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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 17 janvier 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Sandrine Mazetier

1. Abrogation de la loi visant à lutter contre l’absentéisme scolaire

Rappel au règlement

M. Guillaume Larrivé

Motion de renvoi en commission

M. Éric Ciotti

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée, Mme Sandrine Doucet, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, Mme Marie-George Buffet, M. Stéphane Travert, Mme Virginie Duby-Muller, M. Philippe Gomes

Rappel au règlement

M. Éric Ciotti

Discussion générale

Mme Marie-George Buffet

M. Stéphane Travert

Rappel au règlement

Mme Virginie Duby-Muller

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée

Mme Virginie Duby-Muller

Suspension et reprise de la séance

Rappel au règlement

M. Luc Chatel

Discussion générale (suite)

M. Philippe Gomes

Mme Virginie Duby-Muller

M. Jean-Pierre Le Roch

M. Guillaume Larrivé

Mme Marion Maréchal-Le Pen

M. Michel Ménard

M. Thierry Mariani

M. Mathieu Hanotin

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée

Article unique

M. Jean-Jacques Cottel

Amendements nos 7, 8, 6

Après l’article unique

Amendement no 2

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

2. Transition vers un système énergétique sobre

Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques, rapporteur

Motion de rejet préalable

Mme Laure de La Raudière

Mme Delphine Batho, ministre, M. François Brottes, rapporteur, M. Denis Baupin, M. André Chassaigne, M. Germinal Peiro, M. Daniel Fasquelle, M. Bertrand Pancher

Motion de renvoi en commission

M. Antoine Herth

Mme Delphine Batho, ministre, M. François Brottes, rapporteur, Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques, M. Denis Baupin, M. André Chassaigne, Mme Clotilde Valter, M. Daniel Fasquelle, M. Bertrand Pancher

Discussion générale

M. Denis Baupin

M. André Chassaigne

M. Yves Blein

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Sandrine Mazetier
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Abrogation de la loi visant à lutter
contre l’absentéisme scolaire

Suite de la discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à abroger la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire (nos 333, 549).

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour un rappel au règlement.

M. Guillaume Larrivé. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58 de notre règlement.

La proposition de loi que nous examinons est le premier texte normatif entrant dans le champ de compétence du ministère de l’éducation nationale depuis le début du quinquennat.

Au groupe UMP, nous nous étonnons que le ministre de l’éducation nationale n’ait pas jugé bon de venir débattre avec nous.

M. Yves Durand. Voilà qui est bien inélégant envers Mme la ministre !

M. Guillaume Larrivé. Sur le plan juridique, le Gouvernement est un et je ne veux pas être désagréable à l’endroit de Mme la ministre déléguée chargée de la réussite éducative, qui représente pleinement le Gouvernement. Mais sur le plan politique, la responsabilité est celle du ministre de l’éducation nationale et nous ne comprenons pas qu’il ait préféré se rendre, si l’on en croit la presse, à Toulouse dans le cadre d’un déplacement de communication…

M. Yves Durand. Il fait son travail.

M. Guillaume Larrivé. …plutôt que s’expliquer et débattre devant nous.

M. Éric Ciotti. Son travail est d’être ici.

M. Yves Durand. Tout cela est très inélégant !

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Éric Ciotti pour une durée ne pouvant excéder trente minutes.

M. Éric Ciotti. Madame la présidente, madame la ministre déléguée chargée de la réussite éducative, Mme la rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mes chers collègues, plusieurs raisons fondamentales nous conduisent à vous inviter à voter le renvoi en commission de cette proposition de loi qui tend à abroger la loi du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire.

Des raisons de fond, d’abord, car cette proposition d’abrogation ne répond en rien au défi de la prévention de l’absentéisme scolaire, véritable fléau qui touche plusieurs centaines de milliers d’élèves dans notre pays – 300 000 selon certaines évaluations et jusqu’à 20 % de la population scolaire de certains établissements, notamment dans les lycées professionnels. Ce fléau touche trop de familles dans notre pays et menace l’avenir de ces enfants. Si la proposition de loi devait être adoptée, elle livrera, hélas, beaucoup d’enfants à la loi de la rue, en lieu et place de celle de la République.

Des raisons de forme, ensuite. Nous l’avons compris dans votre gêne ce matin quant à l’évaluation du dispositif que j’avais souhaité mettre en place avec la précédente majorité, aucune évaluation sérieuse et objective issue de la loi du 28 septembre 2010 n’est venue remettre en question la pertinence et l’efficacité de cette loi que vous entendez supprimer avec brutalité, à la va-vite, par pur esprit de système. Tous les indicateurs démontrent le contraire alors que vous prétendez l’inverse sans aucune preuve puisque vous refusez de divulguer les éléments dont vous disposez de façon confidentielle et secrète – le secret le mieux gardé aujourd’hui. Vous avez en effet, ce matin, fort opportunément transformé un rapport en note d’étape : alors que le rapport pourrait être publié, la note d’étape doit rester secrète.

Nous vous redemandons, madame la ministre, de la publier avant le terme de ce débat. En effet, soit cette note d’étape conclut à l’inefficacité de la loi, ce qui irait, en la rendant publique, dans le sens de votre démonstration, soit – et vous me permettrez de penser que tel est le sens de sa conclusion – elle démontre que la loi est efficace, et dans ces conditions vous seriez dans la dissimulation, ce qui est grave.

M. Guillaume Larrivé. Très grave !

M. Éric Ciotti. Il est en effet grave de dissimuler des éléments d’information à la représentation nationale. Aussi, je vous redemande solennellement de mettre cette note à notre disposition et de la rendre publique, comme je l’ai demandé à plusieurs reprises à M. Peillon par le biais de questions écrites, faute de quoi vous tromperiez la représentation nationale.

En vérité, et nous le déplorons une nouvelle fois, ce texte s’inscrit dans le droit-fil de l’entreprise de détricotage, de déconstruction, de démolition systématique des réformes de la précédente majorité. Vous avez voulu, en arrivant au pouvoir, nous faire croire que vous aviez changé. C’était même, si je m’en souviens bien, un slogan de campagne. Eh bien, cette proposition de loi que vous nous soumettez aujourd’hui prouve que vous n’avez changé sur rien et que votre ligne de conduite reste exclusivement l’idéologie et l’anti-sarkozysme pavlovien (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), en cherchant à diviser les Français au lieu de les rassembler. Comment ne pas tenter de faire illusion sur la volonté du Gouvernement de lutter contre l’absentéisme scolaire en s’en prenant aux réformes conduites précédemment ? (Même mouvement.)

Alors, vous avez décidé, brutalement, animé par le seul mobile politicien, de vous attaquer à un dispositif qui a pourtant fait ses preuves. Je le répète, votre seule motivation pour l’abrogation de ce texte repose sur une idéologie sectaire et sur un mobile politicien.

Mme Julie Sommaruga. Venez-en au fond !

M. Éric Ciotti. Pour vous, ce dispositif était foncièrement mauvais, dès sa conception.

M. Yves Durand. Oui.

M. Éric Ciotti. Vous n’avez même pas cherché à en comprendre l’efficacité ou à en évaluer les résultats. Selon vous, il est, par nature, mauvais car il réaffirme l’autorité de la loi en responsabilisant les familles. Or pour vous, rappeler l’autorité de la loi est mauvais par nature.

M. Yves Durand. Oui !

M. Éric Ciotti. Vous ne pouviez l’accepter, car cela ébranle les colonnes du temple de la pensée socialiste.

Dépénaliser le cannabis, selon le souhait du ministre de l’éducation nationale, serait bon pour les familles et les enfants. Mais responsabiliser les familles et accompagner les enfants en situation d’absentéisme à sortir de ces difficultés serait mauvais pour les familles. Quelle incohérence !

Le dispositif de suspension des allocations familiales brisait pourtant le tabou du politiquement correct de la gauche française. Bien sûr, nous comprenons que, pour vous, il n’entre pas dans votre cadre idéologique étriqué. (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

Depuis longtemps, vous avez rayé de votre vocabulaire les termes de responsabilité, d’autorité, de sanction. Ce sont pour vous des mots tabous, sauf peut-être pour le ministre de l’intérieur. Comment d’ailleurs, ne pas voir dans cette proposition d’abrogation une nouvelle expression de la réticence idéologique de la gauche française à l’expression de toute forme d’autorité ? (Exclamations sur quelques bancs du groupe SRC.)

Mme Julie Sommaruga. Pourriez-vous parler de la proposition ?

M. Éric Ciotti. Je le dis avec force et conviction. La proposition d’abrogation de la loi constitue une faute morale et politique du Gouvernement.

M. Guillaume Larrivé. Très juste.

M. Éric Ciotti. Depuis les lois républicaines de Jules Ferry de 1882, la présence à l’école n’est pas un choix, mais une obligation pour tous les enfants : elle constitue la condition première de leur réussite et de leur insertion dans la société.

M. Yves Durand. Nous sommes bien d’accord.

M. Éric Ciotti. Nous le savons, l’absentéisme scolaire est souvent le premier indicateur d’une situation de danger pour ces enfants qui peut les conduire à la marginalisation, à l’exclusion, voire à la délinquance.

Le seul moyen pour qu’ils retrouvent le chemin de l’école, c’est de les responsabiliser et de responsabiliser leurs parents. Il était donc de notre devoir d’élu de la République d’adopter un schéma plus efficace de lutte contre l’absentéisme scolaire.

Que prévoyait précisément le dispositif mis en place ? Il convient de le rappeler car vous n’avez eu de cesse de le caricaturer et d’en dissimuler le bilan.

La loi visant à lutter contre l’absentéisme scolaire, que j’ai eu l’honneur de soutenir à la demande de Nicolas Sarkozy et de François Fillon, a eu pour objet de rappeler que si les parents ont des droits, au titre desquels notamment la perception des allocations familiales, ils ont également des devoirs, dont le premier réside dans l’exercice de l’autorité parentale.

D’ailleurs, le lien entre attribution des prestations familiales et respect du principe de l’obligation scolaire figure dans nos grands principes généraux du droit, comme le montre très précisément l’ordonnance du 6 janvier 1959. Il était inscrit dans des dispositifs antérieurs comme le décret-loi du 12 novembre 1938 et a été confirmé par le décret du 18 février 1966. La sanction par la suspension ou la suppression des allocations familiales existe donc depuis longtemps en droit français.

Vous parliez ce matin d’amnésie, madame la ministre, mais je pense à tout le moins qu’elle pourrait être partagée : permettez-moi de vous rappeler que le gouvernement de M. Jospin – que vous avez activement soutenu – a procédé, lors de sa dernière année, à 6 700 suppressions d’allocations familiales pour non-respect de l’obligation scolaire – je dis bien suppressions et non suspensions comme nous l’avons préconisé dans le dispositif adopté le 28 septembre 2010. Toutes les critiques que vous avez formulées avec beaucoup de mauvaise foi et de démagogie doivent donc être adressées en priorité à M. Jospin et à son gouvernement.

Mme Françoise Cartron, sénatrice à l’origine de la proposition de loi que nous examinons, affirme qu’il s’agit d’« abroger la loi de défiance » et d’« adopter cette proposition de loi de confiance envers les familles ». En quoi, mes chers collègues, la déresponsabilisation des parents peut-elle être considérée comme un signe de confiance ? Pourquoi se priver de tout dispositif ? Car c’est bien ce à quoi ce texte aboutit : vous détruisez mais vous ne proposez rien de constructif. Si cette proposition de loi est adoptée, plus aucun mécanisme de lutte contre l’absentéisme scolaire ne sera en vigueur dans notre pays.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Ce n’est pas vrai !

M. Éric Ciotti. Vous détruisez tout, y compris les dispositifs de signalements des chefs d’établissement scolaire adressés aux inspecteurs d’académie.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Pourquoi de telles contrevérités ?

M. Éric Ciotti. En supprimant la suspension des allocations familiales, qui constitue pour vous un chiffon rouge idéologique, vous détruisez en même temps tous les mécanismes, qu’il s’agisse des mécanismes d’accompagnement des familles, des mécanismes, extrêmement pertinents, de recensement, ou des mécanismes de soutien. Vous détruisez tout : il ne restera plus rien pour lutter contre ce fléau.

Mme Julie Sommaruga. C’est totalement faux !

M. Éric Ciotti. Où est la confiance envers la famille ?

La vérité, c’est que la loi du 28 septembre 2010 a renforcé l’efficacité globale par la mise en place d’un dispositif gradué et proportionné pour alerter, accompagner et, le cas échéant, sanctionner – nous le revendiquons car pour nous, ce n’est pas un tabou – par la suspension des allocations familiales les parents qui auraient manqué à ce principe essentiel de l’autorité parentale, principe consacré par le code civil et rappelé par tous les maires lors de la cérémonie du mariage – mariage auquel je vous sais particulièrement attachés puisque vous voulez désormais en élargir les contours. Et ce principe de l’autorité parentale, essentiel à nos institutions républicaines, comprend le devoir de respecter l’obligation scolaire.

D’ailleurs, le rapporteur de la présente proposition de loi au Sénat, M. Assouline, a lui-même reconnu que la loi du 28 septembre 2010 avait instauré un dispositif équilibré « en rétablissant une sanction administrative en plus des sanctions pénales » : « la loi Ciotti prévoit un régime gradué de suspension des allocations familiales aux parents des élèves absentéistes ».

Rappelons que le non-respect du principe du code civil, que j’ai rappelé, peut conduire à des sanctions pénales, lesquelles, vous en conviendrez, sont beaucoup plus graves que la suspension des allocations familiales – des condamnations sont d’ailleurs intervenues récemment. C’est donc faire preuve de beaucoup d’angélisme que de nier ces principes fondamentaux qui reposent sur une parfaite logique.

Quand une famille manque au devoir fondamental attaché à l’autorité parentale d’accompagnement de ses enfants, il revient au chef d’établissement et à l’inspecteur d’académie d’apprécier chaque situation, en procédant à un entretien individualisé, et de mobiliser les outils nécessaires pour remédier à ce manquement, y compris des outils dissuasifs ou incitatifs.

Vous avez dit ce matin, madame la ministre, que la communauté éducative devait être au cœur du dispositif de lutte contre l’absentéisme scolaire. Je peux partager votre position car j’estime que celle-ci a en effet un rôle majeur à jouer, même si, selon moi, la famille a sans doute la première des responsabilités. Ma proposition de loi donnait d’ailleurs à la communauté éducative un rôle central à toutes les étapes du dispositif, hormis la dernière.

Il s’agissait d’abord du signalement. C’était la première fois qu’était instauré un principe de recensement exhaustif de toutes les situations d’absentéisme scolaire. De façon générale, systématique et automatique, chaque chef d’établissement avait l’obligation de signaler les cas d’absentéisme à partir de quatre demi-journées d’absence non justifiées sur un mois.

Intervenaient ensuite les inspecteurs d’académie : ils avaient l’obligation de mettre en place une procédure d’alerte des parents en leur adressant un courrier, en leur fixant un rendez-vous individualisé et en les informant de tous les dispositifs d’accompagnement prévus ; ils proposaient aux présidents de conseil général la mise en place d’un contrat de responsabilité parentale, véritable outil d’accompagnement social.

Pour moi, les étapes principales du dispositif étaient celles du recensement et du traitement des situations, la dernière étape, que je ne souhaitais pas voir intervenir, celle de la sanction, jouant avant tout un rôle d’arme de dissuasion. Et dans toutes ces étapes majeures, c’est la communauté éducative qui jouait un rôle essentiel.

Là encore, en abrogeant cette loi, vous supprimez tout rôle de la communauté éducative.

M. Guillaume Larrivé. Très juste !

M. Éric Ciotti. Désormais, elle n’aura plus aucune obligation. Nous reviendrons à un système totalement individualise où, grosso modo, chacun fera ce qu’il veut, c’est-à-dire où chacun pourra ne rien faire.

Lorsque le chef d’établissement constatait l’absentéisme de l’élève pendant au moins quatre demi-journées d’absence non justifiées sur un mois, il le signalait à l’inspecteur d’académie. Si après le premier avertissement, l’absentéisme persistait, une demande de suspension des allocations familiales était adressée à la CAF qui avait l’obligation de procéder à cette suspension.

Loin de stigmatiser les familles, ce dispositif permettait au contraire d’installer un dialogue avec elles et de les accompagner socialement grâce aux contrats de responsabilité parentale. Si la convocation par l’inspection académique permettait de régler la situation une fois sur deux, c’était bel et bien parce que la menace pesant sur le versement des allocations constituait un mécanisme efficace, de nature à faire réagir les parents en leur faisant prendre conscience de la gravité du problème. La véritable stigmatisation, c’est bien l’échec scolaire, et non les mécanismes de prévention de cet échec !

Ma conviction est que les parents ont une responsabilité considérable en matière d’assiduité scolaire. Alors, cessez de penser, sur certains bancs de cet hémicycle, que l’absentéisme est une fatalité sociale. La culture de l’excuse ne peut pas être mobilisée à chaque occasion.

Les parents ont également une responsabilité plus large dans le comportement de leurs enfants, par les valeurs et règles de civilité qu’ils leur transmettent.

Récemment d’ailleurs, la cour d’appel de Versailles a confirmé l’expulsion de quatre familles d’une cité HLM de Boulogne-Billancourt en raison des troubles et des trafics de stupéfiants dont s’étaient rendus coupables leurs enfants dans l’enceinte de la résidence. La justice a fondé sa décision de bon sens sur la nécessaire responsabilisation des familles dans l’exercice de l’autorité parentale. Cessons donc d’y mettre de l’idéologie et regardons la réalité en face, sans œillères, avec pragmatisme.

Malheureusement, avec une certaine mauvaise foi, tant à l’Assemblée qu’au Sénat, vous avez soutenu que les études dont on dispose ne permettent pas d’évaluer le dispositif. Pourquoi donc cette volonté de supprimer, dans la précipitation, un dispositif deux ans à peine après sa création et un an à peine après sa mise en application ? Il s’agit tout simplement d’une abrogation à la hussarde !

Le bon sens ainsi que le principe d’évaluation des politiques publiques auraient voulu qu’avant même de proposer l’abrogation d’un dispositif entré en vigueur en janvier 2011, avec la circulaire d’application publiée par Luc Chatel, on prenne le temps de l’évaluer, en toute transparence, en toute indépendance, sans esprit de suspicion ou de volonté purement polémique.

Madame la ministre, mes chers collègues, la transparence dans l’évaluation des politiques publiques est essentielle.

Dans un communiqué de presse daté du 25 mai dernier, Vincent Peillon déclarait : « Les rapports de l’Inspection générale de l’éducation nationale ont désormais vocation à être publiés. Cette transparence contribuera utilement au débat public sur la réussite éducative. »

J’ai déjà évoqué, madame la ministre, votre fameuse note d’étape. Je vous le redis, vous nous parlez maintenant en dissimulant mal votre gêne sur ce point. Car nous savons qu’elle confirme ce dont nous sommes convaincus : pour certaines tranches d’âge, la menace de la suppression des allocations familiales s’avère particulièrement efficace pour lutter contre l’absentéisme scolaire.

Alors, après les mensonges et les caricatures assenés systématiquement sur cette question, il est important de rappeler quelques chiffres incontestables – Luc Chatel l’a déjà fait ce matin avec beaucoup de pertinence. Entre janvier 2011 et mars 2012, sur le plan national, la loi visant à lutter contre l’absentéisme scolaire a conduit à près de 80 000 signalements émanant de la communauté éducative et d’elle seule, madame la ministre, à 60 000 avertissements émanant des autorités de l’éducation nationale, à 22 000 seconds signalements, et, c’est vrai, à 1 400 demandes à peine de suspensions d’allocations familiales et à 619 suspensions effectives. En somme, plus de 79 000 d’élèves en situation d’absentéisme ont retrouvé le chemin de l’école grâce à cette loi. Vous considérez que c’est négligeable, c’est votre droit. Telle n’est pas notre appréciation.

Je comprends, madame la ministre, que ces chiffres puissent vous gêner.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Pas du tout !

M. Michel Ménard. Ce que vous dites, c’est de la caricature !

M. Éric Ciotti. C’est vous qui êtes dans la caricature ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Nous sommes loin du dispositif injuste, inégalitaire, inopportun, inadapté, inapproprié, décrit par l’exposé des motifs de cette proposition de loi.

Je voudrais, madame la ministre, dénoncer une forme de perversité de votre démonstration et de votre analyse. (Mêmes mouvements.)

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. De mieux en mieux !

M. Michel Ménard. Perversité ?

M. Éric Ciotti. Vous nous dites que la loi est un échec parce que nous avons supprimé à peine plus de 600 allocations familiales. En suivant votre logique, si nous en avions supprimé 60 000, ce serait donc une grande réussite !

Vous omettez naturellement, avec l’objectivité qui vous caractérise, de citer les précédents chiffres : contrairement à Mme la rapporteure, vous vous êtes abstenue – volontairement, bien entendu – de citer le nombre de signalements ainsi que celui des retours d’élèves sur le chemin de l’école.

Selon vous, la loi doit être supprimée parce qu’elle stigmatise des familles, parce qu’elle les menace, parce qu’elle les affaiblit, parce qu’on leur supprime des revenus et des allocations familiales. Or, voilà que dans le même temps – c’est extraordinaire ! – vous fondez le seul critère d’évaluation de cette loi sur le nombre – trop faible – de suppressions des allocations familiales ! Je vous ai entendue dans les médias, je vous ai lue : à chaque fois, votre seul argument pour affirmer que la loi ne fonctionne pas repose sur le fait que l’on a supprimé trop peu d’allocations familiales – comme si vous le regrettiez !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. C’est vraiment trop drôle !

M. Éric Ciotti. Vous pouvez rire, mais jamais vous n’avez cité, y compris ce matin à cette tribune, le nombre d’élèves qui sont retournés, après les lettres d’avertissement et les signalements des chefs d’établissement, vers l’école de la République.

M. Yves Durand. Ce n’est pas forcément grâce à cela !

M. Éric Ciotti. Jamais vous n’avez cité ces chiffres, mais je comprends qu’ils vous gênent : ils montrent très clairement que la loi fonctionne.

Vous avez évoqué le département des Alpes-Maritimes pour regretter encore une fois que de nombreux contrats de responsabilité parentale y aient été signés : je les revendique ! Nous avons procédé à la signature de 500 contrats de responsabilité parentale, mais jamais à la moindre demande de suspension des allocations familiales.

Je vous enverrai, madame la ministre, les courriers des parents que nous avons aidés grâce à ces contrats, qui ont coûté chacun 1 500 euros au conseil général des Alpes-Maritimes et qui ont mobilisé des psychologues, des aides sociales. Ils ont été confiés à des associations sociales qui ont recréé un lien entre les familles, les enfants et l’éducation nationale, et ils ont donné des résultats excellents.

Puisque ces contrats vont être supprimés, j’inviterai donc ces 500 familles, qui se retrouveront sans le moindre dispositif d’aide d’accompagnement grâce à vous – à cause de vous, devrais-je dire ! –, à vous saisir.

M. Yves Durand. On va les aider autrement !

M. Éric Ciotti. Nous verrons bien si vous mettrez en place une proposition…

M. Yves Durand. Alternative !

M. Éric Ciotti. …alternative – merci, monsieur Durand : vous pouvez parfois avoir une utilité ! (Sourires.)

M. Yves Durand. Trop aimable !

M. Philippe Nauche. Monsieur est bien bon !

Mme la présidente. Poursuivez, monsieur Ciotti : vous ne disposez plus que de quelques minutes pour achever votre démonstration.

M. Michel Ménard. On va finir par vous supprimer les allocations familiales, monsieur Ciotti ! (Sourires.)

M. Éric Ciotti. Si elle existe, cette solution alternative que vous proposerez à ces familles, madame la ministre, sera alors le moment fort de ce débat, même si celui-ci était déjà pertinent ce matin. Que mettrez-vous donc en place pour aider ces familles et pour les accompagner ?

Les contrats de responsabilité parentale ont conduit à une baisse très importante, de l’ordre de 20 %, de l’absentéisme scolaire dans le département des Alpes-Maritimes.

Vous pourrez me rétorquer, madame la ministre, que le faible nombre de suspensions a prouvé l’inefficacité du dispositif. C’est, je l’ai dit, tout le contraire. Le dispositif de suspension doit être perçu comme une mesure de dissuasion visant à faire prendre conscience aux parents de la gravité de la situation pour leur enfant. D’ailleurs, la seule menace de la suppression ou de la suspension des allocations s’est avérée extrêmement efficace, car seul un nombre marginal de familles récalcitrantes se sont vu suspendre leurs allocations.

Mes chers collègues, si vous votez cette proposition de loi visant à abroger la loi du 28 septembre 2010, vous commettrez non seulement une faute politique – cela, vous en avez l’habitude –, mais surtout une faute morale extrêmement grave et qui aura inéluctablement des répercussions sur l’avenir de notre jeunesse,…

M. Michel Ménard. Et pourquoi pas l’avenir de notre civilisation et de la France chrétienne ?

M. Éric Ciotti. …notamment sur les jeunes issus des milieux les plus défavorisés, qui sont souvent les plus frappés par ces phénomènes.

Pis, vous allez abroger les contrats de responsabilité parentale, notamment ceux qui, de façon complémentaire, avaient été mis en place sur ma proposition dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2, pour les parents des mineurs délinquants.

Telle sera la conséquence de l’adoption de votre texte, même si vous avez omis de le dire : ce dispositif nouveau, efficace, permettant de lutter contre la délinquance des mineurs en accompagnant les familles sera automatiquement abrogé, et c’est très grave.

L’approche proposée par la majorité est purement dogmatique et idéologique. Notre approche est pragmatique avec un seul souci : l’efficacité.

M. Yves Durand. Ce n’est pas ce que vous ont dit les Français !

M. Éric Ciotti. Alors que nous avions le temps de travailler ensemble à la recherche d’un dispositif pérenne et efficace, vous avez préféré que le débat ait lieu dans le cadre d’une niche parlementaire, dans un temps contraint, alors que nous ne disposons pas véritablement d’un bilan de la situation actuelle.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous demande de renvoyer cette proposition de loi en commission, et par conséquent d’adopter la présente motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la réussite éducative.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. C’est toujours un bonheur absolu d’entendre M. Ciotti s’exprimer, avec ce sens de la nuance qui le caractérise. Pour autant, je n’ai pas très bien compris en quoi ce qu’il nous a expliqué pouvait nous inciter à accepter un renvoi en commission.

S’il nous a dit : « mon texte est parfait, magnifique ; j’ai réglé tous les problèmes pendants depuis des années », il ne nous a en rien expliqué ce que nous pourrions apprendre de plus si nous devions retourner en commission.

Il nous reproche de procéder à une abrogation de son texte sans prendre le temps de l’évaluer. Je me permets de lui retourner le compliment : ce texte n’a pas été introduit dans notre droit par un projet de loi, et il n’y a donc pas eu d’étude d’impact. En passant par une proposition de loi, il s’est ainsi dispensé de montrer en quoi le dispositif permettrait d’améliorer cette situation que nous déplorons tous, en l’occurrence l’absentéisme.

En tout état de cause, une évaluation aurait bien évidemment permis de s’apercevoir qu’on ne changerait pas grand-chose tant en matière d’alerte des parents que de sanction, en rajoutant une sanction administrative au dispositif existant, lequel demeurera dans notre droit positif, comme tous les dispositifs d’alerte.

La question dont nous débattons aujourd’hui porte sur la sanction administrative frappant les allocations familiales. Lorsque M. Ciotti nous dit être le sauveur de la nation, parce que grâce à lui on a pris à bras-le-corps la question de l’absentéisme,…

M. Éric Ciotti. Vous aussi, vous êtes dans la nuance ! Ce n’est pas bien, pour une ministre, de dire des contrevérités !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. …il faut bien savoir qu’avant lui les gens s’occupaient déjà de l’absentéisme et qu’après lui, il y aura toujours des dispositifs d’alerte en la matière.

M. Éric Ciotti. Lesquels ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Ceux qui existent déjà et qui ne sont pas supprimés ! Parce que toute la réglementation contre l’absentéisme ne se résume pas à la proposition de loi Ciotti, et heureusement ! L’actuelle proposition de loi vise uniquement à supprimer les dispositions de la loi Ciotti, mais ne touche absolument pas aux dispositifs d’alerte et de discussion avec les parents, notamment ceux de très mauvaise foi, ni aux sanctions pénales prévues par la loi. La seule différence, c’est que les sanctions pénales pour les parents de très mauvaise foi seront appliquées avec la garantie d’un juge. Par conséquent, l’application des sanctions relèvera du travail du juge, et non d’un responsable d’allocations familiales.

Puis-je d’ailleurs vous rappeler, monsieur Ciotti – votre modestie dût-elle en souffrir – que l’article 12 de la loi de Jules Ferry de 1882 dispose que « Lorsqu’un enfant se sera absenté de l’école quatre fois dans le mois, pendant au moins une demi-journée, sans justification […], le père, le tuteur ou la personne responsable sera invité, trois jours au moins à l’avance, à comparaître dans la salle des actes de la mairie [pour un rappel du] texte de la loi […] ».

M. Éric Ciotti. Pourquoi allez-vous contre Jules Ferry ? Vous choque-t-il ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Nous n’avions donc pas besoin d’une proposition de loi pour rappeler cela.

M. Luc Chatel. Alors pourquoi le supprimer si cela ne sert à rien ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Nous supprimons des choses qui ne servent à rien et qui sont nocives.

M. Luc Chatel. Ce n’est pas pareil !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Je le rappelle encore une fois, si nous supprimons aujourd’hui une disposition nocive, nous ne supprimons pas le dispositif existant, très complet, de lutte contre l’absentéisme et de sanction des parents qui ne respectent pas leurs obligations.

M. Éric Ciotti. C’est le contrat de responsabilité parentale !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Vous nous dites qu’il y a eu 60 000 avertissements et donc que votre dispositif fonctionne parce que vous avez supprimé 142 allocations familiales : cela ne tient pas la route !

Encore une fois, vous faites la démonstration qu’une telle mise en cause des pauvres est une position idéologique, qui n’est pas efficace.

Quant à M. Larrivé, il a jugé utile de dire qu’il aurait préféré qu’un ministre de plein exercice soit présent pour défendre ce texte. Si nous allons lutter d’une façon efficace contre l’absentéisme – qui est une question importante – en nous impliquant dans la réussite scolaire et éducative, c’est bien parce que le Premier ministre m’a confié cette mission : je suis donc parfaitement à ma place en intervenant sur cette proposition de loi.

C’est d’ailleurs à cause de propos de cette nature, que des gens comme lui tiennent trop souvent, que j’ai été toute ma vie motivée par le combat en faveur de l’égalité. Ce faisant, vous m’encouragez à continuer ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Doucet, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

Mme Sandrine Doucet, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Monsieur le député Ciotti, vous avez parlé d’un manque d’évaluation de votre politique, et rappelé en même temps la chronologie des différents événements concernant depuis 1959 le dispositif de suppression des allocations familiales. Il est donc possible aujourd’hui de dresser, au bout de 54 ans, soit une durée raisonnable me semble-t-il, un bilan du peu d’effets de cette mesure consistant à supprimer les allocations familiales pour les parents d’élèves absentéistes. Vous n’avez en effet que repris un dispositif ancien, qui avait montré les limites de son efficacité.

Vous avez également évoqué le manque de suivi des familles, et le fait que nous ne prévoirions aucun moyen pour remplacer le dispositif que vous revendiquez. Comme l’a rappelé Mme la ministre, l’encadrement des familles existe. C’est un encadrement centré sur l’élève, dans l’école, qui permet, dès les premiers instants, de répondre aux besoins des jeunes et des familles en termes d’assiduité scolaire.

À ce titre, je me permettrai de rappeler les termes du rapport rédigé à propos de votre loi, monsieur Ciotti, par M. Assouline au Sénat, rapport dont nous ne faisons apparemment pas la même lecture : « Elle se présente comme un ensemble de mesures sécuritaires, en faisant directement le lien entre absentéisme et délinquance. La lutte contre l’absentéisme n’est pas vue comme une partie intégrante de la politique éducative et sociale, mais comme un instrument de prévention de la délinquance ».

Le dernier exemple que vous avez cité concernant les troubles à l’ordre public, analysés comme des signes annonciateurs ou directement liés à un comportement scolaire très répréhensible, illustre cette assimilation.

Par ailleurs, puisque vous nous demandez des comptes sur les mesures que nous allons mettre en place, dois-je rappeler tous les moyens qui ont disparu sous la précédente législature, notamment la suppression des postes dans la vie scolaire ?

M. Chatel s’est livré tout à l’heure à l’inventaire des mesures prises – et qu’il revendique – sous son ministère. Cela nous a donné l’occasion de constater qu’elles ont entraîné la fragilisation du système scolaire. Ainsi en est-il des 5 000 postes de médiateurs scolaires : ces personnes ont été embauchées avec des contrats précaires et payées avec des salaires extrêmement minimes pour remplacer tous les emplois de CPE, d’auxiliaires de vie scolaire que vous avez supprimés. Vous avez ainsi fragilisé l’encadrement des élèves dans les écoles.

Vous n’avez donc pas de leçon à nous donner en la matière.

Le texte que nous proposons aujourd’hui s’inscrit dans le cadre de la refondation de l’école. Elle trouvera son expression pleine et entière grâce aux moyens qui seront mis à la disposition du monde éducatif dans quelques semaines et qui permettront de faire de l’école un lieu de justice sociale alors que vous en avez fait un lieu où absentéisme était assimilé à délinquance.

Notre majorité a le souci de considérer l’absentéisme comme une question sociétale à part entière. Alors que vous avez laissé le pays avec 8,2 millions de pauvres,…

M. Éric Ciotti. Et vous, vous le laisserez avec le double !

Mme Sandrine Doucet, rapporteure. …c’est parmi cette population que l’on rencontre les élèves les plus fragilisés.

M. Yves Durand. Eh oui !

Mme Sandrine Doucet, rapporteure. En conséquence, j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. Au titre des explications de vote, la parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. Lorsque l’on parle école, enfants et familles, concevoir un dispositif fondé sur la notion d’arme de dissuasion – selon les propos tenus tout à l’heure – ne peut être qu’inopportun.

L’absentéisme a des causes sociales et internes au système scolaire. Être responsable, c’est s’attaquer à la racine de ces causes et non menacer de supprimer les allocations familiales.

L’opposition évoque très souvent la responsabilité des familles, leurs droits et leurs devoirs,…

M. Éric Ciotti. Absolument !

Mme Marie-George Buffet. …mais elle a cassé nombre de leurs droits, tout en les obligeant à faire des efforts énormes pour pouvoir assumer leurs devoirs en raison du bilan que vous laissez en matière de pouvoir d’achat et du chômage.

La réponse alternative existe : ce sont des moyens pour l’école et la refondation de l’école dont nous discuterons prochainement.

Pour toutes ces raisons, le groupe GDR votera contre la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Travert, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Stéphane Travert. Nous ne voterons pas, bien sûr, cette motion de renvoi en commission.

Les faits sont têtus et les chiffres implacables. Comme nous l’avons indiqué à plusieurs reprises en commission, la loi visant à lutter contre l’absentéisme scolaire a démontré son inefficacité. Ses résultats mettent d’ailleurs un peu l’opposition dans l’embarras – nous l’avons bien vu ce matin. L’incohérence, mes chers collègues, est de votre côté.

Si nous devons réexaminer l’ensemble des champs d’application pour lutter contre le décrochage et l’absentéisme, cette loi c’est la double peine pour celles et ceux qui connaissent déjà de grandes difficultés et il n’est nullement nécessaire de couper les vivres aux familles qui n’ont rien pour les responsabiliser.

Vous souhaitez que le présent texte soit renvoyé en commission, mais permettez-moi de vous dire que le débat en commission a déjà largement permis d’éclairer la représentation nationale. À travers l’abrogation de la loi, nous avons la volonté de redonner confiance aux parents, aux élèves et aux enseignants tant malmenés depuis dix ans.

Votre loi ne traitait pas du fond, c’est-à-dire des causes de l’absentéisme, ce qui est nier les difficultés des familles. Comme l’ont dit fort brillamment ce matin Mme la ministre et Mme la rapporteure, la politique d’intimidation, c’est fini. La confiance et le respect à l’école, l’école de la République, c’est maintenant. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Virginie Duby-Muller. Il est en fait proposé d’abroger le texte en question pour des motifs purement idéologiques, parce que c’était l’une des mesures emblématiques du gouvernement de Nicolas Sarkozy.

Le rôle des parents dans le suivi de la scolarité de leurs enfants est déterminant sur l’assiduité scolaire, ainsi que le rapport Maillard en avait fait la brillante démonstration en 2004. Le dispositif a fait à cet égard la preuve de son efficacité et de sa pertinence, tout en responsabilisant les parents.

Il a fait preuve de sa pertinence car il est proportionné, gradué et que la suspension des allocations familiales n’en est que l’ultime étape.

Il est efficace puisque, dans 97 % des cas, l’absentéisme est résolu et les élèves retrouvent le chemin de l’école.

Madame la ministre, pourquoi ne publiez-vous pas le fameux rapport de l’IGEN qui est favorable à ce dispositif ? Par là même, vous reniez le principe de transparence sur lequel M. Peillon s’était engagé au mois de mai dernier. En effet, il considérait que tous les rapports de l’IGEN avaient pour vocation à être publiés. Heureusement, grâce au magazine L’Express nous avons pu récupérer quelques bribes de ce rapport :…

M. Yves Durand. Vous vous fondez sur des bribes ? Ce n’est pas sérieux !

Mme Virginie Duby-Muller. …« Dans certains cas et sur certaines tranches d’âge, la menace de la suspension des allocations familiales peut s’avérer efficace pour lutter contre l’absentéisme scolaire. La chaîne qui va du premier signalement d’absence à la menace de suspension peut être utile dans la mesure où elle exerce une pression forte sur les parents pour que leur enfant revienne en classe ».

Finalement, l’abrogation de cette loi est prématurée faute d’évaluation. En soutenant le présent texte, vous faites preuve d’un dangereux angélisme et de beaucoup de mauvaise foi.

M. Yves Durand. Angélisme et mauvaise foi, voilà deux termes qui ne vont pas ensemble !

Mme Virginie Duby-Muller. C’est la raison pour laquelle nous voterons la motion de renvoi en commission qui a été défendue par notre collègue Éric Ciotti. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gomes, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Gomes. Madame la ministre, le groupe UDI votera la motion de renvoi en commission de ce texte. Nous considérons qu’en appeler à la responsabilité parentale n’est pas un gros mot – les mots « responsabilité » et « parentale » sont au contraire tous les deux de beaux mots. Comme cela a été rappelé, si l’autorité parentale n’est pas exercée dans certaines conditions, cela peut entraîner l’application de sanctions pénales.

Nous croyons qu’en appeler à la responsabilité parentale dans le cadre d’un contrat – un contrat, c’est l’accord de volontés entre des parties – est noble et nécessaire dans notre société à un moment où un certain nombre de parents sont de plus en plus désemparés, où ils ont besoin d’être accompagnés, guidés et aidés. C’était d’ailleurs le sens du dispositif qui a été, pour des raisons multiples sur lesquelles je ne reviendrai pas, stigmatisé et réduit à la suppression des allocations familiales.

Oui, le dialogue avec les parents est nécessaire. Oui, le contrat de responsabilité parentale peut y concourir. Oui, nous devions, avant de modifier, d’ajuster ou d’abroger le dispositif, l’évaluer de manière objective. Cela n’a pas été fait. C’est pour cette raison que le groupe UDI votera la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

(La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti, pour un rappel au règlement.

M. Éric Ciotti. Mon rappel au règlement est fondé sur l’article 58.

Avant de pouvoir débattre de cette proposition de loi, nous aimerions disposer de la fameuse note d’étape dont a parlé ce matin Mme la ministre, mais qu’elle a refusé de mettre à notre disposition – elle a même refusé d’en évoquer les termes.

Je ne pense pas que ce débat puisse se dérouler en toute transparence et de façon objective si nous ne disposons pas de cette note d’étape.

Madame la ministre, comptez-vous transmettre à la représentation nationale ce document qui précise les éléments d’évaluation de ce texte ?

M. Luc Chatel. Quel mépris du Parlement !

M. Éric Ciotti. Il est scandaleux, alors que notre Assemblée doit se prononcer sur l’abrogation d’un texte essentiel pour l’avenir de centaines de milliers d’enfants dans notre pays,…

M. Michel Ménard. Des millions tant que vous y êtes !

M. Éric Ciotti. …que vous refusiez de mettre à la disposition de la représentation nationale un tel document. C’est un mépris particulièrement grave de la représentation nationale, qui dissimule mal d’ailleurs les arrière-pensées que vous nourrissez à ce moment du débat.

M. Patrice Martin-Lalande. Très bien !

M. Éric Ciotti. Dans l’attente de la mise à disposition immédiate de ce texte, nous demandons, madame la présidente, une suspension de séance.

Mme la présidente. Monsieur Ciotti, je ne peux vous l’accorder car vous n’avez pas délégation de la présidence de votre groupe pour la demander.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me félicite que nous puissions aujourd’hui abroger les errements de la majorité gouvernementale précédente en matière de lutte contre l’absentéisme scolaire.

L’absentéisme scolaire est un phénomène complexe, illimité, qui touche en moyenne de 1 à 1,5 % des effectifs. C’est un phénomène aux formes et aux causes multiples qui ne saurait faire l’objet d’une réponse répressive univoque, inégale et inefficace, comme celle proposée dans la loi de 2010.

Nul, je pense, ne conteste dans cet hémicycle le principe d’une obligation d’assiduité scolaire incombant à chaque élève inscrit dans un établissement. L’école est obligatoire de six à seize ans, et pour ma part je suis favorable à l’extension de cette obligation de trois à dix-huit ans.

Mais, si nous avons combattu les dispositions de la loi Ciotti, ce fut à partir d’une idée simple et démontrable : on ne peut s’attaquer aux racines de l’absentéisme scolaire en se focalisant sur la responsabilité parentale sans traiter des causes sociales et de celles internes à l’éducation nationale ; on ne peut s’attaquer à l’absentéisme en faisant le lien entre absentéisme et délinquance, comme cela a été envisagé dans la loi LOPPSI 2 de 2010. Par conséquent, la réponse répressive n’est ni juste, ni adaptée. La logique d’intimidation, de riposte graduée, avec la suppression des allocations familiales aux parents d’élèves absentéistes n’est pas acceptable.

Les études de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance l’ont démontré : rien dans les statistiques disponibles ne prouve une véritable efficacité de ce dispositif dans la diminution du taux d’absentéisme scolaire. Je pourrais même témoigner de l’inanité du dispositif, dans un territoire profondément touché par la précarité comme la Seine-Saint-Denis.

Contrairement à ce que certains peuvent penser en stigmatisant sans cesse le manque de responsabilité des familles, pour beaucoup de familles en difficulté, souvent des familles monoparentales, l’école est une chance pour leurs enfants. J’avais eu l’occasion de le dire en commission : quand je vois ces femmes déplacées d’hôtels en hôtels par le SAMU social et qui se lèvent à l’aube pour revenir à la ville dont elles sont issues afin d’y scolariser leurs enfants, je me dis que, loin de leur donner des leçons, il faut leur rendre hommage.

Le dispositif actuel laisse en réalité planer la menace d’une double peine sur des familles souvent en grande difficulté. La lutte contre la précarité, le chômage, la pauvreté sont, au contraire, un élément clé du combat pour l’école.

L’absentéisme scolaire est un problème réel, que déplore l’ensemble de la communauté éducative, un problème d’autant plus sérieux qu’il représente un temps d’enseignement perdu d’environ 3,5 %. Sa résolution doit être vue comme un objectif à part entière de la politique éducative. C’est, je crois, la volonté du ministre de l’éducation nationale, et nous soutiendrons toute initiative en ce sens dans le cadre de la réforme de l’école prévue cette année.

Il faut poser également la question des moyens mis à la disposition des établissements scolaires pour lutter contre ce phénomène. Nous avons soutenu la progression des crédits accordés à votre ministère dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013. Mais cet effort devra se poursuivre sur plusieurs années en matière de recrutement comme de formation des maîtres, pour recréer les conditions de l’école de la réussite pour chacune et chacun après des années de casse de la droite.

Au-delà des enseignants, c’est d’un plus grand nombre de personnes qualifiées dans l’accompagnement éducatif des élèves dont l’école a besoin. Je pense en particulier aux postes de conseillers d’orientation psychologues, d’assistantes sociales, d’infirmiers, qui sont essentiels dans les établissements. Leur rôle est crucial dans la prévention des absences chroniques des élèves concernés, et ils sont plus largement un puissant moyen d’écoute et de conseils aux jeunes en situation de décrochage scolaire et à leur famille.

La question de l’orientation constitue, ensuite, l’une des causes majeures de l’absentéisme. Il faut revoir en particulier les conditions d’orientation des élèves vers le lycée professionnel dans lequel sévit davantage – trois fois plus – l’absentéisme scolaire que dans la voie générale. De même, en ce qui concerne l’absentéisme lourd, l’absence non justifiée des élèves au-delà de dix demi-journées par mois varie de 1,6 à 4 % dans la voie professionnelle. On en connaît les causes : la dévalorisation de l’enseignement professionnel, les affectations ne répondant pas au souhait du jeune, la méconnaissance des métiers ouverts par telle ou telle formation, ou encore la dévalorisation des métiers de l’industrie.

Pourtant, on ne peut penser la relance économique de notre pays sans parler industrie, formation professionnelle, formation continue. C’est ce que porte notre proposition de sécurité d’emploi et de formation tout au long de la carrière professionnelle. J’attends donc, madame la ministre, que vous puissiez nous faire part de vos intentions quant à la valorisation de la filière professionnelle et sur les moyens à lui accorder.

Enfin, il faut savoir faire confiance aux familles et soutenir à chaque fois que nécessaire des parents qui connaissent des difficultés dans leur rôle éducatif. Cela relève des travailleurs sociaux, dans les maisons des parents qui existent dans de nombreuses communes, mais il est nécessaire également, madame la ministre, de favoriser l’ouverture de l’école aux parents dans le cadre de la refondation de l’école. Cela demande que les enseignants, l’équipe éducative, aient du temps à consacrer au rapport aux familles.

Il faut également valoriser l’implication des parents à travers les associations de parents d’élèves, en faisant de ces associations de vraies co-auteurs de l’école de l’égalité dont la France a besoin.

Bien plus qu’une réponse unique et inefficace, la lutte contre l’absentéisme suppose donc à l’évidence une vision large et des moyens d’actions transversaux suffisants.

Vous évoquez, monsieur Ciotti, un positionnement idéologique : j’assume pour ma part ne pas avoir la même idée que vous de la société.

M. Éric Ciotti. Vous l’assumez, c’est très bien : merci de le reconnaître !

Mme Marie-George Buffet. Aussi les députés du Front de gauche voteront-ils cette proposition d’abrogation de la loi du 28 septembre 2010. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Travert.

M. Stéphane Travert. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le Gouvernement et la majorité, sous l’autorité du Président de la République, ont fait de l’éducation la priorité de leur action.

Un plan ambitieux de refondation de l’école sera bientôt en discussion au sein de notre Assemblée et nous ouvrons, en ce moment, le premier acte du changement. Il s’agit là d’une rupture, claire, nette, avec les politiques menées ces dix dernières années par les anciens gouvernements de notre pays.

Oui, mes chers collègues, nous apporterons la démonstration que nos politiques visant à faire de l’Éducation nationale une institution au service de l’intérêt général, seront au rendez-vous tant attendu des Français et plus particulièrement des élèves, des enseignants, des parents. C’est tout le sens du grand débat que nous allons avoir dans les semaines à venir sur la refondation de l’école.

Oui, nous pouvons le dire, l’affirmer, le démontrer, notre conception de l’éducation en France, notre conception même de l’école de la République, est bien différente des options de la majorité précédente.

Oui, il y a une politique de gauche de l’éducation, faite de valeurs et d’ambition pour tous. Voilà pourquoi, aujourd’hui, nous soutenons au nom du groupe SRC, la proposition de loi de Françoise Cartron qui tend à abroger la loi dite « loi Ciotti » qui prévoit la suppression des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire.

La majorité précédente a totalement fait l’impasse sur le traitement de la grande difficulté scolaire.

M. Patrice Martin-Lalande. C’est faux !

M. Stéphane Travert. En effet, la loi en question ne répond pas aux causes réelles et profondes de l’absentéisme, qui, on le sait, est le point de départ du décrochage scolaire qui entraîne de grandes difficultés d’insertion dans la société et le monde du travail.

L’école, c’est le ferment de la République. L’école de la République est le premier lieu où l’enfant se construit en tant qu’individu autonome et aussi en tant que citoyen. C’est le lieu d’apprentissage du vivre ensemble, de la citoyenneté et de l’égalité.

C’est pourquoi le Président de la République s’est engagé à mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour diviser par deux le nombre d’élèves touchés par le décrochage scolaire.

Or, la loi dite « loi Ciotti » s’est inscrite dans un contexte où, l’ancien Gouvernement, dans une logique purement sécuritaire, a voulu faire de ce texte un marqueur politique et un marqueur idéologique.

M. Éric Ciotti. C’est faux !

M. Sylvain Berrios. C’est vous qui faites de l’idéologie !

M. Stéphane Travert. Je me permets ainsi de rappeler que ce texte législatif devait être à l’origine inséré à la LOPPSI. Il touche ceux d’entre nous les plus fragiles et les plus démunis. Souvenons-nous que le groupe UMP n’avait pas adopté avec un enthousiasme débordant ce texte qui ne figurait pas dans la circulaire de l’ancien ministre. Nous étions bien là dans une logique purement électoraliste, destinée à satisfaire ceux des plus conservateurs et libéraux de notre pays. Cette loi du Talion, oserait-on dire, cette loi du coup de menton, comme il a été dit ce matin, a été condamnée à l’époque par l’ensemble des acteurs de l’école. Aucune étude réelle n’avait non plus été faite.

Or, il se trouve que le dispositif proposé dans cette loi est à la fois inefficace et trop tardif. En outre, la sanction proposée est inadaptée. Alors que les causes de l’absentéisme des élèves sont totalement différentes et variées, on veut imposer un système unique et répressif, celui de supprimer les allocations familiales.

M. Éric Ciotti. Caricature !

M. Stéphane Travert. Encore une fois, c’est la double peine ! On ajoute à la misère sociale la pénalité financière supplémentaire qui enfonce toujours un peu plus dans la précarité les familles les plus fragiles.

Il faut noter que la plupart des cas traités l’ont été dans le département des Alpes-Maritimes, ce qui ne constitue pas une surprise. Cela prouve juste l’enthousiasme débordant des autres territoires à appliquer un tel dispositif.

L’amalgame réalisé à travers cette loi entre absentéisme et délinquance n’est absolument pas la réponse adaptée au problème diagnostiqué.

Cette loi est une loi de défiance envers l’école, une loi de défiance envers les élèves, une loi de défiance envers les partenaires éducatifs. Elle n’est pas dans l’esprit de justice qui anime la majorité et le Gouvernement.

Aujourd’hui nous examinons une loi nouvelle : pourquoi ? L’absentéisme est un problème à la fois scolaire et social. Il est donc aujourd’hui nécessaire de restaurer le dialogue et la coresponsabilité entre les parents et les enseignants.

Nous ne voulons laisser personne sur le bas-côté. C’est l’égalité des chances pour tous, une lutte qui répond à trois exigences : une exigence économique, une exigence d’égalité sociale et une exigence démocratique.

Pour ce faire, il est nécessaire de mettre en œuvre des actions ciblées. Permettez-moi d’en avancer un certain nombre : concentrer des moyens dans l’éducation prioritaire, donner la priorité à l’école primaire en renforçant les apprentissages et le travail en petit groupe pour déceler les difficultés des enfants et les décrochages précoces.

M. Patrice Martin-Lalande. C’est ce que nous avons fait sous la précédente législature !

M. Stéphane Travert. Il s’agit là d’un axe fort du projet de loi de refondation de l’école que nous examinerons prochainement.

Inverser la logique du traitement de l’absentéisme : les dispositifs d’aide devraient intervenir plus rapidement après les phases d’avertissement, et devraient être mobilisés dès le premier signalement pour enclencher ensuite les dispositifs d’alerte.

Dans une logique de concertation, il est nécessaire de faire intervenir tous les acteurs dès la détection du problème en apportant des mesures de soutien aux parents.

En outre, il nous faudra prévoir de nouveaux dispositifs d’accompagnement des parents, portés par une contractualisation dès l’apparition des difficultés ; mettre en place des actions de re-médiation en privilégiant des actions pédagogiques adaptées aux besoins spécifiques des enfants ; créer des dispositifs d’accompagnement des parents et des élèves, notamment ceux issus des lycées professionnels, dont on sait que la situation est souvent complexe.

M. Éric Ciotti. C’est très bien, mais pourquoi cela ne figure-t-il pas dans le texte ?

M. Stéphane Travert. Parce que l’école sera mobilisée contre le décrochage qui s’inscrit de manière durable, la mise en place de tutorat permettra l’accompagnement à la fois des élèves et des familles.

M. Éric Ciotti. Pourquoi n’est-ce pas dans la loi ?

M. Stéphane Travert. En effet, il conviendra de créer des cellules de veille éducative et pluridisciplinaire pour mettre en relation, à la demande des chefs d’établissement, les infirmières, les personnels de direction et les professeurs en charge de la classe.

M. Sylvain Berrios. Ayez du courage, inscrivez-le dans la loi !

M. Stéphane Travert. Nous pouvons également nous appuyer sur le dispositif lancé par le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon : « Objectif formation-emploi », qui devra permettre à vingt mille jeunes sortis sans diplômes du système éducatif de raccrocher.

Comment pouvait-on imaginer un seul instant redonner confiance aux parents, redonner confiance aux élèves, à travers un tel dispositif ?

Aujourd’hui, notre objectif est clair. Il est de permettre la réussite de tous et ce sans stigmatisation. Nous sommes mobilisés pour que le système scolaire vise l’égalité entre les enfants. L’école de la République doit combler ces déficits.

M. Patrice Martin-Lalande. C’est ce que nous avons fait sous la précédente législature.

M. Stéphane Travert. Un soutien accru devra être proposé à la fois dans les lycées professionnels et dans les quartiers populaires.

Pour répondre à notre souhait de réussite scolaire du plus grand nombre, nous devons lutter contre l’absentéisme, sans sanction mais dans le dialogue. Par la formation des maîtres, les réseaux d’aide, nous nous engageons pour porter et accompagner le projet personnel de chacun des élèves.

M. Patrice Martin-Lalande. Ce n’est pas dans la loi.

M. Stéphane Travert. Vous l’avez compris, cette proposition de loi sénatoriale fait, elle, confiance à l’école, confiance à ses élèves, confiance aux enseignants et à ses partenaires éducatifs. La question de l’absentéisme appelle, avant tout, des réponses éducatives appropriées.

L’école, c’est le creuset de la République. C’est faire en sorte que chacun, quelle que soit son origine sociale, puisse être aidé, pris en charge dès les premières difficultés. Le dialogue et l’écoute sont plus que jamais nécessaires. Ils répondent aux ambitions de la majorité de créer les conditions du succès.

M. Sylvain Berrios. Concrètement, que fait-on ?

M. Stéphane Travert. La majorité, et avec elle le groupe socialiste tout entier, est mobilisée. L’égalité scolaire est au cœur de nos priorités. Ce ne sont pas de vains mots pour la gauche de ce pays, mais bel et bien un enjeu majeur que nous voulons porter ensemble. Cela illustre la priorité donnée à la jeunesse de France et à la mobilisation sans faille de la République pour la réussite de ses enfants.

M. Éric Ciotti. Mobiliser pour détruire !

M. Stéphane Travert. Le pacte républicain, c’est l’école du respect et non un système répressif, c’est la volonté de préparer l’école de demain, de former des citoyens. Telle est l’ambition que nous portons pour un système éducatif puissant qui soit garant de l’égalité des chances pour l’ensemble des élèves.

C’est pourquoi, je vous invite, mes chers collègues, à voter en faveur de cette proposition de loi qui mettra un terme à l’injustice et à la politique de stigmatisation qui tenait lieu de bréviaire à l’ancienne majorité. Le groupe socialiste votera cette loi d’abrogation avec un plaisir non dissimulé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller pour un rappel au règlement.

Mme Virginie Duby-Muller. Mon rappel au règlement, qui se fonde sur l’article 58, tend à revenir sur la requête de mon collègue M. Ciotti.

Nous discutons depuis ce matin d’un fléau majeur qui concerne l’absentéisme scolaire, sujet sur lequel un rapport d’étape auquel nous n’avons pas accès a été évoqué. Nous demandons à en prendre connaissance, faute de quoi l’information de la représentation nationale serait partielle et donc biaisée.

Par conséquent, je demande une suspension de séance, pour que Mme la ministre puisse nous remettre ce rapport d’étape, au nom de la transparence.

Mme la présidente. La suspension est de droit, mais peut-être souhaitez-vous entendre la réponse de Mme la ministre déléguée ?

Mme Virginie Duby-Muller. Certainement, madame la présidente.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Je conçois que mon ancien collègue M. Ciotti soit ennuyé de voir disparaître un dispositif auquel manifestement il tenait beaucoup. Il n’en reste pas moins que cette sommation d’avoir à produire des documents est assez étonnante. Nous ne sommes pas dans une procédure de diffamation dans laquelle il faudrait produire preuves et contre-preuves. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrice Martin-Lalande. Nous demandons simplement le respect de la représentation nationale !

Mme la présidente. Mes chers collègues, laissez, je vous prie, Mme la ministre s’exprimer !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Vous faites toujours allusion, monsieur Ciotti, à un document d’étape.

M. Éric Ciotti. C’est vous qui en avez parlé !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Il est vrai que nous avons demandé à l’Inspection générale de se pencher sur la loi Ciotti. Or, permettez-moi de vous rappeler une fois de plus qu’il n’y avait pas eu alors d’étude d’impact pour savoir ce qu’allait changer le dispositif qui vous introduisiez. Il n’empêche : nous avons missionné des personnes de l’éducation nationale pour pouvoir nous donner un avis sur ce dispositif. Cette mission est en cours et nous attendons sa fin pour disposer de son rapport. Quand celui-ci sera publié, vous y aurez bien évidemment accès.

Pour autant, si nous avons fait publier les rapports de l’inspection générale qui étaient enfouis au sein du ministère de l’éducation nationale, vous n’allez pas nous demander, à chaque fois que nous faisons une note interne, de la publier ! Pourquoi pas aussi la correspondance avec les établissements scolaires ?

Jamais il n’y a eu, dans les ministères, une obligation de produire toutes les correspondances et toutes les notes internes. Ce serait une grande innovation. Par conséquent, vous n’aurez pas ce document. Mais votre manière de faire ne m’étonne pas.

La règle, c’est que l’on publie, ce qui est normal, des documents définitifs. Il n’y a jamais eu, dans aucun ministère, et même du temps où vous étiez aux responsabilités, de publication de notes internes. Cette innovation que vous demandez a pour seul objet de sauver un dispositif dont le simple bon sens montre qu’il n’apporte rien et qu’il ne sert à rien.

Je crois que ce serait inutile de changer toutes nos règles simplement pour sauver le soldat Ciotti ! Le bon sens montre bien, malheureusement, qu’il n’y a pas lieu de conserver ce dispositif. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Maintenez-vous votre demande de suspension de séance, madame Duby-Muller ?

Mme Virginie Duby-Muller. Tout à fait, madame la présidente : la réponse de Mme la ministre ne nous satisfait pas.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Luc Chatel, pour un rappel au règlement.

M. Luc Chatel. Ce rappel au règlement se fonde sur l’article 58.

La situation est assez surréaliste. Le Gouvernement, après avoir, il y a quelques semaines, nié l’existence d’un rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale sur l’évaluation de la loi dite Ciotti, a fini par admettre – par votre bouche, madame la ministre –, en commission puis ce matin, qu’il existait un rapport d’étape procédant à une évaluation provisoire de la loi Ciotti.

Alors, de deux choses l’une. Soit, madame la ministre, vous respectez l’engagement du ministre de l’éducation nationale, qui a été très clairement affirmé au début de la législature, de publier l’ensemble des rapports de l’inspection générale, surtout quand ils viennent nourrir la réflexion du Parlement. Soit vous considérez que ce n’est pas un élément de nature à éclairer la représentation nationale. Mais je dois alors vous rappeler une chose : à partir du moment où vous indiquez qu’il s’agit d’un rapport d’étape, cela veut bien dire qu’il y aura un rapport définitif, et donc que l’évaluation de cette loi n’est pas achevée.

Aujourd’hui, madame la rapporteure, chers collègues de la majorité, vous soutenez un texte qui a pour objet de légiférer alors même que l’évaluation de la loi qu’il est censé abroger n’est même pas allée à son terme. C’est absolument surréaliste ! C’est la raison pour laquelle nous demandons l’audition du ministre de l’éducation nationale par la commission, pour que la représentation nationale soit informée de l’évaluation du dispositif de la loi Ciotti.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Gomes.

M. Philippe Gomes. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, je souhaite d’abord indiquer que je suis tout à fait solidaire des collègues qui se sont exprimés au sujet de ce rapport d’étape, qui contiendrait un certain nombre d’éléments d’informations utiles pour notre appréciation de la loi qu’il est envisagé d’abroger.

Le jeune parlementaire que je suis trouve en effet pour le moins curieux, alors que l’on mentionne un rapport d’étape portant sur l’application d’un dispositif que l’on nous propose d’abroger en nous disant qu’il ne sert à rien, que l’on refuse de rendre public ce rapport d’étape au prétexte qu’il ne s’agirait que d’une « note interne ». S’agissant d’un sujet majeur, celui de l’absentéisme scolaire, du décrochage scolaire, dont chacun reconnaît l’importance, il est tout de même curieux que la représentation nationale soit à ce point privée des éléments qui lui permettraient de mieux apprécier la situation. Je suis choqué, je tiens à le dire, par cette manière de procéder, cela d’autant plus que, comme cela a été rappelé, le ministre de l’éducation nationale, dans un élan de transparence « loftienne » – tout doit être vu, tout le temps, par tout le monde –, a décidé de rendre public, systématiquement, tout ce que produirait l’inspection générale. Il l’a probablement fait, d’ailleurs, sans en avoir mesuré les conséquences sur l’opinion publique – mais c’est là un autre débat.

Vraiment, je regrette que nous soyons appelés à discuter du présent texte sans disposer de tous les éléments, d’autant plus que l’évaluation du dispositif en question, que nous avons souhaitée, ne nous est pas, si elle a été effectuée, communiquée.

Le projet de loi qui nous est soumis nous conduit à nous interroger sur l’un des fondements de notre République. On parle de l’absentéisme. La question est celle de l’obligation scolaire, qui est étroitement liée à la gratuité de l’enseignement et au principe de laïcité. C’est là un triptyque aussi indissociable que celui de « Liberté, égalité, fraternité ».

La scolarisation est un droit autant qu’un devoir, parce qu’elle ne vise qu’à une seule chose : garantir à chacun les mêmes chances, en conservant à l’école sa vocation, l’émancipation individuelle et collective. Et nous devons veiller à ce que tous nos jeunes y accèdent, aujourd’hui peut-être plus encore qu’hier, dans cette période si difficile pour la jeunesse du pays.

Le sujet, c’est aussi celui de la lutte contre le décrochage scolaire, si chère, à juste titre, au ministre de l’éducation nationale actuel, mais qui était également au cœur des préoccupations de ses prédécesseurs. L’absentéisme n’est pas un phénomène généralisé : durant l’année scolaire 2010-2011, il a concerné 5 % des élèves. Mais il s’agit quand même de 300 000 élèves. S’il n’est certes pas généralisé, il est significatif.

Nous sommes tous d’accord – je le dis parce que j’ai entendu des procès quelque peu curieux – pour dire que l’absentéisme est le symptôme de maux beaucoup plus profonds, dont les causes sont multiples. Nul ici ne souhaite simplifier les choses. Ces causes sont : l’environnement social des élèves ; les difficultés familiales, psychologiques ; le mal-être des enfants ; parfois aussi, nous le savons, une dégradation des conditions de travail au sein même de l’établissement scolaire, liée notamment aux violences. Les réponses à trouver doivent donc tenir compte de ces réalités humaines complexes, sans pointer du doigt, comme seul facteur, la démission supposée des parents. C’est là un point important, bien sûr, pour le groupe UDI.

Je crois néanmoins utile de préciser qu’il y a certes des parents démunis et désemparés – nous en avons largement parlé – qui doivent être accompagnés : c’est le devoir de la République, le devoir du service public de l’éducation. Mais il y a aussi des parents démissionnaires – et cette précision me paraît fondamentale. Nous devons donc identifier les moyens qui permettraient à ces enfants absents de prendre conscience que leur avenir se joue sur les bancs de l’école, ainsi que les conditions nécessaires à la responsabilisation des parents quand leurs enfants empruntent le chemin parfois sans retour de l’école buissonnière.

La réponse n’est pas dans la poursuite, le procès, la condamnation mais elle n’est pas non plus dans une sorte de laisser-aller, de « laisser-fairisme » aux relents soixante-huitards. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.) Pour nous, la réponse tient dans un équilibre, certes délicat à trouver, entre l’accompagnement et le soutien des enfants et des parents et la crainte – quel mal y a-t-il à le dire ? – d’une sanction sans laquelle la loi n’est rien : pas d’obligation sans sanction, les juristes connaissent bien la formule.

À cet égard, le mécanisme de la loi du 28 septembre 2010 n’est pas seulement financier, comme le prétend le présent texte, c’est un régime gradué de suspension partielle des allocations familiales aux parents des élèves absentéistes, qui s’applique à l’issue de deux étapes que je me permets de rappeler : un élève ayant été absent plus de quatre demi-journées par mois sans justification doit recevoir un avertissement – où est le scandale ? – ; le directeur de l’établissement en informe l’inspecteur d’académie – quoi de plus normal ? – ; lequel doit rencontrer les parents – c’est bien évidemment nécessaire –, tout en saisissant le président du conseil général – belle opportunité pour une collectivité locale de jouer son rôle et de mettre en place un contrat de responsabilité parentale.

Je salue à cet égard le travail réalisé par le conseil général des Alpes-Maritimes : je trouve remarquable que quelque 500 contrats de responsabilité parentale – encore une fois : où est le scandale ? – aient été mis en place pour accompagner des parents un peu dépassés, pour certains, par les circonstances. Si l’ensemble de la France métropolitaine et de l’outre-mer avait passé non 500 mais 50 000 contrats, peut-être que, dans nos établissements, il y aurait eu moins d’élèves absents, un peu plus de parents se sentant mieux soutenus, mieux accompagnés, mieux guidés dans l’exercice de leurs responsabilités parentales. C’eût été l’honneur de la République que d’amener plus d’enfants à retrouver les bancs de l’école.

Vient enfin, au bout du bout, la sanction dans l’hypothèse où les parents ne veulent rien entendre, où les enfants continuent d’être absents sans aucun justificatif ; c’est seulement à partir de ce moment que l’inspecteur d’académie saisit le directeur de la CAF pour suspendre le versement des allocations. La sanction financière arrive donc au terme d’un processus et a donc essentiellement un caractère dissuasif. Reste qu’avant qu’elle soit prise, je l’ai rappelé, les actions préventives sont nombreuses et systématisées, et c’est en cela que le dispositif avait une véritable utilité.

Bref, on assiste ni plus ni moins à un procès en sorcellerie, empreint d’idéologie. Vous manquez de réalisme et de sincérité. Quant à l’exposé des motifs, on ne sait pas s’il ne s’agit pas plutôt d’une motion du parti socialiste.

M. Sylvain Berrios. Bravo !

Mme Clotilde Valter. Un peu de respect !

M. Philippe Gomes. On peut y lire que la loi Ciotti est injuste, inégalitaire, inopportune, inadaptée, inappropriée… n’en ajoutez plus, la barque est pleine.

M. Mathieu Hanotin. Vous auriez pu ajouter : inefficient !

M. Philippe Gomes. Inefficient, j’avais oublié, je vous prie de bien vouloir m’en excuser mais, n’étant pas socialiste moi-même, vous comprendrez que j’aie du mal à reprendre tous ces mots et à les aligner comme on aligne des perles.

J’en viens à la deuxième critique – proprement hallucinante – contre la loi Ciotti : elle n’aurait produit que des effets dérisoires ! Donc, selon vous, il n’y aurait pas eu assez de suspensions des allocations familiales… Il est tout de même curieux qu’on en vienne à utiliser cet argument pour justifier l’abrogation de la loi ; il fallait vraiment manquer d’arguments de fond pour utiliser celui-ci.

Luc Chatel a parfaitement démontré ce matin l’utilité du dispositif, notamment dans le cadre de l’efficacité du système de signalement. Je ne suis toutefois pas là pour avancer que tout était parfait, mais pour soutenir que les dispositifs, quels qu’ils soient, doivent pouvoir être améliorés. L’objectif était donc d’évaluer celui-ci et, le cas échéant, de l’ajuster, de le compléter parce que j’ai bien entendu les critiques relatives au caractère tardif de l’intervention dans le cadre de la procédure engagée. On aurait peut-être pu, en effet, envisager un dispositif plus efficace et plus rapide ; mais pourquoi donc procéder à cette abrogation en grande pompe, comme s’il s’agissait de « kärcheriser » ce qui a été fait en matière d’éducation nationale au cours de la précédente législature.

Mme Clotilde Valter. Le kärcher, on vous le laisse !

M. Philippe Gomes. Vous avez donc choisi cette voie tout en nous expliquant que vous alliez refonder l’école de la République – formidable, noble ambition que nous partageons : quelle belle perspective de refonder l’école de la République. Mais refonder l’école nécessite une union sacrée.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Gomes.

M. Philippe Gomes. Le projet de loi, malheureusement, s’inscrit radicalement dans une perspective contraire. C’est un texte de règlement de comptes ; or on ne refonde pas l’école à coups d’anathèmes.

M. Mathieu Hanotin. Nous sommes tout à fait d’accord.

M. Philippe Gomes. Voilà pourquoi les députés du groupe UDI voteront contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.

Mme Virginie Duby-Muller. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, « la lutte contre l’absentéisme scolaire est une priorité absolue ». Cette déclaration n’est pas de Vincent Peillon, même si le problème est plus que jamais d’actualité, ni même du Président de la République, mais de Nicolas Sarkozy qui, le 5 mai 2010, affirmait la détermination de son gouvernement à mener un combat sans répit contre un fléau en augmentation constante, « un fléau qui ruine dès l’adolescence des milliers de vie en devenir, sape les bases mêmes de la construction et de l’accomplissement de l’individu et détruit les liens du vivre-ensemble » comme le disait à cette même tribune, le 15 septembre 2010, son ministre de l’éducation nationale, aujourd’hui notre collègue Luc Chatel, que je salue avec respect.

Voici, mes chers collègues, la motivation politique du vote et de la mise en place de ce que l’on a appelé depuis la loi Ciotti, du nom de notre collègue auteur de la proposition de loi initiale, que je salue également. Entrée en vigueur début 2011, elle ne visait qu’à renforcer la lutte contre l’absentéisme scolaire qui touchait, en 2010-2011, 5 % des élèves du second degré, avec une pointe à 14,8 % en lycée professionnel. Loi qui, comme vous le savez, a fait l’objet de nombreuses controverses et caricatures, sans avoir d’ailleurs eu le temps de faire ses preuves ni même d’être évaluée.

Tout juste deux ans plus tard, le nombre d’élèves absentéistes est estimé à 300 000 environ, soit 7 % du nombre total d’enfants et d’adolescents scolarisés. Un chiffre dont on sait qu’il croît, qu’il est peut-être même sous-estimé en raison des difficultés de chiffrage que vous avez soulignées, madame la rapporteure.

Le psychiatre Patrice Huerre faisait également remarquer, en plus de l’augmentation de l’absentéisme, un rajeunissement de l’âge auquel il se manifeste : « Auparavant, c’était essentiellement un problème au lycée mais aujourd’hui on le retrouve beaucoup au collège. Tout comme l’usage de l’alcool, de la cigarette et du cannabis. » Vous l’aurez donc compris : le problème de l’absentéisme scolaire, avec ses conséquences désastreuses sur les jeunes, non seulement n’est pas résolu mais même s’amplifie.

Or, on aurait été en droit d’espérer, avec votre nomination à la réussite éducative, madame la ministre déléguée, de voir le dossier de l’absentéisme traité avec plus de recul et de discernement. « Mais ce n’est pas un bon mécanisme » avait jugé le candidat Hollande à propos de la loi Ciotti lors de la campagne présidentielle, promettant de le supprimer. Quatre mois après son élection, dès le 12 octobre, vous vous exécutez en fustigeant un dispositif « simpliste qui a été appliqué un nombre de fois tout à fait ridicule ». Au diable l’idéologie ! Vous auriez au moins pu prendre le temps de la réflexion et de l’évaluation.

Après avoir resitué le contexte politique et les origines de la loi Ciotti, vous me permettrez de revenir sur le problème non réglé de l’absentéisme scolaire.

J’ai échangé avec notre collègue sénateur Jean-Claude Carle, rapporteur d’une commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs : il a l’intime conviction que la prévention précoce de l’absentéisme et de l’échec scolaire est cruciale pour briser la spirale de la marginalisation et de la violence. Aussi, si l’on ne peut pas affirmer que l’absentéisme et l’échec scolaire, pas plus que les difficultés familiales, sont seuls à l’origine de la délinquance, on ne peut pas nier le rôle qu’ils jouent dans le basculement. En effet, si tous les jeunes en échec scolaire ne sont pas des délinquants, une immense majorité de ces derniers n’a pas réussi à l’école. De même, on ne peut pas nier que l’échec scolaire, entraîné par l’absentéisme, débouche sur une insertion difficile sur le marché du travail et entraîne des risques de chômage élevé.

On retrouve là les 150 000 « décrocheurs » qui quittent l’école sans formation, sans diplôme et par la suite sans emploi et dont il va falloir sérieusement vous occuper madame la ministre.

Il faut par conséquent – insiste Jean-Claude Carle – « coûte que coûte ramener les absentéistes en classe, les maintenir dans un univers scolarisé, structuré par des règles plutôt que de les abandonner à leur sort et les laisser dériver sans repères. Il ne faut pas leur laisser le choix entre l’école et la rue car c’est toujours la rue qui l’emporte ». On doit donc regarder avec lucidité le danger que représente l’absentéisme pour nos enfants et la souffrance personnelle et familiale qu’il reflète.

On l’a vu, l’absentéisme est un phénomène complexe qui ne peut être traité par le biais d’une seule mesure. Il se présente de façon polymorphe et prend une ampleur différente selon l’âge de l’élève, son cycle de formation, son établissement et même les mois de l’année. Ses causes sont aussi très diverses. Les difficultés d’apprentissage et une mauvaise orientation doivent être prises en compte, tout comme les problèmes psychologiques, la violence subie à l’école ou le travail dissimulé.

C’est donc une politique cohérente et globale qu’il faut mener en agissant sur plusieurs leviers : les parents, premiers concernés par l’éducation de l’enfant, l’école et l’environnement urbain ; il s’agit par conséquent de conjuguer les instruments de la politique familiale, de l’éducation nationale et de la politique de la ville.

La loi Ciotti insistait sur le premier levier : la politique familiale. Elle faisait de la responsabilisation et de l’accompagnement des parents, qui sont les premiers éducateurs de leur enfant, un élément clé de la lutte contre l’absentéisme. Le principe en était simple, articulé autour de l’inspecteur d’académie : il s’agissait d’un dispositif gradué et proportionné de suspension partielle des allocations familiales aux parents des élèves absentéistes.

Ce dispositif ne se voulait pas punitif mais éducatif, la suspension des allocations familiales devant plutôt être considérée comme un moyen d’inciter les parents à superviser les enfants de manière plus attentive et plus active – une telle mesure de dissuasion utilisable en dernier recours pouvant faire prendre conscience aux parents de la gravité de la situation dans laquelle se trouve l’enfant et les contraindre si nécessaire à recevoir une aide adaptée.

Assurer la responsabilisation des familles et les impliquer dans la vie de l’école, tel était l’objectif de la loi Ciotti. Un amendement visait d’ailleurs à renforcer l’importance du dialogue avec les parents en amont en les informant des obligations d’assiduité dès le début de l’année.

Vous le voyez, la loi Ciotti, dans un équilibre lucide et constructif, avançait des éléments de solution qui auraient pu se révéler utiles dans votre projet de refondation de l’école. D’ailleurs, votre proposition de loi, au-delà de l’abrogation de deux dispositifs non évalués, ne fait que proposer une nouvelle procédure d’accompagnement des parents, centrée sur l’établissement scolaire mais associant « toutes les parties prenantes ». Or pourquoi ne pas avoir associé les maires, comme le suggère dans son amendement ma collègue Annie Genevard ? Et pourquoi détricoter la loi Ciotti si vite, sans rien proposer de réellement nouveau ou suffisant pour rescolariser les enfants absentéistes ?

Je n’entrerai pas dans la guerre des chiffres car même le Sénat a reconnu que l’évaluation de l’efficacité de la loi était compliquée ; mais laissez-moi rappeler les données du ministère pour l’année scolaire 2011-2012. La loi Ciotti a conduit à 80 000 signalements et à 60 000 avertissements adressés aux familles. Le premier avertissement a suffi dans 64 % des cas à inciter les élèves à retourner en classe. Au terme de la procédure des deux avertissements, ce sont plus de 97 % des cas qui sont résolus, ce qui démontre l’efficacité du dispositif.

En outre, entre janvier 2011 et août 2012, si la caisse nationale des allocations familiales a suspendu les allocations de 949 familles, seule une dizaine ont vu leur allocation suspendue durant plus de quinze mois, ce qui tend à prouver que le dispositif fonctionne.

Où en est d’ailleurs la publication du rapport de l’IGEN sur l’absentéisme scolaire et les effets de la loi Ciotti ? J’ai adressé à ce propos une question à votre ministre de tutelle restée sans réponse ? Attendez-vous, pour nous répondre, que l’abrogation de la loi votée par la majorité précédente soit décidée par votre majorité ? Ce rapport vous gêne-t-il ?

Dans une récente étude intitulée Aider les parents à être parents, le conseil d’analyse stratégique évoque le développement de dispositifs recourant à la sanction ou à l’incitation financière. Il conclut que leur succès est proportionnel « à l’intensité et à la qualité des services d’accompagnement et l’utilisation avec justesse et parcimonie des sanctions ». Tel est bien l’esprit de la loi Ciotti. À moins que ce ne soit un problème d’idéologie, de valeurs ou de symboles ? Nos enfants valent mieux que cela, surtout les élèves absentéistes, précurseurs des décrocheurs qui ont encore plus besoin de notre aide. En abrogeant ce texte, vous faites donc preuve d’angélisme en plus de mauvaise foi.

La loi que vous voulez abroger aujourd’hui relevait d’une vraie politique sociale de la famille, qui fait grandement défaut dans le système actuel, avec un encadrement social des familles qui en ont besoin et une responsabilisation volontaire, que vous avez caricaturée.

Vous ne nous ferez pas dire non plus qu’elle n’a rien résolu, car il n’y a pas eu, à ce jour, de bilan officiel de son application. Madame la ministre, il aurait été souhaitable d’aller voir de plus près les conséquences de son application, au lieu de réagir par simple idéologie. Cette loi prévoyait un accompagnement des familles concernées, qui tendait à redonner du poids aux familles privées d’autorité sur leurs propres enfants.

À l’UMP, nous pensons que rien ne peut se faire sans les parents, qui ont souvent besoin d’être aidés. Cet accompagnement des parents aurait pu être développé ou retravaillé dans les projets du nouveau gouvernement. Au lieu de cela, vous préférerez sacrifier nos enfants et leur avenir sur l’autel du dogmatisme.

M. Michel Ménard. Vous avez le sens de la mesure !

Mme Virginie Duby-Muller. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP ne vous suivra pas et ne votera pas l’abrogation de la loi visant à lutter contre l’absentéisme scolaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Le Roch.

M. Jean-Pierre Le Roch. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, les dispositions prévues par la précédente majorité dans les lois du 31 mars 2006 et du 28 septembre 2010 n’ont pas eu les effets escomptés. En effet, seules 619 familles ont été sanctionnées depuis l’entrée en vigueur du nouveau dispositif, alors que la France compte 12 millions d’enfants scolarisés,…

M. Éric Ciotti. Il en fallait plus ?

M. Jean-Pierre Le Roch. …dont près de 144 000 décrocheurs.

La suppression des allocations familiales pour les parents d’élèves absentéistes a surtout valu par son effet d’annonce sécuritaire, et l’inefficacité de cette mesure n’est donc pas à prouver. Sans surprise, comme ce fut le cas en Angleterre, ces dispositions punitives n’ont eu aucun impact sur le taux d’absentéisme scolaire, qui continue de progresser. En France, alors qu’il concernait 14 % des élèves des lycées professionnels en 2009-2010, il en touchait 15 % en 2010-2011. Le pourcentage d’élèves absentéistes augmente également dans les lycées d’enseignement général et technologique, ainsi que dans les collèges.

Cette mesure n’est pas seulement inefficace : elle est aussi injuste. En dépossédant une famille entière d’aides sociales, elle prive l’ensemble des enfants scolarisés des conditions adéquates à la réussite scolaire, alors même que dans ce type de situation, le lien familial devrait au contraire être conforté et amélioré. La stigmatisation de toute une famille est insupportable.

Par ailleurs, les réalités du terrain ont montré que ces dispositions étaient inadaptées, dans la mesure où une sanction automatique ne peut tenir compte des situations individuelles. Cette mesure punitive échoue à inciter les parents en perte d’autorité à obliger leurs enfants absentéistes à aller à l’école.

D’autre part, l’autorité parentale ne peut expliquer, à elle seule, l’absentéisme des élèves dont les familles rencontrent des difficultés financières ou psychosociales. L’orientation par l’échec, les difficultés des élèves dans leur scolarité, les climats scolaires détériorés sont autant de causes à endiguer. L’absentéisme scolaire reste donc un défi, qu’il nous faut affronter dans l’intérêt des jeunes, des familles et de la société.

Il ne s’agit pas de mener une politique laxiste vis-à-vis de l’absentéisme scolaire. Les responsables légaux de l’élève absentéiste seront toujours dans l’obligation de faire connaître sans délai à la direction d’établissement les motifs d’une absence. De même, la direction d’établissement sera toujours dans l’obligation de saisir l’inspection académique, lorsqu’un élève cumulera plus de quatre demi-journées d’absence par mois. Ce signalement sera suivi d’un avertissement rappelant les sanctions applicables et présentant les dispositifs d’accompagnement parental existants. Il s’agit donc, tout au contraire, de permettre à l’école d’exercer sa mission essentielle, qui est de garantir l’égalité des chances.

Le plan de lutte contre le décrochage scolaire, présenté au début du mois de décembre, prévoit de mobiliser l’ensemble des acteurs et de structurer leur action, afin d’enrayer l’absentéisme et de prévenir les risques de décrochage. L’objectif est de raccrocher 20 000 jeunes en 2013, puis 70 000 en 2017. Pour ce faire, plusieurs éléments doivent être favorisés : l’accompagnement, la formation, l’accès à l’information et le ciblage des filières professionnelles disposant de places disponibles.

Par ailleurs, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République entend rénover le système d’orientation et favoriser l’insertion professionnelle, tout en assurant aux professeurs une formation initiale et continue, pour les préparer notamment à ces situations d’absentéisme.

Même si l’institution scolaire doit prendre toutes ses responsabilités dans la lutte contre l’absentéisme, le rôle des parents est essentiel. La proposition de loi de Mme la sénatrice Cartron ne se contente pas d’abroger les dispositifs prévus par les lois de 2006 et de 2010 : elle crée parallèlement une nouvelle procédure d’accompagnement des parents en cas d’absentéisme scolaire. Si le manque d’assiduité persiste de manière importante, le directeur de l’établissement d’enseignement pourra réunir la communauté éducative, afin de proposer aux parents une aide adaptée et contractualisée. Ce nouveau dispositif permettra de suivre précisément l’évolution de la situation de l’élève. Les solutions proposées seront choisies en adéquation avec le problème rencontré, qu’il soit d’ordre pédagogique, qu’il relève de l’orientation ou qu’il soit de nature sociale et familiale. Les dispositifs d’aide à la parentalité proposés par les collectivités locales pourront également être mobilisés.

À une mesure inefficace, injuste et inadaptée, la majorité préfère donc un projet global, prenant en compte l’intérêt des jeunes et des familles, un projet de refondation de l’école, accompagné de solutions individuelles en phase avec les réalités du terrain, pour garantir à tous les enfants de la République un avenir professionnel et leur permettre d’exercer leur citoyenneté.

Pour toutes ces raisons, je vous invite, chers collègues, à voter l’abrogation de la loi Ciotti. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marie-George Buffet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, madame le rapporteur, mes chers collègues, il est bien triste de constater chaque semaine dans cet hémicycle, jusqu’où le dogmatisme du Gouvernement conduit notre pays.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui en est, hélas, une nouvelle démonstration. Vous vous apprêtez à rayer d’un trait de plume la loi de lutte contre l’absentéisme scolaire que le président Nicolas Sarkozy, avec le ministre Luc Chatel et notre collègue Éric Ciotti, avaient invité le Parlement à adopter. Ce faisant, vous commettez une triple faute.

D’abord, vous refusez une nouvelle fois de regarder la réalité en face. Vous savez certes, comme nous, que l’absentéisme scolaire, dans notre pays, frappe des centaines de milliers d’enfants et d’adolescents, mais vous refusez obstinément et bizarrement de comprendre qu’il y a là une menace contre les missions mêmes de l’éducation nationale, qui se trouve tenue en échec. Vous refusez de voir que ces enfants déscolarisés, engagés dans une impasse et livrés à eux-mêmes sont les premières victimes de cet abandon, qui les prive d’une formation indispensable à leur avenir.

Vous refusez de reconnaître que l’absence à l’école est trop souvent la conséquence directe d’une autre absence, celle de parents ayant renoncé à toute autorité à l’égard de leurs enfants. Et parce que vous refusez le principe même de l’autorité parentale, vous rejetez toute idée de responsabilisation des parents.

M. Michel Ménard. Cela n’a rien à voir !

M. Guillaume Larrivé. C’est là votre deuxième faute. Vous vous apprêtez à priver notre pays d’outils indispensables pour responsabiliser des parents défaillants, en leur rappelant leurs devoirs. Je le dis comme je le pense : il n’y a rien de choquant, ni rien d’anormal, à suspendre les allocations familiales versées aux parents lorsque ceux-ci ont, hélas, démontré leur incapacité à s’occuper de leurs enfants.

C’est un principe de bon sens, que la loi du 28 septembre 2010 a mis en œuvre de manière pragmatique, équilibrée, graduée et proportionnée, en impliquant sur le terrain tous les acteurs éducatifs et sociaux qui agissent notamment au sein des inspections d’académie, des établissements scolaires, des conseils généraux et des caisses d’allocations familiales.

Et les premiers résultats sont là, puisque, dix-huit mois seulement après l’entrée en application de cette loi – Virginie Duby-Muller et Luc Chatel ont rappelé ces chiffres –, l’administration a recueilli 80 000 signalements, qui ont donné lieu à 60 000 avertissements, 1 400 demandes de suspension des allocations familiales, 619 suspensions effectives et 142 rétablissements d’allocations. Ce sont environ 79 000 enfants et adolescents, qui ont ainsi retrouvé le chemin de l’école, du collège ou du lycée.

M. Michel Ménard. Grâce à M. Ciotti ! C’est beau !

M. Guillaume Larrivé. S’ils ont retrouvé ce chemin, c’est bien grâce à la loi Ciotti, et non pas grâce à un GPS qu’ils auraient installé dans leur cartable avec leur goûter.

Voilà la réalité que vous persistez à nier !

Votre troisième faute est plus grave encore : vous ne proposez rien, strictement rien, pour remplacer le dispositif que vous abrogez. Madame la ministre, après dix années d’opposition, on aurait pu s’attendre à ce que la nouvelle majorité ait au moins une amorce d’esquisse de début de commencement d’ébauche d’idée pour lutter contre l’absentéisme scolaire. Mais il n’en est rien, puisqu’en vérité, vous n’avez pas d’autre projet éducatif qu’un antisarkozysme obsessionnel et pathologique, qui conduit aux pires dérives.

J’en veux pour preuve quelques déclarations ministérielles hallucinantes, pour ne pas dire hallucinogènes. Si le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, n’a pas daigné participer aujourd’hui à nos débats, nous avons tout de même la chance de pouvoir l’écouter à la télévision et à la radio. Il affirmait, il y a encore quelques semaines, qu’il était favorable à un débat sur la dépénalisation du cannabis et expliquait que, sur ce « sujet majeur », il était « très étonné parfois du côté un peu retardataire de la France ».

Mais les retardataires, mes chers collègues, ce ne sont pas ceux qui veulent maintenir l’interdit des drogues ! Les retardataires, ce ne sont pas ceux qui veulent renforcer l’autorité de la loi, l’autorité des professeurs, l’autorité des parents ! Les retardataires, ce sont précisément ceux qui refusent le principe d’autorité au sein de la famille, comme au sein de l’État : les retardataires, c’est vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, chers collègues, après la TVA sociale et le forfait d’aide médicale d’État, et avant que n’arrive le tour du conseiller territorial, voici venue la dernière heure de l’emblématique loi Ciotti, qui renouait avec la possibilité de suspendre les allocations familiales pour les familles d’élèves coupables d’absentéisme chronique.

Avant même d’ouvrir ce débat, nous savons déjà que la principale raison de sa suppression est qu’elle émane de l’ancienne majorité de droite. Pour autant, je n’en serai pas moins critique à l’égard d’une loi qui se voulait essentiellement une loi d’affichage, même si elle portait en elle une idée judicieuse.

La procédure est longue, si bien que la réponse est souvent tardive et mal adaptée à la durée d’une année scolaire ; elle est par ailleurs complexe, et les acteurs sont peu sensibilisés, et surtout peu incités, à faire jouer le mécanisme. La loi Ciotti n’avait pas encore un an et demi, que le Sénat entamait déjà sa suppression. Les seules données partielles dont nous disposons ne peuvent permettre d’analyser objectivement son efficacité réelle, pas plus dans un sens que dans l’autre.

Supprimer la loi Ciotti enverrait un mauvais signal aux familles et aux élèves. La sanction financière, même si elle est rarement mise en œuvre, a pour objectif de responsabiliser les parents. Elle intervient, ne l’oublions pas, après les étapes successives d’avertissement, d’aide et de suivi, si bien que la suspension effective des allocations est survenue dans moins d’1 % des cas.

Si l’école est gratuite, c’est au prix d’un effort financier national colossal, puisque l’éducation nationale est le premier budget de l’État. Cela implique des contreparties, et l’obligation d’assiduité doit en être une de la part des élèves, sous le contrôle de leurs parents. La gratuité déresponsabilise. J’en veux pour preuve le fait que les taux d’absentéisme les plus bas sont dans le privé : ils s’élèvent à moins de 0,5 %, contre 14 % en moyenne dans les lycées professionnels, et 6 % dans les lycées généraux.

Les allocations familiales ont pour vocation d’aider les familles à élever leurs enfants. En échange, les familles doivent jouer le jeu et faire preuve de l’autorité et de l’organisation nécessaires pour que leurs enfants aillent à l’école.

Je réfute l’argument du sermonnage des parents. Il n’en demeure pas moins que la perspective d’une telle sanction peut être un élément déclencheur, une motivation supplémentaire des parents pour trouver des solutions aux causes de l’absentéisme de leur enfant, car jamais l’école ne pourra les supplanter dans leur rôle de conseil, d’autorité et d’éducation.

Je suis assez gênée par l’analyse un peu simpliste de la ministre, qui nous explique que cette loi stigmatise les pauvres dépassés par la crise de leurs ados. Évidemment, je reconnais que l’absentéisme est un fléau aux multiples visages. Mais la situation familiale est loin d’en être la seule cause, et la politique éducative menée depuis trente ans, dégradant chaque année un peu plus notre pays au sein des classements internationaux, est la première des responsables.

L’apparition d’un taux d’absentéisme significatif au collège n’est certainement pas sans lien avec les carences accumulées par les élèves en primaire. Entre multiplication des matières et pédagogisme expérimental – que la droite a aussi défendus –, la formation en primaire ne permet plus aux élèves d’acquérir les savoirs fondamentaux indispensables pour la poursuite réussie du parcours scolaire, entraînant ainsi retards, dispersion, voire décrochage.

De la même manière, le taux particulièrement inquiétant en première année de lycée professionnel est évidemment lié au fonctionnement de la filière elle-même. Avec une orientation trop précoce et souvent par dépit, ces filières sont malheureusement trop souvent utilisées comme filières « poubelles » pour les élèves n’ayant pas le niveau d’un cursus général, au lieu de relever d’un vrai choix pédagogique.

Ce malaise démotive les élèves et pose la question de la revalorisation de ces filières et de leurs diplômes par un rehaussement des exigences scolaires, afin de proposer une véritable alternative au cursus scolaire théorique classique et non une solution de secours à la déscolarisation.

Même en filière d’enseignement général, la politique du chiffre a voulu le bac pour tous, entraînant l’affaissement de l’ensemble du cursus scolaire et un diplôme qui n’a plus de valeur en soi mais n’est plus qu’un droit de passage vers l’enseignement supérieur. Ce n’est pas un objectif très motivant pour les lycéens, il faut bien l’admettre.

Pour beaucoup, les élèves ont compris bien avant vous que leur formation, sans diplôme supérieur, ne leur permettra plus de répondre aux exigences d’un marché du travail où la concurrence est de plus en plus rude, et ne voient dès lors plus l’utilité de se rendre en cours.

Ce projet de loi devrait nous inciter à tirer les leçons des échecs de la politique éducative et chercher les solutions en amont qui nous éviteraient les sanctions en aval. Il vous faut repenser le modèle dans son ensemble et ne pas traiter l’absentéisme uniquement dans sa dimension sociale. Donnez aux élèves les moyens et l’envie de travailler. Contrairement à votre conception, cela ne passe pas par moins d’évaluation, moins de règles, par plus de pédagogie, de personnalisation, d’apprentissage en s’amusant ou d’enseignement ludique, mais par l’autorité et le respect des enseignants, un nombre limité d’enfants par classe, une orientation intelligente, des filières variées mais performantes, une évaluation ambitieuse pour des diplômes valorisés.

Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas ce texte, bien que je pense que la loi Ciotti n’est qu’une réponse bien limitée aux chantiers nécessaires pour l’école.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Ménard.

M. Michel Ménard. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, l’obligation scolaire est un principe républicain auquel nous sommes tous ici particulièrement attachés, étant donné la place fondamentale de l’école dans la formation culturelle, sociale, politique, et plus encore, de tout citoyen.

Les chiffres ont été cités à plusieurs reprises : 5 à 7 % des élèves sont considérés aujourd’hui comme absentéistes, soit 300 000 enfants, issus en grande partie de familles défavorisées.

Cependant, la politique engagée par la droite sous la précédente législature contre l’école buissonnière a largement manqué son objectif. En effet, le dispositif de suspension – voire de suppression – des allocations familiales prévu par la loi Ciotti a été très peu utilisé. En outre, une progression du taux d’absentéisme a été observée entre les années qui encadrent l’application de ce texte.

Quant aux contrats de responsabilité parentale, si peu ont été signés qu’il n’est nul besoin de s’étendre sur cet échec. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Sanctionner des familles déjà touchées par la précarité, et par là même renforcer les inégalités qu’elles subissent quotidiennement, voilà le choix qu’avait fait la droite.

La proposition de loi adoptée par nos collègues au Sénat permet d’ouvrir un autre chemin en mettant en place une véritable procédure d’accompagnement en cas d’absentéisme scolaire. Il s’agit d’en traiter les causes profondes, qui sont trop diverses pour être réglées sans prise en compte de la situation spécifique de chaque famille.

Ainsi, c’est l’ensemble de la communauté éducative – enseignants, conseillers principaux d’éducation, médecins, psychologues scolaires, collectivités territoriales – qui sera mobilisée autour de l’enfant ou du jeune pour trouver la solution la plus appropriée à son mal-être, dont l’absentéisme n’est qu’une manifestation.

Je voudrais terminer en insistant sur le fait que cette proposition de loi s’inscrit en parfaite cohérence avec la politique volontariste menée par le Gouvernement pour rendre toute sa place à l’école.

Mesures d’urgence adoptées à la rentrée 2012, emplois d’avenir professeur, crédits enseignement scolaire conséquents, plan de lutte contre le décrochage scolaire, projet de loi pour la refondation de l’école : la priorité éducative n’est plus un vain mot. Enfin lui sont accordés les moyens et l’importance qu’elle mérite.

Rappelons que le budget de l’enseignement scolaire pour 2013 marque l’arrêt des suppressions de postes dans l’éducation nationale. L’ouverture de 22 100 postes aux concours externes de recrutement permet le remplacement de tous les départs à la retraite et la création de 8 700 nouveaux emplois. Le rétablissement de la formation initiale avec le prérecrutement de plus de 21 000 futurs professeurs, le renforcement de l’encadrement des élèves, particulièrement à l’école primaire, montrent la volonté de la majorité de tout mettre en œuvre pour favoriser la réussite des élèves pour lutter contre l’échec scolaire.

Mes chers collègues, cette proposition de loi est une nouvelle occasion pour la majorité de confirmer son engagement en faveur de la jeunesse et de l’école, je vous invite donc à la soutenir sans réserve. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, l’absentéisme à l’école est un fléau que nul ne saurait contester.

Les causes de l’absentéisme scolaire sont complexes et extrêmement diverses, la mesure en est donc difficile. S’il est vrai que l’absentéisme global progresse, il aurait été plus utile et instructif, dans un premier temps, de mieux comprendre quel type d’absentéisme est en évolution. Or, comme à son habitude, votre majorité semble obsédée par le détricotage de tout ce qui a été mis en place par l’ancienne majorité. Vous agissez dans la précipitation sans vous soucier ni des faits, ni des chiffres.

Chacun comprend qu’il eût mieux valu attendre le bilan de la loi votée à l’initiative de notre collègue Éric Ciotti avant de la supprimer. Et permettez-moi de penser qu’il est prématuré de vouloir juger de l’efficacité d’une loi dont la mise en place est bien trop récente.

Cette abrogation se fonde donc sur un postulat purement idéologique et n’est étayée par aucune évaluation sérieuse du dispositif dans les académies.

La loi du 28 septembre 2010 rend systématique la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme répété et injustifié. Il ne s’agit pas de les supprimer, mais de les suspendre, avec la création d’un dispositif gradué et proportionné pour alerter, accompagner et, le cas échéant, sanctionner. Tout est mis en œuvre pour éviter d’en arriver à la sanction temporaire. L’objectif de la loi est de faire de la responsabilisation et de l’accompagnement des parents un élément clé de la lutte contre le fléau de l’absentéisme.

Je tiens d’ailleurs à rappeler que le lien entre l’attribution de prestations familiales et l’exercice de l’autorité parentale est un principe ancien et constant de notre droit.

L’esprit de cette loi n’est donc pas l’application de la sanction, bien au contraire. Elle met en place un dispositif permettant aux différents partenaires éducatifs d’instaurer un dialogue équilibré avec les parents.

Selon les chiffres du ministère de l’éducation nationale, pour l’année 2011-2012, seules 619 suspensions ont été mises en place. Cela montre bien à quel point vous agitez une fois de plus l’épouvantail de l’injustice et de la stigmatisation en pratiquant une lecture caricaturale de cette loi.

De plus, sur les presque 80 000 cas d’absentéisme signalés dans l’année scolaire, plus de 79 000 enfants sont retournés à l’école sans suspension de leurs allocations familiales.

Votre nouvelle majorité semble oublier que cette loi représente un des outils de la panoplie de solutions dont les académies et les chefs d’établissements doivent pouvoir disposer. Il faut faire confiance à ceux-ci pour choisir les outils les mieux adaptés et intervenir avec discernement dans des situations et sur des territoires variés.

L’absentéisme scolaire demande une prise en charge de proximité et rapide. Il est donc regrettable que la future loi exclue les maires au profit des services des communes. Les maires sont souvent à la croisée de multiples informations, aussi ils doivent faire l’objet d’une communication spécifique dès son origine sans attendre la convocation de la communauté éducative.

Vous recommandez la mobilisation des acteurs de terrain et de la communauté éducative au sens de l’article L. 111-3 du code de l’éducation. Il n’y a là rien de novateur : la loi Ciotti prévoyait aussi un accompagnement dans ou hors l’école. Ce n’est pas en multipliant les acteurs ou les rapports que l’on aidera les familles.

Une évaluation et, éventuellement, une amélioration du dispositif en place auraient été beaucoup plus judicieuses. Votre majorité préfère tomber une fois de plus dans la solution de facilité, vous abrogez mais ne proposez pas de solutions concrètes pour autant. Ce texte n’a pour but, en effet, que de supprimer sans chercher à réformer.

Madame la ministre, l’orateur précédent se flattait de la création de milliers de postes, mais l’on ne résout pas tout en créant des postes supplémentaires, surtout quand on a des difficultés à les financer.

M. Michel Ménard. En supprimant des postes non plus !

M. Thierry Mariani. On résout les choses en responsabilisant les gens, et ce que j’appréciais dans la loi de notre collègue Éric Ciotti, mais que vous faites disparaître en abrogeant cette loi, c’est la responsabilité des parents. Avoir des parents qui se sentent responsables de leurs enfants, c’est aussi important que de créer des postes supplémentaires, et parfois peut-être plus efficace.

M. Éric Ciotti. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Hanotin.

M. Mathieu Hanotin. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, la lutte contre l’absentéisme scolaire est un sujet très sérieux qui mérite d’être abordé avec lucidité et sérénité. Malheureusement, la précédente majorité avait choisi de le traiter sous l’angle de la stigmatisation. Avec cette proposition de loi, nous voilà enfin revenus à la raison. Nous allons abroger cette loi qui était non seulement stigmatisante, comme je viens de le dire, mais encore absolument inefficace contre l’absentéisme, ainsi qu’il vient d’être rappelé par nos collègues.

Les chiffres sont connus : 300 000 élèves sont régulièrement absents au cours de l’année scolaire. Chaque année, 150 000 jeunes quittent le système scolaire sans aucune qualification. Dans les collèges classés éducation prioritaire de mon département, la Seine-Saint-Denis, on atteint 8 % de demi-journées perdues chaque année à cause de l’absentéisme. Dans les collèges « ambition réussite », ce chiffre se porte à 10 %, alors qu’il est de 5,5 % pour les collèges hors ZEP. La mise en place de cette loi, force est de le constater, n’a en aucun cas fait baisser l’absentéisme.

Face à cette situation, est-ce en infligeant une sanction financière aux parents que l’on permettra aux enfants de reprendre le chemin de l’école et de la réussite scolaire ? Nous ne le croyons pas. Bien au contraire, cette mesure, quand elle est appliquée, ne fait qu’ajouter de la difficulté à la difficulté.

Mes chers collègues de l’opposition, vous êtes dans votre rôle. Nous n’attendons pas de M. Ciotti qu’il reconnaisse son erreur et qu’il soutienne la proposition de loi visant à abroger ce dispositif.

Au regard des quelques chiffres que je viens de vous donner, que représentent les 600 familles qui ont effectivement été sanctionnées ? À peine 0,5 % des élèves absentéistes ! Et 77 % d’entre eux ne sont pas retournés en cours après la sanction. Qui plus est, la grande majorité des familles concernées vit dans un seul département : les Alpes-Maritimes. Qu’est-ce qu’une loi que tous les départements, de droite comme de gauche, sauf un, n’appliquent pas, et qui ne traite que moins de 1 % des situations ? C’est une loi inutile et inefficace.

Cette mesure allait à rencontre de toutes les politiques éducatives menées par les collectivités, en matière de lutte contre l’absentéisme, contre le décrochage et contre l’échec scolaire. L’ensemble de la communauté éducative avait exprimé son opposition franche.

En fait, il s’agissait pour la précédente majorité d’une opération de communication destinée à faire oublier une politique éducative uniquement fondée sur des objectifs purement comptables, et totalement dénuée d’ambition.

Les chiffres le montrent : il s’agit d’un échec cuisant. C’est votre droit, chers collègues de l’opposition, de vous entêter dans cette erreur ; mais c’est notre devoir à nous, députés de la majorité, de la réparer.

Que certains parents soient dépassés, c’est malheureusement une réalité. Les sources de leurs difficultés sont très souvent faciles à identifier : difficultés économiques, travail en horaires décalés, familles monoparentales. Faut-il les sanctionner, alors que ces familles sont surtout des victimes de la crise ? Ou faut-il d’abord trouver les moyens d’accompagner ces parents ? La sanction ne doit exister que lorsque le manquement aux obligations éducatives des parents est manifeste et incontestable.

La réponse à l’absentéisme scolaire doit d’abord être éducative. Appuyons-nous sur les exemples qui fonctionnent, sur les politiques éducatives mises en œuvre par les collectivités locales en partenariat avec l’État. On peut imaginer, par exemple, la mise en place d’un suivi individuel des élèves. Dans les établissements les plus confrontés au problème, une personne pourrait être en charge à plein temps de ce suivi, organiser des rendez-vous réguliers avec les élèves et les parents, assurer des visites au domicile des élèves… Toutes les solutions pour lutter contre l’absentéisme doivent être envisagées. À l’occasion des discussions sur le projet de loi de refondation de l’école, nous allons aborder cette question. En effet, la lutte contre les décrochages scolaires, dont l’absentéisme est l’un des symptômes, est au cœur de nos ambitions pour l’école. Lutter contre l’absentéisme scolaire fait partie de nos priorités. Nous allons nous saisir de cette question avec volontarisme.

En abrogeant la suppression des allocations familiales pour sanctionner l’absentéisme, nous souhaitons envoyer un signal clair : les mesures stigmatisantes, c’est fini ! L’école mérite mieux. La République mérite mieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, nous arrivons donc au terme de la discussion générale. Il est toujours très intéressant d’entendre l’expression des points de vue, même s’ils sont souvent difficiles à concilier, voire à comprendre. Toutefois, les contributions des uns et des autres auront été utiles.

Je souhaite notamment souligner l’intervention de nos collègues de Seine-Saint-Denis, qui montrent bien que, dans ce département, les familles particulièrement modestes doivent affronter des situations pénibles dans lesquelles il faut les aider. Mme Buffet a très justement appelé notre attention sur la nécessité de revaloriser la filière professionnelle aux yeux d’un certain nombre de jeunes. Madame la députée, vous avez tout à fait raison : beaucoup de jeunes sont dans des situations d’absentéisme parce qu’ils vivent leur orientation en lycée professionnel comme une humiliation, comme une relégation. C’est dommage pour ces lycées professionnels, qui se caractérisent parfois par une réelle excellence. J’ai visité récemment le lycée Hector-Guimard, dans le 19e arrondissement de Paris, où des jeunes sont formés aux métiers du bâtiment tout en apprenant la ferronnerie d’art et en assurant la réfection de statues abîmées : ces jeunes ont à la fois des métiers utiles – des métiers du bâtiment – et des métiers de véritables artistes. Si nous avions conscience de la qualité de l’enseignement dans nos lycées professionnels, nous devrions montrer à ces élèves qu’ils sont non pas sur des voies de garage, mais au contraire dans des filières d’excellence leur permettant d’exercer des métiers tout à fait passionnants.

Notre collègue Stéphane Travert – je dis « notre collègue » car j’oublie que je ne suis plus parlementaire (Sourires) – a rappelé les axes permettant de conduire une politique de qualité. C’est sur ce type d’axes que nous devons effectivement nous appuyer pour développer de véritables relations correctes entre parents et enseignants, qui sont essentielles pour obtenir le succès que nous attendons. Monsieur Travert, dans le cadre de la politique de refondation de l’école que nous menons aujourd’hui, les axes que vous avez rappelés sont tout à fait essentiels.

On nous reproche de ne rien proposer contre le décrochage scolaire. Je rappelle tout de même que très récemment, au mois de décembre, Vincent Peillon a annoncé un plan de lutte contre le décrochage scolaire, appelé « Objectif formation emploi ». Ce plan permet de proposer aux jeunes en difficulté qui ont désespéré de l’école des voies alternatives, et de les insérer dans un parcours de raccrochage. Rappelons que cette politique, évidemment réglementaire et ne nécessitant pas de passer par la loi, a été adoptée après une large concertation menée dès le mois de mai, et qui nous a permis de dresser le bilan de tous les dispositifs existants. Bien entendu, de nombreuses mesures figureront dans la prochaine loi de refondation de l’école qui sera présentée en conseil des ministres la semaine prochaine. Mais la politique de lutte contre le décrochage scolaire, dont l’absentéisme est simplement la première phase, est d’ores et déjà sur les rails. Je ne pense pas que l’on puisse dire que nous ne soyons pas aujourd’hui tous au travail pour essayer de lutter contre ce fléau dramatique pour notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Article unique

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi.

La parole est à M. Jean-Jacques Cottel, inscrit sur l’article.

M. Jean-Jacques Cottel. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, le problème de l’absentéisme est extrêmement complexe. Le réduire à une sanction financière à l’encontre de parents le plus souvent démunis n’est pas la solution, d’autant que l’on renforce ainsi l’exclusion des parents, enfants et adolescents concernés. Ces mêmes parents ont souvent eux-mêmes connu des situations difficiles dans leur vie sociale. Dans tous les cas, on rencontre des élèves en état de mal-être profond. J’ai moi-même été enseignant, et j’ai connu des enfants vivant une véritable phobie scolaire. Vous pensez bien qu’une mesure financière ne règle pas ce problème ! Ce n’est pas faire preuve d’angélisme que de dire cela !

J’ai écouté ce matin M. Chatel. Il a fait référence à quelques mesures curatives – il a notamment parlé de réinsertion scolaire –, mais aussi à des mesures sécuritaires, au repérage des élèves fragiles ou absents. Mais après ce repérage, que fait-on ? Et surtout, avant ce repérage, que fait-on ? La prévention des difficultés est en effet essentielle.

Sous le gouvernement précédent, vous avez parlé de dispositifs relais, de médiateurs et de contrats avec les parents. Pourquoi pas ? Mais, en parallèle, on n’a plus formé les maîtres ni accueilli les enfants à deux ans. La refondation de l’école doit accentuer l’effort non seulement sur le primaire, comme cela a été dit, mais aussi sur la maternelle. On travaille en maternelle : il faut le savoir ! On a parfois entendu dire le contraire.

De même, on a voulu supprimer les réseaux d’aide aux enfants en difficulté, qui peuvent justement travailler en amont et de façon personnelle avec les enfants. Il faut réaffirmer leur action.

On a également diminué les moyens d’associations d’enseignants. Dans mon département, par exemple, l’association « Les pupilles de l’enseignement public », qui avait créé un service d’assistance pédagogique à domicile, a moins de moyens.

C’est vrai : nous devrons aller bien au-delà de l’abrogation de cette loi. Mais comme cela a été dit, pour réussir, il faudra redonner confiance à tous nos partenaires, qu’ils soient parents, enseignants, enseignants spécialisés ou élèves.

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 7 et 8, tendant à supprimer l’article unique.

La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n° 7.

M. Guillaume Larrivé. Depuis ce matin, nous débattons de ce texte important. Nous persistons dans notre demande de « suppression de la suppression », si j’ose dire. Vous ne nous avez pas convaincus, ni sur la forme, ni sur le fond.

Sur la forme, il s’agit d’un débat étrange, qui se déroule en l’absence du ministre de l’éducation nationale, qui n’assume pas ce premier texte normatif du quinquennat sur l’éducation nationale.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Comme c’est subtil !

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles. C’est lourd et pénible !

M. Guillaume Larrivé. Il n’est pas là : en réalité, il préfère fuir la représentation nationale…

Mme Hélène Geoffroy. Mme la ministre est présente !

M. Guillaume Larrivé. …et envoie au front Mme la ministre déléguée sur cette question ô combien délicate. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marie-George Buffet. Elle est ministre à part entière !

M. Guillaume Larrivé. Sur le fond, vous n’avez à aucun moment démontré ce que vous dénoncez très injustement comme l’inefficacité de la loi Ciotti. Au contraire, avec Luc Chatel, Éric Ciotti et Virginie Duby-Muller, nous vous avons apporté la démonstration chiffrée de l’efficacité de cette loi. Nous regrettons que, par dogmatisme et par une idéologie aussi laxiste que rétrograde (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), vous vous obstiniez à vouloir abroger un dispositif très utile. Les Français en jugeront.

Mme Lucette Lousteau. C’est fait !

Mme Clotilde Valter. Ils en ont déjà jugé !

M. Stéphane Travert. Jugé le 6 mai !

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n° 8.

M. Éric Ciotti. Mon amendement vise à supprimer l’article unique de cette proposition de loi, et donc à revenir au dispositif législatif que j’ai eu l’honneur de porter et qui s’est traduit par la loi du 28 septembre 2010. J’associe Luc Chatel à ma demande de suppression de cet article.

Beaucoup d’arguments ont été soulevés tout au long du débat. Je n’y reviendrai pas dans le détail. À ce stade, je veux simplement souligner le caractère totalement incohérent de l’argumentation du Gouvernement pour soutenir la suppression de la loi du 28 septembre 2010. Certains orateurs de la majorité ont repris de façon un peu hasardeuse cet argument extrêmement étonnant, finalement le seul argument soulevé par le Gouvernement pour justifier cette abrogation : l’unique critère pour juger de l’inefficacité de la loi serait, si j’ai bien compris, le trop faible nombre de suspensions voire de suppressions d’allocations familiales. J’avoue ne pas comprendre, car on entend depuis des mois que cette loi stigmatiserait des familles et les affaiblirait en les privant de revenus. L’outil de la suspension des allocations familiales serait donc injuste ; or le seul motif que vous invoquez pour supprimer cette loi est le nombre trop faible de suppressions ou de suspensions d’allocations. L’incohérence de la démonstration est manifeste et flagrante : elle montre finalement que vous n’avez pas d’autre argument pour justifier l’injustifiable.

Au contraire, vous le savez bien : cette loi très récente, à laquelle vous ne donnez pas le temps de s’appliquer, a eu d’excellents résultats, en tout cas très prometteurs. Je souligne à nouveau le chiffre de 80 000 signalements provenant des services de l’Éducation nationale, la mise en place pour la première fois d’un dispositif exhaustif, global et systématique de recensement de l’absentéisme scolaire, ainsi que le principe d’automaticité d’intervention. Cette loi était donc utile, efficace, équilibrée et proportionnée. Elle permettait de tendre la main aux familles avec un dispositif d’accompagnement, les contrats de responsabilité. Bien entendu, vous n’avez pas parlé de tout cela. Vous ignorez tout le volet de l’accompagnement social – pire, vous le supprimez.

Dernier argument pour demander la suppression de ce texte : vous ne le remplacez par rien. Vous détruisez mais vous refusez de construire : il n’y aura plus de dispositif de lutte contre le fléau de l’absentéisme scolaire. C’est pourquoi je vous propose d’adopter cet amendement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Doucet, rapporteure. Elle a repoussé ces amendements identiques. Je me permettrai de rappeler quelques faits ; nous avons entendu parler de précipitation et d’idéologie, mais je m’en tiendrai d’abord aux seuls faits, qui, chacun le sait, sont têtus.

Dans 70 % des cas, le dispositif peut être considéré comme inefficace, puisque l’élève ne retourne pas à l’école. Pensez-vous vraiment que cela allait s’améliorer en un an ou deux ?

Par ailleurs, vous prétendez que la loi a permis de résoudre plus de 90 % des cas d’absentéisme. En réalité, c’est le dialogue engagé avec les familles dès le premier signalement, et rien que lui, qui est la meilleure voie pour obtenir le retour à l’assiduité.

Autre fait, ce dispositif est foncièrement injuste ; je l’ai déjà dit. Il laisse en effet de côté un tiers des élèves.

De plus, il est inefficace, puisqu’il n’a aucune prise sur deux facteurs puissants d’absentéisme : l’orientation scolaire, puisque l’absentéisme concerne particulièrement les élèves des lycées professionnels inscrits dans une spécialité qu’ils n’ont pas choisi, et la violence ou le harcèlement.

Ensuite, ce dispositif est stigmatisant. Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté, au mois de juin dernier, a en effet rappelé son opposition à ce type de sanction en ces termes : « La préoccupation du CNLE est d’éviter la rupture du lien entre les parents et l’école. Les mesures financières visant à sanctionner les parents concernés par l’absentéisme scolaire sont forcément stigmatisantes et ne peuvent que provoquer ou renforcer l’isolement des familles. »

Après les faits, les idéaux.

M. Éric Ciotti. L’idéologie, vous pouvez le dire !

Mme Sandrine Doucet, rapporteure. Je dis bien les idéaux et non pas l’idéologie. Je pense que nous ne parlons pas le même langage, je parle bien d’idéaux.

M. Guillaume Larrivé. C’est la langue française !

Mme Sandrine Doucet, rapporteure. Oui, pour nous, il importe de construire un lien de confiance entre l’école et la famille. Il faut donc refonder l’école pour apporter des réponses de fond à l’absentéisme et au décrochage. Selon nous, les lois d’affichage n’ont pas besoin d’être appliquées pendant deux ou dix ans pour faire preuve de leur nocivité. Nous ne considérons pas que les travaux de l’Inspection générale de l’éducation nationale, tel un deus ex machina, doivent guider les décisions de la représentation nationale. Un an et demi d’application, c’est largement suffisant pour prouver l’inutilité de cette loi.

Bref, il faut en finir et faire ce qu’a déjà fait le gouvernement de M. Raffarin en 2004. L’inconséquence et l’idéologie ne sont pas du côté de la majorité, elles sont bien du côté de l’opposition, qui s’est contredite à six ans d’intervalle pour des motifs de politique politicienne.

J’émets donc un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Je ne reviens pas sur ce qu’a excellemment dit notre rapporteure pour rejeter ces amendements identiques de suppression de l’article unique, qui visent, finalement, à maintenir le dispositif de M. Ciotti, mais la manière dont M. Larrivé a présenté son amendement et le fait qu’il a, après un certain nombre de collègues de l’opposition, mis en cause par des propos désobligeants la présence au banc du Gouvernement de Mme Pau-Langevin, m’amènent à prendre la parole. Je le fais très rapidement mais de manière un peu solennelle, car je trouve vos propos extrêmement désagréables, monsieur Larrivé.

Avec cette proposition de loi visant à supprimer la loi Ciotti, nous sommes au cœur de la réussite éducative, au cœur, donc, des attributions de Mme Pau-Langevin, dont la présence au banc du Gouvernement se trouve justifiée par sa délégation même, et, tout au long de ce débat, tant son intervention liminaire que les réponses qu’elle a tenu à apporter aux orateurs qui ont défendu les deux motions de procédure ou sont intervenus dans la discussion générale, ont montré qu’elle représentait parfaitement le Gouvernement. Je regrette donc, pour la qualité de nos débats, que certains collègues de l’opposition aient mis en cause sa présence au banc du Gouvernement. M. Chatel, qui demande instamment pour quelle raison M. Peillon n’est pas là, n’a sans doute pas atterri et ne s’est pas rendu compte qu’il n’était plus aujourd’hui que parlementaire. Quant à M. Peillon, il sera largement présent au mois de mars dans cet hémicycle.

Je le rappelle pour répondre aux propos tenus par M. Chatel lors de son rappel au règlement, M. Chatel sera présent…

M. Éric Ciotti. Oui, M. Chatel sera présent !

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. M. Peillon sera présent en commission des affaires culturelles et de l’éducation.

M. Éric Ciotti. Quel lapsus !

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Oui, lapsus, monsieur Ciotti, car je trouve très inconvenant, pour un parlementaire qui, pendant une demi-heure, nous a présenté laborieusement une motion de rejet préalable, de ne pas avoir la courtoisie d’être au moins présent jusqu’au terme du débat. Or je constate, alors que nous arrivons au terme de la discussion de cette proposition de loi, que M. Chatel n’est plus présent dans l’hémicycle. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Défavorable.

Ce n’est pas en répétant des contrevérités qu’elles deviennent vérités. On nous a à nouveau expliqué que le dispositif instauré par la loi du 28 septembre 2010 était formidable, on nous a à nouveau expliqué que nous supprimions tout et ne faisions rien.

En réalité, nous supprimons uniquement ce qui concerne les allocations familiales, et non pas les dispositifs d’alerte et d’avertissement ni le reste. Nous gardons, c’est ce qui est important, le dialogue avec les parents, nous gardons ce qui permet d’aller de l’avant. Ce qui est supprimé, c’est cette partie du dispositif Ciotti qui est inadmissible, insuffisante et injuste. C’est tout.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président Bloche, ce n’est certes pas la présence active de Mme Pau-Langevin qui est contestée par l’opposition. Mme Pau-Langevin est juridiquement, politiquement, professionnellement si j’ose dire, habilitée à s’exprimer dans cet hémicycle, cela va de soi.

Ce n’est pas sa présence qui est en cause, c’est l’absence du ministre de l’éducation nationale que nous dénonçons. Il est quand même extravagant que le ministre de l’intérieur vienne, lui, débattre des textes sur la sécurité et que le ministre de l’éducation nationale ne prenne pas la peine de venir s’exprimer devant nous lorsque, pour la première fois en huit mois, un texte normatif sur l’éducation nationale est en discussion. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Nous tenions à souligner cette absence singulière. Nous lisons la presse, qui nous apprend que M. Peillon se trouve à Toulouse. Fort bien, mais sans doute aurait-il pu considérer que l’Assemblée nationale mériterait d’être honorée de sa présence.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Mon collègue vient de souligner toutes les qualités intellectuelles de « Mme Pau-Langevin », mais il ne peut pas prononcer les mots « Mme la ministre ». Il faut vraiment, monsieur le député, que vous ayez du mal à accepter que les femmes prennent des responsabilités et que Mme Pau-Langevin soit une ministre à part entière et pas simplement une sous-ministre derrière le ministre Peillon. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Éric Ciotti. Mme Pau-Langevin est ministre déléguée !

(Les amendements identiques nos 7 et 8 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller, pour soutenir l’amendement n° 6.

Mme Virginie Duby-Muller. Cet amendement a été proposé par ma collègue Annie Genevard, mais, puisqu’elle est absente, c’est moi qui le défends.

Le maire, de par sa fonction, est à l’interface de multiples informations. Il doit donc être tenu informé de l’absentéisme de l’élève, qu’il s’agisse du maire de la commune de résidence ou du maire de la commune où l’enfant est scolarisé. Il paraît donc bien légitime de l’associer au dispositif que vous proposez.

Tel est l’objet de cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Doucet, rapporteure. Elle a repoussé l’amendement. Il est vrai que le texte que nous examinons prévoit que le maire ne sera plus informé des avertissements adressés aux familles absentéistes et que cette donnée ne figurera plus dans le fichier communal des enfants soumis à l’obligation scolaire, mais cette modification sera sans incidence sur la communication au maire, par les caisses d’allocations familiales, de données personnelles relatives aux enfants d’âge scolaire domiciliés dans la commune, dans le cadre du respect de l’obligation scolaire et non du contrôle de l’assiduité. Cette modification sera sans incidence également sur l’information donnée par le responsable de l’établissement scolaire lorsque l’élève quitte définitivement l’établissement en raison, notamment, de son exclusion. Ces données continueront d’être transmises au maire et enregistrées dans un fichier car elles sont effectivement utiles à la mise en œuvre par le maire de mesures d’accompagnement social de l’enfant. Le maire continuera donc à bénéficier d’une information étendue sur le suivi de l’obligation scolaire et disposera des éléments nécessaires pour intervenir en cas de problème scolaire et social avéré.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Défavorable. Rappelons que le maire est membre de la communauté éducative. Dès lors, il aura, dans ce cadre, à traiter du problème de l’absentéisme de l’enfant. Il ne disparaît donc absolument pas du dispositif.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Je soutiens l’amendement qui vient d’être défendu par Virginie Duby-Muller. La question qui vient d’être soulevée est extrêmement grave. L’information des maires, qui avait été prévue par la loi du 28 septembre 2010, est effectivement d’une particulière importance. Or, malgré ce que vous venez de prétendre avec beaucoup de difficultés, madame la ministre, il n’y aura plus d’information des maires. De même, je veux le souligner, il n’y aura plus d’information des présidents de conseil général. C’est extrêmement grave en termes de protection de l’enfance. Pourquoi ai-je eu l’occasion de me saisir de ce sujet ? C’est au titre de mes responsabilités de président de conseil général, en charge de la protection de l’enfance, que j’ai pu mesurer, notamment depuis l’entrée en vigueur de la loi sur la protection de l’enfance qui a créé les antennes départementales de recueil des informations préoccupantes, que l’essentiel des signalements provenaient de l’éducation nationale et concernaient l’absentéisme scolaire. Celui-ci peut effectivement cacher des situations familiales très graves, très dangereuses pour l’enfant.

Or vous coupez ce lien. Vous mettez en péril des enfants car, désormais, plus rien n’obligera les chefs d’établissement à procéder à ces signalements. Il n’y aura donc plus de procédure obligatoire de signalement des situations préoccupantes. C’est grave, et je vous mets en garde car vous n’avez prévu aucune autre solution. Il n’y aura plus aucune procédure de signalement obligatoire des présidents de conseil général, en charge de la protection de l’enfance, il n’y aura plus d’information des maires, qui jouent un rôle majeur de prévention. Vous vous contentez de détruire en mettant en péril des dispositifs qui ont fait leurs preuves. C’est grave, c’est dangereux, et nous dénonçons cette situation.

(L’amendement n° 6 n’est pas adopté.)

(L’article unique est adopté.)

Après l’article unique

Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller, pour soutenir l’amendement n° 2.

Mme Virginie Duby-Muller. La proposition d’abrogation qui nous est soumise souffre d’une absence d’évaluation qui est vraiment patente. Le rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale remis au mois de juillet dernier qui porte sur ce sujet, opportunément, n’est pas rendu public, contrairement aux dix-sept autres. Qu’en est-il donc de la transparence à laquelle s’est engagé votre ministre de tutelle, madame la ministre ? Au mois de mai, il déclarait effectivement que les rapports de l’IGEN avaient vocation à être publiés.

Si l’on reprend les statistiques, les 80 000 signalements ont donné lieu à plus de 79 000 retours à l’école, soit un taux de plus de 97 %. Sans avoir fait Polytechnique, on comprend que le dispositif est efficace, cela paraît clair. Ce n’est pas nous, madame la ministre, qui proférons des contrevérités.

Par conséquent, dans un souci d’opposition constructive, nous demandons qu’un rapport comparé soit fait par le Gouvernement et qu’un comité de suivi, composé de députés et de sénateurs, soit instauré, qui pourrait se prononcer sur les préconisations de ce rapport.

Tel est l’objet du présent amendement, qui relève d’une attitude d’opposition constructive et prend en considération le fait que nous manquons d’une évaluation de ce dispositif.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Doucet, rapporteure. Cet amendement n’a pas été retenu par la commission. Selon vous, nous commettrions une faute par précipitation, et aurions tort de ne pas évaluer avant de décider. Vous nous proposez, pour alléger notre culpabilité, de recourir à la technique classique de la demande de rapport au Gouvernement, et de l’institution d’un comité de suivi. L’injonction permanente : voilà une manière singulière de faire avancer le débat !

C’est de bonne guerre, mais je permettrai de vous renvoyer au bilan chiffré qui figure dans mon rapport. Certes, il tient en trois pages : c’est qu’il est tout simplement accablant ! Il serait inutile d’en rajouter. Je vous renvoie aussi aux travaux que j’ai cités dans mon rapport, notamment ceux de la mission permanente d’évaluation de la politique de prévention de la délinquance. Composée de membres des six Inspections générales des ministères concernés, elle s’est penchée de manière critique en 2011 sur les dispositifs de lutte contre l’absentéisme scolaire, puis sur trois dispositifs de responsabilisation des parents. En réalité, l’évaluation de la loi Ciotti est simple à faire ; maintenant, le temps de la décision politique est venu. Acceptez donc que nous prenions nos responsabilités !

(L’amendement n° 2, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Daniel Fasquelle. Il n’y a pas de quoi être fier !

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

2

Transition vers un système énergétique sobre

Nouvelle lecture

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre.

La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Madame la présidente, monsieur le président – et rapporteur – de la commission des affaires économiques, mesdames et messieurs les députés, je tiens d’abord à saluer la qualité du travail accompli, en particulier par l’auteur de cette proposition de loi, François Brottes, dont je salue la constance et la ténacité…

M. Daniel Fasquelle. Dites plutôt l’obstination !

Mme Delphine Batho, ministre. …comme rapporteur de cette proposition de loi. Ce texte pose la première pierre de la transition énergétique. Je salue également l’implication des députés de la majorité, mais aussi de l’opposition. Par leurs critiques – lorsqu’elles étaient constructives – ils ont, eux aussi, contribué à l’amélioration de cette proposition de loi.

M. François Brottes. Parfois !

Mme Delphine Batho, ministre. Mesdames et messieurs les députés, 2013 sera l’année de la transition énergétique. Cela sera, pour notre pays, l’année des choix, dans le cadre du grand débat national auquel chaque citoyen pourra participer. Le comité de pilotage de ce débat national en présentera jeudi prochain, le 24 février, les étapes et les grands rendez-vous. Ce débat est nécessaire pour prendre des décisions qui engageront les générations futures au-delà même de ce quinquennat. Il s’agit de prendre des décisions stratégiques à long terme pour notre nation…

Mme Laure de La Raudière. Ça, c’est paradoxal !

Mme Delphine Batho, ministre. …et de faire des choix qui entraîneront des changements de comportement.

Depuis dix ans, en matière de politique énergétique, des décisions importantes ont été trop longtemps repoussées. Si rien n’est fait, nous nous retrouverons dans une impasse : celle de la hausse des prix de l’énergie et de l’augmentation de la précarité énergétique. Le déficit de la balance commerciale a atteint 61,4 milliards d’euros. Les investissements nécessaires dans les moyens de production n’ont pas été anticipés.

Mme Laure de La Raudière. C’est faux !

Mme Delphine Batho, ministre. La transition énergétique doit aussi être le moyen de dessiner l’avenir de la France. Ce doit être un objectif fédérateur, ainsi qu’une opportunité d’améliorer notre compétitivité économique. Cet objectif repose sur deux piliers. Le premier est le développement des énergies renouvelables dans le cadre des engagements que nous avons pris à l’échelle européenne, et dans le respect de la trajectoire d’évolution de notre mix électrique qu’a fixée le Président de la République à l’horizon 2025.

Le deuxième pilier de la transition énergétique repose sur l’efficacité et la sobriété énergétiques, et la réalisation d’économies d’énergie massives. C’est le levier le plus important dont nous disposons à l’heure actuelle pour réduire la facture énergétique des ménages et faire face à des évolutions structurelles, notamment l’augmentation de la pointe électrique.

Il s’agit donc, effectivement, de rompre avec la logique du « consommer plus pour produire plus ». Sans attendre les conclusions du débat national sur la transition énergétique, le Gouvernement a souhaité qu’un certain nombre d’actions soient engagées. Il y a, bien entendu, le bonus-malus sur lequel je reviendrai dans un instant. Cette proposition de loi s’inscrit donc bien dans un ensemble de mesures. Je prendrai l’exemple du projet d’arrêté sur l’extinction des lumières dans les bureaux et les vitrines la nuit, ce qui représente une économie équivalente à…

Mme Laure de La Raudière. La production d’au moins un réacteur nucléaire ! (Sourires.)

Mme Delphine Batho, ministre. …la consommation de 750 000 habitants. Les rejets de CO2 pourront ainsi être diminués de plusieurs millions de tonnes.

Je vous parlerai également de l’arrêté sur la mise en place du mécanisme de capacité pour le marché de l’énergie. Enfin, j’adresserai prochainement aux partenaires de cette discussion un projet de décret sur l’efficacité énergétique dans le tertiaire, qui est lié à la nouvelle directive européenne sur l’efficacité énergétique. Toutes ces décisions forment donc un ensemble ; elles vont dans le même sens. Il en va de même pour le projet de généralisation des compteurs intelligents « Linky », que j’ai relancé et qui trouvera un débouché dans le cadre du débat national. Toutes ces mesures concourent à cette politique d’efficacité et de sobriété énergétique. Elles seront encore amplifiées par la prochaine loi de programmation qui résultera du débat national.

Le bonus-malus qui est au cœur de la proposition de loi présentée par François Brottes est un élément très important de ce dispositif. Les débats parlementaires en première lecture ont été utiles, et la commission des affaires économiques a apporté des changements significatifs au texte dont nous avions discuté.

Un certain nombre d’inquiétudes se sont exprimées quant au risque d’une sorte d’effet pervers du malus pour les personnes vivant dans des passoires thermiques, c’est-à-dire les quelque quatre millions de logements énergivores. Deux réponses leur ont été apportées. Première réponse : dans la nouvelle rédaction de l’article 1er, un dispositif permettra, par arrêté, d’éviter tout effet pervers pour les personnes bénéficiaires des tarifs sociaux. Deuxième réponse : le report de la date d’entrée en vigueur du texte, donc du bonus-malus, permettra d’attendre que le plan de rénovation thermique ait trouvé sa pleine efficacité.

Je souhaite vous donner un certain nombre de détails, en préliminaire à nos débats, sur ledit plan de rénovation thermique, auquel Cécile Duflot et moi nous sommes en train de mettre la dernière main. Ce plan, vous le savez, vise à rénover 500 000 logements anciens par an. Il donnera la priorité aux ménages en situation de précarité énergétique. Il comportera une réforme du diagnostic de performance énergétique, qui sera fiabilisé et normalisé. Il apportera des solutions adaptées à chaque logement, avec une garantie de qualité des travaux. Il prévoira une aide aux ménages, sous forme de conseils comme de financements, avec des incitations fiscales et réglementaires au déclenchement des travaux.

Dès 2013, les outils existants seront optimisés. Le crédit d’impôt développement durable et l’éco-prêt à taux zéro seront réorientés. Les critères d’éligibilité seront harmonisés et les démarches administratives simplifiées pour les entreprises labellisées « Grenelle de l’environnement ». Le programme « Habiter mieux » sera renforcé. En complément du service public de la performance énergétique inscrit dans la proposition de loi, nous mettrons en place un guichet unique de la rénovation énergétique territorialisé et piloté régionalement. Grâce aux emplois d’avenir, des ambassadeurs de la rénovation énergétique pourront y être adossés. En 2014, ce dispositif sera approfondi et pérennisé par la mise en place du mécanisme du tiers financement. La Caisse des dépôts et consignations a été missionnée pour mettre ce dispositif en place. Cela permettra à un tiers de prendre en charge les travaux et de se rembourser ensuite sur les économies d’énergies réalisées.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques, rapporteur. Très bien !

Mme Delphine Batho, ministre. Enfin, d’autres incitations fiscales et obligations réglementaires seront mises en place. Je me souviens qu’en première lecture, de nombreux députés, sur tous les bancs de l’hémicycle, avaient discuté de la fameuse disposition établissant un lien, s’agissant de la répercussion du malus, entre le propriétaire d’une « passoire thermique » et le locataire qui subit cette situation. Cécile Duflot a eu l’occasion d’indiquer que le projet de loi en préparation sur le logement et l’urbanisme » abordera cette question, qui remonte la loi de 1965.

D’autres modifications importantes ont été apportées au texte. J’imagine que le rapporteur, François Brottes, les présentera en détail. Le bonus-malus sera calculé par rapport à la consommation des 25 % de Français les plus sobres. Pour les consommations supérieures volume de base, un premier niveau de malus, dit « pédagogique », s’appliquera, mais son surcoût sera modéré. Le second niveau de malus, dit renforcé, s’appliquera aux consommations réellement excessives, c’est-à-dire trois fois supérieures au volume de base, afin d’inciter à leur réduction.

Autre modification : la collecte des données nécessaires au bonus-malus sera confiée à un organisme, comme le président Brottes en avait évoqué la possibilité en première lecture.

J’ajoute que le dispositif n’engendrera pas de dépenses nouvelles pour l’État puisqu’il s’équilibrera de lui-même, le malus finançant le bonus.

La question des résidences secondaires a été largement abordée également. Le bonus-malus s’appliquera à tous les logements, mais les résidences secondaires seront soumises à un régime adapté. Ce choix découle directement de l’avis du Conseil d’État, qui a estimé que l’attribution d’un bonus pour les résidences secondaires amènerait certains ménages disposant de plusieurs résidences à ne pas payer de malus. Cette adaptation est la bienvenue.

La question des énergies de réseau a été posée, et peut-être reviendra-t-elle dans la discussion. Je tiens néanmoins à rappeler la spécificité de ces énergies, qui nécessiteront des investissements colossaux dans les années à venir, ce qui justifie donc pleinement que le dispositif du bonus-malus s’applique à elles.

Les autres énergies, comme le bois, le fioul ou le GPL, sont d’une nature différente. Elles peuvent être stockées et connaissent une multiplicité de fournisseurs, d’où l’impossibilité de leur appliquer un même dispositif. Le Conseil d’État, dans son avis rendu le 6 décembre sur le titre Ier tel qu’issu de la première lecture par votre assemblée, n’a pas soulevé d’objection sur ce point. Cela étant, le Gouvernement proposera que la question du fioul, considérant sa dimension sociale, fasse l’objet d’un examen particulièrement attentif dans le cadre du débat national sur la transition énergétique.

Concernant les immeubles pourvus d’un chauffage collectif, le Conseil d’État a pointé la nécessité d’un dispositif de compteurs individuels. Le texte a été modifié en ce sens et sera complété par des amendements.

Le Gouvernement vous soumettra également des modifications visant à améliorer certaines dispositions. Pour mieux prendre en compte la situation réelle des ménages, nous proposerons qu’il y ait une simultanéité entre le calcul du volume de base et la consommation, évitant ainsi un décalage d’une année. Pour la collecte des données des ménages, les changements de situations seront pris en compte en cours d’année.

Je proposerai également plusieurs amendements visant à renforcer l’expérimentation de la tarification progressive de l’eau et à renforcer la solidité juridique du dispositif.

D’autres amendements donneront enfin toute sa portée à l’effacement pour les industriels dès 2013.

Pour conclure, et en prélude à la discussion générale qui va s’ouvrir, j’évoquerai les changements concrets que cette proposition de loi apportera dans la vie des Français.

La facture de trois ménages sur quatre baissera grâce au bonus. C’est ce qui résulte des simulations effectuées.

M. Bertrand Pancher. En 2016 !

Mme Delphine Batho, ministre. La proposition de loi comporte aussi des dispositions attendues en faveur des énergies renouvelables, notamment pour la filière éolienne française ; l’enjeu est la préservation de 11 000 emplois.

Elle donne en outre une base législative à l’effacement diffus qui permet, lui aussi, de rémunérer les économies d’énergie.

Elle pose les fondements juridiques du service public de la performance énergétique, indispensable pour mettre en place le guichet unique qui permettra d’accompagner concrètement les personnes dans leurs travaux de rénovation énergétique.

Il s’agit donc d’un texte d’efficacité écologique, mais aussi de justice sociale, qui comporte une mesure très attendue sur la trêve hivernale et sur l’extension des tarifs sociaux, huit millions de Français étant aujourd’hui en situation de précarité énergétique. Vous savez que le Gouvernement a souhaité étendre ces tarifs sociaux par voie réglementaire, dans l’attente de la proposition de loi de François Brottes, et je veux souligner à quel point une mesure législative était nécessaire pour toucher avec certitude les huit millions de bénéficiaires potentiels de ces tarifs. C’est un élément de justice sociale majeur, puisque, grâce à cette disposition, ils bénéficieront aux personnes dont les revenus sont inférieurs, non plus à 600 euros environ, mais à 893 euros. Cela représentera, pour une famille, une économie de 200 euros par an si elle se chauffe au gaz, et de 90 euros à l’électricité. Ce soutien au pouvoir d’achat est très important pour la vie quotidienne des Français, alors que le pouvoir d’achat baisse et que le coût de l’énergie augmente. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Denis Baupin. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le président – et rapporteur – de la commission des affaires économiques.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques, rapporteur. Je vous félicite, madame la ministre, pour votre engagement. Vous êtes plus que le porte-drapeau de la transition énergétique, ce difficile chemin voulu par le Président de la République pour faire entrer notre société dans l’ère de la sobriété énergétique. Il est temps de nous y mettre, car ce sera long et changer de modèle ne plaît pas à tout le monde. Il faudra donc de l’audace, du courage et de la ténacité. Je sais que vous en avez, et je tenais à vous en remercier publiquement.

Je veux aussi saluer Mme Massat, vice-présidente de la commission, grâce à qui ses travaux ont pu se dérouler, cette fois, dans une ambiance permettant aux arguments des uns et des autres d’être moins caricaturés, moins dénaturés. Je remercie également l’ensemble de nos collègues pour leur contribution à nos débats. Bon nombre d’amendements présentés par l’opposition ont d’ailleurs été d’ores et déjà engrangés dans notre réflexion.

M. Bertrand Pancher. Il en reste encore beaucoup !

M. François Brottes, rapporteur. En effet, dès l’instant où l’on participe à ce débat avec honnêteté, il n’y a aucune raison pour que chacun ne prenne pas sa part de l’évolution positive suivie par ce texte.

Mme la ministre a rappelé l’enjeu : consommer moins et mieux, polluer moins, importer moins. Il convient pour cela de diversifier nos productions et nos approvisionnements. Nous devons nous orienter au plus vite vers le « négawatt », c’est-à-dire l’énergie la plus facile d’accès : celle que l’on ne consomme pas. Il faut « booster », pardonnez-moi du terme, les énergies renouvelables et surtout faire participer toute la population à ce défi qui n’est pas gagné d’avance. Cela fera, en effet, baisser à moyen terme les coûts structurels, donc les prix de l’énergie, alors que ceux-ci connaissent une progression dont nous avons le sentiment qu’elle est sans fin.

Ce texte est une première étape vers la transition énergétique, la deuxième, la plus importante, étant le résultat de la conférence énergétique que vous avez lancée, madame la ministre.

Je rappellerai les quatre points que comporte la proposition de loi.

L’outil bonus-malus n’est rien d’autre qu’un signal pédagogique mobilisateur. Les situations de précarité doivent être mieux prises en comptes. L’énergie étant un bien essentiel dont personne ne doit être exclu et le marché fragilisant justement les plus fragiles, nous devons prendre des dispositions de précaution et de prévention. C’est pourquoi le texte instaure la règle du jeu de l’effacement, qui n’existait pas, et précise celle du marché de capacité. Enfin, il déterre les éoliennes, car une éolienne enterrée n’est pas sensible au vent qui souffle et ne peut donc donner toute l’énergie que l’on attend d’elle.

Que s’est-il passé depuis la première lecture ? La commission mixte paritaire n’a pu aboutir, le Sénat n’ayant adopté aucun texte. Je tiens néanmoins à saluer le travail et la réflexion de nos collègues sénateurs. J’ai beaucoup écouté leurs propositions et citerai en exemple celle de M. Courteau, grâce à laquelle nous disposons d’un mode de calcul du volume de base qui est simplement statistique.

Nous avons aussi levé, je le crois, certaines inquiétudes légitimes en conjuguant mieux la double dimension, sociale et écologique, du texte. Les plus précaires recevront le signal, mais ne seront pas pénalisés, ainsi que Mme la ministre l’a expliqué et qu’il est essentiel de le rappeler.

La progressivité du bonus-malus connaîtra un étalement plus important puisque 75 % des ménages seront bénéficiaires du dispositif, tandis que les 25 % restants seront ceux dont la consommation est un peu extravagante.

Il y aura ainsi une zone complètement verte : les 25 % qui consomment le moins obtiendront un bonus complet. Entre 25 % et trois fois 25 %, 70-75 %, les ménages bénéficieront d’un bonus qui ira s’étrécissant, mais avec cette montée progressive la facture restera tout de même inférieure à ce qu’elle est actuellement. En revanche, ceux qui dépassent de trois fois le volume de base acquitteront le malus, et toutes les dispositions viseront à corriger le tir. C’est bien l’objet de la mise en place du service public de la performance énergétique, avec le plan de rénovation de l’habitat présenté par Mmes les ministres, qui sera disponible au moment où le présent dispositif sera en place pour l’ensemble de la population.

Ainsi, lorsqu’on sera en vert ce sera formidable – n’est-ce pas, monsieur Baupin ? (Sourires) –, en orange il faudra être vigilant mais on continuera d’échapper au malus, en rouge il faudra modifier son comportement ou prendre des mesures de rénovation de son habitat pour modifier la donne structurellement.

Nous avons aussi, avec l’avis du Conseil d’État, car j’ai sollicité le Gouvernement pour qu’il demande ce dernier,…

Mme Laure de La Raudière. Nous n’avons jamais eu le rapport !

M. François Brottes, rapporteur. Le rapport a été fourni en commission à l’ensemble de ses membres : si vous ne l’avez pas, madame de la Raudière, je vous en fournirai une copie.

Nous avons rappelé quelque chose que nous savions mais dont doutaient certains de nos collègues, à savoir que les situations différentes peuvent faire l’objet de solutions différentes : cela n’est pas une entorse au principe d’égalité. Le Conseil d’État a également souligné que la prise en compte des unités de consommation, c’est-à-dire des personnes occupant les logements, était un élément déterminant, de même que la nécessité – point d’interrogation principal pour nous – de considérer tous les logements, y compris les résidences secondaires, qui sont parfois des résidences complémentaires : je pense aux logements d’étudiants, ou encore aux ménages obligés d’avoir deux logements parce que les conjoints ne travaillent pas dans la même ville.

Nous avons également répondu aux réticences, tant internes qu’externes, devant la collecte des informations par le biais de la feuille d’impôts. Nous aurons recours à un autre dispositif déclaratif, via un organisme habilité ; Mme la ministre y a fait allusion. Cela coûtera de l’ordre d’un euro par an et par ménage, et permettra de faire de la pédagogie sur le dispositif, beaucoup mieux que la feuille d’impôts.

Nous avons l’obligation – et je me félicite que le Gouvernement soit mobilisé – d’avancer sur ces questions de précarité pour l’ensemble des énergies : fioul, bois énergie, GPL. On ne peut laisser en jachère ces énergies qui, pour le chauffage, concernent encore nombre de nos concitoyens, souvent parmi les plus précaires. Ce chantier est encore devant nous, mais il a été ouvert avec volontarisme par le Gouvernement. Il est plus complexe, car nous ne sommes pas là dans un secteur régulé, où il existe une traçabilité parfaite, en raison du nombre important d’intervenants dans ce secteur, mais nous avons l’impérieuse obligation de le traiter.

La mise en œuvre du dispositif sera progressive et pédagogique. En 2013, après la promulgation de la loi, les textes réglementaires seront pris. En 2014, les données de chaque ménage seront collectées : l’adresse, pour le climat, le mode de chauffage, le nombre d’unités de consommation par logement, et les statistiques de consommation. Cela nous permettra d’obtenir tous les éléments pour informer en 2015 l’ensemble de nos concitoyens : nous prévoyons en effet une année blanche, une année « pédagogique » pendant laquelle le malus ne sera pas facturé, mais où nos concitoyens apprendront à utiliser le dispositif, qui sera effectif à partir de 2016. Cela tombe bien, car nous aurons alors tous les éléments de la boîte à outils issue des travaux de la prochaine loi, qui nous dira comment rénover son habitat, comment modifier ses appareils ménagers, comment optimiser la gestion de ces appareils dans la logique de ce que l’on appelle les smart grids.

Nous avons également pris en compte ce qui avait fait l’objet d’un débat important en première lecture, et nous sommes parvenus à une organisation plus adaptée de la régulation du secteur. Il faut une régulation qui épouse complètement la nécessaire transition énergétique, avec une personnalité qui sera spécialisée sur les énergies renouvelables ; une autre qui s’occupera des consommateurs et de la précarité – ce qui n’est plus le cas avec le régulateur actuel – ; une autre qui aura la charge des zones non interconnectées, notamment outre-mer ; une autre qui veillera aux données personnelles, car il faut éviter tout dispositif intrusif dans la vie privée – nous apporterons des garanties – ; une autre enfin qui portera la préoccupation des collectivités territoriales, impliquées, comme vous le savez, en raison notamment de la propriété des réseaux de distribution d’électricité, et susceptibles d’apporter leur savoir et leurs propositions.

La régulation est passée dans ce pays par quelques « turpitudes » – sans jeux de mots. (Sourires.) Je le dis, sans polémiquer, à l’attention de mes collègues de l’opposition : ce dont nous héritons, facture de la CSPE non comprise, c’est 5 milliards d’euros…

Mme Delphine Batho, ministre. Absolument !

M. François Brottes, rapporteur. …au titre de certaines décisions en matière de TURP mettant en difficulté les distributeurs d’énergie, des tarifs réglementés dont les modalités de mise en œuvre n’ont pas été assez précisées et qui ont finalement été annulés par le Conseil d’État, sans oublier ce qu’il y avait sous le paillasson en matière de tarifs du gaz. Tout cela montre que chacun ici doit faire preuve de modestie, surtout lorsqu’il s’agit de critiquer un texte qui est précis.

M. Jean Launay. Bravo !

M. François Brottes, rapporteur. Si davantage de textes, de décrets avaient été aussi précis, nous ne serions pas aujourd’hui dans cette difficulté (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), avec tous ces handicaps qui seront finalement payés par les consommateurs. Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt. La critique est aisée, mais l’art est difficile. Je n’ai pas la prétention de parvenir à la perfection.

M. Bertrand Pancher. C’est loin d’être le cas !

M. François Brottes, rapporteur. Nous progressons cependant. Nous essayons d’être le plus précis possible pour que personne ne soit pris dans un marché de dupes, et parce que les cas que je viens d’évoquer pèsent lourd, hélas, sur les finances des consommateurs.

J’indique également qu’avec les schémas régionaux, nous aurons à cœur d’impliquer les collectivités régionales.

Dans cette loi figure un chapitre qui pourrait s’intituler « Plus jamais ça ». Nous aurons l’obligation de conforter l’élargissement des bénéficiaires des tarifs sociaux : 4,2 millions de ménages au lieu de 650 000 actuellement.

Je conclurai sur un sujet qui n’est malheureusement pas anecdotique : la trêve hivernale. Jeanne Fajardeau, cette vieille dame de 86 ans, aveugle, diabétique et malentendante, à qui l’on a coupé le gaz le 8 janvier parce qu’elle n’était pas identifiée parmi les bénéficiaires de la trêve, ne représente pas un cas isolé. C’est insupportable, inacceptable. C’est pourquoi cette trêve hivernale, qui ne peut être instaurée que par la loi, ne doit pas attendre.

Mes chers collègues, je souhaite que le débat ait lieu, que la confrontation soit la plus constructive possible, mais que nous évitions, parce qu’il y a urgence, les tergiversations. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Madame la présidente, madame la ministre, madame la vice-présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, j’ai l’honneur de défendre au nom du groupe UMP une motion de rejet préalable.

Décidément, ce texte si indispensable à la politique du Gouvernement et de la majorité aura eu un parcours atypique. Permettez-moi un petit retour en arrière. Ce texte a été déposé le 6 septembre dernier dans la plus grande précipitation pour un examen dès la session extraordinaire de septembre. Eh oui, il fallait remplir cette session parlementaire !

M. Jean Launay. Pas de mauvais esprit !

Mme Laure de La Raudière. Cependant, la réflexion sur ce sujet n’était pas aboutie, nous le voyons bien aujourd’hui. Aucune étude d’impact n’a été réalisée. Nous avons donc examiné un texte imprécis et inapplicable, une véritable usine à gaz, que nous avons dénoncée. L’examen du texte, en commission et en séance publique, a donné lieu à de beaux débats mais a aussi révélé toutes ses lacunes, j’y reviendrai plus en détail. Monsieur le rapporteur, vous auriez pu, sur ce type de projet, nous proposer une expérimentation avant de généraliser une usine à gaz !

Grâce à la mobilisation des parlementaires de l’opposition et des communistes, qui, contrairement à ce que vous continuez d’insinuer ici ou là, ne sont pas alliés dans une logique politicienne mais bien dans une action pragmatique, de bon sens, ayant des conséquences pour l’ensemble de nos concitoyens, ce texte n’a heureusement pas été adopté. Au Sénat, alors même que vous avez la majorité, il a été rejeté en bloc.

M. François Brottes, rapporteur. Il n’a pas été débattu !

Mme Laure de La Raudière. Il a été rejeté en commission et n’a donc pu être débattu en séance, certes. Ce n’est pas glorieux tout de même. Qui plus est, il a été débattu en commission.

M. François Brottes, rapporteur. Une motion a été votée en commission !

Mme Laure de La Raudière. Vous nous avez dit vous-même que vous avez été attentifs aux remarques des sénateurs ; c’est donc bien qu’un certain débat a eu lieu au Sénat.

Cette situation ubuesque vous a forcé à réagir. Le parcours parlementaire a été interrompu. Un groupe de travail « de crise » a été mis en place au sein de la majorité. Le Conseil d’État a été saisi, et on observe à la lecture de la nouvelle rédaction proposée que le dispositif est plus juridique et plus précis techniquement. Ce dispositif s’appliquera à compter du 1er janvier 2015. Il était donc urgent de ne pas se précipiter !

M. Lionel Tardy. Eh oui !

Mme Laure de La Raudière. Madame la ministre, puisque vous annoncez avec fierté le lancement de votre grand débat national sur la transition énergétique en février, quelle est l’urgence ? N’aurait-il pas été utile d’en débattre avec les citoyens ? Les tarifs de l’électricité concernent tout le monde, et vous excluez ce sujet de votre grand débat national, pour lequel vous annoncez que vous consulterez tous les citoyens. Je ne comprends pas cette politique.

M. Antoine Herth. Moi non plus !

Mme Laure de La Raudière. Depuis le début de la législature, vous tentez de passer en force. Vous avez notamment voulu le faire sur l’assouplissement des règles d’installation des éoliennes, alors même que ce texte ne concerne pas du tout les énergies renouvelables,…

M. Lionel Tardy. Cavalier !

Mme Laure de La Raudière. …qui font partie du grand débat national sur la transition énergétique. Pourquoi le mettre dans ce texte et éviter la confrontation avec les citoyens ? Je trouve, là aussi, totalement incohérente votre stratégie.

Vous avez supprimé les zones de développement de l’éolien terrestre, vous avez modifié les règles de développement de l’éolien terrestre en outre-mer, et vous supprimez l’obligation de constituer des parcs éoliens, dont cinq aérogénérateurs. Sans parler des nouveaux amendements gouvernementaux que nous avons examinés selon la procédure de l’article 88 et concernant l’éolien…

Mme Delphine Batho, ministre. Il est retiré !

Mme Laure de La Raudière. Merci de l’avoir fait, mais il faudra quand même répondre à mes questions sur les précédents !

Dois-je vous rappeler la réglementation actuelle des éoliennes, madame la ministre ? Elle est issue d’un vaste processus de concertation, mené parallèlement au Grenelle de l’environnement par Patrick Ollier et Franck Reynier. Cette concertation a permis d’aboutir à un consensus afin de concilier le développement des énergies renouvelables avec la protection des paysages et la considération des riverains.

Vous avez balayé toute cette concertation d’un revers de la main, par des amendements adoptés dans la nuit en séance publique, amendements qui n’avaient fait l’objet d’aucun débat préalable en commission, d’aucune concertation avec les acteurs. On se demande à quoi sert ce grand débat sur la transition énergétique ! Le cœur de votre débat, ce sera les énergies renouvelables ; pourquoi ne voulez-vous pas confronter vos positions avec celles des citoyens ?

Et puis laissez-moi vous dire ce que je n’entends que trop rarement ici concernant l’éolien. L’objectif du Grenelle de l’environnement est de faire passer la part de l’énergie éolienne de 2,2 à 6 % en 2020, et nous sommes sur cette trajectoire. Dans les faits, il s’agit de quadrupler le nombre des éoliennes en France : 15 000 sur terre et 1 200 le long des côtes. N’oublions pas que cela représente tout de même une facture d’environ 50 milliards d’euros, financée directement par les ménages et, si j’ai bien compris, après différents travaux que nous avons eus sur le sujet, par EDF à hauteur de 5 milliards d’euros. Avec la volonté du Gouvernement d’arrêter près du tiers des centrales nucléaires à l’horizon 2020 – c’était dans votre programme électoral –, il faudra nécessairement réviser le nombre d’éoliennes. On parle aujourd’hui – pouvez-vous le confirmer ? – d’environ 40 000 éoliennes. Cela représenterait 150 milliards d’euros à la charge des Français.

Ce choix est donc discutable d’un point de vue économique, bien sûr, mais également sur le plan écologique. Nos amis allemands ont réduit la part du nucléaire, augmenté celle de l’éolien en dépassant la France et construit vingt-trois centrales au charbon. Quel bénéfice écologique y a-t-il à construire des centrales au charbon, installer des éoliennes et éteindre les centrales nucléaires ? Il faudra me l’expliquer… Pourquoi ne jamais en parler ? D’autant que l’électricité ne représente que 22 % de l’énergie totale consommée par les Français.

Très concrètement, si nous voulons optimiser notre facture énergétique et réduire les impacts sur l’environnement, je partage l’analyse du rapporteur : il y a beaucoup plus à gagner en optimisant la consommation des ménages et en lissant les pics de consommation, qu’en saccageant les paysages français avec des éoliennes.

À ce propos, deux élèves ingénieurs de l’école des Mines, Aurélien Gay et Marc Glita, dont on peut prétendre qu’ils ne sont soumis à aucun lobby, ont mené une étude particulièrement intéressante sur les coûts du binôme photovoltaïque et éolien, en se focalisant sur l’impact du développement de ces énergies renouvelables sur le renforcement nécessaire du seul réseau de lignes à très haute tension.

On y trouve le constat suivant : lorsque les énergies intermittentes, dont font partie l’éolien et le photovoltaïque, représenteront une part significative du parc de production, la gestion des fluctuations de l’offre et de la demande d’électricité demandera des capacités d’effacement, d’appoint et de secours équivalentes à plusieurs dizaines de centrales nucléaires.

M. Antoine Herth. C’est une évidence !

Mme Laure de La Raudière. On a demandé aux auteurs de chiffrer le montant de ce gaspillage uniquement pour les lignes à très haute tension, c’est-à-dire sans tenir compte de l’obligation d’achat de l’énergie ainsi produite par EDF – 150 milliards, pour mémoire –, ni des surcoûts liés aux réseaux secondaires : la construction et la mise en terre de 3 000 ou 4 000 kilomètres de lignes à haute tension coûteraient 40 milliards d’euros ! Ce à quoi viendra s’ajouter le coût lié à l’obligation d’achat, de l’ordre de 5 à 10 milliards par an.

À un moment où notre pays doit impérativement scruter ses dépenses à la loupe et veiller à ne pas augmenter les coûts de l’électricité qui pèseraient sur le pouvoir d’achat des ménages français, je vous le demande : arrêtez le délire du financement des parcs éoliens ou photovoltaïques. Au secours, ressaisissez-vous !

Mais que prévoit cette nouvelle lecture ? La grande majorité des articles de la proposition de loi ne sont pas modifiés. La principale modification concerne l’article 1er, entièrement réécrit par un amendement du rapporteur. Vous me direz que l’esprit de cet article reste le même. Certes, mais les imprécisions aussi !

Ainsi, la détermination des quotas d’électricité pour les ménages – qui n’est pas sans me rappeler certains épisodes de rationnement qu’a connus notre pays – s’obtiendra en appliquant une formule mathématique qui tient compte du nombre de personnes au foyer et de la localisation de la résidence. Malheureusement, cette formule mathématique n’a rien d’une formule magique !

Nous avions insisté en première lecture sur la situation des personnes qui travaillent à domicile, qu’elles soient auto-entrepreneurs, assistantes maternelles, télétravailleurs ou qu’elles exercent une profession libérale. Rien n’est prévu alors même que, nécessairement, la consommation d’énergie de ces populations est supérieure à celles qui sont absentes de leur domicile toute la journée.

Dans le texte adopté en première lecture, le volume de base attribué devait tenir compte des personnes ayant recours à des appareils médicaux spécifiques, qui augmentent inévitablement la consommation d’énergie. Cette spécificité a totalement disparu.

Avec toutes ses imprécisions, ce texte crée une rupture d’égalité entre les Français. Notre système repose sur un principe simple et équitable : le prix du kilowattheure est le même pour tous, sur tout le territoire. Or avec votre système de bonus-malus, le kilowattheure aurait un prix identique pour tous seulement jusqu’à un certain plafond. Une fois ce plafond dépassé, il deviendrait progressif. Mais les ménages qui dépasseront ce plafond et qui paieront plus cher les kilowattheures consommés sont précisément ceux qui vivent dans les habitations les moins bien isolées, dites « passoires thermiques ». Il y aura donc une rupture d’égalité entre les Français selon leur type d’habitation.

Or les ménages qui vivent dans ces habitations mal isolées, vous le savez, madame la ministre, ne sont pas, en général, les ménages les plus fortunés, mais les plus modestes : comment gérerez-vous cette incohérence politique ?

Une rupture d’égalité supplémentaire existera entre les Français selon leur lieu de résidence, selon qu’ils vivent isolés en zone rurale ou en copropriété en zone urbaine, à la montagne ou sur le pourtour méditerranéen.

M. François Brottes, rapporteur. Au contraire !

Mme Laure de La Raudière. Concrètement, une personne âgée qui vit seule dans une maison isolée en zone rurale paiera plus cher son énergie qu’une famille dans un immeuble moderne en zone urbaine.

Vous demandez beaucoup aussi aux fournisseurs d’énergie : votre réforme entraînera des coûts supplémentaires, et tout porte à craindre, madame la ministre, qu’ils ne soient répercutés sur les factures des ménages.

Vous mettez en place un outil compliqué et technocratique, mais pour quel objectif ? M. le rapporteur nous l’a avoué en commission : quelques dizaines d’euros par an en moyenne ! Cela en vaut-il vraiment la peine ?

Assurément, il faut se battre pour l’optimisation des dépenses énergétiques, mais il existe sans doute d’autres moyens d’inciter les consommateurs à maîtriser davantage leur consommation d’énergie, en faisant de la pédagogie. Si seulement vous aviez eu la sagesse d’inscrire cet objectif dans le débat national sur la transition énergétique,…

M. François Brottes, rapporteur. C’est ce qu’on va faire !

Mme Laure de La Raudière. …je suis certaine que nos concitoyens nous auraient proposé des solutions permettant d’arriver au même résultat, sans avoir à monter cette usine à gaz, sans créer de quotas et sans arriver à des prix de l’énergie différents selon les Français.

M. Lionel Tardy. Bien sûr !

Mme Laure de La Raudière. Vous avez voulu passer en force et en urgence, mais il est encore temps : ressaisissez-vous ! Mettez un peu de cohérence dans votre politique et votre calendrier !

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous invitons à adopter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Delphine Batho, ministre. Je regrette le dépôt de cette motion de rejet préalable, car les économies d’énergie sont une cause d’intérêt national, d’intérêt national, et devraient tous nous rassembler. J’invite à ce propos les parlementaires à lire l’excellent rapport que vient de rendre le Conseil économique et social sur la question des économies d’énergie et de l’efficacité énergétique : il y a là un levier majeur pour réduire la facture énergétique des Français, qui ne cesse d’augmenter, mais également un levier majeur en terme de compétitivité économique et de création d’emplois. Nous sommes à un moment où nous avons besoin d’une politique contra-cyclique créatrice d’emplois : nous avons donc besoin de cette logique de l’efficacité énergétique, du déploiement des réseaux intelligents, des travaux de rénovation thermique qui vont générer de l’activité dans un domaine où, excusez du peu, la France aligne des entreprises qui figurent parmi les leaders mondiaux. Raison de plus pour que nous soyons exemplaires et que nous nous engagions dans ce grand chantier national des économies d’énergie, pour réduire notre déficit sur la balance commerciale.

Où en sommes-nous relativement aux engagements pris ? Le paquet « énergie-climat » promu par Jean-Louis Borloo, se promettait d’économiser 20 % d’énergie avant 2020 : nous sommes à trois points de cet objectif. Autrement dit, nous ne sommes absolument pas sur la trajectoire qui nous permettrait d’atteindre les objectifs fixés à l’horizon 2020. Voilà la réalité, voilà pourquoi il nous faut engager aujourd’hui un effort massif.

Vous évoquez ensuite le calendrier…

Mme Laure de La Raudière. Incohérence !

Mme Delphine Batho, ministre. …de l’entrée en application du bonus en 2015. L’année 2013 ne sera pas trop longue, madame la députée, pour publier tous les actes réglementaires nécessaires à la création de l’organisme destiné à collecter les données de la façon la plus opérationnelle en 2014, afin que le dispositif entre effectivement en vigueur en 2015. Il y a bien du travail à mener et les dispositions législatives doivent être adoptées le plus rapidement possible si nous voulons que les actes réglementaires correspondants soient pris.

S’agissant de l’éolien, le Grenelle de l’environnement fixait un objectif de 19 000 mégawatts. Nous en sommes à 33 % de cet objectif. Pour atteindre notre but, il faudrait installer 1 500 mégawatts d’éoliennes par an. Depuis le début de l’année, seulement 200 mégawatts ont été mis en place : il y a un effondrement des projets d’implantation d’éoliennes, qui fait planer une menace directe sur 11 000 emplois.

C’est pourquoi nous avons proposé des mesures législatives rapides…

Mme Laure de La Raudière. Sans concertation !

Mme Delphine Batho, ministre. …non pour changer ou pour revoir les objectifs d’évolution du mix énergétique – cette révision est réservée au débat national sur la transition énergétique, qu’il s’agisse de l’avenir du nucléaire ou du développement des énergies renouvelables – mais pour trouver le meilleur moyen d’atteindre les objectifs déjà inscrits dans la loi et pour sauver les emplois de la filière éolienne. Voilà les mesures d’urgence qui se trouvent dans la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui.

J’ai été étonnée par ce que vous disiez sur le coût des énergies renouvelables alors que vous avez laissé une dette de 5 milliards d’euros dans les comptes d’EDF – dont le Gouvernement a assumé la responsabilité la semaine dernière, en prévoyant l’augmentation de la CSPE. Vos commentaires sont d’autant plus surprenants.

Être contre les énergies renouvelables aujourd’hui…

Mme Laure de La Raudière. Ce n’est pas le but !

M. Daniel Fasquelle. Ce n’est pas du tout cela !

Mme Delphine Batho, ministre. …serait non seulement une erreur écologique, mais également une erreur économique.

Je reviens du Forum mondial des énergies du futur, auquel j’ai assisté avec le Président de la République. J’ai pu constater que tous les pays s’engagent dans le développement des énergies renouvelables. On assiste à une compétition mondiale autour de l’économie verte, des technologies photovoltaïques et éoliennes. La France doit tenir son rang dans ce domaine : nous avons des technologies françaises à haute valeur ajoutée sur les panneaux à haut rendement.

Mme Laure de La Raudière. Mais pas sur l’éolien !

Mme Delphine Batho, ministre. Le solaire à concentration est une technologie française, les traqueurs également. Nous devons aller au combat pour soutenir nos entreprises dans le cadre de cette compétition mondiale : tel est le sens également du travail à mener.

Vous évoquez les consommations spécifiques : ce problème est réglé, car le malus s’applique pour des consommations très extravagantes. Il ne se pose donc plus pour les situations concrètes que vous avez évoquées : c’est l’une des évolutions majeures de notre texte.

Enfin, l’avis du Conseil d’État permet de répondre à l’ensemble des arguments sur la rupture du principe d’égalité, de même que les amendements apportés par le rapporteur, qui permettent de garantir toute la sécurité juridique, de même que le respect des principes constitutionnels. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président et rapporteur de la commission des affaires économiques.

M. François Brottes, rapporteur. J’ai été un peu surpris, madame de La Raudière, par votre tonalité de votre intervention : vous êtes connue pour être une députée très travailleuse, très rigoureuse et sérieuse, et qui a rarement recours à des arguments strictement politiciens.

M. Antoine Herth. Vous n’êtes pas du genre à être effarouché !

M. François Brottes, rapporteur. Or votre attitude aujourd’hui ne colle pas avec cette image de rigueur.

Lorsque nous étions dans l’opposition, nous sommes entrés dans le débat du Grenelle et nous avons voté le projet de loi, en lui apportant diverses contributions. J’avais ainsi été l’auteur, avec le groupe socialiste, de deux amendements : l’un pour axer en priorité la lutte autour de la pointe de consommation, l’autre en vue de faire installer rapidement des compteurs intelligents dans l’ensemble des logements. Nous ne faisons rien d’autre aujourd’hui.

Vous soutenez qu’il n’y a pas d’urgence. Mais l’effacement que nous proposons – c’est-à-dire la possibilité pour des entreprises de ne pas consommer à des moments de pointe de consommation – permet un gain de trois gigawattheures, soit l’équivalent de trois centrales nucléaires : ce n’est pas rien. L’enjeu des économies d’énergie représente cent térawattheures, soit neuf réacteurs. Et il faudrait attendre ?

Ce texte donne un principe et des outils en vue d’économies d’énergie qui sont à portée de main. Il faut entrer de bonne foi dans le nouveau modèle qu’il propose, comme nous l’avions fait à l’occasion du Grenelle.

Nous n’avons pas été dans la caricature comme vous l’êtes aujourd’hui quand vous dites que notre texte n’est pas abouti, que ce n’est pas glorieux. J’ai déposé, avec le groupe socialiste, un texte d’initiative parlementaire ; nous avons eu, grâce au Gouvernement, la possibilité de débattre de cette proposition de loi et nous l’améliorons au fil des débats. C’est bien normal : nous n’avons pas la science infuse, on ne peut parvenir tout seul et tout de suite au texte final. Les débats sont là pour éclairer l’hémicycle.

Par ailleurs, madame de La Raudière, je tiens à corriger une inexactitude car il semble que vous n’avez pas lu le rapport du Conseil d’État : j’ai rappelé dans mon intervention préalable – que vous n’avez peut-être pas entendu – que le texte prévoit bien à situations semblables des solutions semblables et que, en conséquence, des situations différentes, en termes de climat par exemple, peuvent faire l’objet de solutions différentes. C’est tout à fait constitutionnel.

Mme Laure de La Raudière. Je n’ai jamais dit que c’était anticonstitutionnel !

M. François Brottes, rapporteur. Personne ne peut nier que même si le SMIC est le même partout, le besoin en énergie est plus important dans certains endroits que dans d’autres. En tenant compte du critère géographique, le texte établit une équité qui n’existe pas aujourd’hui, mais en aucun cas cela ne veut dire qu’il y aura des tarifs différents entre les Français. À cet égard, il faut tordre le cou à une chimère que certains ont développé un peu facilement et de façon caricaturale lors de la première lecture. Je souhaite maintenant que nous travaillions sérieusement, que nous échangions des arguments, dans une confrontation bien sûr honnête, sincère et loyale, qui ne soient pas des arguments de caricature. Malheureusement, j’ai le regret de constater que cette motion de rejet préalable a fait plus appel à la caricature politicienne qu’au développement d’arguments utiles au débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Daniel Fasquelle. C’est ce que vous aviez déjà dit en première lecture !

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Denis Baupin, pour le groupe écologiste.

M. Denis Baupin. Nous rejetterons évidemment cette motion, après l’intervention toute en nuances de Mme de La Raudière.

M. Lionel Tardy. Avec vous, c’est sans nuance !

M. Denis Baupin. Je tiens notamment à répondre à ses caricatures concernant l’éolien. Elles auront au moins eu un avantage, celui de faire tomber les masques ! On avait entendu que le Président de la République précédent était le grand sauveur de l’environnement qui avait mis en place le paquet climat-énergie, avec l’objectif de 20 % d’énergies renouvelables. Aujourd’hui au moins, vous êtes claire : les énergies renouvelables, vous n’en voulez pas. Vous demandez clairement que les aides aux énergies renouvelables s’arrêtent. Vous avez dit, madame de La Raudière, que le Grenelle de l’environnement avait permis un grand débat…

Mme Laure de La Raudière. Sur l’éolien !

M. Denis Baupin. …tout en regrettant que l’on puisse mettre en place une politique en faveur de l’éolien. Vous avancez des chiffres, mais savez-vous combien il y a aujourd’hui de mâts d’éolienne en France ?

Mme Laure de La Raudière. Je l’ai indiqué !

M. Denis Baupin. Vous avez parlé de 40 000 alors qu’il y a aujourd’hui 4 000 mâts d’éolienne dans notre pays.

Mme Laure de La Raudière. Non !

M. Denis Baupin. Savez-vous combien il y a aujourd’hui de pylônes électriques, lesquels, à vous entendre, ne défigureraient pas le paysage comme les éoliennes ? 250 000 ! Comparez ce qui est comparable quand vous parlez de dégradation du paysage, si vous voulez à tout prix user de cet argument. Vous prétendez aussi que la mise en place des énergies renouvelables variables nécessiterait des capacités d’effacement équivalentes à plusieurs dizaines de centrales nucléaires, c’est-à-dire des capacités plus importantes que la consommation électrique française : dans le domaine de la caricature, on a rarement entendu aussi absurde. Les masques sont dès lors véritablement tombés.

M. Lionel Tardy. Vos amendements sont des cavaliers ! On va perdre du temps sur l’éolien !

M. Denis Baupin. Vous avez étrillé la politique de Mme Merkel en nous expliquant qu’elle était vraiment totalement nulle en matière énergétique puisque la politique de l’Allemagne, en termes de mix électrique, serait extrêmement mauvaise.

Mme Laure de La Raudière. Dites la vérité aux Français : l’énergie est deux fois plus chère en Allemagne !

M. Denis Baupin. Je ne soutiens pas personnellement Mme Merkel, mais il faut tout de même lui concéder que cette politique, entamée par ses prédécesseurs, a créé 370 000 emplois dans les énergies renouvelables, à comparer aux 120 000 emplois existant dans le nucléaire en France.

Ce soir au moins, madame de La Raudière, les salariés et les employeurs dans l’industrie éolienne sauront quels sont ceux qui les soutiennent et quels sont ceux qui s’opposent à son développement et à leurs emplois.

Mme Laure de La Raudière. Vous ne soutenez pas les Français ! Ils paieront leur énergie deux fois plus chère !

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Il faut d’entrée que je lève un écueil en indiquant dès maintenant ce que je vais voter. Sinon, j’ai toujours le même problème : je vais être sifflé par les uns et applaudi par les autres, et ensuite, applaudi par ceux qui m’ont sifflé et sifflé par ceux qui m’ont applaudi. (Sourires.) Je vais donc préciser d’ores et déjà que je ne voterai pas la motion de rejet préalable.

Chacun sait pourtant que j’ai exprimé des divergences sur ce texte, et j’aurai l’occasion de le faire à nouveau en argumentant pour essayer de convaincre mes collègues, plus particulièrement ceux de la majorité. Ces divergences portent sur trois points essentiels.

Premier point : on entre à peine dans un grand débat sur la transition énergétique, et j’ai donc considéré que la proposition de loi l’anticipait, faisant preuve d’une forme d’impatience que l’on aurait pu éviter en se laissant le temps de la réflexion.

M. Lionel Tardy. Exactement !

M. André Chassaigne. Le deuxième point de divergence porte sur le bonus-malus, non dans sa dimension pédagogique et vertueuse, mais parce que je pense que ce dispositif ne devait pas être mis en œuvre ni même annoncé avant de réaliser le plan de rénovation thermique.

Ma troisième divergence porte sur les amendements concernant l’éolien, non que je sois opposé aux énergies renouvelables, mais parce que je pense que les évolutions du texte depuis la première lecture ne vont pas dans le bon sens.

En revanche, je veux souligner deux éléments positifs.

Tout d’abord, les objectifs recherchés par le rapporteur, et nous pouvons tous être d’accord là-dessus, quelle que soit notre sensibilité politique, sont des objectifs vertueux puisqu’il y a recherche de sobriété énergétique et d’économies d’énergie. Il faut les saluer et, même si on n’est pas forcément d’accord avec les outils mis en œuvre, je sais que c’est ce que recherche François Brottes.

Deuxième élément positif : tout ce qui concerne l’accompagnement social. Du fait de ce corpus, il nous faut dès aujourd’hui discuter et étudier cette proposition de loi. À l’issue de la première lecture, comme elle avait été rejetée par le Sénat – je ne l’avais d’ailleurs pas votée –, j’avais déposé avec mes collègues, dès novembre 2012, une proposition de loi pour répondre à l’urgence sociale en matière énergétique en reprenant à la virgule près une partie du texte tel qu’il avait été voté à l’Assemblée nationale : il y avait urgence, il fallait donc au moins voter la partie accompagnement social, avec notamment la mise en œuvre du service public de la performance.

J’ai donc de multiples raisons pour passer à la discussion. Pour ma part, j’y participerai de façon mesurée, argumentée, avec le souci de servir l’intérêt général.

Mme la présidente. La parole est à M. Germinal Peiro, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Germinal Peiro. Notre groupe, ce n’est pas une nouvelle, soutient ce texte et va s’opposer à la motion de rejet préalable. Nous considérons en effet, comme l’a dit Mme Delphine Batho il y a quelques instants, qu’il va dans le sens de l’efficacité écologique et de l’efficacité économique.

Pourquoi va-t-il dans le sens de l’efficacité écologique, madame de La Raudière ? Parce qu’aujourd’hui, réduire notre consommation d’énergie est une nécessité absolue, et c’est préparer le monde de demain. On ne peut pas dire à nos concitoyens : « Consommez, consommez, consommez, ne vous inquiétez pas, il ne se passera rien. » Vous savez comme nous que l’on a à régler au niveau mondial un problème crucial, celui du réchauffement de la planète, et que la consommation d’énergie y participe très largement. Nous pouvons donc être d’accord sur ce point.

Et puis le texte y allie l’efficacité économique : la consommation d’énergie, on l’a dit, pèse sur le pouvoir d’achat des ménages et sur la balance commerciale de notre pays. Nous devrions, là aussi, être d’accord sur ce constat.

J’ajoute que renforcer l’efficacité écologique en permettant le développement mesuré de l’éolien, c’est tout de même rappeler, mes chers collègues, que nous devons aller vers les énergies renouvelables. Là aussi, il pourrait y avoir un consensus sur ce constat puisque c’est une nécessité absolue. Nous savons que les énergies fossiles non seulement participent au réchauffement climatique mais, en plus, qu’elles ne sont pas renouvelables : c’est un fait. Nous savons aussi que l’énergie nucléaire présente des dangers : la catastrophe de Fukushima nous l’a cruellement rappelé. Nous n’ignorons pas non plus que l’hydroélectricité a, elle aussi, un impact important sur l’environnement. Que reste-t-il ? Le solaire et l’éolien. Ce serait une erreur gravissime pour les générations futures de ne pas s’engager résolument dans cette voie.

Deuxièmement, cela a aussi été rappelé, la proposition de loi vise à la justice sociale. Élargir de 640 000 à quatre millions et demi de ménages, à huit millions de bénéficiaires, ceux qui vont pouvoir profiter des tarifs sociaux, ce n’est pas rien, de même que l’élargissement des bénéficiaires de la trêve hivernale.

Enfin, quand on constate que le texte permet, grâce au bonus-malus, de faire véritablement de la pédagogie auprès de nos concitoyens, et que, sur le plan financier, il s’équilibre, on a toutes les raisons de voter contre la motion de rejet préalable.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Fasquelle, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.

M. Daniel Fasquelle. M. Brottes nous accuse à nouveau de postures politiciennes, de caricaturer, de tous les maux au motif que nous ne sommes pas d’accord avec lui. Je regrette vraiment le ton que vous avez employé, monsieur le rapporteur, parce que c’est le même qu’en première lecture ; or si vous nous aviez alors écoutés, peut-être votre texte aurait-il reçu un accueil plus favorable au Sénat. Vous n’auriez ainsi pas été obligé de revenir devant nous avec un texte modifié dans lequel vous avez dû tenir compte de remarques que vous aviez balayé, avec vos collègues de la majorité, d’un revers de main en première lecture. J’ai gardé un mauvais souvenir du débat précédent, j’espère que celui-ci sera beaucoup plus ouvert et constructif et qu’on ne nous accusera de postures politiciennes à chaque fois que nous nous permettrons une remarque sur un alinéa que nous ne trouvons pas parfait.

J’en viens aux objectifs. On nous renvoie systématiquement à la lutte contre la précarité énergétique, à la lutte contre le réchauffement climatique. Nous partageons bien sûr de tels objectifs, à 200 %. Le problème n’est pas les objectifs affichés, mais le décalage avec les moyens utilisés. Le cœur du texte, c’est la tarification progressive – le nom en a été changé mais le contenu est toujours le même. Or le système du bonus-malus n’apporte aucune réponse au regard des objectifs environnementaux et sociaux que vient de rappeler Germinal Peiro. Dès lors, pour les atteindre, on rajoute, on surcharge…

M. Lionel Tardy. Eh oui !

M. Daniel Fasquelle. Un petit morceau de tarif social par-ci, un petit morceau de trêve hivernale par-là, et même un petit morceau d’éolienne ! Ainsi, on peut soutenir que le texte est utile et qu’on va peut-être même parvenir à faire voter certaines dispositions jamais prévues au départ. Mais ces ajouts n’ont rien à voir avec l’objectif premier, le cœur de la proposition de loi. Le cœur de ce texte est extrêmement dangereux, Laure de La Raudière l’a très bien expliqué, je n’y reviens pas. Le dispositif sera inefficace, injuste et intrusif et de surcroît extrêmement coûteux : car si vous ne faites pas payer le contribuable, vous ferez payer le consommateur, et si ce ne sera pas sur sa facture, il paiera par le biais du malus. Au final, le dispositif aura un coût certain. J’aimerais d’ailleurs qu’on nous donne un chiffre précis…

M. François Brottes, rapporteur. Un euro par an et par ménage !

M. Daniel Fasquelle. …parce que l’on va créer un organisme de plus, et bien évidemment embaucher des gens pour le faire fonctionner. Ce coût existe et, en définitive, ce sont bien sûr les classes moyennes qui se retrouveront à nouveau à payer les fruits de votre politique.

Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Pancher, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Bertrand Pancher. Nous voterons la motion de rejet préalable déposée par l’UMP, mais avec des arguments différents de ceux qui ont été développés tout à l’heure : j’avoue ne pas me reconnaître dans les propos de Daniel Fasquelle, et je ne suis pas d’accord avec la totalité de ceux qu’a tenus Mme de La Raudière, notamment sur l’éolien. Mais cela mériterait une discussion avec nos amis de l’opposition.

Je veux réaffirmer que les grands objectifs en matière environnementale pris par le Gouvernement ne font pas débat au sein de l’UDI : nous les soutenons. Ils découlent du reste, pour une grande part, de nos obligations européennes, notamment dans le cadre du « trois fois vingt ».

Les retards pris par rapport à certains objectifs ont souvent les mêmes causes que ceux observés dans d’autres pays occidentaux, notamment dans le domaine des énergies renouvelables : les investissements ont baissé de 13 % en 2011 sur le plan mondial.

Mme Delphine Batho, ministre. La baisse est plus importante en France.

M. Bertrand Pancher. Ce n’est pas une question uniquement nationale : tous les pays occidentaux font face à des difficultés dans le domaine des économies d’énergie.

Je soutiens cette motion de rejet préalable pour trois raisons.

La première, c’est l’incohérence complète du texte. Pour avoir participé à tous les débats, je vous rappelle que nous vous avions expliqué en première lecture que le texte proposé était incohérent et qu’il posait de graves difficultés notamment sur le plan juridique. Beaucoup de nos arguments avaient été balayés d’un revers de main – vous y étiez présent, cher Germinal Peiro.

Vous nous assurez aujourd’hui, madame la ministre, que tous les enseignements de l’avis du Conseil d’État ont été tirés, que le texte a été complètement réécrit, qu’il n’a plus rien à voir avec celui que l’on nous proposait en première lecture. Mais comment croire que votre texte serait maintenant parfait ?

Deuxième raison : la question centrale des éoliennes. Il faut évidemment développer l’éolien, mais la voie que vous préconisez va entraîner des oppositions sur le terrain et nous prenons date : nous aurons de grandes difficultés à développer notre stratégie dans ce domaine au cours des prochaines années.

Troisième raison : vous nous avez donné, madame la ministre, des informations très intéressantes concernant la future loi Duflot et vos propres engagements qui pourraient apporter de la cohérence à cette proposition de loi s’ils n’étaient présentés de cette façon, presque sur un coin de table.

Je vous invite donc à voter pour cette motion de rejet préalable.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je voudrais simplement vous faire remarquer que tous les groupes qui viennent de s’exprimer pour une explication de vote ont allègrement dépassé les deux minutes imparties. Je vous invite donc, pour la suite de nos débats, à davantage de sobriété dans votre expression. (Sourires.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Antoine Herth.

M. Antoine Herth. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant « à préparer la transition vers un système énergétique sobre », nouvel avatar du texte sur la tarification progressive de l’énergie – que l’on pourrait d’ailleurs à présent appeler « Diverses dispositions touchant à l’énergie » – qui nous avait déjà été présenté en octobre dernier, un peu à la va-vite.

À cette occasion, l’opposition n’avait pas manqué de souligner les nombreuses imperfections de ce projet, ainsi que son côté daté – vintage, comme on dit maintenant – tant il s’inspire d’un modèle économique dirigiste suranné. Même nos collègues communistes ont fini par nous rejoindre sur cette analyse, allant jusqu’à provoquer le rejet du texte. C’est donc la censure du Sénat, pourtant réputé à gauche, qui nous permet de l’examiner à nouveau.

Dans l’intervalle, il a été largement réécrit : outre son changement d’intitulé, c’est l’intégralité de son article 1er, et donc le cœur même du dispositif, qui a été remanié. Faut-il y voir l’aveu que la première mouture du texte avait pour seul but de meubler un début de session anémique ? Ou bien est-ce une nouvelle déclinaison du slogan – que je ne peux m’empêcher de citer – « Le changement, c’est maintenant » ?

Ces péripéties pourraient prêter à sourire si le sujet n’était aussi important, à savoir le prix de l’énergie. Lorsque de surcroît il s’agit de réguler et d’orienter, le moins qu’on puisse attendre est une matière législative qui soit claire et compréhensible. Pour ma part, je reste perplexe devant tant de nonchalance à l’égard d’un sujet aussi grave. Vous en conviendrez, tout cela n’est pas très sérieux et donne un sentiment d’improvisation permanente.

De même, les conditions d’examen du texte par l’Assemblée ne sont toujours pas optimales. Pouvait-on d’ailleurs honnêtement faire pire ? Le texte a une nouvelle fois été inscrit à l’ordre du jour dans la précipitation. Était-il réellement si important de l’examiner lors de cette semaine de rentrée, un jeudi et un vendredi, de façon à ce que le moins possible de nos collègues puissent être présents en pleine période de vœux ?

M. Bertrand Pancher. Eh oui !

M. Daniel Fasquelle. Habile manœuvre !

M. Antoine Herth. Si je me réfère à son nouvel intitulé, nous aurions pu espérer que le texte contienne des éléments concernant précisément cette transition énergétique.

Petit rappel : le Président de la République nous a promis – conformément, il est vrai, à ses engagements de campagne – une sortie partielle du nucléaire. Dans la foulée de son élection, il nous a annoncé la fermeture de la centrale de Fessenheim, sujet qui inquiète tout particulièrement l’élu alsacien que je suis – vous le savez, madame la ministre.

Lors de l’examen de ce texte en octobre dernier, je n’ai pas manqué de vous interroger à plusieurs reprises à ce propos. Une centrale nucléaire, cela ne se ferme pas d’un claquement de doigts : des emplois sont à la clé, l’approvisionnement électrique du pays est en jeu. RTE souligne d’ailleurs les problèmes techniques liés à cette décision politique, notamment pour renforcer le réseau de lignes à haute tension. Eh oui, monsieur Baupin, il va falloir installer de nouveaux pylônes pour des lignes à haute tension.

M. Daniel Fasquelle. C’est évident !

M. Antoine Herth. D’ailleurs, les éoliennes aussi génèrent de nouvelles lignes avec pylônes pour la haute tension.

M. Lionel Tardy. Ce n’était pas prévu !

M. Antoine Herth. Eh bien, je n’ai aucune réponse à mes questions. Rien, pas un mot, pas une allusion, un simple mur de silence. Mes concitoyens ont évidemment apprécié.

Ce texte aurait pu être l’occasion de faire une grande loi sur l’énergie pour laquelle on aurait pu tout mettre sur la table, prendre le temps et construire un fil conducteur pour les décennies qui viennent, améliorer les choix faits lors du Grenelle – tous ne sont probablement pas parfaits et certains méritent d’être révisés – tout en précisant leurs implications pratiques. L’opposition a toujours rappelé qu’elle souscrivait à l’objectif de sobriété énergétique que vous fixez. Ce qui nous sépare, c’est la méthode retenue.

Si le texte a bien été réécrit et si, Dieu merci, nous sommes aujourd’hui en présence d’un dispositif juridiquement beaucoup plus charpenté, le nœud du problème demeure. Ainsi, depuis que je suis élu sur ces bancs, j’ai rarement eu l’occasion d’être confronté à un article 1er aussi complexe.

L’amendement de M. Brottes, déposé en commission et qui réécrit cet article, comporte 130 alinéas et correspond à 14 pages de format A4. Sans la présence de formules mathématiques, on croirait presque lire un petit roman policier dont il faut suivre l’intrigue de la première à la dernière phrase pour être sûr de n’en pas perdre le fil. Ici on vous pose un mouchard dans le compteur bleu, là on assassine la CRE pour la faire ressusciter à l’article suivant… Enfin l’aventure se termine par un petit règlement de compte à l’ombre des éoliennes ! (Sourires.)

Mes chers collègues de la majorité, je souhaite ici vous mettre en garde : le système du bonus-malus n’est pas la solution et créera plus de difficultés qu’il n’en résout.

M. Bertrand Pancher. Très bien !

M. Antoine Herth. Pour un bonus-malus de quelques dizaines d’euros par an et par foyer, vous allez mettre en place une mécanique infernale.

M. Daniel Fasquelle. C’est vrai !

M. Antoine Herth. D’après l’administration de Bercy, la gestion du système imaginé nécessitera 1 600 postes équivalent temps plein. Le texte ne comporte aucun chiffrage, mais je fais le pari qu’au final, c’est le consommateur qui va régler l’addition.

Une bonne campagne de communication à destination de nos compatriotes sur les réductions de consommation d’énergie et une révision des mesures incitatives – que vous annoncez d’ailleurs, madame la ministre – auraient sans doute produit un résultat identique sans pour autant créer une suradministration préjudiciable.

De même, et c’est encore plus grave, le dispositif crée de facto des inégalités criantes entre les consommateurs. Je ne pourrai évidemment les citer toutes, mais certaines doivent être rappelées ici. Surprenante régression par rapport au texte initial, il n’est plus tenu compte de l’âge des personnes ni de leur état de santé. Les personnes malades, par exemple, qui ont des équipements médicaux spécifiques seront ainsi directement pénalisées, comme Laure de la Raudière vient de le rappeler. De même, certaines personnes exerçant des activités professionnelles à domicile ne sont plus prises en compte.

Les personnes âgées qui vivent seules, en zone rurale notamment, seront également pénalisées par rapport aux personnes actives qui vivent en zone urbaine. Les personnes qui vivent dans des logements mal isolés ou qui ne peuvent les rénover pour des raisons tant financières que réglementaires – je pense en particulier à la réglementation relative aux monuments historiques – seront pénalisées. Vous avez rejeté tous nos amendements sur ce sujet.

Le texte prévoit de prendre en compte la localisation géographique de la commune dans le calcul du volume de base attribué au foyer. Mais qu’en est-il si des différences de climats existent au sein d’une même commune ? Le coefficient de modulation prévu apporte-t-il une réponse suffisante et transparente ? De quelles voies de recours disposent nos concitoyens ?

Notre système de tarification actuel, héritage du Conseil national de la Résistance, repose toujours sur un principe simple : le prix du kilowattheure est le même pour tous sur tout le territoire national. La présente proposition de loi instaure, certes de manière déguisée, une rupture d’égalité entre les consommateurs.

Quel changement de posture, monsieur Brottes, vous qui étiez à nos côtés pour défendre, par exemple, le prix unique du timbre ! Est-ce le passage soudain de l’ombre à la lumière qui vous aveugle tant ?

Mes chers collègues de la majorité, je vous invite solennellement à porter un regard lucide sur ce texte. En affichant que son objectif est de déterminer si un consommateur consomme trop ou non par rapport à ce qu’il devrait consommer, comme il est écrit dans l’exposé des motifs, vous mettez le doigt dans un engrenage et une logique idéologique qui ne correspondent pas aux principes de liberté et d’égalité qui vous sont chers, encore moins à la règle de justice que vous portez en bannière.

J’ai trop de respect pour vous, et pour vous en particulier, monsieur Brottes, pour croire que vous souscrivez à cette idée d’un autre temps, qu’il appartiendrait à l’État, à l’administration ou à tout organisme quel que soit son nom, de fixer, de décider, de décréter quel devrait être le niveau de consommation normal de tel ou tel foyer. Je me refuse à croire que vous partagez cette logique digne d’Orwell.

Comprenez enfin qu’en cherchant la perfection vous créez un système interventionniste tellement complexe qu’il va fabriquer mécaniquement de l’insatisfaction et un sentiment général d’injustice.

Alors, oui, il n’est pas trop tard pour remettre l’ouvrage sur le métier. Le bonus-malus devait initialement entrer en vigueur fin 2013. On nous indiquait alors que cette mesure si révolutionnaire était essentielle. Le texte actuel repousse ce terme au 1er janvier 2015 pour des raisons techniques, dites-vous madame la ministre. Pardonnez-moi, mais je pense que la majorité réfléchit aussi aux difficultés qu’elle pourrait rencontrer lors des élections municipales.

Mais alors, puisque l’urgence d’hier ne semble plus être l’urgence d’aujourd’hui, pourquoi aller aussi vite ? Est-ce en raison de la complexité du mécanisme qu’il faudrait près de deux ans pour le mettre en œuvre ? Cela n’est vraiment pas sérieux et ce fait plaide également pour un retour en commission.

Entre la première mouture du texte et cette nouvelle version, la problématique des locataires, pourtant loin d’être négligeable, a purement et simplement disparu. Pourquoi ? Comment ? Mystère ! Peut-être un amendement de dernière minute, dont le Gouvernement a le secret, viendra-t-il combler cette lacune ; toujours est-il que le texte actuel n’y fait plus référence alors que le sujet demeure.

Dans la même logique, les tranches pour l’application du bonus-malus ont été élargies, avec au passage un accroissement du malus et une baisse du bonus. Pourquoi ? Là aussi, il serait bon de connaître la logique qui sous-tend la mesure.

En réalité, le texte qui nous est aujourd’hui soumis constitue une véritable bombe à retardement. S’il définit sommairement les modalités de mise en œuvre du bonus-malus et modifie ainsi en profondeur un système de tarification de l’énergie que nous connaissons en France depuis près de soixante-dix ans, les bornes qu’il assigne au pouvoir réglementaire sont tellement larges et floues que cela revient en pratique à donner un blanc-seing quasi-total à l’administration.

M. Daniel Fasquelle. Eh oui !

M. Antoine Herth. Le volume annuel de référence, la valeur des coefficients, les modalités des déclarations, les taux des bonus et des malus, tous ces éléments sont laissés à la discrétion du pouvoir réglementaire.

Pour ma part, sur un sujet aussi grave qui impacte directement et fondamentalement le quotidien de nos concitoyens, je ne saurais me résoudre à me défausser ainsi de mes responsabilités de parlementaire.

Notre tâche consiste en effet à légiférer pleinement et entièrement, à fixer un cap clair et compréhensible pour l’avenir de notre pays et, ne l’oublions pas, à contrôler l’exécutif ! Cette loi, tant sur le fond que sur la forme, n’en prend malheureusement pas le chemin.

C’est la raison pour laquelle, afin de donner une nouvelle chance à l’objectif de transition vers un système énergétique sobre, qui mérite mieux que cela, je demande le renvoi en commission de ce texte. Qui sait, peut-être aurons-nous la chance d’examiner encore une nouvelle version qui répondrait encore mieux et de façon plus certaine aux enjeux énergétiques de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Delphine Batho, ministre. Je commencerai par la fin, monsieur le député, en vous répondant sur ce qui est du domaine réglementaire ou du domaine législatif. Je vous rappelle que la formule tarifaire sur le gaz n’est pas dans la loi ; elle relève du décret.

D’une certaine façon, on pourrait résumer votre intervention ainsi : « Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais » ! Le Gouvernement est en train d’engager une réforme sur le mécanisme tarifaire concernant les prix de gaz. Or je découvre qu’un certain nombre de dispositions ne figuraient même pas dans le règlement, notamment celle prévoyant que les tarifs évoluent tous les trimestres,…

M. Antoine Herth. Lorsque je serai ministre, je le ferai ! (Sourires.)

Mme Delphine Batho, ministre. …mais dans le contrat de service public signé avec GDF. Cela ne se retrouvait dans aucune disposition réglementaire, décret ou arrêté.

En ce qui concerne les locataires, j’ai eu l’occasion de le dire tout à l’heure : la ministre du logement souhaite que la question soit traitée dans le cadre de ce que doivent être les relations entre propriétaires et locataires et ne soit pas dissociée d’autres aspects de cette réflexion.

Pour ce qui est de la complexité, François Brottes a déjà répondu. En vous écoutant, je relisais l’article 1er de la loi NOME sur l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Je vous invite à faire de même, vous qui critiquez la longueur de l’article 1er de cette proposition de loi,…

M. Antoine Herth. On ne l’a pas fait entre Noël et Nouvel an ! (Sourires.)

Mme Delphine Batho, ministre. …et la clarté et la simplicité du texte de François Brottes vous sauteront aux yeux !

En ce qui concerne Fessenheim, la fermeture de la centrale n’est pas directement liée à notre débat de ce soir. Je ferai en sorte que vous puissiez rapidement rencontrer Francis Rol-Tanguy, délégué interministériel chargé de ce sujet. S’agissant de RTE, cela concerne des travaux sur les réseaux qui auraient été faits de toute façon, mais qu’il va falloir anticiper. En tout état de cause, la fermeture de Fessenheim ne nécessitera pas la création de nouveaux moyens de production, contrairement à ce que vous laissez entendre.

Les travaux au sein de la commission des affaires économiques, au cours des deux lectures, ont sensiblement fait évoluer le texte, désormais enrichi par les propositions des parlementaires. Dès lors, une motion de renvoi en commission n’est pas justifiée.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. François Brottes, rapporteur. Vous avez parlé de « péripéties », monsieur Herth ; vous savez pourtant fort bien qu’un texte chemine et que tant que l’on n’est pas arrivé au bout, on peut sans cesse l’améliorer, et tant mieux. Sinon, on se contenterait d’une seule lecture pour chaque texte et on passerait au suivant…

Je vous promets que d’ici à la fin du débat, je ferai le compte de ce que vous devez aux Français en matière de péripéties dans le domaine de l’énergie. Vous n’avez en effet pas accordé suffisamment de soins à l’élaboration des textes. Nous allons essayer de rétablir la question du marché de capacité.

M. Bertrand Pancher. On jugera aux résultats !

M. François Brottes, rapporteur. La loi NOME n’est pas allée au bout et cela ne fonctionne pas. Je rappelle qu’il y a 4,8 milliards d’euros de dettes sur la CSPE. Sur les tarifs de prise en compte des réseaux de distribution, on en est à plusieurs centaines de millions sur lesquels le Conseil d’État a demandé que l’on revienne.

M. Daniel Fasquelle. Vous aggravez votre cas !

M. François Brottes, rapporteur. Sur les tarifs du gaz, le Gouvernement qui arrive est obligé de payer l’addition de l’augmentation tarifaire que vous n’avez pas souhaité appliquer alors que vous aviez prévu un dispositif qui l’imposait.

Mme Laure de La Raudière. Vous avez fait la même chose !

M. François Brottes, rapporteur. S’agissant des tarifs réglementés, près de 80 % des ménages sont concernés. Le tarif bleu a également été retoqué, parce que les textes n’étaient pas suffisamment précis. Je tiens ces décisions à votre disposition et nous allons les chiffrer. Avant d’accuser les autres lorsqu’ils réfléchissent pour mettre en œuvre des dispositifs les plus précis possibles, il faut que vous soyez conscients de vos propres péripéties – j’aurais pu parler de turpitudes – pendant les années qui viennent de s’écouler dans ce domaine. L’énergie est une matière difficile ; il faut savoir rester très prudent et précautionneux, parce qu’elle concerne 100 % de nos concitoyens.

Mme Laure de La Raudière. C’est exactement ce que je disais !

M. François Brottes, rapporteur. Ce n’est pas la complexité qui exige de prendre du temps, c’est le fait que cela concerne tout le monde. Dès lors, il faut prévoir une mise en œuvre progressive.

Si la chasse aux gaspis avait marché, monsieur Herth, cela se saurait. S’il suffisait de dire qu’il faut chasser les gaspis pour faire des économies d’énergie, cela se saurait.

Quel est l’enjeu ? Viser à économiser de l’ordre de onze réacteurs nucléaires – pour faire une comparaison qui frappe car c’est cela, le sujet – sans forcément perdre en confort pour les ménages, ni en compétitivité pour les entreprises. Cela vaut tout de même le coup de se doter d’un outil pédagogique – il n’a pas d’autre vocation – pour modifier collectivement nos comportements afin que l’intérêt national, l’intérêt général soient pris en compte par tous.

Il ne s’agit pas de faire de l’intrusion. C’est la prise en compte par tous d’un enjeu national.

J’ai relevé une contradiction majeure dans votre raisonnement, monsieur Herth. D’un côté, vous dites : à quoi cela sert-il de mettre en place un dispositif pour quelques euros ? De l’autre, vous listez toute une série de gens à qui cela devrait brusquement coûter beaucoup plus cher que cela ne sera le cas en réalité le cas : la vieille dame, la personne qui se fait soigner etc. et vous dites que c’est insupportable.

Effectivement, ce n’est pas une expédition punitive. Ce n’est qu’un signal pédagogique. Effectivement, nous avons, après les débats en première lecture, élargi jusqu’à 300 % le bonus de base avant d’être concerné par un malus.

Tous les cas que vous avez évoqués sont donc pris en compte. Il ne sert à rien d’affoler les gens. Vous cherchez à dramatiser quelque chose qui n’a vocation qu’à être un signal pédagogique.

Je vous invite à faire preuve de beaucoup de modestie, car nous reviendrons sur ces textes qui ont été mal ficelés par le passé, mal préparés, mal appliqués et qui, aujourd’hui, coûtent très cher à l’ensemble des consommateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission des affaires économiques.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. J’ai eu le plaisir de présider la commission pendant la durée des débats, lors de chaque lecture : plus de sept réunions ont eu lieu. S’agissant de cette dernière lecture, nous avons eu plus de cinq heures de débat et ce matin, nous nous sommes réunis au titre de l’article 88, en présence de Mme la ministre, qui n’était pas obligée d’être présente dans la mesure où il s’agit d’une proposition de loi

M. Lionel Tardy. C’était mieux que pour le texte précédent sur l’absentéisme scolaire où n’avons pas vu M. Peillon !

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. Cette réunion a duré un peu plus longtemps qu’à l’habitude et chacun a pu s’exprimer.

M. Daniel Fasquelle. Nous ne sommes pas dupes de la manœuvre.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. Chacun a pu défendre ses amendements et obtenir des explications. En tout, cent dix amendements au cours de cette nouvelle lecture.

M. Daniel Fasquelle. On se moque de nous.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. Le travail de la commission a été facilité car l’amendement important sur l’article 1er vous a été transmis bien en amont de façon que vous ne le découvriez pas au dernier moment. Le rapporteur a tenu, parce que cela est normal, que vous l’ayez suffisamment tôt pour pouvoir y travailler.

S’agissant des conditions d’examen du texte, vous avez fait remarquer, monsieur Herth, qu’il n’était pas normal d’inscrire un texte la semaine de la rentrée parlementaire, après les vacances. Je suis désolée, mais le Parlement est ouvert du lundi au vendredi : des textes peuvent y être examinés du lundi au vendredi, et pas uniquement le mardi et le mercredi. Un certain nombre de textes importants ont été inscrits à l’ordre du jour de cette semaine, comme le contrat de génération.

L’examen de cette proposition de loi était prévu aujourd’hui à quinze heures. Nous avons commencé son examen vers dix-huit heures. Un tel décalage se produit bien souvent dans notre calendrier. Je retiens essentiellement que vous êtes contre ce texte, c’est une évidence et vous l’avez dit. Cela dit, un retour en commission eu égard au nombre d’heures que nous y avons consacré en commission, ne se justifie pas. Je suis donc contre cette motion de renvoi en commission.

M. Bertrand Pancher. Dommage !

M. Antoine Herth. Mme Massat ne veut plus présider la commission ! (Sourires.)

Mme la présidente. Dans les explications de vote, je vous demanderai de respecter les deux minutes qui vous sont imparties.

La parole est à M. Denis Baupin, pour le groupe écologiste.

M. Denis Baupin. Si j’ai bien compris le propos de M. Herth, il n’y aurait pas d’urgence. La transition énergétique peut encore attendre deux ou trois ans. Je ne partage pas du tout ce sentiment.

Notre pays compte huit millions de précaires énergétiques. Notre facture énergétique s’élève à plus de soixante milliards d’euros d’importations d’énergie fossile. Nous avons un problème de crise économique, chacun peut s’en rendre compte.

M. Daniel Fasquelle. Vous l’aggravez !

M. Denis Baupin. Nous ne devons donc surtout pas rater l’occasion de créer des filières dans lesquelles il y a de la création d’emplois. Nous avons un retard, cela a été rappelé par Mme la ministre, par rapport aux engagements pris par la France en matière de transition énergétique, de gaz à effet de serre, d’efficacité énergétique, de développement des énergies renouvelables. De notre point de vue, la transition énergétique, c’est urgent : c’est la raison pour laquelle nous souhaitons que cette loi soit adoptée ce soir.

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Il importe en effet d’étudier ce texte au regard de l’urgence sociale : 3,5 millions de ménages consacrent plus de 10 % de leurs ressources à leur facture d’énergie. Il est donc temps d’essayer d’apporter des réponses.

Même si l’on n’est pas d’accord avec certains articles du texte, il y a au moins ce qui permet d’étendre la trêve hivernale, en matière de coupures, à l’ensemble des consommateurs. Il y a au moins la possibilité de permettre aux opérateurs alternatifs de proposer le tarif de première nécessité. Il y a aussi l’extension du nombre de bénéficiaires des tarifs sociaux. Et il y a les bases d’un service public de la performance énergétique. L’ensemble de ces éléments permettent de passer à la discussion.

Il est toujours la tentation, voire l’obsession de renvoyer un texte en commission. Nous étions de bons lycéens, nous avons appris par cœur L’Art poétique de Boileau :

« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,

« Polissez-le sans cesse, et le repolissez,

« Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. »

Mais nous aurons beau triturer l’article 1er, je ne suis pas sûr que nous parviendrons à nous mettre tous d’accord !

Mme la présidente. La parole est à Mme Clotilde Valter.

Mme Clotilde Valter. Quel est le sens de cette motion de renvoi en commission ? Ce n’est pas pour obtenir un nouvel examen.

M. Bertrand Pancher. Mais si !

Mme Clotilde Valter. Cela a été dit par Frédérique Massat, nous y avons passé beaucoup de temps. J’ai compté les heures, j’en suis à seize heures trente de travail en commission ; trois séances en septembre, deux la semaine dernière, une cette semaine. Ce n’est donc pas le sujet.

Ce n’est pas non plus pour obtenir de nouvelles améliorations du texte. Vous les avez obtenues. Monsieur Fasquelle : vous l’avez vous-même déclaré en commission la semaine dernière. Vous avez reconnu que plusieurs de vos arguments avaient été entendus et fait remarquer que la copie a été revue et corrigée dans le bon sens.

M. Daniel Fasquelle. De façon très insuffisante.

Mme Clotilde Valter. Le rapporteur a en effet tenu le plus grand compte des remarques soulevées lors de nos débats, des observations de certains de nos collègues sénateurs, de l’avis émis par le Conseil d’État et, enfin, tiré profit de toutes les discussions qui ont eu lieu ici.

Le résultat, vous l’avez devant vous. Vous l’avez dans les documents, c’est une nouvelle rédaction de l’article 1er qui clarifie incontestablement le dispositif.

M. Lionel Tardy. Ce n’est pas sûr !

Mme Clotilde Valter. Il faut le dire et le répéter.

De quoi s’agit-il donc ? Du fond, des objectifs de ce texte ? Je ne vois pas comment vous pourriez vous engager dans une telle aventure ; et pourtant, vous le faites. Comment pouvez-vous contester les dispositions que ce texte met en avant ? Cela vient d’être dit par Denis Baupin et André Chassaigne : ce texte engage une véritable transition énergétique. C’est une véritable révolution pour notre pays. Il faut la faire, il faut l’engager. C’est incontestable, et vous ne pouvez le contester. Vous ne voulez pas le faire ainsi, vous le faites autrement, mais ce n’est pas très malin.

André Chassaigne vient de le dire, ce texte contient également une mesure de justice sociale très importante. La loi est ambitieuse de ce point de vue. François Brottes a introduit dans le texte des dispositions d’urgence pour les plus modestes. Cela va dans le sens de ce que veut cette majorité.

Votre demande ne se justifie ni par la nécessité d’un nouvel examen ni par ses prétendues insuffisances : elle est bien le signe d’une véritable opposition au fond. C’est pourquoi, chers collègues, je vous demande de repousser cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Fasquelle, pour le groupe UMP.

M. Daniel Fasquelle. Au nom du groupe UMP, je soutiendrai la motion de renvoi en commission défendue avec beaucoup de brio et d’intelligence par Antoine Herth.

À cet égard, il me paraît utile de rappeler la décision du Conseil d’État, même s’il a été un peu guidé par les questions posées, qui auraient pu être plus larges. Celui-ci appelle l’attention du Gouvernement sur la nécessité de rédiger un texte qui respecte l’exigence d’intelligibilité de la loi et l’invite à veiller à ce que les charges que pourraient entraîner pour les administrations et les juridictions les risques de contestation et le coût de gestion du dispositif ne soient pas hors de proportion avec l’objectif poursuivi. S’il a fait cet ajout, alors que rien ne l’y obligeait, c’est bien parce qu’il existe un doute sur le caractère intelligible du texte et sur le coût qu’il pourrait entraîner eu égard à ses avantages sur lesquels nous nous interrogeons.

Souvenons-nous des conditions dans lesquelles le texte a été initialement soumis à notre assemblée : les Français vous accusaient au mois d’août de n’avoir rien fait des pouvoirs qui étaient entre vos mains depuis le mois de mai : il lui fallait absolument mettre des projets sur la table. Une sorte de frénésie s’est alors emparée de la majorité, elle a alors regardé ce qu’elle avait dans ses cartons. La proposition de loi de M. Brottes est ainsi arrivée d’un coup dans notre hémicycle alors que la commission des affaires économiques avait déjà beaucoup d’autres textes à traiter. Et maintenant que le texte est dans les tuyaux, vous ne savez plus comment vous en défaire, vous ne pouvez plus faire machine arrière. Vous vous êtes rendu compte que le dispositif du bonus-malus ne pouvait fonctionner et vous avez dû le refaçonner x fois.

En outre, le renvoi en commission se justifie par une autre raison. Le Gouvernement a déposé de nouveaux amendements qui ont fait l’objet d’un examen dans des conditions peu sérieuses, dans le cadre de l’article 88. Cette procédure, qui repose sur un examen rapide juste avant la séance publique, ne peut en effet se substituer – que la ministre soit présente ou non – à l’examen approfondi en commission que ces amendements auraient mérité, d’autant qu’ils représentaient deux liasses.

Pour toutes ces raisons, la motion de renvoi en commission d’Antoine Herth me paraît totalement fondée.

M. Lionel Tardy. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Pancher, pour le groupe UDI.

M. Bertrand Pancher. Cette demande de renvoi en commission nous paraît légitime.

Nous vous avons déjà exposé les raisons pour lesquelles ce texte de loi, dans sa version initiale, ne nous paraissait pas applicable. Vous avez traité avec parfois beaucoup de désinvolture nos amendements et vous nous proposez maintenant un texte radicalement différent. Si la version initiale était bonne, pourquoi l’avoir entièrement modifiée ?

Lors de la première lecture, j’ai employé des arguments de bon sens, en soulignant que ce texte était une machine à produire de l’électricité. Finalement, tout cet aspect a été repris.

Il reste beaucoup d’autres domaines qui nécessiteraient une réflexion de fond, notamment la question des éoliennes, qui est stratégique. Souhaitons-nous réussir un vaste plan de développement de l’énergie éolienne en France ? Je souhaite que oui. Lorsqu’on discute avec les fédérations d’élus locaux, elles vous disent qu’elles sont consternées de constater que tous les mécanismes de concertation sur le plan local ont été supprimés et nous font part de leurs craintes de voir se recréer des oppositions massives. Tout cela aurait nécessité un minium de dialogue or nous n’avons pas eu de débats sérieux en commission à ce sujet, d’autant que Mme la ministre était absente – je comprends qu’elle ne puisse être partout à la fois, mais tout de même. Dans un certain nombre de domaines, ce texte nécessiterait d’être retravaillé.

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Denis Baupin.

M. Denis Baupin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quel plaisir de nous retrouver ici cet après-midi pour parler de la politique énergétique de la France !

Hier soir, un grand quotidien a publié un sondage qui nous apprenait, entre autres enseignements, que sept Français sur dix jugeaient insuffisante la place de la question énergétique dans l’action gouvernementale. La responsabilité nous revient donc de faire mentir cette impression. Et je le dis avec d’autant plus de conviction que la transition énergétique peut non seulement être l’un des grands chantiers de ce quinquennat mais qu’elle est à mon sens une condition de sa réussite.

Nous connaissons tous les données de l’équation : une facture énergétique colossale qui ne fait que s’accroître ; un coût croissant de l’énergie aux impacts économiques et sociaux de plus en plus lourds pour nos entreprises et pour les ménages, en particulier pour les 8 millions de personnes en situation de précarité énergétique ; des dégâts environnementaux liés aux vieilles énergies fossiles et fissiles extrêmement lourds, se manifestant par des accidents et un dérèglement climatique.

On pourrait en déduire que la transition énergétique est avant tout une contrainte, une obligation, un parcours du combattant sacrificiel et punitif. Ce serait se tromper de bout en bout. La transition énergétique, c’est avant tout une formidable opportunité. C’est une formidable opportunité pour créer des emplois ; c’est une formidable opportunité pour redonner du pouvoir d’achat aux ménages ; c’est une formidable opportunité pour dynamiser nos territoires et notre tissu industriel ; c’est une formidable opportunité pour rendre notre pays plus résilient face aux risques ; c’est aussi une formidable opportunité pour réduire la pauvreté dans le monde, les déséquilibres entre pays, et donc pour favoriser la paix.

Pas étonnant, dans ces conditions, que des économistes aussi divers que Jeremy Rifkin ou Jacques Attali fassent de la transition énergétique l’axe du redressement économique. Pas étonnant non plus que des organismes internationaux comme la Banque mondiale, l’Agence internationale de l’énergie, le Programme des Nations unies pour l’environnement ou le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, lauréat du prix Nobel de la paix, appellent tous à cette transition énergétique.

Certes, au regard de ces enjeux, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne constitue qu’une étape. Mais je veux saluer l’énergie et la ténacité de notre rapporteur, François Brottes,…

M. Bertrand Pancher. Sa témérité, oui !

M. Denis Baupin. …qui a su tenir bon face aux critiques et aux obstacles. J’ai failli écrire qu’il avait su tenir bon « contre vents et marées ». Mais je me suis ravisé : cela aurait été un bien trop beau cadeau pour les forces conservatrices…

M. Bertrand Pancher. Elles ne sont peut-être pas où vous croyez !

M. Denis Baupin. …que de les associer aux belles énergies renouvelables que sont le vent et les marées, parmi les plus puissantes des énergies d’avenir.

M. François Brottes, rapporteur. « Avec vents et marées » alors !

M. Denis Baupin. Comme nous l’avions indiqué en première lecture, notre groupe soutient donc sans ambiguïté cette proposition de loi. Nous espérons que sa mise en œuvre se fera le plus rapidement possible, en particulier pour les tarifs sociaux, la trêve hivernale, le service public de la performance énergétique et la refonte de la CRE.

Je voudrais ici insister sur trois points.

Le premier concerne la tarification. Donner une valeur au négawatt est essentiel si l’on veut redonner de la rationalité à l’économie. Aller vers une tarification progressive qui protège les précaires énergétiques, d’un côté, et qui incite à faire des économies d’énergie, de l’autre, c’est élaborer un outil essentiel à la transition énergétique. Nous voterons donc pour ce dispositif, en espérant que nos propositions pourront être reprises afin de l’améliorer encore.

Mais, vous le savez, nous voulons aller plus loin. Nous pensons que le dispositif de « bonus-malus » tel qu’il est envisagé ne suffira pas à rendre la tarification progressive car il ne fait que s’ajouter à une structure tarifaire structurellement injuste. Si nous voulons rendre la tarification réellement progressive, nous devons nous attaquer aussi à la part fixe de la facture, à l’abonnement. Aujourd’hui, ce sont les petits consommateurs qui payent pour les gros. Nous sommes loin d’être les seuls à le souligner : des associations aussi diverses que la Fondation Abbé Pierre ou UFC-Que choisir dénoncent cette situation.

Vous savez aussi – et j’en viens à mon deuxième point – que notre groupe est extrêmement dubitatif quant aux dispositions qui ont été introduites dans le texte concernant les marchés de capacité. Bien évidemment, nous ne méconnaissons pas le problème de la pointe électrique que connaît notre pays, c’est même l’une de ses principales vulnérabilités. Les soirs d’hiver, la France représente à elle seule la moitié de la pointe de consommation électrique de toute l’Union Européenne. Agir contre ce phénomène est donc nécessaire mais il convient de ne pas se tromper dans l’ordre des priorités. La première étape consiste à s’attaquer à la source du problème et à privilégier l’efficacité énergétique en isolant les logements et en remplaçant le chauffage électrique chaque fois que c’est possible.

La seconde étape consistera à valoriser l’effacement, à mettre en place des équipements de génie électrique, des capacités de gestion des consommations à distance, différenciée dans le temps. C’est seulement en fonction de ces deux premières étapes, dont nous savons qu’elles seront traitées lors du débat sur la transition énergétique, que doit être abordée la question des capacités supplémentaires de production.

Mettre la charrue avant les bœufs, soutenir aussi fortement la mise en place de capacités thermiques supplémentaires, c’est donner le sentiment qu’on est en train de mettre en place une énorme usine à gaz, malheureusement au sens propre tout autant qu’au sens figuré, avec toutes les conséquences énergétiques et environnementales qui en découlent. Par ailleurs, nous pensons qu’il est dommage de raisonner dans les limites d’une vision hexagonale à une période où les réseaux sont aussi interconnectés et alors même que le Président de la République a appelé à une Communauté européenne de l’énergie. Si gestion de capacités il doit y avoir, réfléchissons-y au minimum avec nos voisins d’Allemagne et du Benelux.

Mon troisième point, vous n’en serez pas surpris, concerne les énergies renouvelables. Nous nous réjouissons des propos très clairs tenus cette semaine par le Président de la République à Abou Dhabi. Il a appelé à passer à l’action. Il a demandé plus d’investissements dans les énergies renouvelables. Et en cela d’ailleurs, il est totalement en phase avec les engagements qu’il avait pris, en phase avec les engagements que nous avons pris en tant que majorité nationale.

Loin de moi l’idée de dire que rien n’a été fait en la matière. Appel d’offres pour l’éolien offshore, nouveaux tarifs pour l’énergie solaire qui, dans leur grande majorité, viennent renforcer la filière, prime pour le « Made in Europe », fonds chaleur, premières mesures législatives dans la présente proposition de loi pour desserrer l’étau administratif qui bloque l’éolien dans notre pays : tout cela va dans le bon sens et nous nous en réjouissons.

Mais nous revenons de si loin. Il y a tant à reconstruire après le sabordage organisé des filières industrielles françaises…

M. Bertrand Pancher. Oh !

M. Denis Baupin. Nous n’en sommes encore qu’au tout début de la sortie de la glaciation. Il faut bien sûr consolider et renforcer les quelques avancées déjà conquises mais il faut aller beaucoup plus loin.

Je ne prendrai qu’un exemple et pour une fois, je n’irai le chercher ni en Allemagne, ni au Danemark, ni parmi les grands pays européens qui développent des politiques ambitieuses et efficaces en matière d’énergies renouvelables en abandonnant les vieilles énergies au profit des énergies d’avenir. Non, mon exemple, j’irai le chercher de l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, pays des 4x4 et des énergies fossiles. On n’arrête pas de nous bassiner avec le prétendu grand succès que remporteraient les gaz de schiste là-bas. Eh bien, savez-vous qu’en 2012, il y a eu plus de puissance éolienne installée dans ce pays que de capacités de gaz ? Et ce ne sont pas les écolos barbus et chevelus comme moi qui le disent, c’est La Tribune.

M. Razzy Hammadi. Barbu, oui, mais pour le reste… (Sourires.)

M. Denis Baupin. Oui, partout dans le monde, le printemps des énergies renouvelables est lancé depuis longtemps alors que nous-mêmes tentons tout juste de sortir de l’hiver, et que certains n’ont que l’idée d’essayer de nous y ramener.

Mais qui donc peut se permettre de négliger le formidable potentiel d’emplois, de dynamiques locales, de compétitivité, de développement industriel que recèlent les énergies renouvelables ?

Nous avons des industriels pionniers en France, qui se battent pour ces énergies, qui ont tenu bon face aux obstacles. Nous pouvons être fiers d’eux. Ils ont besoin de notre soutien. Nous devons les encourager, les soutenir, leur donner les moyens de se développer et non les entraver. Il n’est pas possible qu’il faille encore huit ans pour construire une éolienne dans notre pays, quand il suffit de quatre ans dans les autres pays européens. Il n’est pas possible que l’on continue de faire peser intégralement sur ces industries les coûts de raccordement, quand pour d’autres énergies, qu’on prétend matures et peu coûteuses, les réacteurs sont raccordés aux frais de la collectivité.

Dans tous les autres pays, si la transition énergétique réussit, c’est grâce à l’implication d’entreprises innovantes et volontaires, mais aussi parce que l’appui des pouvoirs publics leur donne des perspectives et leur assure des conditions de développement.

Et ce ne sont pas les seules entreprises qui le disent, ce sont aussi les forces syndicales. Je ne peux bouder mon plaisir quand j’entends par exemple la CGT, et tout particulièrement sa fédération de la métallurgie, considérer le photovoltaïque et les éoliennes comme des filières d’avenir et demander que l’on soutienne massivement leur développement.

Sur la transition énergétique et sur les énergies renouvelables, nous avons l’opportunité de dépasser les affrontements du passé.

Les acteurs économiques, les acteurs sociaux, les collectivités territoriales, les ONG, toutes celles et ceux qui sont réunis autour du débat sur la transition énergétique, dans le droit fil des rapports adoptés la semaine passée par le Conseil économique, social et environnemental, les 90 % de Français qui ont une image positive des énergies renouvelables, si l’on en croit le sondage paru hier, tous ceux-là attendent des signes forts de notre part pour ne pas rater ce virage énergétique et industriel, où se jouent les emplois d’aujourd’hui et de demain.

Avec la transition énergétique, nous avons l’occasion de montrer que ce qui est bon pour la planète est bon pour l’économie et bon pour l’emploi. Saisissons-nous pleinement de cette opportunité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons en nouvelle lecture aujourd’hui laisse les députés du Front de gauche pour le moins dubitatifs, compte tenu du maintien, en dépit de son rejet par le Sénat, de sa principale disposition initiale : l’instauration d’un bonus-malus sur les consommations d’énergie de réseaux.

Sur ce point particulier, je tiens toutefois à saluer les efforts d’explication du rapporteur et de la ministre sur les conditions de mise en place de ce dispositif, avec notamment une première prospective en termes d’impact sur les ménages.

Malgré les évolutions imprimées au texte, ce dispositif demeure confus ; aucune des personnes que j’ai consultées n’estime qu’il sera d’application facile. Mais je ne doute pas de la volonté du rapporteur de nous apporter de nouveaux éclaircissements.

Je ne reviendrai donc pas, dans cette intervention générale, sur les objections de fond que nous avons déjà pu développer en première lecture. Au regard des objectifs de baisse des consommations énergétiques, j’ai toujours le sentiment que nous aurions pu débattre d’autres leviers incitatifs et de soutien aux ménages, moins complexes et sans doute plus efficaces.

J’y reviendrai toutefois lors des débats sur l’article premier car, au-delà de notre perplexité concernant ce mécanisme, et devant la volonté renouvelée du Gouvernement d’aboutir à l’adoption de ce texte avec tous ses articles, nous préférons une nouvelle fois faire preuve de notre résolution à l’améliorer. C’est pourquoi nous vous présenterons différents amendements, qui permettraient de le rééquilibrer au regard de ses objectifs.

Comme j’ai eu l’occasion de le faire devant la commission des affaires économiques et durant les explications de vote sur les procédures, je commencerai par confirmer notre soutien aux mesures visant à répondre à l’urgence sociale en matière énergétique.

Le Gouvernement s’est déjà engagé, par la voie réglementaire, dans un élargissement du nombre des bénéficiaires des tarifs sociaux de l’énergie. Pour notre part, nous avons préconisé d’y rendre éligibles tous ceux dont les ressources se situent en dessous du seuil de pauvreté, soit, je le rappelle, un revenu fiscal de référence par unité de consommation inférieur à 516 euros par mois.

Nous avons aussi beaucoup insisté pour que soit garantie la continuité de la fourniture d’énergie. Dois-je rappeler sur ce point que le rapport de 2009 sur la précarité énergétique, réalisé dans le cadre du Plan bâtiment du Grenelle de l’environnement, recensait quelque 3 400 000 ménages, soit 13 % des foyers, consacrant plus de 10 % de leurs ressources au paiement de leurs factures d’énergie ? Ce seuil de 10 % est considéré comme le signe d’une précarité énergétique avérée.

Mes chers collègues, nous avons donc devant nous un travail colossal pour répondre à l’ampleur de la crise sociale et à l’explosion de la pauvreté que connaît notre pays. Et nul doute que le nombre de foyers en situation de précarité énergétique s’est encore fortement accru depuis 2009.

Nous considérons d’ailleurs essentiel d’inclure dans ce texte une disposition visant à empêcher toute stratégie de résiliation de contrat par les fournisseurs, permettant de procéder à des coupures et de contourner les futures mesures réglementaires. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors des débats sur l’article 8.

Nous jugeons également très positive la création d’un service public de la performance et de la sobriété énergétiques, et nous approuvons la volonté de mener une politique offensive en faveur de l’isolation des logements, prioritairement au bénéfice des plus défavorisés. Sur ces deux sujets essentiels, nous présenterons là aussi des amendements afin de préciser notre volonté d’action qui, je le crois, est largement partagée.

Il faut notamment garantir une véritable transparence dans les moyens que l’État compte mobiliser chaque année pour matérialiser sur le terrain ce nouveau service public. Je pense bien entendu à la fois aux transferts financiers vers les collectivités territoriales ou les établissements publics de coopération intercommunale, et aux dotations vers les organismes qui seront chargés de différentes missions que nous allons leur assigner.

Je m’adresse ainsi directement à mes collègues de la majorité. En étant transparents et précis sur la question des moyens, nous permettrons de légitimer notre ambition politique : celle d’une transition vers un système énergétique plus sobre, combinée à une plus grande justice sociale grâce à un accompagnement financier réel des ménages en difficulté.

Ne laissons aucune prise à l’idée que certains pourraient se voir appliquer une double peine, en étant privés de ressources pour effectuer la rénovation thermique de logements qui constituent de véritables passoires énergétiques.

En d’autres termes, j’invite la représentation nationale à prévoir dès maintenant un contrôle efficace des moyens dévolus à cet enjeu majeur, et à ne pas répéter les envolées sans lendemain financier du Grenelle de l’environnement.

Mes chers collègues, vous le voyez, à rebours de ce qui est trop souvent interprété comme une forme d’opposition, les députés du Front de gauche font une nouvelle fois œuvre utile, en cherchant en permanence à répondre aux besoins des Françaises et des Français.

Nous considérons toujours que l’enjeu prioritaire du Gouvernement aurait pu se focaliser sur l’adoption d’un texte complet pour répondre à l’urgence sociale en matière énergétique. C’est d’ailleurs ce que nous vous avons immédiatement proposé, après le rejet du texte par le Sénat, en déposant une proposition de loi reprenant les dispositions du texte initial concernant les mesures d’accompagnement social.

Pour porter l’ambition d’éradiquer la précarité énergétique dans notre pays, un projet de loi à part entière, élaboré en concertation avec les élus locaux et le tissu associatif qui œuvre dans le domaine social, aurait sans doute permis d’aller au-delà des dispositions actuelles. Mais je ne doute pas que le Gouvernement saura faire preuve de réactivité sur ce sujet en fonction de l’évolution de la précarité énergétique dans notre pays.

Nous maintenons en revanche notre appréciation négative sur un certain nombre de dispositions, dont certaines ont été introduites de façon quelque peu cavalière lors de l’examen en première lecture.

Je veux faire un point particulier sur les amendements concernant l’éolien, qui visent à modifier profondément la réglementation actuelle. Je tiens une nouvelle fois à essayer de vous convaincre, mes chers collègues, du bien fondé de ne pas trancher ici, en quelques minutes, des problématiques complexes qui n’ont pas leur place dans ce texte.

M. Lionel Tardy. Ce serait bien !

M. Daniel Fasquelle. En effet, c’était cavalier !

M. André Chassaigne. Rien n’est simple en matière énergétique. Il faut pousser jusqu’au bout le débat sur la place de l’énergie éolienne dans le mix énergétique, et sur les objectifs et les garanties que l’on peut apporter à son éventuel

Je le dis clairement, ces amendements relatifs à l’éolien constituent selon moi, et je pèse mes mots, une erreur colossale et une faute contre la démocratie locale.

Tout d’abord, la suppression des zones de développement de l’éolien, les ZDE, conduira à ce que les décisions soient prises pour l’essentiel par les préfets, sous l’influence prédominante des promoteurs, dans des zonages toujours plus lâches consacrés par les schémas régionaux éoliens.

M. Daniel Fasquelle. Très bien !

M. Lionel Tardy. Ce sera retoqué !

M. André Chassaigne. Les schémas adoptés dans les régions sont déjà marqués par le lobby éolien, et les quelques boucliers contre le mitage vont disparaître avec l’article 15 s’il est maintenu dans le texte.

En maintenant la seule démarche des installations classées pour la protection de l’environnement, on se limite – écoutez bien, chers collègues – à restreindre les autorisations et les déclarations par rapport à la hauteur des mâts et à la puissance, uniquement. Cette procédure n’offre aucune possibilité d’associer les élus locaux et les populations, contrairement aux ZDE.

M. Daniel Fasquelle. Très juste !

M. André Chassaigne. Cette perspective va favoriser frustrations, conflits et contentieux sur un sujet déjà très sensible sur les territoires.

En outre, dans les régions, les schémas régionaux se réfugient souvent derrière la procédure ZDE pour offrir des garanties de concertation, lesquelles disparaîtront de fait avec la suppression des ZDE. Une révision complète sera donc indispensable pour les schémas régionaux déjà votés.

De telles modifications sont par ailleurs prises sans évaluation des conséquences de la production éolienne sur la production électrique dans son ensemble. Je pense bien entendu à la question de l’intermittence, et au développement en parallèle de centrales thermiques, fortement émettrices de CO2 pour compenser ces fluctuations.

Il ne faut pas non plus occulter d’un revers de main, sous l’argument d’autorité du développement des renouvelables, la question des conséquences sur les coûts de production et les coûts de raccordement imposés à ERDF, dont vous connaissez tous la situation délicate. Entre 2008 et 2012, les investissements bruts mobilisés par ERDF pour l’éolien ont été d’environ 320 millions d’euros pour seulement 4,5 gigawatts de puissance totale raccordée.

La suppression de la règle des cinq mâts, couplée à la suppression des ZDE, conduira à la fragmentation des projets éoliens, qui sont aujourd’hui des projets de puissance comprise entre 10 et 12 mégawatts.

M. Lionel Tardy. Eh oui !

M. André Chassaigne. Légiférer aujourd’hui en urgence sur ce sujet aura de lourdes conséquences sur la capacité à anticiper les développements de réseau nécessaires à l’accueil de ces productions, sur les capacités d’ERDF à gérer l’accueil des demandes, les études de raccordement, la gestion des contrats d’accès.

De telles modifications réglementaires ne peuvent se prendre à la légère sans une réflexion intégrant tous ces paramètres. J’aurai l’occasion d’y revenir plus tard, en réitérant ma demande de retrait de ces articles du texte.

Je reviendrai également dans la discussion sur les articles, sur les mesures proposées concernant la création de nouveaux marchés de l’effacement de consommation.

Sur ces sujets majeurs, nous ne pouvons pas nous permettre de légiférer dans la précipitation. Là aussi, la responsabilité et la réflexion doivent prévaloir, en ne les prenant par le petit bout de la lorgnette, mais seulement en faisant attention à prendre en compte tous les enjeux climatiques, sociaux et économiques.

Pour les députés du Front de gauche, je le rappelle, la maîtrise publique et sociale de la production, du transport et de la distribution d’énergie est une condition indépassable d’une transition énergétique rapide, socialement et écologiquement pertinente, vers un système énergétique le plus décarboné possible. Nous avons besoin d’un débat ouvert, qui ne préempte pas les choix que les citoyens français doivent faire en toute connaissance de cause.

Aussi, les députés du Front de gauche s’attacheront dans le débat qui s’ouvre, comme sur chaque texte de la majorité, à essayer de le faire évoluer dans le bon sens : pas dans le sens commun de l’écologie libérale, mais dans le sens de l’intérêt général humain.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Blein.

M. Yves Blein. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons donc aujourd’hui, en nouvelle lecture, la proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre.

Votée par notre assemblée en première lecture en octobre dernier, elle a par la suite été rejetée par nos collègues sénateurs dans une équation politique quelque peu surprenante – vous vous en souvenez tous.

Le rapporteur François Brottes a néanmoins cherché, dans sa rédaction nouvelle du premier article de ce texte, à apporter des réponses aux questions qui s’étaient fait jour, mais aussi, et c’est bien là l’essentiel, à conserver à la loi son objet initial : initier la démarche qui, pendant toute la législature, conduira la France à adopter une autre approche de sa consommation d’énergie.

Cet objectif a souvent été énoncé, malheureusement sans succès, tout simplement parce que, pour l’atteindre, il ne faut se satisfaire ni de déclaration, ni d’exhortation ; il ne faut pas davantage se contenter de réglementer. Non, il faut adopter une attitude pédagogique qui, par l’incitation et l’encouragement, permette aux Français prennent conscience de cette nécessité et, petit à petit, l’assument et l’intériorisent jusqu’à adopter naturellement un comportement de consommateurs sobres d’énergie. Lire est un acte simple ! Et pourtant les pédagogues pourront vous dire à quel point il est complexe d’apprendre à lire !

Que n’a-t-on entendu à propos de ce texte ! Complexité, usine à gaz, vintage, intrusif… À toutes ces critiques – j’y reviendrai –, je réponds d’abord que seuls ceux qui ne veulent rien faire n’inventent rien, que la complexité peut servir parfois de simples desseins…

M. Lionel Tardy. « La complexité peut servir parfois de simples desseins » ? Il faut que je la note, celle-là !

M. Yves Blein. …et que, pour paraphraser le Président Chirac, il faut enfin se décider à ne pas regarder ailleurs lorsque la maison brûle.

François Brottes a enfilé sa tenue de pompier… (Rires sur les bancs du groupe UMP.)

M. André Chassaigne. Il ne faut pas qu’il oublie son casque !

M. Yves Blein. …et nous invite donc à engager la lutte contre le feu ! Nous ne refuserons pas de le suivre.

Tout d’abord, par cette nouvelle rédaction, le rapporteur répond au problème de constitutionnalité soulevé par les sénateurs, qui craignaient de laisser au pouvoir réglementaire la définition des règles et des modalités de l’assiette bonus-malus.

Le texte prévoit donc de moduler le volume de base en fonction du nombre de personnes dans le foyer selon un ratio prédéfini. Comme précédemment, il prend également en compte la situation climatique et le mode de chauffage.

De plus, le dispositif présenté aujourd’hui devant la représentation nationale prévoit de distinguer le volume de base des résidences principales de celui des résidences secondaires et des immeubles collectifs, et ce afin que toutes soient concernées de manière équitable.

Le texte définit également, et tout à fait simplement, le volume de base de consommation sur lequel se fonde ensuite l’ensemble de la démarche d’encouragement. Celui-ci sera évalué à partir de la consommation d’énergie du quart des foyers français les plus sobres.

Tous nos compatriotes qui consomment le même volume d’énergie et jusqu’à trois fois plus bénéficieront d’un bonus, qui ira bien sûr en s’amoindrissant. Tous ceux qui consommeront plus de trois fois plus, c’est-à-dire qui auront une consommation non seulement exagérée mais franchement excessive, seront alertés par un malus.

On voit bien, à l’observation des chiffres, qu’il ne s’agit pas là de briser l’égal accès de tous à l’énergie – le prix du kilowattheure reste d’ailleurs le même pour tous – mais bien de conduire à l’observation et surtout à l’action ceux qui consomment sans modération.

Attention aux ménages les plus pauvres, nous a-t-on dit, souvent mal logés dans des passoires énergétiques.

M. Daniel Fasquelle. C’est vrai !

M. Yves Blein. Cette remarque, déjà prise en compte en première lecture, a été précisée à nouveau : le texte prévoit que le Gouvernement pourra définir par arrêté des niveaux de malus minorés pour les consommations individuelles des foyers ayant droit à la tarification de première nécessité pour l’électricité ou au tarif spécial de solidarité pour le gaz. Pour ceux-là, n’oublions pas – et c’est bien l’une des vertus premières de ce texte – que le dispositif du bonus-malus permettra surtout un repérage exhaustif des consommations anormales tout en donnant les moyens au nouveau service public de la performance énergétique, instauré par ce texte, de garantir un accompagnement personnalisé à tous ceux qui seraient dans l’excès afin que l’origine de cet excès soit diagnostiquée et corrigé à moindre frais.

Ce texte vient enfin – faut-il le rappeler ? – répondre à l’urgence sociale de la situation en élargissant le nombre de bénéficiaires des tarifs sociaux de l’énergie de 600 000 aujourd’hui à 4 millions de ménages demain. Il constitue également une avancée certaine en matière de développement de l’éolien dans notre pays. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.

En conclusion, on dit qu’il faut savoir toujours sur le métier remettre son ouvrage. Le texte qui nous est proposé aujourd’hui est du bel ouvrage et je ne doute pas que la discussion qui va suivre permettra de lui apporter encore quelques précisions. (Rires sur les bancs du groupe UMP.) Mais il importe à présent qu’il soit adopté, rendu opérationnel, car nous savons que le chemin vers un comportement énergétique sobre sera long. Il faut donc l’emprunter au plus tôt. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)