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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 27 novembre 2012

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Christophe Sirugue

1. Sécurité et lutte contre le terrorisme

Discussion générale

M. Alain Marsaud

M. Gilles Bourdouleix

M. Paul Molac

M. Stéphane Saint-André

M. Marc Dolez

M. Sébastien Pietrasanta

M. Gérald Darmanin

M. Pascal Popelin

Mme Marion Maréchal-Le Pen

M. Georges Fenech

M. Eduardo Rihan Cypel

M. Guillaume Larrivé

M. Yann Galut

M. Philippe Goujon

M. Nicolas Dhuicq

M. Carlos Da Silva

M. Olivier Marleix

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

Discussion des articles

Article 1er

Après l’article 1er

Amendements nos 1, 7

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Article 2

Amendement no 8

Après l’article 2

Amendements nos 10, 24, 13, 14

Article 2 bis A

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure

Après l’article 2 bis A

Amendements nos 3 rectifié, 12 rectifié, 11, 2, 27 (sous-amendement), 22, 25, 16

Article 2 ter

Mme Colette Capdevielle

Amendement no 20

Après l’article 2 ter

Amendements nos 21, 26 rectifié, 5

Articles 2 quater à 2 sexies

Après l’article 2 sexies

Amendement no 6

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois

Article 3

Amendement no 17

Article 4

Après l’article 4

Amendements nos 15, 18, 19

Article 5

Amendements nos 28, 29

Article 6

Après l’article 6

Amendements nos 30, 31 (sous-amendement), 32 (sous-amendement), 23

Explications de vote

M. Alain Marsaud, M. Paul Molac

Vote sur l’ensemble

M. Manuel Valls, ministre

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Christophe Sirugue,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Sécurité et lutte contre le terrorisme

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme (nos 297,409).

Discussion générale

M. le président. La parole est à M. Alain Marsaud, premier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Alain Marsaud. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, la France, par une législation inventive, novatrice et courageuse, s’est placée sans doute ainsi à l’avant-garde des nations luttant efficacement, voire très efficacement, contre le terrorisme. C’est notre histoire particulièrement violente, dans les années quatre-vingt, et aussi une volonté politique non défaillante des différents gouvernements qui nous ont permis de faire face à de nombreux attentats, qu’ils soient d’origine étatique ou qu’ils proviennent de groupes plus ou moins indépendants, voire d’individus autonomes et isolés.

Les idéologies ont évolué, les formes de violence aussi. Nous sommes passés du communisme combattant aux attentats d’organisations palestiniennes plus ou moins dissidentes, puis à un terrorisme d’inspiration religieuse qui trouve, hélas ! sa source dans les élucubrations de quelques fanatiques obscurantistes, voire parfois, hélas aussi, dans l’idéologie politico-religieuse de certains États, qu’ils soient riches et pourvus ou échoués et en déshérence.

La loi du 9 septembre 1986 a construit les réelles fondations de notre environnement juridique mais aussi celles de la stratégie policière et judiciaire. C’est une loi pénale et de procédure pénale qui, au fond, a inspiré ce qui allait devenir la nouvelle politique susceptible de défendre la nation contre les menées violentes. Cette loi a aussi permis la reconstruction des services répressifs et de renseignement, mais aussi d’une part notable de l’institution judiciaire.

Rappelons pour mémoire à tous ceux qui l’auraient oublié, qu’elle fut fortement critiquée et diabolisée par nombre de responsables politiques, mais aussi par la magistrature militante qui ne craignait pas de comparer la centralisation judiciaire – que, tous, nous louons tous les jours – à la reconstitution de la cour de sûreté de l’État.

C’était sans doute faire peu de cas de ce qui avait motivé l’intervention du législateur de 1986 : répondre à l’urgence imposée par les bombes et assassinats qui ensanglantaient la France, qu’il s’agisse d’Action directe, d’Abou Nidal, de la Syrie, déjà, de l’Iran, du FLNC, de l’ETA et de quelques autres plus ou moins commandités. Le résultat de cette évolution politico-législative a peu ou prou permis d’obtenir une relative paix en matière de terrorisme de 1987 jusqu’à 1995, hormis l’attentat contre le vol UTA au-dessus du Ténéré.

Second temps législatif très fort : la loi du 23 janvier 2006 dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur devant l’Assemblée. Elle répondait sans doute à une évolution tant des acteurs, que de leurs modes de fonctionnement. C’est l’apparition sur la scène mondiale du terrorisme d’Al-Qaida et de ses sous-produits, mais aussi, bien sûr, de l’utilisation des nouveaux modes de circulation et de transmission de l’information. Il fallait répondre aux nouvelles mobilités et tout simplement à l’emploi d’internet de ses dérivés.

Précisons, s’il en était besoin, là encore, que cette grande loi qui n’était pas de circonstance mais qui répondait aux exigences d’un monde violent nouveau, n’a pas été votée par l’opposition d’alors,…

M. Georges Fenech. Eh oui !

M. Alain Marsaud. …certains de ses membres la trouvant imprécise, « portant en germes des dangers pour la liberté des personnes ».

Si je le rappelle, monsieur le ministre, c’est parce que la majorité de l’époque devenue opposition évitera aujourd’hui un positionnement purement politicien et se ralliera à votre défense de l’intérêt général tel que vous semblez le concevoir.

Nombre de nos collègues auront l’occasion de décrire le dispositif que vous nous proposez de mettre en place. Certains tenteront de l’améliorer, nous en discuterons tout au long des débats afin que notre législation en sorte renforcée par rapport à une menace qui apparaît comme bien réelle et évolutive.

Vous nous proposez notamment d’instituer une nouvelle incrimination à l’article 2 ayant pour objet de réprimer les actes de terrorisme commis par un Français à l’étranger. Il s’agit, en gros, de permettre de s’informer et de punir les porteurs de kalachnikov de tout poil qui vont s’instruire et apprendre les « mauvaises manières » dans quelques pays d’Asie et, plus particulièrement, dans certains pays d’Afrique subsaharienne.

Je m’interroge, je l’avoue, sur l’intérêt de ce texte, et je ne souhaite pas qu’il soit simplement d’affichage législatif comme une réponse à l’affaire Merah et aux pérégrinations de celui-ci. Je pense, mais peut-être à tort, que l’excellente loi de 1986 sur l’association de malfaiteurs terroristes, permet déjà de réprimer ces actions dangereuses pour la sécurité nationale. Je vous rappelle que c’est ce texte – et lui seul – sur l’association de malfaiteurs qui a été utilisé pour les Français interpellés en Afghanistan en 2002 et incarcérés par la justice américaine à Guantanamo.

Bref, cela ne mérite pas un débat académique et nous voterons ce projet tel que vous le proposez, ou plutôt tel que l’a amendé la commission des lois, même si j’estime qu’il peut faire éventuellement double emploi.

Enfin, monsieur le ministre, je voudrais profiter de cette occasion pour dépasser le strict cadre du texte et vous proposer d’avoir une vision plus large de la lutte antiterroriste. J’aurais d’ailleurs souhaité m’en entretenir avec vous avant de débattre de l’amendement que je présente après l’article 2.

Il s’agit, en tirant un bilan des récentes actualités terroristes, que ce soit l’affaire Merah ou celle du réseau dit de Sarcelles-Strasbourg, de se pencher plus globalement sur le fonctionnement, ou plutôt sur les dysfonctionnements de nos services de renseignement. Il ne s’agit pas ici de revenir sur le passé et de mettre en évidence telle ou telle erreur, vraie ou supposée, dans la manière dont les opérations de la DCRI ou de tout autre service ont été menées. Vous avez pour cela saisi un certain nombre de services administratifs et d’enquêtes qui vous ont dit ou qui nous diront ce qu’il aurait fallu faire ou ne pas faire et, tout simplement, si la loi a été violée.

On peut d’ailleurs s’interroger sur le fait de savoir si les nouvelles dispositions que vous nous proposez concernant notamment le « tourisme terroriste » auraient empêché les drames de Toulouse et de Montauban. Merah aurait-il pu faire l’objet de poursuite dans le cadre de l’article 2 que vous nous proposez, en l’état des informations que possédait la DCRI sur son compte ?

Profitons donc de cette occasion législative pour établir un vrai débat auquel je ne voudrais pas que l’on échappe par facilité : c’est tout simplement celui du contrôle démocratique et donc politique des services de renseignement. Depuis soixante-dix ans, le pouvoir politique – les pouvoirs politiques, devrais-je dire – se désintéresse presque totalement du fonctionnement des services de renseignements, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs.

Il y a pour cela deux grandes raisons : la première, c’est que l’activité de renseignement dans notre pays n’est pas considérée comme noble, loin de là, mais comme utilisant de mauvaises mœurs, il faut donc s’en défier ; la seconde consiste à penser qu’en cas de coup dur dans le monde du renseignement, comme cela se produit parfois, il vaut mieux rester à l’écart d’une activité susceptible de contrarier la bonne conscience du politique et de la République.

C’est ainsi que nos responsables politiques, toutes tendances confondues, ont rarement la culture du renseignement, à la différence d’autres pays, et préfèrent laisser la bride sur le cou et l’initiative à leurs chefs de service pour décider en leur lieux et place. Cela s’appelle tout simplement de la démission politique ; au motif que l’activité de renseignement serait considérée, bien sûr à tort, comme étant un domaine très technique, on l’abandonne aux techniciens. Cela aura sans doute entraîné les incidents et dysfonctionnements que nous avons connus au cours des dernières années. Bien sûr, aucun retour d’expérience n’a été proposé ou réalisé à l’issue de ces affaires souvent bien symboliques.

Il existe bien une délégation parlementaire au renseignement, créée par le Parlement en 2007. Ses membres se réunissent, rencontrent quelques responsables, s’informent du budget et des moyens et tout le monde rentre à la maison persuadé d’avoir « fait le job » ; cela jusqu’au prochain « pépin » dû à l’absence de contrôle de nos services. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je vous proposerai un amendement visant à contrôler et non à suivre l’activité de nos services de renseignement.

J’espère, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’à l’issue de ces observations, vous serez convaincus. Sachez, quoi qu’il en soit, que le groupe UMP, qui a toujours été moteur dans l’accompagnement de la lutte antiterroriste vous accompagnera aussi dans ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix.

M. Gilles Bourdouleix. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, assurer la sécurité de nos concitoyens, et de manière continue sur l’ensemble du territoire, constitue pour l’État l’une de ses prérogatives les plus fondamentales. Il est des enjeux trop importants pour que nous laissions nos convictions partisanes prendre le pas sur l’intérêt et la sécurité de nos concitoyens. C’est dans cet esprit que le Sénat a adopté à une large majorité le présent texte et les débats qui ont précédé cette séance en commission laissent à penser que l’Assemblée suivra la même voie.

Qu’elles concernent le territoire national ou les ressortissants français à l’étranger, les menaces qui pèsent sur la France sont bien réelles. C’est la raison pour laquelle nous devons aborder ce sujet avec sérieux, dans un esprit de responsabilité, en étant pleinement conscients de la nécessité de renforcer l’un des piliers de notre pacte républicain.

La France dispose aujourd’hui d’une législation adaptée, construite autour de la notion d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme. Cet arsenal juridique, reconnu pour sa pertinence, et à cet égard imité par le droit européen à travers la décision-cadre du 28 novembre 2008, permet à la fois de prévenir et de mieux réprimer les actes de terrorisme. Ce dispositif, nous le devons aux gouvernements successifs qui, durant trente ans, ont su mesurer toute l’importance de ce fléau et anticiper les menaces qu’il fait peser sur notre pays.

Ainsi que l’a malheureusement démontré l’affaire Merah, le terrorisme, ses caractéristiques et ses causes évoluent. Notre législation a donc besoin d’être complétée pour donner à l’État, à nos forces de police et de gendarmerie et à nos magistrats, toutes les armes et tous les moyens de détection, d’identification et de répression dont ils ont besoin pour lutter efficacement contre le terrorisme.

Le terrorisme d’aujourd’hui résulte essentiellement du djihadisme, de l’embrigadement d’individus, pour la plupart des jeunes, qui, à l’issue de parcours de radicalisation souvent liés à des passages en prison ou à des séjours à l’étranger dans des camps d’entraînement, décident de passer à l’acte. Ces caractéristiques se retrouvent dans le parcours de Mohamed Merah : ayant commis plus jeune des actes de délinquance, il s’est radicalisé en prison. Il a ensuite fait des séjours au Pakistan et en Afghanistan sans être pour autant connecté à une filière terroriste puis, une fois de retour en France, il consultait régulièrement des sites islamistes appelant au djihad. Nous devons en tirer les leçons qui s’imposent.

Ces évolutions justifient la nécessité d’adapter notre législation aux mutations du terrorisme, à savoir, d’une part, la multiplication des comportements de transition entre l’intégrisme et le terrorisme actif et, d’autre part, le développement d’internet, facteur important de multiplication de ces mêmes comportements.

En soumettant le présent texte à notre examen, le Gouvernement démontre qu’il partage les mêmes préoccupations que les Gouvernements précédents en matière de terrorisme. Rappelons que l’ancien garde des sceaux, Michel Mercier, avait préparé en avril dernier un projet de loi renforçant la prévention et la répression du terrorisme qui, s’il n’était pas exactement identique au présent texte, puisqu’il contenait notamment des dispositions relatives à la consultation régulière de sites internet faisant l’apologie du terrorisme, en est néanmoins très proche.

La disposition majeure du présent projet de loi concerne l’élargissement de la compétence de la justice française aux actes de terrorisme de nature délictuelle commis à l’étranger par des ressortissants français. Cette disposition, étendue par le Sénat et la commission des lois de l’Assemblée, aux personnes résidant habituellement en France, est nécessaire car elle devrait permettre de poursuivre et de condamner tous les Français qui se rendraient à l’étranger, notamment pour participer à des camps d’entraînement terroristes, alors même qu’aucun acte n’a été commis sur le territoire français. Des poursuites pourront donc être engagées pour des actes qui auraient été commis dans des pays qui soutiennent ou tolèrent l’existence de ces camps d’entraînement.

Ensuite, il paraît important d’évoquer la nécessaire dimension européenne de la lutte contre le terrorisme. Elle fait partie, au même titre que la lutte contre la cybercriminalité, des nouveaux défis du XXIe siècle qui nécessitent des politiques européennes coordonnées. Le terrorisme n’a pas de frontières. Seule une réponse globale et cohérente au niveau européen, favorisant l’échange de renseignements et la coopération policière et judiciaire peut nous permettre de lutter efficacement contre ce fléau. Il y aurait une certaine contradiction à vouloir lutter efficacement contre le terrorisme en faisant abstraction du droit communautaire.

Notre commission des lois a permis de transposer l’une des dispositions de cette directive dans le présent texte afin d’inscrire le chantage dans la liste des infractions constituant un acte de terrorisme. Notre collègue sénateur Michel Mercier avait défendu cette disposition, qui figurait d’ailleurs dans le projet de loi préparé sous la précédente législature. En revanche, la commission a supprimé la disposition qui visait elle aussi à mettre en œuvre ladite directive en créant une incrimination de recrutement en vue de participer à un groupement terroriste ou de commettre un acte terroriste. Nous devrions examiner ce point avec attention lors des débats qui vont suivre.

Enfin, le groupe UDI vous proposera d’apporter au texte une autre amélioration, au sujet du délit d’apologie d’actes de terrorisme, même si j’ai noté, monsieur le ministre, que vous n’y êtes pas favorable et que vous souhaitez ouvrir un débat plus large sur cette question, puisqu’elle relève de la loi du 29 juillet 1881.

Nous suggérons de transférer cette infraction, qui figure actuellement dans la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, vers le droit commun, en l’aménageant de telle façon que les dispositions visant à la réprimer puissent garder toute leur efficacité. Ainsi, il serait possible d’appliquer, pour la répression de l’incitation aux actes de terrorisme ou de l’apologie de ces actes, les règles de poursuite et de procédure de droit commun, exclues en matière de presse, comme la possibilité de saisies ou la possibilité de recourir au contrôle judiciaire, à la détention provisoire ou à la procédure de comparution immédiate.

Au-delà de ces réserves, le présent projet de loi nous semble comporter toutes les dispositions nécessaires à la défense de la démocratie et de la République, à travers sa lutte légitime contre tous les actes de terrorisme. Parce qu’il est de notre devoir de législateur de faire en sorte qu’il ne manque aucun outil législatif à toutes celles et à tous ceux qui sont chargés, dans notre pays, de la lutte antiterroriste, les députés du groupe UDI voteront le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, avec l’espoir, cependant, que les améliorations qu’ils proposeront seront acceptées, ou au moins écoutées. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Écoutées, elles le seront certainement, et avec intérêt !

M. Gilles Bourdouleix. Je n’en doute pas, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, la lutte contre le terrorisme est une priorité nationale. Récemment, nous avons constaté avec amertume que nous pouvions être touchés au cœur, même dans notre pays. Le terrorisme peut s’attaquer à chacun d’entre nous, hommes, femmes et enfants, sans distinction. Entre l’affaire Merah et le démantèlement récent de cellules terroristes après une attaque à la grenade dans une épicerie juive à Sarcelles, le contexte est très préoccupant. Il nous rappelle que la menace est présente, diffuse, sournoise.

Nous devons nous protéger : nous sommes tous d’accord là-dessus. Toutefois, nous devons nous garder d’agir sous le coup de l’émotion, et il importe de penser, sur le fond, aux racines de ces actes extrémistes.

M. Georges Fenech. Ah !

M. Paul Molac. Nous le savons, le terrorisme a des racines profondes, qu’une législation antiterroriste ne saurait totalement éradiquer. Pour lutter efficacement contre ce mal insidieux, il faut se donner les moyens de prévenir l’émergence d’un tel mal, notamment au sein de nos quartiers populaires, qui ont été laissés à l’abandon. L’engagement qu’a pris le Président de la République de renforcer la police de proximité, à travers les zones de sécurité prioritaire, vigies essentielles de la radicalisation de nos jeunes, doit contribuer à cet effort global, visant à prévenir les comportements extrémistes.

Le renforcement du lien social dans ces endroits déshérités, par le biais du travail, de l’école, de la vie associative et de la présence des services publics de proximité, sera, à nos yeux, tout aussi utile dans la lutte contre les extrémismes. N’oublions pas non plus la lutte sur les valeurs : la laïcité, la démocratie et la liberté sont aussi une réponse à ces idéologies sectaires : il est important de ne pas perdre la bataille des valeurs.

La solution est-elle donc à chercher dans le renforcement de la loi antiterroriste ? Celle-ci peut, en outre, faire l’objet de certaines dérives, ce qui n’est pas sans poser des problèmes. Rappelons, en effet, que notre législation antiterroriste est l’une des plus fermes d’Europe et qu’elle ne laisse que peu de place au doute. À cet égard, elle peut contrevenir à certaines libertés individuelles.

M. Guillaume Larrivé. Lesquelles ?

M. Paul Molac. Aurore Martin risque treize ans de prison, pour participation à une organisation terroriste. Quel acte de terrorisme a-t-elle commis ? Elle a pris part, en Espagne, à des réunions de Batasuna, parti légal en France, illégal en Espagne. Cela pose la question des limites à donner à la législation d’exception au droit commun qu’est la législation antiterroriste. Plus encore, cela amène à poser la question de la définition même de la notion de terrorisme.

Comment la violence aurait-elle pu cesser en Irlande du Nord si le gouvernement britannique avait refusé de négocier avec le Sinn Féin et si Gerry Adams avait été enfermé en Grande-Bretagne ? La négociation avec l’IRA aurait été impossible, et l’arrêt de la violence également !

M. Gérald Darmanin. Donc il faut négocier avec tout le monde ?

M. Paul Molac. La loi espagnole permet la condamnation de partis politiques : elle est non seulement liberticide, mais elle empêche des rapprochements en vue d’un arrêt négocié du terrorisme. La simple participation à une réunion publique, au titre de la liberté d’expression politique, ne devrait pas vous faire encourir treize années de prison.

Puisque la notion d’association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste permet déjà d’avoir de vrais résultats, faut-il en rajouter ? Elle permet déjà très largement de placer des individus en détention provisoire – ce type de disposition a d’ailleurs été dénoncé par plusieurs associations de défense des droits de l’homme. Si nous comprenons bien que la notion de terrorisme puisse être flexible et qu’il faille l’adapter, en fonction des contextes politiques et historiques, afin de faire face à une pluralité de menaces, peut-être conviendrait-il de s’interroger sur les excès auxquels peut mener cette notion, et sur la façon de les éviter.

La loi antiterroriste doit être utilisée à bon escient et ne doit pas servir à réprimer certaines idées minoritaires dans notre espace politique. Je pense, bien sûr, aux jeunes de l’affaire de Tarnac, mais aussi aux militants indépendantistes basques ou bretons. Je rappelle que certains d’entre eux ont subi plusieurs années de détention provisoire, avant de bénéficier d’un non-lieu au terme de leur procès.

M. Gérald Darmanin. Et ceux qui sont morts ?

M. Paul Molac. Ces personnes n’ont pas été traitées avec justice. Notre législation terroriste pose des exceptions au droit commun, qui sont parfois nécessaires pour combattre la spécificité des crimes terroristes, mais qui ne doivent pas être instrumentalisées : la loi antiterroriste ne doit servir qu’à la lutte contre le terrorisme. Comme l’a souligné la Ligue des droits de l’homme, elle n’a pas vocation à devenir un instrument de lutte contre l’immigration clandestine.

C’est pourquoi nous nous interrogeons sur l’utilité de prolonger, après 2015, les dispositifs relatifs aux contrôles d’identité à bord des trains internationaux. Il en est de même de la réquisition de certaines données relatives à des communications électroniques et de l’accès, par les services chargés de la lutte contre le terrorisme, à des fichiers de police administrative. Ces mesures, instaurées en 2006, nous avaient été présentées comme expérimentales, et non comme définitives. Est-il utile de multiplier des dispositions qui s’ajoutent à l’arsenal déjà existant de la lutte contre le terrorisme ?

M. Gérald Darmanin. Oui, c’est utile !

M. Paul Molac. Pour répondre à cette question, nous présenterons un amendement, demandant qu’un rapport d’information évaluant la pertinence et l’efficacité des dispositions prorogées de la loi du 23 janvier 2006 soit remis au Parlement dans les douze mois suivant la promulgation de la présente loi. Le Gouvernement était censé remettre chaque année un rapport sur ces dispositions au Parlement, et il ne l’a jamais fait.

M. Marc Dolez. C’est vrai !

M. Paul Molac. Dois-je vous rappeler qu’un des co-auteurs d’un rapport parlementaire de 2008 observait qu’il ne fallait pas, « sous le coup d’une sorte de fatalisme juridique, et sous la pression d’hypothétiques menaces, considérer que les dispositions temporaires de cette loi [devaient] être prolongées, ou plus encore être définitivement entérinées » ? À l’aube d’une nouvelle prorogation, ces observations restent plus vraies que jamais.

La loi antiterroriste ne doit pas entraver de manière importante la liberté d’expression et son corollaire, la liberté de la presse. Il s’agit de biens précieux, qu’il nous faut défendre. C’est pourquoi nous déposerons un amendement, en vue de revenir sur la possibilité de placer des individus en détention provisoire pour l’apologie et la provocation aux actes terroristes. Cette modification de la loi sur la presse doit en effet se faire avec les plus grandes précautions. Permettre la détention provisoire de personnes ou de directeurs de publications ayant fait l’apologie d’actes de terrorisme n’aura aucune efficacité préventive…

M. Guillaume Larrivé. Qu’en savez-vous ?

M. Gérald Darmanin. Il faudrait laisser faire ?

M. Paul Molac. …dès lors que d’autres incriminations peuvent sanctionner toute préparation à un acte terroriste.

Enfin, nous comprenons le souci du Gouvernement de vouloir pallier les manquements dans le suivi des candidats potentiels au terrorisme, notamment lorsque ceux-ci rejoignent des camps d’embrigadement et d’entraînement à l’étranger avant d’aller commettre leurs actes odieux, en France ou ailleurs. Néanmoins, l’extension de l’application de la loi pénale française aux actes de terrorisme commis à l’étranger par une personne étrangère résidant habituellement en France, pose plusieurs questions d’ordre juridique. Il y a d’abord la fragilité constitutionnelle de la notion même de « résidence habituelle ». Au caractère insatisfaisant de cette notion, il faut ajouter les difficultés qu’engendrerait une telle disposition pour la recherche de la preuve, dans des pays qui ne sont pas forcément coopératifs, voire dictatoriaux.

Surtout, le code pénal permet déjà d’incriminer toute personne qui se serait entraînée à l’étranger dans un camp djihadiste, en vue de préparer un acte terroriste. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permet également d’expulser les étrangers qui constitueraient une menace grave pour l’ordre public. Je rappellerai enfin que les étrangers ont toujours la possibilité d’être extradés.

Par ailleurs, la compétence universelle, dont cette disposition se rapproche, peut parfois s’opposer à la justice transitionnelle mise en place dans les pays étrangers. Il faudra surtout veiller à ce qu’aucune poursuite ne puisse être engagée contre une personne ayant déjà été définitivement jugée pour les mêmes faits, et dans les cas où la peine a été exécutée ou prescrite. C’est là un des fondements de notre droit, qu’il serait difficilement compréhensible de voir écarter sous couvert de l’exceptionnalité de la justice antiterroriste. Je présenterai un amendement sur cette question.

Dans ce concert de louanges sur la loi antiterroriste, il fallait bien qu’une petite voix s’élève pour en souligner les limites.

M. Alain Marsaud. Et quelle voix !

M. Paul Molac. C’est ce à quoi je me suis appliqué. Toutefois, je ne saurais aller contre la volonté impérieuse de protection de nos concitoyens. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Damien Meslot. Quand même !

M. Alain Marsaud. La fin est superbe !

M. Paul Molac. Comme vous voyez, il arrive parfois que l’on se bonifie !

M. Gérald Darmanin. On ne fait pas de bon vin avec du mauvais raisin !

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. On n’en fait pas en Bretagne…

M. le président. La parole est à M. Stéphane Saint-André.

M. Stéphane Saint-André. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, la législation permettant de lutter contre le terrorisme constitue l’acmé de la vie démocratique des pays européens, depuis la résurgence du risque terroriste et des problèmes que celui-ci pose aux sociétés occidentales.

Ces problèmes, au-delà de la lutte politique de tous les instants contre le développement et l’activité des groupes terroristes identifiés comme tels, concernent également l’effectivité des moyens juridiques que l’État se donne pour prévenir et sanctionner pénalement ces actes. On se souvient des débats passionnés auxquels a donné lieu l’examen, au Royaume-Uni, de l’Anti-terrorism Act en 2001 : la Chambre des Lords avait alors rappelé au gouvernement de Sa Majesté que les dispositions de l’Habeas corpus de 1679 s’appliquaient aux citoyens de la Couronne britannique comme aux résidents étrangers.

La France n’a pas d’habeas corpus, mais elle possède un ensemble de règles et de principes de valeur constitutionnelle permettant de respecter les droits et les libertés individuelles, tout en assurant la protection de l’ordre public. À chaque étape – et elles ont été nombreuses – le législateur a du veiller à la conciliation de ces deux principes. Pour ne citer que les plus récentes, j’évoquerai la loi du 15 novembre 2011, relative à la sécurité quotidienne, et celle du 23 janvier 2006, relative à la lutte contre le terrorisme, partiellement modifiée par la loi du 13 décembre 2011. Ces textes sont venus renforcer l’arsenal juridique dont dispose l’État pour réprimer les actes de terrorisme.

L’État ne doit pas seulement réprimer, mais également prévenir les actes terroristes, actes qui, sur le terrain judiciaire, ne peuvent être appréhendés qu’individuellement, ce qui suppose d’incriminer les actes préparatoires à d’éventuelles activités de nature terroriste. Un projet de loi, déposé au Sénat par le précédent gouvernement, immédiatement après l’affaire des tueries de Toulouse et de Montauban – un peu tardivement à mon goût – visait à renforcer la prévention et la répression du terrorisme. Selon le garde des sceaux de l’époque, ce texte ne visait qu’à « mieux prévenir les actes d’individus isolés », en ciblant notamment internet et les formations au djihad.

Puisque ce texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour du Sénat, ni même examiné par sa commission des lois, il appartenait au présent gouvernement de faire œuvre législative, sans pour autant reprendre in extenso les dispositions du projet de loi Mercier : certaines d’entre elles apparaissaient fragiles d’un point de vue juridique et technique – je pense à la répression spécifique de l’instigation en matière de terrorisme ou au délit de consultation habituelle de sites terroristes, à l’instar de ce qui est déjà prévu en matière de consultation de sites pédopornographiques.

Cette œuvre législative, nous l’entamons et les députés du groupe RRDP vous en remercient, monsieur le ministre. Nous avons déjà eu l’occasion de nous plaindre, par la voix du président de notre groupe, Roger-Gérard Schwartzenberg, des conditions d’urgence dans lesquelles le Parlement examinait certains des textes que vous lui soumettez. Dans le cas présent, la procédure accélérée s’explique et se justifie par la nécessité de proroger, pour trois ans, les dispositions expérimentales prévues par la loi, qui arrivaient à échéance le 31 décembre 2012.

Le régime de réquisition administrative des données techniques de connexion, largement utilisé par les services de renseignement, qui permet effectivement, dans un grand nombre de cas, d’identifier les personnes à suivre et de reconstituer les réseaux terroristes, est particulièrement concerné.

L’article 2, qui constitue le pilier de ce projet de loi, mérite que l’on s’y attarde. L’application de la loi pénale française aux actes de terrorisme commis à l’étranger introduit une brèche dans le principe de territorialité de la loi, posé par l’article 113-2, alinéa 1er du code pénal, en étendant à ces infractions le principe de personnalité de la loi, dès lors que l’acte délictueux est commis par un Français, voire lorsque la victime de ce délit est susceptible d’être un Français, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, lors des débats au Sénat, puisqu’il s’agit de prévenir des actes répréhensibles.

Si la continuité territoriale de la menace nécessite une continuité territoriale des poursuites, l’application de la loi pénale française à des étrangers ayant commis des actes de nature terroriste à l’étranger sera certes toujours conditionnée par la réciprocité d’incrimination, l’application de la règle non bis in idem et la difficulté, fréquente, d’obtenir l’extradition de l’auteur du délit.

La « résidence habituelle » de ce dernier ne fera pas obstacle à l’application de ces règles. Mais cette notion de résidence habituelle permettra d’appliquer la loi pénale française aux personnes en situation irrégulière, ce qui est souhaitable depuis que la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, le 5 juillet 2012, que le séjour irrégulier d’un étranger ne pouvant être considéré en soi comme un délit, il ne pouvait, de ce seul fait, se voir appliquer une peine privative de liberté.

C’est dans le cadre d’un autre projet de loi que le Gouvernement actualisera le droit en la matière en créant une « retenue pour vérification du droit au séjour », le régime de la garde à vue s’avérant trop fragile juridiquement et celui de la rétention administrative ayant été exclu par la Cour dans un arrêt du 6 décembre 2011. Cette « retenue » appellera des observations de la part des députés de mon groupe lors de son examen.

Les autres incriminations créées par la loi n’appellent pas de notre part de commentaires particuliers.

La situation terroriste en France a évolué. Les groupes sont plus décentralisés, plus mobiles, plus restreints, et les parcours se sont individualisés. Notre droit doit s’adapter à cette situation, afin que la souveraineté de notre République soit sans faille. Le principe de légalité des délits et des peines est absolu et ne peut souffrir aucune exception, comme Cesare Beccaria nous l’a enseigné dans son Traité des délits et des peines de 1764. C’est comme cela que l’État affirme sa puissance : le criminel doit savoir à quoi il s’attend, immanquablement.

En conséquence, les députés du groupe RRDP voteront ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour notre groupe, le terrorisme sous toutes ses formes, où qu’il se produise et quels qu’en soient les responsables, doit être fermement combattu et notre détermination pour l’éradiquer est sans faille.

Parce que l’enjeu est grave, nous nous sommes toujours refusés à concevoir ce combat sous le seul prisme sécuritaire, et nous avons toujours été attentifs au respect des droits fondamentaux.

C’est donc sous l’angle de l’équilibre entre efficacité de la lutte contre le terrorisme et préservation des libertés publiques que nous avons examiné les dispositions du projet de loi dont nous débattons ce soir.

Ce texte s’inscrit dans le contexte lourd qui résulte directement de la montée de la menace terroriste révélée par les tragédies de Montauban et de Toulouse, et nous avons bien noté qu’il a fait l’objet d’un travail commun entre le ministère de l’intérieur et la chancellerie.

Sur la forme, nous sommes plutôt réticents au recours à la procédure accélérée sur un sujet aussi complexe et sensible, d’autant que le gouvernement précédent n’a pas respecté l’obligation de déposer chaque année un rapport d’évaluation comme le prévoyait l’article 32 de la loi de 2006. Un seul rapport d’information a été établi en 2008, et l’un des deux co-rapporteurs, notre ancien collègue Julien Dray, s’y était d’ailleurs montré particulièrement critique.

Il nous paraît donc difficile de demander à la représentation nationale de se prononcer sur la prorogation d’un dispositif exceptionnel qui affecte les libertés publiques sans disposer d’éléments d’appréciation suffisants. L’étude d’impact, aussi fournie soit-elle, ne saurait être considérée comme une évaluation précise des résultats de l’expérimentation autorisée par la loi de 2006.

Sur le fond, le projet de loi reprend donc en son article 1er les dispositions des articles 3, 6 et 9 de la loi de 2006 – déjà reportées en 2008 – pour en demander la prorogation jusqu’à la fin de l’année 2015.

Ces dispositions interfèrent directement avec l’exercice des libertés publiques et des droits fondamentaux. Adoptées à titre expérimental et temporaire, elles sont loin d’être insignifiantes, et la gauche dans son ensemble s’y était d’ailleurs opposée en raison de leur caractère restrictif : il s’agit de contrôle d’identité sur les lignes ferroviaires internationales, de communication de données, d’identification ou de connexion à des services de communication électronique ainsi que d’accès direct à des fichiers.

L’article 3 de la loi de 2006 n’a pas pour unique objet de prévenir ou de réprimer le terrorisme. Il se situe dans le cadre général des contrôles d’identité destinés à compenser la suppression des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen. Comme cela avait été souligné à l’époque, cet article dépasse largement l’objectif de prévention et de répression du terrorisme ; il est utilisé principalement pour lutter contre l’immigration clandestine, ce qui établit un amalgame que l’on ne saurait évidemment admettre entre terrorisme et immigration.

Nous ne pouvons pas non plus soutenir la prorogation de l’article 6 de la loi de 2006 qui permet la réquisition administrative des données de connexion en dehors de tout contrôle du juge judiciaire : la CNIL et la CNCDH avaient d’ailleurs émis des réserves sur cette procédure lors de l’examen du texte initial.

Concernant l’article 9 de la loi de 2006 relatif à l’accès aux fichiers administratifs par les services de police et de gendarmerie, la CNIL et la CNCDH avaient particulièrement attiré l’attention sur la traçabilité des consultations, et insisté sur la nécessité de veiller à ce qu’il s’agisse de simples consultations de fichiers sans qu’aucun croisement ni aucune extraction de données ne soient possibles.

J’ajoute que la question de la constitutionnalité de ces dispositions expérimentales prorogées pour la seconde fois nous semble se poser au regard de l’article 37-1 de la Constitution, qui prévoit la possibilité, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental. Dans notre cas, l’expérimentation en viendrait à durer près de dix ans.

L’article 2 du projet de loi créé un nouvel article 113-13 dans le Code pénal qui permettra de poursuivre en France un délit terroriste commis à l’étranger dès lors que son auteur est de nationalité française.

Nous sommes dubitatifs sur l’utilité de la création de ce nouveau délit. D’une part, le délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste permet déjà de couvrir la plupart des situations, l’association de malfaiteurs étant une notion très large qui laisse beaucoup de souplesse au régime antiterroriste français. D’autre part, il est difficile de réunir les preuves concernant les activités concrètes auxquelles une personne a pu se livrer à l’étranger, d’autant plus que dans ce cas, les magistrats devront recourir à la coopération pénale internationale dont les résultats dépendent de la bonne volonté des autorités du pays.

Enfin, comme l’a indiqué le juge d’instruction Marc Trévidic lors d’une audition au Sénat, il est à craindre que l’on se contente d’interpeller dès son retour en France une personne soupçonnée d’avoir effectué un séjour à l’étranger à visée terroriste sans chercher à mener une enquête approfondie permettant d’identifier un éventuel réseau et ses activités. Il s’agirait alors d’une action préventive a minima.

Concernant l’article 3 et la commission d’expulsion, nous sommes défavorables à l’instauration d’un délai impératif pour l’émission de ses avis, car cela ferait inévitablement peser négativement sur les ressortissants étrangers les conséquences des encombrements des audiences. En outre, l’introduction de la notion de rejet implicite revient à amoindrir encore le rôle de la commission, pourtant essentielle dans la garantie des droits de la défense, sachant que depuis la loi du 24 août 1993, ses avis n’ont plus qu’un caractère facultatif.

Enfin, nous sommes satisfaits de la suppression de l’article 2 bis qui créait une incrimination spécifique de recrutement en vue de participer à un groupement terroriste ou de commettre un acte terroriste. La création de cette nouvelle infraction aurait en effet fragilisé la définition de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Nous sommes en revanche défavorables à la création de l’article 2 bis A qui mentionne expressément le chantage dans la liste des infractions pouvant être qualifiées d’actes de terrorisme en raison du but animant l’auteur : comme l’a justement indiqué la garde des sceaux lors de la discussion des articles au Sénat, « le droit en vigueur satisfait cette demande dans la mesure où les extorsions comprennent d’ores et déjà le chantage. »

Pour conclure, et comme vous l’aurez compris, nous sommes très attachés à trouver un juste équilibre entre l’efficacité de la législation antiterroriste et le respect des libertés fondamentales. Cet équilibre est délicat et nous admettons naturellement que des circonstances exceptionnelles puissent appeler des mesures exceptionnelles.

Cela étant, comme l’a très récemment souligné de son côté la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, on peut s’interroger sur l’opportunité même d’apporter des modifications à la législation antiterroriste.

C’est pour toutes ces raisons que les députés du Front de gauche s’abstiendront sur ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Pietrasanta.

M. Sébastien Pietrasanta. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, le terrorisme n’a pas de frontières. Aucun endroit de la planète ne peut aujourd’hui se targuer d’être à jamais épargné.

Le terrorisme, c’est la guerre de lâches habités par la haine et le mépris de la vie. Le terrorisme, c’est l’emploi systématique de la violence infligeant, par stratégie, douleurs et souffrances aux populations civiles.

C’est aujourd’hui malheureusement devenu une forme de guerre moderne qui a touché d’abord les pays pauvres et qui n’épargne désormais plus les pays développés comme le nôtre. Notre République se doit de combattre sans complaisance aucune tous ceux qui lui ont déclaré cette forme de guerre.

Combattre le terrorisme, c’est aussi, sans davantage de complaisance, refuser tout amalgame, toute stigmatisation, et notamment de la population musulmane. Combattre le terrorisme, c’est défendre nos valeurs républicaines.

Le terrorisme est en constante évolution, en perpétuelle mutation. Nous avons à faire à des groupes structurés et hiérarchisés, mais aussi à des initiatives individuelles. Le développement d’internet a accéléré le recrutement, l’endoctrinement la formation et le passage à l’acte d’un certain nombre de nos jeunes, notamment dans nos quartiers. Ce cyber-djihadisme appelle une réponse forte de l’État.

Votre texte, monsieur le ministre, tient compte de cette réalité. Il ne bouleverse pas les fondements de notre droit, mais il améliore nettement les moyens mis à la disposition des services spéciaux chargés de la lutte contre le terrorisme et de la grande criminalité.

C’est un texte utile qui préserve la sécurité de nos concitoyens ; c’est aussi un texte équilibré qui préserve nos libertés fondamentales.

Parmi les points particulièrement importants, il faut signaler celui qui vient combler une lacune de notre droit : l’extension de la compétence des tribunaux.

Cette possibilité de poursuivre devant les juridictions pénales françaises tout Français ou toute personne résidant habituellement sur le territoire français ayant commis à l’étranger des actes en lien avec le terrorisme est indispensable. Il ne sera donc plus possible d’échapper à la justice française dès lors que l’ensemble des faits connus a été commis à l’étranger. C’est la moindre des choses qu’en matière de terrorisme nous puissions juger ceux qui ont participé à des actes de terrorisme à l’étranger, même si ces pays ne les ont pas prohibés.

D’autres dispositions importantes sont introduites par les articles 2 quater, 2 quinquies et 2 sexies, qui modifient le code monétaire et financier pour faciliter le gel des avoirs terroristes. En matière de terrorisme comme en matière mafieuse, l’argent est le nerf de la guerre. Le financement du terrorisme est vital et il est grandement facilité par la dématérialisation de l’argent qui permet une circulation quasiment instantanée de fonds, quelle que soit leur provenance, dans la sphère internationale.

Il en va de même pour les communications cryptées qui bénéficient elles aussi des techniques modernes de communication en temps réel – je pense aux réseaux sociaux si facilement accessibles et dont le nombre rend extrêmement difficile la surveillance.

Dans notre texte, il existe également des problèmes d’interprétation que je souhaite lever afin de fixer l’esprit dans lequel le législateur les conçoit.

L’article 2 ter introduit la notion de détention provisoire. Ce n’est qu’une modernisation terminologique qui ne doit pas remettre en cause la jurisprudence de la Cour de cassation, gardienne depuis de nombreuses années de la spécificité et de l’autonomie de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Mais il sera sans nul doute indispensable de revisiter la loi de 1881 pour mieux l’adapter aux nouvelles technologies.

Les modifications que vous apportez, monsieur le ministre, au code de l’entrée et du séjour des étrangers dans les articles 3 et 4 ne sauraient modifier le droit applicable aux étrangers dans un texte sur le terrorisme et la sécurité. En revanche, il s’agit bien de considérer que les étrangers, comme les Français, peuvent être des vecteurs de terrorisme et doivent par conséquent être recherchés comme tels.

Nous souhaitons donc éviter tout amalgame entre situation irrégulière et terrorisme.

L’impérieuse nécessité de lutter contre le terrorisme nous oblige à considérer également le sort des victimes. Je présenterai un peu plus tard un amendement créant un article additionnel après l’article 2 ter, qui permettra de renforcer le droit des victimes d’actes terroristes. Elles pourront disposer d’un délai supplémentaire d’un an à compter de la décision définitive de condamnation, qu’elle soit pénale ou civile, pour saisir le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions.

Cette disposition est d’autant plus importante que le créancier qui est un terroriste n’est pas forcément connu, n’est pas forcément en vie, et n’est pas forcément solvable.

Monsieur le ministre, permettez-moi de saluer l’excellent travail réalisé par Mme la rapporteure, qui enrichit considérablement ce projet. Le groupe socialiste lui apportera son plein et entier soutien. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin.

M. Gérald Darmanin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte proposé par le Gouvernement à la suite de l’affaire Merah fait l’objet d’un certain consensus républicain pour poursuivre la lutte contre le terrorisme et favoriser la sécurité sur notre territoire.

Si je salue évidemment l’initiative de présenter un tel projet de loi, ce dernier oublie néanmoins de prendre en compte un aspect essentiel, les victimes de ces actes innommables.

Je voudrais citer l’exemple dramatique de deux jeunes de Linselles, dans la circonscription où j’ai l’honneur d’être élu, dans le Nord, Antoine de Léocour et Vincent Delory, enlevés au Niger par les terroristes d’AQMI et tués au Mali le 8 janvier 2011, lors de l’intervention des forces spéciales françaises.

Antoine s’était installé au Niger où il travaillait pour une ONG. Son ami Vincent l’avait rejoint pour assister à son mariage. Parce qu’ils étaient Français, ils ont été les victimes d’un conflit qui les dépasse et dont ils n’étaient pas acteurs. Antoine et Vincent n’étaient pas des aventuriers. Ils se sont rendus au Niger, dans sa capitale que le Quai d’Orsay reconnaissait comme une zone sûre pour les touristes occidentaux.

Nicolas Sarkozy puis, plus récemment, le 16 octobre 2012, François Hollande ont rencontré les familles d’Antoine et de Vincent, à qui l’on a promis de reconnaître le statut de victime du terrorisme, le statut de mort pour la France étant réservé aux militaires.

Le Président de la République, François Hollande, leur a ensuite conseillé de prendre contact avec leur député pour qu’il travaille avec la représentation nationale à la création de ce statut. C’est ce que les familles Delory et Léocour ont fait.

Lors de mon entretien avec elles début novembre, j’ai compris combien il était important pour elles que l’État, que la France reconnaisse leurs souffrances. Aussi ai-je un amendement portant création de ce statut afin de combler sans plus attendre ce vide juridique. Elles ont déjà trop attendu.

Ce sujet ne doit pas faire l’objet de considérations politiques ou politiciennes. C’est pourquoi j’ai voulu vous associer tous à cette démarche, mes chers collègues, quel que soit votre parti politique, comme je l’ai promis aux familles.

J’ai aussi sollicité le soutien, dès jeudi dernier, du Président de la République et de l’ensemble des ministres concernés, le Premier ministre bien sûr, mais également vous, monsieur le ministre, le ministre de la défense, qui participait à l’entretien des familles et du Président de la République, la ministre de la justice. J’ai adressé dès jeudi le contenu de mon amendement à vos cabinets respectifs.

J’ai reçu le soutien de l’Association française des victimes du terrorisme, qui reconnaît que ce statut serait un premier pas vers une reconnaissance spécifique des victimes du terrorisme, dans le sens préconisé par le rapporteur spécial de la commission des Droits de l’Homme de l’ONU.

J’espère que chacun pourra mettre de côté ses considérations partisanes et que nous pourrons nous unir pour offrir à ces familles dans la douleur et à toutes les familles victimes du terrorisme la reconnaissance que l’État leur doit.

Profitons de ce moment pour souligner la dignité des élus locaux, à commencer par M. le maire de Linselles, qui a accompagné les familles depuis un an, de l’ancien député de la circonscription, mais aussi de tous les habitants qui ont soutenu les familles dans ce terrible drame dont la presse a pendant des jours relaté les détails.

Que les discours d’unanimité et d’humanité trouvent ici leur concrétisation. Les familles, qui attendent la levée du secret défense, seraient réconfortées de voir, ici et maintenant, reconnaître le statut promis par le Président de la République François Hollande. C’est l’objet de mon amendement, que je vous présenterai après l’article 6. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nombreux sont les sujets qui font différence entre nous au sein de cette assemblée. Nombreuses sont les convictions qui peuvent sembler inconciliables et ne pourront jamais nous donner l’occasion de nous rejoindre dans un consensus. Ainsi va la démocratie. Notre société se construit dans la diversité des opinions, conjugue une somme d’aspirations parfois contradictoires. Il appartient au législateur de chercher à concilier cet ensemble pour agir au mieux de ce qu’il considère être l’intérêt général.

Pourtant, la diversité des points de vue, des intérêts, des ambitions, peut laisser place au rassemblement lorsqu’il s’agit de l’essentiel. La défense des valeurs qui ont fondé notre démocratie et sur lesquelles s’est forgé notre pacte républicain fait partie de ce qui doit nous être commun. Parce qu’elles émancipent, parce qu’elles sont garantes de nos droits et de nos libertés, parce qu’elles sont porteuses de règles ayant vocation à nous permettre de vivre dans un climat de concorde et de sûreté, ces valeurs font la fierté des Français et de tous ceux qui se sont établis sur notre sol. Lorsqu’elles font l’objet d’attaques, lorsqu’une idéologie de haine est proférée à leur encontre, lorsqu’il y a une volonté claire de les déstabiliser, c’est alors la nation tout entière qui doit se dresser d’un seul bloc pour les défendre.

Après quinze années de répit relatif, le terrorisme, qui n’a jamais cessé de constituer une menace, a de nouveau frappé la France sur son territoire, en s’attaquant à des innocents, avec la lâcheté et l’extrême froideur qui le caractérise. Tous, nous avons été meurtris. Tous, nous avons pleuré les enfants de la République qui y ont laissé leur vie. Ensemble, nous avons exprimé le refus de laisser s’installer la terreur.

C’est dans cet esprit d’unité et de cohésion que nous devons aujourd’hui continuer de faire évoluer les instruments juridiques et de construire les nouveaux outils qui nous permettront de lutter plus efficacement contre une menace qui ne cesse de croître et qui s’est violemment rappelée à notre souvenir.

Comme dans toutes les démocraties, la défense de l’intérêt supérieur de la nation doit se traduire dans le droit, et la tâche dans ce domaine n’est pas aisée.

Elle n’est pas aisée, parce que la menace est diffuse. Le ministre l’a fort justement rappelé, notre pays doit faire face à un contexte de montée en charge du risque terroriste qui provient tout autant de l’extérieur que de l’intérieur. La France est devenue une cible pour nombre d’organisations qui veulent remettre en cause notre modèle de laïcité, s’en prendre à ses valeurs de liberté, contester son modèle de société. Dans le même temps, sur notre sol, l’idéologie de haine se cultive parfois sur les difficultés rencontrées par certains de nos compatriotes, notamment dans les quartiers populaires. Des groupes se saisissent de la fragilité de certains jeunes dépourvus de repères pour les conduire sur la voie de la radicalisation et les inciter au passage à l’acte. La réponse juridique que nous établissons pour combattre cette menace doit donc être à la hauteur de la situation.

La tâche n’est pas aisée ensuite parce que les organisations terroristes sont mobiles et insaisissables. Leurs méthodes évoluent à une vitesse justifiant que la réponse juridique que nous mettons en œuvre pour les combattre s’adapte à ce rythme. Les nouvelles technologies ont largement changé la donne, constituant un outil de propagande et d’embrigadement en même temps qu’un moyen de faciliter les mises en relation entre groupes actifs et individus en voie de basculement. Dès 1986, la France a fait le choix de bâtir des dispositifs judiciaires spécifiques s’agissant de la lutte contre le terrorisme. Ces dispositifs se sont peu à peu étoffés pour s’adapter aux différents visages de la menace. Il nous faut aujourd’hui poursuivre cette évolution parce que, dans notre République, on combat le terrorisme par les moyens du droit.

La tâche n’est pas aisée parce que l’arsenal juridique sur lequel se fonde la lutte contre le terrorisme doit s’appuyer sur un point d’équilibre particulièrement étroit. Nous voulons améliorer et renforcer nos dispositifs de prévention active, de détection et de sanction, sans pour autant porter atteinte aux libertés publiques et individuelles qui constituent l’ADN de la République française. En ce sens, l’adaptation de notre appareil légal constitue une voie nécessaire, mais la seule surenchère législative ne saurait être un chemin acceptable. La ligne de crête dans ce domaine est donc particulièrement étroite.

Pour l’ensemble de ces raisons, je veux saluer le travail constructif et la grande qualité des débats qui ont été à l’œuvre durant toutes les étapes d’examen du texte que nous nous apprêtons à voter. La défense des intérêts supérieurs de la nation appelle la mobilisation et le rassemblement de tous. C’est ainsi que nous pourrons être en situation d’établir des dispositifs efficaces et adaptés contre le terrorisme, alliant fermeté et détermination, sans tomber dans les travers et les écueils que ce type de loi pourrait porter, si nous n’y prenions garde. Il me semble que cet équilibre est aujourd’hui atteint. Voilà pourquoi je soutiens pour ma part sans réserve ce projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet est grave, si grave qu’il nous conduit ce soir à oublier quelque peu nos étiquettes politiques pour nous retrouver autour d’une volonté commune : la lutte contre le terrorisme. C’est pourquoi, vu l’opportunité de mesures comme l’extension de la compétence des tribunaux français ou l’extension des condamnations, M. Collard et moi-même voterons ce texte.

Permettez-moi cependant d’apporter un certain nombre de pistes de réflexion, peut-être moins évidentes et un peu différentes de celles qui ont été conduites jusqu’à présent.

Qui sont ces terroristes ? De Khaled Khelkal à Mohamed Merah en passant par Zacharias Moussaoui, pourquoi des personnes d’origine extra-européenne et souvent de nationalité française choisissent-elles le terrorisme au nom du djihad contre les pays qui les ont accueillis, un pays qui, dans le cas de la France, a pourtant fourni à leurs familles allocations familiales, école gratuite, sécurité sociale, ainsi qu’un niveau de vie, des droits fondamentaux et une sécurité largement supérieurs à ceux existant dans leur pays d’origine. Il ne faut pas se mentir : la misère sociale n’est pas la seule cause de ces dérives. D’autres, plus indirectes, sont à étudier.

Il y a déjà un certain échec de l’école de la République, qui n’a pas su intégrer ou au moins faire respecter la France.

Il y a ensuite le rôle de la repentance dans la banalisation du rejet de notre pays, de ses institutions, de ses lois et de ses coutumes. À l’heure où la majorité de gauche au Sénat dépose chaque mois de nouvelles propositions de lois mémorielles, dont le seul but est de rouvrir les plaies du passé, la question de l’opportunité de ces débats mérite d’être posée.

M. Sébastien Pietrasanta. C’est grave de parler ainsi !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Peut-on aimer un pays dépeint à longueur d’ouvrages d’histoire comme un repaire de colons tortionnaires ? Peut-on respecter un pays dont la police de la République, selon ce qu’affirme le Président, par un jugement biaisé et sélectif, aurait envoyé dans la Seine des centaines de manifestants prétendument pacifiques ?

M. Paul Molac. Mais c’est vrai !

M. Eduardo Rihan Cypel. Cela s’appelle l’histoire de France !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. On ne peut évidemment pas. L’histoire utilisée comme arme politique s’est aujourd’hui retournée contre vous.

Comme l’a justement souligné le 14 novembre au journal Le Nouvel Économiste un membre du Haut conseil à l’intégration, Mme Malika Sorel, à force de cultiver le registre de la repentance, on a fini par totalement déprécier la notion d’identité française.

De là, la mécanique est simple : puisque le patriotisme est ringard, puisqu’il n’y a aucune raison d’aimer la France pour ses valeurs ou son histoire, puisque la croissance n’est pas là pour offrir à tous une reconnaissance sociale et une émancipation professionnelle, certains cherchent ailleurs un idéal, et, faute de le trouver dans la consommation et le matérialisme ambiant, la spiritualité est une voie qui peut fournir le prétexte aux dérives.

Dans les banlieues, où les jeunes en mal d’identité se trouvent souvent désœuvrés au milieu de la délinquance et des trafics, l’islamisme trouve un terreau favorable et gagne tous les jours plus de place face à l’islam modéré.

Cet islamisme est hybride, il se caractérise par un mélange de criminalité et de religion dévoyée. Tous les criminologues l’affirment, notamment Xavier Raufer.

Les terroristes sont pour la plupart issus du banditisme ou de la délinquance. Ils ne trouvent en l’islamisme qu’un prétexte, une justification à leur volonté destructrice, à leur haine de la France et de tout ce qui la représente.

Ainsi, avant de parler de terrorisme, il faudrait s’attaquer en priorité à la criminalité. Malheureusement, les premiers mois de la ministre de la justice ont continué la culture de l’excuse et de l’angélisme. La justice ne condamne plus fermement les crimes et délits, 82 000 peines de prison de moins de deux ans fermes par an ne sont plus appliquées.

Tant que l’immigration continuera et aggravera le sort des enfants d’immigrés déjà présents, la haine de notre pays se perpétuera et l’islamisme radical se développera. Comme l’a souligné encore Malika Sorel, en naturalisant à tour de bras des gens qui ne sont pas Français et qui n’adhèrent en rien à la culture française, on a institutionnalisé l’idée de « Français de papiers ».

M. Eduardo Rihan Cypel. Hors sujet !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. On peut aujourd’hui être Français de fait mais ne rien avoir en commun avec la société française. Sur ce point, l’exemple de Souad Merah est particulièrement criant. L’apologie du terrorisme ou toute condamnation en lien avec une entreprise terroriste devrait entraîner la perte immédiate et automatique de la nationalité pour les Français naturalisés ou les binationaux. Il était indispensable de marquer le coup.

Le fait de vouloir simplement prolonger des mesures censées être temporaires est symptomatique de cette habitude des gouvernements de droite et de gauche d’écoper l’eau sans colmater les brèches. On aura beau poursuivre partout en France les apprentis terroristes qui se sont entraînés au Pakistan ou ailleurs, tant que l’école dégradera l’estime que les jeunes ont de la France, tant que la justice sera molle et que la police continuera de travailler trop souvent en vain, tant que la misère continuera de gagner du terrain, cette loi, comme tant d’autres, ne fera que combler trop faiblement les voies menant à la criminalité et au terrorisme.

M. Sébastien Pietrasanta. Beaucoup trop d’amalgames !

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chers collègues, je voterai en faveur de ce texte car il vient compléter l’arsenal législatif et judiciaire de notre pays pour lutter plus efficacement contre le terrorisme. Il s’inscrit dans le cadre d’une continuité et non d’une rupture avec des méthodes « tonitruantes », pour reprendre le mot malheureux de notre estimable président de la commission des lois.

En effet, ce texte se caractérise principalement par la prolongation de lois ou de dispositions votées par l’ancienne majorité, notamment la loi du 23 janvier 2006 qui permet d’étendre les contrôles dans les transports internationaux et sur internet. La vraie nouveauté, cela a été dit à plusieurs reprises, se trouve à l’article 2, qui a pour objet d’étendre l’application de la loi pénale française aux actes de terrorisme de nature délictuelle commis à l’étranger, dès lors qu’ils l’ont été par des ressortissants français ou des résidents habituels. En clair, cela permettra de poursuivre et de condamner tous Français ou résidents qui se rendraient à l’étranger pour participer notamment à des camps d’entraînement terroristes. Vous l’avez, monsieur le ministre, parfaitement explicité.

Il s’agit d’une continuité aussi du fait que ce dispositif, comme vous l’avez objectivement rappelé, avait déjà été annoncé par l’ancienne majorité au mois de mars 2012 et adopté, d’ailleurs, en conseil des ministres, à la suite des horreurs commises dans le Sud-Ouest par le terroriste Mohamed Merah. Nous en avons donc la double paternité, dans un esprit de responsabilité républicain.

Force est de constater que le parti socialiste est beaucoup plus raisonnable aux responsabilités que dans l’opposition, puisque les socialistes avaient, par la voix de Christophe Caresche, appelé à l’abstention sur le texte de 2006, consigne suivie par François Hollande lui-même, qui s’était abstenu…

La protection des victimes se trouve renforcée et c’est tant mieux, nous nous en félicitons. Cette satisfaction est largement partagée par les Français, comme l’a indiqué l’Institut pour la justice, institution représentative et apolitique qui défend, vous le savez, les intérêts des justiciables et plus particulièrement des victimes.

Néanmoins, j’émets un regret, celui que vous n’ayez pas souhaité enrichir ce texte d’une proposition formulée en mars 2012 et visant à la création d’un délit de consultation habituelle de sites internet faisant l’apologie du terrorisme ou appelant à la haine et à la violence, comme c’est déjà le cas pour les sites pédophiles. L’utilisation d’internet à des fins terroristes, comme à des fins pédophiles, ne peut en aucun cas être regardée comme l’exercice légitime de la liberté de communication protégée par notre Constitution.

Certes, vous nous avez expliqué que la loi de 1881 nécessitait une réflexion plus globale et plus approfondie, mais que de temps perdu et donc d’efficacité en moins pendant ce temps de réflexion !

M. Guillaume Larrivé. Très juste !

M. Georges Fenech. La provocation aux actes de terrorisme ou l’apologie de tels actes par tout moyen de diffusion est déjà sanctionnée par cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Toutefois, cette incrimination ne figurant pas dans le code pénal mais dans la loi de 1881, il en résultait l’application des règles de procédures très particulières propres aux délits de presse, au lieu des procédures criminelles de droit commun : absence de garde à vue, délais de prescription beaucoup trop courts, impossibilité de requalifier l’infraction en cours de procédure, impossibilité d’utiliser des mesures de plaider coupable ou de comparution immédiate. Nous attendons donc, monsieur le ministre, une initiative de votre part pour remédier à cette situation dans les meilleurs délais.

Je reviens sur les critiques de M. le président de la commission des lois au sujet des mesures « tonitruantes » prises par la précédente majorité, en rappelant que c’est que sous François Mitterrand que la loi d’amnistie du 4 août 1981 ouvrit la porte des prisons à quelque 250 terroristes, dont douze membres d’Action directe,…

M. Pascal Popelin. Ils n’avaient pas encore commis d’assassinats !

M. Georges Fenech. …ceux-là même qui, plus tard, assassinèrent Georges Besse et le général Audran, même s’ils n’avaient pas encore commis de crimes de sang, il est vrai.

M. Pascal Popelin. Merci de le reconnaître !

M. Georges Fenech. Résultat de cette politique : rien que pour l’année 1982, les attentats terroristes firent onze morts et 189 blessés sur notre sol. Qui ne se souvient des attentats de la rue des Rosiers ou de la rue Marbeuf ? C’est encore l’époque d’une politique d’asile généreuse, de la suppression des unités spéciales de lutte antiterroriste, de la suppression de la Cour de sûreté de l’État, qui n’avait été remplacée par rien. Il a fallu attendre 1986, avec de nouveaux attentats terroristes, pour que la majorité conduite par Jacques Chirac vote la loi que nous appliquons aujourd’hui, loi du 9 septembre 1986, qui doublait les délais de garde à vue, rendait les perquisitions de nuit possibles et créait la quatorzième section du parquet de Paris. Il fallait que ce fût rappelé.

Un dernier regret : malgré les embauches annoncées dans le cadre de la loi de finances et du budget de la justice, les effectifs d’aumôniers et d’imams de prison restent insuffisants. Lorsque l’on étudie le profil de Mohamed Merah, et alors que les informations sur la montée de l’islamisme en prison se multiplient, comme vous l’avez vous-même souligné, monsieur le ministre, il n’est pas prévu, dans ce texte ou dans la politique du Gouvernement, de moyens nouveaux ou spécifiques pour lutter contre ce phénomène. C’est un débat auquel nous devons nous atteler et pour lequel vous devez vous mobiliser. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Eduardo Rihan Cypel.

M. Eduardo Rihan Cypel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, chacun le sait, notre pays, comme beaucoup d’autres, est confronté à la montée des menaces terroristes. La situation internationale, la déstabilisation de certaines zones géographiques proches, comme le Sahel, ont entraîné une montée des risques à nos frontières, à l’intérieur de nos frontières, et partout ailleurs pour nos propres concitoyens : un nouvel otage français a été pris dans le Sahel, ce qui montre que notre pays est encore la cible des groupes terroristes qui prospèrent dans cette partie du monde.

La situation, vous le savez, a empiré au Sahel depuis la guerre en Libye et la crise au Mali. Depuis de nombreuses années, mais tout particulièrement depuis ces dernières années, la zone connaît une déstabilisation qui permet à certains groupes terroristes qui attaquent notre pays de se renforcer.

Je suis membre de la commission du Libre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui a vocation à définir les grandes orientations stratégiques de défense et de sécurité de notre pays pour les quinze ou vingt années à venir. Sur la base des analyses prospectives du Livre blanc, le Président de la République, le moment venu, procédera aux arbitrages, mais nous savons d’ores et déjà que notre pays doit faire face à ces nouvelles menaces, bien réelles, et qui ont un impact considérable sur notre sol national.

Parmi ces risques, il en est un de tout à fait nouveau : je veux parler du cyber-terrorisme et des cyber-attaques qui frappent en France, depuis quelques années, les ministères, l’Élysée, mais aussi notre appareil de sécurité et de défense. Nous ne sommes pas à l’abri d’un nouvel espace de conflictualité qui prend une ampleur considérable, au point que je me permettrai de parler, car il faudra nous y préparer, d’un éventuel « cyber-onze septembre ». Cette menace ne relève plus de la fiction : l’ancien secrétaire d’État et ancien directeur de la CIA M. Leon Panetta parlait même il y a quelque temps d’un possible « cyber-Pearl Harbor ». Il ne s’agit plus de conjectures réservées à quelques intellectuels, quelques chercheurs penchés sur l’analyse de l’avenir ; ce sont des menaces réelles auxquelles il faudra faire face et le Livre blanc trace d’ores et déjà quelques orientations à ce sujet. Dans vos propos et par votre action au quotidien, je sais, monsieur le ministre, que vous préparez la France, sur le plan de la sécurité intérieure, à ces menaces en provenance du monde « cyber ». Nous devons en particulier préparer notre pays à protéger ses infrastructures stratégiques, dont nous savons qu’elles peuvent être la cible de telles cyber-attaques.

Se pose également la question du renseignement, essentiel pour prévenir les attaques, ajuster notre réponse, anticiper, comme cela a été fait récemment : au nom de la ville de Torcy, dont je suis le député et qui a récemment subi un choc terrible, je veux vous remercier, monsieur le ministre, d’avoir anticipé la menace et mis hors d’état de nuire ces individus qui prospéraient sur notre sol et s’apprêtaient à commettre des actes terroristes, et rendre hommage aux services de police, de sécurité, de renseignement.

Je veux également saluer l’esprit de responsabilité des habitants de ma ville, qui ont su garder leur calme. Vous avez appelé, monsieur le ministre, au rassemblement de toute la nation face à la menace du terrorisme. Dans ma ville, comme à Sarcelles, à Toulouse, à Montauban, nous avons pu mesurer l’esprit de rassemblement des Françaises et des Français qui en appelaient à notre responsabilité ; et cela fait chaud au cœur de voir que nous pouvons nous rassembler dans des moments aussi difficiles.

Le projet de loi que vous nous présentez maintient un certain nombre de dispositifs adoptés récemment, mais il propose aussi de nouvelles dispositions pour permettre aux juges et aux services de police de faire leur travail pour anticiper les risques, pour assurer la sécurité à laquelle notre pays a droit, pour, tout simplement, maintenir l’esprit qui est le nôtre, celui d’une République qui sera toujours plus forte que le terrorisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les menaces terroristes qui pèsent sur notre pays sont, hélas ! une réalité. Elles font écho au désordre du monde. Elles mettent en péril les intérêts fondamentaux de notre nation. Si nous ne devons pas négliger les menaces du crime organisé transnational ni celles des hybrides mi-gangsters mi-terroristes, nous savons que le premier danger vient des divers avatars du djihadisme qui a frappé la France au cœur au printemps dernier, à Toulouse et à Montauban.

Des esprits faibles sont endoctrinés, des réseaux renforcent leur puissance dévastatrice en diffusant leur propagande sur internet et en organisant des camps d’entraînement. En Afghanistan, au Pakistan, dans le Sahel, des djihadistes recrutent leurs bras armés et forment de nouvelles légions. Nous ne sommes pas à l’abri.

Face à cette menace, il y a urgence à renforcer notre arsenal de prévention et de répression, dans le respect des libertés publiques. Vous auriez pu, monsieur le ministre, et peut-être auriez-vous dû, soumettre à l’Assemblée nationale dès la session extraordinaire de juillet le projet de loi préparé sous l’autorité du Président Nicolas Sarkozy et adopté par le conseil des ministres le 11 avril dernier. Tel n’a pas été votre choix. Vous nous présentez aujourd’hui un texte utile, qui au demeurant reprend pour partie les dispositions du précédent projet de loi.

Oui, nous devons nous donner les moyens de poursuivre activement, dès leur retour en France, les individus qui se rendent à l’étranger pour y suivre des travaux d’endoctrinement et participer à des camps d’entraînement. Oui, nous devons proroger les mesures de la loi antiterroriste du 23 janvier 2006 qui donnent aux services spécialisés un large accès aux fichiers d’identité. Oui, nous devons perfectionner les instruments de gel des avoirs financiers des individus qui incitent à commettre des actes terroristes. Aussi, comme l’ensemble des députés de l’UMP, je voterai en faveur de ce projet de loi utile.

Je n’oublie pas que les députés communistes, écologistes, socialistes n’avaient pas, quant à eux, approuvé la loi de 2006 présentée par le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy. Vous-même, monsieur le ministre, n’aviez pas voté en faveur de ce texte dont vous nous proposez pourtant aujourd’hui de proroger les mesures essentielles. Nous ne suivrons pas cet exemple, ou plutôt ce contre-exemple, car la lutte contre le terrorisme doit à l’évidence faire l’objet du plus large accord entre les différents partis de gouvernement. C’est notre responsabilité, à nous, parlementaires de l’opposition, que d’adopter les mesures présentées à cette fin par la majorité d’aujourd’hui.

Si nous approuvons l’esprit et les mesures de ce projet de loi, nous pensons néanmoins qu’il doit être impérativement amélioré pour mieux lutter contre le djihadisme sur internet. Avec mes collègues Éric Ciotti, Nathalie Kosciusko-Morizet, Philippe Goujon, nous vous avons proposé, dès l’examen en commission, un renforcement des instruments de prévention et de répression de l’apologie du terrorisme sur internet.

Nous avons à cette fin déposé plusieurs amendements. Le premier tend à permettre à l’autorité administrative de bloquer l’accès à des sites faisant l’apologie du terrorisme. Le dispositif proposé est calqué sur celui adopté en matière de lutte contre la pédopornographie, validé, je le rappelle, par le Conseil constitutionnel dans sa décision sur la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011 ; autrement dit, notre amendement ne pose aucune difficulté juridique.

Nous proposons aussi de créer un délit de consultation habituelle des sites faisant l’apologie du terrorisme, puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Une telle consultation ne serait bien évidemment pas réprimée lorsqu’elle résulte de l’exercice normal d’une activité professionnelle, telle que le journalisme ou la recherche universitaire. J’ajoute, monsieur le ministre, et je sais que vous pourriez être sensible à cet argument, que nous pourrions convenir d’un nouveau rendez-vous pour évaluer l’efficacité de ces mesures au terme d’une période expérimentale de deux ans.

En tous les cas, et vous en êtes convenu lors de nos débats en commission, il y a urgence à agir. Nous ne comprendrions pas que ces amendements d’intérêt général et juridiquement solides soient écartés au seul motif qu’ils sont soutenus sur les bancs de l’UMP ; nous vous appelons très directement à bâtir avec nous un véritable consensus national sur ces questions du djihadisme sur internet, un véritable consensus national contre le terrorisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gérald Darmanin. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Yann Galut.

M. Yann Galut. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, chacun l’aura compris : ce sont des circonstances nouvelles, d’une gravité exceptionnelle, qui nous conduisent à l’examen du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Jamais en effet depuis les années 1995-1996 et les huit attentats perpétrés par le GIA sur le sol français, la sécurité de notre pays n’avait été autant fragilisée. Du parcours aux conséquences dramatique de Mohamed Merah au récent démantèlement d’une cellule djihadiste dont les ramifications passaient par Torcy, Paris et Cannes, une évidence s’impose : la violence terroriste a pris une nouvelle forme et s’attaque désormais au coeur de nos institutions et de nos valeurs républicaines.

Cette résurgence nous impose de compléter notre arsenal juridique et législatif, déjà très dense, dans le strict respect des libertés publiques, avec un double objectif : afficher notre fermeté contre toutes les nouvelles formes de menace ; renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste et les moyens des services de l’État.

En matière de sécurité, il est un impératif, une ardente obligation : ne jamais être en retard. Cette vérité s’applique encore plus au terrorisme. Elle nous pousse d’abord à ouvrir les yeux sur ces nouvelles menaces qui bouleversent les conditions de sécurité et de stabilité de notre société car il s’agit de mieux les appréhender pour mieux les combattre. Nous connaissons nos vulnérabilités. Sur notre sol, elles peuvent ainsi être liées à des installations industrielles, celles-ci étant de plus en plus grandes, avec des produits de plus en plus dangereux, dans des zones urbaines de plus en plus denses.

Mais nos vulnérabilités sont aussi accrues aujourd’hui avec le développement des nouveaux réseaux, plus particulièrement des télécommunications et de l’internet, qui bouleversent notre rapport au temps et à l’espace, et permettent à distance le recrutement, la formation et l’organisation de mouvements terroristes d’un bout à l’autre de la planète, susceptibles de frapper n’importe où, aveuglément. Voilà la leçon que nous devons tirer des drames de Toulouse et de Montauban ou de l’attentat contre une épicerie casher à Sarcelles : les terroristes utilisent les réseaux modernes de communication comme des armes. En effet, si les extrémistes religieux instrumentalisent la ghettoïsation des quartiers défavorisés et la délinquance, ils surfent aussi sur internet et inventent les contours d’un nouveau terrorisme. Ces deux affaires récentes en ont été le point d’orgue en révélant notamment des failles dans notre système de renseignement. Ne nous y trompons pas : c’est cette double conjonction qui nous conduit aujourd’hui à renforcer et à adapter notre arsenal juridique déjà conséquent.

Fruit d’un travail collaboratif entre le ministère de la justice et le ministère de l’intérieur, enrichi par les sénateurs et par notre assemblée, le projet de loi présenté en procédure accélérée a été adopté par le Sénat le 16 octobre et ses articles sont soumis à notre débat aujourd’hui. Ils consolident et améliorent les outils juridiques à la disposition des services de sécurité et des magistrats pour détecter, démanteler et neutraliser les filières terroristes qui menacent notre territoire et nos ressortissants. Il s’agit principalement, cela a été rappelé, de proroger pour la troisième fois les dispositions de police administrative prévues par la loi du 23 janvier 2006, ce qui permettra aux services de police ou de gendarmerie et en particulier aux services de renseignement de recueillir des données relatives aux télécommunications et à internet, d’effectuer des contrôles d’identité dans les trains transfrontaliers et d’accéder à certains fichiers administratifs, tels ceux des cartes d’identité et des permis de conduire. Il s’agit aussi d’élargir sans conditions la compétence des tribunaux pour les Français et, rajout du Sénat, les titulaires d’un titre de séjour ayant commis à l’étranger des actes, un délit ou un crime en lien avec le terrorisme.

Le projet de loi crée par ailleurs un délit de recrutement visant l’instigateur ou l’organisateur, allonge de trois mois à un an le délai de prescription pour provocation ou apologie et à ce titre prévoit la détention provisoire. Il facilite, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, les gels d’avoirs terroristes et fixe la procédure des commissions départementales d’expulsion quand elles rendent leur avis en matière d’activités à caractère terroriste.

Mes chers collègues, monsieur le ministre, à l’heure où nous sommes confrontés à une menace terroriste sans précédent depuis quinze ans, le projet de loi sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme nous permettra de poursuivre les Français qui commettraient des actes terroristes ou partiraient s’entraîner à l’étranger. Il est la réponse législative à cette nouvelle forme de terrorisme qui menace l’intégrité de notre unité nationale.

Le Président de la République l’a réaffirmé au mois d’octobre avec force : l’enjeu, c’est la cohésion nationale contre toutes les forces de désagrégation qui, ici ou là, cherchent à saper les fondements de notre république. Nous devons sur cette question nous rassembler pour montrer que la France n’acceptera jamais de tels agissements, et les combattre avec détermination dans le cadre de la loi de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui reprend largement les propositions de Nicolas Sarkozy. Il est essentiel pour la sécurité de notre pays, dans un contexte marqué par la génération spontanée de menaces dont les tueries de Toulouse ont cruellement rappelé à quel point elles pouvaient être difficiles à enrayer avant le déclenchement du passage à l’acte. Diffuses, ces menaces surgissent brusquement sur internet à l’encontre d’individus ou même de nations : en 2004, Théo Van Gogh fut assassiné à la suite de menaces de mort diffusées sur de nombreux sites islamistes et djihadistes après la projection de son film Submission ; en 2011, un incendie ravagea le siège du journal Charlie Hebdo à la suite de la diffusion des caricatures du prophète, dont les dessinateurs furent menacés de mort et le Danemark de représailles, conduisant à la fermeture en 2005 des représentations diplomatiques de ce pays en Afghanistan ; et je pourrais citer de nombreux autres exemples.

Sur un terreau a priori fertile de frustration, d’humiliation ressentie ou plus simplement de désœuvrement, l’abondance et la force de conviction de la propagande djihadiste sur internet permettent à ces mouvements d’attirer des recrues, d’ailleurs de plus en plus jeunes. Il existe en effet des sites proposant la formation à la guérilla, à la fabrication d’explosifs à partir de composants du commerce, au maniement des armes à feu, sous format vidéo avec explication sonore et sous-titre, et zoom sur les séquences les plus délicates. Cette propagande est complétée par la possibilité de former à distance – e-learning – des internautes susceptibles de passer à l’acte. Pour certains, très minoritaires au demeurant, un recrutement physique devient alors possible, et pour un plus petit nombre encore, le passage à l’acte devient une réalité. Face à cette menace, le projet de loi ne prévoyait pas initialement d’incriminer la consultation des sites djihadistes. Mais peut-on se priver d’un tel outil quand on sait que ce facteur de recrutement est de loin le plus efficace parmi les apprentis terroristes, même les plus jeunes, surtout quand les sites sont traduits en langues européennes, preuve supplémentaire de leur visée prosélyte ?

Si nous concevons l’importance du renseignement sur les activités des personnes qui consultent ces sites, nous estimons également que la difficulté d’accès à ceux-ci permettra d’en réduire l’audience potentielle. Ainsi, les amendements de Nathalie Kosciusko-Morizet et de Guillaume Larrivé, que j’ai cosignés avec d’autres collègues, offrent-ils une solution acceptable : l’expérimentation durant deux ans de dispositifs permettant d’en tirer une évaluation sans nous priver de ce moyen.

La lutte contre le terrorisme ressortit par ailleurs à une stratégie globale de lutte contre toutes les formes de délinquance et de criminalité. Les chiffres d’octobre et sans doute ceux de novembre sont préoccupants à ce titre, monsieur le ministre, notamment en matière de violences et de règlements de comptes criminels.

M. Pascal Popelin. Et ceux des cinq dernières années ?

M. Philippe Goujon. Une stratégie globale doit être menée, donnant la priorité à l’investigation, au renseignement et, dans le milieu carcéral où la radicalisation trouve un terrain fertile comme l’ont déjà relevé plusieurs orateurs, à une surveillance renforcée même après les fins de peines afin que les délinquants d’aujourd’hui ne deviennent pas les terroristes de demain.

Monsieur le ministre, mes collègues et moi-même soutiendrons évidemment ce projet de loi puisque nous savons que son inspiration vient de Nicolas Sarkozy et que ce texte est vital pour notre sécurité intérieure. Je note que même si vous n’aviez pas voté la loi de 2006, vous la prorogez aujourd’hui.

Osez néanmoins des pistes d’amélioration comme vous l’avez fait en commission des lois en permettant l’adoption de l’amendement que j’ai cosigné avec mes collègues Ciotti et Larrivé, visant à incriminer le chantage dans le cadre d’une entreprise terroriste.

Enfin, mes chers collègues, comment ne pas terminer sur une exhortation à mettre en cohérence l’action du ministre de l’intérieur, qui nous rassure, avec celle du ministre de la justice, qui nous inquiète ? Cela nous donnerait l’occasion de renouveler notre soutien en faveur d’autres mesures utiles à la sécurité des Français tout au long de ce quinquennat.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de Gavrilo Princip, bras armé de la Main noire jusqu’à l’effondrement des tours jumelles, le XXe siècle, si l’on oublie les ancêtres décabristes, aura été le siècle du terrorisme, de la lutte du faible au fort, de l’injustifiable au justifié au nom d’un bien suprême, immatériel et souvent fantasmé. Car si pour le pur tout est pur, tout ici-bas peut être justifié, jusqu’à l’inqualifiable et l’injustifiable.

Mais au-delà de l’aspect opérationnel que vous soulevez aujourd’hui, monsieur le ministre, le terrorisme soulève plusieurs interrogations.

La première de ces interrogations, le premier axe de réflexion que je vous proposerai, concerne nos prisons. Des prisons de France où le règlement pénitentiaire n’est pas appliqué, où, depuis les dernières vagues terroristes, les instruments d’un islam politique conquérant, cherchent à conquérir les territoires dans lesquels il se trouve – les salles communes, les ateliers, les cellules. Comment se fait-il que les portes ne soient pas fermées dans les centrales de France ? Comment se fait-il que certains détenus se retrouvent à trois dans une même cellule, contrairement au règlement ? Comment se fait-il qu’il y a des lieux où les gardiens de prison n’osent pas pénétrer sinon au risque de leur vie ? Comment expliquer que certains détenus ne passent pas leur sac à dos sous les portiques de détection métallique quand ils reviennent du sport ? Est-ce pour laisser passer les instruments de mort qu’ils ont fabriqués à partir d’axes métalliques – bien fabriqués, j’en ai vu avec dragonne et poignée – ? Pour lutter contre le terrorisme, monsieur le ministre, encore faut-il que votre action opérationnelle soit coordonnée avec l’autre bout de la chaîne, c’est-à-dire avec le ministre qui réside place Vendôme !

Deuxième axe de réflexion : souvent, le terroriste présente ce défaut qu’il n’a jamais rencontré l’autorité paternelle : il n’a jamais eu à se confronter avec des limites et avec un cadre parental, il n’a jamais eu la possibilité de savoir ce qui est faisable ou non faisable, ce qui est bien ou mal. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.) N’y a-t-il pas une certaine contradiction dans vos propos et ceux de votre gouvernement, alors que vous cherchez désespérément à reposer un cadre, à rétablir un sens, une symbolique, à soutenir, dans le même temps, un projet qui va jusqu’à rayer le mot de père du code civil ? (Protestations sur de nombreux bancs du groupe SRC.) Poussez vos cris d’orfraie, mais cela est tout à fait cohérent, mes chers amis : vous provoquerez dans les années à venir la confusion des genres, le déni de la différence des sexes et la psychose ! (Mêmes mouvements.)

M. Eduardo Rihan Cypel. C’est n’importe quoi !

M. Yann Galut. C’est lamentable !

M. Sébastien Pietrasanta. Il y a des limites à l’amalgame !

M. Nicolas Dhuicq. Fatalement, cette incohérence idéologique empêche votre système d’avoir toute l’efficacité que vous souhaitez en tirer.

Troisième axe de réflexion : comment se fait-il que la doxa officielle, qui frappe depuis des années les esprits, cultive en permanence la haine de soi et la repentance ?

M. Eduardo Rihan Cypel. Ne sabotez pas ce débat ! Élevez le niveau du jeu !

Mme Elisabeth Pochon. On a déjà entendu cela tout à l’heure…

M. Pascal Popelin. Oui, avec Mme Le Pen !

M. Nicolas Dhuicq. Ne serait-il pas intelligent de demander à votre collègue de l’éducation nationale que les enfants de France apprennent d’abord ce que disait René Char : « Épouse et n’épouse pas ta maison » ? L’ordre est important. Par intellectualisme forcené, on a voulu apprendre à des pré-adolescents, alors même qu’ils ne connaissent pas l’histoire de leur propre pays, celle des grands peuples et des grandes nations, quel que soit le respect que nous devons leur porter.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ils doivent avoir le même rédacteur pour tous leurs discours à l’UMP : on a déjà entendu cela !

M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le ministre, je vous demande donc un minimum de cohérence dans la politique que vous menez. Et le plus simple serait que vous rencontriez enfin votre collègue garde des sceaux qui n’apporte aucune réponse à la question que je pose sur l’insécurité dans les prisons. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Eduardo Rihan Cypel. Ne projetez pas sur nous vos propres échecs !

M. Nicolas Dhuicq. Français, nous portons une certaine responsabilité par rapport à la question de la terreur, je le rappelais à dessein. Il fut un temps, nous avons inventé la terreur de masse. Il fut un temps, nous avons inventé l’extermination des peuples.

M. Eduardo Rihan Cypel. Qui, « on » ?

M. Nicolas Dhuicq. Je n’ai pas parlé du terrorisme d’État qui s’est répandu pendant le XXe siècle : la famine en Ukraine et plus tard en Éthiopie pour asservir les peuples.

Monsieur le ministre, ces quelques rappels historiques ne sont pas faits pour provoquer… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Sébastien Pietrasanta. Pas du tout !

M. Yann Galut. On ne dirait pas : c’est lamentable !

M. Nicolas Dhuicq. Ils sont faits pour que nous puissions réfléchir ensemble car les déterminants de la sécurité actuelle et future dépendent des actes politiques d’aujourd’hui. (Huées sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Carlos Da Silva.

M. Pascal Popelin. Il va élever le débat !

M. Carlos Da Silva. Cela ne devrait pas me poser de grandes difficultés !

Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, entre les attentats perpétrés en France entre 1986 et 1996, ceux dont ont été victimes nos amis américains en 2001, espagnols ou anglais en 2004 et 2005 et les assassinats commis par Mohamed Merah en mars 2012 à Toulouse, le terrorisme a profondément changé de visage, de relais, de modes d’organisation et de financements.

Notre pays est l’objet de menaces particulièrement fortes – vous le rappelez souvent, monsieur le ministre – qu’il nous faut appréhender dans leur globalité pour pouvoir y apporter les réponses adéquates.

Le texte que nous examinons repose sur une vision réaliste de la situation dans laquelle nous nous trouvons et permet d’y apporter la réponse qui convient.

La menace terroriste a pris un caractère global. Nous n’avons pas seulement affaire à un danger qui viendrait de l’extérieur, dont on pourrait facilement détecter les lieux de préparation, identifier les groupes ou même parfois les États qui le financent.

Nous sommes confrontés à des individus, à des groupes qui connaissent et utilisent toutes les ressources que la mondialisation, et notamment les nouvelles technologies, mettent à leur disposition.

C’est cette menace globale, sous toutes ses formes et à travers tous les visages qu’elle peut prendre, qu’il nous faut combattre. Elle réclame, en tout premier lieu, et vous y insistez souvent, monsieur le ministre, le rassemblement de la nation tout entière. En montrant notre rassemblement, nous envoyons un message de détermination. En démontrant notre cohésion, nous disons qu’il n’y a aucun espace en France, aucune indulgence, ni pour les actes terroristes, ni pour les discours de complaisance à leur égard.

Cette menace globale nécessite en second lieu une réponse internationale, une coopération renforcée dans le cadre européen mais aussi avec tous les pays attaqués ou menacés et qui ont développé des modes de détection, de prévention et de réaction adaptés. Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes pleinement engagé dans ce travail de mise en commun des savoirs, des techniques et des moyens de résorption et d’annihilation du terrorisme.

Cette menace globale doit également pouvoir être combattue par une organisation du renseignement sans faille. Je sais là aussi que vos services sont au travail pour corriger les faiblesses qu’a pu révéler l’affaire Merah et qui ne peuvent nullement gommer les nombreux succès que les renseignements français ont accumulés depuis tant d’années.

Cette menace globale réclame enfin une adaptation contextuelle de notre arsenal judiciaire. C’est tout l’objet du projet de loi que nous examinons. Elle permet, à la fois, de répondre aux nouvelles formes d’embrigadement et de combattre la radicalisation. Elle permet aussi de prendre en compte les parcours d’individus dans l’endoctrinement et nous donne les moyens de prévenir, autant qu’il est possible, le passage à l’acte.

C’est le sens des dispositions nouvelles introduites par l’article 2 du projet. Elles offrent dorénavant la possibilité de poursuivre un ressortissant français ou un étranger résidant habituellement en France pour un délit terroriste commis dans un pays étranger, incluant la participation à un camp d’entraînement terroriste.

Jusqu’à présent et selon l’article 421-2-1 du code pénal, ce délit ne pouvait être poursuivi que si les actes commis à l’étranger étaient connexes à des faits de même nature commis sur le territoire français. Or les procédés de recrutement des futurs terroristes se sont opacifiés et laissent derrière eux de moins en moins d’éléments qui permettraient de faire un tel rapprochement.

En écartant le principe dit non bis in idem qui introduit, selon l’article 113-9 du code pénal, l’idée qu’un individu justifiant d’une mise en examen ou d’une condamnation à l’étranger ne peut être également poursuivi dans son pays, ce texte complète et amplifie le projet de loi Mercier présenté en mai dernier. Cet ajout essentiel pallie les possibles failles de la coopération internationale et des législations nationales que les individus incriminés pouvaient jusqu’ici exploiter.

La France doit en effet bénéficier, avec la tempérance qui la caractérise ainsi que la prise en compte de la peine effectuée à l’étranger, d’un levier pénal à l’égard d’un individu engagé dans le terrorisme international lorsque celui-ci n’a pas été « justement reconnu » du délit, du crime dont il est coupable.

Ainsi, cette nouvelle loi introduit une approche réaliste et plus efficace de la lutte contre le terrorisme et s’inscrit dans une perspective internationale à laquelle la France sait pleinement contribuer.

C’est une adaptation essentielle du droit français aux nouvelles problématiques induites par l’émergence de nouvelles pratiques en matière d’embrigadement, de formation et d’action terroriste.

C’est une réponse juste et impartiale à laquelle j’apporte mon soutien plein et entier, en me réjouissant qu’à l’exception de la dernière intervention, ce soutien vienne de tous les bancs de l’Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix, dernier orateur inscrit.

M. Olivier Marleix. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 1986 et à l’initiative du gouvernement de Jacques Chirac, la France s’est progressivement dotée d’un cadre juridique de lutte contre le terrorisme, souvent présenté à l’étranger comme un modèle d’efficacité.

Nos services sont d’ailleurs très actifs dans cette lutte et reconnus mondialement. La meilleure preuve, c’est que depuis l’attentat du RER à Port-Royal en 1996 et malgré une menace grandissante, nous n’avons plus connu d’attentat terroriste en France, contrairement à d’autres pays. Si nous avons été préservés, c’est que nous avons déjoué nombre de projets et arrêté ceux qui comptaient les commettre. Depuis 2007, 1 473 terroristes ont été interpellés et 392 écroués. Cet effort s’est poursuivi avec le récent démantèlement d’une cellule djihadiste à Cannes et à Torcy.

Permettez-moi de rendre hommage dans cette assemblée, en y associant mon collègue Éric Ciotti, aux militaires de la direction générale de la sécurité extérieure et aux fonctionnaires de police de la direction centrale du renseignement intérieur engagés, dans la plus grande discrétion et l’anonymat, dans cette lutte contre le terrorisme pour la sécurité de tous les Français.

Notre pays est donc confronté à un terrorisme en constante mutation, et c’est la raison pour laquelle je voterai sans état d’âme pour ce projet de loi, dans un contexte d’impérieuse nécessité d’unité nationale contre le terrorisme.

Après quelques péripéties et joutes verbales dans cet hémicycle, vous avez reconnu, monsieur le ministre, cette nécessité de rassemblement de tous les Français face au terrorisme. Nous nous rallions volontiers à vos derniers propos.

Je ne peux toutefois que regretter que la majorité parlementaire d’aujourd’hui, lorsqu’elle était dans l’opposition, n’ait pas souhaité soutenir avec la même force le texte présenté en conseil des ministres par le précédent gouvernement, le 11 avril 2012, après l’affaire Merah.

M. Philippe Goujon. Dommage !

M. Olivier Marleix. Le présent projet de loi reprend la plupart des dispositions qu’il contenait ou en tout cas s’en inspire très fortement, même si sur la forme vous avez jugé nécessaire d’y apporter quelques modifications pour l’en distinguer.

Monsieur le ministre, lors de votre audition devant la commission des lois de notre assemblée, vous avez précisé que le texte préparé par Michel Mercier, alors garde des sceaux, n’avait pas pu être adopté faute de temps. Ainsi que l’a rappelé mon collègue Guillaume Larrivé, s’il y avait eu consensus à l’époque, nous aurions collectivement pu gagner presque neuf mois dans l’application de ce texte. Le calendrier nous le permettait, quoi qu’on en dise.

Sur le fond, même si la commission des lois a intégré un certain nombre de nos amendements, nous pensons que ce texte pourrait encore être enrichi.

Il manque notamment, par rapport à la version du 11 avril 2012, ainsi que l’ont souligné mes excellents collègues Guillaume Larrivé et Philippe Goujon, la création d’un délit de consultation de sites internet faisant l’apologie du terrorisme, sur le modèle que nous avons mis en œuvre dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure en matière de lutte contre la pédopornographie.

Vous-même, monsieur le ministre, vous déplorez que le cyberespace soit devenu le terrain privilégié de recrutement, de radicalisation pour les apprentis terroristes. Les réponses apportées en commission ne nous apparaissent pas pleinement satisfaisantes. Nous espérons en obtenir de plus opérantes ce soir.

Nous souhaitons également réprimer la propagation et l’apologie d’actes terroristes, en créant un délit figurant non plus dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse mais dans le code pénal. Certes, le Sénat, à l’initiative du groupe UMP et du sénateur Hyest, a porté le délai de prescription à un an pour le délit de provocation au terrorisme, mais il s’agit d’une nouvelle entorse à la loi sur la liberté de la presse. Sa place nous semble être d’abord dans le code pénal.

Nous croyons aussi que la République doit mettre définitivement l’école à l’abri des mouvances radicales qui ne désespèrent pas d’éduquer des enfants en dehors des valeurs de la République. Et Dieu sait, comme mon collègue Nicolas Dhuicq l’a rappelé, si l’éducation est un élément fondamental. C’est le sens de l’amendement que je propose avec quarante de mes collègues.

Enfin, monsieur le ministre, concernant la commission départementale d’expulsion, proposez-nous de revenir à la version initiale du Gouvernement car l’introduction de la notion de « motif légitime » à l’initiative du groupe socialiste du Sénat vous soumettra au bon vouloir de la commission d’expulsion.

Vous avez certainement à l’esprit le cas de M. Hammami, représentant du courant Tabligh en France. Tirez tous les enseignements de vos difficultés à l’expulser vers Tunisie, plus de huit mois après que Claude Guéant a décidé le principe de cette expulsion. N’alourdissez pas inutilement les procédures d’éloignement de fondamentalistes étrangers par des initiatives parlementaires mal calibrées ou peut-être trop rapidement votées.

Nous souhaitons donc que nos remarques puissent être entendues pour améliorer encore ce texte, dans un esprit de rassemblement et d’unité nationale face au terrorisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais d’abord saluer le fait que ce texte recueille le soutien d’une très grande majorité des membres de cette assemblée – même si deux groupes s’abstiennent, si j’ai bien compris – comme ce fut le cas au Sénat. Mme la rapporteure, M. le président de la commission des lois et tous les orateurs ont insisté sur la nécessaire lutte contre le terrorisme. A priori, il n’y aura pas de vote contre le texte. C’est important face à la menace à laquelle nous sommes confrontés, et je m’en réjouis.

Je le dis même si le sujet est grave : l’histoire retiendra que c’est sous une majorité de gauche qu’un texte de lutte contre le terrorisme, complétant les mesures prises au cours des dernières années, a été adopté.

Pour cela, il fallait prendre le temps nécessaire. Sur ces sujets-là, nous ne pouvons pas nous contenter de mesures d’affichage, même si j’écouterai avec beaucoup d’attention les arguments des auteurs d’amendements. Cela est vrai en général, lorsqu’il s’agit de fabriquer la loi ; c’est encore plus vrai quand il s’agit de lutter contre le terrorisme. Il n’était pas possible de régler cette affaire en quelques semaines : nous avions besoin de l’expertise des magistrats de l’antiterrorisme, de tous ceux qui agissent, dans la justice comme dans la police, pour faire face à cette menace.

Je veux dire de ce point de vue combien a été utile le travail que nous avons accompli avec la garde des sceaux. L’efficacité de la lutte contre le terrorisme justifie, monsieur Goujon, de ne plus opposer police et justice. Car toute cette efficacité, vous le savez parfaitement, réside dans le bon fonctionnement de l’ensemble de la chaîne pénale.

Sur ce sujet, nous ne pouvons pas – j’emploie le « nous » à dessein – mettre en cause le Gouvernement. Je connais les arguments de chacun concernant la politique pénale de ce dernier – pas de la garde des sceaux : du Gouvernement. Mais de grâce, pour ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, n’opposons pas justice et police. N’opposons pas justice et sécurité. Parce que ce sont précisément les magistrats en charge de l’antiterrorisme qui sont les plus attentifs aux dispositifs les plus efficaces contre le terrorisme.

Oui, les temps ont changé. La juridiction antiterroriste fait aujourd’hui partie du paysage judiciaire. Nous avons déjà eu ce débat en commission des lois : on peut remonter à loisir les trente dernières années, ce que je sais, c’est que ceux qui ont gouverné le pays, à gauche comme à droite, quand ils ont été confrontés au terrorisme – et agissant souvent dans un esprit d’unité nationale – n’ont jamais failli à leur devoir. Jamais, que ce soit sous la présidence de François Mitterrand, de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy ou aujourd’hui de François Hollande.

Il ne sert à rien de réinventer l’histoire pour expliquer que certains étaient mieux préparés à lutter contre le terrorisme. Quels que soient les gouvernements, tous ont eu à faire face à cette menace et à subir des actes terroristes. On ne peut pas appeler à la concorde nationale – je l’ai appris à mes dépens il y a quelques semaines – et essayer de diviser au nom de l’histoire, parce que nous avons tous pris nos responsabilités lorsqu’il s’agissait de lutter contre le terrorisme. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

La loi de 2006 a apporté des améliorations, et il y en aura encore de nouvelles. Elle offre un équilibre satisfaisant entre efficacité et garantie des principes à valeur constitutionnelle. Contrairement d’ailleurs à ce qui s’est passé aux États-Unis, qui peut se comprendre d’une certaine manière étant donné la terrible frappe qu’ils ont subie en 2001, contrairement donc à ce pays pour qui nous avons amitié et estime, la France a toujours su préserver, c’est fondamental, et nombreux sont ceux qui ont aussi changé sur ces questions-là, un équilibre permanent entre justice et sécurité, entre liberté et sécurité. C’est tout le débat que nous avons eu, particulièrement équilibré, au Sénat, notamment avec le président Hyest ou l’ancien garde des sceaux Michel Mercier : nous savons tous que pour lutter contre le terrorisme, il faut évidemment des moyens exceptionnels, mais aussi la volonté d’utiliser la loi, dans le cadre de l’État de droit.

Alors, les pratiques évoluent, dans le sens aussi d’une plus grande transparence du renseignement, grâce au travail parlementaire – notamment de la mission dirigée par le président Urvoas –, mais aussi grâce à notre capacité de tirer les leçons de nos échecs et d’en débattre de manière sereine. Vous avez été plusieurs à évoquer la question – dont un orateur de l’UMP, qui a exposé une vision extrêmement sévère, mais pas injuste – de notre système carcéral e de ce qui se passe dans nos prisons. Mais enfin, je ne pense pas que ce député ait voulu dire que la situation actuelle résulte des six derniers mois ! La critique de ce député sur ce qui se passe dans nos prisons est sans doute juste. Mais si son regard est particulièrement lucide et acéré sur ce qui se passe depuis des années dans notre système carcéral, il ne peut faire preuve d’une telle lucidité tout en expliquant qu’il ne faut pas changer ce qui se passe aujourd’hui !

Elle est à l’étranger, sans quoi l’aurait-elle dit beaucoup mieux que moi : c’est précisément ce que veut faire Christiane Taubira pour sortir de cette spirale néfaste, qui fait qu’en prison, aujourd’hui, on construit de la récidive, de la criminalité et sans doute des réseaux terroristes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Vous avez raison, les uns et les autres, et nous avons déjà eu, notamment la garde des sceaux, l’occasion de nous exprimer sur ce point : nous avons besoin de former des imams et des aumôniers. C’est un défi pour l’islam de France et pour notre société. Les choix budgétaires qui ont été faits par le ministère de la justice, en charge de ce dossier, pour rééquilibrer les choses dans ce sens sont à et égard un élément très important. Mais il faut du temps. De ce point de vue, là aussi, monsieur le député, reconnaissons qu’on a perdu beaucoup de temps ! On a souvent voulu – cela remonte à loin – instrumentaliser l’islam. Moi je souhaite, comme la garde des sceaux, des imams français, des aumôniers français, formés aux valeurs de la République, qui parlent français et dont le message ne peut pas être soumis à caution. Nous avons tous besoin de faire un effort dans ce sens, au nom même des principes de laïcité que nous défendons. Ce sera un travail important.

Mais attention. Pour être bien précis, il faut dire que dans la dernière cellule terroriste qui a été démantelée, grâce au travail de tous les services – sous-direction antiterroriste, police judiciaire, renseignement intérieur… –, tous les individus, et je parle avec toute la prudence nécessaire, n’avaient pas forcément passé longtemps en prison, voire pas du tout. C’est pour cette raison que la réponse est toujours complexe. Elle doit être à chaque fois adaptée au terrain et à l’individu.

Tout n’est pas dû, madame Maréchal-Le Pen, uniquement à la question de l’islam. Il faut prendre en compte aussi la conversion, et d’autres problématiques : regardez ce qui s’est passé en Norvège, avec Breivik ! Le terrorisme peut venir de l’islam, mais attention à ne pas oublier qu’il peut venir aussi de l’extrême droite. Breivik était un loup solitaire, ce que n’était pas Merah – c’était une expression malheureuse pour le qualifier, tant il était lié à un terreau, à des réseaux. Il faut faire attention aux mots. Il y a un certain nombre d’analyses trop caricaturales de ces phénomènes.

Je crois être clair et lucide, comme la plupart d’entre vous, sur les explications concernant ce terrorisme aujourd’hui, celui qui naît dans notre société mais aussi celui qui, de l’extérieur, s’attaque à nos intérêts, à nos valeurs, à notre pays. Mais la menace évolue très vite. Dans un monde ouvert, qui change sans cesse, soyons attentifs à des menaces qui peuvent prendre des formes très différentes et qui nous obligent tous à nous adapter, à chaque fois.

Je remercie en tout cas tous ceux qui se sont exprimés de soutenir ce texte. Il y a des sujets, comme celui de la menace cyberterroriste, que j’ai évoquée à la tribune, sur lesquels nous sommes à l’écoute de toutes les propositions dès lors qu’elles sont, encore une fois, efficaces, acceptables d’un point de vue constitutionnel et adaptées et qu’elles correspondent à nos valeurs. Je ne veux pas fabriquer, nous allons en parler dans un instant, un dispositif qui contrevienne à la loi de 1881. Je suis prêt en revanche, avec sans doute d’autres membres du Gouvernement, je pense notamment à ma collègue en charge de la culture, à une évolution sur ces questions.

Mais il faut en prendre le temps. Et comme nous avions la possibilité d’avancer vite, par le biais de cette loi antiterroriste qui prolonge et enrichit les dispositions de 2006, nous l’avons saisie. Nous sommes partis de ce texte, bien évidemment. Pourquoi s’en réjouir, ou le regretter ? C’est ainsi, c’est la continuité ! Si nous présentons un texte aujourd’hui, c’est tout simplement parce que la France, qui ne l’avait pas été depuis quinze ans, a été frappée par des actes terribles, ceux commis par Mohamed Merah à Toulouse et à Montauban. Il n’y a pas, encore une fois, de leçons à donner sur ce thème. C’est cette continuité qui nous rend beaucoup plus forts pour affronter le terrorisme.

Et je ne doute pas que la discussion qui va venir sur les articles renforcera le texte, ainsi que les rendez-vous que nous avons fixés – ceux de la mission parlementaire et celui de 2015, puisque j’ai pris l’engagement de consolider notre législation et notre capacité de nous adapter en permanence aux formes du terrorisme. Sur ce point, peut-être M. Marsaud sera-t-il d’accord avec moi,…

M. Alain Marsaud. Ça m’arrive !

M. Manuel Valls, ministre. … il est possible que nous n’ayons pas suffisamment lu les analyses existantes sur les formes de la radicalisation terroriste. Par exemple, les analyses de la police de New York sur le 11 septembre 2001, celles concernant les attentats de Londres et de Madrid, de Rotterdam ou d’Australie, décrivaient ces processus de radicalisation que nous sommes en train de détailler pour ce qui nous concerne, qui font qu’en quelques semaines, en quelques mois, des individus se forment à un terrorisme mêlant délinquance, antisémitisme virulent, islamisme radical, passage ou non en prison, conversion et Internet. Les spécialistes de l’antiterrorisme français n’ont sans doute pas tiré suffisamment de conclusions de l’ensemble de ces analyses. Nous devons être ouverts aux formes que ces menaces prennent dans d’autres pays.

Bref, je vous invite tous, majorité et opposition, unis au Gouvernement pour défendre les intérêts de la nation, à être lucides et à lutter contre le terrorisme, au nom de la liberté et des valeurs que nous défendons. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant dans le texte de la commission les articles du projet de loi.

Article 1er

(L’article 1er est adopté.)

Après l’article 1er

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 1 et 7, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir le n° 1.

M. Georges Fenech. L’objet de cet amendement est de rendre obligatoire la rédaction d’un rapport évaluant l’efficacité des dispositions de la loi du 23 janvier 2006 dans la lutte contre le terrorisme, en particulier au regard des libertés publiques.

M. le président. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n° 7.

M. Paul Molac. Il vise lui aussi à obtenir un rapport, sans même demander à ce qu’il soit annuel, sur la loi du 23 janvier 2006. C’était un engagement pris lors du vote de cette loi, il me semble donc que cela va de soi.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Bechtel, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Défavorable. L’article 32 de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme prévoit déjà que le Gouvernement remette chaque année au Parlement un rapport sur son application. Il a certes été remis pour la dernière fois en 2008, mais ce n’est pas la faute de la loi ! Et ce que cette loi ne fait pas, une autre loi ne peut l’améliorer.

M. Alain Marsaud. Parce que personne ne les lit !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Défavorable.

(Les amendements nos 1 et 7, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Article 2

M. le président. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n° 8.

M. Paul Molac. L’élargissement de l’application de la législation française aux non-nationaux pourrait poser différents problèmes. Pensons aux personnes qui auraient légitimement trouvé asile en France et qui seraient accusées d’actions terroristes par leurs pays d’origine aux régimes dictatoriaux.

L’article L. 421-2-1 du code pénal permet déjà d’incriminer toute personne qui se serait entraînée à l’étranger dans un camp djihadiste en vue de préparer un acte terroriste. De plus, l’article L. 521-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permet également d’expulser les étrangers qui constitueraient une menace grave pour l’ordre public. Enfin, il est toujours possible d’extrader les étrangers.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. Défavorable, monsieur le président.

La possibilité de poursuivre en France des étrangers y résidant habituellement auteurs d’actes terroristes commis à l’étranger ne soulève pas les difficultés alléguées par les auteurs de l’amendement et elle répond à un réel besoin. Contrairement à ce qui est indiqué dans l’exposé des motifs, il n’est pas aujourd’hui possible de poursuivre en France quelqu’un qui se serait entraîné dans un camp djihadiste à l’étranger, car il s’agit d’un délit et non d’un crime. Or se limiter aux seuls Français serait trop restrictif, quand bien même il serait effectivement possible d’expulser ou d’extrader la personne, en particulier si c’est un étranger ayant fait toute sa vie en France et n’ayant aucune attache dans son pays d’origine.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je ne veux pas prolonger les débats ni être polémique, mais l’amendement présenté par notre collègue Molac, cosigné par le président du groupe écologiste, qui appartient à la majorité, est proprement hallucinant. La loi pénale française s’appliquerait aux crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme commis à l’étranger par un Français ; en revanche, ces mêmes actes, dès lors qu’ils seraient commis par un étranger résidant en France bénéficieraient d’une sorte d’immunité pénale.

Je crois, mon cher collègue, que vous avez été insuffisamment attentif au texte de l’amendement que vous avez présenté, qui est particulièrement choquant.

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est énorme !

M. le président. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. J’ai déjà donné l’une des raisons pour lesquelles nous déposons cet amendement. Imaginons, par exemple, qu’au début des événements de Syrie un Syrien ait trouvé refuge, c’était tout à fait possible, en France. Or cet homme a pu combattre le régime de Bachar El-Assad. Celui-ci serait alors fondé à demander l’arrestation de cette personne en la traitant de terroriste !

En outre, la France pourrait poursuivre n’importe qui sur la base d’une simple demande lui demandant de les condamner. C’est ce qui se passe en Belgique où, avec la compétence universelle, plein de gens portent plainte !

(L’amendement n° 8 n’est pas adopté.)

(L’article 2 est adopté.)

Après l’article 2

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements portant articles additionnels après l’article 2.

La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n° 10.

M. Paul Molac. La procédure pénale prévoit qu’en matière de terrorisme l’application des peines soit centralisée à Paris, avec avis simple du juge de l’application des peines territorialement compétent.

Cet article est contraire à l’individualisation des peines et marque une défiance vis-à-vis des juges. S’il se conçoit qu’en matière d’investigation et de jugement une spécialisation puisse être nécessaire, cela ne se comprend pas en matière d’application des peines. Par ailleurs, le parquet garde toujours la possibilité de faire appel d’une éventuelle libération conditionnelle.

De plus, la centralisation de l’application des peines alourdit la gestion des détenus répartis sur l’ensemble du territoire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. La centralisation à Paris de l’application des peines prononcées pour les infractions terroristes a été mise en place par la loi du 23 janvier 2006. Elle s’inscrit dans la continuité de la logique de spécialisation du contentieux terroriste. Cette centralisation permet de garantir la compétence des magistrats amenés à suivre les détenus, qui sont forcément des détenus « sensibles », mais aussi de limiter le risque de pressions par un certain éloignement géographique dont l’efficacité n’est pas à mésestimer.

Par ailleurs, les décisions doivent être prises après avis du juge d’application des peines territorialement compétent, ce qui assure un équilibre entre territorialisation et spécialisation.

Il n’y a donc pas lieu de supprimer cette centralisation.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Le sujet est important, mais je serai bref, car Mme la rapporteure a dit l’essentiel.

Le terrorisme, monsieur Molac, nous oblige, je veux défendre cette idée, à une réponse de très haut niveau, notamment des services spécialisés, qui doivent être dotés de moyens importants, spécifiques, concentrés, rassemblés, ce que seul le système qui existe aujourd’hui permet. C’est pourquoi le législateur a réservé à des juridictions parisiennes la compétence de connaître des affaires en matière d’actes de terrorisme. La force de notre dispositif antiterroriste tient notamment à cette centralisation des procédures pénales et à la spécialisation des magistrats qui en découle. Les grandes démocraties confrontées au terrorisme sont dotées de ce type de juridictions, qui permet d’être plus fort. Il faut être vigilant – des dérives, des dérapages sont toujours possibles –, mais on ne peut pas les remettre en cause. Si ces juridictions n’existaient pas, nous serions – prenez donc l’exemple de la Corse – nous serions en grande difficulté.

Par ailleurs, monsieur Molac, si l’Espagne n’avait pas l’Audience nationale pour lutter le terrorisme, elle serait en grande difficulté, et je vous le dis très amicalement mais aussi très directement : s’agissant du regard que nous devons porter sur nos voisins, ce pays a connu 800 morts, à cause de l’action de l’ETA. Je ne suis pas sûr qu’une démocratie peut résister à un tel impact. Je ne sais pas dans quelle situation nous serions si nous avions dû, nous, subir ce terrorisme à un tel niveau. Faisons attention aussi, sur les bancs de cette assemblée, à ne pas donner de leçons à ce pays à propos de la manière dont il considère une organisation politique – je parle de Batasuna – qui a, avec l’ETA, un lien évident. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marsaud.

M. Alain Marsaud. Dans une procédure pénale, monsieur Molac, il y a l’enquête, la poursuite, l’instruction, le jugement, la gestion de la détention avant l’éventuelle remise en liberté puisque, généralement, cela se termine ainsi.

La loi de 1986, qui a été améliorée pendant quinze ans, a introduit un système de centralisation. Dieu merci, heureusement que nous l’avons fait ! Nous nous trouverions sinon dans le même état que certaines démocraties voire pire – je pense aux États-Unis qui ne savent pas agir ainsi.

En 2006, nous avons voté la centralisation de l’exécution des peines au tribunal de Paris. Pourquoi donc ? Rapporteur de cette loi, je peux vous répondre. Il y avait des juges d’application des peines, à Ajaccio, à Bastia, mais aussi à Biarritz et à Bayonne, qui rendaient de drôles de décisions ! Des juges militants remettaient finalement en liberté des gens qui, forcément, ne le méritaient pas tout à fait. On a donc centralisé tout cela à Paris, en misant sur le fait que les juges d’application des peines y seraient un peu plus sérieux. C’est ce que l’on a du moins essayé, et cela a été un plus. On a peut-être évité ainsi certains débordements que l’on avait connus auparavant.

(L’amendement n° 10 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n° 24.

M. Paul Molac. Je le retire, monsieur le président.

(L’amendement n° 24 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n° 13.

M. Guillaume Larrivé. Si vous le permettez, monsieur le président, je présenterai simultanément l’amendement n° 14.

M. le président. Je vous en prie, cher collègue.

M. Guillaume Larrivé. Nous arrivons, monsieur le ministre, à la discussion des amendements relatifs à la lutte contre le djihadisme sur Internet.

Nous vous proposons de nous inspirer du dispositif de blocage des sites internet à caractère pédopornographique défini dans la LOPPSI 2 en 2011.

Sur le plan juridique, le dispositif est équilibré. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 mars 2011, a jugé, avec un raisonnement classique, que ce dispositif de blocage opérait « une conciliation qui n’est pas disproportionnée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et la liberté de communication ». L’idée que l’administration ait le pouvoir de bloquer un site Internet diffusant une idéologie pernicieuse, gravement attentatoire à l’ordre public, est validée par le Conseil constitutionnel et le dispositif est jugé équilibré s’agissant de la pédopornographie.

Nous proposons la même chose pour les sites faisant l’apologie du terrorisme, en proposant une variante. Avec l’amendement n° 13, il s’agirait de graver le dispositif dans le marbre des textes. Avec l’amendement n° 14, il s’agirait, de manière plus pragmatique, de l’expérimenter, en nous fixant une clause de rendez-vous, dans deux ans. Ainsi pourrions-nous nous assurer si, sur le plan technique, les services antiterroristes, les fournisseurs d’accès aussi, peuvent s’accommoder de ce dispositif pour bloquer des sites qui, nous le savons tous, sont particulièrement pernicieux, notamment parce qu’ils endoctrinent de jeunes gens à l’esprit faible, qui se trouvent ainsi entraînés dans une dérive terroriste.

Telle est l’économie du dispositif que nous proposons, dont je répète qu’il est juridiquement cadré, et dont l’application peut être bornée par un délai au terme duquel nous en débattrions à nouveau.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. Défavorable, monsieur le président.

Tout d’abord, ces amendements s’inspirent d’une disposition récente, votée en 2011, dans le cadre de la LOPPSI 2, qui était applicable à la pédopornographie. Avant d’envisager son extension à d’autres domaines, compte tenu de son caractère récent, une évaluation de son efficacité semble d’abord nécessaire pour aborder les choses de manière posée et pertinente.

Ensuite, cette modification – les auditions l’ont montré – n’est demandée ni par les magistrats antiterroristes ni par les services de renseignement, point qui peut tout de même impressionner. Le ministre de l’intérieur a fait observer lors des débats au Sénat – et cela explique ce que je viens de dire – qu’il n’était pas forcément souhaitable que plus personne ne bouge – c’est son expression – sur Internet, car cela pourrait finalement être contreproductif et créer des obstacles à la découverte de certains éléments.

En revanche, on peut imaginer que l’apologie du terrorisme sur Internet puisse permettre la captation de données, même si nous n’y sommes pas prêts juridiquement. Ce serait beaucoup plus utile que le blocage des sites, mais il n’y a pas de proposition sur cette question. Le Gouvernement, je crois, est prêt à travailler, mais cela pose encore des problèmes constitutionnels un petit peu délicats qui ne sont pas réglés dans ce texte mais qui pourront l’être à l’avenir.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. La comparaison avec la lutte contre la pédopornographie est très souvent invoquée pour justifier le blocage des sites à caractère terroriste. Étudiant ces dispositifs, j’en ai moi-même envisagé la possibilité il y a quelques mois. Cette comparaison doit être relativisée.

En effet, la lutte contre les sites à caractère terroriste pose un problème sans doute plus complexe. C’est toute la difficulté. Elle touche à la liberté d’expression et oblige à la recherche d’un équilibre très difficile à trouver au regard tant de nos principes constitutionnels que des normes européennes.

Cette incrimination oblige de plus, si l’on veut être efficace – ce qui est bien le but recherché – à mettre en place une veille a priori de l’Internet pour que les fournisseurs d’accès signalent tous les utilisateurs se connectant à certains sites. Cela suppose une infrastructure très lourde qui ne devrait pas être un obstacle en soi, mais pour un résultat aléatoire, au détriment d’autres axes d’investigation et de surveillance de la mouvance terroriste.

Par ailleurs, pour des mesures si attentatoires aux libertés, le recours au juge doit être la règle et les procédures administratives l’exception. Or la rapidité et l’efficacité de la réponse judiciaire ne sont pas en cause ici. Je rappelle que l’alinéa 8 du paragraphe I de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique permet un retrait judiciaire rapide des contenus litigieux par voie de référé. Par souci d’efficacité et de cohérence, le Gouvernement est donc d’abord enclin à sanctionner celui qui met en ligne ou permet la mise en ligne de tels contenus. Nous disposons en outre – je veux également le souligner – de l’incrimination de provocation ou d’apologie d’actes de terrorisme ou, le cas échéant, du délit d’association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste.

Voilà les raisons pour lesquelles, monsieur le député, le Gouvernement est défavorable à ces amendements. J’imagine que nous pourrons cependant évoluer sur ces questions dans les mois ou les années qui viennent. Plutôt que de mener une expérimentation, comme vous le proposez, approfondissons la réflexion en associant le Parlement, le ministère de la justice et le ministère de l’intérieur.

Il s’agit d’un vrai sujet. La réponse, à ce stade, est peu évidente. Nous devons prendre le temps nécessaire pour l’élaborer.

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin.

M. Gérald Darmanin. Monsieur le ministre, si j’entends bien votre réponse, le Gouvernement est défavorable à cette proposition, mais le ministre de l’Intérieur, lui, n’y serait pas totalement opposé ! Je soutiens pour ma part les amendements déposés par mon collègue Guillaume Larrivé, notamment l’amendement n° 14.

Il est possible de renverser votre argumentation, monsieur le ministre. Vous dites que la mise en place de la disposition proposée nécessiterait beaucoup de moyens, pour des résultats que vous – ou vos services, ou la réunion interministérielle qui n’a manifestement pas retenu cette idée – ne jugez pas très probants. Mais au nom du principe de précaution, faisons l’inverse ! Adoptons l’amendement n° 14, et voyons si cela fonctionne. Il n’est pas exagéré d’imaginer que cette disposition ait des résultats positifs, quand on connaît la révolution qu’apporte Internet aux agissements de certaines cellules terroristes, ce dont vous êtes convaincu. Voyons si ce dispositif protège efficacement la sécurité de nos concitoyens, par rapport à la mobilisation des services qu’il exige et aux coûts qu’il engendre.

Oui, on pourrait faire l’inverse de ce que vous proposez. C’est pourquoi je soutiens l’amendement de mon collègue Guillaume Larrivé qui me paraît très intelligent et très pratique. Plutôt que de proposer à nouveau ce dispositif dans quelques mois ou quelques années, en regrettant qu’on ne l’ait pas adopté dès aujourd’hui, je pense que nous pourrions l’adopter. Je ne veux pas faire de politique-fiction, mais nous pourrions ainsi éviter que quelques réseaux s’imprègnent encore plus du fanatisme de certains sites terroristes.

Vous dites que le parallèle entre les sites pédopornographiques et les sites terroristes est à relativiser. Mais ils relèvent de la même malfaisance ! Je suis sûr que les citoyens français, comme les étrangers présents sur notre territoire, ne fréquentent pas à l’envi des sites faisant l’apologie du terrorisme. C’est pourquoi je pense vraiment que l’amendement n° 14 de mon collègue Guillaume Larrivé doit être retenu par la représentation nationale.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je ferai deux remarques supplémentaires, l’une pratique et l’autre juridique.

En pratique, je me permets de souligner que l’amendement n° 14 offrirait au ministère de l’intérieur la faculté, et non l’obligation, de faire bloquer les sites en question. Cela veut dire que les services de lutte antiterroriste ne seraient pas accaparés par le blocage de dizaines de sites Internet. Au contraire, les services du ministère de l’intérieur auraient la possibilité pratique de cibler les blocages sur un, deux ou trois sites qu’ils jugeraient particulièrement pernicieux.

Sur le plan juridique, je crains que votre argumentation ne conserve les traces d’une idée fausse qui circule à la chancellerie et qui veut que seule l’autorité judiciaire ait la possibilité, sur le plan constitutionnel, d’ordonner le blocage d’un site Internet. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision sur la LOPPSI, en mars 2001, a fait litière de cette argumentation : l’administration a également le pouvoir, à titre préventif, c’est-à-dire au titre de son pouvoir de police administrative, d’empêcher l’atteinte à l’ordre public constituée par un site Internet faisant l’apologie du terrorisme.

Monsieur le ministre de l’intérieur, pour ces raisons à la fois pratiques et juridiques, je regrette vraiment que vous n’ayez pas l’audace d’accepter une expérimentation limitée dans le temps et somme toute très raisonnable.

M. Lionnel Luca. Très bien !

(L’amendement n° 13 n’est pas adopté.)

(L’amendement n° 14 n’est pas adopté.)

Article 2 bis A

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je défendrai par la suite deux amendements qui me donneront l’occasion d’aborder plus précisément la question des sites Internet, qui vient d’être évoquée.

Je veux cependant, à l’occasion de la discussion de cet article, placer ces amendements sous le signe de la cohérence. Il me semble qu’un travail important a déjà été mené au niveau parlementaire sur un texte, dont la première version était déjà intéressante, pour lui donner une véritable cohérence, que ce soit entre les différentes législations européennes à l’occasion de la transposition de la directive-cadre, ou qu’il s’agisse, avec ce que nous avons vécu et constaté des évolutions du terrorisme, de l’extension de la compétence de la loi pénale française.

Si je salue cette œuvre de cohérence, car toute notre œuvre antiterroriste progresse avec ce texte, il manque cependant la prise en compte raisonnable, mesurée et proportionnée – nous y reviendrons sans doute tout à l’heure – de la lutte contre les sites Internet qui diffusent des idées terroristes. Sur ce sujet, nous ne sommes pas cohérents. Nous nous donnons les moyens de poursuivre des Français qui commettraient des actes terroristes ou se prépareraient à en commettre à l’étranger. Mais les internautes qui fréquentent de manière assidue des sites faisant l’apologie du terrorisme ne se forment-ils pas, eux aussi, au terrorisme ? Il serait curieux, au regard des dispositions prises par l’ensemble du texte, de laisser de côté cette pratique nouvelle.

Faire un stage d’apprenti terroriste à l’étranger pourra être réprimé, mais pas faire ce stage sur Internet ! Cela ne me semble pas cohérent. Tel est le motif des amendements que je présenterai avec mes collègues du groupe UMP.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. Votre rapporteure était réservée quant à cet article 2 bis tel qu’il est inclus dans le texte de la commission. C’est contre son avis qu’il a été adopté. La modification apportée par cet article n’est pas capitale ; disons qu’elle est purement rédactionnelle. Je ne crois pas qu’elle change quoi que ce soit au fond du droit.

En effet, les extorsions figurent déjà dans la liste des infractions pouvant constituer des actes de terrorisme. Or le chapitre du code pénal consacré à l’extorsion comporte trois sections, dont l’une traite du chantage. De là à penser que le chantage est déjà inclus dans le code pénal comme infraction pouvant constituer un acte de terrorisme, il n’y a même pas de pas à franchir !

Je signale donc simplement à l’Assemblée qu’il s’agit d’un simple toilettage rédactionnel, et certainement pas d’une évolution juridique conséquente.

M. Marc Dolez. Très bien !

(L’article 2 bis A est adopté.)

Après l’article 2 bis A

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 3 rectifié et 12 rectifié.

La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 3 rectifié.

M. Georges Fenech. Le présent amendement propose de modifier la seule limite de l’association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes, prévue par l’article 421-2-1 du code pénal introduit par la loi du 1er mars 1994, en prévoyant la poursuite de personnes préparant seules des actes terroristes.

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n° 12 rectifié.

M. Philippe Goujon. Je serai bref, puisqu’il s’agit de défendre un amendement identique à celui que mon collègue Georges Fenech a présenté.

Cette nouvelle incrimination, qui pourrait s’appliquer, par exemple, aux recruteurs qui n’ont pas encore eu le temps de recruter de complices, permettrait d’incriminer les actes préparatoires commis par une personne seule. Elle interviendrait donc en amont de la phase où des éléments matériels attestent la préparation d’un acte terroriste, et où une information judiciaire peut être ouverte, soit pour tentative d’acte terroriste – puisque l’acte terroriste isolé existe dans notre droit pénal – soit pour d’autres infractions, telles que la détention illicite d’armes ou d’explosifs.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. Ces deux amendements ont pour objet de créer une nouvelle incrimination, inspirée du délit d’association de malfaiteurs, mais appliquée à une personne agissant de manière totalement isolée. Elle aboutirait à incriminer des actes préparatoires commis par une personne seule avant même que les éléments d’une tentative de passage à l’acte soient réunis.

Sur le plan des principes, il peut être justifié d’incriminer des actes préparatoires commis par plusieurs personnes dans le cadre d’une association de malfaiteurs en relation avec entreprise terroriste. C’est la définition même de l’association : il ne suffit pas d’une personne pour la constituer ! Mais l’application de cette incrimination à une personne seule paraît excessive. Comme l’a rappelé la garde des sceaux au Sénat, rien n’interdit de procéder à la surveillance administrative d’une personne isolée.

Nous retrouvons ici l’équilibre, dans la recherche de l’efficacité, entre répression et prévention. S’il existe des éléments matériels pouvant attester la préparation d’un acte terroriste, une information judiciaire peut être ouverte, soit pour tentative d’acte terroriste, si celle-ci est suffisamment caractérisée, soit pour d’autres infractions que la personne a commises. Il est par exemple assez fréquent que la personne concernée soit incriminée pour détention illicite d’armes ou d’explosifs. La panoplie du droit en vigueur suffit donc à couvrir la préparation d’un éventuel acte de terrorisme par une personne seule.

J’ajoute que ce qui dénature la notion d’association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste ne fait pas progresser le droit.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Cet amendement, qui revient de façon insistante dans nos débats sur la base d’une argumentation tout à fait estimable, se veut une réponse au phénomène que l’on appelle le « loup solitaire ».

Si le débat procède, en grande partie, des drames de Toulouse et de Montauban, je récuse, pour ma part, l’application de la notion de « loup solitaire » à Mohamed Merah. L’avoir dit, à l’époque, était une erreur. Cette erreur pèse toujours aujourd’hui dans la manière dont les familles des victimes et leurs conseils doutent parfois – de façon légitime – de l’action des services de police et de l’État.

Comme Mme la rapporteure vient de nous le dire, il nous appartient surtout, bien en amont des actes criminels, d’organiser nos services et nos actions pour détecter au plus tôt ceux qui agissent dans l’ombre, et n’ont – en apparence uniquement – pas de relations avec des réseaux qui sont, eux, particulièrement structurés. Voilà le défi !

Les dispositions ici envisagées n’auraient eu aucune utilité concrète, pratique, efficace, sur le comportement de Mohamed Merah. L’affaire Merah nous rappelle qu’au-delà des dispositifs que nous concevons, au-delà de la réponse judiciaire, au-delà de la création de nouvelles incriminations, la réponse tient à l’organisation des services de renseignement intérieurs et aux moyens que nous souhaitons leur accorder pour détecter, surveiller et prévenir ce genre de comportement.

Le problème essentiel est là. Je l’évoquais en début de soirée : toute la réorganisation de la Direction centrale du renseignement intérieur, la coordination au niveau local, le lien entre le local et le central, les moyens que nous devons donner à ladite Direction, la professionnalisation dans les recrutements – je pense notamment aux ingénieurs –, mais aussi la présence sur le terrain – j’ai précédemment évoqué les capteurs – sont, je le crois, une meilleure réponse. Ne pensons pas – et cela a d’ailleurs été une erreur de tous les services de renseignement – que c’est par la technique, voire même par l’action judiciaire, que nous répondrons, aujourd’hui, au phénomène du terrorisme. Ils sont, certes, nécessaires sinon nous ne débattrions pas de ce projet de loi. Mais, cette proposition ne va, en l’occurrence, pas à l’essentiel, car elle ne concerne pas ce que nous voulons viser.

C’est pourquoi nous émettons un avis défavorable aux amendements qui nous sont proposés.

(Les amendements identiques, nos 3 rectifié et 12 rectifié, ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 11, 2 et 22, pouvant être soumis à une discussion commune. L’amendement n° 2 fait l’objet d’un sous-amendement n° 27.

La parole est à M. Philippe Goujon, pour présenter l’amendement n° 11.

M. Philippe Goujon. Cet amendement vise à insérer dans le code pénal, et non dans la loi sur la liberté de la presse, l’infraction réprimant l’incitation à des actes de terrorisme et l’apologie de ces actes. La loi de 1881 prévoit, certes, d’ores et déjà la répression de l’apologie du terrorisme, mais selon un régime procédural bien sûr différent de celui du code pénal, notamment en matière d’instruction, de saisie du parquet ou de délai de prescription.

Nous proposons donc, comme l’avait fait le précédent gouvernement, d’insérer dans le code pénal ce délit prévu dans la loi de 1881. Cette évolution nous paraît nécessaire, car tous les parquets de France sont, aujourd’hui, susceptibles d’être saisis d’affaires relatives à l’apologie du terrorisme. Par ailleurs, l’avancée obtenue au Sénat en matière de prescription ne nous est pas apparue suffisante. En outre, la Cour européenne des Droits de l’Homme souhaite voir cette loi de 1881 expurgée de toute incrimination pénale. Enfin, cette loi ne pourra pas éternellement servir de référence, notamment pour les publications sur Internet.

Aussi cet amendement permettrait-il de satisfaire cette exigence européenne avant qu’une censure éventuelle de la CEDH ne vienne créer un vide juridique. Nous avons là, de plus, l’occasion de consolider notre législation.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour présenter l’amendement n° 2.

M. Georges Fenech. Cet amendement est de même nature que celui de mon collègue Goujon.

M. le président. La parole est à M. Damien Meslot, pour présenter son sous-amendement n° 27.

M. Damien Meslot. Ce sous-amendement complète les dispositions de l’amendement n° 11 en proposant de déchoir de la nationalité française toute personne ayant été condamnée à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque le fait de provoquer directement des actes de terrorisme ou de faire l’apologie de ces actes a été commis, notamment à l’aide de moyens de communication internet.

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix, pour soutenir l’amendement n° 22.

M. Gilles Bourdouleix. Ce que nous proposons était expressément prévu dans le texte du 11 avril 2012 présenté par le garde des sceaux de l’époque, Michel Mercier. Outre les éléments pertinents apportés par notre collègue Goujon quant aux textes européens, il nous paraît essentiel de faire évoluer le texte de la loi de 1881 et d’intégrer ce dispositif dans le code pénal.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements et sur ce sous-amendement ?

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. La commission est défavorable.

Ces amendements visent principalement à faire sortir l’infraction d’apologie du terrorisme du régime du droit de la presse fixé par la loi de 1881 pour en faire une infraction terroriste prévue par le code pénal. Cela aurait pour conséquence le fait que l’ensemble des dispositions de droit commun en matière de procédure lui serait applicable, mais aussi l’ensemble des règles dérogatoires prévues par le code de procédure pénale : prolongation de la durée de garde à vue jusqu’à six jours, possibilité d’entendre la personne gardée à vue sans avocat, perquisition de nuit, etc.

Le Sénat avait, quant à lui complété le projet, ce que votre commission a admis, par un article 2 ter, lequel permet d’améliorer le régime procédural applicable au délit d’apologie du terrorisme tout en le maintenant dans le cadre de la loi de 1881. Les dispositions résultant de ladite loi sont suffisantes pour améliorer l’efficacité de la lutte contre les propos faisant l’apologie du terrorisme.

Il est vrai que la question de la loi de 1881 et du contenu pénal, dont certains considèrent qu’il la pollue, mais que d’autres trouvent relativement normal, pourra se poser dans l’avenir. C’est, toutefois, surtout l’existence des sites Internet et de l’intercommunication qui doit pousser, un jour, à réviser la loi de 1881 d’une manière un peu plus cadrée et réfléchie, et à en sortir certainement des dispositions sanctionnant des comportements liés à Internet. Toutefois, ce qui a été décidé dans le cadre de ce projet de loi est, aujourd’hui, suffisant.

Le sous-amendement n° 27 a pour objet de permettre au juge pénal de prononcer, à titre complémentaire, la déchéance de la nationalité française. Outre le fait qu’il est disproportionné, parce qu’il porte sur des délits sanctionnés par des peines qui ne sont pas majeures, il est totalement contraire au droit international qui interdit de rendre une personne apatride. Il est, de plus, inutile, puisque l’article 25 du code civil prévoit déjà que « L’individu qui a acquis la qualité de français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’État, être déchu » – sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride, ce qui est prohibé par le droit international – « de la nationalité française : 1° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ; 2° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal… » Dans le meilleur des cas, ce sous-amendement est donc totalement inutile.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Tout en étant du même avis que Mme la rapporteure, j’irai plus loin dans la discussion.

Je partage l’inquiétude liée au développement sur de nombreux sites Internet de discours apologétiques ou provoquant le passage à l’acte terroriste, vecteurs de radicalisation qui peuvent relever du statut spécifique de la loi de 1881. L’encadrement de l’exercice de cette liberté ne peut plus s’apprécier, aujourd’hui, comme il s’appréciait au temps où la libre expression de la pensée avait pour vecteur l’imprimerie. Nous l’avons tous souligné, Internet représente une force de frappe d’une portée jamais égalée, car il permet de toucher en quelques secondes des milliers voire millions de personnes, au besoin de façon totalement anonyme. L’apologie du terrorisme sur Internet n’est donc plus seulement un usage abusif de la liberté d’expression, c’est un acte grave inscrit dans une stratégie de combat participant d’une activité terroriste à part entière.

Qu’il me soit d’ailleurs permis, au moment où nous parlons de la liberté de la presse, de rendre hommage, à Erik Izraelewicz, le directeur du Monde, qui est décédé cet après-midi. Ceux qui le connaissaient savent qu’il aurait, sans aucun doute, voulu participer à ce type de débat qui pose des défis redoutables à notre démocratie et, évidemment, à la presse et à des grands journaux comme celui qu’il dirigeait.

Au-delà des seuls délits de la presse, c’est, pour moi, l’ensemble de la cybercriminalité qui est évidemment un chantier prioritaire. C’est pourquoi j’ai demandé à mes services d’en faire un axe principal de leur action, d’abord dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et, plus largement, dans le domaine de la lutte contre toute forme de délinquance sur internet.

Je suis ouvert au débat que vous avez posé, monsieur Goujon. Je pourrais même apporter de l’eau à votre moulin en vous faisant part des remarques que Christine Lazerges, laquelle préside au destin de la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme, m’a adressées s’agissant de ce projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme. Elle reconnaît en effet, dans le courrier qu’elle m’a adressé, que, lorsque le législateur veut incriminer spécifiquement certains comportements en rapport plus moins lointain avec la communication et les réprimer fermement, il est préférable qu’il le fasse dans le cadre du code pénal et non dans celui de la loi de 1881 qui, d’une certaine manière, y perdrait son âme.

J’ai toutefois le sentiment, et je le regrette, que le débat n’est pas encore suffisamment mûr pour aller plus loin. Je ne doute pas que nous y parviendrons parce que, sur ce sujet, comme sur d’autres, nous devons trouver les armes les plus fortes et les plus positives. Mme la rapporteure vient de le rappeler, nous avons, avec Christiane Taubira, défini le cadre dans lequel nous devons agir. Mais nous avons besoin de travailler davantage. D’autres rendez-vous nous permettront de poursuivre ce débat.

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Nous ne sommes pas très loin d’aboutir, mais, comme ce fut le cas pour de nombreux autres amendements, monsieur le ministre, si vous progressez, vous n’avez pas l’audace d’aller au bout de la démarche. Pourtant, si vous prétendez rester dans le cadre de la loi de 1881, vous allongez le délai de prescription de droit commun et prévoyez le recours à la détention provisoire, ce qui est déjà, reconnaissez-le, une modification assez sensible du fond !

Nous devons, en matière de terrorisme, privilégier l’efficacité, ce que vous avez reconnu. Or, concernant les litiges en matière de presse, il y aura autant de tribunaux saisis qu’il existe de tribunaux de grande instance. L’action antiterroriste y perdra donc en efficacité alors que si nous nous orientons vers le droit pénal, toutes les actions antiterroristes seront concentrées au sein au TGI et du parquet de Paris, ce que vous avez défendu vous-même tout à l’heure, en matière d’efficacité antiterroriste, en repoussant un amendement d’un député de votre majorité.

(L’amendement n° 11 n’est pas adopté.)

(Le sous-amendement n° 27 n’est pas adopté.)

(L’amendement n° 2 n’est pas adopté.)

(L’amendement n° 22 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 25 et 16, pouvant être soumis à une discussion commune.

J’indique d’ores et déjà que, sur ces deux amendements, je suis saisi par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, pour présenter l’amendement n° 25.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Cet amendement vise à répondre à un problème soulevé à de nombreuses reprises dans les discussions préliminaires, puis dans les débats en commission et, enfin, tout à l’heure dans cet hémicycle : celui du développement de sites Internet faisant l’apologie du terrorisme et, parfois même, formant audit terrorisme.

Le ministre a soulevé, face à des amendements non pas semblables, puisqu’ils traitaient du blocage de sites Internet, mais visant le même problème, deux questions : celle des moyens et celle de la proportionnalité.

S’agissant de la question des moyens, mon collègue Guillaume Larrivé y a répondu justement. Il ne s’agit pas de punir ou poursuivre toute consultation habituelle et répétée de sites incitant au terrorisme, mais de se donner simplement les moyens de pouvoir le faire. Dans la mesure où il n’existe pas d’obligation de poursuivre en toute occasion, la question des moyens ne tient donc pas.

Quant à la question de la proportionnalité, nous sommes tous sensibles au fait que nous ne devons pas voter une mesure qui serait, par la suite, annulée par le Conseil constitutionnel, ce qui serait non seulement inefficace, mais du plus mauvais effet dans cette grande bataille que nous menons tous ensemble contre le terrorisme.

C’est la raison pour laquelle je propose par l’amendement n° 25, mais également par l’amendement n° 26 rectifié qui sera examiné par la suite, deux moyens de garantir la proportionnalité des mesures que nous prenons pour sanctionner la consultation habituelle et répétée de sites incitant au terrorisme.

La première mesure de proportionnalité tend à énumérer expressément des dérogations pour les personnes consultant ces sites pour de bonnes raisons, à savoir les forces de l’ordre, les journalistes et les chercheurs.

La seconde mesure de proportionnalité – j’en dis un mot tout de suite, même si nous y reviendrons – consiste à limiter les sanctions applicables à ce qui est strictement nécessaire, au lieu d’appliquer l’ensemble de l’arsenal antiterroriste.

Ces deux garanties doivent permettre de considérer que les amendements présentés respectent la proportionnalité, et ne portent pas d’atteinte excessive aux droits et libertés au regard des besoins. Elles me semblent donc de nature à lever la deuxième réticence soulevée tout à l’heure par M. le ministre – j’ai déjà évoqué la réponse que l’on pouvait apporter à la première. Nous pourrions donc tomber d’accord.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n° 16.

M. Guillaume Larrivé. Mme Kosciusko-Morizet a défendu avec éloquence la nécessité du dispositif que nous proposons et sa solidité juridique au regard des exigences de proportionnalité que le Conseil constitutionnel a énoncées.

J’ajoute un troisième élément qui marque la différence entre nos deux amendements. Il s’agit de la possibilité d’expérimenter. Nous le savons : l’article 37-1 de la Constitution permet à la loi de comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental. Nous proposons que ces dispositions à caractère pénal soient votées pour une période de deux ans : elles s’appliqueraient donc aux faits constatés pendant cette période. En fonction d’un bilan partagé de l’application de ces dispositions, le législateur serait amené à les proroger ou non, dans l’esprit même du projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui puisque l’on proroge des dispositions de la loi antiterroriste de 2006.

Un amendement nécessaire, solide juridiquement et présentant un caractère expérimental : voilà ce que nous proposons. Nous avons souhaité que l’Assemblée nationale se prononce par un scrutin public, pour que chacun puisse prendre ses responsabilités.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. L’avis de la commission est défavorable pour de nombreuses raisons, aussi bien pratiques que juridiques.

Sur le plan pratique, l’utilité de ces amendements n’est pas évidente, car l’analogie avec le délit de consultation habituelle de sites pédopornographiques ne paraît pas totalement pertinente. La pratique judiciaire montre d’ailleurs que ce dernier délit est souvent difficile à prouver en l’absence de conservation des images par les internautes. Il faut donc présupposer que celui qui consulte des sites faisant l’apologie du terrorisme a conservé les images. Je note d’ailleurs que la création d’un tel délit n’est pas demandée par les magistrats antiterroristes.

Sur le plan des principes, la rédaction même de ces amendements pose des difficultés assez grandes. Tout d’abord, l’absence préoccupante de précision ne met pas seulement en cause la proportionnalité, comme il a été dit, mais bel et bien le principe de légalité des délits et des peines : en effet, lorsqu’une peine est encourue, l’incrimination correspondante doit être précisément définie. Or que lisons-nous au deuxième alinéa de l’amendement n° 16 ? Après avoir énoncé qu’est puni de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende le fait de consulter de façon habituelle un service de communication au public en ligne faisant l’apologie des actes de terrorisme, l’amendement précise : « le présent article n’est pas applicable lorsque la consultation résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice ». J’ai déjà eu l’occasion de souligner devant la commission que le principe en cause n’est pas ici celui de la proportionnalité, mais bien celui de la légalité des délits et des peines. J’ai ainsi donné l’exemple d’un enseignant ayant consulté de tels sites afin de mieux informer ses élèves : se situe-t-il ou non dans l’exercice normal de sa profession ? Tout cela est laissé à l’appréciation du juge, d’une manière beaucoup trop imprécise pour que nous puissions considérer que les principes constitutionnels sont respectés.

Quant à l’application provisoire, elle est radicalement impossible !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Totalement impossible !

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. L’application provisoire prévue par l’amendement n° 16 ne paraît pas pertinente – c’est le moins que l’on puisse dire ! – s’agissant d’une disposition pénale à laquelle s’appliquerait le principe de rétroactivité de la loi pénale la plus douce. La loi pénale la plus douce s’applique dès l’instant qu’une incrimination nouvelle apparaît. Si l’existence de ce délit n’était pas maintenue, les poursuites non achevées à la date de disparition de l’article deviendraient donc caduques lorsque l’article cesserait sa vie expérimentale ! Les peines prononcées ne pourraient alors plus être exécutées, conformément à l’article 112-4 du code pénal.

Pour toutes ces raisons à la fois pratiques et juridiques, ces amendements ont été rejetés par la commission.

M. Alain Marsaud. Ce n’est pas très convaincant !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Même avis. L’explication de Mme la rapporteure est tellement complète !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je souhaite souligner l’extrême juridisme de notre rapporteure, en lui faisant tout de même une objection.

Madame la rapporteure, vous ne voyiez pas d’obstacle à ce que le juge pénal apprécie la notion de résidence habituelle. En revanche, vous voyez un obstacle dirimant à ce que le même juge pénal apprécie in concreto, au cas par cas, la notion d’exercice normal d’une profession. Permettez-moi de vous le dire : en réalité, tous les prétextes sont bons pour écarter les amendements de l’opposition !

M. Philippe Goujon. C’est vrai !

M. Alain Marsaud. C’est un débat juridique !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je ne sais pas si l’on peut dire que tous les arguments sont bons pour écarter les amendements de la majorité, mais je souhaite rappeler un principe fondamental du droit. Nous n’allons tout de même pas créer ce soir la première incrimination à titre expérimental en matière pénale ! C’est exactement ce que vous êtes en train de nous proposer !

M. Philippe Goujon. Mais cela est permis par la Constitution !

M. Guillaume Larrivé. La Constitution le permet ! Article 37-1 !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. L’incrimination pénale ne peut pas entrer dans un dispositif expérimental. Ce que nous a indiqué notre rapporteure est frappé…

M. Philippe Goujon. De l’inefficacité !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. …au coin de la compétence juridique en matière de droit pénal et de procédure pénale. Mes chers collègues, imaginez-vous ce que pourrait être demain le fait de créer des incriminations pénales à titre temporaire, expérimental, pour voir ce que cela donne ? Que devient le principe de l’égalité de tous devant la sanction pénale et le fait pénal ? Bien entendu, cette disposition est « ajuridique » au vrai sens du terme.

M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix l’amendement n° 25. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Jacob, savez-vous encore où vous devez vous asseoir ? (Sourires.)

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 65

Nombre de suffrages exprimés 65

Majorité absolue 33

(L’amendement n° 25 n’est pas adopté.)

M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix l’amendement n° 16.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 66

Nombre de suffrages exprimés 66

Majorité absolue 34

(L’amendement n° 16 n’est pas adopté.)

Article 2 ter

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, inscrite sur l’article.

Mme Colette Capdevielle. L’article 2 ter dans sa nouvelle rédaction modifie substantiellement les dispositions de la loi de 1881, tant en ce qui concerne les délais de prescription que la détention provisoire, prohibée selon une jurisprudence ancienne et réitérée. Rappelons que ce texte, inspiré de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et voté sous la IIIe République, définit les libertés et responsabilités de la presse : c’est même le texte fondateur de la liberté de la presse et de la liberté d’expression. Si ancien soit-il, il reste le texte de référence !

Le législateur de 1881 ignorait tout de la cybercriminalité. Dans sa sagesse, il mesurait déjà l’équilibre vital entre liberté, sécurité et efficacité. Le législateur de 2012 doit donc s’adapter aux nouvelles formes très pernicieuses de la cybercriminalité. On l’a dit et M. le ministre l’a précisé : la cybercriminalité est pernicieuse tant dans sa diffusion que dans son impact sur les mineurs qu’elle touche sans aucun contrôle. Pour autant, le législateur ne peut oublier que la détention provisoire doit rester exceptionnelle et toujours spécialement motivée, comme le veut l’esprit de la loi française.

Je me permets donc d’appeler l’attention de M. le ministre de l’intérieur et de mes collègues à la plus grande vigilance concernant l’article 2 ter, et de souligner la délicatesse d’aménagement de cette disposition ancienne mais sage.

Nos débats sont aussi la preuve que les aménagements du texte de 1881 ne sont pas pleinement satisfaisants. Les nouvelles formes de cybercriminalité imposent véritablement la mise en place d’une législation mieux adaptée à la lutte que nous menons contre le terrorisme.

M. le président. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n° 20.

M. Paul Molac. Cet amendement vise à interdire le placement en détention provisoire en cas de provocation ou d’apologie d’actes de terrorisme. Toute modification de la loi sur la presse doit en effet être effectuée avec la plus grande vigilance et la plus grande précaution : il s’agit de l’une des bases de la démocratie que les pères de la République ont mises en place !

Permettre la détention provisoire de personnes ou de directeurs de publications ayant fait l’apologie d’actes de terrorisme n’a aucune efficacité préventive dès lors que si ces personnes venaient à participer à un groupement établi en vue de la préparation d’un acte de terrorisme, elles tomberaient directement sous le coup de la loi et pourraient être placées en détention provisoire pour ce motif.

Même si comparaison n’est pas raison, l’apologie de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité n’entraîne pas de détention provisoire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. La commission ne s’est pas montrée favorable à cet amendement qui vise à supprimer la possibilité de placement en détention provisoire pour délit d’apologie du terrorisme.

L’auteur de l’amendement a évidemment raison de souligner que toute modification de la loi sur la presse doit se faire avec précaution. Nous en sommes tous conscients, et je l’ai d’ailleurs indiqué dans mon rapport. Pour autant, compte tenu de la gravité des actes en cause, à savoir des faits d’apologie du terrorisme, prévoir la possibilité d’un placement en détention provisoire ne semble pas disproportionné. Les magistrats antiterroristes que j’ai entendus ont estimé – je leur ai posé précisément la question – que cette disposition pouvait être nécessaire dans certains cas, sans doute pas très fréquents – je le dis pour rassurer M. Molac –, notamment dans deux cas de détention provisoire prévus à l’article 144 du code de procédure pénale : mettre fin à l’infraction et prévenir son renouvellement.

Cela dit, comme l’a souligné M. le ministre il y a un instant et comme je l’avais également indiqué, il y aura lieu de revenir sur le partage entre ce qui doit relever strictement de la loi de 1881 et les dispositions pénales s’adressant plus spécifiquement aux infractions commises sur le support d’Internet.

(L’amendement n° 20, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 2 ter est adopté.)

Après l’article 2 ter

M. le président. Je suis saisi de trois amendements portant article additionnel après l’article 2 ter.

Les deux amendements nos 21 et 26 rectifié peuvent être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Gilles Bourdouleix, pour soutenir l’amendement n° 21.

M. Gilles Bourdouleix. Cet amendement vise à reprendre une disposition qui était prévue dans le projet de loi présenté par M. Mercier, garde des sceaux, en conseil des ministres le 11 avril 2012. Il s’agit de différencier les procédures prévues par le code de procédure pénale selon qu’il s’agisse d’actes de terrorisme en tant que tels ou d’une apologie ou incitation aux actes de terrorisme.

Je le répète : cet amendement reprend une disposition de l’excellent texte qui avait été présenté par le garde des sceaux Michel Mercier.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, pour soutenir l’amendement n° 26 rectifié.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Cet amendement est le jumeau de l’amendement n° 25 : il s’agit de la seconde garantie de proportionnalité qui n’a manifestement pas convaincu M. le ministre, ou qui n’a pas convaincu ses collègues en réunion interministérielle, puisqu’il m’a bien semblé qu’il n’était pas insensible aux arguments que nous avions développés en commission des lois puis en séance publique. Je ne peux que le regretter. Je maintiens l’amendement n° 26 pour qu’il soit mis aux voix, mais je comprends qu’il a moins de sens après le rejet de l’amendement n° 25.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. Il s’agit d’amendements de conséquence des amendements nos 16 et 25 précédemment rejetés. Ils sont donc sans objet.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Même avis. J’ajoute que je trouve Mme Kosciusko-Morizet très perspicace. (Sourires.)

(Les amendements nos 21 et 26 rectifié, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Pietrasanta, pour soutenir l’amendement n° 5.

M. Sébastien Pietrasanta. Je souhaite associer étroitement Marie-Françoise Bechtel à la défense de cet amendement, qui consiste à créer un délai supplémentaire d’un an pour l’indemnisation des victimes de terrorisme.

Aujourd’hui, les victimes peuvent demander leur indemnisation par le fonds de garantie dans un délai de dix ans à compter de la date des faits ou de l’aggravation de leur préjudice. Le présent amendement précise simplement que si des poursuites pénales ont été engagées, cette action peut également être exercée dans un délai d’un an à compter de la décision de la juridiction qui a statué définitivement. Il nous a paru important de soutenir davantage les victimes de terrorisme.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. Avis favorable. Il s’agit pour les victimes d’aligner les possibilités d’être relevé de la prescription d’actes de terrorisme sur le droit commun.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Cet amendement vient, monsieur Pietrasanta, rétablir fort heureusement une situation paradoxale. Les victimes d’actes de terrorisme se voient appliquer jusqu’à présent des règles plus restrictives que les victimes d’infractions de droit commun. Il fallait y remédier, et je vous en remercie.

(L’amendement n° 5 est adopté.)

Articles 2 quater à 2 sexies

(Les articles 2, 2 quinquies et 2 sexies sont successivement adoptés.)

Après l’article 2 sexies

M. le président. La parole est à M. Alain Marsaud, pour soutenir l’amendement n° 6 portant article additionnel après l’article 2 sexies.

M. Alain Marsaud. En 2005, lorsque nous avons débattu du texte qui allait devenir la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte antiterroriste, nous nous sommes posé la question de savoir ce que nous allions faire des services de renseignement. À cet égard, certains pourraient considérer que parler de l’organisation de ces services n’a pas forcément sa place dans ce projet de loi de lutte contre le terrorisme. Dieu sait pourtant que le fonctionnement et éventuellement la surveillance et le contrôle des services de renseignement peuvent être de nature à améliorer les résultats de la lutte antiterroriste !

Je me souviens qu’en 2005, sur l’ensemble de ces bancs – les bancs de l’opposition d’alors devenue majorité aujourd’hui et de la majorité d’alors devenue opposition – un consensus s’était dégagé sur ma proposition, soutenue par le ministère de l’intérieur de l’époque, M. Sarkozy.

Des engagements avaient alors été pris visant à mettre en place un véritable contrôle parlementaire des services de renseignement. Il y avait sur ce point unanimité parce que l’on s’était rendu compte que le politique – le pouvoir exécutif comme le pouvoir législatif – contrôlait tellement peu les services de renseignement tant intérieur qu’extérieur qu’il ignorait visiblement ce qui s’y passait.

À l’époque, les choses étaient plus complexes puisqu’il y avait à la fois la DST, les Renseignements généraux et la DGSE, mais on avait commencé à mettre en place ce qui devait devenir un véritable système de contrôle parlementaire des services de renseignement. Il se trouve que si la majorité de l’époque est restée majorité après les élections, je n’ai pas été reconduit dans mes fonctions de rapporteur faute d’être resté parlementaire.

M. Philippe Goujon. Quel dommage !

M. Alain Marsaud. Or mon successeur ne partageait pas du tout mon opinion : partisan d’un système plus régalien, il considérait que le Parlement n’avait pas sa place dans le contrôle des services de renseignement. C’est ce qui explique qu’il n’existe pas aujourd’hui de contrôle parlementaire des services de renseignement. Je ne dirai pas que c’est ce qui a entraîné les conséquences que nous connaissons tous en matière de terrorisme. Mais au moins me paraît-il important que nous puissions réfléchir à cet état de choses. C’est la raison pour laquelle je propose de mettre en place une commission de contrôle des services de renseignement sur pièces et sur place.

On me dira qu’une réflexion sur ce point a déjà été confiée au président de la commission des lois. Mais s’il faut faire en sorte que ses travaux aboutissent, pourquoi reporter à quelques mois, que dis-je, peut-être à quelques années ce qui pourrait être décidé ce soir ?

M. Lionnel Luca. Depuis le temps que cela dure !

M. Alain Marsaud. Nous en avons besoin car il y va de l’efficacité de nos services et de l’avancée de la démocratie.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Je souhaite saluer la constance du député Marsaud. Un jour, dans cette législature, …

M. Gérald Darmanin. Il aura raison !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. …il aura l’occasion de voter une loi qui prévoira le contrôle des services de renseignement et il pourra se dire qu’il y aura contribué pour beaucoup. Mais ce n’est pas encore pour ce soir.

M. Lionnel Luca. Comme toujours, ce n’est pas le moment…

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Nous travaillons depuis trois mois et encore pour deux mois sur les modalités du contrôle parlementaire. M. Marsaud le sait, la question est difficile : si tout le monde est d’accord sur le principe, encore faut-il arriver à définir le périmètre de contrôle. Je suis de ceux qui pensent que ce n’est pas tant les services qu’il faut contrôler que la façon dont le pouvoir politique se sert des services de renseignement.

Pour parvenir à la meilleure définition possible du contrôle et de son périmètre, nous devons encore procéder à des auditions. Mais je vous reconnaîtrai volontiers, monsieur Marsaud, la paternité de cette proposition. Votre constance méritait d’être saluée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur cet amendement ?

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. Avis défavorable pour des raisons qu’il est inutile d’exposer plus longuement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Je suis un peu gêné d’intervenir dans l’échange entre M. Urvoas et M. Marsaud. Mais peut-être était-ce une chance, monsieur Marsaud, de ne pas avoir été reconduit dans vos fonctions de député ? Cela a sans doute contribué à votre constance à laquelle M. Urvoas a fait allusion. (Sourires.) Mais à ce stade, je ne partage pas forcément l’appréciation négative que vous formulez sur les débuts de la délégation parlementaire au renseignement, la DPR. Il faut être attentif à son travail.

En tout cas, je ne suis pas hostile à des avancées, à condition, monsieur le président de la commission, qu’elles respectent le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.

Les services eux-mêmes, notamment le renseignement intérieur, demandent un contrôle et une protection juridique.

M. Alain Marsaud. Tout à fait.

M. Manuel Valls, ministre. S’il est logique qu’ils puissent être contrôlés dans leur action par le Parlement, tout sera cependant question d’équilibre, de finesse – c’est d’ailleurs pourquoi le président de la commission des lois suit ces questions…

Vous avez l’un et l’autre dit, à juste titre, il est temps que les responsables politiques s’intéressent à la question du renseignement, comme c’est le cas dans toute démocratie. Pour autant, cela voudra dire, monsieur Marsaud, que le Parlement lui-même devra intégrer la culture du secret et de la responsabilité concernant ces sujets, qui nécessitent évidemment une très grande confiance. C’est le cas dans un certain nombre de grandes démocraties – avec parfois, il est vrai, des dérives.

Parce qu’il nous faut du temps, parce que je respecte le travail de la commission des lois et de la mission d’évaluation, n’agissons pas de manière précipitée et attendons les conclusions de cette dernière.

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin.

M. Gérald Darmanin. Si j’ai bien compris, monsieur le président de la commission des lois, votre idée semble plus de vous pencher sur le contrôle que les politiques feraient de ces services que sur le contrôle des services eux-mêmes.

M. Manuel Valls, ministre. Cela mérite débat.

M. Gérald Darmanin. Je ne suis pas sûr qu’il faille aller dans ce sens plutôt que dans celui du contrôle par le Parlement du fonctionnement des services.

Pour la clarté des débats, je souhaite que vous précisiez à la représentation nationale votre réflexion sur ce point, sachant manifestement que l’amendement de M. Marsaud sera rejeté.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Je ne peux vous faire part de nos conclusions puisque, avec Patrice Verchère, nous n’avons pas encore finalisé les propositions que nous ferons à la mission, mais nous avons l’intime conviction – je suis d’accord avec le ministre – que c’est parce que la DPR existe depuis cinq ans que la confiance est née entre ces deux mondes qui avaient tendance à s’ignorer, le renseignement et le Parlement.

Cela est certainement dû aux parlementaires qui ont fait partie de la délégation parlementaire au renseignement, et qui, en allant sans doute au-delà de ce que la loi prévoit, nous permettent aujourd’hui de passer à un stade supérieur.

Nous sommes conscients que le Parlement ne peut pas considérer le contrôle des services comme une entrave.

M. Lionnel Luca. Bien sûr.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission. Il faut l’envisager comme une protection : sécuriser les services et les citoyens, dissiper le halo de suspicion qui entoure les services de renseignement. Ces services sont un simple outil régalien, une politique publique au service de l’État. Il n’y a donc aucune raison d’imaginer que ce sont les hommes du cardinal qui passent leur temps à faire des assassinats dans les culs de basse-fosse.

M. Gérald Darmanin. Il faut l’espérer !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission. Il faut sécuriser les citoyens et les agents, qui ont besoin de cette protection. Il faut être certain que le cadre fixé par le Conseil constitutionnel, par une décision de 2001, qui vise à interdire au Parlement le contrôle des opérations en cours…

M. Lionnel Luca. Bien sûr.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. …soit respectée, sans que le Conseil n’ait jamais défini le périmètre d’une opération en cours. C’est d’ailleurs tant mieux, car je ne crois pas que le Parlement ait intérêt à aller chercher les sources ou avoir accès à certains documents.

M. Lionnel Luca. C’est sûr.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Il s’agira donc de contrôles ex post, étant entendu que je ne sais pas encore définir ce que recouvrira le terme de contrôle. En effet, il existe déjà des formes de contrôle : le comité de vérification des fonds spéciaux ; la CNCIS, qui contrôle les interceptions de sécurité ; les rapporteurs budgétaires qui ont toute latitude de juger sur pièces et sur place de l’utilisation de l’argent public. À ce stade, je suis donc dans l’impossibilité de définir ce que sera le contrôle parlementaire. Nous avons entamé un travail important de droit comparé.

Dans tous les pays qui nous entourent il existe une forme de contrôle. Aucune de ces formes n’est exactement transposable en France compte tenu de nos traditions et, surtout, d’un certain nombre de cadres juridiques qui nous sont propres.

M. Alain Marsaud. À quel cardinal faisiez-vous allusion ? (Sourires.)

(L’amendement n° 6 n’est pas adopté.)

M. Gérald Darmanin. Dommage.

Article 3

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n° 17.

M. Guillaume Larrivé. Voici un amendement qui devrait, logiquement, monsieur le ministre, recueillir un avis favorable et enthousiaste de votre part puisqu’il consiste à revenir ni plus ni moins à votre projet de loi.

Nous sommes sur un point important, même si jusqu’alors, il n’a fait l’objet que de débats assez rapides en commission. Les procédures d’expulsion pour motif d’ordre public doivent être améliorées. C’est l’intention du Gouvernement : nous la partageons.

Or il existe deux procédures. D’une part, une procédure en urgence absolue, dans laquelle le ministre de l’intérieur étant compétent, il n’a pas à saisir les commissions d’expulsion. Cette procédure, vous ne la modifiez pas et nous ne proposons pas de la modifier.

D’autre part, une procédure qui est dans la main des préfets qui, eux, sont tenus de consulter une commission départementale d’expulsion, composée de magistrats de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif.

Le texte propose que si cette commission, une fois saisie, ne se prononce pas dans le délai fixé, l’administration est fondée à considérer que l’avis est réputé rendu.

Au fil des débats, ce dispositif simple et de bon sens, particulièrement expédient, a été compliqué. Dans la dernière version du texte, tel qu’il a été adopté par la commission des lois, l’étranger faisant l’objet d’une mesure d’expulsion pourrait exciper d’un motif légitime retardant en réalité l’avis de la commission départementale d’expulsion et bloquant la faculté laissée au préfet de mettre à exécution cette expulsion.

Cette évolution du texte est pernicieuse et je propose d’en revenir ni plus ni moins au texte du projet de loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. Avis défavorable. Le texte adopté par la commission des lois permet de tenir compte d’une avancée proposée par le Sénat, à savoir permettre à la commission d’expulsion de pouvoir accorder un délai supplémentaire, et une fois, à l’étranger lorsque celui-ci invoque un motif légitime. Je rassure M. Larrivé, ce délai, comme le premier, est encadré dans le temps. Les décisions ne peuvent être par trop différées.

Revenir sur la modification proposée par le Sénat ne paraît pas opportun. La commission d’expulsion composée de trois magistrats appréciera très bien si le motif est légitime ou non. Mais le tout reste encadré dans un délai.

Je ne reviens pas sur la confusion qui figure dans l’exposé des motifs. Il ne s’agit pas en l’occurrence de procédures d’expulsion en urgence absolue, mais l’auteur de l’amendement s’en est aperçu et a procédé lui-même à la correction.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Même avis.

(L’amendement n° 17 n’est pas adopté.)

(L’article 3 est adopté.)

Article 4

(L’article 4 est adopté.)

Après l’article 4

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 15, 18 et 19, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. La République n’est pas l’abri de projets d’écoles privées hors contrat d’association portés par des acteurs non nationaux, parfois liés aux mouvances djihadistes, qui font peu mystère d’idéologies et de valeurs qui ne sont pas celles de la République.

Or, dans notre droit actuel, les représentants de l’État ne peuvent pas s’opposer à la création d’un projet d’école au motif qu’il porterait manifestement atteinte aux valeurs de la République. Ils ne peuvent s’opposer à un tel projet qu’en invoquant, de façon un peu dilatoire, l’intérêt des « bonnes mœurs ou l’hygiène ».

Je crois pourtant que l’on peut considérer que la défense des valeurs de la République – je pense à l’égalité entre hommes et femmes, à la liberté d’expression ou de conscience – est un motif aussi important que celui de l’hygiène, retenu par défaut par le représentant de l’État.

Ces amendements proposent de combler ce manque en faisant de l’atteinte aux valeurs de la République un motif qui peut être opposé, sous contrôle du juge, à la création d’une école, comme il peut l’être aujourd’hui pour ce qui est des fermetures. Il s’agit simplement, monsieur le ministre, de donner toute sa force à l’article L. 111-1 du code de l’éducation qui dispose qu’« outre la transmission des connaissances, la nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République ».

L’école est pour de trop nombreux enfants la seule chance d’intégration dans notre République. Nous ne pouvons pas laisser quelques individus priver des jeunes de cette chance en les embrigadant dans des établissements scolaires qui les éloigneraient de notre idéal républicain.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. Défavorable.

Ces amendements n’ajoutent pas grand-chose au droit en vigueur qui permet déjà à l’État de refuser l’ouverture d’établissements hors contrat d’association dans l’intérêt des bonnes mœurs ou si l’établissement est ouvert par un ancien révoqué, dans l’intérêt de l’ordre public. C’est une rhétorique un peu ancienne mais qui dit bien ce qu’elle veut dire : on peut toujours invoquer l’ordre public pour refuser l’ouverture d’un établissement.

De plus, ces amendements sont dépourvus d’effets. Le but à poursuivre est d’empêcher les établissements ouverts de professer des idéologies anti-républicaines…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est évident : de toute façon, personne ne déposerait un dossier en déclarant être opposé aux valeurs de la République !

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. …quand bien même à l’ouverture les responsables auraient prétendu adhérer à ces valeurs.

Je n’oserai dire « Élémentaire, mon cher Watson », mais c’est un peu dans cet esprit que je crois ces amendements inutiles.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces trois amendements ?

M. Manuel Valls, ministre. La question posée par M. Marleix est cependant intéressante car nous sommes confrontés à l’ouverture d’un certain type d’établissement. François Pupponi, qui cumule encore deux mandats (Sourires), connaît cette problématique dans la ville de Sarcelles dont il est maire, avec des établissements privés qui peuvent être liés à différents mouvements, religieux ou sectaires.

Très honnêtement – et c’est là où je partage entièrement l’avis de Mme la rapporteure –, je ne pense pas que ce projet de loi soit un cadre adéquat pour procéder à de telles modifications. J’ai transmis ces amendements à mon collègue Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, pour qu’il les étudie. Nous aurons l’occasion avec lui d’y revenir dans le cadre de la loi d’orientation qu’il est en train de préparer.

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin.

M. Gérald Darmanin. Je voudrais soutenir les amendements de M. Marleix dont je suis cosignataire même si j’entends vos arguments, monsieur le ministre. Si la question est bonne et que vous l’avez retenue comme telle, la réponse l’est aussi. N’oubliez pas qu’il y a quelques semaines, vous avez vous-même parlé de vos origines lors des questions au Gouvernement, de votre famille – moi, c’était mon grand-père qui était étranger – et de la transmission des valeurs républicaines en France.

On sait que ces écoles, hors contrat, sont souvent confessionnelles. Mais ce n’est pas parce ces écoles sont confessionnelles qu’elles empêchent l’attachement aux valeurs de la République.

Madame la rapporteure, je trouve votre réponse un peu étonnante d’autant que je crois que vous appartenez à une mouvance qui place la République au cœur de son engagement. C’est un symbole que M. Marleix a voulu placer dans ces amendements et il m’apparaît important que ceux-ci soient adoptés pour la bonne et simple raison que l’on ne parle même plus de l’intégration mais de l’assimilation, monsieur le ministre. Si l’on veut aider des populations étrangères à s’assimiler à la nation française, il est important de répéter, même symboliquement, – et j’ai bien compris le sourire de M. Le Bouillonnec – que la représentation nationale établit que l’enseignement dispensé dans les établissements hors contrat doit correspondre aux valeurs de la République.

(Les amendements nos 15, 18 et 19, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Article 5

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 28 et 29, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n° 28.

M. Manuel Valls, ministre. La commission des lois de l’Assemblée a rétabli l’article 5 prévu par le projet de loi initial qui consiste à ratifier le code de la sécurité intérieure.

Cela nécessite toutefois de procéder à certaines corrections. Elles concernent une erreur matérielle et quelques points plus techniques que nous avons déjà eu l’occasion d’aborder et n’impliquent que de très légères modifications.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour présenter l’amendement n° 29 et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 28.

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. Je ne suis pas favorable à l’amendement du Gouvernement.

Si le Sénat a supprimé cet article permettant la ratification de l’ordonnance relative à la partie législative du code de la sécurité intérieure, la commission et le rapporteur ont estimé que le Parlement pouvait tout à fait procéder à cette ratification, comme il le fait extrêmement souvent pour d’autres codes, par des voies rapides. Pour autant, ajouter des modifications à ce code ne lui a pas paru faire preuve de très bonne manière à l’égard du Sénat.

Pour cette raison, mon amendement n° 29 vise à restreindre les modifications proposées par le Gouvernement à la correction d’une erreur matérielle. Il y a en effet une erreur de référence au code de la sécurité intérieure qui est un peu gênante, elle provient d’une modification législative intervenue, je crois, en 2010. Comme elle concerne la protection juridique des gendarmes, qui ont droit comme tous les agents publics à une telle protection, il paraît utile de la corriger.

Pour le reste, modifier l’ordre des chapitres ou en créer un nouveau alors que l’article 6 que nous nous apprêtons à adopter prévoit une ordonnance qui permettra de procéder à tout cela peut paraître excessif.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Madame la rapporteure, le juridisme a ses limites et j’apporte mon entier soutien au Gouvernement qui nous propose un amendement parfaitement technique d’ordonnancement du code de la sécurité intérieure. Franchement, je comprendrais mal que le Parlement s’y oppose.

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix.

M. Gilles Bourdouleix. L’argument de la mauvaise manière à l’égard du Sénat me paraît très déplacé, madame la rapporteure. Nous sommes l’Assemblée nationale, nous représentons la nation et si nous avons envie de changer une disposition votée par le Sénat, jusqu’à nouvel ordre, nous en avons le droit et je dirai même le devoir.

(L’amendement n° 28 est adopté et l’amendement n° 29 tombe.)

(L’article 5, amendé, est adopté.)

Article 6

(L’article 6 est adopté.)

Après l’article 6

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 30 et 23, pouvant être soumis à une discussion commune. L’amendement n° 30 fait l’objet de deux sous-amendements, nos 31 et 32.

La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n° 30.

M. Manuel Valls, ministre. Cet amendement a pour objet d’essayer d’apporter une réponse à la demande de reconnaissance officielle qu’expriment légitimement les familles de victimes du terrorisme. M. le ministre de la défense a eu l’occasion de s’exprimer sur cette question ces dernières heures.

Nous proposons la création de deux nouvelles mentions, à côté de celle de « Mort pour la France » et de « Mort en déportation ».

La mention « Mort pour le service de la nation » doit permettre de témoigner de l’hommage national rendu aux agents publics comme aux autres citoyens qui ont fait le choix de s’engager au service de la collectivité et en ont payé le prix de leur vie. Les militaires victimes de Mohamed Merah comme, il y a dix ans maintenant, les ouvriers d’État décédés dans l’attentat de Karachi, ou encore plus récemment les agents publics, militaires ou civils, tués en Guyane dans le cadre de l’opération de lutte contre l’orpaillage clandestin pourront ainsi en bénéficier.

La mention « Victime du terrorisme » s’adressera pour sa part aux familles touchées par la violence du terrorisme. En vertu de la loi du 23 janvier 1990, les victimes d’actes de terrorisme bénéficient déjà d’une assimilation, en termes d’avantages matériels, aux victimes civiles de la guerre. Grâce à cette mention, elles se verront en outre attribuer une reconnaissance symbolique.

Le débat a été suscité en grande partie, comme vous le savez, par les familles des trois soldats tués par Mohamed Merah. Et cela paraît bien légitime car il n’y a rien de pire, au fond, si vous me permettez ce raccourci, pour un soldat de perdre la vie dans des conditions autres que celles du combat où il a les armes à la main pour défendre nos valeurs.

Le geste que nous vous demandons de faire, annoncé par le ministre de la défense et souhaité par le Président de la République après avoir reçu les familles, permettra de régler, bien évidemment, toute une série de problèmes, mais surtout de montrer la reconnaissance de la nation à l’égard de ces victimes et de leurs familles.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour présenter les sous-amendements nos 31 et 32 à l’amendement n° 30 du Gouvernement.

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. Le rapporteur approuve, bien évidemment, l’esprit de cet amendement. Il lui semble pourtant qu’il faudrait lui apporter des améliorations qui touchent tant la rédaction que l’emplacement dans les textes. Les modifications proposées par le Gouvernement sont intégrées au seul code des pensions militaires et des victimes de guerre alors qu’elles sont en grande partie sans relation avec l’objet même de ce code.

Dans le cadre de ce code des pensions militaires, le sous-amendement n° 31 vise à mieux définir les catégories de personnes pouvant bénéficier de la mention « Mort pour le service de la nation » – il conviendra d’ailleurs peut-être ultérieurement de dire « Mort au service de nation ». En effet, l’amendement du Gouvernement mentionne, après les deux premières catégories – le « militaire décédé en service ou à raison de sa qualité de militaire » et l’« agent public décédé en service ou à raison de sa qualité d’agent public » – une troisième catégorie qui paraît mystérieuse et trop large : « Toute personne décédée en accomplissant des actes au service de la nation ». Il s’agirait donc de substituer aux deuxième et troisième catégories une seule catégorie : « D’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, décédée dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission ». Ainsi, le champ des agents publics en mission serait largement couvert.

Le sous-amendement n° 32 porte sur la création de la mention « Victime du terrorisme ». Il a paru que les dispositions proposées par le Gouvernement s’articulaient très mal avec le code des pensions militaires et qu’elles trouveraient plus légitimement leur place dans la loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme où subsiste un article 9, dont nous parlerons, qui est consacré aux victimes et plus précisément à leur indemnisation. Il a semblé à votre rapporteur que c’est dans cet article que pouvait être ajoutée la mention « Victime du terrorisme ».

Proposant des restrictions quant au champ d’application, des emplacements différents et une rédaction plus précise, voici donc les sous-amendements que je propose à l’amendement lui-même très justifié du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin, pour soutenir l’amendement n° 23.

M. Gérald Darmanin. Monsieur le ministre, si je ne peux me réjouir, dans les circonstances présentes, de l’adoption d’un tel amendement, je ne peux qu’être satisfait de constater que le Gouvernement a pris en compte la demande légitime que j’ai exposée à la représentation nationale dans la discussion générale.

J’ouvre à ce sujet une parenthèse : si je n’avais pas déposé un amendement concernant les victimes du terrorisme, je pense que votre texte n’aurait pas été adopté dans sa rédaction actuelle – vous auriez certes pu sous-amender mon amendement afin d’y apporter les compléments nécessaires. Votre proposition va donc dans le bon sens.

J’aimerais cependant clarifier un point : lorsque la loi aura été adoptée, promulguée par le Président de la République et publiée au Journal officiel, les victimes du terrorisme, mortes avant la publication de la loi, pourront se voir octroyer ce statut. Il s’agit là d’une demande des familles des victimes, et il serait bien mal venu que ce texte ne soit pas rétroactif.

J’aimerais obtenir une confirmation sur ce point.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les sous-amendements n° 31 et 32 ainsi que sur l’amendement n° 23 ?

M. Manuel Valls, ministre. Ce sujet ne pose aucune difficulté, bien évidemment : le principe de non-rétroactivité de la loi ne s’applique pas aux personnes tuées dans les circonstances que l’on connaît. Je tenais donc à vous rassurer sur ce point.

Les rendez-vous que les familles ont eus avec le Président de la République et le ministre de la défense, de même que les réunions interministérielles consacrées à ce sujet ont permis d’opérer des choix. Mais il n’y a en la matière aucun problème, monsieur le député : il est très important que nous puissions avancer collectivement sur ce sujet, car c’est ensemble que nous bâtissons la loi.

Sur le premier sous-amendement comme sur le second, je crois très honnêtement, madame la rapporteure, que vous améliorez le texte en le précisant ; votre connaissance du droit est absolue !

Nous avons apporté à ces questions des réponses rédigées parfois un peu rapidement, et l’on pourra peut-être trouver en commission mixte paritaire tel ou tel point qui méritera d’être précisé ou dont l’écriture devra être améliorée. Nous retrouverons à cette occasion vos amis du Sénat auxquels il a été fait allusion et qui apprécieront vos commentaires.

Quant à moi, je me suis réjoui des remarques que vous avez formulées tout à l’heure, ainsi que du soutien fort que M. Larrivé a apporté au Gouvernement.

Quoi qu’il en soit, c’est bien volontiers que le Gouvernement accepte ces deux sous-amendements.

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin.

M. Gérald Darmanin. J’aimerais remercier M. le ministre pour ses propos, qui figureront au Journal officiel et qui, je le pense, satisferont les familles.

Je souhaite par ailleurs que le législateur qui examinera cet article en commission mixte paritaire saura respecter la volonté manifestée par l’Assemblée nationale au cours de ses débats constructifs. Les députés comme les sénateurs auront à cœur, je l’espère, de préciser l’article s’il en est besoin, tout en restant fidèle à l’esprit du législateur, que la proposition en question soit d’origine gouvernementale ou parlementaire.

Monsieur le ministre, je retire mon amendement, non pas par reconnaissance de la qualité du vôtre, parce qu’encore une fois mon amendement aurait pu être sous-amendé, mais afin de permettre l’adoption à l’unanimité de cette disposition.

(L’amendement n° 23 est retiré.)

M. le président. Avant de procéder au vote, je vous informe que je suis saisi par le groupe UMP d’une demande de scrutin public sur l’ensemble du projet de loi.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

(Les amendements nos 31 et 32 sont successivement adoptés.)

(L’amendement n° 30, sous-amendé, est adopté.)

(L’article 7 est adopté.)

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Alain Marsaud pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Alain Marsaud. J’aimerais faire part d’une constatation et d’un regret.

Le regret, tout d’abord : l’opposition d’aujourd’hui est venue ici avec la bonne volonté qu’on lui connaît, tout simplement pour permettre d’obtenir un vote à l’unanimité. Il s’agit en effet de l’intérêt supérieur de nos concitoyens concernant la protection de la sécurité.

Je souhaite faire remarquer à M. le ministre qu’en 1986, la majorité de l’époque n’a pas eu cette chance, pas plus qu’en 2006.

M. Manuel Valls, ministre. Eh oui, il y a un nouveau ministre de l’intérieur aujourd’hui !

M. Alain Marsaud. À l’époque, l’opposition n’avait pas cru devoir se joindre au vote de la majorité, estimant sans doute que le texte n’était pas suffisamment important.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, monsieur le ministre, nous sommes à vos côtés, et nous ne le regretterons pas.

Le regret, ensuite : en dépit de notre bonne volonté et de nos propositions, aucun de nos amendements, et bien sûr celui que j’ai présenté, n’a été retenu. Peut-être cela sera-t-il l’occasion de réfléchir à la manière dont nous pourrions travailler lorsque nous examinons un texte sur lequel nous devons tous nous retrouver.

M. Lionnel Luca. Eh oui !

M. le président. La parole est à M. Paul Molac pour le groupe écologiste.

M. Paul Molac. Aucun de mes amendements n’a été adopté.

M. Gérald Darmanin. Heureusement !

M. Paul Molac. C’est vous qui le dites !

Toutefois, en dépit des craintes que j’ai exprimées concernant les libertés fondamentales dans notre république, et dans un souci d’apaisement et de protection de nos concitoyens, le groupe écologiste votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission. Très bien !

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 46

Nombre de suffrages exprimés 45

Majorité absolue 23

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Je souhaite remercier l’ensemble de la représentation nationale pour ce vote positif.

Je salue ainsi tous ceux qui ont contribué à l’adoption de ce texte : la majorité, naturellement, mais également l’opposition, car j’ai le sentiment que l’enjeu a permis de gommer la frontière politique. Ainsi, des articles et des amendements proposés par l’opposition au Sénat comme à l’Assemblée nationale – notamment en commission des lois : c’est le cas de l’article 2 bis, monsieur Marsaud – ont été adoptés.

On aurait certes pu aller plus loin, mais un certain nombre d’obstacles juridiques et pratiques ont été évoqués. N’y voyez pas là de la mauvaise volonté, car vous trouverez sur ces sujets, comme sur tant d’autres, le Gouvernement, notamment le ministre de l’intérieur, prêts à avancer à chaque fois que cela sera nécessaire.

Quoi qu’il en soit, je tenais à vous exprimer toute ma gratitude, car je crois que nous avons fait œuvre utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe UMP.)

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Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mercredi 28 novembre 2012 à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Deuxième lecture de la proposition de loi sur le bisphénol A ;

Proposition de loi visant à permettre aux mutuelles de mettre en place des réseaux de soins.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 28 novembre 2012, à une heure dix.)