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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Deuxième session extraordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 17 septembre 2014

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Politique du Gouvernement

Mme Laure de La Raudière

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Mesures fiscales

M. Laurent Grandguillaume

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Universités

Mme Gilda Hobert

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche

Discours de politique générale du mardi 16 septembre 2014

M. André Chassaigne

M. Manuel Valls, Premier ministre

Loi Croissance

M. Richard Ferrand

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Défiscalisation des heures supplémentaires

M. Olivier Marleix

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Situation en Irak

M. Gérard Terrier

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Réforme des professions réglementées

M. Rémi Delatte

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Loi ALUR

M. Christophe Cavard

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité

Difficultés des collectivités locales

M. Olivier Audibert Troin

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

Adaptation de la société au vieillissement

Mme Annie Le Houerou

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Mobilisation contre le virus Ebola

M. Stéphane Demilly

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Professions réglementées

M. Philippe Gosselin

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Professions réglementées

M. Arnaud Richard

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Permanence des soins

M. Alain Gest

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

2. Adaptation de la société au vieillissement

Explications de vote

Mme Joëlle Huillier

Mme Bérengère Poletti

M. Arnaud Richard

M. Jean-Louis Roumegas

Mme Jeanine Dubié

Mme Jacqueline Fraysse

Vote sur l’ensemble

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie

Suspension et reprise de la séance

3. Règlement du statut des groupes parlementaires

Présentation

M. Bernard Roman, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion générale

M. Éric Alauzet

M. Olivier Falorni

M. André Chassaigne

M. Pascal Popelin

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Philippe Vigier

M. Bernard Roman, rapporteur

Vote sur l’article unique

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Marc Le Fur

4. Lutte contre le terrorisme

Discussion des articles (suite)

Article 2

M. Pierre Lellouche

Amendement no 25

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Suspension et reprise de la séance

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Amendements nos 1 , 107

Avant l’article 3

Amendements nos 54 rectifié , 31 rectifié , 86

Article 3

M. Meyer Habib

Après l’article 3

Amendements nos 57 , 87

Rappel au règlement

Mme Sandrine Mazetier

Article 4

Mme Isabelle Attard

M. Nicolas Dhuicq

M. Pierre Lellouche

M. Christian Paul

Mme Marie-Françoise Bechtel

M. Alain Marsaud

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Amendements nos 8 , 69 et 142

5. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. Je vous précise qu’il n’y aura pas de suspension de séance entre ces questions et le vote solennel sur le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement.

Politique du Gouvernement

M. le président. La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Laure de La Raudière. Monsieur le Premier ministre, ce matin, à la radio, votre ministre de l’économie a traité les salariées de l’entreprise Gad d’illettrées. (Huées sur les bancs du groupe UMP.) C’est inadmissible ! Quel mépris !

Plusieurs députés de l’UMP. Scandaleux !

Mme Laure de La Raudière. Après le scandale des sans-dents, voici maintenant celui des illettrés ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Condamnerez-vous ces propos ?

M. Guy Geoffroy. Bravo la gauche !

Mme Laure de La Raudière. Hier, c’est vous qui avez méprisé le Parlement. Votre discours de politique générale a sonné creux : des belles phrases, quelques envolées, des y’a qu’à-faut qu’on, mais aucune mesure concrète en faveur de l’emploi, de l’économie, des Français. Des incantations, comme si vous attendiez, monsieur le Premier ministre, un miracle.

Vous nous dites que vous allez développer l’apprentissage. Quel culot ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Ce sont vos mesures qui, depuis 2012, l’ont fait reculer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Vous nous dites que vous allez redonner confiance aux acteurs du bâtiment et de l’immobilier. Quel culot encore ! C’est vous qui les avez assommés, avec les dispositions de la loi ALUR. (Mêmes mouvements.)

Bref, vous êtes resté flou dans votre discours de politique générale devant le Parlement, mais ce matin, vous vous êtes montré précis à la radio en annonçant la suppression de la première tranche d’impôt sur le revenu. Pourquoi un tel mépris de la représentation nationale et des Français, monsieur le Premier ministre ?

Les salariés de Gad comme tous les Français méritent votre respect, méritent le respect de tous les membres de votre Gouvernement. (Applaudissements et « Bravo ! » sur les bancs de l’UMP.)

Un député UMP. M. Macron a insulté la Bretagne. Qu’il retourne chez Rothschild !

Mme Laure de La Raudière. Depuis hier, votre majorité est toute relative au sein de cette assemblée. Elle vacille et l’on se demande comment, dans ces conditions, vous allez pouvoir faire adopter votre budget. Tel le Père Noël, tout ce que vous annoncez, ce sont des baisses d’impôt ou des dépenses supplémentaires. Mais, monsieur le Premier ministre, il faudra aussi réduire les dépenses ! Pour prouver que vous ne méprisez ni la représentation nationale, ni les Français, il est urgent de nous dire où se trouveront les coupes budgétaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. (Huées sur les bancs du groupe UMP.) S’il vous plaît, mes chers collègues, nous portons chacun la responsabilité de l’image de la représentation nationale. Écoutons la réponse.

Plusieurs députés UMP. Macron, démission !

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, madame la députée, merci de m’offrir l’occasion d’exprimer, devant la représentation nationale, deux regrets.

Le premier regret, c’est pour les propos que j’ai tenus ce matin, si j’ai blessé – et parce que j’ai blessé des salariés. C’est inacceptable et ce n’est pas ce que je voulais faire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Dans ce que j’ai pu dire ce matin, madame,…

M. Bernard Accoyer. Madame la députée !

M. Emmanuel Macron, ministre. …il y avait cet exemple de Gad, que j’ai pris précisément parce qu’il s’agit d’une injustice exemplaire. Les salariés de Gad, pour lesquels plusieurs députés ici se sont battus, dans la majorité, pour lesquels Stéphane Le Foll s’est battu, n’ont précisément pas eu la formation continue qu’ils étaient en droit d’attendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Souvent, ils n’ont précisément pas eu, c’est l’autre exemple que j’ai pris, le permis de conduire qu’on doit leur donner. Mon premier regret, mes excuses les plus plates, vont aux salariés que j’ai pu blesser, que j’ai blessés à travers ces propos.

M. Marc Le Fur. Arrêtez de les insulter !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je ne m’en excuserai jamais assez.

Une députée UMP. C’est trop facile !

M. Emmanuel Macron, ministre. Mon action sera pour eux. C’est ce que je disais ce matin.

Mon second regret, madame, il est pour vous et pour votre majorité. Parce que si vous aviez fait votre travail pendant les dix ans où vous étiez là, nous n’aurions pas eu ces difficultés. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mon regret, madame, c’est précisément qu’aujourd’hui, vous soyez révoltés par les mots, mais que vous ne soyez pas aussi révoltés par les réalités. (Mêmes mouvements.) Parce que ce qui est inacceptable, c’est le quotidien que vivent ces femmes et ces hommes, madame.

M. Claude Goasguen. Madame la députée !

M. Emmanuel Macron, ministre. C’est précisément de ne pas avoir l’éducation primaire à laquelle ils ont droit – c’est pour cela, le Premier ministre l’a rappelé hier, que nous avons mis la priorité sur l’éducation nationale. C’est précisément de ne pas avoir la formation continue à laquelle ils ont droit – c’est pour cela que nous avons fait cette réforme de la formation continue, qui va donner plus d’argent aux chômeurs et aux salariés les plus précaires. Cette réforme est essentielle et il faut aller plus loin. C’est pour cela, madame,…

M. Bernard Accoyer. Une députée de la nation !

M. Emmanuel Macron, ministre. …que nous irons plus loin : les réformes que nous mènerons seront pour eux, pour leur quotidien, parce qu’il doit être amélioré. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC, dont plusieurs membres se lèvent, et sur plusieurs bancs du groupe écologiste. Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Que chacun retrouve son calme et sa sérénité, s’il vous plaît. On a compris, vous n’êtes pas d’accord ! Mais nous passons à une autre question. Je vous demande d’être attentifs à ce que nous représentons les uns et les autres.

Mesures fiscales

M. le président. La parole est à M. Laurent Grandguillaume, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Laurent Grandguillaume. Monsieur le président, chers collègues, ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État au budget auprès du ministre des finances et des comptes publics. Comme vous le savez, la situation de nos finances publiques était, à notre arrivée, particulièrement inquiétante et plus grave encore que nous pouvions l’imaginer. L’ampleur des déficits et de la dette publique plaçait notre pays sur la voie du déclassement. Ce qui était en jeu, c’était à la fois la survie de notre modèle social, auquel nous sommes collectivement très attachés, et la souveraineté de notre pays.

Au-delà des déficits et de la dette, c’est le quotidien des Français qui est en jeu. Ces retraités qui, à l’issue d’une existence d’efforts, vivent avec une maigre pension ; ces familles modestes qui subissent de lourdes dépenses contraintes : le loyer, l’énergie, l’alimentation, les transports et les prélèvements obligatoires. Nos concitoyens se demandent le quinze du mois s’ils parviendront à boucler leur budget sans finir dans le rouge !

Les prélèvements obligatoires sur les Français n’ont cessé d’augmenter, et nous subissons encore les conséquences des décisions particulièrement injustes prises par l’ancienne majorité, notamment en 2011 avec le gel du barème. L’effort demandé aux Français par le biais de l’impôt a été de taille. Nicolas Sarkozy, dont on parle beaucoup en ce moment, avait promis de baisser les impôts de 4 points de richesse nationale : en fin de compte, il les a fortement augmentés, sauf pour les plus fortunés, grâce au bouclier fiscal – qui était une sorte de cocon fiscal.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas une question, c’est du n’importe quoi !

M. Laurent Grandguillaume. Il a augmenté les impôts de 1,3 point de PIB, soit près de 30 milliards d’euros.

Nous avons souhaité atténuer ces effets. Ainsi, le Premier ministre a annoncé des mesures portant notamment sur les plus modestes, avec la suppression de la première tranche d’imposition.

Aussi, monsieur le ministre, je voudrais avoir des précisions sur le financement et le nombre de Français qui seront concernés par cette mesure de justice fiscale et sociale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le député, comme vous l’avez souligné, le poids de l’impôt sur le revenu s’est fortement accru depuis 2009. Nous avons décidé d’entamer la réduction de l’impôt sur le revenu… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Arrêtez !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. …en concentrant notre action sur les ménages aux revenus moyens et modestes, dans le but de leur redonner du pouvoir d’achat.

M. Philippe Meunier. Pas cette année !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Ces mesures se feront en deux étapes,…

M. Philippe Meunier. Première étape : hausse des impôts ! Deuxième étape : peut-être une baisse !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. …et respecteront deux principes : l’impôt sur le revenu sera plus simple, et progressif.

L’été dernier, vous avez adopté, dans le projet de loi de finances rectificatif pour 2014, une première mesure de réduction d’impôt exceptionnelle en faveur des contribuables dont le revenu équivaut à celui des salariés recevant 1,1 fois le SMIC. Cette réduction a d’ores et déjà été mise en œuvre : elle était de 350 euros pour un contribuable seul, et de 700 euros pour un couple. Elle a permis de réduire l’impôt sur le revenu de plus de 4 millions de foyers fiscaux, parmi lesquels 2 millions auraient dû être imposés et ne l’ont pas été.

Nous allons amplifier cette mesure pour la porter à plus de 3 milliards d’euros, comme l’a précisé le Premier ministre hier. Nous allons proposer, dans le projet de loi de finances, de réformer le barème de l’impôt sur le revenu, en particulier les conditions d’entrée dans l’impôt, pour permettre l’allégement de l’impôt des contribuables aux revenus modestes et moyens. Concrètement, cette proposition passe – notamment mais pas seulement – par la suppression de la première tranche du barème, la tranche à 5,5 %, couplée avec un renforcement de la décote.

Au total, si l’on cumule l’effet de ces deux mesures, ce sont près de 9 millions de foyers fiscaux qui seront bénéficiaires, dont 3 millions auront évité d’entrer ou sortiront de l’impôt sur le revenu. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Universités

M. le président. La parole est à Mme Gilda Hobert, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Gilda Hobert. Monsieur le président, chers collègues, ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche.

Après les écoliers, collégiens, lycéens, ce sont maintenant les étudiants qui font progressivement leur rentrée. Si nous ne pouvons que nous féliciter de certaines mesures prises en faveur des étudiants, la situation des universitésa fortiori les conditions d’études des étudiants me semblent bien préoccupantes.

Après un an d’application de la loi sur l’enseignement supérieur, le contexte économique difficile a rattrapé également ce secteur, avec pas moins de 189 millions d’euros supprimés en loi de finances rectificative, qui n’iront donc finalement pas aux universités. Nous savons que les budgets des universités sont dans le rouge et qu’elles peinent à affronter leurs coûts de fonctionnement. Nous entendons les enseignants et les étudiants regretter, par exemple, la vétusté de certains locaux, ou un chauffage déficient. Plus inquiétant encore, nous déplorons le sous-encadrement des étudiants et une réduction de l’offre d’enseignement qui détériorent encore plus les conditions d’études.

Au-delà, c’est le rayonnement de la France dans la compétition internationale qui est compromis. Pourtant, nous devons être fiers de notre système d’enseignement supérieur public qui offre au plus grand nombre l’accès aux études supérieures. Ne devons-nous pas mettre tout en œuvre pour que leur qualité et leur accessibilité ne soient pas affectées ? La formation de nos étudiants ne peut être une variable d’ajustement.

Alors, madame la secrétaire d’État, voici ma question : pouvez-vous nous donner des garanties financières quant aux moyens affectés aux universités dans le cadre du prochain projet de loi de finances et nous indiquer comment vous envisagez à l’avenir assurer leur stabilité financière ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et plusieurs bancs du groupe SRC. – « Allô ! Allô ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la députée, merci de votre question, qui soulève plusieurs points. S’agissant tout d’abord de la loi de finances rectificative, je souligne que les 189 millions d’euros ne concernent que des dépenses devenues obsolètes ou des fonds de roulement qui n’avaient plus lieu d’être. Il n’y a donc eu aucun impact sur le fonctionnement des universités. Comme vous le savez, ces annulations étaient prévues de longue date : il s’agit d’un mouvement normal.

Vous avez également évoqué la situation financière des universités. Bien souvent, ce que l’on décrit n’est pas conforme à la réalité. La dégradation de la situation budgétaire de certaines universités est essentiellement liée aux mauvaises conditions de transfert, à la suite de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007, dite loi LRU, puisqu’il n’y a eu ni préparation, ni accompagnement du changement, ni projection dans l’avenir et dans la dynamique des dépenses. Mais depuis 2012, nous avons mis en place un dispositif d’accompagnement et de formation des équipes de gouvernance des universités qui nous a permis d’améliorer la situation. Aujourd’hui, les résultats sont là : sur 103 établissements d’enseignement supérieur, seuls 8 étaient effectivement en déficit lors de la clôture de l’exercice 2013, alors qu’ils étaient 16 à la fin de l’année 2012.

Pour les années à venir, les arbitrages budgétaires ont abouti à des garanties claires concernant la pérennité de la priorité accordée à la jeunesse et à l’enseignement supérieur. Mille emplois supplémentaires sont créés chaque année, et sont garantis sur tout le quinquennat. C’est un effort considérable pour améliorer la qualité des enseignements, et ainsi garantir la réussite de tous les étudiants, quels que soient les territoires et quelle que soit leur origine sociale, puisque ces efforts portent sur le premier cycle.

Enfin, pour conclure, je partage avec vous la fierté de notre enseignement supérieur. Récemment, un grand scientifique franco-brésilien l’a choisi, a choisi la France, et a obtenu la médaille Fields.

Mme Karine Berger et Mme Valérie Rabault. Bravo !

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État. C’est grâce à la qualité de notre enseignement, grâce à l’université en mouvement au service des jeunes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discours de politique générale du mardi 16 septembre 2014

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Par cette question, permettez-moi, monsieur le Premier ministre, d’exercer un droit de réponse à votre intervention d’hier. Vous nous avez dit vouloir réorienter la politique économique et monétaire de l’Europe.

M. Pierre Lellouche. Quelle blague !

M. André Chassaigne. Pourtant, le président François Hollande a ratifié en l’état le pacte négocié par M. Sarkozy et Mme Merkel, alors qu’il avait promis de renégocier ce « Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. C’est vrai.

M. André Chassaigne. Comme vous, je crois que lorsque l’on gouverne, lorsque l’on est responsable, il faut toujours être au rendez-vous face à nos concitoyens. C’est pourquoi il est utile de rappeler que ce renoncement a compromis d’emblée tout changement. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Comme vous, monsieur le Premier ministre, je crois que lorsque l’on gouverne, lorsque l’on veut être responsable, il faut sortir des postures, des mots et des facilités.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. André Chassaigne. Or, comment prétendre réorienter l’Europe quand, jour après jour, vous mettez en œuvre une politique qui répond aux injonctions de Bruxelles, de la réforme des retraites à la réforme territoriale en passant par la déréglementation du travail ?

Parce que nous refusons de nous enfermer dans une simple posture, parce qu’au Front de gauche nous sommes convaincus que la gauche qui gouverne doit savoir réformer, nous proposons un projet européen alternatif libéré de la tutelle des marchés financiers, un pacte économique et social qui redéfinisse les règles et doctrines de la zone euro, qui réoriente les priorités en faveur d’un investissement public, social et écologique, dans l’intérêt des peuples européens.

Monsieur le Premier ministre, êtes-vous prêt à sortir des contradictions pour rendre, enfin, réellement crédible la voix de la France en Europe ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Marie-Françoise Bechtel et M. Christian Hutin. Très bien !

M. Jean Lassalle. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le président André Chassaigne, j’ai en effet eu l’occasion de vous répondre hier lors du débat qui a suivi la déclaration de politique générale. Vous ne soutenez pas l’action du Gouvernement : c’est évidemment votre droit, vous suivez vos convictions, et c’est un fait puisque non seulement vous n’avez pas voté la confiance, mais votre groupe n’a voté aucune loi de finances initiale depuis 2012.

M. Christian Jacob. Même avant !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Permettez-moi de le dire clairement à mon tour, vous faites erreur. C’est vous qui vous enfermez dans une posture ou en tout cas qui ne voyez pas les évolutions en cours. La France fait entendre sa voix en Europe et vous le savez parfaitement. Oui, l’euro était trop fort et son niveau entravait nos capacités d’exportation, je l’ai rappelé hier.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il l’est encore.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Les décisions prises par la Banque centrale européenne ont eu pour conséquence de faire baisser l’euro de 7 % face au dollar, soit dix centimes d’euro, ce qui est très important. Cette politique monétaire, que j’appelais de mes vœux à l’occasion de mon premier discours de politique générale, à la suite duquel j’avais sollicité une confiance que vous m’avez refusée alors même que j’avais indiqué clairement l’orientation du Gouvernement pour l’Europe, cette politique monétaire donc a des effets sur toutes nos entreprises exportatrices et nous permet de préserver des dizaines de milliers d’emplois.

Face à la faiblesse de la reprise économique, face au risque de déflation qui concerne un certain nombre de pays de l’euro, face surtout au décrochage de la zone euro par rapport au reste du monde, la Banque centrale a pris ses responsabilités et a agi pour soutenir la croissance. Mais il faut aller beaucoup plus loin et Mario Draghi a d’ailleurs déclaré qu’il se tenait prêt à mener d’autres types d’interventions dans le cadre des traités qui définissent l’action de la BCE.

La position de la Banque centrale est celle portée depuis deux ans par notre pays. Qu’il y ait aujourd’hui une majorité au niveau européen de gouvernements conservateurs, nous pouvons le regretter mais c’est une évidence. Cette réalité n’empêche pas la France de se faire entendre au-delà de ces clivages politiques. L’Europe entière souffre du manque d’investissement en faveur de la croissance. Là aussi, nous nous faisons entendre. Nous soutenons le plan d’investissement ambitieux de 300 milliards d’euros annoncé par le nouveau président de la Commission, Jean-Claude Juncker, qu’il faut maintenant préciser. D’ailleurs, une initiative franco-allemande a été engagée pour aller plus loin et mieux flécher ces investissements en faveur des infrastructures, de la transition énergétique, du numérique, de la recherche, de l’innovation ou de l’emploi des jeunes.

C’est cette réorientation de l’Europe que nous soutenons, c’est cette idée-là encore que je défendrai dans quelques jours à Berlin car il est essentiel que la France et l’Allemagne – mais pas seulement – fassent avancer l’Europe. Pourquoi ? Parce qu’il faut entendre la voix des peuples afin que ne triomphent pas, comme nous l’avons déjà déploré en France mais aussi en Suède et dans de nombreux pays qui se sont exprimés à l’occasion d’élections locales, régionales ou nationales, les populismes, le message antieuropéen, la volonté d’en finir avec ce projet européen qui a permis le progrès, la paix, la démocratie et la réconciliation entre la France et l’Allemagne. Ce projet européen risque aujourd’hui d’être mis à mal.

M. André Chassaigne. Il ne fallait pas signer le pacte !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Notre devoir est de faire en sorte que l’Europe assume ses responsabilités « civilisationnelles ». Pardon de le dire, mais vous auriez pu rappeler – quoique sur ce point aussi nous soyons en désaccord – que la France est devant quand il s’agit d’assumer ses responsabilités en faveur de la paix ou de la lutte contre le terrorisme – en l’espèce, nous sommes bien entendu d’accord, monsieur Chassaigne. La France est au premier plan au Mali, en Centrafrique, et elle prend ses responsabilités sur le dossier de l’Irak.

Pour ce qui est des questions économiques et de la problématique de la croissance aussi, l’Europe doit être au rendez-vous de l’attente des peuples. Et notre politique des réformes, nous la menons pour nous-mêmes.

M. André Chassaigne. Mais le pacte a bien été signé !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Enfin, monsieur Chassaigne, comment pouvez-vous dire ici que les réformes que nous menons sont dictées par l’Europe ? Personne ne vous croit ! Songez à la réforme des régions, au passage de vingt-deux à douze régions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme Valérie Pécresse. Treize !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je lisais dans la presse que j’étais un premier ministre entravé, et pourtant nous réussissons en faveur des régions ce que personne n’a pu réaliser jusqu’à présent ! Et ce n’est pas faute, pour l’opposition, d’avoir pondu des rapports en la matière… Nous passons de vingt-deux à treize régions grâce au vote de l’Assemblée nationale !

Monsieur Chassaigne, bientôt se tiendra un grand débat autour de la transition énergétique : est-ce l’Europe qui nous le demande, ou est-ce le Gouvernement qui tient à réussir le mix énergétique et la transition écologique ? Vous avez raison, nous n’avons besoin ni de faux débat, ni de posture, mais bien de réformes pour le pays, et les nôtres sont utiles parce qu’elles sont justes et nécessaires.

Les choix que nous opérons en faveur de la fiscalité vont dans ce sens. Depuis quatre ans, les impôts n’ont cessé d’augmenter pour les entreprises et les ménages. Nous sommes en train de faire des choix pour faire baisser les impôts, ce qui n’avait pas été fait depuis des années. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’est l’honneur de ce gouvernement et je ne comprends même pas comment, à droite et parfois à gauche, on s’oppose à une mesure en faveur des revenus les plus modestes, des couches populaires, des classes moyennes ! (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.) C’est l’honneur de ce gouvernement, monsieur Chassaigne, de mener une politique juste pour les Français ! (Vifs applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.– Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pierre Lellouche. Il est fragile, le Premier ministre !

Loi Croissance

M. le président. La parole est à M. Richard Ferrand, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Richard Ferrand. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, dont je sais par ailleurs combien il respecte les travailleurs de Bretagne, les Bretonnes et les Bretons, qui m’ont fait l’honneur de m’élire à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

L’annonce cet été d’une réforme des professions dites réglementées, basée sur un rapport de l’Inspection générale des finances, a suscité ici des interrogations, ailleurs des angoisses, et un peu partout un trouble quant au devenir des professions concernées.

Le Président de la République a lui-même évoqué la survivance de rentes et de monopoles : certains s’expliquent, d’autres moins. Vous avez eu l’occasion d’indiquer ici votre volonté de dialogue et de concertation afin de moderniser notre économie et débloquer, partout où c’est nécessaire, les freins qui entravent l’activité. Pour autant, les rumeurs, les peurs, voire les fantasmes, prospèrent et créent un climat inutilement anxiogène.

Si personne ne conteste la nécessité de réformer certaines situations archaïques, nul ne saurait valablement contester que nombre desdites professions participent à l’aménagement de notre territoire en garantissant l’accès aux services, au droit ou aux soins. Dans l’intérêt général, la stigmatisation serait stérile autant que le statu quo serait injustifié.

Réformer avec justesse s’impose, non par pétition de principes, mais par efficacité économique et pour plus de justice dans l’accès aux services. Aussi, monsieur le ministre, afin d’apaiser et de clarifier la situation, pouvez-vous préciser à la représentation nationale les objectifs poursuivis, l’intention du Gouvernement, la méthode retenue et le calendrier qui permettront d’aboutir à une réforme pragmatique, juste et efficace ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC et quelques bancs des groupes écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. (« Ouh ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député, j’ai eu l’occasion de le dire lors d’une précédente réponse, l’objectif de la loi Croissance est, beaucoup plus largement, de développer l’activité dans notre pays et, par conséquent, de faire baisser les prix quand c’est possible, afin de redonner des marges de manœuvres aux entreprises comme aux ménages et de créer des emplois, en particulier pour les plus jeunes et les plus fragiles. Ces mesures devraient permettre, là où c’est possible et souhaitable, d’avoir un effet sur l’activité de notre économie.

C’est à l’aune de ces critères que nous entendons réformer et proposer une série de dispositions qui concerneront divers secteurs et prestations. Il ne s’agit donc pas d’une loi relative aux professions réglementées, lesquelles ne représentent qu’une part mineure de la démarche engagée.

Cela étant, c’est vrai, ces professionnels s’inquiètent, ce qui est bien légitime dès lors qu’ils ont pu être stigmatisés ou ont nourri le sentiment de l’être. Aussi voudrais-je insister ici sur les trois points intangibles qui présideront à la conduite de cette réforme : le respect de la sécurité juridique, le respect de la sécurité sanitaire et le respect de l’équilibre des territoires. Nous y serons très vigilants avec Christiane Taubira et Marisol Touraine, qui mèneront avec moi ces réformes. Je compte en effet les conduire dans un esprit de concertation, ce qui a commencé dès ce matin avec Christiane Taubira et se poursuivra avec la ministre des affaires sociales, avant que le Premier ministre ne prenne une décision dans les prochaines semaines.

M. Pierre Lellouche. Tout le monde est rassuré !

M. Emmanuel Macron, ministre. Le Parlement devant être pleinement associé, la commission des lois a décidé de lancer une mission d’information, ce dont je me réjouis. Je proposerai, en lien avec mes collègues, qu’une mission parlementaire puisse être confiée sur ce sujet particulier, qui justifie la pleine et entière implication du Parlement. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC et quelques bancs du groupe RRDP.)

Défiscalisation des heures supplémentaires

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Olivier Marleix. Il y a deux ans, monsieur le Premier ministre, dans votre précipitation à défaire tout ce que le président Sarkozy avait fait, vous avez mis fin au dispositif incitatif des heures supplémentaires qui permettait à près de dix millions de travailleurs français d’améliorer leurs fins de mois.

Un an plus tard, de nombreux députés de votre propre majorité reconnaissaient à quel point cette décision avait été néfaste pour nos compatriotes, pour qui ces heures supplémentaires étaient parfois ce petit plus qui leur permettait juste de s’en sortir. M. Thierry Mandon, alors porte-parole du groupe socialiste, aujourd’hui ministre dans votre gouvernement, vous avait exhorté à revenir sur ce qu’il appelait une « erreur ».

Vous les aviez apparemment entendus, monsieur le Premier ministre, puisque la question du pouvoir d’achat avait fait l’objet de la principale annonce de votre déclaration de politique générale d’il y a cinq mois, à savoir une mesure d’allégement des cotisations salariales, qui aurait pu améliorer le salaire direct des Français.

M. Guy Geoffroy. Ça, c’est fini !

M. Olivier Marleix. Cette disposition a été annulée par le Conseil constitutionnel pendant l’été et, malheureusement, la question du pouvoir d’achat des salariés modestes est restée hier la grande absente de votre discours.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mais non !

M. Olivier Marleix. Vous avez simplement annoncé qu’un million de contribuables ne paieraient plus l’impôt sur le revenu. Soit, c’est une bonne chose – encore qu’il ne s’agisse que de contribuables que votre gouvernement a rendu imposables depuis deux ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.– « C’est faux ! » sur les bancs du groupe SRC.) Au mieux, monsieur Valls, vous allez rendre un à deux milliards seulement sur les vingt que vous avez pris aux Français depuis deux ans !

M. Jean-Claude Perez. Quel aplomb !

M. Olivier Marleix. Hélas, ce bricolage fiscal ne produira ses effets que dans un an. Dans un an, monsieur le Premier ministre ! Mais le pouvoir d’achat, c’est maintenant, pas dans un an ! Pourquoi avez-vous renoncé à améliorer immédiatement le pouvoir d’achat, comme vous le proposiez il y a seulement cinq mois ?

Vous qui nous invitez en permanence à adopter une vision noble de la politique, à savoir dépasser les clivages quand l’intérêt des Français est en jeu, qu’attendez-vous pour montrer l’exemple et rétablir cette mesure concrète, efficace et surtout immédiate qu’était la défiscalisation des heures supplémentaires proposée par M. Nicolas Sarkozy ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Je vous remercie, monsieur le député, de revenir sur la politique fiscale : cela me permet de préciser, au cas où vous auriez encore des doutes, non seulement l’intention mais aussi la réalité des mesures que le Gouvernement proposera dans la prochaine loi de finances.

Vous soulevez la question de la défiscalisation des heures supplémentaires. Y a-t-il une raison objective et économique pour que la défiscalisation des revenus supplémentaires de ceux qui travaillent se fasse au détriment de ceux qui n’ont pas d’emploi ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Daniel Goldberg et M. Pierre-Alain Muet. Très bien !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Le chômage, vous le savez, est le premier facteur de perte de pouvoir d’achat des Français ! (Mêmes mouvements.)

M. Bernard Deflesselles. C’est incroyable !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. S’agissant de l’impôt sur le revenu des classes moyennes et des plus modestes, permettez-moi de vous donner quelques exemples de ce que sera la situation une fois que vous aurez adopté – comme je l’imagine – les mesures que le Gouvernement vous proposera. L’impôt d’un salarié percevant 1,2 SMIC diminuera ainsi de 250 euros par rapport à 2014.

M. Patrice Verchère. Vous l’avez augmenté de 500 euros !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Autre exemple : pour un couple avec deux enfants où chacun des parents perçoit 1,4 SMIC, l’impôt sera annulé, soit une économie de 930 euros.

Comme l’a dit M. le Premier ministre, avec la réforme du barème de l’impôt sur le revenu que nous proposerons à l’Assemblée lors de l’examen du projet de loi de finances, nous entamerons la correction d’un certain nombre de mesures dont je vous épargnerai la lecture mais qui, accumulées depuis quatre ans, ont en effet créé des injustices dans notre système fiscal. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC et sur certains bancs du groupe écologiste.)

Situation en Irak

M. le président. La parole est à M. Gérard Terrier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Gérard Terrier. Monsieur le ministre des affaires étrangères et du développement international, lundi 15 septembre s’est tenue la conférence de Paris pour mobiliser la communauté internationale afin de venir en aide au peuple irakien, confronté à la propagation du terrorisme et de la barbarie. Comme vous l’avez dit avec justesse, monsieur le ministre, cette conférence était à la fois une réunion de gravité et une réunion d’espoir.

Une réunion de gravité, d’abord, car la menace globale posée par Daech et les djihadistes constitue un péril exceptionnel pour les Irakiens et les Syriens, mais aussi pour le reste de la planète. Mais une réunion d’espoir aussi car la communauté internationale a pleinement pris la mesure de l’enjeu et a répondu à l’initiative conjointe de la France et de l’Irak.

Près de trente pays ont pris des engagements forts pour lancer les actions, notamment militaires, qui viendront en aide aux populations civiles, pour couper les circuits financiers qui alimentent l’organisation terroriste et pour amplifier l’aide humanitaire, alors que deux millions de personnes sont déplacées. De toute évidence, l’initiative diplomatique entreprise par la France a été utile et le groupe SRC tient à saluer ce succès.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, le péril terroriste est diffus. Il frappe le Moyen-Orient mais menace aussi les autres nations. La France combat la menace terroriste également au moyen du projet de loi que le ministre de l’intérieur défend et que notre assemblée examine cette semaine. Pouvez-vous nous présenter les enjeux de ce dossier vital pour la sécurité de nos populations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur certains bancs du groupe écologiste.)

M. le président. En vous saluant tout particulièrement, monsieur Terrier, puisque vous allez nous quitter, je donne la parole à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Gérard Terrier, l’Irak et la France ont, lundi dernier, réuni à Paris vingt-six nations, dont les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, de nombreux pays arabes, l’envoyé de l’ONU, le représentant de l’Union européenne et celui de la Ligue arabe.

Nous avons travaillé toute la matinée. Certes, des nuances sont apparues entre les différents pays. Pourtant, j’ai surtout été frappé – et cela va dans votre sens, monsieur le député – par l’importance des convergences, dans quatre domaines.

Tout d’abord, il faut éradiquer, c’est-à-dire détruire le groupe terroriste que l’on appelle Daech en arabe. Il faut le faire par un appui militaire, en coupant ses sources financières et en interrompant l’afflux des étrangers qui le rejoignent.

Ensuite, pour y parvenir, les actions militaires ne suffisent pas : il faut aussi que les Irakiens conduisent une politique d’unité nationale, car c’est avant tout sur eux que repose le succès.

Troisièmement, il faut mener un combat idéologique pour dire, je le répète ici, que Daech et les objectifs qu’il poursuit n’ont rien à voir avec la religion musulmane, qui est une religion de paix. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Enfin, il faut préciser qu’un pont de solidarité internationale doit être établi, aussi bien au niveau européen qu’au niveau mondial.

Sur ces quatre points, l’unité est totale. La France est au premier plan ; elle est à l’initiative. Face au terrorisme, nous ne pouvons pas détourner le regard. Voilà notre position ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Réforme des professions réglementées

M. le président. La parole est à M. Rémi Delatte, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Rémi Delatte. Monsieur le Premier ministre, il y a quelques mois votre ministre de l’économie et du redressement productif s’en prenait aux professions dites réglementées avec une rare violence, stigmatisant ainsi des secteurs qui ne représentent pas moins de 1,1 million d’emplois. Récemment, le Président de la République confirmait une réforme prochaine des professions réglementées, laquelle suscite colère, incompréhension et inquiétude dans tout le pays.

De jour en jour, la mobilisation des professionnels concernés ne cesse de croître.

Qui plus est, témoignant d’une réelle fébrilité, votre gouvernement envisagerait de recourir aux ordonnances dans ce domaine.

La base de cette réforme s’inspirerait directement des propositions émanant du rapport à charge de l’Inspection générale des finances, rapport que personne ne prend la responsabilité de publier. Or ses suggestions sont particulièrement dangereuses et ahurissantes, et ce n’est pas la réponse qu’a faite M. Macron à l’un de nos collègues qui est de nature à nous rassurer.

Au fond, nous retrouvons là votre tentation permanente de détruire ce qui fonctionne encore en France.

En proposant la suppression de tâches réservées – mais vous semblez prendre conscience du danger – ou l’extension de la libre installation, vous exposez ces professions à de forts risques de concentration au sein de grands groupes. On peut craindre une délocalisation des revenus et, à terme, des emplois et bien sûr des recettes fiscales.

Monsieur le Premier ministre, ma question est double : allez-vous renoncer à ce projet désastreux ? Nous promettez-vous un véritable débat de fond devant la représentation nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. (« Hou ! » sur les bancs du groupe UMP.) Cachez votre joie, mes chers collègues ! (Sourires.)

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, je vais essayer de répondre point par point aux différentes questions que vous m’avez posées.

Les professions réglementées, qui ont été listées par mon prédécesseur et plusieurs fois reprises dans la presse, sont au nombre de 37, et rares sont celles avec lesquelles – je dis bien « avec » lesquelles – nous conduirons des réformes. Le rapport de l’Inspection générale des finances que vous évoquez établit précisément cette liste de 37 professions. D’ailleurs, s’agissant de ce rapport, vous avez parfaitement raison et je compte, d’ici la fin de la semaine, le rendre public. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP.) Je considère en effet qu’il est préférable, dans un souci de simplicité et de transparence, de travailler sur une base partagée par tous.

En ce qui concerne la méthode, celle que nous utiliserons sera la concertation. Nous ne ferons pas de réforme contre les professions concernées, nous la ferons avec elles. Ce matin même, en présence de Mme Christiane Taubira, j’ai reçu les huissiers. C’est sur cette base que nous avons commencé à travailler.

Car il y a de nombreuses à faire – sur le capital, la nature des prestations, ou encore certains tarifs. Il ne s’agit pas de casser ce qui fonctionne, ni de remettre en cause l’équilibre des territoires ou de certaines professions, mais nous avons des marges de manœuvre. En d’autres termes, l’état d’esprit dans lequel je compte aborder cette réforme n’est ni la panique, ni la stigmatisation, mais pas non plus l’immobilisme.

Vous ne pouvez, à longueur de journées, dire que la réforme sauvera la France et, dès que le Gouvernement entreprend une réforme, dire que celle-ci est impossible, surtout lorsqu’elle concerne des professions qui en reconnaissent la nécessité.

M. Christian Jacob. Vous parlez pour ne rien dire !

M. Emmanuel Macron, ministre. Enfin cette réforme sera conduite en lien direct avec le Parlement…

M. Christian Jacob. Pas par ordonnances ?

M. Emmanuel Macron, ministre. …et les commissions compétentes et elle passera par la loi, en toute transparence et en accord avec les professions concernées. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Loi ALUR

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard, pour le groupe écologiste.

M. Christophe Cavard. Monsieur le Premier ministre, « réformer ce n’est pas casser », disiez-vous hier dans votre déclaration de politique générale.

Il y a trois mois, quasiment jour pour jour, je vous interrogeais sur la mise en application de la loi ALUR qui, six mois après sa publication, tarde à être mise en place.

Un député du groupe UMP. Cela vaut mieux !

M. Christophe Cavard. Vous m’avez répondu, je cite : « Une loi n’appartient pas à un ministre, ni à une famille politique. Après qu’elle a été adoptée, elle appartient à la Nation et le rôle du Gouvernement est de l’appliquer ». Vous avez même ajouté : « Après la mise en place des observatoires des loyers, l’encadrement des loyers sera actif fin 2014 en région parisienne et se fera ultérieurement pour les autres agglomérations ». Nous étions rassurés !

Que s’est-il passé depuis votre réponse de juillet ? Y aurait-il eu un lobbying accru de certains promoteurs qui confondent volontairement les enjeux de la construction avec ceux du soutien aux locataires ?

La loi ALUR est l’un des rares textes qui ont été votés par une large majorité rassemblant l’ensemble de la gauche socialiste, écologiste, radicale et communiste, en première comme en deuxième lecture. En concrétisant l’engagement pris par François Hollande durant la campagne présidentielle et réitéré après son élection, elle constitue une importante avancée sociale. L’encadrement des loyers et la réduction des frais d’agence sont des mesures concrètes et efficaces qui permettront à nos concitoyens de dépenser moins.

Dans un contexte général d’augmentation de la précarité, nous ne comprenons pas pourquoi cette loi que nous avons soutenue et votée n’est toujours pas appliquée.

Monsieur le Premier ministre, donner du pouvoir d’achat aux Français en encadrant les loyers, c’est de l’efficacité, pas de l’idéologie ! Pouvez-vous nous dire si cette loi, dont nous sommes fiers, sera enfin appliquée, dans le respect du vote parlementaire et des engagements pris en 2012 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur le député, comme l’a rappelé hier le Premier ministre dans son discours de politique générale, le logement est une priorité pour le Gouvernement. Il convient de relancer la construction et de favoriser la rénovation afin d’améliorer l’accès au logement de nos concitoyens. Il faut également adopter une approche pragmatique.

S’agissant de l’encadrement des loyers, nous avons eu l’occasion, le 29 août dernier, de rappeler que les conditions techniques de mise en œuvre de ce dispositif, prévu par la loi, n’étaient pas remplies, sauf à Paris.

Dans les autres agglomérations, le travail a commencé et les observatoires sont désormais installés. Néanmoins, les conditions nécessaires pour mettre en œuvre le dispositif, à savoir la collecte des données, qui doit reposer sur une méthodologie et une qualité statistique fiables, ne sont pas réunies. Certaines agglomérations seront prêtes plus rapidement que d’autres, mais la mise en place des observatoires n’est pas totalement achevée. Nous devons y travailler et j’encourage les collectivités, en collaboration avec les professionnels, à le faire. Si à Paris, le dispositif sera opérationnel d’ici la fin de l’année, d’autres collectivités auront besoin de plus de temps pour réunir les conditions techniques nécessaires.

M. Patrice Carvalho. Baratin !

Mme Sylvia Pinel, ministre. En ce qui concerne le plafonnement des honoraires des agents immobiliers, le décret a été pris et cette mesure, qui est entrée en vigueur le 15 septembre, aura un impact concret sur les frais incombant aux locataires puisque ceux-ci baisseront de 30 à 40 %. Vous voyez bien, monsieur le député, que le logement est pour nous une priorité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Difficultés des collectivités locales

M. le président. La parole est à M. Olivier Audibert Troin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Olivier Audibert Troin. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Une immense inquiétude gagne nos élus locaux.

Plusieurs députés du groupe UMP. Oui ! Oui !

M. Olivier Audibert Troin. Cette immense inquiétude, ce désarroi ne sont pas exclusivement liés à la crise économique et sociale qui frappe notre pays. Depuis 2012, vous avez oublié la France des communes, la France de la ruralité, la France de la proximité, monsieur le Premier ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) La réforme des rythmes scolaires impose des augmentations d’effectifs alors même que vous demandez aux communes de les réduire. Les baisses de dotations annoncées ne seront pas supportables. Quels que soient les efforts drastiques entrepris par les communes qui rationalisent et mutualisent, les budgets communaux ne supporteront pas une amputation de leurs dotations de 30 %. Les services aux populations, les investissements locaux et la croissance économique seront fortement touchés.

M. Jean Lassalle. Bravo !

M. Olivier Audibert Troin. Quant à la réforme territoriale, plus personne n’y comprend rien. Le conseil départemental sacralisé à Tulle en janvier puis terrassé en mai a finalement été ressuscité hier, par pragmatisme, dans votre discours de politique générale, assorti d’une nouvelle innovation technocratique, la fédération d’intercommunalité ! Le redécoupage des cantons est ruralicide par sa géographie et improbable par sa gestion bicéphale ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Olivier Audibert Troin. Enfin, notre démocratie est la seule au monde qui joue avec la date des élections. Le calendrier modifié, à peine adopté en première lecture au mois de juillet, est déjà caduc. Il y a aujourd’hui le feu dans nos départements, car plus personne ne sait comment appliquer les dispositions du code électoral relatives aux campagnes électorales cinq mois seulement avant l’élection. La fronde tant redoutée par votre gouvernement se répand désormais parmi les élus locaux. Allez-vous les entendre, monsieur le Premier ministre ? (Mêmes mouvements.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Je répondrai sur deux points, monsieur le député Audibert Troin. À propos des dotations aux collectivités territoriales, on ne peut pas à longueur de débat, y compris lors du dernier débat de loi de finances, nous demander de réduire davantage les dépenses tout en nous reprochant de les réduire de 11,5 milliards d’euros au cours des trois ans à venir.

Plusieurs députés du groupe UMP. Il s’agit du budget de l’État !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Nous avons proposé à toutes les associations d’élus un travail de fond qui a aussi été mené avec vos collègues du Sénat et ici en commission afin que nos dotations soient revues verticalement pour les rendre plus justes. Nous n’avons pas oublié la ruralité, évoquée hier par M. le Premier ministre, ni la proximité puisque nous avons remis à l’ordre du jour la solidarité entre les collectivités. Nous y reviendrons lors de la discussion du projet de loi de finances.

À propos du deuxième point, l’évolution des conseils généraux, je voudrais que nous soyons tous d’accord. (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Michel Herbillon. Vous ne savez pas où vous allez !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Vous affirmiez lors du dernier débat, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, les uns qu’il faut avoir le courage de supprimer les départements, les autres qu’il faut supprimer d’autres strates. Mettez-vous d’accord ! Nous proposons, comme l’a rappelé hier M. le Premier ministre, trois scenarii de discussion pour cinq ans : les départements situés en zone métropolitaine, les départements comportant un réseau de villes et les départements situés en milieu rural (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP). Nous disposons de cinq années, trois propositions et un engagement financier. Des représentants de l’association des conseils généraux de France seront à 16 heures 30 au ministère pour discuter de la clause de revoyure des 861 millions d’euros supplémentaires du budget que vous n’avez jamais trouvés, vous ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.- Huées sur les bancs du groupe UMP.)

Adaptation de la société au vieillissement

M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Annie Le Houerou. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Le dynamisme de la démographie française résulte du nombre des naissances comme de l’augmentation de l’espérance de vie. En 2060, près d’un tiers des Français aura plus de soixante ans. Notre société doit donc s’adapter au vieillissement. Nos âgés constituent une richesse pour la France et de nombreux emplois sont susceptibles d’être créés grâce à la silver economy. La loi dont nous avons débattu la semaine dernière et que nous voterons avec fierté aujourd’hui relève le défi du vieillissement. Nous avons fait le choix d’un financement reposant sur la solidarité nationale, solidaire et pérenne. Grâce à la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, 645 millions d’euros seront mobilisés pour la politique du grand âge. L’APA, qui bénéficie à 700 000 personnes, sera augmentée afin de financer un nombre accru d’aides à domicile et les bénéficiaires du minimum vieillesse seront exonérés de toute participation financière.

Comme les Français souhaitent rester le plus longtemps possible à domicile, 80 000 logements seront adaptés à la perte d’autonomie. Nous connaissons tous de nombreuses personnes, conjoints ou parents, qui s’impliquent quotidiennement pour aider un proche dépendant auprès duquel une présence est nécessaire. La loi crée une aide au répit leur permettant de mieux concilier vie personnelle et accompagnement. Nous voulons vieillir tout en restant des citoyens à part entière ! À domicile comme en établissement, la liberté d’aller et venir est consacrée par le texte, qui affirme la dignité, l’intimité et la protection des droits de chacun. Pour compléter ces mesures, M. le Premier ministre en a annoncé de nouvelles telles que la revalorisation du minimum vieillesse. Pouvez-vous en développer plus précisément le contenu, madame la ministre, en particulier la prime pour les retraités percevant moins de 1 200 euros par mois ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Vous avez raison, madame Le Houerou, de souligner que les conditions de vie des personnes âgées dans notre pays constituent une préoccupation et une priorité du Gouvernement et de la majorité. C’est la raison pour laquelle M. le Premier ministre a annoncé hier une amélioration du pouvoir d’achat des retraités percevant une retraite inférieure à 1 200 euros par mois. Il s’agit d’un engagement fort compte tenu du très faible taux d’inflation. Deux mesures ont été annoncées. La première consiste à attribuer une prime exceptionnelle de quarante euros qui sera versée en une fois à tous les retraités percevant une retraite globale de moins de 1 200 euros par mois. La seconde concerne plus particulièrement les bénéficiaires du minimum vieillesse, dont je rappelle qu’il s’élève aujourd’hui à 792 euros par mois. Nous avons décidé une amélioration de presque cent euros annuels. Le minimum vieillesse sera porté au-delà de 800 euros par mois, ce qui constitue un geste de solidarité en faveur du pouvoir d’achat des retraités modestes.

Vous avez également raison, madame la députée, de rappeler que la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement sera votée dans un instant. Je tiens à saluer le travail et l’engagement de Laurence Rossignol et de l’ensemble de la majorité. Il s’agit d’une loi favorable au pouvoir d’achat, d’une loi d’accompagnement de la vie quotidienne des personnes âgées, comportant des changements et des progrès concrets tels que l’amélioration des aides à domicile, dont le coût baissera, et la création très importante d’un droit au répit sous forme d’une aide de 500 euros par an, permettant à ceux qui accompagnent les personnes âgées de souffler. Comme vous le voyez, madame la députée, nous avons la préoccupation de nos aînés. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Mobilisation contre le virus Ebola

M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Stéphane Demilly. Madame la ministre de la santé, en lisant, en regardant ou en écoutant les médias ces derniers temps, on pourrait avoir l’impression que le monde tourne autour des soubresauts de la politique intérieure française, et il est vrai qu’il y a matière…

Pourtant, de l’autre côté de la Méditerranée, dans l’ouest du continent africain, se joue un drame sanitaire d’une ampleur exceptionnelle, souvent relégué au second plan des actualités. Je veux parler de l’épidémie liée au virus Ebola.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, le seuil des 2400 morts a été franchi. La présidente internationale de Médecins sans Frontières a tiré récemment la sonnette d’alarme en déclarant devant l’ONU, je la cite : « Six mois après son début, le monde est en train de perdre la bataille contre la pire épidémie d’Ebola de l’histoire. Le temps des réunions et de la planification est fini. Il est maintenant temps d’agir. Chaque jour d’inaction entraîne plus de décès dans les pays touchés ».

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. Stéphane Demilly. Madame la ministre, l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’ouest nous interpelle directement.

Elle nous interpelle, car ce sont des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui doivent faire face à cette terrible maladie qui tue une personne infectée sur deux, et ce dans des pays extrêmement pauvres et démunis de moyens.

Cette épidémie nous interpelle aussi sur le plan de la sécurité sanitaire de notre pays. En effet, par définition, un virus n’a pas de passeport, surtout quand il se transmet par le simple toucher.

C’est pourquoi, madame la ministre, ma question sera double. Premièrement, où en sont les efforts de la communauté internationale pour porter secours aux populations africaines et pour vaincre le virus ? Deuxièmement, quelles sont les mesures de sécurité sanitaire prises aux points d’entrée de notre territoire national ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur quelques bancs des groupes UMP, SRC et RRDP.)

M. Joël Giraud. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Stéphane Demilly, oui, c’est un drame effroyable que vit l’Afrique de l’ouest, et un drame probablement sous-estimé aujourd’hui. On nous parle de 5 000 cas recensés et de 2 500 décès, mais il est plus que probable qu’en réalité, le bilan s’élève déjà à des dizaines de milliers de personnes touchées par le virus en Afrique.

C’est un drame effroyable qui appelle une mobilisation sans faille de toute la communauté internationale. Annick Girardin s’est rendue en Guinée il y a quelques jours pour marquer le soutien de la France aux populations touchées. Nous étions toutes deux à Bruxelles lundi dernier pour appeler à la mobilisation de l’Europe ; je suis heureuse qu’une aide d’un montant de 150 millions d’euros puisse être débloquée à destination de ces pays. La France a été parmi les premiers pays à s’engager. Aujourd’hui même, une équipe de professionnels de santé, de pompiers et de militaires part rejoindre ceux qui sont déjà sur place en Guinée pour évaluer les besoins et prêter main-forte pour faire face à la maladie.

Enfin, nous avons la volonté d’améliorer la coordination de l’aide internationale qui est apportée ; le Président de la République s’est personnellement engagé.

Bien sûr, la bataille se mène d’abord là-bas, en Afrique. Et si nous voulons nous protéger ici, en France, en Europe, monsieur le député, nous devons aider l’Afrique. Pour autant, nous ne baissons pas la garde. Nos systèmes de vigilance sont évidemment en alerte maximale. Nous faisons en sorte que si un cas était détecté, il puisse être pris en charge rapidement, dans des conditions de sécurité, dans l’un des dix établissements référence qui ont été identifiés à cet effet. Nous sommes mobilisés, monsieur le député. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

Professions réglementées

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Philippe Gosselin. Ma question s’adresse à Monsieur le Premier ministre, et fait suite à celle posée précédemment par mon collègue Delatte.

Les notaires de France sont aujourd’hui des milliers à Paris, place de la République ! Les huissiers étaient en grève depuis lundi !

Plusieurs députés du groupe SRC. Oh là là !

M. Philippe Gosselin. Le 30 septembre, c’est une « journée sans professions libérales », du jamais vu en France, qui est annoncée. Bientôt, ce seront les pharmaciens, les architectes, les kinés, les dentistes et tant d’autres ! Toutes ces professions dites réglementées sont dans l’œil du cyclone, dans l’œil du Gouvernement ! Vous considérez leurs représentants comme des rentiers, en oubliant les efforts qu’ils ont consentis pour exercer leur métier. Vous montrez du doigt les tarifs appliqués par les professionnels du droit. Mais ces tarifs sont fixés par l’État – c’est tout de même un comble ! – et intègrent de nombreuses taxes, vous le savez.

Parlons des notaires. Ils sont garants, pour nous tous, citoyens, entreprises, collectivités, de la sécurité juridique de nos activités et de nos vies. Ce n’est pas une profession protégée, mais une profession qui protège !

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. Philippe Gosselin. Voulons-nous un système à l’anglo-saxonne, où l’argent est roi, où la société est judiciarisée à outrance (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP), pour le meilleur… et souvent pour le pire ?

M. Marc Dolez. En effet !

M. Philippe Gosselin. Et les huissiers ? Parlons quelques instants de leur réforme au profit d’un opérateur privé, qui verra sans doute le sacrifice de milliers d’emplois !

Et que dire des pharmaciens ? Ouvrir à la concurrence la vente de certains médicaments affecterait les officines les plus fragiles, en ville et en milieu urbain bien sûr, mais aussi en milieu rural. Or dans nos campagnes, vous le savez, les pharmacies constituent souvent l’un des services de proximité les plus utiles à la population.

Sans doute le statut quo n’est-il pas défendable.

M. Jean Glavany. Ah !

M. Philippe Gosselin. Les professionnels font des propositions. Alors écoutez-les ! Lancez la concertation, et n’attendez pas la pression de la rue ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et UDI).

Les revirements sont terribles et ils coûtent cher, politiquement et à tous points de vue. Après les déserts médicaux, voulez-vous créer des déserts pharmaceutiques, notariaux, judiciaires ?

Sous couvert de pouvoir d’achat, un vrai problème en ces temps difficiles pour tous, pourquoi jeter en pâture des professionnels aux Français ? Quand allez-vous cesser d’opposer les Français les uns aux autres ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDI).

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.(« Hou ! » sur les bancs du groupe UMP).

Je vous en prie, chers collègues.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député, je vous remercie de m’offrir l’occasion de clarifier à nouveau les éléments relatifs à la loi croissance et à la réforme des professions réglementées, puisque, manifestement, je n’ai pas été assez clair jusqu’à présent.

Sur l’esprit et la méthode, ce ne sera ni la stigmatisation, ni la caricature. Ce sera donc d’abord la concertation. Elle a commencé ce matin. Je vous invite à aller vous-mêmes regarder les déclarations des huissiers : vous verrez qu’ils ont été entendus.

En même temps, notre devoir collectif est d’aller chercher l’activité, les leviers dont nous disposons pour débloquer cette économie, partout où ils sont. Le conservatisme absolu ne saurait pas non plus être une réponse à la situation que nous vivons, vous le savez, et ces professions en sont conscientes.

La méthode, en ligne avec la question que vous venez de poser, consiste donc précisément à voir point par point avec les professionnels, à commencer par les professionnels du droit que nous continuerons demain à recevoir avec Christiane Taubira, comment les rendre moins chers là où c’est possible, comment créer de l’emploi, en particulier pour les plus jeunes, comment densifier certains territoires, comment mieux répartir leur présence. C’est donc possible.

Sortez de cette posture stérile – la France mérite mieux que cela – qui consiste à nous expliquer d’un côté qu’il ne faut rien toucher, et que l’avenir de notre pays est dans le statu quo, et de l’autre que nous serions pour une réforme qui panique le pays ! Il y a entre les deux de bonnes réformes, des réformes pragmatiques et justes, qui permettent de créer de l’activité là où c’est possible, de baisser les prix là où c’est possible, et ce sont celles-là que nous voulons conduire !

Donc, pour être très explicite : non, nous ne remettrons pas en cause les missions de service public des notaires ; oui, nous préserverons la sécurité juridique, nous le leur avons dit et nous le redirons ; oui, nous préserverons le maillage territorial. Je le répète, cela sera fait en lien avec le Parlement, et je remercie Cécile Untermaier d’avoir commencé à s’atteler à la tâche. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Professions réglementées

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Arnaud Richard. Monsieur le ministre de l’économie, vous avez provoqué un profond émoi dans notre pays. Votre prédécesseur à Bercy nous présentait à l’été, avant son départ, un texte qui devait révolutionner l’économie française. Pour atteindre cet objectif, le seul et unique moyen qu’il proposait était de réformer les professions réglementées (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), comme si le redressement de notre pays dépendait de ces professionnels…

Je constate que le ton a changé. Le ministre de l’économie que vous êtes ne tient manifestement pas le même discours que le secrétaire général adjoint de l’Élysée que vous étiez, lorsque vous avez dû rendre des arbitrages sur ce texte : c’est une bonne chose, et l’on s’en félicite. Mais croyez-vous vraiment que, comme l’a dit notre collègue, le fait de casser tout ce qui fonctionne dans notre pays permettra que les choses aillent mieux ?

M. Philippe Vigier et M. Jean Lassalle. Très bien !

M. Arnaud Richard. Jeter l’opprobre sur des hommes et des femmes de proximité, qui, dans leur ensemble, représentent un million de salariés, les porter au pilori par un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnances, n’est pas une solution.

Certes, tout à coup, vous êtes revenu à la discussion, ce qui est heureux et prouve que vous êtes un homme intelligent. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Ces hommes et ces femmes, peu habitués à la contestation, sont aujourd’hui dans la rue, et nous pouvons les comprendre.

Monsieur le ministre, vos « invariants » – pour reprendre le terme extrêmement lettré que vous avez employé, qui relève, me semble-t-il, du registre mathématique – se déclinent en une intention, une méthode et un calendrier. Pour l’heure, tout cela est assez flou. Il y a encore quelques semaines, vous évoquiez un projet de loi par ordonnances. Aujourd’hui – et c’est heureux – vous recevez ces personnes ; il est bien normal que Mme Taubira et Mme Touraine soient autour de la table.

Monsieur le ministre, ma question est très simple : s’agit-il de répondre à un oukase de Bruxelles ou de conserver le système du service public à la française ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. Marc Dolez. Bonne question !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, monsieur le député, je voudrais d’abord lever une ambiguïté. Vous semblez dire qu’un texte avait fait l’objet d’un arbitrage et que, dans mes précédentes fonctions, j’avais pu y participer. Or, en vertu du fonctionnement gouvernemental, un secrétaire général adjoint de l’Élysée ne rend pas d’arbitrages sur les textes.

M. Guy Geoffroy. Ah bon, il sert à quoi alors ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Par ailleurs, le texte n’était pas prêt ; s’il l’avait été, nous ne serions pas là à en discuter les contours.

Des propositions ont été annoncées par mon prédécesseur. Vous avez bien noté que, depuis, le ministre de l’économie a changé.

M. Yves Censi. C’est la politique générale qu’il faut changer !

M. Emmanuel Macron, ministre. Depuis le premier jour où ces fonctions m’ont été confiées, j’ai décidé d’adopter une autre méthode. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Guy Geoffroy. Et les trente-cinq heures ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Elle est cohérente et ne changera pas. Elle reposera sur la transparence (Mêmes mouvements) – je vous l’ai dit, le rapport de l’inspection des finances sur les professions réglementées sera mis en ligne d’ici la fin de la semaine – et sur la concertation. À cet égard, vous pouvez être rassuré : la cohérence sera complète.

M. Christian Jacob. Apprenez la modestie !

M. Emmanuel Macron, ministre. Monsieur le député, ce débat vaut mieux que des postures. Vous avez rappelé dans votre question toute une série de sujets qu’il me semblait avoir traités dans mes précédentes réponses.

M. Claude Goasguen. Et Bruxelles ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Je peux continuer à le faire mais, honnêtement, les professions en question, comme le pays dans son ensemble, dans la situation où nous sommes, méritent mieux que de rester sur des postures et de caricaturer sans cesse la position de l’autre.

M. François Rochebloine. Et l’Europe ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Nous ne remettrons pas en cause les missions de service public ; nous ne porterons pas atteinte au service public à la française. Je me réjouis qu’ici, le service public à la française soit défendu. Je voudrais qu’il le soit dans tous ses contours et par l’ensemble de cette assemblée, lorsqu’il est attaqué sur d’autres aspects, ce qui ne me paraît pas être le cas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) En effet, le service public à la française, ce ne sont pas que les notaires et les huissiers ! (Mêmes mouvements.)

M. Olivier Falorni. Très bien !

M. Emmanuel Macron, ministre. Monsieur le député, nous allons voir, les uns après les autres, les représentants des professions réglementées, discuter avec eux et moderniser ces professions avec eux, pour l’économie française et le bien des Français. C’est notre seul objectif, que nous poursuivrons. Même si je m’efforce de vous apporter le maximum de clarté, les choses ne sont pas encore décidées ; c’est peut-être pour cela qu’elles vous apparaissent encore floues. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. François-Michel Lambert. Très bien !

Permanence des soins

M. le président. La parole est à M. Alain Gest, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Alain Gest. Madame la ministre des affaires sociales et de la santé, je souhaiterais vous interroger sur l’organisation de la permanence des soins, en associant à cette question notre collègue Marie-Louise Fort. Lors de votre présentation du projet de loi sur la santé, le 19 juin 2014, vous avez annoncé vouloir créer un numéro unique de permanence de soins dans chaque département. Vous avez justifié cette mesure par un souci de simplification du dispositif existant. Peut-être s’agit-il d’une « simplification » identique à celle qui s’applique aux collectivités territoriales ?

Aujourd’hui, lorsqu’une personne veut joindre la permanence des soins la nuit, elle appelle le 15, qui va soit lui adresser les services de secours hospitaliers, soit la rediriger vers la permanence des médecins de ville, souvent exercée par SOS Médecins, d’où le principe des numéros de téléphone interconnectés. Avec votre projet, en plus du 15, il y aurait potentiellement un autre numéro « unique », voire des numéros uniques par département. En fait de simplification, cela entraînera la confusion chez les patients – qui sont à présent habitués au 15 – et, sans nul doute, une perte d’efficacité médicale. Pensez-vous vraiment qu’une telle mesure soit opportune ?

Par ailleurs, certaines agences régionales de santé veulent remettre en cause, avec votre approbation, les gardes, et donc le travail des médecins en nuit profonde, de minuit à 7 heures du matin. Une récente décision en région Lorraine l’atteste. Cela signifie tout simplement qu’à terme, les personnes qui veulent à tout prix voir un médecin la nuit ne seront plus remboursées : seules les personnes disposant de revenus suffisants pourront assumer le coût d’un médecin la nuit.

Madame la ministre, votre mesure entraîne une dépense de 690 euros, contre 82 euros lorsqu’un médecin se rend au domicile du patient. Sous prétexte de vouloir simplifier le système de la permanence des soins, n’avez-vous pas le sentiment de désorganiser un dispositif qui a sa pertinence ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jean Lassalle et M. François-Xavier Villain. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Mesdames, messieurs les députés, monsieur le député Alain Gest, la question de la présence des professionnels de santé sur tous nos territoires – notamment des médecins mais, au-delà, de l’ensemble des professionnels de santé – est une question qui préoccupe très largement les Français, quelle que soit leur sensibilité politique.

Ma volonté, je l’affirme haut et fort, est de faire en sorte que nos concitoyens puissent partout, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, compter sur un professionnel de santé lorsqu’ils en ont besoin. C’est pourquoi j’ai lancé, il y a maintenant plus d’un an, des initiatives en faveur d’un pacte territoire-santé, et c’est pourquoi le projet de loi sur la santé qui sera discuté à l’Assemblée au début de l’année prochaine comportera des mesures sur la permanence des soins. Cette question est à ce point préoccupante qu’une mission a été créée à l’Assemblée nationale, dont la rapporteure n’est autre que la présidente de la commission des affaires sociales et dont l’un de vos collègues, M. Door, assure la présidence.

Mon objectif consiste à simplifier et à apporter des réponses concrètes à l’ensemble de nos concitoyens. Un certain nombre d’entre eux ne savent pas à qui s’adresser lorsqu’ils ont besoin de voir un professionnel ou d’obtenir un conseil. Le but du numéro unique, dont nous devons déterminer les modalités de mise en œuvre, est que les Français ne se posent plus la question de savoir qui ils doivent appeler lorsqu’ils ont besoin de rencontrer un professionnel de santé ou de recevoir un conseil, et qu’ils puissent sereinement et en toute sécurité composer toujours le même numéro et être orientés en direction du professionnel adapté.

Vous le savez, nous aurons l’occasion d’en rediscuter, monsieur le député, mais je répète que ma volonté consiste à simplifier l’accès aux soins de tous nos concitoyens, et je suis certaine qu’il y aura un large consensus en ce sens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

2

Adaptation de la société au vieillissement

Vote solennel

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement (nos 1994, 2155, 2119).

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Joëlle Huillier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Joëlle Huillier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mes chers collègues, treize ans après la création de l’allocation personnalisée d’autonomie, nous nous apprêtons à voter un nouveau texte destiné à changer la vie des personnes âgées et de leurs familles.

Je veux tout d’abord remercier toutes celles et tous ceux qui ont permis l’existence de ce texte : les associations, les professionnels et les élus dans le cadre de la concertation menée par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Je tiens aussi à saluer l’énergie, l’engagement et la passion que notre collègue Michèle Delaunay a investis dans cette entreprise, qui a été reprise de main de maître par Laurence Rossignol et Marisol Touraine, ainsi que le travail de notre rapporteure, Martine Pinville.

M. Jean Grellier, Mme Catherine Lemorton et présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !

Mme Joëlle Huillier. Contrairement aux lois de 2001, 2003 et 2004, qui abordaient le sujet sous le seul angle financier, ce projet de loi assume une vision globale et positive du vieillissement.

Son premier mérite est de donner la priorité à la prévention. Il vise ainsi à mieux accompagner et préparer les travailleurs en fin de carrière, à mieux repérer les situations de fragilité – la malnutrition, les chutes, l’usage excessif de médicaments –, à lutter davantage contre l’isolement, et permettra la modernisation des logements-foyers et une meilleure gestion des résidences services.

Son deuxième mérite est de prendre en compte les besoins de la personne âgée dans toutes les politiques publiques en prévoyant l’adaptation non seulement de son logement, mais aussi de son environnement extérieur – les transports, l’urbanisme –, tant en ville qu’en milieu rural.

Son troisième mérite est de renforcer la solidarité. Les personnes âgées en perte d’autonomie bénéficieront ainsi d’une augmentation du nombre d’heures d’aide grâce au relèvement du plafond de l’APA et aux moyens supplémentaires issus du produit de la contribution de solidarité pour l’autonomie. La solidarité se manifeste également envers les familles et les millions de proches aidants qui assistent, souvent avec peine, parfois jusqu’à l’épuisement, toujours avec courage, un parent, un grand-parent, un conjoint, un frère, une sœur, un ami. Ils pourront désormais bénéficier d’un peu de répit grâce à une aide dédiée au financement d’un accueil temporaire.

Son quatrième mérite est d’instaurer une gouvernance des politiques pour et avec les personnes âgées, au niveau tant national, avec le Haut Conseil de la famille et des âges de la vie, que local, avec la conférence des financeurs, les conseils départementaux de la citoyenneté et de l’autonomie et la reconnaissance des maisons départementales de l’autonomie.

Son cinquième mérite, sans doute le plus important, est de proposer un autre regard sur le vieillissement et sur les « vieux » en général. Non, la personne âgée n’est pas une charge pour la société ; elle est au contraire une chance. Elle représente non pas une de ses faiblesses mais une de ses richesses : une richesse économique qui doit permettre l’essor de nouvelles industries, de nouvelles filières, de nouvelles technologies ; une richesse sociale, vivier du bénévolat et de l’engagement citoyen, que ce projet de loi a l’intelligence de reconnaître et de valoriser ; une richesse humaine, dont nous avons tous tant à apprendre, en particulier les jeunes. Les échanges et l’habitat intergénérationnels sont ainsi encouragés.

Durant nos débats, les députés socialistes, mon collègue Christophe Sirugue en particulier, et moi-même avons défendu et adopté des amendements pour améliorer les droits et libertés des résidents âgés en établissement, lutter contre les discriminations dont ils font trop souvent l’objet, conforter le rôle des proches aidants et des professionnels de l’aide à domicile, développer l’accueil familial et intégrer dans la communauté nationale les immigrés de plus de 65 ans présents depuis longtemps sur le territoire.

Durant nos débats, nous avons tous regretté que le manque de moyens dont nous disposons ne nous permette pas de faire davantage. Quelques-uns et quelques-unes sur les bancs de la droite l’ont d’ailleurs fait avec une certaine mauvaise foi. Pour notre part, nous connaissons, madame la secrétaire d’État, la situation difficile de nos finances publiques et nous savons que cette première marche sera nécessairement suivie d’autres.

Mes chers collègues, hier, dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre affirmait que nous pouvions être fiers de ce que nous faisions pour la France et pour les Français.

Mme Marie-Christine Dalloz. Quel est le lien avec le texte ?

Mme Joëlle Huillier. Aujourd’hui, je suis fière de tenir avec vous un engagement du Président de la République. Je suis fière de soutenir un gouvernement de gauche qui, treize ans après celui de Lionel Jospin, est, une fois encore, au rendez-vous de la solidarité avec les personnes âgées. Je suis fière d’appartenir au groupe des députés socialistes, républicains et citoyens, qui voteront, sans hésitation, un texte marquant le début d’une belle, d’une grande réforme de société. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Bérengère Poletti, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Bérengère Poletti. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord souligner le climat d’écoute et de respect mutuel dans lequel se sont déroulés nos travaux sur ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe SRC.) Le sujet le méritait amplement. Adapter notre société au vieillissement de la population, améliorer le soutien de la puissance publique aux personnes âgées dépendantes, voilà des préoccupations aussi nobles qu’indispensables et que nous partageons tous.

Ce texte comporte un certain nombre de mesures intéressantes, et nous le reconnaissons.

J’avais annoncé en début de discussion, que nos critiques seraient fonction de la manière dont ce projet serait présenté. Pour ceux, ou celle, qui voudraient nous faire croire qu’il s’agit du grand texte sur la prise en charge de la dépendance, tant attendu et annoncé – mardi dernier, nous avons assisté à un numéro un peu surréaliste de Mme Touraine sur ce thème – je réponds « Mensonges » !

Les Français s’en rendront vite compte. Il s’agit d’un simple texte technique, qui comporte quelques avancées certes, mais ne nous berçons pas d’illusion : une fois qu’il sera définitivement adopté, il faudra très vite rouvrir le dossier si on veut répondre aux difficultés réelles de nos concitoyens.

Avec seulement 645 millions d’euros de mesures nouvelles, financées qui plus est par une taxe sur les retraites détournée de son objectif initial, quand une politique publique coûte vingt-deux milliards, dont plus de cinq milliards pour la seule APA que les départements peinent déjà à financer, et alors même que toutes les projections nous apprennent que le coût de cette politique publique ne va faire qu’augmenter, il vaut mieux rester modeste. Vous l’avez d’ailleurs été, madame Rossignol.

De fait, les ambitions que vous affichez ne sont pas financées : vous nous proposez un moteur de solex dans une carrosserie de berline !

Le miroir aux alouettes ne fera pas illusion bien longtemps, faute de répondre aux difficultés des familles, qui se sentent abandonnées. Comment financer l’accueil en maison de retraite d’un parent dépendant quand le coût d’un séjour en EHPAD est en moyenne deux fois plus élevé que la pension de retraite de la plupart de nos concitoyens ? Les nombreuses familles contraintes de bricoler pour tenter de résoudre cette équation douloureuse attendaient de nous des solutions : leur déception sera à la mesure de leurs espérances.

Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien !

M. Pascal Popelin. Vous, vous n’avez rien fait en dix ans !

Mme Bérengère Poletti. Madame la secrétaire d’État, vous avez choisi de renvoyer à d’hypothétiques textes ultérieurs la réponse à un certain nombre de sujets légitimes que nous avions souhaité aborder dans le débat par le biais d’amendements qui ont été rejetés par le Gouvernement.

Il en est un pourtant que vous n’avez pas remis à plus tard. Cela est d’autant plus incompréhensible qu’un texte dans lequel il aurait trouvé une place beaucoup plus légitime a été annoncé et que l’adoption précipitée de cette mesure pose problème : je veux parler de l’article additionnel qui ouvre à certains étrangers une voie de naturalisation simplifiée, article additionnel qui, je le rappelle, a été adopté à une très courte majorité en commission, et contre l’avis de notre rapporteure, pourtant membre du groupe majoritaire.

On ne touche pas au droit de la nationalité au détour d’un texte social, alors même qu’aucune étude d’impact n’a été réalisée. Instituer un droit tel que celui-ci peut avoir des implications et des conséquences insoupçonnées. Les bons sentiments ne suffisent pas à légiférer de manière responsable.

Nous attendons du Sénat qu’il corrige cette anomalie, faute de quoi le Conseil constitutionnel le fera certainement.

En conséquence, et même si je m’abstiendrai à titre personnel, le groupe UMP votera contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Arnaud Richard. Madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, ce projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement constituera une occasion manquée. Oui, vous avez manqué l’occasion de répondre à une préoccupation majeure à laquelle l’ensemble de nos compatriotes est confronté, de près ou de loin.

Ce texte était d’autant plus attendu qu’il faisait suite à une large concertation – je tiens à ce propos à saluer le travail réalisé par Mme Delaunay lorsqu’elle était membre du gouvernement – et que la question de la perte d’autonomie se situe au carrefour de plusieurs enjeux fondamentaux. Or, en dépit d’une discussion apaisée et de quelques modestes avancées, ce texte n’est pas à la hauteur des problèmes, notamment celui du financement de l’autonomie.

Face à des enjeux aussi cruciaux, on ne peut que regretter la méthode choisie par le gouvernement, qui a donné clairement la priorité au maintien à domicile, au détriment de la prise en charge en établissement de la perte d’autonomie. L’hypothèse de la présentation d’un second projet de loi consacré à cette forme de prise en charge au cours du quinquennat semble aujourd’hui abandonnée. Quoi qu’ait pu dire à ce sujet la porte-parole du groupe socialiste, l’engagement du Président de la République est manifestement enterré.

Le groupe de l’UDI relève trois lacunes majeures de ce projet de loi, que nos débats n’auront malheureusement pas permis de combler. Nous regrettons tout d’abord qu’il ne procède pas à une véritable harmonisation de l’évaluation des situations de dépendance, via la mise en place d’un référentiel d’éligibilité unique, intégrant également les situations de handicap ouvrant droit à une rente évaluée en fonction du degré de dépendance de la personne, comme notre groupe l’a proposé.

Les financements proposés sont également insuffisants : 645 millions d’euros, dont 375 pour revaloriser l’allocation personnalisée d’autonomie, c’est absolument dérisoire au regard des enjeux financiers de la perte d’autonomie. Vous auriez mieux fait d’adopter notre proposition d’affecter une fraction de la CSG aux conseils départementaux.

Il est vrai que l’avenir des conseils départementaux, qui assument aujourd’hui la prise en charge de la perte d’autonomie, est suspendu à une réforme des collectivités territoriales dont le contenu évolue chaque jour. Une nouvelle fois, la méthode suivie par le Gouvernement hypothèque toute chance de réforme en profondeur au cours de ce quinquennat.

Troisième insuffisance, ce projet de loi ne prévoit aucune mesure significative en faveur du secteur des services à la personne. Il ne décloisonne pas non plus le secteur de l’aide à domicile et maintient les distorsions de concurrence entre les différents acteurs et les différentes structures.

L’amendement adopté à l’initiative du Gouvernement pour préciser que les services agréés peuvent conclure des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens ne peut constituer à cet égard qu’un premier pas, malheureusement très insuffisant.

Ce texte n’est donc pas, en dépit de quelques mesures intéressantes, à la hauteur des enjeux humains et financiers de la dépendance. Nous sommes bien loin de ce que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait annoncé comme le grand chantier du quinquennat.

Nous aurions souhaité que soient posés les jalons d’une réforme structurelle de la prise en charge de la perte d’autonomie, à travers la mise en place d’un système assurantiel universel et obligatoire, encadré par un cahier des charges. Étant donné l’impopularité de votre gouvernement, jamais vue jusqu’ici, vous n’auriez rien perdu à engager une telle réforme, permettant de concilier solidarité, à travers une mutualisation des risques, et saine gestion des finances publiques, grâce à un dispositif de financement innovant. Il n’en a rien été.

À l’issue de sa première lecture, ce texte laisse un goût d’inachevé, d’imperfection, d’inconsistance, au regard de l’espérance qu’avait suscitée la large concertation conduite sous l’égide de Mme Delaunay. En conséquence, notre groupe se prononcera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. Sur l’ensemble du projet de loi, le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour le groupe écologiste.

M. Jean-Louis Roumegas. Monsieur le Président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, j’aimerais commencer mon propos en saluant le climat serein qui a présidé à nos échanges au sein de notre hémicycle et permis un débat de qualité et constructif.

Il faut d’autant plus s’en féliciter que le sujet de l’adaptation de la société au vieillissement méritait autre chose que des postures comme celles qui sont affichées aujourd’hui.

Nous avons bien conscience que ce projet de loi est un premier pas dans la prise en compte du vieillissement par notre société, mais du moins a-t-il le mérite d’exister, alors qu’on s’est contenté d’effets d’annonce pendant des années. Nous partageons le souhait de Mme la ministre de l’adoption rapide d’un deuxième volet législatif : nous saluons la logique d’inclusion des personnes âgées et la vision globale de la question du vieillissement de la société de ce projet de loi, mais nous comptons qu’un deuxième texte l’enrichira sur deux points en particulier, et d’abord sur le financement.

En effet le modèle actuel et les mesures de ce texte ne permettent pas de se projeter à très long terme. Il convient de repenser notre système afin d’assurer aux plus âgés le confort nécessaire, en matière de logement, de mobilité ou pour les tâches quotidiennes. À l’heure actuelle, le financement est assuré par les Agences régionales de santé et les conseils généraux. Une articulation efficace de ces deux institutions est une autre source d’interrogation, d’autant que la suppression annoncée des conseils généraux met en cause la pérennité du système.

Le rôle des ARS devra être clarifié. En effet, la nouvelle carte des régions va entraîner une modification du champ d’activité de la plupart des ARS. Il faudra donc prendre en considération toutes ces modifications pour assurer une articulation et un financement pérennes.

D’ores et déjà, nous tenons à saluer plusieurs dispositions de ce texte. Nous nous félicitons de la revalorisation de l’APA à domicile. Cette mesure traduit notre préoccupation de maintenir autant que faire se peut à domicile les personnes en perte d’autonomie qui le souhaitent. Il ne faut pas, en effet, que cette forme de prise en charge soit un pis-aller.

La défense des personnes âgées est également renforcée, grâce notamment à l’adoption de notre proposition d’ouvrir aux associations de défense le droit de se porter partie civile.

Les dispositions en faveur des proches aidants et des aidants familiaux constituent une première reconnaissance des accompagnants. La clarification du rôle des mandataires judiciaires devrait permettre une meilleure protection juridique des personnes âgées.

Les écologistes saluent également l’adoption des propositions de notre collègue Denys Robiliard, issues du rapport Bachelay, en faveur des immigrés âgés, tels les « chibanis ».

Ce texte ne règle pas entièrement la question de l’autonomie : il faudra y consacrer un deuxième volet si l’on veut édifier un véritable service public universel de l’autonomie. En attendant cette deuxième étape, nous approuvons d’ores et déjà ce premier texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, le groupe RRDP porte un regard positif sur un texte qui nous concerne ou qui nous concernera tous, directement ou indirectement.

Cela fait des années que les personnes âgées, leurs familles et l’ensemble des professionnels du secteur réclament une meilleure prise en compte des effets du vieillissement par les pouvoirs publics.

Disons-le d’emblée, ce texte est un premier pas que nous saluons. Nous regrettons cependant l’absence d’un volet financier plus ambitieux. Je reste persuadée que le financement par la CASA ne sera pas suffisant ; j’aurais vivement préféré qu’on fasse de la dépendance un véritable « cinquième risque », dont la prise en charge serait assurée par la Sécurité sociale. En effet, l’accroissement de charges lié à la réalisation d’un tel risque justifie l’institution d’une prestation universelle relevant de la solidarité nationale, au même titre que les risques maladie, maternité, invalidité et décès.

Toutefois, je l’ai dit lors de la discussion générale, les restrictions budgétaires et la crise économique ont évidemment un impact non négligeable sur cette approche et nous en prenons acte avec regret.

Malgré cela, le groupe RRDP apprécie l’esprit de ce projet de loi, car il traduit une nouvelle approche dans la perception du vieillissement, en introduisant l’idée que c’est à la société dans son ensemble de s’adapter pour garantir, au fur et à mesure de l’avancée en âge, des conditions de vie, de logement et de déplacement qui permettent à une personne âgée – confrontée à l’incapacité à faire seule certains actes de la vie quotidienne –, de rester autonome le plus longtemps possible.

L’adaptation de l’environnement dans lequel évolue une personne âgée lui donne la possibilité de vivre le plus longtemps possible de façon autonome. Le titre de ce projet de loi résume parfaitement le sujet : « Adaptation de la société au vieillissement. » En cela, ce texte exprime une véritable révolution des mentalités et nous nous en réjouissons.

Par ailleurs, et j’ai eu l’occasion d’aborder le thème en discussion générale, le groupe RRDP constate avec inquiétude l’absence d’allusion au deuxième volet, qui devait concerner l’accompagnement et la prise en charge des personnes âgées dans les EHPAD.

Mais nous avons bien noté que fin septembre, le groupe de travail chargé de la réforme de la tarification des EPHAD sera bien mis en place. C’est indispensable, tant le reste-à-charge pour la personne accueillie et sa famille devient rapidement insupportable ; la possibilité de l’admission au bénéfice de l’aide sociale pour les frais d’hébergement ne peut rester la seule réponse.

Cela étant dit, je voudrais revenir aux dispositions inscrites dans ce texte. Je note avec satisfaction le renforcement des droits individuels, ainsi que de la protection juridique des personnes handicapées et des personnes âgées fragiles.

Les mesures prévues en faveur du soutien apporté aux aidants, celles relatives au développement de l’accueil familial, amélioreront l’accès et la sécurisation des personnes accueillies dans le cadre de ce dispositif alternatif.

La reconnaissance du volontariat civique senior renforcera le lien social, et valorisera l’engagement libre et désintéressé de personnes âgées.

La clarification du statut de résidence-service était nécessaire. La requalification des foyers-logements sous le terme de « résidence autonomie » est aussi une avancée qui redonnera à ces structures leur vocation d’origine.

Enfin, s’agissant des services polyvalents d’aide et de soins à domicile, qui existent depuis plus de dix ans et qui ont pour objet la coordination de la prise en charge autour de la personne, l’expérience montre que dans de nombreux cas, la prestation fournie s’en trouve améliorée.

Je regrette toutefois qu’on réserve la possibilité de conclure un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens aux SPASAD expérimentaux, alors que certains remplissent de façon satisfaisante leurs missions. Il est dommage de les écarter du dispositif.

L’élargissement du périmètre des schémas départementaux relatifs aux personnes âgées et handicapées aux besoins et aux dispositifs d’accompagnement et de répit des aidants, en cohérence avec les schémas régionaux d’organisation médico-sociale, est utile et pertinent.

La reconnaissance des maisons départementales de l’autonomie, qui leur donne un cadre juridique, est aussi une avancée appréciable. Elle donnera aux conseils généraux la possibilité d’une approche intégrée en matière d’autonomie, en permettant d’organiser la mise en commun des missions d’accueil, d’information, de conseil, voire d’instruction des demandes, d’évaluation des besoins et d’élaboration des plans d’aide.

Pour terminer, je rappellerai l’implication des radicaux de gauche et apparentés sur ce texte et leur rôle dans l’adoption d’un certain nombre d’amendements.

D’autres amendements proposés n’ont pas eu les faveurs de Mme la rapporteure et du Gouvernement, mais nous y reviendrons en seconde lecture.

Enfin, j’aimerais saluer l’esprit constructif de la discussion au sein de notre hémicycle, où majorité et opposition ont su dialoguer, s’écouter et trouver des compromis. J’aimerais également rappeler l’excellent travail et la grande implication de notre collègue Michèle Delaunay sur ce projet de loi dont elle est l’initiatrice.

Je remercie aussi Martine Pinville, rapporteure, ainsi que vous, madame la secrétaire d’État, pour votre travail et les réponses apportées à nos interrogations.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Jeanine Dubié. Certes, ce texte est perfectible, mais en tout état de cause, le groupe RRDP le votera et conserve l’espoir de pouvoir l’améliorer en seconde lecture. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Jacqueline Fraysse. La semaine dernière, nous avons longuement débattu du projet de loi sur l’adaptation de la société au vieillissement. Les échanges ont été sérieux et responsables, chacun ayant conscience de l’importance du sujet et des choix de société à opérer pour les prochaines décennies.

En effet, l’allongement de la durée de vie conduit et conduira, ces prochaines années, ces questions à se poser avec une acuité de plus en plus grande. Ce texte tente d’anticiper cette nécessaire évolution, au plan culturel, puisque le droit des personnes âgées à décider de leur vie est réaffirmé, mais aussi au plan matériel, avec des dispositions visant à leur permettre de rester le plus longtemps possible à leur domicile.

Cependant, pour des raisons strictement financières, vous avez décidé de ne pas traiter la question déjà centrale – et qui va s’accentuer dans les années à venir –, celle du reste-à-charge pour les familles. En effet, les personnes âgées accueillies en établissement auront beaucoup de difficultés à payer l’intégralité des frais d’hébergement, dans la mesure où les EHPAD coûtent en moyenne 2 892 euros par mois, quand la retraite mensuelle moyenne plafonne autour de 1 200 euros.

Ainsi, selon les estimations les plus basses, les familles devront acquitter 1 500 euros par mois pour l’hébergement d’un parent, ce qui est évidemment intenable pour l’immense majorité d’entre elles.

Vous dites avoir renoncé à traiter ce problème en raison du manque de moyens financiers par ces temps de crise. Le ministère évalue la dépense à 1,5 milliard d’euros, ce qui certes est une somme, mais qui paraît relativement dérisoire au regard des milliards offerts par l’État aux entreprises dans le cadre du pacte de responsabilité et du CICE. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Franchement, mes chers collègues, est-ce que cela aurait posé un problème économique majeur à la France si, au lieu de verser près de 41 milliards aux entreprises, y compris celles du CAC 40, sans même vérifier que cet argent public serve bien à l’investissement et non à l’augmentation des dividendes, on ne leur avait versé que 39,5 milliards ?

Force est de constater qu’une fois de plus, les questions sociales, même quand il s’agit des plus fragiles, ne figurent pas parmi les priorités de ce gouvernement, car 1,5 milliard dans ce contexte, c’était possible et juste.

Avec un financement d’un montant total de 654 millions d’euros à peine, ce projet de loi ne sera pas à la hauteur du défi qui se présente.

J’ajoute que vous enfoncez le clou, si j’ose dire, en vous attaquant aux commissions départementales d’aide sociale et particulièrement en instaurant un recours administratif préalable obligatoire. Ces juridictions sont celles de l’aide sociale. On y recourt quand on rencontre un problème concernant son allocation personnalisée d’autonomie ou sa prestation de compensation du handicap, c’est-à-dire quand on se trouve dans une situation très difficile. Si la réforme de leur composition est légitime et nécessaire, tant se posent des problèmes d’impartialité et d’indépendance, cela ne signifie pas qu’il faille les supprimer, encore moins créer un recours administratif préalable auprès du président du conseil général avant que le juge puisse statuer.

Pour rédiger ce recours, il faudra que ces personnes, déjà en difficulté, trouvent de l’aide, y passent du temps, et ce avec si peu d’espoir, que c’est finalement un obstacle de plus qui découragera nombre de justiciables.

Cerise sur le gâteau : vous envisagez de traiter cette important sujet par ordonnance. Vous l’avez compris, ce point nous préoccupe vivement. Nous y reviendrons en deuxième lecture, car il en va de l’accès des plus modestes à la justice, donc à leurs droits.

Cet article 55 est d’autant plus dommageable que pratiquement toutes les dispositions de ce texte sont intéressantes : qu’il s’agisse de la revalorisation de l’allocation personnalisée d’autonomie à domicile, de la reconnaissance des aidants avec la prise en compte de leurs besoins, des mesures visant à favoriser les actions de prévention en matière de perte d’autonomie, ou de la réaffirmation des droits des personnes âgées, ce texte contient d’indiscutables avancées.

De plus, les débats en première lecture ont permis de l’améliorer sensiblement. Je pense aux droits des immigrés âgés et isolés, même si nous aurions souhaité aller un peu plus loin en leur faveur, au renforcement des mesures de protection des personnes fragiles dans leurs relations avec l’établissement qui les héberge, à la reconnaissance de la perte d’autonomie comme un motif possible de discrimination, à la possibilité pour les résidences-logements d’accueillir différents publics, y compris des jeunes, ce qui contribuera à en faire des lieux ouverts, ou encore à la simplification de certaines démarches administratives pour les bénéficiaires de l’allocation de solidarité des personnes âgées.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous voterons ce texte, qui mérite cependant, vous l’avez compris, d’être encore amélioré en deuxième lecture. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants506
Nombre de suffrages exprimés483
Majorité absolue242
Pour l’adoption302
contre181

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Je tiens d’abord à vous remercier pour ce vote en faveur de ce texte. Je remercie tout particulièrement Mme Pinville, la rapporteure, l’ensemble des députés de la commission des affaires sociales pour le travail qu’ils ont fourni, sous la vigilante bienveillance de la présidente Catherine Lemorton. Je remercie tout particulièrement les groupes SRC, GDR, RRDP et écologiste pour leur vote.

Je sais que les uns et les autres ont exprimé, au cours des débats, des attentes supplémentaires, une volonté de poursuivre le travail, des frustrations sur certaines des mesures : leur vote positif manifeste que nous pouvons, ensemble, faire avancer les grands sujets de société, nous réunir et choisir de continuer à travailler ensemble, plutôt que de nous opposer.

Je voudrais dire à Mme Poletti et aux députés de l’opposition présents que leur vote ne répond ni au travail qu’ils ont fait en commission, ni à la qualité des débats que nous avons eu ici. Je n’aurai pas la cruauté, parce que je n’ai pas choisi la posture de la polémique, de rappeler que ce texte contre lequel vous avez décidé de voter, c’est ce que vous n’avez jamais fait, ce que vous avez dix fois promis sous le mandat précédent. Vous le critiquez aujourd’hui pour son insuffisance, mais mieux, c’est toujours plus que rien. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Et je voudrais vous dire que je suis troublée. À chaque étape, quand nous faisons des économies budgétaires, ce n’est jamais assez ; quand nous engageons des dépenses nouvelles pour des besoins nouveaux, ce n’est toujours pas assez. Je ne comprends pas votre cohérence budgétaire, ou plutôt je la comprends mieux, au regard de l’augmentation de la dette publique que vous nous avez laissée.

Les Français verront une chose : même lorsqu’il y a de grandes avancées, s’agissant d’une loi dont moi aussi je suis capable de mesurer à la fois l’ambition et la modestie, vous êtes incapables de mêler vos voix à celles de la majorité dans leur intérêt. Je le regrette, mais vous le regretterez un jour aussi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Règlement du statut des groupes parlementaires

Discussion d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution tendant à modifier le Règlement de l’Assemblée nationale, afin de doter les groupes parlementaires d’un statut d’association (nos 2190, 2194).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Bernard Roman, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Bernard Roman, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, il y a quelques mois, la presse s’est fait l’écho de plusieurs mouvements financiers, apparemment discutables, concernant certains groupes parlementaires à la fois au Sénat et à l’Assemblée nationale. Quelle que soit la réalité exacte des faits rapportés par la presse, ceux-ci posent la question de la transparence des finances des groupes parlementaires et, plus largement, de leur statut juridique.

Aujourd’hui, le statut des groupes est très largement informel. Certes, le Règlement de l’Assemblée nationale précise leurs conditions de formation : d’une part, un nombre minimal de membres, fixé à 15 députés ; d’autre part, le dépôt auprès de la présidence de l’Assemblée d’une déclaration politique.

Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les groupes peuvent se déclarer d’opposition, ce qui leur confère alors certaines prérogatives spécifiques.

En dehors de ces deux éléments, le Règlement de notre Assemblée est muet sur le statut juridique des groupes. Ils apparaissent donc comme des groupements informels dépourvus de personnalité morale et sont ainsi entièrement libres de déterminer leur organisation interne ainsi que leurs règles de fonctionnement.

Cette absence de tout cadre juridique précis ne soulevait pas de difficultés particulières tant que les groupes occupaient une place modeste dans le fonctionnement du Parlement. Elle devient, en revanche, davantage problématique lorsque les groupes jouent un rôle grandissant dans le travail parlementaire et, surtout, lorsqu’ils emploient des collaborateurs ou lorsqu’ils reçoivent des fonds publics.

En vue de faciliter leur fonctionnement, je rappelle en effet que l’Assemblée nationale alloue chaque année aux groupes une dotation financière dont le montant est proportionnel aux effectifs, avec une clé de répartition favorisant les groupes les moins nombreux. Pour mémoire, en 2013, un montant de 4,4 millions d’euros a été versé au groupe socialiste, 3,2 millions d’euros ayant bénéficié au groupe UMP, les quatre autres groupes ayant quant à eux reçu entre 600 000 et 700 000 euros. Au total, la dotation aux groupes politiques de l’Assemblée nationale atteint donc un peu plus de 10 millions d’euros par an.

Dans ces conditions, il paraît normal que, comme tout bénéficiaire de deniers publics, les groupes parlementaires soient tenus de rendre compte de l’usage qu’ils en font. C’est l’objet de la réforme dont nous débattons aujourd’hui, après l’examen en commission des lois la semaine dernière.

Cette réforme doit beaucoup à votre impulsion, monsieur le président Claude Bartolone…

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Très bien !

M. Bernard Roman, rapporteur. …puisque, lorsque ces problèmes se sont posés, vous avez pris l’initiative de mettre en place un groupe de travail réunissant les questeurs et tous les présidents de groupe. C’est d’ailleurs l’ensemble de ces personnes – c’est assez rare pour être signalé – qui a signé la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui.

Cette réflexion commune sur le statut des groupes parlementaires a abouti le 23 juillet dernier à une décision du Bureau de notre Assemblée. Selon celle-ci, les groupes devront désormais être « constitués sous forme d’association présidée par le président du groupe et composée des membres du groupe et apparentés. » La proposition de résolution prévoit d’inscrire cette disposition dans notre Règlement, en son article 20.

Cette modification réglementaire s’inscrit dans le cadre de l’article 51-1 de la Constitution qui, depuis 2008, dispose que « le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein ». Elle permettra de donner aux groupes un statut juridique à la fois clair et souple.

Un statut clair, dans la mesure où l’on sortira de la situation actuelle dans laquelle les groupes n’ont pas de forme juridique précise. Cela conduira ces derniers à davantage formaliser leurs modalités de gouvernance et de gestion au quotidien, ce qui contribuera à clarifier les responsabilités de chacun. La situation juridique des collaborateurs employés par les groupes s’en trouvera également sécurisée.

Un statut souple, car la forme associative est sans doute la plus favorable à la liberté d’organisation et de fonctionnement dont les groupes doivent continuer à bénéficier.

La modification du Règlement ne pose que deux limites à cette liberté, qui vont dans le sens de la simplicité : d’une part, le président de l’association sera nécessairement le président du groupe ; d’autre part, tous les députés membres du groupe, y compris les apparentés, appartiendront obligatoirement à l’association.

Je précise que cette modification réglementaire n’aura aucune conséquence pour certains groupes, notamment, le groupe socialiste – qui est déjà constitué en association depuis 1988 – et, depuis l’actuelle législature, le groupe écologiste.

Ce nouveau statut associatif permettra de soumettre les groupes à trois obligations nouvelles, également décidées par le Bureau de notre Assemblée le 23 juillet dernier – ces dernières, en revanche, n’ont pas vocation à être inscrites dans le Règlement mais il est essentiel qu’elles soient portées à notre connaissance au moment où nous sommes appelés à voter cette proposition de résolution.

Première obligation : le respect des finalités justifiant le versement des dotations financières par l’Assemblée nationale. Ces dotations, rappelle la décision du Bureau, « sont exclusivement destinées aux dépenses nécessaires » à l’activité des groupes, ainsi qu’à la rémunération de leurs collaborateurs.

Deuxième obligation : les groupes devront tenir des comptes. Plus précisément, ils devront, chaque année, établir un bilan et un compte de résultat, qui devront être soumis à un commissaire aux comptes. Enfin, troisième et dernière obligation, et non la moindre : les comptes des groupes politiques seront publiés sur le site de l’Assemblée nationale chaque année, avec les rapports des commissaires aux comptes. Il s’agit là, monsieur le président, après les mesures de transparence que vous nous avez proposées, sur la réserve parlementaire notamment, d’une nouvelle avancée tout à fait significative en matière de transparence.

Pour terminer, je veux signaler que le Sénat s’est, lui aussi, récemment doté de nouvelles règles relatives aux finances des groupes parlementaires.

M. Pascal Popelin. Ce n’est pas du luxe !

M. Bernard Roman, rapporteur. Celles-ci présentent au moins deux différences avec celles prévues par notre assemblée. Sur la forme, d’abord, puisque les mesures décidées par le bureau du Sénat ne donnent pas lieu à une modification de son règlement. Sur le fond, ensuite, car les comptes des groupes du Sénat demeurent confidentiels : ils seront transmis au président du Sénat et aux questeurs et ne seront consultables que par les présidents de groupes. Il s’agit là d’une différence notable, qui montre que le souci de transparence est plus exigeant à l’Assemblée nationale que chez nos collègues de la Haute assemblée.

Au total, mes chers collègues, c’est donc une réforme particulièrement consensuelle de notre règlement que je vous invite à adopter aujourd’hui. Elle a d’ailleurs été adoptée, sans modification, à l’unanimité de notre commission des lois. Cette réforme permettra de renforcer la confiance de nos collègues, comme de nos concitoyens, dans les groupes parlementaires, qui sont des organes absolument indispensables au fonctionnement de notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et écologiste.)

M. Marc Dolez et M. Gaby Charroux. Très bien !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, comment ne pas saluer cette proposition de résolution, qui a suscité un très large consensus lors de son élaboration ?

Les écologistes soutiennent bien évidemment cette étape supplémentaire sur la voie d’une plus grande transparence financière de notre vie politique : elle vient compléter des dispositifs mis en œuvre depuis 2012, qui vont dans ce sens. Je pense notamment à la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui a rendu obligatoire la publicité des déclarations d’intérêts et imposé des contrôles fiscaux aux nouveaux ministres – l’actualité nous a démontré son utilité et son efficacité. Cette loi a également introduit l’interdiction d’utiliser l’indemnité représentative de frais de mandat pour financer une campagne électorale, et elle a mieux encadré les dons aux partis politiques.

Nous avons en outre assuré collectivement la transparence de la réserve parlementaire et la publicité de nos votes, et créé un registre des représentants d’intérêts présents à l’Assemblée nationale. De tout cela, nous pouvons être fiers, car en procédant à ces avancées réglementaires ou législatives, nous permettons à la France de sortir peu à peu de l’hypocrisie dans laquelle la République a trop souvent vécu, s’agissant des rapports entre la vie publique et l’argent.

Et pourtant ! Il nous faut reconnaître qu’au moment où nous nous apprêtons à procéder à cette modification utile, et même indispensable, de notre règlement, nous ne pouvons que ressentir un malaise. Ce malaise provient, à mon sens, de deux phénomènes distincts. Nous ne pouvons malheureusement pas faire grand-chose face au premier, sinon, précisément, créer des cadres aussi contraignants que possible. Je veux parler du comportement de quelques-uns, qui jettent le discrédit sur l’ensemble de celles et ceux qui s’engagent en politique : comportements personnels ahurissants de bêtise et de légèreté, dont on peine à savoir s’ils relèvent d’un sentiment d’impunité ou s’ils témoignent d’une personnalité perturbée – on l’a vu récemment avec un ministre éclair, qui ne peut, en toute lucidité, prétendre redevenir notre collègue.

Mais il s’agit aussi de comportements collectifs : je songe aux révélations proprement scandaleuses sur les pratiques d’un groupe politique au Sénat ou – disons-le sans acrimonie, mais sans hypocrisie non plus – aux dérives constatées ici, dans l’un des groupes de notre assemblée. Tout cela justifie que nous soyons aujourd’hui occupés à réformer le fonctionnement des groupes politiques à l’Assemblée nationale.

Au moins peut-on espérer que les dispositions de cette résolution apporteront des réponses utiles, grâce au cadre associatif, qui s’imposera désormais à nous, grâce au contrôle des comptes des groupes politiques, et grâce à leur publication.

Mais il est regrettable – et c’est la deuxième source du malaise que beaucoup d’entre vous partagent avec moi, j’en suis convaincu – que nous agissions toujours, sur ces questions, dans une logique du « mieux vaut tard que jamais ». En un mot, nous sommes réactifs, bien plus que proactifs. Nous répondons à des situations qui, à l’évidence, sont insupportables du point de vue de l’éthique et de la crédibilité des institutions ; situations révélées par la presse, dont il faut saluer le travail d’investigation, qui permet, peu à peu, d’améliorer nos règles.

Mais, en adoptant cette attitude défensive sur les questions de transparence, nous agissons – ou plutôt, nous réagissons – lorsque le mal est déjà fait. Je veux parler du mal éthique, du mal qui permet aux populismes de prospérer, sur le thème du « tous pourris ». C’est pourquoi, en votant cette proposition, j’en formule une autre, au nom du groupe écologiste : continuons à réfléchir et à proposer des avancées sur la question de la transparence. Saisissons-nous collectivement de ces questions et tentons d’anticiper les problèmes, plutôt que d’y remédier après coup – ou après que le scandale a éclaté.

Il existe un statut spécifique pour les partis politiques. Réfléchissons et tentons d’élaborer un statut propre aux groupes parlementaires, dans le respect des impératifs constitutionnels de liberté et d’indépendance du pouvoir législatif, certes, mais en prenant en compte le fait que le statut associatif ne suffit pas et que la certification des comptes n’est pas la panacée – on a vu des comptes de partis politiques certifiés, alors qu’ils étaient à l’évidence insincères. De même, s’agissant de notre fonctionnement personnel en tant que parlementaires, améliorons le dispositif de l’indemnité représentative de frais de mandat, l’IRFM, qui doit être exclusivement utilisée pour nous accompagner dans l’exercice de notre mission parlementaire, ce qui suppose une transparence renforcée. La transparence est l’outil principal de lutte contre les déviances.

Ce ne sont que des pistes de réflexion, mais je souhaite que nous ne les perdions pas de vue. Sachez en tout cas que les écologistes, au-delà de leur soutien au texte que nous adopterons aujourd’hui, sont disponibles pour avancer sur ces questions, en associant notamment à leurs travaux les associations citoyennes qui contribuent, par leur observation exigeante de notre fonctionnement, à faire progresser la transparence. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Falorni.

M. Olivier Falorni. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de résolution, présentée à titre principal par le président de notre assemblée, que je tiens à remercier, constitue la première tentative de modification de notre règlement sous la présente législature.

Une proposition plus large, relative à l’organisation et à la structuration de nos travaux, est susceptible d’être soumise bientôt à notre discussion, mais celle qui nous occupe aujourd’hui présente déjà deux très grands mérites. D’abord, elle marque une nouvelle étape dans l’indispensable transparence de la vie politique. Ensuite, elle semble aujourd’hui faire l’unanimité, ce qui n’est que justice.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas si fréquent !

M. Olivier Falorni. Il est vrai que ce n’est, hélas, pas si fréquent.

M. Bernard Roman, rapporteur. C’est même rarissime !

M. Olivier Falorni. Néanmoins, plusieurs questions se posent, qui ne sont pas de pure rhétorique, et que je me permettrai de poser pendant les quelques minutes qui me sont accordées.

Le statut d’association permettra d’instaurer des procédures de contrôle répondant aux attentes de nos concitoyens sur l’utilisation des dotations publiques accordées aux groupes parlementaires. Cet objectif est louable, et nous le faisons évidemment nôtre. Mais de quel type de contrôle s’agira-t-il ? Juridiquement, il ne peut s’agir d’un contrôle interne à l’Assemblée. En effet, le Conseil constitutionnel applique aux groupes parlementaires les exigences constitutionnelles de l’article 4 de la Constitution, relatives à la liberté de formation des partis et groupements politiques. Le rapporteur a d’ailleurs confirmé que cet article s’appliquait bien aux groupes parlementaires. C’est à ce titre que, dans sa décision du 18 mai 1971, rendue dans le prolongement de la décision fondatrice du 24 juin 1959, il a estimé qu’une formalité consubstantielle à la constitution des groupes – l’obligation de rendre publique leur déclaration politique – ne pouvait emporter aucun contrôle sur le contenu de ladite formalité.

Or l’exposé des motifs de la proposition de résolution précise que le nouveau statut associatif des groupes « permet la mise en place d’outils de contrôle […] externe ». Quel sera ce contrôle externe ? Celui des citoyens ? Puisque l’objectif est de publier les comptes des groupes sur le site de l’Assemblée nationale, ce sera le seul possible, et ce n’est pas le moindre.

La constitution des groupes sous forme associative – je me permettrai de rappeler que la loi du 1er juillet 1901 n’a absolument pas été rédigée pour servir de cadre juridique aux partis politiques – permettra-t-elle d’interdire aux groupes parlementaires de participer financièrement à autre chose qu’à leur fonctionnement ? A priori, non. Pour clarifier d’un point de vue juridique le régime financier des groupes parlementaires, qui relève in fine du domaine de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, il faudrait donc passer par la loi pour préciser le régime des dons dont ils pourraient bénéficier ou qu’ils pourraient effectuer, notamment en provenance ou en direction des partis politiques. Il faudrait, tant pour asseoir le statut des partis que des groupes parlementaires, clarifier la catégorie de « partis et groupements politiques », ce qui implique de se lancer dans une œuvre législative à la hauteur du système allemand, ce qui n’est pas pour demain, en tout cas pas pour aujourd’hui.

Permettez-moi une dernière remarque : se constituer sous forme associative sera pour les groupes une formalité essentielle, au sens où cela conditionnera le versement par l’Assemblée d’une dotation de fonctionnement. Le statut associatif sera imposé aux groupes au motif qu’ils fonctionnent avec ces dotations. Qu’adviendrait-il si un groupe parlementaire décidait de ne fonctionner qu’avec les cotisations de ses membres ? Ne serait-il pas libre de le faire ? Qu’en est-il, par ailleurs, de la portée exacte du principe d’égalité des groupes parlementaires, récemment affirmée par la décision du 28 février 2013, rendue à l’occasion de la proposition de résolution déposée en son temps par nos collègues écologistes ? Lorsqu’elle fut débattue, la question du respect de l’article 4 de la Constitution avait été posée, et certains de nos collègues avaient estimé qu’il n’appartient pas au règlement de l’Assemblée nationale de régir le fonctionnement interne des groupes, dont l’indépendance et la liberté sont garanties par la Constitution.

À toutes ces questions, le Conseil constitutionnel répondra. Mais comme nous partageons totalement l’objectif de transparence des comptes, nous voterons, malgré les questions qu’elle pose, cette proposition de résolution.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, garantir l’intégrité des élus, et plus largement des responsables publics, est une exigence républicaine. Alors que nous sommes plongés dans une profonde crise économique, sociale et morale, redonner confiance au peuple et lever les suspicions qui pèsent sur les élus apparaissent, plus que jamais, comme un impératif démocratique.

Les différents scandales, passés et récents, ont légitimement entamé la confiance des Français dans leurs élus et dans leurs institutions, et il est aujourd’hui indispensable de la rétablir. C’est précisément l’ambition de cette proposition de résolution, relative à la transparence des finances des groupes parlementaires et, plus largement, à leur statut juridique.

Ce texte s’inscrit dans la logique de loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui a instauré des règles et procédures permettant de garantir l’intégrité des responsables publics.

La mise en place d’un dispositif de prévention des conflits d’intérêts ; l’amélioration de leur détection et de leur contrôle ; le renforcement des mesures tendant à la transparence financière et des dispositifs répressifs constituent les gages de l’impartialité de tous ceux qui exercent des responsabilités publiques.

Nous saluons cette proposition de résolution qui tend à imposer aux groupes parlementaires de l’Assemblée nationale de se constituer sous forme d’association. L’article unique de la présente proposition de résolution tend à modifier l’article 20 de notre règlement, relatif au secrétariat administratif des groupes parlementaires, afin d’y ajouter que chaque groupe doit être constitué sous forme d’association, présidée par le président du groupe et composée des membres du groupe et apparentés. Nous souscrivons aux implications qu’engendrera cette modification.

Ce nouveau statut associatif permettra, en effet, de soumettre les groupes à des obligations nouvelles décidées par le bureau de notre Assemblée le 23 juillet dernier, mais qui n’ont pas vocation à être inscrites dans notre règlement.

En premier lieu, définir et clarifier les conditions d’utilisation des dotations versées chaque année aux groupes parlementaires s’avère indispensable au regard de l’utilisation pour le moins inappropriée que des groupes importants ont pu faire de cet argent public. Ces dotations ne pourront désormais avoir que deux objets : financer l’activité des groupes et rémunérer leurs collaborateurs. Pour autant, vous vous en doutez, les petits groupes – pour autant que l’on puisse employer cette expression – ne peuvent faire une autre utilisation de leurs dotations aujourd’hui.

En deuxième lieu, les groupes parlementaires auront l’obligation de tenir des comptes, qui seront contrôlés par un commissaire aux comptes. Ce contrôle externe des comptes du groupe, réalisé par le commissaire aux comptes, sera complété par les habituels mécanismes de contrôle interne, propres à chaque association. En particulier, les comptes annuels et les rapports du commissaire aux comptes devraient être soumis à l’approbation de l’assemblée générale de l’association.

En troisième et dernier lieu, les comptes des groupes, accompagnés des rapports des commissaires aux comptes, seront rendus publics sur le site de l’Assemblée nationale.

Nous nous félicitons bien évidemment de cette réforme particulièrement consensuelle qui favorisera la transparence des finances des groupes parlementaires. Si la transparence n’est pas une fin en soi, elle constitue un moyen de rétablir la confiance des Français envers leurs élus et leurs institutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, agir pour contribuer à la moralisation du fonctionnement de notre démocratie est une tâche qu’il faut sans cesse remettre sur le métier. L’éthique et les principes le commandent en toutes circonstances.

L’état de l’opinion rend cette œuvre plus nécessaire encore, à l’heure où les Français sont chaque jour confortés – à un niveau de plus en plus préoccupant – dans l’idée, qui n’est pas nouvelle, selon laquelle ceux qu’ils sont de moins en moins nombreux à élire n’auraient jamais été aussi peu dignes de confiance.

Aujourd’hui, la défiance est générale, personne ne peut s’en abstraire. Ceux qui, par leurs actes, alimentent cette interminable chronique en portent bien évidemment la responsabilité première. Ceux qui la commentent à l’excès, souvent sans discernement, par ignorance ou à dessein, sont aussi comptables d’une situation qui menace désormais l’avenir même de la République. Ceux qui pensent qu’ils peuvent tirer un quelconque bénéfice politique lorsqu’un concurrent se trouve placé – à tort ou à raison – sur la sellette, se livrent à un petit calcul de courte vue.

La seule réponse qu’il convient d’apporter pour mettre un terme à ce climat irrespirable tient en peu de mots : des règles claires et strictes, un contrôle indépendant et efficace, des sanctions fermes et lourdes.

Ainsi doit être comprise l’ambition d’une République exemplaire. La République exemplaire, ce ne peut être une somme de personnes toutes exemptes du moindre reproche. La société humaine et la nature humaine n’ont pas été ainsi fabriquées. La République exemplaire, c’est une démocratie qui se donne les moyens de détecter les manquements, d’y mettre fin immédiatement et d’en éloigner les auteurs.

Depuis le début de cette législature, le Parlement y a amplement œuvré. Je pense en particulier à la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

M. Guy Geoffroy. La loi Cahuzac !

M. Pascal Popelin. Elle a donné naissance à la haute autorité du même nom, dont personne ne peut aujourd’hui douter de l’indépendance. Elle a inscrit dans notre droit la définition de ce qui doit être considéré comme un conflit d’intérêts. Elle a créé l’obligation pour les parlementaires et les principaux responsables de l’État de souscrire une déclaration d’intérêts, rendue publique depuis juillet dernier. Elle a instauré la vérification des déclarations de patrimoines, qui seront très bientôt consultables par les citoyens, une fois recoupées. Elle a rendu systématique l’examen de la situation fiscale des membres du Gouvernement, dans le mois suivant leur nomination. Elle a mieux encadré les dons des particuliers aux partis politiques, pour empêcher cette forme de détournement de la loi que constituait la multiplication des micro-partis. Elle a lourdement durci les sanctions pour ceux qui manqueraient à l’ensemble de ces règles.

Cette loi place enfin la France parmi les démocraties disposant des normes les plus avancées en matière de contrôle de l’intégrité de ses responsables publics, même si nos concitoyens n’en ont pas encore conscience.

Au sein de notre Assemblée, je rappellerai l’action déterminante de notre président pour instaurer l’équité dans la répartition de la réserve parlementaire, et la publication de son emploi.

Avec la proposition de résolution sur laquelle nous nous prononçons aujourd’hui, nous poursuivons ce chemin.

Je me réjouis que ce texte simple, qui vise à modifier l’article 20 du règlement de notre Assemblée pour rendre obligatoire la forme associative des groupes politiques, s’inspire des modalités de fonctionnement que le groupe SRC, notamment, a fait le choix de s’appliquer depuis 1988, c’est-à-dire depuis que des règles relatives au financement des partis politiques ont commencé d’être édictées, comme la rappelé M. le premier questeur.

Cette forme associative présente les garanties qu’une démocratie moderne est en droit d’attendre du fonctionnement d’une structure dont l’objet est certes spécifique, mais qui n’en demeure pas moins bénéficiaire de dotations publiques. Ces garanties tiennent au fonctionnement démocratique avec l’élection des responsables, au contrôle interne avec la présentation et l’approbation des comptes par une Assemblée générale, mais aussi au contrôle externe avec leur certification par un commissaire aux comptes.

Je me réjouis enfin que ce texte, porté par le président de l’Assemblée nationale dont le rôle décisif a été rappelé, les trois questeurs de notre Assemblée, ainsi que par l’ensemble des présidents de groupe, semble consensuel. Cela tranche heureusement avec la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, sur le vote de laquelle majorité et opposition ne s’étaient pas retrouvées.

M. Guy Geoffroy. C’est vrai !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je l’assume !

M. Pascal Popelin. Le groupe SRC soutiendra donc bien évidemment ce projet de résolution, qui ne changera rien pour lui-même, puisqu’il est par avance en conformité avec cette modification, mais qui constituera, à n’en pas douter, une utile révolution pour d’autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le premier questeur et rapporteur de cette résolution, mes chers collègues, nous sommes amenés à débattre de ce sujet dans un contexte qui a été décrit par les orateurs précédents. Cette défiance générale qui affecte la société française porte en particulier sur les élus que nous sommes.

Même si nous ne partageons pas toutes les décisions qui ont été rappelées par Pascal Popelin et d’autres orateurs de la majorité avant lui, je remercie néanmoins mes collègues d’avoir manifesté depuis cette tribune que sans doute il y a peu de professions – si l’on peut parler de profession – qui se soient autant réglementées au cours des dernières années que celle de ceux qui exercent une activité parlementaire. Je tiens à les remercier d’avoir fait cet inventaire car que je pense que l’opinion le sait peu. Par la faute de quelques uns d’entre nous, l’opprobre a été jeté sur nous tous, ce qui est insupportable pour la majorité d’entre nous qui n’est pas concernée par ce genre de mésaction. Il est donc sain que l’on puisse rappeler à l’occasion de ce débat que les élus font aussi des efforts, qu’ils veillent à ce que l’exercice de leur activité se passe dans un cadre normal, et que de plus en plus fréquemment, nous faisons en sorte que ceux qui voudraient mal se comporter soient contenus, malgré la difficulté de l’exercice.

Je n’ai pas, comme le rappelait notre collègue Popelin, un enthousiasme fou pour le texte adopté par l’Assemblée sur la transparence financière, ni pour la publication du patrimoine des élus. Je m’en suis expliqué à cette tribune pendant les différentes lectures, et notre collègue Falorni a eu raison, à cet égard, de soulever les questions qu’il a posées lors de son intervention : nous devons toujours trouver un équilibre entre la contrainte qu’il faut faire peser sur ceux qui exercent des responsabilités publiques d’un côté – l’objectif de transparence peut répondre à cette contrainte – et la garantie absolue de la liberté d’action, de décision, de parole et de vote des mêmes élus.

Cet équilibre est difficile à trouver, il peut être atteint par des intentions de transparence qui seraient exagérées par rapport à l’activité de nos mandats respectifs. Dans ce cas précis, le cadre proposé respecte cet équilibre, et c’est la raison pour laquelle notre groupe votera cette résolution.

La modification du règlement qui est proposée fournit un cadre, c’est la première exigence. Des formalités accompagnent ce cadre : la limitation légitime, du fait du statut juridique des groupes futurs, du choix des dépenses qui pourraient être engagées par ces groupes, et les modalités de contrôle externes rappelées par les différents orateurs ainsi que la publication des comptes. Tout cela est très sain.

Le statut associatif laisse par ailleurs suffisamment de souplesse aux groupes pour décider eux-mêmes de leur organisation interne et de la manière dont ils entendent utiliser les dotations qu’ils reçoivent ou les cotisations. Toute cette souplesse est nécessaire, compte tenu de la nature de notre activité et des fluctuations de la vie politique qui bouleverse parfois assez rapidement la dimension des groupes politiques auxquels nous appartenons.

Il existe des interrogations juridiques, Olivier Falorni s’en est fait l’écho, et le travail en commission a également permis de les examiner. Il est ainsi possible de s’interroger sur le respect de la Constitution à l’égard du statut associatif, ou bien sur la manière dont on pourrait traiter la limitation de la constitution de réserves, et leur dévolution. Il y a là encore un problème d’équilibre à trouver, tous les élus locaux qui versent des subventions aux associations le savent bien. Peut-on pénaliser les bons gestionnaires, sachant toutefois que la collectivité n’est pas là pour permettre à des personnes morales de droit privé de constituer des matelas de trésorerie ? Il faudra donc maintenir un équilibre raisonnable.

En ce qui me concerne, sur ces différents sujets, je peux considérer avec les membres de notre groupe et son président Christian Jacob – cosignataire de cette résolution – que les réponses apportées en commission par le rapporteur suffisent à lever les interrogations que nous pourrions avoir, et je confirme donc que le groupe UMP votera cette résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Roman, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens à saluer, au nom du groupe UDI, cette proposition de résolution marquée du sceau du consensus. Je salue également la volonté du président de l’Assemblée nationale et de l’ensemble des présidents de groupe, puisque cette proposition de résolution a été élaborée par le bureau, signée par tous les questeurs et l’ensemble des députés des groupes. Il existe donc une volonté commune de faire un pas de plus vers une meilleure gestion publique et vers la démocratie.

Pour l’UDI, la vitalité de la démocratie passe par l’exemplarité des élus de la République. Le respect de nos concitoyens, que nous représentons, passe par une transparence totale sur l’utilisation de l’argent public qui nous est confié pour assurer notre mission.

Nous sommes attachés au pluralisme, et nous considérons que la diversité des courants d’opinion constitue l’un des ferments de cette démocratie. Dans le respect des ces valeurs, que nous prônons depuis le début de cette législature, dans la continuité des propositions que nous avons toujours défendues, nous soutenons bien entendu cette réforme du règlement.

Aujourd’hui considérés comme des formations dépourvues de personnalité morale, comme le rappelait Bernard Roman, dotés d’un statut largement informel – voire incertain – les groupes parlementaires ont besoin d’être réformés et encadrés par un statut juridique précis afin de clarifier l’utilisation des dotations dont bénéficient chacun des groupes parlementaires depuis près de soixante ans pour assurer leur fonctionnement.

Si les conditions de création des groupes parlementaires et leurs prérogatives sont inchangées, en revanche la définition du statut associatif des groupes aura des conséquences indéniables sur le fonctionnement même de ces groupes et de notre démocratie, chacun doit en avoir conscience.

L’adoption de la forme associative conduira d’abord les groupes à formaliser davantage leurs modalités de gouvernance et de gestion au quotidien, ne serait-ce qu’en institutionnalisant la nomination, au sein de chacun des groupes, d’un président, d’un trésorier et d’organes délibérants. C’est d’ailleurs ce que nous voyons dans toutes les associations dont nous assistons aux assemblées générales.

L’adoption de la forme associative permettra aussi de sécuriser et de clarifier la situation juridique des collaborateurs de groupe. C’est un élément très important, dont nous avons eu l’occasion de débattre, monsieur le président.

Cette réforme du règlement permettra bien sûr de faire en sorte que les dotations attribuées aux groupes par l’Assemblée soient exclusivement destinées aux dépenses nécessaires à leur activité et à la rémunération de leurs collaborateurs. Cela tombe sous le sens, mais il n’est pas inutile de le rappeler ! Les groupes devront établir chaque année un bilan et un compte de résultat, qui seront contrôlés et publiés. Je suis très à l’aise sur cette question, car j’ai moi-même présenté les comptes du groupe UDI devant l’ensemble des parlementaires ; pour l’année 2014, ces comptes seront certifiés par un expert comptable, avant même que le règlement de notre assemblée ne l’impose.

Jean-Frédéric Poisson l’a très bien dit tout à l’heure, cette nécessaire transparence doit aller de pair avec la liberté d’activité des groupes et des associations. Bien que doté du statut d’association, chaque groupe demeurera libre de définir ses statuts et son règlement intérieur. Cette souplesse est indispensable, car il convient de préserver l’identité, la culture, l’histoire, la spécificité et l’indépendance des groupes auxquels nous appartenons.

C’est la raison pour laquelle le groupe UDI votera naturellement en faveur de cette proposition de résolution. Nous semons un nouveau petit caillou blanc sur le chemin de la transparence, de la démocratie et de la confiance, même s’il faudra encore beaucoup de petits cailloux blancs pour que cette confiance soit pleinement restaurée. En tout cas, c’est un acte fort que nous posons cet après-midi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Roman, rapporteur. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bernard Roman, rapporteur. Sans vouloir abuser du temps de notre assemblée, il me semble important, monsieur le président, d’apporter quelques précisions de nature constitutionnelle et de répondre à un certain nombre d’interrogations qui viennent d’être exprimées.

J’aborderai d’abord les sujets évoqués par M. Alauzet. Monsieur le président, vous avez chargé le Bureau et le collège des questeurs de poursuivre la réflexion sur un certain nombre de problèmes. Vous avez d’abord demandé aux questeurs de préparer un rapport sur l’utilisation de l’indemnité de représentation et de frais de mandat, l’IRFM. Le déontologue travaille également, de son côté, sur cette question ; quant à nous, nous préparons le rapport que vous avez demandé au collège des questeurs.

Vous nous avez aussi demandé, monsieur le président, de poursuivre le travail relatif à la situation des collaborateurs des groupes.

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. Bernard Roman, rapporteur. Cette question a été évoquée par plusieurs intervenants. Aujourd’hui, la gestion des collaborateurs des groupes est assurée par l’Assemblée nationale, mais leur prise en charge est assurée par l’Association des présidents de groupe. Le fait que chacun des groupes soit désormais doté d’un statut devrait permettre de sécuriser la situation de ces collaborateurs.

M. Philippe Vigier. Excellent !

M. Bernard Roman, rapporteur. M. Falorni a évoqué un ensemble de questions touchant à l’articulation et au point d’équilibre que nous avons cherché et que nous avons, je pense, réussi à trouver, entre le principe de liberté des partis et groupements politiques défini à l’article 4 de la Constitution et la contrainte qui caractérise le statut associatif dont nous proposons de doter les groupes politiques de l’Assemblée nationale.

Monsieur Falorni, vous avez d’abord posé la question du contrôle. Le règlement ne prévoit aucun contrôle particulier exercé sur les groupes par l’Assemblée nationale : ce type de contrôle reviendrait à remettre en cause le principe constitutionnel de liberté des groupements politiques. En revanche, comme nous l’indiquons dans l’exposé des motifs, cette proposition de résolution entraînera la mise en place d’un contrôle interne, exercé par les membres du groupe, puisque le statut associatif nécessitera la présentation du bilan, du compte de résultat et du rapport du commissaire aux comptes à l’assemblée générale de l’association constituée par les membres du groupe. Elle permettra aussi un contrôle externe, tant par le recours à un commissaire aux comptes, dont le rapport sera présenté en assemblée générale, que par la publication des comptes du groupe politique.

Vous avez eu raison de le souligner, monsieur Falorni, le plus beau contrôle externe qui puisse exister, c’est celui de la transparence absolue assurée par la publication intégrale des comptes des groupes politiques. Sur ce point, nous sommes tous tombés d’accord et avons trouvé le point d’équilibre entre le respect de la liberté des groupements politiques que constituent les groupes politiques, définie à l’article 4 de la Constitution, et la contrainte que représente la transparence.

Vous avez aussi évoqué, monsieur Falorni, la censure par le Conseil constitutionnel de la résolution adoptée à l’initiative du groupe écologiste en février 2013. Je veux revenir sur cette question, car nos débats font l’objet d’un compte rendu qui ne manquera pas d’être lu. La décision du Conseil constitutionnel était fondée sur la violation du principe d’égalité entre les groupes, et non sur celle du principe de liberté d’un groupement politique. La proposition de résolution dont nous discutons aujourd’hui est donc tout à fait différente de celle du groupe écologiste, qui était d’ailleurs, monsieur Falorni, la première tentative de modification du règlement de la législature – nous en sommes donc à la deuxième tentative, contrairement à ce que vous avez dit au début de votre intervention, et que vous avez ensuite vous-même rectifié.

Monsieur Chassaigne, je vous remercie d’avoir souligné que, même si la transparence n’est pas une fin en soi – nous en convenons tous –, elle est une condition de la confiance du peuple dans les élus. En ce domaine, nous avançons tous ensemble.

Merci, monsieur Popelin, d’avoir rappelé l’ensemble des avancées adoptées, depuis deux ans et demi, à l’initiative de la majorité – le rapporteur ne pouvait pas le faire, car il aurait été accusé de partialité –, mais aussi du président, sur un certain nombre de questions relatives au fonctionnement de notre assemblée et au statut des députés. Toutes ces avancées vont dans le sens de la transparence.

Monsieur Poisson, vous avez vous aussi beaucoup insisté sur le point d’équilibre que nous avons, je pense, collectivement trouvé. Je l’ai dit en commission des lois, lorsque nous avons évoqué pour la première fois cette question avec le président et certains membres du Bureau, nous avons d’abord envisagé de doter les groupes parlementaires d’un statut de parti politique. Or nous nous sommes très vite rendu compte que les contraintes pesant sur les partis politiques allaient bien au-delà de celles afférentes au statut associatif, que nous avons finalement proposé. Comme vous le dites, monsieur Poisson, cette proposition de résolution fournit un cadre. Mais ce cadre laisse la liberté la plus grande aux groupements politiques que constituent les groupes parlementaires, tout en instaurant les repères de transparence que nous souhaitions introduire dès l’origine.

Monsieur Vigier, vous avez vous aussi parlé d’exemplarité et de transparence. Vous avez souligné le fait que la définition des modalités de gestion des associations appartiendra aux groupes politiques, une fois le cadre mis en place.

Vous avez également évoqué la question des collaborateurs : je répète qu’il s’agit d’un sujet sur lequel le président nous a demandé de continuer à travailler, au-delà de cette proposition de résolution. Les questeurs ont été mandatés par le président, au nom du Bureau, pour poursuivre ce travail. Deux pistes sont envisagées. D’une part, nous cherchons une manière de sécuriser le statut des collaborateurs par rapport à leur groupe politique, qui est leur employeur, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La gestion continuerait d’être assurée par les services de l’Assemblée nationale ; elle ne reposerait pas sur les groupes politiques eux-mêmes, dont la structure est parfois bien trop légère pour pouvoir assurer cette fonction administrative. D’autre part, le président a demandé aux questeurs de présenter un rapport sur les modalités d’utilisation et de contrôle éventuel de l’IRFM, ce que nous aurons l’occasion de faire au Bureau dans les mois à venir.

Voilà, monsieur le président, mes chers collègues, les réponses que je tenais à apporter aux orateurs de la discussion générale. Je veux enfin me féliciter – et, par là même, féliciter le président, qui est à l’initiative de la proposition de résolution – du fait que ce texte ait recueilli le soutien unanime des présidents de groupe, et même celui des députés non-inscrits qui siégeaient à la commission des lois le jour où elle l’a adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Excellent !

Vote sur l’article unique

M. le président. Je mets aux voix l’article unique de la proposition de résolution.

(L’article unique est adopté à l’unanimité, ainsi que l’ensemble de la proposition de résolution.) (Applaudissements.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Marc Le Fur.)

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

4

Lutte contre le terrorisme

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (nos 2110, 2173).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de trois heures seize minutes pour le groupe SRC dont vingt-quatre amendements sont en discussion, deux heures trente minutes pour le groupe UMP dont quarante-six amendements sont en discussion, une heure vingt-six minutes pour le groupe UDI dont deux amendements sont en discussion, quarante-sept minutes pour le groupe écologiste dont vingt-six amendements sont en discussion, trente-neuf minutes pour le groupe RRDP dont un amendement est en discussion, trente-six minutes pour le groupe GDR dont aucun amendement n’est en discussion et quatorze minutes pour les députés non-inscrits.

Discussion des articles (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a commencé la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’article 2.

Article 2

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, inscrit sur l’article 2.

M. Pierre Lellouche. L’article 2 concerne l’étranger déjà astreint à résidence après avoir été condamné à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme et qui est également l’objet d’un arrêté d’expulsion.

Dans ce cas, aux termes de l’article, en plus de l’assignation à résidence, il peut se voir prescrire une interdiction d’être en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes nommément désignées, le tout sous le contrôle du juge.

Deux questions au moins se posent au sujet de cet article eu égard à la discussion que nous avons eue hier soir, très tard dans la nuit.

Premièrement, comment l’article 2 s’applique-t-il aux candidats au retour dont nous avons parlé ? Cette question fera l’objet de l’amendement que vous vous êtes engagé, monsieur le ministre de l’intérieur, à approfondir avec nous et à déposer au Sénat. Qu’en sera-t-il de l’étranger qui a commis des actes de terrorisme à l’étranger, qui revient en France et auquel nous interdisons le territoire ? Comment le texte devient-il compatible avec notre discussion d’hier et comment envisagez-vous, monsieur le ministre de l’intérieur, le déroulement des opérations ?

Deuxièmement, comment s’articule la différence entre l’étranger astreint à résidence après avoir commis un acte de terrorisme et l’étranger soupçonné de vouloir en commettre un ? L’article 1er indique que tout ressortissant ou résident français est concerné. À l’article 2, cette personne a déjà été condamnée pour des actes de terrorisme. Quid de l’étranger soupçonné par nos services de renseignement, sur la base de renseignements solides, de vouloir commettre ces crimes ? Dans ce cas, quel type d’assignation à résidence entendez-vous prendre ?

Telles sont les deux questions que je me pose à la lecture de l’article 2 afin de le mettre en cohérence avec la discussion qui a eu lieu hier sur l’article 1er.

M. le président. Nous en venons aux amendements.

La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n25.

M. Pierre Lellouche. Je considère que je viens de le défendre.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Avis défavorable. L’amendement vise à augmenter la durée d’assignation à résidence prononcée en la faisant passer de six mois à un an, ce qui ne correspond pas à l’objet de l’article lequel vise à interdire l’entrée en relation avec certaines personnes.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Je demande une suspension de séance, monsieur le président.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le ministre de l’intérieur, pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement n25.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député Lellouche, je suis également défavorable à votre amendement pour des raisons que je veux rapidement exprimer.

L’amendement a pour objet d’augmenter la durée de l’assignation à résidence. Il ne concerne pas des personnes qui seraient situées à l’étranger dont nous souhaiterions, à l’instar de ce que nous avons évoqué hier soir, empêcher le retour sur le territoire national. Il s’agit d’étrangers situés dès à présent sur le territoire national, en situation d’assignation à résidence pour des raisons qui tiennent au fait qu’ils ne peuvent être expulsés immédiatement en raison des faits qu’ils ont commis et pour des raisons qui peuvent tenir à leur santé et à de multiples considérations.

L’assignation à résidence qui n’a pas de durée limitée est mise en place pour créer les conditions de la surveillance de ces personnes dans l’attente de leur expulsion. Nous avons d’ailleurs procédé à l’expulsion de ressortissants étrangers résidant en France ayant été convaincus d’avoir participé ou de vouloir participer à des opérations de type terroriste.

Pour ces ressortissants assignés à résidence, vous proposez d’étendre au-delà de six mois la durée d’interdiction de prise de contact avec d’autres acteurs susceptibles de les accompagner dans des opérations terroristes.

En réalité, cette durée de six mois est suffisante pour assurer la neutralisation de leurs relations. En tout état de cause et en l’état actuel du droit, ce délai est susceptible d’être renouvelé si nous disposons à son terme d’éléments suffisants pour démontrer que ce renouvellement s’impose. Votre amendement étant déjà satisfait par le droit en vigueur, je vous propose donc de le retirer.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je retire donc cet amendement.

(L’amendement n25 est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n1.

Mme Danielle Auroi. L’amendement n1 tend à compléter l’alinéa 2 par la phrase suivante : « Cette interdiction est levée dès que les conditions ne sont plus satisfaites ou en cas de levée de l’assignation à résidence. », afin de préciser que l’interdiction d’être en relation avec certaines personnes doit prendre fin si les conditions ne sont plus réunies ou en cas de levée de l’assignation à résidence.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Avis favorable. La rédaction adoptée par la commission précise bien, en effet, que la nouvelle interdiction vise des personnes assignées à résidence. Il paraît donc évident que la nouvelle mesure ne pourrait s’appliquer à la personne concernée si l’assignation était levée.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Dès lors que les conditions qui ont présidé à l’assignation à résidence ne sont plus réunies, il est normal que celle-ci tombe. L’avis du Gouvernement est donc également favorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le ministre, au-delà de la complexité des différents items que nous évoquons depuis le début de l’examen de ce texte, avec les cas des résidents sur le territoire national, des résidents à l’étranger, des étrangers, de la nationalité française et de la double nationalité, je ne comprends pas le raisonnement qui a présidé à la rédaction de cet amendement – certes purement juridique.

Comment une personne qui a été contact avec des réseaux ou des individus dangereux n’aurait-elle pas l’intelligence, si elle est convenablement formée, d’attendre l’expiration du délai de six mois ou d’un an pour reprendre ces contacts ? Du point de vue de la sécurité, le raisonnement est tout à fait asymétrique car, si vous vous adoptez la position de l’État de droit, vous êtes confronté à des personnes qui font peu de cas de ce dernier et qui sont formées pour le combattre et le détruire. Je ne détiens certes pas la solution à ce problème, mais je ne vois pas pour autant ce que cet amendement apporterait au texte.

Il est en revanche dangereux et superfétatoire, car il est d’une naïveté absolue. Lorsqu’une personne a été bien formée pour commettre des actes terroristes sur le territoire national, ses formateurs lui ont également appris à dissimuler autant que possible ses activités et à être assez patiente pour attendre six mois, voire un an ou deux – et même dix s’il le faut, en position d’agent dormant – pour commettre ces actes. On voit donc ici la grande difficulté intellectuelle que soulève ce projet de loi, qui ne répondra en rien à la réalité des défis auxquels nous sommes confrontés. J’y suis donc profondément défavorable.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Dhuicq, je ne comprends pas l’objet de votre intervention. L’amendement n’a en effet pas d’autre finalité que d’acter l’état du droit, ce qui est la moindre des choses que nous puissions faire ensemble dans un hémicycle dont l’élaboration du droit est précisément la raison d’être. Que nous adoptions ou non cet amendement de précision, le droit ne s’en appliquera pas moins – et, si nous ne l’appliquions pas, nous serions rappelés à l’ordre par ceux qui sont chargés de contrôler la constitutionnalité du texte.

Cet amendement, je le répète, n’ajoute aucune norme législative à l’état du droit, qu’il se contente de préciser. Il n’y a donc pas lieu d’évoquer une quelconque naïveté à l’égard des terroristes ou une volonté d’entrer dans leur raisonnement.

(L’amendement n1 est adopté.)

M. le président. L’amendement n107 de M. Sébastien Pietrasanta est rédactionnel.

(L’amendement n107, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 2, amendé, est adopté.)

Avant l’article 3

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 54 rectifié, 31 rectifié et 86, visant à insérer un article additionnel avant l’article 3 et pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n54 rectifié.

M. Éric Ciotti. Je tiens avant tout à saluer l’efficacité, une nouvelle fois démontrée, de M. le président de la commission des lois, qui vient de faire la preuve de sa capacité à mobiliser un groupe en perdition. Bravo, monsieur le président.

Mme Claude Greff. Il y avait urgence : ils n’avaient pas la majorité !

M. Éric Ciotti. Cet amendement tend à créer un délit et à frapper d’une condamnation ceux qui vont combattre à l’étranger sans l’autorisation des autorités françaises : c’est là le délit-obstacle réclamé par les juges antiterroristes. Les chiffres que vous avez rappelés soulignent l’importance de ce phénomène et laissent augurer de l’ampleur de la menace, qui risque encore de s’accroître. On peut en effet présumer que les personnes impliquées dans des actes terroristes et des combats sur des territoires étrangers – en Irak ou en Syrie, au sein de l’État islamique –, qui sont actuellement moins d’un millier, seront rejointes par d’autres, très nombreuses.

Il convient donc aujourd’hui de prévoir une condamnation lorsque ces personnes vont combattre à l’étranger. L’amendement propose ainsi une condamnation pouvant aller jusqu’à sept ans de prison, car la réponse doit être ferme et dissuasive.

Vous me répondrez certes, monsieur le ministre, que l’amendement est satisfait par les dispositions introduites par votre prédécesseur dans la loi antiterroriste de décembre 2012. Il n’est cependant pas inutile de conforter et d’élargir le champ d’application de cette disposition, qui concernait notamment les mercenaires. De fait, le texte de 2012 évoquait une contrepartie en termes de rémunération ou d’avantages personnels promise, selon les termes de l’article 436-1 du code pénal, à des personnes spécialement recrutées pour combattre dans un conflit armé en vue d’obtenir un avantage personnel ou une rémunération nettement supérieure à celle qui est payée à des combattants.

Le cadre est ici différent car, même si certains combattants sont rémunérés – et l’État islamique semble verser des rémunérations supérieures à celles qu’offrent des groupes terroristes concurrents –, la motivation essentielle des personnes qui commettent ou s’apprêtent à commettre des actes terroristes est idéologique. Je maintiens donc mon argumentation, à laquelle vous avez déjà répondu dans la discussion générale, car l’adoption de cet amendement signifierait clairement la détermination de notre pays à barrer le chemin à ceux qui commettent ou veulent commettre des actes terroristes à l’étranger.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n31 rectifié.

M. Pierre Lellouche. M. Ciotti a évoqué, à l’adresse de M. le président de la commission des lois, la mobilisation des députés de son groupe à la dernière seconde. Je suis, pour ma part, surpris de la faible mobilisation des élus, y compris sur les bancs de mon propre groupe, face à un sujet aussi grave. Le jour où des attentats se produiront, nous aurons tous l’air fin devant nos électeurs ! Le décalage entre l’agitation médiatique qui entoure certaines questions et la gravité du moment est étonnant. Sans doute les historiens s’y intéresseront-ils, le moment venu.

Je souhaitais voir figurer l’amendement 31 rectifié avant l’article 1er car, face à la véritable hémorragie – au sens propre du terme – de centaines ou de milliers de jeunes Français qui vont faire la guerre et commettre des actes terroristes, en particulier en Syrie et en Irak, il fallait que le Gouvernement envoie un signal fort, qui soit à la fois dissuasif et pédagogique, à l’adresse de toutes les composantes de la communauté nationale. Il s’agissait en effet de proclamer une idée simple : la participation d’un citoyen français à des opérations de guerre hors du territoire national n’est possible que dans le cadre des forces armées ou de sécurité françaises engagées conformément aux lois de la République.

La rédaction proposée, qui tient compte à la fois du recours à des mercenaires pour la sécurisation des navires et des opérations commanditées par l’État – car ces pratiques sont parfois nécessaires –, affirme qu’un jeune Français désireux de s’engager pour une cause noble doit le faire au sein des forces armées ou de sécurité de la République, à l’exclusion de toute autre cadre dans lequel il pourrait prendre les armes à l’étranger. Cela n’exclut nullement, pour de jeunes Français au cœur noble, la possibilité de s’engager, sans armes, dans des organisations humanitaires – la France en a donné l’exemple à travers le monde et j’ai moi-même constaté en Irak la présence de telles organisations. Ce qui doit être interdit, c’est cette hémorragie de jeunes qui vont faire la guerre et décapiter des gens avant de s’exhiber sur Facebook dans des vidéos où ils brandissent des têtes sanguinolentes – j’en ai vu – et de faire l’apologie de leur départ.

Il faut donc créer un délit-obstacle général et édicter une interdiction globale qui soit un message à la France et aux jeunes Français, affirmant l’interdiction de prendre les armes à l’étranger. Vous pourrez alors dérouler votre filet au moyen de l’article 1er, qui vise à permettre de bloquer, à la sortie du territoire, puis à leur retour, des personnes identifiées comme potentiellement dangereuses.

Monsieur le ministre, cette loi serait incomplète sans cette disposition, mais il n’est pas trop tard pour l’y introduire à la faveur de son examen au Sénat, sous la forme d’un amendement gouvernemental qui aurait une grande force pédagogique pour l’opinion, affirmant qu’il est interdit de partir prendre les armes à l’étranger, sous peine de sanctions immédiates.

Je pense que ce texte est incomplet sans cet article ; aussi, je vous suggère vraiment de le placer avant l’article 1er, parce que nous avons besoin de ce message à ce stade. Croyez-moi, si, comme je le crains, nous sommes l’objet d’attentats dans les semaines ou les mois qui viennent, il faudra bien en venir là si le flot continue. Or tout indique malheureusement, compte tenu des conditions de recrutement par internet ou dans nos prisons, que ce flot va continuer, parce que les conditions du déchirement interne du monde musulman, ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le dire, ont des racines géopolitiques profondes. Nous ne sommes donc absolument pas au bout de l’histoire, ni en Irak, ni en Syrie, ni dans la région du Proche-Orient. Cette hémorragie va se poursuivre, monsieur le ministre : c’est pour cela que ce texte est indispensable.

M. le président. La parole est à M. Alain Marsaud, pour soutenir l’amendement n86.

M. Alain Marsaud. Ces amendements en discussion commune ont finalement tous à peu près le même objet car, même s’ils sont rédigés de manière assez différente, ils tendent à combler une lacune existant dans ce texte de loi. Ainsi que je l’ai dit à la tribune, ce projet de loi est un texte éminemment préventif : il fait tout pour empêcher les Français et d’autres nationaux de partir combattre dans des pays de djihad. Mais une grande interrogation demeure : que prévoit-il en termes de répression ? En réalité, il crée le délit d’entreprise individuelle de terrorisme, qui permet de poser quelques questions à ces personnes à leur retour ; mais ce n’est pas suffisant. Or ce délit d’entreprise terroriste individuelle, dont nous reparlerons tout à l’heure lorsqu’il viendra en discussion, sera extrêmement difficile à mettre en œuvre, comme l’a été d’ailleurs le délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste dont j’assume une forme de paternité – pardon de le rappeler – et que j’ai eu l’occasion de mettre en pratique. C’est très difficile ! Et il nous a souvent fallu, tant du côté du législateur que de la magistrature, tenter d’imaginer les meilleurs moyens de faire tenir ce type de délits. Les condamnations pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ont été assez rares par rapport au nombre de poursuites, et nous aurons sans doute le même problème avec l’entreprise terroriste individuelle car les éléments qualificatifs sont assez difficiles à réunir.

J’avais eu l’occasion de dire – cela a pu m’être reproché, mais je le maintiens : nécessité fait loi ! C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous propose de retenir la répression et de criminaliser ceux qui s’en vont « combattre hors de France sans l’autorisation expresse des autorités françaises compétentes ». Cela constituerait un délit que je propose de punir de cinq ans d’emprisonnement.

J’estime que votre projet de loi est hémiplégique, car il ne prévoit pas de récupérer tous ces gens qui vont revenir. Qui sont ces gens qui vont revenir ? Sans doute des gars qui sont partis là-bas comme on part à Katmandou ; sans doute des gens qui sont partis faire la vaisselle ou la cuisine ; mais certains autres auront peut-être eu quelques mauvaises intentions : on l’a vu hélas, et on a eu l’occasion de le payer très cher ces derniers temps ! Je vous propose donc tout simplement de retenir ce délit, qui est sans doute plus facile à caractériser et à qualifier pour les services enquêteurs et pour les magistrats que le délit d’entreprise terroriste individuelle.

J’ai entendu sur les bancs de la majorité quelques excès de langage : je me suis même fait accuser de vouloir interdire au général de Gaulle d’aller à Londres lancer son appel du 18-Juin si ce délit avait existé ! Tout ce qui est excessif est insignifiant, naturellement !

Vous nous avez dit, monsieur le ministre, que vous étiez plein de bonne volonté et que vous souhaitiez entendre un peu – beaucoup ! – l’opposition : cela serait peut-être effectivement l’occasion, non pas de nous faire une bonne manière, mais de rééquilibrer un texte qui en a sans doute besoin. Ce que vous nous proposez en termes de répression sera difficile à mettre en œuvre – je parle bien de répression : je ne vise pas le départ, car les articles précédents seront d’une certaine efficacité, du moins je l’espère. Par contre, nous n’avons pas les moyens d’accueillir les revenants ni de mettre en place une procédure – interpellation, mise en garde à vue, le juge décidant ensuite si cela relève du contrôle judiciaire, de la détention ou si cela doit se terminer par une relaxe ou un non-lieu.

Voilà donc l’élément qui manque à votre texte : ce n’est pas pour rien que quatre parlementaires de l’opposition, sans se concerter – MM. Lellouche, Ciotti, Myard et moi-même ne nous sommes absolument pas concertés, sinon nous n’aurions présenté qu’un seul amendement –, ont proposé ces amendements allant dans le même sens. Cela montre bien que nous avons constaté, nous qui nous intéressons un peu à ce sujet, qu’il y avait un manque dans votre texte.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. J’ai bien entendu les arguments qui ont été exposés, « sans se concerter », dites-vous, monsieur Marsaud. Mais M. Ciotti, par exemple, est à la fois signataire de son propre amendement et du vôtre ; je crois qu’il y a donc quand même eu un minimum de concertation entre vous, mais là n’est pas la question.

M. Pierre Lellouche. On a le droit de se concerter !

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Cela n’est absolument pas répréhensible, bien sûr !

La volonté du Gouvernement en proposant ce texte, enrichi par la commission des lois, était, pour reprendre l’expression de M. Lellouche, d’envoyer un signal fort ; et le signal fort est là. Les arguments que vous utilisez peuvent s’entendre, mais posent plusieurs difficultés. Celles-ci ont déjà été évoquées lors de la réunion de la commission le 22 juillet et encore hier lors de l’examen de l’article 1er.

Ils posent tout d’abord un problème diplomatique en obligeant la France à avoir une position officielle sur tous les conflits du monde, sur toutes les zones de guerre, dès lors qu’un Français formule une demande pour participer à des actes de guerre. Prendre position sur chaque conflit sur le globe pose une difficulté diplomatique à notre pays.

M. Pierre Lellouche. En quoi cela poserait-il problème ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Par ailleurs, cela soulève une difficulté de droit car cela serait contraire à des engagements internationaux de la France permettant à un Français ayant plusieurs nationalités d’effectuer son service militaire dans un autre État, qui peut être un État en guerre.

Enfin, je rappelle deux choses : la première, que vous avez vous-même rappelée, monsieur Ciotti, est que la loi de décembre 2012 permet de poursuivre des Français ou des résidents en France pour des délits terroristes commis à l’étranger. Il y a donc déjà possibilité de judiciariser leur situation. Deuxième chose, s’agissant des mesures d’entrave, l’article 1er que nous avons adopté cette nuit en est : elle empêche un certain nombre de nos concitoyens de se rendre sur zone. J’émets donc un avis défavorable.

M. Pierre Lellouche. Très faible et très spécieux !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces amendements ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je comprends parfaitement la volonté qui est celle des groupes de cet hémicycle, toutes sensibilités confondues, de faire en sorte que le texte atteigne ses objectifs et que chacune de ses dispositions soit efficace. La question que posent MM. Lellouche et Marsaud est celle de l’efficacité des dispositions que nous avons mises en place pour prévenir le départ de ceux qui rejoignent des groupes et pour nous permettre, dès lors qu’ils reviennent, de judiciariser correctement leur situation. C’est effectivement l’objectif que je poursuis à travers ce texte : comment faire en sorte que ceux qui sont engagés dans des opérations à caractère terroriste, telles qu’on les voit sur les images terribles, horribles, que vous avez décrites, soient traités par la justice de façon rapide et ferme à leur retour. C’est tout à fait ma préoccupation parce que les actes dont ils se sont rendus coupables sont des actes épouvantables, d’une extrême atrocité, qui méritent la fermeté et la sévérité la plus grande, et ensuite parce que leur neutralisation par la justice est la condition et le moyen de ne pas les voir commettre des crimes sur le territoire national.

Je suis donc d’accord sur la préoccupation et le constat, mais je ne suis pas d’accord sur le moyen, pour des raisons qui tiennent au fait que nous avons aujourd’hui, au travers de l’arsenal pénal français, le moyen de récupérer ces gens à leur retour en judiciarisant leur situation. De plus, nous allons ajouter à l’arsenal des incriminations pénales dont nous disposons une incrimination pénale concernant l’entreprise terroriste individuelle. Celle-ci permettra de récupérer des gens qui ne pouvaient pas l’être à ce jour – certains juges antiterroristes, dont le juge Trévidic, en témoignent –, parce qu’ils ne rentraient pas dans la catégorie de l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Tous ceux dont vous parlez, et dont vous avez raison de vous inquiéter du traitement judiciaire qui leur sera réservé à leur retour afin qu’ils ne nuisent pas, peuvent déjà, dans le cadre de l’incrimination de l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, voir judiciariser leur situation dans des conditions assez imparables.

Je profite d’ailleurs de ce débat pour dire que nous sommes conduits chaque jour à procéder à des arrestations et à la judiciarisation de la situation de ceux qui reviennent. Ainsi, des interpellations ont eu lieu hier à Vénissieux, qui concernent des recruteurs et des personnes qui se sont engagées, qui ont voulu conduire d’autres citoyens à s’engager, qui ont procédé à des trafics d’armes ; les incriminations pénales dont nous disposons nous permettent de le faire.

Je rappelle les chiffres, car ils sont très importants : sur les neuf cent trente Français concernés par des opérations djihadistes, cent quatre-vingt-cinq sont sur le chemin du retour ou rentrés, donnant lieu à cent interpellations, soixante-dix-sept mises en examen et plus d’une cinquantaine d’incarcérations. Cela veut dire que le travail conjoint des services de renseignement, de la police et de la justice, sur la base des incriminations dont nous disposons, permet aujourd’hui une efficacité de l’action que nous conduisons. C’est parce que je suis convaincu que nous disposons de l’arsenal permettant d’agir efficacement que je propose que nous n’introduisions pas dans le texte des éléments complémentaires et supplémentaires qui pourraient créer de la confusion, sans pour autant nous donner les moyens d’être plus efficaces dans la volonté qui est la nôtre, au demeurant bien légitime, de neutraliser ces criminels.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Quelques réflexions sur ce que M. le rapporteur vient de dire : la France a encore une souveraineté nationale, la France a encore une diplomatie – du moins nous l’espérons –, la France a encore des intérêts à défendre dans le monde, et je ne vois pas au nom de quoi il serait gênant que nos services, quels qu’ils soient, se prononcent sur les conflits dans le monde. Je ne vois pas en quoi cet argument serait gênant et viendrait démonter les amendements de mes excellents collègues ! Ces amendements sont suffisamment bien rédigés pour que nous prenions en compte le phénomène de privatisation, qui s’opère surtout dans le monde anglo-saxon, des forces qui sont censées exercer la violence au nom des États, c’est-à-dire ceux qu’on appelle les contractors en anglais ou les mercenaires ici. Ils sont suffisamment bien rédigés pour que des ressortissants français puissent participer à ces forces et à ces opérations lorsqu’elles sont dans notre intérêt, dans l’intérêt de la France et de la nation française souveraine.

J’ai entendu également le terme de « plurinationaux » ou « poly nationaux » : je pensais que l’on pouvait aller jusqu’à deux nationalités. Je veux bien qu’on ait des multicartes, possédant dix ou quinze nationalités : pourquoi pas ! On a quelques exemples, sans provocation, dans le Gouvernement actuellement. Je suis quand même étonné de cette absence de prise en compte de la souveraineté nationale, en permanence, dans nos raisonnements.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je laisse délibérément de côté les arguments du rapporteur, qui me paraissent complètement inopérants, pour en venir à la réponse du ministre. Deux choses, monsieur le ministre : l’incrimination du loup solitaire, cette fameuse activité terroriste solitaire, de même que l’incrimination de l’association de malfaiteurs à des fins terroristes créée par Alain Marsaud à l’époque, sont très complexes à démontrer ; je vous en avais touché un mot alors que vous prépariez votre texte. Pour notre part, au groupe UMP, nous avons, avec Éric Ciotti, Alain Marsaud et Claude Goasguen, beaucoup travaillé sur ces questions et auditionné les juges antiterroristes. Ceux-ci nous ont dit à quel point cela était difficile, face à des gens qui nient : c’est très compliqué, quand on n’a pas de gens sur un théâtre d’opération, pas d’officier de police judiciaire pour regarder qui tue et comment. En ce moment, à Raqqa en Syrie ou dans le nord de l’Irak, il est très compliqué de réunir les éléments constitutifs de l’infraction. C’est difficile là-bas et encore plus ici. S’il s’agit d’ici, monsieur le ministre, l’infraction du loup solitaire, par définition, quand il revient, elle n’a pas encore été commise ; donc vous ne pouvez pas criminaliser quelque chose qui n’a pas encore été commis.

Nous vous proposons donc, dans ces amendements, d’envoyer tout d’abord un signal pédagogique à une partie de notre jeunesse : il est interdit de porter les armes à l’étranger ; c’est le premier point.

Deuxième point, nous vous proposons un système d’incrimination selon lequel toute personne vue sur une vidéo avec une kalachnikov – et Dieu sait qu’il suffit d’aller sur les sites pour voir des Français qui s’exhibent en armes dans des zones de guerre – est susceptible de tomber sur le coup de l’incrimination, dès son retour en France.

Voilà le sens des textes qui vous sont proposés. Il s’agit premièrement d’envoyer un signal et deuxièmement de créer un délit immédiat. Rien n’empêchera, de surcroît, de faire appel aux autres textes qui figurent dans notre droit ou à l’incrimination nouvelle que vous créez.

J’y insiste : l’incrimination d’acte terroriste du loup solitaire s’applique une fois que l’identification a échoué. Mohammed Merah a été interviewé par les services de sécurité, à plusieurs reprises. Ceux-ci ont été incapables de savoir ce qu’il avait fait et encore moins capables de lancer une incrimination contre lui. On ne savait pas.

On ne savait pas davantage pour M. Nemmouche, jusqu’à ce qu’il sorte les armes. Si M. Merah, M. Nemmouche ou leur famille envoient des vidéos sur Facebook où ils s’exhibent en tenue de combat, avec kalachnikov, ils tombent sous le coup de cette interdiction.

Voilà pourquoi cette interdiction a été rédigée : pour faciliter l’incrimination de ces personnes, immédiatement après leur retour, avant qu’elles ne commettent des actes, monsieur le ministre.

Je crois qu’il y a là une vraie différence d’approche entre nous. J’insiste sur ce point : MM. Marsaud, Ciotti ou moi-même sommes là pour vous aider, collectivement, à disposer du texte le plus efficace possible. Or il y a une lacune béante dans votre texte.

M. le président. La parole est à M. Alain Marsaud.

M. Alain Marsaud. Je ne répondrai pas au ministre car je sens qu’il est entièrement hermétique à notre proposition. Je vais donc répondre au rapporteur.

Monsieur le rapporteur, vous nous avez dit, globalement : « il y a de bons et de mauvais conflits ; il va donc falloir faire le tri ». Historiquement ou géographiquement parlant, je vous avoue que je ne vois pas trop quels sont actuellement les bons conflits… mais admettons qu’il y en ait.

Face à cela, il y a un principe essentiel, qui est celui de l’opportunité des poursuites, principe selon lequel le procureur n’engagerait pas les poursuites à l’égard de tel ou tel porteur de kalachnikov dans tel ou tel pays.

Ce principe s’est appliqué il n’y a pas tellement longtemps. Vous le savez ou vous ne le savez pas, monsieur le rapporteur, mais il y a quelque temps, on était peu regardant sur les gars qui allaient combattre en Syrie, au motif qu’ils allaient combattre M. Assad. On n’a rien fait pour les poursuivre, ces gars-là, y compris ceux qui sont revenus. C’est peut-être comme cela, d’ailleurs, qu’on a raté MM. Merah et Nemmouche. Bref, nous n’allons faire de procès à personne. Maintenant, il paraît qu’on poursuit tout le monde, que tous les djihadistes sont mauvais. On ne fait plus le tri entre le bon grain et l’ivraie.

Monsieur le rapporteur, ce principe d’opportunité des poursuites nous met à l’abri d’une mauvaise interprétation. Si vous avez de bons conflits, de bons combats, vous n’aurez qu’à y envoyer les Français.

Vous parlez de la loi de 2012. Elle permet effectivement de poursuivre ceux qui se rendent coupables d’association de malfaiteurs terroristes à l’étranger. Certes, mais la difficulté de mise en application d’une disposition, celle d’association de malfaiteurs terroristes, subsiste. Encore une fois, je vous le dis : c’est sans doute une des incriminations les plus difficiles à mettre en œuvre dans notre droit, ce qui explique d’ailleurs un certain nombre de relaxes ou d’acquittements après des poursuites que la cour ou le tribunal a jugé hasardeuses.

Hier, je reprochais au ministre de faire beaucoup dans la prévention et peu dans la répression. En réalité, le délit que nous proposons de constituer est préventif parce que si vous dites à un gars : « tu ne dois pas partir là-bas car tu risques de commettre le délit d’association de malfaiteurs ou d’entreprise individuelle terroriste », il vous rira au nez. En effet, il ne viendra pas à l’idée de cette personne de chercher de quoi est constitué ce délit.

Ce sera autre chose si vous le mettez en garde en disant : « si tu vas porter les armes en Irak ou en Syrie – vous voyez ces combattants sur ces deux photographies – et si on te prend en photo, ou en vidéo comme le dit mon collègue Lellouche, on te demandera des nouvelles lorsque tu reviendras. » Je crois qu’effectivement, on entre là dans un système de prévention. L’idéal serait alors que, premièrement, la personne ne parte pas, deuxièmement, qu’elle ne porte pas les armes et troisièmement, qu’elle évite de se faire photographier. Mais si, justement, cette personne évite de se faire photographier et de faire des vidéos, ce sera peut-être déjà un des éléments d’avancée de ce texte car cela sera de nature à nuire au prosélytisme auquel elle veut se livrer.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Alors, il n’est pas besoin d’amendement !

M. Alain Marsaud. Voilà toutes les raisons qui me conduisent à vous dire, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, que, véritablement, cette incrimination est importante.

Elle est importante et elle vous donnera véritablement des éléments. Elle sera d’abord un élément de satisfaction pour nous, députés de l’opposition – cela n’est pas neutre – mais aussi un élément permettant de mieux combattre ce type de menée djihadiste. C’est important.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le député Marsaud, premièrement, cette loi n’est pas destinée à faire plaisir à l’opposition mais à permettre d’être efficace dans la lutte contre le terrorisme. Et être efficace dans la lutte contre le terrorisme, quelle que soit l’appartenance politique de celui qui est au banc, est plus important que de faire plaisir à l’opposition, vous en conviendrez. Je suis par conséquent convaincu que vous ne m’en voudrez pas de ne pas accéder à cette partie de votre raisonnement car nous ne sommes pas là pour nous faire plaisir. Nous sommes là pour être utiles à la République en la protégeant du risque terroriste.

M. Alain Marsaud. On fait de la politique !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Oui, vous faites beaucoup de politique et j’aurais préféré qu’on fasse plus de droit sur ce sujet, parce que faire plus de droit et moins de politique, c’est être plus efficace dans la lutte contre le terrorisme.

Voyons les différents éléments que vous évoquez car, bien évidemment, il faut prendre au sérieux vos éléments et ceux de M. Lellouche.

M. Lellouche dit : « il y a une béance dans votre dispositif ». Monsieur le député, ce n’est pas dans notre dispositif qu’il y a une béance, c’est dans le raisonnement que vous avez déployé pour le critiquer. Je m’explique.

Vous dites : « ceux qui reviennent, et qui n’ont pas encore commis un acte, ne peuvent pas voir leur situation judiciarisée et, par conséquent, ce que nous proposons permettra une judiciarisation de fait ». Ce raisonnement n’est pas juste et je vais vous dire pourquoi. D’abord parce que ceux qui sont partis sur le théâtre des opérations djihadistes et qui y ont commis des crimes…

M. Pierre Lellouche. A condition de le prouver, ce que vous ne pouvez pas faire !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Bien entendu mais, monsieur le député Lellouche, c’est vrai de tout façon : ce qui caractérise la France c’est qu’on ne peut pas judiciariser la situation d’une personne dès lors qu’on ne peut pas prouver que celle-ci a commis un acte pénalement répréhensible.

M. Pierre Lellouche. D’où l’intérêt de cet amendement !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est bien qu’il en soit ainsi. C’est en cela, précisément, que la loi que nous proposons est une loi de protection. Ce n’est pas une loi d’exception, ce n’est pas une loi d’arbitraire. C’est une loi qui garantit les droits de la défense parce que, sous prétexte que la situation est grave – et je conviens avec vous qu’elle l’est –, on ne peut pas se mettre à accuser quiconque d’avoir commis des actes qu’il n’a pas commis, sans être en mesure d’apporter la preuve de la véracité de ce que l’on avance.

Il est donc hautement souhaitable, dans un État de droit, – sinon, nous cessons d’être un État de droit et nous entrons dans une autre catégorie d’États, que nous ne souhaitons pas voir advenir – que lorsque quelqu’un fait l’objet d’un soupçon d’infraction pénale, il puisse être apporté la démonstration qu’il a bien commis ces actes.

Les personnes qui reviennent sont donc en situation d’être immédiatement judiciarisées pour avoir participé à ces opérations dès lors que nous pouvons apporter la preuve qu’elles se sont bien rendues sur ces opérations pour y commettre des crimes. Mais ce serait également le cas de celles qui seraient parties, aux termes de votre amendement, pour participer à des opérations sans autorisation. Il faudrait de toute façon prouver que ces personnes se sont rendues sans autorisation pour commettre des actes de guerre qu’elles n’avaient pas à commettre compte tenu de votre amendement.

Par ailleurs, dès lors que nous avons dans notre arsenal pénal les dispositions que l’on sait, la judiciarisation de la situation de ces personnes est facile, surtout lorsque nous complétons les dispositions existantes avec celles que les juges antiterroristes eux-mêmes ont souhaité voir prévaloir. Je pense notamment à l’entreprise individuelle terroriste.

Je ne prends donc pas cet amendement, non parce que je ne partage pas votre préoccupation mais parce que j’estime que votre préoccupation, pour les raisons que je viens d’indiquer, est déjà satisfaite par le droit en vigueur.

M. Pierre Lellouche. Elle ne l’est pas.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Pour aller dans le sens de ce que vient de dire le ministre et répondre à ce qui a été dit, la diplomatie française ne peut pas prendre position sur l’ensemble des conflits qui existent dans le monde. Cela a été fait par le passé mais, ces situations – prenons l’exemple du Tibet, des Malouines – peuvent mettre en difficulté la diplomatie française. On ne peut donc pas prendre position sur l’ensemble des conflits.

Autre exemple, plus récent, celui du conflit entre Israël et la Palestine. Ces situations sont éminemment difficiles pour la diplomatie française. La placer dans la position de pouvoir trancher chaque conflit, à un instant donné, cela devient compliqué.

M. Guillaume Larrivé. Gouverner, c’est compliqué !

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Ensuite, pour reprendre l’exemple de M. Marsaud, ou de M. Lellouche, une personne qui s’exhibe avec une kalachnikov va tomber sous le coup de l’article 5, que nous allons adopter dans quelques heures.

M. Pierre Lellouche. Non !

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Premièrement, la personne a une kalachnikov donc elle s’est procuré ou elle détient une arme. C’est le premier élément de l’article 5. Deuxième fait matériel de l’article 5, la personne est sur conflit en zone terroriste. Ces seuls éléments permettent de judiciariser la situation de cette personne. Troisième élément, on peut considérer, puisque la personne est sur zone et qu’elle a une kalachnikov, qu’elle s’est entraînée. Cela permet de judiciariser les choses.

M. Alain Marsaud. Ah bon ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Ensuite, je lis dans l’amendement de M. Ciotti : « le fait pour tout Français (…) » ; dans celui de M. Lellouche : « la participation d’un citoyen français (…) » ; dans celui de M. Marsaud : « le fait pour tout citoyen français (…) ». Vous ne traitez donc pas la question des résidents. Donc, pour un même fait, des résidents ne pourraient pas être pénalisés par votre article. Cela pose des difficultés. Vous incrimineriez davantage le citoyen français que le résident en France. Or la loi de 2012 permet précisément de pouvoir traiter des actes commis aussi bien par les citoyens français que par les résidents.

M. le président. La parole est à M. Alain Marsaud.

M. Alain Marsaud. Monsieur le rapporteur, si j’ai bien compris, vous êtes satisfait de votre texte parce qu’il permet de judiciariser. Déjà, je demande à voir.

Mais le but d’un texte comme celui-ci, excusez-moi, ce n’est pas de judiciariser. C’est tout de même de faire condamner ! Si la judiciarisation aboutit à une relaxe, un acquittement ou un non-lieu, elle ne sert à rien.

Votre formule est : « Cela permet de judiciariser ». La belle affaire ! J’attends de voir comment vous allez le faire tenir devant le tribunal, votre délit d’entreprise terroriste individuelle !

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Nous reparlerons de l’article 5. Cet article traite des délits commis au retour, sur le territoire français et en définit les éléments constitutifs. Je le redis au ministre, avec ma – petite – expérience des zones de guerre et les nombreuses conversations que j’ai eues avec les juges antiterroristes : il est extrêmement difficile d’aller porter les éléments constitutifs d’un acte terroriste lorsqu’une personne est revenue en France. Vous n’avez pas les preuves matérielles. Ce que vous avez, c’est éventuellement des photos de cette personne, en armes, quelque part. C’est tout. Et encore…

Allez ensuite démontrer que cette personne a subi un entraînement, allez ensuite démontrer qu’elle a participé à des opérations, allez ensuite démontrer qu’elle a tué ! On n’en sait rien.

Avec ce texte, nous insistons sur ce point. Encore une fois, j’ai bien entendu votre argument : vous pensez avoir les dispositifs qui vont permettre de réprimer. Moi, je vous dis que le dispositif qui est retenu dans cette loi, ainsi que le droit existant, que je connais un petit peu – moins que vous – ne suffira pas à réprimer les gens qui sont partis et revenus, parce que vous ne pourrez pas les inculper, au motif de l’absence de preuve. Et quand ils seront ici, souvent, il sera trop tard. Ils auront commis l’acte de terrorisme et nous serons toujours en aval des événements. Or nous essayons de faire de la prévention, monsieur le ministre. C’est cela, le sujet. Nous aussi, nous sommes dans la protection.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’argument de M. le député Lellouche est de dire : « Vous devrez apporter la démonstration que ceux qui sont partis sur le théâtre des opérations extérieur ont commis des actes terroristes pour pouvoir aboutir à la judiciarisation ». J’en profite d’ailleurs pour dire au député Marsaud que le début de la condamnation, c’est la judiciarisation, parce que la condamnation sans la judiciarisation, c’est le contraire de la démocratie.

Mme Laurence Dumont. Bravo !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je souhaite donc absolument qu’il y ait des condamnations après des judiciarisations, parce que sinon, nous entrerions dans un système contre lequel, viscéralement, je me battrai toujours. Je suis résolu à faire en sorte que la lutte contre le terrorisme donne des résultats, mais dans l’état de droit, en aucun cas en dehors.

Votre raisonnement, monsieur Lellouche, consiste à dire que votre amendement permettra de judiciariser beaucoup plus facilement, à leur retour, la situation de ceux qui seront partis sur le théâtre d’opérations extérieur pour y faire la guerre sans l’autorisation de l’État français. Mais il vous faudra quand même apporter la preuve que ces personnes se sont engagées sur des théâtres d’opérations extérieurs pour y faire la guerre. Aussi longtemps que vous n’en aurez pas apporté la démonstration, vous ne pourrez pas judiciariser la situation de ces personnes à leur retour.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Mais je voudrais avancer un autre argument. M. le ministre a expliqué qu’il était tout aussi difficile de prouver que l’on a participé à des opérations militaires que de prouver que l’on a participé à des actions terroristes. À cet égard, la loi de décembre 2012 apporte une souplesse intéressante, puisqu’il ne s’agit pas seulement, avec le délit de compétence universelle que nous avons créé, de saisir celui – Français ou résident en France – qui revient après avoir commis des actes terroristes, mais aussi celui qui a participé à des camps d’entraînement. À l’époque, on pensait principalement aux camps situés au Pakistan, mais cela s’applique aussi bien aux camps proches des théâtres de guerre en Syrie. Cet instrument est beaucoup plus opérationnel.

Enfin, je voudrais rappeler que notre diplomatie, qui d’ailleurs peut changer avec les gouvernements – ce qui pourrait rendre certaines situations inextricables – ne peut passer ses journées à se prononcer sur le point de savoir si la République française autorise ses ressortissants à se rendre dans telle ou telle zone de conflit.

Je vous rappelle, monsieur Lellouche, que le gouvernement précédent, auquel vous avez participé ou que vous avez simplement soutenu – je ne me souviens pas –, s’est donné beaucoup de mal pour faire sortir des geôles de l’État palestinien un jeune Franco-israélien. Cela n’aurait pas été possible avec une telle disposition, aussi générale et impersonnelle. Il en va de même pour la libération, certes plus discrète, d’un jeune Franco-palestinien, peu de temps après. Vouloir régler des cas particuliers avec une loi impersonnelle et générale, c’est rater son but, et même risquer, de son propre point de vue, d’être contre-productif.

M. Pierre Lellouche. Nous n’allons pas passer la soirée sur cet amendement. J’ai bien conscience qu’il y a des binationaux dans notre pays, et que certains d’entre eux font leur service militaire ailleurs, y compris en Israël. Je suis au courant ! Mais les binationaux qui effectuent leur service militaire sous le contrôle d’un État étranger ne sont pas concernés par ce texte.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Vous prenez le cas d’un contexte de guerre : on entre dans un autre champ !

M. Pierre Lellouche. En outre, cela ne pose pas de problèmes d’ordre diplomatique. Il ne s’agit pas de demander à la France de prendre position sur tel ou tel conflit. La seule question qui se pose ici, c’est de savoir si ce que nous proposons est plus efficace en termes de judiciarisation et de répression que le dispositif prévu par le projet de loi. Mais n’épiloguons pas. Le ministre a répondu, il demandé le rejet de ces amendements, c’est dommage ; nous y reviendrons sans doute.

(Les amendements nos 54 rectifié, 31 rectifié et 86, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Article 3

M. le président. La parole est à M. Meyer Habib, inscrit sur l’article 3.

M. Meyer Habib. Je souhaite présenter l’amendement n125 à l’article 4, que je ne pourrai défendre, devant m’absenter impérativement. Lors des désastreuses manifestations du mois de juillet à Paris, on a entendu des slogans invraisemblables et vu des drapeaux du Hamas, du Hezbollah, de Daech, du Djihad islamique. Nombre d’armes factices – roquettes et missiles – ont été exhibées. Et cela, en toute impunité.

Ces images nous ont marqués, heurtés. Il s’agit ni plus ni moins que d’un soutien au terrorisme, d’une claque à nos valeurs républicaines, d’une bénédiction donnée aux massacres des chrétiens d’Orient, aux décapitations d’otages, avec toujours, en fond, ces mêmes drapeaux noirs, verts, jaunes, et autres, représentant la haine.

Si ce texte a pour but de réprimer plus sévèrement toute apologie du terrorisme, alors il doit aussi réprimer ces scandaleuses exhibitions de drapeaux, de symboles et d’armes factices, qui font honte à notre pays. Hélas, notre arsenal législatif est impuissant pour lutter contre ce type d’apologie. C’est le but de cet amendement, que je vous demande d’adopter. Il n’est ni de droite ni de gauche, mais tellement évident que je me demande pourquoi la loi ne contient pas déjà une telle disposition.

(L’article 3 est adopté.)

Après l’article 3

M. le président. Je suis saisi de deux amendements portant article additionnel après l’article 3, nos 57 et 87, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n57.

M. Éric Ciotti. Nous avons tous en mémoire l’image de cette petite Assia, âgée de 24 mois, enlevée et emmenée en Syrie par son père pour qu’elle y devienne martyre. Au mois d’avril dernier, la présidente du centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam, Dounia Bouzar, a lancé une pétition intitulée « Rendez-nous nos enfants ! ». Je pense aussi à ce couple parti pour la Syrie avec ses quatre enfants. C’est un problème d’une extrême gravité, qui soulève une émotion toute particulière.

Cet amendement vise à ce que soient ajoutés aux éléments qualificatifs d’une entreprise terroriste la soustraction de mineurs, la provocation d’un mineur à commettre un crime ou un délit ainsi que la corruption de mineurs définies par le livre II du code pénal.

M. le président. La parole est à M. Alain Marsaud, pour soutenir l’amendement n87.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. S’agissant de la provocation d’un mineur à commettre un crime ou un délit, l’amendement est d’ores et déjà satisfait par l’article 4 du projet de loi, qui transforme les délits de provocation au terrorisme et d’apologie de terrorisme en délit de terrorisme.

S’agissant de la soustraction et de la corruption de mineurs, le lien avec l’action terroriste est assez ténu, ces infractions n’ayant pas pour but, ni directement ni principalement, de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Il ne s’agit pas à proprement parler de comportements d’action terroriste.

(Les amendements nos 57 et 87, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Rappel au règlement

Mme Sandrine Mazetier. Ce texte fait l’objet de très profondes interrogations dans la société française. Il concerne également l’activité des services de lutte contre le terrorisme. Ceux-ci sont très gravement mis en cause aujourd’hui, dans un quotidien du soir, par Pierre Torres. Cet ancien otage en Syrie y dénonce l’absence de confidentialité des services, ainsi que le projet de loi dont nous sommes en train de débattre. Que certains s’interrogent dans la presse sur ce texte ne justifie pas forcément un rappel au règlement. Mais s’agissant d’une personne qui a elle-même été victime de pratiques barbares, qui a eu à connaître de l’activité des services, cette interpellation ne doit pas rester sans réponse.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaitais que vous puissiez vous exprimer sur cette interpellation qui nous est faite, à vous comme à nous, parlementaires, par ce journaliste et ancien otage.

Article 4

M. le président. M. le ministre vous répondra après que les inscrits sur l’article 4 se seront exprimés.

La parole est à Mme Isabelle Attard, inscrite sur l’article 4.

Mme Isabelle Attard. Je suis tout à fait d’accord avec Sandrine Mazetier : il est absolument indispensable de lire cette tribune et j’invite nos collègues à le faire. Monsieur le ministre, je ne souhaite pas de malentendus entre nous. Je ne vous considère pas comme un méchant personnage, qui voudrait faire preuve d’autoritarisme et aurait pour seul objectif la suppression de toutes nos libertés fondamentales. En retour, j’espère que vous accepterez l’idée que nos amendements, qui visent à restreindre certaines dispositions prévues par ce texte, ne sont pas l’œuvre de naïfs idéalistes et inconscients des réalités du terrorisme.

Je comprends tout à fait votre volonté de doter les officiers de police et les juges d’outils juridiques adaptés à des comportements criminels nouveaux. Mais de tout temps, les pouvoirs accordés aux forces de police ont été contrebalancés par des limites, des garde-fous, parce que l’erreur est humaine.

Dans l’article 4, vous tentez de punir la propagande terroriste, comme s’il existait une définition juridique claire la concernant. Les dispositions relatives aux délits de provocation aux actes de terrorisme et d’apologie de ces actes apparaissent actuellement dans les lois qui réglementent la liberté d’expression et non dans le droit pénal, ainsi que vous souhaitez le faire. Les lois existantes découlent de la nécessité d’empêcher tout gouvernement, même démocratiquement élu, de céder à la tentation récurrente de censurer la contestation radicale de ses politiques. Porter atteinte à cette protection de la liberté d’expression, c’est porter atteinte à la démocratie.

Vous souhaitez aussi, monsieur le ministre, que l’usage d’internet soit considéré comme une circonstance aggravante alors qu’il faudrait presque remercier celui qui est prêt à déverser sa haine sur internet, car il simplifie considérablement le travail de la police en fournissant la preuve de son crime.

Il est très difficile de faire condamner quelqu’un sur la foi de propos rapportés. Il en est de même pour un document imprimé et non signé. En revanche l’usage d’internet simplifie considérablement la traçabilité. Pour publier en ligne, il faut utiliser un ordinateur, se connecter via un fournisseur d’accès, transmettre des données par de nombreuses machines, de sorte qu’il en devient bien plus simple de condamner quelqu’un. Je souhaite même que l’utilisation d’internet soit une circonstance atténuante puisqu’il facilite le travail de la police.

Monsieur le ministre, notre groupe a déposé des amendements pour que les actes d’apologie, qui restent des délits d’opinion, soient maintenus dans le cadre protecteur de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. Nous proposons également que l’utilisation d’internet ne soit pas une circonstance aggravante.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Je pense que nous reviendrons sur les déclarations de quelques-uns ou de quelques-unes de nos collègues…

Puisque nous commençons à parler des peines de prison, monsieur le ministre, je voudrais aborder un point important mais malheureusement négligé ces dernières années par tous vos prédécesseurs ainsi que par les hôtes de la place Vendôme. Je m’étonne qu’ait été rejeté l’un de mes amendements, qui visait à équiper toutes les prisons de France de brouilleurs, en particulier les centrales. Ce rejet a été justifié par des raisons financières. Les finances de notre pays et nos capacités d’investissement seraient tombées si bas que nous ne serions même plus capables de mettre en place un tel dispositif alors que l’exemple récent de la prison centrale de Clairvaux témoigne de la capacité de certains individus à bricoler des moyens de communication modernes, ce qui d’ailleurs contredit – il faudra en parler aux services chinois en particulier – l’hypothèse selon laquelle il serait simple de retrouver la traçabilité sur internet. Les services de certains pays victimes d’attaques dans la cyber-guerre seraient bien contents, madame Attard, d’avoir votre recette pour localiser immédiatement la provenance des messages.

Mais la proposition la plus intéressante reste celle de séparer les personnes concernées des autres détenus. Tous ceux qui ont été incarcérés dans les prisons de France à la suite des vagues précédentes d’attentats terroristes ont essaimé. Ils ont si bien fait leur métier que s’est mis en place, en particulier dans les prisons centrales, un système pré-insurrectionnel, avec un prosélytisme d’un islam wahhabite intégriste visant à recréer la communauté idéalisée des origines. C’est cela le projet politique, ni plus ni moins. Il me semblerait salutaire qu’au moins vous preniez en considération cette nécessité de séparer ces gens des autres détenus. Les derniers à résister, dans les prisons de France, sont les Corses. Les Basques ont cédé, à condition d’être regroupés, laissant aux individus concernés la capacité de gérer les affaires sérieuses des prisons.

Je le répète, dans les centrales de France s’est mis en place un système pré-insurrectionnel et le règlement pénitentiaire n’y est pas appliqué. Il serait dommage que ce texte ne prenne pas en considération la nécessité d’isoler ces individus et de doter nos prisons, notamment les centrales, de brouilleurs. Je ne comprends pas les réponses qui m’ont été apportées.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. L’article 4 est directement concerné par la tribune parue aujourd’hui dans Le Monde et Mme Mazetier a soulevé à raison cette question. La réponse du ministre sera importante car on trouve dans cette tribune des choses assez énormes, que nous mettrons sur le compte du syndrome de Stockholm. Je n’en dirai pas davantage.

Cet article 4 est salutaire en ce qu’il prévoit des mesures pour lutter contre les incitations au terrorisme par tout moyen, en particulier internet, la presse, les services en ligne. Ces décisions n’étaient pas faciles à prendre et exposaient le ministre à être qualifié de liberticide par une foule de personnes de son propre camp. Je l’assure, par avance, de toute ma sympathie. Essayer d’endiguer la propagande terroriste, notamment via internet et les réseaux sociaux, est inséparable de la lutte contre le terrorisme.

Je le répète, j’ai été personnellement choqué, presque traumatisé, à la vue de ces vidéos envoyées par des Français depuis la Syrie ou l’Irak où ils se livrent à des crimes terribles, à d’autres Français pour les inviter à les rejoindre dans cette guerre « joyeuse ».

Ajoutons qu’il me semble très utile de prévoir, au II de l’article 4, que « le fait, publiquement, par quelque moyen que ce soit, de faire l’apologie des actes de terrorisme est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ».

J’espère, monsieur le ministre, ce que ce texte s’appliquera aux prochaines déclarations de M. Dieudonné, qui s’est permis cette blague excellente, juste après l’égorgement dans des conditions épouvantables du journaliste américain James Foley, celle de poster une vidéo intitulée « Feu Foley ». À présent, cela vaudra cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Je me félicite que ce type de disposition figure dans notre arsenal et j’espère que ce texte sera appliqué dans toute sa rigueur. Évitons de dire et de publier n’importe quoi comme ces propos de M. Torres, journaliste et ancien otage, que j’ai lus cet après-midi et selon lesquels M. Nemmouche tuait parce qu’il n’était qu’un pauvre type en mal de notoriété.

Nous devons être intraitables avec ceux qui propagent les idées terroristes. Pour ma part, je soutiens pleinement l’article 4 de ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Monsieur le ministre, il relève de votre responsabilité quotidienne, en dirigeant l’action des services de police mais aussi en nous présentant ce texte, de répondre aux mouvements terroristes par des réformes adaptées, modernes et efficaces. Il n’y a pas, au sein de l’Assemblée, de débat sur la nature des menaces terroristes en général, sur l’émergence de menaces d’un type nouveau qui atteignent des niveaux de barbarie sans précédent, en tout cas dans la période récente.

Comme toujours, face à de tels faits, la difficulté pour les démocraties est de se défendre efficacement, de façon ciblée, rapide, réactive, et de trouver des solutions qui n’affectent pas les libertés que nous souhaitons par ailleurs défendre dans notre pays.

L’article 4 pose deux problèmes. Le premier concerne la sortie de la loi de 1881, loi essentielle de notre République, l’une de celles qui, prise sous la IIIRépublique, ont résisté à de nombreux mouvements terroristes, à des actes de barbarie, voire à des délires incantatoires comme les démocraties et notre peuple les entendent parfois. Avant d’extraire de cette loi des faits d’incitation ou d’apologie du terrorisme, il serait très important d’en démontrer la nécessité. Or, je n’ai rien entendu de tel, en tout cas pour ce qui concerne l’apologie. Non pas, évidemment, que l’apologie du terrorisme ne puisse être condamnée mais peut-être la loi de 1881 serait-elle suffisante pour la réprimer lorsque c’est nécessaire. La question se pose, en tout cas.

Je soulèverai une deuxième question, cette fois au titre de la commission du droit et des libertés à l’âge numérique, voulue par le président de notre assemblée. C’est celle des circonstances aggravantes. Il est essentiel que la volonté d’agir contre le terrorisme, que je soutiens bien évidemment, ne soit pas obscurcie, non pas par vos propos, monsieur le ministre – je n’ai rien entendu de tel – mais par une sorte de diabolisation voire une croisade contre les réseaux numériques que l’on entend parfois dans les débats publics, au sein de cette assemblée ou ailleurs.

J’entends dire que les réseaux sociaux, les sites, les réseaux numériques contribuent, bien évidemment, à la diffusion de propos, d’images et de thèses mais cette diffusion peut se faire par d’autres supports : des livres, des tracts, des chaînes de télévision, qu’elles soient hertziennes ou numériques. S’il faut aggraver les peines, réfléchissons-y, mais créer des circonstances aggravantes quand il s’agit d’internet peut sembler procéder d’une simplification de la réalité. Je comprends bien que l’effet d’amplification que l’on prête à internet justifie cette circonstance aggravante mais entre un blog consulté par quelques dizaines d’internautes et une émission de télévision à une heure de grande écoute, où est l’effet amplificateur ?

Je défendrai l’idée dominante qui s’est dégagée au sein de la commission du droit et des libertés à l’âge numérique : supprimer cette circonstance aggravante, quitte à élever le niveau des peines pour l’ensemble des supports, de façon à faire preuve de la fermeté nécessaire sans pour autant se tromper de procédé.

Rappelons par ailleurs une décision du Conseil constitutionnel de 2006, dans un domaine moins sensible mais qui avait fait couler beaucoup d’encre. Le Conseil avait estimé qu’une disposition méconnaissait le principe d’égalité devant la loi pénale en créant une différence de traitement injustifiée entre les personnes. La décision concernait le droit d’auteur, sujet qui n’a pas le même caractère sensible et ne réclame pas de la puissance publique la même attitude, j’en conviens très volontiers. Mais enfin, c’est une question de neutralité technologique.

J’ai lu récemment dans la presse que cet hémicycle compterait, d’une part, des députés conscients de la menace mais ignorants de l’internet, et d’autre part, des techniciens de l’internet qui seraient ignorants de la menace. Cette différence n’a pas lieu d’être et il serait nécessaire d’élever le niveau de compréhension pour chacun de la menace mais également celui de tous quant aux principes qui doivent régir l’action numérique et la nécessité de préserver les libertés. Ces deux enjeux ne me semblent pas contradictoires, il faut simplement travailler en finesse pour rendre compatibles ces deux objectifs, que je ne confonds pas. Je sais, monsieur le ministre, combien votre tâche est difficile et je connais le sérieux et la fermeté de votre engagement mais il revient au Parlement de trouver des solutions adaptées, modernes, avec la fermeté nécessaire, tout en évitant quelques impacts systémiques qui pourraient se renouveler dans d’autres domaines, ce qui serait fâcheux. Nous pouvons améliorer ce texte en l’amendant et, le moment venu, l’adopter.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. L’article 4, au fond, porte sur deux sujets : l’exfiltration des dispositions concernant l’apologie du terrorisme contenues de la loi de 1881 sur la liberté de la presse vers le code pénal, et l’aggravation de l’incrimination lorsque les faits sont commis sur internet – à quoi peut sans doute s’ajouter un débat sur la notion même d’apologie.

J’ai indiqué pendant la discussion générale que lors de l’adoption de la précédente loi, en 2012, nous n’avions pas tranché la question de savoir s’il était ou non souhaitable de procéder à cette exfiltration. En tant que rapporteure du projet de loi, je me rappelle avoir eu à l’époque de longs et nombreux échanges, notamment avec la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, dont la présidente – toujours en fonction aujourd’hui – était très réservée sur ce transfert. Et pour cause : le bloc des lois républicaines auquel nous avons tous des raisons d’être attachés incite à penser que la liberté de la presse est une et indivisible, et qu’il n’y a nul besoin de saisir la truelle du maçon pour construire un autre édifice à côté.

Les temps ont changé, néanmoins. Comme je le disais au début de la discussion en réponse à M. Marc Dolez, je crois en conscience, après avoir longuement réfléchi à la question ainsi qu’à la préservation du bloc des lois républicaines, qu’il est désormais utile de procéder à cette exfiltration.

Aujourd’hui, en effet – et cet argument fait le lien avec la deuxième question que j’évoquais –, l’existence même d’internet donne une tournure tout à fait nouvelle à un certain nombre de délits de presse. Chacun se souvient que nous avions d’ailleurs tous, en novembre 2012, fait ce constat dans l’hémicycle.

On peut naturellement s’opposer à cette mesure au motif que la liberté ne se divise pas. Hélas, les manifestations de la liberté se divisent quelquefois, notamment lorsqu’elles se démultiplient. En l’occurrence, c’est le cas : concrètement, c’est sa démultiplication en ligne, par internet, qui fait de l’apologie un acte particulièrement meurtrissant. Les deux sujets entretiennent donc un lien étroit. Aujourd’hui encore moins que jamais, le contenu ne saurait être distingué de son canal. Voilà qui donne une nouvelle jeunesse à la formule de Marshall McLuhan : « le médium, c’est le message ». Tous les journalistes et les défenseurs de la liberté de la presse n’ont d’ailleurs cessé de le répéter. Il faut donc aller au bout de ce constat : le médium, c’est le message et, par conséquent, il est désormais possible de diffuser un message barbare qui est appelé à se démultiplier à l’infini – y compris potentiellement, M. Paul, car un blog n’est certes pas en soi un instrument d’apologie barbare, mais il peut à tout moment le devenir, tandis qu’un journal de papier se jette aisément sans pouvoir être retrouvé.

Dans ces conditions, j’estime qu’il est pertinent d’exfiltrer de la grande loi sur la presse les dispositions relatives à l’apologie du terrorisme, qu’il faut le faire compte tenu du lien étroit qu’elles entretiennent avec le support d’internet et qu’en conséquence, il faut aggraver la peine en considérant comme une circonstance aggravante le fait que l’apologie emprunte le canal d’internet – un médium dont nous avons chacun à notre manière souligné tout à la fois le formidable intérêt potentiel car, comme je l’ai dit lors de la discussion générale, il s’agit d’un facteur de démocratie, mais aussi le fait qu’il peut devenir un redoutable instrument. Lorsque nous le saisissons comme tel, nous ne devons pas manquer d’en tirer les conséquences.

M. Pierre Lellouche. Tout à fait d’accord !

M. le président. La parole est à M. Alain Marsaud.

M. Alain Marsaud. De toutes les dispositions que contient ce projet de loi, cet article est sans doute le plus difficile à appliquer, et je souhaite bien du plaisir aux personnes qui exerceront l’action publique, qu’ils soient juges ou magistrats du parquet.

Vous nous parlez d’apologie du terrorisme, madame Bechtel. L’alinéa 2 de l’article mentionne pourtant le fait « de provoquer directement à des actes de terrorisme ». Permettez-moi donc de vous poser une question, monsieur le rapporteur, vous qui nous disiez, en réponse à l’un de nos amendements concernant ces personnes qui vont combattre sur tel et tel terrain, qu’il existe de bons et de mauvais terrains – il est vrai que le Quai d’Orsay a ses bonnes et ses mauvaises guerres.

Voyons si cet article pourrait s’appliquer à un cas précis. M. Lellouche a cité celui de Dieudonné ; j’en prendrai un autre, certes à la limite de la provocation. Imaginons donc un intellectuel français…

M. Pascal Cherki. Ils sont nombreux !

M. Alain Marsaud. Ciblons donc davantage : un intellectuel français vêtu d’une chemise blanche…

M. Lionel Tardy. Et les cheveux au vent !

M. Alain Marsaud. Depuis un hôtel de Benghazi, il appelle à l’insurrection. Pourrait-il éventuellement être poursuivi ? Nous voilà en effet face à des faits commis à l’étranger par un citoyen français, qui appelle la « rébellion » libyenne – pour parler de manière globale – à l’insurrection. Ce type-là ne pourrait-il pas tomber sous le coup du présent article ? Je vous pose la question, monsieur le rapporteur. Cet intellectuel français en chemise blanche…

M. Nicolas Dhuicq. Intellectuel, c’est vite dit…

M. Alain Marsaud. Soit ; disons plutôt cet intellectuel autoproclamé. Il appelle à l’insurrection depuis son hôtel de Benghazi : l’article s’applique-t-il ?

M. Pascal Cherki. Saint-Germain-des-Prés est un quartier à risques ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés, pour vos interventions sur l’article ; elles appellent quelques précisions. Je voudrais répondre à toutes les questions qui ont été posées de la plus rigoureuse des manières.

Mme Mazetier a commencé par m’interroger sur un article paru cet après-midi dans le journal Le Monde. Je veux, en l’espèce, m’en tenir à la précision des faits, car ils existent. Quels sont-ils ? Après son arrestation le 30 mai dernier, à Marseille, dans des conditions qui ne doivent rien au hasard, car je m’empresse de préciser que c’est parce que nous avons décidé, en raison du risque terroriste, de multiplier les contrôles aléatoires sur certains axes que Mehdi Nemmouche a été arrêté,…

M. Nicolas Dhuicq. Si les contrôles étaient aléatoires, l’arrestation est donc bien due au hasard !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …il a été identifié par certains de nos ex-otages comme l’un de leurs geôliers. Les otages qui ont identifié Mehdi Nemmouche sur la base de photographies diffusées par la presse l’ont signalé aux services de renseignement, notamment à ceux qui sont placés sous ma responsabilité. Il va de soi que l’autorité judiciaire en a immédiatement été avisée.

La nécessité de protéger au mieux les otages encore détenus a déterminé la décision des services de renseignement, que j’ai naturellement approuvée, de ne pas rendre publique cette information. Vous noterez d’ailleurs que l’autorité judiciaire n’en a pas davantage fait état ; on peut le comprendre, compte tenu de la gravité de la situation et du sort qui pouvait être réservé aux autres otages.

C’est le journal Le Monde, dans lequel le journaliste Torres écrit aujourd’hui, qui a lui-même cru bon de divulguer cette information, et ce alors même que chacun s’était, sur ce sujet, astreint à une absolue confidentialité. Voilà quels sont les faits ; ils sont vérifiables et incontestables.

Dans le combat dans lequel nous sommes engagés contre le terrorisme et compte tenu de la monstruosité des actes qui sont commis, ainsi que du martyre enduré par les journalistes et par tous les otages que retiennent ces groupes, nous devons à l’opinion publique, lorsque l’on est en situation de responsabilité comme c’est mon cas, la vérité, la rigueur des faits, le refus de toute instrumentalisation. Nous devons aussi appeler à la responsabilité collective, ce que je n’ai cessé de faire, depuis que je suis ministre de l’intérieur, sur ces sujets et sur d’autres. Pour ma part, je veille à ce que toutes les précautions soient prises par les services placés sous mon autorité. Dans cette affaire, ils ont été exemplaires et ont accompli le travail qui leur incombait. Je veux les en remercier, et les remercier aussi pour la responsabilité et la confidentialité dont ils ont fait preuve. Je veux dire aussi à la représentation nationale que, sur ce sujet, les ministres doivent dire la vérité de façon scrupuleuse en exposant les faits tels qu’ils ont été portés à leur connaissance et tels qu’ils peuvent être établis et reconstitués par chacune et chacun d’entre vous.

J’en viens à l’article 4 et aux différentes remarques formulées par les uns et les autres. J’évoquerai plusieurs sujets soulevés non seulement ici, dans cet hémicycle, mais aussi par tous ceux qui, dans l’opinion – et c’est à la fois normal et légitime – font part de leurs inquiétudes, formulent leurs points de vue, expriment leurs idées. Là encore, nous devons répondre avec beaucoup de précision et de rigueur.

Comme viennent de l’exposer clairement Mme Bechtel et d’autres intervenants, le présent projet de loi modifie la base légale des infractions d’apologie et de provocation au terrorisme en les faisant basculer de la loi de 1881 sur la liberté de la presse vers le code pénal. Ce basculement, et j’insiste sur ce point car c’est là une source de contrevérités que j’ai vues exposées dans certains organes de presse et lors de certains débats, ne change strictement rien à la définition et au champ d’application de ces délits qui existent déjà dans le droit positif. Je rappelle les raisons pour lesquelles cette substitution du fondement juridique est devenue nécessaire.

Il s’agit tout d’abord de tirer la conséquence de la stratégie médiatique adoptée par les groupes terroristes eux-mêmes, face auxquels il nous faut réagir avec efficacité. Ensuite, il nous faut aussi appliquer certaines des techniques spéciales d’enquête qui sont indispensables, comme les interceptions, sans pour autant dénaturer la loi de 1881, conformément à l’avis donné par la CNCDH en décembre 2012. En pratique, il est très difficile de distinguer entre l’apologie et la provocation. L’apologie, c’est la mythification ; la provocation, c’est l’incitation à commettre l’acte. L’une et l’autre peuvent se trouver mêlées sur des sites de propagande diffusés par des acteurs aguerris aux techniques de la communication dont ils font un usage pernicieux et pervers.

En conséquence, je dis notamment à M. Paul, dont je comprends et respecte l’argumentation, que si l’apologie était maintenue dans la loi de 1881 alors que la provocation figure dans le code pénal, nous risquerions de fragiliser considérablement les procédures en cours et nous priverions du même coup de la possibilité d’agir efficacement contre le terrorisme – précisément parce que la frontière entre apologie et provocation peut être extrêmement ténue.

Je veux insister fortement sur un autre point au sujet duquel j’ai lu de fausses affirmations : la protection de la presse et la liberté d’expression et d’information ne sont en aucun cas – je le répète solennellement : en aucun cas – altérées par ces dispositions. En effet, l’élément intentionnel d’apologie ou de provocation demeure nécessaire et ne saurait être confondu à aucun moment avec la volonté légitime d’informer le public.

Je comprends cette inquiétude, mais rien dans le projet de loi ne permet d’alimenter cette confusion et de donner à penser que, à droit positif inchangé, nous remettons en cause la liberté de la presse. Car celle-ci ne pourrait être remise en cause que si nous changions le droit positif. Or ce n’est pas du tout ce que nous faisons.

D’autre part, la loi du 4 janvier 2010 sur le secret des sources, très protectrice pour les journalistes, reste en vigueur – nous entendons d’ailleurs la renforcer.

Par conséquent, laisser croire que la liberté de la presse est menacée par le projet de loi constitue une contrevérité absolue, destinée à susciter des peurs qui n’ont pas lieu d’être.

S’agissant du terrorisme, les arguments que je convoque ne sont pas destinés à semer partout la peur, mais à dire la vérité sur le risque de manière à ce que nous ayons en main la première arme dont nous avons besoin face aux terroristes, à savoir la lucidité, et, comme le chuchote depuis son banc le député Pascal Cherki, l’arme du droit. C’est en effet avec l’arme du droit que nous pouvons combattre le terrorisme et c’est la raison pour laquelle, dans ce débat qui nous rassemble depuis plusieurs heures, je veille scrupuleusement à ce que soient convoqués des arguments de droit et non des arguments politiques. C’est en mettant en avant le droit et ses principes que nous serons armés face aux terroristes et que nous donnerons à ce texte de loi la force dont il a besoin pour être efficace.

En ce qui concerne internet, je veux répondre de façon très précise aux interrogations formulées par Laure de La Raudière, Christian Paul et Lionel Tardy, dont je connais la sensibilité sur ces questions, et sans attendre l’examen de l’article 9.

L’usage d’internet est d’ores et déjà considéré comme une circonstance aggravante dans plusieurs crimes et délits dès lors que leur auteur a utilisé ce vecteur pour entrer en contact avec sa victime. C’est le cas pour les viols et agressions sexuelles, depuis 1998, et pour les faits de proxénétisme et de corruption de mineur.

Le législateur reconnaît donc bien la spécificité et l’efficacité des nouveaux vecteurs de communication numériques et la façon dont nous luttons contre la cybercriminalité montre la puissance particulière d’internet. Internet permet à un individu, à moindre coût, de se mettre en contact direct et sans médiation avec un public constitué de l’ensemble des internautes, et le message qu’il émet est susceptible d’être dupliqué et diffusé à l’infini. Internet offre aux thèses les plus extrêmes une caisse de résonance dont il faut bien reconnaître qu’elle est démultipliée.

Il est donc difficilement contestable qu’internet modifie les rapports sociaux. Il n’est donc pas aberrant que le législateur entende réprimer plus sévèrement les personnes qui utilisent un moyen permettant de démultiplier les objectifs criminels qu’elles poursuivent.

Prétendre que nous visons l’outil internet masque difficilement une hostilité de principe à toute intervention de la sphère publique sur les réseaux, au nom du dogme de la régulation spontanée. Mais pas plus sur internet qu’en économie, la régulation spontanée ne protégera les plus fragiles des abus des plus forts. Les libéraux du numérique appliquent à un domaine moderne les idées d’un lointain passé.

Je voudrais avant de conclure m’attarder sur la question de la liberté d’expression en m’adressant aux parlementaires qui m’ont interpellé sur ce point, relayés par la presse internet et par un certain nombre de réseaux. Peut-on légitimement considérer, monsieur Paul, madame de La Raudière, monsieur Tardy, que le fait de prendre des dispositions pour responsabiliser les fournisseurs d’accès à internet et les hébergeurs face au risque que représente pour les valeurs humanistes – auxquelles nous sommes tous attachés dans notre République – la diffusion d’images qui sont de véritables appels au crime, constitue une atteinte aux libertés publiques ? Cela relève d’une logique que j’ai énormément de mal à comprendre.

Nous nous battons contre des groupes puissamment organisés sur internet, des groupes qui entendent porter atteinte à nos libertés et à nos valeurs humanistes. Nous le faisons en responsabilisant les fournisseurs d’accès. Cela ne fait pas de nous de dangereux liberticides désireux de remettre en cause la liberté d’expression sur un support dont la neutralité devrait être à jamais sacralisée.

Rien dans ce que nous proposons ne remet en cause la liberté d’expression. Nous ne demandons le blocage administratif des sites qui provoquent ou font l’apologie d’actes de terrorisme que dès lors qu’après avoir signalé leur existence aux hébergeurs, ceux-ci ne font rien. On ne peut à la fois dire qu’il faut faire confiance à internet pour s’autoréguler…

Mme Laure de La Raudière. Je n’ai jamais dit cela !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …et reprocher au projet de loi de l’y inciter, justement.

Le texte que je présente à la représentation nationale comprend des dispositions précises. Dès lors que nous constatons la diffusion de messages ou d’images qui relèvent de la provocation ou de l’apologie d’actes de terrorisme et présentent un risque de basculement pour les jeunes en raison de la propagande qu’ils véhiculent, nous demandons aux hébergeurs de les retirer. Cela signifie que nous faisons confiance aux acteurs d’internet pour qu’ils procèdent à la régulation que vous appelez de vos vœux. Ce n’est que s’ils ne l’acceptent pas que nous prenons les mesures que vous contestez. Nous faisons cela pour éviter que ces messages ne conduisent un nombre de plus en plus important de jeunes à basculer dans une forme de violence dont nous voulons les protéger et qui peut être attentatoire à la vie et à nos libertés fondamentales, auxquelles nous tenons et que nous souhaitons protéger à tout prix.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n8.

Mme Isabelle Attard. La loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme avait créé un nouveau délit à l’article 421-2-4 du code pénal qui sanctionne le fait d’adresser à une personne des offres ou d’exercer sur elle des pressions pour qu’elle participe à un groupement terroriste.

Ce délit est à cheval entre l’article 421-2-1 du code pénal, qui permet d’appréhender les actes commis dans le but de recruter des personnes pour participer à des actes terroristes, et le délit de provocation non-publique au terrorisme prévu par le présent article.

Le délit prévu à l’article 421-2-4 ne recouvre donc aucune situation nouvelle. Dès lors, afin d’éviter toute confusion inutile, il nous semble nécessaire de l’abroger. Sa création avait d’ailleurs été contestée lors de l’étude du texte en 2012 par la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui avait supprimé cette création du Sénat avant que l’article ne soit rétabli en commission mixte paritaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Vous proposez par cet amendement de supprimer l’article du code pénal qui réprime le délit de recrutement, même non suivi d’effets, en vue de commettre des actes terroristes, au motif qu’il constituerait un doublon avec la provocation non-publique au terrorisme. Or le délit de provocation ne nécessite pas que l’auteur s’adresse à quelqu’un en particulier. En effet, l’auteur peut utiliser les forums privés ou diffuser des prêches clandestins, ce qui est puni de trois à cinq ans d’emprisonnement. En revanche, le délit de recrutement, dans la mesure où les personnes sont clairement identifiées, a une portée plus large et plus globale et il est puni de dix ans d’emprisonnement. Il ne s’agit donc pas d’un doublon et c’est la raison pour laquelle la commission propose de rejeter cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(L’amendement n8 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 69 et 142, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour les soutenir.

Mme Laure de La Raudière. Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai également l’amendement n141, car ces trois amendements forment un tout.

M. le président. Je vous en prie.

Mme Laure de La Raudière. Je souhaite, par ces amendements, exprimer mon opposition à l’idée que la diffusion de messages sur internet constitue une circonstance aggravante. Car ce n’est qu’un moyen et nous devons être attentifs à ne pas lui donner une autre signification.

La provocation à la commission d’actes terroristes utilise généralement internet comme moyen de diffusion, mais l’effet multiplicateur d’internet par rapport à d’autres médias comme la radio ou la télévision n’est pas démontré. Aussi, je souhaite que nous prenions en compte le développement du délit de provocation à des actes de terrorisme et le caractère particulièrement odieux de ces actes en prévoyant des peines importantes dans tous les cas, alignées sur celles qui ont été ajoutées lors de l’examen en commission des lois pour les délits commis via l’utilisation d’internet, et en supprimant la notion de circonstance aggravante.

Je ne doute pas, monsieur le ministre, de votre volonté de supprimer les contenus odieux d’internet, et sur ce point je partage votre volonté. Mais je vous rappelle qu’internet n’est pas hors la loi : les textes de loi s’appliquent aux délits commis en utilisant internet.

Par ailleurs, s’il est normal que les hébergeurs retirent les contenus incriminés suite à une décision de justice, vous leur attribuez, au fil des textes qui encadrent internet, la responsabilité de décider eux-mêmes du caractère manifestement illicite des sites qu’ils hébergent et vous les obligez à supprimer leur contenu. Cette responsabilité, outre qu’elle fait des hébergeurs une police privée, entraîne également une censure.

Je vous invite, monsieur le ministre, à vérifier qu’aucune censure ne s’applique aux propos relatifs à la pédophilie. Vous découvrirez que quelques hébergeurs, pour ne pas risquer de se retrouver hors la loi, commencent à censurer certaines références relatives à la pédophilie. Je ne parle pas de pédopornographie en ligne mais d’articles qui font référence à des actes de pédophilie qui ont été commis. Je considère que le fait de demander aux hébergeurs de jouer le rôle de police privée est une déviance et je préfère l’utilisation de la plateforme PHAROS.

Enfin, concernant le blocage des sites internet, vous ne m’avez pas convaincue lorsque vous avez évoqué, lundi soir, les technologies utilisées. J’attends de vous des réponses très précises sur ce point. Il existe aujourd’hui trois technologies majeures. Les deux premières – le blocage de l’adresse IP, le blocage du nom de domaine, ou DNS – sont inefficaces et vous ne trouverez pas un seul expert en cybersécurité pour soutenir qu’elles sont efficaces. La troisième technologie est celle utilisée par les pays totalitaires : il s’agit de l’inspection de contenu.

Monsieur le ministre, pour réaliser le blocage prévu à l’article 9, quelle technologie avez-vous décidé d’utiliser ? La représentation nationale a besoin d’être éclairée sur ce point.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 69 et 142 ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Je donnerai l’avis de la commission sur les trois amendements qui ont été défendus, même si l’amendement n141 est un peu différent des deux autres. À propos des amendements nos 69 et 142, la commission des lois a distingué la provocation publique de celle qui ne l’est pas afin de permettre d’incriminer les messages émis sur des forums internet privés ou dans des salles de réunion privées. Il s’agit d’ailleurs là d’un apport qui a été salué par les magistrats antiterroristes. Il importe de conserver une hiérarchie dans la gravité des faits. Il est moins grave de provoquer au terrorisme dans un cercle fermé, un forum privé par exemple, qu’à destination d’une audience plus large. Je propose donc le rejet des amendements nos 69 et 142.

Quant à l’amendement n141, qui distingue l’apologie de la provocation, je pense comme M. le ministre que les deux sont très liées. L’apologie du terrorisme, qui s’avère tout aussi dangereuse que la provocation directe au terrorisme, est d’ailleurs qualifiée dans la doctrine pénale de provocation indirecte. Qui fait l’apologie du terrorisme est nécessairement conscient que les destinataires de ses messages risquent de commettre des actes terroristes. L’apologie du terrorisme doit donc relever du même régime pénal que la provocation au terrorisme, car elle représente un danger tout aussi important pour la société.

Enfin, l’amendement propose de supprimer la circonstance aggravante de commission sur internet. Nous débattrons tout à l’heure de l’article 9, mais les dernières semaines ont démontré à plusieurs reprises l’importante force de frappe du djihad médiatique, qui est théorisé, organisé, structuré et constitue une arme de guerre contre les démocraties. Face à cette menace, il ne faut pas être frileux mais se donner des moyens supplémentaires, ce qui est l’objet de l’article 9.

M. Lionel Tardy. Et que ferez-vous donc quand les terroristes seront à l’étranger ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Face au djihad médiatique, il faut prendre en compte le caractère multiplicateur d’internet. L’apologie du terrorisme dans le cadre d’une réunion privée ne touche pas la même audience que celle qui est diffusée sur internet, ce qui constitue donc une circonstance aggravante.

M. Guillaume Larrivé. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je suis défavorable à ces amendements pour les mêmes raisons. Afin de ne pas répéter ce que vient de dire M. le rapporteur, j’apporterai des éléments complémentaires et répondrai aux questions qui viennent d’être posées. Tout d’abord, je pense comme vous, Mme de La Raudière, qu’il ne faut pas faire des hébergeurs une police privée. Ce n’est absolument pas ce que leur demande le projet de loi. Il importe de lire le texte dans le détail et je m’efforce pour ma part de tenir des propos précis correspondant à la réalité.

Mme Laure de La Raudière. Je ne parle pas de l’article 9 du texte, mais de l’article 6 de la LCEN !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous ne demandons pas aux hébergeurs d’exercer une police privée, nous prenons des mesures de police administrative, donc publique, demandant aux hébergeurs de bien vouloir retirer des images ou des éléments de propagande, faute de quoi les sites seront bloqués. Nous ne proposons pas du tout la mise en place d’une police privée des hébergeurs.

Deuxièmement, Laure de La Raudière et Christian Paul ont développé l’argument consistant à dire que tout le monde doit être logé à la même enseigne et qu’on ne peut distinguer TF1 d’un côté et internet de l’autre. Mais les deux ne sont pas du tout de même nature ! Bien entendu, les images diffusées par les chaînes de télévision peuvent amener certaines personnes à phosphorer, mais la propagande des sites et forums internet assortis de dispositifs de recrutement est pensée par les groupes terroristes. Leur propagande, c’est sur internet qu’ils la font, c’est la réalité !

M. Lionel Tardy. Vous avez bien changé, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Tous les services de renseignement, qu’ils soient français ou européens, constatent que ces groupes ont mis en place des dispositifs de propagande extraordinairement sophistiqués et performants, et qu’ils utilisent prioritairement le vecteur numérique pour atteindre leur but. Une écrasante majorité de nos ressortissants qui basculent ne le font pas dans des mosquées autour d’imams radicalisés mais sur internet. Je tiens à la disposition de la représentation nationale tous les rapports élaborés en ces matières et je pense même que vous auriez intérêt, mesdames et messieurs les députés, à procéder à l’audition de plusieurs membres de nos services à ce sujet car ils vous communiqueraient les éléments dont ils disposent. Ce que je dis, je ne l’invente pas, et je le dis par souci de lucidité et de vérité.

Vous avez par ailleurs insisté, madame de La Raudière, sur des aspects techniques que nous devrions aborder plus tard, mais comme vous les abordez maintenant…

M. Lionel Tardy. On refera le match plus tard !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si vous préférez le faire tout à l’heure, cela ne me gêne pas, mais je ne veux pas donner le sentiment, en ne répondant pas à cet aspect de la question, que nous ne sommes pas armés pour la réponse, car nous le sommes et je répondrai par conséquent lorsque nous aborderons l’article 9.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Le débat que nous avons ce soir est l’un des premiers de la législature à l’occasion duquel se rencontrent l’objectif essentiel de l’efficacité de l’action publique et la défense des libertés, en particulier celles qui sont liées de façon évidentes à l’existence des réseaux numériques. Il a donc pour le législateur, et peut-être aussi pour le Gouvernement, un effet pédagogique. Il n’est pas inutile, dans une démocratie comme la nôtre, même quand on mène le combat contre le terrorisme, de procéder à une pédagogie de la lutte contre le terrorisme mais aussi à une pédagogie des libertés. J’espère donc que le débat nous fera progresser ensemble sur au moins deux idées simples que j’évoquerai également tout à l’heure en défendant un amendement.

Ce qui nous distingue, monsieur le ministre, n’est pas la différence entre les réalistes et les angéliques. Nous sommes extrêmement réalistes sur l’existence de la menace que vous entendez combattre, qui est nouvelle et barbare. Mais nous ne le sommes pas moins sur la nécessité d’être attentif à la préservation de l’environnement numérique à l’encontre de laquelle va l’aggravation des peines. J’ai suffisamment de désaccords avec Mme de La Raudière sur mille et un sujets pour ne pas tomber d’accord avec elle qu’internet n’est évidemment pas une zone de non-droit. Personne ici ne défend une telle idée, ni vous-même, monsieur le ministre. Internet, depuis plus de vingt ans qu’il existe, est un espace où s’appliquent les lois de la République, le code pénal en particulier, même si leur application n’est pas facile, et qui n’est nullement exonéré des lois qui sont votées ici et que vous avez la charge d’appliquer, monsieur le ministre. Ce n’est pas une zone de non-droit, et ce n’est pas une zone où l’on pratiquerait simplement l’auto-régulation. Bien sûr, l’auto-régulation peut être pratiquée, dans certains domaines, et cela se passe tous les jours. Il est également nécessaire de mobiliser les acteurs. La discussion de l’article 9 montrera la nécessité d’obtenir la coopération de Facebook, par exemple, pour obtenir le retrait de certains contenus, ce qui est sans doute plus efficace que le blocage pour 90 % des contenus considérés. Il faut donc évidemment faire appel aux grands acteurs d’internet. Mais le principe de neutralité technologique ne doit pas entraver votre action, monsieur le ministre. Si vous considérez que les peines sont insuffisantes, proposez donc qu’elles soient relevées, ce n’est pas hors de portée !

J’ai bien compris la démonstration qui est avancée depuis le début du débat selon laquelle un certain nombre de groupes utilisent des blogs et surtout des réseaux sociaux pour recruter et faire de la propagande. Mais enfin, il existe d’autres médias de masse, vous en avez cité un, qui est un média de très grande écoute tous les jours à vingt heures, susceptibles d’avoir un effet d’incitation à des formes de violence dans bien des domaines, et pas seulement à des actes de terrorisme. Il importe donc, si on veut écrire la loi, y compris la loi pénale, avec un souci d’équité et d’équilibre, de faire respecter le principe de neutralité technologique, c’est-à-dire l’égalité devant la loi pénale. C’est un principe que notre assemblée devrait vous aider à faire respecter, monsieur le ministre. Sur ce point précis, je suis favorable aux amendements qui viennent d’être défendus.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je comprends votre argumentation, monsieur Paul, mais je n’en approuve pas le contenu, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, je considère que l’effet d’internet en matière de propagande véhiculée par les groupes terroristes n’est absolument pas comparable à celui des images diffusées par les chaînes de télévision grand public sur le sujet. Cela n’a rien à voir. Diffuser des images rendant compte de ce qui se passe sur les théâtres d’opérations djihadistes n’a pas sur les esprits les plus vulnérables le même impact que la fréquentation constante et permanente de sites destinés à faire en sorte que ces jeunes basculent. Je ne peux donc accéder à votre raisonnement. Il existe de véritables sites d’endoctrinement et d’appel au djihad ciblant des esprits jeunes et vulnérables qui basculent en raison de la fréquentation d’internet et parfois s’autoradicalisent par une relation exclusive de tout autre avec des sites djihadistes. Si principe d’égalité il doit y avoir, il doit être proportionné à l’impact du vecteur sur le basculement dans le terrorisme.

En outre, vous proposez de durcir les sanctions pénales, monsieur le député, mais nous ne considérons pas que le problème pourra être réglé par le truchement exclusif du juge judiciaire. Je ne peux pas combattre le terrorisme sans mesure de police administrative, parce que je suis parfois confronté à des urgences extrêmes m’obligeant à prévenir la commission de certains actes par des mesures de police administrative qui ne sont pas des mesures discrétionnaires dès lors que leur contrôle est assuré par le juge administratif dont je rappelle qu’il est un juge des libertés, tout autant que le juge judiciaire. Par ailleurs, prendre sous le contrôle du juge administratif des mesures de police administrative destinées à prévenir n’empêche en rien l’intervention ultérieure du juge judiciaire si ce qui se passe sur internet relève d’infractions pénales permettant d’enclencher l’action publique.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Les amendements nos 69, 142 et 141 défendus par Laure de La Raudière sont liés et j’y suis favorable. Mais je vais étendre un peu la discussion. Je ne résiste pas au plaisir de lire l’exposé sommaire d’un amendement déposé en 2010 sur la loi LOPPSI. Vous verrez d’ailleurs qu’avec ce texte – et ce sera notamment le cas lors de la discussion sur l’article 9 –, nous allons revenir sur ce qui se disait il y a quelques années sur les bancs socialistes. Cet amendement, donc, avait d’illustres signataires, comme MM. Valls et Urvoas, ainsi que vous-même, monsieur le ministre, puisqu’il était cosigné par l’ensemble du groupe SRC. Son exposé sommaire rappelait à juste titre qu’« internet n’est qu’un média, un moyen de communication. L’utilisation de ce média ne saurait justifier une peine aggravée ».

C’était en 2010, et l’amendement était cosigné par tous les membres du groupe socialiste.

Mme Laure de La Raudière. C’était à propos de la pédopornographie en ligne.

M. Lionel Tardy. C’est clair, net et précis, et c’est toujours vrai aujourd’hui. Je ne doute pas que vous êtes en phase avec vous-même – nous y reviendrons à l’article 9, et vous allez voir, ça va être sympa – et que vous allez nous inviter à adopter ces amendements.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cet argument est un argument politicien chimiquement pur. En 2010, avions-nous le même nombre de jeunes qui basculaient dans les groupes djihadistes via internet ?

M. Lionel Tardy. Il n’y avait pas que le terrorisme !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non : ce phénomène est un phénomène récent, nouveau, qui conduit à la mobilisation de tous les pays de l’Union européenne dans des termes assez comparables. Il n’existait pas à l’époque. L’argument est d’une grande efficacité politicienne, je dois le reconnaître, mais en droit, il est d’une infinie faiblesse. Ainsi, le fait que nous tenions compte d’un contexte gravissime – car la situation est tout de même extrêmement grave – pour faire évoluer l’état du droit en tenant compte de ce qu’est une menace vous apparaît comme une forme de renoncement. Pas du tout : c’est une forme de lucidité face à un risque. Tous les services de renseignement de l’Union européenne travaillent ensemble pour constater cette réalité, face à laquelle j’appelle la représentation nationale à la lucidité. Le phénomène auquel nous sommes confrontés est d’une extrême gravité. Il a conduit le nombre de jeunes et de ressortissants français qui s’engagent dans ces groupes à augmenter de 74 % en huit mois. Vous rendez-vous compte de la situation ?

Face à cela, l’argument que vous développez consiste à reprocher à un ministre de l’intérieur, qui était député il y a six ans, de tenir compte de la réalité de cette menace en adaptant sa propre position. Mais en politique, la psychorigidité n’est pas une qualité ! Être capable de tenir compte d’un contexte pour prendre de bonnes mesures n’est ni un défaut, ni un reniement : c’est tout simplement de la lucidité face à un risque. Aujourd’hui, nous mesurons ce risque et le danger qu’il représente. Oui, j’ai changé de position sur ce sujet, mais parce que le contexte a dramatiquement changé, et parce que face à celui-ci, le devoir républicain qui est le mien est un devoir de lucidité.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Je souhaiterais répondre à ce qu’a dit M. le ministre, et sans me placer sur un terrain politicien – je crois qu’il l’a compris. Vous avez évoqué à l’instant, monsieur le ministre, des mesures de police administrative, dont nous allons débattre à l’article 9. Nous parlons ici des décisions de justice, donc de la loi pénale et de son application et du niveau des peines. Car le problème est bien celui de l’aggravation des peines. La question qui nous est posée est de savoir si le franchissement de cette ligne de principe – l’aggravation des peines – est réellement utile.

Mme Laure de La Raudière et M. Lionel Tardy. Il ne l’est pas !

M. Christian Paul. En vous disant de relever les peines si vous le jugez nécessaire, je n’ai pas le sentiment de desservir la cause que vous défendez. Il me semble donc préférable de conduire cette réflexion-là.

Permettez-moi d’évoquer un deuxième point. Nous parlons de sites djihadistes qui se trouvent hors de France, avec des instigateurs qui, pour la plupart voire la totalité d’entre eux, ne verront jamais la terre de France, ni, sans doute, un juge ou un policier français.

M. Lionel Tardy. Très juste !

M. Christian Paul. Faut-il, pour ces situations-là, mettre en place une réponse qui paraît inadaptée ? Si vous jugez utile, pour les sites hébergés en France, avec des instigateurs présents sur le sol français, de mettre en place une réponse pénale plus ferme avec des peines plus lourdes, je suis prêt à accompagner votre démarche. Mais nous assistons là à une sorte de dérive systémique qui ne me paraît pas indispensable.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Permettez-moi, au nom du groupe UMP, de souligner que nous avons un débat de qualité, dans lequel – et c’est bien naturel – plusieurs voix s’expriment en toute liberté. Il n’y a pas de consigne de vote, nous ne sommes pas, dans notre groupe, embrigadés, ce dont nous nous réjouissons ; chacun peut donc s’exprimer.

Néanmoins, la position dominante, depuis des années, au sein du parti de gouvernement auquel nous appartenons est bien en faveur de la prise en compte de la nécessité de renforcer, tant au plan pénal qu’au plan de la police administrative, les instruments de lutte contre ce qu’il est convenu d’appeler le cyber-djihadisme. C’est la raison pour laquelle le groupe UMP avait présenté au mois de juin, dans sa niche parlementaire, une proposition de loi extrêmement proche des dispositions que le Gouvernement nous propose aujourd’hui.

M. Jean-Paul Bacquet. C’est exact.

M. Guillaume Larrivé. S’agissant de l’article 4, je suis convaincu, comme tous les commissaires aux lois du groupe UMP qui ont voté cet été, de la pertinence du transfert que nous allons opérer de la loi de 1881 vers le code pénal, puisque nous aurons plus de moyens procéduraux – je pense notamment au régime des gardes à vue et des perquisitions – pour lutter contre ces délits d’apologie et de provocation au terrorisme. Pour ma part, je ne voterai donc pas les amendements excellemment et librement défendus par mes collègues de La Raudière et Tardy. (« Très bien ! " sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

(Les amendements nos 69 et 142, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

5

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme ;

Discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly