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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 28 mai 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Claude Bartolone

1. Hommage a Jean Moulin et au Conseil national de la Résistance

M. le président

2. Questions au Gouvernement

Héritage du Conseil national de la Résistance.

M. André Chassaigne

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Situation en Centrafrique

M. Gérard Charasse

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l’étranger

Politique du Président de la République

M. Dominique Dord

M. le président

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Enseignement supérieur

Mme Marie-Odile Bouillé

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche

Rapport de la Cour des comptes sur la gestion des personnels enseignants

M. Claude Goasguen

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale

Refondation de l’école

Mme Martine Faure

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale

Politique pénale et pénitentiaire

M. Yves Albarello

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Lutte contre le chômage des jeunes

M. Michel Piron

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Politique du gouvernement

M. Céleste Lett

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Taxes sur les transactions financières

M. Jean-Luc Laurent

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Rémunération des patrons

Mme Eva Sas

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Discours du Président de la République à Leipzig

M. Guillaume Chevrollier

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Lutte contre la fraude aux prestations sociales

Mme Marion Maréchal-Le Pen

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Lutte contre les violences faites aux femmes

Mme Dominique Chauvel

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

Redécoupage des circonscriptions pour les élections départementales

M. Jean-Louis Christ

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

Industrie automobile

M. Arnaud Richard

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Laurence Dumont

3. Enseignement supérieur et recherche

Vote solennel

Explications de vote

M. Thierry Braillard, Mme Marie-George Buffet, Mme Sandrine Doucet, M. Patrick Hetzel, M. Rudy Salles, Mme Isabelle Attard

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

4. Réforme du Conseil supérieur de la magistrature

Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Présentation

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Dominique Raimbourg, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Motion de rejet préalable

M. Georges Fenech

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, M. Dominique Raimbourg, rapporteur, M. Marc Dolez, M. Pascal Popelin, M. Alain Marsaud, M. Gilles Bourdouleix, M. Sergio Coronado, M. Alain Tourret

Discussion générale

M. Marc Dolez

M. Jean-Yves Le Bouillonnec

M. Guillaume Larrivé

M. Gilles Bourdouleix

Mme Élisabeth Guigou

M. Alain Tourret

M. Jean-Luc Drapeau

M. Thierry Lazaro

Mme Marie-Françoise Bechtel

5. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

M. le président. Le Premier ministre m’a fait savoir qu’il était retenu au Sénat, où il prononce une déclaration relative au Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Plusieurs députés UMP. Quel dommage !

M. le président. Il nous rejoindra au cours des questions au Gouvernement.

1

Hommage a Jean Moulin et au Conseil national de la Résistance

M. le président. Mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, le Bureau de l’Assemblée nationale m’a donné mandat de vous lire la déclaration suivante.

Il y a soixante-dix ans, le 27 mai 1943, dans un appartement parisien du 48 rue du Four, les représentants de huit mouvements de Résistance, six partis politiques et deux syndicats, décidèrent d’unir leurs forces pour lutter contre l’occupant nazi et, au-delà, pour préparer les réformes qui donneront corps à la France libérée de l’après-guerre.

À l’unanimité, ils adoptèrent une motion affirmant que le futur gouvernement provisoire devait être confié au général de Gaulle qui « fut l’âme de la Résistance aux jours les plus sombres et qui n’a cessé, depuis le 18 juin 1940, de préparer en pleine lucidité et en pleine indépendance la renaissance de la patrie détruite, comme des libertés républicaines déchirées ».

Ainsi était né sous la présidence de Jean Moulin le Conseil de la Résistance, noyau du futur Conseil national de la Résistance.

Le Conseil national de la Résistance, c’est d’abord la grande et noble figure de Jean Moulin.

Jean Moulin, ce préfet républicain de sensibilité radicale, ami de Pierre Cot et serviteur du Front Populaire.

Jean Moulin, ce républicain passionné, antifasciste et antimunichois viscéral, qui préfère tenter de se donner la mort à Chartres dans sa préfecture d’Eure-et-Loir en juin 1940 plutôt que de signer un texte infamant pour l’armée française et de mettre en cause le comportement de soldats issus de ce que l’on appelait alors les troupes coloniales.

Jean Moulin qui, révoqué par Vichy en novembre 1940, prend immédiatement contact avec les premiers mouvements de Résistance intérieure.

Jean Moulin, qui gagne Londres en octobre 1941 et se met au service du Général de Gaulle, dont il devient en 1942 le représentant dans la zone sud avec pour but d’unifier les mouvements de Résistance.

Jean Moulin, traqué par l’Occupant, qui écrit le 17 mai 1943 au Général de Gaulle : « Je suis bien décidé à tenir le plus longtemps possible ».

Jean Moulin, qui sera arrêté au premier jour de l’été 1943, le 21 juin, à Caluire, et qui, atrocement torturé par Barbie, mourra sans avoir parlé.

Jean Moulin, qui a rejoint notre Panthéon républicain.

Jean Moulin dont tant d’avenues, de lycées, de places portent le nom et dont le souvenir sera à jamais gravé dans nos cœurs et dans nos mémoires de militants de la République et d’amoureux de la France.

La République et la France s’incarnent ainsi régulièrement dans des femmes et des hommes d’exception, Jean Moulin fut l’un d’eux.

Le Conseil national de la Résistance, c’est aussi l’aspiration à l’unité et au rassemblement aux heures les plus sombres de la Nation.

Rassemblement des mouvements de Résistance, à travers les trois principaux mouvements de la zone Sud et les cinq plus importants de la zone Nord.

Rassemblement des forces politiques : s’y retrouvent, de la gauche à la droite, le Parti communiste, les socialistes de la SFIO, les radicaux, la démocratie chrétienne, la Fédération républicaine et l’Alliance démocratique.

Rassemblement syndical aussi, avec la CGT et la CFTC.

Reconnaissant l’autorité du Comité français de la libération nationale, le Conseil national de la Résistance consacre enfin l’unité de combat des deux branches de la Résistance, celle de l’intérieur et celle de l’extérieur.

La démocratie ne vit que dans la diversité. Mais nous devons nous souvenir que, lorsque l’essentiel est en cause, c’est par l’unité et le rassemblement de toutes les forces démocratiques que le sursaut est possible.

Le Conseil national de la Résistance, ce sont, enfin et toujours, les fondements de la démocratie politique, économique et sociale qui a fait la France d’après-guerre et qui reste le socle moderne de notre vivre ensemble.

Rétablissement de la démocratie politique, du suffrage universel et de la liberté de la presse, « retour à la nation des moyens de production », « plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence » : le programme d’action de la Résistance, adopté à l’unanimité le 15 mars 1944, préfigure les grandes réformes économiques et sociales de l’après-guerre et, inspirant une partie du préambule de notre Constitution, est toujours porteur des valeurs de notre société.

Alors que plusieurs grandes figures de la Résistance nous ont quittés, encore très récemment hélas – je pense notamment à Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, François Jacob ou encore Lise London – c’est à nous, élus de la République, qu’il appartient de faire vivre l’héritage de la Résistance et de son idéal de démocratie économique, sociale et culturelle.

En souvenir des membres du Conseil national de la Résistance et de tous les résistants morts pour la France, je vous invite à observer une minute de silence.

(Mmes et MM. les députés et membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence.)

M. le président. Je vous remercie.

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Héritage du Conseil national de la Résistance.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Monsieur le Premier ministre, Les Jours heureux était le titre du programme du Conseil national de la Résistance,…

Un député UMP. Ça a bien changé !

M. André Chassaigne. …mais cette portée émancipatrice a été sérieusement mise à mal. C’est le résultat de plus de trente ans de politique élaborée sous la pression du capitalisme financier et sur fond de démission vis-à-vis de l’Europe libérale. La destruction méthodique du programme du Conseil national de la Résistance s’est accélérée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Plusieurs députés UMP. Quelle honte !

M. André Chassaigne. Affichant son mépris pour les salariés en lutte, il s’est appliqué à faire céder les dernières digues contre l’injustice et l’insécurité sociales. (Mêmes mouvements.)

À l’heure où notre société souffre d’une crise qui frappe chaque jour de nouvelles familles, les Françaises et les Français veulent retrouver des motifs d’espérer. Ils attendent de leurs gouvernants courage et détermination pour les mettre à l’abri du besoin et en finir avec les angoisses du lendemain comme le proclamait devant cet hémicycle Ambroise Croizat, ministre communiste du travail, lors de la mise en place du plan de sécurité sociale.

La voie des jours heureux n’est pas celle de la loi, dite de sécurisation de l’emploi, qui précarise les salariés. La voie des jours heureux n’est pas celle non plus de la réforme annoncée de notre système de retraite et l’allongement des cotisations. La voie des jours heureux n’est pas davantage celle du renoncement au plafonnement des salaires des grands patrons.

Bien au contraire, toutes ces mesures vont à rebours de l’esprit qui animait le programme du Conseil national de la Résistance. Bien au contraire, la fidélité à ce programme et à ses valeurs impliquent de résister au diktat de l’argent. Le Gouvernement y est-il prêt pour renouer avec l’audace qui animait les artisans du programme du Conseil national de la Résistance, le programme des jours heureux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président Chassaigne, vous rappelez un grand moment de l’histoire de la France, que le président de l’Assemblée nationale a tenu à saluer solennellement il y a quelques instants (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Il y a soixante-dix ans, le 27 mai, se tenait la première réunion du Conseil national de la Résistance, préparée avec ténacité et courage par Jean Moulin, devenu l’une des grandes figures qui honorent l’histoire de notre pays.

M. Franck Gilard. Et le général de Gaulle ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Se trouvaient réunis autour de la table, sous la présidence de Jean Moulin, délégué du général de Gaulle, chef de la France libre, les représentants de tous les mouvements de résistance, les chefs des partis politiques engagés dans la Résistance et des organisations syndicales. Ces hommes, ces femmes, tous ceux qui, pendant les années sombres de l’Occupation, ont sauvé l’honneur de la France, pensaient à la libération et à la reconstruction du pays. Ils avaient un même idéal : tourner les pages affreuses de l’Occupation, les pages affreuses de la collaboration pour faire vivre concrètement les valeurs de la République et donner un espoir, une perspective, à la Nation française, celle de se retrouver autour d’un projet de reconstruction, mais aussi de progrès, de cohésion sociale et de solidarité nationale. Nous sommes les héritiers de cette œuvre-là. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur Chassaigne, je ne me résigne pas à croire que cet héritage ait disparu. Il nous appartient, non pas de le contempler comme une relique que l’on aurait remisée dans un placard, mais comme le creuset de notre action, qui doit nous motiver pour engager toutes les réformes dont notre pays a besoin. Nous devons sauver le modèle social et républicain français tout en ayant le courage de le réformer parce que sinon, il disparaîtra. (Même mouvement sur les bancs du groupe UMP.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Vous êtes mal partis !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Nous voulons au contraire qu’il perdure et persiste car il est construit autour d’une idée fondamentale, celle de l’héritage républicain, de l’idée d’égalité, d’égalité des chances. Tout ce que nous entreprenons aujourd’hui va dans ce sens, qu’il s’agisse de la refondation de l’école, qu’une majorité a votée au Sénat, de la reconstruction de notre appareil productif (Exclamations continues sur les bancs du groupe UMP),…

M. Jean-François Lamour. C’est embrouillé, tout ça !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …des chantiers de l’avenir, de la cohésion sociale et territoriale, de l’avenir de notre système de retraite par répartition que nous devons réformer et sauver.

Si nous agissons ainsi, alors je vous le dis, mesdames et messieurs les députés, nous serons fidèles à l’esprit du Conseil national de la Résistance, car nous n’aurons pas renoncé et nous n’aurons pas accepté, comme on nous le demandait il y a quelques années, de démanteler méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Ce programme, c’est celui de la majorité, du Gouvernement…

M. Philippe Meunier. Et les allocations familiales ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …mais je suis sûr qu’il répond aussi aux préoccupations de la majorité du peuple français. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Situation en Centrafrique

M. le président. La parole est à M. Gérard Charasse, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Gérard Charasse. Monsieur le ministre des affaires étrangères, depuis le 22 mars dernier, la République centrafricaine connaît une période complexe, qui n’a rien des contours que laissaient entrevoir le cessez-le-feu et l’accord politique du 11 janvier, signé sous l’égide de la Communauté économique des États d’Afrique centrale, qui prévoyait en effet la nomination d’un gouvernement d’union nationale et l’organisation d’élections anticipées.

Or, la transition qui a abouti au renversement du président Bozizé le 24 mars a fait des victimes parmi les forces africaines mais également livré la capitale au pillage et aux violences, capitale où nous comptons environ 1 250 ressortissants français, mais aussi de nombreux alliés et parents de citoyens français ou centrafricains résidant en France.

À la suite des réunions organisées en avril, un nouveau cadre de transition a été proposé. D’une durée de dix-huit mois, il doit aboutir à des élections générales. Le Premier ministre, désigné à la suite des accords de Libreville, reste en place et le chef des rebelles est désigné chef d’État de la transition par un Conseil national qui jouera le rôle d’organe législatif pendant cette période et élaborera une nouvelle constitution.

Cela dit, les informations qui nous proviennent de Bangui aujourd’hui sont inquiétantes car au-delà du cadre que je viens de décrire, il semble que les violences aient repris, en particulier contre les femmes qui manifestaient encore ce dimanche. Viols, mutilations, mariages forcés et recrutements d’enfants semblent d’ailleurs confirmés par la représentante spéciale de l’ONU en RCA.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer quelle sera, dans ce contexte, l’action de la France à la fois pour protéger ses ressortissants et leurs alliés et pour continuer d’accompagner la RCA dans ses efforts pour sortir de la crise ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des Français de l’étranger.

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l’étranger. Monsieur le député, je vous remercie de poser cette question qui me permet de faire le point sur la situation politique et sécuritaire en République centrafricaine.

Sachez tout d’abord que la France continue d’appuyer les efforts de la communauté économique des États d’Afrique centrale et de l’Union africaine. Pour le règlement de cette crise, le cadre d’une transition politique a été fixé, comme vous l’avez rappelé : nouveau Gouvernement, charte constitutionnelle, période de transition, rééquilibrage du Conseil national de transition. Lors du sommet de N’Djamena, il a été décidé de quadrupler les forces actuellement déployées par la MICOPAX, portant les troupes sur place de 500 à 2 000 hommes.

J’ai reçu, comme vous, je l’imagine, des témoignages inquiétants de nos compatriotes, directement touchés par l’insécurité qui règne encore aujourd’hui, malheureusement, à Bangui. Rappelons qu’immédiatement après l’entrée de la Seleka dans Bangui, deux compagnies de militaires français ont rejoint la capitale pour assurer la sécurité de notre communauté. Chaque Français qui a contacté notre ambassade a été accueilli dans un des lieux mis en protection et ouvert à cet effet. Ceux qui ont souhaité quitter le pays ont été escortés par nos forces armées jusqu’à l’aéroport.

Mi-avril, j’ai aussi fait adapter notre dispositif pour faciliter notamment le retour des Français. Il ne reste aujourd’hui que 750 ressortissants sur les 1 200 inscrits.

Croyez bien, monsieur le député, que je veille à ce que la sécurité de nos compatriotes résidant hors de France soit bien assurée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Politique du Président de la République

M. le président. La parole est à M. Dominique Dord, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Dominique Dord. Le premier jour, il est allé voir Mme Merkel. Il lui a dit : « Madame Merkozy, je veux renégocier votre traité. » Elle lui a dit : « Nein ! » (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Alors, il a dit : « Au diable les Allemands, ces conservateurs égoïstes ! » Et vous avez ratifié le traité. (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Le deuxième jour, il a voulu casser tout ce qu’avait fait Nicolas Sarkozy. Finies, les heures supplémentaires pour 8 millions d’ouvriers et d’employés ! Il a dit : « Au diable, le pouvoir d’achat des classes moyennes ! »

Le troisième jour, il a levé 30 milliards d’impôts. Tous les riches ont quitté le pays et il a dit : « Au diable les riches ! Qu’ils aillent dépenser leur argent en Angleterre ! » (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe UMP. – Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. S’il vous plaît !

M. Dominique Dord. Le quatrième jour, il s’est fait plaisir. Il a levé 7 milliards de dépenses, en créant, par exemple, 60 000 postes dans l’éducation.

Mme Laurence Dumont. Il a bien fait !

M. Dominique Dord. Il a dit : « Je refuse de céder au diktat des 3 % ! Nous serons à 3,6 % ! » On apprend aujourd’hui qu’il est à 3,9 %. Il a dit : « Vive les déficits et vive les marchés financiers ! » (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Le cinquième jour, il a récompensé Mme Royal : il a fait d’elle une banquière, parce qu’elle le vaut bien ! Et il a dit : « Au diable la République irréprochable ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Le sixième jour, il a envoyé la police contre les familles qui tentaient de s’accrocher au peu de repères qu’elles avaient encore. Et il a dit : « Au diable les familles, les religions, les conservateurs et les rétrogrades ! Vive le progrès ! Vive les LGBT – les lesbiennes, gays, bi et trans ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Enfin, le dernier jour, comme le veut la tradition, il s’est reposé. Il est monté sur le mont Corrèze avec Valérie (Protestations sur les bancs du groupe SRC) pour contempler son œuvre, et là, il a vu une France en ruine, des Français sans un sou, sans espérance, sans avenir, sans fraternité. Et il a eu cette phrase historique, il a dit : « Je sais que je tiens le bon cap. » Alors, il est revenu à Paris en train, comme il l’avait promis ! (Mmes et MM. les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent. – Huées et claquements de pupitres sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Monsieur Dord, je vous rappelle qu’il est de tradition, dans notre hémicycle, de ne pas mettre en cause le Président de la République. (Mmes et MM. les députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Cette tradition a toujours été appliquée, notamment par mon prédécesseur.

La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député, la vraie réponse vient d’être apportée par le président de l’Assemblée nationale.

Il ne s’agissait d’ailleurs pas d’une question, mais d’une simple parabole, d’une fable totalement polémique, comportant en outre des aspects personnels totalement indignes d’un membre de cette assemblée ! (Mmes et MM. les députés du groupe SRC se lèvent à nouveau et applaudissent. – Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Peut-être êtes-vous tout à coup envahi par l’enthousiasme d’avoir appris à manifester, ce que vous ne saviez pas faire ! Puis vous êtes entré dans une espèce d’exubérance irrationnelle qui vous conduit à toutes les exagérations, à toutes les piques et à toutes les insultes. Ce que vous dites, en réalité, n’a aucun sens, si ce n’est peut-être que ce chemin des sept jours, c’est celui que vous avez parcouru au cours des cinq années précédentes !

Mme Catherine Coutelle. Très bien !

M. Pierre Moscovici, ministre. Les Français vous ont mis au repos, compte tenu de l’échec retentissant de votre politique sur les déficits, le chômage, la dette, l’emploi, l’industrie et la compétitivité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Votre question ne mérite pas d’autre réponse, si ce n’est pour dire que ce gouvernement, sous l’impulsion du Président, travaille à redresser un pays…

M. Daniel Fasquelle. Ça se saurait !

M. Pierre Moscovici, ministre. …que vous avez laissé dégradé, affaibli et divisé. Il travaille à relancer la compétitivité et l’emploi et, s’agissant de l’Europe, il travaille à redonner un sens à la construction européenne.

Monsieur Dord, la conclusion vous appartient : puisque vous êtes au septième jour, reposez-vous, car vous en avez besoin ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP ainsi que sur quelques bancs du groupe GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Enseignement supérieur

M. le président. La parole est à Mme Marie-Odile Bouillé, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie-Odile Bouillé. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Le vote solennel sur le projet de loi que vous avez présenté la semaine dernière, madame la ministre, interviendra cet après-midi dans l’hémicycle. C’est une grande ambition pour l’enseignement supérieur, pour la recherche et pour la réussite des étudiants.

Alors que l’UMP avait fait le choix de se désengager, confondant autonomie de gestion et défausse financière, notre majorité de gauche a décidé de faire de l’université un levier puissant pour conduire le redressement de notre pays.

M. Claude Goasguen. Sous tutelle !

Mme Marie-Odile Bouillé. Votre loi construit un cadre qui repositionne la France dans le monde de l’enseignement supérieur, et notamment de la recherche.

Citons quelques exemples d’avancées contenus dans votre loi : la lutte contre l’échec en licence à l’université – c’est essentiel –, le renforcement des IUT et des BTS qui intégreront mieux les étudiants issus des filières technologiques et professionnelles.

Dans ma ville, à Saint-Nazaire, nous constatons la pertinence et l’efficacité des IUT pour fortifier le tissu économique et faciliter le transfert de technologies. Que ces établissements soient placés au cœur du dispositif est une excellente nouvelle.

Citons également la simplification de la cartographie universitaire, l’élargissement des cours dispensés en anglais.

M. Jacques Myard. Non !

Mme Marie-Odile Bouillé. Ce n’est pas rétrécir la francophonie que de le faire. C’est au contraire accentuer notre ouverture sur le monde, le décloisonnement des secteurs avec un encouragement au rapprochement entre universités, grandes écoles et grands laboratoires.

Oui, nous croyons que les mesures adoptées dans votre loi vont positionner notre pays dans la bataille de l’intelligence, qu’il nous faut gagner pour mieux redresser notre économie.

M. Yves Nicolin. Baratin !

Mme Marie-Odile Bouillé. Nous soutenons cet effort et nous sommes fiers d’adopter cet après-midi votre loi ambitieuse.

Madame la ministre, pouvez-vous nous dire quelles grandes avancées peuvent être attendues ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Cette loi va rester dans les annales de la République, c’est sûr !

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la députée, la priorité numéro un de ce texte de loi, qui a été débattu la semaine dernière à l’Assemblée, avec un très bon niveau de débat – j’en remercie tous les participants –, est la réussite des étudiants.

C’est la raison pour laquelle les principales organisations étudiantes soutiennent ce texte…

M. Daniel Fasquelle. C’est faux !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. …qui les concerne directement. Car le constat est sans appel. Malgré les promesses, malgré un plan « Licence » qui a coûté près d’un milliard d’euros à la nation, la réussite des étudiants en licence a reculé de 5 % depuis 2006 dans notre pays et l’ascenseur social a régressé durablement.

La loi d’orientation fixe l’objectif ambitieux d’atteindre 50 % d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur. C’est conforme aux aspirations des jeunes et des familles et cela répond aux attentes de la société et aux besoins de notre économie.

Comment la loi prévoit-elle la réussite des étudiants ?

En privilégiant, d’abord, l’orientation des titulaires de bacs professionnels et technologiques dans les sections qui leur sont adaptées, c’est-à-dire, respectivement, en STS – sections de technicien supérieur – et dans les IUT. Nous les accompagnerons dans cette réussite. En misant également davantage sur l’insertion professionnelle et l’ouverture au monde socio-économique.

C’est pourquoi nous souhaitons doubler l’alternance dans le supérieur et développer des stages mieux encadrés dès le premier cycle qui fassent partie intégrante de la formation, pas des stages bidons.

M. Marc-Philippe Daubresse. C’est la décadence !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. En simplifiant, en outre, le maquis des diplômes et en rendant l’offre de formation plus lisible pour les jeunes comme pour les employeurs.

La deuxième priorité de ce texte est de donner une nouvelle ambition à la recherche, en préservant la recherche fondamentale – nous sommes les sixièmes mondiaux –, et en poussant la recherche technologique, là où nous sommes seizièmes seulement, pour arriver à l’emploi, en transformant l’invention en emplois.

Cette loi est une loi de progrès. Nous allons créer 1 000 postes par an, soit 5 000 postes pendant le quinquennat.

M. Yves Nicolin. Baratin !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Une méthode, un cap, des moyens : voilà la loi de l’ambition et du redressement de ce pays ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Rapport de la Cour des comptes
sur la gestion des personnels enseignants

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Claude Goasguen. Ma question s’adresse au ministre de l’éducation nationale. « Gérer les enseignants autrement », voilà qui pourrait n’être que l’intitulé de ma question. En réalité, il s’agit du titre du rapport sur l’éducation nationale rendu la semaine dernière par la très sérieuse Cour des comptes. Sa conclusion est simple : l’augmentation quantitative des enseignants ne fait pas la qualité des enseignements. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Dufau. Sa diminution non plus !

M. Claude Goasguen. Personne n’y trouve son compte, ni les élèves, ni les enseignants. Votre plan d’embauche de 60 000 enseignants, monsieur le ministre – pourquoi, d’ailleurs, 60 000 plutôt que 50 000 ou 80 000, nous attendons des explications – ne change rien à la situation.

M. Franck Gilard. C’est pour les syndicats, peut-être !

M. Claude Goasguen. Cette politique de massification plombe le budget de l’État. Le moral des enseignants est à la baisse, car ils attendaient une juste revalorisation de leur métier. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Vous remettez en cause les salaires en les bloquant, monsieur le ministre, et vous avez supprimé les heures supplémentaires comme leur défiscalisation. Vous ne parvenez pas à recruter de nouveaux enseignants d’un niveau satisfaisant. Tout cela ne s’améliorera pas, au contraire !

Le président socialiste de la Cour des comptes, Didier Migaud, a fait tomber un tabou, que les syndicats conservateurs et vous-mêmes, monsieur le ministre, avez tenté de faire perdurer : la quantité ne fait pas la qualité de l’éducation nationale ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yves Durand. Non ! Ce n’est pas ce qu’il a dit !

M. Claude Goasguen. Il est temps, monsieur le ministre, de tenir compte de tant d’années de croyance infondée ! La Cour des comptes vous le dit, vous faites fausse route ! Quand cesserez-vous, monsieur le ministre, de vous draper dans une idéologie rétrograde, voire réactionnaire, pour travailler à la qualité de l’enseignement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le député, la Cour des comptes a rendu un rapport portant sur les années antérieures à 2012. Il ne juge donc pas notre politique. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Il établit très nettement ce que nous avons toujours dit : une politique quantitative ne suffit pas, il faut aussi une politique de réforme ! La vôtre était obsédée par la quantité : 80 000 suppressions de postes pour des raisons exclusivement financières ! Ce faisant, vous n’avez mené à bien aucune des grandes réformes dont notre éducation nationale a besoin ! Au contraire, vous l’avez affaiblie en supprimant la formation des professeurs, dont le rétablissement est la première recommandation de la Cour des comptes et sera mis en œuvre dès l’année qui vient.

Vous évoquez, monsieur le député, les salaires. La revalorisation dans l’enseignement primaire accordée par Luc Chatel, que vous pouvez consulter, au cours de sa dernière année au ministère, s’est élevée à 70 millions d’euros. Le rétablissement d’une année de stage dès la rentrée 2013 mobilisera 800 millions d’euros destinés aux salaires des enseignants !

M. Marc-Philippe Daubresse. Aux frais du contribuable !

M. Vincent Peillon, ministre. Nous travaillons, avec les moyens que nous avons demandés, aux conditions de la réussite scolaire, à l’accueil des moins de trois ans que vous avez détruit, aux moyens de remplacement dans l’école primaire et à la formation des enseignants. Opposer sans cesse le quantitatif et le qualitatif comme vous le faites, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, c’est de l’archaïsme ! Nous, nous utilisons les moyens pour conduire les réformes dont dépend la réussite éducative.

En dix ans, vous avez laissé une dette financière, mais vous avez également laissé une dette éducative cruelle pour notre pays ! Nous œuvrons, nous, au redressement et conduisons les réformes que vous auriez voulu faire mais dont vous n’avez eu ni les moyens ni le courage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Refondation de l’école

M. le président. La parole est à Mme Martine Faure, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Martine Faure. Ma question s’adresse à M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, mais je tiens d’abord à regretter la caricature dont font l’objet le rapport de la Cour des comptes ainsi que les deux projets de loi illustrant parfaitement l’engagement du Président de la République et du Gouvernement en faveur de la jeunesse et de l’éducation ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Les deux projets dont nous parlons, celui de Mme la ministre de l’enseignement supérieur et la recherche et celui que vous portez, monsieur le ministre de l’éducation nationale, sont véritablement des illustrations de la future refondation de l’école. Ils s’inscrivent dans une seule et même démarche : refonder la maison école de la maternelle à l’université en veillant à la réussite de tous les élèves et transformer le succès scolaire en une insertion professionnelle améliorée car choisie.

Consciencieusement amendé, précisé et renforcé par le travail des députés et des sénateurs, le projet de loi de refondation offre aujourd’hui de nombreuses garanties relatives à la lutte contre les inégalités sociales et territoriales, à l’accueil de tous les enfants dans une école inclusive, à la formation initiale et continue de tous les enseignants et à la présence de tous les partenaires de la communauté éducative, en particulier les parents. Il comporte plusieurs points majeurs, comme la redéfinition du socle commun et la familiarisation avec l’habileté linguistique grâce à l’apprentissage des langues étrangères dès le CP. Voté au Sénat à l’unanimité, le texte nous est présenté aujourd’hui pour la deuxième lecture. Monsieur le ministre,…

M. le président. Merci, madame la députée.

La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Madame la députée, le changement à la rentrée 2013 se mesurera d’abord, après cinq années de décisions de la droite consistant à sabrer dans les effectifs des professeurs qu’elle aime tant, à la création de 6 770 postes d’enseignants, pour la première fois depuis longtemps dans ce pays. Ces enseignants seront tous devant les élèves, la moitié dans l’enseignement primaire afin de mieux accueillir les enfants de moins de trois ans et d’améliorer la réussite dans les écoles primaires, en particulier au cours préparatoire, les autres dans l’enseignement secondaire dont les effectifs augmentent. Simultanément, ceux qui veulent devenir professeurs bénéficieront à nouveau d’une formation dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, car l’année de stage sera rétablie.

À la rentrée 2013, les enfants en situation de handicap trouveront des personnels pour les accueillir. À la rentrée 2013, le service public du numérique éducatif sera enfin mis en œuvre au bénéfice de 30 000 élèves des zones d’éducation prioritaires en matière d’aide aux devoirs. Les parents pourront suivre les progrès de leurs enfants en CP et les langues vivantes seront enfin accompagnées. À la rentrée 2013, le Conseil supérieur des programmes sera mis en place et vous y participerez, mesdames et messieurs les députés, afin de refaire enfin les programmes et de mettre en œuvre le parcours d’éducation artistique et culturel, la morale laïque, la langue vivante dès la première année de primaire et le parcours d’orientation et d’information. La refondation de l’école de la République est en marche, elle durera jusqu’à la fin du quinquennat ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Politique pénale et pénitentiaire

M. le président. La parole est à M. Yves Albarello, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Yves Albarello. Monsieur le président, je voudrais d’abord rappeler de façon dépassionnée que, tout au long du précédent mandat présidentiel, les membres de l’actuelle majorité n’ont eu de cesse de salir la personne de Nicolas Sarkozy ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Monsieur le Premier ministre, vous le savez, la France gronde ! Le mécontentement est réel face aux attaques en règle que vous conduisez contre la politique familiale, bien sûr, comme on a pu le voir dimanche dernier. (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Mais il est de nombreux autres aspects de votre politique qui sont contestés. C’est le cas de votre politique pénale et pénitentiaire : aujourd’hui, les directeurs de prison n’en peuvent plus de vous voir raboter leurs crédits, et ils sont dans la rue pour contester vos choix et faire connaître leurs inquiétudes. En effet, vous détricotez méthodiquement, à longueur de journées, les mesures que nous avions prises pour lutter contre la récidive. (Même mouvement.)

En matière de politique pénitentiaire, c’est la même chose. Alors que notre majorité avait voté une loi pénitentiaire pour créer 24 000 nouvelles places dans les prisons, vous avez diminué de 40 % les autorisations d’engagement. Les chiffres sont incontestables : il y a 67 839 détenus pour 57 000 places. Alors qu’il en manque 11 000, vous envisagez de n’en créer que 6 000 ! La surpopulation est à l’origine des tensions et violences dans les établissements pénitentiaires.

Par ailleurs, vous avez récemment adressé une circulaire pour enjoindre aux parquets de ne pas requérir de prison ferme pour les courtes peines. Bref, voilà revenu le temps de l’angélisme ! En matière de sécurité et de justice, les Français voient bien que « le changement, c’est maintenant ! ». Avant, la délinquance baissait et les délinquants pouvaient craindre une politique pénale ferme. Aujourd’hui, l’impunité reprend ses droits ! (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Quand allez-vous délaisser l’idéologie pour enfin conduire une politique pénale…

M. le président. Merci, cher collègue.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, effectivement, un mois et demi avant les élections de l’année dernière, votre majorité a adopté un plan de construction d’établissements pénitentiaires prévoyant 80 000 nouvelles places, sans un euro de crédits de paiement. « Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.) Vous avez, par ailleurs, distribué des lettres à de nombreux députés et sénateurs, par lesquelles vous leur promettiez la création d’établissements dans leurs circonscriptions, sans l’ombre d’une étude préalable ! (« Ce n’est pas vrai ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Ce gouvernement ne joue pas à cache-cache : ni avec les personnels pénitentiaires, ni avec les magistrats, ni avec les parlementaires, ni avec les Français. Il n’annonce que des projets financés, notamment la rénovation de nos grands établissements pénitentiaires…

Plusieurs députés du groupe UMP. C’était déjà prévu !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …que vous avez laissés dans un état de grand délabrement, scandaleux pour une République. Nous prévoyons également 6 500 places supplémentaires, entièrement financées.

Durant le dernier quinquennat, vous avez fait croire aux personnels pénitentiaires que vous alliez modifier leur statut, sans finalement faire quoi que ce soit. Juste avant les élections, vous avez adopté un décret supprimant plus de 40 % de leurs logements,…

M. Marc-Philippe Daubresse. C’est faux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …des logements que, grâce au Premier ministre, nous avons réussi à maintenir en totalité.

Nous avons consacré 7 millions d’euros à l’indemnitaire, et 17 millions d’euros sur le budget triennal, de façon à permettre des promotions professionnelles. Autrement dit, monsieur le député, vous n’êtes vraiment pas en position de critiquer la politique de ce gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je vous rappelle que les lois qui produisent aujourd’hui de la surpopulation carcérale, ce sont les lois que vous avez votées ! Nous ne les avons pas encore modifiées, mais cela viendra très prochainement ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Lutte contre le chômage des jeunes

M. le président. La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Michel Piron. Monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, le Président de la République présente aujourd’hui, conjointement avec le gouvernement allemand, un plan pour lutter contre le chômage des jeunes. Ce plan est soutenu par l’Union européenne, qui débloquerait un budget de 6 à 16 milliards d’euros.

On pourrait voir là un motif de consensus, sachant que le taux de chômage des jeunes est certainement l’un des symptômes les plus graves de la crise qui menace la cohésion de nos sociétés. Dans la zone euro, ce taux s’élève à 24 %, et même à 56 % en Espagne et à 38 % en Italie. En France, il atteint 23 %, contre 7,6 % en Allemagne – soit trois fois moins que chez nous.

Dans le même temps, outre-Rhin, le nombre d’apprentis est trois fois supérieur au nôtre : 1,5 million de jeunes Allemands sont en apprentissage, contre seulement 400 000 jeunes Français – 600 000 si l’on compte les jeunes en alternance. Alors que l’on pourrait voir chez nos voisins un exemple à suivre, le gouvernement français fait tout le contraire, en relevant l’âge d’entrée en apprentissage quand les Allemands l’abaissent à treize ans. Pourquoi ?

Comment ne pas établir un lien entre ces trois données : taux de chômage, taux d’apprentissage, âge de l’apprentissage ? Si vous faites ce lien, monsieur le ministre, comment et quand comptez-vous vous inspirer de ce qui fonctionne le mieux chez nos voisins, en mettant en place une vraie politique en faveur de l’apprentissage à destination des jeunes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, je vous remercie pour cette question, portant sur un sujet éminemment sérieux et posée sur un ton constructif.

Comme vous le savez, les ministres des finances et les ministres du travail français et allemand ont travaillé ce matin à l’élaboration d’un plan concret et rapide de soutien à l’emploi des jeunes dans l’Union européenne. Vous avez donné les chiffres en toute objectivité. Quand un quart – 24 %, pour être précis – des jeunes Européens de moins de 25 ans sont au chômage, comment voulez-vous qu’ils aient confiance, non seulement dans leur avenir, mais dans l’Europe elle-même ? Leur redonner la possibilité, soit de travailler, soit de bénéficier d’une formation – parfois d’une formation initiale –, d’un stage ou d’un apprentissage, est indispensable pour que nos économies se portent mieux et puissent repartir avec confiance.

C’est à cela que nous travaillons, en particulier au développement de l’apprentissage et, plus largement, de l’alternance – car l’apprentissage à la mode allemande n’est pas exactement de même nature que l’apprentissage à la mode française. En France, nous avons des lycées professionnels, qui n’existent pas en Allemagne. Il faudrait donc regarder le nombre total de jeunes formés soit en lycée professionnel, soit en apprentissage, pour prendre la vraie mesure de l’effort accompli dans ce domaine par la France. Déjà important, cet effort augmente encore : le nombre d’apprentis a connu une hausse de 1 % en 2012. Mais ce n’est pas suffisant : nous nous sommes fixé pour objectif un chiffre de 500 000 apprentis au cours des prochaines années, et mettons en place les dispositifs nécessaires pour cela.

Je vous proposerai, dans quelques mois, une réforme permettant de réaffecter à l’apprentissage le produit des taxes d’apprentissage : aujourd’hui, 60 % seulement de ces taxes vont à l’apprentissage, ce qui n’est pas normal. Monsieur le député, je suis persuadé que, dans les semaines et les mois qui viennent, nous pourrons nous retrouver pour une grande réforme en faveur de l’apprentissage. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Politique du gouvernement

M. le président. La parole est à M. Céleste Lett, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Céleste Lett. Monsieur le Premier ministre, en tant que chef de file du pouvoir exécutif vous êtes responsable de cette première année de gouvernance désastreuse, au cours de laquelle vous avez accompli les « dix plaies d’Égypte », mais en moins de temps qu’il n’en avait fallu à l’époque !

Désastreuse, tout d’abord, sur le plan économique et budgétaire. La France est en crise – vous venez de le découvrir –, mais le Président de la République a choisi des outils inadaptés à la situation, alors que vous avez supprimé ceux que Nicolas Sarkozy et la majorité précédente avaient mis en place.

Désastreuse, ensuite, du point de vue de l’emploi : on compte 1 300 chômeurs de plus par jour. Toutefois, il y a fort à parier que, si vous utilisez le même outil pour compter les chômeurs que celui que vous avez régulièrement utilisé jusqu’à présent pour compter les manifestants contre le mariage pour tous, votre courbe s’inversera en fin d’année ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Désastreuse aussi sur le plan moral : la réforme sur la moralisation de la vie politique que vous entendez mener doit masquer l’affaire Cahuzac. Si François Hollande a demandé à tout le monde d’assumer la transparence sur les finances privées, il refuse la vérité sur les comptes publics.

Désastreuse sur le plan de la cohésion sociale : le Président de la République devait rassembler ; il a divisé.

Désastreuse s’agissant de la réforme de nos institutions : les conseillers territoriaux ont laissé la place aux binômes cantonaux, ce qui témoigne d’un mépris envers la France rurale. D’ailleurs, dans le même esprit que le mariage pour tous, pourquoi n’avez-vous pas imaginé des binômes de même sexe dans les cantons ? (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Bref, cette réforme sent le tripatouillage qui ne trompera plus personne.

Monsieur le Premier ministre, mes questions sont simples et modérées : quand cesserez-vous cette politique « oxymorisée » ? Vous connaissez cette figure de style littéraire : l’oxymore, c’est le clair-obscur, le silence assourdissant, mais aussi votre figure de style politique.

M. Bernard Roman. Affligeant !

M. Céleste Lett. Quand changerez-vous la boîte à outils ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député, j’ai l’impression que l’opposition inaugure une nouvelle formule pour les questions d’actualité, consistant à mélanger la polémique – sans poser de questions – et des descriptions caricaturales de la politique, de l’action générale du Gouvernement, auxquelles vous mêlez de surcroît la religion.

M. Claude Goasguen. Ah bon ?

M. Pierre Moscovici, ministre. Après les sept jours, voici en effet les dix plaies d’Égypte ! Disant cela, vous négligez le fait que nous sommes dans un lieu qui n’est autre que le cœur de la République et qui doit être marqué par la laïcité, à laquelle nous sommes tous extrêmement attachés. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et RRDP.)

Je ne vais pas vous répondre très longuement, d’autant que je n’ai pas vu où était l’oxymore, si ce n’est dans votre propre présentation de la politique que nous suivons.

Les choses sont assez simples : la France, en 2012, était un pays qui avait besoin d’être redressé – car une politique conduisant, depuis dix ans, à sa dégradation avait laissé l’emploi affaibli, l’industrie menacée et la dette publique à un niveau indigne –, et c’est ce que nous faisons, patiemment et méthodiquement. Nous redressons les comptes publics, lesquels, si nous n’avions pas agi, auraient atteint un niveau de déficit supérieur à 5,5 % du PIB au cours de l’année 2012. Nous désendettons le pays pour lui redonner de la souveraineté, nous combattons pour l’emploi, nous militons pour le redressement productif, nous mettons en œuvre des réformes de structure. Bien sûr, cela prend du temps ; évidemment, les Français sont en attente des résultats. Mais c’est ainsi qu’il faut changer les choses et nous continuerons à agir de façon cohérente, résolue, déterminée, offensive, comme l’a dit le Président de la République.

Ne vous en déplaise, c’est de la sorte que la politique se grandit et non pas par vos insultes, vos attaques et vos caricatures, lesquelles, franchement, donnent une image lamentable du débat politique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Taxes sur les transactions financières

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Luc Laurent.Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances.

Le projet de création d’une taxe sur les transactions financières – la « taxe Tobin européenne » – a connu une avancée majeure. Malgré les oppositions importantes de certains États membres, Grande-Bretagne en tête, et la virulence des lobbies de la finance, l’Union européenne, ayant constaté l’impossibilité d’avancer ensemble à vingt-sept, a pu ouvrir la voie – sans que les oppositions soient suffisantes pour bloquer le projet – à une coopération renforcée à onze.

En effet, la Commission européenne a déposé un projet de directive qui prévoit la taxation des actions, des obligations et des produits dérivés tout en s’assurant de son effectivité, face au risque de délocalisation, par le double principe d’émission et de résidence.

La taxe Tobin, mes chers collègues, on en parlait beaucoup depuis des années ; on a même fait mine, à une époque, de la créer. À présent, on la fait.

Les difficultés demeurent toutefois nombreuses. Le diable se nichant dans les détails, les onze États volontaires doivent s’accorder sur l’assiette exacte en tenant compte des spécificités financières de chaque nation.

La Commission estime la recette de cette taxe au montant, non négligeable, conséquent de 30 milliards d’euros. Il convient à présent de s’accorder sur la destination de cette recette nouvelle, qui peut permettre de faire beaucoup, en particulier d’investir et d’accompagner une politique de compétitivité qui ne repose pas sur l’écrasement des systèmes sociaux.

Dans le contexte actuel de conflit ouvert entre la finance et l’économie réelle, la création de cette taxe doit être une priorité, même si la date de son application fait aujourd’hui débat.

Par ailleurs, le dialogue avec l’Allemagne doit être d’une amicale franchise.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quelle est la position de la France sur ce projet de taxe sur les transactions financières ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Philippe Armand Martin. Et du chômage !

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député, vous l’avez dit : tandis que certains ont parlé de la taxe Tobin sans y croire, parce qu’en vérité ils ne partageaient pas l’idée, d’autres – c’est notre cas – sont en train de la faire. Vous savez que c’était un engagement fort du Président de la République que de créer une taxe sur les transactions financières. Dès le Conseil européen de juin 2012, il a obtenu que cela soit inscrit dans l’agenda dit de croissance, à propos duquel la France a arraché un accord. Puis, le 22 janvier 2013, le conseil des ministres de l’économie et des finances, avec les Allemands et les Français, a obtenu la création de ce que l’on appelle une coopération renforcée, qui associe onze pays, qui veulent créer cette taxe entre eux.

Toutefois, le mécanisme des coopérations renforcées n’est pas des plus simples, ce qui complique un peu les choses. Non seulement les onze pays en question doivent se mettre d’accord, mais ce doit être également le cas des seize autres – qui seront bientôt dix-sept. Nous travaillons sur la base d’une proposition de la Commission, qui est de valeur mais qui doit encore être améliorée.

J’en viens aux trois objets de votre question. S’agissant de la date, nous voulons aller vite, car notre volonté politique est intacte…

M. Claude Goasguen. Pas trop vite, quand même !

M. Pierre Moscovici, ministre. …et nous voulons aller fort, et nous souhaitons faire beaucoup mieux que la taxe sur les transactions financières qui existe en France à l’échelle nationale.

Par ailleurs, nous souhaitons une assiette large, qui porte évidemment sur les devises – conformément au principe de la taxe Tobin –, mais aussi sur certaines transactions sur produits dérivés, parce que c’est là que se niche la spéculation.

Enfin, s’agissant de l’affectation de la taxe, s’il est trop tôt pour entrer dans les détails, deux destinations doivent être visées : une partie doit être affectée au développement – c’est la philosophie même de cette taxe – et une autre partie à l’économie. Ce matin, s’exprimant sur le chômage des jeunes, le Président de la République a d’ailleurs évoqué la possibilité d’en affecter une partie à un budget de la zone euro qui aurait un rôle contracyclique.

En tout état de cause, monsieur le député, nous voulons aller vite et nous voulons aller fort : il s’agit en effet d’un objectif politique majeur dont je sais qu’il est soutenu par toute la majorité (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Rémunération des patrons

M. le président. La parole est à Mme Eva Sas, pour le groupe écologiste.

Mme Eva Sas. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances.

Monsieur le ministre, vous avez récemment déclaré qu’il n’y aurait pas de projet de loi spécifique sur la rémunération des dirigeants d’entreprise, rompant ainsi avec les déclarations de la porte-parole du Gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, qui assurait en mars dernier qu’une loi visant à encadrer les salaires des grands patrons du secteur privé verrait le jour avant l’été.

M. Claude Goasguen. Bravo !

Mme Eva Sas. Pourtant, partout se développe un mouvement pour réguler les rémunérations extravagantes. Le Parlement européen a voté la limitation des bonus des traders. Michel Barnier s’est quant à lui prononcé pour un vote contraignant des actionnaires sur les rémunérations des dirigeants.

La Suisse a légiféré dans le même sens, interdisant même les retraites chapeaux et les parachutes dorés. À la suite de ce vote, le Premier ministre français avait réagi en disant : « Les Suisses nous montrent la voie. »

Malgré ce contexte, vous avez finalement opté en faveur d’une autorégulation par les organisations patronales. Faut-il rappeler que la solution de l’autorégulation a déjà été appliquée dans le cadre des recommandations AFEP-MEDEF de 2003, dont les dispositions ont été renforcées en 2008 ? À l’époque, cette autorégulation avait déjà été mise en place en urgence par le MEDEF pour éviter une loi. A-t-elle montré son efficacité ?

Bien sûr, dans un premier temps, en 2009, sous le feu des projecteurs, les rémunérations des dirigeants avaient diminué. Mais dès l’année suivante, alors que les salaires des ouvriers et des employés baissaient, que ceux des cadres et des professions intermédiaires stagnaient, les rémunérations des dirigeants du CAC 40 augmentaient, elles, de 34 %, puis de nouveau de 4 % en 2011.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, pourquoi avoir choisi de ne pas légiférer sur ce sujet ? Peut-on laisser perdurer dans notre pays des rémunérations extravagantes à l’heure où nous demandons tant d’efforts aux Français ? N’est-il pas temps de changer de cap et d’aller vers plus d’équité et plus de régulation ? (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et GDR ainsi que sur quelques bancs du groupe RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Madame la députée, je vous remercie de votre question, qui me permet de préciser mon point de vue. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Permettez-moi tout d’abord d’insister sur le fait que nous n’avons renoncé à rien. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous n’avons pas renoncé à l’ambition de lutter contre les rémunérations indécentes et de répartir les responsabilités de façon plus équitable dans l’entreprise.

Surtout, nous n’avons pas renoncé à l’action et nous avons déjà agi, vous le savez : nous avons agi dans les entreprises publiques en plafonnant les rémunérations des dirigeants. Nous avons agi au niveau européen. Vous évoquiez la directive CRD 4 sur les bonus des traders, mais c’est parce que la France était en pointe que ces sujets-là ont avancé.

Nous n’avons pas renoncé à légiférer. Nous l’avons d’ailleurs déjà fait, dans le cadre de la loi sur la sécurisation de l’emploi, en faisant en sorte que les salariés soient présents dans les conseils d’administration. Mais nous allons encore le faire, et de la manière la plus forte. Je rappelle que, dans le prochain projet de loi de finances, nous créerons une taxe de 75 % sur les rémunérations supérieures à 1 million d’euros, acquittée par l’employeur pour deux ans. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). S’il ne s’agit pas d’une mesure permettant de lutter contre les rémunérations indécentes, quelle mesure répond à cette définition ?

Mais, madame la députée, je tiens à vous dire que je veux aller plus loin avec ce qu’on appelle le say on pay, (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) c’est-à-dire le pouvoir conféré aux assemblées générales d’actionnaires d’examiner les rémunérations des dirigeants.

Je souhaite également qu’on limite le nombre de mandats d’administrateurs susceptibles d’être exercés par une même personne physique. Je veux qu’on lutte contre les rémunérations excessives et indécentes et contre un certain nombre de formes de rémunérations exceptionnelles. Je souhaite qu’on mette en place des mécanismes de contrôle.

Vous le voyez, nous n’avons pas renoncé. J’ai choisi, il est vrai, le dialogue, mais je tiens à préciser que celui-ci sera exigeant et vigilant. C’est la raison pour laquelle j’ai confié une mission à une personne que vous connaissez, Mme Narassiguin, qui a présidé au sein de votre assemblée une mission parlementaire sur le sujet.

Au terme de ces travaux, nous examinerons la bonne formule : agir par le dialogue ou légiférer, la porte est ouverte. Il nous appartient à tous d’agir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discours du Président de la République à Leipzig

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guillaume Chevrollier. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Notre Président de la République est le maître du double jeu : en dehors de nos frontières, il vante des politiques qu’il n’applique pas en France.

Un très bon exemple de ce double langage est le discours qu’il a prononcé à Leipzig, où il a jugé bon de se rendre pour fêter le 150e anniversaire du parti social-démocrate allemand. Il y a fait l’éloge de l’unité – très bien –, mais il a aussi loué l’action de ses camarades socialistes allemands, qui ont su lutter pour l’emploi avec le succès que l’on connaît.

Notre Président va-t-il enfin apporter à notre pays les réformes dont il a besoin ? Ses propos ont relancé notre espoir : « Le progrès, c’est aussi de faire des réformes courageuses pour préserver l’emploi […]. On ne construit rien de solide en ignorant le réel. […] Le réformisme, ce n’est pas l’acceptation d’une fatalité mais l’affirmation d’une volonté. »

M. Michel Vergnier. Très bien !

M. Guillaume Chevrollier. Mais les intentions courageuses n’ont été que de courte durée, car notre Président s’est ensuite défaussé en disant : « […] tout n’est pas transposable. Nos pays sont différents. »

Monsieur le Premier ministre, quand votre Gouvernement entreprendra-t-il donc les réformes structurelles dont notre pays a besoin pour redresser le niveau de l’emploi : donner sa place au travail au lieu d’en alourdir le coût, comme vous l’avez fait pour les heures supplémentaires des ouvriers et des employés ; aider les entreprises au lieu de les taxer ; baisser les dépenses publiques qui gangrènent notre budget ; rendre le moral aux Français au lieu d’augmenter leurs impôts et leurs contraintes, des hausses qui frappent tout le monde, y compris les retraités et, désormais, les familles, avec la réforme des allocations familiales ?

Monsieur le Premier ministre, quand les socialistes français lutteront-ils efficacement contre le chômage ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Tout d’abord, je remercie M. Chevrollier d’avoir évoqué « notre » Président de la République, car celui-ci est en effet le président de tous les Français et vous ne devriez pas, sur certains bancs, l’oublier.

Quant au 150e anniversaire du SPD, il n’y a pas d’anomalie à ce que le Président de la République s’y soit rendu. Permettez-moi de souligner les raisons qui le justifiaient. Le SPD a été – avec l’autre grand parti allemand, la CDU-CSU – l’un des deux piliers de la reconstruction de la démocratie en Allemagne et de la lutte contre le nazisme. C’est la raison pour laquelle – vous l’avez sans doute remarqué – Mme Merkel était également présente à cet anniversaire. C’est une forme de dignité du débat public qu’il faut saluer et dont chacun devrait s’inspirer.

Le Président de la République a prononcé un discours dans lequel il a fait l’éloge du courage, du réformisme, de la capacité, au besoin, à bousculer certains tabous. C’est ce que nous faisons : nous menons une politique réformiste, courageuse.

M. Guillaume Chevrollier. Non !

M. Pierre Moscovici, ministre. Hier, j’ai passé la journée en Seine-Maritime et dans la Somme pour voir comment les entreprises appliquaient le crédit d’impôt compétitivité emploi. Je tiens à dire ici que cette mesure fonctionne : le préfinancement est en place, la Banque publique d’investissement a été rejointe par les banques privées. Cet effort pour la compétitivité est sans précédent.

Vous savez également que nous avons réformé le marché du travail. Nous l’avons évoqué ce matin avec M. Michel Sapin, Mme Ursula von der Leyen et M. Wolfgang Schäuble. C’est la plus importante réforme du marché du travail qui a été faite depuis quarante ans.

En matière de réforme – de réforme réelle, permettant le progrès – comme en matière de courage, nous n’avons vraiment pas de leçons à recevoir de vous…

M. Claude Goasguen. La France va bien !

M. Pierre Moscovici, ministre. …car c’est en effet ce pays que nous voulons transformer, redresser, auquel nous voulons ouvrir des perspectives. Celles-ci viendront avec ce travail patient, acharné, positif, en prenant l’offensive ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Lutte contre la fraude aux prestations sociales

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé du budget.

Depuis quelques semaines, le Gouvernement a décidé d’envoyer le feu divin sur les évadés fiscaux en légalisant les écoutes téléphoniques, les infiltrations et les sources illicites. De quoi faire des envieux au sein des forces de l’ordre, monsieur le ministre, qui aimeraient que vous exerciez le même zèle contre l’insécurité !

Rien de mieux pour faire oublier votre « mur des condamnés », qui ne cesse de se remplir depuis quelques semaines, et votre prédécesseur, à qui vous donniez de larges accolades fraternelles aux sons de « Ce n’est qu’un au revoir… »

Prenant acte de votre détermination, j’aimerais appeler votre attention sur un autre type de fraude dont le Gouvernement n’a pas l’air de se soucier. Je veux parler de la fraude sociale, c’est-à-dire le travail au noir, la fraude aux allocations familiales, à l’assurance maladie et aux retraites.

Selon le rapport de notre collègue Dominique Tian publié en 2011, elle représente 20 milliards d’euros par an, soit deux tiers des augmentations d’impôts votées l’an dernier. Elle s’accompagne d’une montée inquiétante des réseaux organisés et des filières d’immigration sanitaire et sociale.

Sous prétexte de ne pas stigmatiser, vous laissez s’instaurer l’impunité et l’injustice, au profit des professionnels de l’arnaque. Bientôt, vous durcirez le régime des retraites alors que d’autres prospèrent dans l’abus. Bientôt, vous supprimerez l’universalité des allocations familiales et en diminuerez le montant pour les classes moyennes. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Cela, alors même que la Cour de cassation a ouvert le 5 avril dernier ces aides à tous les immigrés parents d’enfants nés à l’étranger, souhaitant les faire venir en France hors procédure de regroupement familial : je parle donc de l’ouverture de ces aides aux parents polygames. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Cette question s’adresse au ministre du budget, en tant que grand argentier de l’État, mais aussi à Mme la ministre de la santé : comment pouvez-vous ignorer le scandale de la fraude sociale, quand vous en demandez sans cesse plus aux classes moyennes, tout juste bonnes selon vous à payer pour le fraudeur, le casseur et le polygame ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Gilbert Collard. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Madame la députée, comme toujours, vous aurez usé de tout votre sens de la nuance pour poser cette question. S’il y a bien une constance dans vos propos, c’est de dénigrer, de diviser et d’opposer les Français les uns aux autres ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR. - Protestations sur quelques bancs du groupe UMP.)

Le Gouvernement est fortement engagé dans la lutte contre la fraude sociale, non pour éviter de faire des économies par ailleurs, mais parce qu’aucune fraude ne peut être acceptée dans notre pays. Au nom de la justice et de la République, aucune fraude ne peut être tolérée !

C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale – vous n’étiez pas présente sur ces bancs lors de la discussion du projet –, nous avons fait voter le renforcement des sanctions envers les fraudeurs.

Ces fraudeurs sont principalement des employeurs, qui ne déclarent pas leurs salariés qu’ils embauchent au noir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Ainsi, madame la députée, nous avons fait en sorte d’empêcher que les entreprises qui font travailler des sous-traitants ayant recours au travail au noir puissent bénéficier d’exonérations sociales.

En ce jour où nous célébrons le Conseil national de la Résistance, la République et les valeurs de la solidarité,…

M. Gilbert Collard. Bravo !

Mme Marisol Touraine, ministre.… la seule chose que vous trouviez à faire est d’opposer les Français les uns aux autres (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP), de stigmatiser ceux qui ont besoin de notre modèle social, de notre soutien et de l’aide de la République.

Je vous le dis, madame la députée : qu’ils soient Français ou étrangers, qu’ils soient issus des classes moyennes ou des classes populaires, qu’ils habitent dans le Nord ou dans le Sud, ceux qui ont besoin de la République, ceux qui ont besoin de la sécurité sociale nous trouveront à leurs côtés. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Lutte contre les violences faites aux femmes

M. le président. La parole est à Mme Dominique Chauvel, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Dominique Chauvel. Ma question s’adresse à Mme la ministre des droits des femmes.

Madame la ministre, vous vous êtes rendue avec le Premier ministre à Évreux le 23 mai, pour annoncer de nouvelles mesures dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Les statistiques montrent l’ampleur du problème : une femme sur dix est victime de violences ; 400 000 femmes l’ont été au cours des deux dernières années ; 122 femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon ou ex-compagnon en 2011. Bâillonnées par la loi du silence, la peur ou l’indifférence, les victimes hésitent à porter plainte ; elles ne le feraient qu’une fois sur dix.

Face à ce constat, la majorité affirme sa détermination à lutter sans relâche contre les violences faites aux femmes. Nous saluons donc vos annonces. Il s’agit d’abord de la généralisation au 1er janvier 2014 du dispositif Femmes en très grand danger : les procureurs de la République pourront attribuer aux femmes en danger un téléphone portable qui leur donnera un accès direct et privilégié aux secours dont elles pourraient avoir besoin, ce qui réduira le délai d’intervention.

Je pense aussi à la signature d’une circulaire dite « main courante », pour lutter contre l’impunité. Cette circulaire permettra de mieux accompagner les victimes dans le dépôt de leur plainte et favorisera le traitement prioritaire de ce type de violences par les forces de police et de gendarmerie.

Ces dispositifs, expérimentés dans plusieurs départements, ont prouvé leur efficacité. Madame la ministre, quels résultats en attendez-vous ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. Madame la députée, je vous remercie pour cette question.

Je me suis en effet rendu jeudi dernier avec le Premier ministre à Évreux, à la rencontre de femmes victimes de violences, d’officiers de police et de travailleurs sociaux qui les accueillent.

Vous le savez, pousser la porte d’un commissariat ou d’une gendarmerie est un premier pas décisif dans la sortie des violences. Les réponses qui sont alors données permettent – ou non – de trouver la force de briser le cycle infernal. Il est donc très important de les optimiser : c’est ce que le Gouvernement cherche à faire avec la formation des professionnels, l’amélioration de l’accueil et de l’accompagnement, ou encore le développement de la présence d’assistants sociaux dans les commissariats et les gendarmeries.

Avec le Premier ministre, j’ai réaffirmé que le dépôt de plainte, évidemment suivi de l’action des procureurs, doit être la règle. Lorsqu’il n’y a pas de plainte déposée – comme cela arrive fréquemment –, la main courante ne doit plus être synonyme de bouteille jetée à la mer. C’est ce que nous écrirons dans une circulaire avec les ministres de la justice et de l’intérieur : désormais, les mains courantes devront être systématiquement traitées, un rendez-vous avec un travailleur social devra être donné, une ordonnance de protection éventuellement délivrée. Il ne faut pas laisser tomber les femmes qui ont tiré la sonnette d’alarme.

Ce qui nous importe par-dessus tout est de faire en sorte que les dispositifs de protection expérimentés ça et là, dès lors qu’ils ont fait leur preuve, soient généralisés le plus rapidement possible. Ce sera le cas au 1er janvier 2014 pour le téléphone portable d’alerte du dispositif « Femmes en très grand danger ». Il m’est en effet insupportable qu’une femme victime de violences puisse bénéficier d’une protection plus ou moins grande selon le département où elle habite.

La mission interministérielle pour la protection des femmes est à l’œuvre depuis le mois de janvier : elle nous aide à concevoir l’ensemble des dispositifs de prévention, de protection mais aussi de suivi des auteurs qui figureront dans le projet de loi que je vous présenterai au mois de septembre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Redécoupage des circonscriptions pour les élections départementales

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Christ, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Louis Christ. Ma question s’adresse au ministre de l’intérieur. Monsieur le ministre, dans la perspective des élections départementales que vous avez initiées pour 2015, le redécoupage des cantons se révèle particulièrement préjudiciable aux cantons ruraux.

Rappelons que l’objectif du Gouvernement était de réformer les modes de scrutins locaux et de remodeler la carte cantonale de chaque département, le nouveau dispositif devant permettre d’assurer une meilleure représentativité des élus par la prise en compte des évolutions démographiques intervenues depuis plus de deux siècles.

Par ailleurs, cette mesure visait à assurer une représentation équilibrée de tous les territoires au sein des conseils départementaux.

Or, ce redécoupage élaboré à partir des seules données démographiques se traduira, en termes de proximité, par une inégalité accrue entre cantons ruraux et cantons urbains. À titre d’exemple, les cantons actuels de la deuxième circonscription du Haut-Rhin ont une superficie moyenne de 120 kilomètres carrés, contre 24 pour les cantons de la région de Mulhouse. En termes de densité, le rapport varie de un à dix entre les secteurs où l’habitat est très concentré et ceux où l’éparpillement démographique donne une physionomie toute différente aux territoires.

Dès lors, sur l’ensemble du territoire français, il saute aux yeux que le redécoupage proposé et le regroupement envisagé distendront considérablement les liens entre les futurs conseillers départementaux et les habitants des secteurs ruraux, constitués de cantons très étendus dont l’espace ne permettra plus aux élus de la ruralité d’assurer le plein exercice de leurs fonctions électives.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous corriger cette injustice qui va frapper les cantons ruraux, dont les élus perdront immanquablement leurs liens de proximité avec la population ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Gérard Charasse. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, le Conseil constitutionnel a validé la loi : elle s’applique et nous n’allons donc pas refaire les débats que nous avons eus à l’Assemblée et au Sénat. Il en a simplement ôté les exceptions à la primauté de la démographie comme guide du découpage, mais en les mentionnant dans sa décision, ce qui a, comme vous le savez, la même valeur juridique. Il a cité l’insularité, le relief, l’enclavement et la superficie, à propos desquels beaucoup d’entre vous étaient intervenus – je pense, entre autres, à Frédérique Massat, à François Sauvadet ou à Laurent Wauquiez –, relayant les préoccupations des élus.

Le Gouvernement est évidemment particulièrement attentif au maintien d’une représentation équilibrée des territoires dans chacun des départements, mais la démocratie, c’est également et d’abord l’égalité devant le suffrage, comme le rappellent la Constitution et la Déclaration des droits de l’homme.

Le travail de redécoupage commence, les élus seront consultés, les conseils généraux donneront leur avis et le Conseil d’État se prononcera régulièrement sur les projets de découpage, en tant que garant de l’équité de la représentation.

La plupart des départements n’avaient pas été redécoupés depuis deux siècles. Il fallait donc un changement, et la majorité a décidé d’abroger le conseiller territorial pour redonner de la force aux départements et à la représentation de tous les territoires.

Le nouveau mode de scrutin représente une véritable révolution, à la fois parce qu’il procède à un rééquilibrage démographique – ce qui est normal – et parce qu’il instaure la parité. Il n’y a aujourd’hui que 13,5 % de femmes parmi les élus départementaux ; demain elles seront 50 %, conformément aux vœux de la majorité, que j’en remercie alors que le Conseil constitutionnel vient de valider ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Industrie automobile

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Arnaud Richard. Je m’étonne que les trois quarts du Gouvernement nous aient quittés, alors que j’ai une question à poser au ministre du redressement productif, sur un sujet qui requiert à mon sens l’unité nationale ! (« Et les députés de l’opposition ? Ils s’en vont tous ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Monsieur le ministre du redressement productif, nous étions ensemble ce matin à l’usine Renault de Flins, où nous avons rencontré Carlos Ghosn, dans le cadre du plan de compétitivité qui permettra de relocaliser la production de 82 000 Nissan Micra à compter de 2016, ce qui n’est pas rien.

La méthode qui consiste à mettre tout le monde autour de la table – chef d’entreprise, partenaires sociaux et pouvoirs publics – est celle qu’avait déjà utilisée Jean-Louis Borloo pour le site de Sevelnord en 2009 ; nous ne pouvons que nous en féliciter.

Mais cet accord ne doit pas masquer les milliers de destructions d’emploi qui frappent la filière. Ce matin, vous nous avez beaucoup parlé de responsabilité, monsieur le ministre. J’aurais donc aimé que vous fassiez vous-même preuve de responsabilité, ou au moins de respect et d’esprit de solidarité nationale à l’égard de celui que vous appelez « l’autre constructeur national », qui, lui, n’a jamais délocalisé et ouvre actuellement son round de négociations sur la compétitivité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

Monsieur le ministre, y a-t-il véritablement, dans ce gouvernement, une vision stratégique de l’avenir de l’industrie automobile ? Certes, vous vous félicitez de ce que fait Renault, mais s’agit-il vraiment de l’action de ce gouvernement ou de celle du précédent ?

Que va faire le Gouvernement pour aider au déploiement des bornes électriques ? Comme le président Pélissard, ici présent, j’aimerais savoir comment vous entendez soutenir leur développement dans notre pays pour qu’enfin l’industrie automobile retrouve enfin un avenir, grâce aux véhicules électriques, dont la Zoé, que vous avez été, je crois, le premier à posséder !

Enfin, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer le cap qu’entend suivre le Gouvernement pour soutenir l’industrie automobile ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du redressement productif.

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Monsieur le député, vous posez beaucoup de questions. En deux minutes, je tâcherai d’y répondre en allant à l’essentiel.

L’accord passé par les partenaires sociaux de Renault procède d’un échange de concessions réciproques. Les partenaires sociaux et les salariés ont accepté de faire des efforts : ils ont accepté une augmentation du temps de travail et un gel des salaires. En contrepartie, le plan automobile que j’avais eu l’honneur de porter au nom du Gouvernement interdit à Renault de procéder à des fermetures de sites comme à des plans de licenciements ou de départs volontaires. C’est un acquis, dont il faut remercier ceux qui respectent les engagements qu’ils prennent auprès du Gouvernement.

Mon équipe est moi-même nous sommes personnellement impliqués dans la réussite de cet accord, signé par trois organisations syndicales – CFDT, CFE-CGC et Force ouvrière –, représentant 65 % des salariés.

Nous avons fait en sorte qu’un certain nombre d’activités soient relocalisées sur notre territoire. C’est pour nous le signal du retour de Renault au made in France, sur la base industrielle France.

Le fait que Renault annonce aujourd’hui la fabrication prochaine sur notre territoire de 82 000 Nissan Micra, actuellement fabriquées en Inde, selon un processus qui rend notre place industrielle attractive et compétitive par rapport aux solutions offertes par les pays émergents, est un atout formidable pour la France, et nous nous en réjouissons ! Après des années de délocalisations, voici le signal du retour au made in France.

M. Arnaud Richard. Et « l’autre constructeur » ?

M. Arnaud Montebourg, ministre. Nous défendons également l’innovation dans le véhicule électrique. Les bornes de recharge progressent ; j’en remercie les collectivités locales. Nous en étions à 1 800 bornes l’an dernier ; nous en sommes cette année à environ 6 000 et espérons atteindre les 8 000, sachant que le système Autolib facilite l’usage des véhicules électriques. Nous avançons, monsieur le député, et je vous remercie pour votre question ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Laurence Dumont.)

Présidence de Mme Laurence Dumont
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

Enseignement supérieur et recherche

Vote solennel

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche (nos 835, 1042).

Explications de vote

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Thierry Braillard, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Thierry Braillard. Madame la présidente, madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il me semble important au préalable de rappeler le lourd contexte dans lequel s’inscrit ce projet de loi.

La loi LRU du 10 août 2007 n’a pas rempli les objectifs qui avaient été fixés initialement, malgré les annonces spectaculaires, les intentions affichées et les financements affectés – le récent rapport sénatorial de Mme Gillot et de M. Dupont est là pour nous le rappeler : creusement des inégalités entre filières, ouverture insuffisante des universités sur le monde professionnel, effets désastreux de la circulaire Guéant – aujourd’hui fort heureusement abrogée –, inefficacité du rôle des conseils des études et de la vie universitaire – les fameux CEVU – dans l’amélioration de la vie étudiante, gouvernance des universités trop centralisée, absence d’interconnexion entre les outils de gestion des universités et des organismes de recherche. J’ajouterai à cela le coupable retard du plan Campus, insuffisamment préparé par un financement public-privé des projets, la démobilisation des chercheurs et des enseignants chercheurs et la situation financière dramatique de certaines universités.

En outre, ce projet de loi s’inscrit dans la continuité des orientations développées en mai 2012 par François Hollande, qui avait bien précisé qu’il souhaitait revenir non sur le principe même de l’autonomie mais sur la façon dont elle avait été mise en œuvre. Il avait ainsi plaidé pour une « gouvernance plus collégiale et plus démocratique » et des « financements qui ne conduisent pas à accroître les disparités ou à rogner sur les enseignements ».

Ce projet de loi s’inscrit enfin dans la démarche de concertation initiée par les assises de l’enseignement supérieur et de la recherche et pilotée par un comité indépendant présidé par Mme la professeure Françoise Barré-Sinoussi.

Vous connaissez les radicaux, madame la ministre : ils ont leur liberté de parole, certes, mais ils savent montrer leur loyauté et leur sens des responsabilités. Je vous confirme que les élus du groupe Radical républicain, démocrate et progressiste sont dans leur quasi-totalité attachés à soutenir votre action et, bien entendu, à voter en faveur de votre texte.

Redisons-le à cette tribune : une nouvelle fois s’agissant d’un texte très important, correspondant à un engagement fort du Président de la République, je fais le constat que la majorité présidentielle se résume au soutien exprimé par deux groupes, le groupe SRC et le groupe des radicaux de gauche.

Nous voterons en faveur de ce texte car il répond à un objectif affirmé : la réussite des étudiants.

Face à l’échec des étudiants de première année à l’université, plusieurs avancées sont à relever : la continuité entre le lycée et l’enseignement supérieur, qui est mise en application avec une spécialisation progressive des études en premier cycle ; l’ouverture de nos instituts universitaires de technologie avec un accès favorisé pour les titulaires du bac technologique et leur prise en considération ; l’amélioration de l’orientation des étudiants et une meilleure lisibilité des diplômes ; surtout, le levier budgétaire avec 1 000 emplois dédiés à la réussite en licence créés cette année, 5 000 créations d’emplois prévues durant la durée du quinquennat et une hausse de plus de 7 % des crédits en faveur de la vie étudiante en 2013.

Par ailleurs, ce texte revalorise le statut des enseignants-chercheurs et des doctorants en favorisant l’insertion des titulaires d’un doctorat dans les postes de cadres de la fonction publique et en leur offrant, grâce à l’adoption de l’un de nos amendements, la possibilité de faire usage de leur titre de docteur.

Durant le débat parlementaire, notre groupe a soutenu l’extension des exceptions au principe de l’enseignement en langue française, la réforme du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, les modifications de la gouvernance de l’université, la création du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Bien entendu, nous acquiesçons à la priorité donnée au numérique dans le monde de l’enseignement supérieur avec l’accompagnement nécessaire.

Réunir dans un même projet les préoccupations du milieu universitaire et celles de la recherche est un geste particulièrement fort que le groupe RRDP soutient avec conviction. Il est de notre devoir de nous assurer que l’ascenseur social, auquel nous sommes tant attachés, soit toujours activé par nos universités françaises. La finalité des cycles universitaires doit rester l’emploi. Il en va de la réussite de nos étudiants, de l’insertion professionnelle de nos jeunes diplômés, de la qualité de notre recherche, de la compétitivité de notre pays et de notre place dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur quelques bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux d’abord saluer la qualité de nos débats sur ce projet de loi et remercier Mme la ministre et M. le rapporteur de leurs apports. L’avenir de notre enseignement supérieur et de notre recherche a fait l’objet d’une discussion à la hauteur des enjeux humains qui le conditionnent.

Dans ce débat, j’ai voulu, au nom des députés du Front de gauche, porter les inquiétudes et les exigences des universitaires et chercheurs telles qu’elles se sont exprimées lors de la journée d’action de mercredi dernier, à l’appel de l’intersyndicale.

Prenons la mesure des attentes. Avec le pacte pour la recherche et la loi LRU, la droite a soumis l’enseignement supérieur et la recherche à des regroupements à marche forcée et sans moyens…

M. Patrick Hetzel. C’est faux !

Mme Marie-George Buffet. …ainsi qu’à processus d’évaluation et des appels à projets réducteurs.

Les enseignants et chercheurs veulent rompre avec ces logiques libérales : c’est le sens de leur fort investissement lors des assises. Ils ont toutefois le sentiment que leur parole n’a pas été entendue car votre projet de loi, madame la ministre, ne rompt pas réellement avec la loi LRU et avec le pacte pour la recherche.

Votre projet de loi substitue à l’objectif d’« essor économique » celui de « compétitivité » alors que la coopération et l’échange sont au cœur de toute démarche scientifique et du progrès des connaissances.

Alors que la science a besoin de temps long et que seule une formation de haut niveau pour le plus grand nombre permettrait de relever les défis économiques, sociaux et environnementaux, votre projet de loi fait du transfert la mission prioritaire de la recherche tandis que les fondations scientifiques et l’Agence nationale de la recherche sont maintenues. La logique de l’appel à projets est donc poursuivie !

Quant au crédit impôt recherche, il n’est pas remis en cause pour être orienté vers les laboratoires publics, malgré les propositions de notre rapporteur.

Si l’article 1er du projet de loi précise que « l’État est garant de l’égalité », cette affirmation est fragilisée par la création d’une trentaine de communautés d’universités et d’établissements, qui sont de plus en plus pilotées par les régions ou les métropoles sans être accompagnées de véritables avancées démocratiques dans leur gouvernance.

L’égalité est en outre fragilisée par le glissement d’un processus d’habilitation à un processus d’accréditation pour les diplômes nationaux.

Vous avez, madame la ministre, parlé de la « réussite des étudiants ». Nous attendions des mesures concrètes pour faire reculer les inégalités sociales. Or rien n’est dit du prérecrutement des enseignants.

Vous nous avez affirmé, monsieur le rapporteur, que l’engagement du Président de la République concernant l’allocation d’études serait tenu. Mais quand ?

En ce qui concerne les œuvres universitaires, si un amendement gouvernemental a réaffirmé leur rôle, le doute persiste quant au maintien de la responsabilité de l’État sur les CROUS.

Par ailleurs, je regrette que les dispositions annoncées pour faciliter l’entrée dans les IUT et les sections de techniciens supérieurs des titulaires de bacs professionnels et technologiques aient été finalement amoindries sans que le parcours de réussite après le premier cycle ait été amélioré.

En outre, je déplore le recul, même encadré, de l’utilisation de notre langue dans l’enseignement supérieur.

Enfin, en l’absence de loi de programmation, la communauté scientifique craint de ne pas sortir des années de diète qu’elle a connues avec la droite. Permettez-moi de citer le président de l’université de Toulouse qui alerte sur la question des moyens en ces termes : « nous attendons une traduction concrète de la priorité faite par le Gouvernement à l’éducation, dont l’enseignement supérieur ».

Madame la ministre, chers collègues, notre université et notre recherche ont été malmenés ces dix dernières années. Le monde des chercheurs et des universitaires attendait beaucoup de la nouvelle majorité pour changer de logique afin de donner à la société tout ce qu’elle attendait d’eux. C’est maintenant que les étudiants ont besoin de moyens pour réussir leurs études.

Il est grand temps d’entendre pleinement la communauté scientifique. Il est grand temps de se placer du côté d’un développement sans précédent des connaissances. L’originalité de notre université et de notre recherche est un atout pour son développement et pour son rayonnement.

C’est le sens, madame la ministre, chers collègues, de notre vote contre ce texte : il s’agit d’un appel, faute de deuxième lecture, à une vraie rupture avec les logiques en place et à une nouvelle ambition pour l’enseignement supérieur et la recherche. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Doucet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Sandrine Doucet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voici le texte que nous, socialistes, attendions,…

M. Patrick Hetzel. Vous êtes bien les seuls !

Mme Sandrine Doucet. …car il traduit une double ambition : celle de démocratiser l’enseignement supérieur en facilitant la réussite des jeunes dans le supérieur et celle de donner une meilleure lisibilité de l’intérieur et une meilleure visibilité de l’extérieur à notre université et à notre recherche.

Nous voulons faire de la France une puissance universitaire et scientifique mais faire en sorte aussi que cette performance soit partagée par tous, étudiants, enseignants chercheurs et personnels administratifs.

Là où la gouvernance avait favorisé la concurrence contre-productive entre les universités, nous parlons de communautés d’universités mises en réseau, administrées par des conseils plus collégiaux.

Là où la course au financement par projet avait détourné les chercheurs français de l’espace européen et mondial, nous redonnons à l’État son rôle de stratège en matière de recherche afin de consolider la recherche fondamentale et ses financements.

Là où l’orientation était considérée comme une gestion de flux à moindres frais, nous avons la volonté de donner à chaque étudiant un projet viable et efficace. Et pour les plus fragilisés d’entre eux d’un point de vue social, venus des bacs professionnels et des bacs technologiques, nous préconisons une orientation dans les STS et les IUT afin d’éviter une errance à l’université trop souvent synonyme de décrochage.

À l’heure où beaucoup de jeunes sont en train de s’impliquer dans leurs examens de fin d’année, nous pensons à eux à travers ce projet ambitieux qui s’adresse à cette population qui s’est accrue de 800 % en cinquante ans. Notre souci de réussite se mesure à l’aune de cette jeunesse venue en nombre dans nos facultés.

Nous continuons non seulement notre œuvre de justice sociale, mais nous nous inscrivons aussi dans un espace européen sous-tendu par le projet de porter 50 % d’une classe d’âge au niveau bac +3. Nous sommes aussi animés par la volonté de donner à chacun une formation aboutissant à un emploi en doublant l’alternance dans un lien assumé avec l’entreprise, partie prenante de notre stratégie.

Faire du premier cycle un temps de l’élaboration du projet personnel avec une première année de licence pluridisciplinaire, consacrer le doctorat, c’est ouvrir tous les champs des possibles pour l’avenir de nos futurs bacheliers et de nos étudiants.

C’est un projet de gauche car il confirme notre altérité en plaçant l’étudiant au cœur d’un service public réaffirmé de l’université ; il ouvre notre pays aux autres universitaires ; il donne à tous les acteurs de l’université les moyens, grâce au dialogue, à la collégialité et au retour de la puissance publique, de faire de l’enseignement supérieur et de la recherche des outils de performance internationale.

C’est parce que nous croyons à la démocratisation des savoirs, au rôle d’un État stratège, parce que nous faisons confiance à nos enseignants chercheurs, parce que nous considérons que notre souveraineté intellectuelle ne pourra rayonner que si elle est partagée, que nous voterons en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Mme la présidente. Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Patrick Hetzel, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Patrick Hetzel. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que nous arrivons au terme de l’examen du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, force est de constater qu’il ne va, hélas, pas dans le bon sens.

Si la loi « liberté et responsabilité des universités » de 2007, l’opération campus, le plan « réussite en licence » et les investissements d’avenir ont contribué à faire progresser notre enseignement supérieur et notre recherche par le développement de la gestion par projets et d’une dynamique inédite, votre projet de loi va marquer en coup d’arrêt irrémédiable dans ce secteur.

Personne ne peut souhaiter une régression en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Pourtant, c’est ce qui va arriver !

En effet, là où il fallait aller plus loin dans l’autonomie, l’expérimentation, l’accélération du développement de filières d’excellence au sein de nos universités, vous nous proposez un terrible voyage dans le passé. Votre texte est marqué par une vision bureaucratique et dépassée.

Là où les statuts juridiques venaient soutenir et accompagner les projets, vous défendez un modèle unique où le projet doit s’adapter à la structure plutôt que l’inverse.

À une gouvernance resserrée et efficace de nos universités, vous préférez une dyarchie avec deux présidents et deux conseils. Celle-ci porte en germe des risques de blocages institutionnels au sein de nos universités ; cela est hélas inévitable.

Là où nous avons développé des incitations positives, vous préconisez une vision uniforme et de ce fait extrêmement réductrice.

Là où nous avons fait confiance aux acteurs et où nous les avons accompagnés dans leurs choix volontaires, vous allez leur imposer des coopérations basées non plus sur leur volonté mais sur leur seule localisation géographique.

Là où il conviendrait de procéder par la négociation, vous voulez imposer des quotas à l’entrée des sections de techniciens supérieurs et des instituts universitaires de technologie, ce qui créera inévitablement de la frustration chez les bacheliers généraux, qui se trouveront ainsi davantage évincés de ces filières. Vous porterez, madame la ministre, une très lourde responsabilité à l’égard des familles.

Par ailleurs, et sans doute par facilité, vous avez esquivé les vrais débats. Tout d’abord, votre texte demeure une loi d’orientation : nous n’avons donc absolument aucune idée des moyens qui seront mobilisés au cours du quinquennat pour ce secteur.

Vous avez également refusé d’aborder la question de l’avancement de la sélection d’un an en master, permettant une véritable cohérence du système LMD avec enfin un vrai master de deux années complètes.

Vous avez en outre refusé la possibilité d’une approche différenciée concernant les droits d’inscription des étudiants étrangers. En cela, vous souhaitez implicitement que le contribuable français paye les études des étudiants étrangers (Murmures sur les bancs du groupe SRC.) – vision surprenante, si l’on regarde l’état de nos finances publiques d’une part, et celle de nos établissements d’enseignement supérieur d’autre part.

Vous avez rejeté les différentes possibilités d’expérimentation que nous avions proposées dans nos amendements : création de filières d’excellence, évaluation renforcée des enseignements, souplesse et réactivité dans la gestion des projets.

Votre texte manque singulièrement d’ambition pour un secteur qui touche pourtant à l’avenir de notre pays et qui concerne notre jeunesse.

Alors que l’enseignement supérieur et la recherche ont besoin de plus de souplesse et de marges de manœuvre pour continuer à se moderniser, votre projet de loi ne fait que recentraliser le système, donnant ainsi des gages aux corporatismes internes à l’enseignement supérieur et à la recherche.

Où sont la réussite étudiante, l’insertion professionnelle, la compétitivité, l’excellence, les relations avec les milieux professionnels et l’internationalisation ? Ils sont les grands absents de ce texte, madame la ministre ! Ce texte n’est pas à la hauteur des ambitions ; c’est la raison pour laquelle nous ne pouvons que nous y opposer et voter résolument contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rudy Salles pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Rudy Salles. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, monsieur le rapporteur, chers collègues, l’enseignement supérieur et la recherche ne sont pas des priorités. Elles sont bien plus que cela : elles forment, pour nous à l’UDI, le cœur même du modèle de société que nous voulons construire.

Quel est le véritable enjeu de ce texte ? Concentrer toutes nos réflexions et tous nos efforts sur l’intégration et l’insertion des jeunes.

Les universités s’attendaient à ce que l’on trouve les voies et moyens de limiter leurs difficultés financières. Derrière cette préoccupation budgétaire parfaitement légitime, la question fondamentale renvoyait au mode de sélection des étudiants, aux moyens effectifs de lutter contre les inégalités d’accès aux études supérieures, à la situation matérielle des étudiants, aux relations structurelles avec le monde économique – au-delà de dispositions déclaratoires et symboliques, essentiellement inopérantes – et avec les collectivités locales, en particulier les régions puisque vous avez refusé d’envisager le rôle des futures métropoles.

L’introduction d’un article 1 bis, qui stipule que l’État est le garant de l’égalité du service public de l’enseignement supérieur sur l’ensemble du territoire, n’y changera pas grand-chose.

Un mot d’abord sur la culture, c’est-à-dire sur notre langue, le français, et sa place dans notre enseignement supérieur. L’article 2 du projet de loi prévoit d’autoriser les enseignements en langue étrangère lorsqu’ils sont dispensés dans le cadre d’un accord avec une institution étrangère, afin d’attirer les étudiants étrangers, notamment des pays émergents. La préoccupation, chacun le comprendra, est d’ouvrir le plus largement possible notre université au monde. Cette disposition n’appelait sans doute pas les cris d’orfraie qu’elle a suscités ; mais elle nécessitait notre vigilance.

À bien des égards, notre pays – du moins ses gouvernants actuels – a tendance à se positionner comme un pays culturellement colonisé. Ainsi, alors même que la commission des affaires culturelles et de l’éducation a adopté, il y a quelques semaines, une résolution relative à l’exception culturelle, nous voilà résolus à promouvoir la langue et la culture françaises en parlant l’anglais. Admettez qu’il y a là quelque paradoxe, fait de fatalisme et de défaitisme !

M. Jean-Marie Le Guen. Au contraire !

M. Rudy Salles. C’est la raison pour laquelle le groupe UDI a proposé plusieurs amendements sur ce texte, dont l’un a été adopté.

Notre idée est simple : la France doit conserver toute sa place dans la civilisation moderne et mondiale, sans trahir pour autant une certaine idée de la culture.

Ne vous y trompez pas : au-delà de notre amour pour notre langue, nous ne succombons pas à un quelconque angélisme. Bien au contraire, nous préparons ainsi un terreau favorable à la transformation des étudiants étrangers venus en France en ambassadeurs de la culture française et de la francophonie, au sortir de leurs études.

Pour le reste, vous souhaitez un État stratège en la matière. C’est un souhait que nous partageons, bien entendu. Mais soyons concrets : le seul critère qui vaille pour y parvenir est celui qui permet l’adaptation et l’ambition. Dans le langage de la République, cela s’appelle la liberté ; dans le langage universitaire, cela s’appelle l’autonomie. C’était le chemin ouvert dès 1968 par Edgar Faure et prolongé par la LRU de Valérie Pécresse, avec ses forces et ses faiblesses.

Mais votre texte fait clairement le choix de réduire l’autonomie des universités, notamment en accumulant les contraintes institutionnelles et administratives, et en conduisant à la disparition de spécificités pourtant indispensables à l’attractivité de notre enseignement supérieur.

Conseils académiques et regroupements des établissements participent d’une logique de structures et non de missions et d’ambitions. Là où il fallait s’ouvrir, on s’enferme derrière de nouvelles lignes Maginot et dans de nouvelles citadelles.

On ne voit pas bien l’objectif de la création de ces grands « machins » standards. Ils relèvent non pas d’un État stratège, mais d’un État sénescent, immobile, sans substance inventive ni créative, que vous incarnez si bien.

Nous allons y perdre ce qui fait la qualité des formations et des laboratoires : la liberté d’initiative des acteurs, la collégialité, la diversité qui, partout dans le monde, se déploient dans des universités de taille raisonnable où la subsidiarité est la règle.

La disparition des spécialités de masters procède de la même logique. Elle aboutit à des conséquences tout aussi inquiétantes : la standardisation et l’anonymat des diplômes, et le nivellement par le bas.

En conclusion, dans ce pays où les professeurs d’universités sont encore nommés par décret du Président de la République, la France s’engage à contre-courant de toutes les grandes organisations universitaires du monde.

Au lieu de faire le choix de la souplesse des organisations, de l’excellence et de la diversité des enseignements, elle opte pour des rigidités empilées au prétexte d’une idée de l’égalité qui in fine produira l’effet exactement inverse.

C’est pourquoi, vous l’aurez compris, le groupe UDI ne soutiendra pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard pour le groupe écologiste.

Mme Isabelle Attard. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, les écologistes sont très soucieux du développement scientifique, car il est nécessaire à une meilleure compréhension du monde. Mais il est aussi porteur de nombreux maux lorsque la technologie est utilisée sans discernement.

Notre credo est celui d’une science dotée d’une conscience. (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.) À cette fin, il est nécessaire de garantir la pluralité et la liberté des recherches, de permettre à la société de questionner les scientifiques et d’aider les citoyens à devenir des acteurs du développement des connaissances.

Cette évolution suppose un tissu de recherche dynamique, indépendant des intérêts économiques. L’accès aux connaissances doit être pleinement ouvert, ce qui ne sera possible que par une démocratisation complète de l’accès à l’enseignement supérieur, hors de toute contrainte d’origine socioculturelle, de ressource ou d’âge.

Les personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche et les étudiants attendaient une rupture politique nette avec l’arrivée d’une nouvelle majorité. Or, mise à part l’abrogation de la délirante circulaire Guéant sur les étudiants étrangers, aucun signe fort n’a été donné durant la première année de la législature.

Le budget 2013 n’a touché ni au crédit d’impôt recherche, ni aux structures porteuses du grand emprunt, et a à peine réduit les montants confiés à l’Agence nationale de la recherche.

Les conclusions des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche comportaient portant nombre d’éléments pertinents : la lutte contre la précarité, la simplification de l’administration, la pédagogie à l’université, l’aide sociale aux étudiants, le dialogue entre science et société, une meilleure reconnaissance du doctorat, la limitation stricte du financement sur projet et bien sûr l’urgence des besoins humains et financiers.

Chacun espérait que ces conclusions formeraient l’ossature de la grande loi d’orientation promise par le candidat Hollande, à défaut de la loi de programmation dont le pays a besoin mais dont le principe a très tôt été écarté.

Votre loi, madame la ministre, malgré quelques timides avancées, constitue surtout une grande déception tant elle fait l’impasse sur les vrais problèmes. Les quatre objectifs affichés du texte étaient la réussite de tous les étudiants, un nouvel élan pour la recherche, la réduction de la complexité institutionnelle et le rayonnement international.

Durant les débats, certains amendements écologistes ont été adoptés. Ils concernent le handicap, l’accès libre aux données et la priorité aux formats libres d’accès, le renforcement des liens entre science et société, la lutte contre les abus en termes de recours aux contrats et surtout le rappel qu’en cas d’association entre des établissements publics et privés, les établissements privés ne peuvent utiliser le titre d’université et délivrer les diplômes nationaux.

Cependant, les points durs qui avaient justifié les principales critiques des écologistes n’ont pas évolué.

La gouvernance des futures communautés d’universités et d’établissements reste inchangée, et nous observons même un recul de la démocratie universitaire.

Les conseils d’administration de ces communautés pourront être composés d’une minorité d’élus au suffrage parfois indirect, et d’une écrasante majorité de directeurs d’établissements et de personnalités extérieures. Or ces communautés se verront transférer de nombreuses compétences. Nous demandions que ces conseils soient au moins composés de 50 % d’élus au suffrage direct, mais nous n’avons pas été écoutés.

Le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur n’a que très peu évolué dans ses missions et pas du tout dans sa composition. Il reste une copie très similaire de l’ancienne Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, ou AERES, tant décriée par les scientifiques.

De plus, le flou entre les établissements publics et privés ainsi qu’entre les diplômes nationaux et d’établissements reste très fort, en dépit du vote de notre amendement concernant les associations d’établissements. La distinction entre le master, qui est un diplôme national délivré uniquement par les universités, et le grade master, qui est un diplôme d’établissement délivré par de nombreux établissements publics comme privés, va disparaître.

Enfin, l’inscription du transfert dans les missions de l’enseignement supérieur n’a pas disparu, même si elle a été nuancée. La question du lien entre enseignement et transfert vers le monde économique des résultats de la recherche n’a pas été éclaircie. Cette recherche est donc de plus en plus orientée vers le seul monde économique, au détriment de la recherche fondamentale et des sciences humaines et sociales.

Les politiques menées ces dernières années étaient élaborées selon les mêmes principes. Pour le président Nicolas Sarkozy, il s’agissait de garantir l’utilité économique des travaux de la recherche, et d’assurer l’efficience de la dépense publique par la mise en concurrence. Ce principe suppose que l’innovation puisse être garantie avant même le début des travaux de recherche.

Cette vue de l’esprit est fausse et dangereuse. Le meilleur exemple en est la révolution numérique que nous traversons : les chercheurs qui imaginaient Internet en 1960 n’avaient jamais envisagé les conséquences actuelles de leurs travaux.

Les plus grands apports des chercheurs à notre économie ne sont pas le fruit d’un transfert ordonné d’en haut, mais issus de l’imagination fertile des chercheurs sur le terrain.

Mme la présidente. Merci de conclure, madame la députée.

Mme Isabelle Attard. C’est pourquoi nous estimons que cette loi n’est aucunement en rupture avec le cap fixé par la précédente majorité. Nous en prenons acte, et avons décidé de voter contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et GDR.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et écologiste.)

Quel est le problème ? (Mêmes mouvements.) Asseyez-vous ! Je n’ai pas compris le problème – s’il y en avait un. (Exclamations prolongées sur les mêmes bancs.)

Merci de vous asseoir, mesdames et messieurs les députés ; nous nous comprendrons mieux.

Plusieurs députés des groupes UMP et écologiste. Nous n’avons pas entendu l’annonce de l’ouverture du scrutin !

Mme la présidente. J’ai laissé, avant d’annoncer l’ouverture du scrutin, le temps à l’oratrice qui était à la tribune de rejoindre son banc. (Mêmes mouvements.)

Puis j’ai annoncé l’ouverture du scrutin, et enfin sa clôture.

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 537

Nombre de suffrages exprimés 537

Majorité absolue 269

(Le projet de loi est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures quinze.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Réforme du Conseil supérieur de la magistrature

Discussion d’un projet de loi constitutionnelle

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature (nos 815, 1050).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames, messieurs les députés, j’ai l’honneur de vous présenter le premier projet de loi constitutionnelle de cette législature. Il vise à modifier de façon substantielle les articles 64 et 65 du titre VIII relatifs au Conseil supérieur de la magistrature.

Nous avons réécrit l’intégralité de l’article 65 pour lui donner plus d’homogénéité et de cohérence. Nous avons distingué les fonctions du Conseil supérieur de la magistrature en huit alinéas, introduit un article 65-1 qui définit la composition de ce Conseil et un article 65-2 relatif à la loi organique.

La Constitution de 1958, que nous allons réviser, l’a été déjà vingt-quatre fois. C’est la quatrième fois qu’une révision concerne le Conseil supérieur de la magistrature, mais sur les trois précédentes, seulement deux sont arrivées jusqu’au Congrès.

Le Président de la République a pris un engagement, l’engagement n° 53, qui est d’accorder l’indépendance à l’autorité judiciaire et de veiller à ce que les magistrats du siège comme ceux du parquet aient la capacité d’exercer leur mission de juger dans des conditions d’impartialité. Cela suppose cette modification substantielle du Conseil supérieur de la magistrature, mais aussi l’interdiction pour l’exécutif de donner des instructions dans des dossiers individuels : c’est une disposition qui fera l’objet d’un projet de loi qui vous sera soumis très prochainement, puisqu’il s’agira alors de modifier le code de procédure pénale.

La dernière révision de la Constitution date de 2008. Elle a été mise en œuvre en février 2011. Cette réforme qui s’intitulait « Modernisation des institutions » contenait deux dispositions particulièrement intéressantes : la possibilité donnée aux justiciables de saisir le Conseil supérieur de la magistrature et la suppression de la présidence du Conseil supérieur de la magistrature par le Président de la République, comme de sa vice-présidence par le garde des Sceaux.

Si l’Assemblée nationale et le Sénat d’abord et le Congrès ensuite consentent à voter cette réforme constitutionnelle, dans la loi organique nous allons améliorer les conditions de saisine du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables.

Néanmoins, la réforme de 2008 présentait quand même deux défauts majeurs. D’une part, le pouvoir politique continuait à nommer les personnalités extérieures. Il a même augmenté leur nombre : elles étaient quatre et sont devenues six en 2008, dont deux nommées par le Président de la République, deux par le Président de l’Assemblée nationale et deux par le Président du Sénat. D’autre part, les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature ont été réduits, notamment en matière d’autosaisine, puisque le Conseil constitutionnel, dans une réserve d’interprétation, a estimé que la loi organique qui mettait en application cette réforme de 2008 n’autorisait pas le Conseil supérieur de la magistrature à s’autosaisir.

Il y a un défaut plus important encore : la réforme de 2008 a maintenu le statu quo sur la nomination des magistrats du parquet, qui reste à la discrétion de l’exécutif. Il est arrivé plusieurs fois que l’avis du Conseil supérieur de la magistrature ne soit pas suivi par l’exécutif, ce que prévoit la Constitution, mais qui a malheureusement contribué à créer un climat de suspicion autour des magistrats nommés.

Le projet de loi que nous vous présentons vise justement à modifier cet état de fait et à créer les conditions permettant à ce Conseil supérieur de la magistrature d’exercer correctement ses trois attributions principales : la nomination des magistrats, l’action disciplinaire sur les magistrats et son rôle consultatif, puisque la Constitution prévoit que le Président de la République peut le saisir pour avis et que le garde des Sceaux peut l’interroger sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi qu’à l’indépendance de la justice.

Ce projet de loi s’inscrit dans une démarche de consolidation des institutions, mais aussi dans un processus historique de démocratisation de l’institution judiciaire et de cette instance qui assure l’action disciplinaire sur les magistrats et leur nomination. Ce processus historique est à l’œuvre à partir de la constitution de 1791, qui instaure pleinement un pouvoir judiciaire avec des juges à plein temps.

La constitution de 1795 – je vous donne les dates selon le calendrier grégorien et vous épargne les « fructidor » et « frimaire » – consolide cet état de fait et apporte des garanties statutaires, de façon que les magistrats ne puissent pas être destitués autrement que pour forfaiture légalement jugée, ni suspendus autrement que par accusation admise.

La constitution de 1799 a encore consolidé l’édifice, apportant une garantie à vie pour les magistrats, à l’exception des juges de paix.

Après la monarchie de Juillet, c’est la IIe République qui, dans la constitution de 1848, va rétablir le pouvoir judiciaire et, dans son article 87, apporter à nouveau des garanties aux magistrats des tribunaux d’instance, des cours d’appel, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, en faisant en sorte qu’ils ne puissent pas être révoqués en dehors d’un jugement légalement établi, ni mis à la retraite en dehors des causes et formes déterminées par la loi.

C’est sous la IIIe République, par la loi du 30 août 1883, qu’apparaît le Conseil supérieur de la magistrature. Celui-ci, néanmoins, est l’appellation de la Cour de cassation lorsqu’elle se réunit toutes chambres confondues pour se prononcer en matière disciplinaire. Ce n’est donc pas encore le Conseil supérieur de la magistrature que nous connaissons dans la Constitution de 1958, ni même celui de 1946.

En effet, la IVe République va installer un Conseil supérieur de la magistrature et va en faire un organe constitutionnel. Sa présidence sera confiée au Président de la République et sa vice-présidence au garde des Sceaux. Cependant, les magistrats vont être élus par leurs pairs, alors qu’ils étaient jusqu’alors nommés sur proposition de la Cour de cassation, tandis que les personnalités extérieures l’étaient directement par le Président de la République.

Néanmoins, les pouvoirs de ce Conseil supérieur de la magistrature seront étendus. Il est chargé de la nomination des magistrats, il est chargé de veiller à leur indépendance, il est chargé évidemment de l’action disciplinaire. Il est même chargé, sous la IVe République, de l’administration des tribunaux judiciaires, mais c’est une compétence qui ne sera jamais exercée.

Il n’empêche que la réforme de 1946 est importante, d’abord parce qu’elle installe durablement le Conseil supérieur de la magistrature en tant qu’organe constitutionnel – il ne sortira plus de la Constitution – et aussi parce qu’elle commence à créer une distance entre le corps des magistrats d’une part, l’exécutif et la Cour de cassation d’autre part.

Mais c’est par la pratique que le Conseil supérieur de la magistrature va commencer à acquérir de l’autonomie. Ce mouvement sera favorisé par un Président de la République en particulier, Vincent Auriol, qui va considérer qu’il a pour ainsi dire compétence liée s’agissant des propositions du Conseil supérieur de la magistrature. Il va même proposer qu’on lui transfère de la gestion du personnel, à l’exclusion de la sous-direction des magistrats du parquet, sous-direction qui n’existe plus du fait de l’unité constitutionnelle du corps.

La Ve République, elle, sera en retrait. Elle va maintenir le caractère constitutionnel du Conseil supérieur de la magistrature, mais très clairement, la conception gaullienne du pouvoir, qui considère que la légitimité démocratique émane du Président de la République, élu au suffrage universel, va se traduire par une prudence plus grande concernant l’autonomie du Conseil supérieur de la magistrature.

Cependant, sous la Ve République, les magistrats deviennent majoritaires : ils sont six sur un effectif total de neuf membres. Néanmoins, sa présidence est toujours assurée par le Président de la République et sa vice-présidence par le garde des Sceaux.

Plus récemment, il y a eu la réforme de 1993. Celle-ci obéit à un souci d’innovation et d’équilibre. Elle introduit trois modifications essentielles. La première, c’est la diversification des modes de désignation. Deux formations seront mises en place, l’une compétente pour les magistrats du siège, l’autre pour ceux du parquet. Les magistrats seront élus par leurs pairs et quatre membres seront désignés par le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat et le vice-président du Conseil d’État.

La deuxième modification importante, en 1993, est l’extension des pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature à la nomination des magistrats du siège. Jusqu’alors, il pouvait nommer les magistrats du siège à la Cour de cassation ainsi que les premiers présidents des cours d’appel. À partir de 1993, il propose et pratiquement nomme, puisque nous sommes dans une procédure d’avis conforme, les présidents des tribunaux de grande instance et se prononce sur la totalité des nominations au siège.

Progrès supplémentaire : la troisième modification survenue en 1993 est qu’en formation compétente pour les magistrats du parquet, il pourra émettre un avis consultatif, maintenu dans la réforme de 2008, sur les nominations de ces magistrats.

Autrement dit, les magistrats redeviennent majoritaires : ils l’auront été pendant cent sept ans, de 1883 à 1940 et de 1958 à 2008, quand la réforme les rend de nouveau minoritaires. Ils auront été majoritaires tout ce temps, mais attention : à partir de 1946, la présidence du Conseil supérieur de la magistrature est confiée au Président de la République et la vice-présidence au garde des Sceaux, de sorte que tout en étant majoritaires, ils sont placés sous cette autorité.

En 1998, Élisabeth Guigou, garde des sceaux, a présenté un projet de loi qui, déjà, proposait l’avis conforme sur la nomination des magistrats du parquet, dans un souci clairement affiché de garantir l’impartialité dans l’exercice de la mission de juger. Cette réforme de 1998 prévoyait aussi la nomination des personnalités extérieures par un collège de personnalités du monde judiciaire. Ces personnalités extérieures étaient au nombre de quatre, elles seront six à partir de 2008 et c’est là une des dispositions d’affaiblissement dans la réforme de 2008 : le pouvoir politique, je l’ai rappelé tout à l’heure, nomme six personnalités sur les quinze membres du Conseil supérieur de la magistrature.

En 1998, la réforme était déjà là ; malheureusement, quoiqu’elle ait obtenu les trois cinquièmes des voix dans les deux chambres, elle n’a pas été inscrite à l’ordre du jour du Congrès et donc n’a pu être approuvée par le Parlement à Versailles.

Il n’empêche que l’essentiel de la démarche était déjà là. Le Président de la République a souhaité en revenir à cette exigence d’impartialité en évitant l’ingérence du pouvoir politique dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature et renforcer ses pouvoirs, ce qui, je l’ai dit, se fera en deux temps : d’une part, consolider le Conseil supérieur de la magistrature, d’autre part, mettre un terme aux instructions dans les dossiers individuels. C’est d’ailleurs ce que je fais depuis que je suis aux responsabilités : je respecte l’avis conforme dans les nominations au parquet et, le 31 juillet, j’ai pris une circulaire qui garantit la transparence dans les nominations aux postes de procureurs généraux, d’inspecteurs généraux et d’avocats généraux à la Cour de cassation. Ces nominations étaient totalement à la main du garde des Sceaux, ne faisaient pas l’objet de publications et étaient donc présentées au Conseil supérieur de la magistrature sans respect d’avis conforme. Non seulement nous respectons l’avis conforme depuis mai 2012, mais nous avons rendues transparentes ces candidatures : les postes sont publiés, les candidatures sont publiées et le choix du garde de Sceaux l’est également.

À l’occasion de ces débats, comme c’était déjà le cas avant, certains pensent que ce que nous faisons n’est pas suffisant, d’autres que ce que nous faisons va trop loin et favorise le corporatisme. Parmi ceux qui pensent que ce que nous proposons n’est pas suffisant, certains appellent de leurs vœux un pouvoir judiciaire – alors que les articles 64 et 65 de la Constitution évoquent une autorité judiciaire – et souhaitent l’instauration d’un Conseil supérieur de la justice où les magistrats ne seraient pas les seuls représentés, mais où figureraient notamment des représentants des autres personnels de la justice comme les greffiers. Une telle réforme reviendrait à modifier l’équilibre des pouvoirs, les bases de la répartition des pouvoirs, tels que le prévoit la Constitution, et nécessiterait la réunion d’une assemblée constituante. Or le Président de la République ni le Gouvernement n’ont souhaité s’engager dans cette voie.

En revanche, et pour nous assurer que le Conseil supérieur de la magistrature continuera à contribuer à l’indépendance de l’autorité judiciaire, nous avons modifié la rédaction de l’article 64 selon lequel « le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire » et selon lequel « il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature ». Nous avons remplacé cette dernière phrase par une autre précisant que le Conseil supérieur de la magistrature concourt, par ses avis et ses décisions, à garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire. La commission a adopté un amendement visant à remplacer le verbe « concourir » par le verbe « veiller ».

M. Georges Fenech. La commission a adopté cet amendement à l’unanimité !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En effet, à l’unanimité et, comme vous en êtes l’auteur, c’est un hommage qui vous est rendu, monsieur le député !

M. Sébastien Denaja. Ce sera le seul ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce n’est pas moi qui ai ouvert les hostilités et je suis presque en position de juge de paix, dont l’indépendance est du reste garantie depuis la Constitution de 1799.

Nous y reviendrons lors de la discussion sur les articles.

Je vous ferai alors part de la teneur de la dernière séance de travail que j’ai eue avec le Conseil supérieur de la magistrature la semaine dernière, notamment à propos de l’amendement que nous venons d’évoquer, le Conseil faisant en outre observer que les mots « ses avis et ses décisions » sont limitatifs alors que nous lui ouvrons un pouvoir d’autosaisine et que, par conséquent, il faudrait lui préférer une formule comme : « dans l’exercice de ses attributions », plus neutre et plus globale. Il s’agit ainsi de ne pas risquer qu’une partie de l’activité du Conseil supérieur de la magistrature ne concoure pas, ne veille pas à cette indépendance de l’autorité judiciaire.

Le projet de loi que je suis chargée de vous soumettre introduit trois changements importants.

Le premier concerne la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Le Président de la République a souhaité que les magistrats disposent d’une majorité d’une voix au sein du Conseil. L’engagement n° 53 du candidat Hollande ne précisait pas ce point et c’est au cours d’une déclaration publique, à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation et à la suite de consultations des représentants de magistrats, notamment, que le Président a ainsi défini les modalités d’organisation de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Force est d’admettre que plusieurs arguments plaident pour cette majorité de magistrats au sein du Conseil. Le Président de la République a souhaité émettre un signal de confiance à l’égard des magistrats, compte tenu du mal-être fortement vécu par l’institution judiciaire. Depuis 2012, le Gouvernement s’emploie à réhabiliter cette dernière, conscient de la nécessité de créer les conditions pour que les juges remplissent leur mission en toute impartialité et dans le respect de leur fonction.

Le Président de la République a cependant souhaité que la présidence du Conseil supérieur de la magistrature revienne à une des personnalités extérieures désignées par le collège en tenant compte du fait que, parmi ses prérogatives, figure la maîtrise de l’ordre du jour – moyen de neutraliser les accusations de corporatisme. Le Gouvernement entend bien ces critiques taxant le Conseil de corporatisme même si elles ne sont pas toutes fondées, certaines étant même franchement malveillantes. En plus de celles que j’ai moi-même menées, le Premier ministre a procédé à des consultations et a reçu tous les représentants des partis politiques ainsi que tous les responsables des groupes parlementaires.

Il est apparu que la quasi-unanimité des personnalités reçues préféraient la parité à la majorité en faveur des magistrats. Le Conseil supérieur de la magistrature lui-même se prononce en majorité pour la parité. Celle-ci n’est pas contraire aux standards européens. Certes, lorsqu’on se réfère à des recommandations émises par certaines associations ou par des organismes para-étatiques composés majoritairement de magistrats, c’est la majorité de magistrats qui est préconisée. Cependant, lorsqu’on examine des documents plus formels comme la charte européenne sur le statut des juges, adoptée en 1998, lorsqu’on considère la résolution de 2009 ou la recommandation de 2010 du comité des ministres, la préconisation est la parité. De même, le rapport Houillon-Vallini sur l’affaire d’Outreau, le rapport Vedel, le rapport Balladur, tous défendent la parité. Et lors du débat sur la réforme constitutionnelle de 2008, des parlementaires de l’actuelle opposition, alors dans la majorité, préconisaient eux aussi la parité mais la majorité a alors été donnée aux personnalités extérieures. On relève en tout cas que l’avis général est en faveur de la parité. La conférence des chefs de cours, c’est-à-dire la conférence des premiers présidents et la conférence des procureurs généraux ont adopté toutes deux une délibération commune, le 3 avril 2013, la réclamant. Le rapporteur a présenté un amendement tendant à l’instaurer, la commission l’a voté et le Gouvernement émettra, le moment venu, un avis favorable.

Le Gouvernement est en revanche relativement réservé, pour l’instant, sur l’amendement visant à donner voix prépondérante au président. Il a en effet tendance à considérer qu’en la matière, le Conseil supérieur de la magistrature devrait parvenir à des consensus.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Nous convaincrons le Gouvernement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement, par ma voix en tout cas, pense que même si nous pouvons considérer les hommes comme vertueux, il n’est pas interdit d’anticiper les circonstances où il faudra trancher les divergences ou des désaccords forts. Il vaut donc mieux prévoir les mécanismes qui organisent l’arbitrage.

M. Pascal Popelin. Voilà qui est sage !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le projet de loi prévoit que la formation plénière réunit l’ensemble des membres du Conseil supérieur de la magistrature, à savoir les membres des deux formations. Cette disposition a été discutée par la commission. Le Gouvernement avait l’intention de donner plus de légitimité, plus de poids aux avis émis par cette formation plénière mais nous entendons parfaitement les arguments selon lesquels il ne serait pas tout à fait cohérent d’installer une formation plénière qui dissoudrait, qui ferait même exploser la parité que nous voulons introduire. Nous entendons d’autant plus cet argument que c’est justement cette formation plénière qui va émettre les avis sur demande du Président de la République, qui va répondre aux questions introduites par le garde des sceaux et qui pourra s’autosaisir.

La question sur laquelle le Conseil supérieur de la magistrature lui-même n’a pas d’avis définitif est de savoir si les quatre magistrats qui vont siéger en plénière seront les mêmes pendant tout le mandat du Conseil, ou si une rotation ne pourrait pas être envisagée. Ce point ne paraît pas si évident à trancher. En tout état de cause, une telle disposition relèverait de la loi organique. Nous avons par conséquent encore un peu de temps pour y réfléchir. Soit nous maintenons le dispositif actuel – les quatre mêmes magistrats siègent en plénière pendant toute la durée du mandat –, soit nous instaurons une rotation. D’autres hypothèses ont été émises visant à introduire un système de pondération des voix pour neutraliser la majorité de magistrats s’il y siégeaient tous mais, compte tenu de l’amendement adopté par la commission, cette proposition n’est plus d’actualité.

Le texte prévoit en outre d’accorder un pouvoir d’autosaisine au Conseil supérieur de la magistrature. Jusqu’à la réforme de 2008, ce dernier pouvait s’autosaisir, c’était une pratique. De la réforme de 2008 et de l’interprétation par le Conseil supérieur de la magistrature de la loi organique, il est ressorti que ledit Conseil n’avait pas reçu du législateur le pouvoir d’autosaisine. Nous introduisons ce pouvoir en matière d’indépendance de la justice et de déontologie des magistrats. Le Gouvernement ne souhaite pas permettre une autosaisine sur le fonctionnement de l’institution judiciaire et des juridictions. Cette responsabilité relève en effet de l’exécutif, ce dernier devant répondre de l’organisation du service public de la justice devant la nation, certes, mais aussi devant le Parlement. C’est d’ailleurs pour répondre à cette obligation que le garde des sceaux peut interroger le Conseil supérieur de la magistrature sur un certain nombre de matières de façon à être en mesure de répondre au Parlement. La question du fonctionnement des juridictions ne fait donc pas partie du pouvoir d’autosaisine prévu par le texte.

Si le Président de la République comme le garde des sceaux peuvent déjà saisir le Conseil supérieur de la magistrature, lui-même devant pouvoir s’autosaisir, la question se pose pour les magistrats. Ils ne disposent pas encore de cette possibilité et nos discussions ne nous ont pas permis de trancher. Reste que si le principe consistant à permettre aux magistrats de saisir le Conseil supérieur de la magistrature est acquis – personne ne conçoit qu’ils demeurent les seuls à ne pas pouvoir saisir le Conseil –, subsiste la question de la configuration de cette saisine et de son destinataire. Le Conseil supérieur de la magistrature estime qu’il n’est pas souhaitable qu’il puisse être saisi en tant que tel parce qu’il pourrait se trouver en situation de se prononcer sur une question déontologique et, dans le même dossier, être amené à un autre moment à se prononcer dans le cadre disciplinaire. C’est d’ailleurs ce qu’il a évoqué lors de la dernière saisine que j’ai effectuée concernant le « mur de personnalités » découvert à l’intérieur d’un local syndical. Le Conseil a estimé ne pas pouvoir se prononcer sur la déontologie car il se mettrait dans l’incapacité, par la suite, de donner un autre avis s’il avait à se prononcer sur le même sujet.

C’est la loi organique qui, comme pour les justiciables, définira les conditions dans lesquelles le Conseil supérieur de la magistrature pourra être saisi par les magistrats. Reste qu’il n’existe pas d’argument solide pour s’opposer au principe de cette saisine par les magistrats.

Après la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, le deuxième grand changement proposé par le texte porte sur l’indépendance du Conseil et l’organisation de cette indépendance.

Je vous rappellerai succinctement les grandes étapes qui ont mené à la situation actuelle. En 1958, le Président de la République nommait les personnalités extérieures directement et les magistrats sur proposition de la Cour de cassation. En 1993, les magistrats sont élus. Jusqu’en 2008, ils sont toujours élus par leurs pairs mais, alors que quatre personnalités extérieures étaient nommées par le pouvoir politique, à partir de 2008, ce nombre est porté à six.

Le texte met un terme à ces nominations par le Président de la République, le président du Sénat et celui de l’Assemblée nationale.

M. Georges Fenech. Quel dommage !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La désignation des personnalités extérieures se fera par un collège de personnalités composé du vice-président du Conseil d’État, du premier président de la Cour des comptes, du défenseur des droits,…

M. Alain Marsaud. Du président du CESE !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …du président du Conseil économique, social et environnemental, du premier président de la Cour de cassation, de procureur général près la Cour de cassation et d’un professeur des universités.

Telle est la composition du collège qui désignera les personnalités extérieures. Leur candidature sera soumise à la commission des lois des deux assemblées, qui pourront, si elles le souhaitent, procéder à des auditions publiques. Ce que souhaite le Gouvernement, et ce que prévoit le texte, c’est l’établissement d’une liste de personnalités : il s’agit d’amener le collège à concevoir une équipe aux membres complémentaires, dont l’efficacité tiendrait à l’addition des compétences et des personnalités de chacun.

Le projet de loi prévoit une validation par la commission des lois aux deux cinquièmes, ce qui signifie que le choix sera validé si l’opposition n’atteint pas les trois cinquièmes. Le rapporteur et la commission des lois ont adopté un amendement qui prévoit une validation aux « trois cinquièmes positifs », d’une part, et une validation des candidatures nom par nom, d’autre part, au détriment du vote sur liste bloquée.

L’intention du Gouvernement était d’éviter la simple juxtaposition de personnalités, d’une part, et le morcellement des légitimités, d’autre part. En faisant voter la commission sur une liste constituée, il y a l’effort de constituer une équipe ; je vous rappelle que c’est en son sein qu’est désigné le président du Conseil supérieur de la magistrature. Nous verrons quel tour prendront nos débats tout à l’heure : il est évident que votre assemblée est souveraine et que le projet de loi contiendra les modifications que vous déciderez de lui apporter.

M. Georges Fenech. Absolument.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le troisième grand changement vise à assurer les conditions d’impartialité. Je l’ai dit, la loi de 1998, qui n’est pas arrivée jusqu’au Congrès, avait affiché très clairement ce souci d’assurer l’impartialité. Cette impartialité est garantie, en particulier, par les conditions de nomination des magistrats du parquet. Or ce projet de loi aligne les modalités de nomination des magistrats du parquet sur celles des magistrats du siège. C’est historique, c’est sans précédent.

M. Georges Fenech. C’est la confusion des rôles !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pour la première fois, les magistrats du parquet feront l’objet d’une nomination par avis conforme. Le garde des sceaux continuera à proposer des candidatures, mais l’avis conforme ne relèvera pas de sa seule volonté – c’est ce que j’ai fait depuis mai 2012, et c’est ce que faisait déjà mon prédécesseur depuis un an déjà. Désormais, cette disposition sera constitutionnalisée : c’est très important pour l’unité du corps, d’abord, mais cela doit aussi permettre que les magistrats du parquet soient rétablis, aux yeux de tous, dans la plénitude de leur qualité de magistrat.

M. Georges Fenech. C’est la confusion des rôles !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il faut rappeler qu’ils suivent les mêmes formations, qu’ils sont recrutés selon les mêmes modalités, qu’ils prêtent le même serment et qu’ils respectent la même déontologie. Ils relèvent de l’ordonnance de 1958 et de la voie hiérarchique établie par cette loi organique, mais pour le reste, ce sont des magistrats de plein exercice. Ces conditions de nomination, qui sont absolument identiques à celles des magistrats du siège, constituent par conséquent une modification substantielle des conditions d’indépendance de l’autorité judiciaire, et donc du fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature.

Par ailleurs, ce projet de loi aligne le régime disciplinaire des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège. Il ne reviendra donc plus au garde des sceaux d’interpréter, de modifier et de décider finalement de la sanction disciplinaire, après que le Conseil supérieur de la magistrature se sera prononcé sur saisine du garde des sceaux. La décision du Conseil s’imposera dorénavant au garde des sceaux, de la même façon qu’elle s’impose déjà à lui pour les magistrats du siège. Ces réformes modifient très profondément la nature du Conseil supérieur de la magistrature.

Il convient de rappeler que le garde des sceaux, au nom du Gouvernement, demeure responsable de la politique pénale sur l’ensemble du territoire. C’est une prérogative constitutionnelle, énoncée à l’article 20 de la Constitution, et c’est la responsabilité du garde des sceaux de veiller à ce que la politique pénale soit la même sur l’ensemble du territoire, de façon à assurer à tous les justiciables, où qu’ils se trouvent, la même qualité de justice.

Bien entendu, il revient au procureur général de décliner cette politique pénale selon les caractéristiques de son ressort, et au procureur de l’affiner encore davantage, puisque c’est lui qui exerce l’action publique. Cette question fera l’objet d’un projet de loi redéfinissant les attributions du garde des sceaux et des parquets, dont le rapporteur est Jean-Yves Le Bouillonnec, et que j’aurai le plaisir de vous présenter très prochainement. Mais la responsabilité du garde des sceaux en matière de politique pénale sur l’ensemble du territoire demeure. C’est une responsabilité lourde, que l’exécutif a le devoir d’assumer correctement.

Le projet de loi qui vous est présenté contient des modifications substantielles visant à assurer l’indépendance de cette autorité judiciaire, à travers des mesures très précises et très concrètes. Pour autant, il ne retire pas à l’exécutif sa responsabilité vis-à-vis de l’ensemble des citoyens, parce que le service public de la justice doit pouvoir fonctionner sur l’ensemble du territoire dans les mêmes conditions.

Nous sommes confrontés à une situation un peu particulière. J’ai déjà parlé du mal-être des magistrats : il s’atténue indiscutablement depuis plusieurs mois, mais comme ses origines sont assez profondes, il peut resurgir à la moindre occasion. Nous sommes, par ailleurs, confrontés à une deuxième difficulté : la baisse du nombre de candidatures au concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature. Nous avons des difficultés à recruter les magistrats nécessaires pour faire face aux départs en retraite, qui seront au nombre de mille quatre cents sur la durée du quinquennat, parce que le statut de magistrat a été quelque peu écorné.

Il est important que les responsables politiques expriment à nouveau leur confiance à l’égard des magistrats : c’est ce que fait le Gouvernement avec ce projet de loi ; c’est ce que vous déciderez éventuellement de faire en l’améliorant et en l’adoptant.

Il est important d’adresser à la société tout entière un signal sur les conditions dans lesquelles les magistrats exercent la mission de juger. Car cette réforme n’est pas faite pour le confort des magistrats ; elle est faite pour les justiciables, et pour les justiciables les plus vulnérables. Il faut que la mission de juger soit perçue comme impartiale sur l’ensemble du territoire, par ceux qui n’ont pas de réseaux, par ceux qui n’ont pas d’amis, par ceux qui doutent, par ceux qui n’ont d’autre recours, lorsqu’ils sont dans la détresse, que de s’adresser au service public de la justice.

Ces justiciables doivent obtenir de l’exécutif, ils doivent obtenir du Gouvernement la garantie que les jugements sont prononcés en toute impartialité. Cette impartialité, je le répète, n’est pas pour le juge, mais pour le justiciable. Montaigne disait déjà que : « La juridiction ne se rend pas pour le juridiciant, mais pour le juridicié. » Dans la langue d’aujourd’hui, cela signifie que la justice est conçue, non pour le juge, mais pour le justiciable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Raimbourg, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la réforme à laquelle nous nous attaquons est incontestablement une réforme difficile.

Si elle ne l’était pas, on ne comprendrait pas que le législateur se soit acharné depuis plus d’un siècle, comme vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, à essayer de réformer le Conseil supérieur de la magistrature. On ne comprendrait pas les efforts qu’a déployés dans ce sens Mme Élisabeth Guigou, lorsqu’elle était garde des sceaux en 1999. On ne comprendrait pas les efforts qui ont été faits en 2008 par l’ancienne majorité, aujourd’hui dans l’opposition, pour réformer ce Conseil supérieur de la magistrature.

La réforme que vous nous proposez, et que nous avons modifiée…

M. Georges Fenech. Substantiellement !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. …pour essayer de l’améliorer, va dans le sens de ces efforts passés. Elle essaie de concilier – ce qui est extrêmement difficile – la constitution de l’indépendance des magistrats et la préservation de leur légitimité de juger.

Ce n’est pas le concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature qui confère aux magistrats la légitimité de juger. La légitimité, ils l’ont parce qu’ils jugent au nom du peuple français ; elle leur est conférée par le Parlement. Il se produit une sorte de mouvement, par lequel le pouvoir politique met une institution à l’écart et y nomme des magistrats ; il leur donne la charge de dire le droit, et il s’y astreint, et de rendre publiques leurs décisions, qu’il respecte. Il s’agit d’un effort très difficile, ce qui veut dire que l’indépendance n’est pas un but en soi, mais un outil pour garantir l’impartialité.

Dans le même temps, il faut que la réforme fasse en sorte que ce corps professionnel, qui est indépendant, ne prenne pas une autonomie telle qu’il s’isole du reste de la société, au risque de perdre sa légitimité. Je préfère le terme de « légitimité » à l’expression « refus du corporatisme », car je pense que c’est ce mouvement-là qu’il faut conserver. La magistrature n’est pas un corps plus corporatiste qu’un autre : elle défend ses intérêts, comme tout autre corps. Il suffit de lire les travaux des sociologues pour se convaincre que c’est le fonctionnement normal de tous les corps qui composent notre pays, et de toutes nos institutions.

Le risque, c’est que l’indépendance de la magistrature renforce son corporatisme et lui fasse perdre sa légitimité, qu’elle doit conserver à tout prix : elle doit conserver ce lien essentiel avec le peuple français, au nom duquel les magistrats jugent. C’est le sens des efforts que vous avez faits, madame la garde des sceaux, avec l’ensemble du Gouvernement ; c’est le sens des efforts que nous avons faits au sein de la commission des lois, avec l’aide de M. Georges Fenech, co-rapporteur du texte, que je tiens à saluer. C’est le sens des efforts que nous avons tous faits pour renforcer à la fois l’indépendance et la légitimité de la magistrature.

Plusieurs efforts ont été fait pour garantir son indépendance, à commencer par la constitutionnalisation de l’avis conforme quant à la nomination des membres du parquet : ce n’est pas rien. Nous savons tous, madame la garde des sceaux, que vous avez respecté le principe de l’avis conforme. Nous savons que l’un de vos prédécesseurs, M. Michel Mercier, a fait de même, et peut-être fut-ce aussi le cas de Mme Michèle Alliot-Marie à la fin de son mandat.

C’est donc bien qu’il y a un accord sur la nécessité de respecter l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour la nomination des procureurs, afin que ceux-ci apparaissent, aux yeux des justiciables, comme étant à l’écart du pouvoir politique. Non que le pouvoir politique soit mauvais en soi, mais c’est précisément sa fonction que de constituer un corps à l’écart du pouvoir politique.

Outre la constitutionnalisation de l’avis conforme, ce texte prévoit aussi l’alignement du statut, pour que le régime disciplinaire des magistrats du parquet soit identique à celui des magistrats du siège, et que ce soit le Conseil supérieur de la magistrature qui gère et prononce les décisions disciplinaires.

Le deuxième effort en direction de l’indépendance, c’est la constitution d’une autorité morale au sein du CSM. C’est la possibilité, pour lui, de se saisir de toute question de déontologie et d’émettre un avis. C’est pour cela que nous demandons – et nous avons voté un amendement dans ce sens – qu’un magistrat puisse saisir le Conseil supérieur de la magistrature d’un avis en matière de déontologie. Je reviendrai sur les questions que cela pose en matière disciplinaire, et vous avez raison de les soulever, madame la garde des sceaux.

Le troisième effort en direction de l’indépendance, c’est l’apparence de la vertu : le magistrat doit être vertueux et il doit aussi avoir l’apparence de la vertu. Le Conseil supérieur de la magistrature doit être vertueux et avoir l’apparence de la vertu. La réforme de 2008 a incontestablement constitué une avancée importante, qu’il faut saluer, mais elle a un inconvénient : c’est que les personnalités extérieures sont nommées par le pouvoir politique. Le pouvoir politique, au moment de la nomination prévue en 2008 et effectuée en 2011, était constitué de trois personnalités éminentes et tout à fait respectables appartenant au même parti, l’UMP ; en 2015, les personnalités politiques chargées des nominations appartiendront toutes au parti socialiste.

M. Guillaume Larrivé. Ce n’est pas sûr !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Aucune de ces situations n’est satisfaisante. Je pourrais estimer que notre position est confortable, mais je crois que l’indépendance de l’institution nécessite que l’on s’écarte de ce système de nominations, dont on pourrait penser qu’il entraîne une certaine partialité des personnalités nommées.

M. Bernard Roman. Très bien !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Certes, tel n’est pas le cas. Mais il est très important qu’il y ait l’apparence de la vertu.

La légitimité constitue le second axe vers lequel se concentrent les efforts. La légitimité, c’est faire en sorte que jamais ce corps que l’on place à l’écart du pouvoir politique ne perde le contact avec le peuple français.

Cet effort se manifeste notamment à la lecture d’un certain nombre d’amendements que nous avons fait adopter en commission des lois, et qui m’ont semblé aller dans le sens d’un consensus. Le premier d’entre eux porte naturellement sur le rétablissement de la parité entre magistrats et personnalités extérieures, en portant le nombre de ces dernières à huit au sein du Conseil supérieur de la magistrature.

Madame la garde des sceaux, vous avez rappelé toutes les discussions au sujet de la parité, je n’y reviens donc. Lorsque l’idée de garder plus de magistrats que de personnalités extérieures au sein du CSM a été avancée, à l’exception d’un syndicat de magistrat, l’opinion a été unanime pour nous dire qu’il s’agissait d’une mauvaise idée.

MM. Bernard Roman, Jean-Yves Le Bouillonnec et Georges Fenech. Tout à fait !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Je me rappelle encore des paroles du regretté Guy Carcassonne : il nous a dit que cela serait une régression. Je ne veux évidemment pas me servir de sa mémoire le jour où l’on déplore sa disparition pour me fournir un argument d’autorité. Il était pour moi un ami, et je pense qu’il avait raison et qu’il a résumé l’opinion de toutes les personnes que nous avons entendues.

M. Georges Fenech. C’est vrai !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Il faut donc revenir à cette parité qui est conforme aux textes internationaux et qui me semble équilibrée.

La parité doit exister dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature, ainsi qu’au sein de l’assemblée générale. Nous reprenons un des mécanismes de la réforme de 2008 en vertu duquel les non-magistrats deviennent majoritaires par le jeu du mécanisme assez compliqué dont la garde des sceaux nous a parlé. Nous faisons en sorte qu’il y ait, au sein de l’assemblée générale plénière, seulement quatre magistrats du siège et quatre magistrats du parquet. Ce sont des détails techniques, mais cela garantit qu’il y ait la parité au sein de l’assemblée générale plénière, et que les magistrats ne soient pas en nombre deux fois supérieur à celui des personnalités extérieures.

Assurer la légitimité passe aussi par le fait de confier la présidence à une personnalité extérieure pré-nommée par les autorités de désignation, ce qui lui évite de commencer une campagne électorale dès la première réunion du CSM. Cette personne sera donc investie d’une légitimité assez importante, d’autant plus qu’une voix prépondérante lui est conférée. On peut imaginer que le consensus sera la règle dans le fonctionnement du CSM, mais les institutions doivent prévoir le dissensus, et il est prudent de disposer, conformément à un amendement présenté par M. Bourdouleix, que le président aura une voix prépondérante.

Les personnalités extérieures bénéficieront également de cette légitimité, puisqu’elles seront nommées individuellement et qu’elles feront l’objet d’un vote des commissions des lois. Votre commission vous propose d’organiser ce vote en prévoyant que la personne sera désignée si elle recueille les trois cinquièmes des voix exprimées. Cela sera forcément une source de légitimité importante.

Nous avons fait le tour des efforts importants qui sont faits pour garantir l’indépendance, donc l’impartialité, ainsi que la légitimité du Conseil supérieur de la magistrature.

Il faut maintenant apaiser un regret. La garde des sceaux l’a évoqué : certaines voix s’élèvent pour demander de faire du Conseil supérieur de la magistrature un Conseil supérieur de la justice, c’est-à-dire lui attribuer un pouvoir de proposition à des postes. Tant que le Conseil supérieur de la magistrature n’est pas un Conseil supérieur de la justice, ceci me semble prématuré. Pour que le CSM opère cette transformation, il faudrait y faire entrer d’autres partenaires que les magistrats : les policiers, le personnel pénitentiaire, les greffiers, les fonctionnaires ainsi que des représentants de la société civile et des représentants des élus. Cela suppose donc une organisation totalement différente.

L’essentiel est dit. Ici et là, j’entends dire qu’il est inutile de réunir le Congrès à Versailles pour si peu. Mais c’est une réforme qui nécessite effectivement que l’on fasse un effort.

D’une part, parce qu’elle contribue à restaurer le pouvoir du Parlement en prévoyant le vote à la majorité des trois cinquièmes, car cela suppose que le Parlement ait acquis une certaine maturité et soit capable de fabriquer des consensus en son sein, ce qui serait une nouveauté.

D’autre part, il est extrêmement important de restaurer la confiance entre les citoyens et la justice. Nos concitoyens sont aujourd’hui déboussolés. Si on leur donne des repères – et la justice peut parfaitement jouer ce rôle de repère –, ce ne peut être qu’une bonne chose dans une société traversée par des conflits, par le doute, par l’incompréhension et la peur de l’avenir.

Cette réforme mérite nos efforts. Il est important que nous nous retrouvions autour d’elle et que nous sachions dépasser la tentation – permanente sur ces bancs – d’une posture purement politicienne au profit de la vertu républicaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’émergence du Conseil supérieur de la magistrature dans l’histoire de l’organisation judiciaire apparaît comme la réponse républicaine au souci de préserver la justice des influences de la « puissance exécutrice de l’État », selon la formule de Montesquieu.

La justice n’est ni de gauche, ni de droite, elle est notre bien à tous. Quelles que soient nos appartenances politiques, nous sommes unanimement attachés à l’indépendance de la justice. Il s’agit là d’un principe essentiel sans lequel il ne saurait y avoir de confiance en l’institution judiciaire.

Mais voyez-vous, madame la ministre, même si nous poursuivons le même objectif, nous n’avons pas la même conception de l’indépendance. Pour nous, indépendance est avant tout synonyme de responsabilité. Pour vous, l’indépendance est comprise dans une forme de confusion avec autonomie ou autogestion du corps, j’aurai l’occasion d’y revenir.

À cet égard, la dernière réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a constitué de l’avis général une indéniable avancée, cela a été dit par la ministre et rappelé par notre rapporteur. Depuis 2008, le chef de l’État ne préside plus le CSM et le garde des sceaux n’en est plus le vice-président. On peut dire que depuis cette date, le CSM s’est véritablement affranchi de la tutelle politique. Dès lors, fallait-il encore bouger les lignes, et était-il nécessaire de s’engager dans une réforme constitutionnelle de cette importance ?

Madame la ministre, vous avez fait l’historique du CSM avec beaucoup d’aisance. Faut-il rappeler que sous François Mitterrand encore, non seulement le chef de l’État était le président du CSM, mais il nommait également l’ensemble des personnalités civiles membres du CSM ?

Nous sommes ici plusieurs parlementaires et anciens ministres à nous souvenir de cette époque où le pouvoir politique avait la haute main sur les nominations des magistrats. La rocambolesque affaire dite des « fuites du Conseil supérieur de la magistrature », en 1987, avait poussé cette situation jusqu’à la caricature. Huit membres du Conseil avaient reçu une lettre anonyme accompagnée d’une note photocopiée rédigée par la secrétaire générale du CSM à l’attention de François Mitterrand, et faisant état des opinions politiques de chacun. À cette époque l’appartenance ou le cousinage avec le syndicat de la magistrature était le meilleur passeport pour faire carrière.

Il aura donc fallu attendre plus de vingt ans pour qu’en 2008 Nicolas Sarkozy décide de lever définitivement le soupçon d’une mainmise du pouvoir politique sur les nominations des magistrats.

Aujourd’hui, madame la ministre, votre gouvernement estimant sans doute que cette évolution était insuffisante et alors même qu’aucune évaluation de cette réforme n’a été entreprise – je sais que les lois constitutionnelles n’ont pas à l’être, mais nous aurions pu avoir un débat –, vous nous proposez une nouvelle modification du CSM tant dans sa composition, que dans son fonctionnement et ses attributions. Je ne suis absolument pas convaincu que cela représentera une avancée.

Qui, dans notre pays, réclamait cette réforme du CSM ? Pas les politiques, ni les magistrats, qui sont tout à fait satisfaits de leur Conseil supérieur de la magistrature. Qui donc, si ce n’est le président Hollande qui, tout à coup, s’est engagé devant la Cour de cassation à faire en sorte que les magistrats soient en nombre supérieur au sein du CSM ? Certainement que les syndicats de magistrats le souhaitaient, le syndicat majoritaire a d’ailleurs été le seul à se féliciter du projet initial. J’emploie le terme de projet initial car le projet issu de l’examen par la commission des lois n’est plus vraiment le projet proposé par la garde des sceaux sous l’impulsion et la direction du Président de la République, et nous le verrons au terme de la discussion générale.

Je souhaite ouvrir une parenthèse pour regretter très solennellement la manière dont le chef de l’État a cru devoir relancer la réforme au lendemain du scandale de l’affaire Cahuzac, la présentant comme une sorte d’antidote à la corruption. En effet, le 4 avril, s’exprimant à chaud sur l’affaire Cahuzac, le chef de l’État a déclaré que cette affaire appelait d’abord un renforcement de l’indépendance des juges, ce qui impliquait une réforme du CSM.

Aussitôt, trois membres du CSM faisaient part au Président de la République de leur irritation en ces termes :

« Il est évident que l’affaire Cahuzac ne concerne en rien le Conseil supérieur de la magistrature, non plus qu’elle concerne, bien au contraire, l’indépendance de la justice.

« Quoi qu’il en soit, votre propos constitue, à tout le moins, à notre égard, une mise en cause, voire une accusation que nous ne pouvons accepter, dans le souci de la dignité de l’institution à laquelle nous appartenons et dont nous pouvons dire sans crainte d’être démenti qu’elle n’a pas manqué, au cours des deux premières années de son mandat actuel, d’affirmer son attachement à l’indépendance de la justice et de faire, elle-même, la preuve de son indépendance en plusieurs circonstances qui n’ont pas pu vous échapper.

« Plus grave encore, ajoutaient-ils, est le retentissement de vos propos sur l’ensemble des citoyens, qui mal informés de la réalité des choses et de la répartition des responsabilités entre les diverses institutions publiques, supposeront nécessairement que ces propos ne sont pas sans quelque fondement et que la conduite du CSM est d’abord responsable des fraudes fiscales du personnel politique. »

En réponse, le Président de la République ne pouvait que se confondre en regrets sur des propos interprétés – je le cite – « dans un sens qu’ils n’avaient pas ». Dont acte.

En tout état de cause, madame la ministre, cette polémique au plus haut niveau de l’État est bien la preuve que cette réforme nous est présentée dans une certaine précipitation, alors même que personne ne la réclamait. Où était l’urgence d’une telle réforme constitutionnelle, celle de 2008 n’étant pas encore stabilisée et évaluée ?

Comment expliquer autrement la modification substantielle du texte initial qui, malgré quelques ajustements salutaires que je reconnais, reste inopportune ?

Je soutiendrai donc le vote du rejet préalable, même si ce texte ne contient pas de dispositions manifestement inconstitutionnelles.

Une première raison pour rejeter ce texte, et elle est fondamentale, est qu’il a pour défaut d’isoler la justice dans une forme de corporatisme, contre lequel précisément la réforme de 2008 s’était efforcée de lutter, non sans quelques succès.

En effet, le constituant de 2008 avait très opportunément introduit une majorité de non-magistrats au CSM, car – j’en reviens à mon propos liminaire – l’indépendance des magistrats ne doit pas être confondue avec l’autonomie du corps judiciaire. Votre logique autogestionnaire est contraire à l’évolution qui tend à la reconnaissance d’un pouvoir judiciaire.

J’entends d’ailleurs parler de « conseil de justice ». S’agira-t-il de la prochaine grande réforme ? Allons-nous vers la création d’un véritable pouvoir judiciaire institutionnel, lequel exige nécessairement une participation importante du corps social à sa gestion par le biais d’un droit de regard externe et, par voie de conséquence, de la mise en œuvre d’une forme de responsabilité ? C’est tout le contraire que le projet de loi constitutionnelle propose.

Son exposé des motifs indique : « Par l’effet du présent projet de loi constitutionnelle, les magistrats de l’ordre judiciaire, au nombre de huit, redeviennent majoritaires, ce qui va dans le sens des recommandations du Conseil de l’Europe. » Cette manière de présenter les choses est tronquée ou erronée – vous l’avez d’ailleurs rectifiée dans votre intervention, madame la garde des sceaux. À l’évidence, cette présentation ne correspond pas à la réalité européenne. La mise en place d’une majorité de magistrats ne répond à aucune exigence européenne.

Comme vous l’avez également rappelé, il existe bien une recommandation du comité des ministres du Conseil de l’Europe. Cependant, outre le fait qu’elle soit dénuée de valeur nominative, cette recommandation de 2010 ne s’oppose pas à la mise en place du système paritaire que vous allez proposer. Je cite ce texte : « Au moins la moitié des membres de ces conseils » – il s’agit des conseils de justice – « devraient être des juges choisis pas leurs pairs issus de tous les niveaux du pouvoir judiciaire et dans le plein respect du pluralisme au sein du système judiciaire. » Il n’y est donc nullement question d’une majorité de magistrats qui constituerait un standard européen. Vous l’avez reconnu tout à l’heure : le standard européen, c’est la parité.

À cet égard, je rappelle que le club de réflexion Terra Nova, qui inspire abondamment la politique menée par la gauche, l’Institut pour la justice, qui regroupe quelque 70 000 adhérents, ainsi que la commission de réflexion pour la justice présidée en 1997 par M. Pierre Truche, ont préconisé une majorité de non-magistrats au sein du CSM. Vous voyez que le consensus existait sur ce point.

Je pourrais encore citer l’opinion de notre estimé président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas – il n’est toujours pas de retour dans cet hémicycle –, qui déclarait le 27 mars dans les colonnes du journal Le Monde : « Remettre au sein du CSM une majorité de magistrats, n’est-ce pas prendre le risque que renaissent des stratégies de réseau ? Est-ce vraiment le gage d’une grande transparence ? Je suis, pour le moment, dubitatif. »

Madame la garde des sceaux, ces mêmes doutes se sont manifestement emparés de notre très estimé rapporteur Dominique Raimbourg, qui modifie aujourd’hui courageusement et substantiellement l’une des promesses de François Hollande – une de plus, oserais-je ajouter – en se repliant sur le principe de la parité entre ceux qu’il est convenu de nommer les « clercs » et les « laïcs » au sein du CSM.

Nous l’avions senti dès le début de nos auditions. Comment aurait-il pu en être autrement, d’ailleurs, quand l’écrasante majorité des personnalités auditionnées ont dénoncé « une syndicalisation-politisation de la justice », « un système oligarchique coupé du système démocratique », « une régression démocratique » ou « une réforme USM ». Le projet gouvernemental n’a finalement trouvé grâce qu’aux seuls yeux du syndicat majoritaire, et pour cause : il lui faisait la part belle en raison du mode d’élection des magistrats présentés sur les listes syndicales.

Permettez-moi de rendre hommage, à mon tour, au grand constitutionnaliste Guy Carcassonne, que nous avons entendu il y a quelques semaines et qui vient de disparaître. Vous l’avez rappelé, cher collègue Raimbourg : c’est lui qui avait qualifié ce texte de « régression démocratique ».

Nous en revenons donc aujourd’hui à la parité entre magistrats et personnalités issues de la société civile. C’est un moindre mal, mais permettez-moi de vous répéter, cher collègue Raimbourg, l’expression que j’ai employée en commission des lois : « Tout ça pour ça ? » Quel rétropédalage !

Vous vous apprêtez à convoquer la lourde machine du Congrès de Versailles, mais ce projet de loi constitutionnelle ne subira-t-il pas le même sort que celui de 1998 qui n’a jamais abouti ? Je me pose en effet la question : irons-nous vraiment à Versailles ? C’est vous qui êtes maître de la réponse. En tout état de cause, vous vous apprêtez donc à convoquer cette énorme machine du Congrès de Versailles : l’ensemble des députés et des sénateurs devront dire, au cours d’une grand-messe constitutionnelle : « Il faut un magistrat de plus au CSM. » Je synthétise, bien sûr, mais voilà résumé ce projet de loi constitutionnelle.

Toute la République va donc se mobiliser pour un seul homme, sans doute le magistrat qui coûtera le plus cher à la République. Par temps de crise budgétaire, cette décision confine à la dérision ou à la gabegie. Je me suis amusé tout à l’heure – pardonnez-moi cette facétie – à faire un petit calcul. La convocation d’un Congrès coûte la bagatelle de 500 000 euros – certains évoquent même la somme d’un million d’euros.

M. Alain Tourret. C’est possible…

M. Georges Fenech. Si l’organisation d’un Congrès coûte effectivement la bagatelle de 500 000 euros,…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Quelle hauteur de vue !

M. Georges Fenech. …alors le magistrat supplémentaire au CSM représente environ trente-cinq ans de SMIC. Quelle gabegie, madame la garde des sceaux !

De surcroît, la réforme Hollande, devenue la réforme Raimbourg, censée renforcer l’indépendance de la justice, a pris tout à coup des allures que je qualifierais de « montres molles » à la Salvador Dali.

Madame la garde des sceaux, n’aurait-il pas été plus responsable et urgent de vous attaquer à d’autres problèmes que connaît notre justice, notamment à la lutte contre la délinquance, repartie à la hausse depuis l’annonce de certains de vos projets comme la suppression des peines planchers pour les récidivistes, la suppression de la rétention de sûreté pour les criminels les plus dangereux – alors que quelques crimes atroces nous ont récemment rappelé à quel point cette mesure sera utile –, ou encore la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs ? N’aurait-il pas été plus urgent d’augmenter le nombre de places dans les établissements pénitentiaires, le jour même où des directeurs d’établissements défilent sous vos fenêtres de la place Vendôme ?

Comme si cela ne suffisait pas, vous vous apprêtez à affaiblir la légitimité des personnalités civiles, que vous proposez de faire nommer selon un mode que je ne qualifierais pas de compliqué – terme employé par M. Raimbourg –, mais d’usine à gaz.

En effet, vous ferez nommer ces personnalités civiles, devenues minoritaires ou paritaires – on ne sait plus vraiment –, collectivement par un curieux collège réunissant le vice-président du conseil d’État, le président du conseil économique, social et environnemental, le Défenseur des droits, le premier président de la Cour de cassation, le procureur général près la Cour de cassation, le premier président de la Cour des comptes et un professeur d’université. Ce collège devra désigner cinq ou six personnalités qualifiées – nous ne savons pas encore – n’appartenant ni au Parlement, ni à l’ordre judiciaire, ni à l’ordre administratif, ni aux barreaux.

Pourquoi diable avoir choisi une nomination et une validation collectives plutôt qu’individuelles ? Là encore, il y a eu un rétropédalage. Heureusement, notre rapporteur a eu un regard lucide et a revêtu les habits du pompier de service pour revenir à une validation individuelle et à une majorité positive des trois cinquièmes – une autre nouveauté, soit dit en passant.

Mes chers collègues, quelle erreur d’avoir opté pour un système qui, au fond, affaiblit la légitimité des personnalités civiles, puisque celles-ci ne seront plus nommées, à l’instar des membres du Conseil constitutionnel, par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale, donc par les plus hautes autorités du pays. Leur nomination sera diluée dans ce collège de personnalités désignées par les responsables d’institutions de la République qui, aussi prestigieuses soient-elles, ne leur conféreront jamais la même force qu’une nomination par les dépositaires directs de la légitimité du suffrage universel.

M. Guillaume Larrivé. Très bien !

M. Georges Fenech. Sans qu’il me soit nécessaire d’aller plus avant dans la critique de ce projet de loi bien mal ficelé, vous avez compris, mes chers collègues, qu’il ne m’apparaît ni pertinent ni opportun de l’adopter en l’état. Il est le fruit d’une précipitation et d’un manque de concertation.

Madame la garde des sceaux, le risque majeur du corporatisme pointe et condamne d’ores et déjà définitivement cette réforme, à laquelle le Gouvernement serait bien avisé de renoncer.

Ainsi, après la suppression des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels, la suppression d’une majorité de non-magistrats au sein du CSM va clairement à l’encontre du rapprochement entre les Français et leur justice voulu par la précédente majorité. Couper la justice du peuple français est une faute. Quel pouvoir peut se revendiquer d’une légitimité quand il n’est pas élu et quand il lui arrive, par pure idéologie, de refuser ostensiblement d’appliquer des lois pourtant votées par la représentation nationale ?

Ce Gouvernement se recroqueville sur lui-même en refusant de rendre des comptes, comme l’a récemment démontré la déplorable affaire dite du « mur des cons », d’autant que vous avez expressément renoncé, madame la garde des sceaux, à saisir l’Inspection des services judiciaires. Imaginez les dégâts que cette image de juges irresponsables provoque dans l’opinion publique !

Enfin, ce pouvoir est isolé dans sa tour d’ivoire, et quelquefois dans sa tour de Babel, car il confond tout. Il confond le statut et le rôle du procureur et du juge : madame la garde des sceaux, vous alignez ces deux fonctions sur un même modèle de nomination, de discipline et d’avancement ; vous vous privez de la possibilité de leur donner des instructions. Vous dites que vous allez mener une action publique, dont vous êtes responsable devant le pays, mais vous vous privez de tous les moyens de le faire.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Non !

M. Georges Fenech. En définitive, ce projet de loi constitutionnelle porte en germe l’affaiblissement de l’indépendance de la justice, principe essentiel qui fonde notre puissante démocratie. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le député, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention, mais j’ai éprouvé quelques difficultés de compréhension.

Vous avez commencé votre intervention en expliquant que je confondais l’indépendance et l’autonomie. Je vous rappelle d’ailleurs que la Constitution évoque « l’indépendance de l’autorité judiciaire ». Si cette notion vous contrarie, c’est à la Constitution qu’il faut vous en prendre : ce sera plus difficile que de me mettre en cause – j’en conviens et, d’ailleurs, c’est tant mieux ! Puis vous avez conclu en affirmant que cette réforme affaiblira l’indépendance de la justice. Vous avez donc effectué un extraordinaire voyage magique entre le début et la fin de votre intervention !

Vous affirmez que cette réforme a été préparée dans la précipitation. Je ne sais pas sur quoi vous fondez ces allégations. En commission des lois, déjà, vous nous avez accusés d’avoir conçu cette réforme pour répondre à l’affaire Cahuzac. J’ai eu l’occasion de vous répondre sur ce point en commission des lois : vous confondez manifestement ce texte avec les projets de loi visant à lutter contre la fraude fiscale, les atteintes à la probité et la corruption, et avec le projet de loi visant à instaurer un parquet financier à compétence nationale – il s’agit d’autres textes, qui n’ont rien à voir avec le Conseil supérieur de la magistrature.

Le présent projet de loi constitutionnelle a été préparé il y a plus de huit mois. J’ai commencé les consultations en octobre 2012 : je ne vois donc pas pourquoi vous parlez de précipitation. Les consultations ont eu lieu ; le texte a été écrit et soumis au Conseil d’État, qui a émis des observations, puis il a été présenté en conseil des ministres. Je pense qu’il y a des confusions dans vos propos, mais cela n’a guère d’importance.

Vous dites que le Président de la République a fait du rétropédalage. Là encore, c’est une confusion.

Vous affirmez que l’affaire Cahuzac, qui semble constituer un point fixe de votre horizon, est à l’origine des projets de loi du Gouvernement et des déclarations des uns et des autres. À plusieurs reprises, pourtant, le Gouvernement, en particulier par la voix du Premier ministre, a rappelé que depuis que nous sommes aux responsabilités, nous n’intervenons pas dans les dossiers individuels. Ce projet de loi constitutionnelle en constitue une illustration. Il est important que la justice puisse agir sans entrave, sans ingérence de l’exécutif : cette nécessité est justement mise en œuvre dans ce projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Ne confondez pas tout ! Depuis que nous sommes au Gouvernement, la justice a pu suivre son cours : il n’y a pas eu de démembrements de dossiers, de délocalisations d’affaires, ni d’instructions individuelles. La justice a pu faire son travail, et nous allons consolider ces conditions de fonctionnement à travers cette réforme de la magistrature !

En outre, la lettre dont vous faites beaucoup de cas a été signée par deux membres du Conseil supérieur de la magistrature.

M. Georges Fenech et M. Gilles Bourdouleix. Trois !

M. Pascal Popelin. Trois, en effet.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Soit. Mais considérer que trois membres sur quinze représentent la voix du Conseil supérieur de la magistrature est une arithmétique quelque peu inédite.

Le texte a été modifié par le rapporteur et la commission des lois, dites-vous. J’espère bien qu’il sera modifié par l’Assemblée ! Manifestement, j’ai plus confiance que vous, monsieur Fenech, dans la qualité du travail que produisent les assemblées parlementaires ! (Sourires.)

Oui, ce texte doit être amendé. C’est tout le sens du débat parlementaire. Et ceux qui se précipitent pour annoncer qu’ils ne voteront pas le texte nient, ni plus ni moins, l’apport du travail parlementaire. Qu’ils décident, en fin de parcours législatif, de ne pas voter le texte, cela peut s’entendre. Qu’ils décident d’emblée que le texte ne peut pas être voté a de quoi déconcerter quelque peu.

M. Guillaume Larrivé. Ils préfèrent tout simplement l’état du droit existant.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Préférer l’état du droit existant, certes. Vous en avez le droit et vous aurez l’opportunité de l’exprimer. Vous pouvez ainsi considérer que les conditions de nomination de certaines personnalités sont satisfaisantes : c’est un point de désaccord avec nous.

M. Guillaume Larrivé. Absolument.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous pouvez de même considérer que le fonctionnement actuel du CSM, indépendamment de la discipline que je m’impose en tant que garde des sceaux et de ce que nous avons décidé d’inscrire dans la Constitution, est satisfaisant. Pour notre part, nous avons l’ambition d’aligner les modalités de nomination des magistrats du parquet sur ceux du siège, d’aligner le régime disciplinaire. Vous avez le droit de ne pas le vouloir, mais vous avez aussi le droit, et un peu le devoir, d’essayer de convaincre l’Assemblée qu’il faudrait faire autrement. (Sourires.) Mais nous n’avons pas encore entamé le débat que certains condamnent d’ores et déjà le texte.

À chaque fois que nous faisons notre travail, vous rétorquez que nous ferions mieux de faire autre chose. Soit, mais il faut tout de même faire le travail, notamment celui sur lequel le Président de la République s’est engagé.

Vous avez fait remarquer que, depuis mes déclarations, on a observé une augmentation de la délinquance. Il faudrait peut-être accorder vos points de vue car j’ai lu avec beaucoup d’amusement dans la presse, mais je l’ai également entendu au travers d’une question qui m’a été posée cet après-midi, que vous me reprochiez tout à la fois trop de sévérité et pas assez de sévérité, générant ainsi un sentiment d’impunité. Apparemment, c’est moi qui rendrais les jugements, déciderais des incarcérations et enfermerais les gens contribuant à la surpopulation carcérale alors qu’elle est le fait des jugements des magistrats sur la base des lois que votre majorité a votées !

Un journal n’a-t-il pas accompli le prodige de titrer « La politique antiprison de Taubira mise en accusation », et d’écrire à la ligne juste en dessous « que la surpopulation carcérale bat des records » ? Une thèse et une antithèse en deux lignes : voilà une véritable prouesse qu’il faudra enseigner aux futurs bacheliers !

En l’occurrence, le sujet n’est pas la délinquance. Nous avons déjà eu un débat sur la population carcérale et les réponses pénales possibles. J’ai eu l’opportunité de m’exprimer à la tribune de l’Assemblée nationale le 19 mars dernier autour du rapport de la mission Raimbourg-Huyghe. Nous aurons d’autres occasions de parler de ce sujet parce que, manifestement, les mécontentements récurrents que vous exprimez prouvent qu’il y a matière à améliorer nos lois pénales et, surtout, nos politiques pénales et pénitentiaires.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. La réforme que nous proposons vise à constitutionnaliser l’indépendance et la protection des membres du parquet, lesquelles existent depuis plusieurs années déjà. Il est donc important de l’inscrire dans les textes. Si cela permet de restaurer la confiance et la sérénité dans ce pays qui en a tant besoin, rien que pour cette raison, cela vaut la peine d’aller à Versailles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Au titre des explications de vote, la parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Notre groupe ne partage pas l’argumentation qui a été développée par notre collègue Georges Fenech, pour deux raisons.

D’abord, nous considérons que la réforme du Conseil supérieur de la magistrature est nécessaire, la révision constitutionnelle de 2008 n’ayant pas atteint l’objectif de rétablir la confiance entre la justice et les citoyens.

Ensuite, nous considérons que le projet de loi constitutionnelle qui nous est présenté permet d’approfondir les garanties d’indépendance de la justice. Les dispositions proposées concernant la composition du CSM, le mode de désignation ou son fonctionnement le mettent à l’abri de toute intervention politique.

Telles sont les raisons pour lesquelles, nous ne voterons pas la motion de rejet préalable.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Pascal Popelin. Notre collègue Fenech a évoqué les époques caractérisées par la haute main du pouvoir politique sur la magistrature ; nous en avons connu beaucoup dans l’histoire de notre république. Vous vous êtes largement appuyé, cher collègue, sur l’une d’entre elles datant d’une époque qui vous convenait à tout le moins. Chacun ici pourrait en citer à l’envi. Or, en la matière, je ne suis pas certain que les plateaux de la balance de la justice soient sur ce point équilibrés entre vous et nous-même si, à en croire votre discours, l’indépendance de la justice aurait commencé à l’an II de la présidence de Nicolas Sarkozy !

Vous tenez absolument à faire un lien entre l’inscription de ce texte à l’ordre du jour et l’affaire Cahuzac comme s’il n’y avait pas d’autres affaires en cours.

Je me permets de vous faire remarquer que c’est grâce à la politique de l’actuel exécutif que les procédures se déploient sans entraves, ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé. Il nous semble donc prudent et utile de conforter et de garantir cette indépendance du Conseil supérieur de la magistrature dans la Constitution et la loi.

Permettez-moi aussi de vous renvoyer aux engagements du Président de la République en février 2012, qui faisaient état de cette réforme - cela ne date donc pas de la semaine dernière.

Nous ne confondons pas, cher collègue, indépendance et autonomie, pas davantage indépendance et irresponsabilité. Rien dans votre démonstration n’est venu étayer vos assertions. Ce texte n’est pas peut-être pas une montagne, mais il n’a rien d’une souris. Et le résumé que vous en avez fait n’est rien d’autre qu’une caricature qui, je le déplore, manquait singulièrement de hauteur de vue.

Le groupe SRC repoussera bien évidemment la motion de rejet préalable, mais j’invite tout de même nos collègues de droite à surmonter leur opposition afin de permettre l’adoption de ce progrès pour nos institutions et notre démocratie lorsque nous serons réunis en Congrès. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marsaud, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Alain Marsaud. Je n’avais pas prévu d’intervenir dans le débat, mais comme j’étais le magistrat qui passait par là, on m’a demandé de me dévouer. (Sourires.)

Madame la garde des sceaux, vous en première ligne, et nous-mêmes, nous sommes là pour répondre aux difficultés que rencontre l’ensemble des justiciables, de celles et ceux qui s’en vont rencontrer la justice au petit matin, le soir, dans les cours d’assises, au tribunal correctionnel, au tribunal civil. Et notre rôle est de trouver des solutions. Mais en quoi, votre texte est-il un progrès ? Est-ce que la réforme constitutionnelle que vous proposez permettra-t-elle à la justice de mieux fonctionner ?

Il faut en finir avec un mythe. Nous sommes en 2013, madame la garde des sceaux, nous ne sommes pas en 1922 ni même en 1958. On entend parler de la haute main du politique sur la justice. Pardonnez-moi de vous dire, madame la garde des sceaux, que je n’ai pas vu votre main sur le fonctionnement de la justice. Je ne vous ai pas soupçonnée ni vous ni une autre garde des sceaux ici présente, d’avoir fait en sorte que le politique gère les affaires judiciaires. Je suis peut-être très naïf, me direz-vous, mais je ne suis pas certain que cela existe, mais beaucoup vivent dans ce fantasme.

En vérité, que proposez-vous ? Ni plus ni moins qu’une fermeture. En 2008, nous avions mis en place une forme d’ouverture, au demeurant sans doute insuffisante, mais ce que vous proposez c’est la fermeture, en raison de ce fameux danger de corporatisme qui est si présent dans le texte. Je vous soupçonne, madame la garde des sceaux, comme certains de vos prédécesseurs de gauche, de subir la pression, pour ne pas dire plus, des corporatismes judiciaires qui sont toujours très forts.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Comment peut-on dire des choses pareilles ?

M. Alain Marsaud. Le problème de la justice n’est pas là, madame la garde des sceaux. Nous n’avons pas rencontré un seul citoyen qui demande une réforme constitutionnelle ! En revanche, nous avons rencontré des citoyens qui demandent que la justice fonctionne, que le recrutement soit de meilleure qualité, que les magistrats soient plus compétents, et qu’ils puissent obtenir justice.

C’est pourquoi, nous voterons la motion de rejet préalable.

Mme la présidente. Sur la motion de rejet préalable, je suis saisie par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Gilles Bourdouleix, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Gilles Bourdouleix. Il y a dans ce texte, dans sa version gouvernementale, des éléments positifs et négatifs. Nous attendrons la fin du débat avant de nous prononcer et espérons que certains de nos amendements seront adoptés.

Mettons en balance les avantages et les inconvénients. Parmi les avantages, figure la constitutionnalisation de certaines pratiques que nous saluons, pratiques mises en œuvre par au moins deux gardes des sceaux. Au rang des inconvénients, figure une majorité de magistrats dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature. À juste titre, notre collègue Fenech a dénoncé le risque de corporatisme dans lequel il ne faut pas s’engager. Pour justifier votre choix, vous arguez du fait que vous deviez répondre à des exigences européennes, ce qui n’est pas tout à fait exact.

En l’état actuel du texte, nous ne pouvons le voter. Dans ces conditions, le groupe UDI votera la motion de rejet préalable présentée par le groupe UMP.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.

M. Sergio Coronado. J’ai écouté attentivement notre collègue Fenech. Il me semble qu’il a eu beaucoup de mal à avancer des arguments sérieux pour s’opposer à ce que l’Assemblée débatte de ce projet. Il a critiqué tantôt le texte gouvernemental, tantôt les améliorations proposées en commission par le rapporteur, mais sans vraiment être capable de nous dire quelle était son opposition sur le fond.

L’enjeu de ce texte est l’indépendance de la justice. Il est vrai que l’on ne rencontre pas de Français qui demandent une réforme constitutionnelle. En revanche, l’on en rencontre beaucoup qui sont inquiets quant à l’indépendance de l’institution judiciaire, à l’existence d’une justice à deux vitesses, implacable avec les faibles, bienveillante, pour ne pas dire complaisante, avec les forts. Nul besoin de faire référence aux affaires qui ont émaillé la chronique ces derniers temps. On pourrait du reste remonter à la présidence de Nicolas Sarkozy, mais le débat n’est pas là.

Vous avez pointé quelques risques, notamment celui du corporatisme. Mais pour avoir, comme moi, assisté aux débats en commission, vous devriez être rassuré par la proposition de parité du rapporteur laquelle clarifie la situation et permet un fonctionnement qui ne s’enferme pas dans le corporatisme, mais consacre l’indépendance de l’institution judiciaire.

Ce texte poursuit la logique entamée lors de la révision constitutionnelle de 2008, et c’est une bonne chose. Je m’étonne qu’un parlementaire puisse s’offusquer qu’un texte d’origine gouvernemental puisse être amélioré par le travail en commission et dans l’hémicycle.

Il est assez rare que les textes du Gouvernement nous donnent une telle latitude.

Pour toutes ces raisons, je m’opposerai à la motion de rejet. J’ai hâte que nous débattions de ce texte qui consacre l’indépendance de la justice. Les Français en ont besoin, c’est ce qu’ils nous demandent et c’est un engagement du Président de la République, de la majorité.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Je voudrais soumettre quelques observations à M. Fenech.

Tout d’abord, dès lors qu’il reconnaît lui-même qu’il n’a aucun motif pour contester la constitutionnalité du texte, toute son argumentation tombe. Soit le texte est conforme à la Constitution, soit il ne l’est pas. Il l’est, dont acte.

Par ailleurs, monsieur Fenech, j’appartiens à un groupe qui a voté en 2008 la réforme que vous avez proposée. Nous ne nous sommes pas systématiquement opposés aux textes de la majorité, comme vous le faites aujourd’hui. Vous avez tort de réagir ainsi car, à l’évidence, non pas le texte du Président de la République, mais celui que la commission des lois a amendé, représente un véritable progrès, puisqu’il consacre la parité, qu’il réforme la présidence du conseil, et qu’il change la nature des avis rendus, désormais conformes.

Ne serait-ce que pour toutes ces raisons, nous nous opposerons à la motion présentée par le groupe UMP.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion de rejet préalable.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin sur la motion de rejet préalable :

Nombre de votants 82

Nombre de suffrages exprimés 82

Majorité absolue 42

(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la dernière réforme du Conseil supérieur de la magistrature, en 2008, avait pour objectif clairement affiché de rétablir la confiance entre la justice et les citoyens, une confiance largement entamée comme l’avait souligné le Conseil supérieur de la magistrature lui-même dans son rapport d’activité de 2007, publié en octobre 2008, qui présentait les résultats de l’enquête d’opinion menée par l’IFOP. Cette étude révélait que le motif principal de défiance à l’encontre de la justice résidait dans son caractère inégalitaire, 61 % des personnes interrogées déclarant que la justice n’est pas la même pour tous.

La révision de 2008 n’a pas permis de restaurer cette confiance. Toujours selon l’IFOP, en 2011, seuls 55 % des Français font confiance à la justice tandis que 72 % d’entre eux considèrent qu’elle fonctionne mal.

Le sentiment que la justice n’est pas la même pour tous, qu’elle est complaisante à l’égard d’intérêts particuliers et trop souvent dépendante du pouvoir politique reste ainsi très fort chez nos concitoyens. Si, depuis 2008, le Président de la République ne préside plus le Conseil supérieur de la magistrature, le lien avec le pouvoir exécutif n’a pourtant pas été rompu, loin s’en faut.

De surcroît, si pour notre part nous étions favorables à une plus grande ouverture sur la société civile avec des personnalités extérieures en nombre supérieur aux magistrats, leur mode de désignation ne pouvait garantir une représentation pluraliste à l’abri des dérives partisanes.

Bref, la dernière réforme du Conseil supérieur de la magistrature n’a pas permis de garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire. C’est pourquoi nous approuvons la philosophie du projet de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui et qui vise à approfondir les garanties d’indépendance de la justice et à permettre que dans sa composition, son mode de désignation et son fonctionnement, le Conseil supérieur de la magistrature soit à l’abri de toute intervention politique.

S’agissant de sa composition, nous demeurons favorables à un Conseil supérieur de la magistrature davantage ouvert sur la société civile. Nous sommes opposés à une autogestion du corps de la magistrature. Nous regrettons par conséquent que le projet de loi prévoie que les magistrats redeviennent majoritaires, persuadés que l’indépendance de la magistrature ne saurait être assurée par les seuls magistrats, sans risque de corporatisme. C’est pour cette raison que nous jugeons opportune la présence d’une majorité de personnalités extérieures, qui ne doivent plus être directement nommées par le pouvoir politique. Comme le souligne très justement Jean-Claude Magendie, premier président honoraire de la cour d’appel de Paris, « Il est à redouter que la prédominance accrue des magistrats au sein du CSM expose celui-ci au risque d’un corporatisme déjà particulièrement fort au sein des professions judiciaires. Surtout, c’est oublier que le CSM est avant tout une autorité constitutionnelle qui doit être ouverte vers la société civile pour laquelle la justice est rendue. Aussi, la présence d’un avocat et la participation majoritaire de personnalités extérieures constitue-t-elle le gage d’une plus grande diversification des idées en son sein ».

Le choix de la parité entre magistrats et non-magistrats retenu par la commission des lois nous semble ainsi plus judicieux. L’équilibre au sein du Conseil entre magistrats et personnalités extérieures écarterait en effet les soupçons de corporatisme et de clientélisme. Cela permettrait également, comme le souligne le rapport, de mettre un terme à une querelle qui conduit assez largement à occulter les questions de fond qui concernent les compétences du Conseil supérieur de la magistrature. La proposition de parité entre magistrats et non-magistrats avait d’ailleurs été émise en 2006 par la commission d’enquête constituée après l’affaire Outreau. Sur plusieurs autres points, le projet de loi comporte également des avancées notables, en particulier dans la version adoptée par la commission des lois, à l’heureuse initiative de notre rapporteur dont je veux ici saluer la qualité du travail.

Concernant la nomination des membres du Conseil supérieur de la magistrature, il nous paraît clair que pour être légitimes, ils doivent échapper à tout soupçon de sujétion au pouvoir politique. À cette fin, le texte prévoit que cinq des sept personnalités extérieures, six des huit dans la version de la commission, seront proposées par un collège de personnalités indépendantes, ce qui permet de rompre efficacement le lien avec le pouvoir politique. De même, nous sommes favorables à l’élargissement de la composition de ce collège, proposée par la commission des lois, au président d’une instance consultative de protection des libertés publiques et de défense des droits de l’Homme.

Le projet de loi constitutionnelle prévoit ensuite que la liste des personnalités désignées par le collège ad hoc devra être approuvée par les commissions des lois des deux assemblées, par un vote bloqué. Compte tenu des nombreux inconvénients qu’engendrerait un tel vote, la commission des lois a retenu un vote candidat par candidat qui nous paraît à la fois plus approprié et plus lisible.

Sur les conditions de majorité requise, la commission des lois a également adopté une modification importante, en prévoyant que les nominations de personnalités extérieures devraient être validées par un vote positif des trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions plutôt que par l’absence d’un vote négatif à la même majorité qualifiée. C’est là, me semble-t-il, une exigence démocratique pour asseoir la légitimité des personnalités extérieures.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit que la formation plénière sera désormais présidée par un président unique élu par les membres de cette formation parmi les personnalités extérieures. Si nous considérons que la présidence du Conseil supérieur de la magistrature par un non-magistrat est de nature à lever tout soupçon de corporatisme de l’institution et à renforcer son image d’impartialité, nous considérons dans la même logique, en accord là aussi avec les modifications retenues par la commission, que la désignation du président doit être faite par le collège ad hoc, puis validée par une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des commissions des lois des deux assemblées.

Avec la réforme qui nous est proposée, les compétences du Conseil supérieur de la magistrature sont également et opportunément renforcées puisque aucun magistrat du parquet, quelle que soit sa fonction, ne pourra être nommé sans un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature à la proposition faite par la garde des sceaux. Il s’agit ici de mettre fin à la possibilité pour l’exécutif de passer outre l’avis simple du Conseil supérieur de la magistrature comme cela fut le cas à plusieurs reprises dans le passé.

C’est aussi une avancée importante qui élève le Conseil supérieur de la magistrature au rang de codécideur et ôte à la Chancellerie la possibilité de faire pression sur les magistrats du parquet. L’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, que nous appelions de nos vœux depuis plusieurs années, représente l’une des garanties de l’autonomie des parquets et de la protection de leur statut juridique.

Le texte prévoit ensuite que le pouvoir disciplinaire à l’égard des magistrats du parquet, qui relevait du ministre de la justice, revient désormais à la formation « parquet » du Conseil supérieur de la magistrature. Nous souscrivons pleinement à cette évolution qui consiste à aligner le statut des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège en matière disciplinaire.

Enfin, autre avancée, la formation plénière du Conseil pourra désormais se saisir de toute question portant sur la déontologie des magistrats et l’indépendance de la justice. De même, nous adhérons à la possibilité, adoptée par la commission des lois de saisir directement le Conseil sur une question de déontologie qui le concerne.

Pour conclure, cette réforme du Conseil supérieur de la magistrature constitue indéniablement l’un des moyens pour renforcer l’indépendance de la justice et garantir l’impartialité du Conseil, même s’il n’est évidemment pas le seul. La transparence du fonctionnement de l’institution judiciaire, la mise en œuvre d’une politique pénale ambitieuse, l’amélioration sensible des moyens accordés à la justice, sont également indispensables à l’instauration d’un véritable lien de confiance entre nos concitoyens et la justice.

Cela étant précisé, ce projet de loi constitutionnelle porte une réforme indispensable du Conseil supérieur de la magistrature et les amendements de la commission des lois, que, je l’espère, notre assemblée retiendra, l’amélioreront très significativement.

Pour toutes ces raisons les députés du Front de gauche voteront avec conviction ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. René Dosière. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur et cher Dominique Raimbourg, mes chers collègues, notre assemblée examine un projet de loi constitutionnelle visant à réformer le Conseil supérieur de la magistrature. La garde des sceaux et notre rapporteur nous ont présenté tout à la fois la philosophie et les enjeux de cette réforme, mais également son contenu technique.

Il me semble que l’on ne peut entrer dans un débat d’une telle importance sans poser ou revisiter une grande question qui n’a épargné aucun des débats parlementaires qui ont successivement porté sur ce sujet. Je veux parler du sens de la justice et de l’attente que placent nos concitoyens dans son fonctionnement.

Depuis son apparition avec la loi du 30 août 1883, que vous avez rappelée, madame la garde des sceaux et qui est intervenue – le symbole est étonnant – après une suspension des magistrats du siège, le Conseil supérieur de la magistrature a connu bien des réformes successives : d’abord en 1946 avec la Constitution de la Quatrième République, puis avec la révision constitutionnelle importante qui a amélioré et modifié le lourd dispositif constitutionnel de 1958, enfin avec la tentative de révision de 1998 et la réforme de juillet 2008, sans parler de toutes les commissions, de toutes les réflexions, en particulier celles de notre ami Guy Carcassonne que j’évoque avec beaucoup d’émotion puisqu’il nous a fait en permanence réfléchir à la démarche qui avait été celle de notre pays au cours de ces presque 150 années.

M. René Dosière. Un grand constitutionnaliste.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. En effet.

Ce fut un chemin laborieux que celui de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature : sans nul doute un peu trop escarpé pour que son usage en soit aisé et rapide, mais chaque étape, au cours de ces vingt dernières années, a constitué un progrès, certes insuffisant, parfois un peu contradictoire, mais tout de même un progrès, une sorte de lente accession à ce que nous recherchons tous.

Qu’attendent nos concitoyens de la justice et de ceux qui en sont les premiers acteurs, les magistrats ? Nous connaissons la réponse : nos concitoyens veulent être jugés sur le seul fondement de l’application de la loi, du droit, et en l’absence de toute contrainte.

Ils considèrent que ce principe n’est pas respecté et que tous les progrès qui ont pu être faits n’entament pas les soupçons qu’ils ont à l’égard de la justice. La justice est trop dépendante du politique. Il y a quelques instants, Marc Dolez rappelait l’appréciation portée par nos concitoyens sur la justice.

L’article 6 de la Convention européenne rappelle l’exigence de garantir le droit fondamental pour chaque citoyen de voir son cas jugé équitablement sur le seul fondement de cette application du droit. Cette exigence fonde le principe selon lequel les magistrats doivent être indépendants, ce qui ne constitue pas « une prérogative ou un privilège accordé dans leur intérêt personnel, mais bien dans celui de l’État de droit, l’exigence de toute personne attendant et demandant une justice impartiale ». Je cite le Comité des ministres du 17 novembre 2010, que vous avez également évoqué, madame la garde des sceaux. La recommandation soulignait que cette indépendance devait être appréciée comme une garantie des libertés individuelles et de la liberté d’appliquer la loi.

Cette appréciation s’est traduite par la volonté de François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, lorsqu’en février 2012, évoquant les grandes réformes qu’il entendait conduire, s’agissant de la justice, il invoquait cette exigence d’indépendance, non comme une concession aux magistrats, mais « comme une garantie pour le justiciable pour qu’il ait la certitude que le juge ne se détermine qu’en fonction de la loi ».

Le texte qui nous est proposé traduit cet éminent impératif démocratique, mais, je le crois très sincèrement, prolonge, comme l’a dit notre rapporteur, ce qui a été fait en 2008 en construisant une nouvelle étape.

La réforme du Conseil supérieur de la magistrature et les relations entre le ministère de la justice et le ministère public – que nous évoquerons demain, avec le projet de loi dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur et qui accompagne cette démarche constitutionnelle – sont les deux expressions majeures de la réalité de l’indépendance de la justice.

S’agissant du Conseil supérieur de la magistrature, il nomme les magistrats, assure la promotion de leur carrière et exerce le contrôle disciplinaire. On mesure, du fait de cette compétence, combien le CSM est au cœur non seulement de l’institution judiciaire, mais aussi des garanties que l’institution judiciaire doit donner à nos concitoyens.

La présence à sa tête, pendant plus d’un siècle et demi, du Président de la République et du garde des sceaux et l’unicité d’origine des propositions de nomination, qui constituaient le mode antérieur, ne laissent planer aucune hypothèque sur la réalité de cette indépendance, que ne manquera pas d’accentuer le principe de l’article 64 de la Constitution qui confie au Conseil supérieur de la magistrature le soin d’assister le Président de la République dans sa fonction de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

On mesure donc que, sous l’apparence d’un projet de loi constitutionnelle technique – « anodin » a-t-on pu entendre tout à l’heure –, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature s’inscrit au contraire au cœur même de notre pacte républicain et de l’équilibre de nos institutions.

La révision constitutionnelle de 2008, en écartant le chef de l’État de la présidence du CSM et en plaçant chacun des plus hauts magistrats du siège et du parquet à la présidence de chacune des deux formations, en conservant au garde des sceaux la possibilité de siéger lors des délibérations du CSM, sauf en matière disciplinaire, a modifié singulièrement la fonctionnalité de ce conseil. L’appel à des candidatures extérieures, la saisine des commissions parlementaires ont été des espaces nouveaux, et il faut nous en féliciter.

Lors du débat constitutionnel de 2008 – nous sommes quelques-uns à y avoir participé –, l’évocation de la parité, les modalités d’organisation du Conseil supérieur de la magistrature et l’imprégnation de la compétence plénière du CSM avaient été évoquées dans des débats et ont été écartées par la réforme. Cet écartement, contesté par ce qui était alors la majorité, n’a pas manqué de faire ressentir la nécessité aujourd’hui d’aller un peu plus loin. L’ensemble de cette assemblée pourrait marquer sa convergence en retenant, dans le cadre du projet de loi constitutionnelle, les propositions de notre rapporteur qui vont, madame la garde des sceaux, modifier le texte, avec le soutien de la majorité.

M. René Dosière. Et l’améliorer !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je voulais évoquer trois points. Nos collègues en évoqueront sans doute d’autres, aussi importants.

Le problème de la minorité, dans l’état actuel du droit, n’est pas acceptable. L’hypothèse de la majorité, que vous aviez retenue, madame la garde des sceaux, ne nous paraît pas aller dans le sens où nous devons aller. Aussi, nous espérons que l’Assemblée retiendra la proposition de notre rapporteur.

S’agissant de la notion de corporatisme, je mentionnerai une réflexion que le Président de la République a évoquée lors de son intervention à la Cour de cassation. Il nous a dit que l’indépendance de la justice n’était pas seulement un devoir du pouvoir exécutif, qu’elle était une obligation pour le juge, qu’elle était dans chaque magistrat et qu’elle reposait sur une culture et un sens profond des fonctions exercées. Cela signifie que l’instrument de la parité, si on le place à côté de cet enjeu rappelé par le Président de la République, apparaît comme étant fondamental.

Par ailleurs, je souhaite que l’Assemblée se saisisse des propositions de notre rapporteur pour que l’approbation des nominations se fasse dans le cadre d’un vote positif.

M. René Dosière. Très bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le rapporteur, nous allons, par cette technique, ouvrir un nouveau champ parlementaire, et je vous en remercie. Car si demain, tous les avis du Parlement se font par un vote positif à la majorité qualifiée des trois cinquièmes, l’Assemblée et le Sénat auront retrouvé la place qu’ils ont perdue au cours de la dernière décennie dans le cadre de nominations qui, à notre avis, n’étaient pas démocratiques.

Mme Élisabeth Guigou. Absolument !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je termine en vous demandant d’approuver le principe de cette réforme et les grands enjeux fixés par le Gouvernement, ainsi que toutes les améliorations que notre rapporteur présentera au nom de notre assemblée. Bien qu’ayant reçu un avis favorable de notre commission, elles doivent faire l’objet d’un débat. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le Gouvernement nous appelle à réviser la Constitution de la VRépublique pour modifier la composition et les missions du Conseil supérieur de la magistrature.

Je m’y oppose, car je refuse cette manie qui consiste à amender la Constitution tous les matins. Les Français n’en sont pas plus heureux.

Faut-il rappeler ici, à la tribune de l’Assemblée nationale, que la défiance de nos compatriotes à l’endroit des institutions n’a cessé de croître ? L’importance des taux d’abstention et des suffrages accordés aux partis politiques contestataires en est le premier symptôme. Plus encore, il faut garder à l’esprit que toutes les formations politiques ayant assumé le pouvoir gouvernemental depuis 1978 ont été battues aux élections générales suivantes. Les Français n’accordent plus durablement leur confiance aux hommes et aux femmes qui conduisent les affaires publiques.

À l’évidence, les vingt-quatre révisions constitutionnelles n’ont pas résolu la crise de défiance, tant elles sont d’inégale portée : l’essentiel est trop souvent encombré par l’accessoire.

Convoquer le constituant n’a de sens, me semble-t-il, que si l’on est convaincu de l’impérieuse nécessité d’une révision de la loi fondamentale. Cette nécessité ne s’imposerait, demain, que si la révision constitutionnelle permettait d’améliorer l’efficacité de nos institutions et, ce faisant, de contribuer à rétablir la confiance de nos compatriotes dans la capacité des responsables politiques à préparer l’avenir. L’actuel Président de la République, je le crains, en est aujourd’hui bien loin. Les multiples modifications constitutionnelles qu’il nous soumet ne sont en rien de nature à dissiper la défiance de nos concitoyens.

Mais il y a pire encore : le projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature procède d’une idéologie pernicieuse, que les Républicains doivent combattre en toute clarté. Cette idéologie porte un nom. C’est la renonciation du pouvoir démocratique, pleinement légitime parce qu’élu au suffrage universel, devant une autorité judiciaire qui serait érigée, peut-être malgré elle, en contre-pouvoir.

L’indépendance de l’autorité judiciaire, telle qu’elle est établie par la Constitution de 1958, est un bien précieux de notre République. Elle est nécessaire pour que, dans chaque procès, le droit soit victorieux. Elle suppose que les magistrats du siège, dûment éclairés par le ministère public et les parties, jugent en conscience et soient à l’abri de toute pression.

Pour conforter cette indépendance, le constituant a utilement modifié à deux reprises, en 1993, sur l’initiative du Premier ministre Balladur, et en 2008, sur celle du Président Nicolas Sarkozy, la composition et les missions du Conseil supérieur de la magistrature qui n’est plus présidé, désormais, par le Président de la République.

La révision que vous soumettez à l’Assemblée nationale, madame la garde des sceaux, aurait pour principaux effets de retirer tout pouvoir de nomination aux plus hautes autorités de l’État, de donner aux magistrats une majorité des sièges au sein du Conseil et, partant, de créer une sorte d’autogestion de la magistrature par la magistrature.

En réalité, vous méconnaissez la nécessaire indépendance de l’autorité judiciaire, au risque de créer la dangereuse autonomie d’un contre-pouvoir judiciaire. Car la dépendance d’une corporation par rapport à elle-même, c’est, je le crois, le contraire de l’indépendance.

Que n’avez-vous retenu les leçons de l’histoire ? En cédant aux pressions syndicales, vous ressemblez, madame la garde des sceaux, à Maurepas, qui conseilla au jeune Louis XVI, en 1774, de rétablir, avec les parlements, la vieille magistrature de l’Ancien régime, ce qui eut pour effet de créer un obstacle à son propre gouvernement.

Ne voyez-vous pas que, de renoncement en abandon, vous vous éloignez, peut-être malgré vous, de la conception républicaine de l’autorité judiciaire, donc de la séparation des pouvoirs ?

Madame la garde des sceaux, nos institutions sont le bien commun du peuple français. Nous ne vous donnerons pas la majorité des trois cinquièmes qui vous permettrait d’affaiblir la Constitution de la Ve République.

M. Guillaume Chevrollier. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Bourdouleix.

M. Gilles Bourdouleix. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’indépendance de la justice est l’un des principes cardinaux de notre démocratie, une condition essentielle au fonctionnement d’une République respectueuse de la séparation des pouvoirs.

Mes chers collègues, une démocratie est équilibrée – c’est l’héritage de Montesquieu, partagé par la plupart de nos régimes depuis la Révolution – si elle est constituée d’un pouvoir exécutif, d’un pouvoir législatif, mais aussi d’un pouvoir judiciaire. Nous assumons pleinement l’idée que la justice est un pouvoir, un pouvoir qui doit être indépendant, à l’abri et à l’écart de tout soupçon. C’est dans le respect de ce principe d’indépendance que nous pourrons restaurer la crédibilité des institutions judiciaires et rénover la confiance que chacun de nos concitoyens doit pouvoir placer en la justice de son pays, ce ciment essentiel de la cohésion nationale.

Depuis sa création, l’histoire et l’évolution du Conseil supérieur de la magistrature sont indissociables de la construction progressive de l’indépendance de la magistrature. Réforme après réforme, cette institution a évolué dans le but de conforter le respect et l’indépendance de l’autorité judiciaire. En supprimant la présidence du Conseil supérieur de la magistrature par le Président de la République et en révisant sa composition, la réforme constitutionnelle de juillet 2008 avait également pour objet de renforcer l’autonomie du Conseil, tout en le préservant d’éventuels soupçons de corporatisme.

Cinq ans après cette réforme, nous ne remettons pas en cause l’instauration d’une autorité renforcée, mais nous considérons que l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature doit reposer, comme nous le proposons par l’un de nos amendements, sur un pilier : l’incompatibilité entre la fonction de membre du Conseil supérieur de la magistrature et l’exercice d’une activité professionnelle.

Aujourd’hui, le Conseil supérieur de la magistrature formule des propositions pour les nominations des magistrats du siège et statue à leur propos en tant que conseil de discipline. Il pourrait en outre, aux termes du projet de loi, émettre un avis conforme sur la nomination des magistrats du parquet et statuer également à leur propos en tant que conseil de discipline. Il s’agirait ainsi, comme cela a déjà été évoqué, de constitutionnaliser une pratique déjà observée par les deux précédents gardes des sceaux, Michel Mercier en particulier. En raison de telles attributions, tout l’enjeu d’une réforme du Conseil supérieur de la magistrature réside selon nous dans une seule et même question : est-il acceptable qu’un organe de nomination et de discipline des magistrats de l’ordre judiciaire, qui comme tel gère leur avancement et leur carrière, soit composé de magistrats eux-mêmes en cours de carrière ? Nous ne le pensons pas.

C’est la raison pour laquelle nous considérons que seuls les anciens magistrats ou des magistrats ayant quitté leurs fonctions pendant la durée de leur mandat devraient être autorisés à faire partie du Conseil supérieur de la magistrature. Un tel mécanisme est indispensable pour prévenir tout conflit d’intérêt. Il ne s’agit en aucun cas d’instaurer une défiance à l’égard des magistrats, qui d’ailleurs exercent un métier difficile et très exigeant, mais de prévoir un système ouvert dont le fonctionnement serait similaire à celui d’autorités administratives indépendantes, le Conseil supérieur de l’audiovisuel par exemple. Il s’agit là d’une condition sine qua non de l’établissement d’une autorité véritablement indépendante.

On a affirmé, lors des précédents débats, qu’une telle disposition relèverait d’une loi organique. L’adoption d’un tel principe d’incompatibilité, auquel nous sommes très attachés et dont nous pensons qu’il est une composante indispensable à la garantie de l’indépendance de notre système judiciaire, nous a été refusée sous prétexte qu’une hypothétique loi organique, dont nous ne savons rien pour l’instant, s’en chargerait. Or, il est tout simplement inenvisageable qu’une mesure aussi fondamentale allant dans le sens d’une meilleure prévention des conflits d’intérêt puisse être ainsi reléguée au second plan, si tant est que l’on considère comme telle la loi organique, même si elle l’est, par définition, par rapport à la loi constitutionnelle.

Le projet de loi aujourd’hui soumis à notre examen, tout à fait révélateur de votre première intention, madame la garde des sceaux, tend à modifier la composition du Conseil supérieur de la magistrature en y donnant la majorité aux magistrats. Le choix d’un tel déséquilibre prend véritablement le contrepied de la formule retenue en 2008 visant à établir une courte majorité de personnalités extérieures.

Pour notre part, nous sommes défavorables au renversement du rapport quantitatif entre magistrats et personnalités extérieures, comme le sont d’ailleurs d’éminents membres de la majorité qui ont exprimé la même opinion. Souvenons-nous des propos tenus par Robert Badinter en 2008 au Sénat au sujet de la composition paritaire du Conseil supérieur de la magistrature : « Depuis des décennies, nous sommes à la recherche d’une formule permettant d’éviter deux écueils, le corporatisme et la politisation. La réponse tient en un mot : parité. Il convient d’assurer, au sein de chaque formation du Conseil supérieur de la magistrature, la parité entre magistrats et personnalités extérieures ». Et, quitte à citer les meilleurs juristes de la majorité, je rappelle que Jean-Jacques Urvoas, président de notre commission des lois, dont je regrette l’absence, indiquait le 15 mai dernier être défavorable à l’idée de « remettre une majorité de magistrats au sein du Conseil supérieur de la magistrature » et invitait le rapporteur à faire évoluer le texte, ce qu’il a fait de manière tout à fait constructive.

La logique autogestionnaire consistant à donner une majorité aux magistrats qui sous-tend votre texte initial, madame la ministre, est contraire à l’évolution tendant à la reconnaissance d’un véritable pouvoir judiciaire. La légitimité du pouvoir judiciaire ne peut être fondée sur une autogestion des membres du corps, que la logique même de la séparation des pouvoirs interdit. Elle implique une participation importante du corps social à sa gestion, par laquelle il manifeste un droit de regard externe et une forme de responsabilité. La composition paritaire, retenue par la commission des lois avec l’assentiment des groupes UDI et UMP comme de M. le rapporteur, est préférable, même si elle ne nous satisfait pas pleinement. À la différence de l’éducation nationale ou de la police, la magistrature est la seule fonction publique rendant des décisions au nom du peuple français. Il est donc d’autant plus légitime que son organisation soit encadrée par nos concitoyens. Les symboles comptent. La présence majoritaire ou, au moins, paritaire de personnalités extérieures est un symbole d’ouverture de la magistrature, auxquels nous sommes attachés.

Pour autant, nous considérons que la réforme sera de faible portée, car elle est loin d’être à la hauteur des enjeux auxquels la justice doit aujourd’hui faire face. Cinq ans après la dernière réforme constitutionnelle, dont nous n’avons pas réellement eu le temps de mesurer les effets, vous nous proposez, madame la ministre, de modifier à nouveau la Constitution pour une réforme minime, amputée au demeurant des trois autres projets préalablement évoqués et d’autres points qui figuraient dans le programme du candidat Hollande – texte de référence sacré quand cela arrange la majorité, mais oublié dans d’autres circonstances, comme celles des révisions constitutionnelles. Permettez-moi de vous rappeler que nous débattons aujourd’hui de l’opportunité d’une troisième réforme du Conseil supérieur de la magistrature depuis 1958, après celle de 1993 et celle plus récente de 2008, ce qui prouve l’extrême difficulté de la maîtrise du sujet. Une telle initiative est pour le moins discutable, d’autant plus que l’institution résultant de la réforme constitutionnelle de 2008 semble fonctionner dans des conditions plus satisfaisantes qu’auparavant.

En définitive, vous envisagez, madame la ministre, de réunir le Congrès, procédure dont notre collègue Fenech a rappelé tout à l’heure toute la lourdeur et le coût – qu’on ne saurait négliger de nos jours –, afin de consulter la représentation nationale en formation constituante sur le seul ajout d’un magistrat au sein du conseil supérieur de la magistrature. L’avis conforme pour la nomination des procureurs, autre disposition du projet de loi, est bien évidemment une avancée positive, mais elle était déjà une pratique des deux précédents gardes des sceaux. Nous allons donc entreprendre une révision constitutionnelle pour institutionnaliser une pratique indiscutable. Y avait-il urgence ? N’y a-t-il pas aujourd’hui d’autres priorités ?

Sans aucun doute, l’indépendance de la justice est un principe fondamental de notre démocratie. Sans aucun doute, une réforme de la justice est nécessaire. Mais celle que vous nous proposez n’est décidément pas à la hauteur des enjeux. Les dysfonctionnements de la justice prennent racine bien en deçà des magistrats et de la composition d’une instance, si fondamentale soit-elle dans le fonctionnement de notre système judiciaire. Un sujet aussi essentiel exige mieux que des améliorations à la marge et des réformes de procédure. La fonction de juger ne se résume pas uniquement au talent du magistrat, si brillant soit-il. Elle résulte au contraire de toute une chaîne de compétences qui va de l’agent recevant le justiciable à l’accueil du tribunal jusqu’au juge via tous les personnels de la chaîne juridique, appariteurs, greffiers, greffiers en chef, assistants de justice et assesseurs.

Les dysfonctionnements de la justice, responsables du désarroi des professionnels, des citoyens et des justiciables, sont nombreux. Nous sommes face à un service public de la justice ne disposant plus de capacités d’absorption suffisantes pour répondre aux exigences d’une société en pleine judiciarisation. Nous sommes face à une justice considérée comme complexe et illisible, dont l’usage est difficile et parfois incohérent. Nous sommes face à une justice à deux vitesses caractérisée par une réelle inégalité en matière d’accès au droit.

Il nous faut repenser la justice dans son ensemble, en prenant en compte tous les acteurs de notre système judiciaire et toute l’étendue des problématiques qui l’entourent, de manière à améliorer réellement et durablement son fonctionnement et à préserver son indépendance. M. le rapporteur indiquait tout à l’heure qu’il fallait préférer la vertu républicaine à la posture politicienne, mais il s’agit là d’un curseur qui varie au rythme des alternances. Le groupe UDI sera attentif à ce qui sera débattu, mais je puis d’ores et déjà indiquer qu’il envisage de voter contre le texte. Nonobstant, nous sommes tout à fait à l’écoute des évolutions très positives susceptibles de résulter de nos débats. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Guigou.

Mme Élisabeth Guigou. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la réforme que nous examinons me semble très importante. J’espère que nous aurons à son propos un consensus national, car nous devons mettre notre pays en conformité avec les règles de toutes les démocraties européennes. Cela fait des années que nous faisons l’objet d’observations. Ainsi, la Cour de justice européenne nous dit que notre parquet n’en est pas un. Comme l’a rappelé tout à l’heure M. Le Bouillonnec, la garantie de l’impartialité de la justice est une exigence fondamentale de la Convention européenne des droits de l’homme. Et comme l’a très bien dit tout à l’heure M. le rapporteur, l’indépendance de la justice n’est pas un but en soi, mais un moyen de garantir aux citoyens l’impartialité de la justice.

Il s’agit donc d’une réforme extrêmement importante, indispensable à l’amélioration du fonctionnement de notre République afin de garantir une séparation des pouvoirs, héritage qui vient de loin. Vous l’avez excellemment rappelé, madame le garde des sceaux, en retraçant les évolutions qui, depuis la Révolution française, ont fait notre République et notre justice. La garantie du bon fonctionnement des institutions, nous la devons à la France, pays qui a donné au monde et Montesquieu et la Révolution française. Nous la devons également, et peut-être encore davantage, aux citoyens de notre pays, car seule la garantie de l’indépendance des magistrats, donc de leur impartialité, leur assure qu’ils seront jugés de la même façon selon qu’ils sont, comme dit la fable, puissants ou misérables, sans aucune différence. Telle est, me semble-t-il, la philosophie fondamentale d’une réforme que vous avez le mérite, madame le garde des sceaux, de soumettre aujourd’hui à l’examen de notre Parlement.

Un long chemin a été parcouru, il faut maintenant aller au bout. Je dis, comme vous, à nos collègues de l’opposition d’aujourd’hui et de la majorité d’hier qu’en effet la réforme de 2008 a apporté des améliorations. Vous les avez énumérées, madame le ministre, mais je crois qu’il est important de les rappeler : le Président de la République ne préside plus le Conseil supérieur de la magistrature, ce qui est un vrai progrès par rapport à une époque que j’ai connue ; le Conseil supérieur de la magistrature dispose de pouvoirs disciplinaires ; la composition du Conseil supérieur de la magistrature est caractérisée par une diversité accrue. Tout cela a constitué des étapes dont il importe de reconnaître les apports. Mais la réforme de 2008 n’a pas parcouru l’intégralité du chemin emprunté dès 1998. Nous pensions alors y arriver, cela n’a pas été possible, ne nous attardons pas sur le passé. À présent, le moment est venu, après tant de maturation, de débats et de progrès, d’aller enfin au bout de la réforme.

De quoi s’agit-il ? Je le dirai rapidement car vous avez, madame le garde des sceaux, et M. le rapporteur après vous, donné avec précision les attendus de la réforme. Il importe tout d’abord que la composition du Conseil supérieur de la magistrature reflète une diversité accrue. J’approuve les amendements proposés par la commission des lois, car je crois que le principe de parité est un bon principe. Si nous voulons répondre aux craintes fort légitimes de corporatisme, il importe d’assurer la parité. La nomination de personnalités extérieures par un collège de personnalités indépendantes, de surcroît approuvée ensuite à la majorité d’une commission permanente de nos assemblées, est évidemment un progrès décisif. C’est un progrès pour la composition du Conseil supérieur de la magistrature, pour la garantie de son impartialité, mais aussi pour notre Parlement. Ce pas, il faut le faire maintenant. C’est ce que vous proposez, madame le ministre, et cela me semble très important.

Le deuxième élément, ce sont, bien sûr, les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature. Certes, plusieurs gardes des sceaux, moi-même mais aussi, sous d’autres majorités, M. Mercier ou Mme Alliot-Marie, ont respecté l’avis du Conseil supérieur de la magistrature sur la nomination des magistrats du parquet.

Il est indispensable de constitutionnaliser cette garantie, afin qu’il ne puisse plus y avoir ne fût-ce qu’un soupçon d’interférence du pouvoir exécutif dans la carrière des magistrats, qu’il ne puisse plus y avoir la moindre pression de nature à semer le doute, voire à jeter le discrédit sur le fonctionnement de notre démocratie.

En associant à cette garantie constitutionnelle absolument fondamentale l’interdiction à venir – dans un projet de loi que vous allez nous présenter cette semaine, me semble-t-il – des instructions individuelles, un principe que vous respectez au même titre que l’avis conforme, madame la garde des sceaux, et que j’ai moi-même respecté, tout comme M. Méhaignerie, M. Mercier et d’autres, nous allons aboutir à un ensemble cohérent qui commence à ressembler au bout du chemin.

Certains disent que cela va trop loin, et soulignent le risque de corporatisme. Très franchement, je pense que le principe de parité – magistrats et personnalités extérieures – permet d’écarter ce risque. Par ailleurs, le fait que le garde des sceaux conserve la maîtrise de la politique pénale est très important. Ainsi, la capacité de donner des instructions de portée générale – et non individuelle, bien sûr – assure l’égalité de traitement sur tout le territoire, par tous les parquets de France. La maîtrise de la politique pénale permet également d’établir des priorités dans ce domaine, car le système n’est pas basé sur l’automaticité des poursuites, mais sur l’opportunité. Le futur projet de loi sur la politique pénale – il n’est pas nécessaire de réformer la Constitution pour cela – permettra d’apporter toutes les garanties nécessaires dans ce domaine. Le fait que la garde des sceaux ait à rendre compte annuellement, devant l’Assemblée nationale, de sa politique pénale, constituerait également un progrès décisif.

À l’inverse, certains affirment que cela ne va pas assez loin – je pense notamment à M. Bourdouleix et à d’autres orateurs entendus tout à l’heure. Personnellement, je ne comprends pas que l’on puisse refuser de voter une réforme au motif qu’elle ne va pas assez loin ! En l’occurrence, la réforme proposée constitue déjà un progrès considérable, et je ne vois pas au nom de quoi on refuserait ce progrès. À mon sens, cela peut être – cela devrait être – la dernière réforme.

J’ajoute que cette réforme constitutionnelle n’empêchera pas que soient émises des propositions sur l’ensemble du fonctionnement de notre justice, ne demandant pas de révision de la Constitution. Avec votre réforme, madame la garde des sceaux, mais aussi avec les amendements de la commission des lois, évoqués par notre rapporteur, vous avez trouvé un bon équilibre et réussi à éviter les deux écueils que sont le risque de corporatisme et le risque de politisation, tout en respectant les règles européennes. Cet équilibre est nécessaire à notre démocratie : dans un contexte où celle-ci est fragilisée par le soupçon, nous avons besoin de règles incontestables. Cette réforme est un élément fondamental pour rétablir la confiance de nos concitoyens en nos institutions et en notre démocratie. Il y a donc toutes les raisons, madame la garde des sceaux, de voter votre réforme avec enthousiasme.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans une république parlementaire, l’État de droit repose sur deux pouvoirs – le législatif et l’exécutif –, ainsi que sur une autorité : l’autorité judiciaire. Cet équilibre fragile s’est construit au fil du temps de manière paradoxale puisque, sous l’Ancien Régime, les parlements, qui regroupaient les magistrats, n’ont eu de cesse de revendiquer, contre le pouvoir royal, le droit de faire des remontrances avant l’enregistrement des édits royaux.

L’histoire de la République et l’histoire de la justice se sont alors inscrites dans une conception jacobine, où l’exécutif et le législatif ont imprimé leurs forces à l’autorité judiciaire. Force devait rester à la loi, et les magistrats, donc la justice, étaient là pour assurer l’ordre républicain, c’est-à-dire l’application par les juges d’une politique pénale imposée par le pouvoir exécutif.

Notre système judiciaire, d’inspiration romano-canonique, à la différence de la common law d’inspiration normande, reposait sur une idée simple : un système inquisitoire, et non pas accusatoire, où le pouvoir politique, grâce à la maîtrise de l’opportunité des poursuites, pouvait faire passer sa conception de la politique pénale et orienter les poursuites. Le juge d’instruction, personnage réputé être le plus important de France, était un magistrat indépendant qui venait tempérer les excès du pouvoir politique. En réalité, deux conceptions de la justice se sont toujours opposées. Pour les uns, la justice doit être indépendante : le parquet doit pouvoir agir à sa guise. Pour les autres, la justice doit être le relais de l’action politique, qui tire sa légitimité de l’élection du pouvoir politique par le souverain, c’est-à-dire le peuple.

Madame la garde des sceaux, les radicaux ne veulent à aucun prix d’un gouvernement des juges. Ils soulignent que la légitimité des magistrats, qui relève du diplôme, et non de l’élection comme aux États-Unis, n’est que très relative. C’est pourquoi ils ont toujours pensé que le Conseil supérieur de la magistrature ne pouvait être un organisme dirigé par des magistrats ou par une majorité de magistrats. À l’évidence, ils s’opposent au projet du Président de la République dont nous sommes saisis ; ils soutiendront les amendements du rapporteur – qui a sauvé la loi, il faut bien le dire – et voteront le projet amendé.

Ils soutiennent le principe de parité entre magistrats et personnalités extérieures, un principe fort bien expliqué par Mme Guigou et qui correspond aux normes européennes et à ce que chacun est en droit de revendiquer. Ils soutiennent également le choix d’un président non-magistrat, dont la nomination par un collège spécifique sera soumise aux commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale. Ainsi sera renforcée, non pas l’indépendance, que nous ne revendiquons pas, mais l’impartialité, vraie vertu républicaine. Ils soutiennent, enfin, le projet de confier à des hautes personnalités la désignation des membres non-magistrats du CSM.

Nous approuvons le rôle que pourra jouer la Commission nationale consultative des droits de l’homme, et soutenons l’élection à la majorité qualifiée des trois cinquièmes des personnalités qui composeront le CSM – vous conviendrez qu’il serait difficile d’être plus gentils avec vous que nous ne le sommes, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)

En revanche, nous nous posons des questions, monsieur le rapporteur, madame la garde des sceaux, sur le rôle dévolu à la formation plénière du CSM – des questions ne portant ni sur la nomination sur l’avis conforme, ni sur la possibilité offerte aux justiciables de saisir le CSM. Je remarque cependant, en reprenant les chiffres qui nous ont été communiqués, que sur les 421 plaintes déposées auprès du CSM, une seule, concernant des magistrats du parquet, a été déclarée recevable par les commissions d’instruction – aucune plainte relative au siège ne l’a été. À l’évidence, les magistrats n’ont pas trop de souci à se faire au sujet de la saisine du CSM, qui constitue l’un des grands apports de la dernière réforme.

Notre interrogation porte en fait sur la pertinence de l’article 2, qui dispose que le CSM peut, en formation plénière, répondre aux questions du Président de la République – ce qui est une bonne chose –, mais désormais aussi, en vertu du texte qui nous est soumis, se saisir d’office des questions relatives à la dépendance de l’autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats. Si je ne vois aucun problème pour ce qui est des questions relatives à la déontologie des magistrats, j’en vois un dans la possibilité laissée à cette nouvelle autorité de se saisir de plein droit, sans contrôle et sans limites, de tout ce qui concerne l’indépendance de l’autorité judiciaire, c’est-à-dire les fondements mêmes de la justice.

Cette saisine d’office nous inquiète, madame la garde des sceaux, car le CSM en formation plénière va constituer une autorité redoutable à affronter. C’est rompre avec une tradition républicaine que d’offrir tôt ou tard au CSM, que vous le vouliez ou non, un droit de remontrance – car, si ses propositions ne sont pas écoutées, le Conseil décidera ce qu’il voudra. Après le Conseil constitutionnel qui tend à devenir une cour suprême, nous aurions ainsi un CSM devenant une véritable autorité politique indépendante. Le risque serait grand, alors, de ne plus avoir deux pouvoirs et une autorité, mais bel et bien trois pouvoirs !

M. Georges Fenech. Eh oui !

M. Alain Tourret. Nous avons échappé aux arrêts de règlement qui, chacun le sait, constituaient un grand danger pour la France. Ce n’est pas pour permettre à cette nouvelle structure de rendre des avis – et pourquoi pas, bientôt, des décisions – auxquels les pouvoirs exécutif et législatif auront bien du mal à s’opposer !

Vous l’avez bien compris, chère Christiane Taubira, nous n’aurions jamais pu accepter le projet présidentiel initial. En revanche, le projet réécrit par la commission transforme totalement le texte, ce qui nous permet de l’accepter.

M. Georges Fenech. C’est vrai !

M. Alain Tourret. La loi constitutionnelle devra être adoptée à la majorité des trois cinquièmes du Parlement. L’opposition a déjà fait savoir qu’elle s’y opposerait. J’ai noté cependant que M. Bourdouleix avait un peu modifié son appréciation entre le moment où il s’est opposé à M. Fenech et le moment où il a présenté ses observations générales : il subsiste donc un léger espoir.

Je veux dire à nos amis centristes que nous autres, radicaux, avons eu le courage, en 2008, de voter la révision constitutionnelle, ce qui nous a valu d’être jetés aux orties par nos amis socialistes – un seul d’entre eux l’ayant également votée. La loi est passée à une voix près, donc grâce à nous. Nos amis centristes doivent comprendre qu’il ne sert à rien de s’opposer systématiquement. Certes, Chateaubriand disait que l’opposition ne peut être que systématique – mais c’était il y a longtemps, et Chateaubriand était un grand écrivain davantage qu’un auteur politique. Je vous le dis, mes amis, cette proposition qui vous est soumise est intéressante en ce qu’elle va stabiliser de manière définitive l’état du droit en ce qui concerne la réforme de la justice sur le CSM.

Certains disent que la réforme aurait pu aller beaucoup plus loin et inclure le vote des étrangers, le statut pénal du chef de l’État, etc. Peut-être, mais faut-il pour autant renoncer à toute réforme ? Le Président de la République aura le choix entre convoquer le Parlement, si la majorité des trois cinquièmes semble pouvoir se dégager – ce que nous ne saurons vraiment qu’au dernier moment, lorsque le congrès sera réuni à Versailles –, et y renoncer – une éventualité que l’on ne saurait exclure –, comme le président Chirac l’a fait en décembre 2000 en abrogeant un décret signé le 3 novembre 1999, qui inscrivait à l’ordre du jour du congrès le texte enregistré le 15 avril 1998.

Nul ne peut dire ce qui se passera. Voyez-vous, madame la garde des sceaux, en matière de justice, rien n’est jamais simple. (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Drapeau.

M. Jean-Luc Drapeau. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans son programme présidentiel de 2007, Nicolas Sarkozy affirmait : « Je veillerai rigoureusement à l’indépendance de la justice. » Durant le quinquennat qui a suivi, dans un climat de guerre ouverte déclarée par le Gouvernement à l’égard des magistrats, la justice a été l’une des institutions les plus maltraitées, et la question de l’indépendance de la justice a fait l’objet d’un débat permanent qui s’est soldé par des décisions et des actes contraires.

En dépit de quelques avancées – l’abandon de la présidence du Conseil supérieur de la magistrature par le Président de la République et la saisine rendue possible par tout justiciable –, la réforme constitutionnelle de 2008, qui aurait pu être l’occasion de régler la question particulièrement problématique des liens entre le pouvoir exécutif et les parquets, a malheureusement été une réforme insuffisante ou inachevée. Ainsi, les magistrats sont devenus minoritaires au sein du CSM, en contradiction avec la charte européenne sur le statut des juges.

Par ailleurs, la désignation des membres, sur proposition du Président de la République, demeure une garantie insuffisante pour l’indépendance de l’institution.

Assurer l’indépendance de la justice, c’est s’assurer que notre pays ne sera plus perpétuellement fustigé par la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle considère que les procureurs sont, je cite son arrêt du 23 juillet 2008, « dans une situation de dépendance à l’égard de l’exécutif incompatible avec cette exigence première qu’est la garantie d’indépendance des magistrats ».

Assurer l’indépendance de la justice, c’est aussi redonner aux Français confiance et foi en cette institution, parce que, si la justice n’est pas perçue comme juste, elle s’en trouve dénaturée. Il convient de faire en sorte que les magistrats se déterminent en fonction de l’intérêt général et de la loi, et que tous les citoyens de notre pays, sans exception, en soient convaincus.

Assurer l’indépendance de la justice, c’est respecter les engagements pris devant les Français par le Président de la République, qui a affirmé, je le cite : « Respecter les autres pouvoirs, c’est respecter l’autorité judiciaire, qui n’aura aucun lien de subordination avec le politique. »

François Hollande, alors candidat à la présidence de la République, avait déclaré, le 6 février 2012 : « L’indépendance, ce n’est pas une concession ou un privilège qu’il faudrait accorder aux magistrats, c’est une exigence qu’il faut garantir aux justiciables pour qu’ils aient la certitude que les juges ne se déterminent qu’en fonction de la loi. »

Aussi l’indépendance de la justice que nous portons n’est-elle pas seulement une profession de foi, mais reflète-t-elle également notre conception d’un État moderne et civilisé, tout à la fois respectueux de ses traditions et fondamentalement tourné vers l’avenir.

Le projet de loi constitutionnelle dont nous débattons aujourd’hui vise en particulier à changer des pratiques surannées.

En réformant la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, nous renforçons son rôle par une indépendance pleine et entière vis-à-vis de l’exécutif. C’était tout le sens de l’engagement n° 53 du candidat François Hollande. Un an après, nous passons des paroles aux actes.

Pour assurer cette indépendance et cette impartialité, le CSM voit la nomination de ses membres changer. Je pense notamment aux personnalités dites qualifiées, qui ne seront plus désignées par le pouvoir politique, mais par un collège indépendant, composé du vice-président du Conseil d’État, du président du Conseil économique, social et environnemental, du Défenseur des droits, du premier président de la Cour de cassation, du procureur général près la Cour de cassation, du premier président de la Cour des comptes et d’un professeur des universités. Afin de lever le soupçon sur l’intervention du pouvoir exécutif dans les nominations, ce choix devra être validé par les trois cinquièmes des suffrages des commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale.

Ce projet de loi constitutionnelle offre à cette institution de nouvelles compétences : le CSM pourra en effet se saisir d’office de toute question portant sur la déontologie des magistrats et l’indépendance de la justice ; la nomination de l’ensemble des magistrats du parquet, y compris les procureurs généraux, sera subordonnée à l’avis conforme du CSM ; le pouvoir disciplinaire à l’égard des magistrats du parquet, qui appartenait jusqu’ici au ministre de la justice, reviendra désormais au CSM.

Je veux saluer les avancées qui ont été faites en commission : je pense par exemple à la parité entre magistrats et non magistrats ou encore, conformément à nos objectifs de parité entre hommes et femmes, à l’amendement qui assure la présence d’autant d’hommes que de femmes parmi les six personnalités qualifiées.

Enfin, je citerai à mon tour Guy Carcassonne, à qui je souhaite rendre hommage. Prié d’exprimer son opinion sur la promesse de François Hollande « de consolider l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature et de consacrer son rôle dans la nomination de la hiérarchie du siège et du parquet », il a affirmé, et sa réponse constituera ma conclusion : « C’est une bonne chose et cela devrait être un sujet de consensus. Du moins faut-il le souhaiter. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Lazaro.

M. Thierry Lazaro. Madame la présidente, madame la ministre de la justice, mes chers collègues, le Gouvernement nous présente ce projet de loi constitutionnelle réformant le Conseil supérieur de la magistrature comme étant de nature, je le cite, à « assurer à nos concitoyens un service public de la justice à l’impartialité insoupçonnable, inspirant à chacun la conviction que les décisions prises ne le sont que dans l’intérêt de la loi et des justiciables ».

Cette motivation, à mes yeux hypocrite, ne manque pas de sel lorsque l’on sait que des magistrats syndicalistes s’amusent à édifier des « murs de cons », alors que ces mêmes magistrats et tous ceux qui les élisent et les soutiennent oseront faire la morale aux citoyens qu’ils jugeront demain. Où est donc cette « impartialité insoupçonnable » que prétend revendiquer ce gouvernement ?

Assurément, ce projet lénifiant composé de trois petits articles ne mérite pas la convocation du Congrès du Parlement à Versailles, dont on sait le coût pour les contribuables, car il ne résout en rien le malaise de notre justice, qui n’est plus reconnue tant elle est devenue méconnaissable, qui n’est plus respectée tant fleurissent les exemples qui la discréditent !

Osons avoir le courage de le reconnaître et de le dénoncer : cette justice-là, qui est censée rendre ses décisions au nom du peuple français, n’a jamais été aussi éloignée de nos concitoyens et n’a jamais été aussi peu respectée tant elle a perdu en respectabilité.

Pour avoir été membre de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire dite d’Outreau et avoir pu mesurer, comme tant d’autres, les conséquences d’un effroyable enchaînement de fautes judiciaires, je regrette que le projet qui nous est présenté aujourd’hui ne tire aucun enseignement des échecs de ce drame et de tous ceux que les médias relatent régulièrement.

Je ne compte plus les exemples de cette faillite judiciaire que constatent nos compatriotes, qui n’en peuvent plus de ne pas être entendus et en ont assez d’être ballottés par des fonctionnaires de justice qui, parfois, les regardent à peine.

Que dire d’une justice qui n’applique pas certains textes, comme le constatent à leurs dépens tous ces pères désemparés contraints de prendre d’assaut des grues ou des clochers pour crier leur douleur d’être privés de leurs enfants, alors que la résidence alternée est possible depuis plus de dix ans ?

Que dire d’une justice qui pratique assidûment le culte de la détention provisoire…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ah bon ?

M. Thierry Lazaro. …alors que, dans de nombreux cas, un contrôle judiciaire strict assorti d’un bracelet électronique serait suffisant ? D’autres pays, qui respectent davantage la présomption d’innocence, réussissent à appliquer ce contrôle judiciaire, alors pourquoi pas la France ?

Combien d’innocents sont ainsi abusivement placés en garde à vue avec l’autorisation du parquet, dans le but de les briser, dans le but de les « attendrir » comme s’en vantait un ancien juge féru d’écologie qui pensait davantage à casser du chef d’entreprise ou du politique qu’à rechercher la vérité ?

Que dire d’une justice qui s’autoprotège, comme le font toutes ces chambres d’instruction qui valident 99 % des placements en détention provisoire, ne laissant aux avocats que quelques minutes pour présenter des observations dites sommaires alors que tant de vies emmurées, pour certaines innocentes, se jouent sur les préjugés ?

Que dire d’une justice qui est incapable d’arrêter les poursuites dont sont victimes des milliers de propriétaires de véhicules injustement verbalisés en raison d’une usurpation de leur plaque d’immatriculation, et qui perdent une énergie considérable à plaider leur bonne foi sans être écoutés ?

Que dire d’une justice qui exige que l’on paye d’abord une amende avant d’avoir le droit de la contester, en sachant que cette contestation sera étudiée par l’officier du ministère public, qui, s’il répond, mettra des mois à le faire ?

Ne nous étonnons plus de voir aujourd’hui une France qui gronde, une France qui s’insurge, une France, n’en déplaise au Président de la République, décidément sourd et mal voyant, qui entre en résistance pour dénoncer tous ces abus de pouvoir et toutes ces injustices !

C’est tellement plus facile d’interpeller des familles pacifiques aux Invalides, madame la garde des sceaux, que de condamner fermement ceux qui saccagent et qui agressent au Trocadéro ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Pascal Popelin. Arrêtez avec l’ordre sélectif !

M. Thierry Lazaro. Je ne peux que comprendre – on verra sur quoi cela débouchera – le sentiment d’injustice de bon nombre de nos concitoyens, qui ne conçoivent pas qu’il soit aussi difficile de mettre en cause un magistrat qui s’est trompé, qui a mis en examen pour rien, qui a condamné à tort et qui ne reçoit comme sanction qu’une mutation-promotion et, quasi automatiquement, la Légion d’honneur lorsqu’il prendra sa retraite. (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Pire encore, votre projet ne valorise en rien les nombreux magistrats qui assument leur mission avec équité et sens de l’intérêt général, et dont le dévouement est masqué par ceux, encore trop nombreux, qui déshonorent l’un des piliers de notre démocratie.

Madame la ministre – puisque nous avons aussi le droit de nous exprimer –, je veux dire que votre projet est, une fois de plus, une occasion ratée de réconcilier la justice avec nos concitoyens et n’est que de la poudre aux yeux qui n’apporte rien à notre société et qui, comme tant d’autres textes de ce gouvernement, ne résout rien.

M. Julien Aubert. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. « L’autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d’assurer le respect des libertés essentielles, telles qu’elles sont définies par le préambule de la Constitution de 1946 et par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à laquelle elle se réfère. » Tel était, mes chers collègues, le quatrième principe énoncé par la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 au pouvoir constituant.

La Constitution de la Cinquième République a, on le sait, retenu de cette recommandation le principe selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle et le Président de la République garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Était-ce suffisant ? Telle est, au fond, toute la question. On ne saurait incriminer le texte constitutionnel dès lors que, la suite de l’Histoire l’a montré, c’est sans doute davantage la pratique qui était en cause.

Notre système judiciaire tout entier a en effet essuyé de multiples tempêtes. Se sont succédé, par vagues, ce que l’on a nommé les affaires, qui ont conduit le citoyen à nourrir un soupçon d’autant plus manifeste qu’il était complaisamment relayé par la presse – dans la plus grande confusion, d’ailleurs, quant à la nature même de ces affaires – et qui ont conduit nos juges eux-mêmes à s’autoriser parfois, il faut le dire, des comportements qui s’affranchissaient pour le moins des règles qu’ils auraient dû être les premiers à respecter.

Ces dysfonctionnements auront eu au moins un mérite : ils ont mis en évidence le fait que notre système n’était pas tenable, d’autant que, simultanément, le droit européen n’a eu de cesse de critiquer de façon plus ou moins corrosive le système judiciaire français. Certes, dans ses critiques, beaucoup tient à son imprégnation du système de pensée anglo-saxon lié, on le sait, à la procédure accusatoire, si opposée à la nôtre. Cela explique que le juge européen peine à comprendre qu’une justice indépendante puisse s’accommoder d’une soumission hiérarchique du parquet au garde des sceaux. Je ne rappellerai pas le point de fracture atteint lorsque a été rendu l’arrêt Medvedyev contre France, dans lequel la CEDH a affirmé que le parquet français ne saurait être considéré comme une autorité judiciaire, dès lors que lui manque – je cite – « en particulier l’indépendance par rapport au pouvoir exécutif ».

Face à l’ensemble de ces dérives, force est de constater que les deux réformes précédentes, intervenues en 1993 et en 2008, n’ont pas totalement apaisé les choses.

En 1993, à l’issue des travaux du comité Vedel, que j’ai toutes raisons de bien connaître, le gouvernement d’Édouard Balladur avait été à l’initiative d’une première révision, qui incluait un tout nouveau statut pour le CSM. Encore ce nouveau statut était-il depuis longtemps espéré et attendu : on peut citer, par exemple, les travaux et les conclusions bien oubliées – c’est regrettable – de la commission Braunschweig, qui datent de 1982.

Cette première reforme a constitué une fracture, même une double fracture, car elle rompait avec la désignation des membres du CSM, y compris les magistrats, au profit, pour ces derniers, de l’élection par leurs pairs. S’y ajoutait une parité entre magistrats et non-magistrats, en faveur des premiers, toutefois limitée aux cas où le Président de la République, suppléé par le garde des sceaux, présidait le Conseil, ce qui n’était pas toujours le cas.

La seconde réforme, qui a eu lieu dans le cadre de la révision constitutionnelle, dont l’objet était plus large, du 23 juillet 2008, est quant à elle retournée à l’imparité au détriment, si l’on peut dire, des magistrats, tout en augmentant le pouvoir d’intervention du CSM dans la nomination des magistrats du siège et, à un moindre égard, de ceux du parquet.

Que marque cette valse-hésitation des choix sur la composition du CSM et ses pouvoirs, le constituant décidant tantôt d’augmenter les pouvoirs mais en choisissant la non-parité, tantôt de privilégier la parité mais avec des pouvoirs moins étendus ? On peut penser qu’elle traduit une hésitation quant à la nature même de cet organe. En effet, le paritarisme a longtemps été considéré, notamment avant 1958, je le rappelle, comme un marqueur du corporatisme, qui plus est d’un corporatisme affectant un corps judiciaire nostalgique à certains égards des Parlements de l’Ancien Régime et entretenant une relation de méfiance historique envers le pouvoir exécutif.

M. Guillaume Larrivé. Très bien !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Notre collègue Tourret – dont j’approuve les propos, tout au moins sur cette question – s’est très clairement exprimé sur ce sujet et a fort bien dit tout cela.

Les pouvoirs du CSM ont connu une évolution propre depuis 1958, telle qu’on ne saurait aujourd’hui, évidemment, revenir sur la consultation nécessaire de cet organe préalablement – à tout le moins – aux nominations, c’est-à-dire au titre de la carrière des magistrats et, au-delà, sur ses pouvoirs consultatifs et décisionnaires.

Toutefois, disons-le clairement : s’il faut aujourd’hui, sous la pression des juges eux-mêmes et des instances européennes, aller au-delà des pouvoirs qui sont conférés au CSM, si l’on peut envisager, comme le fait ce projet de loi, d’aller plus loin aujourd’hui qu’hier, il faut que cette nouvelle attribution de compétences trouve ici sa limite.

M. Georges Fenech. Très bien !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Nous le savons bien : c’est étape par étape que les pouvoirs du CSM en matière de nomination des magistrats ont été accrus. En 1958, le CSM était consulté. En 1993, à une époque où le président François Mitterrand avait indiqué de la manière la plus ferme qu’il en suivait toujours les avis en matière de nomination au parquet, on a malgré tout estimé utile d’aller plus loin.

Aujourd’hui, quelques années après la renaissance de ces affaires qui semblent toucher notre pays par vague, force est de constater que le lien de confiance reste à nouer avec une part des détenteurs de l’autorité judiciaire. L’avis conforme, c’est-à-dire le pouvoir de codécision conféré au CSM pour la nomination des membres du parquet se fût sans doute moins imposé si, en diverses occasions ces dernières années, et après la dernière révision de la Constitution, le doute n’avait pu exister sur le rôle joué par le Président de la République dans certaines nominations et, plus grave, quant aux décisions prises par tel ou tel procureur, précisément nommé dans ces conditions plutôt douteuses.

En tout état de cause, je pense fermement pour ma part que nous devrions nous arrêter à un système dans lequel les pouvoirs du CSM en matière de nomination ne peuvent aller plus loin – et c’est déjà beaucoup – que l’avis conforme en matière de nomination des membres du parquet. Aller plus loin que les propositions de nomination des magistrats à la Cour de cassation et des chefs de cour, l’avis conforme pour les autres magistrats du siège et l’avis conforme pour les autres magistrats du parquet – c’est le texte proposé – serait dépasser des frontières qui doivent demeurer hermétiques.

Aller plus loin reviendrait à faire du CSM un organe de gestion, autrement dit un démembrement du ministère de la justice, dont la direction des affaires judiciaires basculerait alors vers cet organe ; vous savez, madame la garde des sceaux, que c’est une tentation récurrente et un combat assez ancien. Ce serait d’ailleurs en contradiction avec le renforcement de l’autorité morale de cet organe, opéré à travers les avis rendus pour répondre aux demandes du Président de la République et la possibilité donnée à tous les justiciables, sous certaines conditions, de le saisir.

On ne peut avoir à la fois une autorité morale dotée d’une formation plénière – ceci est une bonne innovation, que l’on doit d’ailleurs au CSM lui-même, qui a imposé une telle pratique avant même que la loi constitutionnelle ne la formalise –, dotée d’une aura due à la force, à la qualité, voire à la rareté de ses avis car seul ce qui est rare est intéressant, et un organe de gestion se substituant sans nécessité au ministère en charge. Il n’y a aucun exemple d’autorité indépendante chargée de gérer des carrières, et le CSM, fût-il un organe constitutionnel, ne saurait faire exception. Il faut choisir.

Enfin, le paritarisme ne peut être la bonne solution lorsque les juges sont élus par leur corps à travers la présentation par les syndicats. Faut-il rappeler ici que certains esprits progressistes, tel l’ancien garde des sceaux Pierre-Henri Teitgen, avaient considéré dès 1958 – les travaux préparatoires de notre Constitution le montrent – que mettre fin au système de l’élection par les pairs était un progrès ? On ne peut y revenir, mais je tiens à le rappeler. C’est pourquoi j’approuve la proposition du rapporteur de définir un système qui soit certes paritaire, mais pas paritariste : que la présidence des formations du CSM soit assurée par le président de cet organe lorsque les décisions ne relèvent pas de la matière disciplinaire conduit en effet à ce que les magistrats ne soient alors pas majoritaires.

D’autres points de cette réforme sont moins fondamentaux et pourront être abordés, en ce qui me concerne, lors de la discussion des articles. C’est le cas du vote positif aux trois cinquièmes des suffrages exprimés prévu par la commission des lois pour la nomination des membres non-magistrats du CSM, au sujet duquel le rapporteur connaît mes réserves ; j’approuve cependant l’idée de voter candidat par candidat et non pas pour une liste. La composition du collège de nomination mériterait peut-être d’être revue. Tout cela ne me semble néanmoins pas fondamental.

Il me paraît important en revanche d’insister sur le fait que cette réforme, légitime, est aussi une réforme utile. J’ai entendu dire qu’elle était marginale ; il me semble que c’est l’inverse qui est vrai. Avec l’équilibre trouvé dans la composition du CSM, équilibre lié à ce nouveau pouvoir essentiel qu’est l’avis conforme en matière de nomination des magistrats du parquet, on va loin ; si loin que nous ne devrions pas, selon moi, aller au-delà.

Un texte nouveau, donc, mais un texte frontière : c’est dans cet esprit que, à l’instar des députés du groupe socialiste, républicain et citoyen, je le voterai. Sur les deux points que nous considérons comme fondamentaux – la composition et les pouvoirs –, on peut certes regretter que la réforme prévue soit contrainte par une triple méconnaissance : celle du citoyen, celle, parfois, des juges eux-mêmes, et celle de la pratique de certaines autorités politiques.

Notre République et notre démocratie ont droit aujourd’hui à une formule apaisée, une formule sereine. Nous sommes ici à la croisée des chemins. Ce texte me semble être un pari plutôt heureux dans son ensemble. C’est dans cet esprit que je vous propose de l’approuver.

Mme la présidente. La suite de la discussion générale est renvoyée à la prochaine séance.

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Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)