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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session extraordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 17 juillet 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Denis Baupin

1. Séparation et régulation des activités bancaires

Commission mixte paritaire

Présentation

Mme Karine Berger, rapporteure de la commission mixte paritaire

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique

Discussion générale

M. Jean-François Lamour

M. Laurent Baumel

M. Philippe Vigier

M. Éric Alauzet

M. Thierry Robert

M. Gaby Charroux

M. Dominique Lefebvre

M. Jacques Bompard

Mme Valérie Rabault

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée

Texte de la commission mixte paritaire

Amendements nos 4, 3, 2, 1

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

2. Modernisation de l’action publique territoriale et affirmation des métropoles

Suite de la discussion d'un projet de loi

Rappels au règlement

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

M. Patrick Mennucci

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances

Discussion générale (suite)

M. Marc Dolez

M. Jean-Yves Le Bouillonnec

Mme Valérie Pécresse

M. Jean-Christophe Fromantin

M. Jacques Bompard

Présidence de M. Christophe Sirugue

M. François Asensi

M. Patrick Mennucci

M. Bernard Accoyer

M. Gaby Charroux

Présidence de M. Denis Baupin

M. Alain Rousset

M. Gilles Carrez

Mme Frédérique Massat

M. Christian Estrosi

Mme Françoise Descamps-Crosnier

M. Serge Grouard

M. Jean-Luc Laurent

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet

M. Jean-Marie Le Guen

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Denis Baupin
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Séparation et régulation des activités bancaires

Commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires (n° 1247).

Présentation

M. le président. La parole est à Mme Karine Berger, rapporteure de la commission mixte paritaire.

Mme Karine Berger, rapporteure de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, à l’issue de l’examen du texte dans les deux assemblées ne restaient que treize articles en discussion, étant donné que nous étions déjà parvenus à un accord sur les premiers articles du texte, relatifs à la séparation des activités bancaires proprement dite.

Je veux donc tout d’abord me réjouir du fait que la commission mixte paritaire ait abouti et que je puisse aujourd’hui vous en présenter les conclusions.

Dans la première partie, le Sénat avait supprimé le débat parlementaire annuel sur la liste des États non coopératifs. Il nous a semblé nécessaire de le maintenir, compte tenu de l’importance de ce sujet et des évolutions en cours au niveau international en matière de lutte contre les paradis fiscaux.

Pour ce qui est de la publication d’informations par les banques et les grandes entreprises sur leurs activités ou celles de leurs filiales à l’étranger, disposition qui émanait de notre assemblée, deux points doivent retenir votre attention. En termes de sanction tout d’abord, nous avons retenu le dispositif sénatorial prévoyant une injonction sous astreinte, qui me paraît plus efficace et opérationnel que le dispositif que nous avions initialement envisagé. Deuxièmement, est apparu un point de désaccord concernant le périmètre des informations à publier. Les majorités, en commission mixte paritaire, sont parfois improbables. Ainsi les voix de l’opposition se sont-elles toutes jointes à celles des sénateurs socialistes pour réduire le champ de cette obligation de publication des comptes par les entreprises.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Pour la bonne cause !

Mme Karine Berger, rapporteure. La commission mixte paritaire a donc finalement retenu le texte du Sénat qui limite l’obligation aux comptes consolidés. Il faudra sans doute que nous nous assurions, dans le cadre du contrôle de l’application de la loi, que cette disposition n’est pas trop restrictive. Il n’en reste pas moins que c’est une avancée historique vers la transparence des positions bancaires dans les paradis fiscaux et qu’il faut bien évidemment nous en réjouir.

Pour ce qui est de l’encadrement du négoce sur les matières premières agricoles, le Sénat a renforcé à bon escient le texte de l’Assemblée, et nous l’avons suivi.

Concernant le Haut conseil de stabilité financière, le Sénat n’a pas remis en cause les dispositions permettant l’application du principe de parité entre les hommes et les femmes. Nous conservons donc le dispositif voté à l’Assemblée nationale, qui consiste à jouer sur les nominations de personnalités qualifiées pour assurer le respect du principe de parité.

La commission mixte paritaire a par ailleurs amélioré le régime de prévention des incompatibilités applicable aux membres du Haut conseil. Ceux-ci ne pourront être prestataires d’une entreprise soumise au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel, future Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ni de l’Autorité des marchés financiers. Entrent dans ce champ les fonctions d’avocat ou de conseil, ainsi que le prévoyait le texte initial du Gouvernement. Cela avait été supprimé au Sénat en seconde lecture.

Sur le contrôle de la nomination des dirigeants d’établissements bancaires – le fameux article 14 – deux points restaient en discussion. Le Sénat a tout d’abord étendu le dispositif au monde de l’assurance, ce qui nous est apparu pertinent et bienvenu, et la CMP a retenu cette rédaction.

En revanche, le Sénat avait exonéré les établissements mutualistes régionaux de tout contrôle de l’ACPR sur la nomination de leurs dirigeants. Cette option n’était pas satisfaisante, ne serait-ce qu’en raison de l’importance de ces structures. Nous avons donc rétabli ce contrôle, tout en veillant à la spécificité des banques mutualistes puisque les caisses locales sont exemptes de ce contrôle.

Le principal point de désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat a porté sur le plafonnement des frais bancaires.

La majorité socialiste, à l’Assemblée, soutenait le principe d’un plafonnement unique qui bénéficierait à l’ensemble des clients des banques, sans risque de stigmatisation des clients les plus modestes. Le Sénat, en revanche, soutenait le principe d’un double plafonnement, dont l’un serait spécifique aux ménages les plus modestes. C’est le Sénat qui l’a emporté, car il était soutenu par l’opposition de notre assemblée. On peut regretter cette issue mais, compte tenu de l’ampleur de la tâche accomplie, il aurait été excessif de faire échouer la CMP sur ce point.

Madame la ministre, puisque l’occasion nous est donnée d’examiner une dernière fois ce projet de loi, nous attendons bien évidemment confirmation aujourd’hui des fuites parues dans Le Parisien sur les montants des deux plafonnements qui sont désormais prévus dans le texte.

M. Jean-Marie Sermier. C’est la presse qui décide ?

Mme Karine Berger, rapporteure. Enfin, sur les règles d’utilisation des comptes de personnes défuntes, la CMP a retenu le texte du Sénat.

M. Jean-François Lamour. Qui est le pilote dans cet avion ?

M. Marc Le Fur. Qui est le prochain… Batho ?

Mme Karine Berger, rapporteure. La disposition introduite au Sénat et relative au remboursement de la monnaie électronique a été supprimée.

La commission mixte paritaire a donc abouti à un texte commun. Ce projet de loi est une étape essentielle dans l’effort de régulation financière et traduit un engagement de campagne du président de la République. C’est pourquoi je vous invite évidemment à l’adopter.

Je profiterai des dernières minutes qui me sont accordées pour ouvrir les nouveaux chantiers de cette tour de Babel de la régulation financière. Tout au long de la construction de ces premiers étages de la tour, on m’a reproché de lutter contre la crise de 2008, mais pas contre les futures crises financières. Peut-être, quoique je sois déjà pleinement satisfaite de pouvoir lutter contre les causes profondes de la catastrophe économique de 2008, en prolongeant certaines décisions prises plus tôt mais dans un contexte à mon sens beaucoup plus global, beaucoup plus ambitieux, beaucoup plus transversal.

Mais soyons beaux joueurs : oui, il y aura évidemment un jour ou l’autre d’autres étages à ajouter à la tour de Babel de la régulation financière,…

M. Marc Le Fur. Vous savez comment ça se termine, bien sûr ?

Mme Karine Berger, rapporteure. …car il y aura bien évidemment d’autres crises financières, d’autres crises économiques.

On pourrait parler par exemple, et certains l’ont fait, du fameux shadow banking, même s’il n’est pas abordé dans notre texte. Il fait naître beaucoup d’inquiétudes. De toute évidence, c’est un sujet complexe, et des mesures réglementaires sur l’assurance-vie que le ministre de l’économie et des finances vient d’annoncer tendent plutôt à élargir son champ. Le shadow banking, littéralement la banque noire, est à la fois une menace probable qui pèse sur certaines évolutions financières et une réalité qui n’est pas suffisamment connue à l’heure actuelle pour pouvoir faire l’objet d’une régulation.

On pourrait bien évidemment souligner l’instabilité générale du mécanisme des hedge funds, ces fonds qui sont capables, en quelques minutes, de porter des attaques spéculatives contre des dettes, des États ou des entreprises. Pour autant, à ce jour, nul n’a su prévenir le risque d’instabilité qu’ils créent. Je suis prête à parier que cela entrera dans le champ des prochaines réflexions qui seront menées sur l’instabilité financière, par nous-mêmes ou peut-être par d’autres.

M. Jean-Marie Sermier. On ne gouverne pas avec des paris, on n’est pas au casino !

Mme Karine Berger, rapporteure. On pourrait aussi s’interroger sur la question des risques systémiques venant d’autres pays, émergents notamment, qui ne se sentent pas, sans doute à raison d’ailleurs, parfaitement liés par nos objectifs de régulation actuels.

Ces questions se posent toujours, ces menaces sont toujours présentes. Cette finance avide et cupide que nous essayons de réguler par cette loi produira de nouvelles inventions, de nouvelles innovations, et ne sera sans doute pas plus soucieuse de l’économie réelle dans le futur qu’elle ne l’a été jusqu’à présent. Gageons que la bataille menée ces derniers mois, dont j’espère qu’elle se conclura par l’adoption, aujourd’hui, de cette loi ambitieuse sera une première étape. Elle instaurera au moins, pour les prochaines années, un cessez-le-feu entre nous et cette finance folle. Elle ne signifiera pas la fin de la guerre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique. Nous arrivons aujourd’hui au terme de plusieurs mois d’échanges extrêmement intenses sur le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui sera l’un des textes marquants de cette première année de travaux parlementaires.

Ce texte, qui était porté par le ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici, avec votre concours, avait pour objectif de répondre aux causes profondes de la crise financière de 2008 qui a si brutalement déstabilisé nos économies. Ses principales innovations sont encore présentes, j’en suis sûre, dans vos esprits.

Je pense à la séparation des activités spéculatives, cantonnées dans une filiale soumise à des règles strictes.

Je pense aux dispositions à la fois ambitieuses et justes sur la résolution, qui font d’abord peser le poids de la faillite d’une banque sur ses actionnaires et certains de ses créanciers pour protéger les épargnants et les contribuables.

Je pense aux nouvelles prérogatives de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution : ce projet lui donne encore davantage de moyens d’intervenir pour prévenir et dénouer les crises.

Je pense à la surveillance des risques systémiques, avec la création du Haut conseil de stabilité financière.

Je pense également aux nombreuses mesures qui auront un effet sur la vie quotidienne de nos concitoyens, dans leurs relations avec leur banque.

Je pense enfin aux progrès réalisés en seconde lecture, avec le plafonnement des bonus des dirigeants des banques et des traders et l’obligation d’information qui pèsera sur les banques, demain, pour préparer le terrain à un futur FATCA européen.

Mais ce texte n’est pas que l’incarnation de la volonté du Gouvernement de remettre la finance à sa juste place, au service de la croissance. Il est la manifestation d’une ambition partagée au sein de la majorité présidentielle, car c’est, mesdames et messieurs les députés, avec votre concours précieux et déterminé à chaque étape que ce texte s’est progressivement complété et renforcé. La coopération, le dialogue entre le Gouvernement et la représentation nationale sur cette grande réforme ont en effet été exemplaires, et je sais que le ministre de l’économie y était très attaché.

Nombre des innovations de ce projet de loi sont en effet la résultante directe des échanges que nous avons eus.

M. Patrick Hetzel. C’est de l’autocongratulation !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Ce sont vos travaux qui ont permis d’ajouter au projet un pan complet sur la lutte contre le blanchiment et les paradis fiscaux, avec notamment la transparence pays par pays, réclamée depuis longtemps par les ONG, s’appliquant aux banques mais aussi aux grandes entreprises. Ce sont aussi vos propositions qui ont permis d’électrifier la barrière entre la banque et sa filiale, pour éviter les risques de contournement. Les dispositions adoptées pour brider les manipulations d’indice financier et le trading à haute fréquence sont aussi issues de la réflexion des assemblées, qui ont également amélioré les dispositions relatives aux dérivés de matières premières agricoles. Ce projet, mesdames et messieurs les députés, nous pouvons en être collectivement fiers. Il est véritablement le fruit d’une coproduction entre l’exécutif et le législatif, dont le meilleur est sorti.

Je sais que vous l’avez suivi de très près, jusqu’au bout, à juste titre car c’est une réforme majeure. Jusqu’en CMP, les discussions se sont poursuivies entre les chambres, jusqu’à ce qu’un compromis satisfaisant soit finalement trouvé.

La question du double plafond pour les commissions d’intervention a particulièrement retenu votre attention. Il est vrai qu’elle est importante, car ce projet de loi n’est pas qu’un projet pour les banques mais aussi un projet pour nos concitoyens, trop souvent oubliés dans les enjeux si techniques de la régulation des activités bancaires. En fin de compte, vos travaux ont permis de déterminer le cadre de ce double plafonnement, par mois et par opération, adapté à la situation économique et sociale du client. Le décret qui en donnera le détail est en cours d’élaboration et sera publié au plus vite.

Nous sommes parvenus là, je crois, à un bon compromis, à la fois conforme à la volonté du Gouvernement et satisfaisant pour la représentation nationale. Le principe du double plafond est maintenu. Il s’applique, comme le souhaitaient les députés, à tous les citoyens. Je tiens à vous rassurer sur ce point, madame la rapporteure : le Gouvernement précisera dans les prochains jours, comme il s’y est engagé, le niveau des plafonds.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, les quelques mots de conclusion que je souhaitais vous dire après ces longs mois de travaux. Surtout, je vous remercie chaleureusement, en mon nom et au nom du ministre de l’économie et des finances, pour les échanges approfondis et fructueux que nous avons eus. Si la réforme bancaire est une réussite, c’est grâce à notre implication à tous. Je m’en félicite, je vous en félicite et je crois que nous pouvons profiter de ce jour pour saluer ce beau succès commun. Merci. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Éric Alauzet. Bravo !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-François Lamour, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-François Lamour. Notre assemblée a été saisie en février dernier d’un projet de loi qui visait à aller plus avant dans la régulation bancaire. Ce projet prévoyait notamment la mise en place d’un mécanisme de résolution et le renforcement de la supervision des activités de marché. Ce texte, ou à tout le moins son titre II, s’inscrivait en fin de compte dans le prolongement de la loi de régulation bancaire et financière votée en 2010 – dont je précise qu’elle a été votée sans les voix des socialistes. Il en reprenait et en prolongeait les principaux dispositifs, qu’il s’agisse de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, du Fonds de garantie des dépôts et de résolution ou encore du Conseil de la stabilité financière.

Le titre Ier , en revanche, posait plus de questions. Dans son principe, il n’apportait finalement pas grand-chose. Qui peut croire en effet que la filialisation des activités pour compte propre est réellement de nature à conjurer le risque systémique ? Mais passons : l’application des règles Vickers, Volcker ou Liikanen à notre modèle traditionnel de banque universelle, qui a pourtant mieux résisté que les autres à la crise financière, ne souffrait semble-t-il pas le moindre questionnement.

Dès la première lecture, le groupe UMP a dénoncé une entrée en vigueur trop précoce du dispositif prévu, en décalage par rapport aux évolutions des législations de nos partenaires – en tout cas de ceux d’entre eux qui se sont engagés dans cette voie. Nous avions également alerté le Gouvernement au sujet des obligations nouvelles que ce dispositif ferait peser sur les réseaux bancaires français. Sur ce dernier point, nous avons été écoutés, mais pas entendus : preuve en est l’amendement du président Carrez, adopté en première lecture, qui prévoit qu’avant le 30 juin 2014, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport détaillant l’impact de la loi sur la compétitivité du secteur bancaire français par rapport aux établissements de crédit américains et européens.

Voilà pour le texte initial. Mais à partir de cette version, qui était sinon consensuelle, du moins susceptible de servir de base à une discussion sérieuse, les travaux parlementaires ont abouti à un texte décalé par rapport à la réalité économique et financière, et décalé aussi par rapport au contexte européen.

M. Patrick Hetzel. Très juste !

M. Philippe Vigier. Eh oui !

M. Jean-François Lamour. D’où vient ce hiatus ? Je ne me ferai pas le commentateur du conflit entre éthique de responsabilité et éthique de conviction chez les socialistes. Cela n’intéresse pas les Français. Pour la clarté de nos débats, il est cependant intéressant de revenir au texte fondateur de ce quinquennat, les « 60 engagements pour la France » de François Hollande.

M. Philippe Vigier. Excellent !

M. Jean-François Lamour. Excellent, monsieur Vigier ?

M. Philippe Vigier. Le fait de rappeler ces engagements !

Mme Karine Berger, rapporteure. Merci de ces compliments pour le programme socialiste !

M. Jean-François Lamour. Souvenez-vous du septième de ces engagements – chiffre hautement symbolique : « Je séparerai les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives ». Au sein de la majorité nouvellement élue, un certain nombre de nos collègues ont adopté une interprétation que je qualifierai de littérale de ce programme qu’ils considèrent comme de nouvelles Écritures saintes.

Ils n’ont d’ailleurs pas bien compris, madame la ministre, pourquoi un gouvernement issu de leurs rangs leur proposait une mesure moins orthodoxe que celle que le candidat à la présidentielle leur avait promise ! Le résultat a été que nous, députés de l’opposition, avons assisté, circonspects, à un débat entre majorité et Gouvernement, ou, si vous préférez, entre l’aile droite et l’aile gauche du Parti socialiste, qui dans la plupart des cas a tourné au net avantage de l’aile gauche.

M. Alain Chrétien. Voire d’extrême-gauche !

M. Jean-Marie Sermier. On se demande même s’il y a toujours des ailes au Parti socialiste !

M. Alain Chrétien. Tout cela, c’est une histoire de canard !

M. Jean-François Lamour. Nos propositions, nos amendements, nos remarques ont ainsi fait les frais des tentatives, souvent fructueuses, de durcissement du texte. En résumé, le groupe UMP n’a sauvé que ce qui pouvait l’être, en contribuant parfois à maintenir la version du Sénat en commission mixte paritaire, comme l’a dit Mme la rapporteure il y a quelques instants.

Mme Karine Berger, rapporteure. Je vous l’ai dit, monsieur Lamour : je le regrette !

M. Jean-François Lamour. Cela a été le cas, par exemple, pour l’article 17 relatif au plafonnement des commissions d’intervention.

Venons-en un instant à ce double plafonnement, et au seuil spécifique applicable aux personnes qui bénéficient des services bancaires de base. C’était la seule façon de protéger les publics les plus fragiles. Madame la rapporteure, chers collègues de la majorité, je ne comprends pas que vous ayez rejeté ce dispositif frappé au coin du bon sens, vous qui vous targuez d’agir pour plus de justice sociale.

M. Patrick Hetzel. Eh oui !

M. Philippe Vigier. Il a raison !

M. Jean-François Lamour. Sur ce texte peut-être encore plus que sur d’autres, il était difficile de parvenir à une position unanime au sein de chaque groupe. Au cours des débats, le groupe UMP a adopté une attitude constructive,…

M. Jean-Marie Sermier. Comme toujours !

M. Jean-François Lamour. …avec pour seul souci d’avancer de manière cohérente et équilibrée dans la voie de la régulation des activités financières et bancaires.

M. Alain Chrétien. L’intérêt général avant tout !

M. Jean-François Lamour. Exactement.

Il est une démarche, mes chers collègues, que nous ne pouvons pas accepter. Elle consiste à faire supporter aux réseaux bancaires français, et en définitive à toute notre économie, des contraintes qui leur feront subir un véritable désavantage compétitif. Faut-il rappeler que les banques françaises sont un élément essentiel de la compétitivité de notre industrie ? Qu’en 2009, elles représentaient 10 % du système bancaire mondial et n’avaient subi que 3 % des pertes liées à la crise financière, alors que les banques du Royaume-Uni, elles, en accumulaient jusqu’à 11 % ?

Faut-il rappeler que le secteur bancaire représente dans notre pays pas moins de 800 milliards d’euros de crédit aux entreprises et près de 400 000 emplois directs ?

N’oublions pas non plus le contexte. À partir de 2014 et progressivement jusqu’en 2019, les banques devront mettre en œuvre les règles de Bâle III pour renforcer la qualité et le niveau de leurs fonds propres et améliorer leur gestion de la liquidité. Les dispositifs imposés par ce projet de loi interviennent donc au moment précis où l’application de la nouvelle réglementation exigera des efforts particuliers de la part des réseaux bancaires.

Au-delà de la filialisation proprement dite, à laquelle j’ai fait référence tout à l’heure, la principale difficulté, pour notre groupe, réside dans l’article 4 bis, introduit dans le projet de loi par voie d’amendement et substantiellement densifié depuis. Dans sa rédaction initiale, cet article prévoyait que les établissements de crédit, les compagnies financières et les holdings mixtes publient, au plus tard six mois après la reddition de leurs comptes annuels, des informations sur leurs implantations et leurs activités dans chaque État ou territoire. Ces informations comprennent le nom des entités, la nature de l’activité, le produit net bancaire ou encore les effectifs en personnel.

M. Christian Paul. C’est un excellent article, vous ne pouvez pas être contre !

M. Jean-François Lamour. Nous avons fait valoir en première lecture, monsieur Paul, que ces obligations, qui conduisent à la divulgation d’informations stratégiques, risquent de porter atteinte à la compétitivité des banques françaises. Pourtant, d’autres éléments y ont encore été ajoutés, notamment par la gauche sénatoriale. Il s’agit entre autres du bénéfice ou des pertes avant impôt et du montant total des impôts dont les entités sont redevables.

Je tiens à préciser la position du groupe UMP sur cet article 4 bis. Je l’ai déjà fait en deuxième lecture, mais je crois en la valeur pédagogique de la répétition.

M. Jean-Marie Sermier. Il faut répéter un paquet de fois, avec les socialistes !

M. Razzy Hammadi. Vous cherchez à balkaniser le débat !

M. Jean-François Lamour. Tout compte fait, nous ne sommes pas opposés à faire peser sur les banques de nouvelles obligations en matière de transparence. C’est évidemment l’horizon de la régulation bancaire européenne et internationale. Toute une série de règles contribuent à cette évolution, à commencer par la directive CRD IV. Mais pour être efficaces, c’est-à-dire pour renforcer la régulation sans porter atteinte à la compétitivité d’un réseau bancaire, ces obligations nouvelles ne peuvent entrer en vigueur que dans un cadre concerté, et si possible au même moment ! Or ce n’est pas le cas : la France va mettre en œuvre avant ses partenaires les dispositions de la directive CRD IV concernant les informations relatives à l’implantation et aux activités de ses banques.

Madame la rapporteure, je sais que vous aimez avoir un temps d’avance. Méfiez-vous toutefois : ce temps d’avance peut vite se transformer en faux départ, synonyme de disqualification ! (Sourires.)

M. Jean-Marie Sermier. C’est un grand sportif qui le dit ! Un spécialiste de la qualification ! (Sourires.)

M. Jean-François Lamour. Mme la rapporteure aussi est sportive, je n’en doute pas un instant.

En seconde lecture, nous avons proposé plusieurs amendements. Il s’agissait de supprimer les obligations d’information, ou alors de faire en sorte qu’elles soient transmises au ministère de l’économie et des finances plutôt que publiées en annexe aux comptes consolidés. Il s’agissait surtout de différer, je l’ai dit tout à l’heure, la date d’entrée en vigueur des obligations d’information afin de la faire coïncider avec l’application de la directive CRD IV.

Non seulement ces propositions ont été rejetées, mais un nouveau dialogue entre la majorité et le Gouvernement a débouché sur l’application des obligations d’information prévues à l’article 4 bis à toutes les sociétés dont le total de bilan ou le chiffre d’affaires et le nombre de salariés excèdent des seuils fixés par décret en Conseil d’État. C’est un nouvel obstacle qui vient freiner la compétitivité de notre réseau bancaire et de nos entreprises !

Vous l’aurez compris, et je conclurai par là, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un projet de loi qui, lecture après lecture, n’a fait que s’éloigner de sa version initiale.

M. Patrick Hetzel. Très bien ! Très juste !

M. Jean-François Lamour. Compte tenu surtout de ses modalités d’entrée en vigueur, il est devenu un texte dogmatique et militant. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Baumel.

M. Laurent Baumel. À ce stade, nos débats ont déjà été longs et riches. Nous avons déjà passé plusieurs nuits sur ce texte. Je me contenterai donc d’exposer succinctement quatre raisons pour lesquelles le groupe socialiste sera fier de le voter définitivement cet après-midi.

La première, c’est que grâce à ce texte, nous nous donnons les moyens de séparer réellement les activités spéculatives des banques de leurs activités utiles au financement de l’économie. Le Parlement a, de ce point de vue, beaucoup contribué à améliorer le texte. Le ministère de l’économie et des finances a désormais les moyens d’opérer cette séparation. C’était fondamental, d’une part parce que la crise de 2008 nous a légué la question du risque systémique dans le système bancaire, et d’autre part parce qu’il faut assurer la confiance de base de nos concitoyens dans leurs agences bancaires.

Deuxièmement, nous sommes fiers du rôle important joué par le Parlement dans l’élaboration de ce texte. Certains ont parlé de coproduction : peut-être est-ce un peu exagéré. Toujours est-il qu’il y a eu indéniablement une collaboration qui mérite d’être prise en exemple dans d’autres domaines.

Une troisième source de fierté vient du fait que la France, grâce à cette réforme, est à l’avant-garde. Ce diagnostic n’est peut-être pas consensuel, mais pour ma part je l’assume. Nous avons démontré qu’il est possible d’aborder ces questions au niveau européen sans se contenter de suivre les autres, ou se lamenter en permanence sur nos singularités et nos différences. De temps en temps, la France fait entendre, sur ces questions de régulation, une voix originale. Elle peut ainsi entraîner les autres pays, dans une dialectique intéressante entre le niveau national et le niveau européen.

J’ai promis d’être court, et je le serai. Notre quatrième et dernière source de fierté, c’est d’avoir pris à bras-le-corps la question de la protection des consommateurs français, grâce à ces mesures sur les plafonds bancaires dont nous nous sommes beaucoup occupés à la fin de notre discussion. C’était fondamental, parce qu’il s’agissait, pour le groupe SRC, de protéger non seulement les Français les plus fragiles, ceux qui relèvent par exemple de la gamme des paiements alternatifs, mais aussi, de façon plus générale, les couches populaires et moyennes qui, dans cette période de crise, peuvent être amenées à connaître, du fait du chômage, de ruptures familiales ou de tous ces accidents de la vie qui se multiplient, des passages difficiles et donc être confrontées au problème des découverts bancaires. Nous avons eu le sentiment qu’il est dans le rôle de l’État aujourd’hui de fixer des limites, des plafonds, des protections pour éviter que ces personnes qui traversent des difficultés soient pénalisées encore davantage par des pratiques bancaires inadaptées ou excessives.

Voilà pourquoi nous avons défendu le principe d’un plafond général. Le Sénat, quant à lui, a souhaité définir deux plafonds. Au bout du compte, les engagements pris – pour l’instant par voie de presse – par le ministère de l’économie et des finances quant au niveau de ces deux plafonds ont conduit la CMP à considérer qu’il fallait adopter ce texte en y incluant ces dispositions. Nous avons donc conservé l’intégralité des résultats de notre enthousiasme, en première comme en deuxième lecture.

Voilà ce que je souhaitais vous dire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Le groupe UDI a eu l’occasion d’expliquer à de nombreuses reprises à votre collègue Pierre Moscovici, madame la ministre, sa position sur ce texte qui, loin d’être fondateur et précurseur, comme le voulait le Gouvernement, est éloigné des fameux 60 engagements défendus par François Hollande. Improprement appelé projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, ce texte, force est de le constater, ne sépare en réalité pas grand-chose, comme l’a très bien souligné Jean-François Lamour.

Mme Valérie Rabault. Vous avez mal lu !

M. Philippe Vigier. Nous sommes très loin des grands discours enflammés du Bourget, lorsque François Hollande expliquait que son véritable ennemi, c’était la finance sans visage. Ce texte signe, avant tout, vous l’avez bien compris, un énième renoncement, en l’occurrence cette fois-ci à l’engagement n° 7 du projet présidentiel : « Je séparerai les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives ». M. Baumel est très optimiste, je le suis pour ma part un peu moins !

L’Assemblée nationale, vous l’aurez compris, est saisie d’une réforme timide, quelque part frileuse.

Mme Valérie Rabault. Ce n’est pas ce que vous ont dit les Allemands, monsieur Vigier !

M. Philippe Vigier. Certains parlent même de non-réforme bancaire, bien loin du Glass-Steagall Act à la française que le Gouvernement nous avait promis.

Au-delà de ce nouveau reniement, les critiques du groupe UDI sont de deux natures.

Tout d’abord, madame la ministre, le Gouvernement ne semble toujours pas avoir compris qu’il ne pouvait pas se passer de ses partenaires européens pour s’attaquer à la régulation du secteur bancaire. Vous n’avez pas attendu la fameuse directive européenne et vous avez choisi de ne pas mener de concertation, alors que notre principal partenaire, l’Allemagne, travaille comme vous le savez en ce moment même à une réforme du système bancaire.

Mme Valérie Rabault. Monsieur Vigier, vous savez ce qu’ils vous ont dit à Berlin !

M. Philippe Vigier. Vous préférez faire cavalier seul, condamnant par avance, madame Rabault, ce projet de loi à être revu et corrigé une fois la prochaine loi européenne adoptée.

Les députés du groupe UDI, profondément européens, vous le savez, ne croient pas en une vision étriquée et franco-française.

M. Jean-François Lamour. Voilà !

M. Philippe Vigier. Ils ne croient pas non plus à l’efficacité d’une réglementation financière nationale. À l’heure où les échanges sont justement mondialisés, où les transactions passent par New York, Singapour, Londres, Tokyo, il est insensé d’imaginer qu’une réforme à l’échelle de la France sera suffisante. Votre réforme, c’est une sorte de ligne Maginot contre la finance mondiale !

M. Jean-François Lamour. Très bonne analyse !

M. Philippe Vigier. Nous croyons que, face à une crise financière mondiale, la réponse doit être globale et que seul l’échelon européen permettra à la France de faire entendre sa voix. Il est donc regrettable de constater que votre projet de loi ne fera que pénaliser les banques françaises vis-à-vis de leurs concurrentes européennes et mondiales.

Je souhaiterais d’ailleurs que M. Moscovici puisse m’expliquer pourquoi il n’entend pas cet argument. En effet, quand il s’agit de justifier son échec annoncé sur la mise en place d’une taxe sur les transactions financières en Europe, il se réfugie derrière cette explication qu’il convient de travailler à l’échelle européenne.

M. Jean-François Lamour. Très bonne remarque !

M. Philippe Vigier. Mais là, il faudrait partir tout seul ! Moi qui apprécie le parallélisme des formes, je n’y comprends rien !

En réalité, vous opérez un nouveau renoncement à une promesse du candidat Hollande : il n’y a pas de séparation des banques, et toujours pas de taxe Tobin non plus. Il ne vous restera donc qu’une loi d’affichage qui imposera aux banques françaises des contraintes très fortes dès 2014, alors même que, vous me l’accorderez, leur modèle a plutôt bien résisté à la crise. Cela ne pourra que nuire, à nos yeux, à leur compétitivité, déjà mise sous pression, comme celle de toutes les autres entreprises, dont chacun sait qu’elles subissent depuis un peu plus d’un an un véritable matraquage fiscal.

À l’heure où les chiffres du chômage ne cessent de battre des records, est-il nécessaire de vous rappeler que l’industrie bancaire est l’un des premiers employeurs du secteur privé en France, avec près de 400 000 emplois ? Comme l’a très bien dit le président de la commission des finances Gilles Carrez, nous devons avoir la même préoccupation pour l’industrie bancaire que pour le reste de l’industrie. Au lieu de cela, les banques françaises verront leurs contraintes se durcir dès l’année prochaine alors même que leurs concurrentes ne seront pas touchées, puisque la réforme bancaire n’entrera en vigueur qu’en 2015 en Allemagne, qu’en 2017 aux États-Unis et qu’en 2019 au Royaume-Uni. Pourquoi ce décalage ? Une fois de plus, c’est la compétitivité d’un pan entier de notre industrie que vous sacrifiez sur l’autel des dogmes et des promesses de campagne.

Nous vous avons répété nos critiques envers la faiblesse globale de ce texte, notamment en ce qui concerne le trading à haute fréquence et la spéculation sur les matières premières agricoles qui, contrairement à ce que vous prétendez, ne seront pas interdites. Il est vrai que ces dispositions ont été améliorées par nos collègues sénateurs et que le Gouvernement s’est timidement engagé à continuer de travailler sur le sujet. À nos yeux, un travail important reste à faire. Nous resterons donc très vigilants et nous nous inviterons dans le débat entre la gauche et sa gauche sur ce sujet.

Nous vous avons également dit notre inquiétude quant à la transformation du Fonds de garantie des dépôts en Fonds de garantie des dépôts et de résolution, juste un petit mot de plus, mais qui change fondamentalement la philosophie de cet outil initialement prévu pour garantir les dépôts des épargnants en cas de faillite de leur banque. Ce fonds est, à nos yeux, indispensable pour assurer la confiance des Français dans leurs établissements bancaires. C’est grâce à la garantie qu’il apporte que des millions de Français acceptent de confier leur épargne à ces établissements. Or votre projet de loi, nous vous l’avons dit, propose de faire un amalgame dangereux entre garantie des dépôts et mise en œuvre de la résolution. Comment conserver la crédibilité et la fiabilité de ce fonds, si l’on sait qu’il pourra également servir à la résolution des banques ? Nous l’avons dit, lorsque nous étions dans la majorité et nous le disons aujourd’hui dans l’opposition : ce n’est pas aux contribuables de payer le prix des dérives de la finance. Nous aurions souhaité que le Gouvernement modifie le texte sur ce point.

Je voudrais dire un mot du cantonnement des activités spéculatives, censé être la mesure phare de ce projet de loi. Nous l’avons répété, ce cantonnement ne revient, en aucun cas, à séparer banques d’affaires et banques de dépôt. Il est certes utile en cela qu’il peut contribuer à réduire la spéculation des banques, activité qu’elles ont d’ailleurs sensiblement diminuée au lendemain de la crise de 2008. Nous doutons cependant de l’efficacité du dispositif proposé.

L’amendement de la rapporteure visant à donner au Gouvernement la possibilité de faire basculer des activités dans la filiale dès lors qu’elles dépassent un seuil fixé par arrêté a apporté une première réponse. Je vous en donne acte, madame la rapporteure !

Mme Karine Berger, rapporteure. Merci, monsieur Vigier !

M. Philippe Vigier. Vous voyez que nous sommes constructifs, lorsqu’il le faut !

Il aurait toutefois été préférable qu’un seuil critique soit fixé par la loi, comme en Allemagne, plutôt que de laisser le ministre en décider. Mais peut-être des amendements seront-ils présentés. C’est la troisième fois que nous le répétons. Même si nous imaginons que le ministre prendra une décision parfaitement éclairée, il me semble fondamental de le rappeler.

En revanche, si le projet de loi est faible sur le sujet qui devrait en constituer le cœur, nous souhaitons saluer les avancées concernant les droits des TPE et la protection des consommateurs. Cela fait, vous le savez, plus de dix ans que nous travaillons sur ce sujet. Les dispositions de renforcement des droits des TPE et PME vis-à-vis des banques sont particulièrement bienvenues, alors que nombreux sont les professionnels en situation de fragilité dont la trésorerie est engloutie par les frais bancaires. Nous regrettons toutefois que nos propositions sur ce sujet n’aient été plus nombreuses à être retenues, car il en existait d’autres, vous le savez, madame la rapporteure.

Nous saluons également les avancées en matière de protection des consommateurs, notamment en ce qui concerne l’assurance emprunteur et la procédure de surendettement.

Nous nous félicitons également du plafonnement des frais bancaires et du fait que la proposition du Sénat sur l’instauration d’un double plafonnement ait été retenue…

M. Jean-François Lamour. Très bien !

M. Philippe Vigier. …même si je crois que ce n’était pas tout à fait votre souhait, madame la rapporteure. Cela permettra de mieux protéger les populations les plus fragiles et de préserver leur pouvoir d’achat déjà très attaqué, en particulier par ce gouvernement.

Donc, ce texte n’est pas la réforme des réformes, la mère des réformes. « Il y aura d’autres guerres » : c’est, je crois, la teneur de la fin de votre intervention.

Mme Karine Berger, rapporteure. Tout à fait !

M. Philippe Vigier. Nous sommes très loin des emportements des anciens candidats à la Présidence de la République.

Pour autant, ce texte présente un certain nombre d’avancées. C’est la raison pour laquelle, dans un but d’équilibre, le groupe UDI s’abstiendra.

Mme Karine Berger, rapporteure. Merci, monsieur Vigier !

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. C’est avec une satisfaction particulière que je prends aujourd’hui la parole, au moment de finaliser le débat parlementaire sur la régulation de la finance.

Il faut rappeler que cette loi prend racine dans la crise financière de 2008, une crise qui est venue ponctuer trois décennies de dérégulation croissante au cours desquelles les transferts financiers se sont accumulés, du travail vers le capital mais également des générations actuelles vers les générations futures, au point de mettre en danger l’action publique, l’économie et la situation des ménages.

Le point d’orgue de cette dérégulation est atteint fin 2008, avec la crise des subprimes. Nous ne pouvions espérer que les acteurs économiques deviennent d’eux-mêmes vertueux après cette crise. Souvenez-vous de celles qui avaient précédé : celle de 2006-2007, quand le prix du blé et des céréales double, voire triple, le prix du blé passant de 100 à 250 euros la tonne ; la crise du pétrole en 2007-2008, lorsque le prix du baril de pétrole est multiplié par deux, passant de 40 à 80 euros. Suite à ces crises, le système est resté inchangé et s’est écrasé contre le mur des subprimes. C’est donc au politique d’imposer sa loi au marché.

L’impact négatif de ces crises sur les comptes publics et sur l’emploi a profondément altéré la confiance de nos concitoyens envers les banques et a conduit le Président de la République à prendre un engagement fort lors de son discours du Bourget pendant la campagne présidentielle. C’est cet engagement que nous concrétisons aujourd’hui.

Avec ce projet de loi, nous affirmons notre volonté de reprendre la main sur le système financier, de lui donner des règles, notamment en renforçant les moyens de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Cette autorité nous permettra de prévenir toute nouvelle crise et, le cas échéant, de ne pas faire porter sur le contribuable et le petit épargnant la résolution des crises bancaires. Nos objectifs sont clairs : protéger leur épargne, protéger les contribuables, protéger l’économie.

C’est à la gauche et aux Écologistes qu’il revenait d’agir concrètement. Il faut le dire, si l’opposition avait été aux manettes, il ne se serait rien passé. Le peu de mobilisation de sa part pour cette loi en témoigne. Quand on vous a entendus, chers collègues de l’opposition, c’était pour proclamer qu’il ne fallait surtout rien faire, sous prétexte de protéger l’économie, et que nous allions fragiliser l’industrie bancaire. Pire, vous vous êtes opposés à l’obligation faite aux banques par cette loi de transmettre les informations concernant leurs filiales dans le monde.

Pour notre part, nous aurions souhaité une vraie séparation, solution qui apparaissait comme la plus sûre. C’est un autre chemin qui a été choisi par le Gouvernement. Nous souhaitons vraiment qu’il soit efficace. Le chemin choisi consiste à filialiser les activités spéculatives. Beaucoup ont raillé la mesure, arguant du peu d’activités filialisées. Mais si, aujourd’hui, ces filiales sont de petite taille, c’est parce que les banques ont cessé les activités les plus risquées pour leur propre compte, alors qu’elles représentaient une part importante de leur activité avant la crise : elles sont passées de 15 % à 1 % de leur activité totale.

L’objectif de cette filialisation est de faire en sorte que ces pratiques restent marginales afin que, le calme revenu, les banques ne reprennent pas leurs mauvaises habitudes. Pour nous assurer de l’effectivité de cette filialisation, nous avons, en collaboration avec le Gouvernement, renforcé les barrières entre la banque et ses filiales. Ainsi Karine Berger et Laurent Baumel ont-ils mené un travail minutieux sur les activités méritant d’être filialisées et, notamment, la tenue de marché pour compte propre. Le Sénat a adopté des amendements intéressants permettant de s’assurer que les calculs de ratio de division des risques sont opérants dans le cadre de cette nouvelle construction et empêchant ces nouvelles filiales de prendre des risques inconsidérés.

Aurions-nous pu aller plus loin ? Certainement ! Il nous semblait important d’inscrire dans la loi la participation des créanciers seniors à la résolution bancaire, tout en sacralisant en droit français la préservation des placements en deçà de 100 000 euros, comme cela est inscrit en droit européen et a été mis en application à Chypre. John Vickers lui-même, répondant à l’une de mes questions, lors d’un duplex avec la commission des finances, nous a dissuadés d’agir seuls dans cette voix et nous a recommandé d’adopter ce dispositif de manière conjointe avec nos voisins européens

De même, nous aurions souhaité que le Gouvernement soit plus ferme avec les banques, leur interdisant la distribution de bonus et de dividendes lorsqu’elles se trouvent en procédure de résolution. Mais nous ne sommes pas à la fin de l’histoire. L’Europe pourra faire évoluer significativement ce sujet.

La deuxième lecture aura été l’occasion pour le Gouvernement de proposer l’échange automatique d’informations à l’échéance de 2015 conjointement avec les objectifs européens. En effet, entre la première et la deuxième lecture, deux événements importants se sont produits : la déplorable affaire Cahuzac et la crise chypriote. Ces événements ont, une fois encore, mis au grand jour les dérives financières des banques, auxquelles ce texte a justement l’ambition de s’attaquer, et leur rôle nocif lorsqu’elles couvrent l’évasion fiscale, ce qui rend d’autant plus pertinentes les opérations de transparence qu’il initie. Ces deux événements ont symbolisé l’importance d’agir et ont contribué à une accélération de nos réformes.

De nouveau, ce sont des crises politiques et économiques qui ont permis une prise de conscience française et européenne. On peut le regretter ou s’en réjouir, mais ce sont les crises qui nous font progresser si l’on sait saisir les opportunités.

J’en veux pour preuve ce qui s’est passé sur la question de la transparence bancaire. Cette disposition, qui est une première mondiale, est le fruit d’un riche débat qui arrive lui-même après des années de batailles menées notamment par les ONG.

Ainsi, avec le groupe SRC et le soutien du Gouvernement, les Écologistes ont fait adopter en première lecture un amendement faisant entrer dans la loi la transparence des activités bancaires pays par pays. C’est une première, mais certains ne trouvaient pas cet amendement assez ambitieux, certains avaient peur qu’il ne représente la conclusion avant l’heure du débat européen. C’est exactement le contraire qui s’est produit : non seulement il n’a pas empêché l’Europe d’aller de l’avant mais il a donné une impulsion permettant au Sénat, se fondant sur le travail du Parlement européen, d’inclure des critères que la France n’osait pas s’imposer seule.

Ces dispositions, qui représentent un pas en avant majeur dans la lutte contre les paradis fiscaux, auront trouvé un complément avec les dispositions intégrées dans le cadre de la loi relative à la fraude sur les lanceurs d’alerte ou la transparence des trusts.

En quelque mois, avec ces deux lois, nous aurons agi davantage que pendant les quinze dernières années.

M. Christian Paul. En tout cas dix !

M. Jean-François Lamour. Quinze, c’est mieux ! (Sourires.)

M. Éric Alauzet. J’avais écrit dix mais j’ai préféré dire quinze pour ne pas agacer certains de mes collègues. Habile, n’est-ce pas ? (Sourires.)

Pour expliquer cette accélération de l’histoire, il faut reconnaître qu’au-delà de la volonté politique, aussi forte soit-elle, l’impasse financière et budgétaire dans laquelle se trouvent les États, notamment notre pays, a joué un rôle décisif.

Devant le gouffre de la dette et le risque de l’austérité, la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscale apparaît véritablement comme une solution.

Je défends la trajectoire de réduction de la dette, c’est une nécessité, mais je récuse le choix de l’anéantissement de l’action publique. Il existe plus d’une façon de réduire la dette. Tout faire porter sur la réduction de la dépense constitue en réalité une stratégie traduisant un terrible aveu de faiblesse, à savoir l’incapacité à aller rechercher l’argent de la fraude et de l’évasion.

Il est de la responsabilité des dirigeants européens de se donner aujourd’hui les moyens de réduire la dette, non pas en asphyxiant les États, l’économie et les ménages mais en luttant résolument contre la fraude et l’évasion fiscale. Au total, c’est la question même des moyens de retrouver la stabilité budgétaire qui est en jeu.

Enfin, je souhaitais souligner une autre disposition à travers laquelle cette loi permettra une réglementation bienvenue : la lutte contre la spéculation sur les matières premières agricoles. Je me réjouis, en effet, que le Parlement ait introduit un nouveau chapitre sur la régulation du marché des matières premières. Il était essentiel de rappeler que les biens de première nécessité ne pouvaient être utilisés à la seule fin de tirer des profits.

L’ensemble de ces avancées, nous les avons obtenues grâce à la méthode adoptée par le Gouvernement et la rapporteure. Nous avons travaillé dans le respect les uns des autres et dans l’écoute mutuelle. C’est cette collaboration entre les différentes composantes de la majorité qui nous a permis de toujours chercher à améliorer les dispositions intégrées dans le texte, et je m’en réjouis. J’en remercie particulièrement le Gouvernement et la rapporteure Karine Berger. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Robert.

M. Thierry Robert. Nous voici à la fin de l’examen du projet de loi sur la séparation et la régulation des activités bancaires. Ce texte a été enrichi par le Parlement. Je tiens à saluer le travail de mes collègues et de Mme la rapporteure. Je tiens également à remercier le Gouvernement du soutien qu’il a apporté à nombre de nouvelles dispositions introduites par notre assemblée.

Le texte sur la séparation et la régulation des activités bancaires n’est pas isolé. Il s’inscrit dans des réformes continues depuis 2008. La plupart des gouvernements, français ou étrangers, ont pris conscience de l’importance que revêt une meilleure régulation du secteur bancaire. C’est heureux. Ici même, en seulement quelques mois, nous avons vu les positions évoluer.

Certains se levaient contre l’obligation faite aux banques de publier des informations sur leurs activités à l’étranger afin de lutter contre les paradis fiscaux. Cette disposition semble désormais faire l’unanimité. Elle a non seulement été adoptée par notre assemblée en première lecture, mais encore élargie en seconde lecture à l’ensemble des entreprises et non plus seulement aux établissements de crédit. C’est dire le chemin parcouru.

Les progrès entérinés par ce projet de loi portent avant tout sur la résolution de futures crises bancaires. On peut désormais espérer que, dans le cas d’une grave crise financière, la gestion des banques sera moins hasardeuse qu’en 2008. Le rôle de l’Autorité de contrôle prudentiel a été étendu, et elle bénéficie désormais de pouvoirs élargis dans les procédures de résolution. La loi permettra de mettre à contribution ceux qui ont pris des risques, même lorsque la banque sera sauvée. Toutes ces mesures devraient diminuer l’aléa moral, dont les grandes banques n’ont que trop usé jusqu’à présent car « trop grandes pour faire faillite ».

Toutefois, si les crises doivent être mieux gérées, pourront-elles être évitées ? Malheureusement non. Cette loi contribue modestement à leur prévention.

Il y a tout d’abord la séparation des activités bancaires. En surenchérissant le coût de la spéculation, la loi devrait limiter les possibilités d’y recourir mais, contrairement à ce que proposaient les députés du groupe RRDP, le champ des activités à filialiser est resté à un minimum. Il semblerait même que les banques semblent désormais préférer l’arrêt total de leurs activités pour compte propre – en tout cas c’est ce qu’elles affirment – plutôt que de créer des filiales.

Mme Karine Berger, rapporteure. C’est vrai !

M. Thierry Robert. Quand on sait que deux des quatre grandes banques systémiques françaises envisagent de ne pas mettre sur pied une filiale, on peut raisonnablement se demander si la séparation telle qu’elle est envisagée sera bien utile.

Le Gouvernement rétorque que le but sera atteint car les banques arrêteront leurs activités spéculatives. Après deux siècles de tentatives infructueuses, le politique aura-t-il enfin maîtrisé la finance ? D’un coup de fronde, une loi, David aurait-il vaincu Goliath ? Le plus probable, c’est qu’en réalité les établissements bancaires continueront tout simplement leurs activités spéculatives au sein des banques de dépôt. Il paraît donc indispensable qu’après l’adoption de cette loi, le Gouvernement fixe le plus rapidement possible, par arrêté, un seuil au-delà duquel les activités relatives à la tenue de marché doivent être filialisées.

Mme Karine Berger, rapporteure. Très bien !

M. Thierry Robert. Vous le savez, les députés RRDP auraient préféré que cette disposition soit explicitement inscrite dans la loi. À défaut, c’est au Gouvernement de prendre la décision. Elle est absolument indispensable. Sans cela, tout le travail réalisé sur la séparation des activités bancaires sera vain.

Au-delà de la séparation, le projet de loi prévoit d’autres moyens de prévention des crises. La création de plans préventifs et leur contrôle par l’ACPR en est un, la surveillance des activités sur les marchés de matières premières également. Les rémunérations des dirigeants d’entreprises seront limitées. Les conditions d’emprunt des collectivités locales seront contraintes. Certaines activités de trading à haute fréquence seront interdites. Tout cela devrait contribuer à assainir un peu plus le monde de la finance, mais ces mesures sont insuffisantes pour prévenir de nouvelles crises.

On peut d’ailleurs se demander si cette loi n’est pas déjà un peu dépassée avant même d’être votée. Le projet de loi a été présenté en conseil des ministres le 19 décembre 2012. Près de sept mois auront été nécessaires à son adoption. Cela parait peu à la lumière de la durée d’existence du secteur bancaire mais dans le monde de la finance, c’est beaucoup, tout le monde le sait. Les nouvelles bulles financières, le développement de la finance de l’ombre ou encore les initiatives prises à l’étranger doivent nous inciter à poursuivre dans cette voie.

Les États-Unis demandent aux banques de remplir des critères de solvabilité bien plus contraignants que ceux des accords de Bâle III. Les fonds propres devront atteindre un ratio non pas de 3 % mais de 5 à 6 % et ces fonds devront couvrir non pas les seuls actifs risqués, mais l’ensemble des actifs. Si les banques américaines sont dangereuses avec un ratio de solvabilité de 3 %, n’est-ce pas aussi le cas des banques européennes ? À ce propos, on notera que les ratios américains reposent sur des données observables plutôt que sur des données calculées. Cela n’est pas sans faire écho au calcul du PIB potentiel, qui est lui-même utilisé dans le calcul du déficit structurel et des efforts budgétaires qui lui sont associés.

Mme Karine Berger, rapporteure. Tout à fait !

M. Thierry Robert. On peut se demander si les Américains, contrairement aux Européens, ne sont pas en train de sortir d’une logique s’appuyant sur les indicateurs non observables, et donc plus aisément manipulables !

Par ailleurs, tandis que l’on se concentre sur les banques, le shadow banking se déploie à très grande vitesse. Sa régulation est pourtant urgente car les nouvelles contraintes sur les banques traditionnelles ont pour corollaire le développement d’acteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes règles. Le poids de la finance de l’ombre équivaut à la moitié des actifs des banques. Et que dire des produits dérivés et de la spéculation sur les matières premières agricoles, principalement échangées non pas par les banques mais par des marchés de gré à gré ?

Avec le développement de la finance de l’ombre, n’assiste-t-on pas à la démultiplication de plusieurs grosses bombes, les banques systémiques, en de plus petites grenades, dont la déflagration, incontrôlable serait peut-être encore plus dommageable que dans le cas où nous avions affaire à de grands établissements de crédits ? Cette réflexion, nous devrons l’avoir, et il nous faudra certainement légiférer. Une loi de régulation financière devra s’attaquer en priorité à la finance de l’ombre. J’espère que ce sera le cas.

L’autre facteur de déstabilisation de la finance internationale, c’est la fraude fiscale. Lutter contre cette fraude n’est pas seulement un impératif de justice fiscale, c’est aussi un moyen de mieux contrôler les flux de capitaux. Le texte que nous examinons n’en traitait pas dans sa version initiale. Or une loi de régulation bancaire sans régulation de la fraude fiscale aurait été incomplète. Les banques jouent un rôle majeur dans l’institutionnalisation de la fraude et de l’évasion fiscale. Nous avons ici commencé à nous attaquer aux paradis fiscaux. Ce n’est qu’une porte d’entrée. Il nous faudra bien colmater les très nombreuses brèches.

Le rapport d’information du rapporteur général sur la gestion de la fameuse liste HSBC et les recommandations de MM. Pierre-Alain Muet et Éric Woerth pour contrer les stratégies d’optimisation fiscale agressive font consensus. On voit bien que les positions pour lutter contre l’évasion fiscale évoluent, dans le bon sens. Ceux qui passaient pour utopistes il y a encore quelques mois ne sont pas loin d’être considérés comme des modérés aujourd’hui. Au vu des intentions des uns et des autres, nous pouvons espérer l’adoption de dispositions substantielles dès le projet de loi de finances pour 2014. Ainsi, nous pourrons œuvrer à une meilleure régulation de la finance, sans attendre une nouvelle loi.

En dépit de ses imperfections, le projet de loi a plusieurs mérites, la résolution des crises, je l’ai évoquée tout à l’heure, mais aussi nombre de dispositifs favorables aux consommateurs.

La commission mixte paritaire s’est beaucoup attardée sur le plafonnement des commissions d’intervention, à juste titre. Cette mesure symbolise les excès des banques à l’encontre de nos concitoyens. À l’initiative des parlementaires, tous les consommateurs pourront bénéficier de ce plafonnement.

Toutefois, je voudrais une nouvelle fois signaler les abus constatés dans les départements d’outre-mer. Je regrette vivement que ce texte ne serve pas à lutter contre cette injustice, en dépit des amendements que nous avions déposés. Ainsi, il n’a toujours pas été mis fin à la tarification excessive des services bancaires dans les outre-mer, et l’inégalité d’accès aux crédits et services d’une banque entre la métropole et les outre-mer perdure. Certains services bancaires continueront d’être gratuits en métropole et tarifés outre-mer.

Néanmoins, le texte comporte des progrès que nous ne devons pas sous-estimer. Les députés du groupe RRDP sont donc favorables à l’adoption définitive du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux.

M. Gaby Charroux. Nous arrivons au terme de l’examen de ce projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires avec un sentiment d’inachevé. En effet, ce texte apparaît, au final, décevant tant il édulcore l’engagement du candidat François Hollande à réformer en profondeur notre système financier et de lutter contre le cancer financier qui ronge notre économie.

Nous sommes loin, avec ce texte, de la concrétisation de l’intention initiale de mettre enfin les banques « au service de l’économie », en rétablissant la séparation entre activités de dépôt et activités d’investissement. Nous savons pourtant que cette séparation est une étape indispensable de la refonte du système financier.

Depuis l’abrogation en 1999 du Glass-Steagall Act aux États-Unis, suppression qui est l’une des causes de la crise économique et financière actuelle, la question de la séparation taraude nombre de responsables politiques. Pour le moment, seuls les États-Unis et la Grande-Bretagne l’ont remise au goût du jour. En Europe, le rapport Liikanen a montré tout l’intérêt d’une telle démarcation.

La crise actuelle a amplement démontré que les activités de marché sont de véritables bombes à retardement et qu’il importe en particulier, pour reprendre les termes de la commission Vickers, de réduire les garanties implicites accordées par les gouvernements, diminuer le risque pour les États et les contribuables, et ainsi rendre moins probables des prises de risques excessives par les banques. La confusion des activités de dépôt et des activités d’investissement fait peser des risques énormes sur les dépôts de millions de citoyens.

Si l’on se réfère au point n° 7 du programme du candidat François Hollande, la réforme du système bancaire et financier devait s’accompagner de mesures de lutte contre les paradis fiscaux ainsi que d’autres dispositions telles que la suppression pure et simple des stock-options. Nous constatons que ces mesures n’ont pas encore trouvé pleinement de traduction concrète.

Le texte qui nous est proposé sort certes renforcé de son parcours parlementaire, notamment sur les volets relatifs à la lutte contre les paradis fiscaux, à l’élargissement du reporting pays par pays aux entreprises à vocation internationale, ainsi qu’à la prise en compte du phénomène grandissant du trading à haute fréquence.

Nous avons également pu enregistrer une avancée sur la question de l’assurance emprunteur et quelques progrès en matière de protection des clients, particulièrement des clients fragiles, avec le plafonnement, néanmoins perfectible, des commissions d’intervention, qui s’élèvent aujourd’hui à plus de 2 milliards d’euros, sans compter les agios.

Nous nous réjouissons également de la transposition en droit français du principe de plafonnement des bonus des banquiers adopté mi-avril par le Parlement européen. Quand on sait que le PDG d’une certaine banque française a doublé ses revenus depuis la crise, revenus qui atteignent 2,5 millions d’euros, et qu’un autre directeur général a perçu 2,9 millions en 2012, dont 1,7 million de part variable, c’est une mesure d’assainissement indispensable. Rappelons, à titre de comparaison, que, tandis que le président d’une banque s’augmentait de 42 %, les 20 000 techniciens de l’établissement étaient augmentés de 2,8 % en moyenne entre 2010 et 2011. Une autre banque a quant à elle récemment annoncé la suppression d’un millier de postes cette année, dont la moitié en France.

Nous reconnaissons au Gouvernement et à la majorité le mérite d’avoir versé l’ensemble de ces questions au débat, mais nous restons cependant, nous semble-t-il, au milieu du gué. La séparation des activités bancaires par la voie de la filialisation des activités les plus dangereuses nous semble d’une portée beaucoup trop limitée. Le texte limite en effet au maximum la partie des activités à isoler au sein de filiales de cantonnement. En cause : une vision restrictive de la notion de risque. Seules les activités de marchés réalisées par les banques pour leur compte propre devront être filialisées. Ces activités sont devenues si marginales pour certaines banques que le Crédit agricole ou la BPCE, par exemple, ne seront pas tenus de créer une filiale de cantonnement des activités à risque.

Ce constat nous conduit à nous interroger sur la portée réelle de ce texte. Comme nous l’avons indiqué tout au long de nos débats, il est nécessaire de définir plus largement l’activité spéculative. Le fameux modèle de banque universelle que vous avez voulu préserver coûte que coûte suppose l’exposition des dépôts des épargnants aux vicissitudes des marchés financiers. C’est à ce péril que prétendait parer le candidat Hollande avec sa septième proposition. Force est de constater que, dans ce texte, le compte n’y est pas tout à fait.

D’autant moins que le Gouvernement a malheureusement confirmé la fusion du fonds de garantie des dépôts avec le fonds de résolution. Cela veut dire qu’en cas de problème, la nouvelle Autorité de contrôle prudentiel et de résolution pourra puiser dans ce panier pour redonner de la solvabilité à une banque ou à un fonds spéculatif, mais qu’au coup d’après il ne restera rien dans les caisses pour garantir les dépôts en deçà de 100 000 euros. Cette mesure est parfaitement contradictoire avec l’objectif de protection des épargnants.

Cette situation est d’autant plus choquante que nous savons que les banques bénéficient de la garantie de l’État destinée à préserver les dépôts des épargnants. Grâce à cette garantie, nos banques peuvent emprunter sur les marchés à des taux très faibles et financer l’économie réelle à des taux plus élevés.

En l’état, vous l’aurez compris, le texte ne nous satisfait pas suffisamment pour que notre abstention de la première lecture se transforme en un vote favorable. Malgré les avancées qu’il porte, le système bancaire, cela a été dit, possède encore beaucoup d’avance sur notre volonté de contrôle, de régulation et d’assainissement du secteur.

Certes, le texte contient des mesures très positives, notamment en matière de régulation, mais leur portée est grandement limitée et la séparation entre activités de dépôt et activités spéculatives demeure trop marginale pour nous convaincre pleinement. En conséquence, madame la ministre, chers collègues, nous nous abstiendrons.

M. le président. La parole est à M. Dominique Lefebvre.

M. Dominique Lefebvre. Reprendre la main face aux dérives de la finance, répondre avec précision aux causes profondes de la crise financière qui a ébranlé les économies occidentales, renforcer le contrôle démocratique sur un secteur qui, depuis, fait l’objet d’une défiance certaine : tels étaient les objectifs énoncés par Pierre Moscovici lors de la présentation du texte que nous allons définitivement adopter, après le succès, dont, comme Mme la rapporteure, je me félicite, de la commission mixte paritaire la semaine dernière.

Ces objectifs, madame la ministre, nous les avons faits nôtres et nous les avons atteints au terme d’une discussion parlementaire dans les deux assemblées riche et fructueuse. Je veux saluer le travail de notre rapporteure, Karine Berger, du rapporteur du Sénat, Richard Yung, ainsi que de l’ensemble de nos collègues et des groupes, mais aussi l’écoute du Gouvernement devant les préoccupations de la représentation nationale, qui a permis l’enrichissement de ce texte. C’est aussi probablement ce qui explique que l’ensemble des groupes de la majorité gouvernementale vont le voter. Je ne suis pas certain que l’abstention du Front de gauche à l’Assemblée nationale reflète la position de leur groupe au Sénat, mais j’ai bien compris qu’il s’agissait d’une abstention positive, d’un encouragement à aller plus loin, ce qui est bien notre intention.

Ce texte traduit l’engagement pris par le Président de la République François Hollande de remettre la finance au service de l’économie réelle et d’apporter une réponse forte aux dérives constatées et aux carences évidentes de la régulation qui ont conduit à la crise de 2008. Ce texte est-il, madame la ministre, suffisant ? Probablement pas. Était-il néanmoins nécessaire et marque-t-il des avancées considérables ? Oui, à l’évidence.

Nous le savons, sur ce sujet comme sur bien d’autres – je pense en particulier à la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales – les choses se jouent aussi et surtout aux plans européen et mondial. Mais, contrairement à nos collègues de l’opposition, nous avons considéré que notre responsabilité était de montrer la voie, sans attendre l’adoption de dispositifs de régulation communautaire et internationale. Le résultat, c’est que nous sommes d’une certaine manière les fers de lance de la lutte contre les dérives financières aux niveaux européen et international, et que nous influençons et même anticipons dans de nombreux domaines les règles communautaires à venir. Je pense en particulier au dispositif permettant l’application immédiate, lorsqu’ils entreront en vigueur, des accords d’échange automatique d’informations de type FATCA : c’est une grande avancée que nous puissions les appliquer directement et rapidement.

Je voudrais revenir sur l’objectif commun qui est le nôtre, sous-jacent à ce texte. Ce que nous voulons, c’est la croissance ; nous voulons la croissance parce que nous voulons l’emploi, et pour cela il faut une économie compétitive, dynamique, financée. C’est notamment, mais pas seulement – nous avons fait, avec Karine Berger, des propositions sur le financement de l’économie qui devraient se traduire prochainement, si j’ai bien compris, en loi de finances – le rôle des banques. Aussi devons-nous conforter les banques françaises et les inciter à concentrer leur activité sur le financement de l’économie réelle. Nous devons aussi les protéger contre des risques trop importants qu’elles prendraient et qui pourraient les affaiblir et affaiblir notre pays. C’est ce que nous faisons dans ce texte, de même que nous faisons en sorte que les mécanismes nécessaires soient adoptés au plan européen et au plan mondial.

Efficacité économique, stabilité et contrôle, justice fiscale et sociale : ce sont les trois axes que je veux retenir de ce texte.

En ce qui concerne l’efficacité économique, je pense en premier lieu à la séparation des activités spéculatives des banques des activités de crédit utiles à l’investissement et à la croissance. Ces dispositions ont été complétées par l’encadrement des hedge funds et du trading à haute fréquence. Je pense aussi à l’interdiction, pour les banques, de détenir des stocks physiques de matières premières agricoles, mesure qui constitue une avancée importante contre l’immoralité financière. C’est enfin la lutte contre les paradis fiscaux. Je partage le propos de la rapporteure sur le périmètre de communication, qui porte désormais sur la publication des bénéfices et des impôts des filiales, pour éviter toute échappatoire.

Au sujet du contrôle des banques, nous pouvons nous féliciter du renforcement des pouvoirs de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, qui pourra interdire à un établissement de se livrer à des activités présentant des risques trop élevés pour elle-même et pour le système bancaire, ainsi que ceux du Haut conseil de stabilité financière, doté de pouvoirs d’intervention juridiquement contraignants.

La justice sociale, enfin, c’est protéger les clients des banques, les épargnants. Cela passe par la mise en avant de la responsabilité des actionnaires et des créanciers, juniors et seniors, des banques. Cela touche également au plafonnement des commissions d’intervention des banques. Je me félicite que le Gouvernement et les sénateurs aient enregistré la demande de la représentation nationale d’un plafond général pour tous.

Je crois que le texte de la CMP est un bon compromis. J’espère que le Gouvernement confirmera rapidement les chiffres annoncés en début de semaine dans la presse, qui permettront que la volonté des députés socialistes et des sénateurs socialistes, écologistes et du Front de gauche, qui avaient également demandé un plafond pour les plus fragiles, ne reste pas sans force. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Comme je me suis déjà prononcé sur la question en février dernier, vous n’êtes pas sans savoir que je rejoins avec enthousiasme l’idée de séparer et de réguler les activités bancaires. J’affirme même que la crise qui pèse, aujourd’hui encore, de tout son poids sur notre économie n’aura pas été vaine si elle nous ouvre les yeux sur l’illusion financière dont nous avons été les victimes plus ou moins éclairées. Aussi ne ferai-je pas l’affront d’ôter au Gouvernement le mérite qui lui revient et ne puis-je que soutenir l’esprit de réforme bancaire qui semble sous-tendre le projet de loi.

Seulement, mon soutien et mon enthousiasme pour ce projet n’iront, si vous le permettez, pas plus loin que la quatrième de couverture, le restant du texte n’étant à mon sens qu’un vulgaire travail de sape rendant caduque la réforme elle-même. On en arrive à un projet de loi qui ne répond à aucun des problèmes soulevés par la mixité des activités bancaires.

Tout d’abord, le cantonnement des activités à risque dans des filiales prévu par le projet repose sur des critères volontairement flous. Il suffira aux banques « commerciales » de requalifier les contreparties des opérations sur les marchés financiers en « client » pour pouvoir inclure la quasi-totalité des activités de négoce sur les marchés dans la catégorie des activités non sujettes au cantonnement.

Par ailleurs, s’il est prévu de séparer « toute opération impliquant des risques de contreparties non garantis » vis-à-vis des hedge funds, cela est aberrant puisque les crédits accordés par les banques à ces fonds sont toujours montés avec des garanties. Les dépôts continueront ainsi, à leurs dépens, à soutenir le développement des produits dérivés sur les marchés financiers, et le premier des grands problèmes induits par la mixité des activités bancaires demeurera.

Le deuxième de ces problèmes est celui de l’aléa moral dans les activités commerciales. Par la titrisation et la revente des crédits sur les marchés financiers, les banques pouvaient se permettre de faire leur métier de prêt de façon irresponsable, puisque le risque ne leur incombait plus. Or le projet de loi autorise toujours la revente d’une créance titrisée entre filiales d’une même banque. Le problème de l’aléa moral reste donc entier et les banques ne sont nullement incitées à faire leur métier de prêt de façon plus responsable.

Le troisième problème relève du conflit d’intérêts entre le métier de banque commerciale et celui de banque de marché. Les activités de cette dernière sont beaucoup plus rentables que celles de la première. Dans une économie réelle qui croît à 1 % tandis que le taux de rendement du capital sur les marchés est de 8 %, il est difficile d’empêcher qu’en cas de contrainte un arbitrage soit fait aux dépens du crédit à l’économie réelle. Tant que les deux activités bancaires ne seront pas séparées en deux entités juridiques distinctes, le problème demeurera.

Le quatrième problème est celui de la sécurisation des dépôts. Le système de cantonnement par filiale prévu par le projet de loi en cas de faillite de l’activité marché ne pourra empêcher un phénomène de vases communicants entre les différents secteurs d’activité. Pour peu que la perte soit grande, la garantie des dépôts par le contribuable français à hauteur de 100 000 euros ne suffira pas.

Enfin, le dernier problème que ne règle pas ce texte est celui du risque systémique des mégabanques. Comme l’a clairement illustré la quasi-faillite d’AIG, la faillite d’une micro-filiale suffit pour faire tomber tout un groupe. Les opérations à fort effet de levier permettent en effet à une petite filiale d’accumuler des dettes plusieurs milliers de fois supérieures à ses fonds propres. La filialisation n’y change donc rien : le risque systémique se mesure à la taille du groupe.

À tous ces arguments, on répond que le projet de loi remédie à ces problèmes en prévoyant un régime de résolution bancaire piloté par l’Autorité de contrôle prudentiel. Établi comme une sorte de testament des banques, il serait appliqué en cas de faillite et garantirait une juste répartition du bilan. Par cette manigance, le législateur se défausse totalement puisqu’il sait très bien qu’au régulateur se substituera inévitablement l’exécutif en cas de faillite à risque. Et quand on sait qu’une banque comme la BNP représente 2,5 fois le PIB français en actifs, on se doute bien que l’État, et partant le contribuable, n’aura d’autre choix que de les renflouer.

En fin de compte, le projet de loi n’est nullement un projet de scission, pas même un projet de résolution et il n’honore en rien la proposition n° 7 du candidat Hollande.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Nous voici arrivés au terme de l’examen de cette loi bancaire et depuis la première lecture, il y a six mois, de grands pas se sont ajoutés à ceux déjà réalisés alors. Ces avancées sont structurelles, c’est-à-dire qu’elles amorcent un changement dans l’organisation du système bancaire et donnent la direction pour de véritables évolutions : sur la philosophie du sauvetage du système bancaire – pas d’argent public pour sauver des activités spéculatives ; sur la philosophie de la liquidité des produits bancaires ; sur la philosophie des commissions bancaires ; enfin, sur la philosophie de la lutte contre les paradis fiscaux.

En ce sens, cette loi s’inscrit pleinement dans la lignée des grandes réformes bancaires et de structure qui ont chacune eu pour conséquence de redessiner le système financier. Par exemple, le Glass-Steagall Act avait instauré, il y a longtemps, un système dans lequel le crédit était fortement régulé et distribué par le monde bancaire. Dans les années 1980, nous avons assisté à une dérégulation qui a ouvert de nouvelles possibilités de financement et permis un accès plus facile au crédit. Mais l’emballement du système a conduit à la crise que nous connaissons depuis juin 2007.

La réforme que nous votons aujourd’hui va contribuer à redessiner le monde bancaire de demain. La gestion des risques bancaires sera plus resserrée, permettant de réduire toutes les poches de risque de produits non liquides puisque ces derniers ne seront plus sauvés par de l’argent public Pour ce faire, la France a mis en œuvre une solution novatrice qui permet d’atteindre un double objectif : maintenir une gamme complète de financement pour l’économie et le financement des grandes entreprises et des PME – je pense notamment au risque de change – tout en mettant un frein à la spéculation financière.

Comme nous l’avons vu, de nombreux pays tentent aujourd’hui de copier cette solution, à savoir la séparation des activités, dont certaines sont confiées à la filiale. J’espère, à l’instar de mes collègues de deux autres groupes, que le décret sera signé rapidement par le ministre et le seuil défini très prochainement.

Cette mesure vient en complément des accords de Bâle III et de la résolution qui met chacun face à ses responsabilités en termes d’activités bancaires. Ces deux piliers auront pour conséquence une réduction de tout ce qui peut constituer des poches de risque, puisque la garantie implicite de l’État diminue et que les activités qui étaient supposées garanties vont en conséquence être réduites.

Le deuxième grand pilier de cette réforme, c’est évidemment la lutte contre les paradis fiscaux. Je n’y reviendrai pas ici.

Le troisième, c’est le plafonnement des frais bancaires. Pour qu’une réforme bancaire soit juste, il faut qu’elle soit portée également par chaque citoyen et que chaque citoyen puisse en voir une conséquence concrète sur son pouvoir d’achat et sa vie quotidienne.

M. Christian Paul. Très bien !

Mme Valérie Rabault. Je me réjouis de l’adoption d’une mesure de plafonnement, portée ici, en première lecture, à l’Assemblée nationale. Vous savez que nous avons eu à ce sujet des divergences avec nos collègues sénateurs, qui ont instauré un deuxième plafonnement dit de base. Nous l’avons tout de même soutenu en CMP, afin que le texte puisse être adopté dans son ensemble, même si nous ne partagions pas cette idée des deux plafonnements. Il m’aurait paru important, madame la ministre, que la marque de confiance manifestée par l’Assemblée nationale sur ce point de la loi bancaire soit réciproque, ce qui aurait pu se traduire par une communication officielle du montant des deux plafonds, mensuels et par opération, en amont de cette dernière lecture. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La discussion générale est close. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Je voudrais d’abord renouveler mes remerciements à l’ensemble des députés, ainsi qu’aux sénateurs, pour le travail qu’ils ont accompli sur ce texte qui marquera, je crois, la législature et qui signe, en tout cas, un net progrès en matière de régulation bancaire et financière, de lutte contre les paradis fiscaux et de protection des consommateurs.

Je veux adresser des remerciements particuliers à Mme la rapporteure, Karine Berger, au groupe socialiste, au groupe écologiste et au groupe radical pour ce travail commun qui a été exigeant et qui a abouti à un texte régulateur, ambitieux mais également maîtrisé.

Je voudrais rassurer l’opposition, et notamment M. Lamour : je ne crois pas qu’il s’agisse d’un faux départ, mais plutôt d’un match de référence…

M. Jean-François Lamour. On jugera dans la durée !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. …avant la coordination avec la législation européenne. Je note qu’en matière bancaire comme en matière électorale, il y a ceux qui créent les conditions de la transparence et ceux qui s’y disent favorables, mais qui s’y opposent à chaque fois.

Pour conclure, c’est bien notre majorité qui fait entrer dans les textes la régulation bancaire et la transparence. Il ne s’agit que d’une première pierre, puisque la régulation de la finance est un chemin qu’on ne cesse de parcourir. C’est pourquoi le Gouvernement poursuit ce combat aux niveaux européen et international – je pense à la législation FATCA ou à l’union bancaire. Merci à nouveau pour votre contribution à ce travail.

Texte de la commission mixte paritaire

M. le président. Nous en venons au texte de la commission mixte paritaire. Conformément à l’article 113, alinéa 3 du règlement, j’appelle l’Assemblée à statuer d’abord sur les amendements dont je suis saisi.

Je suis saisi de quatre amendements du Gouvernement, nos 4, 3, 2 et 1, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Ce sont des amendements de coordination et rédactionnels.

(Les amendements nos 4, 3, 2 et 1, acceptés par la commission, sont successivement adoptés.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?

Je mets donc aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par les amendements adoptés par l’Assemblée.

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

M. Philippe Vigier. Notez que le groupe UDI s’est abstenu !

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Modernisation de l’action publique territoriale et affirmation des métropoles

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (nos 1120, 1216, 1207, 1177, 1205, 1178).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de huit heures et sept minutes pour le groupe SRC, onze heures et dix-neuf minutes pour le groupe UMP, trois heures et vingt-deux minutes pour le groupe UDI, une heure et trente-sept minutes pour le groupe écologiste, une heure et quarante minutes pour le groupe RRDP, une heure et quarante-quatre minutes pour le groupe GDR et quarante minutes pour les députés non inscrits.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il porte, monsieur le président, sur l’organisation générale de nos travaux, et plus précisément sur le calendrier de la fin de la session extraordinaire. Je vous demande de solliciter le président de l’Assemblée nationale pour obtenir du Gouvernement quelques éclaircissements, ou demander au ministre chargé des relations avec le Parlement de venir s’expliquer en séance.

Le problème porte sur le texte sur les conseillers de Paris, qui a fait l’objet d’un décret complémentaire et dont le vote définitif est prévu pour le vendredi 26 juillet. Le Sénat devait débattre de la proposition de loi de notre collègue Jean-Jacques Urvoas sur ce sujet mais, du fait d’une légèreté malheureusement coutumière, le Gouvernement a omis de déclarer l’urgence sur ce texte, ce qui interdit évidemment de l’examiner dans les conditions prévues au départ. Nous n’aurions ainsi pas pu, sans doute au grand désespoir de nos collègues parisiens, voter le texte avant la fin de la session n’eût été la bonté de M. Sueur, président de la commission des lois du Sénat, qui a déposé une nouvelle proposition de loi, en termes identiques à celle de M. Urvoas, pour permettre son examen final dans les délais.

Madame la ministre déléguée chargée de la décentralisation, vous n’êtes bien sûr pas directement concernée mais j’aimerais que le Gouvernement vienne expliquer en séance la manière dont il entend organiser la fin de la session : le programme change tous les jours et l’on traite le Parlement avec une légèreté qui n’a jamais eu d’équivalent. J’imagine que l’apesanteur peut favoriser des attitudes légères, mais tout de même… Je souhaite savoir si, sur les neuf jours qu’il nous reste à siéger, nous devons nous attendre encore à des modifications de cette nature.

M. le président. Monsieur Poisson, je prends note et je pense que le Gouvernement fera connaître sa position sur cette question d’ordre du jour. Le message a été reçu.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je l’espère !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il s’agit aussi pour moi d’évoquer le déroulement de nos travaux, mais s’agissant des modalités d’application de l’article 40, qui ont fait l’objet de quelques contestations.

Je tiens à dire que j’ai appliqué au présent projet de loi, comme je le fais habituellement sur les textes à grande implication financière, les règles relatives à la recevabilité financière des amendements de l’article 40 dans la droite ligne de la jurisprudence. Je tiens à votre disposition, chers collègues, les éléments de cette jurisprudence : il s’agit de trois rapports élaborés par mes prédécesseurs, Jacques Barrot en 1994, Pierre Méhaignerie en 2006 et Jérôme Cahuzac début 2012. Il y a plusieurs principes de fond à respecter, et je me borne au strict respect de ces principes.

Je trouve donc tout à fait regrettable que certains collègues, peu nombreux heureusement, aient cru bon d’exiger par voie de presse que le président de la commission des finances applique cette jurisprudence : il le fait, tout naturellement ! Et c’est d’autant plus regrettable que s’ils ont cru bon de s’adresser à la presse, ils n’ont pas cru bon de prendre contact directement avec le président de la commission des finances. Cela ne me gêne pas tant personnellement qu’au regard des administrateurs de cette commission, qui accomplissent des dizaines et des dizaines d’heures de travail sur ce sujet. Nous recevons en effet énormément d’amendements des différentes commissions, qui consultent la commission des finances sur leur recevabilité.

Il m’a été reproché d’appliquer avec excès et sans contrôle les prérogatives qui me sont dévolues par le règlement. Je tiens à vous dire que je récuse totalement cette affirmation. J’essaye d’appliquer l’article 40 avec raison, avec mesure et avec sérieux. Je rappelle qu’il s’agit de dispositions constitutionnelles, que nous sommes donc tenus de respecter ! Je le fais à partir de critères strictement objectifs : à aucun moment n’interviennent de considérations de nature politique, je ne devrais pas voir besoin de le préciser. Je rappelle par ailleurs qu’en termes de procédure, le contrôle de la recevabilité financière ne s’analyse en aucun cas comme un contrôle de l’opposition sur la majorité, comme d’aucuns ont cru bon de l’affirmer : il s’agit de faire respecter des règles constitutionnelles qui sont applicables à toute initiative parlementaire, quel qu’en soit l’auteur. Je rappelle aussi que le président de la commission des finances exerce cette prérogative par délégation stricte du président de l’Assemblée nationale lui-même.

Je suis obligé, mes chers collègues, et je le regrette, de vous donner quelques chiffres pour que les choses soient parfaitement claires. Sur ce projet de loi ont été déposés 1 312 amendements, dont 98 ont été déclarés irrecevables, c’est-à-dire un taux final d’irrecevabilité de 7,5 %. En moyenne, sur les textes qui représentent de gros enjeux financiers, le taux se situe dans une fourchette de 10 % à 12 %. Vous voyez que le taux d’irrecevabilité est donc particulièrement bas sur ce texte. Par ailleurs, il a été dit que le président de la commission des finances aurait appliqué plus sévèrement les règles de recevabilité aux amendements de la majorité qu’à ceux de l’opposition. C’est inexact. Voici les chiffres : sur les 98 amendements irrecevables, 56 émanaient de la majorité et 42 de l’opposition. Si l’on prend en compte l’importance respective des deux bords, il est clair qu’il n’y a pas de différence de traitement. Il faut aussi comparer ces chiffres avec l’ensemble des amendements renvoyés à ma commission au titre de la recevabilité. Pour les groupes SRC, écologiste et RRDP, 222 amendements ont été envoyés pour examen et 47 d’entre eux déclarés irrecevables, soit un taux de 21,2 %. Pour les groupes UMP et UDI, 189 amendements ont été examinés, dont 42 ont été déclarés irrecevables, soit un taux de 22,2 %. Les taux sont pratiquement identiques.

J’en viens maintenant au fond. C’est le plus important.

Le premier point que nous devons tous avoir en tête, c’est que l’article 40 ne s’applique pas qu’aux dépenses de l’État mais à l’ensemble des finances publiques, qu’il s’agisse de celles de l’État, de ses opérateurs et de ses satellites, qu’il s’agisse des finances sociales ou qu’il s’agisse bien sûr des collectivités territoriales et de leurs regroupements. Selon une jurisprudence constante que je tiens, je le répète, à votre disposition, plusieurs principes fondent la déclaration d’irrecevabilité.

Tout d’abord, la création d’une charge est avérée, et donc l’amendement déclaré irrecevable, lorsqu’il est proposé d’élargir de façon significative la mission, les compétences ou les effectifs d’une structure publique, ou lorsqu’une telle structure se voit contrainte de réaliser une opération coûteuse – par exemple l’organisation d’une élection, comme cela a été le cas d’un certain nombre d’amendements sur ce projet de loi. À l’évidence, la création d’une nouvelle structure est en outre logiquement toujours constitutive de l’aggravation d’une charge financière, et les amendements correspondants ne peuvent être que déclarés irrecevables – c’est le cas de la proposition de création d’un nouvel établissement public local.

Deuxième cas de figure, un peu plus compliqué : les transferts de charge d’une entité publique à une autre. Ils sont autorisés lorsqu’ils interviennent entre organismes qui appartiennent au même niveau de collectivité. C’est un assouplissement jurisprudentiel qui date du rapport de Pierre Méhaignerie de 2006, qui permet les transferts de charge entre organismes appartenant au bloc communal. Je n’ai fait que le conforter. En revanche, les amendements ne peuvent être déclarés recevables s’ils proposent un transfert d’un niveau de collectivité vers un autre.

Il y a un troisième cas de figure : les délégations de compétences. Les amendements dont c’est l’objet ne peuvent être admis que si ladite délégation s’opère expressément au nom et pour le compte de l’autorité délégante.

Quatrième grande série d’amendements que nous avons examinés : ceux qui portent sur des fusions de structures. Ils sont a priori irrecevables parce que, même s’ils visent à faire des économies en mutualisant, ils créent une nouvelle structure. Cela étant, la jurisprudence de mes prédécesseurs, que j’ai accentuée pour préserver l’initiative parlementaire, admet des amendements qui proposent la fusion de collectivités, mais toujours au sein du même niveau : fusion de départements, fusion de régions, fusion de communes, fusion d’intercommunalités…

Enfin, le dernier cas de figure est celui des amendements qui entraînent une perte de recettes. Ils sont irrecevables, à moins d’être gagés. Nous travaillons de la façon suivante : si l’amendement n’est pas du tout gagé, il est déclaré irrecevable, s’il est mal gagé, nous prenons contact avec son auteur pour l’aider à rédiger le gage. Les quatre administrateurs qui travaillent avec moi sur l’application de l’article 40 sont vraiment à votre disposition pour aboutir à la meilleure rédaction possible, puisque nous souhaitons qu’un maximum d’amendements puissent être discutés en séance. Je ne saurais que vous inciter, vous et vos collaborateurs, quand vous rédigez un amendement, à prendre contact préalablement avec nous pour être sûr qu’il sera recevable.

Une dernière précision qu’il faut bien avoir à l’esprit : il est possible de déclarer des amendements recevables dès lors qu’ils s’inscrivent soit dans la logique du projet de loi initial ou des intentions formulées explicitement par le Gouvernement, soit dans la logique du texte adopté précédemment par le Sénat, comme c’est le cas en l’espèce, ou par la commission de l’Assemblée saisie au fond, en l’occurrence la commission des lois.

Vous le voyez : nous travaillons pour vous faciliter les choses, parce que c’est l’intérêt de tous qu’un maximum d’initiatives parlementaires puissent être reçues. Je regrette profondément ces quelques déclarations que je juge intempestives. Je les regrette moins en tant que président de la commission des finances, je le répète, qu’au regard du travail fourni par les administrateurs de notre commission. C’est un travail extrêmement difficile.

M. Patrick Ollier. Tout à fait !

M. Alain Chrétien. C’est vrai !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Je rappelle que 400 amendements ont été examinés, avec parfois des difficultés d’interprétation extrêmes. Il arrive que sur un même amendement, trois ou quatre administrateurs – ils travaillent de façon collégiale – passent plusieurs dizaines de minutes, voire une heure entière.

Les contacts des administrateurs avec les collaborateurs de députés sont innombrables. Je suis donc un peu contrarié de voir remis en cause la qualité de leur travail. Si un collègue le souhaite, je suis prêt à m’expliquer plus tard sur tel ou tel amendement particulier, dans la droite ligne des documents écrits qui fixent des règles parfaitement claires.

J’espère, madame la ministre, que la séance se déroulera sans frustrations et que tous les sujets que nous avons à traiter pourront l’être. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Mennucci, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Mennucci. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt l’intervention du président de la commission des finances. J’ai compris qu’il en allait beaucoup de la responsabilité des administrateurs, mais j’espère que cela ne le dérangera pas de me répondre parce que je ne comprends pas les décisions qui ont été prises.

Nouveau parlementaire, j’ai déposé un amendement dans le cadre du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale afin de permettre à Marseille de faire élire le nombre de conseillers métropolitains qui correspond au calcul qui a été fait. Dominique Tian, mon collègue marseillais de l’UMP, a, du reste, déposé exactement le même amendement. Cet amendement a été rejeté au titre de l’article 40. Or, je n’arrive pas à comprendre quelle est son incidence financière. Peut-être s’agit-il des indemnités des élus ? Mais les conseillers municipaux marseillais qui seraient aussi conseillers métropolitains seraient indemnisés en sus.

Vous avez parlé de frustration, mais comprenez bien qu’il s’agit d’une question importante pour nous : 303 personnes sont élues à la fois au conseil municipal de Marseille et dans les conseils d’arrondissement, et, de façon unanime, nous voulons que chacun puisse – comme actuellement – accéder à des responsabilités au sein de l’EPCI, ce qui permet d’éviter notamment des cumuls inutiles.

Je ne vois absolument pas ce que la commission des finances trouve à redire à cet amendement. En tout état de cause, elle l’a rejeté et nous ne pourrons pas l’examiner. Je souhaiterais donc que le président de la commission des finances me réponde.

M. Carlos Da Silva et M. Henri Jibrayel. Très bien !

M. Patrick Ollier. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Patrick Mennucci. Mais si !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. J’ai parfaitement en tête cet amendement. Croyez-moi, monsieur Mennucci, nous ne réservons pas un sort particulier à Marseille : le même type d’amendement a été déposé s’agissant de l’agglomération parisienne.

M. Jean-Luc Laurent. C’est bien dommage !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Votre amendement revient tout simplement à augmenter le nombre de conseillers. Dès lors, il y a création d’une charge locale.

M. Patrick Mennucci. Ce n’est pas vrai, vous ne l’avez pas démontré ! C’est le fait du prince, il n’y a pas d’argumentation, c’est incroyable !

Discussion générale (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, madame la ministre déléguée chargée de la décentralisation, vous me permettrez de vous le dire sans ambages, la première lacune de votre texte, qui en comporte de nombreuses, est d’aller à l’encontre des attentes et des préoccupations des élus locaux…

M. Patrick Ollier. Très bien !

M. Alain Chrétien. Rien que cela !

M. Marc Dolez. …telles qu’elles ont été clairement exprimées lors des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat en octobre 2012.

À cette occasion et dans leur diversité, plus de 20 000 d’entre eux, souvent très critiques sur la réforme de 2010, ont réaffirmé leur indéfectible attachement à la commune et la nécessité de respecter chaque niveau de collectivité et d’évaluer les différentes lois de décentralisation avant de procéder à toute nouvelle réforme.

M. Patrick Ollier. Très bien !

M. Marc Dolez. Alors que l’on pouvait espérer que le Gouvernement puise son inspiration dans les travaux de ces états généraux, le projet de loi qu’il nous propose s’inscrit malheureusement dans la continuité de la réforme de 2010, combattue à l’époque par toute la gauche et dont, pour notre part, nous demandons toujours l’abrogation.

Votre texte se caractérise en effet par une vision intégratrice de l’intercommunalité et renforce le processus de métropolisation des territoires. C’est sa deuxième lacune : plutôt que de partir logiquement de la commune pour, le cas échéant, adapter l’architecture des structures locales et de leurs relations, c’est-à-dire commencer par les fondations, vous faites le choix de partir du haut par l’affirmation de métropoles qui vont en quelque sorte chapeauter la République.

Le calendrier que vous avez retenu pour l’examen de votre réforme résume à lui seul la philosophie de la démarche : concentration des pouvoirs locaux, éloignement des citoyens des lieux de décision. Nul ne nie bien sûr l’existence d’enjeux à l’échelle des aires métropolitaines et la nécessité de mieux appréhender ces réalités, mais la prise en compte des défis urbains et humains ne sera effective que si elle est confiée à une gouvernance qui s’inscrit dans une logique citoyenne.

Tel n’est pas le cas de la gouvernance définie dans ce projet de loi puisqu’elle nie tout aspect de construction de projets avec les citoyens, de prise en compte des besoins des territoires. Cette gouvernance ne se fixe pas comme objectif la lutte contre les inégalités sociales et territoriales qui mine les grandes agglomérations. Les métropoles n’auront pour seule logique que la sacro-sainte compétitivité et l’attractivité des capitaux.

À vrai dire, votre métropole, véritable monstre juridique et technocratique, représente une mutation profonde et radicale de l’organisation des territoires : elle bouleverse la nature des relations des citoyens à leur espace et elle remet en cause des territorialités façonnées par notre histoire et structurantes de la citoyenneté.

L’objectif de ce big-bang institutionnel est d’imposer la métropole comme clef de voûte de l’organisation territoriale de la République au détriment, d’une part, de l’État et de son rôle de garant de l’égalité territoriale et, d’autre part, de la commune, foyer de démocratie et de citoyenneté.

Oui, le risque est grand d’une déstabilisation de notre construction républicaine reposant sur l’égalité de tous, visant à l’équilibre et à la solidarité entre les territoires qui font la France. Le risque est grand d’un renforcement de la place des grandes aires urbaines au détriment des autres territoires, qui sont, eux, en voie de paupérisation. Le risque est grand d’un renforcement de la compétitivité libérale et d’une aggravation des fractures de toute sorte et donc d’une France des territoires à plusieurs vitesses.

Le réquisitoire est sévère, j’en conviens,…

M. Philippe Goujon. Mais juste !

M. Marc Dolez. …mais lucide, car il s’appuie sur le texte soumis à notre examen et sur le dispositif qui en découle.

D’abord, pour mieux intégrer le fait métropolitain, le projet de loi dans sa version actuelle passe du choix volontaire à l’application automatique du statut de métropole dès lors que les conditions seront réunies. Ainsi, selon l’article 31, seront automatiquement transformés en une métropole les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre qui forment, à la date de sa création, un ensemble de plus de 400 000 habitants dans une aire urbaine – au sens de l’INSEE – de plus de 650 000 habitants, ou un ensemble de plus de 400 000 habitants dans le périmètre duquel se trouve le chef-lieu de région.

Ensuite, les compétences et le rôle des métropoles sont renforcés pour en faire les vrais lieux de pouvoir. Elles se voient ainsi dotées de l’essentiel des ressources de développement disponibles et des compétences dans une logique de compétitivité qui, pour les plus grandes aires urbaines, s’étend au niveau européen, voire mondial. Leurs compétences sont d’ailleurs étendues par rapport à celles qui étaient définies en 2010, particulièrement en matière de développement économique, d’innovation, de transition énergétique ou de politique de la ville. Toutes les compétences acquises librement par un EPCI avant sa transformation ou fusion au sein de la métropole sont transférées de plein droit à la métropole.

En outre, les métropoles vont bénéficier de transferts de compétences de plein droit des communes en matière de développement et d’aménagement économique, social et culturel, en matière d’aménagement de l’espace métropolitain, de politique locale de l’habitat, de politique de la ville, de gestion des services d’intérêt collectif, de protection et de mise en valeur de l’environnement et de politique du cadre de vie.

Les métropoles pourront aussi bénéficier de délégations de compétence de l’État qui, dans la pratique et quoi qu’on en dise, s’apparenteront immanquablement à de véritables transferts à la carte. C’est la remise en cause de la distinction entre l’habilitation générale de la collectivité à prendre en charge l’intérêt public local et le principe de spécialité qui caractérise les EPCI.

En effet, la liste des compétences d’attribution ne cesse de s’allonger. La métropole élargit ses compétences de nature communale, garde les principales compétences départementales et acquiert de surcroît des compétences régionales par convention. Les marges de manœuvre qu’offrent ces compétences obligatoires ou facultatives sont telles que la question de la clause de compétence générale, restituée aux régions et aux départements, n’a plus qu’un intérêt marginal lorsqu’il y a une métropole sur le territoire régional.

À cet égard, le rétablissement de la clause de compétence générale pour les départements et les régions à l’article 1er A est limité, pour ne pas dire entravé en pratique, par la mise en place des conférences territoriales et leur pacte de gouvernance, qui édictera des schémas prescriptifs, et la reconnaissance, pour certaines compétences, d’un chef de file.

Au sein de la conférence territoriale de l’action publique, les collectivités territoriales organiseront librement les modalités d’exercice de leurs compétences dans le cadre d’un pacte de gouvernance territoriale. Ainsi, d’une région à l’autre, les compétences de telles ou telles collectivités pourront ne pas être les mêmes. Cette conférence, présidée par le président du conseil régional, se substitue à la conférence des exécutifs, qui a pourtant fait ses preuves dans plusieurs régions.

De plus, si les collectivités territoriales ne se mettent pas d’accord par convention sur l’exercice d’une compétence partagée, elles ne pourront cofinancer des projets portés par d’autres collectivités. De même, si une commune n’approuve pas le schéma régional, elle devra se passer des cofinancements. Autrement dit, les collectivités qui ne signent pas le pacte de gouvernance territoriale et n’approuvent pas les schémas ne pourront plus bénéficier de financements croisés. Il y a là, effectivement, une atteinte à la libre administration des collectivités territoriales.

Bref, mesdames les ministres, nous sommes loin d’un nouvel acte de décentralisation qui serait conforme aux principes fondateurs des lois de 1982.

Pour notre part, nous considérons que la décentralisation doit être organisée en fonction du principe de proximité permettant d’optimiser les décisions publiques dans le sens d’une plus grande satisfaction de l’intérêt général, tout en définissant les rôles respectifs de l’État et des différents échelons territoriaux. Nous faisons le choix du développement des coopérations et non de la mise en concurrence des territoires.

Nous considérons que l’autonomie des collectivités territoriales devrait être assurée grâce à l’actualisation du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et à une réforme de la fiscalité locale garantissant des moyens financiers pérennes et justes.

Une véritable décentralisation démocratique et républicaine doit être fondée sur la souveraineté populaire, le contrôle citoyen, l’égalité de traitement, la coopération entre les collectivités et la solidarité entre les territoires et les populations. Toute nouvelle entité administrative intercommunale devrait répondre aux besoins des administrés et résulter d’une démarche volontaire, transparente et compréhensible, construite progressivement dans le cadre de coopérations, plutôt que d’un rapprochement autoritaire de communes sans projets communs, obéissant exclusivement à une exigence de compétitivité.

C’est ainsi qu’à une conception centralisée et à une gouvernance confisquant le rôle des collectivités qui composent l’aire métropolitaine nous opposons une stratégie de politique publique et de développement, dans un dialogue véritablement démocratique avec toutes les collectivités, à commencer, bien sûr, par les communes.

Pas d’aire urbaine partagée sans prise en compte des projets construits avec les citoyens, sans leur collectivité ; pas de réponse positive aux défis métropolitains, s’ils ne sont pris en compte et fédérés dans des coopératives de projets.

C’est ainsi qu’à la fracture territoriale, qui résultera immanquablement du bouleversement proposé, nous opposons l’égalité entre les territoires, et donc un État qui joue pleinement son rôle péréquateur, garant de l’égalité des citoyens, où que ce soit dans la République, un État partenaire et mobilisateur plutôt qu’un État qui ne cesse de se défausser.

Pour toutes ces raisons, et pour toutes celles que notre groupe développera tout au long de nos débats, compte tenu des graves menaces qu’il fait peser sur l’unité même de la République, notre opposition à votre texte est totale et sans concession.

Mesdames les ministres, devant l’ampleur des mécontentements suscités dès le départ par le projet d’acte III de la décentralisation, le Gouvernement a fait le choix de scinder le texte en trois, plutôt que de revoir l’ensemble de sa copie. C’est une erreur profonde car, sur un sujet aussi essentiel pour l’avenir de la République, il eût fallu donner du temps au temps, pour reprendre la concertation avec les élus, leurs associations et les citoyens, pour organiser un véritable débat dans l’esprit des états généraux de l’automne dernier.

Ce n’est pas, hélas ! la décision qui a été prise, puisque, alors que le déroulement du débat au Sénat aurait au moins dû vous inciter à laisser davantage de temps à la réflexion, le texte nous est soumis aujourd’hui dans la précipitation et la chaleur estivale de cette session extraordinaire.

Dont acte. Mais, compte tenu du chamboulement qui s’annonce et de la gravité des conséquences qui découleront du texte que vous nous proposez sur une question aussi essentielle pour l’avenir de la République, il est une exigence dont le Gouvernement ne devrait pas s’affranchir : celle de consulter le peuple sur l’ensemble de la réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Ollier. Très bien, monsieur Dolez !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame et messieurs les rapporteurs, je n’interviendrai que brièvement dans cette discussion générale, préférant réserver notre précieux temps à la discussion de nos amendements.

J’interviendrai dans le même sens que Nathalie Appéré, mais en m’arrêtant plus particulièrement sur les enjeux franciliens, qui sont au cœur de la réflexion des élus socialistes de ce territoire.

Nous sommes nombreux à avoir participé à l’élaboration et à la mise en place des premières intercommunalités – la mienne, créée ex nihilo le 1er janvier 2000. Appuyant notre stratégie sur les contrats de développement territorial, nous nous sommes impliqués dans la création de Paris Métropole et avons participé à la mise en œuvre du Grand Paris. Notre débat d’aujourd’hui a donc pour nous un sens très concret.

Ce qui est vrai, c’est que, après dix ans de travail et malgré les instruments dont les élus se sont dotés, au-delà des clivages partisans et territoriaux, nous ne sommes pas en mesure – et j’en assume ma part de responsabilité – de proposer au Gouvernement un projet dont je suis certain qu’il se serait sinon saisi.

Le projet de loi soumis au Sénat s’inspirait néanmoins fortement, sans non plus en être la traduction exacte, du travail mené par les élus franciliens depuis dix ans : nous savons ce qu’il en est advenu.

Mon sentiment est que l’Île-de-France est un territoire complexe, qui ne peut plus continuer à fonctionner comme il fonctionne actuellement.

M. Alexis Bachelay. Tout à fait !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il ne parvient plus à répondre aux enjeux du logement : 500 000 demandes pour 80 000 logements proposés, soit des centaines de milliers de demandeurs de logement qui n’obtiendront pas satisfaction. Il laisse s’installer des formes de ségrégation urbaine et des disparités sociales inacceptables, une précarité qu’aucune République, aucune démocratie ne peut admettre ! Voilà la réalité !

Les élus se sont interrogés, de manière consensuelle, sur les réponses à apporter à ces questions, sur les moyens de construire du logement partout et pour tous, mais nous n’avons pas été en mesure d’apporter les bonnes réponses.

La péréquation intercommunale a certes été mise en place, mais avec des résultats dont nous savons qu’ils n’ont pas satisfait ces territoires.

Il existe entre Paris et sa première couronne une première série de difficultés, propres à cette zone dense urbaine. Elles doivent être appréhendées sans que cela se fasse au détriment des territoires de la seconde couronne, notamment des départements de Seine-et-Marne, de l’Essonne et des Yvelines.

M. Patrick Ollier. Ce n’est pourtant pas ce qui se passe !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Malgré les refus successifs des élus, je demande aujourd’hui à notre assemblée qu’elle comble cette page blanche, qui est comme une insulte à l’égard d’une population qui a besoin qu’on règle ses problèmes.

L’enjeu métropolitain a d’emblée été posé, les institutions allant jusqu’à s’approprier le terme, et je pense que, si nous devons créer en Île-de-France la métropole du Grand Paris, c’est que c’est le seul moyen, pour un bon fonctionnement au quotidien, d’ordonner les relations entre Paris capitale et les territoires qui l’environnent. Les élus de ce périmètre mesurent très bien leur degré d’interdépendance.

La notion de métropole est complexe, et je ne voudrais pas qu’à cet instant on se limite à sa seule dimension institutionnelle. La métropole ne correspond pas seulement à une zone géographique, s’exprimant en termes de seuil de population, de nombre de communes ou d’intercommunalités ou de tout autre critère que notre conception cartésienne de l’ordonnancement institutionnel peut imaginer.

La métropole doit d’abord traduire la réalité d’un bassin de vie, d’une communauté d’intérêts en matière d’habitat, de mobilité, d’infrastructures et d’équipements, toutes choses auxquelles, au-delà de la théorie, les habitants doivent avoir accès au quotidien.

La métropole, c’est une réalité urbaine que les gens doivent s’approprier au quotidien, pour en faire leur histoire autant que leur espace. Elle est donc nécessairement une fonctionnalité, qui permet d’assurer la cohérence du territoire, de le rendre vivable, tout en servant des objectifs de développement.

C’est l’emboîtement complexe de ces territoires qu’il faut ordonner, pour en faire la synthèse. Cela nous fait défaut. J’ajoute qu’au-delà d’une gouvernance, ce dont nous avons besoin, c’est d’un espace fonctionnel organisé autour d’une vision commune.

C’est pour cela que je considère aujourd’hui qu’il n’est plus possible d’éluder ces problèmes, auxquels il n’y a qu’une seule réponse possible : la métropole. Bien sûr, une telle réponse crée de nouvelles difficultés, notamment parce qu’elle remet en cause les institutions, en tout cas aux yeux de ceux qui n’appréhendent le débat que dans sa dimension institutionnelle. C’est pourquoi il faut notamment tenir compte des territoires qui resteront en dehors de la métropole et défendre une forme de « polycentrisme ». En tout état de cause, nous devons trouver des solutions, car parler sans cesse de « mille-feuilles » n’est qu’une manière de signifier que l’on ne veut pas que ça bouge !

Il n’y a jamais de réponse simple, y compris institutionnelle, à un problème complexe. Mais, aujourd’hui, nous pouvons tracer un chemin. Tel doit être ce qui nous anime, mes chers collègues : nous devons arrêter d’attendre et franchir enfin une première étape.

M. Patrick Ollier. Encore faudrait-il qu’elle soit bonne, ce qui n’est pas le cas !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Lorsqu’ils ont participé au débat sur le Grand Paris, les habitants du territoire francilien ont exigé que la région et l’État convergent vers une solution unique. Ils soutiennent actuellement la stratégie des contrats de développement territorial. Ils nous demandent des logements, de la mobilité, de l’emploi de proximité, un équilibre territorial ; bref, le droit de vivre dans des conditions qui ne soient pas trop difficiles et sans être obligés d’aller travailler à l’autre bout de la région parisienne.

C’est pour cela que nous voulons travailler à améliorer ce texte, en vue d’une seconde lecture. Il faudra bien, en effet, que les sénateurs s’emparent de ce débat sur le territoire francilien, pour que nous franchissions, ensemble, une nouvelle étape. Car je vous le dis, mes chers collègues, la seule chose que nous n’accepterons pas, c’est que les choses restent en l’état ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Pécresse.

Mme Valérie Pécresse. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des finances, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, moderniser l’action publique, c’est l’objectif affiché de votre projet de loi. Quand je rencontre des Français et qu’ils m’interpellent sur le fonctionnement de nos administrations, que me disent-ils ? Ils me disent tous à peu près la même chose : notre administration est trop complexe, trop coûteuse, pas assez efficace. Ils me disent aussi qu’il y a trop d’élus.

Notre administration est trop complexe. Hormis quelques spécialistes, personne, y compris parmi nous, ne comprend grand-chose à notre organisation territoriale. Savoir qui fait quoi et qui il faut sanctionner électoralement quand il n’y a pas suffisamment de places dans les lycées, par exemple, qui le sait vraiment ?

Notre organisation territoriale est également trop coûteuse. Dix points de PIB, c’est l’écart qui sépare la France de l’Allemagne en matière de dépense publique. Concrètement, la France dépense chaque année 200 milliards d’euros de plus que l’Allemagne pour ses services publics !

M. Matthias Fekl. Et qu’avez-vous fait ? Quel aveu d’échec !

Mme Valérie Pécresse. Sont-ils pour autant beaucoup plus performants ? Hors transferts de compétences liés à la décentralisation, le personnel des collectivités a bondi de 20 % en dix ans. Rien qu’en Île-de-France – dont je ne crois pas qu’il s’agisse d’une collectivité gérée par l’UMP, mon cher collègue –, ce sont 245 nouveaux postes qui ont été créés depuis 2010.

M. Carlos Da Silva. Et les transferts non compensés en 2004 ?

Mme Valérie Pécresse. Les Français n’ont pas forcément ces chiffres en tête, mais ils ont l’intuition claire qu’on pourrait faire mieux avec moins. Ne perdons jamais de vue qu’améliorer la performance de l’action publique locale, c’est aussi résoudre, en partie, le problème de la dette.

M. Michel Pouzol. Mais pas celui du chômage !

Mme Valérie Pécresse. Notre organisation territoriale, c’est enfin, et les Français nous le disent, beaucoup trop d’élus. Notre pays en compte environ 600 000. Si l’on appliquait strictement la règle du non-cumul des mandats, un Français sur cent siégerait dans nos institutions.

Plusieurs députés du groupe SRC. Et alors ?

Mme Valérie Pécresse. En ont-ils seulement l’envie ?

La feuille de route que les Français ont tracée pour moderniser l’action publique est donc claire. Or, non seulement vous ne les entendez pas, mais vous faites même tout l’inverse de ce qu’ils demandent.

Il suffit de s’en tenir aux dispositions relatives à l’Île-de-France pour constater que votre réforme représente un contresens historique majeur. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alexis Bachelay. Que proposez-vous ?

M. Sylvain Berrios. Monsieur le président, faites respecter l’oratrice !

Mme Valérie Pécresse. Madame la ministre, je suis désolée de provoquer ce chahut en tenant de simples propos de bon sens. Il semble que la voix des femmes doive toujours être couverte, dans cet hémicycle, par des espèces de bronca. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Marie Le Guen. N’importe quoi !

Mme Valérie Pecresse. Voilà M. Le Guen qui est tout content ! Quel bonheur de vous retrouver, monsieur Le Guen, cela faisait tellement longtemps que vous n’aviez pas couvert de votre jolie et douce voix la mienne. Heureusement, ce n’est pas toujours celui qui parle le plus fort qui a raison.

Les Français nous disent : simplifiez !

Avec la métropole du Grand Paris, vous créez un nouveau monstre bureaucratique.

M. Marc Dolez. Ça, c’est vrai !

Mme Valérie Pecresse. Quand on lit l’article 12 de votre projet de loi, c’est simple : on n’y comprend rien.

M. Hervé Gaymard. Rien !

Mme Valérie Pécresse. Quel périmètre exact ? Quelle nouvelle répartition des compétences ? Quelle nouvelle allocation des ressources ? Tout cela est d’autant plus nébuleux que vos intentions ne sont pas claires.

Une seule certitude : la métropole est un nouvel échelon qui vient s’intercaler dans une organisation administrative déjà saturée. À l’issue de votre réforme, Paris et sa petite couronne compteront cinq niveaux administratifs : la commune, le territoire, la métropole, le département et la région. Cinq niveaux !

Vous essayez de nous faire croire que la métropole se substituera aux intercommunalités existantes. C’est un jeu de dupes, car il est clairement indiqué dans votre projet de loi que la métropole sera organisée en territoires, qui ne sont rien d’autres que les intercommunalités, auxquelles on pourra d’ailleurs rétrocéder un certain nombre de compétences.

Les Français nous disent : simplifiez, réduisez le nombre d’élus !

Votre métropole du Grand Paris, c’est plus de 200 nouveaux conseillers de la métropole, soit davantage qu’au conseil de Paris où ils sont 163 et autant qu’au conseil régional d’Île-de-France. C’est le double du nombre d’élus qui siègent au Sénat américain,…

Mme Annick Lepetit. C’est scandaleux de dire une chose pareille !

Mme Valérie Pécresse. …pour représenter une population cinquante fois plus importante et un territoire trois mille fois plus étendu.

M. Michel Pouzol. Quel bel exemple de démocratie !

Mme Valérie Pécresse. C’est vrai que les États-Unis ne sont pas une démocratie… Je laisse aux communistes le choix de leurs amis démocratiques. (Protestations sur les bancs du groupe GDR.)

M. François Asensi. Nous n’avons rien dit !

Mme Valérie Pecresse. Les Français nous disent : baissez les dépenses ! Or, 200 élus au conseil de la métropole, c’est un nouvel hémicycle et une nouvelle administration à financer.

M. Alexis Bachelay. C’est du blabla !

Mme Valérie Pécresse. Ces 200 élus, dont au moins 80 vice-présidents – puisque c’est ce que votre projet prévoit – représentent au moins 2 millions d’euros de dépenses supplémentaires, rien qu’en indemnités d’élus.

M. Patrick Mennucci. C’est faux : lisez le texte !

M. Alexis Bachelay. C’est creux !

Mme Valérie Pécresse. À l’heure où le lien de confiance entre les élus et les Français n’a sans doute jamais été aussi fragile, est-ce bien raisonnable ?

M. Alexis Bachelay. Vous n’avez rien à proposer !

Mme Valérie Pécresse. Les Français, en pleine crise, nous demandent aussi davantage de solidarité.

À rebours de cet objectif, votre métropole du Grand Paris introduit une fracture entre, d’un côté, Paris et sa petite couronne et, de l’autre, les franges de l’Île-de-France. Elle casse la nécessaire solidarité entre tous les territoires de la région.

M. Patrick Ollier. Très juste !

Mme Valérie Pécresse. Il s’agit pourtant d’une solidarité de fait. Ceux qui travaillent en zone centrale habitent bien souvent en grande couronne et utilisent les transports régionaux pour leurs trajets quotidiens. Diviser l’Île-de-France en deux ne résoudra aucun de leurs problèmes. Cela les rendra au contraire plus aigus. Alors que le fait régional s’impose partout en Europe, nous serons les seuls à faire machine arrière.

Madame la ministre, vous avez d’ailleurs fait un lapsus, à moins que ce ne soit un acte manqué, en parlant de « métropole du Grand Paris » pour une administration réduite à la zone dense. Soit vous oubliez que l’ambition initiale du Grand Paris de Nicolas Sarkozy…

M. Alexis Bachelay. Il a échoué, et vous aussi !

Mme Valérie Pécresse. …était précisément de renforcer le lien entre la zone centre et sa périphérie en exploitant tout le potentiel de cette dernière, soit vous anticipez sur le fait que le Grand Paris, en particulier celui des transports, ne se fera pas. Je dois vous dire que c’est ma crainte, car je n’entends plus le Gouvernement parler du Grand Paris des transports autrement que pour évoquer la rocade sud en petite couronne.

M. Alexis Bachelay. C’est faux ! C’est le début !

Mme Valérie Pécresse. C’est ma crainte, car je constate que le Gouvernement refuse toujours, monsieur Dussopt, d’inscrire les 5 milliards d’euros qui manquent pour financer le projet, malgré les privatisations qui s’enchaînent.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est inexact. Une réunion s’est tenue il y a trois jours !

Mme Valérie Pécresse. C’est ma crainte, enfin, car je vois que le Gouvernement demande à la direction du Trésor de conduire des études qui concluent, contre toute évidence, que le Grand Paris coûtera plus cher qu’il ne rapportera. Qui a commandé ces études, monsieur Le Bouillonnec ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous ne suivez pas l’actualité du Grand Paris !

Mme Valérie Pécresse. Monsieur Le Bouillonnec, l’actualité, c’est une vision d’avenir sur dix ans.

M. Sylvain Berrios. Écoutez l’oratrice ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues. Seule Mme Pécresse a la parole. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Valérie Pécresse. Les Français nous disent enfin : plus de démocratie ! Or, que fait votre projet ? Il met clairement les maires sous tutelle. Votre réforme signe leur fin, alors qu’ils sont les élus préférés des Français. Adieu, leurs pouvoirs en matière d’urbanisme ! Leur rôle se bornera désormais à célébrer des mariages et à collecter des amendes de stationnement. Résultat : la population va perdre tout contrôle sur le visage de sa ville. Elle n’aura plus aucun moyen de s’opposer au bétonnage sauvage. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Il fallait plus de simplification, plus d’économies et plus de démocratie. Vous imposez, au contraire, plus de complexité, plus de bureaucratie et plus de dépenses.

Vous prétendez faire œuvre de modernisation alors que votre projet est un projet de régression.

En 2010, nous avions adopté une réforme des collectivités territoriales. Elle avait, certes, ses limites, mais elle avait l’immense mérite de s’attaquer de front aux vraies difficultés de notre organisation territoriale en divisant par deux le nombre d’élus départementaux et régionaux et en clarifiant les compétences des collectivités.

M. Alexis Bachelay. Ce n’est pas cela qui pose problème mais le logement !

Mme Valérie Pécresse. Pour plaire à votre large clientèle d’élus locaux, vous avez fait campagne contre cette réforme nécessaire. Résultat, vous vous êtes privés de la possibilité politique de construire vous-mêmes une réforme ambitieuse.

La première version de votre texte a été rejetée par le Sénat. Le texte re-rédigé que vous nous proposez aujourd’hui, ne fait pas davantage l’unanimité.

Dominique Voynet a critiqué un projet qui fait reculer l’égalité entre les territoires (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP) et favorise, dit-elle, « le cumul des responsabilités, la multiplication des strates et l’éloignement des citoyens ».

M. Alain Chrétien. Elle a dit cela ? Quelle clairvoyance.

Mme Valérie Pécresse. Paris Métropole, qui regroupe la région Île-de-France, les huit départements franciliens, quarante-cinq intercommunalités et 153 communes critique la démarche et, tout simplement, la création de la métropole dans les contours prévus par la loi.

Patrick Braouezec, qui dirige la plus grande intercommunalité d’Île-de-France parle d’un « putsch » (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP) et estime que la future métropole sera « une belle usine à gaz, inefficace et ingérable qui va éloigner encore plus les centres de décision de la population ».

Pour Christian Favier,…

M. Jean-Marie Le Guen. Arrêtez donc de citer vos adversaires !

Mme Valérie Pécresse. …qui dirige le conseil général du Val-de-Marne, la métropole est « une succession de mauvais coups contre les communes des départements de petite couronne ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Bertrand Delanoë lui-même, le maire de Paris, s’interroge à haute voix sur l’efficacité de la réforme. Quant à Jean-Paul Huchon, le président du conseil régional d’Île-de-France, il s’était d’abord opposé à la métropole avant de se rallier à votre projet, sans doute par discipline partisane, tant ce projet heurte de front l’affirmation du fait régional qu’il a tant défendu dans sa vie.

De fait, comment bâtir un consensus et mesurer l’efficacité d’un projet conçu en l’espace de huit jours et inconnu des Franciliens ? Est-il seulement raisonnable de régler ainsi, dans l’improvisation, le sort d’un Français sur cinq ?

Mme Annick Lepetit. Vous pensez sérieusement ce que vous dites ?

Mme Valérie Pécresse. Madame la ministre, l’échec est patent, il faut en prendre acte. Si nous sommes très nombreux à considérer que votre réforme n’est pas la bonne, nous sommes encore plus nombreux à penser qu’il est impératif de réformer.

Abandonnez cette réforme qui complique et divise et faites résolument le choix de la concertation et de la simplification !

Ma proposition, que nous examinerons plus tard dans la discussion, est simple. Mettons toutes les collectivités franciliennes autour de la table pour bâtir, d’ici au 1er juillet 2014, un projet commun, un projet qui s’organiserait autour d’objectifs clairs destinés à répondre aux vraies attentes des Franciliens.

Le premier objectif serait de réduire le nombre d’échelons administratifs.

Le deuxième serait de diminuer significativement le nombre d’élus et le montant global des indemnités versées dans le cadre de ces mandats.

Le troisième serait de supprimer la clause de compétence générale pour les collectivités,…

M. Jacques Myard. Bravo !

Mme Valérie Pécresse. …à l’exception des communes.

Le quatrième serait de clarifier les compétences selon le principe qui veut qu’une compétence égale un niveau administratif, ce qui nous changerait.

Le cinquième objectif serrait de mettre en place une spécialisation des ressources associée à davantage d’autonomie fiscale selon le principe par lequel une ressource égale un échelon administratif, pour permettre enfin à tous les Français de comparer la performance respective de deux collectivités de même rang.

Enfin, le sixième objectif serait d’affirmer le Grand Paris comme un projet à l’échelle de toute l’Île-de-France.

Madame la ministre, je comprends votre désarroi face à cette conjonction d’oppositions de tous bords, mais, aujourd’hui, si votre réforme déplait au plus grand nombre, c’est qu’elle ne résout rien. Saisissez donc la perche qu’avec plusieurs collègues, sur ces bancs, nous vous tendons, et engagez-vous résolument sur la voie de la concertation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Jacob. Très bien !

M. Alexis Bachelay. Aucune vision, rien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin.

M. Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous avons l’occasion de débattre d’un sujet qui nous concerne tous, nous passionne tous, nous engage tous : nos territoires. Quelle que soit la place que nous occupons dans cet hémicycle, nous éprouvons tous cet attachement qui nourrit notre ambition de faire avancer nos territoires.

J’espérais que, dans ce projet relatif à la décentralisation, un cap serait donné au plus haut niveau de l’État, par le Gouvernement, un cap dont découleraient toutes les réformes, tous les projets qui concernent l’avenir de nos territoires : les métropoles, les régions, la solidarité entre les territoires, les transports, le cumul des mandats, les conseillers départementaux. Malheureusement, tous ces projets, tous ces textes sont scindés, découpés, et les décisions dispersées, éparpillées. Au final, cette approche trahit l’absence d’une vision, d’une approche cohérente globale de l’avenir de nos territoires.

C’est regrettable, car la crise que traverse notre pays est aussi celle d’un modèle. Dans une entreprise, quand le schéma concurrentiel évolue, quand le marché change, quand la position mute, on se pose d’abord la question du modèle : celui-ci est-il adapté au nouveau schéma dans lequel l’on s’inscrit ? C’est cette question que l’on aurait dû se poser au plus haut niveau de l’État, avant de présenter l’ensemble de ces textes : comment adapter la France au nouveau contexte mondialisé, en tenant compte des enjeux économiques, des enjeux de solidarité, du long terme ?

D’ailleurs, quel est-il, cet enjeu ? Est-ce l’avenir des métropoles ? Celui des régions, demain ? Encore un autre, après-demain ? Il me semble qu’il s’agit aujourd’hui de savoir comment redéployer un projet politique sur l’ensemble du territoire.

Comme l’ont rappelé certains d’entre nous, il ne s’agit pas d’opposer les métropoles au reste de la France ou de traiter différemment les zones denses et les zones à faible densité, mais, au contraire, de réconcilier l’ensemble des territoires pour les intégrer dans une perspective cohérente, convergente et globale.

Concrètement, on commence à comprendre aujourd’hui la relation qui existe entre ces territoires. Qu’est-ce qu’une métropole ? C’est un endroit où se fabrique une nouvelle économie, une économie de la connaissance, une économie qui produit de la valeur ajoutée, celle qui nous fait défaut dans notre équation compétitive. Qu’est-ce qu’une zone à faible densité ? C’est une zone qui a une capacité productive et toute une série d’avantages comparatifs dont nous avons besoin et qui, demain, qualifieront la France dans la mondialisation. Si l’on adopte ce regard économique, nécessaire pour agir en faveur de l’emploi, on voit bien que l’un ne va pas sans l’autre. L’industrie, l’économie productive disparaîtront si nous ne sommes pas capables de produire, notamment dans les métropoles, de la valeur ajoutée et une métropole tournera dans le vide si elle n’est pas elle-même reliée à une zone à faible densité dotée d’une capacité productive.

Pour valoriser les atouts de la France dans tous les domaines de l’économie productive – l’artisanat, le tourisme, l’industrie ou la culture, nous avons besoin des métropoles afin de trouver les niveaux de qualification indispensables dans un monde de plus en plus concurrentiel et de remédier aux difficultés que nous connaissons en matière d’emploi.

Pour beaucoup d’entre nous, au groupe UDI, le véritable sujet est celui de la relation entre métropoles et territoires : les métropoles doivent être au service des territoires et les territoires au service des métropoles afin de parvenir au juste équilibre entre les zones à fabrication de valeur ajoutée et les zones à vocation productive, qui souffrent tant actuellement de la désindustrialisation.

Quand j’entends parler d’égalité des territoires, j’ai envie de répondre en m’appuyant sur le concept d’équité territoriale : chaque Français doit vivre à une distance raisonnable d’une métropole connectée au monde. Car, très concrètement, la métropole a deux vocations : elle doit, tout d’abord, connecter chaque Français au reste du monde et le faire bénéficier des opportunités de la mondialisation et, ensuite, lui donner la capacité de créer, de susciter une nouvelle valeur ajoutée.

Mon regret, c’est que ces entités – les territoires, les régions et les métropoles – n’aient pas été intégrées dans un même texte obéissant à une vision d’ensemble, que l’État stratège ait cédé le pas à un État mécanicien, qui se contente d’effectuer quelques réglages sur les métropoles ou les pôles d’excellence rurale.

Il en va de même pour Paris. En définitive, on voit émerger, non pas un Grand Paris, une métropole cohérente et ambitieuse, mais plusieurs Grands Paris.

Il y a tout d’abord celui des transports, le Grand Paris express ou nouveau Grand Paris – il a changé de nom à plusieurs reprises –, qui sera, à mon avis, celui autour duquel se créera, de fait, la métropole puisque les fonctions économique et résidentielle se construisent, qu’on le veuille ou non, quelles que soient les frontières qu’on définira, autour d’un schéma de transports.

Puis, il y a le Grand Paris du développement économique et de la formation professionnelle : celui du conseil régional d’Île-de-France, dont les missions sont aujourd’hui précisées et confortées.

Enfin, il y a un troisième Grand Paris, celui que nous sommes en train de créer, qui récupérera quelques compétences, notamment en matière de logement et d’urbanisme.

Est-il vraiment raisonnable de se diriger vers une telle dispersion des compétences – sans parler du souci de la dépense publique devrait nous amener à les faire converger ? En effet, la compétence en matière économique est intimement liée à la mobilité, qui est elle-même liée à la politique du logement, et donc aux perspectives d’urbanisme. Plutôt que de rassembler, de définir une trajectoire de cohérence et de convergence pour avoir, à terme, un seul Grand Paris assurant la synergie de l’ensemble de ces éléments, on préfère l’éclatement et la dispersion.

Sur la forme, je regrette – ayant été l’un des premiers à m’engager dans Paris Métropole, il y a trois ou quatre ans – que tous les travaux que nous avons menés dans ce cadre ne soient pas pris en compte, ou si peu. La situation s’est délitée il y a quelques mois : nous avons probablement ressenti, au sein de Paris Métropole, des difficultés à nous accorder sur des projets. Néanmoins, je veux rendre hommage à Jean-Yves Le Bouillonnec, qui a été le premier président de Paris Métropole et à l’ensemble des élus qui nous ont rejoints.

Je me rappelle avoir rencontré, dans ce cadre, Claude Dilain. Paris Métropole a ainsi la vertu de réunir à la même table autour d’un projet, les maires de deux villes complètement différentes : Neuilly-Sur-Seine et Clichy-sous-Bois. Si nous n’aboutissons pas forcément à des convergences, au moins travaillons-nous ensemble sur le projet de la métropole ; cela avait du sens. Je regrette que le texte que vous nous proposez aujourd’hui ne cherche pas à reconstruire ce dialogue et à nous donner, si nécessaire, un peu de temps : six mois ou un an. Que représentent quelques mois à l’échelle d’un projet qui sera développé pendant vingt, trente, quarante ou cinquante ans ? Pourquoi, mesdames les ministres, ne pas donner une chance supplémentaire à la concertation, à un dialogue, quelle que soit la forme qu’il prendrait, qui permettrait de faire du Grand Paris un projet certainement plus proche de l’esprit de ce que vous souhaitez ? Au lieu de cela, vous nous proposez un texte fait, il y a quelques jours, en catimini avec quelques parlementaires,…

M. Patrick Ollier. Oui, c’est scandaleux !

M. Jean-Christophe Fromantin. …dans votre bureau ou je ne sais où, un texte qui n’emporte pas l’adhésion de la plupart d’entre nous et qui neutralise complètement l’effort de dialogue qui est fait au sein de Paris Métropole depuis plusieurs années.

Tels sont les principaux reproches que je fais à ce texte. Je déplore l’absence d’un projet national cohérent, d’un projet pour la France, qui inscrive les métropoles et les territoires dans une vision de développement et dans des perspectives fortes, et je regrette que tous les travaux menés au sein de Paris Métropole ne trouvent pas une conclusion plus ouverte, plus concertée et plus partagée.

Enfin, je l’évoquais hier soir, nous estimons tous que votre texte pose un problème de pédagogie. Quels que soient les sujets abordés dans cette enceinte, il n’est pas de bon texte qui ne suscite la confiance ; il n’est pas de bon texte que nous ne puissions, nous, représentants de la nation, expliquer simplement à nos concitoyens. Ce souci, que beaucoup ont évoqué, devrait finalement guider nos travaux. Ainsi, nous devrions tous nous demander si nous sommes capables, en une minute, d’expliquer un projet à l’un de nos concitoyens. Car, si tel n’est pas le cas, c’est que ce texte ne respecte pas le principe, auquel nous sommes attachés, de partage, de compréhension et d’adhésion à une perspective politique.

Je vous invite donc, les uns et les autres, à tenter de justifier auprès de nos concitoyens, qui s’interrogent sur le millefeuille administratif, la superposition des communes, des conseils de territoire, du département, de la métropole du Grand Paris, du conseil régional d’Île-de-France, des services déconcentrés de l’État. La Cour des comptes nous a alertés sur cette question, il y a quelques jours, en nous mettant en garde contre la création de redondances et l’enchevêtrement complexe auquel aboutissent ces structures, les SCOT, les CDT… Bravo à celui qui, en une minute, sera capable de créer de la confiance en fournissant une explication simple du projet que vous nous proposez aujourd’hui !

Le défi qu’il fallait relever était celui d’une vision pour les territoires ; c’est sans doute un rendez-vous manqué. S’agissant du Grand Paris, nous avons une chance de pouvoir remettre le projet sur la table. Peut-être l’appel de plusieurs parlementaires nous permettra-t-il d’obtenir un délai de quelques mois, un an maximum, pour engager à nouveau une réflexion sur les dimensions synergique, économique et sociale du Grand Paris ainsi que sur sa gouvernance. J’espère enfin qu’en dépit du temps qui nous est malheureusement compté, le débat ne sera pas expédié et que nous pourrons avoir une discussion constructive. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, les réformes passent et, hélas ! se ressemblent toutes. Il s’agit à chaque fois des mêmes enjeux, des mêmes problèmes et des mêmes solutions hasardeuses. Ce texte s’inscrit donc dans la continuité de tout ce qui a été fait depuis les débuts de la décentralisation.

Il ne s’agit pas ici d’une solution durable, celle dont nous avons besoin, mais d’une énième tentative de concilier décentralisation, démocratisation et économies.

Force est de constater que ce projet de loi ne remplit aucun de ces trois objectifs.

Le texte dont nous discutons aujourd’hui trois grands défauts.

D’abord, il contribue à l’augmentation exponentielle de lois, de règlements, de textes qui étouffent notre pays. « Nul n’est censé ignorer la loi », et pourtant, qui peut, aujourd’hui, prétendre la connaître ?

Ensuite, il constitue un coût de fonctionnement supplémentaire qui devra être encore supporté par les Français qui paient déjà énormément pour des institutions défaillantes.

Enfin, il favorise les conflits et l’irresponsabilité des collectivités en étendant la clause de compétence générale qui est déjà la source d’un incroyable gâchis.

Mes chers collègues, notre pays souffre d’un mal centenaire : l’inflation normative. À chaque décision que nous prenons, les textes deviennent plus inutiles, plus denses, plus détaillés, plus contraignants.

Ce projet de loi ne se contente pas de modifier la loi existante, mais elle crée encore plus de détails et de normes. Il suffit, pour s’en rendre compte, de regarder la liste, très détaillée, des compétences accordées à la métropole.

Nous produisons trop de lois. Une véritable montagne de textes est élaborée chaque année, sans que jamais soient annulés les textes précédents. Peut-on imaginer que ce mode de fonctionnement, qui consiste à légiférer sans cesse dans les domaines les plus variés, puisse encore perdurer longtemps ?

Les collectivités vivent à un rythme lent, surtout les plus petites ; elles mettent du temps à s’adapter aux différentes mesures et à déterminer le personnel dont elles ont besoin pour leurs différentes tâches. En compliquant sans cesse les règles du jeu, on gêne leur bon fonctionnement.

Alors, lorsque nous faisons encore plus de lois, imposant ainsi encore plus de contraintes à nos collectivités, posons-nous la question : arrivent-elles seulement à suivre le rythme ? Même les préfectures sont submergées, elles qui reçoivent en moyenne plus de 8 000 pages de réglementations nouvelles par an !

Vient ensuite la question du financement de ces mesures. En créant de nouvelles dispositions, de nouvelles structures, de nouveaux échelons, vous créez de nouvelles sources de dépenses. Certes, il y aura des dotations de l’État, mais cela ne suffira jamais à financer complètement les nouvelles structures. Ce sont les contribuables qui devront encore et toujours financer vos rêves.

Les impôts locaux sont déjà extrêmement élevés. Les dotations de l’État aux collectivités diminuent, alors que l’endettement des collectivités locales explose. Sur ce dernier point, il convient de saluer les semblants d’efforts effectués dans le sens du contrôle des emprunts des collectivités territoriales. Il n’empêche qu’interdire aux élus de contracter un prêt pour leur collectivité deux semaines avant le début du scrutin n’apportera rien.

Ne soyons pas dupes : chaque nouvel organisme créé est un nouveau poste de dépense. À chaque fois que vous financez des conseils, des commissions, des fonctionnaires, vous créez des coûts pour les collectivités. Chaque nouvelle mesure qui n’en élimine pas une ou deux autres est un coût qui finit par devenir toujours plus insupportable pour le contribuable.

Combien de temps faudra-t-il attendre avant de rationaliser enfin notre système de fonctionnement, qui allie inefficacité et gaspillage ? Le millefeuille territorial ne cesse de croître. Toujours plus dense, il compte toujours plus d’échelons. En effet, la métropole est bien un échelon supplémentaire. Elle ne remplacera pas la commune ni le département mais les affaiblira en grignotant leurs compétences respectives. Les Français sont perdus dans un tel méandre d’organisations. Qui décide quoi ? Les Français ne le savent pas.

La cohérence du territoire ne peut être réalisée que dans la clarté et la simplicité et suppose une véritable cohérence de nos institutions. La simplification des échelons est une ardente obligation. S’il faut certes adapter les collectivités locales aux nécessités actuelles, il faut aussi supprimer corollairement les anciens échelons. Si nous voulons un territoire plus efficace, plus rentable, plus cohérent et plus pratique, il faut d’abord réfléchir au fonctionnement des collectivités qui gèrent les territoires avant d’envisager une nouvelle forme d’organisation du territoire. C’est un travail long, qui nécessitera des choix cohérents, mais c’est la seule voie qui s’offre à nous si nous voulons que les Français reprennent confiance dans leurs institutions et leurs représentants. J’invite ceux qui pensent qu’une telle démarche est impossible à venir voir ce qui se fait dans certaines communes bien gérées. On y constate la disparition de l’endettement, la baisse constante des impôts, un autofinancement important et une réduction du nombre d’employés municipaux allant de pair avec une plus grande efficacité des services. De telles communes sont en France et ce qui s’y fait pourrait donc être fait partout.

Il est encore plus tragique que le projet de loi propose d’étendre à tous la clause de compétence générale alors qu’il faudrait au contraire l’interdire. En effet, une telle mesure ne peut conduire qu’au saupoudrage financier, à l’endettement des collectivités et à l’aggravation de leur irresponsabilité. Dans le cadre du jeu concurrentiel entre collectivités, il est naturel que chacune tente d’affirmer son autorité sur le territoire en agissant sur tous les fronts. J’ai d’ailleurs déposé une proposition de loi visant à mettre fin à la multiplicité des compétences des collectivités territoriales et vous invite, mesdames les ministres, à l’étudier avec soin. Vous y trouverez des idées pour tenter de mettre fin à la gabegie actuelle qui nous mène droit dans le précipice budgétaire.

Dans le cadre des métropoles, le danger est encore plus flagrant. Ces nouvelles entités, qui ont vocation à prendre en charge les compétences du département et certaines compétences de la région, vont par définition affaiblir et l’une et l’autre. Or, ces collectivités ne cesseront pas pour autant d’exister et continueront à agir sur le même espace. Ainsi, le département du Rhône continuera de mener des politiques s’appliquant à l’ensemble du département, y compris la métropole lyonnaise, même indirectement et même si celle-ci dispose pour son territoire de la compétence concernée.

En outre, chacune des trois métropoles que nous étudions a ses propres particularités de fonctionnement. Je ne prétends pas nier les particularités locales, mais la loi au cas par cas ne peut raisonnablement constituer un moyen efficace de gouvernement. La loi doit par essence avoir une portée générale. Nous voici donc face à un texte compliqué dans lequel chaque métropole a ses propres règles et ses propres conditions d’existence. Cela présage de son inanité.

Le texte comporte une autre création, les pôles ruraux, qui sont la neuvième, dixième ou onzième strate, on ne sait même plus ! Ils visent à créer une nouvelle forme d’organisation des territoires ruraux. Nous parlons ici de territoires extrêmement vastes puisqu’il s’agit de réunir des EPCI dans une association de communes rurales. Mais quelle taille auront les pôles ? Au moins une bonne partie du département. Ainsi, au lieu d’aménager le territoire à l’échelle du département, on agit sur des parcelles à peine plus petites. Cela n’est pas sans rappeler les contrats de pays, qui existent toujours et visaient à rassembler les communautés de communes autour de certains projets communs. Ces structures se sont dotées en personnel, ce qui a créé des coûts car elles ne mettent pas fin à l’échelon intercommunal. Au mieux, les pôles ruraux ne feront que se superposer aux structures existantes, au pire ils généreront des conflits de compétences et une inefficacité générale.

Ce dont la France a besoin, c’est un véritable plan de rationalisation des collectivités, des économies budgétaires et la disparition du millefeuille territorial. Tout le monde le dit, personne ne le fait, hélas ! La France a besoin que chaque citoyen soit à même d’identifier qui fait quoi sur son territoire. Après tout, pour qu’une entreprise puisse fonctionner, il faut définir précisément les tâches de chaque service afin d’éviter les doublons. Or nous faisons exactement l’inverse aujourd’hui avec les collectivités locales. Voulons-nous détruire notre pays à toujours faire l’inverse de ce que le bon sens imposerait ?

Voilà à quoi mène une décentralisation désordonnée : des collectivités aux ressources réduites mais aux compétences larges et aux coûts de fonctionnement énormes. Nous sommes en train d’organiser l’inefficacité et la faiblesse des collectivités locales, qui seront bientôt incapables de mener à bien leur mission. La création des métropoles n’est pas la solution aux problèmes de la France. Nous avons besoin d’économies et de simplification, le projet de loi ne propose que dépenses et enchevêtrement de compétences. Il faut en finir avec la logique de multiplication des coûts et des échelons territoriaux ainsi qu’avec l’inflation normative.

(M. Christophe Sirugue remplace M. Denis Baupin au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Christophe Sirugue
vice-président

M. le président. La parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les parlementaires du front de gauche ont déjà eu l’occasion d’exprimer leur opposition à la conception libérale de la métropole défendue dans le texte, qui se résume à masquer un nouveau désengagement de l’État. Je reviendrai pour ma part sur le coup de force institutionnel que constitue le projet de métropole du Grand Paris.

Sur la forme, je dis à nouveau ma stupéfaction face au mépris affiché envers le Parlement à l’occasion de la discussion du projet de loi.

Sur le fond, nous assistons à la suppression des intercommunalités, la marginalisation du rôle des maires et la disparition programmée des départements de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et des Hauts-de-Seine. En trois jours de débat au temps limité, en plein cœur de l’été, vous entendez infliger à l’Île-de-France, mesdames les ministres, un big-bang institutionnel qui sapera la démocratie locale et affaiblira très sensiblement le pluralisme dans la région capitale !

Comme je l’ai affirmé lors des questions au Gouvernement, un tel chamboulement ne peut se faire sans les citoyens. La métropole doit faire l’objet d’un référendum, comme le prévoit l’article 72-1 de la Constitution en cas de création d’une collectivité.

M. Patrick Mennucci. Ce ne sont pas des collectivités !

M. François Asensi. Je n’ai pas eu de réponse à ma question au Gouvernement. Un tel silence est assourdissant. Notre demande correspond pourtant exactement à l’esprit de notre Constitution sur ce point. Il n’est pas possible d’y correspondre davantage ! Refuser un référendum serait une décision lourde de conséquence et nous souhaitons une réponse précise du Gouvernement.

La métropole parisienne devrait être avant tout un outil pour s’attaquer enfin à la spécialisation des territoires, pourtant absente de votre projet de loi, mesdames les ministres. Oui, l’Île-de-France a besoin de changements radicaux, car ses habitants n’en peuvent plus des inégalités criantes au cœur d’une des régions les plus riches au monde ! La « mal vie » des Franciliens ne cesse de s’accentuer, en raison de la crise du capitalisme financier mais aussi des politiques d’austérité et d’impasses propres à l’Île-de-France. Je pense à la pénurie de logement, dramatique pour tant de familles, à la hausse des temps de transport et aux conditions de voyage catastrophiques dans les RER de la région parisienne, en particulier le RER B, et à la crise urbaine, si forte dans les quartiers construits autoritairement par l’État dans les années 1960. Les inégalités et la « mal vie » sont de véritables cancers qui rongent la métropole parisienne et entravent son développement social et économique. Elles résultent de plus de quarante ans de développement ultralibéral encouragé par le désengagement de l’État.

Au siècle dernier, le développement insoutenable des activités productives a pris pour terrain de jeu nos banlieues. Les nuisances ont été rejetées par la capitale dans sa périphérie. On a alors assisté à la hausse du foncier, à une politique d’étalement urbain anarchique et à la constitution de véritables ghettos sociaux. Les classes laborieuses, jugées dangereuses, ont été expulsées du centre de l’agglomération et privées du droit à la ville. L’État a accompagné et encouragé une telle spécialisation des territoires. Les hauts fonctionnaires se sont complus dans l’illusion que le développement de pôles de richesses générerait des retombées bénéfiques pour l’ensemble du territoire. La réalité est tout autre. Opulence et pauvreté se répartissent de part et d’autre d’une fracture territoriale est-ouest. Comment accepter que le PIB par habitant soit trois fois moindre en Seine-Saint-Denis que dans les Hauts-de-Seine ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique. Voilà le problème !

M. François Asensi. Comment accepter qu’il y ait six fois moins de librairies qu’à Paris ? Six fois moins de magistrats ? Quatre fois moins de médecins spécialistes ? Comment accepter que la taxe foncière des habitants de Sevran soit dix fois plus élevée que celle de Neuilly-sur-Seine, monsieur Fromantin, et leur taxe d’habitation cinq fois supérieure à celle de Courbevoie ?

M. Jean-Christophe Fromantin. Ce n’est pas le sujet !

M. François Asensi. Un projet de loi ambitieux et progressiste devrait s’attaquer aux discriminations territoriales et promouvoir une métropole égale pour tous les habitants d’Île-de-France. Votre projet de métropole, mesdames les ministres, ne changera en rien cela ! Je crains au contraire que le projet métropolitain du Gouvernement n’accentue encore les inégalités territoriales, pour trois séries de raisons.

En premier lieu, votre projet de loi remet profondément en cause les acquis de la décentralisation et les dynamiques nées sur les territoires. Après des décennies d’aménagement autoritaire de l’Île-de-France, les maires ont acquis après 1982, grâce aux lois Defferre et au gouvernement d’union de la gauche de l’époque, des compétences fortes pour bâtir les villes avec les habitants. Affranchies de la tutelle de l’État, les énergies se sont libérées dans beaucoup de villes populaires et les élus se sont battus pour engager des dynamiques de territoires. Autour de Plaine commune, à Saint-Denis, La Défense, Nanterre, Ivry ou encore autour de l’aéroport Charles-de-Gaulle, des pôles d’excellence se sont affirmés. Je note tout de même que les villes de sensibilité communiste ont joué un rôle décisif par leur impulsion, leur dynamisme économique et leur développement social et culturel. La conception hyperconcentrée de l’aménagement, à l’origine des catastrophes urbanistiques que l’on connaît, avait vécu. C’est pourtant cette conception politique et administrative d’un autre siècle que vous voulez ressusciter, mesdames les ministres.

En effet, la superstructure technocratique de la métropole du Grand Paris confisquerait les pouvoirs des communes. Le conseil de la métropole, essentiellement contrôlé par les élus de Paris, disposerait de pouvoirs exorbitants en matière d’aménagement et de maîtrise du foncier. En clair, la métropole pourrait décider d’en haut, sur un coin de table, la construction de milliers de logements dans une commune. Dans une telle métropole qui ne serait en rien durable, l’étalement urbain s’accélérerait et les sanctions contre les ghettos de riches refusant de construire des logements sociaux resteraient toujours aussi faibles.

Quant à l’absorption des EPCI, les contrats de développement territorial promus par l’État ne sont pas encore bouclés et l’ubuesque logique métropolitaine supprimerait les structures intercommunales qui les portent ! Faudra-t-il abandonner les projets imaginés dans ce cadre avec les populations et repartir de zéro ? Quel gâchis des efforts considérables qui ont été déployés pour vaincre les égoïsmes locaux et enclencher des projets de territoire !

Ma seconde série de critiques porte sur l’absence de mécanisme de solidarité financière dans le projet de métropole, alors qu’il s’agit du problème principal de l’Île-de-France. Rien ou presque n’est dit de l’engagement financier de l’État et de l’indispensable péréquation. En réalité, la réforme répond à un seul objectif, dicté par la Commission européenne, la baisse des dépenses publiques.

M. Jean-Marie Le Guen. Ah, la Commission européenne !

M. François Asensi. Comme l’a réclamé récemment le président Barroso, il s’agit de supprimer les communes et les départements au profit d’une Europe des régions et des métropoles pratiquant en son sein une concurrence effrénée des territoires.

La création de la métropole du Grand Paris serait donc l’occasion d’une nouvelle baisse des dotations qui aggraverait les inégalités territoriales. Mais comment imaginer une métropole solidaire dans un contexte d’austérité ? Nous avons une autre inquiétude : la dotation de compensation prévue pour le transfert des compétences de l’État en matière de logement et d’hébergement connaîtra-t-elle le même sort que les transferts non compensés vers les départements ? Je rappelle que l’État doit 1,9 milliard d’euros à la Seine-Saint-Denis depuis 2004.

Par ailleurs, l’EPCI métropole du Grand Paris deviendrait un mastodonte financier en captant l’ensemble de la fiscalité économique. Les villes resteraient sans ressources, hormis les dotations. Comment ne pas y voir une attaque en règle contre l’autonomie des communes ? D’autant qu’aucun mécanisme de juste répartition des crédits sur l’ensemble des territoires de la métropole n’est explicitement prévu. Le seul mécanisme de péréquation prévu consiste en un fonds interdépartemental dont le volume – 50 millions d’euros – est dérisoire.

Le Gouvernement refuse de remettre en cause les positions de rente de certains territoires. Oubliée, la réforme de la fiscalité locale, si nécessaire pour mettre fin aux paradis fiscaux de l’ouest parisien. Pourtant, si l’on instaurait un taux plancher sur les taxes locales de ces villes, plus de 100 millions d’euros de recettes nouvelles seraient dégagés – deux fois plus que votre fonds de péréquation.

Enfin, je voudrais insister sur le grave déni démocratique de ce projet de loi. Vous mettez à terre toute l’organisation administrative indissociable de l’héritage démocratique de la Révolution française, au profit d’un ovni institutionnel qui ne sera ni efficace, ni solidaire. La métropole du Grand Paris sera à la région francilienne ce qu’est la Commission européenne au vieux continent : une instance technocratique décidant de l’avenir par-dessus leurs représentants politiques – et sans eux. (Rires et exclamations sur quelques bancs du groupe SRC.)

Les conseils de territoire appliqueront le budget de la métropole et se borneront à émettre des avis. Les communes, anémiées et sans pouvoir, deviendront des sous-arrondissements de la capitale. Les maires, pourtant élus au suffrage universel direct par les citoyens, n’auront plus de prise sur les décisions. Ils se borneront à réceptionner la plainte sociale et à se faire les agents de l’austérité. Une fois l’an – je dis bien une fois l’an ! –, ils seront conviés à une assemblée générale des maires de la métropole pour débattre – simplement débattre – des problèmes d’intérêt général. Cela confine à l’absurdité. Le Gouvernement propose de réunir les 123 maires de la petite couronne une fois par an, pour discuter des actions de la métropole et, pourquoi pas, de la vie quotidienne des habitants – encore faudra-t-il que le président de la métropole veuille bien nous convoquer. C’est tous les jours que les maires sont confrontés à la vie quotidienne des habitants, et le monstre de la métropole ne pourra pas remplacer cette proximité !

Les vraies décisions seront prises par une poignée de personnes désignées en dehors du regard de la population : la bureaucratie aura triomphé du politique. Il n’y a là nulle modernité, mais un retour en arrière vers l’autoritarisme haussmannien qui prévalait sous Napoléon III ! D’ailleurs, l’ensemble des modalités de mise en place de la métropole parisienne, éminemment sensibles, est renvoyé à des ordonnances et des décrets. Comment aller plus loin dans le dessaisissement démocratique ?

J’ajoute que le calendrier mis en place est proprement ahurissant et témoigne d’une précipitation qui n’est pas sans arrière-pensées politiciennes. Dans cette recentralisation autoritaire, les pouvoirs seront concentrés entre les mains du président de la métropole et, disons-le clairement, entre les mains d’un parti. Le pluralisme politique sera rayé de la carte, avec une privatisation des nouvelles institutions au bénéfice du parti majoritaire du moment – le vôtre aujourd’hui, mesdames les ministres, mais cela changera à la prochaine alternance.

Les élus communistes et républicains et les élus du front de gauche refusent que Paris absorbe sa périphérie comme au siècle dernier, avec la relégation des communes à de simples mairies d’arrondissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Mennucci.

M. Patrick Mennucci. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues…

M. Jean-Frédéric Poisson. Jusque-là, ça va ! (Sourires.)

M. Patrick Mennucci. …enfin, avec quarante-six ans de retard, le territoire de Marseille va s’organiser. Que de temps perdu depuis qu’Olivier Guichard nous l’a proposé, en 1966 ! Durant cette période, combien de milliards ont fait défaut aux investissements de notre territoire – environ dix milliards en euros constants ! (« Où sont-ils passés ? Rendez les milliards ! » et rires sur les bancs du groupe UMP.) Si notre territoire se trouve dans la situation que chacun connaît, c’est en grande partie parce que nous n’avons pas bénéficié des transferts financiers de l’État et parce que nous n’avons jamais eu de gouvernance collective.

M. Jean-Frédéric Poisson. Mais c’est qu’il nous ferait pleurer !

M. Patrick Mennucci. Merci, madame la ministre Marylise Lebranchu, pour votre obstination, pour votre travail et votre patience. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC – Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Votre nom, madame, sera lié à jamais à ce nouvel espoir pour notre territoire (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP), à ce sursaut dont vous donnez ce soir le signal, devant la représentation nationale.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est beau !

M. Patrick Mennucci. Merci, madame la ministre, de faire pour nous ce que nul n’a jamais fait (Mêmes mouvements), en donnant un cadre institutionnel à notre essor.

Songez qu’aujourd’hui encore, alors que le chômage atteint 14 % sur notre territoire, les six bassins d’emploi de la future métropole d’Aix-Marseille ne sont même pas reliés les uns aux autres par les transports en commun. Songez que notre territoire, qui compte 122 000 emplois privés de moins que la communauté lyonnaise, ne dispose d’aucune structure de promotion territoriale et d’intelligence économique. Pire, les six EPCI se concurrencent inutilement.

M. Guy Teissier. Ce n’est pas faux !

M. Patrick Mennucci. Quelle logique y a-t-il à ce que la plus grande zone commerciale d’Europe, celle de Plan de Campagne, dont 80 % des clients sont marseillais, paye ses taxes à Aix-en-Provence ? Quelle faille juridique a permis à Marseille d’imposer son incinérateur à Fos-sur-Mer, en abandonnant au passage 10 millions d’euros de taxe professionnelle par an ?

M. Jean-Frédéric Poisson. La faute à qui ?

M. Patrick Mennucci. Par quelle absurdité, en ce moment même, deux projets d’Arena sont-ils à l’étude, l’un à Marseille, l’autre à Aix-en-Provence ?

Alors oui, avec retard, certes – nous en sommes conscients –, mais avec détermination, nous allons entrer dans la modernité, et nous avons bien l’intention de rattraper notre retard. Face au clientélisme, face aux passe-droits, au laisser-aller généralisé, à la crise économique et morale qui nous frappe, nous posons les bases d’un nouveau cap. Le cap de la réduction des inégalités, le cap du « vivre ensemble », le cap de la solidarité et surtout le cap du développement économique.

Sans la métropole, point de transports en commun, point d’implantations d’entreprises, point d’emplois. Sans la métropole, pas d’investissements suffisants dans les eaux usées, ce qui laisse craindre un désastre écologique dans les cinq ans à venir, qui nous contraindrait à interdire les baignades sur nos côtes. Sans le PLU métropolisé, les ghettos perdureront à Marseille, pendant que d’autres communes continueront à réfléchir aux meilleurs moyens de se barricader, plutôt que de faire preuve de solidarité.

Sans la métropole et sans les outils qu’elle va nous fournir, la ville de Marseille peut s’écrouler. La loi des dealers peut s’imposer et la violence s’accentuer – et alors, oui, le recours à l’armée dans les cités sera notre seule perspective. Qui peut croire qu’un déficit de 100 000 emplois n’a aucune influence sur la situation de la délinquance ? Qui pense pouvoir ériger des barrières pour repousser vers Marseille la violence et la pauvreté, et se préserver de ces maux ? Aucune personne de bonne foi ne peut croire cela.

Aux maires de notre territoire, aux très nombreux vice-présidents des EPCI qui, depuis des mois, s’opposent à la métropole Aix-Marseille, je répète que notre vie, notre histoire et notre avenir sont indissociables. Nous, les Marseillais, nous vous aimons, et c’est ensemble que nous serons forts ! Je suis marseillais et j’aime profondément ma ville, mais je suis aussi de ce territoire provençal. J’ai fait mes études à Aix-en-Provence…

M. Razzy Hammadi. Très bien !

M. Patrick Mennucci. …je suis supporteur du club de rugby de cette ville – le PARC –, j’aime Aubagne et son marché provençal…

M. Guy Teissier. Les santons !

M. Patrick Mennucci. …j’aime ce qui fait l’âme de Pagnol, j’aime Martigues et j’apprécie la gestion de votre mairie, cher Gaby Charroux, qui répond aux exigences de populations aussi pauvres que celles que l’on trouve à Marseille.

M. Michel Vauzelle. Et Arles, alors ?

M. Patrick Mennucci. Désolé, cher Michel, mais votre ville ne fait pas partie de la métropole – il faudrait déposer un amendement (Sourires.)

Que nous soyons de Marseille, d’Istres, de Salon-de-Provence, de Berre, d’Aix-en-Provence ou de Martigues, nous sommes tous de cette terre, de ce territoire que vous dessinez ce soir, madame, un territoire qui a tant besoin de se solidariser pour recevoir la solidarité de la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Accoyer.

M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, engagée il y a trente ans avec les lois Defferre, la décentralisation était initialement présentée comme un véritable progrès, une promesse de simplification et d’efficacité pour la décision publique. Elle devait permettre d’alléger le fonctionnement d’un État appelé à se concentrer sur ses missions régaliennes. Elle devait permettre de bâtir une administration de proximité, au plus près des besoins des citoyens et des territoires.

Depuis trente ans, au gré des alternances, droite et gauche n’ont d’ailleurs eu de cesse que de renforcer ce processus de décentralisation, aussi bien avec la loi Chevènement en 1999 qu’avec les textes portés par Jean-Pierre Raffarin en 2003 et en 2004.

Avons-nous choisi le bon chemin pour réformer l’État ? Trente ans après les lois Defferre, le bilan que nous pouvons tirer est malheureusement décevant sur nombre de points. La décentralisation a globalement compliqué la vie des territoires, des collectivités et des citoyens. Les niveaux d’administration publique sont toujours plus nombreux, ne cessant d’alourdir le millefeuille territorial.

Avec 36 700 communes, 2 581 établissements publics de coopération intercommunale, 101 départements et 26 régions, avec, demain, les métropoles qui vont rajouter une strate supplémentaire, la France est un pays suradministré, empilant sans cesse davantage de structures administratives. Avec près de 40 000 collectivités locales, à lui seul, notre pays abrite 40 % du nombre total des collectivités locales des 28 pays membres de l’Union européenne. De leur côté, les effectifs des fonctions publiques ne cessent de croître. Ainsi, 600 000 fonctionnaires supplémentaires ont été recrutés en trente ans par les collectivités locales – soit une augmentation de 60 % –, ce qui porte à 1,6 million le nombre de fonctionnaires territoriaux.

Pourtant et paradoxalement, comme l’a relevé la Cour des comptes dans son rapport de 2009 sur le bilan de la décentralisation, les plus fortes augmentations d’effectifs n’ont pas été le fait des collectivités concernées par des transferts significatifs de compétences. Dans le même temps, l’État lui-même n’a pas réduit ses effectifs comme nous pouvions l’espérer. Au contraire, ce sont 400 000 fonctionnaires d’État supplémentaires qui ont été recrutés depuis 1982. Ainsi, un million de fonctionnaires supplémentaires ont été recrutés en France en trente ans.

Devant ce constat coûteux et angoissant pour les finances, 180 000 postes de fonctionnaires d’État partant à la retraite n’ont pas été remplacés entre 2003 et 2012. Cette politique courageuse a permis d’affecter deux milliards d’euros des économies générées à des mesures de revalorisation du traitement des agents de l’État.

À l’instar des collectivités locales dirigées par des élus proches de la majorité nationale, en particulier les régions, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a choisi de relancer massivement le recrutement de fonctionnaires d’État, en particulier dans l’éducation nationale, quitte à accroître encore les déficits et la dette publique.

Je livre à votre réflexion un petit calcul, madame la ministre. Un fonctionnaire d’État embauché à 25 ans dispose d’une espérance de vie d’environ 60 ans – pour le moment, car elle augmente sans cesse, ce qui est une bonne chose – et coûte 30 000 euros par an en moyenne – jusqu’à la fin de ses jours, puisqu’en l’absence de caisse de retraite des agents de l’État, les retraites de ces agents restent à la charge de l’État. Le coût de 60 000 agents supplémentaires à 30 000 euros par an pendant 60 ans représente une charge de près de 110 milliards d’euros – une traite de 110 milliards d’euros que le Gouvernement est en train de tirer sur la jeunesse de France.

Pendant ce temps, les normes, les lois et les règlements continuent à s’empiler. Alors que le recueil des lois publiées dans l’année comptait 620 pages en 1970, il en compte 1 900 aujourd’hui, ce qui représente une augmentation de 300 %. Chaque préfet de la République reçoit dans nos départements 80 000 pages de circulaires par an. Le rapport pour 2011 de la Commission consultative d’évolution des normes a évalué, au titre de cette même année, le coût pour les collectivités locales des normes créées à 728 millions d’euros.

Citoyens et entreprises continuent à être confrontés en permanence à un maquis inextricable de réglementations, de procédures et d’interlocuteurs différents, ce qui est source de redondances, de conflits de pouvoirs, de gaspillages de temps et d’argent.

Voilà ce qui écrase les entreprises, les collectivités et les citoyens.

Pendant ce temps, la dépense publique locale a mécaniquement augmenté dans des proportions importantes : elle atteint aujourd’hui quelque 230 milliards d’euros, soit 11 % du PIB, contre 8 % il y a trente ans. Pourtant, la Cour des comptes, dans son rapport de 2009 sur la décentralisation, estimait qu’un peu moins de la moitié de cette progression résultait réellement des transferts opérés par les lois de décentralisation.

Face à ce constat, pour répondre à cet état de fait, que propose le texte dont nous discutons ?

Malheureusement, ce projet de loi ne défend aucune vision claire. Il ne propose aucune véritable réforme de structure ambitieuse ni aucune simplification qui permettrait de répondre aux mutations actuelles de l’économie et de la société. Nous sommes bien loin du prétendu « acte III de la décentralisation » promis par le candidat François Hollande au cours de sa campagne. La plupart des associations d’élus locaux et des syndicats d’agents de la fonction publique territoriale ont d’ailleurs demandé – vous ont demandé, madame la ministre – de « revoir votre copie ».

En réalité, ce texte n’ouvre aucune perspective, ne clarifie pas les compétences, n’apporte aucune simplification au bénéfice des citoyens, des entreprises ni des acteurs socio-économiques des territoires.

En vérité, le Gouvernement a bricolé un texte si confus, à ce point indigeste, que les sénateurs de la majorité, après l’avoir forcé à découper le texte en tranches, ont profondément réécrit celui-ci en commission et en séance.

Encore une fois, le Gouvernement n’a pour seule ligne directrice, pour unique préoccupation que de détricoter méthodiquement…

M. Jean-Frédéric Poisson. Méthodiquement, c’est beaucoup dire !

M. Bernard Accoyer. …les réformes de structure conduites sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Après avoir abrogé la réforme du conseiller territorial – qui aurait pourtant permis de réduire de 3 000 le nombre d’élus locaux, ce qui, avec les services afférents, aurait entraîné une économie de plus de 200 millions d’euros par an –, le Gouvernement entend remettre en cause un autre apport essentiel de la réforme territoriale de 2010, lui aussi porteur de simplification et d’économies : la suppression de la clause générale de compétence pour les régions et les départements.

Établir un partage clair des compétences, en attribuer certaines à un seul niveau de collectivité, comme le prévoyait la réforme de 2010, constituait pourtant une idée de bon sens permettant d’accroître la lisibilité des compétences comme des financements.

Par dogmatisme, en rétablissant la clause générale de compétence pour les régions et les départements, le projet du Gouvernement choisit, au contraire, de renouer avec les doublons administratifs, l’enchevêtrement des compétences et la confusion des politiques locales.

Parallèlement, le système du chef de filat proposé par le Gouvernement pour certaines compétences suscite plusieurs interrogations que vous aurez à clarifier : qu’est-ce qu’un chef de file et quel rôle va-t-il jouer concrètement ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Bonnes questions !

M. Bernard Accoyer. Encore une fois, il est difficile d’y voir clair en l’absence de répartition précise des compétences.

Le dispositif de la conférence territoriale d’action publique et les procédures contraignantes y afférentes ne manquent pas non plus de susciter des interrogations sur les intentions du Gouvernement.

François Hollande a dit qu’il voulait « créer un choc de simplification ». Or le président de l’Association des régions de France, notre collègue Alain Rousset, qui ne siège pourtant pas sur les bancs de l’opposition…

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Ça ne saurait tarder !

M. Bernard Accoyer. …a affirmé : « Avec ce texte, on a un choc de complexité et de bureaucratie. »

En vérité, loin de simplifier le millefeuille territorial, ce projet de loi va multiplier les instances, commissions et autres comités Théodule, jusqu’à créer une strate administrative nouvelle, celle des métropoles, pour laquelle nous ne disposons malheureusement, en particulier pour la future métropole lyonnaise, d’aucune véritable étude d’impact relative aux conséquences financières de la réforme proposée. Il s’agit pourtant, madame la ministre, d’une exigence constitutionnelle.

À l’inverse, ce projet de loi ne prend pas assez en compte la situation des territoires spécifiques – je pense en particulier aux territoires de montagne. Avec plusieurs collègues de Haute-Savoie et de Savoie, nous vous proposerons d’ailleurs plusieurs amendements pour attirer votre attention sur les dangers recelés par ce texte.

Madame la ministre, mes chers collègues, ce texte constitue un nouveau rendez-vous manqué pour la réforme de l’État et de l’action publique, qui devrait pourtant être une véritable priorité pour notre pays.

De nombreuses propositions mériteraient d’être débattues.

En premier lieu, fusionner les collectivités lorsque c’est possible et, pour nombre de communes et de départements, n’en garder que la dimension identitaire à laquelle nos compatriotes sont attachés.

En deuxième lieu, confier aux EPCI et à des régions suffisamment grandes les projets et le pouvoir de gestion et d’investissement, avec des antennes départementales pour garantir la proximité.

Enfin, clarifier et distinguer les compétences locales, l’État, garant de la cohésion nationale, conservant un pouvoir de contrôle, de planification des politiques publiques, d’aménagement du territoire et de solidarité nationale.

Autant d’enjeux qui pourraient constituer les principaux axes de la grande réforme territoriale que nos compatriotes appellent encore de leurs vœux.

Car, en vérité, depuis un an, en matière d’action territoriale, le Gouvernement s’est, avant toute chose, consacré à manipuler les modes de scrutin locaux. Élections régionales, cantonales, municipales : aucun mode de scrutin local n’a échappé à votre frénésie de manœuvres politiciennes. Il n’est pas jusqu’au mode de scrutin sénatorial que vous n’êtes en train de modifier pour chercher à conserver à tout force la majorité au Sénat.

Oui, notre pays a besoin d’une véritable réforme territoriale pour clarifier, simplifier, renforcer l’efficacité de la puissance publique et améliorer la qualité du service public : une réforme, hélas ! bien éloignée de l’ersatz que nous propose aujourd’hui le Gouvernement.

On ne peut malheureusement que s’opposer à ce texte qui constitue à l’évidence, une fois encore, une occasion manquée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux.

M. Gaby Charroux. Monsieur président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, chers collègues, j’ai eu droit il y a un instant à une déclaration d’amour,…

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Gaby Charroux. …mais aux déclarations, je préfère les preuves d’amour. Plus sérieusement, je vais vous livrer un autre aperçu, une autre perception de la situation dans le département des Bouches-du-Rhône.

Selon l’idée que je m’en fais, l’honneur du débat parlementaire réside dans l’expression respectueuse d’avis différents. C’est ce à quoi je vais m’employer.

La coopération intercommunale « se fonde sur la libre volonté des communes d’élaborer des projets communs de développement au sein de périmètres de solidarité » : telle est la définition figurant à l’article L. 5210-1 du code général des collectivités territoriales. Le fondement de la coopération intercommunale réside donc bien dans la libre volonté des communes.

Permettez-moi de dire que le projet de loi que nous examinons est bien éloigné de ce principe. Il faut donc trouver une nouvelle définition de la coopération intercommunale, qui pourrait être la suivante : « La coopération intercommunale, avec la création des métropoles, se fonde sur l’obligation pour les communes d’élaborer des projets définis par une structure centralisée imposée par l’État. »

Telle est, mes chers collègues, la nature du projet de loi que nous allons examiner. Reconnaissez que nous sommes bien loin du concept de décentralisation. J’en veux pour preuve les dispositions du chapitre III du titre II relatives aux dispositions spécifiques à la métropole Aix-Marseille-Provence.

Les sénateurs, représentants élus des collectivités territoriales, ont pris une lourde responsabilité en émettant un vote favorable alors que sept sénateurs des Bouches-du-Rhône sur huit, 109 maires sur 119, représentant un million d’habitants, cinq présidents d’EPCI sur les six concernés et dix maires sur les dix-huit qui forment l’actuelle communauté urbaine de Marseille sont opposés à la création de cette structure centralisatrice. Je crains que, sous la pression conjuguée du Gouvernement et de M. Jean-Claude Gaudin, ces sénateurs n’aient pas pris réellement la mesure des spécificités de notre département, en décidant de créer une structure qui, dans les faits, ne pourra voir le jour sans le consentement des populations.

Combien de lois, dans l’histoire de notre pays, sont mort-nées faute d’avoir reçu une application concrète ? Dernièrement, la loi du 16 décembre 2010, qui portait sur le même sujet, est demeurée, dans notre département comme dans le reste du pays, au fond des tiroirs en raison de l’opposition unanime des élus et des citoyens. Dès 1972, la loi Marcellin, qui prétendait imposer des regroupements de communes, est restée également dans les mémoires comme un échec cuisant du législateur.

On peut se poser légitimement la question : à quoi sert-il, en matière de territoires et de décentralisation, de voter des lois à l’opposé des attentes des habitants et auxquelles les élus chargés de leur mise en œuvre sont opposés ?

Cela est d’autant plus inacceptable que les membres de l’actuel gouvernement ont rejeté comme un seul homme la loi de 2010 instituant les métropoles et s’étaient engagés, si la gauche revenait au pouvoir, à abroger ces dispositions. Aujourd’hui, ce sont des dispositions similaires, mais encore plus contraignantes, qui sont soumises à notre examen.

À quels objectifs cela répond-il ? Celui de la réduction des déficits publics sous l’effet de la contrainte européenne ? De l’affaiblissement des services publics locaux, qui sont souvent le seul recours de nos concitoyens face aux politiques d’austérité qui les frappe de plein fouet ? Mais en quoi est-il plus important de satisfaire les désirs des technocrates de la Commission européenne – je généralise quelque peu – que de répondre aux attentes légitimes des habitants ?

Vous n’allez tout de même pas provoquer une nouvelle « guerre des demoiselles », à l’image de celle engendrée par la décision de Charles X, en 1832, d’ôter aux communes leurs prérogatives domaniales.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Gaby Charroux. Eh oui ! Au XIXe siècle, la recentralisation imposée ne passait pas et l’État avait dû reculer.

M. Marc Dolez. Excellent !

M. Gaby Charroux. Vous nous avez dit, madame la ministre, que le texte adopté au Sénat avait connu des avancées importantes, qui répondaient aux attentes des maires des Bouches-du-Rhône : j’en prends acte pour demander aussitôt : lesquelles ?

Parmi ces avancées, on nous explique que tous les maires seront représentés au sein du conseil de métropole. Mais c’est déjà le cas : la loi du 16 décembre 2010 le prévoit expressément. L’article 30 B constitue une compensation de plus donnée au maire de Marseille, seul sénateur des Bouches-du-Rhône favorable à la métropole. Avec cet article, nous allons avoir, au sein du conseil de métropole, une surreprésentation de la ville de Marseille, qui va disposer de plus de représentants en cette enceinte – plus de 44 % des conseillers, me semble-t-il – qu’elle n’a de conseillers municipaux. Ce conseil va devenir une structure tentaculaire de 238 membres.

D’ailleurs, le sénateur UMP Bruno Gilles a déclaré : « Les neuf amendements que nous avons présentés ont presque tous été votés. Ce n’est pas si mal que cela, on n’aurait peut-être pas obtenu autant avec un gouvernement de droite. »

S’agissant du foncier, vous dites que le plan local d’urbanisme sera élaboré au niveau des conseils de territoire, en étroite collaboration avec les communes. Mais dans la réalité, c’est le conseil de métropole qui le votera et les communes en seront dessaisies, ce qui est inacceptable, d’autant que nul ne sait ce que seront réellement les conseils de territoire, leurs limites et leurs moyens.

S’agissant de l’aménagement et de la construction de logements sociaux, je suis effaré d’entendre que toutes les communes des Bouches-du-Rhône feraient preuve d’égoïsme alors que la plupart d’entre elles dépassent de beaucoup le seuil minimal de logements sociaux fixé par la loi.

Enfin, le Sénat a supprimé la disposition relative aux vingt millions d’euros de bonus en dotation. Quand bien même nous les réintroduirions aujourd’hui, on perçoit à quel point ce choix serait fragile.

Dans tous les cas, au vu des besoins de développement de Marseille et de son aire urbaine, au vu aussi des trois milliards d’euros de dette cumulée de la ville de Marseille et de la communauté urbaine de Marseille, cette somme donne la mesure du désengagement de l’État.

Il reste une métropole coûteuse, inefficace, illisible, sans moyens, à la gouvernance complexe et rejetée par les maires et les citoyens ; vaste programme !

En réalité, comme l’ont dit les collègues qui m’ont précédé à cette tribune, nous avons face à nous un projet de centralisation qui va éloigner les centres de décision des citoyens.

C’était déjà l’esprit de la loi du 16 décembre 2010 que nous avons combattue ensemble. Il faut à présent abroger cette loi et la gauche, à l’origine des lois de décentralisation, doit faire face à ses responsabilités politiques en renforçant le rôle des communes, la démocratie de proximité, les services publics locaux et la coopération intercommunale fondée, comme le prévoit la loi, sur des coopérations utiles, efficaces et volontaires.

Il faut s’attaquer sur le fond au problème de Marseille, dont les populations subissent à la fois les politiques d’austérité qui sont menées dans ce pays depuis trop d’années, la désindustrialisation du port de Marseille, de la vallée de l’Huveaune ou de l’Estaque, cher à mon ami Henri Jibrayel, les mauvais choix urbains et sociaux opérés à la fin des années soixante et le refus de coopération.

Et surtout – surtout –, Marseille a besoin de la solidarité nationale, de l’investissement de l’État, pour connaître l’essor qu’elle mérite. La solidarité départementale est quant à elle déjà acquise grâce aux règles de péréquation horizontale imposées aux EPCI existants.

Arrêtons donc de nourrir les fantasmes utilisés comme arguties depuis des mois. La sécurité, ou plus précisément son absence ? La métropole réglera le problème. L’emploi ? C’est la métropole qui réglera le problème. Le logement ? C’est encore la métropole qui réglera le problème. Les transports ? C’est toujours la métropole qui réglera le problème… J’ai même entendu dire que le chômage à Marseille serait lié à l’absence de métropole. Je pourrais bien le croire si Marseille était la seule ville de France à souffrir du chômage, mais il me semble, hélas, que ce n’est pas tout à fait le cas.

On disait aussi que la métropole permettrait de hisser Marseille au niveau de Gênes et Barcelone ; quelle confusion ! Gênes dispose d’une seule ligne de métro, qui dessert seulement huit stations, tandis qu’à Barcelone, le taux de chômage est supérieur à 25 %. Je ne suis pas certain qu’il soit de l’intérêt des Marseillais de se « hisser » à cette hauteur-là !

Marseille connaît un retard considérable en matière de transports – il a été dénoncé encore récemment par la maire de secteur des quinzième et seizième arrondissements –, mais tandis qu’elle double ses lignes de métro par des lignes de tramway, des quartiers entiers demeurent isolés. À l’échelle départementale, ce n’est pas la métropole qui réglera cette question. Elle ne pourra se régler qu’avec le réseau ferroviaire qui relève de la compétence de la région et qui subit les politiques d’économies drastiques de la SNCF sur le réseau TER.

J’ai bien peur que l’on ne fasse croire aux populations de Marseille et du département des Bouches-du-Rhône qu’il suffit de créer une nouvelle structure pour régler, d’un coup de baguette institutionnelle, les problèmes quotidiens. Ceux-ci relèvent non pas de choix structurels mais de choix politiques ambitieux et résolument ancrés à gauche.

En matière d’emploi, de logement, d’environnement, d’infrastructures, de politique industrielle ou de fiscalité locale, ce sont les choix du Gouvernement qui détermineront l’évolution économique et sociale.

Nous sommes, dans le département des Bouches-du-Rhône, porteurs de propositions – Mme la ministre les connaît bien – que nous défendrons au cours de ce débat malgré le peu de temps qui nous est accordé.

En premier lieu, au vu du chamboulement institutionnel qu’elle provoque et des réticences qui ont été exprimées à son encontre, nous souhaitons que la création de la métropole soit soumise à un référendum.

M. Marc Dolez et M. Patrick Ollier. Très bien !

M. Marc Dolez. La parole au peuple !

M. Alain Chrétien. La voix au peuple !

M. Gaby Charroux. Vous avez déclaré, madame la ministre, que vous aviez élaboré ce projet de loi non pas pour l’union des maires des Bouches-du-Rhône mais pour les populations. Allez au bout de votre démarche et proposez un référendum sur cette question !

M. Patrick Ollier. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Excellent !

M. Gaby Charroux. À tout le moins, acceptez, comme le demande l’Association des maires de France, que la création de la métropole soit soumise aux règles de création des EPCI par le vote des communes qui la composent.

M. Alain Chrétien. Et non pas par décret !

M. Gaby Charroux. Nous portons, avec l’union des maires des Bouches-du-Rhône, un projet alternatif qui permettra, en associant les communes, les EPCI, le département et la région, de développer des coopérations efficaces au travers d’un établissement public opérationnel de coopération à l’échelle du département. Vous connaissez ce projet, madame la ministre, car nous en avons discuté à plusieurs reprises lors de nos rencontres. Sérieux et constructif, il est une vraie réponse, consensuelle et opérationnelle, aux problèmes posés ; débattons-en !

Enfin, et ce n’est pas la moindre de mes inquiétudes, je souhaite que le débat en séance ne fasse l’objet d’aucune obstruction en dehors de celle qui est imposée par la procédure que vous avez retenue.

La commission des lois a envoyé un mauvais signal en rejetant systématiquement tout amendement relatif à l’article 30.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Non, je ne peux pas vous laisser dire cela !

M. Gaby Charroux. La manœuvre est simple : faire adopter conforme l’article issu du Sénat pour clore le débat sur la métropole marseillaise. Ceci n’est pas acceptable. Même des députés de votre camp, favorables à la métropole, ont baissé pavillon en retirant leurs amendements. Il s’agit d’une négation de la démocratie et du rôle de notre assemblée. Toute volonté de passage en force ne ferait qu’accroître des tensions déjà fortes dans le département des Bouches-du-Rhône.

M. Patrick Ollier. Il a raison !

M. Gaby Charroux. J’espère de tout cœur, madame la ministre, monsieur le rapporteur de la commission des lois, qu’un autre état d’esprit présidera à nos travaux. C’est dans ce sens que je m’inscris dans ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

(M. Denis Baupin remplace M. Christophe Sirugue au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Denis Baupin
vice-président

M. le président. La parole est à M. Alain Rousset, pour le groupe SRC.

M. Alain Rousset. Monsieur le président, madame la ministre, madame la ministre déléguée, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, j’ai bien entendu ce qu’ont dit un certain nombre de collègues tout à l’heure.

Tout d’abord, je ne voudrais pas que nous en restions à la période qu’a initiée la remise du rapport de Jean-Jacques de Peretti à Nicolas Sarkozy voilà quelques années, à savoir celle d’une décentralisation qui serait terminée. La décentralisation est un acte d’audace et nous devons la poursuivre.

Je me souviens avoir assisté ici même, du fait des responsabilités que la loi me permet encore d’assumer aujourd’hui, à un débat sur la régionalisation de la BPI au cours duquel un certain nombre de collègues, d’ailleurs issus de tous les bancs, mettaient en cause la compétence et la crédibilité des territoires à gérer des politiques complexes. Or la décentralisation n’est pas achevée. Il faut que nous ayons le courage – la Cour des comptes vient de nous y inciter – de choisir entre déconcentration et décentralisation : c’est l’un ou l’autre. C’est un effort nouveau.

Ma deuxième observation est que, dans un État centralisé, tout se passe comme s’il était besoin de disperser les responsabilités sur le territoire. Or chaque fois que le législateur a attribué une compétence précise aux collectivités – les collèges, les lycées, les TER – elle a été bien assumée parce qu’il y avait un interlocuteur. Le présent projet de loi vise à renforcer la compétence formation et apprentissage des régions ; c’est déjà cela, mais il me semble qu’il faut un certain nombre d’éléments nouveaux.

La décentralisation est la condition de la réforme de l’État. La Suède, dont la dette publique est passée de 65 % du PIB en 2000 à 40 % du PIB en 2010, a ainsi pu diminuer ses déficits publics et constitue évidemment un exemple. Nous devons poursuivre cet effort parce que nos contraintes budgétaires nous y poussent, parce que nous avons besoin d’un État recentré sur ses fonctions de stratège, et parce que, sur des sujets essentiels comme l’emploi et le logement, nos concitoyens demandent à savoir qui fait quoi. Nous ne pouvons plus assumer cette dispersion.

Ce texte renforce-t-il la clarification des compétences ? Aujourd’hui, notre travail doit d’abord permettre de préciser la notion de chef de file. Parce que les compétences à l’échelle locale doivent répondre tant aux problématiques de l’allongement de la durée de la vie qu’à celles du développement économique, il nous faut assumer une forme de spécialisation.

Faut-il disperser les compétences, alors même que les collectivités sont déjà dispersées sur le territoire ? Je ne le pense pas. La compétence de développement économique peut très bien, si l’on considère ce qui se fait dans les domaines de l’immobilier et du foncier, être attribuée aux départements, aux métropoles, aux intercommunalités. En revanche, l’action des aides directes, l’innovation, l’aide à l’exportation doivent être confiées à la région.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Voilà ! Très bien !

M. Alain Rousset. Les régions ne s’opposent pas à l’émergence du fait métropolitain. Toutefois, parce que 60 % du tissu industriel français se situent aujourd’hui en dehors des aires métropolitaines, il y a un risque inutile d’incohérence, de fragmentation de l’action publique et de concurrence entre des territoires de proximité.

Les différentes expériences internationales probantes – la Silicon Valley, le Bade-Wurtemberg en Allemagne, la Lombardie – démontrent que la compétitivité et l’attractivité reposent davantage sur la mise en réseaux de fonctions économiques complémentaires et de districts industriels répartis sur l’ensemble des territoires d’une même région, plutôt que sur la concentration de ces fonctions sur un seul espace qui remettrait en cause les logiques productives à l’œuvre et la solidarité territoriale indispensable à la cohésion de la nation.

M. Jean-Louis Gagnaire. C’est vrai !

M. Alain Rousset. En outre, les régions doivent permettre le rapprochement de deux compétences essentielles au développement industriel : la formation, élément capital aujourd’hui pour apporter sur tous les territoires les emplois dont les entreprises ont besoin, et le développement économique. Séparer ces deux compétences serait une erreur grave.

M. Jean-Louis Gagnaire. Hélas !

M. Alain Rousset. Mes chers collègues, trente ans après les lois Defferre, nous sommes nombreux sur les bancs de cet hémicycle à avoir imaginé, rêvé, voire sublimé ce que pourrait être ou ce que devrait être un nouvel acte de la décentralisation. Nous ne le souhaitions pas pour telle ou telle collectivité, telle ou telle formation politique ; je sais que ce débat transcende les formations politiques car il y a, permettez-moi d’employer ces termes, des Girondins et des Jacobins partout. Nous le souhaitions parce que nous avons l’intime conviction que la simplification, le redressement de notre pays passe par un acte fort de décentralisation, indispensable à la réforme de l’État, car un État centralisé n’est pas vraiment en capacité de se réformer.

Aussi, comme l’a souhaité le Président de la République, je vous appelle, mes chers collègues, à un acte d’audace, à défaut d’un acte de décentralisation, pour enfin moderniser et rendre plus efficace l’action publique, clarifier les compétences, mettre fin aux doublons qui ralentissent l’intervention publique et renchérissent son coût, responsabiliser chaque acteur et permettre à l’État de se recentrer sur ses missions régaliennes et de stratège. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Carrez, pour le groupe UMP.

M. Gilles Carrez. Monsieur le président, madame la ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, conférence territoriale de l’action publique, conseil de territoire, conférence territoriale des maires, conférence métropolitaine, Haut conseil des territoires, pôles ruraux d’aménagements et de coopération… J’arrête là l’énumération, mais elle pourrait facilement être prolongée tant ce texte foisonne de nouvelles structures et fait montre d’une sorte de comitologie réellement décourageante.

Alors qu’il faudrait simplifier, clarifier, responsabiliser, ce texte se caractérise par la complexité, l’opacité et l’irresponsabilité. C’est d’autant plus surprenant, madame la ministre, que nous vous savons, en bonne Finistérienne, très attachée à la simplicité et au bon sens.

Pour ma part, je redoute deux écueils. Le premier écueil est celui de la paralysie de l’action publique locale, laquelle est déjà, nous le savons tous, très handicapée par la lourdeur et la complexité des procédures. Le second écueil est celui de l’aggravation de la dépense publique locale, qui sera inévitablement stimulée par la multiplication des centres de décision, le foisonnement des doublons et la perte générale d’efficacité qui en découlera.

Or, si nous voulons redresser progressivement nos finances publiques, il faut absolument donner aux collectivités territoriales les moyens de mieux maîtriser la dynamique de la dépense locale. Nous en sommes tous conscients : depuis trente ans, la dépense publique locale a fortement progressé. Elle représente aujourd’hui 230 milliards d’euros. Une telle progression, j’en ai la conviction, est devenue insoutenable. La dépense publique locale a en effet augmenté de deux points de PIB en trente ans, un chiffre que l’on obtient en neutralisant les effets de la décentralisation, c’est-à-dire le poids budgétaire des compétences et des personnels transférés. Et au cours des vingt dernières années – entre 1990 et 2009 –, les effectifs des agents publics locaux, toutes catégories confondues, ont progressé de 700 000, soit, en moyenne, hors transferts de personnels, 35 000 par an.

La question se pose donc : comment cette progression très rapide de la dépense locale a-t-elle été possible ? Ce n’est pas l’endettement qui l’a permise, puisque – chose extraordinaire – l’endettement de nos collectivités locales, en pourcentage de la richesse nationale, n’a pas bougé depuis un demi-siècle. Merci, d’ailleurs, au passage, à la règle d’or, qui interdit de financer par l’emprunt autre chose que l’investissement ! Si l’État s’était appliqué cette règle à lui-même, nous n’en serions probablement pas là.

M. Serge Grouard. Exactement !

M. Gilles Carrez. En fait, la progression de la dépense publique locale a été rendue possible par une très forte progression parallèle des recettes fiscales – celles des quatre taxes locales, mais aussi de taxes comme celle portant sur les droits de mutation à titre onéreux.

Pourquoi cette progression très rapide de la fiscalité locale a-t-elle été possible et supportée par le contribuable local ? Tout simplement parce que s’est interposé, au fil du temps, un tiers, à savoir l’État, pour payer une partie de la facture. Chaque fois que l’augmentation de la taxe locale faisait trop mal aux contribuables, l’État s’interposait. On en est arrivé à un point où l’État paie de fait un tiers de la taxe professionnelle, un quart de la taxe d’habitation, presque 15 % de la taxe sur le foncier bâti et une partie des DMTO.

Mme Dominique Nachury. Eh oui !

M. Gilles Carrez. Tous les gouvernements, toutes les majorités ont, à tour de rôle, inventé des suppressions d’impôts locaux, leur remplacement par des dotations ou encore la mise en place d’exonérations ou de dégrèvements à la charge de l’État.

Aujourd’hui, mes chers collègues, nous devons être conscients que c’est désormais impossible : un État surendetté et impécunieux ne peut plus s’interposer. Plus que jamais, madame la ministre, il faut donc que les textes que nous votons visent à simplifier, rationaliser et responsabiliser pour mieux maîtriser la dépense locale. C’est ce que nous avons essayé d’engager – peut-être un peu tard – au cours de la précédente législature et que, selon moi, vous vous employez malheureusement à défaire aujourd’hui.

La loi de 2010 prévoyait trois dispositifs importants pour permettre une meilleure maîtrise de la dépense locale.

D’abord, la création des conseillers territoriaux. Faute d’avoir eu l’audace de supprimer un échelon, on partait de l’idée selon laquelle, avec un même élu, on aurait une meilleure coordination entre la région et le département. C’était une prise de risque, mais je pense que cela pouvait marcher.

Ensuite, la suppression de la clause générale de compétence pour les départements et les régions. Nous sommes tous conscients des doublons, comme on le voit en particulier en Île-de-France, par exemple – mais les domaines concernés sont multiples – en matière de culture ou de sport.

Enfin, la limitation des financements croisés qui, dans certains cas, conduisaient à des décisions d’investissements artificiels, prises sans que soit posée la question du fonctionnement ultérieur de l’équipement.

Nous avons aussi mis en œuvre, dans un esprit de responsabilité, la loi Chevènement de 1999. En effet, c’est entre 2002 et 2012 que se sont développées de façon systématique les communautés de communes et d’agglomération, de même que la mutualisation de la taxe professionnelle, qui constituait un progrès dans le sens de la simplification.

Je me dis d’ailleurs qu’il est vraiment dommage que, lorsque des lois sont bonnes – ce qui est le cas, selon moi, de la loi votée à la fin de l’année 2010, de même que de la loi Chevènement de 1999, que j’avais votée, bien que je fusse à l’époque dans l’opposition –, on ne continue pas à les appliquer. La continuité de l’État et la recherche de l’intérêt général mériteraient que l’on continue d’appliquer ce type de textes.

M. Serge Grouard. Très bien !

M. Gilles Carrez. Aujourd’hui, nous devons être bien conscients d’une chose, sur laquelle j’insiste : les collectivités locales vont avoir besoin, plus que jamais, de simplification. Il faut que l’on allège les normes et que l’on supprime les contrôles inutiles. Je suis en effet convaincu que la chasse au surcoût va être désormais une règle de survie.

De quoi l’avenir immédiat va-t-il être fait ? En 2014 et en 2015, les dotations vont connaître une baisse de 1,5 milliard d’euros. Je me souviens d’avoir entendu, quand il a fallu défendre le gel des dotations à cette tribune, en 2009, des protestations véhémentes sur les bancs de l’actuelle majorité. J’avoue donc, madame la ministre avoir été quelque peu surpris hier matin – vous étiez présente comme moi à cette réunion – du côté un peu soumis ou complaisant – même je ne veux pas utiliser de termes excessifs – d’un certain nombre d’élus invités par le Premier ministre. C’est tout juste s’ils ne l’ont pas remercié pour cette diminution de 1,5 milliard des dotations en 2014 et en 2015.

M. Christophe Caresche. C’est un miracle !

M. Alain Chrétien. Ils sont masochistes !

M. Gilles Carrez. Si au moins, à côté de cette diminution des dotations, on nous aidait à diminuer les dépenses et à supprimer des normes, la chose serait supportable. Mais pas du tout ! Au contraire, on nous impose des dépenses nouvelles, telle la réforme des rythmes scolaires, qui va coûter 600 à 700 millions d’euros au bas mot.

M. Serge Grouard. Exactement !

M. Gilles Carrez. Je vous le dis, la chose est malheureusement quasi certaine : il y aura, à l’horizon 2014 ou 2015, un choc fiscal massif qui concernera d’abord les ménages – pour la bonne raison qu’il ne pourra pas porter sur les entreprises. Et, parmi les ménages, ce seront d’abord les classes moyennes qui paieront.

M. Alain Chrétien. Comme d’habitude ! Ce sont toujours les mêmes !

M. Gilles Carrez. En effet – vous le savez –, plus encore que pour la fiscalité d’État, beaucoup de Français sont exonérés ou bénéficient de nombreux allègements en matière d’impôts locaux.

Un autre élément est également tout à fait préoccupant : nous allons assister, selon moi, à un effondrement de l’investissement local.

M. Serge Grouard. Exactement !

M. Gilles Carrez. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder les perspectives d’évolution de l’autofinancement, lequel va être réduit à très peu de chose, y compris – je m’adresse notamment à M. le maire de Rueil-Malmaison – dans des collectivités qui ont encore une certaine aisance financière.

M. Patrick Ollier. Vous avez tout à fait raison !

M. Gilles Carrez. Même dans ce type de collectivités, il n’y aura plus de possibilité d’investir.

M. Serge Grouard. Eh oui ! C’est exactement ce qui va se passer.

M. Gilles Carrez. Vous en êtes d’ailleurs conscients : hier matin – cela m’a un peu surpris –, le Premier ministre a fait une annonce concernant les départements, lesquels vont recevoir 830 millions d’euros supplémentaires, et cela sans contrepartie, sans que l’État reprenne quoi ce soit de l’autre main.

M. Alain Chrétien. D’où vient cet argent ?

M. Gilles Carrez. J’ai d’ailleurs demandé à M. Cazeneuve comment il financerait cette mesure. Il m’a répondu : « On verra ».

Il y a toutefois un point que je n’ai pas bien compris, madame la ministre. Ces 830 millions, qui vont venir de la rétrocession d’une partie des frais d’assiette et de recouvrement de l’impôt foncier bâti, devraient être répartis sur l’ensemble des départements, au prorata de l’impôt foncier. Or, si je comprends bien, ils seraient affectés à un fonds, à partir duquel se ferait la redistribution, de telle sorte que certains départements y auraient droit et d’autres non.

M. Alain Chrétien. Ce sont les copains qui y auront droit !

M. Jean-David Ciot. Ça, c’était de votre temps, monsieur Chrétien !

M. Gilles Carrez. Non, monsieur Chrétien, ce ne seront pas forcément les copains qui en profiteront, mais la ministre devrait nous donner des éléments précis sur les critères de répartition.

Je voudrais terminer en disant un mot sur le coup de force, organisé nuitamment, en ce qui concerne la métropole parisienne.

Certes, je nuancerai mon propos : comme l’a très bien dit tout à l’heure Jean-Yves Le Bouillonnec, nous n’avons pas été capables, ni les uns, ni les autres, d’articuler une proposition solide. Cela dit, je regrette ce qui se passe. J’ai lu attentivement ce qui est devenu l’article 12 et j’éprouve les pires inquiétudes.

Il faut que vous sachiez que beaucoup d’élus de bonne volonté ont travaillé ensemble ces dix dernières années. Quand Jean-Yves Le Bouillonnec, premier président de Paris Métropole, a endossé cette responsabilité, nous avons tous essayé de travailler ensemble. Avec Jean-Pierre Brard, député-maire de Montreuil, nous nous sommes dit en 2000 – et je m’en honore – qu’il fallait unir nos efforts. Nous avons créé une association, qui est devenue un syndicat mixte englobant Champigny, ou encore Fontenay : toutes sensibilités politiques confondues, nous avons travaillé ensemble pendant douze ans ; nous avons pris nos marques ; nous avons appris à défendre des projets ensemble.

Or je découvre brusquement que tout ce travail va être réduit à néant, balayé à partir du 1er janvier 2015. Nous avons pourtant travaillé en donnant pour objectifs, d’une part, l’intérêt général, et, d’autre part, le respect de nos identités communales. En effet, en banlieue parisienne, où l’on doit combattre l’uniformité et, parfois, une certaine grisaille, il faut trouver ses racines et respecter les identités locales.

Le travail plein de bonne volonté que nous avions conduit ensemble a permis peu à peu de déboucher sur de véritables intercommunalités. Or tout cela va être balayé. Je vous le dis donc : à l’évidence, votre travail a été trop rapide ; il va falloir réétudier les choses.

Par ailleurs, je trouve un peu choquant – Jean-Yves Le Bouillonnec n’a pas pu le dire explicitement tout à l’heure, malgré la sincérité qui est la sienne – que l’on ne trouve pas trace du travail de Paris Métropole. Il faut que, dans le débat qui va s’engager, nous réussissions à progresser et que nos intercommunalités, qui ont le mérite de fonctionner, soient respectées.

M. Christophe Caresche. Ça, c’est vrai !

M. Gilles Carrez. Enfin, ma conviction est que, en Île-de-France, on n’a pas besoin de nouvelles institutions.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Gilles Carrez. J’explique souvent aux collègues de province que l’intercommunalité de réseaux existe chez nous depuis cent ans. Des réseaux de transport, ancêtres de la RATP, ont été créés vers 1900. En matière de réseaux d’assainissement, le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne, le SIAAP, existe depuis soixante-dix ans et le Syndicat des eaux d’Île-de-France, le SEDIF, depuis les années 1920. Bref, tous ces réseaux existent et fonctionnent ; ce qu’il faut, c’est raisonner en termes de projets.

M. Jean-Marie Le Guen. C’est vrai !

M. Gilles Carrez. Le modèle du projet réussi – ou plutôt, qui va réussir –, c’est le Grand Paris. Je suis d’ailleurs frappé de voir qu’il survit à l’alternance – parce que c’est un bon projet.

Beaucoup de collègues ont évoqué le logement. Eh bien, je suis persuadé que, si l’on abordait la question du logement moins en termes institutionnels qu’en termes de projets, avec la volonté d’aboutir, nous parviendrions à des solutions opérationnelles.

M. Christophe Caresche. Il fallait le dire avant !

M. Gilles Carrez. Selon moi, ce texte va marquer – et je le regrette profondément – un recul de la démocratie locale, une aggravation de la complexité, avec, derrière tout cela, le risque d’une nouvelle envolée de la dépense publique locale, alors que nous ne pouvons plus la financer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Massat pour le groupe SRC.

Mme Frédérique Massat. À l’heure où nous débutons l’examen de ce texte, je souhaite tout d’abord saluer le travail du rapporteur.

Le texte transmis par le Sénat avait été amputé de nombreuses dispositions ; les travaux du rapporteur de la commission des lois, mais également des commissions saisies pour avis – notamment la commission des affaires économiques, à laquelle j’appartiens – ont permis de le faire évoluer favorablement.

Élue de la montagne, je ne vais pas vous parler de la métropole – ni de celle de Lyon, ni de celles de Marseille ou de Paris –, pas plus que des régions. Je centrerai mon propos sur trois dispositifs, à savoir le Haut conseil des territoires, les conférences territoriales de l’action publique et la compétence énergie.

Prévu dans le dernier volet du triptyque de décentralisation, le Haut conseil des territoires a été introduit par le rapporteur dans le présent texte, qui est le premier de la série. C’est une avancée importante qui donne de la cohérence au projet de moderniser l’action publique sur les territoires.

Cette nouvelle instance de dialogue privilégiée assurera la cohérence entre les différentes politiques publiques associant l’État et les collectivités territoriales. Il sera, dans ce cadre, une force de proposition ; il pourra donner son avis sur les projets de loi relatifs à l’organisation des collectivités territoriales, ainsi que sur toute proposition d’acte législatif de l’Union européenne ayant un impact sur les collectivités territoriales.

La formation plénière du Haut conseil des territoires permettra une représentation effective de tous les territoires. Je tiens à saluer ici l’esprit d’ouverture de M. le rapporteur et de Mme la ministre, qui ont estimé légitime et souhaitable que la montagne puisse avoir un représentant dans cette instance. Le respect de la spécificité des territoires n’est pas seulement une incantation au sein de la majorité gouvernementale, comme l’ont une fois de plus illustré – et je l’en remercie – les propos introductifs de Mme la ministre.

La conférence territoriale de l’action publique sort renforcée de l’examen en commission. La rationalisation de l’action publique est réintroduite dans le texte à travers les « conventions territoriales d’exercice concerté » que les collectivités pourront élaborer au sein de la conférence territoriale.

Le mécanisme introduit par le rapporteur a le mérite d’être plus souple que la version originale du projet de loi. Il a l’avantage de responsabiliser les élus locaux dans l’exercice des compétences qui leur sont dévolues, sans pour autant prévoir un cadre trop strict.

La commission des lois a souhaité retravailler la composition des conférences territoriales pour éviter des assemblées pléthoriques. Elle a aussi intégré la présence, le cas échéant, d’un représentant de la montagne. Il est essentiel que la spécificité des territoires de montagne, qui a été reconnue et consacrée par la loi montagne du 9 janvier 1985, puisse être représentée au sein de ces conférences. M. le rapporteur et Mme la ministre ont soutenu cette demande que je porte depuis plusieurs mois ; je m’en félicite et les remercie.

Je souhaiterais terminer mon intervention en évoquant la question énergétique. Le texte issu du Sénat attribuait des compétences en matière d’énergie à la fois aux métropoles et aux régions.

La commission des affaires économiques, saisie pour avis, a souhaité, sur proposition de son président, de son rapporteur pour avis et de moi-même, attendre l’examen du projet de loi de programmation sur la transition énergétique afin qu’un débat plus approfondi sur la gouvernance locale permette de trancher sur les répartitions de compétences en la matière.

La commission des lois a partiellement répondu à notre attente et je ne doute pas, madame la ministre, monsieur le rapporteur, que l’Assemblée, dans sa grande sagesse et dans un souci de cohérence, saura accepter les quelques amendements qui permettront de ne pas déstabiliser à ce stade l’organisation de notre système énergétique.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faudra rien changer dans un futur proche ; mais une vision globale et étudiée du schéma de cohérence, dans lequel la France souhaite s’inscrire, est nécessaire. Le temps du débat et des arbitrages politiques est fondamental. Une telle question ne peut être traitée au détour d’amendements épars, dans un texte de loi qui, à ce stade, nous semble inapproprié.

Pour conclure, je salue la qualité des travaux préalables à cette séance. Ils ont permis un certain rééquilibrage, apporté plus de cohérence et donné les clefs d’une meilleure rationalisation de la gouvernance de l’action publique locale. Ce texte, attendu, renforce l’œuvre décentralisatrice entreprise depuis 1982. Je lui apporte mon soutien.

M. le président. La parole est à M. Christian Estrosi pour le groupe UMP.

M. Christian Estrosi. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, j’aborde cette discussion conscient d’être un cas particulier, puisque je suis le seul à avoir mis en œuvre la loi de décembre 2010 permettant de créer des métropoles.

M. Serge Grouard. Vous étiez le seul à pouvoir le faire !

M. Christian Estrosi. À cet égard, je veux rappeler que le présent texte demeure, sur le volet des métropoles, le prolongement d’une loi présentée par la précédente majorité, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et contre laquelle vous aviez voté.

Comme toute réforme touchant à la décentralisation, le texte que vous nous soumettez a suscité des débats vifs, mais quelquefois constructifs, dès sa publication puis lors de son examen au Sénat. De même, je voudrais aborder ce débat de manière constructive et totalement dépassionnée. Sur tous les bancs, il a été fait référence à la loi Deferre. Il y a ceux qui, en 1982, s’y opposaient, il y a ceux qui, trente ans plus tard, y adhèrent totalement. Chaque loi de décentralisation comporte son lot de polémiques bien légitimes ; mais au bout du compte, lorsqu’une loi succède à une autre, elle la modifie à la marge et en conserve l’essentiel.

Je suis d’ailleurs étonné que dans les débats sur ce texte, qui peuvent avoir un impact réel, il ne soit pas fait davantage mention du fond, à savoir du logement, de l’emploi et de la cohésion économique et sociale.

La logique de ce texte est de renforcer l’impulsion donnée par la loi de 2010 – que vous n’avez pas votée, je le rappelle – au couple commune-intercommunalité. Mais il est dommage que, tout en proposant des avancées sur l’intercommunalité, vous fragilisiez ce volet par des positions contradictoires : vous redonnez la clause de compétence générale aux conseils généraux et aux conseils régionaux, sans clarifier le partage de la compétence économique entre régions et métropoles. Cela donnera, comme l’a rappelé Gilles Carrez, une addition d’établissements publics ou de collectivités qui rempliront les mêmes missions et qui ajouteront de la dépense publique à la dépense publique.

La réforme conduite en 2010 par le gouvernement de François Fillon a donné lieu, elle aussi, à de nombreuses discussions avant d’être adoptée par le Parlement. La loi du 16 décembre 2010 a débouché sur la création d’un nouvel établissement public de coopération intercommunale, la métropole.

Je viens d’une région où la ville, civitas, est depuis vingt-cinq siècles au centre du développement territorial. Comme en Italie, dans la vallée du Rhin, en Flandres, sur le pourtour méditerranéen ou en Angleterre, la ville fut et demeure le moteur principal de l’activité économique, le pourvoyeur des services publics de santé et d’éducation, le lieu d’accès aux grandes émotions culturelles et sportives.

Autour de la ville s’organise un vaste espace rural et productif, le contado en italien. Sans la ville, les habitants de cet espace étaient démunis ; sans cet espace, les habitants de la ville étaient affamés et chômeurs. Je crois à la vitalité toujours actuelle de ce rapport entre un centre urbain et un territoire environnant, dessiné par l’histoire, la géographie, l’utilité et l’économie. Un ensemble créé par la réalité physique autant que par la volonté des hommes ; un ensemble à même de mobiliser, sur une échelle pertinente, les ressources complémentaires nécessaires à tous, depuis l’eau jusqu’à la formation.

Plutôt que d’un ensemble, je devrais parler d’ensembles, c’est-à-dire, au sens de la loi telle que je la comprends, de métropoles, diverses dans leur forme et unies sur le fond, comme autant d’atouts au service d’un bien commun, la France.

À la différence d’un grand nombre de pays de l’Union européenne qui se sont constitués autour de royaumes, de duchés et donc de plusieurs capitales, la France s’est construite de manière très centralisée, avec une seule capitale et des petites bourgades de province. Ce qui nous oblige, pour entrer de plain-pied dans la compétition entre territoires à l’échelle européenne, à accorder à nos territoires un statut qui les rende plus attractifs. La concurrence est très rude et nous devons concentrer toutes nos forces dans cette bataille pour la compétitivité et l’attractivité des territoires.

Deux dimensions doivent être appréhendées dans cette réforme de l’intercommunalité. La première repose sur la cohésion territoriale et la solidarité intercommunale. La seconde touche à l’économie et à l’emploi. Je suis surpris que ces derniers sujets aient été si peu évoqués dans cette première partie de la discussion.

La réforme de 2010 a-t-elle contribué à ce développement ? Oui. La réforme qui nous est proposée peut-elle apporter encore des évolutions ? Même si je n’y adhère pas en tous points, je pense qu’elle présente des avancées sur le volet métropolitain, notamment sur le logement, le mixte énergétique ou le tourisme. Je ne suis pas choqué qu’un mouvement de continuité s’opère sur les métropoles depuis la loi de 2010 ; personne ne peut dire que ce texte le ralentira.

J’ose prétendre qu’il est essentiel pour un investisseur de pouvoir discuter avec une seule entité, qui dispose des compétences nécessaires pour intervenir sur un certain nombre de sujets.

En 2010, au fil des projets et des débats, les compétences de la métropole s’étaient trouvées limitées, mais son émergence n’en marquait pas moins une étape importante dans l’organisation de notre pays.

M. Alexis Bachelay. Absolument !

M. Christian Estrosi. Issu d’un territoire qui accusait quelques décennies de retard en matière de coopération intercommunale, j’ai mesuré la formidable opportunité que la création d’une métropole pouvait constituer. Elle permettait d’unir dans un même espace des territoires urbains et ruraux historiquement liés et partageant des problématiques communes, notamment dans les domaines de l’environnement, du développement économique ou de l’aménagement du territoire.

Je ne peux d’ailleurs que louer le travail mené par l’association des communautés urbaines de France et par l’association des maires de France. Au-delà des clivages politiques, nous avons échangé sur ce projet de loi pour proposer, dès l’examen au Sénat, des amendements communs. C’est dans le même esprit, cher Jacques Pélissard, que nous avons préparé l’examen du texte dans cet hémicycle.

L’organisation territoriale de la République mérite en effet de dépasser certains débats idéologiques. Il est vrai que la métropole Nice Côte d’Azur est le fruit d’un consensus quasi unanime entre les maires de la communauté urbaine de Nice et ceux des trois communautés de communes avec lesquelles elle a fusionné. Elle n’a pas été bâtie dans la contrainte ou sur la base d’un accord politique concocté par une majorité d’une couleur politique contre une minorité d’une autre tendance.

À cet égard, je rejoins les réserves émises sur le fait que des territoires puissent être créés par décret ; avec mes homologues, toutes tendances confondues, nous avons fait la démonstration qu’il était possible de les constituer par la seule volonté des élus locaux, dotés des outils nécessaires.

Il est plus pertinent que les métropoles soient à la carte, plutôt qu’elles ne figurent dans un menu imposé. Personne ne peut enlever à l’aire toulousaine d’être le pendant de Hambourg sur l’aéronautique. Il en est de même pour Nantes et Gênes avec les chantiers navals. L’aire marseillaise, malgré le désordre qu’elle connaît, dispose d’atouts qui justifient un statut particulier.

Toutefois, je souhaite qu’un certain nombre d’imperfections soient corrigées. Voilà pourquoi j’ai déposé plusieurs amendements, qui, je l’espère, trouveront un écho. Je souhaite par exemple que les métropoles puissent continuer à participer aux pôles de compétitivité qu’elles ont historiquement contribué à construire lorsqu’elles avaient le statut d’agglomération. Cela garantira la position des métropoles en matière de développement économique. Je pense aussi aux compétences sur le logement et sur le tourisme, à la participation des métropoles à la gouvernance des gares. Sur un territoire aussi particulier que celui de Nice Côte d’Azur, qui se situe entre mer et montagne, le statut de métropole a permis de répondre à une véritable attente.

Je voudrais insister, madame la ministre, sur un point qui me paraît fondamental, celui de la solidarité. Les métropoles constituent un espace de solidarité entre leurs communes membres. Dans les domaines de l’eau, de l’assainissement ou de la voirie, elles réaliseront des investissements que des intercommunalités de taille plus modeste n’auraient jamais pu envisager, même avec le soutien financier du département ou de la région.

La métropole Nice Côte d’Azur répartit ainsi entre les communes de son territoire une dotation de solidarité communautaire. Nous ne pouvons pas comprendre plus longtemps que l’État applique une politique de péréquation qui revient à ôter des ressources à notre territoire pour les donner à d’autres, alors que nous pratiquons cette péréquation à notre propre échelle.

M. Serge Grouard. C’est exact !

M. Christian Estrosi. Lorsque la métropole de Nice Côte d’Azur finance la station d’épuration de Cagnes-sur-mer à hauteur de 80 millions d’euros et une station du parc national du Mercantour à hauteur de 7 millions d’euros, c’est bien de solidarité territoriale qu’il s’agit. Nous trouvons anormal de devoir subir une péréquation nationale quand nous exerçons déjà cette péréquation à l’intérieur même de notre territoire.

Dans la mesure où nos capacités financières, ainsi que le rappelait Gilles Carrez, seront de plus en plus atteintes par les mesures prises par le Gouvernement – réduction des dotations ; augmentation de la TVA sur les services, les transports, les travaux ; charges induites par la modification des rythmes scolaires – je vous demande de veiller, lors de la préparation du projet de loi de finances, à ce que cette réforme soit assortie de conditions qui lui permettront d’être plus juste et plus équitable pour les territoires et les intercommunalités.

Les prélèvements pratiqués sur la métropole Nice Côte d’Azur passeront ainsi de 700 000 euros en 2013 à 1,1 million d’euros en 2014 et ils devraient encore augmenter en 2015 !

J’estime que ce projet de loi apporte des avancées sur le volet métropolitain mais je vous demande, madame la ministre, de veiller à ce que, dans un contexte de baisse importante des dotations et d’augmentation des prélèvements opérés au titre des péréquations, la solidarité de proximité développée par les communautés et les métropoles en leur sein soit pleinement reconnue. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gilles Carrez. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Françoise Descamps-Crosnier pour le groupe SRC.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, notre avenir, celui de nos territoires se joue en ce moment. Nous vivons, nous allons vivre des transformations qui vont bousculer nos modes de vie et nos économies. Aussi, nous devons inventer de nouveaux cadres institutionnels adaptés à ces mutations, capables de conduire le développement économique et social, propre à améliorer le quotidien de nos concitoyens. C’est ce territoire de fonctionnalité, dont nous parlait Jean-Yves Le Bouillonnec, que nous devons construire.

Notre territoire francilien est complexe, avec ses échelles multiples et imbriquées. La gouvernance que nous proposons doit concilier la place de Paris ville-monde et le lien étroit avec la zone dense de première couronne, les territoires plus éloignés de l’aire urbaine et les territoires ruraux franciliens.

Les défis que nous devons relever sont énormes. Il s’agit, ni plus ni moins, de garantir et d’assurer la bonne insertion de Paris, entendue dans un sens large, dans le réseau global des villes-mondes. Cette donnée est fondamentale pour l’attractivité économique de la France et, de manière sous-jacente mais essentielle, c’est bien évidemment la question de l’emploi qui apparaît en filigrane. Et on ne peut pas, comme le Sénat a cru bon de le faire, ne pas y répondre, en laissant une page blanche.

Or la fragmentation territoriale qui est la marque actuelle de notre organisation administrative, a entretenu entre les différents centres de décision et d’influence locaux une concurrence malvenue.

Par son projet, le Gouvernement, soutenu dans cette volonté par la commission des lois, estime que nos territoires doivent gagner en taille et en poids pour porter des projets d’une ampleur suffisante pour répondre aux enjeux environnementaux – notamment climatiques et énergétiques –, politiques, économiques et sociaux actuels. C’est l’ambition de ce projet de loi. Il nous appartient d’y apporter les éléments indispensables à l’accélération des projets de développement qui se sont fait jour, ces dernières années, sur les territoires de grande échelle, et ils sont nombreux !

Un exemple : élue du département des Yvelines, je pense notamment au travail poursuivi en Seine Aval, autour de l’opération d’intérêt national Seine Aval, en droite ligne avec la vision développée autour de l’axe Seine, avec les Normandie. La métropole de Paris doit y jouer un rôle essentiel et moteur avec les territoires de la vallée de la Seine déjà engagés : il s’agit de s’assurer qu’elle puisse s’emparer de ces projets déjà amorcés et qui peuvent lui permettre de trouver les voies d’une expansion qui soit respectueuse et solidaire de son voisinage immédiat. Élue de grande couronne, je sais à quel point il peut être aisé de considérer nos territoires comme un simple appoint à la capitale. Le projet actuel va dans le bon sens en permettant de faire émerger, à côté de la métropole, des pôles territoriaux puissants. Le polycentrisme qui en découle doit permettre de nourrir les dynamiques de projet entre la métropole et les territoires voisins. Il nous reste encore à permettre cette bonne articulation et à faire en sorte que les logiques résidentielles et les stratégies économiques se nourrissent pour aboutir à un équilibre indispensable.

Et puis il s’agit d’aller au-delà : l’échelle de la métropole, si elle est nécessaire, n’est pas suffisante. Le destin de Paris est européen et mondial.

C’est dans cette perspective que la région doit jouer pleinement son rôle. Elle est le relais indispensable à la croissance et au rayonnement de la métropole à l’échelle interrégionale du Bassin parisien ou, encore au-delà, à l’échelle de l’espace national, de l’espace européen et international.

Il nous faut construire les nécessaires solidarités qui doivent être à la fois institutionnelles et financières, et qui doivent s’exprimer dans le partage des projets d’aménagement et des visions territoriales. C’est le rôle de la planification stratégique qui doit retrouver pleinement sa place, marquée par la rationalisation et l’efficacité dans nos outils d’aménagement. Le projet de loi et les amendements que nous soutiendrons apportent des progrès à cet égard.

Jean Monnet disait : « Rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions. » À nous de bâtir ces dernières et de savoir les mettre au service du bien commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Serge Grouard pour le groupe UMP.

M. Serge Grouard. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je commencerai par resituer notre débat dans la perspective historique du temps long cher à Fernand Braudel. La France est une longue patience : des siècles d’histoire dont l’origine est incertaine et bien difficile à dater. Mais cette longue histoire recèle au moins un invariant essentiel, celui de la construction d’un État fort, contre les féodalités, contre les princes, contre les corps intermédiaires, contre les provinces, contre les baronnies ; lente et incertaine construction, au moins depuis la royauté capétienne jusqu’à l’aboutissement d’une monarchie absolue, qui ne l’était d’ailleurs pas tant que cela, mais qui avait, avec Mazarin et Louis XIV, fait triompher l’État contre les particularismes des princes frondeurs.

Plus proche de nous, la Révolution française poursuivit et amplifia même ce mouvement profond en cherchant à gommer les particularismes locaux, à unifier la nation au nom d’un certain universalisme qui allait jusqu’à effacer les anciens noms.

Aboutissement ultime, Napoléon créait les départements sans référence historique.

Au fil du temps, l’État était devenu fort, centralisé, pivot d’une République une et indivisible, centralisateur sans doute à l’excès.

Alors, dans cette république progressivement plus apaisée, où les conflits étaient autres, sociaux notamment, un deuxième mouvement de rééquilibrage s’est engagé. L’État fort pouvait se permettre de reconnaître le fait local, puis de l’encourager, sans, désormais, risquer sa propre survie. Ce furent d’abord les grandes lois sur la commune et le département de la Troisième République naissante, puis, plus tard, l’engagement vers le fait régional, voulu par le général de Gaulle, et, enfin, les lois de décentralisation de 1981 et 1982. Je dis bien « enfin », car, depuis lors, plus de grandes réformes, mais de simples adaptations. Peut-être était-ce suffisant. Peut-être, après tout, le grand mouvement historique que j’ai voulu rappeler avait-il trouvé un équilibre durable et satisfaisant dans la relation qui s’était établie entre l’État et les collectivités, entre les collectivités elles-mêmes et entre cet ensemble institutionnel et le citoyen ; peut-être convenait-il simplement de procéder à quelques ajustements rendus nécessaires par les évolutions de plus court terme ? Cela a été fait, plus ou moins.

Peut-être aussi était-ce insuffisant, et c’est bien là la question à laquelle je souhaite arriver. L’organisation territoriale actuelle est-elle satisfaisante ? Demande-t-elle un simple ajustement ou une réforme structurelle plus profonde, faisant arriver à maturité ce double mouvement historique de centralisation/décentralisation ? C’est cette deuxième possibilité que je retiendrai, pour proposer ensuite, ce sera mon deuxième point, une réorganisation ambitieuse que, malheureusement, je ne trouve pas dans le texte qui nous est soumis.

Notre organisation actuelle n’est pas satisfaisante, malgré le dévouement de nombre d’élus locaux, et ce pour quatre raisons au moins.

La première est qu’elle est devenue trop complexe, avec la superposition des niveaux de collectivités, auxquels sont venues s’ajouter les intercommunalités, l’enchevêtrement des compétences et une suradministration, une surréglementation paralysantes.

Deuxième raison, cette complexité engendre de plus en plus d’inefficacité. Les manifestations en sont multiples : le temps des projets est de plus en plus long – cinq ans, dix ans, parfois beaucoup plus –, et la cohérence d’ensemble fait défaut. Regardez le seul exemple, dramatique, de l’urbanisme commercial : on a fait n’importe quoi dans des entrées de ville défigurées.

Troisième raison, la répartition des charges et des compétences est souvent perçue comme injuste. Les grandes villes voient se multiplier les charges de centralité, sans compensation équitable. Le monde rural se sent parfois laissé-pour-compte. Les départements croulent sous le poids d’une dépense sociale imposée par l’État.

Enfin, quatrième raison, le coût global du système ne cesse d’augmenter, se traduisant presque mécaniquement par une hausse de la dépense des collectivités et par la hausse corrélative de la fiscalité locale. Je ne connais guère, mes chers collègues, que la ville d’Orléans qui n’ait pas augmenté ses taux d’imposition depuis 1996.

Bref, en situation de crise économique, tout cela ne peut pas durer plus longtemps. Alors, quelle réforme ?

Je la crois fondamentalement nécessaire. Elle doit être ambitieuse, simple et claire. Pour cela, je lui vois trois volets.

Le premier, dont personne, jusqu’à présent, n’a voulu véritablement parler, c’est bien la réduction du millefeuille territorial, avec la fusion – je dis bien : la fusion – des départements et de leur région et, ensuite, le regroupement communal – peut-être, en milieu urbain, madame la ministre, un regroupement avec la métropole, mais pourvu que cette métropole ne soit pas réduite à quelques villes, mais soit accessible à toutes les villes qui peuvent le souhaiter, selon des critères qualitatifs simples, liés aux fonctions et aux charges de centralité que j’ai évoquées. Et je ne comprends pas votre obstination à refuser cette ouverture.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je ne suis pas obstinée !

M. Serge Grouard. Cela s’apparente pour moi à une logique d’exclusion. Certains veulent faire cette métropole. Donnez-leur cette possibilité. En quoi est-ce pénalisant pour les autres ? Ce n’est nullement pénalisant, c’est simplement une faculté qui serait ouverte à celles et ceux qui le souhaitent.

En milieu rural, la question est plus délicate, sans doute différente, et peut-être que le développement des intercommunalités permettrait ce nécessaire regroupement, dans une logique qui pourrait s’apparenter à celle de la loi Paris-Lyon-Marseille, qui a créé, effectivement, des mairies centrales et des mairies d’arrondissement, dites de proximité.

Enfin, il faut une réforme en profondeur de l’État, qui doit cesser d’être un État paralysant, pour redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un État innovant et incitateur.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je suis d’accord.

M. Serge Grouard. Cela veut dire réorganiser l’État déconcentré en faisant du préfet le seul et le vrai patron des services de l’État. Cela veut dire une grande lessive, pour mettre fin à une réglementation inflationniste, absurde et paralysante, qui va finir par épuiser les meilleures bonnes volontés, notamment celles des maires. Cela demande enfin une redéfinition de la répartition des compétences entre l’État et les collectivités. Que l’État arrête de se mêler de tout, de saupoudrer des crédits de plus en plus marginaux qui, souvent, complexifient les procédures, font perdre du temps et retardent la réalisation des projets, et qu’il se concentre, simplement, sur ses missions essentielles et régaliennes. Bien sûr, cela exige de mener cette réforme nécessaire, toujours évoquée, jamais faite, de la fiscalité locale et du financement par l’État des collectivités locales.

Plusieurs députés du groupe UMP. Eh oui !

M. Serge Grouard. De tout cela, ou de beaucoup de tout cela, il n’est malheureusement pas question, mesdames les ministres, dans le projet de loi qui nous est soumis, ou seulement peu, et je crois que vous en êtes bien conscientes. Rien, une fois de plus, sur la perspective d’une fusion des départements et des régions. Rien sur la nécessité impérieuse d’une réforme de la fiscalité locale. Rien non plus, ou presque, sur la nécessaire refonte de la gouvernance de l’État. Sur la métropole, je vous l’ai dit, votre réforme est incompréhensible. Si vous vouliez modifier les statuts de Paris, Lyon et Marseille, il suffisait d’amender la loi PLM, c’était très simple.

Mme Valérie Boyer et M. Guy Teissier. Très pertinent !

M. Serge Grouard. De plus, vous voulez malheureusement revenir en arrière, en restaurant la clause de compétence générale des départements et des régions, et rajouter de la complexité à la complexité. Par défaut, vous proposez des chefs de filat, qui sont un défi à la réalité que nous vivons, et la création d’une conférence territoriale des exécutifs, qui sera une véritable usine à gaz et une provocation à l’égard des élus locaux, qui ne vous ont pas attendu pour travailler ensemble.

M. Jean-Frédéric Poisson. Bien sûr !

M. Serge Grouard. Alors, à défaut de nous aider, au moins, laissez-nous travailler !

Pour terminer, vous osez nous proposer un pacte de confiance,…

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Oui, j’ose !

M. Serge Grouard. …au moment où vous annoncez, sans aucune consultation, une baisse cumulée de trois milliards d’euros des dotations de l’État à l’horizon 2015,…

M. Alexis Bachelay. Avec Sarkozy, c’était pire ! C’était dix milliards !

M. Serge Grouard. …alors que vous en rajoutez, dans les dépenses obligatoires, comme celles liées, par exemple, à la réforme des rythmes scolaires, que l’État se retire de nombre de projets locaux et qu’en retour les contraintes réglementaires et normatives ne cessent de s’accroître.

Votre réforme est formidablement inutile. Une fois de plus, vous passez – nous passons – à côté du besoin impérieux de procéder à des adaptations structurelles nécessaires pour renouer avec la tradition d’une France ambitieuse. Ces adaptations doivent s’inscrire dans la recherche d’un meilleur équilibre entre l’État central et le pouvoir local, afin de mieux répondre, et à un coût moindre, aux besoins de nos concitoyens. Il est nécessaire d’adapter notre pays aux réalités du monde actuel ; pourtant, le texte que vous nous proposez n’est qu’une réformette de plus !

Nous ne parvenons pas, mes chers collègues, à nous porter collectivement à la hauteur des enjeux territoriaux de ce pays. Pourquoi, pourquoi cette incapacité permanente, depuis trente ans ? Je vous pose la question ! Permettez-moi, en conclusion, d’y apporter quelques éléments de réponse, qui ne prétendent pas épuiser le sujet. Je crois que nous ne nous inscrivons pas dans la perspective de temps long que j’ai mentionnée. C’est pourtant nécessaire, car seule cette perspective permet de faire de grandes choses.

Ce texte témoigne d’une incompréhension profonde des réalités locales, parce que la nomenklatura qui prépare ces réformes pense tout savoir alors qu’elle ne sait rien. Enfin, notre système politico-administratif, nos processus de décision, sont de plus en plus paralysés par ce que le général de Gaulle appelait « les poisons et les délices du système. » Mais, comme je l’ai dit, la France est une longue patience : je veux espérer que d’autres occasions viendront. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Tu incarnes « le génie du renouveau », Serge !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent pour le groupe SRC.

M. Jean-Luc Laurent. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le texte dont nous sommes saisis a connu un début d’existence mouvementé au Sénat. La suite s’annonce également sportive ! Dans ces débats de tuyauterie, il faut encore plus se garder des formules définitives. Le retour de la clause de compétence générale est, à mes yeux, une bonne nouvelle. Pour autant, trois interrogations demeurent quant au sens de la métropolisation, au recul de l’uniformité territoriale, et à l’avenir du département.

La métropolisation marque le retour de la question urbaine au sens large. Cette politique urbaine a longtemps été cantonnée à la « politique de la ville », c’est-à-dire à la politique des banlieues. L’évolution de la France, les dynamiques socio-économiques qui l’affectent, le cadre juridique offert par la loi du 12 juillet 1999, dite loi Chevènement, ont dopé l’intercommunalité.

Au cours des dernières années, j’ai appris à parler le sabir métropolitain et le langage de la gouvernance. J’en connais les subtilités, et j’en mesure les faux-semblants. On habille du mot « métropolisation » bien des phénomènes, mes chers collègues ! J’ai beaucoup travaillé sur le dossier du Grand Paris, et j’ai souvent répété qu’avant d’être en concurrence avec Londres et New York, Paris est en concurrence avec Nantes et Bordeaux – par exemple. On habille souvent du mot « métropolisation » des phénomènes bien ordinaires d’affirmation des villes, lesquels rendent nécessaire d’organiser leur gouvernement. Je nous invite, dans ce débat, à un peu de modestie.

C’est d’autant plus nécessaire qu’il n’est question que de transferts d’une portée limitée. Je manque peut-être d’imagination, mais j’ai du mal à croire que la face du monde urbain sera changée quand une métropole dépouillera un département de ses compétences – pour l’essentiel le RSA, l’APA et les collèges. Je doute que ladite métropole s’en trouve propulsée tout à coup, automatiquement, dans le grand concert urbain mondial…

Je m’interroge sur un deuxième aspect du texte : la décentralisation « à la carte ». Autant je peux comprendre les exceptions au principe d’uniformité, autant la multiplication de compromis locaux que le législateur devrait ensuite ratifier est perturbante pour le citoyen.

M. Élie Aboud. Très juste !

M. Jean-Luc Laurent. Ces compromis locaux n’ont de compromis que le nom et sont souvent le fruit de rapports de forces. Le compromis lyonnais est à cet égard éclairant. Il s’agit bien d’un accord au sommet, mais même pas entre les deux institutions : il s’agit d’abord d’un accord entre les deux chefs, le président du Conseil général et le maire. L’affirmation des métropoles par la rétrogradation des autres institutions locales me semble une erreur.

La question de l’avenir du département est posée. Il ne faut pas être attaché au département parce qu’il est vieux, parce qu’il date de la Révolution. L’attachement aux vieilles choses, pour un républicain comme moi, est une raison nécessaire mais pas suffisante. Le département est l’instance de la solidarité. L’intercommunalité, elle, permet d’abord de neutraliser les rivalités locales, puis de créer de la coopération. Enfin, la région travaille à grande échelle, produit des schémas de planification et définit des stratégies.

M. Patrick Ollier. Très bien !

M. Jean-Luc Laurent. Le département est la seule collectivité à rassembler arbitrairement – on connaît l’origine de la carte départementale – des territoires et des populations disparates. Ce sont, en quelque sorte, des France en réduction, qu’ils soient urbains, périurbains ou ruraux. Pendant deux siècles, le département a été un puissant vecteur d’aménagement du territoire par la création d’équipements, de services et d’infrastructures, mais aussi par la péréquation départementale.

La métropolisation, dans le sens où l’entend ce projet de loi, vient casser cette construction. Elle ne s’y oppose pas frontalement, pas directement, mais l’on discerne bien, derrière les prudences et les précautions, quelle évolution l’on souhaite favoriser. Parfois même, le département est volontaire, comme dans le Rhône, où l’accord entre le maire et le président du Conseil général organise la sécession des territoires dynamiques et le rejet des territoires servants. Le département du Rhône a fait le choix de la servitude volontaire. Le projet de loi définit un cadre qui rend possible des arrangements du même ordre dans tout le pays. Je ne suis pas sûr que cela soit conforme à l’intérêt de la France républicaine.

Le débat doit s’ouvrir. Mes interrogations ont motivé plusieurs amendements, que je défendrai au cours de l’examen de ce texte. Ils visent à faire en sorte que la décentralisation respecte des règles identiques partout : les délégations de compétences de l’État ne doivent pas être différentes d’un territoire à un autre. D’autres amendements concernent la création d’une intercommunalité plurielle en Île-de-France, grâce au maintien des intercommunalités existantes et à la création d’une métropole pour le Grand Paris.

M. Patrick Ollier. Très bien !

M. Jean-Luc Laurent. Je ferai enfin une proposition simple et efficace à propos de la compétence logement : il est possible, madame la ministre, de la simplifier.

Comme vous le voyez, je serai particulièrement attentif à vos réponses dans ce débat. D’avance, je vous en remercie.

M. Patrick Ollier. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet pour le groupe UMP.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je commencerai par dire à Mme la ministre qu’elle a du courage à persister dans la défense de ce texte, alors que nous percevons tous qu’elle doute de sa robustesse et de sa cohérence. Ce texte est le premier d’une trilogie sans unité : la vision stratégique que l’on attend du Gouvernement en est diluée, si tant est qu’elle existe ! Il faut assumer ce doute, qui chez beaucoup s’est mué en défiance, et en tirer les conséquences.

Les sénateurs – vos alliés communistes en tête – ont déconstruit méthodiquement votre texte initial. Ce faisant, ils vous ont envoyé un message clair. Les élus locaux rassemblés dans le syndicat mixte d’études Paris Métropole, qui compte tout de même 207 collectivités, vous ont invitée la semaine dernière à refondre complètement le texte.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Pas tous les élus des 207 collectivités, tout de même !

M. Patrick Ollier. Presque tous, monsieur Le Bouillonnec !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Pour couronner le tout, les citoyens ne sont pas du tout associés à cette concertation.

M. Patrick Ollier. Très juste !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Mesdames les ministres, faudra-t-il attendre votre troisième texte, qui doit porter sur la démocratie locale, pour associer les citoyens aux décisions qui les concernent ?

J’aborderai à présent ce qui concerne plus particulièrement la métropole du Grand Paris. Votre inconséquence prend là toute sa dimension. Après le rejet franc du texte par le Sénat, vous présentez une deuxième copie. Nouveau projet, mais même méthode ! Aucune concertation avec les élus, les habitants et les acteurs économiques, aucune étude d’impact, aucune vision… L’improvisation est telle que nous n’avons reçu vos amendements en commission que le mardi soir, veille du dernier jour d’examen du texte ! Mesdames les ministres, pensiez-vous sérieusement qu’un tel passage en force faciliterait l’acceptation de cette réforme ? Ou avez-vous simplement considéré que la discipline du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale vous permettrait de faire adopter ce texte tout en méprisant le travail parlementaire ?

M. Jean-Marie Le Guen. Cette critique tombe bien mal à propos : un vrai travail parlementaire a été mené !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. C’est parce que nous sommes attachés à ces temps de débat partagés que nous souhaitons, à l’occasion de cette discussion, appeler votre attention sur ces errances, et plus particulièrement sur trois d’entre elles. D’abord, votre nouvelle proposition ne simplifie rien.

M. Alexis Bachelay. Et la vôtre ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. J’y viendrai tout à l’heure. Vous verrez qu’elle est beaucoup plus simple.

M. Alexis Bachelay. Et la lumière fut !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Alors même que l’impératif de réduction des dépenses s’impose plus que jamais, vous nous proposez, mesdames les ministres, de créer une nouvelle technostructure qui se superposerait aux autres collectivités. La région, les départements, les communes, retrouveront chacun grâce à ce projet de loi la compétence générale, continueront à dépenser de l’argent en frais de fonctionnement – qui, pour certaines collectivités, ont explosé –, et ce alors même qu’une nouvelle structure les dessaisira de certaines marges de manœuvre. Le citoyen est déjà perdu dans les méandres du millefeuille territorial ; de son point de vue, ce système sera totalement illisible. Du point de vue budgétaire, enfin, la gabegie fonctionnera à plein.

Deuxièmement, la métropole du Grand Paris coûtera cher, très cher. Au regard de l’importance de ses prérogatives – logement, mobilité durable, transition énergétique – on entend déjà parler d’un budget de 2 à 3 milliards d’euros. Paris Métropole, quant à elle, parle de 4 à 5 milliards d’euros, qui ne feront que s’ajouter au budget des structures existantes. Et ce alors même que le Gouvernement a annoncé une baisse des dotations de l’État de 2,25 milliards d’euros entre 2013 et 2015. Mais qui paiera, mes chers collègues ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Bonne question !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Qui financera les 2 000 fonctionnaires nécessaires ? Qui paiera le siège de la métropole ? De combien devront encore augmenter les impôts des Franciliens pour financer les dépenses de fonctionnement ? Si l’on prend l’hypothèse basse d’un budget à 2 milliards d’euros, alors on peut estimer à un milliard d’euros l’augmentation minimale des impôts.

M. Philippe Goujon. Au minimum !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Mesdames les ministres, tout cela n’est pas sérieux !

Nous vous demandons encore, ce soir, l’évaluation précise de l’impact financier, budgétaire et fiscal de la création de la métropole. Vos services semblent incapables de la produire, au mépris des règles constitutionnelles.

M. Alexis Bachelay. C’est un peu léger !

M. Christophe Caresche. C’est un peu sommaire !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. L’étude d’impact de votre précédente proposition avait tout de même l’audace de nous inviter à attendre la création de la métropole pour en évaluer les coûts. Un tel manque de considération pour le travail parlementaire est presque offensant.

Troisièmement – c’est là le cœur de votre proposition – vous dessaisissez les maires de leur capacité à prendre des décisions touchant des domaines majeurs de la vie quotidienne des citoyens. Les communes du périmètre de la métropole de Paris perdront toute autonomie sur des aspects décisifs de la vie municipale tels que le logement, le PLU, la mobilité durable, ou la transition énergétique.

M. Patrick Ollier. C’est vrai !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Avant de construire, avant de lancer une perspective de développement économique, chaque commune devra obtenir l’aval du conseil métropolitain, après avis du conseil de territoire, et en lien avec une conférence métropolitaine.

M. Patrick Ollier. Quelle usine à gaz !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Cet allongement de la chaîne de décision occasionnera une perte de temps considérable pour les projets urgents.

M. Christophe Caresche. Au contraire, cela accélérera la prise de décision !

M. Patrick Ollier. Écoutez votre future maire !

M. Alexis Bachelay. Même pas en rêve !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Combien de temps perdrons-nous à définir les nouveaux schémas de cohérence territoriale et les nouveaux plans métropolitains de l’habitat, avant de pouvoir répondre à l’urgence ?

Vous dessaisissez les maires au profit d’une structure qui incarnera une régression démocratique.

M. Alexis Bachelay. Ah bon ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, avec d’autres, en commission des lois. Le président de la métropole sera choisi par les conseillers de la métropole, eux-mêmes désignés par les conseils municipaux, dans l’attente du renouvellement de ces derniers. Il s’agit d’un système à deux étages, et donc à trois étages dans le cas de Paris, dont le système électoral souffre d’un déficit démocratique patent. Nous avons eu l’occasion d’évoquer cette question dans cet hémicycle il y a quelques jours.

M. Alexis Bachelay. Ça y est, le suffrage universel, à présent !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. En fin de compte, mesdames les ministres, une instance d’une moindre légitimité démocratique imposera des politiques aussi importantes que le logement ou la mobilité durable à des élus choisis, eux, plus directement par le peuple.

M. Jean-Frédéric Poisson. Elle a raison !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Cette régression démocratique sera d’ailleurs présente dès l’origine, puisque c’est par ordonnances que vous entendez fixer – niant totalement le principe de libre administration des collectivités territoriales – des règles budgétaires, financières, fiscales et comptables, des règles d’administration des territoires et même des règles de transferts des personnels.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, ce texte n’est pas à la hauteur des enjeux.

M. Georges Fenech. C’est le moins qu’on puisse dire !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Préparé sur un coin de table, il n’apporte ni simplification des collectivités, ni efficacité dans la prise de décision, ni lisibilité financière, budgétaire et fiscale. Face à la fronde des élus de terrain, dont vous semblez nier l’expertise et parfois même la légitimité, mesdames les ministres, il est encore temps de remettre l’ouvrage sur le métier.

Nous souhaitons tous la réussite du fait métropolitain en Île-de-France.

M. Alexis Bachelay. C’est faux.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Nous l’attendons. Nous pensons nécessaire de renforcer les synergies en Île-de-France, de travailler davantage, ensemble, pour développer l’offre de logement face aux besoins pressants, d’engager des programmes ambitieux de mobilité durable.

M. Alexis Bachelay. Comment cela ? Des propositions !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. C’est pourquoi je vous propose une méthode et deux principes simples.

Une méthode, d’abord, qui a fait ses preuves : celle du Grenelle de l’environnement.

M. Alexis Bachelay. On a vu ce que ça a donné : vous avez abandonné le Grenelle de l’environnement !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Je propose la co-construction du projet de métropole, avec les acteurs de l’Île-de-France : élus, citoyens, entrepreneurs, associations, tous ont leur mot à dire. N’ayons pas peur de débattre avec tous.

Le Grenelle de l’environnement a démontré la vertu créatrice d’un large débat avec les citoyens.

M. Patrick Ollier. C’est vrai !

M. Alexis Bachelay. Très restreint !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Si vous considérez le sujet comme trop technique, mesdames les ministres, alors vous admettez que vous entendez créer une technostructure dont vous êtes incapables d’expliquer l’impact sur le quotidien des citoyens.

M. Jean-Frédéric Poisson. Eh oui !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Après la méthode, j’en viens à un premier principe. La création d’une nouvelle couche territoriale doit nécessairement s’accompagner de la suppression d’une ou plusieurs couches inférieures et d’une clarification des compétences. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alexis Bachelay. Lesquelles ? Les départements ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il y a d’autres conditions ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Chacun a des propositions concurrentes en la matière. Mais s’attacher à ce principe qui n’est pas assuré dans le texte aujourd’hui, c’est s’assurer de ne pas tomber dans le travers du projet du Gouvernement qui ajoute une couche sans en supprimer d’autres.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous ne donnez pas de réponse !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Second principe, enfin, toute réorganisation de la gouvernance ne peut s’accompagner, comme c’est le cas dans ce texte, d’une régression démocratique au risque d’ancrer le désintérêt des citoyens envers leurs élus.

Encore une fois, monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’ambition métropolitaine ne s’accommodera pas d’un choc de complexification, d’une incertitude budgétaire et fiscale et d’une régression démocratique. À peine née, la défiance des élus et des citoyens la neutraliserait. Vous le savez, mesdames les ministres ; aidez-nous à transmettre ce message plus haut. Reposons les termes du débat et associons nos volontés respectives pour répondre à ce bel enjeu. Je suis prête, de mon côté, à y prendre toute ma part. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen pour le groupe SRC.

M. Jean-Marie Le Guen. Parmi toutes les avancées que comporte votre texte, mesdames les ministres, je pense que la création de la métropole du Grand Paris est un acte politique fort et puissant…

M. Jean-Frédéric Poisson. Ca, c’est vrai !

M. Jean-Marie Le Guen. …qui crée, aujourd’hui, débat. Je veux simplement dire ici à tous nos collègues que nous sommes fiers de défendre ce texte…

M. Philippe Cochet. On a du mal à y croire !

M. Jean-Marie Le Guen. …et que nous avons conscience qu’il s’agit vraisemblablement, en tout cas pour l’histoire de la région capitale, d’un moment historique.

Vous savez tous, ici sur ces bancs, quelles que soient les positions que vous défendez aujourd’hui, que l’agglomération parisienne est la seule métropole mondiale qui ne bénéficie pas d’une gouvernance unifiée et d’une gouvernance commune. Vous le savez tous parce que vous êtes quotidiennement confrontés à ces problèmes. Le morcellement administratif aboutit à l’impuissance de très nombreuses politiques publiques.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien !

M. Jean-Marie Le Guen. Quelles que soient nos responsabilités de parlementaires ou d’élus locaux et quel que soit notre niveau d’élu local, nous savons tous aujourd’hui, par exemple, que la question du logement est dramatique et qu’il est urgent de la résoudre, alors même que nous connaissons une pénurie artificielle créée par l’impossibilité d’affirmer une volonté politique en matière de construction de logements. Si l’on se place d’un point de vue économique et social, nous savons que cela pèse considérablement, à l’heure actuelle, non seulement sur la vie de nos concitoyens, mais aussi sur la dynamique de notre capitale.

Notre projet politique est simple et lisible, chers collègues. Il est celui d’une métropole intégrée et pas simplement d’une vague confédération ou d’un échelon supplémentaire, contrairement à ce que vous avez affirmé en toute mauvaise foi, madame Kosciusko-Morizet.

M. Christian Jacob. Si, c’est un échelon supplémentaire !

M. Jean-Marie Le Guen. Nous en avons un peu assez de ces gouvernances bavardes et impuissantes qui ont fait que, lors de conclaves de notables, nous n’avons pas pu avancer ces dernières années.

M. Christian Jacob. Pourquoi avez-vous déposé des amendements ?

M. Jean-Marie Le Guen. Nous sommes effectivement un certain nombre de parlementaires qui, connaissant votre appui et votre écoute, madame la ministre, ont manifesté leur déception (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) face à la manière dont les conservatismes de tous bords ont sabordé au Sénat vos premières propositions qui étaient des propositions de compromis.

M. Patrick Ollier. Un amendement a été déposé en pleine nuit et il n’y a eu que dix minutes pour l’étudier ! Quelle arrogance !

M. Jean-Marie Le Guen. Ceux qui, aujourd’hui, nous reprochent notre audace sont ceux qui ont refusé, pendant des années, de parvenir à un consensus dans le cadre de Paris Métropole ! Ce sont ceux qui ont refusé ce compromis que vous aviez élaboré avec nous, madame la ministre ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Ollier. Qu’avez-vous fait, vous, monsieur Le Guen ?

M. Jean-Marie Le Guen. Messieurs les conservateurs, vous vous êtes contentés de démontrer que vous ne vouliez rien changer dans ce débat ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Alors, madame Kosciusko-Morizet, ne nous parlez pas de co-construction !

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous ne savez pas ce que c’est !

M. Jean-Marie Le Guen. Cela fait maintenant des années que Bertrand Delanoë et un certain nombre de parlementaires ici présents ont appelé les élus à travailler avec Paris Métropole ! Vous n’avez cessé, d’abord, de boycotter, puis d’« impuissanter » ce travail de consensus mené par Bertrand Delanoë ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. C’est de la castration !

M. Patrick Ollier. C’est incroyable !

M. Jean-Marie Le Guen. Lorsque nous avons fait des propositions de compromis, vous les avez rejetées.

Alors, oui, c’est une nuit du 4 août pour un certain nombre de privilèges, ce qui peut vous gêner ! En effet, l’histoire de l’agglomération parisienne est marquée d’un certain nombre de bastions qui ne font pas honneur à la démocratie ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Cochet. C’est scandaleux !

M. Patrick Ollier. C’est inacceptable !

M. Jean-Marie Le Guen. On entend parler de la façon dont les situations sont démocratiquement gérées dans des départements dont le nombre fait un peu peur.

M. Patrick Ollier. Ce n’est pas acceptable ! Vous n’avez pas le droit de dire cela !

M. Jean-Marie Le Guen. Oui, monsieur Ollier, je pense notamment à votre département ! Si vous vous interrogiez sur ce point, je vous le confirme ! Et c’est acceptable ! Je considère, comme nombre de Français et de Parisiens, que le « 92 » n’est pas forcément l’endroit où la démocratie et la transparence s’exercent le plus clairement ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Ollier. C’est scandaleux !

M. Jean-Marie Le Guen. Nous voulons effectivement que l’agglomération parisienne progresse, qu’elle ait un avenir, qu’elle se construise et se développe et qu’il y ait une solidarité !

M. Philippe Cochet. Apportez-lui des médicaments !

M. Jean-Marie Le Guen. Les députés socialistes le pensent, mais aussi la Chambre de commerce de Paris! Vous êtes les derniers conservateurs de cette région et votre présence aujourd’hui le démontre bien ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Ollier. C’est de la provocation !

M. Jean-Marie Le Guen. Alors, oui, mes chers collègues, ce projet est ouvert à votre approche. Il n’est pas un projet mené par le Parti socialiste !

M. Jean-Frédéric Poisson. Oh non !

M. Jean-Marie Le Guen. Il n’est pas un projet mené par la gauche contre la droite ! Vous pouvez vous y inscrire !

M. Patrick Ollier. Vous n’avez aucune connaissance des pouvoirs locaux ! Ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas !

M. Jean-Marie Le Guen. Pourquoi parlez-vous ainsi, monsieur Ollier ?

M. Patrick Ollier. Vous êtes arrogant !

M. Jean-Marie Le Guen. Je ne vous dis pas que vous n’avez pas d’expérience ! Votre expérience est remarquable et connue.

M. Patrick Ollier. Oui, elle est reconnue !

M. Jean-Marie Le Guen. Dans le « 92 », l’expérience de la solidarité, du développement, du rayonnement et de la transparence démocratique est connue !

M. Patrick Ollier. C’est ahurissant ! C’est incroyable ! Et il n’a aucune expérience des pouvoirs locaux !

M. Jean-Marie Le Guen. Mes chers collègues, ce projet a pour ambition d’affirmer que, désormais, le concept de Paris appartient à tous. C’est ce que nous proposons, aujourd’hui, dans ce texte. Cette banlieue, puisque vous avez très souvent employé ce terme pour la stigmatiser, est aujourd’hui dépassée par un mouvement de solidarité et de développement porté par la métropole du Grand Paris. Il s’agit bien, effectivement, d’offrir un projet de métropole qui puisse relever le défi de la solidarité et de la compétitivité au plan du monde ! C’est une réforme importante de ce quinquennat. Merci, madame la ministre, de la porter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)