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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

SOMMAIRE

PRE

SIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Questions au Gouvernement (p. 10447).

DÉVELOPPEMENT DE PROTÉINES VÉGÉTALES (p. 10447)

MM. Jacques Blanc, François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.

INÉGALITÉS SOCIALES OUTRE-MER (p. 10448)

Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Lionel Jospin, Premier ministre.

AIDE JURIDICTIONNELLE (p. 10449)

M. Maxime Bono, Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.

PRISE EN CHARGE DE LA MALADIE D'ALZHEIMER (p. 10449)

M. Michel Etiévant, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

SE

CURITE

DES CONVOYEURS DE FONDS (p. 10450)

MM. Jean-Pierre Dufau, Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.

INSCRIPTIONS SUR LES LISTES E

LECTORALES (p. 10451)

MM. Maxime Gremetz, Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.

DE

FICIT BUDGE TAIRE (p. 10451)

MM. Yves Deniaud, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

MALAISE DES PROFESSIONS DE SANTE (p. 10452)

M. Jean-Claude Lemoine, Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité.

INONDATIONS DANS LE FINISTE RE (p. 10452)

MM. André Angot, Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.

PRESCRIPTION (p. 10453)

MM. Alain Tourret, Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.

POLITIQUE DES TRANSPORTS (p. 10454)

MM. Yves Cochet, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

FINANCEMENT DE L'APPLICATION DES 35 HEURES (p. 10455)

MM. Pierre Méhaignerie, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

DE

VELOPPEMENT DU FERROUTAGE (p. 10455)

M

M. Marc-Philippe Daubresse, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Suspension et reprise de la séance (p. 10456)

PRE

SIDENCE DE Mme CHRISTINE LAZERGES

2. Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée. Discussion, après déclaration d'urgence, des conclusions d'un rapport sur six propositions de loi organique (p. 10456).

M. Bernard Roman, président de la commission des lois, rapporteur.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITE (p. 10462)

E xception d'irrecevabilité de M. Jean-Louis Debré : MM. Patrick Devedjian, le ministre, le rapporteur, JeanPierre Soisson, Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Thérèse Boisseau.

PRE

SIDENCE DE M. RAYMOND FORNI Exception d'irrecevabilité (suite) : M. Jean Vila. - Rejet par scrutin.

QUESTION PRE ALABLE (p. 10470)

Question préalable de M. Jean-François Mattei : MM. Pascal Clément, le ministre, Mme Nicole Bricq, MM. Jean Vila, Pierre Lequiller, Richard Cazenave, Jacques Barrot. Rejet.

AUTEURS DES PROPOSITIONS DE LOI ORGANIQUE (p. 10477)

MM. Georges Sarre, Aloyse Warhouver.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

3. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 10479).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement, pendant soixante-cinq minutes.

Demain, conformément à l'accord intervenu entre les groupes en conférence des présidents, les questions au Gouvernement porteront exclusivement sur des thèmes européens.

Nous commençons aujourd'hui par une question du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

DÉVELOPPEMENT DES PROTÉINES VÉGÉTALES

M. le président.

La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Georges Frêche.

Front national !

M. le président.

Monsieur Frêche,...

M. Georges Frêche.

Si on ne peut plus dire la vérité à l'Assemblée nationale !

M. Jacques Blanc.

Ma question, qui s'adresse à M. le Premier ministre est posée à un moment où le ministre de l'agriculture préside, pour la dernière fois, le conseil agricole de l'Union européenne.

Monsieur le Premier ministre, s'il est indispensable que le Gouvernement prenne des mesures fortes et vraies en faveur des acteurs de toute la filière bovine, s'il ne saurait se contenter de mesures de prêts présentées comme des subventions, s'il est impératif de rassurer les consommateurs en habilitant les laboratoires sur tout le territoire pour dépister l'encéphalopathie, reste qu'un dossier essentiel conditionne l'avenir de la filière bovine et la sécurité alimentaire qu'exigent les consommateurs : l'élaboration d'un grand plan de production de protéines végétales.

Aujourd'hui, l'Europe importe 62 % de ces protéines végétales des Etats-Unis ou d'Amérique du Sud et sans doute très souvent génétiquement modifiées. Or, pour remplacer les farines animales, l'Europe a besoin de 5 millions de tonnes de soja ou de 3 millions de tonnes d'oléoprotéagineux : il faudrait mettre en culture 2 millions d'hectares en Europe, dont 800 000 en France.

(« La question ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Pour faire face aux besoins en aliments de bétail, pour lutter contre la friche, pour empêcher que ne se creuse le déficit commercial, il est donc indispensable de lancer immédiatement un grand plan de production de protéines végétales.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Mes chers collègues, je vous en prie.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

La question !

M. le président.

Oui, M. Blanc va la poser.

M. Jacques Blanc.

Monsieur le Premier ministre, n'attendez pas la renégociation des accords de Blair House ! Utilisez toutes les capacités qui demeurent puisque 1,3 million d'euros du budget de l'agriculture européenne n'ont pas été dépensés. Permettez que, dans le plan national de développement rural, soient prises en compte, au titre des mesures agri-environnementales, des méthodes culturales qui, par des rotations entre des tournesols, du blé dur, du soja, permettront d'échapper à la dépendance vis-à-vis des Etats-Unis.

(Protestations sur les mêmes bancs.)

M. le président.

Mes chers collègues, un peu de silence, s'il vous plaît.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

La question !

M. Jacques Blanc.

A partir de semences non génétiquement modifiées, dans le cadre de la lutte contre les friches, acceptez, dans ce plan national, les projets régionaux tel que celui qui a été voté à l'unanimité en L anguedoc-Roussillon : semences non génétiquement modifiées, cultures de friches (Exclamations sur les mêmes bancs.)...

M. le président.

Monsieur Blanc, s'il vous plaît, je vous demande de poser votre question !

M. Jacques Blanc.

... tourteaux non génétiquement modifiés, approvisionnement de nos éleveurs. Ainsi, nos consommateurs pourront bénéficier de la sécurité alimentaire dont ils ont besoin. Vous engagez-vous dans cette voie ? Pouvez-vous nous répondre de façon très précise ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

Mes chers collègues, recouvrez votre calme.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.

M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.

Monsieur le député, vous avez évoqué trois problèmes, la sécurité des tests, le plan de remplacement pour les protéines végétales et le recours aux OGM.

En ce qui concerne la sécurité des tests, vous savez que quinze laboratoires sont déjà agréés. D'autres le seront.

J'ai rencontré hier soir les responsables de la filière bovine pour parler de ce problème : ils sont très attachés à ce qu'il s'agisse d'abord et avant tout de laboratoires publics agréés, très contrôlés, afin que la sécurité et la fia bilité des tests soient assurées.

Le plan du Gouvernement permettra de mettre en oeuvre ce contrôle dès le début de 2001 et je puis vous assurer qu'il sera effectué dans de bonnes conditions.


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Hier, j'ai visité un laboratoire qui a très récemment effectué mille tests. Or il n'a relevé aucun cas positif, ce qui relativise les chiffres publiés par l'AFSSA.

Pour ce qui est du plan de remplacement par les protéines, nous étions parfaitement conscients, le jour où le Gouvernement a décidé d'interdire le recours aux farines animales, qu'il fallait mettre en place un plan européen et franco-français et reprendre les discussions pour pouvoir planter sur notre territoire, et pas forcément à la place de la jachère, les pois, la luzerne et l'ensemble des oléoprotéagineux dont nous avons besoin. Un plan permettant de produire 400 000 tonnes est désormais prêt.

S'agissant enfin des OGM, vous savez que le Premier ministre a précisé, lors de la conférence de presse du 14 novembre, qu'il entendait les remplacer par des oléoprotéagineux et des sojas issus de filières non OGM. Sur ce même principe, le Premier ministre s'est également exprimé devant les assises générales de l'alimentation en soulignant que les conditions n'étaient pas réunies pour permettre l'introduction de la culture d'OGM en France aujourd'hui.

Je peux donc vous rassurer, monsieur le député : premièrement, les tests seront effectués dans de bonnes conditions, deuxièmement, le plan protéines sera mis en place dans le temps en accord avec nos partenaires européens, troisièmement il n'y a pas de risque d'introduction d'OGM dangereux aujourd'hui.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe socialiste.

INÉGALITÉS SOCIALES OUTRE-MER

M. le président.

La parole est à Mme Christiane Taubira-Delannon.

M me Christiane Taubira-Delannon.

Je souhaite m'adresser à M. le Premier ministre à propos de ce qu'il est convenu d'appeler l'outre-mer, ces terres lointaines dispersées en trois océans, ces terres où existe la misère, et pas le misérabilisme, parce qu'une longue histoire d'oppression y a forgé des caractères obstinément joyeux, astucieux et combatifs.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Monsieur le Premier ministre, nos pays ne sont pas tous égaux devant les ressources naturelles, mais la Guyane est si bien pourvue que la décence m'incite à ne pas m'appesantir. Cependant, nos pays sont tous riches d'une jeunesse éduquée, cultivée, vigoureuse. Ils sont tous prospères en créativité, dans l'économie informelle, dans l'artisanat, dans les arts et les métiers. Pourtant ils sont davantage engoncés dans des pratiques de subsistance et de survie que dans des dynamiques de développement durable.

Seules des politiques publiques centrales et territoriales fondées sur une économie rationnelle et inventive, des relations sociales équilibrées, équitables et détendues, une liberté culturelle salutaire, pourraient y remédier. La loi d'orientation pour l'outre-mer a ouvert des perspectives très innovantes et contient des mesures concrètes très attendues, comme leur date d'application.

Des inégalités se sont creusées. Ces sociétés ont toutes les raisons historiques, politiques, culturelles, de penser que votre gouvernement est particulièrement sensible à la nécessaire correction des inégalités de naissance qui condamnent parfois des génies à un destin médiocre, à des écarts de fortune qui projettent à la marge de nombreux talents et à la réparation d'accidents de parcours qui cassent les trajectoires de vies prometteuses. Ces sociétés attendent de vous des actes qui puissent témoigner d'une relation à l'outre-mer rénovée, marquée par le respect, la justice, la solidarité, à la mesure de ce que nos pays offrent à la France.

C'est en leur nom que je vous demande, monsieur le Premier ministre, par quels actes, par quels gestes vous entendez répondre à leur attente. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

Pour une réponse joyeuse, astucieuse et combative, la parole est à M. le Premier ministre ! (Sourires.)

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Madame la député, effectivement, quand, la semaine dernière, vous m'avez remis votre rapport sur l'activité aurifère en Guyane, je vous ai trouvée joyeuse, astucieuse et combative. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Telle je vous retrouve sur les bancs de cette assemblée, en m'efforçant d'apporter les réponses que mérite votre question.

Pour répondre aux aspirations de nos compatriotes des départements d'outre-mer, les secrétaires d'Etat, Jean-Jack Queyranne, d'abord, Christian Paul, ensuite, ont préparé une loi d'orientation qui a été votée par le Parlement : elle vient d'être promulguée et comporte des mesures très importantes en faveur de l'emploi et du développement pour les départements d'outre-mer et Saint-Pierre-etMiquelon.

Cette loi vise également à assurer l'égalité sociale entre les départements d'outre-mer et la métropole. Or cette égalité sociale n'est pas encore pleinement réalisée. Ainsi, le montant du RMI versé outre-mer est inférieur de 20 % à celui de la métropole alors que le coût de la vie dans ces départements est souvent supérieur. Au moment où les départements d'outre-mer se voient dotés d'une loi destinée à aider leur développement, cet écart est plus que jamais injustifié. L'alignement du RMI doit donc être réalisé le plus rapidement possible.

Je vous annonce aujourd'hui qu'il le sera en deux étapes. D'abord, au 1er janvier prochain, dans une dizaine de jours environ, le tiers de l'écart sera comblé. A ce moment, le RMI, outre-mer, sera égal à 87 % de celui de la métropole. La deuxième étape, qui sera la dernière, c'est-à-dire celle de l'alignement complet, sera franchie dès le 1er janvier 2002, c'est-à-dire dans à peine plus d'un an, je tenais à vous le confirmer aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Ce sera une date très importante pour l'égalité sociale outre-mer en faveur de laquelle les différents gouvernements de gauche ont beaucoup oeuvré.

Le projet de loi d'orientation comportait aussi une disposition importante qui ne concernait que le département de la Réunion pour lequel était envisagée une bidépartementalisation, avec l'idée que la création d'un département au sud de l'île permettrait de mieux centrer le développement, donc de le favoriser. Le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, M. Christian Paul, a indiqué, lors de la discussion du texte que le Gouvernement était favorable à ce projet. Je le confirme très clairement aujourd'hui.

M. Jean-Pierre Soisson.

Vous l'avez retiré !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. le Premier ministre.

Cette réforme administrative pour l'aménagement du territoire de la Réunion sera mise en oeuvre dans la concertation et selon un calendrier adapté à son ampleur. Je suis convaincu qu'elle recueillera ainsi l'adhésion de tous ceux qui veulent le développement économique et social de l'île de la Réunion.

La loi d'orientation pour l'outre-mer constitue un dispositif complet et cohérent pour ces départements. Avec des mesures en faveur de l'emploi, du développement et de l'égalité sociale, un élargissement des compétences des collectivités locales, la possibilité d'adapter l'organisation administrative de chacun des départements d'outre-mer en fonction de ses réalités et de ses aspirations, cette loi marque bien une étape importante pour nos compatriotes des départements d'outre-mer, attachés à la reconnaissance de leur dignité, de leur égalité et de leur identité dans la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste.)

AIDE JURIDICTIONNELLE

M. le président.

La parole est à M. Maxime Bono.

M. Maxime Bono.

Madame la ministre de la justice, à la sortie de l'accord intervenu cette nuit, le mouvement de revendication des avocats, engagé voilà près de deux mois, vient de se terminer. Il remettait en cause le mécanisme de l'aide juridictionnelle résultant de la loi du 10 juillet 1991 qui, pour la première fois, avait établi un régime digne de ce nom en matière d'accès à la justice et d'indemnisation des auxiliaires de justice.

Soucieux d'assurer à tous une égalité d'accès au droit et à la justice, nous avons voté, ici même, des textes qui doivent la rendre plus accessible et plus proche des citoyens. L'intervention accrue des avocats dans ces procédures nouvelles en constitue un volet important. Avec l'évolution de la société, le dispositif de 1991, établi en son temps avec l'accord de la profession d'avocat, se révèle obsolète. Il crée désormais, tant pour les professionnels que pour les usagers de la justice, de réelles difficultés.

Chacun s'accorde donc à considérer qu'une refonte des mécanismes de l'aide juridictionnelle est nécessaire. Cela prendra du temps. La mise en place d'une commission de réflexion était utile et la nomination de M. Paul Bouchet garantit la qualité des propositions que nous devrions connaître à la fin du mois d'avril prochain.

Néanmoins, et parce que la profession d'avocat souffrait - du moins certains avocats qui prenaient partic ulièrement en charge l'aide juridictionnelle - des mesures d'urgence s'imposaient. Par vos qualités d'écoute, madame la ministre (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

M. Jean-Claude Lenoir.

Jouez violons !

M. Maxime Bono.

... vous avez permis que soit trouvée, cette nuit, une issue convenable et acceptable par tous.

Pouvez-vous nous en donner la teneur ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. (« Merci pour la question ! Merci ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Pierre Soisson.

C'est Noël !

M. le président.

Monsieur Soisson !

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le député, nous avons abouti cette nuit à un accord que je crois très équilibré. Il convient d'ailleurs de souligner que toutes les organisations représentatives des avocats et l'ensemble de leurs institutions l'ont accepté : c'est sans doute pourquoi cet accord a été difficile à obtenir. Mais il nous semblait important, sur un dossier de ce type, d'obtenir l'unanimité, ce qui a été possible vers une heure du matin.

C et accord est équilibré parce qu'il comprend deux grands volets.

Le premier tend à répondre, par des mesures immédiates, aux préoccupations des avocats, généralement les plus jeunes, qui prennent en charge les dossiers les plus difficiles. Il fallait en effet donner immédiatement de l'espoir non seulement à ces avocats, mais aussi et surtout, aux exclus de notre pays qui, comme l'a souligné le Premier ministre, représentent les stigmates d'une crise sociale si violente qu'ils ont besoin d'être défendus encore plus que d'autres. C'est pourquoi, notamment pour tout ce qui concerne les audiences correctionnelles, mais aussi les expulsions et les recours devant un tribunal pour enfants, nous avons doublé les indemnisations destinées aux avocats qui prendront en charge ces dossiers. En 2002 d'autres mesures seront mises en oeuvre, prévoyant une augmentation de 50 %, en particulier pour les divorces et les affaires aux prud'hommes.

Nous avons donc élaboré un programme en paliers qui doit surtout déboucher sur une autre manière de voir les choses.

L'aide juridictionnelle a été mise en place en 1991 par Henri Nallet, mais dix ans ont passé et elle n'est plus adaptée. Avec la commission Paul Bouchet nous allons écrire un nouveau chapitre de cette histoire importante de l'accès à la justice et de l'accès au droit. D'ailleurs Elisabeth Guigou et Lionel Jospin ont rendu prioritaire l'accès à la justice dans notre pays.

Il est vrai que l'accès à la justice passe par une révision totale de ce mode de prise en charge qui doit se faire sans passion, avec raison et avec méthode. Je compte sur le président Bouchet et sur ceux qui ont accepté de participer aux travaux de cette commission pour nous remettre en avril prochain un bon rapport qu'il vous appartiendra de traduire en termes législatifs. J'espère aboutir à la fin de 2001.

Cet équilibre est important parce qu'une démocratie qui se respecte et qui veut vivre longtemps doit toujours savoir armer le bras judiciaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

PRISE EN CHARGE DE LA MALADIE D'ALZHEIMER

M. le président.

La parole est à M. Michel Etiévant.

M. Michel Etiévant.

Madame la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, plusieurs centaines de milliers de personnes sont frappées par la maladie d'Alzheimer en France, cette maladie qui concerne essentiellement les personnes âgées. Compte tenu du vieillissement de la population, le nombre de malades est appelé à s'accroître.

La maladie d'Alzheimer devient donc un grave problème à la fois de santé publique et de société, auquel il est urgent de répondre.


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Diagnostic, prise en charge à domicile ou en institution, médicalisation ou non de cette prise en charge : autant de questions que se posent les familles démunies face à la maladie mal connue de leur proche. Leur désarroi ne peut pas nous laisser indifférents.

Cette terrible maladie a fait l'objet d'un rapport qui v ous a été remis récemment. Quelles propositions comptez-vous en retenir et quelles mesures entendez-vous mettre en place ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

M. Jean-Pierre Soisson.

Attendez M. Kouchner ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Monsieur Soisson (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), asseyezvous donc ! Rester debout donne trop envie de parler à l'orateur que vous êtes ! Madame la secrétaire d'Etat, vous avez la parole.

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

Maladie des personnes âgées, mais qui peut aussi survenir à un âge plus jeune, la maladie d'Alzheimer doit être considérée comme une priorité de santé publique dans la mesure où c'est une maladie dont la fréquence est appelée à croître du fait du vieillessement de la population. Nous ne disposons pas encore d'un traitement efficace et il faut, pour reprendre l'expression du professeur Girard, médicaliser le diagnostic et démédicaliser la prise en charge.

C'est bien pourquoi, depuis 1999, le Gouvernement a adopté différentes mesures pour adapter la prise en charge sociale et médico-sociale des personnes âgées dépendantes, notamment de celles qui présentent une détérioration intellectuelle. Par ailleurs, a été décidée la création d'un réseau national d'observation de la maladie d'Alzheimer, piloté par le CHU de Toulouse.

Le rapport que le professeur Girard a remis à Elisabeth Guigou et à moi-même, il y a quelques semaines, a été publié. Il nous permet d'engager l'analyse et l'expertise d es propositions qui y sont avancées pour mieux connaître cette pathologie et pour définir un plan national pluriannuel de prise en charge spécifique des personnes atteintes.

Le développement des moyens permettant un diagnostic précoce, la poursuite et l'amélioration de la prise en charge à domicile, la diversification de la prise en charge institutionnelle en fonction de l'évolution de cette maladie seront les trois axes de notre réflexion-action qui devrait trouver son aboutissement dans les mois qui v iennent.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

SE

CURITE

DES CONVOYEURS DE FONDS

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Dufau.

M. Jean-Pierre Dufau.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur. Fin juin, le Parlement a voté en urgence le projet de loi du Gouvernement relatif à la sécurité des convoyeurs de fonds, dont j'ai été le rapporteur à l'Assemblée. La loi votée, restait à prendre dans le délai des six mois voulu par les parlementaires, le décret fixant les aménagements des locaux pour une meilleure garantie de la sécurité des convoyeurs de fonds. Je crois savoir que la parution de ce décret est imminente, s'il n'est pas déjà signé. (« Téléphone ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Monsieur le ministre, pouvez-vous confirmer à la représentation nationale que ce décret est bien prêt et préciser son contenu, ainsi que les modalités de sa mise en oeuvre en concertation avec les donneurs d'ordre : banques et grandes surfaces, notamment, qui utilisent les services des convoyeurs de fonds, profession à risque.

(« Allô ! Allô ! » sur les mêmes bancs. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.

Monsieur le député, votre assemblée, c'est vrai, s'est montrée très soucieuse de la situation faite aux convoyeurs de fonds et de leur sécurité. C'est ainsi qu'en adoptant, le 10 juillet 2000, un projet de loi sur ce sujet, vous aviez prévu que le décret d'application devrait être publié dans les six mois, c'est-à-dire avant le 11 janvier 2001. Au mois d'octobre dernier, m'exprimant à ce sujet, je m'étais engagé à ce qu'il soit publié. C'est chose faite (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) puisque le décret déterminant les aménagements de locaux que doivent réaliser les donneurs d'ordre recourant à des convoyeurs de fonds a été publié au Journal officiel de ce matin, mardi 19 décembre.

(Rires et applaudissements sur les mêmes bancs.)

Il est clair que les trains qui arrivent à l'heure n'intéressent pas les députés de l'opposition ! Pour préparer ce décret, ce qui a été fait en étroite liaison avec mes collègues Laurent Fabius et Jean-Claude Gayssot, il a fallu tenir compte de quatre exigences souvent contradictoires. Il fallait répondre aux attentes légitimes des convoyeurs de fonds, qui demandaient un renforcement de leur sécurité, en supprimant ou en réduisant le plus possible les transports de fonds à pied, en évitant de créer des contraintes immobilières ou techniques irréalistes qui, compte tenu des situations extrêmement diversifiées des agences bancaires ou des grandes surfaces commerciales, auraient posé problème. Il ne fallait pas non plus que les exigences nouvelles remettent en cause le service rendu aux usagers, notamment avec les distributeurs automatiques de billets. Enfin, il n'était pas question de transférer le risque sur d'autres catégories de personnes, on pense évidemment aux usagers ou aux employés de banque.

Afin de tenir le plus grand compte de ces différentes exigences et de mettre au point un dispositif à la fois efficace et équilibré, le décret a fait l'objet d'une concertation approfondie avec l'ensemble des parties prenantes : les entreprises de convoyage de fonds, les représentants des convoyeurs de fonds, les différentes catégories d'entreprises recourant au convoyage et, bien sûr, les banques et les grandes surfaces.

Après la mise en place des commissions départementales de sécurité du convoyage au début de cette année, après la publication du décret du 28 avril 2000, voilà désormais l'ensemble du dispositif arrêté. (Exclamations sur les mêmes bancs.)


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Il semble que cela vous dérange quand les choses avancent dans le bon sens ! (Protestations sur les mêmes bancs.)

Toutes les dispositions sont ainsi prises pour que le convoyage s'opère dans les meilleures conditions de sécurité possible. Les engagements auront été tenus en ce domaine comme dans bien d'autres. La sécurité, vous le savez, ne peut être qu'une coproduction entre les différents acteurs.

Monsieur le député, pour sa part, le Gouvernement met tout en oeuvre et applique sans retard l'ensemble des mesures décidées en mai, conformément à la loi que vous avez votée ici. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous passons au groupe communiste.

INSCRIPTIONS SUR LES LISTES ÉLECTORALES

M. le président.

La parole est à M. Maxime Gremetz.

(« Ah ! » sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Messieurs, je vous en prie !

M. Maxime Gremetz.

Laissez-les se défouler un peu avant Noël, monsieur le président ! Monsieur le ministre de l'intérieur, le 30 décembre prochain, toutes les communes de France procéderont à la clôture des inscriptions sur les listes électrorales. Des échos qui nous parviennent de différents endroits de l'Hexagone et du constat que j'ai été amené à faire moi-même dans la ville d'Amiens, il résulte que de graves atteintes sont portées à l'exercice du droit de vote.

M. Bernard Deflesselles.

A Aubagne !

M. Maxime Gremetz.

Qu'il s'agisse des radiations massives d'office de tous ceux qui, comme à Amiens, n'ont pas voté depuis cinq ans ou de l'application de la loi du 10 novembre 1997 qui fait obligation aux maires d'inscrire les jeunes nés entre le 1er mars 1982 et le 28 février 1983, en subordonnant, comme à Amiens, la validation de leur inscription au dépôt en mairie de différentes pièces justificatives, on détourne la loi et son décret d'application, de même qu'on détourne la loi en ne consultant pas le conseil municipal sur les grands projets de ville. M. Bartolone en est informé.

M. Bernard Deflesselles.

Pas vous, pas ça !

M. Maxime Gremetz.

Sur le premier point, je rappelle que le vote est un droit reconnu par notre Constitution.

L'abstention revêt aussi aujourd'hui le caractère d'une expression politique de nos concitoyens.

Sur le second point, alors que de nombreux jeunes gens pensent légitimement être inscrits d'office sur les listes électorales, ils auront la douloureuse surprise de ne pas pouvoir voter en mars 2001 parce qu'ils ne se seront pas soumis à la complexité des procédures organisées à Amiens et ailleurs.

J'ai pris bonne note, monsieur le ministre, de la réponse que vous m'avez faite, vous engageant à faire procéder à un examen approfondi des radiations intervenues à Amiens et je vous en remercie. Cependant, dix jours seulement nous séparent du 30 décembre. C'est pourquoi je sollicite des mesures d'urgence, d'une part, pour que les conclusions de l'étude que vous allez mener permettent la réinscription des électeurs abstentionnistes radiés d'office et, d'autre part, pour que vous exigiez, à Amiens comme ailleurs, l'application conforme de la bonne loi que nous avons votée en 1997 sur l'inscription automatique des jeunes atteignant dix-huit ans, cela, bien sûr, y compris après la date butoir du 30 décembre.

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.

Monsieur le député, vous soulevez un vrai problème qui touche à la vie démocratique dans notre pays. Quand le législateur a adopté la loi sur l'inscription des jeunes sur les listes électorales en 1997, il a confié le soin à l'INSEE d'identifier les jeunes concernés à partir du fichier de recensement au service national. Or ce fichier n'a pas une fiabilité totale.

C'est pourquoi la loi prévoyait que les jeunes pourraient vérifier eux-mêmes s'ils étaient inscrits sur les listes électo rales.

J'ai aussi demandé aux préfets de faire avant le 30 décembre tout ce qui était nécessaire pour inciter les jeunes concernés à accomplir ces démarches d'inscription, parce que la loi qui a été adoptée ne prévoit pas l'automaticité de l'inscription. Il faut de ce point de vue que toute la publicité soit faite. Voilà pourquoi mon ministère a lancé une campagne de publicité afin que ce droit de vote puisse devenir une réalité pour l'ensemble des jeunes.

Le devoir de citoyenneté nous incite à faciliter ces démarches. Les préfets sont mandatés également pour vérifier auprès de toutes les collectivités locales qu'il n'y ait pas de difficultés, de blocages, dans les bureaux d'inscription, qu'on n'y soit pas trop tatillon avec les gens qui s'y présentent, qu'il s'agisse de jeunes ou de gens qui auraient été radiés dans des conditions critiquables.

La volonté de lutte contre le trucage et la fraude électorale nous conduit à maintenir des règles pour garantir la véracité et la sincérité des scrutins dans notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe du rassemblement pour la République.

DÉFICIT BUDGÉTAIRE

M. le président.

La parole est à M. Yves Deniaud.

M. Yves Deniaud.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie et des finances.

Comme l'an dernier à la même époque, avec votre prédécesseur, M. Christian Sautter, à qui cela n'a guère réussi, on voit ressortir le mauvais feuilleton de la cagnotte. Cette fois, la dénonciation n'est pas venue des bancs de l'opposition, mais de M. Robert Hue (« Hue ! Hue ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) qui annonce, et ses chiffres sont sans doute bons, que 25 milliards de francs de recettes supplémentaires auraient été engrangés par rapport aux dernières indications fournies à la représentation nationale.

Parler de cagnotte quand on a 5 000 milliards de dettes, plus de 200 milliards de déficit, et qu'on s'apprête à emprunter plus de 500 milliards supplémentaires en 2001, c'est effectivement un peu osé.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Mais, monsieur le ministre, nous voudrions savoir enfin, à douze jours de la fin de l'année 2000, et alors que vous nous annonciez il y a quelques jours que le déficit 2000 serait de 209 milliards mais que ce chiffre n'était sûrement pas le bon, combien les Français auront exactement payé d'impôt en plus des dernières prévisions et à combien le déficit 2000 sera réduit, sachant qu'en dépit de toute éventuelle réduction, il restera le record de la zone euro en la matière ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, je vous remercie de cette question que je n'attendais pas sur ces bancs. (Sourires.) Vous avez d'abord eu tout à fait raison de dire que le terme de cagnotte, en tout état de cause, ne convenait pas lorsque, comme c'est le cas de notre pays, on a des dettes importantes.

Je vous confirme que les prévisions de recettes seronte xactement dans la ligne de la dernière situation comptable que nous transmettons à la commission des finances. Il pourra y avoir, sur tel impôt un léger excédent, sur tel autre une légère baisse, mais nous nous trouverons à la fin de l'année sur une base de déficit qui sera légèrement inférieure à 200 milliards de francs, conformément à la prévision qui vous a été donnée par Mme Parly et par moi-même il y a quelques jours. Il n'y a donc aucune surprise à attendre.

Pour le reste, je vous confirme que sur le plan de la croissance générale de l'économie française, l'année 2000 aura été bonne et même excellente, ce qui aura permis un certain nombre de rentrées. Je vous confirme aussi - ce qui vient d'être attesté par la Commission européenne que pour l'année 2000, la France aura connu une baisse des prélèvement obligatoires qui est l'une des plus élevées d'Europe (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République), nous pouvons nous en réjouir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

MALAISE DES PROFESSIONS DE SANTÉ

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Lemoine.

M. Jean-Claude Lemoine.

Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés. La semaine prochaine, de très nombreuses professions de santé organisent une semaine « santé morte »,...

M. Jean-Pierre Brard.

Quel paradoxe !

M. Jean-Claude Lemoine.

... espérant la prise en compte de leurs difficultés et des problèmes de santé publique. A travers ce mouvement de protestation, précédé de beaucoup d'autres, le monde de la santé en appelle à une véritable concertation.

Madame la secrétaire d'Etat, quand entendrez-vous les spécialistes et les kinésithérapeutes qui dénoncent la baisse unilatérale du prix de leurs actes et l'inefficacité du système de lettres-clés flottantes ? Quand écouterez-vous les médecins généralistes soumis à de nombreuses contraintes qu'ils ne peuvent assumer ? Quand examinerez-vous le cas des praticiens hospitaliers obligés d'exercer dans une discipline dont ils ne détiennent pas la compétence ordinale, ce qui est particulièrement préoccupant ? Quand organiserez-vous un véritable dialogue autour du projet de soins infirmiers ? Enfin, quand prendrez-vous en compte tous ces problèmes, ce qui est indispensable pour que les citoyens gardent confiance dans leur système de santé ? L'ensemble de ces manifestations est le signe du profond malaise de professionnels qui ne veulent plus se voir imposer des choix politiques préjudiciables à la santé de tous.

Madame la secrétaire d'Etat, avez-vous l'intention - et quand - de répondre dans la concertation aux problèmes rencontrés par les professionnels de la santé ?

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est vrai, monsieur le député, que certaines organisations professionnelles ont lancé des mots d'ordre de fermeture des cabinets médicaux pendant la semaine qui sépare Noël et le jour de l'an.

M. Jean-Pierre Brard.

Ils vont aux sports d'hiver !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mon premier souci, c'est que les patients et les malades puissent recevoir les soins dont ils ont besoin. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé personnellement aux directeurs des agences régionales de faire en sorte que les hôpitaux soient en mesure d'accueillir davantage de personnes si nécessaire (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) , et des instructions ont été données aux préfets de procéder si nécessaire à des mesures de réquisition, mais je pense que nous n'aurons pas à en arriver là, parce que je sais que les médecins sont des gens responsables (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe socialiste) qui, en tout état de cause, ont d'abord à coeur le service de leurs patients et qui ne laisseraient jamais quelqu'un dans une situation de détresse ou de maladie.

Ce mouvement est certainement révélateur, en effet, d'un malaise chez les professions de santé, malaise chez les médecins mais aussi chez d'autres professions de santé, infirmiers ou kinésithérapeutes. C'est la raison pour laquelle, après les avoir tous reçus, j'ai décidé d'engager, le 25 janvier prochain, une réflexion qui prendra la forme d'une réunion, rue de Grenelle (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du g roupe Démocratie libérale et Indépendants), avec l'ensemble des représentants des professions de santé...

Mme Odette Grzegrzulka.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... pour que, comme votre assemblée l'a souhaité, nous puissions réfléchir à l'avenir de notre système de santé et à la façon d'instaurer une maîtrise médicalisée des dépenses de santé, que tous les professionnels souhaitent.

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

INONDATIONS DANS LE FINISTÈRE

M. le président.

La parole est à M. André Angot.

M. André Angot.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

La semaine dernière, le Finistère a été victime de graves inondations qui ont engendré des conséquences dramatiques pour de nombreux particuliers et commerçants. Dans les villes de Quimper, Quimperlé, Châteaulin et Morlaix, certains se sont retrouvés avec plus de deux mètres d'eau dans leur maison ou appartement, alors que plusieurs centaines de commerces ont été littéralement submergés par les flots, ruinant ainsi en quelques heures les perspectives économiques des fêtes de fin d'année.

J'ai moi-même constaté à Quimper, monsieur le ministre, l'étendue des dégâts : des magasins couverts de b oue, des sous-sols totalement inondés, des stocks détruits, des usines ravagées. Quant aux particuliers, certains estiment les dégâts à plusieurs centaines de milliers de francs, ainsi que vous avez pu le constater vous-même lors d'une visite sur les lieux de cette catastrophe.

Aujourd'hui, il faut très rapidement trouver des solutions. L'état de catastrophe naturelle doit être reconnu dans les plus brefs délais. Je compte sur vous pour donner les instructions nécessaires afin que les procédures soient diligentées avec la plus grande fermeté. Cela permettrait une meilleure prise en charge, et plus rapide, des dommages par les compagnies d'assurances.

De nombreuses personnes se retrouvant dans des situations financières très délicates, je vous demande d'étudier avec vos collègues du Gouvernement la possibilité d'accorder des exonérations ou le report d'un certain nombre d'échéances fiscales ou sociales : URSSAF, charges patronales, cotisations diverses. De plus, pourquoi ne pas envisager des prêts bancaires à taux préférentiels cautionnés par l'Etat, des aides à la recréation d'entreprise, voire des avances de trésorerie ? Ces inondations sans précédent au cours de ce siècle auront été vécues comme un véritable drame humain. Il serait inadmissible, alors que certains ont perdu une grande partie de leurs biens, que la solidarité nationale ne puisse pas s'exprimer en leur faveur. J'attends de vous des mesures concrètes pour aider ces milliers de personnes dans la détresse. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.

Monsieur le député, le département du Finistère a subi de violents orages d'une rare intensité qui ont entraîné des inondations comme ce département en a rarement connu. Les villes de Quimper, Quimperlé, Morlaix, Châteaulin, Landernau ont été particulièrement touchées : 300 personnes ont dû être évacuées et les sapeurs-pompiers ont effectué plus de 1 500 interventions. Heureusement, aucune victime n'est à déplorer.

Je tiens à saluer, avec vous tous j'imagine, l'extraordinaire dévouement et le courage des sauveteurs, et notamment des 1 900 sapeurs-pompiers du département.

Mme Odette Grzegrzulka.

Tout à fait.

M. le ministre de l'intérieur.

Durant la nuit du 12 au 13 décembre, j'ai décidé de faire acheminer trente motopompes pour aider les sapeurs-pompiers du Finistère. Vu l'évolution de la situation, une compagnie d'intervention est arrivée en renfort de Nogent-le-Rotrou.

Sur place, j'ai annoncé une aide de 200 000 francs de toute urgence pour les plus démunis.

En tant que ministre chargé de la protection civile, comme vous l'avez souligné, je suis allé sur place rencontrer les sauveteurs, la population et les élus. J'ai voulu m'entretenir directement avec les élus des mesures à prendre très rapidement et témoigner de la solidarité du Gouvernement et de celle du Premier ministre. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Sans attendre, j'ai demandé au préfet du Finistère de travailler en étroite relation avec les élus.

D'abord, il est clair qu'une telle situation ne peut que conduire à une déclaration de catastrophe naturelle. Je souhaite que les dossiers soient instruits très vite et je vous confirme que la commission se réunira dès le 21 décembre prochain.

Il faut ensuite dresser rapidement le bilan économique et financier de cette catastrophe. Une cellule de crise pour les commerçants et industriels a été créée, associant le préfet, le trésorier-payeur général et les différents ser vices fiscaux ainsi que les organismes consulaires, ce qui a permis de dresser un premier bilan des dommages et de prendre des mesures d'ordre fiscal et social.

Il faut enfin dresser le bilan des dommages aux biens non assurables des collectivités locales, et vous savez que mon ministère a mobilisé sans attendre 10 millions de francs pour venir en aide aux collectivités locales.

Au nom du Gouvernement, je renouvelle aux Finistériens mon témoignage de profonde sympathie face à la situation dramatique dans laquelle ils se sont trouvés et je confirme que tout sera mis en oeuvre pour leur porter secours et assistance, réparer et faire disparaître au plus vite les traces de cette catastrophe. En tout cas, j'ai constaté qu'une fois de plus, les Bretons faisaient preuve d'un courage exemplaire ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Je tenais à le dire ici devant la représentation nationale.

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous passons au groupe Radical, Citoyen et Vert.

PRESCRIPTION

M. le président.

La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret.

Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux.

Le procureur de la République d'Auxerre vient d'annoncer sur toutes les ondes que M. Emile Louis était un assassin, l'un des plus horribles serial killers de notre histoire judiciaire. Il aurait reconnu avoir tué sept jeunes filles, pupilles de la nation, handicapées mentales. Or ce criminel hors série va vraisemblablement être remis en liberté puisque la prescription de dix années semble à première vue ne pouvoir être remise en cause pour des faits commis entre 1977 et 1979.

Madame la ministre, espérons que ce scandale judiciaire va nous amener à réfléchir de manière globale sur notre système de prescription, car n'est-il pas absolument scandaleux que l'on puisse invoquer la prescription, qui n'existe pas dans de nombreux autres pays, au motif qu'il y aurait la loi de l'oubli ? Quel oubli quand il y a eu sept enfants assassinés ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Quant à l'inaction de l'Etat, second motif de la prescription, elle met en cause personnellement la responsabilité de l'Etat et des procureurs de l'époque, et j'en viens à me demander s'il en aurait été de même si c'était sept filles de notables qui avaient été assassinées. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - « Exactement ! » sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Madame la garde des sceaux, il nous appartient de réfléchir sur notre système de prescription, qui a déjà é té modifié en 1995.

Actuellement, en matière de stupéfiants, la prescription est de trente ans. Est-il plus grave de consommer des stupéfiants que d'assassiner sept jeunes filles ? C'est la question qu'il faut poser.

Est-il plus grave d'avoir commis un délit de recel, qui est un délit continu, ou un délit en matière d'abus de biens sociaux, qui peut être poursuivi dans un délai de trois ans à partir du moment où il a été révélé, que d'assassiner sept jeunes filles ? Je pense qu'il faut remettre à plat tout notre système de prescription, qui est le fondement même de l'action publique. Que pense donc le Gouvernement de cette question qui scandalise la France et la représentation nationale ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le député, l'enquête a été rouverte parce que l'on a trouvé des vêtements qui pourraient avoir appartenu à l'une des jeunes filles. L'homme dont vous parlez a été mis en examen pour enlèvement et séquestration et un autre chef n'aurait pas permis de le mettre en examen.

Mme Yvette Roudy.

C'est vrai !

Mme la garde des sceaux.

D'abord parce que même un ministre de la justice a du mal à parler de l'atrocité ; je partage la douleur des familles et leur révolte devant le fait que ce crime puisse rester impuni car, c'est vrai, s'il s'agit d'un crime, il sera impuni.

Vous avez raison de poser la question globale de la prescription, mais je reste intimement convaincue que nous devons réfléchir dans un climat moins passionnel.

Au-delà de l'enquête administrative qui a été diligentée, et sur laquelle je n'ai pas encore de données objectives, il faut une inspection générale des services judiciaires sur place. (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Il n'est pas normal que l'enquête ait été arrêtée alors que des faits nouveaux auraient pu être découverts.

Je parlais tout à l'heure du bras judiciaire de la démocratie. Je suis convaincue que les magistrats, les enquêteurs, les policiers, les gendarmes sont d'accord avec nous pour que nous fassions une telle enquête, pour que plus jamais, sept ans, dix ans, quinze ans après des faits d'une telle atrocité, on ne soit obligé de parler de prescription.

Alors, je suis d'accord pour une réflexion de fond, dans un climat serein, mais il faut aussi regarder ce qui s'est passé exactement et faire en sorte que jamais plus un député n'ait l'occasion de poser une question relative à un crime de sang. (Applaudissements sur tous les bancs.)

POLITIQUE DES TRANSPORTS

M. le président.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet.

Ma question s'adresse à M. le minisre des transports.

Le bilan des transports par automobile ou par camion est aujourd'hui très accablant : participation croissante à la dérive de l'effet de serre, pollution et thrombose urbaine généralisée, 8 000 morts par an, 12 000 handicapés, des dizaines de milliers de blessés, c'est insupportable, nous ne voulons plus vivre dans des villes agressives et polluées.

Bien sûr, le Gouvernement a pris des mesures. Il y a quinze jours, par exemple, monsieur le ministre, vous présentiez avec Mme Voynet et M. Pierret un programme national pour l'efficacité énergétique. Hier, vous inauguriez le tramway de Lyon. Dans le même temps, le préfet de la région Ile-de-France présentait le plan de déplacement urbain de la région.

Je crains, hélas ! et les évolutions le montrent, que ces mesures soient insuffisantes. Du point de vue budgétaire, du point de vue politique, du point de vue même des objectifs, les mesures proposées manquent d'ambition, et la logique même de la croissance automobile et de la croissance des camions n'est pas inversée.

Ma question est donc très simple. Nous sommes à quelques jours du troisième millénaire, paraît-il. Quelle politique des transports radicalement différente pouvezvous évoquer, afin que nous puissions, au troisième millénaire, respirer en ville et ne pas nous tuer sur les routes ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

Vaste question ! La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le député, vous avez évoqué la question de la sécurité routière et vous avez eu raison. Il y a eu, en effet, plus de 8 000 morts l'an dernier ! Cela dit, l'action du Gouvernement commence à porter de premiers fruits puisque, d'ores et déjà, plusieurs centaines de vies auront pu être épargnées grâce à l'action menée dans ce domaine avec continuité et ténacité depuis 1997.

Vous avez évoqué la politique d'économies d'énergies et les difficultés rencontrées notamment à la conférence de La Haye. Je comprends d'ailleurs la déception qui peut en résulter. J'agis avec Mme Voynet et M. Pierret non seulement dans le domaine des transports mais aussi dans celui du logement, et c'était l'objet de la conférence de presse que nous avons faite en commun.

Oui, il faut une nouvelle politique des transports qui favorise en quelque sorte un nouvel équilibre, c'est-à-dire qu'il faut mettre fin à l'hypertrophie de la présence de la voiture dans les villes et à celle des camions sur les routes.

Il faut vraiment mener une politique en faveur du rail, de la voie fluviale et même du cabotage maritime.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Regardez ce que nous faisons, monsieur le député, et ne vous privez pas de le prendre à votre compte puisque vous dites vous battre pour cela.

Quand les crédits pour les transports collectifs sont quasiment doublés pour 2001 par rapport à ce que nous avons trouvé, il y a un changement, et un changement sensible.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Quand nous faisons la loi sur la sécurité et le renouvellement urbains, qui prévoit une autre politique des déplacements dans la ville, il y a un changement et il est sensible.

Quand le Gouvernement soutient financièrement la réalisation de 186 kilomètres de tramway dans les principales villes de province, il y a un changement, et il est sensible.

Quand, dans un contrat de plan, les dépenses prévues pour le ferroviaire sont multipliées par dix par rapport au contrat de plan précédent, il y a un changement, et un changement sensible.

Quand, à l'échelle de l'Europe, la France réussit à faire accepter l'idée d'un réseau ferré de fret européen pour le transport international des marchandises, il y a un changement, et il est sensible.

Quand nous lançons une politique non seulement du transport combiné, mais aussi du ferroutage, pour mettre des camions et des automobiles sur le rail, il y a un changement, et c'est ce changement qu'il faut encourager et a mplifier.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous passons au groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

FINANCEMENT DE L'APPLICATION DES 35 HEURES

M. le président.

La parole est à M. Pierre Méhaignerie.

M. Pierre Méhaignerie.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie et des finances.

Le programme pluriannuel des finances publiques va être présenté à Bruxelles dans les prochains jours et à la commission des finances demain. On indique à Bercy que, si d'aventure les chiffres communiqués ne sont pas crédibles, la prochaine rencontre des ministres de l'économie et des finances risque d'être violente, et le Gouvernement pourrait être accusé de n'être ni transparent ni sincère. Or la France est l'un des pays qui a le plus intérêt au succès de l'euro et à la coordination économique.

Mme Guigou a estimé que la norme des dépenses de maladie, en progression de 4,5 % sur trois ans, était irréaliste. Le conseil d'administration de la SNCF, qui se réunit demain, prévoit pour 2001 un déficit accru du fait de l'application des 35 heures. Dès lors que le Gouvernement, et c'est totalement compréhensible, ne souhaite dégrader ni le pouvoir d'achat des salariés de la fonction publique, des collectivités locales et des hôpitaux ni la qualité du service public, quelle enveloppe financière a-t-il prévu pour l'application des 35 heures entre 2002 et 2004 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur plu-s ieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Comme vous l'avez indiqué, monsieur le député, je rendrai public demain, en le présentant à la commission des finances, le programme à moyen terme des finances publiques de 2002 à 2004, et je répondrai bien sûr à toutes les questions que vous voudrez me poser.

Depuis 1997, grâce aux efforts réalisés par les uns et par les autres et à la croissance, nous avons pu à la fois h onorer nos engagements en matière de dépenses publiques, diminuer les déficits, même si c'est insuffisamment selon certains, et, après une période un peu difficile, réduire les prélèvements obligatoires.

Cette continuité de notre action en matière de finances publiques, nous allons la maintenir jusqu'en 2004. Et comme nos autres partenaires, nous nous fixons comme objectif, ce n'est pas un secret puisque cela a déjà été dit dans beaucoup de commentaires, d'arriver à l'équilibre global des finances publiques - sécurité sociale plus collectivés locales plus budget de l'Etat - au minimum en 2004.

M. Marc-Philippe Daubresse.

Vous ne répondez pas à la question.

M. Georges Tron.

Et le financement des 35 heures ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

A l'intérieur de cet équilibre, nous avons évidemment pris en compte la question des 35 heures, avec une différence entre ce qui concerne les entreprises privées et ce qui concerne le secteur public.

(Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Bien sûr ! En ce qui concerne les entreprises privés, nous avons prévu des diminutions de prélèvements obligatoires, de cotisations sociales, et elles sont prises en compte dans notre anticipation puisque c'est l'un des éléments qui expliqueront la baisse des prélèvements obligatoires.

M. Georges Tron.

C'est le contraire ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En ce qui concerne la fonction publique, nous faisons une distinction entre la fonction publique d'Etat, les collectivités locales et les hôpitaux. C'est probablement dans les hôpitaux que la situation est la plus difficile.

Dans les collectivités locales, beaucoup d'entre vous ont commencé à travailler en ce sens. Et dans la fonction publique d'Etat, nous nous fixons comme objectif de travailler à l'intérieur d'une masse constante en matière d'effectifs.

(« Ah ! » sur les mêmes bancs.)

Voilà les réponses que je devais vous donner. En tout cas, pour aller à l'essentiel, dès lors que, comme c'est le cas aujourd'hui, nous poursuivons une action de croissance forte, nous aurons à la fois baisse du chômage, réduction des déficits, réduction des prélèvements obligatoires et satisfaction des services publics.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

DÉVELOPPEMENT DU FERROUTAGE

M. le président.

La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse.

M. Marc-Philippe Daubresse.

Nous constatons que M. Fabius n'a répondu qu'incomplètement à notre question. Nous espérons qu'il nous donnera des chiffres plus précis demain. Quoi qu'il en soit, nous porterons évidemment à la connaissance de l'ensemble des membres de la fonction publique ce qu'il vient de nous dire.

Ma question s'adresse à Mme Voynet ou à M. Gayssot.

Mais Mme Voynet n'est pas là.

M. Philippe Briand.

Elle est en vacances !

M. Marc-Philippe Daubresse.

C'est donc plutôt à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement que je m'adresserai. Monsieur le ministre, vous venez de


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

faire allusion au ferroutage, en réponse à l'un de nos collègues. La semaine dernière, vous avez annoncé le feu vert du Gouvernement pour libérer la liaison à travers les Alpes vers l'Italie en matière de ferroutage. C'est une mesure significative, enfin ! Elle intervient après trois ans de discours, puisque la dernière mesure significative en matière de transport combiné et de ferroutage remonte au gouvernement Juppé, sous l'impulsion de M. Bernard Pons et de Mme Anne-Marie Idrac.

M. Charles Cova.

Eh oui ! Ils ont perdu trois ans !

M. Marc-Philippe Daubresse.

Monsieur le ministre, tous les pays européens sont en train de faire des efforts considérables pour résoudre les problèmes que pose la présence des camions sur les autoroutes. C'est vrai pour les Pays-Bas : voyez les liaisons qui se font entre le port de Rotterdam et l'Allemagne. C'est vrai pour l'Allemagne, avec la politique volontariste menée par la DeutscheBahn.

Vous nous avez dit que vous procédiez à un certain nombre d'inflexions dans ce domaine. Mais vous savez très bien, monsieur le ministre, qu'il y a un effet de seuil : il faut dépenser au moins 3 ou 4 milliards de francs dans les investissements ferroviaires. Une opportunité intéressante nous est par exemple offerte par l'invention d'un nouveau wagon.

Au-delà de cette mesure, qui concerne une ou deux navettes quotidiennes à travers les Alpes, et qui repousse à 2015 la liaison Lyon-Turin, êtes-vous prêt à infléchir significativement votre politique en faveur du ferroutage ? Etes-vous prêt, par exemple, à lancer une grande liaison Lyon-Paris et Lyon-Marseille ? Etes-vous prêt à traduire cette inflexion dans le budget des transports - ce qui n'est pas le cas actuellement -, comme dans les schémas de services collectifs de la DATAR, ce qui n'est pas le cas non plus ? Bref, des mesures réelles vont-elles succéder aux effets d'annonce ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le député, vous évoquez la liaison Lyon-Turin. Bien entendu, la décision doit être prise par les deux Etats, les deux gouvernements concernés. On ne peut pas s'engager à percer la moitié d'un tunnel si nos partenaires, de l'autre côté, ne sont pas d'accord pour le faire aussi. Vous comprenez qu'il faut que, des deux côtés, cela puisse aller dans le même sens.

(Rires et applaudissements sur divers bancs.)

Je vois que

M. Juppé le reconnaît.

Après toutes les études qui ont été décidées et menées à bien, je pense, et c'est l'avis du Gouvernement - c'est aussi celui du Premier ministre, qui a eu l'occasion de le dire - que le 29 janvier prochain, lors du sommet francoitalien, des décisions seront prises. Mais on sait qu'il faut une quinzaine d'années pour réaliser le tunnel de base.

D'ici là, le Gouvernement, déterminé à faire du développement du trafic ferroviaire une grande question de société, à l'échelle de la France et à l'échelle de l'Eur ope, en particulier dans les zones sensibles que sont les traversées alpines et pyrénéennes, ne s'arrêtera pas en chemin et prendra encore d'autres décisions que celles qu'il a déjà prises. Le trafic marchandises progresse de plus de 6 %, alors qu'il avait régressé assez sensiblement pendant des années. Quand M. Méhaignerie était ministre,...

M. François Rochebloine.

Un bon ministre ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

... le transport de marchandises sur rail avait connu une baisse de 1,5 milliard de tonnes-kilomètres.

Depuis 1997, la progression est de 5 milliards de tonneskilomètres. C'est dire s'il y a une évolution.

Mais elle n'est pas suffisante. La SNCF a passé un accord pour développer l'exploitation d'un wagon de type nouveau, qui permettra de mettre des camions sur le rail.

Cette expérimentation va se faire sans délai, sans même attendre la réalisation du tunnel de base. Et je puis vous dire que, dès 2002, des navettes ferroviaires commenceront à circuler avec des camions pour franchir les Alpes et que, dès 2006, plus de trente navettes circuleront chaque jour. Mais vous avez raison, monsieur Daubresse, de souligner que le transport ferroviaire de fret ne doit pas seulement concerner les traversées alpines. Pensons en particulier à ce que l'on appelle la « magistrale ECOFRET ».

Dans toutes les régions de France, partout où nous pourrons faire passer des camions ou des marchandises sur le rail, nous le ferons. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de Mme Christine Lazerges.)

PRÉSIDENCE DE Mme CHRISTINE LAZERGES,

vice-présidente

Mme la présidente.

La séance est reprise.

2 DATE D'EXPIRATION

DES POUVOIRS DE L'ASSEMBLÉE Discussion, après déclaration d'urgence, des conclusions d'un rapport sur six propositions de loi organique

Mme la présidente.

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, des conclusions du rapport de la commission des lois constitutionnelles, de la l égislation et de l'administration générale de la République sur les propositions de loi organique : de M. Georges Sarre et plusieurs de ses collègues relative à l'antériorité de l'élection présidentielle par ra pport à l'élection législative (nos 2602, 2791) ; de M. Bernard Charles et plusieurs de ses collègues visant à modifier l'article LO 121 du code électoral en vue de la concomitance de l'élection présidentielle et des élections législatives (nos 2665, 2791) ; de M. Raymond Barre modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale (nos 2741, 2791) ;


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

de M. Hervé de Charette relative à l'organisation des élections présidentielles et législatives (nos 2756, 2791) ; de M. Gérard Gouzes relative à la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale (nos 2757, 2791) ; de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale (nos 2773, 2791).

La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur.

Madame la présidente, monsieur le ministre de l'intérieur, monsieur le ministre des relations avec le Parlement, mes chers collègues, deux événements fortuits - la mort du Président Pompidou en avril 1974 et la dissolution de l'Assemblée nationale en juin 1997 par l'actuel Président de la République - sont à l'origine du calendrier électoral inédit de 2002. Ainsi, par le seul fait du hasard, non seulement les élections législatives et présidentielles se dérouleront la même année mais, de surcroît, le scrutin désignant les députés précédera l'élection présidentie lle.

Cette séquence est sans précédent. Jamais, depuis 1958, nous ne nous sommes retrouvés devant un calendrier aussi lourd de conséquences sur le fonctionnement de nos institutions. Faut-il s'en satisfaire en se laissant ainsi porter par ce que certains estiment être une bonne fortune ou, au contraire, tenter de maintenir la logique de nos institutions face à cette coïncidence qui pourrait bien faire figure de mauvais sort ? La question mérite d'être posée et, en conscience, il me semble que l'on peut y répondre simplement, dans la clarté et sans laisser à nos concitoyens la désagréable impression que nous hésitons à prendre nos responsabilités.

La commission des lois vous propose en ce sens un texte qui reprend les trois propositions de loi présentées par MM. Raymond Barre, Gérard Gouzes, Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste. Son dispositif est simple. Il prévoit que les pouvoirs de l'Assemblée nationale expireront désormais le 15 juin de la cinquième année qui suit son élection au lieu du premier mardi d'avril, cette nouvelle règle s'appliquant à la législature en cours.

Avant d'aborder le fond de cette question, je crois utile de prévenir toute agitation inconsidérée en montrant en quoi la dramatisation de ce débat est, en tout point, exagérée et, pour tout dire, je pèse mes mots, un peu honteuse.

Exagérée, cette agitation l'est manifestement. Comment peut-on, en effet, sérieusement prétendre que le rétablissement du calendrier à dix-huit mois des échéances est une manipulation ? Qui peut dire ce que seront les élections de 2002 ? N'est-ce pas se laisser aller à des spéculations bien aventureuses ? Au risque d'être cruel - mais la réalité l'est souvent on rappellera, sans plus insister, que les prédictions savantes sur la conjoncture économique et électorale qui ont mené, en 1997, à une dissolution de convenance personnelle, pour reprendre un terme cher au Président de la République, ont démontré clairement ce que valaient de tels calculs.

M. Alain Cacheux.

Très bien !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

De ce point de vue, comme l'affirme M. Raymond Barre dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi,

« personne ne peut raisonnablement dire aujourd'hui ni si un calendrier avantagerait un candidat ni, moins encore, lequel. Et ceux qui afficheraient des certitudes ne seraient pas les plus pénétrants, seulement les plus présomptueux ».

M. Alain Cacheux.

Très bien !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Honteuse, cette agitation l'est tout autant. Il ne s'agit pas ici d'un jugement moral mais bien d'un constat objectif. Ceux qui se présentent comme les héritiers du général de Gaulle s'évertuent à soutenir un calendrier électoral de hasard en tout point contraire à ce que devrait être leur conception des institutions.

Soyez sans crainte, je n'ai évidemment nullement l'intention de me faire ici le porte-parole, l'interprète ou le défenseur du gaullisme. Ma lecture des institutions en est bien éloignée. Mais comment pourrais-je ne pas relever que l'attitude de certains députés est objectivement contraire à la pensée de celui dont ils se disent les héritiers.

M. Alain Cacheux.

Eh oui !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

On ne peut s'empêcher de s'étonner que cette situation les mette si mal à l'aise.

M. Alain Cacheux.

Quelle tristesse !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Si manipulation il y a, elle est bel et bien dans cette polémique inutile que certains se plaisent à entretenir, faute d'arguments sur le fond. Talleyrand définissait ainsi la politique : « Une certaine façon d'agiter le peuple avant de s'en servir ». Je vois que la leçon a été retenue.

M. Alain Cacheux.

Par la droite !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

L'origine pluraliste des propositions que la commission des lois a examinées la semaine dernière témoigne, à l'évidence, que ce rétablissement du calendrier échappe aux arrière-pensées évoquées par certains. Personne ne peut raisonnablement prétendre, sans craindre une appréciation sévère de nos concitoyens, que M. Giscard d'Estaing, ancien Président de la République, MM. Raym ond Barre et Michel Rocard, anciens Premiers ministres, se laisseraient aller à de tels jeux en méconnaissant l'intérêt du pays et des institutions, au seul profit d'un camp contre l'autre.

M. Alain Cacheux.

Il ne faut pas sous-estimer M. Giscard d'Estaing.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Je remarque que ces personnalités ne partagent pas forcément la même conception des institutions mais qu'elles s'accordent néanmoins sur une idée : il faut qu'en 2002 les élections se déroulent dans un cadre clair et conforme au principe de fonctionnement de nos institutions.

Si certains dénoncent à cor et à cri une manipulation, d'autres, au contraire, expriment leur désaccord vis-à-vis de ce rétablissement en s'appuyant sur une conviction respectable et un raisonnement qui méritent qu'on s'y arrête quelques instants. Ils partent d'un constat : aujourd'hui le Parlement est tenu en minorité par l'exécutif. Ils émettent un diagnostic : prévoir le scrutin présidentiel avant les élections législatives renforcerait la tendance présidentialiste de notre régime.

Je n'en crois rien. Même si ce constat repose en grande partie sur une réalité, il mérite cependant d'être nuancé sur certains aspects.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Les causes de l'effacement du Parlement ne résident pas seulement dans nos règles et notre pratique institutionnelles. Cet effacement du Parlement n'est pas né de la seule instauration de l'élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962. Il procède, je crois, d'un contexte plus global qui touche, non seulement notre république, mais aussi plus largement toutes les démocraties occidentales.

La complexité croissante de la règle de droit, la construction européenne, l'immixtion du droit international dans notre système de normes, le contrôle de constitutionnalité, le règne des médias sont autant de facteurs qui ont conduit à déplacer le centre de la vie et de l'action politiques du Parlement vers d'autres lieux. Cette u nité de temps, de lieu et d'action qui, sous la

IIIe République, faisait du Parlement le coeur de la vie publique, a volé en éclats.

M. Alain Cacheux.

Très juste !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Nous devons prendre acte de cette évolution sans pour autant nous résigner à la subir. Tenir compte de cette nouvelle réalité sans ressasser une image nostalgique d'un âge d'or définitivement perdu mais en cherchant, sans cesse, les nouveaux modes d'action qui feront du Parlement une institution moderne et efficace, voilà le défi qu'il nous faut relever.

En revanche, croire que, par le seul hasard d'un calendrier favorable, on pourrait inverser cette tendance profonde des démocraties modernes, à laquelle nos institutions n'échappent pas, n'est pas, à mon avis, réaliste.

Ce raisonnement pose d'ailleurs un problème de principe. Doit-on se livrer ainsi au hasard d'un calendrier, qui interviendrait comme une justice immanente, pour rétablir un équilibre institutionnel ? Si l'ordre des élections en 2002 permettait précisément d'infléchir la nature de notre régime - ce que je ne crois pas - pourrait-on légitimement l'accepter, en faisant finalement l'économie d'un débat clair sur ce sujet, à l'issue duquel nos concitoyens seraient appelés à s'exprimer ? C'est en 2002 que le débat sur nos institutions, amorcé aujourd'hui, doit avoir lieu. Nous en avons la conviction.

Notre système politique est, à bien des égards, à bout de souffle et en attente de mutations profondes, qui nécessitent des réformes d'envergure.

M. Gérard Gouzes.

Tout à fait !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Certaines d'entre elles ont déjà été adoptées : la parité, la limitation du cumul des mandats - encore trop timide à mon goût...

M. Alain Cacheux.

La faute à qui ?

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

... le quinquennat. Mais ce sont les prochaines élections présidentielles et législatives qui offriront l'occasion de débattre clairement de ces questions devant les Français.

Le préalable à la tenue de ce débat institutionnel dans la clarté est le rétablissement du calendrier de 2002. En effet, l'organisation des élections législatives avant le scrutin présidentiel soulève des difficultés qui pourraient conduire notre pays à un véritable imbroglio juridique.

Comment, dans le calendrier actuel, s'organiseraient les campagnes électorales pour les deux scrutins ? Pourrait-on, avec ce même calendrier, mener à bien les opérations de parrainage pour l'élection présidentielle ? Quel rôle serait celui du gouvernement intérimaire entre l'élection législative et le scrutin présidentiel ? Il y a là des difficultés réelles qu'il ne faut pas négliger. A ne rien faire, nous prendrions le risque de nous fourvoyer dans des péripéties semblables à celles qui ont récemment fait la une des médias aux Etats-Unis, les procédures judiciaires et les arguties juridiques se substituant à un débat politique clair et démocratique ? Oui, mes chers collègues, le calendrier de 2002 est véritablement « abracadabrantesque » ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Derosier.

Tiberi a frémi !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Il a pour effet mécanique de faire de l'élection présidentielle une queue de comète des élections législatives.

C'est la raison pour laquelle il importe de fixer, suffisamment à l'avance, comme c'est le cas aujourd'hui, des règles précises et limpides qui offrent ni la possibilité, même hypothétique, ni la tentation de recourir à des subterfuges qui éloigneraient plus encore, s'il en était besoin, nos concitoyens du débat public. C'est bien ce choix de la clarté qui a conduit plusieurs de nos collègues à proposer le rétablissement du calendrier de 2002.

Car si nous ne partageons pas tous sur ces bancs le même jugement sur la Ve République, il est un de ses acquis que personne ne peut objectivement nier, c'est le fait majoritaire et la stabilité d'action qui avait tant manqué par le passé.

Et plutôt que d'évoquer, comme le font certains, l'esprit des institutions qui ne correspond pas nécessairement à une réalité tangible et peut fait l'objet d'interprétations fort diverses et parfois contradictoires...

M. Jean-Pierre Brard.

L'esprit, ce n'est pas l'âme.

(Sourires.)

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

... je préfère, quant à moi, m'intéresser au principe de fonctionnement de nos institutions.

Le principal apport de la Ve République est d'avoir permis que notre pays connaisse, pour la première fois dans son histoire institutionnelle souvent tumultueuse, la difficile alliance entre la stabilité et le pluralisme, sous le contrôle et par la volonté du peuple et c'est au fait majoritaire que nous devons cette évolution positive.

M. Jean-Pierre Brard.

Comme en 1993 !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Jamais la France n'a pu durablement être gouvernée autrement que par une coalition.

Ce pluralisme, j'insiste sur le mot, est une richesse, le débat se nourrissant d'opinions différentes et de nuances.

Pour autant, cette diversité constitue aussi un obstacle à la stabilité gouvernementale comme nous l'ont montré la IIIe et la IVe République. Et si l'on doit reconnaître un mérite au régime institué en 1958 et en 1962, il s'agit bien de celui-ci : il a su organiser les conditions nécessaires à la préservation d'un équilibre entre cette pluralité des opinions et l'indispensable continuité de l'action de l'Etat.

Or, qu'on l'accepte ou non, le fait est que ce mécanisme puissant qui a permis d'atteindre cet objectif est, sans nul doute, l'élection du Président de la République au suffrage universel direct.

M. Jean-Pierre Brard.

Une régression gigantesque !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Le second tour de l'élection présidentielle permet, en effet, de fédérer les forces qui se sont exprimées


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

quinze jours auparavant. S'ils veulent être élus, les deux candidats doivent démontrer leur capacité à rassembler au-delà de leur seule formation politique sur la base d'un message clair qui fera figure de contrat entre le futur Président de la République, le peuple mais aussi l'ensemble des partis qui l'ont soutenu.

Le débat a lieu en pleine clarté devant les Français et fédère les forces politiques de gauche comme de droite.

C'est cet acquis qui nous a permis de sortir des affres des Républiques précédentes lorsque les petits partis charnières jouaient l'un ou l'autre camp, en dépit de la volonté du peuple. Car, chers collègues, était-ce la démocratie que de voir une France voter pour le Cartel des gauches en 1924 et se retrouver, deux ans plus tard, gouvernée par Poincaré ?

M. Jean-Pierre Brard.

Et Guy Mollet en 56 ?

M. Bernard Derosier.

Vous, les communistes, vous étiez alors à l'Est !

M. Charles Cova.

Continuez, on compte les points ! (Sourires.)

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Mais je voudrais aussi insister sur un autre aspect pour répondre aux préventions exprimées par les représentants des petits partis politiques.

Contrairement aux idées reçues, l'élection présidentielle ne marginalise nullement les plus petites formations. Le premier tour de ce scrutin leur offre, au contraire, la possibilité de s'exprimer et de se faire connaître dans le cadre d'une tribune nationale qui est la plus large possible.

Non, l'élection présidentielle n'est pas ce léviathan qui semble effrayer certains. Elle est un rendez-vous démocratique auquel nos concitoyens sont désormais attachés.

Dans cette perspective, le rétablissement du calendrier normal des élections semble constituer l'une des conditions pour que soit préservé le fait majoritaire. Il ne faut pas y voir le triomphe du présidentialisme et la défaite du Parlement. Car la démocratie repose sur l'alternance et la responsabilité des gouvernants.

M. Alain Cacheux.

Très juste !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

La mise en oeuvre de ces principes n'est possible que dans la clarté : celle du choix des représentants par le peuple, celle des projets proposés et celle du bilan que les électeurs auront à juger.

Bien sûr, maintenir le calendrier actuel ne porterait pas atteinte à notre République mais perturberait le jeu normal de nos institutions à un moment où le débat politique exige une grande transparence. Parce que la démocratie est, par nature, le règne de la majorité, ce qui la distingue du despotisme, il importe de tout faire pour permettre à cette majorité d'émerger dans les meilleures conditions.

C'est sur la base de ces arguments, mes chers collègues, que l'on ne saurait qualifier de manipulateurs sans se discréditer totalement aux yeux de nos concitoyens, que la commission des lois vous invite à adopter la proposition de loi organique qui fixe de manière générale la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale au 15 juin de la cinquième année suivant son élection, cette disposition s'appliquant à la présente législature.

En conclusion, je voudrais former un voeu : je souhaite qu'aujourd'hui le débat ait lieu et que chacun puisse exposer ses arguments avec fermeté et conviction, comme je viens d'essayer de le faire, mais je souhaite également que les arguments portent sur le fond de la question qui nous est posée, ici et maintenant, et que chacun prenne position en conscience, sans se laisser aller à des effets de tribune ou à des calculs inopportuns.

Contrairement à ce que le Président de la République a indiqué la semaine dernière, je crois que nous sommes c onfrontés aujourd'hui à une véritable crise de confiance,...

M. François Vannson.

La faute à qui ? M. Bernard Roman président de la commission, rapporteur.

... dont nous sommes, en grande partie, responsables. Nous devons assumer cette responsabilité. C'est à nous et à personne d'autre qu'il appartient de contredire Albert Camus qui, au sortir de la dernière guerre, faisait le constat suivant : « La société politique contemporaine est une machine à désespérer les hommes. » Faire en sorte

que ce ne soit pas le cas, voilà, mes chers collègues, où est notre devoir, voilà où est notre honneur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, le 10 octobre dernier, dans cet hémicycle, à l'occasion de l'examen du projet de loi organique relatif à l'élection du Président de l a République, je répondais à l'un d'entre vous, M. Georges Sarre, qui soutenait un amendement ayant pour effet de repousser les élections législatives au-delà de l'élection présidentielle, que « dans l'hypothèse où l'évolution du débat politique ferait apparaître un très large accord pour inverser l'ordre des échéances électorales, le Gouvernement serait alors disponible pour en débattre ».

M. Jean-Claude Lefort.

Ah oui, un « très large accord » !

M. le ministre de l'intérieur.

Depuis lors, chacun en conviendra, le débat a considérablement progressé. Tout le monde a pu mesurer que de très larges accords de personnalités politiques...

M. Jean-Claude Lefort.

De personnalités politiques !

M. le ministre de l'intérieur.

... d'horizons différents se sont manifestés et tout le monde a pu constater la disponibilité du Gouvernement pour participer à ce débat, et pour le faire dans la clarté.

Quelles sont, en effet, les étapes franchies par ce débat depuis le 10 octobre ? Après que trois grands professeurs de droit public, dont Georges Vedel, eurent appelé, le 13 octobre, à « ne pas voter la tête à l'envers », deux anciens premiers ministres, aux engagements politiques différents, M. Raymond Barre et M. Michel Rocard, nous invitaient, le 18 novembre, à « voter la tête à l'endroit ». A plusieurs occasions, hier et ce matin encore, M. Valéry Giscard d'Estaing a souhaité un tel rétablissement du calendrier électoral.

Ici même, à l'Assemblée nationale, six propositions de loi visent à prolonger le mandat de l'Assemblée, afin que les élections législatives interviennent après l'élection pré sidentielle.

Le 11 octobre était enregistrée la proposition de loi de M. Sarre et des députés du Mouvement des citoyens, le 27 octobre celle de M. Charles et des députés radicaux de gauche, le 23 novembre celle de M. Raymond Barre, le 30 novembre celle de M. de Charette, le même jour celle de M. Gouzes et, enfin, le 5 décembre, celle de M. Ayrault et des députés socialistes.

C'est au Parlement, à l'Assemblée nationale, que le débat devait naturellement se tenir. Nous l'avons eu ce matin - je crois que cette séance restera parmi les grandes


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heures de la vie parlementaire. Nous le poursuivons cet après-midi, non pas sur un projet, mais sur le rapport de votre commission des lois, à partir des six propositions déposées devant nous.

Quelle est la teneur de ce débat ? Le 24 septembre dernier, le peuple français a décidé, par la voie du référendum, de réduire à cinq ans la durée du mandat du Président de la République. Cette révision constitutionnelle a provoqué un débat légitime sur l'ordre dans lequel les électeurs devaient élire leur Président de la République et leur Assemblée nationale. En effet, le calendrier électoral concernant les deux élections les plus importantes, celles qui déterminent la politique de la nation, est la conséquence fortuite et mécanique de deux événements du passé que sont le décès du Président Pompidou, le 2 avril 1974, et la dissolution de l'Assemblée nationale, le 21 avril 1997.

M. Jean-Pierre Brard.

Dissolution hasardeuse !

M. le ministre de l'intérieur.

Le premier de ces événements conditionne la date de l'élection présidentielle dont le premier tour, depuis 1974, a lieu au printemps, en avril ou en mai.

La dissolution de 1997 a conduit quant à elle, en application de l'article L.O. 121 du code électoral, à ce q ue les pouvoirs de l'actuelle Assemblée nationale expirent le premier mardi d'avril de la cinquième année suivant l'élection, c'est-à-dire le 2 avril 2002. Si le calendrier reste inchangé, l'élection de la prochaine Assemblée nationale devra ainsi se dérouler au mois de mars 2002.

C'est donc à quelques semaines d'intervalle que seraient élus, en 2002, l'Assemblée nationale d'abord et le Président de la République ensuite, si la législation restait en l'état.

Cette situation n'est pas propre à 2002. L'instauration du mandat de cinq ans pour l'élection du Président de la République crée les conditions d'une situation où les dissolutions de l'Assemblée nationale pourraient devenir plus rares. Le calendrier de 2002 a donc une forte probabilité de se reproduire en 2007, en 2012 et au-delà.

M. Jean-Yves Besselat.

On verra bien !

M. le ministre de l'intérieur.

Il ne s'agit donc pas d'aborder un problème ponctuel, mais de discuter d'une situation durable et d'adopter une solution pérenne.

(Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Cette situation a fait réagir. Elle a fait réagir les spécialistes du droit constitutionnel, dont plusieurs ont trouvé ce calendrier singulier et peu conforme à la logique de nos institutions. Elle a fait réagir des responsables politiques de toute appartenance qui souhaitent retrouver un calendrier plus conforme à l'esprit de la Ve République.

Cette discussion est indispensable car le calendrier actuel des deux échéances électorales pose un problème institutionnel sérieux et soulève de réelles difficultés d'organisation.

Le problème institutionnel est celui qui a été souligné par de nombreuses personnalités.

Depuis la réforme constitutionnelle de 1962, l'élection présidentielle est incontestablement l'élection majeure. A l'époque, cette réforme n'a pas emporté l'adhésion de nombre d'entre nous, mais elle a été ratifiée par l'expression de la souveraineté populaire et personne - je parle des groupes politiques - ne propose de revenir au système antérieur, pas même dans les rangs de ceux qui s'opposent aujourd'hui à toute modification de l'ordre des scrutins.

Le Gouvernement est, pour sa part, très attaché à l'équilibre des pouvoirs au sein de nos institutions. Il est attaché au respect des prérogatives du Parlement, il en a fait la démonstration depuis le début de la législature.

L'initiative parlementaire n'a jamais été aussi forte, sous le Ve République, que depuis le début de cette législature...

M Francis Delattre.

Sans rire ?

M. le ministre de l'intérieur.

... puisque, pour la première fois, un tiers des textes adoptés chaque année est d'initiative parlementaire. Notre séance d'aujourd'hui en est également la manifestation.

Quand les textes sont d'origine gouvernementale, le droit d'amendement s'exerce très largement.

Enfin, le Gouvernement n'a jamais employé, depuis 1997, les dispositions de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution pour imposer ses vues à l'Assemblée nationale. De plus, les commissions d'enquête ont permis et permettent, mieux que jamais, au Parlement d'assumer son rôle de surveillance du fonctionnement de l'Etat.

C'est à cette lecture parlementaire de la Constitution que le Gouvernement entend continuer de se référer.

Mais cette lecture ne conduit pas à négliger une réalité, celle de la logique de nos institutions, qui est mise en valeur par les exposés des motifs des propositions de loi organique destinées à modifier l'ordre du calendrier électoral et à lui restituer une cohérence que les circonstances lui ont fait perdre.

D'autre part, au-delà du problème institutionnel, si l'ordre logique du calendrier électoral n'était pas rétabli, les difficultés techniques du calendrier actuel, soulignées par le Conseil constitutionnel, seraient pérennisées et aggravées.

Dans ses observations sur l'élection présidentielle, publiées au Journal officiel du 23 juillet 2000, le Conseil constitutionnel, tirant les conséquences du calendrier électoral de 2002 tel que prévu par les textes en vigueur, a souligné qu'il importait que les citoyens habilités à présenter les candidats, en application de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962, puissent le faire après avoir pris connaissance des résultats de l'élection à l'Assemblée nationale. Il en a tiré la conclusion que le deuxième tour des élections législatives devrait avoir eu lieu lorsque s'ouvrira la période de recueil des présentations des candidatures, que l'on appelle plus couramment les « parrainages ».

L'observation du Conseil constitutionnel tend naturellement à assurer la clarté politique des choix des élus auprès desquels cinq cents signatures doivent être recueillies par les candidats.

Mais la conséquence d'une telle exigence est de réduire sensiblement la durée de la période au cours de laquelle ces élus pourront présenter des candidats, pour des raisons qui tiennent à la combinaison des textes en vigueur.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est faux !

M. le ministre de l'intérieur.

En effet, l'élection présidentielle, en application de l'article 7 de la Constitution, ne peut être organisée en 2002 que les 14 et 28 avril, ou bien les 21 avril et 5 mai.

Si, pour répondre à la préoccupation exprimée par le Conseil constitutionnel, la date la plus tardive était choisie, les présentations des candidats au Conseil constitu-


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tionnel par les élus habilités seraient fixées, en application des textes en vigueur, au 2 avril à minuit. Cette conséquence ne constitue pas en soi une difficulté insurmontable, mais le législateur se doit d'avoir une vue à long terme, dans la perspective de la perpétuation d'un tel calendrier électoral. Il doit prendre en compte le fait que cette difficulté technique, mineure en 2002,...

M. Jean-Luc Warsmann.

Difficulté inexistante !

M. le ministre de l'intérieur.

... ne fera que s'aggraver ensuite parce que la date de passation des pouvoirs entre le nouveau Président et le Président sortant s'est toujours faite avant la date d'expiration des pouvoirs de ce dernier, ce qui entraîne une remontée dans le temps de la date de l'élection présidentielle.

On le constate depuis la mort du Président Pompidou : le second tour de l'élection présidentielle a eu lieu le 19 mai en 1974, le 10 mai en 1981, le 8 mai en 1988, le 7 mai en 1995, et il aura lieu au plus tard le 5 mai en 2002.

Cet effet mécanique qui conduit à ce qu'en 2002 l'élection présidentielle ait lieu quatorze jours plus tôt que dans l'année 1974 ne permettra pas, à terme, de respecter les exigences de clarté des « parrainages » affichées par le Conseil constitutionnel, à moins de réduire de plus en plus le temps laissé aux élus pour effectuer les présentations des candidats, ce qui finirait par causer une difficulté insurmontable.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est une mauvaise plaisanterie !

M. Jean-Michel Ferrand.

Et il ne le fait pas exprès !

M. le ministre de l'intérieur.

L'articulation de la Constitution et des textes actuels, qui n'ont pas été prév us pour un calendrier aussi atypique, doit donc conduire, de toute façon, à plus ou moins long terme, à une remise en ordre des échéances électorales.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est une contrevérité manifeste !

M. le ministre de l'intérieur.

Les propositions de loi organique déposées au cours des dernières semaines ouvrent la possibilité de résoudre le problème d'un calendrier électoral qui n'est pas viable tant pour les raisons techniques que je viens d'exposer que pour des raisons qui tiennent à la logique de nos institutions.

Ces propositions de loi organique offrent plusieurs solutions.

La proposition la plus audacieuse est celle de la concomitance complète des deux élections nationales. Elle présente l'avantage de favoriser la participation électorale, mais une telle réforme ne peut pas se faire par la seule loi organique.

La proposition de loi organique de M. Charles et de plusieurs députés du parti radical de gauche revient à calquer sur le mandat présidentiel la durée du mandat des députés. En cas de vacance de la fonction présidentielle, une nouvelle élection serait organisée, entraînant de nouvelles élections législatives, par une sorte de dissolution de plein droit de l'Assemblée nationale.

La création d'une telle disposition ne relève donc pas des pouvoirs du législateur organique mais du domaine de la loi constitutionnelle.

En outre, la concomitance présente moins de garanties d'assurer un vote convergent entre les deux scrutins que la solution qui consiste à organiser les élections législatives à la suite et dans la dynamique de l'élection présidentielle.

Dans l'exposé des motifs de sa proposition, inspirée de la volonté de rétablir un calendrier normal, M. de Charette cite un discours de Michel Debré décrivant la logique institutionnelle comme étant celle « d'un chef de l'Etat et d'un Parlement séparés, encadrant un Gouvernement issu du premier et responsable devant le second ».

Une telle conception se traduit forcément par une chronologie où le Président ne peut être élu aussitôt après l'Assemblée nationale.

Cette proposition de loi organique ne reporte pas systématiquement dans le temps les élections législatives, mais elle prévoit un dispositif de rétablissement du calendrier qui s'appliquerait seulement lorsque les élections législatives générales doivent avoir lieu dans les six mois qui précèdent l'élection du Président de la République.

Dans ce cas, et dans ce cas seulement, les élections législatives seraient reportées dans les quarante-cinq jours suivant l'élection présidentielle.

L'avantage de cette formule est de permettre de revenir à la tradition des élections législatives en mars si les circonstances conduisaient à un découplage dans le temps des deux élections nationales parce qu'il y aurait eu cessation anticipée du mandat présidentiel ou dissolution de l'Assemblée nationale. Le délai de quarante-cinq jours laisse le temps suffisant pour organiser des élections législatives.

Cette proposition de loi organique offre donc un réel intérêt mais elle pose des problèmes de rédaction, tenant notamment au fait que la loi organique doit déterminer, en application de l'article 25 de la Constitution, non pas seulement la date de l'élection des députés, mais aussi la durée des pouvoirs de l'Assemblée nationale.

Avec le même souci de respecter les institutions de la République, c'est cette exigence constitutionnelle qui a inspiré les propositions de loi organique de M. Raymond Barre, de M. Gérard Gouzes, des membres du groupe socialiste, ainsi que celle de M. Georges Sarre, dont la rédaction antérieure est légèrement différente mais procède du même raisonnement.

En fixant l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale au 15 juin de la cinquième année qui suit son élection, les propositions de loi organique qui viennent d'être citées conduisent à un calendrier permettant de séparer les opérations électorales des deux scrutins tout en obéissant aux impératifs de clarté politique qui veulent que, dans une telle configuration, les candidats aux élections législatives connaissent, au moment du dépôt des candidatures, le résultat de l'élection présidentielle.

Ainsi, en 2002, si le second tour de l'élection présidentielle était organisé le 5 mai, c'est-à-dire à la date la plus tardive parmi les deux qui sont envisageables, les élections législatives auraient lieu les 2 et 9 juin, puisque le 9 juin est l'ultime dimanche précédant le 15 juin, date à laquelle expireraient les pouvoirs de l'Assemblée nationale.

Si ce calendrier était retenu, en application des dispositions du code électoral, les candidatures aux élections législatives seraient déposées dans les préfectures du 6 au 12 mai 2002, soit dans la semaine suivant le second tour d e l'élection présidentielle. La campagne électorale commencerait alors le 13 mai...

M. Jean-Pierre Brard.

Mauvais symbole !

M. le ministre de l'intérieur.

... et durerait troiss emaines, comme habituellement. Cette computation pour 2002 n'est pas infirmée pour les élections ultérieures, et rien ne s'oppose donc, sur un plan technique, à ce que soit fixée au 15 juin la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Voilà donc des propositions...

Mme Odette Grzegrzulka.

Excellentes propositions !

M. le ministre de l'intérieur.

... dont l'ambition est de rétablir une cohérence institutionnelle face à un calendrier issu d'un concours de circonstances. A défaut d'intervention du législateur, seules de nouvelles circonstances accidentelles pourraient rétablir la logique du calendrier.

Mais le rôle du législateur ne peut se résumer à attendre que des événements extérieurs dénouent une incohérence dans le fonctionnement de nos plus grandes institutions.

Le temps qui nous sépare encore des élections de 2002 rend possible la mise en oeuvre d'une solution, sans que l'on sache, au stade où nous en sommes aujourd'hui, à quelle famille politique profiterait tel ou tel calendrier. Le débat qui s'est engagé doit donc conduire à une décision de bon sens, dont l'initiative est pluraliste et à laquelle, je vous le dis sans aucun effet de surprise, le Gouvernement est favorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente.

J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe du Rassemblement pour la République une exception d'irrecevabilité,...

Mme Odette Grzegrzulka.

Exception irrecevable !

Mme la présidente.

... déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Jean-Pierre Brard.

M. Debré bénéficie de l'aide juridictionnelle ! (Sourires.)

M. Gérard Gouzes.

Le général de Gaulle va se retourner dans sa tombe !

M. Patrick Devedjian.

Madame la présidente, messieurs les ministres, j'ai des scrupules à employer le terme, mais puisque M. Bernard Roman a parlé de « honte », je me résous à dire que tout, dans cette discussion, respire l'hypocrisie. Le débat de ce matin était improvisé, bâclé...

M. François Fillon.

Et fictif !

M. Patrick Devedjian.

... et fictif, en effet.

Mme Odette Grzegrzulka.

Caricature ! (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean-Pierre Brard.

Fictif ? Comme certains emplois ?... (Sourires.)

M. Patrick Devedjian. Improvisé parce que le débat de ce matin a été ajouté tardivement à l'ordre du jour mentionnant l'inversion du calendrier électoral. Bâclé parce qu'on ne peut réfléchir à l'avenir de nos institutions en trois heures et demie.

M. Patrick Ollier. Très bien ! M. Patrick Devedjian. Fictif parce qu'il n'a pas fait l'objet d'un vote. D'ailleurs, ce n'est pas moi qui le dit, c'est L'Hebdo des socialistes.

Mme Odette Grzegrzulka. Très bonne lecture ! M. Patrick Devedjian. Avez-vous perdu la mémoire ? Le 8 décembre dernier, il y a seulement onze jours, il était écrit : « Ce n'est pas un débat institutionnel. (...) Il serait difficile d'engager maintenant un débat institutionnel de fond en période de cohabitation et à quinze mois des échéances décisives. » Ce n'est pas moi qui le dit, c'est

L'Hebdo des socialistes ! M. Jean-Pierre Brard. Le rédacteur en chef a été viré ! (Sourires.)

M. Jean Ueberschlag.

Les socialistes ne le lisent même pas ! A se demander même s'ils savent lire !

M. Patrick Devedjian.

En réalité, le débat de ce matin n'était que la tentative grossière, et d'ailleurs avortée, d'anoblir la petite manoeuvre électorale de l'après-midi.

M. Jean-Michel Ferrand. Manoeuvre qui va leur coûter cher ! M. Patrick Devedjian. Il n'y a qu'un malheur à ces déclarations aussi vertueuses que soudaines sur la logique et la chronologie de la Constitution, sur le respect des principes fondés par le général de Gaulle, c'est qu'elles correspondent très étroitement aux intérêts électoraux immédiats de ceux qui les profèrent.

Et le Premier ministre disait ce matin, comme vous, cet après-midi, monsieur le ministre de l'intérieur, que personne ne peut prévoir les résultats d'élections qui auront lieu dans seize mois. Mais vous, les socialistes, vous en faites pourtant bien, des prévisions. Et ce n'est plus dans L'Hebdo des socialistes , mais dans La Revue socialiste de novembre :...

M. Jean Codognès. Vous êtes abonné ?...

M. Patrick Devedjian.

« Une lecture attentive des trois précédents scrutins depuis 1997 met notamment en évidence un rétrécissement de la base électorale de la gauche plurielle et un recul sensible de ses résultats électoraux. »

Alors qui peut prévoir l'avenir ? Mais vous-mêmes, messieurs les socialistes ! C'est ce que vous faites ! En effet, lors des prochaines élection législatives, cette fois-ci, on pourra difficilement compter sur le maintien de l'extrême droite au second tour, tandis que la coalition hétéroclite de la gauche plurielle se fragilise au point de devoir chercher ailleurs quelques supplétifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Arthur Dehaine. Très bien ! M. Jean-Claude Lefort. Giscard supplétif ! M. Jean-Pierre Brard. Harki ! (Sourires.)

M. Patrick Devedjian. Il y a aussi la constatation fascinante que, depuis 1978, aucune assemblée sortante n'a été reconduite. Or, cette fois, ce sera au tour de la gauche d'être battue, si l'on en croit les précédents des vingt-cinq dernières années. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Charles Cova. Chacun son tour !

M. Bernard Outin.

Et c'est Mme Soleil qui l'a dit ?

M. Patrick Devedjian. Dans ces conditions, on comprend bien où est l'intérêt électoral de M. Jospin : il ne pourrait à la fois perdre les élections législatives et défendre, quelques semaines plus tard, les couleurs de la gauche aux élections présidentielles, tandis que le candidat de la droite pourrait fort bien le faire (« Lequel ? » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), car ce ne sera pas son bilan qui aura été approuvé ou condamné.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Gérard Gouzes. Où est la grandeur de la France dans ce que vous dites ? M. Patrick Devedjian. M. Emmanuelli le reconnaissait d'ailleurs avec franchise, quand il déclarait, le 27 novembre dernier : « Personne n'est dupe, cela fait des mois que tout le monde sait que ce calendrier tel qu'il existe aujourd'hui n'est pas vraiment favorable au candidat de la gauche. »

M. Jean-Michel Ferrand. Ce sera pire après ! M. Patrick Devedjian. A cela, Jean-Christophe Cambadélis ajoutait : « En procédant à l'inversion, on lève aussi l'hypothèque du centre. C'est un élément qui est secondaire, peut-être un peu politicien - tu parles ! - mais qu'il faut avoir toujours en tête. Soit l'UDF vote le changement de calendrier, et je crains que ceci induise une crise assez forte au sein de la droite au vu de la réaction du RPR, soit il ne le vote pas, et l'hypothèse d'une candidature du centre aux élections présidentielles se réduit à néant. » C'est toujours dans

L'Hebo des socialistes, décidément très instructif, du 8 décembre 2000.

M. Jean-Claude Lefort. Vous ne lisez donc jamais L'Humanité ? (Sourires.)

M. Patrick Devedjian. A part cela, messieurs, vous ne faites pas de politique politicienne...

M. Christian Jacob. Ils ne font que cela ! M. Patrick Devedjian. ... et vous êtes seulement au service des grands principes vertueux fondateurs de la Ve République ! A cet égard, d'ailleurs, Alain Madelin a rappelé avec éloquence que Daniel Cohn-Bendit...

M. Jean-Pierre Brard. Le candidat unique de l'Allemagne ! M. Patrick Devedjian. ... avait dit très crûment la vérité, tel Saint-Jean Bouche d'or.

(Sourires.)

D ans ces conditions, ceux qui ne veulent pas comprendre le cynisme de la proposition y mettent tout de même beaucoup de bonne volonté...

Dans sa déclaration du 19 octobre 2000 - il y a deux mois seulement, ce n'est pas loin -, le Premier ministre condamnait fermement l'inversion du calendrier électoral.

Il disait : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là. » Alors pourquoi, monsieur le ministre,

monsieur Roman, reprocher à l'opposition de défendre la position exprimée par le Premier ministre lui-même ? Sans doute parce qu'il a adopté une attitude politicienne.

Il l'avait compris lui-même et nous l'avons compris aussi, ne croyez pas que nous soyons plus bêtes que lui ! M. Jean-Pierre Brard. Ne vous surestimez pas ! (Rires.)

M. Patrick Devedjian. La vraie question est la suivante : le Premier ministre a toujours dit qu'il faisait ce qu'il disait ; alors pourquoi, cette fois-ci, a-t-il changé d'avis ? pourquoi fait-il le contraire de ce qu'il a dit ? M. Jean-Claude Lefort. Il a changé d'avis ! M. Gérard Gouzes. Et M. Chirac, il ne fait jamais le contraire de ce qu'il dit ?...

M. Patrick Devedjian.

Souvenons-nous en, la gauche a toujours tenu le discours que MM. Quilès ou Dosière ont la cohérence de défendre encore aujourd'hui, sur la crainte d'un excès de pouvoir présidentiel. Ils pensent tous les deux que l'élection législative préalable renforce les pouvoirs du Parlement, réduits par le quinquennat.

Au moins restent-ils fidèles à l'éternel discours de la gauche.

D'ailleurs, M. Jospin, d'une certaine manière, va dans leur sens, en déclarant : « Je n'ai pas voté les institutions de la Ve République, ni en 1958, ni en 1962. » Nous

n'en sommes guère étonnés, mais cela lui enlève un peu de crédit quand il veut nous expliquer comment il faut l es défendre. « Je ne suis pas présidentialiste aujourd'hui. » Mais il n'en considère pas moins, désor-

mais, que l'élection présidentielle doit structurer la vie politique française. Quelle conversion ! Il nous offre le paradoxe d'affirmer vouloir renforcer le pouvoir du Président de la République contre son accord. C'est joli ! En réalité, l'inversion du calendrier électoral offrirait également un autre paradoxe : alors que la gauche aura gouverné pendant cinq ans, qu'elle s'affirme fière de son bilan, l'examen en serait occulté par le débat présidentiel.

Car s'il succède aux élections présidentielles, le débat sur le bilan de cinq ans de socialisme n'aura plus guère de sens. C'est singulier, eu égard à votre discours !

M. Alain Barrau.

Le deuxième tour des présidentielles sera bien un débat droite-gauche !

M. Patrick Devedjian.

Mais j'en viens au fond.

Contrairement à ce qui est affirmé ici ou là, et à ce que vous avez répété, monsieur le ministre, il n'y a pas d'élection directrice. La Rochefoucauld disait de l'hypocrisie qu'elle est un hommage rendu par le vice à la vertu.

Ainsi, les socialistes, mais d'autres aussi, qui ont toujours combattu l'esprit de la Constitution de la Ve République (« Qui ? » sur les bancs du groupe socialiste), prétendent lui rendre un hommage « en rétablissant la clarté institutionnelle et démocratique », parce que l'élection présidentielle serait « l'élection directrice ».

Cette affirmation demande pour le moins à être nuancée, en particulier en période de cohabitation. Neuf ans de cohabitation sur vingt et un, trois cohabitations en trois mandats présidentiels, ce n'est tout de même pas un accident ! La preuve que l'affirmation est discutable est simple à administrer : M. Jospin a perdu les élections présidentielles de 1995, mais il a gagné les élections législatives de 1997.

M. Georges Lemoine.

Très bien !

M. Patrick Devedjian.

Or c'est M. Jospin qui gouverne la France. De ces deux élections, laquelle a été directrice ? Je pose la question pour vous aider à réfléchir un peu !

M. Gérard Gouzes.

Chirac n'a pas démissionné ! De Gaulle l'aurait fait, lui ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Patrick Ollier.

Et Mitterrand, avait-il démissionné ?

M. Patrick Devedjian.

Mitterrand est resté au pouvoir par deux fois sous le régime de la cohabitation.

(Exclamations sur divers bancs.)

M. Gérard Gouzes.

Mais ce n'était pas après avoir dissous l'Assemblée !

Mme la présidente.

Continuez à vous exprimer, monsieur Devedjian.

M. Patrick Devedjian.

Les leçons des socialistes ne s'app liquent jamais à eux-mêmes. C'est une habitude ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Georges Tron et M. André Schneider.

Très exact !

M. Patrick Devedjian.

Et si les élections législatives ont lieu suivant le calendrier normal, c'est-à-dire avant l'élection présidentielle, les candidats à la députation, pendant


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

la campagne, iront demander le soutien du candidat à l'élection présidentielle le plus crédible de leur camp, c'est naturel. Cela peut contrarier les convenances de petits candidats, mais cela n'empêchera pas à la gauche et à la droite de s'ordonner, bien au contraire. Le candidat à la présidentielle continuera donc de diriger son camp.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

On comprend mieux M. Bayrou...

M. Patrick Devedjian.

L'affirmation selon laquelle il y aurait une tradition constitutionnelle de l'ordre des deux élections est tout autant erronée. Les élections législatives ont en effet précédé les élections présidentielles à trois reprises. Premièrement, les 23 et 30 novembre 1958, pour une élection présidentielle le 21 décembre 1958, soit moins d'un mois d'écart pour la naissance de la Ve République. Un détail !

M. Patrick Ollier.

Exactement !

M. Jean-Pierre Brard.

Ce n'était pas une élection au suffrage universel !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Et ça change tout !

M. Patrick Devedjian.

Deuxièmement, les 23 et 30 juin 1968, pour une élection présidentielle qui s'est tenue les 1er et 15 juin 1969, au suffrage universel, soit moins d'un an d'écart.

M. Charles Miossec.

Absolument !

M. Jean-Pierre Brard.

Mais ce n'était pas prévu !

M. Patrick Devedjian.

Certes, mais c'est arrivé, et c'est un précédent !

M. Jean-Pierre Brard.

C'est la providence !

M. Patrick Devedjian.

Troisièmement, les 4 et 11 mars 1973, pour une élection présidentielle les 5 et 19 mai 1974, soit quatorze mois d'écart, et j'observe que le Président Giscard d'Estaing n'a pas cru devoir dissoudre pour assurer la prééminence de son programme sur celui des partis qui constituaient alors la majorité parlementaire...

M. Jean-Pierre Brard.

Il le regrette tellement ! Il en conserve quelque rancune !

M. Patrick Devedjian.

Son comportement de 1974 me paraît tout à fait contradictoire avec la théorie qu'il a développée ce matin. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

D'ailleurs, le Président Giscard d'Estaing n'aurait guère eu raison de dissoudre, car les partis politiques ne l'ont pas empêché de conduire la politique qu'il souhaitait.

(Exclamations sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Hervé de Charette.

Vous avez la mémoire courte !

M. Alain Barrau.

Un peu d'oxygène pour M. de Charette !

M. Patrick Devedjian.

Revenons sur ces trois précédents. On me répondra, à l'instar de mon aimable contradicteur de Montreuil, que la première élection n'a pas eu lieu au suffrage universel.

M. Jean-Pierre Brard.

Dont acte !

M. Patrick Devedjian.

Mais le prétexte est sans valeur pour celui qui prétend vouloir inverser l'ordre des élections - ce n'est d'ailleurs pas votre cas, monsieur Brard afin de soustraire le scrutin présidentiel à l'influence des partis. En effet, en 1958, avec le suffrage restreint, l'influence des partis était encore beaucoup plus importante qu'elle ne l'est aujourd'hui.

M. Arthur Dehaine.

Bien sûr.

M. Patrick Devedjian.

On me répondra, pour la seconde élection, que onze mois, c'est encore possible, mais que six semaines, ça ne l'est pas. Quel est donc le délai admissible ? Dites-le nous ! Qui le détermine ? Quelle disposition le fixe dans le texte soumis au vote ? Le Président tient sa prééminence des articles explicites de la Constitution. Or celle-ci n'instaure aucun ordre des élections, ni dans sa pratique, ni dans sa théorie.

Vous voulez, en réalité, ajouter à la Constitution, sans même la modifier, des dispositions qui n'ont jamais été débattues depuis 1958. Car chacune des élections à venir interviendra en fait à son échéance naturelle. Les élections législatives auront lieu aux dates normales, prévues par l'article LO 121 du code électoral, c'est-à-dire dans les deux mois qui précèdent le premier mardi d'avril de la cinquième année qui suit l'élection, et il en est ainsi depuis 1958, c'est la norme depuis près de cinquante ans.

Il n'y a rien d'exceptionnel à la situation de cette année, il n'y a donc rien à rétablir. Quant aux dates de l'élection présidentielle, on l'a rappelé, elles sont fixées ainsi depuis la mort du Président Pompidou, soit depuis vingt-six ans.

Les deux élections interviendront par conséquent à des moments parfaitement habituels et prévus depuis toujours, dès lors qu'elles ont lieu la même année. Il n'y a aucun hasard à cela.

L'argument principal du Gouvernement est d'affirmer que la date de l'élection présidentielle est due au hasard, au décès du Président Pompidou, et que cela ne correspond à aucune logique institutionnelle. Si le Gouvernement pense ainsi, alors c'est la date de l'élection présidentielle qu'il faut modifier. Et s'il ne le fait pas, c'est uniquement parce qu'il n'a pas de majorité constitutionnelle pour cela. Si vous considérez depuis toujours, comme vous nous l'avez expliqué, que cette collision des deux dates pose problème, pourquoi n'avez-vous pas recalé la date de l'élection présidentielle au moment de la réforme du quinquennat ? C'était l'occasion ou jamais !

M. René Mangin.

Parlez-en au Président de la République !

M. Patrick Devedjian.

Vous ne l'avez pas souhaité.

Vous ne l'avez même pas demandé, et Dieu sait, pourtant, si vous avez demandé beaucoup de choses ! En définitive, le Gouvernement ne s'en prend à la date légitime, légale et traditionnelle des élections législatives que parce qu'il n'a pas de majorité pour modifier la date de l'élection présidentielle qu'il prétend illégitime. C'est bien une loi de convenance qui nous est proposée, parce que vous n'avez pas de majorité constitutionnelle.

M. Bernard Schreiner.

Très bien !

M. Patrick Devedjian.

En réalité, ce que le Gouvernement conteste, c'est le fait que les deux élections aient lieu la même année. Or cette concomitance résulte de la dissolution de 1997, qui impliquait un renouvellement de l'Assemblée en 2002. En définitive, par votre proposition de loi, ce que vous contestez en fait c'est le droit de dissolution.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean-Pierre Soisson.

C'est vrai !

M. Patrick Ollier.

Tout est là !


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M. Jean-Pierre Brard.

Si c'est vrai, c'est très positif !

M. Patrick Devedjian.

Implicitement, le Gouvernement et sa majorité contestent donc les conséquences de la dissolution de 1997...

M. Jean-Pierre Brard.

Elle a été très positive !

M. Patrick Devedjian.

... comme si le terme normal de la législature à venir n'avait pas été envisagé à ce moment-là. Tout d'abord, il me paraît d'une grande ingratitude de la part de la gauche de contester les effets de la dissolution de 1997. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Jean-Pierre Brard.

Maso !

M. Jean-Louis Fousseret.

Merci encore !

M. Patrick Devedjian.

Mais surtout, il me paraît incohérent de vouloir n'en corriger qu'une partie. L'effet le plus évident de la dissolution, c'est le renouvellement de l'Assemblée à venir.

Mme Yvette Roudy.

Cela devient incompréhensible !

M. Patrick Devedjian.

Il tombe forcément en 2002. Or ce droit de dissolution, prévu par l'article 12 de la Constitution, est absolu et n'est pas soumis à la condition que l'élection présidentielle ait lieu avant les élections législatives. Rien dans la Constitution ne soumet le droit de dissolution à des conditions de calendrier ! Rien dans la Constitution ne vient limiter ce droit de dissoudre !

M. Alain Barrau.

Il faut l'utiliser maintenant !

M. Patrick Devedjian.

Il n'y a nul hasard à corriger dans l'ordre du calendrier électoral, car ce dernier est en fait déterminé par trois facteurs à caractère constitutionnel et intangible que la loi, même organique, ne peut pas modifier : la dissolution, la démission ou la mort du Président. Même les socialistes ne peuvent rien à cela ! Même la proposition d'Hervé de Charette n'y peut rien ! Si le Président meurt ou démissionne dans les six mois suivant les élections législatives, le calendrier sera à nouveau renversé. Vous n'y pouvez rien !

M. Hervé de Charette.

Ce n'est pas la question !

M. Patrick Devedjian.

Quant à dire qu'en cas de dissolution l'élection législative sera renvoyée après l'élection présidentielle, c'est vouloir modifier la Constitution, ce que la loi organique ne peut pas faire ! Cela est si vrai que, même si votre loi est adoptée, il pourrait arriver que les élections législatives aient lieu avant l'élection présidentielle. Il suffirait, par exemple, que votre majorité n'en soit plus une - ce n'est peut-être pas totalement impossible - et que le Président soit conduit à dissoudre à nouveau.

M. Jean Codognès.

Chiche !

M. Patrick Devedjian.

On peut, bien sûr, lancer des quolibets politiciens, mais vous prétendez vous draper dans la vertu des principes, raisonnons donc sur les principes ! La dissolution est la matrice du calendrier électoral, et vous n'y pourrez rien changer tant que le droit de dissolution existera. Et si vous contestez ce droit, vous portez atteinte à la Constitution.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Ici, les gaullistes, c'est nous ! Cela ne surprendra personne.

Nous défendons les principes intangibles de la Constitution, dont fait partie ce pilier qu'est le droit de dissolution auquel vous voulez, vous, porter atteinte.

M. Christian Jacob.

Eh oui !

M. Patrick Devedjian.

Au-delà de nos intérêts respectifs - je veux bien admettre que, dans un sens, le calendrier est avantageux pour la droite, dans l'autre il est avantageux pour la gauche, on peut en discuter à perte de vue ! -, ce qui est important, c'est que toute modification du calendrier traduit une volonté de porter atteinte au droit de dissolution, et cela, c'est inconstitutionnel.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Lucien Degauchy.

C'est du bidouillage, du tripatouillage !

M. Jean-Pierre Brard.

Ce sont des experts qui parlent !

M. Lucien Degauchy.

Vous êtes des tripatouilleurs !

M. Patrick Devedjian.

Ne nous énervons pas !

Mme la présidente.

Oui, ne nous énervons pas, effectivement ! Continuez paisiblement, monsieur Devedjian !

M. Patrick Devedjian.

En réalité, faute de vous en prendre au droit de dissolution parce que constitutionnellement vous ne le pouvez pas, même si certains le contestent, vous n'entendez en corriger que les effets accidentels quand ils vous dérangent. Mais il y aura sans doute d'autres dissolutions. Je me souviens que certaines ont été fort utiles. D'ailleurs, le Président Mitterrand a utilisé le droit de dissolution à deux reprises. (Sur les bancs du groupe socialiste : « Oui, et il a bien réussi ! ».)

Vous ne devriez donc pas tant vous en plaindre ! Ce que vous affirmez est contraire à la Constitution. En effet, l'article 12 prévoit qu'en cas de dissolution, « les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution », c'est-à-dire qu'en cas de dissolution, la Constitution fixe le moment des élections. On ne peut donc changer ce moment par une simple loi organique. Le principe soutenu par le Gouvernement est finalement assez simple : quand les deux élections ont lieu la même année, l'élection présidentielle doit précéder les élections législatives. Le seul moyen de pérenniser ce principe, c'est de l'intégrer à la Constitution. Si tel devenait le cas, le principe nouveau serait incompatible avec le droit de dissolution, puisque nous avons vu qu'il pouvait modifier le calendrier à tout moment. Pour être logiques avec vous-mêmes, il faudrait donc supprimer le droit de dissolution, interdire la démission, voire la mort quand elle suit l'élection législative, ce qui peut arriver.

M. Bernard Pons.

Très bien !

M. Patrick Devedjian.

Ou alors, il faudrait instituer un vice-président pour éviter une nouvelle élection, mais là on n'est plus dans la Constitution de la Ve République ! On est dans une autre Constitution.

On voit que l'inversion du calendrier électoral, quand elle prétend n'être que de principe, ne peut que conduire au bouleversement profond de la Constitution. Cette inversion, si elle est de principe, est donc, en fait, contraire à l'esprit de notre Constitution. C'est bien une loi de convenance qui nous est soumise, et non pas une loi destinée à rétablir le fondement de nos institutions, comme vous osez le prétendre !

M. Patrick Ollier.

Très bien !

M. Patrick Devedjian.

Des observateurs ont dit un peu facilement que, dans ce débat, chacun était à front renversé et défendait la thèse contraire à ses convictions : les socialistes parlementaristes défendraient une configuration présidentialiste et les gaullistes feraient l'inverse.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Pour nous, le présidentialisme n'est pas affaire de calendrier électoral. Nous n'avons pas de religion en la matière. Le rôle du Président ne tient pas à cela. Il tient précisément à sa vocation à fixer le calendrier, qui est une prérogative présidentielle aux termes de la Constitution et cette prérogative, vous la niez en voulant effacer les effets de la dissolution. Ce droit à fixer le calendrier - je le répète -, le Président le tient uniquement du droit de dissolution et il est ridicule d'imaginer que, lorsqu'il a dissous l'Assemblée en 1997, le Président Chirac n'a pas imaginé que son renouvellement aurait lieu en 2002.

Quand il a fait cela, il a décidé que le terme normal, sauf nouvelle dissolution, interviendrait en 2002 et c'est cela que vous voulez combattre. Là est l'inconstitutionnalité.

Le droit à fixer le calendrier est un droit constitutionnel du Président.

M. Pierre Forgues.

Il a réfléchi après, le Président !

M. Patrick Devedjian.

Ce report des élections législat ives est sans précédent dans l'histoire de la Ve République. Quels en seront les effets ? Il en résultera une prolongation au-delà de cinq ans du mandat des députés sortants.

Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion d'accepter la prorogation de mandats électoraux, mais il n'y a consenti que pour des élus locaux. Et ce n'était pas ces derniers qui prenaient la décision de proroger eux-mêmes leur propre mandat, c'était le Parlement, tandis que, dans le cas qui nous occupe, ce sont en définitive les députés qui vont prendre une telle décision les concernant. Ce sera un précédent important pour une démocratie. Selon ce principe, l'Assemblée pourrait éventuellement décider sans contrainte et sans limite, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, de proroger indéfiniment son propre mandat.

M. Yves Fromion.

Ça les arrange !

M. Patrick Devedjian.

Jamais le Conseil constitutionnel n'a eu l'occasion de s'exprimer sur une exception à la d urée habituelle du mandat parlementaire. Certes, l'article 25 de la Constitution renvoie à la loi organique pour fixer « la durée des pouvoirs de chaque assemblée », mais il ne permet pas de faire varier chaque législature au gré de ceux qui la composent. Il prévoit que la loi organique doit fixer une durée pérenne au mandat législatif et non pas une durée variable, comme vous voulez le faire aujourd'hui.

M. Yves Fromion.

Très bien !

M. Patrick Devedjian.

Car c'est finalement l'aspect moralement le plus choquant dans tout ça :...

M. Yves Fromion.

La morale, ce n'est pas leur truc !

M. Patrick Devedjian.

... les députés en place décident eux-mêmes de proroger la durée de leur mandat ! C'est pour le moins discutable, d'autant qu'aucun événement imprévu n'est intervenu. Si tel avait été le cas, on aurait peut-être pu concevoir une telle attitude, mais en 1997 on savait que les élections législatives auraient lieu en 2002.

M. Yves Fromion.

Très bien !

M. Patrick Devedjian.

Il n'y avait donc rien d'imprévisible. Encadrée par la Constitution, la loi organique a l'obligation d'assurer une durée juridiquement stable à la législature.

M. Jean-Luc Warsmann.

Eh oui !

M. Patrick Devedjian.

Le Conseil constitutionnel a en outre précisé, dans une décision du 6 juillet 1994, que la mesure de prorogation devait avoir un caractère exceptionnel. Or, en principe, le rapprochement des élections présidentielle et législatives, la même année, n'a rien d'exceptionnel puisqu'il était largement prévisible. La condition posée par le Conseil constitutionnel pour les élections locales n'est donc pas remplie pour les élections nationales.

En conclusion, si la proposition de loi affirme ne se fonder que sur l'esprit des institutions, les principes sur lesquels elle repose ne peuvent être qu'inconstitutionnels : atteinte au droit de dissolution, c'est-à-dire violation de l'article 12 de la Constitution, et atteinte à la stabilité du mandat législatif,...

M. Yves Fromion.

Eh oui !

M. Patrick Devedjian.

... c'est-à-dire violation de l'article 25 de la Constitution.

M. Yves Fromion.

Très juste !

M. Patrick Devedjian.

En revanche, si le Gouvernement consent à nous dire la vérité, à savoir que c'est une pure loi de convenance et de circonstances,...

M. Yves Fromion.

C'est un putsch !

M. Patrick Devedjian.

... comme tout le démontre, il gagnera peut-être sur le terrain du droit, mais il aura évidemment perdu sur celui de la morale. (Applaudissementss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme la présidente.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, tout au long de son propos, M. Devedjian est resté très éloigné d'une argumentation juridique (Vives protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République) ...

M. René André.

Vous n'avez pas écouté !

M. le ministre de l'intérieur.

... et il n'y a aucune raison d'adopter cette exception d'irrecevabilité. Le Gouvernement n'entend, en aucune manière,...

M. Lucien Degauchy.

Cela va vous retomber sur la figure !

M. le ministre de l'intérieur.

... à cette occasion, remettre en cause un principe ou une règle de nature constitutionnelle comme le droit de dissolution. Les propositions de loi ne visent en fait qu'à modifier une date dans un article de loi organique. La Constitution n'est donc pas en cause.

D'ailleurs, celle-ci prévoit, en son article 25, qu'« une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée ». Cette disposition, monsieur Devedjian, confère de façon explicite au législateur organique le pouvoir de déterminer, dans le respect des autres principes constitutionnels, la durée du mandat des députés et des sénateurs, ainsi que sa date d'expiration actuellement définie par l'article LO 121 du code électoral.

Il ne saurait donc être discuté du fondement constitutionnel de cette compétence, sauf à vouloir contester les pouvoirs accordés au législateur par la Constitution de 1958. Les trois ou quatre recours dont le Conseil constitutionnel a été saisi concernant des lois modifiant le calendrier des élections cantonales et municipales de 1990 et de 1994 ont tous été rejetés. A ces occasions, la Haute Juridiction a précisé sa jurisprudence et a notamment indiqué qu'elle ne disposait pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement.


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Le Conseil constitutionnel a reconnu que le législateur est seul compétent pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales et qu'il peut, sous réserve du respect des principes constitutionnels, les modifier librement.

Ces principes ont notamment été rappelés dans sa décision no 94-341 du 6 juillet 1994 concernant la loi relative à la date de renouvellement des conseillers municipaux. Le Conseil constitutionnel a considéré que le choix opéré par le législateur n'était manifestement pas inapproprié aux objectifs qu'il s'était fixés. Les justifications apportées par le législateur et validées par le Conseil constitutionnel pour proroger le mandat des conseillers municipaux étaient de trois types : un objectif d'intérêt général qui visait à éviter des difficultés dans l'organisation de l'élection présidentielle de 1995 une réduction limitée à trois mois et exceptionnelle du mandat des conseillers municipaux à élire un choix qui, ni dans son principe ni dans ses modalités matérielles d'organisation, n'engendrait de confusion dans l'esprit des électeurs.

La proposition de loi en discussion est parfaitement conforme à ces principes. Comme en 1995, elle a un objectif d'intérêt général, qui vise à faciliter l'organisat ion matérielle de l'élection présidentielle, dont la procédure de parrainage, comme l'a constaté le Conseil constitutionnel dans ses observations du 23 juillet dernier, serait inévitablement gênée par la proche antériorité des élections législatives, cette difficulté pouvant devenir une véritable impossibilité si le calendrier électoral devait se reproduire en 2007, 2012 et ultérieurement, pour les raisons que j'ai exposées dans ma première intervention. La remontée dans le temps de la date de l'élection présidentielle, je le rappelle, est en effet inévitable et ne laisserait le choix au Gouvernement, en cas de calendrier inchangé, que de réduire la durée de la période de présentation des candidats, que l'on appellera « période de parrainage » par commodité de langage, ou d'organiser des élections législatives au mois de février, sur la base de listes électorales vieilles d'un an, ce qui serait, au regard de cette élection importante, très insatisfaisant.

De plus, cette proposition de loi organique ne modifie que de manière limitée la durée du mandat des députés, puisqu'elle ne la prolonge que de deux mois. Ainsi, elle proroge les pouvoirs de l'Assemblée nationale en fixant leur expiration au 15 juin au lieu du premier mardi d'avril. La prolongation de la durée du mandat des députés élus en 1997 est, de ce fait, limitée et exceptionnelle.

En liaison avec l'instauration du quinquennat, la proposition de loi vise à redonner sa cohérence au calendrier électoral.

M. Charles Cova.

Vous pouvez arrêter, vos troupes sont là pour le vote !

M. le ministre de l'intérieur.

Ce texte aura pour effet d'éviter la confusion dans l'esprit des électeurs, alors qu'un calendrier inchangé conduirait inévitablement à ce que les élections législatives ne soient considérées par les électeurs que comme les prémices de l'élection présidentielle.

Plusieurs députés du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

Vous l'avez déjà dit !

M. Eric Doligé.

On est convaincus !

M. le ministre de l'intérieur.

Cette proposition contribue au contraire à éclairer, pour l'ensemble des citoyens, les enjeux politiques des deux scrutins majeurs de la Ve République.

M. Francis Delattre.

Amen !

M. le ministre de l'intérieur.

On ne peut pas davantage soutenir que le raisonnement suivi par le Conseil constitutionnel pour les assemblées locales ne s'appliquerait pas à l'Assemblée nationale. L'article 34 de la Constitution, monsieur Devedjian, dispose que la loi fixe les règles concernant « le régime électoral des assemblées parlem entaires et des assemblées locales », tandis que l'article 25 de la Constitution prévoit qu'« une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leur indemnité, les conditions d'éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompati bilités ».

M. Francis Delattre.

Cessez de gagner du temps !

M. François Fillon.

Arrêtez, ils sont tous là !

M. le ministre de l'intérieur.

Cet article est précis. Sa rédaction ne saurait permettre de considérer qu'il offre moins de latitude au législateur organique sur la question de la durée des mandats, que l'article 34, rédigé moins précisément, n'en donne au législateur ordinaire.

Pour ces raisons, et parce que cette proposition de loi poursuit indubitablement un objectif d'intérêt général, l'exception d'irrecevabilité défendue par M. Devedjian n'a pas de fondement constitutionnel. Au nom du Gouvernement, je souhaite donc que l'Assemblée nationale la rejette, et je suis convaincu qu'elle va le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Odette Grzegrzulka.

Elle le fera !

Mme la présidente.

La parole est à M. le président de la commission. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe Démocratie libérale et Indépendants, et sur divers bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Mes chers collègues, il est difficile d'entendre M. Devedjian regretter la pauvreté de nos échanges et de vous entendre ensuite, messieurs de l'opposition, manifest er votre désappointement lorsque nous souhaitons répondre à ses arguments. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Gaëtan Gorce.

Très bien !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Monsieur Devedjian, les arguments que vous avez avancés n'ont que très peu à voir avec l'exception d'irrecevabilité au sens où celle-ci doit tender à démontrer la non-conformité du texte en examen à la Constitution.

M. Patrick Ollier.

Au contraire ! Sa démonstration était magistrale !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Vous avez utilisé...

M. Patrick Ollier.

La Constitution !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

... ou repris des arguments classiques sur la forme.

Mais vous n'avez dit finalement que très peu de chose sur le fond.

M. le ministre a répondu largement sur l'interprétation, la lecture que vous faites de la Constitution en matière de calendrier lié au droit de dissolution. Je voudrais dire quelques mots sur les arguments de forme que vous avez avancés concernant l'absence de débat et la décision de convenance.

En ce qui concerne l'absence de débat, je vous ai bien entendu. J'ai entendu aussi le Président de la République déclarer il y a quelques jours, à la télévision, qu'il n'éta it


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pas fondamentalement opposé à ce que la question du calendrier soit posée mais à condition qu'elle le soit dans un débat ample et dans une vision globale de l'évolution de nos institutions. Que n'avait-il eu la même attitude...

M. Marcel Rogemont.

A propos du quinquennat !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

... au moment où nous proposant, conjointement avec le Premier ministre, de réduire la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans, il nous a - je pèse mes mots, monsieur Devedjian - interdit d'apporter quelque amendement que ce soit à ce texte.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Mme Odette Grzegrzulka.

C'était scandaleux ! Quel mépris du Parlement !

M. Jean-Michel Ferrand.

Pas de leçon !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

A cette époque, il fallait dire oui ou non, plutôt oui, mais surtout ne pas ouvrir le débat dans sa globalité. On touchait uniquement à la durée du mandat et il n'était pas question d'évoquer quelque argument que ce soit pour une modernisation des institutions.

Deuxièmement, vous évoquez une proposition de convenance en dénonçant une manoeuvre inspirée par des arrière-pensées électorales.

M. Patrick Devedjian.

Ce texte n'est que cela !

M. Yves Fromion.

Eh oui !

M. Patrick Ollier.

C'est Jospin qui l'a dit en octobre !

M. Lucien Degauchy.

Magouilles !

M. Jean-Michel Ferrand.

Tripatouillages !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Monsieur Devedjian, sur vos bancs peut-être plus qu'ailleurs, vous devriez manier avec plus de prudence l'allusion à des débats de convenance et à des projections électorales. J'ai en effet le souvenir, cruel pour vous sans doute (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République), d'avoir entendu M. Chirac, le 14 juillet 1996, dire que la dissolution n'avait jamais été prévue dans la Constitution pour la convenance du Président de la République, qu'elle était faite pour trancher une crise politique, et qu'il n'y avait pas à l'époque de crise politique, comme il n'y en avait pas eu au lendemain de son élection en 1995.

M. Yves Fromion.

C'est un faux débat !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Quelques mois plus tard, il n'y avait pas davantage de crise politique, mais il y avait une convenance, ou du moins ce que Jacques Chirac croyait être une convenance pour lui, sur la base de sondages qui prévoyaient, à l'époque, le 18 avril 1997, une majorité de 318 sièges pour la droite.

M. Jean-Michel Ferrand.

Maintenant, ils prévoient votre défaite !

M. Yves Fromion.

Vous verrez : vous allez perdre !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

On a vu le résultat ! Alors, soyez prudents en utilisant les prévisions. Nous, en tout cas, nous avons tiré les enseignements de votre expérience malheureuse.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean-Michel Ferrand.

C'est grotesque !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Enfin, monsieur Devedjian, les arguments de pure forme que vous avez développés à l'occasion de cette exception d'irrecevabilité montrent votre gêne et celle de vos amis, qui était déjà largement perceptible ce matin.

Votre groupe disposait de trente minutes de temps de parole et avait choisi de désigner un seul orateur, et non des moindres : Alain Juppé. Eh bien, c'est la première fois, dans ma courte vie de parlementaire, que j'ai vu un orateur intervenant dans de telles conditions n'utiliser que douze des trente minutes de son temps de parole pour ne surtout pas évoquer le fond du problème ! (Protestationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur divers bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Oui, monsieur Devedjian, vous êtes coincé, le RPR est coincé ! Cette exception d'irrecevabilité, c'est l'alibi de votre contradiction, c'est l'alibi qui masque votre impuissance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Vives protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance.)

Mme la présidente.

Mes chers collègues, avant de passer aux explications de vote, je vous indique que, sur l'exception d'irrecevabilité, je suis saisie par le groupe RPR d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Bernard Roman, pour le groupe socialiste. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

J'y renonce.

Mme la présidente.

La parole est à M. Jean-Pierre Soisson, pour le groupe Démocratie libérale.

M. Jean-Pierre Soisson.

Madame la présidente, le groupe Démocratie libérale votera l'exception d'irrecevabilité, car M. Devedjian nous a parfaitement convaincus.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et sur divers bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Georges Frêche.

Comme Le Pen !

M. Jean-Pierre Soisson.

Ce n'est pas un problème institutionnel, c'est un problème politique, et nous sommes dans un débat politique.

M. Georges Frêche.

Girouette !

Mme Odette Grzegrzulka.

Caméléon !

M. Jean-Pierre Soisson.

Monsieur le ministre, vous n'êtes pas et vous ne serez pas demain maître du calendrier. M. Devedjian l'a très bien dit : tu meurs ou tu dissous, qu'est-ce qui se passe ? Personne ne peut définir ici un calendrier électoral ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et sur divers bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Si les magouilleurs !

M. Jean-Pierre Soisson.

Je dis donc simplement aux élus de l'opposition : attention avant de rejoindre, de soutenir et d'aider M. Jospin ! (Vifs applaudissements sur les


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bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, pour le groupe RPR.

M. Jean-Luc Warsmann.

L'exception d'irrecevabilité est un moment important des débats, où l'on vérifie la conformité d'un texte à la Constitution. Je veux donc dire combien j'ai été choqué par le ton polémique du président de la commission des lois, totalement hors sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) M. le ministre de l'intérieur vient de nous donner la meilleure raison pour voter cette exception d'irrecevabilité. En effet, l'article 34 de la Constitution dispose que

« la loi fixe les règles concernant le régime électoral des assemblées parlementaires et des assemblées locales », mais, chaque fois qu'il a été saisi, le Conseil constitutionnel a bien vérifié que le projet ou la proposition de loi était conforme à un objectif d'intérêt général. Or, Patri ck Devedjian l'a remarquablement démontré, il n'y a aucun objectif d'intérêt général dans ce qui n'est qu'un texte de c onvenance personnelle pour le Premier ministre.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Cette proposition de loi n'est donc pas conforme à la Constitution et c'est pourquoi le groupe RPR votera l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Thérèse Boisseau, pour le groupe UDF.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Cette proposition de loi est effectivement irrecevable. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Tout simplement parce qu'elle met la charrue devant les boeufs, comme l'ont dit certains orateurs ce matin.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Qui sont les boeufs ? (Mouvements divers.)

Mme la présidente.

Laissez parler Mme Boisseau !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

La question préalable qu'il faut se poser est la suivante : faut-il changer nos institutions ? Pour ma part, j'aurais tendance à répondre non, parce que les institutions ne sont jamais parfaites, elles ne sont que ce que sont les hommes et les femmes qui les animent. (Sifflements et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Les nôtres ont à peine quarante ans : une jeunesse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Je ne peux m'empêcher de penser que vouloir sans arrêt changer les règles du jeu est un aveu de faiblesse du pouvoir politique (Applaudissements sur les mêmes bancs), une excuse pour ne pas affronter au fond les vrais problèmes de notre société. Les Français ne sont pas dupes, qui se détournent tous les jours un peu plus de notre agitation politique. Depuis plus de deux siècles, nous détenons en France le record absolu des réformes constitutionnelles et, depuis 1958, nous avons pratiqué quinze révisions de l'actuelle Constitution.

Néanmoins, s'il faut céder encore une fois aux vieux démons français, si une majorité d'entre nous pensent qu'il faut que nos institutions évoluent, allons-y, mais posons les vraies questions. Par ordre d'importance, la question essentielle est la suivante : sommes-nous pour un régime présidentiel ou pour un régime parlementaire, ou encore pour un régime présidentiel équilibré, comme le proposait Alain Madelin ce matin ? Cette question appelle une analyse approfondie et un certain nombre de réponses cohérentes, non une mesure ponctuelle comme l'inversion du calendrier électoral.

(Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Il nous faut réfléchir simultanément aux pleins pouvoirs, au droit de dissolution, au statut du Conseil supérieur de la magistrature, au bon usage des ordonnances, etc., et proposer une réforme globale aux Français. Or, de cela, mes chers collègues, nous n'avons jamais débattu dans cet hémicycle.

Pire, je crains qu'aucun des partis ici représentés ne soit bien au clair sur tous ces sujets.

M. Jean-Louis Debré.

Si, le RPR !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Et ce n'est pas le pseudo-débat de ce matin qui aura beaucoup éclairé les lanternes des uns et des autres.

Mme Odette Grzegrzulka.

Avec Giscard, c'est clair !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

On veut nous refaire le coup du quinquennat, en quelques jours, à la va-vite.

Certains d'entre nous avaient eu, en leur temps, un discours rassurant, expliquant que c'était une réforme ponctuelle de peu d'importance, pour faire moderne. Le Parlement a voté cette broutille à une écrasante majorité à l'exception de quelques irréductibles, dont j'étais (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance), qui pensaient que, ce faisant, on écornait sérieusement l'esprit de la Ve République et que c'était le début de la fin.

Mes appréhensions sont confirmées puisque, six mois après, on nous remet cela avec une réforme officiellement tout aussi anodine, l'inversion du calendrier. C'est toujours la même musique ! Ce genre de réforme nous tombe sur le dos tout d'un coup et doit être réglée sur le champ et sur fond d'intérêts politiciens évidents !

M. Charles Miossec.

Quelle honte !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

On essaie de nous rassurer en nous disant que les fêtes arrivent et que personnes ne pensera plus ensuite à cette réformette.

Néanmoins, le choix de la date est celui d'un système.

Ainsi cette prétendue réformette va dans le sens d'un pouvoir présidentiel accru sans que ce dernier ne soit bien défini. Nous ne savons pas où nous allons mais nous y allons par glissements successifs, pour reprendre une expression de Jean-Pierre Chevènement, pour le moins inquiétante.

Pour ma part, je crie : « pouce ! ». Les institutions de notre pays méritent mieux, monsieur le Premier ministre, que ces bricolage répétés.

C'est pourquoi un certain nombre de mes collègues de l'UDF et moi-même voterons cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

(M. Raymond Forni remplace Mme Christine Lazerges au fauteuil de la présidence.)


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PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La parole est à M. Jean Vila.

M. Jean Vila.

Le groupe communiste ne participera pas au vote sur l'exception d'irrecevabilité. (Rires et vives exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui même, et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été cou plés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

M. le président.

Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin : Nombre de votants ...................................

477 Nombre de suffrages exprimés .................

477 Majorité absolue .......................................

239 Pour l'adoption .........................

207 Contre .......................................

270 L'Assemblée nationale n'a pas adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur de nombreux bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Question préalable

M. le président.

J'ai reçu de M. Jean-François Mattei et des membres du groupe Démocratie libérale et Indépendants, une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Pascal Clément.

M. Pascal Clément.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis ce matin, nous parlons non pas simplement de l'inversion ou du rétablissement du calendrier, mais d'une réforme de la Constitution qui, en fait, a pris naissance sous cette mandature au moment du passage au quinquennat. Avec cette réforme du quinquennat et avec cette affaire dite de l'inversion ou du rétablissement, nous sommes en réalité devant un ajustement d'une constitution qui a beaucoup évolué depuis 1958 et 1962.

Je commencerai par un historique - rapide, rassurezvous - pour montrer que, si l'on ne veut pas voir le fond du problème, le débat que nous avons engagé ce matin sera considéré, par ceux qui veulent bien prêter attention à nos propos, comme strictement politicien.

M. Pierre Hellier.

C'est le cas !

M. Pascal Clément.

Certains diront que cela nous arrange, d'autres que cela ne nous arrange pas, mais c'est tout ce qu'ils retiendront du débat. Vous avouerez que ce n'est peut-être pas ce que nous souhaitons au fond de nous-mêmes. Il est en effet problable que quand, dès le week-end prochain, nous retrouverons nos électeurs, ils nous diront que nous ne leur avons pas fait une grande impression...

M. Pierre Hellier.

Eh oui !

M. Pascal Clément.

... que sur un sujet aussi important que notre constitution, c'est-à-dire notre règle commune, notre charte souveraine, nous nous sommes envoyé des i nvectives sans jamais parler des choses sérieurses.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Bernard Accoyer.

Tout à fait !

M. Jean-Luc Warsmann.

Il a raison !

M. Pascal Clément.

Nous entendons souvent certains leaders d'opinion expliquer qu'il y a une crise de la politique. Si cela n'est sans doute pas aussi vrai que certains le voudraient et pas aussi faux que certains l'affirment, il est indéniable que le problème est réel, même s'il n'est pas très grand. Or je crains que ce type d'opération strictement politicienne et de débat strictement politicien n'accélère encore la déconsidération de l'homme politique aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République.) Mes collègues députées auront compris que, dans l'homme politique, j'embrassais aussi la femme, cela va sans dire ! (Sourires.)

Bref, cela n'est pas bon pour l'idée que se font encore - grâce au ciel ! - les Français de la représentation parlementaire.

Permettez-moi de tenter de revenir, sans prétention, au fond du débat.

En 1958, nous quittions donc la IVe République et son régime parlementaire-parlementaire qui avait prouvé son inefficacité et permis de démontrer qu'une haute administration pouvait tenir un pays malgré une durée de gouvernement qui n'excédait pas, en moyenne, sept à huit mois. Il était essentiel d'instaurer un régime qui permette, à travers la personnalisation du Président, d'appliquer une politique et - c'était l'expression à l'époque -, de redresser le pays.

Le discours de Charles de Gaulle, à Bayeux, avait déjà montré la voie, mais quand il a voulu appliquer cette Constitution, il a été confronté à de grandes réticences.

En effet, les professeurs de droit qui avaient écrit celle de la IVe République étaient encore bien présents dans l'opinion intellectuelle du moment et personne ne voulait dériver vers un pouvoir personnel ou vers un pouvoir à tendance présidentielle. Ainsi la constitution dont nous parlons et dont vous parlez, monsieur le ministre, avec votre gouvernement et votre majorité, n'est pas la constitution écrite. Quand on évoque l'esprit de la constitution, comme nous l'entendons depuis quinze jours, il n'est question ni de la constitution, ni même de son esprit, mais de la pratique constitutionnelle, plus précisement de la pratique constitutionnelle qui a prévalu exactement de 1962 - je choisis cette date volontairement - à 1986.

Ensuite, en effet, nous avons abordé les rives d'une autre pratique constitutionnelle, que l'on peut continuer à appeler la Ve ou qualifier de Ve bis , mais qui a été différente.

M. Jean-Luc Warsmann.

Très bien !

M. Pascal Clément.

L'article 5 de la Constitution donne de grands pouvoirs au Président de la République.

D'ailleurs, on ne comprend les pouvoirs du Président de la République que quand on saute à 1986, avec la première cohabitation, lorsque M. Mitterrand, coincé par cette cohabitation, a ouvert la constitution pour rechercher quels étaient ses pouvoirs. Je les rappelle très vite : il est le gardien de la Constitution et du maintien de la R épublique, surtout en période de troubles avec l'article 16 ; il nomme les ambassadeurs et les principaux


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fonctionnaires, pouvoir de nomination qui a d'ailleurs donné lieu à une petite guéguerre, mais la Constitution prévoit bien que le Président de la République nomme aux principaux emplois publics ; responsable de l'agrément des ambassadeurs, il détient le leadership en matière de politique étrangère ; enfin, il est le chef des armées, donc conjointement responsable avec le Gouvernement chargé de la défense nationale.

A l'époque, le Président Mitterrand a appliqué stricto sensu les pouvoirs qui lui étaient donnés par la lettre de la Constitution. Certes, il y a eu l'affaire des ordonnances, qui pouvait donner lieu à discussion, mais les deux positions étaient défendables. On a alors découvert la lettre de la Ve République ! Le général de Gaulle avait agi tout à fait différemment et j'ai volontairement commencé mon propos en l'évoquant pour bien montrer que, même si sa manière de faire ne correspondait pas à la lettre de la Constitution, tout le monde en France était soulagé de voir un grand homme, précédé par un passé inégalable de résistant, prendre les affaires en main, nous sortir du problème de l'Algérie, imposer le suffrage universel à la classe politique qui n'en voulait pas, comme le CNI et d'autres.

M. Bernard Accoyer.

Très bien !

M. Pascal Clément.

Il a ainsi permis que la France avance vers des rivages de stabilité et de cohérence politique.

Nous en arrivons ensuite au discours de Verdun-sur-leDoubs, c'est-à-dire à la fin du mandat du dernier Président de la Ve République qui aura connu la cohérence gouvernementale.

M. Jacques Barrot.

Tout à fait !

M. Pascal Clément.

En effet il a été prononcé en janvier 1978, juste avant les élections législatives.

M. François Léotard.

Exact !

M. Pascal Clément.

A l'époque, le Président Giscard d'Estaing a déclaré que même s'il perdait la majorité parlementaire, il resterait à l'Elysée. Tout était dit ! De cet instant précis, nul n'a jamais envisagé une autre pratique de la Constitution de la Ve République.

Je ne discute même pas, pour le moment, du point de savoir si le Président Giscard d'Estaing avait tort ou raison ; je me borne à rappeler des faits. Il a d'ailleurs eu la chance de gagner les législatives de 1978 ; j'en étais ! Ensuite, il a été facile pour M. Mitterrand de s'appuyer non pas sur sa propre analyse, mais sur les déclarations de son prédécesseur.

M. François Goulard.

Eh oui ! La démonstration est lumineuse !

M. Pascal Clément.

C'est alors que se place, en 1986, l'intervention de M. Raymond Barre auquel vous me permettrez de rendre hommage. En effet, il a été le seul homme politique d'un niveau élevé à rappeler qu'il n'était pas dans la pratique - à l'époque on aurait pu parler de l'esprit - de la Ve République de cohabiter. Il a été le seul à s'élever contre la cohabitation.

M. Jacques Barrot.

Exact !

M. Pascal Clément.

Pour tout vous dire - mais, moi aussi, j'ai évolué - j'étais de l'avis de Raymond Barre. Je pensais effectivement que, compte tenu de ce qui s'était passé depuis 1958, surtout depuis 1962, nous risquions de dénaturer profondément la Constitution et sa pratique, en acceptant la cohabitation.

Mme Christine Boutin.

Absolument !

M. Pascal Clément.

A l'époque certains avaient estimé que l'on ne pouvait pas faire autrement. Je pense au contraire que cela était possible.

Si l'on avait écouté Raymond Barre...

M. Gérard Gouzes.

Il faut encore l'écouter aujourd'hui !

M. Pascal Clément.

Permettez-moi de poursuivre mon raisonnement.

Si nous avions voulu suivre Raymond Barre à l'époque, nous aurions dû faire campagne aux législatives en prévenant les électeurs qu'en cas de victoire nous demanderions à M. Mitterrand de se démettre. Or soyons francs : d'abord, nous n'en avons pas eu le courage politique ; ensuite, nous avons douté de notre capacité juridique à le faire. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Puisque cela était politiquement risqué et juridiquement discutable, nous avons fait campagne sans rien dire et nous avons gagné malgré la manoeuvre choisie à l'époque, puisque vous utilisez une grosse manoeuvre par législature. A l'époque il s'agissait de l'introduction de la proportionnelle, annoncée par M. Mitterrand qui avait parlé de l'instillation d'une dose de proportionnelle. En réalité, souvenez-vous, il a vidé le flacon et nous avons eu la proportionnelle intégrale.

Peu importe, nous nous sommes habitués à ce genre de comportement. Il paraît que l'art d'un grand homme politique est de dire une chose et de faire son contraire.

Cela me dépasse encore, mais je ne dois probablement pas être de cette eau-là.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Comme pour le quinquennat et la dissolution !

M. Pascal Clément.

Nous avons donc eu la première cohabitation.

A partir de ce moment-là l'esprit qui a présidé à l'application de la Constitution n'a plus du tout été celui dont parlent les nostalgiques de la Ve République première manière, j'entends par là - vous les avez reconnu -, cela est merveilleux, cela est piquant : les socialistes !

M. Claude Goasguen.

On aura tout vu !

M. Pascal Clément.

Imaginez une seconde que nous soyons dans un hémicycle, juste à la fin du septennat de M. Giscard d'Estaing, avec M. Raymond Barre, Premier ministre, qui aurait proposé d'inverser les dates des élections législatives et présidentielle comme on nous le demande aujourd'hui. J'imagine M. Mitterrand monter à la tribune afin de pourfendre cette tendance au pouvoir p ersonnel, cette insupportable présidentialisation du régime, ce manque à la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Gérard Gouzes.

C'est de la science-fiction !

Mme Nicole Bricq.

Parlez de la réalité !

M. Pascal Clément.

Il suffit de lire Le coup d'Etat permanent dans lequel M. Mitterrand a expliqué sa position à longueur de pages.

Or, aujourd'hui, vous réclamez que l'on revienne à la pratique de la première Ve République commençante.

Qui peut vous croire ? Même si l'on vous fait le procès de la bonne foi, cela n'est pas croyable. (Applaudissements


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sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

La situation est d'autant plus amusante - et j'exclus totalement M. Raymond Barre de cette réflexion parce qu'il est le seul qui n'ait jamais changé d'avis en la matière -...

M. Gérard Gouzes.

Ecoutez-le encore aujourd'hui !

M. Pascal Clément.

... que mes amis, qui ont pour origine la démocratie chrétienne, étaient fort malheureux sous de Gaulle parce qu'il estimaient que le pouvoir personnel était beaucoup trop fort et que le Président de la République confisquait tous les pouvoirs. Ainsi que l'a rappelé M. Madelin ce matin, et comme l'a souvent expliqué M. Peyrefitte, en tant que ministre de l'information il devait téléphoner à l'Elysée pour le choix des titres du journal télévisé de vingt heures ! De même, le garde des sceaux était très prégnant sur les procureurs. Est-ce donc cette époque que vous regrettez ?

M. Jean-Claude Perez et M. Bernard Roman,

président

de la commission, rapporteur.

Oh non !

M. Pascal Clément.

Est-ce celle que regrettent les démocrates chrétiens ? A qui veut-on faire croire cela ?

M. Jean-Claude Lemoine.

Très bien !

M. Pascal Clément.

Il est vrai que nous vivons une autre époque, mais vous n'êtes crédibles ni les uns ni les autres, hormis M. Raymond Barre. Voilà ce que j'aurais voulu commencer par dire.

Par ailleurs, monsieur le ministre de l'intérieur, l'imp ortante réforme constitutionnelle du quinquennat a-t-elle été le fruit d'une longue réflexion ?

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Chirac ne voulait pas !

M. Pascal Clément.

Avait-elle été annoncée dans le discours que le Premier ministre a prononcé ici même juste après les élections législatives ? (« Non ! Non ! », sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Non, en effet ! Le passage au quinquennat a été une affaire politique. (« Oui ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Il semble plutôt que l'on décide de réformer la Constitution tout d'un coup pour se faire plaisir ou pour dire, comme Tocqueville - c'est la seule citation que je ferai parce que je la trouve délicieuse : je crois, a-t-il écrit, qu'en politique la communauté des haines fait presque toujours le fond des amitiés. Eh bien, c'est un peu ce qui s'est passé, et pour le quinquennat et pour l'inversion du calendrier. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et sur divers bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Alors qu'il s'agit de savoir ce que va devenir la Ve République après deux pratiques différentes, puis après trois cohabitations et la réforme du quinquennat, vous proposez une inversion des dates et, avec un culot extraordinaire, vous parlez de rétablissement ! S'il s'agit vraiment d'un rétablissement, cela signifie que vous voulez revenir à la Ve République première manière. J'aimerais alors, monsieur le ministre de l'intérieur, que vous expliquiez que vous souhaitez un retour à la pratique de la Constitution suivie avant la première cohabitation. Si tel n'est pas le cas, ce n'est pas un rétablissement.

En fait, vous agissez par pur intérêt conjoncturel. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et sur de nombreux bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Charles Cova.

Magouille !

M. Pascal Clément.

De plus, vous avez cru faire un coup politique malin. Je tiens à vous dire, moi qui fut pendant tant d'années à l'UDF et qui ai encore la nostalgie de cette famille politique...

M. Hervé de Charette.

Cela peut s'arranger !

M. Pascal Clément.

... que, contrairement à ce que vous croyez, nous ne serons pas fâchés, même si une vingtaine d'entre nous, selon une logique nouvelle pour beaucoup d'entre eux, ne votent pas comme nous.

Quant à la majorité plurielle, oh là là ! Les Verts sont contre, le PC est contre ; quant au PS, un vrai parti godillot ! Les socialistes sont malades au fond d'euxmêmes de devoir approuver le contraire de ce qu'ils pensent et qu'ils ont toujours critiqué sous la houlette de M. Mitterrand : surtout pas de présidentialisation du régime ! C'est pourtant bien ce qui est fait ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Nous n'en voulons toujours pas !

M. Pascal Clément.

Une fois de plus, l'opinion sera attristée par nos débats.

A la suite de cette première partie, je voudrais montrer que, après l'instauration du quinquennat, il faut réfléchir sérieusement et se demander si l'on doit, oui ou non, aller vers un régime présidentiel. Comme je pense que non - je l'annonce d'emblée - alors, que faut-il faire ? Ce sera mon dernier point.

Le quinquennat a donné au mandat présidentiel la même durée que celui des députés. Essentiellement - je le dis publiquement - pour rapprocher les points de vue du RPR, de l'UDF et de DL, j'ai tenté de déposer un amendement qui se voulait synthétique et tirait la conclusion de cette observation : puisque les mandats ont la même durée, faisons les élections en même temps. J'ai d'ailleurs été fort honoré que le Président Giscard d'Estaing le propose aussi.

M. Jacques Barrot.

Exact !

M. Pascal Clément.

J'en ai déduit que ce ne devait donc pas être complètement stupide, cela m'a rassuré ! Las ! je n'ai même pas obtenu un succès d'estime. Un vrai four ! Je suis convaincu que les électeurs, eux, comprendront, non pas ce soir, mais en 2002, quand on leur demandera de voter à quelques semaines d'intervalle pour un Président et des députés élus pour une même durée ! Vous savez, mes chers collègues, combien les gens aiment se déplacer pour voter ; regardez le succès que remportent les élections partielles ! En constatant qu'on leur demande de voter pour la même durée, ils préféreront voter le même jour ! Ce que vous ne voulez pas, le peuple vous l'imposera, je vous en fais la prophétie.

Cette proposition aurait permis de mettre tout le monde d'accord, sans donner la prééminence ni à l'Assemblée - aux parlementaristes - ni au Président - aux présidentialistes -, même si c'est à front renversé... Je n'insisterai pas parce que tout le monde trouverait cela désagréable. Et cela présenterait de surcroît un avantage pratique.


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Sans doute était-ce trop simple. Comme toujours, nous préférons faire compliqué. L'idée n'a pas été retenue.

L'idée du quinquennat est très présente dans les esprits, à droite comme à gauche. Et il est tentant de dire : puisqu'on veut un Président de la République, élu pour cinq ans au suffrage universel, qui a de ce fait la confiance des Français, car son mandat est très particulier - peu de personnes peuvent se vanter d'être élus par tous les Français eh bien, allons vers un système présidentiel à l'américaine ! A dire vrai, les mots « à l'américaine » sont de trop, car je ne connais pas d'autre système présidentiel que l'américain. Et pour copier le modèle américain, on enlève au Président l'arme de la dissolution, au Parlement celle de la censure du Gouvernement. L'exécutif est totalement homogène. Si le Parlement ne suit pas, dans un pays comme les Etats-Unis, grâce au réalisme et à la culture anglo-saxons, des accords peuvent être trouvés qui évitent de bloquer le système.

Mais imaginez la même chose en France ! M. Mitterrand, dans un régime présidentiel, avec un gouvernement quelque peu empêtré avec sa majorité, venant secourir la majorité pour avoir un budget ? Il eût été trop content de casser le système ! Dans un pays latin comme le nôtre, il ne pourrait pas ne pas y avoir un blocage un jour ou l'autre. A cette objection, un partisan du régime présidentiel répondait : c'est simple, il y a le référendum. Mais en vertu de l'article 11 ou de l'article 89 ? Qu'on me pardonne une parenthèse, qui sera vite refermée, à propos de l'article 11 et de l'« esprit de la Ve République » qu'on invoque tant. Souvenez-vous quand le général de Gaulle s'est servi de l'article 11 pour modifier l'élection du Président de la République en 1962, tous les professeurs de droit et les belles âmes de crier au coup d'Etat et à la forfaiture parce qu'il n'était pas passé par le Parlement et que la modification constitutionnelle, selon eux, ne pouvait procéder que de l'article 89. Certes, c'était une pratique voulue par le général. Mais ce n'était certainement pas la lettre de la Constitution. Et ce n'était pas de la forfaiture non plus. C'était de la pratique constitutionnelle et, comme l'a dit Mme Boisseau tout à l'heure, une Constitution se fait avec des hommes et avec leur charisme. Celui du général était indépassable.

Mais revenons à l'affaire du référendum. Pourrait-il débloquer un système présidentiel ? Je ne le crois pas.

Imaginez-vous un Président de la République, en régime présidentiel, demander aux Français de passer par-dessus la tête des parlementaires et adopter par référendum un budget qu'aurait refusé le Parlement ? Une fois, peut-être, sûrement pas deux ! Dans une culture latine comme celle de la France, tout blocage dans un régime présidentiel conduirait à la crise.

Le régime présidentiel, poussons le débat au fond, je ne le crois pas praticable sous nos latitudes...

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

C'est tout à fait juste !

M. Pascal Clément.

... ni en France, ni en Italie et sans doute pas en Espagne, quoiqu'on puisse considérer les Espagnols comme les « Allemands du Sud ».

Si le Président de la République, lui-même, n'a voulu que le « quinquennat sec », c'est parce qu'il a eu peur...

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Mais oui !

M. Pascal Clément.

... que certains en profitent pour aller plus loin.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Exactement !

M. Pascal Clément.

On a donc opté pour le quinquennat sans en examiner les conséquences constitutionnelles.

Et comme cette affaire du quinquennat n'est pas née d'une réforme pensée, d'un projet que le gouvernement socialiste aurait exposé ici même au moment du discours d'investiture, mais qu'elle est venue d'une opération politicienne qui faisait plaisir à M. Jospin en digne héritier de M. Mitterrand, on n'a pas pu traiter le problème constitutionnel au fond. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et sur certains bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Là est le drame de cette journée, mesdames et messieurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Vous oubliez Chirac, qui ne voulait pas d'amendements !

M. Pascal Clément.

Maintenant, il est temps de savoir ce que nous allons faire. Je ne crois pas le régime pré-s identiel possible, mais je suis prêt à me laisser convaincre.

J'ai entendu dire que les Français avaient voté majoritairement pour le quinquennat au motif qu'il réduirait le risque de cohabitation. Mais ce sont les hommes politiques qui disent cela, de gauche et de droite, pas les Français. Ceux que j'ai interrogés m'ont dit : « Ce qui nous plaît dans le quinquennat, c'est qu'on votera plus souvent "pour le chef" ! » Et ce n'est pas contre la cohabitation, contrairement à ce que prétendaient les sondages.

Du reste, si les sondages avaient eu raison, ils n'auraient pas été seulement 30 % à aller voter ! C'était donc une affaire strictement politicienne qui n'intéressait que la classe politique, qui voulait être un piège pour je ne sais pas trop qui, ou si je le sais, je ne le dirai pas, parce que tout le monde le sait. En tout cas, le quinquennat n'était pas demandé par l'opinion publique.

Reste que le quinquennat étant devenu une réalité, une réflexion est à mener.

L'Assemblée nationale a aujourd'hui retrouvé ses couleurs depuis la première cohabitation. Elle est le support majoritaire d'un gouvernement qui, reconnaissez-le, monsieur le ministre, fait exactement tout ce qu'il veut. Pensiez-vous qu'il y aurait consensus sur les 35 heures sur les emplois-jeunes ? A charge pour les administrations de recruter ces jeunes à vie ! Vous rêviez ! Si vous pensiez que, comme dans le budget de cette année, nous aurions, nous, recruté 30 000 fonctionnaires, vous rêviez encore ! Oui, je le répète, vous avez bien fait ce que vous avez voulu. Le Président de la République ne vous en a pas empêché. C'est donc votre politique qui sera jugée non pas au moment des législatives - or, la dissolution le commandait - mais au moment de la présidentielle. Tout à l'heure, très habilement, Patrick Devedjian a montré la difficulté qu'il y aurait de porter un jugement sur une législature alors qu'il sera question d'un projet présidentiel, et qu'on ne parlera pas de la même chose.

Il y a donc besoin d'une réflexion au-delà de ces

« finasseries » où les uns cherchent à diviser les autres et se divisent parfois eux-mêmes sans le faire exprès.

En France, nous avons la chance de vivre sous la Ve République. Jamais une République n'a aussi bien marché !

Mme Christine Boutin.

Et oui !


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M. Pascal Clément.

Elle a tout de même quarante ans ! On en a connu qui ont été usées plus vite ! Que ceux qui aspirent à la VIe se calment ! Grâce à elle, nous avons la chance, disais-je, d'avoir une pratique présidentialiste quand il y a cohérence des pouvoir, et, pour ne pas garder trop longtemps cette

« mauvaise habitude », en cas de cohabitation, nous avons un régime parlementaire, mais nous ne sommes pas condamnés à le garder. Autrement dit, nous avons deux constitutions qui successivement s'appliquent. Et les Français, malgré que nous en ayons, adorent ça. Il n'y a que la classe politique pour ne pas aimer la cohabitation.

Aujourd'hui encore, de très nombreux Français, préfèrent comme ils disent, « ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier ».

Du reste, je ne suis pas convaincu que le quinquennat, comme on a voulu le vendre à l'opinion pour qu'elle le vote, mette fin à la cohabitation. Il y a des Français qui ne voient M. X qu'en Président et M. Y qu'en Premier ministre. Ils n'ont absolument pas envie de les interchanger. Même si les élections avaient lieu le même jour, ils pourraient voter une couleur pour l'un et une autre couleur pour l'autre. Autrement dit, n'essayons pas, nous les parlementaires, de faire que la Constitution précède le résultat des élections. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Dans la volonté de toucher aux dates - n'employons pas de mot désagréable - il y a la volonté de faire dire au peuple ce qu'on a envie d'entendre.

M. Georges Colombier.

Très bien !

M. Pascal Clément.

Voilà le fond du débat.

Vous, vous avez envie d'entendre que vous pourriez gagner les présidentielles, d'autant que vous avez observé que vous n'avez jamais gagné une législative,...

M. le ministre de l'intérieur.

Mais si !

M. Gérard Gouzes.

En 1997 !

M. Pascal Clément.

... sauf après la dissolution de 1997 et les deux autres fois dans la foulée de l'élection de François Mitterrand. Sinon, jamais vous n'en avez gagné ! (Applaudissements sur les mêmes bancs.) C'est ce calcul qui vous fait inverser les dates.

Mme Odette Grzegrzulka.

Politique fiction !

M. Pascal Clément.

Vous ne ferez jamais croire à personne que c'est la conclusion tirée d'une analyse de la C onstitution. Vous n'avez jamais aimé la Ve République,...

Mme Odette Grzegrzulka.

C'est vrai !

Mme Yvette Roudy.

Mais on fait avec !

M. Pascal Clément.

... et vous vous en faites les défenseurs. Comment voulez-vous qu'on vous croie ? Pour conclure, oui, monsieur le ministre, mesdames et messieurs, il est temps de réfléchir à la Constitution.

Mais réfléchir à la Constitution, ce n'est pas se livrer à des manoeuvres politiciennes...

M. Georges Colombier.

Très bien !

M. Pascal Clément.

... qui, bien souvent, se retournent contre leurs auteurs. Je ne serais pas surpris de voir qu'une fois de plus, comme chaque fois qu'un gouvernement prend l'initiative d'un changement, soit de srutin, soit de calendrier, l'électeur vous donne une leçon. Vous l'aurez, monsieur le ministre, vous et vos amis, bien méritée ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme la présidente.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur.

Pendant que M. Pascal Clément regagne son banc, je veux rendre hommage à la capacité qu'il a déployée à la tribune pour essayer de convaincre les parlementaires - ceux de l'opposition, j'imagine - de le suivre dans son argumentation. C'est un exercice où il excelle.

Monsieur Clément, cette question préalable n'a pas de sens pour ceux qui pensent, comme le Gouvernement, qu'il faut remettre le calendrier dans le bon sens. Il ne s'agit pas de toucher à l'élection présidentielle, qui restera à la date fixée, mais, dans la logique des institutions de la Ve République, d'une part, et dans un souci de clarté et de transparence pour nos concitoyens, d'autre part, de remettre à leur place les élections législatives.

Tout au long de votre propos, vous avez répété, monsieur Clément, que vous avez toujours été d'accord avec

M. Raymond Barre. Je regrette que vous ne le soyez plus, car lui reste dans la logique qui est la sienne depuis le début,...

M. Robert Lamy.

Baratin !

M. le ministre de l'intérieur.

... c'est-à-dire dans la logique des institutions de la Ve République.

Le Gouvernement et les parlementaires qui ont déposé des propositions de loi veulent la clarté et la transparence : placer les élections législatives après l'élection présidentielle, c'est, en effet, permettre aux électeurs de se prononcer dans la clarté et, de surcroît, aux élus de bénéficier d'un délai raisonnable pour parrainer les candidats à l'élection présidentielle. C'est le bon sens, la bonne lecture. Je ne peux accepter l'argumentation qui prétend que le Gouvernement aurait peur que la majorité ne perde les élections législatives ...

M. Charles Cova.

Eh oui !

M. le ministre de l'intérieur.

... alors qu'elle a démontré ses capacités, en 1997 - M. Clément l'a rappelé - de les gagner. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Charles Cova.

Grâce au Front national ! Un député du rassemblement pour la République.

Merci, Jean-Marie !

M. le ministre de l'intérieur.

En outre, quand on a un bon bilan, une bonne stratégie et des propositions à faire au pays, on n'a pas à craindre le suffrage universel. On peut d'ailleurs retourner l'argument. L'opposition - chacun aura remarqué que, au cours de la séance des questions d'actualité qui s'est déroulée tout à l'heure, aucun député n'a posé de question au nom des trois groupes de l'opposition, mais peut-être cette observation ne vaut-elle que pour aujourd'hui - ...

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Michel Ferrand.

Que font les communistes ?

M. Patrick Ollier.

Et les communistes, qu'en pensentils ? Un déput du groupe du Rassemblement pour la République.

Et les Verts ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. le ministre de l'intérieur.

... l'opposition aurait-elle peur de perdre l'élection présidentielle ? (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Les propositions dont nous discutons aujourd'hui n'ont pas cet objet. Les Français comprennent très bien que la logique et le bon sens veulent qu'on replace les élections législatives quelques semaines après l'élection présidentielle, et le Gouvernement ne peut être favorable à une motion de procédure qui, en réalité, n'a d'autre but que de contrarier la logique des institutions de la Ve République auxquelles je vous demande de vous référer, mesdames et messieurs les députés, pour repousser cette question préalable présentée par M. Clément.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à Mme Nicole Bricq, pour le groupe socialiste.

Mme Nicole Bricq.

Monsieur Clément, le débat que nous avons depuis ce matin ... Un député du groupe du Rassemblement pour la République.

Est irréaliste !

Mme Nicole Bricq.

... est tout sauf politicien. (Exlamations et rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Bernard Accoyer.

Elle ment comme elle respire !

Mme Nicole Bricq.

Il porte sur le fondement du fait majoritaire dans notre République.

Au fond, nombre de représentants de l'opposition ont été traumatisés par la dissolution de 1997. Elle les a tétanisés et empêchés de réfléchir à l'ordre du calendrier, e t, au fond d'eux-mêmes, ils sont furieux que, avec d'autres, nous y ayons pensé. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Bernard Accoyer.

Vous avez été élue grâce au Front national !

M. le président.

Monsieur Accoyer, êtez-vous capable d'écouter avec un minimum d'attention ? Si vous y ajoutez une dose de courtoisie, cela ne gâchera rien.

M. Pascal Clément.

C'est vrai !

Mme Nicole Bricq.

Monsieur Clément, vous nous avez, à l'instant, accusés d'être - je reprends vos propos - fraî chement convertis à la pratique première manière de la Ve République, et d'être des godillots. Mais si vous aviez écoutés ce matin, les orateurs socialistes, dans leur diversité... (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)..., vous auriez compris qu'ils avaient d es idées pour rééquilibrer les pouvoirs dans la République.

De cela nous voulons débattre avec le peuple lors du grand rendez-vous démocratique du printemps 2002. Et, si l'on veut donner un sens à ce rendez-vous, établir les responsabilités dans la clarté et éclairer nos concitoyens sur les enjeux, oui, il faut rétablir le calendrier, car sur les questions de l'avenir de nos institutions, de leur place dans la décentralisation, de l'expression démocratique dans l'Europe, c'est au moment de la campagne des élections présidentielles que les candidats pourront proposer aux Français leurs projets, ainsi que la vision qu'ils ont de l'avenir de la France.

Aujourd'hui, vous voulez nous priver de ce débat.

Nous repousserons votre question préalable car nous voulons avoir ce débat avec le peuple, dans le bon ordre.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean Vila.

M. Jean Vila.

Chacun d'entre vous aura compris que les intérêts et les prises de position des groupes de l'opposition, leur argumentation ne sont pas du tout les mêmes que celles du groupe communiste. C'est pour ces raisons que, comme lors du vote sur l'exception d'irrecevabilité, notre groupe ne participera pas au vote. (Rires et exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Lequiller.

M. Pierre Lequiller.

Le groupe Démocratie libérale, à l'unanimité, votera la question préalable très bien défendue par Pascal Clément.

C'est une réforme de convenance personnelle que nous présente aujourd'hui M. Jospin. Je rappelle que, le 19 octobre dernier, il n'y a tout de même pas si longtemps, il déclarait sur TF1 que les Français ne comprendraient pas que l'on joue avec les règles du jeu si près d'une échéance électorale.

M. Jospin n'a cessé ce matin de nous parler de transparence et de clarté. Or cette décision, il a nié pendant des mois qu'il la prendrait. Il n'a consulté personne, sauf M. Schrameck et M. Hollande, d'après ce que j'ai compris.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Même pas !

M. Pierre Lequiller.

Elle a été annoncée au cours d'un congrès socialiste à Grenoble,...

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

Tout à fait !

M. Pierre Lequiller.

... à la stupeur des députés socialistes eux-mêmes (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Jospin n'est en cette occasion ni clair ni transparent. Il nous a menti, il vous a menti, il a menti aux Français et, maintenant, il triche ! (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

L'inversion du calendrier entraînera un profond déséquilibre des pouvoirs, alors qu'il faut au contraire les rééquilibrer au profit du Parlement, Pascal Clément l'a très bien expliqué.

M. Jean-Claude Lenoir.

Tout à fait.

M. Pierre Lequiller.

Le peuple vous donnera tort car, comme Pascale Clément l'a souligné, il vous condamnera pour cette manoeuvre de basse politique, qui doit être condamnée par le peuple ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Richard Cazenave.

M. Richard Cazenave.

Pascal Clément a très largement démontré l'hypocrisie qui sous-tend la discussion d'aujourd'hui et l'ensemble des propositions de loi qui sont proposées.


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C'est une hypocrisie qui commence avec l'expression de « rétablissement » du calendrier électoral. C'est un hold-up sémantique et rien d'autre...

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Très bien !

M. Richard Cazenave.

... car, cela a été démontré tout au long des débats, il n'y a jamais eu dans la Constitution une hiérarchie, une chronologie des élections. Par conséquent, en parlant de rétablissement, vous faites un hold-up sémantique et rien d'autre ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Il est tout aussi ahurissant que cette hypocrisie soit développée par des députés qui, comme Mme Bricq à l'instant, ne sont présents dans cet hémicycle qu'à la faveur de triangulaires avec le Front national, qui ont permis leur élection. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Albert Facon.

Et Jacques Blanc ?

M. le président.

Mes chers collègues !

M. Richard Cazenave.

Vos propositions de loi n'ont rien de constitutionnel, rien d'une lecture intelligente de la Constitution. C'est un fusil à un coup que vous nous proposez, pour les élections de 2002, et encore, ce n'est pas sûr, car d'ici à 2002, il y a 2001 et il peut se passer d'autres choses. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Henri Nayrou.

Il y a Paris !

M. Richard Cazenave.

C'est donc bien, cela a été démontré par tous nos orateurs, un projet de convenance personnelle et rien d'autre, un projet dû au fait que M. Jospin ne veut pas accepter le haut risque que représente la proximité des élections législatives et de l'élection présidentielle. Les enjeux présidentiels seraient partie prenante des élections législatives, contrairement à ce que vous dites. Comment imaginez-vous que le débat des législatives, s'il avait lieu avant, pourrait s'abtraire du débat présidentiel ? Bien sûr que non, il ne le pourrait pas. Ce sont des élections à haut risque pour M. Jospin, parce que, s'il perdait les législatives, il serait très mal pour faire la course présidentielle.

Tout le monde l'a bien compris, je crois. Le débat d'aujourd'hui a réussi à éclairer au moins cet aspect : c'est un projet de convenance personnelle pour M. Jospin.

Mme Yvette Roudy.

Il radote !

M. Richard Cazenave.

Il a même dit mieux ce matin, c'est un projet de confort personnel, parce qu'il veut avoir le temps de faire les deux campagnes tranquillement. Voilà pourquoi on mobilise l'Assemblée nationale pendant toute une journée, pour une question qui, il y a encore si peu de temps, était considérée par M. Jospin lui-même comme une question pas correcte, pas convenable, sur laquelle il ne convenait pas de mobiliser l'Assemblée nationale ! Vous ne faites que vous contredire. Vous voulez aujourd'hui nous donner des leçons de « constitutionnalisme », de Ve Républiqe, vous qui l'avez toujours combattue, qui l'avez toujours méprisée, vous qui vouliez la mettre à terre dès ses débuts. (Applaudissements sur plu-s ieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Cela, je vous le dénie. Je vous refuse ce droit, et le groupe RPR dans son ensemble votera la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

- Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Barrot.

M. Jacques Barrot.

Je fais partie de ceux qui voteront cette question préalable en leur âme et conscience.

(« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Il n'y a pas, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d'institutions idéales, c'est vrai, et il faut dans ce domaine faire preuve de modestie et de pragmatisme.

Cela étant, pour avoir fait campagne active pour le quinquennat, j'ai regretté moi-même que nous n'ayons pas suffisamment évoqué clairement tous les compléments institutionnels qu'il appelle.

M. Jean-Yves Le Drian.

La faute à qui ?

M. Jacques Barrot.

C'est la raison pour laquelle je suis d'autant plus disposé aujourd'hui à alerter mes collègues sur le fait qu'il ne peut pas trouver dans cette seule proposition de loi les compléments dont il a besoin.

Dois-je rappeler ici que tout ne se résout pas dans l'ordre des élections ?

Mme Christine Boutin.

Exactement !

M. Jacques Barrot.

Laurent Fabius a écrit un article dans Le Monde sur le quinquennat de concordance. Il y a un vrai problème de concordance des majorités présidentielle et parlementaire, et on ne fera pas l'économie de ce débat si l'on veut éviter des cohabitations à répétition.

Il y a un problème du Parlement. Vous présidez, monsieur le président de l'Assemblée nationale, la commission spéciale chargée de revoir l'ordonnance de 1959. Au fur et à mesure que nous avançons dans des travaux dont je salue la qualité, nous nous apercevons qu'il faut, à coup sûr, revoir cette ordonnance, conçue dans une époque où l'on réagit contre la IVe et où l'on oublie de donner à ce Parlement de la Ve un certain nombre de moyens et de prérogatives indispensables. C'est ainsi, par exemple, que l'article 40, dans son acception actuelle, pose problème.

A lors franchement, peut-on se donner bonne conscience en inversant des dates électorales et donner le sentiment aux Français qu'on a réglé le problème de fond ? La question préalable est là pour dire que nos institutions valent mieux que ce débat six jours avant Noël, que cette manière de bâcler le problème ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Si c'est une réforme de fond, monsieur le ministre, donnons-nous les moyens de la faire ! Il est arrivé, dans la République, qu'il y ait un comité consultatif institutionnel, qui permette précisément de mettre sur le chantier une véritable adaptation de nos institutions. Je viens de le montrer, le quinquennat implique des additifs institutionnels, pour créer quelque chose d'original, qui ne sera pas nécessairement un régime présidentiel, mais qui sera un régime équilibré, en assurant une prééminence du Pré-


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sident, mais en assurant aussi au Parlement les moyens de fonctionner dans le monde moderne et de jouer tout son rôle.

Si vraiment il y a un problème de fond, il me semble que la plupart des parlementaires ici le reconnaissent, donnons-nous le temps et la méthode pour le résoudre ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) C'est pour cela que je suis tenté de dire, avec toute la modération dont j'essaie de faire preuve dans ma vie politique (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste),... Oui, messieurs ! ...

que s'il s'agissait d'un problème de fond, le Premier ministre n'aurait pas hésité à se donner du temps et à faire appel aux plus hautes sommités constitutionnelles de ce pays pour donner au quinquennat le prolongement dont il a besoin. C'est pour cela que nous ne pouvons pas entrer dans ce débat plus avant, et que je voterai la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

M. le président.

Conformément aux décisions de la conférence des présidents, je vais maintenant donner la parole aux auteurs des propositions de loi organique qui ont demandé à intervenir.

Nous passerons ensuite à la discussion générale.

Auteurs des propositions de loi organique

M. le président.

La parole est à M. Georges Sarre, auteur de la proposition de loi organique relative à l'antériorité de l'élection présidentielle par rapport à l'électio n législative.

M. Georges Sarre.

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la discussion des propositions de loi organique visant à rétablir le calendrier électoral est une chance que nous devons saisir, et je voudrais démontrer comment, aux yeux du Mouvement des Citoyens, il est impossible de comprendre la logique intime de notre système institutionnel d'une part, et de refuser la mise en cohérence qui s'impose, d'autre part.

Depuis que le général de Gaulle a fait trancher par le peuple en 1962 la question du mode d'élection du Président de la République, la Constitution de 1958 a pris u n nouveau visage. L'élection du Président de la République au suffrage universel direct est la réforme qui a tout changé. Elle n'est plus vraiment contestée aujourd'hui.

Le jour du second tour, la France entière réunie en une circonscription unique vote non seulement pour un homme mais aussi pour un projet politique clairement identifié. L'élection des députés se fait au contraire dans 577 circonscriptions différentes, émiettant les enjeux.

C'est pourquoi l'élection du Président de la République est le moment fort de notre vie démocratique. Il doit le rester.

Si nous ne faisons rien, l'élection du Président aura lieu normalement en 2002, mais après le renouvellement de l'Assemblée nationale. Ces dates n'ont pas été choisies, voulues, elles résultent du décès du Président Pompidou et de la dissolution faite par Jacques Chirac en 1997.

Dans ces conditions, il faut redouter un second tour opposant deux candidats dont l'un saurait à l'avance qu'il aura les mains libres pour mener sa politique, mais dont l'adversaire serait empêché a priori par une majorité hostile. Ce serait porter un coup fatal au principe même de l'élection du Président au suffrage universel. L'enjeu en serait tellement diminué que le prestige de la fonction en serait immanquablement atteint.

Ne pas changer l'ordre des élections, ce serait accepter par avance que l'élection des députés prenne le pas sur celle du Président de la République. Les citoyens se verraient privés du principal instrument de maîtrise de leur destin que leur offrent les institutions. C'en serait fini du p résidentalisme majoritaire. Nous fermerions presque sûrement le cycle de stabilité de l'exécutif ouvert en 1958. Nous tomberions alors dans le régime d'assemblée dont chacun se souvient.

Il serait totalement illogique d'avoir soutenu la mise en place du quinquennat et de reculer sur l'inversion du calendrier.

Le quinquennat, conçu pour réduire le danger des cohabitations, n'a de sens que si l'élection présidentielle a lieu en premier. Les élections législatives en second confortent ou nuancent la majorité présidentielle. L'ordre inverse n'assure pas cette cohérence. Tolérer la cohabitation, c'est se résigner à l'immobilisme. C'est le triomphe de la pensée unique et du consensus mou. La démocratie a tout à y perdre.

C'est pourquoi le Mouvement des citoyens, le premier, a déposé une proposition de loi visant à rétablir l'ordre l ogique des scrutins en prolongeant le mandat de l'actuelle Assemblée.

Nous nous réjouissons évidemment de voir de nombreux partis se rallier à cette initiative.

Aux accusations qu'on a pu entendre de manipulation des échéances électorales, nous répondons tranquillement, qu'un calendrier absurde et dû au hasard n'a aucune raison d'être sacralisé. Nous pensons au contraire qu'une responsabilité lourde pèserait sur ceux qui, conscients des enjeux, renonceraient à leur pouvoir de rétablir la situation conformément à l'esprit des institutions. Je pense en particulier à ceux qui, sur ces bancs, se réclament encore du gaullisme.

Invoquer je ne sais quels précédents, ce n'est pas recourir à une argumentation crédible. En décembre 1958, je le dis pour M. Balladur, l'élection du Président de la République s'est faite après le renouvellement de l'Assemblée, mais le Président était élu par un collège restreint.

Près d'un an sépare les élections législatives de juin 1968 de l'élection du Président de la République en 1969.

C'est une période encore plus longue qui sépare l'élection de la nouvelle assemblée en mars 1973 de l'élection du Président consécutive au décès de M. Pompidou, en mai 1974.

A ceux qu'inquiète la présidentialisation du régime, consécutive au rétablissement des échéances dans leurs cours logique, je répondrai qu'en effet, le jour venu, des propositions de refonte de nos institutions devront être examinées.

Le rôle du Parlement devra en sortir renforcé, par exemple en conditionnant l'usage de la dissolution au retour devant les électeurs du Président de la République lui-même, comme le Mouvement des citoyens l'avait proposé lors du débat sur le quinquennat.

A terme, l'inscription d'échéances à date fixe dans la C onstitution pour l'élection du Président, puis de l'Assemblée, me paraît une bonne solution. L'un de ces voyages à Versailles devenus si fréquents pourrait être mis à profit, pour une fois.


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Enfin, prétendre que rétablir le calendrier électoral sur ses jambes relève de la manipulation à l'avantage d'un camp n'est autre chose qu'un clair procès d'intention.

Nul ne peut s'affirmer assez visionnaire pour préjuger du sort des urnes avant que les Français se prononcent ! Il est paradoxal qu'il faille aujourd'hui rappeler ces évidences à ceux qui se recommandent du général de Gaulle.

Je ne connais aujourd'hui qu'un camp susceptible de l'emporter grâce à vos suffrages, mes chers collègues : le c amp de l'intérêt général, celui de la République.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Aloyse Warhouver, auteur de la proposition de loi organique visant à modifier l'article L0 121 du code électoral en vue de la concomitance de l'élection présidentielle et des élections législatives.

M. Aloyse Warhouver.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la réduction du mandat présidentiel, la question du calendrier électoral que nous posons aujourd'hui permet de lancer une réflexion sur l'avenir de nos institutions. Elle nous apparaît certes trop réduite, mais l'inversion qui nous est proposée permet au moins un rétablissement logique de l'ordre institutionnel, ce qui est conforme au système présidentialiste majoritaire. Trop réduite, cette réflexion l'est assurément à nos yeux, car nous, radicaux du groupe Radical, Citoyen et Vert, comme l'a dit ce matin notre président Bernard Charles, militons pour un changement de constitution, la seizième de notre histoire.

La Constitution de 1958 avait, dans l'esprit de ses rédacteurs, pour vocation principale de limiter les pouvoirs du Parlement. Marquée par les errances de la IVe République, elle fut trop longtemps considérée comme une bible républicaine et la critiquer valait d'être considéré comme un hérétique. Elle a vécu et vieilli. On a abusivement cru, voulu croire ou affirmé que cette constitution était, telle la statue du Commandeur, indéboulonnable. Evoquer son évolution valait d'être jugé parricide. Mais il en est de cette constitution comme de l'idée de trajectoire en physique quantique : elle peut être battue en brèche par un simple principe d'incertitude.

Eh bien, cette incertitude a gagné de plus en plus d'adeptes, quarante-deux ans après sa promulgation.

Michel Debré pouvait bien, en août 1958, devant le Conseil d'Etat, vanter les mérites du nouveau texte,

« créateur d'un régime parlementaire, d'un parlementarisme rationalisé », celui-ci habillait institutionnellement un projet de personnalisation du pouvoir. Nous n'avons jamais adhéré à cette présentation.

Admettons-le, nous sommes, aujourd'hui, confrontés à un autre scénario, à une autre actualité, qui nous obligent à nous doter d'un autre texte, correspondant à des attentes nouvelles, qui traduisent simplement l'évolution de la société. Cette prise de conscience de l'inéluctabilité du changement de constitution doit ouvrir la voie à la VIe République.

Entendons-nous bien : la question ne se résume pas à la recherche d'un meilleur ajustement. Il s'agit de répondre, et de répondre rapidement, aux blocages qui affectent non seulement les mécanismes de la démocratie représentative, mais aussi le cadre même de l'exercice du pouvoir.

Puis, permettez-moi, une première réflexion de bon sens : en 1958, ne l'oublions pas, nous étions treize ans seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale. La société d'alors ne peut pas être comparée à celle du sièc le nouveau que nous allons aborder dans quelques jours.

En prenant l'initiative de remettre « à l'endroit » l'ordre des élections - conformément, expliquent les constitutionnalistes, à la logique institutionnelle née de 1958 -, le Premier ministre a pris une décision politique forte.

C'est son grand mérite.

L'examen que nous engageons ce mardi, à l'heure où le radicalisme, lui, s'apprête à fêter honorablement ses cent ans,...

M. Bernard Charles.

Eh oui !

M. Aloyse Warhouver.

... va incontestablement dans le sens d'un véritable régime présidentiel qui garantisse l'expression du Parlement. Celui-ci doit organiser l'exercice souverain du pouvoir exécutif, tout en rendant plus claire l'action législative, et éviter le risque de blocage des institutions lié à la cohabitation.

Nous fonctionnons actuellement dans une atmosphère tendue, conflictuelle, lourde de sous-entendus, qui nous conduit au bord de la rupture entre Président et Premier ministre. Une de ces deux institutions apparaît de trop, et ce dilemme deviendra fondamental lorsqu'un conflit grave les opposera. L'un et l'autre refusant de céder, il faudra bien songer, à ce moment-là, à réformer nos institutions pour le résoudre. Anticipons ! Pour que la démocratie soit parfaitement opérante, il doit exister face à un pouvoir fort, celui détenu par le Président, un contre-pouvoir conforme à celui que préconisait Montesquieu, qui ne peut être issu que du peuple, c'est-à-dire un pouvoir parlementaire.

Ce débat que nous engageons, mais que nous jugeons trop modeste dans son amplitude, et que nous souhaiterions être le marchepied d'un vaste chantier, n'est pas organisé à la sauvette, comme nous l'avons entendu la semaine dernière dans la bouche d'un homme qui affichait en la circonstance d'étranges contradictions. Il est convenable et digne de s'y atteler, fût-ce aujourd'hui.

Comme je l'ai évoqué il y a quelques instants, nous avons fait évoluer récemment la durée du mandat présidentiel. Depuis l'adoption du quinquennat, beaucoup de supputations ont été faites. Renforcerait-on le pouvoir présidentiel ou le banaliserait-on ? Restaurerait-on le rôle du Parlement ou accroîtrait-on sa soumission ? Effacerait-on la fonction de Premier ministre ? Vous le savez, les radicaux de gauche ont apporté depuis longtemps une réponse politique à ce triple quest ionnement. Elle passe par l'instauration de la VIe République, réforme lisible, cohérente et que nous jugons indispensable afin de construire la France de demain.

Nous avons été les premiers à proposer cette évolution constitutionnelle, et nos parlementaires, tant ici qu'au Sénat, ont déposé une proposition de loi afin de présenter ce projet qui prévoit, face au pouvoir présidentiel, un contre-pouvoir qui ne peut être que parlementaire.

Députés et sénateurs doivent être élus pour cinq ans, le même jour que le Président de la République, et dotés de prérogatives qui leur permettent de vraiment remplir leur tâche de représentants des Français en pesant sur les grandes décisions qui engagent le pays, à commencer par la procédure budgétaire qui, nous le souhaitons, doit redevenir d'origine parlementaire. Cela implique, au nom


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de l'équilibre des pouvoirs, la disparition du droit de dissolution et celle du droit de censure, qui oblige la majorité à se soumettre et à renverser le Gouvernement.

Cette réforme doit également traiter de la décentralisation. Le débat Jacobins-Girondins est toujours très présent dans notre quotidien et je remarque qu'au sein de l'Union européenne la France est le pays le plus centralisateur, ce qui constitue un véritable handicap. L'exception politique a ses limites ! N ous pensons également que cette réforme doit conduire à supprimer le poste de Premier ministre. Il paraît indispensable, si tous les acteurs de la République sont convaincus de la nécessité d'engager un volumineux chantier, de réaliser notre révolution culturelle et politique. Une « révolution de velours », pour reprendre une f ormule employée dans un autre contexte, il y a onze années.

Mais, mes chers collègues, prenons bien conscience, à l'heure des choix, qu'il n'est plus question de passé ou de présent, mais d'avenir ; et en particulier de l'avenir immédiat, avec notre préoccupation de nous déterminer sur une hiérarchie électorale.

Les députés radicaux du groupe RCV ont déposé il y a quelques mois une proposition exprimant un raisonnement que nous estimons sage : le jumelage des scrutins présidentiel et législatif. Un seul rendez-vous électoral en 2002 permettrait de désigner ce qu'un politologue appelle « l'équipe chargée de diriger la France durant cinq années ».

Cette innovation de bon sens permettrait par surcroît de réaliser des économies. Nous constatons, au-delà des clivages traditionnels, que de plus en plus d'hommes politiques sont séduits par cette concomitance.

Si d'aventure, ce texte ne bénéficiait pas de l'intérêt souverain de cette assemblée, les députés radicaux du groupe RCV voteraient bien sûr l'inversion du calendrier telle qu'elle résulte du texte qui nous est proposé aujourd'hui par nos collègues. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Je vous propose, mes chers collègues, de nous arrêter à ce stade du débat.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, des propositions de loi organique : no 2602 de M. Georges Sarre et plusieurs de ses collègues relative à l'antériorité de l'élection présidentie lle par rapport à l'élection législative ; no 2665 de M. Bernard Charles et plusieurs de ses collègues visant à modifier l'article L.O.

121 du code électoral en vue de la concomitance de l'élection présidentielle et des élections législatives ; no 2741 de M. Raymond Barre modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ; no 2756 de M. Hervé de Charette relative à l'organisation des élections présidentielles et législatives ; no 2757 de M. Gérard Gouzes relative à la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ; no 2773 de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.

M. Bernard Roman, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 2791).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures dix.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT


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ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL de la 2e séance du mardi 19 décembre 2000 SCRUTIN (no 278) sur l'exception d'irrecevabilité opposée par M. Debré aux propositions de loi organique relatives au calendrier électoral.

Nombre de votants .....................................

477 Nombre de suffrages exprimés ....................

477 Majorité absolue ..........................................

239 Pour l'adoption ...................

207 Contre ..................................

270 L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN Groupe socialiste (255) : Pour : 2. - M. Jacques Fleury et Mme Michèle Rivasi

Contre : 232 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe R.P.R. (138) : Pour : 126 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe U.D.F. (71) : Pour : 32 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Contre : 22. - MM. Pierre Albertini , Pierre-Christophe Baguet , Raymond Barre , Emile Blessig , Jean-Louis Borloo , Jean Briane , Hervé de Charette , Jean-Claude Decag ny , Valéry Giscard d'Estaing , Gérard Grignon , Mme Anne-Marie Idrac , MM. Jean-Jacques Jégou , Maurice Leroy , Maurice Ligot , Pierre Méhaignerie , Pierre Menjucq , Hervé Morin , Dominique Paillé , Jean-Luc Préel , Gilles de Robien , Rudy Salles et Pierre-André Wiltzer

Groupe Démocratie libérale et Indépendants (43) : Pour : 40 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe communiste (35) : Pour : 4 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe Radical, Citoyen et Vert (30) : Pour : 1. - M. Roger Franzoni

Contre : 15 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Non-inscrits (5).

Pour : 2. - MM. Marc Dumoulin et Philippe de Villiers

Contre : 1. - M. Jean-Jacques Guillet

Mises au point au sujet du présent scrutin (Sous réserve des dispositions de l'article 68, alinéa 4, du règlement de l'Assemblée nationale) M. Charles Millon, qui était présent au moment du scrutin ou qui avait délégué son droit de vote a fait savoir qu'il avait voulu voter « pour » MM. Jacques Fleury, Roger Franzoni et Mme Michèle Rivasi, qui étaient présents au moment du scrutin ou qui avaient délégué leur droit de vote, ont fait savoir qu'ils avaient voulu voter

« contre »