XVe législature
Session ordinaire de 2021-2022

Deuxième séance du vendredi 07 janvier 2022

Sommaire détaillé
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Deuxième séance du vendredi 07 janvier 2022

Présidence de M. David Habib
vice-président

M. le président

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    La séance est ouverte.

    (La séance est ouverte à quinze heures.)

    1. Évaluation des politiques de prévention en santé publique

    M. le président

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    L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) sur l’évaluation des politiques de prévention en santé publique.
    La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties : dans un premier temps, nous entendrons les rapporteurs du CEC, les orateurs des groupes, puis le Gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
    La parole est à M. Régis Juanico, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.

    M. Régis Juanico, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

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    La lutte contre la sédentarité est un enjeu sanitaire majeur du XXIe siècle. Les termes que nous utilisons avec Marie Tamarelle-Verhaeghe dans notre rapport d’évaluation des politiques de prévention en santé publique sont explicites : il y a urgence à désamorcer ce que nous qualifions de « bombe à retardement sanitaire ». Ce rapport constitue une alerte supplémentaire sur les dangers de la sédentarité : le temps passé couché ou assis, notamment devant les écrans, pour des activités de loisirs, ne cesse de croître dans notre vie. Associée à la diminution de l’activité physique, elle-même accentuée par la crise sanitaire, la sédentarité a des effets désastreux sur la santé physique des jeunes, mais aussi sur leur sommeil et leur alimentation.
    Temps scolaire compris, le temps passé en position assise représente 55 % de la journée des élèves de l’école primaire et 75 % quand ils atteignent 14-15 ans. D’après les chiffres de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), publiés en novembre 2020, pour l’année 2016 – avant même la crise sanitaire –, 66 % des 11-17 ans présentent un risque sanitaire préoccupant : ils passent plus de deux heures par jour devant les écrans et consacrent quotidiennement moins de soixante minutes à une activité physique. Le cardiologue François Carré observe qu’un grand nombre d’enfants qui se rendent le matin à l’école en véhicule avec leurs parents parcourent à peine une cinquantaine de pas avant la récréation de dix heures.
    Une activité physique régulière est vitale pour les jeunes, qui risquent de perdre des années d’espérance de vie en bonne santé. C’est la raison pour laquelle nous avons soutenu unanimement mardi dernier, lors de la discussion du projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, un amendement visant à dispenser les 12-15 ans du passe vaccinal pour les activités sportives.
    Après l’âge, le surpoids et l’obésité sont les principaux facteurs de risque de développer une forme sévère de la covid-19. Entre 75 et 85 % des patients en réanimation ont un indice de masse corporelle supérieur à 25. Depuis deux ans, à l’instar des gestes barrières et de la vaccination, la promotion de l’activité physique aurait donc dû être au cœur des messages de prévention de la covid-19. Je pense en particulier aux étudiants, fragilisés physiquement et psychologiquement par les confinements successifs et les cours en distanciel. Ils sont en souffrance du fait de leur isolement. Les autorités auraient dû leur proposer des activités physiques collectives de plein air. Une activité physique adaptée est aussi un moyen de guérir plus vite des séquelles du covid long.
    Au-delà de la pandémie, l’activité physique constitue un formidable levier de prévention des maladies chroniques – cancers, diabète de type 2, hypertension artérielle, etc. La sédentarité est à l’origine de 10 % des décès prématurés au niveau mondial. La capacité physique est le premier facteur prédictif de mortalité évitable. Or, comme le montre une étude américaine de 2019, il suffit de remplacer trente minutes de sédentarité quotidienne par trente minutes d’activité physique, même d’intensité modérée – par exemple, le jardinage –, pour faire baisser de 17 % la mortalité prématurée et de 30 % le risque d’accidents cardiovasculaires. Avec une activité plus intense, la diminution de la mortalité prématurée passe à 35 %.
    La lutte contre la sédentarité doit constituer la priorité, le fil rouge des politiques publiques de prévention en santé publique à tous les âges de la vie. Ce rapport est un manifeste à l’intention des pouvoirs publics et vise à remettre les Français en mouvement, par un mode de vie plus actif, avec dix-huit préconisations cohérentes. Outre notre proposition de faire de l’activité physique une grande cause nationale de 2022 dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, nous formulons des recommandations simples pour la vie quotidienne des Français.
    Nous les invitons à se lever, à s’étirer toutes les demi-heures et à privilégier les modes de transports actifs, en particulier la marche et le vélo. L’école et l’université doivent permettre d’ancrer les bonnes habitudes dès le plus jeune âge grâce à la promotion de la pratique physique et sportive et de la prévention en santé. S’agissant de l’éducation physique et sportive (EPS), nous recommandons, pour ce moment de décrochage sportif important que constitue l’adolescence, de passer de deux à trois le nombre d’heures d’EPS obligatoires au lycée et de proposer, dans les cursus d’enseignement supérieur, une unité d’enseignement libre d’activité physique et sportive. Il faut, par ailleurs, rendre systématiques les tests de condition physique en les rendant accessibles à l’école dans les cours d’EPS, à l’université, en milieu professionnel, au moment du départ en retraite et en EPHAD.
    Enfin, la prescription de l’activité physique adaptée doit être facilitée par une prise en charge, par l’assurance maladie, des consultations spécifiques et des premiers bilans médicaux sportifs et motivationnels préalables, les maisons sport-santé jouant un rôle pivot en matière d’accueil, d’information et d’orientation des publics concernés.
    L’expérimentation « As du Cœur », menée par l’association Azur sport santé auprès de malades atteints de pathologies cardiovasculaires, que nous mentionnons dans le rapport, a permis de montrer que les dispositifs d’activité physique adaptée, financés en partie par l’assurance maladie, étaient à l’origine de 30 % d’économies directes dans les dépenses de soins. Rappelons que les traitements cardiovasculaires représentent 10 % des dépenses de santé, soit 18 milliards d’euros. Imaginez, chers collègues, les économies que nous pourrions réaliser en développant ces dispositifs ! D’où ma question, monsieur le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles : le Gouvernement est-il prêt à généraliser une telle prise en charge par l’assurance maladie ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, rapporteure du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.

    Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, rapporteure du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

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    Je salue l’initiative du groupe Socialistes et apparentés d’avoir inscrit cette discussion à l’ordre du jour de notre assemblée. Elle nous donne l’occasion de faire le point sur l’évaluation des politiques de prévention en santé publique.
    Disons-le franchement, malgré les efforts entrepris depuis 2017, la révolution de la prévention que l’on nous avait annoncée n’a pas eu lieu. Elle n’est évidemment pas chose aisée. Depuis le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2003, différents travaux ont souligné les difficultés de gouvernance, de pilotage, de financement et d’évaluation de la politique de prévention. Ces difficultés ne datent donc pas d’hier. Au problème structurel s’ajoutent des constats que nous connaissons bien, mais qu’il est toujours bon de rappeler.
    La population française est vieillissante. L’espérance de vie en bonne santé de nos concitoyens est de dix ans inférieure à celle de nos voisins européens, en particulier les Suédois – dix ans ! Les maladies infectieuses ont été remplacées par un nombre grandissant de pathologies chroniques et les inégalités sociales et territoriales en matière de santé ont été mises en évidence par la crise sanitaire. La révolution de la prévention implique de bouleverser certaines logiques. Le temps qui m’est imparti pour cette intervention étant inversement proportionnel à l’étendue du sujet, je me limiterai à trois défis importants.
    Le premier est la nécessité de renforcer résolument notre action en matière de prévention primaire, laquelle constitue un levier puissant de réduction des inégalités sociales et territoriales en matière de santé. Tel est précisément l’objet du plan national de santé publique, mais je regrette que le comité interministériel qui le pilote ne se soit pas réuni depuis 2019. Nous avons certes affronté depuis une grave crise sanitaire, mais celle-ci aurait justement pu faire l’objet d’une réunion de ce comité.
    La prévention primaire implique d’agir plus résolument sur l’environnement et les comportements, notamment par la réglementation de certains produits, l’amélioration de l’information et de la promotion de la santé et la politique fiscale. Ces sujets sont évoqués par la Cour des comptes, dont je partage les constats et les préconisations. Je veux cependant insister sur le fait que les comportements favorables à la santé se construisent dès l’enfance. Nous devons donc rendre bien plus efficaces et robustes les services collectifs de prévention et d’éducation en matière de santé, aujourd’hui éparpillés autour d’une multitude d’actions sans cohérence d’ensemble.
    En ce qui concerne l’activité physique, nous avons proposé, avec Régis Juanico, de l’intégrer dans les savoirs fondamentaux. De la même manière que nous ne concevons pas une journée scolaire sans déjeuner à la cantine, nous ne pouvons plus concevoir une journée au cours de laquelle les élèves resteraient assis derrière leur bureau des heures d’affilée. Le premier défi est donc de changer de logique en considérant la prévention dès le plus jeune âge, non plus comme une politique utile bien qu’accessoire, mais comme un axe fondamental. Un tel changement affectera positivement le comportement des jeunes à l’égard de leur santé, mais aussi leur réussite scolaire.
    Le deuxième défi que nous devons relever est le dépassement du tout curatif dans la construction de notre système de santé. Il existe une contradiction entre l’intérêt de la société de s’assurer que chacun est en bonne santé et l’intérêt de notre système de santé de multiplier toujours plus le nombre d’actes et donc le nombre de malades. Il faut développer la culture de santé publique, qui n’a pas encore pleinement fait son entrée dans la formation initiale et continue des professionnels.
    Nous avons constaté, avec Régis Juanico, les lacunes de la formation des médecins dans le domaine de l’activité physique et leur difficulté à prescrire une activité physique adaptée. Nous proposons de valoriser cette prescription, qui constitue une thérapeutique à part entière, et de mieux structurer les maisons sport-santé, qui ont tant de mal à se développer. Si nous parvenons à relever ce deuxième défi, au-delà des bénéfices pour la santé des Français, ce sont bien des économies qui seront à la clé pour notre système de santé.
    Le troisième défi est le pilotage des politiques de prévention en santé publique et leur portage politique. En ce qui concerne le pilotage, nous constatons l’interminable répétition des plans thématiques, de qualités diverses – il y en a eu 51 entre 2003 et 2013. Nous proposons, quant à nous, la création d’un document unique permettant d’établir des priorités dans les objectifs de santé publique et de définir un calendrier de mise en œuvre et une évaluation. Chaque objectif devra être adossé à une organisation. Le problème, à nos yeux, n’est pas tant la « coordination des acteurs » – nous avons trop entendu ces mots, que je ne supporte plus ! – que la clarification du rôle de chacun.
    Quant au portage politique, la prévention est une politique transversale, qui concerne autant le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, le ministère chargé des transports, le ministère de l’agriculture et de l’alimentation, le ministère de la transition écologique et le ministère chargé de l’industrie. Chacun d’eux a ses priorités, parmi lesquelles ne figure pas nécessairement la prévention en matière de santé. Pour mener la révolution de la prévention, nous proposons la création d’un ministère délégué chargé de la prévention, auprès du ministre des solidarités et de la santé. Nous disposerions ainsi d’une autorité politique chargée de veiller à la déclinaison des politiques de prévention en santé publique.
    En conclusion, dans cette période de crise que nous traversons, nous souhaitons évidemment que le système de santé tienne et que nous puissions renforcer l’accès aux soins. Néanmoins, pour préserver notre système de santé, nous devons aussi nous assurer que les personnes ne sont pas malades. Tel est le sens de la politique volontariste et structurée de prévention que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens. – M. le rapporteur applaudit également.)

    M. le président

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    Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes.
    La parole est à Mme Sylvie Tolmont.

    Mme Sylvie Tolmont (SOC)

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    Je tiens, tout d’abord, à remercier nos collègues Marie Tamarelle-Verhaeghe et Régis Juanico pour le travail aussi passionnant que nécessaire qu’ils ont effectué l’année dernière sur l’évaluation des politiques de prévention en santé publique.
    Nous le savons toutes et tous, la prévention en santé publique recouvre un large spectre de thématiques : la lutte contre les inégalités de destin, qu’elles soient sociales ou territoriales ; le développement de l’activité physique et sportive ; les apprentissages liés aux usages du numérique ; l’éducation alimentaire ou encore la lutte contre la dépendance et les maladies chroniques. Chacun de ces sujets mériterait de longs développements tant ils sont importants et concernent l’ensemble de nos concitoyens, tout au long de leur vie.
    Dans le temps qui m’est imparti, je m’attacherai pour ma part à évoquer le sujet majeur de la sédentarité, les dégâts auxquels elle conduit et la place cruciale que l’école de la République doit occuper en matière de prévention. J’insisterai particulièrement sur l’activité physique et sportive, principal levier de l’action publique et grande absente de la politique du Gouvernement.
    En effet, au-delà de son intérêt puissant comme outil de socialisation et de réduction des inégalités, les bienfaits de la pratique sportive en matière de santé physique et mentale ne sont plus à prouver. Ils sont considérables et avérés, comme de nombreuses études en attestent. Selon le rapport d’information de nos collègues, 54 % des hommes et 44 % des femmes de 18 à 74 ans sont considérés comme en surpoids ou obèses. Si ce chiffre tombe à 17 % s’agissant des enfants âgés de 6 à 17 ans, le constat reste alarmant et doit nous interpeller.
    Je pense aussi à un phénomène auquel la plupart d’entre nous ont déjà été confrontés : la surexposition aux écrans. Alors que la durée moyenne d’exposition annuelle des 3-10 ans est de sept cent vingt-huit heures, l’exposition précoce aux écrans est en voie de systématisation ; en matière de santé, ses conséquences sur le long terme seront sans aucun doute importantes. Elles se font d’ailleurs déjà sentir, puisque 66 % des 11-17 ans font déjà face à un risque sanitaire préoccupant lié à ce phénomène.
    C’est d’ailleurs pour lutter contre ses nombreux effets pervers que le groupe Socialistes et apparentés avait déposé, à l’occasion du premier projet de loi audiovisuel de cette législature – le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique –, plusieurs amendements visant à réduire l’exposition des enfants aux communications commerciales promouvant des produits alimentaires trop riches en sucre, en sel ou en matières grasses.
    Face à la sédentarisation des modes de vie et à la surexposition aux écrans, il est plus que nécessaire de faire preuve de volontarisme. Depuis cinq ans, monsieur le ministre, nous nous interrogeons sur les mesures que vous avez engagées avec votre majorité pour vous attaquer à ces deux phénomènes, aggravés par la crise sanitaire. À cet égard, comme le souligne là encore le rapport de nos collègues, il est urgent d’agir en inscrivant résolument l’activité physique dans les cursus scolaires, en instaurant un véritable suivi de la santé des élèves et en privilégiant des initiatives novatrices en matière de développement de l’activité physique.
    Finalement, le sport est générateur de bien-être ; mais, à maintenant deux ans des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, dont la dynamique doit favoriser un développement ambitieux de l’activité physique et sportive au cœur de notre quotidien, les propositions de la majorité ne sont pas à la hauteur. Lors des débats sur la mission Sport, jeunesse et vie associative du projet de loi de finances pour 2022, la majorité – pardonnez-moi de le dire – a montré son absence totale d’ambition en matière sportive : les 987 millions d’euros consentis, qui représentent 0,32 % du budget de la nation, sont très éloignés de l’objectif de 1 % et des 3 milliards nécessaires dans la perspective des Jeux olympiques.
    Alors, monsieur le secrétaire d’État, quand comptez-vous passer des bonnes intentions aux actes ? Il ne nous paraît pas sérieux de promouvoir une politique ambitieuse de développement de l’activité physique sans y associer les financements nécessaires.
    Enfin, puisque les actions de prévention sont d’autant plus efficaces lorsqu’elles interviennent tôt dans la vie, je souhaite insister sur la place essentielle que doivent occuper nos établissements scolaires en matière de prévention primaire. Alors qu’il y a urgence à développer la pratique du sport santé dès le plus jeune âge, le temps dédié au sport dans les établissements scolaires est plus qu’insuffisant. Quant aux étudiants, souvent contraints de financer leurs études en exerçant une activité salariée, ils subissent eux aussi la sédentarité.
    Pour terminer, il me paraît absolument nécessaire d’évoquer les difficultés rencontrées par la médecine scolaire, lesquelles sont récurrentes du fait de moyens humains et financiers insuffisants et inadaptés. Monsieur le secrétaire d’État, quelles décisions comptez-vous prendre pour qu’elle parvienne à jouer le rôle déterminant qui doit être le sien en matière de prévention primaire ? Et plus largement, quels moyens allez-vous instaurer afin de favoriser l’activité physique chez nos jeunes, problème encore plus criant en ce temps de crise sanitaire ? Enfin, comment comptez-vous inciter davantage à la lutte contre la sédentarité ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LaREM, Dem et Agir ens.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Annie Chapelier.

    Mme Annie Chapelier (Agir ens)

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    Mes chers trop rares collègues, je salue l’effort que vous faites d’être présents pour débattre d’un sujet aussi essentiel. Alors que notre système de santé a tenu le coup après deux années de crise sanitaire, les défis qui nous attendent dans le champ de la prévention en santé sont colossaux, et ce n’est rien de le dire.
    Votre rapport, mes très chers collègues, fait la part belle au sport, qui y est étudié comme un outil de prévention en santé. Le groupe Agir ensemble et moi-même partageons très largement non seulement votre constat général, mais aussi votre proposition de remettre le sport au cœur de nos actions de prévention et de le définir comme grande cause nationale dès 2022.
    Notre population se sédentarise, ce qui entraîne une explosion de l’obésité ainsi que la multiplication de maladies chroniques telles que le diabète ou l’hypertension. Cette situation ne va pas en s’améliorant. La sédentarité, qualifiée à juste titre de « bombe à retardement » dans le rapport, est tellement omniprésente dans nos modes de vie modernes que les jeunes de 9 à 16 ans ont perdu 25 % de leurs capacités physiques en l’espace de cinquante ans.
    Les chiffres sont probants : en France, on estime à 50 000 le nombre de décès évitables liés chaque année aux conséquences de la sédentarité. La prévention en santé et la lutte contre la sédentarité sont donc bien des enjeux majeurs de santé publique, peut-être même les enjeux principaux de notre époque. L’activité physique apparaît dès lors comme une magnifique arme de prévention en santé, qu’il nous faut davantage valoriser et employer face à une crise favorisant le repli sur soi et l’isolement. C’est pourquoi il importe de la considérer – avec les aménagements nécessaires – comme une chance, et non comme un facteur de risques sanitaires supplémentaires – cela a trop souvent été le cas depuis deux ans.
    À mes yeux, le rôle de l’activité physique en matière de prévention en santé publique doit donc faire l’objet d’une réflexion globale qui doit interroger notre gestion de la crise mais aussi nos modes de vie, grâce à une approche holistique de la santé. Parler de l’activité physique, c’est aussi réfléchir à nos modes de transports, au temps passé devant les écrans et à notre alimentation, entre autres sujets. Mais pour développer nos actions de prévention autour du sport, il nous faut – comme pour chacune de nos actions – des moyens humains et donc, bien évidemment, des professionnels de santé.
    Dans la liste des recommandations que contient votre rapport, il est notamment fait mention des professions paramédicales, en particulier des infirmiers, mais la pratique avancée n’est pas évoquée. Il pourrait pourtant être opportun de déployer ces métiers sur l’ensemble de notre territoire, afin de remédier au gradient social qui existe en matière d’accès aux soins. Justement, un rapport de l’IGAS consacré à la pratique avancée est sorti hier, et il va précisément dans ce sens.
    La Cour des comptes elle-même, dans sa dernière communication sur les politiques publiques en santé, qui date de novembre 2021, explique que l’un des freins majeurs au bon développement de la prévention en France se trouve dans « l’organisation des soins primaires ». Alors que le Ségur de la santé fixait un objectif de 5 000 infirmiers en pratique avancée (IPA) pour 2024, j’appelle de mes vœux l’ouverture du premier recours à l’accès direct de la pratique avancée infirmière en soins primaires, ainsi que la réingénierie des spécialités existantes, afin qu’elles puissent rejoindre au fur et à mesure la pratique avancée. En effet, les IPA pourraient ainsi investir le champ de la prévention, que ce soit par des actions d’éducation à la santé, de dépistage ou par des missions d’accompagnement et de prévention concernant le tabac, les addictions ou encore les troubles alimentaires.
    Pour un meilleur suivi médical à l’école, nous pourrions notamment créer l’IPA en santé scolaire, afin de rendre le métier plus attractif et plus autonome. Comme le rappelle très justement le rapport, la France comptait en 2018 une infirmière pour 1 300 élèves et un médecin pour 12 500 élèves. De tels chiffres ne permettent pas d’effectuer un suivi rigoureux de la santé de nos enfants, et empêchent de mener une véritable politique de prévention.
    La création d’un IPA en santé au travail permettrait par ailleurs de réaliser des visites d’information et de prévention. Alors que depuis le 1er juillet 2012, le médecin du travail peut confier – sous sa responsabilité – certaines activités aux infirmiers, le champ de ces activités doit être élargi pour garantir que l’action mutuelle des deux parties soit plus efficace.
    Enfin, la création d’un IPA en prévention et contrôle de l’infection (PCI) serait un atout majeur dans la lutte contre les risques émergents et contre l’antibiorésistance. Durant la crise, les infirmiers-hygiénistes ont démontré que leur action était indispensable.
    Ces trois champs d’exercice, centrés sur la prévention, l’éducation à la santé et le dépistage, ne sont que des exemples. Bien entendu, la création d’un tel dispositif nécessite – entre autres – l’élaboration de nouveaux modèles et de nouvelles maquettes de formation, ainsi que des conventionnements avec les universités, une réingénierie et un travail de fond.
    C’est ainsi que de façon presque inéluctable, la lutte contre la désertification médicale et l’augmentation des besoins en santé de notre population conduisent à déplacer le centre de gravité de la politique de santé publique des médecins vers les professions paramédicales, pour une amélioration de la prévention en santé.
    Certaines initiatives que j’ai saluées dès leur annonce, comme l’instauration du service sanitaire permettant d’initier les étudiants en santé à la prévention, sont déjà à l’heure de leur premier bilan. Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous, je vous prie, nous communiquer les chiffres relatifs au déploiement de ce dispositif et nous indiquer dans quelle stratégie nationale de prévention il s’intègre ? Une démarche chiffrée doit nous rassembler collectivement autour de la défense d’objectifs communs, pour une meilleure prévention en santé. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et de la commission.)

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.

    M. Jean-Hugues Ratenon (FI)

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    Il ne faut pas attendre d’être malade pour bénéficier d’un accès au sport : il faut donc miser sur la prévention dès le plus jeune âge. Car oui, il est urgent de lutter contre la sédentarité et de promouvoir des modes de vies plus actifs au quotidien ; il est urgent de mettre l’éducation physique et sportive au goût du jour. Mettre en mouvement les gens, c’est aussi un moyen de prévenir l’addiction aux écrans.
    Mais notre modèle de société est aussi à revoir. En effet, les produits industriels, que l’on trouve dans les étals des grandes surfaces, sont bourrés de produits chimiques ; accessibles à moindre coût, ils rendent malades. Pour être en bonne santé, il faut aussi en avoir les moyens, et la pauvreté joue incontestablement un rôle négatif en ce domaine.
    Prenons l’exemple de mon île, La Réunion : 39 % de la population y vit en dessous du seuil de pauvreté, et nous en connaissons les conséquences. Fréquenter une salle de sport, pratiquer des loisirs extrascolaires, acquérir des équipements sportifs pour nos enfants : tout cela a un coût ! En somme, sans moyens, il est difficile de prendre soin de sa santé.
    C’est pour cette raison que si nous voulons améliorer la santé des Françaises et des Français, en particulier de nos jeunes, il faut avant tout lutter contre ce fléau qu’est la pauvreté et miser sur la prévention. Parallèlement, il faut ouvrir, en dehors des horaires scolaires, les équipements sportifs des établissements scolaires aux autres publics, et mieux accompagner les associations œuvrant dans ce domaine, faut de quoi les loisirs risquent de se limiter aux écrans, favorisant malgré eux la sédentarité.
    S’y ajoute l’enjeu du « bien manger ». Nous savons tous qu’avec peu de ressources financières, il est difficile de manger sain et équilibré : on aura tendance à acheter des produits de mauvaise qualité qui rendent malades. En réalité, le bon marché coûte cher !
    Sur nos territoires, les maladies métaboliques sont en pleine expansion et il est urgent d’agir contre ces fléaux. C’est pourquoi j’adhère à la proposition 18 du rapport de M. Juanico et de Mme Tamarelle-Verhaeghe, que je remercie pour leur travail. Comme l’évoquent également mes collègues Maud Petit et Jean-Philippe Nilor dans le rapport d’information qu’ils ont rédigé au nom de la délégation aux outre-mer sur le sport et la santé dans les outre-mer, l’activité physique et sportive et le « bien manger » sont les meilleurs médicaments pour soigner et guérir le corps, tant physiquement que psychiquement.
    Ainsi, l’éducation thérapeutique en faveur d’une bonne hygiène de vie doit passer par la mise à disposition des moyens nécessaires pour créer des ateliers relatifs au bien-être physique et psychique mais aussi à toutes les questions de nutrition, afin d’apprendre aux plus jeunes à prendre soin d’eux-mêmes. Que ce soit en partenariat avec l’éducation nationale ou par le biais associatif, ces ateliers doivent être animés par des professionnels, diététiciens et nutritionnistes, qui doivent jouer un rôle de formateurs et d’éducateurs en matière d’alimentation. Des structures comme les maisons sport-santé doivent être développées, ainsi que les structures associatives telles que les maisons de quartier. Les outre-mer comptent d’ailleurs des sportifs de haut niveau, qui pourraient par exemple parrainer ces associations afin d’inciter les jeunes à la pratique sportive.
    Monsieur le secrétaire d’État, les territoires d’outre-mer comptent au moins 950 000 personnes pauvres et sont sujets au chômage de masse. La prévalence de maladies chroniques liées à l’alimentation y est beaucoup plus forte que dans l’Hexagone. En effet, le diabète touche 10 % des Martiniquais, 11 % des Guadeloupéens et 14 % des Réunionnais, contre une moyenne nationale de 5 % ; l’hypertension artérielle est plus élevée dans la plupart des outre-mer – 45 % à La Réunion, 43 % à Mayotte, 42 % en Martinique, 39 % en Guadeloupe, pour ne citer qu’elles – qu’en métropole. Enfin, à La Réunion, quatre personnes sur dix sont en surpoids et une personne sur dix est atteinte d’obésité.
    Face à ce constat alarmant, monsieur le secrétaire d’État, les outre-mer doivent devenir des terres d’expérimentation et bénéficier d’une priorité en matière de sport-santé et de bien-être alimentaire. Quel est votre avis à ce sujet ? (M. le rapporteur applaudit.)

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

    M. Jean-Christophe Lagarde (UDI-I)

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    Le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques a choisi de cibler ses travaux sur le rôle de l’activité physique dans la prévention en santé publique. Il y a, en effet, beaucoup à dire en ce domaine, tant il est indispensable de bouger et d’être physiquement actif : le corps et l’esprit en ont besoin. Mais il convient d’adopter un point de vue plus général, ce sera la deuxième partie de mon propos.
    Le groupe UDI et indépendants, notamment Valérie Six qui est spécialiste de ces questions, partage votre constat : nous devons lutter contre la sédentarité qui s’est aggravée avec la crise sanitaire, les confinements successifs et les restrictions d’accès aux salles de sport. L’activité physique possède de très nombreuses vertus et constitue un excellent moyen de se prémunir contre les maladies chroniques. « Le sport tout au long de la vie » est un souvent un slogan. Dès l’école, l’activité physique est importante pour la motricité, la croissance et le développement de l’enfant. La pratique d’un sport se poursuit durant toute la scolarité, mais bien souvent, lorsqu’ils accèdent à l’enseignement supérieur, les étudiants y renoncent faute de temps dédié et d’organisation adaptée. C’est pourquoi nous approuvons votre proposition de rendre systématique une unité d’enseignement libre d’activité physique et sportive dans l’enseignement supérieur. Nous pensons même que les établissements devraient effectuer un suivi et vérifier la participation et l’adhésion des étudiants à ces activités.
    La crise sanitaire nous a rappelé que les étudiants, qui ont un âge que nous envions ou que nous regrettons, sont pourtant une population vulnérable. La pandémie s’est accompagnée d’une dégradation de l’état de santé mentale de bon nombre d’entre eux, à laquelle l’absence d’activité sportive a hélas contribué.
    Nous manquons aussi d’infirmières et de médecins scolaires. Votre rapport rappelle ces chiffres cruels : une infirmière pour 1 300 élèves, un médecin pour 12 500 élèves. La Cour des comptes, sollicitée en avril dernier par la commission des finances, a d’ailleurs indiqué qu’une réorganisation complète de la médecine scolaire, assortie d’une révision de ses méthodes de travail, était indispensable. Les pouvoirs publics doivent se saisir de cette question.
    Nous devons aussi promouvoir le sport dans la vie professionnelle car il est un remède contre le mal de dos, le stress, les risques de burn-out et bien d’autres pathologies. Le sport guérit et, mieux encore, il prévient les maladies : trente minutes d’activité physique par jour réduisent le risque d’accident cardio-vasculaire de 30 % en moyenne. À partir de 45 ans, chaque salarié doit pouvoir faire un bilan de son état de santé afin de corriger ses mauvaises habitudes. L’institut Pasteur de Lille a créé un parcours longévité permettant de dépister les fragilités des patients et de les accompagner dans une démarche de prévention. Ce modèle pourrait être financé par les cotisations versées aux services de santé au travail.
    Enfin, comme indiqué dans mon propos introductif, je pense que la prévention en santé ne doit pas se limiter au sport. Notamment lorsqu’elle s’adresse aux jeunes, elle passe aussi par de solides politiques de sensibilisation. Au nom de Valérie Six, je tiens à vous alerter une fois de plus sur un phénomène en pleine expansion et qui met notre jeunesse en danger : l’usage détourné du protoxyde d’azote. Dimanche dernier, seize tonnes de bouteilles de protoxyde d’azote ont été découvertes, destinées à alimenter un trafic bien organisé. Les consommateurs de protoxyde d’azote sont passés des cartouches – que nous retrouvons vides sur le sol de nos rues – aux bonbonnes. Il est urgent d’agir !
    Nous demandons à nouveau au Gouvernement de publier le décret encadrant la vente de ces cartouches, qui est attendu depuis juin dernier et le vote unanime de l’Assemblée nationale et du Sénat sur la proposition de loi de Valérie Létard. Nous appelons aussi le Gouvernement à organiser une campagne de sensibilisation contre cette consommation détournée qui provoque pertes de connaissance, brûlures par le froid, vertiges, chutes. Une consommation répétée peut entraîner des troubles neurologiques ou cardiaques graves.
    Plus généralement, nous devons développer les campagnes de prévention contre la toxicomanie, l’usage des drogues, et sensibiliser aux risques de la consommation du cannabis. J’approuve la campagne de prévention organisée par le Gouvernement sur les risques d’ordre sanitaire, éducatif et social de l’usage de cette drogue. J’appelle de mes vœux une campagne similaire à l’égard du protoxyde d’azote.

    M. le président

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    La parole est à Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe.

    Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe (LaREM)

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    Cette intervention au nom du groupe La République en marche me permet de compléter et d’illustrer mon propos de rapporteure. En tant que médecin, qu’ai-je observé sur le terrain ? L’activité physique est un puissant moyen de lutter contre les cancers, les pathologies chroniques, qu’il s’agisse d’affections pulmonaires comme l’asthme ou de maladies cardio-vasculaires comme le diabète, l’hypercholestérolémie et l’hypertension, et l’obésité.
    Cet effet prouvé s’explique notamment par le fait que l’activité physique rend la métabolisation du glucose beaucoup plus facile. La pratique du sport pourra permettre au diabétique de diminuer sa prise d’insuline ou d’autres traitements, voire de se passer de médicaments si la maladie est prise en charge très tôt. Au vu de ce constat, on pourrait croire que la pratique du sport est préconisée très fréquemment aux malades. En interrogeant encore récemment un confrère dans le cadre de la rédaction de ce rapport, j’ai constaté que ce n’était pas le cas. Il m’a dit qu’il ne prescrivait pas d’activité physique comme levier thérapeutique, tout en admettant que ce serait une bonne idée. C’est dire que cela ne fait pas partie de la culture et de la formation des professionnels de santé !
    Une fois les bienfaits de l’activité physique connus de tous et promus par les professionnels de santé, se pose la question du lieu de la pratique. En matière d’offre d’activités physiques adaptées, un gros travail reste à faire. Si les maisons sport-santé sont en pleine expansion, elles émanent souvent d’initiatives locales et ne sont pas forcément coordonnées entre elles. Dans certains territoires, où elles sont nombreuses, elles se spécialisent pour éviter de se concurrencer ; dans d’autres, cependant, elles sont inexistantes. À notre avis, il faudrait clarifier les missions de ces structures et mettre l’accent sur leur rôle de référent.
    Forte de l’expérience de la mission d’évaluation sur l’alimentation saine et durable que j’ai conduite avec Julien Dive, je pense que la promotion de l’activité physique pourrait être un levier puissant de prévention primaire des pathologies chroniques. Or il est un autre domaine, que je connais très bien et qui me tient particulièrement à cœur, où cette prévention est insuffisante : la santé à l’école. Il faudrait prendre le sujet à bras-le-corps.
    Quels sont les besoins fondamentaux des enfants ? De quoi ont-ils besoin pour mener leur vie de tous les jours et être en bonne santé ? L’activité physique est un besoin fondamental quotidien. Étant des cueilleurs-marcheurs, nous sommes physiologiquement conçus pour bouger tout le temps, alors que nous sommes devenus très sédentaires.
    Autres besoins fondamentaux : dormir, boire, manger, éliminer. En y regardant de près, on se rend compte qu’ils ne sont pas toujours bien pris en compte à l’école. Une fois sortis de la moyenne section de maternelle, les enfants ne font plus de sieste, alors qu’ils en auraient besoin pour acquérir plus facilement les compétences demandées. Pour qu’ils puissent boire, y a-t-il des distributeurs d’eau à disposition ? J’en ai vu à l’Assemblée, mais pas beaucoup dans les écoles. Quant à l’élimination, c’est un vrai sujet. En raison des soucis de discipline et des peurs d’adulte liées à la sécurité, les enfants, à l’école, ne peuvent pas aller aux toilettes en cas de besoin.
    Pour l’activité physique, le même constat d’insuffisance est posé. Sous l’égide de M. Blanquer, une expérimentation est conduite dans certaines écoles élémentaires où les enfants pratiquent trente minutes d’activité physique, ce dont je me réjouis. Cependant, l’expérience ne concerne que peu d’écoles alors que l’activité physique est un besoin fondamental. Lors de mes temps d’échanges avec les jeunes dans les écoles, au bout d’une demi-heure, je leur demande de se lever pour que nous fassions tous trente seconde d’étirements. Tout le monde se demande ce que fait la députée ! (Sourires.) En réalité, tout se passe très bien et on se sent tous beaucoup plus dynamique ensuite.
    Nous prônons donc une politique beaucoup plus incisive à l’école. Comme je vous sais très impliqué dans la protection des enfants, monsieur le secrétaire d’État, je ne doute pas que vous serez un vrai facilitateur dans ce domaine.

    M. le président

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    La parole est à M. Cyrille Isaac-Sibille.

    M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem)

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    Au nom du groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés, je tiens à remercier nos collègues Régis Juanico et Marie Tamarelle-Verhaeghe pour la qualité de leur travail. Ils nous apportent un éclairage pertinent sur les conséquences néfastes de la sédentarité sur notre santé et sur la promotion de l’activité physique comme moyen d’y faire face. Je les remercie aussi et surtout d’avoir permis de mettre ce sujet si important à l’ordre du jour de notre assemblée.
    Notons tout d’abord que la notion de santé publique reste mal définie pour beaucoup d’entre nous. Qu’est-ce que la santé publique ? C’est avoir une approche populationnelle de la santé dans toutes ses dimensions et conduire une action sur les déterminants de santé qui peuvent être liés aux caractéristiques individuelles, au milieu de vie, au système d’éducation et de santé, au contexte socio-économique.
    La modification des comportements – modes alimentaires, baisse de l’activité physique, habitudes face aux écrans et au sommeil – et des facteurs environnementaux comme la qualité de l’air et de l’eau sont les premiers facteurs qui déterminent notre santé. Ils sont d’ailleurs appelés « déterminants de santé ». Lorsqu’ils sont dégradés, ils sont en grande partie responsables de la hausse des maladies chroniques et psychiques.
    Quelle est la bonne nouvelle ? Nous savons qu’il est possible d’influer positivement sur ces déterminants grâce à la modification de nos habitudes de vie et à l’adoption de politiques publiques. Alors qu’ils ont longtemps été au cœur des préoccupations des pouvoirs publics, une approche curative leur a été préférée. Jusqu’en 1974, je le rappelle, nous avions des ministères de la santé publique. Nous avons désormais des ministères de la santé.
    Depuis plusieurs années, les médecines de prévention – protection maternelle et infantile (PMI), médecine scolaire et du travail – sont malmenées voire délaissées, alors qu’elles sont des acteurs cruciaux de santé publique et de réduction des inégalités. Pourtant de grandes inégalités demeurent en matière de santé et d’éducation. Si la France détient le record de longévité, elle détient aussi le record de vieillissement en mauvaise santé.
    Qu’avons-nous fait durant cette législature ? Nous avons pris plusieurs mesures en faveur de la santé publique, que j’aimerais rappeler : hausse du nombre de vaccins obligatoires dès le plus jeune âge ; reconnaissance de l’activité physique comme traitement à part entière, dès lors qu’elle est prescrite par un médecin ; mise en place du service sanitaire des étudiants en santé afin d’initier 47 000 d’entre eux à la notion de santé publique, à la prévention et à la promotion de la santé ; forte taxation des cigarettes ; accompagnement du nutri-score.
    Que nous reste-t-il à faire ? Votre rapport confirme des constats connus et unanimes.
    Vous soulignez à juste titre que l’adoption d’une politique de santé publique représente un investissement et non un coût. Vous pointez la nécessité d’un portage politique fort, afin de garantir l’efficacité d’une politique de santé publique préventive. Le groupe MODEM souscrit entièrement aux recommandations émises dans ce rapport, notamment s’agissant de la promotion de l’activité physique et sportive auprès de la jeunesse et de l’ancrage de l’éducation physique et sportive dans les apprentissages fondamentaux.
    Pour donner une nouvelle dimension à notre politique de prévention, nous devons transformer cette impulsion de façon résolue et durable en proposant, comme vous le faites, des solutions pratiques et concrètes. Ensemble, nous devons ériger la prévention en priorité publique, tant au niveau national que local, par une appropriation de la notion de santé publique par les Français et les responsables institutionnels ; par une approche multidimensionnelle de la santé, qui suppose d’exercer cette compétence de façon interministérielle, en associant les ministères de l’éducation nationale, de l’agriculture, des sports, des transports, du logement, des collectivités territoriales et du travail ; par un cadrage national fixant les priorités de santé publique ; par l’étude des déterminants de santé ; par la désignation d’une instance chargée de l’évaluation et de la validation des actions – j’en avais dénombré plus de 26 000 dans un rapport sur la prévention santé en faveur de la jeunesse ; par une déclinaison locale coordonnant tous les acteurs institutionnels et collectivités et s’appuyant sur les expérimentations déjà existantes et évaluées ; par une politique de promotion de la santé à destination de tous les milieux dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, dans le cadre scolaire ou extrascolaire comme dans le monde du travail, sans oublier les personnes âgées et handicapées ; et enfin par un financement dédié et identifié, par exemple dans un sous-objectif de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) lors du vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
    Je conclurai en paraphrasant Hippocrate, qui disait que nos aliments sont notre première médecine : faisons de nos bons comportements notre première médecine. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem ainsi que sur les bancs des commissions.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Marietta Karamanli.

    Mme Marietta Karamanli (SOC)

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    Tout d’abord, je remercie, au nom du groupe Socialistes et apparentés, Régis Juanico et Marie Tamarelle-Verhaeghe pour leur rapport très complet, qui traite en particulier des enjeux de santé liés à la sédentarité et à l’absolue nécessité du sport et de l’activité physique pour toutes et tous – jeunes et adultes, bien portants et personnes malades. Le rapport détaille les grands enjeux, précise les constats que nous faisions déjà, si j’ose dire, de façon empirique et partielle, et propose des pistes d’amélioration sous la forme de dix-huit recommandations qui, en réalité, en recouvrent chacune plusieurs.
    Il serait très difficile de revenir sur l’ensemble des points abordés, mais une place importante est faite à la protection de la santé et au bien-être des enfants et des jeunes, ce dont nous pouvons nous réjouir.
    La sédentarité liée à une mauvaise alimentation est source d’une augmentation de l’obésité et du diabète de type 2 chez les jeunes Européens. Ce constat est malheureusement partagé, que ce soit dans l’Union européenne ou parmi les États membres du Conseil de l’Europe. L’obésité et le diabète de type 2, troubles du métabolisme acquis, sont des maladies évitables, qui raccourcissent la durée de vie et peuvent conduire à d’autres pathologies, y compris, cela a été rappelé, des maladies cardiovasculaires et le cancer. Elles affectent de manière négative la qualité de vie des malades et constituent une charge considérable pour les systèmes de santé. La France doit donc réagir de manière urgente à cette autre crise de santé publique.
    Je laisserai de côté l’autre face de la prévention, à savoir l’adoption d’habitudes alimentaires saines dès le plus jeune âge. S’agissant des modes de vie sains, l’intérêt du rapport est de proposer des mesures pour améliorer le bien-être des enfants et des jeunes dans tous les domaines de leur vie, en abordant la question de l’activité physique de manière holistique. Je reviendrai sur quelques points d’attention et d’action – information, éducation, accès aux équipements et associations, mobilité urbaine, temps libre des familles – et formulerai trois propositions complémentaires.
    D’abord, le rapport fait de l’information un thème transversal en vue de promouvoir un style de vie plus actif. Il met aussi l’éducation ainsi que les écoles – entendues au sens large du terme – et les efforts qu’elles fournissent pour encourager et faire pratiquer l’exercice physique au cœur de l’action à venir.
    Un autre axe de progression en la matière passe par un meilleur accès des enfants et des jeunes à l’éducation physique et au sport hors de l’école, notamment au travers des activités parascolaires. L’amélioration de l’accès aux installations sportives, en particulier dans les quartiers socialement défavorisés, et à un mode de vie plus actif doit être une priorité. La place et le rôle des associations sportives dans ces quartiers, y compris pendant et après la pandémie, devraient faire l’objet d’une réflexion et bénéficier de mesures de soutien ciblées de la part des autorités publiques.
    De façon complémentaire, il conviendrait d’envisager des mesures spécifiques pour favoriser la mobilité urbaine en encourageant le vélo et la marche grâce à l’amélioration de l’urbanisme et des politiques de transports : cela constituerait un axe de progrès.
    Parallèlement, une action en faveur de l’aménagement des temps de travail et de vie serait de nature à permettre aux parents de mieux profiter de leurs déplacements, de leurs pauses et de leurs moments de repos pour se détendre et se dépenser avec leurs enfants de façon à la fois sécurisée et confortable.
    Pour terminer, je ferai trois propositions. J’estime que la participation des enfants et des jeunes à la conception des programmes de santé publique à leur intention constitue une condition importante de la réussite de ces derniers. Il conviendrait donc de veiller à ce que les jeunes participent pleinement à l’élaboration de ces programmes, à tous les niveaux. Certains pays européens ont développé des modèles et des bonnes pratiques qui pourraient servir d’études de cas et ont institué des mécanismes de consultation efficaces, dans le cadre desquels les enfants et les jeunes participent activement à la planification et au déploiement des programmes qui les concernent.
    Au moment où la France prend la présidence du Conseil de l’Union européenne, il convient de rappeler l’importance des programmes et campagnes menés à l’échelle européenne pour encourager un mode de vie actif et décourager les activités trop sédentaires.
    Enfin, des recherches pourraient être menées pour connaître les raisons pour lesquelles certains enfants et jeunes trouvent l’éducation physique ennuyeuse et insatisfaisante.
    Je souhaite que les dix-huit recommandations figurant dans le rapport puissent être prises en considération par le Gouvernement, mais aussi par toutes les autorités publiques concernées, aujourd’hui comme demain. (M. le rapporteur applaudit.)

    M. le président

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    La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.

    M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles

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    Permettez-moi tout d’abord de remercier les différents présidents de groupe – notamment M. Lagarde, ici présent – d’avoir bien voulu décaler les débats de cette semaine afin de permettre l’examen d’un projet de loi important, adopté par l’Assemblée à une heure avancée de la nuit de mercredi à jeudi, et même au petit matin, même si, comme vous, je regrette que nous soyons, de ce fait, probablement un peu moins nombreux en séance que ne le mériterait ce thème fort intéressant.

    Mme Marietta Karamanli

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    Nous sommes là !

    M. Adrien Taquet, secrétaire d’État

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    Vous êtes effectivement présente, madame la députée, pour débattre du rapport du CEC.
    Fidèles à la tradition d’évaluation des politiques publiques qui incombe au Parlement, Marie Tamarelle-Verhaeghe et Régis Juanico, que je remercie à mon tour, ont produit un rapport important et passionnant, de près de deux cents pages, sur un thème qui figure parmi les priorités du ministère des solidarités et de la santé : la prévention en santé publique. Ce rapport accorde en particulier une place de choix au rôle du sport dans les politiques de prévention.
    Je m’en réjouis, car, comme vous avez été nombreux à le rappeler, les bénéfices de l’activité physique sur la santé ne sont plus à démontrer. À deux ans et demi des Jeux olympiques et paralympiques de Paris et à quelques mois de la fin d’une législature qui, je le crois, a permis de réelles avancées – sur lesquelles je reviendrai – dans nos politiques de prévention, je suis donc heureux que nous puissions prendre le temps d’échanger sur les différentes actions déployées au cours des dernières années et sur les nouvelles orientations proposées par les rapporteurs.
    Avant d’entrer dans le cœur de ces propositions, je rappellerai le cadre de l’action actuellement menée par les pouvoirs publics en matière de prévention en santé publique.
    Comme le rapport le présente clairement, la stratégie nationale de santé 2018-2022 et la stratégie nationale sport-santé 2019-2024 sont les deux bras armés de la politique de prévention au plan national. Elles agissent de façon complémentaire et ont permis de très réelles avancées ces dernières années.
    Je pense notamment au déploiement des maisons sport-santé, que vous avez été plusieurs à évoquer. Ces espaces permettent d’informer et de mobiliser les non-sportifs, en particulier ceux dont la santé est la plus fragile, sur l’offre de sport à leur disposition. Nous poursuivrons nos efforts pour atteindre l’objectif de 500 maisons d’ici à la tenue des Jeux olympiques. Je peux d’ailleurs annoncer que 152 nouvelles maisons sport-santé ont été labellisées cette semaine, en plus des 300 que nous comptions jusqu’à présent.
    Je pense également à toutes les expérimentations permises par l’article 51 de la LFSS pour 2018. Je constate d’ailleurs que plusieurs d’entre vous ont mentionné des expériences locales menées dans leur territoire, ce qui me semble plutôt encourageant. Ces expérimentations ont permis de faire naître spontanément une trentaine de dispositifs innovants, plaçant l’activité physique au centre de parcours thérapeutiques pour les patients atteints de maladies chroniques, de cancers, ou encore de maladies neurodégénératives.
    L’expérimentation « Mission : retrouve ton cap » en constitue un bel exemple. Menée dans le Nord et le Pas-de-Calais, elle permet, depuis 2018, d’accompagner par le sport des jeunes de 3 à 8 ans présentant un risque de surpoids et d’obésité. Grâce à ce dispositif, ces enfants ont pu effectuer des activités physiques adaptées et bénéficier de consultations avec des diététiciens et des psychologues, sans que cela ne coûte le moindre centime à leur famille. C’est d’ailleurs pour moi l’occasion de répondre à l’une des questions soulevées par le rapporteur Juanico quant aux séances d’activité physique adaptée et à leur prise en charge par l’assurance maladie : tant que nous n’aurons pas défini un modèle économique viable et soutenable, nous préférons, vous l’aurez compris, encourager les expérimentations menées sur la base de l’article 51, afin de pouvoir généraliser la prise en charge sur la base d’une évaluation robuste et qui aura fait la preuve du bénéfice des dispositifs concernés en santé publique.

    M. Régis Juanico, rapporteur

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    Ça marche !

    M. Adrien Taquet, secrétaire d’État

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    Nous partageons votre volonté, mais il est de notre responsabilité de trouver un modèle économique viable. Les expérimentations en cours arriveront à leur terme en 2023 ou en 2024. Une généralisation devrait pouvoir être envisagée sur cette base.
    L’expérimentation « Mission : retrouve ton cap » a porté ses fruits. Dans le cadre de la LFSS pour 2022, l’Assemblée l’a généralisée à la France entière et étendue aux jeunes de 3 à 12 ans, pour un montant de 32 millions d’euros. C’est une excellente nouvelle pour les jeunes sujets au surpoids ou à l’obésité.
    Nous savons que les territoires d’outre-mer sont particulièrement touchés par le surpoids et l’obésité, notamment du fait du fait d’une alimentation peu favorable à la santé et d’un manque d’activité physique. M. Ratenon l’a expliqué clairement. Je tiens à lui dire, ainsi qu’aux autres députés d’outre-mer, que le ministère des solidarités et la santé a engagé, en lien étroit avec les acteurs de terrain, l’élaboration d’un volet outre-mer du programme national nutrition santé (PNNS), afin de prendre en considération les spécificités et les enjeux de ces territoires. Le résultat de ce travail sera publié à la fin du premier trimestre de 2022. La Réunion, qui a initié dès 2020 le programme réunionnais de nutrition et de lutte contre le diabète (PRND), sera évidemment partie prenante de cette démarche.
    Voilà les premiers éléments de réponse que je pouvais vous apporter. J’aurai l’occasion, au cours de notre discussion, de revenir sur d’autres actions conduites par l’État depuis le début du quinquennat, mais nous sommes avant tout réunis pour échanger sur les dix-huit propositions formulées par les rapporteurs. Je le dis sans détour : rassurez-vous, le Gouvernement est parfaitement en phase avec la grande majorité des recommandations que vous formulez. Certaines rejoignent d’ailleurs celles qui ressortent de la mission confiée par Olivier Véran au professeur Franck Chauvin sur la modernisation de notre santé publique. Permettez-moi, désormais, de revenir sur celles de vos idées qui me semblent particulièrement importantes.
    Vous appelez tout d’abord au lancement d’une campagne nationale de prévention, d’information et d’action sur la lutte contre la sédentarité. Cette première proposition me semble déjà satisfaite puisqu’une telle campagne a été conduite en août 2021, portée par un slogan dans lequel nous nous reconnaissons tous : « C’est trop bon de faire du sport ! » Elle a vocation à revenir chaque année, pendant un mois, jusqu’en 2024.
    La deuxième proposition de votre rapport porte sur l’addiction aux écrans, un sujet évoqué par plusieurs d’entre vous cet après-midi. Ce fléau touche l’ensemble des Français, en particulier les enfants, notamment – vous l’avez souligné – en cette période de pandémie, marquée par le confinement. Je tiens d’ailleurs à souligner que la santé est aussi au cœur de mon engagement de secrétaire d’État chargé de l’enfance. Je peux aujourd’hui affirmer devant vous – j’y reviendrai peut-être au moment des questions – qu’une feuille de route portant spécifiquement sur l’usage responsable des écrans et une meilleure prise en charge des addictions et des vulnérabilités est en cours de finalisation au sein du ministère des solidarités et de la santé – le ministre lui-même prend d’ailleurs part à ce travail – et que nous nous tenons à votre disposition pour enrichir son contenu avec vos éventuelles suggestions.
    La mise en place de tests de capacité physique et de forme pour tous, qui fait l’objet de votre troisième proposition, est actuellement à l’étude. Deux mesures sont en cours de déploiement au niveau local afin de creuser cette idée. Sur le plan pratique, une expérimentation est en cours dans l’académie de Créteil. Elle consiste à faire passer une batterie de tests physiques aux écoliers afin d’adapter la pratique qui leur est proposée et donc peut-être – je le précise à l’intention de Mme Karamanli – de mieux prendre en considération leur avis et leur parole pour l’élaboration de ces programmes. Sur un plan plus théorique – certains orateurs ayant appelé de leurs vœux le développement de la recherche sur ces questions –, une vaste étude est actuellement menée avec le soutien de la Fédération française de cardiologie afin de mesurer la capacité physique des collégiens français sur la base d’une cohorte de 10 000 jeunes. Selon les résultats de ces deux initiatives locales, nous pourrons effectivement être amenés à mettre en place votre recommandation à une échelle plus large.
    Unifier les objectifs de la prévention et établir des priorités, ancrer l’éducation physique et sportive dans les apprentissages fondamentaux, enrichir la formation des enseignants sur la pratique du sport ou encore assurer la promotion du sport dans chaque école : comment ne pas partager l’esprit de telles recommandations ?
    Bien sûr, nous pouvons débattre des modalités de mise en œuvre de ces objectifs. Les textes de loi sont là pour ça, notamment celui portant sur la démocratisation du sport, que le Sénat examinera dans les prochains jours et qui a été adopté ici, à l’initiative de la majorité parlementaire que je salue. Y figure notamment l’idée – à laquelle je veux vous assurer de notre soutien plein et entier – d’une prise en charge d’un bilan médico-sportif par l’assurance maladie – quatorzième proposition de votre rapport.
    À maints égards, la place de l’école, évoquée par nombre d’entre vous, est centrale, dans ce rapport comme dans les politiques menées. La généralisation dans les écoles du dispositif Trente minutes d’activité physique quotidienne, lancé dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, est ainsi en cours. Il ne s’agit pas de l’imposer à toutes les écoles mais de laisser celles-ci y adhérer sur la base du volontariat.
    Si, aujourd’hui, plus de 4 000 écoles sont officiellement associées à ce dispositif, ce sont dans les faits plus de 12 000 écoles qui le proposent à leurs élèves. Pour appuyer le développement de cette mesure et en faire la promotion, une circulaire à destination des établissements scolaires est en cours de rédaction par le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
    Votre treizième proposition, par laquelle vous appelez à un renouvellement des cours de récréation des écoles, va être satisfaite. Nous travaillons à de nouveaux référentiels de conception et d’aménagement des établissements scolaires afin de rendre leurs cours et leurs espaces de pratique sportive mieux adaptés à la diversité des jeux et à la motricité, comme vous l’avez préconisé. En bref, il s’agit de faire en sorte que les cours d’école ne soient pas que des terrains de football réservés aux joueurs les plus talentueux – même si le rapporteur, ou plutôt le capitaine Juanico ne serait pas forcément opposé à une telle idée ! – mais également des espaces de pratique sportive accessibles à toutes et à tous.
    Le développement des maisons sport-santé, qui fait l’objet de votre dix-septième proposition, est un objectif que nous partageons totalement. Comme je le disais à l’instant, 452 maisons sport-santé ont vu le jour ou ont été labellisées comme telles au cours de cette législature, notre objectif étant d’atteindre les 500 établissements d’ici à la fin 2022. Dans la même logique, l’inscription de ces maisons sport-santé dans la loi permettra de solidifier l’assise juridique de ces structures.
    La discussion que nous avons ensemble aujourd’hui est essentielle et le rapport qui nous est présenté permet de l’éclairer de manière précise et rigoureuse. Les chiffres, que vous connaissez, sont vertigineux : selon la Fédération française de cardiologie, depuis quarante ans, les jeunes de 9 à 16 ans ont perdu 25 % de leur capacité physique. C’est donc un fléau et, pour reprendre l’expression du rapporteur, une bombe à retardement.
    La pratique sportive et la lutte contre les écrans sont des leviers d’action majeurs. Mais il y en a d’autres, qui se nichent dans le quotidien des jeunes et des moins jeunes. Au ministère des solidarités et de la santé, nous croyons profondément au sport que l’on pratique sans s’en rendre compte, aux mobilités actives et à tout ce qui encourage le mouvement au cours d’une journée. Se déplacer à pied ou à vélo, chaque fois que c’est possible, dès le plus jeune âge, c’est faire du sport sans s’en rendre compte et cela permet d’acquérir des réflexes favorables à la santé tout au long de la vie.
    Il s’agit là d’une responsabilité partagée par tous les hommes et femmes politiques que nous sommes parce que le principal frein au développement des mobilités actives dans notre pays a trop longtemps été la crainte de ne pas pouvoir se déplacer de manière autonome et active dans des conditions optimales de sécurité. En la matière, bien sûr, les pratiques sont en train de changer, à l’initiative du Gouvernement, avec par exemple un plan Vélo ambitieux, mais aussi, évidemment, à l’initiative de nombreux élus locaux qui font le choix d’infrastructures sécurisées pour favoriser la marche ou le vélo.
    Ce que je dis à propos de la lutte contre la sédentarité vaut bien sûr également à propos de la prévention de la perte d’autonomie. Un déplacement que l’on ne peut pas faire de manière active, en marchant ou en pédalant, passé un certain âge, c’est toujours un pas de plus vers la perte d’autonomie. Vous le savez peut-être, une mission a été confiée au député Jean-Marc Zulesi pour mettre les mobilités actives au service de la prévention de la perte d’autonomie. Cet enjeu est essentiel à l’heure où notre société s’apprête à connaître, vous le savez, une transition démographique majeure, ce qui nous oblige à trouver des solutions pour permettre à chacun de vivre le plus longtemps possible, autonome et en bonne santé. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

    M. le président

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    Nous en venons aux questions. Je rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes. Je veillerai au respect scrupuleux de cette règle pour que nous puissions mener le second débat de cet après-midi jusqu’à son terme dans le délai qui nous est imparti.
    La parole est à Mme Sylvie Tolmont.

    Mme Sylvie Tolmont (SOC)

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    Je souhaite revenir sur le lien entre les problèmes d’obésité, de surpoids et de sédentarité chez les jeunes, notamment en relation avec le temps passé devant les écrans. J’associe évidemment à cette question ma collègue Chantal Jourdan que je remplace en raison de la modification de notre ordre du jour.
    De nombreuses études ont montré l’impact négatif des comportements sédentaires, en particulier devant un écran, sur le développement physique, cognitif, émotionnel et social des enfants et adolescents, ainsi que sur leurs résultats scolaires, leur bien-être, leur sommeil et leur santé mentale.
    Depuis le début de l’épidémie, l’accroissement important de l’usage du numérique par les enfants et les adolescents durant les phases de confinement a aggravé cette tendance. L’étude récente de l’ANSES que j’évoquais tout à l’heure, et qui porte sur l’année 2016, montre qu’en France 49 % des 11-17 ans présentent un risque sanitaire très élevé car ils passent plus de quatre heures trente devant un écran et font moins de vingt minutes d’activité physique par jour.
    Le rapport de nos collègues met en avant plusieurs études qui, elles aussi, établissent un lien entre l’obésité, la sédentarité et les inégalités sociales. Comme le souligne ce même rapport, il semble que la communication et l’information relatives à l’offre de soutien à la parentalité et aux possibilités de prise en charge des enfants pour les aider à se défaire d’une addiction aux écrans doivent être renforcées.
    Pouvez-vous nous indiquer quels sont les objectifs du Gouvernement en la matière ? Et comment comptez-vous prendre en considération les disparités qui existent selon les milieux socio-économiques ?

    M. le président

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    .La parole est à M. le secrétaire d’État.

    M. Adrien Taquet, secrétaire d’État

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    Votre question prolonge certains propos que plusieurs orateurs et vous-même avez tenus dans la première partie du débat.
    Je ne reviendrai pas sur le constat que vous avez assez bien détaillé, aussi bien s’agissant de la situation de ces dernières années que de son aggravation pendant la crise sanitaire, en particulier à l’occasion des phases de confinement, durant lesquelles le temps d’exposition des enfants aux écrans a augmenté, ce qui a eu des conséquences sur la sédentarité et l’obésité. Un article paru hier encore faisait état de cette évolution, non seulement en France mais aussi dans une grande partie des pays développés.
    S’agissant plus largement du rapport à l’écran, nous veillons à ne pas tomber dans la diabolisation et essayons de tenir un discours équilibré, entre, d’un côté, les bénéfices, réels, que les écrans peuvent apporter à nos enfants, comme dans le cas de l’école à la maison – lorsque nous avons dû fermer les écoles, ce sont bien les écrans qui ont permis d’assurer une continuité pédagogique –…

    Mme Sylvie Tolmont

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    Oui !

    M. Adrien Taquet, secrétaire d’État

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    …et, de l’autre, les dangers qui leur sont bien sûr associés.
    Notre démarche vise à promouvoir un usage raisonné des écrans. J’ai ainsi évoqué tout à l’heure la feuille de route sur l’usage des écrans qui sera dévoilée dans les prochaines semaines. J’ajoute que nous abordons ces problèmes en étant conscients qu’ils se posent dès la toute petite enfance puisque nous les évoquons dans le cadre de la politique, purement préventive, des 1 000 premiers jours, qui concerne les enfants de moins de 3 ans. Les CAF, les caisses d’allocations familiales, sont des acteurs d’accompagnement à la parentalité qui aident les parents en matière d’usage raisonné des écrans par les enfants.
    Enfin, le site jeprotegemonenfant.gouv.fr, lancé par le Gouvernement, et initialement destiné à accompagner les parents au sujet de la question de l’exposition précoce des enfants à la pornographie, se transforme en un site plus général d’accompagnement des parents en matière d’usage raisonné des écrans par les enfants.

    M. le président

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    La parole est à M. Vincent Ledoux.

    M. Vincent Ledoux (Agir ens)

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    Je veux tout d’abord saluer la qualité de ce rapport qui inscrit à notre ordre du jour une question essentielle. Lorsque j’étais maire d’une commune du Nord, pendant plus de dix-sept ans, j’ai pu mesurer l’importance des leviers d’action dont dispose l’élu territorial pour entraîner et mobiliser toute une collectivité sur des enjeux majeurs tels que la prévention de l’obésité infantile, pour citer une question qui se pose avec acuité dans mon département, qui cumule les indicateurs sociaux défavorables – M. le secrétaire d’État, qui se rend souvent dans le Nord, sait très bien de quoi je parle.
    J’ai pu constater, en tant qu’élu local, qu’il fallait faire tomber certains tabous et lutter contre certains clichés. Par exemple, plutôt que d’envisager le sport comme une compétition – une image véhiculée dans les clubs –, il était au contraire nécessaire de faire en sorte que les clubs et nos concitoyens associent désormais cette pratique à des notions telles que le loisir, la famille ou la santé.
    Le sport peut se pratiquer dans une cour de récréation. Cette idée a nécessité une première évolution de la part de l’ensemble du corps enseignant, qui considérait auparavant qu’il fallait absolument avoir accès à une salle de sport. Or une cour de récréation peut représenter un premier terrain.
    La prévention de l’obésité infantile – qui reste un fléau contre lequel il faut lutter – suppose aussi que l’on prenne soin de l’alimentation des enfants, que l’on fasse attention au contenu de leur assiette. Lorsque je rends visite à des médecins à l’hôpital public de Tourcoing et que je vois les personnes admises en réanimation, je constate malheureusement que le lien entre les formes graves du covid-19 et l’obésité est flagrant. La prévention doit donc commencer dès le plus jeune âge.
    Je sais que beaucoup a déjà été fait en la matière et que le secrétaire d’État est très attentif à ces questions. Au passage, celles-ci ne relèvent pas uniquement de la responsabilité de l’État, il revient à chaque élu territorial de s’en emparer.
    Ma question est simple : comment peut-on faire plus, mieux et autrement pour lutter contre l’obésité des enfants ? La mise en réseau me semble par exemple absolument indispensable. J’ai pu l’observer lorsque j’ai eu la chance de rejoindre le programme VIF, Vivons en forme, qui permet aux acteurs locaux d’échanger les bonnes pratiques.

    M. le président

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    .La parole est à M. le secrétaire d’État.

    M. Adrien Taquet, secrétaire d’État

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    Je vais m’évertuer à respecter ce cadre, monsieur le président.
    Tout d’abord, monsieur Ledoux, je pense qu’on peut lutter efficacement contre l’obésité en commençant le plus précocement possible. À cet égard, je me permets de me référer à une des politiques menées dont vous savez qu’elle m’est chère, celle des « 1 000 premiers jours », car c’est dès ce moment que l’éducation des enfants – mais aussi probablement celle des parents parce que cela va ensemble – peut se développer, qu’il s’agisse du rapport à l’écran, de l’activité physique, en l’occurrence plus précisément de la motricité à cet âge-là, mais aussi des pratiques alimentaires et donc de la dimension nutritionnelle. Tous ces points font partie intégrante de notre démarche.
    S’agissant des « 1 000 premiers jours », vous savez qu’une des premières préconisations du rapport Cyrulnik était d’élaborer des messages de santé publique à destination des parents sur cette période de la vie, portant notamment sur les sujets que nous évoquons ensemble, parce que les parents sont un peu perdus, étant soit abreuvés d’informations contradictoires, soit sous-informés. Ainsi, l’activité physique, la nutrition mais aussi l’éveil culturel et artistique, et bien d’autres, font partie des sujets intégrés dans ces messages de santé publique élaborés depuis, conjointement par le ministère et Santé publique France, et se retrouvent notamment sur l’application « 1 000 premiers jours », comme sur le site www.1000-premiers jours.fr, dont je me permets de faire la promotion. Sachez aussi qu’à chaque déclaration de naissance aujourd’hui, la CAF envoie en retour au quatrième mois un petit livret où sont inscrits tous ces messages de santé publique.
    Ensuite, vous avez cité le programme « Vivons en forme », qui vise en effet à mobiliser les collectivités et les acteurs de proximité autour de l’objectif résumé dans son titre, à savoir accompagner les familles vers l’adoption de comportements plus favorables à la santé, et le ministère reste à l’écoute des idées qui pourraient permettre, dans le cas de partenariats vertueux, de développer plus encore ce type de dispositif, notamment avec les CAF, qui sont des partenaires majeurs des collectivités dans les territoires.

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

    M. Jean-Christophe Lagarde (UDI-I)

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    Monsieur le secrétaire d’État, lorsqu’on parle de politiques de prévention en santé, la première des choses que nous avons envie de vous dire, c’est que la meilleure des préventions, c’est l’accès aux soins. Or la désertification médicale en prive de nombreux territoires de notre pays, qu’ils soient urbains ou ruraux, empêchant une prévention efficace. Comment pourrait-on croire à une politique de prévention efficace quand 6 millions de Français n’ont pas aujourd’hui accès aux soins ? Le groupe UDI et indépendants a présenté tout au long de la législature des propositions sur ce sujet, et nous y reviendrons dans le débat qui aura lieu prochainement.
    Ma question porte sur la mise en œuvre des plans de prévention. Le cadre en est défini au niveau national tandis que la mise en œuvre est régionale, confiée aux agences régionales de santé – les ARS. Le rapport indique très clairement que le pilotage de ces politiques pourrait être amélioré. Les rapporteurs critiquent la dispersion d’énergie et de financements dans l’application de ces plans qui se multiplient, se succèdent et même se superposent, qui dépendent tous d’une autorité différente et qui manquent d’évaluation.
    À l’UDI, nous faisons depuis longtemps une proposition simple et efficace : la décentralisation de la compétence santé, qui relèverait ainsi des régions : celles-ci seraient ainsi à même de définir elles-mêmes leurs priorités, en fonction par exemple de la prévalence particulière de telle ou telle pathologie sur leur territoire, et sans doute de mettre en œuvre plus efficacement ces politiques en rassemblant les acteurs dudit territoire. Voilà, monsieur le secrétaire d’État, ce que nous souhaiterions voir bouger.
    Je rappelle que les ARS ont été créées il y a quelques années parce qu’il fallait déconcentrer le ministère de la santé, mais il nous semble que la pandémie a montré que cette déconcentration n’est pas suffisante : l’État doit rester maître de la partition, mais qu’il laisse les musiciens l’interpréter sur le terrain. Ce sera plus rapide et plus adapté, plus efficace en un mot. Car ce qui est le plus frappant pour nous aujourd’hui, c’est l’inégalité de santé entre les territoires et par conséquent l’inégalité en termes d’espérance de vie, sans doute la plus grande de toutes entre les Français.

    M. le président

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    .La parole est à M. le secrétaire d’État.

    M. Adrien Taquet, secrétaire d’État

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    Nous nous rejoignons sur un certain nombre de choses, à commencer par le constat de la désertification médicale. Je ne vous rappellerai pas qu’elle a donné lieu à de nombreux échanges, débats, propositions de loi, mais aussi à de nombreuses mesures du Gouvernement depuis le début du quinquennat, qu’il s’agisse de la suppression du numerus clausus, de la mise en place du dispositif Ma santé 2022, du développement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et des hôpitaux de proximité, de l’assouplissement des relations entre la médecine de ville et l’hôpital, de la télémédecine – qui a connu une accélération à l’occasion de cette crise sanitaire –, etc. Autant de dispositifs que nous mettons en place pour lutter contre la désertification médicale et améliorer l’accès aux soins de nos concitoyens partout sur le territoire.
    S’agissant de la décentralisation de la santé au niveau régional, je crois que nous poursuivons cette démarche au maximum depuis le début du quinquennat, mais tout en conservant une approche nationale pour garantir cette égalité en santé que vous appelez de vos vœux, tout comme nous, évidemment. Nous confions, par exemple, de plus en plus de prérogatives aux agences régionales de santé.
    Ainsi, la dernière loi de financement de la sécurité sociale, que vous avez votée tout récemment, prévoit le transfert d’enveloppes de missions d’intérêt général au niveau des ARS et non plus au niveau du ministère. Cette démarche de déconcentration continue à se développer et à irriguer les territoires. De même, le Ségur de la santé a confié la quasi-totalité de ses enveloppes au niveau territorial, c’est-à-dire au niveau des agences régionales de santé.
    En revanche, et c’est sur ce point qu’en effet nous ne nous retrouverons pas, il ne semble pas souhaitable au Gouvernement d’aller jusqu’à des objectifs régionaux des dépenses d’assurance maladie.

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    C’est notre proposition, en effet ! C’est le droit à la différenciation !

    M. Adrien Taquet, secrétaire d’État

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    Ce serait une remise en cause possible de l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire.
    Enfin, j’ajoute que nous avons vu, à la lumière de la crise, l’intérêt d’avoir un système de santé national avec un niveau de décentralisation avancée, mais, là aussi, il semble que notre analyse de la crise ne soit pas exactement la même. Nous avons eu des débats par le passé, sur ce sujet et d’autres viendront très bientôt, je n’en doute pas.

    M. le président

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    La parole est à M. Rodrigue Kokouendo.

    M. Rodrigue Kokouendo (LaREM)

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    Dans ce rapport d’information sur l’évaluation des politiques de prévention en santé publique, le sport est proposé comme un vecteur essentiel du bien vieillir et comme un outil de lutte contre la dépendance. Une relation de causalité financière et sanitaire est d’ailleurs établie entre le bien vieillir et le sport, et inversement entre la dépendance et la sédentarité. Penser l’activité physique comme moyen de prévenir la dépendance doit être un travail collectif et c’est pourquoi notre majorité agit depuis plus de quatre ans aux côtés du Gouvernement pour développer la pratique sportive à destination du plus grand nombre. Nous avons ainsi adopté en première lecture la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France, qui permettra notamment d’intégrer le sport parmi les missions des établissements sociaux et médico-sociaux.
    Nous avons également agi pour le grand âge en augmentant, par exemple, le minimum vieillesse de 100 euros par mois, ce qui a touché plus de 433 000 personnes. Mais je ne reviendrai pas aujourd’hui sur toutes ces grandes réformes qui ont beaucoup fait pour le quotidien des Français.
    La politique de santé publique pour nos seniors doit être globale. Elle doit impliquer des acteurs pluriels comme les fédérations sportives, lesquelles proposent déjà des séances dédiées à la prévention du vieillissement et ont même labellisé des programmes autour des problèmes d’équilibre et de baisse de la mémoire. Nous devons également une politique urbaine attractive et adaptée aux activités sportives telle que la préconise ce rapport. Cette politique devra aussi prendre en compte les déterminants psychologiques et sociodémographiques, sur lesquels se sont penchées de nombreuses études, du commencement d’une activité sportive chez les personnes âgées comme de l’adhésion à long terme à la pratique.
    Du fait de l’évolution démographique de nos sociétés occidentales, nous sommes désormais sommés de faire face à la seniorisation de notre société : il nous faut anticiper la lutte contre la dépendance. Dans leur rapport très documenté, Marie Tamarelle-Verhaeghe et Régis Juanico, que je remercie encore pour cet excellent travail, proposent une autre voie, vers et par le sport. Monsieur le secrétaire d’État, par quelle politique de prévention de santé publique allez-vous encourager les Français, et notamment les seniors, à démarrer ou à maintenir une activité physique régulière, a fortiori dans un contexte de crise sanitaire durable ?

    M. le président

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    La parole est à M. le secrétaire d’État.

    M. Adrien Taquet, secrétaire d’État

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    Monsieur le député, vous l’avez rappelé : la population âgée augmente grâce à l’élévation de la durée de vie – ce dont il faut se réjouir tout de même. Ainsi, la part des personnes de 65 ans, et plus va passer de 17 % en 2010 à 30 % en 2060, et le nombre de personnes de 85 ans et plus, de 1,5 million à 4,8 millions à l’horizon 2050. Mais il y a une différence importante entre espérance de vie et espérance de vie en bonne santé, et cette dernière stagne depuis 2005 à 61-62 ans pour les hommes et à 63-64 ans pour les femmes, et l’enjeu se trouve là. Si les Français vivent plus longtemps que leurs concitoyens européens, ils entrent aussi de manière plus précoce dans la dépendance.
    L’anticipation et l’accompagnement du vieillissement et de ses conséquences sont une priorité pour le Gouvernement, en particulier évidemment pour ma collègue Brigitte Bourguignon. La feuille de route « grand âge et autonomie » permet de construire des réponses globales qui pourront être mises en œuvre à l’échelle des territoires en associant tous les acteurs impliqués. La stratégie nationale sport santé prévoit, quant à elle, de sensibiliser les conférences des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie aux offres et aux programmes d’activités physiques et sportives en direction des seniors, mais aussi de mobiliser les services déconcentrés du ministère des sports autour de plans sportifs territoriaux. Il s’agit de veiller à la mise en place, par exemple, d’équipes techniques régionales thématiques, mais aussi de développer le référencement de l’offre d’activités physiques et sportives adaptées pour tous les publics. Ce travail s’appuie notamment sur le réseau de nos maisons sport-santé, qui sont désormais, je le rappelle, au nombre de 430. Il permet également de promouvoir les programmes de prévention des chutes.
    Nous communiquons sur les bienfaits d’une pratique régulière d’une activité physique et sportive en direction des publics âgés et des familles : je vous renvoie notamment à la campagne « C’est trop bon de faire du sport ! » lancée en septembre dernier et que j’évoquais dans la première partie du débat.
    Enfin, un guide destiné à accompagner les acteurs dans la mise en place de l’activité physique à visée de maintien de l’autonomie va sortir d’ici quelques jours.
    Il est essentiel de continuer à parler du sport pour les seniors, c’est ce que vous faites, et je vous en remercie.

    M. le président

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    La parole est à M. Rodrigue Kokouendo, pour sa seconde question.

    M. Rodrigue Kokouendo (LaREM)

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    Je pose cette question au nom de mon collègue Belkhir Belhaddad qui ne peut être présent aujourd’hui. Il tient en premier lieu à remercier les rapporteurs pour la qualité des travaux et pour les nombreuses propositions avancées auxquelles il adhère totalement.
    Ainsi que le montre le rapport, l’enjeu d’une plus grande structuration des politiques de prévention en santé publique autour d’activités physiques et sportives est majeur. En ce sens, le Gouvernement s’est fixé comme objectif de favoriser le développement de la pratique d’une activité physique et sportive pour tous et partout, avec un objectif de 3 millions de pratiquants supplémentaires d’ici à 2024. La mise en œuvre opérationnelle de cet objectif s’est traduite par un renforcement des moyens, avec la reconduction du pass’sport en 2022 par exemple, mais également par une nouvelle gouvernance de l’action publique autour de grandes orientations nationales et de stratégies interministérielles, comme la stratégie nationale sport santé.
    Alors que la crise sanitaire a contribué à éloigner durablement une partie de la population de la pratique sportive, rappelons que la pratique d’une activité physique concourt à l’atteinte de nombreux objectifs de prévention en santé publique. En ce sens, la montée en puissance du sport santé et de l’activité physique adaptée agira comme un vaccin des plus efficaces pour lutter contre l’accroissement de la sédentarité et contre l’inactivité physique, pour prévenir le développement de maladies chroniques et pour allonger la durée de vie en bonne santé.
    Dans cette perspective, le rapport revient sur l’efflorescence d’initiatives locales, mais mon collègue souhaite savoir ce qui est envisagé par le Gouvernement pour recenser et pour évaluer l’efficacité de ces bonnes pratiques afin de les généraliser au niveau national. Quels acteurs seront mobilisés pour effectuer ce travail ? Enfin, le Gouvernement s’est doté d’une stratégie pluriannuelle nationale sport santé, dont les objectifs ont été adoptés en amont de la crise sanitaire : pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, qu’il faille faire évoluer les objectifs de cette stratégie au regard des enseignements de la pandémie ?

    M. le président

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    La parole est à M. le secrétaire d’État.

    M. Adrien Taquet, secrétaire d’État

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    Je salue et remercie par votre intermédiaire le député Belkhir Belhaddad pour ces questions, car la sienne en comporte plusieurs.
    S’agissant de la prise en charge financière des séances d’activité physique adaptée, à part par ce qui existe déjà dans le cadre de l’assurance maladie, elle n’est pas envisagée, comme je l’indiquais dans ma première intervention, avant que nous puissions définir un modèle économique soutenable.
    À ce stade, nous avons fait le choix raisonnable, me semble-t-il, de développer les expérimentations dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 pour éventuellement envisager de généraliser la prise en charge de l’activité physique adaptée sur la base d’évaluations robustes.
    La stratégie du Gouvernement est à ce jour plutôt de favoriser l’adhésion à la pratique d’une activité physique au long cours, en ciblant les financements sur les déterminants de cette pratique, dans le cadre d’une démarche éducative pérenne qui tende à la modification des habitudes de vie du patient. C’est précisément la logique qui a été retenue dans le cas du parcours post-cancer, comme nous avons pu le constater, la ministre des sports, Roxana Maracineanu et moi-même, à l’Hôtel-Dieu. Une doctrine a été établie concernant les items pris en charge, tels que la consultation d’un médecin, les bilans de la condition physique, etc.
    Le Gouvernement reste favorable à la concentration des efforts financiers sur l’accompagnement de l’activité physique, voire à l’accroissement du rythme de son suivi et de sa durée de façon à favoriser l’observance par le patient de l’activité prescrite.
    Le Premier ministre a annoncé la généralisation, en 2022, de l’expérimentation « Mission : retrouve ton cap », déjà évoquée, qui s’adresse aux jeunes de 3 à 12 ans en situation de surpoids ou d’obésité. Une enveloppe de 32 millions d’euros y est consacrée.
    Une mission d’évaluation de l’impact des maisons sport-santé sur la condition physique des bénéficiaires a été confiée à l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité. Je rappelle que nous comptons désormais 430 maisons sport-santé. C’est par ce réseau que nous pourrons recenser les bonnes pratiques locales et réfléchir à une généralisation de certaines expérimentations qui peuvent y être menées.
    La dynamique de la stratégie nationale sport santé doit évidemment se poursuivre et se concrétiser toujours davantage dans le quotidien des Français. Tous les publics concernés par cette stratégie ont besoin du sport qui constitue un enjeu majeur : ils l’ont affirmé durant la crise. Une grande campagne de communication, que j’ai évoquée à plusieurs reprises, a d’ailleurs été lancée par le ministère.

    M. le président

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    La parole est à M. David Corceiro.

    M. David Corceiro (Dem)

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    Ma question porte sur les conclusions du rapport d’information relatives à la jeunesse. Depuis cinquante ans, les jeunes de 9 à 16 ans ont perdu 25 % de leur capacité physique. En 1971, il fallait en moyenne trois minutes à un enfant pour courir 600 mètres ; aujourd’hui, il lui en faut quatre.
    Le temps passé devant les écrans constitue l’une des causes de la sédentarité croissante de nos jeunes. En France, 66 % des 11-17 ans passent plus de deux heures par jour devant les écrans, mais consacrent moins de soixante minutes à une activité physique. Le confinement n’a fait qu’augmenter l’usage intensif des écrans : le rapport d’information relève que, durant le premier confinement, pour 94 % des enfants, l’exposition aux écrans s’est élevée à plus de quatre heures par jour. Ces chiffres sont inquiétants. C’est pour cela qu’en décembre dernier, à l’initiative de notre collègue Caroline Janvier, plusieurs personnalités politiques et membres du Parlement, dont moi-même, ont signé une tribune contre la surexposition des enfants aux écrans.
    Obésité, diabète, mais aussi cancers et maladies cardiovasculaires : les risques liés à la sédentarité sont multiples. La nécessité de pratiquer une activité physique régulière pour être en bonne santé n’est pas seulement un slogan : c’est une réalité prouvée par les résultats observés sur le terrain, et elle relève de notre responsabilité collective. Le rapport fait état de ce constat : l’activité physique pleinement intégrée à notre quotidien dès notre plus jeune âge réduit le risque de maladies chroniques.
    Je tiens à saluer les mesures gouvernementales mises en place depuis 2017. Je pense aux maisons sport-santé qui, depuis 2019, permettent aux personnes atteintes de maladies chroniques de renouer avec le sport. Je songe également au pass’sport qui s’inscrit dans le processus d’égalité des chances voulu par notre majorité. L’année 2022 sera celle de la jeunesse, les Jeux olympiques de 2024 approchent : n’est-ce pas le moment d’encourager une prise de conscience collective et individuelle ?
    Monsieur le secrétaire d’État, comment informer plus amplement les jeunes générations des méfaits de la sédentarité et du temps d’écran sur leur santé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)

    M. le président

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    La parole est à M. le secrétaire d’État.

    M. Adrien Taquet, secrétaire d’État

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    L’activité physique est évidemment un déterminant majeur de l’état de santé des individus et des populations à tous les âges de la vie, et dès les premières années. Nos propos et nos échanges depuis plus d’une heure l’illustrent : elle contribue à améliorer l’état de santé, et ses bienfaits constituent un réel apport permettant aux personnes de mieux vivre avec la maladie et de mieux supporter les traitements.
    La stratégie nationale sport santé 2019-2024 a pour ambition de promouvoir l’activité physique et sportive comme un élément déterminant à part entière de santé et de bien-être. Il est donc nécessaire de continuer à favoriser la pratique d’activités physiques par les enfants et les jeunes afin de limiter la sédentarité qui a, de surcroît, pu augmenter depuis la crise.
    Je le répète, le Gouvernement généralise l’expérimentation « Mission : retrouve ton cap », qui s’adresse aux jeunes de 3 à 12 ans. Une campagne de communication sur cette thématique sera reprise chaque année jusqu’à 2024 pour encourager les Français à se mettre ou à se remettre au sport.
    Au-delà, notre idée est de proposer un véritable programme d’accompagnement des Français – un peu sur le modèle du mois sans tabac que vous connaissez probablement – en s’appuyant sur des ambassadeurs pour mobiliser les réseaux existants, car il en existe, et sur les maisons sport-santé. Je rappelle que l’objectif de 500 maisons sera atteint cette année.
    J’ai déjà commencé à répondre concernant les écrans : les effets d’une surexposition des jeunes enfants à un contenu inapproprié sont évidemment une source de questionnement et de préoccupation pour le Gouvernement. Il s’agit de l’une des actions que nous menons depuis quatre ans en essayant de promouvoir un usage raisonné de l’écran – sans le diaboliser, car une fois encore, lorsque l’écran fait par exemple l’objet d’un usage partagé entre l’enfant et ses parents, il a aussi des effets bénéfiques.
    Toutefois, en tant que parents mais aussi comme professionnels, nous devons tous préparer l’avenir en relevant un double défi : prémunir nos enfants contre les dangers des écrans pour éviter qu’ils ne s’y perdent, tout en leur apprenant à développer des usages qui leur permettent de devenir des citoyens d’une société connectée et responsable.
    La feuille de route des écrans sera achevée avec le ministre des solidarités et de la santé Olivier Véran dans les prochaines semaines. Le site jeprotegemonenfant.gouv.fr va élargir son champ d’action, passant de la lutte contre l’accès précoce à la pornographie à une aide et un accompagnement sur tous les sujets relatifs au numérique, c’est-à-dire à l’ensemble de ce qu’on appelle la parentalité numérique. Il y aura également un renforcement de l’action des CAF, qui organisent de nombreux ateliers sur la parentalité numérique. Nous prenons aussi un certain nombre d’initiatives dans un cadre européen ou international pour promouvoir un usage mieux raisonné des écrans et, plus encore, une protection de nos enfants contre un certain nombre de menaces qui rôdent toujours plus aujourd’hui dans l’univers numérique.

    M. le président

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    Mes chers collègues, le débat est clos.
    Monsieur le secrétaire d’État, nous vous remercions.

    2. Accueil des migrants au sein de l’Union européenne
    et réforme du règlement Dublin III

    M. le président

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    L’ordre du jour appelle le débat sur l’accueil des migrants au sein de l’Union européenne (UE) et la réforme du règlement de Dublin III.
    La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
    Nous saluons le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne qui nous a rejoints.
    La parole est à Mme Maud Gatel.

    Mme Maud Gatel (Dem)

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    Au crépuscule de sa vie, Jean Monnet écrivait dans ses mémoires : « L’Europe se fera dans les crises, et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». C’est dire, alors que nous assistons à tant de tragédies liées aux migrations, à quel point nous appelons de nos vœux cette leçon de l’histoire. Au groupe Démocrates, nous prônons une stratégie européenne globale sur la question des migrations qui, n’en déplaise à certains, constituent un enjeu majeur qui appelle des réponses autrement plus fines et complexes que ce que certains débats pourraient laisser à penser.
    Notre défi, que d’aucuns qualifieront de civilisationnel, tient dans l’approche commune et globale qui doit permettre d’aborder le phénomène migratoire né des bouleversements géopolitiques, économiques et climatiques du monde. Cette approche doit d’abord s’inscrire dans un projet humaniste, et dans le respect de nos valeurs et engagements internationaux, qu’il s’agisse de l’indispensable préservation du droit d’asile ou du renforcement de l’accès aux droits.
    Notre action doit à la fois reposer sur l’aide aux pays de départ, sans quoi rien ne sera possible car il faut rappeler que personne ne quitte son pays par plaisir, et sur la mise en œuvre des décisions prises, exigence tant pour les personnes accueillies que pour celles que nous ne pouvons accueillir. L’efficacité dans l’action est un prérequis de l’humanité dont nous devons faire preuve.
    Vision stratégique européenne, action diplomatique et de développement de long terme pour garantir et pérenniser le droit d’asile et nouer un nouveau partenariat entre l’Union européenne et l’Union africaine : voilà déjà ce que Marielle de Sarnez appelait de ses vœux dans l’avis qu’elle avait rédigé au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif. Cette vision est aussi celle tracée par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne, en 2017. C’est pourquoi, alors que s’ouvre la présidence française du Conseil de l’Union européenne, notre diplomatie est particulièrement attendue.
    Les tragédies qui ont marqué l’actualité depuis 2015 n’ont pas grandi l’Union européenne. Lorsque la réponse au « Wir schaffen das ! » – nous y arriverons ! – d’Angela Merkel fut la fermeture de la route des Balkans, lorsque l’Aquarius s’est posté en Méditerranée avec 600 migrants à son bord, lorsque des femmes et des hommes ont appelé à l’aide en mer sans obtenir de réponse, lorsque les pays de l’Union ont abandonné l’Italie et la Grèce notamment, c’est notre modèle européen qui a été ébranlé.
    Il s’agit dès lors de prendre nos responsabilités dans la gestion de nos frontières, gestion qui est la condition de notre souveraineté et de notre sécurité. C’est pourquoi il nous faut encourager la montée en puissance de Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, qui sera dotée, à l’horizon 2027, de 10 000 garde-frontières et garde-côtes pour assurer ses missions de protection des frontières extérieures. Je pense aussi à EMPACT, la plateforme pluridisciplinaire européenne contre les menaces criminelles, qui consacre la coopération des forces de police européennes, notamment dans la lutte contre les passeurs.
    Les migrations sont un phénomène historique, cyclique, aujourd’hui en accélération, majoritairement intracontinental, et non le fait du laxisme de tel ou tel gouvernement. Cependant, après l’échec du paquet asile de 2016, il est plus que jamais urgent de lui apporter une réponse : en 2021, 83 000 personnes en situation irrégulière ont été arrêtées en Turquie, 600 000 migrants originaires de quarante pays différents stationnent actuellement en Libye, 17 000 bateaux ont traversé les eaux de la Manche dans les huit premiers mois de l’année et les tragédies se sont succédé.
    Cette réponse, c’est le pacte européen sur la migration et l’asile. Sur ce sujet, il reviendra à la présidence française de trouver les voies de compromis, pour paraphraser les mots du Président de la République.
    Le constat est partagé sur l’ensemble des bancs de l’hémicycle : le règlement de Dublin III est à bout de souffle. Il a révélé le pire des égoïsmes nationaux et a fini d’apporter la preuve de son inefficacité : sur plus de 13 000 requêtes Dublin émises par la France au premier semestre 2021, seuls 1 500 transferts ont été autorisés vers le premier pays d’arrivée ; 50 % de la pression migratoire en France est cristallisée à la frontière italienne. Malgré la nette amélioration constatée depuis la création en 2015 des pôles régionaux de mise en œuvre de la procédure de Dublin, les résultats sont insuffisants.
    L’enjeu du pacte européen est donc double, celui du rétablissement d’une véritable solidarité européenne par une clé de répartition et des dispositions obligatoires en cas de pression migratoire, et celui de la responsabilisation des États dans la gestion des flux migratoires, par la mise en place d’un contrôle du respect du régime commun de l’asile, par le filtrage aux frontières extérieures et la refonte du système d’information Eurodac. Cette dernière est devenue nécessaire si nous souhaitons éviter la multiplication des mouvements secondaires, notamment en France et en Allemagne.
    Le pacte aboutira, à terme, à la transformation du bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) en véritable agence européenne de l’asile chargée de l’harmonisation des conditions de traitement des demandes.
    La présidence française devra aborder ces propositions avec humilité tant les divergences sont criantes au sein de l’Union. En effet, les États membres du groupe de Visegrád refusent d’entendre parler de relocalisations obligatoires, quand les États de destination militent pour la limitation des flux secondaires, et les pays de première ligne dénoncent un manque d’ambition sur le volet solidarité.
    Parce que le sujet des migrations doit tenir compte de la situation dans les pays de départ, le pacte prévoit une coopération, une aide apportée aux pays tiers dans la mise en place de dispositifs d’asile et l’établissement d’une liste commune de pays d’origine et pays tiers sûrs. À cet égard, la question des laissez-passer consulaires, déjà abordée dans le cadre de la révision du code des visas Schengen de 2020, nécessite une véritable réponse politique : en 2020, en France, sur 126 000 mesures d’éloignement prononcées, seules 12 000 ont été réalisées. Nous avons besoin de renforcer l’efficacité de nos dispositifs.
    Nous devons collectivement nous doter de dispositifs efficaces et pérennes pour répondre aux enjeux actuels et futurs des migrations. Parmi ces outils figure l’aide au développement, qui constitue la première réponse aux causes profondes des migrations. Là encore, et c’est heureux, nous assistons à une meilleure coordination des banques de développement et des programmes européens, à l’instar du budget de l’équipe Europe, qui réunit les États membres, la Banque européenne d’investissement (BEI) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), doté d’une enveloppe exceptionnelle de 66,8 milliards d’euros en 2020.
    Les initiatives Équipe Europe s’adressent en priorité à l’Afrique, avec un premier dispositif, appelé Atlantique, commun à la France et l’Espagne, couvrant l’Afrique de l’Ouest, et un second, dit Méditerranée centrale, impulsé par la France et l’Italie au bénéfice de l’Afrique subsaharienne et de l’Afrique de l’Est.
    À l’échelle supranationale, l’Union s’est dotée d’un instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale, dont les capacités de financement s’élèvent à 79,5 milliards pour la période 2021-2027 ; 10 % de ce montant seront consacrés à l’aide à la construction de dispositifs d’accueil et d’asile, à la lutte contre la traite des êtres humains et les filières de passeurs, ainsi qu’à la coopération pour une meilleure gestion des frontières des pays tiers.
    Enfin, il faut arrêter de penser la migration uniquement comme un poids ; elle doit s’imposer comme une opportunité pour nous Européens. En effet, l’immigration constitue un vecteur de croissance et d’innovation, à l’heure où l’Union européenne lutte pour se faire une place sur les marchés internationaux. Une part de notre compétitivité, et donc de notre souveraineté, proviendra de notre capacité à attirer les travailleurs les plus qualifiés vers les industries du futur. Dans cette course à l’émergence de champions européens, notre politique industrielle doit prendre en compte la dimension migratoire. Notre pays doit promouvoir les voies légales et la question des migrations économiques, et le Parlement doit se saisir de ce sujet. C’était d’ailleurs l’une des propositions de la commission d’enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d’accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides, dont Sonia Krimi a été la rapporteure.
    C’est dans cet esprit que le Conseil et le Parlement européens se sont accordés, le 29 juillet dernier, sur un projet de directive réformant la carte bleue européenne et visant à assouplir les conditions d’entrée et de séjour des travailleurs hautement qualifiés et de leurs familles.
    La présidence française constituera un moment charnière. Si elle nous appelle à l’humilité, cette séquence historique nous impose d’être à la hauteur de nombreux défis, au premier rang desquels celui des migrations. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Isabelle Santiago.

    Mme Isabelle Santiago (SOC)

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    Je prends la parole au nom de ma collègue Michèle Victory, qui ne pouvait être présente pour ce débat, l’agenda de cette semaine ayant été quelque peu bousculé.
    Alors que la France préside depuis quelques jours l’Union européenne pour six mois, nous nous réjouissons d’avoir l’occasion de débattre de la politique migratoire au sein de l’Union. Nos travaux parlementaires nous conduisent régulièrement à traiter de ce sujet important. C’était le cas encore récemment avec la commission d’enquête sur les migrations – des mois d’auditions, de nombreux déplacements auprès des acteurs de terrain et des échanges avec les migrants. Notre constat est qu’il est nécessaire de considérer l’accueil migratoire non pas comme une affaire intérieure, mais bien européenne. Car, nous le savons, la politique migratoire européenne et le règlement Dublin III sont des échecs ; il est urgent de les corriger. D’ailleurs, un autre rapport de la commission des lois, relatif à la réforme européenne du droit d’asile, présenté en 2019, dénonçait déjà l’incapacité de l’Union européenne à réformer le régime dont elle s’est progressivement dotée.
    Les blocages de certains pays et l’absence d’initiatives sont consternants. En effet, loin de permettre un accueil digne des réfugiés et des migrants ou une maîtrise de nos frontières extérieures, le règlement Dublin III a surtout fait peser une pression inacceptable sur les pays qui bordent l’Union européenne, comme la Grèce, l’Italie ou Malte. La seule réponse apportée à cette crise a été de passer des accords assez effroyables avec des pays comme la Libye ou la Turquie pour que leurs forces empêchent les migrants d’arriver dans l’Union.
    Autre exemple : plutôt que de laisser les bateaux libyens rapatrier les migrants vers un avenir malheureux, ne serait-il pas nécessaire de déployer une flotte d’intervention rapide afin de répondre aux appels au secours des personnes en détresse en Méditerranée ? Cela vaudrait mieux que de bloquer les bateaux de port en port, ou pire de voir les drames humains se produire et se multiplier sous nos yeux. Je pense notamment au décompte macabre et terrifiant du nombre de migrants décédés en mer – hommes, femmes, enfants –, alors qu’ils n’aspiraient qu’à un avenir loin des guerres et des dictatures.
    La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait annoncé sa volonté de mettre un terme à Dublin III afin de le remplacer par un mécanisme de solidarité. C’est le sens des préconisations du rapport de la commission d’enquête sur les migrations : l’abrogation du règlement Dublin III et la création d’une agence de l’asile européen. Les atouts de la création d’une telle agence sont multiples. Elle favoriserait la fluidité des échanges et des relations entre les pays de l’Union européenne, alors que la situation est aujourd’hui très complexe et que les relations entre les pays d’arrivée et de transit sont très tendues. L’objectif, qui doit être commun, est celui d’un accueil plus digne, plus important, et plus fort. Il faut porter haut et fort les valeurs humanistes de l’Europe.
    La crise afghane a révélé, au même titre que la crise syrienne qui perdure depuis plus de six ans, que la politique migratoire européenne dysfonctionne largement dans un monde en profonde mutation. Face à de telles crises, la question migratoire ne pourra jamais se régler ou se penser en nous repliant sur nous-mêmes en Europe.
    Le dérèglement climatique qui s’accélère et son corollaire, le déplacement de populations vers des terres plus prospères, ainsi que l’avènement des démocraties illibérales et le repli sur nous-mêmes dans les pays du Nord, sont autant de facteurs qui doivent appeler une refonte rapide de notre système, afin que celui-ci soit à la hauteur des valeurs de l’Union, en le pensant pour préparer l’avenir.
    Nous savons que vous percevez davantage les migrations sous l’angle d’un bilan comptable – nombre de demandeurs d’asile, ou encore nombre d’expulsions ou d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) délivrées –, plutôt que sous celui de notre devoir de solidarité et de l’extraordinaire bénéfice qu’apportent ces personnes, riches de leurs cultures et de leurs parcours. Nous le regrettons, car l’immigration est une chance et notre pays se doit d’être le moteur européen d’une politique migratoire responsable mais aussi généreuse, et surtout pensée à l’aube des défis à venir, comme l’enjeu climatique.
    Nous n’avons pas de politique migratoire commune avec les autres pays européens. Il suffit de jeter un œil aux frontières orientales de l’Union européenne pour s’apercevoir que nous n’avons pas forcément la même vision de l’immigration que la Pologne ou la Hongrie – pour ne prendre que ces deux exemples. La France devrait rayonner par un accueil pensé et digne ; c’est ce qui fait sa force depuis le XIXe siècle. Nous devrions mieux prendre notre part dans l’accueil européen des migrants, même si nous savons que le sujet est complexe. Nous devons mieux accueillir, en améliorant drastiquement les délais de traitement des demandes d’asile.
    Nous soutiendrons le mécanisme de solidarité évoqué par la présidente de la Commission européenne, à condition qu’il permette un accueil plus juste et plus digne pour les migrants. Ne laissons pas l’obscurantisme, que l’on voit poindre dans tous les débats nationaux et européens, prendre le pas sur l’Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

    M. le président

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    La parole est à M. Vincent Ledoux.

    M. Vincent Ledoux (Agir ens)

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    L’accélération des migrations de toutes natures est un des faits majeurs de notre temps : il est à la fois un enjeu de souveraineté pour notre nation et un défi pour le projet européen. À rebours des idéologues et des extrémistes de tous bords, il nous faut tracer une approche volontariste, cohérente et positive de la politique migratoire afin que notre pays et l’Union européenne soient des acteurs souverains dans le processus des migrations. Nous ne devons jamais perdre la capacité de contrôle sans laquelle aucune organisation politique n’est légitime. Cela nous impose d’adapter et de renforcer nos outils pour orienter les migrations dans un sens favorable à nos pays comme aux pays d’origine des migrants.
    Au plan européen, la révision du règlement Dublin III sera sans aucun doute un des temps forts de la présidence française de l’Union européenne. Il nous faut conserver le principe selon lequel un seul État est responsable de l’examen d’une demande d’asile, même si le demandeur se déplace d’un État vers un autre, tout en prenant en compte le fait que ce système entraîne une charge plus importante pour les pays de première entrée, qui assurent également le contrôle des frontières extérieures. Il nous faut donc dépasser les comportements non coopératifs entre États membres, afin d’améliorer le fonctionnement d’ensemble. Cela permettra de mieux lutter contre les passeurs, de renforcer les frontières extérieures et d’approfondir les partenariats avec les États tiers. Nous devons concilier les objectifs de solidarité et de responsabilité : solidarité envers les États de première arrivée, mais aussi pleine responsabilité de la part de chacun des États ayant un rôle d’examen des premières demandes d’asile.
    Depuis septembre 2020, nous disposons d’une base de travail solide, avec la proposition de la Commission européenne qui prévoit notamment une procédure de filtrage aux frontières extérieures de l’Union afin de procéder rapidement à des vérifications d’identité. En complément, le 11 novembre dernier, le Parlement européen a adopté l’accord sur la transformation du bureau européen d’appui en matière d’asile en une agence d’asile européenne à part entière, ce qui permettra d’harmoniser le traitement des demandes d’asile en apaisant les relations entre États membres et en améliorant le taux de reconduite.
    Ces avancées européennes me paraissent indissociables d’initiatives nationales destinées à redonner du sens et de l’ambition à notre stratégie migratoire. Alors que nos compatriotes ne perçoivent trop souvent les migrations que sous leurs aspects les plus subis et anxiogènes – la vision de migrants massés aux frontières de l’Europe, ou encore les mineurs non accompagnés à la charge des départements –, l’enjeu est de valoriser et d’activer tous les leviers de migrations aux effets visiblement bénéfiques, tant pour la France que pour les pays d’origine.
    En premier lieu, dans les territoires, il faut accélérer la politique d’intégration des primo-arrivants et des bénéficiaires de la protection internationale. Il faut donc accroître la déconcentration de cette politique, sous le pilotage du ministère de l’intérieur, par la mise en place de feuilles de route départementales, avec l’appui de comités associant les services de l’État, les directions territoriales de l’OFII – Office français de l’immigration et de l’intégration –, les acteurs du service public de l’emploi, les représentants des collectivités territoriales, ainsi que les acteurs économiques et les associations. Afin que le temps de l’instruction de la demande d’asile ne soit plus un temps perdu, je propose en outre d’expérimenter des partenariats public-privé pilotés par les préfectures afin de repérer les talents et d’accélérer l’insertion des migrants.
    En second lieu, il nous faut activer tous les outils gagnant-gagnant avec les pays d’origine des migrations. Nous devons promouvoir notre politique d’attractivité en faveur des étudiants des pays du Sud, notamment africains, en attirant vers la France les meilleurs étudiants et en leur proposant des cursus adaptés aux besoins de leurs économies dans la perspective du retour. Nous devons également implanter en plus grand nombre des campus français dans les grandes universités des pays du Sud. Il faut également favoriser les migrations professionnelles circulaires en accordant des visas adaptés comme les titres de séjour « passeport talent », et en faisant monter en puissance le dispositif « Jeune professionnel » prévu par des accords bilatéraux avec des États africains partenaires, afin de favoriser les mobilités croisées. Il faut également mieux faire connaître et rendre plus efficaces les dispositifs d’aide au retour pour en faire un véritable accompagnement à la réinstallation et à la réinsertion.
    Nous pourrions également orienter une partie des fonds envoyés par les migrants dans leurs pays d’origine vers l’investissement productif, dans un cadre sécurisé permettant de contribuer à des projets bénéficiant par ailleurs d’apports de la part d’investisseurs institutionnels publics ou privés. Au plan européen comme au plan national, il nous faut conduire une politique migratoire qui ne soit jamais subie mais qui soit, au contraire, un levier de coopération internationale. Ce doit être une politique véritablement ambitieuse, avec des bénéfices et des résultats concrets tant pour les migrants que pour nos compatriotes.

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

    M. Jean-Christophe Lagarde (UDI-I)

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    Il ne faut pas se voiler la face : la politique européenne en matière d’asile et d’immigration ne fonctionne pas. À l’image de ce que l’on peut voir sur le plan économique et monétaire, l’Union européenne a voulu avancer il y a plus de trente ans en supprimant les frontières entre les pays : l’espace Schengen était une avancée majeure. Mais nous avons laissé de côté les problèmes liés à la création, de fait, d’une frontière extérieure commune qui nécessitait pourtant de prévoir des règles pour la protéger, mais aussi d’assurer une coordination en matière d’accueil, de retour ou de traitement des demandes d’asile.
    En matière économique, l’Europe a lancé l’euro sans budgets coordonnés, sans harmonisation fiscale ou sociale et a dû, lorsque les crises se sont présentées, prendre des mesures d’accompagnement et de solidarité pour préserver la monnaie unique. À l’inverse, côté immigration, la crise de 2015 n’a pas permis l’instauration d’une solidarité entre les États face aux vagues migratoires qui ont déferlé sur notre continent. Hélas, ce n’est pas étonnant. Là où les États ne sauraient se passer des avantages économiques évidents de l’intégration européenne, la récupération politique nocive des questions migratoires permet à certains pays, bien éloignés en général des frontières communes, de se désolidariser de ceux qui sont en première ligne, tant et si bien qu’il faut le dire : politiquement, l’Union européenne a financé grassement des régimes populistes bien contents de profiter des avantages du marché unique sans se soucier des questions soulevées par l’immigration.
    Le système européen inachevé est d’autant plus problématique qu’il fait reposer toute la responsabilité sur les pays d’entrée. Cette injustice, nous la portons tous, car c’est bien le règlement Dublin III, voté par les États membres, qui entraîne cette politique délétère. C’est aussi le manque d’harmonisation de nos règles qui pousse certains États membres à ne pas respecter les droits les plus élémentaires inscrits dans la convention de Genève. Cette même désorganisation conduit à l’enfermement de milliers de personnes dans des conditions à peine soutenables, alors qu’elles ont bien souvent été victimes des passeurs qui leur faisaient miroiter monts et merveilles. L’instrumentalisation politique de quelques-uns ne doit pas desservir la tradition d’asile politique de notre continent et de notre nation.
    Il est donc rassurant que soit proposée la création d’une véritable agence de l’Union européenne pour l’asile. Enfin, dirais-je ; nous l’attendons depuis si longtemps. De même, on peut se réjouir de voir la Commission européenne proposer d’unifier le cadre d’accueil dans un règlement cette fois, et non dans une directive, afin que la même règle s’applique à tous. Nous sommes nombreux à avoir défendu cette mesure et je me souviens de l’avoir moi-même évoquée lorsque nous avions débattu, dans cet hémicycle, de notre politique migratoire en octobre 2019.
    Cette question ne concerne d’ailleurs pas uniquement le droit communautaire, puisqu’un vrai problème se pose dans l’interprétation de notre Constitution, qui nous pousse à examiner une seconde fois des dizaines de milliers de demandes d’asile venant de personnes déjà déboutées dans un autre État membre.
    Il me semble que nous devrons préciser la Constitution pour éviter cet état de fait et j’espère que la réforme du règlement de Dublin III nous y poussera, à moins qu’elle ne permette une inversion de son interprétation par le Conseil constitutionnel. En effet, c’est ce dernier qui estime que nous ne pouvons pas refuser d’examiner une demande d’asile au motif qu’elle a été rejetée par un autre État membre.
    L’intérêt de l’harmonisation de l’accueil ne s’arrête pas là. En effet, la loterie des demandes d’asile, avec des résultats plus ou moins cléments suivant les États, crée une véritable course à l’immigration clandestine pour des réfugiés qui préfèrent voir leur demande traitée – très longuement – en France, ou en Allemagne, plutôt que dans le pays d’entrée. Nous connaissons tous les conséquences que cette situation emporte s’agissant des délais de traitement des demandes d’asiles, qui ne font clairement pas honneur à notre pays.
    Cela étant, j’estime que notre plus grand échec réside dans l’inefficacité totale de notre système de retour. Rien que sur le sol français, seule une obligation de quitter le territoire sur cinq est honorée, ce qui signifie que, chaque année, environ 60 000 personnes invitées à quitter notre pays y demeurent.
    La France et l’Europe, dans un cadre commun, doivent se donner les moyens de renvoyer les déboutés chez eux, y compris en conditionnant les aides et la coopération internationales, voire les visas que nous accordons, au retour des personnes dans leur pays car, sinon, c’est l’ensemble du système qui est biaisé.
    À cet égard, la Commission européenne a raison de faire des retours un point central de la révision de notre politique d’accueil, mais elle devrait le lier aux politiques de coopération et à la politique de visas, que nous devrions avoir en commun. Les pays qui ne veulent pas accueillir de migrants ou de réfugiés doivent contribuer à la politique de retour, voire participer financièrement à aider ceux qui sont prêts à mettre en place une solidarité effective avec ceux qui souffrent. Il est hypocrite de notifier aux déboutés qu’ils doivent quitter le territoire sans appliquer ces mesures. En cela aussi, nous devons nous donner les moyens d’agir et de coopérer avec les autres pays pour l’effectivité de ces retours.
    Enfin, comment ne pas évoquer nos relations avec nos voisins du continent africain ? Si tous les enjeux que j’ai précédemment évoqués doivent être au cœur de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, il convient que nos rapports avec nos plus proches voisins constituent un point central. Le développement du continent africain peut nous être mutuellement bénéfique, et l’UE doit en cela jouer un rôle de facilitateur des relations entre l’Europe et l’Afrique.
    Il paraîtrait normal que les pays qui ne veulent pas accueillir de migrants ou de réfugiés contribuent à la politique de retour et, éventuellement, soutiennent financièrement les États prêts à se montrer effectivement solidaires avec ceux qui souffrent.
    Il est hypocrite de notifier aux déboutés qu’ils doivent quitter le territoire sans appliquer ces mesures. Pour garantir l’effectivité des retours, nous devons nous donner les moyens d’agir et coopérer avec les autres pays.
    J’ai coutume de dire que l’Afrique, qui sera peuplée de 2,5 milliards d’habitants dans quelques années, peut être un formidable partenaire et un formidable marché, mais aussi un formidable danger si elle ne se développe pas et si nous ne l’y aidons pas.

    M. le président

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    La parole est à Mme Danièle Obono.

    Mme Danièle Obono (FI)

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    En 2019, sur les 272 millions de migrants et migrantes internationaux, 2,7 millions ont immigré vers l’Union européenne, soit à peine 1 %. L’essentiel des migrations a lieu au sein des pays d’origine ou vers les pays limitrophes. Ce sont donc principalement les pays pauvres et en voie de développement, comme on dit, qui accueillent les migrants et les migrantes.
    Les États européens, quant à eux, font trop souvent preuve d’une hostilité démesurée vis-à-vis des migrants et des migrantes – hostilité qui n’a d’égal que les prédations qu’ils commettent fréquemment dans leurs pays d’origine. Cette attitude politique a des conséquences.
    Selon diverses estimations, depuis 1993, au moins 50 000 personnes ont trouvé la mort en cherchant à traverser les frontières extérieures de l’Union européenne, principalement en Méditerranée. Et depuis 1999, plus de 300 personnes sont mortes à Calais et dans sa région en tentant de franchir la frontière britannique externalisée en France.
    Il y a urgence à la fois à redéfinir les termes du débat public sur les migrations, qui est trop souvent monopolisé par les discours xénophobes, et à refonder notre politique d’accueil.
    « Indigne », « injuste », « irrationnel » : voilà les épithètes par lesquelles les associations qualifient le futur règlement de Dublin III réformé, censé constituer la réponse européenne à cette crise de l’accueil. Le pacte européen sur l’immigration et l’asile présenté par la Commission européenne affiche la volonté de renforcer l’imperméabilité des frontières européennes, d’accentuer la solidarité entre les États membres en matière d’accueil et de faciliter les expulsions.
    Plusieurs dimensions de cet agenda sont très problématiques et apparaissent très insuffisantes pour assurer un accueil digne à ces personnes qui, dans leur grande majorité, arrivent pour trouver refuge. Les raisons de leur migration sont multiples et diverses, mais tout le monde s’accorde aujourd’hui à penser qu’elles ne se déplacent pas de gaieté de cœur et que leurs parcours ont été très violents et traumatisants. Nous ne sommes collectivement pas à la hauteur.
    L’harmonisation du traitement des demandes d’asile entre les États européens pose problème car, jusqu’à présent, ce type de démarche s’est toujours opéré par le bas, au détriment des droits des personnes concernées.
    La création d’un mécanisme de solidarité, censé désengorger les dispositifs d’accueil des États d’entrée dans l’Union européenne, demeure lettre morte, étant donné que, depuis sa création, aucun pays n’a respecté ses engagements en matière de relocalisation.
    La multiplication des hotspots aux frontières de l’UE et des centres d’accueil chargés d’examiner les demandes d’asile selon une nouvelle procédure accélérée est une pratique contraire au droit et à toutes les conventions internationales. Mais cela facilite les expulsions, alors on n’hésite pas !
    Le projet de révision de la directive « retour », la multiplication des accords de réadmission et le chantage aux visas Schengen consacrent, de notre point de vue, une attitude odieuse. Elle s’est incarnée encore dernièrement par le chantage aux visas imposé aux pays du Maghreb par la France d’Emmanuel Macron.
    Quant au renforcement de la lutte contre l’immigration illégale et les déplacements des personnes demandeuses d’asile sur le territoire européen, il entraîne la multiplication de frontières et de murs érigés contre des personnes qui n’ont même plus la possibilité de demander l’asile.
    Bref, les politiques menées aux niveaux européen et français sont un affront à la dignité humaine des personnes qui viennent chercher refuge sur nos sols, ainsi qu’à notre propre droit et nos propres principes. À la France insoumise, nous sommes partisans d’un accueil digne en France et en Europe. Celui-ci est possible : il n’y a pas d’invasion ; il n’y a pas de submersion. Il y a un choix politique qui est fait depuis des décennies : celui de refuser l’accueil pour des raisons politiciennes. Je le répète, nous nous inscrivons en faux vis-à-vis de cette politique et nous prononçons pour un accueil digne aux niveaux français et européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Elsa Faucillon.

    Mme Elsa Faucillon (GDR)

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    Mercredi 24 novembre 2021, vingt-sept personnes sont mortes noyées dans la Manche ; mortes parce que migrantes. C’étaient des femmes de 22 à 46 ans, des hommes de 19 à 46 ans, un adolescent de 16 ans et une enfant de 7 ans. Une enquête du Monde relate que ces personnes ont appelé à l’aide les autorités françaises et britanniques quand l’embarcation a commencé à couler. En vain.
    La politique européenne de contrôle des frontières, les barrières érigées, tuent. Ces drames humains n’ont de cesse de le démontrer et ils ne sont pas le fruit de la fatalité. Ils résultent d’abord d’une politique qui pousse les personnes exilées à risquer leur vie toujours un peu plus. Cette politique dessine des frontières de sang aux abords de l’Europe, avec une mer cimetière, des forêts peuplées de migrants affaiblis et des montagnes habitées notamment par des enfants et des morts.
    Dans cette intervention sur les politiques migratoires, j’aimerais avoir le temps de vous parler de celles et ceux qui nous rejoignent et qui apportent de la richesse ; j’aimerais avoir le temps de vous parler de celles et ceux qui, dans ce pays, font preuve au quotidien d’une grande solidarité. Mais je me sens obligée de vous rappeler qu’en 2021, selon l’Organisation internationale pour les migrations, le nombre de vies humaines perdues lors des périples migratoires a dépassé les 4 470. Et selon l’ONG – organisation non gouvernementale – Caminando fronteras, le bilan pour 2021 serait même bien supérieur, étant donné que 4 400 migrants seraient morts ou disparus uniquement en tentant de rejoindre l’Espagne.
    Face à la multiplication de ces drames, le caractère fondamental du droit d’asile aurait dû conduire les États européens à réaffirmer l’inconditionnalité de l’accueil, à assurer le respect des droits des personnes et à appliquer la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, la convention de Genève. Et quand je parle de réaffirmer, ce n’est évidemment pas pour parler uniquement des discours, mais bien des actes. Or bien loin de ces exigences élémentaires, l’Union européenne et les États membres ont réduit la question migratoire à une menace et adopté une logique défensive, voire coercitive.
    Le renforcement de la protection des frontières, avec l’édification de barrières toujours plus hautes, la politique communautaire des visas très restrictive, le développement de l’agence Frontex, abreuvée de millions – mais très peu contrôlée – lors de l’adoption de chaque budget européen, et l’externalisation des contrôles frontaliers, sous-traités aux pays limitrophes, ont contribué à consolider la forteresse Europe.
    J’ajoute que le manque de solidarité à l’échelle européenne laisse bien seuls certains pays de notre Union, les pays de première arrivée, ce qui y nourrit souvent des nationalismes puissants.
    Depuis l’accord passé entre l’Union européenne et la Turquie en 2016, le plus grand centre d’hébergement des réfugiés d’Europe semble être surtout conçu pour dissuader les migrants de venir – et cette politique n’a cessé de se confirmer.
    Au fond, la libre circulation des biens, des capitaux et des personnes, souvent louée par celles et ceux qui se revendiquent du néolibéralisme, ne semble réservée qu’aux nantis et aux bien nés du Nord.
    Le président Macron a d’ores et déjà donné le ton de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Il souhaite une réforme de l’espace Schengen pour que, selon ses mots, l’Europe protège ses frontières face aux crises migratoires.
    De nombreuses associations, et pas seulement elles, parlent pourtant avant tout d’une crise de l’accueil : je rejoins évidemment cette analyse. Nous l’affirmons : l’Europe forteresse est un projet voué à l’échec ; nous le voyons chaque jour. Son exécution charrie des mesures et des pratiques qui portent atteinte aux droits de l’homme, dont le respect figure pourtant officiellement parmi les valeurs universelles communes aux États membres de l’Union européenne.
    Le règlement de Dublin, injuste pour les pays européens frontaliers, prépare des lendemains sombres, faits de conservatismes haineux et dangereux. Le blocage politique structurel auquel l’UE fait face depuis 2015 ne pourra se résoudre sans l’acceptation des mouvements migratoires. Il nous faut d’urgence changer de paradigme, car nous sommes notamment à l’aube d’un réchauffement climatique qui sera à l’origine du déplacement forcé de dizaines de millions d’êtres humains à travers les continents. Notre seule et unique boussole doit être un accueil digne et respectueux des droits et des libertés fondamentales. L’inverse nous conduirait toutes et tous à la dérive et à la montée des obscurantismes.
    C’est la raison pour laquelle nous vous appelons solennellement – peut-être en vain mais nous le devons – à jouer un rôle moteur au sein de l’Union européenne pour sortir d’une logique de dissuasion et d’endiguement des flux migratoires, de renforcement des contrôles aux frontières et d’augmentation des retours vers les pays d’origine. Nous vous demandons si la France, qui va présider le Conseil de l’UE pendant six mois, est déterminée à promouvoir une réforme ambitieuse du droit d’asile en Europe et à privilégier l’établissement de voies d’accès sûres et légales.

    M. le président

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    La parole est à M. Raphaël Gérard.

    M. Raphaël Gérard (LaREM)

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    Comme l’a rappelé le Président de la République au moment de la prise de Kaboul par les Talibans en août dernier, la France a un devoir d’humanité : celui de protéger toutes celles et ceux qui sont les plus menacés de par le monde ; toutes celles et ceux qui fuient les persécutions et les violences en raison de ce qu’ils pensent ou de ce qu’ils sont.
    Dès le début de cette législature, le Gouvernement et les députés de la majorité ont pris la question du droit d’asile à bras-le-corps et ont veillé à ce que notre pays tienne son rang de patrie des droits humains.
    Cette volonté s’est d’abord traduite, dans un contexte de hausse inédite des demandes d’asile due à la crise migratoire de 2015, par des efforts de sincérisation des budgets et par une augmentation sans précédents des moyens alloués à l’OFII et à l’OFPRA – Office français de protection des réfugiés et des apatrides. Nous avons ainsi affiché un cap clair : celui de mieux accueillir celles et ceux qui en ont besoin.
    Nous avons également œuvré à l’échelle nationale pour réduire de manière significative les délais de traitement des demandes d’asile, qui excèdent parfois dix-huit mois, ce qui place les demandeurs dans des situations de détresse inacceptables.
    Je puis en témoigner sur mon territoire au travers du cas de la famille Getü, déboutée de l’asile après plus de trois ans de procédure. Le spectre de l’expulsion, alors que ce père de famille et ses deux fils se sont pleinement intégrés dans la vie sociale de la commune de Saint-Genis-de-Saintonge, suscite l’incompréhension des habitants.
    La crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19 ne nous a pas permis d’atteindre entièrement notre objectif, mais il doit rester une priorité. Nous devons reconduire à la frontière celles et ceux qui ne relèvent pas du droit d’asile et éviter, chaque fois que possible, ces drames humains.
    Outre la hausse du nombre de demandeurs d’asile et de bénéficiaires d’une protection internationale ces dernières années, la France est également confrontée à l’évolution sensible des profils, avec une plus forte prégnance des profils vulnérables. Pour répondre à cet enjeu, le Gouvernement a lancé en mai dernier un plan d’action, fruit d’une concertation avec le secteur associatif et les principaux acteurs institutionnels, afin d’améliorer le repérage et la prise en charge des vulnérabilités des demandeurs d’asile et des réfugiés, conformément aux objectifs de la directive « accueil ». Au nom du groupe La République en marche, je tiens à saluer cette démarche qui témoigne du souci d’apporter des réponses efficaces et adaptées aux besoins spécifiques de celles et ceux que nous avons vocation à accueillir sur notre sol.
    Cependant, comme l’a rappelé le Président de la République, l’action de la France doit s’inscrire dans le cadre d’un effort international organisé et juste, en particulier au niveau européen. Face au défi du dérèglement climatique qui s’accompagne de situations de conflit et de déstabilisation géopolitique, la France et l’Europe sont susceptibles d’être exposées à une intensification des flux migratoires. Cette perspective laisse entrevoir chez certains de nos voisins européens une tentation de repli ou de renoncement à nos valeurs fondatrices, comme en témoigne l’édification de murs en Hongrie, et demain, peut-être, en Pologne. À l’heure actuelle, la coopération au niveau européen est insuffisante.
    La Commission européenne reconnaît que les règles de Dublin III font peser une charge disproportionnée sur quelques États membres, notamment les pays de première entrée que sont la Grèce, l’Italie et, parfois, la France, et qu’elles encouragent des flux irréguliers et incontrôlés au sein de l’Union. Ces règles entraînent à la fois des difficultés opérationnelles en matière de transfert pour les États membres – ils ne sont actuellement exécutés que dans 11 % des cas –, mais également de nombreuses violations des droits fondamentaux des demandeurs d’asile, comme dans les hotspots grecs mis en place à la suite de la crise migratoire de 2015.
    Comme le rappelle l’excellent rapport de la députée européenne Fabienne Keller de la délégation Renaissance, l’inefficacité du règlement de Dublin pèse avant tout sur les migrants, qui ont déjà subi des traumatismes dans leur pays ou au cours de leur voyage vers l’Europe. Les mois, voire les années d’errance administrative et d’insécurité constituent un nouveau traumatisme et profitent aux trafiquants d’êtres humains, qui maintiennent une emprise sur les migrants au travers de réseaux de prostitution ou de travail forcé. Cette situation alimente des drames humains que nous connaissons tous, à l’instar des noyades au large de la Manche.
    Mais ce n’est pas une fatalité. Je me réjouis que le Gouvernement ait identifié comme axe prioritaire de la présidence française du Conseil de l’Union européenne celui d’une Europe souveraine, capable de maîtriser ses frontières extérieures et de relever le défi migratoire, en redéfinissant une organisation politique qui nous permette de défendre nos valeurs de fraternité et de solidarité, notre tradition d’accueil et le droit d’asile inventé jadis sur le continent européen.
    En attendant une refonte complète du pacte européen sur la migration et l’asile, la présidence française de l’Union européenne constitue une occasion unique d’ouvrir un dialogue régulier et institutionnalisé en la matière, et de poser les premières pierres d’une nouvelle gouvernance européenne dont les objectifs devront permettre d’harmoniser nos règles relatives à l’asile et à l’accompagnement des réfugiés, d’établir des procédures plus simples et plus cohérentes et d’intégrer des mécanismes de solidarité visant à éviter les jeux non coopératifs – que nous constatons hélas depuis plusieurs années – entre États membres. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)

    M. le président

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    La parole est à M. Pierre-Henri Dumont.

    M. Pierre-Henri Dumont (LR)

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    Le 24 novembre dernier, vingt-sept migrants ont tragiquement trouvé la mort dans la Manche, au large de ma circonscription. Ces morts mettent cruellement en lumière, peut-être pour la première fois sur le territoire national, l’échec de la politique migratoire européenne. Pourquoi ces personnes illégalement entrées en Europe, amenées à la mort par le régime dictatorial de Loukachenko, n’ont-elles pas pu imaginer avoir une meilleure vie en Europe ailleurs qu’au Royaume-Uni ? Comment pouvons-nous collectivement accepter que les pays européens ferment les yeux sur les transits de clandestins sur leur sol, tous préférant leur faire traverser le plus vite possible leur territoire afin qu’ils relèvent de la responsabilité du voisin ?
    Ne nous berçons pas d’illusions : nous n’arriverons pas, dans les prochains mois ni dans les prochaines années, à une réforme efficace de l’espace Schengen ou de la politique migratoire européenne, tant les différences sont importantes entre les intérêts des pays de première entrée, de transit et de l’Est, et ce malgré la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Pourtant, il y a urgence à réformer ce système, en particulier le règlement de Dublin qui n’est même plus appliqué, en particulier par la France. Ainsi, en moyenne, seul un tiers des migrants qui pourrait être « dublinés » par notre pays vers un autre pays européen l’ont réellement été. Certains pays refusent même d’appliquer ce règlement, telle la Hongrie, qui a rejeté 97 % des demandes françaises en 2020. L’absence de résultats de la politique migratoire européenne est un danger pour l’ensemble de la construction européenne, car elle donne l’impression que la France ferait mieux seule, ce qui est bien évidemment une chimère.
    Mais tout ne repose pas pour autant sur les seules épaules de l’Union européenne, de la réforme de ses règlements et de l’adoption d’un nouveau pacte migratoire. La responsabilité de la France est pleine, entière et immense. En effet, rien n’oblige notre pays à continuer d’emboliser son système d’asile en continuant d’examiner les demandes d’asile de migrants déjà déboutés ailleurs en Europe. Une procédure d’examen accéléré pour les déboutés pourrait ainsi faire baisser le nombre de ces demandes, que l’on appelle assez inélégamment les « flux rebond » et qui pèsent pour un tiers des demandes d’asile enregistrées en France.
    Depuis 2017, des efforts d’accueil importants ont été faits par le Gouvernement pour accompagner les migrants. Je pense à l’accueil d’urgence, aux places d’hébergement pour les demandeurs d’asile, aux moyens supplémentaires alloués aux centres de rétention administrative et aux renforts de la police aux frontières. Mais tous ces efforts sont imperceptibles pour une partie de la population, en particulier pour les habitants de ma circonscription à Calais, dans le Calaisis, où la tension monte en raison de l’inaction du Gouvernement. L’absence de l’État exaspère les habitants, qui expriment un sentiment légitime d’abandon. Elle remplit malheureusement les cimetières des corps des jeunes Kurdes, Soudanais ou Érythréens morts en mer, percutés par un TER – transport express régional – ou écrasés par des camions.
    Les campements sauvages, sorte de mini-jungles, se multiplient à proximité des habitations à Calais, à Marck, à Sangatte, à Coquelles. Les opérations de démantèlement ne sont pas efficaces : les CRS interviennent pour évacuer les camps et, dix minutes après, c’est le même cirque qui recommence pendant trois jours, avec des nuisances terribles pour les riverains et la menace de mort qui plane sur la tête des migrants à cause des passeurs ou du froid qui s’installe.
    Pourtant, des places d’hébergement sont ouvertes, loin de Calais, pour protéger les migrants, les arracher aux griffes des passeurs et redonner enfin aux habitants de ma circonscription le calme et la sécurité qu’ils méritent, comme tout citoyen français. Mais vous refusez d’y emmener de force les migrants. La seule solution concrète, monsieur le ministre délégué, est d’obliger les clandestins à se mettre à l’abri dans ces centres. Avec la retenue pour contrôle de droit du séjour, vous avez la possibilité juridique de le faire. Qu’attendez-vous ? Combien de morts supplémentaires seront nécessaires pour que vous agissiez enfin ?
    Par votre faute, le Calaisis devient un terrain de jeu pour les extrêmes, entre, d’un côté, des associations no border, qui violent quotidiennement les arrêtés d’interdiction de distribution de nourriture sur les zones économiques, au risque d’y fixer et d’y faire mourir les migrants, comme cela a déjà été le cas trois fois ces dernières semaines dans la zone de Transmarck, et, de l’autre côté, les Britanniques qui désirent engager un bras de fer malsain avec la France sur la politique migratoire.
    Au milieu de ces affrontements, on trouve les forces de l’ordre, qui ont compté dix-sept blessés lors de la dernière intervention. J’adresse évidemment mes vœux de prompt rétablissement à ces CRS et je leur témoigne ma plus profonde indignation après la relaxe, hier, d’un migrant qui avait participé à ces attaques contre les forces de l’ordre. On trouve aussi, au milieu des affrontements dus à votre inaction, les pompiers et les sauveteurs en mer qui, chaque soir, chaque nuit, sauvent des vies en mer et sur terre. On trouve enfin la population, abandonnée au point de parfois se faire justice elle-même, comme ce fut le cas le soir du nouvel an, lorsqu’un migrant a roué de coups un habitant de Calais avant de se faire rouler dessus par la voiture d’un proche de ce dernier. C’est également le cas avec le retour, depuis plusieurs nuits, de barrages sur les rocades portuaires ou les autoroutes du Calaisis. Cela ne peut plus durer.
    Voilà le résultat concret de votre politique sur le terrain. Monsieur le ministre délégué, nous en avons marre ; nous sommes tous, à Calais et dans l’ensemble de ma circonscription, exaspérés. Nous vous demandons d’agir avant qu’il ne soit trop tard pour sauver la vie des migrants et redonner de la quiétude aux habitants.

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.

    M. Marc Fesneau, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne

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    Je suis honoré de représenter le Gouvernement pour ce débat de contrôle parlementaire sur l’accueil des migrants au sein de l’Union européenne et la réforme du règlement dit de Dublin III, alors que vient de s’ouvrir la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Je remercie le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés d’avoir choisi ce thème, non seulement en raison de l’actualité européenne, mais aussi parce que l’actualité migratoire en France se signale par plusieurs incidents tragiques rappelés à l’instant par M. Dumont.
    Si nous ne sommes plus dans la situation de crise migratoire que nous avons connue en 2015-2016, il nous faut continuer à en gérer les conséquences, alors que les flux migratoires font l’objet d’une odieuse instrumentalisation par la Biélorussie depuis le mois de juin 2021. C’est pourquoi, si nous voulons prévenir une déstabilisation de l’Union européenne comme de ses États membres, la politique commune de cette dernière en matière d’asile et d’immigration doit être profondément réformée.
    Dans un premier temps, je veux revenir sur la reprise des flux migratoires et sur la hausse du nombre de demandes d’asile en 2021. Avec plus de 120 000 entrées irrégulières constatées aux frontières extérieures de l’Union, en hausse de 76 % par rapport à l’an passé, le niveau des arrivées retrouve en 2021 celui de l’année 2019, après une nette baisse en 2020 sous l’effet de la crise sanitaire. Nous restons toutefois loin du pic atteint en 2016, au plus fort de la crise migratoire, avec 500 000 passages comptabilisés. Il faut noter que les tendances ont évolué depuis cette période quant aux principales routes empruntées : la route de Méditerranée orientale et des Balkans confirme sa décélération, tandis que la route de Méditerranée centrale – Libye et Tunisie – est devenue la principale route d’entrée, avec 53 % des arrivées en 2021.
    La reprise des flux migratoires plonge ses racines dans deux causes géopolitiques importantes : d’une part, l’instrumentalisation de la question migratoire par la Biélorussie, qui a conduit à l’arrivée en Europe de plus de 8 000 personnes, même si plus de 45 000 tentatives d’entrées illégales ont pu être évitées ; d’autre part, l’arrivée au pouvoir des talibans en Afghanistan, qui a conduit à des évacuations organisées par tous les pays européens. Depuis le mois de mai 2021, la France a déjà accueilli près de 4 000 Afghanes et Afghans, collaborateurs de nos armées et de nos services diplomatiques et consulaires et personnalités particulièrement menacées en raison de leur engagement.
    Face à cette reprise, les effectifs déployés aux frontières ont été doublés, passant de 2 400 à 4 500 depuis novembre 2020, grâce notamment à la mobilisation de 17,5 à 18,5 unités de forces mobiles par jour et au recours aux militaires de Sentinelle. Ce renforcement des moyens a permis de prononcer 102 635 refus d’entrée en 2021, soit une hausse de 65 % par rapport à 2020. Et 84 % de ces décisions sont prises à nos frontières intérieures, notamment avec l’Espagne et l’Italie.
    Cette pression est perceptible dans le nombre de demandes d’asiles, qui donnent des signes de reprise depuis l’été 2021, dépassant le nombre de 2 000 demandes mensuelles, après une chute brutale en 2020 sous l’effet de la fermeture des frontières liée, je le disais, à la crise sanitaire. Le premier pays de provenance des primo-demandeurs d’asile en 2021 reste l’Afghanistan, suivi de la Côte d’Ivoire et du Bangladesh, tandis que l’Albanie et la Géorgie ont fait leur retour dans les dix principaux pays de provenance sur les dix premiers mois de l’année.
    La reprise des flux migratoires révèle les limites des mécanismes européens, qu’il nous revient de corriger. Malgré un cadre européen en matière d’asile et d’immigration, il existe encore de trop grandes disparités entre les pratiques des États membres : c’est vrai pour l’asile aussi bien qu’en matière de contrôle de la frontière extérieure ou d’éloignement des étrangers en situation irrégulière.
    S’agissant de l’asile, tout d’abord, je rappelle que la France constitue aujourd’hui l’un des premiers pays « de rebond », comme on dit, des demandeurs d’asile : 30 % des demandes relèvent de Dublin. Comme vous le savez, en l’absence d’une procédure d’asile unique à l’échelle européenne, le règlement dit Dublin III, qui détermine l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile afin de prévenir les demandes multiples, est la pierre angulaire du régime européen d’asile commun, même s’il présente des failles qui favorisent son contournement.
    Premièrement, les États membres de première entrée n’enregistrent pas systématiquement les demandeurs entrant par leurs frontières extérieures car ils n’y ont tout simplement pas intérêt et préfèrent, en l’absence de contrôle de l’UE, laisser passer les migrants vers l’État de leur choix. Deuxièmement, dès qu’un État ne parvient pas à transférer un demandeur vers l’État responsable de sa demande, il devient responsable de celle-ci au bout de six mois, ou après un délai de dix-huit mois si le demandeur lui-même se soustrait à son transfert. Troisièmement, les demandeurs peuvent bénéficier de conditions matérielles d’accueil au sein de l’État non responsable de leur demande, ce qui ne les incite pas à se maintenir dans l’État de première entrée.
    Au-delà de ces faiblesses structurelles, l’afflux de migrants enregistré en 2015 et 2016 a démontré la nécessité de renforcer les mécanismes de solidarité avec les États de première entrée. Dès 2015, la France s’est impliquée dans la mise en place du mécanisme innovant de la relocalisation qui vise à mieux répartir les demandeurs d’asile entre les pays de l’Union européenne depuis les États de première entrée. Dans le cadre de ce dispositif, la France a relocalisé 5 029 personnes en besoin de protection depuis la Grèce et l’Italie entre 2015 et 2018.
    De plus, depuis juin 2018, la France participe sur une base volontaire à des opérations de relocalisation pour soulager les États de première entrée, responsables du secours en mer de migrants par les navires d’ONG. Au total, depuis juin 2018, la France a accueilli 1 271 personnes dans ce cadre. En 2020, les autorités françaises se sont par ailleurs engagées à relocaliser 1 000 personnes depuis la Grèce, dont 900 demandeurs d’asile, 500 mineurs non accompagnés et 400 personnes vulnérables en famille. La France a parallèlement renforcé ses objectifs en matière de réinstallation, en signant un accord bilatéral avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
    Durant la période 2018-2019, notre pays avait atteint son objectif de 10 000 réinstallations. Pour la période 2020-2021, les objectifs d’accueil ont dû être réajustés à hauteur de 5 000 pour prendre en compte le contexte de la crise sanitaire, qui a entraîné une interruption de mars à juillet 2020. L’autre volet de l’accord bilatéral signé avec le HCR vise à permettre la réinstallation de demandeurs d’asile en France après instruction du dossier et criblage sécuritaire. Depuis la signature de cet accord, 1 835 réfugiés de différentes nationalités ont été accueillis en France, dont 240 en 2020-2021.
    S’agissant des limites des dispositifs européens en matière de contrôle aux frontières extérieures, je rappelle que seule la protection efficace de ces frontières garantit un espace européen où sont assurées à la fois la libre circulation et la sécurité. Or, actuellement, les écarts entre États membres dans la qualité des contrôles opérés aux frontières extérieures fragilisent significativement le bon fonctionnement de l’espace Schengen d’un point de vue sécuritaire. Comme l’a dit le Président de la République le 9 décembre dernier dans sa présentation de la présidence française du Conseil de l’Union européenne : « Pour éviter que le droit d’asile, qui a été inventé sur le continent européen et qui est notre honneur, ne puisse être dévoyé, nous devons absolument retrouver une Europe qui sache protéger ses frontières. » C’est cette préoccupation que la France défend dans le cadre des discussions autour du pacte européen pour l’immigration et l’asile, et de la réforme des codes frontières Schengen.
    J’en arrive donc au contenu de ce pacte, déposé par la Commission pour réformer la politique commune en matière d’asile et d’immigration. Tout d’abord, en matière de renforcement du contrôle à la frontière extérieure, un premier règlement introduit un filtrage obligatoire pour certaines catégories de ressortissants de pays tiers, notamment ceux appréhendés lors d’un franchissement irrégulier d’une frontière extérieure, ceux qui ont déposé une demande d’asile à la frontière, ceux qui ont été débarqués après une opération de sauvetage en mer, mais aussi les ressortissants de pays tiers pour lesquels aucune information n’indique qu’ils ont été contrôlés aux frontières extérieures et qu’ils les ont franchies de manière légale. Le filtrage, effectué dans un délai de cinq jours, permettra l’identification ou la vérification de l’identité de ces personnes, des contrôles sanitaires et sécuritaires ainsi qu’un examen de vulnérabilité.
    Autre innovation majeure du pacte, le remplacement du règlement de Dublin par un règlement établissant un cadre de gestion de l’asile et de la migration qui assurera un plus juste équilibre entre les principes de responsabilité et de solidarité qui doivent présider à l’Europe de l’asile. Le critère de responsabilité de l’État de première entrée est maintenu, mais la durée des responsabilités est portée à trois ans au lieu de six mois dans l’essentiel des situations. Les conditions matérielles d’accueil ne sont octroyées que dans l’État membre responsable. Un devoir de solidarité est instauré en cas de pression touchant l’un des États membres, ainsi que pour les personnes secourues en mer, solidarité qui peut prendre différentes formes : relocalisation ou soutien au retour, entre autres.
    Un troisième règlement, dit de gestion des situations de crise et de force majeure, doit permettre de répondre de manière rapide et adaptée à des situations d’afflux massif, notamment par des aménagements procéduraux nécessaires et une réponse européenne plus solidaire. Outre ces règlements, le pacte prévoit un amendement du règlement Eurodac, pour renforcer les échanges d’informations entre États membres et permettre un meilleur suivi des parcours migratoires au sein de l’Union européenne, ainsi que l’instauration d’une procédure d’asile à la frontière, obligatoire afin de distinguer plus rapidement les personnes qui ne sont pas éligibles à la protection internationale.
    Ces nouveaux outils introduits par le pacte européen doivent toutefois être complétés par un renforcement de l’espace Schengen contre les menaces sécuritaires. C’est ce que vise la révision du code frontières Schengen, qui devrait permettre de rendre notre espace commun de liberté, de sécurité et de justice plus robuste, plus sûr et plus résilient, avec la possibilité pour les États membres de prendre des mesures supplémentaires en cas d’instrumentalisation de migration ou de contexte épidémiologique, afin de faire face aux menaces sécuritaires ou sanitaires.
    Le renforcement de l’espace Schengen passe également par un renforcement de sa gouvernance et de son pilotage. Comme l’a indiqué le Président de la République le 9 décembre dernier, il est nécessaire qu’une instance de discussion sur Schengen soit créée, afin d’assurer un suivi régulier à haut niveau de ces sujets. Une formation spécifique du Conseil justice et affaires intérieures permettrait une incarnation plus opérationnelle et vivante de ces sujets.
    La question de la maîtrise des flux migratoires est un enjeu fondamental pour notre avenir. L’histoire récente a révélé les conséquences dramatiques des failles de nos dispositifs. Le Président de la République souhaite faire de la présidence française du Conseil de l’Union européenne une opportunité pour les réformer en profondeur, afin de parvenir à une Europe qui soit à la fois plus solidaire avec ceux de ses membres qui sont en première ligne et plus souveraine face aux États tiers qui cherchent à faire pression sur elle en instrumentalisant ceux que la guerre, la misère, et demain le réchauffement climatique, précipiteront sur les routes de l’exil. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)

    M. le président

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    Nous en venons aux questions.
    Je vous rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes, et pas davantage. M. Dumont a demandé que le groupe qu’il représente puisse poser une question, ce qui n’était pas prévu ; j’ai accepté et il posera donc une question à la fin.
    La parole est à Mme Yolaine de Courson.

    Mme Yolaine de Courson (Dem)

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    Avec les députés du groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés, je me réjouis que cette première présidence française du Conseil de l’Union européenne depuis quinze ans ose travailler sur la question de l’immigration et de l’asile. Le sujet est délicat et révèle les différences culturelles dans les pays membres. Affronter le dossier montre l’ambition française en Europe ; nous pouvons nous en enorgueillir. Oui, un règlement de Dublin rénové est plus que nécessaire ; oui, nous devons adapter Frontex à la situation ; oui, nous devons moderniser la base de données Eurodac ; oui, les pays membres doivent partager plus équitablement et humainement la charge de l’accueil des demandeurs d’asile, c’est une urgence pour l’Union.
    Certes, la pression est forte : 64 % de flux migratoires de plus au cours des huit premiers mois de 2021 par rapport à 2020. Les récents événements en Biélorussie, ainsi que les tensions avec notre voisin d’outre-Manche nous ont rappelé de terribles images de 2015. Le pape François lui-même pointe l’échec collectif européen sur l’accueil des populations étrangères et le refus brutal de prise en charge de la détresse de ces êtres humains, en parlant d’un « naufrage de civilisation ». Mais nous pouvons y arriver en embarquant nos partenaires. C’est l’occasion que la France doit saisir avec la présidence semestrielle du Conseil de l’Union.
    Je siège à la commission des migrations des personnes réfugiées et de leurs enfants du Conseil de l’Europe à Strasbourg. J’y défends un projet de rapport sur le traitement médiatique et politique réservé à ces personnes pendant les périodes électorales. Monsieur le ministre délégué, il nous faut retrouver l’optimisme des idéaux européens des pères fondateurs, de nos poètes et historiens, pour chasser ce cynisme qui anime une Europe contaminée par l’intergouvernemental. Dans notre inquiétude fiévreuse, nous avons créé de toutes pièces un monstre : le migrant, une figure indésirable et problématique, en oubliant que l’Europe que nous avons construite depuis le Moyen Âge, par une sédimentation lente et fragile, est le fruit de ce phénomène normal qu’est la migration. Alors que nous entrons dans une année électorale cruciale pour notre pays, je vous demande quels sont les efforts qui sont faits pour ne pas stigmatiser ces populations et ne pas utiliser l’accueil à des fins électoralistes néfastes pour les droits humains.

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Marc Fesneau, ministre délégué

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    Merci de votre question, madame la députée ; je sais l’attention que vous portez à ces sujets. Je l’ai rappelé tout à l’heure, le Gouvernement a engagé de nombreuses actions depuis le début du quinquennat pour répondre aux enjeux en matière migratoire, avec sérieux et professionnalisme : en cette matière, c’est de cela aussi qu’il faut parler.
    Des moyens sans précédent ont été engagés pour réduire les délais de traitement de la demande, en créant plus de 200 postes d’officiers de protection de l’OFPRA et en augmentant de près de 30 000 le nombre de places d’hébergement dans le cadre du dispositif national d’asile. En matière d’éloignement, la loi du 10 septembre 2018 a permis de lever de nombreux freins, en allongeant la durée de la retenue pour vérification du droit de séjour à vingt-quatre heures et la rétention à quatre-vingt-dix jours, permettant d’atteindre un niveau sans précédent depuis : 19 000 éloignements forcés en 2019, avant la crise sanitaire. Le doublement des heures de formation civique, dans le cadre du contrat d’intégration républicaine, a donné de nouveaux outils pour réussir l’intégration des primo-arrivants.
    Je vois votre regard : j’en arrive à votre question, mais j’essaie quand même de suivre mon fil. (Mme Yolaine de Courson sourit.) Il n’y a aucune raison que la période électorale interrompe, dans ce domaine comme dans d’autres, l’action publique du Gouvernement et de la majorité, l’action résolue des services de l’État, des agents des préfectures et des membres des forces de l’ordre.
    Vous appeliez à regarder et à être vigilant en période électorale. C’est vrai que ces périodes ne sont pas les plus propices à des débats apaisés. Je suis heureux qu’ils puissent l’être cet après-midi, en tout cas jusqu’à dix-sept heures.

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    Hum !

    M. Marc Fesneau, ministre délégué

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    Par ailleurs, nous devrions nous inspirer de l’exemple de l’Allemagne, qui a été en toute première ligne en 2015 et 2016 sur les sujets migratoires. On voit à quel point le débat politique qui a eu lieu récemment à l’occasion des élections nationales allemandes a pu se faire dans un cadre apaisé sur ces sujets. Au fond, ce n’est pas tant ce que fait le Gouvernement qui importe, c’est ce que chacun de nous essaye de faire.
    Nos attitudes et les propositions que nous ferons les uns et les autres, dans le cadre d’un débat démocratique normal, permettront qu’on ne se serve pas de ce sujet pour créer des polémiques ou opposer les Français les uns aux autres.

    M. le président

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    La parole est à M. Vincent Ledoux.

    M. Vincent Ledoux (Agir ens)

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    Dans la continuité de mon intervention liminaire, je vous poserai deux questions. Premièrement, pouvez-vous préciser les objectifs et les échéances de la présidence française du Conseil de l’Union européenne concernant le nouveau cadre européen de gestion de l’asile et la migration ? Deuxièmement, au niveau national, quelles mesures envisagez-vous pour que nos compatriotes voient les effets bénéfiques de notre politique migratoire ?
    En particulier, quelles sont les pistes pour améliorer l’accueil des primo-arrivants dans les territoires et accélérer leur insertion ? Comment comptez-vous activer les leviers de migration circulaire professionnelle et étudiante, aux effets bénéfiques pour la France et les États d’origine ?
    Enfin, comment comptez-vous activer la lutte implacable contre les passeurs, qui sont les premiers responsables des drames humains comme ceux de Calais ? Des passeurs, il n’a malheureusement pas été fait mention dans la bouche de mon collègue Dumont, qui a préféré accuser l’État et non les premiers responsables, dont il faut dire, dans cette enceinte, que ce sont des exploiteurs de la misère humaine. Ce sont donc eux qu’il faut combattre par tous les moyens. Quelles sont les actions que vous pouvez mener pour combattre les passeurs, qui sont nos premiers ennemis ?

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Marc Fesneau, ministre délégué

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    C’est un peu une gageure de répondre en deux minutes à toutes ces questions, qui sont importantes, mais je vais essayer m’y efforcer. Je commence par la question des passeurs puisque, vous avez eu raison de le souligner, il faut désigner aussi les principaux responsables. La première chose qu’il faut regarder, c’est le développement des traversées maritimes, qui s’explique par le renforcement des dispositifs de surveillance et de contrôle, que les passeurs essaient de contourner. La stratégie du dispositif des forces de sécurité déployées consiste à empêcher la mise à l’eau par des contrôles de zones sur le réseau routier menant aux plages ou par des interventions sur les plages en neutralisant le matériel nautique. Les moyens technologiques ont par ailleurs été renforcés pour augmenter la capacité de surveillance du littoral.
    En mer, des opérations de police et de contrôle migratoire sont quasi impossibles à mener compte tenu de la situation d’extrême fragilité dans lesquelles se trouvent les embarcations de migrants, qui refusent parfois toute prise en charge. Dans ces conditions, il existe un péril grave pour la sauvegarde de la vie humaine. Le plus souvent, la France n’a d’autre solution que d’intervenir sur le fondement du droit international qui régit la recherche et le sauvetage en mer. Par ailleurs, nous agissons sur les passeurs pour les empêcher d’agir à la source.
    Deuxièmement, vous m’avez interrogé sur les objectifs et les échéances de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. J’en ai rappelé quelques-uns : le pacte européen sur la migration et l’asile est l’un des principaux dossiers, le Président de la République a eu l’occasion de le rappeler ces derniers jours, voire ces dernières heures. Vous n’ignorez pas les clivages qui affectent depuis longtemps les négociations sur ce sujet. Nous cherchons à procéder graduellement pendant la présidence française ; il s’agit, dans une première étape, d’obtenir des résultats concrets sur les partenariats avec les pays tiers et des progrès législatifs rapides sur le règlement relatif à l’enregistrement et aux contrôles des migrants irréguliers aux frontières.
    Nous avons veillé à associer à ces sujets et à ces démarches les deux présidences suivantes, de la République tchèque et de la Suède pour que ce travail, dont on sait bien qu’il s’inscrit dans le temps long, se poursuive au-delà de la présidence française. En outre, nous devons tenir compte des inquiétudes manifestées à l’est de l’Europe quant à la robustesse de notre frontière extérieure face aux tentatives d’instrumentalisation. De cela aussi j’ai parlé.
    J’en termine avec l’accueil des primo-arrivants ; j’en ai dit quelques mots. Les travaux ont été consacrés à la poursuite de la politique ambitieuse impulsée par le comité interministériel du 5 juin 2018. Le suivi de ce contrat, dont l’animation opérationnelle est confiée à l’OFII, devient une condition d’obtention de la carte de séjour pluriannuelle. Son contenu a subi une profonde rénovation quant au volume horaire de formation linguistique, pour ne mentionner que cet aspect, et à l’introduction d’un entretien assorti d’un suivi de ces personnes. C’est cette action-là qu’il faudra poursuivre dans les mois et les années qui viennent.

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

    M. Jean-Christophe Lagarde (UDI-I)

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    Comme j’ai pu vous l’indiquer dans mes propos précédents, le système d’entre-deux instauré par le règlement dit Dublin III ne fonctionne pas. Je voudrais ici énoncer deux problèmes auxquels nous faisons face : la grande mobilité de certains qui arrivent sur le sol européen rend ineffective la règle de responsabilité du pays d’entrée. Les retours vers les pays en charge de l’examen des dossiers sont quasi inexistants. En 2019, seuls 11,7 % des « dublinés » qui auraient dû être rapatriés vers leur pays d’entrée l’ont été effectivement. Tout cela laisse à la France, bien souvent, la responsabilité finale d’examiner la demande d’asile.
    Il est donc temps que nous prenions de l’avance sur les demandes, pour que celles-ci se fassent à l’étranger ou à la frontière, et que les demandes sur le sol français deviennent l’exception. Cela implique cependant une meilleure organisation et coopération entre États, et surtout un meilleur accueil des migrants lorsqu’ils tentent de rejoindre notre continent. Mais cette intégration plus poussée, que l’on retrouve finalement dans la proposition de la Commission européenne, se heurte à un problème juridique spécifiquement français, sur lequel je m’interroge. Souvent, on accuse l’Europe de maux qui sont proprement français ; c’est le cas concernant l’accord de Dublin. Aux termes de l’article 53-1 de la Constitution, en effet, « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif », et ce quand bien même la France aurait passé des accords pour gérer les demandes d’asile en commun avec d’autres pays, notamment européens.
    Ainsi, selon notre droit constitutionnel, une personne doit pouvoir déposer une demande d’asile en France, même si une précédente demande a déjà été rejetée par un autre pays européen avec lequel nous avons des accords. Ainsi, nous pouvons prendre toutes les mesures de coordination que nous voulons, l’obligation d’examiner la demande, à laquelle la France est in fine soumise, rend l’accord de Dublin totalement inopérant. Pourrons-nous surmonter cette difficulté en imposant un règlement ? L’intégration de plus en plus poussée de la politique d’asile fait face à ce problème constitutionnel. La transformation des règles de critères et d’accueil contribuera-t-elle à le résoudre ?

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Marc Fesneau, ministre délégué

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    Votre première question concerne les chiffres des transferts de « dublinés » et les reconduites aux frontières. La proportion de procédures dites Dublin dans la demande d’asile reste stable, à hauteur de 30 %, soit 45 000 en 2019, 26 000 en 2020, pour les raisons que l’on sait, et 31 000 en 2021, selon les chiffres dont nous disposons aujourd’hui. Ces taux montrent l’exposition de la France aux mouvements secondaires en Europe. Le règlement Dublin III détermine l’État responsable, je l’ai rappelé ; avec 3 000 transferts par an réalisés dans son cadre, pour plus de 30 000 requêtes de reprise en charge, la France ne parvient à transférer effectivement que 10 % du public qui devrait l’être, et requalifie neuf demandes sur dix en procédure nationale – d’où la nécessité d’une évolution en ce domaine. La France est pourtant, avec l’Allemagne, le premier pays européen pour l’application du règlement.
    Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, la France fera progresser le pacte migratoire, afin d’assurer un plus juste équilibre entre les principes de responsabilité et de solidarité entre États de l’Union, qui doivent guider l’Europe de l’asile.
    Un dispositif efficace suppose également de renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l’Union, par le biais d’une procédure de filtrage permettant notamment de traiter plus efficacement les demandes d’asile.
    Votre deuxième question concerne les grandes lignes du pacte européen sur la migration et l’asile et les modifications que l’application de ces nouvelles règles pourrait entraîner, relativement à l’article 53-1 de la Constitution. Celui-ci définit la participation de la France au régime d’asile européen et au règlement de Dublin, tout en préservant ce qu’on appelle l’asile constitutionnel, à savoir le droit pour les autorités de la République de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté, conformément au principe résultant du préambule de la Constitution de 1946, sur lequel nous nous fondons. Les textes proposés par la Commission européenne dans le cadre du pacte en cours de négociation ne peuvent pas le remettre en cause.

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    Est-ce qu’ils créent une obligation d’examiner ?

    M. Marc Fesneau, ministre délégué

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    J’ai bien compris votre question. Ils ne remettent pas en cause ce principe de rang constitutionnel, auquel, par nature, on ne peut pas s’opposer – vous le savez au moins aussi bien que moi. Le règlement Dublin prévoit d’ailleurs que cette procédure constitue une simple faculté pour les États membres. J’entends bien la question posée ; la réponse est d’ordre constitutionnel.

    M. le président

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    La parole est à Mme Danièle Obono.

    Mme Danièle Obono (FI)

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    Je veux vous interpeller, monsieur le ministre délégué, sur les violations des droits humains aux frontières de l’Union européenne, en particulier sur le rôle de l’agence Frontex. Normalement, le rôle de l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes consiste principalement à aider les États membres de l’Union et de l’espace Schengen à sécuriser leurs frontières extérieures. À sa création, elle était dotée de 19 millions d’euros par an, et elle est devenue la plus grosse agence de l’Union. Son budget atteint désormais 900 millions d’euros, et 11 milliards pour la période de 2021 à 2027. Or, à plusieurs reprises, Frontex s’est trouvée sous le feu de critiques pour des cas de mauvais traitements, voire de violations des droits des migrants et migrantes.
    En août 2019, une enquête conjointement menée par le site d’investigation allemand Correctiv, par le groupe public de radio allemand ARD – Arbeitsgemeinschaft der öffentlich-rechtlichen Rundfunkanstalten der Bundesrepublik Deutschland – et par le quotidien britannique The Guardian avait reproché à l’agence de tolérer des maltraitances commises par des garde-frontières en Hongrie, en Grèce et en Bulgarie. Les accusations portaient également sur les agents de Frontex, qui auraient par exemple expulsé des mineurs non accompagnés.
    Un an plus tard, en octobre 2020, une nouvelle enquête de plusieurs médias, dont Der Spiegel et The New York Times, rapportait l’implication d’agents de Frontex dans le refoulement illégal de migrants en mer Égée. En réalité, ces accusations datent de plusieurs années puisque, en 2011 déjà, Human Rights Watch estimait que des migrants et migrantes interceptés le long de la frontière gréco-turque par le personnel de l’agence étaient envoyés dans des centres de détention et y étaient maintenus dans des conditions particulièrement dégradantes.
    La France, qui présidera le Conseil de l’Union européenne pendant les six prochains mois, doit agir avec fermeté et résolution pour s’assurer que cette agence, qui joue un rôle important dans la stratégie et la politique migratoires de l’Union, respecte les valeurs fondamentales que notre continent se targue de protéger. Elle doit notamment instaurer un véritable contrôle démocratique de ses activités. En outre, il est indispensable de revoir ses missions et l’allocation de ses ressources, afin de donner la priorité au sauvetage et à l’accueil des migrants, plutôt qu’aux refoulements illégaux aux frontières.

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Marc Fesneau, ministre délégué

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    L’agence Frontex contribue de façon indispensable à la maîtrise des frontières extérieures de l’Union européenne – ce que d’ailleurs vous ne remettez pas en cause ; son action garantit un espace européen de liberté, de sécurité et de justice, plus sûr et plus fonctionnel, dans des conditions parfois difficiles.
    De graves allégations concernent de potentiels refoulements et des traitements dégradants de personnes migrantes – ce à quoi vous faites allusion. Elles font l’objet de plusieurs enquêtes menées par des organes internes et par des organes indépendants au niveau européen. Il est essentiel que la lumière soit faite sur ces faits supposés et elle le sera au niveau européen, évidemment.
    Le respect des droits fondamentaux n’est pas négociable, ni aux frontières extérieures, ni au sein de l’espace Schengen : c’est un point de vue que nous partageons. La révision en 2019 du mandat de Frontex prévoit justement des exigences accrues pour le contrôle du respect des droits fondamentaux. Il est en cours d’application, notamment pour la dimension organisationnelle, avec la poursuite du recrutement des contrôleurs des droits fondamentaux.
    Vous l’avez dit, la question concerne aussi les moyens, qui sont nécessaires pour que Frontex développe son action en respectant des conditions d’efficacité mais également d’humanité. Afin d’être tout à fait précis et transparent sur les chiffres, l’agence comptera 6 500 personnes en 2022 et 8 000 en 2024, avec l’objectif d’atteindre 10 000 personnes en 2027, ce qui représente une augmentation significative et permettra sans doute à Frontex d’exercer ses missions avec plus d’efficacité.

    M. le président

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    La parole est à Mme Elsa Faucillon.

    Mme Elsa Faucillon (GDR)

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    En décembre dernier, à Calais, j’ai pu constater combien le sort réservé aux exilés était alarmant. Ils sont quotidiennement harcelés, chassés d’un endroit à l’autre. Le vol ou la lacération des tentes et des effets personnels deviennent la norme. De démantèlement en démantèlement, rien n’est fait pour assurer leur sécurité, ni un accueil digne.
    De plus, les associations sont sans cesse criminalisées. Elles doivent, en plus de porter secours aux migrants, supporter les attaques répétées de la force publique, sur ordre de l’État. De nombreuses actions sont menées pour dissuader l’installation des migrants et le travail des associations et des habitants solidaires. À titre d’exemple, les associations sont contraintes d’organiser les distributions alimentaires au fil des différents arrêtés préfectoraux interdisant l’accès à certains lieux. Tous les deux jours, elles sont obligées de chercher où elles pourront porter secours, donner une aide alimentaire à ces personnes. Les observateurs internationaux de respect des droits humains sont pour leur part écartés par les policiers, dont – vous l’admettrez, je l’espère – ce n’est pas le rôle.
    Ces exactions répétées, ce harcèlement quotidien donnent le ton aux conservateurs de tout poil. Je pense ici à la vidéo d’une agression par arme à feu envers des migrants qu’un élu Rassemblement national a partagée sur les réseaux sociaux.
    Monsieur le ministre délégué, je ne vous demande pas de trouver un juste équilibre entre la gauche et la droite : le respect des droits humains ne relève pas d’un équilibre – on les respecte ou on ne les respecte pas. À Calais, d’évidence, les droits des personnes ne sont pas respectés. Il est de votre responsabilité d’apaiser les tensions en empruntant la voie du droit des personnes.

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Marc Fesneau, ministre délégué

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    Je vous répondrai sur un point précis avant d’en venir à des considérations plus générales. Concernant la vidéo que vous avez évoquée, des vérifications sont en cours pour en déterminer la nature et l’origine. Je sais que vous aussi êtes exigeante : nous avons besoin de savoir précisément où elle a été filmée et dans quelles conditions. En effet, on ne peut pas alléguer des faits – vous ne le faites pas, d’ailleurs – en l’absence de certitude à leur sujet.
    S’agissant de la lacération des tentes, elles ont été commises par des sociétés privées, qui n’avaient pas à le faire ; le ministère de l’intérieur a publié une circulaire pour dire qu’on ne pouvait pas procéder ainsi, dans ce cadre-là.

    Mme Elsa Faucillon

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    Devant la police ! Incroyable !

    M. Marc Fesneau, ministre délégué

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    Par ailleurs, vous avez raison, la situation migratoire sur le littoral des départements du Nord et du Pas-de-Calais doit faire l’objet d’un suivi très intrusif. Il est assuré par le ministère de l’intérieur, en particulier par le ministre, qui a le souci de conduire une action équilibrée tout en évitant la reconstitution de lieux de fixation dans des conditions de vie indignes.
    Vous avez souligné que les associations doivent exercer leurs prérogatives d’associations qui viennent protéger les migrants. Cependant, pardonnez-moi de souligner à mon tour qu’elles sont, comme tout le monde, soumises à la loi. Il n’est donc pas anormal qu’elles agissent dans le cadre de la loi et lui seul, même si personne n’est là pour remettre en cause l’action qu’elles mènent auprès des migrants, souvent fort utile, on peut le comprendre.
    Le renforcement du dispositif pendant la crise sanitaire s’est traduit par de nouvelles maraudes sociales, par la distribution de denrées alimentaires par le Secours populaire, à la demande des services de l’État, et par l’installation de douches et de toilettes, avec le soutien logistique de la communauté urbaine, donc de Dunkerque et de la ville de Grande-Synthe.
    En ce qui concerne les soins de santé, un dispositif médical permanent est également prévu, avec la protection civile, qui intervient en complément d’acteurs sociaux comme la Croix-Rouge et Médecins du monde, pour assurer la permanence d’accès aux soins de Dunkerque, en organisant le transport depuis Grande-Synthe. Des moyens importants y sont consacrés.
    Vous avez raison, il faut veiller aux conditions d’accueil. Personne ne dit que la situation est satisfaisante, mais nous essayons d’améliorer les choses, pour faire en sorte que ces migrants soient accueillis dans des conditions au moins décentes – j’ose le mot.

    Mme Elsa Faucillon

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    Ce serait déjà pas mal !

    M. le président

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    La parole est à Mme Cathy Racon-Bouzon.

    Mme Cathy Racon-Bouzon (LaREM)

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    Le parcours des mineurs non accompagnés (MNA), une fois arrivés sur notre sol européen, après avoir traversé de nombreuses frontières terrestres et maritimes, continue d’être chaotique, notamment en ce qui concerne l’accès à l’éducation, la formation professionnelle, l’apprentissage et, finalement, l’emploi.
    Si la volonté d’aller à l’école constitue souvent l’un des moteurs du parcours migratoire du jeune, sa scolarisation en France, même si elle est garantie par le droit à l’éducation, est souvent un parcours semé d’embûches, rendu complexe par l’absence d’harmonisation du droit et des statuts.
    Si le jeune est reconnu mineur et placé sous la protection de l’aide sociale à l’enfance, il peut travailler dans le cadre des stages nécessaires à l’obtention d’un diplôme. Mais s’il devient majeur avant la fin de son parcours scolaire, la situation se complique. La législation permet de l’accompagner jusqu’au terme de l’année scolaire commencée ; la suite dépend du droit au séjour qui lui est accordé, mettant parfois à mal une scolarisation et une intégration parfois bien engagées.
    L’étranger mineur pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance au plus tard à ses 16 ans obtient une admission au séjour de plein droit et peut ainsi se voir délivrer à sa majorité une carte de séjour temporaire d’un an portant la mention « vie privée et familiale », tandis que le mineur pris en charge après ses 16 ans peut prétendre uniquement à une admission exceptionnelle au séjour. Cette inégalité suscite des interrogations.
    En outre, ceux qui ont été pris en charge après 16 ans doivent procéder à une nouvelle demande administrative pour obtenir une carte de séjour portant la mention « salarié », « travailleur temporaire » ou « étudiant ». Or, souvent, les délais d’attente pénalisent leur parcours scolaire et les empêchent d’effectuer les stages pourtant requis dans le cadre de leur diplôme.
    Rétablir l’égalité entre ces jeunes leur éviter de nouveaux obstacles, dans un parcours qui en a généralement déjà comporté. Les sorties sèches les mènent parfois dans les mains de réseaux qui les obligent à rompre définitivement avec un processus d’intégration, pour lequel la France a pourtant commencé à investir moralement et financièrement.
    Monsieur le ministre délégué, vous paraît-il envisageable de prolonger la durée de validité du titre de travail octroyé aux MNA jusqu’à la fin de leur cursus scolaire, afin d’éviter les ruptures brutales de formation, et de généraliser l’obtention de cartes de séjour « vie privée et familiale » pour tous les mineurs non accompagnés, quel que soit l’âge de leur prise en charge par l’aide sociale à l’enfance ?

    Mme Elsa Faucillon

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    Bonne question !

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Marc Fesneau, ministre délégué

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    Je vous remercie, madame la députée, pour cette question sur un sujet auquel je vous sais très attachée, puisque vous l’avez évoqué dans d’autres débats parlementaires.
    Vous avez raison de le souligner, le Gouvernement est sensible à l’enjeu de la sécurisation du droit au séjour des mineurs non accompagnés accueillis par l’aide sociale à l’enfance ; son action contribue à l’assurer. Pour les mineurs devenus majeurs, le cadre juridique prévoit plusieurs voies d’admission au séjour : une voie de plein droit, pour les mineurs isolés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance au plus tard à 16 ans ; une voie d’admission exceptionnelle au séjour, pour ceux pris en charge entre 16 et 18 ans et qui justifient d’au moins six mois de formation professionnelle, dans certaines conditions fixées par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
    La circulaire du ministre de l’intérieur en date du 21 septembre 2020 prévoit un examen anticipé des demandes de titres de séjour, afin d’éviter les ruptures de droits des mineurs placés à l’ASE – aide sociale à l’enfance –, au moment du passage à la majorité, sujet qui vous préoccupe à raison.
    Par ailleurs, dans le cadre de l’admission exceptionnelle au séjour, les préfets disposent d’un pouvoir d’appréciation pour traiter les situations particulières. Certaines situations relèvent de cas particulier, notamment celles des mineurs isolés qui poursuivent des études secondaires ou universitaires avec assiduité et sérieux. Compte tenu de ces éléments et de ce que nous accomplissons déjà, il ne nous paraît pas nécessaire de modifier le cadre en vigueur pour atteindre les objectifs que vous évoquez, et que le Gouvernement partage.

    M. le président

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    La parole est à M. Raphaël Gérard.

    M. Raphaël Gérard (LaREM)

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    Le plan d’action pour renforcer la prise en charge des demandeurs vulnérables, lancé par le Gouvernement en mai dernier, prévoit le déploiement, dans le cadre du dispositif national d’accueil, de 200 places dédiées aux demandeurs d’asile et aux réfugiés LGBT+, au sein de centres d’accueil de demandeurs d’asile à vocation généraliste. Je tiens à saluer cette initiative qui permettra, d’une part, de répondre de manière plus efficace aux difficultés propres rencontrées par ce public, notamment en matière d’isolement, et, d’autre part, de proposer un accompagnement spécifique en amont de l’entretien à l’OFPRA, grâce au développement de conventions avec des associations LGBT+.
    Cependant des marges de progression subsistent pour un déploiement intégral du dispositif dans l’ensemble du territoire national au cours des mois à venir. En premier lieu, un certain nombre de questions persistent sur la mise en œuvre des procédures de repérage et de signalement des vulnérabilités. Les conditions de pré-accueil au sein des guichets uniques de demande d’asile (GUDA) ne garantissent pas des modalités de confidentialité compatibles avec le recueil de données sensibles, telles que l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, ce qui peut freiner l’identification, par les services de l’OFII, d’une éventuelle vulnérabilité.
    Par ailleurs, les procédures de signalement par les acteurs associatifs ne sont pas harmonisées, ni formalisées, à l’échelle des directions régionales de l’OFII et peuvent soulever des inquiétudes en matière de respect de la vie privée des demandeurs. Le renforcement du réseau des « référents vulnérabilité » devait contribuer à lever ces problèmes. Pouvez-vous faire un état des lieux des travaux engagés en ce sens ?
    En outre, un certain nombre d’opérateurs sont réticents quant à l’idée de rentrer dans le dispositif proposé dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt visant la spécialisation de places d’hébergement en faveur du public demandeur d’asile LGBT+. La tarification actuellement proposée dans le cadre du forfait jour ne tient pas compte des contraintes supplémentaires définies dans le cahier des charges, ce qui induit un surcoût non compensé pour les structures.
    À cet égard, le Gouvernement envisage-t-il de proposer une majoration tarifaire permettant de tenir compte des charges spécifiques et ponctuelles liées à la mise en œuvre de ces places d’hébergement spécialisées pour les publics LGBT+, sur le modèle de ce qui existe pour les victimes de la traite des êtres humains ? Une telle majoration permettrait d’encourager les partenariats avec les associations LGBT+, qui disposent d’une expertise spécifique dans l’accompagnement de ce public vulnérable et de renforcer leur trajectoire de professionnalisation.

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Marc Fesneau, ministre délégué

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    Vous souhaitez que je m’engage à aller plus loin sur les dispositions prises pour protéger les demandeurs d’asile LGBT. Vous l’avez dit, le Gouvernement a pris, sous ce quinquennat, des mesures inédites pour la protection des demandeurs d’asile LGBT. Depuis plusieurs années, l’OFPRA constate une hausse constante – même si elle est encore minoritaire – de la demande d’asile en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. L’ensemble de la chaîne de l’asile a pris en compte la vulnérabilité particulière et les besoins spécifiques des demandeurs d’asile LGBT, ce qui est une grande avancée du quinquennat.
    Dans le cadre du plan « vulnérabilités » lancé en mai 2021, la formation dédiée à ces publics a été renforcée et intervient dès l’enregistrement de la demande au guichet unique, pour permettre à l’OFII d’en tenir compte au plus tôt, sans méconnaître le fait que le demandeur d’asile n’a pas à faire état, à ce stade, d’informations sur les motifs de la demande d’asile. Il nous faut néanmoins rester vigilants sur ce sujet.
    Des places d’hébergement spécialisées ont également été identifiées au sein du dispositif national d’accueil : 200 places supplémentaires viennent d’être labellisées pour l’accueil du public LGBT. Les opérateurs concernés ont bénéficié d’aides spécifiques de la part de l’État, pour adapter les conditions d’accueil sur ces places, en fonction des configurations existantes et des besoins exprimés. Comme nous l’avons fait durant tout le quinquennat, nous ajusterons, s’il en est besoin, ces dispositifs qui paraissent répondre à une situation particulière et spécifique, même si d’autres mesures seront sans doute nécessaires.

    M. le président

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    La parole est à M. Pierre-Henri Dumont.

    M. Pierre-Henri Dumont (LR)

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    J’aurai deux questions. En premier lieu, depuis le Brexit, Calais et le Calaisis sont devenus une zone frontière avec le Royaume-Uni, donc pour l’Union européenne : la preuve, des vols Frontex sont affrétés et passent au-dessus de Calais, au large de la Manche – conformément à une demande que j’ai d’ailleurs formulée, à travers différents rapports parlementaires, à la suite du Brexit. Il existe des fonds européens pour les territoires reconnus comme frontaliers pour l’Union européenne : la France compte-elle déclencher ce type d’aide, notamment dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, et demander à l’Union européenne d’accompagner le territoire dont je suis le représentant d’un point de vue financier, étant donné la situation migratoire que nous subissons ?
    Ma deuxième question concerne la création, au fil du temps, sur le territoire de Calais et du Calaisis, de mini-camps ou mini-jungles qui sont courageusement démantelés par les forces de l’ordre. À cet égard, on a déploré dix-sept blessés lors d’une récente intervention, un migrant ayant été relaxé hier alors qu’il avait participé aux attaques contre les forces de l’ordre, ce qui est profondément scandaleux. Pouvez-vous imaginer un dispositif qui obligerait les migrants à être mis à l’abri ?
    En effet, si des places existent en France, elles sont vides. Les migrants se voient proposer des places de mise à l’abri, mais restent sur le territoire du Calaisis, occasionnant des troubles extrêmement importants pour les riverains et pour les entreprises. Des problèmes très lourds se posent également pour eux-mêmes, qui peuvent trouver la mort parce qu’ils sont dans les griffes des passeurs, dans de petits canots pour traverser la Manche ou à proximité des zones économiques, où des associations distribuent de la nourriture en violation des arrêtés qui l’interdisent. Les conséquences sont dramatiques puisqu’il y a encore eu, la semaine dernière, un mort dans la zone économique Transmarck.

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Marc Fesneau, ministre délégué

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    Je connais votre préoccupation, justifiée, sur un territoire qui est particulièrement touché par ces questions. Premier sujet, les relations avec les Britanniques : vous avez raison, nous sommes devenus une zone frontière. Afin de limiter les traversées en Manche, la France continue de rappeler à son partenaire – qui doit assumer sa part –, avec une grande exigence, qu’il convient d’entreprendre les réformes structurelles internes qui s’imposent et d’élargir les voies d’accès à l’entrée et au séjour, pour satisfaire les demandes en ressources étrangères que suscitent manifestement l’économie et les sociétés britanniques.
    Dans le prolongement du traité franco-britannique du 18 janvier 2018 relatif au renforcement de la coopération pour la gestion coordonnée la frontière commune, un plan d’action conjoint contre les traversées maritimes de la Manche a été élaboré en 2019. Ces mesures s’accompagnent d’une enveloppe financière de 62,7 millions d’euros pour 2021 et pour 2022, ayant vocation – pour la part française – à financer les déploiements des réservistes de la gendarmerie nationale et de la police nationale affectés à la surveillance du littoral et des équipements de détection et de sécurisation des infrastructures portuaires.
    À cet égard, vous avez raison de souligner l’implication des forces de l’ordre et des autres acteurs – services de l’État, collectivités locales –, qui interviennent pour que les choses se passent dans les meilleures conditions. Il faut saluer leur abnégation, leur courage, notamment dans un certain nombre de circonstances, pour faire en sorte que les choses se passent au mieux.
    Vous avez évoqué, à plusieurs reprises, la question des fonds européens susceptibles d’être mobilisés. Plusieurs d’entre eux financent en effet des actions liées à la gestion des frontières – notamment le Fonds pour la gestion intégrée des frontières, qui inclut un instrument relatif à la gestion des frontières et aux visas. Pour la période 2021-2027, cet instrument bénéficie d’une enveloppe de 6,38 milliards d’euros. Le Fonds social européen (FSE), lui, est mieux connu de ceux qui traitent des sujets européens : il permet aussi de répondre à ces questions, en termes de migration.
    Enfin, concernant les campements sur le littoral – liés au phénomène des traversées sur les small boats –, la stratégie de l’État consiste à la fois à empêcher leur reconstitution et à procéder à des mises à l’abri quand c’est nécessaire. Les opérations d’évacuation de campements ont lieu soit sur décision de justice, soit en flagrance sous l’autorité du procureur, tous les deux jours, afin d’éviter les points de fixation prolongés : ce cas d’action ne permet pas de procéder à des opérations d’évacuation vers des lieux d’hébergement, au risque de constituer une voie de fait.
    Trois centres d’accueil permanents, prenant la forme de centres d’accueil et d’examen des situations, ont été ouverts dans le département. Un dispositif humanitaire très important a été mis en place, avec la prise en charge, par l’État, de 20 millions d’euros par an, sans équivalent dans les autres sites de présence migratoire sur le territoire national.
    Certes, beaucoup reste à faire, et les dispositifs dont je viens de parler n’incluent pas de mesures de coercition en tant que telles. Néanmoins, depuis le démantèlement, fin 2016, du campement de la Lande grâce aux efforts continus des services de l’État et des collectivités territoriales, la taille et le nombre de personnes dans ces campements est dix fois inférieure à celle connue pour la période de 2015 à 2016. Il reste encore beaucoup à faire, je le répète et vous avez raison de le souligner, mais beaucoup a déjà été fait pour essayer d’avancer sur ces sujets complexes.

    M. le président

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    Le débat est clos.

    3. Ordre du jour de la prochaine séance

    M. le président

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    Prochaine séance, lundi 10 janvier, à seize heures :
    Discussion du projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante.
    La séance est levée.

    (La séance est levée à dix-huit heures dix.)

    Le directeur des comptes rendus
    Serge Ezdra