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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 07 janvier 2014

Présidence de M. Christophe Sirugue

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Agriculture, alimentation et forêt

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (nos 1548, 1639, 1614 et 1604).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de huit heures quinze minutes pour le groupe SRC, dont deux cent quarante-cinq amendements sont en discussion, onze heures trente-sept minutes pour le groupe UMP, dont sept cent cinquante-cinq amendements sont en discussion, trois heures vingt-neuf minutes pour le groupe UDI, dont cent trente et un amendements sont en discussion, une heure trente-sept pour le groupe écologiste, dont cent dix amendements sont en discussion, une heure quarante pour le groupe RRDP, dont trente et un amendements sont en discussion, une heure cinquante pour le groupe GDR, dont quatre-vingt-dix-huit amendements sont en discussion, et quarante minutes pour les députés non inscrits.

Discussion générale (suite)

M. le président. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur pour avis de la commission du développement durable, mes chers collègues, j’aime l’idée qu’« humus » et « humilité » aient la même racine. Je souhaite donc commencer en rendant un hommage à nos pères, qui furent pionniers ; pionniers du modèle coopératif et mutualiste en France pour l’agriculture, pionniers des lycées et de l’enseignement agricole qui, encore aujourd’hui, fait école ; pionniers des lois sur le fermage et les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER, qui ont été une véritable révolution dans les rapports du capital et du travail ; pionniers également dans la réussite de cette formidable épopée technique de l’après-guerre ; pionniers, enfin, sont ceux qui ont osé, à contre-courant, innover pour aller vers de nouveaux modèles de développement. Nous leur devons un profond respect et devons puiser dans leur modèle la force de réformes radicales, comme le furent les lois Pisani en leur temps.

Nous vivons des temps nouveaux, porteurs de promesses et de menaces. Au nombre des promesses figurent le progrès d’une conscience mondiale universelle du rapport à la nature conçue comme un bien commun et d’une culture de la qualité, se substituant à un consumérisme qui donne des signes de fatigue. Mais il y a également des menaces : dans le monde agricole, à la figure traditionnelle du cumulard s’est substituée la capacité délétère de certaines sociétés financières. Au cycle des innovations multiples et aux coopératives, se sont substitués potentiellement les monopoles de la privatisation du vivant. Sur les échanges régulés et les équilibres pèsent des risques importants liés à des cycles de marché qui doivent autant au risque spéculatif et aux menaces spéculatives qu’au chaos climatique.

Face à ces menaces, la bonne réponse n’est pas un compromis tiède entre des contraires : régulation et liberté d’entreprendre, productivité et écologie, exportation et qualité. Il faut, au contraire, affirmer, au nom même de la modernité, que la capacité d’entreprendre pour tous passe par des régulations du marché et du foncier. Oui, au nom même de la modernité, nous devons affirmer que la véritable compétitivité passe par la redécouverte de l’agronomie. Oui, nous devons rappeler – et le groupe socialiste est fier d’y avoir contribué – qu’un sixième de l’humanité souffre de la faim tandis qu’un autre sixième souffre d’obésité et que, comme l’a indiqué il y a vingt ans le groupe de Seillac, nous aurons besoin, pour nourrir le monde, de toutes les agricultures du monde.

Ce projet de loi qui ouvre des voies nouvelles est novateur, défriche : il permet de renouveler les générations ; il est, à travers le groupement d’intérêt économique et environnemental, le GIEE, un laboratoire grandeur nature pour l’agroécologie ; il ouvre des perspectives de rééquilibrages commerciaux dans les filières interprofessionnelles ; il choisit de privilégier le biocontrôle et fixe certains interdits pour la phytopharmacie ; il confie des missions nouvelles à l’enseignement, à la recherche et au développement ; il apporte des valeurs ajoutées multiples à la forêt et des éléments de protection et de partition des terres.

À cet égard, j’ai relu les dernières lignes de La Terre , d’Émile Zola : « Rien ne restait de la ferme [de la Borderie et de ses inventions nouvelles]. Mais, qu’importait ! Les murs pouvaient brûler, on ne brûlerait pas la terre. Toujours la terre, la nourrice, serait là, qui nourrirait ceux qui l’ensemenceraient. Elle avait l’espace et le temps. » La nécessité de la maîtriser, de la contrôler, de la partager au bénéfice du plus grand nombre est la mère de toute politique agricole, sous toutes les latitudes.

Chaque pas que nous ferons pour revenir sur le laisser-faire de 2006 est un pas vers l’installation et l’agroécologie. Pour cultiver les champs du futur, il ne s’agit pas tant d’être nostalgique d’un âge d’or ou d’un modèle héroïque que de retrouver l’esprit qui l’a fondé et qui pourrait en animer d’autres dans les temps présents. Saisissons avec force le mouvement enclenché par les premiers éléments transformateurs de la PAC et de ce projet de loi d’avenir.

La France a de formidables atouts : ses grands espaces, la diversité de ses terroirs et de ses savoir-faire, le génie de la recherche et la sagesse paysanne. Dans la phase de transition actuelle, nous savons que nous avons besoin d’une boîte à outils, dont le plus précieux est la boussole. Or celle de notre famille politique, c’est la justice. Nous sommes heureux d’avoir fixé la justice et l’emploi comme objectifs de cette reconquête.

En effet, la saignée démographique de l’après-guerre était la conséquence d’une mutation globale. Sa poursuite est un non-sens, au regard des trois millions de chômeurs que compte le pays et du défi du XXIsiècle : nourrir neuf milliards d’hommes en 2050 tout en divisant par deux l’usage des pesticides.

L’agroécologie peut résoudre cette équation a priori impossible, mais elle aura besoin pour cela tout autant du génie des chercheurs que de celui des paysans. Elle doit être une contribution à une vie rurale qui ne peut se résoudre à choisir entre le désert ou le résidentiel périphérique. Nous voulons donc donner un avenir à l’agriculture et à nos territoires ruraux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Monsieur le président, monsieur le ministre – le président de la commission du développement durable est absent, puisque cette commission tient actuellement une réunion, dont je sors, sur le texte relatif aux ondes électromagnétiques –, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, au cours d’une législature n’est votée, au mieux, qu’une seule grande loi majeure concernant l’agriculture. Lors des deux précédentes législatures, notre majorité avait cependant fait voter deux textes significatifs pour ce secteur : la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006 et la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010.

Ce dernier texte, adopté après la grave crise agricole de 2008 et 2009, a fixé un cap : garantir à tous les Français une alimentation de qualité. Il a également jeté les bases d’un nouveau modèle agricole reposant sur trois principes : la transparence dans les pratiques commerciales, la contractualisation obligatoire et l’organisation des producteurs.

Alors que l’agriculture constitue pour notre pays un enjeu économique décisif, qu’elle est incontestablement une richesse pour nos territoires et qu’en 2010, 490 000 exploitations étaient recensées en France, dont les territoires ruraux couvraient près de 86 % de la superficie en métropole, nous attendions du Gouvernement un texte ambitieux, fort et qui réponde réellement aux enjeux du secteur agricole.

En ma qualité de porte-parole du groupe UMP au sein de la commission du développement durable, je tiens à saluer la qualité des travaux réalisés au sein de cette commission. Saisis pour avis, ses membres ont néanmoins travaillé sur vingt-deux des trente-neuf articles qui composaient le projet de loi initial. Plus de cent quatre-vingts amendements ont ainsi été débattus.

Pour avoir personnellement suivi l’ensemble des travaux de la commission des affaires économiques – qui se sont achevés un vendredi matin à cinq heures, j’étais présent –, je salue également l’accueil réservé par le président Brottes aux députés qui n’étaient pas membres de la commission saisie au fond, le niveau des échanges que nous avons pu avoir et vos engagements, monsieur le ministre.

À cet égard, je regrette que, sur le sujet des ordonnances, nous n’ayons pas obtenu plus de clarté et de transparence. Certes, j’ai compris que le texte serait soumis à une deuxième lecture, mais – et je vous ai personnellement interpellé à ce sujet – je suis sûr que vous pourrez, d’ici à vendredi, nous apporter un peu plus de précision en la matière.

En tant qu’élu de la montagne, je me félicite de certaines avancées qui ont été obtenues dans le cadre de ce projet de loi. L’esprit de l’association nationale des élus de la montagne a soufflé pendant les travaux de la commission – n’est-ce pas, madame la présidente ? –…

Mme Frédérique Massat. Absolument, et il va continuer à souffler.

M. Martial Saddier. …et j’en suis fier.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Il a soufflé trop fort !

M. Martial Saddier. Jamais assez fort, monsieur le ministre. N’allez jamais contre le vent de la montagne ! (Sourires.)

M. Stéphane Le Foll, ministre. Jamais !

M. Charles de Courson. Demandez à Mme Merkel ! (Rires.)

M. Martial Saddier. Je me félicite, disais-je, des avancées permises par le projet de loi, notamment la prise en compte de la spécificité de l’agriculture de montagne.

Dans ces territoires, la politique agricole est probablement plus importante que dans n’importe quel autre. C’est ainsi que le rôle fondamental de l’agriculture en matière d’aménagement et d’accessibilité des territoires, et plus particulièrement en montagne, a été réaffirmé lors des travaux de la commission. Est également désormais inscrite dans le projet de loi la reconnaissance de l’importance des activités d’élevage et du pastoralisme pour l’aménagement et le développement du territoire.

L’agriculture de montagne étant spécifique, il était donc nécessaire, pour qu’elle soit défendue, qu’un représentant du Conseil national de la montagne – qui est le véritable Parlement de la montagne dans la République française – issu du collège des élus puisse siéger au Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et agroalimentaire, le CSO, et qu’une représentation minimale d’élus de la montagne dans les commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, les CDPENAF, comprenant des zones de montagne, puisse être assurée.

C’est également en ce sens que je défendrai un amendement prévoyant que la commission permanente du comité de massif soit saisie et rende un avis sur le projet de plan régional de l’agriculture durable.

De nombreuses avancées notables ont également été obtenues dans le domaine de la forêt. En ma qualité de président du Conseil national de l’air, et au moment où la pollution de l’air est un véritable enjeu de santé publique et où une procédure de précontentieux a été ouverte par la Commission européenne à l’encontre de la France et de dix-sept autres pays, je me réjouis tout particulièrement de l’affirmation, dans le projet de loi, de la contribution de l’agriculture, dans l’ensemble de ses composantes, à la lutte contre le changement climatique et de la prise en compte du rôle de la forêt dans la qualité de l’air que nous respirons au quotidien.

Nos débats ont en effet permis la reconnaissance du rôle essentiel des bois et forêts en matière de protection de la qualité de l’air dans le cadre d’une gestion durable, tout en rappelant sa contribution à la lutte contre le changement climatique.

Ont, en outre, été adoptés des amendements améliorant la desserte, l’exploitation et le stockage des bois, ouvrant la possibilité d’un recours à l’arbitrage en cas de litige – cela constituait un véritable blocage pour la bonne exploitation et le bon renouvellement de la forêt, notamment en zones de montagnes –, et veillant à la maîtrise du foncier agricole dans les zones montagneuses.

Le rôle d’intérêt général des SAFER et leurs moyens d’action ont également été confirmés par le texte. Par ailleurs, en cas de risque d’atteinte aux signes protégés, une nouvelle disposition permet aux organismes chargés de la protection des appellations d’origine protégée – AOP – et des indications géographiques protégées – IGP – de s’opposer en amont à l’enregistrement d’une marque – et permettez-moi d’évoquer à ce propos la première IGP pommes et poires européenne des Savoie, puisque j’ai eu l’honneur de tenir la plume lorsque je travaillais à la chambre d’agriculture de Haute-Savoie ! Cette nouvelle mesure adoptée en commission des affaires économiques est un signal fort en matière de protection de notre terroir, la France anticipant ainsi les futures règles européennes sur ce sujet.

Je vous remercie enfin, monsieur le ministre, d’avoir pris en compte les inquiétudes des agriculteurs quant à l’application de la majoration obligatoire de la valeur locative cadastrale de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Ainsi a pu être adopté, le 15 novembre dernier, un amendement excluant de la majoration obligatoire les terrains utilisés pour les besoins d’une exploitation agricole, y compris les terrains en jachère.

Cet amendement prévoit, de plus, le report à 2015 de l’entrée en vigueur de la majoration automatique en zone tendue. Toutefois, monsieur le ministre, sur ce sujet, le combat n’est qu’à moitié gagné. Un décret de juin, passé inaperçu, a créé, de par son arbitraire, une situation qui n’a ni queue ni tête, je vous le dis comme je le pense. Il remet en cause le fondement même de la loi « montagne » et de la loi « littoral » et revient sur quarante ans de protection des terres agricoles dans ces zones. Au-delà des avancées obtenues, je vous demande solennellement, à vous et à Mme Duflot, de revoir ce dispositif dans l’année.

En dépit de ces quelques évolutions, que je considère comme positives – jusque-là, monsieur le ministre, j’ai été très sympa, mais cela va se gâter un peu –…

M. Stéphane Le Foll, ministre. C’est la montagne ! (Sourires.)

M. Martial Saddier. …votre projet de loi reste en deçà de nos espérances et des attentes des professionnels et exploitants du secteur agricole. Les mesures qui y figurent ne permettront absolument pas à ce secteur, fer de lance pour de nombreux territoires, de se moderniser, d’innover et encore moins d’être compétitif face à nos partenaires étrangers. J’en suis, en tout cas, persuadé à ce stade, mais nous verrons ce qu’il ressortira de nos discussions d’ici à vendredi.

Votre majorité prône un « choc de simplification », promesse réitérée par le Président de la République lors de ses vœux aux Français le 31 décembre dernier. C’est pourtant franchement un véritable choc de complexification que vous imposez aux acteurs de ce secteur. Augmentation du nombre de données, réforme du fonctionnement des interprofessions, modification des critères relatifs au contrôle des structures et à l’assujettissement au régime des non-salariés agricoles : autant de mesures prises probablement de bonne foi mais qui alourdiront très rapidement le quotidien des agriculteurs.

Notre inquiétude est d’autant plus grande que les mesures que la majorité a adoptées ces dix-huit derniers mois ne vont pas du tout dans le bon sens. Dans ma circonscription, les nombreux agriculteurs que je rencontre – et l’agriculture représente environ la moitié de l’activité économique dans ma circonscription – me font par de leur désarroi face à une pression fiscale qui devient tout simplement insupportable et à une baisse considérable des aides à l’installation et à la modernisation des exploitations dans les différentes lois de finances. Leurs charges ont drastiquement augmenté du fait de la réforme du dispositif d’exonération des cotisations patronales pour l’emploi de travailleurs saisonniers agricoles.

Pour moi qui étais chargé du secteur viticole, horticole et arboricole, les signaux donnés à ces secteurs de l’agriculture qui emploient le plus de main-d’œuvre en Europe sont véritablement insuffisants dans ce texte de loi. C’est, pour moi, le plus grand manque, car leurs attentes sont immenses. À côté des dispositions qui ont déjà été catastrophiques pour le secteur agricole, ce projet de loi, sous couvert d’un « verdissement » de l’agriculture risque de stigmatiser un peu plus cette profession en supposant, ce qui est totalement faux, qu’elle n’intégrerait pas les critères d’un développement durable.

Par des mesures telles que le groupement d’intérêt économique et environnemental, votre majorité risque de favoriser une agriculture à deux vitesses en conférant aux agriculteurs qui pourront être membres de ce groupement la possibilité de voir leurs aides bonifiées alors qu’il n’en sera pas de même pour les autres. L’article 4 a été l’objet d’intenses débats au sein de nos différentes commissions. À l’heure actuelle, je ne suis toujours absolument pas convaincu du bien-fondé de la généralisation du bail environnemental.

S’agissant du volet concernant la politique forestière, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt – et je suis certain que vous également – l’avis du Conseil économique, social et environnemental, qui s’interroge sur l’efficacité des actions prévues par la loi ; je partage pleinement ce point de vue. Alors que les plans pluriannuels régionaux de développement forestier commencent à porter leurs fruits, vous souhaitez, monsieur le ministre, mettre en place des programmes régionaux de la forêt et du bois dont on ne perçoit pas les réelles améliorations qui pourraient être apportées.

De plus, la pérennité des actions déjà engagées dans les PPRDF n’est pas garantie. Je vous ai déjà interpellé sur l’engagement des chambres d’agriculture dans ce domaine, qui ont embauché du personnel, avec un statut spécial, celui des chambres d’agriculture. Elles ne peuvent pas, du jour au lendemain, d’un claquement de doigts, stopper les actions en cours. Je vous demande donc de les accompagner sur ce point et de leur accorder une période de transition.

Je défendrai notamment un amendement visant à réduire le seuil des GIEEF en zone de montagne. Certes, un geste a été fait, mais vingt propriétaires regroupant 100 hectares, c’est encore trop élevé dans certaines zones de montagne. Je vous ai interrogé sur ce point lors d’une réunion de la commission des affaires économiques, mais je n’ai pas obtenu de réponse claire. Les collectivités territoriales pourront-elles, oui ou non, faire partie d’un GIEEF dans les zones de montagne ? Ne pas les associer, alors qu’elles possèdent la plupart du temps les plus grandes surfaces forestières, ce serait exclure les GIEEF des zones de montagne.

Mes chers collègues, il est impératif qu’à l’issue de nos débats, vendredi, ce texte devienne une réelle loi d’avenir pour notre agriculture et nos territoires. J’en conviens, la tâche est rude, mais elle est primordiale, car l’agriculture est une de nos richesses fondamentales. Elle est le fruit du travail acharné de femmes et d’hommes passionnés par leur métier et qui se donnent sans compter. Nos terres, nos territoires, notre terroir sont l’un des biens les plus précieux que nous avons et que nous laisserons à nos enfants. Il est donc de notre devoir de travailler et d’adopter un projet de loi qui définisse de réelles orientations à long terme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour assurer l’avenir d’un secteur économique comme l’agriculture, il faut commencer par analyser le niveau de sa compétitivité par rapport aux autres agricultures, qu’elles soient européennes ou extra-européennes. En effet, un secteur n’a d’avenir que s’il est compétitif. Or, en matière agricole, la compétitivité globale de l’agriculture, de la viticulture, de la forêt et, plus largement, de l’agro-industrie françaises diminue globalement, comme le montre la dégradation de notre balance commerciale – thermomètre de la compétitivité – en matière de produits alimentaires, même si des créneaux tels que la viticulture haut de gamme et le secteur céréalier, celui de l’orge notamment, sont très compétitifs.

Les véritables questions sont donc les suivantes : quelles sont les causes de cette dégradation et ce projet de loi contribue-t-il à améliorer la compétitivité de notre agriculture et de notre agro-industrie – je me tue à dire, depuis vingt et un ans que je suis député, que l’on ne peut pas concevoir une politique agricole sans une politique agro-industrielle ?

Tout d’abord, existe-t-il, dans ce projet, des mesures permettant de réduire les charges qui pèsent sur l’agriculture ? Fort peu, mes chers collègues ! En matière de coût du travail, il n’y a rien ! Pire, au cours des dix-huit derniers mois, le coût des charges sociales a été accru : les exonérations en matière de travail occasionnel ont été réduites – ce qui est une véritable erreur, monsieur le ministre, et je vous l’ai dit – et l’exonération des charges sociales et fiscales sur les heures supplémentaires a été supprimée. L’agriculture et l’agro-industrie sont touchées, comme tous les autres secteurs. Les mesures d’exonérations que nous avions obtenues, le fameux « un euro sur les bas salaires » uniquement pour les contrats à durée indéterminée, n’ont pas été mises en œuvre.

M. Germinal Peiro, rapporteur de la commission des affaires économiques. Fillon ne l’a pas appliquée non plus !

M. Charles de Courson. La mesure a été votée : il ne restait plus qu’à l’appliquer ! Or, vous avez conservé la recette, mais vous avez supprimé la dépense. Je vous rappelle qu’il s’agissait de rétablir un équilibre entre les CDI et le travail occasionnel puisqu’une partie des mesures prises jusqu’à ce jour tendait à fragiliser la main-d’œuvre permanente. En matière de CICE, les entreprises imposées selon un régime forfaitaire ont été exclues, au motif qu’elles emploient peu de salariés. Ce n’est pas tout à fait exact : certaines d’entre elles en emploient.

En dépit du vote de l’extension de la mesure aux coopératives – il est vrai, contre la volonté de votre collègue ministre du budget –, les négociations européennes piétinent. Nous avions déposé un amendement afin de substituer, pour les coopératives, un système d’exonération de charges au CICE – cela aurait, du reste, été bien plus simple si on l’avait fait pour tout le monde : nous n’aurions pas encore ces débats interminables. Mais notre amendement n’a pas été retenu.

En matière fiscale, votre texte ne prévoit rien non plus. Vous me répondrez que cela relève de la loi de finances. Non ! Car il n’y a, hélas, pas de monopole de la loi de finances. Au cours de ces dix derniers mois, quelques petites améliorations ont été apportées en matière de DPI – déduction pour investissement – et de DPA – déduction pour les aléas.

L’imposition, prévue dans la dernière loi de finances, des revenus des associés non-exploitants dans les sociétés agricoles – mesure qui, si elle est déférée à la Cour européenne de justice, risque fort d’exploser en vol –, a été décidé pour financer une extension des droits à retraite qui relèvent, non pas d’un financement au sein de la profession, mais d’un financement par la solidarité nationale. Ces personnes bénéficient, en effet, de ces prestations sans cotisation : il s’agit du régime complémentaire. Une telle mesure n’est pas de nature à attirer des capitaux dans l’agriculture. Or celle-ci, comme l’agro-industrie, a besoin de capitaux. Pour les attirer, il ne faut pas les taxer, car la rentabilité doit être raisonnable par rapport à celle d’autres biens.

Quant à la réduction des charges de mécanisation, depuis la création des CUMA – coopératives d’utilisation du matériel agricole –, on ne peut pas dire qu’elle ait été favorisée par des mesures particulières. Dès lors, de plus en plus d’agriculteurs sous-traitent. On aboutit même, monsieur le ministre, à des formes d’organisation de l’agriculture dans lesquelles l’essentiel est sous-traité, de sorte qu’il existe aujourd’hui de faux exploitants : ils sont juridiquement exploitants, mais ils sous-traitent quasiment tout, ce qui n’est pas illégal en l’état actuel du droit.

Plus généralement, l’accroissement des contraintes environnementales se traduit le plus souvent par une variation du revenu négative. En effet, la variation des rendements, en général à la baisse, n’est compensée ni par une hausse de prix à la vente – tous les producteurs de bio savent que, dans l’immense majorité des cas, une chute du rendement de 10 ou 20 % n’est pas compensée par des hausses de prix équivalentes – ni par une réduction des charges liée à de nouvelles pratiques culturales.

En matière de simplification, on nous parle beaucoup de « choc ». Nous l’attendons ! S’agissant des procédures administratives, par exemple, nous constatons qu’il y a beaucoup de promesses et peu de réalisations. Certes, vous avez évoqué des projets concernant les installations classées, mais c’est très limité.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Quand même !

M. Charles de Courson. Parmi les exploitants qui subissent ces contraintes, certains considèrent qu’une nouvelle fois, vous n’êtes pas parvenu à simplifier. Vous n’êtes pas les premiers : d’autres ont essayé !

Quel est donc le bilan en matière de réduction des charges ? Il n’y en a pas ; les charges sont même plutôt en hausse.

J’en viens maintenant à un deuxième sujet central : ce projet de loi comporte-t-il des mesures efficaces pour accroître les prix payés aux agriculteurs et aux industries agroalimentaires ? J’ai refusé de voter le projet de loi de votre prédécesseur, M. Le Maire, qui m’en a un peu voulu, car il ne s’attaquait pas au problème de fond, qui était déjà celui de la compétitivité.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Mais vous allez voter le mien !

M. Charles de Courson. Non, et je m’en expliquerai ultérieurement.

M. Germinal Peiro, rapporteur. Il y a deux poids deux mesures !

M. Charles de Courson. Si vous voulez assurer l’avenir de l’agriculture, monsieur le ministre, il convient de rééquilibrer les relations entre la grande distribution et le monde agricole. La France connaît, en matière de produits alimentaires, le système de distribution le plus concentré du monde occidental : cinq centrales d’achat tiennent environ les deux tiers du marché, et la situation s’aggrave de décennie en décennie. J’ajoute que, si l’on se penche sur les chiffres locaux, zone de chalandise par zone de chalandise, on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas des deux tiers, mais parfois de 80 % du marché ! Or en termes de droit de la concurrence, c’est le critère pertinent.

Face à l’éparpillement de l’offre dans beaucoup de secteurs, les centrales d’achat peuvent imposer leur volonté aux producteurs – avec les méthodes que chacun connaît –, mais aussi, et plus souvent d’ailleurs, aux industriels de l’agroalimentaire qui eux-mêmes répercutent sur les producteurs, aussi bien en matière de prix que de conditions de vente.

Une politique courageuse ne consiste pas à prôner la contractualisation. Cette idée de notre collègue Le Maire, quoique sympathique, n’a que peu réussi, voire pas du tout, pour la bonne raison qu’elle ne pouvait pas réussir : vous aurez beau préconiser autant que vous le voudrez la contractualisation, cela ne peut pas marcher quand il existe un tel déséquilibre entre l’offre et la demande.

En la matière, seule vaut une politique de décartellisation qui consiste à établir que l’on ne peut pas occuper plus de 5 % ou 7 % d’un marché, sinon il n’y a plus de libre concurrence.

Hélas, la part des matières premières agricoles dans le prix des aliments baisse constamment. Il y a quelques exceptions, par exemple le champagne. Dans ce cas, cela s’explique facilement : un cartel fait face à un autre. Dans cette situation, soit on tombe d’accord, soit c’est l’épreuve de force. En Champagne, on a toujours réussi à conclure des accords, lesquels, vous le savez, accordent un tiers du prix de la bouteille au producteur. C’est pour cette raison que le raisin vaut entre 5,50 euros et 6 euros le kilo. Si les producteurs étaient dispersés, comme c’est le cas dans d’autres zones viticoles, avec une multitude de syndicats qui se tirent dans les pattes face à un cartel des acheteurs, il est évident que le prix du raisin baisserait – pas besoin d’avoir fait des études d’économie poussées pour le comprendre.

Or, sur cette question, qu’y a-t-il dans votre texte ? Vous mettez en avant l’idée de médiation. C’est sympathique ; c’est gentil, comme dirait notre rapporteur, mais en réalité, monsieur le ministre, vous ne vous attaquez pas au problème de fond qui est celui de la cartellisation.

Quand un gouvernement courageux osera-t-il s’attaquer au problème et fixer des plafonds par zone de chalandise – et non en déterminant un taux national ? C’est possible ; d’autres pays l’ont fait, dont les États-Unis.

M. Germinal Peiro, rapporteur. Et vous, que proposez-vous ? Pourquoi n’avez-vous rien fait quand vous étiez dans la majorité ?

M. Thierry Benoit. Nous étions minoritaires dans la majorité ! (Sourires.)

M. Charles de Courson. Monsieur Peiro, j’assume ma minorité. La vérité appartient d’ailleurs plus aux minoritaires qu’aux majoritaires.

M. Germinal Peiro, rapporteur. J’ai suffisamment été minoritaire pour le savoir !

M. Charles de Courson. Je le sais, mon cher collègue, et je sais aussi que, sur ce point, vous partagez assez largement mes positions, mais pas plus que moi vous n’avez réussi à être majoritaire.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Avec un petit effort, vous allez le devenir, monsieur de Courson !

M. Charles de Courson. Quoi qu’il en soit, le problème de fond est bien là. Vous ne redresserez pas l’agriculture française si vous ne vous y attaquez pas.

J’en viens à une troisième question centrale : y a-t-il dans ce projet de loi des mesures traduisant une stratégie en matière d’agro-industrie ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. Non !

M. Charles de Courson. Force est de constater, monsieur le ministre, qu’il y a une très grande frilosité quant à l’accroissement des efforts de recherche. Où est la cohérence – la vôtre et celle de vos prédécesseurs – en matière d’OGM, pour prendre un exemple pathologique, quand vous refusez la recherche en la matière en France tout en acceptant d’importer des produits alimentaires intégrant des OGM ? Aucun esprit rationnel ne peut le comprendre. Or je crois en la raison, ce qui est d’ailleurs une grave erreur en politique. (Sourires.)

M. Germinal Peiro, rapporteur. Nous y croyons nous aussi !

M. Charles de Courson. Je pense que la raison finit par triompher un jour ou l’autre, même s’il faut parfois dix ans, vingt ans, parfois même trente ans.

Au surplus, je m’honore d’appartenir à l’infime minorité – moins de trente parlementaires – qui a voté contre la constitutionnalisation du principe de précaution. Je ne suis pas hostile à ce principe en lui-même, car il relève du bon sens, mais en le constitutionnalisant sans le définir dans un texte de loi et en renvoyant aux magistrats le soin de le faire, on est sûr d’aboutir à une catastrophe, que nous sommes, de fait, en train de vivre. Face à la masse de parlementaires, de toutes sensibilités politiques, ayant voté à une majorité écrasante, nous ne fûmes que 27, je crois, sur près de 920 parlementaires, à nous y opposer. Vous rendez-vous compte de l’état de délabrement de la raison humaine dans lequel nous sommes ? (Rires.)

Aurez-vous le courage, monsieur le ministre, d’expliquer à vos amis – ceux de votre parti –, mais aussi à l’opposition…

M. Stéphane Le Foll, ministre. Il est plus difficile de convaincre l’opposition !

M. Charles de Courson. Je suis déjà convaincu. Je pourrai même vous aider… Aurez-vous le courage, demandais-je, d’expliquer la nécessité de mettre un terme à cette dérive et, à tout le moins, de continuer l’expérimentation ? Prenons garde, en effet, au fait que l’un des éléments de la compétitivité à long terme de l’agriculture et de l’agro-industrie tient à la distinction entre les bons OGM et les mauvais. Or, pour ce faire, encore faut-il expérimenter.

Oui, il y a de bons OGM – ceux dont le bilan est positif – et de mauvais – ceux dont le bilan est négatif.

Certains pensent que tout est soit noir soit blanc et que les OGM, par principe, sont mauvais. Je vois ici l’une de nos collègues Vertes, que j’aime beaucoup, notre chère viticultrice.

Madame Allain, mangez-vous encore des cacahuètes ? (Rires.)

M. Thierry Benoit. Sans doute pas !

M. Charles de Courson. Eh bien, je suis sûr que vous en avez mangé récemment, pendant les fêtes. (Sourires.) Ce fait, vous avez mangé des OGM et, malgré cela, vous m’avez l’air d’être toujours en bonne santé. Soyons donc un peu rationnels. Il y a probablement de bons et de mauvais OGM. Or la recherche française conduite par les entreprises privées, notamment en matière de semences, s’est largement délocalisée. J’ai rencontré les responsables de ces entreprises qui m’ont demandé : « Comment voulez-vous que nous expérimentions en France ? Nos champs d’expérimentation sont détruits. » Il faut mettre fin à l’obscurantisme et revenir à la raison.

Par ailleurs, y a-t-il une action politique pour encourager l’internationalisation de notre industrie agroalimentaire et le renforcement des structures de l’agro-industrie française ? On ne trouve rien de particulier dans ce texte.

À ceux de nos collègues qui aiment le bio, je veux dire que c’est aussi mon cas. Le matin, à l’Assemblée, j’apporte mon pot de miel bio. (Sourires.)

Les circuits directs, les créneaux de l’agriculture bio sont certes porteurs, mais si l’on atteint un jour 5 % de la production – en moyenne, bien sûr, car cela dépend des secteurs – ce sera déjà bien. De là à faire croire que l’avenir de l’agriculture française, c’est que tout le monde fasse du bio… Mes chers collègues, on va organiser la famine du monde ! (« Mais non ! » sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

Bien sûr que si, mes collègues : si nous avions 100 % de bio en France, avec des chutes de rendement de 20 %, 30 %, voire 40 %, comment nourririons-nous le peuple français ? Nous en reviendrions à la situation de l’entre-deux-guerres. À l’époque, nous importions des produits alimentaires. Il nous a fallu attendre la fin des années cinquante et la révolution agricole pour redevenir exportateurs.

Il faut expliquer que, pour notre agriculture, les grands marchés sont à chercher en Europe, mais aussi en Asie et en Afrique. C’est là que se joue l’avenir de l’agriculture française.

En conclusion, monsieur le ministre, ce texte contient quelques bonnes petites choses, mais il n’est pas à la hauteur des enjeux fondamentaux que doivent affronter l’agriculture et l’agro-industrie françaises. Ce sont pourtant là des atouts de notre pays. Nous n’en avons pas énormément – il y a quelques créneaux, dont l’aéronautique et l’agro-industrie. Or un peuple qui gère bien ses affaires renforce ses atouts et essaie de panser les plaies de secteurs en difficulté. Pour l’UDI, ce texte est une petite loi qui n’aborde pas les questions centrales de l’avenir de l’agriculture. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Thierry Benoit. Cela valait le coup d’écouter !

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, le texte qui nous est présenté aborde la question agricole de manière ouverte en faisant le lien avec l’alimentation et l’écologie, mais aussi en posant la question de l’enseignement agricole et de la recherche. Je ne traiterai que certains de ces points, ma collègue Brigitte Allain ayant déjà abordé les autres.

L’introduction de la notion d’agroécologie vise à changer les modes de production pour aller vers un respect des agriculteurs, de l’environnement et des consommateurs. C’est un atout pour la France, pour l’agriculture et les agriculteurs et ce doit être un enjeu majeur pour notre économie. Par ailleurs, le concept d’agroécologie est observé avec grand intérêt par plusieurs de nos partenaires européens. Ce que nous en ferons aura donc un impact au-delà de nos frontières. Aussi, pour faire avancer l’agroécologie, les écologistes souhaitent-ils que les contours et les objectifs en soient précisés.

M. Antoine Herth. Il y a en a bien besoin, en effet !

Mme Michèle Bonneton. Il apparaît indispensable de donner des orientations afin de fixer des objectifs opérationnels pouvant être mis en œuvre, ce qui correspond tout à fait au principe d’une loi d’orientation. L’agroécologie doit pouvoir répondre aux enjeux tant environnementaux qu’économiques et sociaux. En effet, si l’on perçoit bien ce qu’est la performance économique, l’agroécologie, en revanche, dans sa dimension de protection de l’environnement et de respect des consommateurs et des travailleurs, reste pour l’heure une notion encore quelque peu vague.

Nous proposons d’inscrire l’agroécologie dans une logique de diminution de l’empreinte écologique et de définir pour cela de grands axes.

Tout d’abord, la diminution de l’utilisation de produits phytosanitaires et phytopharmaceutiques et, plus largement, des intrants de différentes catégories. Ensuite, la réduction de la consommation d’énergie, en particulier les énergies fossiles. Par ailleurs, la préservation et la valorisation des ressources naturelles : eau, biodiversité et qualité des sols et de l’air. Autre grand axe, la réduction des émissions directes ou indirectes de polluants et de gaz à effet de serre. Enfin, le développement de l’étude des écosystèmes concernés et de l’agronomie, avec une adaptation à chaque territoire.

Nous n’en doutons pas : en respectant la nature et la vie, les nouvelles pratiques culturales de l’agroécologie assureront des productions intéressantes et importantes et seront donc compétitives, surtout si l’on veut bien regarder au-delà du très court terme.

Nous sommes également très attachés à une évolution du texte en ce qui concerne l’agroforesterie. La forêt est un enjeu important. Sa gestion doit être profondément modernisée, sans pour autant négliger la biodiversité. Nous disposons de ressources forestières, mais il nous faut beaucoup progresser quant à sa valorisation économique et écologique. Des initiatives locales fort intéressantes existent ; il faut les encourager, les conforter et les amplifier. Les groupements d’intérêt économique et écologique forestiers devraient y contribuer. Cependant, il est fort probable qu’ils se révèlent insuffisants.

Le titre IV de la loi est consacré à l’enseignement et à la recherche. Nous souhaitons que les objectifs de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République s’appliquent aussi à l’enseignement agricole et qu’ils soient inscrits dans ce projet de loi.

Nous devons inscrire de façon forte et déterminée dans les missions des établissements ou organismes d’enseignement, de formation professionnelle, de développement agricole et de recherche agronomique et vétérinaire la promotion de I’agroécologie, sans oublier son aspect le plus abouti, à savoir l’agriculture biologique.

Telles sont, monsieur le ministre, les questions sur lesquelles je souhaitais appeler votre attention. Je vous remercie d’avance de bien vouloir écouter nos demandes tout au long des débats.

Mme Brigitte Allain. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui a l’ambition d’associer l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

La France est un pays agricole : chacun de nous connaît ses racines et si l’agriculture française a une belle histoire, elle représente aussi notre quotidien, ce que nous avons dans notre assiette. L’agriculture, ce sont les paysages que nous traversons ou habitons, mais aussi ce que nous partageons au-delà de nos frontières.

Les agriculteurs ont besoin d’un projet de loi ambitieux qui leur donne les moyens de cultiver, élever, produire dans de bonnes conditions. L’agriculture et la forêt ont besoin d’un projet fort et rassembleur pour que l’aménagement et la vitalité de nos territoires soient au cœur de nos préoccupations et retrouvent la place qu’ils méritent.

Nous devons accompagner le double objectif de ce texte : performance économique et écologique. Il nous faut nous battre, encore et toujours pour l’emploi, pour des emplois qui aient du sens, qui soient socialement utiles. Il nous faut nous battre pour préserver notre cadre de vie et celui des générations futures contre certaines formes de pollutions diffuses, parfois pas immédiatement perceptibles, et difficiles à combattre par la suite.

C’est une agriculture diversifiée et créatrice d’emplois que souhaite promouvoir ce texte en redonnant également toute sa place à la forêt, cette ressource multifonctionnelle qui doit être mieux valorisée, tout en restant dans le cadre du raisonnable. Si nous soutenons et encourageons la préservation et l’entretien des forêts françaises, l’éventualité d’une obligation de compensation de reboisement pouvant aller jusqu’à 5 fois la surface défrichée, que prévoit l’alinéa 61 de l’article 30, semble excessif. Imaginez les conséquences d’une telle mesure pour le défrichement d’une forêt de frênes, qui, dans une zone humide de montagne, ne met pas cinq ans à pousser ! La compensation serait totalement déraisonnable, voire envahissante. Nous vous proposerons un amendement pour limiter ce coefficient multiplicateur. Dans la lutte contre l’artificialisation des terres qui nous préoccupe tous, la forêt doit être prise en compte à sa juste valeur.

Permettez-moi également, en tant qu’élu d’une vallée des Alpes et président de la commission permanente du Conseil national de la montagne de vous parler de sujets que j’ai la prétention de connaître un tant soit peu.

Dans nos territoires de reliefs, nous savons l’importance, la nécessité de l’agriculture et de la forêt mais aussi leur inquiétante vulnérabilité. Plus fortement qu’ailleurs, le foncier agricole, dans les massifs alpin et pyrénéen et plus encore dans les zones de piémont, est en recul. En dix ans, le nombre d’exploitations en montagne a diminué de près de 23 %, une diminution qui s’accentue en haute montagne et dans certains massifs.

Garantir l’avenir de l’agriculture de montagne, c’est pourtant garantir la diversité de notre modèle, c’est préserver une agriculture de qualité et de proximité, dont le rôle en faveur du maintien de vallées vivantes, d’espaces ouverts, de paysages montagneux et de lutte contre les risques naturels n’est plus à démontrer.

Les travaux de la commission des affaires économiques ont permis de faire entendre certaines des spécificités de cette agriculture de montagne. Je me réjouis que le Conseil national de la montagne puisse être représenté au sein du Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire. De la même manière, les territoires de montagne seront représentés dans les commissions départementales de la préservation des espaces naturels agricoles et forestiers.

Nous avons également pu inscrire dans l’article 1er la contribution essentielle de la politique d’installation à l’aménagement du territoire, en affirmant le principe du maintien sur l’ensemble du territoire, y compris en zone de montagne, d’un nombre d’exploitants agricoles en adéquation avec les enjeux d’entretien des paysages, de biodiversité et de gestion foncière. La référence à la loi montagne a pu être insérée aussi dans le texte.

Nous avons déposé d’autres amendements qui seront soumis à discussion au cours de l’examen et que nous aurons à cœur de défendre.

Ainsi nous vous proposerons, comme Martial Saddier l’a dit, que les comités de massif émettent un avis sur le plan régional d’agriculture, les préfectures de région étant parfois très éloignées de leur arrière-pays.

En ce qui concerne la formation, levier essentiel pour transformer notre agriculture et la rendre plus performante d’un point de vue économique et écologique, nous demanderons que les offres de formation biqualifiantes, qui correspondent aux réalités de nos bassins d’emplois marqués par la pluriactivité, soient proposées dans les schémas prévisionnels des formations et les programmes inscrits à l’article 10 de la loi montagne.

Nous vous proposerons aussi un amendement pour que le rôle de la forêt contre les risques naturels gravitaires soit reconnu dans le code forestier. Sur les terrains en pente forte, la forêt permet de fixer les sols. Et nous savons tous combien il vaut mieux prévenir que guérir… La notion de forêt de protection existe déjà dans les plans de gestion de la forêt, mais elle ne correspond pas à une définition légale ou réglementaire. L’inscription dans la loi permettrait de combler ce manque et peut-être un jour, monsieur le ministre, d’obtenir la sortie de ces forêts de protection de la surface taxable des forêts communales – sait-on jamais ! (Sourires.)

Et puisque nous parlons de gravité, je vous avais interrogé le 11 juin 2013 dans cet hémicycle sur l’irrigation gravitaire. En montagne, les canaux qui utilisent la pente et les lois de la gravité pour irriguer les parcelles agricoles constituent non seulement un marqueur de paysage à haute valeur patrimoniale et pédagogique, mais aussi une solution qui reste adaptée aux enjeux du partage de l’eau et du maintien d’une agriculture locale et de qualité.

Dans les régions de montagne, ces ouvrages d’art, parfois longs de plusieurs kilomètres, qui se sont développés depuis le Moyen Âge, contribuent également à la lutte contre l’érosion. Ils sont le plus souvent gérés collectivement. Leur mode de gouvernance collectif est exemplaire, à l’heure où l’on tente de faire dialoguer les différents usagers autour de cette ressource essentielle. Dans tous les massifs de l’Hexagone, les canaux d’irrigation sont en train de s’assécher. Si le Gouvernement ne prend pas la mesure de cette catastrophe, ces savoirs écologiques paysans ne seront bientôt plus qu’un doux souvenir.

Pourtant, ces canaux, qui ont survécu aux mutations les plus profondes – arrivée du tracteur, remembrement… –, constituent l’un des outils d’une agriculture de montagne durable. Alors que nos partenaires italiens, autrichiens ou suisses ont bien compris la nécessité d’entretenir, de valoriser et d’utiliser ces systèmes d’irrigations séculaires, la France a fait des choix difficilement compréhensibles pour les élus locaux et pour les agriculteurs qui, malgré les difficultés, s’accrochent à leurs montagnes.

Depuis la loi sur l’eau du 30 décembre 2006, qui généralise la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau, les systèmes d’irrigation, qui prélèvent autant qu’ils restituent au milieu naturel l’eau qui descend des sommets, sont aujourd’hui pénalisés, voire condamnés. Cette redevance, dont l’application est complexe, a déjà découragé nombre d’associations syndicales agréées – ASA –, animées par des bénévoles chargés de l’entretien et la gestion collective de nombreux canaux. Le résultat est contre-productif : quand il n’y a plus d’ASA, il n’y a plus de redevance !

Vous m’aviez indiqué, monsieur le ministre, vouloir rouvrir le débat. Vous souhaitiez que la loi d’avenir prévoie des appuis pour les ASA ; vous vouliez engager une négociation avec le ministère de l’écologie pour que celles-ci puissent être exonérées, dès lors qu’elles ont un objectif écologique, ainsi que le recommandait un excellent rapport, dont l’auteur n’était autre que Philippe Martin. Le dialogue devrait être aisé, puisqu’il siège aujourd’hui à vos côtés, en tant que ministre de l’écologie ! (Sourires.)

Votre texte ne contenant aucune disposition en ce sens, je demande que nous mettions à profit la navette parlementaire pour y travailler. Après tout, il a fallu peu de temps pour supprimer, il y a quelques jours, l’aqua-taxe prévue par la même loi sur l’eau. Ne pourrait-on pas consentir un même effort pour l’irrigation gravitaire en montagne ?

Enfin, d’une manière plus générale, nous défendrons et soutiendrons les amendements qui visent à faciliter l’installation des jeunes agriculteurs et les transmissions. Nous vous proposerons également, par les quelques amendements qui ont survécu au couperet impitoyable de l’article 40, de redonner aux SAFER la possibilité de jouer leur rôle de régulateur du foncier agricole.

Le projet de loi va dans la bonne direction, mais nous pouvons faire mieux. Concernant les possibilités de contournement du droit de préemption, nous constatons tous dans nos circonscriptions que l’imagination est sans limites ! Veillons à instaurer une véritable régulation du foncier, afin que les intérêts financiers ne priment pas, au détriment du foncier agricole.

Nos paysages, nos terroirs, nos assiettes doivent être la belle traduction des liens intimes que les hommes et les femmes de ce pays nouent avec la terre sous leurs pieds – en plaine comme en montagne. L’adoption de ces amendements renforcerait la cohérence politique de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, il y a moins d’une semaine, l’agriculture réunionnaise a été anéantie par un épisode cyclonique qui n’a épargné aucune région de l’île et n’a laissé indemne aucune filière. À peine commencée, la saison des fruits est terminée. Quant au maraîchage, la production est détruite à 100 %. La canne à sucre, pourtant réputée plus résistante, a beaucoup souffert également. Les dégâts et les pertes sont considérables. Et l’on mesure encore mieux l’ampleur de ce désastre quand on sait que la production locale de fruits et légumes satisfait près de 80 % de la consommation locale.

Cette catastrophe naturelle intervient alors que se profile un nouveau règlement sucrier porteur de réelles menaces et qui, lui, est la conséquence directe de l’idéologie ultralibérale que l’Organisation mondiale du commerce et l’Union européenne appliquent aussi à l’agriculture.

La suppression en 2017 des quotas et des prix garantis signe la fin de l’accès préférentiel au marché européen jusqu’ici réservé au sucre produit à la Réunion, lequel sera désormais soumis aux fluctuations des cours internationaux.

Grâce à de lourds et constants investissements, notamment en matière d’irrigation et de mécanisation, à une productivité élevée et à un centre de recherche performant, classé parmi les cinq premiers mondiaux, la filière canne à sucre a de réels atouts, comme l’attestent des rendements en constante augmentation, en dépit d’une situation foncière plus ou moins stable. Mais il est évident que pour La Réunion, premier producteur européen de sucre de canne, le bouleversement qui s’annonce est majeur.

Nous avons cru comprendre qu’une étude sur ce sujet avait été commandée par le ministre des outre-mer. Si elle doit inspirer les décisions gouvernementales qui accompagneront cette mutation, ses recommandations sont, bien sûr, attendues par les 15 000 actifs directement concernés, mais plus largement encore par l’ensemble des Réunionnais.

Culture traditionnelle ayant façonné les paysages, la canne participe aujourd’hui au défi du développement durable en produisant un tiers des énergies renouvelables de La Réunion. La triple performance économique, environnementale, mais aussi sociale, visée par le titre Ier, est pleinement remplie par la filière canne-sucre.

Celle-ci est également à la base de la diversification agricole. Si les fruits et légumes sont devenus la première production agricole de la Réunion et contribuent à la sécurité alimentaire, c’est pour une large part grâce aux revenus garantis liés à la canne. Loin de s’opposer, la canne et la diversification sont deux piliers complémentaires.

Le commissaire européen à l’agriculture a d’ailleurs souligné, lors de son passage à la Réunion, la « capacité d’entraînement de la canne ». Fragiliser l’une des filières, notamment dans le POSEI, c’est remettre en cause l’équilibre de l’ensemble du système, que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de modèle.

Cette solidarité se retrouve à plusieurs niveaux. Ainsi du foncier agricole, qui est limité mais surtout menacé par une urbanisation pas toujours maîtrisée. La préservation des terres est indispensable pour l’ensemble du secteur agricole et les 7 000 hectares de terres en friche recensées sont destinés à être mises à la disposition des deux filières.

Assurer l’avenir de la canne, c’est permettre d’aller plus loin dans la diversification et dans le développement d’une industrie de transformation agroalimentaire, dont les perspectives sont considérables en termes de débouchés et de création d’emplois, ainsi que vient de le chiffrer une étude récente.

À cet égard, il est souhaitable que le plan régional de l’agriculture durable aborde de manière prioritaire la structuration des différentes filières de la diversification. Elle seule peut non seulement éviter les fluctuations brutales des productions ou des prix, mais aussi répondre aux exigences de traçabilité et de sécurité alimentaire.

Plus qu’ailleurs, les jeunes agriculteurs d’outre-mer rencontrent des difficultés pour s’installer. Du manque de foncier aux retraites trop modestes des exploitants agricoles, en passant par d’inextricables indivisions, les causes sont identifiées et demandent à présent des réponses qui vont au-delà de celles que prévoit le titre II, consacré au renouvellement des générations.

Toujours en direction des jeunes, l’enseignement agricole est appelé à évoluer de manière à anticiper et à accompagner l’agriculture du futur. Comment les mesures prévues se traduiront-elles dans les outre-mer ?

De même, tout en saluant le développement d’une grande industrie de biocontrôle, les professionnels s’interrogent sur l’attention que l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – l’ANSES –, désormais en charge des missions relatives aux produits phytosanitaires, accordera aux caractéristiques d’une agriculture tropicale.

À vrai dire, notre approche de ce texte a été constamment guidée par la nécessité d’adapter à nos régions des mesures élaborées pour une agriculture de zone tempérée. Nous avons déposé à cet effet plusieurs amendements. Le plus simple et sans doute aussi le plus efficace, monsieur le ministre, aurait été de travailler à partir d’un texte consacré aux agricultures d’outre-mer. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et écologiste et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. Germinal Peiro, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Massat.

Mme Frédérique Massat. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’agriculture, monsieur le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, messieurs les rapporteurs, ce texte, associé à la réforme de la PAC, marque un changement de cap majeur dans les politiques publiques en faveur du monde agricole. Il crée un cadre et des outils pour faire émerger l’agriculture de demain, une agriculture compétitive qui assure une production alimentaire de haut niveau et s’inscrit dans la transition écologique.

Parmi les mesures clefs, je retiendrai bien sûr la création des groupements d’intérêt économique et environnemental, celle du médiateur des relations commerciales agricoles, l’adaptation du contrat de génération pour permettre une meilleure transmission des exploitations, les mesures destinées à limiter l’agrandissement excessif des exploitations et les nouveaux dispositifs à destination de la filière bois, en particulier la création tant attendue du fonds bois.

Je souhaiterais insister sur le choix de la méthode et remercier à ce titre le ministre et son cabinet ainsi que les rapporteurs car, depuis plusieurs semaines que sont engagées les discussions, des avancées ont été possibles, notamment en faveur des zones de montagne, grâce à une collaboration qui s’est avérée fructueuse en commission et qui le sera sans doute aussi en séance publique. Nous verrons cela dans les prochaines heures. Le terrible article 40 de la Constitution nous a en effet posé de nombreux problèmes – mais j’y reviendrai.

L’agriculture de montagne, qui n’a jamais été autant défendue que par ce texte, prend aujourd’hui toute sa place. Plus que tout autre, le territoire de montagne a besoin de l’activité agricole, qui assure une activité économique mais permet aussi d’aménager et d’entretenir notre territoire. Il est essentiel de renforcer l’activité agricole et d’endiguer le phénomène de diminution constante du nombre des chefs d’exploitation.

L’activité agricole en montagne est donc essentielle, mais elle est également très spécifique. Parler d’agriculture dans les Pyrénées, ce n’est pas parler d’agriculture dans la Beauce : ce n’est pas la même activité, ni la même réalité. L’agriculture de montagne se caractérise, vous le savez, par la prédominance de l’élevage extensif, des exploitations de petite taille et bien souvent des agriculteurs pluriactifs.

Toutes ces spécificités méritent que l’on appréhende différemment les problématiques agricoles en montagne. Je tiens ici à vous remercier, monsieur le rapporteur, d’avoir été à l’écoute des élus de la montagne pendant vos auditions en souhaitant que je vous expose, en qualité de présidente de l’association nationale des élus de la montagne, les enjeux de ces territoires. Cette qualité d’écoute, je l’ai retrouvée également auprès du ministre et de son cabinet. Des amendements ont ainsi été adoptés en commission et j’espère qu’il en ira de même pour ceux que nous présenterons encore en séance publique.

La commission des affaires économiques a donc pris en compte les problématiques de la montagne au travers de trois amendements que j’ai portés mais dont les objectifs étaient partagés sur d’autres bancs, en particulier par Joël Giraud et Martial Saddier.

L’article 1er, qui ouvrira le code rural, intègre l’attention particulière qui doit être portée au pastoralisme et à l’élevage notamment du fait de leur contribution essentielle à l’aménagement du territoire. Cette attention particulière qui est reconnue désormais dans la loi doit s’exprimer sur trois points sur lesquels pèse une attente légitime, et je me réjouis à ce titre de la présence du ministre de l’écologie : les prédateurs, le maintien d’un nombre d’exploitants satisfaisant et la pérennisation des aides complémentaires – je pense bien sûr aux indemnités compensatoires de handicaps naturels.

Par ailleurs, la représentation de la montagne a été prise en considération, notamment au sein du conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire. Le texte renforce les pouvoirs et l’importance de ce conseil et il était essentiel qu’un représentant du conseil national de la montagne puisse y siéger pour y défendre ses spécificités. Cette disposition a été adoptée en commission, ce qui est moins spectaculaire qu’en séance publique mais le travail a été bien fait et partagé sur plusieurs bancs de cet hémicycle. Je remercie l’ensemble de mes collègues du groupe socialiste qui ont soutenu avec moi cet amendement.

Sur ma proposition, la commission a également souhaité que, le cas échéant, des représentants de collectivités de montagne soient présents au sein des commissions départementales de la préservation des espaces naturels agricoles et forestiers. Pour que la représentation de la montagne soit pleinement associée aux décisions majeures, je présenterai également un amendement tendant à ce que le projet de plan régional de l’agriculture durable soit soumis à l’avis du comité de massif. Je crois, pour en avoir discuté, qu’il pourrait également recevoir un avis favorable.

Afin de compléter le texte sur la spécificité de l’agriculture de montagne, je présenterai trois autres amendements qui n’ont pu être adoptés en commission en raison de leur imprécision ou de leur mauvais positionnement dans le texte. Je pense en particulier à celui relatif à la forêt mais après en avoir discuté avec le rapporteur pour avis Jean-Yves Caullet, nous avons pu le réintégrer au travail important qu’il a réalisé en ce domaine pour améliorer le texte.

Je souhaiterais enfin remercier le Gouvernement pour avoir déposé un amendement visant à porter la surface minimale d’assujettissement en zone de montagne de 50 à 65 %. J’avais moi-même déposé cet amendement en commission, mais il était tombé sous le couperet de l’article 40. À ce propos, je veux rappeler que sept autres amendements, concernant en particulier les SAFER et les outre-mer ont été repris par le Gouvernement suite à un dialogue constructif car, d’origine parlementaire, ils étaient également menacés par l’article 40. Je vous en remercie, monsieur le ministre.

À l’orée de l’examen des articles et des amendements, voici ce que je souhaitais brièvement rappeler. Ce texte est essentiel, sa discussion marque un moment important de notre législature. La France est historiquement le grenier de l’Europe, il faut lui donner les outils nécessaires pour qu’elle conserve ce rôle particulier et qu’elle puisse faire de son agriculture une agriculture plus verte, plus compétitive, tournée vers la jeunesse et d’un haut niveau de qualité alimentaire. Ce texte remplit tous ces objectifs, je le voterai avec enthousiasme et sans réserve. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Le Ray.

M. Philippe Le Ray. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce projet de loi n’a d’avenir que le nom ! Il ne répond pas aux attentes de la profession, ni à celles d’un secteur économique majeur.

Notre pays, qui était la deuxième puissance agricole mondiale, est aujourd’hui la cinquième !

M. Stéphane Le Foll, ministre. À qui la faute ?

M. Germinal Peiro, rapporteur. Et depuis quand ?

M. Philippe Le Ray. Alors que la demande mondiale augmente de 2 % par an, la production française recule quant à elle de 1,5 % par an.

Ce texte manque malheureusement totalement d’ambition et de clarté. Il ne permet en aucune manière de moderniser nos élevages, d’innover, de développer et de décrocher des parts de marché à l’étranger.

Notre déception est grande, car nous sommes là en présence d’un plan de décroissance agricole. Jamais il n’est question d’objectifs de production ou de modèle de production à développer ! Contrairement à nos partenaires européens, vous ignorez totalement, pour ne pas dire volontairement, une harmonisation des règles européennes en matière d’élevage, en particulier pour les installations classées.

Certes, vous défendez la compétitivité mais il n’est pas suffisant d’en parler, il faut l’associer à des volumes de production.

Certes, vous défendez l’agriculture de proximité, mais il n’y a concernant le domaine des abattoirs ! Comment pouvez-vous parler de proximité alors qu’ils disparaissent ? L’agriculture doit aussi rester une activité de masse, sinon nous reculerons.

Certes, vous défendez la formation et l’installation, mais sans aucune perspective au niveau économique.

Certes, vous permettrez une meilleure garantie sanitaire et de qualité sur les produits agricoles, mais votre texte est si contraignant qu’il conduira à importer encore davantage des produits à bas coûts et de moindre qualité, comme c’est déjà le cas pour la volaille.

Quant à votre volet innovation et recherche, il est insignifiant pour un projet de loi prétendument d’avenir. Vous le savez bien, c’est pourtant par l’innovation et la recherche que nous retrouverons le chemin de la compétitivité et de la croissance.

Nous espérions que ce texte oxygénerait une profession toujours plus étouffée par les contraintes technocratiques. Or, c’est tout le contraire : ce texte, c’est plus d’État, plus d’administration, plus de collectivisme et plus d’exigences envers nos agriculteurs. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

L’agroécologie est devenue votre cheval de Troie. Vous donnez l’impression de découvrir l’écologie au sens pratique des réalités. L’agriculture n’a pas besoin d’un cadre dirigiste supplémentaire. Revenez donc aux réalités ! Il est évident que l’agroécologie ne peut constituer l’unique socle du développement agricole.

En fait, vous posez les jalons d’un cadrage que les agriculteurs découvriront dans quelques années : une agriculture enserrée dans un carcan administratif. Derrière ces rondeurs affichées, un nouveau modèle se dessine. Demain, nos agriculteurs seront enfermés dans des schémas, des GIEE ; des associations environnementalistes et des collectivités, gérées par des élus locaux aux revendications parfois sectaires, viendront dicter leurs envies et leur philosophie aux professionnels.

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur pour avis. Tout ce qui est excessif est insignifiant.

M. Philippe Le Ray. Vous allez même plus loin en souhaitant associer sans condition le grand public à la définition des plans régionaux agricoles. Mais est-ce tenable de mettre demain les agriculteurs à la botte de tout un chacun ?

Dans ces GIEE, les agriculteurs devront se tenir au garde-à-vous s’ils veulent obtenir des aides, s’ils veulent continuer à exploiter librement. C’est inacceptable.

Le bail rural devient un bail environnemental avec l’introduction de clauses. C’est une nouvelle dérive. Demain, avec ce projet de loi, les propriétaires pourront tout exiger de leurs locataires. Vous commettez une grave erreur. Demain, l’agriculteur locataire ne sera même plus libre d’exploiter sa terre en bon père de famille. Est-ce cela votre modèle ?

M. Thierry Benoit. C’est le risque.

M. Philippe Le Ray. Monsieur le ministre, sous prétexte de tout faire pour l’installation, vous imposerez à chaque agriculteur de déclarer publiquement trois ans auparavant son départ à la retraite. À cette obligation s’ajoutent des possibilités administratives de rétorsion sur l’engagement de départ : lorsque l’administration n’aura pas pu imposer un repreneur, elle pourra retirer l’autorisation d’exploiter aux agriculteurs atteignant l’âge de la retraite, ce qui est purement scandaleux.

Monsieur le ministre, avec la déclaration annuelle à l’administration des matières fertilisantes azotées, vous anticipez déjà la mise en place d’une taxe. Pourquoi ne pas se limiter aux agriculteurs qui importent ou exportent de l’azote organique ?

Oui, vous posez les bases d’une taxe azote. Nous en reparlerons.

Parallèlement à cette mainmise d’un nouveau genre, vous laissez filer un cadrage national dans votre politique et donnez ainsi un rôle ainsi que des missions nouvelles aux régions. Malheureusement, vous laissez l’État se désengager des certifications.

Les orientations sournoisement concédées dans ce texte sont insupportables pour nos agriculteurs avec l’invention de ces nouveaux concepts réglementaires.

Par cette loi inutile et rétrograde, vous allez déclencher un tsunami de réunions et d’assemblées à n’en plus finir dans le pays. Que de temps et d’argent gaspillés !

À cause de vous, l’ensemble des statuts des coopératives, des interprofessions, pour ne citer qu’elles, sont à revoir. Bonjour, le maquis administratif qui va se développer dans les régions ! Les GIEE seront de néfastes machines administratives.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Justement non !

M. Philippe Le Ray. Agriculteur est une belle profession, j’en sais quelque chose. Aidez-les au lieu de les contraindre davantage encore ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit.

M. Thierry Benoit. Monsieur le ministre, bonne année 2014 ! Je suis heureux de vous retrouver dans cet hémicycle pour discuter de ce projet de loi d’avenir sur l’agriculture.

Le sujet est important et vous avez souhaité y apporter votre touche particulière. Vous imaginez un concept nouveau, l’agroécologie. À titre personnel, je n’y vois pas d’obstacle majeur, mais je formulerai tout de même quelques réserves et quelques craintes comme vous pourrez vous en rendre compte au travers des amendements que nous déposerons, qui viseront à circonscrire et préciser les intentions de ce texte.

M. de Courson l’a excellemment dit tout à l’heure : vous défendez l’agroécologie tandis que nous soutenons le principe de l’agro-industrie. Je crains que les intérêts soient, en la matière, contradictoires. Je souhaite, pour notre agriculture et nos agriculteurs, qu’à l’issue du vote de ce texte, nous puissions répondre aux problématiques agricoles.

Ces questions sont d’ordres divers et concernent notamment la notion d’agriculture de production. Notre débat doit avoir pour fil rouge la volonté de soutenir une agriculture professionnelle, et non pas occupationnelle.

M. Dominique Potier. C’est insultant !

M. Thierry Benoit. Je m’explique : l’agriculture est un métier. Nos agriculteurs sont des professionnels qui, de tout temps, ont su s’adapter aux exigences imposées par la France et par l’Europe.

M. Yannick Favennec. C’est vrai !

M. Thierry Benoit. Le texte que vous défendez, monsieur le ministre, doit les encourager et leur apporter la confiance et les outils qui leur permettront de redevenir compétitifs, grâce à quoi la France préservera sa place de grande puissance agricole en Europe et dans le monde.

Nos autres préoccupations ont trait à la notion de compétitivité et concernent notamment la baisse des charges et du coût du travail. Vous m’opposerez à juste titre le crédit impôt compétitivité emploi, monsieur le ministre, et me répondrez que les entreprises agricoles, les agriculteurs et le monde agricole dans son ensemble en bénéficient. Je vous répliquerai que ce dispositif qui, de mon point de vue, n’est pas sans intérêt, est à ce jour trop complexe. Lorsque vous dresserez les premiers bilans de son application, vous vous raviserez, j’en suis convaincu : le montant de vingt milliards d’euros que vous avez imaginé pouvoir injecter dans l’économie française sera minoré, car le nombre d’entreprises bénéficiaires que vous avez prévu ne sera pas atteint. À cet égard, le groupe UDI proposera que les coopératives puissent bénéficier du CICE : c’est indispensable.

Nous souhaitons aussi qu’après l’adoption de ce texte, toutes les formes d’agriculture soient préservées, qu’il s’agisse de l’agriculture de type familial, de type sociétaire voire industriel, mais aussi de l’agriculture dite « de niche », celle qui privilégierait les circuits courts et la vente directe ou qui souhaiterait investir des champs nouveaux encore inexplorés.

Autre sujet qui nous tient à cœur et qui doit faire l’objet d’un débat approfondi : l’agriculture à vocation sanitaire et le programme national nutrition-santé. Je viens d’un territoire, la Bretagne, où il n’y a pas que des entreprises et des exploitations en crise ; il existe aussi, dans cette belle région, des agriculteurs et des entreprises agro-alimentaires qui innovent, qui sont performants et qui tirent leur épingle du jeu, notamment en matière d’agriculture à vocation sanitaire en lien avec les programmes conçus par les ministres successifs, de MM. Barnier et Le Maire à vous-même, monsieur le ministre.

La prise en compte de l’azote total présente un intérêt réel pour les régions d’élevage dense, comme l’ouest de la France. En commission, monsieur le ministre, je vous ai posé la question suivante : sommes-nous certains que nous avons sur ce point retenu la méthode la plus simple ? Là encore, le groupe UDI proposera des amendements pour approfondir et circonscrire le sujet en permettant une plus grande simplification.

J’en viens précisément à la simplification. Le groupe UDI souhaite qu’émergent du présent débat des propositions de simplification administrative, normative et réglementaire.

Je vous ai récemment posé une question orale concernant les contrôles – un sujet qui me tient à cœur – à quoi vous m’avez répondu que les États membres de l’Union européenne ne sont pas libres de toutes leurs décisions en la matière et que la situation est complexe. Je souhaite, monsieur le ministre que vous soyez à la barre et formuliez des propositions afin que tous les contrôles, vétérinaires ou environnementaux qui sont effectués en France soient harmonisés et que les agriculteurs puissent en être préalablement informés, de même que les communes peuvent préparer les contrôles de sécurité. En effet, les agriculteurs sont des professionnels dignes de confiance : ils doivent pouvoir préparer les contrôles a priori, et non subir une démarche inquisitoriale qui crée un climat de suspicion à leur égard, climat qui pèse sur leur profession.

À propos de profession d’agriculteur, le présent texte ne peut pas ne pas évoquer la succession des générations et la question de l’installation, qui est appelée à prendre de l’importance. La reprise et la transmission des outils de production vont en effet poser problème. Depuis cinquante et même quatre-vingts ans, les sièges d’exploitation ont pu se transmettre parce que l’agriculture était prospère et familiale. Aujourd’hui, les outils de production gagnent en importance. Vous l’avez évoqué en répondant tout à l’heure à une question d’actualité, monsieur le ministre : qui peut imaginer qu’un atelier de 500 vaches laitières puisse se transmettre en France ? Il y a là une véritable question.

M. Yannick Favennec. Absolument !

M. Thierry Benoit. Enfin, puisque nous devons concilier urgence écologique et urgence économique, je veux évoquer deux sujets. L’UDI souhaite que les groupements d’intérêt économique environnementaux, que vous créez par ce texte, soient bien définis et qu’ils profitent aux agriculteurs et aux exploitations agricoles. Que l’on fasse intervenir d’autres acteurs pour imaginer des projets territoriaux, pourquoi pas : ils peuvent apporter des ressources ou des idées. Mais les aides de l’État doivent bénéficier exclusivement aux exploitants et à leurs exploitations, c’est-à-dire aux professionnels de l’agriculture.

Par ailleurs, et c’est un point sensible de la trajectoire environnementale que vous souhaitez mettre en œuvre, la généralisation des clauses environnementales dans les baux ruraux sera source de contentieux si cette notion n’est pas bien encadrée. Depuis quelques années, une petite musique se fait entendre dans notre pays, selon laquelle l’industrie, l’agriculture, et l’écologie s’opposeraient. Si nous voulons qu’elles ne s’opposent pas, il nous faut être précis en écrivant la loi. Même dans le cadre d’une agroécologie, nous devrons maintenir le cap d’une agriculture de production, d’une agro-industrie. Nous considérons que l’on ne peut pas dissocier agriculture et industrie agroalimentaire.

Je conclurai par l’enseignement agricole et les différentes formes qu’il prend, en portant un regard particulièrement attentif à la formation par alternance – car j’en suis issu : vous voyez que les maisons familiales et rurales font aussi de bons produits ! (Sourires.)

M. Yannick Favennec. Et même excellents !

M. Thierry Benoit. Les maisons familiales et rurales et les formations agricoles doivent elles aussi s’adapter, puisque notre monde, s’il n’est plus en crise, est en mutation. Or, qui dit mutation dit adaptation de la nature humaine ; pour ce faire, nos jeunes pousses, grâce à l’enseignement agricole – qui est le laboratoire de l’agriculture de demain – doivent voir large. Il faut jeter des passerelles entre les différentes filières de cet enseignement, afin de faciliter l’accès à la profession d’agriculteur, car nous avons besoin d’agriculteurs en France, d’abord parce que nous aimons les agriculteurs et l’agriculture, et parce que nous savons ce que la France leur doit.

M. Yannick Favennec. C’est vrai !

M. Thierry Benoit. Le sens de notre vote, monsieur le ministre, dépendra donc du sort que vous ferez à nos amendements.

M. Yannick Favennec. Eh oui !

M. Thierry Benoit. Nous serons attentifs, vigilants et constructifs : c’est notre nature.

M. Germinal Peiro, rapporteur. Oui, tout à fait !

M. Thierry Benoit. Nos amendements sont repoussés d’une main dans un trop grand nombre de textes sans qu’il leur soit porté une attention particulière.

M. Germinal Peiro, rapporteur. Cela n’a pas été le cas en commission !

M. Thierry Benoit. Sur des questions telles que l’usage et la distribution des médicaments vétérinaires, notamment, je souhaite, monsieur le rapporteur, que nos amendements fassent l’objet d’un examen attentif…

M. Charles de Courson. Et bienveillant !

M. Thierry Benoit. …et que nos propositions recueillent un écho favorable auprès du Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur certains bancs du groupe UMP.)

M. Yannick Favennec. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Messieurs les ministres, les jours des majorités parlementaires ont ceci de particulier qu’ils n’ont aucune prise sur les difficultés rencontrées par les paysans français. Si l’on faisait d’ailleurs l’anthropologie du paysan rêvé par les officines qui vous conseillent, il n’aurait ni attachement à la terre, ni amour de son métier : ignorant les lois de la nature, il serait un converti de fraîche date ahanant écologisme plutôt que savoir-faire.

Permettez-moi de vous dire que le paysan auquel vous avez pensé en rédigeant votre texte, je ne l’ai rencontré ni dans les vignes, ni dans les champs, ni dans les forêts de ma circonscription. Sans doute est-il plus souvent blotti dans un groupe de travail parisien où les bottes sont un accessoire de mode plutôt qu’un outil de travail, et où l’on n’est pas soumis aux caprices du temps.

L’agriculture, l’alimentation, la forêt sont autant de sujets qui intéressent les Français dans leur souveraineté et qui devraient respecter les lois d’une nature si souvent maltraitée par l’idéologie dominante.

La souveraineté des Français dans les choix qu’ils font, tout d’abord, tant l’origine des produits ainsi que leur correspondance avec les identités locales et les héritages familiaux en font un élément déterminant dans la vie d’un homme. La souveraineté dans la maîtrise des espaces, ensuite : c’est l’obéissance à certaines décisions aberrantes d’une Union européenne dont les racines technocratiques moquent les paysages et la cohérence locale chers à nos terroirs. La souveraineté économique et politique, enfin : l’alimentation est devenue prisonnière de monstres économiques apatrides, souvent obnubilés par les errements d’une finance dont les variations meurtrissent le paysan du Vaucluse et l’éleveur des confins de l’Afrique.

En somme, ce projet de loi agricole aborde un sujet crucial pour la politique au XXIsiècle : comment préserver la légitimité du pouvoir politique en influant sur la vie concrète de nos concitoyens, alors qu’une oligarchie ne cesse de vouloir les déposséder tant de leurs espaces de décision que de leur outil de travail ? Et pourtant, vous réitérez les erreurs dont nous ne savons que trop qu’elles heurtent la conscience des Français.

L’article 10 du texte est un véritable tournant fédéraliste où, dans un incroyable déni de démocratie, vous proposez de légiférer par ordonnance pour habiller notre droit à la mode de Bruxelles.

Votre passion de l’ordonnance, monsieur le ministre se retrouve dans l’article 24 du texte. À croire que, dans votre esprit, les députés de la nation ne seraient pas habilités à discuter des sujets nationaux !

Par l’article 33 sur la commercialisation du bois, la souveraineté sera encore piétinée pour quelque excuse européiste teintée de cette arrogance qui insupporte les peuples et qui affleure à chaque ligne d’un texte rédigé dans un babil technocratique qui le rend inaudible pour nombre de nos concitoyens – alors même que nous apprenions jadis que nul n’est censé ignorer la loi.

L’excellence de notre filière agricole n’est plus à rappeler. Près de 50 % de notre excédent commercial dans ce domaine provient de ventes à des pays extérieurs à l’Union européenne avec un savoir-faire remarquable.

La souveraineté alimentaire est un atout phare de la puissance de notre pays, alors qu’on considère que 900 millions de personnes sont aujourd’hui victimes d’insécurité alimentaire.

Bien qu’en recul, notamment face à l’Allemagne voisine, qui profite d’un coût plus faible de sa main-d’œuvre, la France reste encore la cinquième puissance agricole du monde, mais fait face à nombre d’incohérences qui pourraient amoindrir ses succès, et ce malgré les talents que je viens de souligner. Un talent qu’on contraint jusqu’à l’absurde en légiférant pour abandonner, par exemple, le monopole de la production de semences à de grands groupes internationaux, en interdisant aux exploitants de produire leurs propres semences. Ceci constitue un véritable crime contre les paysans et les lois de la nature.

Pis, les retraites des paysans ne sont que peu évoquées dans ce texte, alors qu’elles sont, à certaines occasions, inférieures au minimum vieillesse généralement accordé aux arrivants de fraîche date.

La pression contributive trop importante, exercée sur de nombreux jeunes exploitants, est l’une des tares d’un système français qui n’est pas assez attrayant pour renouveler efficacement les paysans. C’est un courage admirable qu’il faut aujourd’hui aux jeunes agriculteurs qui prennent la décision d’embrasser ce noble métier.

Vous avez passablement assombri leur avenir en accordant, le 14 juin dernier, à la Commission européenne, un blanc-seing dans les négociations d’un traité transatlantique qui s’annonce dévastateur pour nos producteurs. Les Français en seront encore quittes pour une alimentation ramenée aux standards d’un productivisme qui uniformise les goûts, brise les héritages et convoie souvent des tonnes de produits chimiques dont consommateurs comme producteurs dénoncent les méfaits.

La doctrine du libre-échange l’aura encore emporté, aveuglant jusqu’aux études d’impact et aux réactions des peuples, alors que vous avez dû sentir, tout au long de l’élaboration de votre texte, combien les traités internationaux interdisaient toute solution pérenne et courageuse des problématiques contemporaines des paysans français.

La récente jacquerie des bonnets rouges bretons aurait pourtant dû vous alerter, monsieur le ministre, sur les mesures intelligentes qu’attendent les habitants de nos campagnes, afin que nous préservions leur emploi et leur cadre de vie : préférence nationale dans les entreprises du secteur primaire, fiscalité dérogatoire précise pour les paysans gardiens des produits locaux, organisation du maintien des services publics et de l’activité économique qui ouvrent des perspectives de vie et assurent le maillage humain de notre territoire. « Il n’est de richesses que d’hommes », disait Jean Bodin. Le manque d’incarnation de vos dispositions législatives nous fait craindre que vous n’oubliiez ce sain principe humaniste.

L’humain est d’ailleurs bien le grand absent de ce texte puisqu’un écologisme de salon vous entraîne à manier des concepts grandiloquents chéris par vos amis plutôt qu’à traiter les problématiques concrètes qui secouent le monde paysan. L’article 26 sur la formation agricole est ainsi un véritable pis-aller quand on sait que plus d’un élève sur cinq suivant un cursus de CAPA sortira sans diplôme et que vous supprimez les bourses sur arrêtés qui étaient attribuées aux élèves d’un secteur qui n’est pourtant pas le plus privilégié de France.

Il serait temps de prendre en compte la transversalité nécessaire à toute politique cohérente en matière d’agriculture : au lieu d’une parité fantasmée, vous pourriez ainsi réfléchir à la défense des écosystèmes locaux ; au lieu des comités Théodule, qui se multiplient, vous pourriez réfléchir à l’intégration de la découverte de notre riche patrimoine agricole dans les programmes d’éveil à l’école ; au lieu, finalement, de rester prisonnier de l’esprit du temps, vous pourriez revaloriser la position sociale des citoyens de nos campagnes qui sont les garants de la mise en valeur de notre territoire.

Finalement, vous répondrez sans doute que vous n’y pouvez rien puisqu’au Chant du monde du grand poète provençal Jean Giono, vous avez préféré le murmure de grandes entreprises mondialisées, toujours plus désireuses de formater les produits qu’elles déversent dans nos assiettes. Vous prétendez faire prendre un tournant écologiste à une production agricole qui ne sera plus jamais respectueuse de la nature et des hommes tant qu’elle restera déconnectée des situations locales, des traditions et de la loi des saisons, dont pourtant les Anciens nous avaient enseigné l’importance.

Comment ne pas évoquer par ailleurs le taux de suicides particulièrement élevé chez les paysans, harassés par la préférence donnée aux grands centres commerciaux contre la préservation des savoir-faire et des modes de vie ? Comment ne pas évoquer la dépossession du pouvoir étatique organisée par la signature de grands traités internationaux qui bloquent les protections douanières et réglementaires qui pourraient, par exemple, nous permettre de promouvoir nos produits phares autrement que par des appellations régionales ? C’est bien à toute une construction économique oublieuse des intérêts français et paysans qu’il faudrait s’attaquer, afin de permettre un développement écologique de notre agriculture.

Le localisme contre le productivisme, le bon sens de la réduction des intermédiaires contre la multiplication abusive des parties prenantes et du fret international, l’intérêt général contre la dictature des empires particuliers et déracinés : voilà ce qu’il faudrait vous opposer et voilà ce que crient nos campagnes si éloignées de vos Larzac idéologiques, toujours plus destructeurs pour la terre et les hommes !

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal.

M. Jacques Krabal. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, nous examinons ce projet de loi dans un contexte préoccupant pour de nombreux exploitants et salariés agricoles. Qu’il s’agisse de production, de surfaces cultivées, du nombre d’agriculteurs, de salariés ou d’exploitations, tous les chiffres démontrent un déclin inquiétant.

L’agriculture et l’agroalimentaire sont des atouts pour la France, mais les transformations de nos sociétés liées aux échanges internationaux depuis les vingt dernières années démontrent que les emplois dans ces secteurs sont, hélas, aussi délocalisables. Il ne faut pas dénier l’effritement continu du secteur agricole français : au cours des dix dernières années, la France a perdu 26 % de ses exploitations.

Ce projet de loi doit être l’occasion de soutenir ceux qui subissent de plein fouet la concurrence déloyale des producteurs étrangers, comme les secteurs des fruits et légumes, de l’élevage et du lait.

Ainsi, je peux témoigner de la souffrance des agriculteurs du sud de l’Aisne et de la Thiérache, que je connais bien.

Les conséquences économiques et sociales de la crise agricole actuelle sont terribles pour l’emploi, pour l’aménagement et la revitalisation des territoires ruraux, pour l’autonomie et la sécurité alimentaires, pour notre balance commerciale et pour l’image de notre pays dans le monde.

Dans le sud de l’Aisne, les évolutions qu’engendrera la nouvelle PAC entraîneront des pertes financières importantes pour les exploitations de céréales. Avec les nouvelles règles de répartition, le département de l’Aisne perdra au total plus de 50 millions d’euros d’aides, alors qu’il est déjà largement défavorisé dans certaines zones où des sols peu fertiles ne sont compensés par rien. Permettez-moi de vous dire que nous avons la douloureuse impression de subir la double peine !

Il ne s’agit pas de remettre en cause les orientations globales de la nouvelle PAC, mais de réfléchir à une réorientation indispensable vers l’élevage. Mais nous devons absolument veiller à calculer de façon plus équitable les règles de répartition pour les zones qui connaissent déjà des handicaps naturels liés à la nature des sols.

Il est évidemment primordial, comme l’a rappelé Joël Giraud, de préserver les zones à handicaps naturels comme les zones de montagne, en leur faisant bénéficier de mesures compensatoires pour surmonter leurs difficultés géographiques. Mais il est aussi primordial de ne pas fragiliser les zones intermédiaires rurales qui connaissent des difficultés pédologiques et géologiques et dont l’économie est dominée par l’agriculture et l’agroalimentaire.

Si, aujourd’hui, certaines filières se portent mieux que d’autres, ce qui justifie une nouvelle répartition des aides, évitons l’écueil consistant à opposer les filières entre elles, en particulier lorsqu’elles sont présentes sur le même territoire. Par exemple, l’avenir de l’élevage bovin revêt un caractère stratégique pour le sud de l’Aisne et nos éleveurs sont confrontés à de nombreuses difficultés. Leurs revenus, surtout ceux de l’élevage allaitant, sont parmi les plus bas du secteur agricole. Quant au cheptel laitier, il est en incessante diminution.

D’autres difficultés tiennent à la nécessité d’adapter les bâtiments d’élevage, ce qui entraîne de nouveaux investissements, mais aussi à l’alimentation animale qui se heurte à une insuffisante production française de protéagineux, qui doivent être importés.

Je reste convaincu que, pour éviter la déprise de l’élevage, voire sa disparition dans des zones comme le sud de l’Aisne, il est absolument indispensable que les handicaps naturels liés à la nature du sol soient reconnus et compensés. Dans ce type de zones où beaucoup de terres sont mal adaptées à la mécanisation des cultures, peu fertiles, pentues, humides, caillouteuses et avec une végétation que seuls les ruminants peuvent digérer, des formes de compensations liées à ce handicap naturel doivent pouvoir être imaginées au même titre que pour les zones de montagne. C’est la seule méthode à suivre pour redonner de l’espoir à nos paysans, qui en ont aujourd’hui bien besoin.

Ce projet de loi d’avenir de l’agriculture se fixe pour objectif de redonner aux agriculteurs des perspectives et des raisons d’être fiers de la qualité de la production française. Oui, l’agriculture est un secteur stratégique pour notre pays et il serait suicidaire de ne pas le soutenir de toutes nos forces.

Le titre Ier du projet de loi nous invite à concilier performance économique et environnementale des filières agricoles et agroalimentaires. Nous sommes presque tous ici favorables à une agriculture durable visant un équilibre raisonnable entre performance économique, sociale et environnementale. Mais cette approche ne doit pas se faire au détriment de la rentabilité économique de base et de la dynamique d’emplois générés actuellement par le secteur agricole et agroalimentaire. Surtout, ces réflexions ne doivent pas faire oublier que l’agriculture doit maintenir les principes d’une activité durable, c’est-à-dire qui procure un revenu décent pour faire vivre les agriculteurs sans les soumettre à des contraintes excessives. À ce propos, je tiens à saluer le fait que le texte proposé soit axé sur l’encouragement et l’incitation et non plus uniquement sur la contrainte. Cette orientation est fortement soutenue par le groupe RRDP.

Le projet de loi contient globalement de bonnes mesures, des mesures attendues depuis longtemps par le monde agricole. L’outil du GIEE – le groupement d’intérêt économique et environnemental – répond à des besoins identifiés. La mobilisation des moyens de l’État pour renforcer la compétitivité des filières grâce à une contractualisation adaptée et à la rénovation du contrôle des structures, s’inscrira dans un schéma régional et favorisera l’emploi et l’investissement.

Nous devons aussi veiller à ce que le projet de loi respecte les structures existantes qui ont fait leurs preuves ; je pense à nos coopératives.

De nombreux amendements, issus de tous les bancs de notre hémicycle, ont été déposés, visant à la suppression des alinéas 11 et 12 de l’article 6. Je les soutiendrai, car, dans ma circonscription, les coopératives agricoles sont nombreuses et c’est un modèle qui fonctionne. Je ne peux m’empêcher de penser à la COVAMA, près de Château-Thierry – où nous vous invitons à venir, monsieur le ministre. Aussi, ne confondons pas tout !

Autre mesure qui mérite d’être saluée : l’encadrement du recours aux engrais et aux produits phytosanitaires. À l’heure où les problèmes liés à la santé publique ne cessent de défrayer la chronique, l’encadrement et la réglementation des engrais et des produits phytosanitaires sont indispensables. Car l’agriculture, c’est la vie. Et je crois pouvoir dire qu’en ce domaine, le vignoble champenois a montré l’exemple depuis longtemps en diminuant l’utilisation de ces produits d’une façon considérable. En suivant cet exemple, nous devons faire évoluer nos filières agricoles vers des filières d’excellence économique et environnementale.

Cet engagement vers une agriculture durable est une préoccupation assez récente de notre société, mais elle existe depuis longtemps chez l’immense majorité de nos paysans. Des efforts considérables ont été faits et les mauvaises pratiques ont globalement disparu. Dans l’élevage, les fruits et légumes, les grandes cultures, le maraîchage ou la viticulture, nos agriculteurs sont résolument engagés vers des démarches plus respectueuses de l’environnement.

Cependant, une telle transformation de notre mode de production ne se fera pas pleinement sans un minimum de bon sens. C’est à l’échelle de l’Union européenne que la réglementation doit être déterminée et appliquée. Ne désespérons pas nos agriculteurs dépourvus de solutions face aux maladies orphelines, impuissants à soigner leurs cultures et constatant jour après jour que la maladie détruit leurs récoltes. Par ailleurs, n’oublions pas que nous mangeons tous les jours les produits agricoles de nos voisins belges, italiens, espagnols ou allemands qui ont utilisé ces mêmes engrais et produits phytopharmaceutiques interdits dans notre pays. Restons raisonnables ! Nous devons aussi préserver nos paysages agricoles et para-agricoles en maintenant l’économie et l’emploi qui en découle. Le sol, le foncier, la terre, voilà l’outil de travail de référence des agriculteurs ! À cet égard, le renforcement des SAFER constitue également un pas dans la bonne direction.

Sur ce point cependant, le projet de loi demeure perfectible. Tel quel, le texte ne donne pas aux SAFER les moyens de remplir pleinement leur mission de régulateur du foncier agricole. Le groupe RRDP a donc déposé de nombreux amendements en ce sens. La plupart d’entre eux sont passés à la trappe en raison d’interprétations aussi restrictives que malheureuses de l’article 40 de notre Constitution, mais certains sont passés entre les gouttes. Ils seront défendus avec énergie et j’appelle leur adoption de mes vœux, mes chers collègues, en vue de mettre fin aux dérives liées au contournement du droit de préemption. La superficie des terres dédiées à l’agriculture en France est en chute libre. Comme vous le savez tous, environ 90 000 hectares de terres agricoles disparaissent chaque année dans notre pays au profit de l’industrie, des transports, de l’habitat et des aménagements urbains et commerciaux. En fin de compte, la France perd tous les sept ans l’équivalent d’un département.

Dès lors, afin que vive la morale du Laboureur et ses enfants selon laquelle « Travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins », nous devons nous mobiliser pour le maintien de nos surfaces agricoles au risque de perdre l’une de nos richesses les plus précieuses.

Enfin, comment parler d’avenir de la performance économique et environnementale de notre agriculture sans évoquer l’enseignement ? L’article 27 procède à la création de l’Institut agronomique et vétérinaire de France, établissement visant à coordonner les stratégies et les projets de formation et de recherche des établissements français d’enseignement supérieur et de recherche en matière agricole et vétérinaire. Nous formons le vœu qu’il soit efficace et fécond afin d’unifier nos ressources pédagogiques et de proposer des enseignements et des formations innovantes visant à moderniser notre agriculture.

L’enseignement agricole souffre actuellement d’un manque préjudiciable de personnel à même d’assurer une formation de qualité à nos futurs agriculteurs. Il serait bon que la création de l’IAVF serve à détecter et pallier les besoins en emplois dans l’ensemble des établissements agricoles. Permettez-moi d’exprimer un regret relatif au titre Ier du projet de loi. En dépit d’un intitulé ambitieux, il n’exploite pas assez la perspective du développement des filières des éco-matériaux et de la chimie végétale. Plusieurs acteurs majeurs du secteur déplorent par ailleurs le manque de mesures et de moyens visant à renforcer durablement la compétitivité. Afin de se maintenir sur le territoire des zones intermédiaires, certains chefs d’exploitation seront contraints d’envisager la reconversion de leur activité.

Nous devons répondre aux demandes des agriculteurs désireux de lutter à armes égales avec leurs concurrents européens. En France, la lourdeur des contraintes administratives, sanitaires et environnementales est parfois exaspérante pour nos agriculteurs, d’autant plus que leurs concurrents ne les subissent pas. Loin de nous l’idée de remettre en cause l’ouverture des frontières, car nous ne trouverons pas de solution réaliste en les fermant. Cependant, les règles des échanges internationaux doivent être équitables. Il n’est pas question de subir naïvement les conséquences d’un commerce déloyal. Le commerce équitable et durable à long terme et pour tous, agricole ou non, suppose l’établissement de règles de réciprocité. Comme l’a rappelé tout à l’heure ma collègue Jeanine Dubié, nous subissons un coût du travail deux à trois fois plus élevé qu’en Allemagne, en Italie ou en Espagne.

M. Germinal Peiro, rapporteur. Ce n’est pas vrai !

M. Jacques Krabal. Une telle distorsion de concurrence n’est pas tenable pour toutes les productions intensives en main-d’œuvre, car le coût de celle-ci y représente 60 % du coût total de production. Nous devons trouver les réponses audacieuses pour faire face. Ce n’est pas simple et vos prédécesseurs, monsieur le ministre, ont échoué en dépit de nombreuses tentatives. Ne nous décourageons pas pour autant, des pans entiers de notre agriculture en dépendent. Enfin, on peut regretter que le projet de loi ne traduise pas pleinement le nécessaire choc de simplification d’une agriculture suradministrée.

Si le groupe RRDP est pour l’instant globalement satisfait des bonnes mesures que comporte votre texte, monsieur le ministre, celui-ci reste à notre avis largement perfectible et nous comptons sur le travail parlementaire pour l’améliorer et en combler les lacunes. Je vous sais à l’écoute des acteurs. Les syndicats des agriculteurs du sud de l’Aisne et moi-même attendons de vous rencontrer pour vous faire part directement des problématiques spécifiques à notre territoire. Formons ensemble l’espoir que le projet de loi, même s’il ne réglera pas tous les problèmes, redonne confiance aux agriculteurs et démontre, comme la fable Le laboureur et ses enfants, que le travail de la terre demeure un trésor pour nos agriculteurs. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Le Ray. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt semble prometteur de prime abord, c’est-à-dire à l’énoncé de ses attendus généraux. Pour autant, le sera-t-il concrètement pour la Martinique lorsqu’il sera adopté ? Le doute est permis au vu de la constante dégradation de son agriculture, tous secteurs confondus. Malgré les alarmes déclenchées, les SOS lancés et les aides accordées, la détérioration s’est tout de même poursuivie à une allure immodérée. Indéniablement, plusieurs raisons expliquent un tel déclin. Citons le manque de contrôle, le défaut de suivi, l’absence d’obligation de résultat et la multiplicité de structures parallèles captant les fonds octroyés, dont une partie est utilisée à des fins distinctes de leur destination initiale.

Par ailleurs, d’autres logiques, européennes en particulier, viennent renforcer ces regrettables effets pervers. En effet, le système lui-même ne cesse de démanteler les programmes approuvés et les dispositions existantes. Ainsi, le commissaire européen à l’agriculture en personne, M. Dacian Ciolas, a très récemment fait part de sa volonté de remettre en cause le programme d’option spécifique à l’éloignement et à l’insularité destiné aux régions ultrapériphériques. Une telle démarche déstabilisante n’est-elle pas la preuve tangible d’un éventail d’attaques stigmatisantes ? Dans le même registre, l’aide au développement endogène et l’octroi de mer demeurent des cibles sous prétexte qu’ils entraveraient la sacro-sainte liberté de circulation des marchandises. Quant au quota sucrier qui expire en 2017, la Commission européenne en décidera seule la prorogation éventuelle.

En définitive, quels que soient les moyens non négligeables mis en œuvre, on ne rebâtit pas durablement l’avenir d’un pays sur des bases chancelantes. Rebâtir, oui, mais à partir de quoi ? À partir d’un état des lieux effectué sans complaisance par les services de l’État et dont je citerai les conclusions. En trente ans, 530 exploitations agricoles ont disparu chaque année et 543 hectares de surface agricole utile ont suivi la même pente. Depuis l’an 2000, la main-d’œuvre permanente agricole s’est contractée de 52 %. Entre 1989 et 2010, le nombre de chefs d’exploitation et de co-exploitants est passé de 15 600 à 3400, soit une diminution drastique de 78 %. En dix ans, toujours selon les documents publiés par l’État, le nombre d’exploitations maraîchères et vivrières et d’élevages de porcins et de bovins laitiers a diminué de 90 %.

J’arrête là ce rosaire inquiétant qui démontre que le redressement souhaité ne sera pas aussi évident qu’on veut le faire accroire. Et, comme un malheur n’arrive jamais seul, le comble est arrivé. À leur tour, les bananeraies sont frappées par la cercosporiose noire. Le traitement de l’épidémie a entraîné par ricochet de multiples contaminations : sols, eaux, cultures, ressources halieutiques, et j’en passe. Même l’être humain n’est pas épargné. Entendons-nous bien, monsieur le ministre : il n’est nullement question de m’ériger ici en accusateur public. Bien au contraire, mon intention est de vous alerter objectivement sur l’état critique de l’agriculture martiniquaise.

Outre le constat, retenez les efforts réalisés par les élus, les collectivités et les socio-professionnels qui ont agi bien avant l’élaboration du projet de loi. Je peux en parler en connaissance de cause. La création de réserves foncières données en gérance à la SAFER en vue de l’installation de jeunes agriculteurs : on a fait cela ! L’aide à l’aquaculture en eau douce et en milieu marin : on a fait cela ! L’aide à l’élevage : on a fait cela ! La construction du pôle agroalimentaire régional, organisme de recherche valorisant les produits du pays : on a fait cela ! L’aide à la recherche sur la transmission des produits toxiques aux cultures vivrières, maraîchères, aux tubercules et à certains fruits : on a fait cela !

Comme vous le voyez, nous ne sommes pas à la traîne. « Nou pran douvan avan douvan pran nou », comme on dit en créole. Si le projet de loi vise à accélérer le processus enclenché, tant mieux ! Mais pour obtenir le succès escompté, encore faut-il disposer de subsides subséquents au prorata des difficultés amoncelées ! N’oublions pas que le projet de loi n’est pas un projet de loi de programmation. Par conséquent, il ne comporte aucune obligation d’engagement financier systématique.

M. Philippe Le Ray. C’est vrai !

M. Alfred Marie-Jeanne. Voilà le hic ! Car comment pourra-t-on sortir valablement d’une mauvaise passe qui est aussi une impasse ? Notre production a été démembrée et désarticulée. Elle vivote au lieu de faire vivre. Dans de telles circonstances, l’application trop tardive des solutions préconisées en fait des soins palliatifs retardant l’échéance du trépas. J’espère que nous n’atteindrons pas ce stade ultime. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Pellois.

M. Hervé Pellois. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt amènera d’importantes avancées pour notre pays. L’agriculture écologiquement intensive permettra en effet de produire autant et mieux, en s’appuyant sur le fonctionnement des écosystèmes – des écosystèmes malheureusement malmenés, voire oubliés, pendant des décennies. Il défend la diversité des agricultures, ainsi que les complémentarités propres à chaque territoire. Il s’inspire, tout simplement, du bon sens paysan.

Mon propos se bornera aux mesures prises pour limiter les intrants afin de gagner à la fois en performance économique et en qualité des produits finis. Peut-être le savez-vous : avec les Pays-Bas et la Belgique, la France forme, hélas, le trio des pays européens les plus gourmands en pesticides si l’on se réfère à la quantité de produit actif mise en œuvre pour un hectare cultivé. Le plan Écophyto s’est fixé pour ambition de réduire de moitié l’usage des pesticides d’ici à 2018. Les ventes ont cependant continué à grimper entre 2008 et 2011, avant de se réduire de 5 % en 2012. Plus encourageant : l’usage des produits phytosanitaires les plus dangereux a baissé significativement entre 2008 et 2012.

Nous le savons d’ores et déjà, la réalité du terrain rendra extrêmement difficile d’atteindre cet objectif, c’est pourquoi nous devons intensifier nos efforts en ce sens. En complément de la proposition de loi du sénateur Labbé visant à interdire l’utilisation des produits phytosanitaires dans les collectivités locales et chez les particuliers, à l’horizon 2022, ce projet de loi constitue un levier incontournable à la mobilisation du monde agricole.

Il incite au biocontrôle, vous l’avez rappelé avec conviction dans votre propos liminaire, monsieur le ministre ; il crée le suivi post-autorisation de mise sur le marché des produits phytosanitaires, et renforce la limitation de la publicité pour ces produits. Cependant, certaines interrogations subsistent sur la classification en tant que produits phytosanitaires des préparations naturelles peu préoccupantes, alors qu’il n’en est pas de même dans d’autres pays européens. Quelle garantie pouvez-vous nous donner en matière de simplification des procédures d’homologation de ces préparations naturelles peu préoccupantes ?

Ce texte nous permettra également d’avancer sur les semences de ferme, grâce aux amendements que vous avez bien voulu accepter en commission. Fruits d’une tradition d’adaptation aux terroirs et aux évolutions climatiques, les semences de ferme sont essentielles pour garantir la diversité de notre alimentation de demain et la diversité génétique. Les agriculteurs y sont très attachés et la loi nouvelle doit répondre à leurs attentes.

Avec ce projet, nous devons également répondre à une autre préoccupation sanitaire majeure, à savoir l’antibiorésistance, qui constitue l’un des défis médicaux du XXIsiècle. Administrés aux animaux d’élevage, les antibiotiques peuvent favoriser le développement chez les consommateurs de bactéries résistantes aux antibiotiques. Les infections causées par ces micro-organismes sont responsables de 25 000 décès par an dans la Communauté européenne.

Le surcoût des soins de santé représente, à lui seul 1,5 milliard d’euros par an. C’est dans ce contexte qu’est né le plan « Écoantibio », visant à réduire de 25 % leur usage d’ici à 2017, en développant diverses alternatives. Ce projet de loi va encore plus loin : il encadre les pratiques commerciales liées à la vente des antibiotiques ; il renforce les sanctions pénales en cas de fraude et de trafics ; enfin, il donne les moyens d’une réelle collecte de données d’utilisation des antibiotiques vétérinaires. Il doit être encore plus ambitieux pour démontrer que d’autres voies sont possibles. Des éleveurs y parviennent au quotidien, il faut savoir les mettre en avant.

Pour conclure, votre projet de loi, monsieur le ministre, va permettre de passer de la défiance à la confiance (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)…

M. Damien Abad. N’exagérons pas, tout de même !

M. Hervé Pellois. …d’apporter de la sérénité et de consolider les liens entre producteurs et consommateurs. En un mot, il prépare l’avenir agricole en donnant de nouveaux outils aux agriculteurs de demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Maire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Yannick Favennec. Un vrai ministre !

M. Damien Abad. Enfin !

M. Bruno Le Maire. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis heureux que notre année parlementaire commence par un texte relatif à l’agriculture, un thème qui est trop souvent le parent pauvre du débat politique, alors que nous devons tant à nos agriculteurs et à notre secteur agricole, l’un des seuls à être excédentaire dans la balance commerciale et à être créateur d’emplois. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Je regrette cependant, monsieur le ministre, que vous nous proposiez un texte qui, s’il correspond aux attentes de votre majorité, ne correspond certainement pas à celles de la majorité des agriculteurs. En effet, ceux-ci sont aujourd’hui confrontés à une ouverture croissante des marchés mondiaux et à une compétition européenne toujours plus féroce, dont nos voisins – l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, l’Irlande – entendent bien profiter. Nos agriculteurs sont aussi confrontés à l’instabilité des prix, à la fin des quotas en 2015, à des réglementations européennes toujours plus strictes, à des normes environnementales toujours plus exigeantes.

Face à ce nouveau contexte, qu’attendent-ils des pouvoirs publics ? De la simplicité et de la liberté, bref, la simplification de leur vie quotidienne. Or, malheureusement, le texte que vous nous proposez, monsieur le ministre, va rigoureusement dans la direction inverse (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP). Alors que les agriculteurs veulent de la simplicité, vous leur proposez ce fameux groupement d’intérêt économique et environnemental, sorte de monstre juridique dont je ne vois pas l’utilité – pas plus que les agriculteurs français ne la verront.

Quand vous nous dites que cela va permettre de développer la méthanisation, je suis d’accord avec vous sur l’intérêt de cet objectif, puisque nous avons pris du retard dans ce domaine. Mais puisque vous avez eu, sur cette question, un entretien avec votre homologue allemand – ce dont je me réjouis –, il a dû vous expliquer beaucoup mieux que je ne le ferais que ce qui permettra de développer la méthanisation, c’est de pouvoir sortir les projets s’y rapportant en six mois, plutôt qu’à l’issue des deux ans de procédure administrative qui sont encore nécessaires actuellement. (« Exactement ! » et « Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.) Ce qui permettra de développer la méthanisation, c’est d’augmenter le tarif de rachat du biogaz, afin que les installations soient rentables – c’est ce que nous avons fait il y a quelques années, et il n’y a pas besoin pour cela de groupements d’intérêt économique et environnemental. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Je le répète, les agriculteurs veulent de la simplicité. Vous avez signé, durant les vacances de Noël, un décret relatif aux installations classées et à leur regroupement. Je vous le dis très simplement, monsieur le ministre : ce décret va dans le bon sens. Cependant, vous devez encore faire un effort pour simplifier la vie des agriculteurs. Votre décret aurait été encore meilleur s’il n’avait fait que dix pages au lieu de soixante, s’il s’était aligné rigoureusement, en matière de regroupement, sur les règles européennes, et s’il avait tenu compte des spécificités des élevages bovins. Poursuivez dans cette direction de la simplification et du décret, monsieur le ministre. Vous obtiendrez ainsi de bien meilleurs résultats que par la complexité et la loi que vous nous proposez aujourd’hui.

Alors que les agriculteurs veulent de la liberté, vous leur imposez des contraintes supplémentaires, qu’il s’agisse du bail environnemental, de l’obligation de déclaration sur les engrais azotés – dont l’application est, au demeurant, d’une grande complexité (« Exactement ! » sur les bancs du groupe UMP) –, de la politique d’aide à l’installation pilotée par l’État et par les collectivités locales, ou de l’obligation de déclaration préalable trois ans avant le départ en retraite – franchement, à quoi une telle mesure va-t-elle servir ?

M. Damien Abad. C’est de la folie !

M. Bruno Le Maire. Alors que tous les agriculteurs français sont excédés par le poids des contraintes administratives qui pèsent sur eux, ce texte ne fait qu’en rajouter.

M. Damien Abad. Très juste !

M. Bruno Le Maire. Alors que les agriculteurs veulent gagner en compétitivité, vous leur imposez des charges et des obligations supplémentaires.

M. Daniel Fasquelle. Absolument !

M. Damien Abad. Ce n’est pas acceptable !

M. Bruno Le Maire. Je regrette, monsieur le ministre, que vous ayez supprimé l’allégement de charges sur les salariés agricoles que la précédente majorité avait instauré. C’était une décision rapide et claire, qui améliorait de façon très nette la compétitivité de l’agriculture française. Vous avez préféré la voie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Or, toutes les PME et toutes les petites exploitations agricoles vous le diront, le CICE est mille fois trop compliqué à mettre en œuvre. Il était beaucoup plus simple d’alléger directement les charges sur les salaires, afin d’obtenir, pour un même coût, un résultat bien plus efficace.

M. Daniel Fasquelle. Évidemment !

M. Bruno Le Maire. Je m’inquiète également du transfert à l’ANSES des autorisations de mise sur le marché : j’aurais préféré, monsieur le ministre, que vous gardiez la compétence en la matière, afin d’avoir la responsabilité politique de l’harmonisation européenne de mise sur le marché d’un certain nombre de molécules. Que l’ANSES donne son avis en tant qu’expert, oui, mais la décision, quant à elle, doit rester aux mains des politiques !

En définitive, ce texte va-t-il améliorer la situation concrète des agriculteurs français ? Va-t-il leur permettre de se battre à armes égales avec leurs compétiteurs européens et mondiaux ? Très sincèrement, monsieur le ministre et mes chers collègues, je ne le crois pas.

M. Daniel Fasquelle. Bien sûr que non !

M. Bruno Le Maire. Car, dans le fond, il manque à ce texte une vision claire de ce que vous voulez pour l’agriculture française. Notre vision à nous est claire : nous voulons une agriculture compétitive, capable de produire, partout sur le territoire – notamment dans les zones de montagne – des produits de qualité, et d’exporter ces produits, au moyen de filières organisées, vers les marchés porteurs en Europe et dans le reste du monde. (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe UMP.) Pour cela, il n’y a pas besoin d’une loi supplémentaire : il suffit de poursuivre l’organisation des filières, d’alléger immédiatement les charges sur les salaires agricoles, d’harmoniser les normes européennes, afin que ce ne soit pas systématiquement la norme la plus stricte qui se trouve appliquée en France.

M. Daniel Fasquelle. Pas besoin de bla-bla !

M. Gérald Darmanin. De l’action !

M. Bruno Le Maire. Il suffit de raccourcir les délais d’autorisation administrative et d’alléger les contrôles qui pèsent tant sur les exploitants agricoles et les paysans français. Voilà ce qui serait utile, monsieur le ministre !

Enfin, il faudrait également se battre pour la réciprocité des accords commerciaux.

M. Damien Abad. C’est très important !

M. Bruno Le Maire. De ce point de vue, j’ai une demande précise à vous faire, monsieur le ministre : je souhaite que la représentation nationale soit informée directement et précisément de l’état des négociations entre l’Union européenne et les États-Unis sur le volet agricole, dont les conséquences seront si importantes pour nos agriculteurs, en particulier dans le secteur de la production animale (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Damien Abad. Ça, c’est la vraie transparence !

M. Bruno Le Maire. Vous ne pouvez pas – et je suis certain que vous partagez mon avis, monsieur le ministre – vous contenter des propos inacceptables de M. Karel De Gucht, commissaire européen au commerce, qui nous dit en substance : « Circulez, il n’y a rien à voir, ce n’est pas du domaine de la représentation nationale, j’ai le mandat et je décide tout seul ! ». Non, M. De Gucht n’a pas à décider tout seul au sujet d’un accord qui concerne directement nos paysans et l’avenir de notre agriculture ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Alors, monsieur le ministre, une fois passé ce texte qui va occuper notre assemblée durant quelques heures, revenez à l’essentiel, et prenez les décisions qui iront dans le sens de la simplification, de la liberté et du soutien aux producteurs. Votre majorité sera peut-être un peu déçue, mais les agriculteurs, eux, vous en seront reconnaissants. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)



M. le président. La parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner un projet de loi visant à fixer l’avenir de l’agriculture et suscitant, à ce titre, une attente forte. Il intervient dans un contexte ayant beaucoup changé, marqué par une nouvelle définition de la politique agricole commune pour la période 2014-2020. Je veux saluer, monsieur le ministre, les efforts accomplis par votre gouvernement, dans le prolongement du travail effectué par Bruno Le Maire afin de faire en sorte de sauvegarder l’essentiel d’une politique agricole commune dont chacun sait qu’elle était particulièrement menacée.

Les efforts constants accomplis en ce sens nous montrent la voie qui devrait être suivie pour assurer l’avenir de l’agriculture, à savoir trouver ensemble comment donner un souffle nouveau à l’agriculture dans un contexte ayant profondément évolué, plutôt que de chercher des sujets de clivage. Il ne s’agit donc pas d’instaurer un débat partisan, mais un débat propice à la survie et au développement d’un pan entier de l’économie, qui constitue une formidable chance pour notre pays.

La dernière loi d’orientation datait de sept ans, et votre texte s’inscrit dans la suite de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche de 2010. Qu’attendait-on, à l’UDI, d’un texte d’avenir ? D’abord qu’il fixe clairement un cap pour notre agriculture – j’allais même dire pour nos agricultures, tant la diversité de production et de situation est grande et constitue aussi une chance pour notre pays et notre avenir collectif ; cette diversité doit donc demeurer.

M. Thierry Benoit et M. Yannick Favennec. Très bien !

M. François Sauvadet. Vous le savez, monsieur le ministre, nous assistons aujourd’hui à une véritable spécialisation régionale, qui fait qu’il devient extrêmement difficile de maintenir certaines productions dans des zones intermédiaires – je pense notamment à la production laitière, parfois rendue difficile en raison de la difficulté à trouver des partenaires économiques – en l’occurrence, des entreprises de collecte. (« Ah ! Le ministre acquiesce ! » sur les bancs du groupe UDI.)

Il faut faire de cette diversité un atout pour la France. Le reconnaître, c’est aussi reconnaître le fait que tout ne peut pas passer sous la même toise, et qu’il convient, dès lors, de fixer un objectif global pour la ferme France.



On ne part pas de rien, monsieur le ministre : l’avenir ne s’écrit pas sur une page blanche. Beaucoup a été fait au cours des dernières années, notamment par les agriculteurs eux-mêmes, qui ont été contraints de s’adapter et ont accompli des efforts considérables en ce sens.



Je tiens à leur rendre hommage aujourd’hui, car peu de professions ont eu à faire face à autant de mutations dans une période de temps aussi resserrée. Les exploitations d’aujourd’hui nécessitent en outre pour l’avenir des investissements en capitaux très engageants.



D’importantes modifications ont touché les marchés, monsieur le ministre. Les marchés agricoles sont soumis à une très forte volatilité. Vous l’avez constaté vous-même : on assiste à la fois à la flambée des prix de certains produits et à la dégringolade des cours pour d’autres. Or ce sont les exploitations qui doivent assumer la charge de ces chocs.



Je pense également aux crises alimentaires : quand il n’y a plus de confiance, il n’y a plus de marché. Il est donc absolument nécessaire d’assurer la transparence des conditions de production et de les garantir.



L’avenir dépend également des accords internationaux ; je partage l’opinion que Bruno Le Maire vient d’exprimer à ce sujet. Au nom du groupe UDI, je demande que la représentation nationale soit très précisément informée des négociations en cours, qui pèseront très fortement sur le fonctionnement des marchés, donc sur les conditions de vie des exploitants.



J’appelle votre attention sur un autre phénomène nouveau, monsieur le ministre : la compétition n’est pas seulement mondiale, elle s’est accentuée également à l’échelle infra-européenne. Je ne vous apprendrai rien, chers collègues, mais je tiens à le rappeler ici : les trois quarts de nos exportations de produits agroalimentaires sont destinés à l’espace européen. En dix ans, la France, premier pays agricole de l’espace européen et parmi les premiers à l’échelle mondiale, a perdu des parts de marché – trois points – au sein de l’espace européen.



M. Jean-Yves Caullet, rapporteur pour avis. Eh oui !

M. Jean-Pierre Le Roch, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. La faute à qui ?

M. François Sauvadet. Or, au cours de cette même période, l’Allemagne a gagné un point et a renforcé sa capacité d’exportation alors qu’elle n’était pas de grande tradition agricole et agroalimentaire comme la France. Cela signifie que, dans le contexte nouveau que je viens de décrire, nous avons des défis à relever auxquels j’aurais espéré que votre texte dit d’avenir apportât des réponses concrètes. Il faut bien évidemment redonner à nos agriculteurs de la confiance et du souffle.

Charles de Courson a évoqué tout à l’heure les leviers de compétitivité. En effet, les agriculteurs ne sont pas les seuls à rencontrer des difficultés : c’est l’ensemble du secteur agroalimentaire qui est touché. Vous avez pu constater les chocs subis par un certain nombre d’entreprises, notamment dans l’ouest de la France, que vous connaissez bien, monsieur le ministre ; ces sinistres industriels pèsent lourd. Il est donc urgent de donner un nouveau souffle à l’agriculture.

Pour cela, nous devons tout d’abord réaffirmer, et je doute que ce soit la vocation de votre projet de loi, la nécessité de conserver une agriculture de production…

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. François Sauvadet. …tout en préservant le patrimoine naturel que nous avons reçu en héritage et qu’il nous faut transmettre dans de bonnes conditions à nos enfants. Protéger nos espaces au détriment de la production ne me paraît pas être le meilleur service à rendre à l’agriculture française. Je souhaiterais que le Gouvernement clarifie sa position à ce propos. Pour notre part, nous tenons à conserver une agriculture de production en veillant bien sûr à ce qu’elle soit respectueuse de l’environnement, c’est-à-dire de notre patrimoine naturel.

Il est vrai que nos opinions divergent sur le sujet. Souvent, la gauche considère, et le Gouvernement semble suivre cet avis, qu’on ne réglera la question de la préservation de l’environnement que sous le poids de la contrainte et de la norme. Je crois en revanche qu’il faut faire l’inverse, c’est-à-dire accompagner nos agriculteurs dans la recherche d’un nouvel équilibre économique, qui est difficile à atteindre mais qui doit permettre de faire coïncider ces deux objectifs.

C’est une opportunité nouvelle que les agriculteurs ont déjà saisie, et je veux à ce titre leur rendre hommage : ils ont une sensibilité bien plus grande que par le passé à ce patrimoine naturel dont ils ont la charge et dont ils sont les héritiers, ne serait-ce qu’à cause du coût des intrants. Chacun veille à ce que l’agriculture trouve son équilibre malgré les charges nombreuses et lourdes qui pèsent sur le secteur.

Le contexte s’est également modifié s’agissant des attentes des consommateurs, notamment en matière de sécurité alimentaire, vous avez pu le constater. Nous avons progressé dans ce domaine, et je salue les efforts que tous les gouvernements ont consentis pour satisfaire la légitime exigence de transparence affichée par beaucoup de nos compatriotes sur les filières et les conditions de production, qui seront demain des éléments essentiels pour la mise sur le marché.

Il faut aussi favoriser le travail d’innovation et de recherche, un travail que peuvent mener à bien nos fleurons industriels. Nous n’avons pas fourni de moyens suffisants pour encourager la recherche, nous privant par exemple de perspectives nouvelles en matière d’OGM.

M. Damien Abad. Eh oui !

M. François Sauvadet. Nous devons abandonner les postures et nous questionner sur ce qui est utile en nous appuyant sur l’avis des experts dans des conditions transparentes vis-à-vis de la population. Renoncer à toute recherche sur des sujets qui offrent des perspectives d’avenir alors que, en 2050, il y aura sur terre 9 milliards d’êtres humains à nourrir serait de nature à nous mettre en difficulté pour les décennies qui viennent. Je tenais à appeler votre attention sur ce point pour éviter que nous nous mettions en situation de repli en matière de recherche et d’innovation.

Cela vaut également en matière de sécurité sanitaire. Nous avons été confrontés à des problèmes de tuberculose bovine ; vous connaissez bien le sujet, monsieur le ministre. Je suis découragé par les retards pris dans la recherche sur des thèmes comme celui-ci. Je vous en conjure : ne mettons pas en péril l’effort de recherche et d’innovation qui doit être engagé, car c’est aussi ce qui nous permettra d’assurer la transparence et la sécurité alimentaire.

M. Dino Cinieri. Absolument !

M. François Sauvadet. Qu’attendons-nous ? Les grands objectifs que je viens de rappeler constituent à nos yeux le moyen d’assurer un avenir à la ferme France et à chacune de ses filières. Or je constate que le texte que vous proposez contient une boîte à outils, des dispositions techniques qui, pour la plupart, seront source de complexification, sans pour autant changer l’avenir. On risque d’ailleurs, je le crains, d’opposer les filières entre elles.

Il me semble tout d’abord important de réaffirmer que la diversité de nos productions est une chance.

M. Philippe Vigier. Eh oui !

M. François Sauvadet. N’opposons pas les marchés de niche aux grandes productions, car les uns et les autres ont leur place dans notre pays.

M. Thierry Benoit. Toutes les forces d’agriculture !

M. François Sauvadet. Sacrifier les unes au motif que les autres seraient plus protecteurs de l’environnement serait une erreur majeure.

M. Yannick Favennec. Il a raison !

M. François Sauvadet. L’enjeu, c’est d’abord de donner à l’agriculture les moyens de lutter à « armes égales » avec nos partenaires – j’emprunte ce terme à Bruno Le Maire, car je partage son analyse –, notamment au sein de l’espace européen. Or, nous sommes particulièrement frileux en la matière.

M. Thierry Benoit. C’est exact !

M. François Sauvadet. Quand j’emploie les mots « à armes égales », je pense notamment aux facteurs de compétitivité. Je souscris aux propos qui ont été tenus quant à l’allégement des charges, qui était une nécessité absolue et au sujet duquel nous avions déjà apporté des réponses, en particulier dans les secteurs d’activités fortement consommateurs de main d’œuvre, auxquels il fallait apporter un nouveau souffle. Je remarque cependant que vos outils pour soutenir la compétitivité sont non seulement complexes mais aussi inaccessibles à des pans entiers du secteur ; je pense notamment aux coopératives agricoles.

Celles-ci sont également soumises à la compétition internationale et constituent un des maillons forts du développement économique de l’agriculture. Je souhaiterais, à l’instar des autres membres du groupe UDI – M. Benoit l’a indiqué tout à l’heure –, que ces structures soient elles aussi éligibles à un dispositif dont nous contestons l’efficience et l’efficacité mais qui devrait au moins permettre d’apporter un nouveau souffle.

M. Dino Cinieri. Très bien !

M. François Sauvadet. J’espère que l’amendement que nous avons déposé en ce sens recevra un avis favorable de votre part, monsieur le ministre.

Être pragmatique consiste également à desserrer un certain nombre de freins. Je me suis plongé récemment dans les documents que les agriculteurs doivent produire en matière de comptabilité ; avez-vous déjà procédé à une telle immersion, monsieur le ministre ? C’est littéralement hallucinant !

Mme Isabelle Le Callennec. Effrayant !

M. François Sauvadet. Notre premier objectif devrait être de simplifier ces procédures, ou à tout le moins de ne pas ajouter de nouvelles normes à celles qui sont déjà imposées à nos agriculteurs par le partenariat européen.

M. Damien Abad. Absolument ! Ni plus, ni moins !

M. François Sauvadet. Nous l’avons vu sur les installations classées : vous avez fait un premier pas, et je veux vous encourager à poursuivre dans cette voie. La procédure, lourde et coûteuse, doit être réservée à des installations dont on suppose qu’elles perturbent l’environnement ; elle ne doit pas être imposée à des agriculteurs en phase d’installation. C’est le bon sens qui parle, et je ne doute pas que vous vous y tiendrez.

Concernant les normes environnementales, je souhaite que nous n’imposions pas de règles plus strictes que celles qui figurent dans les textes européens. Je souhaite d’ailleurs qu’une concertation étroite s’engage entre les services du ministère de l’écologie et les vôtres afin que les textes soient clarifiés et que nous puissions avancer, au lieu d’ajouter des règles, comme je crains que vous le fassiez avec votre projet de loi.

M. Damien Abad. Il fallait écouter Nicole Bricq ! Elle avait raison !

M. François Sauvadet. J’ai évoqué la question des aléas climatiques et je regrette que votre texte ne comporte aucun élément à ce sujet. L’assurance récolte, sous la forme d’outils fiscaux mis à la disposition des agriculteurs, pourrait également permettre de faire face à des chocs. Or, aucun signal n’est donné sur ce système alors que nous devons en vérifier l’efficacité. Il est bien mis à la disposition des agriculteurs, mais il n’est pas utilisé, du fait de son coût.

Les aléas climatiques sont pourtant nombreux et touchent beaucoup de secteurs ; vous disiez vous-mêmes récemment que, dans le ministère dont vous avez la charge, il y a une crise environ tous les six mois, monsieur le ministre. Par conséquent, je regrette que les outils économiques permettant de faire face à ces aléas n’aient pas leur place dans une loi agricole dite d’avenir et qui doit en ce sens permettre de sécuriser la situation des agriculteurs dans un contexte économique particulièrement dégradé.

M. Damien Abad et M. Jean-Pierre Vigier. Absolument !

M. François Sauvadet. Le texte comporte certes quelques points positifs : le rôle du médiateur, la garantie de solidité des contrats et l’encouragement à la contractualisation par filières vont dans le bon sens. Je regrette cependant qu’il n’y ait aucune disposition concernant les aléas.

Loin de moi l’idée de vous faire un procès d’intention. Je crains cependant que, mû par de bonnes intentions, car vous connaissez le sujet, vous n’en arriviez malgré tout à complexifier un domaine qui a besoin de respiration. Quand je regarde l’ensemble des outils que vous avez mis en place, je suis préoccupé.

M. Jean-Pierre Vigier. Nous aussi !

M. François Sauvadet. Parmi ces nouveaux projets figurent les groupements d’intérêt économique et environnemental, les GIEE. Vous les présentez comme une mesure phare du projet de loi. En quoi consistent-ils ? Il s’agira de réunir autour de la table toute une série d’acteurs, ce qui ne fera que complexifier la chose, alors que les GEDA, les groupes d’étude et de développement agricole, travaillent déjà sur ces sujets et ont fait des progrès considérables par l’expérimentation.

M. Thierry Benoit. Il y a aussi les SETA !

M. François Sauvadet. Il y a également les SETA, les syndicats d’études techniques agricoles. Il aurait fallu expérimenter l’association de nouveaux partenaires sans l’institutionnaliser.

Par ailleurs, l’action publique se déploie dans un contexte de budget contraint, ce qui ne va pas s’arranger avec le temps, monsieur le ministre, et vous le savez. Nous avons un impératif de réduction des déficits. Je me méfie donc des annonces sur un surcroît d’aides pour les GIEE : qui va payer ? Quelles seront les contreparties en termes d’arbitrages budgétaires ? Telles sont les questions que je vous adresse, monsieur le ministre. Il nous faut être attentifs au financement et au mode de fonctionnement des outils nouvellement créés. J’attends de votre part des précisions sur ces points, car ils ont été renvoyés au domaine réglementaire. Quelles seront les modalités d’agrément, de reconnaissance et de sélection des projets concernés ? Il ne faudrait pas que la majoration des aides se fasse au détriment d’autres secteurs.

À cet égard, pourquoi ne pas vous appuyer sur le réseau des chambres d’agriculture ? Ce réseau fonctionne, mais peut-être faut-il également le moderniser. Mon avis est qu’il ne faut pas créer du nouveau là où nous disposons déjà d’outils qui mériteraient d’être confortés.

Quant à la déclaration annuelle des quantités d’azote, il me semble qu’elle devrait être réservée à des zones particulièrement exposées ou à des secteurs particulièrement sensibles.

M. Stéphane Le Foll, ministre. C’est le cas ! Ces dispositifs s’appliquent par région, selon des choix régionaux !

M. François Sauvadet. Vous nous apporterez des précisions, monsieur le ministre, mais je ne voudrais pas que vous adoptiez des mesures totalement inadaptées aux réalités d’un grand nombre d’exploitations et qui feraient porter des contraintes supplémentaires sur les petits agriculteurs, agissant ainsi dans un sens opposé au choc de simplification que nous souhaitons et qui est prôné au sommet de l’État.

Les dispositions prévues en matière de transparence des GAEC, qui constituent une avancée, ne concernent pas les exploitants associés au sein d’autres sociétés ou structures, qui réclament eux aussi une clarification de leur statut professionnel. J’attendais une amélioration de leur situation. Le silence de la loi sur le sujet ne sera pas sans conséquence, car la surdotation des 52 premiers hectares entrera prochainement en application. Si la transparence est réservée aux seuls GAEC, cela créera des dégâts dans un certain nombre d’exploitations situées dans les zones intermédiaires.

En outre, pour constituer un GAEC, il faut que deux entités constituées se rapprochent. Vous ne pouvez pas maintenir dans un secteur comme la Côte-d’Or ou l’Aussois, dans les zones intermédiaires, une exploitation extensive d’élevage de 50 hectares ou de 52 hectares par unité de travailleur agricole. Dès que vous passerez le cap des 100 hectares pour une seule exploitation, s’il n’y a pas de transparence, vous allez provoquer une situation extraordinairement difficile pour les EARL.

J’avais déjà appelé votre attention sur cette question en commission, monsieur le ministre. Vraiment, regardez-la.

Je comprends l’idée de la surprime. Que l’exploitation petite soit plus pourvoyeuse de main-d’œuvre, je veux bien vous suivre dans cette démarche même si je n’y crois pas beaucoup, mais faites attention, notamment dans les secteurs d’élevage extensif, où il y aura des situations extrêmement difficiles. Je vous demande de manière très solennelle, avec insistance et sans esprit polémique de regarder cette question économiquement lourde. Je ne plaisante pas, c’est grave et sérieux. Ces exploitations sont déjà d’une très grande fragilité. Si vous ajoutez à tous les investissements nécessaires dans les bâtiments pour préserver l’environnement et respecter les normes successives, une baisse des primes au motif qu’il faut aider celles de moins de cinquante-deux hectares, je peux vous assurer qu’il y aura des désastres dans des pans entiers de l’économie dans les zones intermédiaires.

Les SAFER, l’aménagement soumis à étude d’impact, maniez tout cela avec beaucoup de prudence et faisons-le en lien étroit avec la profession. Les jeunes agriculteurs demandent effectivement que l’on anticipe la libération des terres mais faisons attention car il y a aussi des questions fiscales et des successions à organiser qui ne sont pas si évidentes et qui ne peuvent pas toutes se régler à la même toise, notamment dans différentes régions. Thierry Benoît l’évoquait tout à l’heure, d’immenses exploitations sont en train de se constituer, notamment dans le secteur laitier, et il faudra vraiment organiser les transmissions avec les professionnels, sans fixer de toises et de règles qui deviendraient extrêmement difficiles. Je pense même que la transmission des exploitations sera l’un des plus grands défis du XXIsiècle.

M. Thierry Benoit. Tout à fait !

M. François Sauvadet. Paradoxalement, ce sera plus simple pour la transmission des très grandes exploitations structurées, pour lesquelles l’apporteur de capital ne pourra pas être simplement l’exploitant.

M. Thierry Benoit. Exactement !

M. François Sauvadet. Pas plus que vous, je ne souhaite l’arrivée en France d’une agriculture avec des ouvriers salariés d’un grand capital, mais, une fois que nous avons fait ce constat commun, il faut agir avec une grande prudence.

M. Thierry Benoit. C’est un vrai défi !

M. François Sauvadet. Vous êtes en charge d’équilibres complexes, c’est une charge complexe que celle que vous exercez, mais faites attention à tout nouveau dispositif imposant des contraintes supplémentaires qui ne serviraient pas l’objectif que nous devons partager, transmettre nos exploitations, y compris dans des pans entiers.

L’autre plus grand défi du XXIsiècle, ce sera l’aménagement du territoire,…

Dernière chose, l’interdiction faite aux groupements d’éleveurs de délivrer à leurs adhérents des antibiotiques que leur a prescrits leur vétérinaire. Nous avons tous cherché à faire en sorte que les plus petits exploitants puissent se regrouper dans des communautés de moyens pour faire appel à des techniques auxquelles ils ne pourraient pas avoir accès seuls et vous êtes en train de nous dire que, pour les médicaments prescrits par un vétérinaire, on ne pourrait plus avoir la moindre marge de manœuvre. Là encore, faites attention car cela ne correspond pas à la réalité vécue sur le terrain.

M. Yannick Favennec. Oh oui !

M. Stéphane Le Foll, ministre. C’est négocié avec les vétérinaires !

M. François Sauvadet. …expression qui a disparu du langage. Comme Bruno Le Maire, je suis très heureux que le premier texte de l’année soit un texte agricole. Franchement, s’il pouvait y en avoir un deuxième pour adresser un signal à la France d’à côté, qui se sent maltraitée, oubliée, que le redécoupage électoral qui est en train de se produire est en train de fragiliser encore davantage (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP), on rendrait service à l’idée que nous nous partageons.

Un mot sur la forêt. M. Brottes est parti mais le président du conseil d’administration de l’ONF est là. Vous créez un fonds stratégique de la forêt et du bois. Comment allez-vous l’alimenter, à quelle hauteur ?

Cela n’exclut pas le contrôle, ce n’est pas du tout la même chose. Il ne faut pas commettre les mêmes erreurs, c’est-à-dire réduire la mise à disposition de moyens utilisés ailleurs et sans danger pour les humains et fragiliser ainsi nos propres élevages. Soyons donc très prudents. Une telle mesure, qui pourrait apparaître comme une bonne idée, aura à mon avis des conséquences concrètes très préoccupantes au moment où l’on cherche à faire des économies, notamment, à maîtriser les charges des exploitations.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Vingt-deux millions !

M. François Sauvadet. Un fonds stratégique à 22 millions…

M. Stéphane Le Foll, ministre. Il n’y avait rien jusqu’à présent !

M. Germinal Peiro, rapporteur. C’est mieux qu’avant !

M. François Sauvadet. Au moment précis où je suis en train de vous encourager et de reconnaître que cela va plutôt dans le bon sens, vous semblez me le reprocher, c’est le monde à l’envers !

Monsieur le ministre, je suis un peu déçu. J’attendais de vous une vraie loi d’avenir, nous nous retrouvons avec une boîte à outils qui apportera beaucoup plus de contraintes que de solutions. Nous nous attendions à ce qu’un cap soit fixé pour notre agriculture, pour lui permettre de se voir précisément un avenir, et je crains que nous ne passions à côté d’un grand rendez-vous, mais je ne désespère pas de vous. (« Ah ! » sur les bancs des groupes UDI et UMP.) J’espère que, dans ce débat parlementaire, vous accepterez les amendements que nous vous proposons, qui sont de nature à améliorer les choses, en tout cas à nous permettre de nous doter d’outils plus efficaces que ceux que vous nous proposez, et beaucoup plus simples.

Créer ce fonds n’est plutôt pas mal parce que l’on a besoin de moderniser les outils de la forêt. Je ne sais pas ce que l’on fera avec 22 millions, ni comment cela sera géré, mais, s’il y a un effet levier et que nous y travaillons aussi avec les régions notamment, je pense que l’on pourra avoir des outils de modernisation. La forêt, c’est effectivement un grand drame. Nous avons la plus grande richesse forestière au monde et voilà que cette forêt nous quitte en grumes pour nous revenir en ameublement. Pour tout ce que l’on pourra faire pour apporter de la valeur ajoutée dans ce domaine, vous aurez le soutien de l’UDI.

J’attends aussi de vous que vous vous engagiez à faire du ménage dans les normes, parce que l’on n’en peut plus de la norme dans ce pays, et en agriculture plus que dans tout autre domaine. Monsieur Martin, rapprochez-vous de votre collègue, commencez à travailler à éliminer les normes avant d’en créer et vous rendrez ainsi service au pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. Thierry Benoit. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le ministre, le monde agricole pouvait attendre beaucoup de votre texte, tant ses ambitions annoncées semblaient grandes : penser l’avenir de l’agriculture française, refondre la politique agricole depuis les années 60, rien que cela !

Malheureusement, la déception est à la mesure des attentes. Certes, vous entendez mettre le développement durable et équilibré au centre des politiques agricoles. C’est tout à fait louable, mais le secteur n’avait pas besoin de nouveaux comités Théodule, de nouvelles procédures complexes et de pétitions de principe difficiles à appréhender pour sortir de la crise qu’il connaît. Surtout, ce texte évite surtout soigneusement toute réflexion sur la régulation de l’ouverture des frontières, pourtant au cœur du problème.

La préoccupation majeure de nos agriculteurs concerne leurs revenus. Or ces revenus sont conditionnés par les prix de vente de leur production. Une évidence, me direz-vous, pourtant totalement absente de l’actuel projet de loi. En la matière, vous ne faites que remanier de manière superficielle la contractualisation imposée contre l’avis d’une majorité de la profession par votre prédécesseur, M. Bruno Le Maire.

La contractualisation, censée remplacer toutes les mesures de régulation des prix anéanties sous la pression de l’Union européenne et de l’OMC, n’est pourtant restée que ce qu’elle est, une vague incantation. Elle a accompagné le naufrage du maraîchage et de l’arboriculture, mon département du Vaucluse en sait quelque chose, avec la même efficacité que durant les crises laitières, qui ont mis la profession à mal en moins de cinq ans.

C’est justement en vous appuyant sur vos initiatives de l’année écoulée dans le secteur laitier que vous proposez de renforcer le rôle du médiateur dans la résolution des litiges entre producteurs et transformateurs ou distributeurs. Or votre médiateur se retrouvera dans le rôle qui fut le vôtre lors des tables rondes de la filière laitière, celui d’un spectateur impuissant face aux ravages causés par l’importation non encadrée de denrées agricoles à bas coût et à la concurrence déloyale extra-européenne et intra-européenne, devant la brutalité dont font preuve des géants de la distribution et de la transformation.

J’entendais un certain nombre de mes collègues expliquer que la solution serait la baisse des charges.

M. Yannick Favennec. Eh oui !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Bien évidemment, c’est une solution intéressante mais les eurodéputés ont par exemple baissé de 70 % les taxes d’importation sur les produits arrivant du Maroc.

M. Gérald Darmanin. Qu’a voté Mme Le Pen ?

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Comme vos prédécesseurs, vous abdiquez malheureusement toute volonté politique devant le libre-échangisme de l’UE et de l’OMC. Les géants multinationaux, dont rien ne semble plus freiner l’hégémonie, vous sauront gré de ne pas entraver leurs projets. Nos petits paysans, eux, ont déjà compris que vous ne les protégeriez pas.

Monsieur le ministre, la seule attente de nos agriculteurs, ce sont des prix qui rémunèrent de manière équitable le travail qu’ils fournissent, pas un alourdissement supplémentaire d’un code rural dans lequel plus un juriste ou un agriculteur ne se retrouve depuis longtemps.

Croyez-vous donc vraiment qu’en baissant massivement les charges des agriculteurs français, on arrivera à régler le problème ? De toute façon, les distorsions en matière de droit du travail, de réglementation environnementale ou de coût du travail tout simplement sont telles que cela ne suffira évidemment pas à régler le problème de compétitivité de nos producteurs.

Désireux d’encourager l’installation des jeunes agriculteurs, vous avancez une batterie de mesures visant à mieux contrôler la gestion du foncier agricole, intention louable et légitime, si tant est que cette énième usine à gaz parvienne à produire des résultats. Malheureusement, elle ne pourra, faute de prix rémunérateurs et de visibilité à moyen terme, assurer la pérennité des nouveaux installés. Comment voulez-vous gérer un endettement de plus en plus long et élevé quand le prix de vos productions est susceptible de varier du simple au double en moins d’un an ?

L’avenir de l’agriculture n’est pas dans cette loi, qui, décidément, porte bien mal son nom. Pour voir émerger l’agro-écologie, la préservation de la diversité de nos productions, l’installation d’une nouvelle génération ou encore l’accès, pour tous les Français, à une alimentation de qualité, encore faut-il assurer la pérennité de nos exploitations et de nos productions. Or l’avenir de notre agriculture est dicté depuis bien longtemps par l’Union européenne et l’OMC. La première tarit peu à peu les subventions comme on retire le tabouret sous les pieds d’un pendu, pendant que la seconde a eu la peau de toute régulation des prix.

L’inquiétant avenir de l’agriculture française s’écrit actuellement en secret, à l’abri du regard des peuples et des agriculteurs, dans les antichambres feutrées où se négocie le traité de libre-échange avec les États-Unis. Cet avenir, ce sont les OGM, la foire aux matières premières, aux traders, les viandes produites et transformées dans des conditions désastreuses et irrespectueuses de la dignité des animaux, le monopole des géants de la chimie et de la malbouffe.

Cet avenir, les Français n’en veulent pas. En l’espace d’une année, vous avez réussi à présenter une PAC à l’agonie comme une victoire française, avant de vous lancer dans un saupoudrage des aides en vous appuyant sur des prévisions de revenus qui se sont révélées totalement erronées. La seule véritable victoire serait que la contribution française à l’Europe soit directement versée par nous-même à nos agriculteurs, de façon plus juste et équilibrée.

Vous avez aussi promis aux Français la traçabilité des viandes dans les plats préparés. Pourtant, par la suite, vous avez demandé aux députés de s’abstenir de voter une loi qui l’imposerait afin de ne pas contrarier la Commission européenne et de ne pas entraver ces fameuses négociations transatlantiques. Comme l’UMP hier, vous êtes les complices d’une politique qui relève de moins en moins de la souveraineté française.

L’agriculture, et, avant tout, ces petites exploitations à taille familiale et humaine, est une richesse à préserver. Le circuit court, la production locale, est un modèle à défendre, parce qu’il est plus écologique et de meilleure qualité. J’ai pour les hommes et les femmes qui en font leur métier plus d’ambition que les méandres technocratiques de votre texte et, pour cela, il faut accepter de remettre en question le libéralisme débridé. Malheureusement, en l’absence de véritable solution dans votre texte, vous condamnez une fois de plus les agriculteurs français à être les grands perdants de la mondialisation.

M. le président. La parole est à M. Bruno Nestor Azerot.

M. Bruno Nestor Azerot. « Les hommes qui prennent de grands risques doivent s’attendre à supporter souvent de lourdes conséquences ». Ces mots de Nelson Mandela me permettent ici de rendre un hommage préalable au leader africain qui vient de nous quitter, et je crois, monsieur le ministre, que vous accepterez de vous y joindre.

Vous l’accepterez d’autant plus qu’avec ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture, vous prenez vous-même quelques risques avec les conformismes, notamment celui de revenir sur des pratiques agricoles et des habitudes culturales installées dans notre pays depuis les années 60. Il y a là un risque de déstabilisation, mais c’est sûrement une nécessité incontournable, et c’est votre mérite de vous lancer dans cette voie, quitte à vous attendre à en supporter là aussi les lourdes conséquences.

Quelles sont les nécessités de l’heure ? Il nous faut conserver une base productive forte qui assure une création de richesse économique et, désormais, assurer surtout une sécurité alimentaire à nos concitoyens, qui s’accompagne en même temps d’une réduction des impacts agricoles négatifs sur les milieux naturels. C’est la quadrature du cercle !

Ces deux nécessités impliquent de restructurer les exploitations agricoles, d’encourager l’installation des jeunes et le renouvellement des générations, de promouvoir le fermage et la coopération pour faire baisser les charges d’exploitation, de protéger les structures familiales, de renforcer aussi, par une politique de qualité et d’origine, les produits de notre agriculture.

Une agriculture qui a trop été marquée par des crises sanitaires ces dernières années. Les modes de voie changent. L’agriculture doit changer. Mais quel rôle doit-elle avoir ces prochaines années ? C’est à ce défi que vous tentez de répondre et j’approuve globalement votre démarche économique et sociétale en la matière, notamment cette idée de « pacte avec la communauté nationale visant à garantir une alimentation saine et respectueuse de l’environnement ».

J’approuve aussi l’idée de mobilisation d’un monde agricole toujours dynamique, contrairement aux idées reçues, qui s’ouvre vers la société par des coopérations, des mises en réseaux avec les acteurs des territoires et des filières intraconnectées, dans des approches de développement territorial intégré.

Je suis d’autant plus sensible à votre approche territoriale, monsieur le ministre, qu’en tant qu’homme de l’outre-mer, j’ai constaté que celle-ci a depuis longtemps structuré nos sociétés antillaises modernes, depuis la fin de l’esclavage, leur apportant son nouveau souffle libertaire.

En effet, là où nos sociétés coloniales reposaient sur la culture exclusive et servile de la canne à sucre, l’introduction volontariste par l’État, au début du vingtième siècle, d’une culture diversifiée, la banane, a permis l’émergence d’une petite paysannerie rurale à partir de 1928, ainsi que d’une classe moyenne antillaise fondamentalement pénétrée des idéaux radicaux-socialistes et humanistes. Ainsi, la banane, seule culture de diversification qui ait réussi aux Antilles depuis la révolution, et le rhum ont structuré et façonné nos territoires d’un point de vue agricole et commercial, mais aussi d’un point de vue politique et sociétal.

C’est ce qui a fait s’exclamer, dans les années 2000, la Première ministre de la Dominique, Miss Eugenia Charles, confrontée à la méconnaissance arrogante des fonctionnaires européens : « Mais ne comprenez-vous pas que la banane aux Antilles, c’est la banane des droits de l’homme ? », par opposition aux situations socialement et écologiquement indécentes connues en Amérique latine.

Je crois donc que votre démarche globale est bonne. Je suis convaincu, de même, que ces pivots que sont les filières dites traditionnelles doivent être impérativement sauvegardés si l’on ne veut pas déstructurer toutes nos sociétés en outre-mer.

Mais, hors de là, monsieur le ministre, bien sûr, de nouvelles compétitivités peuvent et doivent être recherchées : par une transmissibilité nouvelle des outils de production, une simplification des modèles de production, un renouvellement des générations, un accompagnement des productions locales, un encadrement des cultures et produits de diversification pour les doter d’une vraie dynamique, et non les saucissonner encore par des aides parcellaires, aléatoires ou personnelles.

Là encore, certes, une vision globale est nécessaire. C’est ce à quoi vous vous attelez, et j’espère que vous accepterez nos quelques amendements de précision, de conviction ou de sauvegarde, concernant nos territoires.

Quoi qu’il en soit, vous pouvez compter sur notre soutien ferme et définitif. Je ne suis pas en effet de ceux qui viendront vous parler toujours des difficultés ou des handicaps de notre agriculture ou s’attacheront à des postures pour n’évoquer que des produits témoins, symboles d’une agriculture muséale ou passéiste. Je crois au contraire que l’agriculture des outre-mer, par son dynamisme et son modernisme, est par nature une agriculture mondialisée.

Je crois plutôt, pour ma part, à une agriculture de réseaux de produits, d’innovation, de filières, de diversité, de nouvelles organisations du travail et de nouveaux modes d’investissement par des chefs d’exploitations agricoles dignes et responsables humainement ou sociétalement car ancrés dans leurs territoires. Notre agriculture doit être humaine, parce qu’équilibrée et raisonnable. Notre agriculture doit être compétitive, parce que structurée par des filières agricoles dynamiques et fortes.

Pour toutes ces raisons, pour tous ces besoins, pour toutes ces espérances, monsieur le ministre, les députés de notre groupe GDR, auxquels sont associés les députés d’outre-mer, soutiendront avec force votre projet et le voteront. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue le mercredi 8 janvier 2014 à zéro heure vingt, est reprise à zéro heure trente.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Jean-Michel Clément.

M. Jean-Michel Clément. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans le droit fil de la longue histoire législative qui a accompagné l’évolution du monde agricole et de son environnement, qu’il soit européen ou national. Le texte que vous nous proposez, monsieur le ministre, constitue véritablement un acte fondateur, comme peu d’autres précédemment l’ont fait. Les orientations sont claires. Il s’agit avant toute chose de préserver la ressource qu’est la terre, tout en donnant aux agriculteurs les moyens d’assurer la pérennité de leurs exploitations. Mais il faut aussi faire émerger de nouveaux modèles et accueillir de nouvelles générations, que le monde agricole à lui seul ne peut plus renouveler.

Je reprendrai un bref historique pour orienter mon propos sur cette nécessité permanente d’installer des agriculteurs, quel que soit, si j’ose dire, leur âge désormais. Les premières lois fondatrices, qui suivirent l’entrée en vigueur du traité de Rome, en 1960 et en 1962, furent à juste titre qualifiées de lois d’orientation, tant elles donnaient à la France et à son agriculture, des objectifs clairs. Il nous fallait des exploitations en capacité d’assurer au pays son indépendance alimentaire et de mieux développer sa capacité exportatrice. Pour y parvenir, on choisit un modèle d’exploitation – l’exploitation familiale à responsabilité personnelle – et, pour assurer son succès, on fit un choix politique audacieux, celui de l’interventionnisme étatique. Étant donné que deux canaux permettent d’accéder à l’exploitation – le statut du fermage et le faire-valoir direct –, on décida de la création de deux outils.

Le premier visait au contrôle des mutations de jouissance. Le faire-valoir indirect étant déjà important, ce fut le contrôle des cumuls et des réunions d’exploitations devenu plus tard le contrôle des structures. Le second, la SAFER, contrôlera l’accès à la propriété pour ceux désireux d’exploiter en faire-valoir direct. Cinquante ans plus tard, reconnaissons que ces orientations ont abouti à maintenir l’idée de l’exploitation de type familial. Elle existe encore aujourd’hui et l’article 5 de votre projet de loi, confortant le statut des GAEC, est là pour en témoigner. Mais combien en reste-t-il ? Nous sommes passés de 3 500 000 exploitants en 1960 à 350 000 aujourd’hui. Les outils créés à l’époque l’ont été pourtant en concertation avec la profession agricole et ils ont été mis à sa disposition pour dessiner le paysage de l’agriculture d’aujourd’hui. Force est de constater que les résultats ne sont pas tout à fait ceux escomptés et les responsabilités sont très largement partagées, me semble-t-il, entre ceux qui ont voté les lois et ceux qui les ont appliquées.

En effet, l’interventionnisme s’est essoufflé et on a voulu promouvoir l’entreprise agricole. La loi du 5 janvier 2006 a marqué un virage libéral de notre modèle. Cette loi assouplit le contrôle des structures pour accompagner le développement des formes sociétaires, crée le fonds agricole et institue le bail cessible. C’est l’époque aussi où les droits à paiement unique, conséquences de l’évolution de la politique européenne, deviennent marchands. L’agriculture se financiarise et emprunte au monde économique et financier toutes les formes de sociétés possibles, pour lever ou gérer des capitaux de plus en plus lourds : recours à des structures de type holding, à des SAS ou à des organisations multisociétaires.

Conscients de cette chute rapide du nombre d’exploitants et de ses conséquences en termes d’aménagement du territoire, les gouvernements qui se sont succédé, au cours de ces deux dernières décennies, ont pourtant adopté à chaque législature des lois dites tantôt d’adaptation, tantôt d’orientation, tantôt de modernisation. Toutes ont un dénominateur commun : faire de l’installation un objectif prioritaire pour tenter d’enrayer la chute brutale du nombre d’exploitants. Les outils sont les mêmes, mais c’est manifestement leur mise en œuvre qui a péché, quand ils n’ont pas été détournés ou contournés. Dans le même temps, le phénomène sociétaire s’est éloigné du modèle historique, voulu par et pour le monde agricole. Aujourd’hui, l’agriculture n’est plus en mesure d’assurer le renouvellement des générations.

Que voulons-nous ? Laisser plus encore l’agriculture se libéraliser ou réorienter cette dernière et corriger les dérives constatées, pour aller vers d’autres modèles qui conjuguent agriculture et environnement, emploi et territoire ? Si tel est le cas, il faut redonner des moyens d’action à la SAFER et renforcer le contrôle des structures. C’est votre choix, monsieur le ministre, et je le soutiens. Il faut adapter les outils d’intervention imaginés hier à la réalité d’aujourd’hui, parce que le phénomène sociétaire ne cessera de prendre de l’ampleur et que le patrimoine foncier sera de moins en moins considéré comme un élément patrimonial et de plus en plus comme un outil d’exploitation. Faiblir sur ces deux derniers points serait donner un signe fort aux plus habiles, qui trouveront les espaces utiles pour s’agrandir toujours plus, pour ne prendre dans les mailles du filet que ceux qui devraient plutôt y échapper. Un certain nombre d’amendements, que nous sommes ici plusieurs à porter, expriment et confortent ce choix décisif pour l’avenir, choix qui est aussi le vôtre, monsieur le ministre, j’en suis convaincu.

Je conclus en paraphrasant une triade mongole qui, parlant des trois obscurités de l’univers, évoque la nuit sans lune, l’homme sans savoir et l’enclos sans moutons. Je ne voudrais pas que soit transposé à l’agriculture de demain ce qu’il m’a été donné d’observer récemment lors de l’inauguration d’un comice agricole : un tracteur sans chauffeur, piloté à distance ; un avion sans pilote, survolant les plaines agricoles ; et un enclos sans moutons – soit, pour le dire autrement, les trois obscurités de l’agriculture. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout comme mes amis Bruno Le Maire et François Sauvadet, je suis heureux que le premier texte de cette année 2014 soit ce projet de loi d’avenir de l’agriculture. Ces dernières décennies, le monde agricole a radicalement changé. L’agriculture, qui a eu un rôle essentiel dans notre économie et dans l’équilibre de nos territoires, est en danger. Les agriculteurs doivent faire face à diverses menaces : la concurrence de nouvelles puissances agricoles, notamment le Brésil et la Chine ; la volatilité des prix et des cours ; l’effondrement des revenus qui frappe toutes les exploitations, toutes les filières et toutes les familles de paysans depuis plusieurs décennies.

Pendant de longs mois, j’ai discuté de ce texte avec de nombreux maraîchers, des arboriculteurs, des éleveurs, des producteurs laitiers ou des viticulteurs de la Loire. S’il a d’abord suscité beaucoup d’espoir, force est de constater aujourd’hui que la déception est grande, monsieur le ministre. Vous dites vouloir renforcer la compétitivité des filières. Cependant, ce texte, qui ne repose sur aucune vision économique de l’agriculture, ne permettra pas à notre pays de se moderniser, d’innover, de développer son activité ni de gagner des parts de marché à l’étranger. Il ne contient aucune mesure concrète de nature à renforcer la compétitivité, alors qu’il s’agit d’un enjeu essentiel pour l’agriculture française. En outre, nous sommes loin du « choc de simplification » que vous nous promettez sans cesse. De nombreuses dispositions du texte vont compliquer considérablement le quotidien de la profession. Les agriculteurs, qui travaillent plus de soixante-dix heures par semaine, n’ont pas besoin par exemple d’une augmentation du nombre de déclarations ou d’une réforme du fonctionnement des interprofessions qui risque de bloquer la prise de décision.

D’autre part, vous voulez « repeindre l’agriculture en vert », en développant le concept d’agro-écologie et en imposant de nouvelles normes. Ce faisant, vous sous-entendez que les agriculteurs n’intègrent pas actuellement le développement durable dans leur activité. Cet a priori n’est pas conforme à la réalité et se révèle inutilement vexatoire pour nos concitoyens qui sont soucieux de protéger notre planète. Je suis tout à fait favorable au concept d’agro-écologie : j’avais d’ailleurs organisé à l’Assemblée nationale une réunion d’information avec des chercheurs de l’INRA en avril 2013. Les enjeux sont en effet considérables, monsieur le ministre : il s’agit de maintenir les rendements – il faudra nourrir 9 milliards d’habitants en 2050 – tout en respectant l’environnement. Il convient donc de concilier deux notions paradoxales en apparence : la productivité et l’écologie. Or nous ne pourrons relever ce défi que par les innovations au pluriel. Il faut tenir compte des réalités du terrain et chaque exploitation présente des caractéristiques et des conditions pédoclimatiques propres.

Depuis dix-huit mois, le Gouvernement et la majorité mettent à mal le secteur agricole : suppression de la TVA compétitivité, que nous avions instaurée et qui aurait pu bénéficier à 94 % des entreprises du secteur ; baisse significative des crédits budgétaires en loi de finances, qui touche notamment des aides à l’installation, à la modernisation et au redressement des exploitations en difficulté ; hausse des charges en raison de la réforme du dispositif relatif aux travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi.

Il est par ailleurs souhaitable de renforcer le rôle des SAFER, qui seront obligatoirement informées préalablement à toute cession de biens ou de droits mobiliers ou immobiliers à vocation agricole. Je défendrai des amendements très importants pour le département de la Loire, consistant à empêcher les contournements du droit de préemption de la SAFER – ouverture du droit de préemption aux achats de parts sociales, achat séparé de nue propriété ou d’usufruit, enfin certaines donations à titre gratuit.

L’article 8 tend à répondre au risque de blocage et d’empêchement de décisions dans les interprofessions. Mais, en proposant un seuil exorbitant de 80 % des voix aux élections aux chambres d’agriculture pour l’application des règles d’extension des accords interprofessionnels, les interprofessions seront condamnées à l’inaction. La participation des syndicats minoritaires aux interprofessions ne pose plus de problème de fond, depuis que les juges ont reconnu la possibilité de fonctionner en collège et que des décisions interprofessionnelles prises à l’unanimité des collèges étaient valides, même en cas de non-unanimité au sein de l’un des collèges.

Les contraintes du droit de la concurrence et le démantèlement quasi complet de la PAC ne laissent plus que les interprofessions pour construire des outils de régulation, tant économique que sanitaire, au profit de toute la profession. La majorité issue de toutes les élections professionnelles est sans ambiguïté : il faut en prendre acte. Vous réaffirmez, monsieur le ministre, le rôle du médiateur des relations commerciales agricoles que nous avions instauré par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 pour redonner du poids aux producteurs dans leurs négociations avec la grande distribution. Cette possibilité concernait initialement les contrats passés dans les secteurs laitiers, des fruits et légumes et de la viande ovine. Le décret n2011-2007 du 28 décembre 2011 a élargi les compétences du médiateur, en l’autorisant à émettre des avis sur toute question relative aux relations contractuelles, notamment à la demande des organisations interprofessionnelles, des organisations professionnelles, des syndicats ou des chambres consulaires.

Il est dommage que vous n’alliez pas au bout de la logique en dotant le médiateur de pouvoirs coercitifs. Pour l’instant, les parties peuvent en effet ne pas respecter ses avis et les négociations peuvent alors se succéder sans que l’on trouve d’accord.

Par ailleurs, le projet de loi veut interdire toute publicité pour les produits phytosanitaires. Cette interdiction serait contre-productive car elle supprimerait de fait les possibilités de communication en ce domaine par la presse professionnelle, le principal vecteur d’information sur les bonnes pratiques d’usage, les conditions de stockage et de manipulation de ces produits.

Je regrette, monsieur le ministre, que le projet de loi ne soit pas à la hauteur des enjeux. Lors de son examen en commission des affaires économique, des amendements très importants ont été adoptés, concernant notamment la contractualisation, la limitation en durée du recours au médiateur, la possibilité de faire appel à la procédure d’arbitrage ou encore au recours judiciaire collective. Ils doivent absolument être préservés au cours des débats à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

Mme Annie Genevard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Je suis l’élu, monsieur le ministre, d’un département, la Mayenne, que vous connaissez bien parce que voisin du vôtre, un département rural dans lequel l’agriculture joue un rôle prépondérant et surtout dans lequel chaque agriculteur reste un maillon essentiel du territoire par son ancrage local, par son activité et par son rôle économique. Aussi, je ne peux que souscrire à l’ambition affichée dans l’exposé des motifs de votre projet de loi : notre agriculture et le secteur de l’agroalimentaire « doivent relever le défi de la compétitivité pour conserver une place de premier plan au niveau international et contribuer au développement productif de la France ». Très bel affichage, monsieur le ministre.

M. Thierry Benoit. En effet !

M. Yannick Favennec. Malheureusement, force est de constater que ce texte manque en réalité de souffle et d’ambition. Il ne se traduit par aucune mesure concrète permettant de soutenir les producteurs, de lutter contre les distorsions de concurrence, de simplifier la vie quotidienne de nos agriculteurs, de renforcer la compétitivité de leur exploitation, la grande absente de votre projet de loi alors qu’elle constitue un enjeu essentiel pour notre agriculture.

Le texte que vous nous soumettez s’attache essentiellement à répondre à la question du rôle imparti à l’agriculture dans les prochaines décennies. S’il est nécessaire de concilier performance économique et performance environnementale mais aussi d’ouvrir davantage le monde agricole sur la société, je déplore que ce texte soit essentiellement prophétique et ne réponde pas davantage aux enjeux réels à plus court terme.

M. François Sauvadet. Très juste !

M. Yannick Favennec. L’accent devrait être mis sur la réaffirmation de l’agriculture comme un secteur stratégique en matière d’emploi,…

M. Lionel Tardy. Bien sûr !

M. Yannick Favennec. …d’équilibre de la balance commerciale et de relance de l’activité !

Si votre projet comporte quelques avancées, telles que les installations progressives d’agriculteurs, la qualification et la notion de transparence pour les GAEC, le renforcement du rôle du médiateur des relations commerciales agricoles, l’amélioration de la gouvernance des coopératives ou encore la contractualisation entre les filières agricoles et la distribution, il présente beaucoup de fragilités sur d’autres aspects, monsieur le ministre. Ainsi, vous entendez lutter contre la volatilité des prix des matières premières, mais avec quels moyens ? Vous n’abordez la question du statut de l’agriculteur que sous l’angle social. S’agissant des GIEE, l’agro-écologie ne peut, à elle seule, constituer le socle de la politique de développement agricole et de financement de l’agriculture.

M. François Sauvadet et M. Thierry Benoit. Eh oui !

M. Yannick Favennec. La modification durable des pratiques ne sera pérenne que si la rentabilité et le revenu sont confortés. Quant à la réforme des interprofessions, elle risque d’avoir des conséquences sur le financement des actions de recherche et d’expérimentation, de promotion et de connaissance des marchés, actions indispensables pour l’avenir de nos productions et de nos filières. En outre, vous affichez votre volonté de renforcer l’enseignement agricole, mais ne proposez pas de mesures concrètes. L’enseignement agricole étant pourtant la passerelle qui conduit nos jeunes vers les métiers de l’agriculture, de son attractivité dépend l’avenir de nos exploitations et de leur renouvellement.

En matière de développement durable, seule la forêt se voit reconnaître dans sa fonction productrice de biomasse et d’atténuation du changement climatique. Il est regrettable que le projet de loi n’encourage pas le développement des filières d’éco-matériaux et de la chimie du végétal, conformément aux conclusions du débat national sur la transition énergétique.

Enfin, aucune mesure n’est envisagée pour renforcer notre recherche génétique et agroalimentaire afin que la France retrouve sa place de leader agricole en Europe d’ici 2020.

Je considère, avec l’ensemble de mes collègues du groupe UDI, que certains points du projet de loi doivent être améliorés afin de prendre en compte plusieurs problématiques.

En premier lieu, le développement de l’emploi, notamment par un accompagnement des exploitations et des entreprises françaises face au dumping social pratiqué en Europe, est une priorité. L’allégement des charges sociales sur les salariés permanents est indispensable, en attendant l’harmonisation des règles sociales au sein de l’Union européenne.

L’élimination des distorsions de concurrence intracommunautaires relatives aux normes, concernant plus particulièrement les installations classées, l’utilisation de produits phytosanitaires et de médicaments vétérinaires constitue aussi une impérieuse nécessité.

La loi devrait également traduire le choc de simplification engagé par le chef de l’État et ne pas complexifier la vie de nos exploitants avec de nouvelles normes. Il s’agit là d’une revendication permanente des agriculteurs que nous rencontrons sur le terrain.

La professionnalisation de l’agriculture doit également être améliorée et la définition du statut de l’agriculteur abordée avec plus d’ambition, notamment s’agissant de l’accès à la protection sociale.

Nous souhaitons aussi des moyens renforcés pour l’innovation et la recherche, lesquelles conditionnent la réalité de la double performance économique et environnementale, ainsi qu’une politique ambitieuse de gestion des risques qui sécurise les exploitations agricoles face à la multiplication des aléas climatiques, sanitaires et économiques.

M. Thierry Benoit. Parfaitement !

M. Yannick Favennec. Je souhaite enfin aborder la question du foncier et rappeler à quel point elle est préoccupante s’agissant de l’installation des jeunes en agriculture. Faut-il rappeler qu’au moins 80 000 hectares de terres agricoles disparaissent chaque année en France du fait d’un changement de destination de ces surfaces ? L’agriculture perd en superficie l’équivalent d’un département tous les sept ans. La terre est leur principal outil de travail, mais sa rareté constitue depuis un certain temps un frein à l’installation et entraîne une mise en concurrence des agriculteurs entre eux et avec d’autres secteurs d’activité. Le texte ne propose pas d’avancées significatives dans ce domaine. C’est pourquoi le groupe UDI a déposé un certain nombre d’amendements visant à protéger les terres agricoles et à favoriser le renouvellement des générations.

En conclusion, monsieur le ministre, je dirai que votre projet ne répond pas aux attentes concrètes des agriculteurs français confrontés à une compétition européenne et internationale de plus en plus difficile. Mais, vous le voyez, nous avons la volonté de l’améliorer… Encore faudrait-il que nos amendements soient adoptés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

Mme Annie Genevard. Très bien !

M. François Sauvadet. Il a été excellent !

M. Thierry Benoit. Même le ministre a apprécié !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Disons que j’ai noté la référence à la Mayenne.

M. Yannick Favennec. Voilà surtout ce qu’il a apprécié ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, chers collègues, permettez-moi en préambule de saluer l’ambition affichée par notre gouvernement d’apporter un souffle nouveau à notre agriculture en l’inscrivant définitivement dans un processus durable à travers le double objectif de performance économique et environnementale.

Monsieur le ministre, vous avez voulu, à travers ce texte, mettre en exergue les spécificités des outre-mer pour y apporter des réponses adaptées en prévoyant un titre spécifique consacré à nos territoires. Je retiens notamment la possibilité qui sera désormais offerte à aux indivisaires de répondre efficacement à une problématique bien connue de l’ensemble des territoires d’outre-mer puisque l’unanimité ne sera plus requise, à savoir l’insalubrité et l’inexploitabilité des biens immobiliers du fait de la généralisation de l’indivision. Toutefois, je ne peux faire l’économie de certaines observations, au premier titre desquelles une grande focalisation sur la thématique de l’agriculture au détriment de l’alimentation, et surtout de la forêt qui aurait peut-être mérité qu’un véhicule législatif lui soit entièrement dédié.

Les différentes dispositions de ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ayant déjà été pour la plupart largement commentées, je consacrerai l’essentiel de mon intervention au territoire de la Guyane.

Voyez-vous, monsieur le ministre, la Guyane présente des caractéristiques uniques au sein de la république française : d’une part, l’immensité de son territoire, équivalent à celui du Portugal, recouvert à 97 % par la forêt amazonienne, d’autre part, un dynamisme démographique qui a conduit au triplement de la population en vingt-cinq ans avec, désormais, près de la moitié âgée de moins de vingt ans. Ces particularismes se traduisent automatiquement dans les secteurs agricole et sylvicole. Ainsi, dans un contexte national de baisse du nombre d’agriculteurs, le secteur agricole guyanais est particulièrement dynamique et représente désormais 5 % du PIB local et 7,5 % de la population active, avec une croissance de l’ordre de 20 % du nombre des exploitations en dix ans. Il mérite donc une attention toute particulière. Celle-ci doit tout d’abord concerner la question du foncier puisque 90 % du territoire relève du domaine privé de l’État. Sa mise à disposition aux agriculteurs est rendue notamment plus difficile du fait que le foncier agricole n’est pas géré par une SAFER mais par l’outil législatif ad hoc que constitue l’Établissement public d’aménagement de la Guyane. Les compétences de ce dernier dépassent largement le champ agricole, et il octroie un très fort pouvoir décisionnel aux communes tout en péchant par l’absence de représentants des filières agricoles, pourtant les premières concernées.

L’attention devrait aussi se porter sur la question des phytosanitaires. En effet, je ne puis que regretter que les amendements déposés en ce sens par mes collègues de l’intergroupe aient été rejetés en commission. À défaut de faciliter la mise sur le marché de produits nécessaires à la survie d’exploitations en territoires dits « inhospitaliers » du fait de l’omniprésence d’espèces prédatrices aux cultures locales, il aurait fallu instaurer de véritables leviers d’incitation à la mise en place d’alternatives adaptées aux climats subtropicaux et aux réalités équatoriales amazoniennes. Je rappelle au passage que seul 29 % des besoins en produits phytosanitaires sont couverts dans les régions ultramarines.

Nous regrettons aussi l’absence de dispositions claires et fermes en matière de recherche et de production d’organismes génétiquement modifiés dans les milieux amazoniens, milieux particulièrement fragiles et propices aux proliférations accidentelles, alors que la Guyane bénéficie de la présence de nombreux organismes de recherche.

Cela dit, nous notons toutefois que le titre II de la loi répond en partie à l’enjeu majeur du renouvellement des générations. Cela est important dans une région ou près de la moitié des moins de vingt-cinq ans souffrent du chômage. Le principe du contrat de génération adapté au secteur agricole nous semble à cet égard particulièrement bienvenu en Guyane, et au-delà dans tout l’outre-mer.

Pour ce qui est du titre V relatif à la forêt, je me réjouis de l’objectif affiché d’un renforcement du caractère durable de la gestion des forêts. Je retiens toutefois que la politique actuellement en place sur le territoire de la Guyane semble quelque peu contradictoire avec l’ambition déclinée par le projet de loi. Difficile en effet de ne pas mettre celle-ci en parallèle avec les réalités de l’exploitation de cette ressource, pourtant omniprésente en Guyane puisqu’elle s’étend sur huit millions d’hectares : la filière sylvicole guyanaise ne concerne en effet actuellement qu’un volume annuel, quelque peu dérisoire, de 16 000 arbres, soit environ 65 000 mètres cubes de grumes produits sur 850 000 hectares de forêt aménagée et dédiée. La filière, largement bridée par des normes de production certifiée, peut-être trop contraignantes, souffre d’un véritable déficit de structuration qui, hélas, ne fait pas l’objet d’une attention particulière dans le projet de loi. Il est dommage, au regard des difficultés rencontrées par la filière, à l’échelle de la Guyane et de la France entière, qu’il n’ait pas repris les nombreuses recommandations de l’avis rendu en 2012 par le Conseil économique, social et environnemental, notamment pour ce qui concerne les dimensions environnementales, sociales ou économiques.

S’il se veut critique, mon propos ne modifie en rien le soutien que j’apporte à ce projet de loi car de toute évidence il a le mérite de présenter de véritables avancées en matière d’agriculture ultramarine, bien souvent délaissée par la majorité précédente.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Très juste !

M. Gabriel Serville. Les défis posés par la forêt guyanaise sont immenses, je pense à la lutte contre les massacres qu’elle subit, en grande partie perpétrés par l’orpaillage clandestin.

Préservation et valorisation du biotope, captation du Co2 et taxe carbone sont autant de dossiers sensibles qui nous rappellent à quel point il est nécessaire de réfléchir enfin à une véritable loi de programmation qui engloberait l’agriculture et la forêt, au bénéfice de la Guyane dont la position en Amazonie constitue un véritable atout pour la République.

Indépendamment des suites qui seront réservées à nos amendements, que j’espère tout de même favorables, je me positionnerai en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDRSRC.)

M. le président. La parole est à Mme Fanny Dombre Coste.

Mme Fanny Dombre Coste. Monsieur le ministre, avec détermination et en concertation avec l’ensemble des acteurs, vous avez engagé une réforme ambitieuse de notre politique agricole, afin de l’adapter aux grands enjeux qui attendent notre pays pour les décennies à venir.

En effet, le projet de loi pour l’avenir de l’agriculture, l’alimentation et la forêt que nous examinons aujourd’hui en première lecture porte bien son nom.

Dans un contexte de doublement de la demande alimentaire mondiale à l’horizon 2050, il relève ainsi le triple défi d’assurer la compétitivité et le renouvellement du secteur agricole français, de garantir une production agricole de qualité pour répondre aux nouvelles attentes des consommateurs, tout en assurant la préservation de l’environnement.

Le titre II portant sur la protection des terres agricoles et le renouvellement des générations me semble à cet égard mériter une attention toute particulière.

Tout d’abord, pour continuer de soutenir notre balance commerciale et faire face au doublement de la demande alimentaire mondiale, les terres vont être sollicitées pour produire plus.

Ensuite, pour répondre aux exigences des consommateurs d’une plus grande qualité et d’une plus grande traçabilité des produits, les terres vont être sollicitées pour produire mieux.

Aussi, face au phénomène de concentration des parcelles, à la diminution du foncier disponible induisant une hausse des prix et au vieillissement de la population des agriculteurs, il est nécessaire de mettre en place une politique d’installation favorisant le renouvellement des générations et assurant ainsi la pérennité du secteur.

Le rapport de l’Observatoire national de consommation des espaces agricoles que j’aurai le plaisir de vous remettre prochainement en ma qualité de présidente, monsieur le ministre, permettra de préciser quelques chiffres sur la consommation des espaces agricoles, ce qui est nécessaire.

Entre 2000 et 2012, les terres agricoles se sont réduites à un rythme allant de 40 000 à 90 000 hectares par an, selon les études, sous l’effet de l’artificialisation des sols, de l’étalement urbain et du développement parfois anarchique des zones d’activité économiques et commerciales.

Mme Delphine Batho. Absolument !

Mme Fanny Dombre Coste. Les espaces, qu’ils soient naturels, agricoles ou forestiers, constituent notre patrimoine vital sur lequel repose notre capacité à assurer notre alimentation.

Aussi le Gouvernement s’est-il engagé, conformément aux orientations de la conférence environnementale de 2012 et en lien avec le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, à renforcer les outils de préservation des terres agricoles. C’est le sens des propositions faites à l’article 12 du projet de loi.

Tout d’abord, l’Observatoire national de la consommation des espaces agricoles verra ses missions renforcées tant par l’élargissement de son périmètre aux espaces naturels et forestiers que par celui de ses missions. Il agira ainsi comme un véritable appui méthodologique aux collectivités territoriales et homologuera à cet effet des indicateurs de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers.

L’article 12 du projet de loi transformera également les commissions départementales de la consommation des espaces agricoles, en élargissant de la même façon leur périmètre et leur action aux espaces naturels et forestiers.

Ces dernières seront systématiquement consultées pour avis dans la mise en œuvre des schémas d’organisation territoriaux, et leur avis favorable sera requis pour tout projet de document d’urbanisme qui modifierait substantiellement le périmètre ou les conditions de production dans les aires bénéficiant d’une appellation d’origine protégée.

À ce titre, je note avec satisfaction que vous avez complété la composition des futures commissions départementales pour y ajouter un représentant de l’Institut national de l’origine et de la qualité lorsqu’un projet touchera une appellation d’origine protégée. Ceci témoigne, monsieur le ministre, de votre volonté de protéger et de promouvoir la diversité et la qualité des productions de nos terroirs, et je ne peux que saluer cette orientation politique.

L’esprit de la loi, en particulier de cet article 12, c’est véritablement d’inverser le regard sur le foncier agricole dans les documents d’urbanisme pour en améliorer la préservation en renforçant le rôle des intercommunalités dans la lutte contre l’artificialisation, en déclinant dans les SCOT des objectifs chiffrés de consommation économe d’espace, mais aussi en intégrant une réflexion sur le projet agricole des territoires dans les plans locaux d’urbanisme.

Avec ces mesures, on ne considère désormais plus les terres agricoles comme le réservoir des grandes villes, mais on les voit comme faisant bel et bien partie intégrante du projet de développement économique d’un territoire.

Parce que l’enjeu du foncier agricole que je viens d’évoquer est un enjeu majeur, le projet de loi ne s’arrête pas là : il intègre également la question du contournement du contrôle des structures à travers le renforcement du rôle de la SAFER, de sa gouvernance, de la réaffirmation de son droit de préemption et la sécurisation juridique de son action.

L’article 15 à cet effet est également important en ce qu’il va, à travers la création d’un schéma directeur régional des exploitations agricoles, permettre de lutter contre la trop grande concentration des terres.

En conclusion, je salue dans ce texte les mesures prises pour moderniser notre agriculture, lui permettre de se positionner résolument dans la compétition mondiale, et donner à nos agriculteurs les outils pour se former, s’installer, se regrouper et mutualiser, innover, exceller et exporter.

C’est pour répondre aux enjeux alimentaires, économiques et environnementaux que nous soutiendrons le projet d’agroécologie particulièrement innovant que vous nous proposez. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est attendu par les agriculteurs.

Dans le contexte difficile que nous connaissons, il ne faudrait pas qu’il vienne complexifier les règles du jeu car, comme vous l’avez déclaré devant la commission des affaires économiques, monsieur le ministre, « l’agriculture française traverse à l’heure actuelle, dans toutes ses composantes, une période difficile. »

Difficile pour certains, critique pour d’autres. Trente-neuf articles nous sont donc présentés et ils s’apparentent parfois à un catalogue rempli de bonnes intentions.

Notre agriculture a hélas perdu en compétitivité et elle fait face à un besoin urgent de modernisation.

Vous avez en outre évoqué un choc de simplification. Il serait plus opportun d’y voir un choc de complexification…

M. Damien Abad. Eh oui !

Mme Véronique Louwagie. …avec, par exemple, la transmission de données supplémentaires, l’augmentation du nombre de déclarations, une réforme alourdie du fonctionnement des interprofessions ou encore la modification des critères relatifs au contrôle des structures et à l’assujettissement au régime des non-salariés agricoles.

Le poids des normes, notamment en milieu rural, est étouffant, vous le savez bien, monsieur le ministre. Il ne faudrait pas que vos intentions en matière d’agroécologie soient marquées par le sceau normatif.

Toutefois, en ce début d’année, il convient de se réjouir de la mesure consistant à indemniser les agriculteurs en cas d’arrêt maladie. Cette avancée doit cependant être retravaillée car l’indemnité perçue ne couvre pas le coût du service de remplacement tandis que la cotisation peut sembler élevée pour certains exploitants, étant précisé qu’environ 70 % des exploitants ont un revenu inférieur au SMIC.

Ce projet de loi doit répondre aux questions que se posent et que nous posent les agriculteurs. Comment assurer leur bonne installation et le renouvellement générationnel ? Comment leur assurer un revenu garanti ?

Le rôle des agriculteurs et des éleveurs est essentiel mais souvent le circuit distributif ne leur est pas favorable. Plus concrètement, certains secteurs comme celui de la viande connaissent une crise. Or le poids de la grande distribution dans notre pays n’a pas d’équivalent en Europe. Cette place dominante entraîne une baisse des marges et des prix tirés vers le bas.

De plus, la concurrence européenne, allemande notamment, se révèle d’une férocité rare. Nombre d’abattoirs dans nos territoires sont dans une situation précaire et connaissent des difficultés notables.

Par ailleurs, la directive sur le détachement des travailleurs ne facilite pas la donne. Pour autant, ce projet de loi ne semble pas répondre à l’enjeu de la concurrence loyale ou déloyale en Europe.

Vous proposez donc la création d’un médiateur des relations commerciales agricoles dont le rôle sera précisément de favoriser une meilleure application des contrats, comme ce fut le cas pour le lait il y a quelques mois. Sur le principe, tout dispositif consistant à fluidifier les relations entre acteurs doit être expérimenté.

Vous souhaitez sectoriser les actions via des programmes stratégiques par filière afin d’assurer leur développement et leur compétitivité, notamment pour la volaille ou le porc.

Au travers de l’article 11 du projet de loi, vous envisagez de régionaliser la politique agricole via les plans régionaux de l’agriculture durable dits PRAD. Cependant, il faudra être vigilant pour que votre projet de loi ne fragilise pas le système coopératif français qui a fait ses preuves et qui demeure une spécificité appréciée par les acteurs concernés.

Nous prenons bonne note de vos orientations mais est-il utile de rappeler ici que le monde agricole souffre tout autant des mesures budgétaires et fiscales décidées par votre majorité comme la baisse des crédits, ce qui a un impact négatif sur les volets installation et modernisation des exploitations et des équipements ?

La place de l’enseignement agricole – déjà évoquée – est décisive car, outre ses nombreuses missions, il lui incombe de former le vivier des agriculteurs de demain. Il convient donc de le rendre plus attractif auprès de nos jeunes qui s’interrogent sur leur avenir.

Alors que le Président de la République a déclaré vouloir recourir à la pratique des ordonnances de l’article 38 de la Constitution, votre projet de loi inaugure ou avait anticipé cette volonté puisque l’article 10 le prévoit, notamment pour la simplification des procédures relatives aux AOC et AOP.

Pour conclure, je m’aventurerais à utiliser une citation issue du Dictionnaire des idées reçues et émanant de Gustave Flaubert qui nous donne une définition de l’agriculture : « L’agriculture : une des mamelles de l’État – l’État est du genre masculin, mais ça ne fait rien. On devrait l’encourager. Elle manque de bras. »

Cette citation est toujours d’actualité car si notre agriculture présente des aspects positifs, il n’en demeure pas moins que des éléments singuliers d’inquiétude, avec comme trame et même drame sous-jacents la perte de compétitivité.

Il est à craindre, hélas, que ce projet de loi ne réponde que partiellement à ces enjeux décisifs et déterminants pour assurer la pérennité de notre modèle agricole.

M. Damien Abad. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Philippe Nilor.

M. Jean-Philippe Nilor. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je partage totalement l’ambition de ce projet de loi qui propose de réconcilier les performances économiques et environnementales. C’est une approche audacieuse que nous avons toujours prônée, au grand dam des tenants de l’utra-libéraralisme.

Il s’inscrit clairement dans une approche systémique qui intègre la formation, l’installation, la transmission des exploitations, la production, la transformation, la distribution et la consommation.

Cette politique de rupture avec les politiques agricoles menées jusqu’à aujourd’hui est potentiellement porteuse d’avancées, particulièrement en Martinique, surtout si vous acceptez nos amendements.

Dans les régions d’outre-mer, l’agriculture porte encore les stigmates de notre histoire. Permettez-moi de citer le poète martiniquais d’origine basque, Salvat Etchart : « Lorsque l’on regarde au rétroviseur de notre histoire, on ne voit guère que sang, sueur, fouet et crachat. De notre servitude ce ne sont pas les pyramides ou Athènes qui sont nées, mais du sucre pour les tasses à café de l’Europe. »

Le système de plantation se fonde sur des monocultures d’exportation à destination d’une métropole exclusive. Les choix économiques sont faits en fonction des intérêts de la métropole et les productions locales subissent la détérioration des termes de l’échange.

C’est aussi dans cette même logique que le sucre de canne a été purement et simplement sacrifié au profit du sucre de betterave, sonnant le glas de l’économie sucrière, provoquant une explosion du chômage et un exode massif de la main d’œuvre vers la métropole.

En réalité, ce système a organisé pour des siècles l’extrême dépendance et l’extraordinaire vulnérabilité de notre agriculture. Il est impératif et vital de s’écarter de ce modèle qui scelle le destin de notre agriculture, la sacrifiant séculairement aux monocultures pour le marché européen et condamnant irrémédiablement nos populations à la dépendance alimentaire.

Au moment où la Martinique aborde un tournant décisif de son histoire institutionnelle, il est crucial de mettre en œuvre une stratégie de développement se fondant sur des filières structurées et organisées.

Il est capital de sortir progressivement de cette agriculture géophage, contrôlée par une poignée de possédants influents et à la recherche exclusive du profit. Nous devons promouvoir une agriculture moderne, humanisée, tirant les enseignements des scandales sanitaires comme celui du chlordécone, responsable de malformations génétiques chez les nouveaux nés et d’un foisonnement de cancers qui déciment les populations, notamment les ouvriers agricoles actifs et retraités, ceux-là mêmes qui ont des retraites indignes et qui ne bénéficient pas de la mutuelle sociale agricole.

Aujourd’hui, la terre est polluée, l’air est pollué, nos rivières sont polluées, la mer est polluée, la biodiversité est menacée. Les zones d’interdiction de pêche se multiplient, provoquant un amoindrissement de la ressource halieutique et précarisant davantage des marins pêcheurs déjà en grande difficulté du fait de leurs faibles revenus et de leurs retraites insignifiantes.

Ce projet entend valoriser une agriculture de proximité qui donne des garanties de traçabilité et de sécurité alimentaire et sanitaire, soutenir la transmission d’exploitations agricoles et donner les moyens aux jeunes agriculteurs qui souhaitent s’installer. Qui peut s’opposer à cela ? Pour ma part, j’adhère puissamment à un vrai changement de paradigme, car je crois profondément à l’émergence d’une agriculture nourricière, raisonnée et respectueuse de l’environnement et des hommes. Cette autre agriculture est possible en Martinique, notre potentiel est énorme quoique largement méconnu et inexploité.

Avec une véritable volonté politique nous pouvons répartir plus équitablement les aides publiques aux producteurs ; sur 3 000 exploitations seulement 700, soit 22 %, en bénéficient. Nous pouvons susciter des vocations grâce à la valorisation de métiers de haute technicité, avec une offre de formation étoffée, en adéquation avec les niches émergentes. Nous pouvons accorder des moyens à la recherche et au développement pour impulser l’innovation et amplifier la coopération, notamment à travers des groupements d’intérêt scientifique, avec les pays du bassin caribéen, pour développer des vitro-plants d’espèces résistantes aux bioagresseurs et réduire le recours aux pesticides. Nous pouvons favoriser les productions à forte valeur ajoutée – plantes aromatiques, médicinales, café et cacao – et promouvoir les activités de transformation et de conservation. Nous pouvons mettre à profit les connaissances et le savoir-faire acquis de longue date dans la tradition des jardins créoles. Nous pouvons, enfin, organiser les filières, à l’instar de la filière banane qui a su structurer une organisation professionnelle exemplaire, qui a permis aux acteurs de dépasser leurs antagonismes, de parler d’une même voix et de gagner en crédibilité et en pouvoir.

Oui, nous pouvons susciter une agriculture d’excellence à condition d’avoir conscience de nos potentialités, de définir une vision claire et prospective, mais surtout à condition de ne pas se contenter de discourir, à condition d’agir. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Bleunven.

M. Jean-Luc Bleunven. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture est pour la France, un secteur essentiel, en termes économiques bien sûr, puisqu’elle représente des centaines de milliers d’emplois directs et indirects, mais également en termes d’aménagement de notre territoire, notamment dans nos régions les plus rurales.

Le pays a perdu un quart de ses exploitations en dix ans et chaque année plus de 82 000 hectares de terres agricoles sont artificialisés. Nos parts de marché à l’exportation dans le domaine de l’agroalimentaire sont par ailleurs en baisse depuis 2001.

Dans un contexte économique aussi tendu que celui que nous connaissons, le Gouvernement et notre majorité se démènent chaque jour pour préserver l’emploi sur le territoire national. Les problématiques liées à l’agriculture et à l’agroalimentaire font l’objet d’une attention de tous les instants de notre part. Nous sommes ainsi particulièrement vigilants vis à vis des distorsions de la concurrence ayant cours au sein de l’Union européenne, la simplification administrative est une préoccupation majeure du Gouvernement et le budget de la PAC a été maintenu pour les prochaines années, grâce aux négociations menées par notre ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll.

Face aux difficultés rencontrées, nous devons nous donner les moyens de mettre en place de nouveaux modèles agricoles, performants économiquement et écologiquement, mais également humainement. Le projet de loi dont nous sommes amenés à débattre aujourd’hui apporte des réponses concrètes pour mener à bien la transition vers une agriculture innovante, en phase avec les demandes et les exigences nouvelles de notre société, tout en garantissant l’avenir des générations futures d’agriculteurs.

Le projet de loi d’avenir portant sur l’agriculture, l’alimentation et la forêt est tout d’abord un texte innovant. Par la création des groupements d’intérêt économique et environnemental, il ouvre la possibilité de reconnaître des projets collectifs ayant pour ambition de tendre vers un nouveau système de production agricole, combinant à la fois performance économique, environnementale et sanitaire. Par ce dispositif, nous sommes dans l’incitation et l’encouragement, seuls vecteurs pertinents pour favoriser l’émergence de projets nouveaux sur notre territoire. Ce cadre institutionnel qu’est le GIEE doit permettre d’accompagner le développement de l’agro-écologie, en offrant aux agriculteurs des perspectives de projets dynamiques.

Ce texte est également en phase avec les demandes et les exigences nouvelles de notre société. Le titre III portant sur la politique de l’alimentation et la performance sanitaire illustre cette volonté de rapprocher le monde agricole du reste de la société. Les récents scandales sanitaires que l’on a connus, conjugués à un souhait partagé par une grande partie des consommateurs de mieux consommer ont conduit à renforcer les pouvoirs de contrôle de l’administration. De la même façon, en instituant une limitation de la délivrance et de la consommation des antibiotiques, le texte permettra de rétablir un climat de confiance entre producteurs et consommateurs. La suppression de la possibilité de faire de la publicité grand public en faveur des produits phytosanitaires, est également un signal fort. Quant à la préservation de notre ressource en eau, c’est un enjeu fondamental, qui a été appréhendé dans ce texte ; nous devons nous en réjouir.

Attardons-nous, enfin, sur la question de la préservation de l’avenir de la profession agricole. Nous devons garantir des perspectives favorables au maintien de cette activité. En dehors de la question essentielle qui est celle des revenus de la production, il y a l’enjeu du foncier, et de la protection des terres agricoles. Près de vingt-cinq mètres carrés de terres agricoles sont consommés chaque seconde qui passe dans notre pays. Ce phénomène d’artificialisation des terres, qui s’explique par la périurbanisation de nos zones rurales, provoque une inflation du prix de nos terres agricoles, affecte la biodiversité et doit nous conduire à nous interroger sur l’indépendance alimentaire de notre pays et de l’Europe à moyen terme. La tension régnant autour de cette ressource indispensable qu’est le foncier s’explique également par la concurrence existant dans le monde agricole avec un modèle qui jusqu’ici prévalait : celui du toujours plus grand, toujours plus étendu. Le résultat est que 20 % des exploitations trustent la moitié des terres à vocation agricole.

Le projet de loi devait traiter ce problème aux conséquences multiples. C’est le cas, puisqu’il confirme le rôle majeur des régions dans la définition des orientations de la politique agricole. Les terres agricoles seront par ailleurs protégées via les documents d’urbanisme de planification, comme les SCOT. Il convient de noter que les productions bénéficiant d’un signe de la qualité ou de l’origine bénéficieront de mesures de protections complémentaires.

Les SAFER, dont la gouvernance sera améliorée et le fonctionnement rationalisé pourront donner leur pleine mesure, au service de l’intérêt général. Elles ne devront pas occulter l’une de leurs missions qui est de favoriser l’installation, et l’ouverture aux nouveaux projets.

Ce projet de loi démontre également la cohérence de l’action que mène notre majorité, notamment sur la question de la préservation du foncier agricole. Rappelons ainsi deux des dispositions que nous serons amenés à approuver dans les prochains jours dans le cadre de la loi ALUR : le rapport de présentation qui préside à l’élaboration du SCOT devra comporter une analyse de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers et le PLU devra comporter une analyse de la consommation des espaces non urbains.

Le renouvellement des générations est une des difficultés majeures que rencontre notre agriculture. Les départs ne sont que très partiellement compensés. C’est pourquoi le texte que nous examinons aujourd’hui vient rénover et élargir les dispositifs existants de la politique d’installation. La possibilité ouverte d’une installation progressive, permettant de développer au fur et à mesure un projet d’exploitation, démontre l’approche innovante de ce texte. L’agriculture doit en effet être ouverte à tous.

Le projet de loi d’avenir sur l’agriculture, l’alimentation et la forêt est un texte qui répond aux enjeux actuels du monde agricole. Nous ne devons pas avoir peur d’oser le changement, aussi, dans l’agriculture. Cette loi d’avenir va permettre d’actionner les leviers qui permettront de poursuivre l’indispensable transition que doit mener le secteur agricole. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici donc, avec ce texte, la vision du gouvernement socialiste en matière d’agriculture. À l’instar de nombreux autres textes, que l’on nous a présentés comme des projets phares, il passe à côté de l’essentiel, donne dans le paraître et compile les travers, désormais classiques, des projets de loi de ce gouvernement.

M. Germinal Peiro, rapporteur. Ça commence bien !

M. Lionel Tardy. Comme beaucoup des précédents orateurs, je viens d’une circonscription rurale qui a l’agriculture au cœur. Les agriculteurs et ceux qui les côtoient n’ont pas besoin d’être brossés en permanence dans le sens du poil. Ils demandent avant tout la reconnaissance de leur rôle dans l’activité économique de notre pays, et un statut.

À première vue, il y a de quoi être sceptique, avec un texte de quarante articles, censé être l’avenir de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt. J’ai un peu l’impression que, comme tout ministre du gouvernement Ayrault qui se respecte, vous avez cru bon, monsieur le ministre, de déposer un texte simplement pour avoir le vôtre,…

M. Germinal Peiro, rapporteur. Allégation gratuite !

M. Lionel Tardy. …car, inutile de se mentir, l’avenir de l’agriculture ne se joue pas dans un texte de loi national, il se joue à Bruxelles. Le temps que nous allons passer ici à débattre est utile, et j’espère qu’il sera productif, mais ce n’est qu’une goutte d’eau à côté des négociations pour la nouvelle politique agricole commune qui ont eu lieu l’année dernière.

Ce constat étant fait, je ne peux que m’étonner du contenu de l’article 1er de ce projet de loi, sur lequel je reviendrai lors de la discussion des amendements. Assez révélateur du texte dans sa globalité, cet article est une énumération des objectifs de la politique agricole, sans aucune portée normative, sans aucune application concrète. Or, je l’ai déjà dit, le monde agricole est las des belles paroles. Dans cette belle litanie, l’essentiel n’est que très peu évoqué. En effet, et c’est le défaut de l’ensemble du texte, les aspects économiques sont négligés. Compétitivité et croissance ne sont pas des gros mots dans le domaine de l’agriculture. Le Gouvernement a visiblement encore plus de mal à expliquer cette logique de dynamique au monde agricole.

Pourtant, les attentes et les besoins sont les mêmes que pour l’ensemble de l’économie française. Les exploitations agricoles sont des entreprises comme les autres, il ne faut pas avoir peur de le dire. Je ne vois rien dans ce texte qui pourrait renforcer la capacité d’entreprendre et la capacité d’innovation de notre agriculture. Donner plus de liberté, aider les projets porteurs de croissance, de compétitivité et d’emploi, le tout en respectant, bien sûr, les ressources naturelles et l’environnement, voilà ce qui serait une vision d’avenir et un début de révolution.

Au lieu de cela, ce texte est construit autour d’une conception administrée de l’agriculture, qui est vue comme un simple outil de l’écologie et du développement durable. Est-ce vraiment la priorité, Prenons l’exemple des groupements d’intérêt économique et environnemental. Parler d’environnement et d’agroécologie, cela fait joli, mais néglige encore une fois totalement les besoins de l’agriculture. Je vous conseille la lecture de l’étude d’impact de l’article 3 qui crée les GIEE, censé être la révolution de ce texte mais qui ne fait que quelques lignes. On lit notamment que « les impacts financiers économiques devraient être très positifs mais ne peuvent être chiffrés à ce stade ». Quant aux impacts sur l’emploi, « cette mesure favorisant le développement de l’activité aura un impact positif sur l’emploi en agriculture ». Voilà donc la vision qu’a le Gouvernement de l’avenir de l’agriculture.

À côté de cela, beaucoup d’inquiétudes persistent, notamment sur l’installation des jeunes agriculteurs, les aides dont elle est l’objet ayant été rabotées dans le budget 2014, tout comme celles destinées au changement d’activité.

M. Damien Abad. Exact !

M. Lionel Tardy. Des inquiétudes persistent également quant au foncier agricole, qu’il est indispensable de préserver et qui est pourtant passé à deux doigts d’être lourdement taxé, avec l’épisode de la taxe sur le foncier non-bâti. Faute de répondre aux inquiétudes du monde agricole, ce texte se complaît dans le renforcement de conseils, commissions et autres comités Théodule, que certains de mes amendements visent à supprimer. Les plus utiles sont renommés, histoire, sans doute, de laisser une trace à la postérité. Encore une fois, tout est dans les mots, les belles paroles et la réflexionnite aiguë, pour compenser un manque de vision patent.

La cerise sur le gâteau est à mes yeux l’extension des contrats de génération à l’agriculture. Voilà un dispositif dont on sait qu’il ne marche pas, et qu’il n’atteint pas les objectifs fixés par le Gouvernement, et, pourtant, on croit bon de l’étendre à l’agriculture. Quel beau cadeau ! Quel beau cadeau !

Il y en a bien d’autres, mais ces quelques exemples m’amènent à dire que ce projet de loi est dans la veine de ce que produit le Gouvernement depuis un an et demi. Ce texte s’accroche à une vision nationalisée et écologisée de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt, faite de lourdeurs et de complexité. Ce n’est en rien, à mon avis, un projet de loi d’avenir. Je voterai donc contre.

M. Damien Abad. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Damien Abad.

M. Damien Abad. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, messieurs les rapporteurs, chers collègues, ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt poursuit l’histoire du rendez-vous manqué de ce gouvernement avec le monde agricole. Il avait suscité beaucoup d’espoir, mais force est de constater qu’aujourd’hui la déception est grande, monsieur le ministre, tout simplement parce que le compte n’y est pas. En effet, ce texte ne traduit pas une vision économique spécifique du Gouvernement à l’égard de l’agriculture.

La déception est grande d’abord sur la forme, tant le recours abusif aux ordonnances témoigne de la volonté du Gouvernement de bâcler le débat. En outre, nous ne pouvons – une fois encore – que regretter l’interprétation restrictive de l’article 40 de la Constitution qui prive les députés que nous sommes d’un véritable pouvoir d’amendement.

La déception est grande aussi sur le fond. Vous nous aviez promis un choc de simplification, et nous avons ici un choc de complexification normative, réglementaire et administrative qui pèsera lourdement sur les agriculteurs. Vous nous aviez promis de relever le défi de la compétitivité, et vous ne faites qu’alourdir les contraintes et les charges qui pèsent sur le monde agricole. Vous nous aviez promis un texte d’avenir, et nous avons un texte du siècle passé qui, comme l’a rappelé mon collègue Antoine Herth, traite les mêmes sujets et propose les mêmes recettes que la loi d’orientation agricole de 1999. Vous nous aviez promis un texte audacieux, et nous avons un texte bavard qui ne répond pas aux attentes concrètes des centaines de milliers de paysans français confrontés à une compétition européenne et internationale de plus en plus rude.

M. Lionel Tardy. Bien sûr !

M. Damien Abad. J’en veux pour preuve les souffrances, charges et contraintes auxquelles sont confrontés les agriculteurs du Haut-Bugey et du Valromey, qu’ils soient salariés ou exploitants, éleveurs ou producteurs de lait.

Par ailleurs, ce texte de loi illustre à nouveau la méthode de ce Gouvernement : de grandes déclarations de principe, plutôt que des objectifs chiffrés et des avancées concrètes. Surtout, ce projet, derrière des considérations techniques, a une toile de fond idéologique : vous refusez de considérer que l’agriculture est une activité écologique par essence. Vous campez sur des positions idéologiques qui ne font, là encore, que compliquer le quotidien des agriculteurs.

Il est vrai que ce texte comprend, ici ou là, quelques orientations positives,…

M. Stéphane Le Foll, ministre. Quand même !

M. Damien Abad. …comme l’accroissement de la contractualisation des relations entre producteurs, transformateurs et distributeurs, ou l’inscription dans la loi du rôle d’un médiateur des relations commerciales agricoles. De la même manière, nous pouvons nous accorder sur la volonté de mieux préserver le foncier agricole – même si, là encore, nous pensons qu’il est possible d’aller plus loin.

En outre, je salue les dispositions visant à encourager la filière bois : cette filière est un atout écologique et économique pour la France, comme le démontre, dans ma circonscription, le dynamisme du pôle bois qui s’est constitué autour de Cormaranche-en-Bugey. Mais n’est-il pas contradictoire de créer d’un côté un Fonds stratégique de la forêt et du bois et de pénaliser de l’autre les maisons familiales rurales situées dans les zones de revitalisation rurale en remettant en cause les avantages fiscaux dont elles bénéficient, alors que leur utilité est reconnue ?

Mme Delphine Batho. C’est réglé !

C’est réglé, mais vous savez que les subventions ont été remises en cause par la loi de finances – nous en avons déjà débattu.

Oui, mais c’est réglé !

M. Damien Abad. C’est un rétropédalage de plus, madame la ministre Batho !

Vous voyez bien, mes chers collègues, que non seulement ce projet de loi n’est pas à la hauteur des enjeux du monde agricole, mais surtout qu’il s’inscrit dans une politique gouvernementale globale désastreuse pour les agriculteurs : suppression de la TVA compétitivité que nous avions instaurée et qui aurait pu bénéficier à 95 % des entreprises du secteur ; baisse des crédits budgétaires prévus par la loi de finances, qui touche aussi bien les aides à l’installation, à la modernisation et au redressement des exploitations en difficulté ; et hausse des charges qui pénalisent l’emploi de travailleurs saisonniers agricoles.

Certes, vous proposez de renforcer le rôle des SAFER, qui seront obligatoirement informées préalablement à toute cession de biens ou de droits mobiliers ou immobiliers à vocation agricole. Mais, toujours dans votre sacro-saint objectif de « verdissement » de l’agriculture, vous voulez ouvrir leur conseil d’administration à deux représentants d’associations de protection de l’environnement.

Pour conclure, monsieur le ministre, je voudrai vous inciter à mettre dans ce texte un zeste de bon sens paysan. Pour que ce projet de loi soit un véritable texte d’avenir pour l’agriculture, il aurait dû s’attaquer à quatre défis majeurs. Le premier de ces défis est le défi de l’emploi : il s’agit de soutenir les exportations, notamment pour la viticulture et les petites appellations de qualité comme les vins du Bugey ou le Cerdon. Il s’agit aussi de baisser les charges dans le secteur et de simplifier la vie des producteurs.

Le deuxième est le défi de la lutte contre le dumping social et les distorsions de concurrence à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Union européenne. À ce titre, nous vous demandons deux choses : d’appliquer strictement le principe de réciprocité dans les accords de libre-échange, et de veiller à ce que toutes les normes environnementales adoptées en France correspondent strictement aux textes européens, ni plus ni moins, sans chercher à les anticiper ni à les durcir au plan national.

Le troisième défi est celui de la professionnalisation : il s’agit d’améliorer la protection sociale des agriculteurs et de définir véritablement le statut de l’agriculteur. Enfin, le quatrième défi est celui de l’innovation, du renseignement et de la recherche agricoles.

Mes chers amis, n’oublions pas que la politique agricole ne concerne pas seulement les agriculteurs, mais tous les citoyens. En effet, au-delà de la question agricole, c’est l’indépendance et la sécurité alimentaire qui sont en jeu. N’oublions pas que la France a un rôle moteur à jouer en Europe et à l’international, comme en témoignent les besoins de la Chine en matière agricole. N’oublions pas non plus que notre Europe s’est construite sur le triptyque : « pain, paix, liberté ». Dans ce triptyque, il y a le mot « pain ». L’Europe nous a permis d’assurer notre indépendance alimentaire : nous devons défendre nos producteurs avec force, audace et courage, afin de ne pas faire de la France et de l’Europe une simple terre de consommateurs dépendants du reste du monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, demain, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 8 janvier 2014, à une heure trente-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron