Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Deuxième session extraordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 18 septembre 2014

SOMMAIRE

Présidence de M. Christophe Sirugue

1. Accord établissant une association entre l’Union européenne et l’Amérique centrale

2. Lutte contre le terrorisme

Discussion des articles (suite)

Article 9 (suite)

Amendements nos 16 , 76

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Amendements nos 38 , 112 , 77 , 39 , 114 , 113 rectifié , 47 , 78 , 79 , 45 , 3 , 14 , 115 , 4 , 116 , 137 , 117

Article 10

Amendements nos 97 , 129

Article 11

Article 11 bis

Article 12

Amendements nos 134 , 13 rectifié , 98 , 128 rectifié

Article 13

Mme Marie-Françoise Bechtel

Article 14

Article 15

M. Christian Paul

Amendements nos 127 , 149 rectifié , 83

Article 15 bis

M. Philippe Goujon

M. Guillaume Larrivé

M. Lionel Tardy

Amendement no 105

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Après l’article 15 bis

Amendements nos 145 , 64 , 138 deuxième rectification , 66 , 68 , 63 , 67

Articles 16, 17 et 18

Explications de vote

M. Marc Dolez

Mme Marie-Françoise Bechtel

Vote sur l’ensemble

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Suspension et reprise de la séance

3. Adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière

Présentation

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

M. Christophe Caresche, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes

Discussion générale

Mme Sonia Lagarde

M. Éric Alauzet

M. Joël Giraud

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Christophe Sirugue

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

1

Accord établissant une association entre l’Union européenne et l’Amérique centrale

Procédure d’examen simplifiée

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, selon la procédure d’examen simplifié, en application de l’article 103 du règlement, du projet de loi autorisant la ratification de l’accord établissant une association entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et l’Amérique centrale, d’autre part (nos 2095, 2201).

Ce texte n’ayant fait l’objet d’aucun amendement, je mets directement aux voix son article unique, en application de l’article 106 du règlement.

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

2

Lutte contre le terrorisme

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (nos 2110, 2173).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de deux heures trois minutes pour le groupe SRC dont douze amendements sont en discussion, cinquante-quatre minutes pour le groupe UMP dont vingt amendements sont en discussion, une heure quatorze minutes pour le groupe UDI dont aucun amendement n’est en discussion, vingt-six minutes pour le groupe écologiste, dont douze amendements sont en discussion, trente-neuf minutes pour le groupe RRDP dont aucun amendement n’est en discussion, trente-six minutes pour le groupe GDR dont aucun amendement n’est en discussion et quatorze minutes pour les députés non-inscrits dont un amendement est en discussion.

Discussion des articles (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement n16 à l’article 9.

Article 9 (suite)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 16 et 76.

La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n16.

Mme Danielle Auroi. Notre amendement tend à supprimer l’alinéa 2. Le premier point de l’article 9 propose que soit mise en avant l’obligation faite aux hébergeurs et aux fournisseurs d’accès à internet de mettre en place des dispositifs de signalement des contenus illicites ayant trait au terrorisme. Nous avons abordé le sujet de l’extension de la responsabilité pénale des hébergeurs à de multiples reprises : lors du débat sur la proposition de loi de notre collègue Larrivé sur internet et le terrorisme, et également lors des débats sur la loi sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et sur la loi relative à la prostitution. Notre avis reste identique.

Le Conseil constitutionnel a déjà noté « la difficulté fréquente d’apprécier la licéité d’un contenu ». Cela est particulièrement vrai pour distinguer les contours de ce qui relèverait ou non de l’apologie d’actes de terrorisme. Ainsi, en 2012, si la plateforme du ministère de l’intérieur a recueilli 120 000 signalements, seuls 1 329 avaient été transmis pour enquêtes à la police nationale ou à la gendarmerie. Il faut cesser de modifier cette partie de la loi de 2004 sur la responsabilité pénale des hébergeurs, laquelle confond les objectifs et les articles sur lesquels la responsabilité des hébergeurs peut être engagée. Elle confond également le rôle des hébergeurs et celui des fournisseurs d’accès à internet. En janvier dernier, le Gouvernement avait promis une consultation et un projet de loi sur le sujet, avant toute nouvelle modification de cette partie de la loi. Aussi regrettons-nous ce nouvel élargissement sans ces préalables.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n76.

M. Lionel Tardy. Ce n’est pas le rôle des intermédiaires, qu’ils soient hébergeurs de contenus ou fournisseurs d’accès à internet, d’apprécier le contenu des sites. Comme nous l’avons dit hier soir et comme nous le redirons aujourd’hui, ils n’ont ni la légitimité ni les moyens pour le faire. Le Conseil national du numérique a rendu, à ce propos, un avis très sévère qu’il serait judicieux d’écouter, déclarant que « la qualification des notions de commission d’actes terroristes ou de leur apologie prête à des interprétations subjectives et comporte un risque réel de dérive vers le simple délit d’opinion ». Voilà donc le lien avec la liberté d’expression que j’évoquais hier soir, à l’instar de beaucoup de mes collègues. Le risque de surblocage est évident et a été reconnu par le rapporteur et le Gouvernement. Aussi, pourquoi persévérer ?

Au lieu de développer la plateforme de signalement – internet-signalement.gouv.fr – et de s’interroger à froid sur l’efficacité de dispositifs de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, le Gouvernement l’étend par petites touches, au risque de produire des effets contre-productifs. Des contenus passent déjà à travers les mailles du filet et continueront de le faire, confirmant les problèmes que pose ce dispositif. Lors de votre propos liminaire hier soir, monsieur le ministre, vous disiez trouver étrange que certains s’en remettent aux mains d’opérateurs privés plutôt qu’à la sphère publique pour ce genre de sujets. Or, c’est précisément ce que vous faites ici. J’ai lu comme vous l’article du Monde, mais j’ai surtout beaucoup lu cet article 9, auquel j’ai confronté vos déclarations. Malgré mes efforts, je ne comprends toujours pas votre logique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. L’extension des obligations légales des opérateurs, en matière de signalement, aux faits de provocation au terrorisme et d’apologie du terrorisme, ne paraît pas poser de difficulté insurmontable pour les opérateurs que nous avons reçus. L’idée que les discours ou les images de provocation au terrorisme ou d’apologie du terrorisme seraient plus difficiles à reconnaître et à qualifier que l’incitation à la haine raciale, qui se trouve dans le champ de l’article 6 de la LCEN depuis 2004, ne me paraît pas totalement convaincante. Quand on voit les images particulièrement choquantes et les discours parfaitement explicites sur des sites de propagande djihadiste, le doute n’est généralement pas possible. Par ailleurs, les hébergeurs disent retirer de leur propre initiative certains contenus choquants sans être nécessairement illicites, sur la base de leurs conditions générales d’utilisation. Dès lors, il ne me semble pas aberrant que la loi demande aux hébergeurs de faire pour les contenus illicites ce qu’ils font déjà de leur propre chef pour des contenus contraires aux règles de police interne de leurs sites. C’est pour ces raisons que la commission a émis un avis défavorable à ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Il est également défavorable.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Demander à un acteur privé, opérateur de télécom ou hébergeur, de faire ce travail revient à lui confier un rôle de police, en lieu et place de nos services publics de sécurité. Une mise en garde s’impose, puisque les opérateurs de télécom et les hébergeurs, qui seront pénalement responsables s’ils n’exercent pas correctement cette mission, risquent d’avoir une interprétation très large du caractère illicite des contenus sur internet et de provoquer un certain nombre de dérapages.

(Les amendements identiques nos 16 et 76 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n38.

Mme Danielle Auroi. Il est défendu.

(L’amendement n38, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Pietrasanta, pour soutenir l’amendement n112.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.

(L’amendement n112, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n77.

M. Lionel Tardy. Revoilà le fameux blocage administratif des sites, dont nous parlons depuis plusieurs années et contre lequel, même si je suis bien seul ce matin, je continuerai de me battre. Le passage en amont par un juge devrait être un principe incontournable, comme l’affirme d’ailleurs, je le répète, le Conseil national du numérique. De plus, avant juin 2012, les députés socialistes émettaient des réserves et demandaient des évaluations et des moratoires. Je vous épargne toutes les interventions, mais nous pourrions y passer la matinée. J’ai même retrouvé sur un amendement à la loi LOPPSI de 2010, signé notamment par MM. Valls et Urvoas, lesquels expliquaient que l’instauration de mesures de filtrage exigeait une période expérimentale préalable. Or, aujourd’hui, je ne lis plus rien de tout cela dans votre texte.

Je ne reviens pas sur les nombreux avis négatifs émis contre cette mesure. Toutefois, le dernier en date est particulièrement intéressant, puisque le directeur de l’agence nationale de sécurité des systèmes d’information en personne s’estime très réservé d’un point de vue technique, comme je l’ai dit hier soir. Je ne comprends pas que ce gouvernement n’ait pas pris la peine d’écouter les avis d’experts. Pour cause, il serait absurde d’imposer aux fournisseurs d’accès à internet le blocage au niveau de l’URL, qui ne peut être mis en œuvre dans un réseau que par le biais de la technique particulièrement intrusive, coûteuse et risquée du DPI, même si le ministre de l’intérieur a dit qu’il n’y aurait pas recours. Tout cela vient s’ajouter au caractère déjà illusoire du blocage, puisqu’il est facilement contournable. Par exemple, sur les réseaux sociaux, il n’est pas possible de bloquer un seul contenu – et vous le savez –, à moins de bloquer entièrement le site, ce qui n’est envisageable que dans des pays où la démocratie est une option. Aux dernières nouvelles, ce n’est pas le cas de la France.

Je sais votre attachement au droit, monsieur le ministre, et votre expérience en témoigne. Mais je crains qu’avec l’exercice du pouvoir exécutif vous ayez perdu de vue que le droit a tout à gagner à être applicable. En commission, vous avez introduit la CNIL dans la boucle, lui conférant un nouveau rôle, celui d’un référent chargé de la surveillance. Cela atténue le problème, mais l’ensemble reste assez flou et surtout cela me conforte dans l’idée qu’une réflexion globale doit être menée, puisque vous avez en effet bel et bien récrit et revu l’ensemble du dispositif prévu à l’article 6 de la LCEN, ce qui, de fait, ne concerne pas seulement le terrorisme. Cette réécriture s’étant faite sans étude d’impact, ni concertation préalables, il est difficile de dire si c’est une bonne ou une mauvaise idée.

Après l’examen des textes sur la prostitution et l’égalité femmes-hommes, je le demande une nouvelle fois : il faudrait mener une vraie réflexion sur l’efficacité du dispositif, que l’on sait imparfait, au lieu de le modifier à chaud. En le modifiant ainsi, vous confirmez votre préférence pour le blocage administratif, sans passage préalable par le juge. Ce n’est pas une fatalité, c’est un choix, le vôtre et celui du Gouvernement, que je ne partage pas, car on peut facilement le qualifier de dangereux. C’est pourquoi je propose la suppression des alinéas 3 à 7.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Nous avons déjà eu ce débat cette nuit et je ne reviendrai pas sur la question. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il y a dans votre intervention, monsieur Tardy, des mots qui ne sont pas justes en droit et je voudrais, pour le débat et pour que cela soit consigné dans le compte rendu, apporter des précisions. L’obligation de retirer promptement les contenus manifestement illicites, que vous avez évoquée dans la défense de votre précédent amendement, résulte de la directive 2004/48/CE. Elle est la contrepartie de l’irresponsabilité reconnue aux intermédiaires internet pour les contenus qu’ils hébergent et transportent. Vous avez oublié de le dire ; or, si vous l’aviez dit, une partie de votre argumentation tombait.

On cite toujours le Conseil national du numérique ; c’est une instance que je respecte et je tiens grand compte de ses avis. Mais il y a aussi d’autres instances dont on peut s’inspirer lorsque l’on fait le droit dans l’hémicycle, comme le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel qui sont des références importantes dans l’état de droit, dès lors que l’on est soucieux des libertés publiques.

Le Conseil constitutionnel a validé le principe du blocage administratif dans sa décision 2011-625 du 10 mars 2011, dont le considérant n8 rappelle que « la décision de l’autorité administrative est susceptible d’être contestée à tout moment et par toute personne intéressée devant la juridiction compétente, le cas échéant en référé ; que, dans ces conditions ces dispositions [de la loi dite LOPPSI] assurent une conciliation qui n’est pas disproportionnée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et la liberté de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». ». C’est précisément ce que j’ai prévu dans le texte : un recours en référé devant le juge, c’est-à-dire quasi instantanément après que la décision a été prise. Je pense que le contenu d’une décision du Conseil constitutionnel a au moins autant de valeur, quand on est républicain et attaché au droit, que ce qu’écrit le Conseil national du numérique, qui mérite par ailleurs, j’en conviens avec vous, la plus grande considération.

(L’amendement n77 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n39.

Mme Danielle Auroi. Cet amendement est important, proche de certains défendus par des collègues appartenant aussi bien au groupe socialiste qu’au groupe UMP. Il vise à revenir sur la proposition du gouvernement de permettre le blocage administratif des sites faisant l’apologie et la provocation au terrorisme. En effet, le blocage de sites internet ne permet pas de supprimer leurs contenus et peut facilement être contourné par différents moyens techniques, simples et déjà largement connus. Les personnes souhaitant consulter de tels contenus pourraient alors se tourner vers ces outils. Le blocage systématique des contenus faisant l’apologie ou incitant au terrorisme rendrait le phénomène moins visible, mieux crypté et donc encore plus difficile à contrôler, conduisant même à l’utilisation accrue de méthodes de masquage, déjà de plus en plus accessibles.

De plus, un certain nombre de ces contenus sont partagés via des réseaux sociaux, ce qui rend leur blocage quasiment impossible. Ils peuvent par ailleurs être hébergés sur des sites avec des adresses IP identiques.

Nous sommes également inquiets du risque de surblocage : bloquerait-on toute Facebook pour une seule page ? Le risque de surblocage n’est pas sans fondement. Je rappelle que celui-ci a conduit à des fiascos en Australie, où 250 0000 sites ont été bloqués pour un seul frauduleux, aux États-Unis, ce fut 84 000 sites et, en Grande-Bretagne, tout Wikipedia a été paralysé pour une pochette du groupe Scorpion.

Par ailleurs, la qualification de ce qui relève de l’apologie ou de la provocation au terrorisme est plus délicate que pour les images pédo-pornographiques, dont la possession constitue en soi un délit.

Je note que ni le juge Trévidic, lors de son audition par la Commission nationale du numérique, ni l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information ne sont convaincus par le blocage administratif.

Pour toutes ces raisons, cet amendement propose de ne pas élargir le blocage administratif aux sites faisant l’apologie ou la provocation aux actes de terrorisme.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Vous proposez dans cet amendement, madame Auroi, de limiter la possibilité de blocage administratif aux sites pédo-pornographiques, ce qui enlèverait toute substance à l’article 9. Nous n’y sommes donc évidemment pas favorables. L’apologie du terrorisme est une arme de propagande massive et l’on souhaite se donner les moyens, par le blocage administratif, de la limiter.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Je trouve dommage qu’on ne tire aucun enseignement du passé. Nous savons que les mesures de blocage administratif n’ont jamais été mises en œuvre… J’attends avec impatience, monsieur le ministre, votre décret, qui traîne depuis un certain temps. On a tout de même un peu de recul sur les dispositions de ce genre ; je pense à la loi HADOPI, dont les débats sur le rôle du juge, le blocage des sites, avaient fait beaucoup de bruit à l’époque. Aujourd’hui, quel est le résultat ? On a une structure qui coûte des millions chaque année, dont la seule mission est de lutter contre le téléchargement peer-to-peer, mais qui n’en est pourtant même pas capable puisque les internautes ont très facilement contourné la loi en devenant des adeptes du streaming et, plus grave encore, en souscrivant à des offres de VPN, technologie de réseau virtuel privé qui les rend totalement invisibles sur le réseau internet. On a essayé d’effrayer Mme Michu, la ménagère de quarante-cinq ans, toute étonnée de recevoir une lettre d’avertissement d’HADOPI, alors que les vrais spécialistes du téléchargement en contournent aisément les dispositions. Il en sera de même pour les personnes qui agissent sur des sites terroristes car elles crypteront évidemment leurs données si elles pensent qu’elles risquent d’être espionnées. Vous ne pourrez alors strictement rien faire, monsieur le ministre, tout un pan de l’économie numérique deviendra crypté, les services de police n’ayant alors absolument plus aucune vision de ce qui se passe. S’agissant des sites étrangers, quand bien même vous donnez des garanties qu’il va y avoir une évolution au niveau européen, je doute que ce soit très efficient, connaissant la lenteur des institutions communautaires sur ce sujet.

(L’amendement n39 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Pietrasanta, pour soutenir l’amendement n114.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Le présent amendement, déposé à titre personnel, vise à laisser le choix à l’autorité administrative de notifier sa demande de retrait à l’hébergeur ou à l’éditeur. En effet, les éditeurs de ces sites ne publient pas de tels contenus par inadvertance mais bien par complaisance ou par conviction. Il ne serait dès lors pas logique que l’autorité administrative doive s’adresser préalablement à eux car cela les alerterait et les encouragerait à déplacer ces contenus.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Excellent !

(L’amendement n114, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Pietrasanta, pour soutenir l’amendement n113 rectifié.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Nous avons introduit la subsidiarité entre éditeur, hébergeur et FAI. L’objectif de cet amendement, déposé à titre personnel, est de pouvoir informer immédiatement le FAI pour ne pas perdre de temps dans la mise en œuvre du blocage administratif à l’expiration du délai de vingt-quatre heures.

(L’amendement n113 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n47.

Mme Danielle Auroi. Cet amendement vise à ce blocage ne soit pas décidé par une autorité administrative mais par un juge, s’inspirant ainsi du dispositif retenu pour le blocage par l’ARJEL des sites illégaux proposant des jeux d’argent en ligne. La censure d’un contenu est un acte important qui devrait donc nécessiter une décision judiciaire préalable. Mais nous comprenons la volonté de pouvoir bloquer rapidement, et c’est pourquoi notre amendement propose que l’autorité administrative puisse saisir en référé le président du TGI de Paris. Si la décision judiciaire était positive, elle pourrait alors demander le blocage du site ainsi que celui des sites miroirs si ceux-ci n’ont pas été retirés dans les vingt-quatre heures.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. La solution proposée par l’amendement pour permettre à l’autorité administrative de demander le blocage des sites miroirs après une décision judiciaire positive ne pourrait fonctionner que s’il y a duplication pure et simple du site initial. Or s’il y a le moindre changement, si les sites miroirs ne sont pas strictement identiques, le blocage ne pourrait pas être demandé par l’autorité administrative et une nouvelle décision judiciaire serait nécessaire. Les éditeurs de sites de propagande terroriste auraient vite compris comment contourner le blocage.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(L’amendement n47 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n78.

M. Lionel Tardy. Il s’agit d’un amendement de repli. Il faut à tout le moins l’intervention du judiciaire, même en cas d’urgence – demande de blocage dans les vingt-quatre heures. En effet, l’urgence de la situation ne peut justifier, à elle seule, le blocage administratif. Le juge doit pouvoir ordonner le blocage d’un site à la suite d’un débat contradictoire, lequel peut très bien être mené dans les plus brefs délais, dans le cadre du référé. Je rappelle, par exemple, que le pôle spécialisé en terrorisme du TGI de Paris sait se prononcer vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. La procédure proposée par cet amendement est similaire à celle prévue pour l’ARJEL – article 61 de la loi de 2010 –, introduite à l’époque suite à l’un de mes amendements. Pourquoi ne pas reproduire la même procédure dans ce texte de loi ?

(L’amendement n78, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n79.

M. Lionel Tardy. Les modalités de mise en œuvre de la procédure de blocage devraient précisées par un décret. Celui-ci est très attendu, et même si le ministre nous a déjà donné quelques informations à ce sujet, je l’étudierai avec attention.

Il faut que la procédure de blocage soit conciliable avec des principes constitutionnellement garantis, tels que le respect de la vie privée des internautes et la liberté de commercer et d’entreprendre. Il importe de veiller à ce que les moyens mis en œuvre par les FAI soient les plus respectueux possible du secret des correspondances pour éviter le recours à des dispositifs d’analyse de trafic, de type DPI – deep packet inspection –, particulièrement intrusifs et coûteux.

Par ailleurs, afin de contenir l’impact financier pour l’État et de garantir un haut niveau de sécurité en minimisant les risques d’erreur, il importe de s’assurer que le dispositif de transmission envisagé soit dématérialisé.

Cet amendement apporte donc des précisions et propose un encadrement utile qu’il convient d’insérer dans la loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. M. le ministre a expliqué hier que les conditions techniques de la procédure relèvent d’un décret. Cela ne fait évidemment pas partie du domaine de la loi. Avis défavorable.

(L’amendement n79, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n45.

M. Guillaume Larrivé. Je le retire, monsieur le président.

(L’amendement n45 est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n3.

Mme Danielle Auroi. Cet amendement vise à prévoir que la personnalité qualifiée, assimilable à une autorité administrative indépendante, soit nommée non pas par la CNIL mais par le Défenseur des droits. De par ses autres attributions, il paraît plus adapté que la CNIL pour la désigner. En effet, les compétences de la CNIL portent sur les données personnelles. Elle n’a pas vocation à veiller au respect des droits et libertés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. L’idée de cet amendement peut paraître intéressante, mais elle est contraire à la Constitution qui, en son article 71-1, dispose que « la loi organique définit les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur des droits ».

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. Madame Auroi, maintenez-vous votre amendement ?

Mme Danielle Auroi. Non, monsieur le président.

(L’amendement n3 est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n14.

Mme Danielle Auroi. Cet amendement vise à donner à la personnalité qualifiée un réel pouvoir dans le retrait de contenu. Le fait que ses observations soient suivies permettra à cette autorité de disposer d’un véritable pouvoir de contrôle. Le dispositif actuel de l’article 9, qui ne lui donne qu’un simple pouvoir de recommandation, avec la possibilité de saisir la juridiction administrative en cas de refus est, d’une part, trop lourd, et, d’autre part, ne lui permet pas d’avoir une véritable utilité et d’être efficace puisqu’elle ne serait pas la seule à pouvoir saisir la juridiction administrative compétente.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Cet amendement me fait plaisir car il témoigne d’une confiance dans le dispositif de contrôle de la liste des sites bloqués par une personnalité qualifiée que j’ai proposé, mais il semble plus conforme aux exigences de l’État de droit que les éventuelles difficultés soient tranchées par un juge, en l’occurrence le juge administratif, plutôt que par une autorité administrative qui en censurerait une autre. C’est la raison pour laquelle la commission a repoussé votre amendement, madame la députée.

(L’amendement n14, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement rédactionnel, n115, présenté à titre personnel par le rapporteur.

(L’amendement n115, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n4.

Mme Danielle Auroi. Cet amendement vise à prévoir la remise annuelle d’un rapport d’activité par la personnalité qualifiée. Le but n’est pas de susciter un énième rapport mais de permettre une information annuelle précise sur le nombre de demandes de retraits, de contenus effectivement retirés et sur les motifs des retraits. Vu l’importance de la question du blocage administratif des sites et du choix de nommer une personnalité qualifiée dédiée, autant savoir quelle sera son action et disposer d’une information annuelle précise sur le blocage des sites.

(L’amendement n4, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement de coordination, n116, présenté à titre personnel par M. le rapporteur.

(L’amendement n116, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel, pour soutenir l’amendement n137.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il s’agit d’un amendement de précision. On sait en effet que la compensation des coûts résultant pour l’opérateur d’une des mesures prévues par l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, dite LCEN, dont la portée est ici étendue, est une obligation au regard des règles constitutionnelles. Mais il est nécessaire que la compensation se fasse sur une base objective. Le décret d’application de cette disposition sera plus facile à finaliser lorsque la question des coûts sera entièrement clarifiée. Il faut donc déjà prévoir que les opérateurs fournissent les justifications des éléments composant ces surcoûts.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vraiment très favorable.

(L’amendement n137 est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de l’amendement de coordination n117 de M. Sébastien Pietrasanta.

(L’amendement n117, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 9, amendé, est adopté.)

Article 10

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 97 et 129.

La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n97.

Mme Danielle Auroi. L’article 10 autorise à accéder, à partir des locaux d’un service de police ou d’une unité de gendarmerie, à un système informatique distant en vue de perquisitionner les données d’une personne. L’amendement, lui, prévoit qu’une telle perquisition doit, à peine de nullité, suivre les règles normales du code de procédure pénale. Il s’agit de garantir les droits de la personne perquisitionnée – comme le droit à être présent ou représenté –, en particulier si elle bénéficie, à l’instar des avocats, des juges ou des médecins, d’une protection particulière du fait de sa profession.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour soutenir l’amendement n129.

M. Christian Paul. L’article 10 tend à adapter les modalités de perquisition d’un système informatique en vue de prendre en compte les nouvelles pratiques de stockage des données. Aujourd’hui, en effet, le stockage n’est plus seulement effectué localement, mais aussi en ligne – grâce à ce que l’on appelle le cloud computing – ou sur des terminaux mobiles. Les règles de la perquisition seraient désormais applicables lorsque les données ainsi stockées sont accessibles à partir d’un système informatique implanté dans un service de police ou une unité de gendarmerie.

Sans revenir sur un tel principe, notre amendement tend à mieux garantir les droits de la personne réquisitionnée en rappelant les dispositions prévues aux articles 56 à 59 du code de procédure pénale. Ainsi, en application de l’article 57, l’enquêteur ne peut ni consulter ni saisir aucune donnée en dehors de la présence de l’intéressé, d’un tiers désigné par lui ou, à défaut, de deux témoins. De même, d’autres dispositions du même code offrent à certaines professions ou fonctions astreintes au secret professionnel une protection particulière en matière de perquisition.

Je le répète, notre intention n’est pas de revenir sur le principe posé par l’article 10, mais simplement d’y faire expressément figurer les références aux articles concernés du code de procédure pénale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Ces amendements sont satisfaits, dans la mesure où l’article 10 du projet de loi dispose que la perquisition de données stockées à distance ou sur des terminaux mobiles à partir d’un système d’information implanté dans les locaux d’un service de police ou d’une unité de gendarmerie est réalisée dans les conditions prévues par le code de procédure pénale.

S’il est de nature à améliorer significativement les conditions matérielles de travail des enquêteurs, l’article que nous examinons ne modifie donc aucunement les droits de la personne faisant l’objet de la perquisition. Ainsi, les données lui appartenant et stockées à distance – par le biais du « nuage informatique » ou de terminaux mobiles – ne pourront être saisies que dans le respect des règles aujourd’hui applicables à une perquisition traditionnelle.

Ont, par conséquent, vocation à s’appliquer, sous peine de nullité de plein droit de la procédure en cas d’inobservation, les formalités prévues aux articles 56 à 58 et à l’article 59 du code de procédure pénale. L’article 57 prévoit, en particulier, que doit être présente, lors de l’opération, la personne faisant l’objet de la perquisition. En cas d’impossibilité, il reviendra à l’officier de police judiciaire de l’inviter à désigner un représentant de son choix ou, à défaut, de choisir deux témoins, en dehors des personnes soumises à son autorité administrative. L’enquêteur ne pourra donc ni consulter ni saisir aucune donnée en dehors de la présence de l’intéressé, d’un tiers désigné par lui ou, à défaut, de deux témoins.

De la même manière s’appliqueront les articles 56-1, 56-2, 56-3 et 100-7 du code de procédure pénale, lesquels prévoient que certaines professions ou fonctions astreintes au secret professionnel – avocats, entreprises de presse, médecins, avoués, huissiers, parlementaires, magistrats – bénéficient d’une protection particulière en matière de perquisition.

Les amendements n’apporteraient donc aucune protection supplémentaire par rapport au droit existant.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je comprends parfaitement votre préoccupation d’assortir les perquisitions de toutes les garanties nécessaires. Mais comme ces dernières s’effectueront dans le cadre prévu par le code de procédure pénale, aux dispositions duquel il n’est pas question de déroger, ces amendements n’ajoutent rien à l’ordre juridique actuel, déjà très protecteur. Ils seraient même plutôt source de confusion. J’en demande donc le retrait.

(Les amendements identiques nos 97 et 129 sont retirés.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. Je me félicite que le travail effectué par le Gouvernement et la commission sur cet article 10 ait permis de faciliter la tâche des services d’investigation amenés à perquisitionner un système informatique. En effet, jusqu’à présent, ils se heurtaient à une difficulté importante, la méconnaissance des codes verrouillant l’accès aux contenus – soit parce que leur détenteur était absent, soit parce qu’il refusait expressément de les fournir. Or, grâce à un amendement que nous avons présenté avec Guillaume Larrivé, et que la commission a adopté, les officiers de police judiciaire auront désormais la faculté de requérir toute personne ayant ces codes. Cette innovation, monsieur le ministre, permettra à vos services de renforcer considérablement leur efficacité dans le combat contre l’utilisation d’internet à des fins criminelles.

(L’article 10 est adopté.)

Article 11

(L’article 11 est adopté.)

Article 11 bis

(L’article 11 bis est adopté.)

Article 12

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour soutenir l’amendement n134.

M. Christian Paul. L’article 12 fait de la commission en bande organisée des atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données une circonstance aggravante portant les peines encourues à dix ans d’emprisonnement et à 1 000 000 d’euros d’amende.

Compte tenu de l’objet du projet de loi, destiné à renforcer la lutte contre le terrorisme, et afin de limiter la portée de l’aggravation des peines aux attaques informatiques les plus sensibles, celles en lien direct avec le « cyberterrorisme », il est proposé de circonscrire le dispositif aux atteintes contre les systèmes de traitement automatisé de données mis en œuvre par l’État.

Cet amendement, que je cosigne avec Mme Bechtel et les membres du groupe SRC, s’inspire ainsi du II du présent article, lequel étend le régime de la criminalité organisée à la poursuite et au jugement des seules atteintes, commises en bande organisée, aux systèmes de traitement automatisé de données mis en œuvre par l’État, afin de limiter, dans le respect du principe de proportionnalité, l’application de règles dérogatoires à des infractions d’une particulière gravité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Le présent amendement a pour objet de réserver l’aggravation des peines encourues en cas de circonstance aggravante de bande organisée aux seules atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données mis en œuvre par l’État. En effet, seules de telles atteintes, dès lors qu’elles sont commises en bande organisée, justifient que les peines encourues soient aggravées et portées à dix ans d’emprisonnement et 1 000 000 d’euros d’amende.

Cet amendement est en outre cohérent avec le reste du dispositif prévu par l’article 12, qui étend le régime procédural de la criminalité organisée, à l’exclusion des règles relatives à la prolongation de la garde à vue de quatre jours et aux perquisitions de nuit, aux seules atteintes aux systèmes de traitement automatisé commises en bande organisée au préjudice d’un traitement mis en œuvre par l’État. La commission y a donc donné un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. Frédéric Lefebvre. C’est un bon amendement !

(L’amendement n134 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n13 rectifié.

Mme Danielle Auroi. Nous souhaitons modifier l’échelle des peines. En effet, l’article 12 prévoit une circonstance aggravante au délit d’atteinte à un système de traitement automatisé des données, le fait de le commettre en bande organisée. Les peines seraient ainsi portées à dix ans de prison et 1 000 000 d’euros d’amende, ce qui est très lourd, sachant qu’aujourd’hui, le fait d’accéder frauduleusement à un système de traitement automatisé n’est puni que de deux ans d’emprisonnement. Je suis d’autant plus surprise par cette atteinte manifeste au principe de proportionnalité que les peines prévues ont déjà été aggravées par l’article 11 bis.

Je note également que l’article 323-4 du code pénal prévoit déjà le cas dans lequel ces délits sont commis en participant à un groupement formé ou une entente établie.

Enfin, cette disposition n’a pas de lien avec la lutte contre le terrorisme, qui est pourtant l’objet du projet de loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. L’article 12 du présent projet de loi met en cohérence l’échelle des peines encourues avec les priorités affichées par le Gouvernement en matière de cyberdéfense. Il fait de la commission en bande organisée des infractions prévues aux articles 323-1 et 323-3 du code pénal – à savoir l’accès ou le maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, l’entrave à son fonctionnement, l’introduction, la suppression ou la modification frauduleuse de données et le trafic de moyens destinés à commettre des infractions en matière informatique –, une circonstance aggravante portant les peines encourues à dix ans d’emprisonnement et 1 000 000 d’euros d’amende.

Votre amendement méconnaît l’échelle des peines qui, depuis la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité – dite « Perben II » –, s’applique à tout délit commis en bande organisée, alors puni d’une peine de dix ans d’emprisonnement. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Depuis le début de ce débat, on assiste, sous couvert de lutte contre le terrorisme, à l’aggravation des peines prévues par tous les articles du projet de loi, qu’il s’agisse d’emprisonnement ou d’amendes. On peut toujours porter la durée d’incarcération à quinze ou vingt ans, mais j’aimerais savoir combien de fois de telles peines ont été réellement prononcées. Telle est la vraie question, celle qui intéresse les Français.

Dire que les actes liés au terrorisme seront sanctionnés cinq fois plus sévèrement, cela sonne bien. Mais ce qui importe, c’est la façon dont les choses se passent dans la réalité.

M. Jean-Paul Bacquet. C’est comme les lois de Sarkozy ! Elles ne sont jamais appliquées !

M. Lionel Tardy. Il ne sert à rien d’aggraver la peine encourue si elle n’est jamais prononcée. Vous n’allez effrayer personne.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne comprends pas votre position, monsieur Tardy.

M. Lionel Tardy. Ma position est cohérente.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Relisez les amendements déposés par votre groupe ! Depuis le début, ils tendent à déséquilibrer le texte en aggravant toutes les peines. Un député de l’UMP m’a même expliqué en préambule qu’en matière de combat contre le terrorisme, il n’était pas très grave de s’asseoir sur les libertés publiques – une position à laquelle je m’opposerai toujours de toutes mes forces. C’est donc à votre propre groupe – et non au Gouvernement, dont le texte est équilibré –, que vous devriez tenir un tel discours. Cela étant, vous avez raison de vous inquiéter de la teneur des amendements déposés par vos collègues.

(L’amendement n13 rectifié n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 98 et 128 rectifié.

La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n98.

Mme Danielle Auroi. Pas de « délit en bande organisée » pour qualifier des protestations pacifiques, tel est l’esprit de cet amendement.

Il semble en effet nécessaire d’exclure des lourdes condamnations prévues par le présent article – dix ans de prison – les simples actions de « sit-in » informatique de militants souhaitant bloquer temporairement l’accès à un site, sans destruction ni extraction des données. Il ne s’agit pas de dépénaliser totalement de telles infractions, mais simplement de ne pas permettre qu’elles donnent lieu à des peines disproportionnées.

Rappelons que le délit concerné n’est actuellement passible que de deux ans d’emprisonnement.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour soutenir l’amendement n128 rectifié.

M. Christian Paul. La disposition prévue au premier alinéa de l’article 12 risque de sanctionner de manière disproportionnée des formes d’expression citoyenne propres au numérique, que l’on peut contester sur la forme comme sur le fond, mais qui se verraient appliquer des condamnations pouvant aller, suivant l’appréciation du juge, jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende, alors qu’il pourrait ne s’agir que de sit-in informatiques organisés par des militants souhaitant bloquer temporairement l’accès à un site, sans qu’il y ait destruction ou extraction de données.

Aussi le présent amendement, que j’ai cosigné avec Patrick Bloche, Laurence Dumont, Corinne Erhel, Marie-Anne Chapdelaine, Gérard Sebaoun et Cécile Untermaier, a-t-il pour objet d’exclure la circonstance aggravante pour ce type d’actions. Il s’agit, une fois encore, d’un souci de proportionnalité de la réponse pénale, dans la mesure où il ne s’agit pas là d’actes de cyberterrorisme, mais de formes d’expression – certes répréhensibles et condamnables. L’aggravation de la peine ne devrait pas leur être appliquée.

Le présent texte concerne la lutte contre le terrorisme, et c’est ce qui fait son importance ; si nous le faisons dévier de sa cible, nous risquons de commettre des erreurs dans l’écriture de la loi !

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. L’article 12 ne modifie aucunement la définition des infractions. Quand bien même une personne morale ou physique s’introduirait ou se maintiendrait dans un système de traitement automatisé de données à des fins pacifiques et de manière non-violente, dans le but d’exprimer une opinion, la fraude est nécessairement constituée en application de l’article 323-1 du code pénal, dès lors que cette personne non habilitée a pénétré ou s’est maintenue dans le système tout en sachant qu’elle était dépourvue d’autorisation.

Le législateur ne saurait exonérer a priori de sa responsabilité pénale telle ou telle personne, en fonction de la légitimité supposée de ses intentions, au risque de rompre l’égalité des citoyens devant l’application de la loi pénale : la loi est la même pour tous, qu’elle protège ou qu’elle punisse.

Dès lors que les éléments constitutifs d’une infraction sont réunis et établis au regard de la loi, il revient au procureur de la République d’engager des poursuites. En revanche, lorsqu’elle statue au fond et prononce la peine, la formation de jugement a la possibilité de tenir compte des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur, ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément au principe d’individualisation des peines.

Avis défavorable, donc.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. On peut être troublé par la préoccupation qui inspire M. Paul. Certes, il ne faudrait pas que les délits d’opinion soient sanctionnés à travers le délit de commission de certaines infractions en bande organisée, mais, comme l’a souligné le rapporteur, c’est au juge qu’il appartiendra d’apprécier si, oui ou non, il s’agissait d’une action pour laquelle il ne faut pas retenir la circonstance aggravante, parce qu’elle avait pour but d’exprimer une opinion pacifique.

Au-delà, monsieur Paul, je trouve un peu singulier que l’on puisse à la fois soutenir que seul le juge judiciaire peut protéger la liberté d’opinion ou la diffusion de la pensée, et s’inquiéter que le juge applique la loi, alors même qu’il a la possibilité de porter une appréciation sur les contours de la liberté d’opinion. Ne serait-ce pas un peu contradictoire ?

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Chère collègue, il n’est peut-être pas utile d’inventer des débats là où il n’y en a pas !

Je ne veux pas refaire le match d’hier soir, mais il s’agissait de savoir, non pas si, entre le juge administratif et le juge judiciaire, l’un est moins performant que l’autre s’agissant de la défense des libertés, mais s’il est préférable de mettre en œuvre des mesures de police administrative, contrôlées a posteriori par le juge, ou de demander une décision préalable. Franchement, je n’ai jamais pensé que le juge administratif était aux ordres du pouvoir exécutif – et vous non plus ! Ce n’est pas le sujet.

Dans un État de droit, il appartient au Parlement de fixer les règles qui concernent les délits et les peines, et c’est ensuite au juge, et notamment au juge judiciaire, de les appliquer. Considérer que l’aggravation de la peine est inutile, voire disproportionnée, n’est pas une remise en cause de l’application qu’en fera le juge ! Il est de notre responsabilité collective d’avoir une appréciation raisonnable et proportionnée des peines nécessaires. Pour ma part, je pense que l’aggravation de la peine prévue par cet article n’est pas utile et risque d’avoir des effets collatéraux – et je ne crois pas que ce soit en contradiction avec la conviction qu’une fois la loi écrite, le juge est tout à fait capable de l’appliquer.

(Les amendements identiques nos 98 et 128 rectifié ne sont pas adoptés.)

(L’article 12, amendé, est adopté.)

Article 13

M. le président. Sur l’article 13, la parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Le groupe majoritaire est favorable à cet article. Toutefois, je souhaiterais préciser un point, en réponse à ce qui a pu être dit durant la discussion générale.

Le présent article a trait à l’enquête sous pseudonyme, c’est-à-dire à la possibilité donnée, dans le but de constater des infractions graves commises par un moyen de communication électronique, aux officiers ou agents de police judiciaire agissant au cours de l’enquête ou sur commission rogatoire, dûment habilités et spécialement désignés, de procéder à des actes tels que participer sous pseudonyme à des échanges électroniques et entrer en contact par ce moyen avec les personnes susceptibles d’être des auteurs d’infractions.

Or, comme cela a été souligné au cours des débats – et c’est une inquiétude que, personnellement, j’éprouve –, les enquêtes sous pseudonyme peuvent occasionner de graves dérives. Ont notamment été citées celles relevées outre-Atlantique par des associations de protection des droits de l’homme, qui ont défrayé la chronique. Un certain nombre ont, je crois, été sanctionnées par les juges, mais on a assisté à de graves dérapages, des agents étant allés jusqu’à susciter des attentats en fournissant les moyens de les commettre à des personnes qu’ils étaient allés chercher sous le couvert d’une enquête sous pseudonyme, dans le but de montrer que ces attentats pouvaient passer du possible au réel.

Si je n’ai proposé aucun amendement au nom du groupe sur ce point, c’est que j’ai été pleinement rassurée par les explications qui m’ont été données par d’éminents pénalistes durant la préparation du projet de loi : ils m’ont dit que si un agent se livrait à de semblables détournements de procédure, il serait considéré, dans le droit français, comme complice de l’infraction et, en conséquence, serait amené à être jugé pour ces faits.

Voilà pourquoi je me range à l’option de se contenter d’indiquer, à la fin de l’article 13, qu’« à peine de nullité, ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre ces infractions. ». Il s’agit, ce faisant, de vider l’acte de sa portée éventuellement nocive ; mais il reste qu’à titre personnel, l’agent de police judiciaire qui, sous un pseudonyme, aurait incité des personnes avec lesquelles il était en contact dans le cadre de l’enquête à commettre des attentats, ou aurait facilité des attentats serait, aux termes du droit français, un complice.

(L’article 13 est adopté.)

Article 14

(L’article 14 est adopté.)

Article 15

M. le président. Sur l’article 15, la parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Si vous en êtes d’accord, monsieur le président, je défendrai en même temps l’amendement n127, de façon à éviter les redondances.

L’article 15 porte de dix à trente jours la durée de conservation des enregistrements des interceptions de sécurité. Loin de moi l’idée que ces dernières ne sont pas utiles pour lutter contre le terrorisme : si, monsieur le ministre, nous sommes plusieurs à avoir déposé un amendement de suppression de l’article, c’est moins pour des raisons de fond que dans un souci plus large, que je vais expliciter à votre intention.

Une telle disposition, si elle est votée, interviendrait en effet quelques mois après l’adoption de la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019, qui a significativement accru les pouvoirs des services d’enquête en matière d’accès aux données techniques de connexion et de géolocalisation. Cela a été fait par voie d’amendements parlementaires, au Sénat, dans des conditions qui ont soulevé une polémique, et sans que cela réponde à une proposition préalable du Gouvernement – j’ai même le sentiment que le ministre de la défense n’était initialement pas favorable cette extension, sinon il l’aurait d’emblée fait figurer dans le projet, avec un chapitre spécifiquement consacré à l’activité des services de renseignement. Cependant, le président de la commission des lois du Sénat, M. Jean-Pierre Sueur – dont je ne doute pas qu’il avait ce faisant les meilleures intentions – a souhaité encadrer les interceptions de sécurité, qui n’ont bien évidemment plus grand-chose à voir avec celles prises en compte par la loi de 1991. Or cet article 20 de la loi de programmation militaire mériterait d’être réécrit dans les mois ou les années qui viennent – le plus tôt sera le mieux.

Le présent amendement de suppression de l’article 15 du projet répond au souci, partagé par tous ceux qui sont attentifs à la façon dont les services de renseignement du monde entier travaillent à l’ère numérique, de leur fournir un encadrement suffisant – l’affaire Snowden est encore dans tous les esprits – et de faire en sorte que soit menée en France une réflexion d’ensemble sur leurs conditions d’exercice, qu’il s’agisse de l’accès aux données techniques de connexion, de la géolocalisation ou de l’interception des communications.

Ce travail-là, qui n’a pas été réalisé à l’occasion de la loi de programmation militaire – les mesures adoptées n’ayant donné lieu à aucune étude d’impact, de débat préalable ou de travail approfondi au sein des commissions parlementaires –, il faut le faire, monsieur le ministre ; et peut-être une future loi sur le renseignement en serait l’occasion.

Dans cette attente, nous vous proposons de ne pas prendre de disposition supplémentaire. Évitons d’écrire la loi au fil de l’eau, comme cela a été fait pour la loi de programmation militaire – nous étions nombreux à avoir à l’époque protesté contre la méthode employée –, car la conséquence, c’est qu’il règne depuis un certain flou dans ce domaine, pourtant extrêmement sensible. Sachez que nous sommes à votre disposition pour doter la France d’une loi sur les activités de renseignement et sur les interceptions de sécurité, qui encadre ces dernières dans un souci de transparence, et en veillant à y associer le Parlement.

Ces outils, qu’il s’agisse des traditionnelles écoutes téléphoniques ou, plus récemment, du contrôle des réseaux numériques, ont été utilisés par de grandes démocraties, mais aussi par des dictatures. Les technologies en sont désormais aisément disponibles – souvenons-nous qu’avant 2012, une société française avait fourni à la Libye du colonel Kadhafi, en dehors de tout véritable contrôle, des outils d’interception qui sont aujourd’hui en vente dans le monde entier dans des conditions très contestables. La France se doit d’être exemplaire en ce domaine, en encadrant l’activité de ses services de renseignement, sans pour autant la mettre en péril : c’est une nécessité pour toute démocratie.

Dans l’attente du projet de loi que j’appelle de mes vœux, je vous propose, monsieur le ministre, que les dispositions de l’article 15 ne soient pas incluses dans le présent texte, mais qu’elles soient renvoyées à un débat global sur ces questions.

M. le président. Je considère donc, monsieur Paul, que l’amendement n127, tendant à supprimer l’article, est défendu.

Quel est l’avis de la commission sur cet amendement ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. L’article 15 prévoit de porter de dix à trente jours le délai de conservation des enregistrements dans le cadre des interceptions de sécurité.

En l’état du droit, l’article L. 242-6 du code de sécurité intérieure prévoit que l’enregistrement est détruit, sous l’autorité du Premier ministre, à l’expiration d’un délai de dix jours au plus tard à compter de la date à laquelle il a été effectué, et qu’il est dressé procès-verbal de cette opération. Matériellement, l’enregistrement et la destruction de celui-ci sont réalisés par le groupement interministériel de contrôle.

Pourquoi avons-nous souhaité allonger ce délai et le porter non pas à soixante jours ou plus, comme certains l’ont proposé, mais bien à trente jours, ce qui nous semble un délai raisonnable ?

En premier lieu, le temps consacré à l’exploitation des interceptions de sécurité a crû au cours des dernières années en raison de l’évolution des technologies de communication et de la diversification des menaces et des cibles. Le délai de dix jours est donc parfois court si une nouvelle écoute de l’enregistrement apparaît nécessaire, notamment pour la traduction d’une conversation.

En deuxième lieu, le temps nécessaire à l’analyse elle-même s’est accru. Dans l’étude d’impact jointe au projet de loi, le Gouvernement fait valoir que, si l’étude de la facturation détaillée de la ligne objet de l’interception de sécurité est devenue le complément indispensable de la transcription des écoutes, ce document n’est reçu qu’une dizaine de jours après la date de la conversation.

En troisième lieu, le Gouvernement indique que le volume des données à traiter a considérablement crû ces dernières années, ce qui rend plus complexes les transcriptions, notamment du fait de l’augmentation du quota des interceptions, de la part croissante des échanges sur internet, qui génèrent des volumes de données importants, et du passage du suivi d’une ligne à celui d’une cible, qui implique que plusieurs moyens de communication peuvent être simultanément interceptés.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je voudrais, en appui de ce que vient de dire M. le rapporteur, donner quelques éléments d’information à propos de cet article et de votre amendement de suppression, monsieur le député. Assurons-nous que nous parlons bien de la même chose.

Tout d’abord, vous évoquez des faits qui parlent à l’opinion publique, mais ils ne correspondent pas à l’esprit de cet article ou, en tout cas, ne l’ont pas inspiré. Il ne s’agit pas, par ces dispositions, d’élargir le champ des interceptions ou celui de la géolocalisation. Pas du tout !

M. Christian Paul. Je n’ai pas dit cela.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Certes, mais on évoque, notamment, le cas Snowden, et tout cela reste dans les comptes rendus, est repris, ensuite, par voie de presse, et peut donner le sentiment que nous sommes en train d’instaurer un principe de contrôle généralisé. Ce n’est pas du tout l’esprit de ce projet de loi ni de cet article.

De quoi s’agit-il ? Il s’agit, tout en conservant inchangé le périmètre du champ des interceptions de sécurité et de la géolocalisation, de créer les conditions qui permettent aux services d’aller au bout du décryptage des interceptions. Dès lors que l’on décide de porter le délai en question de dix à trente jours pour permettre à nos services, parfois confrontés à des interceptions en langues rares qui obligent à des analyses poussées qui ne peuvent pas forcément se faire dans un délai extrêmement bref, la question qui se pose est, compte tenu de l’allongement des délais, de créer les conditions – j’y ai tenu personnellement – d’un contrôle de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité sur le travail des services, un contrôle performant qui permette de conserver l’équilibre qui prévalait jusqu’à présent. L’objet de l’amendement qui sera présenté tout à l’heure par le rapporteur, avec l’accord du Gouvernement, est précisément de maintenir cet équilibre.

Je le dis donc pour que cela figure au compte rendu de nos débats : il n’y a pas de modification du périmètre ou des conditions de mise en œuvre des interceptions ou de la géolocalisation. Simplement, un délai supplémentaire est accordé pour procéder à l’analyse de ces interceptions, qui justifie qu’on renforce le pouvoir de contrôle de la CNCIS, ce que l’amendement du rapporteur permettra de faire, en préservant les équilibres qui caractérisent déjà l’ordre juridique français.

Ensuite, vous dites qu’il faut réfléchir à tout cela dans le cadre d’une loi d’avenir sur le renseignement à la préparation de laquelle le Parlement serait étroitement associé. J’y suis très favorable. Ce que nous proposons aujourd’hui ne préjuge pas de ce qui pourra être fait ultérieurement, puisque nous n’étendons pas les pouvoirs donnés aux services, nous voulons simplement permettre de mener l’analyse de ces interceptions à leur terme.

Compte tenu des explications que je vous donne, qui sont consignées au compte rendu et pourront donc faire l’objet de vérifications ultérieures par les parlementaires, dont je comprends qu’ils sont soucieux d’exercer leurs prérogatives de contrôle, je vous propose, monsieur le député, de retirer cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Soyons clairs, monsieur le ministre : je n’intente nul procès d’intention, et ne prétends pas que le texte vise à une extension du champ des interceptions. Je dis simplement que, compte tenu du climat général qui règne en matière de renseignement sur le réseau numérique, à travers le monde mais aussi en France, il paraît absolument nécessaire qu’une loi vienne, sans trop tarder, encadrer l’ensemble de ces activités. Il est vrai qu’en déposant cet amendement mon vœu secret était que vous puissiez nous annoncer qu’un tel texte serait examiné dans des délais raisonnables. Si vous nous annoncez que tel sera effectivement le cas, je retirerai volontiers cet amendement.

Disons-le encore une fois : on gagnerait, sur ces questions, à avoir une vision globale et cohérente. Je comprends tout à fait les contraintes qui découlent des problèmes de traduction que vous avez évoqués. Il n’y a pas de désaccord sur le fond et peut-être était-il utile de faire vite, mais il serait également utile de procéder rapidement à de très larges consultations, ce qui n’a pas été fait au moment de la préparation de la loi de programmation militaire. Je pense que notre pays, qui est une grande démocratie et entend, avec l’aide de tous, le rester, y compris face au terrorisme, devrait très vite écrire des règles qui s’appliquent à ce domaine où, répétons-le, le droit en vigueur n’est pas clair. Il a été édicté dans des conditions qui, pour le coup, ne sont pas dignes du Parlement, nous l’avons dit, en 2013.

Je souhaite donc maintenir cet amendement, à moins qu’on ne nous annonce pour l’année 2015 une loi sur le renseignement.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’ai l’habitude, sur tous les sujets dont j’ai à connaître, de ne jamais faire d’annonces à la place de ceux qui ont la légitimité nécessaire pour les faire. Sinon, c’est le désordre, et le ministre de l’intérieur ne peut pas être celui qui met le désordre, à moins d’être à contre-emploi. Je ne vais donc pas faire dans cet hémicycle des annonces qui ne relèvent pas de ma compétence.

En revanche, je l’ai dit tout à l’heure, un travail a été fait au Parlement. Le président Urvoas lui-même s’est impliqué. Il y a donc une réflexion, qui est légitime ; je suis en mesure de le dire, car tout le monde s’accorde sur ce point. Bien entendu, cette réflexion, qui se poursuivra, pourra traiter de tous les sujets que vous avez abordés.

Cependant, si j’ai souhaité profiter de l’examen de cet amendement pour dire ce que j’ai dit, c’est parce que, comme chacun d’entre vous, je lis ce qui s’écrit et que des parlementaires ont fait référence à des éditoriaux et à des textes publiés par des journalistes dans la presse. Il y était expliqué, dans une espèce de salade niçoise improbable de laquelle la rigueur intellectuelle était absente, que Snowden, cette loi, tout ça, c’était la même chose. Non ! Ce n’est pas vrai et un texte se juge non pas à partir des peurs et de l’émotion qu’on cherche à susciter mais à partir de son contenu. C’est pour cela que j’ai souhaité vous répondre précisément, monsieur le député, et dire ce que le texte contient, quel est son périmètre et quelles matières il traite. Qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur les intentions réelles du Gouvernement !

Ce qui me frappe beaucoup, depuis le début de l’examen de ce texte, lorsque je lis les commentaires qui en sont faits, c’est qu’ils font peu de place à la rigueur intellectuelle, qui devrait pourtant prévaloir sur tout sujet. Je ne vise pas vos propos, monsieur le député : ils étaient extrêmement précis. En revanche, beaucoup de papiers que je lis donnent à ce projet de loi une teinte qu’il n’a pas et lui prêtent un contenu qui ne correspond en rien au texte des articles dont nous débattons.

(L’amendement n127 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur, pour soutenir l’amendement n149 rectifié.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Nous avons bien entendu les remarques qui ont été faites, et cet amendement se veut conciliant.

L’objectif de l’article 15 est de concilier les besoins opérationnels des services chargés d’exploiter les interceptions de sécurité, en premier lieu dans la lutte antiterroriste, avec les impératifs de contrôle de l’activité des services et de protection des libertés publiques. En contrepartie de l’allongement du délai, porté à trente jours, il convient de renforcer les garanties offertes à la CNCIS pour exercer ses missions et son contrôle sur les interceptions de sécurité car, en pratique, ce contrôle consiste largement à vérifier que la motivation des demandes et l’analyse a posteriori des transcriptions concordent.

L’amendement a donc pour objet d’offrir à la CNCIS un accès permanent aux transcriptions des interceptions de sécurité en cours.

(L’amendement n149 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n83.

M. Philippe Goujon. Il est défendu.

(L’amendement n83, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 15, amendé, est adopté.)

Article 15 bis

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article.

La parole est à M. Philippe Goujon,

M. Philippe Goujon. Je me suis inscrit pour défendre cet article car, si j’ai bien compris, il est menacé de suppression.

Il permet à l’administration pénitentiaire de disposer d’outils juridiques pour lutter contre l’usage des téléphones clandestins en prison. L’introduction de cet article par la commission des lois me paraît tout à fait positive : il donne à l’administration pénitentiaire de vrais moyens pour surveiller les échanges effectués au moyen de téléphones portables clandestins ou même de messages sur internet. Nous considérons qu’il est absolument invraisemblable que le Gouvernement supprime cet article alors que nous savons pertinemment que la prison est un vivier de radicalisation, certes peut-être moins important qu’internet – nous avons débattu à ce propos –, un vivier de recrutement djihadiste. Je ne sais pas qui, au Gouvernement, a décidé cette suppression, mais le ministre de l’intérieur pourra sans doute nous éclairer. Est-ce une injonction de Mme Taubira, garde des sceaux ? Le cas échéant, je regrette qu’elle ne soit pas présente pour nous dire pourquoi elle ne veut pas lutter contre la radicalisation en prison, parce que je constate qu’il n’y a rien dans ce texte, aucun article, aucun amendement adopté, pour lutter contre une radicalisation qui concerne quand même des centaines de détenus de nos prisons.

La suppression de cet article serait incohérente puisque, je le rappelle, le projet de loi comporte, par ailleurs, d’autres dispositions dont l’objet est d’interdire aux terroristes étrangers bénéficiant d’un aménagement de peine en milieu ouvert d’entrer en contact avec certains individus. En toute logique, il faudrait évidemment appliquer la même règle en milieu fermé.

Nous soutenons donc cet article 15 bis nouveau. En plus, nous avons déposé un certain nombre d’amendements qui visent à le renforcer et à l’améliorer, pour qu’il ait plus d’efficacité tant la situation est tendue ou dangereuse dans nos prisons. L’un d’entre eux, que nous examinerons peut-être – j’en doute, mais on peut toujours espérer –, a pour objet d’inscrire solennellement, formellement, dans la loi, l’interdiction de détenir un téléphone portable en prison. Bien sûr, il y a des contrôles, mais ils sont totalement insuffisants, et il faut qu’ils puissent se fonder sur la loi. Il serait également logique d’interdire aux détenus d’accéder librement aux communications électroniques et à internet. Cela ne porterait pas atteinte à leur droit de communiquer avec leurs proches par des lignes téléphoniques fixes – on pourrait d’ailleurs élargir les horaires auxquels ils peuvent le faire –, qui est inscrit à l’article 39 de la loi pénitentiaire, ni à celui de correspondre par écrit, qui est inscrit à l’article 40 de cette même loi.

Vraiment, nous appelons l’attention du Gouvernement : il serait dangereux de supprimer de ce texte la seule disposition qui permette de lutter efficacement contre la radicalisation dans nos prisons.

M. Lionel Tardy. Même Tardy est d’accord !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le ministre, mes chers collègues, notre groupe souhaiterait que le Gouvernement, par la voix du ministre de l’intérieur ou celle du garde des sceaux, qui a autorité sur les services de l’administration pénitentiaire, nous présente de manière extrêmement précise, d’un point de vue juridique, opérationnel et budgétaire, un plan de lutte contre la radicalisation islamiste dans les prisons. Nous aurons peut-être ce débat à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2015 ; la commission des lois a bien voulu me confier un rapport pour avis sur le budget de l’administration pénitentiaire, et je serai amené à faire des propositions.

Nous devons nous y mettre de manière beaucoup plus audacieuse et volontaire que ces derniers mois : c’est extrêmement important. Les déclarations récentes de Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, nous préoccupent beaucoup – je vous le dis très directement, monsieur le ministre. Elle a déclaré très récemment, à l’antenne d’une radio, qu’elle était favorable, au fond, à une légalisation de l’usage du téléphone portable dans les prisons. Nous attendons du ministre responsable que vous êtes – vous le démontrez tous les jours – une condamnation très ferme de ces propositions, qui nous paraissent profondément irresponsables.

On le voit bien : on ne peut pas d’un côté tenter, par tous les moyens de l’État de droit, de limiter l’intrusion des groupes djihadistes sur internet, et mobiliser avec beaucoup de fermeté et de volontarisme – comme vous le faites – les services de renseignement intérieurs pour lutter contre le djihadisme, et d’un autre côté, en cédant à une sorte de laxisme idéologique hélas bien connu, ouvrir la porte à des dérives au sein même de l’administration pénitentiaire.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Tout le monde a bien compris qu’en matière de terrorisme, la meilleure solution est d’intervenir au plus près de la source. C’est ce que nous avons dit hier soir : l’idéal serait de repérer dès le début ce qui se passe, que ce soit dans le cadre familial, sur internet, ou en prison.

Depuis hier soir, nous débattons de mesures très importantes touchant à internet. Dans la plupart des cas, ces mesures ne seront pas applicables, car leurs cibles seront situées en dehors du territoire national. Au contraire, cet article nous donne la possibilité d’intervenir de manière efficace, dans les prisons françaises. Il n’y aura donc pas de problèmes d’application. Or le Gouvernement veut supprimer cet article !

Je vois que M. le président de la commission vient d’arriver dans l’hémicycle. Il soutient les dispositions de cet article 15 bis : il serait intéressant d’entendre son avis. Cela pourrait nous permettre de comprendre pourquoi le Gouvernement veut le supprimer.

M. le président. Nous en venons à l’examen des amendements à l’article 15 bis.

La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n105 du Gouvernement, qui vise à supprimer cet article.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je remercie tous les députés qui se sont exprimés sur l’article pour leurs questions et leurs suggestions.

Je répondrai d’abord à M. Larrivé, qui s’interroge sur la détermination du Gouvernement à mener des actions de déradicalisation en milieu carcéral. Il n’y a jamais eu autant d’actions dans ce domaine. Un plan est en cours d’élaboration – il est d’ailleurs pour partie mis en œuvre, car nous n’attendons pas d’avoir terminé notre copie pour agir. Nous travaillons de façon très approfondie avec la chancellerie pour prendre, de manière interministérielle, un paquet de mesures qui permettra de lutter contre la radicalisation dans les prisons.

Comme nous l’avons déjà dit au cours de ce débat, la radicalisation peut se faire par internet – c’est un phénomène incontestable : tous les services de renseignement, en France et en Europe, témoignent de l’importance du rôle joué par l’outil numérique dans le basculement d’un certain nombre de nos ressortissants vers les activités djihadistes. Mais il n’y a pas qu’internet : il y a aussi les prisons, qui représentent un problème considérable en France et partout en Europe. Plusieurs mesures ont été arrêtées dans le cadre d’un travail interministériel pour agir efficacement dans ce domaine, qui est extraordinairement sensible et difficile.

Permettez-moi de vous donner la liste de ces mesures – qui n’est pas exhaustive, car nous continuons à travailler – : renforcer le partenariat entre les services du renseignement pénitentiaire et les services spécialisés du ministère de l’intérieur ; faire bénéficier les services de renseignement pénitentiaire des formations spécialisées dans le cadre des travaux de l’Académie du renseignement ; proposer à l’aumônier national un partenariat et une charte d’activité – afin que les aumôniers dans les prisons insistent sur le texte et l’esprit de l’islam, c’est-à-dire précisent que la radicalisation est un dévoiement ; associer le bureau des cultes et la direction des libertés publiques et des affaires juridiques au recrutement et à la validation de la formation des aumôniers ; proposer aux aumôniers en fonctions des séminaires de formation et de sensibilisation, qui leur permettent de se former de manière continue ; sécuriser la prise en charge des individus radicalisés sortant de détention et leur appliquer certaines mesures du plan gouvernemental, notamment l’entretien administratif et le programme expérimental de prise en charge.

Nous continuons d’approfondir ce programme, nous travaillons à le parachever. La direction de l’administration pénitentiaire s’est rapprochée, dans cet esprit, de Mme Dounia Bouzar, pour développer une recherche-action dans ce domaine. Nous agissons donc, avec volonté et détermination, dans le cadre de ce travail interministériel qui se poursuivra pour avoir un maximum d’efficacité.

Deuxième élément : les téléphones cellulaires sont actuellement interdits en détention.

M. Philippe Goujon. Ce n’est pas dans la loi !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. De même, l’accès à internet n’est pas autorisé. Or ce dispositif reviendrait à autoriser la collecte de données de connexion de téléphone, alors que ces connexions sont interdites, ce qui pose un problème de cohérence. Je me permets d’insister sur ce point.

Enfin, troisième point : Christian Paul indiquait tout à l’heure, avec raison, qu’il faut absolument éviter tout ce qui relève de ce que l’on appelle le « chalutage ». Il ne faudrait pas que les technologies prévues pour intercepter les communications d’individus que l’on a intérêt à surveiller permettent, du même coup, d’écouter d’autres personnes qui ne devraient pas l’être. Cela poserait un problème fondamental : c’est pourquoi le Gouvernement est réservé par rapport à ce dispositif.

Nous ne voulons pas qu’un dispositif prévu pour protéger nos concitoyens puisse, de quelque manière que ce soit, attenter aux libertés, ou être employé sans contrôle. Depuis le début de nos débats, j’ai veillé à l’équilibre de ce texte : la position du Gouvernement sur cet article témoigne de notre sincérité. C’est pourquoi nous proposons de ne pas retenir ce dispositif. Nous exigeons, si un dispositif de ce genre devait un jour être adopté, qu’il soit assorti de toutes les garanties nécessaires.

Malgré cela, je comprends parfaitement ce qui a inspiré cet article : je m’empresse de le rappeler ! Encore une fois, le souci du Gouvernement, que je rappellerai à chaque instant de l’examen de ce texte, sur chaque alinéa de chaque article, est d’éviter que des mesures visant à protéger les Français puissent être employées au détriment des libertés publiques.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. L’avis de la commission est favorable à l’amendement du Gouvernement.

J’appelle votre attention sur le fait que le bureau du renseignement pénitentiaire, qui a été créé en 2003, ne dispose malheureusement que de très faibles moyens légaux. Le rapport Urvoas préconisait en 2013 de lui confier certains pouvoirs d’enquête, dont le repérage des téléphones clandestins. Il ne s’agit pas de trancher le débat sur le téléphone en prison, mais bel et bien de se donner les moyens de les repérer, et de les utiliser.

Le Gouvernement demande une expertise plus ample. Nous en prenons acte, mais nous espérons un progrès rapide en matière de lutte contre la radicalisation en prison.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. J’avais effectivement, au mois de juillet dernier, en l’absence de M. le ministre, réussi à convaincre la commission de la nécessité de doter le bureau du renseignement pénitentiaire – que l’on appelle EMS 3 – de moyens supplémentaires. Dans un rapport que Patrice Verchère et moi-même avions rédigé à propos de la surveillance des mouvements radicaux armés, il était apparu que ce service, aux effectifs modestes, était en plus relativement dépourvu du point de vue du droit, et que la question du téléphone représentait un paradoxe. Comme vient de le rappeler M. le ministre, les téléphones cellulaires sont interdits en prison : je ne voyais donc pas malice à imaginer un dispositif permettant de repérer des téléphones qui, par définition, ne pouvaient qu’être clandestins. S’ils sont clandestins, ils n’ont pas lieu d’être en prison !

M. Philippe Goujon. Évidemment !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. J’ai un vrai point de désaccord avec M. le ministre sur la question du chalutage. Je ne crois pas qu’il soit pertinent de faire prospérer cette idée, puisque les dispositifs auxquels nous pensons sont extrêmement précis. Il ne s’agit pas de mécanismes ramassant des données sans savoir exactement ce qu’ils cherchent.

J’ai bien compris néanmoins les arguments de la CNCIS, auxquels je suis sensible. L’article 15 bis, tel qu’il est rédigé, élèverait l’administration pénitentiaire au rang d’un service de renseignement, ce qui serait quand même un peu excessif. Je comprends donc que le Gouvernement souhaite supprimer cet article : j’ai bien lu l’exposé sommaire de cet amendement de suppression.

Au passage, je prie M. le ministre et tous mes collègues de bien vouloir excuser mon absence de ce matin : je ne pouvais me soustraire à une réunion de l’Académie du renseignement, ce qui m’a interdit de participer au débat préalable.

Le Gouvernement nous dit qu’il n’écarte pas ce sujet, qu’il doit encore affiner sa réflexion. Je le crois : le Gouvernement – du moins celui-ci – fait généralement preuve de constance dans ses objectifs et de détermination dans ses moyens. Cette question reviendra donc, car nous étudierons peut-être la question des moyens des services de renseignement. Dans ce cas, le vecteur législatif serait plus adapté.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je regrette l’évolution de la position de M. le président de la commission des lois et de M. le rapporteur. Vous avez tous les deux présenté un amendement au mois de juillet dernier, amendement adopté par la commission, et qui est devenu l’article 15 bis du projet de loi. À présent, sur injonction du Gouvernement, vous acceptez la suppression pure et simple d’un outil qui serait utile ! Peut-être la rédaction retenue au mois de juillet devait-elle être amendée, mais je regrette vraiment cette suppression pure et simple, qui nous ferait passer, sur ce point, de tout à rien !

Monsieur le ministre, vous êtes réaliste, habituellement ! Ce n’est pas parce que les téléphones portables sont théoriquement interdits que des téléphones clandestins ne sont pas présents – ce que l’on sait – au sein des différents établissements de l’administration pénitentiaire. Face à cette réalité, nous ne pouvons pas rester les bras ballants, et nous contenter de vœux pieux en espérant que ces téléphones clandestins disparaissent spontanément !

Je veux bien admettre que la rédaction de cet article n’est pas parfaite. M. le président de la commission des lois a évoqué des objections techniques de la CNCIS, formulées depuis son adoption en commission. Cependant, plutôt que d’écarter par un amendement de suppression cette avancée qui me paraît nécessaire, j’aurais de beaucoup préféré que nous travaillions – dans l’état d’esprit qui est le nôtre depuis plusieurs mois – à une nouvelle rédaction plus opérationnelle.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous répondrai deux choses, monsieur Larrivé. D’abord, je ne procède jamais par injonctions, et surtout pas à l’égard de M. le président de la commission des lois. Si je le faisais, il le prendrait mal, me morigénerait de belle manière, et ferait exactement le contraire de ce que lui enjoindrais ! (Sourires.) Au contraire, j’essaye de procéder par conviction. Il faut convaincre plus qu’enjoindre, et c’est d’autant plus vrai quand il s’agit de sujets sérieux qui renvoient à des choses essentielles.

Deuxièmement, je n’oublie pas les exigences du réalisme, du pragmatisme ; je regarde la réalité. Simplement, je veille à n’inscrire dans la loi que des dispositions suffisamment précises pour être juridiquement efficaces. Les téléphones cellulaires sont interdits en milieu pénitentiaire. Les détenus ont le droit de téléphoner à leur famille à partir de téléphones fixes dans des conditions précisément définies, mais en aucun cas d’utiliser des téléphones portables. C’est pourquoi j’ai des réserves à propos d’un dispositif qui consiste à procéder à des interceptions sur des téléphones qui n’ont pas lieu d’être en prison !

Troisièmement, le Gouvernement veille systématiquement à ce que les dispositions prises pour protéger la sécurité de nos concitoyens soient assorties des moyens de contrôle appropriés pour qu’elles n’attentent pas aux libertés. Telle est la doctrine constante du Gouvernement : veiller à l’équilibre du texte. C’est notre boussole, et c’est un objectif non négociable. Nous parlons de ces questions avec M. le président de la commission des lois et avec M. le rapporteur, non par injonction, mais parce que nous voulons que ce texte soit bon.

Comme l’a dit M. le président Urvoas, il y aura peut-être d’autres occasions d’adopter une disposition qui respecte l’équilibre que j’ai décrit. C’est pourquoi nous sommes tombés d’accord : nous avons pris cette décision de bonne foi, pour préserver l’équilibre du texte.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Lors des travaux que nous avons menés au sein du groupe UMP sur la question de la lutte contre le djihadisme – travaux dont je vous parlais hier, monsieur le ministre –, nous avons reçu les syndicats des personnels de l’administration pénitentiaire.

La situation qu’ils nous ont décrite est proprement alarmante, compte tenu de la présence dans nos prisons d’une très forte population d’origine immigrée. Vous le savez, même si les statistiques ne sont pas vraiment autorisées, on l’estime de l’ordre de 80 %. Les prisons sont devenues un lieu de recrutement de beaucoup de candidats au djihad, vous le savez bien. C’est, à côté d’internet, l’autre grand vivier de recrutement, qui repose notamment sur l’utilisation de moyens de communication interdits, à commencer par les téléphones. L’article 15 bis permettait de commencer un vrai travail d’enquête sur ce qui se passe à l’intérieur des prisons.

Je reviens sur ce que vient de dire M. Larrivé : nous disposions d’un texte qui, même s’il pouvait peut-être être amélioré, notamment sur le plan juridique, avait le mérite d’avancer dans cette direction. Désormais, le dispositif est supprimé.

Peut-être n’ai-je pas été assez attentif à votre réponse, monsieur le ministre, mais j’ai mal compris l’objectif exact du Gouvernement dans les semaines et les mois qui viennent. Je me demande si vous allez vous engager à traiter cette question sur le fond avant que le Sénat n’examine le texte, afin de vous donner les moyens nécessaires pour lutter contre ce vivier de recrutement qu’est devenu notre univers carcéral en France.

On a beaucoup travaillé sur internet, mais la prison présente au moins autant de difficultés. Or, si j’ai bien compris, il n’existe plus aucun dispositif. Il existe une interdiction générale mais dont nous savons tous qu’elle n’est pas appliquée. Les gardiens de prison nous l’ont dit : tous les jours, des téléphones sont introduits dans les prisons. Telle est la réalité, bien connue par le président de la commission des lois !

Nous faisons donc n’importe quoi. Le personnel pénitentiaire a de grandes difficultés à s’opposer à la radicalisation à l’œuvre en ce moment même dans nos prisons. Faute d’avoir un texte ou un engagement précis, j’aimerais connaître les intentions du Gouvernement : combien de temps est nécessaire pour obtenir les moyens juridiques permettant de lutter contre ce phénomène ? Apparemment, l’intérieur même de nos prisons est une zone de non-droit.

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Monsieur le ministre, votre force de conviction n’a ébranlé personne. D’ailleurs, le président de la commission des lois et le rapporteur ont finalement plutôt plaidé pour l’introduction de cet article dans le projet de loi, même s’ils y sont défavorables. Vraiment, vous n’avez convaincu personne car, d’abord, vos arguments sont extrêmement théoriques : depuis la suppression des fouilles à la sortie des parloirs, nous savons bien que des centaines de portables sont introduits. À la prison des Baumettes, par exemple, neuf cents portables par an sont confisqués. C’est considérable ! Combien passent, en l’absence de contrôles ?

Ensuite, l’équilibre entre les libertés individuelles et les dispositions répressives du texte n’est pas du tout menacé. Je comprends bien que vous cherchiez, à juste titre, à atteindre cet équilibre sur d’autres dispositions. Nous partageons cet objectif et nous allons d’ailleurs voter ce projet de loi.

Mais, il s’agit là de détenus condamnés qui ont aujourd’hui le droit de correspondre par internet, par le téléphone fixe et par écrit. On peut très bien élargir cette possibilité. La liberté ne se réduit pas uniquement au téléphone portable.

Au demeurant, vous n’avez pas répondu à la question posée tout à l’heure par M. Larrivé sur la volonté déterminée de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté de revenir sur l’interdiction des portables en prison pour, au contraire, autoriser leur détention par les personnes incarcérées. Elle a exprimé cette conviction très forte non seulement à la radio, comme l’a dit M. Larrivé, mais aussi en commission des lois, suscitant l’émotion, pour ne pas dire plus, de la commission comme de l’opinion publique. Il y a eu un débat, à l’époque.

Dès lors, non seulement nous n’aurons pas les moyens d’intercepter les communications, mais nous nous attendons également à ce que vous ou Mme Taubira, qui a été très réceptive à cette idée – aussi est-il dommage qu’elle ne participe pas au présent débat –, annonciez dans quelques mois l’autorisation des portables en prison. Quid de cette interdiction et de la lutte contre la radicalisation islamiste en prison ?

(L’amendement n105 est adopté, l’amendement n° 49 tombe et l’article15 bis est supprimé.)

Après l’article 15 bis

M. le président. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n145.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le présent amendement complète la rédaction de l’article L. 706-61 du code de procédure pénale relatif aux missions facultatives de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués – l’AGRASC – afin de lui permettre d’accroître ses possibilités de contribution financière en matière de lutte contre la délinquance et la criminalité, actuellement limitées aux trafics de stupéfiants.

Cet alinéa permet, en particulier, le financement de la procédure relative à la protection des collaborateurs de justice. En effet, faute notamment de financement, ce dispositif mis en place par la loi du 9 mars 2004, n’a toujours pas pu être mis en œuvre.

Comme la géolocalisation, le dispositif concernant les repentis s’inscrit dans un objectif de renforcement substantiel des moyens destinés à lutter contre la criminalité. Il s’agit également d’un outil très attendu par les praticiens, spécialement dans les affaires de criminalité organisée et de terrorisme.

Le financement par l’AGRASC de ce dispositif est enfin parfaitement cohérent avec la nature des biens et des sommes gérés par l’agence, qui constituent le plus souvent le produit direct ou indirect d’infractions en lien avec la criminalité organisée.

La disposition soumise a déjà été votée par l’Assemblée nationale en janvier 2014 dans le projet de loi relatif à la géolocalisation. Le Conseil constitutionnel l’avait censurée, considérant qu’il s’agissait d’un cavalier. Tel n’est pas le cas ici : le dispositif des repentis a vocation à s’appliquer au terrorisme.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Favorable.

(L’amendement n145 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n64.

M. Philippe Goujon. Là encore, cet amendement vise à lutter contre la radicalisation en prison, puisque le projet de loi ne contient pas de dispositif en ce sens. Nous avons auditionné notamment le sous-directeur de l’EMS 3 dans le cadre du groupe d’étude sur les prisons. Il nous a fait part de l’évolution actuelle du comportement des islamistes radicaux en prison. Les personnes en voie de radicalisation, auparavant assez faciles à repérer en raison de signes ostentatoires, sont aujourd’hui beaucoup plus discrètes : pendant la promenade, elles forment des groupes de deux ou trois individus qui ne présentent plus de signes extérieurs visibles d’islamisation radicale.

Le placement à l’isolement de ces personnes, lors de leur entrée en prison, permettrait de lutter contre la contagion éventuelle d’autres détenus.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Dans sa rédaction issue de l’article 92 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, l’article 726-1 du code de procédure pénale dispose que : « Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée par l’autorité administrative pour une durée maximale de trois mois, à l’isolement par mesure de protection ou de sécurité soit à sa demande, soit d’office. Cette mesure ne peut être renouvelée pour la même durée qu’après un débat contradictoire, au cours duquel la personne concernée, qui peut être assistée de son avocat, présente ses observations orales ou écrites. L’isolement ne peut être prolongé au-delà d’un an qu’après avis de l’autorité judiciaire. »

Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures, il est tenu compte de la personnalité du détenu ou de sa dangerosité particulière. Il en va ainsi lorsque le chef d’établissement sait que le détenu est menacé et souhaite le protéger des représailles, que le détenu est agressif, où qu’il est en train de fomenter un mouvement collectif. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(L’amendement n64 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel, pour soutenir l’amendement n138 deuxième rectification.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je défends cet amendement au nom du groupe SRC. Il reste dans le cadre de l’univers pénitentiaire et de la loi pénitentiaire de 2009. Il a une portée beaucoup plus modeste que les dispositions prévues par l’article 15 bis, qui vient d’être supprimé, et, j’ose le croire, plus utile que les deux amendements défendus à l’instant par l’opposition.

Aujourd’hui, l’autorité administrative, c’est-à-dire le directeur d’établissement, peut, aux termes de la loi de 2009, refuser un permis de visite s’il risque de porter atteinte à la sécurité – les termes sont assez vagues.

Nous proposons donc de permettre au chef d’établissement pénitentiaire de refuser également de délivrer un permis de visite ou de retirer celui-ci à une personne tierce « en cas de prosélytisme avéré en faveur de mouvement ou d’action tendant à favoriser la violence ou le terrorisme ». Nous proposons d’ajouter la même formule à l’article 40, qui permet la rétention de correspondance par le chef d’établissement : la correspondance peut-être retenue « y compris en cas de prosélytisme avéré en faveur de mouvements ou d’actions tendant à favoriser la violence ou le terrorisme. »

Deux remarques quant à la portée de cet amendement. D’abord, nous sommes bien sûr conscients que cette mesure ne règle pas la question du prosélytisme provenant de l’intérieur de la prison, ce prosélytisme rampant qui se répand parfois de cellule en cellule, de détenu à détenu. Mais, cette disposition renforce au moins la possibilité d’agir lorsque la radicalisation est le fait d’une action externe. Par exemple, elle s’appliquerait au cas de l’imam radical qui avait rendu visite à Mehdi Mennouche. C’est une première possibilité.

Ensuite, il est opportun de bien articuler cette disposition avec l’article 40 de la loi pénitentiaire, qui vise à exclure du contrôle des correspondances celles échangées avec l’avocat et toutes autorités administratives et judiciaires françaises et internationales – le consul intervient lorsque le détenu est de nationalité étrangère. L’article 15 bis avait le défaut de ne rien exclure

Nous sommes conscients du caractère modeste de cet amendement mais il nous semble utile et juridiquement sécurisé.

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi.

Mme Danielle Auroi. Notre groupe va voter contre cet amendement car il présente deux importantes difficultés. Il est peut-être modeste, mais il est dangereux.

Il y a une confusion entre le politique et le religieux. D’une part, le mot employé est celui de « prosélytisme », qui est clairement issu du champ religieux. La scientologie est prosélyte et conduit à un puissant lavage de cerveau. Je crois qu’il faut clarifier les choses.

D’autre part, au vu de la position de l’amendement dans le texte, il concerne clairement les membres de la famille, non les personnes extérieures à l’établissement, puisque l’administration peut refuser le permis de visite d’une manière souveraine à ces dernières. Voilà pourquoi nous voterons contre.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il y a une confusion sémantique. La formulation est la suivante : « prosélytisme avéré en faveur de mouvement ou d’action tendant à favoriser la violence ou le terrorisme ». Faire du prosélytisme, cela signifie simplement inciter par des pressions particulièrement fortes. La connotation que vous dénoncez n’existe pas.

De plus, s’agissant de votre objection sur la correspondance échangée avec la famille, je précise que l’article 40 s’applique aussi bien aux visites de la famille qu’à celles des tiers.

(L’amendement n138 deuxième rectification, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n66.

M. Philippe Goujon. Je ne vais pas relancer le débat sur l’interdiction des portables en prison. Pour la troisième fois, je regrette que le ministre de l’intérieur n’ait pas répondu à la question sur la proposition de la contrôleure générale des prisons de lever l’interdiction sur les portables dans les établissements pénitentiaires.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Vous souhaitez prohiber la détention de téléphones cellulaires en détention. Vous savez bien que l’article 39 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 prévoit déjà l’interdiction de la possession d’un téléphone portable par les personnes détenues.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je vous remercie, monsieur le président. Je profite de la discussion de cet amendement pour reposer au ministre la question à laquelle je n’ai pas obtenu de réponse, mais peut-être suis-je atteint ce matin de surdité. Monsieur le ministre, voulez-vous nous dire exactement quelle est la position du gouvernement sur les propos de madame Hazan concernant cette affaire d’interdiction des portables en prison ?

Deuxièmement, si l’article 15 bis est supprimé, qu’entendez-vous faire, dans ce texte, avant qu’il soit transmis au Sénat ? Quel dispositif comptez-vous mettre en place pour empêcher le prosélytisme, la radicalisation et le recrutement par voie téléphonique, qui sont très répandus aujourd’hui dans nos prisons ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Lellouche, je ne suis pas ici pour déclencher des polémiques.

M. Pierre Lellouche. Je n’ai pas employé le mot de polémique.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Laissez-moi répondre ! Je n’ai pas émis trois borborygmes ressemblant à des onomatopées que déjà vous vous opposez à mes propos ! Laissez-moi aller au bout de mon raisonnement. Je vais vous dire ce que je pense, et ensuite, si vous êtes en désaccord, vous pourrez vous exprimer, puisque dans cet hémicycle, bien entendu, l’expression est libre.

Monsieur Delarue, qui était le prédécesseur de madame Hazan au poste qu’elle occupe actuellement, et qui a été, si j’ai bonne souvenance, nommé par le gouvernement de l’époque, a exprimé une position identique.

M. François Loncle. Cela ne veut pas dire qu’elle est bonne !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame Hazan ne fait rien d’autre que de reprendre la position exprimée par son prédécesseur, qui a été nommé par la précédente majorité. La position de monsieur Delarue, nommé à ce poste, par vous, dans le passé, n’a jamais été considérée par quiconque siégeait dans l’opposition d’alors comme engageant le gouvernement de l’époque. Jamais.

M. Philippe Goujon. Si ! Vous vous y êtes opposés !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il est d’ailleurs normal que, dans leurs fonctions, ils expriment des positions qui sont des contributions au débat et qui n’engagent pas le gouvernement. Cette même position a été, très récemment, réaffirmée par Mme Hazan.

M. Philippe Goujon, rapporteur. En commission des lois !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je me demande d’ailleurs si elle ne vient pas de le faire il y a quelques heures de cela. Je n’ai pas l’habitude de répondre à des propositions –émises par des personnalités éminentes – dont je n’ai pas pris connaissance dans leur globalité sans avoir fait l’analyse de leur contenu ni engagé un minimum de discussions interministérielles sur les conditions dans lesquelles il pourrait y être donné suite.

Si nous dérogions à cette méthode, précisément, nous tomberions dans le travers que vous redoutez, c’est-à-dire celui de l’absence de sérieux. Je suis pour ma part très soucieux de créer, sur ces sujets-là, les conditions de l’efficacité des politiques pénale et pénitentiaire. Parce qu’il s’agit d’une chaîne : s’articulent le travail des services et de la police, celui des juges et enfin celui de l’administration pénitentiaire. Cela forme un tout, qui doit permettre d’assurer la sécurité des Français.

Je ne traite donc pas ces sujets-là à chaud, dans l’hémicycle, sans avoir pris connaissance de la totalité des propositions exprimées par Mme Hazan, ni sans en avoir parlé avec elle, et sans processus interministériel d’analyse. Si le faisais, précisément, je ne serais pas sérieux, et je pourrais alimenter des polémiques qui n’ont pas lieu d’être.

Vous m’interrogez sur mes intentions, compte tenu de la suppression de l’article 15 bis, afin de répondre à ces préoccupations. Il s’agit là d’une vraie question : je mets en place un plan de déradicalisation dans les prisons. De plus, une réflexion est en cours au sein du Parlement sur les questions de renseignement, afin de les traiter très prochainement, à froid, en rigueur juridique et en droit : tel est le souhait du gouvernement.

M. Pierre Lellouche. Donc on reporte les deux choses !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Pardon, monsieur le ministre, mais sur cette question précise, c’est un comble, vous êtes mal renseigné !

M. Philippe Goujon. Et oui !

M. Guillaume Larrivé. Madame Hazan s’est exprimée de façon parfaitement publique. Sa déclaration a, au mois de juillet, fait l’objet d’une dépêche. Elle s’est exprimée en des termes si clairs que notre groupe, a, lors de la réunion de la commission des lois visant à examiner ce projet de loi, mentionné et relayé sa position, interrogeant déjà, à l’époque, le gouvernement. Cela fait donc deux mois que ces propos publics du nouveau contrôleur général des lieux de privation de liberté ont été tenus, et que le dialogue interministériel aurait pu se nouer.

Ce qui serait sérieux de votre part, monsieur le ministre, sur cette question, serait d’exprimer une position sans aucune ambiguïté du gouvernement. Elle n’est pas compliquée à définir et ne nécessite pas de multiples réunions interministérielles pour savoir ce qu’il faut en penser.

Le devoir de tout gouvernement responsable est de dire non. Non à toute amorce de début de commencement de légalisation des téléphones portables dans les prisons. En tous cas, c’est notre position, une position sans aucune ambiguïté, sérieuse et dénuée de tout esprit de polémique.

Le fait que Jean-Marie Delarue, qui est une personnalité extrêmement respectable, ait été nommé par le président Nicolas Sarkozy, après un avis conforme, d’ailleurs, de la commission des lois de l’époque, constitue un élément du débat, mais cela n’en fait pas un argument d’autorité.

Notre conviction pragmatique, nourrie des auditions que nous avons conduites des personnels pénitentiaires, est qu’il faut dire non, totalement et radicalement, à la possibilité d’introduire les téléphones portables dans les prisons.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le ministre, vous connaissez l’estime que je vous porte. Donc, s’il vous plaît, lorsque vous nous répondez, ne nous parlez pas de polémique, car toute l’action de l’opposition, depuis le début de l’examen de ce projet de loi, a visé à le soutenir et à essayer de travailler avec vous pour le renforcer.

Il y a union nationale, sur tous les bancs, pour lutter contre le terrorisme. Il n’y a aucune polémique dans ce que je me suis permis de vous dire, pas plus que dans ce vient de dire monsieur Larrivé.

Il existe de vraies questions : la radicalisation à l’intérieur de nos prisons, l’utilisation des téléphones portables en prison et la suppression de l’article 15 bis, qui n’est pas une mince affaire. La position de Mme Hazan est ancienne.

Les questions que je vous posais, monsieur le ministre, appellent des réponses immédiates. Or j’ai noté dans votre réponse que vous bottez en touche, que ce soit sur la position exprimée il y a deux mois par Mme Hazan, à laquelle le gouvernement n’a toujours pas répondu – peut-être le fera-t-il, nul ne le sait, avant la fin de l’année –, ou sur l’utilisation des téléphones portables en prison, sur laquelle notre pays n’a toujours pas de politique.

Et sur ce dernier point vous renvoyez à une prochaine loi. Pourquoi ? Il est urgent de légiférer. Le problème du djhadisme se pose aujourd’hui : 1 000 terroristes d’origine française se battent en ce moment-même en Syrie et en Irak. Qu’attendez-vous ? Il y avait dans le texte déposé par le gouvernement des dispositions que celui-ci a choisi de supprimer : je ne peux comprendre, sur une affaire aussi grave, qu’il renvoie aux calendes grecques.

J’en termine : la prison est devenue – la presse, malheureusement, en témoigne – le lieu essentiel de recrutement d’un certain nombre de terroristes. Il serait peut-être temps d’agir. Et nous attendons de vous que vous agissiez.

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Ne faisons ni du téléphone ni de la prison des objets théologiques. Ni le téléphone portable ni la prison n’existent en tant que tels. Dans certains endroits, comme les centres de semi-liberté, il est absolument ridicule d’interdire les téléphones portables. J’ai assisté dans l’un d’entre eux à une scène surréaliste : les détenus, qui utilisent librement leur téléphone portable pendant toute la journée, doivent le remettre quand ils rentrent le soir, simplement parce que la réglementation n’est pas appliquée. Réfléchissons, donc, à cette question.

Par ailleurs, de très belles enquêtes se montent à partir des écoutes réalisées au sein des établissements pénitentiaires.

Enfin, monsieur Delarue a expliqué assez longuement que des incidents ayant éclaté dans une prison de l’Orne, éloignée de toute centre urbain, en pleine campagne, étaient dus à des fouilles, certes normales, légitimes et légales, mais qui avaient privé tous les détenus de ce moyen de communication favorisant la pacification en leur permettant de garder des liens avec la famille.

M. Pierre Lellouche. S’ils voulaient conserver des liens, ils n’avaient qu’à pas se retrouver en prison !

M. Dominique Raimbourg. Nous sommes tous contre la radicalisation et contre l’utilisation de moyens illégaux. En revanche, il y a lieu de réfléchir, dans une démarche qui demande un tout petit peu de temps. Ne polémiquons pas. N’essayons pas de polluer ce texte sur le terrorisme par des considérations extérieures et qui, à l’évidence, l’affaiblissent.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Lellouche, il n’existe aucune ambiguïté dans la position qui est la mienne sur ce sujet. Reprenons l’état du droit : aujourd’hui, les téléphones cellulaires sont interdits en prison. Quand ils y sont introduits, la possibilité existe, dans le cadre du droit en vigueur, notamment au moyen d’interceptions, de les neutraliser. Cela existe : beaucoup de procédures permettent de le faire.

Quelle est ma position ? L’état actuel du droit – nous ne traitons pas d’un sujet sur lequel il existerait une volonté gouvernementale de modifier l’ordre juridique – est celui que je viens de vous indiquer. Ma position est que l’ordre du droit doit demeurer.

Vous m’invitez à réagir, également, sur une déclaration de madame Hazan, faisant suite à une déclaration similaire de monsieur Delarue. Mais je n’ai pas à le faire, pas plus que sur toutes les déclarations faites par tous ceux qui ont le droit de s’exprimer, qui ont des choses à dire et qui représentent des autorités administratives indépendantes.

J’ai à donner la position du gouvernement sur ces sujets. Quelle est-elle ? Il n’existe aucun texte – et il n’a jamais été envisagé d’en présenter un – qui modifie l’ordre du droit actuel que je viens de décrire. Les téléphones portables et cellulaires sont, actuellement, interdits en prison. Si vous avez eu connaissance d’une texte d’origine gouvernementale qui vise à revenir sur cette interdiction, présentez-le moi.

M. Pierre Lellouche. Mais l’interdiction n’est pas respectée.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il n’y a pas de tel texte. Pourquoi essaye-t-on de créer, dans le débat public, des ambiguïtés, des difficultés ou des débats qui n’ont pas lieu d’être ? Pourquoi y introduit-on des questions qui ne relèvent en aucun cas des intentions du gouvernement, qui ne souhaite pas modifier l’ordre du droit actuel, comme je viens de l’indiquer ?

(L’amendement n66 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement no 68.

M. Philippe Goujon. Il s’agit pour nous d’être cohérents, c’est-à-dire en contradiction totale avec la suppression de l’article 15 bis, que le gouvernement a malheureusement fait adopter. Cette suppression limitera l’efficacité de la lutte contre la radicalisation islamiste en prison. Vous prenez là une très grande et très grosse responsabilité.

Cet amendement vise à inscrire dans la loi l’interdiction pour les détenus d’accéder librement à Internet. Nous vous faisons remonter certaines observations du terrain. Les syndicats de surveillants et de policiers, et même certains hauts fonctionnaires, que nous avons reçus, nous ont mis en garde contre l’introduction illégale et massive en prison, notamment depuis l’abandon des fouilles systématiques que j’évoquais tout à l’heure, de clés 3G et de téléphones portables dotés d’un accès à internet.

Vous savez que ces derniers constituent pourtant des outils indispensables à la préparation d’une évasion, au maintien de contacts avec le milieu dont on a cherché à couper le délinquant, ou au prosélytisme qui a cours sur les forums ou les sites djihadistes. Ceux-ci trouvent d’ailleurs en prison un terrain propice à l’endoctrinement que nous évoquions tout à l’heure. De cela vous ne parlez pas.

En outre, les aumôniers musulmans rencontrent – ils nous l’ont dit – des difficultés à entretenir un dialogue avec les détenus en voie de radicalisation, ceux-ci critiquant leur légitimité en se référant aux prêches d’imams auto-proclamés qu’ils consultent clandestinement, sur internet. Cela leur permet d’apporter la contradiction.

Il y a donc un impératif de sécurité. Afin que nous restions en cohérence avec nos propositions, nous proposons donc, avec cet amendement, d’interdire aux détenus les communications électroniques et l’accès à internet.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Il s’agit d’un débat similaire à celui que nous venons d’avoir sur les téléphones portables. L’article 40 de la loi pénitentiaire définit les conditions dans lesquelles s’exercent d’une part le droit pour les détenus de correspondre par écrit, et d’autre part la faculté pour l’administration pénitentiaire de contrôler et de retenir leurs lettres.

L’interprétation de cet article ne laisse aujourd’hui place à aucun doute. Il ne vise que la correspondance écrite, à l’exclusion de toute correspondance via un média de communication électronique en ligne. L’amendement est donc satisfait sur ce point.

Il entend également prohiber l’accès à Internet en prison, accès d’ores et déjà prohibé, faute d’être expressément autorisé. Pourquoi, donc, comme le proposait déjà votre précédent amendement pour les téléphones portables, interdire ce qui l’est déjà ?

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je partage tout à fait l’avis du rapporteur. Cet amendement aurait un sens si la loi ne prévoyait déjà pas ce que l’amendement propose. Vous proposez en effet d’inscrire dans la loi ce qui s’y trouve déjà : votre amendement est donc satisfait. Aussi je vous propose de le retirer.

(L’amendement n68, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n63.

M. Philippe Goujon. Il s’agit d’un amendement de notre collègue Éric Ciotti, qui va vous permettre de démontrer – personne ne peut en douter – que vous voulez vraiment lutter contre le radicalisme islamique. En effet, les téléphones clandestins ou les clés permettant l’accès à internet ne sont pas forcément saisis puisque les fouilles systématiques après les parloirs ont été supprimées. Il s’agit tout simplement de les rétablir.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Avant l’adoption, par la précédente majorité, de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, les fouilles des personnes détenues, comme, du reste, la plupart des règles applicables dans les établissements pénitentiaires, étaient encadrées par des dispositions de nature règlementaire.

L’article D. 275 du Code de procédure pénale disposait que les détenus devaient être fouillés fréquemment, notamment avant et après tout parloir ou visite quelconque, et aussi souvent que le chef de l’établissement l’estimait nécessaire. Les textes alors en vigueur prévoyait donc la pratique de fouilles systématiques à l’issue des parloirs, en raison du risque avéré d’introduction d’objets interdits, comme les téléphones, pendant les visites de proches des détenus.

Cependant, la France avait fait l’objet en 2007 d’une condamnation par la Cour européenne des droits de l’Homme pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme pour avoir pratiqué sur un détenu des fouilles que la Cour avait jugées trop systématiques.

À la suite de cette décision, le Conseil d’État s’était reconnu compétent pour connaître des décisions de recourir à des fouilles et a jugé que ces fouilles devaient, pour être conformes aux normes applicables, en particulier l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, réunir les conditions de nécessité, d’adaptation au motif poursuivi et de proportionnalité des moyens employés.

C’est afin de mettre notre droit en conformité avec les exigences de la Cour de Strasbourg et d’élever au niveau législatif les règles encadrant les fouilles que l’article 57 de la loi pénitentiaire, qu’a votée la précédente majorité, a soumis le recours aux fouilles des personnes détenues à des règles très strictes et interdit les fouilles systématiques. Pourquoi défaire aujourd’hui ce que vous avez voté il y a quelques années ?

M. Philippe Goujon. Parce que la situation a changé !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. C’est un rappel utile, monsieur le rapporteur, mais, si nous votons ce texte, auquel nous travaillons depuis trois jours, c’est précisément que la situation a changé.

M. Philippe Goujon. Voilà !

M. Pierre Lellouche. Nous sommes tous convenus, sur tous les bancs, que, malheureusement, la France était en guerre ou, plus exactement, qu’une partie de l’islam radical avait déclaré la guerre à la France et qu’une partie des combattants de l’islam radical étaient de nationalité française ou résidents dans notre pays. Nous sommes donc dans un monde un tout petit peu différent.

Moi, je suis exactement sur la ligne du ministre de l’intérieur, qui est un républicain tout comme moi, à savoir que, dans ce genre de texte, où nous pesons le besoin de protéger nos concitoyens et nos libertés, qui sont la base de la République, il faut faire extrêmement attention. Mais, lorsque l’on tue des journalistes, il n’y a plus de liberté de la presse, lorsque l’on fait exploser des bombes, il n’y a plus de liberté d’aller et venir, lorsque, dans nos prisons, il y a des viviers de terroristes de demain, d’assassins de demain, nous sommes en droit de demander des règles beaucoup plus strictes en matière de contrôle des téléphones, de l’internet, de fouilles.

Si la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme pose problème pour défendre la France, nous ne devons pas hésiter à changer notre droit et, au besoin, à aller nous expliquer devant cette Cour,…

M. Guillaume Larrivé. Bravo !

M. Pierre Lellouche. …qui, elle, naturellement, légifère pour le temps de paix, mais je crois que le Conseil européen et bon nombre d’États européens commencent à comprendre que c’est malheureusement une situation de guerre et qu’il s’agit de défendre nos concitoyens.

Ne m’envoyez donc pas à la figure, monsieur le rapporteur, une jurisprudence de temps de paix de la Cour européenne des droits de l’Homme, dont on connaît par ailleurs les excès dans de nombreux domaines,…

Mme Marie-Françoise Bechtel. Ça, c’est vrai !

M. Pierre Lellouche. …et pas seulement en matière de terrorisme, mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui.

S’il vous plaît, ne m’opposez pas cet état du droit ancien alors qu’il s’agit d’un nouveau texte, qui correspond à une situation, hélas, nouvelle. Le ministre de l’intérieur a travaillé précisément à quelque chose de différent sur l’ensemble des sujets concernant la sortie du territoire, le retour de citoyens français ou étrangers après des attentats terroristes, des incriminations nouvelles, ce qui devrait donc entraîner un certain nombre de modifications dans les procédures de détention de gens pouvant être recrutés pour des attentats terroristes ou ayant un passé qui les mènera à ce genre d’activités.

C’est cela la réalité, et j’attends que le ministre veuille bien nous éclairer sur la position du Gouvernement dans ces matières.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. La position du Gouvernement est très claire sur cette affaire. La préoccupation qui est la vôtre est déjà satisfaite puisqu’il est possible de procéder à des fouilles sur des détenus soupçonnés de radicalisation en vertu de l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009.

(L’amendement n63 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n67.

M. Philippe Goujon. Cet amendement vise à appeler le Gouvernement à modifier la composition du Conseil national du renseignement.

Il n’est pas prévu aujourd’hui d’y faire siéger de représentants de l’EMS-3 alors que, nous l’avons évoqué dans tout le débat, celui-ci prend une part importante, sinon essentielle, dans la surveillance des terroristes en milieu carcéral et la remontée d’informations vers les services de renseignement, comme il le fit d’ailleurs pour Mehdi Nemmouche, celui-ci, je le rappelle au passage, ayant été trouvé en possession d’un téléphone portable comportant des images djihadistes.

Le groupe d’études sur les prisons, auquel j’appartiens, a récemment auditionné le sous-directeur de service, qui nous a fait part du travail mené par ses agents, insuffisamment nombreux d’ailleurs pour surveiller près de 200 terroristes, et de la nouvelle grille d’évaluation permettant de cibler les nouvelles stratégies de discrétion des détenus en voie de radicalisation, j’en ai parlé tout à l’heure.

Voilà plusieurs heures que nous en débattons, la prison est un vivier considérable de prosélytisme de l’islamisme radical, au même titre qu’internet. Nous devons absolument renforcer notre dispositif de lutte. Vous ne le faites pas. Cet amendement permettrait au moins à l’administration pénitentiaire de participer à la remontée du renseignement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. La composition du Conseil national du renseignement, a fortiori avec autant de détails, relève plutôt du champ réglementaire que de la loi. La commission est donc défavorable à cet amendement.

(L’amendement n67, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Articles 16, 17 et 18

(Les articles 16, 17 et 18 sont successivement adoptés.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles du projet de loi.

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Guillaume Larrivé, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guillaume Larrivé. Le groupe UMP a beaucoup débattu de ce texte depuis plusieurs semaines, c’est notre devoir à tous, sur tous les bancs, et nous en avons débattu en gardant à l’esprit deux objectifs, l’efficacité d’abord, l’unité nationale aussi.

Notre conviction, c’est que l’Assemblée nationale aujourd’hui, le Parlement tout entier demain, doit renforcer les instruments de l’État de droit contre la menace terroriste islamiste radicale. Voilà ce qui nous guide, telle est notre obsession.

Pour respecter ce devoir, il y a plusieurs options. Nous aurions pu, comme l’opposition en d’autres temps, notamment en 2005-2006, décider de nous abstenir dès lors que certaines propositions que nous présentions n’étaient pas retenues. Tel est le choix qu’avait fait l’opposition en 2006. Je m’en souviens personnellement, j’étais assis sur un autre banc que ceux des députés, un banc de modeste collaborateur. Lorsque Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur, avait proposé une évolution majeure de notre droit, ce qui est devenu la loi de 2006, nous nous étions heurtés à un mur d’abstention de la part de ceux qui sont aujourd’hui aux responsabilités, notamment de Manuel Valls, député, membre de la commission des lois, orateur de l’opposition. Mais choisir l’abstention ne nous paraît pas responsable et nous allons donc voter ce texte, qui comporte un certain nombre d’avancées utiles.

Bien sûr, avec Éric Ciotti, Philippe Goujon, Pierre Lellouche, nous aurions souhaité d’autres avancées, sur la question majeure de la lutte contre la radicalisation dans les prisons, nous venons de l’évoquer, sur les modalités de contrôle du retour des djihadistes, dont nous avons longuement parlé également. Nous avons pris note, monsieur le ministre, du rendez-vous que vous nous fixez lors de la navette et nous attendons de vous d’autres avancées au cours du débat.

Sur l’essentiel, nous sommes donc au rendez-vous. Nous n’avons pas à nous excuser de faire progresser l’État de droit, et, en particulier, de lutter contre certaines dérives de ceux qui veulent en réalité annihiler nos libertés. La République est plus forte lorsqu’elle défend nos libertés contre ceux qui veulent les détruire. Nous avons eu, je crois, un débat de qualité. Nous allons donc voter en faveur de ce texte, conscients de ses limites, bien sûr, conscients aussi qu’il est nécessaire d’agir de façon extrêmement pragmatique sur deux points.

D’abord, nous devrons poursuivre dans la loi de finances de 2015 l’effort déjà engagé pour renforcer les moyens opérationnels des services de police, notamment des services de renseignement. Il faudra faire un effort budgétaire majeur parce que le cœur de la puissance régalienne doit être renforcé.

Second point, il faudra faire un effort pragmatique, juridique, diplomatique au plan européen. Vous avez pris votre bâton de pèlerin, monsieur le ministre, pour faire avancer le droit dans les différentes instances européennes. Nous avons besoin de faire évoluer les lignes. Nous ne devons pas nous soumettre à ce qui serait un gouvernement des juges de la CEDH. Nous devons au contraire faire valoir la souveraineté des États contre cette menace terroriste qui veut détruire ce que nous sommes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Dès le début de la discussion, notre groupe a très clairement indiqué qu’il était favorable à une adaptation de notre législation pour mieux combattre les nouvelles formes de terrorisme mais nous avons aussi exprimé un certain nombre de remarques, d’interrogations, voire de réserves, en espérant que le débat puisse nous apporter des éclaircissements et des assurances.

Tout au long de ce débat, nous avons enregistré avec intérêt les explications et les précisions que le Gouvernement a apportées sur un certain nombre de mesures importantes que contient ce texte pour renforcer notre arsenal législatif et administratif : à l’article 1er, l’interdiction administrative de sortie du territoire ; à l’article 4, le déplacement des délits de provocation à la commission d’actes terroristes ou d’apologie du terrorisme vers le code pénal ; à l’article 5, l’opportunité de créer une incrimination d’entreprise terroriste individuelle, article 5 dont l’écriture, à l’initiative du rapporteur, a été améliorée. Sur ces trois points importants, nous avons eu les explications que nous souhaitions, qui répondent à nombre de nos préoccupations.

Des réserves que nous avions exprimées demeurent, et nous restons perplexes en particulier sur l’efficacité du dispositif de blocage des sites internet prévu à l’article 9, mais, au final, nous sommes en présence d’un texte équilibré, qui concilie l’efficacité des mesures proposées et, bien sûr, le respect des principes de droit et des libertés publiques.

C’est pour toutes ces raisons, mais aussi parce que nous pensons très important que toute la représentation nationale, dans sa diversité, adresse un message fort et déterminé, que notre groupe va voter ce projet de loi de lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Au terme de ces débats, je ne reprendrai pas l’ensemble de ce projet, qui, est, je crois, un texte équilibré. Je voudrais simplement dire quels sont les deux points majeurs autour desquels s’articule notre accord.

Il y a d’abord la préservation des libertés, s’agissant notamment, puisque nous avons eu de longs débats sur ce point, du blocage de sites faisant l’apologie du terrorisme ou provoquant directement à la commission d’actes terroristes.

Je ne reviendrai pas sur les excellents propos du ministre, qui ont été relayés d’ailleurs par M. Larrivé à un certain moment du débat, sur le rôle de la police administrative, rôle utile parce que cela nous permet d’être suffisamment réactifs pour bloquer des sites dangereux, mais aussi protecteur. En matière de police administrative, on ne le redira jamais assez, la France dispose d’un juge spécifique, qui peut intervenir rapidement et qui réalise depuis de très longues années déjà une œuvre majeure en matière de libertés publiques, qu’il s’agisse des droits des étrangers ou des droits de la presse. Faut-il rappeler l’arrêt Frampar pendant la guerre d’Algérie ou toute autre progression des droits et libertés ?

À cet égard, et bien qu’il ne soit plus là, je ferai remarquer à Christian Paul, mais aussi à nos collègues du groupe écologiste qu’en matière de presse, puisqu’il s’agit en réalité d’une diffusion de la pensée, l’intervention du juge judiciaire n’est pas une nécessité incontournable et n’a aucun caractère constitutionnel. Nous pouvons comparer ce que nous faisons ici à la possibilité qu’a le Gouvernement d’interdire des publications pour la jeunesse lorsqu’elles présentent un caractère violent ou pornographique. Que je sache, le Gouvernement peut procéder à une mesure de police administrative. Autrefois, il pouvait même interdire les publications d’origine étrangère.

Mais le Conseil d’État, après un contrôle particulièrement vigilant, a exprimé ses réserves et aujourd’hui, sous la pression des institutions européennes, cette disposition n’est plus en vigueur. Mais cette possibilité existe et elle est tout à fait comparable à celle laissée à l’autorité administrative de bloquer des sites de nature provocatrice en matière de terrorisme.

Une autre grande loi républicaine, comparable à la loi sur la liberté de la presse, est celle relative à la liberté d’association. Dans ce domaine, bien que l’essentiel soit aux mains du juge judiciaire, ce qui est une très bonne chose, le Gouvernement a la possibilité, sur proposition du ministre de l’intérieur, d’interdire des associations particulièrement nocives dès lors qu’elles agissent contre les principes de la République.

Toutes ces mesures sont parfaitement comparables et je tiens à rappeler à mes collègues du groupe écologiste ainsi qu’à Christian Paul qu’elles sont bien dans la norme de notre droit, depuis la loi fondée sur celle des 16 et 24 août 1790 qui formalise la séparation des pouvoirs dans notre pays et intègre dans notre tradition la séparation des activités des tribunaux judiciaires et administratifs.

Je voudrais dire à ceux que la question a émus que l’élargissement de l’article 6 de la loi relative à la confiance dans l’économie numérique, qui prévoit le blocage des sites pornographiques, ne convient pas. En effet, il est beaucoup plus difficile de saisir ce qu’est l’apologie ou la provocation à des actes de terrorisme que de constater qu’une image est pédopornographique. J’ajoute que saisir l’apologie et la provocation au terrorisme, c’est déjà ce que fait le juge sur le fondement de la loi de 1881 en pénalisant les délits de presse. Il saura aussi bien le faire à travers la législation existante.

Un certain nombre de pistes de travail sont clairement ressorties de nos débats et je salue la coproduction, au moins partielle, de nos bancs et de ceux de l’opposition. Il est clair qu’en ce qui concerne la faisabilité du blocage des sites, nous devons miser sur la négociation avec les autres États européens et, si possible, avec un grand État d’outre-Atlantique. Cette négociation doit être fermement engagée par l’État et nous faisons confiance au ministre, qui l’a initiée, pour la conduire dans les meilleures conditions.

Je pense qu’il faudra demain agir sur les données cryptées, car il s’agit d’une véritable préoccupation. Il faudra également agir, dans une direction tout à fait différente, pour prévenir le prosélytisme radical en prison.

Un ensemble d’actions doit être engagé, en particulier la contre-radicalisation, ce qui passe par un discours construit, et surtout diffusé, porteur d’une contre-pédagogie destinée aux mineurs sur le thème du terrorisme.

Il est important que la loi que nous allons voter ne puisse encourager les amalgames. À cet effet, nous devons éviter de parler d’islamisme, fut-il radical, et désigner notre adversaire sous son nom, à savoir le salafisme djihadiste.

J’avais également exprimé dans la discussion générale mon souhait de voir les autorités musulmanes de notre pays prendre position. Elles se sont exprimées très fermement en ce sens, le 16 septembre dernier, en appelant notamment les jeunes pratiquant le culte musulman à ne pas entrer dans le djihad. Je les en remercie. Cette démarche était utile au regard de nos principes républicains.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je remercie l’ensemble des parlementaires, sur tous les bancs de cet hémicycle, qui sont engagés dans cette discussion depuis de nombreuses heures et qui ont apporté une contribution extrêmement utile à nos débats.

Je remercie également très chaleureusement le président de la commission des lois qui, avec l’ensemble des commissaires de toutes sensibilités, a contribué à améliorer sensiblement ce texte par de multiples amendements. J’adresse enfin un salut particulier au rapporteur dont le travail, l’engagement constant, la présence patiente et la précision des propos ont contribué à ce que ce texte sorte plus riche de l’Assemblée qu’il n’y était entré.

Je remercie ensuite Marie-Françoise Bechtel qui, tout au long de ce débat, sur des sujets très techniques, a apporté une contribution utile, ainsi que Guillaume Larrivé qui, avec les parlementaires du groupe UMP, a également permis d’améliorer ce texte, même si nous n’avons pas accepté ceux des amendements de son groupe qui étaient de nature à déséquilibrer le texte.

Je remercie en outre le groupe écologiste, dont je n’ai accepté que peu d’amendements car beaucoup d’entre eux posaient des problèmes de droit, et le groupe GDR pour ses interventions qui se sont avérées très utiles, en particulier celle de Marc Dolez.

Pour conclure, je vous remercie tous pour la qualité de ce débat, le travail que vous avez accompli et les efforts que vous avez fournis afin que notre pays, face au danger terroriste, soit doté des dispositions juridiques qui nous permettront de protéger nos concitoyens, dans le respect rigoureux des libertés publiques. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC et du groupe GDR.)

M. le président. La séance est suspendue.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à douze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (no2148, 2192).

Présentation

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui au nom du Gouvernement le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, appelé de façon générique DDADUE. Ce type de texte vous est désormais familier, même si le dernier texte d’adaptation au droit de l’Union européenne dont vous ayez eu à connaître en matière économique, promulgué au mois de janvier 2013, a déjà presque deux ans. Toutefois, le présent projet de loi est sans doute l’un des plus riches dont votre assemblée ait eu à connaître en matière de transposition. Je remercie donc particulièrement M. le rapporteur, Christophe Caresche, et les membres de la commission des finances de s’y être plongés en profondeur lors de son examen en commission, ce dont est résulté une amélioration substantielle du texte.

La richesse du projet de loi provient aussi de l’activité législative soutenue du Conseil de l’Union européenne et du Parlement européen en fin de législature. Cette activité a été nourrie par les enseignements tirés de la crise financière et a eu pour conséquence de substantielles avancées de l’intégration économique européenne, donc de nouvelles obligations incombant aux États membres en termes d’adaptation de leur droit économique et financier à l’horizon des années 2015 et 2016. C’est l’ampleur de cette tâche, et à certains égards l’urgence de la mener à bien, qui a amené le Gouvernement à préparer un projet de loi spécifique et à solliciter de votre part, mesdames et messieurs les députés, des habilitations à procéder par ordonnance dans certains cas. Elles vous sont demandées dans l’esprit de dialogue qui nous anime et le Gouvernement a parfaitement noté que les parlementaires ont exprimé en commission le souhait, sur lequel je reviendrai, d’être pleinement associés à la rédaction de certaines dispositions sensibles.

Le projet de loi prévoit la transposition de directives et l’adaptation du droit interne au droit de l’Union européenne dans trois domaines principaux, l’achèvement de l’Union bancaire et financière, la transparence financière des entreprises et la protection des consommateurs. Les quatre premiers articles du texte, l’article 9 et les articles 13 à 16 portent sur l’adoption en droit interne de dispositions à caractère financier contribuant à la consolidation du marché intérieur et du système financier européen. Les deux premiers articles ont pour objet de transposer des directives publiées au printemps relatives à la résolution bancaire appelées BRR et d’autres relatives à la garantie des dépôts. Elles parachèvent l’édifice de l’Union bancaire au moyen du règlement relatif au mécanisme de résolution unique plus connu sous l’acronyme MRU pour la mise en œuvre duquel le Gouvernement sollicitera toute à l’heure une habilitation par voie d’amendement.

Initiée à l’été 2012 par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne et de la zone euro, l’Union bancaire repose sur plusieurs piliers. Il s’est d’abord agi de mettre en place un mécanisme de supervision unique qui fonctionne et supervisera bientôt directement les 120 plus grands groupes bancaires de la zone euro. Il s’agit d’une avancée majeure. Une deuxième étape a été franchie avec succès avant l’été lors de la finalisation du mécanisme de résolution unique qui fixe des règles visant à faire face à des situations de crise potentielle en organisant un cadre de faillite ordonnée pour les établissements financiers. L’ensemble formé par la directive BRR, la directive sur la garantie des dépôts et le règlement MRU vise à établir des règles harmonisées au niveau européen en matière de résolution bancaire définissant notamment l’ordre et le montant des pertes, en cas de résolution, supportées par les diverses parties prenantes que sont les actionnaires, les créanciers et enfin les déposants au-delà du plafond de garantie fixé à 100 000 euros.

Cette deuxième étape ne sera pleinement franchie qu’à la mise en place au niveau d’un fonds de résolution unique ou FRU européen financé par les banques. Les modalités de contribution des établissements de crédit français au fonds de résolution unique sont en cours de discussion au niveau européen. J’imagine que de nombreux parlementaires ont été approchés pour évoquer ce sujet sensible pour les organismes financiers de notre pays. Compte tenu des enjeux, le Gouvernement demeure particulièrement vigilant afin que l’équité de traitement entre les secteurs bancaires des différents pays participants à l’Union bancaire soit garantie. Un projet de loi de ratification de l’accord intergouvernemental du 21 mai 2014 portant sur cet aspect du mécanisme sera d’ailleurs très prochainement soumis à votre assemblée.

Enfin, l’Europe s’est attachée à la redéfinition et l’harmonisation des règles prudentielles applicables aux établissements financiers afin d’en limiter les aspects procycliques et de prévenir les faillites dites systémiques. Les banques ont été dotées d’un tel régime par le paquet CRD4/CRR que la France aura prochainement transposé intégralement. Les organismes d’assurance seront dotés d’un mécanisme équivalent prévu par la directive bien connue « Solvabilité 2 ». Cette directive constitue une refonte globale du régime prudentiel encadrant l’exercice des activités d’assurance et de réassurance en Europe. Elle renforcera les exigences applicables en matière de solvabilité mais aussi de gouvernance, de contrôle et de transparence. Les travaux de transposition en droit interne de la directive « Solvabilité 2 » dont l’entrée en vigueur est prévue au 1er janvier 2016 sont menés sous forme d’une consultation intensive à laquelle sont associés l’ensemble des acteurs concernés.

Un second groupe de dispositions prévues par le présent projet de loi a trait aux obligations applicables aux entreprises. Je pense notamment aux transpositions de la directive « Transparence » à l’article 6 et de la directive « Comptable » aux articles 7 et 8. La transposition de la directive « Transparence » s’inscrit dans le cadre du choc de simplification souhaité par le Président de la République grâce à des mesures concrètes en faveur des entreprises, les PME en particulier. La transposition de la directive prolongera de deux à trois mois le délai de publication des rapports financiers semestriels, ce qui évitera l’effet de surcharge d’information en fin d’été amenant analystes et investisseurs à se concentrer sur les entreprises de premier plan au détriment des ETI et aux PME auxquelles la disposition prévue permettra d’attirer davantage l’attention du marché et d’accéder à de nouveaux financements.

D’autre part, la directive « Transparence » prévoit la suppression de l’obligation de produire une information financière trimestrielle qui entraînait des coûts administratifs élevés et incitait le marché à se concentrer sur la performance de court terme des entreprises. En matière d’information financière, l’activité normative européenne a également abouti à une directive « Comptable » unique au mois de juin 2013. Sur le fondement de cette directive, le Gouvernement a déjà opéré d’importantes simplifications des obligations comptables au profit de près d’un million et demi d’entreprises par une ordonnance prise sur le fondement de la loi de simplification du 2 janvier 2014. Il nous faut à présent achever la transposition en mettant à jour certains articles du code de commerce.

Ce travail sera effectué à grands principes constants. La stabilité normative est aussi gage de simplification et les dirigeants d’entreprise insistent beaucoup sur ce point lorsque nous les rencontrons. La directive « Comptable » comprend par ailleurs une mesure aussi nouvelle qu’’importante relative à la transparence des industries extractives, qui est transposée à l’article 8 du projet de loi et dont j’ai mesuré lors des travaux en commission qu’elle concentrait bien des interventions parlementaires. Cette mesure, la France l’a activement défendue à Bruxelles lors de la négociation du texte. Elle vise à renforcer la responsabilité sociale des entreprises du secteur extractif et d’exploitation des forêts.

À cette fin, elle leur impose de publier chaque année un rapport détaillé, projet par projet, des sommes qu’elles versent aux gouvernements des pays où elles exercent leur activité. L’objectif d’une telle transparence est clair : elle vise à faire connaître précisément aux citoyens et à la société civile des pays riches en matières premières, en premier lieu les pays en développement, les revenus générés par leur exploitation et à mieux en vérifier l’usage par leurs autorités. Ce dispositif européen répond à celui que les États-Unis ont adopté en 2010 et la France promeut son adoption par l’ensemble des membres du G8 et du G20. Le texte prévoit une double publication des informations non seulement au registre du commerce et des sociétés mais également sur le site internet des sociétés afin de garantir un accès simple et gratuit de tout citoyen à ces informations.

Enfin, le présent projet de loi prévoit diverses transpositions renforçant la protection des consommateurs. L’article 10 propose d’habiliter le Gouvernement à transposer par voie d’ordonnance la directive « Crédit immobilier » qui améliore l’information des consommateurs, introduit des règles de bonne conduite pour les prêteurs en matière de crédit immobilier et prévoit une harmonisation de l’information publicitaire et précontractuelle ainsi que la définition d’un cadre pour l’exercice de l’activité d’intermédiaire de crédit immobilier.

L’article 11 a pour objet d’habiliter le Gouvernement à transposer par voie d’ordonnance les dispositions de la directive relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation visant à généraliser la mise en place de mécanismes de résolution amiable des litiges de consommation dans tous les secteurs professionnels. Il s’agit là d’une avancée importante pour les consommateurs français en termes de recours grâce à laquelle ils feront valoir leurs droits aisément et gratuitement. En cas de litige persistant avec un professionnel, les consommateurs pourront s’adresser à un médiateur clairement identifié afin de résoudre le différend, évitant ainsi un éventuel recours à la justice. L’habilitation par voie d’ordonnance est demandée au Parlement en raison du calendrier mais le projet d’ordonnance s’inscrit bien entendu dans la continuité des grands principes de la médiation conventionnelle définie dans le code de procédure civile. Le Gouvernement a bien noté les inquiétudes relatives aux garanties de qualité et d’indépendance des procédures de médiation.

Mme Marie-Christine Dalloz. Exactement !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. C’est pourquoi, dans un souci de transparence, je proposerai la mise en place d’un comité de pilotage composé de parlementaires, de représentants des acteurs économiques, professionnels comme consommateurs, et de représentants de l’administration afin de mener les travaux de transposition par voie d’ordonnance de la directive du 21 mai 2013. Le comité devra s’assurer des exigences de qualité et d’efficacité des mécanismes de médiation et définir les modalités d’information des consommateurs. Plus particulièrement, il veillera aux conditions de désignation des médiateurs d’entreprise et au fonctionnement des structures qui les accueillent. Il déterminera également les modalités de mise en place d’une autorité publique d’évaluation des mécanismes de médiation de la consommation. Tel est le panorama d’ensemble des principaux enjeux du projet de loi DDADUE, qui est cohérent avec les actions politiques de la majorité depuis 2012 consistant à encadrer la sphère financière et en canaliser les ressources pour le financement de l’économie réelle, simplifier la vie des entreprises tout en les invitant à la responsabilité et protéger les Français, notamment les plus modestes, dans leur vie de consommateur.

M. Régis Juanico. Très bien !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Les dispositions du projet de loi soumis aujourd’hui à votre examen obéissent à une nécessité juridique car elles reflètent l’intensité des travaux européens et procèdent à une modernisation de notre droit attendue de nombreux contribuables, consommateurs et opérateurs économiques.

J’ai pleinement conscience de la difficulté technique de ce type de texte, mais les travaux de vos commissions ont montré votre capacité à appréhender des problèmes d’une rare technicité. Je souhaite donc que ces dispositions recueillent le plus large assentiment de votre Assemblée (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Christophe Caresche, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Le ministre vient de détailler précisément les dispositions qui figurent dans ce texte. Vous avez parlé de texte riche, monsieur le ministre. Il est en effet riche – et divers. Il touche à de nombreuses questions, en particulier à la régulation économique et financière.

Le Gouvernement nous propose de transposer l’ensemble des directives adoptées ces dernières années par le Parlement européen pour tirer les leçons de la crise de 2008 et avancer dans la voie de cette régulation économique et financière. Je voudrais insister sur ce point, car nos concitoyens ont parfois le sentiment que nous ne progressons pas suffisamment dans cette direction. Or en réalité, un travail considérable a été accompli, qui trouve en partie son achèvement dans les textes qui nous sont soumis aujourd’hui.

Nous verrons ainsi la création d’une véritable union bancaire au niveau européen, ce qui est, à n’en pas douter, un phénomène historique. De même, la régulation du secteur des assurances est renforcée par les textes qui les concernent, notamment la directive « Solvabilité II ». Ce sont des avancées importantes, qui méritent d’être soulignées.

Nous sommes évidemment très sensibles, monsieur le ministre, à vos propos sur ce qui reste en discussion au niveau de l’Union bancaire, en particulier la contribution des banques françaises. Cette question a été longuement évoquée à la commission des finances ; je crois pouvoir dire que l’ensemble des parlementaires qui étaient présents vous apporteront tout leur soutien pour faire en sorte que la France contribue pour une juste part, mais pas au-delà. Ces mécanismes ont en effet une incidence…

Mme Marie-Christine Dalloz. Énorme !

M. Christophe Caresche, rapporteur. …sur le crédit et sur le fonctionnement. C’est un prix qu’il faut assumer, mais il ne doit pas être excessif.

Mme Marie-Christine Dalloz. Bien sûr !

M. Christophe Caresche, rapporteur. J’en viens aux autres points.

Vous nous proposez, et cela ne soulève de ma part aucune objection de principe, de transposer l’essentiel de ces textes par voie d’ordonnance. La méthode est assez classique s’agissant de textes à caractère technique. Néanmoins, je me suis interrogé sur le point de savoir si elle était la plus pertinente et la meilleure sur deux sujets.

Le premier est la médiation dite d’entreprise. Il faut se garder de sous-estimer les dispositions en question, qui vont donner de nouvelles armes aux consommateurs pour se faire entendre, ce qui va dans le bon sens. Vous avez indiqué que le Gouvernement avait accepté, et je m’en félicite, la création d’un comité de pilotage, qui comportera entre autres des parlementaires. Nous avons ainsi toutes les garanties que ceux-ci pourront s’exprimer, notamment sur le point important de la clarification du système de médiation d’entreprise en France, qui est à la fois très pragmatique, ce qu’il convient de conserver, et quelque peu contradictoire.

Le deuxième point qui m’a semblé mériter un examen au Parlement est l’open data. Il s’agit de la relation entre les citoyens et l’administration, un sujet essentiel auquel nos concitoyens sont évidemment sensibles. Dans la mesure où un texte sur le numérique a été annoncé par le Gouvernement, et où cette annonce a été confirmée par le Premier ministre dans sa Déclaration de politique générale, il me paraîtrait opportun de transposer cette directive à l’occasion de l’examen de ce texte. Un travail a d’ailleurs été conduit sur ce sujet par des parlementaires, notamment des sénateurs, ainsi que par le Conseil d’État, qui a publié récemment une étude. Il serait bon que le Parlement se saisisse de l’ensemble de ces questions à cette occasion. À ma connaissance, aucun amendement revenant sur cette disposition n’a été déposé par le Gouvernement. J’en déduis qu’il accepte cette position, et je l’en remercie : cela témoigne de l’attention qu’il porte au Parlement.

L’essentiel des amendements ont porté sur l’article 8.

M. Yann Galut. Il est très important !

M. Christophe Caresche, rapporteur. Certes, monsieur Galut, mais les autres le sont tout autant, et l’Union bancaire n’est pas le moindre des sujets. Cela étant, je comprends tout à fait que les parlementaires aient souhaité travailler plus particulièrement sur cet article.

L’article 8 vise à introduire une obligation de transparence pour les industries du secteur extractif et forestier, afin de permettre la publication des sommes qu’elles versent aux gouvernements des pays dans lesquels elles sont actives. Cette disposition, qui a été adoptée dans le cadre d’une directive, découle d’une décision prise au G8 de Deauville les 26 et 27 mai 2011 dans le but – j’insiste sur ce point – de lutter contre la corruption, qui est un phénomène avéré dans ce type d’activité. L’Europe a en effet décidé de mettre en œuvre cet engagement. Là encore, j’insiste sur ce point, car la mise en œuvre des engagements pris dans le cadre du G8 ou du G20 est souvent problématique. Nous le constatons à nouveau ici, puisque seule l’Europe a traduit cet engagement dans un texte juridique. Les États-Unis l’ont fait avec le Dodd-Frank Act, mais à ma connaissance, les dispositions nécessaires pour mettre celui-ci en œuvre n’ont pas été prises. L’Europe est donc le premier territoire à appliquer cette décision, qui représente une réelle avancée, mais aussi une contrainte non négligeable pour les entreprises. Dans cette affaire, l’Europe est donc exemplaire. La France l’est aussi, puisqu’elle sera le premier État européen à transposer cette directive, et qu’elle le fera en allant au-delà de ce qui est prévu dans la directive, notamment en matière de publication. Nous y reviendrons.

J’insiste donc sur le fait que la France est exemplaire, qu’elle a le souci de mettre en œuvre le plus rapidement possible cet engagement et cette disposition.

Un certain nombre d’amendements ont été déposés ; nous avons eu le débat en commission.

L’évasion fiscale est un autre sujet qui fait l’objet de réflexions, notamment au niveau du G20. L’OCDE a formulé il y a quelques jours un certain nombre de propositions très intéressantes sur la problématique de l’évasion fiscale, qui marquent un vrai progrès. Là aussi, la France a été à l’avant-garde – c’est d’ailleurs un fonctionnaire français qui travaille sur ces questions. Si les ministres des finances du G20, qui se réunissent dans quelques jours, venaient à les adopter, ces dispositions auraient vocation à être traduites dans la législation européenne et nationale.

Je ne propose pas d’anticiper la mise en œuvre de ces mesures, car elles imposeraient des contraintes supplémentaires dans un monde extrêmement concurrentiel, en particulier pour ce qui concerne les industries minières et extractives, contraintes qui pourraient avoir des conséquences très négatives sur les sociétés françaises.

La France a raison de se battre et de faire progresser les choses dans les enceintes internationales. Lorsque les décisions seront prises, elle les appliquera. Voilà donc la position que je défendrai ; nous en reparlerons au cours du débat.

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires européennes.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Monsieur le Président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de transposition de directives européennes aborde de multiples sujets. Pour ma part, j’en ai retenu trois.

Le premier concerne l’Union bancaire. Après l’adoption du premier pilier de cette union, la création d’un superviseur européen, qui deviendra pleinement opérationnel dans quelques jours, au mois de novembre, nous voici appelés à autoriser la transposition du deuxième pilier, qui a pour objet de clarifier les modalités de règlement des faillites bancaires, en définissant une chaîne de responsabilité et en évitant ainsi un appel systématique aux contribuables.

Lancé en 2012, l’ambitieux chantier de l’Union bancaire constitue une avancée décisive pour la stabilité du système bancaire et financier, ainsi que pour la protection des déposants. Je veux, à cet égard, saluer les efforts déployés par le gouvernement français. Je veux aussi souligner l’implication très forte de notre commission des affaires européennes, qui a adopté, sur la proposition de Christophe Caresche, Michel Herbillon et Didier Quentin, plusieurs résolutions définissant les contours de l’Union bancaire, et qui s’est battue pour que le règlement relatif à la procédure de redressement et de résolution des banques prévoie une association étroite des parlements nationaux.

Mais, pour que l’Union bancaire soit pleinement réalisée, les efforts doivent encore être poursuivis. Il nous faut avancer rapidement pour préciser les modalités de constitution du Fonds de résolution, définir le filet de sécurité du dispositif – nous plaidons à cet égard, à la commission des affaires européennes, pour le Mécanisme européen de stabilité –, et, enfin, mettre en place le troisième pilier de l’Union bancaire, à savoir le système européen de garantie des dépôts. J’en appelle à la nouvelle Commission européenne pour que ces chantiers trouvent enfin une réalisation.

Le deuxième sujet que je souhaiterais aborder est celui de la responsabilité sociétale des entreprises.

À cet égard, il semble que les dispositions du présent projet de loi et de la directive « comptable » soient plutôt en retrait par rapport aux exigences de notre Assemblée, telles que formulées en février dernier, sur ma proposition, dans sa résolution sur la publication d’informations non financières par les entreprises et, en mars dernier, sur la proposition de notre collègue Seybah Dagoma, dans la résolution sur le « juste échange » au plan international.

Ces dispositions sont également en retrait par rapport aux engagements pris par le Président de la République.

Nous devons fixer des standards ambitieux en matière de transparence et d’exemplarité. Cela suppose notamment, s’agissant des industries extractives visées dans le présent texte, d’aligner leurs obligations de reporting sur celles que nous avons fixées pour les banques en 2013 et d’en élargir le champ à tous leurs territoires d’activité.

Comme l’a souligné Christophe Caresche, au moment où l’OCDE entame le chantier de la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale, un signal fort dans le secteur des industries extractives apparaît d’autant plus nécessaire qu’une dynamique en ce sens s’engage actuellement au niveau international, avec l’adoption de nouvelles législations aux États-Unis et en Norvège et le lancement d’une consultation au Canada. Il est justifié de se montrer particulièrement exigeant vis-à-vis des entreprises de ce secteur, car leur activité produit des dégâts importants, sur le plan aussi bien environnemental que social.

Il nous faut également renforcer la responsabilité de l’ensemble des entreprises transnationales. Cela passe notamment par l’adoption de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre à l’égard de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs.

En troisième lieu, il m’apparaît impensable de supprimer l’exigence du contrôle par l’État des contrats d’assurance des installations nucléaires, comme cela était proposé dans le projet de loi initial. J’approuve donc pleinement son rétablissement, qui a été décidé à l’initiative de la commission des finances. Je propose toutefois, compte tenu des risques que présente le nucléaire, que ce contrôle ne soit pas seulement assuré par le ministère de l’économie et des finances, mais également par le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Enfin, je m’interroge sur le fait que ce projet de loi de transposition habilite le Gouvernement, sur la quasi-totalité des sujets, à recourir à la procédure de l’article 38 de la Constitution. Cela m’apparaît d’autant moins justifié s’agissant de sujets qui intéressent au plus près nos concitoyens, à l’instar de l’open data : nous ne pouvons escamoter un débat sur ces sujets.

En conséquence, je soutiens pleinement l’initiative qu’a prise la commission des finances de renvoyer au prochain projet de loi sur le numérique la transposition des dispositions relatives à la réutilisation des informations du secteur public. Je pense que notre commission des affaires européennes s’associera au débat avec beaucoup de vigueur.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sonia Lagarde.

Mme Sonia Lagarde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’Europe a connu, ces dernières années, une succession de crises particulièrement violentes. En 2008, la crise des subprimes, en provenance des États-Unis, a durablement ébranlé l’équilibre européen, et seule une coordination efficace, une volonté politique et des moyens considérables ont pu l’enrayer.

Cette crise à peine surmontée, la crise des dettes souveraines a éclaté. Les premières mesures de sauvetage de la Grèce ont été engagées dès 2010, le Mécanisme européen de stabilité financière a été voté en 2012, puis un second plan d’aide a été décidé en juillet 2012. Cette crise extrêmement grave a mis en lumière les failles profondes de l’organisation européenne en matière économique et financière.

De nombreux sommets européens se sont tenus et ont débouché sur un acte essentiel : le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, signé le 2 mars 2012, après des mois de travail acharné, par les chefs d’État et de gouvernement des États membres de l’Union européenne, à l’exception du Royaume-Uni et de la République tchèque. À ce rassemblement de vingt-cinq États, la France, le Président de la République et le Gouvernement français ont largement contribué.

Je ne reviendrai pas ici sur l’engagement numéro 11 du candidat Hollande, qui promettait, contre toute attente et en dépit de tous les efforts engagés, qu’il renégocierait le traité européen. La mise en œuvre de l’ambition du candidat Hollande aurait immédiatement eu des conséquences extrêmement graves pour l’Union européenne, en la privant des outils nécessaires, notamment le Mécanisme européen de stabilité mis en place pour combattre la crise, et en la plaçant à la merci des marchés financiers.

Mais le candidat, devenu Président de la République, s’est heurté dès le lendemain de son élection au principe de réalité. Sa promesse de campagne, finalement abandonnée dans un reniement salutaire, a suscité un grand sentiment d’incompréhension parmi nos partenaires européens. Le groupe UDI a vivement déploré cette situation, au moment où la France aurait plus que jamais dû être un élément stable et moteur de l’Union européenne. Les députés du groupe UDI, qui avaient appelé le Gouvernement à ratifier le traité au plus vite, ont bien entendu voté en ce sens en octobre 2012.

Cette étape était importante, nécessaire, mais, nous le savons, la crise n’est pas encore tout à fait derrière nous, et beaucoup reste à faire pour que l’Union européenne se dote de tous les instruments qui garantiront enfin la stabilité financière et l’intégration économique.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui va dans ce sens. Un travail législatif très important a été engagé au niveau européen ces derniers mois, dans de nombreux domaines, pour tirer les enseignements de ces crises successives.

Les textes adoptés par le Parlement européen et le Conseil doivent désormais être traduits en droit français, afin que soient mises en place au niveau national les obligations qui en découlent pour les États membres.

Comme notre rapporteur l’a rappelé, les sujets abordés sont multiples, relevant aussi bien du droit bancaire, du droit boursier, du droit des assurances que du droit de la consommation, du droit comptable ou de l’open data. Le projet de loi comporte par ailleurs une série de dispositions diverses relatives à des secteurs particuliers comme le nucléaire.

Les députés du groupe UDI, profondément européens, en sont convaincus : ces réformes sont essentielles, pour consolider tant le marché intérieur que le système financier européen.

Toutefois, nous ne pouvons que regretter la rapidité de l’examen par la représentation nationale d’un projet de loi aussi dense, reflet de mois de débats au niveau européen. Les députés du groupe UDI auraient souhaité, tout comme notre rapporteur, qui l’a d’ailleurs souligné lors de l’examen du texte en commission des finances, que, sur des sujets aussi importants, un véritable débat parlementaire ait lieu.

Par ce projet de loi, en effet, le Gouvernement nous demande l’autorisation de transposer de nombreuses directives par voie d’ordonnances. Or, le texte qui nous est soumis n’encadre en rien l’action de l’exécutif.

Monsieur le rapporteur, vous nous assurez que des parlementaires participeront à un groupe de travail qui élaborera certaines ordonnances, et vous nous rappelez que nous pourrons toujours intervenir lors de la ratification. Toutefois, nous craignons que cela ne soit pas suffisant, et nous déplorons que le Gouvernement demande ainsi aux parlementaires de se démunir de leurs prérogatives, alors que nous connaissons parfaitement la pression que peut exercer le système bancaire sur le ministère des finances.

Par ailleurs, nous déplorons que l’impact financier des réformes proposées n’ait pas été évalué. La Fédération bancaire française nous a d’ailleurs mis en garde au sujet du financement du Fonds de résolution unique. À cet égard, je rappelle que le produit de la taxe de risque systémique mise en place en 2011 est affecté au budget général de l’État, et non à un fonds systémique spécifique. Nous serions étonnés que le Gouvernement décide de supprimer cette taxe au profit du financement du Fonds de résolution unique, et qu’il se passe d’une recette annuelle de près d’un milliard d’euros. Pour éviter que les banques ne subissent une double peine, il faut absolument encadrer la délégation que nous accordons au Gouvernement.

Autre sujet sur lequel nous devons faire usage de notre droit d’amendement : l’article 8, qui a engendré de nombreux débats en commission des finances, la semaine dernière. En effet, il est primordial de lutter pour la transparence des activités économiques et financières et, au-delà, du secteur bancaire, ainsi que d’appliquer ces mêmes principes aux industries extractives : nous espérons que des améliorations en ce sens pourront être apportées au cours du débat.

Pour conclure, je souhaiterais redire ici le profond engagement européen du groupe UDI. Oui, une Europe plus forte est nécessaire. Nous n’avons pas le droit de tergiverser, car la crise n’est pas derrière nous : nous le voyons tous les jours avec l’explosion du chômage et la multiplication des plans sociaux. Les Français sont inquiets et attendent une Europe qui les protège de la crise.

Il est évident que l’Union européenne doit évoluer et ne pas rester figée sur son modèle d’origine – qui était d’ailleurs, dès ses prémices, appelé à se perfectionner.

Nous devons donc faire le choix courageux du fédéralisme budgétaire, car nous avons besoin de règles communes, sans lesquelles l’union économique à laquelle nous appartenons ne pourra pas fonctionner durablement. Nous avons besoin d’une Europe plus politique, véritablement intégrée, à l’opposé de l’Europe intergouvernementale que nous connaissons aujourd’hui. La gravité de la situation actuelle a démontré qu’il ne peut exister de zone monétaire unique sans une gouvernance économique, budgétaire et fiscale des États qui partagent la même monnaie.

C’est ce qui nous permettra de sortir de la crise d’ampleur mondiale que nous affrontons, et de préparer la croissance de demain.

Toutefois, nous demandons au Gouvernement de ne pas se substituer à la représentation nationale. Un débat de fond est nécessaire, et nous nous opposerons à tout amoindrissement du travail parlementaire. Le Parlement, s’il est tenu de procéder à des transpositions exhaustives et fidèles, dispose néanmoins d’une certaine marge de manœuvre et doit pouvoir jouer pleinement son rôle au stade de la transposition des textes européens.

Pour autant, les députés du groupe UDI ne s’opposeront pas à ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, la crise des subprimes de 2008 a ébranlé notre système économique et a eu pour conséquences la mobilisation des États pour venir en aide aux banques, la faillite de certaines grandes banques américaines et anglaises, le ralentissement de l’économie, ainsi que des destructions d’emplois. Elle a mis en lumière les faiblesses et les dérives du système financier : face aux rendements mirobolants de la spéculation, la majorité des banques s’étaient en effet détournées du financement de l’économie pour parier sur des produits financiers complexes et risqués.

Assainir la finance, remettre l’économie au service des citoyens et ne pas laisser ces derniers à la merci des banques, tel était l’un des engagements de cette majorité. Nous pouvons donc nous féliciter des progrès accomplis au sein de la communauté des États européens concernant l’Union bancaire et le processus de résolution des crises. Sur ces sujets, comme sur beaucoup d’autres, l’Europe est l’échelon pertinent pour mener nos batailles.

Au-delà de l’Europe, c’est un mouvement général en faveur d’une plus grande responsabilité des entreprises et des banques qui s’engage dans le monde. En ce début de semaine, l’OCDE a fait des propositions d’actions ambitieuses en matière de lutte contre la fraude et l’optimisation fiscale agressive. De fait, les paradis fiscaux constituent non seulement des lieux où s’évaporent des milliards d’euros mais, de surcroît, ils donnent libre accès à des produits financiers risqués, voire toxiques. L’OCDE préconise ainsi que les multinationales transmettent aux administrations fiscales des pays où elles opèrent, des informations détaillées, pays par pays – pour l’évoquer souvent, nous en connaissons la liste – portant, entre autres, sur leurs profits, leurs actifs, leurs effectifs et les impôts acquittés. C’est un pas important en faveur d’une transparence effective au niveau mondial, qui permet de mesurer objectivement l’activité d’une entreprise et de ses filiales dans tous les pays. La France a joué un rôle pionnier en la matière. La crise de 2008 a montré comment la déstabilisation d’un système bancaire met en danger l’ensemble de nos économies. Les avancées en matière de réglementation financière, de lutte contre la fraude et la corruption doivent donc s’inscrire dans cette dynamique mondiale naissante.

Pour commencer les États européens doivent donc se partager la responsabilité du contrôle des activités bancaires. Nous pouvons donc nous satisfaire de la transposition du « paquet CRD IV », de la mise en place d’un cadre commun pour la surveillance, le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, ainsi que de la mise en œuvre d’un système de garantie des dépôts.

Il faut mesurer le chemin parcouru depuis la crise chypriote et la faillite de la banque Laïki au printemps 2013, ainsi que depuis la récente crise portugaise et les difficultés rencontrées par la banque Esperito Santo. Vous vous souvenez sans doute du désordre et de la cacophonie qui avaient accompagné la crise chypriote. En revanche, cet été, les choses se sont non seulement déroulées en bon ordre pour la banque portugaise, mais la démonstration a été faite qu’il était possible de protéger et l’épargnant et le contribuable, en faisant porter la responsabilité principale sur les créanciers obligataires et les actionnaires.

Ainsi, ces derniers auront tout à la fois dû apporter des fonds à hauteur de 10 % du déficit, qui s’élevait à 5,4 milliards d’euros, et gérer les actifs toxiques concentrés au sein d’une bad bank, une structure de défaisance. Restera à vérifier à terme que les actifs sains rachetés par l’État portugais pourront être valorisés à leur prix de rachat pour ne pas peser in fine sur le contribuable. Il aura ainsi été démontré que le principe de bail in ou renflouement interne est efficace.

En commission, le rapporteur et un certain nombre de collègues se sont émus, à l’instar de Mme Lagarde à l’instant, du montant important de la contribution des banques française au fond de résolution. Il faut admettre que ce montant résulte de la spécificité de notre pays, qui concentre quatre banques de taille systémique – les actifs de chacune d’elles équivalent à peu près au PIB de notre pays –, lesquelles sont précisément responsables de la vulnérabilité du système financier. Il existe un bon moyen de réduire cette contribution : il suffirait de réduire la taille des banques. Pour autant, nous pouvons imaginer des ajustements, tels que la déduction de ce montant de la taxe pour risque systémique versée par les banques à l’État français.

En outre, nous pouvons particulièrement nous réjouir de la transposition des dispositions actant la transparence de l’utilisation des revenus issus des activités extractives, projet par projet et pays par pays. Dans ce domaine également, comme avec la loi bancaire, la France a été pionnière pour aller vers plus de transparence. L’obligation de transparence des activités bancaires pays par pays a fixé un standard non seulement pour les autres pays à l’échelle européenne, mais aussi pour les autres activités.

Nous avons donc la responsabilité de vérifier la portée effective de cette directive pour lutter contre la corruption, donc de nous assurer que la transparence est réelle, efficace, qu’elle permet d’éviter les contournements ou les ultimes dissimulations.

C’est la raison pour laquelle le groupe écologiste a déposé un certain nombre d’amendements sur ce thème inspirés, disons-le, par des associations fort respectables comme Oxfam ou le CCFD-Terre solidaire. Ce n’est pas le fétichisme des chiffres qui nous a poussés à le faire. C’est peut-être une obsession, mais qui ne fait pas preuve d’acharnement dans ce domaine peut renoncer à tout progrès. Ce que nous voulons, c’est l’efficacité, et c’est pourquoi nous voulons connaître en détail les activités des entreprises ou des banques. Nous agirons sans relâche en faveur de la transparence pour lutter contre l’évasion fiscale et la corruption.

Assurer une transparence efficace est tout à fait à notre portée. Nous devons tout d’abord nous assurer que les informations seront communiquées de manière gratuite et sous un format exploitable sur le site internet de l’entreprise. Il nous revient ensuite de légiférer sur la nature des données que devront diffuser les entreprises. Pour en avoir longuement discuté lors de la loi bancaire – vous vous en souvenez sans doute, chers collègues –, nous savons que cette question est très importante. Il est donc normal qu’il revienne à la représentation nationale de fixer les données qu’il nous est nécessaire de connaître. Enfin, les sanctions auxquelles seront soumises les entreprises récalcitrantes devront être réellement dissuasives, comme c’est le cas en Allemagne ou en Angleterre.

Une fois encore, c’est bien entendu la question de la concurrence qui pourrait compromettre notre objectif. Posons donc le problème. Au niveau européen, tout d’abord, le principe de publication étant inscrit dans la directive, chacun des pays de l’Union européenne le mettra en œuvre. Tous les États membres seront donc soumis aux mêmes obligations. Quant à la question des pays hors Union européenne, qui a été débattue au sein de la Commission et du Parlement, elle n’a pas empêché l’adoption de la directive. Il nous revient donc de l’appliquer, et nous n’avons plus à en discuter.

M. Christophe Caresche, rapporteur. C’est ce que nous faisons !

M. Éric Alauzet. Il faut l’appliquer de manière efficace, car la volonté politique n’était sans doute pas de fabriquer une coquille vide.

Sur la question du contrôle des garanties financières couvrant la responsabilité civile des exploitants nucléaires, un tout autre sujet, nous serons également force de proposition. Je m’associe aux propos tenus en commission par certains collègues qui faisaient part de leur inquiétude sur le fait que des décisions aussi importantes puissent être prises par le Gouvernement sans que le Parlement ait son mot à dire. L’assainissement de la finance requiert plus que jamais la plus totale transparence et le contrôle démocratique du Parlement.

Nous saluons le travail de rapporteur, qui a permis d’instaurer un véritable contrôle sur cette garantie, plutôt qu’une simple communication. Cependant, au regard des dangers inhérents à l’activité nucléaire, il nous paraît important de renforcer ces contrôles en les rendant réguliers, périodiques.

M. le rapporteur Christophe Caresche indiquait dans un propos liminaire en commission des finances qu’il n’y avait pas matière à un débat parlementaire dans certains cas. Il nous revient néanmoins d’utiliser les possibilités qui sont données au Parlement de faire évoluer le texte. Nous allons donc, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, vous présenter un certain nombre de suggestions pour améliorer la transparence des activités des entreprises réalisant des activités extractives.

Nous devons d’abord vérifier la portée effective de cette loi dans la lutte contre la corruption, donc nous assurer que la transparence est réelle, car c’est la condition pour qu’elle soit dissuasive en la matière. Par ailleurs, si les gouvernements ont exprimé lors du G8 de Deauville leur intention de lutter contre la corruption, il leur faudra également considérer le problème de l’évasion fiscale. S’attaquer conjointement à ces deux maux paraît non seulement opportun, mais aussi indispensable. Ces deux questions peuvent en effet être intimement liées, l’évasion fiscale étant parfois consubstantielle à la corruption. D’ailleurs, la transcription des directives nous autorise des marges de manœuvres plus ou moins larges. En outre, depuis mai 2011, trois ans et demi se sont écoulés durant lesquels la communauté internationale s’est mobilisée de manière extrêmement ambitieuse et déterminée sur cette dernière question. Ce débat est donc au cœur de l’actualité.

Enfin, nous partageons avec le rapporteur l’idée qu’il faut supprimer l’article sur l’open data permettant la réutilisation des données du secteur public et conserver la possibilité de débattre de ce sujet de manière approfondie.

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, le projet de loi dont nous débattons ce jour modifie positivement et substantiellement un nombre important de dispositions fondamentales en matière économique et financière qui relèvent, cela a été rappelé, du domaine du droit bancaire, du droit boursier et du droit des assurances, mais aussi du droit de la consommation, du droit comptable et de l’open data. Il comprend également des dispositions diverses relatives notamment au secteur du nucléaire.

Les deux premiers articles, tout d’abord, visent à habiliter le Gouvernement, conformément à l’article 38 de la Constitution, à transposer par voie d’ordonnance les dispositions relevant du domaine de la loi de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement. Ce mécanisme de résolution bancaire a été présenté le 6 juin 2012 par la Commission européenne. Les longues négociations qui ont suivi ont permis d’aboutir à un accord politique le 20 mars dernier qui a mené à l’adoption du texte par le Parlement européen le 15 avril ; les États membres sont tenus de le transposer avant le 31 décembre de cette année.

Le système conçu par la Commission a pour principal objectif d’éviter à l’avenir que ne se reproduisent les errements de la gestion de la crise financière de 2007 qui ont durablement installé la crise économique dans l’Union. En effet, en cas de liquidation, ce texte hautement négocié à Bruxelles – notamment par le commissaire Barnier, dont il faut saluer ici l’engagement – vise à faire porter la charge non plus sur les contribuables via des interventions de fonds publiques qui tendent à aggraver chaque fois un peu plus la crise de la dette dans le vieux continent, mais directement sur le secteur bancaire. Il s’agit donc enfin de découpler le risque bancaire du risque souverain, ce qui semble raisonnable.

Cet accord pour un nouveau mécanisme de résolution bancaire pour lequel nous allons autoriser le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance a été longuement commenté ces cinq derniers mois. Que propose-t-il ? La section 4 de la directive établit un système de renflouement interne, ou bail in, qui garantit que les contribuables, pour les dépôts non garantis de plus de 100 000 euros, ne soient sollicités qu’en dernier ressort pour assurer la trésorerie d’une banque en difficulté. En dernier recours, une mesure de « recapitalisation par mesure de précaution » restera possible. En effet, lors d’un renflouement interne, les règles voudront désormais que ce soient d’abord les actionnaires qui supportent les pertes et les créanciers qui assument ensuite les éventuelles pertes restantes en abandonnant tout ou partie de leurs avoirs. Ce renflouement s’appliquera jusqu’à 8 % de l’ensemble des avoirs perdus.

L’autorité de résolution bancaire proposera en outre à la banque l’accès au fonds de résolution, financé par les banques elles-mêmes, à hauteur de 5 % maximum des avoirs, si des ressources supplémentaires étaient nécessaires. En effet, le 21 mai dernier, outre la Suède et le Royaume-Uni, l’ensemble des États membres ont signé l’accord intergouvernemental sur le transfert et la mutualisation dans les huit prochaines années, des contributions au fonds de résolution unique mis en place dans le cadre de l’Union bancaire. Ce fonds doit atteindre à terme 1 % du total des dépôts garantis dans l’Union, un montant actuellement estimé à 55 milliards d’euros.

Notre rapporteur a indiqué en commission que, à ce stade, les critères retenus semblaient défavoriser les banques universelles à la française, demeurées d’ailleurs assez universelles en dépit de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013 portée par notre précédent ministre des finances. Selon notre rapporteur, la contribution du secteur bancaire français devrait se situer entre 20 et 30 milliards d’euros, du fait du risque systémique inhérent au modèle bancaire français évalué par la Commission, modèle réformé à la marge, selon l’aveu même des principaux protagonistes, lors des auditions médiatisées du printemps 2013. En effet, les nouvelles règles européennes relatives au bail in sont bien plus allantes que ce qui était prévu dans la loi bancaire française, ce que les radicaux de gauche n’avaient pas manqué de souligner à l’époque.

À ce sujet, le lien établi par notre rapporteur entre la pérennité de la taxe de risque systémique, dont le produit annuel s’élève désormais à 1 milliard d’euros, et qui alimente pour moitié le fonds de soutien créé à l’article 92 de la loi de finances 2014 destiné aux communes, départements, régions et groupements qui ont souscrit des emprunts dits « toxiques », et le niveau de la contribution en négociation du secteur bancaire français au Fonds de résolution unique semble un peu rapide.

En effet, la remise en cause, même partielle, de la pérennité de la taxe bancaire française sur le risque systémique, dont notre assemblée a pourtant doublé le taux en loi de finances 2014 et qui est également reversée pour partie au budget général de la France, ne doit ni fragiliser le dispositif de soutien de nos collectivités à peine voté par notre assemblée – désormais, l’ensemble des contrats de prêts structurés est légalement validé, ce que nous avons regretté – ni occasionner de pertes de recettes au budget général. La décision de préserver l’universalité de nos banques en 2013, largement commentée l’année dernière, ne doit en aucun cas engendrer à moyen terme de double peine pour le contribuable, au plan local comme aux plans national ou supranational ; nous serons particulièrement vigilants sur ce point.

Le projet de loi dont nous débattons ce jour sollicite aussi notre habilitation en vue de la transposition de la directive « Solvabilité II », qui tend à renforcer la solvabilité des assurances et leur résistance face au risque de défaut. Cette réforme s’inspire de celle du secteur bancaire contenue dans le paquet CRD 4, la directive européenne relative aux fonds propres réglementaires, ce dont nous nous félicitons. Nous saluons également le renforcement à l’article 9 des pouvoirs du président de l’Autorité des marchés financiers en matière d’interdiction des ventes à découvert.

Ce texte de loi transpose par ailleurs la directive relative à l’harmonisation des obligations de transparence concernant l’information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé, et permet aussi d’alléger certaines obligations qui pesaient sur les émetteurs de titres financiers, et plus particulièrement sur les petites et moyennes entreprises. Nous y sommes bien évidemment favorables.

De même, nous soutenons les modifications apportées en commission aux articles 5 et 21 : il est tout à fait essentiel de prévoir explicitement que le ministre chargé de l’économie et des finances contrôle le respect de l’obligation d’assurance par les exploitants nucléaires, de même qu’il paraît utile, au sujet de la réutilisation des données du secteur public, de permettre un débat parlementaire sur les mesures qui devront être transposées en droit français à l’occasion de la future loi sur le numérique.

Concernant la transposition de la directive comptable, qui impose notamment aux entreprises du secteur extractif et forestier la publication annuelle d’un rapport sur les sommes excédant 100 000 euros annuels qu’elles versent aux autorités locales des pays dans lesquels elles procèdent, ce dont il faut se féliciter, nous souhaitons que les députés socialistes aient trouvé un accord avec le Gouvernement depuis nos travaux en commission pour en effet rendre publiques et accessibles ces informations dans le contexte actuel du nombre croissant de contrats pétroliers et miniers dans certains pays, comme la Guinée.

Enfin, le groupe RRDP salue l’annonce par notre rapporteur, à la suite de celle de la secrétaire d’État chargée du commerce, de la création prochaine d’un comité de pilotage incluant parlementaires et représentants des associations de consommateurs, pour suivre la transposition de la directive relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation. En effet, l’article 11 du projet de loi tend à généraliser les procédures de médiation, qui sont très hétéroclites en France ; il existe des médiateurs d’entreprise, des médiateurs interentreprises, des médiateurs sectoriels, comme le médiateur national de l’énergie. Leur coexistence apparaissant difficile à terme, la création d’un comité de pilotage permettra d’opérer une clarification nécessaire sur le plan économique et budgétaire.

Vous l’aurez compris, le groupe RRDP votera ce texte avec, je vous le dis franchement, plus d’allant qu’il n’a voté la loi bancaire française.

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne ;

Accord France-États-Unis relatif au respect des obligations fiscales ;

Deuxième lecture de la proposition de loi relative aux taxis.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly