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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIVe législature
Session extraordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 07 juillet 2014

Présidence de M. Denis Baupin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Cessation du mandat de députés et reprise de l’exercice du mandat d’un ancien membre du Gouvernement

M. le président. J’informe l’Assemblée que le Président a pris acte de la cessation, le 3 juillet à minuit, du mandat de député de M. Thierry Mandon et de Mme Carole Delga, nommés membres du Gouvernement par décret du 3 juin 2014.

Par une communication du ministre de l’intérieur en date du 12 juin 2014, faite en application des articles LO 176 et LO 179 du code électoral, le Président a été informé de leur remplacement par M. Romain Colas et M. Joël Aviragnet, élus en même temps qu’eux à cet effet.

J’informe également l’Assemblée que le Président a pris acte, en application de l’article LO 176 du code électoral, de la cessation, le 3 juillet à minuit, du mandat de député de M. Pierre Léautey et de la reprise de l’exercice de son mandat par Mme Valérie Fourneyron, dont les fonctions gouvernementales ont pris fin par décret du 3 juin 2014.

2

Convocation du Parlement en session extraordinaire

M. le président. Le Président de l’Assemblée nationale a reçu du Premier ministre communication du décret du Président de la République en date du 4 juillet 2014 complétant le décret du 14 juin 2014 portant convocation du Parlement en session extraordinaire.

3

Agriculture, alimentation et forêt

Deuxième lecture

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, modifié par le Sénat, d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (nos 1892 rectifié, 2066, 2050).

Je vous rappelle que la Conférence des présidents a décidé d’appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé, sur la base d’un temps attribué aux groupes de quinze heures.

Chaque groupe dispose du temps de parole suivant : quatre heures quinze pour le groupe SRC, six heures vingt-cinq pour le groupe UMP, une heure quarante-cinq pour le groupe UDI, cinquante-cinq minutes pour le groupe écologiste, cinquante minutes pour le groupe RRDP, cinquante minutes pour le groupe GDR, les députés non inscrits disposant de vingt minutes.

Présentation

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du gouvernement. Monsieur le président, monsieur le président et monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur pour avis de la commission du développement durable, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de votre présence, un lundi après-midi, pour débattre du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, qui a suscité de longues heures de discussion entre nous, tant en séance publique qu’en commission. Lors de l’examen des amendements, chaque fois que cela était possible, le Gouvernement a pris en compte les souhaits et les éléments visant à améliorer ce texte important pour l’agriculture, pour la forêt, pour les outre-mers, et dont l’un des enjeux majeurs est aussi l’enseignement agricole.

En première lecture, plus de 626 amendements ont été adoptés à l’Assemblée nationale et 462 au Sénat. En deuxième lecture, nous avons examiné 1 036 amendements en commission.

La deuxième lecture permettra d’améliorer encore ce texte dans de nombreux domaines. Je pense en particulier aux autorisations de mise sur le marché, à l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, aux questions de gouvernance, à la politique du foncier et des SAFER, sujet sur lequel ont été déposés un certain nombre d’amendements. Le problème posé par la loi de 2006 nécessitait que nous revisitions complètement la politique foncière pour permettre à l’agriculture de renouveler les générations, en faisant en sorte que l’agrandissement – qui peut être nécessaire, compte tenu des évolutions de productivité – ne se fasse pas au détriment de notre capacité à construire l’avenir de l’agriculture en renouvelant les générations d’agriculteurs sur notre territoire.

Le débat sur le registre des actifs agricoles a été ouvert. Lors de la première lecture, j’ai fait, après une discussion avec Antoine Herth, une proposition qui, au fil des discussions à l’Assemblée, au Sénat, puis à nouveau à l’Assemblée, aboutira, je crois, à un dispositif répondant aux demandes de la profession agricole.

Il y a aussi la question de la compensation agricole, discussion qui nous a occupés en commission. C’est un vrai sujet, sur lequel il faut trouver le bon arbitrage pour assurer une solution concrète à l’agriculture par rapport aux grands ouvrages qui consomment de l’espace agricole. Face à cela, aujourd’hui, nous avons une responsabilité collective : nous devons éviter que se réitère un phénomène qui s’est produit depuis des années, c’est-à-dire près de 70 000 hectares de terres agricoles consommés pour les besoins des infrastructures et de l’urbanisme. Il y va, demain, de notre capacité à préserver la production agricole, tout en assurant le développement et l’urbanisation de notre pays.

Je le rappelle souvent, dans vingt ans, la France connaîtra peut-être 10 millions d’habitants supplémentaires. C’est l’équivalent de la population francilienne. Nous devons donc anticiper et nous donner des outils.

Nous avons également débattu de la forêt, qui est un enjeu dont l’importance croît de jour en jour. J’ai discuté il y a peu avec les premiers maillons de cette filière, les scieurs. Des engagements ont été pris sur le renouvellement forestier.

Et puis, nous avons eu des discussions spécifiques sur l’équilibre sylvo-cynégétique, si cher au Sénat et à l’Assemblée nationale. Nous devons trouver les moyens de concilier le renouvellement de la forêt, lequel est absolument nécessaire, avec la pratique de la chasse, qui permet d’éviter une surpression de la faune sauvage sur le milieu forestier.

J’en viens aux produits phytosanitaires, qui sont un sujet d’actualité. Beaucoup a été fait dans ce texte pour faire évoluer l’ensemble des dispositifs, s’agissant notamment des autorisations de mise sur le marché et de la responsabilité qui sera donnée à l’ANSES, mais aussi pour valoriser et faciliter les autorisations de mise sur le marché s’agissant de toutes les nouvelles techniques qui apparaissent en matière de biocontrôle. Ce sont de vraies avancées, qui vont dans le sens du projet de l’agro-écologie, lequel est inscrit dans cette loi et marque une volonté de concilier la performance économique, écologique et sociale de l’agriculture française. Cela fait partie des grands enjeux de cette loi.

Par ailleurs, nous devons chercher à protéger les personnes, tout en permettant aux agriculteurs de protéger leurs cultures. Des propositions ont été faites en ce sens. Le point d’équilibre a été trouvé en commission, grâce à un amendement sur les produits phytosanitaires.

Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie pour la qualité de nos débats. Je suis sûr que cette deuxième lecture montrera à la fois notre intérêt pour l’avenir de l’agriculture, de la forêt et de l’alimentation, et la capacité que nous avons, avec la représentation nationale, de faire évoluer un texte qui permettra, j’en suis sûr, à l’agriculture française de relever les grands défis du XXIe siècle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Germinal Peiro, rapporteur de la commission des affaires économiques.

M. Germinal Peiro, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Comme l’a indiqué M. le ministre il y a un instant, ce projet de loi a fait l’objet d’une très large concertation. Monsieur le ministre, cela fait plus d’un an que vous travaillez avec les organismes professionnels et syndicaux, avec tous les professionnels du monde agricole, qui est extrêmement divers. On peut dire que ce texte est aujourd’hui globalement accepté.

Il a été considérablement enrichi au fil des discussions en commission et séance publique à l’Assemblée et au Sénat. Le rapporteur que je suis a participé, à sa mesure, à ce travail de concertation. J’ai en effet conduit plus d’une centaine d’auditions pour la première lecture et plus de trente pour la deuxième lecture.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Absolument !

M. Germinal Peiro, rapporteur. Il faut rappeler dans quel contexte se situe ce projet de loi. Vous le savez, notre pays traverse une crise économique et sociale extrêmement grave. Ce projet s’inscrit dans la politique gouvernementale, qui est celle du redressement productif. Entre 2002 et 2012, notre pays a perdu 750 000 emplois industriels et le nombre de chômeurs a augmenté d’un million. La dette, entre 2007 et 2012, est passée de 1 200 milliards à 1 800 milliards. Dans ce tableau, assez noir, le monde agricole n’a pas été épargné puisque la France a perdu le premier rang qu’elle occupait en Europe en matière de production agricole et agroalimentaire et qu’elle est passée du premier au troisième rang, derrière l’Allemagne et les Pays-Bas.

Au cours des dix dernières années, ce sont 26 % des exploitations agricoles de notre pays qui ont disparu. Le projet de loi s’inscrit dans le droit fil de la politique du Gouvernement visant à assurer le redressement productif de notre pays, qui est absolument indispensable au maintien du haut niveau de protection sociale dont nous jouissons en France. Le secteur agricole bénéficiera des mesures générales de soutien à la compétitivité telles que le crédit d’impôt compétitivité emploi et le pacte de responsabilité. En vérité, le coût du travail sera allégé de plus d’1 million d’euros, ce qui mettra les entreprises agricoles et agroalimentaires à même de mieux affronter nos concurrents directs. Nous savons à quel point le coût du travail pèse sur certaines productions, en particulier celles de fruits et légumes.

Le projet de loi a un objectif parfaitement clair : la France doit produire plus et elle doit produire mieux. Elle doit produire plus pour reprendre son rang parmi les grands pays producteurs agricoles et elle doit aussi produire mieux, pour améliorer la compétitivité des exploitations agricoles, ce qui suppose un important travail interne afin d’en améliorer l’autonomie. Les premières marges de compétitivité peuvent être réalisées sur les achats d’intrants tels que les aliments d’élevage et d’engrais. Mais la France doit aussi produire mieux afin de protéger la santé publique et l’environnement. Le projet de loi prévoit donc des mesures visant à réduire et mieux contrôler l’utilisation des engrais azotés et d’autres visant à réduire l’usage des pesticides, sur lesquels je m’arrêterai un instant.

Le texte comporte une orientation très claire, l’agro-écologie, mais la question de la réduction des pesticides est essentielle aujourd’hui et le sera peut-être encore plus demain. Après un rapport du Sénat et un autre de l’INSERM, après l’appel de 1 200 médecins suscité par les problèmes du traitement de la pomme en Limousin, il ne se passe pas un mois sans qu’une étude ne démontre le lien entre l’usage des pesticides et la santé humaine. Il s’agit donc d’un sujet majeur. L’objectif de l’agro-écologie placé au cœur du texte de loi, unissant performance économique d’une part et environnementale et sanitaire d’autre part, prend ici tout son sens.

Le maintien sur le territoire national du plus grand nombre possible d’exploitants agricoles se situe également au cœur du projet de loi. Vous avez plusieurs fois appelé de vos vœux, monsieur le ministre, une agriculture faite avec des exploitants agricoles, c’est-à-dire des hommes et des femmes vivant à titre principal, et convenablement, de leur métier d’agriculteurs, dans des exploitations à taille humaine, privilégiant des productions à forte valeur ajoutée ancrées localement et répondant à la demande des consommateurs, qui sont de plus en plus des consommateurs citoyens. Le projet de loi donne de nouveaux outils aux professionnels de l’agriculture, au premier rang desquels les groupements d’intérêt économique et environnemental dont le travail en commun améliorera l’efficacité des exploitations et rompra l’isolement dont souffrent beaucoup d’exploitants agricoles. Les premiers résultats sont encourageants. En effet, l’appel à projets lancé l’été dernier a suscité un nombre important de candidatures, qui sont autant d’initiatives démontrant l’intérêt que suscite l’agro-écologie dans tout le territoire.

Le texte vise aussi à assurer le renouvellement des générations et la pérennité de l’activité agricole au moyen du contrat d’installation progressive destiné aux jeunes agriculteurs et de toutes les mesures de protection des terres agricoles, dont nous débattrons à l’occasion de la deuxième lecture. Citons également le renforcement du contrôle des structures et du rôle des SAFER, dont la mission d’aide à l’installation devient une priorité. Comme nous le savons tous, la moitié des agriculteurs de France ont plus de cinquante ans. La première des priorités, si nous voulons produire plus et maintenir les agriculteurs dans l’ensemble du territoire national, est véritablement de faciliter l’installation.

Le texte de loi comporte des moyens pour mieux protéger la santé publique et l’environnement, comme la réduction de l’usage des antibiotiques. Nous savons tous que l’antibiorésistance progresse dans ce pays et qu’il faut lutter contre. Nous avons donc pris des mesures visant à mieux contrôler l’usage des antibiotiques, en particulier dans les élevages industriels qui en sont gros consommateurs, et à réduire l’usage des produits phytosanitaires comme le rappel de la nécessité du conseil et l’interdiction de la publicité. Nous encourageons également l’action des organismes de biocontrôle. Je me réjouis que nous ayons trouvé une solution juridique pour sécuriser l’utilisation des préparations naturelles peu préoccupantes, ou PNPP. Le texte de loi donne aussi les moyens nécessaires à la conciliation des usages, je pense en particulier au nécessaire équilibre entre les activités des forestiers et celles des fédérations de chasse qui, au-delà du loisir, assurent une mission de surveillance et de régulation de la faune sauvage.

Le texte ajoute à la compensation environnementale une nécessaire compensation agricole en cas de perte de terrain agricole, notamment dans le cas de la réalisation de grands projets publics.

Enfin, le texte prévoit de soutenir les zones en difficulté, en particulier les zones de montagne pour lesquelles toutes les dispositions législatives dont nous avons discuté ont été adaptées. Je ne doute pas que le texte sera encore enrichi, car 1 300 amendements ont été déposés pour la deuxième lecture à l’Assemblée, et que nous progresserons encore dans la voie de l’intérêt général.

Je ne puis terminer sans remercier les membres de votre cabinet, monsieur le ministre, et les administrateurs de l’Assemblée, qui nous sont d’un précieux secours et font preuve à la fois de compétence et de sérieux tout au long de la préparation de nos textes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Exact !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Caullet, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je commencerai par souligner, à l’orée de sa seconde lecture, l’intérêt porté au texte par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, qui a bien voulu me désigner à nouveau rapporteur pour avis du titre V du projet de loi consacré à la forêt. J’en remercie chaleureusement le président Chanteguet ainsi que mes collègues de la commission, qui me fournissent ainsi l’agréable occasion de remercier à mon tour M. le président Brottes, M. le rapporteur ainsi que vous-même, monsieur le ministre, et votre cabinet, pour la qualité de l’écoute et du travail mené en commun. Je manquerais par ailleurs à tous mes devoirs si je n’associais à mes remerciements les administrateurs de l’Assemblée chargés du texte, tant leur soutien, leur collaboration et leur expertise sont précieux.

La première lecture a donné lieu à l’adoption de plusieurs acquis fondamentaux, d’ailleurs confirmés par le Sénat. Citons en particulier la reconnaissance de l’intérêt général des différentes fonctions de la forêt, dont la multifonctionnalité économique, environnementale et sociale se trouve ainsi renforcée, l’introduction du débat public dans la détermination des orientations des plans national et régionaux de la forêt et du bois, la consolidation des aménagements et documents de gestion durable qui deviennent les outils centraux de la mise en valeur multifonctionnelle de la forêt, la mise en place d’outils de dynamisation foncière forestière comme les GIEEF, les groupements d’intérêt économique et environnemental forestier, et la mise en place du fonds stratégique de la forêt et du bois.

La première lecture au Sénat a été l’occasion d’apports importants, en particulier l’essentielle consolidation du dialogue sylvo-cynégétique et un nouvel outil d’investissement forestier, le groupement d’investissement forestier. En confirmant par ailleurs la forme du compte d’affectation spéciale que nous avions adoptée en première lecture pour le fonds stratégique de la forêt et du bois, le Sénat a voulu marquer la forte nécessité de structurer et de garantir à long terme le financement de l’investissement forestier. Nous reviendrons, bien sûr, sur ce point essentiel, qui pose une question délicate de forme juridique. Néanmoins, quelle que soit l’issue du débat, je rappelle l’impérieuse nécessité dans laquelle nous nous trouvons de réunir un abondement suffisant et pérenne pour le fonds stratégique, dès la discussion de la loi de finances initiale, au moyen d’une affectation d’au moins une partie du produit de la vente des quotas carbone.

Car enfin, si la forme du compte d’affectation spéciale venait à être écartée, l’urgence du financement demeure. Qu’importe le flacon, comme dit l’adage, ce sont les moyens qui comptent ! Compte d’affectation spéciale ou non, la nécessaire pérennisation du fonds découlera, chacun peut en être assuré, de l’opiniâtreté des parlementaires engagés pour la cause forestière. Au cours de cette deuxième lecture, il nous faudra également examiner la déclinaison départementale, très attendue, du dialogue équilibré prévu par le Sénat en matière de chasse et de forêt, afin de mettre en place au plus près de la gestion cynégétique le pendant de ce qu’a introduit le Sénat à l’échelon régional. Aucun malentendu ne saurait subsister en la matière, c’est bien l’équilibre qui est recherché afin de consolider à terme la confiance mutuelle. Il nous faudra également nous prononcer sur un renforcement des sanctions contre le commerce illégal du bois, en particulier en bande organisée. Il en résultera, je l’espère, une cohérence améliorée entre la garantie de gestion durable des forêts de France et l’approvisionnement extérieur de la filière, ainsi qu’une marque très forte de solidarité forestière à la veille du sommet prévu à Paris en 2015.

Tel est, mes chers collègues, l’essentiel du débat qui nous attend sur le titre forestier. Il en résultera bien entendu quelques améliorations ponctuelles du texte issu de la première lecture au Sénat, à propos du code de bonnes pratiques sylvicoles par exemple.

En conclusion, je vous invite, mes chers collègues, à soutenir le texte à la majorité la plus large possible, qui constituera le meilleur hommage rendu à la qualité du travail mené sur tous les bancs de l’Assemblée comme du Sénat, un signal fort de confiance et de soutien à toute la filière et le meilleur gage de la poursuite de la mobilisation indispensable à la réussite de la mise en œuvre effective de l’ensemble des dispositions de la loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Antoine Herth.

M. Antoine Herth. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, chers collègues, j’ai l’honneur de vous présenter, au nom du groupe UMP, une motion de rejet du projet de loi dit d’avenir pour l’agriculture et la forêt.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Quelle erreur !

M. Antoine Herth. Lors de l’examen en première lecture, j’ai contesté le qualificatif d’avenir accolé au projet de loi, car j’avais le sentiment qu’il passait à côté d’une part essentielle de ce qui fait la réussite de notre modèle agricole, c’est-à-dire la capacité d’initiative des paysans que la PAC rogne depuis 1992. Trop souvent, leur capacité à comprendre et intégrer les nouvelles demandes de la société est mise en doute. En réalité, plus que d’autres, les agriculteurs sont pénétrés de la nécessité de s’adapter à un monde qui bouge.

M. Philippe Le Ray. Exactement !

M. Antoine Herth. Ils sont conscients de l’importance des traditions ; ils savent que le consommateur français veut des produits du terroir respectueux de l’environnement. Mais ils se sont aussi dotés des moyens pour répondre à une demande mondiale dans laquelle la France a de beaux atouts, et organisés collectivement pour ce faire. Encore faudrait-il ne pas étouffer les porteurs de projets sous une réglementation aussi pléthorique qu’inutile. Encore faudrait-il ne pas accroître inutilement leurs charges ou les priver du soutien public comme dans le cas du CICE. Encore faudrait-il ne pas jeter le soupçon sur la recherche et sur l’innovation. Encore faudrait-il, tout simplement, faire confiance à leur professionnalisme. Nous sommes malheureusement loin du compte.

Certes, le ton de la majorité est moins clivant qu’en première lecture. Certes, le ministre semble plus attentif à nos remarques. Mais, pour l’essentiel, l’esprit du texte reste le même : plus de contraintes réglementaires, plus de contrôles, plus d’interdits et rien, jamais rien, pour donner un élan, ou ne serait-ce qu’un encouragement, à ces milliers d’hommes et de femmes qui ne se contentent pas de parler d’agriculture mais qui la font au quotidien, à la sueur de leur front.

M. Philippe Le Ray. C’est là toute la différence !

M. Antoine Herth. Plus que jamais, monsieur le ministre, je suis convaincu que votre scénario d’avenir n’est pas le bon. Comme dans le film de Robert Zemeckis Retour vers le futur, votre loi d’avenir est d’abord un voyage vers le passé. C’est pour cette raison que le groupe UMP invitera à rejeter ce texte.

Mais ce qui m’inquiète bien plus encore que ce projet de loi, c’est le pilonnage en règle dont fait l’objet le monde agricole depuis le début de l’année 2014. Pas une semaine sans une polémique, sans une annonce fracassante, sans une déclaration définitive qui ne mette à mal la réputation des professionnels de l’agriculture. Et bien sûr, toutes ces annonces tombent sans que le Gouvernement n’ait consulté les intéressés. Merci pour le dialogue social !

Face à cette frénésie gouvernementale, les lobbys, mais aussi certains parlementaires, n’ont pas mis longtemps à s’engouffrer dans la brèche. Le mode d’emploi est simple. On organise par exemple un colloque qui met les éleveurs sur la sellette et permet de justifier le dépôt au Sénat d’une proposition de loi modifiant le statut de l’animal dans le code civil, et demain peut-être, dans le code rural.

Évidemment, aucune étude d’impact n’a été réalisée, ni sur les conditions d’élevage ni sur les conséquences économiques. Les auteurs de la proposition de loi se satisfont d’un mouvement d’opinion favorable ou d’un buzz médiatique valorisant. Et qu’en pense le ministre de l’agriculture, qui prétend relancer l’élevage de cochons ? Nous ne le saurons jamais.

Autre exemple : une proposition de loi, au demeurant mal rédigée, vise à interdire les produits phytosanitaires en milieu urbain. Alors que 40 % des communes sont déjà engagées dans une démarche de réduction, personne ne se demande pourquoi les 60 % restantes ne le sont pas. Manque d’information, difficultés techniques, problème de personnel, impact sur les finances locales ? La majorité ne s’arrête pas devant ce genre de détails ! Là encore, ce qui compte, c’est le coup politique, pas le coût d’une politique. Cette stratégie du coup d’éclat permanent a un grand avantage pour ses auteurs. Elle permet à une minorité d’imposer ses idées sans discussion sur le fond. Elle permet surtout de polariser le débat politique dans une logique manichéenne. Les médias et les réseaux sociaux adorent. Et tant pis si l’image du Parlement en souffre !

Reprenons l’exemple des produits phytosanitaires. Derrière ces interdictions, en apparence ciblées, c’est en fait le procès de la chimie des plantes qui est ouvert, et uniquement à charge. Qui, dans cet hémicycle, osera prétendre que les pesticides apportent aussi un bénéfice à l’humanité ? Personne, sauf à se faire traiter d’assassin en puissance. Le raisonnement est simple, voire simpliste : puisque les produits phytosanitaires sont efficaces, ils sont nécessairement dangereux et d’ailleurs la science n’ayant pas encore tout révélé à leur sujet, il convient d’appliquer le principe de précaution. La suite est connue : on les interdit dans les parcs et jardins. Deux mois plus tard, on se dit qu’il serait bon de les interdire également jusqu’à deux cents mètres des parcs, des jardins et des écoles. Et d’ailleurs, pourquoi attendre 2020 ? Va donc pour le 1er mai 2016 ! Voilà un bel exemple !

Et puis il y a le sujet, complexe et passionnel, de la mortalité des abeilles. Heureusement, on a trouvé les coupables : ce sont les insecticides de la famille des néonicotinoïdes ! Sans perdre de temps, notre rapporteur dépose une proposition de résolution demandant leur interdiction pure et simple.

M. Dominique Potier. Il a raison !

M. Antoine Herth. Personnellement, je n’ai pas d’avis sur le fond de l’affaire. Mais la méthode me laisse pantois. D’un côté, le rapporteur soutient le Gouvernement lorsque celui-ci nous explique que dorénavant, seule l’ANSES évaluera les risques et les bénéfices des produits phytosanitaires en vue de leur mise sur le marché. De l’autre côté, il propose que le législateur se substitue à cette agence indépendante et prenne une décision selon son intime conviction.

Ce faisant, il nous invite à surinterpréter l’avis de l’ANSES, qui recommande – je cite – « premièrement, de poursuivre les études, deuxièmement, d’engager une réévaluation au niveau européen des substances actives néonicotinoïdes sur la base des données scientifiques nouvelles issues des études récentes », comme le propose également l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA.

M. Germinal Peiro, rapporteur. C’est ce que j’ai demandé, monsieur Herth. Lisez la proposition de loi !

M. Antoine Herth. Point d’interdiction dans l’avis de l’ANSES…

Une telle posture de surenchère a pour conséquence de ruiner par avance la crédibilité de l’image et du travail de l’ANSES, démarche d’autant plus choquante qu’elle émane des promoteurs mêmes du nouveau système d’homologation.

Mais ne croyez pas que seuls les élus aient perdu le sens de la mesure. Non, les ministres s’y mettent aussi, s’empressant de participer au concours Lépine de la décision radicale et, surtout, très médiatique. Pour ne pas être à la traîne s’agissant des insecticides, l’on s’apprête ainsi à interdire les traitements sauf s’ils sont appliqués trois heures après le coucher du soleil. Je ne sais qui a eu cette idée géniale. Mais en pratique, cela signifie que la gauche va instaurer le travail de nuit obligatoire pour nos agriculteurs : c’est très fort, pour un parti politique qui ne jure que par le progrès social et qu’on associait jusqu’alors à l’invention des congés payés !

M. Philippe Le Ray. Bien vu !

M. Antoine Herth. Il arrive toutefois que la gauche retourne à ses fondamentaux. Ainsi, le 15 mars dernier, par voie de communiqué de presse, le ministre de l’agriculture invitait nos paysans à prendre du repos : afin de contribuer à lutter contre la pollution atmosphérique, plus de travail du sol ! Le ministre ne souhaitant plus s’occuper des produits phytosanitaires, il fallait bien lui trouver une nouvelle mission, celle d’organiser le calendrier des travaux agricoles !

En revanche, nous attendons encore que M. Montebourg demande l’arrêt des usines…

Ces gesticulations médiatiques sont devenues la grande spécialité des membres de ce gouvernement. Voyez Mme Royal. C’est en ce moment vaches maigres au ministère de l’écologie : écotaxe poids lourds en cale sèche, fermeture de la centrale de Fessenheim repoussée aux calendes grecques…

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Hors sujet ! Vous vous trompez de débat, cher collègue.

M. Antoine Herth. En dehors du sujet des perturbateurs endocriniens, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. On sort donc les grands classiques : on tape sur les agriculteurs, minorité docile, afin de faire patienter la clientèle écologiste. L’astuce est aussi vieille que le ministère de l’écologie. Ce qui est merveilleux, c’est que ça marche toujours.

Au final, cela donne ce spectacle extraordinaire : le même jour, dans deux commissions différentes, l’une travaillant sur le texte que nous examinons aujourd’hui, l’autre examinant le projet de loi relatif à la biodiversité, des parlementaires d’une même majorité, encouragés par deux ministres du même gouvernement, votent des dispositions législatives pas nécessairement concordantes sur des sujets similaires.

M. Germinal Peiro, rapporteur. Cela, vous l’avez rêvé.

M. Antoine Herth. Bravo ! Encore une belle invention de la gauche ! Mais attention, à la longue, le strabisme divergent fait mal aux yeux. Plus sérieusement, l’on peut se demander à quoi sert le Premier ministre si aucun arbitrage interministériel n’a de valeur. Ou alors, faut-il comprendre que la position du Gouvernement résulte de la moyenne des positions divergentes de ses membres ?

Mes chers collègues, ce que je décris brièvement, non sans, je le reconnais, une certaine ironie, ressemble en réalité à une méthode de gouvernance qui a été théorisée par les auteurs de l’ouvrage Gouverner par le chaos.

Ce harcèlement permanent semble avoir pour seul but de culpabiliser les agriculteurs, de saper les organisations collectives dont ils se sont dotés pour les remplacer par de nouvelles, de leur imposer des choix qui ne sont pas les leurs et parfois, raffinement suprême, d’obtenir leur consentement.

À tout le moins, cette agitation autour du monde agricole crée une mauvaise ambiance et justifie toutes les actions dites militantes : ici on fauche des cultures, là on arrache une plantation de pommiers, ailleurs on démonte les équipements du chantier d’une étable. Chacun y va de son initiative, au mépris de toutes les lois, en se sentant conforté par l’attitude plus que brouillonne de ceux qui sont supposés fixer le cap pour notre pays.

À sa manière, ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture contribue à cette œuvre de déstabilisation du monde agricole. En imposant les groupements d’intérêt économique et environnemental, les GIEE, en risquant de bloquer le fonctionnement des interprofessions, en généralisant les clauses environnementales dans les baux ruraux, en donnant aux SAFER un droit de vie ou de mort sur tout projet de société agricole…

M. Dominique Potier. Oh ! Si seulement…

M. Antoine Herth. …en donnant des passe-droits sur la propriété des semences à quelques-uns…

M. Philippe Le Ray. Clientélisme !

M. Antoine Herth. …tout en faisant porter les obligations liées à la collecte des céréales sur quelques-uns, en mettant à terre le système d’expertise et d’autorisation de mise sur le marché des produits phytosanitaires, cette loi contribue à saper les fondations de l’agriculture française.

Mes chers collègues, ce n’est pas le désordre qui a fait la prospérité de notre modèle alimentaire mais bien la capacité d’organisation de tous les acteurs de cette chaîne d’excellence. Ce texte va dans la mauvaise direction. Aussi, je vous invite à le rejeter. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Dans la présentation de cette motion de rejet préalable, je vous ai trouvé, monsieur le député, plus modéré qu’en première lecture. Le ministre a évolué, avez-vous dit. Mais vous-même avez évolué. Reste tout de même une divergence fondamentale entre nous : vous pensez en effet que ce projet va à l’encontre de l’innovation et de la recherche, alors que c’est tout le contraire. Cela a été dit dans les débats et vous avez d’ailleurs fini par le reconnaître vous-même : l’agro-écologie offre des potentialités considérables,  en premier lieu à partir des innovations des agriculteurs eux-mêmes.

J’ai cité des modèles de production que j’ai pu observer et qui ont été mis au point par les agriculteurs. Je pense en particulier à ce qu’on appelle la couverture des sols et qui fait qu’il n’est pas nécessairement besoin de labourer le sol si celui-ci contient assez de vers de terre à l’hectare. Cela est vrai. C’est une technique qui existe, qui permet d’évoluer et d’éviter de consommer de l’énergie fossile. De même, en matière de protection des cultures, votre groupe, monsieur le député, devrait soutenir toutes les alternatives possibles à l’utilisation des substances chimiques. En effet, votre groupe n’avait-il pas, à l’époque, salué le Grenelle de l’environnement ? C’est dans la même ligne que celle qui avait d’ailleurs conduit Michel Barnier à lancer le plan Écophyto 2018 que nous nous inscrivons aujourd’hui, mais avec une stratégie globale.

En politique, il faut rester cohérent. Ayant voté le Grenelle de l’environnement, vous devriez convenir que cette loi d’avenir est ce qu’il y a de plus abouti en termes de conception globale de la performance économique, écologique et sociale. Cet effort vous est difficile, et même très difficile, je le sais, mais pour l’agriculture et les agriculteurs, cette loi constituera un grand progrès.

Ce week-end, je visitais dans le Lot un GAEC qui produit des melons du Quercy et des pruneaux d’Agen. L’exploitation fait quatre-vingts hectares, possède un système d’irrigation alimenté par une retenue collinaire… Le débat que nous avons eu ensemble a montré qu’il existait une volonté commune de trouver des solutions pour concilier la capacité productive de cette exploitation et la prise en compte de l’environnement, sans oublier bien sûr la dimension sociale, avec les emplois en jeu dans ce GAEC – je rappelle ici que, comme l’a rappelé lui-même Germinal Peiro, les GAEC sont éligibles au crédit d’impôt compétitivité emploi.

Vous cherchez des oppositions où il n’y en a pas. Pour trouver quelque illustration à vos propos, vous êtes obligé d’évoquer des sujets qui ne sont pas nécessairement en débat dans le texte. Dans le projet de loi et les objectifs qu’il fixe, il y a une cohérence.

S’agissant de la question foncière, les professionnels et les responsables des SAFER, qui ne sont pas forcément en attente des grands choix de notre majorité, nous ont demandé de revenir sur la législation adoptée en 2006, pour renforcer le rôle des SAFER et essayer d’avoir un seul objectif : renouveler les générations, favoriser l’installation afin d’avoir des agriculteurs à la tête de l’agriculture.

Pour ces raisons, il ne faut surtout pas rejeter notre texte de loi, car c’est l’avenir. En discutant ensemble sur l’avenir de l’agriculture, nous préparons le redressement de notre pays, mais nous lui offrons aussi la possibilité de valoriser demain toutes ses potentialités et toute la diversité de ses agricultures. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. J’ai trouvé que M. Herth forçait un peu sa nature, car je ne l’ai pas vraiment retrouvé dans cette motion. J’apprécie qu’il n’ait pas déposé de motion de renvoi en commission, signifiant ainsi que le travail que nous avions fait en commission était conséquent, et je l’en remercie en tant que président de la commission. Présenter une motion de rejet, c’est dire qu’il n’y a pas de quoi débattre du texte. Pourtant, en première lecture, nous avons adopté cinquante-quatre amendements de l’UMP et nous nous apprêtons à en adopter presque autant en deuxième lecture.

M. Thierry Benoit. Oh, c’est beaucoup !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Chers collègues, vous avez participé au débat, vous êtes dans le débat et vous avez bien conscience qu’après avoir voté, il y a peu dans cet hémicycle, le principe de précaution, de rang constitutionnel, il faut encadrer les choses pour que ces grands principes un peu théoriques et très conceptuels trouvent, dans la pratique quotidienne de l’agriculture, des limites d’expression qui ne mettent pas nos agriculteurs dans des situations délicates. Au fur et à mesure des débats, après cette deuxième lecture, vous vous rangerez à l’idée qu’il fallait vraiment débattre de ce texte et peut-être même le voterez-vous, puisque nombre de vos amendements ont eu du succès en commission. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable. La parole est à Mme Brigitte Allain, pour le groupe écologiste.

Mme Brigitte Allain. Les écologistes ne soutiendront pas cette motion de rejet. Le projet de loi répond clairement à une demande d’évolution de l’agriculture pour relever les grands défis : produire une alimentation saine et suffisante ; lutter contre le réchauffement climatique ; redonner aux agriculteurs leur capacité à créer du lien avec les consommateurs, en les soutenant en vue d’un retour à l’agro-écologie, via les GIEE mais aussi via les projets alimentaires territoriaux, et en encourageant leur souhait de vivre de manière durable de leur métier.

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jacques Krabal. Il va sans dire que le groupe RRDP rejette cette motion de rejet déposée par le groupe UMP. L’intervention d’Antoine Herth reposait sur des caricatures plutôt que sur une analyse de fond. Cette loi n’apportera certainement pas toutes les solutions à la problématique de l’agro-écologie, mais elle annonce de réelles avancées pour l’avenir. En commission, il nous avait semblé possible de faire progresser le texte, car il y avait un certain consensus. Nous regrettons que ce ne soit plus le cas. Comment se peut-il que, tout d’un coup, au moment où il faut passer à l’acte le plus important, des divergences si fortes apparaissent ? Le monde agricole n’appartient pas à un camp plus qu’à un autre : il appartient d’abord à la France.

Mme Delphine Batho. Bravo !

M. Jacques Krabal. Je ne comprends pas ces postures plus partisanes que fondées en raison. Le groupe RRDP soutient le projet du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Les députés du Front de gauche ne voteront pas non plus cette motion de rejet préalable. Mais je veux tout d’abord m’excuser auprès d’Antoine Herth, parce que je ne suis arrivé qu’à la fin de son intervention – la traversée de Paris est un peu délicate. Je n’ai donc pas entendu toutes ses explications et je ne me permettrai pas de répondre à des propos que je n’ai pas écoutés.

Pour justifier brièvement mon refus de voter cette motion de rejet, je veux vous livrer une citation que j’avais prévu de vous donner lors de l’intervention un peu longue que je ferai en discussion générale – si elle sera un peu longue, c’est pour gagner du temps dans les débats à suivre, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur. Je me limiterai à cette citation d’Olivier de Schutter, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, qui ne cesse de défendre le virage agro-écologique pour répondre aux enjeux alimentaires de notre siècle. Il dit ainsi : « Si nous voulons nourrir neuf milliards de personnes en 2050, il est urgent d’adopter les techniques agricoles les plus efficaces. Et les preuves scientifiques actuelles démontrent que les méthodes agro-écologiques sont plus efficaces que le recours aux engrais chimiques pour stimuler la production alimentaire dans les régions difficiles où se concentre la faim. »

Certes, le projet de loi dont nous discutons n’est pas une révolution à dimension tectonique, mais il ouvre la voie à un nouveau type d’agriculture et il esquisse le paradigme nouveau d’une agriculture à laquelle un sens différent est donné. Cela peut heurter certaines habitudes, mais pour autant essayez, chers collègues de l’opposition, pour une fois, d’être progressistes et un peu moins conservateurs ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. Germinal Peiro, rapporteur. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Michel Clément. J’interviens également pour m’opposer à la motion de rejet préalable soutenue par Antoine Herth. J’ai entendu en commission des propos beaucoup plus pertinents que certaines caricatures énoncées tout à l’heure. Nous abordons dans cette deuxième lecture un projet qui veut porter les ambitions du Gouvernement pour notre agriculture, et plus encore pour nos agricultures et pour les hommes et les femmes qui en dépendent, sans oublier les territoires sur lesquels notre pays a su asseoir notoriété et réputation de ses produits tout en préservant la compétitivité du secteur agroalimentaire qui en dépend. Aussi, après avoir su préserver l’enveloppe financière au titre de la PAC, en veillant à une répartition plus juste et plus solidaire entre agriculteurs et territoires, vous avez voulu porter pour le monde agricole une politique ambitieuse qui veut relever les défis qui se posent aujourd’hui à l’agriculture, et ils sont nombreux.

Maintenir la performance des filières agricoles et agroalimentaires en conjuguant économie et protection de l’environnement, soit la préservation de la ressource essentielle qu’est la terre ; mieux valoriser la forêt française, que nous savons trop éclatée pour être rentable, alors que nous devons importer du bois ; réaffirmer la singularité de notre agriculture dans les outre-mer ; protéger les espaces naturels, agricoles et forestiers dont il nous faut enrayer une consommation devenue préoccupante ; renouveler les générations, mission que le monde agricole n’est plus en mesure d’assumer seul. Il s’agit également de maîtriser autant que faire se peut l’usage du foncier, son accès et sa concentration au profit de quelques-uns, mais aussi la dynamique de financiarisation.

Les débats qui ont eu lieu jusqu’alors ont montré qu’il nous fallait aller vers un interventionnisme étatique renouvelé. Cet interventionnisme, pierre angulaire de la politique agricole depuis les années 1960, n’a pourtant pas permis d’enrayer la diminution brutale du nombre d’exploitants, ni l’agrandissement des structures d’exploitation, dont certaines sont devenues inaccessibles au plus grand nombre, mais non pas aux capitaux étrangers.

Maintenant, il y a urgence à légiférer pour accompagner ces mutations. Le temps n’est plus à opposer agriculture et environnement, mais au contraire à conjuguer ces deux dimensions. Le temps est également venu d’accueillir des candidats à l’installation issus de la société civile tout entière, et non pas seulement du monde agricole, tout en refusant d’en faire des exécutants de donneurs d’ordre qui intégreraient les agriculteurs dans leur propre chaîne de valeur. Ce seront de nouveaux visages qui choisiront le métier pour lui-même et pour sa noblesse, celle de nourrir des hommes avec des produits de qualité.

Enfin, il n’y a pas de politique agricole sans enseignement, sans formation ni recherche, et votre projet de loi l’a bien compris, monsieur le ministre, en lui réservant un titre spécifique. Cette loi d’avenir est tout sauf un voyage vers le passé ; au contraire, elle est une projection vers l’avenir d’un monde agricole qui a changé et qui évolue, ce qui a manifestement échappé à notre collègue Antoine Herth.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à rejeter cette motion de rejet préalable, parce qu’il y a désormais urgence à légiférer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Annie Genevard. L’excellente motion de rejet défendue par notre collègue Antoine Herth vous aura exposé les raisons qui motivent la position du groupe UMP. Les agriculteurs n’ont pas attendu cette loi d’avenir pour adapter, par des pratiques vertueuses, leur métier aux attentes d’une société plus soucieuse que jamais, comme ils le sont eux-mêmes, du respect de l’environnement. Or, aujourd’hui, les agriculteurs sont stigmatisés. Tout fait polémique à leur détriment : la question des antibiotiques et des produits phytosanitaires, certains élevages comme celui des porcs ou encore le statut de l’animal. Votre loi aurait pu remettre les choses à leur juste place, monsieur le ministre, mais nous avons le sentiment que vous avez beaucoup sacrifié aux environnementalistes sans toujours évaluer l’impact sur l’économie agricole et, au-delà, sur la reconnaissance sociale de l’agriculteur. S’agissant de l’agroalimentaire, la France a reculé spectaculairement dans le rang des nations exportatrices. Son agriculture a perdu en compétitivité. C’est cela qui aurait dû être le vrai sujet de cette loi : protéger le producteur. Car protéger le producteur, c’est protéger le consommateur, comme je l’ai déjà dit en première lecture et comme cela n’a pas suffisamment été dit. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Thierry Benoit. Cher Antoine Herth, qui connaissez bien les questions agricoles, au nom du groupe UDI, je ne voterai pas votre motion de rejet.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Herth est isolé !

M. Thierry Benoit. Monsieur le ministre, votre loi d’avenir n’est pas la grande loi attendue. Vous poursuivez des travaux engagés par vos prédécesseurs : à l’agriculture raisonnée a succédé l’agriculture écologiquement intensive, à laquelle succédera l’agro-écologie. Les lacunes de votre texte sont connues : les enjeux de simplification ne sont pas atteints, pas plus que les enjeux de compétitivité ou ceux de revenus. Les questions liées à la conséquence de la nouvelle PAC, avec notamment l’ouverture de la production laitière et la suppression des quotas laitiers, ne sont pas étudiées. Je suis pressé d’aborder la deuxième lecture. J’ai observé attentivement les travaux du Sénat. Si les Français rouspètent parfois sur l’inutilité du Sénat, je trouve qu’il a accompli un travail précieux sur ce texte. En effet, je vous l’ai dit en privé, mais je veux le dire en public, monsieur le ministre, j’ai trouvé qu’en première lecture, et sans vouloir être désobligeant à l’égard de mes collègues du groupe écologiste, vous aviez donné beaucoup de gages, de manière disproportionnée, au groupe écologiste et aux lobbies environnementalistes. Je souhaite que la deuxième lecture nous permette d’opérer un rééquilibrage au profit de l’agriculture, des agriculteurs et des professionnels agricoles. J’ai hâte, entre guillemets, d’en « découdre » ! Attaquons l’examen du texte !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Restons calmes !

M. Thierry Benoit. C’est pourquoi je repousse la motion de rejet, qui a été pourtant excellemment défendue. J’ai presque envie de dire à Antoine Herth, qui connaît bien son sujet, que ce qui ne figure pas dans ce texte fera l’objet de nouvelles propositions par une nouvelle majorité, et dans les meilleurs délais.

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Brigitte Allain.

Mme Brigitte Allain. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, chers collègues, en décembre 2013, le Gouvernement proposait au Parlement le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Ce texte est une véritable loi d’orientation, attendue par les agricultrices et les agriculteurs, mais aussi par la société tout entière, soucieuse de préserver l’apport économique des productions de l’agriculture et de l’agroalimentaire et d’en améliorer l’impact social et écologique. En effet, de nos politiques agricoles, tant européennes que nationales, dépendent l’aménagement harmonieux de nos territoires ruraux, notre niveau d’autonomie alimentaire, l’accès pour tous à une alimentation sûre, saine, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante.

Le texte que nous sommes amenés à améliorer encore aujourd’hui est issu d’un vrai travail parlementaire et le groupe écologiste a apprécié le dialogue et l’écoute de M. le ministre et de son cabinet, ainsi que de M. le rapporteur, mon cher collègue et voisin Germinal Peiro, qui a ouvert toutes ses auditions. Je tiens également à saluer tous les parlementaires, nombreuses et nombreux, qui se sont investis pour élaborer une politique agricole clairement orientée vers l’agro-écologie.

L’agro-écologie n’est pas une révolution ! Ce terme est né en 1928. Il a pris toute sa signification lorsque, dans les années soixante-dix, au plus fort du développement de ce qu’on peut appeler aujourd’hui l’agrochimie productiviste, René Dumont puis Pierre Rabhi et Marc Dufumier, notamment, ont, plus tôt que d’autres, porté cette vision futuriste d’une agriculture mieux intégrée dans la société.

Il s’agit d’une vision futuriste, parce que c’est celle d’une agriculture basée sur la diversité, la reconnaissance des savoir-faire de paysans plutôt cultivateurs qu’exploitants de la terre. C’est celle d’une agriculture durable, qui permet de produire qualitativement tout en respectant les sols, le sous-sol, l’eau, l’air et la santé des consommateurs. Économe en intrants, elle rend les agriculteurs plus autonomes et résilients. Leurs fermes offrent à ces derniers qualité de vie et revenus, et sont donc transmissibles aux générations futures.

La révolution, c’est d’avoir inscrit dans un projet de loi cette ambition et cette nécessité de passer d’une agriculture chimique à une agriculture biologique. À l’heure où notre agriculture se dégrade elle-même, où se dégrade son environnement, à l’heure où les sirènes technicistes des lobbies des semenciers et de l’agrochimie tentent à tout prix d’imposer leurs semences et plants génétiquement modifiés et leurs pesticides, c’était une nécessité de se fixer l’objectif d’une transition écologique de l’agriculture et de l’alimentation qu’elle produit.

L’engouement unanime de tous les acteurs nous porte à nous interroger sur les moyens que ce projet de loi apportera dans le contexte d’une PAC toujours plus libérale, malgré la revalorisation des aides pour les cinquante premiers hectares et le maintien ou l’amélioration de quelques mesures environnementales.

Ainsi, de l’avis de tous les députés ici présents, les dispositions concernant le foncier constituent la clé de voûte de ce texte. Mes chers collègues, même si une meilleure gouvernance des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers et des SAFER permettra une gestion du foncier plus transparente, je crains que les mesures adoptées à ce jour ne nous laissent au milieu du gué.

Je tiens à vous signaler que le rythme d’artificialisation des sols a atteint les 70 000 hectares par an entre 2006 et 2012. Ce phénomène, principalement lié à la périurbanisation, est une des causes principales du recul de la biodiversité française, selon le rapport publié le 25 juin dernier par France Stratégie, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective. Aussi devons-nous nous donner les moyens de mieux contrôler les transferts de propriétés, les attributions prioritaires de fermage et autorisations d’exploiter.

La première étape pour toute personne qui veut s’installer, c’est d’avoir accès au foncier. Face à des spéculateurs ou à des gargantuas de la terre, seules des mesures fortes peuvent assurer cette accessibilité.

Je citerai ici Edgard Pisani qui, en 1977 déjà, écrivait dans Utopie foncière : « J’ai longtemps cru que le problème foncier était de nature juridique, technique, économique et qu’une bonne dose d’ingéniosité suffirait à le résoudre. J’ai lentement découvert qu’il était le problème politique le plus significatif qui soit, parce que nos définitions et nos pratiques foncières fondent tout à la fois notre civilisation et notre système de pouvoir, façonnent nos comportements. » Presque quarante ans plus tard, nous pouvons affirmer que nos pratiques foncières ont été celles de prédateurs. C’est pourquoi je vous invite à donner aux commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers un rôle décisif et incontournable.

Ensuite, nous devons engager notre responsabilité pour que cette loi soit celle qui bannit les produits polluants et les pratiques dangereuses pour la santé et notre environnement. Je pense aux pesticides dans l’air, les sols, les corps vivants, aux algues vertes dans les eaux, aux antibiotiques qu’ingèrent les animaux et qui se retrouvent dans nos aliments. Des conditions d’épandage des pesticides plus respectueuses de l’environnement et donnant la possibilité aux préfets d’appliquer au cas par cas des mesures plus drastiques permettront aux agriculteurs, en agriculture biologique ou conventionnelle, d’apporter les traitements nécessaires à la protection de leurs plantes ; le voisinage sera en outre respecté.

Reste que sont encore mis sur le marché phytosanitaire trop de produits potentiellement cancérigènes ou contenant des perturbateurs endocriniens. Les produits insecticides sont de plus en plus soupçonnés d’être mortellement nocifs non seulement pour les pollinisateurs, dont les abeilles, qui sont pourtant les premiers garants de nos récoltes, mais aussi pour les vers de terre, qui travaillent les sols mieux que nous-mêmes.

Enfin, les règlements d’application pris par nos ministères devront être aussi cohérents que les objectifs que nous nous serons fixés dans cette loi. Les comportements individuels déviants devront être mieux encadrés. Une agriculture spéculative concentrée n’offrira jamais un projet social acceptable et ne façonnera pas les paysages aussi bien qu’une agriculture paysanne.

La ferme des mille vaches est ainsi le reflet de notre impuissance. Si la méthanisation est bienvenue pour produire du biogaz et composter les déjections animales, l’acceptation sociale et environnementale d’un tel projet dépend de la taille des ateliers d’élevage, de leur gestion, collective ou individuelle, de leur taille maximale autorisée, de l’interdiction ou non d’y mettre des cultures alimentaires.

Mme Delphine Batho. Très bien !

Mme Brigitte Allain. Je voudrais terminer en évoquant devant vous quelques satisfactions.

La plus importante à mes yeux est celle d’avoir fédéré un grand nombre d’entre vous, dès la première lecture du texte, pour inscrire dans la loi les projets alimentaires territoriaux, proposés par les écologistes et répondant à une volonté forte de recréer du lien de proximité entre nos productions et nos consommations, notamment pour notre alimentation.

Lors de réunions publiques et au cours des nombreuses auditions que j’ai conduites auprès d’élus, d’acteurs locaux, de parents d’élèves, de résidents d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, de dirigeants d’établissements publics ou associatifs assurant une restauration collective quotidienne, d’agriculteurs, de maraîchers, de jeunes en projet d’installation ou en espace test, j’ai pu constater que tous sont prêts à saisir cette opportunité pour relancer une dynamique économique et sociale de territoire autour de l’alimentation.

L’agriculture locale, l’agriculture familiale au service de l’alimentation des habitants représentent aujourd’hui la moitié de la planète. Les conditions de leur maintien face à une agriculture industrielle dépendent aussi des soutiens des pouvoirs publics. Dans le Sud, la coopération internationale et l’encadrement des politiques commerciales doit être à l’œuvre. En Europe, le transfert des fonds du FEADER de la politique agricole commune aux régions constitue un levier supplémentaire pour enclencher la dynamique vertueuse et circulaire des systèmes alimentaires territoriaux.

La deuxième satisfaction, c’est de voir un statut du métier en phase avec les multitudes de situations existant sur le terrain, une approche de l’installation intégrant la diversité des projets, un statut des sociétés agricoles mieux encadré, la reconnaissance de l’installation progressive, une protection sociale ouverte à un plus grand nombre de nouveaux agriculteurs et pour des activités diversifiées intégrant l’agro-tourisme. Les réorientations données à la formation et à la recherche devraient donner plus de place à l’agro-écologie, à l’agronomie, à l’agriculture biologique et aux systèmes coopératifs.

La troisième satisfaction, c’est que nous ayons enfin pu trouver un cadre juridique amélioré pour l’utilisation des semences paysannes et des produits naturels peu préoccupants. Que de temps passé pour rétablir les droits ancestraux des paysans !

Mme Barbara Pompili. Tout à fait !

Mme Brigitte Allain. Alors que ce texte de loi veut promouvoir des systèmes moins consommateurs de pesticides, il eût été pour le moins incompréhensible que des méthodes alternatives simples et naturelles n’y trouvent pas leur place.

Mes chers collègues, nous avons encore du travail devant nous et ce projet de loi devra maintenant être décliné grâce à toutes les organisations de développement, de formation et de recherche et à tous les acteurs des territoires ruraux. Chacun se trouve devant ses responsabilités. L’agriculture est l’affaire de tous.

De nos choix politiques dépend la possibilité de redonner vie à nos territoires ruraux, de porter un autre regard sur nos cultures, nos pratiques d’élevage, nos forêts, mais aussi sur ce métier d’agriculteur que des femmes et des hommes pratiquent avec la ferme volonté de bien cultiver la terre, de gagner leur vie en produisant notre alimentation et de permettre aux générations futures de poursuivre cette œuvre de vie. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le ministre, les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste portent une attention toute particulière à votre projet de loi, tant ce secteur en pleine mutation doit s’adapter afin de concilier performance économique, environnementale, sociale et sociétale.

Tout d’abord, l’agriculture est un enjeu stratégique pour notre pays parce que, en dépit de la crise qu’elle traverse et de la montée en puissance de ses concurrents, l’agriculture française reste la première d’Europe.

L’agriculture est un enjeu stratégique en France car elle contribue à notre commerce extérieur à hauteur de 11 milliards d’euros, un excédent qui apparaît d’autant plus important en regard du déficit extérieur, qui a dépassé les 61 milliards d’euros en 2013.

Enfin, l’agriculture est un enjeu stratégique car elle représente 29 millions d’hectares, soit plus de la moitié du territoire national, et, avec l’agro-alimentaire, plus de 3,5 millions d’emplois ; elle dispose en outre de potentialités en termes de création d’emplois. En Midi-Pyrénées, où l’on parle souvent de la place de l’aéronautique, c’est le secteur de l’agro-alimentaire qui est le premier employeur.

M. Germinal Peiro, rapporteur. Exact !

Mme Jeanine Dubié. N’oublions pas que, aujourd’hui, un jeune diplômé en agriculture trouve rapidement du travail, ce qui n’est pas le cas dans beaucoup d’autres secteurs de notre économie. L’agriculture est un secteur en quête de main-d’œuvre qualifiée et porteur d’emplois. Lors du salon de l’emploi et de l’alternance des métiers agricoles organisé par la chambre d’agriculture de Tarbes en juin 2014, on constatait d’ailleurs que les projets de recrutement avaient augmenté de 8,2 % en 2013.

Pourtant, l’agriculture a trop souvent été le parent pauvre des débats stratégiques sur l’avenir de la France. Aujourd’hui, à l’heure où elle traverse une crise difficile dans de nombreuses productions et alors que nous allons débattre ensemble sur ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture, les députés du groupe RRDP pensent qu’il est temps de remettre à la place qu’elles méritent les questions agricoles. Oui, il est temps de renouer ce lien intime entre la société française et son agriculture, afin de redonner à celle-ci les moyens de se moderniser et d’être performante sur les plans économique, environnemental et social.

C’est le sens du concept d’agro-écologie. Il nous faut sortir de la posture clivante, de l’opposition stérile entre performance économique, c’est-à-dire la faculté pour les paysans de vivre correctement de leur travail en favorisant l’amélioration des rendements, et exigences environnementales, notamment s’agissant de l’utilisation des produits phytosanitaires, à la fois pour répondre aux attentes des consommateurs et pour protéger la santé des agriculteurs eux-mêmes.

En s’inspirant de nombreuses expériences observées sur le terrain dans tous les départements, le projet de loi propose de sortir de cette opposition et de promouvoir la désormais fameuse double performance économique et écologique. Nous saluons cette méthode qui consiste à se nourrir des retours d’expériences pour tenter de les généraliser, notamment grâce à l’outil des GIEE, les groupements d’intérêt économique et environnemental.

Monsieur le ministre, si vous avez choisi de partir de la base pour bâtir des outils au service d’une agriculture modernisée, il vous fallait aussi tenir compte des engagements français à l’échelle de l’Union Européenne, pour lesquels vous avez porté haut les couleurs de la France. Ce projet de loi s’inscrit en effet directement dans le cadre européen bâti après la dernière réforme de la PAC en juin 2013. Il n’y aura pas d’agriculture française moderne et compétitive sans une politique agricole commune forte et ambitieuse. C’est le niveau pertinent d’action pour avoir les moyens d’intervenir efficacement.

Vous avez réussi à imposer, avec plusieurs alliés, le principe de la dégressivité des aides, notamment la revalorisation de 10 % d’ici à 2015 du paiement redistributif au titre des cinquante-deux premiers hectares et le couplage des aides pour l’élevage.

Ensuite, conformément aux engagements de campagne du Président de la République sur la diversité des modes de production agricole dans tous les territoires, vous avez défendu et obtenu – enfin ! – la revalorisation à hauteur de 15 % des indemnités compensatrices de handicaps naturels. Très attachée au maintien de la vitalité des territoires ruraux, et en particulier de montagne, je tiens à vous remercier personnellement de ce combat, remerciements auxquels j’associe mon collègue Joël Giraud, élu des Hautes-Alpes. Si nous avons conscience de l’enjeu de la compétitivité économique, nous défendons la nécessité de produire sur tous les territoires, sans laisser sur le bord de la route les agriculteurs en zone de montagne.

Je voudrais enfin insister sur l’impérieuse nécessité de travailler à l’harmonisation des exigences environnementales et des normes sociales à l’échelle européenne. C’est un combat long et difficile, mais qu’il nous faut mener sans relâche pour réduire autant que possible les phénomènes de concurrence déloyale au sein de l’Union européenne, car ils sont une des causes des difficultés que rencontre l’agriculture française.

S’il nous faut tenir compte des contraintes européennes, il nous reste toutefois des marges de manœuvre à l’échelle nationale pour améliorer la situation de l’agriculture.

Avec ce projet de loi, monsieur le ministre, vous avez choisi de donner la possibilité aux agriculteurs de porter un projet collectif, qui permettra des coopérations avec les acteurs des territoires et des filières dans une approche de développement local intégré. Avec le GIEE, on peut agir plutôt que de subir.

Si la pollution du sol et des cours d’eau par les intrants chimiques est réelle, nous devons, comme cela a été dit à plusieurs reprises, reconnaître les progrès immenses réalisés par les agriculteurs depuis vingt ans. Certificats d’économie de produits phytosanitaires, transparence des contrôles, encadrement de l’utilisation : nous partageons vos objectifs, à condition de rester dans la limite du raisonnable et de ne pas sombrer dans des mesures inapplicables et insupportables pour la survie des exploitations agricoles.

Le projet de loi confirme et améliore la contractualisation instaurée en 2010 par la LMA, afin de renforcer les organisations de producteurs face à la grande distribution. Cependant, les résultats sont assez hétérogènes selon les filières et la contractualisation ne permettra pas à elle seule de mettre fin au captage de la valeur ajoutée par la grande distribution.

Le projet de loi confirme aussi la place du médiateur, qui a fait la preuve de sa grande utilité lors de la crise du lait.

Au rythme actuel, l’équivalent d’un département de surface agricole utile disparaît tous les sept ans. Le projet de loi prévoit de nombreuses dispositions pour redonner enfin aux SAFER les moyens de limiter la disparition du foncier agricole, en élargissant le droit de préemption et en améliorant le contrôle des structures. Mais les contraintes liées à la crise du logement sont telles que, pour réduire l’étalement et le mitage, nous devons aller vers la densification des villes et des centres bourgs.

Sur la question des jeunes, et en cohérence avec les engagements de campagne du Président de la République, le projet de loi est ambitieux. C’est tant mieux. Nous l’avons dit en première lecture, notre agriculture construira son avenir uniquement si elle favorise les jeunes agriculteurs, en encourageant leur installation, notamment hors du cadre familial. Par ailleurs, la loi conforte l’enseignement agricole et nous nous réjouissons de la poursuite de la professionnalisation du métier d’agriculteur.

Il s’agit donc, dans ses grandes lignes, d’un bon projet de loi, qui ouvre des perspectives intéressantes et donne des moyens aux agriculteurs pour se moderniser sur de nombreux aspects.

Pour autant, le texte ne répond pas entièrement aux nombreuses attentes de nos agriculteurs, a fortiori au moment où beaucoup d’entre eux traversent une crise sans précédent. Dans leur immense majorité, ils doivent désormais faire face à la concurrence de leurs voisins européens et des grands pays producteurs dans le monde. Instabilité des prix, fin des quotas en 2015, coût du travail, contraintes administratives, réglementations et normes environnementales de plus en plus exigeantes : sur ces facteurs qui pèsent sur la compétitivité de notre agriculture, nous devons faire plus et mieux. Nos paysans attendent le choc de simplification promis par le Président de la République et veulent pouvoir enfin se battre à armes égales avec leurs concurrents.

Monsieur le ministre, la situation extrêmement contrainte de nos finances publiques ne vous donne pas, pour cette loi, un budget à la hauteur des enjeux de la crise agricole. Au groupe RRDP, nous nous demandons tout de même si certaines actions n’auraient pas mérité de bénéficier de moyens budgétaires nationaux – je pense en particulier aux jeunes et aux filières fruits et légumes, caractérisées par un besoin intensif en main-d’œuvre.

Enfin, au sujet de la problématique, déjà évoquée et bien connue ici, de l’équité du partage de la valeur ajoutée entre les agriculteurs, les industriels et la grande distribution, nous sommes loin du compte. Les mauvaises pratiques perdurent dans les négociations commerciales, ainsi que l’a rappelé notre collègue et spécialiste Annick le Loch, lors de l’examen du texte en deuxième lecture en commission. Si nous voulons enrayer l’effritement de notre agriculture, il nous faudra revenir sur ce sujet majeur.

Monsieur le ministre, votre projet de loi initial était plutôt court et concentré sur 39 articles seulement. Le débat en première lecture, et en deuxième lecture en commission, fut intéressant et fécond. Environ 3 000 amendements ont été déposés, presque 850 ont été adoptés. Les chiffres le démontrent : ce texte a passionné les députés ; leur implication a permis un enrichissement considérable du texte. Au Sénat aussi, le débat a été de grande qualité et a fait évoluer le projet de loi.

Pour ce nouvel examen, dont je ne doute pas qu’il nous permettra de parfaire encore le texte, le groupe RRDP s’est volontairement limité à une quarantaine d’amendements. Je salue la disponibilité de votre cabinet, monsieur le ministre. Nous avons pu dialoguer de manière constructive avec vos conseillers et je veux les en remercier.

Nous tenons particulièrement à certains des amendements que nous avons déposés. Les amendements relatifs au foncier agricole visent à renforcer et à améliorer le rôle de régulateur des SAFER, prévoient la prise en compte du plan régional d’agriculture durable dans le périmètre du SCOT et celle du développement agricole dans l’élaboration du PLU, proposent l’augmentation du plafond maximal de l’amende administrative dans les cas de fraude au devoir d’information mentionné à l’article 13.

Nous présenterons aussi des amendements visant à limiter les obligations de reboisement dans les cas de compensation de défrichement. Nous appellerons également à une meilleure reconnaissance du rôle des chasseurs, dont la présence au conseil d’administration des SAFER devrait être inscrite dans la loi, et dont la responsabilité quant aux obligations sanitaires à l’égard du gibier devrait faire l’objet d’une précision.

Concernant les jeunes agriculteurs, nous pensons que nous pouvons aller plus loin encore, même si nous nous saluons les avancées majeures contenues dans le texte. La professionnalisation doit être poursuivie sans relâche. Une formation, sans précisions quant à son contenu, ne suffit pas pour bénéficier du volet de la politique de l’aide à l’installation des jeunes.

Sur l’article 16 bis, nous tenterons de vous convaincre de l’utilité du maintien de la limitation de l’accès aux aides de l’État à la condition de détention majoritaire du capital social. Sans cela, nous risquons de voir se développer le phénomène de financiarisation de l’agriculture par des investisseurs qui n’ont plus grand-chose à voir avec l’agriculture.

Sur de nombreux sujets, le débat que nous aurons dans cet hémicycle est essentiel et aura des conséquences majeures sur l’avenir de notre agriculture. L’agriculture est la base d’une alimentation saine et de qualité, l’assurance de notre sécurité et de notre autonomie alimentaires, le fondement de la vitalité de nos territoires et l’image de notre pays dans le monde.

En dépit de nos appréciations parfois différentes, notamment sur l’incomplétude des réponses apportées par ce projet de loi aux attentes du monde agricole, je forme le vœu que nos débats permettent d’envoyer à tous nos paysans et agriculteurs un message d’espoir pour l’avenir de notre agriculture. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, chers collègues, je serai un peu long, parce que, de retour d’une mission de l’Assemblée nationale à Cuba, je compte m’inspirer de certain leader…  (Sourires.)

M. Guillaume Larrivé. Belle lucidité !

M. André Chassaigne. L’objectif de mon intervention dans la discussion générale n’est pas de revenir intégralement sur les longs débats qui ont permis de préciser les dispositifs du texte. Comme vous l’avez souligné en commission, monsieur le ministre, nous aurons l’occasion de pointer avec plus de précision les clarifications encore possibles, lors de l’examen des articles.

Mais l’ouverture de ce débat par la représentation nationale doit servir à remettre en perspective les grands enjeux de l’agriculture du XXIsiècle. Elle doit nous permettre d’analyser de façon lucide la situation et de désigner les menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’avenir de notre agriculture.

Aussi, pour qualifier l’orientation fondamentale de ce projet de loi, je voudrais appuyer mon propos sur ceux d’Olivier de Schutter, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, qui ne cesse de défendre le virage de l’agro-écologie pour répondre aux enjeux alimentaires de notre siècle. « Si nous voulons nourrir 9 milliards de personnes en 2050, il est urgent d’adopter les techniques agricoles les plus efficaces », explique-t-il, ajoutant : « Les preuves scientifiques actuelles démontrent que les méthodes agro-écologiques sont plus efficaces que le recours aux engrais chimiques pour stimuler la production alimentaire dans les régions difficiles où se concentre la faim. »

Pour Olivier de Schutter, « l’agriculture conventionnelle accélère le changement climatique, repose sur des intrants coûteux et n’est pas résiliente aux chocs climatiques. Elle n’est tout simplement plus le meilleur choix pour l’avenir ». S’il précise que « l’approche gagne aussi du terrain dans les pays développés comme les États-Unis, l’Allemagne ou la France », il explique qu’ « en dépit de son incroyable potentiel dans la réalisation du droit à l’alimentation, l’agro-écologie est encore insuffisamment soutenue par des politiques publiques ambitieuses, et peine donc encore à dépasser le stade expérimental. »

Oui, grâce au renouveau des travaux agronomiques, nous savons aujourd’hui que l’agro-écologie – comme l’agriculture écologiquement intensive –, qui applique la science écologique à la conception de systèmes agricoles, est la mieux capable de répondre aux défis climatiques, alimentaires et au développement de l’emploi rural. J’ajouterai que cette approche, qui améliore la productivité des sols et protège les cultures en s’appuyant sur l’environnement naturel et les interactions entre espèces, est sans doute la véritable garantie d’une agriculture durable. Encore faut-il s’en convaincre, et, tant qu’il est encore temps, ne pas traîner des pieds et manquer le train du changement de paradigme !

En faisant le choix de placer en son cœur l’ambition de l’agro-écologie, ce texte, malgré ses insuffisances, marque, je l’espère, à la fois une prise de conscience et un tournant. « L’inaccompli bourdonne d’essentiel », ai-je rappelé en première lecture en citant René Char…

M. Stéphane Le Foll, ministre. Magnifique !

M. André Chassaigne. Oui, nous avons besoin d’un nouveau modèle agricole, plus durable, qui permette de fournir l’essentiel des besoins alimentaires des Européens, en quantité et en qualité, et qui garantisse un juste partage de la valeur ajoutée, au service du maintien et du renouvellement des générations d’actifs agricoles, au service des revenus des travailleurs de la terre, au service du développement rural, du respect de l’environnement et de la pérennité des écosystèmes.

Dans ses principes généraux, ce projet de loi aurait sans doute pu revenir plus nettement sur ce constat, afin d’encourager un véritable changement de cap au niveau européen. Mais indéniablement, son contenu marque un profond changement de vision de l’orientation agricole de notre pays.

Comme je l’ai dit en première lecture, je ne pense pas que la course à l’agrandissement et à la baisse des revenus agricoles soit le seul moyen de garantir la compétitivité de la ferme France ! Au contraire, nous avons besoin de créer dès maintenant des outils concrets pour prendre en compte la diversité des agricultures et des modèles agricoles, promouvoir des pratiques agronomiques renouvelées, encourager les démarches de production sous signe officiel de qualité et d’origine. Encore faut-il accorder un véritable intérêt à tous les porteurs de projets agricoles qui vont dans ce sens.

Malgré son caractère imparfait et ses omissions, ce texte a un grand mérite : avec lui, nous changeons de paradigme. Je souhaite sincèrement que les outils novateurs qu’il contient servent réellement à passer à la vitesse supérieure dans la mise en œuvre de nouvelles pratiques agricoles.

Si l’orientation politique de ce projet de loi est bonne, celle de la Commission européenne et du Conseil, elle, ne l’est pas. Je voudrais donc revenir sur quatre points, qu’il me paraît essentiel d’aborder au regard de l’avenir agricole de notre pays et de l’Europe.

Au premier rang de ces menaces, les accords de libre échange, qui se multiplient et font, une nouvelle fois, de l’agriculture une simple variable d’ajustement du commerce international. Je fais référence, bien entendu, au projet d’accord transatlantique, mais aussi aux projets d’accords, moins connus, avec le Mercosur et le Canada. Guidés par le seul approfondissement de la doctrine libérale, imposée au secteur agricole comme aux autres secteurs de notre économie, ces accords peuvent se transformer en véritable cataclysme pour nos filières agricoles. Tous – je dis bien tous – les représentants syndicaux et professionnels en conviennent déjà.

Couplés au désengagement des politiques publiques agricoles communautaires de l’Union européenne pour la PAC 2014-2020, ces accords participent d’une stratégie de mise à bas de cinquante années de construction politique agricole commune en Europe.

Monsieur le ministre, la situation est grave. En poursuivant sur la voie du libre échange appliqué sans restriction à l’agriculture, on peut certes satisfaire les marchés financiers et même effectuer quelques bons trocs en faveur d’autres secteurs économiques. Mais surtout, on peut porter lourdement atteinte à des filières déjà en difficulté, et ruiner l’avenir de milliers de femmes et d’hommes sur nos territoires !

Je pense tout particulièrement, en disant cela, à nos filières d’élevage de grande qualité, qui ont une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête. Non seulement elles seront mises en concurrence directe avec les productions américaines, canadiennes ou sud-américaines, mais elles ne bénéficieront plus d’aucune régulation des prix et des volumes au niveau européen.

Vous me répondrez sans doute que des lignes rouges ont été préalablement et systématiquement demandées au commissaire européen au commerce, M. Karel De Gucht, pour ne pas finir de brader l’agriculture européenne sur l’autel du libre-échange. Mais quelles sont-elles réellement, ces « lignes rouges », quand il s’agit avant tout d’offrir à la finance et aux firmes transnationales des pouvoirs supérieurs aux États ? Combien pèsent-elles dans la négociation quand ceux qui les portent sont convaincus du caractère prioritaire des autres secteurs de l’économie ou quand la Chancelière allemande, Mme Merkel, demande que l’on avance toujours plus vite ?

Alors même que ce projet de loi ouvre un débat en France autour du développement de pratiques agricoles alliant performance économique, performance environnementale et haut niveau de protection sociale, je conçois que les éleveurs aient bien du mal à comprendre l’intérêt de faire entrer en Europe, et sans droits de douane, des dizaines de milliers de tonnes de bœuf canadien ou américain supplémentaires. N’y a-t-il pas une contradiction évidente entre l’exigence de « compétitivité », rappelée dans tous les discours destinés aux éleveurs européens, et les nouveaux cadeaux sur les droits de douane, gracieusement offerts aux importateurs de viande des pays extracommunautaires ? À moins… à moins que ce ne soit la simple préparation d’un abandon en rase campagne.

On aura, de même, bien du mal à parler de performance environnementale lorsqu’il s’agit de faire voyager des carcasses de bœuf d’un bout à l’autre de la planète, tout en vantant les mérites de l’engraissement dans nos territoires et les marchés de proximité. En réalité, l’Union européenne, malheureusement avec un accord de fait de la France, poursuit à marche forcée la libéralisation de son secteur agricole, notamment à travers le projet de grand marché transatlantique. Le mandat donné à la Commission européenne par le Conseil des ministres européen – mandat secret ! – rappelle qu’il s’agit pour tous les secteurs de favoriser une « réduction substantielle des tarifs douaniers ». Quand on connaît la fragilité du secteur de la viande, en particulier de la viande bovine, et la nécessité de conserver des tarifs douaniers très élevés pour maintenir des exploitations sur nos territoires, il y a de quoi s’inquiéter !

Avec une mise en concurrence brutale des productions, la volonté, largement partagée sur nos bancs, de maintenir des actifs agricoles nombreux en Europe, dans nos régions, sur nos territoires de montagne, ne serait plus qu’une vague incantation. Entre une nouvelle dégradation du prix de vente des carcasses et des aides compensatrices à l’étiage, comment penser permettre à des exploitations familiales à taille humaine de se maintenir alors qu’elles sont toujours plus en concurrence avec les viandes bradées ?

J’insiste plus longuement sur ce point parce que, par principe, la déréglementation financière et l’absence de contrôle sur les marchés agricoles et alimentaires finiront par transformer le secteur de l’agriculture en simple opportunité capitalistique. Je ne vous apprendrai rien, chers collègues, en vous rappelant que la « moralisation spontanée » du capitalisme, vantée sur tous nos bancs en d’autres temps, n’a pas eu lieu. Ajoutons que la spéculation sur les matières premières agricoles est repartie de plus belle. Nul doute que l’ouverture toujours plus grande des frontières européennes aux importations constituera une nouvelle opportunité pour les acteurs financiers, au seul détriment des agriculteurs et des consommateurs européens. D’ailleurs, ne faut-il pas voir comme une anticipation des marchés, la fièvre qui s’empare de certains pour rationaliser et rentabiliser en profondeur certaines filières, en quête de nouvelles marges et de nouveaux débouchés ?

Je fais notamment référence à l’implantation et au développement de structures de production de taille industrielle dans notre pays. Ferme de 1 000 vaches ou atelier d’engraissement de 1 000 taurillons, il s’agit du même problème de fond : sommes-nous d’accord pour confier à de puissants acteurs de la finance et de la distribution les clés de l’agriculture française du XXIsiècle ? Sommes-nous d’accord pour que de telles structures, guidées par les seules logiques de rentabilité et d’adaptation à la libre concurrence internationale, exercent de fait une pression permanente sur les prix, à même de déstructurer en profondeur les marchés régionaux et nationaux, et de conduire, à terme, à l’effacement de dizaines de milliers de fermes supplémentaires ?

Oui, il y a un lien direct entre le laisser-faire encensé dans les négociations sur le grand marché transatlantique et le soudain intérêt de la finance pour la construction de structures de taille industrielle dans notre pays. Ce lien direct, c’est la toute-puissance laissée à la finance, c’est l’abandon politique de l’agriculture européenne.

J’en appelle donc une nouvelle fois à la représentation nationale. Il est encore temps pour notre pays de refuser ce grand marché de dupes, en appelant les Européens à rompre avec le libre-échange sur les marchés agricoles afin de favoriser une autre ambition européenne et de redonner une vision à notre politique agricole commune pour les années à venir.

Monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, chers collègues, quand je dis cela, mon objectif n’est pas de faire peur inutilement mais de rendre compte de la réalité. Les chiffres sont têtus et les faits sont là. La dégringolade du nombre d’exploitations et d’actifs agricoles dans notre pays suppose de refuser un laisser-faire appliqué au secteur agricole qui n’a jamais prouvé que ses méfaits.

Est-il besoin de rappeler que notre pays vient de passer sous la triste barre des 300 000 exploitations agricoles ! Ce sont les chiffres provisoires fournis mardi dernier par la commission des comptes de l’agriculture mais qui nous ont été confirmés depuis. On en dénombrait encore 312 000 en 2010 et 386 000 en 2000. Le rythme de disparition des exploitations ne faiblit pas et il devrait pousser la représentation nationale à réagir ! En vingt ans, la métropole aura perdu 50 % de ses fermes. C’est un plan de suppression d’emplois inacceptable pour nos territoires ruraux.

Monsieur le ministre, je souhaite également revenir brièvement sur un autre débat de fond que nous ne pouvons laisser de côté. C’est le deuxième point. Alors que nous entrons dans la période estivale, nous allons sans aucun doute assister une nouvelle fois à la surenchère des marges de la distribution, notamment sur les fruits et légumes, tandis que les producteurs subiront les pressions des centrales d’achat. À l’exception du rôle du médiateur des relations commerciales agricoles et de quelques avancées concernant la contractualisation, le projet de loi ne revient pas sur la question si essentielle des prix d’achat pour les producteurs. Cette omission ne doit pas nous épargner une réflexion de fond sur ce sujet qui conditionne, plus encore aujourd’hui, l’avenir de nos exploitations.

Sans prix d’achat couvrant a minima les coûts de production, il n’y a pas d’avenir pour nos productions agricoles. Certes, l’article 1er du texte fait désormais référence à la nécessité de mieux partager la valeur ajoutée mais il ne prévoit aucun dispositif contraignant qui permettrait de s’attaquer au pouvoir exorbitant de la distribution sur la fixation des prix d’achat. Une nouvelle fois, les amendements que j’avais déposés en commission pour élargir et mettre en œuvre de façon effective un coefficient multiplicateur entre les prix d’achat et les prix de vente ont été déclarés irrecevables.

Là aussi, nous avons le devoir de ne pas céder au chantage des marchés et de la Commission, qui ne soutiendront jamais – jamais ! – le principe d’un interventionnisme efficace en matière d’encadrement, d’indicateurs de prix ou de négociations interprofessionnelles régulières sur les prix d’achat. Ne nous résignons pas car, au regard de beaucoup d’agriculteurs, nous ne grandissons pas la politique en faisant semblant, en feignant d’aborder les sujets qui les préoccupent au jour le jour. Ainsi, sur ce point – il est dommage que le président de la commission des affaires économiques soit parti –, doit-on considérer comme une réponse suffisante, je dis bien suffisante, la table ronde organisée par notre commission des affaires économiques mercredi 16 juillet, au lendemain de la discussion de notre texte de loi, sur la « guerre des prix » entre la grande distribution, l’agriculture et l’industrie agroalimentaire ?

Le troisième point que je souhaitais aborder est celui de la gestion des risques en agriculture. La loi de modernisation de l’agriculture de 2010, anticipant la volonté des grands penseurs libéraux européens, a fait de l’extension du secteur assurantiel privé le B-A BA de la gestion des aléas climatiques et économiques en agriculture. On en voit aujourd’hui le résultat ! Chaque année, les projets de loi de finances retiennent comme « indicateur de performance » le taux de pénétration de ces assurances privées, largement subventionnées par l’État. Chaque année le constat est le même : inefficacité et injustice. Seules les exploitations les plus favorisées peuvent se saisir de l’opportunité de ces contrats d’assurance récolte.

Je ne vous surprendrai pas, monsieur le ministre, en vous disant que les députés communistes et du Front de gauche sont toujours aussi fermement opposés au développement du secteur assurantiel privé pour la gestion des risques en agriculture. N’en déplaise à la Commission européenne, nous défendons toujours le principe juste et efficace d’un régime d’assurance mutuelle public de gestion des risques en agriculture. Ce projet de loi, au même titre qu’il donne un nouveau sens aux démarches collectives à travers les groupements d’intérêt économique et environnemental, aurait pu donner un nouveau sens à l’indispensable solidarité publique en matière de gestion des risques en renforçant et en renouvelant le Fonds national de gestion des risques en agriculture.

Le quatrième point concerne encore et toujours la garantie de l’indication d’origine des produits agricoles et alimentaires, à l’état brut ou transformé. Ce sujet fondamental a agité pendant quelques mois le débat public avant, me semble-t-il, de subir un enterrement de première classe sous la pression, une nouvelle fois, de la Commission européenne. Si bien qu’aujourd’hui, rien ne semble avoir réellement bougé, au détriment des consommateurs et par-dessus tout, des agriculteurs ! Un an et demi après l’affaire de la viande de cheval dans les produits transformés à base de bœuf, ma question est simple : l’exigence des consommateurs et des agriculteurs de connaître l’origine du contenu de nos assiettes est-elle en passe d’être enterrée ?

Le volontarisme de la France est en effet sérieusement remis en question. Alors que des négociations européennes avaient été ouvertes, à l’initiative de la France, les commissaires européens ont été si sensibles au vent des intérêts financiers du secteur de la distribution et des traders de l’alimentaire, qu’ils n’ont tout simplement pas donné suite. Ainsi attendons-nous toujours les propositions de la Commission.

Je réitère une nouvelle fois ma demande, monsieur le ministre. Souhaitons-nous rester l’arme au pied, en connaissant parfaitement l’absence de volonté de la Commission dans ce domaine, ce qui serait aussi désastreux pour l’image de l’Europe que pour la santé et l’information des consommateurs ? Ou sommes-nous décidés à légiférer enfin en faveur de la juste information des consommateurs et de l’indispensable transparence qui est due aux producteurs agricoles respectueux des normes sociales, sanitaires et environnementales de notre pays ?

À l’heure où chacun s’interroge sur le contenu de son assiette, devons-nous en rester au simple engagement des filières animales françaises, aussi vertueux soient-ils ? Certes, nous devons saluer la démarche Viandes de France, qui instaure un pacte de confiance entre les métiers liés à la viande et les consommateurs, à travers sept logos : « viande de veau française », « viande chevaline française », « viande ovine française », « viande bovine française », « le porc français », « volaille française », « lapin de France ».

M. Philippe Le Ray. Et les pigeons ?

M. André Chassaigne. Cette initiative, cependant, n’obéit qu’à une démarche volontaire, fondée sur la seule confiance. L’amendement que je propose à l’article 1er, qui tend à inscrire comme objectif de la politique en faveur de l’agriculture, de l’alimentation et de la pêche maritime, la « garantie » et non « la promotion » de l’information des consommateurs quant aux lieux et modes de production et de transformation des produits agricoles et alimentaires, va dans ce sens. « Impossible » me direz-vous, au nom de l’eurocompatibilité.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Eh oui.

M. André Chassaigne. Me faut-il, une fois de plus, en appeler à René Char, qui écrivait, dans Les Feuillets d’Hypnose : « L’impossible, nous ne l’atteindrons pas, mais il nous servira de lanterne ». Légiférer chez nous, ici, ne serait-il pas le bon moyen de tordre, je dis bien tordre, « la main invisible » des adeptes européens d’Adam Smith ?

Mes chers collègues, comme je viens de le dire, ce texte n’est pas exempt d’insuffisances. Il marque cependant un renouvellement salvateur des objectifs de nos politiques publiques en faveur de l’agriculture. Je note ainsi avec satisfaction que l’article 1er de ce projet de loi a été largement réécrit afin de mieux caractériser la volonté politique qui sous-tend ce texte, en faveur d’une mutation profonde et progressive de notre modèle agricole et des pratiques culturales.

De même, le fait d’avoir expurgé du texte quelques-unes des références au dogme libéral de la compétitivité des exploitations ne peut être pour moi qu’un motif de satisfaction.

Mme Annie Genevard. C’est là que nous ne sommes plus d’accord…

M. André Chassaigne. Marguerite Yourcenar ne disait-elle pas qu’il faut consentir aux mots quand on a consenti aux choses ? Eh bien, évitons, autant que faire se peut, ces mots-valises de la pensée libérale, qui ne correspondent absolument pas aux enjeux d’avenir de notre agriculture, que nous sommes si nombreux à défendre dans cette enceinte.

Mme Annie Genevard. Parlez-en aux agriculteurs !

M. André Chassaigne. Oui, l’agriculture française doit produire en qualité et en quantité pour satisfaire les besoins de nos concitoyens et des Européens. Oui, notre agriculture doit être productrice de richesses et de valeur ajoutée, mais au service de la rémunération des producteurs, au service de l’amélioration des conditions de travail et de vie des exploitants agricoles, au service d’un juste partage de la valeur ajoutée.

Mme Annie Genevard. C’est bien cela, la compétitivité !

M. André Chassaigne. Voilà les garanties d’une agriculture renouvelée, et qui s’inscrit dans une perspective d’avenir. Encore quelques efforts, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur ! En adoptant l’un de mes amendements à l’article 1er, le terme de « compétitivité », si inutile, sera définitivement abandonné, au profit d’autres principes bien plus pertinents. Pour reprendre une formule d’Einstein, et ce sera ma dernière citation : « On ne peut pas résoudre un problème avec le même type de pensée que celle qui l’a créé ».

Notre appréciation de fond, favorable sur ce texte, n’a donc pas changé par rapport à son passage en première lecture. Au regard du nombre d’amendements dont il fait l’objet, je ne doute pas que toute la clarté soit faite, et toutes les précisions apportées, sur les dispositions qui nous sont présentées.

Je m’attacherai pour ma part à défendre certains amendements – le groupe GDR en a déposé une trentaine seulement, ce qui a paru suffisant et raisonnable pour une deuxième lecture – qui me paraissent pouvoir améliorer le fond de son contenu, que ce soit sur son volet agricole ou sur son volet forestier. J’y reviendrai dans la discussion sur chacun des articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs des groupes SRC et écologiste.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme Pascale Got.

Mme Pascale Got. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, une loi d’avenir ambitionne par définition d’aborder un grand nombre d’enjeux. C’est un exercice particulier qui, en l’occurrence, a été globalement réussi. Nous avons su compléter les propositions utilement, sans tomber dans l’ornement. Nous avons su garder comme impératif la triple performance et nous avons remédié à certaines lacunes observées depuis plusieurs années.

J’évoquerai rapidement les titres I à III du projet de loi pour insister davantage sur l’enseignement agricole et la forêt. Je voudrais tout de même souligner quelques points structurants du texte, bien qu’ils aient déjà été abordés.

S’agissant tout d’abord du GIEE, le texte a été précisé et affiné ; les rôles de chacun ont été clarifiés. Le verdict viendra bien sûr de son application, à propos de laquelle je reste optimiste.

Concernant le renouvellement des générations, il s’agit d’un point capital sur lequel un signal fort a été envoyé à la jeunesse.

S’agissant de l’agro-écologie, elle est réclamée par la société et déjà mise en œuvre par un nombre certain d’agriculteurs, qui disposeront dorénavant de nouveaux outils pour poursuivre dans cette voie et étendre l’usage de la pratique.

Quant à l’utilisation des produits phytosanitaires, il est difficile d’établir des règles générales sans prendre en compte les réalités locales. La solution trouvée est bonne et mesurée. Elle laisse une marge de manœuvre sur le terrain.

J’en viens maintenant à l’enseignement agricole, car cette partie du texte nourrit de fortes espérances. Je le répète depuis longtemps : l’enseignement agricole français est de très grande qualité, mais nous devons lui donner les moyens de poursuivre le travail, d’innover et de se renforcer.

La création de l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, ou IAVFF, va dans ce sens. Cet institut reflète la transversalité du secteur et renforce les premiers cycles de formation jusqu’à la recherche. L’acquisition progressive des diplômes est un message positif envoyé aux futurs étudiants. Cet institut clarifie, simplifie et coordonne.

J’ai néanmoins quelques regrets. S’agissant de la formation aux métiers de l’enseignement agricole, l’enjeu est aujourd’hui considérable sachant que la législation sur ce point est rare et ne permet pas de reconnaître totalement les particularités positives de l’enseignement agricole.

En ce qui concerne les établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricoles, je déposerai à nouveau un amendement qui a déjà été soumis à votre examen. Il vise à leur permettre d’assurer une fonction d’agent territorial et donc à donner un nouveau souffle à leurs missions. Il serait vraiment regrettable de ne pas pousser cette démarche jusqu’à son terme.

Enfin, s’agissant de la mention de « développement agricole » comme activité des exploitations de lycée inscrite dans la loi, elle permettra de pérenniser des financements auxquels ces exploitations ont déjà droit.

Nous pourrions aussi aller plus loin en matière de revalorisation des diplômes, rejoignant ainsi la tendance qui est à l’œuvre dans l’enseignement général.

Le titre IV permet donc de réelles avancées, mais des marges de progression demeurent.

En ce qui concerne la forêt, le texte s’est aussi enrichi entre les deux lectures et plusieurs revendications du monde sylvicole ont été entendues. J’insisterai sur deux d’entre elles.

La première concerne les codes de bonnes pratiques sylvicoles, que nous avons réintroduits dans le texte après leur suppression par le Sénat. Le maintien temporaire de ces codes était indispensable pour un bon nombre de propriétés forestières. Voilà pourquoi nous avons prévu les supprimer seulement en 2020.

La seconde porte sur la création de sections spécialisées au sein des organisations interprofessionnelles du secteur de la forêt et des produits forestiers qui, je l’espère, sera adoptée en séance. Nous vous proposerons un amendement allant dans ce sens.

Bien sûr, il faut que l’interprofession nationale soit la plus large possible, mais il faut aussi qu’elle reconnaisse la particularité de certaines branches. La forêt d’Aquitaine en est un exemple, elle qui représente d’ailleurs plus de 50 % du marché.

Avec ce texte, nous pouvons enfin opérer un rapprochement. Aujourd’hui, nous répondons plus spécifiquement au problème du pin maritime, mais cette disposition profitera à d’autres forêts de plantation. Sur le plan financier, elle permettra une mutualisation des moyens qui est d’intérêt général pour l’équilibre de la filière. Un rapprochement est aujourd’hui possible et je me réjouis que nous profitions de ce texte pour le faciliter. L’amendement proposé tient compte de la réalité de la filière du pin maritime et de la structuration de la filière forêt-bois sur le plan national.

D’une manière générale, je crois que ce texte a réussi à répondre aux attentes de l’agriculture française. Son application constituera un autre verdict et certaines mesures demanderont sûrement quelques adaptations. Il acte surtout – enfin, dirai-je ! – le passage de notre agriculture à un nouveau modèle. Il enclenche une transition écologique de l’agriculture qui sera suivie prochainement d’une transition énergétique. Une nouvelle ère prend forme ; ce texte en témoigne. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs des groupes écologiste, RRDP et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Le Ray.

M. Thierry Benoit. Une voix de l’Ouest !

M. Stéphane Le Foll, ministre. J’écoute ; c’est le futur GIEE ostréicole !

M. Philippe Le Ray. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, lors de la première lecture, avec mes collègues du groupe UMP et de nombreux centristes, nous avions signalé le manque d’ambition de votre loi d’avenir et surtout une dérive idéologique et administrative pour l’avenir de nos agriculteurs.

M. Germinal Peiro, rapporteur. Vous aurez changé d’avis en deuxième lecture !

M. Philippe Le Ray. Malgré notre bonne volonté et notre esprit constructif, mon intervention gardera la même tonalité. Votre loi ne répond pas aux attentes de nos agriculteurs et, par conséquent, aux intérêts de notre pays dans ce domaine.

Dans ce secteur comme dans d’autres, la France recule, principalement en ce qui concerne la production animale.

Les agriculteurs, monsieur le ministre, ne veulent pas de votre loi. J’en ai encore eu la confirmation ce week-end, lors de la fête de l’agriculture et de l’ostréiculture de Landévant, dans le Morbihan. J’ai échangé avec des dizaines d’agriculteurs, car je les connais bien. Pas un seul n’a réclamé une loi.

Mme Barbara Pompili. Qu’en savez-vous ?

M. Philippe Le Ray. Ils n’en veulent pas et ils n’en peuvent plus d’être menés par le bout du nez.

Monsieur le ministre, vous n’ignorez pas leurs préoccupations. Au-delà des prix et de la régulation des marchés, ils réclament en priorité un arrêt, ou au moins une pause, dans le harcèlement administratif ; une baisse des charges ; une concurrence loyale vis-à-vis de nos partenaires européens. Notre agriculture industrielle, que ce soit pour la volaille ou pour le porc, est totalement asphyxiée.

Ils réclament aussi que le Gouvernement arrête ses campagnes de stigmatisation répétées autour de différents sujets concernant leur quotidien, qu’il s’agisse de la qualité des aliments ou de l’usage des produits phytosanitaires.

Monsieur le ministre, je vous crois sincère et plein de bonne volonté pour répondre à leurs attentes,…

M. Germinal Peiro, rapporteur. C’est bien le cas !

M. Philippe Le Ray. …mais votre loi est une occasion manquée.

Vous avez manqué de clairvoyance, peut-être même de courage. En effet, vous avez renoncé à affirmer clairement le statut de l’agriculteur et à donner plus d’arguments socio-économiques aux formes sociétaires en agriculture.

M. André Chassaigne. C’est vrai !

M. Philippe Le Ray. Vous ne renforcez pas le statut des GAEC, pas plus que vous ne le modernisez. Vous laissez les EARL dans une situation inéquitable. Quant aux autres formes sociétaires, elles se trouveront malheureusement fragilisées à travers votre texte.

Vous écartez discrètement la problématique du logement en agriculture. Or, avec la loi ALUR, il va devenir de plus en plus difficile pour les agriculteurs de se loger. S’il n’y a pas d’agriculteurs sans terre, il n’y a pas non plus d’agriculteurs sans logements.

Monsieur le ministre, votre loi passe totalement sous silence ce qui constitue les principaux enjeux de l’avenir du monde agricole.

Ainsi, l’on n’y trouve absolument rien qui permette de sauvegarder les abattoirs, alors même que la situation peut devenir dramatique. Il n’y a rien non plus s’agissant des objectifs de production dans l’élevage. Il n’y a pas non plus le moindre début de plan en ce qui concerne les bâtiments. Il n’y a aucun plan de modernisation. Il n’y a absolument rien non plus sur l’harmonisation des règles avec nos partenaires européens en matière élevage, ou encore sur les conditions de travail des agriculteurs. Le sujet, pourtant primordial, de la rétention foncière passe lui aussi à la trappe. Or le phénomène est de plus de plus en plus inquiétant pour les professionnels : la rétention foncière va s’amplifier avec votre loi – nous en reparlerons.

Outre ces manquements, vous glissez discrètement, sous couvert d’agro-écologie, vers un changement philosophique radical pour nos agriculteurs. En effet, vous les affaiblissez en fragilisant l’organisation et la représentativité au sein des interprofessions. Vous les affaiblissez également en favorisant la généralisation des baux environnementaux.

Après l’entrée en vigueur de cette loi, les agriculteurs vivront pour ainsi dire au jour le jour. En effet, tout comme nous, ils découvriront au fur et à mesure les obligations qui leur incomberont, puisque ce texte de loi autorise le Gouvernement à prendre de nombreuses dispositions par ordonnance, écartant d’emblée le Parlement.

Nous découvrons au final que, par cette loi, vous allez instaurer dans notre pays une nouvelle logique pour l’agriculture. Ce faisant, vous posez les bases d’une agriculture dite « sociale », avec des arrière-pensées participatives. Je m’y oppose fermement.

Pour ceux qui en douteraient, je donnerai deux exemples.

Premièrement, l’installation progressive – l’un de vos chevaux de bataille –, va devenir l’alpha et l’oméga de l’installation. Vous allez leurrer de futurs jeunes agriculteurs en en faisant des agriculteurs dépendants, des agriculteurs à la petite semaine, parfois sous perfusion de l’administration et des aides potentielles. Oui à l’installation, mais à une installation claire et solide économiquement, pour des agriculteurs autonomes.

Deuxièmement, avec les GIEE, qui sont par ailleurs très mal définis, vous allez mettre en œuvre une nouvelle forme de distribution des aides, notamment en réorientant les aides versées au titre de la PAC qui, je vous le rappelle, ont pour but de compenser la baisse des prix consentie par les agriculteurs.

Avec cette disposition, vous allez enfermer les agriculteurs dans des schémas, des cahiers des charges conçus par des membres d’associations environnementalistes. On peut déjà imaginer que les collectivités auront du travail et devront être les arbitres de différents chantages.

Monsieur le ministre, au-delà de la différence philosophique qui existe entre nous sur ce point, se pose une question essentielle pour l’avenir : quelle est votre idée du progrès ? Car, comme vous le savez, il n’y a pas d’avenir sans progrès. Or le renforcement de la recherche et de l’innovation, tout comme la question des OGM, sont les grands absents de cette loi. Trop de sujets majeurs sont donc ignorés.

J’ajouterai à cela – c’est d’ailleurs un sujet qui m’étonne de plus en plus – que, dans votre texte, la plupart des orientations s’appuient sur des schémas ou des accords régionaux. Dans la mesure où le Gouvernement est en train de changer les contours des régions, vous allez ajouter, dans notre pays, de l’incohérence à l’incohérence et de l’iniquité à l’iniquité.

Monsieur le ministre, donnez de l’air à cette profession et à l’ensemble du monde rural. C’est tout simplement ce que nous attendons de vous. Si vous ne le faites pas, on peut craindre le pire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit.

M. Stéphane Le Foll, ministre. La Bretagne reprend la parole !

M. Thierry Benoit. Après le département du Morbihan, voici le tour de l’Ille-et-Vilaine, en Bretagne, et plus particulièrement des Marches de Bretagne ! (Sourires.)

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, qui se devrait d’être un grand texte.

J’ai exprimé tout à l’heure, en explication de vote sur la motion de rejet préalable défendue par notre collègue Antoine Herth, mon souhait que nous puissions discuter rapidement de ce projet de loi. En effet, j’ai hâte qu’il soit réexaminé ici et au Sénat, que nous en arrivions ensuite le plus tôt possible à la phase finale de son élaboration, c’est-à-dire la commission mixte paritaire, afin qu’il entre rapidement en vigueur.

Les faiblesses, les lacunes ou les manquements de ce texte touchent d’abord à la compétitivité de notre agriculture. Je pense, monsieur le ministre, que votre projet de loi d’avenir pour l’agriculture ne traite pas suffisamment de ces enjeux.

Lorsqu’on évoque les problèmes de compétitivité de l’agriculture, on aborde nécessairement la question des revenus agricoles. Bien sûr, M. le rapporteur a évoqué la baisse des charges proposée dans le cadre du crédit d’impôt compétitivité emploi et du pacte de responsabilité.

Si je me souviens bien, vous avez précisé que cette baisse des charges atteindrait 1 milliard d’euros.

M. Germinal Peiro, rapporteur. C’est cela !

M. Thierry Benoit. Mais le CICE est un outil complexe. À l’UDI, nous aurions souhaité qu’il soit étendu aux coopératives. Il n’en a pas été décidé ainsi, pour des raisons budgétaires et financières : les amendements que nous avions déposés en commission ont été repoussés.

J’en viens au deuxième sujet qu’il me tient à cœur d’évoquer en discussion générale.

Je vous pose directement la question, monsieur le ministre : avez-vous profité de ce texte pour simplifier la vie de nos agriculteurs ?

Je ne doute pas de votre bonne volonté, ni de celle du Président de la République. Force est pourtant de constater que nous n’avons pas saisi l’occasion de le faire.

Troisième sujet : l’agro-écologie. À cet égard, je souscris pour l’essentiel à vos orientations. S’agissant des antibiotiques et, plus généralement, de l’usage des médicaments, j’ai compris que vous souhaitiez conforter l’ANSES et redonner à cette agence un rôle prépondérant. J’accepte cette disposition, sans doute parce que je connais mieux l’ANSES que certains de mes collègues : certains de ses laboratoires sont établis dans ma circonscription, notamment à Fougères. Je sais donc qu’elle joue un rôle majeur.

Vous vous engagez donc, monsieur le ministre, sur la trajectoire de l’agro-écologie, qui succède aux notions d’agriculture raisonnée et d’agriculture écologiquement intensive. Vous demandez aux agriculteurs d’adopter des pratiques plus vertueuses : j’ai parlé des médicaments et j’évoquerai un peu plus tard les produits phytosanitaires. En échange de ce développement de l’agro-écologie, j’aurais aimé que vous accordiez davantage de confiance aux agriculteurs et que vous preniez des mesures de simplification pour les professionnels de l’agriculture : cela aurait certainement aidé le monde agricole à appréhender positivement cette trajectoire de l’agro-écologie. À cet égard, en tant qu’élu de Bretagne, je peux témoigner des efforts réalisés par le monde agricole en matière de reconquête de la qualité de l’eau, notamment en Bretagne, et de préservation de l’environnement. On ne le dit pas suffisamment ; je saisis donc l’occasion qui m’est ici offerte pour évoquer ces efforts à la tribune de notre assemblée.

Ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture comporte d’autres manquements. Il devrait prendre en compte, notamment le rôle joué par l’Europe en matière d’agriculture. J’évoquais tout à l’heure, en explication de vote sur la motion de rejet préalable, la politique agricole commune : des décisions importantes seront prises dans les mois à venir concernant la libéralisation de la production laitière. Or on sait que c’est dans le grand arc Atlantique Ouest, de la Normandie à la région Poitou-Charentes, que se concentrera l’essentiel de la production laitière française. Si l’on supprime la régulation administrative, les organisations de producteurs et les industriels devront prendre le relais, notamment – s’agissant des industriels – par l’installation et la structuration de nouveaux outils industriels dans l’Ouest.

Un autre enjeu touchant aux liens possibles entre le projet de loi d’avenir et les discussions européennes a été évoqué tout à l’heure par notre collègue Chassaigne : il s’agit de la traçabilité. En la matière, les résultats de la France sont tout à fait excellents. Notre pays peut donc être moteur, à l’échelle de l’Europe, sur les questions d’identification et d’indication de l’origine des viandes dans les plats préparés et les produits transformés.

J’évoquais il y a quelques instants l’agro-écologie. Sur ce point, je voudrais évoquer la généralisation des clauses environnementales.

J’ai bien compris, monsieur le ministre, que vous souhaitiez que ces clauses soient généralisées lors de la conclusion d’un nouveau bail entre le propriétaire et le preneur. Avec mes collègues du groupe UDI, j’ai déposé un amendement visant à ce que le bail ne puisse pas contenir ces clauses environnementales si elles risquent de déstructurer, déséquilibrer ou fragiliser le projet économique et le développement de l’exploitation agricole.

En effet, avant de s’installer, un jeune agriculteur commence par réaliser une étude, fondée sur des données techniques, lui permettant de calculer sa production potentielle. Or, le fait d’imposer, lors de la conclusion du bail, un niveau de contraintes très élevé pourrait obérer la viabilité du projet d’installation. C’est la raison pour laquelle le groupe UDI soutiendra l’amendement que je viens d’évoquer.

Autre sujet : la compensation écologique. Nous en avons déjà beaucoup discuté, notamment en commission, il y a deux semaines.

Comme vous êtes Sarthois, monsieur le ministre, j’ai trouvé pertinent de prendre un exemple d’infrastructure importante pour l’Ouest breton. Je veux parler de la ligne à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire, qui a fait l’objet d’un arrêté interpréfectoral en date du 6 décembre 2006.

Figurez-vous que cet arrêté prévoit un coefficient de compensation écologique de boisement et de reboisement d’un hectare pour un hectare dans la Sarthe, de deux hectares pour un dans la Mayenne et de trois à cinq pour un en Ille-et-Vilaine. Pour une même infrastructure, l’application du principe de compensation est donc totalement différente dans ces trois départements voisins.

Je souhaite que les bornes de la compensation écologique soient modifiées et que le coefficient multiplicateur, compris entre deux et cinq dans le texte actuel, soit fixé entre un et trois. En d’autres termes, il conviendrait d’abaisser à la fois la borne basse et la borne haute.

Par ailleurs, il serait opportun de prévoir que le préfet, c’est-à-dire l’autorité administrative, prenne ces arrêtés de compensation écologique en accord avec la profession agricole.

J’en viens au sujet des produits phytosanitaires.

Nous avons déjà beaucoup discuté de ce sujet,…

M. Stéphane Le Foll, ministre. Oh oui !

M. Thierry Benoit. …notamment de la règle des 200 mètres qui, d’ailleurs, ne figure pas dans le projet de loi et n’y a jamais figuré.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Tout à fait !

M. Thierry Benoit. Je tiens donc à rassurer les agriculteurs et celles et ceux de nos concitoyens qui s’interrogent sur ce point.

L’application de la règle des 200 mètres aurait empêché de cultiver 13 millions d’hectares – de mémoire –, soit 70 % à 80 % de la surface agricole. Ce n’était pas sérieux.

Lors de l’examen en commission, le Gouvernement a proposé, par voie d’amendement, de faire en sorte d’isoler ou de protéger les sites sensibles, tels que les crèches, les hôpitaux et les établissements accueillant des personnes vulnérables, handicapées ou autres. C’est une bonne disposition. Les agriculteurs devront prendre des mesures permettant de protéger les cours d’eau de l’épandage des produits phytosanitaires, par exemple au moyen de haies, de cunettes ou de buses anti-dérive.

À ce sujet, je vous fais une proposition, monsieur le ministre : le groupe UDI souhaiterait que, pour toute nouvelle installation en zone périurbaine, ce soit le porteur du projet qui fasse, dans son projet d’installation et lors de la demande de permis de construire, les propositions permettant de limiter l’impact de l’usage des produits phytosanitaires.

Imaginez, en effet, la situation d’un agriculteur déjà installé, qui serait confronté à un projet périurbain et à qui l’on demanderait de proposer des mesures compensatoires adéquates. Ce n’est pas très logique. Je pense que l’on peut trouver un terrain d’entente sur ce sujet. C’est précisément l’objet de notre amendement.

Dans le cadre de l’examen des articles et des amendements déposés par le groupe UDI, nous souhaitons également, monsieur le ministre, que vous rétablissiez un juste équilibre.

En première lecture, vous avez donné des gages nombreux et importants aux associations écologistes et environnementalistes, parfois au détriment de la profession agricole ou en pointant du doigt certains acteurs de l’environnement qui ne sont pas identifiés comme tels par tout le monde. Je veux parler des chasseurs.

Je considère les associations communales de chasse, qu’il s’agisse de chasseurs sur terre ou de chasseurs de gibier d’eau, comme des acteurs de la protection de l’environnement. De fait, ils connaissent mieux que quiconque les questions environnementales.

Je souhaite donc que les signaux que nous enverrons en deuxième lecture permettent un rééquilibrage en faveur des professionnels de l’agriculture, mais aussi des chasseurs.

Enfin, le groupe UDI souhaite que la notion d’actif agricole soit définie de manière plus précise. Vous mettez en place le répertoire à l’installation, qui constitue bel et bien une avancée. Cependant, nous avons déposé des amendements visant à cerner davantage la notion d’actif agricole : cela permettrait de mieux définir la profession et de distinguer ceux qui vivent de leur métier d’agriculteur, dont ils tirent l’essentiel de leurs revenus, de ceux pour qui l’activité agricole est plutôt de l’ordre de l’occupation.

Le groupe UDI approuve globalement la constitution de groupements d’intérêt économique et environnemental, car cette mesure s’inscrit dans le prolongement des outils de développement agricole que sont les centres d’études techniques agricoles, les CETA, et les groupes d’études et de développement agricole, les GEDA.

M. Germinal Peiro, rapporteur. Exactement !

M. Thierry Benoit. Elle procède d’une recherche de mobilisation d’idées et de projets, en vue de faire émerger de nouvelles propositions pour le monde agricole. Nous avons déposé, en deuxième lecture, un amendement visant à s’assurer que les aides publiques soient bien octroyées aux agriculteurs ou, à tout le moins, à la production agricole. J’espère, monsieur le ministre, que nous pourrons trouver un terrain d’entente sur cette question.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Nous serons d’accord !

M. Thierry Benoit. Je veux, enfin, évoquer la question de la formation agricole. En effet, il n’y a pas de renouvellement des générations d’exploitants agricoles sans formation. Je sais que vous êtes sensible à cette question, monsieur le ministre, mais, étant moi-même un ancien élève des maisons familiales rurales, je voudrais insister sur l’importance de la formation agricole par alternance.

Il y a quelques mois, dans cet hémicycle, on a parfois confondu l’apprentissage et la formation par alternance. Dans le cadre de la loi relative à la formation professionnelle, certaines dispositions allant à l’encontre de la formation par alternance ont été adoptées.

Je sais, monsieur le ministre, que, comme chacune et chacun d’entre nous dans cet hémicycle, vous êtes sensible à la question des passerelles entre l’éducation et l’emploi. Je souhaite que nous y soyons particulièrement attentifs dans ce débat et que nous fassions des propositions permettant de renforcer la formation par alternance.

Voilà, monsieur le ministre, les points faibles et les lacunes que nous avons identifiés dans votre projet de loi. À ce stade, je n’annoncerai pas la position du groupe UDI sur l’ensemble du texte : nous attendrons, pour nous déterminer, de voir de quelle manière nos travaux se déroulent.

Nous abordons ce texte dans un esprit constructif. Cependant, nous souhaitons que vous soyez plus attentif en deuxième lecture que vous ne l’avez été en première lecture. En effet, dans l’hémicycle comme en commission, vous aviez donné des avis favorables sur des amendements relevant plutôt du symbole. Je souhaite que, lors de cette deuxième lecture, vous donniez des avis favorables sur des amendements touchant au fond. Nous avons été raisonnables, dans la mesure où nous avons présenté entre quarante et cinquante amendements. Nous souhaitons, je le répète, que vous soyez très attentif à nos propositions ; je vous en remercie par avance. (Applaudissements sur certains bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Je tiens, en premier lieu, à remercier M. le ministre, M. le rapporteur et M. le rapporteur pour avis pour la qualité de leur écoute durant nos débats.

L’ambition du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt consiste – je vous cite, monsieur le ministre –à faire de notre pays « le leader européen de l’agro-écologie ». C’est une ambition que nous partageons.

Vous engagez ainsi la France dans l’indispensable transition vers l’agro-écologie, dans laquelle l’agriculture biologique devrait d’ailleurs trouver toute sa place. L’agriculture et l’agroalimentaire ont longtemps été les premiers postes d’exportation. Tel n’est plus le cas. Ce projet de loi est une chance de redonner à l’agriculture toute sa place dans l’économie de notre pays.

Nous devons tenir compte de l’impact de l’agriculture sur l’environnement, l’eau et l’air, mais également sur la vie des sols et la santé de tous. Il est aussi urgent de répondre aux préoccupations des agriculteurs, des habitants des zones rurales et des territoires périphériques dont le développement économique a souvent besoin d’être consolidé.

L’agro-écologie propose de réaliser la transition vers d’autres modes de production et incite à le faire. À cet égard, il y aura un avant et un après cette loi. En effet, elle laisse augurer la possibilité d’importants changements dans le système alimentaire. Il s’agit, d’une part, d’aller vers une alimentation plus locale, moins standardisée et de meilleure qualité, respectant l’environnement et la santé par un infléchissement du modèle économique. D’autre part, il faut assurer un revenu équitable aux agriculteurs – à tous les agriculteurs, en tenant compte de la diversité des exploitations –, notamment en développant les filières courtes, mais aussi en renforçant les exportations par une production de qualité.

Dans les politiques publiques, l’agro-écologie doit se traduire par une nouvelle gouvernance, mieux adaptée aux agro-écosystèmes locaux.

La discussion parlementaire a permis d’enrichir le texte d’un certain nombre de dispositions intéressantes. Je retiendrai particulièrement la définition de l’agro-écologie ; la création de projets alimentaires territoriaux ; le renforcement de la protection du foncier agricole et la lutte contre l’artificialisation des sols ; des dispositions positives pour la forêt et la filière bois ; la possibilité d’utiliser les semences paysannes et, enfin, des dispositions, introduites récemment en commission, facilitant l’usage des préparations naturelles peu préoccupantes par les professionnels, ce que nous souhaitions depuis le début de nos débats sur ce texte.

Évidemment, nous considérons que ce texte peut être encore amélioré. Aussi avons-nous déposé des amendements. J’en citerai trois.

À l’article 1er, un amendement porte sur le transfert et la mutualisation de connaissances. En effet, des initiatives locales voient le jour, sous forme associative ou coopérative, pour permettre aux agriculteurs eux-mêmes de développer et produire localement du matériel agricole. Ces initiatives permettent de limiter le coût des investissements – donc de moins s’endetter – et de construire des outils de travail plus adaptés que ceux que l’on trouve dans le commerce.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

Mme Michèle Bonneton. À l’article 23, et en dépit des efforts qui ont déjà été faits, nous souhaitons que soit rétablie une disposition adoptée au Sénat visant à renforcer la protection de certaines zones de captage d’eau considérées comme fragiles ou particulièrement exposées.

À l’article 27, nous proposons des dispositions allant dans deux directions.

D’une part, nous souhaitons que l’enseignement et la recherche sur les modèles agricoles alternatifs se renforcent rapidement. Le succès de l’agro-écologie et de l’agriculture biologique en dépend en grande partie. Les résultats de la recherche, notamment celle portant sur la vie et l’utilisation des sols, ont besoin d’être mieux diffusés auprès des agriculteurs. Il faut rappeler que la France, première puissance agricole européenne, n’est que douzième en matière de « bio » en Europe et vingt-cinquième au niveau mondial.

D’autre part, il nous paraît indispensable, plus encore que dans d’autres domaines, que la recherche soit plus contributive.

Enfin, monsieur le ministre, nous restons très dubitatifs quant à l’intérêt de créer un Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France. Certes, la mutualisation des moyens est parfois source d’économies, mais, in fine, n’y aura-t-il pas un risque de dilution des compétences et des savoirs, ainsi qu’une plus grande complexité de gestion ? Le problème principal n’est-il pas celui des moyens attribués aux structures existantes, qui demeurera avec le nouvel Institut ?

Vous aurez bien compris que nous abordons cette deuxième lecture en souhaitant que ce texte important puisse connaître encore quelques améliorations selon notre point de vue. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal.

M. Jacques Krabal. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, le 5 septembre prochain, nous célébrerons le centenaire de la victoire de la première bataille de la Marne.

L’état-major allemand fut stupéfié de voir une armée qui avait reculé de plus de 300 kilomètres en trois semaines se retourner tout d’un coup et passer à l’attaque. Eh bien, c’était une armée de paysans, dure au mal, viscéralement attachée à la terre de France. Or, aujourd’hui encore, le monde agricole représente une réelle force de frappe économique : la France est au premier rang mondial pour le vin, au troisième pour le lait et au cinquième pour le blé. Mais cette excellence est en danger – j’y reviendrai.

C’est dans ce cadre que nous allons examiner, en deuxième lecture, la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Ce projet de loi a fait l’objet de modifications substantielles au Sénat et a été amendé fortement en commission des affaires économiques. Notre groupe, avec Jeanine Dubié, a contribué à l’amélioration de ce texte.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. C’est exact !

M. Jacques Krabal. D’ailleurs, j’ai pu constater moi-même l’esprit constructif qui régnait dans cette commission, avec l’adoption d’amendements ou leur enrichissement grâce à des propositions provenant de l’ensemble des parlementaires. Je ne doute pas que le débat qui s’engage maintenant et les nombreux amendements encore à examiner poursuivront dans la voie de l’amélioration du texte.

Monsieur le ministre, concernant ce projet de loi et, plus largement, la politique agricole du Gouvernement, vous considérez qu’avec l’agro-écologie vous mettez en place « une mutation douce, mais profonde ». Le 17 juin, vous ajoutiez même que vous n’aviez pas l’intention de prendre une série de mesures concernant tour à tour, par exemple, les phytosanitaires et la filière bio, mais que le changement résulterait d’une démarche systémique et globale.

Le groupe RRDP partage cette approche. Vous avez raison, il s’agit en effet de répondre au triple défi de la performance économique, environnementale et sociale. On ne peut décider de s’engager du jour au lendemain dans ces trois voies. Comme vous l’indiquiez, la co-construction doit se faire collectivement, avec l’ensemble des acteurs. Elle présente l’avantage de faciliter la discussion entre des personnes qui, comme vous avez pu le vérifier, ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde. Même des efforts doivent encore être accomplis de part et d’autre, il n’en demeure pas mois qu’il s’agit d’une belle démarche.

Parler de l’agriculture et vouloir son évolution, c’est d’abord agir en concertation avec les agriculteurs, même si cela concerne l’ensemble des Français. Si l’agriculture n’est plus familiale et qu’elle est devenue très mécanisée, voire industrielle, l’usage des produits issus de l’industrie chimique n’est plus massif comme hier ; il est désormais beaucoup plus raisonnable. Les prises de conscience sont là. Pourtant, il faut lutter avec tous les acteurs contre les pollutions de l’eau, de l’air et de la terre. Aujourd’hui, les agriculteurs que je rencontre sont déterminés à s’engager dans cette voie. Il faut qu’elle s’inscrive dans des perspectives de temps long, avec un cap et des objectifs dont tous les acteurs seront partie prenante.

N’oublions pas que, dans nos communes rurales, dans nos territoires, nos agriculteurs et nos éleveurs sont des acteurs incontournables pour ce qui est de l’aménagement des paysages. L’amendement, déposé dans le cadre du projet de loi relatif à la biodiversité et qui vise à reconnaître les agriculteurs et les éleveurs comme des acteurs de la biodiversité, va dans le bon sens. Ils sont en effet les architectes de la nature. Oui, il est indispensable de préserver la terre de l’urbanisation. Des efforts ont d’ailleurs été accomplis dans plusieurs domaines ; il faut les poursuivre. L’article 12 ter, qui instaure des mesures de compensation vis-à-vis de l’agriculture, va lui aussi dans le bon sens, mais son application au 31 décembre 2016 paraît bien lointaine.

En outre, dans une période de grande mutation, le statut principal de l’exploitant agricole, chef d’entreprise non salarié, montre ses limites face aux évolutions de l’agriculture française. Il est nécessaire, voire indispensable, que nous puissions rassembler en un même groupe tous les chefs d’exploitation et tous les particuliers, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Je pourrais multiplier les exemples témoignant des avancées importantes de ce texte : ouverture des groupements fonciers agricoles à toutes les coopératives, contrôle des structures en faveur du renouvellement des générations, ou encore amélioration de la contractualisation. Ce sont là autant d’avancées réalisées grâce à un texte qui pourrait encore être amélioré au fil de nos débats. Je pense, par exemple, à l’inscription sur le registre des agriculteurs, avec une gestion pluri-institutionnelle, notamment la mutualité sociale agricole et les chambres d’agriculture. Monsieur le ministre, sa mise en place sera-t-elle effective en 2015 ?

L’agriculture est une chance pour la France ; faisons en sorte de ne pas l’amoindrir.

La déléguée aux industries agroalimentaires que vous avez nommée a reconnu que les mesures décidées par Bruxelles en matière d’environnement et de protection des cultures font l’objet d’une surinterprétation nationale. Ces mesures sont d’ailleurs à l’origine des distorsions de concurrence avec nos partenaires européens. Elle a ainsi déclaré : « La France doit cesser d’ajouter des normes aux normes européennes communes. »

Voilà, monsieur le ministre, l’un des enjeux essentiels pour que notre agro-écologie puisse relever les trois défis que sont les performances économique, environnementale et sociale.

Une commission d’enquête vient d’être créée. Nous allons nous engager, pour l’ensemble des acteurs économiques – PME, artisans, agriculteurs – à faire le point sur les freins qui existent. J’espère que nous aboutirons rapidement à des propositions concrètes.

Si cet aspect semble essentiel, un autre l’est tout autant : il nous incombe, à nous, parlementaires, de faire cesser la boulimie législative, dans ce domaine comme dans bien d’autres. Trop de lois tue la loi.

Mme Brigitte Allain. Tout à fait !

M. Jacques Krabal. À l’instar de la polémique concernant la restriction d’utilisation des produits phytosanitaires, avec la mise en place de distances par rapport aux habitations, les réactions et faits divers aboutissent à nourrir la polémique, à monter les gens les uns contre les autres. Cette façon de faire témoigne, selon moi, du fait que la société est en mauvaise santé et qu’elle a peur. Agir ainsi, c’est renforcer la peur, qui est toujours mauvaise conseillère : elle provoque rejet de l’autre et repli sur soi.

Cessons de légiférer à tout moment et d’opposer les Français entre eux. Depuis longtemps la France « est entravée, coincée, tétanisée », déclarait hier le Premier ministre. Oui, réformons dans la concertation et la sérénité ; rassemblons tous les acteurs, dialoguons et recherchons du consensus plutôt que de l’affrontement.

Rappelons également que les réglementations visant à mieux encadrer les traitements phytosanitaires pour protéger le voisinage et notre environnement ne manquent pas. Il faut les faire appliquer et, si elles ne sont pas respectées, prononcer des sanctions.

Sur ce sujet monsieur le ministre, vous nous avez proposé un amendement qui s’appuie sur des mesures techniques, visant à empêcher la propagation des produits – notamment des buses anti-dérive et des haies –, mais aussi sur des mesures que je qualifierai de bon sens, par exemple des horaires adaptés et des informations. Nous partageons cette orientation, même si l’opposition s’en gausse.

Bien sûr, il faut limiter l’usage des produits phytosanitaires et des pesticides, mais je tiens à rappeler que, dans mon département, dans ma circonscription, les agriculteurs et les viticulteurs n’ont pas attendu que survienne l’incident dont il a été question,…

Mme Annie Genevard. Bien sûr !

M. Jacques Krabal. …ce non-respect de la réglementation, pour s’engager dans cette voie. Les chiffres et les analyses comparatives publiés par le syndicat général des vignerons et le comité interprofessionnel du vin de Champagne – le CIVC – le démontrent d’ailleurs avec vigueur. D’autres exemples, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, sont probants, tels le projet Agri-Péron dans l’Aisne, ou encore le réseau de fermes DEPHY en Picardie. Oui, l’agro-écologie est déjà en route !

Il faut aussi soutenir les mesures alternatives aux pesticides, comme cela a déjà été fait pour faciliter les dispositifs de mise sur le marché des préparations naturelles peu préoccupantes, ou encore permettre la reconnaissance des produits de traitement des plantes et des engrais d’origine naturelle.

À l’image des certificats d’économie d’énergie, cette perspective d’expérimentation pour les produits phytosanitaires est une bonne chose, tout comme la création des groupements d’intérêt économique et environnemental. Dans ces domaines, l’évolution du texte est réelle. Toutefois, j’estime que nous ne sommes pas assez à l’offensive en matière d’énergies renouvelables, de méthanisation et de bioénergies.

Les produits phytosanitaires sont présentés – les études l’ont montré – comme de véritables poisons pour l’homme et pour l’environnement. Toutefois, c’est leur usage excessif et incontrôlé qui est dangereux. À cet égard, je voudrais saluer, monsieur le ministre, votre volonté de lutter contre les importations illégales de certains produits en dehors de toutes normes et certifications.

Nous devons favoriser les nouvelles pratiques, dans la continuité du Grenelle de l’environnement. Si l’agro-écologie est la seule direction dans laquelle nous devons nous engager, nous savons aussi qu’il nous faut répondre aux sécheresses ou aux inondations, phénomènes climatiques qui ne sont pas sans conséquences sur la qualité et les rendements de nos productions. Le développement des insectes nuisibles, les maladies touchant les plantes, comme la rouille des céréales ou l’oïdium des vignes, constituent de vraies préoccupations.

Si l’agro-écologie est, je le répète, la seule direction, nous ne devons pas non plus perdre de vue, comme l’ont rappelé plusieurs orateurs, que nous assistons à une évolution démographique sans précédent. La population mondiale devrait passer de 7 milliards aujourd’hui à 9 milliards en 2050, soit une augmentation de 30 %, ce qui entraînera une augmentation de 70 % des besoins alimentaires, alors même que nous sommes à peine capables, dans les bonnes années, de satisfaire les besoins mondiaux actuels.

Avec de l’ambition, la France, puissance mondiale agricole, se doit aussi de pouvoir répondre aux besoins des marchés d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient.

Mme Annie Genevard. Belle ambition !

M. Jacques Krabal. Au troisième rang des pays exportateurs en 2002, elle n’est plus aujourd’hui qu’au cinquième rang. Fixons-nous comme objectif de la faire réintégrer le trio de tête d’ici à dix ans.

Certes, il faut bien évidemment développer la proximité, donc les circuits courts.

Mme Annie Genevard. En effet !

M. Jacques Krabal. C’est ce à quoi je m’emploie sur mon territoire, avec les agriculteurs biologiques et les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, les AMAP.

Mais il ne faut pas oublier non plus que l’agriculture française, ce sont aussi les circuits longs, avec l’exportation.

M. Dino Cinieri. Il a raison !

M. Jacques Krabal. Voilà aussi le défi auquel nous sommes confrontés. Pour moi, il n’est pas inconvenant d’associer les mots « agro-écologie » et « compétitivité ».

Depuis quinze ans, notre pays s’est désindustrialisé. Or je sais que votre projet, monsieur le ministre, est d’éviter qu’il ne se « désagriculturalise » aussi.

Nous allons prochainement aborder la réforme des régions. Le rapprochement entre la Picardie et la Champagne-Ardenne, pour former la « Champicardie »,…

Mme Barbara Pompili. C’est n’importe quoi !

M. Jacques Krabal. …serait une bonne chose pour le sud de l’Aisne. Cela permettrait d’englober dans une même entité l’AOC Champagne et d’apporter de la cohérence. Cette nouvelle région constituerait un géant agricole, mais un géant aux pieds fragiles, si nous ne consacrons pas les moyens nécessaires aux outils de transformation et de valorisation des différentes filières et, surtout, si nous n’investissons pas massivement dans les pôles de compétitivité, dans la recherche et développement, la chimie verte et les éco-matériaux à partir de la filière végétale.

Monsieur le ministre, dans le cadre de votre démarche systémique globale, cet aspect est essentiel pour l’agriculture de demain. C’est à cette condition que l’agro-écologie sera performante et qu’elle créera de l’emploi tout en respectant notre environnement.

Dans sa fable Le laboureur et ses enfants, Jean de La Fontaine, le fabuliste de Château-Thierry, nous enseignait, comme chacun le sait, que le travail est un trésor – avec raison, nous ne pouvons qu’en être persuadés en cette période de chômage de masse. Il faisait référence au travail de la terre. Aujourd’hui, il est grand temps que nous accordions, comme hier, de l’attention et un soutien fort et unanime à notre terre et à l’agriculture de notre pays et que nous nous attachions à redonner de l’espoir à nos agriculteurs. Cette loi est un premier élément ; n’hésitons pas à aller plus loin. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP, sur plusieurs bancs du groupe SRC et sur certains bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Philippe Nilor.

M. Jean-Philippe Nilor. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, je partage les objectifs de ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture qui s’articule autour d’une stratégie de développement de filières organisées, ce qui pourrait permettre à terme, dans nos territoires, de favoriser une agriculture nourricière, raisonnée et respectueuse de l’environnement et des hommes.

Je veux croire que ce texte se démarque des politiques agricoles d’un autre temps, tendant à cultiver et à accentuer les stigmates d’un système de plantation reposant sur quelques monocultures d’exportation à destination d’une métropole exclusive.

Il se distingue aussi des politiques qui subordonnent les arbitrages économiques aux intérêts de la métropole, au détriment de productions locales sans transformation, sans valeur ajoutée, exclusivement destinées au marché d’une seule métropole et subissant irrémédiablement la détérioration des termes de l’échange.

Enfin, je veux encore croire qu’il se différencie des projets qui condamnent la Martinique à la dépendance alimentaire vis-à-vis de la France et de l’Europe. Par son approche systémique, il est censé tenir compte de nos spécificités et intégrer la formation, l’installation, la transmission des exploitations, la production, la transformation, la distribution et la consommation.

C’est peut-être le signe tant attendu que ce gouvernement est enfin conscient que nous payons aujourd’hui un lourd tribut pour les erreurs passées.

En effet, aujourd’hui, en Martinique, la terre est polluée, les surfaces agricoles se raréfient, nos rivières sont empoisonnées, l’air et la mer sont pollués, la biodiversité est menacée. Les zones d’interdiction de pêche se multiplient, provoquant un appauvrissement de la ressource halieutique et précarisant davantage des marins pêcheurs déjà en grande difficulté du fait de leurs faibles revenus et de leurs retraites insignifiantes.

Mme Barbara Pompili. Eh oui !

M. Jean-Philippe Nilor. Nous devons acter l’impérieuse nécessité de sortir progressivement de cette agriculture géophage, aliénante, polluante et contrôlée par une poignée de possédants à la recherche exclusive du profit.

Il est temps que la Martinique écrive un nouveau chapitre de son histoire, avec une nouvelle génération de décideurs, d’acteurs économiques et politiques, d’agriculteurs qui auront enfin compris ce que voulait dire Frantz Fanon, lequel écrivait, dans Les Damnés de la terre : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir. »

En tant que député de Martinique, je suis plus que jamais déterminé à remplir pleinement ma mission. Encore faudrait-il que nos propositions d’amendements, destinées à enrichir ce texte, et nos autres doléances, trouvent auprès de vous, monsieur le ministre, un écho favorable. N’est-ce pas désintéresser les jeunes Martiniquais des professions de l’agriculture et de la pêche que de conforter chez eux le sentiment qu’ils devront, après une carrière pénible, à l’âge de la retraite, se contenter de faibles moyens de subsistance ? En effet, le Gouvernement refuse de revaloriser les retraites des salariés et exploitants agricoles et des marins pêcheurs et maintient des modes de calcul qui les pénalisent.

Quelle sera, en outre, la réponse – très attendue – à la proposition d’ouvrir une filière BTS en sciences et technologie des aliments, dans le cadre d’un réseau Antilles-Guyane, qui permettrait d’envisager une valorisation future des matières premières locales à travers les transformations agroalimentaires, cosmétiques et pharmaceutiques ?

Il nous importe aussi de protéger la production locale et de garantir au consommateur, quel que soit son pouvoir d’achat, l’information ainsi que la sécurité alimentaire. Paradoxe pour la Martinique, région micro-insulaire : le panga envahit le marché en raison de son prix modeste. Ce poisson importé est élevé, en toute impunité, dans des conditions d’hygiène contestables et nourri avec toutes sortes d’immondices. Nous préconisons donc un renforcement des obligations inhérentes aux mentions d’origine et conditions de production pour les produits agricoles et alimentaires, transformés ou non, qui sont écoulés sur notre marché.

Il nous incombe, par ailleurs, de promouvoir une agriculture moderne et humanisée, tirant les enseignements des scandales sanitaires comme celui du chlordécone, responsable de malformations génétiques chez les nouveau-nés et d’un foisonnement de cancers qui déciment les populations, notamment les ouvriers agricoles, actifs et retraités.

Nous devons nous attacher à susciter des vocations grâce à la valorisation de métiers de haute technicité en étoffant l’offre de formation, en adéquation avec les niches émergentes ; en favorisant l’attrait pour les productions à forte valeur ajoutée – plantes aromatiques, médicinales, café et cacao –, ainsi que les activités de transformation et de conservation ; en favorisant la transmission d’exploitations à des jeunes agriculteurs et la transmission des connaissances ainsi que des savoir-faire acquis de longue date dans la tradition des jardins créoles.

Nous devons accorder des moyens à la recherche et au développement pour impulser l’innovation et amplifier la coopération, notamment à travers des groupements d’intérêt scientifique, avec les pays voisins du bassin caribéen pour développer des vitroplants d’espèces résistantes aux bio-agresseurs et réduire le recours aux pesticides.

Je crois qu’une autre agriculture est possible dans nos territoires. Notre potentiel est énorme, bien qu’il ait été, pendant des décennies, délibérément ignoré et inexploité. En ayant conscience de nos potentialités et en nous dotant d’une vision claire et prospective, nous pouvons initier une agriculture d’excellence au profit de nos territoires.

Si ce texte peut contribuer à instaurer un cadre juridique moins hostile à ce changement salutaire de paradigme, que nous appelons de nos vœux, je ne peux que le voter. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Berthelot.

Mme Chantal Berthelot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer le travail du Sénat qui, à travers le titre VI consacré à l’outre-mer, a montré une bonne perception des enjeux et conforté certaines dispositions. Je me félicite également du fait que M. le ministre ait accepté un certain nombre d’amendements, que j’approuve en partie.

L’un d’entre eux a ainsi prévu qu’en outre-mer, les chambres d’agriculture devront, dans le cadre de leur contrat d’objectifs et de performance, promouvoir l’accompagnement et le suivi des GIEE. Il n’était peut-être pas nécessaire d’inscrire cette précision dans la loi, monsieur le ministre – j’ai lu les débats –, mais, à mon sens, mieux vaut qu’elle y figure : elle permet de rappeler le rôle important des chambres d’agriculture en outre-mer, en termes d’animation et de développement des territoires ruraux.

Pour cette deuxième lecture, les amendements que je présente pour les outre-mer viendront préciser et renforcer les différentes mesures instituées, si notre assemblée les approuve.

Je voudrais, si vous me le permettez, rentrer un peu plus dans le détail de la situation de Guyane, car elle mérite notre attention.

Le triple objectif économique, social et environnemental des GIEE prend tout son sens dans les outre-mer, où nous devons renforcer nos agricultures pour créer les conditions d’un essor reposant sur des « équilibres sociaux justes et équitables » et, en même temps, assurer par nos méthodes de production la préservation de la richesse de notre biodiversité, comme nous avons eu l’occasion de le rappeler, en commission du développement durable, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur la biodiversité.

Le rôle que nous donnons aux GIEE dans notre politique témoigne bien de l’importance que nous devons octroyer au modèle de l’agriculture familiale et traditionnelle.

En Guyane, l’agriculture familiale, cultivée de manière traditionnelle avec peu de mécanisation, est le modèle dominant. Elle fait partie intégrante du mode de vie des différentes communautés d’habitants, autochtones et locales. En ayant permis de fixer puis d’intégrer les populations immigrantes, elle a rempli un rôle social. Dans un département durement touché par le chômage, les productions issues de ces abattis permettent de nourrir la famille et de dégager un revenu supplémentaire en fournissant les marchés en produits frais et de qualité.

La Guyane est peuplée de 240 000 habitants ; l’INSEE en prévoit 424 000 d’ici à 2030. On a beaucoup parlé de la démographie française et même mondiale. Je me permets donc, pour ma part, de signaler que la population guyanaise va doubler en l’espace de quinze ans.

La Guyane doit ainsi faire face à de nombreux défis que lui impose sa démographie. Le premier d’entre eux est de nourrir sa population. Pour cela, il est primordial que nous accompagnions le développement de l’agriculture traditionnelle et familiale : elle seule permettra de satisfaire la demande alimentaire territoriale, rappelée comme objectif par la présente loi.

Les structures de développement de l’agriculture des outre-mer, telles que l’ODEADOM, sauront-elles apporter les réponses adéquates aux besoins de développement de l’agriculture guyanaise ? Dorénavant, les politiques de développement seront conçues à l’échelle des territoires. Elles seront le fruit d’une concertation menée avec l’ensemble des acteurs locaux, aussi bien dans la définition d’une stratégie commune que dans le processus décisionnel, à travers le COSDA, le Comité d’orientation stratégique et de développement agricole.

Il est important de rappeler que la terre agricole doit être dans les mains de ceux qui veulent la travailler. Or les terrains à vocation agricole sont détournés vers d’autres destinations. Le Gouvernement a pourtant fait de la préservation de l’espace agricole sa priorité par diverses dispositions réglementaires. Des cessions onéreuses sont accordées en zone agricole, alors qu’elles ne répondent à aucune logique économique, mais plutôt à un besoin d’appropriation et de loisirs. En outre, elles favorisent la spéculation foncière.

Les services de l’État, comme vous le savez – je l’ai moi-même rappelé ici à plusieurs occasions –, ont les plus grandes difficultés à assurer le suivi des terres attribuées. Par exemple, entre 2000 et 2010, la surface agricole n’a augmenté que de 2 000 hectares, alors que la commission d’attribution foncière en a attribué 58 000. Cela veut dire que 50 000 hectares ne sont ni mis en valeur ni mentionnés dans un titre quelconque. Du coup, il n’y a aucune retombée et la taxe foncière sur le foncier non bâti n’est pas perçue.

Il est donc temps, monsieur le ministre, de donner à France Domaine, au cadastre et à la DAAF les moyens d’assumer leurs missions.

Je regrette que le Gouvernement n’ait pas retenu ma proposition tendant à créer un opérateur foncier rural du type des SAFER pour la Guyane. Il aurait pu être un partenaire privilégié de l’État, lui indiquant le volume des transactions et les prix, permettant ainsi un meilleur suivi de la mise en valeur agricole des terrains attribués.

En Guyane, c’est l’établissement public d’aménagement en Guyane qui peut juridiquement exercer les missions d’un opérateur foncier rural. Il dispose, depuis une loi de 2006, du droit de préemption. Or celui-ci n’a pas encore été activé. Je demande donc instamment au Gouvernement qu’il rende effectif l’exercice du droit de préemption de l’EPAG. Certes, une SAFER serait l’outil idéal pour faciliter l’accès au foncier puis l’installation des agriculteurs. En attendant de pouvoir autrement, faisons de l’EPAG un meilleur instrument de gestion du foncier rural.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nos travaux parlementaires ont pour but de faire de l’agriculture française l’un des leaders de l’agro-écologie. Cette agriculture, respectueuse des équilibres environnementaux et sociaux et des méthodes traditionnelles de production, existe déjà ; c’est celle que nous pratiquons depuis toujours en Guyane. Pour créer les conditions de son essor, nous devons d’abord résoudre le problème de l’accès au foncier de ce modèle agricole.

Faisons en sorte que chaque agriculteur, avec un projet respectant les objectifs de l’agro-écologie, puisse avoir une terre à travailler, afin de nourrir notre population. Donnons à la Guyane les outils pertinents qui lui permettront de mener une véritable politique de développement agricole. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, je voudrais évoquer, dans cette discussion générale, ce que le projet de loi ne dit pas, ses silences à propos de sujets sur lesquels il eût été intéressant de se pencher.

Le grand absent de votre projet de loi, monsieur le ministre, c’est le volet économique de l’agriculture. Le titre 1er est intitulé fièrement : « Performance économique et environnementale des filières agricoles et agroalimentaires ». Les outils écologiques y sont largement évoqués, mais pas les outils de la performance économique. Or là est toute la question : comment fait-on pour concilier les deux objectifs d’une manière équilibrée ?

Nous l’avons dit en première lecture : il faut vérifier la soutenabilité économique des exigences écologiques que l’on impose aux agriculteurs. Nos filières demandent légitimement à pouvoir défendre leurs parts de marché dans les mêmes conditions que leurs collègues du reste de l’Europe, pour leurs filières d’abord, mais aussi pour eux-mêmes.

Les chiffres sont sans appel : en 2013, le revenu moyen des agriculteurs affiche une forte baisse de près de 20 %. La France ne cesse de perdre des parts de marché dans le commerce mondial, passant du deuxième au cinquième rang d’exportateur agroalimentaire. Votre projet de loi aurait dû centrer le débat sur la compétitivité de l’agriculture française et, pour cela, explorer davantage la recherche de sa compatibilité avec l’écologie.

L’agro-écologie est un mot, presque un slogan, brandi en étendard, mais quelle est sa traduction économique ? Le GIEE est un outil incertain, aux contours mal définis et l’on ne voit pas bien encore en quoi il peut concrètement aider à concilier économie et écologie.

Monsieur le ministre, tous les acteurs vous le disent : la compétitivité de notre économie est plombée par une réglementation excessive, parfois absurde et qui pourrait se révéler mortifère ; c’est le deuxième silence de votre loi. Où est le choc de simplification auquel l’agriculture peut elle aussi prétendre ?

J’avais évoqué, en première lecture, la situation de la filière pommes-poires : 38 000 hectares en France, 65 000 emplois, un demi-milliard d’euros de chiffre d’affaires à l’exportation. Ce n’est pas rien. Les représentants de cette filière vous ont demandé un Grenelle de la compétitivité, celle-ci étant aujourd’hui grevée par une réglementation qui menace même de la tuer. La situation de la pomiculture est préoccupante ; les difficultés qu’elle rencontre exigent que l’on prenne des mesures d’urgence.

Pour illustrer mon propos, je vous donnerai un exemple de la difficulté de concilier la compétitivité et les règles environnementales. Lorsqu’un pomiculteur intervient dans son verger en posant, par exemple, un diffuseur de phéromones pour désorienter les papillons nuisibles mâles, il doit sortir du verger et attendre vingt-quatre heures avant de poser le suivant. Cela signifie qu’il faudrait 6 000 jours pour traiter un verger de 12 hectares entre avril et mai de chaque année.

Que dire de cette absurde interprétation de la réglementation européenne concernant la cueillette en hauteur et interdisant l’usage de simples escabeaux, utilisés depuis toujours ? Je rappelle que la moitié des vergers se récolte encore à l’escabeau. Cet exemple aurait dû inspirer un article à part entière dans votre projet de loi, en posant le principe que l’on ne peut infliger à nos agriculteurs davantage que ce que les directives européennes n’exigent.

M. Guillaume Larrivé. Très juste !

Mme Annie Genevard. L’exemple que je viens de vous donner discrédite inutilement l’Europe, laquelle concentre toutes les accusations, ce qui permet ainsi d’épargner une bureaucratie nationale devenue dangereusement tatillonne. Ne nous étonnons pas des résultats des dernières élections européennes.

J’aurais pu vous parler à nouveau de la lutte raisonnée contre le campagnol qui ravage nos territoires d’élevage et que de récentes dispositions compliquent singulièrement. Un article de la loi aurait pu – aurait dû – poser le principe selon lequel aucune transposition de directive européenne ne pourrait donner lieu à des exigences supplémentaires, dès lors qu’elles induisent une hausse des coûts pour les agriculteurs.

M. Guillaume Larrivé. Voilà ce qu’il faudrait voter !

Mme Annie Genevard. Enfin, le troisième silence de votre loi porte sur un dossier qui n’est pas anecdotique ; il concerne de très nombreuses agricultrices, les oubliées de cette loi d’avenir. C’est la question de l’égale reconnaissance de plusieurs chefs d’exploitation au sein d’une même société agricole ; c’est la question de la transparence au sein des GAEC.

Je prendrai l’exemple d’un GAEC conclu entre un père et son fils, lesquels possèdent deux unités économiques. Or, après le retrait du père et l’entrée de l’épouse, les deux conjoints ont été dans l’obligation de transformer le GAEC en EARL en 1999, puisque la législation de l’époque n’autorisait pas le GAEC entre époux. La transformation en EARL a entraîné la perte d’une unité économique. Avec la loi du 29 juillet 2010 autorisant les GAEC entre époux, les époux décident alors la transformation de l’EARL en GAEC, mais sans pouvoir retrouver la deuxième unité économique perdue en 1999. Cette situation engendre des répercussions financières très importantes sur les aides perçues par la société, les aides nationales et celles issues de la politique agricole commune, entraînant donc des inégalités profondes entre les GAEC entre époux et les autres, alors que les structures agricoles sont absolument similaires.

M. Dino Cinieri. C’est vrai !

Mme Annie Genevard. Monsieur le ministre, une délégation d’agricultrices du Doubs est présente en ce moment dans les tribunes. Elles vont écouter avec beaucoup d’attention ce que vous allez dire sur ce sujet qui appelle de votre part un engagement clair. C’est une question de justice : il s’agit, en accordant la reconnaissance pleine et entière de ce statut, de rendre chacun et chacune éligible aux aides nationales et européennes.

Ne sous-estimez pas leur détermination : elles ont joué un rôle très important et reconnu dans la création des GAEC entre époux. Aujourd’hui, elles veulent aller au bout de cette logique : un associé égale un exploitant égale une part économique. En effet, alors même que chacun des époux a contribué au renforcement de la structure agricole, une seule part économique leur est attribuée. Nous y reviendrons dans le détail, puisque j’aurai l’occasion de défendre plusieurs amendements visant à remédier à cette situation très inégalitaire.

Vous avez accepté, et je vous en remercie, de rencontrer ces femmes quelques minutes à l’issue de cette séance. Elles ont fait un long chemin depuis notre lointain département du Doubs et se sont organisées pour suppléer leur absence dans leurs exploitations. Elles voudraient pouvoir vous exprimer de vive, mais courtoise voix, leur situation. Elles attendent de vous, comme vous l’a dit du reste Christiane Lambert, vice-présidente de la FNSEA, un simple engagement de justice. Vous ne pouvez leur être indifférent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je ne le serai sûrement pas !

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, passé un préambule qui n’est que bonnes intentions et vœux pieux, et relève donc plus de l’incantation que du travail législatif, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture me paraît, dans ses aspects les plus importants, passer outre l’essentiel et dangereusement déconnecté de la réalité, réalité difficile pour nos agriculteurs dont le revenu a baissé de 22 % en moyenne en 2013.

Commençons par l’article 7 qui instaure un médiateur des relations commerciales dans le but d’assainir le rapport entre agriculteurs et distributeurs, systématiquement défavorable aux premiers. Que pèsera ce malheureux médiateur, dépourvu d’un réel pouvoir, face au chantage du déréférencement des produits par les distributeurs, face aux possibilités, toujours plus nombreuses pour les industriels et les distributeurs, de substituer un produit importé à un produit français ? Pas grand-chose évidemment. Ce médiateur, c’est la continuation « petit bras » d’un dispositif globalement déficient, à savoir la contractualisation, mise en place par votre prédécesseur, Bruno Le Maire.

Avec ou sans médiateur, l’agriculteur français doit continuer à vendre le produit de sa terre, quand l’industriel ou le distributeur peut, quant à lui, se fournir où bon lui semble. Dans le contexte de libre-échange généralisé et anarchique que continue d’encourager votre gouvernement, à la suite de l’UMP, le dumping social et environnemental est devenu le fléau numéro un pour nos agriculteurs. Ce diagnostic, qui fait consensus dans l’immense majorité des filières, est pourtant absent de la présente loi, alors même que les Allemands, les Espagnols ou les Italiens, pour ne citer qu’eux, se livrent à un dumping extra- mais aussi intra-européen féroce.

L’immobilisme du Gouvernement français et de l’Union européenne sur ce terrain est désespérant. La réforme dérisoire de l’application de la directive relative au détachement des travailleurs ne concernera pas l’agriculture et, de toute manière, ne permet pas de dénoncer les fraudes de nos partenaires. Le SMIC allemand que vous n’avez cessé de brandir ne fera pas de miracle pour mettre fin au dumping des concurrents germaniques qui ont si bien coulé notre filière porcine et en menacent maintenant de nouvelles. Ce semblant de SMIC, s’il est voté, ne sera finalement appliqué aux saisonniers qu’après déduction des frais d’hébergement, de transport et de nourriture.

Le dumping intra-européen menace à lui seul l’intégralité de nos filières, y compris le bio, si souvent vanté. Pendant que certains de nos maraîchers et de nos arboriculteurs investissent temps et argent à convertir leurs exploitations, avec l’espoir légitime de voir cet effort récompensé à moyen terme par de bons prix de vente, des investisseurs du sud de l’Italie mettent en bio des milliers d’hectares et pèsent à la baisse sur les prix en recourant massivement à l’immigration illégale.

Les faits divers effarants se multiplient ces dernières années : saisonniers chassés à coups de fusil pour ne pas avoir à les payer ; hébergement de ces quasi-esclaves dans des taudis, voire sous les arbres dans les cas les plus extrêmes ; infractions systématiques et massives au droit du travail. La situation perdure et ces produits sont vendus, sans que personne ne proteste, dans les rayons des supermarchés français, sous les yeux de nos producteurs qui voient littéralement fondre leurs espoirs de retour sur investissement.

À ces déséquilibres aussi scandaleux que dangereux, s’ajoute la multiplication des traités de libre-échange avec des pays dont les coûts de production sont très inférieurs aux nôtres. Là encore, la main droite qui a rédigé cette loi semble tout ignorer de l’action de la main gauche, celle qui a signé sans faiblir les traités de libre-échange à Bruxelles et qui se prépare à ratifier le traité transatlantique avec les États-Unis, pour lequel le Président Hollande a souhaité accélérer les négociations.

Si nos normes vous paraissent si indispensables que vous ne cessez de les renforcer, pourquoi diable livrer ceux qui les respectent à la prétendue libre concurrence de ceux qui n’en ont cure ou les contournent systématiquement ?

L’article 23 de cette loi illustre à la perfection cette périlleuse contradiction. La légitime inquiétude de l’opinion, suite à l’utilisation, dans des conditions dangereuses, de pesticides à proximité d’une école, a finalement abouti à l’ajout d’une disposition supplémentaire visant à mieux encadrer l’usage de ces produits. Une fois de plus, le Gouvernement n’est plus dans l’action concertée, réfléchie et de long terme, mais dans la réaction pulsionnelle au fait divers, avec pour conséquence un cas typique et précipité de renforcement totalement unilatéral de nos normes, puisque aucun autre pays ne s’en préoccupe de cette manière et que l’utilisation des produits phytosanitaires est déjà très encadrée en France.

Le dispositif préconisé est extrêmement flou, puisqu’il laisse finalement aux préfets le soin, en cas de litige, d’apprécier si les protections utilisées sont adéquates ou non.

Concernant les haies, va-t-on en mesurer la largeur, l’épaisseur et la densité, pour distinguer une haie apte à protéger une école contre une pulvérisation d’une qui est insuffisante pour protéger une maison de retraite ? Les préfets, dont les services contrôlent déjà, et ce dans des conditions de plus en plus tendues, l’application d’Écophyto 2008, ainsi que les dosages prescrits par l’Union européenne, apprécieront sûrement un exercice aussi inédit que celui-ci.

Pendant que nous calculerons l’épaisseur des haies, pendant que nos agriculteurs verront se multiplier les procédures judiciaires d’associations ou de voisins à leur encontre, des produits issus de pays où les avions épandeurs de pesticides se moquent d’arroser des villages entiers continueront d’être vendus chez nous.

Comme tout un chacun, j’ai à cœur le respect de l’environnement et la protection de la santé publique…

M. Stéphane Le Foll, ministre. Ah !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …mais je dénonce l’hypocrisie politique majeure qui consiste à s’émouvoir de l’usage des pesticides sur notre territoire tout en ouvrant grand nos marchés à des concurrents qui n’ont pas vos états d’âme.

Je considère que les lourds efforts nécessaires à la limitation de leur emploi méritent des protections commerciales adaptées, au nom d’une justice sociale qui ne doit pas se réduire à un slogan politique.

À titre d’exemple, faisons un petit état des lieux en Vaucluse – vous me pardonnerez ce choix partial.

Le Vaucluse est le premier département producteur de cerises de notre pays.

M. Guillaume Larrivé. Il y a l’Yonne, aussi !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Mettons-nous un instant dans la peau de l’un de ses petits producteurs. Sans même évoquer les aléas climatiques qui ne l’ont pas épargné, celui-ci a dû, ces trois dernières années, assurer sa formation et celle de ses employés dans le cadre d’Écophyto ; essayer de maîtriser de nouveaux produits en remplacement d’un insecticide désormais interdit par l’Union européenne et ce avec des résultats très inégaux et une utilisation complexe ; tenir compte de la modification concernant les exonérations de charges sur les salaires des saisonniers ; s’adapter à l’interdiction de l’utilisation des échelles et escabeaux ; se soumettre à d’éventuels contrôles sur le respect des précédents points.

Il doit ensuite se préparer à la mise en place du compte pénibilité pour les saisonniers l’année prochaine – même simplifiée, elle restera complexe pour les petites structures que sont les exploitations agricoles. Enfin, si l’article 23 est voté en l’état, il devra s’assurer que la haie qui sépare l’un de ses vergers d’une maison de retraite et d’une résidence est bien conforme à une norme qui n’est pas fixée.

Tout cela n’est d’ailleurs qu’une petite partie de l’iceberg réglementaire auquel se heurte une profession fragilisée et découragée.

Pendant ce temps, ce producteur déplore que ses concurrents espagnols fassent fi de l’application de certaines réglementations européennes ; pendant ce temps, il voit ses concurrents turcs proposer aux grossistes, sans droits de douane, des cerises à 1 euro le kilo, quand le coût de production des siennes avoisine les 2 euros. Afin de ne pas gâcher sa journée, il évite alors de se rappeler que le salaire minimum turc est de 425 euros par mois et qu’un hectare de cerisiers demande plus de 500 heures de travail par an.

Pour faire face aux contraintes évoquées plus haut, un technicien pourrait lui suggérer d’investir, pour replanter autrement certaines parcelles : espacement, panachage de variétés, taille plus basse. L’idée est séduisante, d’autant qu’une partie du verger vieillit, mais elle se heurte à la précarité de sa situation : planter, c’est s’endetter plus, alors qu’il n’a pas encore remboursé ses précédents emprunts. S’il allume son ordinateur et tombe sur le texte que nous sommes en train d’examiner aujourd’hui, il découvrira que non seulement celui-ci n’apporte aucune solution à ses principaux problèmes, mais qu’il risque bien de les aggraver.

Adieu l’idée des investissements. Il faut quelques semaines pour changer une loi, mais cinq ans pour que les arbres atteignent leur pleine production.

Ni choc de simplification, ni choc de confiance dans ce projet de loi, qui n’est porteur d’avenir que dans son titre. C’est pourquoi je ne voterai pas ce texte.

M. le président. La parole est à M. Bruno Nestor Azerot.

M. Bruno Nestor Azerot. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, le secteur agricole fait face, en Martinique et en Guadeloupe, à de graves difficultés, alors même que l’agriculture représente en Martinique près de 12 % de la population active et 6 % du PIB régional.

La cercosporiose noire ravage depuis septembre 2010 les bananeraies martiniquaises. En outre, de nombreuses calamités de type cyclonique se succèdent. La dernière en date, la tempête Chantal, a endommagé près de 40 % des plantations bananières en juillet 2013, sans pour autant qu’une indemnisation ait pu à ce jour être dégagée pour les agriculteurs.

La question du sauvetage de nos agricultures ultramarines, indispensable économiquement, est donc ici posée. Nul doute que la réponse doive passer par une agriculture propre, durable et respectueuse de l’environnement.

Pour ce faire, face aux contraintes que nous imposent nos climats tropicaux, aux calamités bactériologiques subies par nos plantations et à la récente décision d’interdire l’épandage aérien – qui permet d’ailleurs de concourir à la saine image de notre agriculture –, j’appelle votre attention sur la nécessité de relancer la recherche d’une nouvelle variété de banane.

C’est dans cet esprit que je vous présente un amendement visant à mettre en œuvre, à titre expérimental, des recherches sur des souches résistantes à la maladie, et ce en utilisant la technique intergénique, dans le respect de la réglementation européenne en la matière. À cet égard, je précise que, dans la mesure où la banane est issue d’une souche femelle, il n’existe aucun risque environnemental.

De plus, dans le cadre de la prévision des risques climatiques, il convient de mettre en place un système d’indemnisation plus rapide et plus large pour assurer la survie de nos agriculteurs. Ce mécanisme doit intervenir tout en soulageant le budget de l’État, en répartissant le poids du risque entre les groupements de producteurs, les assureurs privés et les collectivités territoriales ou régionales.

Plusieurs amendements dont je suis cosignataire visent donc à étendre le Fonds national de gestion des risques en agriculture à l’outre-mer, tout en garantissant une répartition qui soit bénéfique aussi bien pour l’État que pour nos agriculteurs.

Par ailleurs, le Gouvernement a légitimement pris en compte l’appartenance au patrimoine culturel et gastronomique protégé en France du vin, des boissons spiritueuses et de la bière. Toutefois, il ne faut pas omettre nos cultures tropicales, françaises elles aussi. Même si elles peuvent apparaître exotiques depuis l’Hexagone, elles constituent, tout autant que les autres, une véritable richesse culturelle, traditionnelle et patrimoniale pour nos concitoyens français d’outre-mer et pour la France.

Enfin, la dimension sociale du secteur agricole est ferme mais juste outre-mer, et ce grâce à la qualité du dialogue social. Cependant, les nombreuses autorités syndicales, très présentes localement, ne sont pas reconnues officiellement au niveau national. Dans un souci de justice, il convient de corriger cette anomalie.

Le secteur agricole antillais, dont l’impact économique et social est considérable, est en définitive une entreprise dynamique, s’attachant à produire proprement et durablement, qui nécessite impérieusement la participation des pouvoirs publics à ses projets visant à assurer sa survie, notamment face aux calamités climatiques et bactériologiques.

Monsieur le ministre, c’est donc avec conviction et détermination que je soutiens ce projet de loi agricole. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Massat.

Mme Frédérique Massat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, après les outre-mer, permettez-moi de vous parler de la montagne, ce qui ne choquera personne dans cet hémicycle,…

M. Germinal Peiro, rapporteur. En effet !

Mme Frédérique Massat. …afin de rappeler la contribution, sur des enjeux importants, qu’ont apportée au texte mes collègues députés de la montagne. L’agriculture, l’élevage et la sylviculture dans les territoires de montagne sont en effet des enjeux auxquels, monsieur le ministre, vous avez été sensibilisé au cours du débat parlementaire, puisqu’ils ne figuraient pas dans la version initiale de ce texte.

L’agriculture, l’élevage et la forêt de montagne sont des composantes à part entière de la production agricole et forestière globale de la France, mais elles présentent des particularités, comme le handicap constant que représentent les multiples surcoûts liés aux caractéristiques géophysiques du milieu – pente, altitude, climat – qui doivent impérativement être reconnues pour être surmontées et assurer à ces territoires une véritable égalité des chances.

Le texte s’est donc, dès la première lecture à l’Assemblée, enrichi de l’adoption de nombreux amendements « montagnards » particulièrement importants et qui ont été maintenus au Sénat. Nous nous en félicitons. Plusieurs d’entre eux ont été définitivement adoptés, puisqu’ils modifiaient des articles votés conformes par le Sénat. Nous devons rester vigilants sur ceux qui se rattachent à des articles encore en débat, mais je ne doute pas qu’ils soient pérennisés.

Permettez-moi un rappel rapide des différents apports « montagnards » au texte, afin d’appeler votre attention sur la nécessité d’en préserver non seulement l’esprit, mais aussi la lettre.

Il y a tout d’abord l’affirmation de la place stratégique des secteurs de l’élevage et du pastoralisme dans la conduite de la politique du développement rural, et d’une volonté de maintenir un nombre d’actifs agricoles en adéquation avec les enjeux d’aménagement et d’entretien du territoire. Je constate avec satisfaction que la réécriture de cet article par notre rapporteur a permis de préserver ces avancées importantes : merci, monsieur le rapporteur.

Ce droit à la différence montagnarde apparaît aussi dans les modalités de concertation, au niveau national, avec le siège accordé à un représentant du Conseil national de la montagne au sein du Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire, ou bien, au niveau local, avec l’attribution d’un siège dans les départements de montagne à un élu d’une commune ou d’un EPCI de montagne dans les commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. La montagne aura aussi son mot à dire, par l’intermédiaire des comités de massif, dans l’élaboration des plans régionaux d’agriculture durable.

Je citerai également, à l’article 16 et grâce à M. le ministre, l’exigence d’une surface minimale d’assujettissement nettement moindre en montagne par rapport à la moyenne nationale. Nous avions déposé un amendement dans ce sens, qui avait été jugé irrecevable au titre de l’article 40, mais le Gouvernement l’a repris, ce qui a permis de l’inscrire dans le texte. Merci de cette avancée pour la montagne.

Enfin, et sans prétendre à l’exhaustivité, j’évoquerai l’utilité de la reconnaissance, à l’article 29, du rôle joué par la forêt en montagne dans la prévention des risques naturels gravitaires et pour la fixation des sols, justifiant une politique publique en la matière. Sur ce point, je remercierai le rapporteur pour avis, M. Caullet, qui nous a permis d’avancer dans ce domaine.

Toutes ces dispositions, introduites par l’Assemblée, ont été confirmées par nos collègues sénateurs, lesquels en ont même renforcé la teneur en affirmant l’apport du pastoralisme à la montagne et en introduisant un article développant les possibilités de tir contre les loups, avec la création de zones de protection renforcée. Je soutiens mes collègues sénateurs, qui ont rappelé la volonté des élus que soit renégocié le statut de protection du loup.

À ce propos, monsieur le ministre, vous avez annoncé devant la Haute assemblée que vous vous engagerez à travailler avec votre homologue italien pour élever ce débat au niveau communautaire.

La question des grands prédateurs devient, en effet, un dossier envahissant et lourd, comme l’atteste la mobilisation de nos éleveurs qui expriment ainsi leur exaspération face aux problèmes de plus en en plus nombreux posés, non seulement par les loups, mais aussi par les ours et les vautours.

Concernant ces derniers, nous assistons d’ailleurs à un changement de comportement : de charognards, ils sont devenus prédateurs. Des expertises vétérinaires du laboratoire départemental de l’Ariège confirment l’attaque de brebis en parfaite santé.

Il est urgent, monsieur le ministre, de prendre des mesures pour protéger les troupeaux car c’est l’équilibre économique et territorial de nos territoires de montagne qui sera remis en cause avec l’abandon de l’élevage, le repli pastoral, la fermeture des milieux et la disparition des filières locales.

Concernant les loups, le message semble avoir été entendu, puisque la ministre de l’écologie a fait des annonces sur les modalités d’application pour l’année en cours, permettant notamment de majorer de 50 % le nombre de retraits autorisés, fixé à 24, si ce plafond n’était pas atteint.

Les zones de protections renforcées doivent permettre d’atteindre le nombre de retraits autorisés qu’il convient de considérer désormais comme de réels objectifs quantitatifs de régulation.

Comme vous l’aviez signalé et annoncé, le Gouvernement a proposé une réécriture de l’article 18 bis, voté par le Sénat, que la commission a adoptée. Le texte maintient l’existence de zones de protection renforcée, mais en atténue la portée. Il faut continuer à travailler sur ce dossier, monsieur le ministre, bien entendu avec la ministre de l’écologie.

Permettez-moi, pour terminer, d’évoquer la chasse, les chasseurs et les fédérations de chasse.

En commission, vous avez accepté mon amendement relatif aux associations communales de chasses agréées, ce dont je vous remercie, de même que M. le rapporteur.

Lors de l’examen d’un certain nombre d’amendements, vous vous êtes engagé à ce que l’on puisse mener un travail avec votre cabinet, avant cette deuxième lecture, afin de lever un certain nombre d’ambiguïtés et d’incertitudes. Cela a été fait. Il ne reste plus qu’à traduire ces avancées dans la loi, afin de les concrétiser. Nous vous faisons confiance.

Maintenant, la balle est dans votre camp. Un certain nombre de mes collègues présents dans cet hémicycle comptent sur vous pour transformer l’essai. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues : crise de l’élevage, déficit d’installations, terrible déprise agricole dans certaines zones… Force est de constater que de nombreux agriculteurs sont dans une situation de désespérance absolue.

Cette loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt suscitait quelques espoirs. Sur le terrain, la désillusion est grande.

S’il est évident que l’environnement doit avoir sa place dans l’agriculture, cela ne doit pas se faire au détriment de la performance économique. Or, si l’écologie est bien présente dans ce projet de loi, la place de l’économie n’est pas suffisante.

Je rappelle que, depuis deux ans, le Gouvernement et la majorité mettent à mal le secteur agricole : suppression de la TVA compétitivité que nous avions instaurée et qui aurait pu bénéficier à 94 % des entreprises du secteur ; baisse significative des crédits budgétaires en loi de finances, qui touche notamment les aides à l’installation, à la modernisation et au redressement des exploitations en difficulté ; hausse des charges en raison de la réforme du dispositif relatif aux travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi.

Il est pourtant urgent de renforcer la compétitivité de la France dans le domaine agricole. Nos concitoyens ne comprennent pas que notre pays importe du lait – ce ne sont pas les épouses d’agriculteurs qui nous écoutent depuis les tribunes qui me contrediront –, la moitié de ses fruits et de ses légumes, plus de 20 % de sa consommation de viande bovine, ou encore la majeure partie de sa consommation de viande ovine.

M. Germinal Peiro, rapporteur. Exactement !

M. André Chassaigne. Qui est responsable ?

M. Dino Cinieri. Notre pays est passé, en quelques années, du deuxième au cinquième rang mondial pour les exportations agroalimentaires, derrière les États-Unis, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Brésil.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Par votre faute !

M. Dino Cinieri. La France a pourtant un potentiel énorme.

Il y a quelques semaines, avec vingt-cinq députés, nous avons rencontré Jean-Pierre Klein, pomiculteur de la Loire et représentant de l’association Les Balcons du Mont Pilat.

Il nous a rappelé qu’en dix ans le secteur arboricole a perdu 30 % de ses exploitants et un cinquième de son verger. De premier exportateur mondial de pommes dans les années 2000, la France est passée à la septième place aujourd’hui, alors que les marchés mondiaux sont en expansion.

M. André Chassaigne. La grande distribution n’y est-elle pas pour quelque chose ?

M. Dino Cinieri. Laissez-moi terminer, cher collègue.

Nous avons tous conscience que les agriculteurs français, toutes filières confondues, sont déjà très pénalisés par le coût du travail qui est beaucoup plus cher en France que chez nos voisins européens, mais il s’avère que le mille-feuille réglementaire les étouffe également.

Nous sommes nombreux à vous avoir déjà posé des questions écrites à ce sujet, monsieur le ministre, notamment concernant l’interdiction absurde de cueillir une pomme sur un escabeau, sur une échelle ou même sur un marchepied.

Mme Brigitte Allain. Cela relève d’une réglementation plus ancienne !

M. Dino Cinieri. Il est évident qu’il est essentiel de protéger la santé des agriculteurs et de leurs salariés, néanmoins la réglementation française ne doit pas plonger les producteurs dans des situations inextricables.

Réaliste, une réglementation est applicable ; déconnectée des réalités, elle peut s’avérer très dangereuse pour les acteurs économiques et pour l’économie nationale tout entière.

Le Président de la République promettait un choc de simplification mais, une fois de plus, nous en sommes bien loin : obligation de déclaration sur les engrais azotés, obligation de déclaration préalable avant le départ en retraite, ou encore obligations accompagnant le bail environnemental qui imposent des contraintes supplémentaires pesantes pour les agriculteurs.

M. Germinal Peiro, rapporteur. Ah non !

M. Dino Cinieri. Alors que la simplification de l’exercice de leur activité et de leur installation est une revendication récurrente des agriculteurs, toutes filières confondues, vous créez un encadrement administratif encore plus strict et vous complexifiez les démarches.

Nous aurions dû nous pencher sur l’application de la loi sur l’eau, par exemple, car les zones humides souffrent terriblement de sa mauvaise interprétation et de son application irréfléchie.

Nous avons longuement parlé des produits phytosanitaires en commission ; je ne doute pas que nous y reviendrons demain. Vous pourrez ainsi nous préciser, monsieur le ministre, la manière dont vous comptez financer les haies et les dispositifs anti-dérive qui devront être installés sur les exploitations situées à proximité des écoles, crèches, centres de loisir, parcs, jardins et établissements médico-sociaux.

Les agriculteurs n’étant pas responsables de la délivrance des permis de construire, il est impensable de faire peser sur eux cette dépense supplémentaire.

J’aurai également l’occasion, un peu plus loin dans nos débats, d’évoquer les difficultés rencontrées par les éleveurs de chiens et chats de race qui ont subi une hausse brutale de la TVA accentuant considérablement la distorsion de concurrence face aux particuliers qui revendent leurs chiens et leurs chats.

Votre texte, monsieur le ministre, comporte de réelles améliorations des dispositifs existants, mais il s’agit finalement plus d’un toilettage que d’une véritable loi d’avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Pellois.

M. Hervé Pellois. Je voudrais tout d’abord vous saluer, monsieur le ministre, pour votre esprit d’ouverture sur des sujets sensibles que la loi avait, au départ, abordés avec prudence.

Lors de la première lecture du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, nous avons été nombreux à vous interroger sur la pertinence de la réglementation des préparations naturelles peu préoccupantes, comme le purin d’ortie, le vinaigre ou l’ail.

En effet, en France, contrairement à ce qui se passe dans certains pays voisins, comme l’Espagne ou l’Allemagne, les PNPP sont considérées comme des produits phytosanitaires. De cette classification découlent des procédures d’homologation très rigoureuses et contraignantes qui entraînent un coût financier extrêmement lourd. L’association pour la promotion des PNPP estime que le coût moyen d’un dépôt de dossier atteint 40 000 euros en France, contre 300 euros en Allemagne.

Alors que le plan Écophyto a fixé l’objectif de réduire de 50 % l’utilisation des pesticides d’ici à 2018, cette complexité juridique est difficilement compréhensible pour les agriculteurs et les autres utilisateurs. De surcroît, elle est contraire à notre volonté commune d’agir pour l’agro-écologie.

Cette deuxième lecture constitue une remarquable avancée vers la mise en place d’une réglementation spécifique et adaptée à la reconnaissance des PNPP. À cet égard, je tiens à saluer votre action, celle de notre rapporteur, Germinal Peiro, ainsi que celle des associations.

Cette deuxième lecture constitue également une belle avancée pour les 8 000 agents des chambres d’agriculture. Lors de la première lecture, au mois de janvier dernier, nous avions relevé plusieurs failles dans l’articulation entre le statut de ces personnels et le code du travail. Je rappelle que les salariés des chambres d’agriculture appartiennent, pour 70 % d’entre eux, au secteur privé. Les conditions dans lesquelles le dialogue social pouvait avoir lieu au sein de ces établissements étaient relativement floues.

Afin de légiférer vertueusement et efficacement, vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à nous remettre un rapport sur le sujet.

Nos collègues sénateurs ont pu faire évoluer le texte, avec la suppression de la représentativité du syndicat des directeurs de chambres d’agriculture et l’instauration d’une nouvelle règle de vote au sein de la commission nationale paritaire. Nous avons poursuivi en ce sens en commission, notamment en ce qui concerne la protection des représentants des salariés, la clarification des principes permettant le dialogue social et la mise en place de nouvelles règles de mesure d’audience au niveau régional.

Je vous demande encore un petit effort, monsieur le ministre, pour prendre en compte le code du travail comme base minimale applicable pour tous les salariés de ce secteur. Nous vous soumettrons d’ailleurs un amendement allant dans ce sens.

En première lecture, j’avais commencé mon intervention dans la discussion générale en soulignant que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt entraînerait des avancées importantes pour notre pays ; je ne vois pas meilleure conclusion.

Comme le rappelle parfaitement Olivier de Kersauson – en Bretagne, la solidarité entre les paysans et les marins existe –, « toutes les idéologies politiques qui ont voulu modifier le monde paysan ont échoué parce que le monde agricole ne peut être géré par des théories. Il est régi par la réalité. » C’est ce principe de réalité qui a dicté votre action et celle du législateur. Alors oui, monsieur le ministre, chers collègues, cela promet de belles avancées pour notre pays et nous sommes fiers d’y avoir contribué. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Marianne Dubois.

Mme Marianne Dubois. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt nous arrive en deuxième lecture.

Notre pays est à un tournant en matière agricole car il a perdu en compétitivité. Les décisions que nous prenons aujourd’hui devraient nous permettre de nous ressaisir vis-à-vis de nos voisins européens. Ce projet de loi se devait donc d’être ambitieux. Or il ne l’était pas en première lecture et je crains qu’il ne le soit pas davantage.

Pourtant, les agriculteurs sont inquiets. Ils ont toutes les raisons de l’être car, selon des données de la Commission des comptes de l’agriculture de la nation publiées récemment, les revenus agricoles ont reculé de plus de 22 % en 2013.

Faut-il rappeler une nouvelle fois les vicissitudes normatives et administratives dont sont victimes nos agriculteurs ? Or ce texte ne cherche pas à les alléger. Tout au contraire, il en rajoute, alors que le hasard du calendrier parlementaire fait que nous engageons l’examen du projet de loi sur la simplification de la vie de nos entreprises. Pourquoi donc nos exploitations agricoles et le secteur agroalimentaire ont-ils droit à ce traitement de défaveur ?

Autre sujet d’inquiétude qui suscite de nombreuses interrogations : celui de la pénibilité.

Si les agriculteurs connaissent bien la pénibilité dans leur vie quotidienne, la mise en place du compte pénibilité n’est pas sans soulever un certain nombre de difficultés d’application, notamment pour les petites structures qui ne disposent pas des moyens techniques pour réaliser les formalités envisagées.

La question de l’appréciation des seuils de déclenchement soulève un problème mais le Premier ministre a annoncé mercredi dernier que seuls quatre des dix facteurs de risque listés au départ seraient pris en compte dès le 1erjanvier 2015 dans la mesure de la pénibilité, tandis que les autres ne le seront qu’à partir de 2016. Voilà qui manifeste encore un décalage entre un principe et son application sur le terrain, eu égard notamment à sa charge financière.

Continuons cet inventaire, avec un sujet qui, si vous n’y prenez garde, fera réapparaître les fourches sous les fenêtres de vos ministères : celui des produits phytosanitaires.

Sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime prévoit que l’autorité administrative peut interdire ou encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires dans certaines zones, notamment celles qui sont utilisées par le grand public ou des groupes vulnérables – parcs, jardins publics, terrains de sport, terrains scolaires, ou encore établissements de soins –, mais aussi celles qui sont protégées par le code de l’environnement et celles, récemment traitées, utilisées par les travailleurs agricoles.

Le Sénat a ajouté à cette liste les zones à proximité des habitations. En mai dernier, une ministre a annoncé que l’utilisation des produits phytosanitaires pourrait être interdite dans un rayon de 200 mètres autour des habitations. Certes, le sujet ne figure pas dans ce texte, mais vous pouvez imaginer à quel point il a affolé le monde agricole. Si cette disposition devait voir le jour, certaines exploitations situées dans ma circonscription se verraient amputer de près de la moitié de leur surface.

M. le Premier ministre déclarait, ce week-end, avec emphase : « La France est entravée, coincée, tétanisée ». Effectivement, sous certains aspects, elle peut l’être, mais elle le sera davantage encore, demain, avec votre projet de loi. Les paroles et les constats sont faciles ; les actes pour remédier à cette situation beaucoup moins.

Mes chers collègues, souvenez-vous de ces cartes affichées dans les écoles, représentant le grenier à blé de la France, les métiers ruraux et la richesse agricole de nos terroirs. Elles nous faisaient rêver. Les moissons ont commencé, notamment en Beauce et en Gâtinais. Comme chaque année, j’y participerai aux côtés de nos agriculteurs, mais cette fois, les conversations ne seront pas joyeuses, tant ce projet de loi les préoccupe.

Votre texte, je le redis, n’a que l’ambition de son titre : c’est une loi, non d’avenir, mais de l’instant. La seule démonstration que vous êtes parvenus à faire est celle d’une forme de mépris pour les femmes et les hommes qui entretiennent et valorisent nos territoires ruraux ; ils veulent vivre décemment et sereinement de ce métier qu’ils aiment. Or comment cela serait-il possible, alors que régulièrement de nouvelles réglementations leur sont imposées ? Comment pourraient-ils vivre sereinement, alors qu’ils sont suspectés à chaque fois qu’ils utilisent une machine agricole dans leur champ ? Comment peuvent-ils avoir confiance dans l’avenir et dans cette loi d’avenir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, je souhaite, comme je l’avais fait lors de l’examen de ce texte en première lecture, saluer le travail et l’ambition du Gouvernement sur certaines dispositions tant attendues par nos populations.

En recueillant l’ensemble des suffrages de la majorité présidentielle, ici comme au Sénat, ce texte a démontré notre capacité à dégager un consensus afin d’offrir des perspectives durables aux filières agricoles, agroalimentaires et sylvicoles, leviers de la compétitivité économique, sociale et environnementale de nos régions. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne nos territoires ultramarins.

La présence, au sein de ce texte, d’un titre spécifique consacré aux territoires ultramarins est la preuve que le Gouvernement a pris toute la mesure des enjeux de nos territoires, où les acteurs locaux doivent s’organiser en tenant compte de conditions particulièrement hostiles qui affaiblissent malheureusement leur compétitivité.

L’adaptation du contrat de génération au contexte ultramarin est ainsi particulièrement bienvenue. L’âge limite d’accès au contrat de génération, fixé à trente-cinq ans, contre trente ans sur le reste du territoire français, démontre bien notre ambition de lutter contre le chômage endémique des jeunes, qui atteint la barre des 50 % dans le département de la Guyane.

La création des groupements d’intérêt économique et environnemental devrait permettre de concilier performance économique et environnementale, en prenant mieux en compte, par exemple, la réalité qu’est l’agriculture vivrière et familiale, de type abattis, encore largement dominante dans une partie des outre-mer.

La création du Comité d’orientation stratégique et de développement agricole reflète également notre volonté d’associer l’ensemble des acteurs d’un même territoire – à savoir l’État, les collectivités, les organisations professionnelles et la chambre d’agriculture – au processus d’élaboration des politiques agricoles.

En effet, si le bois me semble quelque peu délaissé par ce texte – j’avais déjà dit que j’en étais désolé lors de mon intervention de janvier dernier –, le programme régional de la forêt et du bois déterminera avec une plus grande précision les performances techniques des différents bois, qui constituent une ressource abondante, mais encore sous-exploitée en Guyane, notamment dans le secteur de la construction, qui demeure le poumon de notre économie locale.

Vous me permettrez, monsieur le ministre, de profiter de mon discours à cette tribune pour appeler votre attention sur deux questions propres à la Guyane et qui me paraissent si importantes qu’elles pourraient mériter que des outils législatifs spécifiques soient conçus pour y répondre.

Premièrement, j’aimerais évoquer la réalité de l’exploitation de la ressource sylvicole en Guyane, qui me paraît particulièrement préjudiciable dans un territoire où la forêt est omniprésente et qui accuse, au regard de l’Hexagone, un important retard dans son développement. La filière sylvicole guyanaise ne concerne en effet, actuellement, qu’un volume annuel quelque peu dérisoire de 16 000 arbres, soit environ 65 000 mètres cubes de grumes produits, sur 850 000 hectares de forêt aménagée et dédiée. Elle est très largement bridée par des normes de production certifiée peut-être trop contraignantes et souffre d’un véritable déficit de structuration qui, hélas !, ne fait pas l’objet, dans ce projet de loi, d’une attention suffisante.

Il nous appartient de réfléchir, dans l’intérêt de la Guyane et de la France tout entière, aux conditions de reprise des recommandations de l’avis rendu en 2012 par le Conseil économique, social et environnemental, notamment en ce qui concerne les dimensions environnementales, sociales ou économiques, susceptibles de faire de l’industrie forestière l’un des leviers de développement de ce territoire français d’Amazonie.

Deuxièmement, je souhaite revenir sur la question du foncier, qu’il soit d’usage agricole ou non. Nous, élus Guyanais, n’avons de cesse que de rappeler l’absurdité de la situation que nous vivons en la matière. Comment admettre que ce territoire, aussi grand que le Portugal, mais peuplé de moins de 300 000 âmes, souffre d’une pression foncière insupportable, car comparable à celle observée sur la Côte d’Azur ?

Les raisons en sont multiples. D’abord, 90 % du territoire relèvent du domaine privé de l’État. Ensuite, la situation est aussi la conséquence d’un manque criant de moyens humains : les services de France Domaine, du cadastre ou encore de la DAAF – la direction de l’agriculture et de la forêt – n’ont pas des effectifs suffisants. En matière agricole, enfin, la mise à disposition du foncier pour les exploitants est rendue plus difficile. En effet, le foncier est géré, non par une SAFER, mais par l’outil législatif ad hoc que constitue l’EPAG, l’établissement public d’aménagement de la Guyane.

Les compétences de ce dernier dépassent largement le domaine agricole. Il octroie un très fort pouvoir décisionnel aux communes, tout en péchant par l’absence de représentants des filières agricoles, pourtant les premières concernées. Nous espérons que les nouvelles dispositions retenues seront de nature à renforcer les conditions de transparence de l’attribution de foncier en Guyane, afin d’atténuer les frustrations observées çà et là.

Si je vous en parle ici, monsieur le ministre, c’est parce que j’entrevois l’urgence de nous atteler à la résolution pacifiée de cette question. Sachez, en tout cas, que nous comptons fortement sur l’appui et l’aide du Gouvernement, afin que la gestion du foncier ne soit pas source de frustrations et de troubles sociaux.

Je terminerai mon propos en rappelant l’immensité des défis liés aux réalités de cette immense forêt amazonienne. Je pense notamment à l’orpaillage clandestin, à la lutte contre le biopiratage, ou encore à l’accès et au partage des avantages tirés de la biodiversité, qui seront certainement abordés par le projet de loi-cadre sur la biodiversité, que nous examinerons dans quelques semaines. Nous sommes d’ores et déjà persuadés de la nécessité de réaffirmer la place des régions ultramarines, particulièrement de l’Amazonie, en tant que véritables atouts pour la République.

Monsieur le ministre, vous avez prêté une oreille attentive à nos propositions lors de nos discussions en commission. C’est pourquoi, dans une relation de confiance, je soutiendrai sans réserve ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture, qui, à mon sens, est une pierre de plus dans la construction d’une République plus juste et mieux préparée aux défis de demain. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDRSRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Fabre.

Mme Marie-Hélène Fabre. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, vous comprendrez qu’en prenant la parole aujourd’hui, je ne puisse rester silencieuse face à la catastrophe climatique, extraordinaire par son ampleur, qui s’est abattue hier après-midi sur le département de l’Aude. Un phénomène climatique d’une violence extraordinaire a en effet anéanti un tiers du vignoble audois, laissant des parcelles de vignes entièrement saccagées pour plusieurs récoltes à venir, sans compter les dégâts importants causés aux infrastructures commerciales et agricoles.

Selon les informations recueillies, quelque 15 000 hectares du vignoble audois ont été durement affectés, certaines parcelles ayant été détruites en totalité. Les pertes vont de 80 % à 100 % de la future récolte.

Face aux conséquences dramatiques de ce phénomène, permettez-moi d’exprimer toute ma solidarité à l’égard des viticulteurs et des particuliers affectés par cette calamité. En mon nom et au nom des parlementaires audois, députés et sénateurs, je tenais à vous alerter sur cette situation sans précédent pour notre vignoble.

Monsieur le ministre, nos craintes sont tout aussi importantes de voir nombre de viticulteurs rester au bord du chemin, ce qui entraînerait une perte d’activité définitive pour un grand nombre d’acteurs économiques locaux. Vous comprendrez qu’au-delà des récoltes perdues, de nombreux hectares de vignobles pourraient disparaître à tout jamais.

Aussi je vous demande, avec mes collègues parlementaires – les députés Jean-Paul Dupré et Jean-Claude Perez et les sénateurs Roland Courteau et Marcel Rainaud –, de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour faire face au désastre économique auquel la viticulture audoise est confrontée. Je ne saurais, à ce micro, que relayer l’invitation des professionnels et des parlementaires audois à venir mesurer sur place l’ampleur des dévastations occasionnées par ce phénomène climatique.

Comme le rappellent ces événements, les métiers de l’agriculture et de la viticulture restent des entreprises difficiles. Ce texte nous offre l’occasion de mettre à l’honneur une population et des territoires qui ont parfois le sentiment d’être relégués au second plan des préoccupations nationales. Or l’enjeu est réel.

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des progrès déjà matérialisés au cours du processus d’élaboration de ce texte.

Le projet de loi tend à préserver le foncier agricole, de manière à répondre à la difficulté grandissante, pour les agriculteurs, d’y accéder. Nous avons considérablement renforcé le rôle des SAFER et les instruments mis à leur disposition pour juger de l’organisation de l’occupation du foncier agricole.

Je me félicite que nous ayons adopté en commission des dispositions précisant les règles d’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des lieux accueillant des personnes sensibles, telles que les enfants, les femmes enceintes ou les personnes âgées.

Je voudrais également me féliciter de dispositions cruciales adoptées pour mieux valoriser les productions et à les associer à leur terroir. En renforçant les produits sous des signes de qualité tels que les AOC et les IGP, nous allons simplifier les procédures de reconnaissance. Par ailleurs, les organismes gérant les appellations d’origine et les indications géographiques protégées auront le droit de s’opposer au dépôt d’une marque pouvant les léser. Le projet renforce la légitimité des interprofessions pour organiser les filières et optimise le modèle coopératif en améliorant l’accès, pour tout adhérent, à l’information sur les produits et les transactions commerciales.

J’aurais souhaité pour ma part que l’on reconnaisse mieux et que l’on encadre plus précisément l’entraide familiale. Le vide juridique dans lequel elle est maintenue génère encore trop de contentieux qui me semblent largement évitables.

Comme vous l’aurez compris, mes chers collègues, à quelques réserves près, je soutiens ce texte. Montesquieu aimait les paysans car ils n’étaient pas « assez savants pour raisonner de travers », disait-il. Rendons-leur hommage en ne laissant pas plus longtemps le champ législatif en jachère. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Monsieur le ministre, à l’occasion de votre venue à Saint-Malo, le 5 décembre 2013, vous aviez réaffirmé votre soutien aux techniques innovantes qui nécessitent une ambition politique forte et un élan nouveau pour permettre la mise en place de nouveaux modèles agricoles performants et durables.

La loi d’avenir pour l’agriculture, après son passage au Sénat, maintient des dispositions incitatives fortes pour les entreprises productrices de produits de biocontrôle. À ce titre, les perspectives de création d’emplois sont encourageantes ; elles font de notre agriculture un secteur porteur d’avenir, un fleuron de notre économie, mais aussi l’un des secteurs les plus traditionnels de notre pays.

C’est sans doute ce qui est à l’origine de notre profond attachement envers les agricultrices et agriculteurs qui font vivre notre pays. La loi d’avenir pour l’agriculture que vous nous présentez doit recueillir la confiance du monde agricole si nous voulons qu’elle soit un succès. Pour cela, je demeure convaincu que ce sont les professionnels, les agriculteurs eux-mêmes qui perçoivent le mieux les adaptations nécessaires à la réussite de leur métier.

Le projet de loi est caractérisé par une idée fondatrice, qui est le fil conducteur de tout le texte : l’agro-écologie et la double performance économique et environnementale.

La loi favorise les entreprises orientant leur production vers le biocontrôle, mais les agriculteurs savent mieux que quiconque travailler avec leur environnement et en tirer le meilleur profit par la recherche permanente d’un équilibre entre production et préservation de leur outil de production. Ils le savent parfaitement et les formations dispensées dans nos établissements agricoles accordent une large place au volet agro-environnemental. À ce titre, je regrette l’inflation de prescriptions environnementales que comporte le texte et la complexification à outrance qui entretiennent malheureusement la suspicion à l’égard des agriculteurs.

Ce dont nous avons besoin, c’est un véritable choc de simplification. Or, au lieu de simplifier, le texte impose au monde agricole des normes nouvelles, comme les déclarations d’azote exigées des distributeurs et des transporteurs ou le bail environnemental. Il s’agit d’une mesure parfaitement contre-productive relevant d’une conception punitive de la production agricole et de l’écologie. Elle aura pour conséquences la réduction de l’accès au foncier de nos agriculteurs et la rupture du lien de confiance indispensable à la réussite de toute loi agricole. Quant aux pesticides, nous avons la volonté commune d’en réduire l’utilisation, mais les agriculteurs n’ont pas attendu la loi pour s’adapter et utiliser de façon optimale ce type de produit, car ils savent qu’en faire une utilisation excessive et irraisonnée détruirait leur outil de travail.

Un tel empilement de contraintes a un coût : un coût de production pour les exploitants agricoles, qui constitue toujours in fine un lourd tribut pour l’emploi, comme le sait trop bien le secteur porcin. En effet, le décrochage de la production a une nouvelle fois marqué l’actualité en 2013 lors de la fermeture d’un site d’abattage en Bretagne, ce qui fut un véritable drame social, avec près de 900 licenciements.

Je demeure également perplexe à propos de la création des groupements d’intérêt économique et environnemental, même augmentés d’une dimension sociale par le Sénat. Leur mise en œuvre, renvoyée à des décrets, ne nous donne aucune vision précise de ce nouveau modèle. Je crains malheureusement que leur création ne complexifie encore l’organisation de notre agriculture.

Le texte leur accorde une majoration des aides publiques, comme si seuls les agriculteurs associés au sein d’un GIEE allaient faire des efforts en matière de développement durable. Cela revient à nier tous les efforts que la profession agricole a accomplis au cours des dernières années, à exclure ceux qui ne choisiront pas une telle organisation et à opposer les différents modes d’organisation.

L’agriculture française présente une composition diversifiée dans laquelle des petits agriculteurs, à côté d’exploitations de grande taille, contribuent, grâce à la qualité et à la diversité de leur production, au dynamisme de notre agriculture, tout en créant de nombreux emplois.

Comme je l’indiquais lors de la première lecture, je crains malheureusement que le projet de loi n’oublie ces petits producteurs qui maillent nos territoires ruraux. Leur diversité, celle des hommes et des femmes, celle des climats et des modes de production, façonne nos territoires. Notre tissu rural, déjà touché par un taux de suicide record, a besoin de lisibilité et d’encouragements.

Quelques points retiennent cependant mon attention, comme la généralisation des procédures de médiation, sur laquelle j’ai donné mon avis lors de la première lecture, et la reconnaissance du vin comme partie intégrante du patrimoine culturel, gastronomique et paysager protégé de la France et des spiritueux et bières comme produits des traditions locales. De même, les dispositions proposées pour la protection de la forêt me semblent susceptibles de garantir son renouvellement, tout comme la pérennisation de la production de bois. Quant au volet sur la chasse, la réforme du statut de l’animal qu’il comporte suscite mon inquiétude. L’amendement déposé par M. Glavany visant à préciser dans le code civil que l’animal est un être vivant doué de sensibilité inquiète fortement les agriculteurs, les éleveurs et les chasseurs, en particulier les chasseurs de gibier d’eau de la baie du Mont-Saint-Michel.

Mme Brigitte Allain. Il faut toujours respecter les animaux !

M. Gilles Lurton. Un tel amendement fait peser une fois de plus la suspicion sur les agriculteurs. La chasse, quant à elle, est une activité de régulation nécessaire et complémentaire, visant à prévenir les dégâts agricoles et forestiers.

En fin de compte, les agriculteurs aspirent à un modèle simplifié, respectueux de leur environnement et leur permettant de vivre de leur production. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly