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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 22 janvier 2014

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Montée de la délinquance en Nouvelle-Calédonie

Mme Sonia Lagarde

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

Entrée de l’État au capital de PSA

M. Denis Baupin

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif

Dégradation des comptes publics

M. Gilles Carrez

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Accord sur la formation professionnelle

M. Jean-Patrick Gille

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Lutte contre la fraude fiscale

M. Thomas Thévenoud

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Inondations dans le Var

M. Jean-Pierre Giran

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Rémunération des dirigeants de DEXIA

M. Sébastien Pietrasanta

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Gestation pour autrui

M. Jean-Sébastien Vialatte

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille

Développement des cours en ligne

Mme Colette Langlade

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche

Chasse au gibier d’eau

M. Marc Laffineur

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Conséquences économiques d’un passage au paracétamol en générique

M. Patrice Carvalho

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille

Enseignement de l’histoire contemporaine

M. Lionnel Luca

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale

Cybersécurité

M. Jean-Claude Perez

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

Recouvrement des dettes sociales outre-mer

M. Ary Chalus

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Réforme du financement de la Sécurité sociale

M. Jean-Pierre Door

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

2. Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur - Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen

Explications de vote communes

M. Jean-Jacques Candelier

Présidence de M. Marc Le Fur

Mme Laurence Dumont

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Michel Piron

M. Sergio Coronado

M. Alain Tourret

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Claude Bartolone

Vote sur l’ensemble

Vote sur l’ensemble

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Marc Le Fur

3. Ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

Présentation

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication

Motion de rejet préalable

M. Henri Guaino

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur

Mme Aurélie Filippetti, ministre

M. Thierry Benoit

M. François de Rugy

M. Paul Giacobbi

Mme Annie Genevard

M. André Chassaigne

M. François Pupponi

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Je vous rappelle, mes chers collègues, qu’il n’y aura pas de suspension après la séance des questions.

Montée de la délinquance en Nouvelle-Calédonie

M. le président. La parole est à Mme Sonia Lagarde, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

Mme Sonia Lagarde. Monsieur le ministre de l’intérieur, en Nouvelle-Calédonie, la montée de la délinquance inquiète à juste titre. Nous faisons face à une situation qui se dégrade d’année en année. Ainsi, en 2013, les cambriolages ont augmenté de 11 %, et les violences à agents de 40 %. Derrière ces chiffres, il y a deux phénomènes particulièrement inquiétants. Le premier, c’est l’alcool, qui mine notre société et explique une part toujours plus importante des troubles à l’ordre public. Le second, c’est la part des mineurs mis dans en cause dans les délits : en 2012, ils représentaient 37 %, soit plus du double de la moyenne nationale, sachant qu’en 2013 ce pourcentage a encore augmenté pour atteindre 41 %. Ces deux phénomènes constituent désormais pour nous de véritables questions de société et l’exaspération est à son comble.

Pour y répondre, nous avons besoin de volonté politique, mais aussi de moyens et d’outils concrets, en particulier dans la ville de Nouméa. Dans cette ville de 100 000 habitants, la police nationale ne dispose que de trente places en cellule de dégrisement. Et dans les quartiers nord, nous ne pouvons que regretter la fermeture du commissariat en 2011. La question du traitement de la délinquance des mineurs nécessite que l’on étudie l’opportunité de créer d’un centre éducatif fermé.

Monsieur le ministre, face à l’urgence d’agir, ma question est la suivante : êtes-vous prêt à ce que nous recherchions ensemble les voies et les moyens pour mettre un terme à cette spirale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Madame Lagarde, votre constat est juste et nous devons regarder en face cette réalité qui dure depuis trop longtemps en Nouvelle-Calédonie. Cela nécessite un partenariat coordonné entre les élus locaux et le Gouvernement.

Vous avez indiqué le rôle joué par la consommation d’alcool dans la délinquance. L’État continuera à apporter tout son soutien aux efforts du gouvernement de Nouvelle-Calédonie en matière de prévention des conduites addictives. De même, le Haut commissariat mène des actions concertées avec les services locaux en vue de lutter efficacement contre les ventes d’alcool à la sauvette sur la voie publique. Les forces de l’ordre s’engagent et continueront à s’engager résolument dans l’application des arrêtés d’interdiction ou de restriction de vente qui ont été pris à ce sujet. Les contrôles et les procédures en nette augmentation sont là, je le crois, pour le prouver.

Par ailleurs, au-delà d’une présence constante sur le terrain – et nous sommes ouverts à la discussion sur ce sujet s’il faut améliorer les choses –, les offensives se multiplient afin d’éradiquer les réseaux et les trafics de stupéfiants. Il faut, à cet égard, saluer l’augmentation significative des saisies. Le Gouvernement s’est engagé aussi sur le contrôle des armes. Après consultation des autorités locales concernées, un nouveau décret sera publié au début du mois de mars, lequel permettra l’application en Nouvelle-Calédonie de la loi du 6 mars 2012 sur les armes, tout en prévoyant un régime plus restrictif propre à votre territoire. Victorin Lurel s’est entretenu ce matin encore à ce sujet avec votre collègue Philippe Gomes. Enfin, il faut se donner tous les moyens de réussir et l’avis de protection est incontestablement utile : il continuera à s’appliquer en 2014. Madame la députée, le Gouvernement est à vos côtés pour assurer votre sécurité. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SRC et UDI.)

Entrée de l’État au capital de PSA

M. le président. La parole est à M. Denis Baupin, pour le groupe écologiste.

M. Denis Baupin. Monsieur le ministre de l’économie, L’État va entrer au capital de PSA. Vous nous avez indiqué hier les effets que vous en attendez sur l’emploi en France ; nous partageons cet objectif. Mais vous n’avez pas évoqué le projet industriel. En 2009, quand le Président Obama a aidé Général Motors, Ford et Chrysler – dans un pays qui n’est pourtant pas connu pour son dirigisme –, il a conditionné cette aide à la fabrication de véhicules plus adaptés aux besoins de la société : plus petits, plus sobres, moins polluants.

Comme aux États-Unis, l’industrie automobile française souffre d’une inadaptation de ses véhicules : l’acheteur moyen de voiture neuve a cinquante-quatre ans ; les ravages sur la santé du diesel sont connus ; les émissions de gaz à effet de serre liés à la mobilité non seulement ne diminuent pas, mais augmentent ; notre facture d’importation d’énergie fossile est de plus de 70 milliards. Avec un parc automobile énergivore et un prix du pétrole croissant, le droit à la mobilité de la population se réduit, particulièrement dans les zones périurbaines, accroissant le sentiment d’exclusion.

Ces constats ont inspiré le rapport que j’ai présenté, avec Fabienne Keller, au nom de l’OPECST. Il montre que l’avenir, ce sont des véhicules écologiques, sobres, utilisant des énergies renouvelables, de petite taille, donc plus économiques pour nos concitoyens. Il comporte plus de cent préconisations, élaborées avec les constructeurs.

Ainsi, que PSA développe des véhicules hybride-air est positif si cela s’inscrit dans une évolution industrielle globale, pas seulement pour le marché asiatique. Je le dis en tant qu’écologiste : nous sommes prêts à soutenir l’intervention d’un État stratège si cela permet une évolution de l’industrie automobile vers des véhicules écologiques. Pouvez-vous nous indiquer si l’État actionnaire au sein de PSA portera un tel projet déclinant concrètement la transition écologique et énergétique au cœur même de l’industrie automobile ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme Delphine Batho. Bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre du redressement productif.

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Monsieur le député Denis Baupin, la politique du Gouvernement, depuis le plan automobile du mois de juillet 2012 qui s’est matérialisé par de nombreuses mesures, notamment par les bonus écologiques, lesquels seront maintenus cette année et encore l’année prochaine, est une politique visant à réduire les usages des hydrocarbures. L’objectif de notre plan industriel est d’obtenir, dans des délais record, des moteurs consommant moins de deux litres au cent pour les utilisateurs de véhicules à moteur thermique, et nous soutenons les technologies innovantes – vous en avez cité une, et il y en a d’autres – sur l’hybridation des moteurs, ainsi que le déploiement sur l’ensemble du territoire de bornes de recharge des véhicules électriques. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’engouement pour les véhicules électriques se manifeste par l’autopartage dans les métropoles, mais aussi dans les petites villes de moins de 50 000 habitants, là où les trajets domicile-travail sont les plus coûteux. C’est dans ces zones qu’il va falloir implanter les bornes de recharge pour permettre le développement de ce type de véhicule.

PSA participe à ces projets. PSA est au rendez-vous de l’innovation technologique et vise à faire de la France l’un des leaders dans la mobilité électrique. Le groupe est déjà leader mondial avec Peugeot-Nissan, mais il est engagé également dans un programme visant à présenter un prototype de véhicule à moins de deux litres au cent au Mondial de l’automobile de cette année.

La France est donc mobilisée dans toutes ses composantes, particulièrement l’État par ses politiques publiques, mais aussi à travers les projets industriels et technologiques que nous soutenons, ce qui concerne non seulement PSA mais également les grands équipementiers qui l’entourent. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.)

Dégradation des comptes publics

M. le président. La parole est à M. Gilles Carrez, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Gilles Carrez. Monsieur le Premier ministre, je veux vous faire part de mon extrême inquiétude sur le dérapage des comptes publics en 2013 : le déficit budgétaire de l’État augmente de 13 milliards d’euros par rapport à la prévision ; les recettes fiscales s’effondrent, avec 15 milliards de moins que prévu sur la TVA, l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu. C’est le résultat de l’overdose fiscale (« Eh oui ! » sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Les entreprises, les ménages n’investissent plus, l’économie est à l’arrêt : trop d’impôt tue l’impôt ! Les dépenses de l’État ne sont pas maîtrisées. Ainsi, les dépenses réelles en 2013 ont augmenté de 2 milliards par rapport à 2012. Où sont donc, mes chers collègues, les économies ?

Avec des résultats pour 2013 aussi accablants, peut-on encore croire dans la promesse du Président de la République de baisser de 30 milliards d’euros les charges des entreprises (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)et dans celle du ministre du budget de baisser les impôts des ménages ? Je rappelle qu’en 2014, les impôts des ménages vont augmenter de 12 milliards d’euros. (« Eh oui ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP.) La France est dans l’incapacité de tenir ses engagements de réduction du déficit public : celui-ci devait être de 3 % du PIB en 2013, et sera probablement de 4,3 %.

Dans ces conditions, croyez-vous encore, monsieur le Premier ministre, dans votre promesse de réduire le déficit à 3,6 % en 2014 et à 3 % en 2015 ? Allez-vous maîtriser l’endettement croissant de notre pays ? (« Non ! » sur les bancs du groupe UMP.) Ne me répondez pas en parlant du passé ou de l’héritage. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2013, c’est vous, le Gouvernement, votre majorité, qui avez été les seuls responsables de la dégradation des comptes publics ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président de la commission des finances, votre mise en garde sonne comme un aveu. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) En effet, sur ce sujet, vous devriez vous retenir de nous donner des leçons, vous qui avez laissé la France et ses finances publiques dans un état qui nous conduit à mener, nous, une politique de sérieux et de redressement. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard et M. Jean-Pierre Gorges. Carton rouge !

M. Pierre Moscovici, ministre. Par ailleurs, vous avez présenté un tableau tout à fait catastrophiste qui ne correspond pas à la réalité. En fait, nous tenons la dépense publique à un point tel que l’exécution budgétaire pour 2013 est même inférieure de 3 milliards d’euros, vous le savez, à ce qui avait été voté en LFI. La réalité, c’est que sur 2012 et 2013, la dépense publique a progressé de 0,5 milliard d’euros alors qu’elle avait progressé de 5,5 milliards d’euros pendant que vous étiez aux responsabilités. Là encore, vous devriez vous garder de donner des leçons.

J’ajoute, et c’est un point tout à fait important pour nous, que l’évolution des recettes est contrastée car, d’un côté, nous avons laissé jouer les stabilisateurs automatiques afin de soutenir la croissance et, de l’autre, la TVA, elle, a un rendement positif, ce que vous auriez pu souligner.

M. Marc Laffineur. C’est faux !

M. Gilles Carrez. C’est cinq milliards de moins !

M. Pierre Moscovici, ministre. Tout cela m’amène à dire ici que les engagements pris devant la Commission européenne…

M. Bernard Deflesselles. Ils sont bidons !

M. Pierre Moscovici, ministre. …et nos partenaires de réduire les déficits dans le cadre d’une trajectoire qui va nous mener en deçà des 3 % en 2015 seront tenus.

M. Philippe Vigier. Des promesses !

M. Pierre Moscovici, ministre. C’est un contraste, monsieur Gilles Carrez, avec tout ce que vous et la majorité d’alors avez fait pendant les années où vous avez été aux responsabilités : le pays a vu sa situation se dégrader – un ex-Premier ministre disait qu’il était presque en faillite ; nous, nous le redressons et nous tiendrons ces engagements avec vigueur, avec sérieux et avec force. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Accord sur la formation professionnelle

M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Gille, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Patrick Gille. Monsieur le président, ma question s’adresse à Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social.

Plusieurs députés du groupe UMP. Et du chômage !

M. Jean-Patrick Gille. Monsieur le ministre, ce matin, vous avez présenté en conseil des ministres le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

Ce texte est le fruit de longues concertations, en particulier d’une négociation entre les partenaires sociaux. Il transpose l’accord national interprofessionnel conclu entre le patronat et les syndicats le 14 décembre dernier, visant à rendre plus efficace la formation professionnelle dans ce pays.

En effet, depuis des années, de nombreux rapports attestent du caractère coûteux et complexe des systèmes de formation et dénoncent le fait que celle-ci profite d’avantage à ceux qui sont déjà les plus formés – pour faire simple, un homme cadre quinquagénaire d’une grande entreprise en bénéficie bien plus qu’une jeune femme à temps partiel dans une petite entreprise de services. Pis encore, les demandeurs d’emploi sont ceux qui en bénéficient le moins. Cela ne pouvait plus durer.

Il est donc nécessaire de changer de logique. C’est ce que fait le projet de loi, qui propose de passer de l’obligation légale de dépenser à une obligation de former, de créer un compte personnel de formation, de simplifier et de clarifier les systèmes de financements de la formation professionnelle et de l’apprentissage, de renforcer clairement le rôle de pilotage des régions dans le domaine de la formation et de l’orientation.

Monsieur le ministre, sans entrer dans les détails d’un projet de loi dense et riche et qui s’appuie sur une démocratie sociale renforcée, pouvez-vous nous dire en quoi cet accord des partenaires sociaux est une étape décisive pour notre système de formation et la construction de la sécurisation des parcours professionnels ? Comment la transcription que nous allons opérer va-t-elle concrètement permettre de mieux former, les personnes les moins qualifiées et les demandeurs d’emploi, c’est-à-dire les publics qui en ont le plus besoin ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, ce matin en conseil des ministres, nous avons effectivement adopté un texte dont vous allez avoir à délibérer dans quelques jours. Il s’agit de réformer en profondeur la formation professionnelle.

Comme vous le savez, la formation professionnelle est issue d’une loi vieille de quarante-trois ans puisqu’elle a été adoptée en 1971. Elle a apporté beaucoup à la fois individuellement aux salariés et collectivement aux entreprises en leur permettant de s’adapter par la seule richesse qui compte : les hommes et femmes qui y travaillent et qui ont besoin d’acquérir des compétences supplémentaires.

Mais elle a trouvé ses limites, celles que vous avez décrites : la formation professionnelle ne manque pas d’argent, mais les ressources ne vont pas à ceux qui en ont le plus besoin. Qui a le plus besoin d’une formation complémentaire à celle qu’il a reçue à l’école ?

Les jeunes qui n’ont pas la formation leur permettant de trouver un emploi et les chômeurs que vous avez cités. Ce sont eux qui ont le plus besoin de formation et qui en bénéficient le moins dans le système actuel. Il y a aussi ceux qui sont le moins qualifiés dans les entreprises, c’est-à-dire ceux qui sont le plus soumis au risque d’être licenciés à la moindre difficulté.

M. Jacques Myard et M. Christian Jacob. François Hollande !

M. Michel Sapin, ministre. Les partenaires sociaux – auxquels nous avons fait confiance – ont donc décidé d’une réforme. Souvenez-vous de quelqu’un qui disait que la formation professionnelle était impossible à réformer et qu’il en appellerait au peuple par un référendum.

Il a fallu simplement – c’est un euphémisme – que les partenaires sociaux se mettent autour de la table pour trouver la bonne solution. Il y aura plus d’argent pour ceux qui en ont le plus besoin et un compte personnel de formation qui suivra chaque individu du début à la fin de sa vie active et qui lui permettra de profiter au bon moment, quand il en a le plus besoin, des moyens de la formation professionnelle qui seront renforcés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Lutte contre la fraude fiscale

M. le président. La parole est à M. Thomas Thévenoud, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Thomas Thévenoud. Monsieur le président, ma question s’adresse au ministre de l’économie et des finances.

Décidément, le Big Mac se fait à base de bien mauvaises recettes fiscales !

Après avoir été le grand bénéficiaire de la baisse de TVA dans la restauration décidée par la précédente majorité et par l’ancien rapporteur général du budget qui vient de s’exprimer, Gilles Carrez, le groupe McDonald’s France est suspecté par l’administration fiscale de pratiquer l’évasion fiscale.

Le manque à gagner pour l’État pourrait s’élever à plusieurs centaines de millions d’euros. Ces révélations sur lesquelles McDonald’s refuse de s’expliquer posent à nouveau la question des arrangements que prennent certains grands groupes avec leurs obligations fiscales. C’est le cas de cette multinationale du cheese burger, c’est aussi le cas des multinationales du tabac qui s’enorgueillissent de pratiquer l’évasion fiscale.

À l’heure où le Président de la République appelle chacun à un pacte de responsabilité, il y a une responsabilité à laquelle nous pouvons appeler les grandes entreprises : la responsabilité fiscale.

Les députés socialistes se sont engagés dans cette voie et même si le Conseil constitutionnel s’est mis en travers de notre route, nous continuerons avec la même volonté.

Le secteur bancaire et financier n’est pas exempt, lui non plus, de ces mauvais comportements. Comment expliquer, monsieur le ministre, que Jersey et les Bermudes aient été retirés de la liste des États non coopératifs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) C’est un sujet d’interrogation pour nous.

Enfin, la lutte contre l’évasion fiscale passe par le retour d’un certain nombre d’exilés, célèbres ou non. Il faut que certains industriels, sportifs ou anciens rockers comprennent qu’ils ne peuvent pas venir se faire soigner en France et payer leurs impôts à l’étranger. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Chaque citoyen français doit contribuer au financement du modèle social.

De ce point de vue mes questions sont simples : combien sont-ils à vouloir rentrer ? Combien l’État espère-t-il récupérer ?

M. Christian Jacob. Et Cahuzac ?

M. Thomas Thévenoud. Chaque euro pris sur l’évasion fiscale, c’est un euro de moins prélevé sur l’ensemble des Français et surtout les plus modestes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député Thomas Thévenoud, je ne peux que souscrire aux derniers mots de votre question : la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale…

Plusieurs députés du groupe UMP. Cahuzac !

M. Pierre Moscovici, ministre. …est à la fois une nécessité pour les finances publiques et aussi un outil essentiel pour l’éthique, pour la vie en société.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, depuis mai 2012, a fait de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale une priorité absolue, au moyen de deux plans, en soutenant à l’échelle européenne et internationale l’échange automatique d’information.

M. Guy Geoffroy. L’éthique ? Pas ce gouvernement !

M. Pierre Moscovici, ministre. Ces deux dispositions additionnées ont permis le retour de 11 700 personnes pour des recettes qui dépassent potentiellement le milliard d’euros. C’est donc un aspect tout à fait prioritaire.

Vous m’avez interrogé par ailleurs sur une affaire fiscale sur laquelle je ne peux rien vous dire, étant tenu par le secret, mais soyez certain que l’administration de mon ministère est particulièrement vigilante sur tous les comportements d’entreprises.

M. Bernard Deflesselles. Comme pour Dieudonné !

M. Pierre Moscovici, ministre. Enfin, vous avez la situation particulière de Jersey et des Bermudes, et les questions sont tout à fait légitimes sur ce sujet. Nous avons en effet retiré ces deux îles non pas de la liste des paradis fiscaux mais de celle des territoires non coopératifs. Pourquoi ? Précisément parce que leurs responsables ont répondu à nos demandes, qu’ils ont coopéré. Cet échange avec les Bermudes a ainsi permis de mettre le doigt sur une affaire qui porte sur un milliard d’euros.

L’objectif n’est pas de mettre des États sur une liste, mais de leur permettre de coopérer. Je peux vous garantir qu’il ne s’agit en rien d’une indulgence pour toujours : cette liste est annuellement renouvelée. En l’occurrence, quand il y a coopération et bénéfice pour le Trésor public, il faut en prendre acte.

J’ajoute qu’il en a pas été ainsi pour l’État des Îles Vierges : non seulement il n’a pas été retiré de la liste, mais il a fait l’objet de sanctions de notre part. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Inondations dans le Var

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Giran, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Pierre Giran. Monsieur le Premier ministre, les inondations qui ont frappé le département du Var, notamment les communes de Hyères et de La Londe-les-Maures, ont causé des dégâts considérables. Près de 2 000 habitations ont été inondées, des exploitations horticoles ont été totalement anéanties, des établissements scolaires sinistrés, et, surtout, deux personnes sont mortes. De plus nous venons d’apprendre que ce matin, à La Londe, un chef d’entreprise de cinquante ans, désespéré d’avoir tout perdu, a mis fin à ses jours. Cette catastrophe est liée aux précipitations exceptionnelles qui se sont produites les 18 et 19 janvier ; mais comment oublier qu’il y a exactement quinze ans, le 18 janvier 1999, des événements comparables s’étaient produits aux mêmes endroits et dans les mêmes conditions ?

Aussi, au-delà de la solidarité magnifique qui s’est une nouvelle fois manifestée, une question s’impose : tous les efforts sont-ils faits pour réaliser les aménagements susceptibles de réduire les risques liés aux crues et aux précipitations exceptionnelles, par exemple des bassins de rétention ? Comment l’État peut-il, demain, exiger des communes qui ne disposent pas de plan de prévention du risque inondation…

M. Jean Launay. Pourquoi n’en disposent-elles pas ?

M. Jean-Pierre Giran. …ou qui n’ont pas encore mené les actions nécessaires sur les bassins versants qu’elles investissent dans plus de sécurité ou, à tout le moins, peut-il les y encourager ?

Monsieur le Premier ministre, votre visite, avec les ministres de l’intérieur et de l’écologie, sur le territoire sinistré a été appréciée. Elle nous encourage à penser que les arrêtés de catastrophe naturelle et de calamité agricole seront rapidement pris et que la reconstruction va bientôt commencer. Mais, pour les actions de prévention, il faut également agir très vite car, quand le soleil se remet à briller dans le sud, quand les maisons finissent de sécher, on a souvent tendance à oublier que les problèmes d’hier et d’aujourd’hui peuvent être encore ceux de demain.(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le député, nous nous sommes vus sur place, lundi, avec le Premier ministre et le ministre de l’intérieur, et nous avons constaté cette détresse. Aujourd’hui même, un drame supplémentaire frappe encore votre région, et il nous faut nous incliner devant une nouvelle victime. Nous constatons le drame, nous avons pu constater aussi la solidarité qu’il engendre.

Ce que veut maintenant le Gouvernement, ce que veut le Premier ministre, c’est une indemnisation rapide, tant des entreprises que des personnes privées. Et puis, vous l’avez dit, il y a la prévention. De ce point de vue, le préfet du Var a entamé avec les collectivités locales toute une série de consultations qui vont déboucher sur la mise en œuvre de plans de prévention du risque inondation, qui sont seuls à même de permettre le maintien des activités et des habitations dans des zones inondables, en prenant les précautions nécessaires.

Aujourd’hui, dix-sept millions de Français vivent dans des zones dites inondables, et les entreprises en zones inondables représentent neuf millions d’emplois. Nous n’allons pas déplacer ces personnes, mais nous allons travailler sur la prévention, qui est l’objet d’un excellent rapport du sénateur Collombat. Nous avons créé une compétence nouvelle confiée aux collectivités locales, qui prendront en main la gestion des milieux aquatiques et des inondations. Avec vous, avec l’État, avec les élus, nous ferons de la prévention pour qu’il n’y ait plus ce genre de drame. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Rémunération des dirigeants de DEXIA

M. le président. La parole est à M. Sébastien Pietrasanta, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Sébastien Pietrasanta. Monsieur le ministre de l’économie et des finances, dans cette période difficile pour de nombreux citoyens, nous devons être particulièrement vigilants sur les rémunérations perçues par les dirigeants de grandes entreprises. Dans le secteur public, le Gouvernement a pris, au mois de juillet 2012, un décret qui plafonne le salaire des dirigeants à vingt fois le salaire le plus faible. Dans le secteur privé, une chance a été donnée à l’autorégulation, mais celle-ci peine à se mettre en place, comme l’a montré l’affaire Varin au mois de novembre 2013. La pression populaire et médiatique avait alors conduit le dirigeant de PSA à renoncer à sa retraite chapeau.

Dans ce contexte, l’annonce de l’augmentation de 30 % de la rémunération des dirigeants de la banque Dexia à partir du 1erjanvier 2014 est une absurdité totale.

M. Guy Delcourt. Un scandale !

M. Sébastien Pietrasanta. C’est une absurdité au regard non seulement de nos valeurs et de la situation économique de notre pays mais aussi de la situation de Dexia. N’oublions pas que cette banque, par la faute de ses anciens dirigeants, a fait souscrire à des milliers de collectivités locales des milliards d’euros d’emprunts toxiques qui, aujourd’hui, mettent à mal leurs finances. Vous connaissez, d’ailleurs, mon combat contre les emprunts toxiques. N’oublions pas non plus que cette mauvaise gestion a contraint l’État français à renflouer les caisses de DEXIA à hauteur de 6,6 milliards d’euros. (« Honteux » ! sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Monsieur le ministre, alors que DEXIA est en proie à de graves difficultés, nous vous interpellons sur cette étonnante augmentation de salaire. Vous avez eu raison de la qualifier d’inappropriée. Moi-même, je la qualifierai d’augmentation chapeau, pour ne pas dire chapeau à ces artistes dirigeants qui n’hésitent pas s’octroyer 30 % de rémunération supplémentaire alors que leur établissement est dans une situation périlleuse !

Dans ce contexte, nous dénonçons cette augmentation toxique avec force et énergie. Les membres de notre majorité veulent savoir quelles initiatives le Gouvernement compte prendre pour la faire annuler et s’il souhaite engager une action contre les rémunérations abusives perçues par les anciens dirigeants de la banque Dexia. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député Sébastien Pietrasanta, je connais bien – « hélas ! », allais-je dire – le dossier DEXIA, qui m’a beaucoup occupé beaucoup depuis que j’ai été nommé ministre de l’économie et des finances.

M. Bernard Deflesselles. Cela ne s’est pas vu !

M. Pierre Moscovici, ministre. Il a fallu, d’abord, gérer le plan de résolution du groupe. Il faut aussi traiter la question des prêts toxiques, j’y suis particulièrement sensible. Dans ces conditions, en effet, je comprends tout à fait la réprobation que vous inspire l’annonce de l’augmentation de rémunération pour des dirigeants devenus mandataires sociaux.

M. Michel Lefait. Il faut l’interdire !

M. Pierre Moscovici, ministre. Prise par le conseil d’administration de DEXIA, cette décision n’est pas le fruit d’une concertation. Évidemment, comme vous l’avez rappelé, je considère qu’il s’agit là d’une décision pour le moins inappropriée et même difficilement compréhensible. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

C’est la raison pour laquelle j’ai immédiatement pris contact avec mon homologue belge, M. Geens. Puisque l’État belge et l’État français sont l’un et l’autre actionnaires de DEXIA, nous demandons ensemble qu’une nouvelle réunion des instances de gouvernance du groupe puisse se tenir rapidement, pour revenir sur cette décision incompréhensible, et pour que s’appliquent les décisions que nous avons prises à propos des rémunérations dans le secteur public.

Certes, les représentants des deux États n’ont pas à eux seuls la majorité dans ce conseil d’administration. Mais je veux croire que, face à la réprobation qui s’exprime sur les bancs de cet hémicycle, au Parlement belge et, plus largement, dans l’opinion, on comprendra que, quand un groupe est soumis à un plan de résolution, quand il cause des problèmes, quand la collectivité est sollicitée, alors il faut revenir en arrière. Voilà quelle est la position très ferme que je défendrai, avec le Gouvernement belge, je vous l’assure. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Gestation pour autrui

M. le président. La parole est à M. Jean-Sébastien Vialatte, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Madame la ministre, les médias se sont récemment fait l’écho d’une publicité faite par une société américaine se vantant de mettre des couples français en relation avec des mères porteuses au Canada ou aux États-Unis. Sur son site internet, l’agence en question offre des services payants allant de l’assistance administrative et médicale en France jusqu’à la conclusion d’un contrat avec une mère porteuse avec, en option, la sélection des ovules, voire le choix du sexe des bébés. Une association a déposé plainte contre cette entreprise.

Ces pratiques permettant de choisir le sexe de l’enfant à naître ne sont pas sans rappeler une certaine forme d’eugénisme. Elles banalisent la commercialisation du corps des femmes et sont source de dérives en tout genre.

Le débat éthique sur la gestation pour autrui pose plusieurs questions, qui concernent au premier chef la dignité de la personne humaine, l’indisponibilité du corps humain, le devenir de l’enfant à naître en cas de conflit avec la gestatrice, l’instrumentalisation d’une femme par une autre femme et l’établissement de la filiation. À ce sujet, je voudrais dire ma désapprobation avec la circulaire dite « Taubira » qui accorde la nationalité française aux enfants nés à l’étranger et par extension à ceux issus d’une GPA. C’est l’hypocrisie la plus totale ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Je tiens à rappeler qu’en vertu de l’article 16-7 du code civil, introduit par la loi de bioéthique de 1994, la GPA est interdite en France. Cet article rend nulle toute convention sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui.

Madame la ministre, compte tenu de la gravité des faits que j’ai énoncés, entendez-vous maintenir dans la future loi sur la famille l’interdiction de la GPA dans notre pays ? Comptez-vous réaffirmer la valeur inaliénable de la personne humaine ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la famille.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille. Monsieur le député, j’ai envie de vous poser, moi aussi, une question. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Nous sommes aux questions au Gouvernement ! C’est à vous de répondre !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Pourquoi évoquer la question de la gestation pour autrui ? Je croyais que le débat sur le mariage pour tous était clos. (Exclamations continues sur de nombreux bancs du groupe UMP.) La position du Président de la République sur la gestation pour autrui est immuable, et a toujours été d’une grande limpidité. Je croyais que cette position avait bien été comprise par tous ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Puisqu’il faut le répéter, alors je le répète : le Président a dit très clairement que la gestation pour autrui ne ferait pas partie des questions abordées durant le quinquennat.

J’ai envie de vous dire que vos prises de position, aujourd’hui, sont très politiciennes (Protestations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC, GDR et écologiste), à la veille d’une manifestation qui cherche désespérément des arguments pour faire croire que nous détruisons la famille.



Plusieurs députés du groupe UMP. En effet ! C’est bien cela !

M. Christian Jacob. C’est vrai !

M. Philippe Meunier. Vous êtes les fossoyeurs de la famille !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Au contraire, le projet de loi famille est précisément centré sur l’enfant et les nouvelles protections qu’il convient de lui accorder face à la diversité des modèles familiaux. De cette manière, il s’agit de fixer de nouveaux repères, qui correspondent à l’état de la société française.

Alors qu’une étude publiée par le journal Le Monde met en lumière le sentiment de défiance des Français (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est vous qui suscitez la défiance des Français !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. …voilà que vous trouvez bon d’ajouter à cette angoisse, alors qu’au contraire notre société a besoin d’apaisement. Vous devriez plutôt tirer les conséquences du fait que les partis politiques sont les premières institutions à être visées par cette défiance.

M. Franck Gilard. Avec les médias !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Ce n’est pas avec ce type de question que vous rétablirez la confiance, c’est plutôt notre action qui y parviendra ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Deflesselles. C’est incroyable !

Développement des cours en ligne

M. le président. La parole est à Mme Colette Langlade, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Colette Langlade. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Madame la ministre, le 16 janvier 2014, une nouvelle université française a ouvert ses portes : elle possède de nombreuses qualités, accueille tous les publics, est pluridisciplinaire. Elle a le don d’ubiquité, et cette semaine déjà, elle a dépassé la barre des 100 000 inscrits. Cette université, mise en place par le Gouvernement, s’appelle France Université Numérique ; elle consiste en une plate-forme de MOOC – les Massive Open Online Courses, ou cours en ligne ouverts à tous.

Elle propose ainsi des cours en ligne gratuits et accessibles à toute heure. C’est une formidable opportunité pour notre pays : pour les étudiants, évidemment, mais aussi pour tous les citoyens et tous les travailleurs qui souhaitent se former, apprendre et comprendre.

L’engouement spectaculaire pour cette université est un signe très positif, qui confirme le bien-fondé de l’initiative prise par le Gouvernement. (« Allô ! Allô ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Avec cette université numérique, il ne s’agit pas de remplacer le travail éducatif conduit par les universités et les grandes écoles, mais de compléter leur apport en démocratisant les savoirs. Plusieurs établissements d’enseignement supérieur, comme l’université Bordeaux-III ou l’école Centrale, proposent des cours sur France Université Numérique. Ils seront bientôt rejoints par de nombreux autres établissements.

Madame la ministre, alors que notre pays est engagé dans une réforme utile de la formation professionnelle, le développement des cours en ligne ouverts à tous constitue une richesse sur laquelle notre pays peut et doit s’appuyer. Quelles sont les ambitions du Gouvernement en la matière ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la députée, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, en collaboration avec le ministère de l’éducation nationale, a lancé une grande action en faveur du numérique : le plan France Université Numérique. Depuis trois jours, des cours sont ainsi mis en ligne. Cette initiative rencontre un grand succès ; elle suscite un grand engouement : plus de 130 000 personnes sont inscrites. Ce sont des étudiants, mais aussi des salariés qui veulent se recycler, ou progresser dans tel ou tel domaine. Ce sont aussi des retraités ou des lycéens.

M. Jean-Pierre Barbier. Et les chômeurs ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Cette initiative rend le savoir davantage accessible à toutes les couches de la population ; elle participe ainsi à la démocratisation de l’accès à la connaissance. Vingt-cinq cours en ligne ouverts à tous sont déjà en ligne, dans tous les domaines. Beaucoup de contributeurs y ont participé : Sciences Po Paris, des universités – des facultés de médecine et de droit –, des écoles d’ingénieurs, les écoles normales supérieures de Cachan, de Paris et de Lyon.

Dans ce domaine, notre pays avait pris un grand retard en la matière, comme l’Europe d’une manière générale, à l’exception du Royaume-Uni – les pays anglo-saxons ont beaucoup d’avance sur nous en la matière.

Ces cours en ligne ouverts à tous sont utiles à bien des égards. D’abord, ils développent une pédagogie innovante : davantage interactive, elle favorise la réussite des étudiants. Ensuite, ils permettent aux enseignants de s’occuper davantage des étudiants, en les libérant des cours surchargés en amphithéâtre. De même, ils rendent possible le développement d’une économie des contenus numériques, puisque nous allons financer des partenariats entre les start-up, les éditeurs de logiciels et les équipes pédagogiques. Nous allons également financer l’équipement de studios numériques dans toutes les universités, pour que tous les territoires en profitent.

Au total, 12 millions d’euros issus du programme d’investissements d’avenir et 8 millions d’euros du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche contribueront à la révolution du numérique et à la modernité de notre enseignement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Chasse au gibier d’eau

M. le président. La parole est à M. Marc Laffineur, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Marc Laffineur. Monsieur le président, ma question s’adresse à monsieur le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Les chasseurs sont, avec les agriculteurs, de grands défenseurs de la nature et de notre environnement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Ce sont des passionnés, qui font beaucoup pour la préservation des espèces et leur développement. C’est d’ailleurs grâce aux plans de chasse que le nombre de cervidés est en augmentation depuis vingt ans, comme c’est le cas de beaucoup d’autres espèces dans notre pays.



Ils ont manifesté dans le Nord, le Pas-de-Calais, la Somme, le Médoc, l’Ouest et vous demandent de pouvoir chasser jusqu’à fin février l’oie et le canard siffleur, puisque – et c’est pour eux incompréhensible –, dans les pays du nord de l’Europe, on a détruit l’année dernière 150 000 oies par gaz pour lutter contre les dégâts agricoles et pour renforcer la sécurité dans les aéroports.



Les chasseurs de gibier d’eau sont en colère, monsieur le ministre, car ils sont obligés d’arrêter de s’adonner à leur passion le 31 janvier.



M. Pascal Terrasse. Voilà une question d’actualité !

M. Marc Laffineur. Vous leur avez accordé hier de pouvoir chasser dix jours de plus. Mais, monsieur le ministre, ce n’est pas l’aumône qu’ils vous demandent ! Ils sont passionnés ! Comment pouvez-vous expliquer que vous les empêchez d’exercer leur passion pendant quelques jours, alors qu’ils prélèvent 5 000 oiseaux par an et que, dans le nord de l’Europe, 150 000 sont gazés ! Allez-vous revenir sur cet arrêté pour pouvoir donner la possibilité de chasser jusqu’à la fin du mois de février ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Hutin. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le président, monsieur le député, je comprends que vous n’aimiez pas ce que vous appelez, au fond, des « demi-mesures », car vous aimez, vous, ne prendre absolument aucune mesure. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

En effet, si dix jours supplémentaires accordés aux chasseurs représentent pour vous un signe de mépris, …



M. Christian Jacob. Ce n’est pas assez !

M. Philippe Martin, ministre. …comment qualifiez-vous le fait que, pendant dix ans, les gouvernements que vous avez soutenus n’ont pas accordé un jour de plus à ceux que vous prétendez défendre ! (Très vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Jacob et M. Bernard Deflesselles. C’est faux !

M. le président. S’il vous plaît, calmez-vous !

M. Philippe Martin, ministre. Monsieur le député, je comprends que vous n’aimiez pas… (Mêmes mouvements.)

M. le président. Je sais bien que c’est un sujet qui passionne, mais calmez-vous !

M. Philippe Martin, ministre. …ce que vous appelez une « demi-mesure », car ce que vous aimez, c’est la démesure. (Exclamations prolongées sur les mêmes bancs).

M. Daniel Fasquelle. C’est faux !

M. le président. Monsieur Fasquelle !

M. Philippe Martin, ministre. Réclamer ainsi un mois supplémentaire, alors que la fédération nationale des chasseurs ne le demande pas, c’est ne pas respecter l’environnement ! Pour ma part, je préfère la discussion raisonnable que nous avons eue avec certains députés, comme Philippe Plisson, Jean-Claude Buisine, Brigitte Bourguignon et Catherine Quéré, car, avec eux, nous avons pris une décision respectueuse des chasseurs et de la ruralité, que j’ai la faiblesse de connaître, et nous respectons l’environnement ! (Mêmes mouvements).

Nous ne sommes pas méprisants et nous agissons ; vous, vous n’avez jamais rien fait pour les chasseurs. (Huées sur plusieurs bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Conséquences économiques d’un passage au paracétamol en générique

M. le président. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Patrice Carvalho. Monsieur le président, ma question s’adresse à madame la ministre des affaires sociales et de la santé. Le 12 décembre dernier, l’Agence nationale de sécurité du médicament, l’ANSM, a annoncé son intention d’inscrire le paracétamol au tableau des génériques.

Il n’est pas question de mettre en cause la politique en faveur des génériques, dès lors qu’elle permet l’accès des patients à des médicaments moins chers pour eux-mêmes et pour la Sécurité sociale. Mais, en l’occurrence, en ce qui concerne le paracétamol, un remède de consommation courante, l’effet sur les prix sera presque nul dans l’immédiat, et nul à terme. En revanche, la facture sociale, économique et industrielle risque d’être lourde.

Trois produits sur les vingt existants dominent le marché : le doliprane, fabriqué par Sanofi, le dafalgan et l’efferalgan, fabriqués par BMS UPSA. Ces trois produits ont un avantage : ils sont made in France.

Pour le groupe Sanofi, le doliprane représente 580 emplois, 100 % de la production de l’usine de Lisieux, 11 % de celle de Compiègne, 70 % de l’activité du centre de distribution d’Amilly. Au sein de BMS UPSA, qui emploie 1 400 salariés à Agen, 550 postes de travail concernent la fabrication du dafalgan et l’efferalgan.

En résumé, plus de 1 000 emplois directs sont potentiellement menacés si, demain, les pharmaciens substituent aux prescriptions médicales de ces trois médicaments, des produits génériques fabriqués à l’étranger et donc importés.

Ces trois médicaments coûtent 1,95 euro la boîte, contre 1,90 euro pour les génériques à venir. Le comité économique des produits de santé a obtenu que Sanofi et BMS UPSA s’alignent, le 1er janvier 2015, sur le prix de 1,90 euro. Il n’y a donc rien à gagner et tout à perdre. La décision vous appartient, madame la ministre : qu’allez-vous faire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la famille, dont nous allons écouter la réponse.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille. Monsieur le président, monsieur le député, ma réponse déchaînera peut-être moins les passions que les oies cendrées.

Notre investissement sur le développement des génériques est fondamental pour l’avenir de la santé. À cet égard, je voudrais vous faire part de mon étonnement quant à la formulation de votre question, qui tend à défendre les grands groupes privés. Pour notre part, nous voulons favoriser la défense des assurés sociaux.

S’agissant du paracétamol, il existe en effet de nombreux génériques, mais, à l’heure actuelle les pharmaciens ne peuvent pas les substituer aux médicaments princeps. Cela ne serait possible qu’à condition d’inscrire le paracétamol au répertoire des médicaments génériques.

En juin dernier, l’autorité de la concurrence avait remarqué que cette procédure n’avait toujours pas été utilisée. En décembre, le directeur de l’Agence nationale de sécurité du médicament a entamé les démarches pouvant conduire à la création d’un groupe générique sans spécialité de référence.

Je vous rappelle que la création d’un tel groupe ne peut intervenir qu’après que les titulaires d’autorisation de mise sur le marché ont pu présenter leurs observations. Les industriels concernés doivent remettre leurs observations avant le 6 février. Il est donc bien difficile et prématuré, de tirer la moindre conclusion aujourd’hui. C’est à l’issue de cette période d’observation que le directeur général de cette agence peut prendre la décision de créer le groupe générique et renforcer ainsi la diffusion des médicaments génériques pour le bien-être des assurés sociaux.

M. Serge Janquin. Très bien.

Enseignement de l’histoire contemporaine

M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Lionnel Luca. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale.

Nombre d’intellectuels, d’enseignants, de parents et, pour tout dire, de citoyens, s’alarment de la disparition des personnages fondateurs de notre histoire nationale mais aussi d’une discontinuité de la chronologie, qui rendent incompréhensible l’existence même de notre nation. Des événements importants qui ont façonné l’histoire de l’Europe, des personnages déterminants qui ont incarné la résistance nationale sont jetés aux oubliettes de l’histoire.

Si le phénomène n’est hélas pas nouveau, il s’aggrave depuis votre prise de fonction. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Dernière victime en date : le général de Gaulle. C’est vous qui avez décidé d’alléger les programmes de troisième dont le corollaire est l’édulcoration de la présidence du fondateur de la VRépublique, un programme qui, d’ailleurs, évoque Vichy après la Seconde guerre mondiale ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Derrière cette disparition du roman national, il y a cette idée obsessionnelle que notre histoire ne serait pas présentable, pas défendable, voire honteuse, et qu’à défaut de repentance affichée, l’oubli gommerait ses fautes supposées. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) « Il est bon qu’une nation soit assez forte de tradition et d’honneur pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs » a écrit Albert Camus. Mais elle ne doit pas oublier les raisons qu’elle peut encore avoir de s’estimer elle-même. Il est dangereux en tout cas de lui demander de s’avouer seule coupable et de la vouer à une pénitence perpétuelle. Serez-vous le ministre du redressement ou de l’abandon de l’histoire nationale ? (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes UMP. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le député Lionnel Luca, l’enseignement de l’histoire, notre mémoire nationale, la République de Jules Michelet, de Charles Péguy, de Marc Bloch, de Fernand Bredel, nous la portons dans notre cœur et, je le souhaite, nous la partageons !

Vous avez été, pendant vingt ans de votre vie, professeur d’histoire et vous avez consacré un mémoire à Charles de Gaulle. L’idée qui a été la nôtre, à  la suite de la demande de tous les professeurs et de l’ensemble des associations de parents d’élèves, a été précisément de rendre notre histoire, celle de la construction européenne et celle du général de Gaulle et de la reconstruction de la France, plus lisible par les élèves grâce à des séquences chronologiques mieux adaptées. Nous le savons, quand nous touchons à l’histoire, nous pouvons redouter des polémiques. C’est pourquoi nous avons souhaité mettre en place le Conseil supérieur des programmes et vous avons, pour cela, associé sur tous les bancs de l’hémicycle.

Mais, et vous l’avez constaté au printemps dernier, nous avons dû répondre à des urgences, et ce à la demande des professeurs, des familles et de l’ensemble de la communauté. Nous avons alors dû procéder, non à des allégements, mais à des réajustements, ce qui va dans le sens que vous souhaitez.

Nous allons célébrer, cette année, les soixante-dix ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale, un siècle après le début de la guerre de 1914. Nous célébrerons, lundi, la libération du camp d’Auschwitz et la mémoire de la nation contre tous les génocides. Je ne veux pas que soit ranimée dans notre pays la guerre des mémoires. Il n’existe qu’une mémoire : la mémoire républicaine !

M. Jean Glavany. Très bien !

M. Vincent Peillon, ministre. Je me trouverai, lundi, au village des Justes de Dieulefit et à Grenoble pour honorer celle des professeurs de tous bords, FFI, FTP, Maquis du Vercors, qui ont sauvé l’idée de la République, celle de la France ! Je veux que cette histoire soit enseignée ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Cybersécurité

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Perez, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Claude Perez. Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le ministre de la défense.

Nos nations font face à de nouvelles menaces sécuritaires avec le développement du cyberespace. Ces nouvelles menaces sont pleinement intégrées par notre majorité aussi bien en matière de sécurité intérieure que de sécurité extérieure. C’est vrai dans l’organisation de nos forces de police et de gendarmerie. C’est également vrai dans l’organisation de nos armées à travers le Livre blanc ou la loi de programmation militaire qui permet un développement très significatif de notre arsenal en matière de cyberdéfense.

Monsieur le ministre, vous êtes intervenu, hier, au forum international de la cybersécurité qui se tenait à Lille. À cette occasion, vous avez dévoilé le contenu du « pacte défense cyber », notre plan de bataille pour actualiser nos moyens et nos structures à l’évolution de la menace cybernétique.

Chers collègues, notre système sécuritaire, mais aussi nos infrastructures économiques et sociales ont développé une vulnérabilité à l’égard de ce type d’attaque. Il est de notre devoir de doter notre nation des moyens de contrer toute attaque de ce type. De manière évidente, cette dimension sécuritaire constitue désormais un champ stratégique à part entière.

La particularité de la cybercriminalité est qu’elle se joue des frontières. Elle peut s’attaquer aux citoyens, aux entreprises, aux pouvoirs publics. Qu’elle comporte ou non une dimension idéologique, elle peut frapper très durement et très rapidement nos sociétés. Pouvez-vous expliquer, monsieur le ministre, comment la France s’organise pour faire face à ce défi considérable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le député Jean-Claude Perez, vous posez une question grave. Vous avez raison de souligner l’ampleur de la menace informatique. Cette menace augmente en chiffres, puisqu’elle double tous les ans, et gagne en crédibilité. En effet, les cibles sont de plus en plus précises et l’ampleur de ces risques devient de plus en plus grande, qu’il s’agisse, en particulier, de l’espionnage de nos réseaux et, comme vous l’avez dit, du risque pour nos infrastructures, voire du risque de destruction de celles-ci.

Nous sommes, pour l’instant, préservés. Il importe toutefois, face à la brutalité de l’augmentation et à la précision des attaques, de prendre des mesures lourdes et de changer d’échelle. C’est la raison pour laquelle, à la demande du Premier ministre, nous avons, avec Manuel Valls, exposé, hier à Lille, le projet de « pacte défense cyber », déjà inscrit dans la loi de programmation militaire, et qui prévoit une mobilisation d’environ 1 milliard d’euros sur la durée de la programmation militaire.

Il serait trop long de vous exposer, ici, l’ensemble des mesures que nous voulons prendre, mais sachez qu’il existe cinq axes privilégiés. Premièrement, renforcer l’expertise, la capacité d’intervention. Deuxièmement, parvenir à tripler la recherche en amont, ce qui permettra d’associer les PME. Troisièmement, faire en sorte que le cadre juridique inscrit dans la loi de programmation soit mis en œuvre sous l’autorité du Premier ministre. Quatrièmement, orienter davantage la réserve citoyenne et la réserve opérationnelle vers la cybercriminalité. Cinquièmement, enfin, créer un pôle d’excellence à partir du centre DGA-MI de Bruz en Ille-et-Vilaine et de l’École des transmissions pour le renforcement de la recherche et de la formation à cet égard. Il y va de la souveraineté de la France, monsieur le député. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Recouvrement des dettes sociales outre-mer

M. le président. La parole est à M. Ary Chalus, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Ary Chalus. Ma question s’adresse à Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Madame la ministre, je reviens à nouveau sur les difficultés de la caisse générale de Sécurité sociale de la Guadeloupe, qui, à l’instar des autres caisses générales des départements d’outre-mer, exprime sa vive inquiétude face à l’aggravation de la situation des créances sociales.

À la suite de mon intervention le 30 janvier 2013, j’ai interrogé par écrit le ministre de l’économie et des finances sur la nécessité de refonder la réglementation liée au recouvrement des créances sociales. Soucieux de ne pas favoriser l’attentisme et de préserver l’avenir du financement de la protection sociale, le Gouvernement arrêtait alors des mesures avec l’agence centrale des organismes de Sécurité sociale et les caisses générales de Sécurité sociale visant à enclencher une spirale vertueuse permettant aux entreprises de respecter leurs obligations en tenant compte de la réalité économique.

Malheureusement, je ne peux que constater que ce dispositif évolue de façon très défavorable. Il devient urgent de trouver des mesures mieux adaptées à la forte dégradation enregistrée depuis mes précédentes interventions et bien mise en évidence par le président du conseil d’administration de chacune des quatre caisses d’outre-mer. Elles viennent de signer une motion commune en vue de faire entendre leur cri d’alarme devant l’explosion sociale susceptible de résulter des procédures de mise en recouvrement des dettes sociales. Comme le soulignent leurs conseils d’administration, les caisses de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion ne peuvent supporter seules ces conséquences.

Je partage totalement et relaie leurs craintes. Compte tenu du nombre croissant de liquidations d’entreprises, quelles mesures nouvelles entendez-vous prendre pour éviter l’aggravation d’une situation économique déjà moribonde et une nouvelle crise sociale en outre-mer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Je vous prie, monsieur le député, d’excuser l’absence de Marisol Touraine, retenue au Sénat, et j’en profite pour excuser celle de Bernard Cazeneuve, retenu à Aix-en-Provence après l’explosion d’un centre des impôts. Je tiens à manifester ici la solidarité du Gouvernement aux agents qui ont pu être menacés par un tel attentat. (Applaudissements sur divers bancs.)

Comme vous l’avez rappelé, le Gouvernement vous avait fait part il y a un an de sa volonté de tenir compte des difficultés économiques des outre-mer, sans retomber dans les errements du passé. D’autres gouvernements avaient adopté des moratoires ou des mesures d’apurement généralisé qui ont aggravé la situation. Un certain nombre d’entreprises, en effet, espérant de nouveaux moratoires, ont accumulé d’importants passifs, situation dénoncée par les représentants des entrepreneurs d’outre-mer eux-mêmes.

Le Gouvernement a demandé aux caisses générales de Sécurité sociale de mobiliser les outils permettant de traiter les difficultés de paiement, notamment en examinant les possibilités d’accorder des délais de paiement aux entreprises, non sur une base généralisée mais par un examen au cas par cas. Pour la première fois depuis des années, la situation du recouvrement s’améliore dans les départements d’outre-mer. En septembre 2013, le taux de reste à recouvrer du secteur privé était en amélioration d’un point par rapport à 2012 et même de plus de trois points en Guadeloupe.

Cela dit, j’entends vos observations et les préoccupations que vous relayez. Le Gouvernement continue et continuera à veiller à l’évolution de la situation, à l’adaptation des mesures qu’il a adoptées si c’est nécessaire, sans pour autant, et vous le comprendrez, compromettre le financement de la Sécurité sociale, et dans le respect, bien sûr, de l’égalité de tous devant les charges publiques, notion à laquelle je vous sais particulièrement attaché.

Réforme du financement de la Sécurité sociale

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Door, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Pierre Door. Ma question s’adresse à la M. le Premier ministre

Monsieur le Premier ministre, l’année 2014 sera-t-elle une année de réforme du financement de la Sécurité sociale ? Les annonces de l’Élysée et du Gouvernement ne clarifient pas franchement cette perspective. En toile de fond du débat que vous lancez, et au lieu d’admettre que, comme le soulignait Gilles Carrez, la dépense va encore déraper et ruiner vos objectifs budgétaires, vous vous contentez de dire que tout va bien. L’état de l’économie, le niveau de croissance, la dynamique des recettes, le chômage : pour tout cela, vous vous en tenez à l’incantation.

Vous avez mandaté le Haut conseil de financement de la protection sociale pour réfléchir à des scénarios. Moins faire reposer le financement sur le travail, c’est une bonne intention, et nous la partageons. Le Haut conseil a fait un travail exemplaire et vous a rendu sa copie le 17 janvier dernier. Il propose des réflexions, et le Président Hollande annonce la suppression des cotisations familiales, soit 35 milliards d’euros. Le diable est dans les détails. Un tel projet avait été retenu par le gouvernement précédent, en toute transparence, et vous l’avez rejeté dès votre arrivée. Aujourd’hui, vous avancez dans le flou, sauf que cela aura des conséquences sur le pouvoir d’achat des ménages. Contribution sociale à la consommation, CSG ou impôts nouveaux, à quel numéro de prestidigitation allez-vous recourir ? Il est vrai que vous êtes maître en ce domaine.

Écoutez la Cour des comptes, les économistes, même ceux de gauche. Sur qui allez-vous transférer les cotisations familiales, sans altérer ni ruiner la politique familiale du pays ? C’est en diminuant les dépenses sociales que vous réduirez les charges de l’entreprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Vous m’invitez, monsieur le député, à remettre en perspective le pacte de responsabilité voulu par le Président de la République, qui oblige le Gouvernement. L’objectif est d’accroître le potentiel de croissance de l’économie française et d’aider nos entreprises à créer davantage d’emplois.

Ce pacte sera un grand compromis social, qui imposera aux entreprises de penser à des contreparties sur le nombre d’emplois, la qualité de l’emploi, les investissements en France, la localisation des centres de décision. Dans ce contexte, sont prévus plusieurs chantiers. Il y a la simplification de la vie des entreprises, déjà entamée, sur laquelle il y aura un train d’ordonnances, les assises de la fiscalité des entreprises, autour du Premier ministre, et la baisse des charges sociales, qui est une attente forte des entreprises. Le Président de la République a indiqué à plusieurs reprises que la suppression des cotisations familiales serait sur la table.

Plusieurs députés du groupe UMP. Comment ?

M. Pierre Moscovici, ministre. Nous devons donc penser au financement de la protection sociale. Notre intention est extrêmement claire (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP),…

M. Bernard Deflesselles. Ce n’est pas clair du tout !

M. Pierre Moscovici, ministre. …c’est de permettre à la fois la baisse des charges sociales et la pérennité du financement de la protection sociale. Vous me demandez comment cela sera financé. Je vais vous surprendre car vous ne l’avez jamais fait, ce sera par des économies. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Où ?

M. Pierre Moscovici, ministre. Le Président de la République s’est engagé sur un programme sans précédent de 50 milliards. Il met en place un Conseil stratégique de la dépense publique. Tous les ministres sont mobilisés et responsables. C’est une démarche sans précédent, à laquelle vous devriez plutôt vous associer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

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Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur

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Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen

Votes solennels

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote communes et les votes par scrutin public sur le projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur (nos 1714) et le projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen (nos 1715).

Explications de vote communes

M. le président. Dans les explications de vote communes, la parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, ces projets de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de parlementaire, soumis en dernier ressort au vote de notre assemblée, constituent une réponse, bien qu’insuffisante, à la crise de la représentation politique.

Nous y voyons d’abord une question de principe : la fonction parlementaire – représenter la nation, voter la loi, contrôler l’action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques – nécessite une implication pleine et entière.

Nous y voyons également une exigence démocratique, dans la mesure où le déséquilibre institutionnel au profit de l’exécutif, qui s’est accentué avec l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral voilà dix ans, pose la question de la place et du rôle du Parlement dans nos institutions.

Nous savons bien que la revalorisation du Parlement passe aussi par la volonté des parlementaires de se saisir pleinement des prérogatives et pouvoirs qui leur sont conférés par la Constitution. Par conséquent, il est urgent d’adresser à nos concitoyens ce message fort de l’interdiction du cumul d’un mandat de parlementaire avec une fonction exécutive locale. C’est dans l’air du temps !

Cette interdiction permettra aussi de déverrouiller la vie politique, de favoriser l’émergence de nouveaux profils sociologiques et de promouvoir le renouvellement du personnel politique. Elle encouragera ainsi le pluralisme démocratique et permettra aux citoyens de se sentir mieux représentés.

Si nous considérons que la revalorisation du Parlement et la rénovation de notre vie politique ne peuvent s’engager sans rompre avec la pratique d’un cumul banalisé, nous pensons également que ce n’est qu’une première étape. D’autres mesures sont nécessaires : non-cumul des mandats locaux, élaboration d’un statut de l’élu, ou encore instauration de la représentation proportionnelle à l’Assemblée nationale. Cette dernière est la seule manière de garantir une plus juste représentation politique au Parlement.

Le mode de scrutin est appelé à évoluer, comme s’y est engagé François Hollande, alors en campagne – mais il est vrai que les promesses ne valent que pour ceux qui y croient ! –, avec la proposition qu’environ 15 % des députés, soit une centaine, soient élus à la proportionnelle.

Pour toutes ces raisons, le groupe GDR, dans sa majorité, confirmera son vote favorable à ces deux projets de loi, qui constituent une avancée réelle et permettent d’adresser un message fort à nos concitoyens quant à notre volonté de rénover profondément les pratiques politiques et notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

(M. Marc Le Fur remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Laurence Dumont, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Laurence Dumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, Mendès France disait : « L’histoire de notre pays enseigne que la vitalité de toutes les libertés est liée à l’existence d’un Parlement respecté. »

Pour que notre Parlement soit respecté, il faut qu’il exerce pleinement les missions qui lui sont attribuées par la Constitution.

Pour que notre Parlement soit respecté, il faut que les parlementaires investissent l’ensemble des pouvoirs à leur disposition en matière législative et de contrôle.

Pour que notre Parlement soit respecté, il faut qu’il se renouvelle, qu’il représente davantage notre société dans sa diversité de sexe, de générations, d’origines et de classes sociales. Dois-je rappeler que, depuis le dernier renouvellement de notre assemblée, seuls un quart des députés sont des femmes et 2 % sont issus de la diversité ?

Pour que notre Parlement soit respecté, il faut qu’il permette à des citoyens plus nombreux d’accéder aux responsabilités politiques. Près de 60 % des députés et des sénateurs exercent aujourd’hui des fonctions exécutives locales. Limiter le cumul permettra l’arrivée au niveau local ou national de centaines de nouveaux élus.

Pour que notre Parlement soit respecté, enfin, il faut limiter le cumul des mandats des parlementaires, quoi qu’en disent les sénateurs, qui se sont une fois de plus singularisés de bien triste façon dans leur position sur ce texte.

Pas seulement les sénateurs, d’ailleurs. Le hasard a fait que je viens de découvrir, à la distribution, une proposition de loi déposée il y a quelques jours par quatre parlementaires UMP, proposition qui, je vous le donne en mille, – je cite – « conditionne l’ouverture d’une candidature parlementaire aux seules personnes pouvant justifier de l’exercice d’un mandat local ».

M. Dominique Bussereau. Très bien !

Mme Laurence Dumont. Cette proposition de loi de quatre parlementaires UMP vise donc à l’obligation du cumul : Messieurs, vous êtes à revers de l’histoire ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Laurent Grandguillaume. Bravo !

Mme Laurence Dumont. Pour ma part, je partage au contraire la conviction du Président de la République, affirmée hier lors des vœux au bureau national : « C’est une réforme irréversible. »

Chers collègues, ce texte constitue une petite révolution démocratique qui va changer profondément la classe politique française, recrédibiliser notre action auprès de nos concitoyens…

M. Jean-Luc Laurent. Je n’y crois pas du tout ! C’est un rêve !

Mme Laurence Dumont. …et peut-être surtout renforcer le rôle de l’institution parlementaire. Il impose l’avancée des travaux sur l’élaboration d’un véritable statut de l’élu, devenu indispensable et incontournable. Il marque notre volonté d’une société moderne qui avance, qui refuse que la politique soit l’affaire de quelques-uns et qui pose des actes pour qu’elle devienne l’affaire de tous.

Nous sommes au terme de la procédure, après de nombreux débats. La gauche a voté massivement ce texte lors des deux lectures à l’Assemblée nationale. Je ne doute pas qu’elle renouvelle son vote aujourd’hui. Il s’agit en effet d’une nécessité impérieuse qui demande du courage politique, et nous en avons. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Il s’agit d’une avancée historique dans la vie démocratique de notre pays. Nous sommes prêts et les Français l’attendent ! « La gauche, disait Jaurès, c’est l’exigence de la démocratie jusqu’au bout. » Respectons cette exigence et donnons-nous les moyens d’y parvenir en votant cette limitation du cumul des mandats à une très large majorité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il y a une vingtaine de mois, en entrant dans cette assemblée, un certain nombre d’élus du groupe socialiste ont choisi de renoncer aux responsabilités exécutives locales qu’ils exerçaient. C’est leur liberté, c’est à leur honneur, et c’est la preuve qu’il n’est pas besoin de loi pour que chacun choisisse l’état qui lui convient le mieux, choisisse de cumuler ou non.

Par ailleurs, les électeurs qui les ont désignés pour siéger dans notre assemblée savaient parfaitement qu’ils exerçaient déjà des responsabilités locales. J’observe que la perspective du cumul ne les a pas empêchés de les désigner.

L’ensemble des élus socialistes avaient signé, si mes souvenirs sont bons, il y a quelques mois ou quelques années, une charte les engageant à abandonner leurs fonctions exécutives lorsqu’ils deviendraient parlementaires.

M. Guy Geoffroy. Paroles, paroles !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je crois me souvenir que peu d’entre eux l’ont fait. Quoi qu’il en soit, au moment où le parti socialiste avait adopté cette disposition, celle-ci avait suscité des débats internes assez vifs, et je le comprends, puisque nous sommes opposés au présent texte.

Les choses en sont même arrivées au point où l’un de nos collègues, député de la région des Alpes, a été poursuivi par une association au tribunal pour avoir signé cette charte en son temps et ne pas s’être conformé à son engagement. Je vous indique au passage que l’association en question fait à présent partie de celles qui peuvent, au titre de la loi sur la transparence, demander des comptes aux élus, de celles qui sont reconnues recevables devant les tribunaux pour juger de la transparence. C’est une parenthèse mais cela mérite d’être rappelé.

Cerise sur le gâteau, comme je le disais hier dans la discussion générale, combien d’entre vous, dans quelques semaines, demanderont-ils le suffrage de leurs électeurs dans leurs villes respectives ? Combien d’entre vous le feront avec l’ambition parfaitement légitime de gagner et d’être élus ? Combien le feront en dépit du fait qu’ils auront voté cette loi ? Combien, donc, auront voté la loi, se seront portés candidats, auront gagné une élection et démissionneront de leur mandat de parlementaire le lendemain ? Personne !

M. Michel Pouzol. Mais si !

Mme Monique Rabin. Moi !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je vous félicite, madame : sur trois cents, reconnaissez que c’est assez peu !

Nous sommes donc dans une vaste fumisterie. En réalité, vous avez pris un jour, devant vos sections militantes, parce que la base pousse, des engagements et qu’il va falloir libérer des places. Chère Laurence Dumont, moins de mille personnes sur 550 000 élus, c’est un taux de renouvellement particulièrement faible ! Ce renouvellement de la classe politique en profondeur concernera un peu moins de 0,02 ‰ des personnes exerçant un mandat !

Plusieurs députés du groupe UMP. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson. Il y a sans doute des méthodes de renouvellement plus rapides, mais nous les attendons encore ; elles ne sont pas apparues au cours des débats qui nous ont occupés pendant quelques mois.

Au total, vous nous demandez de voter un texte qui ne répond pas à autre chose qu’à certains impératifs internes du parti socialiste et des relations entre ses élus et ses militants. Vous avez le droit d’écouter l’avis de vos militants, bien sûr, c’est même louable, mais pas au point de faire subir aux institutions françaises des transformations de cette envergure. Vous vous apprêtez en réalité à affaiblir le Parlement, à renforcer le poids des appareils politiques sur les élus, et au bout du compte vous ne serez même pas parvenus à contenir au-delà du nécessaire les ambitions d’une majorité qui, de temps en temps, vous échappe.

Vous n’êtes donc pas dans une volonté de réforme institutionnelle démocratique, une volonté de respecter le Parlement.

Respecter le Parlement, cher collègue président de la commission des lois, c’est aussi organiser le travail parlementaire pour qu’il se déroule dans de bonnes conditions ; c’est légiférer moins, mais mieux. Combien de fois, mes chers collègues de la majorité, ne vous avons-nous pas entendus dire, au cours de la précédente législature, que nous légiférions trop, trop vite et trop mal ? Or vous nous imposez en la matière une cadence encore supérieure.

Dès lors, aucun des arguments que vous avancez pour justifier ce texte ne porte réellement ; aucun ne correspond à la réalité de nos institutions ; aucun ne respecte l’autorité du Parlement. Ce n’est là qu’une affaire interne au Parti socialiste. Pour cette raison, en plus de toutes les autres, le groupe UMP votera résolument contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, sur plusieurs bancs du groupe UDI et sur quelques bancs du groupe RRDP.)

M. le président. Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Michel Piron. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que la lecture définitive des projets de loi interdisant le cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de parlementaire français ou européen nous réunit une nouvelle fois dans cet hémicycle, nos réticences ne se sont pas estompées, bien au contraire.

Au terme de si longs débats, le groupe UDI continue de penser que cette réforme est empreinte d’un défaut majeur, celui de mal poser le problème et de n’en traiter que la surface, sans se préoccuper des causes réelles du cumul des mandats. Ce phénomène, certes très prégnant en France, fait même figure d’exception dans le paysage européen. Mais quelle en est la raison ? Bien plus que des règles limitant le cumul des mandats, c’est une autre organisation territoriale et institutionnelle que nos voisins européens ont réussi à concrétiser, résolvant par là même la question du cumul.

M. Charles de Courson. Très bien !

M. Michel Piron. C’est parce qu’ils ont réalisé des réformes profondes dans le sens d’une décentralisation assumée que la question ne se pose pas dans les mêmes termes que dans notre pays.

Voilà pourquoi, selon nous, cette réforme n’est en rien un progrès pour notre démocratie. Seule une véritable réforme de la gouvernance aurait pu justifier la disparition du cumul, lequel n’est, au fond – je le dis une nouvelle fois –, rien d’autre que l’enfant naturel de la centralisation. La France demeure en effet un pays hypercentralisé, dans lequel l’immense majorité des règles et des normes vient d’en haut. Une réflexion plus aboutie sur le rapport entre les collectivités locales et l’État aurait été infiniment plus utile que ce débat superficiel.

Avec ce texte, que reste-t-il à l’élu territorial en prise directe avec les réalités concrètes du pays ? Que reste-t-il à cet élu qui voudrait changer les règles et peser sur les décisions, s’il n’est pas élu au niveau national ?

J’y insiste, car l’affaire n’est pas sans conséquences : votre remède risque même d’être pire que le mal, tant l’absence de cumul, en l’état de nos institutions, fera peser le risque de centraliser encore davantage les décisions.

M. Dominique Bussereau. Très bien !

M. Michel Piron. Elle conduira à une déconnexion profonde entre les élus et les problèmes réels des Français, creusant encore plus un fossé qui menace déjà notre démocratie.

Oui, la France a besoin d’un renouvellement démocratique. Le groupe UDI a d’ailleurs été le premier à défendre l’idée selon laquelle, pour revivifier notre système représentatif, la première de nos préoccupations devrait être de remédier aux inégalités d’accès aux mandats électifs, notamment entre les salariés du privé et les fonctionnaires, lesquels sont aujourd’hui surreprésentés dans la vie politique.

Par ailleurs, dans un régime déjà hyperprésidentialisé, n’est-il pas risqué d’affaiblir à ce point le statut de parlementaire ? Les députés de la majorité, en l’absence de mandat local, désormais élus dans la foulée du président, seront, plus encore qu’hier, dans sa dépendance.

Puis-je, enfin, si ce texte est, à vos yeux, à ce point synonyme de progrès et de renouvellement démocratique, vous demander pourquoi tant d’élus ont fait le choix de se représenter aux prochaines élections, en attendant une éventuelle sanction législative en 2017 ?

Vous le voyez : en ne posant pas les bonnes questions, vous ne pouvez apporter de bonnes réponses au problème du cumul. C’est pourquoi les députés du groupe UDI se prononceront majoritairement contre ces deux textes, même si, compte tenu de l’esprit qui a animé nos débats, certains de mes collègues s’abstiendront. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.

M. Sergio Coronado. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, face à l’opposition du Sénat à toute mesure visant à limiter le cumul des mandats, situation qui a conduit à l’échec de la commission mixte paritaire, et en vertu du dernier alinéa de l’article 45 de notre Constitution, il revient à notre assemblée de statuer définitivement sur deux projets gouvernementaux : le projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et le projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.

Il s’agit en fait de donner une traduction législative à l’engagement 48 du candidat François Hollande. Guy Carcassonne, dans l’une des nombreuses tribunes qu’il a publiées au sujet du cumul des mandats, écrivait : « l’idée est parfois avancée de n’interdire le cumul que touchant une fonction exécutive locale. Ainsi ne pourrait-on plus être député et maire, mais pourrait-on demeurer député et conseiller municipal. Ce compromis ne présente pas de mérites en lui-même. Il n’aurait de sens qu’à défaut d’une prohibition plus radicale ».

Notre groupe a tenté d’aller au-delà du compromis, car – vous le savez bien – les textes que nous allons voter ne mettent pas fin au cumul des mandats. Un parlementaire pourra toujours exercer un mandat local et le cumul des mandats locaux reste possible, à l’heure même où nos collectivités territoriales gagnent en compétences et en poids politique. Ce que nous allons prohiber pour nous-mêmes, nous allons le tolérer demain pour d’autres.

Nous aurions préféré, il est vrai, une réforme d’une plus grande portée, une réforme plus radicale, consistant à imposer le mandat unique pour les parlementaires et à limiter dans le temps l’exercice d’un mandat ; une réforme qui se serait appliquée immédiatement et qui aurait comporté également une limitation plus stricte du cumul des mandats locaux et des indemnités.

Notre opposition au cumul des mandats est une position connue et constante ; ce n’est pas une volonté de punir ou de considérer que les élus qui cumulent seraient de mauvais élus. Nous voulons simplement que les responsabilités électives soient plus accessibles et qu’elles ne deviennent pas le bastion de quelques-uns. Nous voulons que le Parlement reflète plus fidèlement le corps social, qu’il illustre la diversité de la nation et que les femmes soient mieux représentées. Nous voulons, enfin, rétablir le lien de confiance nécessaire entre nos institutions et nos compatriotes. La défiance dont nous sommes l’objet naît du sentiment qu’ont les citoyens que nous sommes une caste qui cumule pouvoirs et avantages, une caste arc-boutée sur ses privilèges.

Face à l’hostilité du Sénat, à la volonté du Gouvernement de s’en tenir à l’équilibre des textes et au constat que, sur cette question, notre Parlement avance avec timidité, parfois même à contrecœur, nous avons décidé de prendre acte de l’avancée que représentent les deux textes soumis au vote. Nous faisons le pari que, une fois enclenchée, la dynamique de limitation du cumul des mandats aura vocation à nous amener plus loin. Nous pensons en effet que l’adoption de cette réforme va, à l’instar de ce qui s’est passé avec la loi sur la parité, transformer durablement et en profondeur la physionomie de nos assemblées. La diversité, la place de femmes et le renouvellement en sortiront renforcés, nous en avons la conviction. Les parlementaires seront pleinement disponibles pour l’exercice de leur mandat.

Certains compromis, chers collègues, peuvent laisser un goût de cendre ; d’autres permettent de faire un pas décisif dans la bonne direction. Droit de vote et d’éligibilité pour les résidents étrangers non communautaires, introduction de la proportionnelle et limitation du cumul des mandats : tel était le contenu du pacte de confiance conclu le 6 mai 2012 par François Hollande avec le peuple français. Nous allons faire un premier pas ; il ne faut pas s’arrêter en chemin. Les députés écologistes voteront ces textes sans regrets et sans états d’âme. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Gouvernement est sûr de sa victoire. Il a donc décidé de refuser toute concertation avec l’opposition, ce qui peut se comprendre, mais aussi avec ses alliés de toujours, les radicaux, ce qui se conçoit moins bien. Il s’est recroquevillé sur lui-même, nous donnant l’impression de pratiquer la stratégie du homard : il s’est doté d’une carapace qui tient lieu de posture, mais en étant dépourvu de colonne vertébrale. (Sourires.)

Nous sommes donc des classiques qui subissent l’assaut et les certitudes des modernistes. Nous avons pourtant proposé des portes de sortie – en vain. Il me revient, malgré notre opiniâtreté, ces mots de Samuel Beckett : « Déjà essayé, déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. » (Sourires.)



M. André Chassaigne. Ne serait-ce pas dans Fin de partie ?

M. Alain Tourret. Pourtant, la politique est une affaire de consensus et de synthèse, ces termes si chers au Président de la République.

M. Jean-Frédéric Poisson. Eh oui !

M. Alain Tourret. Nous souhaitions garantir ensemble la pérennité d’une loi sur le cumul ; cela nous a été refusé. Nous ne voterons pas le texte qui nous est proposé pour les raisons suivantes.

Premièrement, nous n’avons pas à faire les frais des différents courants du Parti socialiste,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Tout à fait !

M. Alain Tourret. …les uns revendiquant le mandat unique, les autres – très nombreux, mais taiseux – se satisfaisant de la situation actuelle. Nous prenons acte, d’ailleurs, de ce que de très nombreux députés socialistes se présenteront aux prochaines élections municipales…

Plusieurs députés des groupes UMP et UDI. Eh oui !

M. Alain Tourret. …pour garder leur ville ou, mieux, en prendre d’autres, alors qu’ils ne sont même pas élus municipaux.

M. Guy Geoffroy. Exactement ! Tout cela n’est pas très clair !

M. Alain Tourret. Deuxièmement, nous refusons de faire des maires les boucs émissaires de cette réforme, alors que le sondage IPSOS publié hier dans Le Monde indique que 63 % des Français font confiance à leur maire et que seulement 23 % d’entre eux font confiance à leur député. Pourquoi donc se priver de ce capital de confiance ?

M. André Schneider. Eh oui !

M. Alain Tourret. Troisièmement, les meilleurs défenseurs de la République restent encore les députés-maires qui ont la confiance de leur population. Ce sont des républicains, les meilleurs défenseurs de la République contre les assauts du populisme.

Mme Véronique Massonneau. Les autres ne sont pas républicains ?

M. Alain Tourret. Je comprends d’ailleurs fort bien que le Front national soutienne cette loi qui lui ouvrira à terme les portes des hôtels de ville, car il n’aura plus face à lui les députés-maires, véritables digues contre le populisme. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et écologiste. – « Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Bussereau. Et contre les apparatchiks !

M. Alain Tourret. Quatrièmement, demain, c’est le bicamérisme qui sera remis en cause.

M. André Schneider. Bien sûr !

M. Alain Tourret. Le Sénat, qu’on le veuille ou non, ne sortira pas indemne de cette affaire. Or, comme le précise la Constitution, il est le représentant spécifique des collectivités territoriales. Supprimer les maires des bancs du Sénat, leur interdire d’y siéger, c’est supprimer la raison même de l’existence du Sénat. On peut estimer que la seconde chambre est anachronique ; on peut voir en elle une anomalie constitutionnelle. Mais que l’on en tire les conséquences, comme, en son temps – c’était en 1969 – le général de Gaulle. Mes amis, on connaît la suite…

M. Guy Geoffroy. Les socialistes s’étaient d’ailleurs opposés à la révision constitutionnelle !

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Ils n’étaient pas les seuls !

M. Alain Tourret. Je le dis avec une certaine tristesse : cette loi affaiblira la République et son équilibre institutionnel. Je ne sais ce que décidera le Conseil constitutionnel, mais je suis certain d’une chose : aujourd’hui, le dogme l’a emporté sur la raison. Ce 22 janvier 2014 restera un jour noir pour la République… (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et écologiste. – Applaudissements sur certains bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme Pascale Crozon. Il ne faut tout de même pas exagérer !

M. Alain Tourret. …car il n’est jamais bon que l’esprit de système l’emporte sur l’esprit de consensus.

Voila les raisons qui nous amènent à nous opposer à cette loi dont nous aurons à payer longtemps les excès. J’interpelle une dernière fois mes collègues de la majorité, en particulier les socialistes : refusez de livrer à l’opinion les députés-maires, qui ont enrichi la France de leur expérience et de leur sagesse ; rejoignez les humanistes, qui sont à l’écoute des Français et des territoires. Mes amis, il est encore temps ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur de nombreux bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons voter successivement sur le projet de loi organique et sur le projet de loi ordinaire.

Le vote sur le projet de loi organique aura lieu dans les salles voisines de l’hémicycle. Pendant son déroulement, la séance sera suspendue.

À l’issue de la suspension, vous êtes invités à regagner l’hémicycle pour participer au vote sur la loi ordinaire. Nous procéderons à ce scrutin immédiatement après la proclamation des résultats du scrutin sur la loi organique.

Nous en venons au premier vote. Je rappelle que l’adoption du projet de loi organique nécessite la majorité absolue des membres composant notre assemblée, soit 289 voix.

Le scrutin est ouvert pour trente minutes. Il sera donc clos à dix-sept heures et la séance reprendra à dix-sept heures cinq.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à dix-sept heures cinq, sous la présidence de M. Claude Bartolone.)

Présidence de M. Claude Bartolone



M. le président. La séance est reprise.

Vote sur l’ensemble

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants552
Nombre de suffrages exprimés538
Majorité absolue289
Pour l’adoption313
contre225

(Le projet de loi organique est adopté.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi ordinaire.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants515
Nombre de suffrages exprimés498
Majorité absolue250
Pour l’adoption300
contre198

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, ce vote honore l’Assemblée nationale. Vous avez fait une grande œuvre, effectué une avancée considérable dans la modernisation de la vie politique. C’était l’un des soixante engagements du Président de la République : le voici désormais, grâce à votre vote, loi de la République ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Il est vrai que les débats ont été vifs, parfois excessifs. Telle est la loi du genre : nous sommes ici dans la maison de la démocratie, le lieu où l’on débat. Mais ceux qui ont voté cette réforme peuvent être fiers : ils incarnent le progrès et n’ont pas craint de résister à toutes les formes de conservatisme.



M. Jacques Myard. Beaucoup de socialistes ne sont pas dans ce cas !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Quoique vous ayez pu dire, messieurs les députés de l’opposition, vous ne reviendrez jamais, si vous en avez un jour l’occasion, sur cette loi,…

M. Yannick Moreau. On verra…

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …considérée par une grande majorité de nos concitoyens comme un progrès.

M. Yves Censi. Parole de cumulard…

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Moi qui ai été maire pendant trente-cinq ans, et député-maire pendant vingt-six ans, je mesure le changement ; je sais les hésitations, parfois la crainte. Mais vous avez fait preuve d’audace, et vous avez eu raison ! Car – on le voit déjà dans les candidatures annoncées pour les élections municipales – cette loi représente une chance pour la parité, une chance pour la diversité, une chance pour les générations nouvelles.

M. Yannick Moreau. Des députés hors-sol !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Elle est une promesse de transformation pour ceux qui, demain et après-demain, exerceront les responsabilités politiques au niveau local, comme au niveau national.

Elle est aussi l’occasion, pour le Parlement, de renforcer sa mission de contrôle.

Vous pouvez être fiers d’avoir voté une grande loi de la République. Demain, les Français sauront se souvenir que la gauche, les écologistes et tous les progressistes, ont accompli une telle réforme. Vous l’avez encore montré la nuit dernière, vous incarnez le progrès.

La France doit avancer sur le plan économique, faire reculer les injustices et le chômage, mais elle doit aussi consacrer de nouveaux droits. Vous venez de le faire. Je vous en remercie. (Les députés des groupes SRC et écologiste se lèvent et applaudissent. –– Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe RRDP.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures vingt, sous la présidence de M. Marc Le Fur.)

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président



M. le président. La séance est reprise.

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Ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

Discussion d’une proposition de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle de M. Bruno Le Roux visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (nos 1618, 1703).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quelques semaines, en septembre, le Parlement européen adoptait un rapport invitant tous les États qui ne l’ont pas encore fait à ratifier ou mettre en œuvre la charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Une majorité écrasante, comme il ne s’en dégage que très exceptionnellement à Strasbourg, s’est retrouvée pour l’adopter : 645 voix pour, 26 voix contre, 29 abstentions. Seule l’extrême-droite s’y est opposée, de même qu’une poignée de membres du PPE, ainsi qu’un élu, un seul, de gauche : Jean-Luc Mélenchon.

Nos travaux s’inscrivent dans la perspective de ce vote. Je souhaite que nous sachions créer, ici aussi, les conditions d’une majorité massive pour l’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle.

La défense et la promotion des langues régionales unissent toutes celles et tous ceux qui ont à cœur de promouvoir une société française réconciliée avec la multiplicité de ses racines, de ses héritages et de ses modes d’expression.

Elle est le refus de la norme sclérosante, de l’inconcevable fatuité de ceux qui se croient autorisés à imposer l’uniformité, du sectarisme aveugle de ceux qui s’en font les gardiens zélés.

Mon intention ici n’est pas de tenter de convaincre ceux qui le sont déjà – farouches détracteurs ou soutiens inconditionnels de la charte. L’entreprise serait vaine.

Mon propos entend s’adresser à tous ceux qui, au sein de cet hémicycle, assistent à un débat qui ne suscite en eux nulle passion particulière et dont ils ne se sentent pas forcément partie prenante.

Je veux m’adresser à eux car c’est de leur suffrage que dépendra la ratification ou non de la charte.

Mon message est simple : aucun des procès en sorcellerie que l’on intente à la charte n’a de réel fondement. Permettez-moi de les énumérer, un à un.

L’on nous dit que ces langues sont mortes, poussiéreuses et qu’elles ne sont plus que le reflet d’une époque heureusement révolue.

La vérité est qu’elles comptent encore beaucoup de locuteurs, même si, malheureusement, leur nombre est en constante et rapide régression.

Les chiffres qui datent de 1999 nous apprennent ainsi que 1 600 000 personnes parlent l’occitan, qu’elles sont 900 000 à parler l’alsacien, 680 000 le breton, 170 000 le catalan et le corse, 80 000 le basque.

Et je ne peux pas citer les langues parlées dans les outre-mer car, par l’une de ces aberrations dont notre système de statistiques a le secret, nous manquons de données quantitatives permettant d’en évaluer précisément le rayonnement.

On nous dit encore que ces langues ne sont qu’un ramassis composite de patois informes inaptes à transmettre la moindre pensée quelque peu élaborée, la moindre œuvre littéraire quelque peu aboutie.

La vérité est que l’ensemble des linguistes insistent au contraire sur leur grande richesse syntaxique et sémantique.

Les littératures en langue régionale constituent une part tout à fait digne d’intérêt du patrimoine culturel de la France, qu’il s’agisse de littérature populaire orale ou de littérature savante.

Je pourrais évoquer dans cette perspective le Barzaz Breiz, ce recueil de chants bretons, épiques et lyriques, rassemblés par Théodore de La Villemarqué en 1839.

Et si le breton n’est enseigné dans aucune de nos prestigieuses universités parisiennes, il l’est en revanche aux États-Unis à Harvard et au Royaume-Uni à Oxford et à Cambridge.

On nous dit encore que les langues régionales sont condamnées par la mondialisation, que c’est peut-être triste mais que personne n’y peut rien.

La vérité est qu’il n’y a aucune fatalité à un tel processus.

Certes, on peut légitimement parler d’une crise mondiale des langues.

Cependant l’expérience révèle que lorsque les conditions sont réunies, le déclin d’une langue peut être enrayé.

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Les exemples du catalan en Espagne, du gallois au Royaume-Uni ou du français au Québec le démontrent volontiers.

La détermination des locuteurs à préserver leur langue est bien sûr fondamentale mais elle ne suffit pas. Il faut aussi un puissant soutien institutionnel dont la charte permet justement la mise en œuvre.

Une charte, soulignons-le en passant, que tout État se doit de ratifier à l’occasion de son intégration à l’Union européenne depuis le milieu des années 1990.

Autrement dit, la France impose à d’autres des règles qu’elle refuse de s’appliquer à elle-même… Curieuse conception de l’exemplarité !

M. Paul Molac. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. On nous dit que la France n’a pas besoin de la charte, qu’elle garantit d’ores et déjà une protection juridique optimale à ses langues régionales.

La vérité est que notre pays est, pour elles, un véritable cimetière.

Interrogez n’importe quel maire breton, basque ou corse, n’importe quel élu – ils sont nombreux dans le public aujourd’hui et je les salue. Ils vous diront les menaces de poursuites judiciaires auxquelles ils sont exposés dès qu’ils prennent la plus anodine des mesures en faveur d’une langue régionale, qu’il s’agisse d’un panneau de signalisation ou d’un livret de famille bilingue.

Interrogez n’importe quel parent souhaitant scolariser ses enfants dans une filière bilingue. Il vous dira le véritable parcours d’obstacles auquel il lui a fallu faire face afin de voir sa demande prise en compte et combien il est malaisé de créer ex nihilo une telle filière alors même que l’ensemble des conditions administratives censées l’autoriser sont réunies.

J’entends bien le discours selon lequel rien ne s’oppose, en France, à la libre expression des langues régionales.

Mais dans la pratique, c’est beaucoup plus compliqué.

Mme Marie-Françoise Bechtel. En effet.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Certes, je me réjouis des avancées législatives enregistrées sous cette législature en faveur des langues régionales, par le biais des lois relatives à l’école ou aux métropoles.

Elles vont indéniablement dans le bon sens.

Il n’en demeure pas moins que, globalement, les langues régionales dans ce pays ne sont pas régies par la loi mais par la circulaire et l’arrêté, ce qui rend leur usage particulièrement précaire sur le plan juridique en conférant à l’administration et à la justice des marges d’interprétation quasi illimitées dont il faut bien constater qu’elles n’usent qu’exceptionnellement, sinon jamais, à leur bénéfice.

On nous dit encore que les langues régionales seraient le symptôme honteux de quelque repli pathogène sur soi, qui révélerait en dernier ressort un manque d’ouverture sur le monde, voire une hostilité foncière à l’altérité.

Ma conviction la plus profonde est que la richesse de l’humanité repose sur sa diversité.

Et les langues régionales en constituent un élément consubstantiel et vital.

Elles sont un antidote au processus d’uniformisation porté par une mondialisation aveugle dont nous devons nous efforcer d’encadrer les excès.

Un antidote à la tentation si forte aujourd’hui de fondre tous les individus dans un moule linguistique et culturel unique.

En somme, nier les langues régionales, c’est nier l’homme dans ce qu’il a de plus particulier – son irréductible singularité.

M. Paul Molac. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. On nous dit encore qu’il est dans l’ordre naturel des choses qu’un pays recoure à une langue unique, que telle est la condition nécessaire de sa cohésion.

La vérité est que l’on compte en moyenne, sur la planète, trente-cinq langues par État, et qu’un grand nombre de nations, y compris parmi nos voisins les plus proches, sont officiellement multilingues.

C’est notamment le cas du Canada, de la Finlande, de la Suisse, du Luxembourg.

D’autres, comme l’Espagne ou les Pays-Bas, bien que disposant d’une langue commune, octroient un statut de co-officialité à leurs langues minoritaires dans les régions où elles sont en usage.

Dans l’ensemble des pays du nord de l’Europe et au Royaume-Uni, les langues régionales bénéficient d’un système de protection juridique extrêmement avantageux.

Je vous invite à réfléchir à ce qu’il adviendrait du français partout où il se trouve en position minoritaire si les pays où il est ainsi pratiqué se mettaient subitement à adopter notre modèle linguistique, « un État, une langue ».

On nous dit que de nombreux pays européens ont refusé de ratifier la charte et que la France n’est nullement isolée en la matière.

La vérité est que cette convention s’applique déjà dans vingt-cinq États membres du Conseil de l’Europe.

Ne l’ont pas ratifiée à ce jour, pour l’essentiel, soit de très petits pays peu concernés par l’enjeu – Monaco ou Andorre –, soit d’anciens satellites du bloc soviétique.

Il est vrai que l’Italie et la Belgique manquent à l’appel. Au demeurant, l’Italie dispose d’un arsenal législatif extrêmement protecteur pour les langues parlées sur son sol, qui va bien au-delà des prescriptions les plus maximalistes de la Charte. En revanche, les raisons qui conduisent la Belgique à demeurer à l’écart du processus d’adhésion méritent d’être dites : les Wallons réclament à cor et à cri l’entrée en vigueur de la Charte depuis 1992, mais les Flamands s’y opposent fermement au motif qu’elle les contraindrait à prendre des mesures en faveur de l’usage de la langue française sur leur propre territoire, ce dont ils ne veulent à aucun prix. Chacun comprendra l’ironie de la situation : dans cet hémicycle, certains de nos collègues ne veulent pas de la Charte parce qu’elle menacerait la suprématie du français, tandis qu’en Belgique on la rejette parce qu’elle en favoriserait au contraire la pratique. Telles sont les incohérences profondes qui naissent lorsque l’on se laisse aller à instrumentaliser les langues à des fins hégémoniques.

Pour le reste, il n’y a que peu d’États membres du Conseil de l’Europe qui rejettent la Charte au nom d’une opposition de principe : la Russie, la Turquie et la Grèce.

Mme Annie Genevard. Et l’exception culturelle ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Enfin, on nous dit que la Charte conférerait aux langues régionales un statut officiel et qu’elle instituerait au bénéfice des administrés un droit à leur usage dans les services publics. La vérité est qu’elle ne permet rien de tel, comme je l’ai expliqué dans l’argumentaire figurant dans l’exposé des motifs. Sa ratification ne provoquera nul bouleversement dans notre ordre linguistique établi. J’invite ceux qui en douteraient à prendre connaissance des engagements souscrits par la France en 1999. Je demande à ceux qui craignent des chamboulements de relire l’exposé des motifs : oui, il y aura des progrès, mais aucun recul.

La Charte représente un symbole fort pour des millions de nos compatriotes en métropole et dans les outre-mer. Toute langue, si modeste soit-elle, a le droit de vivre et mérite qu’on lui offre les moyens de son développement. C’est aussi simple que cela. Si vous partagez cette conviction, alors vous voterez ce texte ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Plusieurs députés du groupe SRC. Bravo !

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le débat qui nous réunit aujourd’hui porte sur une question importante, essentielle même, dans la mesure où elle touche à ce que nous avons de plus intime, de plus singulier, et que nous partageons cependant avec tous les autres membres de la communauté nationale : la langue. La langue, nos langues.

Vous le savez, le Président de la République a exprimé depuis longtemps sa volonté que la France puisse enfin ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ouverte à la signature par le Conseil de l’Europe en 1992 et signée par la France le 7 mai 1999, sous le gouvernement de Lionel Jospin.

S’agissant d’un projet qui implique une modification de notre loi fondamentale et qui concerne au plus près la diversité de nos territoires, il est essentiel que ce texte rassemble, qu’il ne divise pas. C’est pourquoi il était légitime et nécessaire que les élus de la nation s’en saisissent par le débat public et que le Gouvernement puisse connaître les conditions que mettrait la représentation nationale à l’adoption à la majorité des trois cinquièmes d’un texte constitutionnel.

Dans la volonté exprimée par le Président de la République et dans la proposition de loi que vous soumettez aujourd’hui à l’Assemblée, monsieur le rapporteur, il faut tout d’abord voir le souhait de donner aux langues de France, c’est-à-dire aux langues parlées historiquement sur notre territoire aux côtés du français, un droit de cité, au sens profond du terme. On ne le sait pas assez, en effet, mais on parle depuis toujours plusieurs langues en France, et parfois depuis bien plus longtemps que le français lui-même. Ce n’est naturellement pas que l’on ne puisse plus continuer à les parler : la Déclaration des droits de l’homme consacre fort heureusement dans notre pays un principe qui l’emporte sur tous les autres – la liberté d’expression.

Pourtant, ces langues ont été trop longtemps négligées, certaines dépréciées sous le nom de « patois » et d’autres malmenées au fil de l’histoire par une idéologie qui confondait la nécessité de parler une langue commune – le français, langue de la République – avec l’obligation de parler une langue unique. Si l’on ne fait pas en faveur de la diversité de ces langues un geste symbolique fort, si l’on ne prend pas en leur faveur des mesures propres à en favoriser l’expression, elles risqueraient à terme d’être condamnées à retourner à cette forme de clandestinité dans laquelle on les a trop longtemps enfermées.

Cette volonté, mesdames et messieurs les députés, est parfaitement conforme à l’exigence d’égalité qui nous anime. En effet, nous ne cesserons jamais de rappeler que si les langues s’inscrivent dans des hiérarchies qui les distribuent selon leur statut et selon leur emploi, elles sont toutes égales en dignité ; elles peuvent toutes, chacune à leur manière, exprimer la réalité du monde et lui donner un sens, c’est-à-dire permettre de nous y orienter. Comme les cultures qu’elles expriment, qu’elles traduisent et dont elles sont le reflet, elles ouvrent toutes une fenêtre sur l’universel.

Cette volonté est aussi cohérente avec nos engagements en faveur de la diversité culturelle. Parce que la mondialisation, en provoquant des effets d’uniformisation, a fait de la diversité une valeur à préserver, le discours de la diversité culturelle est devenu le langage commun des démocraties, et la France en est l’un des parangons. La diversité culturelle est ouverture et richesse de cette pluralité des expressions.

À cet égard, ce discours sur la diversité culturelle rencontre l’adhésion des opinions publiques et s’applique dans de nombreux domaines : l’art, bien entendu, l’architecture, le théâtre et la littérature vivent d’emprunts, de confrontations, et les « musiques du monde » sont le champ par excellence de l’échange et du dialogue des cultures.

Face à la différence des langues, pourtant, on constate que l’attitude générale n’est pas toujours aussi ouverte. Beaucoup considèrent la pluralité des langues comme un obstacle à la communication et jettent un regard négatif sur cette réalité pourtant permanente de l’histoire, sans voir que ce foisonnement linguistique est la source première de toute créativité et la condition indispensable de toute pensée vivante. Parler une seule langue, nous disent-ils, serait tellement plus commode, tellement plus économique ! À ce compte, pourquoi ne pas se contenter de ne parler qu’une seule langue « globale » ?

C’est la même volonté qui a présidé et qui préside encore à la défense ardente que nous menons de la promotion du français. C’est la même volonté qui préside aujourd’hui à cette défense des langues régionales.

Les langues ne se contentent pas de véhiculer des contenus ; elles participent à leur élaboration. Autant de langues, autant de possibilités différentes de productions artistiques et intellectuelles, autant de regards posés sur le monde. La langue est un outil nous dotant de capacités à nous représenter le monde.

La position du Gouvernement sur ce point est sans ambiguïté : la pluralité des langues et des cultures est une richesse qu’il convient de préserver et de faire prospérer. C’est au nom de la diversité linguistique que nous défendons la langue française : toute notre politique en faveur du français découle de la claire conscience d’une langue qui est en présence de milliers d’autres, notamment dans les pays dits francophones, et en France même. Tout autant que le français, c’est une idée française de la langue qu’il faut défendre, fondée sur la pluralité ; c’est le principe même du pluralisme culturel, c’est la diversité humaine. L’affaiblissement et la disparition de nombreuses langues sont un danger qui menace le patrimoine de l’humanité tout entière. On peut pourtant le conjurer : le volontarisme politique est essentiel en matière linguistique.

M. Paul Molac. Très bien !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. C’est pourquoi il est indispensable, parallèlement à l’action menée pour la promotion du français, de mettre en œuvre des mesures de développement de toutes les langues de notre pays.

Mme Chantal Guittet. Tout à fait !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Il y va de la cohérence de notre action, mais aussi de la crédibilité de notre discours à l’extérieur. Comment soutenir les positions du français dans les autres pays, comment prôner la diversité des langues et des cultures à l’échelle internationale si l’on se refuse à la reconnaître chez soi ?

Alors même que nous avons en France le patrimoine linguistique le plus riche d’Europe et que l’objectif de préservation et de protection des langues régionales, en tant que partie intégrante du patrimoine national, est de valeur constitutionnelle depuis la réforme de 2008 et l’introduction dans la Constitution de l’article 75-1 en vertu duquel « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », ne pas exclure les langues de France de notre discours sur la diversité répond aussi à une motivation plus profonde qui touche à quelques-uns des fondements théoriques de notre action. Dans la reconnaissance des langues de France, il y a la fidélité au principe républicain qui fonde la citoyenneté sur le partage de valeurs politiques, quelle que soit la langue qui exprime ces valeurs. Les droits de l’homme sont universels. L’égalité, à laquelle nous sommes profondément attachés, ne consiste pas à nier la différence de l’autre, mais au contraire, à reconnaître l’autre dans sa différence, au sein d’une même communauté citoyenne.

Il va de soi que c’est un avantage pratique d’avoir une langue commune, et le lien de la langue française fonde un sentiment très fort d’appartenance à une même nation, mais ce qui nous unit et nous rassemble, c’est aussi l’adhésion aux droits de l’homme, à la laïcité, au pluralisme, qui sont des valeurs éminemment politiques. C’est en français qu’a été proclamée la Déclaration des droits de l’homme, mais c’est en occitan qu’a été créé le personnage de Marianne, symbole de la République, en 1792.

Mme Colette Capdevielle et Mme Martine Faure. Eh oui !

M. Pascal Deguilhem. Que ne doit-on pas à l’Occitanie !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Autrement dit, avoir une langue commune ne signifie pas parler une langue unique.

La ratification de la Charte n’a nullement vocation à faire tomber nos principes constitutionnels les plus sacrés, contenus dans les premiers articles de la Constitution, fruits de notre histoire républicaine. Il ne s’agit en aucune manière de porter atteinte à l’égalité des citoyens devant la loi, ni d’ouvrir des droits nouveaux à tel ou tel groupe sur des territoires déterminés. Les langues régionales sont le patrimoine indivis de la nation tout entière. Il s’agit plus simplement de reconnaître la pluralité linguistique interne de notre pays et d’en permettre l’expression en donnant aux langues régionales les moyens d’exister. C’est pourquoi la proposition de M. le rapporteur, qui prend soin de garantir le respect de ces principes après la ratification de la Charte, recueille un avis plus que favorable du Gouvernement.

Mesdames et messieurs les députés, l’attention portée à la pluralité des langues et aux dangers qui la menacent est une marque de notre époque. Elle touche tous les pays et tous les niveaux d’organisation politique et sociale. La Convention de l’Unesco de 2005 sur la diversité culturelle affirme dans son préambule que « la diversité linguistique est un élément fondamental de la diversité culturelle ». La Convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel inclut explicitement les langues dans le périmètre de contenus pour lesquels les pays signataires s’engagent à prendre les mesures nécessaires à leur sauvegarde.

De son côté, l’Union européenne ne se conçoit que dans le respect de la pluralité linguistique, qui constitue en quelque sorte son patrimoine génétique et représente aussi l’un de ses principaux attraits culturels. On ne compte plus les communications, les résolutions et les avis de la Commission et du Parlement européen qui visent à mieux faire connaître la situation concrète des langues et à construire des stratégies en faveur du multilinguisme, toujours identifié comme un atout pour le développement régional.

C’est un point sur lequel on n’insiste pas assez, parce qu’on en découvre seulement les virtualités : la mise en valeur de leurs ressources linguistiques a toujours des retombées très heureuses sur le développement global des territoires. C’est un facteur d’attractivité. Nous n’en sommes pas encore assez convaincus en France, où l’on croit toujours que l’anglais est le sésame qui permettra de commercer partout dans le monde, mais comment imaginer que l’on viendrait en France pour y découvrir ce que l’on peut trouver ailleurs ?

L’attrait du Pays basque, de l’Alsace, de la Bretagne ou de la Corse tient aussi à leur personnalité au sein de l’ensemble français, et les particularismes linguistiques de ces territoires n’y entrent pas pour peu de chose. Nos concitoyens y sont légitimement attachés.

Attendue depuis de longues années par tous ceux qui militent pour donner un espace d’expression accru aux langues régionales dans notre pays, la ratification de la Charte peut contribuer à clarifier le statut de ces langues, et à faire vivre la pluralité linguistique interne de la France, en favorisant l’application des mesures auxquelles la France a souscrit en signant la Charte il y a maintenant près de quinze ans. Elle peut permettre de clarifier le droit pour libérer les pratiques. Car aujourd’hui, on le constate, il y a souvent une forme d’autocensure de la part d’un certain nombre d’institutions et d’administrations qui, finalement, refrènent, empêchent, entravent l’usage des langues régionales, alors qu’il serait déjà possible dans de nombreux cas.

Le moment est venu de rompre une fois pour toutes avec l’idée qu’apprendre une langue implique d’en désapprendre une autre. Et de renouer avec l’idée selon laquelle c’est une pluralité de langues qui, au côté du français, peut donner à notre pays son vrai visage, celui d’une nation ouverte sur le monde, confiante, fière de la richesse de son patrimoine, qui fait de son histoire une clé pour s’adapter aux défis de la modernité.

Apprendre et pratiquer une langue régionale, ce n’est pas s’enfermer dans un territoire : c’est au contraire se mettre en rapport avec une mémoire, une culture qui donnent accès à un universel. C’est aussi, on l’ignore trop souvent, se donner des atouts pour apprendre d’autres langues – et ce, évidemment, plus l’apprentissage en est précoce.

Notre conviction est que la pluralité des langues est une chance pour notre pays. En faire le constat, ce n’est en rien méconnaître le rôle que joue la langue française dans la construction de la nation, ni nier la nécessité de promouvoir son emploi et d’œuvrer pour sa maîtrise. Ce n’est en aucune manière porter atteinte à la primauté du français, et j’observe que votre rapporteur, dans sa proposition de loi, prend la précaution d’en garantir l’usage, notamment dans les services publics. Il ne s’agit nullement de donner un statut de co-officialité à d’autres langues que le français.

Mais au côté du français – l’indispensable outil de notre cohésion et de notre rayonnement, le bien commun sur lequel nous entendons exercer une vigilance particulière –, nous devons créer les conditions d’exercice dans notre pays d’une véritable pluralité linguistique, qui peut contribuer à son essor économique et culturel.

La proposition qui nous est soumise aujourd’hui vise à articuler l’unité politique de la nation et la nécessaire reconnaissance de sa diversité culturelle. Il ne s’agit pas de diviser, mais d’unir. La République ne doit transiger sur aucune des valeurs démocratiques qui la fondent, mais parmi ces valeurs, il y a l’égale dignité de toutes les langues. Si elle est « une et indivisible », elle est aussi extrêmement diverse, à travers ses langues, ses cultures et ses territoires. Et nous en sommes fiers. Concilier l’unité et la diversité, la langue de la République et la République des langues, tel est le défi qui nous réunit enfin aujourd’hui et que nous allons, ensemble, relever. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

Avant de donner la parole à notre collègue Henri Guaino, j’informe l’Assemblée qu’au terme de cette motion de procédure et après le vote, la séance sera levée, pour reprendre à vingt et une heures trente.

La parole est à M. Henri Guaino.

M. Henri Guaino. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons, aujourd’hui, la proposition de la loi constitutionnelle visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires.

Ce texte a été adopté le 5 novembre 1992 par le Conseil de l’Europe et soumis à la ratification de ses États membres, à l’époque au nombre de vingt-six, aujourd’hui au nombre de quarante-sept, dont les vingt-huit membres de l’Union européenne.

L’article 2 de la Charte indique que chaque partie s’engage à appliquer un minimum de trente-cinq paragraphes ou alinéas – la France en a retenu trente-neuf – choisis parmi les dispositions de la partie III.

En 1999, le gouvernement de Lionel Jospin a signé la Charte. Avant d’engager le processus de ratification, le Président de la République a sollicité l’avis du Conseil constitutionnel sur la compatibilité de celle-ci avec notre loi fondamentale.

Vous connaissez, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la teneur de cet avis qui a conduit le Président de la République à suspendre le processus de ratification : « La Charte Européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ; elle est également contraire au premier alinéa de l’article 2 de la Constitution en ce qu’elle tend à reconnaître un droit à pratiquer une autre langue que le français non seulement dans la « vie privée » mais également dans la « vie publique », à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics ».

Lors de la campagne pour l’élection présidentielle, l’actuel Président de la République a pris l’engagement de ratifier la Charte en modifiant la Constitution. Conformément à cet engagement, le Gouvernement a engagé une réflexion sur les modalités de cette révision constitutionnelle. Il a notamment installé, le 6 mars 2013, un comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne, et consulté par ailleurs le Conseil d’État.

La conclusion que le Gouvernement a tirée de cette réflexion et de ces consultations, Mme la ministre de la Culture l’a résumée elle-même, de la façon la plus claire, lors de son audition par le Conseil consultatif, le 9 octobre 2013.

Je cite le compte rendu officiel : « Le Comité consultatif a été conçu, au départ, avec un objectif : trouver un moyen de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Les réflexions conduites ont abouti à un constat : la ratification s’avère impossible. Comme il est impossible de modifier la Constitution sans introduire une incohérence majeure en son sein, le processus de ratification de la Charte est donc définitivement abandonné. » Voilà quel était alors le point de vue du Gouvernement – je dis bien « du Gouvernement ». Vous avez bien entendu, mes chers collègues : « Comme il est impossible de modifier la Constitution sans introduire une incohérence majeure en son sein, le processus de ratification est donc définitivement abandonné ».

Cette position raisonnable et raisonnée du Gouvernement est apparue insupportable à ceux qui attendaient – je cite l’exposé des motifs du projet de loi qui nous est soumis – la chute de « la Bastille du monolinguisme d’État ». Les mots ne sont pas choisis par hasard. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. François Pupponi. Absolument !

M. Paul Molac. Eh oui !

M. Henri Guaino. Vous avez déclaré, monsieur le président de la commission des lois, avec tous les signataires de cette proposition de loi, que cette décision du Gouvernement, qui s’appuyait notamment sur les avis du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, était fondée sur une « argumentation totalement inconsistante, partiale et irrationnelle ».

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. C’est exact !

M. Henri Guaino. C’est dire dans quelle estime vous tenez les compétences juridiques des plus hautes juridictions de notre pays, mais aussi, et surtout, la réflexion du Gouvernement qui avait jugé la ratification impossible.

Vous allez jusqu’à soutenir – je cite encore l’exposé des motifs – que le pouvoir constitué cherche à dicter sa loi au pouvoir constituant, laissant ainsi entendre que le Gouvernement serait complice de cette dérive, puisqu’il a fait siennes les conclusions de ces juridictions qui, en l’occurrence, n’ont pas rendu de décisions juridictionnelles, mais des avis sollicités par le pouvoir exécutif.

Je tiens, à ce propos, monsieur le président de la commission des lois, à vous faire une remarque sur le fonctionnement de notre démocratie parlementaire.

Les avis du Conseil d’État sollicités par le Gouvernement, le Conseil d’État agissant dans ce cas en tant que conseil juridique de l’exécutif, sont réservés au seul usage du Gouvernement qui peut seul décider, ou non, de le rendre public. La tradition veut, qu’en général, ils ne soient pas publiés.

Je ne trouve pas anormal que cet avis soit transmis confidentiellement au président de la commission des lois ; encore une fois, cette décision est de la responsabilité du Gouvernement et de lui seul. Mais il est parfaitement anormal, et en totale contradiction avec les principes les plus élémentaires de la démocratie que cet avis soit évoqué et critiqué à toutes les pages de l’exposé des motifs de votre proposition de loi, qu’il soit placé à ce point au centre de votre argumentation, sans qu’aucun membre de notre assemblée ait pu, à part vous-même et le rédacteur de cet exposé, en prendre connaissance.

De deux choses l’une, monsieur le président, ou bien l’avis est confidentiel et vous ne l’évoquez pas, ou bien vous l’évoquez, et chacun, dans cette assemblée, a le droit de vous répondre sur le contenu de celui-ci en ayant eu la possibilité de le consulter – c’est la moindre des choses.

Après la lecture de l’exposé des motifs, je vous ai officiellement demandé de me communiquer le texte du Conseil d’État, dès lors qu’il était au centre de votre argumentation. Vous m’avez adressé, je vous en remercie, une note d’analyse. Mais, vous avez refusé de me communiquer l’avis. C’est une entrave au débat parlementaire, une faute grave au regard du fonctionnement de nos institutions. Vous traînez dans la boue (Murmures sur les bancs du groupe SRC), il n’y a pas d’autre mot, l’avis du Conseil d’État, et personne, dans cet hémicycle, n’est en mesure de juger de la pertinence de vos propos puisque personne, sauf vous, n’a pu lire le texte.

M. Daniel Fasquelle. C’est dommage !

M. Henri Guaino. Qui peut trouver cela acceptable ? Il faudra pour l’avenir régler cette question de principe. En attendant, je réitère, monsieur le président de la commission des lois, ma demande de faire distribuer à tous les membres de l’Assemblée l’avis du Conseil d’État.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Daniel Fasquelle. Nous voulons de la transparence !

M. Henri Guaino. À la lecture de votre argumentaire, comme à l’écoute de vos interventions, je comprends que cet avis vous dérange parce qu’il ne va pas dans le sens que vous souhaitez.

« Le Conseil », dites-vous, « ici se fait décideur, ce qu’aucun système démocratique ne saurait tolérer ». C’est donc que, selon vous, il n’y a plus de Gouvernement ni de Président de la République ou, en tout cas, qu’ils ne décident plus rien. Les intéressés apprécieront.

Vous qui n’avez que le mot « droit » à la bouche, vous qui, à la moindre critique d’une loi ou d’une décision juridictionnelle, criez au scandale au prétexte que le droit est sacré et qu’il s’impose à tous, n’éprouvez, tout à coup, aucun scrupule à proclamer que « si le droit est une chose, son interprétation en est une autre ».

Vous niez tout fondement juridique à l’analyse du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État qui se laissent, selon vous, « dominer par leurs préventions et leurs préjugés ». Bref, le droit est sacré quand il s’accorde à vos idées, il n’est rien quand il les contredit. Les juridictions sont au-dessus de toute critique lorsqu’elles vous donnent raison, et elles sont de parti pris politique lorsqu’elles vous donnent tort.

Vous ne reculez, il faut le reconnaître, devant aucune contradiction. Vous parlez de « la pauvre Charte si inoffensive dans son contenu », vous la dites dépourvue de tout caractère contraignant sur le plan juridique, mais vous nous demandez de l’inscrire dans la Constitution après avoir pourtant dit, à propos de l’article 75, alinéa 1, qui dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » je vous cite : « comment pouvons-nous tolérer l’idée qu’il existe dans la Constitution des dispositions sans portée normative, purement déclaratives, voire décoratives ? »

C’est sans doute parce que vous considérez que cette « pauvre Charte », comme vous l’appelez, n’a aucune portée normative, que, contredisant la décision du Gouvernement de renoncer à s’engager sur la voie de la ratification, vous nous invitez aujourd’hui par cette proposition de loi à modifier la Constitution pour que la France puisse la ratifier.

Ce n’est tout simplement pas crédible. Si vous attachez autant d’importance à ce texte, c’est qu’il en a une. Vous accusez ceux qui sont opposés à votre proposition de loi d’être aveuglés par des fantasmes qui leur feraient voir l’apocalypse là où il n’y aurait, au fond, à attendre qu’un changement tout à fait inoffensif.

Mais comment votre acharnement pourrait-il ne pas susciter le léger doute qui effleure certains d’entre nous qui, sans prédire l’apocalypse, se demandent quand même si vous ne cherchez pas à leur dissimuler les conséquences d’un changement qui affecterait gravement ce qui nous unit, ce qui nous rend solidaires les uns des autres, ce qui nous permet de vivre les uns avec les autres ?

Je me dis que vous y avez presque réussi quand je vois avec quelle légèreté d’authentiques républicains, de vrais patriotes, sur tous les bancs de notre assemblée, considèrent le texte que vous nous soumettez, estimant qu’il n’a que peu d’importance et qu’il ne vaut pas la peine qu’on se batte contre lui.

Vous voulez faire tomber la Bastille monolinguistique de l’État. Rendez-vous compte ? La prise de la Bastille, par laquelle commença la Révolution, serait-elle devenue une référence tellement anecdotique que sa portée symbolique se trouverait réduite à si peu de chose pour un texte si inoffensif ?

M. Jacques Myard. Il a raison !

M. Henri Guaino. Vous ne voulez rien moins, je cite votre exposé des motifs, que « donner enfin le droit de cité à la pluralité linguistique et culturelle dans notre pays après des siècles de relégation dans les catacombes de la marginalité et du mépris ». Et vous prétendez que ce n’est rien. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.) Mais c’est immense ! L’outrance même du propos souligne ce que cette Charte peut avoir de décisif. Car comment parvenir à un résultat aussi révolutionnaire, à un bouleversement aussi considérable avec un texte qui n’aurait absolument aucune conséquence sur notre ordre juridique ? Qui peut croire une chose pareille ?

Certes, la France a accompagné sa signature d’une déclaration interprétative sur le sens et la portée qu’elle entend donner à la Charte.

M. Jacques Myard. C’est du pipeau !

M. Henri Guaino. Vous connaissez l’analyse du Conseil constitutionnel ? Je vous la rappelle.

Permettez-moi de vous la rappeler : « Une telle déclaration unilatérale n’a d’autre force normative que de constituer un instrument en rapport avec le traité et concourant en cas de litige à son interprétation ». La charte s’inscrit donc bien dans l’ordre juridique et la déclaration interprétative ne constitue donc pas une garantie, mais simplement un élément d’appréciation parmi d’autres à la disposition du juge amené à trancher un litige. Je ne demande aux auteurs de la proposition de loi qu’un peu d’honnêteté. Si vous appelez de vos vœux la ratification de la charte, c’est bien qu’elle a des effets normatifs. Assumez donc les conséquences de ce que vous voulez !

M. Jacques Myard. Rien n’est moins sûr !

M. Henri Guaino. Vous parlez beaucoup des intentions des rédacteurs et de l’interprétation, erronée selon vous, excusez du peu, énoncée conjointement par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État. L’analyse du texte est bien ce par quoi il faut commencer. Que veulent ses auteurs ? Que voulez-vous, monsieur le président de la commission ? Je ne parlerai pas ici des groupes de pression qui militent en Europe pour la promotion d’idéaux ethnicistes, sinon pour rappeler qu’ils ont aussi œuvré pour que la charte voie le jour, ce qui dit tout de même quelque chose des pensées et des arrières pensées qui sous-tendent le texte que l’on entend nous faire ratifier. Vous connaissez tous, chers collègues, la puissance des revendications ethniques et communautaires en Europe.

M. Jean-Luc Laurent. Il n’y en a que trop, malheureusement !

M. Henri Guaino. C’est donc en toute connaissance de cause que chacun choisit de se battre avec les courants qui les portent ou avec ceux qui leur opposent un refus radical. Vous avez choisi, monsieur le président de la commission, de vous battre avec ceux qui les portent. Ne cherchons pas les intentions cachées, regardons les intentions affichées. Considérons la place qu’occupe le préambule de notre Constitution, au sommet de la hiérarchie des normes juridiques, et tenons-nous le pour dit une fois pour toutes : les préambules posent des normes juridiques et ne sont pas seulement des déclarations d’intention dépourvues de conséquences.

M. Jean-Luc Laurent. Exact !

M. Henri Guaino. Modifions la Constitution, ratifions la charte et les juridictions nationales seront tenues de faire respecter le « droit imprescriptible à pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique » énoncé par le préambule de la charte !

M. Jean-Luc Laurent. Tout est dit !

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est vrai !

M. Henri Guaino. C’est pourquoi le Conseil constitutionnel, à juste titre, et le Conseil d’État semble-t-il, ont expressément visé cette partie du préambule. Aucun juge européen ne pourra jamais s’appuyer sur la charte pour condamner la politique linguistique française, nous dites-vous, monsieur le président de la commission. Mais comment pouvez-vous le garantir ?

Qui vous dit qu’un jour la Cour européenne des droits de l’homme, saisie sur la base de l’article 14 de la convention européenne des droits de l’homme pour discrimination fondée sur la langue, ne se référera pas aux dispositions de la charte et à ce fameux droit imprescriptible qui sera reconnu dans nos engagements internationaux et notre droit national ? Qui vous dit que les juges de la Cour européenne des droits de l’homme n’en feront pas un élément décisif de leur appréciation ?

Si ce cas de figure en vérité hautement probable se produit, raison pour laquelle vous vous obstinez à obtenir une ratification, comment comptez-vous empêcher l’application de la décision de la Cour, prise par des juges qui jugeront selon une expérience historique souvent totalement différente de la nôtre et un rapport à la question des minorités totalement étranger à notre culture et à nos traditions politiques ? En vérité, même si vous faites semblant d’en écarter le risque, vous l’appelez de vos vœux ! Je ne vous fais pas un procès d’intention, monsieur le président de la commission, je vous lis, car il faut bien en revenir une fois encore à votre exposé des motifs. Il énonce exactement les objectifs de la charte et la nature du combat que vous menez contre la conception française de la nation, de la République et de l’État.

« La position traditionnelle de la République », dites-vous, « n’est plus tenable ». C’est bien le modèle républicain que vous caricaturez et prenez pour cible ! Vous feignez de vous étonner que le problème de la constitutionnalité de la charte ne se soit posé nulle part ailleurs. Et pour cause ! Il existe bel et bien, au sujet de la nation, l’État et la République, une exception française, héritage conjoint de la monarchie capétienne et de la Révolution française, que vous détestez et entendez liquider. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Lisez donc l’exposé des motifs, mes chers collègues !

M. le président. La parole est à M. Guaino et à lui seul, mes chers collègues.

M. Henri Guaino. Vous dénoncez dans l’exposé des motifs, monsieur le président de la commission, une divergence de vues sémantique qui constituerait, entre la France et la communauté internationale, une source d’incompréhension majeure qu’il faudrait bien entendu faire disparaître en alignant la France sur les autres pays, comme si les autres pays se ressemblaient tous. Vous ironisez sur la France qui, selon vous, « vante sa conception particulièrement exigeante des droits de l’homme ». Vous stigmatisez ce que vous appelez sa « douteuse confusion entre égalité et uniformité », ce qui, venant d’une gauche si souvent tentée par l’égalitarisme ne manque pas de surprendre ! Vous pointez du doigt dans l’exposé des motifs « la conception française de l’universalisme » et le modèle républicain qui par principe ne saurait admettre nulle distinction, qu’elle soit d’ordre religieux, ethnique ou sexuel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Quelle caricature ! Vous avez raison, cher collègue !

M. Henri Guaino. Ce que vous récusez c’est le principe d’unité et d’indivisibilité de la nation, que le texte met bien en cause, comme le relèvent le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État. Ce que vous attaquez, c’est le principe de l’égalité républicaine ; ce que vous refusez, c’est l’autorité d’un État exprimant le bien commun et appartenant à chaque citoyen.

Vous opposez le modèle français à tous les autres, laissant entendre que « les modèles italien, espagnol, britannique, allemand et scandinave valent mieux que le modèle français » et que nous devrions prendre exemple sur eux. Mais vingt-trois pays membres du Conseil de l’Europe, dont onze membres de l’Union européenne parmi lesquels la Belgique, le Portugal, la Grèce, l’Irlande et l’Italie, n’ont pas ratifié la charte. En outre, vous vous trompez de pays, de culture et d’histoire ! L’histoire des pays que vous prenez en exemple n’a rien à voir avec la nôtre, celle d’une nation dont la diversité anthropologique est l’une des plus grandes du monde et qui n’a surmonté cette diversité que par la politique, le droit et l’action d’un État unificateur et centralisateur, si décrié que soit le terme aujourd’hui. Relisez Lucien Febvre et Fernand Braudel, selon lesquels « la France se nomme diversité ». À la diversité des régions, des pays, des villes et des villages il faut ajouter celle des apports successifs.

M. Christian Assaf. Tâchez de bien lire !

M. Henri Guaino. Écoutez donc, cela ne vous fera pas de mal de vous cultiver un peu ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) « Apports successifs, celte, romain, franc, burgonde, normand et parfois sarrasin ont nourri notre diversité, comme ceux d’Espagne, d’Italie, d’Allemagne, d’Angleterre puis d’Afrique et d’Indochine. »

M. François Pupponi. Ah, les colonies ! C’était le bon temps !

M. Henri Guaino. C’est sur cette base qu’a été construite une unité. Oui, mes chers collègues, une unité, une marque grâce à laquelle le nom « France » et le qualificatif « français », dans le monde entier, signifient quelque chose qu’il n’est pas facile d’expliquer mais que tout le monde comprend ! Nous avons toujours quelque chose à apprendre des autres…

M. François Pupponi. La République n’a fait que des belles choses !

M. Henri Guaino. Que ceux qui m’interrompent apprennent à écouter poliment ceux qui parlent, comme moi ! Certes, la tolérance et la politesse ne sont pas votre fort !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues, notre débat doit demeurer serein.

M. Henri Guaino. Nous avons toujours quelque chose à apprendre des autres.

M. Paul Giacobbi. Pas par des propos d’avant-guerre !

M. Jacques Myard. C’est vous qui êtes d’avant-guerre !

M. Henri Guaino. Vous n’êtes pas obligé de rester, cher collègue, vous pouvez partir ! Nous avons toujours quelque chose à apprendre des autres, surtout nous qui avons tant appris d’eux.

M. François Pupponi. Surtout vous !

M. le président. Monsieur Pupponi !

M. Henri Guaino. Mais voyez-vous, monsieur le président de la commission des lois et monsieur le président du groupe socialiste, qui est absent alors même qu’il est l’un des principaux signataires du texte, il est des pays dans le monde où notre conception de la laïcité, notre refus du communautarisme, notre idée de l’égalité, notre combat contre les mouvements sectaires, l’interdiction du voile à l’école ou du port de la burqa sont jugés comme autant d’atteintes aux libertés individuelles et aux droits de l’Homme ! C’est une différence qui nous distingue des autres grandes démocraties. Devons-nous nous en sentir coupables ? Ou au contraire considérer que c’est l’honneur de la France, notre honneur, de défendre cet idéal ?

M. Philippe Meunier. Très bien !

M. Henri Guaino. Devons-nous avoir honte ou être fiers d’être Français ?

M. Paul Molac. Rien à voir !

M. François de Rugy. Vous êtes surtout fier de vous…

M. Jean-Luc Laurent. Certains sont plus fiers que d’autres !

M. Henri Guaino. Entendons-nous, être Français n’est pas qu’une affaire d’adresse ou de généalogie, c’est une question de valeur, de principe et de civilisation !

M. François Pupponi. Justement !

M. Daniel Fasquelle. Il a raison !

M. Henri Guaino. Or la civilisation française inclut quelque chose qui en dérange certains ici : la République, les valeurs républicaines et l’État républicain.

M. Gwenegan Bui. Ce n’est pas possible !

M. Henri Guaino. Je sais, mes chers collègues, ce qu’un tel jugement peut avoir de révoltant pour certains d’entre vous. Mais regardez la réalité en face ! De quoi s’agit-il d’autre dès lors que nous envisageons pour la première fois dans notre histoire républicaine la possibilité de reconnaître juridiquement des minorités et de revenir sur l’effort multiséculaire visant à faire de la France autre chose que « l’agrégat inconstitué de peuples désunis » que décrivait Mirabeau ? Que personne ne s’y trompe, l’institutionnalisation du communautarisme linguistique, si nous nous engageons sur cette pente fatale, sera la matrice de tous les autres, régionalistes, ethniques, religieux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Vous ouvrez une brèche immense ! L’apocalypse ? Non bien sûr, mais la lente désagrégation de la nation en une juxtaposition de particularismes, de communautés et de tribus ! Oui, c’est bien le risque que nous prendrions ! L’idéologie qui a présidé à l’écriture du texte n’a rien à voir avec la défense de notre patrimoine linguistique. C’est une machine de guerre juridique et politique au service d’un idéal moyenâgeux ! Il existe en Europe des gens qui rêvent d’un retour aux principautés et aux féodalités du Moyen-Âge, adaptées bien sûr aux réalités du XXIsiècle où les féodalités sont ailleurs que dans les donjons.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Paul Molac. Rien de moins !

M. Henri Guaino. Je me souviens de l’aveu d’un ancien Président du conseil italien, déclarant un jour à propos de la construction européenne que nous devrions nous inspirer du Moyen-Âge, c’est-à-dire d’une Europe sans les États et sans les Nations ! Nous avons heureusement redécouvert grâce aux médiévistes les beautés et les grandeurs admirables du Moyen-Âge. Est-ce une raison suffisante pour vouloir y retourner ? Est-ce la nouvelle définition de la modernité ? Comment des responsables politiques prétendument progressistes peuvent-ils caresser un tel rêve ?

On peut les aimer un peu plus jacobins ou un peu plus girondins, mais avec la charte des langues régionales et minoritaires, nous n’en sommes pas là. Nous ne débattons pas non plus de la question de savoir si nous sommes pour ou contre les langues régionales, question absurde ! La question posée est bien plus profonde. Comment, devant le texte proposé, ne pas dire mon étonnement à voir une partie de la gauche et de l’extrême gauche du XXIsiècle reprendre les arguments et les combats de l’extrême droite (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) et des réactionnaires des XIXe et XXsiècles contre le legs de la Révolution française ?

M. Jacques Myard. Un peu d’histoire ne fait pas de mal…

M. Henri Guaino. Faut-il, sans remonter au Moyen-Âge, en revenir à l’époque où Racine se plaignait de ne rien comprendre à ce que l’on disait autour de lui dès qu’il avait dépassé Valence ? Vous dites que le français n’en souffrira pas et que l’unité nationale ne sera pas affectée, monsieur le président de la commission. Vous évoquez le livret de famille bilingue comme une anecdote insignifiante. Le croyez-vous vraiment ? Autant sans doute, à vos yeux, l’obligation de dispenser à ceux qui le demandent, s’ils sont assez nombreux, « une partie substantielle de l’enseignement primaire, secondaire et supérieure en langue régionale ou minoritaire ».

Insignifiante aussi, sans doute l’interdiction dans les règlements internes des entreprises des clauses excluant les langues régionales et minoritaires ! On se bat contre l’anglais et les langues régionales vont devenir les langues de travail ! Après nous avoir jeté à la figure les impératifs de la mondialisation pour dénoncer l’usage du français, nous jettera-t-on à la figure les exigences de tous les régionalismes et de tous les communautarismes ? Voilà la question ! Insignifiante encore, sans doute, la mise à disposition dans ces langues des textes législatifs ? Mais quelle version fera foi ? Comment pouvez-vous dire que tout cela n’aura aucune conséquence sur l’unité linguistique de notre pays ?

Sans parler de l’engrenage juridique qui, à partir du préambule, nous conduira fatalement bien au-delà ! Mais c’est bien ce que veulent les auteurs de la charte et ce que vous voulez sans doute, monsieur le président de la commission : en finir avec l’unité linguistique pour en finir avec l’État-nation et ouvrir les digues qui freinent encore la marche en avant du communautarisme ! L’exposé des motifs cite le général de Gaulle, en oubliant un peu vite que la gauche a voté à l’époque contre la régionalisation en 1969 et surtout qu’au moment du discours de Quimper l’État gaullien était un État fort et que rien ne menaçait alors l’unité nationale ! Il n’en est pas de même aujourd’hui !

M. Jean-Luc Laurent. Eh oui !

M. Henri Guaino. La difficulté, de plus en plus grande à faire partager à tous les Français et d’abord à nos enfants un langage commun, une culture commune et une morale commune constitue un des phénomènes le plus angoissants pour notre capacité à vivre ensemble et à assumer ensemble dans l’avenir une communauté de destin, tant il s’accompagne de replis et de crispations identitaires et communautaires ! Je me souviens de Malraux citant à la tribune de cette assemblée les deux vers de Victor Hugo qu’il considérait comme les plus beaux de la poésie française : « Lorsque nous dormirons tous deux dans l’attitude que donne aux morts pensifs la forme du tombeau ». Combien de nos enfants sont encore capables de comprendre ce que cela veut dire ?

Mme Marie-Françoise Bechtel. Très bien !

M. Henri Guaino. Et combien peuvent encore entendre quelques vers de Corneille ou de Racine ? À combien d’enfants sommes-nous encore capables de faire partager ces immenses trésors ? Vous affirmez que l’on sauvera le français en sauvant le breton, le basque et le provençal, monsieur le président de la commission. Il faut les sauver, certainement, mais ce qui me gêne, c’est que le français n’est pour vous qu’une langue parmi d’autres, comme la nation n’est qu’une collectivité parmi les autres entre la région et l’Europe !

M. Paul Giacobbi. Même avant-guerre on n’aurait pas osé dire cela !

M. Henri Guaino. C’est une autre de nos différences. Dans mon cœur, il y a d’abord la France et le Français, après il y a tout le reste ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) « S’il y a eu en Europe », dit Lucien Febvre, « une langue qui passe pour refléter exactement l’esprit du peuple qui l’emploie depuis des siècles, en l’adaptant chaque fois à des besoins nouveaux, c’est bien notre langue, langue difficile, langue originale, travaillée dans le sens de la clarté et de la logique par des milliers d’écrivains qui en ont fait à la fois un moyen singulièrement précis d’expression des idées et une sorte de musique harmonieuse et souple. Nous parlons volontiers de sa pureté, toujours le même mot, mais en réalité, de quoi vit-elle ? D’emprunts, comme toutes les langues, à tous les peuples avec lesquels la France, en vivant et en se développant, a eu des contacts soit pacifiques, soit guerriers. Ils sont innombrables ».

La Nation n’est pas une collectivité comme une autre, le français n’est une langue comme une autre, ce sont nos intercesseurs entre le monde et nous.

M. Nicolas Dhuicq. Très bien !

M. Henri Guaino. Mais ce « nous » si menacé, si contesté, si ébranlé, a-t-il encore un sens pour vous ? Vous nous parlez du Québec dans l’exposé des motifs, mais le Québec n’est pas une province canadienne comme la Bretagne ou la Provence sont des provinces françaises : c’est un État fédéré au sein d’un État fédéral. Il y a une Nation québécoise et le « vive le Québec libre ! » du général de Gaulle n’avait pas le même sens que celui que l’on pourrait donner à un « vive la Bretagne libre ! » ou à un « vive la Provence libre ! » qui, en réalité, ne voudraient rien dire – et je suis Provençal.

En vérité, le fédéralisme est l’idéal refoulé qui sous-tend toutes vos prises de position. Mais votre France fédérale n’a jamais existé et n’existera jamais.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Espérons-le !

M. Henri Guaino. Vous regardez l’histoire de nos provinces comme si c’était une histoire coloniale. Mais à quelles colonies pensez-vous ? Toutes les provinces sont dans l’État, dans l’administration, dans le Gouvernement – y compris dans le vôtre – comme toutes nos langues se sont fécondées entre elles et vivent dans le français. Peut-être Michelet exagérait-il un peu quand il disait : « les provinces françaises se sont comprises et se sont aimées ». Mais il y a plus de vérité dans cette affirmation que dans votre histoire de provinces colonisées.

Vous voulez la reconnaissance juridique de minorités linguistiques sur des territoires. Mais quels territoires ?

M. Pascal Deguilhem. Assez !

M. Henri Guaino. Comment tracer des frontières exactes, alors que l’historien peine à dessiner l’exacte frontière entre la langue d’oïl et la langue d’oc et doit concéder l’existence entre les deux d’une vaste zone médiane « aux limites variables et aux cicatrices multiples ». Et de quelles langues s’agit-il, au fait ? Car avec la ratification il faudra en dresser la liste. Lesquelles retiendrez-vous ?

Vous devez avoir lu le rapport Cerquiglini commandé par M. Jospin, puisque vous le citez dans l’exposé des motifs.

Mme Colette Capdevielle. Mais oui, nous l’avons lu !

M. Paul Molac. C’est un vrai linguiste, lui...

M. Henri Guaino. Il recense 75 langues régionales et minoritaires. Il y a les vieilles langues de nos provinces. Il y a aussi le berbère, l’arabe dialectal, le yiddish, la langue des Tziganes, l’arménien occidental. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Thierry Benoit. Quelle richesse !

M. Henri Guaino. Il faudra peut-être y ajouter le chinois, le turc et d’autres encore, parlées par des groupes de locuteurs nombreux. Au nom de quoi toutes ces langues seraient-elles exclues ? Si elles le sont, il se trouvera toujours quelqu’un, un jour, un groupe, une communauté, pour porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme – j’y reviens. Si vous n’incluez pas une langue, il y aura discrimination par la langue, puisque les uns auront des droits que les autres n’auront pas. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Et revoilà le juge avec la charte ! Implacable mécanique juridique ! On ne signe pas un traité pour rien, monsieur le président de la commission des lois.

Oui, quelle sera la liste ? Comment peut-on débattre de votre proposition de loi sans savoir ? Vous dites qu’il ne faut pas confondre la démarche de la charte, purement linguistique, avec celle de la convention-cadre de l’Union européenne sur la protection des minorités, que la France n’a pas non plus ratifiée. Mais vous les confondez vous-même quand vous affirmez dans l’exposé des motifs que depuis 1993, la ratification de la charte est obligatoire pour tout État qui veut adhérer à l’Union européenne. Or, c’est la convention-cadre qui est obligatoire, pas la charte. Cette confusion n’est-elle pas révélatrice de quelques arrière-pensées ?

Le trésor de nos langues régionales mérite-t-il d’être sauvé ? Oui, mais pas comme cela, pas en détruisant le creuset français, l’assimilation républicaine, l’exception française. Pas en prenant le risque d’affaiblir encore la langue magnifique avec laquelle le génie français parle au monde. Pas en mettant en cause les principes qui fondent notre pacte national.

Vous dites que l’on peut toujours changer la Constitution, mais vous reprochez à nos juridictions suprêmes de défendre des principes à valeur supra-constitutionnelle. Oui, il existe bel et bien de tels principes, ceux qui nous font vivre ensemble et font que nous acceptons de vivre tous sous la même Constitution, sous l’empire du même droit.

M. Nicolas Dhuicq. Très bien !

M. Henri Guaino. Ces principes s’imposent à nous parce que ce sont les principes de la France.

M. François de Rugy. Ce que vous proposez, c’est une République de droit divin !

M. Henri Guaino. C’est toujours la même histoire : vous ne voulez pas discuter des conséquences des décisions que vous prenez. Vous avez entrepris la destruction systématique de toutes les institutions qui nous permettent de vivre ensemble et vous refusez toujours de discuter des conséquences ! Mes chers collègues, à tous ceux qui se parent des beaux mots de républicains et de patriotisme, je dis : « Ressaisissez-vous ! » Abandonnons cette voie funeste que vous tracez et mettons-nous au travail ensemble pour sauver le patrimoine des langues régionales !

Il y a bien longtemps, un comédien français qui avait quitté la Comédie française pour aller jouer, en Provence, Mistral en provençal, m’a raconté cette histoire qui m’a profondément marqué. Il avait invité un jour ses amis Robert Wilson et Gérard Philippe à assister à une représentation de Mireille, en provençal. À la fin, il leur a demandé s’ils avaient compris quelque chose. Ils répondirent tous deux : « rien, nous n’avons rien compris, mais nous avons vu Antigone jouée devant les Grecs. » Oui, c’est un immense trésor.

Je voudrais finir par une autre histoire, racontée par Aimé Césaire. Un jour, visitant une école, il rencontra une femme et il lui dit : « On va enseigner le créole à l’école. Êtes-vous contente ? » Et elle lui répondit : « Moi, contente ? Non. Parce que si j’envoie mon enfant à l’école, ce n’est pas pour lui apprendre le créole, mais le français. Le créole, c’est moi qui le lui enseigne, et chez moi ! » Il en fit le commentaire suivant : « Il y avait une part de vérité. Nous sommes des gens complexes, à la fois ceci et cela. Il ne s’agit pas de nous couper d’une part de nous-mêmes ». Lui-même, le chantre de la négritude, le défenseur du créole, était capable, dans un avion entre Genève et Paris, de faire la leçon à une hôtesse qui lui parlait en anglais au lieu de lui parler en français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Myard. En français, le rapporteur !

M. René Dosière. Les Bretons parlent aux Bretons !

M. Jacques Myard. En français !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Mon cher collègue Henri Guaino, je vais sans doute parler avec moins de fougue…

M. Jacques Myard. Et moins de vérité ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. …et moins de mots que vous. Je respecte votre vision, qui ne me surprend guère, vous qui avez écrit le discours de Dakar. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jacques Myard. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. En vous écoutant, j’ai entendu des certitudes d’un autre âge.

M. Henri Guaino. Parce que vous, vous êtes moderne, bien sûr !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Vous qui connaissez l’histoire mieux que moi, vous me comprendrez quand je vous dirai qu’en vous écoutant, j’avais l’impression d’entendre l’abbé Grégoire en 1793.

M. Henri Guaino. Et alors ? Cela me va très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Je suis ravi de voir que cela vous convient d’être comparé à l’abbé Grégoire, lui qui disait, devant le comité d’instruction publique : « il faut extirper cette diversité d’idiomes grossiers qui prolonge l’enfance de la raison et la vieillesse des préjugés ». Comment peut-on continuer à prendre une telle phrase pour maxime, à l’heure d’internet et des vols spatiaux ?

M. Nicolas Dhuicq. Le sabir international ! Le volapük !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Comment peut-on imaginer qu’il n’y ait pas d’autres principes linguistiques, que l’on ne puisse dépasser l’idée de cette uniformisation radicale ?

Vous avez tenté de démontrer devant l’Assemblée nationale à quel point notre démarche vous paraissait dangereuse, le risque étant, selon vous, celui d’une déconstruction de la République. Je ne répondrai pas à cette argumentation, si ce n’est en soulignant que notre intention figure pourtant au cœur même de ce que nous avons écrit. Nous pensons, comme Mme la ministre l’a très bien dit, que les langues sont une richesse,…

M. Henri Guaino. Moi aussi !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. …que la République est forte, qu’elle n’a aucune crainte à avoir de l’épanouissement de ce qui fait une partie de nos racines…

M. Henri Guaino. En effet, la République se porte bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. …et qu’elle s’enrichirait, au contraire, de reconnaître cette diversité, elle qui ne cesse de donner des leçons aux autres pays en matière de respect de la pluralité.

Je voudrais revenir sur deux mots, parce qu’ils sont directement en rapport avec le droit et que, dans les fonctions que j’ai le privilège d’occuper depuis vingt mois, je suis attaché à intervenir dans ce domaine. D’abord, vous contestez la conception que je défends, selon laquelle il y a un droit et une interprétation. Mais moi, je ne prononcerai jamais les mots que vous avez utilisés pour parler du Conseil constitutionnel. Jamais vous n’entendrez, venant de ma bouche, les critiques cinglantes, dures, violentes, que vous avez portées le 5 juillet 2013 à l’encontre du Conseil constitutionnel.

M. Henri Guaino. Je les assume !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Je n’ai jamais dit les choses que vous avez dites, et que je ne citerai même pas…

M. Henri Guaino. Vous pouvez !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. …car je ne suis par certain que vous les assumiez aujourd’hui.

M. Henri Guaino. Mais si !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Ensuite, vous avez agité, comme il fallait s’y attendre, la menace de la Cour européenne des droits de l’homme. Mais monsieur Guaino, la charte ne fait justement pas partie du tout des normes sur la base desquelles la Cour européenne des droits de l’homme se prononce !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. De ce point de vue, sa jurisprudence est constante : vous pouvez donc agiter tous les fantasmes que vous voulez, ils ne reposent sur rien ! Vous allez me dire que ce sera le cas dans cinq, dix ou vingt ans. Peut-être, mais pour le moment, en droit positif – et Dieu sait qu’il y a eu nombre de contentieux dans ce domaine –, jamais la CEDH n’a reconnu la charte, et il n’y a pas de raison que cela change.

Enfin, vous voudriez nous faire croire que la République est menacée par l’adoption de cette « pauvre charte ». Mais je vous rappelle que la République s’est construite sur les langues régionales. Sur les 26 millions de Français que l’on comptait en 1789, combien parlaient le français ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Eh oui !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. En Bretagne, combien parlaient le français ? Les textes votés par la Convention étaient traduits en breton afin de faire passer les idées des Lumières !

M. Jacques Myard. C’est à cela que vous voulez revenir ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. En 1848, monsieur Guaino, au moment de la Deuxième République, combien de citoyens français parlaient le français ? Je vais vous le dire : sur 38 millions de Français, 9 millions ne parlaient pas un traître mot de cette langue !

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est le passé !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Vous qui avez cité le discours prononcé par le général de Gaulle à Quimper en 1969, je vous invite à lire un très beau texte de l’écrivain Charles de Gaulle, son oncle, à savoir L’Appel aux Celtes, qui date de 1864.

M. Henri Guaino. Moi je ne suis pas celte, je suis latin !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Vous qui vous dites gaulliste, prenez de Gaulle dans son intégralité, et lisez donc L’Appel aux Celtes ! Pour ma part, je me réfère tout de même plus volontiers à Jean Jaurès, occitan qui commençait ses discours en français pour les terminer en occitan. En 1911, au sujet du gâchis représenté par le monolinguisme, Jean Jaurès écrivait que « le bilinguisme est un chemin ouvert, c’est un élargissement de l’horizon historique ». C’était vrai à l’époque, et ça l’est encore aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Pour commencer, j’ai l’impression que M. Guaino n’a pas lu les 39 engagements auxquels va souscrire la France, qui sont inscrits dans la charte pour les langues régionales. Ce sont ces 39 mesures que la France va mettre en œuvre : conformément aux engagements pris devant le Conseil de l’Europe, chaque État membre peut choisir, parmi les 98 mesures, celles qui vont être mises en œuvre. Or, ces 39 mesures ont toutes été jugées constitutionnelles par le Conseil constitutionnel en 1999.

Ainsi, quand vous brandissez les menaces qui, selon vous, pèseraient sur la justice, vous faites fausse route : en réalité, la justice continuera à être rendue en français, afin d’être compréhensible partout.

M. Daniel Fasquelle. Pour le moment !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Et la devise de la République, « Liberté, égalité, fraternité », continuera à être écrite en français au fronton de nos établissements publics.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Nous voilà rassurés !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Vous avez exprimé une autre crainte, celle que nous nous trompions de culture, et affirmé que nous devions surmonter la diversité par la politique et par le droit. Mais cette diversité, c’est justement ce qui fait la fierté de la France, c’est bien ce qui fait que nous sommes tous fiers d’être français. Vous n’avez pas le monopole de la France, monsieur Guaino !

M. Jacques Myard. Vous non plus !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Chaque locuteur de chacune des langues régionales de nos territoires est extrêmement fier d’être français et affirme justement son attachement à la France par le biais de son attachement à sa région, qui participe de l’unité nationale. C’est cela, la diversité culturelle ! Ce n’est pas un repli rabougri, racorni, sur un folklorisme local, mais au contraire le fait de s’enrichir de cette diversité, de cette pluralité qui fait que l’on est un individu à part entière.

M. Jacques Myard. Rien à voir !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. C’est cette juxtaposition, cette imbrication, qui créent la fertilité, la fécondité des identités croisées. On peut parler magnifiquement le français tout en sachant très bien s’exprimer en créole, on peut parler breton et aimer la poésie de Victor Hugo. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Annie Genevard. On ne dit pas le contraire, mais ce n’est pas le sujet !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Si les enfants d’aujourd’hui n’apprennent pas de poèmes de Victor Hugo, ce n’est pas parce qu’ils apprennent des poèmes de Frédéric Mistral : au contraire, plus on apprendra de poèmes de Mistral, plus on aura envie de lire Victor Hugo ou Racine – lui qui parlait provençal et n’a pas été empêché pour autant d’écrire ses magnifiques tragédies en français. Votre conception de la diversité linguistique est rétrograde ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Fait personnel !

M. Jean-Frédéric Poisson. Merci de nous apporter la lumière, madame la ministre !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. En 2013, nous sommes tout à fait capables de donner aux enfants qui le souhaitent, grâce à la loi de refondation de l’école, non seulement un enseignement en français, mais aussi un enseignement dans leur langue régionale, ce qui va enrichir la culture et l’ouverture de chacun de ces enfants.

M. Nicolas Dhuicq. Comme chacun le sait, tous les enfants savent lire et écrire en sortant de l’école ! Continuez comme cela, tout va bien !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Je vais même aller plus loin, monsieur Guaino. savez-vous qu’à Wallis-et-Futuna, territoire français, on utilise la langue régionale, apprise comme langue maternelle, pour aider les enfants à mieux apprendre le français ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Il n’y a donc pas besoin d’une charte !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. La pratique d’une langue régionale peut donc être une porte permettant d’accéder au français.

Vous avez en effet oublié de rappeler que sur les soixante-dix-huit langues de France, vingt-huit sont parlées en Nouvelle-Calédonie et quatorze en Guyane ; voilà ce qui fait la richesse de nos territoires, voilà ce qui fait la richesse de la France.

Non, il n’y a pas de risque d’explosion de l’unité nationale. Bien au contraire : le risque de division, de dispersion sera d’autant plus grand si l’on continue à vouloir étouffer, mettre sous l’éteignoir toutes ces cultures et ces langues régionales qui font la richesse de notre pays.

Vous avez poursuivi la défense de votre motion en évoquant Mirabeau, selon lequel la France n’était qu’un agrégat de peuples disparates, mais le grand acquis de la Révolution française est d’avoir scellé l’unité d’un pays autour de valeurs, notamment celle de l’égalité entre tous les concitoyens.

M. Jacques Myard. Et autour de la langue !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Ces valeurs, ce sont l’égalité sociale, l’égalité des chances, l’égal accès de tous à la culture et à l’école.

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est d’abord l’égalité politique !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Telle est la force de la Révolution française, tel est son message.

M. Jacques Myard. En français !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Évidemment, à Valmy on ne demandait pas aux conscrits de quelle région ils venaient. Sans doute parlaient-ils un grand nombre de belles langues provenant de différentes parties du territoire national. Le message de la Révolution française consiste en cette possibilité de construire ensemble, à partir de ces identités locales, un projet politique commun, une belle unité nationale qui s’enrichit de la diversité de ses parties.

M. Nicolas Dhuicq. Et l’ordonnance de Villers-Cotterêts, ça n’existait pas ?

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Alors n’ayons pas peur ! Vous semblez penser que l’homme régional n’est pas entré dans l’histoire, mais c’est pourtant le cas ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. C’est nul ! C’est rétrograde !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Les langues régionales font partie de notre histoire nationale et nous en sommes extrêmement fiers. Et cette diversité est constitutive de l’unité nationale. La diversité culturelle fait partie de notre patrimoine commun. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

M. le président. Nous en venons aux explications de vote.

La parole est à M. Thierry Benoit, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Thierry Benoit. Mon cher collègue Henri Guaino, cela m’ennuie, mais je suis résolument contre cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Jacques Myard. À tort !

M. Thierry Benoit. Je vous écoute et vous lis toujours avec attention. Cependant, mes collègues du groupe UDI et moi-même avons déposé une proposition de loi constitutionnelle identique au présent texte parce que nous soutenons cette démarche.

Mme Colette Capdevielle. Très bien !

M. Thierry Benoit. Nous la soutenons d’abord et avant tout parce que nous sommes des Européens convaincus et que la France doit ratifier cette charte dont elle est cosignataire.

M. Jacques Myard. Ah bon ?

M. Thierry Benoit. Pour une fois que l’Union européenne lance un message fort pour la construction d’une Europe des peuples ! La langue, c’est le dialogue, c’est l’échange, c’est la communication.

M. Jacques Myard. Voilà qui est intéressant !

M. Thierry Benoit. Vous avez évoqué, cher collègue Henri Guaino, une liste de 175 langues parlées sur le territoire métropolitain et d’outre mer ; c’est une richesse. Cette Europe des peuples, nous la voulons.

M. Daniel Fasquelle. À Bruxelles, on parle anglais, maintenant !

M. Thierry Benoit. Nous pouvons travailler à sa construction en nous appuyant sur notre histoire et sur nos racines. Pour ma part, je suis un Breton des Marches de Bretagne. D’ailleurs, la Bretagne devait avoir d’importants moyens à l’époque car il y a deux langues bretonnes : le breton et le gallo. À titre personnel, j’ai un amour charnel pour cette dernière langue.

À mes yeux, cette proposition de loi constitutionnelle est un pas supplémentaire vers la ratification, un défi que, je n’en doute pas, nous réussirons à relever. Il s’agit de réaffirmer la force de la Constitution française, la force des valeurs de la République que sont l’égalité, la liberté et la fraternité, tout en proclamant que les langues régionales ou minoritaires, notamment les langues d’outre-mer, sont des trésors qu’il nous faut préserver.

M. Henri Guaino. Personne n’a dit le contraire !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Bien sûr que si !

M. Thierry Benoit. Ces langues font en effet partie de notre patrimoine culturel, oral et immatériel. Nous devons donc avancer vite et absolument rejeter cette motion de rejet préalable afin d’adopter la présente proposition de loi constitutionnelle. Je souhaite que le Gouvernement ait la volonté d’aboutir rapidement, sous cette législature, car l’étape suivante est celle du rendez-vous constitutionnel et de la convocation, si le Gouvernement en décide, du Parlement. En tout état de cause, et même si je ne suis pas insensible aux arguments que vous développez dans vos propos et vos écrits, monsieur Guaino, le groupe UDI rejettera cette motion car il soutient bec et ongles cette proposition de loi constitutionnelle et souhaite qu’on avance sur cette question. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. Jacques Myard. Voilà les hobereaux !

M. François de Rugy. Cela vous reprend !

Monsieur le Président, je mesure la difficulté que vous pouvez avoir à rester neutre dans ce débat, comme l’exige votre fonction, mais vous le faites très bien, alors que chacun connaît votre engagement sur le sujet.

Tout d’abord, je tiens à saluer non pas le discours de M. Guaino mais l’initiative de Jean-Jacques Urvoas : le groupe écologiste la soutient pleinement. Il avait d’ailleurs déposé une proposition de loi constitutionnelle similaire dont mon collègue Paul Molac était le premier signataire.

Nous sommes en effet face à un paradoxe qui pose problème sur le plan politique : la charte dont il est question a été signée par la France en 1999 et pas une fois la question de sa ratification n’a été débattue dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale jusqu’à aujourd’hui, c’est-à-dire quinze années plus tard. Je me réjouis donc que nous ayons enfin ce débat.

Monsieur Guaino, vous avez cité différents avis, notamment celui du Conseil d’État, qu’il ne me semble pas pertinent d’évoquer ici. En effet, jusqu’à preuve du contraire, cette institution a pour fonction d’éclairer le Gouvernement et, éventuellement, le Parlement. Nous avons d’ailleurs déjà débattu de l’opportunité de porter à la connaissance de tous les avis du Conseil d’État sur les projets de loi du Gouvernement. Pour autant, ce n’est en aucun cas un juge constitutionnel.

On nous dit qu’il y a un problème constitutionnel, que le Conseil constitutionnel émettrait des réserves sur la constitutionnalité de ce texte s’il devait se prononcer à son sujet. Cependant, même s’il le faisait, cela ne nous empêcherait pas d’exercer notre pouvoir de législateur constitutionnel et de modifier la Constitution.

Vous avez évoqué, monsieur Guaino, un concept étrange. Nous n’avons malheureusement pas le temps de nous y attarder, mais je souhaite qui vous puissiez un jour nous éclairer sur ce que vous appelez les « valeurs supra-constitutionnelles »…

M. Jacques Myard. C’est la souveraineté !

M. Paul Giacobbi. C’est Dieu !

M. François de Rugy. …et sur l’ordre juridique et politique que vous voudriez construire, fonder sur de telles valeurs. Cela pourrait nous mener assez loin ; sans doute y aurait-il débat sur ce que pourrait être le contenu de ces valeurs. D’aucuns brandiraient peut-être certains textes, comme ils l’ont déjà fait lors d’autres débats.

Je voudrais m’appuyer sur un autre exemple. Le Conseil constitutionnel avait jugé la loi sur la parité aux élections non conforme à la Constitution. Nous avions alors modifié la Constitution et nous avions eu raison de le faire, comme nous aurons raison, dans quelques instants, au sujet de la présente proposition de loi constitutionnelle.

Enfin, vous avez abordé un sujet qui me touche beaucoup, du fait de mon histoire personnelle et parce que j’y porte un intérêt particulier : la conception de la nation. Je sais que certains de vos amis aiment à dire que les écologistes seraient des ennemis de la nation qui auraient pour dessein de la détruire ; cela tient du fantasme. Vous avez affirmé défendre la conception française de la nation, de la République, de l’État ; mais quelle conception défendez-vous ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Celle de la Révolution !

M. François de Rugy. La vôtre ! Elle peut parfaitement se défendre, y compris à travers l’histoire. Vous avez fait référence à l’État unificateur, mais ainsi que vous l’avez dit, cet État n’est pas propre à la République.

M. Jean-Frédéric Poisson. Non !

M. François de Rugy. Ce processus a commencé avec le régime capétien. On pourrait objecter que les régimes napoléoniens du Premier et du Second Empires ont fait beaucoup plus en la matière.

M. Jean-Frédéric Poisson. Oui !

M. François de Rugy. Il se trouve que ces régimes ne sont pas du tout ma référence.

M. Nicolas Dhuicq. Hélas !

M. François de Rugy. Ce sont des régimes autoritaires qui, en effet, ont tenté d’imposer des choses, dont la destruction de la diversité linguistique régionale.

Vous avez qualifié l’idéal défendu par cette proposition de « moyenâgeux » ; il fallait y penser ! Mais il est vrai que votre mentor politique, votre ancien employeur, avait commenté la sortie du nucléaire en Allemagne comme un retour au Moyen Âge. Quand on regarde l’état de ce pays aujourd’hui, on n’a pas vraiment l’impression d’être à cette époque-là…

Cela étant dit, vous essayez de disqualifier les langues régionales en vous appuyant sur le fait que des personnes d’extrême droite défendent leur préservation.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est ce que vous faites d’habitude !

M. François de Rugy. Monsieur Guaino, est-ce parce que des nationalistes d’extrême droite utilisent l’idée de la nation française en la dévoyant que nous devons la disqualifier ? Je ne le crois pas.

M. Jean-Frédéric Poisson. On s’en souviendra !

M. Philippe Meunier. L’argument est intéressant !

M. François de Rugy. On peut parfaitement chérir la nation française, ce qui est mon cas, sans être d’extrême droite.

M. le président. Il faut conclure !

M. François de Rugy. On peut chérir tout à la fois sa région, sa nation, l’Europe et le monde, on peut avoir un sentiment d’appartenance régionale et parler une langue régionale, se sentir citoyen de l’Europe et du monde et, malgré tout, être aussi français que vous.

M. le président. Merci !

M. François de Rugy. C’est pourquoi nous rejetterons votre motion et soutiendrons l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Philippe Meunier. Il va défendre Napoléon !

M. Paul Giacobbi. J’ai écouté avec attention notre collègue Henri Guaino. Je ne suis pas certain que son lyrisme mérite des réponses très longues.

Je n’ai pas très bien compris son argumentation juridique, qui se situe plutôt à un niveau théologique, que je n’entends pas facilement. J’ai cru comprendre qu’elle reposait sur une sorte de souveraineté du Conseil constitutionnel, voire du Conseil d’État sur l’ensemble de nos institutions. Ils seraient en quelque sorte les hérauts d’un droit fondamental issu sans doute des Carolingiens. C’est ce que disait Saint-Simon à propos des lois fondamentales du royaume ; mais Saint-Simon avait des mérites littéraires. (Sourires.)

Je voudrais rappeler à mes collègues que nous pouvons légiférer contre l’avis du Conseil d’État de manière souveraine. Nous pouvons même légiférer contre les décisions juridictionnelles du Conseil d’État. Nous pouvons changer la Constitution, n’en déplaise au Conseil constitutionnel, et nous le faisons régulièrement, en cadence et avec abondance, Dieu merci ! Cela existe d’ailleurs dans beaucoup de pays, fort heureusement.

Il semblerait par ailleurs, selon la vision de notre collègue, que l’on ne puisse pas commenter des décisions de justice.

M. Henri Guaino. Mais si !

M. Paul Giacobbi. M. Guaino vient dans ce cas de signer l’arrêt de mort de la doctrine, des facultés de droit, des professeurs, des avocats ! On peut bien entendu commenter, critiquer les décisions de justice ; du reste, on ne se gêne pas pour le faire, parce qu’on est dans un pays de liberté.

Enfin, les rappels historiques de notre collègue m’ont paru rafraîchissants : c’était une sorte de plongée dans le passé, à mi-chemin entre l’image d’Épinal et une vision de l’enfer médiéval que vivent au quotidien les malheureux citoyens de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de l’Espagne, des États-Unis d’Amérique et de tant d’autres pays, opprimés au pied des donjons car réduits à un communautarisme d’un autre âge. Tout cela est magnifique !

M. Guaino a également fait allusion aux Grecs. Cela m’a fait penser à Paul Louis-Courier, qui écrivait : « Les gens qui savent le grec sont cinq ou six en Europe – il en faisait partie – ; ceux qui savent le français sont en bien plus petit nombre. » (Sourires.)

Pour le reste, le corps de l’exposé, si je puis m’exprimer ainsi, m’a fait penser à Talleyrand qui, face à des propos de cette nature – il a dû en entendre, le malheureux, souvent –, déclarait : « Tout ce qui est excessif est insignifiant. »

Le groupe RRDP signifie tout de même qu’évidemment il votera contre cette motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Annie Genevard. L’orateur de notre groupe a brillamment défendu cette motion de rejet préalable que nous vous invitons à voter, mes chers collègues. Parce que votre argumentation, monsieur le rapporteur, madame la ministre, se fonde sur un avis du Conseil d’État dont les parlementaires n’ont pas eu connaissance. Parce que ce texte est tout sauf inoffensif.

Parce que, contrairement à ce que vous prétendez, cette charte est décisive et qu’elle aura des effets normatifs. Parce que nous revendiquons en la matière, et contrairement aux autres pays européens, une forme d’exception culturelle – notion qui nous est si chère. Parce que le français est le garant de l’unité nationale. Parce que nous voulons défendre cet idéal d’État républicain dont le français est l’expression. Parce qu’une langue commune est le meilleur antidote aux crispations identitaires. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Parce que nous reconnaissons les langues régionales – le débat a dérapé, car il n’est pas question de savoir si nous sommes pour ou contre les langues régionales – et que, comme chacun ici, nous convenons que celles-ci sont un patrimoine précieux qu’il convient de protéger, sauf que les méthodes pour ce faire divergent.

M. François Pupponi. Elles disparaissent !

M. Nicolas Dhuicq. C’est le français qui disparaît ! Trois cents mots de vocabulaire !

Mme Annie Genevard. Parce que nous n’avons pas le droit d’affaiblir la langue française dont le statut est éminent. pour toutes ces raisons je vous invite à voter cette motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Bravo !

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. J’ai écouté avec attention M. Guaino. Sans partager la totalité de ses propos, je reconnais qu’il nous a livré une intervention très étoffée et très argumentée, mais je ne soutiens pas sa demande de rejet. Pour l’essentiel, vous vous appuyez, monsieur Guaino, sur une approche de la cohésion sociale qui serait figée, comme si ce qui a fait la France, au fil de son histoire, devait être analysé aujourd’hui de la même façon. Je ne vais pas remonter à l’époque médiévale, mais si on s’arrête au XIXsiècle, l’unification de la langue a été un double instrument, qui a permis avec l’école de la IIIRépublique et ses hussards noirs, les instituteurs, de développer l’alphabétisation et…

M. Jacques Myard. Et le progrès social !

M. André Chassaigne. …de donner une culture. L’instrument de la langue unique a été considéré comme un levier indispensable, à tort, je pense, dans ses excès, puisque l’on a, à côté de cela, interdit l’usage de la langue parlée qui était celle de beaucoup de ruraux. Il y a eu un second élément : la révolution industrielle. Le marché du travail exigeait alors d’avoir une main-d’œuvre qui venait des territoires ruraux pour travailler dans les entreprises et les fabriques et cela nécessitait une unification de la langue. Cette situation, qui était celle du XIXsiècle et de la IIIRépublique, a évolué. Aujourd’hui, la cohésion sociale s’appuie au contraire sur la diversité. On pourrait développer ce sujet au regard de la mondialisation et de l’exigence d’un retour à une approche plus locale des choses, sans pour autant faire du folklore ou de l’identité réductrice. C’est au contraire une richesse de la France que cette diversité, en particulier la diversité linguistique, car elle s’accompagne d’une diversité culturelle.

La question que l’on peut se poser aujourd’hui est celle-ci : est-ce que la législation, telle qu’elle existe, suffit pour répondre à cette attente ? Notre législation est en mouvement et en progrès continuels. Il y a d’ailleurs eu à ce sujet un débat hier soir sur l’IVG, autour d’un article qui a beaucoup fait discuter, prouvant qu’une législation doit évoluer et tenir compte de la réalité d’un moment. La première loi, celle du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux, alors portée par un socialiste, Maurice Deixonne, est-elle suffisante aujourd’hui ? Est-ce que cette loi fondatrice permet de répondre à la diversité culturelle nécessaire et au multilinguisme que nous souhaitons ? Les différentes évolutions qui ont eu lieu ensuite, celles des lois de 1974 pour la langue corse, de 1981 pour le tahitien, de 1992 pour quatre langues mélanésiennes, puis la loi Toubon de 1994 et la loi du 22 janvier 2002 de Lionel Jospin sont-elles suffisantes ? Je ne le pense pas.

Ce qui me semble important, c’est de pouvoir faire sortir les langues de l’espace privé pour aller vers l’espace public. Se limiter à l’espace privé, malgré les avancées qu’ont pu constituer les lois que je viens de citer, ce n’est pas suffisant. Il faut que ces langues prennent davantage de place dans l’espace public, car nous savons très bien que si la langue n’est pas portée dans l’espace public, elle disparaîtra. Or pour qu’elle ne disparaisse pas, il faut faire avancer une partie de notre législation et s’appuyer sur cette charte, indispensable aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. François Pupponi, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. François Pupponi. Je voudrais tout d’abord remercier M. Guaino, qui m’a fait vivre un moment personnel important : j’ai cru dans cet hémicycle me retrouver au XIXsiècle…

M. Henri Guaino. Ah !

Mme Annie Genevard. Vous y étiez ?

M. François Pupponi. …où l’on pouvait entendre ces discours que j’ai lus dans les livres. J’arrête là mes remerciements et mes compliments pour apporter mon soutien au président Urvoas, car je pense, monsieur Guaino, que la manière dont vous avez parlé du président de la commission des lois n’est pas tout à fait digne ni respectable.

M. Jean-Pierre Le Roch. Très bien !

M. François Pupponi. Il n’y a pas ici des bons républicains et des bons patriotes et des mauvais républicains et des mauvais patriotes.

M. Jacques Myard. Il y a des apprentis sorciers !

M. François Pupponi. On ne peut pas laisser dire que Jean-Jacques Urvoas est un mauvais citoyen de la République ou un mauvais patriote. Ce n’est pas parce qu’on défend, comme il le fait aujourd’hui, les langues régionales, qu’on doit le mettre au ban de la République. Vous verrez en relisant votre discours, mon cher collègue, que vous êtes allé un peu loin. Je veux donc apporter toute mon amitié et tout mon soutien au président de la commission des lois qui fait un travail exceptionnel, y compris sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC, écologiste et RRDP.)

Mes chers collègues, comme nous sommes ici pour la plupart des citoyens éclairés de la République française, grâce à l’école de la République pour beaucoup d’entre nous, nous essayons de réfléchir et de voir les choses avec raison et non avec passion. Nous avons donc effectivement une vision particulière et différente de ce qu’a pu être la République. Nous défendons tous ici les idéaux républicains, mais nous pouvons tous vérifier qu’au cours de l’histoire, ceux qui ont mis en œuvre ces principes républicains n’ont pas toujours été exemplaires.

Comme le président Chassaigne vient de le dire, la République, dans le domaine linguistique, s’est imposée, et parfois par la force. Nous avons, pour la plupart d’entre nous, des parents ou des grands-parents qui nous ont raconté comment les hussards noirs de la République imposaient le français et sanctionnaient les enfants qui parlaient leur langue d’origine au sein de l’école de la République. C’est aussi comme cela que les choses se sont passées et il ne faut pas le nier. Devons-nous reconnaître et assumer que la République a aussi mis en œuvre le système des colonies ? Doit-on être fiers, au nom du principe républicain, de ce passé ? La République n’a pas toujours été exemplaire. Après un peu plus de deux cents ans, bien qu’il ait fallu imposer la langue française, les langues régionales disparaissent quotidiennement dans notre pays : la République ne peut en être fière. La République de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ne peut pas assumer que des langues régionales qui font partie de notre histoire et de notre culture communes disparaissent. Il faut un sursaut et la France a trop traîné.

Cela fait quinze ans qu’elle a signé cette charte. Heureusement que ce texte nous est aujourd’hui proposé pour que nous allions enfin plus loin et que nous reconnaissions l’intérêt pour notre République et notre nation de parler plusieurs langues.

Monsieur Guaino, Mme la ministre a parlé de Valmy : en 14-18, la plupart des poilus qui tombaient à Verdun parlaient deux langues : leur langue d’origine et le français. Cela ne les empêchait pas de monter au front, en étant fiers de tomber pour la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Eh oui !

M. François Pupponi. Ils le faisaient volontairement et consciemment. C’est cela, la République ! Qu’un citoyen décide, quelles que soient sa race…

M. Nicolas Dhuicq. Il y a des races ou il n’y a pas de races ?

M. François Pupponi. …et son origine, d’être un citoyen de la République. C’est cela que nous défendons aujourd’hui.

Mes chers collègues, nous demandons bien entendu le rejet de la motion de notre collègue Guaino. Il a cité Aimé Césaire. Certes, peut-être qu’à l’époque les Antillais disaient : « Nous apprenons le créole à la maison, car la France apprend le français à l’école. » Aujourd’hui, peut-être que certains, malheureusement, ne peuvent plus apprendre leur langue d’origine à la maison et qu’il n’y a plus que le français, ce qui constitue une régression. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme Marie-Françoise Bechtel. Mais pourquoi ne peuvent-ils plus parler leur langue à la maison ?

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous informe que la séance de ce soir sera uniquement consacrée à la suite de l’examen de la proposition de loi constitutionnelle. Par conséquent, nous reprendrons la suite du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes vendredi matin, à 9 heures 30.

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Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la proposition de loi constitutionnelle visant à ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron