins, cette crise politique a bien d'autres causes, peut-être encore beaucoup plus profondes. Même si les questions institutionnelles ne semblent intéresser que des cercles restreints d'initiés ou de professionnels de la politique, le peuple ne s'y trompe pas. L'abstention et la multiplication des votes de défiance à l'égard des partis traditionnels en sont les manifestations les plus visibles.

Comment pourrons-nous encore convaincre nos concitoyennes et nos concitoyens qu'il est utile de voter si leurs idées ne sont pas représentées ici même à l'Assemblée nationale ? Comment donner tort à ceux qui pensent qu'il ne sert à rien de voter aux élections législatives si les pouvoirs réels du Parlement restent aussi faibles ? Comment croire à la République quand le principe

« un homme, une voix » n'est même pas appliqué, que ce soit avec le mode de scrutin sénatorial ou avec le mode de scrutin cantonal ? Comment croire à la République quand toute une catégorie de notre société ne peut accéder aux fonctions électives faute d'un vrai statut de l'élu ? On pourrait multiplier les exemples, si longue est la liste des maux dont souffre notre République, une République sclérosée et à bout de souffle.

Depuis leur création, les Verts placent la réforme des institutions au coeur de leur projet. Ils refusent de se résigner à une participation démocratique des citoyens de plus en plus faible. Pour les Verts, une République rénovée et vivante suppose une véritable démocratie participative.

Ainsi, un fonctionnement démocratique de nos institutions ne saurait constituer un projet politique en soi.

C'est en revanche un préalable à toute politique de changement. La démocratisation de nos institutions, tant locales que nationales ou européennes, est donc une priorité.

Puisque le temps nous est compté dans ce débat précipité et organisé dans l'urgence, je me contenterai d'énumérer brièvement quelques réformes.

Tout d'abord, donnons enfin réalité, deux siècles après Montesquieu, au principe de séparation des pouvoirs. Il faut pour cela renforcer les pouvoirs du Parlement, notamment par une plus grande maîtrise de son ordre du jour et en lui donnant de nouveaux pouvoirs d'investigation et de contrôle sur le Gouvernement et sur l'administration. De même, il n'y aura pas de réelle séparation des pouvoirs tant que ne sera pas achevée la réforme de la justice.

Afin de donner une nouvelle légitimité à nos assemblées, il nous paraît prioritaire de clarifier et d'harmoniser tous les mondes du scrutin et de limiter la durée de tous les mandats à cinq ans, y compris pour le Sénat. Nous proposons d'adopter un mode de scrutin mixte : moitié majoritaire, moitié proportionnel. Il fonctionne en Alle-


page précédente page 10435page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

magne depuis cinquante ans sans nuire à la stabilité gouvernementale et garantit la juste représentation de tous les courants de pensée.

La proportionnelle est l'outil privilégié d'une juste représentation politique de l'ensemble des courants de pensée de notre pays. Elle permettrait à cette assemblée de devenir enfin le reflet de la diversité sociale.

Je ne peux non plus oublier la question du droit de vote des résidents étrangers. Notre assemblée a adopté le 2 mai dernier, à l'initiative des Verts, une proposition de loi en ce sens. Monsieur le Premier ministre, quand le Gouvernement inscrira-t-il ce texte à l'ordre du jour du Sénat ? Un certain nombre de réformes sont voulues par une très large majorité des Français. Elles sont même défendues, au moins pendant les campagnes électorales, par de nombreuses formations politiques, de la majorité comme de l'opposition. Seuls les jeux politiciens et les intérêts des uns et des autres, notamment en période de cohabitation, empêchent ces projets de devenir réalité. Et c'est ce qui s'est malheureusement passé pendant cette législature avec la réforme de la justice.

Mes collègues Verts et moi-même voulons donc profiter de ce débat pour lancer un appel à tous les réformateurs de cette assemblée : rassemblons-nous pour refonder la République avant que la politique ne soit plus que l'affaire de quelques-uns ! Monsieur le Premier ministre, nous serons particulièrement attentifs aux réponses que vous nous apporterez, et nous souhaitons qu'elles ne soient pas de circonstance.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Paul Quilès.

M. Paul Quilès.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce bref échange de vues sur l'avenir de nos institutions à l'occasion d'une séance de questions orales au Gouvernement peut sembler étrange.

Etrange parce que nous n'aurons évidemment pas le temps d'aller au fond de ce sujet complexe et important, mais tout juste celui de faire le constat des insuffisances de notre dispositif institutionnel, qui a beaucoup évolué depuis quarante-deux ans.

Etrange aussi, cette succession de discours en ouverture de l'examen des propositions de loi sur le calendrier électoral qui seront présentées cet après-midi.

Pour autant, je ne bouderai pas les quelques minutes qui me sont imparties et au cours desquelles je m'efforcerai de montrer la nécessité d'une réforme que j'appelle de mes voeux et que je considère comme indispensable.

Certains s'offusqueront : « Toucher à la Constitution de la Ve République ? Vous n'y pensez pas ! Elle forme un tout intangible ! » D'autres brandiront l'épouvantail de la IVe République et l'accusation de vouloir revenir au régime d'assemblée.

Eh bien, non ! Ce n'est pas de cela qu'il s'agit, mais plutôt de regarder en face la réalité de nos institutions et de tirer de ce constat des enseignements pour rendre le fonctionnement de notre vie publique plus démocratique et plus efficace.

La réalité, c'est d'abord que nos institutions résultent non seulement du texte de la Constitution de 1958, mais aussi d'un ensemble de décisions structurantes de statuts juridiques divers, comme l'élection du Président de la République au suffrage universel, qui a profondément marqué la Ve République, l'ordonnance du 2 janvier 1959 sur les lois de finances ou encore le décret du 14 janvier 1964, qui donne au Président de la République le pouvoir d'engager les forces nucléaires.

Il y a eu aussi les quinze modifications de la Constitution intervenues en grande partie depuis 1995, dont certaines non négligeables, comme l'instauration de la session unique.

Je n'oublierai naturellement pas l'adoption récente du quinquennat, auquel va probablement s'ajouter la fixation du nouveau calendrier des élections, ces deux mesures constituant d'ailleurs un ensemble dont certains constitutionnalistes pensent qu'il change la nature même du régime.

La réalité, c'est également une pratique des présidents et des gouvernements successifs qui a conduit, dans certains domaines comme la politique internationale et la politique de défense, à l'apparition d'une sorte de jurisprudence renforçant le pouvoir présidentiel. Cela s'est fait d'autant plus aisément que plusieurs articles de la Constitution sont flous. Je pense, par exemple, à la combinaison de l'article 15, aux termes duquel le Président de la République est le chef des armées, et de l'article 21, qui dispose que le Premier ministre est responsable de la défense nationale.

La réalité, c'est encore la situation créée au sein de l'exécutif et dans ses rapports avec le Parlement par ce que l'on a appelé la « cohabitation », situation à l'évidence non voulue par les pères de la Constitution et qui pourtant s'est reproduite à trois reprises depuis 1986. Elle devient même le mode le plus fréquent de fonctionnement de l'exécutif puisque, sur les seize ans qui séparent 1986 de 2002, les périodes de cohabitation auront représenté neuf ans, soit plus de la moitié.

La cohabitation est un système qui surprend les étrangers et qui devrait nous amener, nous aussi, à réflechir aux jeux de rôle qu'il impose aux deux têtes de l'exécutif.

Puisqu'il est admis qu'il n'existe pas de « domaine réservé » du Président, il y a donc « domaine partagé », par exemple en matière de politique étrangère. C'est ainsi que l'on peut voir un Président qui s'exprime publiquement sans administrer... et un Premier ministre qui administre sans pouvoir s'exprimer librement. Les inconvénients de cette situation en termes d'efficacité pour l'image de la France ont été maintes fois soulignés ; vousmême, monsieur le Premier ministre, avez reconnu qu'on pourrait « faire mieux » sans la cohabitation ! On comprend, dans ces conditions, que l'on souhaite éviter ce système. C'était un des objectifs de l'instauration du quinquennat, mais qui peut dire s'il sera atteint ? Nul ne peut obliger les Français à faire deux fois le même choix politique, s'ils souhaitent justement, de façon sympathique mais un peu confuse, associer les différentes composantes politiques à l'exercice du pouvoir. Une telle situation risque donc de se reproduire, ce qui doit nous amener à clarifier le partage des attributions entre le Président et le Premier ministre, comme l'avait suggéré le rapport Vedel en 1993.

La réalité, enfin, c'est l'état du Parlement sous la Ve République et, notamment, celui de l'Assemblée nationale qui se trouve, comme le note le doyen Vedel, « dans une situation de subordination excessive par rapport au pouvoir exécutif ». Sans doute les parlementaires n'ont-ils pas toujours su - ou voulu - exercer complètement les prérogatives prévues par le titre V de la Constitution ;


page précédente page 10436page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

mais on a tellement voulu, dans le texte de 1958, éviter le retour aux erreurs de la IVe République qu'on a fait du Parlement une institution mineure.

Si j'avais le temps, je vous montrerais, exemples à l'appui, que le Parlement remplit mal - ou parfois ne remplit pas - les trois fonctions qui sont sa raison d'être : le vote de la loi, le contrôle de l'exécutif, l'orientation de la politique gouvernementale.

Je me contenterais de citer quelques articles de la Constitution qui devront être révisés si nous voulons conserver à notre régime la caractéristique de « régime parlementaire », comme le souhaitaient d'ailleurs explicitement les auteurs de la Constitution : l'article 40, qui restreint à l'excès l'initiative du Parlement en matière de dépenses publiques ; l'article 38, qui n'oblige pas le Gouvernement à inscrire à l'ordre du jour les projets de loi de ratification des ordonnances ; l'article 24, qui devrait préciser explicitement que le Parlement a pour mission d'évaluer les résultats des lois et de contrôler l'action du Gouvernement ; l'article 35 sur la déclaration de guerre, qu'il faut réécrire pour que le Parlement soit consulté sur l'engagement des forces françaises et que, dans certains cas, il l'autorise ; l'article 34, qui limite le domaine de la loi et dont le dernier alinéa n'a jamais été appliqué ; l'article 49-1, qui devrait rendre obligatoire une déclaration du Gouvernement suivie de l'engagement de sa resp onsabilité, dès sa nomination ; l'article 44 et l'article 49-3, destinés originellement à discipliner la majorité, qui devraient être modifiés pour en préciser le sens et en limiter l'usage ; l'article 43, enfin, qui devrait permettre une augmentation du nombre des commissions permanentes.

On le voit, il y a place pour une vraie réforme constitutionnelle, franche, motivée, à l'opposé d'une succession de retouches sans finalité globale clairement annoncée. Si nous voulons que nos institutions soient plus démocratiques, plus efficaces, mieux comprises et appréciées par les Français, il faudra dissiper les zones d'ombre de la Constitution et procéder à un rééquilibrage des pouvoirs.

En menant à bien cette réforme - ce que je souhaite, vous l'avez compris -, nous nous souviendrons, comme le disait si justement le doyen Vedel, que « la règle de droit est le moyen irremplaçable de promouvoir les droits de l'homme et de faire vivre la République et ses idéaux ».

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Bernard Derosier.

M. Bernard Derosier.

Monsieur le Premier ministre, depuis votre discours de Grenoble, le 26 novembre dernier, et votre suggestion de modifier le calendrier pour

« rétablir la cohérence de l'exécutif », je m'interroge : et si vous aviez raison ? Il est vrai que ces deux légitimités, issues du suffrage universel, qui s'affrontent en période de cohabitation, ne créent pas une situation conforme à l'esprit de notre Constitution. Cela n'empêche pas, pour autant, le Gouvernement de gouverner, ni la majorité parlementaire, dont il est l'émanation, de voter des lois conformes à ses engagements devant les Français.

A l'inverse, les engagements du Président de la République ne se traduisent pas toujours par des avancées législatives, même quand la majorité à l'Assemblée nationale et la majorité présidentielle sont les mêmes ; la période 1995-1997 en est une bonne illustration. Et puis, après le quinquennat sec, cette primauté de l'élection présidentielle ne renforce-t-elle pas encore davantage, comme si cela était nécessaire, la présidentialisation de notre système politique ? Parce que je ne suis pas favorable à un système présidentiel, parce que je souhaite un renforcement du rôle du Parlement, véritable représentation pluraliste de notre société, j'ai besoin, monsieur le Premier ministre, d'être rassuré. Et je vous remercie d'avoir permis l'organisation de ce débat qui devrait faire avancer les choses dans ce domaine.

Depuis plusieurs années, par petites touches successives, les majorités qui se sont succédé à l'Assemblée nationale ont soutenu des réformes constitutionnelles annoncées, pour la plupart d'entre elles, comme de nature à renforcer le rôle du Parlement. Mais ces réformes ont à peine affecté l'équilibre de nos institutions.

En fait d'équilibre, c'est d'un véritable déséquilibre qu'il il faudrait parler ; et ce déséquilibre se caractérise, hors des périodes de cohabitation, par une hégémonie de l'institution présidentielle. Cette dernière se manifeste au sein du pouvoir exécutif comme à l'égard du pouvoir législatif.

Il ne s'agit pas d'un déséquilibre inscrit dans la lettre de notre loi fondamentale, mais de celui qu'a permis une interprétation extensive - c'est un euphémisme - du texte de 1958, en particulier depuis 1962.

Aujourd'hui, il nous est interdit d'espérer les réformes nécessaires avant la prochaine législature, que je souhaite voir placées sous l'égide d'une présidence plus soucieuse de la véritable nature de notre régime politique. En février 1993, un comité installé par le président Mitterrand, sous la présidence du doyen Vedel, rendait des conclusions qui ont retenu l'attention de tous.

Comme le suggérait ce comité, je souhaite un exécutif mieux défini et, en particulier, le partage clair des attributions entre le Président et le Premier ministre.

Le Président de la République ne doit pas être celui qui gouverne tout en demeurant irresponsable au plan politique.

Il revient au Gouvernement de déterminer et de conduire la politique de la nation, et pas uniquement en période de cohabitation.

La réduction de la durée du mandat présidentiel, qui ne s'est pas accompagnée de mesures tendant à renforcer les responsabilités du Parlement, va contribuer à renforcer la responsabilité du chef de l'Etat devant les électeurs ; mais, isolée, la mesure n'est pas suffisante. Elle ne me semble d'ailleurs pas des plus propices à conforter la nature parlementaire de notre régime.

Des dispositions nouvelles doivent compléter le texte constitutionnel pour encadrer plus strictement les compétences du président de la République et pour interdire à l'avenir, les dévoiements.

Je pense à la répartition des attributions au sein de l'exécutif. Il faut mieux définir les conditions de l'arbitrage présidentiel car, pour l'heure, il ne s'agit que d'un mythe.

Je pense à la dissolution de l'Assemblée nationale, qui doit être réservée au seul règlement par les électeurs des différends politiques entre les pouvoirs ; ou encore aux conditions d'un contrôle strict de l'usage de l'article 16.

Je souhaite aussi et surtout un Parlement plus actif, dont le rôle serait renforcé par l'accroissement de ses compétences et de ses pouvoirs de contrôle.


page précédente page 10437page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Les solutions apportées par le Constituant de 1958 pour répondre aux problèmes de l'instabilité ministérielle et de la toute-puissance parlementaire ont vite révélé leurs limites.

Bien que cela ne fasse pas partie de mes références habituelles, je m'autorisai, monsieur le Premier ministre, cette comparaison religieuse : (Sourires) : le Parlement a fait « pénitence » de ses excès des IIIe et IVes Républiques ; le temps est venu de son « absolution. »

Pour conforter aujourd'hui un équilibre des pouvoirs exécutif et législatif à même de rétablir notre démocratie parlementaire, il faut revoir les modalités de la définition de l'ordre du jour des travaux des assemblées, ou encore les conditions d'exercice du droit d'amendement des parlementaires. Et au-delà de la réforme de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances, de nouvelles dispositions de nature constitutionnelle sont nécessaires pour améliorer le contrôle parlementaire.

Monsieur le Premier ministre, il n'est pas trop tard pour réaffirmer le rôle du Parlement dans une démocratie.

Je vous remercie de bien vouloir nous dire votre sentiment sur autant de mesures qui doivent mettre fin au déséquilibre de nos institutions, un déséquilibre préjudiciable à la forme parlementaire du régime politique de notre pays.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais évoquer en cinq minutes devant vous un souvenir, un sentiment et une réflexion.

Un souvenir : en juin 1992, nous allions au congrès de Versailles, pour ratifier le funeste traité de Maastricht. Les plus anciens sur ces bancs disaient alors à nous, les plus jeunes, qu'il fallait vivre ce moment intensément parce que nous ne reviendrions pas souvent à Versailles. Nous avons donc vécu intensément ce moment en collectant enveloppes, flammes, cartes postales et pin's édités pour l'occasion. Depuis, nous sommes souvent revenus à Versailles pour modifier cette Constitution, à tel point qu'il faudra bientôt instaurer une navette entre Paris et Versailles (Sourires) ... Or, quelle est la valeur d'un texte fondamental qui doit en permanence être remis en cause ? Quelle autorité acquiert-il dans le pays dès lors qu'il n'est pas capable de répondre aux exigences de modernité, d'équilibre des pouvoirs, alors même, son préambule a été modifié ? Un sentiment : en 1988, c'est un jeune parlementaire qui arrive sur ces bancs, tout fier d'avoir été choisi par les électrices et les électeurs de la dixième circonscription de l'Essonne, tout fier en raison du rôle qu'il attribue à la fonction parlementaire. Douze ans après...

Mme Nicole Bricq.

Vous avez vieilli !

Mme Odette Grzegrzulka.

Nostalgie, quand tu nous tiens...

M. Julien Dray.

Douze ans plus tard, la question ronge. Elle ronge toute une génération de jeunes et de moins jeunes parlementaires, au point de mettre en doute les convictions et les engagements : à quoi sert le Parlement ? Quelle est l'utilité de la fonction parlementaire ? A partir du moment où cette question gagne, les mauvaises habitudes l'emportent. On éprouve de la lassitude qu'on éprouve en considérant que toutes les batailles sont perdues, que le vrai pouvoir ne réside pas dans le débat parlementaire, que le jeu est prédéterminé et que les vraies décisions sont prises ailleurs.

Des générations de parlementaires ont vu cette situation s'installer progressivement. D'où le mal profond qui ronge aujourd'hui notre pays et qui crée un doute sur la fonction de parlementaire.

Lorsque nous préparons l'élection du Parlement des enfants, une question revient souvent, à savoir : à quoi servez-vous ? Nous récitons alors ce que nous avons appris, tout en sachant que nous ne sommes pas capables aujourd'hui de bien définir notre rôle et notre fonction.

Et nous rabattons sur tel ou tel aspect, insistant sur la proximité des permanences, sur l'efficacité du mandat local qui permet de redonner un sens à l'action politique...

Une réflexion : lorsqu'on est un jeune étudiant et qu'on va à l'université,...

Mme Odette Grzegrzulka.

Les anciens combattants du Parlement, ça suffit !

M. Julien Dray.

... les premiers cours de droit constitutionnel sont basés sur le fait que la Ve République est un système particulier, qui combine à la fois les éléments du régime présidentiel et les élements du régime parlementaire. Et le vrai problème, selon moi, c'est que la Ve République datée historiquement : elle est née à la suite de circonstances particulières, à un moment où la société française n'arrivait pas à se tourner vers l'avenir.

Les institutions, en outre, ont évolué. On nous dit aujourd'hui que la Ve République est un système pur et parfait. Mais on oublie d'ajouter que l'élection du Président de la République au suffrage universel n'a eu lieu qu'en 1962, que celui qui a été élu doutait lui-même de l'utilité de cette élection et qu'il ne s'est laissé convaincre que parce qu'on lui disait alors : si ce n'est pas ça, ce sera Antoine Pinay.

M. Arnaud Montebourg.

En effet !

M. Julien Dray.

L'election du Président de la République au suffrage universel n'a été que progressivem ent établie dans le cadre des institutions de la Ve République. Comme le disait Jean-Pierre Chevènement, elle a évolué. A partir du ballottage de 1965, l'aspect bonapartiste de la fonction présidentielle, qui avait vocation à rassembler le pays, et à s'élever au-dessus des conflits, a été atténué par la bipolarisation qui n'a fait que s'accentuer.

Voilà pourquoi je crois que la Ve République ne tranche pas les questions. Elle cumule tous les inconvénients des deux systèmes sans bénéficier d'aucun de leurs avantages. Outre le délitement, évoqué par Arnaud Montebourg, qu'entraîne le régime présidentiel qui privilégie le choix des hommes à celui des idées,...

M. Michel Hunault.

Alors, votez contre !

M. Julien Dray.

... Nous subissons une situation dans laquelle le Parlement est soumis, à l'autorité de la fonction présidentielle et ne parvient pas, malgré tous nos rappels au texte de la Constitution, à trouver sa place.

C'est simple. Si nous voulons que notre pays se tourne vers la modernité, il faudra trancher : Soit nous allons vers un vrai système présidentiel, nous supprimons le poste de Premier ministre...

Mme Nicole Bricq.

Voilà !

M. Julien Dray.

... et le Gouvernement tirera alors sa l égitimité de l'élection présidentielle. Le Parlement deviendra un véritable contre-pouvoir, il sera chargé non


page précédente page 10438page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

plus d'élaborer la politique du pays mais de contrôler celle que suit le Gouvernement sans avoir à se dessaisir, comme il le fait souvent, au profit d'experts ou d'autorités indépendantes. Soit - et c'est mon souhait car je crois qu'il correspond à l'avenir - nous revenons à un véritable régime parlementaire, avec un Parlement qui joue pleinement son rôle tirant sa légitimité de l'élection au suffrage universel et du contrôle qu'il exerce à l'égard du Gouvernement.

Nous sommes déjà engagés dans cette seconde voie car la particularité de sa cohabitation actuelle tient au fait que la légitimité essentielle du Gouvernement ne vient plus de la nomination par le Président de la République mais d'abord des élections législatives de 1997. Le Gouvernement s'est progressivement installé dans cette situation. C'est pourquoi il faut tourner résolument la page de la Ve République.

Il faut revenir à un système qui donne tout son sens à l'action parlementaire, à la vie collective et qui fasse du Parlement un lieu d'éducation civique pour tout un peuple. Parce que le débat a lieu au sein du Parlement et que les élus peuvent ainsi rendre des comptes à leurs électeurs.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. André Vallini.

M. André Vallini.

Le débat de ce matin, qui va se conclure dans quelques minutes par l'intervention du Premier ministre, a permis d'avancer de nombreuses propositions visant à améliorer le fonctionnement de nos institut ions. Mais pour indispensables qu'elles soient, ces réformes ne sauraient suffire à donner le nouveau souffle qui manque à notre vie publique, comme le montre depuis quelques années l'augmentation continue de l'abstention et du vote blanc.

Pourtant, la vitalité du monde associatif, l'écho rencontré par le débat sur Maastricht en 1992, ou encore les uccès de certains mouvements comme ATTAC, montrent que le regain civique est là, en puissance, qui ne demande qu'à s'accomplir, favorise par la réduction du temps de travail.

Aujourd'hui, pour croire à nouveau à leurs institutions, nos concitoyens attendent qu'elles soient plus représentatives, qu'elles soient plus utiles, qu'elles soient plus responsables.

Les citoyens souhaitent d'abord des institutions dans lesquelles ils puissent se retrouver pleinement. Or la concentration sociologique du pouvoir leur donne l'impression que le monde trop fermé des dirigeants ne les représente plus vraiment aujourd'hui.

Si les réformes que vous avez initiées, monsieur le Premier ministre, telles la parité et une limitation plus stricte du cumul des mandats, vont permettre de diversifier la représentation politique, il faut faciliter davantage encore l'accès de tous aux fonctions électives, notamment locales, parce que c'est là que tout commence.

Les citoyens attendent ensuite de leurs institutions qu'elles soient utiles et efficaces. Or le discours de la contrainte - de la contrainte extérieure surtout - a trop souvent remplacé celui du projet et de l'ambition. D'où le sentiment d'impuissance politique qui se répand trop souvent.

P ourtant, le volontarisme de votre gouvernement depuis trois ans, notamment pour lutter contre le chômage, montre le contraire aux Français. Des Français qui, de surcroît, comprennent de mieux en mieux la nécessité d'agir au plan européen pour être efficaces. Mais c'est alors le problème du déficit démocratique des institutions européennes qui se pose, celui de leur éloignement et celui de leur responsabilité.

Cela me conduit à la troisième exigence des citoyens à l'égard leurs institutions : l'exigence de responsabilité.

Les dirigeants politiques semblent en effet oublier, parfois, qu'ils tiennent leur mandat du peuple et qu'ils doivent, en retour, lui rendre des comptes. A force de faire des promesses qui seront aussitôt oubliées après l'élection, à force de dire qu'on mènera une politique et d'en conduire une autre, à force de dissoudre sans en tirer aucune conséquence, à force de purequer des référendums dont on dit par avance qu'il n'auront aucune conséquence, on finit par distendre le lien civique.

Là encore, la voie choisie depuis 1957 par votre gouvernement, monsieur le Premier ministre est la bonne.

Elle montre aux Français que la politique ne se résume par forcément à la conquête ou à la conservation du pouvoir, mais qu'elle doit reposer, d'abord et surtout, sur des valeurs et sur une éthique bien sûr, mais aussi sur un projet et sur des engagements que l'on tient.

M. Christian Jacob.

Les Français ne s'en sont pas rendu compte !

M. André Vallini.

Des institutions représentatives, des institutions utiles, des institutions responsables, voilà trois exigences à satisfaire pour renouer le lien civique et faire vivre la République.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, l'année 2000, qui s'achève dans quelques jours, aura été une année importante pour nos institutions et pour la vie démocratique de notre pays. Le 24 septembre dernier, le peuple français a approuvé par référendum la révision constitutionnelle instaurant le quinquennat que le Parlement avait au préalable votée. Aujourd'hui, à l'initiative de plusieurs personnalités et de groupes politiques de l'Assemblée nationale, celle-ci a engagé une discussion plus large sur l'avenir des institutions avant d'examiner six propositions de loi visant à rétablir, en 2002, l'ordre logique des élections présidentielle et législatives.

M. Christian Jacob.

Logique selon Jospin !

M. le Premier ministre.

Comme vous l'avez souhaité en organisant ces questions orales avec débat, et après avoir écouté les positions exprimées par chacune des sensibilités présentes dans cet hémicycle, je voudrais apporter ma contribution à cette réflexion et à votre prise de décision.

En l'état actuel du calendrier, les élections législatives devraient sans doute se tenir les 10 et 17 mars, suivies de l'élection présidentielle les 21 avril et 5 mai 2002.

Ce calendrier, on le sait, est tout à fait fortuit.

M. Richard Cazenave.

Comme toujours !

M. le Premier ministre.

Il est l'effet conjugué de l'aléa d'une vie - la mort du président Pompidou en 1974 - et d'une décision politique inattendue : la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997, un an avant le terme de son mandat.

Si ce calendrier était maintenu, pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, on verrait le Président élu juste après les députés.


page précédente page 10439page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Patrick Devedjian.

Ce ne serait pas la première fois ! (« Si ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Jacob.

M. Jospin prend ses rêves pour des réalités !

M. le président.

Je vous en prie !

M. le Premier ministre.

Nombreux sont ceux qui pensent, après avoir examiné cette situation, qu'une telle séquence, sans précédent, fait peu de cas de la logique de nos institutions et qu'elle est contraire au bon sens, qu'elle constitue, comme l'a souligné M. le Président Giscard d'Estaing. (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), une anomalie. Il a donc été proposé de rétablir le calendrier normal quand il en était encore temps. Je partage cette conviction.

Je voudrais d'abord répondre à l'objection - la seule en réalité que certains avancent, faute de s'exprimer sur le fond -...

M. Patrick Lemasle.

Exactement !

M. le Premier ministre.

... selon laquelle une telle proposition serait de convenance.

M. Gilbert Gantier.

Eh oui !

M. Christian Jacob.

Vous l'avez dit vous-même !

M. Patrick Ollier.

Le 19 octobre !

M. le Premier ministre.

Il est aisé de montrer la faiblesse de cette objection.

Le premier argument est simple et il est politique. Nul ne peut, quinze mois à l'avance, prévoir le résultat de l'une ou l'autre élection, ni décider à qui tel ou tel ordre pourrait profiter. Ceux qui prétendent que les socialistes craignent les législatives ne font-ils pas penser qu'ils craignent eux-mêmes la présidentielle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) En réalité, la majorité actuelle n'a pas de raison de penser qu'elle perdrait les élections législatives. Elle ne saurait par ailleurs regarder l'élection présidentielle comme acquise. Dans chaque cas, c'est le peuple qui tranchera. Et l'on a vu à plusieurs reprises qu'il était imprudent d'anticiper sur son jugement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous sommes, semble-t-il, d'accord sur ce point, monsieur Juppé. C'est pourquoi vous avez vous-même fait

« tomber » dans votre intervention le seul argument que je vous aie entendu avancer, celui de la manoeuvre.

M. Patrick Ollier.

C'est vous qui l'avez dit en octobre !

M. Alain Juppé.

Vous avez utilisé vous-même la formule !

M. le Premier ministre.

C'est en tout cas le moment pour décider du calendrier. Nous sommes à seize mois de l'élection présidentielle. Aucune candidature n'est véritablement déclarée. La campagne est encore loin.

(« Oh ! »s ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Patrick Ollier.

C'est trop gros !

M. Christian Jacob.

Un peu de courage !

M. le Premier ministre.

Si le calendrier actuel est aberrant, le devoir des responsables politiques est de dire pourquoi et de le changer.

M. Richard Cazenave.

Pas avec ces arguments-là !

M. Arthur Dehaine.

Il est déjà trop tard !

M. le Premier ministre.

Les Français n'ont peut-être pas, pour l'instant, pris toute la mesure des graves inconvénients de ce calendrier mais il les réaliseront, n'en doutons pas, au cours des prochains mois.

M. Christian Jacob et M. Patrick Ollier.

Ils ont bien compris la manoeuvre !

M. le Premier ministre.

Il sera alors trop tard pour rétablir un ordre normal entre les deux élections et les Français pourraient collectivement nous le reprocher.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Christian Jacob.

Ce n'est pas vrai !

M. Richard Cazenave.

Piètre argument !

M. le Premier ministre.

D'ailleurs, il n'y a pas si longtemps, moins de trois mois seulement, nous avons adopté le quinquennat, qui s'appliquera dès la prochaine présidentielle, et nous aurions pu à cette occasion, comme l'a fait remarquer M. Bernard Charles, débattre plus largement de l'avenir de nos institutions et même du calendrier, si le Président l'avait accepté.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

La décision qui vous est proposée est si peu de convenance que plusieurs leaders politiques d'horizons différents dont M. Valéry Giscard d'Estaing, ancien Président de la République (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) , et deux anciens premiers ministres issus de majorités politiques différentes, M. Raymond Barre (Exclamations sur les mêmes bancs) et M. Michel Rocard, ont demandé, parmi les premiers, le rétablissement d'un calendrier plus logique.

M. Christian Jacob.

Ce n'est pas brillant comme démonstration !

M. le Premier ministre.

Cette approche, mesdames et messieurs les députés, est si peu circonstancielle que les constitutionnalistes, au premier rang desquels le doyen Vedel, ont recommandé de replacer les élections législatives après l'élection présidentielle.

M. Patrick Ollier.

D'autres ont dit le contraire !

M. le Premier ministre.

En vérité, la seule surprise de ce débat est que la formation politique qui se réclame au premier chef de l'héritage gaulliste ne porte pas ellemême cette exigence. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Patrick Ollier.

Pas vous, pas ça !

M. Christian Jacob.

Le ridicule ne tue pas, mais quand même !

M. le Premier ministre.

Si le calendrier électoral est remis sur ses pieds, les Français choisiront leur Président de la République à la date prévue et sans que soit changé le mode de scrutin. Ils éliront le Président de la République pour cinq ans, comme ils l'ont tout récemment décidé.

Mme Christine Boutin.

Le Président peut dissoudre !

M. Patrick Ollier.

Et le droit de dissolution ?

M. le Premier ministre.

Les Français éliront ensuite les députés selon un mode de scrutin et avec un découpage électoral inchangés. L'élection se fera simplement en juin au lieu de mars.

M. Patrick Ollier.

Et le tour est joué !


page précédente page 10440page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. le Premier ministre.

J'observe que la prolongation de mandats électifs pour quelques semaines a des précédents validés par le Conseil constitutionnel. Celui-ci avait admis, en 1990, la prorogation d'une année de la moitié des conseillers généraux et, en 1994, celle de trois mois des conseillers municipaux. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Christian Jacob.

Quel rapport ?

M. le Premier ministre.

La proposition de calendrier qui est faite par des groupes différents au sein de votre assemblée est celle qui convient. Elle assure la cohérence de notre système politique, la clarté du processus électoral et l'égalité des candidats devant le scrutin.

M. Patrick Ollier.

Vous disiez le contraire le 19 octobre !

M. Christian Jacob.

Alors, la cohérence...

M. le Premier ministre.

La cohérence implique de rétablir l'ordre du calendrier républicain puisque la dissolution de 1997 a inversé l'ordre normal des rendez-vous démocratiques.

M. Patrick Ollier.

Et la Constitution ?

M. Christian Jacob.

Est-ce qu'elle interdit la dissolution ?

M. le Premier ministre.

Depuis 1962, le Président de la République est élu au suffrage universel direct par les Français dans une circonscription unique où tous les citoyens et les citoyennes sont appelés à voter. C'est cette élection qui a structuré la vie politique nationale des dernières décennies ; 1965, 1974, 1981, 1988, 1995 : chacune de ces dates est pour vous significative.

M. Patrick Ollier.

C'était le contraire en 1958 et en 1969 !

M. le Premier ministre.

Alors, on peut toujours proposer de supprimer l'élection du Président au suffrage universel mais qui le ferait aujourd'hui ? -, mais on ne peut pas faire de cette élection majeure l'élection seconde.

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Or personne n'avait imaginé que des élections législatives puissent se tenir cinq semaines avant l'élection présidentielle au risque d'en dénaturer le sens.

Mme Christine Boutin.

Vous n'avez rien oublié ? Et le pouvoir de dissolution ?

M. Patrick Ollier et M. Patrick Devedjian.

Que faitesvous de la dissolution ?

M. le Premier ministre.

Par respect pour nos concitoyens et pour la dignité même de l'élection présidentielle, il ne saurait être question de la cacher, on pourrait presque même dire de l'embusquer derrière les élections législatives ! (« Oh ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Christian Jacob.

C'est petit !

M. Patrick Ollier.

Ce n'est pas glorieux !

M. le Premier ministre.

L'élection présidentielle ne peut pas être le solde des élections à l'Assemblée nationale. C'est pourquoi, sur une question de cette importance, et au-delà des clivages partisans, chacun doit prendre ses responsabilités sans s'abriter derrière des arguments purement formalistes. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Il y va de la cohérence entre l'exécutif et le législatif.

M. Christian Jacob.

Parlons-en de la cohérence !

M. le Premier ministre.

Puisque notre système institutionnel est à la fois présidentiel et parlementaire, il est bon qu'il y ait en général cohésion entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire.

M. Christian Jacob.

Et il ne serait pas mauvais que le Premier ministre soit cohérent !

M. le Premier ministre.

Quand nous arriverons en 2002, nous aurons sans doute connu cinq ans de cohabitation, autrement dit d'exécutif partagé. Certes, grâce aux précautions prises par le Président et le Gouvernement, ces cinq années auront sans doute été vécues sans drame.

Mais elles n'auront pas favorisé l'unité et la simplicité que requiert l'action.

La cohérence entre la majorité des députés, le Gouvernement et le Président reste une garantie d'efficacité.

La cohabitation peut toujours survenir si les Français la provoquent par leurs votes, mais elle doit être conçue comme une parenthèse.

M. Richard Cazenave.

Le calendrier n'a rien à voir làdedans !

Mme Christine Boutin.

Il ne change rien !

M. Patrick Ollier.

Rien du tout !

M. le Premier ministre.

En politique comme en stylistique, les parenthèses sont faites pour être brèves. Or il est clair que la dynamique de la cohérence est la plus forte si l'élection présidentielle précède les législatives, rendant ainsi moins probable le risque de cohabitation.

M. Patrick Ollier.

Et la dissolution ?

M. le Premier ministre.

En revanche, cette cohérence n'implique pas le sacrifice du pluralisme, qui doit et peut s'exprimer aussi bien lors du premier tour de l'élection présidentielle, où toutes les sensibilités politiques sont portées par des personnalités fortes, qu'au moment des élections législatives. M. Jean-Pierre Chevènement l'a dit tout à l'heure excellemment. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Christian Jacob.

On ratisse large !

M. le Premier ministre.

Le choix du quinquennat procédait déjà de ce souci de cohérence. Bien entendu, aucun ordre d'élection ne permet de garantir celle-ci mécaniquement. Mais la séquence électorale doit contribuer à donner au débat la clarté dont les citoyens ont besoin pour se forger une opinion. (Applaudissements sur plusieurs bancs de groupe socialiste.)

M. Christian Jacob.

Ils ne veulent pas des magouilles électoralistes !

M. le Premier ministre.

Je voudrais insister sur cette nécessaire clarté. Compte tenu du délai très bref entre les deux élections, le rendez-vous démocratique de 2002 formera un tout. La question est de savoir comment aborder ce tout, pour que chacune des deux élections puisse vraiment jouer son rôle.

Si l'élection du Président vient après les législatives, la question du moment et de la durée de la campagne présidentielle sera inévitablement posée. Ou la campagne présidentielle est précoce et elle noiera celle des législatives, empêchant l'expression des programmes des formations politiques et la valorisation des candidats députés


page précédente page 10441page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

dans leurs circonscriptions. Ou bien la campagne présidentielle est tardive et l'élection du Président sera éclipsée et abaissée. Il y a, à l'évidence, un risque d'interférence néfaste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Au contraire, si l'élection présidentielle a lieu la première, elle peut se préparer et se dérouler dans la clarté...

M. Christian Jacob.

La clarté selon Jospin !

M. le Premier ministre.

... selon les règles habituelles, et porter sur les grandes orientations proposées au pays par les différents candidats.

Ensuite, la donne politique ayant été clarifiée, les élections législatives retrouvent toute leur place, les candidats et les partis mènent pleinement campagne dans les circonscriptions. Ils disposent pour cela d'un temps qui n'appartient qu'à eux.

M. Christian Jacob.

Encore heureux !

M. le Premier ministre.

Le refus de la confusion entre les deux élections procède aussi d'une exigence, fondamentale en démocratie, celle de l'égalité entre les candidats.

Dans toute compétition régulière, les candidats sont placés à égalité sur la ligne de départ. Ce ne serait pas le cas si le calendrier actuel était maintenu.

(

« Oh ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République)

M. Patrick Ollier.

C'est de la politique politicienne !

M. Christian Jacob.

De l'incohérence !

M. le Premier ministre.

Dans cette hypothèse, en effet, les candidats à l'élection présidentielle seraient en règle générale candidats aux élections législatives ou, en tout état de cause, engagés dans la campagne nationale de leur formation politique.

M. Richard Cazenave.

Et alors ?

M. le Premier ministre.

Pour tous les candidats à l'élection présidentielle sauf un, qu'ils soient de gauche ou de droite, le dilemme sera le suivant : ou bien affaiblir leur campagne législative parce qu'ils auront déjà annoncé leur candidature à l'élection présidentielle...

M. Christian Jacob.

Il ne pense qu'à ça !

M. le Premier ministre.

... ou bien retarder leur candidature à la présidence jusqu'au terme des élections législatives, ce qui les placerait en situation d'inégalité manifeste face au président sortant, si celui-ci décidait d'être à nouveau candidat.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Odette Grzegrzulka.

Très juste !

M. le Premier ministre.

C'est là, mesdames et messieurs les députés, que pourrait se retourner l'argument de la convenance.

M. Alain Juppé.

Quel aveu !

M. le Premier ministre.

A l'inverse, si le calendrier est remis sur ses pieds, chacun a les mêmes droits, dispose du même temps, peut se consacrer pleinement à sa ou ses campagnes. La compétition redevient équitable. Le rendez-vous présidentiel de 2002 mérite en effet de voir se confronter devant les Françaises et les Français des hommes et des femmes en terrain découvert, avec leurs bilans, leurs convictions et leurs propositions, à égalité de chance.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Yves Besselat.

Quel verbiage !

Mme Christine Boutin.

Et la France ?

M. le Premier ministre.

Mesdames et messieurs les députés, vous avez souhaité que la question du calendrier électoral soit inscrite dans une réflexion plus large sur l'avenir de nos institutions. Ce débat, nous ne pourrons pas, aujourd'hui, le mener à terme. Il devra être repris et approfondi comme l'ont souhaité M. Robert Hue et M. Noël Mamère. (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et indépendants.)

M. Christian Jacob.

C'est un leurre, un prétexte !

M. le Premier ministre.

Il devra être repris et approfondi en 2002, justement, afin que puisse être conduite une réforme positive de nos institutions.

Mais il n'est pas interdit d'amorcer dès maintenant cette réflexion. En votant pour le rétablissement du calendrier électoral, vous permettez aux Français de se prononcer en toute connaissance de cause lors des rendez-vous démocratiques de 2002. Vous servez l'intérêt de la nation. Vous confortez la République. Mais vous ne changez pas pour autant la nature du régime ; il ne devient ni plus présidentiel ni plus parlementaire. Car ce n'est pas l'ordre des élections qui détermine la nature d'un régime. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Patrick Ollier.

Alors pourquoi le changer ?

M. le Premier ministre.

Le rétablissement du calendrier électoral ne modifie en rien la conviction politique de chacun, ni son jugement sur les institutions de la Ve République.

Pour ma part, comme vous le savez, depuis trois ans et demi, j'ai contribué, et certains ici en ont porté témoignage, à faire vivre la dimension parlementaire de notre régime. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Jacob.

Ce n'est pas la modestie qui vous étouffe !

M. le Premier ministre.

Dans le cadre constitutionnel existant, « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ».

Avec le concours du Gouvernement tout entier, je respecte scrupuleusement les prérogatives du Parlement.

M. Christian Jacob et M. Patrick Ollier.

On a pu apprécier la semaine dernière !

M. le Premier ministre.

J'ai toujours approuvé et accompagné les initiatives du Parlement, de l'Assemblée nationale et de son président pour renforcer votre information - cela a été fait chaque fois que l'actualité nationale, européenne ou internationale le justifiait, par l'organisation de débats spécifiques - et pour renforcer votre contrôle sur l'action du Gouvernement, par le concours apporté aux travaux de contrôle et d'enquête, en facilitant par des instructions précises l'examen de l'action des services de l'Etat. De manière générale, tous les grands projets du Gouvernement, ceux qui ont marqué cette législature depuis 1997, ont donné lieu à des vrais débats devant le Parlement.

M. Patrick Ollier.

Pas ce matin, en tout cas !


page précédente page 10442page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. le Premier ministre.

Avec la majorité, le pacte de confiance a été constant. Jamais le Gouvernement n'a eu recours à l'article 49-3 pour faire adopter ses réformes, ainsi que l'a souligné M. Jean-Marc Ayrault. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christine Boutin.

Il légifère par ordonnances, excusez du peu !

M. le Premier ministre.

La majorité m'a accordé sa confiance par un vote que j'avais sollicité le 19 juin 1997. Elle me l'a toujours conservée depuis.

M. Alain Le Vern.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Pour l'avenir, je suis favorable à un rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement.

(Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Christian Jacob.

Il n'y a pas de limite à l'électoralisme !

M. le Premier ministre.

D'abord, en confortant le statut des parlementaires.

Une réforme devait permettre aux parlementaires de mieux se consacrer encore à leur mandat par la limitation du cumul des mandats électifs. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Elle a été malheureusement limitée.

M. Arnaud Montebourg.

Exactement !

M. Patrick Ollier.

Ce sont les socialistes qui l'ont limitée !

M. le Premier ministre.

Il faudra la poursuivre lorsque les conditions politiques auront été réunies. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Patrick Ollier.

Quelle démagogie !

M. le Premier ministre.

Ensuite, en renforçant la fonction parlementaire de contrôle. Elle doit être confortée grâce à des moyens d'expertise, des outils de recherche et d'analyse mis à la disposition des parlementaires. Elle doit tout particulièrement s'exercer sur les finances publiques.

Le Gouvernement est prêt à inscrire rapidement à son ordre du jour l'examen de la réforme de l'ordonnance de 1959.

M. Jean-Louis Idiart.

Très bien !

M. le Premier ministre.

En matière internationale et de défense, depuis le mois de juin 1997, nous avons pu constater à plusieurs reprises que certaines procédures n'étaient pas satisfaisantes. Lors du conflit du Kosovo, nous avons relevé le caractère inadapté dans la pratique de l'article 35 de la Constitution selon lequel « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». J'ai dit à l'époque que j'étais favorable à une réflexion sur l'évolution de cette disposition et je le reste. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

D'autres changements, mesdames et messieurs les députés, seront nécessaires, hors cohabitation, pour rééquilibrer nos institutions. Le débat de 2002 permettra d'en préciser les termes.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, en démocratie le temps de l'élection est un temps décisif. Il est celui de la responsabilité : l'élu rend compte de ses engagements. Il est celui du débat : chacun doit y prendre part à égalité. Il est celui du choix : les citoyens doivent pouvoir dire clairement comment ils entendent que la France soit dirigée et gouvernée au cours des cinq années suivantes.

J'espère que vous serez convaincus.

M. Patrick Ollier.

Sûrement pas !

M. le Premier ministre.

... que le rétablissement du calendrier électoral le plus logique, celui où l'élection présidentielle précède l'élection législative, loin d'obéir à une problématique partisane... (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, et du groupe Démocratie libérale et Indépendants, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance) , que les propositions présentées sur les bancs démentent,...

M. le Premier ministre.

... que les propositions présentées sur ces bancs démentent...

M. Christian Jacob.

Ce sont des combines !

M. Claude Goasguen.

Tartuffe !

M. Patrick Ollier.

Vous disiez le contraire le 19 octobre !

Quelle audace !

M. le Premier ministre.

... est la condition pour que 2002 soit le moment démocratique de responsabilité, de débat et de choix que nos concitoyens attendent. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Le débat est clos.

2

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement, Discussion, après déclaration d'urgence, des propositions de loi organique : no 2602 de M. Georges Sarre et plusieurs de ses collègues relative à l'antériorité de l'élection présiden tielle par rapport à l'élection législative ; no 2665 de M. Bernard Charles et plusieurs de ses collègues visant à modifier l'article L.O. 121 du code électoral en vue de la concomitance de l'élection présidentielle et des élections législatives ; no 2741 de M. Raymond Barre modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ; no 2756 de M. Hervé de Charette relative à l'organisation des élections présidentielles et législatives ; no 2757 de M. Gérard Gouzes relative à la date l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ; no 2773 de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.


page précédente page 10443

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Bernard Roman, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 2791).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures vingt-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT