ASSEMBLÉE NATIONALE 1re SÉANCE DU 6 FÉVRIER 2001
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souhaite vivement que nous en finissions avec cette atti-
tude un peu hypocrite des législateurs français qui dure
depuis maintenant deux siècles et qui consiste à parler en
permanence de la famille, sauf dans lenceinte où précisé-
ment doit se faire la loi. Tout le monde parle de la
famille dans les journaux, à la télévision, dans la vie
quotidienne...
M. Jean-Yves Caullet. Mais non !
M. Claude Goasguen. Il ny a quun endroit où lon
nen parle jamais : au Parlement. Dieu sait pourtant si
lon y parle de choses dont on ne devrait pas parler !
Sur cette note dhumour, madame la garde des sceaux,
je tenais à vous rappeler lesprit dans lequel le groupe
Démocratie libérale et Indépendants votera ce texte en lui
apportant, sil le peut, certaines précisions techniques au
cours du débat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde
Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Madame la présidente,
madame la ministre, mes chers collègues, la proposition
de loi que nous présente Alain Vidalies, au nom du
groupe socialiste, comporte un double volet que daucuns
voudraient voir sans liaison ; dautre part, elle renforce les
droits successoraux du conjoint survivant. Dautre part,
elle sattache à supprimer le statut dérogatoire de lenfant
dit adultérin au niveau successoral.
Au nom de la défense de la famille traditionnelle, et
donc du mariage, certains sémeuvent et voient dans
légalité de traitement successoral entre les enfants adulté-
rins et légitimes la fin du mariage !
Linstitution familiale a évolué. Et cest avoir une
vision dépassée du mariage que de le définir par le seul
devoir de fidélité.
Cest avoir une conception bien limitée des engage-
ments des époux et de leurs responsabilités que de faire
porter sur un tiers le non-respect de la fidélité. Cest
avoir une vue par trop restrictive de la souffrance que
peut engendrer linfidélité, que de penser quelle serait
compensée par le simple fait de faire peser sur lenfant né
ou à naître le « coup de canif » au contrat.
Ainsi, dans ses conclusions, le groupe de travail présidé
par Mme Dekeuwer-Fefossez souligne que le manque-
ment au devoir de fidélité ne doit pas être supporté par
lenfant qui en est issu.
Depuis vingt-cinq ans, ladultère nest plus un délit
pénal pour celles qui le commettent. On ne doit pas
continuer à condamner les enfants.
Je crois quant à moi que le mariage est un acte de res-
ponsabilité. Et si on veut le valoriser, cest plutôt en
tirant les conséquences juridiques naturelles de cette
union librement consentie. En effet, cest aujourdhui la
liberté qui caractérise le choix du mode de vie commune
entre les personnes. Si lon estime que le mariage est, et
plus encore aujourdhui, un choix librement consenti par
les époux, nest-il pas normal den tirer les conséquences
en matière de succession ?
Cest en donnant aux engagements affectifs une légiti-
mité là où actuellement, seul le lien par le sang est vrai-
ment reconnu, que lon donne au mariage sa valeur
pleine et entière. Or le code civil fait du conjoint survi-
vant le parent pauvre de la succession, en ne lui accor-
dant quun statut dusufruitier.
Cest parce que je crois en la spécificité de cette union
quil me semble tout naturel de ne pas laisser entre les
autres formes de vie commune et le mariage une trop
grande proximité en matière successorale. Si lon souhaite
lui laisser une raison dêtre dans le code civil, le mariage
doit être différent.
Quelles conséquences juridiques donner au mariage
pour ceux qui le choisissent ? Cest en répondant à cette
question que lon reconnaîtra au mariage civil son véri-
table contenu. Cest dailleurs ce que souhaitent nos
contemporains qui, interrogés sur la personne quils sou-
haitent voir protégée en cas de disparition, répondent en
grande majorité : leur conjoint.
Or ce nest pas le cas aujourdhui. Cest pourquoi il
me paraît indispensable de donner au conjoint une vraie
place dans lordre successoral en tenant compte, dune
part, de la société dans laquelle nous vivons, qui distend
les liens familiaux entre collatéraux, réduisant la cellule
familiale aux enfants et au couple, dautre part, du sou-
hait de voir reconnue une place plus grande à laffectif,
aux choix de vie, dans le droit successoral.
Afin de comprendre lintérêt de ce texte, il faut appré-
hender la réalité sociale que recouvre la notion de
conjoint survivant. Cette réalité, cela a déjà été dit mais il
faut le répéter, cest 71 % de veuves dont 50 % ont
quatre-vingts ans et plus ; cest une succession constituée
à 80 % du domicile conjugal.
Les droits du conjoint survivant, en présence denfants,
se limitent à lusufruit sur un quart. Mais cest surtout,
en présence des seuls frères et surs du défunt, un simple
usufruit sur la seule moitié de la succession, et la possibi-
lité pour ces derniers dexiger la conversion de cet usu-
fruit en une rente dont le montant est calculé en fonction
de lâge du conjoint survivant.
Cest pourquoi nous proposons une avancée considé-
rable pour le conjoint survivant en lui reconnaissant des
droits en pleine propriété ainsi quun rang supérieur aux
frères et surs dans lordre successoral, et en assurant sa
protection par loctroi dun quart réservataire lorsquil se
retrouve au premier rang des héritiers. Mais lavancée est
surtout dans le droit de bénéficier du logement conjugal
et de ses meubles, sa vie durant.
Je suis donc certaine que cette proposition de loi ne
signifie pas la fin du mariage, mais bien au contraire son
inscription dans les temps modernes en valorisant les
choix affectifs de nos concitoyens. (Applaudissements sur
les bancs du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine
Lignières-Cassou.
Mme Martine Lignières-Cassou. Madame la prési-
dente, madame la ministre, mes chers collègues, il y
aurait beaucoup de choses à dire lensemble des droits
touchant au conjoint survivant : pension de reversion,
accès à lemploi, fiscalité ; notre collègue Marie-Françoise
Clergeau, rapporteure du budget de la famille, sefforce
avec succès de faire avancer leurs droits.
Citons cette année, parmi les définitions adoptées dans
le cadre du PLFSS, lextension du bénéfice de lallocation
veuvage aux veufs et veuves sans enfants ou légalité de
traitement entre les personnes ayant une ou plusieurs
pensions. Mais le groupe socialiste, notre collègue, Alain
Vidalies en tête, a choisi aujourdhui de réparer une
injustice flagrante concernant le droits de succession.
Depuis des années en effet, tout le monde saccorde à
dire, partis politiques, associations et en premier lieu la
FAVEC, quil faut réformer la place du conjoint survi-
vant dans les successions. Tout le monde saccorde à
reconnaître que le droit français est archaïque par rapport
à celui de nos voisins européens.