Accueil > Documents parlementaires > Les commissions d'enquête
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 2698

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 juillet 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1),

Président

M. Jean-Christophe Lagarde,

Rapporteur

M. Jean-Pierre Door,

Députés.

——

INTRODUCTION 7

I.- UNE CAMPAGNE DE VACCINATION AUX RÉSULTATS DÉCEVANTS COMME DANS LA PLUPART DES AUTRES PAYS 11

A. UN BILAN INSUFFISANT AU REGARD DES MOYENS ENGAGÉS 11

1. Un échec de santé publique 11

a) Un faible taux de vaccination 11

b) Une incompréhension entre les autorités sanitaires et les professionnels de santé 13

2. Un coût financier certes important, mais moins que prévu initialement 14

a) De nombreux chiffres ont été avancés successivement, puis revus à la baisse 15

b) Des résiliations de contrats coûteuses 16

c) Des stocks non écoulés 20

d) Des coûts importants de fonctionnement 22

e) Les autres dépenses induites par la campagne de vaccination 26

B. UN MÊME CONSTAT D’INSUFFISANCE DE LA VACCINATION DANS LA PLUPART DES AUTRES PAYS 29

1. De très rares exceptions 30

2. Des résultats tout aussi décevants ailleurs 31

II.- UNE CAMPAGNE DE VACCINATION PLACÉE SOUS L’ÉGIDE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION 35

A. DES INCERTITUDES ET DES DOUTES IMPORTANTS QUI ONT COMMANDÉ UNE APPLICATION RESPONSABLE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION 36

1. De nombreuses incertitudes 36

a) Sur le virus 37

b) Sur les délais d’obtention des vaccins 39

2. Une préstratégie vaccinale visant une protection complète de la population 44

a) Le choix d’une couverture d’environ 75 % de la population 44

b) Fallait-il retenir un objectif de vaccination aussi large ? 46

B. UNE NÉGOCIATION DES CONTRATS DÉLICATE 48

1. Des marges de manœuvre réduites 49

a) Les impératifs d’une négociation rapide permettant de répondre aux besoins identifiés 49

b) Des contraintes qui ont pesé sur la négociation des contrats 51

2. D’autres options qui auraient été envisageables 58

a) Un objectif plus souple en termes de couverture vaccinale 58

b) Des contrats plus facilement modulables 61

III.- UNE CAMPAGNE DE VACCINATION VOLONTARISTE MAIS D’UNE APPLICATION TROP RIGIDE 65

A. UN DISPOSITIF MÛREMENT RÉFLÉCHI POUR DES MENACES SANITAIRES GRAVES 65

1. Un plan de lutte contre la pandémie issu des dispositifs de lutte contre la grippe aviaire A(H5N1) 65

a) Le règlement sanitaire international, instrument juridique contraignant mais indispensable 65

b) Au plan national, un arsenal prévu pour des menaces sanitaires graves 67

2. Un pilotage spécifique à la gestion de crise 72

a) Au niveau national, de multiples intervenants coordonnés par un cadre interministériel renforcé 74

b) Une expertise déterminante et abondante 76

c) Un pilotage territorial essentiellement assuré par le ministère de l’intérieur 79

B. DES CENTRES DE VACCINATION CONTESTÉS DANS LEUR PRINCIPE 80

1. Un choix de vaccination collective, dans des centres spécifiques, motivé par de réelles contraintes 81

a) Des contraintes de santé publique 81

b) Des contraintes logistiques 82

2. Un dispositif insuffisant pour mener rapidement une campagne de vaccination pandémique 83

3. D’autres voies explorables 84

a) Le recours à la médecine ambulatoire 84

b) L’appel aux établissements de santé 86

c) L’organisation de campagnes déconcentrées de vaccination dans les communautés de taille importante 87

C. UNE MISE EN œUVRE QUI A MANQUÉ DE SOUPLESSE 88

1. Des difficultés liées aux règles de fonctionnement des centres 88

a) Un parcours de vaccination progressivement ajusté 88

b) Des protocoles parfois inhabituels 89

2. Des problèmes de gestion opérationnelle qui ont pu être résolus grâce aux efforts consentis par les personnels et les collectivités locales 90

a) Des administrations déconcentrées parfois mal armées pour appliquer les directives 90

b) La confusion entourant les réquisitions 91

c) Des horaires d’ouverture et des lieux parfois peu adaptés 93

d) Des problèmes logistiques résolus grâce aux initiatives individuelles 95

IV.- UNE CAMPAGNE DE VACCINATION BOUDÉE 97

A. UN MESSAGE DE SANTÉ PUBLIQUE PERDU DANS LE BROUILLARD MÉDIATIQUE 97

1. Une multiplicité des messages sanitaires source de confusion 97

a) Sur le risque lié à la pandémie 97

b) Sur la stratégie vaccinale 98

c) Les réticences des personnels soignants 98

2. Des médias parfois excessifs 99

a) Un large écho donné à des prises de position de personnalités extérieures à l’expertise sanitaire 99

b) Des informations oscillant entre alarmisme et banalisation 100

c) Des messages inquiétants sur la sûreté des vaccins 101

3. Sur internet, un débat concurrent qui a débordé les autorités 102

a) La propagation de rumeurs inquiétantes par des canaux variés 102

b) Des rumeurs au service d’intérêts divers 102

B. DES ERREURS DANS LA COMMUNICATION DES POUVOIRS PUBLICS 103

1. Une campagne institutionnelle classique souvent inappropriée 104

a) Le recours à des instruments traditionnels qui n’ont pas suffisamment pris en compte l’état d’esprit de la population 104

b) L’absence de réaction appropriée des autorités face aux rumeurs 107

2. La nécessité d’un débat public sur les risques de pandémie ou de crise sanitaire grave 108

3. Des professionnels de santé insuffisamment associés 109

a) Une information inadaptée qui n’a pas permis de susciter l’adhésion 109

b) Une formation sur la vaccination sans doute incomplète 110

CONCLUSION 113

LISTE DES QUARANTE-DEUX PROPOSITIONS 115

CONTRIBUTIONS 121

CONTRIBUTION DE MME JACQUELINE FRAYSSE, DÉPUTÉE DES
HAUTS-DE-SEINE (GROUPE GDR) ET MEMBRE DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE 121

CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE SRC MEMBRES DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE 125

TRAVAUX EN COMMISSION 129

ANNEXES 155

ANNEXE 1 : RÉSOLUTION CRÉANT LA COMMISSION D’ENQUÊTE 155

ANNEXE 2 : COMPOSITION DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE 156

ANNEXE 3 : ÉLÉMENTS DE COMPARAISON INTERNATIONALE SUR LES STRATÉGIES VACCINALES 157

ANNEXE 4 : TABLEAU CHRONOLOGIQUE DE LA LUTTE CONTRE LE VIRUS A(H1N1) 158

ANNEXE 5 : LETTRE DU PRÉSIDENT JEAN-CHRISTOPHE LAGARDE AU DOCTEUR MARGARET CHAN, DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L’ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ 169

ANNEXE 6 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 170

INTRODUCTION

Le présent rapport conclut les travaux de la commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) (1). Cette commission avait été créée par la résolution n° 427 adoptée par l’Assemblée nationale le 24 février 2010 (2) dans les conditions prévues par l’article 141 de son Règlement, lequel permet à un président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire de demander un débat sur une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête, celle-ci ne pouvant être alors rejetée qu’à la majorité des trois cinquièmes des membres de l’Assemblée.

C’est naturellement à M. Jean-Christophe Lagarde, premier signataire de la proposition de résolution ayant conduit à la création de la commission d’enquête, qu’est revenue la présidence de cette instance, en application de l’article 143 du Règlement.

La commission d’enquête, composée de trente représentants de tous les groupes politiques de l’Assemblée (3) a procédé à cinquante-deux auditions entre le 31 mars et le 6 juillet 2010 pour entendre soixante-quinze personnalités de tous horizons : scientifiques et experts, représentants des personnels de santé, responsables d’établissements publics et d’administrations centrales et déconcentrées, représentants des collectivités locales, corps de contrôle de l’État, industriels pharmaceutiques, représentants d’instances européennes ou encore journalistes (4).

Si votre rapporteur a souhaité s’en tenir strictement au champ d’investigation fixé par la résolution ayant créé la commission d’enquête – la campagne de vaccination et rien que la campagne de vaccination –, ces auditions ont permis d’aborder de nombreux aspects de la lutte contre les pandémies. L’ensemble des membres de la commission ont pu poser toutes les questions qu’ils souhaitaient, et il a été donné une suite favorable à toutes leurs demandes d’auditions dans le cadre très contraint par les délais d’investigation fixés par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires (5). S’il n’a pas été possible d’entendre des représentants de l’Organisation mondiale de la santé, c’est uniquement parce que cette organisation a décliné par courriel du 16 avril 2010 de M. Keiji Fukuda, conseiller spécial de la direction générale sur la lutte contre la pandémie (6) les invitations lancées par le secrétariat dès le 25 mars (7). Les dispositions relatives aux pouvoirs de contrainte des commissions d’enquête empêchaient bien évidemment d’aller plus loin, l’Organisation mondiale de la santé étant une organisation internationale qui siège à Genève. Le Président Jean-Christophe Lagarde a néanmoins marqué l’incompréhension et le mécontentement de la commission dans un courrier adressé à sa directrice générale (8) qui n’a fâcheusement pas reçu de réponse.

La perspective stricte et objective retenue par votre rapporteur était d’autant plus justifiée que plusieurs travaux parlementaires concomitants se sont déroulés ou se déroulent encore sur la lutte contre la pandémie. La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a bien entendu auditionné Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports – à quatre reprises –, M. Didier Houssin, directeur général de la santé, Mme Françoise Weber, directrice générale de l’Institut de veille sanitaire et M. Jean Marimbert, directeur général de l’Agence française de sécurité des produits de santé ayant été amenés à ces occasions à répondre également aux questions des commissaires. Le Sénat a, pour sa part créé, le 10 février 2010, une commission d’enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A(H1N1)v. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a pour sa part mené un travail approfondi sur la mutation des virus et la gestion des pandémies (9), tandis que la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté le 7 juin 2010, après l’audition de huit personnalités très majoritairement critiques à l’égard des stratégies vaccinales menées en Europe (10), un rapport acide sur la gestion de la pandémie H1N1 (11).

On ne trouvera donc pas dans le présent rapport d’analyses approfondies sur le rôle de l’Organisation mondiale de la santé et notamment de ses experts, la façon d’être ou de trouver plus expert que les experts, la question des liens d’intérêts susceptibles d’exister entre experts et laboratoires, les plans de continuité d’activité, l’efficacité et les modalités d’utilisation des antiviraux ou la pertinence des procédures d’autorisation de mise sur le marché retenues pour les vaccins pandémiques. Ces questions sont importantes mais il n’appartenait pas à votre rapporteur de les traiter, le seul sujet de l’organisation de la campagne de vaccination étant au demeurant suffisamment complexe pour éviter toute dispersion.

Pour la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, il ne s’est pas agi d’accuser mais de réfléchir sereinement sur les insuffisances de la campagne de vaccination. Non pour la dénigrer mais pour réussir la prochaine, car le pays devra nécessairement affronter une autre pandémie, c’est-à-dire une attaque de virus au départ, par définition, inconnu, voire « facétieux » pour reprendre le mot employé par Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports (12).

En effet, si l’appareil d’État s’est globalement remarquablement mobilisé (et s’est parfaitement tenu à la disposition de la commission d’enquête), les professionnels de santé puis les Français n’ont pas adhéré aux objectifs de la campagne de vaccination. Là est la question centrale. Là réside la préoccupation de votre rapporteur : l’heure est donc au bilan de la crise sanitaire et surtout au rétablissement de la confiance des Français dans les politiques de santé publique, du sens de l’intérêt collectif, et de relations claires et normalisées avec les professionnels de santé.

Au terme des travaux de la commission d’enquête, dont votre rapporteur se plaît à souligner le sérieux et le caractère constamment constructif, il s’avère que la campagne de vaccination a certes abouti, en termes de couverture vaccinale au regard des moyens engagés, à un résultat décevant mais, à vrai dire, que cette situation a été partagée par de nombreux autres pays (I).

En réalité, les pouvoirs publics se sont attachés, face aux doutes et incertitudes sur le comportement du virus, à faire une application responsable du principe de précaution qui les a conduits à décider d’une vaccination massive de la population et à négocier des contrats de commande de vaccins dans des conditions délicates (II).

Mais la campagne de vaccination, volontariste, s’est en pratique révélée sans doute d’une application trop rigide, malgré ses ajustements, car elle prenait appui sur des dispositifs prévus pour des pandémies plus graves, et reposait essentiellement sur des centres de vaccination dont le principe même était contesté (III).

Enfin, la campagne de vaccination a été indéniablement boudée par les Français : le message sanitaire délivré par les pouvoirs publics a été opacifié par un véritable brouillard médiatique, tandis que la communication institutionnelle, utilisant des instruments traditionnels, n’a pas su prendre la mesure de l’état d’esprit de la population et réagir correctement pour susciter son adhésion (IV).

Tels sont les aspects successivement développés dans le présent rapport, lequel présente naturellement une série de préconisations, toutes inspirées par un souci d’efficacité, et le sens des responsabilités qui doit être celui de la Représentation nationale, au bénéfice de la santé des Français.

I.- UNE CAMPAGNE DE VACCINATION AUX RÉSULTATS DÉCEVANTS COMME DANS LA PLUPART DES AUTRES PAYS

Les résultats de la campagne de vaccination contre le virus A(H1N1) sont indéniablement insatisfaisants : seule une très faible partie de la population a adhéré à la vaccination, alors même que les moyens, logistiques et financiers, déployés pour organiser la campagne, ont été particulièrement importants. Toutefois, la France n’est pas le seul pays à accuser un tel échec : celui-ci est très largement partagé.

A. UN BILAN INSUFFISANT AU REGARD DES MOYENS ENGAGÉS

1. Un échec de santé publique

Un double constat doit être dressé à l’issue de la campagne de vaccination contre le virus A(H1N1) : d’une part, un objectif de vaccination massive de la population loin d’être atteint, et d’autre part, un mécontentement des professionnels de santé, en particulier des médecins et infirmiers libéraux, qui semblent s’être durablement éloignés des autorités sanitaires.

a) Un faible taux de vaccination

Selon les informations fournies par le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), M. Frédéric van Roekeghem, le nombre total de personnes vaccinées en France contre la grippe A(H1N1) pourrait s’élever en définitive à 5,7 millions, donnée qui correspond au nombre de coupons « remontés » à la caisse. Environ 350 000 coupons ne peuvent toutefois être traités statistiquement, soit par manque d’informations, soit parce qu’ils sont illisibles. Les données fiables concerneraient donc 5,36 millions de coupons.

Le département des urgences sanitaires évalue de la même manière la couverture vaccinale à 5,36 millions de personnes au 1er juin 2010, soit moins de 8,5 % de la population totale. Notons également que, d’après la direction générale de la santé, le nombre de deuxièmes doses qui ont été injectées s’établirait à 563 299.

Le bilan de la vaccination au 1er juin 2010

 

Nombre de personnes vaccinées

Centres de vaccination

4 168 021

Équipes mobiles de vaccination en milieu scolaire et hors scolaire (notamment établissements médico-sociaux)

553 937

Établissements de santé (1)

520 753

Médecine libérale

16 385

Centres de secours (personnels de secours)

36 080

Centres de rétention

360

Grandes administrations et grandes entreprises (vaccination autonome)

2 687

Français résidant à l’étranger

62 763

Total

5 360 986

(1) Vaccination des personnels des établissements, de leur entourage, des patients pris en charge par les établissements de santé ainsi de la population générale dans le cadre de l’élargissement du dispositif.

Source : département des urgences sanitaires.

À la date de l’adoption du présent rapport, il était toutefois impossible de connaître précisément la ventilation par type de population du taux de couverture vaccinale : le directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, M. Frédéric van Roekeghem, a justifié devant la commission (13) le retard avec lequel ces données seraient disponibles, expliquant que la protection des données de santé exigée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (14) supposait une reconstitution de celles-ci par croisement des fichiers internes de la caisse avec les bases vaccinales. Ce travail, actuellement en cours en liaison avec l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et l’Institut de veille sanitaire, devrait à terme permettre d’opérer un suivi plus fin de la vaccination, et à terme, d’identifier précisément les publics immunisés, ce qui est essentiel pour assurer une préparation cohérente de la prochaine campagne de vaccination contre la grippe saisonnière.

Les premières estimations fournies par l’Institut de veille sanitaire et transmises par M. Didier Houssin, directeur général de la santé, à la commission d’enquête, font toutefois état d’un taux de vaccination qui pourrait se situer entre 25 % et 30 % pour les femmes enceintes et pour les enfants entre six et vingt-quatre mois, et entre 15 % et 20 % pour les personnes en affection de longue durée, catégories « à risque ». Ce taux serait de 30 % pour les professionnels de santé pris dans leur globalité et de 10 % pour les enfants de vingt-quatre mois à onze ans.

Enfin, il semblerait que les personnes défavorisées se soient très peu soumises à la vaccination contre le virus A(H1N1). C’est en tout cas le constat dressé tant par l’inspection générale des affaires sociales, intervenue en fin de campagne dans les Hauts-de-Seine sur la question de l’accès à la vaccination des personnes les plus démunies (15), et par M. Nacer Meddah, ancien préfet de
Seine-Saint-Denis 
(16) : la corrélation significative observée entre le taux de vaccination et le profil socio-économique des populations est évidemment très préoccupante, la santé des familles modestes étant déjà moins suivie par la médecine de ville. Une future opération de santé publique de cette envergure se devra de prendre en compte ce constat.

b) Une incompréhension entre les autorités sanitaires et les professionnels de santé

Selon M. Didier Tabuteau, conseiller d’État et directeur de chaire Santé à l’Institut d’études politiques de Paris, la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) a été un « rendez-vous manqué avec la santé publique » dans la mesure où elle « a ravivé les tensions entre médecins et pouvoirs publics » (17). De la même manière, M. Claude Le Pen, professeur de sciences économiques à l’université de Paris-Dauphine, a jugé que si une nouvelle campagne massive de vaccination devait être envisagée, « on n’écarterait sans doute pas du dispositif l’extraordinaire potentiel que constituent les 50 000 médecins libéraux, les 60 000 infirmières, les 3 000 hôpitaux et les 22 000 officines du pays. Ces professionnels ont très mal ressenti leur exclusion et émis des anticorps davantage du fait de cette exclusion que de la politique sanitaire proprement dite » (18).

Lors de leur audition par la commission d’enquête, les syndicats et ordres professionnels de santé ont d’ailleurs tous exprimé leur mécontentement quant aux modalités d’organisation de la campagne de vaccination comme au regard de leur association à la préparation à la pandémie (19). Le reproche principal adressé aux pouvoirs publics concerne la mise en place de centres de vaccination dédiés, qui a alimenté le sentiment que les autorités sanitaires tournaient le dos aux professionnels de santé, médecins généralistes, infirmiers libéraux et pharmaciens exerçant leur activité partout sur le territoire. Ceux-ci considèrent en effet que lors du déclenchement d’une crise sanitaire et dans un contexte d’urgence, mieux vaut s’appuyer sur un dispositif éprouvé que d’en mettre en place un nouveau ex nihilo. Ils ont souvent estimé que les médecins généralistes auraient pu assurer la vaccination contre le virus A(H1N1) en coordination avec le réseau des officines, au moins en complément des centres de vaccination, – le cas échéant auprès de certains publics spécifiques amenés à consulter régulièrement – mettant en avant, au même titre que les infirmiers libéraux, leurs consultations quotidiennes avec des patients dont ils connaissent les facteurs de risque.

Le non recours aux professionnels de santé libéraux leur a ainsi semblé contradictoire, alors même que la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires a consacré la notion de médecine générale de premier recours.

Le caractère dommageable de l’absence de recours à la médecine de ville pour l’organisation de la campagne de vaccination a également été souligné par l’Académie nationale de médecine, dans un communiqué publié le 13 octobre 2009. L’un de ses membres, M. Pierre Bégué, a rappelé devant la commission (20) que celle-ci a été mal comprise, alors même qu’une enquête aurait mis en évidence que plus de 60 % d’entre eux auraient accepté d’y participer. Outre le constat d’une désunion entre les autorités sanitaires et les professionnels de santé, forcément regrettable, leur mise à l’écart n’est pas étrangère au faible bilan de la vaccination de la population générale. En effet, si le taux de vaccination des médecins hospitaliers s’est révélé élevé – 65 % à l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris et 60 % pour les Hospices civils de Lyon –, il semblerait que les médecins généralistes aient été moins nombreux à se soumettre à la vaccination, allant parfois jusqu’à la déconseiller à leurs patients. Une méfiance encore plus forte a été constatée auprès des infirmiers, le syndicat national des personnels infirmiers ayant fait connaître, par la voix de son secrétaire général, M. Thierry Amouroux, son hostilité au vaccin contre le virus A(H1N1) et ayant notamment mis en cause sa sécurité. Des interrogations sur l’intérêt de la vaccination contre le virus A(H1N1) ont également été formulées par les infirmières scolaires.

Ce bilan que l’on ne peut que déplorer est porteur d’enseignements : il eut été préférable que le tissu sanitaire de terrain soit associé à une initiative de santé publique de cette ampleur, et il faudra y veiller à l’avenir, a fortiori dans un contexte de crise sanitaire. Comme l’a rappelé M. Bernard Bégaud, pharmacologue, à la commission d’enquête : « tout aurait dû être fait pour que les médecins se comportent comme des relais et non comme fossoyeurs du message sanitaire » (21).

2. Un coût financier certes important, mais moins que prévu initialement

D’après les données fournies par le ministère de la santé, le coût final de la campagne de vaccination se situerait autour de 600 millions d’euros : il serait donc deux fois et demi inférieur aux prévisions initiales de l’ordre de 1,5 milliard d’euros, pour un périmètre de dépenses néanmoins plus large, puisqu’il inclurait notamment le coût de l’acquisition des masques, dont les stocks étaient déjà largement existants.

a) De nombreux chiffres ont été avancés successivement, puis revus à la baisse

● La première estimation avancée s’établissait autour de 1,5 milliard d’euros, selon les données fournies par la ministre de la santé et des sports elle-même lors de son audition par la commission des affaires sociales de notre assemblée le 16 septembre 2009. Il s’agissait toutefois d’une évaluation correspondant à l’ensemble des moyens financiers mobilisés pour la préparation à la pandémie de grippe A(H1N1). La ventilation était la suivante :

– 1,136 milliard d’euros directement pris en charge par l’établissement public de réponse aux urgences sanitaires, dont 876 millions d’euros non prévus dans la programmation budgétaire initiale : l’essentiel de la dépense nouvelle était constitué par l’acquisition des vaccins pour un montant évalué à 808 millions d’euros.

– l’indemnisation des professionnels réquisitionnés pour la vaccination était estimée à 290 millions d’euros, selon une estimation alors fournie par l’assurance maladie.

– 52,8 millions d’euros de frais étaient également envisagés par l’assurance maladie pour la mise en place du dispositif de traçabilité et de suivi de la vaccination (bons, acheminement du courrier, équipement et logiciel informatique).

– l’indemnisation des personnels administratifs et la prise en charge des frais engagés par les collectivités territoriales pour la mise à disposition des locaux et leur entretien étaient évaluées à 94,5 millions d’euros.

– enfin, les prévisions de dépenses supplémentaires de communication engagées par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé avoisinaient 12,9 millions d’euros.

● Très tôt, au début du mois d’octobre, grâce à l’obtention pour les vaccins de leur autorisation de mise sur le marché, le coût de l’acquisition des vaccins a pu être revu à la baisse, par l’application d’un taux de taxe sur la valeur ajoutée révisé à 5,5 %, au lieu de 19,6 %.

Coût initial d’acquisition des vaccins

Fabricants

Spécialités

Commande initiale

(en nombre de doses)

Caractéristiques du vaccin

Prix unitaire en euros hors taxes

Coût total en millions d’euros hors taxes

Coût total en millions d’euros toutes taxes comprises

GlaxoSmithKline

Pandemrix

50 000 000

Multidoses

7

350

369,25

Sanofi-Pasteur

Panenza

28 000 000

300 000 monodoses

6,25

175

184,63

Novartis

Focetria

16 000 000

5,8 millions de monodoses (avenant notifié le 13 octobre 2009)

9,34

149,44

157,659

Baxter

Celvapan

50 000

Multidoses

10

0,5

0,528

Total

 

94 000 000

 

674,94

712,06

Source : données issues de l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires.

● Le 6 juin dernier, la ministre de la santé et des sports a annoncé une nouvelle révision à la baisse du coût final de la campagne de vaccination, l’estimant « entre 490 et 510 millions d’euros » (22), répartis comme suit :

– 420 millions d’euros pour le coût final de l’acquisition des vaccins et seringues (y compris les frais de résiliation des contrats avec les laboratoires), les dépenses de logistique, l’indemnisation des professionnels de santé réquisitionnés et l’envoi des bons de vaccination par l’assurance maladie ;

– et 90 millions d’euros à la charge du ministère de l’intérieur pour la gestion des centres de vaccination.

Cette estimation reste provisoire : en effet, la procédure de résiliation des marchés n’a pas totalement abouti avec l’un des trois laboratoires concernés, d’autre postes de dépenses restant à ce stade évaluatifs, en particulier celui de l’indemnisation des professionnels réquisitionnés pour assurer la vaccination dans les centres.

b) Des résiliations de contrats coûteuses

Le 4 janvier 2010, l’État a notifié à trois laboratoires la résiliation unilatérale de 50 millions de doses de vaccins. Comme l’a expliqué M. Thierry Coudert, directeur général de l’établissement public de réponse aux urgences sanitaires, à la commission d’enquête (23), les marchés publics conclus préalablement avec Sanofi Pasteur et Novartis en 2005 et qui ont été modifiés par un avenant pour la mise au point d’un vaccin contre le virus A(H1N1), étaient régis par les dispositions du cahier des clauses administratives générales dans sa version de 1977 (24), qui prévoient la possibilité d’une résiliation du marché par la personne publique. S’agissant du nouveau contrat signé avec le laboratoire GlaxoSmithKline, comme d’ailleurs pour les deux autres, l’État a utilisé ses prérogatives de puissance publique : la jurisprudence administrative lui reconnaît en effet classiquement un pouvoir de résiliation unilatérale même sans texte et en l’absence d’une stipulation contractuelle expresse (25). En l’espèce, cette résiliation a pu se fonder sur un motif d’intérêt général, d’autant plus évident que le passage à un schéma vaccinal à une injection unique a été entériné le 27 novembre 2009 par l’agence européenne du médicament, alors que la commande initiale tenait compte d’une nécessité de double injection.

L’indemnisation proposée par l’État a été fixée au prorata des quantités non livrées, en l’occurrence 16 % du montant des doses annulées, soit :

– 2 millions d’euros pour le laboratoire Sanofi Pasteur, pour 2 millions de doses annulées, les 9 millions de doses initialement annulées l’ayant été à l’initiative du laboratoire ;

– 10,46 millions d’euros pour le laboratoire Novartis, avec l’annulation de 7 millions de doses ;

– et enfin, 35,84 millions d’euros pour le laboratoire GlaxoSmithKline, pour 32 millions de doses annulées.

Si un accord transactionnel sur l’indemnisation proposée a été acceptée par les deux premiers industriels, les discussions se poursuivent toujours avec le laboratoire GlaxoSmithKline : comme l’a indiqué son président, M. Hervé Gisserot, à la commission d’enquête (26), il souhaiterait obtenir une indemnisation à hauteur des deux tiers de la commande initiale, niveau équivalent à ce qui aurait été arbitré par d’autres États ayant procédé à des résiliations équivalentes, notamment l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique et le Japon. Une telle demande équivaut à un montant de 233,33 millions d’euros. Toutefois, d’après la direction générale de la santé, le laboratoire aurait depuis lors formulé une nouvelle proposition pour son indemnisation à hauteur de 108,53 millions d’euros, somme qui reste néanmoins trois fois supérieure à celle avancée par l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires.

Au total, le coût de l’indemnisation pourrait s’élever à 48,3 millions d’euros pour l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires, dans l’hypothèse d’un non recours au contentieux. Or, le coût hors taxes à l’acquisition des 50 millions de doses annulées s’établissait à 358,13 millions d’euros : l’économie réalisée grâce à la résiliation serait donc de 309,83 millions d’euros hors taxes et de 329,53 millions d’euros toutes taxes comprises.

Coût final de l’acquisition des vaccins

Fabricants

Modification de la commande
(doses)

Commande après résiliation partielle
(doses)

Montant hors taxes de la commande modifiée
(en euros)

Montant de TVA payée
(en euros)

Montant toutes taxes comprises de la commande modifiée
(en euros)

Montant des indemnisations suite à la résiliation
(en euros)

Coût final de l’acquisition des vaccins
(en euros)

GlaxoSmithKline

–32 000 000

18 000 000

126 000 000

6 930 000

132 930 000

35 840 000

168 770 000

Novartis

–7 000 000

9 000 000

84 060 000

4 623 300

88 683 300

10 460 000

99 143 300

Sanofi

–(9 000 000 (1) +2 000 000) (2)

17 000 000

106 250 000

5 843 750

112 093 750

2 000 000

114 093 750

Baxter

50 000
(inchangée)

500 000

27 500

527 500

527 500

Total

–50 000 000

44 050 000

316 810 000

17 421 000

334 234 550

48 300 000

382 534 550

(1) Offre spontanée du laboratoire.

(2) Décision de l’État.

Source : données direction générale de la santé et Établissement public de réponse aux urgences sanitaires.

Le coût final de l’acquisition des vaccins pourrait donc être revu à la baisse : il serait in fine de 382,53 millions d’euros.

c) Des stocks non écoulés

La résiliation de 50 millions de doses de vaccins n’a pas réglé le problème de la disproportion entre le nombre de vaccins dont dispose la France et le taux de vaccination de sa population. Cet écart est à l’origine d’un stock important de vaccins, évalué à 20,95 millions de doses.

État du stock de vaccins au 5 mai 2010

(En nombre de doses)

Doses de vaccins livrées par les laboratoires

44 052 200

Sorties des sites de stockage de l’ÉPRUS

Établissements de santé

1 565 700

Sorties départements d’outre-mer

459 600

Sorties centres de vaccination

9 160 000

Dons à l’Organisation mondiale de la santé

9 400 000

Sorties officines

1 277 000

Ministère des affaires étrangères, collectivités et pays d’outre-mer

858 000

Vente au Qatar

300 000

Campagne interne des ministères

83 500

Total

23 103 800

Stock disponible total au 5 mai 2010

Dépositaire ÉPRUS

18 464 700

Répartiteurs pharmaceutiques

2 483 700

Total

20 948 400

Stock physique au 05 mai 2010

Dépositaires ÉPRUS

18 464 700

Répartiteurs pharmaceutiques

2 483 700

Don à l’organisation mondiale de la santé en attente d’enlèvement

3 365 000

Total

24 313 400

Source : Établissement public de réponse aux urgences sanitaires.

En excluant les dons de vaccins à l’Organisation mondiale de la santé, ceux qui ont été rétrocédés au Qatar et enfin ceux qui ont été mobilisés dans le cadre de la campagne interne des ministères, le nombre de doses mises en distribution sur le territoire s’établit à 13,32 millions. Or, en tenant compte d’une estimation de 5 360 968 personnes vaccinées et de 563 299 personnes qui auraient reçu une seconde injection, soit 5 5924 267 doses utilisées pour la vaccination, le sort de 7 396 015 doses doit être retracé, ce que présente le tableau suivant :

Sort des doses de vaccins non utilisées pour la vaccination

 

Nombre de doses

Doses toujours en place

3 100 799

Établissements de santé

1 044 947

Officines

1 260 615

Autres

795 237

Doses reprises dans les centres

1 460 320

Réintégrées en quarantaine

836 320

Mises au rebut

624 000

Pertes de doses (fautes d’asepsie, bris de flacons, rupture de la chaîne du froid, flacons entamés, etc.)

2 834 896

Total des doses non utilisées pour la vaccination

7 396 015

Source : direction générale de la santé.

Près de 3,46 millions de doses de vaccins auront donc finalement été jetées ou mises au rebut – avec 2,83 millions de doses perdues et 0,62 million de doses mises au rebut –, soit une quantité particulièrement importante, surtout au regard du nombre de personnes finalement vaccinées, puisque le nombre de doses ainsi perdues représente plus de la moitié du nombre des personnes vaccinées : 64,5 %. Cette situation qui met en cause les modalités retenues pour organiser la campagne de vaccination, pose indéniablement problème. Le conditionnement des vaccins, essentiellement présentés en multidoses, joue, à n’en pas douter, un rôle non négligeable dans le niveau de perte constaté : si les contraintes de délais de mise à disposition des vaccins qui ont pesé sur les négociations avec les laboratoires expliquent que les commandes aient principalement porté sur des multidoses, il conviendrait à l’avenir de favoriser, autant que faire se peut, l’acquisition de vaccins en monodose afin de limiter le gaspillage.

Par ailleurs, selon les données fournies par l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires, sur un stock d’un peu moins de 21 millions de doses, la durée de péremption des vaccins se situe entre juillet et octobre 2010 pour un peu de plus de 12 millions d’entre eux, et entre mars et novembre 2011 pour un peu plus de 9 millions de doses. Ces dernières correspondent au vaccin Pandemrix, qui présente un conditionnement séparé de l’antigène et de l’adjuvant. Or, si la durée de conservation de l’antigène est de dix-huit mois, elle est de trente-six mois pour l’adjuvant : ce dernier pourrait donc utilement être sollicité pour être combiné avec un autre antigène dans le cadre d’une autre opération de vaccination. On notera toutefois que ce vaccin est conditionné en boîtes de cinquante flacons de dix doses : son utilisation ne pourra donc a priori être envisagée que dans le cadre d’une campagne de vaccination collective.

S’agissant des doses arrivant à péremption à la fin de l’année, 3,95 millions d’entre elles concerneraient des vaccins conditionnés en monodoses. Une utilisation de ces derniers dans le cadre d’une éventuelle nouvelle campagne de vaccination contre le virus A(H1N1) à l’automne 2010 aurait donc pu être envisagée selon des modalités proches de celle contre la grippe saisonnière, par le biais des médecins généralistes : toutefois, selon les données fournies par la direction générale de la santé, 2,14 millions de ces monodoses arriverait à péremption fin septembre, les 1,81 million de doses restantes étant périmées à l’échéance de fin octobre. L’emploi de ces vaccins serait donc soumis à l’organisation précoce d’une campagne de vaccination saisonnière.

d) Des coûts importants de fonctionnement

Ces coûts sont constitués par l’indemnisation des personnels mobilisés
– professionnels de santé d’une part, personnels administratifs d’autre part –, par les dépenses de fonctionnement des centres de vaccination et enfin par la mise en place du dispositif de suivi et de traçabilité au travers des bons de vaccination.

● L’indemnisation des professionnels de santé s’élèverait à 103,5 millions d’euros. Elle doit être intégralement assumée par l’État.

Cependant, selon les données fournies par la direction générale de la santé, elle pourrait finalement représenter un coût inférieur : en effet, les premières estimations sont fondées sur plusieurs hypothèses, dont la durée de la campagne (onze semaines), le nombre de centres de vaccination (600 centres sur un total de 1 100 centres envisagé initialement), leur dimensionnement et leurs amplitudes horaires, le coût horaire des professionnels de santé dont les barèmes d’indemnisation ont été fixés par arrêté (27), et la composition des équipes de vaccination.

Les durées réelles d’ouverture des centres pourraient se révéler inférieures aux prévisions, de même que la proportion que pourraient représenter finalement les professionnels de santé dans les équipes de vaccination. Une circulaire du 22 mars 2010 adressée aux préfets et aux services fiscaux territoriaux appelle à traiter en priorité le paiement de ces indemnités sur la base des attestations de présence. Celui-ci accuse en effet un important retard : au 20 juin 2010, selon les données fournies par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, les indemnités d’ores et déjà liquidées s’établissaient à 12,36 millions d’euros pour les médecins et infirmiers libéraux réquisitionnés et au 31 mai, elles représentaient 1,47 million d’euros pour les professionnels de santé salariés. Le montant des dépenses sur ce dernier poste est toutefois appelé à évoluer encore sensiblement, les délais de transmission des dossiers par les différents employeurs concernés étant relativement long. Au 20 avril, les personnels indemnisés par l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires l’avaient été à hauteur de 2,8 millions d’euros.

Outre qu’il emprunte des circuits de financement multiples en fonction des catégories de personnels (28), le processus d’indemnisation des professionnels de santé se révèle donc particulièrement long : près de six mois après la fin de la campagne, de nombreux professionnels continuent d’attendre leur rémunération à ce titre, ce qui, au demeurant, rend très difficile toute démarche d’évaluation du coût final sur ce poste. En effet, si celui-ci représentera in fine un montant très certainement inférieur aux prévisions, les données disponibles ne permettent pas de le déterminer précisément : un coût final d’une cinquantaine de millions d’euros semble plausible, bien que légèrement optimiste.

Évidemment, si votre rapporteur comprend les difficultés du processus, il ne peut que regretter les retards de paiement : ils ne sont pas faits pour renforcer la confiance des professionnels de santé dans la politique de santé publique.

● L’indemnisation des personnels administratifs représenterait quant à elle un coût de 68,3 millions d’euros, dont la ventilation est récapitulée dans le tableau suivant :

Dépenses de personnel administratif

(En millions d’euros)

Catégories

Coût

Partenaires extérieurs à la fonction publique (notamment associations)

6,4

Fonctionnaires territoriaux (remboursement aux collectivités territoriales)

21,9

Vacataires

40

Total

68,3

Source : direction de la sécurité civile.

● Le fonctionnement des centres de vaccination aurait coûté 23 millions d’euros – 17,3 millions d’euros de frais d’équipement des centres et 5,7 millions d’euros d’indemnisation des locaux.

Mais le coût de la mise à disposition de locaux par les municipalités pourrait en réalité être plus élevé : c’est du moins ce qu’un certain nombre d’entre elles – par la voix de l’association des maires de grandes villes de France – ont fait savoir au ministère de l’intérieur, jugeant les barèmes fixés (29) insuffisants pour couvrir les frais réels liés à leur mise à disposition pendant la durée de la campagne.

● Le coût du dispositif des bons de vaccination est estimé à 48,85 millions d’euros par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés.

La caisse a élaboré la formule du bon de vaccination au cours du mois de juillet et a obtenu l’aval du ministère de la santé le 11 août pour sa mise en place. Autorisée à déroger aux règles de mise en concurrence du code des marchés publics en raison des délais très courts qui lui étaient impartis, la caisse a en réalité choisi de gérer en interne l’extraction des données pour des raisons de confidentialité et a passé un marché pour l’exploitation et la remontée de l’information, ainsi que l’élaboration d’une base internet permettant d’assurer le suivi et la traçabilité de toutes les opérations.

La ventilation par poste de dépense du coût total du traitement des bons de vaccination se présente ainsi :

Coût du dispositif des bons de vaccination

(En euros)

Dépenses

Coût

Infrastructure, conception et traitement (scannérisation des coupons et stockage des données)

20 210 351

Part ferme

 

Matériels et logiciels

6 188 698

Conception de la solution

8 219 176

Part variable

 

Levée de la tranche conditionnelle (initialisation du dispositif de numérisation)

771 817

Numérisation des coupons (coût prévisionnel) (1)

+ 924 049

Hébergement prévisionnel jusqu’à mi-avril 2010

3 748 820

Conception, développement et mise en œuvre Ameli-coupons

266 708

Conception, développement et mise en œuvre du site internet sécurisé

1 015 131

Dépenses d’éditique

28 136 957

7 000 000 d’affranchissement à 0,31 €

2 170 0000

Solde en affranchissement à 0,41 €

23 911 785

Papier

398 434

Enveloppes

1 141 117

Impression

515 621

Dépenses de routage des coupons

501 100

Fourniture de 200 000 enveloppes « T »

104 100

Acheminement des coupons vers la plateforme de scannérisation

397 000

Total général hors coûts internes

48 848 408

(1) Ce coût prévisionnel n’est pas intégré à ce stade dans le coût final.

Source : Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés.

On observe que les dépenses d’infrastructure, de conception, et de traitement des coupons et des données ont représenté 20,21 millions d’euros au total. Comme l’a indiqué à notre commission d’enquête le directeur de la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, M. Frédéric van Roekeghem (30), ce marché comportait « une somme ferme pour l’élaboration de la solution », à hauteur de 14,4 millions, « et une part variable, fonction du nombre de coupons réellement exploités ». S’agissant de la part ferme, 6,2 millions d’euros correspondent à la fourniture de matériels qui pourront être réutilisés par la caisse dans ses opérations courantes : le coût réel lié à la conception, au développement et à l’intégration de la solution représente donc 8,2 millions d’euros. La part variable comportait plusieurs unités d’œuvre, dont, notamment :

– l’hébergement, l’exploitation, le stockage et l’accès aux données, pour un coût mensuel de 750 000 euros, soit 3,75 millions d’euros au total ;

– la numérisation des coupons, avec la levée de la tranche conditionnelle correspondant à l’initialisation du dispositif pour 0,78 million d’euros, et par la suite, un prix dégressif au million de coupons, par tranche de vingt millions : seule la première tranche a donc été facturée, pour un total de six millions de coupons à hauteur de 0,92 million d’euros.

Les dépenses d’éditique et de routage des coupons se sont établies à 28,64 millions d’euros.

Il faut ajouter à ces dépenses les coûts de gestion interne des centres éditiques interrégionaux qui traitent les plis postaux des caisses primaires d’assurance maladie, évalués à 2,2 millions d’euros.

e) Les autres dépenses induites par la campagne de vaccination

À l’ensemble des dépenses déjà retracées, il convient d’ajouter :

– les frais induits par les consommables médicaux – seringues et collecteurs, compresses, solutions hydroalcooliques, etc. – pour un montant total de 9,44 millions d’euros à la charge de l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires ;

– le coût des prestations logistiques, qui recouvrent notamment les opérations de distribution effectuées en grande partie par les répartiteurs pharmaceutiques, et qui représentent 21 millions d’euros, comme l’indique le tableau suivant ;

Dépenses logistiques directement liées à la pandémie A(H1N1)
du 24 avril 2009 au 5 mai 2010

(En euros)

Opérations

Montants

Service de stockage, de distribution et de gestion des flux de produits

3 749 203

Destruction de produits périmés ou mis en rebut

100 000

Transport de produits de santé

2 402 487

Mise à disposition des plateformes de réception, stockage, déstockage et d’approvisionnement

9 613 742

Ravitaillement des centres de vaccination ou des officines en vaccins et seringues

1 359 842

Ravitaillement des officines en antiviraux et masques

1 736 116

Masques, antiviraux et kits vaccination officines

2 000 000

Opérations de manutention liées à la reprise des stocks retournés

70 000

Total

21 031 390

Source : Établissement public de réponse aux urgences sanitaires.

– la gestion spécifique des déchets liés à la vaccination, qui correspondent à des déchets d’activité de soins à risque infectieux, et qui a mobilisé 1,6 million d’euros ;

– et enfin, les dépenses de communication qui s’élèveraient à 10,13 millions d’euros, et dont le tableau suivant retrace la ventilation pour chacune des instances concernées :

Dépenses de communication relatives à la grippe A(H1N1)

(En millions d’euros)

Structures administratives

Coût

Direction générale de la santé et délégation à l’information et à la communication du ministère chargé de la santé

3,44

Institut national de prévention et d’éducation pour la santé

6,078

Service d’information du Gouvernement

0,612

Total

10,13

Source : direction générale de la santé et service d’information du Gouvernement.

*

* *

Le coût total de la campagne de vaccination s’élèverait donc à 668,35 millions d’euros, soit un montant sensiblement plus élevé que les dernières estimations données par la ministre de la santé et des sports et plus proche des données intermédiaires fournies par le direction générale de la santé : en effet, la récente réévaluation à la baisse du coût de la campagne – entre 490 et 510 millions d’euros – tiendrait, d’une part, à la révision des dépenses d’indemnisation des professionnels de santé, dont le ministère estime qu’elles pourraient in fine être ramenées autour d’une vingtaine de millions d’euros et, d’autre part, à la non prise en compte des vaccins donnés à l’Organisation mondiale de la santé, pour un total de 73 millions d’euros. Or, si l’on peut juger admissible la réévaluation du coût des réquisitions – bien que l’estimation finale du ministère apparaisse optimiste –, il est plus difficile de comprendre l’exclusion des dons de vaccins à l’Organisation mondiale de la santé du dispositif global : si ceux-ci n’entrent pas, en effet, dans les frais de la campagne nationale, ils sont bien partie intégrante du coût global lié aux vaccins. Ces derniers n’ont en effet pas été achetés dans l’objectif d’être rétrocédés et leur coût reste bien assumé par la France. En formulant l’hypothèse d’une révision à la baisse du coût final de l’indemnisation des professionnels de santé, à hauteur de 50 millions d’euros, le coût total de la campagne de vaccination s’établirait à environ 615 millions d’euros.

Ce montant est évidemment considérable. Est-il excessif ou déraisonnable ? Votre rapporteur ne le pense pas au regard des enjeux : protéger la population contre un risque pandémique grave – même s’il le fut moins que prévu – et tester pour la première fois dans l’histoire du pays, en grandeur réelle, les moyens de l’État pour faire face à une crise sanitaire d’ampleur. Affirmer, comme certaines personnes auditionnées par la commission, que les sommes dépensées auraient pu être mieux employées ailleurs, c’est faire preuve d’une irresponsabilité dont il est heureux finalement que la France ait eu les moyens, contrairement à de nombreux États, d’éviter le poids historique. Votre rapporteur y reviendra lors de ses développements sur le principe de précaution.

Ces évaluations devraient être affinées par la Cour des comptes dans le cadre des travaux qu’elle mène à le demande du Sénat sur l’utilisation des fonds destinés à lutter contre la pandémie et dont les conclusions devraient être remises en septembre prochain : le Parlement devra y être bien entendu particulièrement attentif.

Le financement de ces dépenses a été assuré par trois canaux : l’État pour la majeure partie des dépenses, l’assurance maladie – pour la mise en place du dispositif des bons de vaccination et pour sa part dans le financement de l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires –, et enfin, une contribution des organismes complémentaires.

Les crédits d’État se répartissent de la façon suivante :

Financement de la campagne de vaccination par l’État

(En millions d’euros)

 

Autorisation d’engagement

Crédits de paiement

Mission Santé

450,5

531,1

Décret d’avance pour l’achat par l’ÉPRUS de masques de protection à destination des autres ministères

46,2

46,2

Crédits ouverts en loi de finances rectificative pour 2009

404,3

484,9

- Avance pour le remboursement à l’assurance maladie des frais d’indemnisation des personnels de santé

50

50

- Versement à l’ÉPRUS (1)

352,4

433

- Dépenses de communication de l’INPES

1,9

1,9

Mission Sécurité civile

100

100

Ouverture de crédits au titre des dépenses accidentelles et imprévisibles

15

15

Décret d’avance pour le financement du fonctionnement des centres de vaccination 

25

25

Crédits ouverts en loi de finances rectificative pour 2009 pour le financement du fonctionnement des centres de vaccination

60

60

Total des crédits ouverts

550,5

631,1

Total des crédits après minoration

450,5

532

(1) Cette somme initiale a finalement été minorée de 100 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 99,14 millions d’euros en crédits de paiement, compte tenu de l’annulation de la commande de 50 millions de doses de vaccins.

Source : rapports annuels de performances des missions Santé et Sécurité civile pour 2009.

L’assurance maladie assume pour sa part le financement du dispositif des bons de vaccination ; s’agissant de la rémunération des professionnels de santé réquisitionnés pour assurer la vaccination, les dépenses engagées par la caisse pour une partie de ces personnels lui sont remboursées par l’État : il conviendra de vérifier que ce remboursement sera bien intégral et ne laissera pas de reste à charge pour l’assurance maladie.

Enfin, le principe d’une contribution exceptionnelle des organismes complémentaires avait été inscrit en loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 (31) : assise sur le chiffre d’affaire « santé » de ces organismes, cette contribution, fixée au taux initial de 0,94 %, avait été calibrée de façon à correspondre au montant qu’ils auraient pris en charge au titre du ticket modérateur si les voies normales de remboursement du vaccin avaient pu être utilisées, soit 35 % pour une population couverte par une assurance complémentaire de l’ordre de 93 %. Le taux de cette contribution a, dans un second temps, été revu à la baisse pour être fixé à 0,77 % en loi de finances rectificative pour 2009 (32), afin de tenir compte de la réduction du taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux vaccins après obtention de leur autorisation de mise sur le marché et du don de 9,4 millions de doses de vaccin à l’Organisation mondiale de la santé. Le rendement de la contribution, initialement estimé à 300 millions d’euros, a donc été révisé à hauteur de 250 millions d’euros environ. Compte tenu d’un coût final des vaccins plus faible que prévu au regard de l’annulation de la commande de 50 millions de doses, il conviendra d’ajuster le taux de cette contribution lors de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. Il conviendra également de revoir l’affectation du produit de cette recette exceptionnelle : il est en effet censé être versé à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés. Or, c’est bien l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires qui a assumé le coût de l’acquisition des vaccins.

B. UN MÊME CONSTAT D’INSUFFISANCE DE LA VACCINATION DANS LA PLUPART DES AUTRES PAYS

Si la campagne de vaccination française peut apparaître comme l’échec d’une entreprise de santé publique, celui-ci est loin d’être isolé. Peu de pays – en dehors de la Suède, du Canada et dans une moindre mesure des États-Unis - ont réussi à mobiliser leur population et à susciter une adhésion massive à la vaccination, alors même que la plupart d’entre eux se sont engagés, comme la France, dans une importante opération d’acquisition de vaccins.

Un tableau en annexe retrace les stratégies vaccinales suivies par quelques États et leurs bilans, bien que ceux-ci soient souvent difficiles à établir, peu de pays ayant procédé à la mise en place d’un dispositif de traçabilité unifié et suffisamment fiable à l’image de ce qui a été entrepris en France.

1. De très rares exceptions

● La Suède a procédé, à l’été 2009, à l’acquisition de 18 millions de doses de vaccins auprès du laboratoire GlaxoSmithKline. Sur une population de 9,28 millions d’habitants, environ 6 millions de personnes ont été vaccinées, soit 64,5 % de la population. La vaccination a été principalement effectuée dans les centres de santé primaires qui dépendent des conseils régionaux. Toutefois, un grand nombre d’enfants se sont fait vacciner dans les services médicaux scolaires. Les communes ont également participé à la campagne de vaccination par le biais de la mise en place de structures ad hoc, tandis que les hôpitaux ont, pour leur part, aménagé des lieux en leur sein pour assurer la vaccination des personnels hospitaliers et des patients. C’est essentiellement l’organisation du système de soins et la diffusion d’une véritable culture de santé publique au sein de la population suédoise qui permettent de rendre compte du bilan positif de la vaccination contre la grippe A(H1N1) en Suède.

Le passage à une injection unique a conduit les autorités suédoises à demander la suspension des livraisons de vaccins au-delà de 10 millions de doses et à rechercher une solution négociée pour la reprise par GlaxoSmithKline des 8 millions de doses non encore livrées, démarche qui ne semble toutefois pas avoir abouti à ce jour.

● Au Canada, le gouvernement fédéral avait passé une commande générale de 50,4 millions de doses, dans l’objectif de vacciner, avec deux doses par personne, 75 % d’une population qui s’établit à environ 34 millions d’habitants.

En dépit du caractère incertain des données disponibles, ce qui ne laisse pas de surprendre, entre un tiers et 45 % de la population canadienne serait vaccinée, avec une forte disparité selon les provinces. Ainsi, dans les provinces atlantiques, près des deux tiers de la population ont été vaccinés. Cette proportion s’établit à 57 % de la population au Québec et à 40 % pour l’Ontario, tandis que les provinces de l’ouest ont été les moins réactives, avec moins d’un tiers de personnes vaccinées. Ce sont en effet les provinces qui sont compétentes pour organiser la vaccination : les structures de vaccination ont donc varié également selon les provinces, bien qu’elles aient globalement eu recours soit aux médecins traitants, soit aux cliniques publiques, soit à ces deux types de prise en charge pour assurer la vaccination. Il y a vraisemblablement deux facteurs explicatifs du succès de la campagne de vaccination : d’une part, le traumatisme de l’épisode du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) qui a frappé Toronto au printemps 2003, qui a provoqué le décès de 43 personnes en quelques semaines et a coûté 8 milliards d’euros à l’économie canadienne et, d’autre part, la présence de certains cas particulièrement graves de grippe A(H1N1) dès la première vague de pandémie au printemps 2009.

● Les États-Unis ont procédé à l’acquisition de 229 millions de doses de vaccins sans adjuvant auprès de cinq laboratoires, pour un montant total de 1,5 milliard de dollars. Au terme de la campagne de vaccination, 70 millions d’Américains auraient été vaccinés, soit 23,4 % de la population. Les États fédérés ont organisé la vaccination sur leur territoire : les sites de vaccination retenus ont donc été divers, cabinets médicaux, écoles, centres de santé ou pharmacies. Le bilan relativement satisfaisant tient probablement à la précocité de la pandémie de grippe A(H1N1) aux États-Unis – les premiers cas confirmés l’ayant été en Californie le 24 avril 2009 – et à l’existence d’un vaccin sous forme de spray nasal, dont le mode d’administration est donc considérablement simplifié par comparaison avec un vaccin requérant une injection (33).

On relèvera que les autorités américaines n’ont pas engagé de procédure de résiliation des contrats : leur choix de commandes de vaccins en vrac a en effet allongé la durée de conservation de ces derniers. Ils seront donc intégrés au stock stratégique national et pourraient notamment servir à la fabrication éventuelle du vaccin trivalent contre la grippe saisonnière 2010-2011.

● D’autres pays se sont aussi distingués par un taux de vaccination relativement satisfaisant, de l’ordre de 32,3 % de la population aux Pays-Bas, entre 30 et 40 % de la population en Hongrie et plus de 45 % de la population en Norvège. Mais les populations concernées étaient relativement peu nombreuses ; les problèmes logistiques à régler étaient évidemment moins lourds que dans les « grands » pays.

2. Des résultats tout aussi décevants ailleurs

Dans la plupart des autres États, le bilan est comparable à la France : des commandes considérables, un stock important de vaccins non utilisés, un taux de vaccination qui peine à atteindre 10 % de la population et qui s’établit parfois bien en deçà.

Ce constat vaut pour l’Allemagne, qui a fait l’acquisition de 50 millions de doses de vaccins et préréservé 90 millions de doses supplémentaires avec l’objectif de vacciner la totalité de la population, soit 82,1 millions d’habitants. La campagne de vaccination aura finalement permis de vacciner 8,2 millions de personnes, soit 10 % de la population. Sur la base de la commande ferme, 34 millions de vaccins ont été livrés et 16 millions de doses ont été annulées par les autorités allemandes.

Au Royaume-Uni, 7,4 % de la population aurait été vaccinée, soit 4,54 millions de personnes, pour des commandes initiales de 90 millions de doses auprès de deux laboratoires. Une clause d’arrêt des livraisons en cas de nécessité que contenait l’un des contrats a été activée, mais les autorités britanniques ont néanmoins dû procéder à la résiliation de l’autre commande.

En Belgique, le taux de vaccination de la population serait de 6,6 %, avec un peu plus de 700 000 sujets vaccinés, pour une commande initiale de 12,6 millions de doses, qui répondait à l’objectif de vaccination de 100 % de la population. Devant la faible adhésion de la population, l’État belge a été amené à annuler, en accord avec le laboratoire GlaxoSmithKline, le tiers de sa commande initiale, soit 4 millions de doses, pour un montant de 33 millions d’euros.

En Espagne, les chiffres relatifs au taux de vaccination doivent être pris avec précaution, les données, disparates, émanant des communautés autonomes : on estime qu’entre 1,8 et 2,5 millions de personnes auraient été vaccinées sur une population totale de 46,66 millions d’habitants. Les autorités espagnoles n’ont en définitive acheté que 13 millions de doses : les contrats initialement conclus pour 37 millions de doses contenaient en effet une clause de restitution des vaccins non utilisés.

L’écho de la campagne de vaccination en Italie est encore plus faible : environ 865 000 personnes seulement auraient été vaccinées sur une population de plus de 60,1 millions d’habitants. Or, l’État italien avait procédé à l’acquisition de 24 millions de doses de vaccin : il s’emploierait à demander la conversion des doses restantes commandées mais non livrées en d’autres produits, notamment en vaccins contre la grippe saisonnière.

Bien que les données soient peu comparables, la Chine aurait, quant à elle, commandé 138,7 millions de doses de vaccins auprès de dix entreprises pharmaceutiques nationales, avec pour objectif la vaccination de 10 % de la population au printemps 2010. Le taux de vaccination de la population chinoise atteindrait finalement autour de 6,4 % au 15 mars 2010, avec 85,4 millions de personnes vaccinées. Il resterait à ce jour environ 70 millions de doses non utilisées.

Enfin, rappelons le cas particulier de la Pologne, qui a fait le choix de ne pas organiser de campagne de vaccination contre le virus A(H1N1), la ministre de la santé, Mme Ewa Kopacz, ayant notamment remis en cause devant le Parlement polonais la sécurité des vaccins, pourtant évaluée par l’Agence européenne du médicament. Comme l’a indiqué Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, devant la commission d’enquête (34), la Pologne avait toutefois engagé des démarches pour l’acquisition de vaccins : il semblerait donc que ses négociations avec les laboratoires n’aient pu aboutir, le Gouvernement polonais ayant jugé les conditions offertes par les groupes pharmaceutiques inacceptables, tant sur le plan tarifaire qu’en termes de restriction du champ de responsabilité des industriels. Comme l’a rappelé la ministre, le système de veille sanitaire polonais présente également des insuffisances : le nombre de cas de grippe saisonnière y semble par exemple largement sous-évalué.

Les initiatives à géométrie variable prises par les États membres de l’Union européenne et les maigres résultats généralement obtenus en termes de vaccination plaident en faveur d’un véritable travail d’évaluation au niveau communautaire.

Proposition n° 1 : Établir un bilan critique au niveau communautaire des campagnes de vaccination menées par les États membres, afin de dégager des pistes d’amélioration pour la gestion de futures éventuelles pandémies grippales.

Comme l’a indiqué M. John Ryan, chef de l’unité « Menaces sur la santé » au sein de la direction générale de la santé de la Commission européenne, à la commission d’enquête, une agence extérieure a été chargée d’analyser les politiques nationales menées en matière de vaccination contre le virus A(H1N1) : ses travaux alimenteront, au début du mois de juillet prochain, les débats d’une conférence qui doit se tenir, sous la présidence belge de l’Union, ainsi qu’un Conseil des ministre informel sur le sujet. La révision du plan pandémique de l’Union européenne, qui date de 2005, pourrait être proposée dans ce cadre.

II.- UNE CAMPAGNE DE VACCINATION PLACÉE SOUS L’ÉGIDE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION

Dans quel contexte d’appréhension du risque se trouvait-on lors du déclenchement de la pandémie de grippe A(H1N1) à la fin du mois d’avril 2009 ? La réponse à cette question est essentielle pour juger du bien-fondé des décisions qui ont été prises par les pouvoirs publics, s’agissant tant de l’acquisition des vaccins que des modalités d’organisation de la campagne de vaccination.

Les réflexions sur la notion de risque distinguent classiquement la prudence, qui concerne des risques avérés et dont on peut évaluer la fréquence d’occurrence, la prévention, qui concerne des risques avérés mais dont on ne peut évaluer la fréquence d’occurrence et enfin, la précaution, qui concerne des risques probables, non avérés et dont la portée n’est pas, en l’état des connaissances scientifiques et techniques du moment, connue. C’est cette dernière modalité d’appréhension du risque qui a été aménagée dans le corpus normatif français avec la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement dite « loi Barnier », et qui a ensuite été érigée en norme constitutionnelle par la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement, pour le seul domaine environnemental (35).

Or, le risque constitué avec l’apparition, au printemps 2009, du virus A(H1N1) et sa propagation rapide du Mexique aux États-Unis puis aux autres continents, ne semble pas devoir relever d’une logique de précaution, puisqu’il s’agissait, dès le début, d’un risque avéré. L’invocation de ce principe a pourtant été constante, tant de la part des autorités publiques que des experts qui ont eu l’occasion de s’exprimer sur ce sujet : en effet, si l’existence du risque de pandémie ne faisait pas de doute, les incertitudes étaient telles que les décisions prises par les pouvoirs publics se sont de facto inscrites dans une logique de précaution, cherchant à proportionner la réponse à une situation dont il fallait mesurer l’ampleur et l’intensité nouvelles à chaque instant. Ainsi, M. Didier Tabuteau, conseiller d’État et directeur de la chaire Santé de l’Institut d’études politiques de Paris a-t-il rappelé devant la commission d’enquête (36) que « le principe de précaution est d’abord un principe de proportionnalité ».

Par-delà la querelle des mots, la question qui s’est posée à la commission d’enquête est la suivante : « la réponse donnée par les pouvoirs publics a-t-elle été proportionnée au risque qui est apparu, au moment où elle a été apportée ? ». Or, de ce point de vue, on ne peut nier que les incertitudes concernant la contagiosité, la virulence et les caractéristiques du virus étaient telles au printemps que la décision des autorités publiques de procéder à l’acquisition massive de vaccins, dans l’objectif de pouvoir proposer la vaccination à l’ensemble de la population, n’apparaît pas excessive. Si elle apparaît telle aujourd’hui, c’est précisément a posteriori, parce que les données virologiques et épidémiologiques ont été affinées.

Selon M. Claude Le Pen, professeur de sciences économiques à l’université de Paris-Dauphine (37), la réponse peut également être excessive « par crainte d’une réponse insuffisante ». C’est alors la logique même du principe de précaution qui doit être mise en cause : celle-ci serait immanquablement vouée à l’échec, car « comment proportionner une réponse à un risque inconnu » ? Néanmoins, ici encore, c’est toujours seulement ex post que peut être jugée la décision prise, une fois le risque totalement connu.

Or, un jugement ex post, pour être objectif, suppose d’analyser la décision politique dans le contexte où elle a été prise.

A. DES INCERTITUDES ET DES DOUTES IMPORTANTS QUI ONT COMMANDÉ UNE APPLICATION RESPONSABLE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION

Le contexte d’incertitude dans lequel la principale décision a été prise
– celle de l’acquisition des vaccins, le 3 juillet 2009 – concernait tant le nouveau virus lui-même que la capacité des États à se doter à temps de l’arme du vaccin et d’une stratégie vaccinale.

1. De nombreuses incertitudes

« Le virus de la grippe est un virus facétieux et trompeur » : c’est par ces mots que le professeur Claude Hannoun, à l’origine en 1950 du premier vaccin antigrippal français, a souhaité rappeler à la commission d’enquête (38) le caractère foncièrement imprévisible de la grippe, qui reste, soixante ans après la mise en point du premier vaccin, relativement mal connue.

Le virus apparu en avril 2009 au Mexique est un variant du virus A(H1N1) déjà connu pour avoir frappé en 1918, mais également en 1957. Le désastre de la grippe espagnole – avec un virus hautement contagieux et pathogène, puisqu’il a provoqué la mort de 20 à 50 millions de personnes dans le monde, même si l’état de santé général et la dénutrition des populations infectées au sortir de la Grande guerre a eu sa part de responsabilité – n’était pas sans susciter les plus grandes inquiétudes lors de l’identification du virus de la grippe A, d’autant plus que la seule certitude, dès le début de la pandémie, concernait la forte contagiosité de ce nouveau virus.

a) Sur le virus

Lors de l’apparition du virus au Mexique, puis de la confirmation le 24 avril 2009 aux États-Unis de sept cas affectés par la souche de virus A(H1N1), les incertitudes étaient donc nombreuses et l’inquiétude alimentée par des informations pour le moins alarmantes. En effet, le Mexique avait déclaré l’état d’alerte nationale le 22 avril et déplorait l’existence de 800 cas d’infection respiratoire souvent sévère ayant entraîné une soixantaine de décès de personnes âgées de 5 à 45 ans, sans que ces cas n’aient toutefois été confirmés. Le 30 avril, en revanche, sur 1 928 cas suspects au Mexique, 99 cas avaient été confirmés virologiquement, ayant abouti à 8 décès. Les données épidémiologiques restaient cependant très parcellaires ; le principe d’une propagation rapide du virus était en revanche établi, puisqu’à cette date, il avait également été identifié en Espagne, au Royaume-Uni, en France, aux Pays-Bas, mais également en Nouvelle-Zélande et en Australie.

Au cours du mois de mai, la propagation du virus sur le continent américain et en Europe a permis de mettre en évidence que, en dehors du Mexique, la majorité des cas étaient bénins, avec une létalité qui semblait se révéler être du même ordre de grandeur que la grippe saisonnière : c’est ce qui a amené l’Organisation mondiale de la santé à qualifier la pandémie de « modérément grave » le 11 juin 2009 lors de sa déclaration de passage en phase 6.

Toutefois, comme l’a indiqué Mme Françoise Weber, directrice générale de l’institut de veille sanitaire à notre commission d’enquête (39), on ne pouvait exclure pendant cette première phase l’hypothèse d’un taux d’attaque plus important et de formes sévères chez des populations jeunes ou chez certaines populations comme les femmes enceintes. C’est en effet au cours de l’été que sont apparus les premiers cas graves ayant nécessité un recours à des soins intensifs.

La moindre virulence du virus A(H1N1) s’est précisée à partir du mois de septembre avec le premier bilan qui a pu être dressé de la phase pandémique dans l’hémisphère Sud. Toutefois, une intensification de l’épidémie lors de son passage à l’hémisphère Nord ne pouvait être exclue, pas plus d’ailleurs qu’une éventuelle mutation du virus.

Ce n’est que dans une troisième phase, à la fin du mois de novembre, qu’il a été possible de déterminer avec plus de précision le taux d’attaque réel du virus.

Celui-ci s’est donc révélé globalement moins agressif et moins létal que ce l’on craignait, avec notamment un nombre de formes asymptomatiques ou peu symptomatiques plus nombreuses que pendant la grippe saisonnière (40). Toutefois, alors que celle-ci frappe très majoritairement les personnes âgées de plus de soixante-cinq  ans (90 % des décès dus au virus), les taux d’attaque du virus A(H1N1) les plus importants concernaient les jeunes adultes et les enfants, la protection relative des personnes âgées étant vraisemblablement liée à leur immunisation par le passé par contact avec un virus apparenté. Ainsi, les taux d’hospitalisation les plus élevés ont concerné des enfants de moins de cinq ans et en particulier des enfants de moins d’un an. Entre un quart et la moitié des patients hospitalisés ou décédés et qui étaient infectés par le virus A(H1N1) ne présentaient aucun risque médical connu. Alors que les femmes enceintes ne représentent qu’un à deux pour cent de la population, elles ont constitué, parmi les personnes atteintes par le virus A(H1N1), 7 % à 10 % des patients hospitalisés, 6 % à 9 % des patients en soins intensifs et 6 % à 10 % des décès, avec un risque encore plus élevé au troisième trimestre de grossesse. Un même risque accru a été constaté pour les personnes atteintes d’obésité (41).

Répartition des cas de grippe A(H1N1) par âge

Les jeunes enfants et les personnes âgées ont été relativement moins touchés que les enfants et les jeunes adultes. Le schéma statistique ci-dessous, dont les données proviennent du Canada, se retrouve dans de nombreux autres pays. Les données en provenance des États-Unis montrent que les enfants de moins de cinq ans ont été particulièrement résistants.

Source : Revue Nature, avril 2010 : « Portrait of a year-old pandemic ».

Une étude américaine (42), publiée un an après le début de la pandémie met en évidence que, si la mortalité directement attribuable au virus A(H1N1) représente moins de la moitié du nombre de décès habituellement liés à la grippe saisonnière, elle a touché beaucoup plus cruellement des personnes jeunes : le nombre d’années de vies perdues se révèle trois à quatre fois supérieur à celui provoqué par un virus H3N2 saisonnier virulent et cinq fois supérieur à une grippe saisonnière classique de type A(H1N1) ou B. Il serait en réalité du même ordre que celui entraîné par la pandémie de grippe de 1968.

Comme l’a rappelé M. Didier Houssin, directeur général de la santé devant la commission d’enquête (43), il convient d’ailleurs de distinguer entre la virulence d’un virus et son taux d’attaque : si la dangerosité du virus s’est révélée assez tôt – dès le mois de mai – à peu près égale à celle d’une grippe saisonnière, son taux d’attaque pouvait néanmoins se révéler plus important, dans la mesure où un virus dont la virulence est faible mais qui touche une proportion importante d’une population non immunisée entraîne mécaniquement un nombre de décès plus élevé. C’est ce taux d’attaque, ou plus exactement les incertitudes l’entourant, et non la virulence du virus, qui a justifié les campagnes de vaccination massive entreprises par de nombreux États.

D’ailleurs, selon les dernières données épidémiologiques publiées par l’Institut de veille sanitaire le 20 avril 2010, 1 334 cas graves et 312 décès ont été notifiés en France depuis le début de l’épidémie. Parmi eux, 273 cas graves et 50 décès sont survenus chez des personnes n’ayant pas de facteur de risque. Selon les chiffres publiés par l’Organisation mondiale de la santé, la grippe A(H1N1) a provoqué le décès de plus de 18 138 personnes dans le monde, données récusant clairement le qualificatif de « grippette » qui a pu être employé.

b) Sur les délais d’obtention des vaccins

Outre les incertitudes pesant sur le virus lui-même, la prise de décision des autorités sanitaires a été fortement contrainte par les délais d’obtention de vaccins que les laboratoires pharmaceutiques ont finalement mis au point en six mois.

C’est l’Organisation mondiale de la santé qui est en principe chargée d’assurer le développement des souches vaccinales, en collaboration avec son réseau international de centres collaborateurs et de la mettre à disposition des fabricants. Or, la livraison de la souche du nouveau virus, initialement prévue le 12 mai par l’organisation, a été reportée à la fin de ce même mois. Celle-ci a parallèlement adressé aux laboratoires des recommandations pour le partage de l’appareil de production entre la poursuite de la fabrication de vaccins bivalents et trivalents contre la grippe saisonnière et la production du nouveau vaccin contre le virus A(H1N1). Les laboratoires n’ont ainsi pu lancer leur processus de production qu’au début du mois de juin 2009, alors que s’engageait déjà une « course aux vaccins » dans la plupart des États.

La forte contrainte pesant sur les délais explique en partie que plusieurs pays européens se soient tournés vers des vaccins produits sur culture cellulaire et non sur œufs : cette technologie permet en effet la mise à disposition de vaccins commerciaux dans des délais beaucoup plus rapides – en général, douze semaines –, comme l’a expliqué devant la commission d’enquête M. Philippe Chêne, président de Baxter France (44). La France a ainsi procédé à une commande d’appoint auprès de ce laboratoire et a pu obtenir la livraison des premières doses dès la fin du mois d’août 2009, qui ont été conservées sur le site français du fabricant jusqu’à l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché le 7 octobre.

Plusieurs problèmes ont ensuite dû être progressivement réglés, problèmes qui expliquent les délais pour la disponibilité des vaccins et qui ont donc très largement influencé les négociations menées avec les laboratoires pharmaceutiques et par conséquent, la teneur de commandes finales.

● Une première difficulté a concerné le niveau du rendement de la souche mise à disposition des fabricants : la productivité d’une souche peut en effet varier de 30 à 100 %, comme l’a indiqué M. Jacques Berger, directeur général délégué de Sanofi Pasteur à la commission d’enquête (45). Les fabricants n’ont donc pu s’engager que sur un calendrier de livraison indicatif.

● Le deuxième obstacle a été constitué par les capacités de production du vaccin contre le virus A(H1N1) par les laboratoires pharmaceutiques : ces capacités sont limitées et sont conditionnées par le calendrier de fabrication du vaccin contre la grippe saisonnière. Elles expliquent également que l’essentiel des vaccins ait été fabriqué en multidoses.

M. Jacques Berger, directeur général délégué de Sanofi Pasteur, a ainsi rappelé à la commission d’enquête (46) que son laboratoire, qui couvre environ 40 % des besoins mondiaux en vaccins contre la grippe saisonnière, a dû relever le défi de la production de deux formes de vaccin contre la grippe A(H1N1), avec et sans adjuvant (47), tout en poursuivant la production déjà programmée. C’est pourquoi la production du vaccin saisonnier a été brièvement interrompue en France au début du mois de juin, avec la mise à disposition de la souche virale A(H1N1), pour permettre la production des premiers lots cliniques du nouveau vaccin, ces derniers déterminant le délai d’obtention d’une autorisation de mise sur le marché. Les capacités de production de Sanofi Pasteur n’auraient d’ailleurs pas été équivalentes dans l’hypothèse d’un déclenchement de la pandémie à une autre période de l’année : le laboratoire disposait en effet d’une « fenêtre de tir » entre la fin de la production de vaccin saisonnier pour l’hémisphère Nord et le début de la fabrication du vaccin saisonnier pour l’hémisphère Sud, qui lui a permis de mobiliser , à partir de la fin de l’été, son outil de production pour la mise au point du vaccin contre le virus A(H1N1) (48).

La mise à disposition la plus rapide possible des vaccins a fortement contraint les modalités de fabrication du vaccin et en particulier, son conditionnement. Le choix de doses unitaires aurait sensiblement retardé la livraison des quantités qui avaient été commandées : c’est ce que confirment, unanimement, les représentants des quatre laboratoires pharmaceutiques entendus par la commission d’enquête (49). M. Hervé Gisserot, président de GlaxoSmithKline France, a ainsi indiqué à la commission d’enquête (50) que le principal goulet d’étranglement de la fabrication d’un vaccin pandémique n’est pas la production de l’antigène, mais le remplissage des flacons. Ces capacités limitées associées à une demande importante et urgente ne pouvaient que conduire à privilégier la fabrication de vaccins en format multidoses.

Le directeur général de Novartis vaccins et diagnostics, M. Alexandre Sudarskis, a rappelé (51) que si 65 % des vaccins produits par son laboratoire pour la France ont finalement été livrés en monodoses, les délais de fabrication d’un vaccin sous ce seul conditionnement auraient été nettement plus longs. En l’occurrence, les chaînes de production du laboratoire étaient adaptées à ce type de production ; des unités de remplissage et de conditionnement dans d’autres usines du groupe et chez des fournisseurs tiers ont néanmoins dû être sollicitées. En tout état de cause, il n’aurait pas été envisageable pour les laboratoires d’assurer dans des délais aussi contraints ne serait-ce que la moitié de la production totale d’un vaccin pandémique sous cette forme.

● Le troisième problème a concerné le délai d’obtention de l’autorisation de mise sur le marché des vaccins : l’utilisation des vaccins commandés par la France et l’ensemble des autres États était conditionnée à l’autorisation de l’utilisation de ces produits par les autorités réglementaires compétentes.

Le recours à la procédure de « mock-up », décrite ci-dessous, pour trois (52) des quatre vaccins commandés par la France a en réalité permis la délivrance assez rapide d’une autorisation de mise sur le marché pour ces produits, celles-ci ayant été accordées entre fin septembre et début octobre. Le quatrième vaccin, Panenza du laboratoire Sanofi Pasteur, validé sur la base d’une procédure décentralisée, n’a pu être autorisé qu’à la mi-novembre.

Dans le cadre de ses travaux, la commission d’enquête s’est évidemment interrogée sur la plus grande rapidité de la procédure américaine d’autorisation de mise sur le marché : l’un des vaccins acquis par les États-Unis a en effet pu obtenir sa mise sur le marché dès le 15 septembre. Comme a néanmoins pu le rappeler M. Jean Marimbert, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) devant la commission d’enquête (53), la procédure américaine « comporte une part de pari ». Elle ne s’est en effet pas fondée sur la moindre donnée clinique préalable : mais a autorisé des vaccins pandémiques sur la base d’un raisonnement par simple extrapolation par rapport aux actualisations régulières du virus de la grippe saisonnière. Elle a donc fait le postulat que le virus A(H1N1) se comporterait de manière assez semblable à une souche variante du virus saisonnier habituel.

On peut dès lors considérer que la procédure européenne est parvenue à ménager les exigences de sécurité sanitaire et celle d’une relative rapidité : en effet, pour trois des quatre vaccins concernés, moins de cinq mois se sont écoulés entre les négociations entamées par la France avec les laboratoires et l’autorisation de mise sur le marché dont ont pu bénéficier ces produits. Pour autant, ceux-ci ont été soumis à une procédure parfaitement sécurisée, puisqu’elle s’est fondée, comme pour la procédure de droit commun, sur l’analyse des résultats progressivement obtenus des essais cliniques sur ces vaccins. Parler à satiété de processus « bâclé » relève donc à l’évidence de la désinformation.

Les diverses procédures d’autorisation de mise sur le marché
des vaccins pandémiques contre le virus A(H1N1)

● La procédure européenne de « mock-up » ou prototype

En 2005, dans le cadre de la mise au point de vaccins pandémiques contre le virus H5N1, l’Agence européenne du médicament a introduit une procédure exceptionnelle destinée à permettre de soumettre à son contrôle et à son évaluation des dossiers de vaccins pandémiques prototypes (« mock-up ») – autrement dit, des vaccins maquettes - qui pourraient être utilisés seulement dans le cadre d’une pandémie déclarée, soit un passage à la phase 6 par l’Organisation mondiale de la santé.

Une procédure d’évaluation des vaccins dans un cadre habituel, hors de toute situation de pandémie, qui a été menée avec la souche H5N1 par le biais d’essais cliniques, a ainsi permis à trois vaccins d’obtenir un premier feu vert de l’Agence européenne du médicament à la fin de l’année 2008 et au début de l’année 2009.

À la suite de la mise à disposition de la souche A(H1N1), la déclaration par l’organisation mondiale de la santé de l’état de pandémie mondiale le 11 juin 2009 et du début de la fabrication du vaccin pandémique H1N1, l’Agence européenne du médicament a procédé à une évaluation complémentaire qui a consisté :

– d’une part, à partir des dossiers des vaccins prototypes, à valider le processus de production avec cette nouvelle souche virale ;

– et d’autre part, à partir de l’extrapolation des résultats des essais cliniques réalisés avec la souche prépandémique A(H5N1), de donner une autorisation de mise sur le marché pour les vaccins pandémiques fabriqués avec la souche A(H1N1)v. Cette extrapolation repose sur l’idée que si l’on obtient d’une part, un certain niveau d’immunogénicité et d’autre part, un certain profil de tolérance pour un vaccin contre la grippe H5N1, ces résultats pourraient être extrapolés contre une souche pandémique quelle qu’elle soit, en recourant aux mêmes techniques de fabrication et de contrôle et en ne modifiant que l’antigène.

Parallèlement, les essais cliniques sur les vaccins produits avec la souche A(H1N1)v ont été analysés au fur et à mesure de leur disponibilité par l’Agence.

C’est dans le cadre de cette procédure qu’ont été autorisés trois des quatre vaccins commandés par la France à l’été. L’Agence européenne du médicament a émis le 25 septembre 2009 un avis positif pour deux vaccins (Pandemrix du laboratoire GlaxoSmithKline et Focetria du laboratoire Novartis), l’autorisation de mise sur le marché ayant été accordée par la Commission européenne le 29 septembre 2009. Le vaccin Celvapan du laboratoire Baxter a reçu un avis positif de l’Agence européenne du médicament le 2 octobre 2009 pour une autorisation de mise sur le marché accordée par la Commission européenne le 6 octobre 2009.

● La procédure décentralisée de reconnaissance mutuelle

Cette procédure consiste, pour un laboratoire, à déposer un dossier pour l’évaluation d’un produit de santé dans un ou plusieurs États membres. L’un d’eux est alors désigné comme État membre de référence pour l’évaluation du dossier de ce vaccin : ce fut le cas de la France pour l’évaluation du vaccin Panenza du laboratoire Sanofi Pasteur, qui, ne disposant pas d’un dossier prototype « mock-up » qui aurait préalablement été déposé pour un vaccin pré-pandémique H5N1, ne pouvait donc bénéficier de la procédure centralisée. L’instruction du dossier a été réalisée selon une méthodologie homogène avec celle utilisée dans le cadre de la procédure centralisée.

Dans le cadre de cette procédure décentralisée commune à plusieurs États-membres, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a ainsi accordé le 16 novembre 2009 une autorisation de mise sur le marché au vaccin grippal pandémique Panenza du laboratoire Sanofi Pasteur.

● La procédure américaine d’autorisation de mise sur le marché

La procédure d’autorisation de mise sur le marché des vaccins pandémiques H1N1 suivie par la Food and Drug Administration, autorité en charge de l’évaluation des produits de santé aux États-Unis, s’est également fondée sur un raisonnement par extrapolation. La différence avec la procédure européenne dite de « mock up » tient au point de référence, qui est le dossier clinique développé sur le vaccin H5N1 pour l’évaluation européenne, alors que l’autorité américaine s’appuie principalement sur les données antérieures liées aux vaccins contre la grippe saisonnière.

L’expérience de la pandémie de grippe A(H1N1) reste en tout état de cause riche d’enseignements : elle a en effet conduit à une mobilisation sans précédent des industriels, qui ont fait preuve dans ce contexte de crise, d’une grande réactivité et d’une véritable capacité d’adaptation de leurs chaînes de production. Elle permet de mettre en évidence l’importance d’un travail commun avec les pouvoirs publics sur la définition des priorités de disponibilité des vaccins : ce travail gagnerait à être mené plus en amont, afin d’évaluer plus précisément les capacités réelles de production des laboratoires pharmaceutiques, ainsi que les contraintes qui pèsent sur leurs chaînes de production en vrac et sur leurs chaînes de remplissage. En l’espèce, il eut été intéressant de déterminer ex ante les capacités de production des industriels en vaccins monodoses et les délais dans lesquels cette production aurait pu être assurée.

Proposition n° 2 : Engager un dialogue avec les industriels afin de mieux évaluer leurs capacités de production et les contraintes pesant sur les modalités de production, en particulier dans le domaine des vaccins.

Les nombreuses incertitudes qui ont entouré, d’une part, les caractéristiques du virus A(H1N1) - tant sa virulence que le moment de son attaque dans l’hémisphère Nord ou son éventuelle mutation – et, d’autre part, la disponibilité des vaccins, conduisent néanmoins à examiner la pertinence de la préstratégie vaccinale retenue par les autorités.

2. Une préstratégie vaccinale visant une protection complète de la population

Pourquoi la France a-t-elle fait le choix de commander 94 millions de doses de vaccins ? Cette décision, prise le 3 juillet 2009 par le Premier ministre, est aisément explicable : il s’agit en revanche de savoir si elle était justifiée.

a) Le choix d’une couverture d’environ 75 % de la population

Une question préalable a été posée de manière récurrente tout au long des travaux de la commission d’enquête : pour quelles raisons le principe d’une double injection a-t-il été entériné pour l’ensemble des vaccins développés contre le virus A(H1N1) ? Ce principe fut en effet déterminant pour expliquer la quantité importante de vaccins dont la France, comme de nombreux autres États, a fait l’acquisition, et le coût final qu’ont représenté les commandes de vaccins, puisque le passage à la recommandation d’une injection unique pour les personnes âgées de cinq ans à cinquante-neuf ans, n’a été annoncé par le Haut conseil de la santé publique que le 27 novembre (54), conduisant ainsi à rendre inutile la moitié des doses acquises.

Comme on l’a vu, trois des quatre vaccins développés contre le virus A(H1N1) ont été autorisés sur le fondement de la procédure de « mock-up », selon une méthode d’extrapolation des résultats des essais cliniques réalisés sur les vaccins maquettes déjà développés contre le virus H5N1. Or, comme l’a indiqué M. Patrick Le Courtois, chef de l’unité « Évaluation avant autorisation pour les médicaments à usage humain » à l’Agence européenne du médicament, entendu par la commission (55), « ces derniers ont été testés entre 2007 et 2009 sur des populations naïves qui n’ont jamais été en contact avec le virus et qui n’ont donc aucune protection immunitaire. Les études ont [alors] montré que deux doses de vaccin étaient nécessaires pour atteindre une réponse immunologique suffisante ». L’autorisation de mise sur le marché des vaccins contre le virus A(H1N1) s’est donc fondée sur un schéma à deux doses, qui n’a pu être réexaminé qu’à l’aune des résultats des premiers essais cliniques, qui n’ont été disponibles qu’à partir du début du mois d’octobre. Une durée d’exploitation progressive de ces résultats a ensuite été nécessaire avant de permettre le passage officiel à un schéma de dose unique (56).

Sous l’hypothèse d’une double injection qui a donc prévalu jusqu’après le lancement effectif de la campagne de vaccination, trois scénarios ont été préalablement envisagés par les pouvoirs publics :

– la vaccination de la totalité de la population, qui nécessitait la commande de 130 millions de doses de vaccins ;

– la vaccination de la totalité de la population de moins de soixante-cinq ans et l’injection d’une seule dose pour les plus de soixante-cinq ans, dans la mesure où ces derniers bénéficient déjà d’une certaine immunité grâce à la vaccination contre la grippe saisonnière, hypothèse qui supposait l’acquisition de 119 millions de doses ;

– et enfin, la vaccination d’une population plus restreinte, se limitant notamment aux jeunes, aux personnes fragiles et aux personnes à rôle critique en cas de pandémie (PARCEP), pour laquelle 60 millions de doses s’avéraient indispensables.

C’est le deuxième scénario qui a été privilégié le 3 juillet, le principe qui a prévalu étant de se mettre en situation de pouvoir proposer la vaccination à toute personne qui le souhaiterait. Avec l’application d’un taux de compliance de 75 % (57), il a donc été proposé d’acquérir 94 millions de doses destinées à la vaccination de 47 millions de personnes.

b) Fallait-il retenir un objectif de vaccination aussi large ?

Afin de déterminer le choix le plus adapté à cette menace de pandémie marquée par de nombreuses incertitudes, les pouvoirs publics ont évidemment sollicité l’avis des instances d’expertise qui les entourent, en l’occurrence du Comité de lutte contre la grippe et du Haut conseil de la santé publique.

Consulté le 8 mai par le directeur général de la santé sur cette question, le Comité de lutte contre la grippe a considéré le 10 mai qu’« une vaccination d’une partie de la population française pourrait être suffisante pour obtenir une réduction très significative de l’impact de la grippe A(H1N1) ». Il reprenait toutefois les recommandations antérieurement émises pour le virus H5N1, selon lesquelles il convenait de disposer d’un vaccin pour l’ensemble de la population (58), et à défaut, de vacciner certaines tranches de la population en fonction de l’efficacité de cette stratégie sur l’évolution de la pandémie.

Lors de son audition par la commission d’enquête (59), le président du Haut conseil de la santé publique, M. Roger Salamon, a rappelé que le premier avis rendu par le Haut conseil sur la pertinence de l’utilisation d’un vaccin contre le virus A(H1N1), rendu le 26 juin, distinguait deux cas :

– en cas de disponibilité d’un vaccin avant le déclenchement de l’épidémie, l’objectif prioritaire serait de vacciner les enfants, et le cas échéant toutes les personnes pouvant être source d’épidémie.

– dans l’hypothèse où le vaccin ne serait disponible qu’après la propagation du virus, la logique qui devrait prévaloir serait la protection, d’une part, des personnes indispensables pour assurer la continuité de l’État, des personnels de secours et des professionnels de santé, et d’autre part, des personnes à risque.

Avis du Haut conseil de la santé publique du 26 juin 2009
relatif à la pandémie grippale :
pertinence de l’utilisation d’un vaccin pandémique dirigé contre le virus grippal A(H1N1)V (variant)

(extrait)

Après avis du Comité technique des vaccinations, le Haut conseil de la santé publique estime, compte tenu des nombreuses incertitudes concernant aussi bien la maladie que les vaccins ainsi que des potentiels aléas des études de modélisation, ne pas être à même de proposer à ce jour des recommandations concernant la stratégie d’utilisation des futurs vaccins pandémiques A(H1N1)v. Le Haut Conseil de la santé publique souligne, qu’au travers de ces modèles :

– la vaccination précoce des enfants représente la stratégie la plus efficace pour enrayer le développement de la pandémie ;

– en l’absence de possibilité de vacciner les enfants, la vaccination précoce (dans les 15 jours suivant le début de la circulation active du virus) des adultes de 18 à 60 ans aurait un impact sur l’évolution de la pandémie sous réserve d’une couverture vaccinale rapidement élevée ;

– une vaccination décalée des enfants en fonction de l’évolution des AMM pourrait avoir un intérêt ;

– toutefois, la mise en place d’une vaccination au-delà de 30 jours suivant le début de la circulation active du nouveau virus A(H1N1)v en France aurait un impact très limité sur l’évolution de la vague pandémique en cours en France, quelle que soit la population ciblée ;

– l’intérêt de la vaccination, outre son effet sur l’évolution de la pandémie, doit être évalué par rapport au bénéfice individuel des patients vaccinés : en situation de pandémie installée, le vaccin pourrait garder un intérêt chez les sujets ayant échappé à la maladie (en perspective d’une vague ultérieure), et surtout chez les sujets à risque de grippe sévère, c’est à dire les populations identifiées par le suivi de l’épidémiologie de la pandémie, les femmes enceintes et les personnes actuellement ciblés par les recommandations de vaccination contre la grippe saisonnière. Cependant l’épidémiologie actuelle du virus A(H1N1)v montre que les personnes âgées de 60 ans et plus ne représentent pas une population à risque.

Il y a en réalité, comme l’a exposé M. Jean-Claude Manuguerra (60), président du Comité de lutte contre la grippe, deux façons d’envisager l’apport du vaccin : un aspect collectif et un aspect individuel, distinction qui rejoint peu ou prou la différence entre la vaccination prépandémique et la vaccination pandémique. Les méthodes de modélisation montrent qu’avant la propagation du virus, la vaccination des populations jeunes et des enfants permet de diminuer l’impact de la pandémie, en réduisant à la fois son intensité, sa circulation et la mortalité dans l’hypothèse où celle-ci serait élevée : dans ce contexte, l’intérêt collectif de la vaccination est évident. Néanmoins, dès lors que la pandémie est déclarée, la vaccination ne peut plus prétendre avoir d’« effet barrière » : son seul intérêt demeure la protection individuelle, et cet intérêt persiste même après le pic de l’épidémie.

On ne peut donc pas se fonder sur le seul argument selon lequel l’arrivée trop tardive du vaccin était connue d’avance pour justifier le recours à une stratégie vaccinale limitée à une petite partie de la population et juger qu’une commande massive de vaccins était foncièrement disproportionnée. La prise en compte de l’intérêt de la protection individuelle ne saurait en effet être balayée d’un revers de la main. Dans son avis du 22 juin 2009, le Comité de lutte contre la grippe considérait déjà que « la mise à disposition des vaccins prépandémiques interviendra vraisemblablement alors que la pandémie grippale sera largement installée. Dès lors, cette mesure apparaîtra davantage comme une mesure de protection individuelle plutôt que comme une mesure de santé publique destinée à enrayer la pandémie (61) ». C’est d’ailleurs l’un des éléments qui l’a amené à exclure le principe d’une obligation vaccinale, que la commission d’enquête juge en effet devoir être écarté dans une situation de pandémie.

Il est dès lors difficile de conclure des recommandations émises par ces instances d’expertise que les autorités ont fait le mauvais choix ou qu’elles auraient pris une décision manifestement excessive : en effet, l’objectif d’être en mesure de proposer la vaccination à l’ensemble de la population ne saurait être fondamentalement contesté. Les Français, si profondément attachés au principe d’égalité, ne peuvent que partager ce raisonnement. De la même façon d’ailleurs, qu’attachés au principe de liberté, ils ne peuvent qu’approuver, à l’instar du Haut comité de la santé publique, le rejet d’une quelconque obligation vaccinale qui a été finalement décidé. Reste néanmoins la question de la commande ferme de 94 millions de doses de vaccins : était-il opportun d’acquérir d’emblée une telle quantité de vaccins ? L’examen des négociations menées avec les laboratoires permet d’éclairer les décisions prises.

B. UNE NÉGOCIATION DES CONTRATS DÉLICATE

Les premiers contacts avec les laboratoires pharmaceutiques ont été noués par la direction générale de la santé à partir du 30 avril : il s’agissait avant tout pour les pouvoirs publics d’évaluer, d’une part, les capacités de production des industriels dans un contexte qui allait rapidement devenir celui d’une « course au vaccin » de l’ensemble des États (62), et de déterminer, d’autre part, quel type de vaccin les laboratoires pourraient produire, et en particulier sous quelle forme et selon quel calendrier. La contrainte temporelle fut en effet un élément décisif du processus de négociation.

1. Des marges de manœuvre réduites

a) Les impératifs d’une négociation rapide permettant de répondre aux besoins identifiés

● Des autorités liées par des contrats prépandémiques

Dans le processus de négociation pour l’acquisition des vaccins contre le virus A(H1N1), la France s’est rapidement trouvée dans une situation difficile.

Elle disposait en effet de deux contrats prépandémiques conclus dans le cadre de la préparation à la pandémie de grippe aviaire A(H5N1) :

– le premier avait été conclu le 29 juillet 2005 avec le laboratoire Novartis qui avait soumissionné à un appel d’offres lancé par le gouvernement français en février et qui portait sur deux lots de vaccins, l’un contre le virus de la grippe aviaire, l’autre contre un virus pandémique mutant. Ce contrat portait sur une tranche ferme de 600 000 traitements contre le virus H5N1 et trois tranches conditionnelles de 12 millions de traitements contre le même virus ou tout autre virus grippal pandémique. Comme l’a rappelé devant la commission (63) M. Alexandre Sudarskis, directeur général de Novartis vaccins et diagnostics, la première tranche a d’ailleurs été exécutée en juin 2009. Au cours du mois de mai 2009, les échanges poursuivis avec la direction générale de la santé ont rapidement permis de mettre en évidence que les capacités de production du laboratoire seraient relativement limitées.

– le second contrat, de même type, conclu avec le laboratoire Sanofi Pasteur le 27 octobre 2005, comportait deux tranches conditionnelles portant chacune sur l’acquisition de 14 millions de traitements vaccinaux contre le virus H5N1 ou tout autre virus grippal pandémique. Or, comme l’a indiqué le directeur général de la santé, M. Didier Houssin devant la commission d’enquête (64), le vaccin Emerflu contre le H5N1 développé par Sanofi Pasteur s’est vu refuser son autorisation de mise sur le marché par l’agence européenne du médicament le 20 mars 2009, réduisant ainsi les espoirs d’une livraison précoce d’un nouveau vaccin contre le virus A(H1N1), dans l’hypothèse d’un affermissement d’une ou des deux tranches conditionnelles de ce marché.

Au regard de ces deux données, les pouvoirs publics ont donc rapidement entériné l’idée qu’il leur faudrait solliciter d’autres acteurs si le principe d’une vaccination large de la population devait être retenu : rappelons en effet que le schéma qui prévalait à l’époque était celui d’une double dose.

● La volonté de conclure rapidement d’autres contrats

C’est dans cet état d’esprit que les pouvoirs publics se sont tournés vers le fournisseur apparaissant le plus avancé dans le processus de préparation de la fabrication d’un vaccin contre le virus A(H1N1), le laboratoire GlaxoSmithKline. Ne disposant à ce stade d’aucun contrat avec ce laboratoire, la marge de manœuvre des autorités sanitaires françaises s’en est trouvée d’autant plus réduite que ce fournisseur s’était dit prêt à s’engager à mettre à disposition de la France 50 millions de doses par livraisons étalées d’octobre à décembre 2009 à condition qu’un engagement ferme soit contracté avant le 12 mai à minuit.

Le feu vert donné par le Premier ministre le 11 mai a ainsi conduit le cabinet de la ministre chargée de la santé à adresser le 14 mai au laboratoire une lettre d’intention portant sur la préréservation de 50 millions de doses du futur vaccin pour un montant 75 millions d’euros (65). La production du vaccin Pandemrix a alors débuté le 22 juin.

Le vaccin développé par GlaxoSmithKline présentait un triple avantage :

– il bénéficiait déjà d’une approbation de l’Agence européenne du médicament pour son dossier de vaccin prototype H5N1, ce qui pouvait donc laisser présager une disponibilité plus précoce du futur vaccin ;

– la présence d’un adjuvant permettait de réduire significativement la quantité d’antigène nécessaire et assurait une meilleure protection, ce qui n’était pas anodin en l’absence d’éléments sur le rendement de la souche A(H1N1) ;

– et enfin, le conditionnement séparé de l’adjuvant et de l’antigène permettrait d’utiliser le vaccin au-delà de la pandémie, ce qui est à ce jour un élément dont il convient de tenir compte pour l’évaluation des stocks de vaccins non utilisés et dans la perspective d’une éventuelle possibilité d’utilisation de l’adjuvant dans d’autres circonstances.

Par ailleurs, des contacts avaient également été noués dès le mois de mai avec le laboratoire Baxter, dans la mesure où son vaccin, Celvapan, produit à partir de la technologie de culture cellulaire, présentait aussi un certain nombre d’avantages spécifiques, comme l’a rappelé M. Philippe Chêne, président de Baxter France devant la commission d’enquête (66) :

– outre le délai de fabrication plus court déjà évoqué, ce vaccin ne comporte pas d’adjuvant et peut donc être proposé prioritairement à certaines populations, comme les jeunes enfants ou les femmes enceintes.

– dans la mesure où il s’affranchit de produits cultivés sur œufs, il constitue une solution particulièrement adaptée dans le cas d’un virus aviaire, mais surtout, en l’occurrence, il convient aux patients allergiques aux protéines d’œufs.

C’est au regard de ces caractéristiques que les autorités sanitaires ont finalement aussi passé auprès du laboratoire Baxter une commande d’appoint de 50 000 doses de vaccins contre le virus A(H1N1).

b) Des contraintes qui ont pesé sur la négociation des contrats

Le 6 juillet 2009, la ministre de la santé et des sports a chargé l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires de mener toutes les actions nécessaires en vue de signer des contrats avec les quatre laboratoires mentionnés ci-dessus, comme l’a indiqué son directeur général, M. Thierry Coudert, devant la commission d’enquête (67). Quatre questions étaient à régler :

● La question des prix pratiqués par les laboratoires

Deux procédures ont été mises en œuvre pour aboutir à l’acquisition des 94 millions de doses de vaccins contre le virus A(H1N1), la première consistant à affermir des tranches conditionnelles prévues dans les deux marchés publics déjà existants et la seconde à conclure deux nouveaux marchés.

L’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires a ainsi conclu :

– le 8 juillet 2009 avec le laboratoire Sanofi Pasteur un avenant au marché public initial, prévoyant l’affermissement de sa première tranche conditionnelle à hauteur de 28 millions de doses de vaccins non adjuvantés contre le virus A(H1N1), pour un prix de 6,25 euros hors taxes par dose, soit 175 millions d’euros hors taxes ;

– le 29 juillet 2009 avec le laboratoire Novartis un avenant au marché de 2005, prévoyant l’affermissement de sa première tranche conditionnelle, qui a été ce faisant portée à 16 millions de doses de vaccin contre le virus A(H1N1), pour un prix de 9,34 euros hors taxes par dose, soit 149,44 millions d’euros hors taxes ;

Par ailleurs, deux nouveaux marchés ont été conclus par l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires sous l’empire du 7° de l’article 3 du code des marchés publics, qui instaure une exclusion du champ d’application des dispositions de ce code pour les contrats dont l’exécution doit s’accompagner de mesures particulières de sécurité ou pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l’État l’exige, et qui autorise à ce titre la conclusion de marchés sans publicité ni mise en concurrence, ce qui se comprend compte tenu de la situation ;

– le 10 juillet 2009, un marché avec le laboratoire GlaxoSmithKline, conformément à la lettre d’intention adressée le 14 mai, portant sur l’acquisition de 50 millions de doses au prix unitaire de 7 euros hors taxes, pour un montant total de 350 millions d’euros hors taxes ;

– le 10 août 2009, un marché avec le laboratoire Baxter portant sur une commande d’appoint de 50 000 doses au prix unitaire de 10 euros hors taxes, pour un montant total de 500 000 euros hors taxes.

Il convient de signaler que les deux contrats d’affermissement ont été assortis de tranches conditionnelles permettant de porter, en cas de besoin, le nombre total de doses commandées de 94 à 130 millions de doses, – 8 millions de doses supplémentaires pour le marché conclu avec Novartis et 28 millions de doses supplémentaires pour le contrat conclu avec Sanofi Pasteur. Il s’agissait donc bien de se garder la possibilité de proposer in fine la vaccination à l’ensemble de la population, toujours dans la perspective de doubles injections.

Le total des commandes initiales effectuées par l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires s’est donc établie à 94 050 000 doses de vaccins pour un montant de 674,9 millions d’euros hors taxes.

Consulté par le ministère de la santé sur les prix pratiqués par les laboratoires, le président du comité économique des produits de santé, M. Noël Renaudin, a jugé que ceux-ci ne lui semblaient pas abusifs : ils se situent en effet dans une fourchette comprise entre 6,25 euros et 10 euros. Les différences de prix sont principalement liées aux caractéristiques des vaccins : le tarif relativement plus important du vaccin Celvapan du laboratoire Baxter est lié au caractère modeste de la commande, mais également à sa technologie, la culture cellulaire, et enfin, à l’absence d’adjuvant ; le prix pratiqué par le laboratoire Novartis tient à la fourniture, avec le vaccin, du matériel d’injection.

Le contexte international d’une « course aux vaccins » des États n’a bien entendu pas placé les pouvoirs publics dans une position de force pour la négociation des conditions tarifaires de l’acquisition des vaccins : le laboratoire Baxter, qui s’était initialement engagé à fournir 4 millions de doses, a annulé son offre au cours de l’été pour des raisons de production et a ainsi prélevé les 50 000 doses finalement destinées à la France sur ses contrats de réservation préalables, tandis que Novartis a réduit son offre initiale de 24 à 16 millions de doses, preuves que la pression de la demande internationale était particulièrement intense. On doit toutefois souligner que le prix pratiqué par le laboratoire GlaxoSmithKline est équivalent à celui qui a été proposé à ses autres clients européens, dont certains, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni disposaient pourtant de contrats de préréservation avec le laboratoire.

● La question de la responsabilité contractuelle des laboratoires

Le processus de négociation des contrats qui a été mené au début de l’été 2009 a achoppé sur un point particulier, celui de la responsabilité des industriels. Ce point a en effet été abordé par la ministre de la santé et des sports lors de la réunion interministérielle du 3 juillet 2009, durant laquelle elle a exposé la clause d’irresponsabilité demandée par les quatre laboratoires dans l’utilisation des vaccins, y compris pour les vices qui tiendraient à la qualité intrinsèque du produit et alors que la vaccination ne présenterait pas un caractère obligatoire. L’État a finalement obtenu de revenir sur cette clause, qualifiée de « scélérate » par la ministre de la santé et des sports (68). L’enjeu de la négociation a donc été, comme l’a indiqué M. Jean Marimbert, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (69), de faire prendre en charge cette responsabilité par les laboratoires, tout en se rapprochant du régime de responsabilité défini à l’article L. 3131-3 du code de la santé publique, certes plus favorable aux fabricants, qui prévoit qu’en cas de menace sanitaire grave, ceux-ci ne puissent être tenus pour responsables des dommages résultant de l’utilisation d’un médicament en dehors des indications thérapeutiques ou des conditions normales d’utilisation prévues par son autorisation de mise sur le marché ou de son autorisation temporaire d’utilisation, ou bien celle d’un médicament ne faisant l’objet d’aucune de ces autorisations.

Il est en effet normal, dans les conditions exceptionnelles qui prévalaient, que les laboratoires cherchent à se prémunir contre l’engagement de leur responsabilité dans le cadre des opérations de vaccination et que cette responsabilité soit assumée par l’État, quand bien même les conditions de l’article L. 3131-3 du code de la santé publique n’étaient pas réunies au moment de la signature des contrats (70). Il n’en demeure pas moins qu’il était essentiel de faire assumer aux industriels leurs obligations sur la sécurité intrinsèque de leurs produits. L’absence d’une telle clause n’aurait d’ailleurs fait qu’alimenter les soupçons sur la qualité des vaccins.

C’est la raison pour laquelle, à l’initiative de la France, l’ensemble des États membres de l’Union européenne ont opposé un refus commun à l’introduction d’une clause d’irresponsabilité des laboratoires du fait d’éventuels produits défectueux, comme l’a indiqué M. Didier Houssin, directeur général de la santé, à la commission d’enquête (71) : cette coordination des États a sans aucun doute pesé dans la balance et explique certainement que les laboratoires y aient finalement renoncé. Si la France était restée isolée, elle n’aurait peut-être pas réussi à obtenir gain de cause sur ce point ; néanmoins le partage des responsabilités finalement acquis n’a pas été compris par l’opinion.

● La question des délais de livraison des vaccins

Lors de la réunion interministérielle du 20 mai 2009, un premier calendrier prévisionnel des livraisons des différents vaccins a été présenté par le directeur général de la santé : celles-ci devaient être échelonnées entre octobre et décembre, sauf pour le vaccin Celvapan sans adjuvant et sur culture cellulaire, pour lequel la commande très marginale, devait pouvoir être honorée dès le mois de septembre. En tout état de cause, à cette date, il était clair que le lancement de la campagne de vaccination ne pouvait être opéré avant la fin du mois d’octobre, sous la condition supplémentaire que les vaccins aient bien obtenu à cette date leur autorisation de mise sur le marché.

Il apparaît donc clairement que les conditions, notamment financières, des négociations, étaient largement tributaires des possibilités d’obtenir les vaccins à temps pour qu’une campagne de vaccination puisse être menée avant la fin du pic pandémique – puisqu’il était déjà établi que ceux-ci ne seraient pas disponibles avant la propagation du virus dans l’hémisphère Nord.

Les échéanciers de livraisons, purement indicatifs, figurant dans les contrats conclus avec les fabricants, sont récapitulés dans le tableau suivant.

Calendrier prévisionnel de livraison des vaccins

(En nombre de doses)

Vaccins

Total des commandes (nombre de doses)

Hypothèses de rendement de la souche

Août

Septembre / Octobre

Octobre / Novembre

Novembre / Décembre

Décembre / Janvier

Janvier / Février

Février/ Mars

Mars / Avril

Celvapan
(Baxter)

50 000

 

12 000

38 000

 

Pandemrix (GlaxoSmithKine)

50 000 000

22,5 µg

 

4 934 000

5 434 000

5 434 000

5 434 000

5 434 000

5 434 000

17 896 000

34 µg

 

7 651 000

8 151 000

8 151 000

8 151 000

17 896 000

 

45 µg

 

10 368 000

10 868 000

10 868 000

17 896 000

 
       

Septembre

Octobre

Novembre

Décembre

Janvier

 

Focetria
(Novartis)

Tranche ferme : 16 000 000

Hypothèse 1 : ≈30 %

   

1 500 000

2 500 000

4 500 000

1 000 000 à 2 000 000 par mois

 

Hypothèse 2 : ≈60 %

   

3 000 000

6 000 000

10 000 000

2 000 000 à 3 000 000 par mois

 

Hypothèse 3 : ≈100 %

   

5 000 000

10 000 000

16 000 000

 

Panenza
(Sanofi Pasteur)

Tranche ferme : 28 000 000

 

Semaine 49 : 10 000 000

 

Source : contrats conclus avec les quatre laboratoires.

S’agissant des livraisons effectives, on constate que le retard accusé par rapport aux prévisions initiales est mineur, au moins pour les premières. En revanche, elles ont été finalement plus échelonnées que prévu, le calendrier des livraisons s’étant poursuivi jusqu’après la mi-février 2010 pour deux des quatre laboratoires.

Étalement effectif des livraisons

(En nombre de doses)

 

GSK (Pandemrix)

Sanofi (Panenza)

Novartis (Focetria)

Baxter (Celvapan)

Semaines

Multidoses

Multidoses

Monodoses

Multidoses

Monodoses boîtes de 10

Monodoses boîtes de 1

Multidoses

41 (2009)

1 072 000

           

42

574 000

           

43

1 315 500

           

44

1 243 500

           

45

             

46

1 438 000

1 100 000

300 000

603 200

249 820

203 362

12 000

47

285 500

   

1 181 700

1 003 590

   

48

1 676 500

     

529 440

   

49

2 207 500

3 300 000

   

871 720

190 851

 

50

1 052 500

   

1 197 100

661 130

463 819

38 000

51

 

4 607 700

   

447 320

   

52

734 000

1 717 400

   

413 710

   

53

739 000

3 354 200

   

396 510

   

01 (2010)

635 000

   

201 700

455 570

   

02

502 500

           

03

439 500

           

04

934 500

           

05

             

06

1 660 50

1 777 100

         

07

1 490 500

845 300

         

Total des doses

18 000 500

16 701 700

300 000

3 183 700

5 028 810

858 032

50 000

Total du fabricant

18 000 500

16 701 700

9 070 542

50 000

Source : Établissement public de réponse aux urgences sanitaires.

● La question du conditionnement des vaccins

Un autre élément qui, à l’évidence, a joué un rôle non négligeable dans la fixation du prix des vaccins et a constitué un critère que l’État se devait de prendre en compte pour fixer les modalités d’organisation de la campagne de vaccination, a été constitué par les conditionnements. En effet, la plus grande partie des commandes effectuées portait sur une présentation des vaccins en flacons multidoses : le vaccin Pandemix du laboratoire GlaxoSmithKline était présenté en boîtes de 50 flacons de 10 doses d’antigène accompagnés de 25 flacons d’adjuvant, le vaccin Celvapan de Baxter en boîte de 20 flacons de 10 doses et les vaccins Focetria de Novartis et Panenza de Sanofi Pasteur en boîtes de 10 flacons de 10 doses.

Toutefois, ces deux derniers laboratoires ont également mis à disposition des seringues préremplies en monodose en boîtes de dix ou d’une seringue. Il est vrai que le contrat avec le laboratoire Novartis, précisait qu’une partie de sa production serait livrée en monodoses dans la limite de 10 % de la commande. Ce sont finalement près de 5,9 millions de vaccins qui ont été acheminés sous cette forme sur un total d’un peu plus de 9 millions de doses de vaccins finalement livrées. Cette proportion plus importante de conditionnement en monodose correspond à une demande de l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires, notifiée le 13 octobre par un avenant au contrat, que le laboratoire s’est efforcé de satisfaire, comme l’a indiqué M. Alexandre Sudarskis, directeur général de Novartis vaccins et diagnostics, à la commission d’enquête (72).

Cette question du conditionnement est apparue essentielle à la commission d’enquête : elle est en effet à mettre en relation avec les modalités d’organisation de la campagne et la mise en place de centres de vaccination dédiés, dans la mesure où le conditionnement de l’essentiel des vaccins en flacons multidoses fut l’une des raisons avancées pour justifier le choix d’un schéma de vaccination collective. La commission s’est en particulier interrogée sur la date de disponibilité des vaccins monodoses mentionnées ci-dessus : à la fin du mois de novembre, près de 2,3 millions de monodoses étaient disponibles, les 7 millions supplémentaires finalement livrés l’ayant été au cours du mois de décembre. Aurait-on, dès lors, pu envisager une filière de vaccination parallèle, en particulier auprès des médecins généralistes, le cas échéant limitée à certaines catégories de population ? Si une telle hypothèse est théoriquement séduisante a posteriori, elle semblait en tout état de cause difficile à envisager dans la pratique, à partir du moment où l’organisation logistique de la campagne, à travers les centres de vaccination, était d’ores et déjà achevée à la mi-novembre. Un basculement, même restreint, sur de nouvelles modalités de vaccination, ne serait pas apparu cohérent : difficile à organiser en un temps très limité, il aurait eu pour effet de brouiller le dispositif mis en place.

Pour l’avenir, la commission ne peut pourtant que préconiser l’acquisition, autant que faire se peut, de vaccins en conditionnement séparé, et cela, afin de disposer d’une souplesse supplémentaire pour l’organisation de la vaccination. En l’occurrence, les laboratoires entendus par la commission d’enquête ont été unanimes pour reconnaître que les délais impartis pour la fabrication des vaccins contre le virus A(H1N1) ne permettaient pas d’envisager une production qui aurait été totalement ou même majoritairement conditionnée en monodoses : un tel choix aurait en effet reporté la livraison des vaccins à 2010.

2. D’autres options qui auraient été envisageables

Au-delà des contraintes identifiées, d’autres options auraient-elles pu être envisagées ? Ne fallait-il pas ab initio se fixer un objectif de couverture vaccinale moins important ? Et de façon concomitante, ne fallait-il pas procéder à des commandes plus modestes, quitte à en revoir le niveau au regard de l’évolution de la pandémie et du souhait de vaccination des Français ? L’enjeu de ce questionnement est à l’évidence celui de l’adaptabilité des mesures prises par les pouvoirs publics.

a) Un objectif plus souple en termes de couverture vaccinale

La question est double : il s’agit de savoir si une stratégie vaccinale ciblée pouvait être arrêtée dès le départ et, le cas échéant, si un revirement vers une couverture vaccinale plus modeste pouvait être opéré au cours du processus de décision.

● Fallait-il se fixer un objectif plus modeste de couverture vaccinale ?

Selon les avis des experts entendus par la commission d’enquête, une stratégie de vaccination barrière suppose l’immunisation de 30 % de la population (73), ce qui permet d’enrayer la propagation exponentielle d’une épidémie ou d’une pandémie. Ce modèle n’a toutefois jamais été éprouvé dans les faits : aucun pays n’a en réalité jamais appliqué une telle stratégie de vaccination. Pour autant, aucun modèle mathématique n’évoque non plus la nécessité de vacciner la totalité de la population. La stratégie systématiquement retenue est celle du ciblage des populations à risques.

C’est la fixation de telles priorités qui a été demandé au Haut conseil de la santé publique : dans son avis du 7 septembre 2009, celui-ci a ainsi défini un ordre de priorité pour la vaccination en raison des délais de mise à disposition des vaccins :

Avis du Haut conseil de la santé publique du 7 septembre 2009 :
recommandations sur les priorités sanitaires d’utilisation des vaccins pandémiques dirigés contre le virus A(H1N1)v

(extraits)

Il est recommandé de vacciner :

• en priorité, les personnels de santé, médico-sociaux et de secours, en commençant par ceux qui sont amenés à être en contact fréquent et étroit avec des malades grippés ou porteurs de facteurs de risque.

L’objectif est de protéger le système de prise en charge des malades. Une morbidité importante liée à la pandémie chez ces personnels mettrait en péril la capacité des services de santé et de secours à s’occuper des patients atteints de grippe et d’autres affections engageant le pronostic vital. En outre, ces personnels s’ils sont infectés, pourraient transmettre le virus à d’autres patients vulnérables et être à l’origine de flambées nosocomiales. Il est nécessaire que les services de santé puissent continuer à fonctionner au fur et à mesure du déroulement de la pandémie.

• Et par ordre de priorité, les groupes de population détaillés dans le tableau suivant :

Groupes de population

Priorité

Objectifs

Femmes enceintes à partir du début du 2ème trimestre

1

Réduire le risque de formes graves et de décès, surtout au cours des deuxième et troisième trimestres de la grossesse

Entourage des nourrissons de moins de 6 mois (c’est-à-dire parents, fratrie et, le cas échéant, l’adulte en charge de la garde de l’enfant incluant le personnel de la petite enfance en charge de ces nourrissons : stratégie de « cocooning »)

1

Réduire le risque de formes graves et de décès chez les nourrissons de moins de six mois qui ne peuvent pas être vaccinés

Nourrissons âgés de 6 à 23 mois avec facteur de risque

1

Réduire le risque de formes graves et de décès. Ce groupe comprend des nourrissons atteints de pathologies chroniques sévères

Sujets âgés de 2 à 64 ans avec facteur de risque

2

Réduire le risque de formes graves et de décès. Ce groupe comprend des personnes atteintes de pathologies chroniques sévères

Nourrissons âgés de 6 à 23 mois sans facteur de risque

3

Réduire la transmission et le risque de formes graves et de décès

Sujets âgés de 65 ans et plus avec facteur de risque

3

Réduire le risque de formes graves et de décès

Sujets âgés de 2 à 18 ans sans facteur de risque

4

Réduire la transmission

Sujets âgés de 19 ans et plus sans facteur de risque

5

Réduire le risque de formes graves et de décès

* Cette priorité pourra être revue si une absence de sur-risque de décès chez les nourrissons de moins de six mois sans co-morbidité se confirme.

** En fonction des circonstances épidémiologiques et de la disponibilité des vaccins pandémiques (si l’objectif est de contribuer à freiner la dynamique épidémique), ce groupe est susceptible d’être considéré avec un ordre de priorité plus élevé.

Ces ordres de priorité ont d’ailleurs été très légèrement revus le 2 octobre 2009 par le haut conseil au regard des nouvelles données épidémiologiques et des décisions de l’Agence européenne du médicament.

Toutefois, comme l’a indiqué le professeur Antoine Flahault, directeur de l’école des hautes études en santé publique, concernant le ciblage des populations à risque, « bien que systématiquement utilisée, cette dernière stratégie n’a jamais été évaluée correctement » (74). Des études très controversées sur son efficacité ont d’ailleurs été menées aux États-Unis : la réduction de 50 % de la mortalité des personnes âgées grâce à la vaccination contre la grippe saisonnière n’a jamais été observée statistiquement pendant les vagues épidémiques.

Au total, aucune stratégie de vaccination ne peut a priori être privilégiée plutôt qu’une autre : les données scientifiques sont à cet égard insuffisantes. Il convient impérativement de pallier cette carence pour l’avenir, afin de disposer d’une meilleure capacité d’opérer des choix de santé publique en cas d’apparition d’un nouveau virus pandémique.

Proposition n° 3 : Mettre en place des études épidémiologiques, par un suivi statistique ou de cohortes, lors de toute future campagne de vaccination.

La généralisation d’un suivi épidémiologique à l’occasion des campagnes de vaccination doit se doubler, en aval, d’un même suivi en matière de pharmacovigilance à moyen et long terme. En effet, comme tout médicament, un vaccin entraîne des effets secondaires dont il faut pouvoir mesurer l’ampleur et la gravité.

Compte tenu de l’envergure de la campagne de vaccination contre le virus A(H1N1) sur une période très réduite, un dispositif renforcé de surveillance des effets indésirables de l’utilisation des vaccins a d’ailleurs été mis en place par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé dès le mois d’octobre 2009 : ce dispositif permet, outre le signalement par les professionnels de santé, à tout patient de déclarer directement un éventuel effet indésirable.

Dans le cas du virus A(H1N1), le processus de décision a donc bien pris en compte une stratégie de ciblage des populations à risque, mais en la retenant comme un objectif de priorité de l’accès au vaccin, à l’intérieur d’une stratégie plus globale de vaccination de 75 % de la population. La question de savoir s’il convenait de retenir cet objectif initial a quant à elle déjà été discutée.

● Fallait-il commander d’emblée l’ensemble des vaccins ?

Les raisons qui ont conduit les pouvoirs publics à retenir l’objectif d’une couverture de 75 % de la population ont déjà été évoqués : il s’agissait de se mettre en mesure de proposer la vaccination à l’ensemble de la population, et ce choix ne peut fondamentalement être contesté dans le contexte où il a été fait. S’il est irrémédiable au regard du coût d’acquisition des vaccins, ce choix n’est pourtant pas en soi intangible et définitif : il était en effet tout à fait envisageable de prévoir une vaccination massive de la population, et au regard des données épidémiologiques progressivement disponibles, de revoir la cible de vaccination.

Ainsi, l’ordre de priorité recommandé par le Haut conseil de la santé publique aurait-il pu être mis à profit à l’automne par les pouvoirs publics, lorsque des éléments rassurants sur la virulence du virus sont devenus plus tangibles, pour proposer la vaccination à ces publics, tout en rappelant que l’élargissement de la vaccination à l’ensemble de la population restait possible, puisque l’on disposait de vaccins en quantité suffisamment importante.

Le problème qui est ici posé est celui de la réversibilité des décisions politiques et de ses conséquences. Le choix d’un revirement aurait théoriquement tout à fait pu être opéré : il supposait néanmoins de revenir sur le déploiement logistique et l’organisation territoriale qui avaient été privilégiés, avec la mise en place des centres de vaccination dédiés. Le double pilotage du ministère de l’intérieur et du ministère de la santé n’aurait certainement pas facilité une telle remise en cause d’un dispositif déjà largement opérationnel. Mais plus encore, comme l’a indiqué M. Claude Le Pen, professeur de sciences économiques à l’université Paris-Dauphine : « Quant à changer de politique en cours de route, c’est très difficile. La tentation d’un gouvernement est de rester droit dans ses bottes, de peur de troubler davantage l’opinion publique en changeant de politique ».

b) Des contrats plus facilement modulables

Le problème de la révision, en cours de route, de la stratégie vaccinale ne règle pas celui, essentiel, du coût de l’opération pour les finances publiques. En effet, une fois que les vaccins étaient commandés et les contrats signés, l’engagement financier était réalisé, et la révision à la baisse du coût de l’acquisition des vaccins n’a pu être effectuée que par le biais d’une part des reventes de doses – qui ont été très marginales, puisqu’elles ont concerné 380 000 doses au total – et, d’autre part, par la résiliation unilatérale d’une partie des commandes non livrées, à hauteur de 50 millions de doses. L’indemnisation des industriels, par laquelle passe cette résiliation, est, comme on l’a vu, elle-même coûteuse : elle ne correspond pas à une pure et simple annulation sans frais.

Dès lors, il semble essentiel de revoir la politique de contractualisation de l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires pour l’acquisition de traitements, de produits de santé et de matériels.

L’article 72 (75) du code des marchés publics prévoit déjà la possibilité de passer des marchés à tranches conditionnelles, et cette procédure est largement utilisée pour les produits de santé, dispositifs médicaux et matériels gérés par l’établissement au sein de ce que l’on appelle le « stock national santé » : rappelons que deux des quatre contrats portant sur l’acquisition de vaccins contre le virus A(H1N1) ont consisté dans des avenants portant affermissement de tranches conditionnelles de marchés conclus préalablement, en 2005. Ces avenants ont d’ailleurs prévu de nouvelles tranches conditionnelles, pour l’acquisition éventuelle de 36 millions de doses supplémentaires, ce qui aurait porté le total des commandes à 140 millions de doses de vaccins.

L’enjeu est donc de déterminer si l’établissement aurait pu revoir à la baisse le niveau des tranches qui ont été affermies avec Novartis et Sanofi Pasteur, et prévoir un niveau de commandes inférieur pour le nouveau contrat conclu avec GlaxoSmithKline, le dernier contrat, d’appoint, signé avec Baxter ne représentant qu’un très faible volume de traitements. Une telle méthode aurait permis d’éviter le coût lié à la résiliation unilatérale des trois contrats – 48,5 millions d’euros – sans compter les honoraires d’avocats qu’elle a impliqués, à hauteur de 300 000 euros pour l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires.

Si une telle option apparaît raisonnable et doit évidemment être recommandée, le contexte dans lequel les négociations ont été menées n’a pas permis à la France de procéder à de telles commandes graduées. En effet, alors qu’elle ne disposait pas d’un contrat de préréservation avec le laboratoire GlaxoSmithKline, ce dernier a clairement refusé de s’engager à produire 50 millions de doses de vaccins en l’absence d’un engagement ferme de l’État : c’est ce qui ressort tant du compte rendu de la réunion interministérielle du 11 mai 2009 que des auditions des industriels menées par la commission d’enquête (76). Un même refus a été opposé par Novartis concernant la première tranche qui a finalement été affermie à hauteur de 16 millions de doses. Autrement dit, soit la France souhaitait acquérir une quantité importante de vaccins pour pouvoir être en mesure de proposer la vaccination à l’ensemble de la population et alors elle ne pouvait envisager de procéder à des commandes modulables ou révisables, soit son engagement ferme portait sur de moindres quantités, et elle n’était alors pas assurée de pouvoir procéder à des commandes complémentaires en cas de besoin, les trois laboratoires concernés lui ayant fait savoir que dans cette hypothèse, les livraisons ne pourraient être effectuées avant 2010. Rappelons que Sanofi Pasteur a produit des vaccins contre le virus A(H1N1) pour vingt-deux pays au total, et que GlaxoSmithKline a été sollicité par une très grande partie des pays acquéreurs de vaccins et a approvisionné, outre la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et les États-Unis.

Proposition n° 4 : Favoriser le recours aux marchés à tranches conditionnelles dans toute situation de crise sanitaire et, en particulier, pour l’acquisition des produits de santé et matériels destinés à alimenter le « stock national santé ».

Cette préconisation n’a cependant de sens que sous la condition que les États ne se trouvent pas dans un rapport de forces qui leur serait durablement défavorable face aux laboratoires. Or, de ce point de vue, on constate un manque de coordination évident entre les États, et en particulier au niveau européen. Chaque État s’est lancé, sans coordination avec aucun autre État, dans une « course au vaccin » : la commission d’enquête a ainsi établi que les pouvoirs publics français n’ont eu, à aucun stade de la négociation avec les industriels et jusqu’à la signature des contrats, une idée des prix pratiqués par les laboratoires vis-à-vis des autres pays ni des quantités commandées par ces derniers. Comme l’a d’ailleurs reconnu la ministre chargée de la santé, « le désordre européen dans le processus global de négociation a finalement coûté cher (77) ». La mise en place d’une stratégie d’achats mutualisée au niveau communautaire doit donc être plus que jamais recherchée : une approche commune d’acquisition de vaccins et d’antiviraux est d’ailleurs aujourd’hui étudiée par la Commission européenne, comme l’a indiqué M. John Ryan, chef de l’unité « Menaces sur la santé » au sein de la direction générale de la santé de la Commission européenne. Sans aller jusqu’à une commande consolidée qui pose clairement un problème financier aux États membres, un travail coordonné aurait, à l’avenir, l’avantage d’atténuer la position de force des laboratoires dans le contexte de déclenchement d’une éventuelle nouvelle pandémie.

Proposition n° 5 : Promouvoir, au niveau communautaire, une meilleure coordination entre les États membres en matière de gestion de crise sanitaire et la mise en place d’une stratégie mutualisée d’achats de vaccins.

Une dernière question peut toutefois être posée : ne fallait-il pas envisager une éventuelle renégociation des contrats avant la résiliation unilatérale décidée le 4 janvier ? En effet, après que le Haut conseil de la santé publique a entériné le passage à une injection unique pour la vaccination, c’est au début du mois de décembre que le ministère de la santé a semblé anticiper un excès de stocks de vaccins, et a ainsi commencé à envisager des scénarios alternatifs, comme celui de la cession d’une partie de ces vaccins. Les possibilités de revente de vaccins à d’autres États apparaissaient toutefois maigres, au regard de la situation sanitaire dans laquelle se trouvaient la plupart des pays, avec le constat d’une faible virulence du virus et le passage à une seule injection pour immuniser la population. Dès lors, seule l’annulation d’une partie des commandes s’offrait comme une issue sérieuse : le laboratoire Sanofi a d’ailleurs proposé spontanément au ministère la réduction de 9 millions de doses de la commande initiale vraisemblablement le 23 décembre 2009, comme l’a indiqué son directeur général délégué, M. Jacques Berger à la commission d’enquête (78). On peut dès lors émettre l’hypothèse qu’une résiliation plus précoce – tout au plus d’un mois – aurait permis de réduire le stock de vaccins non utilisés même si elle n’aurait en tout état de cause pas entraîné de gain financier considérable, dans la mesure où résiliation entraîne indemnisation des industriels. Une renégociation en bonne et due forme des contrats, permettant à l’État de renoncer, avec l’accord des laboratoires, à une partie des acquisitions, restait en tout cas, malheureusement, peu envisageable.

Une certaine souplesse des contrats, bien que très théorique en l’espèce, aurait donc permis de limiter le coût financier de l’opération : la principale leçon de l’expérience de la campagne de vaccination, sur le plan financier, reste celle de la nécessité de se ménager des marges de manœuvres, afin de pouvoir se réadapter plus facilement aux nouvelles connaissances et aux changements dans l’évolution de la pandémie. Pour reprendre les mots du directeur général de la santé, M. Didier Houssin devant la commission d’enquête (79), il convient de se donner les moyens de « débrayer », de « freiner » lorsque la situation l’exige. Telle est bien d’ailleurs la seconde dimension du principe de précaution tel qu’inscrit dans la Charte de l’environnement de 2004 (80), celle d’une réponse graduée : comme l’a indiqué M. Didier Tabuteau devant la commission d’enquête (81), « la réévaluation permanente des décisions est une nécessité et cette capacité de se remettre en cause à mesure qu’évoluent les connaissances est la meilleure manière d’appliquer l’obligation de précaution ».

Une telle riposte graduée est d’ailleurs tout aussi impérative sur le plan de l’organisation de la réponse à la crise sanitaire, en l’occurrence l’organisation de la campagne de vaccination.

III.- UNE CAMPAGNE DE VACCINATION VOLONTARISTE
MAIS D’UNE APPLICATION TROP RIGIDE

Les pouvoirs publics ont voulu apporter une réponse ambitieuse et volontariste à la pandémie en proposant une vaccination massive. Ils se sont pour cela appuyés sur un dispositif déjà préparé et dédié à la lutte contre les menaces sanitaires graves et notamment la grippe aviaire A(H5N1). Mais, sur certains points, celui-ci s’est révélé inadapté pour contrer une pandémie de moindre sévérité.

En outre, le choix de procéder à une vaccination collective a conduit à mettre en place un système de vaccination reposant sur des centres ad hoc faisant l’impasse sur la médecine ambulatoire. Ce choix a pu être contesté et s’est révélé parfois d’une application délicate sur le terrain. Surtout, il n’a pas permis de remporter le défi d’une couverture vaccinale importante de la population.

A. UN DISPOSITIF MÛREMENT RÉFLÉCHI POUR DES MENACES SANITAIRES GRAVES

Les outils disponibles pour lutter contre une pandémie grippale, tant au niveau international que national, sont tous issus de la volonté de répondre à des menaces particulièrement graves. Au vu de l’expérience, la question de leur adéquation à la gestion d’une pandémie de moindre sévérité mérite aujourd’hui d’être posée.

1. Un plan de lutte contre la pandémie issu des dispositifs de lutte contre la grippe aviaire A(H5N1)

La France est un des pays les mieux armés pour faire face à un risque de pandémie grippale grave grâce à son plan de prévention et de lutte spécifiquement dédié à cette menace. Celui-ci est étroitement lié au plan mondial de préparation à une pandémie de grippe de l’Organisation mondiale de la santé, lui-même conçu en lien avec le règlement sanitaire international.

a) Le règlement sanitaire international, instrument juridique contraignant mais indispensable

● Le règlement sanitaire international, un cadre de référence essentiel

Le règlement sanitaire international a été adopté par l’Assemblée mondiale de la santé en 2005 et est entré en vigueur le 15 juin 2007. Juridiquement contraignant pour les cent quatre-vingt-quatorze États parties, il prévoit plusieurs étapes dans l’action des pouvoirs publics en cas de menace pandémique. En particulier, son article 6 impose aux États de notifier à l’Organisation mondiale de la santé, « dans les vingt-quatre heures », « tout évènement (…) pouvant constituer une urgence de santé publique de portée internationale (82) ». Cette obligation concerne en particulier les cas de « grippe humaine causée par un nouveau sous-type ».

Le directeur général de l’organisation doit alors déterminer si l’événement en cause constitue effectivement une urgence de santé publique de portée internationale. Il décide également, en application du plan mondial de préparation à une pandémie de grippe, des phases de pandémie mondiale, le niveau 6 correspondant à la phase d’alerte maximale. Rappelons que l’organisation n’a en aucune façon le caractère de gouvernement sanitaire mondial et n’impose donc pas aux États de prendre des mesures spécifiques : elle émet simplement des recommandations valables pour tous les pays, ceux disposant de systèmes de santé publique éprouvés comme ceux qui en sont dépourvus et pour lesquels un niveau d’alerte élevé implique par exemple plus d’actions publiques. La déclaration de la phase de pandémie n’emporte pas d’obligation pour les États mais constitue un cadre de référence essentiel pour qu’ils puissent coordonner leurs actions afin de faire face à la crise sanitaire.

Par ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé joue un rôle fondamental en cas de pandémie émergente puisque c’est elle qui choisit la souche devant être utilisée pour les vaccins pandémiques, la met à disposition gratuitement auprès des laboratoires pharmaceutiques et annonce si elle recommande de passer ou non de la production de vaccins saisonniers à celle de vaccins pandémiques.

● Un règlement à faire évoluer sur certains points

En application des lignes directrices révisant le plan mondial de préparation à une pandémie de grippe du mois d’avril 2009, et conformément au règlement sanitaire international, « dès que possible, l’OMS fournira une évaluation de la gravité de la pandémie », évaluation qui doit être menée au moyen d’une graduation en trois points (bénigne, modérée, grave).

Cette phrase est loin d’être anodine, car de nombreuses critiques ont été émises quant à la définition même de la pandémie par l’organisation, qui aurait été expurgée de toute notion de gravité lors de la révision du plan mondial. Cette interprétation est contestée par l’organisation qui fait valoir que ces éléments figuraient dans des documents annexes.

Il est en l’état difficile de trancher sur la question de savoir si la gravité a, un jour, constitué un critère de définition de la pandémie, d’autant plus que la commission d’enquête n’a pu auditionner de représentant de l’organisation pour être éclairée, comme votre rapporteur l’a indiqué ; ce qui importe est de constater qu’en application du nouveau plan mondial, la déclaration de pandémie est indépendante de la sévérité constatée de la maladie et qu’elle repose essentiellement sur les critères de contagiosité du virus et de sa diffusion géographique. Ce n’est qu’en addition de la déclaration de pandémie que l’organisation en évalue la gravité, et c’est d’ailleurs ce qu’elle a fait pour la grippe A(H1N1), la qualifiant de « modérée » dès le 11 juin 2009.

La question est aujourd’hui la suivante : face à une pandémie dont on estime qu’elle est probablement peu sévère, est-il pertinent de recourir à « l’artillerie lourde », à savoir le passage et le maintien, au niveau international, au niveau d’alerte 6 ? De l’avis de tous les intervenants auprès de la commission d’enquête, la réponse est négative. Il convient donc de revoir la définition de la pandémie et cette approche est d’ailleurs partagée au niveau européen, comme l’a souligné M. John Ryan, chef de l’unité « Menaces sur la santé » au sein de la direction générale de la santé de la Commission européenne (83), qui a en outre insisté sur la nécessité d’une approche concordante de cette question par l’Union européenne et l’Organisation mondiale de la santé.

Proposition n° 6 : Œuvrer pour que les États membres adoptent une position commune, appuyée par la Commission européenne, afin de demander à l’Organisation mondiale de la santé une révision de la définition de la pandémie intégrant un critère de gravité.

b) Au plan national, un arsenal prévu pour des menaces sanitaires graves

La France dispose de plusieurs instruments pour faire face à une pandémie : ceux prévus par la loi n° 2007-294 du 5 mars 2007 relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur et le plan national de prévention et de lutte contre la pandémie grippale.

● La loi de 2007 : des moyens humains et logistiques au fonctionnement satisfaisant mais à renforcer

La loi du 5 mars 2007 précitée a constitué une étape importante pour doter la France de moyens opérationnels de gestion des pandémies. Elle a en particulier créé l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, qui a joué un rôle essentiel dans la campagne de vaccination : il lui revient en effet, à la demande du ministre chargé de la santé, d’acquérir, fabriquer, importer, distribuer et exporter des produits et services nécessaires en cas de crise sanitaire.

Il a donc connu, avec la grippe A(H1N1), son « baptême du feu », pour reprendre les termes de M. Thierry Coudert (84), son directeur, puisqu’il a dû acquérir les vaccins et articles consommables, prendre en charge les vaccins fournis par les fabricants et concevoir un dispositif logistique pour les stocker et les distribuer. L’établissement a également procédé aux modifications unilatérales de contrat demandées par la ministre chargée de la santé.

Quel bilan tirer de son action ?

Nous ne reviendrons sur la question de la négociation des contrats, largement évoquée plus haut et dont on a vu le peu de marges de manœuvre qu’elle présentait, que pour souligner deux points. En premier lieu, l’établissement était relativement contraint puisque, comme l’a rapporté son directeur à la commission d’enquête (85), les premières discussions avec les fabricants de vaccins avaient été menées par le ministère de la santé et des sports afin de déterminer leur capacité à répondre aux besoins français dans des délais et conditions satisfaisants. Des lettres d’intention non contractuelles avaient été adressées aux laboratoires sans que l’établissement n’ait participé à cette étape.

N’aurait-il pas été préférable d’associer, dès le départ, l’établissement aux décisions prises par son autorité de tutelle afin qu’il ne soit pas simplement « mis devant le fait accompli » ? Sans remettre en question la primauté qui doit évidemment revenir à la décision politique, on peut penser que l’efficacité de l’action de l’établissement passe aussi par sa participation, dès le début de la crise, aux négociations, y compris non contractuelles, ne serait-ce que pour l’affirmer pour la suite des négociations comme interlocuteur naturel des fabricants de vaccins et faciliter son action ultérieure.

En second lieu, il est regrettable que cet établissement n’ait manifestement pas disposé des ressources et compétences nécessaires pour mener les négociations. En effet, ainsi que l’a rapporté M. Thierry Coudert à la commission d’enquête (1), il a fallu recourir aux services M. Noël Renaudin, président du Comité économique des produits de santé et spécialiste en matière de fixation des prix des médicaments afin qu’il fournisse des éléments de comparaison internationale sur le prix des vaccins. Une telle situation n’est pas satisfaisante : la structure chargée de négocier des commandes doit pouvoir compter sur ses propres compétences pour mener efficacement sa mission.

Au-delà de ces observations, on peut relever un réel motif de satisfaction : pour ce test « en grandeur nature », l’établissement s’est globalement bien acquitté de ses missions logistiques comme l’ont constaté plusieurs personnes auditionnées par la commission. Sa qualification d’établissement pharmaceutique a, à cet égard, constitué un réel atout.

Mandaté pour délivrer les vaccins, l’établissement s’est acquitté de cette tâche avec efficacité, même si, ici ou là, quelques dysfonctionnements ont pu être observés qui ont nécessité des ajustements mineurs : par exemple, des centres de vaccination ont été bien pourvus en vaccins mais pas en articles consommables, ou bien quelques tensions résiduelles liées à de légers retards dans les livraisons se sont fait jour. Cette réactivité logistique doit être saluée : n’oublions pas que c’était la première fois que l’établissement devait faire face à une opération d’une telle envergure. Il a su faire la preuve de son utilité dans des situations de crise sanitaire.

Proposition n° 7 : Renforcer le rôle de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires en l’associant en amont à la prise de contact avec les laboratoires et aux prénégociations.

Proposition n° 8 : Renforcer les moyens de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires en matière d’expertise du prix des produits de santé afin d’accroître son efficacité dans les négociations.

● Le plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale, un dispositif à assouplir et préciser

L’élaboration de ce plan avait été confiée au secrétariat général de la défense nationale (86) en raison de son caractère interministériel. Arrêté au mois d’octobre 2004, il a depuis été révisé quatre fois et la pandémie de grippe A(H1N1) a donné lieu à l’application de sa dernière version, en date du 20 février 2009.

La France a été l’un des tous premiers États à se doter d’un tel instrument, mais ce choix a été partagé par un grand nombre d’autres pays. L’Organisation mondiale de la santé recense ainsi plus de trente plans nationaux sur divers continents : en Asie, sur le continent américain, en Europe, en Océanie ou en Afrique. La qualité du plan français a cependant été soulignée par de nombreuses instances : il a ainsi bénéficié d’une appréciation très positive de la London school of hygiene and tropical medicine, et son évaluation par la Commission européenne et le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies a permis de souligner l’atout que constitue son caractère intersectoriel.

Sa toute première application a néanmoins permis de constater qu’il n’était pas exempt de quelques défauts et qu’en particulier, il était peu adapté à la gestion d’une pandémie de gravité modérée. Ce plan serait-il alors la première victime de la pandémie de grippe A(H1N1) ?

Certes, selon M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (87), « contrairement à ce que l’on entend parfois, il ne s’agit pas d’une mécanique implacable mais d’un instrument très flexible », d’une « boîte à outils » comme l’a appelé M. Didier Houssin, directeur général de la santé lors de sa seconde audition (88). D’ailleurs, les pouvoirs publics ont su adopter des mesures d’adaptation tout au long de la gestion de la pandémie, comme l’a souligné Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports (89).

Mesures d’adaptation prises tout au long de la gestion de la pandémie

Source : Ministère de la santé et des sports.

Toutefois, l’affirmation de la flexibilité du plan mérite d’être nuancée. Il a indiscutablement été une « boîte à outils » très précieuse en période prépandémique. Son caractère intersectoriel a sans doute permis d’élaborer au début de la crise une stratégie d’endiguement tant dans le domaine des transports qu’en milieu scolaire, et a également permis aux administrations, grandes entreprises et collectivités de se mettre en ordre de bataille en cas de pic pandémique grave, en élaborant des plans de continuité d’activité.

Mais l’étroite corrélation des situations définies par le plan français avec les phases d’alerte déclarées par l’Organisation mondiale de la santé, dont on a vu que leur définition devrait être revue, n’a, à l’évidence, pas constitué un facteur de souplesse pour gérer la crise et les Français ont indéniablement perçu l’application du plan comme excessivement rigide malgré les adaptations dont elle a fait l’objet.

Phases de pandémie grippale définies par l’Organisation mondiale de la santé
et par le plan français de prévention et de lutte contre la pandémie grippale

Phases définies par l’Organisation mondiale de la santé

Situations du plan français

Période à transmission animale prédominante

Phase 1

Pas de nouveau virus grippal animal circulant chez l’homme.

Situation 1 : Pas de nouveau virus grippal animal circulant chez l’homme.

Phase 2

Un virus animal, connu pour avoir provoqué des infections chez l’homme, a été identifié sur des animaux sauvages et domestiques.

Situations 2 : Épizootie

– À l’étranger : situation 2A

– En France : situation 2B

Phase 3

Un virus animal ou hybride animal-humain provoque des infections sporadiques ou de petits foyers chez des humains, sans transmission interhumaine.

Situations 3 : Cas humains isolés

– À l’étranger : situation 3A

– En France : situation 4B

Période d’alerte pandémique (pré-pandémique)

Phase 4

Transmission interhumaine efficace.

Situations 4 : Début de transmission interhumaine efficace

– À l’étranger : situation 4A

– En France : situation 4B

Phase 5

Extension géographique de la transmission interhumaine d’un virus grippal animal ou hybride animal-humain.

Situations 5 : Extension géographique de la transmission interhumaine du virus :

– À l’étranger : situation 5A

– En France : situation 5B

Phase 6

Situation 6 : Pandémie

Fin de vague et fin de pandémie

Phases

Post-pic (fin de vague pandémique) : décroissance du nombre des cas dans la plupart des États. Possibilité d’une nouvelle vague pandémique.

Situation 7 : Fin de vague pandémique ou fin de pandémie.

Post-pandémique : le nombre de cas correspond à ceux d’une grippe saisonnière.

Source : Plan national de prévention et de lutte « Pandémie grippale », Secrétariat général de la défense nationale.

Comme on peut le constater, le plan français ne prévoit pas de réelle évaluation du risque en cas de pandémie. Il se borne à préciser que « si nécessaire, [les mesures] sont à adapter notamment en fonction des caractéristiques épidémiologiques du virus. »

L’argument qui consiste à dire que les pouvoirs publics ne sont pas tenus de mettre en œuvre toutes les mesures proposées peut être entendu. Cela a d’ailleurs été le cas puisque les plans de continuité d’activité, par exemple, n’ont pas été activés. Mais le plan doit être un guide efficace dans la conduite opérationnelle de la crise qui nécessite de réagir dans l’urgence. Cette tâche n’est pas aisée lorsqu’on dispose d’un catalogue exhaustif de mesures non graduées en fonction du critère de gravité de la pandémie. Ainsi, alors que le plan distingue les situations sanitaires de niveau 5B et de niveau 6, il les traite par la suite par une seule et même fiche d’aide à la décision. Ce choix, légitime pour une pandémie grave, semble moins opérationnel en cas de sévérité modérée.

Il ne s’agit pas d’alléger le plan, qui doit bien permettre de faire face à des situations sanitaires graves. En revanche, il doit désormais être adapté à la possibilité de survenance d’une pandémie grippale de sévérité modérée et présenter de manière claire les mesures pouvant être prises dans un tel cas de figure.

Par ailleurs, il ressort des auditions menées par la commission d’enquête que la déclinaison des instruments de la « boîte à outils » s’est révélée insuffisante pour faire face à la situation puisqu’il a fallu « inventer » les modalités d’une campagne de vaccination collective, ainsi que l’a rapporté M. Yann Jounot, directeur de la planification de sécurité nationale (90). Ce point a également été souligné par M. Didier Houssin, directeur général de la santé, qui a ainsi précisé que l’expertise était « peu développée » (91) concernant l’organisation concrète de la vaccination pandémique.

Or, c’est bien le rôle du plan que de proposer des solutions « clef en main » pour faciliter la gestion de la crise. Il convient donc de remédier rapidement à son insuffisance concernant les modalités de planification de campagnes de vaccination si nous voulons être correctement préparés à la survenue de pandémies qui pourraient être bien plus graves que celle que nous venons de connaître.

Proposition n° 9 : Adapter le plan français de prévention et de lutte contre la pandémie grippale afin d’y renforcer l’évaluation de la gravité du risque encouru et mieux identifier les catégories de mesures à prendre, non seulement par niveau d’alerte, mais aussi en fonction de la sévérité de la pandémie.

Proposition n° 10 : Préciser, dans le plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale, les modalités d’organisation d’une campagne de vaccination pandémique.

2. Un pilotage spécifique à la gestion de crise

Le pilotage de la gestion de crise a directement résulté de l’application du plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale. Caractérisé par une multiplicité d’intervenants, il peut sans doute être amélioré au vu de l’expérience de 2009.



Source : Espace social européen n° 907 – 18-24 septembre 2009.

a) Au niveau national, de multiples intervenants coordonnés par un cadre interministériel renforcé

● La prise des décisions stratégiques par le Premier ministre

Conformément au plan français, c’est au Premier ministre qu’il est revenu de définir la réponse politique et stratégique à la crise. Comme en font état les compte rendus des réunions interministérielles que les membres de la commission d’enquête ont pu consulter, c’est donc lui qui a décidé le passage à la situation 5B du plan, le transfert du pilotage de la crise du ministère de la santé vers le ministère de l’intérieur, ou, le 14 mai 2009, d’examiner la combinaison d’achats de vaccins permettant « d’assurer la couverture vaccinale de l’ensemble de la population française, par une ou deux injections selon les besoins médicaux » (92). C’est enfin le Premier ministre qui, le 3 juillet 2009, a donné son accord pour l’achat de 90 millions de doses et une stratégie de vaccination gratuite et non obligatoire, et approuvé, le 24 septembre 2009, l’ordre de priorité établi pour la campagne de vaccination.

● Une responsabilité du pilotage opérationnel confiée au ministère de l’intérieur avec la mise en place d’une cellule interministérielle de crise

Le plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale prévoit qu’à partir de la situation 3B, le ministre de l’intérieur met en place auprès de lui, s’il le juge nécessaire, une cellule interministérielle de crise à vocation décisionnelle.

Cette cellule, appuyée par le centre opérationnel de gestion interministériel des crises du ministère de l’intérieur, a donc été activée, pour la première fois, le 30 avril 2009. Elle a tenu quarante-trois réunions. Le relevé de ses décisions montre que le choix de recourir rapidement à un cadre interministériel resserré autour des principaux ministères intéressés a constitué un atout indéniable dans la gestion de la crise.

Cette structure a su se montrer efficace en assurant aux administrations concernées une information synthétique sur la situation sanitaire et les expertises réalisées. De ce fait, les décisions ont pu être rapidement prises et ont revêtu un véritable caractère opérationnel – sur la stratégie vaccinale, l’organisation des centres de vaccination ou encore les conditions de réquisition des personnels par exemple. La cellule a en outre permis d’assurer l’unicité du message délivré par les divers participants, ce qui est extrêmement important en situation de crise.

On peut néanmoins regretter, comme on le verra plus loin (93), que la composante de la cellule dédiée à la communication gouvernementale n’ait pas été plus directement associée à la prise de décision pour mieux tenir compte de l’état d’esprit de la population à l’égard de la campagne.

● Le rôle essentiel du pôle sanitaire parmi les autres intervenants

De nombreux départements ministériels étaient représentés au sein de la cellule interministérielle ; en particulier, le ministère de l’éducation nationale a été très actif pour préparer la campagne de vaccination dans les établissements d’enseignement. Mais le ministère de la santé a, indiscutablement, joué un rôle d’appui essentiel dans la gestion de la crise qui était avant tout une crise sanitaire : comme l’a indiqué Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports (94), son ministère a été largement associé à la préparation de la campagne, puis à son pilotage et à son suivi. En son sein, le département des urgences sanitaires a joué un rôle majeur en début de crise avant de « passer la main » au ministère de l’intérieur, ainsi que l’a exposé son chef M. Thierry Gentilhomme (95). Votre rapporteur a également eu l’occasion de constater que son centre opérationnel de réception et de régulation des urgences sanitaires et sociales a été fortement sollicité pour réceptionner les alertes sanitaires et tient à saluer son action qui a été essentielle.

● Quelle appréciation porter sur cette organisation ?

En tout début de crise, les incertitudes étaient telles sur le plan sanitaire, concernant non seulement la nature et la gravité du virus mais aussi la fiabilité des informations dont on dispose, qu’il était pertinent que le pilotage opérationnel soit assuré par le ministère de la santé et plus particulièrement le département des urgences sanitaires.

Ce choix semble donc satisfaisant, à une réserve près : il a manifestement été délicat pour le département des urgences sanitaires, lors de la première semaine de la crise, de donner des instructions aux préfets et aux autres administrations. Il a d’ailleurs jugé nécessaire, dès le 24 avril 2009, de disposer d’un officier de liaison de la sécurité civile pour être en réseau avec le ministère de l’intérieur. Cette solution pourrait utilement être retenue pour la gestion de prochaines pandémies.

En milieu de crise, le plan français prévoit une coordination assurée par le seul ministère de l’intérieur. En pratique, la composante sanitaire de la crise a conduit, par pragmatisme, à octroyer au ministère de la santé un rôle plus important que celui qui lui était initialement destiné, comme en ont témoigné, par exemple, les points de presse conjoints des ministres chargés de l’intérieur et de la santé. Ce choix, qui s’est imposé de lui-même, pourrait probablement être intégré dans le plan.

On peut en revanche s’interroger sur la pertinence de la présence, au sein de la cellule interministérielle de crise, de certains intervenants indirectement concernés, comme le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale dont le rôle a été très limité dans la gestion opérationnelle d’une crise qui, de toute évidence, ne menaçait pas la continuité des activités considérées comme vitales pour le pays.

Proposition n° 11 : Prévoir, dès le début d’une crise pandémique, une liaison formalisée et bien identifiée entre les services du ministère de la santé chargés de la gestion de la crise et le ministère de l’intérieur.

Proposition n° 12 : Privilégier une composition souple de la cellule interministérielle de crise en y reconnaissant le rôle essentiel d’appui du ministère de la santé en cas de crise sanitaire et en adaptant sa composition à la gravité de la pandémie.

b) Une expertise déterminante et abondante

L’ensemble des décisions politiques lors de la gestion de la pandémie ont été éclairées par d’abondants avis d’instances d’expertise. Ce point a pu être décrié par certains, aux motivations variées, qui ont jugé que les experts, dont ils ont contesté parfois les compétences ou l’indépendance, se sont ainsi substitués aux autorités décisionnaires.

Les auditions auxquelles a procédé la commission d’enquête ne permettent pourtant pas d’arriver à cette conclusion. Au contraire, il apparaît que les nombreuses instances consultatives auxquelles il a été fait appel ont été particulièrement soucieuses de ne pas empiéter sur le champ de la décision politique et ont cherché, avec rigueur et respect de la collégialité qui permet la confrontation des positions, à fournir aux pouvoirs publics les données scientifiques dont elles disposaient.

Pour sa part, le Gouvernement a multiplié les saisines afin d’être éclairé de manière aussi complète et transparente que possible par ces instances, de telle que sorte que les décisions prises puissent être régulièrement évaluées, ne soient jamais irréversibles et liées à l’avis d’un seul expert. Ainsi en a-t-il été par exemple de la décision de lancement de la campagne de vaccination, conforme à l’avis du Haut conseil de la santé publique du 2 octobre 2009 dans lequel celui-ci estimait que « la balance bénéfice/risque [était] en faveur du démarrage de la vaccination ».

La question qui se pose n’est pas celle de l’indépendance des scientifiques auxquels il a été fait appel – qu’on serait d’ailleurs bien en peine de remplacer par des personnalités de compétences équivalentes –, mais celle de la profusion de leurs avis, à des stades divers de la pandémie, et de l’articulation de ces expertises entre elles. À cet égard, plusieurs actions paraissent devoir être envisagées au vu de l’expérience de 2009 :

● Coordonner les actions de veille sanitaire

La surveillance sanitaire au plan national est exercée par de multiples acteurs, dont les principaux sont l’Institut de veille sanitaire, établissement public, le réseau Sentinelles, unité mixte de recherche de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, et les groupes régionaux d’observation de la grippe, constitués de médecins et pharmaciens. Ce réseau national est complété, au plan européen, par le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC), agence de l’Union européenne dont le siège est à Stockholm. Chacune de ces instances diffuse des bulletins de veille ; l’abondance d’informations et de leurs sources ainsi que le choix d’indicateurs divers et variés nuisent pourtant à la clarté du message délivré aux autorités sanitaires alors que celles-ci ont justement besoin, en situation de crise, d’un éclairage aussi univoque que possible.

Il semble indispensable de rationaliser cette organisation et des démarches en ce sens sont d’ailleurs en cours, avec la mise en place d’une définition harmonisée du syndrome grippal, comme l’a signalé à la commission d’enquête M. Thierry Blanchon, responsable adjoint du réseau Sentinelles (96).

Proposition n° 13 : Poursuivre l’effort de mise en œuvre d’un réseau unifié de surveillance épidémiologique à l’échelle européenne en mettant l’accent sur une définition commune du syndrome grippal, en lien avec le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies, et rapprocher les méthodes de surveillance pour disposer d’indicateurs précis, fiables et harmonisés.

● Rationaliser les rapports entre le Comité de lutte contre la grippe et le Haut conseil de la santé publique

Le Comité de lutte contre la grippe, dont l’intervention est expressément prévue par le plan de prévention et de lutte contre la pandémie, a joué un rôle essentiel tant pour évaluer la nature du virus en cause que pour émettre des hypothèses de préstratégie vaccinale. Ses travaux ont sans aucun doute été précieux aux instances décisionnaires. Mais quelle articulation entre ses interventions et les avis du Haut conseil de la santé publique, qui lui n’a été saisi qu’en « seconde main », selon les termes de M. Roger Salamon, président du collège (97), le 11 juin 2009, date de déclaration de la pandémie par l’Organisation mondiale de la santé ? Quel est le positionnement exact du Comité de lutte contre la grippe, instance de conseil créée par arrêté et placée auprès de la ministre chargée de la santé, par rapport au Haut conseil de la santé publique, certes créé par la loi, mais dont les membres sont également nommés par la même autorité et dont le comité a parfois constitué un groupe de travail ? Tout cela mérite d’être clarifié, d’autant que les avis du haut conseil sont publics, au contraire de ceux du comité.

Par ailleurs, on peut regretter que les pouvoirs publics aient saisi le haut conseil après l’engagement des négociations sur les commandes de vaccins. Ce point est évidemment à mettre en rapport avec l’observation précédente, puisque le Gouvernement bénéficiait déjà de l’expertise du Comité de lutte contre la grippe. Il semble donc aujourd’hui nécessaire de formaliser plus strictement les modalités d’intervention de cette instance afin de garantir une expertise approfondie et plurielle avant que ne soient prises les décisions.

● Renforcer le Haut conseil de la santé publique en créant en son sein une commission spécialisée sur les risques épidémiques

Le Haut conseil de la santé publique joue évidemment un rôle essentiel par ses avis en situation de pandémie, mais il ne dispose pas en son sein de structure permettant d’apprécier le risque épidémique dans ses aspects autres que médicaux. Or, comme le montre l’expérience, la gestion d’une crise pandémique suppose de prendre également en compte sa dimension sociétale et des contraintes logistiques et territoriales. Nous manquons d’une instance collégiale capable de conseiller les autorités sur l’ensemble de ces aspects.

Votre rapporteur suggère donc, en s’inspirant de sa proposition de loi visant à renforcer la coordination contre les risques épidémiques (98), de créer, au sein du haut conseil, une commission spécialisée sur les risques épidémiques qui permettrait, par ses travaux, de mieux coordonner l’action publique au niveau des zones de défense. Elle serait composée notamment de sociologues, de représentants des collectivités locales, de personnalités qualifiées dans le domaine de la gestion de crise et de médecins délégués dans les zones de défense, nommés par arrêté du ministre chargé de la santé. Elle contribuerait aux avis du haut conseil en leur apportant un éclairage plus opérationnel.

Proposition n° 14 : Intégrer le Comité de lutte contre la grippe dans le Haut conseil de la santé publique dont il pourrait constituer un groupe de travail, ce qui garantirait la publicité de ses travaux.

Proposition n° 15 : Prévoir une saisine précoce et systématique du Haut conseil de la santé publique en cas de risque pandémique.

Proposition n° 16 : Créer au sein du Haut conseil de la santé publique une commission spécialisée sur les risques épidémiques, à la composition plurielle, pour renforcer le caractère opérationnel des avis du haut conseil.

● Une intervention efficace des agences chargées de l’évaluation des vaccins

Comme on l’a vu plus haut, l’Agence européenne du médicament et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ont joué un rôle majeur en délivrant les autorisations de mise sur le marché des vaccins pandémiques. Elles ont accompli leurs missions avec diligence et efficacité, puisque le faible décalage entre la délivrance de ces autorisations et l’octroi d’autorisations par les autorités sanitaires américaines résulte d’une procédure d’examen des produits plus poussée, reposant sur des essais cliniques, qui a permis de s’assurer tant de l’efficacité des vaccins que de leur tolérance. L’agence française a par ailleurs mené un travail approfondi de pharmacovigilance en établissant, pour la première fois, un recueil des effets indésirables accessible non seulement aux professionnels de santé mais aussi aux particuliers.

La controverse qui est apparue s’agissant de la décision de passer de deux à une injection de vaccin n’a pas lieu d’être : comme cela a été expliqué à la commission d’enquête par M. Patrick Le Courtois, membre de l’Agence européenne du médicament (99), même si des données préliminaires semblaient montrer l’efficacité du vaccin avec une seule dose, « l’obsession » de l’agence a été de disposer d’essais définitifs pour la garantir. C’est donc la rigueur qui a prévalu, ce dont on doit se féliciter compte tenu du contexte d’urgence qui prévalait à l’époque.

c) Un pilotage territorial essentiellement assuré par le ministère de l’intérieur

En application du plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale, le ministère de l’intérieur a été le pivot de la mise en œuvre territoriale des consignes élaborées par la cellule interministérielle de crise. Les préfectures ont ainsi été chargées, en s’appuyant sur une équipe départementale comprenant notamment les services de santé déconcentrés, de définir les modalités matérielles de l’organisation de la vaccination – par un recensement des lieux de vaccination, la définition des ressources humaines nécessaires et la préaffectation des populations aux centres.

Cette mise en œuvre a donné lieu à une mobilisation remarquable du réseau des préfectures, dont l’engagement doit être salué. Mais la production de près de quarante circulaires interministérielles n’a pas empêché des situations parfois contrastées concernant l’organisation matérielle de la campagne de vaccination, comme l’a d’ailleurs reconnu M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales (100) : les disparités territoriales l’ont par moment emporté sur l’unicité du corps préfectoral, inégalement armé pour faire face à la pandémie.

La même observation peut être formulée s’agissant des directions des affaires sanitaires et sociales, qui avaient notamment pour mission de gérer les réquisitions de professionnels de santé et dont les interventions ont été diversement couronnées de succès. Les dysfonctionnements constatés sur ce point doivent donc constituer un enseignement pour les nouvelles agences régionales de santé qui ont remplacé les directions.

Il semble aujourd’hui nécessaire d’améliorer cette organisation en renforçant les prérogatives des préfets des sept zones de défense : ceux-ci sont en effet plus aptes à réagir rapidement que près de cent préfets et vingt-deux agences régionales de santé. On obtiendrait ainsi une réponse à la crise qui serait à la fois territorialisée et coordonnée.

C’est pourquoi votre rapporteur propose de créer, dans chaque zone de défense, un conseil zonal qui serait particulièrement compétent en matière de crises sanitaires et de risque pandémique et constituerait un outil précieux de concertation et de coordination sur le plan territorial, comme il l’avait suggéré dans sa proposition de loi visant à renforcer la coordination contre les risques épidémiques. Les conseils zonaux, présidés par les préfet de zone, comprendraient notamment des délégués de la commission spécialisée sur le risque épidémique du Haut conseil de la santé publique, les préfets de région et de département, les chefs des circonscriptions militaires, des représentants des administrations déconcentrées, des unions régionales des professionnels de santé et des collectivités locales et les directeurs d’agence régionale de santé.

Enfin, on ne saurait trop insister sur le rôle déterminant des communes pour faire face à la crise : elles ont mis à disposition leurs locaux pour y établir les centres de vaccination et se sont intensément mobilisées. Toutefois, comme on le verra plus loin, elles ont souffert de ne pas être suffisamment associées à la préparation de la campagne. Ce point pourrait être amélioré en consultant, en amont de campagnes de vaccination pandémique, les principales associations les représentant au niveau national.

Proposition n° 17 : Renforcer le rôle des zones de défense comme échelon territorial de déclinaison des directives nationales ; instaurer un responsable décentralisé du département des urgences sanitaires dans chaque zone de défense ; adapter l’organisation de l’Établissement de préparation aux urgences sanitaires à ces zones pour que ses stocks soient gérés au niveau de ces échelons ; prévoir, au sein de chaque agence régionale de santé, un référent « zone de défense ».

Proposition n° 18 : Instituer dans chaque zone de défense un conseil zonal de préparation aux crises sanitaires présidé par le préfet de zone et composé de représentants de l’ensemble des acteurs de la gestion de crise sur le terrain.

Proposition n° 19 : Informer régulièrement les collectivités locales sur l’architecture générale d’une campagne de vaccination de grande ampleur. Cette information serait délivrée par le ministère de l’intérieur après consultation des principales associations de collectivités.

B. DES CENTRES DE VACCINATION CONTESTÉS DANS LEUR PRINCIPE

Le recours à des centres de vaccination collective a recueilli un accueil plus que mitigé : par les professionnels de santé libéraux en premier lieu, qui y ont vu, à tort, une mise en cause de leur capacité à assurer une opération de prévention sanitaire qui relève de leurs missions ; par les Français ensuite, qui n’ont pas compris la mise en place d’un dispositif jugé contraignant et l’exclusion de leur médecin traitant. Ces critiques sont compréhensibles, mais le choix de structures spécifiques a répondu à des contraintes réelles. Était-il approprié et pouvait-on explorer d’autres voies ?

1. Un choix de vaccination collective, dans des centres spécifiques, motivé par de réelles contraintes

Pour la toute première fois, la France a dû mettre en place une campagne de vaccination visant 47 millions de personnes dans un contexte de pandémie et devant donc se dérouler rapidement – en quatre mois –, dans un contexte particulièrement contraint.

Il fallait d’abord tenir compte du choix fondamental de mettre en œuvre une vaccination gratuite, qui excluait donc un recours à la médecine ambulatoire. Il fallait également tenir compte de contraintes de santé publique et logistiques. Le plan de prévention et de lutte étant resté silencieux sur la question de l’organisation matérielle d’une telle campagne, « l’invention » des centres a cherché à répondre à ces contraintes.

a) Des contraintes de santé publique

● Éviter que le système de soins ne soit surchargé

Le premier souci des pouvoirs publics a été de garantir qu’en période de pandémie, les services de santé puissent faire face à l’afflux éventuel de patients touchés par le virus A(H1N1). À cet effet, les plans blancs ont été activés au sein des hôpitaux, mais demeurait la question de la gestion des patients par les médecins généralistes libéraux : à la fin du mois de juillet et au début du mois d’août, lorsqu’a été élaboré le système de vaccination, les interrogations étaient encore importantes concernant l’impact potentiel du virus. Il apparaissait qu’il était très contagieux, d’une virulence certes modérée mais susceptible de provoquer des cas très sévères dans des catégories inhabituelles de la population. La crainte légitime était celle d’une saturation de l’offre de soins, ne permettant pas de mener, en parallèle, une campagne de vaccination massive dans les cabinets médicaux. L’objectif était donc de limiter la pression sur l’activité normale du secteur médical, ce qui a conduit à décider d’une vaccination dans des structures dédiées.

● Assurer la séparation des flux de personnes malades et de personnes à vacciner

Ainsi que cela a été souligné par la circulaire conjointe des ministres chargés de l’intérieur et de la santé du 21 août 2009 relative à la planification logistique de la campagne de vaccination, le souci était de mettre en œuvre une organisation robuste face aux aléas liés au déroulement de l’épidémie. Non seulement il était craint un pic épidémique risquant de conduire à la saturation des cabinets médicaux, mais il était également souhaité, conformément d’ailleurs au plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale, de freiner la transmission du virus. Dès lors, la séparation des flux entre personnes malades et personnes à vacciner semblait s’imposer et l’orientation de ces dernières vers des structures spécifiques, distinctes des lieux d’accueil des patients, répondait à cette exigence.

b) Des contraintes logistiques

Mais ce furent, de toute évidence, les contraintes logistiques qui ont été les plus importantes, conduisant à mettre en œuvre une vaccination collective et de ce fait à choisir une organisation reposant sur des centres de vaccination.

● Tenir compte du conditionnement des vaccins en multidose pour leur administration et leur stockage

Indiscutablement, le mode de conditionnement des vaccins a constitué l’une des plus fortes contraintes pour la campagne de vaccination. Nous ne reviendrons pas sur les raisons ayant conduit au choix de ce conditionnement (101) ; au stade auquel a été décidée l’organisation de la campagne de vaccination, celui-ci constituait désormais une donnée à intégrer à la réflexion.

Le stockage des vaccins nécessitait de respecter strictement la chaîne du froid ; ces produits ne pouvaient en outre être conservés plus de vingt-quatre heures après ouverture. Sauf à envisager un gaspillage important – alors que l’on craignait à l’époque une pénurie –, il fallait donc, autant que faire se peut, mettre en place une organisation permettant de consommer des flacons entiers en une journée. La vaccination collective s’est donc imposée comme le mode d’organisation le plus rationnel pour répondre à cette contrainte, même si chacun sait que le corps médical dispose de réfrigérateurs et est en mesure de vacciner.

● Garantir le respect de l’ordre de vaccination des personnes prioritaires

Le caractère progressif des livraisons de vaccins et les divers avis du Haut conseil de la santé publique ont conduit rapidement à décider de procéder à la vaccination de la population selon l’ordre de priorité de certaines catégories, lié, d’une part, à leurs fonctions et leur proximité avec des publics fragiles (professionnels de santé) et, d’autre part, à leur vulnérabilité.

Dès lors qu’il avait été choisi de procéder ainsi – ce qui a d’ailleurs été une solution largement partagée par d’autres États – se posait la question des modalités de gestion de la vaccination de ces personnes prioritaires. Le choix d’une vaccination collective est rapidement apparu comme la solution permettant de répondre le plus facilement à cette exigence : en recourant à des bons, délivrés progressivement, il a été possible d’identifier ces personnes et de leur proposer une vaccination plus précoce que celle des autres catégories, tenant compte du calendrier des livraisons de vaccins, sans que le système de soins n’ait à adapter son organisation à cette contrainte.

● Assurer la traçabilité des injections et la pharmacovigilance

L’organisation de la campagne devait par ailleurs tenir compte, lors de son élaboration, de la diversité des vaccins utilisés, de la posologie recommandée à l’époque (injection de deux doses) et de l’exigence de mettre en place une pharmacovigilance efficace.

La variété des vaccins imposait en effet, pour la deuxième injection, d’administrer le même produit que lors de la première injection et donc de disposer d’éléments systématiques de traçabilité. La pharmacovigilance devait en outre reposer sur un système facilitant la centralisation rapide des données.

La prise en compte de ces exigences supposait d’accomplir des tâches administratives parfois longues et fastidieuses, comme l’a d’ailleurs souligné auprès de la commission d’enquête le docteur Jacques Fontan, responsable du centre de vaccination de Capbreton (102) : édition des bons de vaccination, travail de saisie informatique, ou encore rédaction de divers comptes rendus adressés à l’échelon départemental. Toujours par souci de ne pas alourdir l’activité des médecins libéraux, que l’on supposait devoir faire face à une charge de travail accrue pour traiter l’afflux de patients atteints par l’épidémie, il a donc été choisi de faire accomplir ces démarches par des centres dédiés, dotés de personnel administratif.

2. Un dispositif insuffisant pour mener rapidement une campagne de vaccination pandémique

Une fois acté le principe du recours à des centres ad hoc, il a fallu définir leurs contours. Deux critères ont été retenus pour leur création : ils devaient chacun correspondre à des bassins de population de 100 000 habitants au plus et chaque département devait compter au moins trois centres de vaccination.

Il a été finalement créé 1 168 centres de vaccination qui ont permis, en trois mois, de vacciner 9 % de la population. Les diverses phases de leur fonctionnement – faible décollage du 12 au 24 novembre, poussée exceptionnelle de l’affluence du 25 novembre au 16 décembre et décrue progressive du 17 décembre 2009 au 4 janvier 2010 – ont permis d’analyser leur capacité à fonctionner en période de forte affluence. Ainsi que l’a souligné M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales (103), la configuration de ce dispositif était adaptée pour vacciner de 200 000 à 250 000 personnes par jour, soit, au grand maximum, 1,5 million de personnes par semaine et 6 millions de personnes par mois.

Ces données sont tout à fait essentielles à l’indispensable réflexion sur l’organisation d’une future campagne de vaccination. Il aurait été très difficile d’atteindre l’objectif de vaccination de 47 millions de personnes en recourant aux seuls centres de vaccination : leur configuration et leur dimensionnement n’auraient pas permis de mener une campagne de vaccination massive et suffisamment rapide.

3. D’autres voies explorables

Les centres de vaccination n’étant pas suffisants pour relever le défi d’une vaccination de masse et rapide, quelles sont les pistes à explorer pour se préparer aux futures pandémies ?

a) Le recours à la médecine ambulatoire

● Une campagne de vaccination qui a pâti de l’exclusion de la médecine ambulatoire

La campagne de vaccination a souffert d’un grand paradoxe : elle n’a pas reposé sur les médecins généralistes et, d’une manière générale, les acteurs de la médecine de ville, alors que ceux-ci sont les interlocuteurs naturels de nos concitoyens sur les questions de santé, et sont rompus à l’exercice de la vaccination contre la grippe saisonnière.

La table ronde à laquelle a procédé la commission d’enquête avec les principaux syndicats des professions de santé (104) a pu montrer l’incompréhension qui en a résulté : M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux, a ainsi parlé de « révolte » des médecins, jugeant que leur réseau de proximité avait été « court-circuité ». Il est vrai que certains arguments avancés pour justifier le recours aux centres de vaccination ont pu sembler maladroits, voire même désinvoltes, pour ces professionnels de santé : on leur a ainsi contesté leur capacité à garantir le respect de la chaîne du froid – alors qu’ils disposent bien évidemment des équipements nécessaires. Et on voit mal des médecins accepter de vacciner sans ces équipements.

Par ailleurs, il a été recouru à la médecine de ville dans un certain nombre d’autres pays, comme aux Pays-Bas, dans la plupart des Länder d’Allemagne ou en Belgique, ce qui aurait pu militer en faveur d’une telle solution en France. Les expériences étrangères doivent toutefois être analysées au prisme de l’organisation du système de santé propre à chaque État. Certes, en Belgique, les médecins généralistes ont été chargés de la vaccination et se sont procuré directement et gratuitement les doses de vaccins auprès des pharmacies. Mais, dans la pratique, ils se sont souvent regroupés autour des cercles de médecine générale pour procéder à des vaccinations de groupe, cette solution étant jugée plus rapide et plus opérationnelle. Les vaccinations se sont donc en général déroulées dans des salles mises à disposition par les communes.

Il n’en demeure pas moins qu’en France, les praticiens, exclus du dispositif, n’y ont pas adhéré ; ils n’ont donc pas joué leur rôle de relais essentiel des politiques de santé publique auprès de leurs patients, ce qui s’est finalement traduit par une couverture vaccinale très décevante.

● L’impossibilité de faire reposer une campagne de vaccination pandémique exclusivement sur la médecine ambulatoire

Si le rôle de la médecine ambulatoire doit être reconnu pour mener avec succès une campagne de vaccination pandémique, il convient de garder à l’esprit que celle-ci se déroule a priori dans un contexte d’incertitude scientifique : le virus est capable de muter, un deuxième pic peut survenir… Il faut donc impérativement préserver la capacité de l’offre de soins à faire face à un afflux de patients atteints par la maladie pour les traiter.

En outre, les médecins libéraux sont certes sans doute les mieux placés pour vacciner leurs patients habituels, mais se pose la question de la vaccination des personnes isolées et de certains publics défavorisés pour lesquels l’argument de la gratuité peut être important. Quand on vise une vaccination universelle, il faut mettre en place un dispositif permettant à tous d’en bénéficier.

Enfin, la capacité de la médecine ambulatoire à se consacrer à une vaccination pandémique n’est pas uniforme. La nécessité d’assurer une traçabilité suppose des formalités administratives longues et fastidieuses, que tous les cabinets ne pourraient assumer faute d’un secrétariat suffisamment étoffé. En cas de conditionnement des vaccins en multidose, leur activité doit être suffisamment importante pour pouvoir regrouper les vaccinations sur une journée – c’est sans doute le cas dans les cabinets de groupe ou les maisons de santé. Les professionnels doivent par ailleurs être suffisamment disponibles pour se ravitailler en vaccins. Enfin, ils doivent disposer de locaux permettant d’établir deux circuits séparés, l’un dédié aux malades et l’autre aux personnes à vacciner. La participation de la médecine ambulatoire doit donc reposer sur le volontariat pour tenir compte de ces contraintes matérielles. Les praticiens sont responsables ; ils savent si leurs conditions d’organisation leur permettent ou pas de participer à un dispositif de vaccination pandémique.

● Une piste à envisager : favoriser le recours à la médecine ambulatoire

Tous ces éléments conduisent à penser qu’une campagne de vaccination pandémique devrait favoriser le recours à la médecine ambulatoire tout en prévoyant un système parallèle capable de se consacrer uniquement à une vaccination collective. Le choix de l’une ou l’autre forme reposerait sur la personne souhaitant se faire vacciner. Cela aurait évidemment un coût, qui est, reconnaissons-le, difficile à évaluer : il dépendrait de la tarification de l’acte, de l’affluence dans les cabinets par rapport aux centres, et plus généralement de l’adhésion de la population à la vaccination. Mais ce coût doit être accepté si l’on veut une campagne qui produise des résultats en termes de couverture vaccinale.

Cette voie doit être sérieusement explorée, et dès à présent, pour être préparé à une future pandémie. Cela suppose une concertation approfondie avec les professions de santé pour déterminer les modalités de leur intervention.

Proposition n° 20 : Favoriser le recours à la médecine ambulatoire parallèlement à des centres de vaccination spécifiques en cas de campagne de vaccination pandémique.

Proposition n° 21 : Inscrire dans le champ des conventions nationales liant l’Union nationale des caisses d’assurance maladie et les syndicats de professionnels de santé les conditions d’exercice de la vaccination pandémique.

Proposition n° 22 : Entamer une concertation entre les agences régionales de santé et les représentants des professionnels de santé, en particulier les unions régionales et les conseils des ordres, pour inscrire dans les schémas régionaux d’organisation des soins les modalités concrètes de recours à la médecine ambulatoire pour une vaccination pandémique.

b) L’appel aux établissements de santé

Les hôpitaux ont été sollicités, à partir du 20 octobre 2009, pour vacciner les professionnels de santé qui figuraient parmi les populations prioritaires, avec un succès d’ailleurs mitigé, comme on l’a vu plus haut (105). Cette vaccination a par ailleurs été élargie à certains malades atteints d’affections chroniques, et, à compter du 3 décembre 2009, à l’entourage des personnels hospitaliers voire même, dans certains cas, aux populations avoisinantes (106). Aurait-on pu aller au-delà et envisager de pratiquer la vaccination de l’ensemble de la population dans les établissements de santé dont la localisation était évidemment mieux connue que celle de certains gymnases ou salles polyvalentes ?

En première approche, on pourrait être tenté de répondre par l’affirmative : en effet, pourquoi affecter à des centres de vaccination des personnels hospitaliers, notamment des internes, au risque de désorganiser les hôpitaux alors que l’on a manifestement eu les moyens, à un moment donné, de vacciner sur place ? C’est d’ailleurs la position qu’a défendue auprès de la commission d’enquête M. Benoît Leclercq, directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, qui a estimé que « La vaccination du public aurait pu être organisée dans les hôpitaux, qui savent gérer des files d’attente et des prises de rendez-vous » (107).

Il convient en réalité de se replacer dans le contexte du début de la pandémie, caractérisé par une incertitude sur sa gravité et surtout son évolution. Dès lors, trois arguments militent contre l’organisation d’une campagne de vaccination généralisée dans les hôpitaux.

En premier lieu, comme l’a souligné M. Jean Leonetti, président de la Fédération hospitalière de France (108), il convient de préserver la mission essentielle des hôpitaux : traiter les cas graves. Décider d’organiser la vaccination dans les hôpitaux aurait consisté à accepter, par avance, de courir le risque que les moyens ainsi « détournés » ne puissent être affectés au traitement des cas les plus sévères causés par une éventuelle aggravation de la pandémie.

En deuxième lieu, il est difficilement envisageable de vacciner des personnes vulnérables, notamment des personnes appartenant aux catégories prioritaires, au même endroit ou à proximité de malades gravement atteints par le virus.

Enfin, se pose la question, loin d’être accessoire, des moyens et de la logistique : ainsi que l’a exposé M. Jean Leonetti, « la vaccination à l’hôpital n’est possible que sous certaines conditions : l’hôpital doit avoir des locaux vides suffisamment grands et il faut prévoir un apport supplémentaire de personnels extérieurs afin de ne pas déprogrammer les activités quotidiennes de l’hôpital, surtout en période hivernale où se développent d’autres pathologies. » En cas d’afflux soudain de personnes à vacciner, comme cela a pu être observé à la fin du mois de novembre dans les centres, les hôpitaux auraient eu le plus grand mal à assurer à la fois leurs missions traditionnelles et la vaccination.

Le recours systématique aux hôpitaux ne semble donc pas être la solution d’avenir. Tout au plus pourrait-on envisager un assouplissement du dispositif en les faisant participer à la vaccination de la population générale en toute fin de campagne, lorsqu’il est constaté que l’afflux dans les centres s’est tari.

c) L’organisation de campagnes déconcentrées de vaccination dans les communautés de taille importante

Une autre voie pouvant être explorée est celle de campagnes de vaccination déconcentrées, soit par des équipes mobiles, soit par des professionnels de santé exerçant sur place, dans les communautés de grande taille telles que les principaux opérateurs ou grandes entreprises, les administrations centrales ou même les services des collectivités territoriales les plus importantes, sur le modèle de ce qui a été réalisé à la toute fin de la campagne de vaccination. C’est aussi le choix qui a été fait pour la vaccination dans les collèges et les lycées et qui n’a pas connu de dysfonctionnements majeurs, grâce à la mobilisation des personnels de ces établissements. Il serait également utile d’avoir recours à des équipes mobiles pour vacciner les personnes isolées, en s’appuyant sur les réseaux de solidarité de proximité qui permettraient d’identifier et d’accéder à ces dernières, comme l’a suggéré M. Atanase Périfan, président de l’association Voisins solidaires (109).

Une telle solution ne pourrait évidemment pas constituer le seul mode de vaccination en raison du caractère très partiel de la population concernée. Elle ne serait en particulier pas adaptée à la vaccination des groupes prioritaires, géographiquement disséminés. Elle permettrait néanmoins, si l’on équipait les services de santé présents dans certaines grandes communautés et les équipes mobiles de matériel de transport et de stockage adéquat, de se plier à la contrainte d’un conditionnement des vaccins en multidose et de désengorger d’autant les lieux d’offre de soins ou les éventuels centres spécifiques. L’exigence de traçabilité serait satisfaite par la nécessité de présenter, pour chaque personne souhaitant se faire vacciner, son bon de vaccination.

Proposition n° 23 : Lorsque cela est possible, déconcentrer les vaccinations pandémiques dans les communautés de grande taille telles que les établissements scolaires, grandes entreprises et administrations qui bénéficient d’équipes médicales appropriées.

C. UNE MISE EN œUVRE QUI A MANQUÉ DE SOUPLESSE

On l’a vu, le choix d’une vaccination collective et la création des centres de vaccination ont résulté du souci de répondre, certes dans l’urgence mais le plus rationnellement possible, à certaines contraintes – dont on se rend compte, a posteriori, qu’elles ont parfois été surestimées. Ce souci de rationalité n’a hélas pas trouvé toute sa traduction dans la mise en œuvre, sur le terrain, de la campagne de vaccination qui a souffert d’imperfections.

1. Des difficultés liées aux règles de fonctionnement des centres

Les principes de fonctionnement des centres de vaccination ont été définis par la circulaire conjointe des ministres chargés de l’intérieur et de la santé, du 21 août 2009, relative à la planification logistique de la campagne de vaccination. Certains d’entre eux ont pu poser problème, ce qui a conduit à des adaptations bienvenues ; mais les protocoles utilisés ont donné lieu à des incompréhensions.

a) Un parcours de vaccination progressivement ajusté

La définition du parcours de vaccination a suscité des critiques dans sa version initiale. Le Gouvernement a su entendre la plupart d’entre elles et le dispositif a été adapté par la voie d’une circulaire conjointe des ministres chargés de l’intérieur et de la santé du 28 octobre 2009. Ces adaptations ont en outre tenu compte des résultats de simulations de fonctionnement de centres auxquelles il avait été procédé au mois de septembre, par exemple à Amiens et à Paris –simulations qui ont d’ailleurs constitué une excellente démarche et dont le principe doit être retenu pour l’avenir.

Il était ainsi initialement prévu que le médecin du centre ne reçoive que les personnes identifiées comme présentant un facteur de risque au vu de leurs réponses à un questionnaire médical ; ce point a été fortement contesté par les personnels infirmiers. Il a finalement été instauré un entretien systématique de toutes les personnes souhaitant se faire vacciner avec le médecin.

Le poste de chef de centre a par ailleurs été créé, afin de garantir une continuité dans le fonctionnement des centres ; le volet administratif des équipes de vaccination a été renforcé, ce qui était effectivement indispensable compte tenu de la lourdeur des tâches concernant l’édition des bons ou la traçabilité.

b) Des protocoles parfois inhabituels

La question du respect des bonnes pratiques au sein des centres a été largement évoquée par les professionnels de santé auprès de la commission d’enquête. Le fractionnement des tâches entre un agent chargé de la préparation de la vaccination, assurant la reconstitution du vaccin et le remplissage des seringues, un « agent vaccinateur » et un agent chargé de la traçabilité, relevant du personnel administratif, a en particulier suscité de fortes réserves de la part des personnels infirmiers qui ont même jugé qu’il constituait une « faute professionnelle » (110) et conduisait à des « conditions d’exercice incompatibles » avec la déontologie. Les étudiants en médecine ont également eu l’impression d’être mis en porte-à-faux, ce fractionnement des tâches étant très différent du protocole appliqué en milieu hospitalier. La question des bonnes pratiques a également été évoquée auprès de la commission d’enquête concernant les conditions d’utilisation d’aiguilles serties, non conformes aux protocoles habituels (111).

Le rythme prévu pour les injections a en outre semblé incompatible avec un exercice normal : il était en effet prévu qu’à plein régime, les centres permettent de vacciner une personne toutes les deux minutes ; les personnels infirmiers ont fortement critiqué cet objectif, qu’ils sont même allés jusqu’à comparer à de la « médecine vétérinaire » (112).

Le défi consistait à élaborer des protocoles permettant de mener une opération de vaccination collective, massive et rapide. Pour l’avenir, ce souci d’efficacité et de rapidité devra être préservé, mais sans doute faudra-t-il mieux associer les professionnels de santé à la préparation de cette opération pour éviter de les mettre dans des situations délicates en termes de respect des bonnes pratiques.

2. Des problèmes de gestion opérationnelle qui ont pu être résolus grâce aux efforts consentis par les personnels et les collectivités locales

a) Des administrations déconcentrées parfois mal armées pour appliquer les directives

La gestion opérationnelle de la campagne a été marquée par des situations locales très diverses. Alors que dans certains départements comme le Rhône, les opérations se sont bien déroulées, on a pu constater ailleurs des dysfonctionnements préoccupants, par exemple à Paris.

● Une réelle mobilisation des services et des personnels

Cette disparité était pour le moins paradoxale, car selon les propos confiés à votre rapporteur par M. Michel Lalande, directeur du préfet de police de Paris en 2003, les préfets, très affectés par l’épisode de la canicule et interprétant à l’époque les convocations de la commission d’enquête sur ses conséquences sanitaires et sociales (113) comme une marque de suspicion et de défiance à leur égard, se sont attachés, pour gérer la pandémie, à prendre toutes les dispositions prévues par les consignes nationales qui ont été généralement appliquées à la lettre.

Les personnels des préfectures et des directions des affaires sanitaires et sociales se sont remarquablement mobilisés et n’ont pas ménagé leurs efforts pour mettre les centres en ordre de marche à la date prévue, puis pour en superviser la gestion. Leur tâche n’était pourtant pas aisée, car ils ont eu à appliquer un nombre impressionnant de consignes nationales – une « frénésie » de circulaires a même été évoquée auprès de la commission d’enquête (114) –, qui ont d’ailleurs pu, pour certaines d’entres elles, se révéler contradictoires avec les messages diffusés par les médias car le souci constant était d’adapter la réponse à la réalité de la pandémie.

S’agissant du cas plus particulier des services du ministère de l’éducation nationale, la commission d’enquête a pu constater que des difficultés sont apparues sur le terrain en raison de consignes nationales insuffisamment claires. M. Claude Michellet, directeur de l’académie de Paris (115), a ainsi souligné qu’ont coexisté des documents d’information destinés aux parents élaborés à la fois par le rectorat et par l’échelon national, ce qui a entraîné un brouillage de la communication et une situation inconfortable pour les chefs d’établissements. Il a également déploré l’imprécision des directives concernant la réquisition des personnels soignants scolaires en cas de volontariat insuffisant, ou encore les modalités de fourniture des établissements en vaccins.

● Un pilotage territorial délicat dans un contexte très particulier

Le dispositif de pilotage territorial a indéniablement pâti de la disparition programmée des directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales, celles-ci devant être remplacées par des agences régionales de santé. Elles disposaient de ce fait de moyens humains réduits pour mener une opération d’une telle ampleur. Elles étaient en outre, pour certaines, placées dans une situation délicate car parfois chargées de piloter les équipes opérationnelles départementales, ce qui impliquait qu’elles exercent sur d’autres services une autorité qui pouvait leur faire défaut. Cette situation s’est sans doute particulièrement fait sentir à Paris, doté d’une « architecture » institutionnelle complexe en raison du partage de compétences entre la préfecture et la préfecture de police. Nul doute que la création des agences régionales de santé devrait changer la donne si on leur reconnaît un rôle opérationnel dans la gestion des crises sanitaires.

b) La confusion entourant les réquisitions

● Le principe d’un recours au volontariat

Ainsi que l’a souligné M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales (116), il a rapidement été décidé que le principe devant guider la constitution des équipes des centres de vaccination était celui du volontariat des personnels. Le recours à la réquisition, mal compris, a répondu au souci de garantir une protection fonctionnelle et juridique aux personnels qui ont ainsi bénéficié d’une couverture assurantielle appropriée, notamment de leur responsabilité civile professionnelle.

Ce recours était juridiquement bien encadré : en application de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique (117), l’article 3 de l’arrêté du 4 novembre 2009 relatif à la campagne de vaccination disposait que « pour les besoins de la campagne, le représentant de l’État procède à toute réquisition nécessaire ». Les conditions de réquisition, encadrées par l’article L. 3131-8 du code de la santé publique, furent en outre précisées par deux circulaires, l’une en date du 1er octobre 2009 concernant les personnels de santé et l’autre en date du 22 octobre 2009 pour les personnels administratifs et les locaux.

● Des consignes évolutives

Les consignes pour constituer les équipes des centres de vaccination ont été pour certaines assez évolutives. Alors que la circulaire du 21 août 2009 sur la planification logistique de la campagne de vaccination préconisait de solliciter prioritairement, pour les personnels de santé, ceux des centres de vaccination existants, des centres de santé, de la protection maternelle et infantile ou encore de la médecine scolaire, la circulaire du 1er octobre 2009 sur la mobilisation des professionnels de santé indiquait qu’il fallait finalement privilégier le recours aux élèves infirmiers, aux professionnels de santé retraités ou remplaçants.

Les mêmes observations valent pour la réquisition des personnels administratifs : d’après la circulaire du 21 août 2009, devait être privilégié le recours aux personnels des collectivités territoriales ; puis la circulaire du 22 octobre 2009 sur la mobilisation du personnel administratif et des locaux a préconisé de faire prioritairement appel aux agents des services déconcentrés de l’État.

● Le manque de volontaires et la nécessité d’ajustements dans l’urgence

Une part des problèmes opérationnels a résulté des difficultés rencontrées par les préfectures pour constituer les équipes de vaccination en raison d’un nombre insuffisant de volontaires. Ce point a été souligné par M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales ainsi que par M. Bernard Fragneau, ancien préfet du Loiret (118), et est confirmé par les relevés de décisions de la cellule interministérielle de crise.

Par ailleurs, comme on l’a vu, l’ordre de priorité des personnels de santé dont le volontariat devait être recherché a évolué au cours du temps. L’exigence de présence de deux médecins par équipe a rapidement conduit à constater un « déficit de volontaires dans la ressource médicale des centres » (119) et à encourager, au mois de novembre, les préfets à avoir recours aux internes et étudiants en médecine qui, dans la circulaire du 21 août 2009, ne figuraient respectivement qu’en huitième et sixième positions dans l’ordre d’appel.

Des ajustements ont donc dû être opérés dans l’urgence : à Paris, nombre de centres ont été amenés à fonctionner avec un seul médecin ; il a aussi parfois fallu recourir à des réquisitions « autoritaires » en l’absence de volontariat suffisant, comme dans les départements du Pas-de-Calais et de l’Aisne.

● Une application sur le terrain imparfaite

Lors des auditions qu’elle a conduites, la commission d’enquête a pu constater que les réquisitions de personnels ont pu, dans certains cas, se dérouler de manière confuse. Les étudiants en médecine (120) ont ainsi estimé qu’ils manquaient d’informations par les préfectures et les services déconcentrés de l’État sur leur statut, leur éventuel rôle dans les centres et les protocoles choisis. Les infirmières scolaires (121) ont, pour leur part, mal compris leur réquisition pour opérer dans des centres de vaccination alors qu’elles devaient également participer aux vaccinations en établissements d’enseignement et ont regretté que l’exercice de leurs missions traditionnelles en pâtisse.

La question de l’inadéquation des réquisitions a également été soulevée : les étudiants ont ainsi déploré que dans certains cas, elles aient eu lieu sans concertation avec leurs responsables pédagogiques, sans tenir compte des dates d’examen et parfois de manière très autoritaire, les infirmiers libéraux jugeant pour leur part qu’il leur était difficile de s’organiser lorsqu’ils étaient parfois sollicités la veille pour le lendemain. Les personnels de santé ont également critiqué les insuffisances constatées en matière de programmation des vacations établie par les administrations déconcentrées.

Ces problèmes –  qui n’ont pas concerné tout le territoire – sont sans doute liés à la difficulté rencontrée par les préfectures et administrations déconcentrées pour constituer les équipes de vaccination dans des délais brefs. Gageons que les futures agences régionales de santé seront mieux armées pour mobiliser efficacement les professionnels de santé.

c) Des horaires d’ouverture et des lieux parfois peu adaptés

● Les tentatives d’adaptation des horaires d’ouverture

Les problèmes rencontrés pour procéder aux réquisitions ont aussi sans doute tenu aux difficultés liées à des variations parfois importantes dans les horaires d’ouverture des centres – variations liées, il est vrai, au souci d’adapter « l’offre » de vaccination à la « demande ».

Certes, des consignes nationales existaient : dès le mois d’octobre (122), elles insistaient sur la nécessité de favoriser l’ouverture des centres de vaccination en soirée et le samedi, à la fois pour répondre aux attentes de la population et pour faciliter la participation des étudiants à la campagne de vaccination. En pratique, les horaires ont été variables, l’impression étant parfois qu’on les ajustait avec un temps de retard ou qu’ils ne répondaient pas aux spécificités des territoires.

Les centres ont au départ fonctionné « au ralenti », jusqu’à ce que soit constatée une forte affluence à partir du 24 novembre 2009, après qu’eut été signalée une mutation du virus en Norvège. Cette affluence a donné lieu à des engorgements, moindres cependant que ceux constatés dans d’autres pays : au Canada, des gens sont allés jusqu’à se battre pour être vaccinés. Le 3 décembre 2009, afin de tenir compte de la demande croissante de vaccination, le Président de la République a donc décidé de renforcer significativement le dispositif pour viser le triplement de l’activité quotidienne de vaccination dans les centres. Ceux-ci ont alors ouvert le week-end et avec une plus grande amplitude horaire, jusqu’à la fin de l’année, y compris le jour de Noël et le 31 décembre où un afflux massif de personnes souhaitant se faire vacciner était quand même peu probable. Ils ont de surcroît été maintenus largement ouverts alors que l’affluence y était devenue très faible, ce qui a pu conduire les équipes de vaccination à s’interroger sur l’intérêt de leur présence dans des centres quasiment vides.

Ces fluctuations d’horaires n’ont pas été sans poser problème : les préfets ont ainsi exprimé « de manière récurrente le souhait de voir mis en œuvre un dispositif d’information téléphonique adapté permettant d’assurer les renseignements publics sur les horaires d’ouverture des centres » (123) et ont dû adapter leur communication sur la question des horaires en temps réel, ce qui n’a pas aidé à informer la population. Si l’on avait laissé aux préfectures une plus grande latitude en matière de détermination des horaires, en association avec les communes mettant à disposition les locaux, on aurait sans doute pu parvenir à une gestion des centres tenant mieux compte de l’affluence constatée ou prévisible et des besoins de la population.

● Des lieux choisis pour établir les centres parfois mal adaptés

Le principe d’une vaccination collective ayant été arrêté, s’est posée la question du choix des lieux dans lesquels elle serait pratiquée. Le compte rendu de la réunion de la cellule interministérielle de crise en date du 22 juillet 2009 montre que le souci de la gestion de l’ordre public a conduit le ministère de l’intérieur à privilégier des lieux comme les gymnases et éviter par exemple les établissements scolaires, le ministère de la santé insistant pour sa part sur la nécessité de recourir à des lieux de proximité afin d’inciter autant que possible à la vaccination et limiter le risque d’une sous-utilisation des vaccins.

Lors des auditions qu’elle a menées, la commission d’enquête a pu constater que les lieux choisis ont pu susciter des critiques, notamment de la part de collectivités territoriales qui ont mis leurs locaux à disposition. Certaines ont regretté de ne pas avoir été suffisamment sollicitées en amont sur ce point, même si en principe leur accord devait être recherché.

Les solutions dégagées n’ont en outre pas toujours pris en compte les contraintes budgétaires pour les collectivités locales qui ont parfois dû gérer des annulations de spectacles ou de manifestations sportives résultant de la mise en place des centres. Certains lieux n’étaient en outre pas bien adaptés, du fait de leur configuration, à la mission des centres de vaccination, ce qui a conduit dans certains cas à les déplacer en cours de campagne (124). Des communes ont même pu travailler durant l’été à l’établissement d’un centre pour, au mois d’octobre, voir cette solution abandonnée au bénéfice du recours à des centres de vaccination situés dans des communes voisines (125).

d) Des problèmes logistiques résolus grâce aux initiatives individuelles

● Des problèmes dans la délivrance des bons de vaccination

Le recours à des bons de vaccination a obéi à la nécessité, d’une part, de convoquer les personnes à vacciner en respectant leur ordre de priorité, pour tenir compte de la livraison progressive des vaccins et, d’autre part, de garantir la traçabilité des opérations et la pharmacovigilance.

Ce système ne s’est pas montré totalement opérationnel : les bons ont parfois été délivrés avec retard et il a pu arriver, au sein d’un même foyer, que des personnes prioritaires reçoivent le leur après leur entourage, suscitant ainsi beaucoup d’incompréhension. La commission d’enquête a même été saisie du cas de la délivrance d’un bon à une personne décédée… Les centres ont par ailleurs dû gérer les demandes de vaccination de personnes dépourvues de bons et auxquelles ils ont répondu favorablement dès lors que l’affluence le leur permettait.

Ceci a conduit à éditer un grand nombre de bons sur place – au total, 2,693 millions. Or, on a pu constater, par endroits, des difficultés d’accès au système d’information AMELI Coupon pour lequel tous les codes d’accès n’avaient pas été délivrés au début de la campagne générale. Les personnels ont donc dû faire preuve d’une réelle adaptabilité et ne pas ménager leurs efforts pour allier pragmatisme et efficacité dans une situation parfois tendue.

● Quelques défauts dans l’approvisionnement des centres et des établissements scolaires

Si les livraisons de vaccins dans les centres n’ont pas vraiment connu de défaillances, il en a été autrement de la gestion des articles consommables, tels que compresses ou sparadrap, ou de la fourniture, en nombre suffisant, de certains documents officiels comme les certificats de vaccination ou les fiches de consultation médicale. Ces problèmes logistiques ont parfois dû être réglés par les communes qui ont fourni les centres en moyens adéquats. Parallèlement, on a pu voir des centres surapprovisionnés en certains articles ; ainsi, le centre de vaccination de Capbreton a reçu, en cours de campagne, de nombreux cartons de seringues sans avoir rien demandé et détenait, en fin de campagne, 24 000 seringues inutilisées (126).

Quelques dysfonctionnements ont également eu lieu s’agissant des établissements scolaires : selon M. Claude Michellet, directeur de l’académie de Paris (127), alors qu’il était prévu que les équipes mobiles se fournissent auprès des centres en vaccins et matériel, ce sont parfois les chefs d’établissements qui se sont rendus dans les centres, où l’affluence était importante à l’époque, pour effectuer cette tâche.

Les problèmes logistiques constatés ne doivent cependant pas cacher les motifs de satisfaction : au bout du compte, les professionnels de santé et les personnels administratifs ont su démontrer leur capacité à gérer un dispositif sanitaire complètement nouveau, qui certes a pu connaître des « ratés » mais a, grâce à la réactivité des acteurs de terrain, globalement accompli ses missions. Les insuffisances observées devraient donc à l’avenir être réglées si l’on met en place une évaluation et un suivi appropriés des besoins.

Proposition n° 24 : Réviser le volet territorial du plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale pour y intégrer les agences régionales de santé qui joueraient le rôle de « préfets sanitaires » en appui des préfets des zones de défense et seraient chargées de la mobilisation des personnels de santé, de la préparation sanitaire des centres et de rendre compte de leur activité auprès de la zone de défense, les préfectures de département se concentrant sur les autres aspects logistiques.

Proposition n° 25 : Établir et actualiser annuellement, dans chaque zone de défense, en liaison avec les agences régionales de santé et les unions régionales des professionnels de santé, une liste des personnels de santé volontaires pour participer à des opérations collectives de gestion de crise sanitaire.

Proposition n° 26 : Recenser dès aujourd’hui, dans chaque zone de défense, les lieux susceptibles d’être utilisés pour gérer une éventuelle campagne de vaccination pandémique.

Proposition n° 27 : Associer, au niveau départemental, les collectivités territoriales, les référents sanitaires des communes et les professionnels de santé lors du recensement des équipements à utiliser.

Proposition n° 28 : Attribuer aux préfectures de département une marge de manœuvre dans l’organisation matérielle des centres pour tenir compte, au mieux, des spécificités des territoires.

Proposition n° 29 : Renforcer le suivi et l’évaluation régulière du déroulement des opérations sur le terrain en établissant une chaîne de remontée des informations vers la préfecture de zone de défense.

IV.- UNE CAMPAGNE DE VACCINATION BOUDÉE

Le volontarisme des pouvoirs publics, qui visaient une vaccination large de la population, n’a pas été couronné de succès. La campagne de vaccination a véritablement été boudée par les Français que l’on a vus tout d’abord désemparés par l’affluence de messages contradictoires, puis franchement démobilisés.

A. UN MESSAGE DE SANTÉ PUBLIQUE PERDU DANS LE BROUILLARD MÉDIATIQUE

Un point a été unanimement relevé par les personnes auditionnées par la commission d’enquête : la crise de la grippe A(H1N1) a suscité un véritable emballement médiatique, avec des interventions multiples, parfois contradictoires et même cacophoniques, qui ont conduit les Français, perplexes, à douter à la fois de la nécessité de se faire vacciner et de la sûreté des vaccins. Parallèlement, la communication gouvernementale n’a pas su suffisamment s’adapter pour faire passer le message de santé publique. Dès lors, l’adhésion de nos concitoyens à la campagne n’a cessé de décroître. La communication devra donc, à l’avenir, être considérée comme un enjeu majeur de la gestion des pandémies.

1. Une multiplicité des messages sanitaires source de confusion

C’est peut-être la première fois que l’on a pu assister, dans les médias, à la mise sur la place publique d’un débat d’experts en santé publique qui ont fait part, pour ainsi dire en temps réel, de l’état d’avancement de leurs travaux et de leurs incertitudes. L’impression qui s’en est dégagée a été celle de la confusion, d’autant plus que les estimations, parfois contradictoires – mais toujours scientifiquement documentées – émanaient de personnalités dont les compétences étaient largement reconnues.

a) Sur le risque lié à la pandémie

L’évaluation du risque lié à la pandémie a donné lieu à de nombreuses estimations très médiatisées qui ont pu sembler être le signe de désaccords entre scientifiques alors qu’elles ne traduisaient que l’évolution de leurs connaissances sur le sujet. Alors qu’au départ on craignait un virus très virulent, il s’est révélé finalement plus bénin que prévu, mais très contagieux, avec le risque d’un grand nombre de malades assorti de cas graves atypiques. Les avis d’experts sur ce point étaient tout à fait convergents mais leur succession dans le temps a pu donner l’impression qu’en la matière, le consensus n’existait pas.

Ainsi, le 6 mai 2009, le professeur Antoine Flahault, directeur de l’École des hautes études en santé publique, accordait un entretien au journal Le Monde dans lequel il évoquait plusieurs scénarios d’évolution possible de la maladie ; selon lui le plus plausible était proche de la pandémie de 1968, à savoir « l’équivalent d’une grosse grippe saisonnière » touchant 35 % de la population, avec « un excès de mortalité de l’ordre de 20 000 à 30 000 décès » en France, nombres forcément impressionnants. En revanche, le 28 août 2009, le professeur François Bricaire, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à la Pitié-Salpêtrière, déclarait au Figaro Magazine : « Cette grippe est majoritairement bénigne. »

On a même cru voir des contradictions marquées entre institutions chargées de l’expertise : ainsi, pour la dernière semaine d’août, l’Institut de veille sanitaire estimait à 6 000 le nombre de cas par semaine alors que le réseau de groupes régionaux d’observation de la grippe avançait le nombre de 25 000. En réalité, les indicateurs utilisés étaient différents, mais ces estimations apparemment divergentes n’ont certainement pas contribué à améliorer la compréhension du phénomène par la population.

b) Sur la stratégie vaccinale

Le débat sur la gravité estimée de la pandémie a naturellement dérivé sur la nécessité qu’il y aurait de mener une campagne de vaccination collective. On se souvient ainsi des propos, dans Le Monde du 6 août 2009, du professeur Marc Gentilini, professeur émérite des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, président honoraire, membre de l’Académie nationale de médecine et membre du Conseil économique, social et environnemental, qui jugeait : « C’est une pandémie de l’indécence. Quand je regarde la situation de la planète, j’ai honte de voir tout ce qui est entrepris pour éviter cette grippe dont on ne sait que peu de chose. »

Ce sont même parfois de réelles contradictions qui ont été médiatisées. Le 4 juin 2009, Mme Sylvie Van der Werf, membre du Comité de lutte contre la grippe et directeur de l’unité de recherches « génétique moléculaire des virus respiratoires » à l’Institut Pasteur donnait un entretien au Figaro du 4 juin 2009 intitulé : « H1N1 : il va falloir vacciner tout le monde » – propos qu’elle a regrettés par la suite. Deux jours plus tard, le 6 juin, le professeur Antoine Flahault accordait pour sa part une interview au Parisien dans laquelle il déclarait que selon les simulations, « s’il ressort évidemment que, plus on vaccine, meilleure est la protection, il est montré aussi que vacciner 30 % de la population mondiale, toutes classes d’âge confondues, suffirait à arrêter la seconde vague épidémique attendue à la rentrée dans l’hémisphère Nord. »

c) Les réticences des personnels soignants

Des membres réputés du corps médical ont aussi fait part de leurs doutes et de leurs réticences à l’égard de la campagne de vaccination. L’évocation d’une « grippette » a eu, on s’en souvient, un effet sinon ravageur, du moins un très net retentissement. On rappellera également les prises de position, au mois d’octobre 2009, dans le Parisien, de M. Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers, qui déclarait : « Je ne vois pas l’intérêt scientifique de ce vaccin », et du professeur David Khayat, chef du service de cancérologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, qui annonçait : « Non, je ne me ferai pas vacciner (…). J’attends les arguments qui justifieraient une telle vaccination de masse. »

Au-delà, c’est une bonne partie du corps des personnels soignant qui a fait savoir ses réticences à l’égard de la campagne de vaccination, que ce soit dans le cadre privé du cabinet médical ou publiquement par voie de communiqué de presse. Les médecins généralistes ont été très partagés sur l’utilité qu’il y aurait à se faire vacciner. Cette position a été également partagée par nombre des infirmiers ; le syndicat national des professionnels infirmiers a ainsi émis de sérieuses réserves en déclarant : « Injecter 94 millions de doses d’un produit sur lequel nous n’avons aucun recul peut poser un problème de santé publique. » (128)

Face à de telles prises de position, dont certaines étaient sans doute motivées par des considérations qui n’étaient pas que d’ordre médical, il était très difficile aux pouvoirs publics de délivrer un message sanitaire réellement audible sur la nécessité de se faire vacciner. Les opinions apparemment divergentes de scientifiques tous a priori compétents, donc crédibles, et les réticences des personnels soignants auraient sans doute dû appeler une communication appropriée pour justifier la stratégie choisie.

Peut-être aurait-il été utile, dans un tel contexte, de structurer le débat d’experts dans une instance exclusivement composée de scientifiques – par exemple autour de l’Académie nationale de médecine, référence « parlante » pour beaucoup de Français –, au cours d’une grande conférence médiatisée qui aurait permis de délivrer un message traduisant le consensus scientifique sur les incertitudes, le risque lié à la pandémie et la vaccination.

Proposition n° 30 : Instaurer, en cas d’alerte pandémique, une conférence nationale constituée des représentants des collèges scientifiques qui permettrait une communication consensuelle sur la nature du risque et les moyens médicaux disponibles pour y faire face.

2. Des médias parfois excessifs

On ne peut tenir les médias pour responsables des propos tenus par des personnalités qu’ils se bornent à reproduire ; mais force est de constater que le traitement de la grippe a donné lieu à un véritable emballement médiatique qui aurait parfois nécessité un certain recul.

a) Un large écho donné à des prises de position de personnalités extérieures à l’expertise sanitaire

Au-delà des scientifiques et chercheurs, de nombreuses personnalités extérieures au champ de l’expertise sanitaire proprement dite se sont exprimées non seulement sur la gestion de la pandémie par le Gouvernement, ce qui était parfaitement légitime, mais aussi sur la réalité du risque encouru du fait de la pandémie voire des vaccins. On a ainsi engagé la polémique sur des questions strictement scientifiques : une lettre ouverte envisageant la dangerosité des vaccins adjuvantés a, par exemple, sans aucun doute eu un impact très important.

Si l’on ajoute à cela la mise en cause du caractère régulier des contrats conclus avec les laboratoires producteurs de vaccins, les critiques émises à l’encontre d’une procédure de mise sur le marché jugée trop rapide, la suspicion jetée sur des experts siégeant dans les instances d’expertise collégiales, la dénonciation de l’absence de transparence de celles-ci et même du manque d’information des citoyens – alors que jamais auparavant les pouvoirs publics n’avaient mené une communication aussi abondante – le message sanitaire devient forcément brouillé.

La parole est libre, et c’est heureux ; après tout, chacun est responsable de ses propos. On peut néanmoins regretter qu’il n’ait pas été fait parfois preuve de plus de mesure et de distance et même, dans certains cas, de davantage de respect à l’égard des scientifiques. Car parallèlement, dans ce contexte déjà confus, se sont élevées des voix d’« experts médiatiques » autoproclamés ou en quête d’une gloire éphémère – sur les compétences desquels on ne s’est d’ailleurs pas forcément interrogé – et qui, procédant par raccourcis, sans souci de la nuance, ont pu s’ériger en chevaliers blancs pour finalement affirmer sans ambages et avec le ton de celui-qui-sait que la vaccination était plus dangereuse que la pandémie elle-même.

b) Des informations oscillant entre alarmisme et banalisation

Le traitement de la grippe A(H1N1) par les médias a donné lieu à un feuilleton quasi-quotidien faisant état d’événements d’importance variable et qui a eu un impact indéniable sur l’état d’esprit de la population. Comme l’a indiqué Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports (129), on a pu constater, lors de la pandémie, une certaine fébrilité des médias qui rendait difficile, pour les autorités, de « baisser le rhéostat » de la communication. Au tout début, la tonalité générale a été plus interrogative que véritablement alarmiste sur le virus de cette nouvelle grippe qui était alors dite « porcine » : il s’agissait de faire état des incertitudes, qui étaient nombreuses. L’apparition de premiers cas de grippe A(H1N1) en Europe, puis en France à la fin du mois d’avril a ensuite donné lieu à des reportages plus alarmistes, puis rassurants après que furent rendues les premières conclusions des travaux sur le virus, qui ne semblait pas très pathogène.

L’inquiétude est néanmoins reparue au mois de juin 2009, lorsque l’Organisation mondiale de la santé a décidé de passer à la phase 6 du niveau d’alerte pandémique. Mais au mois de juillet 2009, la plupart des médias soulignaient que la grippe A(H1N1) était moins grave que prévu. À partir du mois de septembre et désormais jusqu’à la fin de l’année, ils ont alors alimenté le débat sur la pertinence d’une campagne de vaccination générale qui en est venue à être mise en cause, alors même que certains s’alarmaient, au courant de l’été, du risque d’une indisponibilité des vaccins à la rentrée et de la dangerosité du virus.

c) Des messages inquiétants sur la sûreté des vaccins

Parallèlement à cette banalisation progressive de la grippe A(H1N1), est apparue une polémique largement médiatisée sur la sûreté des vaccins pandémiques, reposant sur des malentendus et des amalgames, qui a conduit à mettre en cause le recours aux adjuvants tout en s’inquiétant d’éventuels risques d’apparition du syndrome de Guillain-Barré (130). La France a ainsi été l’un des pays où le principal argument invoqué à l’encontre de la vaccination a été celui du risque encouru du fait de vaccins considérés comme insuffisamment sûrs.

C’est tout d’abord la procédure d’autorisation de mise sur le marché qui a été attaquée : était-il raisonnable d’injecter à des millions de personnes des produits fabriqués en quatre mois et testés sur « quelques milliers de cobayes » seulement ? Reconnaissons que face à ce questionnement destiné dans bien des cas à produire une forte impression, il était difficile de répondre simplement puisqu’il fallait pour cela décrire la complexe procédure de recours aux vaccins maquettes.

Le débat sur les adjuvants a également été fortement médiatisé : les vaccins auraient contenu des substances dont on connaîtrait mal la dangerosité puisqu’on n’osait pas en donner aux femmes enceintes et aux enfants âgés de six à vingt-quatre mois présentant des facteurs de risque – ce qui était en réalité une mesure de précaution liée au caractère très particulier de leur système immunitaire. De multiples interventions, et même des injonctions – « Les Français doivent savoir ce qu’on va leur injecter » (131) – ont donc été relayées sur ce sujet et ont contribué à alimenter les inquiétudes et les doutes. Certes, des experts reconnus ont tenté d’y répondre dans les médias mais l’argumentation scientifique est bien mal adaptée à cet exercice quand il s’agit davantage de frapper les esprits.

Pour ce qui concerne le syndrome de Guillain-Barré, jusque là méconnu du public, il a lui aussi pu connaître son « heure de gloire » médiatique, d’autant plus que le premier cas, constaté chez un personnel soignant vacciné, a été rendu public le 12 novembre 2009, date de lancement de la campagne visant la population générale. Les médias s’en sont évidemment emparés, d’autant plus qu’il était pour ainsi dire « attendu » (132), ne serait-ce que parce que statistiquement un tel syndrome apparaît indépendamment de la vaccination. Nul doute que l’attention qui lui a été portée, même si elle s’est traduite en général par un traitement correct du sujet, a contribué à renforcer la défiance des Français à l’égard de la campagne de vaccination.

3. Sur internet, un débat concurrent qui a débordé les autorités

a) La propagation de rumeurs inquiétantes par des canaux variés

C’est probablement sur internet que les rumeurs les plus folles ont pu courir sur la nature de la grippe A(H1N1) et sur les vaccins. Si certaines affirmations farfelues étaient à l’évidence faciles à contester, d’autres, plus subtiles et traduisant les doutes principaux de la population française, auraient sans doute mérité d’être traitées avec plus d’attention par les pouvoirs publics pour y répondre par une argumentation appropriée : ainsi en a-t-il été de l’inutilité et de l’inefficacité de la vaccination, de l’affirmation d’un lien de causalité entre adjuvants et syndrome de Guillain-Barré, ou encore de l’idée que les vaccins, élaborés dans l’urgence, auraient été insuffisamment testés.

La réponse à de telles affirmations est d’autant plus difficile qu’internet est, par excellence, le lieu de l’expression foisonnante et anonyme, où la distinction entre allégations non fondées et argumentation documentée est difficile à établir pour le non-spécialiste. La technique qui consiste à évoquer une « source sûre », autorisée parce qu’issue du monde médical, mais invérifiable, peut alors faire de véritables ravages. Or, le débat sur internet a été vif et nourri, en particulier par le biais de blogs, d’envoi massifs de courriels et des réseaux sociaux que sont Twitter ou Facebook. Non seulement les autorités sanitaires et les experts en ont été largement absents, mais ils ont même été débordés par l’afflux des messages émis.

b) Des rumeurs au service d’intérêts divers

La question se pose de la motivation des divers intervenants sur internet. Certains avaient pour objet de contester le recours à une campagne de vaccination collective – ce qui était légitime car il s’agissait de discuter d’orientations stratégiques ; en revanche, d’autres se sont appuyés sur ce nouvel outil de communication, très efficace, pour faire valoir des opinions tout à fait contestables.

On doit ainsi citer les lobbys anti-vaccinaux qui contestent le principe même du recours à la vaccination et qui ont pris une certaine ampleur depuis la campagne de vaccination contre l’hépatite B. Leur stratégie consiste généralement à nier l’efficacité et la sûreté des vaccins dont les risques d’effets secondaires seraient sous-évalués. Ils se fondent en général non sur de la documentation scientifique mais sur des témoignages, ce qui frappe bien évidemment les esprits ; ou bien ils procèdent par extrapolations hasardeuses, raccourcis et citations tronquées de travaux et d’études pour parer leurs arguments d’une aura scientifique. Ils ont, avant même la disponibilité des vaccins, puis lors de la campagne de vaccination, fait amplement valoir leurs positions qui constituent une régression scientifique et médicale non seulement scandaleuse mais dangereuse.

Au-delà, l’expression d’oppositions à la campagne de vaccination sur internet a constitué une réelle opportunité pour divers tenants de la théorie du complot. On a pu lire de tout : le virus aurait été créé par les laboratoires en assortissant un virus humain et un virus porcin, afin de commercialiser un vaccin dont la production aurait anticipé la pandémie – on a ainsi parlé de « grippe Sanofi » ; les vaccins seraient mortels ; la vaccination serait obligatoire et forcée ; ou encore, la pandémie aurait été créée de toutes pièces pour préparer un génocide mondial. Ainsi, au détour d’un appel contre la campagne de vaccination découvre-t-on que les « illuminati-reptiliens » auraient déclaré la guerre biologique à l’humanité pour voler son ADN…

De telles dérives sont tout à fait préoccupantes et doivent être prises en compte par les pouvoirs publics pour l’avenir ; une éducation aux médias est nécessaire. Nul doute que la mission d’information parlementaire récemment créée à l’Assemblée nationale sur la protection des droits de l’individu dans la révolution numérique (133) fera sur ce sujet des propositions très utiles.

Les autorités sanitaires, avec un message brouillé par des interventions multiples sur l’opportunité de la campagne de vaccination, débordées par un débat concurrent sur internet où elles n’ont pas su présenter leurs contre-arguments, ont-elles alors perdu la « bataille de la communication » ?

B. DES ERREURS DANS LA COMMUNICATION DES POUVOIRS PUBLICS

De l’avis de nombreuses personnes auditionnées par la commission d’enquête, et notamment du secteur des médias, la communication gouvernementale sur la campagne de vaccination s’est révélée certes abondante mais parfois inadaptée, ce qui a pu susciter des incompréhensions.

Elle a certes remporté de réels succès, s’agissant par exemple de la promotion des gestes barrières qui, de l’avis de l’ensemble des personnes auditionnées par la commission d’enquête, a donné lieu à de réels changements dans les comportements des Français. Mais elle n’a pas su se montrer suffisamment persuasive concernant la vaccination, puisque moins de 10 % de la population ont souhaité se faire vacciner.

1. Une campagne institutionnelle classique souvent inappropriée

La communication institutionnelle sur la campagne de vaccination, essentiellement axée sur l’information, n’a pas suffisamment pris en compte l’état de l’opinion publique et n’a pas su être réactive ; des signaux existaient cependant qui auraient dû inciter les autorités à mieux adapter leur réponse.

a) Le recours à des instruments traditionnels qui n’ont pas suffisamment pris en compte l’état d’esprit de la population

● Des instruments de communication traditionnels

La communication gouvernementale a utilisé des outils classiques : l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé a développé des spots télévisés ou radiodiffusés en s’appuyant sur les conventions nationales conclues par l’État avec Radio-France et France-Télévisions, des modules ont été diffusés sur internet et des affiches et annonces dans la presse ont été publiées. Parallèlement, le site internet www.pandemie-grippale.gouv.fr a été étoffé et une campagne de référencement de mots clés pour renvoi a été lancée.

Toutes ces actions avaient un but essentiellement informatif : l’objectif, légitime, était prioritairement d’exposer la situation sanitaire, les risques encourus en cas de pandémie et les moyens de s’en préserver. Il en a été de même des points de presse quotidiens des ministres de l’intérieur et de la santé à l’issue de chaque réunion de la cellule interministérielle de crise, dont le principe a été adopté dès le 1er mai 2009.

● Des maladresses

Ainsi que l’a souligné M. Thierry Saussez, directeur du service d’information du Gouvernement (134), la première étape de la communication gouvernementale a consisté à « maximiser la crise », l’État devant légitimement se préparer au pire, puis à dégager des marges de manœuvre tout en veillant à l’unicité de la parole du Gouvernement.

Ce dernier objectif a été remarquablement bien atteint : jamais les ministres n’ont délivré de messages divergents ou contradictoires quant à la nature du risque, son évolution ou la stratégie à adopter.

En revanche, la stratégie de maximisation du risque n’a pas réellement porté ses fruits. Elle a même, à un certain point, desservi le Gouvernement dont la communication est progressivement apparue en décalage avec la réalité de la pandémie, celle-ci se révélant moins grave que prévu. Alors qu’il aurait peut-être fallu « faire machine arrière » en termes de communication, ont ainsi été maintenus les points de presse réguliers des ministres chargés de l’intérieur et de la santé, même lorsque la situation sanitaire n’avait que peu évolué. Il est vrai que les autorités étaient dans une situation extrêmement inconfortable : les médias étant fortement demandeurs d’informations, tout silence de l’État aurait nourri les plus folles suspicions ; à l’inverse, une communication intense sur une pandémie finalement modérée s’exposait à être accusée d’alarmisme.

La stratégie adoptée a donné l’impression d’une réponse surdimensionnée, ce qui a entaché la campagne de vaccination du même soupçon. Or comme l’a souligné le professeur Pierre Bégué, membre de l’Académie nationale de médecine, « le profil particulier des malades admis en réanimation et décédés n’a été que rarement mentionné : la prédominance de la tranche d’âge des quinze à soixante-cinq ans et la mortalité de 20 % de personnes sans facteurs de risque ont été très peu commentées alors que ces éléments auraient mieux soutenu l’objectif ». (135)

Par ailleurs, certaines décisions ont donné lieu à une communication parfois inappropriée.

Ainsi en a-t-il été de la décision de passer de deux injections de vaccin à une seule : cette évolution, pressentie au cours du mois de septembre au vu des tests en cours, a été recommandée le 30 octobre 2009 par l’Organisation mondiale de la santé mais n’a été définitivement arrêtée par la France que le 27 novembre 2009 car il lui fallait attendre la modification de l’autorisation de mise sur le marché et l’accord de l’Agence européenne du médicament pour se prononcer. Cette exigence n’a pas donné lieu à une communication suffisamment claire. Nul doute que ce délai de plus d’un mois entre les recommandations internationales et la décision nationale a pu donner l’impression que les autorités françaises voulaient maintenir leur position contre toute évidence, alors que tel n’était pas le cas.

La communication à destination du grand public a en outre été parfois trop technique, voire même absconse : il était ainsi signalé, dans la fiche d’information sur la vaccination destinée aux parents des enfants scolarisés en collège ou en lycée que constituait une contre-indication absolue ou définitive l’allergie à l’ovalbumine ; il eut été sans doute été plus opérant de s’en tenir à des termes moins scientifiques mais plus éclairants. Certes, le ministère de l’éducation nationale avait élaboré un document beaucoup plus accessible, mais sa diffusion aux 12 millions d’élèves ne semble pas avoir été aussi générale que prévu.

Cela étant, le défi n’était pas facile à relever : il fallait délivrer une communication gouvernementale de qualité, accessible à tous et évolutive sur un sujet scientifique complexe, dans un contexte de frénésie médiatique qui supposait une parole gouvernementale abondante.

● Une prise en compte insuffisante de signaux pourtant éclairants sur l’état d’esprit de la population

La communication gouvernementale n’a en outre pas suffisamment pris en compte les signaux qui laissaient présager une faible intention de se faire vacciner. Comme l’a indiqué M. Michel Setbon, sociologue au Centre national de la recherche scientifique et à l’École des hautes études en santé publique (136), dès le mois de juin 2009, le service d’information du Gouvernement disposait des résultats d’une étude (137) pessimiste quant aux intentions de la population : 61 % des personnes interrogées étaient certes favorables à leur propre vaccination mais le niveau d’inquiétude était bas et laissait supposer un certain écart entre l’intention et l’action ; en décembre, au pic de la pandémie, 70 % des personnes interrogées déclaraient qu’elles refuseraient la vaccination même si leur médecin traitant la leur proposait.

Par ailleurs, au mois de septembre 2009, la cellule interministérielle de crise (138) disposait des résultats d’une étude qualitative de l’IFOP, menée à la fin du mois d’août et au début du mois de septembre, qui montrait déjà une tendance à l’attentisme de la population face à un risque considéré comme lointain et abstrait ; à la même période, la vaccination était en outre perçue de manière imprécise concernant l’efficacité du vaccin, les personnes prioritaires et le calendrier de la campagne ; il était déjà noté « une revendication particulière port[ant] sur la prééminence du médecin traitant en matière de vaccination, considéré comme un axe de proximité. »

Une étude de l’organisation Gallup pour l’Eurobaromètre européen du mois de décembre 2009 (139) montrait en outre que la France figurait parmi les pays européens dans lesquels l’intention de se faire vacciner était la plus faible (25 %) et parmi les trois pays où le taux de personnes interrogées ne croyant pas à l’efficacité et la sûreté des vaccins était le plus important (43 %).

Ces observations sont aujourd’hui confirmées par les résultats d’une étude de l’unité 912 de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (140) menée du 17 au 25 novembre 2009 qui permet de constater qu’à cette date, seulement 17 % des personnes interrogées avaient l’intention de se faire vacciner. Parmi celles qui refusaient la vaccination, plus de 70 % étaient inquiètes quant à la sûreté des vaccins. L’acceptation de la vaccination pandémique était en outre fortement liée à sa recommandation par le médecin : près de 60 % des personnes conseillées positivement souhaitaient se faire vacciner, contre environ 12 % pour celles qui n’avaient pas reçu un tel conseil.

Divers sondages d’opinion permettaient enfin de déterminer une nette érosion de l’intention de se faire vacciner au fil du temps, jusqu’à ce que soit constatée une mutation du virus en Norvège le 20 novembre 2009.

Évolution des résultats des sondages d’opinion
réalisés par le service d’information du Gouvernement

Date du sondage

Intention de se faire vacciner

« certainement » et « probablement »

22 et 23 juillet 2009

67 %

24 et 25 août 2009

65 %

31 août et 1er septembre 2009

56 %

14 et 15 septembre 2009

39 %

14 et 15 octobre 2009

19 %

4 et 5 novembre 2009

14 %

27 et 30 novembre 2009

26 %

Source : Ministère de la santé et des sports.

Doit-on, comme M. Michel Setbon, juger que « l’échec de la campagne de vaccination pouvait être prévu [, qu’on ne s’était] pas donné les moyens de l’anticiper et d’en tirer les conséquences opérationnelles » (141) ? On constate, à la lecture des relevés de décisions de la cellule interministérielle de crise, que les autorités étaient conscientes du décalage grandissant entre l’objectif d’une couverture vaccinale importante et les intentions de la population. Ce qui est regrettable, c’est certes que la communication n’ait pas été ajustée en conséquence, mais aussi que les décisions prises concernant l’organisation de la campagne n’aient pas mieux intégré la faible perception du risque par la population et la nécessité de susciter son adhésion et celle des professionnels de santé, notamment libéraux, à une campagne de vaccination que l’on souhaitait massive mais qui reposait sur la liberté de choix.

Proposition n° 31 : Au sein de la cellule interministérielle de crise, mieux associer le pôle « Communication » à la prise de décisions stratégiques.

Proposition n° 32 : Intégrer dans la prise de décision les études engagées sur la perception du risque par la population.

b) L’absence de réaction appropriée des autorités face aux rumeurs

Il faut reconnaître au service d’information du Gouvernement d’avoir identifié, dans une note du 5 décembre 2009, la place d’internet dans le débat sur la vaccination et la faible visibilité, sur ce média, des messages institutionnels jugés trop administratifs ou trop politiques. Il a alors préconisé de les adapter aux internautes pour optimiser leur compréhension et susciter l’adhésion, en étendant la communication gouvernementale à des sites non institutionnels. Mais cela ne s’est traduit que par une seule initiative : l’élaboration d’un partenariat avec le site internet www.doctissimo.fr pour y participer à des forums de discussion. La réponse, tardive, a donc été bien mince au regard de l’enjeu.

Il semble désormais indispensable que la communication gouvernementale envisage une présence plus importante sur ce média où se lancent les alertes et se forgent les opinions. Elle ne doit pas seulement délivrer de l’information officielle : il lui faut réagir aux rumeurs et présenter des contre-arguments.

On pourrait utilement s’inspirer de l’exemple du Centre pour la prévention et le contrôle des maladies d’Atlanta, doté d’une cellule de veille internet richement étoffée et qui permet aux autorités de détecter rapidement les rumeurs, notamment sur les réseaux sociaux, et d’y répondre. Il ne s’agit évidemment pas de mettre en place une surveillance à visée coercitive ou de censure. Il ne s’agit pas non plus de répondre de manière anonyme, au contraire : la réponse de l’État doit pouvoir être identifiée comme telle.

Proposition n° 33 : Renforcer le pôle de veille multimédia au sein du service d’information du Gouvernement et prévoir une réponse adaptée sur internet et surtout les réseaux sociaux.

2. La nécessité d’un débat public sur les risques de pandémie ou de crise sanitaire grave

Au-delà du débat d’experts et de la communication gouvernementale, la gestion d’une crise pandémique doit donner lieu à un grand débat public, comme l’a souligné M. Didier Tabuteau, conseiller d’État et directeur de la chaire Santé de l’Institut d’études politiques de Paris (142). On a vu que les Français ont mis en doute la stratégie adoptée par le Gouvernement, doute qui les a finalement détournés de la campagne de vaccination mise en place. C’est donc qu’il convenait de mieux en expliquer le contenu, par une argumentation détaillée, afin de parvenir sinon à un consensus sur cette stratégie, du moins à une discussion apaisée sur les moyens envisagés qui permettrait de répondre aux interrogations et parfois aux inquiétudes. La gestion de la crise pandémique a souffert d’être essentiellement tournée vers l’action.

Il est cependant difficile de gérer la crise et d’organiser en même temps le débat public ; il semble donc nécessaire de mener un tel travail de concertation et de débat en période interpandémique. Deux instances constituent des lieux privilégiés pour mener un tel débat : la Conférence nationale de santé et des états généraux de citoyens sur les enjeux de la vaccination.

La consultation de la Conférence nationale de santé doit permettre une discussion, par les principaux intéressés, de l’architecture même de la réponse gouvernementale à la pandémie. On peut donc se féliciter qu’elle ait été saisie par le directeur général de la santé, le 8 juin 2010, de la question de la concertation en temps de gestion de crise sanitaire pour tirer les enseignements de la gestion de la pandémie de grippe A(H1N1).

Par ailleurs, il serait sans doute opportun d’organiser, comme cela a été le cas pour la bioéthique, des états généraux sur les enjeux de la vaccination en général qui permettraient à un panel de citoyens représentatifs de la population, préalablement formés à la question, de mener un débat éclairé par les scientifiques sur la politique vaccinale en France. L’organisation de ces états généraux devrait bien sûr avoir lieu en période interpandémique car un tel dispositif serait trop lourd à mettre en œuvre lors d’une crise sanitaire.

Enfin, il est souhaitable que le Parlement exerce un examen régulier et approfondi des politiques de gestion des risques épidémiques. Ce travail a déjà commencé, comme en témoignent les travaux de la commission d’enquête et de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Plusieurs instruments sont disponibles : auditions régulières en commission, examen des crédits consacrés à la sécurité sanitaire ou encore groupe d’études consacré à cette question.

Proposition n° 34 : Intégrer, dans le plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale, les propositions émises par la Conférence nationale de santé sur la concertation en phase de préparation et de gestion de la crise sanitaire.

Proposition n° 35 : Organiser des états généraux sur les enjeux de la vaccination.

Proposition n° 36 : Évaluer régulièrement, au sein du Parlement, les politiques de gestion des risques épidémiques.

3. Des professionnels de santé insuffisamment associés

On l’a déjà évoqué plus haut : le choix de ne pas recourir à la médecine de ville pour la campagne de vaccination a largement contribué à une démobilisation de professionnels de santé dont le rôle en matière de délivrance des messages sanitaires et de prévention est essentiel. Au-delà, ils ont souffert d’une information jugée inadaptée et d’une formation sur la vaccination qui n’est pas suffisamment développée.

a) Une information inadaptée qui n’a pas permis de susciter l’adhésion

Lors des auditions qu’elle a menées, la commission d’enquête a pu constater un consensus au sein des professionnels de la médecine ambulatoire qui ont considéré avoir manqué d’informations tant sur la pandémie que sur la campagne (143).

Certes, la ministre chargée de la santé s’est attachée à rencontrer, dès l’été et à de nombreuses reprises, les syndicats et les ordres pour leur exposer à la fois la situation sanitaire et le dispositif retenu pour la campagne de vaccination. Mais les canaux de transmission de cette information se sont révélés insuffisants et inadaptés, ce qui a conduit les professionnels de santé libéraux à estimer qu’ils étaient traités avec désinvolture alors que tel n’était pas le cas. Ils ont alors dû chercher à s’informer par leurs propres moyens en consultant la presse spécialisée, les sites internet des institutions sanitaires ou même simplement les médias généralistes.

En réalité, l’organisation du système de soins de premier recours, très dispersée, constitue un atout en termes de maillage territorial mais pose des difficultés pour la communication. Les relais traditionnels sont nombreux : ordres, unions régionales des professions de santé, syndicats professionnels, réseau Sentinelles, groupes régionaux d’observation de la grippe et DGS-Urgent, service internet qui permet aux 60 000 professionnels qui y sont abonnés de recevoir automatiquement des messages du ministère de la santé sur des problèmes sanitaires urgents.

Malgré leur abondance, ces relais n’ont pas permis aux professionnels de santé de se considérer comme suffisamment informés, ce qui les a en partie conduits à adopter une attitude très réservée à l’égard de la campagne de vaccination. On pourrait remédier à cette situation en renforçant l’échelon régional qui permettrait de mieux diffuser l’information vers le réseau de soins de premier recours ; en parallèle, il semble indispensable de disposer d’outils fiables permettant de joindre rapidement les professionnels en cas d’alerte sanitaire.

Proposition n° 37 : Privilégier les unions régionales des professionnels de santé comme relais de l’information délivrée par le Gouvernement en cas de crise sanitaire.

Proposition n° 38 : Inciter les professionnels de santé à communiquer aux unions régionales des professionnels de santé et aux conseils départementaux des ordres leurs coordonnées électroniques.

b) Une formation sur la vaccination sans doute incomplète

La désaffection des personnels de santé que l’on a constatée lors de la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1), très préoccupante, était certes liée à un contexte particulier mais elle traduisait sans doute aussi le sentiment d’une partie d’entre eux qui sont moins convaincus des bienfaits de la vaccination.

La moindre recrudescence de maladies infectieuses telles que la poliomyélite, la tuberculose et la rougeole, grâce à des vaccins anciens, a pu faire oublier le danger potentiel qu’elles représentent, toutes catégories confondues. Cela se traduit d’ailleurs par un taux de vaccination des personnels de santé insuffisant : celui des infirmier libéraux contre la grippe saisonnière est ainsi de l’ordre de 30 %, bien éloigné de l’objectif de 75 % fixé par l’objectif n° 39 figurant en annexe de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. Or la réussite d’une vaccination pandémique ne peut se passer de la mobilisation de l’ensemble des professionnels de santé : ils devraient en être les principaux promoteurs et être capables de répondre à leurs patients quand ceux-ci s’interrogent sur l’utilité de la vaccination ou les effets indésirables d’un vaccin.

Les auditions menées par la commission d’enquête ont permis de constater que ces professionnels se sont eux-mêmes considérés comme insuffisamment formés en matière de vaccination pandémique. Ainsi, M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français, a déploré « l’absence de formation préalable des professionnels » qui aurait permis « de préparer les professionnels à ce type de pandémie, mais surtout de (…) délivrer un message unique. » (144)

La nécessité de renforcer l’enseignement initial dans le domaine de la vaccinologie a été soulignée de manière insistante par le professeur Pierre Bégué, membre de l’Académie nationale de médecine (145), la France étant sur ce plan très en retard, notamment par rapport aux pays scandinaves et aux États-Unis. Mais un effort doit également être consenti en matière de développement professionnel continu : les modifications fréquentes du calendrier vaccinal et l’introduction de nouveaux vaccins nécessitent des adaptations régulières. Ce point avait d’ailleurs été déjà soulevé lors de travaux l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé (146).

Enfin, il nous faut mener une campagne volontariste d’information du grand public pour rappeler les bienfaits de la vaccination et lutter contre le refus vaccinal et, plus largement, diffuser une culture de santé publique, notamment à l’égard des publics les plus défavorisés, pour pouvoir mobiliser nos concitoyens lors de la prochaine crise sanitaire. Le futur plan « santé » élaboré en concertation entre les ministères de la santé et de l’éducation nationale devrait, de ce point de vue, constituer une avancée intéressante.

Proposition n° 39 : Réaffirmer l’objectif indicatif de vaccination de 75 % des professionnels de santé contre la grippe saisonnière dans la prochaine loi de santé publique.

Proposition n° 40 : Renforcer l’enseignement initial en vaccinologie au cours des études de médecine générale.

Proposition n° 41 : Renforcer le développement professionnel continu des médecins en vaccinologie.

Proposition n° 42 : Prendre toute mesure d’information nécessaire à destination du grand public afin de lutter contre le refus vaccinal et diffuser une culture de santé publique, notamment afin que les Français aient une parfaite conscience des incertitudes scientifiques inévitables lors de l’apparition d’un nouveau virus, ce qui peut conduire les pouvoirs publics à modifier les mesures de prévention au fur et à mesure de l’évolution des connaissances.

CONCLUSION

La France, pour la première fois de son histoire, a eu à faire face à une pandémie de grippe A(H1N1). On a légitimement cru qu’elle donnerait lieu à une crise sanitaire grave et que, cette fois, nous serions capables de la prévenir et la contrôler. Imprévisible comme la plupart des virus, celui que nous avons eu à affronter s’est révélé finalement peu virulent, au point que la catastrophe un temps pressentie s’est transformée en une épidémie comparable à une grippe saisonnière ; en quelque sorte, une crise sans crise.

La pandémie que nous venons de connaître a été le formidable révélateur d’une crise de confiance : celle de nos concitoyens qui ne croient plus aux messages de prévention et de santé publique, se défient de la parole de l’État en période de crise sanitaire et préfèrent s’en remettre à d’autres sources d’information, aux intérêts divers mais très médiatisées.

Les folles rumeurs sur internet, les attaques violentes du lobby anti-vaccin ou encore les annonces spectaculaires de pseudo-experts en quête de gloire médiatique auront sans doute laissé des traces. Le sensationnalisme a prévalu sur les faits documentés ; la parole officielle a été décrédibilisée par des acteurs sur les motivations desquels on s’interroge encore.

Un tel constat n’est pas nouveau en période de crise sanitaire. La violence des propos sur internet a sans doute été une cause des problèmes connus par la campagne de vaccination, mais elle est aussi probablement la conséquence d’un mal plus profond de la société française qui semble avoir préféré l’irrationnel au rationnel.

Plus largement, on a pu constater le défi que constitue, aujourd’hui, la délivrance d’un message de santé publique qui s’attache à l’intérêt collectif, dans une société à l’individualisme croissant où chacun élabore sa propre balance bénéfice/risque et obéit à une logique personnelle.

Les leçons sont multiples.

Tout d’abord, la population ne croit qu’en ce qu’elle voit : face à un risque considéré comme abstrait, la nécessité de mesures de prévention est très difficile à faire admettre. En revanche, dès que le risque est avéré, tous y adhèrent et se mobilisent, à des degrés divers. Comme il ne provoque pas de gêne, le précepte d’un lavage des mains régulier est facilement accepté. À l’inverse, le port du masque, qui comporte de réels désagréments, n’a pas convaincu de son intérêt. Le risque raisonnable attaché à la vaccination n’a quant à lui été compris et accepté que par une minorité, et une minorité aisée et informée.

La défiance à l’égard de la vaccination constitue un défi pour l’avenir. Demain, il nous faudra peut-être faire face à une nouvelle pandémie à la gravité plus sévère. La mobilisation du corps social sera alors indispensable. Comment ferons-nous si l’on ne croit plus aux mesures de santé publique ? C’est dès aujourd’hui qu’il nous faut convaincre, expliquer et, s’il le faut, contre-argumenter.

Cela nécessite de s’appuyer sur les piliers que sont les professionnels de santé. Leur intervention est indispensable pour restaurer la confiance, surtout lorsque nos concitoyens veulent être éclairés sur la question centrale du rapport entre risque choisi en cas de vaccination et risque encouru en son absence. Le lien qu’ont su tisser les médecins de famille avec leurs patients est à cet égard trop précieux pour qu’on le distende.

Des points préoccupants exigent une réflexion spécifique et approfondie. Le refus de la vaccination par la majorité des personnels infirmiers doit ainsi être sérieusement étudié, car il est étonnant que des personnes particulièrement exposées au risque de pandémie aient préféré s’exposer à ce dernier plutôt qu’à celui, négligeable, résultant d’une mesure de prévention. Était-ce un refus circonstanciel ou traduisant une défiance plus profondément ancrée ?

Les inquiétudes sur l’efficacité et la sûreté des vaccins, qui se sont parfois transformées en peur, et la méconnaissance du rapport privilégié des médecins traitants avec les Français ont été autant d’éléments qui annonçaient la crise de défiance dont a souffert la campagne de vaccination. Il n’a dès lors pas été possible de surmonter les accusations de préparation hâtive et de surveillance insuffisante des effets secondaires, ni les réminiscences d’expériences passées qui ont pu marquer les esprits.

La crise n’a finalement pas eu lieu, et c’est heureux. Mais à l’évidence, les professionnels de santé et la population demandent un changement des règles ; celui-ci est aujourd’hui nécessaire pour obtenir l’adhésion de la population lorsque surviendra une pandémie grave. Cette requête a conduit à la création d’une commission d’enquête alors que les pouvoirs publics n’ont fait – et bien fait – que leur devoir, leurs apparentes tergiversations ne reflétant que la progression, en temps réel, des connaissances sur la pandémie à laquelle ils devaient faire face.

Après cet événement qui n’a pas causé de dommages d’une ampleur aussi grande que celle qu’on avait un temps prévue, nous avons aujourd’hui l’opportunité de réfléchir aux améliorations à apporter pour restaurer la confiance dans les politiques de santé publique et gérer au mieux les futures « crises ». Votre rapporteur espère que les travaux de la commission d’enquête auront contribué à cette réflexion collective.

LISTE DES QUARANTE-DEUX PROPOSITIONS

I.- SUR LE BILAN DE LA VACCINATION AU PLAN EUROPÉEN

– Établir un bilan critique au niveau communautaire des campagnes de vaccination menées par les États membres, afin de dégager des pistes d’amélioration pour la gestion de futures éventuelles pandémies grippales.

II.- SUR LES PROCÉDURES DE NÉGOCIATION AVEC LES LABORATOIRES

– Engager un dialogue avec les industriels afin de mieux évaluer leurs capacités de production et les contraintes pesant sur les modalités de production, en particulier dans le domaine des vaccins.

III.- SUR LA DÉFINITION DE LA STRATÉGIE VACCINALE

– Mettre en place des études épidémiologiques, par un suivi statistique ou de cohortes, lors de toute future campagne de vaccination.

IV.- SUR LA DÉMARCHE D’ACQUISITION DES PRODUITS DE SANTÉ

– Favoriser le recours aux marchés à tranches conditionnelles dans toute situation de crise sanitaire et, en particulier, pour l’acquisition des produits de santé et matériels destinés à alimenter le « stock national santé ».

– Promouvoir, au niveau communautaire, une meilleure coordination entre les États membres en matière de gestion de crise sanitaire et la mise en place d’une stratégie mutualisée d’achats de vaccins.

V.- SUR LA DÉFINITION DE LA PANDÉMIE

– Œuvrer pour que les États membres adoptent une position commune, appuyée par la Commission européenne, afin de demander à l’Organisation mondiale de la santé une révision de la définition de la pandémie intégrant un critère de gravité.

VI.- SUR LES OUTILS DISPONIBLES POUR LUTTER CONTRE LA PANDÉMIE

1. Renforcer l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires

– Renforcer le rôle de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires en l’associant en amont à la prise de contact avec les laboratoires et aux prénégociations.

– Renforcer les moyens de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires en matière d’expertise du prix des produits de santé afin d’accroître son efficacité dans les négociations.

2. Adapter et compléter le plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale

– Adapter le plan français de prévention et de lutte contre la pandémie grippale afin d’y renforcer l’évaluation de la gravité du risque encouru et mieux identifier les catégories de mesures à prendre, non seulement par niveau d’alerte, mais aussi en fonction de la sévérité de la pandémie.

– Préciser, dans le plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale, les modalités d’organisation d’une campagne de vaccination pandémique.

3. Opérer quelques ajustements dans le pilotage de gestion de crise

– Prévoir, dès le début d’une crise pandémique, une liaison formalisée et bien identifiée entre les services du ministère de la santé chargés de la gestion de la crise et le ministère de l’intérieur.

– Privilégier une composition souple de la cellule interministérielle de crise en y reconnaissant le rôle essentiel d’appui du ministère de la santé en cas de crise sanitaire et en adaptant sa composition à la gravité de la pandémie.

4. Conforter l’expertise

– Poursuivre l’effort de mise en œuvre d’un réseau unifié de surveillance épidémiologique à l’échelle européenne en mettant l’accent sur une définition commune du syndrome grippal, en lien avec le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies, et rapprocher les méthodes de surveillance pour disposer d’indicateurs précis, fiables et harmonisés.

– Intégrer le Comité de lutte contre la grippe dans le Haut conseil de la santé publique dont il pourrait constituer un groupe de travail, ce qui garantirait la publicité de ses travaux.

– Prévoir une saisine précoce et systématique du Haut conseil de la santé publique en cas de risque pandémique.

– Créer au sein du Haut conseil de la santé publique une commission spécialisée sur les risques épidémiques, à la composition plurielle, pour renforcer le caractère opérationnel des avis du haut conseil.

5. Améliorer le pilotage territorial de la crise

– Renforcer le rôle des zones de défense comme échelon territorial de déclinaison des directives nationales ; instaurer un responsable décentralisé du département des urgences sanitaires dans chaque zone de défense ; adapter l’organisation de l’Établissement de préparation aux urgences sanitaires à ces zones pour que ses stocks soient gérés au niveau de ces échelons ; prévoir, au sein de chaque agence régionale de santé, un référent « zone de défense ».

– Instituer dans chaque zone de défense un conseil zonal de préparation aux crises sanitaires présidé par le préfet de zone et composé de représentants de l’ensemble des acteurs de la gestion de crise sur le terrain.

– Informer régulièrement les collectivités locales sur l’architecture générale d’une campagne de vaccination de grande ampleur. Cette information serait délivrée par le ministère de l’intérieur après consultation des principales associations de collectivités.

– Réviser le volet territorial du plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale pour y intégrer les agences régionales de santé qui joueraient le rôle de « préfets sanitaires » en appui des préfets des zones de défense et seraient chargées de la mobilisation des personnels de santé, de la préparation sanitaire des centres et de rendre compte de leur activité auprès de la zone de défense, les préfectures de département se concentrant sur les autres aspects logistiques.

– Établir et actualiser annuellement, dans chaque zone de défense, en liaison avec les agences régionales de santé et les unions régionales des professionnels de santé, une liste des personnels de santé volontaires pour participer à des opérations collectives de gestion de crise sanitaire.

– Recenser dès aujourd’hui, dans chaque zone de défense, les lieux susceptibles d’être utilisés pour gérer une éventuelle campagne de vaccination pandémique.

– Associer, au niveau départemental, les collectivités territoriales, les référents sanitaires des communes et les professionnels de santé lors du recensement des équipements à utiliser.

– Attribuer aux préfectures de département une marge de manœuvre dans l’organisation matérielle des centres pour tenir compte, au mieux, des spécificités des territoires.

– Renforcer le suivi et l’évaluation régulière du déroulement des opérations sur le terrain en établissant une chaîne de remontée des informations vers la préfecture de zone de défense.

6. Renforcer le rôle des professionnels de santé dans la vaccination pandémique

– Favoriser le recours à la médecine ambulatoire parallèlement à des centres de vaccination spécifiques en cas de campagne de vaccination pandémique.

– Inscrire dans le champ des conventions nationales liant l’Union nationale des caisses d’assurance maladie et les syndicats de professionnels de santé les conditions d’exercice de la vaccination pandémique.

– Entamer une concertation entre les agences régionales de santé et les représentants des professionnels de santé, en particulier les unions régionales et les conseils des ordres, pour inscrire dans les schémas régionaux d’organisation des soins les modalités concrètes de recours à la médecine ambulatoire pour une vaccination pandémique.

– Lorsque cela est possible, déconcentrer les vaccinations pandémiques dans les communautés de grande taille telles que les établissements scolaires, grandes entreprises et administrations qui bénéficient d’équipes médicales appropriées.

VII.- SUR LA COMMUNICATION

1. Instaurer le débat public et adapter la communication gouvernementale vers le grand public

– Instaurer, en cas d’alerte pandémique, une conférence nationale constituée des représentants des collèges scientifiques qui permettrait une communication consensuelle sur la nature du risque et les moyens médicaux disponibles pour y faire face.

– Au sein de la cellule interministérielle de crise, mieux associer le pôle « Communication » à la prise de décisions stratégiques.

– Intégrer dans la prise de décision les études engagées sur la perception du risque par la population.

– Renforcer le pôle de veille multimédia au sein du service d’information du Gouvernement et prévoir une réponse adaptée sur internet et surtout les réseaux sociaux.

– Intégrer, dans le plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale, les propositions émises par la Conférence nationale de santé sur la concertation en phase de préparation et de gestion de la crise sanitaire.

– Organiser des états généraux sur les enjeux de la vaccination.

– Évaluer régulièrement, au sein du Parlement, les politiques de gestion des risques épidémiques.

2. Améliorer les modalités d’information des professionnels de santé

– Privilégier les unions régionales des professionnels de santé comme relais de l’information délivrée par le Gouvernement en cas de crise sanitaire.

– Inciter les professionnels de santé à communiquer aux unions régionales des professionnels de santé et aux conseils départementaux des ordres leurs coordonnées électroniques.

3. Mener une politique vaccinale volontariste

– Réaffirmer l’objectif indicatif de vaccination de 75 % des professionnels de santé contre la grippe saisonnière dans la prochaine loi de santé publique.

– Renforcer l’enseignement initial en vaccinologie au cours des études de médecine générale.

– Renforcer le développement professionnel continu des médecins en vaccinologie.

– Prendre toute mesure d’information nécessaire à destination du grand public afin de lutter contre le refus vaccinal et diffuser une culture de santé publique, notamment afin que les Français aient une parfaite conscience des incertitudes scientifiques inévitables lors de l’apparition d’un nouveau virus, ce qui peut conduire les pouvoirs publics à modifier les mesures de prévention au fur et à mesure de l’évolution des connaissances.

CONTRIBUTIONS

CONTRIBUTION DE MME JACQUELINE FRAYSSE,
DÉPUTÉE DES HAUTS-DE-SEINE (GROUPE GDR)
ET MEMBRE DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

Si l’intérêt des auditions réalisées dans le cadre de la commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) est indiscutable, il convient de souligner un certain nombre de différences d’appréciation par rapport à ses conclusions, notamment concernant la responsabilité du Gouvernement, qui ne peut être minorée, et la conception trop restrictive de la démocratie sanitaire telle qu’esquissée dans ce rapport. Par ailleurs, un certain nombre de propositions peuvent être formulées concernant la nécessaire maîtrise publique de l’industrie pharmaceutique, gage d’efficacité et de transparence.

La situation inédite à laquelle le Gouvernement a dû faire face ne saurait l’absoudre des erreurs manifestes commises dans la gestion de cette crise.

Il est certes indéniable que le Gouvernement a dû composer avec les incertitudes et les doutes initiaux quant à la virulence du virus. La responsabilité de l’Organisation mondiale de la santé concernant l’évaluation du niveau des risques liés à la pandémie est également engagée. À ce propos, le refus des responsables de l’OMS de venir s’expliquer devant la commission d’enquête est d’autant plus regrettable qu’il ne peut qu’entretenir les doutes quant à l’indépendance de l’organisation mondiale, notamment vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique.

Ce n’est pas tant l’application du principe de précaution qui peut être reprochée au Gouvernement, que la façon dont il a été mis en œuvre. Car le constat est accablant : non seulement la campagne de vaccination, au coût exorbitant, a été un fiasco, mais surtout, elle a durablement jeté sur les politiques de santé publique en général, et sur le principe des vaccinations en particulier, un voile de suspicion dont les conséquences pourraient être dramatiques si notre pays devait faire face à une pandémie plus virulente.

Manifestement, le Gouvernement a organisé le traitement des risques de la pandémie en s’enfermant dans un schéma rigide qui s’est avéré non seulement inadapté, mais au bout du compte contre-productif. Il est assez significatif à cet égard que la campagne de vaccination ait été guidée par le ministère de l’intérieur, et non pas par celui de la santé.

Il est par ailleurs regrettable que le Gouvernement n’ait pas cherché à conditionner l’achat des vaccins à l’évolution de la maladie, comme ont su le faire d’autres pays comme l’Espagne ou les États-Unis. Quant au choix de recourir à une campagne de vaccination de masse, il est d’autant plus discutable que l’Institut de veille sanitaire savait suffisamment tôt que les vaccins ne seraient pas disponibles en quantité suffisante avant le début de la première vague pandémique et recommandait une vaccination ciblée sur les personnes à risques, comme l’indique l’audition de la directrice générale de l’InVS.

De même, avec la mise à l’écart des médecins généralistes – outre que cette décision est en contradiction flagrante avec les déclarations de la ministre de la santé affirmant que les généralistes constituent les piliers de notre système de santé –, le Gouvernement s’est privé d’une source d’évaluation du développement et de la dangerosité de la pandémie, ainsi que d’un précieux relais.

La communication du Gouvernement a été à l’image de sa réponse sanitaire : rigide et inefficace. À sens unique, destinée à faire accepter par la population et les soignants des décisions prises dans le secret des cabinets ministériels et des réunions d’experts, cette communication, relayée pourtant par un matraquage médiatique d’une rare intensité, n’est pas parvenue à palier un manque patent de concertation. Elle n’a contribué qu’à décrédibiliser un peu plus la parole gouvernementale.

Au bout du compte, le débat a eu lieu, mais, en refusant de l’organiser, le Gouvernement n’a pu en éviter les excès. Les citoyens qui ne trouvaient pas dans la communication gouvernementale les éléments leur permettant de se forger une opinion se sont tournés vers d’autres sources, et notamment internet sur lequel des contributions fondées sur de véritables compétences, argumentées et constructives, pouvaient voisiner avec de folles rumeurs empreintes d’irrationalité. Seule l’organisation d’un débat public aurait permis de distinguer clairement les unes des autres. C’est l’un des principes de la démocratie sanitaire, et même de la démocratie en général, que le Gouvernement redoute.

Si les conclusions de la commission d’enquête évoquent bien ce déficit de démocratie sanitaire, elles donnent de celle-ci une définition trop restrictive.

On ne peut ainsi se contenter, comme le préconise le rapport, d’organiser des moments d’information entre les crises. Si des états généraux sur les enjeux de la vaccination peuvent être utiles, ils ne sauraient remplacer une action permanente et diversifiée de l’État en matière d’information dans le domaine de la santé publique et de la prévention. Quant à l’évaluation régulière par le Parlement des politiques de gestion des risques épidémiques, il s’agit là d’une évidence qu’il est regrettable de devoir rappeler.

Le rapport de la commission d’enquête propose également d’intégrer dans les plans de prévention et de lutte contre la pandémie grippale les recommandations de la Conférence nationale de santé. Cette proposition est d’autant plus pertinente que, dès 2008, cette même Conférence nationale de santé formulait déjà un certain nombre de propositions intéressantes (147) dont on ne peut que regretter aujourd’hui qu’elles n’aient pas davantage été prises en considération.

La Conférence nationale de santé préconisait ainsi la création d’un code de déontologie de l’expertise venant en appui des décisions en santé publique, le contrôle des liens d’intérêt, par une entité indépendante prestataire de services, des comités d’experts, par exemple l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), ou le renforcement des sanctions en cas de non-respect du code de déontologie.

Mais surtout, la Conférence nationale de santé proposait l’introduction d’un débat contradictoire sur des questions de santé publique en donnant aux représentants des associations agréées la possibilité de poser des questions à l’expert et d’émettre des observations qui seraient jointes au rapport final. « Cette procédure contradictoire, écrivaient les membres du bureau de la Conférence nationale de santé, faciliterait l’acceptabilité des décisions en santé publique par une participation en amont à l’expertise ».

Énumérant les différentes mesures législatives ayant permis de renforcer la participation des citoyens dans les politiques de protection de l’environnement (148), la Conférence nationale de santé s’étonnait enfin que ces efforts conduits dans le domaine de l’environnement n’aient pas été promus en matière de santé publique, alors même que le principe de précaution (149) est intimement lié à la question de la démocratie.

Il s’agit bien là d’un problème de conception de ce que doit être la concertation.

Elle ne saurait être conçue comme le moyen de faire accepter des décisions prises en amont, ou comme un moyen d’assurer l’adhésion des personnes concernées. Elle doit respecter chacun et s’attacher à convaincre, comme le précisait fort justement M. Hubert Blanc, premier président de la Commission nationale du débat public, lorsqu’il précisait que « la concertation en amont est une exigence démocratique contemporaine de la démocratie ; elle est une condition de l’efficacité. Elle oblige chacun à être meilleur : le décideur quand il doit faire comprendre ses choix, l’ingénieur quand il doit défendre ses solutions techniques, l’opposant qui ne peut se contenter d’une orchestration bruyante de l’indignation et du procès d’intention, mais doit dire lui aussi le pourquoi et le comment des solutions qu’il préconise » (150).

Il est dommage que ces principes de démocratie n’aient pas été appliqués à la gestion de la pandémie grippale. Une plus grande concertation, l’association des médecins de ville, leur mise à contribution en tant que source d’information en direction du Gouvernement sur la réalité de la pandémie et en direction des citoyens sur la meilleure façon d’y faire face ne sont en aucun cas contradictoires avec le principe de précaution. L’audition des chercheurs, sociologues, psychologues, historiens, qui se sont penchés sur l’histoire des épidémies et ont étudié le comportement des populations face aux risques pandémiques aurait permis de prévenir les réactions d’inquiétude, voire d’hostilité, des citoyens face à cette menace et à la campagne de vaccination. Une plus grande transparence sur les conflits d’intérêt, l’organisation d’auditions publiques, d’ailleurs prévues par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, auraient été le plus sûr moyen d’assurer l’adhésion des citoyens.

Enfin, considérant l’influence prêtée aux experts dans la gestion de cette crise pandémique et leurs liens, réels ou supposés, avec l’industrie pharmaceutique, il apparait plus que jamais urgent de mettre en place un pôle public du médicament.

Les liens que peuvent entretenir certains experts qui ont conseillé le ministère de la santé ne suffisent pas à remettre en cause leur objectivité. Ces liens sont avant tout la conséquence de la faiblesse du financement public de la recherche en France qui conduit les chercheurs, encouragés en cela par le Gouvernement, à se tourner vers les entreprises privées pour faire financer tout ou partie de leurs travaux. Il n’en demeure pas moins que ces liens de dépendance et le fait qu’ils aient parfois été occultés ont jeté la suspicion sur la parole de ces experts et sur les décisions prises par le Gouvernement quant à l’intérêt de se faire vacciner et l’éventuelle dangerosité des vaccins. En ce sens, il s’agit bien d’une question de santé publique placée sous la responsabilité de l’État qui engage l’avenir et les futures campagnes de vaccination.

Le même doute subsiste concernant l’Organisation mondiale de la santé. La modification par l’OMS de la définition de la pandémie, en supprimant le critère de létalité, a en effet permis à l’organisation mondiale de déclencher prématurément le niveau 6 de l’alerte et d’enclencher ainsi la fabrication des vaccins et, surtout, le processus d’achat par les États.

Si la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite « Grenelle I », a créé une instance de garantie de l’indépendance de l’expertise, celle-ci est toujours dans l’attente des décrets d’application. La portée de cette instance, dans tous les cas, ne pourra qu’être limitée, se contentant de faire la clarté sur les liens de dépendance des experts opérant en France.

D’une toute autre portée serait la création d’un pôle public du médicament, au service de l’intérêt général, où l’expertise des chercheurs œuvrant dans ce pôle ne devrait plus être troublée par des considérations financières.

Nous serons attentifs aux suites qui seront données au rapport de la commission d’enquête, comme à celui de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Car la mise en œuvre des recommandations formulées dépend essentiellement d’une volonté politique et d’une conception de la démocratie.

Paris, le 5 juillet 2010

CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE SRC
MEMBRES DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

Un gâchis dont toutes les leçons ne sont pas tirées

Les députés du groupe SRC avaient réclamé dès la première audition de la ministre de la santé, en juillet 2009, la création d’une mission d’information sur l’épidémie de grippe A(H1N1) afin de pouvoir éclairer nos concitoyens sur la gestion de cette crise sanitaire. La constitution d’une mission d’information aurait permis de mieux associer la Représentation nationale à son suivi car les quelques auditions de la ministre de la santé (dont une seulement du ministre de l’intérieur) accompagnée des responsables de l’administration n’étaient pas suffisantes. Il aurait été plus judicieux d’entendre l’ensemble des acteurs afin de rendre compte de tous les problèmes rencontrés et d’en tirer des leçons pour la gestion d’une éventuelle pandémie à l’avenir. La constitution de cette mission ne nous a jamais été accordée malgré des demandes réitérées, au motif que ce serait faire preuve de défiance à l’égard du Gouvernement, alors que le rôle des parlementaires est avant tout de contrôler son action.

Contre toute logique, la création de cette commission d’enquête a été toutefois accordée au groupe Nouveau Centre, avec un rapporteur issu de la majorité gouvernementale et en écartant donc tout membre de l’opposition de sa direction. Le président du groupe Nouveau Centre avait d’ailleurs assuré dans l’hémicycle qu’il n’était pas question de remettre en cause la politique du Gouvernement.

Malgré leur profond mécontentement devant la mise en place d’une commission d’enquête a minima, les députés du groupe SRC ont accepté d’y travailler mais sans illusions et sans véritables moyens. En effet, cette commission a été créée le 24 février mais elle a été mise en place seulement le 31 mars. Elle aura donc eu au total trois mois de travail effectif, au lieu des six mois prévus par le Règlement de l’Assemblée.

Le rapport qui en résulte n’est pas à la hauteur du véritable bilan qui aurait dû être tiré de ce vaste gâchis, même si certaines propositions ont tout de même tenu compte des constats flagrants qui sont ressortis des auditions : la vaccination de masse, le caractère rigide de l’organisation, des circulaires inapplicables, la mauvaise négociation des contrats pour les vaccins ou bien encore l’erreur de ne pas associer les médecins de ville.

Un objet d’enquête restreint dans sa définition et des lacunes importantes

L’objet de ses enquêtes a été limité à la gestion de la campagne de vaccination dont tout le monde a retenu les images surannées de ces gymnases, avec en alternance des salles vides ou des files d’attente interminables.

Mais l’objet de cette commission a été encore plus circonscrit par ses responsables. Ainsi on peut déplorer l’absence de toute analyse approfondie sur plusieurs points :

– les fameux contrats « dormants » avec les laboratoires pharmaceutiques qui entraient en action dès lors que l’OMS annonçait le passage en phase 6 de la pandémie. La commission a exclut de son champ d’investigation l’OMS, celle-ci ayant refusé d’être auditionnée.

– L’expertise scientifique n’est pas abordée alors que c’est un élément essentiel pour comprendre certains aspects de la gestion de cette pandémie. Le traitement des liens d’intérêts susceptibles d’exister entre les experts et les laboratoires a pourtant été au centre des polémiques.

– Les plans de continuité d’activité dans les entreprises et les administrations n’ont pas été traités.

– L’efficacité et les modalités d’utilisation des antiviraux ou la pertinence des procédures d’AMM retenues pour les vaccins pandémiques.

S’agissant des antiviraux, il aurait été utile d’approfondir bien plus ce sujet. En effet il serait urgent de prévoir des études cliniques sur le Tamiflu (dont les effets secondaires ne sont pas anodins), afin de faire la lumière sur sa réelle efficacité en matière de prévention, afin de savoir s’il peut-être administré aux populations les moins fragiles dans l’attente d’une vaccination puisqu’il a été démontré l’impossibilité de mener une vaccination de masse.

Concernant la pharmacovigilance, le rapport préconise de mener des enquêtes épidémiologiques. Mais une véritable pharmacovigilance nécessiterait de mettre en place un suivi à court terme, mais aussi à long terme, des personnes vaccinées pour approfondir la question des effets secondaires. Si ce travail n’est pas fait, on aura immanquablement à l’avenir de nouvelles polémiques sur la vaccination.

Le rapport indique que « à la date d’adoption du rapport il est impossible de connaître la ventilation par type de population du taux de couverture vaccinale ». Pourtant le directeur général de la santé a cité plusieurs fois des chiffres précis… Ce manque de statistiques et de bilan par la CNAM qui a géré les bons de vaccination laisse perplexe.

À l’automne prochain, le vaccin contre la grippe saisonnière sera trivalent (comme tous les ans) et il inclura le virus A(H1N1). Le rapport aurait dû proposer de prévenir les personnes prioritaires pour cette vaccination saisonnière qu’elles risquent d’être vaccinées une deuxième fois, voire même une troisième fois pour celles qui ont eu deux injections. Les personnes de plus de 65 ans seront donc vaccinées alors qu’elles n’étaient pas non prioritaires pour la vaccination de masse puisqu’elles ne figuraient pas dans les populations à risque concernant le H1N1.

Enfin, il convient de souligner que l’on comptabilise 3,46 millions de doses de vaccins gâchées (jetées ou mises au rebut), alors que l’on a environ 5,3 millions de personnes qui se sont fait vacciner. Le rapport montre bien sur ce point que les raisons de ce gâchis sont les modalités d’organisation de la vaccination et le conditionnement en multidoses. Cela met fin définitivement aux arguments du Gouvernement sur le choix de vacciner dans des centres plutôt que de laisser les médecins traitants s’en occuper.

On peut se poser des questions sur le devenir des stocks de vaccins, car on a à l’ÉPRUS près de 21 millions de doses, dont 12 millions qui périment en octobre 2010 et 9 millions qui périment en mars 2011.

Tout cela démontre l’incapacité du Gouvernement à adapter un dispositif qui était construit pour une éventuelle pandémie de grippe H5N1, et le manque total de prise en compte des retours d’expérience dès septembre 2009 de l’hémisphère Sud qui montraient la moindre virulence de cette grippe et dénombraient un nombre de cas constatés asymptomatiques de l’ordre de 70 %.

En conclusion, ce rapport n’est pas totalement satisfaisant même s’il reprend un certain nombre de critiques et d’interrogations qui ont été portées par les députés du groupe SRC et vivement contestées par la ministre de la santé.

Ses critiques sur la communication dans les médias et sur internet font l’impasse sur le manque de lisibilité des messages gouvernementaux. Or, il aurait été nécessaire de comprendre si cela tenait à un problème structurel ou bien à une mauvaise gestion conjoncturelle, ce qui n’implique pas les mêmes réponses.

Ce qui est certain, c’est que l’absence de débat public que nous avons dénoncé à plusieurs reprises relève de la responsabilité gouvernementale et permet d’expliquer la crise de confiance de la population et la remise en cause de la crédibilité des pouvoirs publics en matière de politique de santé publique.

TRAVAUX EN COMMISSION

La commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) se réunit le mardi 6 juillet à neuf heures quarante, sous la présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, pour examiner le rapport d’enquête de M. Jean-Pierre Door, député.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Mes chers collègues, notre commission achève aujourd’hui ses travaux. Ils ont été intenses : nous avons procédé à 52 auditions et entendu 75 personnalités. Comme je l’avais annoncé en commençant, j’ai accepté de donner suite à de nombreuses demandes d’audition et de modifier le calendrier initialement fixé. C’est ainsi que nous avons pu entendre des représentants du laboratoire Roche, du directeur des affaires sanitaires et sociales de Paris, de l’Agence européenne du médicament et des syndicats professionnels de santé, de même que M. Marc Girard, l’association Voisins Solidaires et quelques autres. D’autres auditions étaient concevables, d’autres encore ont été demandées. Mais, comme vous le savez, je n’ai pu obtenir de réponse favorable de la part de l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, et les contraintes de calendrier nous interdisaient de prolonger nos travaux au-delà du 14 juillet et de la fin de la session extraordinaire.

Malgré tout, ces travaux ont été, je crois, empreints d’un grand sérieux. À cet égard, je tiens à remercier nos collègues les plus assidus : notre rapporteur Jean-Pierre Door, cela va de soi, M. Gérard Bapt, M. Jean Mallot, Mme Catherine Lemorton, Mme Catherine Génisson, Mme Marie-Louise Fort et M. Guy Lefrand, notamment.

Sur le fond, tous les aspects de la lutte contre la pandémie grippale n’ont pu être examinés dans le détail, mais tous les membres de la commission ont pu intervenir et s’exprimer sur tous les points qu’ils souhaitaient aborder. Surtout, si le rapport, consultable depuis le 30 juin – délai clairement annoncé et exceptionnellement long au regard des précédents –, ne traite que de la campagne de vaccination stricto sensu comme en avait prévenu notre rapporteur, chacun a été à même de présenter une contribution et, tout en restant d’une taille raisonnable – à peu près 120 pages sans les annexes – il reprend, sinon toutes, du moins la plupart des idées émises lors de notre réunion du 17 juin. Ce document est sans nul doute une mine d’informations et de suggestions et, à ce titre, il est appelé à être abondamment lu et commenté.

Il est à nouveau disponible dans cette salle. Dans la mesure où, aux termes de l’article 144-2 du règlement, il ne peut être rendu public avant cinq jours francs, je vous demanderai de vous abstenir de l’emporter. Je vous remercie de votre compréhension, tout en admettant que cette disposition constitue un archaïsme. Je saisirai d’ailleurs le président de l’Assemblée nationale de ce point qui me paraît assez curieux : pourquoi cinq jours, alors que nous allons adopter le rapport et qu’il lui sera remis dans quelques heures ?

Dernier point marquant notre volonté de transparence : pour la première fois depuis qu’existent des commissions d’enquête, cette dernière réunion fera l’objet, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, d’un compte rendu. Ainsi, en sus des diverses contributions, les propos et analyses de chacun d’entre vous figureront dans le rapport publié.

Enfin, une conférence de presse destinée à présenter ce rapport est prévue, une fois écoulé le délai prévu à l’article 144-2, le 15 juillet prochain, salle Lamartine, à dix heures trente.

Mme Catherine Lemorton. Ayant commencé ses travaux le 31 mars, cette commission d’enquête – que je qualifierai de commission d’enquête
« a minima »
, en me référant à son intitulé – a travaillé non pas six mois, mais trois seulement et n’a donc pas traité l’ensemble des problèmes. Par conséquent, certains restent en suspens et ne manqueront pas de se reposer lors d’une prochaine pandémie. Je regrette ce manque de temps, car le sujet valait mieux – il ne s’agissait pas des infirmières bulgares !

Ensuite, ce rapport, non transportable et non photocopiable – mais soit : ce sont les règles applicables aux commissions d’enquête –, a été mis à notre disposition le jour de la semaine où le travail parlementaire est le plus intense, à savoir mercredi dernier. Dans la mesure où nous devions remettre notre contribution le lundi suivant, à dix-sept heures, nous ne pouvions le consulter que mercredi, jeudi et vendredi derniers, à des horaires déterminés. Or, c’est ce matin que les groupes politiques sont appelés à exprimer leur vote, sans avoir pu se réunir. Cela n’est pas acceptable au regard de l’importance du sujet.

Le flou persistera sur certains points qui ne sont pas mineurs, disais-je.

Premièrement, il est écrit, page 9 du projet de rapport, que l’efficacité des antiviraux ne sera pas évoquée. Or, si un point n’a pas fait l’unanimité pendant cette pandémie, c’est bien l’utilisation du Tamiflu à des fins préventives. Comme je l’ai expliqué lors de notre dernière réunion, dès lors qu’il est acquis que, même avec la contribution des médecins libéraux, l’on ne peut vacciner tout le monde lors d’une pandémie, il conviendrait que l’on s’assure de l’effet préventif du Tamiflu grâce à des essais cliniques sérieux réalisés dans les deux ou trois prochaines années, en vue de le prescrire aux populations les moins fragiles. Cette question demeurera en suspens.

Deuxièmement, le rapport ne consacre que deux lignes à la pharmacovigilance, pourtant essentielle eu égard aux effets secondaires des vaccins. Si un plan de pharmacovigilance a été mis en place à court terme, rien n’est précisé s’agissant d’un plan à moyen et long termes. Par conséquent, la population exprimera de nouveau les mêmes réticences vis-à-vis du vaccin.

Troisièmement, la question de l’expertise – aide à la décision politique – et celle des conflits d’intérêts sont écartées d’emblée. Je trouve également cela très choquant, monsieur le rapporteur, car ces sujets ont, eux aussi, été maintes fois abordés au cours de nos réunions.

Ces trois lacunes, que dénonce la contribution du groupe SRC, expliquent la méfiance et la non-adhésion de la population française au plan vaccinal.

M. Jean Mallot. Le rapport est-il définitif ou peut-il être modifié ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Vous aviez la possibilité, dans un premier temps, de proposer une contribution. Vous pouvez également aujourd’hui proposer des modifications au rapporteur par le biais d’amendements écrits et présentés, ici, en séance. En effet, Monsieur Jean Mallot, nous devons voter sur un texte et non sur des intentions. C’est la raison pour laquelle j’avais souhaité un débat entre nous le 17 juin dernier : il a permis à certains, dont moi, d’exprimer leurs idées. Il appartenait au rapporteur de les reprendre ou non. Les commissaires prendront aujourd’hui position sur le rapport, en fonction de ses réponses.

Madame Catherine Lemorton, j’aurais préféré moi aussi que notre commission travaille un mois et demi de plus mais, honnêtement, je ne pense que nos collègues auraient fait preuve d’une grande assiduité au mois d’août. Déjà, les auditions programmées le jeudi ont rarement rassemblé plus de trois ou quatre d’entre eux…

La création de la commission d’enquête le 24 février ayant été suivie d’une période de suspension des travaux liée aux élections régionales, il est vrai que nous avons débuté nos travaux fin mars. Cela ne nous a pas empêchés, à un rythme soutenu j’en conviens, de réaliser 52 auditions pour entendre 75 personnes. Les commissaires ont pu poser toutes les questions qu’ils souhaitaient, y compris sur des sujets sortant du champ assigné à la Commission – ainsi sur les antiviraux que ne mentionnait pas la proposition de résolution présentée par le groupe Nouveau Centre ; pour autant, vous avez demandé l’audition du laboratoire Roche, je l’ai permise, et vous avez pu poser des questions à sa présidente.

La pharmacovigilance a souvent été évoquée au cours de nos réunions, c’est vrai, mais elle ne semble pas avoir posé de problème particulier dans cette campagne de vaccination. Au reste, elle fait l’objet d’une analyse dans le rapport.

Quant aux conflits d’intérêts, nous avions précisé dès le début de nos travaux qu’il serait regrettable que l’Assemblée nationale et le Sénat travaillent sur les mêmes sujets. Or, à la Haute assemblée, le groupe communiste a souhaité une commission d’enquête consacrée exclusivement à ce sujet. En ce qui nous concerne, nous avons voulu nous concentrer sur le problème de santé publique mais nous avons pu interroger les experts et les laboratoires sur cette question, et tous nous ont demandé de légiférer en faveur de plus de transparence. Ce sujet n’a donc nullement été éludé.

S’agissant des conditions de consultation du rapport, nous étions tenus par l’article 144-2 du Règlement mais vous avez disposé de délais plus longs que pour bon nombre de rapports de commission d’enquête. Il vous a même été possible de procéder à cette consultation en dehors des horaires fixés, comme peut en témoigner Mme Jacqueline Fraysse.

Enfin, les commissions d’enquête n’ont pas obligatoirement une durée de six mois. Il s’agit d’une durée maximale. J’ajoute que la plus célèbre, la commission sur l’affaire dite d’« Outreau », n’a auditionné que pendant trois mois, et la plupart des autres ont travaillé dans un temps du même ordre. La commission d’enquête du Sénat, qui avait prévu de poursuivre ses travaux jusqu’au 10 août, les arrêtera finalement le 28 juillet. De la même façon, il m’étonnerait fort que les travaux de la commission d’enquête que l’Assemblée vient de créer sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies commencent avant septembre, car nos collègues ne procéderont certainement pas à des auditions au mois d’août.

Nous avons dû composer avec de nombreuses contraintes. D’ailleurs, pour tenir compte des classiques interruptions estivales, électorales et autres, je suggérerai au Président de l’Assemblée nationale une réforme du Règlement visant à porter la durée des commissions d’enquête de six ou neuf mois afin de travailler dans des conditions plus sereines.

M. le rapporteur Jean-Pierre Door. Le rapport que j’ai le plaisir de vous présenter aujourd’hui s’en tient, comme je vous l’ai annoncé à plusieurs reprises, aux thèmes figurant dans l’intitulé de la commission d’enquête : la programmation, l’explication et la gestion de la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1).

Je sais que nous avons eu l’occasion, lors de certaines auditions, d’évoquer des sujets très importants, tels que l’indépendance des experts, le rôle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la pertinence de l’utilisation d’antiviraux ou encore les procédures d’autorisation de mise sur le marché utilisées pour les vaccins maquettes. Sciemment, je n’ai pas voulu traiter ces questions qui n’étaient pas au cœur de nos travaux et dont, en outre, se sont occupées ou s’occupent d’autres instances : l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, la commission d’enquête du Sénat, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

J’en viens au fond proprement dit. Je n’ai pas cherché à nier l’évidence, à savoir que les résultats obtenus à l’issue de la campagne étaient décevants au regard des moyens engagés. Mais, comme vous tous je pense, j’ai été animé par la volonté de faire des propositions pour que nous fassions mieux la prochaine fois : mieux lors de la négociation des contrats, mieux pour la diffusion des messages de santé publique, mieux pour sensibiliser les Français à la vaccination, mieux enfin pour associer les professionnels de santé aux futures campagnes de vaccination pandémique.

Vous avez pu prendre connaissance de mon rapport. Je ne vais donc pas en détailler le contenu, mais simplement vous en rappeler les principales lignes.

La première partie du rapport traite précisément du bilan de la campagne de vaccination, qui est pour le moins insatisfaisant, à deux titres.

Tout d’abord, une acquisition massive de vaccins pour un faible taux de vaccination de la population – il a été évalué à 8,5 %.

En second lieu, une forte incompréhension entre les autorités sanitaires et le corps médical, en particulier les médecins généralistes, qui n’ont pas été associés à la campagne et ont donc eu le sentiment d’être exclus d’une opération d’ampleur en matière de santé publique.

Le tout pour un coût certes beaucoup moins élevé que le montant de 1,1 milliard d’euros avancé initialement puisque, pour la campagne de vaccination en elle-même, il s’établirait en définitive autour de 670 millions d’euros, mais pour un coût dont on doit reconnaître qu’il reste important, surtout au regard du résultat. À signaler toutefois un point finalement positif, bien qu’anecdotique pour nous : les vaccins produits en France ont été largement exportés : au premier trimestre 2010, ils étaient au septième rang des dix produits les plus exportés, devant les cosmétiques.

Il convient toutefois de relativiser ce bilan. Non pas pour minimiser le constat d’échec, réel, sur le plan de la santé publique, mais pour prendre acte du fait que la France n’est pas isolée. Hormis quelques-uns comme la Suède ou le Canada qui sont parvenus à susciter une réelle adhésion de la population à la vaccination, la plupart des États développés, en particulier ceux de l’Union européenne, accusent le même résultat : des commandes massives de vaccins, une très faible vaccination de la population et, par conséquent, des stocks importants de vaccins et des procédures de résiliation des commandes.

La deuxième partie du rapport vise donc à cerner les causes de cette situation, pour essayer de comprendre les choix qui ont été faits et d’avancer des propositions susceptibles d’améliorer la réponse sanitaire dans l’hypothèse d’une nouvelle pandémie.

Le contexte d’incertitude qui a prévalu jusqu’à l’automne a conduit à opérer des choix inspirés par le principe de précaution, dans le but de proportionner la réponse à l’ampleur de la menace. Ces incertitudes concernaient le virus A(H1N1), sa virulence, sa contagiosité, son taux d’attaque en fonction des types de populations – on pense notamment aux enfants, aux femmes enceintes ou aux personnes atteintes d’affections de longue durée.

C’est ce contexte qui permet d’éclairer les choix qui ont été faits au moment où ils ont été faits : celui de fixer un objectif de couverture vaccinale de plus de 70 % de la population et, par conséquent, celui de procéder à l’acquisition de 94 millions de doses de vaccins.

C’est aussi l’incertitude quant aux délais et aux modalités d’obtention des vaccins qui explique les très fortes contraintes ayant entouré la phase de négociation des contrats, laquelle a été, il faut le reconnaître, très délicate pour les pouvoirs publics, mais, encore une fois, pas seulement en France.

Et c’est toujours dans l’esprit du principe de précaution que le rapport avance un certain nombre de propositions, qui doivent permettre à l’avenir de prendre des mesures non seulement « proportionnées », mais – et c’est le second versant du principe de précaution –, des mesures « provisoires ».

Il faudrait, en premier lieu, que le principe du recours aux marchés à tranches conditionnelles soit généralisé pour l’acquisition de produits de santé et de matériels destinés à se préparer à des pandémies ou à les combattre.

De la même manière, une meilleure coordination entre les États membres de la Communauté européenne est urgente si l’on veut éviter qu’ils ne se retrouvent à nouveau en position de faiblesse face à l’industrie pharmaceutique.

Enfin, il est essentiel qu’un suivi statistique soit systématiquement mis en place lors de toute future campagne de vaccination : études épidémiologiques destinées à mieux connaître la virulence d’un virus et le taux d’immunisation de la population, ou suivis renforcés en matière de pharmacovigilance, comme ce fut le cas dans le cadre de la campagne de vaccination contre le virus A(H1N1).

La troisième partie du rapport traite de la relative rigidité observée dans la conduite de la campagne de vaccination sur le terrain.

Le dispositif utilisé pour lutter contre la pandémie avait été élaboré initialement pour faire face à des menaces sanitaires graves, comme la grippe aviaire. C’est le cas du règlement sanitaire international – RSI – auquel nous sommes soumis. Celui-ci constitue un cadre de référence essentiel pour le partage de l’alerte, mais il a conduit l’OMS à déclarer la situation de pandémie sans tenir compte de la virulence du virus. Je pense que nous nous accorderons tous sur une proposition qui consiste à œuvrer au niveau européen pour que l’OMS révise la définition de la pandémie en y intégrant un critère de gravité.

M. Gérard Bapt. Tout à fait.

M. le rapporteur. Au niveau national, nous avons utilisé deux outils principaux pour gérer la crise. Le premier était l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS). Je pense qu’il faut le renforcer pour mieux l’armer dans les négociations avec les laboratoires. Je propose donc de l’associer plus en amont aux pré-négociations, et de renforcer son expertise en matière de prix des produits de santé.

Le deuxième outil était le plan « pandémie grippale ». Même si les pouvoirs publics ont su prendre de nombreuses mesures d’adaptation, ce plan souffre selon moi de deux carences : la première est qu’il ne prévoit pas de graduer la réponse en fonction de la gravité du risque ; la seconde est que, s’il prévoit la mise en œuvre d’une vaccination pandémique, il est totalement muet sur les conditions d’organisation de celle-ci. Il faudra donc le compléter sur ces deux points.

J’en viens au pilotage de la crise. Je pense que le choix d’un cadre interministériel reposant sur la cellule interministérielle de crise – CIC – était un bon choix, qui s’est révélé opérationnel. Je suggère simplement de privilégier une composition plus souple de cette cellule.

Les décisions ont été éclairées par une expertise abondante. Beaucoup a été dit à ce sujet. Je considère pour ma part que le choix de recourir à des expertises collégiales, donc contradictoires, et menées par des personnes extrêmement compétentes, était essentiel.

Pour améliorer encore notre système d’expertise, je propose notamment d’intégrer le Comité de lutte contre la grippe dans le Haut conseil de la santé publique, ce qui garantirait la publicité de ses travaux ; de prévoir une saisine précoce et systématique du même haut conseil en cas de risque pandémique, et de créer en son sein une commission spécialisée dans les risques épidémiques, pour renforcer le caractère opérationnel de ses avis.

Pour ce qui concerne le pilotage des opérations au niveau territorial, des disparités ont été observées malgré la remarquable mobilisation des personnels. Je pense qu’à l’avenir il faudra renforcer le rôle de l’échelon zonal pour décliner les consignes nationales, avec un référent « zone de défense » dans les agences régionales de santé – ARS. Je propose aussi de créer un conseil zonal de préparation aux crises sanitaires et de mieux informer les collectivités locales, en consultant leurs associations sur l’organisation prévue pour les futures campagnes.

S’agissant du recours aux centres de vaccination, je pense que nous pourrions tous être d’accord pour dire que ce choix n’était pas optimal. Il répondait certes à de vraies contraintes, à la fois de santé publique et logistiques, mais, comme on l’a vu lors de l’audition de M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, ce système n’aurait pas permis de vacciner 47 millions de personnes en quatre mois.

J’ai étudié d’autres pistes possibles. Je pense qu’il faut bien évidemment associer les médecins libéraux à la vaccination pandémique, même si je ne crois pas que tous pourraient faire face. Selon moi, c’est à eux de voir s’ils peuvent, ou non, gérer les contraintes logistiques et administratives. Le système doit donc reposer sur leur volontariat, et être complété par des centres de vaccination collective pour faire face à un éventuel pic pandémique. Je propose par conséquent, d’une part, d’inscrire dans le champ des négociations conventionnelles avec les caisses le mode d’exercice de la vaccination pandémique ; d’autre part, d’organiser une concertation entre les ARS et les représentants des professionnels de santé, en particulier les unions régionales, pour définir les modalités concrètes de recours à la médecine ambulatoire pour une vaccination pandémique.

Je ne développerai pas le constat des divers dysfonctionnements des centres, dont nous avons tous eu l’expérience.

Je m’attarderai cependant sur la faiblesse du volontariat, préoccupante pour l’avenir. Je pense qu’il faut renforcer le rôle des ARS qui doivent devenir probablement des préfets sanitaires et être chargées de mobiliser les professionnels de santé, par exemple en établissant dès à présent, en liaison avec leurs représentants, une liste de volontaires pour faire face aux futures crises.

La quatrième partie du rapport est consacrée à la désaffection des Français à l’égard de la campagne de vaccination, qu’ils ont clairement boudée.

Je considère d’abord que le message de santé publique a été brouillé par de nombreuses interventions, qui traduisaient pourtant souvent l’évolution des connaissances – des scientifiques comme des professionnels de santé – sur le risque encouru et sur les vaccins, mais qui ont semé la confusion dans l’esprit des Français. Il faudrait donc qu’à l’avenir soit organisée une conférence nationale, composée exclusivement de scientifiques, pour éviter toute interprétation politique et avoir une communication consensuelle sur la nature du risque et sur les moyens de le contrer.

J’ai également souligné l’emballement de médias relayant des prises de position parfois polémiques qui n’avaient rien à voir avec l’argumentation scientifique. Je me suis en outre penché sur un autre aspect préoccupant : celui du rôle d’internet, des réseaux sociaux, dans la diffusion de rumeurs qui ont conduit nos concitoyens à avoir plus peur de la vaccination que de la maladie elle-même.

Même si les ministres n’ont jamais tenu de discours divergents, nous avons tous constaté que, confronté à cet emballement médiatique, le Gouvernement n’a pas su avoir une communication appropriée : elle a été trop axée sur l’information, alors qu’elle aurait dû, à un moment donné, basculer dans la contre-argumentation. Cela n’a pas été le cas parce qu’on n’a pas su prendre en compte suffisamment tôt l’état d’esprit de la population.

Je fais donc trois propositions : mieux associer le pôle « Communication » de la CIC à la prise de décisions stratégiques ; intégrer dans la prise de décision les études engagées sur la perception du risque par la population ; renforcer le pôle de veille multimédia au sein du service d’information du Gouvernement et prévoir une réponse adaptée sur internet et, surtout, sur les réseaux sociaux.

Par ailleurs, il apparaît nécessaire d’organiser un débat public. Il peut difficilement avoir lieu pendant la crise, car on dispose alors de peu de temps. Je propose donc que soient organisés des états généraux sur les enjeux de la vaccination. Il me semble également utile que le Parlement évalue régulièrement les politiques de gestion des risques épidémiques.

Enfin, il faudra à l’avenir mieux informer les professionnels de santé. À cet égard, leurs unions régionales devraient jouer un rôle essentiel. Je propose donc de les privilégier comme relais de l’information en cas de crise sanitaire et d’inciter les professionnels à leur communiquer leurs coordonnées électroniques.

Enfin, pour mieux associer les professionnels de santé, je crois indispensable de renforcer leur formation, initiale et continue, en vaccinologie, aujourd’hui insuffisante au regard d’un calendrier vaccinal de plus en plus compliqué.

Il me semble, pour finir, nécessaire de mieux diffuser la culture de santé publique auprès de nos concitoyens, pour lutter contre le refus vaccinal.

Tels sont les principaux points développés dans mon rapport. J’espère que vous souscrirez à mes propositions, que je me suis efforcé de faire aussi consensuelles que possible.

Au total, j’estime que l’expérience de la campagne, malgré son bilan et ses dysfonctionnements, nous a permis de tester nos moyens de lutte contre les pandémies et de réfléchir, notamment au sein de notre commission d’enquête, sur les nombreuses pistes d’amélioration à explorer. C’est un acquis instructif.

Je résumerai, pour terminer, mes propositions :

– au niveau européen, établir un bilan critique des campagnes de vaccination menées par les États membres ;

– s’agissant des procédures de négociation avec les laboratoires, mieux évaluer en amont leurs capacités de production et leurs contraintes ;

– pour ce qui est de la définition de la stratégie vaccinale, mettre en place des études épidémiologiques, avec un suivi statistique ;

– concernant la démarche d’acquisition des produits de santé, recourir aux marchés à tranches conditionnelles et promouvoir, au niveau communautaire, une meilleure coordination entre les États membres et une mutualisation stratégique des achats de vaccins ;

– demander à l’Organisation mondiale de la santé de ne pas rester enfermée dans sa tour d’ivoire, et de réviser la définition de la pandémie en y intégrant le critère de gravité ;

– pour ce qui est des outils, renforcer l’ÉPRUS en l’associant en amont aux discussions avec les laboratoires et le doter d’une expertise plus approfondie en matière de prix des produits de santé ; compléter le plan de prévention français et l’adapter en fonction de la gravité du risque ; opérer quelques ajustements dans le pilotage de crise et rechercher, en particulier, une composition beaucoup plus souple de la cellule interministérielle ; renforcer l’expertise à l’échelle européenne ; intégrer le comité de lutte contre la grippe dans le Haut conseil de la santé publique, prévoir une saisine de ce même haut conseil et créer en son sein une commission spécialisée, améliorer le pilotage territorial de la crise ; renforcer le rôle des professionnels de santé ;

– s’agissant de la communication, instaurer le débat public et adapter la communication gouvernementale en direction du grand public ; améliorer les modalités d’information des professionnels de santé ;

– enfin, mener une politique vaccinale volontariste, en renforçant la formation professionnelle continue des médecins et l’enseignement initial en vaccinologie, et en réaffirmant les objectifs de santé publique dans le domaine de la vaccination.

M. Jean Mallot. Nous sommes donc appelés à prendre position sur un rapport qui est celui du rapporteur, et non, comme il est habituel ailleurs, celui de la commission.

Dans sa contribution rappelée par Mme Catherine Lemorton, le groupe SRC a regretté que ce document n’aborde pas trois questions qui ont pourtant eu une importance déterminante : le rôle de l’OMS, celui des experts dans les prises de décision – avec le problème des conflits d’intérêts –, et l’utilisation des antiviraux. À cela j’ajouterai trois observations.

Premièrement, il n’est pas approprié d’invoquer, dans l’affaire qui nous occupe, le principe de précaution : il suffit pour s’en convaincre de relire l’article 5 de la Charte de l’environnement. Le prérapport rédigé par nos collègues Alain Gest et Philippe Tourtelier, au nom du Comité d’évaluation et de contrôle, démontre d’ailleurs que ce principe fait l’objet d’une utilisation abusive, qui en dénature profondément l’esprit. Il serait donc opportun de supprimer cette notion du rapport, pour la remplacer par une référence au principe de prévention.

Deuxièmement, nous souhaitons tous pour l’avenir un plan de lutte contre les pandémies qui soit modulable, mais la question n’est pas celle-là puisque les auteurs du plan et les personnes chargées de le mettre en œuvre ont souligné, lors des auditions, qu’il l’est déjà. La vraie question est donc de savoir pourquoi il n’a pas été modulé – pourquoi les pouvoirs publics, le Gouvernement en particulier, n’ont pas su, à chaque étape, en faire un usage approprié. Or ce point non plus n’est pas suffisamment développé dans le rapport.

Troisièmement, nous regrettons tous le rôle d’internet, le fourmillement des messages contradictoires qui ont brouillé la perception du public, entraîné une défiance à l’égard de la vaccination et gêné la mise en place des dispositifs. Mais si ces messages néfastes ont pu se déployer, c’est parce qu’il n’y a pas eu de parole officielle constante, crédible, perçue comme sincère. Faute de référence permanente, tout a été mis sur le même plan.

Le Gouvernement n’a pas su communiquer, dit le rapporteur. Non : il n’a pas voulu ! Sa stratégie de communication était délibérée. Elle a d’ailleurs été clairement expliquée ici par ceux qui avaient charge de la mettre en œuvre, et c’est ce qui explique que certains journalistes aient pu parler de propagande et de manipulation de l’opinion. La conséquence a été catastrophique. Il faut donc que ce soit dit clairement.

M. Yves Bur. Je tiens d’abord à remercier M. le président et M. le rapporteur pour le travail réalisé, qui est considérable.

Cette pandémie grippale a mis en lumière certains dysfonctionnements. Il importe aujourd’hui d’en tirer toutes les conséquences, pour que les pouvoirs publics puissent remédier aux carences ou à l’inadaptation des décisions. La gestion d’un nouvel épisode de grippe devra être plus efficace.

Comme les débats l’ont montré, la lutte contre la pandémie pose la question de la relation entre le politique et les experts. Aujourd’hui, la position des experts est déterminante dans la prise de décision. Il faut savoir comment cette décision émerge et s’impose aux politiques : ces questions déterminantes pour l’avenir se posent à notre pays, mais aussi au niveau international, au sein de l’OMS, même si ce sujet ne relevait pas de la commission.

Il est nécessaire de faire évoluer les plans de prévention et de lutte contre la pandémie afin de mieux graduer la réponse en fonction de la gravité prévisible.

Concernant l’expertise – mais cela vaut aussi pour l’ensemble des professionnels de santé –, il est temps d’imposer une transparence totale de ses relations avec les laboratoires. La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a déjà souligné ce point, il faut à présent passer aux actes. Il n’y a pas de raison que nous ne parvenions pas à réaliser en France ce à quoi un certain nombre de grands laboratoires, notamment américains, sont prêts.

Ménager un vrai rôle aux professionnels de santé dans le dispositif me paraît indispensable, mais gardons-nous de ne faire place qu’aux médecins : il ne serait pas compréhensible de laisser de côté les infirmières, qui ont beaucoup contribué à la campagne de vaccination.

Les pouvoirs publics doivent promouvoir, auprès du grand public et des professionnels, une politique vaccinale qui reste un outil sans égal d’une politique de santé publique. Elle est affectée aujourd’hui d’un discrédit qui m’inquiète compte tenu de ses conséquences sanitaires potentielles – que l’on songe notamment à la recrudescence des cas de rougeole, due à une méfiance générale.

Enfin, il ne faut pas donner le sentiment que les choix arrêtés dans le cadre de la lutte contre une pandémie sont l’apanage de quelques experts. Il est indispensable d’associer davantage les usagers aux instances de décision pour accroître la transparence et conforter les stratégies retenues.

M. Guy Lefrand. À mon tour, je veux féliciter le rapporteur pour avoir su mener à bien un difficile travail de synthèse. Son rapport entre parfaitement dans le cadre posé par l’intitulé de la commission d’enquête.

Nos auditions ont fait apparaître un consensus : le politique a pris les bonnes décisions par rapport à ce qui nous a été proposé par l’OMS et par les experts. Les décisions initiales ont été validées, même si les modalités de mise en œuvre nécessitent d’être revues.

Dans un avenir proche, il sera nécessaire de s’interroger sur le rôle de l’expertise nationale et de l’expertise européenne, notamment sur les relations entre politiques et experts.

Je voudrais insister sur quatre points.

M. Yves Bur a raison : une place plus importante doit être faite, non pas seulement aux médecins libéraux, mais à l’ensemble des professionnels de santé, en particulier aux infirmières. Mais n’oublions pas non plus les pharmaciens, qui nous ont fait part de leurs remarques, et qui sont pas simplement distributeurs de médicaments, mais aussi, comme l’a reconnu la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, des professionnels de santé de premier recours.

On a constaté l’incapacité gouvernementale non pas à communiquer, mais plutôt à contre-communiquer et à réagir à une communication hasardeuse ou provocatrice, pour ne pas dire plus, de certains groupes ou mouvements. Il faut donc envisager la création de cellules de contre-communication.

Nous devons travailler à une meilleure répartition des rôles, notamment entre le ministère de la santé et le ministère de l’intérieur. La cellule interministérielle de crise doit être beaucoup plus souple et le ministère de l’intérieur ne doit pas avoir une mainmise trop importante sur celle-ci : elle a probablement contribué au manque de flexibilité dénoncé par beaucoup.

Il est nécessaire, enfin, de revoir l’ensemble de nos plans « pandémie » et, surtout, de les faire évoluer en temps réel en fonction de l’évolution des connaissances et de la pandémie proprement dite.

Le groupe UMP votera bien évidemment ce rapport, dont les propositions sont parfaitement conformes à la mission assignée à cette commission d’enquête.

M. Jean-Paul Bacquet. Dans ce pays, on n’insiste pas assez sur l’absence de conception collective de la santé publique, l’individualisme l’emportant toujours.

Le risque majeur que nous courons aujourd’hui est le discrédit de la vaccination en général et de toute campagne de vaccination de masse en particulier. Il serait indispensable d’avoir un minimum d’informations sur les résultats des campagnes de vaccination. La reprise de la tuberculose dans certains départements, même si elle est davantage due à la précarité et à des formes de résistance, et l’attente de notre pays d’une vaccination contre le sida militent pour qu’on rappelle l’intérêt de la vaccination. En effet, régulièrement remise en question, elle n’apparaît pas comme un acquis définitif.

Monsieur le rapporteur, vous évoquez la médecine ambulatoire à deux reprises dans votre rapport. Page 85, vous faites le constat qu’elle n’a pas été utilisée et, page 111, vous formulez le vœu qu’elle le soit. Mais il faut aller plus loin. J’ai systématiquement demandé à nos différents interlocuteurs s’ils avaient eu connaissance des critiques faites sur ce point aux précédentes campagnes de vaccination – je pense en particulier à celle qui a été menée dans le Puy-de-Dôme contre la méningite. Tous ont répondu par la négative. Ne prenons pas le risque qu’il en soit de même avec la campagne de vaccination contre la grippe A ! Je souhaite par conséquent que vous fassiez mention de ces précédents.

M. Gérard Bapt. Il faut savoir gré au rapporteur de son important investissement personnel, mais aussi d’avoir su écouter et évoluer : c’est ainsi que je reconnais dans ses recommandations certaines de mes suggestions, par exemple sur les relations entre les experts français et le comité de lutte contre la grippe, d’une part, et le Haut conseil de santé publique, d’autre part.

J’approuve bien entendu son constat d’une crise de confiance. Tout le problème est cependant de savoir si le rapport donne tous les éléments permettant de remédier à cette défiance. Aux observations faites sur ce point par mes collègues, j’en ajouterai quatre.

Premièrement, la communication gouvernementale n’a pas aidé au maintien d’une confiance initiale, attestée par les sondages. Je pense en particulier à l’opacité entretenue sur le contenu des contrats. La presse avait recouru à la Commission d’accès aux documents administratifs – CADA –, mais l’avis de cette dernière avait été négligé et c’est moi qui, en tant que rapporteur spécial sur les crédits de la mission « Santé », ai dû aller les consulter à l’ÉPRUS pour les rendre publics !

En second lieu, il est regrettable que le rapport n’aborde pas la question du Tamiflu alors même que, durant la crise, des médecins ont fait des pétitions contre l’élargissement des recommandations, à titre préventif – et à demi-dose, certes –, à l’entourage de personnes susceptibles d’avoir contracté la maladie !

Je mentionnerai également le problème des contrats. L’ÉPRUS tiendra certainement compte des critiques formulées, notamment par un professeur de droit, sur la légalité des contrats prépandémiques. Reste que les laboratoires refusent systématiquement, même pour l’avenir, d’assumer la responsabilité de leurs produits de santé en cas de pandémie, alors qu’ils l’assument pour une vaccination : voilà qui ne pouvait inciter à la confiance ceux qui se souviennent de l’affaire de l’hépatite B, dans laquelle trois laboratoires sont mis en examen !

Quatrièmement, s’agissant de la pharmacovigilance, il faut renoncer à faire de la vaccination un sujet tabou. Au reste, cette question sera certainement abordée si le débat public proposé par le rapporteur a lieu. Cependant, les éléments épidémiologiques manquent : une seule étude sérieuse a été menée aux États-Unis sans donner de résultats concluants quant à l’efficacité de la vaccination contre la grippe saisonnière. Qu’en est-il alors contre la pandémie ?

Ensuite, certains points dans le rapport sont à mon sens contestables.

Les choix ont été faits au vu des données épidémiologiques connues au moment où ils ont été faits, indique M. le rapporteur. Pourtant, dès l’été, on savait ce qui s’était passé dans l’hémisphère Sud, notamment à La Réunion, et on aurait pu alors infléchir ces choix. Or ils sont restés intangibles.

Le docteur Martine Perez, responsable des pages « santé » du Figaro, nous a dit pendant la table ronde qu’à la place de la ministre, elle aurait agi de la même manière par précaution juridique. Mais 700 millions d’euros pour protéger juridiquement la ministre, n’est-ce pas bien cher ?

On a également pris ses précautions en matière d’éthique : l’avis 106 rendu en janvier 2009 par le Comité consultatif national d’éthique a servi à justifier la commande d’un nombre de vaccins suffisant pour répondre à toutes les demandes et couvrir 75 % de la population. Il reste qu’une telle décision prête pour le moins à discussion dès lors que ces vaccins n’ont été disponibles qu’une fois passé le pic pandémique.

Enfin, M. le rapporteur a avancé une proposition quasiment révolutionnaire, consistant à associer l’ÉPRUS à la fixation des prix. Cette suggestion concerne uniquement les vaccins et les antiviraux, j’imagine…

M. le rapporteur. Les matériels également.

M. Gérard Bapt. Quoi qu’il en soit, elle a le mérite de soulever le problème plus global de la fixation des prix des médicaments, dont M. Yves Bur et Mme Catherine Lemorton ont souvent rappelé qu’elle se faisait dans des conditions particulièrement opaques. Peut-être est-ce là un premier pas – dont je me féliciterais – vers une remise en cause des procédures actuelles.

Même si nous soutenons la plupart des recommandations formulées par M. le rapporteur – certaines fussent-elles particulièrement techniques, notamment en matière d’organisation –, notre groupe souhaite bénéficier d’une suspension de séance de cinq minutes, à l’issue de la discussion générale, afin de pouvoir arrêter définitivement sa position.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Elle vous sera bien entendu accordée.

M. Jean-Louis Touraine. Tout au long de cette crise grippale, nous sommes revenus sans cesse à la charge pour demander que les professionnels de santé – médecins généralistes, pédiatres et pharmaciens notamment – soient impliqués dans le processus de vaccination, dans la mesure où ils sont évidemment au cœur du système de soins et où ils disposent de toute la confiance de la population. On nous a, à chaque fois, opposé un refus, appuyé sur des arguments qui se sont tous révélés fallacieux. Autant que de rigidité, c’est d’entêtement qu’il faudrait parler à propos de l’attitude du Gouvernement. Celui-ci est resté sourd à toutes nos remarques, et a fait preuve d’une absence totale de réactivité et d’adaptabilité dont les conséquences sont, outre le faible taux de vaccination, un divorce entre le ministère de la santé et beaucoup de professionnels qui se sont sentis humiliés et déconsidérés, mais, également, une perte de confiance de l’ensemble de la population dans les politiques de santé publique comme dans l’utilité de la vaccination. Sans mesures fortes, je crains bien que cette confiance ne tarde à être restaurée.

M. Jacques Domergue. Je n’ai pu participer aux auditions de la commission d’enquête, retenu par mes fonctions de rapporteur au sein d’une mission qui travaillait parallèlement – ma collègue la présidente Catherine Lemorton ayant eu quant à elle la possibilité de s’en échapper parfois pour vous rejoindre –, mais, découvrant le rapport, je tiens à féliciter M. Jean-Pierre Door pour ce travail mesuré et pondéré qui vise, avant tout, à tirer les leçons de la crise que nous avons traversée.

En l’espèce, nous sommes confrontés à une situation plutôt inhabituelle : alors que les crises sanitaires conduisent d’ordinaire à dénoncer une insuffisance des précautions, c’est l’excès de celles-ci qu’on reproche, particulièrement du côté du groupe socialiste. J’espère que cette commission d’enquête contribuera à définir un juste équilibre à cet égard, pour le traitement des crises à venir.

Pour ma part, mesurant les difficultés qui allaient se faire jour, je me suis abstenu lorsqu’il s’est agi de voter le principe de précaution. Cependant, on peut comprendre les décisions prises par Mme la ministre de la santé et des sports sur le fondement d’études – notamment en provenance de l’OMS – qui étaient difficilement contestables. Comment d’ailleurs critiquer le souci qu’elle a eu de protéger l’ensemble de la population ? Toutefois, on aurait peut-être pu souhaiter plus de prudence quant à l’objectif qu’on se fixait : était-il bien réaliste de vouloir vacciner en quelques mois 47 millions de personnes ? Si l’on avait pensé à solliciter des experts en statistique et en logistique, sans doute auraient-ils démontré que c’était impossible, ce qui aurait conduit à revoir rapidement à la baisse le volume des commandes de vaccins.

En outre, la défiance dont a fait preuve la population à l’égard de la vaccination ne s’explique-t-elle pas par l’utilisation d’une arme de choc pour combattre une pandémie certes hautement contagieuse, mais peu grave ? À cela il faut ajouter le rôle des réseaux sociaux électroniques et l’attitude de certains professionnels de santé, qui ne se sont pas fait vacciner : tous facteurs qui, en l’absence d’une conception collective, ont favorisé une évaluation individuelle, voire individualiste, du rapport bénéfice/risque. Sans doute devrons-nous veiller, à l’avenir, à la façon dont sont diffusées les informations relatives à une pratique thérapeutique dont les bienfaits ne sont pourtant plus à démontrer.

À cet égard, les médecins généralistes auraient sans aucun doute eu un grand rôle à jouer, ce qui aurait évité qu’ils ne souffrent d’un sentiment d’exclusion. En revanche, que n’auraient pas dit nos collègues socialistes si la ministre de la santé avait décidé de les placer en première ligne en leur confiant une vaccination facturée 22 euros ? Je considère donc que l’organisation de cette vaccination de masse a été judicieuse, ses modalités pratiques – détermination des sites ou heures d’ouverture par exemple – dussent-elles être revues à l’avenir. Et, par ailleurs, cette crise aura eu au moins le mérite de faire que les médecins généralistes s’intéressent aujourd’hui beaucoup plus qu’auparavant aux problèmes généraux de santé publique.

Enfin, si M. Yves Bur a raison d’insister sur la nécessité d’une absolue transparence des expertises, cet objectif sera certainement difficile à atteindre, s’agissant d’interventions qui ont toujours un caractère d’urgence et sont donc peu propices à une évaluation scientifique pondérée. Ne pourrait-on dès lors envisager d’instituer un « conseil des sages », qui jouerait un rôle de modérateur en s’efforçant de faire prévaloir le bon sens ?

M. Michel Lejeune. Je tiens à féliciter M. le rapporteur pour son travail intéressant et équilibré – qui me semble néanmoins amendable sur un point, et un seul : je souhaiterais remplacer la mention du « principe de précaution » par celle du « principe de prévention », car nous étions en l’occurrence informés des risques encourus.

Mme Catherine Génisson. Je m’associe à cette remarque. Ce point met d’ailleurs en exergue la nécessité de revoir intégralement les fondements de nos politiques de santé publique, ainsi que l’ensemble de nos pratiques en la matière – sans donc se limiter au problème de la vaccination.

J’ajoute que nous ne déplorons pas tant un excès de mesures que leur inadaptation, ou, plus précisément, l’incapacité de les adapter à l’évolution des données, au fil de la crise.

Comme nombre de nos collègues, je considère que tous les professionnels de santé auraient dû être beaucoup plus associés à la gestion de la pandémie, non seulement en tant qu’acteurs, mais en tant que médiateurs et qu’agents en charge de l’information de la population. De ce point de vue, et puisqu’il est question d’une conférence nationale des collèges scientifiques, la création de passerelles entre scientifiques et praticiens me semblerait particulièrement opportune.

Enfin, parce que les politiques doivent assumer leurs responsabilités dans ce domaine comme dans d’autres, et ce en faisant abstraction de toute considération partisane, je suis également favorable à la création d’une mission parlementaire chaque fois que se pose un problème de santé publique similaire.

Mme Jacqueline Fraysse. Si ce rapport approfondi et intéressant sera sans aucun doute très utile, je le juge néanmoins trop clément à l’endroit du Gouvernement. Il souffre en outre d’une approche trop restrictive de ce qu’on pourrait appeler la démocratie sanitaire. Pour notre part, nous ne cesserons de dénoncer les lacunes de nos politiques de santé publique, lacunes sensibles aussi bien dans les pratiques que dans l’information ou dans l’éducation des jeunes à la santé, par exemple.

Des fautes graves ont été commises, dont les conséquences sont accablantes : coût exorbitant, fiasco total et discrédit touchant désormais l’ensemble des politiques de santé publique et la vaccination en particulier. Je n’ose envisager les drames qui risquent de survenir si nous devons être confrontés à une pandémie autrement plus virulente que celle que nous avons connue.

Non seulement la politique menée n’a pas été efficace, mais elle s’est montrée contre-productive, le Gouvernement ayant globalement fait preuve d’un entêtement coupable au lieu d’essayer de corriger le tir. S’agissant des laboratoires, il ne s’est pas montré particulièrement exigeant alors que l’exemple d’autres pays montre qu’on pouvait agir autrement. Nul ne songe, ici, à lui reprocher un excès de vigilance et de protection – comment aurait-il pu lire dans le marc de café et inventer des données scientifiques dont il ne disposait pas ? Mais son plan n’en a pas moins été irréaliste : au nom d’une protection aussi absolue que possible, la vigilance ne s’est exercée qu’au profit d’un nombre relativement restreint de personnes.

Je ne reviendrai pas sur la grave erreur que fut la mise à l’écart des médecins généralistes, mais je soulignerai que la communication gouvernementale a été déplorable, faute d’avoir fait leur part à l’ensemble des acteurs. On retrouve là le déficit de démocratie sanitaire que je dénonçais à l’instant. Ainsi, pourquoi ne s’est-on pas intéressé, par exemple, aux travaux de ce sociologue que nous avons auditionné et qui, portant sur le degré de conscience qu’ont les citoyens des problèmes de santé, auraient favorisé une meilleure adaptation de l’action gouvernementale ?

Si je me félicite que le rapport propose de tenir compte des recommandations issues du débat public de la conférence nationale de santé, je note également qu’il y avait été question, bien avant la pandémie, de la concertation en amont en tant qu’exigence contemporaine de la démocratie mais également en tant que condition de l’efficacité obligeant chacun à être meilleur, « le décideur quand il doit faire comprendre ses choix, l’ingénieur quand il doit défendre ses solutions techniques, l’opposant qui ne peut se contenter d’une orchestration bruyante de l’indignation et du procès d’intention mais doit dire lui aussi le pourquoi et le comment des solutions qu’il préconise ».

De surcroît, parce que la concertation la plus large s’impose, je regrette que le rapport ne mentionne pas l’importance de l’information publique au cœur même des crises sanitaires.

Enfin, la pandémie a montré combien la mise en place du pôle public du médicament que nous appelons de nos vœux depuis longtemps aurait été précieuse tant la soumission financière et décisionnelle aux laboratoires pharmaceutiques constitue un grave problème.

Mme Catherine Lemorton. Je me livrerai pour commencer à une petite autocritique : nous corrigerons notre contribution s’agissant du passage concernant l’OMS car ni le président ni le rapporteur de la commission d’enquête ne sont évidemment responsables du refus de cette organisation de venir s’expliquer devant nous.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je vous en remercie d’autant plus que nous l’avons invitée à deux reprises.

Mme Catherine Lemorton. En ce qui concerne la pharmacovigilance, monsieur le rapporteur, nous ne sommes évidemment pas convaincus par votre réponse. Si cette dernière a été correctement menée à court terme, qu’en sera-t-il à moyen et à long terme pour les 5,8 millions de personnes qui ont été vaccinées ? Je rappelle à ce propos que, à tort ou à raison, la vaccination en quatre ans de plus de 20 millions de nos concitoyens contre l’hépatite B a « laissé des traces » dans la population et que deux laboratoires sont mis en examen depuis le mois de février 2008 pour tromperie aggravée quant au rapport bénéfice/risque de ce vaccin.

Je ne peux également me satisfaire, monsieur le rapporteur, de votre réponse concernant le laboratoire Roche : comment expliquer que, pendant dix ans, cette entreprise n’ait jamais mis en évidence l’intérêt préventif du Tamiflu ? Je ne serai donc rassurée que par des études indépendantes diligentées par les pouvoirs publics.

J’ai été sensible à votre étonnement presque naïf, monsieur le président, lorsque vous vous êtes rendu compte que le vaccin qui sera proposé en octobre 2010 contre la grippe saisonnière contiendra des anticorps de la grippe A(H1N1) : si nous voulons être crédibles auprès des Français, il conviendra d’être très clairs à ce sujet. Par ailleurs, un tel ajout me semble d’autant plus étonnant que, d’une part, la fin définitive de la pandémie sera déclarée d’ici à six mois et que, d’autre part, si les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans n’ont pas compté parmi les publics prioritaires de la vaccination contre la grippe A(H1N1), les bons de vaccination qui seront envoyés aux mois d’octobre et de novembre les concernent particulièrement avec les personnes atteintes d’affections de longue durée ! Un devoir de vérité s’impose donc.

Enfin, je ne tiens pas à ce que l’on impute à nos concitoyens leur désaffection à l’endroit de la vaccination. Selon le rapport, page 37, « la moindre virulence du virus A(H1N1) s’est précisée à partir du mois de septembre avec le premier bilan qui a pu être dressé de la phase pandémique dans l’hémisphère Sud ». Comment expliquer, dès lors, la persistance du Gouvernement à rester « droit dans ses bottes » pour mettre en œuvre un plan quasiment militaire ? De plus, comment en vouloir à nos compatriotes d’avoir pris pour argent comptant les « informations » diffusées sur internet ?

Enfin, un de nos collègues a parlé naguère de « grippette », mais comment lui donner tort quand on sait que la grippe A(H1N1) a tué 18 000 personnes sur les 6,8 milliards d’habitants que compte notre globe et que 312 décès ont été constatés chez nous, en métropole, alors que 20 millions de Français ont été atteints par le virus ? Nos compatriotes ont eu tôt fait de calculer le rapport bénéfice/risque !

Mme Dominique Orliac. Outre que l’inadaptation des premières mesures était patente – appel du SAMU en cas de symptômes grippaux, prise rapide de Tamiflu et donc, pénurie généralisée –, la conduite à tenir était à géométrie variable, personne ne sachant exactement la manière dont les événements allaient se dérouler.

L’éviction des médecins généralistes a, quant à elle, été catastrophique, le Gouvernement faisant preuve d’un entêtement certain. À la question d’actualité que j’ai posée au mois de décembre à Mme la ministre de la santé concernant la participation de ces derniers à la vaccination de la population – non exclusive, bien entendu, de l’indispensable vaccination de masse en cas de pandémie virulente –, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a répondu par une remarque sur l’inutilité de la polémique à laquelle, selon elle, je me livrais. Quatre semaines plus tard, pourtant, elle demandait aux médecins de s’engager dans ce processus alors que le pic pandémique était terminé et qu’un second pic était prétendument attendu au mois de février… lequel n’a pas eu lieu. Comment, dans ces conditions, ne pas s’interroger sur le sens gouvernemental de l’organisation, cette dernière ayant été en l’occurrence particulièrement coûteuse ? De surcroît, il est proprement scandaleux d’invoquer je ne sais quel risque d’enrichissement des médecins alors qu’ils auraient fort bien pu vacciner leurs patients dans le cadre des consultations normales.

Si ce rapport a le mérite de clarifier un certain nombre de points et de contribuer à ce que des erreurs ne se renouvellent pas en cas de survenue d’une nouvelle pandémie, j’estime que la mise en place d’une mission parlementaire aurait sans doute également permis d’élaborer d’autres mesures importantes.

Deux questions avant de conclure. Est-il exact qu’une vaccination ne saurait être efficace si 30 % de la population au moins n’est pas vaccinée ? Pourquoi un tel manque de transparence quant à la présence ou non d’adjuvants dans le vaccin, cette polémique ayant été également très préjudiciable à la campagne de vaccination ?

En cas de nouvelle pandémie, il importe – si difficile cela soit-il – de rétablir la confiance de la population à l’endroit d’une pratique qui a fait ses preuves depuis longtemps et d’associer comme ils doivent l’être l’ensemble des professionnels de santé à sa gestion.

M. Philippe Vitel. Je suis un peu étonné par le déroulement inhabituel de cette séance de remise de rapport mais la longue discussion que nous avons eue est sans doute utile pour certains collègues ayant besoin d’une session de rattrapage…

Si je remercie quant à moi Mme la ministre de la santé et des sports pour s’être conformée aux recommandations formulées par l’OMS, je regrette comme vous que cette organisation n’ait pas répondu favorablement à notre invitation.

Je garderai par ailleurs longtemps en mémoire l’audition de M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales en notant le parfait antagonisme entre le type de vaccination choisie – la commande de 94 millions de doses – et le déroulement effectif des opérations.

Par ailleurs, à la page 119 de son rapport, M. le rapporteur évoque l’amélioration du pilotage territorial de la crise et développe d’excellentes idées qui gagneraient néanmoins à être précisées. Par exemple, comment envisagez-vous, monsieur le rapporteur, les relations entre unions régionales des professionnels de santé (URPS) et agences régionales de santé (ARS) dont vous évoquez le rôle de « préfets sanitaires », formule qui a justement fait bondir plus d’un syndicaliste médical ? Comment, en outre, dire la loi sans écouter les professionnels de santé auxquels on n’a d’ailleurs pas donné toute leur place dans l’amélioration de ce pilotage territorial ? Des propositions suffisamment claires doivent être formulées en la matière de manière à ce qu’elles ne puissent surtout pas être écartées quelles que soient les situations à venir.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. En effet, Monsieur Philippe Vitel, le mode de fonctionnement de notre commission est inédit mais, outre qu’il me semble équilibré, nombre de collègues ont manifestement éprouvé le besoin de s’exprimer.

M. Rémi Delatte. À mon tour, je félicite M. le rapporteur pour la qualité de son intervention et de son travail sur un sujet très complexe.

J’ajoute, monsieur le président, monsieur le rapporteur, que vous avez eu raison de faire en sorte que nous restions dans les strictes limites du champs d’investigation fixé par la résolution.

Vos propositions visant à rétablir le crédit dont bénéficiait la vaccination jusqu’à la pandémie grippale, monsieur le rapporteur, sont, selon moi, très intéressantes. Vous avez ainsi raison de vouloir donner une dimension européenne à une telle stratégie afin de lui conférer une meilleur cohérence, mais, également, d’impliquer davantage l’ensemble des professionnels de santé et, enfin, d’accroître la communication institutionnelle – laquelle a moins fait défaut qu’elle n’a été rendue inaudible par l’action de différents groupes de pression.

Enfin, regrettant que le rapport ne mentionne pas la mobilisation rapide et efficace de l’ensemble de notre administration, je profite de cette intervention pour saluer les agents de l’État.

M. le rapporteur. Madame Jacqueline Fraysse, je suis convaincu que nous disons la même chose mais de façon différente tant en ce qui concerne la mise à l’écart des médecins généralistes que la communication, l’organisation du débat public, les états généraux sur les enjeux de la vaccination, l’évaluation régulière par le Parlement ou la conférence nationale de santé. Je suis par ailleurs très favorable à une écoute beaucoup plus attentive de l’opinion publique en la matière. Enfin, nous pouvons fort bien demander l’application immédiate du dispositif contenu dans l’amendement à la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement voté à l’unanimité par les deux chambres et visant à mettre en place une instance de garantie de l’indépendance des experts.

Monsieur Philippe Vitel, les agences régionales de santé ont précisément pour rôle de mobiliser les professionnels de santé dans le cadre du schéma régional d’organisation des soins. Il importe, en effet, de définir une organisation territoriale précise au sein de laquelle l’ensemble des ressources disponibles en cas de crise sanitaire seront recensées. Les URPS, quant à elles, visent à informer et à réunir l’ensemble des professionnels de santé sans distinction aucune.

Madame Dominique Orliac, comme vous venez de le faire, le rapport fait état des inquiétudes de la population concernant les adjuvants. Outre que la communication a sans doute été insuffisamment audible sur ce plan-là et qu’il conviendra de l’améliorer, je vous rappelle qu’en 1976 un grand nombre d’Américains ont développé le syndrome de Guillain-Barré suite à des injections de vaccins qui ne comportaient pourtant aucun adjuvant – d’où les rumeurs.

En ce qui concerne les principes de précaution et de prévention, je me permets de vous renvoyer à la page 35 du rapport définissant le premier comme « un principe de proportionnalité », la précaution s’exerçant à l’endroit d’un risque méconnu. Je cite également à la page suivante M. Claude Le Pen, professeur de sciences économiques, s’interrogeant précisément sur la difficulté à « proportionner une réponse à un risque inconnu ». J’ajoute que le rapport de M. Alain Gest fait lui-même état de l’application d’un tel principe à propos du virus de la grippe A(H1N1).

Madame Catherine Lemorton, vous avez raison de signaler que chacun de nos compatriotes a procédé à une évaluation personnelle du rapport bénéfice/risque de la vaccination. Je me permets à nouveau de renvoyer au rapport, en l’occurrence, à la page 115 : « on a pu constater le défi que constitue aujourd’hui la délivrance d’un message de santé publique qui s’attache à l’intérêt collectif dans une société à l’individualisme croissant où chacun élabore sa propre balance bénéfice/risque et obéit à une logique personnelle. » Par ailleurs, en ce qui concerne la pharmacovigilance, je suis disposé à ajouter à la page 60, après les mots : « La généralisation d’un suivi épidémiologique à l’occasion des campagnes de vaccination doit se doubler, en aval, d’un même suivi en matière de pharmacovigilance », les mots : « à moyen et à long terme ».

Monsieur Gérard Bapt, le rapport insiste, en effet, sur la nécessité de mener des études qui fassent également état des effets produits par les vaccins. Je rappelle, à ce propos, que l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a mis en place une procédure particulière et que Mme la ministre de la santé et des sports a confirmé que des études seraient réalisées à long terme sur les 5,8 millions de personnes ayant accepté de se faire vacciner contre la grippe A(H1N1). J’ajoute que les contrats ayant été rendus publics, il n’est plus pertinent d’évoquer je ne sais quelle opacité dans la fixation des prix. Quoi qu’il en soit, nous souhaitons que l’ÉPRUS participe en amont à ces négociations s’agissant des vaccins, des médicaments et des matériels médicaux dans le domaine strict de l’urgence sanitaire. J’ajoute que, s’agissant des laboratoires, Mme la ministre a refusé certaines clauses de responsabilité même si nous aurons besoin, à l’avenir, d’une stratégie européenne commune de négociation.

À M. Yves Bur, je rappellerais comme à Mme Jacqueline Fraysse que la loi du 3 août 2009 précitée dispose de la nécessité d’installer une instance de garantie de l’indépendance de l’expertise.

Monsieur Guy Lefrand, le rapport fait également état de la nécessité de la contre-argumentation. Il est par ailleurs exact que je n’ai pas mentionné les questions liées à l’utilisation du Tamiflu, la commission d’enquête portant sur la vaccination et non sur l’évaluation des médicaments.

Monsieur Rémi Delatte, la page 91 du rapport mentionne également la « réelle mobilisation des services et des personnels », notamment dans les préfectures et les directions départementales des affaires sanitaires et sociales, lesquels ne sauraient en effet supporter la responsabilité de quelque échec que ce soit.

Madame Catherine Génisson, le rapport préconise la prise en compte des diverses instances d’expertise, dont celle de l’Académie nationale de médecine ou des différents collèges scientifiques, afin que ces derniers soient au cœur de la conférence dont nous proposons l’organisation, les URPS ayant quant à elles, je le répète, une mission d’information et de déclinaison territoriale.

Monsieur Jacques Domergue, le rapport préconise également un recensement des lieux qui, à l’avenir, pourront être utilisés comme centres de vaccination. Ce sera alors aux préfets de zone de défense et aux responsables des collectivités territoriales de les préparer en amont de toute crise de manière à ce que, après la médecine ambulatoire, ils deviennent le deuxième pilier sanitaire des vaccinations.

Monsieur Jean-Paul Bacquet a, quant à lui, très justement rappelé qu’il convenait de réhabiliter les politiques vaccinales. Les états généraux de la vaccination iront en ce sens, de même que la lutte contre toutes les préventions à cet égard.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je tiens à mon tour à remercier le rapporteur pour le travail accompli.

Le principal enseignement de nos travaux réside dans le changement de perception de la campagne de vaccination par les autorités sanitaires elles-mêmes. Entre la première audition du directeur général de la santé et la dernière, nous avons constaté un changement, et nos travaux n’y sont pas pour rien.

Si, sur le plan des résultats obtenus, la campagne de vaccination fut un échec, nous pouvons dire à l’issue de nos travaux qu’elle ne mérite ni les excès d’honneur dont elle a pu faire l’objet un certain temps, ni les excès d’indignité qui l’ont frappée début janvier – le Gouvernement n’a pas été totalement irresponsable dans cette affaire.

Ce rapport témoigne de l’ouverture dont le rapporteur a fait preuve sur les propositions qui nous ont été faites, qu’elles émanent des personnes que nous avons auditionnées ou de nos collègues. Si les premières rencontres entre le rapporteur et moi-même furent empreintes de difficultés, nous avons l’un et l’autre progressé pour aboutir à un document qui aidera le Gouvernement et peut-être l’Union européenne à faire face à une nouvelle pandémie et à tirer des leçons de ce qui s’est passé.

Le rapport insiste sur la nécessité d’adapter le plan de vaccination à la gravité de la pandémie. À cet égard, je dois dire que j’ai été très frappé par les propos du Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, qui nous a affirmé que tout avait été parfait dans le meilleur des mondes ; quand je songe que c’est à lui qu’incombe la préparation des plans nationaux de réponse aux crises, j’ai quelque inquiétude sur notre capacité à nous adapter à toute crise qui pourrait survenir, dans quelque domaine que ce soit…

En matière de commandes de vaccins, la France, qui s’y était pourtant préparée avant les autres, s’est retrouvée en situation de faiblesse. Comme l’a souligné le rapporteur, il est regrettable que les États européens n’aient pas réussi à coordonner leurs commandes auprès des laboratoires pharmaceutiques. Si les Européens coordonnaient leurs productions, il serait sans doute possible de se procurer plus facilement des vaccins en monodoses.

S’agissant de l’OMS, je redis au nom de l’ensemble des membres de la commission d’enquête – et j’ai l’ai d’ailleurs indiqué à Mme la ministre de la santé et des sports – qu’il est scandaleux qu’une institution que les États européens financent, à qui ils délèguent un certain nombre de pouvoirs, ait refusé à deux reprises d’être entendue par notre commission d’enquête alors qu’elle ne se prive pas de s’exprimer ici ou là. Quant à la modification des règles de l’OMS relatives aux alertes pandémiques, elle constitue une avancée.

L’association du secteur libéral est une évidence pour tout le monde.

En ce qui concerne la transparence des relations entre les laboratoires et les experts, nous avons tous reconnu la nécessité de légiférer.

Il faut adapter la gestion de crise à la gravité de la pandémie : les plus graves doivent être gérées par le ministère de l’intérieur, les moins graves par le ministère de la santé.

N’étant pas un spécialiste de la santé publique, domaine qui relève du champ de compétences de la commission des affaires sociales, j’ai appris à quel point il est important que le public ait une connaissance préalable de l’incertitude dans laquelle se trouvent les pouvoirs publics face une pandémie – c’est d’ailleurs cette incertitude qui explique en grande partie les dysfonctionnements qui peuvent survenir. En effet, en pareil cas, le Gouvernement, quel qu’il soit, veut afficher des certitudes alors qu’en réalité il nage dans un océan d’incertitudes. Si nous voulons que la population adhère aux campagnes de vaccination, il faut parfaire sa connaissance des virus – à commencer par celui de la grippe – via des émissions télévisées ou la publication de documents. Souvenez-vous qu’au début, la méconnaissance de ce qu’était le sida a alimenté les fantasmes populaires. Lorsque survient un phénomène médical ou scientifique, la population ne peut adhérer à une politique de santé publique si elle ne dispose pas d’un minimum de connaissances.

Développer la politique vaccinale contre la grippe saisonnière, même si cela a un coût, nous permettrait d’utiliser les chaînes de production d’unidoses, de disposer de retours sur les cohortes, tant sur le plan de la pharmacovigilance que des habitudes de vaccination. Si les États-Unis ont mené à bien leur campagne de vaccination, c’est que beaucoup d’Américains se font vacciner contre la grippe saisonnière : ils se sont donc fait vacciner plus naturellement contre le nouveau virus.

Enfin, et c’est le membre de la commission des lois qui vous parle, je vous indique que malgré les discussions vives qui ont animé nos travaux à leurs débuts, je me félicite d’avoir participé à une commission d’enquête dont le but n’était pas de rechercher des coupables mais d’auditer des services publics. Dans notre pays, la commission d’enquête ne peut s’intéresser à un sujet traité par la justice, mais elle doit pouvoir approfondir notre connaissance des dysfonctionnements de services publics.

Avec l’autorisation du rapporteur, je propose un amendement écrit qui vise à compléter la proposition n° 42, à la page 114 du rapport par les mots :
« , notamment afin que les Français aient une parfaite conscience des incertitudes scientifiques inévitables lors de l’apparition d’un nouveau virus, ce qui peut conduire les pouvoirs publics à modifier les mesures de prévention au fur et à mesure de l’évolution de la connaissance scientifique. »

Il s’agit d’un problème politique, car la population attend des certitudes. Tant qu’elle ne saura pas que les responsables publics sont dans l’incertitude, ceux-ci seront mis en difficulté et parfois amenés à aller trop loin.

M. le rapporteur. Conscient de la nécessité de lutter contre le déni de risque et le refus vaccinal, et de développer la culture de santé publique, peu développée en France, j’accepte volontiers d’intégrer cet ajout.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Le rapporteur ayant accepté ma proposition, le rapport est ainsi rectifié.

M. Jean Mallot. Je préfèrerais faire état de « l’évolution des connaissances », car la connaissance n’est pas uniquement scientifique. Elle peut être sociologique, par exemple, s’agissant du comportement de telle ou telle population.

M. le rapporteur. Je suis d’accord.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Dont acte. Cet aménagement étant accepté par le rapporteur, il sera donc pris en compte.

Nous en venons aux explications de vote.

M. Gérard Bapt. Les députés du groupe socialiste jugent globalement très positives quasiment l’ensemble des recommandations qui figurent dans le rapport de M. Jean-Pierre Door.

Toutefois, si nous nous félicitons de l’existence de cette commission d’enquête, nous regrettons que son champ d’action ait été limité à la vaccination et n’ait pas été étendu au rôle de l’OMS et à l’usage des antiviraux.

Enfin, si nous ne sommes pas des « anti-vaccin », nous ne sommes pas non plus des partisans du « tout vaccin ». Lorsque vous préconisez, monsieur le président, de développer la vaccination contre la grippe saisonnière pour pouvoir produire davantage de vaccins, nous ne sommes pas d’accord avec vous. Pourquoi alors ne pas développer la production de vaccins contre les maladies négligées ou le chikungunya ?

Tout en reconnaissant la qualité du travail accompli par M. Jean-Pierre Door, notre groupe votera contre ce rapport.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je rappelle que l’article 144-2 du Règlement de l’Assemblée nationale dispose que le rapport que vous vous apprêtez à voter, mes chers collègues, ne pourra être officiellement diffusé que dans les cinq jours francs suivant la publication, soit le 13 juillet. Nul doute que le rapporteur ne manquera pas de s’associer à moi pour dénoncer auprès du Président de l’Assemblée nationale l’anachronisme de cette procédure. En attendant, je vous demande de bien vouloir restituer les rapports qui vous ont été distribués.

Mme Jacqueline Fraysse. Je le dis d’emblée, je ne souhaite pas voter contre ce rapport que je juge intéressant et utile, tout au moins je l’espère.

Le rapporteur prétend que nous disons les mêmes choses, mais avec des mots différents : je ne partage pas totalement son appréciation. Je pense en effet que ce rapport atténue la responsabilité de l’État qui a fait preuve d’un autoritarisme grave, qui confine au mépris de la population et des intervenants
– c’est d’ailleurs de sa part une attitude constante, qui ne présage rien de bon pour l’avenir. Ce rapport manque de sévérité à l’égard de l’État, de réalisme et de détermination vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques qui réalisent des profits colossaux.

Cela dit, ne souhaitant pas voter contre ce rapport, je m’abstiendrai.

La Commission adopte le rapport de M. Jean-Pierre Door.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Mesdames, messieurs, je vous remercie.

La séance est levée à onze heures cinquante.

ANNEXES

______________

ANNEXE 1 : RÉSOLUTION CRÉANT LA COMMISSION D’ENQUÊTE

TEXTE ADOPTÉ N° 427
« Petite loi »

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

24 février 2010

RÉSOLUTION

créant une commission d’enquête sur la manière dont a été programmée,
expliquée et gérée la
campagne de vaccination
contre la
grippe A(H1N1).

L’Assemblée nationale a adopté la résolution dont la teneur suit :

Article unique

Conformément aux articles 137 et suivants du Règlement, il est créé une commission d’enquête de trente membres sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1), dans le but de faire des propositions au Gouvernement pour rendre plus opérationnels, efficaces et réalistes nos futurs plans de vaccination contre les pandémies.

Délibéré en séance publique, à Paris, le 24 février 2010.

Le Président,

Signé : Bernard ACCOYER

Voir les numéros : 2214 et 2306.

ANNEXE 2 : COMPOSITION DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

(30 membres)

——

 

Groupe politique

M. Jean-Christophe Lagarde, président

NC

M. Jean-Pierre Door, rapporteur

UMP

M. Élie Aboud, vice-président

UMP

M. Guy Lefrand, vice-président

UMP

Mme Catherine Lemorton, vice-présidente

SRC

Mme Jacqueline Fraysse, vice-présidente

GDR

M. Michel Lejeune, secrétaire

UMP

M. Philippe Vitel, secrétaire

UMP

M. Gérard Bapt, secrétaire

SRC

Mme Marisol Touraine, secrétaire

SRC

M. Philippe Boënnec

UMP

Mme Valérie Boyer

UMP

M. Yves Bur

UMP

M. Patrice Debray

UMP

M. Bernard Debré

UMP

M. Rémi Delatte, à partir du 8 avril 2010

UMP

M. Jacques Domergue

UMP

Mme Marie-Louise Fort

UMP

M. Sauveur Gandolfi-Scheit

UMP

M. Denis Jacquat

UMP

M. Paul Jeanneteau

UMP

M. Jean-François Mancel

UMP

M. Jean-Marie Rolland, démissionnaire le 8 avril 2010

UMP

M. Jean-Paul Bacquet

SRC

M. Jean-Pierre Dufau

SRC

Mme Valérie Fourneyron

SRC

Mme Catherine Génisson

SRC

M. Jean-Marie Le Guen

SRC

M. Jean Mallot

SRC

Mme Dominique Orliac

SRC

M. Jean-Louis Touraine

SRC

UMP : groupe de l’Union pour un mouvement populaire

SRC : groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche

GDR : groupe de la Gauche démocrate et républicaine

NC : groupe Nouveau centre

ANNEXE 3 : ÉLÉMENTS DE COMPARAISON INTERNATIONALE SUR LES STRATÉGIES VACCINALES

Pays

Nombre de doses de vaccins commandées

Objectif de couverture vaccinale

Taux de vaccination effectif

Allemagne

50 millions pour la commande ferme

90 millions supplémentaires en préréservation

30 % de la population avec la commande ferme, 100 % de la population avec les préréservations

10 % de la population

Belgique

12,6 millions de doses

100 % de la population

6 % de la population

Espagne

37 millions de doses

40 % de la population

Moins de 4 % de la population (1,8 millions de personnes)

France

94 millions de doses

Entre 70 et 75 % de la population

8,5 % de la population

Italie

24 millions de doses

40 % de la population

1,4 % de la population

Pays-Bas

34 millions de doses

100 % de la population

32 % de la population : 5,37 millions de personnes

Royaume-Uni

90 millions de doses

Entre 70 et 75 % de la population

7,4 % de la population : 4,54 millions de personnes

Suède

18 millions de doses

100 % de la population

64,5 % de la population : 6 millions de personnes

États-Unis

229 millions de doses

75 % de la population

23,4 % de la population : 70 millions de personnes

Canada

50,4 millions de doses

Entre 75 et 80 % de la population

Entre un tiers et 45 % de la population

Chine

101,8 millions de doses

10 % de la population

Environ 6 % de la population

Japon

153 millions de doses

61 % de la population

17,9 % de la population : 22,78 millions de personnes

Russie

34,36 millions de doses

n.c

9,7 % de la population : 13,8 millions de personnes

Source : données issues de la direction générale de la santé.

ANNEXE 4 : TABLEAU CHRONOLOGIQUE
DE LA LUTTE CONTRE LE VIRUS A(H1N1)

Dates

France

Reste du monde

17 avril

 

États-Unis : identification, par le Center for Disease Control, de deux cas de syndrome respiratoire fébrile dus à une infection par un nouveau virus grippal d’origine porcine.

22 avril

 

Mexique : déclaration d’état d’alerte national.

24 avril

Première réunion interministérielle sur l’épidémie de grippe d’origine porcine au Mexique.

L’OMS identifie le nouveau virus A(H1N1) 2009 sur la base de données partielles concernant le génome du virus.

25 avril

● Activation du centre de crise sanitaire.

Réunion du comité d’urgence de l’OMS.

 

● Première conférence de presse du ministère de la santé.

 
 

● Première réunion du Comité de lutte contre la grippe.

 

27 avril

 

L’OMS décide le passage à la phase 4.

Trois premiers cas sont identifiés en Europe.

28 avril

Passage en situation 4A du plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale

 

29 avril

 

L’OMS décide le passage à la phase 5.

30 avril

Passage en situation 5A et mise en place de la CIC.

Conclusions du Conseil de l’Union européenne sur la nécessité de renforcer la coopération et le partage d’informations entre les États membres.

1er mai

● L’InVS confirme la présence en France de deux cas importés de grippe A(H1N1).

La Commission européenne établit une définition de cas pour les sujets infectés par le virus A(H1N1).

 

● 1ère réunion de la CIC : renforcement du dispositif d’information des voyageurs, lancement du recensement des stocks de masques.

 
 

● Première conférence de presse conjointe des ministres chargés de l’intérieur et de la santé.

 

2 mai

2ème réunion de la CIC : équipement en masques FFP2 des professionnels exposés, achats de masques par l’ÉPRUS, annulation des voyages scolaires vers les zones à risque.

615 cas de grippe A(H1N1) confirmés dans 15 pays.

3 mai

● Première évocation des capacités de production de vaccins des laboratoires lors d’une réunion interministérielle.

 
 

● Avis de l’InVS sur la conduite à tenir par les professionnels de santé face à des cas suspects.

 
 

● 3ème réunion de la CIC : création d’une zone d’accueil dédié à Roissy.

 

4 mai

● Avis de l’InVS sur l’analyse de l’état actuel de la menace pandémique et les critères de passage de la situation 5A à la situation 5B.

 
 

● 4ème réunion de la CIC : envoi d’antiviraux au Mexique, recommandation sur la quarantaine à domicile, mobilisation des CODAMUPS.

 

5 mai

● 4 cas de grippe A(H1N1) en France.

1 124 cas de grippe A(H1N1) notifiés par 21 pays, dont 25 décès.

 

● 5ème réunion de la CIC.

 
 

● 1ère campagne de communication de l’INPES sur la grippe et les gestes barrières (télévision, radio, presse).

 

6 mai

● L’InVS inclut 5 États des États-Unis (dont New York) dans les zones à risque.

 
 

● 6ème réunion de la CIC.

 

7 mai

● 7ème réunion de la CIC : validation des besoins en masques des ministères.

● Premières analyses de cas mettant en évidence une plus grande vulnérabilité des sujets jeunes et une plus grande fréquence des pneumonies et décès par rapport à la grippe saisonnière.

 

● Confirmation de 12 cas au total de grippe A(H1N1).

● Le laboratoire national de microbiologie de l’Agence de santé publique du Canada publie le séquençage total du génome du virus A(H1N1)2009

 

● Lors d’une réunion interministérielle, le DGS mentionne que le nouveau virus n’aurait pas « les déterminants de virulence » identifiés dans le cas de la grippe espagnole de 1918.

 

8 mai

 

États-Unis et Mexique : mise en évidence d’un pourcentage inhabituel d’hospitalisations chez les sujets infectés par le virus A(H1N1).

10 mai

● 8ème réunion de la CIC : point sur les perspectives de vaccination, instruction à l’ÉPRUS pour la commande de masques, validation du dispositif d’accueil dans les aéroports.

 
 

● L’InVS mentionne que le virus A(H1N1) serait susceptible d’avoir un taux d’attaque très supérieur à celui de la grippe saisonnière.

 

11 mai

Lors d’une réunion interministérielle, premier bilan des concertations engagées avec les laboratoires ; il est notamment mentionné qu’une injection unique pourrait déjà apporter une part de protection.

Le Premier ministre décide de la préréservation de 50 millions de doses de vaccins auprès du laboratoire GSK.

Un article scientifique américain rapporte une sévérité clinique des cas de grippe A(H1N1) moindre que pour la grippe de 1918, comparable à celle de 1957 : taux d’attaque chez les enfants deux fois supérieur au taux d’attaque chez les adultes.

12 mai

9ème réunion de la CIC : point sur les négociations relatives à la préréservation des vaccins.

 

14 mai

● 10ème réunion de la CIC : point sur les préréservations et sur l’insuffisance de l’offre au regard de la demande mondiale.

 
 

● Lettre d’intention à GSK pour la préréservation de 50 millions de doses de vaccins contre le virus A(H1N1).

 

18 mai

 

L’agence de santé publique britannique rapporte un taux de mortalité de 0,1 % des sujets symptomatiques aux Etats-Unis.

19 mai

11ème réunion de la CIC : maintien du dispositif de prise en charge hospitalière.

 

22 mai

 

Le CDC d’Atlanta constate que la vaccination saisonnière ne protège pas contre le virus pandémique.

26 mai

Lettre d’intérêt au laboratoire Baxter pour l’achat de 4 millions de doses pour une livraison fin septembre.

 

27 mai

 

Mise à disposition des industriels fabricants de vaccins de la souche semence fabriquée à partir de la souche A(H1N1) par les centres collaborateurs de l’OMS.

28 mai

12ème réunion de la CIC : présentation de la stratégie d’achats de vaccins (une dose par personne, une seconde dose pour les catégories prioritaires et à terme, une seconde dose pour tous), réflexions sur la stratégie de vaccination.

 

2 juin

Première réunion de négociation entre l’ÉPRUS et GSK sur un contrat d’achat de 50 millions de doses.

 

3 juin

Lettres d’intention de réservation à Novartis et Sanofi Pasteur pour respectivement 24 et 15 millions de doses et demandes d’extension en fonction des capacités de production.

 

5 juin

 

● 3ème réunion du comité d’urgence de l’OMS.

   

● Plus de 21 000 cas confirmés de grippe A(H1N1) par 62 pays.

10 juin

● 13ème réunion de la CIC : hypothèse de première vague pandémique à l’été, confirmation de la prise en charge hospitalière des cas.

 
 

● Diffusion de la première fiche de recommandation à destination des personnes malades et de leur entourage.

 

11 juin

 

● L’OMS décide le passage à la phase 6 : déclaration d’alerte pandémique. Le comité d’urgence ajoute que cette pandémie est, à ce stade, « de gravité modérée ».

   

● 28 774 cas de grippe A(H1N1) confirmés dans 74 pays, dont 144 décès.

12 juin

14ème réunion de la CIC : maintien de la France en situation 5A.

 

16 juin

15ème réunion de la CIC : annonce de la prochaine intégration de l’ensemble des États-Unis, de la Nouvelle-Zélande et de la Thaïlande en zones à risque, présentation des difficultés de négociation avec les industriels, préparation du basculement à la mi-juillet vers une prise en charge des malades par la médecine ambulatoire, validation de la doctrine de port du masque, préparation de la doctrine de fermeture des établissements scolaires.

 

17 juin

Avis de l’InVS sur les critères de fermeture des établissements scolaires en cas de survenue de cas de grippe A(H1N1).

 

18 juin

L’InVS confirme 133 cas de grippe A(H1N1) en France.

 

22 juin

● Avis du HCSP sur les limites de l’utilisation des vaccins contenant des adjuvants.

● Les négociations avec les industriels s’orientent vers la production de vaccins sans adjuvant (Sanofi Pasteur).

 

26 juin

● Avis du HCSP sur la pertinence de l’utilisation d’un vaccin pandémique dirigé contre le virus A(H1N1).

 
 

● Le ministère de la santé décide que seuls les cas graves doivent faire l’objet d’une hospitalisation ; les autres cas sont pris en charge par les médecins traitants.

 

1er juillet

16ème réunion de la CIC : répartition des premières livraisons de masques entre ministères, définition et identification des personnels à rôle critique en pandémie (PARCEP).

 

3 juillet

● Réunion interministérielle : le Premier ministre valide la décision de commander 94 millions de doses de vaccins auprès de quatre laboratoires.

● Évocation de la clause d’irresponsabilité demandée par les laboratoires.

 
 

L’InVS confirme 299 cas de grippe A(H1N1) en France.

 

7 juillet

 

Réunion informelle des ministres de la santé de l’UE : débat sur la vaccination contre le virus A(H1N1) et discussion, à l’initiative de la France, de la clause d’irresponsabilité demandée par les laboratoires.

8 juillet

● Avis du HCSP sur la pertinence de l’utilisation d’un vaccin monovalent, sans adjuvant, contre le virus A(H1N1).

 
 

● Signature d’un avenant au contrat avec le laboratoire Sanofi pour l’acquisition de 28 millions de doses de vaccins.

 

10 juillet

Signature définitive du contrat d’acquisition de 50 millions de doses de vaccins auprès de GSK.

L’UE inscrit la grippe A(H1N1) dans la liste des maladies à déclaration obligatoire.

13 juillet

 

L’OMS publie des recommandations sur les stratégies vaccinales.

13 juillet

Réunion à l’Élysée sur la situation épidémiologique, l’acquisition de vaccins, masques et antiviraux, le protocole de prise en charge des patients et les mesures prises face à un éventuel scénario noir.

 

15 juillet

17ème réunion de la CIC : élargissement à la médecine libérale de la prise en charge des cas programmé pour le 23 juillet, scénario d’une vaccination gratuite et non obligatoire proposée à l’ensemble de la population, signature des contrats pour l’acquisition de 94 millions de doses, actualisation des plans de continuité d’activité des ministères et travail du SGDN sur la définition des PARCEP.

 

16 juillet

L’InVS propose une adaptation de la surveillance épidémiologique et de gestion de la grippe A(H1N1) à La Réunion.

L’agence de santé publique britannique relève une fréquence élevée de syndromes respiratoires aigus et une atteinte plus fréquente des enfants de moins de 14 ans. Prévision d’un taux d’attaque clinique de 30 %, d’un taux d’hospitalisation de 2 % et d’un taux de mortalité de 0,1 à 0,35 % des cas cliniques.

21 juillet

L’InVS annonce 483 authentifiés en France : fin de la surveillance individuelle des cas et passage au signalement et à l’investigation des cas groupés, à la surveillance populationnelle et au suivi des cas hospitalisés.

 

22 juillet

● 18ème réunion de la CIC : présentation des contraintes de la campagne de vaccination (présentation en flacons de 10 doses, dispositif de pharmacovigilance renforcé), lancement du travail de recensement des lieux possibles de vaccination et de la première circulaire d’organisation de la campagne vaccinale.

 
 

● Conférence de presse sur l’élargissement de la prise en charge des patients au secteur ambulatoire et diffusion des premières fiches « mémo » à destination des professionnels de santé.

 

23 juillet

Élargissement du dispositif de prise en charge des patients à la médecine ambulatoire.

 

29 juillet

● 19ème réunion de la CIC : nécessité d’adapter les mesures du plan pandémie grippale, prévues pour une situation de pandémie liée au virus A(H5N1) ; discussion sur les populations prioritaires ; hypothèses de livraison des vaccins (4 à 5 millions de doses fin septembre, 8 à 10 en octobre, 15 en novembre et 42 en décembre), AMM conditionnelles des vaccins attendues fin septembre, préparation d’un document d’information dans le cadre de la rentrée scolaire.

 
 

● Signature de l’avenant au contrat conclu avec Novartis pour l’acquisition de 16 millions de doses de vaccins.

 

5 août

20ème réunion de la CIC : évaluation des populations prioritaires, présentation des grandes lignes de la première circulaire sur l’organisation de la campagne vaccinale, projet d’instruction sur le port de masques FFP2 dans les administrations.

 

6 août

Avis de l’InVS sur les modalités d’évaluation de la gravité de la pandémie.

 

10 août

Signature définitive du contrat d’acquisition de 50 000 doses auprès du laboratoire Baxter.

 

12 août

21ème réunion de la CIC : présentation des principes de la circulaire sur l’organisation de la campagne vaccinale, recensement des sites utiles aux médecins pour communication aux préfets.

 

13 août

L’InVS publie une mise à jour des estimations d’hospitalisation et de décès, en nombre de cas.

 

15 août

 

Un article de presse britannique marque le début d’une campagne sur les craintes d’effets indésirables liés aux vaccins (syndrome de Guillain-Barré, utilisation d’adjuvants, etc.)

19 août

22ème réunion de la CIC : annonce de l’arbitrage du Premier ministre sur le financement par l’État de la partie non sanitaire du fonctionnement des centres de vaccination, préparation de la campagne de vaccination des Français de l’étranger, mise à jour des fiches techniques annexées au plan pandémie.

 

21 août

Publication de la circulaire sur l’organisation territoriale de la campagne de vaccination.

 

25 août

Diffusion de la nouvelle campagne du ministère de la santé sur les gestes barrières.

 

27 août

● L’InVS publie un bilan de la situation en Australie et Nouvelle-Zélande : taux d’attaque élevé chez les 10-19 ans, proportion importante d’hospitalisations, décès majoritairement chez les plus de 60 ans et les sujets avec pathologies sous-jacentes.

 
 

● 23ème réunion de la CIC : annonce d’une réunion des chefs des équipes opérationnelles départementales, demande aux préfets de réunir les médecins libéraux, point sur l’état prévisionnel des livraisons de vaccins et prévision d’étalement du calendrier du déroulement de la campagne pour l’adapter au plan de livraison.

 

28 août

 

Annonces de l’OMS : le virus A(H1N1) est dominant dans la plupart des régions du monde, pas de signe de mutation du virus, risque de submersion des services de soins intensifs, groupes d’âge plus jeunes touchés par le virus, cas graves et décès chez les moins de 50 ans ; risque accru pendant la grossesse et pour certains états pathologiques ; risque d’hospitalisations et de décès accru.

29 août

Livraison de 12 000 doses du vaccin Celvapan (Baxter).

 

2 septembre

24ème réunion de la CIC : présentation du dispositif des bons de vaccination.

 
 

Avis de l’InVS sur la doctrine de fermeture des établissements scolaires et universitaires en cas de survenue de cas de grippe A(H1N1).

 

7 septembre

Avis du HCSP sur les priorités sanitaires d’utilisation des vaccins pandémiques.

 

8 septembre

L’AFSSAPS publie les recommandations nationales sur les médicaments nécessaires dans un contexte de pandémie grippale.

 

9 septembre

25ème réunion de la CIC : présentation de l’avis du HCSP sur les priorités de la vaccination, précisions sur le financement de la campagne vaccinale, annonce d’une circulaire globale sur l’organisation de la campagne vaccinale.

 

11 septembre

 

Un article d’une revue scientifique mentionne que 50 % des sujets hospitalisés ne présentent pas de pathologie sous-jacente.

16 septembre

26ème réunion de la CIC : présentation des taux d’attaque dans l’hémisphère Sud, prévision de la mise en place de 1 049 centres de vaccination, masse salariale de la campagne estimée autour de 300 millions d’euros.

 

17 septembre

L’InVS annonce que le seuil épidémique est franchi en France depuis deux semaines.

 

23 septembre

27ème réunion de la CIC : point sur les principaux jalons en matière de stratégie vaccinale et de vaccins, annonce de la proposition de ne pas retenir les PARCEP dans les populations prioritaires, présentation d’une circulaire sur la déprogrammation dans les établissements de santé.

 

24 septembre

● Lancement de la campagne de vaccination par le Premier ministre et fixation de l’ordre de priorité des populations.

 
 

● 29 décès de patients porteurs du virus en France.

 

28 septembre

Publication par l’InVS des estimations de l’impact sanitaire de la pandémie.

 

29 septembre

 

Autorisation de mise sur le marché des vaccins Focetria (Novartis) et Pandemrix (GSK) par l’Agence européenne du médicament.

2 octobre

Actualisation de l’avis du HCSP sur les priorités sanitaires d’utilisation des vaccins.

Note explicative de l’Agence européenne du médicament sur l’AMM des vaccins pandémiques.

5 octobre

Le HCSP recommande le lancement de la campagne vaccinale le plus rapidement possible.

Début de la campagne de vaccination aux États-unis.

6 octobre

 

Autorisation de mise sur le marché du vaccin Celvapan (Baxter) par l’Agence européenne du médicament.

7 octobre

● 28ème réunion de la CIC : présentation du calendrier prévisionnel de livraison des vacins et du calendrier de lancement de la campagne (19 octobre dans les établissements de santé, entre le 3 et le 9 novembre dans les centres de vaccination).

 
 

● Avis de l’AFSSAPS sur les adjuvants dans les vaccins pandémiques, les risques liés au thiomersal, le risque de survenue de syndrome de Guillain-Barré.

Publication par l’AFSSAPS d’informations sur les vaccins pandémiques.

 

9 octobre

Première livraison de 1,1 million de doses de vaccins Pandemrix (GSK) en multidoses.

 

12 octobre

 

● Conclusion du conseil de l’UE sur la nécessaire coordination des États membres en matière de disponibilité des vaccins, stratégie de vaccination, processus réglementaire, information et communication, et coopération à l’échelle mondiale.

   

● Lancement de la campagne de vaccination en Suède.

14 octobre

30ème réunion de la CIC : présentation des derniers arbitrages du Premier ministre sur les modalités de financement de la campagne, validation de l’instruction de mobilisation des personnels administratifs, vaccination outre-mer, et demande du ministère de l’intérieur d’un arrêté global pour donner un cadre juridique à la campagne sur le fondement de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique.

 

15 octobre

Note de l’AFSSAPS sur la surveillance des effets indésirables liés aux vaccins.

Lancement de la campagne de vaccination en Italie.

20 octobre

Lancement de la campagne de vaccination dans les établissements de santé.

● OMS : les données statistiques montrent une diminution des cas recensés sur le continent américain et un début de vague pandémique en Europe.

   

● Lancement de la campagne de vaccination en Norvège.

21 octobre

 

Lancement de la campagne de vaccination en Grande-Bretagne.

26 octobre

 

Lancement de la campagne de vaccination en Allemagne.

27 octobre

 

Lancement de la campagne de vaccination en Autriche et au Luxembourg.

28 octobre

31ème réunion de la CIC : point sur la circulaire globale sur l’organisation de la campagne vaccinale, ouverture au public des centres de vaccination prévue pour le 12 novembre, point sur le nombre de personnes vaccinées en établissements de santé, point sur l’organisation de la vaccination des scolaires.

 

28 octobre

Actualisation des recommandations du HCSP sur l’utilisation des vaccins pandémiques : recommandation du passage à une dose.

 

30 octobre

 

Le groupe d’experts de l’OMS recommande le passage à une dose unique pour les enfants de plus de 10 ans et les adultes.

1er novembre

 

Lancement de la campagne de vaccination au Danemark.

4 novembre

32ème réunion de la CIC : point sur la montée en puissance du dispositif des centres de vaccination, numéro national infogrippe, maintien d’un scénario de deux injections par personne, présentation de la circulaire sur la vaccination des scolaires, report au 9 novembre de la campagne de communication grand public

 

7 novembre

 

Lancement de la campagne de vaccination en Belgique.

9 novembre

● Publication par l’AFSSAPS du premier bulletin de suivi de pharmacovigilance des vaccins.

Lancement de la campagne de vaccination en Irlande.

 

● Conférence de presse sur le lancement de la campagne de vaccination dans les centres et diffusion.

 

10 novembre

33ème réunion de la CIC : J-2 avant l’ouverture des centres, rappel sur l’ordre de priorité en matière de mobilisation des professionnels de santé, urgence d’une communication par les préfets d’une liste stabilisée des centres de vaccination à l’ÉPRUS.

 

12 novembre

● Ouverture des centres de vaccination.

Suspicion d’un cas de syndrome de Guillain-Barré chez un personnel soignant vacciné.

 
 

● Premières livraisons des vaccins Panenza (Sanofi) et Focetria (Novartis), dont une partie en monodoses.

 

16 novembre

Autorisation de mise sur le marché du vaccin Panenza (Sanofi Pasteur) par l’AFSSAPS : vaccin sans adjuvant destiné notamment à la vaccination des femmes enceintes et des nourrissons.

Lancement de la campagne de vaccination en Espagne et en Grèce.

17 novembre

Fin de la surveillance des cas groupés par l’InVS, sauf pour ceux intervenant dans les populations à risque de complications.

 

18 novembre

34ème réunion de la CIC : point sur l’ouverture des centres de vaccination (centres peu fréquentés la première semaine et nombre de centres ouverts chaque jour en baisse), difficulté de mobilisation des médecins, programmation au 25 novembre du début de la vaccination dans les collèges et lycées et début décembre pour les écoles maternelles et primaires, mais en centre de vaccination, point sur les populations à vacciner par des équipes mobiles, présentation d’un comparatif sur l’organisation de la vaccination dans différents pays.

 

19 novembre

Organisation par l’InVS d’un séminaire d’échange d’expériences sur la pandémie dans l’hémisphère Sud.

Recommandation par le Comité des produits de santé à usage humain de l’Agence européenne du médicament de passer à une dose de vaccin pour le Pandemrix et le Focetria.

20 novembre

 

L’institut norvégien de la santé publique informe l’OMS de la détection d’une mutation du virus A(H1N1).

23 novembre

L’AFSSAPS met en ligne un formulaire de déclaration des événements indésirables à destination du grand public.

Lancement de la campagne de vaccination aux Pays-Bas et en République tchèque.

25 novembre

35ème réunion de la CIC : fonctionnement des centres de vaccination (demande d’élargissement des plages d’ouverture, notamment le samedi), difficultés d’obtention des listes des médecins du travail, lancement de la campagne dans les établissements scolaires, annonce d’une prochaine décision de l’Agence européenne du médicament sur le passage à une injection unique.

 

27 novembre

Annonce du passage à une injection unique pour les adultes de moins de 60 ans et une partie des enfants, sur la base des données fournies par l’Agence européenne du médicament.

Modification, par la Commission européenne, de l’AMM du Pandemrix et du Focetria pour passer à une seule dose.

30 novembre

Mesures décidées pour améliorer le fonctionnement des centres de vaccination, face à l’affluence du public.

 

2 décembre

36ème réunion de la CIC : annonce de l’élargissement des plages d’ouverture des centres, mission IGAS/IGA sur le fonctionnement des centres, appel en renfort de la Croix Rouge et d’associations pour l’accueil dans les centres, lancement d’une réflexion sur une vaccination autonome dans les administrations et les grandes entreprises, travaux sur la permanence des soins pendant les fêtes de fin d’année.

 

3 décembre

Décision du Président de la République de renforcer le fonctionnement des centres de vaccination et instructions du Premier ministre sur la mobilisation des personnels dans ces centres.

 

4 décembre

 

Bilan du déroulement des campagnes de vaccination au cours de la réunion des ministres de la santé du G7 et du Mexique à Londres.

8 décembre

L’InVS publie une analyse des premiers cas graves liés la grippe A(H1N1) en France.

 

9 décembre

37ème réunion de la CIC : point sur l’amélioration de la situation dans les centres de vaccination, difficultés des équipes opérationnelles départementales à planifier l’activité des professionnels mobilisés, seconde campagne dans les collèges et lycées avec intégration des personnels de l’éducation nationale.

 

10 décembre

● Évolution des recommandations de prescription des antiviraux vers leur prescription systématique chez tous les patients présentant une grippe clinique.

 
 

● Livraison des 38 000 doses restantes du vaccin Celvapan (Baxter).

 

11 décembre

Actualisation de la posologie des vaccins pandémiques par le HCSP.

 

16 décembre

38ème réunion de la CIC : poursuite de l’amélioration des conditions d’accueil dans les centres, signalement du refus de certains médecins d’être réquisitionnés, point sur l’adaptation du dispositif pour Noël et à partir de janvier 2010.

 

21 décembre

Mise à disposition des stocks gouvernementaux de Tamiflu et de Relenza dans les officines (mis à disposition gratuitement sur ordonnance).

 

23 décembre

39ème réunion du CIC : point sur la campagne vaccinale, présentation de la convention pour l’organisation d’une campagne autonome dans les grandes entreprises et administrations, présentation de la circulaire sur la seconde campagne dans les collèges et lycées.

 

30 décembre

40ème réunion de la CIC : point sur la campagne, ouverture des centres de vaccination situés en établissements de santé à la population générale, présentation des modalités d’ouverture des centres à partir du 4 janvier.

 

4 janvier

Annonce de la résiliation unilatérale de 50 millions de doses de vaccins.

 

6 janvier

41ème réunion de la CIC : point sur la campagne, début de la seconde campagne en établissement scolaire, début des vaccinations autonomes en entreprise, annonce d’une extension du nombre de centres en établissement de santé, présentation du dispositif d’extension de la vaccination à la médecine de ville.

 

12 janvier

● L’InVS déclare la fin de la vague pandémique en France.

 
 

● Ouverture de la vaccination auprès des médecins généralistes.

 

13 janvier

42ème réunion de la CIC : point d’avancement sur la campagne de vaccination, fermeture des centres prévue le 6 mars avec débat sur le service minimum entre le 6 février et le 6 mars.

 

21 janvier

43ème et dernière réunion de la CIC : prévision de fermeture des centres.

 

29 janvier

Avis du HCSP sur la pertinence de la poursuite de la campagne de vaccination contre le virus A(H1N1).

 

30 janvier

Fermeture des centres de vaccination.

 

31 janvier

L’AFSSAPS juge que les signalements portés à sa connaissance sur les vaccins ne remettent pas en cause la balance bénéfice-risque.

 

4 février

Diffusion de l’annonce presse concernant la vaccination dans les cabinets médicaux.

 

Glossaire des sigles utilisés

AFSSAPS : Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

AMM : Autorisation de mise sur le marché.

CDC : Center for disease control (Centre pour la prévention et le contrôle des maladies).

CIC : Cellule interministérielle de crise.

CODAMUPS : Comité départemental de l’aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires.

DGS : Directeur général de la santé.

ÉPRUS : Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires.

HCSP : Haut conseil de la santé publique.

IGA : Inspection générale de l’administration.

IGAS : Inspection générale des affaires sociales.

INPES : Institut national de prévention et d’éducation pour la santé.

InVS : Institut de veille sanitaire.

OMS : Organisation mondiale de la santé.

PARCEP : Personnels à rôle critique en pandémie.

UE : Union européenne.

ANNEXE 5 : LETTRE DU PRÉSIDENT JEAN-CHRISTOPHE LAGARDE AU DOCTEUR MARGARET CHAN,
DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L’ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ

COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE DE VACCINATION CONTRE LA GRIPPE A(H1N1)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
LIBERTÉ - EGALITÉ – FRATERNITÉ

Paris, le 19 mai 2010

Madame la Directrice générale,

Dès sa constitution, la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale française sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) a souhaité entendre un représentant de l’Organisation mondiale de la santé afin qu’il expose la stratégie de l’Organisation contre la pandémie grippale et son impact sur les politiques menées dans les différents pays, et singulièrement en France.

Le docteur Sylvie Briand avait été contactée à cette fin. Malheureusement, le docteur Keiji Fukuda nous a fait part du refus de l’organisation de participer à une quelconque audition, fusse-t-elle par visioconférence, procédure qui avait été proposée.

L’ensemble des membres de la Commission d’enquête, toutes tendances politiques confondues, le regrette vivement. Ce refus ne peut qu’alimenter critiques et suspicions, et surtout est incompréhensible compte tenu de la précédente participation de l’Organisation mondiale de la santé – la vôtre – aux travaux de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la grippe H5N1 en novembre 2005 comme à différents colloques ou conférences dans divers pays, dont la France. De surcroît, l’attitude de votre organisation, financée par des contributions nationales, contraste singulièrement avec l’acceptation de la Commission européenne, de l’Agence européenne du médicament et du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies.

Espérant que vous pourrez envisager un changement de position, une conférence à distance, – la Commission d’enquête n’étant en aucune façon un tribunal, mais visant simplement à proposer des pistes d’amélioration des procédures pour les prochaines campagnes de vaccination – je vous prie d’agréer, Madame la Directrice générale, l’expression de mes respectueux hommages.


Le Président,

e Lagarde


Dr Margaret Chan

Directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé

Avenue Appia 20

1211 Genève 27
SUISSE

ANNEXE 6 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la commission d’enquête.

(Toutes les auditions, sauf indication contraire, ont été ouvertes à la presse.)

Audition de M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports (Procès-verbal de la séance du mardi 6 avril 2010) 174

Audition de M. Thierry Coudert, directeur de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS) (Procès-verbal de la séance du mardi 6 avril 2010) 189

Audition de Mme Françoise Weber, directrice générale de l’Institut de veille sanitaire (InVS) (Procès-verbal de la séance du mardi 6 avril 2010) 202

Audition de M. Bernard Boubé, préfet et ancien directeur de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS) (Procès-verbal de la séance du mardi 6 avril 2010) 211

Audition de M. Benoît Leclercq, directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) (Procès-verbal de la séance du mercredi 7 avril 2010) 218

Audition de Mme Annie Podeur, directrice générale de l’offre de soins au ministère de la santé et des sports (Procès-verbal de la séance du mercredi 7 avril 2010) 229

Audition de M. Laurent Degos, président du collège de la Haute Autorité de santé (HAS) (Procès-verbal de la séance du mercredi 7 avril 2010) 241

Audition de M. Claude Hannoun, professeur honoraire à l’Institut Pasteur (Procès-verbal de la séance du mardi 13 avril 2010) 249

Audition de M. le professeur Bernard Bégaud, pharmacologue (Procès-verbal de la séance du mardi 13 avril 2010) 261

Audition de M. le professeur Pierre Bégué, membre de l’Académie nationale de médecine (Procès-verbal de la séance du mardi 13 avril 2010) 266

Audition de M. Didier Tabuteau, conseiller d’État, directeur général de la Fondation Caisses d’épargne pour la solidarité et directeur de la chaire Santé de l’Institut d’études politiques de Paris et de M. Claude Le Pen, professeur de sciences économiques à l’université de Paris-Dauphine (Procès-verbal de la séance du mardi 13 avril 2010) 284

Audition de M. Christian Lajoux, président du LEEM (Les entreprises du médicament) (Procès-verbal de la séance du mardi 13 avril 2010) 297

Audition de M. Michel Setbon, sociologue au Centre national de la recherche scientifique et à l’École des hautes études en santé publique (Procès-verbal de la séance du mardi 13 avril 2010) 304

Audition de M. Antoine Flahault, directeur de l’École des hautes études en santé publique (Procès-verbal de la séance du mardi 27 avril 2010) 313

Table ronde réunissant des représentants d’ordres et de syndicats professionnels : M. Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat des personnels infirmiers, M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français, M. Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, M. Claude Leicher, président de MG France, Mme Chloé Loyez, étudiante en troisième année du deuxième cycle d’études de médecine à l’Université Paris VI, présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France, M. Grégory Murcier, président de l’Intersyndicat national des internes des hôpitaux, qui représente les internes de spécialité hors médecine générale, M. Martial Olivier-Koehret, médecin généraliste, ancien président de MG France, M. Matthieu Piccoli, étudiant en troisième année de deuxième cycle d’études de médecine à l’Université Paris-Descartes, représentant des étudiants en médecine d’Île-de-France, M. Patrick Romestaing, ORL libéral, président de la section Santé publique du Conseil national de l’Ordre des médecins et M. Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers libéraux (Procès-verbal de la séance du mardi 27 avril 2010) 325

Audition de M. Jacques Berger, directeur général délégué de Sanofi Pasteur (Procès-verbal de la séance du mercredi 28 avril 2010) 359

Audition de M. Philippe Chêne, président de Baxter France (Procès-verbal de la séance du mercredi 28 avril 2010) 371

Audition de M. Hervé Gisserot, président de GlaxoSmithKline (Procès-verbal de la séance du mercredi 28 avril 2010) 377

Audition de M. Alexandre Sudarskis, directeur général de Novartis vaccins et diagnostics (Procès-verbal de la séance du mercredi 28 avril 2010) 387

Audition de M. Jean Marimbert, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 2010) 396

Audition de M. Claude Michellet, directeur de l’académie de Paris (Procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 2010) 408

Audition de M. Thierry Saussez, directeur du service d’information du Gouvernement (Procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 2010) 417

Audition de M. Yves Kerouédan, président de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique, et de M. Emmanuel Déchin, secrétaire général (Procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 2010) 430

Audition de M. Thierry Gentilhomme, chef du département des urgences sanitaires de la direction générale de la santé au ministère de la santé et des sports (Procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 2010) 440

Audition de M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale et de M. Yann Jounot, directeur de la planification de sécurité nationale au ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales (Procès-verbal de la séance du mardi 11 mai 2010) 449

Audition de M. Roger Salamon, président du collège du Haut conseil de la santé publique (Procès-verbal de la séance du mardi 11 mai 2010) 465

Audition de M. le Professeur Marc Gentilini, professeur émérite des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, président honoraire et membre de l’Académie nationale de médecine et membre du Conseil économique, social et environnemental, et de M. le Professeur François Bricaire, chef du service maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière (Procès-verbal de la séance du mardi 11 mai 2010) 474

Audition de M. Paul Castel, directeur général des hospices civils de Lyon, président de la conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers régionaux et universitaires (Procès-verbal de la séance du mardi 11 mai 2010) 485

Audition de M. John Ryan, chef de l’unité « Menaces sur la santé » au sein de la direction générale de la santé de la Commission européenne, de M. Patrick Le Courtois, membre de l’Agence européenne du médicament, et de M. Denis Coulombier, membre du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (Procès-verbal de la séance du mercredi 12 mai 2010) 491

Audition de Mme Sophie Kornowski-Bonnet, présidente du laboratoire Roche (Procès-verbal de la séance du mercredi 12 mai 2010) 512

Audition de M. Thierry Blanchon, responsable adjoint du réseau Sentinelles à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et de M. Jean-Marie Cohen, coordinateur national des groupes régionaux d’observation de la grippe (GROG) (Procès-verbal de la séance du mercredi 26 mai 2010) 516

Audition de M. Jean Leonetti, président de la Fédération hospitalière de France (Procès-verbal de la séance du mercredi 26 mai 2010) 532

Audition de M. Pierre Brodard, secrétaire général de la Fédération nationale des centres de santé (Procès-verbal de la séance du mercredi 26 mai 2010) 540

Audition de M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) (Procès-verbal de la séance du mercredi 26 mai 2010) 544

Table ronde réunissant des représentants de médias : M. Gérard Amsellem (Pratis TV), M. Paul Benkimoun (Le Monde), M. Alain Ducardonnet (LCI), M. Éric Favereau (Libération), M. Jean-Daniel Flaysakier (France 2), Mme Viviane Jungfer (TF1), M. Gérard Kouchner (Le Quotidien du médecin), M. Marc Payet (Le Parisien-Aujourd’hui en France), Mme Martine Perez (Le Figaro), M. Benoît Thévenet (France 5) et M. Jérôme Vincent (Le Point) (Procès-verbal de la séance du jeudi 27 mai 2010) 556

Audition de Mme Viviane Defrance, secrétaire générale adjointe du Syndicat des infirmières conseillères de santé (SNICS-FSU) (Procès-verbal de la séance du mardi 1er juin 2010) 580

Audition de M. Jacques Fontan, responsable du centre de vaccination de Capbreton (Procès-verbal de la séance du mercredi 2 juin 2010) 590

Audition de M. Philippe Coste, ancien directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de Paris (Procès-verbal de la séance du mercredi 2 juin 2010) 599

Audition de Mme Valérie Lévy-Jurin, maire-adjointe de Nancy, présidente du réseau français des villes santé de l’Organisation mondiale de la santé, membre de l’Association des maires de France (Procès-verbal de la séance du mercredi 2 juin 2010) 603

Audition de M. Jean-Claude Manuguerra, président du Comité de lutte contre la grippe (Procès-verbal de la séance du mercredi 2 juin 2010) 606

Audition de M. Atanase Périfan, président de l’association Voisins solidaires (Procès-verbal de la séance du mercredi 2 juin 2010) 622

Audition de M. Pierre Boissier, chef de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) (Procès-verbal de la séance du mercredi 9 juin 2010) 625

Audition de M. Nacer Meddah, préfet de Franche-Comté, ancien préfet de Seine-Saint-Denis (Procès-verbal de la séance du mercredi 9 juin 2010) 633

Audition de M. Bernard Fragneau, ancien préfet du Loiret (Procès-verbal de la séance du mercredi 9 juin 2010) 640

Audition de M. Marc Girard, consultant (Procès-verbal de la séance du mercredi 9 juin 2010) 644

Audition de M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports (Procès-verbal de la séance du jeudi 10 juin 2010) 662

Audition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports (Procès-verbal de la séance du mardi 15 juin 2010) 689

Audition de M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement (Procès-verbal de la séance du mercredi 16 juin 2010) 716

Audition de M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales (Procès-verbal de la séance du mercredi 16 juin 2010) 727

.

Audition de M. Didier Houssin,
directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports


(Procès-verbal de la séance du mardi 6 avril 2010)

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La séance est ouverte à seize heures trente.

(M. Didier Houssin prête serment.)

M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports. En préambule, je souhaite situer le cadre de mon action.

J’ai été nommé directeur général de la santé le 31 mars 2005. Le 31 août 2005, en pleine flambée épizootique mondiale liée au virus grippal H5N1, j’ai été nommé délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire. Outre la menace de pandémie grippale liée à ce virus, j’ai dû affronter, dès 2005, l’épidémie liée au virus chikungunya à La Réunion et l’état d’hyper-endémie lié au méningocoque B14.P1.7-16 dans la zone de Dieppe. J’ai donc été sensibilisé très tôt aux menaces épidémiques.

J’ajoute que je suis médecin et que je n’ai pas de lien d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique ou des dispositifs médicaux.

La campagne de vaccination contre le virus H1N1 a été inédite. J’en évoquerai successivement la programmation, l’explication et la gestion. Conformément à votre demande, je centrerai mon propos sur la manière retenue pour préparer et conduire chacune de ces actions.

Le travail de programmation d’une campagne vaccinale contre un virus grippal pandémique avait été partiellement préparé durant la période qui a précédé le 24 avril, dans le cadre de la menace liée au virus grippal aviaire H5N1. Plusieurs avis du Haut conseil de la santé publique (HCSP) et un avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) avaient été émis ; des contrats de réservation de vaccins pandémiques avaient été mis en œuvre ; un travail interministériel avait été lancé en 2008 sur les priorités d’accès à la vaccination ; des outils d’information à l’intention du public et des professionnels de santé avaient été élaborés.

L’éventualité, en cas de pandémie, de pouvoir proposer une vaccination avant la première vague, était cependant jugée hautement improbable.

Cette éventualité s’est toutefois présentée en 2009, en raison de la réactivité des pays d’émergence du virus et de l’OMS, en raison de la date de cette émergence – fin avril, donc au terme de la période de grippe saisonnière – et du fait que la pandémie épargna largement la métropole durant l’été. Tout cela rendait très probable la survenue d’une première vague pandémique avant la fin 2009, donc dans un délai compatible avec une campagne de vaccination préalable.

À partir de la fin du mois d’avril 2009, le travail de programmation s’est fait en plusieurs étapes. Il s’agissait d’abord d’inscrire cette tâche prioritaire en plus des missions du dispositif de gestion de crise, dès le début du mois de mai ; de définir une stratégie de vaccination et de préparer l’acquisition de vaccins, en mai et juin ; de choisir ensuite une organisation pour la campagne de vaccination, en juin et juillet, en tenant compte de nombreuses contraintes, parmi lesquelles les plus fortes étaient la présentation du vaccin en multi-doses – imposant un mode collectif d’organisation de la vaccination – et sa livraison très progressive. En août et septembre, il s’est agi de définir un ordre de priorité de la vaccination. La campagne de vaccination a été lancée en octobre, puis il a fallu, en octobre, novembre et décembre, assurer le suivi de cette campagne, en se préparant, au besoin, à sa suspension.

Cette programmation a été fondée sur l’expertise de différents organismes nationaux – l’Institut de veille sanitaire (InVS), le Comité de lutte contre la grippe (CLCG), le Haut conseil de la santé publique (HCSP), l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dont l’avis n° 106 a été formulé en février 2009 –, européens – le European Center for Disease Prevention and Control (ECDC) et l’Agence européenne du médicament (EMEA) –, et internationaux – le Center for Disease Control and Prevention (CDC) d’Atlanta, aux États-Unis, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), notamment.

L’expertise était large et approfondie s’agissant du choix d’une stratégie de vaccination, de la décision d’acquisition de vaccins, de la définition d’un ordre de priorité pour la vaccination, du lancement et du suivi de la campagne. Elle était en revanche peu développée concernant les aspects organisationnels de cette dernière. L’organisation mise en place en France, choisie sous forte contrainte, s’est donc surtout inspirée de certains travaux conduits dans le cadre du plan variole – il est très vite apparu que le cadre d’ensemble n’était toutefois pas applicable –, de l’organisation de la vaccination contre la méningite en Seine-Maritime ou contre la grippe saisonnière, et de l’exemple du dispositif prévu au Canada. Cette organisation a été testée avant le lancement de la campagne, dans le cadre d’exercices, afin d’affiner, par exemple, l’organisation interne d’un centre de vaccination. L’organisation a été adaptée au fil du temps, notamment pour tenir compte de l’évolution des connaissances (type de vaccins recommandés pour les femmes enceintes, entre autres), des variations d’affluence, ou afin de rendre la vaccination possible pour certaines catégories de la population (constitution d’équipes mobiles).

Ce travail de programmation a réclamé la mise en place d’importantes articulations entre les ministères de l’intérieur et de la santé, avec les collectivités locales, à propos des centres de vaccination et avec d’autres ministères – éducation nationale pour la vaccination des scolaires, affaires étrangères pour la vaccination des Français à l’étranger, travail et solidarité pour la vaccination en milieu de travail ou en établissement médico-social, justice pour la vaccination en établissement pénitentiaire.

Le travail d’explication touchant la vaccination a été l’un des aspects les plus difficiles de la lutte contre la pandémie grippale liée au virus H1N1. Ce travail d’explication avait été partiellement préparé (outil internet « Mon quotidien en pandémie » destiné au site pandemie-grippale.gouv.fr).

Dès le mois de mai, ce travail d’explication s’est néanmoins révélé complexe du fait de la nécessaire articulation avec l’information sur la vaccination contre la grippe saisonnière, laquelle ne pouvait être abandonnée, de l’évolution rapide des connaissances, mais aussi de nombreuses incertitudes. Parmi ces dernières, les plus importantes ont concerné l’appréciation de la gravité de la pandémie, la possibilité de disposer de vaccins ayant une autorisation d’utilisation, la date des autorisations, le calendrier de livraison des vaccins et le volume des premières quantités livrées – les calendriers ont toujours été indicatifs –, les effets indésirables liés aux vaccins – ce qui a imposé la mise en place d’un vaste plan de gestion des risques et un travail particulier de transparence conduit par l’AFSSAPS autour des questions de pharmacovigilance –, la possibilité d’utiliser une dose plutôt que deux pour la vaccination, qui ne s’est confirmée qu’en novembre 2009, l’ordre de priorité à retenir pour la vaccination et les règles relatives à l’articulation avec la vaccination contre la grippe saisonnière, qui n’ont pu être fixées qu’en septembre 2009.

Ce travail d’explication, appuyé notamment par de nombreux points presse, un site internet dédié, des courriers de la ministre et une campagne de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), a été conduit auprès des professionnels de santé, des établissements de santé et du secteur ambulatoire, auprès du grand public et de nombreux autres acteurs de la campagne – centre interministériel de crise, préfets et leurs équipes opérationnelles départementales, autres ministères, services du ministère de la santé, chefs de centres de vaccination.

Ce travail d’explication a été appuyé d’initiatives à visée d’exemple, comme la vaccination de la ministre, ou la vacation en centre de vaccination que j’ai personnellement assurée le 21 novembre.

Les explications fournies par les autorités sanitaires ont toutefois été contrariées par l’intervention sur la scène médiatique – presse ou internet –, de différents acteurs, y compris des médecins, dont les propos ont semé le doute sur l’opportunité de se faire vacciner et dont les principaux messages étaient que la pandémie grippale, moins importante que d’autres problèmes sanitaires dans le monde, ne méritait pas l’attention, qu’elle n’était pas grave, que la vaccination était inutile, que les vaccins étaient dangereux, que la vaccination était organisée de façon collective, donc mal organisée, que la campagne de vaccination était le résultat d’un complot de l’industrie pharmaceutique, ou d’un complot politique visant à porter atteinte aux libertés individuelles, voire d’un complot visant l’élimination d’une partie de l’espèce humaine.

Dans le contexte d’une crise de longue durée, la gestion de la campagne de vaccination, au sens opérationnel et logistique, a réclamé des efforts importants et soutenus de la part de nombreux acteurs.

La gestion de la campagne a suscité de nombreuses décisions au niveau du Centre interministériel de crise (CIC), pilotée par le ministère de l’intérieur. Outre l’ouverture dès le premier jour du centre de crise sanitaire, la direction générale de la santé a fait évoluer son organisation interne afin de mettre en place une équipe « projet » pour préparer la campagne, puis participer à son pilotage et à son suivi – notamment opérationnel et logistique – en lien avec l’InVS, l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS), la CNAMTS et l’AFSSAPS.

L’ÉPRUS, dont la montée en charge, peu après sa création, avait été retardée par des problèmes de gouvernance, a su jouer un rôle clé dans l’acquisition et la logistique des produits de santé – vaccins, aiguilles, seringues –, notamment grâce à la création en son sein de l’établissement pharmaceutique début 2009, et dans la gestion des ressources humaines, puisqu’il a fourni le contexte d’emploi qui a permis d’offrir un cadre juridique et de rémunération à près de 10 000 personnes.

Le rôle des préfets, mobilisés par les circulaires du 21 août et du 28 octobre 2009, a été central dans la mise en œuvre de la campagne et dans les adaptations de son organisation, notamment lors du passage à une phase de forte affluence à compter du 18 novembre.

Les acteurs territoriaux, pour leur part, ont contribué à la gestion par la mise à disposition de personnels, de locaux adaptés, comme les gymnases, et de matériels ; certains ont mis en place un système dédié d’information de leurs administrés, voire d’organisation des prises de rendez-vous.

Les établissements de santé ont organisé une activité de vaccination en leur sein, indispensable pour certaines populations. Quant aux professionnels de santé, ils ont contribué largement au fonctionnement des centres de vaccination, puis ont pris le relais dans le secteur ambulatoire lorsque cela est devenu possible.

Enfin, le public, dont l’affluence s’est renforcée soudainement avant de faiblir à nouveau en janvier, a imposé de constantes adaptations du dispositif.

Du point de vue sanitaire, la gestion de la campagne s’est attachée particulièrement à fluidifier la logistique de distribution des vaccins afin d’éviter les ruptures importantes d’approvisionnement, à réguler les invitations à la vaccination grâce à l’envoi de bons, assuré par la CNAMTS – indispensable pour la mise en place effective d’un ordre de priorité, la sécurisation du dispositif de traçabilité et la mesure de la couverture vaccinale –, et à informer les professionnels de santé concernés, compte tenu des différents vaccins utilisés et des différentes recommandations d’utilisation. La gestion de la campagne s’est aussi efforcée d’éviter que des personnes prioritaires ne puissent pas accéder à la vaccination (édition de bons dans les centres de vaccination) et à la sécurité sanitaire de la vaccination, par une analyse des dysfonctionnements observés et la diffusion rapide de recommandations aux chefs de centres.

Enfin, grâce au dispositif de la réquisition, la gestion de la campagne a permis d’offrir un cadre d’action juridiquement sécurisé à tous les professionnels concernés.

En conclusion, je dirai que la campagne de vaccination contre le virus A(H1N1) organisée en France entre les mois d’octobre et janvier a été inédite, traduisant un effort collectif sans précédent, qui ne pouvait toutefois manquer d’interroger dans une société parfois saisie par l’individualisme. Des leçons sont à en tirer pour l’avenir de la vaccination, sur la capacité de l’État à informer et à expliquer à l’heure d’internet et sur l’aptitude du système de santé à s’organiser dans des circonstances exceptionnelles.

En mai, en août et jusque tard dans l’année, notre crainte était que la pandémie liée au virus H1N1 ne se traduise par une hécatombe. Nous avons tout fait pour l’éviter et protéger au mieux la santé des Français, la campagne de vaccination étant l’une des importantes mesures de prévention prises à cette occasion. La pandémie n’est pas terminée, mais nous nous sommes efforcés d’adapter les actions à l’évolution des connaissances, dans un contexte longtemps marqué – il l’est encore – par de grandes incertitudes. À ce jour, l’hécatombe n’a pas eu lieu. Chance inespérée ? Erreur d’appréciation ? Action efficace ? Les deux, voire les trois ? Votre commission d’enquête va pouvoir en juger.

Mme Marisol Touraine. Vous avez dit lors de votre audition devant le Sénat que la gestion de la pandémie avait été suivie par le Président de la République et que des arbitrages importants avaient été rendus par le Premier ministre. Pouvez-vous préciser ce qui a été défini à l’Élysée, les choix qui ont été faits au niveau du Gouvernement et les décisions qui ont été prises par la ministre de la santé ?

Dans une interview donnée au journal Libération le 3 mars 2010 et intitulée « On ne referait pas très différemment », vous dites : « J’arrive à la conclusion que notre action a été couronnée de succès. Par rapport à ce que l’on pouvait craindre, il n’y a eu, à ce stade, qu’environ 300 décès en France. » Considérez-vous que ce chiffre soit à mettre au crédit du dispositif mis en place ?

Comment expliquez-vous le décalage entre votre objectif initial – une vaccination massive de la population – et le résultat de la campagne – 6 millions de personnes vaccinées seulement ?

Vous semblez considérer que le choix d’une vaccination dans des centres collectifs a été fait en raison du conditionnement des vaccins. Ne fallait-il pas procéder autrement, en demandant à l’industrie pharmaceutique de conditionner les vaccins en fonction des choix opérés en amont ?

Vous avez dit que des interventions médiatiques sur internet avaient troublé l’opinion et qu’il fallait en tirer les conséquences pour la communication gouvernementale. Est-ce à dire qu’à aucun moment le Gouvernement ne s’est interrogé sur les modalités d’une communication de crise dans une société démocratique où l’information est libre et circule ?

M. Guy Lefrand. Quel rôle ont joué les experts et l’OMS dans l’évolution de la gestion de cette crise ? En d’autres termes, les décisions ont-elles été prises en fonction des risques présentés par l’OMS ?

Le Gouvernement a, semble-t-il, perdu une bataille, celle de la communication. Quelles sont les causes de cet échec, quel rôle a joué internet et quelles leçons en tirez-vous ? Comment expliquez-vous le rejet, tant par le grand public que par une partie des professionnels de santé, de la gestion de cette crise ?

D’après vous, de quelle nature était la relation qui s’est instaurée entre le Gouvernement et l’industrie pharmaceutique ?

Enfin, la décision sur le conditionnement des vaccins en multi-doses a eu des effets en cascade, affectant notamment l’adhésion des professionnels de santé. Aurait-il pu en être autrement ?

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Quand et comment a-t-il été décidé de valider la stratégie de vaccination globale ? De quelle façon le nombre de vaccins à commander a-t-il été calculé? Comment expliquez-vous le refus initial des laboratoires de livrer des vaccins unidose ?

Enfin, il semble que les relations entre le ministère de l’intérieur et celui de la santé n’aient pas été optimales. Pensez-vous qu’elles aient été de nature à gêner l’information du grand public ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Vous avez dit que le choix du conditionnement en multidoses était lié à un problème de délai. Quelle était la différence de délai annoncée par les laboratoires pour fournir des vaccins unidose ?

Il sera d’autant plus intéressant d’entendre votre réponse à la dernière question du rapporteur que vous êtes le délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire.

M. Didier Houssin. Madame Touraine, je n’ai pas participé à l’ensemble des réunions qui se sont tenues autour du Président de la République, mais je crois savoir qu’elles étaient destinées à l’information de celui-ci et des ministres concernés. En dehors de la décision concernant l’acquisition de matériels de réanimation et de dispositifs d’oxygénation extracorporelle, les décisions formellement visibles ont été prises principalement au niveau du Premier ministre : acquisition des vaccins – décision prise le 3 juillet –, gratuité de la vaccination, aspect non obligatoire, ordre de priorité, élargissement de la prise en charge des cas du secteur hospitalier au secteur ambulatoire – décision prise le 22 ou 23 juillet. Les décisions relevant du secteur sanitaire, comme le rôle des établissements de santé dans la vaccination, ont été prises par la ministre de la santé. La plupart des décisions étant de nature interministérielle, elles ont été en grande partie validées par le centre interministériel de crise, présidé par les ministres ou par leurs directeurs de cabinet.

Si j’ai dit lors d’une interview – interview que j’avais acceptée parce que la ministre m’en avait donné l’autorisation – que notre action avait été couronnée de succès, je n’ai pas voulu dire que c’était un succès sur toute la ligne : le nombre de décès a été relativement peu élevé si on le compare à celui de pandémies antérieures, alors que ce phénomène naturel, qui dure encore, aurait pu avoir des conséquences extrêmement graves. Est-ce le résultat de la chance ou est-ce lié aux actions menées par les pouvoirs publics et les professionnels concernés ? On ne peut pas écarter l’hypothèse que ce qui a été fait pour retarder le processus – fermetures de classes en septembre et octobre, élargissement des recommandations en matière d’hygiène, traitement précoce de certains malades par antiviraux, vaccination d’un certain nombre de personnes – ait eu un effet bénéfique. Une évolution spontanée de la pandémie aurait-elle eu des conséquences plus graves ? Il est difficile de répondre à cette question.

Lorsque la vaccination peut être conduite, elle constitue une bonne méthode de prévention, si tant est qu’elle survienne largement avant l’apparition du phénomène épidémique. Nous avons tenté de déclencher la campagne le plus rapidement possible afin de ne pas être pris de vitesse ; de ce point de vue, le succès n’est pas total puisque la vaccination a débuté quelques semaines seulement avant le pic épidémique.

Il est certain que nous aurions préféré disposer d’un conditionnement du vaccin en unidose, ce qui aurait permis d’organiser la campagne comme nous le faisons contre la grippe saisonnière. Les industriels nous ont tous répondu de la même manière : organiser le flaconnage de quantités aussi importantes requérait un délai supplémentaire minimum de deux mois. Compte tenu de l’extrême pression temporelle à laquelle nous étions soumis, il n’a pas été jugé raisonnable d’attendre.

Il faudra effectivement tirer toutes les conséquences de la conduite de la communication de crise. Une veille sur internet était assurée par le service d’information du Gouvernement et nous avions, dans le cadre de la préparation à une pandémie grippale, déjà mis en place un site. Mais nous n’étions pas suffisamment armés pour battre en brèche les argumentaires et les rumeurs qui se sont développés sur le réseau. Le CDC d’Atlanta et la Food and Drug Administration (FDA) disposent d’équipes qui ont pour seule tâche de suivre Facebook ou Twitter et de réagir dès l’apparition de signaux inquiétants. Nous avons encore des progrès à faire en ce domaine. Toutefois, l’intervention de l’État sur internet – anonyme ou non – dans un cadre de gestion de crise pose problème pour la démocratie.

Monsieur Lefrand, on peut critiquer le rôle des experts, dire que leurs estimations étaient erronées, mettre en avant la question des déclarations d’intérêts, et pointer les liens que certains entretiendraient avec l’industrie pharmaceutique. Malgré tout, je crois que nous avons eu la chance de disposer d’un dispositif réactif. La mobilisation rapide de l’InVS, du HCSP et de l’AFSSAPS nous a permis de ne jamais nous trouver en situation de perdition. Il convient de saluer le travail des organismes d’épidémiologie, l’évaluation par l’AFSSAPS des vaccins en développement et l’installation des dispositifs de pharmacovigilance, grâce auxquels nous avons pu suivre en sécurité la mise en place des vaccins.

Je ne pense pas que l’on puisse faire grief à l’OMS de sa réactivité. Quelques années plus tôt, nous avions été confrontés au SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), qui s’était propagé en quelques jours sur la surface du globe et le manque de réactivité des Chinois avait été pointé du doigt. Nous ne pouvons que nous féliciter de la rapidité de réaction de l’OMS.

S’agissant de la vaccination, nous avons perdu la bataille du nombre. Sans qu’il s’agisse d’une obligation, l’idée était que chaque personne souhaitant se faire vacciner puisse l’être, selon un ordre de priorité. Nous aurions aimé avoir une couverture vaccinale semblable à celles obtenues en Suède, en Norvège ou au Canada, mais il se trouve que la population française ne s’est pas montrée assez inquiète, craignant peut-être davantage le vaccin. La comparaison doit être faite avec la Suède. Au Canada, en raison d’un climat différent, la crainte de la pandémie était bien plus importante et les résultats obtenus en matière de vaccination bien plus élevés.

Il est difficile d’extraire la gestion d’un tel phénomène de son environnement sociétal, politique et médiatique. De la même manière, la réaction des individus vis-à-vis de la vaccination traduit leur perception des positions politiques ou médiatiques, elles-mêmes fluctuantes. Les professionnels de santé n’échappent pas à ce contexte – ils sont eux aussi connectés à internet – et leur opinion est influencée par les diverses informations en circulation. Pour autant, il convient de s’interroger sur les raisons qui ont conduit un nombre significatif d’entre eux à envisager de dissuader leurs patients de se faire vacciner ou même à affirmer qu’ils ne recommanderaient pas la vaccination. Comment obtenir l’adhésion des professionnels de santé dans une situation critique ? C’est l’une des questions que nous devons nous poser pour l’avenir.

Vous m’avez interrogé sur les liens avec l’industrie pharmaceutique, thème sur lequel enquête plus particulièrement la commission sénatoriale. Trois arguments invalident l’hypothèse selon laquelle le Gouvernement aurait été manipulé.

Premier argument : les industriels ne tiennent pas le premier maillon de la chaîne, qui permet de faire remonter les informations depuis les cabinets ou les hôpitaux et de qualifier la situation. Les organismes d’épidémiologie, par nature, ne sont pas liés aux firmes pharmaceutiques. Celles-ci ne sont pas en mesure de laisser accroire que l’on est confronté à une pandémie lorsque tel n’est pas le cas.

Deuxième argument : si les 35 producteurs mondiaux s’étaient entendus pour monter une affaire de cette ampleur, ils se seraient préparés à la production massive de vaccins et à un conditionnement en unidose.

Troisième argument : si l’industrie avait tenu dans sa main les experts de l’AFSSAPS et de l’EMEA, elle ne leur aurait jamais laissé dire en octobre qu’une seule dose de vaccin suffisait.

La thèse du complot, national ou international, ne tient pas !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. L’interrogation porte davantage sur les liens, plus apparents, que les experts entretiennent avec les différents laboratoires.

M. Didier Houssin. M. Jean-Pierre Door m’a interrogé sur le processus de décision. La direction générale de la santé interrogeait les organismes d’expertise compétents pour avoir un avis. L’avis fourni, elle formulait une préconisation à l’attention de la ministre. La décision était alors validée dans le cadre du ministère, en interministériel ou par le Premier ministre. Puis la direction générale de la santé, dans le cadre de la CIC, avec les autres ministères, la mettait en œuvre.

Les exercices de préparation à l’éventualité d’une pandémie avaient montré début 2009 qu’il était important de passer rapidement en posture interministérielle. Le plan pandémie avait désigné le ministère de l’intérieur comme pilote, du fait de son dispositif préfectoral. L’organisation interministérielle s’est révélée un choix heureux car nous nous sommes trouvés confrontés dès le premier jour à des problèmes touchant à l’organisation des aéroports, à la police des frontières, à la douane, aux affaires étrangères et à la santé.

M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le président, je ne pense pas que la logique d’une commission d’enquête soit d’entendre un discours global et théorique – que nous connaissons déjà –, mais d’inviter la personne auditionnée à répondre de façon précise à des questions précises. Faute de quoi, nous aurons tous perdu notre temps et nous resterons sur notre faim.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. J’allais justement proposer à nos collègues de formuler les questions les plus concises possible afin que M. Houssin puisse y répondre de manière brève et précise.

Monsieur Houssin, vous avez dit que l’on ne pouvait exclure le fait que la campagne de vaccination ait eu des effets bénéfiques. Quel a été le taux de mortalité en Pologne, pays où il n’y a pas eu de campagne de vaccination ?

M. Didier Houssin. Mme la ministre a répondu à cette question devant la commission d’enquête sénatoriale. Il est difficile de recenser précisément le nombre de décès liés à la grippe H1N1 – il existe toujours une partie invisible – et nous connaissons mal la situation sanitaire polonaise. Du point de vue méthodologique, il ne semble pas rigoureux de comparer la Pologne et la France. J’ajoute que le gouvernement polonais avait clairement l’intention d’organiser une campagne, mais que des contraintes diverses l’en ont empêché.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cela revient à dire que l’on ne peut jamais évaluer l’efficacité d’une campagne de vaccination.

M. Jean-Marie Le Guen. Quels sont les noms des experts qui se sont prononcés pour une vaccination générale ?

Vous avez dit que les décisions sur la stratégie vaccinale s’étaient appuyées sur des considérations d’ordre sanitaire, psychosocial et politique. Qui a pris quel type de décisions ? Quelles ont été les recommandations d’ordre sanitaire ? Sur quelle base les réflexions psychosociales ont-elle été élaborées ? À quel moment la décision politique a-t-elle été prise ?

M. Dider Houssin. Les avis formulés par le CLCG et par le HCSP ont été, dans la quasi-totalité des cas, votés à l’unanimité, ou à une très grande majorité et une abstention. Je peux vous communiquer les comptes rendus de ces réunions.

M. Jean-Marie Le Guen. Je précise ma question. Si vous interrogez un expert comme Bruno Lina, il vous dira que le HCSP, où siège une majorité de représentants de l’administration, n’a fait que valider une décision qui était déjà prise. En d’autres termes, si les experts se sont ralliés à une décision administrative, car elle ne comportait pas d’inconvénient majeur, aucun ne peut affirmer qu’il a recommandé une vaccination générale. Par ailleurs, est-il sérieux d’affirmer que votre position éthique était de permettre à chacun de se faire vacciner, alors que cette position n’était pas compatible avec un calendrier qui prévoyait dix-huit mois de vaccination ?

M. Dider Houssin. Les comptes rendus vous donneront une idée de la façon dont étaient organisées les délibérations. Je ne pense pas que le CLCG et le HCSP aient suivi une quelconque instruction de l’administration. Je leur adressais un courrier de saisine où étaient posées un certain nombre de questions, auxquelles ils répondaient sur un papier où figuraient également les votes. Ces documents, qui retracent les réunions des mois d’avril, mai, juin et juillet, sont à votre disposition. Cela dit, que les experts se sentent aujourd’hui « sous pression » et critiqués, et que cela puisse influer sur certaines prises de position, je ne dirai pas le contraire !

La campagne n’était pas prévue pour durer dix-huit mois. Le dimensionnement du dispositif, au niveau des centres de vaccination, avait été calculé de manière que l’on puisse effectuer la vaccination en quatre mois, dans le cas d’une appétence particulière de la population. Peut-être était-ce trop long encore, mais il fallait tenir compte de contraintes d’organisation très importantes.

S’agissant de l’acquisition des vaccins, deux stratégies se présentaient à nous : une stratégie « santé publique » consistant à vacciner de façon suffisamment large pour bloquer l’épidémie avant qu’elle ne survienne, ce qui était assez peu probable compte tenu de ce que l’on pouvait craindre de la cinétique de celle-ci ; une stratégie de protection individuelle consistant à encourager les personnes à se faire vacciner. Chacune des options conduisait à dimensionner un stock de vaccins, qu’il fallait acquérir suffisamment tôt. La décision politique la plus importante a été celle du 3 juillet, lorsque le Premier ministre a validé l’acquisition de 94 millions de doses.

M. Bernard Debré. Combien de traitements antiviraux avez-vous achetés et qu’en avez-vous fait ? Les publications montrent que les antiviraux ne sont pas efficaces sur la mortalité : tout au plus réduisent-ils de quelques heures la symptomatologie, lorsqu’ils sont administrés rapidement.

Pouvez-vous confirmer qu’en sus de la commande de 94 millions de doses de vaccin, l’ÉPRUS a reçu l’instruction de poser une option pour 30 millions de doses, ce qui fait un total de 124 millions de doses ?

Je crois savoir que les grippes de type H et N ne nécessitent qu’une injection de vaccin. Pourquoi a-t-il été décidé de vacciner deux fois contre la grippe A(H1N1) ? Mais cette question est sans doute idiote puisque l’on a, par la suite, changé d’avis et décidé de ne vacciner qu’une fois.

Pourquoi les Américains ont-ils disposé avant nous d’un vaccin s’administrant par injection nasale, conditionné de manière différente ?

Combien faut-il vacciner de personnes pour stopper une épidémie ? Je n’ai jamais entendu dire qu’il fallait vacciner deux fois toute une population !

M. Didier Houssin. Effectivement, les antiviraux n’ont pas fait la preuve d’une très grande efficacité contre la grippe saisonnière. En revanche, cinq ou six publications montrent que, parmi les personnes atteintes du virus H1N1 et hospitalisées, celles qui ont reçu des antiviraux dans les premières quarante-huit heures ont développé des formes moins graves et présenté un taux de létalité plus faible.

M. Bernard Debré. Il y a des publications qui affirment le contraire !

M. Didier Houssin. Je n’en ai pas vu beaucoup !

C’est l’avis unanime du CLCG, rendu le 12 novembre, qui nous a conduits à modifier la recommandation, afin d’inciter les médecins à prescrire plus largement les antiviraux.

M. Bernard Debré. Combien de traitements antiviraux avez-vous achetés ?

M. Didier Houssin. Nous avions acquis, dans le cadre de la préparation à une pandémie grippale, notamment liée à un virus H5N1, un stock de 33 millions de traitements. La seule acquisition d’antiviraux en 2009 concerne quelques centaines de milliers de doses de Tamiflu pédiatrique.

Effectivement, nous avons pris une option sur une trentaine de millions de doses dans le cas où il serait nécessaire de vacciner en deux fois l’ensemble de la population. Pourquoi en deux fois ? Nous avions affaire à un virus grippal d’un type nouveau – une recombinaison inhabituelle de composants d’origines aviaire, porcine et humaine. Or, dans le cas du H5N1, également nouveau, l’immunité suffisante ne pouvait s’obtenir qu’avec deux doses de vaccin. Depuis le mois de décembre, il est apparu que le H1N1, bien que très nouveau, aurait des structures conservées du virus de 1918 et que, par conséquent, la population présenterait une immunité bien meilleure que prévu.

M. Bernard Debré. Le H1 avait aussi sévi en 1957, 1958 et 1959.

M. Didier Houssin. Le H1 qui circule aujourd’hui ressemble davantage au virus de 1918.

Pour une efficacité barrière, il faut en effet vacciner entre 30 et 50 % de la population ; mais il faut pouvoir le faire suffisamment en amont de l’épidémie, ce qui n’était pas notre cas. Nous devions donc être en mesure de proposer la vaccination à l’ensemble de la population, notamment si la survenue de formes graves en grand nombre avait incité les Français à se faire vacciner.

M. Jean-Marie Le Guen. Mais les vaccins n’étaient pas disponibles !

Mme Catherine Lemorton. Pourquoi avez-vous ciblé 47 millions de personnes plutôt que 40 ou 50 millions ?

Ne pensez-vous pas que renvoyer nos concitoyens à un site internet, même officiel, du Gouvernement les ait incités à mettre sur un même plan l’information officielle et les inepties qui circulaient sur les autres sites ? N’eût-il pas mieux valu privilégier la diffusion de spots à la télévision ou à la radio ?

Les personnes auditionnées ont expliqué que la généralisation de la vaccination au monde adulte s’appuyait sur l’extrapolation du modèle de la grippe saisonnière. Comment avez-vous pu procéder à une telle extrapolation pour le monde des enfants – je pense notamment aux 3-24 mois, déjà soumis à de multiples vaccinations – puisque ceux-ci ne sont pas vaccinés contre la grippe saisonnière ? Avez-vous effectué des tests cliniques ? Dans l’affirmative, combien ?

M. Jean-Paul Bacquet. Avez-vous pris du recul par rapport à vos choix initiaux ? Pouvez-vous raisonnablement considérer que votre campagne soit un succès lorsque seulement 10 % de la population ont été vaccinés ? Vous pouviez tirer les enseignements des épidémies précédentes et des campagnes de vaccination passées. Je pense notamment à celle qui avait été – très mal – organisée dans le Puy-de-Dôme contre la méningite.

Pourquoi avoir exclu d’office les médecins généralistes d’une stratégie qui, au départ, devait conduire à la vaccination de 50 % de la population seulement ?

Vous entendre vous féliciter de cette campagne et n’en tirer aucune conclusion me rend extrêmement inquiet pour l’avenir : de quelle crédibilité disposerons-nous pour organiser la prochaine campagne ?

M. Didier Houssin. Madame Lemorton, le calcul du nombre de doses nécessaires a été effectué aux mois de mai et juin en tenant compte de la forte probabilité que nous devions disposer de deux doses – selon les informations alors en notre possession – et de l’hypothèse selon laquelle les personnes âgées bénéficiaient d’une certaine immunité, et d’un taux de compliance de 75 %. Celui-ci a été établi à partir du taux de compliance à la vaccination contre la grippe saisonnière – entre 65 et 70 % – et du taux de compliance à la vaccination contre la méningite en Seine-Maritime – de l’ordre de 85 %. Nous avons donc proposé d’acquérir 94 millions de doses, pour un total de 47 millions de personnes.

Votre remarque concernant internet est importante. Il convient de réexaminer l’action des pouvoirs publics sur le réseau en cas de crise, qu’elle soit d’origine sanitaire ou autre. Mettre en place un site n’est pas tout : encore faut-il que celui-ci soit correctement référencé et que l’on soit capable de combattre les arguments délétères.

Nous avons disposé très tôt d’informations concernant le risque de mortalité liée au H1N1 chez les personnes les plus jeunes. Dans la dernière publication de PLoS Medicine, il est d’ailleurs démontré que la pandémie de 2009 se situe à un niveau bien supérieur à celui des grippes saisonnières en termes d’années de vie perdues. Les personnes jeunes étaient les plus touchées, et c’est la raison pour laquelle nous étions enclins à proposer des vaccins aux enfants. Compte tenu de l’absence de données cliniques concernant les vaccins adjuvantés, le Haut conseil a recommandé l’utilisation de vaccins sans adjuvants, que nous avons réussi à obtenir auprès de Sanofi-Pasteur.

Monsieur Bacquet, je n’ai jamais dit que la gestion de la pandémie ait été un succès sur toute la ligne : j’ai dit que, sur le plan de l’impact sanitaire final, elle avait été couronnée de succès. Pour autant, je ne trouve pas satisfaisant le taux de couverture vaccinale.

La campagne de vaccination dans le Puy-de-Dôme était certainement antérieure à ma prise de fonctions à la direction générale de la santé. En revanche, je connais bien la campagne qui a été conduite contre la méningite en Seine-Maritime : grâce à une vaccination collective, l’épidémie a été enrayée.

Pourquoi le choix d’une vaccination collective ? Les contraintes du conditionnement en multidoses, la nécessité d’organiser un ordre de priorité et de faire en sorte que les médecins, le moment venu, se consacrent entièrement aux personnes malades, nous ont fait préférer un mode collectif d’organisation de la vaccination.

Mme Marie-Louise Fort. J’ai reçu beaucoup de protestations de la part des médecins généralistes, qui sont – faut-il le rappeler ? – l’un des piliers de notre système de santé. Quelles ont été les précautions prises pour les informer ou les intéresser à la préparation ainsi qu’à l’explication de la campagne ? Ne croyez-vous pas qu’ils auraient pu être vos meilleurs alliés pour combattre la désinformation ? Envisagez-vous désormais de les associer pleinement à la gestion des crises à venir ?

M. Gérard Bapt. M. Jean-Marie Le Guen vous a demandé quels avaient été les arbitrages rendus par le Premier ministre. Combien de réunions interministérielles se sont-elles tenues à Matignon ? M. le rapporteur peut-il en obtenir les comptes rendus ?

Vous parlez d’une décision d’acquisition des vaccins validée par le Premier ministre le 3 juillet. Mais la décision administrative n’a-t-elle pas été prise en amont, avant même que ne fût connu l’avis des experts ? Le 14 mai, le directeur de cabinet de la ministre de la santé écrivait au président de GlaxoSmithKline (GSK) afin de réserver – pour une somme de 75 millions d’euros hors taxes à régler à la réservation – 50 millions de doses.

Vous avez fait le choix de vacciner 75 % de la population. Comme il ne pouvait plus s’agir d’une vaccination barrière – le vaccin étant arrivé après le virus –, il vous restait encore la possibilité de choisir des populations cibles, conformément aux recommandations de la mission d’information sur la grippe aviaire, présidée par Jean-Marie Le Guen et dont le rapporteur était Jean-Pierre Door, qui préconisait de cibler 30 % de la population, publics prioritaires inclus.

Comment se fait-il que les autorités sanitaires n’aient pas tenu compte du passage somme toute rapide du virus au Mexique ? Pourquoi n’ont-elles pas réagi lorsque l’OMS a changé sa définition de la pandémie, relevant le niveau d’alerte au niveau 6 alors que seulement 144 décès étaient déclarés ? Le passage en phase 6 permettait tout simplement de faire jouer les contrats pré-pandémiques, ce qui revenait à abaisser le bras d’un bandit manchot : 2 milliards de livres sterling de commandes !

M. Jean-Pierre Dufau. Qui a pris la décision politique de lancer la vaccination massive et à quelle date ? Quand les vaccins ont-ils été commandés ? Enfin, qui a pris la décision de mettre fin à la campagne le 31 janvier, et pourquoi ?

Mme Catherine Génisson. A-t-on une idée du nombre de personnes atteintes par la grippe A(H1N1) ? Alors que l’on avait sorti l’arme nucléaire pour faire le diagnostic obligatoire de cette grippe, les médecins se sont vus, du jour au lendemain, quasiment interdire de faire ce diagnostic. Pourquoi ? Le diagnostic différentiel des symptômes d’une grippe A(H1N1) et d’une grippe saisonnière n’étant pas des plus faciles, comment expliquer la prescription du Tamiflu, dont on sait le peu d’efficacité pour les grippes saisonnières ?

Mme Valérie Fourneyron. Je serai, comme l’ensemble de mes collègues, très attentive à vos réponses sur le calendrier des commandes. Qui a commandé les vaccins et quand ?

Vous avez dit que les arbitrages sur les publics cibles avaient été rendus à Matignon. Quels sont les dysfonctionnements qui expliquent notamment la faible couverture vaccinale des personnes souffrant d’affections de longue durée ?

Comment expliquez-vous la défiance dont a fait preuve le ministère de la santé à l’égard des médecins généralistes ? Celle-ci pèsera lourd à l’avenir, et il faudra en tirer toutes les conséquences.

M. Élie Aboud. Il est vrai que le maillon constitué par les médecins généralistes a dysfonctionné.

Mme Marie-Louise Fort. Il a manqué !

M. Élie Aboud. Il était surréaliste de voir, d’un côté, les pouvoirs publics lancer une importante campagne d’information et, de l’autre, les médecins généralistes dénigrer la vaccination. La direction générale de la santé est-elle entrée en contact avec les syndicats de médecins généralistes ? Ces contacts ont-ils, à un certain moment, cessé ?

M. Didier Houssin. Entre les mois de mai et d’octobre, six réunions au moins se sont tenues au ministère de la santé avec les responsables des syndicats, ceux des unions régionales des médecins libéraux et les ordres. Des contacts réguliers et permanents ont donc été établis ; ils ont notamment porté sur l’élargissement de la prise en charge à la médecine ambulatoire et sur la vaccination. Toutefois, le hiatus – ou la perception d’un hiatus – entre médecins et autorités sanitaires demeure incontestablement l’une des leçons à tirer de la pandémie.

Monsieur Bapt, le centre interministériel de crise s’est réuni une quarantaine de fois, ce qui a donné lieu à des comptes rendus, à mon avis accessibles. Par ailleurs, les réunions interministérielles ont fait l’objet d’un « bleu », et leurs comptes rendus sont aussi certainement accessibles.

Nous avons établi des contacts réguliers avec les laboratoires à partir du 30 avril, date à laquelle nous avons reçu un premier mail. Nous cherchions à savoir quel type de vaccin, sous quelle forme et selon quel calendrier, les industriels, que nous ayons un contrat avec eux ou non, pouvaient produire. Leurs réponses nous ont permis de distinguer certains d’entre eux, dont GSK, qui avait de l’avance tandis que Sanofi n’avait pas d’autorisation pour son vaccin Emerflu. En mai et juin, nous avons émis des lettres d’intention en direction des laboratoires capables de livrer rapidement des quantités importantes de vaccin. Mais la décision formelle d’acquisition et la notification des marchés n’ont pas été faites avant la décision du Premier ministre du 3 juillet.

M. Gérard Bapt. Dans la lettre du 14 mai, il est bien spécifié que 1,50 euro par dose de vaccin devait être versé à titre d’arrhes et que cet acompte de réservation serait remboursé si l’OMS ne remettait pas de souche. Cela signifie bien qu’un engagement de réservation a été effectué et que 75 millions d’euros ont été versés !

M. Didier Houssin. C’était une lettre d’intention.

M. Gérard Bapt. Faut-il un jury d’honneur ?

M. Didier Houssin. Pour établir le nombre de doses à commander, nous avons tenu compte de l’avis n° 106 du CCNE, postérieur au rapport de la mission d’information parlementaire, selon lequel il convenait que l’ensemble de la population puisse accéder à la vaccination si elle le souhaitait, étant entendu qu’un ordre de priorité pouvait être établi. Cet avis a constitué un élément de la décision politique, au même titre que les considérations d’ordre sanitaire.

En 2008, l’OMS s’est interrogée dans le cadre de la préparation à une pandémie sur l’éventualité de diriger le phasage en fonction d’éléments de gravité. Cela supposait de pouvoir recenser les décès de façon fiable et identique dans chaque pays, ce qui s’est révélé extrêmement difficile. L’idée a donc été abandonnée. Toutefois, la pandémie de 2009 a montré qu’il s’agissait d’un point crucial. Ainsi, je pense qu’il faudrait réviser le plan et tenter, malgré tout, de construire des indicateurs de gravité.

Nous avons tous été marqués par l’affaire de la grippe porcine de 1976, lorsque les États-Unis ont lancé une campagne de vaccination contre un risque épidémique finalement inexistant. L’Institute of Medicine a depuis démontré que cet échec tenait en partie au fait que le président Ford avait été enfermé dans une seule décision consistant à la fois à acquérir les vaccins, à définir l’ordre de priorités et à lancer la campagne.

J’ai pensé qu’il fallait faire en sorte de distinguer chacune des décisions. L’acquisition des vaccins devait survenir suffisamment tôt pour laisser le temps de la production ; l’ordre de priorité devait être établi indépendamment ; le lancement de la campagne devait être décidé après une nouvelle analyse de la situation épidémiologique, pour pouvoir faire marche arrière si nécessaire.

On ne peut pas dire que l’acquisition et le lancement de la campagne de vaccination aient été simultanés : l’acquisition a été décidée le 3 juillet et le lancement de la campagne de vaccination fin septembre.

Lorsque la campagne a effectivement été lancée, fin septembre, l’InVS faisait toujours état d’un risque de mortalité important, et ce scénario était partagé par les organismes épidémiologiques européens.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pourtant, en septembre, l’administration avait pu observer le pic épidémique en Nouvelle-Calédonie ou à la Réunion où, en l’absence de vaccin, la mortalité n’avait pas été importante. Pourquoi vous attendiez-vous à une situation plus grave en métropole ?

M. Jean-Pierre Dufau. À quel moment ont eu lieu les séances de travail à l’Élysée, autour du Président de la République ?

M. Didier Houssin. Nous avons évidemment suivi de très près ce qui se passait dans l’hémisphère Sud : les informations qui nous parvenaient n’étaient pas encourageantes et laissaient penser qu’il fallait se méfier, d’autant que l’hiver n’est pas aussi froid que dans l’hémisphère Nord et que les pays sont moins peuplés. En Australie, en Nouvelle-Zélande, au Chili et en Argentine, où se trouvent de grands centres urbains, on a observé de nombreuses hospitalisations, avec une activité importante des services de réanimation.

Les réunions à l’Élysée se sont surtout tenues au début de la pandémie, lorsqu’il s’agissait d’apprécier la situation, de faire le point sur la position de l’OMS et des pays voisins. Nous étions en interaction permanente avec les autorités sanitaires européennes. Elles ont aussi permis de préparer l’acquisition des vaccins ou encore de commander, compte tenu de ce qui se passait dans l’hémisphère Sud, du matériel de réanimation et des dispositifs d’oxygénation extracorporelle. Une réunion s’est également tenue lorsqu’il s’est agi de mobiliser les préfets pour répondre à l’affluence soudaine dans les centres de vaccination.

Madame Génisson, nous étions dans une situation de pandémie très inhabituelle avec des décès parmi les sujets jeunes. Or des publications montraient que le taux de létalité était moindre chez les sujets en réanimation lorsqu’ils avaient reçu précocement un traitement. La responsabilité des autorités sanitaires était de formuler des recommandations allant dans le sens d’une prescription plus large d’antiviraux.

Mme Catherine Génisson. Ma question portait davantage sur le diagnostic. Au début, il fallait faire le diagnostic dès qu’un sujet présentait des symptômes grippaux. Mais cette préconisation a cessé du jour au lendemain. Pourquoi ? Par ailleurs, les généralistes ont été exclus du plan, aussi bien comme opérateurs que comme médiateurs. Êtes-vous malgré tout en mesure de dresser un bilan estimatif du nombre de personnes ayant présenté les symptômes de la grippe A(H1N1)?

M. Didier Houssin. Au début, notre objectif était de bloquer le processus épidémique, grâce à l’identification des personnes « contact » et à la recommandation de traitements pour une prise en charge hospitalière, puis ambulatoire. Au mois de septembre, le seuil épidémique a été franchi et nous n’avons plus été capables de poursuivre cette surveillance des cas groupés. Nous sommes alors passés à une surveillance populationnelle et nous avons modifié les recommandations thérapeutiques. Ce n’est que beaucoup plus tard, au mois de novembre, devant l’accentuation des formes graves, que nous avons recommandé une prescription plus large des antiviraux.

Madame Fourneyron, l’envoi des bons a respecté l’ordre de priorité. Les personnes les plus fragiles ont bien reçu leurs bons ; si elles ne sont pas allées se faire vacciner, c’est qu’elles ne le souhaitaient pas ou que leur médecin généraliste le leur avait déconseillé. Il n’y a pas eu de dysfonctionnements dans l’envoi des bons.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. J’en doute très fortement. J’ai moi-même constaté, au sein de ma famille, que l’ordre de priorité n’était pas respecté dans l’envoi des bons. Il sera sans doute intéressant d’interroger les responsables de la CNAMTS sur ce point.

Par ailleurs, dans les centres de vaccination, les responsables, les médecins ou les infirmiers ne savaient plus à quel saint se vouer car les instructions changeaient chaque jour : vacciner seulement les femmes enceintes, même si les vaccins sans adjuvants n’étaient pas disponibles, puis vacciner tout le monde – et je ne parle pas des files d’attente. Cette campagne, gratuite, générale et non obligatoire, était une première. Mais sa gestion a été, disons-le, assez apocalyptique. Sans doute aurons-nous l’occasion d’en parler de nouveau.

La gestion de cette crise est pour vous un succès dans la mesure où le bilan est moins grave que ce que l’on pouvait imaginer. Vous dites que l’on ne peut pas écarter le fait que cela soit à mettre au crédit de l’action des pouvoirs publics. Je ne suis pas de ceux qui critiquent le déploiement préventif de moyens importants, mais je doute de leur efficacité. La direction générale de la santé a-t-elle commencé une analyse introspective de cette action dans la perspective de futures crises ?

Je vous serais reconnaissant de préciser par écrit à notre rapporteur la façon dont s’effectue la veille sur internet et s’il existe une capacité de réponse – anonyme ou non – sur le réseau.

Je vous saurais gré, monsieur le rapporteur, de vous procurer les comptes rendus des réunions de la cellule interministérielle de crise et de les diffuser auprès des membres de la commission d’enquête.

M. le rapporteur. La pandémie a été moins grave que prévu et il faut s’en réjouir. Est-ce grâce à la prudence, à la précaution, à la prévention ? Ce sont des mots que nous nous attacherons à définir dans le rapport.

Pourriez-vous nous communiquer le coût final de la campagne poste par poste – masques, seringues, vaccins, antiviraux, gestion-mobilisation, logistique et stockage – en distinguant les masques et les antiviraux commandés dans le cadre de la campagne H5N1 ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Certaines questions restent en suspens. Nous ferons en sorte de vous donner l’occasion d’y répondre prochainement.

Monsieur Didier Houssin, nous vous remercions.

La séance est levée à dix-huit heures dix.

Audition de M. Thierry Coudert,
directeur de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS)


(Procès-verbal de la séance du mardi 6 avril 2010)

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La séance est ouverte à dix-huit heures dix.

(M. Thierry Coudert prête serment.)

M. Thierry Coudert, directeur de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS). La campagne de vaccination contre la grippe H1N1 a été le baptême du feu pour l’établissement que je dirige depuis octobre 2008.

L’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires a été créé par la loi du 5 mars 2007 relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur, elle-même précisée par le décret du 27 août 2007.

L’ÉPRUS a pour mission, à la demande du ministre chargé de la santé, d’acquérir, de fabriquer, d’importer, de distribuer et d’exporter des produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves.

Par un heureux hasard, l’ÉPRUS a eu le statut d’établissement pharmaceutique un mois avant le déclenchement de la campagne sur laquelle enquête votre commission.

L’ÉPRUS est intervenu, à la demande de la ministre de la santé, dans l’approvisionnement et la distribution de produits et services nécessaires à la protection de la population face à la menace de pandémie grippale.

Plus précisément, l’ÉPRUS a procédé à l’acquisition des vaccins et des articles consommables nécessaires à la campagne de vaccination, a assuré la prise en charge des vaccins mis à disposition ou livrés par les fabricants dans des conditions garantissant leur sécurité et a conçu, en liaison avec sa tutelle, un dispositif logistique permettant de les stocker et de les distribuer dans des conditions garantissant à la fois le respect des conditions réglementaires de conservation et de l’impératif de traçabilité, la réactivité nécessaire à un ravitaillement efficace et adapté à la demande, l’adaptation possible de ce schéma logistique à la situation géographique des sites à ravitailler et aux acteurs susceptibles d’entrer en jeu.

L’ÉPRUS a, enfin, procédé aux modifications unilatérales de contrat demandées par le ministère et motivées par l’intérêt général – épisode que je suis en train de dénouer actuellement.

Les premières discussions avec les fabricants de vaccins ont été menées par le ministère. Elles avaient pour objet de déterminer la capacité de ceux-ci à honorer les besoins de l’État dans des délais et conditions satisfaisants. Des lettres d’intention non contractuelles, précisant les volumes et délais souhaités pour les acquisitions envisagées, ont été adressées aux laboratoires consultés.

La ministre de la santé m’a alors demandé d’initier des négociations en vue de l’acquisition de vaccins dirigés contre le virus H1N1 auprès de quatre fabricants : GlaxoSmithKline (GSK), Baxter, Sanofi et Novartis. À sa demande, j’ai associé à ces négociations le directeur de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et le président du Comité économique des produits de santé (CEPS).

Par courrier en date du 6 juillet 2009, la ministre de la santé m’a demandé de mener toutes les actions nécessaires en vue de signer des contrats avec ces quatre laboratoires.

Deux procédures ont été mises en œuvre.

La première a consisté en l’affermissement des tranches conditionnelles prévues dans des marchés publics préexistants conclus avec Sanofi-Pasteur, d’une part, et avec Novartis, d’autre part, dans le cadre du plan pandémie grippale. Ces marchés ont été transférés à l’ÉPRUS en juillet 2009. L’apparition du virus H1N1 et le déclenchement du niveau 5 puis du niveau 6 d’alerte par l’OMS justifiaient la mise en œuvre de ces deux marchés. À cette fin, l’objet des premières tranches conditionnelles prévues par ces marchés a été précisé pour permettre la fourniture d’un vaccin contre le virus H1N1 dans les meilleurs délais. Les commandes passées ont pris la forme d’avenants aux marchés initiaux : un avenant n° 3 au marché public conclu avec Sanofi-Pasteur, concernant 28 millions de doses à 6,25 euros hors taxe, a été transmis le 8 juillet 2009 ; un avenant n° 4 au marché public conclu avec Novartis, concernant 16 millions de doses à 9,34 euros hors taxe, a été notifié le 29 juillet 2009. Ces commandes fermes étaient assorties de tranches conditionnelles permettant de porter, en cas de besoin, le nombre total de doses commandées de 94 millions à 130 millions.

La seconde procédure a consisté en la conclusion de marchés publics, sur le fondement du 7° de l’article 3 du code des marchés publics, avec le laboratoire GSK 
l’accord a été notifié le 15 juillet 2009 pour 50 millions de doses au prix unitaire de 7 euros hors taxe – et avec Baxter pour 50 000 doses au prix de 10 euros hors taxe.

Dans ces deux derniers cas, la ministre m’ayant demandé de recourir aux dispositions du code des marchés publics afin que les approvisionnements de vaccins contre le virus H1N1 s’effectuent dans les conditions élevées de confidentialité, de rapidité et de sécurité qu’exigeait la protection des intérêts essentiels de l’État, j’ai conclu des contrats avec ces laboratoires sur la base des dispositions du 7° de l’article 3 du code des marchés publics, qui instaure une exclusion du champ d’application du code pour les contrats dont l’exécution doit s’accompagner de mesures particulières de sécurité ou pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l’État l’exige, et qui autorise à ce titre la conclusion de marché sans publicité ni mise en concurrence.

Les circonstances exceptionnelles dans lesquelles étaient envisagées ces acquisitions m’ont paru justifier pleinement cette forme de marché. En effet, face à l’émergence d’une pandémie grippale dont l’impact prévu sur les populations était redoutable, de très nombreux États ont sollicité dans l’urgence les laboratoires susceptibles de fabriquer un vaccin dirigé contre le virus H1N1. Cette situation conduisait à une mise en concurrence globalisée, chacun des États tentant d’obtenir, dans les meilleures conditions possibles, un stock suffisant de doses de vaccin destiné à sa population.

Par ailleurs, la tension du marché, marqué par une demande supérieure à l’offre, était renforcée par l’imminence de la pandémie grippale en Europe – prévue pour septembre 2009 –, associée aux délais incompressibles de fabrication et de commercialisation des vaccins.

Dans ce contexte, il était impératif pour l’État de garantir une stricte confidentialité des conditions d’exécution des contrats pour préserver la confidentialité des informations relatives aux conditions économiques et aux calendriers de production et assurer la sécurité des approvisionnements, des sites de production, de stockage et de livraison. L’objectif poursuivi était d’éviter que ne surviennent des agissements susceptibles de troubler l’ordre public, ou que des personnes mal intentionnées n’aient accès à des informations sensibles.

La répartition des commandes entre les quatre laboratoires s’est faite selon les capacités de ces derniers, en privilégiant les offres les plus robustes, les prévisions de livraisons de quantités significatives dans les délais les plus courts possibles et les conditions les moins onéreuses pour l’État.

Il fallait également prévoir une vaccination adaptée aux différents types de populations visées : vaccins non adjuvés et adjuvés, culture sur œuf ou culture cellulaire, multi-doses et mono-dose.

À ce stade, il faut souligner que les laboratoires proposaient tous un schéma vaccinal à deux injections. À partir du moment où l’État avait décidé de couvrir l’ensemble de la population, il devait disposer de suffisamment de doses de vaccins pour vacciner potentiellement 65 millions de personnes, soit 130 millions de doses – cible atteinte par l’ajout de tranches conditionnelles. Les laboratoires proposaient une présentation unique des vaccins en multi-doses – GSK et Baxter – ou comportant en proportion très faible des mono-dose : Sanofi, à hauteur de 300 000 doses, et Novartis, dont l’offre était limitée à 10 % de la commande, soit 1,6 million de doses.

Malgré l’insistance de l’ÉPRUS, aucun des laboratoires ne pouvait, au moment de la signature des contrats, s’engager à offrir une alternative plus importante en mono-dose, compte tenu des incertitudes pesant alors sur leur capacité à produire des volumes aussi importants dans des délais aussi contraints. De fait, seul le laboratoire Novartis a pu proposer en octobre, par un avenant notifié le 13 octobre, une augmentation du pourcentage de mono-dose prévu dans la commande initiale. Au total, ce laboratoire a fourni, entre le 12 novembre et le 7 janvier, 5,8 millions de doses réparties sur neuf livraisons, ces mono-dose étant pour la plupart sous présentation collective, c’est-à-dire dans des boîtes de 10 seringues.

Comme cela était exigé par l’État, les contrats visaient expressément l’acquisition de vaccins autorisés à être mis sur le marché, ces AMM garantissant en particulier l’efficacité et l’innocuité des vaccins. Cette exigence rajoutait aux incertitudes de production du vaccin, des aléas pouvant survenir dans le cadre de l’instruction du dossier d’AMM, et renforçait le caractère indicatif des échéanciers de livraison.

Les livraisons de vaccins ont été dans l’ensemble plus tardives que ce qui était prévu à la signature des contrats.

La première mise à disposition a été effectuée par GSK le 9 octobre : 1,072 million de doses. À la fin du mois d’octobre, le stock détenu par l’ÉPRUS n’était alimenté que par ce laboratoire et atteignait 4,205 millions de doses.

Les premières livraisons des autres fabricants sont intervenues dans la semaine 46, c’est-à-dire du 9 au 15 novembre. Elles concernaient le Panenza – vaccin non adjuvé – de Sanofi pour 1,1 million de multi-doses et 300 000 mono-dose, et le Focetria de Novartis pour un peu plus de 1 million de doses, dont 450 000 en présentation mono-dose. Ce vaccin qui, du fait de son conditionnement par 100 doses ou par 10 doses et sa présentation prête à l’emploi, convenait à des collectivités réduites ou dispersées, a été, dans un premier temps, utilisé pour la vaccination des Français à l’étranger et les besoins de Tahiti et de Nouvelle-Calédonie. Les premières livraisons concernaient également le Celvapan de Baxter. Les 12 000 premières doses de ce vaccin n’ont pu être livrées à l’ÉPRUS que le 12 novembre à la suite d’un retard dans l’obtention de l’AMM. Ce vaccin a été réservé à l’usage exclusivement hospitalier pour les personnes allergiques aux protéines de l’œuf.

Entre le 9 octobre 2009 et le 18 février 2010, 35 livraisons ont été effectuées sur les sites des dépositaires. Compte tenu de la dispersion de ces derniers, cela a nécessité l’organisation de 45 transports et chaque livraison a été convoyée par une escorte de police ou de gendarmerie.

Pour assurer la conservation des vaccins et la distribution vers les répartiteurs, l’ÉPRUS a passé avec le dépositaire pharmaceutique DEPOLABO un marché permettant d’obtenir à la fois une capacité de stockage en froid suffisante – environ 1 500 palettes –, au sein de sites sécurisés dont le statut de dépositaire pharmaceutique garantit le respect des conditions de conservation et la traçabilité des mouvements de vaccins, un réseau de distribution permettant de ravitailler dans le respect des bonnes pratiques pharmaceutiques les structures en aval – les répartiteurs pharmaceutiques et les établissements de santé – et une répartition territoriale des cinq sites de stockage permettant de ravitailler sous 24 heures les établissements de santé ou de répartition rattachés à la zone desservie.

Ces sites dépositaires ont approvisionné, d’une part, les répartiteurs chargés à leur tour de ravitailler les centres de vaccination et, plus tard, les pharmacies d’officines, ainsi que, d’autre part, les établissements hospitaliers.

Afin d’assurer l’acheminement des vaccins vers les centres de vaccination et, aujourd’hui, vers les officines pharmaceutiques, l’ÉPRUS s’appuie sur le réseau de distribution pharmaceutique des grossistes-répartiteurs.

Pour l’approvisionnement des centres de vaccination, au sein de ce réseau de distribution, 93 agences locales avaient été sélectionnées sur des critères de desserte géographique et de capacité de stockage en chambres froides.

Aujourd’hui, pour le ravitaillement des médecins libéraux via les officines pharmaceutiques, toutes les agences locales – au nombre de 185 – sont concernées.

Ce réseau offre, outre l’intérêt d’un maillage géographique très fin, la garantie d’un fonctionnement dans le strict respect des bonnes pratiques de distribution pharmaceutique.

Il est à noter que les départements d’outre-mer ont bénéficié des mêmes procédures logistiques, adaptées cependant à la situation locale.

En collaboration avec le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens et la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique, l’ÉPRUS a rattaché chaque centre de vaccination à une agence de répartition. Cette liste établie et validée, l’ÉPRUS a communiqué à chaque responsable d’équipe opérationnelle départementale (EOD) les coordonnées des établissements de répartition pharmaceutique chargés du ravitaillement des centres de vaccination du département. Cette procédure a permis le ravitaillement quotidien de près de 1 200 centres de vaccination auxquels étaient rattachées des équipes mobiles, et assure aujourd’hui le ravitaillement de près de 23 000 officines pharmaceutiques.

Jusqu’à fin janvier 2010, les besoins en vaccins exprimés par les pharmacies à usage intérieur des établissements de santé « dédiés grippe » ont été adressés par mail à l’ÉPRUS, qui les faisait satisfaire directement par le site dépositaire compétent dans le délai maximum de 48 heures.

Du 20 octobre à ce jour, l’ÉPRUS a distribué quelque 13 millions de doses de vaccins, dont 1,5 million dans les établissements de santé, 10 millions dans le circuit des grossistes-répartiteurs pour le ravitaillement des centres de vaccination et, aujourd’hui, des officines, et 1,5 million pour l’approvisionnement de la France d’outre-mer, des Français de l’étranger et les deux cessions consenties – au Qatar pour 300 000 doses et à Monaco pour 80 000 doses.

Le stock actuellement disponible est de 30 millions de doses, dont il faut déduire les 9,4 millions de doses réservées pour le don OMS concernant une vingtaine de pays, qui sont en cours d’enlèvement.

Enfin, la vaccination se poursuit dans les cabinets médicaux et les établissements de santé.

Les marchés publics sont des contrats administratifs et demeurent régis, à ce titre, par le corpus juridique applicable à ce type de contrat.

Les marchés publics conclus avec Sanofi-Pasteur et Novartis étaient notamment fondés sur les dispositions du cahier des charges générales, fournitures courantes et services dans sa version de 1977, qui fixe notamment des règles précises en matière de résiliation, dans son article 24. Celles-ci, le cas échéant, étaient pleinement applicables.

Pour ces marchés ainsi que pour ceux concernant les marchés conclus avec GSK et Baxter, l’État a donc utilisé la jurisprudence ancienne et constante du Conseil d’État et les règles générales applicables aux contrats administratifs que nous avions évidemment intégrées dans les négociations.

Ainsi, je rappelle qu’en application des règles générales applicables aux contrats administratifs, l’administration dispose, même sans texte et même si ce n’est pas expressément prévu aux clauses du contrat, d’un pouvoir de modification unilatérale de ses contrats pour des motifs d’intérêt général. La personne publique doit seulement pouvoir justifier d’un intérêt public.

En l’espèce, l’intérêt public se justifiait pleinement par le changement du schéma vaccinal – une dose au lieu de deux doses prévues à l’origine – applicable pour la quasi-totalité de la population et validé par l’Agence européenne des médicaments (EMEA) fin novembre 2009.

C’est sur ce fondement que j’ai pu, à la demande de la ministre de la santé, modifier unilatéralement, le 4 janvier 2010, les marchés publics afin de réduire de 50 millions de doses les commandes initialement conclues. Le montant hors taxe de la commande a été ainsi ramené de 675 millions d’euros à 317 millions d’euros.

Les négociations menées depuis ces notifications avec chaque laboratoire ont abouti à un accord transactionnel avec le laboratoire Novartis pour un montant de 10,5 millions d’euros, correspondant à 16 % du montant des doses annulées.

Vendredi dernier, j’ai procédé à la notification d’un dédit au laboratoire Sanofi à hauteur de 2 millions d’euros, qui correspondait également à 16 % du montant des doses annulées.

Quant au laboratoire GSK, je suis encore en discussion avec lui.

Je conclurai mon propos liminaire sur les moyens d’injection et de consommables de vaccination.

Au titre de la préparation à la pandémie aviaire, l’État avait constitué un stock de 30 millions de seringues et de 150 000 collecteurs pour seringues. Ce stock a été complété par l’achat de 50 millions de seringues et de 200 000 collecteurs. Le différentiel entre le nombre de doses et le nombre de seringues tenait à la fourniture par Novartis des moyens d’injection.

Ont été également acquis à cette occasion les consommables nécessaires aux centres de vaccination : antiseptiques, compresses, gants de soins, blouses à usage unique, entre autres. Le montant total de ces acquisitions s’élève à 8,9 millions d’euros TTC, les achats de seringues et de collecteurs représentant 55 % de ce montant, soit 4,9 millions d’euros.

À l’occasion de ce baptême du feu, l’ÉPRUS a pu éprouver des modalités et des flux logistiques qui, compte tenu de sa courte expérience comme opérateur logistique du ministère de la santé, étaient encore au stade de concept au début de l’alerte pandémique. Le dispositif logistique utilisé à cette occasion a montré sa robustesse et sa flexibilité – de la vaccination collective à la vaccination individuelle –, ses capacités d’adaptation à des besoins variant de quelques centaines à plus de 200 000 vaccinations quotidiennes, dans les premières semaines de décembre 2009, ainsi que sa réactivité puisqu’il a été en mesure de satisfaire les urgences sous 24 heures. Les capacités de traitement des demandes par l’ÉPRUS ont également été confirmées puisqu’il y a eu, en moyenne, entre 30 000 et 50 000 mails par mois entre juin et décembre 2009.

Cette campagne de vaccination aura montré l’utilité de l’instrument créé en 2007 et permis de tester un certain nombre de procédures qui nous ont permis d’être aussi réactifs que nous pouvions l’être dans ce genre de situation.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le directeur, pour ce propos liminaire.

Vous avez parlé de baptême du feu, mais l’ÉPRUS date maintenant de deux ans et a déjà eu à faire face à la préparation d’un plan contre la grippe H5N1. Je souhaiterais connaître l’état exact des stocks en Tamiflu, Relenza et en masques de cette période ainsi que leurs délais de péremption.

D’autres laboratoires vous ont-ils répondu en dehors des quatre que vous avez cités ?

M. Thierry Coudert. J’ai été chargé par le ministère de négocier avec quatre laboratoires.

M. le rapporteur. D’autres laboratoires se sont-ils manifestés ?

M. Thierry Coudert. À mon niveau, non.

M. le rapporteur. La différence de prix des vaccins s’explique-t-elle par la différence de leur mode de fabrication ?

M. Thierry Coudert. Elle s’explique à la fois par les différents types de procédés utilisés et par le fait que, dans certains cas, il y a un adjuvant ou une seringue. Le vaccin mono-dose était évidemment plus cher que le multi-doses. Les quantités étaient aussi différentes : le prix unitaire des 50 000 doses de Baxter était forcément différent de celui des 50 millions de doses du laboratoire GSK.

M. le rapporteur. Aux États-Unis a été employé un vaccin par voie nasale à partir de virus atténué. S’il n’a pas été utilisé en France, est-ce parce que l’Agence européenne ne l’a pas accepté ?

M. Thierry Coudert. Je ne sais pas. Mon prédécesseur serait peut-être mieux placé pour vous répondre, bien que le rôle de l’ÉPRUS soit purement logistique : il fonctionne à partir des instructions données par le ministère pour négocier des contrats.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Est-ce à dire que le ministère a sélectionné seul les quatre laboratoires sans que l’établissement que vous dirigez ait été sollicité pour l’informer des laboratoires susceptibles de répondre à cette forme particulière d’appel d’offres ? D’autres pays ont eu recours à d’autres laboratoires et à d’autres formes de vaccins, avec des délais et des prix différents.

M. Thierry Coudert. Le rôle de l’ÉPRUS était clairement de négocier avec les quatre laboratoires qui lui avaient été indiqués par le ministère. Dans le contexte de pénurie de vaccins qui régnait alors, notre travail de négociation a été essentiel sur les quantités et sur le calendrier des livraisons.

Je suis incapable de vous répondre sur la phase amont, mais j’imagine que les quatre laboratoires en question étaient les seuls en mesure de faire face à la demande.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. À aucun moment votre établissement n’intervient en tant que conseil ou « tête chercheuse » du Gouvernement…

M. Thierry Coudert. Ce n’est pas le rôle qui a été assigné à l’ÉPRUS.

Pour répondre au rapporteur, je préciserai qu’il nous restait, de la campagne précédente, à peu près 1 milliard de masques chirurgicaux et 700 millions de masques FFP2, dont les durées de validité étaient en moyenne de cinq ans, ainsi que 33 millions de doses d’antiviraux. Je vous ferai parvenir le détail de ces stocks.

Par définition, nous n’avions pas de stocks constitués de vaccins. Mais nous avons activé les tranches conditionnelles des contrats négociés dans le cadre du plan contre le H5N1 avec deux laboratoires.

M. Gérard Bapt. Les contrats négociés dans le cadre de la campagne contre la grippe aviaire sont toujours valables et le seront, je crois, jusqu’en 2012. Si, l’an prochain, un autre virus apparaissait pour lequel l’OMS ferait à nouveau passer le niveau d’alerte pandémique en phase 6, ces contrats seraient-ils réactivés et la France serait-elle tenue de recevoir la quantité de vaccins prévue dans les options avec Sanofi et Novartis ?

Vous avez indiqué que la commande à GSK a été conclue en juillet. Mais une réservation avait déjà été faite le 14 mai par la ministre de la santé auprès de ce laboratoire pour 50 millions de doses au prix unitaire de 7 euros, avec un versement d’arrhes de 1,50 euro hors taxe par vaccin commandé, soit 75 millions d’euros, ce versement devant être remboursé à l’État si l’OMS ne fournissait pas la souche virale à GSK. Sur quelle base juridique a été faite cette réservation avec versement d’arrhes ?

Vous avez également indiqué que les premiers vaccins ont été livrés le 9 octobre. Était-ce des mono-dose ?

M. Thierry Coudert. Les premiers vaccins étaient des multi-doses fournies par GSK.

M. Gérard Bapt. Les premiers vaccins mono-dose ont donc été fournis par Novartis entre novembre et décembre. Dès la première semaine de décembre, quelque 500 000 vaccins mono-dose, de présentation identique à celle des vaccins contre la grippe saisonnière, étaient stockés à l’ÉPRUS. Une partie était destinée aux ambassades et à l’outre-mer, mais l’autre partie aurait pu être distribuée par des médecins généralistes ou des centres de vaccination décentralisés, comme cela s’est fait à partir du 4 janvier !

M. Thierry Coudert. Ce n’est pas parce qu’une campagne de lutte contre une menace sanitaire cesse que les contrats expirent. En cas de nouvelle pandémie, ils peuvent être affermis et les options à nouveau validées.

J’ai répondu à votre deuxième question.

Par contre, je suis incapable de répondre à la troisième. L’ÉPRUS n’a pas été associé à la stratégie vaccinale. C’est peut-être le côté un peu frustrant du rôle de cet établissement : il n’intervient que sur des questions de logistique, c’est-à-dire qu’il envoie des mono-dose ou des multi-doses là où on lui dit de les envoyer. Cela s’apparente un peu à une fonction d’épicier ou de pharmacien.

M. Gérard Bapt. Comment avez-vous intégré la réservation du 14 mai dans le contrat conclu avec GSK ?

M. Thierry Coudert. Le contrat a été conclu sur le fondement du 7° de l’article 3 du code des marchés publics, c’est-à-dire en dehors du cadre d’un marché public classique.

Les négociations avec GSK ont porté sur des points importants, tels que la clause de responsabilité qui a, d’ailleurs, été ensuite étendue aux autres contrats. Les calendriers de livraison, même s’ils n’étaient qu’indicatifs, revêtaient également une importance majeure.

Mme Catherine Lemorton. Vous avez indiqué que le stock de vaccins actuellement disponible est de 30 millions de doses, dont il faut déduire 9,4 millions de doses promises par Mme Bachelot-Narquin à l’Organisation mondiale de la santé. Qu’attend-on pour donner ces doses à l’OMS ? Elles pourraient permettre de vacciner en prévention les populations de l’hémisphère Sud. Attend-on que le virus mute ?

M. Thierry Coudert. Comme je l’ai indiqué, les 9,4 millions de doses réservées à l’OMS sont en cours d’enlèvement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je doute qu’il y ait beaucoup de personnes voulant se faire vacciner en France depuis le 4 janvier. Garder 20 millions de doses en stock d’un vaccin fabriqué à partir d’un virus qui ne peut que muter et alors que 6 millions de personnes en France ont été vaccinées me paraît quelque peu excessif. Pourquoi n’en donnons-nous pas plus à l’OMS ?

M. Thierry Coudert. Votre question dépasse mes compétences.

M. Yves Bur. Les prix doivent varier en fonction des fabricants, des quantités commandées et des contraintes de livraison. Existe-t-il un benchmark sur les prix payés et les conditions des marchés conclus par les autres grands pays européens et les États-Unis ? À moins de considérer que ces négociations ne relèvent d’un « secret défense sanitaire », il serait intéressant d’avoir ces éléments de comparaison.

Vous avez fait état de difficultés dans les négociations avec GSK pour limiter le montant de l’indemnité à lui verser. Quelle est la nature de ces difficultés, qui font que ce laboratoire soit le dernier avec lequel vous soyez en discussion ?

M. Thierry Coudert. J’ai associé dès le départ à toutes les négociations M. Renaudin, le président du Comité économique des produits de santé, qui est le spécialiste français en matière de fixation des prix des médicaments et qui dispose lui-même d’éléments de benchmark, afin qu’il puisse me donner des indications en la matière.

Il y avait deux types de prix. Le premier concernait les deux contrats qui ont été affermis et qui reprenaient en fait les prix fixés dans les contrats initiaux. La discussion les concernant a été relativement simple. Le second type concernait les prix sur lesquels nous avons topé. Notre expert en la matière a estimé, en fonction de la différence de nature des produits et des quantités commandées, qu’ils se situaient dans une fourchette « raisonnable ».

M. Yves Bur. Est-il possible d’avoir des informations plus précises ? Les États communiquent-ils sur les conditions dans lesquelles ils ont obtenu des vaccins…

M. Thierry Coudert. Non !

M. Yves Bur. … ou considèrent-ils que ces informations relèvent d’un « secret défense santé » ?

J’ai toute confiance en M. Renaudin. En tant que président du CEPS, il connaît parfaitement les prix du marché. Toutefois, ce ne sont pas ces derniers qui m’intéressent, mais les prix réellement négociés.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Puisqu’il ressort de votre attitude, monsieur le directeur, que les informations concernant les prix payés par les autres États relèvent du « secret défense », pourriez-vous nous faire parvenir un document précisant les éléments qui vous ont conduit à penser que, eu égard aux différentes typologies, aux différentes présentations des vaccins et aux différentes quantités commandées, vos choix se sont portés sur des produits aux prix « satisfaisants » ?

M. Thierry Coudert. À l’époque des négociations, il n’y avait aucun échange d’informations entre les différents États – fussent-ils européens – sur les prix. Nous disposons depuis lors d’un certain nombre d’informations, mais elles restent parcellaires. Il n’y a pas eu d’échanges systématiques sur ce sujet.

Nous nous sommes systématiquement appuyés sur la science et les référentiels de M. Renaudin pour déterminer si les prix proposés se situaient dans une fourchette raisonnable.

M. Yves Bur. Je suppose que des commissions s’interrogent également dans les autres pays sur le coût et le déroulement de cette campagne de vaccination. Il devrait être possible de procéder à un véritable benchmarking permettant de nous éclairer sur les conditions du marché et d’éviter, ainsi, des polémiques inutiles.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cher collègue, votre remarque alourdit la charge de travail de notre rapporteur, puisque nous allons lui demander de rechercher les travaux effectués par les autres pays sur cette question, et oriente sur ce sujet les auditions que nous avons prévues de divers responsables au niveau de l’Union européenne, ce genre d’échanges faisant partie du debriefing nécessaire après une crise.

M. Michel Lejeune. À l’unité vaccinale, existe-t-il une différence de coût entre la présentation mono-dose et la présentation multi-dose ? Si oui, de quel ordre ?

M. Thierry Coudert. Il n’y a aucune différence.

Mme Valérie Fourneyron. J’aimerais que vous reveniez sur les conditions dans lesquelles vous avez négocié les contrats avec les quatre laboratoires. Vous avez indiqué que les premières discussions avaient eu lieu au ministère de la santé et avaient fait l’objet d’éléments non contractuels. Ces éléments liaient-ils l’ÉPRUS avec ces quatre laboratoires ? Auriez-vous pu en écarter certains ?

Pourriez-vous dresser un récapitulatif de tous les coûts supportés par l’ÉPRUS : protocoles transactionnels, vaccins, articles consommables ?

Vous avez indiqué que, au moment des commandes des vaccins, les laboratoires ne proposaient qu’un schéma vaccinal à deux injections. Vous n’avez pas contesté ce schéma. Qu’est-ce qui vous a conduit à accepter une campagne portant sur deux vaccins par personne et les quantités de doses correspondant à une telle campagne ?

M. Thierry Coudert. L’ÉPRUS s’appuie sur les dossiers d’AMM et ces derniers, au moment de la commande, portaient sur deux injections. Je n’avais pas à prendre parti sur ce sujet mais je n’ai pas eu le sentiment qu’il faisait l’objet de discussions. Lorsque, fin novembre, le schéma de traitement ne s’appuyait plus que sur une injection, cela a fourni à l’État le motif d’intérêt général lui permettant de rompre unilatéralement les contrats.

Concernant le premier point, s’il est vrai que des lettres d’intention non contractuelles posaient un certain nombre de principes généraux, c’est par la négociation que nous sommes parvenus à la signature de contrats avec les quatre laboratoires. L’essentiel de la discussion a porté sur les clauses de responsabilité, les calendriers de livraison et les quantités à livrer. Dans un climat de compétition internationale entre États pour l’approvisionnement en vaccins, notre objectif, au cours de ces négociations, était d’obtenir le calendrier de livraison et les quantités les plus favorables compte tenu du développement supposé de la pandémie.

Pour deux contrats, les prix étaient la reprise de ceux des contrats initiaux sous l’empire du H5N1.

Mme Valérie Fourneyron. Auriez-vous pu écarter un laboratoire ?

M. Thierry Coudert. Oui, s’il s’était révélé incapable de produire les quantités que l’on attendait dans des délais raisonnables.

Quand nous avons entamé les négociations, les laboratoires ne disposaient pas encore des souches virales et ne pouvaient donc pas nous donner des informations totalement fiables sur leur calendrier de livraison. Mais, si l’un deux s’était déclaré dans l’incapacité de nous livrer avant les mois de mars ou d’avril de l’année suivante, la négociation se serait arrêtée.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il n’y avait que les délais qui vous posaient un problème ?

M. Thierry Coudert. C’était un élément important.

Mme Valérie Fourneyron. Les éléments précontractuels ne vous liaient-ils pas aux quatre laboratoires ?

M. Thierry Coudert. Ils fournissaient un cadre de discussion.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pour résumer, le cadre des négociations était organisé par le ministère, lequel avait également choisi les laboratoires et avancé les prix. La seule initiative qu’il restait à l’ÉPRUS, dont le rôle est de négocier et d’assurer la logistique, était de ne pas commander à tel ou tel laboratoire si celui-ci n’était pas en mesure de livrer la quantité de vaccins dans les délais prévus. L’ÉPRUS ne vous est-il pas apparu dans une situation de grande faiblesse vis-à-vis des laboratoires dans cette discussion ?

M. Thierry Coudert. De « grande faiblesse » ? Sous quel angle ?

Dans un climat de tension internationale sur les capacités de production et, donc, de livraison de vaccins, l’essentiel de la discussion était concentré sur l’approvisionnement en vaccins selon les quantités disponibles et dans des délais compatibles avec l’évolution supposée de la pandémie. La situation internationale dictait ce type de négociation.

Concernant les prix, pour deux contrats, ils étaient la reprise de ceux des contrats initiaux et, pour les deux autres, ils se situaient dans une fourchette raisonnable. Ils n’étaient donc pas un élément majeur de la discussion, sur lequel les laboratoires auraient pu tirer la couverture à eux de manière abusive.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ce n’est pas ce que je voulais dire en parlant de « situation de faiblesse ».

Quels délais supplémentaires étaient demandés par les laboratoires pour passer aux vaccins mono-dose ?

Vous pourrez nous fournir ces informations par écrit ultérieurement si vous le souhaitez.

Il s’établit toujours un rapport de force entre un client et son fournisseur. Ce rapport était manifestement en votre défaveur puisque, tous les États voulant des vaccins en quantités importantes, les laboratoires choisissaient, au gré des négociations, ceux qu’ils allaient servir. C’est ce que j’appelle une situation de grande faiblesse.

Une telle situation était-elle normale ? Nos préréservations du fait de H5N1 n’auraient-elles pas dû inciter les industries concernées à se mettre à faire du mono-dose avant même que la crise n’intervienne ?

N’est-ce pas, finalement, une des leçons à tirer de cet épisode ? Les contrats ou précontrats devraient être beaucoup plus directifs afin d’éviter que nous ne nous retrouvions dans la même situation de faiblesse à chaque pandémie mondiale.

M. Thierry Coudert. Si nous avions voulu avoir à tout prix du mono-dose, les programmes de livraison auraient été décalés au-delà de la limite supposée de la pandémie, c’est-à-dire au-delà du printemps. Les schémas de vaccination n’auraient alors plus eu grand sens.

Une fois réglée la question de la clause de responsabilité, qui n’a pas été un sujet mineur, toutes les discussions portaient sur les quantités disponibles et les calendriers de livraison.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il serait intéressant de savoir si un pays a pu être livré en vaccins mono-dose avant le nôtre.

M. Yves Bur. Les délais de livraison étaient effectivement un des éléments majeurs de la discussion. La France s’est-elle trouvée à un moment donné en manque de doses disponibles compte tenu du calendrier de vaccination qu’elle s’était fixée ? Aux environs du 10 novembre, la presse allemande a fait état d’un risque de rupture d’approvisionnement en vaccins en Allemagne. Cela s’est-il produit en France ?

Ma deuxième question concernera le financement de l’ÉPRUS pour cette opération. Nous avons adopté, dans le PLFSS, une disposition prévoyant une contribution, plus ou moins volontaire, des assurances complémentaires santé. Avez-vous une idée de la clé de répartition qui va être choisie : l’assurance maladie sera-t-elle le principal financeur, les complémentaires venant au second rang, ou chacun apportera-t-il sa contribution proportionnellement à ce qui a été prévu dans le PLFSS ? Participez-vous aux discussions relatives au financement ?

M. Thierry Coudert. L’ÉPRUS n’est pas associé à ce type de discussion.

Nous avons enregistré de petits décalages par rapport au planning de livraison, avec, de temps en temps, des sortes de spasmes, en hausse ou en baisse. Fin novembre et début décembre, il y a eu quelques tiraillements dans la livraison des centres de vaccination mais, entre l’irrégularité des livraisons et l’irrégularité de la fréquentation des centres de vaccination, cela n’a pas posé de gros problèmes.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Quelle est l’objection majeure à la mise à disposition des médecins libéraux de vaccins multi-doses ?

M. Thierry Coudert. Le multi-dose se prête assez peu à la vaccination en pratique libérale car celle-ci entraîne une perte de produit très importante. En centre de vaccination, cette perte est déjà de l’ordre de 10 %. Dans un système plus éclaté et avec un rythme de vaccination aléatoire, elle aurait été considérable.

M. Philippe Vitel. Quelles sont les dates de péremption des doses que vous avez actuellement en stock ?

M. Thierry Coudert. Les dates de péremption s’étalent, selon les vaccins, entre fin 2010 et mi 2011. Je pourrai, si vous le souhaitez, vous donner le détail par produit.

M. le rapporteur. Je vous demanderai en effet, monsieur le directeur, de nous fournir l’état exact des dispositifs médicaux et des vaccins ainsi que leurs dates de péremption.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Le jour du début de la campagne de vaccination grand public, il n’y avait pas de vaccin sans adjuvant disponible pour les femmes enceintes, alors qu’elles avaient reçu, de manière prioritaire, des bons de vaccination. Il me semble que ce vaccin n’a été disponible que quinze jours après. Pouvez-vous, monsieur le directeur, nous préciser la date à laquelle ce vaccin a été disponible et nous expliquer pourquoi il ne l’a pas été auparavant ?

M. Thierry Coudert. Je fournirai les dates précises au rapporteur.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous vous remercions, monsieur le directeur.

La séance est levée à dix-neuf heures dix.

Audition de Mme Françoise Weber,
directrice générale de l’Institut de veille sanitaire (InVS)


(Procès-verbal de la séance du mardi 6 avril 2010)

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La séance est ouverte à dix-neuf heures dix.

(Mme Françoise Weber prête serment.)

Mme Françoise Weber, directrice générale de l’Institut de veille sanitaire (InVS). Je voudrais en préambule éclairer la commission sur le déroulement et le bilan de la pandémie. Je voudrais rappeler tout d’abord que l’InVS est chargé de la surveillance permanente de l’état de santé de la population, ainsi que de la veille et de l’alerte sur les menaces sanitaires de toute nature, à partir de l’analyse et de la synthèse permanente et réactive de données épidémiologiques, recueillies à travers les activités de veille de l’InVS, ses réseaux de surveillance, la consultation d’études épidémiologiques et d’articles scientifiques. L’expertise de l’InVS est interne : elle est menée par ses agents, épidémiologistes, biostatisticiens ou experts en santé publique.

Dès le 23 avril 2009, l’InVS était très fortement mobilisée par la pandémie. Notre mission était de réévaluer régulièrement les hypothèses, les scénarios possibles et plausibles d’évolution de la pandémie, afin d’aider les pouvoirs publics dans leur prise de décision de mesures préventives et de préparation du système de soins à la prise en charge des malades. Notre objectif n’était pas de faire des prédictions, impossibles par nature, mais d’évaluer la menace.

Il me paraît important de rapporter les décisions qui ont été prises à l’évolution de nos connaissances et de nos estimations au fil du temps, étant donné notamment l’immense potentiel évolutif des virus grippaux, qui rend très difficile, voire impossible, de prévoir l’évolution des pandémies grippales. Ainsi, si les trois pandémies survenues au XXe siècle ont connu un taux d’attaque à peu près identique d’environ 25 %, les niveaux de létalité, soit le nombre de décès rapporté au nombre de malades, ont été très différents : la pandémie la plus grave, celle de 1918, a tué 1,1 % de la population européenne, tandis que la pandémie la moins grave, celle de 1968-1969, a entraîné entre 20 000 et 30 000 décès en France, la mortalité ayant été plus importante en 1969 et au début de 1970 qu’en 1968, année de la première vague de cette pandémie. Les scénarios d’évolution ont donc été extrêmement variables.

L’évolution de la connaissance de la pandémie due au virus H1N1 a connu trois phases.

Dans une première phase, entre avril et septembre 2009, on a très rapidement constaté qu’il s’agissait bien d’une pandémie au sens scientifique et épidémiologique du terme, c’est-à-dire un virus nouveau se répandant très rapidement sur tous les continents. En mai, les données en provenance du Mexique faisaient état d’un taux d’attaque et d’une létalité supérieurs à ceux de la grippe saisonnière. Il était très difficile d’en savoir plus à ce moment-là.

En juin, la pandémie fut qualifiée de « modérément grave » par l’OMS, quand il s’est confirmé que la majorité des cas étaient bénins et la létalité du même ordre de grandeur que celle de la grippe saisonnière. On pouvait alors abandonner les hypothèses les plus pessimistes. Toutefois, certaines populations, notamment les femmes enceintes et les adultes de moins de 65 ans, présentaient des formes beaucoup plus sévères que celles de la grippe saisonnière, si bien qu’à ce stade on ne pouvait pas abandonner l’hypothèse d’un nombre très important de cas graves et de décès parmi des populations jeunes. En France, on enregistra alors les premiers cas sévères, nécessitant un recours prolongé à l’oxygénation extracorporelle. On ne pouvait abandonner à ce stade l’hypothèse d’une létalité identique à la grippe saisonnière associée à un taux d’attaque plus important, soit un nombre absolu de formes sévères et de décès beaucoup plus important. Tous les pays en étaient au même point en ce qui concerne les hypothèses épidémiologiques.

Dans une seconde phase, à partir de septembre, il a été possible de préciser les projections, notamment sur les caractéristiques des cas graves, mais avec la persistance d’inconnues. Les estimations ont été à nouveau revues à la baisse sur la base des observations faites au cours de l’hiver austral et de l’épidémie estivale au Royaume-Uni. Il n’était cependant toujours pas possible d’établir une projection univoque sur la vague à venir dans l’hémisphère Nord, d’autant que le virus pouvait muter entre les deux hémisphères et que les épidémies précédentes s’étaient intensifiées lors de leur passage à l’hémisphère Nord : ainsi, en Nouvelle-Zélande, le taux d’hospitalisation, de 22 pour 100 000, était très supérieur à celui observé aux États-Unis au moment de la vague estivale, qui était de 3 pour 100 000. Les services de réanimation néo-zélandais devaient déjà faire face à un accroissement important de leur charge de travail.

Fin septembre, en France comme dans les autres pays, ce sont les valeurs les plus basses des hypothèses de gravité de la pandémie qui ont été retenues, comme le prouve la note de l’InVS à l’adresse de la direction générale de la santé datée du 28 septembre.

La troisième phase a permis de préciser l’ensemble des paramètres, notamment le taux d’attaque. Les observations faites à partir de la seconde quinzaine de novembre, correspondant au pic observé dans la plupart des pays européens, ont permis de conclure que l’impact de la pandémie resterait, pour cette première vague, en deçà de toutes les projections réalisées. Nous pourrons préciser ultérieurement les facteurs qui ont permis que cette pandémie reste en deçà de tous les scénarios retenus par les pays disposant d’un système de surveillance épidémiologique suffisamment avancé.

On peut aujourd’hui dresser le bilan de la vague hivernale en France.

Par rapport à l’épidémie saisonnière la plus forte de ces dix dernières années, celle de 1999-2000, la vague de l’hiver 2009-2010 a été plus précoce, un peu plus longue et d’intensité légèrement supérieure, et elle a eu un impact particulièrement important chez les enfants. Les formes asymptomatiques ou peu symptomatiques ont probablement été plus nombreuses que pendant la grippe saisonnière. En janvier, le nombre des personnes atteintes par le virus pouvait être estimé entre 8 et 15 millions de personnes, soit entre 12 et 24 % de la population, auxquelles il faut ajouter 5 millions de personnes protégées par la vaccination. De 13 à 20 millions de personnes, soit entre 20 à 30 % de la population française, seraient ainsi immunisées, sans compter une proportion importante des personnes âgées de plus de 50 ans, dont on sait désormais qu’elles étaient d’emblée protégées par une immunité résiduelle.

Le nombre d’hospitalisations dans les services d’urgence a été multiplié par huit par rapport à la saison grippale précédente. La distribution des âges des personnes hospitalisées est très différente de celle observée pour la grippe saisonnière : l’augmentation du nombre de cas a porté essentiellement sur la tranche des 10-19 ans, puis sur les 20-64 ans. Le nombre de patients admis en soins intensifs ou en réanimation atteste d’une sévérité particulière du virus A(H1N1) en 2009 par rapport au virus saisonnier, avec au moins 1 330 patients hospitalisés, et plus probablement 2000, le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) dénombrant déjà 1 700 hospitalisations. On relève en outre une fréquence beaucoup plus importante du syndrome de détresse respiratoire aiguë liée au virus et du recours à une oxygénation extracorporelle. Par ailleurs, 20 % des personnes hospitalisées en unité de soins intensifs ou de réanimation ne présentent pas de facteurs de risque, et l’âge des patients est beaucoup moins élevé que dans le cas de la grippe saisonnière. Enfin, le nombre de décès notifiés à ce jour comme directement liés à la grippe pandémique s’élève à 312, ce qui correspond à une fourchette basse, qui ne prend pas en compte les décès en dehors des établissements de santé, ni ceux des personnes porteuses d’affections chroniques, dont le décès est indirectement lié au virus, et qui ne peuvent être comptabilisés qu’a posteriori.

On peut cependant d’ores et déjà affirmer que la mortalité a donc été inférieure à celle envisagée par tous les scénarios en septembre 2009, en France comme dans tous les autres pays.

Les données rassurantes sur l’impact épidémiologique de la première vague de la pandémie se sont donc accumulées progressivement et, en France comme dans les autres pays, le bilan se révèle en deçà des estimations de septembre 2009. On note cependant une sévérité particulière de certaines formes graves, qui touchent au surplus une population jeune.

Une vague épidémique de grande ampleur apparaît comme peu probable avant l’hiver prochain, compte tenu du taux estimé d’immunisation de la population et des données les plus récentes de la littérature internationale, à condition que le virus reste stable. Toutefois, des foyers localisés dans des groupes de populations peu immunisées ne peuvent être exclus.

Si l’hypothèse la plus probable est que le virus A(H1N1) circule de nouveau, il n’est pas possible de préciser à ce jour l’ampleur de sa circulation et de celle des autres virus, ni les caractéristiques de sa sévérité.

En résumé, c’est un scénario pandémique particulièrement favorable qui s’est déroulé jusqu’à présent. Il est néanmoins nécessaire de rester extrêmement vigilant car le virus peut encore évoluer entre son premier passage et son retour dans l’hémisphère Nord. C’est pourquoi l’InVS maintient un niveau élevé de vigilance sur cette menace, comme il le fait sur les quelque 90 alertes qu’il traite chaque année. Il reste tout aussi mobilisé sur des menaces moins visibles et de plus long terme, que ce soit en matière de maladies infectieuses, de menaces environnementales ou de maladies chroniques.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Peut-on estimer l’impact de la vaccination sur la propagation de l’épidémie ? Pourquoi la pandémie n’a-t-elle pas été plus forte dans les pays qui, comme la Russie ou la Pologne, n’ont pas développé de stratégie vaccinale ?

Les travaux sur la mutation des virus et la gestion des pandémies, que nous devons à notre excellent collègue Jean-Pierre Door et à Mme Marie-Christine Blandin, faisaient état d’une contribution de l’épidémiologiste Antoine Flahault, selon laquelle la grippe saisonnière pourrait constituer un magnifique laboratoire d’essai pour se préparer à lutter contre les épidémies. Est-ce, selon vous, une bonne idée ?

Mme Françoise Weber. En théorie, la vaccination a deux objectifs : arrêter ou modérer la transmission du virus ; protéger individuellement les personnes, d’abord les populations à risque, puis tous les autres.

Les travaux scientifiques utilisent déjà ce que l’on connaît de la grippe saisonnière et des pandémies précédentes pour établir des modélisations de l’impact d’une vaccination sur le taux d’attaque d’un virus grippal. Sur la base de ces travaux de modélisation, notamment sur la pandémie A(H5N1), l’InVS savait que l’impact de la vaccination sur le taux d’attaque et sur le profil de l’épidémie serait relativement faible car il était probable que les vaccins ne seraient pas disponibles en quantité suffisante avant le début de la première vague pandémique, mais qu’en revanche la vaccination gardait de l’intérêt pour protéger les personnes, en particulier celles susceptibles de développer des formes sévères de la maladie : les populations à risque et les jeunes. À cela s’ajoutent les informations collectées depuis vingt ans au travers de nos réseaux de surveillance épidémiologique de la grippe saisonnière, le réseau Sentinelles et celui des groupes régionaux d’observation de la grippe (GROG), qui nourrissent nos comparaisons avec la grippe saisonnière.

Le taux d’efficacité de la vaccination correspond à la réduction du nombre de grippés chez les vaccinés en comparaison des non vaccinés. Selon une étude non encore publiée menée par l’European Center for Disease Prevention and Control (ECDC) à partir de sept pays européens, dont la France, la vaccination A(H1N1) 2009 réduit de 70 % le nombre de cas chez les vaccinés, ce qui est, pour un vaccin grippal une très bonne efficacité. D’autres études devront venir consolider ces premiers résultats.

Vous évoquez la situation des pays qui n’ont pas mis en place de stratégie vaccinale, mais il faut comparer ce qui est comparable, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il est nécessaire d’en savoir plus sur la qualité des dispositifs de recueil des données relatives à la mortalité mis en place par des pays tels que la Lettonie, la Lituanie ou la Pologne. En outre, les frontières ne constituent pas des barrières étanches face à la circulation des virus ou inversement à l’impact d’une vaccination. En l’absence d’une vision européenne d’ensemble, toute comparaison est prématurée. Il est vrai cependant que ces pays n’ont, comme les autres pays européens, pas été massivement touchés. Je le rappelle, malgré l’efficacité de la vaccination nous n’attendions pas un bénéfice populationnel important de celle-ci compte tenu de la date de disponibilité des vaccins par rapport à la survenue de la première vague.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Si je comprends bien ce que vous venez de dire, il n’aurait, premièrement, jamais été question que la vaccination influe sur le pic pandémique et, deuxièmement, il n’est pas possible de connaître aujourd’hui l’impact de la vaccination…

Mme Françoise Weber. Il est vrai que nous n’attendions pas un effet significatif de la vaccination sur le pic pandémique, compte tenu du moment où les vaccins ont été disponibles.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Est-ce la raison pour laquelle la vaccination n’a pas été obligatoire ?

Mme Françoise Weber. Je pense que beaucoup d’autres facteurs ont joué.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Pouvez-vous nous décrire les relations que vous entretenez avec les différents organismes étrangers, notamment européens et américains, grâce auxquels vous assurez un suivi épidémiologique journalier ?

Alors que le taux d’efficacité vaccinale est assez important en France en matière de grippe saisonnière, dans le cas du virus A(H1N1) il a été inférieur à ce que nous en attendions. Pour quelle raison ?

Avez-vous eu votre mot à dire à propos de la stratégie vaccinale mise en place à partir du printemps par la direction générale de la santé et le délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA) ?

Mme Françoise Weber. Comme tous nos homologues des pays développés, nous avons nos propres réseaux de surveillance et nous sommes partie prenante de réseaux européens et internationaux. La plupart des pays ont mis en place le même dispositif de surveillance de la grippe que nous : des réseaux de médecine générale permettant de surveiller les profils épidémiques associés à des systèmes de recueil et de notification individuelle des hospitalisations des cas graves.

Nous sommes ainsi en relation avec les autres pays d’Europe à travers l’European Center for Disease Prevention and Control, qui assure la coordination de la veille et de l’alerte sanitaires au niveau européen, et nous sommes un acteur important. Nous échangeons également des données sur la pandémie au travers de l’Early Warning and Response System (EWRS). Par ailleurs, nous échangeons des éléments d’expertise scientifique, notamment avec nos collègues du Royaume-Uni, des États-Unis et de l’hémisphère Sud, qui nous permettent de travailler sur des planning assumptions,
c’est-à-dire des projections sur lesquelles bâtir des hypothèses de prévention et de préparation du système de santé. Ces multiples échanges nous ont permis de produire les mêmes hypothèses pour éclairer la décision publique.

Tel a été notre « mot à dire », monsieur le rapporteur : produire des scénarios d’évolution de la pandémie. Sachant que ce phénomène était très difficile à prévoir, nos hypothèses allaient d’un scénario optimiste à un scénario pessimiste. Dès le mois de septembre cependant et sur la base de l’évolution des connaissances et des expériences des pays déjà touchés nous avons exprimé notre inclination en faveur du scénario le plus optimiste. Voilà quelle a été la contribution de l’InVS à la décision. C’est précisément la raison pour laquelle les agences sanitaires ont été créées : distinguer l’évaluation de la décision, afin que la première ne soit pas parasitée par des considérations de gestion. L’InVS est resté dans son rôle d’évaluation et de production de scénarios d’évolution, avec une grande humilité, compte tenu des incertitudes, tout en travaillant en très étroite collaboration avec les pouvoirs publics dans la gestion de cette pandémie, en répondant à toutes les questions qui nous étaient posées dans notre domaine d’expertise.

Mme Catherine Lemorton. L’InVS n’a-t-il pas, malgré lui, favorisé une situation anxiogène ? En effet, il semble a posteriori que ce virus n’était pas si inconnu : dès septembre, M. Flahault évoquait la proportion de 35 à 40 % de cas asymptomatiques, que vous nous dites ne découvrir qu’aujourd’hui. Vous justifiez votre prudence face aux informations rassurantes venues de l’hémisphère Sud par le nombre d’hospitalisations à l’étranger : comment pouvez-vous comparer, de ce point de vue, des pays dont les systèmes de soins sont extrêmement différents ? Par ailleurs, en octobre, à l’occasion de votre audition par la Commission des affaires sociales, vous approuviez vous-même l’hypothèse d’une chute du pic pandémique à l’occasion des vacances scolaires. Il apparaît donc que, depuis le mois de juin, de nombreux éléments montraient qu’il n’y aurait pas de catastrophe. l’InVS n’a-t-il pas été pris dans la spirale infernale de l’anxiété ?

Mme Françoise Weber. Ne croyez pas que nos estimations résultent d’une intuition ou procèdent d’un caprice personnel : elles sont le fruit de travaux scientifiques et d’échanges entre équipes internationales, basés sur une technique scientifique qui s’appelle l’épidémiologie. Celle-ci a ses limites et ses incertitudes, et ce sont elles que nous percevons aujourd’hui. Mais nous pouvons justifier à chaque étape de notre évaluation des données scientifiques qui ont été prises en compte et de la validité de nos calculs par rapport à l’état de la littérature scientifique internationale. Tous les scientifiques de l’InVS ont cependant l’humilité de reconnaître les limites de ces estimations. Notre objectif n’était pas de prédire ce qui allait se passer, mais de donner la fourchette des hypothèses possibles d’évolution.

La proportion de cas asymptomatiques est en réalité beaucoup plus élevée que les 30 à 40 % de la grippe saisonnière, qui était l’hypothèse initiale, puisqu’elle pourrait aller jusqu’à 70 %, proportion que nous sommes en train d’essayer de préciser, du point de vue notamment de la distribution par tranche d’âge. Cela fait plusieurs mois que nous essayons de déterminer cette proportion, mais nous ne disposions alors d’aucune donnée suffisamment fiable sur le plan scientifique. Certains ont eu assez tôt l’intuition de ce que serait l’évolution de la pandémie mais il s’agissait avant tout d’opinions qui n’étaient pas fondées sur les éléments scientifiques opposables. Tant que nous sommes dans l’incertitude, nous devons avoir l’humilité de dire qu’il est trop tôt pour tirer des conclusions scientifiquement fondées. J’assume le corollaire de cette humilité, à savoir le risque d’être quelquefois les derniers à avoir raison. Notre niveau de responsabilité l’exige : il aurait été hasardeux de fonder des décisions publiques sur des intuitions personnelles.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. On peut s’interroger sur le degré de certitude suffisant selon vos critères, puisque vous avez fait état de l’existence d’un risque pour l’avenir. Si votre raisonnement est scientifiquement imparable, il me semble très discutable pour l’organisation de la vie en société, puisqu’il y aura toujours un risque de pandémie du point de vue scientifique. Le sentiment général est qu’on savait dès le mois de juin que c’était bénin. En tant que conseil des responsables publics, quelle balance établissez-vous entre le souci de leur proposer une hypothèse raisonnable et celui de la certitude scientifique ? Le lancement d’une alerte étant conditionné à l’existence d’un élément anormal, ne devez-vous pas être capable de dire à partir de quand on revient à une situation normale ou socialement acceptable ?

Mme Françoise Weber. On commence à comprendre ce qui s’est passé durant la première vague de la pandémie et pourquoi on s’est retrouvé devant un scénario pandémique assez inattendu. Nous avons commencé à être rassurés entre septembre et mi-novembre, au moment du pic épidémique : c’est alors que nous nous sommes progressivement rendu compte que cette pandémie n’allait pas avoir, en termes de nombre de cas symptomatiques, un impact beaucoup plus important que la grippe saisonnière, même si une incertitude demeurait en ce qui concerne le nombre de cas sévères.

Il est important de comprendre que ce virus nous a réservé quelques surprises. S’il s’agissait bien d’un nouveau virus, porteur de toutes les menaces d’un virus pandémique, il était difficile de prévoir le taux d’immunisation d’une partie de la population. Or celui-ci a joué un rôle important dans l’évolution de la pandémie. Par ailleurs, l’efficacité des antiviraux s’est révélée plus importante que prévu. L’absence quasi-totale de cocirculation virale et d’éléments de surinfection explique également a posteriori le caractère très favorable du scénario qui s’est finalement imposé. Or nous ne disposions pas de ces éléments au début de la pandémie, et même au début de la première vague.

Notre évaluation a pris en compte les données relatives aux systèmes de santé les plus proches du nôtre, notamment néo-zélandais et australien, qui présentent des systèmes de surveillance épidémiologique et de prise en charge des patients tout à fait comparables aux nôtres. C’est pourquoi le 19 novembre, nous avons rencontré nos collègues de ces pays dans le cadre d’un séminaire dont le but était de tirer les leçons de ce qui s’était passé dans l’hémisphère Sud pour affronter la vague à venir dans l’hémisphère Nord. Si nous avons été particulièrement attentifs au taux d’hospitalisation et au nombre de cas sévères dans ces pays, c’est précisément parce que nous savions que leur système de soins était tout à fait comparable au nôtre. S’agissant des États-Unis, il est vrai que le critère du taux d’hospitalisation est moins pertinent ; en revanche, nos deux systèmes sont comparables en ce qui concerne la prise en charge des formes les plus graves par les services de réanimation.

M. Gérard Bapt. Avez-vous des informations sur d’éventuels décès post-vaccination ? Sur quelles études cliniques vous fondez-vous pour affirmer l’efficacité des antiviraux ? Vous n’avez pas évoqué en revanche l’efficacité des simples gestes barrières, prônés par les messages de santé publique.

Vous avez rappelé que la déclaration de pandémie est liée à l’apparition d’un virus nouveau. Que pensez-vous de la modification par l’OMS de la définition d’une pandémie qui lui a permis de lancer la phase 6 de l’alerte ? Comment affirmer le caractère entièrement nouveau du virus, alors que dès le 22 mai 2009, le Center for Disease Control and Prevention d’Atlanta indiquait que 10 % des moins de soixante ans et 33 % des plus de soixante ans avaient déjà développé des anticorps contre ce virus prétendument nouveau ? En outre, le directeur du CDC d’Atlanta affirmait le 5 mai, que « le virus n’ [avait] pas l’air plus sévère qu’une souche de grippe saisonnière, qui fait chaque année 36 000 morts aux États-Unis », ce qui est contraire à vos affirmations quant à l’impossibilité de connaître exactement le degré de gravité de la pandémie dans l’hémisphère Nord avant l’automne.

Vous nous dites que vous avez pu tirer le bilan de la pandémie le 19 novembre, lors d’un séminaire auquel participaient des collègues de l’hémisphère Sud. Or le Dr Dupagne, généraliste parisien disposant d’un site internet, affirme qu’il était dès le mois de mai arrivé à la conclusion qu’il ne s’agirait pas d’une épidémie grave en correspondant par voie électronique avec des collègues de l’hémisphère Sud.

Vous nous annoncez maintenant la survenue d’un deuxième pic épidémique. Croyez-vous qu’après ce qui vient de se passer, la population et le corps médical seront sensibles aux messages de santé publique fondés sur vos attendus ? Quelle est exactement cette étude InVS-INSERM sur laquelle s’appuyaient le Comité de lutte contre la grippe et M. Antoine Flahault pour prédire que l’épidémie de grippe risquait de tuer 30 000 personnes en France ?

On nous parle aujourd’hui d’une simple hypothèse : il n’empêche qu’une dépêche AFP du 12 mai, reprise sur le site du Monde, l’a diffusée comme une pure et simple information. Or le bulletin épidémiologique de l’OMS en date du 22 mai fait état de 180 décès liés à la grippe A dans le monde entier. Cette panique, largement entretenue par l’OMS, lui a permis de déclencher le 11 juin 2009 la phase 6 de l’alerte à la pandémie, alors que seulement 144 décès dans le monde étaient alors attribués à la grippe A. Tout cela ne laisse pas d’interroger les responsables publics et tous ceux qui réfléchissent aux questions de santé publique. En effet, le passage en phase 6 mettait automatiquement en jeu les contrats « prépandémiques » ou options de commande liant les États aux producteurs de vaccins à hauteur de 2,26 milliards d’euros. Bingo pour les laboratoires producteurs de vaccins !

Ce contexte, s’il ne met pas en cause la responsabilité de l’InVS, devrait cependant vous inciter à vous demander si vous agiriez de même à la prochaine occasion.

Mme Françoise Weber. Vous me permettrez, monsieur le député, de ne pas commenter l’ensemble des interventions de mes collègues épidémiologistes, qu’ils aient été à certains moments plus optimistes ou, à d’autres, plus pessimistes : cela demanderait beaucoup plus de temps que cette commission n’en dispose.

Quant aux responsabilités de l’InVS, notamment celle de préparer le système de santé à ce qui pouvait arriver, je me suis déjà exprimée sur la question. Je rappellerai à ce propos un principe qui vaut, non seulement dans le champ sanitaire, mais également dans le domaine de la défense nationale comme dans beaucoup d’autres : on doit se préparer à des menaces dont la survenue n’est jamais certaine et dont nous essayons de préciser les contours au fur et à mesure.

En ce qui concerne les décès post-vaccination, je ne suis pas compétente et Jean Marimbert saura vous répondre de façon beaucoup plus précise que moi. Je peux simplement vous dire qu’en termes épidémiologiques nous n’avons pas constaté de phénomène anormal.

L’efficacité des antiviraux, notamment du principal d’entre eux, l’oseltamivir, avait été évaluée sur la grippe saisonnière. À partir de la synthèse des études disponibles, le groupe Cochrane avait conclu à une efficacité limitée sur la grippe saisonnière. En revanche, certains éléments mettaient en évidence l’impact de l’oseltamivir sur la mortalité liée à la grippe aviaire. En outre, l’analyse des premiers cas graves de grippe A(H1N1) indiquait un risque de deux à cinq fois plus élevé pour les personnes, présentant ou non des facteurs de risque, qui n’avaient pas reçu de Tamiflu dans les quarante-huit premières heures, résultats confirmés par la littérature scientifique internationale. Cette confirmation de l’efficacité d’une telle administration du Tamiflu nous a conduits à en recommander la prescription, même pour les personnes ne présentant pas de facteurs de risque.

En termes scientifiques et épidémiologiques, il s’agissait bien d’une pandémie, c’est-à-dire de l’apparition d’un nouveau virus se diffusant très rapidement sur l’ensemble des continents. Mais l’OMS a besoin de critères plus fins pour déterminer des seuils dans la gestion de la pandémie. Elle a considéré à un certain moment la sévérité comme un élément à prendre en compte pour lancer une phase de mobilisation plus importante. Or ce critère s’est révélé insuffisamment pertinent et d’une application trop peu facile pour que l’OMS le conserve. La question n’est donc pas celle de la définition de la pandémie, mais celle des critères à prendre en compte pour activer les différentes phases d’alerte.

La déclaration faite le 5 mai par nos collègues des CDC ne traduit qu’une observation à un moment donné, qui ne permet pas de préjuger ce qui se passera en hiver, comme l’ont montré les pandémies précédentes. Le rapport fait à la présidence des États-Unis au mois d’août par les mêmes auteurs avance des hypothèses tout à fait similaires à celles que nous avons soumises à la DGS et à notre ministère, à savoir de 30 000 à 90 000 décès, de 150 000 à 300 000 hospitalisations en réanimation, et 1,8 million d’hospitalisations. Nos hypothèses ont donc toujours été cohérentes et conformes à celles des CDC et de la Health Protection Agency (HPA). C’est une chose que de constater un état de fait à un instant t, mais c’en est une autre que d’établir des hypothèses et des scénarios pour préparer un système de santé à une menace et tout un pays à affronter une crise. Nous étions dans la préparation à une menace, dont on ne savait, par définition, ni quand ni comment elle allait se réaliser.

La vision du Docteur Dupagne était juste s’agissant du plus grand nombre de malades. Dès le début, nous avions vu que la plupart des patients présentaient des formes tout à fait bénignes de la maladie. Mais ce serait tout à fait faux de caractériser cette pandémie par cette seule observation. Nous avons eu à faire face à de nombreuses formes graves et inhabituelles chez les sujets jeunes. Il faudrait aussi interroger les réanimateurs, dont l’analyse du phénomène est différente de celle des généralistes. Ceux-ci vous diront qu’ils ont observé des cas qui, par leur nombre et leur sévérité, dépassaient tout ce qu’ils ont coutume de voir à l’occasion des grippes saisonnières. Je me permets de vous inviter à entendre à ce sujet les présidents des sociétés savantes d’anesthésie et de réanimation. Leurs observations recouperont certainement celles faites par nos collègues australiens et néo-zélandais à la fin de la vague pandémique de l’hémisphère Sud : si la plupart des cas sont tout à fait bénins, la sévérité tout à fait inhabituelle de certains rend difficile la prédiction de l’ampleur de l’épidémie, notamment au moment de son passage à l’hémisphère Nord.

M. Gérard Bapt. Vous agiriez donc de même dans des circonstances analogues. Pouvez-vous nous confirmer que, depuis le lancement de l’alerte au virus A(H1N1), le paludisme a fait 1 million de morts à travers le monde ?

Mme Françoise Weber. Le paludisme dépassant le champ d’investigation de cette commission, vous me permettrez de vérifier les données dont je dispose en ce domaine avant de vous confirmer cet élément par écrit.

Il est évident que des éléments de choix stratégique interviennent dans les décisions de santé publique, notamment en ce qui concerne le rapport coût-efficacité. Quel que soit le pays, les décideurs tiennent compte des moyens dont celui-ci dispose au regard de l’impact qu’ils souhaitent obtenir sur la santé publique. Je crois que c’est ce qui s’est passé dans le cas d’espèce, sans que je puisse me livrer à une analyse plus approfondie. Mon sentiment personnel est que la campagne de vaccination et les messages de santé publique sur les mesures barrières ont joué un rôle et qu’en termes de santé publique, ces mesures étaient proportionnées à la menace présente au moment où elles ont été décidées. Je ne dispose pas d’éléments pour les considérer comme disproportionnées au regard de la menace à laquelle nous avions à faire face.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je vous demanderai de bien vouloir nous communiquer vos travaux sur l’impact de ces mesures barrières, non seulement sur la prévention de la grippe A, mais aussi sur celle d’autres virus.

Vous ne devez pas perdre de vue que vous n’êtes pas seulement un conseil de l’État et des décideurs politiques : la reprise de vos travaux dans les médias vous donne également un rôle d’information du public. Quand vos doutes scientifiques, légitimes, deviennent des certitudes médiatiques, voire des contrevérités qui se propagent dans l’opinion, cela décrédibilise aux yeux de celle-ci l’ensemble des autorités sanitaires, et on risque de créer un problème plus grave que celui auquel on était censé remédier.

M. le rapporteur. Pour m’être rendu au Center for Disease Control and Prevention (CDC) d’Atlanta au mois de décembre, monsieur Bapt, je puis vous dire que leurs inquiétudes restaient vives. Je vous rappelle également que le président Obama avait déclaré l’urgence sanitaire en juillet.

La prévention n’est pas la précaution : l’une porte sur un fait avéré, quand la précaution s’applique même lorsque l’on ne sait pas quel peut être le risque. Or je pense que, comme la majorité d’entre nous, vous avez voté en faveur de l’inscription du principe de précaution dans la Constitution.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ça n’a pas été mon cas.

Madame Françoise Weber, nous vous remercions.

La séance est levée à vingt heures trente.

Audition de M. Bernard Boubé,
préfet et ancien directeur
de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS)


(Procès-verbal de la séance du mardi 6 avril 2010)

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La séance est ouverte à dix-neuf heures dix.

(M. Bernard Boubé prête serment.)

M. Bernard Boubé, préfet et ancien directeur de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS). Je serai plus bref que prévu puisque je suis auditionné après M. Didier Houssin et Mme Françoise Weber. C’est en tant qu’ancien spécialiste de la planification de crise que j’ai suivi les événements relatifs à la pandémie, les réactions qu’elle a suscitées et les décisions qui ont été prises.

Je tiens en premier lieu à vous faire part de l’expérience frustrante que j’ai vécue lors de la constitution de l’ÉPRUS, fin août 2007, jusqu’à juin 2008, période très courte mais riche en événements de toutes sortes, du moins en ce qui me concerne.

Cette période, que je considère comme un échec, est d’abord l’histoire du rejet d’une greffe par un organisme – la DGS, voire le ministère de la santé – qui n’en éprouvait pas le besoin.

J’ai eu l’occasion de présenter, devant la commission des finances du Sénat, le déroulement des événements : le rapport provisoire de l’été 2009 fait clairement apparaître les causes de dysfonctionnement et les insuffisances de l’ÉPRUS, structure condamnée par son administration de tutelle à un rôle subordonné interdisant toute perspective de progrès. Du reste, le rapport du Sénat s’interrogeait sur sa pérennité.

Certaines des difficultés les plus graves qui ont justifié mon départ de l’ÉPRUS ont trouvé des solutions, parfois tardives, qui ne sont pas toutes satisfaisantes. Je pense notamment à l’installation pérenne du siège de l’ÉPRUS au début de l’année 2009, à la révision de son statut juridique au regard de son activité pharmaceutique par un décret d’août 2008 et, consécutivement, à l’ouverture, en avril 2009, d’un établissement pharmaceutique.

L’ouverture de cet établissement était particulièrement importante puisqu’elle conditionnait l’exécution des missions que la loi avait confiées à l’ÉPRUS s’agissant notamment de l’acquisition, du stockage et de la distribution de produits relevant des protections édictées par le code de la santé – le monopole pharmaceutique, pour faire bref.

Le rapport du Sénat indique que les relations entre la DGS et l’ÉPRUS ont été formalisées par une convention. N’en ayant pas connaissance, il m’est difficile de l’apprécier. Le fait que la DGS et moi-même, en tant que directeur de l’ÉPRUS, n’ayons pas eu la même conception de nos rapports a été une des raisons principales des difficultés rencontrées. En dépit de mes propositions réitérées, nos rapports n’ont fait l’objet d’aucune tentative d’organisation.

En revanche, l’organisation des rapports de l’ÉPRUS avec le service de santé des armées, selon les modalités que je souhaitais présenter au conseil d’administration de juin 2008 – conseil annulé en raison de mon départ –, constitue une évolution favorable. La sécurité des stocks concernés est désormais mieux prise en compte. Je ne suis pas certain que ce soit le cas de tous les produits.

D’autres difficultés provenaient de mauvaises pratiques, d’erreurs et de routines sur le plan administratif, que je voulais écarter d’un établissement public créé par le législateur en vue de professionnaliser la logistique de crise sanitaire. Elles portaient à la fois sur les modalités de transfert des marchés par la DGS, la gestion des stocks et la constitution d’une réserve de professionnels de santé, laquelle, malheureusement, en était encore à l’état de projet lorsque je suis parti, en dépit des efforts que l’ÉPRUS avait fournis afin de la mettre en place.

De fait, les blocages que j’ai rencontrés lors de la mise en route de l’ÉPRUS, ainsi que pour assurer la sécurité de l’établissement au regard du code de la défense, ne m’ont pas permis de mener à bien la mission qui m’avait été confiée. C’est la raison pour laquelle j’ai quitté mes fonctions. Certains de ces blocages, je l’ai dit, appartiennent au passé, mais ce n’est pas le cas de tous.

Il est vrai que la loi du 5 mars 2007 présentait quelques ambiguïtés, qui en rendaient l’application difficile. C’est ainsi que le texte ne précisait pas la nature juridique et la domanialité des stocks de produits de sécurité. Ces stocks sont conjointement financés par les budgets de l’État et de l’assurance maladie, qui alimentent à parts égales le budget de l’ÉPRUS. Ils sont acquis par l’ÉPRUS sur demande du ministre chargé de la santé, mais sur le budget de l’établissement, qui dispose de l’autonomie financière. S’ils sont conservés sous la responsabilité de l’ÉPRUS, ils sont délivrés aux autorités sanitaires d’emploi sur ordre du ministre. S’agit-il dès lors de stocks d’État ou de l’ÉPRUS ? Doivent-ils être intégrés dans la comptabilité patrimoniale de l’État ou dans celle de l’ÉPRUS ? Faut-il distinguer les régimes juridiques des stocks constitués par l’État avant la création de l’ÉPRUS et des stocks qui sont constitués par l’ÉPRUS à la demande de l’État ?

La DGS et moi-même n’avions pas la même position en la matière. Je tiens à rappeler que c’est la mienne qui a été confirmée par la Cour des comptes. Il n’en reste pas moins que des sujets aussi importants que la présentation des comptes, la préparation de certains appels d’offre ou la prise en charge des stocks, que je souhaitais formaliser par une convention de transfert, puisque l’ÉPRUS risquait d’en devenir le responsable en tant que personne morale, et non pas simplement comme un établissement se livrant à une activité d’État, soulevaient de nombreuses questions, qui devenaient plus sensibles au fil des mois. Il en était de même du contrôle de la conservation de ces stocks chez les prestataires.

Enfin, la conception de la loi relativement au corps de réserve sanitaire me paraît quelque peu restrictive : l’expérience de la lutte menée contre le virus de la grippe A(H1N1) confirme l’intérêt d’un élargissement de cette conception, pour en faire, à l’exemple des réserves militaires, un corps beaucoup plus large, répandu sur le territoire, qui pourrait, tout d’abord, servir à tester nos réactions en termes de mobilisation, ou du moins de sensibilisation, ce qui nécessiterait la prise en charge sur fonds publics de formations et d’échanges techniques, appelés à devenir opératoires le moment venu. Ces canaux permettraient également de prendre le pouls du terrain et de redresser d’éventuelles erreurs de communication.

Telle est l’expérience que j’ai vécue à l’ÉPRUS. Ma tutelle et moi-même ne partageons évidemment pas le même point de vue sur la façon dont les événements se sont déroulés.

En ce qui concerne la pandémie, il est vrai qu’une des questions posées par l’opinion est celle de la qualité du plan de crise et, plus généralement, d’une préparation dont les autorités publiques se prévalaient avec constance avec un haut niveau de satisfaction. Je n’ai pu porter qu’un regard extérieur, puisque je ne suis plus directeur de l’ÉPRUS depuis juin 2008. Comme vous l’a indiqué Mme Françoise Weber, en dépit d’une observation attentive et de la mobilisation de tout le savoir scientifique, nous n’avons pas toujours connu la situation avec exactitude. Or, ces incertitudes n’ont pas été sans conséquences. L’InVS rappelle les différences considérables entre les estimations des réseaux GROG (groupes régionaux d’observation de la grippe) et Sentinelles au 13 décembre 2009, c’est-à-dire au pic de l’infection : elles allaient de 6,7 à 12 millions de cas et, au total pour l’InVS, de 8 à 15 millions. Ce fait est préoccupant puisqu’il indique qu’on ignore ce qui s’est exactement passé. De même, s’agissant du traitement des malades, on a ressenti un flou certain entre, d’une part, les déclarations officielles et, d’autre part, la façon dont les médecins ont pris en charge leurs patients.

La distinction avec la grippe saisonnière a parfois été assez longue à apparaître et des qualifications contrastées ont affecté le phénomène – on a ainsi évoqué une « grippette ». Quant aux cas de surinfection, nous ne les connaissons avec certitude que pour les patients hospitalisés, mais moins bien pour l’ensemble des personnes atteintes par le virus. Nous ignorons de ce fait l’état réel des malades guéris et le nombre de ceux qui conservent des séquelles respiratoires. S’il est vrai que le quart de la population a été affecté, nous obtiendrons bientôt des réponses à toutes ces questions.

Par rapport aux prévisions du plan, il est vrai que de nombreux sujets n’ont pas été défrichés, compte tenu de la situation réelle de la pandémie. En ce qui concerne les mesures barrières, les fermetures d’écoles n’ont eu que peu d’effets puisque, dans de nombreux endroits, aucun dispositif d’isolement des enfants n’était prévu. Les parents n’ont donc pas pu y recourir dans tous les cas. Quant à la surveillance des voyageurs, elle a été très vite réduite après avoir concerné principalement le Mexique – cette réduction n’est du reste pas propre à la France. Par chance, le virus a tardé à se répandre dans notre pays. Le plan recommandait l’usage de masques de protection et des stocks considérables ont été constitués ; or ces stocks n’ont pas été utilisés. Est-ce dû à la péremption des stocks anciens, au retard dans les renouvellements autorisés par la loi de finances au printemps 2009 ou à la crainte que les salariés et la population ne refusent de se soumettre à la contrainte, mal comprise, de l’usage du masque en public ? Je n’ai toujours pas de réponse à ces questions.

Quant aux antiviraux, il est vrai qu’ils ont montré leur efficacité lorsqu’ils ont été administrés, c’est-à-dire dans les hôpitaux. Au dehors, tout dépendait de la pratique des médecins traitants, qui, pour la plupart, ont utilisé d’autres dispositifs, lesquels, il est vrai, leur avaient été recommandés au début de la pandémie. Ils ont pu ainsi se rendre compte que le paracétamol traitait avec efficacité la plus grande partie des patients atteints. Ce n’est que tardivement que l’usage plus systématique des antiviraux leur a été recommandé.

Fallait-il recourir au système centralisé de vaccination ? Les explications en la matière sont toutes pertinentes. Il n’en reste pas moins que la situation a créé dans l’opinion publique un hiatus important avec les autorités sanitaires, d’où la création de votre commission d’enquête. C’est sans doute le point majeur sur lequel des efforts doivent porter afin de rétablir une relation de confiance, fondée sur la transparence et l’écoute, relation sur laquelle, à juste titre, le plan de crise insistait. Il importe de réduire la méfiance, encore vive, de la population à l’encontre des autorités sanitaires et des experts.

Les difficultés rencontrées lors de la crise proviennent moins du plan lui-même, qui reste bon dans son principe, que de l’usage qui en a été fait. Comme celle de 1976, plus encore que celle de 1968 et 1969, la pandémie « avortée » de 2009 a été provoquée par un virus qui a manqué de franchise. Sa virulence s’est atténuée après son apparition spectaculaire au Mexique, prenant à contre-pied un grand nombre d’autorités sanitaires. Nos plans ont été à l’origine conçus pour une pandémie agressive et un virus meurtrier, et cette dangerosité imprégnait sans doute les esprits, ce qui n’a pas manqué d’influer sur les décisions. Il est souhaitable que la prochaine version du plan reflète davantage la réalité nuancée des pandémies, ce qui permettrait de mieux contribuer au traitement de la crise à venir – il en arrivera forcément une. Il convient, à cette fin, que les causes profondes des difficultés rencontrées aient été préalablement reconnues et traitées.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. J’ai été le rapporteur du texte qui a créé l’ÉPRUS. Cet organisme destiné à réagir aux urgences sanitaires représentait à nos yeux un progrès considérable. Or, en tant que premier directeur de cet établissement, vous venez de nous exposer les dysfonctionnements qui ont accompagné sa naissance, notamment les problèmes qui ont très vite surgi entre votre tutelle et vous-même et qui sont à l’origine de votre départ.

Le fonctionnement actuel de l’ÉPRUS continue-t-il, à vos yeux, de mériter vos critiques ? Si tel est le cas, qu’entendez-vous par l’élargissement du rôle de l’ÉPRUS, que vous avez évoqué dans votre propos liminaire ? Souhaiteriez-vous que l’établissement acquière un rôle équivalent à celui de la Biomedical Advanced Research and Development Agency (BARDA) aux États-Unis, qui ne se contente pas de gérer des stocks, mais qui intervient aussi dans les décisions et la recherche ?

M. Bernard Boubé. Je n’ai évoqué que les difficultés auxquelles j’ai été directement confronté. Je ne dispose, pour la suite, que d’informations en provenance de sources ouvertes.

Ces difficultés étaient de plusieurs ordres. Je le répète : je n’ai pas pu installer le siège de l’ÉPRUS durant les neuf mois pendant lesquels j’ai dirigé l’établissement. Le président de l’ÉPRUS et moi-même avons très rapidement fait une proposition visant à installer l’établissement dans une tour parfaitement sécurisée et sécurisable, puisque ne s’y trouvaient que des services de l’État ou proches de l’État. De surcroît, cette tour est très bien connue des services de gestion des ministères chargés des questions sociales – santé et travail – puisqu’un grand nombre d’entre eux y sont installés. Si, comme nous l’avions proposé, nous avions pu, à notre tour, y installer l’ÉPRUS dès la fin du mois de novembre 2007 nous aurions pu, dès mars 2008, disposer d’un établissement pharmaceutique et prendre en charge une grande partie, voire la totalité des nombreuses opérations que la DGS souhaitait nous confier. De plus, la France prenait alors la présidence de l’Union européenne et il n’existait dans aucun autre pays de l’Union une structure de ce type : ainsi aurions-nous pu entraîner nos partenaires dans des coopérations, qui étaient souhaitées par le gouvernement français.

Le président de l’ÉPRUS et moi-même n’avons été informés de l’impossibilité d’installer l’ÉPRUS dans ces locaux que la veille de la réunion du conseil d’administration qui devait entériner le projet. Il a fallu attendre mon départ pour que la situation se décante. J’avais, à plusieurs reprises, fait des propositions – nous avons visité vingt-huit sites –, mais je n’ai jamais pu obtenir les informations me permettant d’établir le bon dimensionnement du site de l’ÉPRUS.

Par ailleurs, si je ne demandais pas l’augmentation des effectifs prévus pour la gestion des stocks, même en cas de modification stratégique importante, du fait que je travaillais en liaison avec le service de santé des armées afin de sécuriser les stocks dans des conditions que les militaires maîtrisent, j’avais en revanche posé la question de la réserve sanitaire. La DGS avait en la matière un projet, certes limité, mais conforme à la loi : il consistait à sécuriser les urgentistes en leur permettant d’obtenir une véritable professionnalisation de leurs missions, notamment extérieures. Or, pas même ce projet n’a pu aboutir, puisque, à mon départ, les règles d’emploi de cette réserve minimale n’avaient pas encore été présentées au conseil d’administration, la DGS ayant souhaité le faire à ma place. Par-delà ce projet, j’avais pour ambition de constituer une réserve de plusieurs dizaines de milliers de professionnels de santé, ce qui aurait permis de couvrir l’ensemble du territoire – ce projet est, à mes yeux, toujours d’actualité. Je n’ai pas réussi à savoir en quel sens trancherait la DGS : or une réserve de quelques dizaines de milliers de professionnels ne peut être gérée comme une réserve minimale de quelques centaines.

Quant à la stratégie de stockage, elle n’a été arrêtée qu’après mon départ, alors que tout était prêt avec le service de santé des armées.

L’addition de toutes ces incertitudes et l’absence de siège de l’établissement ne nous a pas permis d’obtenir de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) l’agrément pour l’ouverture d’un établissement pharmaceutique, ce qui nous contraignait à ne réaliser certaines opérations, devenues urgentes en raison des dates de péremption, qu’en oubliant des dispositions majeures de la loi, comme le monopole pharmaceutique. Cela n’était possible qu’à la condition d’obtenir l’expression d’une certaine confiance politique, mais tel ne fut pas le cas. Il m’était donc devenu impossible de rester et je suis parti. Le reste est affaire de perception. J’ai présenté ma démission, en en exposant les raisons, ce qui n’est pas habituel. Il est tout à fait normal qu’il ait été mis à fin à mes fonctions, ce que je considérais comme souhaitable.

M. Gérard Bapt. M. le rapporteur vous a demandé ce que vous entendiez par l’« élargissement » des missions de l’ÉPRUS.

Par ailleurs, savez-vous si les doses de tamiflu mises gratuitement à disposition jusqu’à épuisement pour la prévention, y compris de personnes asymptomatiques, arrivaient à péremption courant 2010, ce qui ne laisserait pas de nous interroger sur cette indication larga manu ?

M. Bernard Boubé. Je souhaitais, non seulement élargir la réserve sanitaire, mais tout simplement que l’ÉPRUS assume la totalité de ses missions. Or la DGS et moi-même divergions sur la conception des relations entre un établissement public, qui est à un bout de la chaîne de sécurité sanitaire, et une administration centrale qui exerce sur cet établissement public et sur celui qui le dirige une double mission : d’une part, une mission de tutelle, prévue par la loi, qui porte sur les actes du conseil d’administration ; d’autre part, une mission hiérarchique, puisque la loi prévoit que le directeur général de l’ÉPRUS répond, au nom de l’État, à des demandes expresses du ministre de la santé relatives à l’acquisition ou à la mise à disposition de produits de santé. Il est dès lors agent de l’État et, de ce fait, ne relève plus de la tutelle qui pèse sur l’établissement public. Ces distinctions juridiques ne sont pas sans conséquences sur les relations entre les deux établissements et leur fonctionnement.

Avant mon départ, les relations entre l’ÉPRUS et l’administration de tutelle ont été établies sur des bases réduites par rapport à ce que la loi prévoyait.

Je ne me rappelle plus les dates de péremption des produits, et ne saurai donc répondre précisément à votre question. Je peux en revanche vous confirmer qu’on m’a demandé de réaliser des opérations avec rapidité, alors qu’il m’était quasiment impossible de le faire.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. J’ai été surpris d’apprendre par votre successeur à la direction de l’ÉPRUS que l’établissement, après avoir, dans un premier temps, récupéré les contrats précédemment passés par la DGS, se contentait de négocier avec tel ou tel laboratoire, sans avoir à effectuer lui-même des recherches, alors qu’il a un rôle de « logisticien » dans la discussion, la négociation, l’acquisition, la conservation et la distribution des produits de santé qui sont nécessaires pour répondre à une urgence sanitaire. Quel est votre avis en la matière ?

En dehors de la question de la réserve médicale, et par-delà votre désaccord avec la DGS sur le caractère de simple exécutant laissé à l’ÉPRUS, comment serait-il possible, selon vous, d’améliorer l’efficacité de l’établissement en matière de réponse aux urgences sanitaires ?

M. Bernard Boubé. Je suis obligé de me montrer prudent dans l’expression de mes préoccupations. En effet, dans le cadre de mes fonctions antérieures, j’ai eu l’occasion d’évaluer la sécurité des opérateurs d’importance vitale et de proposer de manière détaillée la mise en place de dispositifs visant à améliorer ladite sécurité. Or je n’ai même pas pu le faire dans l’établissement qui m’était confié. Il s’agit là d’un problème culturel majeur.

Il convient de rappeler que les missions de l’ÉPRUS ne concernent pas les seules pandémies mais aussi, et plus largement, la préparation et la réponse aux urgences sanitaires de toutes sortes – calamités naturelles ou hypothèses d’attentats.

M. le rapporteur. Vous pensez au bioterrorisme…

M. Bernard Boubé. Pas seulement : au terrorisme en général.

S’agissant des produits devant être gérés par l’ÉPRUS et des capacités de mobilisation des professionnels concernés – tel était le sens de la réserve sanitaire dans l’esprit du ministre qui avait défendu le texte en 2007 –, le terrorisme était expressément visé, même s’il est vrai que chacun avait dans l’esprit les problèmes liés aux pandémies – nous sortions du SRAS et voyions se profiler la grippe H5N1.

Compte tenu de mes activités antérieures et de mon expérience, j’avais une conception précise de la manière de procéder : lorsque j’ai compris que celle-ci n’était pas partagée par ma hiérarchie et que je n’aurai pas le dernier mot, j’en ai tiré les conséquences.

Que l’ÉPRUS, aujourd’hui, remplisse déjà ses missions ! Toutefois, comme je vous l’ai dit, je ne maîtrise plus le sujet, n’ayant même pas eu connaissance de la convention régissant désormais les relations entre l’administration centrale et l’établissement que je dirigeais.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pensez-vous avoir été nommé à l’ÉPRUS principalement en raison de vos responsabilités antérieures, à savoir dans la perspective de préparer un établissement public à répondre à des urgences sanitaires qui ne seraient pas d’origine naturelle ?

M. Bernard Boubé. Il faudrait le demander à ceux qui sont à l’origine de ma nomination. Je pense toutefois pouvoir répondre à votre question par l’affirmative.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous le sentiment que l’on a progressivement évolué vers une autre conception, laquelle ne nous préparerait pas à répondre de manière satisfaisante à des urgences sanitaires autres que naturelles ?

M. Bernard Boubé. Je n’ai pas dit cela ni ne pourrai le dire, puisque j’ai quitté l’ÉPRUS le 16 juin 2008. Depuis cette date, je n’ai pas cherché à savoir ce qui s’y passait, afin de ne gêner personne. Mon successeur a été nommé après un long délai et de nombreuses tractations. Les seuls échos que j’ai de sa prise de fonctions proviennent de la lecture du rapport de la commission des finances du Sénat.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Est-il légitime, compte tenu de la nature radicalement différente des deux missions confiées à l’ÉPRUS, même si leur finalité commune est d’assurer la sécurité sanitaire des Français, que l’administration de rattachement soit la DGS et, plus largement, le ministère de la santé ?

M. Bernard Boubé. J’ai répondu longuement à cette question devant la commission des finances du Sénat. Si celle-ci m’y autorise, je vous ferai parvenir ma réponse.

La question qui se pose est celle du rattachement de tout ou partie de l’ÉPRUS en fonction des objectifs qui lui sont assignés. L’accent est aujourd’hui mis sur un type de menaces, et il est heureux que les autres menaces ne se soient pas matérialisées. Toutefois, suivant de près les événements internationaux, je sais, comme tout un chacun, que ces menaces ne sont pas derrière nous : elles méritent donc un examen attentif.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je vous remercie, monsieur le préfet.

La séance est levée à vingt et une heures dix.

Audition de M. Benoît Leclercq,
directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)


(Procès-verbal de la séance du mercredi 7 avril 2010)

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La séance est ouverte à dix-sept heures dix.

(M. Benoît Leclercq prête serment.)

M. Benoît Leclercq, directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris. L’AP-HP représente trente-sept hôpitaux, 1,1 million d’admissions en urgence, 1 million d’hospitalisations et 4 millions de consultations. Elle emploie 92 000 personnes, avec un budget de 6,4 milliards d’euros. Elle s’étend principalement sur la région d’Île-de-France, principalement sur la métropole parisienne.

L’AP-HP était préparée à la grippe A, dans la mesure où elle avait déjà mis sur pied un plan assez drastique contre la grippe H5N1, dite « grippe aviaire ». En outre, depuis
2005-2006, elle a remis à jour son Plan blanc, c’est-à-dire son plan d’urgence interne. Enfin, sa qualité d’établissement de référence de la zone de défense l’amène à pratiquer régulièrement des exercices.

Dans la gestion de la grippe A, je distinguerai trois phases.

La première phase s’est déroulée avant l’été, lorsque les premiers cas sont apparus au Mexique, ce qui a déclenché des prises en charge hospitalières et pré-hospitalières, en particulier par les SAMU, les services d’assistance médicale d’urgence.

Durant la deuxième phase, à partir de l’été, les consultations dédiées se sont développées, nous avons pris en charge des cas graves – la médecine de ville traitant l’essentiel des patients –, nous avons adapté nos capacités hospitalières, notamment dans nos services de maladies infectieuses, afin de libérer de la place en vue d’accueillir d’éventuels patients, et nous avons largement mobilisé nos laboratoires de virologie ainsi que nos services de réanimation. Nous avons aussi planifié la déprogrammation de lits en cas d’affluence massive et nous avons préparé les plans de continuité d’activité en cas de pandémie grave, considérant que, si 30 % de la population française avait été touchée, 30 % au moins de notre personnel soignant l’aurait été.

La troisième phase, à partir de la rentrée de septembre, a requis une implication beaucoup plus forte, en matière hospitalière mais aussi dans le cadre des campagnes de vaccination de nos personnels, des patients, des familles de nos personnels et de la population.

L’AP-HP dispose depuis longtemps d’un système de gestion de crise, avec une cellule centrale et des référents dans chaque hôpital et chaque pôle hospitalier. Nous avons créé un comité stratégique H1N1. Nous avons mobilisé le réseau d’épidémiologie et de biologie, placé sous l’autorité du professeur Bricaire. Nous avons organisé des conférences téléphoniques avec l’ensemble de nos hôpitaux afin de coordonner leur activité.

Il a fallu adapter notre dispositif hospitalier, ce que nous sommes parvenus à faire sans tensions excessives, à quelques exceptions près.

Les SAMU et les SMUR – services d’assistance médicale d’urgence et services mobiles d’urgence et de réanimation, structures extra-hospitalières –, ont dû faire face à une augmentation du nombre d’appels. Nous avons donc renforcé leurs capacités de réponse téléphonique, y compris afin d’opérer un recensement statistique en vue de suivre l’évolution de l’épidémie.

Durant la première phase, tous les cas suspects ont été transportés à l’hôpital et isolés. Nous avons également mis en place des consultations dédiées spécifiques, notamment à l’entrée des hôpitaux sièges des SAMU de quatre départements sur huit. Nous avons rencontré davantage de difficultés avec les laboratoires de virologie, dans lesquels les virus de ce type sont détectés, car ils ont été soumis à des tensions plus vives. En effet, ils ne travaillent généralement pas dans l’urgence. De surcroît, le nombre de laboratoires de niveau de confinement L3, c’est-à-dire très protégés, est relativement faible. Enfin, il n’existe pas de définition des situations médicales et biologiques nécessitant un dépistage.

À partir de l’été, nous avons constitué un réseau de consultations hospitalières dédiées dans nos hôpitaux référents et dans nos hôpitaux dits de deuxième ligne. Ce réseau a bien fonctionné, hormis des tensions ponctuelles au cours de certains week-ends, notamment estivaux, durant lesquels le personnel est évidemment moins nombreux.

Au début de l’automne, nous avons porté une attention soutenue à la préparation de la déprogrammation. Il s’agissait, en cas de pandémie massive, d’être capable de déprogrammer de l’activité sur rendez-vous, y compris des opérations chirurgicales, afin de libérer des places hospitalières en tant que de besoin – l’ancienne DHOS, direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, aujourd’hui DGOS, direction générale de l’offre de soins, avait fixé des seuils à cet effet –, notamment dans les services de médecine et les salles de réanimation ou de réveil de chirurgie. Cela nous a amenés à surveiller de manière encore plus précise que d’habitude – d’ordinaire, nous le faisons déjà quotidiennement – les capacités disponibles en réanimation, à bien suivre le fonctionnement et la continuité de nos services, et à vérifier que les équipements réservés pour ce faire dans les services, en particulier les respirateurs et les matériels de circulation extracorporelle, étaient adaptés. Les seuils de déprogrammation n’ont jamais été atteints, hormis une journée de la semaine 46, en pédiatrie. Les tensions observées à d’autres moments n’étaient pas uniquement liées à la grippe H1N1 mais à une conjonction entre cette grippe, des bronchiolites et des gastro-entérites, ces deux dernières affections provoquant toujours de l’affluence aux urgences durant cette période de l’année. Nous avons battu un record à l’hôpital Robert-Debré, avec 405 patients admis un dimanche, alors que le maximum atteint les années précédentes excédait à peine les 300. Les capacités en lits de réanimation adultes n’ont jamais été dépassées puisque nous avons admis 193 patients, dont 54 enfants. Lorsque le seuil de 15 % de lits occupés a été atteint, durant la semaine 46, il a fallu ouvrir quatre lits supplémentaires, sans que nous fussions contraints de déprogrammer l’activité de manière massive. Nous en avons toutefois déduit que le nombre de lits de réanimation pédiatrique était sans doute trop faible dans la région parisienne, sachant que l’AP-HP y concentre 70 % des lits de réanimation pédiatrique.

Par l’intermédiaire de l’Agence générale des équipements et produits de santé, l’AGEPS, ex-Pharmacie centrale, nous avons approvisionné en antiviraux – Tamiflu et Relenza – les hôpitaux de l’AP-HP mais aussi ceux des quatre autres départements ne dépendant pas des SAMU de l’AP-HP. Nous avons aussi servi d’interface entre l’ÉPRUS, l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, et le SAMU d’Île-de-France.

À partir de mi-octobre, nous avons distribué 157 000 doses de vaccins contre la grippe A et les dispositifs médicaux stériles associés, d’abord à nos hôpitaux puis aux hôpitaux sièges de SAMU extérieurs à l’AP-HP, qui servaient de relais avec les hôpitaux de leur département. Nous avons reçu 3,1 millions de masques de protection respiratoire FFP2, que nous conservons, et 7 millions de masques chirurgicaux, stock dans lequel nous puisons et que nous renouvelons afin d’éviter la péremption.

L’AP-HP s’est également mobilisée dans le cadre des campagnes de vaccination.

Nous avons d’abord obtenu de pouvoir vacciner notre personnel contre la grippe saisonnière dès la réception des vaccins, le 10 septembre, alors que, d’habitude, la médecine de ville vaccine avant nous. L’effet H1N1 a d’ailleurs accru le taux de vaccination du personnel, qui est resté néanmoins trop faible. Un délai de trois semaines étant requis entre les deux vaccins, nous avons pu attaquer la campagne H1N1 le 20 octobre. Au final, 30 % des personnels non soignants – administratifs, logistiques et de service – ont été vaccinés contre la grippe H1N1, soit un peu moins de 30 000 personnes, de même que 65 % des médecins ; les personnels infirmiers, en revanche, se sont peu fait vacciner.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Disposez-vous des données pour la grippe saisonnière ?

M. Benoît Leclercq. Cette année, nous sommes arrivés à 28 %, contre 20 % les années précédentes.

Nous avons aussi vacciné dans nos locaux 14 000 malades atteints d’affections chroniques, 4 800 membres des familles de notre personnel, 1 600 libéraux et, accessoirement, 500 personnes allergiques à l’œuf.

Par ailleurs, l’AP-HP a été très fortement sollicitée pour la campagne de vaccination organisée par l’État. Nous avons équipé en logistique les centres de vaccination aménagés dans les communes, notamment en achetant la plupart des réfrigérateurs. Nous avons procédé à des détachements massifs d’internes en médecine et d’étudiants en soins infirmiers mais aussi de personnels seniors volontaires.

L’organisation de la mobilisation a été tributaire, selon nous, des difficultés de planification et de régulation des opérations parfois rencontrées par les DDASS, les directions départementales des affaires sanitaires et sociales, en particulier lors de l’extension de l’amplitude du dispositif. Pour être plus précis, il est arrivé que nous ayons mobilisé des moyens ne pouvant être utilisés, dans la mesure où les centres n’étaient pas ouverts, pour des raisons nous échappant.

Le nombre d’internes mis à disposition a varié de 5 par jour à 220 par jour – durant la période la plus difficile, en gros jusqu’à Noël –, plus 1 600 étudiants en institut de formation en soins infirmiers, 225 cadres de santé et quelques volontaires.

Les dépenses spécifiques engagées par l’AP-HP ont été compensées : nous avons reçu 1 million d’euros, en sus de la tarification à l’activité, au titre des missions d’intérêt général – sachant que l’enveloppe nationale s’élevait à 10 millions d’euros et que nous représentons environ 10 % de l’hospitalisation –, soit approximativement le coût que nous avions engagé. Si vous le souhaitez, je vous communiquerai le détail. Cette somme nous semble couvrir notamment les frais supportés par les laboratoires et le manque à gagner lié au blocage de lits dans les services de maladies infectieuses pour attendre des patients éventuels. Nous avons en outre versé des indemnités au personnel, à hauteur d’1,5 million d’euros, enveloppe qui sera remboursée par l’assurance maladie.

M. Bernard Debré. Ce compte rendu correspond à ce que beaucoup d’entre nous avons vécu à l’AP-HP. Nous avons beaucoup mobilisé les internes pour vacciner à l’extérieur, au point que nous avons parfois été forcés de déprogrammer, même si cela ne nous avait pas été demandé.

Sur quels critères les internes ont-ils été réquisitionnés ? Les avez-vous fixés vous-mêmes ? Sinon, avez-vous été consulté ? Avez-vous reçu une demande chiffrée que vous avez ensuite ventilée ?

Beaucoup de ces internes ont été envoyés très loin, à trente ou quarante kilomètres, alors qu’ils ne possédaient pas nécessairement de voiture. Ont-ils été indemnisés, en particulier de leurs frais kilométriques ?

Les hôpitaux ont aussi beaucoup vacciné, vous avez donné les chiffres. Quand un flacon de dix doses était ouvert, dix médecins ou membres du personnel étaient-ils automatiquement vaccinés ? Il est revenu à mes oreilles – j’ai même cru le voir – qu’une, deux, trois ou quatre doses sur dix pouvaient être utilisées et que le reste était jeté.

M. Benoît Leclercq. Sur instruction ministérielle, nous avons exclu tous les internes des services d’urgence, de réanimation et de pédiatrie, quelle que soit la discipline pédiatrique. Ensuite, nous avons évidemment mobilisé les internes les moins proches des patients, c’est-à-dire ceux exerçant en santé publique ou en biologie médicale, ce qui ne constitue aucunement un jugement de valeur. Ensuite, nous avons pris les listes et sollicité les gens. Du reste, compte tenu du taux d’indemnisation annoncé, il n’y a pas eu de problème de choix. Les premiers critères ont donc été définis par les autorités ministérielles, après quoi la direction générale a procédé à une sélection, par le biais des directeurs des affaires médicales de chaque établissement, qui ont pris contact avec les chefs de service ou, dans un certain nombre de cas, le syndicat des internes, largement autogéré.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Contrairement aux médecins libéraux, l’AP-HP a donc été consultée pour organiser la réquisition et orienter le choix vers tel ou tel interne ou infirmière.

M. Benoît Leclercq. Absolument ! Tout comme nous avons décidé que tous les étudiants de troisième année des instituts de formation en soins infirmiers iraient vacciner. Nous avons demandé à opérer nous-mêmes le tri car il n’aurait pas été forcément adapté qu’il soit fait par les DDASS, les cellules opérationnelles ou les préfets.

Mme Catherine Génisson. La réquisition a-t-elle été arbitraire ou opérée en concertation avec les chefs de pôle et les chefs de service, sur lesquels repose l’activité habituelle de l’hôpital ?

M. Benoît Leclercq. Nous étions sollicités quotidiennement par les préfectures pour envoyer un nombre donné d’internes et il fallait répondre sous vingt-quatre ou quarante-huit heures. Nous n’avons donc pas toujours été consultés.

Mme Catherine Génisson. Seulement vingt-quatre heures !

M. Benoît Leclercq. Parfois quarante-huit heures. Sur la fin, le délai atteignait parfois une semaine, cela dépendait des jours.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Les évolutions ont sans doute été d’autant plus importantes que le volume horaire d’ouverture des centres, dans toutes les villes, était très variable.

M. Benoît Leclercq. Tous les internes ont été indemnisés pour leurs vacations et pour leurs déplacements : nous avons versé 1,133 million d’euros au titre des vacations et près de 10 000 euros de frais de déplacement.

Le Gouvernement nous a fourni des flacons de dix doses de vaccin…

M. Jean Mallot. Ce sont les laboratoires qui vous les ont fournis !

M. Benoît Leclercq. Ma tutelle, c’est le Gouvernement. Je répète que le Gouvernement nous a fourni des flacons de dix doses. Dans les centres de vaccination, on vaccinait par dizaines ; à l’hôpital, en revanche, il est évidemment arrivé que la totalité d’un flacon ne soit pas utilisée.

M. Bernard Debré. Et le reste était jeté ?

M. Benoît Leclercq. Oui.

M. Bernard Debré. N’a-t-on jamais jeté de flacons pleins ?

M. Benoît Leclercq. Bien sûr que non !

M. Guy Lefrand. Votre plan contre la grippe aviaire et votre Plan blanc ont-ils pu être réutilisés tels quels ou a-t-il fallu les adapter ? En d’autres termes, ces plans se sont-ils avérés efficients ?

Quel a été le degré de coordination avec le ministère et quel rôle l’ARH, l’agence régionale d’hospitalisation, a-t-elle joué dans l’organisation et la planification ?

Vous avez évoqué des difficultés de planification du côté des DDASS.
Sous-entendez-vous que celles-ci ont insuffisamment utilisé vos potentialités internes ou ont tardé à les utiliser ?

Une bonne partie du personnel soignant n’a pas été vaccinée. Cela a-t-il tenu à des problèmes de communication ? Sinon, qu’est-ce qui a poussé autant d’infirmiers à ne pas se faire vacciner ?

M. Benoît Leclercq. Les plans précédents se sont avérés très efficients, les adaptations n’ayant été que marginales. Toutes les cellules ont pu être mobilisées et les référents étaient prêts : en moins de quarante-huit heures, le dispositif était opérationnel. Si une épidémie de grippe particulière ne se produit pas tous les deux ans, il importe que nous organisions des exercices d’envergure tous les deux ans afin que les gens restent mobilisés.

La coordination avec le ministère était quotidienne, d’abord parce que le siège de l’AP-HP est situé à Paris. J’étais informé au jour le jour du nombre d’admissions, de consultations, de patients en réanimation pédiatrique et adulte, qui étaient communiqués au ministère via le réseau CORRUSS, et j’échangeais avec les directeurs de cabinet de l’époque, qui souhaitaient être informés « en direct ». La coordination politique, si je puis dire, était assurée à mon niveau et la cellule de crise « grippe » de l’AP-HP correspondait quotidiennement, voire deux fois par jour, avec les référents du ministère.

Je ne me souviens pas que l’ARH participait au dispositif mais je ne suis pas catégorique car j’étais un peu loin du terrain.

Concernant les DDASS, je n’ai pas voulu dire que je disposais de potentialités internes sous-utilisées. Le problème, c’est quand on me demandait deux internes pour les envoyer à Évry, qu’un véhicule de la préfecture les prenait en charge et qu’ils arrivaient dans un bourg où le centre de vaccination n’était pas ouvert. Faire partir ainsi deux jeunes qui auraient pu servir dans un service hospitalier traduisait un relatif manque de coordination et ne contribuait pas à la mobilisation générale. C’est en ce sens que des potentialités internes, mises à disposition, n’ont pas été utilisées. Mais nous ne disposions pas de potentialités supplémentaires ; certes, nous n’avons pas déprogrammé, mais certains services ont admis moins de malades durant cette période.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Quand vous mobilisiez des moyens, c’était en réponse aux préfectures qui vous les avaient demandés.

M. Benoît Leclercq. Oui, systématiquement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Et pourtant, les centres auxquels ils étaient destinés n’étaient pas toujours ouverts.

M. Benoît Leclercq. Soit le centre n’était pas ouvert, soit il n’y avait pas d’infirmière, soit les vaccins n’étaient pas arrivés.

M. Bernard Debré. Soit il n’y avait pas de candidats à la vaccination ! Il est arrivé que cinq internes soient envoyés dans un centre où il n’y avait aucun patient à vacciner ! Et il leur a été interdit de partir !

M. Benoît Leclercq. J’ai lu les journaux, comme vous, mais, ayant juré de dire la vérité, je ne parlerai que de ce que j’ai vu, fait ou dit.

Quitte à passer pour immodeste, je ne pense pas que le faible taux de personnel infirmier vacciné soit imputable à un problème de communication. Nous avons mené une campagne de communication intense, nous avons distribué à l’ensemble de nos personnels un petit fascicule en trois volets, nous nous sommes appuyés sur différents vecteurs, mais un syndicat d’infirmiers s’est livré à une contre-campagne interne qui a manifestement beaucoup plus porté que nos messages : sur internet, j’ai lu des posts ahurissants, véhiculant des appels à ne pas se faire vacciner.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. De quel syndicat s’agit-il ?

M. Benoît Leclercq. Je n’ai pas son nom en tête mais je vous le communiquerai ; son responsable se nomme M. Lamouroux.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Son argumentation était-elle scientifique ou sociale ?

M. Benoît Leclercq. Il s’agissait de messages du type : « rien n’est prouvé », « cela ne sert à rien » ou « cela peut être dangereux ».

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Les arguments invoqués étaient donc de nature scientifique, ils ne tenaient pas aux relations sociales internes à l’entreprise.

M. Benoît Leclercq. Non, ils ne visaient pas la direction générale.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cela a dû vous changer !

M. Benoît Leclercq. Je ne vous le fais pas dire…

Il faudra donc sans doute que nous nous adaptions et que nous diffusions sur internet des conseils en faveur de la vaccination. Nous ne cessions d’expliquer qu’il était plus risqué d’être victime des effets liés au vaccin en attrapant la grippe qu’en se faisant vacciner ; apparemment, cela n’a pas porté.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cependant, davantage de monde s’est fait vacciner contre la grippe H1N1 que contre la grippe saisonnière : 30 000 agents dans le premier cas, 28 % dans le second cas, soit environ 25 000 agents.

M. Benoît Leclercq. Le bouche à oreille a aussi fonctionné : je me vois encore persuader mes secrétaires de se faire vacciner, alors qu’elles refusaient d’y aller après avoir lu des messages négatifs.

M. Bernard Debré. Le taux de 28 % pour ce qui concerne la grippe saisonnière est déjà faible, il traduit une réticence inhérente au corps médical, que nous avons essayé de contrecarrer. Par contre, 65 % des médecins se sont fait vacciner.

M. Benoît Leclercq. En effet, nous avons été très heureux que deux tiers des médecins se soient protégés ; la proportion est encourageante en vue des pandémies.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur de la commission d’enquête. Le nombre de personnels atteints par le virus H1N1 a-t-il été important, au point de désorganiser certains services ?

Des services vous ont-ils signalé une quelconque désorganisation ?

Disposez-vous d’un référent chargé de la grippe H1N1 dans chaque hôpital ? Des réunions d’information sont-elles organisées régulièrement à destination du personnel ?

M. Benoît Leclercq. Dans la mesure où la grippe H1N1 a touché le personnel hospitalier dans les mêmes proportions que la population générale, la désorganisation a été limitée. Un seul cas s’est produit, aux urgences du Kremlin-Bicêtre, où un interne, porteur des symptômes, a contaminé sept personnes du service. Cela nous a posé des difficultés particulières pendant quelques jours mais nous y avons paré en vingt-quatre heures. Ce cas
– auquel l’inconscience de certains personnels n’est vraisemblablement pas étrangère – a toutefois mis en évidence la fragilité du système.

Nous disposons d’un référent grippe par service. Ces référents sont réunis régulièrement pour entendre des exposés des infectiologues de la maison, MM. Bricaire, Vittecoq ou Delfraissy, ainsi que des spécialistes en épidémiologie travaillant à la direction de la politique médicale, les docteurs Fournier ou Brun-Ney. C’est ainsi que nous entretenons un réseau de déploiement rapide très efficace. Quand nous appuyons sur un bouton dans les bureaux de l’avenue Victoria, il faut qu’une sonnerie retentisse tant à l’hôpital Cochin qu’à l’hôpital René-Muret-Bigottini de Sevran.

M. le rapporteur. Le million d’euros a-t-il bien été versé dans l’enveloppe MIG
– missions d’intérêt général –, en supplément ?

M. Benoît Leclercq. Absolument, sur la ligne budgétaire H1N1.

Mme Catherine Génisson. Pouvez-vous confirmer que vous n’avez procédé à aucune déprogrammation d’activité ?

M. Benoît Leclercq. La direction générale n’a demandé aucune déprogrammation.

Mme Catherine Génisson. Que signifie la nuance ?

M. Benoît Leclercq. Comme l’a indiqué le professeur Debré, dans un service où deux internes étaient prélevés pour aller vacciner en ville, il est possible que le chirurgien ou le médecin ait été amené à réduire le nombre d’admissions du jour.

Mme Catherine Génisson. Il y a donc eu des déprogrammations.

M. Bernard Debré. Très peu.

M. Benoît Leclercq. Mobiliser 220 internes sur un total de 2 000, cela ne peut pas provoquer de catastrophe nationale.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. D’autant que les 220 n’ont jamais été mobilisés d’un coup.

M. Benoît Leclercq. Si : cet effectif était mobilisé quotidiennement.

M. le rapporteur. Dans quel périmètre vos internes étaient-ils envoyés ?

M. Benoît Leclercq. L’Île-de-France.

M. le rapporteur. Dans tout le bassin parisien ? Jusqu’à l’Essonne, la
Seine-et-Marne ?

M. Benoît Leclercq. Absolument.

M. le rapporteur. Nous sommes maintenant en avril. Avez-vous déjà reçu une évaluation émanant des internes et des élèves infirmiers, faisant état de leur ressenti ? Êtes-vous en mesure de procéder à cette évaluation ? Sera-t-elle effectuée ? Vous l’a-t-on proposé ?

M. Benoît Leclercq. À chaud, nous avons pu évaluer que les internes, les élèves infirmiers ou les monitrices appelés à courir dans les centres de vaccination faisaient montre d’une certaine irritation. Cela dit, tous les personnels sollicités ont répondu présent. Aucun n’a refusé d’y aller. J’ai seulement dû régler quelques petits problèmes de cadrage, au début de l’opération. Le syndicat des internes m’a ainsi demandé de signaler à Mme la préfète Martine Monteil, secrétaire générale de la zone de défense, qu’aller quérir un interne par l’intermédiaire d’un motard de la gendarmerie n’était pas forcément idéal pour mobiliser les personnels médicaux. J’ai appris à connaître l’ensemble des préfets de la région et je leur ai suggéré qu’ils recourent moins aux motards et que nous organisions mieux nos plannings, un peu à l’avance.

Nous aurions préféré que l’on nous indique les besoins et que l’on nous laisse remplir les cases, comme cela a été fait au milieu de la période. Je pense aussi que tout aurait pu être organisé différemment, mais c’est un autre problème…

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Dites-nous donc !

M. Benoît Leclercq. La vaccination du public aurait pu être organisée dans les hôpitaux, qui savent gérer des files d’attente et des prises de rendez-vous.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Dans quels locaux ?

M. Benoît Leclercq. Nous avons bien trouvé la place pour organiser neuf ou dix consultations dédiées, qui n’existaient pas auparavant. Les plans blancs ont précisément pour objet de modifier l’affectation de tel ou tel local. Un centre de vaccination n’est pas un équipement aussi complexe qu’un hôpital, ce n’est qu’une pièce propre pourvue d’un lavabo et d’un réfrigérateur acheté par l’AP-HP, avec une salle d’attente, une salle d’interrogatoire pour le médecin et une salle de vaccination.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous une idée du nombre de personnes qui ont été vaccinées dans le périmètre géographique couvert par l’AP-HP ?

M. Benoît Leclercq. Non, aucune, je le reconnais.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Le centre de vaccination installé dans ma ville, armé pour partie par l’hôpital Avicenne et qui couvrait trois communes, n’a accueilli que 5 000 personnes en deux mois, dont 3 000 en trois semaines. Avicenne aurait été capable de s’en occuper. Votre proposition me semble donc intéressante.

M. Benoît Leclercq. Nos soignants ont l’habitude de s’organiser pour ce genre de choses : ils savent comment manipuler un flacon, ils savent qu’il faut enfiler des gants. Or, d’après ce qui m’a été rapporté, ce b.a-ba n’a pas toujours été respecté dans les centres de vaccination. J’ajoute que le personnel d’État fourni pour des tâches administratives, en provenance notamment des préfectures, aurait pu venir à l’hôpital ; pour notre part, nous disposions de la force vive médicale puisque c’est nous qui l’avons mise à disposition de la ville.

M. Bernard Debré. Puisqu’il suffisait d’une pièce, d’un réfrigérateur et du matériel de vaccination, le médecin généraliste aurait parfaitement pu s’en occuper. Or, ce ne sont ni les hôpitaux ni les médecins généralistes qui ont été utilisés. Voilà le sujet auquel il convient de réfléchir.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je partage assez cet avis. J’ai cru comprendre que les gens ne défilaient pas à l’AP-HP pour se faire vacciner et que des flacons y ont été jetés sans que toutes les doses aient été utilisées. Or n’importe quel médecin de ville aurait été capable de regrouper ses patients par sept, huit ou neuf afin d’éviter de gâcher des doses.

M. le rapporteur. Une fois les centres fermés, avez-vous récupéré les réfrigérateurs et autres matériels ?

M. Benoît Leclercq. J’avoue ne pas m’être posé la question.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pas la peine de venir chercher celui de Drancy car c’est ma commue qui l’a payé !

M. Benoît Leclercq. Rassurez-vous, nous ne récupérerons que ceux que nous avons achetés !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je me demande bien où l’AP-HP a pu acheter des réfrigérateurs. À Drancy, c’est la commune qui a dû le fournir. Quand la préfecture m’a sollicité, je lui ai proposé de mettre à disposition un centre médico-sportif, équipé notamment de cabinets de consultation, mais elle m’a répondu que nous risquions d’être submergés par l’affluence et qu’elle réquisitionnait un gymnase. Nous avons donc bloqué un gymnase pendant quatre mois, avec trois médecins, quatre infirmières, quatre agents de l’État et quatre agents de la ville, pour ne finalement vacciner que cinquante personnes par jour. Peut-être une simple salle suffisait-elle, en tout cas l’État a demandé beaucoup plus !

Un certain nombre d’infirmières de troisième année, décisive dans leur cursus, semblent avoir été réquisitionnées longtemps, ce qui leur a sans doute posé des problèmes en fin d’année. Comment avez-vous prévu de résoudre ce problème ?

La Réunion et la Nouvelle-Calédonie, par exemple, ont souffert d’un déficit en appareils de respiration externe. Est-il arrivé un moment où les capacités en locaux et en équipements de l’AP-HP ont été dépassées ? Cela aurait-il pu se produire si la pandémie avait été significative ? Quel a été le nombre maximum de patients atteints par la grippe H1N1 que vous avez accueillis en soins intensifs et en réanimation ?

M. Benoît Leclercq. La direction générale de la santé – la DGS – et la ministre de la santé nous ont garanti que l’examen de fin d’année des élèves infirmiers ne serait pas perturbé. Pour être plus précis, s’il devait arriver qu’un élève rate son examen, ce ne serait pas à cause de ça.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il se trouve qu’une école d’infirmières est implantée dans ma circonscription et que certaines des élèves ont manqué trois semaines à un mois de cours, censés nécessaires pour préparer leur examen. La DGS a-t-elle bien assuré qu’elle en tiendrait compte ?

M. Benoît Leclercq. Le ministère nous a dit que ce n’était pas un sujet, qu’il n’y aurait pas de perturbation aux examens. Le nombre de reçus n’a jamais été aussi élevé…

Mme Catherine Génisson. Tout le monde est reçu !

M. Bernard Debré. CQFD !

M. Benoît Leclercq. Nous n’avons jamais atteint les limites de capacités en lits ni en respirateurs. Nous avons parfois frôlé la limite pour les matériels de circulation extracorporelle, sachant que l’indication se discutait parfois. Bref, globalement, nous n’avons pas rencontré de difficultés de ce point de vue.

Le nombre de patients hospitalisés dans les services de maladies infectieuses a dû monter jusqu’à 400, je vous communiquerai le chiffre exact. En réanimation, nous sommes grimpés à une centaine de patients.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Jusqu’à combien de patients auriez-vous pu tenir ?

M. Benoît Leclercq. Un millier environ.

M. Bernard Debré. Il convient de faire attention aux chiffres : l’ensemble des 400 patients hospitalisés n’étaient pas dans une situation grave ; seuls une centaine d’entre eux ont été admis en réanimation, parmi lesquels un certain nombre ont été surtraités, avec des matériels inappropriés.

M. Jean Mallot. Si j’ai bien compris, les lieux d’implantation des centres de vaccination ont été choisis par les préfets. Je ne partage pas l’argument des flacons multidoses pour justifier la mise à l’écart des généralistes et cet argument, en tout cas, ne vaut pas pour les hôpitaux. À l’époque, avez-vous proposé que l’AP-HP héberge des centres de vaccination ? Si oui, a-t-elle été écartée ? Pour quels motifs ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous, vous, formulé cette proposition ?

M. Benoît Leclercq. Non, même si, en réunion, je grommelais souvent et réclamais que l’on nous laisse faire. Il est plus compliqué d’envoyer des internes à Évry que d’organiser les vaccinations nous-mêmes, quitte à se coordonner avec les collègues d’Evry pour voir comment organiser la vaccination chez eux. Je dois néanmoins reconnaître que je n’ai pas formulé cette proposition et que l’idée s’est imposée au fil du déroulement de l’opération.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous ne faisons que nous interroger. Nous ne vous faisons porter aucune responsabilité.

M. Benoît Leclercq. Mais je ne me défile pas !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Les préfets n’ont pas choisi les centres de vaccination – les choses, en tout cas, se sont passées ainsi pour les centres que je connais le mieux – mais ont demandé aux maires si ceux-ci pouvaient l’organiser dans tel ou tel local. Pour la région parisienne, seule la direction générale de l’AP-HP aurait pu se proposer ; en province, en revanche, où les maires président le conseil d’administration des hôpitaux, peut-être auraient-ils pu prendre l’initiative. Nous pourrons interroger la Fédération hospitalière de France à ce propos.

Monsieur le directeur général, je vous remercie.

La séance est levée à dix-huit heures.

Audition de Mme Annie Podeur,
directrice générale de l’offre de soins au ministère de la santé et des sports


(Procès-verbal de la séance du mercredi 7 avril 2010)

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La séance est ouverte à dix-huit heures.

(Mme Annie Podeur prête serment.)

Mme Annie Podeur, directrice générale de l’offre de soins. Dans la gestion de la pandémie grippale, la DHOS, direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, devenue depuis la DGOS, direction générale de l’offre de soins, est intervenue en appui du cabinet, comme il est normal pour une direction d’administration centrale, mais aussi de la DGS, la direction générale de la santé, qui était la direction pilote. Ma direction s’est occupée de tout ce qui concernait d’une part la préparation à la pandémie et l’organisation de la vaccination dans les établissements de santé, d’autre part la mobilisation des professionnels de santé, dont la gestion relève d’elle.

La DHOS, avant la création de la DGOS, était chargée de l’organisation de l’offre de soins, et dans ce cadre, de « définir les mesures d’organisation applicables aux activités de soins des établissements de santé, d’orienter et d’animer les politiques de ressources humaines des établissements publics de santé, médicaux et médico-sociaux ». Elle était enfin, et c’est là toute la différence avec le paysage actuel, consécutif à la mise en place des agences régionales de santé (ARS), chargée « d’animer, de coordonner et de contrôler l’activité des agences régionales de l’hospitalisation (ARH) ».

La DHOS, à laquelle a donc succédé la DGOS, n’était plus depuis 2007 chargée directement de la gestion des crises, alors qu’elle le fut à une époque. De 2002 à 2007, il existait en son sein une cellule de gestion des risques chargée de la gestion opérationnelle des crises et, en amont, des alertes. La DHOS était aussi chargée de l’organisation territoriale et de l’organisation des établissements de santé en situation de crise. C’est la DHOS, dont je n’étais pas alors directrice, qui élaborait les plans blancs, les plans blancs élargis, les plans de préparation à une pandémie grippale – à l’époque n’existait pas l’ÉPRUS, l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires. La DHOS avait également pour tâche, conjointement avec la DGS qui les organisait, de l’évaluation des retours d’expérience sur la gestion de crise. Enfin, la DHOS avait élaboré différents supports de communication. Un décret du 13 mai 2007 a confié à la DGS l’ensemble des alertes. C’est elle qui, en liaison avec les autres ministères et institutions concernés, assure la gestion des situations d’urgence sanitaires. C’est elle qui prépare les réponses aux risques sanitaires liés à des événements naturels, des épidémies – cela a été le cas pour la pandémie grippale H1N1 –, des accidents technologiques ou des actes de terrorisme. Il faut ici rappeler que dès avant 2007, la DGS a toujours été chargée de la politique de prévention et de gestion des risques infectieux, notamment de la politique vaccinale.

Il me paraissait important de rappeler ce cadre institutionnel et de souligner la clarification des compétences intervenue entre nos deux directions.

Pour autant, comme il est d’usage et de bonne pratique, il était normal que toutes les directions d’administration centrale se mobilisent autour du cabinet et aident la DGS. Pour la gestion de la pandémie grippale, j’ai mis en place au sein de ma direction une organisation ad hoc légère, puisqu’il ne s’agissait que d’apporter un appui. J’ai désigné un référent grippe, Marie-Ange Desailly-Chanson, conseiller médical, aujourd’hui présente à mes côtés, référent bien identifié, et pour le cabinet et pour la DGS. J’ai aussi réuni chaque semaine, et plus souvent si nécessaire, par exemple lorsque nous préparions une instruction, le deuxième conseiller médical, le conseiller technique, le chargé de communication et un correspondant par sous-direction afin de pouvoir répondre rapidement à toutes les questions.

Cette cellule est intervenue en appui du référent grippe et nous avons toujours veillé à la qualité de la communication, ascendante et descendante, de façon à être très opérationnels. Par ailleurs, répondant à une demande à la fois de la DGS et du cabinet, comme étaient alors affectés à ma direction les conseillers généraux des établissements de santé, j’en ai mis cinq à disposition de la DGS, mobilisables en priorité pour la gestion de la pandémie, jusqu’à ce que celle-ci retombe au niveau IV. Disponibles, ces conseillers ont été plus ou moins mobilisés durant la période. Enfin, j’ai veillé à ce que dans les ARH, dont j’avais alors la responsabilité, soit également désigné un référent grippe bien identifié, nous servant de relais d’information. Nous avons toujours répondu très rapidement à leurs questions par l’intermédiaire de notre référent grippe et leur avons toujours adressé très vite les instructions, afin d’éviter tout retard dans leur application.

Nous avons eu deux axes principaux de travail. Le premier a été de préparer les établissements à la prise en charge des victimes de la pandémie : nous avons commencé à y travailler dès le printemps dernier, en juin de façon très opérationnelle. Le deuxième a été de préparer la vaccination des personnels des établissements de santé. De par nos compétences, notre rôle se bornait là.

Pour ce qui est de la préparation des établissements, j’ai signé deux instructions essentielles, le 6 août 2009 et le 24 septembre 2009, en veillant chaque fois à les rédiger de manière concise et précise de façon qu’elles apportent des réponses sans ambiguïté aux établissements. Celle du 24 septembre concerne notamment la déprogrammation des activités pour faire face à un afflux éventuel de victimes de la pandémie.

Nous avons été très vigilants sur plusieurs points. Tout d’abord, nous avons fait en sorte que les centres 15 puissent faire face à un afflux d’appels. Nous savions que, dans leur grande majorité, ils étaient capables d’absorber un doublement des appels. En nous fondant sur ce qui avait été vécu dans l’hémisphère Sud et en tirant les leçons de la saturation survenue en Grande-Bretagne suite à l’afflux d’appels à la fin de l’été 2009, nous avons renforcé leurs équipements techniques et leurs moyens en personnels pour qu’ils puissent répondre à un triplement. Il faut ici préciser que le plan urgences mis en place de 2005 à 2008 avait déjà considérablement augmenté leurs moyens en personnel médical et que le nombre de permanenciers avait également été renforcé en 2007-2008. Nous sommes allés plus loin en demandant que des locaux soient adaptés avec des postes supplémentaires de réception des appels et que des personnels soient formés pour intervenir transitoirement en cas de besoin.

Nous nous sommes ensuite assurés que les plans blancs des établissements de santé étaient parfaitement opérationnels – ce qui suppose qu’ils soient régulièrement actualisés et donnent lieu à des exercices suffisants –, et permettaient d’établir une déprogrammation intelligente d’activité, sans mettre à mal la capacité des établissements à répondre aux besoins sanitaires non liés à la pandémie grippale. Nous avons également vérifié que l’annexe biologique ad hoc « pandémie grippale » qui figure dans chaque plan blanc était bien à jour. Enfin nous avons veillé, comme cela était clairement demandé dans l’instruction du 6 août, à ce qu’il y ait un référent grippe, clairement identifié, assurant le lien à la fois avec l’ARH et avec nous, de façon là encore, à faciliter la circulation de l’information, du bas vers le haut et du haut vers le bas.

Le dernier point auquel nous avons prêté une attention particulière, non des moindres, avait trait aux capacités de réanimation, compte tenu des syndromes de détresse respiratoire observés chez certains patients. Dès juin 2009, nous avions mené une enquête pour recenser l’ensemble des respirateurs, en sus des équipements des salles de réanimation. Nous avons renforcé les possibilités de prise en charge en commandant, de manière exceptionnelle, cent respirateurs de haut niveau et trente-quatre dispositifs ECMO qui, judicieusement répartis par zone de défense, devaient permettre de faire face à une augmentation brutale des besoins qui pouvaient être importants compte tenu du tableau clinique de cette pandémie.

J’en viens à la préparation de la vaccination des personnels hospitaliers. L’instruction essentielle sur le sujet date elle aussi du 24 septembre 2009 – pour lever toute ambiguïté, il y a bien deux instructions datées du 24 septembre, l’une relative à la déprogrammation d’activité, l’autre à la vaccination des personnels. Cette instruction permettait d’identifier, au vu des priorités arrêtées et validées par le Premier ministre, les personnels à vacciner en priorité et les modalités de traçabilité de leur prise en charge. Dès le début, nous avons insisté sur la nécessité d’une information parfaitement transparente. Convaincus que la réfutation de certains arguments qui circulaient alors sur internet et la mobilisation des personnels passaient par la parole du corps médical, nous avons toujours renvoyé les établissements vers des sites où ils pouvaient trouver une information complète et fiable. Nous pensions que c’était les médecins qui pouvaient, dans les établissements, faire prendre conscience aux autres personnels soignants de l’intérêt de la vaccination – laquelle est toujours restée un acte volontaire – et amener à ce qu’un maximum d’entre eux se fasse vacciner.

Nous avons par ailleurs, à titre accessoire, en appui à la DGS, apporté notre expertise de terrain. C’est à ce titre que nous avons participé à la cellule de crise à partir du 27 avril 2009. C’est le plus souvent notre référent grippe, Marie-Ange Desailly-Chanson, qui a assisté à ces réunions. Je me suis astreinte à assister personnellement à la réunion hebdomadaire organisée sous la présidence du directeur de cabinet de juin à octobre 2009. À partir d’octobre, nous avons travaillé de manière plus restreinte au niveau du cabinet avec le directeur général de la santé, en apportant notre expertise sur la manière de mobiliser les personnels des établissements de santé pour qu’ils se fassent vacciner et les internes, les externes et les élèves infirmiers pour qu’ils participent à la vaccination. Ma direction, compte tenu de ses responsabilités en matière de formation des personnels médicaux et paramédicaux, est sans doute celle qui était le mieux à même de le faire. Enfin, j’ai moi-même organisé des conférences téléphoniques avec les établissements, notamment pour nous assurer lors de la préparation des instructions, que nous voulions précises et concises pour qu’elles soient immédiatement opérationnelles, que leurs dispositions étaient parfaitement intelligibles, sans ambiguïté et répondaient aux interrogations des établissements.

J’ai également participé, en appui, aux conférences de presse et à la validation de certains documents. Enfin, nous avons été, comme se doit de l’être une administration centrale, à l’écoute des signaux transmis par nos interlocuteurs hospitaliers habituels mais aussi par des organisations syndicales de médecins libéraux, et les avons répercutés.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je vous remercie, madame la directrice, et laisse la parole à notre rapporteur.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Le directeur de l’AP-HP, que nous avons auditionné avant vous, nous a indiqué qu’environ 30 % des personnels non soignants et 60 % des médecins de l’AP-HP s’étaient fait vacciner. Pourriez-vous nous communiquer les chiffres au niveau national ? Il nous a également indiqué le montant des dépenses spécifiques engagées par l’AP-HP et compensées au titre des missions d’intérêt général. Quel est ce montant au niveau national ?

Il semble qu’à l’AP-HP, internes et élèves infirmiers aient été envoyés vacciner un peu partout, parfois très loin de chez eux. Dans ma petite ville, ce sont les élèves de l’Institut de formation en soins infirmiers qu’on a envoyés dans le centre de vaccination qui n’était pas loin. Mais comment cela s’est-il passé dans les autres villes de France ? Avez-vous eu des remontées de terrain négatives ? En effet, ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce sont plus les aspects négatifs que les aspects positifs, afin de faire mieux la prochaine fois.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Le positif nous intéresse aussi.

M. le rapporteur. Bien sûr.

Un autre question est de savoir si des centres de vaccination auraient pu être organisés dans les hôpitaux, du moins certains d’entre eux, à Paris ou en province.

Mme Annie Podeur. Pour estimer le nombre et la proportion de personnels hospitaliers vaccinés, nous disposons maintenant des remontées de la CNAMTS par le biais des coupons Ameli, outils de traçabilité.

M. le rapporteur. Les bons de vaccination ont-ils aussi été utilisés dans les hôpitaux ? Les personnels de santé ont en effet été vaccinés avant la population générale.

Mme Annie Podeur. Oui. Ils n’ont pas reçu de bon à domicile, mais celui-ci était tiré dans l’établissement au moment où ils se faisaient vacciner, rempli puis adressé à un centre de traitement.

Le pourcentage de personnels de santé vaccinés, médecins et non médecins, s’établit entre 37 % et 44 %. Pourquoi une fourchette ? On est sûr du chiffre de 37 % jusqu’au 3 décembre 2009, mais ensuite, dans la mesure où à partir de cette date la vaccination dans les établissements de santé a été ouverte à l’entourage des personnels, voire à des personnes extérieures, la borne haute de 44 % inclut aussi ces catégories-là.

Nous disposons par ailleurs de statistiques déclaratives fournies par les établissements eux-mêmes. On était ainsi à 44 % au CHU d’Angers, 43 % au CHU de Clermont-Ferrand, 31 % aux Hospices civils de Lyon, 30 % au CHU de Saint-Étienne, mais à 17 % seulement au CHR d’Orléans et 15 % au CHR de Metz.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pourquoi a-t-on soudainement à compter du 3 décembre ouvert la vaccination dans les hôpitaux à des personnes extérieures ?

Mme Annie Podeur. C’est le cabinet qui en a fait le choix devant la saturation de certains centres de vaccination les derniers week-ends de novembre.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Les centres n’étaient plus saturés à cette date.

Mme Annie Podeur. Fin novembre, si.

M. Yves Bur. Est-il arrivé que les lieux de vaccination à l’hôpital soient saturés ?

Mme Annie Podeur. Non. C’est d’ailleurs pourquoi il était possible d’envisager leur ouverture à des personnes extérieures.

M. Bernard Debré. On n’a pas vacciné de personnes extérieures à l’hôpital.

Mme Annie Podeur. Si, dans quelques établissements, y compris de l’AP-HP, l’entourage des personnels de santé mais aussi d’autres populations ont pu se faire vacciner. Trois centres, je ne peux pas certifier ici ce nombre, ont été ouverts.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Et comment la population en a-t-elle été informée ?

Mme Podeur. Je pense qu’elle l’a été surtout par son entourage.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Voilà un ordre venu du cabinet du ministre, diffusé dans le monde hospitalier, transmis au reste de la population par le bouche à oreille selon qu’on avait ou non la chance de connaître des personnels hospitaliers, et ce pour éviter de prétendus embouteillages dans les centres de vaccination. Étrange…

Mme Annie Podeur. L’extension s’est faite le 3 décembre sur demande du cabinet, après que des établissements l’avaient informé que, leurs centres internes n’étant pas saturés, il leur était possible de vacciner d’autres personnes que celles de l’entourage des personnels. Dès que la vaccination a été ouverte à l’entourage, ce qui était une demande assez forte des personnels eux-mêmes, inévitablement des personnes qui passaient par là – des témoignages m’ont été rapportés en ce sens, à Lille par exemple – sont venues se faire vacciner sans bon, lequel était alors aussi tiré sur place.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. La campagne de vaccination du personnel médical a commencé en octobre. Avez-vous eu connaissance à un moment donné de difficultés à vacciner les personnels des établissements hospitaliers d’octobre à décembre ?

Mme Annie Podeur. Non.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Des difficultés sont apparues, en novembre, une dizaine de jours après le début de la vaccination du public. Or, ce n’est que le 3 décembre que la vaccination a été ouverte plus largement dans les hôpitaux. J’y insiste parce que le directeur de l’AP-HP nous a dit tout à l’heure qu’il n’avait jamais proposé que la vaccination se fasse dans ses établissements, mais qu’il avait le sentiment que cela aurait été possible. Vous nous dites, vous, que cela s’est fait, sans que presque personne n’en soit informé. C’est un élément intéressant. Je rappelle que nous ne cherchons pas ici à épingler des responsables, mais à réfléchir aux moyens d’améliorer les choses une prochaine fois.

Mme Annie Podeur. Nous étions au stade d’une expérimentation, limitée à une quinzaine d’établissements, sur instruction du directeur de cabinet et sur message de ma part d’ailleurs. Le directeur de cabinet a signé lui-même une instruction le 7 janvier 2010 car on ne se trouvait là hors de mon champ de compétences, demandant à tous les établissements sièges de SAMU d’organiser en leur sein un centre de vaccination ouvert à la population.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Le 7 janvier, il n’y avait plus de problème puisque la vaccination a alors été ouverte aussi aux médecins libéraux.

M. Guy Lefrand. On s’est aperçu début décembre qu’il y avait des disponibilités dans les hôpitaux pour vacciner. L’idée d’utiliser les hôpitaux comme centres de vaccination a-t-elle été à un moment évoquée ? Si oui, pourquoi n’a-t-elle pas été retenue, sachant qu’in fine, cela s’est tout de même fait ? A posteriori, pensez-vous qu’on aurait dû exploiter cette possibilité ?

M. le rapporteur. Les centres de vaccination de ville ont été ouverts le 12 novembre. La première semaine, il n’y a pas eu grande affluence. Mais une mutation possible du virus en Norvège ayant été annoncée dans les médias le 24 novembre, dès le lendemain, se formaient des files d’attente…

Mme Annie Podeur. Tout à fait.

M. le rapporteur. … qui ont duré une semaine, jusqu’à ce qu’on apprenne que cette mutation était bénigne, après quoi le nombre des candidats à la vaccination a de nouveau chuté. N’y a-t-il pas une relation entre l’affluence qui a suivi l’annonce de cette mutation et l’ouverture plus large demandée dans les établissements de santé ?

Mme Annie Podeur. Je confirme que cette décision, prise à effet du 3 décembre, était liée à l’engorgement ponctuel constaté lors des derniers week-ends de novembre.

Mme Catherine Génisson. A-t-il été accepté d’emblée que l’entourage des personnels hospitaliers puisse se faire vacciner dans les hôpitaux ?

Le 3 décembre semble avoir été une date clé. Est-ce simplement parce qu’on s’est rendu compte que les hôpitaux pouvaient vacciner en nombre ou y a-t-on été poussé parce que les centres de vaccination de ville étaient surchargés ?

Mme Annie Podeur. La question est : a-t-on songé à un moment que la vaccination puisse être pratiquée dans les établissements hospitaliers, voire exclusivement dans les établissements hospitaliers ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pas nécessairement. Entre autres dans les établissements hospitaliers.

Mme Annie Podeur. Certains établissements, en nombre limité, possèdent des centres de vaccination qui fonctionnent de manière pérenne avec une organisation ad hoc.

Notre souci à nous, je l’ai dit, était de préparer les établissements à l’accueil des patients grippés et de préserver leur potentiel de personnels à cet effet. Nous ne souhaitions pas que l’on dérive trop vers l’organisation de vaccinations massives dans les établissements car les personnels n’auraient pas pu tout faire en même temps.

Toutes les instructions indiquaient qu’il fallait d’abord protéger les personnels hospitaliers, de façon qu’ils puissent prendre en charge les cas graves, et que ce n’était qu’en dernier ressort qu’on pouvait les mobiliser pour la vaccination massive – d’une ampleur jamais connue en France. C’est pourquoi nous avons veillé tout d’abord à l’approvisionnement des pharmacies, ensuite à la mise en place de consultations dédiées dans plusieurs hôpitaux – nous avons eu jusqu’à 400 établissements pouvant accueillir en priorité les patients atteints du virus. Le parti avait été pris dès le départ d’organiser des centres de vaccination à l’extérieur des établissements de santé. En revanche, pour des raisons de célérité et de bonne utilisation, notamment de vaccins pluriels, livrés dans des délais que l’on ne maîtrisait pas nécessairement au moment où on a organisé la vaccination, il avait été décidé que la vaccination des professionnels de santé hospitaliers aurait lieu à l’hôpital, ainsi d’ailleurs que celle des médecins libéraux, tant que les centres de ville n’étaient pas encore en place – la vaccination a été ouverte aux libéraux dès novembre. La priorité a été de vacciner les professionnels de santé, médicaux et paramédicaux, selon l’ordre de priorité fixé par le Premier ministre. L’instruction d’élargissement du dispositif de vaccination à l’entourage des personnels date du 2 décembre 2009, d’où la date d’entrée en vigueur que je vous ai indiquée du 3 décembre.

M. Guy Lefrand. Vous nous dites que vous souhaitiez réserver les personnels hospitaliers pour la prise en charge des patients atteints du virus. Dans le même temps, le directeur de l’AP-HP nous l’a dit tout à l’heure, 220 internes par jour étaient mobilisés pour aller vacciner dans des centres, qu’ils trouvaient parfois fermés ou qui n’étaient pas en état de fonctionner. N’aurait-il pas été possible d’organiser au sein de certains hôpitaux, sans que cela soit exclusif de centres extérieurs, des centres de vaccination afin que les personnels hospitaliers n’aient pas à se déplacer ?

M. Bernard Debré. Une logique m’échappe. Vous nous dites qu’on ne pouvait pas vacciner dans les hôpitaux, parce que les personnels devaient rester disponibles en cas de grippe dangereuse, mais dans le même temps, on les envoyait vacciner à l’extérieur – 220 internes par jour pour l’AP-HP seulement ! Les hôpitaux ont été dégarnis au profit de centres de vaccination qui ne marchaient pas. Qu’aurait-on fait s’il y avait eu alors « un coup de feu » à l’hôpital ?

Mme Annie Podeur. Tel qu’initialement conçu, le dispositif devait, dans les centres de vaccination organisés sous la responsabilité de la DGS, faire appel à des volontaires. Force est de constater que ceux-ci n’ont pas été légion, c’est le moins qu’on puisse dire. C’est pourquoi, cela avait été prévu dans l’instruction, il m’a été demandé ex post, fin novembre, de mobiliser des internes, des étudiants en médecine et des élèves infirmiers quand on s’est aperçu que les centres ne pouvaient pas fonctionner sans leur renfort massif.

Pour vous répondre, monsieur le rapporteur, oui, il y a eu des difficultés importantes et massives en région parisienne pour des raisons à la fois d’organisation territoriale au niveau des services déconcentrés et d’effets d’échelle. En revanche, d’après les remontées que nous avons eues, y compris de grandes villes, je pense à Lyon ou Clermont-Ferrand, où le nombre d’internes mobilisés a été remarquable, nous pouvons dire que les choses se sont globalement bien passées, sans difficulté particulière pour les personnels  mobilisés. Ils n’étaient certes plus présents à l’hôpital, mais on y avait laissé tous les personnels seniors. Il n’y a donc pas d’incohérence, monsieur Debré. On a simplement donné la possibilité à des médecins et des infirmières, en-dehors de leurs obligations de service et sur la base du volontariat, de se joindre à l’effort collectif national. S’agissant des internes et des externes, nous avons toujours veillé à ce que la tâche ne soit pas trop lourde et contraignante en sus de leurs obligations de service et à ce qu’ils soient correctement indemnisés, ce qui était bien le moins. Ma responsabilité était, au vu de demandes formalisées qui devaient d’ailleurs faire l’objet d’une concertation entre les équipes opérationnelles départementales, la direction des affaires médicales des hôpitaux « fournisseurs » d’internes et d’externes et les IFSI « fournisseurs » d’élèves infirmiers, d’ajuster au mieux les plannings. Y compris à l’AP-HP, la direction des affaires médicales a fait un travail remarquable, salué par les syndicats d’internes. Ceux-ci ont bien perçu l’effort de recherche d’adéquation mais aussi compris que les besoins en amont n’étaient pas toujours évalués de façon assez précise pour que le service rendu corresponde aux moyens mobilisés. Je pense que les services déconcentrés ont rencontré une vraie difficulté pour armer un nombre très important de centres de vaccination, dispersés aux quatre coins de la région parisienne.

Mme Catherine Génisson. En dépit de la qualité des instructions données, je ne pense pas que cela se soit passé aussi bien que vous le dites, vous le reconnaissez d’ailleurs. Si la réquisition des internes s’est effectuée dans d’assez bonnes conditions, en dépit de quelques difficultés ici ou là, c’est à leur arrivée dans les centres de vaccination qu’il y avait des problèmes, leur présence n’étant pas toujours opprtune. N’a-t-on jamais proposé de mobiliser moins de personnels à l’extérieur mais de permettre en revanche de vacciner davantage in situ ?

Mme Annie Podeur. Les arbitrages ont été rendus…

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Madame la directrice, vous avez insisté, à juste titre, sur le fait que vous n’étiez pas en charge de la vaccination de la population, mais seulement de celle des personnels de santé. C’est un fait. À partir du moment où l’essentiel des personnels de santé qui le souhaitaient avaient été vaccinés – j’aimerais d’ailleurs savoir en combien de temps et quand ce plafond a été atteint –, comment se fait-il que n’ait jamais été formulée l’idée, qui paraît évidente, d’utiliser les capacités hospitalières pour vacciner la population ? Est-ce dû à l’existence de deux directions centrales chargées, l’une de la vaccination des personnels, l’autre de la vaccination de la population, travaillaient chacune de leur côté ? Vous avez dit que les centres de vaccination avaient été installés dans des « lieux identifiables ». Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par là car un hôpital est, me semble-t-il, un « lieu identifiable » par la population comme un lieu où on peut se faire vacciner ?

Mme Annie Podeur. On ne peut pas véritablement parler de centres de vaccination dans les établissements de santé. Des équipes y avaient simplement été mises sur pied, qui se sont relayées et ont travaillé avec des moyens ad hoc pour assurer dans les meilleurs délais la couverture vaccinale des personnels de santé qui y exerçaient. Les établissements, auxquels on en avait d’ailleurs laissé la latitude, ont ensuite adapté les ressources déployées aux flux enregistrés. Il est évident que la mobilisation a été plus forte les premières semaines.

Le choix avait été fait d’organiser des centres de vaccination spécifiques hors des établissements de santé pour l’ensemble de la population. Là encore, ma direction n’est intervenue qu’en appui et à la demande.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous ne cherchons pas des responsables, mais simplement à mieux comprendre ce qui s’est passé. Vous n’avez pas répondu à ma question : une fois vaccinés 37 % à 40 % des professionnels de santé, votre mission pouvant dès lors être considérée comme remplie, et certains établissements ayant même vacciné des personnes extérieures, comment se fait-il qu’on n’ait pas vu, dans la direction voisine de la vôtre, qu’on disposait de capacités supplémentaires dans les établissements eux-mêmes ?

Je souhaiterais que vous nous transmettiez l’instruction du 2 décembre…

Mme Annie Podeur. … relative à la vaccination de l’entourage des personnels. C’est une instruction du 7 janvier qui a ouvert plus largement les possibilités.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. L’instruction de décembre donnait la possibilité aux gens du quartier de se faire vacciner dans les hôpitaux ?

Mme Annie Podeur. Il n’y a jamais eu d’instruction pour les gens du quartier. Ont été vaccinés ceux qui passaient et souhaitaient se faire vacciner.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. C’est aussi ce qui s’est passé dans les centres de ville. On avait dit aux personnes de se présenter avec leur bon de vaccination, mais celles qui venaient sans ont pu être vaccinées quand même.

Mme Catherine Génisson. Il est arrivé aussi qu’on fasse repartir des personnes venues sans bon !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cela a varié selon les périodes.

Mme Annie Podeur. Personne n’a proposé d’ouvrir au reste de la population le dispositif de vaccination mis en place dans les établissements de santé. Mais si on nous l’avait demandé, les personnels n’auraient pas pu à la fois soigner les malades, vacciner à l’extérieur pour les internes et les personnels infirmiers, et assumer une tâche supplémentaire au sein des établissements. Des choix s’imposent à un moment. Il eût fallu qu’il y ait une substitution. Or, telle n’a pas été la décision prise.

M. Yves Bur. On a considéré que les hôpitaux étaient d’abord destinés à accueillir les patients atteints du virus et à les soigner, et on s’est organisé en fonction de cela. Le même raisonnement a prévalu pour les généralistes qu’on a souhaité au début réserver aux soins des malades.

Mme Annie Podeur. Exactement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Le ministère de la santé avait en effet dit au départ qu’il souhaitait que les généralistes restent disponibles pour faire face à l’afflux des malades et en assurer le premier accueil.

Mme Annie Podeur. En fin d’année, les établissements de santé, notamment publics, sont en général débordés par les épidémies saisonnières. Ce n’est pas à ce moment-là qu’on peut prendre le risque de les dégarnir, notamment dans certains services sensibles, et d’affecter une partie de leurs personnels – seniors j’entends –, médicaux et paramédicaux, à une mission vaccinale de santé publique qu’ils ne sont pas a priori destinés à assumer
– sauf s’il existe un centre de vaccination pérenne dans l’établissement, ce qui est l’exception.

Vous souhaitez connaître le montant de l’enveloppe nationale accordée au titre des missions d’intérêt général pour faire face à la pandémie grippale. Nous avons, à titre provisionnel, prévu dans la circulaire du 2 novembre 2009 un montant de dix millions d’euros, réparti entre les régions au prorata de leur population, en demandant aux ARH de contrôler, avant tout versement, les justificatifs de surcoûts présentés. Durant toute la période, l’activité supplémentaire générée par la pandémie, et cette activité a existé, expliquant d’ailleurs pour partie le dépassement de l’ONDAM enregistré en 2009, était intégralement rémunérée au titre de la tarification à l’activité. Nous allons maintenant examiner à partir des remontées du terrain, mais je n’en ai pas encore le détail, comment ces dix millions ont été effectivement utilisés.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Sachez déjà qu’il y a un million d’euros pour l’AP-HP, son directeur nous l’a dit tout à l’heure.

Mme Annie Podeur. Il devra le justifier. Cela dit, 10 % de l’enveloppe totale pour l’AP-HP, c’est logique.

M. le rapporteur. Allez-vous prochainement évaluer la façon dont ont été gérés les internes, les externes et les élèves infirmiers ?

Mme Annie Podeur. S’agissant des internes et des externes, les frais engagés par les établissements pour couvrir leur rémunération, hors obligations de service ou de stage, sont « traçables », dans la mesure où ils sont présentés à la CPAM pour être remboursés. Pour l’instant, on arrive pour l’ensemble du pays à une dépense de 3,6 millions d’euros. Mais il a un vrai problème de traçabilité. Or, nous ne pouvons, nous, payer que sur un état de services produit par l’équipe opérationnelle départementale.

Mme Catherine Génisson. Connaît-on la proportion de personnels hospitaliers tant médicaux que paramédicaux qui ont permis aux centres de vaccination de fonctionner ?

Mme Annie Podeur. Non. C’est une question qu’il faut poser à la DGS qui avait la charge des centres de vaccination et dispose peut-être, via les équipes opérationnelles départementales, d’un planning global des personnels mobilisés. Pour ma part, je sais simplement quel a été le pourcentage d’internes mobilisés sur tel ou tel site. C’est ainsi que j’ai pu vous dire que dans certains établissements, il y avait eu une forte mobilisation des internes, sans que cela ait créé de difficultés parce que cela avait été organisé en étroite concertation entre l’équipe opérationnelle départementale et la direction des affaires médicales de l’établissement de rattachement.

Mme Catherine Génisson. Je comprends que vous ne puissiez pas répondre mais il sera important pour nous d’avoir cette information.

La mobilisation des personnels médicaux et paramédicaux pour la vaccination a-t-elle entraîné beaucoup de déprogrammations d’activités dans les hôpitaux au niveau national ?

Mme Annie Podeur. Les déprogrammations ont été tout à fait exceptionnelles et très ponctuelles, sur deux ou trois jours. En revanche, l’activité, notamment des unités de réanimation, a été très soutenue. On a enregistré un net surplus d’activité liée à la prise en charge des cas graves.

Mme Catherine Génisson. A-t-on ou non manqué de lits de réanimation ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je me souviens avoir lu dans la presse courant octobre ou début novembre – mais tant de choses ont été écrites qui étaient parfois des sottises ! –, que nous avions peut-être atteint notre capacité maximale en matière d’accueil pour détresse respiratoire. L’avez-vous vous-même constaté et quel est le nombre maximal de personnes qui auraient pu être prises en charge au niveau national en cas de forte pandémie ?

Mme Annie Podeur. À ma connaissance, si certaines unités de réanimation ont pu être saturées sur un laps de temps très court, les contraignant à orienter les patients vers d’autres unités, comme cela arrive fréquemment à certaines périodes de l’année, cela est resté exceptionnel. Une enquête que nous avions menée en juin 2009 avait recensé, au-delà des capacités des unités de réanimation qui sont de 4 967 lits et 7 007 respirateurs, 5 311 lits et 1 165 respirateurs dans les unités de surveillance continue, 8 433 lits et 3 867 respirateurs dans les salles de soins post-interventionnelles, enfin quelque 8 000 respirateurs dans les salles d’opération. Auraient donc pu être pris en charge 20 000 patients.

M. Guy Lefrand. Vous nous avez dit, madame la directrice, qu’un référent grippe avait été désigné dans chaque ARH. Le directeur de l’AP-HP ne se souvenait pas que les ARH avaient été associées au dispositif, en tout cas à son niveau. Pouvez-vous nous préciser quel a été leur rôle ?

Le taux moyen de 40 % de personnes vaccinées parmi les personnels soignants vous paraît-il satisfaisant ? Sinon, pourquoi, à votre avis, la campagne n’a-t-elle pas suscité davantage d’adhésion ?

Mme Annie Podeur. S’agissant du rôle des ARH, la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) a modifié les modalités de tutelle de l’AP-HP mais les nouvelles n’entreront en vigueur que prochainement. L’AP-HP a bénéficié d’un traitement particulier en étant associée, en tant que telle, à toutes les conférences téléphoniques que j’ai organisées avec les ARH. Je tiens d’ailleurs ici à rendre hommage aux ARH, structures qui, sur le point de cesser leur activité, avec donc des effectifs très diminués, ont été très présentes. Si nous avons pu collecter chaque semaine des données comme la montée en charge du taux de vaccination avant que nous puissions disposer de données parfaitement traçables par le biais des coupons Ameli, c’est grâce à elles.

N’étant pas médecin, il ne m’appartient pas de juger du taux de couverture vaccinale parmi les personnels soignants. Sachez que le taux de vaccination a été très supérieur à celui enregistré habituellement pour la grippe saisonnière, et que celui des médecins a été exceptionnellement élevé. Je pense sincèrement que l’exemple donné par les médecins a participé de la mobilisation des autres personnels qui, comme chacun d’entre nous, confrontés à certaines informations diffusées dans la presse ou sur internet, pouvaient vraiment hésiter à se faire vacciner. Cela a certainement été l’un des facteurs de succès
– relatif certes mais de succès néanmoins – de cette campagne vaccinale.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le rapporteur, vous nous avez dit tout à l’heure qu’il y avait eu une soudaine affluence dans les centres fin novembre-début décembre après l’annonce d’une mutation du virus en Norvège. En réalité, entre le 19 novembre et le 3 décembre, on était à environ 1,7 million de personnes vaccinées. C’est entre le 3 décembre et le 17 décembre qu’on est passé de 2 à 4 millions. C’est à ce moment-là qu’il y a eu réel afflux.

Mme Annie Podeur. En effet.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il semble qu’il y ait eu une pression des personnels de santé pour que leur entourage puisse être vacciné.

Mme Annie Podeur. C’est vrai.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. D’où vraisemblablement l’instruction du 2 décembre.

Pourriez-vous ultérieurement nous dire plus précisément par écrit dans quelles périodes les personnels de santé ont été vaccinés ? Débutée en octobre, je pense que leur vaccination devait être terminée depuis un certain temps le 3 décembre, en tout cas pour le plus grand nombre d’entre eux.

Mme Annie Podeur. Non, je crois que le taux augmentait encore. Quoi qu’il en soit, nous vous communiquerons les statistiques dont nous disposons.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cette pression des personnels de santé pour que leur entourage puisse être vacciné tient sans doute aussi au fait que certains centres n’étaient pas suffisamment ouverts. C’est en effet à peu près au même moment qu’on a décidé de les ouvrir plus largement. Ce qui m’interpelle est qu’on a ouvert plus largement la vaccination dans les établissements de santé, sans aucun caractère officiel.

Enfin, vous avez dit, même si j’ai bien compris que cela ne relevait pas de la responsabilité de votre direction, qu’il y avait eu des difficultés d’organisation « importantes et massives » dans les centres de vaccination de la région parisienne. Pourriez-vous, comme nous ne pouvons pas poursuivre par trop longuement votre audition au-delà de l’horaire prévu, nous préciser ultérieurement par écrit ce que vous entendez par là.

Mme Annie Podeur. Je vous renvoie très clairement, monsieur le président, aux décisions, y compris administratives, qui ont pu être prises concernant l’encadrement des services déconcentrés en région parisienne.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Certains responsables n’auraient pas poursuivi leur mission ?

Mme Annie Podeur. Je ne suis pas en mesure et ce n’est pas de ma compétence, d’apprécier l’adéquation du dispositif dans les centres de vaccination à la prise en charge d’une population nombreuse, avec des services déconcentrés qui étaient ce qu’ils étaient à l’époque et qui ont été très mobilisés.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Qu’entendez-vous par « décisions concernant les services déconcentrés » ?

Mme Annie Podeur. Je pense à la direction des affaires sanitaires et sociales de Paris.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ce n’était pas pour vous le faire dire mais être sûr de ne pas faire de mauvaise interprétation.

Mme Annie Podeur. Je le redis, je n’ai aucune appréciation à porter. Je peux simplement vous dire, puisque j’étais chargée de capter les signaux, que les signaux ont été, de la part notamment des jeunes internes et des élèves infirmiers, répétés.

Nous vous adresserons un graphique, aussi exploitable que possible, de la montée en charge des vaccinations sur un échantillon de population. Vous n’aurez pas de chiffre en valeur absolue, c’est la courbe qui importera.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Madame la directrice, je vous remercie.

La séance est levée à dix-neuf heures cinq.

Audition de M. Laurent Degos,
président du collège de la Haute Autorité de santé (HAS)


(Procès-verbal de la séance du mercredi 7 avril 2010)

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La séance est ouverte à dix-neuf heures cinq.

(M. Laurent Degos prête serment.)

M. Laurent Degos, président du collège de la Haute Autorité de santé. Je vous rappellerai tout d’abord rapidement les attributions de la Haute Autorité de santé. Elle évalue les médicaments, les dispositifs médicaux et les actes professionnels en vue de leur remboursement et de leur bon usage. C’est la commission de la transparence qui évalue les médicaments, et c’est son président, Gilles Bouvenot, présent à mes côtés, qui répondra, si vous le permettez, à toutes vos questions sur les médicaments. La Haute Autorité de santé formule également des recommandations de bonnes pratiques de sécurité et de santé publique, ainsi que pour la prise en charge à 100 % de certains produits dans le cadre des affections de longue durée. Enfin, elle certifie les établissements de santé, l’information médicale, comme les sites « e-santé », et accrédite les médecins.

Dans le cadre de la campagne de vaccination contre la grippe A, elle n’a été saisie qu’une fois, le 6 janvier 2010, par le directeur de la sécurité sociale et la ministre de la santé qui ont sollicité son avis pour le remboursement de la vaccination par les médecins libéraux, à un tarif précis. Elle a donné sa réponse dans l’heure, qu’elle a fait porter par coursier.

Ayant été averti le week-end précédent de l’éventualité de cette saisine, j’ai immédiatement pris contact avec la direction de la Haute autorité, afin de pouvoir réunir très rapidement et le collège et la commission d’évaluation des actes professionnels. Nous avons ainsi pu répondre que oui, les généralistes pouvaient pratiquer la vaccination – il me paraissait évident que les médecins pouvaient faire une injection sous-cutanée mais il n’en a pas moins fallu l’avis de la haute autorité ! En revanche, nous avons répondu que nous n’avions aucune compétence pour fixer la tarification de l’acte, sur lequel notre avis était également sollicité.

À cette période, le pic de l’épidémie était passé. J’en veux pour preuve l’interview de M. Frédéric Keck le 9 janvier 2010 dans Le Monde et l’article de M. Thierry Saussez, directeur du Service d’information du Gouvernement, en réponse dans le même quotidien le 14 janvier 2010. La Haute Autorité de santé n’a reçu aucune autre demande de la part de quiconque dans cette campagne. Alors qu’elle évalue tous les vaccins, elle n’a pas eu à évaluer ceux contre la grippe A, puisqu’ils n’étaient pas remboursés par l’assurance maladie, mais fournis par les pouvoirs publics. Quant aux antiviraux, elle les a évalués selon son calendrier habituel.

Elle n’a formulé aucune recommandation particulière sur le sujet de la grippe A afin de conforter le ministère comme émetteur unique d’information, ce qui est notre règle en cas de crise.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pourriez-vous préciser cette dernière idée ?

M. Laurent Degos. Nous n’avons aucun rôle dans la gestion des crises ni de l’urgence. En cas de crise, tout doit être géré par le ministère. Nous lui répondons lorsqu’il le faut mais nous ne nous auto-saisissons jamais, ne formulons pas de recommandations et le laissons seul en charge de l’information.

Nous nous sommes trouvés, durant cette campagne, dans une position privilégiée pour comprendre certains événements, du fait que la population était beaucoup moins sévèrement touchée qu’attendu. En tant que médecin, je suis toujours attristé par une mort, notamment provoquée par la grippe. Toute mort liée à la grippe est une mort de trop, mais force de constater pour la grippe A que la catastrophe prédite n’a, heureusement, pas eu lieu. En fait, il y a eu crise sans crise. Nous connaissons bien à la Haute Autorité de santé ces situations qu’on appelle « le presque accident », auxquelles nous nous intéressons beaucoup avec les professionnels.

Dans ces circonstances, les praticiens peuvent prendre part à la recherche des causes de l’événement sans arrière-pensée, sans chercher à se justifier ni se défendre. On a parfois été très proche de l’accident, sans qu’il arrive jamais, ce qui a permis de privilégier la recherche des causes, plus que des responsabilités, mais aussi d’identifier la barrière qui a précisément permis d’éviter l’accident, afin d’en tirer des leçons pour l’avenir. La crise attendue pour la grippe A n’a pas eu lieu. Tant mieux, il ne s’agit pas maintenant de démontrer que chaque action était justifiée mais d’en profiter pour permettre d’améliorer les campagnes futures. Le virus H1N1, que l’on attendait très virulent, ne l’a pas été autant qu’attendu. Peut-être serait-il utile pour l’avenir de mener une étude scientifique afin de mieux comprendre pourquoi.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous avons bien compris que la Haute Autorité de santé était arrivée un peu après la bataille. Je souhaiterais néanmoins vous poser quelques questions. Elle n’a pas évalué les vaccins contre la grippe A, contrairement à tous les autres, uniquement parce qu’ils étaient distribués gratuitement et qu’elle n’évalue que les produits dont est sollicité le remboursement. Il n’existe pas d’autres vaccins gratuits ? Le remboursement donne toujours l’illusion de la gratuité aux patients.

M. Laurent Degos. La Haute Autorité de santé aide à la décision au remboursement et au bon usage ensuite ; dans le cas d’espèce, le vaccin étant gratuit, il n’y avait pas de remboursement. On a sollicité notre avis seulement au moment où la vaccination allait aussi pouvoir être effectuée par les médecins libéraux.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Les antiviraux Tamiflu et Relenza, eux, sont remboursés. Vous nous avez dit avoir procédé à leur évaluation selon votre « calendrier habituel ». Vu le contexte, votre avis sur ces produits n’aurait-il pas été plus urgent que d’habitude ?

La haute autorité a rendu des avis successifs dans lesquels sa commission de la transparence a jugé le service médical rendu (SMR) de ces antiviraux modéré, voire insuffisant. Un large débat a eu lieu sur leur usage. Lors d’un colloque organisé à l’initiative de notre rapporteur, nous avons même appris qu’il existait un débat chez les scientifiques sur le fait de savoir si l’utilisation systématique du Tamiflu faisait ou non courir le risque d’une adaptation du virus, à l’instar de la résistance de certaines bactéries aux antibiotiques. Avez-vous eu aussi des débats et rendu des avis sur le sujet ?

M. Laurent Degos. Permettez-vous que ce soit Gilles Bouvenot qui réponde à cette question qui relève de la commission de la transparence ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. En théorie, ce n’est pas possible puisque vous êtes le seul à avoir prêté serment. En pratique, nous allons demander à M. Bouvenot de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de dire « Je le jure ».

(M. Gilles Bouvenot prête serment.)

M. Gilles Bouvenot, président de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé. Voyons d’abord le calendrier. La commission de la transparence est appelée à se prononcer lors de la première demande de remboursement d’un médicament par une firme, c’est ce qu’on appelle la première inscription. Pour le Tamiflu, cette première inscription a eu lieu en 2004 et pour le Relenza, en 1999. La commission a ensuite l’obligation réglementaire de réévaluer cinq ans plus tard les produits dont elle a proposé l’inscription. Mais elle est habilitée, entre temps, à revoir un médicament, à la demande des firmes ou de sa propre initiative, si elle pense que le contexte médical ou scientifique a évolué et surtout si de nouvelles données sur le produit sont disponibles.

Nous avons procédé à la première inscription du Relenza le 21 novembre 1999, alors qu’il avait obtenu son autorisation de mise sur le marché (AMM) le 26 juillet, nous l’avons revu à une date intermédiaire que je n’ai plus en tête, puis pour la dernière fois le 26 septembre 2007.

Pour ce qui est du Tamiflu, nous l’avons évalué de nombreuses fois sans jamais changer d’avis depuis sa première inscription en 2004. Nous l’avons revu en 2006 pour une extension d’indications chez l’enfant ; en 2007, à la demande de la Direction générale de la santé pour la prise en charge en prophylaxie de la grippe chez certaines populations à risques, plus exposées à des complications ; une nouvelle fois encore en 2007, de nouveaux dosages à 30 mg et 45 mg ayant été mis sur le marché alors que le dosage lors de la première inscription était de 12 mg ; le 16 avril 2008, la Direction générale de la santé nous ayant demandé de réexaminer son SMR ; le 13 mai 2009 en raison d’une modification du résumé des caractéristiques du produit qui contraignait la firme à solliciter cette réévaluation – des effets indésirables nouveaux avaient été notés. Enfin, nous l’avons revu le 21 octobre 2009 pour sa réévaluation quinquennale classique, sans précipitation ni saisine particulière, car telle est la procédure normale.

Pour déterminer le SMR du Tamiflu, nous avons distingué les propriétés curatives –raccourcit-il la durée de la grippe et évite-t-il les complications, en particulier les surinfections comme les otites ou les pneumonies ? – des propriétés prophylactiques – évite-t-il que des personnes ayant été au contact de sujets grippés contractent la grippe ? Sur le plan curatif, nous avons toujours dit que son SMR était insuffisant – insuffisant ne signifiant pas inefficace. Nous avons considéré que le raccourcissement de la durée des signes cliniques de la grippe, d’environ un jour, n’était pas suffisant pour que joue la solidarité nationale, d’autant que les essais présentés ne démontraient pas de manière formelle que ce produit réduisait l’occurrence des surinfections.

M. Gérard Bapt. Il s’agissait d’essais effectués par le fabricant.

M. Gilles Bouvenot. Comme toujours, monsieur le député.

La firme ne pouvait pas en octobre 2009 fournir de données nouvelles qui nous auraient conduit à modifier la note attribuée au produit sur le plan curatif.

Sur le plan prophylactique en revanche, nous avons été surpris du pourcentage de sujets qui, prenant du Tamiflu dans les 36 ou 48 heures après le premier contact avec un sujet grippé, pouvaient être protégées. Et nous avons distingué trois cas. Pour le sujet jeune, bien portant, sans risques particuliers de complications, même si le Tamiflu peut éviter un certain nombre de grippes, nous avons considéré, là encore, le SMR insuffisant. Pour les sujets à risques, très jeunes enfants, personnes de plus de soixante-cinq ans ou présentant des comorbidités comme une insuffisance respiratoire, un asthme, une bronchite chronique, nous avons estimé qu’il y avait lieu, pour le bénéfice des patients, d’être plus généreux dans notre note, et lui avons reconnu un SMR faible – un SMR faible différant à l’époque fort peu d’un SMR modéré, l’incidence sur le remboursement étant la même. Je rappelle pour mémoire que le remboursement est de 65 % lorsque le SMR est important, qu’il était de 35 % en cas de SMR modéré ou faible et qu’il a maintenant été ramené à 15 % en cas de SMR faible, ce taux de 15 % n’étant d’ailleurs pas encore entré en vigueur, le texte n’ayant été publié qu’en janvier.

Nous avons reconnu le SMR du Tamiflu modéré chez des patients à risques dont il nous semblait qu’il fallait éviter à tout prix qu’ils contractent la grippe – patients « institutionnalisés », patients immuno-déprimés, patients ayant une protection vaccinale incomplète par rapport à la souche circulante – sur ce plan, nous faisions presque de l’anticipation en nous demandant si la vaccination couvrirait le virus de l’année prochaine car nous avons toujours raisonné en termes de grippe saisonnière – , adolescents ou personnes de plus de soixante ans avec des comorbidités, patients présentant une contre-indication au vaccin. J’insiste sur ce dernier point : le collège de la Haute Autorité de santé a toujours eu le souci que les médicaments contre la grippe ne servent pas d’alibi pour ne pas vacciner. Pour nous, le traitement de la grippe, c’est la vaccination. Ni les professionnels de santé ni les patients ne devaient un seul instant penser que le Tamiflu pouvait remplacer la vaccination.

Vous le voyez, notre position sur le Tamiflu n’a jamais varié, non plus que sur le Relenza qui s’est vu reconnaître le même niveau de SMR.

Notre commission a eu la possibilité le 21 octobre 2009, à l’échéance quinquennale normale de réévaluation, de se prononcer sur le Tamiflu, alors qu’une pandémie avait menacé – ou menaçait encore, nous n’en savions rien à l’époque. Eh bien, vous serez sans doute déçus que la commission ait déclaré ne disposer d’aucune donnée permettant de dire quelle serait l’utilité, même potentielle, du Tamiflu dans un contexte de pandémie. La question nous préoccupait, elle taraudait même les infectiologues de la commission, mais nous étions dans l’incapacité d’y répondre, ne disposant pas notamment des données concernant l’hémisphère Sud, que d’autres peut-être avaient. La question ne nous a d’ailleurs pas été posée, ce que je comprends parfaitement. La commission de la transparence est composée de professionnels de santé pluridisciplinaires, apportant l’expertise de spécialistes de très haut niveau, mais elle n’est pas l’instance publique décidant d’une politique vaccinale.

Pour conclure, le Tamiflu nous a paru utile dans un certain nombre de cas ciblés, mais, je le rappelle, nous avons réalisé son évaluation en raisonnant en termes de grippe saisonnière traditionnelle. Nous ne pouvions pas dire si le Tamiflu aurait un SMR plus important lors d’une pandémie. Nous n’avions pas d’éléments pour nous prononcer, autres que des supputations ou des craintes éventuelles.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Personne dans votre commission ne s’est demandé comment, s’il vous avait été soumis, le vaccin contre la grippe H1N1 aurait été évalué, en fonction des données fournies par les laboratoires ?

Vous avez dit que vous ne vouliez rien dire laissant à penser aux professionnels de santé, voire aux médias, que le Tamiflu pouvait remplacer la vaccination. L’utilité de la vaccination faisait-elle l’objet d’un avis unanime parmi les membres de la haute autorité ?

M. Gilles Bouvenot. Oui. Il est unanimement reconnu que la vaccination est très efficace pour la grippe saisonnière. Depuis sa création, la commission de la transparence a conscience du fait qu’il faut éviter que les Français, qui ont un attrait particulier pour les médicaments, ne recourent au tout-médicament quand ce n’est pas indispensable. Lorsqu’un médicament est moins efficace qu’un vaccin, il faut le dire haut et fort.

J’en viens à la procédure d’évaluation des vaccins. Ceux-ci obtiennent une autorisation de mise sur le marché ou AMM, après quoi ils sont évalués par le comité technique des vaccinations, qui est une structure du Haut conseil de santé publique. La commission de la transparence n’intervient qu’ensuite, pour répondre aux deux questions de savoir s’ils méritent d’être pris en charge par la solidarité nationale et s’ils constituent un progrès thérapeutique par rapport à l’existant, le SMR reconnu par la commission déterminant le prix qui sera accepté.

Lorsque le vaccin contre la grippe H1N1 est arrivé, nous ne disposions d’aucune donnée scientifique à son sujet, sauf à se plonger dans la littérature médicale internationale, ce que seuls nos infectiologues ont fait, les autres membres de la commission n’ayant aucune raison de le faire. Nous n’avons pas eu connaissance du dossier d’AMM, lequel ne nous est communiqué que lorsque nous avons à évaluer le produit pour que soit fixé son taux de remboursement. En l’espèce, il n’y avait donc pas lieu que nous en ayons connaissance. Nous n’avons pas eu non plus communication officielle de l’avis du comité technique, ce qui n’aurait d’ailleurs servi à rien. Dès lors que les pouvoirs publics prennent la main pour des raisons de santé publique et décident de fournir gratuitement un vaccin à la population, il n’y a pas lieu de demander à la Haute Autorité de santé s’il faut le rembourser ou non. Nous n’avons donc pas éprouvé la moindre frustration – si c’est ce terme que vous souhaitiez entendre de notre bouche. Attachés au strict respect de la réglementation, nous avons fait ce que nous devions faire. En l’occurrence, nous n’avions pas d’avis à donner et n’en avons pas donné.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Ainsi la Haute Autorité de santé n’a pas été saisie durant toute la gestion de la pandémie, hormis la saisine sur le remboursement éventuel de l’acte de vaccination par les praticiens libéraux, mais vous n’en avez pas été « frustrés ».

Mais je vous connais, monsieur le directeur. La Haute Autorité de santé est une autorité indépendante qui renseigne et conseille dans les domaines médical et médico-économique. Vous ne pouvez pas ne pas avoir de sentiment sur la campagne de vaccination telle qu’elle s’est déroulée, et s’il y avait des conseils à donner pour le futur, lesquels donneriez-vous ?

M. Laurent Degos. Monsieur le rapporteur, nous n’avons pas de « sentiment » à avoir en l’espèce. Nous devons regarder objectivement ce qui s’est passé. Il est très difficile de répondre à votre question au nom de l’ensemble de la Haute autorité de santé, dont chacun des membres peut avoir sa propre opinion sur cette campagne de vaccination.

Celle-ci s’est déroulée de façon logique par rapport à ce qui était attendu. C’est plutôt son résultat qui pose problème. Pourquoi y a-t-il eu finalement aussi peu de personnes vaccinées ? Je me plaisais à rappeler récemment à mes collègues ce qui s’était passé au XVIIIème siècle avec ce qu’on appelait alors l’inoculation. Alors qu’on avait clairement fait savoir qu’il était bénéfique d’être inoculé pour éviter la petite vérole, dix ans plus tard, pas plus de mille personnes avaient été inoculées en France, ce qui prouve bien tout l’irrationnel des comportements de la population.

S’agissant de la grippe A, trois conseils principaux ont été donnés pour éviter la contamination par le virus et la propagation de la maladie : se laver régulièrement les mains, porter un masque et se faire vacciner. Chacun s’est lavé plus fréquemment les mains, et il y a eu moins de gastro-entérites cet hiver. Personne en revanche n’a porté de masque, jugé inconfortable. Quant à la vaccination, seule une minorité, peut-être éclairée, y a eu recours.

Pourquoi cette attitude ? Simplement parce que les gens se demandaient s’il n’y avait pas un risque à se faire vacciner. Des rumeurs ont couru comme quoi une complication pourrait être l’apparition d’un syndrome de Guillain-Barré. Des questions ont été soulevées sur l’intérêt ou non des adjuvants. Tout cela a inquiété la population. Et les gens ont préféré courir le risque d’attraper la grippe plutôt que d’avoir l’impression de choisir délibérément un risque en allant se faire vacciner, aussi infime, voire nul qu’ait été ce risque. Cette attitude échappe à la raison.

Mme Catherine Lemorton. Je souhaiterais revenir un instant sur le Tamiflu. La commission de la transparence a jugé le 21 octobre 2009 que son SMR ne s’était pas amélioré et demeurait insuffisant. La communauté médicale dans son ensemble ne s’y était pas trompée qui, hormis la première saison grippale après la sortie du médicament, en a peu prescrit, ayant vite compris que le produit n’était pas très efficace.

Pour rendre son avis du 21 octobre 2009, la commission de la transparence s’est appuyée sur des études présentées par l’industrie pharmaceutique, sur la validité desquelles on peut tout de même s’interroger. La première est celle de J. Gaillat. Elle a été menée en maison de retraite à Annecy où un essai a été réalisé sur 32 patients sur 81 résidents et 6 membres du personnel sur 48. La deuxième est celle de D. Vu et a porté sur 45 patients aux États-Unis. La dernière concerne l’administration en curatif chez des enfants à risques sur six saisons grippales aux États-Unis, n’ayant abouti à tester en six ans que 3 721 enfants.

Dans la mesure où le mode d’action du Tamiflu, qui est un inhibiteur de la neuraminidase, est identique quel que soit le virus, et sachant tout ce que la Haute Autorité de santé a dit, à juste titre, sur ce produit depuis 2004, que pensez-vous de l’injonction faite en décembre aux médecins généralistes – après que la vaccination s’était révélée un échec – de prescrire du Tamiflu à tout-va. Il suffisait d’avoir croisé sa concierge ayant éternué deux fois dans le hall de son immeuble pour s’en voir prescrire, alors que le rapport bénéfices/risques du produit est loin d’être positif, notamment chez les enfants où ont été observés de nombreux effets secondaires – des revues indépendantes des laboratoires l’ont établi. Je peux comprendre que le Tamiflu ait été prescrit chez des sujets à risques, comme les asthmatiques, les insuffisants respiratoires…, mais non à des enfants en bonne santé au simple motif qu’ils auraient pu contracter la grippe H1N1. Cette injonction n’était pas raisonnable. Quel est votre avis sur le sujet ?

M. Gilles Bouvenot. Lorsqu’un laboratoire pharmaceutique demande au ministère le remboursement d’un médicament, lequel passe alors nécessairement devant la commission de la transparence, dont l’avis est consultatif, le dossier ne contient la plupart du temps que des études faites par le laboratoire lui-même. Cela peut paraître choquant mais je ne sache pas que les pouvoirs publics réalisent des essais de médicaments et effectuent des recherches en ce domaine ! Notre travail est d’examiner, avec la plus grande prudence, les dossiers qui nous sont soumis. L’honneur de la Haute Autorité de santé réside précisément dans sa totale indépendance intellectuelle. Nous travaillons à la croisée de desiderata non expressément formulés mais que nous connaissons : celui du décideur, qui n’intervient pas, celui du payeur qui a toujours l’impression qu’il va payer trop et trop cher, et celui de l’industriel qui pense naturellement que son médicament n’a pas été reconnu à sa juste valeur.

Il existe des études indépendantes, mais jamais avant l’AMM ou au moment de l’AMM. Elles ne sont toujours effectuées qu’après, comme cela a été le cas pour les statines. Il ne me choque pas que les dossiers ne contiennent que des études menées par les industriels, notre travail consistant précisément à les examiner avec distance et à faire preuve de l’esprit critique nécessaires. Les notes que nous avons données au Tamiflu l’ont été, pour l’essentiel, sur la base du dossier de première inscription, dont les études étaient beaucoup plus solides que les dernières que vous avez citées. Après que le résumé des caractéristiques du produit avait été modifié, le fabricant a dû nous fournir des études complémentaires. Ce fut celles que vous avez indiquées dont nous avons, comme vous, madame, considéré que, d’une très grande médiocrité et portant sur de trop faibles effectifs, elles ne nous permettaient pas de revaloriser le SMR du Tamiflu. Mais elles ne remettaient pas en cause pour autant les conclusions que nous avions rendues lors de la première inscription.

Pour ce qui est du rapport bénéfices/risques, ne croyez pas, madame, que je veuille me défausser. Mais ce n’est pas la Haute Autorité de santé qui octroie les AMM. C’est l’Agence européenne du médicament, l’EMA, basée à Londres, au niveau européen, et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) au niveau national. La commission de la transparence n’est pas habilitée à remettre en cause une AMM, laquelle est par définition octroyée sur la base d’un rapport bénéfices/risques globalement favorable, ni à juger de sa pertinence. Lorsque nous considérons qu’un produit n’est pas extraordinaire, nous disons que son SMR est modéré ou faible.

S’agissant de « l’injonction » faite aux généralistes, je ne peux que vous répondre, non en tant que président de la commission de la transparence, mais en tant que professeur des universités-Praticien hospitalier (PU-PH) de thérapeutique à la faculté de médecine de Marseille. Ma conviction est que lorsqu’une pandémie est avérée ou menace, même de « petits moyens » peuvent avoir de l’efficacité, je dirai même une efficacité insoupçonnée, en tout cas insoupçonnable. Si nous avons renoncé à toute idée de nous prononcer sur l’intérêt de Tamiflu dans le contexte d’une pandémie, c’est que nous n’avions aucun élément nous permettant de l’évaluer. Mais cela ne signifie pas qu’en tant que professionnel de santé – je parle là en mon nom personnel – , je n’aurais pas utilisé ce « petit moyen » supplémentaire, surtout dans un contexte de couverture vaccinale insuffisante. Tant que l’on n’a pas atteint un certain seuil de population vaccinée, la protection est mauvaise, du moins insuffisante. À titre personnel, mais cela n’engage que moi, cette « injonction » – j’ignorais qu’il s’agissait d’une « injonction », vous me l’apprenez – ne me choque pas. Et c’est pourtant moi qui vous dis dans le même temps que le Tamiflu n’est pas un médicament extraordinaire. Mais lors d’une pandémie, n’y aurait-il qu’un peu d’efficacité, pardonnez-moi ma trivialité, à « gratter » au profit des patients, je ne le refuserai pas.

M. Gérard Bapt. Il me choque, moi, que l’on ait incité à prescrire très largement et à distribuer gratuitement dans les pharmacies du Tamiflu à l’entourage de patients simplement suspectés d’avoir la grippe A, sans même que leur statut sérologique ait été contrôlé, alors que, de l’avis même de la commission de la transparence, ce produit ne présente pas d’intérêt sur le plan curatif et un intérêt faible sur le plan préventif. Car ce produit a des effets secondaires, psychiatriques notamment. Lors de la réévaluation des produits à l’échéance quinquennale, prenez-vous en compte les données de pharmacovigilance ?

Il est dommage que les gestes-barrières ne soient pas remboursés par la sécurité sociale car nous pourrions en connaître l’évaluation ! Saura-t-on jamais l’efficacité de se laver les mains, de mettre sa main devant sa bouche quand on tousse ou quand on éternue par rapport à la prise de Tamiflu ?

La Haute Autorité de santé a également une mission d’évaluation médico-économique. Avez-vous une idée du bénéfice retiré par rapport à l’investissement engagé lors de cette pandémie qui a été au total peu agressive ?

M. Gilles Bouvenot. Monsieur Bapt, je vais vous redire d’une autre manière ce que j’ai déjà répondu à Mme Lemorton. Nous avons pris en compte les modifications du résumé des caractéristiques du Tamiflu lorsque des effets psychiatriques ont été ajoutés parmi les effets indésirables. Mais nous n’avions pas à remettre en question l’AMM du produit ni à contester le rapport bénéfices/risques indiqué : c’est à l’EMA et à l’AFSSAPS qu’il appartient de dire, si tel est leur avis, que les effets indésirables nouvellement découverts du Tamiflu sont assez préoccupants pour que le rapport bénéfices/risques ne soit plus positif.

Afin de ne pas vous paraître incohérent, je précise bien que pour nous, SMR insuffisant ne signifie pas inefficacité. Un médicament inefficace ne doit tout simplement pas avoir d’AMM. Dès lors qu’un médicament a une AMM, c’est qu’il a un principe actif, donc une certaine efficacité et d’ailleurs par conséquent aussi des effets indésirables. Notre rôle à nous est de dire si cette efficacité est remarquable ou non. Lorsque nous concluons que le SMR d’un médicament est insuffisant, nous ne disons pas qu’il est inefficace. Je rappellerai ici les déremboursements intervenus en 2005 et 2006 des veinotoniques et des vasodilatateurs, que nous avions demandés au ministre de la santé, parce que nous estimions que l’efficacité de ces produits était insuffisante pour qu’ils méritent d’être remboursés. On peut sourire de la modestie de leur efficacité. Pour autant, ils ne sont pas inefficaces, et ont manifesté une supériorité par rapport aux placebos. Je comprends vos questions sur le rapport efficacité/effets indésirables mais c’est aux instances qui ont accordé son AMM à ce produit qu’il appartiendrait de la lui retirer.

M. Laurent Degos. La Haute Autorité de santé mène des études médico-économiques, mais selon un programme prédéfini car il s’agit d’études importantes qui ne peuvent être engagées à chaud. L’évaluation médico-économique du Tamiflu, distribué alors gratuitement, ne nous a pas été demandée. Elle ne nous a pas non plus paru utile alors qu’il était, comme le vaccin, fourni gratuitement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il me reste, messieurs, à vous remercier.

La séance est levée à vingt heures.

Audition de M. Claude Hannoun,
professeur honoraire à l’Institut Pasteur


(Procès-verbal de la séance du mardi 13 avril 2010)

(Présidence de M. Guy Lefrand, vice-président de la commission d’enquête,
puis de M. Jean-Christophe Lagarde, président)

La séance est ouverte à neuf heures dix.

(M. Claude Hannoun prête serment.)

M. Claude Hannoun, professeur honoraire à l’Institut Pasteur. Je suis entré à l’Institut Pasteur en 1945, avec une licence de sciences, et j’y ai achevé mon doctorat ès sciences.

Deux années plus tard, en 1947, j’ai été amené à isoler la première souche de virus de la grippe en France. Nous étions une équipe de trois, et à vingt et un ans, j’étais évidemment le plus jeune et c’est moi qui ai fait le travail concret. Puis, il m’a été demandé, dans la continuité de ce travail, de m’intéresser à la production de vaccins et, dans les années 1950-1951, j’ai produit le premier vaccin contre la grippe en France.

Dans la mesure où j’ai été impliqué dans ce domaine dès la troisième année de ma carrière scientifique, il y a de cela un demi-siècle, je ne suis donc pas absolument impartial en matière de vaccins. Vous ne trouverez pas en moi un adversaire de ceux-ci.

(Le président Jean-Christophe Lagarde remplace le vice-président Guy Lefrand au fauteuil de la présidence.)

J’ai produit ce premier vaccin par culture sur embryon de poulet. Le virus utilisé était déjà un virus H1N1.

Si les Français ont isolé le virus de la grippe pour la première fois en 1947, les Anglais l’avaient fait en 1933 : nous avions quatorze ans de retard ! De même, je n’ai pas inventé le vaccin. Il était déjà produit depuis deux ans par les Américains. Ils l’ont élaboré en 1944-1945. La France n’a commencé à le préparer qu’en 1949. Après l’interruption dramatique de la recherche scientifique en France du fait de la guerre, nous commencions à rattraper notre retard.

Après avoir élaboré ce premier vaccin de façon artisanale, nous avons fait du scaling up, c’est-à-dire que nous avons progressivement accru l’échelle de production. Nous sommes passés à un vaccin semi-industriel, puis, quelques années plus tard, à un vaccin industriel. Toutes ces évolutions ont eu lieu à l’Institut Pasteur. Celui-ci, qui est une fondation sans but lucratif, disposait à l’époque de la capacité à produire et à vendre des vaccins, dans la ligne de l’action de Pasteur, qui avait élaboré entre autres le vaccin contre la rage. L’Institut Pasteur fonctionnait donc aussi comme une entreprise commerciale. Ce mode de fonctionnement, possible à l’époque, ne le serait sans doute plus guère aujourd’hui. Du reste, pour résoudre les difficultés engendrées par ce double mode d’action, la fondation Institut Pasteur a créé quelques années plus tard une filiale, Institut Pasteur Production, destinée à produire et à commercialiser les vaccins. Entre 1958 et 1960, le vaccin contre la grippe a donc, comme les autres, été transféré dans le catalogue d’Institut Pasteur Production, compagnie commerciale associée à l’Institut Pasteur et filiale à 100 % de celui-ci. Les bénéfices réalisés étaient entièrement réinvestis dans la recherche.

Par la suite, les conditions financières, industrielles et économiques ont fait que Institut Pasteur Production a fusionné avec l’Institut Mérieux. Les fusions et concentrations successives ont ensuite abouti à la création de Sanofi Pasteur. Désormais, la fondation Institut Pasteur et Sanofi Pasteur sont totalement indépendants l’un de l’autre. Toutefois, l’Institut Pasteur a conservé des intérêts dans Sanofi.

Je voudrais maintenant évoquer la question des conflits d’intérêts. À l’époque, j’étais membre de l’Institut Pasteur et je fabriquais un vaccin. Aujourd’hui, ce travail aboutirait très probablement à des prises de brevets, au versement de royalties et à un intéressement des chercheurs. Tel n’était pas le cas à l’époque. Mes découvertes en matière de vaccin ne m’ont rien rapporté d’autre que mon salaire – modeste – de chercheur. Les bénéfices générés par ces travaux revenaient intégralement à l’Institut Pasteur, dont j’étais membre. Plus tard, j’ai déposé, en tout, quatre ou cinq brevets, mais les bénéfices qui en ont découlé sont entrés dans les caisses de l’Institut Pasteur ; en ce qui me concerne, je n’ai jamais reçu un centime d’intéressement sur des ventes.

Après cinquante ans de bons et loyaux services à l’Institut Pasteur, j’ai pris ma retraite en 1995. Depuis, je suis retraité et indépendant. Ces cinquante années de travail, la plupart du temps sur la grippe, m’ont donné une certaine expérience de la question. Virologue, j’ai travaillé sur le virus mais aussi sur l’épidémiologie. En 1984, avec Jean-Marie Cohen, j’ai créé le réseau de surveillance « GROG » (groupes régionaux d’observation de la grippe). J’ai aussi créé des institutions de réflexion et de recherche comme l’ESWI (European scientific working group on influenza).

Si, ayant pris ma retraite il y a quinze ans, je ne suis plus à la pointe de la recherche, mon expérience acquise et le fait de continuer à me tenir informé me permettent de prétendre encore être une sorte d’expert. Lorsque, en tant que tel, je suis consulté par la direction générale de la santé ou par des institutions officielles, je ne demande aucune compensation. En revanche, lorsque je suis sollicité par une firme industrielle pour un conseil ou en tant que membre d’un advisory board, il n’y a pas de raison que le service ainsi rendu ne soit pas compensé : je reçois alors des honoraires, de montant du reste limité. Un contrat préalable précis, indiquant le service qui m’est demandé – en général, une participation à un conseil consultatif pendant une journée ou deux – est établi. Pour une journée entière de travail, précédée d’une journée de préparation et suivie d’une journée de rédaction de rapport, ils se montent à des sommes de 1 000 ou 1 200 euros. Ces rémunérations ne me causent aucun problème de conscience. Lorsque je sors de la réunion, une fois mon contrat fini, tout lien de subordination avec la compagnie industrielle qui m’avait sollicité cesse ; je ne détiens aucun intérêt dans son fonctionnement. Je ne reçois ni royalties, ni stock options et demeure entièrement libre de mes mouvements et de mes décisions.

Jusqu’en 1995, j’étais expert à l’OMS et auprès du ministère. Lorsque j’ai pris ma retraite, en 1995, j’ai cessé ces fonctions. Depuis, je n’ai participé ni aux comités de crise ni aux différents conseils. J’en garde cependant un peu de regret : j’ai en effet été à l’origine des différentes actions de préparation de la pandémie. J’ai commencé à m’y intéresser à partir de 1980. En particulier, j’ai organisé en 1993 à Berlin une réunion sur la grippe et sa prévention, laquelle comportait un atelier spécifique sur la pandémie : qu’est-ce qu’une pandémie ? En surviendra-t-il une ? Telles étaient les questions évoquées.

Tous les experts s’accordent pour dire qu’il y a toujours eu des pandémies de grippe et qu’il y en aura toujours. Il n’y a aucune raison pour qu’elles cessent. Nous le disions dès 1990. Il faut vivre avec.

Par ailleurs – c’est un élément très important –, le virus de la grippe est un virus facétieux et trompeur. Avec lui, rien ne se passe jamais comme prévu. On pourrait conclure qu’il est un peu contradictoire de vouloir établir des plans pour organiser à l’avance une lutte contre un virus imprévisible. Certains experts disent préférer une absence de plan à un mauvais plan. D’autres en revanche considèrent qu’il vaut malgré tout mieux avoir réfléchi à l’avance pour prendre les mesures nécessaires lors de la survenue du danger. Je suis plutôt partisan de cette deuxième position.

En 1993, les travaux de la réunion que j’avais organisée ont abouti à la rédaction d’un document de recommandations à l’attention des gouvernements, des industriels et de l’OMS. Ce document demandait aux gouvernements de se préoccuper de la question. Deux États seulement l’avaient déjà fait, le Canada et les États-Unis. Nous tirions en quelque sorte la sonnette d’alarme, indiquant qu’une pandémie était un jour possible et qu’en ce cas, il était sans doute préférable que les États aient défini à l’avance une politique. Aux industriels, le document demandait d’être prêts, en cas de nouveau virus, à élaborer un vaccin aussi vite que possible. Enfin, il invitait l’OMS à encourager la mise au point de ces plans. Je vous remettrai ce document.

L’année suivante, en 1994, a été créé en France un groupe de travail pour l’élaboration de stratégies de prévention et de contrôle des épidémies de grippe. Ce groupe est ensuite devenu la « cellule de crise » contre la grippe. En juin 1995 il a publié un premier rapport, élaboré en collaboration avec l’ensemble des ministères. Tous sont en effet impliqués : une épidémie de grippe concernera aussi bien les transports que l’armée, les hôpitaux, les écoles, ou encore le commerce et la distribution. Ce document a été le premier d’une série d’autres qui ont abouti au dernier plan « pandémie grippale ».

Si, ayant pris ma retraite en juin 1995, ma collaboration officielle avec les services de l’État s’est arrêtée, j’ai cependant continué à être consulté par ceux avec lesquels j’avais collaboré. Lorsque la situation a commencé à devenir plus sérieuse, avec l’apparition du virus de la grippe aviaire, le H5N1, puis du virus dit de la grippe A, c’est-à-dire le virus H1N1v — v signifiant variant car en 1918 et en 1977, le virus de la grippe était déjà le virus H1N1 —, j’ai été consulté de façon officieuse par le ministère de la santé, aussi bien à l’époque de M. Xavier Bertrand, qu’à celle de Mme Roselyne Bachelot-Narquin. Le ministère s’est en effet mis à organiser des réunions officieuses d’experts, sortes de réunions de réflexion, de brainstorming, où chacun donnait librement son avis, et donc bien différenciées des réunions officielles ou des cellules de crise. Je n’ai pas participé aux réunions officielles.

Quelles ont été les positions des experts ?

Le 27 avril 2009, l’alerte est déclenchée après que le virus eut frappé un enfant au Mexique. Dix-sept jours plus tard, 14 cas était répertoriés en France. Jamais une telle vitesse de propagation d’une pandémie n’avait été observée. En quatorze jours, le virus était passé du Mexique aux États-Unis, au Canada, en Espagne, en Grande-Bretagne et même en France, pays pourtant moins directement relié au Mexique. Le Mexique comptait alors déjà 60 morts – à ce jour, il y en a eu 1 100.

Extrêmement contagieux, considéré très vite par les centres de référence comme assez largement nouveau, ce virus créait l’une des situation les plus graves que les experts avaient pu envisager.

Dès le début, en dépit de la mise en place d’une politique destinée à limiter l’expansion de la maladie –les mesures d’isolement des premiers malades étaient parfaitement justifiées –, l’épidémie s’est très largement répandue.

Elle présentait deux caractéristiques : elle était extrêmement contagieuse, mais aussi – cette constatation a aussi été faite dès le début – pas aussi mortelle qu’il n’avait été craint.

Les experts ont alors été consultés. Il faut noter qu’il ne forment pas une population homogène : certains sont spécialistes d’une question de longue date ; d’autres ne s’y intéressent qu’une fois qu’elle est sous le feu de l’actualité. Les avis des experts peuvent aussi être divergents.

Dès le 11 mai, quinzième jour de l’épidémie, un expert a déclaré dans une conversation qu’elle pourrait causer peut-être 30 000 morts en France. Ces propos ayant été immédiatement relayés par la presse, une inquiétude s’est développée.

Dans les réunions auxquelles j’ai participé, mon avis sur le développement de l’épidémie à l’avenir m’a été demandé. Je l’ai donné, tout en indiquant mes réserves sur la fiabilité des prévisions possibles. Puis l’Institut de veille sanitaire m’a fait savoir qu’il allait lancer une nouvelle présentation, sur internet, du Bulletin épidémiologique hebdomadaire et qu’il souhaitait que je rédige le premier éditorial de ce BEH web – c’était le nom choisi – sur la question. Cet éditorial a été publié le 29 juin et il reprenait des considérations écrites au début du mois de juin.

Ce texte, intitulé « Que nous apprennent les pandémies du passé ? », qui correspond précisément à mon domaine de compétences – j’ai plus de compétences sur le passé que sur le futur de la virologie –, retrace ce que pensaient la majorité des experts avec qui j’ai travaillé, ou que j’apprécie. Plusieurs de ceux que vous avez entendus, ou que vous entendrez – François Bricaire, Jean-Claude Manuguerra, Jean-Marie Cohen… –, sont en effet des gens avec qui j’ai travaillé, et même, dans certains cas, que j’ai formés.

Dans ce texte, j’exposais, sur la base de considérations élaborées vingt jours après le début de la pandémie, que trois possibilités étaient ouvertes.

La première était celle d’un arrêt de la pandémie : « ça fait pschitt ».

La deuxième était celle d’une épidémie du même type que la grippe saisonnière, accompagnée sans doute d’une récurrence au cours des années suivantes.

Enfin, la troisième était celle d’un scénario catastrophe, une situation du même type que celle de 1918 ; en effet – cela a été confirmé par la suite – le virus était le même, ou en tous cas lui ressemblait beaucoup. Face à lui, il y a très peu d’immunité ; seules quelques personnes âgées sont immunisées – à l’époque, ce point même n’était pas sûr. La situation pouvait donc s’envenimer.

Suite à mon intervention au cours de cette réunion, l’une des personnalités qui m’interrogeaient m’a demandé quel pourcentage comparatif de réalisation je donnais à chacune des trois hypothèses. J’ai répondu que je ne pouvais pas pondérer les probabilités de réalisation de chacune des hypothèses les unes par rapport aux autres. À cette époque, les experts n’étaient pas tous absolument sûrs de la réalisation d’un scénario apocalyptique.

Dans ma conclusion, je tirais l’enseignement de l’historique des différentes pandémies. Il faut savoir que quelques-unes, dont celle de 1947 – dont nous avons isolé le virus, lui aussi un variant H1N1 –, ne sont pas homologuées : pendant le XXème siècle, cinq épidémies ont eu lieu et non trois.

Voici cette conclusion :

« 1 – Toutes les pandémies ne sont pas des catastrophes. Certaines avortent et il est très probable que d’autres à l’avenir auront un impact limité.

« 2 – Certains virus sont capables, après avoir couvé pendant quelques temps, de développer grâce à des mutations spontanées et aléatoires… [ou des réassortiments] … trois caractéristiques qui les rendent dangereux : une forte transmissibilité chez l’homme, … [c’est le cas du virus qui nous concerne]…un pouvoir pathogène exacerbé … [tel n’est pas le cas]… et le fait d’acquérir une résistance aux antiviraux ». Cette caractéristique est un danger supplémentaire puisque dans ce cas, nos armes deviendraient inopérantes, mais ce n’est pas le cas pour ce virus.

« 3 – L’acquisition et les évolutions de ces caractéristiques sont pour l’instant impossibles à prévoir.

« 4 – L’évolution est souvent diphasique, la deuxième vague étant la plus grave. Après la pandémie, ces virus rentrent dans le rang et deviennent des virus saisonniers, parfois cohabitant avec d’autres.

« 5 – la situation en 2009 a évolué. D’un côté, on dispose d’armes nouvelles : capacité de détection, réseaux de surveillance, vaccins, antiviraux, antibiotiques. Mais de l’autre, les liaisons internationales beaucoup plus rapides et le développement de l’urbanisation accélèrent la transmission. »

Je vous fournirai ce document.

En conclusion de cet exposé introductif, je voudrais vous faire part de mon inquiétude, pour plusieurs raisons. La première est que le virus est le même qu’en 1918.

Ensuite, sa contagiosité extrême représente un danger réel : elle rend sa vitesse de diffusion extrêmement rapide.

Le virus s’est aussi manifesté au cours d’une saison inhabituelle : le 27 avril, lorsqu’il est apparu au Mexique, la température était de 30 degrés. Jamais une épidémie, même moindre, n’était survenue par de telles températures. À vrai dire, jamais nous n’avions constaté d’épidémie de grippe en pays tropical. Dans ces régions, la maladie est endémique : le virus ne se conserve pas bien dans l’air et se transmet mal. Celui-là s’est transmis même lorsqu’il faisait très chaud, ce qui est bizarre.

Un autre motif d’inquiétude est que ce virus cause des morts dans des types de populations peu habituelles. On trouve des formes graves de la maladie, et même des décès, chez les enfants, les femmes enceintes et les adultes jeunes. La moitié ou le tiers des cas se produit chez des personnes qui, traditionnellement, étaient considérées comme ne présentant aucun facteur de risque préalable.

En revanche, certains éléments sont rassurants. La létalité est faible. La maladie des personnes touchées est le plus souvent extrêmement bénigne – en revanche, nous ne savons pas jusqu’à quand : des variations sont possibles, surtout avec la deuxième vague. Ensuite, le virus reste encore sensible aux antiviraux ; cela nous donne des armes pour les formes les plus graves.

Pour conclure, je dirai que, jusqu’à aujourd’hui – en avril 2010 –, nous avons eu trois chances.

La première est que ce virus, très contagieux, ne soit pas plus agressif – nous ne savons pas pourquoi. Sous les réserves que nous avons faites, il n’est pas très pathogène. C’est une grande chance : compte tenu du nombre de cas, il aurait pu faire en France non pas 300 morts mais 30 000, comme prévu par un de mes collègues.

La deuxième chance est que le vaccin reste, malgré toutes les bêtises qui ont pu être dites à son sujet, la meilleure arme pour la suite. On peut conclure de son administration à près de six millions de personnes – jusqu’à 300 millions de doses ont sans doute été administrées dans le monde – qu’il a été dans l’ensemble bien supporté. Sans cette chance, si les prévisions catastrophiques qui avaient été faites s’étaient réalisées, la situation aurait été épouvantable.

La troisième et dernière chance est que le nouveau virus a étouffé les anciens. Cet élément était également nouveau. D’habitude, les autres virus, le H3N2, le B, sont aussi facteurs d’épidémies. Or, l’épidémie de grippe n’a été quasiment due qu’au H1N1v. Les autres virus n’ont pas causé de dégâts.

Le bilan global de cette pandémie aura donc été presque équivalent à celui d’une épidémie normale.

La seule réserve finale est que la modification de la marche de l’épidémie et ces trois chances n’ont pas pour cause les actions entreprises.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Merci, monsieur le professeur pour cet exposé.

Selon vous, le vaccin contre le virus H1N1v a-t-il été réalisé dans des conditions de sécurité similaires aux vaccins contre la grippe saisonnière ? Comment expliquez-vous qu’il ait été à ce point contesté et mis en doute par les milieux médicaux eux-mêmes ? Nous avons constaté dans nos auditions que si les médecins se sont largement vaccinés, tel n’a manifestement pas été le cas des autres professions médicales. Enfin, pourquoi les pays sans stratégie vaccinale n’ont-ils pas connu de pandémie ?

M. Claude Hannoun. Contre la grippe saisonnière, la formule de vaccin qui a été élaborée donne satisfaction. Malheureusement, chaque année, il faut changer une ou plusieurs des trois souches. De ce fait, après la fin de chaque saison de grippe, le vaccin est périmé. Il faut alors en élaborer un autre avec des souches différentes.

Il y a vingt ans, un problème réglementaire s’est posé. Remplacer, par exemple, le H3N2 Victoria par le H3N2 Port Chalmers correspond-il à la création d’un nouveau vaccin ? Si on considère que le remplacement constitue une création, c’est l’intégralité d’une nouvelle procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM) qui doit être conduite. En revanche, si le remplacement de la souche est considéré comme une modification mineure – la virulence de la souche n’a aucune importance, puisque la souche est un vaccin inactivé –, il a été décidé tant à l’échelon international qu’en France que ce changement ne donnerait lieu qu’à une révision d’AMM, et non à une nouvelle AMM, cette révision ne nécessitant qu’un essai clinique rapide. En l’occurrence, le délai, très bref – il court de février, quand sont décidées les compositions de vaccins, à septembre, où ils sont mis sur le marché –, n’est pas suffisant pour conduire une procédure d’AMM ; en revanche, il permet de vérifier l’efficacité et l’innocuité du vaccin sur cinquante sujets. Une fois celles-ci constatées, l’autorisation de modification d’AMM est donnée.

H1N1v est un virus comme un autre. Un autre virus H1N1, le H1N1 « normal », est du reste déjà présent dans le vaccin. Quelques contrôles supplémentaires ont néanmoins été ajoutés. Cependant, il est légitime de considérer que la situation est la même que la situation habituelle, et que l’introduction d’une souche différente sur les bases de la technologie industrielle et de la composition générale du vaccin est possible.

Néanmoins, comme la souche a été confiée aux producteurs en juin au lieu de février, qu’il fallait que le vaccin soit produit le plus vite possible, l’industrie – qui était de plus en pleine phase de production du vaccin saisonnier – a été mise dans une situation difficile. Elle a donc légèrement diminué sa production de vaccin pour la grippe saisonnière et transféré les moyens ainsi libérés sur le vaccin contre le virus H1N1v. Elle a ensuite produit le vaccin nouveau avec les procédés et les moyens habituels.

Il s’agissait cependant d’une primo-vaccination. Or, même dans le cas du vaccin contre la grippe saisonnière, la primo-vaccination demande deux injections : les enfants vaccinés pour la première fois reçoivent deux doses de vaccin et non une. Lorsqu’ils ont grandi, et qu’ils ont eu des contacts avec le virus, les vaccinations ultérieures – qui, de plus, sont pour partie des revaccinations – sont effectuées en une seule fois. L’hypothèse formulée a donc été celle d’une vaccination en deux doses.

Le vaccin contre la grippe présente aussi l’inconvénient considérable d’une efficacité bien loin d’être absolue. Elle est au mieux de 80 % chez les adultes, et parfois seulement de 70 %, voire moins, chez les personnes âgées. Par comparaison, l’efficacité des vaccins contre la rougeole, la poliomyélite ou la fièvre jaune est de 99,9 %. La raison de cette moindre efficacité n’est pas connue. Le vaccin reste néanmoins très efficace contre les formes graves de la maladie et pour lutter contre la mortalité.

Pour renforcer son efficacité – et comme pour d’autres vaccins –, des adjuvants de l’immunité ont été introduits. Ceux qui ont été utilisés, notamment le squalène, le sont déjà dans d’autres vaccins et ont déjà été administrés à des millions de personnes. La proposition de les utiliser pour le vaccin antigrippal n’a suscité aucune réaction au sein des milieux scientifiques. L’un des plus grands immunologistes de France, le professeur Jean-François Bach, expose aujourd’hui même dans un rapport à l’Académie des sciences – dont j’ai entendu un extrait hier – qu’il n’existe aucune raison de mettre en doute l’efficacité ou l’innocuité des adjuvants utilisés.

C’est donc un mauvais procès qui a été fait au vaccin. Il repose sur des rumeurs assez anciennes : en 1976 déjà, lors de l’épidémie de grippe porcine aux États-Unis, on avait évoqué l’existence de complications – sous la forme de syndromes de Guillain-Barré – dues au vaccin ; toutefois, cette rumeur a été entièrement démentie par la suite. Nous n’avons aucune raison de penser que la vaccination de 40 millions d’Américains a entraîné une augmentation du nombre de cas du syndrome en question ; un certain nombre de ces 40 millions d’Américains l’auraient de toute façon contracté, cette maladie n’étant absolument pas rarissime. Qui plus est, le vaccin contre la grippe porcine de 1976 ne comportait pas d’adjuvant : j’ai moi-même participé à son élaboration aux États-Unis et j’ai été l’un des cobayes de son expérimentation. Bref, on peut parler de manipulation et de déformation.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. L’innocuité d’adjuvants éprouvés peut-elle être modifiée lorsque la souche a été changée ?

M. Claude Hannoun. C’est parce que l’hypothèse ne peut être absolument éliminée a priori que des essais ont été conduits. Cela dit, elle n’a pas de fondement rationnel.

Ce sont les industriels qui ont réalisé les essais, et non la recherche publique – elle le pourrait techniquement, mais des crédits gigantesques seraient nécessaires. Ils effectuent des expérimentations des mélanges d’adjuvants, sur l’animal d’abord puis, après autorisation, sur l’homme.

Pour autant, il est fondamental pour les chercheurs qui n’appartiennent pas au monde de l’industrie de connaître ces expérimentations. Une fois celles-ci achevées, les industriels les soumettent à l’un de ces comités consultatifs, de ces advisory boards, constitués d’experts internationaux indépendants que j’évoquais au début de la présente audition. Ces experts donnent ensuite leur avis. Cette procédure permet de connaître les travaux des industriels, l’évolution de leurs recherches, et d’effectuer des comparaisons – sans, bien sûr, communiquer à l’un les éléments fournis par l’autre, le processus relationnel comportant une clause de confidentialité. Les contacts entre les industriels et les scientifiques ne méritent pas qu’on jette l’opprobre sur ces derniers : ils en ont besoin pour connaître les travaux des industriels et ils n’entachent en rien leur indépendance. Par ailleurs, les chercheurs se contrôlent les uns les autres.

J’ai personnellement été assez déçu par l’attitude du corps médical. Dès le début de la pandémie, il a émis des réserves : un sondage indiquait que 30 % des médecins seulement se feraient vacciner. Les médecins disent aujourd’hui que c’est vers eux que le citoyen va se retourner lorsque la vaccination va lui être proposée ; mais si le médecin lui dit que lui-même ne se fait pas vacciner, l’effet est catastrophique ! Pour moi, l’attitude du corps médical est l’une des raisons importantes de la si mauvaise réception de la vaccination par le public, et je le regrette. Certains propos que j’ai entendus de la part de médecins sont pour moi inacceptables : ils signifient que les médecins se retirent de la dimension scientifique de la vaccination, qu’ils se positionnent sur un autre registre. Un médecin devrait être formé à la prévention, et être dans ce domaine beaucoup mieux informé sur les vaccins et leur utilisation qu’il ne le semble aujourd’hui.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Merci, monsieur le professeur, pour ce témoignage passionnant.

Hier, l’un de vos élèves, le docteur René Snacken, du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, basé à Stockholm, m’a tenu les mêmes propos que vous : connaissance et incertitude.

Parmi les connaissances figurent le génétype du virus, la sévérité de son action sur certaines catégories de personnes qui n’avaient jamais été touchées de cette façon, et la dominance de ce virus sur le virus saisonnier qu’il a effacé.

Les incertitudes portent sur les conséquences de l’apparition du virus : absence de pandémie – « ça fait pschitt » –, pandémie aux conséquences limitées ou pandémie dramatique.

Le docteur Snacken nous a aussi confirmé que la position du centre était de mettre en application le règlement sanitaire international (RSI), rédigé il y a deux ou trois ans, après l’épisode du virus H5N1. Or, la mise en application du règlement sanitaire international a pour conséquence une stratégie de vaccination de l’ensemble de la population. La Suède a donc acheté 18 millions de doses, avec l’objectif de vacciner les 9 millions de Suédois.

Par ailleurs, pour la vaccination, un ordre de priorité des publics a été établi. Était-il logique ?

M. Claude Hannoun. Tout à fait.

M.&nb