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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 05 février 2014

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Formation professionnelle

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale (nos 1721, 1754, 1733).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de cinq heures sept minutes pour le groupe SRC, dont 204 amendements sont en discussion ; sept heures dix-huit minutes pour le groupe UMP, dont 372 amendements sont en discussion : deux heures quatre minutes pour le groupe UDI, dont 64 amendements sont en discussion ; une heure deux minutes pour le groupe écologiste, dont 57 amendements sont en discussion ; cinquante-six minutes pour le groupe RRDP, dont dix-huit amendements sont en discussion ; une heure quinze minutes pour le groupe GDR, dont 39 amendements sont en discussion ; et trente minutes pour les députés non inscrits.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Madame la présidente, monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, madame la présidente et monsieur le rapporteur de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, l’objet principal de ce projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale est de transposer l’Accord national interprofessionnel, l’ANI, signé le 13 décembre dernier par l’ensemble des organisations syndicales et patronales, à l’exception de la CGT et de la CGPME, sur la formation professionnelle. Mais ce texte ne s’arrête pas là : il crée un bloc de compétence sur la formation professionnelle, confié à la responsabilité exclusive des régions, pour traiter de la démocratie sociale et pour réformer en profondeur l’inspection du travail – un cavalier législatif sur lequel je reviendrai.

La question de la formation professionnelle est essentielle dans une société qui bouge, et qui bouge de plus en plus vite. C’est évidemment un facteur essentiel de l’épanouissement humain. Mais la formation professionnelle est aussi un moyen de lutte contre le chômage, une source de performance pour les entreprises et de renforcement de l’utilité sociale.

Or l’accès à la formation professionnelle dans notre pays est très insuffisant et de surcroît inégalitaire : inégalitaire entre les salariés des petites et moyennes entreprises et très petites entreprises et ceux des grands groupes ; inégalitaire entre les personnes peu qualifiées et celles qui sont très qualifiées – aujourd’hui, ce sont les cadres qui bénéficient le plus des formations ; inégalitaire également entre les territoires, ainsi qu’entre des salariés ayant un emploi et les chômeurs.

Le projet de loi parvient-il à résoudre ces difficultés ? Il comporte indéniablement des points positifs, notamment avec le changement d’approche qui passe d’une obligation de dépenser à une obligation de former – et de former efficacement –, ainsi qu’avec la création d’un compte individuel de formation et la portabilité de ce droit, ou encore avec l’augmentation de 120 à 150 heures du plafond de ce droit à la formation, même si ces chiffres restent encore beaucoup trop bas.

Cependant, deux écueils risquent de rendre ces progrès inopérants. Le premier est la baisse massive de l’obligation de financement de la formation professionnelle par les employeurs, de l’ordre de 2,5 milliards d’euros, soit près d’un tiers.

Une fois de plus, le Gouvernement justifie cette diminution par la nécessaire baisse du coût du travail, une théorie fausse comme le prouvent tous les indicateurs, y compris la courbe du chômage qui ne cesse de grimper malgré la baisse de ce que l’on appelle « les charges » des entreprises et les sommes colossales d’argent public qui leur sont offertes.

Ainsi, par-delà tous les artifices et les dénégations, les chiffres sont têtus : on passe, pour les entreprises de plus de dix salariés, d’un taux de 1,6 % de la masse salariale à 1 %. Et encore, le texte donne-t-il aux entreprises la possibilité d’y déroger partiellement ! En effet, par le biais d’un financement dédié au compte personnel de formation, pouvant aller jusqu’à 0,2 % de la masse salariale, les grandes entreprises pourraient ne verser au régime général de la formation professionnelle que 0,8 % de leur masse salariale. Vous conviendrez sans doute que, face aux gigantesques besoins de formation reconnus par tous, cette disposition a de quoi inquiéter légitimement.

Le second point d’achoppement est la quasi-absence d’opposabilité pour le salarié, en dehors de celle qui vise à acquérir le socle de compétence. Vous présentez, monsieur le ministre, ce point comme une avancée remarquable, permettez-moi de ne pas partager l’ampleur de votre enthousiasme. Car s’il est évident qu’il s’agit là d’un droit fondamental pour tout être humain, il est regrettable que la lutte contre l’illettrisme soit portée par le seul salarié, qui devra « dépenser » au détriment de formations spécifiques qualifiantes les heures durement gagnées sur son compte personnel de formation, le CPF, alors que la lutte contre ce fléau, qui, je le rappelle, touche 8 % des salariés en France, relève d’abord de la responsabilité de l’État, auquel doivent se joindre les régions et les employeurs.

D’autres points nous préoccupent, à commencer par la question essentielle de la discrimination que comporte ce texte envers les salariés à temps partiel, public qui devrait être prioritaire en termes de formation professionnelle – 80 % des temps partiels, je le rappelle, sont subis et 80 % sont occupés par des femmes. Or, loin de réduire ces inégalités, le projet de loi ajoute de l’injustice à l’injustice en introduisant une proratisation des heures inscrites au CPF selon la durée du travail. En commission, nous avons été plusieurs à déplorer cette situation, à commencer par Mme Neuville, membre de la délégation aux droits des femmes. Nous espérons vivement des avancées significatives sur ce point.

Par ailleurs, les dispositions relatives à l’acquisition des heures portées au compte personnel de formation posent plusieurs problèmes. D’abord, si leur rythme a connu des améliorations en commission, il reste lent et incompréhensible : il faut attendre huit ans pour bénéficier de 150 heures de formation ! Comment justifier cette différence entre les six premières années et les suivantes ? Pourquoi ne pas adopter notre proposition, à la fois plus rapide et plus simple, qui consiste à prévoir 25 heures par an ?

Enfin, concernant le transfert de compétences et l’achèvement de la décentralisation en matière de formation professionnelle, outre le fait qu’ils déresponsabilisent complètement l’État et posent la question des moyens, comme l’a d’ailleurs reconnu notre rapporteur en commission, il est pour le moins surprenant qu’ils soient traités ici. En effet, compte tenu de l’importance de ces sujets et du fait que vous nous avez annoncé une loi sur la décentralisation pour le printemps prochain, force est de constater que vous anticipez sur le débat qui doit avoir lieu.

Mme Isabelle Le Callennec. En effet !

Mme Jacqueline Fraysse. S’agissant de la démocratie sociale, la possibilité de désigner un délégué syndical dans un autre périmètre que celui du comité d’entreprise constitue une réelle avancée en matière syndicale. Nous regrettons cependant l’absence de disposition relative au développement des instances représentatives du personnel dans les très petites entreprises. C’est une situation qu’il n’est plus possible d’accepter quand on sait que 3 millions de salariés sont concernés. Ce désert syndical constitue une véritable tache dans notre démocratie sociale.

Quant à la représentativité patronale, si nous notons une avancée en la matière, nous prenons en compte la préoccupation exprimée par les organisations syndicales s’inquiétant qu’elle soit assise sur l’adhésion et non sur l’élection, comme cela se fait dans plusieurs instances, sans parler du problème des multi-adhésions qui n’est pas réglé.

Enfin, s’agissant de la réforme du financement des organisations syndicales et patronales, si nous saluons le réel effort de transparence et la nécessaire séparation d’avec les moyens de la formation professionnelle, nous demeurons inquiets devant le flou absolu qui entoure les modalités de ce financement. En effet, aucune disposition n’est précisée ni pour la contribution des entreprises, ni pour celle de l’État, ni – plus grave encore – pour la répartition de ces sommes. Permettront-elles la mise à disposition de salariés pour l’activité syndicale ? Quel sera le taux plancher ? Autant de points qui ne figurent pas dans le texte et qui sont essentiels pour l’exercice de la démocratie sociale.

Reste enfin le titre III consacré à l’inspection du travail. L’introduction à la fin d’un projet de loi sur la formation professionnelle d’un article de onze pages réformant l’inspection du travail n’est rien d’autre qu’un cavalier législatif.

Mme Isabelle Le Callennec. Nous sommes bien d’accord !

Mme Jacqueline Fraysse. Vous soulignez, monsieur le ministre, la cohérence de votre démarche et la nécessité de veiller aux droits des travailleurs et des salariés pour justifier la présence de cet article dans le texte. Mais il s’agit là d’une réforme d’ampleur qui porte sur un sujet extrêmement important. Nous considérons que cela justifie pleinement un texte de loi spécifique.

M. Marc Dolez. Très juste !

Mme Jacqueline Fraysse. Comprenons-nous bien : nous ne nions pas la nécessité de faire progresser l’organisation et les missions de l’inspection du travail au service de la protection des salariés. Les mutations de la société et l’émergence de nouvelles situations rendent nécessaires des adaptations. Mais pas ici et pas ainsi. De ce point de vue, il est paradoxal qu’à l’occasion d’un texte qui prône le dialogue social, vous cherchiez à faire passer, je dirai presque en contrebande, une réforme rejetée à la quasi-unanimité puisque seuls deux syndicats représentant un tiers des effectifs se sont abstenus, les autres ayant voté contre. Votre projet n’est pas des plus consensuels, monsieur le ministre.

M. Hervé Morin. C’est le moins que l’on puisse dire !

Mme Jacqueline Fraysse. Plusieurs sujets alimentent la légitime inquiétude des organisations syndicales.

Le premier porte sur la dépénalisation de certains pans du droit du travail. Ce projet de loi introduit en effet la possibilité de transactions pénales et d’amendes administratives négociées par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la DIRECCTE. Pourquoi ces dispositions posent-elles problème ? Parce que sous couvert de sanctions graduées – procédure qui pourrait être recevable – et de diminution du nombre de poursuites engagées – beaucoup moins recevable quant à elle –, ces transactions pénales et amendes administratives se substituent en réalité aux sanctions pénales actuelles pour des faits extrêmement graves. Nous en avons débattu lors de l’examen en commission. Je sais que cette prise de position est contestée mais toutes les vérifications que j’ai été amenée à faire confirment son bien-fondé.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Je vais vous envoyer le MEDEF !

Mme Jacqueline Fraysse. Je le démontrerai, car il n’y a pas de doute, lors de l’examen de l’article 20 : le texte organise effectivement la dépénalisation de certains délits puisque passibles jusqu’à présent d’une peine d’emprisonnement ou d’une amende, ceux-ci ne seraient plus passibles que d’une simple amende ou d’une transaction pénale. Or il ne s’agit pas, je le répète, de délits mineurs, mais de mise en « danger grave et imminent » de salariés.

Le deuxième sujet d’inquiétude porte sur le rôle et la place des directeurs des DIRECCTE entre les mains desquels reposera la possibilité de recourir ou non à une transaction pénale et de fixer le montant des sanctions administratives. Or, le contour des missions des directeurs, qui ne sont pas indépendants car ils sont directement nommés par le ministre du travail, est pour le moins flou.

Pour être efficients, les agents de l’inspection du travail doivent être indépendants. On comprend donc qu’ils soient très attachés à cet aspect qu’ils considèrent, à juste titre, comme la pierre angulaire de leur mission. Vous avez tenu à dire, monsieur le ministre, votre attachement à cette indépendance et nous nous en félicitons. Comme vous le savez, elle est garantie par l’Organisation internationale du travail, érigée au rang de principe fondamental du droit du travail par le Conseil constitutionnel et encore rappelée dans le code de déontologie de l’inspection du travail qui précise qu’elle s’exprime également dans les pouvoirs propres reconnus aux agents, et non pas à l’inspection du travail en général. Il s’agit donc là d’un enjeu majeur.

Évidemment, cette exigence d’indépendance ne signifie pas, comme certains voudraient le faire croire en caricaturant, le refus d’une meilleure organisation ni une allergie à toute hiérarchie et à tout contrôle : les agents de l’inspection du travail doivent bien sûr rendre des comptes à leur hiérarchie, mais en créant les conditions pour que celle-ci ne puisse entraver leur mission. Or sous couvert d’efficacité, ce texte réorganise l’inspection du travail en de multiples unités, avec notamment des unités de contrôle, des unités régionales de contrôle et un groupe national de contrôle, d’appui et de veille mais sans que les compétences de ces différentes unités soient clairement définies, ce qui entraîne, selon le Conseil national de l’inspection du travail, des « risques de chevauchement de compétences ». Et c’est bien de ces chevauchements que naît le risque qu’un agent consciencieux de l’inspection du travail qui effectuerait un contrôle pointilleux d’un important chantier de BTP, par exemple, ou d’une entreprise de dimension nationale soit dessaisi de son dossier au profit d’une autre unité de contrôle ou d’une unité régionale ou encore du groupe national d’appui.

Vous le voyez, tout confirme qu’un sujet de cette importance doit faire l’objet d’un texte de loi sérieusement élaboré et sérieusement débattu.

En conclusion, si ce projet de loi présente d’indéniables avancées en matière de formation professionnelle, il reste très limité et entérine une diminution du financement par les employeurs ainsi qu’un transfert de compétences aux régions dans des conditions qui ne sont pas acceptables. Il est par ailleurs évident que si le cavalier législatif que constitue l’article 20 est maintenu dans ce texte, nous ne pourrons, compte tenu de la gravité des dispositions qu’il contient, que voter contre l’ensemble du projet de loi, ce qui serait fort dommage. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. Gérard Cherpion. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons porte sur plusieurs enjeux majeurs. J’évoquerai d’abord celui de la formation professionnelle, laquelle renvoie, avec la manière dont nous souhaitons la faire évoluer, à des questions plus larges mettant en jeu notre modèle économique et social.

D’une part, elle renvoie à la question de l’articulation des temps de la vie et finalement à la place du travail en leur sein. Avec ce texte, nous rappelons ce que nous savons déjà mais qu’il est bon d’entériner définitivement : les temps de la vie ne s’articulent plus selon un schéma linéaire formation-travail-retraites ; la période de travail devra être couplée en permanence avec des temps de formation, et ce tout au long de la vie. Les dés ne sauraient être définitivement jetés à l’issue de la formation initiale : il est possible par la suite d’avoir d’autres chances et de se créer d’autres parcours.

D’autre part, ce projet de loi nous invite à parler du rôle des dépenses sociales au sens large. Nous montrons que celles-ci ne sont pas un coût mais bien un investissement qui s’inscrit dans une stratégie de long terme, bénéfique à l’ensemble de notre société et à notre avenir collectif grâce à l’amélioration de notre situation économique. À l’inverse des théories qui pointent de manière simpliste les coûts de production, en particulier le coût du travail, comme seuls responsables des difficultés de compétitivité, nous croyons qu’un des éléments essentiels de l’amélioration de la qualité de notre production et des emplois passe par la qualification de la main-d’œuvre. De ce point de vue, l’accès de tous à la formation professionnelle, en particulier ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi, les moins qualifiés, doit être un objectif majeur. C’est un renversement de perspective qu’il faut assumer : pour nous, le travail n’est pas un coût, c’est au contraire un atout dans lequel il faut investir. C’est le sens de ce texte qui, en instaurant le principe d’un compte personnel de formation universel, pose les bases nécessaires pour bâtir un système plus juste et plus efficace et répondre aux objectifs que je viens d’évoquer.

Je l’ai dit : l’un des objectifs prioritaires de ce texte est de rendre accessible la formation professionnelle à tous, particulièrement à ceux qui en ont le plus besoin et qui en sont paradoxalement aujourd’hui souvent les plus éloignés. Je pense notamment aux personnes accompagnées par les structures de l’insertion par l’activité économique : entreprises d’insertion, associations intermédiaires, ateliers et chantiers d’insertion dont il est important de saluer ici l’action. Une réforme de l’insertion par l’activité économique, ou IAE, a été engagée ces derniers mois : le texte que nous examinons contribue à sa mise en œuvre et à sa concrétisation. Il est essentiel que les dispositifs créés soient accessibles à toutes les personnes en parcours d’insertion, en tant que salariés comme en tant que demandeurs d’emploi, car les personnes en insertion ont bien ce double statut de salariés et de demandeurs d’emploi. Les débats nous permettront, je le sais, d’apporter toutes les assurances sur ce point.

Ce texte ouvre donc un nouveau droit en créant un compte universel, c’est-à-dire destiné à tous. Ce faisant, nous devons, à partir des mécanismes ainsi posés, envisager d’autres étapes, notamment concernant la question de l’alimentation du compte pour les personnes qui n’ont pas d’emploi ou un emploi très précaire ou partiel.

En outre, une réflexion plus large portant sur les politiques à destination des personnes les plus éloignées de l’emploi devra continuer à être conduite : pour certaines personnes aux parcours accidentés, il ne suffit malheureusement pas toujours de mettre en œuvre des logiques administratives donnant accès à des dispositifs pour que les choses se mettent en place : les dimensions d’accompagnement social et personnel sont également très importantes.

Quelques mots enfin sur une problématique commune aux diverses parties du texte, celle du « hors champ », évoquée ici à de nombreuses reprises – non sans raison. Le travail sur ce texte a permis à de nombreuses reprises de mettre la lumière sur un problème et sur ses conséquences concrètes : un tiers de l’activité économique et des emplois de notre pays n’est pas représenté à la table des négociations lors de la conclusion d’accords interprofessionnels. C’est le cas notamment du monde agricole, des professions libérales et d’un secteur qui est cher, je le sais, à nombre de parlementaires ici, celui de l’économie sociale et solidaire ; et ce, dans un contexte où les règles de mesure d’audience et d’établissement de critères visant à déterminer la représentativité n’étaient pas définies pour les organisations patronales, contrairement à ce qu’avait fait la loi de 2008 pour les salariés.

Il y avait donc deux enjeux dans ce texte : en finir avec la mise à l’écart du « hors champ », et poser des règles nouvelles pour la représentativité patronale. L’objectif à mon sens n’est pas de figer une situation existante, mais bien de poser un cadre permettant demain la traduction de dynamiques d’évolutions qui pourront intervenir dans le champ patronal, dans une logique et selon des principes démocratiques – car on parle bien ici de « démocratie sociale ». Le texte est porteur en ce sens de plusieurs mesures importantes dont nous aurons l’occasion de débattre de manière plus approfondie au cours des jours à venir, en soulevant probablement encore certaines questions.

Voilà les quelques points que je souhaitais mettre en avant concernant ce texte porteur d’évolutions importantes sur des sujets essentiels et très concrets pour nos concitoyens, pour l’emploi, pour la démocratie et pour le progrès social. Cela nous promet donc, dans les heures qui viennent, de riches et stimulants débats ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Dion.

Mme Sophie Dion. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, démocratie sociale, certes, mais démocratie parlementaire aussi !

Démocratie sociale, car je suis très attachée, comme beaucoup d’entre vous, au dialogue social : c’est la meilleure méthode d’élaboration de la norme sociale. Je ne peux donc que regretter que l’on passe à côté de la question centrale d’une réforme profonde du droit de la négociation collective. Vous n’entendez pas les chefs d’entreprise qui attendent vainement et depuis si longtemps que l’on allège le code travail, en renforçant la liberté de négociation.

M. Marc Dolez. Ben voyons !

Mme Sophie Dion. Démocratie parlementaire, car je suis également très attachée à la préservation du rôle du Parlement et je déplore, monsieur le ministre, les conditions d’examen de ce projet de loi pour lequel vous avez engagé la procédure accélérée. Nous ne sommes pas seulement une chambre d’enregistrement, dont le rôle se cantonnerait à valider l’accord national interprofessionnel sur la formation professionnelle, d’autant que votre projet de loi, comme l’indique d’ailleurs son intitulé, va bien au-delà de la transposition dans notre droit de cet accord. Vous y ajoutez en effet des dispositions très importantes qui ne peuvent être traitées dans l’urgence : la réforme de la représentativité patronale ; le financement des organisations patronales et syndicales ; la transparence des comptes des comités d’entreprise ; le renforcement des pouvoirs de l’inspection du travail – autant de sujets qui nécessiteraient un examen approfondi et qui posent de vraies questions, à l’heure où l’on doit plus que jamais réfléchir à un nouveau pacte social.

Concernant la représentativité patronale, vous écrivez, monsieur le rapporteur, qu’il s’agit « d’une des réformes les plus attendues du droit du travail ». Je partage véritablement votre avis : c’est effectivement un sujet de premier plan pour le bon fonctionnement de la démocratie sociale. Savoir quelles organisations se retrouveront autour de la table des négociations collectives permet de mesurer la force qui sera ainsi donnée aux accords conclus. Mais la précipitation fait que votre texte n’a pas pris en compte l’ensemble des secteurs d’activité économique. Le dialogue social, vous le savez tous certainement, existe aussi dans l’agriculture, dans le secteur libéral comme dans l’économie sociale et solidaire.

M. Jean-Patrick Gille, rapporteur de la commission des affaires sociales. Nous en sommes convaincus : c’est pourquoi nous déposerons des amendements !

Mme Sophie Dion. Je m’en réjouis, monsieur le rapporteur.

Faut-il rappeler que les organisations « hors champ » ou multiprofessionnelles représentent plus de quatre millions de salariés ? Comment avez-vous pu les oublier ? Le groupe UMP proposera à cet égard des amendements.

S’agissant – autre question importante – de l’inspection du travail et des pouvoirs qui lui sont confiés, les mesures inscrites dans le projet de loi vont encore paralyser le fonctionnement au quotidien des entreprises, en particulier pour les plus petites d’entre elles. Pensez-vous, monsieur le ministre, que c’était vraiment le moment ? Vous donnez aux inspecteurs du travail des pouvoirs exorbitants : infliger des amendes administratives sans avoir à passer par le contrôle du juge ; accéder à tous les documents, sans aucune limitation, et pas uniquement ceux relatifs à la réglementation du travail ; décider du blocage temporaire des travaux pour tous les secteurs professionnels. Vous faites clairement dans ce texte le choix de la sanction alors qu’il faudrait renforcer la prévention et le conseil. Voilà une belle mission pour les inspecteurs du travail : conseiller et aider les chefs d’entreprise, être un partenaire à leurs côtés dans leur mission plus que jamais centrale, à savoir donner du travail !

Concernant la formation professionnelle, qui constitue le cœur de votre projet de loi, il y a des points positifs, indiscutablement, comme le compte personnel de formation ou l’instauration d’un contrat d’apprentissage à durée indéterminée : on ne peut que souscrire à ces objectifs. La formation tout au long de sa vie, l’amélioration de l’accès à la formation des salariés et des demandeurs d’emploi sont des éléments essentiels, chacun le sait. Mais le crédit de 150 heures n’est pas suffisant au regard des besoins de formation. En outre, pouvez-vous nous assurer que la liste des formations éligibles répondra bien aux besoins des territoires ?

La création d’un contrat d’apprentissage à durée indéterminée va dans le bon sens. Cela va permettre aux jeunes d’être sécurisés dans leur avenir professionnel, de pouvoir accéder à un logement, à un prêt bancaire – bref, d’accéder à une vie sociale et à un avenir. Mais ce contrat va-t-il réellement permettre de valoriser et de développer l’apprentissage, qui doit constituer pour nous tous une préoccupation constante ? Quelle assurance a aujourd’hui le tuteur maître d’apprentissage ou l’employeur de pouvoir garder à ses côtés, au moins un certain temps, le salarié qu’il aura formé dans son entreprise ?

M. Michel Sapin, ministre. C’est justement l’avantage du CDI !

Mme Sophie Dion. Quand on parle de valoriser l’apprentissage, il faut penser à ce qu’il se passe dans les grandes écoles : celles-ci pratiquent en effet le système du pantouflage, qui permet de rendre un peu la formation qui a été donnée. Cela constituerait ainsi un moyen de valoriser cet apprentissage.

S’agissant du financement et de la gouvernance de la formation professionnelle, vous élargissez les compétences de la région, mais vous n’évoquez pas le rôle des organismes consulaires qui, pourtant, sont un acteur incontestable dans le domaine de la formation : deuxième formateur de France, ils connaissent particulièrement bien les besoins des territoires. Pourquoi ne pas au minimum les associer au Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, le CNEFOP ? C’est une bien juste revendication.

M. Jean-Patrick Gille, rapporteur. Ils y siégeront !

Mme Sophie Dion. Il me semble également nécessaire, dans le cadre du versement de la taxe d’apprentissage, que les entreprises conservent la liberté de choix de l’établissement de formation bénéficiaire. Pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que cela sera toujours le cas ?

En conclusion, je regrette, comme beaucoup ici, que ce texte soit finalement une occasion manquée : occasion manquée de mettre en place une vraie politique de l’apprentissage, valorisante pour nos jeunes et gratifiante pour les employeurs. C’est aussi une occasion manquée de repenser profondément le droit de la négociation collective, en donnant tout son poids et tout son sens à une véritable mise en place d’accords collectifs au niveau tant de la branche que de l’entreprise.

Vous avez manqué l’occasion de donner sens et vie à la république sociale telle qu’elle est reconnue par le préambule de la Constitution de 1946, ce que nous ne pouvons que regretter sur les bancs de cette assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, le constat, sans appel, est largement partagé sur l’ensemble des bancs de cette assemblée : notre système de formation professionnelle ne permet plus de répondre aux objectifs qui lui ont été assignés, en particulier à la lutte contre le chômage de masse et à l’adaptation aux mutations du marché de l’emploi. Depuis 1971, il n’a jamais vraiment été dépoussiéré, alors que des bouleversements économiques, sociaux et technologiques profonds sont intervenus à l’échelle mondiale. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je regrette que ce texte soit très insuffisant par rapport aux enjeux auxquels nous sommes confrontés. Il est pourtant devenu urgent de moderniser et d’actualiser notre système de formation professionnelle pour l’adapter à un monde ouvert aux échanges et qui évolue à toute vitesse.

Vous l’avez souligné, la formation professionnelle est un outil majeur pour lutter avec plus d’efficacité contre le fléau du chômage, et je sais votre engagement pour y parvenir. Elle est aussi, à nos yeux, un outil au service de la croissance, cette croissance que nous recherchons et qui pour le moment est atone.

Vous partagez comme nous l’exigence que chaque euro investi dans le système de formation soit un euro utile : utile pour les entreprises, utile pour les salariés et utile pour les chômeurs. Je souligne ce point parce que les enjeux financiers sont considérables, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises : pas moins de 32 milliards d’euros, soit 1,6 point de PIB. Pour autant, votre texte ne répond pas aux trois objectifs principaux que doit poursuivre la formation professionnelle : permettre un accès équitable à la connaissance, sécuriser les parcours professionnels et favoriser la promotion professionnelle.

Pire, la formation professionnelle souffre de trois maux auxquels le projet de loi n’apporte que des réponses là encore insuffisantes. Tout d’abord, son financement est complexe et opaque. Il existe trois contributions distinctes, des obligations de financement qui varient en fonction de la taille de l’entreprise, et la collecte des fonds de la formation professionnelle est assurée par des organismes différents qui appliquent chacun leurs propres règles de gestion.

Deuxième insuffisance, ou deuxième mal : la gouvernance est caractérisée par l’éparpillement. État, régions, partenaires sociaux, entreprises, organismes de formation continuent de se marcher sur les pieds. Sans pilote dans l’avion, les filières de formation sont artificiellement pourvues, parfois au mépris des aspirations personnelles, des spécificités des bassins d’emplois ou encore des compétences dont la France aura tant besoin.

Enfin, le système de formation professionnelle est injuste, et chacun reconnaîtra que la qualité des formations délivrées n’est pas toujours satisfaisante. Pourquoi du reste échapperait-elle à un principe d’accréditation et de vérification des qualités ?

Ce système pénalise les salariés des petites entreprises par rapport à ceux des grandes, pénalise les ouvriers par rapport aux cadres, pénalise les femmes par rapport aux hommes et les chômeurs par rapport aux actifs.

Je ne prendrai qu’un seul exemple, connu de tous, pour souligner à quel point la formation professionnelle est un outil indispensable, qui doit permettre à la France de sortir de la crise : 400 000 offres d’emploi demeurent sans réponse chaque année. Or la formation professionnelle devrait justement permettre de mettre en adéquation, dans l’immense majorité des cas, les profils des candidats avec les besoins des recruteurs. Nous ne devrions plus entendre ces phrases infernales : « Je cherche quelqu’un, mais je ne trouve pas », ou encore « Je cherche du travail, mais je ne trouve pas ». Il faut donc mettre un terme à cet immense gâchis.

Nous sommes malheureusement face à un projet de loi frileux, dont la principale avancée – la création d’un compte personnel de formation – est une étape certes indispensable mais insuffisante. Nous ne pouvons plus nous permettre de laisser la formation professionnelle fonctionner en sous-régime. Le projet de loi aurait dû réformer profondément la démocratie sociale, faire toute la transparence sur l’argent des syndicats – mais il ne faut pas en parler ! – et refuser la mainmise des organismes de formation sur le système de formation professionnelle. La création du fonds paritaire ne présente, de ce point de vue, aucune garantie d’amélioration.

Il est tout aussi vital de confier la responsabilité de la gouvernance de la formation professionnelle à une seule entité : les régions. Ce projet de loi prolonge le mouvement de décentralisation de la formation professionnelle, sans l’achever, et vous le savez bien, monsieur le ministre.

Issu de l’accord sur la formation professionnelle, conclu le 14 décembre 2013 entre partenaires du dialogue social, ce texte comporte des avancées et ne mérite pas une opposition frontale, mais, en revanche, il manque vraiment de souffle. Aussi ferai-je une proposition simple pour améliorer la formation professionnelle afin d’éviter une occasion manquée : que les chômeurs de longue durée aient une obligation de formation, correspondant en priorité à des offres d’emplois disponibles, et que le respect de cette obligation conditionne, monsieur le ministre, le versement des indemnités chômage. Je souhaite que la majorité puisse étudier cette proposition sans a priori, car je sais que nous partageons ensemble la même volonté de mener une lutte implacable contre le chômage, et que c’est ce seul objectif que l’examen de ce texte doit servir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. Julien Aubert. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre système de formation professionnelle s’est construit par réformes successives à partir de 1971 pour répondre aux ambitions multiples qu’il a suscitées.

Initialement, il avait vocation à assurer le développement personnel et la promotion sociale des salariés. Il a ensuite évolué face à la crise économique des années 1980, qui a vu se développer un véritable chômage de masse, pour devenir un outil d’adaptation aux mutations économiques ; la formation professionnelle devient alors une mesure de traitement social du chômage. Enfin, à partir de 2009, la complexification de la vie professionnelle, de moins en moins linéaire, impose un objectif supplémentaire à notre système de formation professionnelle : la sécurisation des parcours.

Or, aujourd’hui, notre système de formation professionnelle est à bout de souffle et ne permet pas d’atteindre les objectifs fixés. En dépit des sommes très importantes qui lui sont consacrées, il ne produit pas les résultats attendus. Il est d’abord trop complexe, cloisonné et illisible. Il est source d’inégalités puisqu’aujourd’hui les salariés les moins qualifiés et les demandeurs d’emploi n’en bénéficient que très peu. Ainsi, les faiblesses de notre système de formation initiale, que 130 000 jeunes quittent sans qualification chaque année, ne sont pas corrigées par la formation continue. Il repose enfin sur un système de financement intermédié, à travers les organismes paritaires collecteurs agréés, ou OPCA, peu transparent et propice aux conflits d’intérêts.

Il est donc urgent de réformer en profondeur notre système de formation professionnelle pour en faire un véritable levier de la sécurisation de l’emploi et de la compétitivité de nos entreprises. C’est l’ambition de ce projet de loi qui transpose l’accord conclu le 14 décembre dernier entre les partenaires sociaux.

Mon collègue le député Pierre Morange et moi-même, coauteurs du rapport d’information intitulé « La formation professionnelle continue au service de la sécurisation des parcours », rendu dans le cadre du comité d’évaluation et de contrôle, avons formulé plusieurs propositions, notamment pour favoriser l’accès à la formation des publics les plus éloignés – salariés peu qualifiés et demandeurs d’emploi –, pour simplifier les instances de pilotage, pour accélérer la réforme de l’intermédiation et pour réguler plus efficacement l’activité des organismes de formation. Nombre de dispositions du projet de loi répondent à ces objectifs.

Parmi les amendements présentés par le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, j’en évoquerai deux, qui sont issus des conclusions de notre rapport.

Nous pensons qu’il serait judicieux d’étudier l’impact d’un transfert de la collecte des contributions des entreprises au titre de la formation professionnelle continue, actuellement assumée par les organismes partiaires collecteurs agréés, les OPCA, aux URSSAF. Cela permettrait de renforcer l’efficacité de la collecte et de réorienter l’action des OPCA vers le conseil et l’ingénierie auprès des très petites entreprises en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Nous aborderons également le sujet de la formation ouverte à distance,...

M. Gérard Cherpion. Très bien !

Mme Jeanine Dubié. …car notre pays est en retard dans ce domaine, notamment pour des raisons juridiques. L’amendement que nous présenterons vise à assouplir la définition légale des conditions de réalisation des actions de formation afin de les rendre compatibles avec la formation ouverte à distance. Cette dernière favorise l’innovation pédagogique et peut constituer une réponse adaptée puisqu’elle ne nécessite notamment pas de frais de déplacement pour les publics qui ressentent des difficultés à accéder à la formation professionnelle continue.

Monsieur le ministre, nous abordons l’examen de ce projet de loi dans un esprit très positif et constructif, car nous sommes convaincus qu’il pose les bases d’une réforme profonde de la formation professionnelle, au service de l’emploi, du développement personnel des individus et de la sécurisation des parcours.

M. Thierry Braillard. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, permettez en préambule un point sur la procédure qui prévaut à l’examen de ce projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi, à la démocratie sociale.

Le projet d’accord national interprofessionnel sur la réforme de la formation professionnelle a été finalisé le 14 décembre dernier. Le projet de loi censé transcrire cet ANI et qui intègre finalement des sujets n’ayant rien à voir avec la formation professionnelle a été présenté en conseil des ministres le 22 janvier. Le même jour, la commission des affaires sociales saisie au fond auditionnait le ministre. Le texte était concomitamment déposé sur le bureau de notre assemblée, mais il faudra attendre le 23 janvier à 17 heures 15 pour qu’il soit mis en ligne, soit moins de 48 heures avant la forclusion du délai de dépôt des amendements en commission des affaires sociales.

M. Gérard Cherpion. Inadmissible !

M. André Chassaigne. Cette dernière a ainsi dû réussir la prouesse d’examiner pas moins de 555 amendements en une journée ! Loin d’être une critique, c’est un éloge de l’efficacité de cette commission et de ses membres.

M. Gérard Cherpion. Très bien !

M. Lionel Tardy. Tu parles !

M. André Chassaigne. Parallèlement d’ailleurs, un débat était organisé à l’initiative du groupe GDR pour évaluer les premiers impacts de la loi sur la sécurisation de l’emploi. Le délai de dépôt des amendements pour la séance publique a dû être prolongé afin de permettre d’amender le texte de la commission.

Le débat est prévu pour trois jours, en temps programmé, les plus petits groupes disposant d’une heure quinze minutes au lieu d’une heure cinquante minutes, temps qui leur est habituellement imparti. Le texte ne fera pas l’objet d’un vote solennel, afin de ne pas retarder sa transmission au Sénat et son adoption définitive avant la suspension des travaux de l’Assemblée nationale pour cause d’élections municipales, et afin de permettre sa promulgation dans les plus brefs délais.

De plus, monsieur le ministre, vous avez engagé la procédure accélérée, qui n’autorise qu’une seule lecture dans chaque chambre. Je souhaite le dire ici de manière très solennelle : cette procédure est incompatible avec l’exigence d’un débat de fond sur un texte conséquent et avec notre volonté à tous – je dis bien : à tous – de bien faire la loi.

M. Marc Dolez. Il a raison !

M. André Chassaigne. Elle révèle une forme de mépris pour la représentation nationale et pour le Parlement tout entier, mais aussi une forme de mépris pour les actifs et pour les agents auxquels s’adresse ce projet de loi.

Mme Isabelle Le Callennec. C’est un passage en force !

M. André Chassaigne. Faut-il rappeler, chers collègues de la majorité, nos appels conjoints, dans cette enceinte, en faveur d’une revalorisation du rôle du Parlement ? Combien de fois nous nous sommes élevés contre le fait que la représentation nationale était piétinée sans vergogne !

M. Marc Dolez. C’est vrai !

M. André Chassaigne. Comment voulez-vous, dans ces conditions, redonner confiance à nos concitoyens dans la politique et dans nos institutions ?

Cette précipitation ne serait-elle pas un signe, celui d’une certaine fébrilité et d’une volonté de museler le débat public et parlementaire ? Je pose la question.

M. Gérard Cherpion. C’est pire que cela !

M. André Chassaigne. Elle rappelle singulièrement la fébrilité qui a prévalu pour la discussion du projet de loi dit de sécurisation de l’emploi et aussi celle du projet de loi portant réforme des retraites – j’aurais pu parler, plutôt, de « contre-réforme » mais je me borne à parler de réforme. Ces deux textes régressifs resteront comme les stigmates antisociaux de ce quinquennat.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Tout en nuances !

M. André Chassaigne. Cela nous conduit légitimement à nous interroger sur la raison ou les raisons de ce nouveau passage en force pour écrire que ce que vous appelez, monsieur le ministre, une nouvelle page de notre histoire sociale.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Absolument !

M. André Chassaigne. Alléluia ! Résonnez, hautbois ! Claironnez, trompettes ! (Sourires.)

Cette impatience est-elle liée au volet formation professionnelle de ce projet de loi ? Nous ne le pensons pas. En dépit de diverses critiques, notamment de la part de la CGT et de la CGPME, non-signataires de l’ANI du 14 décembre 2013, la nécessité de réformer notre système de formation professionnelle fait l’objet d’un assez large consensus. Je n’y reviendrai pas : ma collègue Jacqueline Fraysse s’est déjà largement exprimée sur le sujet et les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine y reviendront lors de l’examen des amendements.

Je me permets cependant de souligner une insuffisance dans ce volet du projet de loi, qui concerne les conditions de représentation des acteurs de la formation professionnelle au sein des instances chargées de la coordination des politiques de l’emploi, de l’orientation et de la formation professionnelle : il s’agit, à l’article 14, de l’absence de représentation de la profession agricole, qui siège pourtant au conseil national de l’emploi et au conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie. Leur demande de représentation au sein du conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, comme au sein des comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles me paraît, à ce titre, pleinement justifiée. Plus globalement, ce texte aurait mérité une meilleure prise en compte des spécificités du secteur agricole et de ses salariés.

Votre précipitation ne découle pas non plus du sujet épineux des élections prud’homales, retiré in extremis du texte initial, ni des articles relatifs à la représentativité patronale, qui n’intéressent que les patrons.

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous ne pouvez pas dire ça, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Quelles sont donc, monsieur le ministre, les raisons qui expliquent ce calendrier expéditif ? Serait-ce la disposition suspendant jusqu’au 30 juin et de manière rétroactive l’application des dispositions relatives à la durée minimale des contrats à temps partiel introduites par la loi de sécurisation de l’emploi pour permettre aux branches de négocier des accords dérogatoires à cette durée minimale ? Ils priveront une grande partie des salariés à temps partiel d’une des seules avancées que comportait ce texte.

M. Lionel Tardy. Eh oui !

M. Denys Robiliard. Texte que vous n’avez pas voté, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Ne serait-ce pas, surtout, cet article 20, dont l’objet est la « réforme Sapin » de l’inspection du travail, véritable charge de cavalerie législative…

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Sonnez, trompettes ! (Sourires.)

M. André Chassaigne. …sans lien avec le reste du projet de loi, que vous présentez vous-même comme l’un des trois grands répertoires de la vie des entreprises, au nom de la cohérence – de votre cohérence ? Cet article est en fait une réforme globale de l’inspection du travail, qui nécessiterait à elle seule – ma collègue Jacqueline Fraysse l’a dit – un projet de loi spécifique et un débat approfondi,…

M. Lionel Tardy. Bien sûr !

M. André Chassaigne. …mais vous avez délibérément choisi de le glisser dans ce projet de loi pour donner des gages à un patronat avide d’engranger de solides contreparties aux faibles avancées qu’il consent.

En dépit des réorganisations entreprises depuis 2006 par vos prédécesseurs, qui visaient à desserrer l’étau des contraintes pesant sur les entreprises en termes de droit du travail, l’inspection du travail a su conserver un haut niveau d’activité, en raison notamment de la préservation du statut des inspecteurs et contrôleurs du travail, ce qui, sans surprise, conduit le patronat à demander davantage de flexibilité dans l’application et le contrôle du droit du travail.

Sur fond de chômage de masse, de crise économique et de chantage à l’emploi et aux délocalisations, vous avez donc repris le flambeau de la déréglementation. Après une parodie de dialogue social en interne, vous avez concocté un projet de réforme de l’inspection du travail propre à « faire face aux enjeux d’un monde du travail qui évolue » – selon les termes employés dans le compte rendu du conseil des ministres du 6 novembre 2013. Ah ! Qu’en termes galants ces choses-là sont mises ! Malheureusement, l’illusion lyrique ne suffit pas. Le constat est amer, la musique aigrelette.

Le monde du travail évolue sous votre haut patronage ministériel comme sous celui de vos prédécesseurs, au détriment des droits des travailleurs, pour le plus grand bénéfice des actionnaires, des employeurs, des donneurs d’ordre, d’une économie internationale de casino, ouverte aux quatre vents de la dérégulation, de la concurrence effrénée, de la maximisation des profits. Pour reprendre la formule de Gramsci, alors qu’un ancien monde se meurt et qu’un nouveau monde tarde à venir, plutôt que de participer à la construction de ce nouveau monde, vous vous échinez à rafistoler l’ancien !

Certes, vous plaidez pour le renforcement de l’inspection du travail, mais en réalité votre réforme consiste à enfoncer des coins dans l’organisation de corps de fonctionnaires d’État. Ces coins sont autant de moyens de l’affaiblir dans l’accomplissement de la mission d’application du droit et de la réglementation sociale, mission dont il s’acquitte avec succès depuis plus de cent vingt ans.

Dans toute réorganisation dans la fonction publique, le premier axe consiste invariablement à réduire les effectifs. La  modernisation de l’action publique, dite MAP, l’impose – elle est bien la digne héritière de la  révision générale des politiques publiques, ou RGPP ! Mais qu’on se rassure : il s’agit de renforcer l’effectivité du droit au travail. La logique est implacable : alors que le corps de l’inspection du travail a déjà connu une monumentale saignée ces dernières années, et que 2 250 fonctionnaires seulement contrôlent 1,8 million d’entreprises employant 18 millions de salariés, vous considérez comme une urgence sociale la réduction du nombre d’agents dévolus au contrôle du travail dans les entreprises.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. André Chassaigne. Le sujet est d’actualité : le Parlement européen a adopté une résolution le 14 janvier dernier, faisant état de sa préoccupation face au manque de personnel des autorités de contrôle des États membres. Foin de ces inquiétudes communautaires, qui plus est formulées par le Parlement européen : non seulement une note de pré-notification des effectifs prévoit la suppression de près de 400 emplois toutes catégories confondues d’ici à 2015, mais de surcroît les postes de directeur d’unité de contrôle, les fameux DUC, seront imputés sur les effectifs de l’inspection du travail généraliste, soit une baisse d’effectifs sur le terrain de près de 10 %. Et cela sans compter la création ou le renforcement des échelons hiérarchiques régionaux et nationaux : création du groupe national de contrôle et renforcement des postes spécialisés rattachés aux unités régionales de contrôle.

L’engorgement des juridictions civiles, pénales et prud’homales justifierait à lui seul une augmentation des effectifs de l’inspection du travail, pour améliorer la qualité du service rendu en amont aux usagers et améliorer le droit et la protection des travailleurs face aux abus et aux infractions manifestes de certains employeurs. Pourtant, votre projet de « ministère fort » postule que le droit du travail sortira renforcé de cette réduction des moyens alloués aux contrôles de terrain. Je ne pense pas, monsieur le ministre, que cette audace rhétorique suffira à convaincre, ni qu’elle atténuera la défiance à l’égard de votre politique sociale !

La réorganisation des services, deuxième axe de votre réforme, réduira la liberté d’action des inspecteurs et mettra à mal leur indépendance. Le plan de transformation d’emploi prévoit de remplacer progressivement, sur une période de dix ans, les contrôleurs du travail par des inspecteurs du travail. Il ne fait que modifier la répartition des compétences au sein de l’inspection du travail : cela n’apportera aucun gain d’efficacité, d’autant que – comme nous l’avons dit – cette augmentation du nombre d’inspecteurs va de pair avec une diminution du nombre d’agents de contrôle.

Selon vos propres instructions, monsieur le ministre, cette transformation d’emploi, couplée à la réorganisation des unités de contrôle autour d’un DUC, permettrait au système d’inspection de fonctionner de manière plus collective. Ce procès en individualisme intenté à votre propre administration ne résiste pas à l’analyse. Les inspecteurs et contrôleurs d’une unité de contrôle exercent la même mission sur un même territoire ; à l’avenir, chacun sera, sous l’égide de son DUC, isolé sur un secteur donné, à l’intérieur d’une unité de contrôle. Contrairement à ce que vous affirmez, le projet de loi organise donc le cloisonnement de la fonction de contrôle du droit du travail et la fin du caractère collectif des unités de contrôle. Ce cloisonnement se fait au profit d’une fonction de promotion de la politique du travail, politique forcément plus favorable aux entreprises en période de chômage de masse.

M. Michel Sapin, ministre. Mais tout cela n’est pas vrai !

M. André Chassaigne. Vous semblez dire, monsieur le ministre, que mon discours est une accumulation de contrevérités.

M. Michel Sapin, ministre. Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit.

M. André Chassaigne. Tout le monde pourra apprécier ce point de vue, y compris à l’extérieur de cet hémicycle : je pense en particulier aux agents et à la totalité des syndicats de votre administration, qui rejettent cette réforme !

L’objet de cette réorganisation est in fine de renforcer la tutelle hiérarchique sur les agents de contrôle – tant par les DUC que par le groupe national de contrôle, d’appui et de veille. Cela porte une atteinte grave à l’indépendance des agents de l’inspection du travail, pourtant garantie par la convention n81 de l’OIT, convention reconnue par le Conseil d’État et consacrée par le Conseil constitutionnel au titre des principes fondamentaux du droit du travail. Le glissement de l’indépendance des inspecteurs vers l’indépendance du système d’inspection n’est pas de nature à nous rassurer : elle porte en germe une dégradation du service rendu aux travailleurs.

Qu’en est-il du troisième axe, celui des contreparties : les nouveaux pouvoirs et les nouvelles sanctions ? À vous croire, le recul que je viens de décrire serait en effet équilibré par les nouveaux pouvoirs dévolus aux agents de l’inspection du travail, permettant à l’administration de prononcer elle-même des amendes ou de proposer une transaction pénale aux employeurs passibles d’une peine de prison de moins d’un an. Dans les deux cas, les sanctions seront fixées par un directeur soumis aux injonctions du pouvoir exécutif – qu’il s’agisse du préfet ou du ministère – ou aux influences extérieures, toutes deux contraires à nos engagements internationaux concernant l’indépendance des agents de contrôle – il s’agit là toujours de la convention n81 de l’OIT.

Par ailleurs, ces nouvelles sanctions ne présentent pas les mêmes garanties que les procédures judiciaires, notamment en termes de droits de la défense, de respect du contradictoire et d’égalité des employeurs face à la loi. Sous couvert de simplification et d’efficacité, vous déniez donc aux employeurs le droit à un procès équitable, et introduisez une nouvelle source d’insécurité juridique pour ces derniers. Mais ces considérations de principe ont sans doute moins pesé dans la balance que les demandes récurrentes des organisations patronales en faveur d’une dépénalisation du droit du travail. Il n’est pas étonnant que pas un seul des syndicats représentés à l’inspection du travail n’ait souscrit à ce projet, qui est délétère pour les droits des travailleurs comme pour les conditions de travail des agents.

Il faut se rendre à l’évidence : le projet de « ministère fort » que vous nous présentez signifie ni plus ni moins qu’une reprise en main de l’inspection du travail et l’affaiblissement de l’indépendance de ses agents, au détriment des travailleurs. Cette reprise en main se fait au profit d’une hiérarchie perméable aux lobbys et attentive aux attentes – voire au chantage – de certains patrons, une hiérarchie plus habituée, en période de chômage de masse, à défendre des politiques publiques en faveur de l’emploi qu’à sanctionner les abus et les atteintes au droit du travail. En fin de compte, votre projet ne fera que rendre l’inspection du travail et votre ministère plus fragiles face aux pressions patronales, qui se manifestent déjà.

L’exemple de la société Tefal, dont le journal L’Humanité s’est fait récemment l’écho, est à cet égard édifiant. Tefal, filiale du groupe SEB implantée en Haute-Savoie, est un des plus gros employeurs de la région : elle compte 1 800 salariés, la plupart ouvriers à la chaîne. Dans cette entreprise, on dénombre 300 cas de troubles musculo-squelettiques. Le médecin du travail a exercé son droit d’alerte en avril dernier, en raison d’une importante dégradation de la santé des salariés, et d’une augmentation des situations de risques psychosociaux en lien avec le travail. En janvier 2013, l’inspectrice du travail en charge du site s’était penchée sur l’accord de réduction du temps de travail, l’avait jugé illégal, et avait demandé à la direction de le renégocier. Cette dernière avait refusé catégoriquement. Le directeur départemental du travail, supérieur de l’inspectrice, l’a ensuite convoquée et ordonné de revoir sa position sur le dossier Tefal, menaces à l’appui. Elle apprendra ensuite que la direction de Tefal a usé de tous ses relais pour l’écarter du dossier : MEDEF, préfet, et même la DCRI, la Direction centrale du renseignement intérieur !

Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, qui illustre à merveille la proximité entre votre administration et le MEDEF, avec des liens de quasi-subordination dès lors qu’il s’agit d’emploi, notamment dans les grandes entreprises. Comment expliquer autrement l’attitude proactive du directeur départemental du travail ?

M. Michel Sapin, ministre. Faites attention à ne pas injurier les membres de mon administration !

M. André Chassaigne. Avec votre réforme, des sociétés comme Tefal, indisposées par les contrôles de l’inspection du travail, seront assurées d’être traitées avec davantage d’égards, les inspecteurs pouvant être à tout moment dessaisis de leurs dossiers, voire interdits d’agir, notamment par le groupe national de contrôle, d’appui et de veille.

M. Michel Sapin, ministre. Ce que vous dites est faux !

M. Thierry Braillard. Ou partial !

M. André Chassaigne. Dire cela, monsieur le ministre, ce n’est pas, comme vous essayez de le faire croire, être partisan de l’immobilisme. Vous dites la même chose des syndicats représentés dans l’inspection du travail, lesquels tiennent le même discours que le mien. Comme je l’ai dit, tous ces syndicats sont opposés à votre réforme. Vous leur avez même reproché d’être attachés à la défense d’intérêts corporatistes !

Bien au contraire, nous défendons des propositions en faveur des droits et de la protection des travailleurs, en faveur d’une véritable Sécurité sociale professionnelle. Aujourd’hui, nous défendons – ainsi que vos agents – l’indépendance d’un corps qui constitue le principal rempart préventif aux atteintes au droit du travail par les employeurs. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous vous demandons d’opérer une extraction dans ce projet de loi.

M. Lionel Tardy. C’est cela, extrayons !

M. Jean-Frédéric Poisson. Exfiltrons !

M. André Chassaigne. Nous vous demandons d’arracher de ce texte les onze pages qui mettent l’inspection du travail en coupe réglée. Mettez-les dans un bocal…

M. Lionel Tardy. Avec la PMA !

M. André Chassaigne. …et laissez infuser ! (Sourires.) Laissez infuser longtemps, très longtemps,…

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est une potion bien indigeste !

M. André Chassaigne. …puis collez une étiquette sur ce bocal, monsieur le ministre. Sur cette étiquette, qui jaunira avec le temps, on pourra lire : « réforme Sapin de l’inspection du travail. » Ce bocal instruira les générations à venir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Germain.

M. Jean-Marc Germain. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, le 1er janvier prochain, chacun de nos concitoyens sera titulaire d’un compte personnel de formation ouvert à la caisse des dépôts et consignation. Il faut mesurer la portée de cette avancée. Cela fait des années qu’à gauche, comme dans le monde syndical, nous poursuivons ce grand dessein : permettre à chacun de pouvoir se former tout au long de la vie.

Nous le poursuivons au nom de notre idéal d’émancipation de l’homme, de développement personnel, d’épanouissement du citoyen. Nous le poursuivons au nom de l’égalité réelle, celle qui permet de reprendre un jour ses études quand on a quitté le système scolaire sans diplôme suffisant en poche ; celle qui rend possible l’ascension professionnelle, quand trop de carrières sont bloquées en bas de l’échelle.

Nous poursuivons ce dessein au nom de la sécurisation des parcours professionnels, pour changer d’emploi ou de secteur quand le sien est menacé, ou pour rebondir grâce à la formation lorsqu’on est victime d’un licenciement. Et, oui, nous nourrissons cette grande ambition de la formation tout au long de la vie aussi au nom de la compétitivité.

Il y a deux manières de retrouver notre place dans la mondialisation : par le bas ou par le haut. Par le bas, c’est engager une course sans fin pour tenter de faire baisser nos prix. Cette voie est sans issue : la Chine, l’Inde, le Brésil et tant d’autres pays feront toujours mieux en la matière, sauf à aligner sur eux nos salaires et notre protection sociale. Par le haut – ce doit être la stratégie du pacte de responsabilité –, c’est investir dans la recherche, dans l’innovation, dans le design, dans les filières d’avenir, mais aussi dans la formation.

Émancipation, sécurisation, compétitivité : voilà les trois objectifs essentiels que nous devons avoir à l’esprit en abordant ce débat, et qui ont guidé les amendements que nous proposons – je tiens, à ce titre, à saluer le travail réalisé par notre rapporteur.

Nous serons, ainsi, fidèles à ceux qui ont jeté les fondements de la formation professionnelle en France. Je veux, après vous, monsieur le ministre, rendre hommage à ce grand homme qui a été l’artisan de la loi de 1971 : Jacques Delors.

Mme Isabelle Le Callennec. Le président s’appelait alors Georges Pompidou et le ministre du travail Joseph Fontanet ! Vous réécrivez l’histoire !

M. Jean-Marc Germain. Ce fut une avancée majeure : la formation continue devient une priorité nationale et s’est vue dotée de moyens financés par les entreprises. La loi portait déjà une double ambition : l’éducation permanente, chère à Condorcet, accessible à chacun, quel que soit son rang social, mais aussi la possibilité de rattraper les déficits de connaissances et de compétences de chaque citoyen. En résumé, elle permettait d’améliorer son capital culturel et professionnel et de devenir ainsi un citoyen en fin de compte plus libre.

Nous connaissons les progrès accomplis depuis : la formation continue a pris une place importante dans notre pays et représente désormais près de la moitié du budget de l’éducation nationale.

Les limites aussi sont identifiées, et elles ont été rappelées tout au long de ce débat : l’effort de formation profite insuffisamment à ceux qui en ont le plus besoin, les moins qualifiés, les demandeurs d’emploi, les précaires, les salariés des PME. Et il finance des formations insuffisamment qualifiantes.

Dans ce contexte, il était temps de passer d’une obligation de dépenser à une obligation de former, d’un versement financier de chaque entreprise à un droit réel, garanti à chaque salarié, d’un droit perdu à chaque changement d’emploi à un droit de tirage véritablement portable. Et le vecteur de cette transformation, c’est le compte personnel de formation.

Ainsi, quarante ans après l’assurance chômage, coup sur coup, trois pierres importantes pour la constitution d’une sécurité sociale professionnelle auront été posées : la généralisation des complémentaires santé dans la loi de sécurisation de l’emploi, le compte individuel de pénibilité dans la loi sur les retraites, et donc, aujourd’hui, le compte personnel de formation ; des droits personnels, transférables, garantis collectivement.

Chers collègues, Jacques Delors avait intitulé son très beau rapport de 1996 sur l’éducation – où il appelait, d’ailleurs, à la création d’une « banque du temps choisi » pour permettre à chacun de se former tout au long de la vie – : « L’éducation, un trésor à l’intérieur ». Il se référait, en l’adaptant, à cette belle fable de La Fontaine, Le laboureur et ses enfants :

« Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,

Fit venir ses enfants.

Gardez-vous, de vendre l’héritage de nos parents

Un trésor est caché dedans.

Le père mort, les fils retournent le champ

Deçà, delà, partout ; si bien qu’au bout de l’an

Il en rapporta davantage.

D’argent, point de caché.

Mais le père fut sage

De leur montrer avant sa mort

Que le travail est un trésor. »

Oui, la formation est un trésor ! Elle n’est pas le remède miracle à tous les maux de notre pays, mais elle est certainement un trésor. Notre responsabilité, aujourd’hui, à travers ce débat, est d’en tirer le meilleur pour le bien de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir un texte dense et complexe de vingt-deux articles et de plus de cent pages. Ce projet de loi traite à la fois de la formation, de l’emploi, de l’apprentissage, de l’orientation, de la gouvernance et du fonctionnement de la démocratie sociale ou encore du renforcement du rôle des inspections du travail.

Il s’agit, certes, d’un texte important, mais il aurait aussi mérité un examen plus serein. Nous avons commencé à l’examiner en commission des affaires sociales alors qu’il n’était pas encore passé devant le Conseil d’État, ni même adopté en Conseil des ministres. Une fois encore, monsieur le ministre, nous travaillons dans la précipitation, précipitation qui a conduit le rapporteur à multiplier les amendements rédactionnels, preuve, s’il en faut, d’un travail préalable de mauvaise qualité.

M. Jean-Frédéric Poisson. Exactement !

M. Gilles Lurton. Vos services, monsieur le ministre, ont eux-mêmes qualifié ce projet de loi de « texte TGV du point de vue de son élaboration et de son adoption par le Parlement », surtout quand nous savons – du moins je me le suis laissé dire – que les décrets d’application ne devraient pas être publiés avant le mois de septembre !

Mais venons-en au fond. L’article 1er du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale instaure un compte personnel de formation pour tout salarié à compter de l’année 2015. Ce  CPF remplacera le droit individuel à la formation, le DIF, et suivra chaque salarié durant toute sa vie professionnelle, y compris en cas de changement d’employeur ou de chômage.

Je suis de ceux qui pensent, effectivement, que la formation professionnelle doit devenir un levier de compétitivité, en donnant aux salariés les compétences qui permettent à nos entreprises de s’adapter à l’évolution du marché du travail. Nous savons aujourd’hui que d’ici quinze à vingt ans, 20 à 30 % des métiers exercés actuellement ne seront plus les mêmes demain. Nous devons anticiper cette évolution.

En ce sens, monsieur le ministre, votre projet contribue à ce que la formation soit considérée, non plus comme un étau de contraintes, mais comme un véritable investissement pour l’avenir.

Je partage également ce choix de rendre le salarié responsable de sa formation. S’il travaille deux ans dans une entreprise, puis trois ans dans une autre, en ayant éventuellement connu entre-temps une rupture d’emploi, son compte pourra être activé de la même façon. Sa responsabilité et sa liberté de choix en seront augmentées et le salarié, par là même, valorisé.

Je persiste, cependant, à exprimer de nombreuses craintes pour les droits des publics prioritaires, les demandeurs d’emploi, les personnes en situation de fragilité ou de handicap. Au-delà de l’importance que j’attache à la formation des salariés et que je viens de démontrer, ce sont ces publics prioritaires qui, à mon avis, ont le plus besoin d’être soutenus et qui se trouvent aujourd’hui baladés de guichet en guichet, de formation en formation sans qu’elles n’aient de réels rapports avec l’emploi recherché.

Votre projet, monsieur le ministre, ne répond pas à votre objectif annoncé de changer cette situation difficile des demandeurs d’emploi. Tout d’abord, s’agissant du nombre d’heures de formation, le passage de 120 à 150 heures pour les salariés est une réelle avancée – je vous l’ai dit. Cependant, le demandeur d’emploi a, lui, davantage besoin de formation mieux adaptée à sa situation personnelle et de formation réellement qualifiante, débouchant sur l’emploi. Et même avec trente heures de formation supplémentaires, le compte me paraît insuffisant pour parvenir à cet objectif. Pour moi, le demandeur d’emploi a surtout besoin d’être accompagné.

Votre projet ne fera que compliquer sa situation et la mutualisation des financeurs potentiels à laquelle il devra recourir ne deviendra pour lui qu’un véritable parcours du combattant. Le demandeur d’emploi a, plus que tout, besoin d’un référent, d’une personne qui le connaisse et qui l’accompagne dans ses démarches. C’est à cet objectif qu’il faut aboutir et je n’ai pas trouvé cela dans votre projet de loi, monsieur le ministre.

Plusieurs autres aspects de votre projet ont déjà été abordés par mes collègues. Je voudrais également revenir sur l’article 20 qui accorde un pouvoir renforcé aux inspecteurs du travail, un pouvoir de contrôle sur tous les documents des entreprises sans exception, une capacité à sanctionner sans préalable. Et une fois encore, monsieur le ministre, à travers les différents textes présentés au Parlement, votre majorité instaure un climat de suspicion permanent, particulièrement désagréable vis-à-vis des entrepreneurs.

M. Michel Sapin, ministre. Monsieur Chassaigne vient de dire l’inverse ! Quelqu’un doit avoir tort ! (Sourires.)

M. Gilles Lurton. Je partage un certain nombre d’idées avec M. Chassaigne, mais je ne les partage pas forcément toutes ! (Sourires.)

M. Julien Aubert. Bravo !

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous ne sommes pas obligés d’être d’accord avec M. Chassaigne !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Nous voilà rassurés !

M. Gilles Lurton. Ainsi, l’inspecteur du travail n’aura plus besoin de passer par le juge pour certaines infractions. Vous justifiez cette mesure par une volonté de désengorger les tribunaux qui peinent à traiter les procédures. Je vous demande pour ma part d’entendre les chefs d’entreprise qui craignent des abus et une complexité des recours.

Je souhaite enfin m’arrêter quelques instants – nous l’avons déjà fait à plusieurs reprises – sur la question fondamentale de l’apprentissage. C’est une voie de formation qualifiante pour préparer nos jeunes au marché du travail. Beaucoup de jeunes apprentis restent dans l’entreprise une fois leurs diplômes obtenus et nous avons à revaloriser l’apprentissage si nous voulons mener à bien la bataille de l’emploi.

Contrairement aux emplois d’avenir et aux contrats de génération, il ne s’agit pas là de création d’emplois financés par des fonds publics et pesant en conséquence sur l’impôt ou augmentant le déficit de notre pays. Malheureusement, nous connaissons aujourd’hui un net recul des entrées en apprentissage. Après trois années de hausse consécutive, nous avons décompté 30 000 apprentis en moins l’année dernière.

Je vous ai alerté à plusieurs reprises sur ce problème et, à chaque fois, vous m’avez répondu qu’il n’y avait pas de réduction. Pourtant les chiffres sont là et parlent d’eux-mêmes.

Mme Isabelle Le Callennec. C’est du déni de réalité !

M. Gilles Lurton. Il faut remonter à 2005 pour trouver trace d’un bilan aussi négatif.

Les contrats de professionnalisation, qui représentent l’autre dispositif d’alternance, marquent également un sévère coup d’arrêt, avec une baisse de 5,2 %.

Monsieur le ministre, vous venez de m’informer de votre souhait d’orienter une part plus importante de la taxe d’apprentissage vers l’apprentissage lui-même et de renforcer ainsi les moyens des régions. Vous souhaitez également accentuer la part de la taxe affectée aux centres de formation des apprentis. Cela me paraît plus que nécessaire, quand nous connaissons les difficultés rencontrées par les centres de formation pour fonctionner de façon optimale et financer des formations qualifiantes.

Malheureusement pour vous, le Conseil constitutionnel a annulé les dispositions correspondantes inscrites dans le projet de loi de finances rectificative pour 2013, en considérant que le taux de répartition de la taxe entre la fraction régionale et la part dite « quota » destinée au CFA devait être fixée par la loi et non par décret.

Cette décision du Conseil constitutionnel est la conséquence des mesures que vous avez vous-même adoptées et elle ne fera, malheureusement, que retarder l’impulsion indispensable à la relance de la formation par l’apprentissage. Vous en portez aujourd’hui la responsabilité.

Mme Isabelle Le Callennec M. Lionel Tardy et M. Jean-Frédéric Poisson. Exactement !

M. Gilles Lurton. Alors que le Président de la République nous parle de pacte de responsabilité à grand renfort de communication, ses ministres compliquent au jour le jour la vie des entrepreneurs, celle des salariés, celle des demandeurs d’emploi et des jeunes, qui aspirent à se former.

Chaque jour, les entreprises se trouvent de plus en plus étranglées, et si je ne peux qu’approuver la volonté de développer la formation professionnelle à tous les niveaux, je pense que votre texte ne fera qu’accentuer la méfiance et le découragement des entreprises. Vous avez là, monsieur le ministre, une explication de l’augmentation ininterrompue de la courbe du chômage.

Pour ce qui concerne mon vote sur votre texte, je prendrais ma décision en fonction de votre capacité à nous écouter…

Mme Isabelle Le Callennec. Pour une fois !

M. Gilles Lurton. …et à accepter les amendements que nous avons déposés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le ministre, nous sommes, ainsi qu’un certain nombre de mes collègues de l’opposition l’ont souligné tout au long de cet après-midi, davantage dans le discours que dans la réussite. Nous vous avons entendu ici faire plusieurs fois référence au pacte de responsabilité : nous attendons maintenant d’en connaître le contenu.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Ça vient !

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous dites que ce texte en fait partie. Dont acte ! Il n’est pas question ici d’un procès d’intention : nous jugerons sur les résultats.

Une de nos collègues a précédemment parlé, à cette tribune, d’occasion manquée. Du point de vue de la méthode, une partie au moins du projet de loi que vous nous présentez est, à mon sens, une occasion manquée. En effet, sur tous les sujets abordés par ce texte tels que la formation professionnelle, la représentativité patronale, la représentativité syndicale – déjà réformée par la majorité précédente en 2008 –, il était tout à fait possible, même pourquoi pas – soyons fous ! – concernant l’inspection du travail, de parvenir à un accord, donc de partager un certain nombre d’avancées. Faute de temps, d’autant que vous avez annoncé officiellement tout à l’heure le dépôt de deux amendements qui bouleverseront sans aucun doute l’économie de ce texte, il ne nous a pas été possible de nous entendre sur ces objectifs qui, pourtant, peuvent être partagés par tous.

J’entendais dire voilà quelques instants que, depuis la loi Delors de 1971, soutenue d’ailleurs, je le rappelle au passage, par Georges Pompidou et Joseph Fontanet, il n’y aurait eu que peu d’avancées. C’est oublier les textes de 2004, ceux de 2009 et la loi de 2011 de notre collègue Gérard Cherpion que je salue ici. Nous avons tous cherché à trouver des solutions sur un sujet difficile. Personne ne vous reproche d’essayer d’en trouver d’autres, mais il est dommage de n’avoir pas su prendre le temps nécessaire pour nous rassembler et faire en sorte que nous soyons tous favorables au texte que vous présentez.

J’ai un regret d’ordre plus technique. Nous aurions en effet pu également trouver l’occasion, avec ce texte, de définir plus précisément la notion de branche que les « travaillistes » – je parle des avocats spécialisés en droit du travail et non des Anglais ! – connaissent bien. Son périmètre clair manque cruellement en effet dans les textes sociaux. Mais je ne m’attarderai pas sur ce détail technique qui relève peut-être plus d’une lubie personnelle.

Concernant la formation professionnelle, nous n’émettrons que peu d’objections à la mise en œuvre d’un compte personnel et à la régionalisation de la politique de formation professionnelle. Sur ce dernier plan toutefois, des amendements nous permettront de discuter des modalités, lesquelles nous paraissent extrêmement compliquées et très administratives, voire peut-être un jour très politiques. En effet, nous n’avons pas la garantie qu’il n’y aura pas, en fin de compte, une gestion politisée de la formation professionnelle, ce qui serait un drame. En effet, pour connaître la façon dont certaines régions traitent aujourd’hui des sujets d’intérêt général, je me dis qu’en théorie la formation professionnelle pourrait ne pas échapper à une telle dérive, ce qui serait dommageable pour tous.

S’agissant de l’apprentissage, tout le monde a pu constater un affaiblissement. Aucune solution particulière n’est apportée dans ce texte pour le renforcer. Personne ne sait comment vous pourrez atteindre l’objectif annoncé de 500 000 contrats d’apprentissage en 2017. Il ne serait que temps de l’admettre et de ne pas attendre la fin de 2016 pour reconnaître l’échec en la matière.

Pour ce qui est du financement du paritarisme, je fais partie de ceux qui ont milité pour que la séparation soit claire entre, d’un côté, le soutien aux organisations patronales et syndicales pour former leurs acteurs et leurs instances et, de l’autre, la formation professionnelle proprement dite. Je n’émettrai donc aucune critique sur ce point. Le système me paraît – je m’exprime à titre personnel – pertinent et ne me pose pas de problème particulier.

Avant d’aborder les deux derniers points de mon intervention, je tiens à évoquer l’amendement déposé en commission des affaires sociales et qui a quasiment détruit les efforts consentis depuis quelques années par les fédérations professionnelles des particuliers employeurs. Je ne comprends pas pourquoi la commission est revenue sur les dispositions permettant de disposer de délais supplémentaires pour la formation professionnelle des salariés des particuliers employeurs. Il est vrai que leur statut est spécial et que celui-ci peut difficilement être pris en compte dans le cadre plus général de votre texte. Il me semble, pour autant, que les dispositions adoptées par la commission et tendant à modifier votre projet annihilent les efforts de professionnalisation, de dialogue interne à ces fédérations régionales comme nationales. Je ne vois pas là un bon signal pour tous ceux qui, dans cette situation si difficile et si particulière, œuvrent en faveur du dialogue social et de la professionnalisation, concernant un travail qui est aussi digne que beaucoup d’autres missions.

S’agissant des deux derniers points sur lesquels je souhaite, monsieur le ministre, appeler votre attention, autant je suis d’accord avec vous sur le premier, à savoir la représentativité patronale, autant je suis en désaccord concernant le second.

S’agissant de la représentativité patronale, mon collègue Cherpion me permettra en effet d’avoir une appréciation légèrement différente de la sienne. Votre texte, en l’état actuel, soulève un seul problème : la détermination de deux clés d’estimation de la représentativité. La première clé est fondée sur les seules adhésions au niveau de la branche et la seconde croise les adhésions et les effectifs à l’échelon supérieur.

Je comprends les raisons pour lesquelles vous avez souhaité mettre en place ce dispositif – j’ai, en effet, évoqué à plusieurs reprises ces sujets avec M. Combrexelle. Pour autant, je considère qu’il rend le système moins lisible et qu’il peut ne pas correspondre à la réalité d’un certain nombre de branches professionnelles pour lesquelles un système de représentativité fondé, par exemple, sur le chiffre d’affaires ou sur la valeur ajoutée, serait préférable. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement tendant à permettre aux branches professionnelles de disposer d’un délai de deux ans pour trouver le système leur convenant mieux, sachant que la loi s’appliquerait faute d’accord.

Vous me répondrez sans doute qu’elles auraient pu depuis longtemps faire un effort. J’ai en effet moi-même remis à l’un de vos prédécesseurs un rapport sur le sujet, les invitant à se mettre au travail en la matière, ce qu’elles n’ont pas fait. Je sais tout cela.

M. Michel Sapin, ministre. Vous n’avez pas été écouté ! C’est vous dire !

M. Jean-Frédéric Poisson. Si nous avions quelque pouvoir sur le patronat, cela se saurait, monsieur le ministre du travail ! N’en faites vous pas aussi l’expérience presque tous les jours ?

En tout état de cause, il doit être possible de recourir à la convention tout en la limitant dans le temps. C’est ce que je vous proposerai. Concernant en tout cas cette question de la représentativité patronale, il convenait, comme on dit trivialement, d’amorcer la pompe. Le système proposé n’est pas parfait, mais il n’existe pas de système parfait, sachant d’ailleurs que je ne partage pas l’avis de notre collègue André Chassaigne : les salariés, et pas seulement les organisations patronales, sont également concernés par cette représentativité.

Dernier point, l’inspection du travail. Je formulerai à cet égard deux critiques principales. D’une part, le fait d’accroître la sphère des sanctions administratives et de donner des pouvoirs accrus en la matière aux futurs contrôleurs du travail me paraît de nature à déstabiliser potentiellement de nombreuses entreprises. D’autre part, le droit d’accès aux documents m’apparaît comme une orientation incompréhensible de votre projet de loi. Que peut en effet rapporter à un inspecteur du travail la possibilité d’emporter des plans industriels ou des brevets bénéficiant d’une protection judiciaire nationale ou internationale ? De tels documents n’ont, à l’évidence, rien à faire dans la sacoche d’un inspecteur du travail aussi précis et pointilleux soit-il, et il est regrettable que votre texte ne fixe aucune limite en la matière ! Une telle forme d’atteinte à la propriété industrielle, à la propriété privée, à la liberté d’action et de décision des entreprises ne peut qu’inquiéter les chefs d’entreprise, qu’ils aient ou non quelque chose à se reprocher. Il est nécessaire de limiter le nombre de documents qui doivent être mis à la disposition des inspecteurs du travail, en particulier si lesdits documents doivent sortir de l’entreprise. Cela peut être d’autant plus grave lorsqu’il s’agit de produits ou de services protégés d’une manière ou d’une autre sur le plan juridique. Cette forme de compétence illimitée ne convient pas à la vie économique des entreprises.

Telles sont, monsieur le ministre, les observations que je souhaitais faire sur ce sujet. En attendant, je fais mienne la position de principe de notre collègue Cherpion sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Allons, il est présent depuis le début !

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur qui va nous rejoindre,…

…mes chers collègues, je m’étonne, en préambule que, sur un texte concernant l’emploi et la formation professionnelle, aucun député du groupe écologiste ne soit présent ce soir dans l’hémicycle. Sûrement sont-ils occupés à rédiger dans la précipitation un texte de loi sur la PMA et la GPA alors que l’emploi, le pouvoir d’achat et la fiscalité sont des priorités pour les Français !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Lorsque nous avons discuté du projet de loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes, vous n’étiez pas nombreux à l’UMP !

M. Lionel Tardy. J’espère qu’ils nous rejoindront lorsque nous examinerons les amendements.

Une fois n’est pas coutume, je commencerai mon intervention par une question : monsieur le ministre, où est l’urgence ? Où est l’urgence à examiner un texte issu d’un accord, lequel date seulement du 14 décembre dernier, qu’il a donc fallu transformer à la hâte en projet de loi et que vous souhaitez voir voté en un mois « top chrono » ? Autant le dire et le redire tout de suite, les conditions d’examen de ce texte sont tellement déplorables qu’elles en deviennent presque insultantes, comme l’a souligné André Chassaigne, pour nous parlementaires, mais aussi pour tous les acteurs de la formation professionnelle et du travail. Ainsi, les entreprises, les bénéficiaires et les inspecteurs du travail, faute de temps sur un projet de loi très technique, n’ont pas eu leur mot à dire, tout comme nous d’ailleurs !

Une seule chose me réjouit, ne serait-ce que légèrement, c’est que vous nous fassiez, enfin, monsieur le ministre, l’honneur de votre présence, ce soir, dans l’hémicycle. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Cela n’était malheureusement pas le cas en commission, mercredi dernier. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Était-il là ? Non !

M. Thomas Thévenoud. Vous n’allez pas faire l’appel pendant toute votre intervention !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Il est venu quinze fois en commission ! L’intermittent en commission que vous êtes, cela suffit !

Mme la présidente. Seul M. Tardy a la parole, mes chers collègues !

M. Lionel Tardy. Nous aurions eu pourtant, mercredi dernier, bien besoin d’être éclairés sur les intentions du Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Thomas Thévenoud. Vous avez quelque chose à dire sur le fond ? Vous n’allez pas faire l’appel pendant toute votre intervention ! Car nous aussi nous pourrions alors demander où sont les Copé et les Fillon !

M. Lionel Tardy. Mais, qu’importe, les questions demeurent les mêmes et nous ne manquerons pas de les poser à nouveau.

M. Thomas Thévenoud. Christian Jacob est absent ! François Fillon est absent !

M. Lionel Tardy. Ces questions sont d’autant plus légitimes, considérant le nombre colossal de dispositions réglementaires que devrait générer ce projet de loi.

M. Thomas Thévenoud. Guaino a disparu ! Où est Bruno Lemaire ?

M. Lionel Tardy. Dans la version actuelle, j’ai compté une soixantaine de renvois à des décrets !

M. Thomas Thévenoud. Nathalie Kosciusko-Morizet est dans le métro et Valérie Pécresse est dans le RER !

M. Lionel Tardy. Quoi qu’il en soit, il y a deux réponses que je souhaiterais ne pas avoir à entendre lors de la défense de mes nombreux amendements.

Premièrement, « le débat a déjà eu lieu en commission », car il a eu lieu sans le représentant du Gouvernement pourtant à l’origine du texte.

Deuxièmement, « il faut respecter l’accord à la lettre ». En effet, cet accord n’est pas une loi et tout le monde sait bien qu’il n’a pas fait l’unanimité. Il n’est donc pas parfait et nous y sommes ici pour l’améliorer.

Ne soyez pas non plus étonnés que je me transforme en porte-voix des grands perdants de ce texte : les petites et moyennes entreprises et, avec elles, leurs salariés, soit 52 % de l’emploi en France. En effet, entre les entreprises de moins de dix salariés et les grands groupes – plus de 300 –, il y a toute une tranche d’entreprises pour qui l’accord national interprofessionnel et, par conséquent, ce projet de loi sont en trompe-l’œil. Le problème de fond est que l’on a transformé les obligations de dépenses incombant aux PME en obligations d’agir sans prévoir les moyens correspondants.

Au final, la formation professionnelle en prend un coup. Oui, elle coûte cher. Oui, le nerf de la guerre est bien une question d’argent, mais ce genre d’esquive n’est pas sérieux. J’y reviendrai lors de la discussion des articles avec des propositions à l’appui afin de rectifier le tir et de ramener un peu de raison et d’équité dans les différents dispositifs proposés. En ce qui concerne la simplification pourtant nécessaire, il faudra sans doute attendre le prochain texte, car elle n’est malheureusement toujours pas à l’ordre du jour.

Même si j’admets que la tâche est complexe, hormis la fusion de deux comités Théodule, j’ai du mal à voir dans ce texte ce qui peut étayer la thèse d’une simplification du système que le Gouvernement défendait pourtant, me semble-t-il. Or il n’est pas difficile de le constater en lisant ce texte, la mécanique est encore plus complexe qu’elle ne l’était déjà. Il en va de même pour les obligations administratives. Les entreprises devront, par exemple, rédiger tous les deux ans un bilan écrit suite à un entretien mené avec le salarié et un autre tous les six ans pour récapituler son parcours professionnel !

Si cet entretien n’a pas lieu, il est prévu de pénaliser l’entreprise sous la forme d’un abondement de 100 heures au compte personnel de formation. Outre l’obligation de produire un énième document, cet exemple précis est déplorable, car il traduit à mes yeux une vision par la contrainte de la formation professionnelle. Cela se vérifie encore lorsque l’on constate que les mécanismes de mutualisation pour financer les actions de formation sont mis de côté. De même, le flou règne sur les contributions volontaires des entreprises, un levier qu’il serait pourtant opportun d’activer.

Enfin, sur l’apprentissage, l’espoir n’est malheureusement pas davantage permis. Le projet de loi confirme ce que l’on avait déjà constaté depuis 2012 : le Gouvernement a décidé de privilégier ses fameux « emplois d’avenir », quitte à faire de la vente forcée, au détriment de l’apprentissage qu’il a définitivement décidé d’exclure de la liste de ses priorités. Comme pour l’objectif des 500 000 logements par an, je crains que celui des 500 000 apprentis d’ici à 2017 ne finisse par devenir une nouvelle chimère gouvernementale.

M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !

M. Lionel Tardy. Heureusement, grâce aux amendements adoptés par la commission des affaires culturelles, les centres de formation des apprentis – les CFA – recueillent de nouvelles obligations littéraires. ils auront pour mission de favoriser la promotion sociale et la mixité. La belle affaire ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme Ségolène Neuville. Machiste !

M. Lionel Tardy. Sur ce point comme sur les autres, c’est donc une vision à court terme qui a dominé. Le choix du court terme pour ce qui est censé construire l’avenir, l’emploi et la formation professionnelle, voilà qui est plus que paradoxal. Entre court-termisme dans les délais d’examen et court-termisme dans les idées et les solutions incomplètes, ce texte, finalement, est cohérent ; mais ce n’est pas la cohérence que l’on aimerait voir, c’est celle qui consiste à en nier les défauts, le rapporteur se complaisant dans la répétition et la poursuite de ses certitudes, hors de la réalité.

Vous l’aurez compris, j’entame l’examen de ce projet avec de nombreuses interrogations, en formant malgré tout le vœu que les arguments de tous puissent être entendus et trouvent enfin une réponse.(Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Morin.

M. Hervé Morin. Monsieur le ministre, le volet formation professionnelle de ce texte aurait pu marquer notre législature, il rejoindra malheureusement le cimetière des lois inachevées. Ce n’est pas réellement de votre responsabilité puisque c’est le fruit d’un accord des partenaires sociaux.

Je le regrette car le sujet est essentiel, tout le monde l’a souligné : accompagner la création de métiers, se former tout au long de la vie, faire émerger de nouvelles spécialisations, offrir aux salariés plus de sécurité dans un environnement économique en mutation constante, donner plus de confiance aux Français dans l’avenir grâce, notamment, à un système de formation qui marche plutôt que d’empiler des règles et des carcans et de construire dans le code du travail des murailles censées les protéger alors que, finalement, elles finissent toujours par s’effondrer.

Souvent par manque de courage, et sur tous les bancs, on ne dit pas assez que l’économie et la croissance, c’est un cycle permanent de destruction et de création d’emplois – ce n’est pas moi qui le dis, c’est Schumpeter –, et non cette idée fausse d’une pérennité infinie des emplois et des postes ; d’où l’importance des politiques d’anticipation et de formation.

Ce qu’il faut, c’est protéger la personne en lui permettant d’évoluer plutôt que tenter de protéger des emplois qui, de toute façon, finiront par disparaître. Pour cela, la formation est bien entendu un bouclier majeur.

Ce texte était également l’occasion de donner corps aux recommandations des nombreux rapports, aussi unanimes les uns que les autres, dénonçant le gaspillage ou le manque d’efficacité des 32 milliards des fonds de la formation professionnelle et son organisation aussi opaque qu’inefficace.

Quand ce texte sera voté, très peu de choses auront réellement changé. Les objectifs du projet que vous nous présentez aujourd’hui – sécuriser les parcours professionnels, déployer le compte personnel de formation, améliorer l’accès à la formation de ceux qui en ont le plus besoin, faire de la formation professionnelle un investissement de compétitivité dans l’entreprise – sont aussi ambitieux que les propositions issues des partenaires sociaux sont en vérité et malheureusement inabouties.

Nous sommes face à une réforme embryonnaire qui tente de simplifier l’énorme tuyauterie de la formation sans remettre en cause son architecture principale, source pourtant de nombreux dysfonctionnements dont souffre notre système. Permettez-moi de les considérer les uns après les autres.

La formation des individus d’abord.

Le CPF succède au DIF. Il y a bien la portabilité mais je ne vois que très peu d’autonomie supplémentaire et très peu de droits nouveaux pour les salariés et les demandeurs d’emploi. On change de sigle pour donner l’apparence du changement pour que rien ne change. C’est très classique dans l’administration et le système français. Le volume d’heures de formation reste en effet trop faible : 150 heures sur neuf ans, c’est à peine trente heures supplémentaires par rapport au DIF, et c’est l’équivalent d’un mois de formation. Libellé en euros, c’est encore plus frappant, cela représente une enveloppe de 240 euros par an et par individu, en prenant pour référence le tarif de l’heure de formation du DIF fixé par décret. C’est un chiffre à la fois très éclairant et édifiant au regard des immenses moyens nécessaires pour développer l’employabilité des salariés les plus précaires et des chômeurs, face aux défis de la concurrence et des mutations technologiques.

Je ne vois pas non plus dans ce dispositif, et c’est le plus grand reproche que je ferai, ce qui va permettre de corriger les très fortes inégalités d’accès à la formation entre qualifiés et moins qualifiés. Le CPF est en effet un dispositif uniforme qui ne tient pas compte du salaire, alors qu’il aurait fallu augmenter les ressources au profit des individus les moins employables, prendre en compte la distance de la personne par rapport à l’emploi et ses besoins de nouvelles compétences.

Deuxième enjeu, réduire l’opacité du système. Là aussi, c’est un échec. Les partenaires sociaux maintiennent le rôle prépondérant et ambigu des OPCA, à la fois collecteur et redistributeur des fonds aux salariés, et vous renforcez en même temps le manque de lisibilité du système d’agrément des certifications. Si les OPCA ont peu d’utilité pour les salariés les moins qualifiés, ils en ont beaucoup pour les appareils syndicaux et, d’ailleurs, le patronat, si prompt à dénoncer l’absence de courage des politiques, appelant toujours à des réformes systémiques, condamnant les connivences de tous ordres, nous donne un bien bel exemple qu’il nous appartiendra de ne pas oublier dans nos conversations.

M. Arnaud Richard. Très bien !

M. Hervé Morin. Vous renforcez le pouvoir des partenaires sociaux sur le système de certification des formations éligibles au CPF en accentuant cette pratique qui oriente malheureusement trop souvent la manne financière de la formation professionnelle vers des prestataires proches desdits partenaires. Est-il indispensable d’avoir en France près de 60 000 prestataires, bénéficiant pour certains d’un agrément discutable, contre moins de 4 000 en Allemagne ? Se pose pour la formation la même question que pour les branches professionnelles, dont le nombre est infini. Autre sujet tabou et interdit de débat.

Troisième enjeu et troisième échec, l’efficacité des dépenses Je ne vois aucune mesure d’évaluation de ces dépenses de formation puisque l’on maintient un marché de la formation éclaté et pléthorique, source de saupoudrage, l’entreprise devant toujours passer par les OPCA.

Trois enjeux, trois échecs. C’est d’autant plus décevant que des solutions existaient.

D’abord, il faudrait supprimer tout plafond relatif à l’alimentation du compte personnel de formation. Dans l’état du texte, il sera crédité de vingt-quatre heures par année de travail à temps complet, tout au long de la carrière du salarié. Cette solution est censée permettre aux collaborateurs de toutes les entreprises, notamment aux salariés des TPE et des PME, d’accumuler un gros capital de formation qui pourrait être utilisé ensuite dans une logique de reconversion-réorientation professionnelle. Or, tout le monde le sait, c’est au moins 500 heures qu’il faudrait pour cela.

S’agissant de la réduction des inégalités d’accès à la formation entre qualifiés et moins qualifiés, nous proposons, à l’UDI, un système d’abondement inversement proportionnel à la formation initiale de la personne. Un tel mécanisme aurait le mérite de réduire les inégalités. En clair, la République a dépensé moins pour vous à l’école elle dépensera plus pour vous dans l’avenir si vous en avez besoin. Ce serait une vraie politique de formation qui permettrait de réduire les inégalités.

Je m’interroge par ailleurs sur la nature des formations éligibles au titre du CPF, qui s’apparente à une usine à gaz, avec des listes qui seront établies par les partenaires sociaux. Nous aurions voulu une politique d’évaluation et de certification indépendante des formations à travers la création d’une agence de certification. Inspirons-nous du Danemark, qui a fait ce choix, avec une agence nationale publique indépendante relevant du Parlement qui évalue la formation continue.

Enfin, nous proposons d’instituer un crédit d’impôt pour toute personne, qu’elle soit salariée ou à la recherche d’un emploi, abondant à son initiative son compte personnel de formation. En quelque sorte, on pourrait déduire de l’impôt sur le revenu les sommes que l’on déposerait sur ce compte de formation.

C’est réellement, monsieur le ministre, le texte des occasions manquées : frilosité, persistance de la complexité. C’est pourquoi je voterai contre ce projet, qui est un petit pas dans la complexité du système et certainement pas le grand pas dont les Français ont besoin dans ce monde nouveau. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui s’attelle à la lourde tâche d’opérer une profonde et nécessaire mutation de notre modèle de formation professionnelle en retranscrivant les objectifs des différents accords nationaux interprofessionnels intervenus depuis deux décennies. Il s’inscrit ainsi dans la continuité de la loi de sécurisation de l’emploi en pérennisant l’obligation de former.

Pour cela, il opère un véritable changement de vision de la formation professionnelle de la part du salarié comme de l’employeur, celle-ci devenant résolument non pas une charge, mais un investissement pour l’amélioration de la qualification des salariés et donc un atout pour la compétitivité de notre économie.

Pour ce faire, il remplace le droit virtuel qu’était le droit individuel de formation par un droit concret, le compte personnel de formation. Celui-ci permettra notamment de mettre en place un véritable droit à la formation initiale et permettra ainsi à des centaines de milliers de nos concitoyens d’accéder à une première qualification professionnelle. J’insiste sur ce point qui est particulièrement important dans la région que je représente, où plus d’un adulte sur deux ne possède aucun diplôme.

Concrètement, avec ce texte, la Région deviendra définitivement le chef de file de la politique de la formation. Cela permettra, à condition que les financements idoines lui soient attribués, contrairement à ce qui a souvent été le cas par le passé, de proposer aux salariés et aux non-salariés une offre de formation adaptée aux réalités du marché de l’emploi local. Cette condition est nécessaire au succès des politiques de formation pour l’emploi, et ce, particulièrement dans les territoires d’outre-mer, où les réalités de terrain sont sans commune mesure avec celles que l’on observe dans l’hexagone.

Je ne peux ainsi que saluer la cohérence qui se dégage de ce texte entre l’action du Gouvernement et les revendications présentées par les collectivités et les partenaires sociaux.

Toutefois, si je me réjouis de la volonté du Gouvernement de réformer en profondeur un système de formation professionnelle devenu définitivement obsolète et bien souvent inefficace, je ne peux m’empêcher, une fois n’est pas coutume, de tirer la sonnette d’alarme en ce qui concerne le marasme que connaît la formation, qu’elle soit initiale ou professionnelle, en Guyane. J’en veux pour preuve la convention cadre de partenariat pour l’accès à la formation et l’accompagnement vers l’emploi des publics en difficulté d’insertion signée le 11 janvier 2013 entre la région Guyane et le ministre délégué à la formation de l’époque, monsieur Thierry Repentin, par laquelle l’État reconnaît « la situation particulièrement préoccupante des jeunes en Guyane et leurs difficultés spécifiques d’insertion sociale et professionnelle ».

Vous me permettrez donc, monsieur le ministre, de profiter de cette tribune pour vous exposer la situation de cette région en proie à toutes les difficultés, nonobstant les réels progrès réalisés par les acteurs économiques durant ces derniers mois.

Selon les recensements de l’INSEE, la population guyanaise apparaît en moyenne moins diplômée qu’en métropole ou aux Antilles. Ainsi, près de 53 % des résidents guyanais âgés de plus de quinze ans déclarent ne posséder aucun diplôme, soit dix points de plus qu’aux Antilles et trente-trois de plus qu’en France hexagonale. En sus, seuls 8 % des actifs guyanais sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur long, équivalent ou supérieur à bac +3.

Selon une étude réalisée par l’institut national d’études démographiques, l’immigration observée en Guyane, sans commune mesure avec celle qui est observée sur le reste du territoire national, a une très forte incidence sur le bas niveau de formation des adultes. Il se trouve que 41 % des Guyanais en âge de travailler sont nés à l’étranger, et leur niveau de formation est particulièrement bas, puisqu’ils comptent 83 % de non diplômés, contre 48 % chez les natifs de Guyane et seulement 13 % chez les adultes nés en France hexagonale. C’est un fait, l’arrivée des personnes nées à l’étranger accroît de dix-neuf points la part d’actifs sans diplôme. Il n’empêche que, même sans ces arrivées, la Guyane compterait encore 30 % de non-diplômés, soit près du double de la France continentale.

Une autre vérité est que, à la différence de ce qu’on observe dans le reste des outre-mer, le flux migratoire de la Guyane vers la France hexagonale se solde par un excédent pour toutes les catégories de diplômes : les diplômés qui rejoignent la France hexagonale sont plus nombreux que ceux qui choisissent de rester en Guyane. On assiste tout simplement à une fuite des cerveaux, puisque 41 % des personnes nées en Guyane et titulaires d’un « bac plus deux » ou plus migrent vers la France hexagonale. En outre, selon les chiffres du rectorat de la Guyane, sur les 1 500 jeunes reçus au baccalauréat en 2013, seuls 1 000 ont choisi de poursuivre des études supérieures, dont 400 qui ont dû abandonner leur famille à cause de la pauvreté de l’offre de formation initiale offerte aux jeunes Guyanais.

Ces très mauvais chiffres s’expliquent, outre le fait de l’immigration massive, par l’importance du décrochage scolaire : 43 % des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans ne sont pas inscrits dans un établissement d’enseignement et ont quitté l’école sans un diplôme relevant de l’enseignement secondaire du second cycle. Même si ce taux a baissé de dix points en dix ans, il reste, en l’état, extrêmement préoccupant.

Les recherches sur les performances scolaires en Guyane montrent que seulement 40 % d’une classe d’âge accèdent à une seconde générale ou technologique, contre 78 % en moyenne dans l’hexagone. Notre système scolaire, malgré des situations différenciées, se caractérise par des performances moindres lorsqu’on le compare à celui de la France hexagonale, au regard d’indicateurs comme l’accès au lycée, la réussite aux examens ou l’accès à l’enseignement supérieur.

Ces mauvais résultats en matière de formation initiale, comme en matière de formation continue, se traduisent inévitablement dans les chiffres du chômage, qui frappe essentiellement les jeunes et les femmes. Les chiffres communiqués par Pôle emploi Guyane pour décembre 2013 ont révélé un nombre de chômeurs en hausse de 12 % sur l’année. On atteint même plus 30 % chez les hommes de moins de vingt-cinq ans.

Il est évident que le traitement de ce chômage bute sur de faibles niveaux de formation et des offres d’emploi trop limitées en nombre. Il faut bien se rendre compte de cette réalité ! Au risque de vous assommer de chiffres, je rappelle que seuls deux Guyanais sur cinq en âge de travailler occupent un emploi. C’est l’un des plus faibles taux d’emploi de France, avec un écart de vingt points avec la moyenne nationale. Ce taux d’emploi progresse bien moins vite que le nombre d’entrants sur le marché du travail, ce qui ne permet donc pas de réduire durablement le chômage.

Paradoxalement, la progression de l’emploi profite peu aux jeunes. Leur insertion sur le marché du travail reste difficile : pour près de mille jeunes entrant sur le marché du travail, seule une centaine trouvent un emploi. On en arrive à cette situation plus que préoccupante où plus d’un jeune Guyanais sur deux est touché par le chômage et sans diplôme. Dans ces conditions, on se rend bien compte que leurs perspectives de trouver un emploi et de s’épanouir sont réduites à peau de chagrin.

Vous comprendrez donc, après cet exposé, à quel point l’amélioration du niveau de formation est un objectif prioritaire pour la Guyane, et vous ne vous étonnerez pas des espoirs que nous mettons dans ce texte, sachant que le niveau de chômage s’explique en grande partie par le faible niveau d’études et de formation.

Il faut dire que nous ne sommes pas aidés par l’étroitesse de notre marché du travail ni par la faiblesse du secteur secondaire, qui se conjuguent avec une étroite dépendance vis-à-vis des commandes et des transferts publics, une forte sélectivité par rapport aux jeunes, aux femmes et aux non-diplômés, et un poids important du secteur informel. Il s’agit là, de fait, d’un micro-marché dopé par la consommation des ménages, avec un niveau de vie de type européen mais marqué par des écarts extrêmes de revenus. La surreprésentation du secteur tertiaire, qui englobe près de 80 % de la population active, par rapport aux autres secteurs de l’économie, a influencé et influence encore les jeunes dans leurs représentations du travail et dans leurs choix d’orientation scolaire puis de formation.

Il apparaît ainsi que les caractéristiques du marché de l’emploi représentent autant de contraintes qui empêchent la pérennisation des dispositifs pouvant être mis en place pour répondre à la demande de formation. Ces contraintes de structure ont un autre effet négatif, à savoir que l’offre de formation est peu diversifiée. Ces faits sont corroborés par les chiffres de Pôle emploi Guyane : les offres d’emploi concernant les ouvriers hautement qualifiés et les cadres sont difficilement satisfaites.

Ce constat relatif à l’inadéquation de l’offre à la demande d’emploi amène à poser le problème de l’adaptation des dispositifs de formation à la spécificité du marché du travail guyanais. Il montre le rôle que doit jouer la formation professionnelle continue au niveau des politiques d’ajustement entre l’offre et la demande d’emploi.

Par ailleurs, la répartition des compétences sur l’enseignement supérieur entre les trois départements que couvre l’Université des Antilles et de la Guyane ne facilitait pas la mise en place d’une offre de formation diversifiée dans chacun de ces territoires. La mise en place d’une université de Guyane de plein exercice, que nous avons obtenue pour la rentrée 2015, est, en ce sens, un pas vers l’adaptation des offres de formation au contexte local.

De même, nous nous félicitons que le projet renforce le rôle de la Région en matière de pilotage des politiques de formation professionnelle. Dans ce domaine, la Guyane a récemment entamé un remarquable virage avec la création en 2013 d’un établissement public industriel et commercial, l’Opérateur public régional de la formation professionnelle, qui résulte de la fusion des trois structures associatives historiques de formation professionnelle, lourdement déficitaires.

Cependant, alors que cette structure est entrée en vigueur le 1er janvier dernier, les premiers signes de faiblesse se font déjà sentir. La faiblesse des dotations allouées à la Région pour la formation, à savoir 27 millions par an pour 1 500 stagiaires et 700 apprentis, constitue un frein pour ainsi dire insurmontable quand il s’agit de relever les défis que pose la formation d’une population en situation particulièrement précaire.

Il faut bien comprendre que les réalités du territoire guyanais accroissent la charge publique et les inégalités : une lourde obligation de service de formation initiale différée, une mobilité intraterritoriale des opérateurs face à des publics souvent difficiles et d’une très grande hétérogénéité, un fort turnover des intervenants qui nuit à une bonne continuité des actions engagées, des opérateurs parapublics à bout de souffle et distants de leurs réseaux nationaux, des opérateurs structurellement déficitaires et regroupés sous un opérateur régional dont l’avenir semble déjà compromis. À cette liste, j’ajouterai des modes de conventionnement problématiques qui, sans surprise, ont pour conséquence une difficile adaptation de l’offre de formation aux besoins du tissu économique.

Malgré les efforts consentis par les socioprofessionnels, l’économie guyanaise est encore insuffisamment structurée en branches pour avoir une bonne connaissance des besoins en emplois et en formation par secteur. L’absence de mutualisation de ces besoins constitue un handicap au développement du marché de la formation, à la fois pour les commanditaires et les prestataires.

Toutes ces difficultés ne pourront malheureusement pas être surmontées par ce seul projet de loi en l’état. Cela justifie la présentation d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur la situation de la formation dans les outre-mer. C’est le sens de l’amendement que j’ai proposé après l’article 5. Ce rapport, qui permettra d’identifier l’ensemble des difficultés et freins rencontrés localement, pourrait être l’occasion de réfléchir à des mécanismes spécifiques permettant de pérenniser l’objectif affiché par votre gouvernement, qui est celui d’offrir à tous les citoyens de la République les mêmes chances de réussite, et ce, à toutes les étapes de la vie, que ce soit par la formation initiale ou la formation continue.

Je vous le redis, monsieur le ministre, il s’agit d’une impérieuse nécessité, non pas uniquement pour la Guyane, dont je vous ai exposé les difficultés, mais pour l’ensemble de nos concitoyens d’outre-mer, afin que nous sortions du marasme dans lequel nous ont plongés un chômage endémique et toutes les externalités négatives qui y sont associées.

Je n’ai pas rappelé tous ces chiffres pour vous embêter. C’est seulement que ce département, qui contribue au lancement de fusées de toute la planète, attend que le ministre que vous êtes lui porte un regard plus attentif. Il le mérite et je vous remercie d’avance. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDRquelques bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Ségolène Neuville.

Mme Ségolène Neuville. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’un sujet essentiel pour faire avancer l’égalité entre les femmes et les hommes : la formation professionnelle et l’apprentissage.

Sujet essentiel, car s’il existe encore aujourd’hui en France des inégalités salariales entre les femmes et les hommes, au-delà des différences de temps de travail, c’est parce que les femmes ne font pas les mêmes métiers que les hommes. Ainsi, dans notre pays, 98 % des aides à domicile et 99 % des assistants maternels sont des femmes. À l’inverse, 96 % des ouvriers de maintenance et 95 % des techniciens en électricité ou en électronique sont des hommes. Comment expliquer cette division sexuée du travail ? Certains – je me tourne vers la droite (Rires sur les bancs du groupe UMP) –…

M. Patrick Hetzel. Ça manquait !

Mme Ségolène Neuville. …pensent que les femmes, du fait de leur faiblesse physique naturelle, ne seraient pas faites pour certains métiers trop durs pour elles.

M. Jean-Frédéric Poisson. Qui a dit ça ?

Mme Ségolène Neuville. Comment expliquer alors qu’elles représentent 90 % des aides-soignants, métiers où l’on doit chaque jour soulever des personnes de plus de quatre-vingt kilos ?

M. Michel Sapin, ministre. Absolument !

Mme Ségolène Neuville. D’autres pensent que les femmes seraient naturellement constituées pour effectuer certaines tâches, et que cette tendance naturelle serait à l’origine des choix professionnels. J’aimerais que ceux-là nous disent s’ils ont identifié le gène qui nous permet, à nous, les femmes, d’être prédisposée à faire le ménage, à la maison comme dans notre travail.

À l’évidence, cette division sexuée du travail n’est pas liée à la génétique mais à l’influence des représentations collectives sur les choix des individus,…

M. Patrick Hetzel. Vous vous êtes trompée de texte !

M. Charles de La Verpillière. C’est d’un autre projet de loi que vous parlez ! Nous sommes mercredi !

Mme Ségolène Neuville. …et ce dès le plus jeune âge, puisque, en terminale, les garçons et les filles s’orientent différemment, les premiers vers le scientifique et le technologique, les secondes vers le littéraire et le social.

Ces choix des jeunes garçons et des jeunes filles sont dictés par des préjugés entretenus par la société tout entière, ce que l’on appelle les stéréotypes de genre. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Très bien !

Mme Ségolène Neuville. La place de chacun dans la société est prévue à l’avance et justifiée par son sexe. C’est exactement le même mécanisme qui existait du temps de l’esclavage, où l’on justifiait la place de chacun du fait de la couleur de sa peau. Ceux qui, aujourd’hui, récusent les études de genre sont des conservateurs qui veulent retourner à l’âge de pierre, les femmes dans la grotte et les hommes à la chasse. (Rires sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) Ils ont peur du progrès et de l’émancipation des femmes.

M. Patrick Hetzel. Elle s’est trompée de texte !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Pas du tout !

Mme Ségolène Neuville. À vous, madame et messieurs de l’UMP qui récusez les études de genre, je veux dire que, dans ce pays, les femmes sont libres et qu’elles entendent le rester, et que l’émancipation des femmes continuera de progresser, grâce à l’action de ce gouvernement et au travail de tous les parlementaires de la majorité.

Ainsi, cette réforme de la formation professionnelle (« Ah ! Enfin ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Lionel Tardy. Elle a retrouvé la page !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Non : il était indispensable de vous expliquer les choses !

Mme Ségolène Neuville. …permettra d’améliorer la situation professionnelle des femmes en luttant contre les stéréotypes de genre à tous les niveaux : dès l’apprentissage, mais aussi lors des choix d’orientation dans la formation professionnelle. C’est bien ce qui est prévu à l’article 11, dans le service public de l’apprentissage et de la formation professionnelle : favoriser l’égal accès des femmes et des hommes à toutes les filières. Certains diront que c’est de la littérature, mais la délégation aux droits des femmes est très satisfaite de cette rédaction, et nous savons, monsieur le ministre, combien vous êtes sensible à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Cette réforme va également améliorer la progression professionnelle des femmes et leur évolution salariale, grâce au compte personnel de formation créé à l’article 1er. En effet, les femmes ont souvent une carrière professionnelle hachée, et le compte personnel de formation, qui les suivra tout au long de leur vie, permettra d’atténuer les effets délétères des interruptions de carrière.

La délégation aux droits des femmes se félicite des avancées qu’apporte ce texte pour les femmes, et propose dans son rapport onze recommandations, selon trois grandes orientations : favoriser l’accès des femmes à la formation professionnelle continue, promouvoir la mixité des filières de formation et des métiers et développer la parité.

Mesdames et messieurs de l’opposition, que vous le vouliez ou non, dans chaque loi nous ferons avancer les droits des femmes, parce que nous avons été élus pour cela.

Pour finir, je voudrais m’adresser plus particulièrement aux femmes de cette assemblée.

M. Jean-Frédéric Poisson. Les hommes peuvent rester ?

Mme Ségolène Neuville. Je note qu’elles ne sont pas nombreuses à droite. Il faut que nous ayons chacune en tête que nous devons d’être là à toutes celles qui se sont battues avant nous contre les préjugés sexistes. Je ne citerai qu’une seule de ces femmes, parmi celles qui nous ont ouvert la voie, et c’est donc Simone de Beauvoir qui conclura mon propos, car elle a inventé le genre avant tout le monde, grâce à cette phrase devenue célèbre : « On ne naît pas femme, on le devient. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de La Verpillière.

M. Christian Paul. Ça va cliver !

M. Charles de La Verpillière. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, au moment où nous commençons l’examen du projet de loi sur la formation professionnelle, force est de reconnaître que son contenu n’est pas à la hauteur des ambitions affichées.

Comme souvent avec ce gouvernement, après les belles paroles, la montagne accouche d’une souris. Pourtant, les enjeux de la formation professionnelle sont considérables. C’est en premier lieu un enjeu social et économique : 3,3 millions de chômeurs, un taux de chômage des jeunes qui atteint 25 % et, en même temps, 132 000 postes qui ne trouvent pas preneur en raison de l’inadéquation entre les qualifications des travailleurs et les besoins des entreprises. Le second enjeu est financier. Chaque année, la France dépense 32 milliards d’euros pour la formation professionnelle initiale et continue. Le Gouvernement et le Parlement ont le devoir de s’assurer que chaque euro est dépensé à bon escient et qu’aucune somme n’est gaspillée ou détournée de son objet.

À l’aune de ces deux enjeux, monsieur le ministre, votre projet de loi n’est pas la grande réforme que vous annonciez.

M. Jean-Patrick Gille, rapporteur. Mais si !

M. Charles de La Verpillière. La principale déception concerne l’apprentissage. Tout le monde s’accorde pourtant à dire que les jeunes formés en apprentissage ont plus de chances que les autres de trouver un emploi. Sept mois après l’obtention de leur diplôme, 71 % des jeunes apprentis ont un emploi, contre 51 % seulement chez les jeunes issus de l’enseignement professionnel classique. C’est sans doute pourquoi le Président de la République lui-même a fixé pour objectif d’atteindre 500 000 contrats d’apprentissage par an en 2017.

Mme Isabelle Le Callennec. Encore faut-il s’en donner les moyens !

M. Charles de La Verpillière. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Gouvernement ne se donne pas les moyens d’atteindre cet objectif dans le texte que nous examinons.

M. Patrick Hetzel. Très juste !

M. Lionel Tardy. Comme pour le logement !

M. Charles de La Verpillière. Au contraire, trois lois que vous avez déjà fait voter avant celle-ci ont affaibli le dispositif de l’apprentissage. Premièrement, la loi de juillet 2013 sur la refondation de l’école, dite loi Peillon, a supprimé le dispositif d’initiation aux métiers en alternance, créé à l’initiative de notre collègue Gérard Cherpion, qui permettait à un jeune sortant de troisième d’entrer en apprentissage l’année de ses quinze ans. Deuxièmement, la loi de finances pour 2014 a divisé par deux le crédit d’impôt pour les entreprises employant des apprentis et supprimé l’indemnité compensatrice forfaitaire pour la remplacer par un dispositif de compensation partielle au détriment des régions.

M. Lionel Tardy. Exactement !

M. Charles de La Verpillière. Troisièmement, dans la loi de finances rectificative pour 2013, les dispositions sur la répartition du produit de la taxe d’apprentissage entre les régions et les centres de formation d’apprentis ont été annulées par le Conseil constitutionnel. Or votre projet de loi, qui est donc le quatrième en sept mois à traiter du financement de l’apprentissage, ne contient rien sur ce point et l’incertitude demeure à cet instant.

M. Michel Sapin, ministre. Cela vient !

M. Charles de La Verpillière. Monsieur le ministre, outre ce flou sur le financement, votre projet de loi ne contient aucune disposition de fond pour relancer l’apprentissage. Deux pistes au moins auraient pu être explorées. Il aurait d’abord fallu briser le tabou de l’âge. Est-il vraiment impensable d’envisager une entrée en apprentissage à quatorze ans ?

M. Denys Robiliard, M. Jean-Patrick Gille et rapporteur. Oui !

M. Charles de La Verpillière. Ensuite, il aurait fallu assouplir considérablement les contraintes de toutes sortes qui pèsent sur les employeurs et qui les dissuadent de prendre des apprentis. Il ne peut y avoir d’apprentissage sans un maître d’apprentissage motivé. Monsieur le ministre, seul le contrat d’apprentissage peut apporter une solution durable au chômage des jeunes et certainement pas les contrats d’avenir et autres contrats aidés dans le secteur non marchand : ils n’ont qu’un effet cosmétique à court terme sur les statistiques du chômage.

Pour terminer, je veux dire deux mots sur des amendements que le groupe UMP a déposés et dont nous espérons l’adoption. Ils visent à ce que les chambres consulaires soient représentées aussi bien au conseil national que dans les comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles.

M. Jean-Patrick Gille, rapporteur. C’est satisfait !

M. Charles de La Verpillière. Il nous semble que leur présence serait justifiée eu égard au grand nombre de centres d’apprentissage et de formation qu’elles ont créés et qu’elles administrent avec succès. Ce serait une amélioration utile apportée à un texte qui, je le répète, est bien décevant dans son ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Dubois.

Mme Marianne Dubois. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, ce projet de loi sur la formation professionnelle a été qualifié de « loi TGV ». De fait, si certains projets passent aux oubliettes, le temps de négocier les échéances électorales, d’autres, pour les mêmes raisons mais avec l’espoir d’effets inverses, doivent être parcourus au pas de course. Le texte, à peine présenté au conseil des ministres le matin du 22 janvier, était soumis par M. le ministre à la commission des affaires sociales l’après-midi même, alors que certains députés lui faisaient remarquer qu’il n’aurait pas été dénué de sens qu’il participe au débat en cours en séance publique sur l’évaluation de la loi du 14 juin 2013 et de ses effets sur la sécurisation de l’emploi. Rappelons encore que ce projet de loi prévoit de désigner les régions comme pilotes de la formation professionnelle, amorçant ainsi une décentralisation. Cependant, on nous annonce une très prochaine loi sur la décentralisation, qui fera date nous dit-on.

Cette précipitation sur la forme n’est malheureusement pas sans effet sur le fond de ce texte. On peut ainsi s’interroger sur l’absence ou l’oubli de pans entiers de notre économie – les « hors-champ » – : l’économie sociale et solidaire, les professions libérales ou l’agriculture. S’agissant de la forme encore, si ce texte a surpris par ses omissions, il a également étonné par l’article consacré à l’inspection du travail. On se demandait, ce week-end, sur le marché de Pithiviers, ce que venait faire l’inspection du travail dans ce texte. (Sourires.)

M. Michel Sapin, ministre. Nul doute que c’est une question que l’on se posait sur le marché de Pithiviers !

Mme Marianne Dubois. Quel travail sérieux et de fond allons-nous pouvoir faire sur un tel sujet en si peu de temps ? Je vous épargne les dizaines de courriels reçus à ce seul sujet.

M. Thomas Thévenoud. Peser les betteraves ?

Mme Marianne Dubois. Il y a en effet des betteraves à Pithiviers, mais il n’y a pas que cela !

M. Thomas Thévenoud. Je l’espère bien, pour le standing du marché de Pithiviers.

Mme Marianne Dubois. Il n’y a pas que des imbéciles qui habitent Pithiviers.

Après la forme, venons-en au fond. L’année 2013 a révélé de mauvaises tendances sur lesquelles il convient de revenir objectivement, sans polémiquer outre mesure. Pour la clarté des débats, il me faut rappeler que des tendances fortes se sont dessinées avec la non-inversion de la courbe du chômage ainsi qu’un recul marqué de l’intérim ces douze derniers mois. Selon les données provisoires de la Dares, seuls 273 000 contrats d’apprentissage, DOM inclus, ont été signés en 2013, contre 297 000 en 2012. Ce net recul de 8,1 % marque une rupture après trois années de hausse. À titre de comparaison, en 2009, au beau milieu de la crise, les entrées en apprentissage avaient été supérieures. L’autre dispositif d’alternance, les contrats de professionnalisation, connaît le même sort avec un recul de 5,2 % l’an dernier, soit 117 000 contrats signés contre 125 200 en 2012. L’apprentissage n’a pas été sanctuarisé dans notre pays et nous le regrettons. Pis encore, nous sommes alertés par les acteurs de terrain que sont les chambres de commerce et d’industrie sur l’inéluctable recul de l’apprentissage directement lié aux coupes budgétaires.

M. Jean-Frédéric Poisson. Exactement !

M. Denys Robiliard. Eh bien, voyons !

Mme Marianne Dubois. Depuis cet été, les acteurs concernés ne cessent de tirer le signal d’alarme. Dans ces conditions, monsieur le ministre, comment allez-vous tenir votre objectif maintes fois affiché de passer de 435 000 jeunes en alternance aujourd’hui à 500 000 en 2017 ?

M. Jean-Frédéric Poisson. On se le demande !

M. Lionel Tardy. C’est mort !

Mme Marianne Dubois. Va-t-il subir le même sort que l’objectif d’inversion de la courbe du chômage en 2013 ? Permettez-moi de comparer la situation de notre pays avec celle de l’Allemagne. En France, 435 000 jeunes sont en apprentissage contre 1,5 million en Allemagne, soit 60 % d’une classe d’âge. Il est vrai qu’en Allemagne l’âge minimal d’entrée en apprentissage a été abaissé à treize ans, alors qu’il y a peu, la majorité actuelle le portait à seize ans en France. J’ai interpellé le Gouvernement en septembre dernier sur ces jeunes, obligés du fait d’une loi dogmatique de perdre une année à s’ennuyer sur les bancs d’un lycée, en attendant d’atteindre l’âge légal. La réponse, six mois plus tard, est éloquente : on nous dit que les jeunes sont accueillis en milieu scolaire. Voilà la traduction de l’intérêt porté à la formation professionnelle et plus particulièrement à l’apprentissage. Pouvons-nous croire un seul instant que ce texte et le précédent sur la refondation de l’école nous fournissent les moyens de rattraper notre retard et de nous mettre en adéquation avec le monde d’aujourd’hui ? Personne ne peut y croire pour l’unique raison qu’il faudrait au préalable changer le paradigme et reformater notre vision de l’éducation, c’est-à-dire mettre sur un pied d’égalité l’éducation scolaire et l’éducation professionnelle par la voie de l’apprentissage. Il faut abandonner les doctrines du collège unique et de l’objectif de 90 % d’une classe d’âge qui doit avoir le baccalauréat.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Lionel Tardy. Mais bien sûr !

M. Patrick Hetzel. Excellent !

Mme Marianne Dubois. Elles sont en complet décalage avec notre monde actuel. Ce n’est qu’à ces conditions – et tous les pays l’ont bien compris – que nous permettrons au plus grand nombre de nos jeunes d’accéder à l’emploi et de s’y épanouir. Votre projet de loi traduit les conclusions de l’accord national interprofessionnel, mais, monsieur le ministre, l’action politique ne saurait se limiter à réunir des partenaires autour d’un sujet puis à transformer les discussions en lois. Il faudrait trouver une juste équation entre les secteurs entiers d’activité manquant de bras, comme c’est le cas de la boulangerie, avec un manque de 9 000 apprentis, et ceux qui ont trop de candidats pour les capacités des entreprises.

M. Thomas Thévenoud. Vive la pâtisserie de Pithiviers !

Mme Marianne Dubois. Sans objectif concret, votre texte ne restera qu’un texte de plus avec certes quelques améliorations, mais nullement à la hauteur des enjeux de notre temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, encore une procédure accélérée !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. On radote !

M. Arnaud Richard. Pour ma part, je ne vais pas verser dans ce qui pourrait devenir une litanie. À force de voir le Parlement rentrer sans cesse sous sa tente, comme Achille, mais à l’inverse de lui pour ne jamais en sortir, on laisse penser que l’impuissance publique aurait trouvé son siège dans notre hémicycle. Quand ce Gouvernement parviendra-t-il à se départir de cette fébrilité constante qui donne l’impression d’une course folle et éperdue, très loin derrière un pays qui s’est terriblement éloigné et détourné de ses gouvernants ?

M. Thomas Thévenoud. C’est beau comme du Guaino !

M. Arnaud Richard. Quand mettra-t-il ses actions en accord avec ses déclarations, alors qu’il nous présente ce texte comme le plus important de la législature sur le travail et la formation ?

Je ne conteste pas l’idée de l’urgence sociale et de la nécessité d’une mobilisation sans précédent sur ce sujet. De fait, monsieur le ministre, il y a urgence, parce que le chômage continue de frapper, encore et partout, malgré la promesse répétée, mais malheureusement restée vaine, d’en inverser la courbe avant la fin de l’année 2013.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai !

M. Arnaud Richard. Il y a urgence, parce que, au moment où il faudrait libérer toutes les énergies, on voit qu’elles ont été contraintes, muselées et découragées.

M. Jean-Frédéric Poisson et M. Lionel Tardy. Très bien !

M. Arnaud Richard. Il y a urgence, car vous avez matraqué les ménages et les entreprises françaises depuis votre arrivée au pouvoir,…

Plusieurs députés du groupe UMP et du groupe UDI. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est lamentable !

M. Arnaud Richard. …en leur ponctionnant 30 milliards d’euros d’impôts supplémentaires en dix-huit mois. Et ce seront 10 milliards de plus en 2014 ! Je ne parlerai pas du pouvoir d’achat, ni de la compétitivité de nos entreprises au plus bas depuis trente ans.

Il y a urgence, mais plutôt qu’un texte rédigé et présenté à la va-vite – vous vous en êtes d’ailleurs émue, madame la présidente de la commission –, ce que nous attendions du Gouvernement, c’était de lancer une mobilisation nationale sur ce sujet crucial, auquel nous sommes tous très attachés, de la formation professionnelle. Pourquoi ? La formation professionnelle est la clef de voûte d’un édifice plus vaste que nous devons entièrement reconstruire. C’est d’abord une question d’efficacité dans la lutte acharnée qui doit être menée contre le chômage. Je n’aurai pas le goût de vous rappeler les chiffres désastreux du chômage, malgré les efforts que vous faites, monsieur le ministre, pour vendre dans tous les territoires de France et de Navarre les emplois aidés que vous avez créés, les emplois d’avenir et les contrats de génération, en tentant aujourd’hui d’ailleurs d’en élargir le prisme pour compenser leurs carences.

La formation professionnelle, c’est aussi une question structurelle car elle renvoie à la compétitivité de nos entreprises, laquelle se fonde sur les coûts et sur la qualification de leurs salariés. Or la France compte, cette année, 26 000 apprentis de moins que l’année dernière, du fait des difficultés économiques et des restrictions apportées à l’apprentissage par la loi Peillon. Les entrées en apprentissage ont reculé de manière spectaculaire en 2013, après trois années de hausse continue. Même en 2009, au cœur de la crise, le nombre des contrats signés avait été meilleur. À titre de comparaison, et c’est bien connu, nos voisins allemands comptent 1,6 million d’apprentis,…

M. Guillaume Chevrollier. Et proportionnellement trois fois moins de chômage chez les jeunes qu’en France !

M. Arnaud Richard. …tandis que nous n’en sommes qu’à 435 000 en France, pays qui a porté l’entrée en apprentissage de treize ans à seize ans. Or une meilleure formation professionnelle est une garantie, tant pour les salariés qui pourront ainsi conserver leur emploi ou évoluer professionnellement, que pour les demandeurs d’emploi, qui verront de plus grandes opportunités s’offrir à eux. Dans le même temps, monsieur le ministre, une formation professionnelle meilleure constitue indéniablement un atout pour les entreprises, qui pourront ainsi gagner en compétitivité grâce à des salariés qui sauront répondre aux nouveaux défis technologiques en ayant développé de nouvelles compétences et connaissances.

Bien sûr, Francis Vercamer, Hervé Morin et moi-même avons salué en commission l’accord signé le 14 décembre 2013 par les partenaires sociaux, à l’exception de la CGT et de la CGPME. Un tel accord, issu de la démocratie sociale, permettra sans doute une certaine stabilité juridique, élément crucial de la confiance entre les entreprises et les citoyens dans leur ensemble. Ce projet de loi en est la déclinaison législative. Il contient donc évidemment un certain nombre de dispositions utiles, nous l’avons dit en commission. Qui s’opposerait en effet à la mise en œuvre d’un compte personnel de formation, à la simplification des modalités de financement par les employeurs de la formation professionnelle continue, à l’organisation du réseau des centres de formation d’apprentis ou encore au cadrage du rôle des régions pour développer l’apprentissage ?

Mais, une fois encore, et malgré les grandes ambitions affichées d’emblée par le Gouvernement, ce qui frappe et déçoit le groupe UDI, c’est l’absence d’une véritable perspective. Je ne reviendrai pas sur les problèmes évoqués plus tôt par mes collègues, concernant notamment la décentralisation ou encore la complexité du financement et des acteurs de la formation professionnelle, pas plus que sur les dispositions qui ne figuraient pas dans l’accord national interprofessionnel et que le Gouvernement a cru bon de rajouter à ce texte, sans aucune concertation – mon collègue Chassaigne a tenu là dessus des propos très talentueux. Je soulignerai plusieurs points qui me semblent essentiels et vous ferai part, monsieur le ministre, de mes interrogations.

Tout d’abord, je m’interroge sur le fait que la CGPME n’ait pas signé l’ANI. Cela soulève vraiment de vraies questions sur les PME et les TPE,…

Mme Isabelle Le Callennec et M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !

M. Arnaud Richard. …ces jeunes pousses, entreprises en layette (Sourires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC), qui n’ont pas trouvé leur place dans cet accord.

Autre question : s’est-on vraiment donné les moyens de développer puissamment l’apprentissage ? Je ne le crois pas. Que fallait-il faire ? S’inspirer du modèle allemand et doubler le nombre d’apprentis ? Peut-être eût-il fallu en effet faire preuve d’un tel volontarisme, à l’instar de celui de Jean-Louis Borloo, que je salue, dans le cadre du plan de cohésion sociale. Alors que la France compte trois fois plus de chômage chez les jeunes que l’Allemagne, notre pays compte trois fois moins d’apprentis. C’est bien là le signe que nous devrions un tant soit peu nous inspirer du modèle de notre voisin, sans évidemment transposer à l’identique son fonctionnement. C’est pourquoi le groupe UDI proposera, pendant la discussion des articles, que soit abaissé à quatorze ans l’âge d’entrée en apprentissage, non pas pour ouvrir ainsi une immense voie de garage pour les jeunes mais, bien au contraire, pour constituer une grande filière de formation d’excellence, car l’apprentissage est bien souvent la porte d’entrée dans de très belles carrières. Nous nous devons de proposer une voie adaptée aux jeunes qui ne trouvent pas de solutions dans le système éducatif classique.

Bref, mes chers collègues, nous sommes convaincus que la mobilisation de tous est nécessaire, des entreprises privées en passant par les trois fonctions publiques. Nous appelons le Gouvernement à s’emparer sans plus tarder d’un sujet d’une importance majeure pour l’avenir de notre pays.

Bien que nous doutions que des débats à venir émerge de ce projet un sens supérieur à celui du texte qui nous est aujourd’hui soumis, nous serons attentifs, e proposant de nombreux amendements, à le faire évoluer sur le chemin qui doit mener au plus grand tournant de notre système de formation professionnelle et de notre démocratie sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout le monde s’accorde à dire que la formation professionnelle va mal.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Ça ne nous a pas échappé !

M. Guillaume Chevrollier. La Cour des comptes lui a consacré un rapport édifiant. Notre système, né il y a plus de quarante ans, est devenu illisible, ses défauts s’accumulent, il est inadapté.

Inadapté, disais-je, car il ne remplit pas sa mission, ne prenant pas en compte les publics qui en ont le plus besoin. C’est ainsi que seul un chômeur sur cinq se voit proposer une formation alors que celle-ci est une des meilleures armes pour retrouver un emploi. Elle contribue à l’employabilité, un mot-clef aujourd’hui. Pôle Emploi propose aux chômeurs de financer eux-mêmes la formation demandée… ce qu’ils ne peuvent bien évidemment pas faire pour la plupart. La formation professionnelle profite essentiellement aux salariés des grands groupes, notamment aux cadres, et non aux salariés peu qualifiés et au personnel des PME, notamment dans nos territoires ruraux. Elle est inadaptée également car souvent les formations proposées ne correspondent pas aux besoins des individus et des entreprises.

Autre défaut majeur : elle est terriblement coûteuse : 32 milliards sont ainsi engloutis pour des résultats décevants.

Notre formation professionnelle est mal organisée et manque de transparence. Les acteurs qui interviennent dans ce secteur sont beaucoup trop nombreux : plus de 55 000 organismes.

Votre projet de loi, monsieur le ministre, tente d’améliorer la situation mais, malheureusement, il comporte les défauts habituels des projets de loi que vous nous proposez : il arrive dans la précipitation selon, en plus, la procédure accélérée ; vous dites qu’il est le fruit de la négociation, mais l’ANI a été obtenu au forceps et votre texte ne fait pas l’unanimité dans l’ensemble des organisations professionnelles ; au lieu de vous contenter du sujet déjà lourd qu’est la formation professionnelle, vous nous proposez un texte à tiroirs dans lesquels certains sujets ont été ôtés – c’est ainsi que la question épineuse de la suppression des élections prud’homales, contestée par vos alliés, les syndicats, est aujourd’hui reportée –, d’autres rajoutés : il en est ainsi d’une réforme de l’inspection du travail, qui provoque des inquiétudes légitimes tant celle-ci est bâclée et n’a pas été concertée. J’ajoute que vous donnez de nouveaux pouvoirs aux inspecteurs du travail, notamment un accès élargi aux documents et celui d’infliger des amendes administratives aux entreprises, ce qui ne peut qu’inquiéter celles-ci, tout particulièrement les dirigeants de PME et de TPE, déjà noyés par les réglementations qui leur sont imposés. Ils n’ont pas les moyens de faire face à toutes ces contraintes, je le vois au quotidien sur mon territoire rural. Cessez de stigmatiser les entrepreneurs de PME et de TPE.

Votre texte fourre-tout vous permet de revenir sur une disposition adoptée, elle aussi, à la va-vite : la durée minimale de vingt-quatre heures par semaine pour les temps partiels. Cette mesure, que vous reportez au 30 juin, va de toute façon être préjudiciable à l’emploi. Nos entreprises ont besoin de souplesse, et votre texte leur impose une rigidité supplémentaire malvenue. Cette mesure inquiète aussi les salariés car si le temps partiel est subi pour quelques-uns, il est un choix pour beaucoup, et nous entendons leur inquiétude remonter jusqu’à nous dans nos circonscriptions.

Le projet de loi prévoit par ailleurs un meilleur contrôle des comités d’entreprise en rendant obligatoire, pour les plus importants, une certification de leurs comptes. C’est une disposition attendue, et qui devrait être fructueuse si l’on en croit les articles parus après le rapport Perruchot, qui n’a pas été publié.

M. Denys Robiliard. Et pas adopté non plus !

M. Guillaume Chevrollier. Le texte vise aussi à instaurer un nouveau mécanisme de financement des organisations syndicales et patronales, basé sur une contribution des entreprises et de l’État à un fonds paritaire déconnecté de l’argent de la formation professionnelle. Cette séparation est la bienvenue.

Pour revenir à la formation professionnelle, je note que vous créez un nouveau dispositif : le compte personnel de formation – le CPF. Là encore, il s’agit pour vous d’une habitude : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Au lieu d’améliorer le DIF, qui repose sur les mêmes bases, on crée une nouvelle entité pour ne rien devoir à la précédente majorité qui avait conçu cette réelle avancée. Vous augmentez le crédit d’heures et, surtout, instituez le principe de la portabilité – ce compte, ouvert dès la signature du premier contrat de travail, accompagnera son titulaire jusqu’à son départ à la retraite. Cette portabilité permettra donc aux chômeurs de bénéficier du droit à la formation au prorata du temps travaillé précédemment, ce qui constitue une avancée indéniable. Avec le CPF, vous voulez imposer la notion de formation qualifiante : le but est louable… Reste à le mettre en œuvre.

Le texte institue aussi le principe d’un entretien professionnel devant avoir lieu tous les deux ans et être suivi d’une analyse de parcours tous les six ans. Là encore, le but est louable car un tel entretien devrait assurer un meilleur suivi du parcours du salarié, mais son application risque d’être lourde et délicate pour les entreprises dont le service des ressources humaines va devoir s’étoffer. Pensez, je le répète, aux PME et aux TPE, où c’est le dirigeant qui fait office de DRH.

M. Lionel Tardy. Bien sûr !

M. Guillaume Chevrollier. Votre projet de loi prévoit par ailleurs une refonte du financement de la formation professionnelle, accompagnée d’un désengagement de l’État et d’un plus grand transfert vers les régions. C’est un point positif. Il nous reste à en espérer une plus grande transparence et une clarification des compétences, ce qui n’est à cette heure qu’un espoir. Mais cette réforme ne va pas assez loin : où est la simplification des dispositifs existants ? À quand la remise en cause de tous ces organismes qui pullulent ? J’ajoute que le crédit d’heures est insuffisant pour permettre une formation réellement qualifiante : 150 heures correspondent seulement à un mois de formation, alors que trois ou quatre mois sont souvent indispensables, notamment pour les chômeurs de longue durée. Est insuffisant aussi le financement de l’apprentissage, qui reste une formation qualifiante pour nombre de nos jeunes voulant entrer tôt sur le marché du travail, formation de plus particulièrement adapté au marché de l’emploi local. Plutôt que d’assurer, monsieur le ministre, la promotion des emplois d’avenir qui n’ont d’avenir que le nom et qui coûtent extrêmement cher à la collectivité en creusant le déficit de la nation et en accentuant la dette publique qui a atteint un niveau inacceptable,…

M. Jean-Marc Germain. À cause de vous !

M. Guillaume Chevrollier. …il serait plus opportun de faire un effort en faveur de l’apprentissage. L’année dernière, il y a eu une baisse de 30 000 apprentis. C’est considérable. Il faut redresser la barre en encourageant ces formations au lieu de vous désengager de cette voie d’excellence qu’est l’apprentissage.

En conclusion, je dirai, monsieur le ministre, que ce texte comporte certes des avancées, mais qu’il n’est pas à la hauteur de la grande réforme nécessaire et courageuse à faire dans ce grand maquis qu’est la formation professionnelle. L’enjeu est d’autant plus important pour notre pays que la politique conduite depuis dix-huit mois par votre gouvernement l’a amené à un chiffre de chômeurs jamais atteint : 3,3 millions de personnes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Arnaud Richard. Très bonne intervention !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec cette réforme de la formation professionnelle, nous sommes véritablement à un tournant. Un certain nombre de sujets importants et stratégiques y sont indéniablement abordés tels que, par exemple, le financement et la conception de la formation, qui devaient être revus car ils ne correspondaient plus aux réalités actuelles des entreprises et de nos concitoyens actifs. Mais ce texte ne règle pas tout, loin de là.

De manière générale, l’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013 est plutôt une avancée. Diverses dispositions vont indéniablement améliorer notre système actuel de formation professionnelle, unanimement considéré comme coûteux, inefficace et inutilement complexe.

Pour la première fois, ce texte fait entrer la formation dans le champ économique, comme un investissement, un levier de la performance du capital humain et d’innovation pour nos entreprises françaises.

Associer formation et compétitivité est salutaire mais il faut maintenant faire en sorte que cette évolution culturelle se diffuse très largement dans tout le corps social et auprès de tous les acteurs concernés.

En effet, pour que la formation soit à même de répondre aux défis futurs, elle doit s’articuler autour de trois éléments devenus indissociables : l’objectif de la formation qui est l’acquisition de compétences professionnelles ; un dispositif pédagogique et l’intervention d’un formateur ; l’évaluation des résultats et des compétences acquises.

Pour que la formation professionnelle devienne un outil au service de la compétitivité de la France et joue pleinement son rôle afin que notre pays atteigne les objectifs poursuivis par la stratégie européenne dite de Lisbonne, il faut encore faire tomber des barrières et s’assurer que la question de la formation professionnelle soit pleinement prise en compte par l’éducation nationale.

Cela signifie faire passer le message, en matière d’information et d’orientation, qu’il n’y a pas, d’un côté, la formation initiale et, de l’autre, la formation tout au long de la vie, mais qu’il y a bel et bien un continuum ; que les entreprises sont de fantastiques lieux de formation et qu’il convient de l’affirmer haut et fort, y compris au ministère de l’éducation nationale ou encore à celui de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je déplore que ces deux ministres ne se soient pas impliqués sur un tel texte, preuve que les barrières à l’intérieur du Gouvernement ne sont pas tombées sur un tel sujet.

Il faut enfin pleinement reconnaître la place de nos entreprises comme lieux de formation. La rue de Grenelle et la rue Descartes n’en ont pas encore pris pleinement conscience au cours des dix-huit derniers mois.

M. Lionel Tardy. Hélas !

Mme Véronique Louwagie. Très juste !

M. Patrick Hetzel. Si cet accord mérite donc toute notre attention, il reste, hélas, insuffisant et incomplet. Il ne peut donc s’agir au mieux que d’une étape car de multiples aspects appellent des changements forts, et il y a un décalage entre l’exposé des motifs de ce texte et ce qu’il contient réellement.

À titre d’illustration, citons quelques problèmes de fond qui demeurent.

L’un des problèmes concerne l’apprentissage, nous avons été nombreux à l’indiquer. Alors que le Président de la République maintient son objectif de porter à 500 000 le nombre d’apprentis en 2017, le Gouvernement prend dans ce domaine, depuis plusieurs mois, des décisions totalement contradictoires et floues qui déstabilisent les entreprises.

Mme Isabelle Le Callennec et M. Lionel Tardy. C’est un signe !

M. Patrick Hetzel. Pour mémoire, le projet de loi de finances a divisé par deux le bénéfice du crédit d’impôt apprentissage et supprimé l’indemnité compensatrice forfaitaire, qu’il a remplacée par un dispositif de compensation s’appliquant au détriment des Régions.

En outre, le projet de réforme de la taxe d’apprentissage qui figurait dans la loi de finances rectificative de fin d’année a été censuré par le Conseil constitutionnel et son rétablissement n’est pas prévu par ce projet de loi. Cela montre la politique de gribouille du ministre du travail.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Oh !

M. Patrick Hetzel. Ce texte marque donc le désengagement de l’État qui transfère la gestion des CFA aux Régions sans pour autant en assurer le financement. Une fois de plus, le transfert d’une compétence aux collectivités se fera sans aucune compensation claire et précise.

Je relève aussi, toujours en ce qui concerne l’apprentissage, une incertitude quant à la capacité qu’auront les entreprises de décider librement des établissements qu’elles souhaitent faire bénéficier des fonds actuellement non affectés.

De plus, pour exercer leur compétence en matière d’apprentissage, les Régions pourront signer des contrats d’objectifs et de moyens avec l’État, les organismes consulaires et les partenaires sociaux.

Il serait opportun que ces nouveaux contrats d’objectifs et de moyens constituent de véritables outils de programmation et d’échanges. Ils doivent, dans un cadre pluriannuel, définir les objectifs, les résultats attendus, les systèmes d’évaluation et les engagements de chacun, en termes de déploiement de formation et de mobilisation de moyens.

Ce texte devrait être complété pour tendre vers une meilleure efficacité des politiques en matière d’apprentissage. Nous défendrons donc des amendements dans ce sens.

Enfin, l’articulation entre formation initiale et formation tout au long de la vie n’est pas suffisamment pensée dans ce projet qui accorde également peu de place à l’enseignement supérieur alors que celui-ci a aussi un rôle à jouer en matière de formation professionnelle comme l’on rappelé récemment aussi bien les directeurs de nos grandes écoles que les présidents d’université.

En définitive, ces dispositions sont en retrait par rapport aux déclarations du Gouvernement et c’est une occasion manquée pour ce dernier qui n’a toujours pas abordé une question centrale pour l’avenir économique et social de notre pays : la réforme du marché du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Si je souhaite prendre la parole pendant quelques minutes ce n’est pas pour répondre intégralement à toutes les questions qui ont été posées et sur lesquelles nous reviendrons lorsque nous aborderons les différents articles de ce projet de loi qui est riche de dispositions à la fois cohérentes, diverses et techniques, mais c’est avant toute chose pour vous remercier les uns et les autres.

Au-delà de postures qui peuvent être adoptées ici ou là…

M. Jean-Marc Germain. Surtout à droite !

M. Michel Sapin, ministre. …j’ai ressenti malgré tout une appréciation positive, même si elle ne pouvait être parfois que partielle, de ce texte ou de nombre de ses dispositions.

Merci à vous madame Fraysse, pour les appréciations à l’évidence positives que vous avez portées sur certaines parties de ce texte, notamment sur la formation professionnelle.

Merci à beaucoup d’entre vous, notamment à M. Vercamer et M. Cherpion – même s’il s’est exprimé de manière plus catégorique – qui savent de quoi ils parlent, qui connaissent le travail accompli et le cheminement emprunté depuis quelques années. Ils ont porté des appréciations nuancées, ce qui est normal pour des membres de l’opposition. Mais l’auditeur habitué à décrypter les positionnements des uns et des autres ne s’y trompe pas : ces appréciations étaient aussi positives.

Au fond, vos appréciations positives s’adressent d’abord et avant tout aux partenaires sociaux. À l’inverse, je mets en garde ceux qui ont émis des jugements un peu trop rapides et trop catégoriques : avant le Gouvernement, la commission ou la majorité, vos critiques visent d’abord le travail des partenaires sociaux.

Mme Isabelle Le Callennec. Ils n’ont pas tous signé ! Vous êtes dans le déni !

M. Michel Sapin, ministre. Au départ, certains – dont moi-même – pouvaient craindre que le travail des partenaires sociaux ne donne lieu à une réforme partielle, peu aboutie et peu pertinente, comme cela avait été malheureusement le cas à plusieurs reprises par le passé. À chaque fois utiles, les accords n’apportaient jamais de réponses véritablement ou suffisamment complètes aux difficultés de la formation professionnelle en France.

Nous avons tous fait ce constat que d’aucuns ont, à juste titre, présenté comme une superbe critique de l’inaction des dix dernières années. Actuellement, la formation professionnelle est inadaptée aux grands enjeux du monde, de l’économie française et des entreprises qui ont besoin d’utiliser leur seule véritable richesse : les femmes et les hommes qu’elles emploient. En accroissant leurs compétences, les salariés peuvent améliorer la capacité des entreprises à lutter contre la concurrence internationale, qu’elle vienne de l’Union européenne ou d’ailleurs.

La formation professionnelle apporte aussi une réponse au formidable défi de la promotion individuelle et personnelle, à un moment où tout le monde constate que le fameux ascenseur social est à ce point à l’arrêt que l’on en vient à parler de « descenseur » social.

Pendant des années après 1971, le système de la formation professionnelle a permis des promotions individuelles et une montée collective en compétences qui ont été absolument considérables. Mais depuis de trop nombreuses années, le système s’est arrêté et il a même parfois abouti à une diminution de la qualification moyenne de ceux qui sont sur le marché du travail.

Cette situation n’étant plus possible, les partenaires sociaux ont décidé d’y remédier avec ambition. Au début, je craignais que l’accord ne se fasse sur le plus petit dénominateur commun mais ce n’est pas ce qui s’est passé : lors de la négociation, les partenaires sociaux ont choisi de changer de paradigme, comme l’a dit l’un d’entre vous.

Le compte personnel de formation est apparu comme un concept nouveau même si beaucoup d’entre nous, sur tous les bancs, avaient l’ambition de créer un tel compte qui est attaché à la personne et non pas à sa situation administrative ou à son statut, qui la suit au fil de son cursus professionnel ou d’éventuels accidents de la vie tels que la perte de son emploi.

Il s’agit d’une révolution tranquille mais profonde. Je trouve dommage que par manque d’analyse ou en raison d’une vision étriquée, l’on ne reconnaisse pas le travail considérable effectué par les partenaires sociaux, qui a abouti à cet accord.

Autre critique récurrente : ce texte serait un fourre-tout. Non, et je vais le démontrer.

Nous partons de la formation professionnelle – le sujet, la nécessité – qui englobe aussi la formation en alternance. D’ailleurs, ceux qui citent, parfois un peu trop rapidement, le chiffre de 32 milliards d’euros de la formation professionnelle y mettent des choux et des carottes : le coût de l’apprentissage y entre pour un peu plus de cinq milliards d’euros. Si nous avions omis l’apprentissage, certains d’entre vous auraient critiqué cette lacune. Nous parlons donc de l’apprentissage et des modifications nécessaires dans ce domaine.

Lorsque les partenaires sociaux ont commencé la négociation sur le sujet, je leur ai dit qu’il fallait définitivement couper un lien que nous avons été nombreux à trouver étrange voire préjudiciable par le passé : le lien existant entre le financement de la formation professionnelle et le financement – légitime par ailleurs – du dialogue social et du paritarisme.

Il fallait donc traiter du financement du paritarisme. Après des discussions avec les uns et les autres, c’est tout à fait logiquement que j’ai intégré le financement du paritarisme dans ce texte sur la formation professionnelle. Nous ne pouvions pas traiter l’un sans l’autre.

Mais ce financement du paritarisme, du dialogue social, des partenaires sociaux doit se faire de manière transparente et irréfutable, sur la base de critères objectifs. Quel est le critère le plus objectif ? La représentativité.

Si cette représentativité était mesurée du côté syndical – un précédent ministre du travail, sous l’ancienne majorité, avait eu le courage de le faire en accord avec la plupart des partenaires sociaux – elle ne l’était pas du côté patronal. Comment faire, dans ces conditions, pour proposer des critères transparents du financement du paritarisme ? Ce texte traite donc, fort logiquement, de la représentativité patronale.

Une autre question est parfois soulevée : pourquoi parler de la décentralisation et du pouvoir des régions alors qu’il suffisait d’attendre le texte à venir sur la décentralisation ? Mais que n’auriez-vous pas dit, si j’avais mis en place une réforme de la formation professionnelle sans aborder le pouvoir des régions, sans réformer la gouvernance de la formation professionnelle au niveau territorial ?

Certains d’entre vous l’ont fait remarquer à juste titre : C’est au niveau territorial que l’on peut apprécier une partie des besoins et des réalités et, à partir de là, mettre en œuvre les filières et les programmes dans des conditions adaptées.

Pour être cohérent et efficace, il fallait donc intégrer dans ce texte la partie concernant la décentralisation. certes, elle figurait dans un autre texte. Mais il fallait en traiter ici sans attendre, sinon, le texte aurait été tronqué et il n’aurait pu s’appliquer correctement.

J’irai même plus loin : qu’aurait signifié la mise en place cette grande réforme si je ne m’étais pas interrogé sur les moyens de mon ministère pour la faire respecter par tous, en contrôlant mieux la qualité de la formation professionnelle ?

Dans la presse, je lis encore parfois que tel organisme de formation professionnelle n’a pas été à la hauteur de ses engagements ou qu’il présenterait des faiblesses dans la qualité de l’enseignement dispensé. Oui, il existe des cas de cette nature.

Il fallait renforcer les pouvoirs de mon administration. Un ministère fort, y compris avec une inspection du travail forte et organisée qui puisse à répondre aux défis d’aujourd’hui : voilà l’une des nécessités de ce texte.

L’objectif n’était pas d’utiliser je ne sais quel subterfuge pour envoyer je ne sais quelle cavalerie faire je ne sais trop quoi. Non, ce texte est cohérent, il aborde toutes les facettes nécessaires pour que le dispositif soit complet.

Certes, les critiques sont possibles. On peut toujours dire qu’on aurait pu aller plus loin. Mais lorsque nous avons commencé les négociations, personne ne pouvait dire que nous pourrions parvenir là où nous sommes aujourd’hui.

Monsieur Chassaigne, je vous ai trouvé toujours aussi talentueux, mais votre discours était tellement caricatural qu’il n’était pas à la hauteur de votre personnalité. (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.) Quand vous parlez d’inspection du travail, j’ai toujours l’impression qu’on plonge dans l’idéologie. En effet, j’entends d’autres dire ici que l’inspection du travail est épouvantable et qu’elle n’aurait pour seul objectif que de mettre à mal le pauvre chef d’entreprise. Non ! Nous avons besoin d’une inspection du travail forte, qui puisse répondre aux préoccupations quotidiennes des salariés…

M. Patrick Hetzel et M. Lionel Tardy. Ce n’est pas ce que vous faites !

M. Michel Sapin, ministre. …mais aussi des chefs d’entreprise qui ont besoin de conseils pour pouvoir respecter le droit du travail dans de bonnes conditions. Nous avons besoin de l’inspection du travail telle qu’elle existe depuis longtemps : comme institution de proximité, avec son territoire, où chaque salarié et chaque entreprise sait qui est son interlocuteur. J’entends des députés, à droite de l’hémicycle, dire que c’est épouvantable pour les entreprises.

Plusieurs députés du groupe UMP. On n’a jamais dit cela !

M. Michel Sapin, ministre. Non, c’est une bonne chose qu’il y ait des gens qui puissent faire respecter la loi et qui aident chacun à la faire respecter.

Monsieur Chassaigne, vous idéologisez l’inspection du travail d’une façon qui n’est pas digne de l’intelligence qui est la vôtre. Comme l’ont dit certains de vos collègues sur vos bancs, l’inspection du travail n’aura pas la même efficacité si on ne l’aide pas, si on ne lui donne pas les moyens de s’adapter aux enjeux d’aujourd’hui. Si on ne donne pas à l’inspection du travail les moyens d’agir de manière coordonnée, pensez-vous qu’elle puisse lutter efficacement contre le travail illégal, et en particulier les abus liés au détachement de travailleurs européens en France ? Or pour le faire, il faut l’intervention de plusieurs inspecteurs du travail. Je me suis rendu sur des chantiers avec plusieurs inspecteurs du travail qui se sont coordonnés entre eux. Ce sont eux qui décident, eux qui constatent, qui dressent procès-verbal en toute indépendance. À cet égard, sachez que je n’ai pas apprécié vos attaques contre leur indépendance, y compris contre mon administration, et je suis là pour la défendre. Les fonctionnaires qui y travaillent sont consciencieux. Leur indépendance, c’est cette capacité qu’ils ont à aller sur le terrain quand ils veulent, où ils veulent…

M. André Chassaigne. Ils le font déjà !

M. Michel Sapin, ministre. …pour pouvoir constater que des délits ont été commis et dès lors saisir la justice ou éventuellement utiliser leurs pouvoirs propres.

Je peux comprendre vos critiques sur les moyens engagés, cela fait partie du jeu. Mais je n’accepte pas que l’on prétende que je veuille mettre en cause leur indépendance car j’y suis très attaché. Monsieur Chassaigne, ce n’est pas digne.

Comment voulez-vous que les inspecteurs du travail soient efficaces si chacun reste dans son coin ? Ils doivent pouvoir travailler de manière cohérente.

Je prendrai un autre exemple. Beaucoup de femmes présentes ici ce soir – mais c’est le cas aussi pour les hommes – sont attachées à la question de l’égalité salariale. Comment faire respecter l’égalité salariale dans les entreprises si deux inspecteurs du travail n’agissent pas de la même manière ? Comment voulez-vous qu’on agisse si l’on ne remonte pas jusqu’à la société mère ? Il faut que toute l’entreprise, quel que soit la localisation de l’établissement, mette en œuvre une politique d’égalité salariale. Il faut travailler de manière cohérente, et c’est cela et uniquement cela que nous proposons dans le respect intégral de l’indépendance de chacun des membres de l’inspection du travail.

Comme le disait tout à l’heure M. Robiliard, on a changé les méthodes de travail des magistrats indépendants pour lutter contre la grande délinquance financière en mettant en place des mécanismes cohérents spécialisés. Pour être efficace, on travaille à plusieurs. Là, il s’agit de faire la même chose. Si l’on n’aide pas l’inspection du travail à évoluer, elle se fossilisera, son efficacité disparaîtra, et cela je ne le veux pas. Je crois à une inspection du travail solide, indépendante individuellement mais organisée de manière à lutter avec compétence et efficacité contre la grande délinquance qui peut exister dans ce domaine tout en apportant les conseils nécessaires aux entreprises. L’inspecteur du travail ne considère pas l’entreprise comme un ennemi. L’entreprise, c’est l’endroit où il faut respecter le droit tout en ayant la capacité à se développer et faire en sorte que l’économie soit totalement en adéquation avec le social. Nous n’opposons jamais l’économie et le social car nous savons que c’est en les associant que l’on peut faire en sorte que notre économie soit plus compétitive. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Baupin, inscrit sur l’article 1er.

M. Denis Baupin. Madame la présidente, je me suis inscrit sur l’article 1er car je ne pourrai pas être présent pour défendre un certain nombre d’amendements qui me tiennent à cœur.

M. Lionel Tardy. La PMA, c’est plus important !

M. Denis Baupin. Mais, je vous rassure, mon collègue Christophe Cavard les défendra avec le talent que chacun lui reconnaît !

Je veux appeler votre attention sur les transitions professionnelles. S’il est un domaine dans lequel il est nécessaire de les accompagner, c’est bien en matière de transition écologique et énergétique. De nombreux métiers devront évoluer, par exemple ceux du bâtiment. Lors du débat sur la transition énergétique, un groupe de travail spécifique a rédigé sur ces questions un rapport qui a été adopté par l’ensemble des acteurs, notamment par le patronat et les organisations syndicales. Ce rapport insiste sur l’importance qu’il y a dans ce grand chantier de la transition énergétique à prendre en compte, outre les aspects techniques, économiques et écologiques, les aspects sociaux. Les amendements que j’ai déposés visent à adresser un message fort aux acteurs de la formation professionnelle, afin qu’ils prennent en compte spécifiquement les questions d’accompagnement des transitions professionnelles. Cela concerne aussi bien le plombier que le maçon, bref de très nombreux domaines.

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. L’article 1er est l’un des piliers du projet de loi puisqu’il définit les modalités d’utilisation du compte personnel de formation. Avec ce compte, chaque personne qui entre sur le marché du travail dispose désormais d’un droit à se former, non plus lié à un statut au sein de l’entreprise mais attaché à la personne.

Nous vivons dans un monde où les bouleversements sont permanents : les technologies évoluent à très grande vitesse, les innovations se succèdent, qui remettent en cause les savoir-faire et les compétences acquises dans le cadre de la formation initiale ou par le biais de l’expérience professionnelle. C’est vrai pour le monde de l’entreprise, c’est vrai également pour les administrations publiques, comme pour les collectivités territoriales. L’e-administration en est l’illustration la plus frappante.

La nécessité pour tout un chacun, pour tout salarié, cadre, ouvrier ou employé, de s’adapter, d’acquérir de nouvelles connaissances, ou de valider des compétences acquises, est devenue de plus en plus évidente. D’où la nécessité, pour le législateur, mais également pour les partenaires sociaux, d’inventer les outils qui permettent à chacun d’avoir un meilleur accès à la formation professionnelle, et surtout de le faciliter pour les personnes les moins qualifiées.

Nous proposions, dès 2002, un compte épargne temps formation qui était une amorce de réponse à l’impératif de formation continue des salariés. Au cours des dix dernières années, le droit individuel à la formation a été une première étape, certes imparfaite. L’enjeu résidait notamment dans la portabilité de ce droit à la formation, dans le fait que le travailleur puisse en disposer indépendamment de son statut, tout au long de son parcours professionnel.

Si le compte personnel de formation constitue une avancée en ce sens, elle n’est pourtant encore que partielle. Le compte personnel de formation doit en effet pouvoir se maintenir aussi si l’on passe du statut de salarié à celui de travailleur indépendant, par exemple, pour mieux accompagner les différentes opportunités que peut offrir un parcours professionnel.

Il est également nécessaire de faciliter l’exercice de ce droit. Le compte personnel de formation doit être simple pour celui qui en bénéficie. Nous sommes attentifs à ce point, parce que nous partageons, comme chacun ici, cette priorité du projet de loi qui veut encourager l’accès à la formation des salariés et des demandeurs d’emploi les moins formés. Or ces personnes sont aussi, le plus souvent, celles qui ont connu des difficultés avec le système d’enseignement, de formation initiale et cette mauvaise expérience les amène souvent à penser que la formation, c’est quelque chose qui ne peut pas les concerner. Elles se considèrent comme étant exclues de la formation, alors même qu’avec des outils pédagogiques adaptés, elles sont parfaitement capables d’en acquérir une. Il est donc nécessaire de sécuriser au maximum ces personnes, et pour cela de faciliter l’utilisation du compte personnel de formation, pour en faire un droit lisible, simple à comprendre, adapté aux possibilités de formation ouvertes sur le marché.

En tout état de cause, le compte personnel de formation constitue une innovation définie par les partenaires sociaux, et nous proposerons au cours de la discussion sur cet article quelques amendements visant à conforter ce droit.

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements.

La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour soutenir l’amendement n512.

Mme Jacqueline Fraysse. Le compte personnel de formation est une avancée. Cet amendement présente trois caractéristiques intéressantes : il est simple, juste et efficace.

M. Marc Dolez. Il va donc faire consensus !

Mme Jacqueline Fraysse. Simple, parce que nous proposons que les personnes qui partent à la retraite et qui n’ont pas utilisé toutes les heures de formation auxquelles elles ont droit puissent le faire pendant un an après leur départ en retraite.

Juste, parce que ces heures de formation sont un droit. Elles ont été acquises par ces personnes grâce à leur travail. Il est donc normal qu’elles puissent les utiliser pendant un an après leur départ en retraite.

Efficace enfin, parce que l’on sait que 51 % des retraités sont engagés dans des activités bénévoles, dans le monde associatif. Ils représentent une plus-value très importante pour l’économie sociale et solidaire et donc peuvent apporter beaucoup à notre société.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous considérons que cet amendement pourrait être adopté par l’ensemble de notre Assemblée.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Gille, rapporteur de la commission des affaires sociales. Cet amendement a été repoussé par la commission. Mieux vaut concentrer les financements de la formation professionnelle sur les actifs, sur les personnes les plus exposées aux risques de perte d’emploi que sur les retraités. Le compte vise à financer prioritairement des formations qui répondent aux besoins prévisibles de l’économie et des entreprises. Il y a fort à parier que les personnes que vous évoquez utiliseront leurs heures de formation dans la dernière année de leur activité. Si elles ne le font pas, il y aura là une sorte de solidarité puisque les fonds sont mutualisés. Les heures de formation non utilisées bénéficieront aux personnes qui sont encore actives et donc aux plus jeunes.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le rapporteur, vous parlez d’un pot commun, mais comme il s’agit d’un compte personnel, les heures de formation qui n’auront pas été utilisées ne bénéficieront pas à d’autres salariés. Je suis d’accord avec vous quand vous dites qu’il faut concentrer les efforts sur les salariés, les chômeurs, les personnes en activité. Mais les heures que le retraité n’aura pas utilisées ne seront pas versées au compte personnel de ceux qui en ont beaucoup besoin.

Eux, ils seront toujours plafonnés à 150 heures, même si le retraité n’a pas pris toutes les siennes. Donc votre argument ne tient pas.

(L’amendement n512 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Germain, pour soutenir l’amendement n799.

M. Jean-Marc Germain. Il s’agit de tirer les conséquences de la loi de juillet 2013 sur l’enseignement supérieur, qui reconnaît la formation tout au long de la vie comme une mission des universités. Cet amendement vise donc – comme c’était d’ailleurs le cas dans la loi de 1971, mais cela n’a pas été codifié – à préciser l’ensemble des organismes qui concourent à la formation professionnelle, de l’État aux entreprises en passant par les collectivités locales, mais en insistant sur la nécessité de mobiliser l’appareil de formation universitaire, les grandes écoles, les établissements du second degré.

Il est temps que les adultes, que les chômeurs, puissent prendre place sur les bancs de l’université pour être formés. C’est un amendement de principe, mais au moment où on veut un effort de la nation en matière de formation, il est utile.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Gille, rapporteur. La commission a repoussé cet amendement, considérant qu’il était largement satisfait par l’article 6111-1 qui définit la formation professionnelle comme une obligation nationale.

Les institutions que vous proposez de citer dans votre liste figurent déjà dans un article réglementaire du code du travail, le D 6312-1. Et il me semble inutile de figer les choses par une disposition législative qui pourrait exclure des acteurs si elle était lue a contrario.

J’indique de surcroît qu’il peut paraître étrange de mélanger les financeurs et les opérateurs de la formation. J’ai bien compris que votre objectif était de citer les établissements d’enseignement supérieur ; je crois que ce n’est pas l’endroit et nous aurons d’autres occasions de les citer, d’autant que vous avez déposé plusieurs amendements en ce sens. Cette liste n’apporte rien à cet endroit-là.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Sur un amendement de cette nature, venant de quelqu’un que je respecte énormément, je pense que nos arguments devraient permettre le retrait.

Vous avez la volonté de reconnaître les établissements d’enseignement supérieur comme des acteurs de la formation : oui, c’est clair. Peut-être aurons-nous l’occasion de le dire. Mais le faire dans une liste qui, par ailleurs, reste purement déclarative, c’est prendre le risque, comme le disait le rapporteur, d’oublier certains organismes ; le mécanisme peut alors fonctionner à rebours. Au lieu de mettre en valeur les établissements d’enseignement supérieur, vous risquez d’exclure d’autres organismes sans l’avoir voulu. Cet amendement recèle un danger qui n’est certainement pas dans votre intention : si elle est de mettre en valeur les établissements d’enseignement supérieur, nous trouverons d’autres endroits pour le faire. Je préférerais que vous puissiez retirer cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Germain.

M. Jean-Marc Germain. Je vais le retirer, dès lors qu’il est possible de trouver un endroit pour mentionner dans le code du travail les établissements d’enseignement supérieur et du second degré. Il est très important que cet appareil de formation soit mobilisable au profit de tous les salariés et demandeurs d’emploi.

(L’amendement n799 est retiré.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 6 février 2014, à zéro heure cinquante.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron