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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 27 février 2014

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Thierry Braillard et Roger-Gérard Schwartzenberg et plusieurs de leurs collègues relative aux effets de la prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié (nos 1199, 1806 ).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Braillard, rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Thierry Braillard, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chers collègues, cette proposition de loi, pour technique qu’elle soit, concerne la vie quotidienne des salariés, notamment lorsque le contrat de travail est rompu.

Savez-vous, chers collègues, quel est le motif de fin de contrat à durée indéterminée le plus utilisé dans notre pays ? On pourrait croire que c’est le licenciement. Et bien, non, c’est la démission. Les chiffres de l’excellent rapport de la DARES, qui sont parfois surprenants, montrent qu’en 2012, par exemple, 70 % des ruptures de contrat de travail des salariés ayant moins de trente ans étaient une démission, autrement dit, la rupture à l’initiative du salarié. Bien entendu, toute démission n’est pas liée automatiquement, systématiquement, à un conflit avec l’employeur.

La création, en 2008, de la rupture conventionnelle du contrat a réglé pas mal de situations par le licenciement à l’amiable. Mais il reste des cas où le salarié n’a pas d’autre choix que de rompre lui-même son contrat en raison de faits, de manquements qu’il reproche à son employeur.

Il y a déjà plus de dix ans que la chambre sociale de la Cour de cassation a défini le régime de la prise d’acte de rupture, sans que cette définition ne varie depuis. La Cour estime que « lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire, d’une démission ».

Aucun formalisme n’est attaché à la prise d’acte, qui peut être verbale ou écrite. Lorsque le salarié prend l’initiative de la rupture du contrat de travail et démissionne, tout en faisant valoir – sur le moment ou, ensuite, au cours de la procédure prud’homale – qu’il a été contraint d’agir de la sorte en raison du comportement de son employeur, il peut le faire. La seule limite, c’est qu’il ne peut pas exposer des faits, postérieurs à la rupture, qu’il pourrait reprocher à son employeur.

La prise d’acte entraîne la rupture immédiate du contrat de travail et le salarié saisit le conseil de prud’hommes pour lui demander d’apprécier les faits. Si les faits, les manquements de l’employeur sont suffisamment graves et qu’ils empêchent la poursuite du contrat de travail, le juge qualifiera la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec les conséquences qui s’imposent, c’est-à-dire le paiement d’indemnités légales ou conventionnelles – indemnités de licenciement, indemnités compensatrices de préavis, indemnités de congés payés sur préavis – et l’appréciation du préjudice subi par, soit des dommages et intérêts si le salarié a moins de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise, soit une indemnité pour licenciement abusif. Dans le cas contraire, le juge qualifiera la rupture de démission.

Entre la brusque rupture par le salarié et le déroulé de la procédure prud’homale, quel est le statut social du salarié ? Il est extrêmement précaire, car la rupture est d’effet immédiat. L’employeur est, en revanche, tenu de remettre au salarié qui a pris acte de la rupture de son contrat une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un reçu pour solde de tout compte.

Toutefois, la délivrance de l’attestation Pôle emploi ne permet pas nécessairement – pour ne pas dire jamais – au salarié de bénéficier d’une indemnisation au titre du chômage. L’attestation doit en effet mentionner le motif de rupture. Or, même si l’employeur est tenu par les motifs de la prise d’acte tels qu’ils ont été présentés par le salarié, il peut se contenter de mentionner comme motif de rupture : « Prise d’acte de la rupture du contrat de travail ». Ainsi, au moment où Pôle emploi reçoit l’attestation, il n’est pas en mesure de savoir si cette rupture va produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse – ouvrant droit aux allocations de chômage – ou d’une démission – privative de ces mêmes allocations. Le salarié doit donc attendre la décision judiciaire.

Dans l’attente du jugement, le salarié ne peut bénéficier de l’allocation d’aide au retour à l’emploi que dans quelques cas restreints. Il ne peut pas non plus bénéficier de l’assurance chômage. Il ne peut bénéficier d’un soutien que s’il y a une démission légitime établie par l’Unédic. Parmi la liste de ces démissions, deux cas de figure peuvent correspondre à une prise d’acte.

Premier cas de figure : lorsque la démission est intervenue pour cause de non-paiement des salaires, Pôle emploi exige que le salarié justifie d’une ordonnance de référé. Mes chers collègues, je vous laisse imaginer le salarié qui vient de prendre acte de la rupture de son contrat, qui sait qu’à partir de là, il n’aura plus aucun revenu et à qui on va demander, de surcroît, d’engager une procédure prud’homale pour pouvoir produire une ordonnance. Comme si tout cela était simple et ne coûtait rien ! C’est le parcours du combattant !

Deuxième cas de figure : lorsque la démission est intervenue à la suite d’un acte susceptible d’être délictueux dont le salarié déclare avoir été victime à l’occasion de l’exécution de son contrat de travail : il doit alors justifier avoir déposé une plainte devant le Procureur de la République.

Enfin, en vertu de l’accord d’application n12 de l’Unédic, tout demandeur d’emploi non indemnisé qui n’est pas reclassé après 121 jours de chômage peut solliciter un réexamen de sa situation. Ainsi, quatre mois après avoir pris acte de la rupture de son contrat, le salarié peut s’adresser à l’instance paritaire régionale de Pôle emploi, qui étudiera son dossier. La situation du salarié est extrêmement précaire durant cette période. Quant à celle de l’employeur, elle mérite d’être évoquée, car il doit souvent provisionner dans son bilan l’aléa judiciaire, ce qui n’est jamais bon pour le bilan financier d’une société.

M. Gérard Cherpion. C’est certain !

M. Thierry Braillard, rapporteur. Pourquoi cette proposition de loi présentée ce matin par le groupe RRDP ? Eh bien, parce que la procédure prud’homale, en l’espèce, est inadaptée et déraisonnable.

Elle est inadaptée car, dans le cadre des litiges prud’homaux, une procédure de conciliation est en principe préalable à tout procès. L’affaire n’est renvoyée à une audience de jugement que si cette procédure ne débouche sur aucun accord entre les parties. Durant l’audience de conciliation, les parties peuvent trouver un accord, mais le bureau de conciliation n’a pas le pouvoir d’examiner le litige. C’est tout le problème. On sait aujourd’hui que 10 % des affaires se terminent par une conciliation…

M. Gérard Cherpion. C’est déjà pas mal !

M. Thierry Braillard, rapporteur. Mais incontestablement, dans le cas d’une prise d’acte, le bureau de conciliation n’a pas compétence pour juger de l’imputabilité de la rupture, si celle-ci est vraiment du fait du salarié – auquel cas, il s’agit d’une démission – ou si les manquements fautifs de l’employeur sont tels qu’il s’agit d’un licenciement. La formation de conciliation n’a pas ce pouvoir puisqu’elle n’a pas, aux termes du code du travail, vocation à entrer dans le fond du litige.

La procédure est donc inadaptée. Elle est aussi devenue déraisonnable. La prise d’acte de rupture par le salarié ne faisant l’objet d’aucune procédure spécifique, en dépit de la précarité de la situation de celui qui attend un jugement, la durée de traitement de la procédure prud’homale atteint aujourd’hui en moyenne quinze mois. Cela signifie qu’un salarié saisissant les prud’hommes à la suite d’une prise d’acte de rupture devra attendre en moyenne quinze mois pour savoir si la rupture est ou non justifiée !

Pire encore, j’ai sous les yeux un bulletin de renvoi devant le bureau de jugement de la section « encadrement » du conseil de prud’hommes de Nanterre selon lequel un salarié ayant saisi le conseil de prud’hommes en septembre 2013 est convoqué devant le bureau de jugement le 8 septembre 2016 ! S’il s’agit d’une demande de prise d’acte de rupture, le salarié sera privé de protection de l’assurance-chômage pendant près de trois ans, dans l’attente d’un jugement déterminant si la rupture est un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou une démission !

Mme Bérengère Poletti. Des aberrations, on en trouve toujours !

M. Thierry Braillard, rapporteur. Tout cela fait l’objet de débats. Je vous invite à lire les conclusions du rapport de Didier Marshall sur les juridictions du XXIe siècle, qui pose très clairement le problème et y apporte des solutions. Qu’on soit d’accord avec elles ou pas, la situation ne peut plus durer et il faudra bien que l’on traite la question de la procédure prud’homale. Notre Parlement se l’est posée le 28 février 2013 à l’initiative du groupe GDR, lors d’un débat en présence de Mme la garde des sceaux dont je sais qu’elle y est très attentive, tout comme vous, monsieur le ministre du travail.

C’est donc forte du double constat dressé précédemment de la nécessité d’une décision judiciaire rapide visant à mettre fin à l’incertitude entourant les effets juridiques de la prise d’acte, tant pour le salarié que pour l’employeur, et de l’inutilité de la procédure de conciliation en pareil cas que ma proposition de loi vise à introduire une procédure dérogatoire d’examen des prises d’acte de rupture du contrat de travail par les conseils de prud’hommes. Elle a reçu le soutien unanime des organisations syndicales, ce qui me semble important, et j’ai ressenti lors des débats en commission qu’il s’agit d’une préoccupation de tous les groupes politiques. Ainsi, j’espère un vote unanime qui constituerait un signal fort. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, l’Assemblée nationale examine aujourd’hui la proposition de loi relative à la procédure applicable devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une prise d’acte. Je salue, en qualité de ministre du travail, l’initiative du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste qui vient combler sinon un vide, car il n’y a pas de vides mais toujours des réponses juridiques, en tout cas une forme de manque juridique à propos d’une situation de travail heureusement rare mais qui existe néanmoins. Par conséquent, il faut la traiter, dire et appliquer le droit. Je salue la fine connaissance des situations de travail et l’acuité du regard de M. Braillard, rapporteur de la proposition de loi, dont chacun est conscient et que quelques-uns partagent sans doute.

Si la lutte contre le chômage doit évidemment nous mobiliser intensément aujourd’hui comme hier, nul ne doit ignorer que vingt-cinq millions de Français sont chaque jour au travail, dans des situations bien différentes et d’abord positives, ne l’oublions jamais. Pour l’essentiel, le travail épanouit, crée du lien, favorise expériences, rencontres et acquisition de savoirs et de compétences et suscite tout simplement la fierté d’un travail bien fait ou d’un produit et d’un service de qualité. Nous devons nous extraire d’une approche trop anxiogène du travail excessivement centrée sur les risques psycho-sociaux. Ils existent, évidemment, et doivent faire l’objet de réponses, mais le travail est d’abord une richesse formidable. Il élève plus qu’il ne casse.

M. Gérard Cherpion. Très bien !

M. Michel Sapin, ministre. Je dirais même qu’il est moins le moyen du bien-être que celui de s’en rendre digne par ses efforts. Il est, comme le dit Hannah Arendt, « producteur de vie ». Je tenais à insister sur ce point en préambule, certain que je suis de son caractère consensuel. Mais, et tout est dans le « mais », le travail ne va pas sans risque. Les risques physiques, psychiques, sociaux, individuels et collectifs vont des atteintes à la santé à la précarité.

M. Thierry Braillard, rapporteur. Eh oui !

M. Michel Sapin, ministre. Le monde du travail est bien souvent rude. Il est ainsi des circonstances qui rendent impossible la poursuite d’une relation de travail. Gardons toujours à l’esprit que le travail comporte un jeu de forces qui ne peut pas disparaître. On peut certes le dépasser, trouver des compromis et passer des accords, comme le contrat de travail, mais des intérêts différents subsistent. Cela pose donc la question de la rupture de la relation de travail. La rupture par l’employeur revêt une forme juridique que chacun connaît trop bien : le licenciement.

Fort logiquement, il concentre l’attention du droit et de la doctrine. Ensemble, nous avons fait évoluer le droit dans le cadre de la loi de sécurisation de l’emploi, en créant des solutions alternatives au licenciement et, surtout, en donnant aux acteurs la possibilité de conclure des accords majoritaires définissant les contreparties d’un plan de licenciement collectif.

Pour le salarié, l’interruption du contrat de travail prend le plus souvent la forme de la démission, dont l’ampleur apparaît dans les chiffres que vous avez cités, monsieur le rapporteur. C’est un choix, un choix de vie, d’un autre emploi, d’un autre projet. Là encore, le droit encadre la forme et la procédure applicable.

Mais il est un cas particulier qui ne relève, au moment où il se matérialise, ni du licenciement ni de la démission : la prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Elle est rare mais peut être inéluctable. La jurisprudence fourmille d’exemples de salariés laissés sans travail, « mis au placard » comme on dit, et de conflits ouverts pouvant inclure des violences verbales et physiques. La prise d’acte constitue ainsi une situation extrême. Une solution rapide doit être trouvée afin que le salarié comme l’employeur connaissent leurs droits et obligations. Tel est le sens du recours au juge prud’homal. Je profite de l’occasion, comme vous l’avez fait, monsieur le rapporteur, et je vous en remercie, pour réaffirmer mon attachement à la justice prud’homale avec la plus grande netteté. Les conseillers prud’hommes réalisent un travail formidable, …

M. Thierry Braillard, rapporteur. Tout à fait !

M. Michel Sapin, ministre. …d’autant plus qu’ils font face, avec les moyens dont ils disposent, à la dureté du monde du travail accrue par la situation dégradée de l’emploi et à la complexité de certaines règles de droit. Surtout, ils tiennent entre leurs mains l’immense responsabilité de trancher là où les voies de la régulation personnelle et sociale ont échoué.

M. Thierry Braillard, rapporteur. Il importe de le dire !

M. Michel Sapin, ministre. La proposition de loi que nous examinons pose donc un principe simple. Lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification d’une rupture de contrat de travail à l’initiative du salarié et en raison de faits qu’il reproche à son employeur, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine. De fait, passer par l’étape de la conciliation, principe général des prud’hommes, n’a aucun sens. La situation de prise d’acte n’appelle plus de conciliation, elle appelle un jugement et la capacité de dire droit. En outre, il faut aller vite, car la rupture du contrat de travail porte en elle la question de l’indemnisation du salarié par l’assurance chômage, que vous avez très concrètement décrite, monsieur le rapporteur, et qui suppose que la rupture du contrat de travail soit assimilée à un licenciement.

C’est pourquoi le délai d’un mois, identique au délai applicable à la requalification de CDD en CDI, est pertinent. En fixant cette règle simple de procédure, la proposition de loi fait progresser les droits des salariés tout en offrant des garanties de sécurité juridique aux différents acteurs, les employeurs en particulier. Elle apporte ainsi à tous de la lisibilité et un cadre clair et constitue donc une œuvre utile d’approfondissement de notre État de droit. J’y reconnais, monsieur le rapporteur, la signature du radicalisme, bien représenté ce matin dans l’hémicycle.

M. Alain Tourret. Très bien !

M. Michel Sapin, ministre. Cette tradition française se fonde sur une approche réaliste. Elle est de gauche, évidemment.

M. Gérard Cherpion. Pas uniquement !

M. Thierry Braillard, rapporteur. Si !

M. Michel Sapin, ministre. Elle est réaliste car hostile aux promesses en tous genres, comme Pierre Mendès-France, issu de vos rangs, se plaisait à le dire. Elle est réaliste car ancrée dans des situations concrètes et vécues, arrimée dans le monde du travail et sa réglementation depuis la création du ministère du travail en 1906, dont le courant radical porte une part de la paternité.

M. Thierry Braillard, rapporteur et , M. Alain Tourret. Bravo !

M. Jean-Marc Germain. Au sujet des retraites, ils ont manqué de réalisme !

M. Michel Sapin, ministre. Elle est réaliste et en même temps pétrie de convictions, en faveur de l’état de droit tout spécifiquement. Peut-être est-ce aussi le fil de cette histoire qui vous amène, mesdames et messieurs les députés radicaux, à présenter une proposition de loi visant à gommer un manque du droit. Je salue donc votre initiative et vous en remercie, monsieur le rapporteur. Au nom du Gouvernement, je donne un avis favorable à votre proposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Dominique Orliac.

Mme Dominique Orliac. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout contrat de travail peut prendre fin, c’est la vie. Si la rupture est à l’initiative de l’employeur, il s’agit d’un licenciement. La loi du 25 juin 2008 a instauré un autre mode de rupture, la séparation à l’amiable entre les parties appelée « rupture conventionnelle du contrat de travail », qui a connu depuis sa création un réel succès, car il permet au salarié de quitter l’entreprise sans heurt et de bénéficier de l’assurance chômage. Il évite également à l’employeur un litige, au prix de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, ce qui constitue pour lui un moindre mal. Environ 26 000 ruptures conventionnelles sont homologuées chaque mois. Ce chiffre élevé suscite certaines interrogations, d’autant qu’il concerne principalement des salariés âgés de cinquante-six ans et plus.

Le troisième mode de rupture du contrat de travail est à l’initiative du salarié. Il s’agit de la démission, sur laquelle il faut bien convenir que le code du travail ne s’est jamais véritablement penché, les articles L. 1237-1 et suivants du code du travail s’intéressant surtout à la démission abusive. C’est donc la jurisprudence qui a comblé le vide juridique en définissant la démission du salarié par la manifestation d’une volonté claire et non équivoque de quitter l’entreprise et l’exécution d’un préavis dans des conditions pas toujours très simples. C’est également la jurisprudence qui, en 2003, a défini le régime juridique de la prise d’acte de rupture par le salarié. Il s’agit d’une sorte de démission brusque en raison de faits reprochés à l’employeur qui impose de facto la saisine du conseil de prud’hommes.

Que demande le salarié au juge prud’homal ? Tout simplement de juger si la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d’une démission. Si le jugement en fait un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’employeur est condamné à payer des indemnités légales et une indemnité liée au préjudice pour licenciement abusif. Le salarié sera finalement et rétroactivement pris en charge au titre de l’assurance chômage. L’enjeu est énorme, pour le salarié plus encore que pour l’employeur. Une étude éclairante publiée par le DARES en mai 2013 montre que la démission est le mode de rupture le plus utilisé, bien davantage que le licenciement, qu’il soit économique ou pour des motifs personnels, ou que la rupture conventionnelle.

Ainsi, en 2012, plus de la moitié des salariés âgés de trente à quarante-neuf ans mettait fin au contrat de travail par une démission, le pourcentage s’élevant à 69 % pour les moins de trente ans ! De tels chiffres ne peuvent laisser la représentation nationale indifférente. Certes, on peut démissionner car on a trouvé un autre emploi plus intéressant ou mieux rémunéré, ou parce qu’on déménage. Mais on peut aussi démissionner parce qu’on n’en peut plus de la vie quotidienne au travail. Les conséquences de la démission peuvent être dramatiques pour un salarié dépourvu de solution alternative pour son avenir. Certaines démissions constituent la seule solution pour le salarié.

La situation au sein de son entreprise est devenue pour lui intolérable, inacceptable. Mais démissionner ainsi, prendre acte de la rupture, peut être aventureux dans les semaines et les mois qui suivent. En effet, Pôle emploi ne prend pas en charge au titre de l’assurance chômage la période postérieure à la rupture, l’interprétant comme une démission, même si le Conseil des prud’hommes a été saisi dans un délai bref. Et c’est là qu’intervient l’initiative de notre excellent collègue Thierry Braillard et du groupe des députés radicaux de gauche et apparentés à travers cette proposition de loi.

M. Alain Tourret. Excellent !

Mme Dominique Orliac. Cette proposition vise à faire en sorte que l’imputabilité de la rupture soit tranchée rapidement, dans le délai d’un mois, afin qu’à la fois le salarié et l’employeur connaissent l’appréciation du juge sur les faits discutés et les conséquences qui en découlent. Aujourd’hui, un constat est partagé sur l’ensemble de ces bancs : la justice sociale ne se porte pas bien dans notre pays, et cela ne date pas d’hier. Les tribunaux des affaires de Sécurité sociale sont totalement engorgés et certains conseils de prud’hommes jugent des affaires avec des délais supérieurs à deux ans – des délais qui ne sont vraiment plus raisonnables.

Je tiens néanmoins à saluer le travail des juges prud’homaux, juges salariés comme juges employeurs, qui n’ont pas à porter la responsabilité d’une institution à bout de souffle – un constat d’ailleurs très bien relevé dans le rapport Marshall sur la justice du XXIsiècle. Mais dans certains cas, force est de constater que la situation est totalement insupportable, tant pour le salarié qui doit attendre trop longtemps pour connaître l’issue de ses demandes, que pour l’employeur qui doit, la plupart du temps, provisionner dans son bilan l’aléa judiciaire.

Là où la proposition de loi de Thierry Braillard est très pertinente, c’est que la procédure prud’homale classique n’est pas adaptée à la prise d’acte de rupture – et cette situation dure depuis des années. En effet, même si la conciliation est une étape importante de la procédure prud’homale, dans le cas précis de la prise d’acte, elle n’a aucun intérêt, puisque seul le juge de fond peut trancher sur l’imputabilité et dire s’il s’agit d’une démission ou d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire en commission, cette proposition de loi doit également être appréciée comme un signe. Un signe qui tend à montrer qu’il faut que les avocats, les greffiers, les juges, les conseillers syndicaux s’interrogent sur une remise à plat nécessaire et utile de la procédure prud’homale. Je sais que c’est une préoccupation de la garde des sceaux et de vous-même, monsieur le ministre.

Durant nos débats en commission, j’ai remarqué qu’on vous a objecté, monsieur le rapporteur, que les parties auraient du mal à respecter le délai d’un mois et que tout cela ne servirait à rien. Cela me rappelle cette formidable phrase prononcée par François Mitterrand, qui disait : « La volonté des hommes doit toujours l’emporter sur la fatalité des choses ».

M. Thierry Braillard, rapporteur. Excellent !

M. Alain Tourret. Très juste !

Mme Dominique Orliac. Nous ne devons pas tenir pour une fatalité le fait que le procès prud’homal ne puisse pas se tenir dans des délais raisonnables voire, dans certains cas de procédure accélérée, comme en l’espèce, respecter les délais fixés par la loi. Certes, il y a toujours la question des moyens affectés à la justice, un domaine dans lequel ce gouvernement a accompli, doit-on le rappeler, un effort important. Même s’il faut certainement aller encore plus loin financièrement, je pense qu’il s’agit également d’un changement de mentalités et de méthodes à opérer.

La rupture d’un contrat de travail est toujours un accroc dans la vie sociale d’une famille, qui entraîne parfois, malheureusement, des conséquences dramatiques. Dans nos circonscriptions, nous avons tous, un jour, été saisis de cas où nous sentions les personnes en difficulté avoir besoin d’une main tendue, d’une solution pour s’en sortir. Nous avons tous rencontré des salariés qui mentalement, moralement, étaient en train de craquer. En cas de rupture initiée par le salarié, être jugé dans le mois qui suit imposera aux parties, dans le respect du contradictoire, d’être assez diligentes pour que le procès ait lieu à la date fixée sans renvoi dilatoire ou fautif.

Pour conclure, si cette proposition de loi est adoptée par notre assemblée, puis par le Sénat, et qu’elle devient une loi, elle impliquera, monsieur le ministre, une sollicitation de votre part auprès des partenaires sociaux gérant l’UNEDIC. À ce jour, lorsqu’un contentieux est engagé à la suite d’une prise d’acte de rupture, l’UNEDIC considère que, quelles que soient la phase de la procédure et la décision du juge, l’indemnisation ne peut être versée que si la qualification de licenciement est retenue par la décision de justice, et uniquement lorsqu’elle ne peut plus faire l’objet de recours. Dès lors, si l’employeur fait appel, l’indemnisation n’est pas due, même si le juge a qualifié la rupture de licenciement. Il sera donc logique que l’UNEDIC modifie la réglementation pour tenir compte de cette évaluation.

Je suis fière que la justice sociale avance grâce à cette initiative des radicaux de gauche et de son rapporteur, Thierry Braillard. C’est un signe positif que notre assemblée enverra, j’en suis sûre, en adoptant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les orateurs qui m’ont précédé ayant déjà dit beaucoup de choses sur cette proposition de loi importante, mais consistant en un article unique, les autres intervenants auront sans doute un peu de mal à épuiser leur temps de parole…

Cela a été dit, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié est une institution prétorienne résultant de l’appréciation par la Cour de cassation de situations extrêmement concrètes se présentant en matière de droit du travail : il peut s’agir d’un salarié qui n’est plus payé, sans être pour autant licencié, d’un salarié qui, victime de harcèlement, doit quitter son entreprise et n’a pour cela le choix qu’entre la démission et la résiliation judiciaire. Cette procédure de résiliation judiciaire présente l’inconvénient de prendre beaucoup de temps, car c’est une décision qui ne peut intervenir qu’au fond – le juge des référés est doublement incompétent en la matière : à la fois pour prononcer la résiliation d’un contrat et en matière sociale.

Au fil des années, la Cour de cassation a construit, me semble-t-il, une institution équilibrée. J’aurai l’occasion de revenir sur ce point lorsque nous en viendrons à l’examen des amendements déposés par l’opposition, qui tendent justement à modifier l’équilibre de l’institution que j’ai évoquée. Actuellement, lorsqu’un salarié veut quitter son entreprise, il peut le faire de manière formalisée ou non. S’il opte pour la démission, dès lors que des éléments antérieurs ou contemporains de la rupture donnent à cette démission un caractère équivoque, elle peut être requalifiée – c’est le domaine de la prise d’acte. Parfois, la prise d’acte n’est pas du tout équivoque : je pense aux cas où le salarié indique par écrit à son employeur que son départ est dû à la faute de celui-ci, du fait qu’il n’a pas été payé, qu’il a été harcelé, ou encore que son contrat de travail a été unilatéralement modifié.

Dans de tels cas de « ruptures du troisième type » – pour reprendre une expression du conseiller Martinel –, le juge va ramener cette rupture à l’un des deux grands cas connus en droit du travail, à savoir le licenciement et la démission, la faisant ainsi rentrer dans le rang. Ceci fait, elle produira soit les effets d’une démission, soit ceux d’un licenciement. Il s’agit là d’une application spécifique au droit du travail de l’article 1184 du code civil qui prévoit d’une manière générale, en matière de contrats, la condition résolutoire et le siège de l’action en résiliation devant le juge. Il convient de préciser que la jurisprudence admet que la résiliation soit en quelque sorte prononcée de manière unilatérale, dès lors que les circonstances le justifient : c’est le cas en matière de droit civil et de droit commercial, mais aussi en matière de droit social, notamment sous cette déclinaison que constitue la notion de prise d’acte de la rupture, où l’on distingue, de façon classique, l’initiative de la rupture de son imputabilité.

M. Alain Tourret. Excellent !

M. Denys Robiliard. La prise d’acte produit des effets difficiles à gérer dans le temps, à la fois pour le salarié et pour l’employeur, qui ne sait pas forcément à quoi s’en tenir.

M. Thierry Braillard, rapporteur. C’est vrai !

M. Denys Robiliard. C’est difficile pour le salarié qui, parce qu’il a pris l’initiative de la rupture, peut se voir opposer par Pôle emploi le fait qu’il s’agisse d’une démission : si l’on considère que le salarié a perdu volontairement son emploi, il n’est pas éligible à l’allocation d’aide au retour à l’emploi. C’est difficile également pour l’employeur, qui risque d’être attaqué en justice, dans des délais qu’il ignore, et va donc être obligé de provisionner en conséquence – ce qui n’est jamais très agréable pour un employeur – pour faire face à des demandes qui peuvent se révéler infondées. La proposition de loi de M. Braillard permet de répondre à la fois aux inquiétudes de l’employeur et du salarié…

M. Thierry Braillard, rapporteur. Tout à fait !

M. Denys Robiliard. …dans la mesure où elle vise à mettre justement fin à l’indétermination. Pour cela, notre collègue propose de recourir à un véhicule que nous connaissons bien, celui de la requalification d’un contrat ou d’un acte. Vous le savez, en matière de contrat à durée déterminée, il est possible de saisir le juge d’une demande de requalification en contrat à durée indéterminée ; le juge doit alors statuer dans un délai d’un mois. C’est une forte exigence, car il est bien connu que, d’une manière générale, la justice a du mal à tenir un délai aussi court, mais c’est un délai impérieux : en principe, ce n’est pas simplement l’audience qui a lieu dans ce délai, c’est le jugement même qui doit être rendu.

Partant d’une institution connue, nous devons nous assurer des conditions de la mise en œuvre de la mesure proposée si nous voulons améliorer la situation actuelle de façon très significative. Pour cela, nous devons travailler dans deux directions. La première est celle de l’exécution provisoire de droit. Dès lors que la demande du salarié serait accueillie – c’est-à-dire que le juge considérerait que la rupture est bien imputable à l’employeur –, seraient dus à la fois le préavis, l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les deux premières catégories d’indemnités, dans la limite de neuf mois de salaire, sont exécutoires de droit par provision. Le problème, c’est que cette exécution provisoire n’est pas opposable à Pôle emploi.

M. Thierry Braillard, rapporteur. Eh oui !

M. Denys Robiliard. Il faudra donc que, dès lors qu’un jugement consacre l’imputabilité de la rupture à l’employeur, Pôle emploi accepte d’en tirer les conclusions qui s’imposent en termes indemnitaires – c’est le but de cette proposition de loi. Il nous appartient à nous, le Parlement, de passer la balle aux partenaires sociaux – de la même manière qu’il nous arrive parfois, à l’inverse, de transposer des accords nationaux interprofessionnels –, ce qui constitue une belle façon pour le législateur de dire aux partenaires sociaux qu’il ne peut rien sans leur concours. Ceux-ci devront donc, eux aussi, tirer les conséquences de l’existence d’une institution forgée par la jurisprudence et d’un régime procédural aménagé par le législateur. Peut-être pourrez-vous vous charger, monsieur le ministre, de porter aux partenaires sociaux ce message important pour les salariés comme pour les employeurs.

La deuxième direction dans laquelle nous devrons travailler est celle de l’efficacité des juridictions sociales. M. Braillard nous a rapporté les termes d’une convocation devant le conseil des prud’hommes de Nanterre : on ne peut qu’être ahuri devant de tels délais ! Fort heureusement, la juridiction de Nanterre n’est pas représentative de toute la justice prud’homale, mais il s’agit tout de même de l’un des plus importants conseils de prud’hommes de France. Le discours de rentrée du président du conseil des prud’hommes de Paris est également très édifiant quant au peu de moyens dont disposent ces juridictions : quelques ordinateurs même pas connectés à internet, une incapacité à financer l’acquisition des codes, parfois même des difficultés à acheter quelques ramettes de papier ! Puisqu’il appartient au législateur de se préoccuper des effets concrets de ses décisions, nous devrons nous pencher sur la situation des juridictions sociales en général, et prud’homales en particulier.

M. Thierry Braillard, rapporteur et M. Jean-Marc Germain. Très bien !

M. Denys Robiliard. Si cette proposition ne constitue que le début du travail qui devra être accompli, elle représente déjà une amélioration significative en termes de réduction des délais. Ne perdons pas de vue, toutefois, qu’après la première instance, il y a l’appel, et que la situation des chambres sociales des cours d’appel n’est pas forcément meilleure que celle des conseils de prud’hommes.

Mme Sophie Dion. C’est tout à fait juste !

M. Denys Robiliard. Nous examinerons dans quelques instants une série d’amendements de l’UMP s’inspirant de la proposition de loi de Mme Poletti. Je veux appeler l’attention de notre assemblée sur le risque qu’il y aurait à déséquilibrer l’institution patiemment élaborée par la Cour de cassation. Certains objecteront que l’employeur ne sait pas à quoi s’en tenir : non seulement il ne prend pas l’initiative de la rupture, mais il court le risque d’être condamné pour un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse qu’il n’a pas prononcé. Certes, mais le salarié qui prend l’initiative de la rupture s’expose, lui, à un double risque.

Le premier risque, important par les temps qui courent, est de ne pas être indemnisé au titre du chômage. Le deuxième risque, si l’on n’a pas respecté le délai de préavis, est de se voir condamner reconventionnellement au versement de dommages et intérêts ou, plus exactement, d’une indemnité égale à la durée du préavis qu’il aurait dû effectuer. Sur cette question, la jurisprudence est ancienne et très solide : un salarié qui ne respecte pas son préavis peut être condamné à indemniser son employeur à hauteur du montant des indemnités de préavis qui lui auraient été versées. C’est un risque très important puisque, passé une certaine ancienneté, le préavis que doit effectuer un cadre est de deux ou trois mois.

Un équilibre existe actuellement en la matière. L’employeur pourra solliciter reconventionnellement cette condamnation, y compris dans le cadre de la saisine à bref délai – la décision devant intervenir au plus tard au bout d’un mois – qui débouchera sur une requalification. Aussi prenons garde, dans la suite de notre discussion, à ne pas déséquilibrer le système actuel. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Thierry Braillard, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Bérengère Poletti.

Mme Bérengère Poletti. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour examiner la proposition de loi de notre collègue Thierry Braillard, qui a le mérite d’être d’une simplicité biblique et d’aller droit au but pour régler un problème précis et bien connu des avocats.

En effet, mon cher collègue, vous vous attaquez au problème des délais de jugement du conseil des prud’hommes, quand il est saisi par un salarié d’une demande de qualification d’une prise d’acte de rupture du contrat de travail pour des faits qu’il reproche à son employeur.

Vous l’avez dit, l’acte de rupture du contrat par le salarié à la suite d’un manquement présumé de l’employeur peut être envisagé à tout moment par le salarié. La jurisprudence définit les motifs justifiant le recours à cette procédure de rupture originale : le harcèlement ou la discrimination commis par l’employeur, le non-paiement des salaires, la modification du contrat de travail sans l’accord du salarié ou encore, bien sûr, les violences commises sur le lieu de travail.

La prise d’acte est une réponse d’urgence qui permet au salarié de quitter son lieu de travail quand les conditions n’y sont plus tenables. Toutefois, à l’immédiateté du départ succède la longueur de la procédure de saisine du conseil des prud’hommes, auquel il revient de qualifier ensuite la prise d’acte en démission ou en licenciement.

Cela a été dit en commission, les délais pratiqués actuellement par les prud’hommes sont insupportables, ce qui est également le cas, malheureusement, dans de nombreuses autres juridictions. Dans votre exposé des motifs, vous mentionnez une moyenne de dix mois, qui atteint seize mois en région parisienne. On sait que dans d’autres grandes villes, ces délais atteignent facilement et couramment plus de trois ans.

Or, nous le savons tous, le salarié ne peut bénéficier d’indemnités chômage avant la fin de la procédure judiciaire, ou du moins, avant la fin du jugement en première instance, à condition, bien sûr, que ce dernier lui soit favorable, en qualifiant la prise d’acte de licenciement. Seule exception possible, la demande des salariés ayant pris acte de la rupture du contrat pour non-paiement des salaires peut être prise en compte par Pôle emploi s’ils justifient d’une ordonnance de référé. Mais, là encore, il s’agit d’une réponse partielle, dont la mise en œuvre est complexe.

Conséquence évidente de ces délais de jugement : la précarité qui guette des anciens salariés privés de ressources, exception faite de ceux qui auront la chance de retrouver un emploi rapidement. Or, la situation de l’emploi restant catastrophique, en dépit de la folle promesse de l’inversion de la courbe du chômage et des efforts désordonnés du ministre du travail, il est heureux que Thierry Braillard soumette ce sujet à notre réflexion commune.

En tenant de tels propos, monsieur le ministre du travail, j’ai la certitude que vous m’écoutez ! (Sourires.)

M. Michel Sapin, ministre. Je vous écoute très attentivement, même lorsque vous ne dites pas de gentillesses ; en pareil cas, j’ai tendance à ressentir vos propos comme des caresses ! (Sourires.)

Mme Bérengère Poletti. Je ne sais pas comment je dois prendre cela… Toujours est-il qu’après vous avoir interpellé, je vous vois lever la tête !

Plusieurs de nos collègues ont évoqué en commission avoir été saisis par des personnes de leur circonscription qui ne pouvaient supporter cette situation que grâce à une solidarité familiale et personnelle. Il est impératif, afin que la justice ne soit pas le catalyseur d’une descente aux enfers pour ces anciens salariés, de resserrer les délais dans lesquels le juge doit statuer, dans l’intérêt du salarié comme de l’entreprise.

Vous estimez qu’on peut faire l’économie d’un passage par le bureau de conciliation, puisque la jurisprudence n’admet pas l’éventuelle rétractation du salarié, et vous proposez que les demandes de qualification de prises d’acte soient directement traitées par le bureau de jugement, seul apte à décider de l’imputabilité de la rupture.

Ce faisant, vous faites de la prise d’acte de rupture un litige devant faire l’objet d’une procédure accélérée au même titre que les recours contre les refus de congés spéciaux, les contestations portant sur les créances en matière de redressement ou liquidation judiciaire ou encore les demandes de requalification de contrats précaires.

Si l’on ne peut que saluer la volonté de notre rapporteur, le débat qu’il nous propose amène de nouvelles questions.

S’agissant tout d’abord du fonctionnement des prud’hommes, comment expliquer de tels délais ? La proposition de loi de notre collègue pointe précisément du doigt le dysfonctionnement dont souffre actuellement la prud’homie. Adopter une nouvelle procédure dérogatoire pour traiter la prise d’acte de rupture nous oblige à nous poser une question simple : si les conseils prud’homaux souffrent déjà d’un engorgement préjudiciable aux requérants, est-il tenable et réaliste de prévoir un délai très resserré d’un mois pour statuer ?

Citons un jugement rendu le 20 novembre 2013 par le tribunal de grande instance de Paris : à la suite d’une procédure particulièrement longue devant le conseil des prud’hommes de Bobigny, excédant le délai raisonnable de jugement, l’État a été condamné à verser à dix salariés, à titre de dédommagement, 5 000 euros par personne pour déni de justice.

Adopter ce texte ne peut ni ne doit nous exonérer d’une réflexion en profondeur sur le fonctionnement de nos juridictions sociales, considérées dans leur ensemble. D’ailleurs, rappelons que le Gouvernement a déposé au mois de janvier un projet de loi d’habilitation à définir par ordonnance les nouvelles modalités de désignation des juges prud’homaux.

Les dispositions relatives aux conseils de prud’hommes, qui figuraient initialement dans le projet de loi sur la formation professionnelle, ont été retirées de ce texte – c’est heureux –, car, à l’instar des dispositions concernant l’Inspection du travail, elles n’avaient rien à y faire. Toutefois, l’occasion n’est-elle pas venue d’engager une véritable réflexion sur ce sujet plutôt que de laisser le Gouvernement dessaisir le Parlement de ses prérogatives, en votant ce projet d’habilitation ?

Deuxième question ou réflexion : cette proposition de loi constitue une avancée pour les salariés, mais aussi pour les employeurs.

M. Thierry Braillard. Tout à fait !

Mme Bérengère Poletti. Pour une entreprise, en particulier pour une petite structure, le départ inopiné d’un salarié pose un certain nombre de problèmes, parmi lesquels, outre le remplacement de ce salarié, la constitution d’une provision pour indemnités. Un jugement et une clarification rapides de la situation sont donc bénéfiques pour les deux parties. Néanmoins, alors que vous supprimez l’étape de la conciliation, ne serait-il pas légitime de prévoir une disposition complémentaire en vue d’informer l’employeur des griefs qui lui sont reprochés par le salarié ? En effet, à l’heure actuelle, ce dernier prend acte de la rupture de son contrat au moment de l’envoi du courrier de prise d’acte à son employeur. Du fait des délais resserrés, cette disposition complémentaire semble indispensable afin de laisser le temps à l’employeur de préparer sa défense. C’est ce que je propose dans un amendement.

Troisième observation : la notion de prise d’acte de rupture du contrat de travail est définie par la jurisprudence de la Cour de cassation, mais n’est pas inscrite dans le code du travail. Ne conviendrait-il pas de fixer dans la loi les principaux éléments de jurisprudence afin d’encadrer légalement la prise d’acte ? Je vous proposerai d’ailleurs de franchir un premier pas en ce sens, en soumettant à votre examen un amendement ayant cet objet.

Le groupe UMP demeure dans l’attente des débats que nous allons tenir.

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d’abord, au nom du groupe UDI, à remercier le rapporteur pour son travail sur cette proposition de loi.

Cet éclairage sur ce sujet méconnu de notre droit du travail que sont les prises d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié s’est en effet révélé particulièrement utile et intéressant.

Rappelons, à cet égard, que la prise d’acte de rupture par le salarié vaut cessation instantanée du contrat de travail, en l’absence même de tout préavis : cette démarche n’est donc pas, bien entendu, sans porter à conséquence.

Cette proposition de loi du groupe RRDP met ainsi en lumière la difficulté qui se présente au salarié lorsque ce dernier souhaite quitter son entreprise, s’il estime que des manquements graves sont à déplorer.

C’est donc avant tout d’améliorer la protection des salariés qu’il s’agit, face à une situation instable juridiquement. Cette initiative ne peut qu’être saluée.

En effet, nous ne pouvons pas ignorer que certains employeurs commettent des infractions au code du travail, qui peuvent placer le salarié dans une situation intenable.

Il est donc important que, dans de telles situations, le salarié victime puisse faire valoir ses droits et être protégé par la loi. La démission du salarié, qui est bien souvent privilégiée, n’est pas satisfaisante ; elle est même injuste lorsqu’elle résulte d’une faute de l’entreprise.

Pourtant, bien souvent, tant l’incertitude est grande aujourd’hui autour de la prise d’acte de rupture, il est conseillé aux salariés de rester chez leur employeur, tout en demandant une résiliation judiciaire du contrat auprès des prud’hommes.

M. Thierry Braillard, rapporteur. Exactement, c’est le vrai problème !

M. Yannick Favennec. Dans la pratique, ce genre de situation paraît bien difficile à gérer pour un salarié, qui, tentant de faire valoir ses droits, fait face, de facto, à la suspicion de son employeur.

M. Thierry Braillard, rapporteur. Exact !

M. Yannick Favennec. N’oublions pas que la prise d’acte de rupture par le salarié fait généralement suite à l’invocation de faits particulièrement graves, au point de remettre en cause la poursuite du contrat de travail et la présence du salarié au sein de l’entreprise.

Dans ces cas, et au-delà du seul aspect juridique, les facteurs psychologiques et sociaux ne doivent jamais être omis.

Or, les salariés qui décident de prendre acte de la rupture du contrat de travail se retrouvent face à une double difficulté : sans emploi, ils perdent également leur couverture sociale, dans l’attente du jugement des prud’hommes, seul juge de l’imputabilité de la rupture d’un contrat de travail.

Bien souvent, le délai d’attente de ce jugement est tel que les salariés se trouvent confrontés à des situations de grande précarité. En effet, dans l’attente d’un jugement, seule la situation de chômage du demandeur d’emploi peut être constatée, sans qu’il soit possible de le qualifier, ou non, de chômage volontaire.

Pôle emploi prend donc majoritairement des décisions de rejet de la demande d’allocations, au motif que le droit aux allocations de l’assurance chômage ne peut être ouvert qu’aux seuls salariés dont la cessation du contrat de travail résulte d’un licenciement, d’une fin de CDD, d’une démission considérée comme légitime, ou encore d’une rupture conventionnelle du contrat de travail.

Étant donné que les délais d’attente de jugement de l’instance prud’homale sont estimés en moyenne à dix mois, voire seize mois à Paris, les salariés sont confrontés à une situation particulièrement précaire. Mais au-delà, la procédure peut être bien plus longue, en particulier dans l’hypothèse de l’absence de conciliation devant le bureau de jugement et d’un renvoi en jugement.

Il n’est clairement pas acceptable qu’un salarié, dans l’attente d’une décision judiciaire, puisse se retrouver sans aucune ressource durant des mois entiers. Nous ne pouvons bien évidemment pas rester insensibles à ces situations personnelles souvent lourdes de conséquences, et nous nous accorderons tous sur la nécessité d’y apporter une solution.

Ainsi, la proposition de loi du groupe RRDP, en raccourcissant les délais d’instance en cas de prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié, vise-t-elle avant tout à tenter de trouver une solution satisfaisante. À l’image de ce qui existe déjà pour les demandes de requalification des contrats de travail, une procédure rapide constitue nécessairement une part essentielle de la réponse à l’incertitude à laquelle font face à la fois les salariés et les employeurs. Ces avancées sont largement attendues, et cet objectif ne peut qu’être salué.

Cela est d’autant plus vrai que cette proposition de loi a obtenu, le rapporteur l’a rappelé en commission, l’assentiment des organisations syndicales mais également des praticiens du droit du travail, qu’ils défendent des salariés ou des employeurs. Les praticiens ont souligné le caractère inadéquat de la procédure de résolution judiciaire, tout en reconnaissant que souvent, faute de mieux, ils la conseillaient à leurs clients.

Toutefois, cette disposition nous paraît insuffisante.

En premier lieu, sur la forme, il est regrettable qu’un grand consensus avec les organisations patronales n’ait pu être trouvé sur cette question.

En second lieu, sur le fond, ajouter une exception à la procédure judiciaire, qui viendrait se superposer à celles déjà existantes, ne nous paraît être la meilleure solution. Cela irait en outre à l’encontre du choc de simplification promis par le Président de la République.

Plutôt que de créer un nouveau délai accéléré, des mesures ambitieuses devraient être prises afin de réduire les délais, aux prud’hommes mais aussi, plus généralement, pour toutes les décisions de justice.

En effet, ces délais, dans leur globalité, représentent une difficulté importante, tant pour les salariés que pour les entreprises, mais également pour tous les citoyens, en cas de litige.

Parmi les exigences du procès équitable protégées par la Convention européenne des droits de l’homme, figure le droit pour tout justiciable à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable.

Or les procédures s’étalant sur près d’une décennie entre la première instance et la cassation ne sont pas rares dans notre pays. C’est pourquoi la France est régulièrement condamnée pour non-respect du délai raisonnable par la Cour européenne des droits de l’homme. Cette lenteur de la justice est d’autant plus inquiétante qu’elle porte généralement préjudice aux justiciables les plus fragiles, ce que bien sûr nous ne pouvons tolérer.

Mes chers collègues, si le groupe UDI comprend l’objectif de cette proposition de loi, il considère néanmoins que celle-ci n’aborde pas le problème sous le bon angle. Plutôt que de se limiter à ce seul cas particulier, nous souhaitons que soit engagé un chantier véritablement ambitieux sur la réduction des délais de justice en France.

En effet, les dysfonctionnements de la justice responsables du désarroi des professionnels, des citoyens et des justiciables sont de plus en plus nombreux. Nous sommes aujourd’hui face à un service public de la justice qui ne dispose plus des capacités d’absorption suffisantes pour répondre aux exigences d’une société en pleine judiciarisation. Nous sommes face à une justice jugée complexe, illisible, dont l’usage est difficile et parfois incohérent. Nous sommes face à une défense à deux vitesses et à une réelle inégalité en matière d’accès au droit.

Ce dont nous avons besoin, c’est repenser la justice dans sa totalité, en prenant en compte l’ensemble des acteurs de notre système judiciaire et l’ensemble des problématiques qui l’entourent, de manière à améliorer le fonctionnement de cette institution tout en préservant son indépendance.

Sur un sujet aussi fondamental, nous ne pouvons pas nous en tenir à des améliorations à la marge, à des réformes de procédure. C’est pourquoi sereinement, mais de façon déterminée, le groupe UDI appelle le Gouvernement à se saisir de ce sujet sans plus tarder.

M. Gérard Cherpion. Voilà bien longtemps que nous l’avons fait !

M. Yannick Favennec. En outre, monsieur le ministre, un tel projet nous paraît s’inscrire parfaitement dans le cadre du choc de simplification promis par le Président de la République. Aussi, tout en saluant la démarche de nos collègues RRDP, les membres du groupe UDI s’abstiendront.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas.

M. Jean-Louis Roumegas. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, le texte présenté aujourd’hui par nos collègues du groupe RRDP est salutaire : nous l’abordons comme une volonté de clarification, de simplification – le terme a été employé – et de justice sociale, car c’est avant tout de cela qu’il s’agit.

Cette proposition de loi arrive en débat au moment où, dans ma circonscription – je me permets d’évoquer ici mon expérience personnelle, mais je pense que cela concerne nombre d’entre nous –, j’ai été confronté à ce type de cas.

Deux semaines avant que nous examinions ce texte en commission, une famille est venue me voir et m’a présenté le cas de son enfant qui, après n’avoir perçu aucun salaire pendant plusieurs mois, ce qui constitue de la part de l’employeur une faute grave, a suivi le conseil de la DIRECCTE, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, et demandé une prise d’acte de rupture de contrat. Après plusieurs mois sans percevoir de salaire, il a dû ensuite patienter plusieurs mois sans recevoir d’indemnité de chômage durant la procédure devant le tribunal, le conseil des prud’hommes s’étant déclaré incompétent. Seule la solidarité familiale lui a permis d’échapper à une faillite personnelle, puisqu’il avait des crédits à rembourser.

Si la majorité des alertes qui nous parviennent concernent la difficulté à entrer pleinement dans une activité professionnelle, il n’en demeure pas moins que de nombreux salariés vivent, ce qui correspond à une autre dimension de la crise sociale, une véritable souffrance au travail, un mal-être qui se concrétise souvent par un sentiment de désespoir voire d’abandon.

La pression, le stress, le chantage à l’emploi, les impasses jurisprudentielles que vous visez au travers de ce texte placent les salariés dans une situation de totale impuissance face à cette souffrance au travail.

La proposition de loi que vous présentez aujourd’hui, chers collègues du groupe RRDP, a donc le mérite de tenter d’apporter des réponses concrètes à tous ceux qui, déjà pénalisés par des conditions de travail insoutenables, prennent le risque, par un départ, de subir en outre l’absence d’indemnisation.

Cette proposition de loi va donc dans le bon sens, car elle envoie un signal aux salariés qui, malgré le comportement fautif de leur employeur, n’osent pas rompre leur contrat de travail de peur de se retrouver dans une situation de précarité du fait d’un défaut de prise en charge par Pôle emploi. C’est également un signal tout aussi salutaire en direction des employeurs indélicats qui multiplient les abus et ne répondent plus aux termes du contrat qui les lient à leurs salariés.

Dans cette perspective, et prenant acte des différentes jurisprudences ainsi que de l’absence de référence au sein du code du travail, il y a lieu de qualifier clairement la prise d’acte de rupture à l’initiative du salarié et de l’inscrire, comme le suggère ce texte, au sein du code du travail, notamment après l’article L. 1237-1. Le conseil de prud’hommes ainsi saisi, l’affaire sera portée devant le bureau de jugement qui statuera au fond dans un délai d’un mois.

Le groupe écologiste soutient et votera cette proposition et tient à saluer cette belle initiative portée par le groupe RRDP, qui doit être ici remercié.

Au-delà de cette initiative, nous engageons fermement M. le ministre du travail à préserver et à renforcer les conseils de prud’hommes. C’est un pilier fondamental de notre démocratie sociale, une instance qui a été bien trop souvent mise à mal ; on se souvient notamment de la cure d’amaigrissement drastique opérée par Mme Dati en 2008, par laquelle 60 conseils sur 271 avaient été supprimés, soit environ 25 % du total. Cela a eu pour conséquence le rallongement de la durée de traitement des affaires. Tous les rapports montrent que la durée moyenne est de quinze mois, avec des records atteignant vingt et un mois, voire trois ans dans certains tribunaux extrêmement engorgés.

Il y a lieu de rappeler que l’État français a été régulièrement condamné pour dysfonctionnement du service public de la justice. Nous formulons donc le vœu qu’en la matière le changement soit au rendez-vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cherpion.

M. Gérard Cherpion. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que nous avons achevé hier l’examen d’un projet de loi sorti au forceps de notre Parlement, je tiens à saluer l’inscription à l’ordre du jour d’un texte d’origine parlementaire, lequel est discuté de façon apaisée.

Il faut toutefois préciser que la présente discussion n’aurait pu avoir lieu sans la réforme constitutionnelle de 2008, fortement critiquée à l’époque par les députés siégeant sur les bancs de l’actuelle majorité, qui ne l’ont pas votée.

D’origine jurisprudentielle, la prise d’acte de rupture permet au salarié de rompre unilatéralement le contrat de travail à durée indéterminée. Il est important de rappeler que si les faits ayant motivé la rupture sont suffisamment graves, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, elle produira les effets d’une démission.

Afin de statuer sur les conséquences de la prise d’acte, le salarié a la possibilité de saisir le conseil des prud’hommes. Durant la période d’attente du jugement, le salarié, il est vrai, ne peut percevoir d’allocation chômage, tout au moins pendant les premiers mois, et sous réserve d’un accord de Pôle emploi. C’est donc avec l’intention louable de remédier à cette situation que le texte qui nous est soumis propose d’imposer aux conseils prud’homaux de statuer, sur le fond, dans le délai d’un mois.

Si la proposition paraît séduisante, je m’interroge néanmoins sur l’application de ses dispositions ainsi que sur leur portée.

Monsieur le rapporteur, compte tenu du délai que vous avez retenu, un premier constat récurrent et bien connu s’impose : notre système judiciaire manque de moyens non seulement économiques, mais aussi humains, vous l’avez dit. Dès lors, il paraît bien difficile d’imposer un tel délai. Certes, la même contrainte existe déjà dans le cadre d’une demande de requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et, depuis cette semaine, dans le cadre des ruptures de stage.

M. Thierry Braillard, rapporteur. Tout à fait !

M. Gérard Cherpion. Pour autant, si cette procédure spéciale est prévue à l’article L. 1245-2 du code du travail, les cas de requalification sont, quant à eux, énumérés à l’article L. 1245-1. La tâche du conseiller prud’homal s’en trouve ainsi simplifiée, ce qui n’est pas le cas pour la procédure qui nous intéresse qui, je tiens à le souligner, porte sur des sujets bien plus divers et plus complexes.

La proposition de loi a pour objet de protéger le salarié ; je redoute qu’au contraire elle le précarise. Le délai particulièrement court d’un mois peut avoir l’effet de créer une aubaine pour les salariés et se révéler néfaste pour leurs intérêts. Le conseil de prud’hommes n’est pas une chambre d’enregistrement des griefs du salarié contre son employeur, et vice-versa, d’ailleurs. Cette procédure peut être lourde de conséquences.

Avec ce texte, l’instance prud’homale devra se prononcer par un jugement définitif sur le fond de l’affaire dans un délai extrêmement court. À titre purement comparatif, la procédure d’urgence de droit commun qui est celle des référés ne porte généralement pas sur le fond d’une affaire. Surtout, l’ordonnance qui est rendue a la particularité d’être provisoire dans l’attente d’un procès sur le fond. Je me permets de préciser par ailleurs que tout l’intérêt de la présente proposition de loi cessera lorsqu’une des parties interjettera appel.

Qu’en sera-t-il également du respect du principe du contradictoire et des droits de la défense ? Il va sans dire qu’ils seront largement réduits puisque les parties n’auront pas, dans le délai qui leur sera imparti, pleinement le loisir de rassembler leurs pièces et d’organiser leur stratégie.

Vous l’aurez compris, l’application de cette proposition de loi sera non seulement compliquée mais aussi peu raisonnable au regard de l’objectif constitutionnel de bonne administration de la justice. À cet égard, il est étonnant que, sous prétexte de protéger le salarié, le passage devant le bureau de conciliation soit supprimé au profit d’un renvoi direct devant le bureau de jugement. Pourtant, cette étape préliminaire est particulièrement importante non seulement pour l’information des parties, mais aussi et surtout pour la recherche d’une issue amiable au conflit qui pourrait s’avérer salutaire pour le salarié ; je vous renvoie à l’article L. 1411-1 du code du travail.

Tout cela intervient dans un contexte d’augmentation permanente du taux de chômage, monsieur le ministre. Les chiffres qui sont parus hier ne semblent en effet pas correspondre à ceux qui sont publiés par la DARES et que personne ne conteste, me semble-t-il. Ainsi, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, il y aurait eu non pas 8 000 mais 13 000 chômeurs de plus entre le mois de décembre et le mois de janvier, 31 800 si on prend en compte l’ensemble des catégories.

Je l’ai dit à de nombreuses reprises, l’intention des auteurs est bonne, cependant, dans l’état actuel du fonctionnement de notre système judiciaire et des moyens mis à sa disposition, je redoute que ce texte soit concrètement inapplicable ; c’est la raison pour laquelle je m’abstiendrai. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Dion.

Mme Sophie Dion. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi visant à améliorer la procédure applicable à la prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié vient trop vite et trop tôt.

En droit, cette forme de rupture ne figure pas dans le code du travail. Son régime juridique a été défini par le juge et par la chambre sociale de la Cour de cassation. C’est une distinction classique qui est prévue entre l’initiative et l’imputabilité de la rupture dans le cas particulier d’une prise d’acte de rupture. Selon les éléments dont il dispose, le juge qualifie la rupture soit de licenciement soit de démission.

En pratique, cependant, la relation contractuelle cesse d’exister dès le moment de la prise d’acte, pour laquelle le salarié n’est pas tenu de respecter un délai de préavis. Après notification de celle-ci, l’employeur n’a plus obligation de verser un salaire.

Mais nous connaissons tous les délais de traitement des affaires au fond par les conseils de prud’hommes : ils varient de treize à plus de vingt-quatre mois, voire trois ans, selon le rapport Marshall sur les juridictions du XXIe siècle, remis à la ministre de la justice en décembre 2013. Ces délais, monsieur le ministre, sont beaucoup trop longs. Cela contrevient au droit pour tout justiciable de voir sa cause entendue dans des délais raisonnables.

Nous ne pouvons pas laisser le salarié, pas plus que l’employeur, d’ailleurs, pendant plusieurs années dans l’incertitude sociale et financière. Cette insécurité juridique est dommageable pour tous.

En attendant la décision de justice, l’employeur doit provisionner le montant des indemnités auxquelles il pourrait être condamné si les faits reprochés sont fondés et le salarié se retrouve dans une situation financière précaire. Les documents qui auront été obligatoirement fournis par l’employeur – attestation Pôle emploi, certificat de travail et reçu pour solde de tout compte – n’ouvrent pas droit aux allocations chômage pour le salarié dans l’intervalle, ou en tout cas pendant de très nombreux mois, quatre au minimum. Seuls les salariés ayant pris acte de la rupture de leur contrat pour non-paiement des salaires pourront, avec une ordonnance de référé, être pris en charge par Pôle emploi.

Par conséquent, face à cette situation, vous proposez de supprimer la phase de conciliation pour faire en sorte que le litige soit examiné par le bureau de jugement dans un délai maximum d’un mois après la saisine du conseil des prud’hommes, une procédure déjà prévue par le code du travail pour la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée.

On instaure une exception au droit commun de la procédure prud’homale. Pourquoi pas. Je comprends bien l’objectif de votre proposition de loi, mais on ajoute encore des dispositions dans le code du travail, qui plus est de manière partielle et imparfaite. Pourtant, j’ai cru comprendre que, même au sein de votre majorité, nombreux sont ceux qui, enfin, réclament un allégement du code du travail.

M. Thierry Braillard, rapporteur. Ben voyons !

M. Gérard Cherpion. Pour le plus grand bonheur des avocats !

Mme Sophie Dion. Or tous ceux qui vivent dans le monde du travail – salariés ou employeurs – considèrent déjà ce code comme une entrave.

De plus, vous ajoutez un article sans en avoir examiné les conséquences pratiques. Pouvez-vous nous dire précisément combien de cas seront concernés par cette procédure et quel en sera l’impact sur le fonctionnement de la juridiction prud’homale ? Les délais pourront-ils être respectés, alors même que la juridiction est déjà engorgée ?

C’est pourquoi, monsieur le rapporteur, je considère que votre texte arrive trop vite et trop tôt. Il aurait pu s’intégrer dans une réflexion plus globale sur le rôle du juge en matière de droit du travail et sur la possibilité de mettre en place des modes alternatifs de résolution des litiges. En l’espèce, vous supprimez la conciliation.

Or, monsieur le ministre, la conciliation n’est-elle pas, d’une manière générale, la voie de l’avenir dans le contentieux prud’homal ?

Personnellement, je connais bien ce domaine et je considère très sincèrement que le système du paritarisme est une très bonne chose : les juges sont élus par leurs pairs et ont une vraie connaissance du terrain, de l’entreprise et du milieu professionnel. Je regrette donc que vous entendiez supprimer l’élection des conseillers prud’homaux pour la remplacer par une désignation.

En revanche, il me semblerait important que le Gouvernement lance assez rapidement une vraie réflexion sur le rôle du juge en matière de droit du travail. Vous devriez prévoir les instruments permettant de donner un rôle central à la procédure de conciliation dès lors qu’il faut trancher des litiges. Il n’y aurait à cela que des avantages : les parties pourraient s’entendre, la situation sociale et financière serait réglée ; surtout, les délais seraient raccourcis et la charge de travail des juges se trouverait allégée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Thierry Braillard, rapporteur. Je remercie Mme Orliac et M. Robiliard pour les propos qu’ils ont tenus. Je voudrais remercier également Mme Poletti qui connaît parfaitement bien cette question ; elle avait d’ailleurs déposé, en 2011, une proposition de loi sur ce sujet. Je la remercie donc d’avoir dit que cette proposition constitue une avancée pour les salariés et les employeurs – je crois que c’est effectivement le cas.

Je sais gré également à M. Roumegas d’avoir rappelé à notre bon souvenir, tant il est vrai que nous vivons dans des temps sans mémoire, la réforme Dati. On oublie parfois que son objet était de fermer un nombre assez important de conseils de prud’hommes, souvent de petite taille.

Je me souviens des débats que nous avions eus alors dans cette assemblée. La garde des sceaux de l’époque nous avait expliqué que, grâce à cette réforme, les conseils de prud’hommes gagneraient en efficience et en efficacité. Force est pourtant de constater, au vu des rapports qui ont été consacrés à ce sujet, que c’est l’inverse qui s’est produit : dans certains cas, les délais ont explosé dans ce qui est devenu une sorte de grand barnum, et ce n’est que dans les conseils de petite taille que l’on trouve encore des procédures adaptées et limitées. Je vous remercie donc, monsieur Roumegas, d’avoir rappelé les causes de cette situation.

Monsieur Cherpion, comme beaucoup ici, j’apprécie d’une manière générale ce que vous faites.

M. Michel Sapin, ministre. C’est vrai !

M. Thierry Braillard, rapporteur. Toutefois, je suis obligé de vous dire que, techniquement, la conciliation n’est absolument pas opportune dans le cas d’une prise d’acte de rupture, puisque le bureau de conciliation, dans l’état actuel des textes, n’a pas le pouvoir de trancher le litige. La seule chose que l’on demande, quand on saisit les prud’hommes à la suite d’une rupture intervenue à la demande du salarié, c’est que le litige soit tranché au fond.

Je ferai la même réponse à Mme Dion, qui s’est placée elle aussi sur le terrain de la conciliation : en l’espèce, cette procédure ne s’applique pas.

Mme Sophie Dion. Je parlais en général et non de ce cas particulier !

M. Thierry Braillard, rapporteur. Je le sais bien, mais laissez-moi terminer !

Je voudrais vous faire une seconde remarque. L’autre jour, j’ai entendu le président Accoyer, député d’un département qui n’est pas très éloigné du vôtre, nous faire un grand laïus sur le code du travail. Selon lui, il faut l’alléger car il comporte trop d’articles et de pages. Vous l’avez dit vous-même ; en vous écoutant, j’ai d’ailleurs cru entendre M. Accoyer. Or, dans quelques minutes, Mme Poletti va défendre un amendement tendant à ajouter trois pages au code du travail.

Mme Bérengère Poletti. Effectivement, Mme Dion n’est pas d’accord avec moi !

M. Thierry Braillard, rapporteur. J’espère donc, madame Dion, que vous direz à votre excellente collègue que le code du travail est déjà tellement complet qu’il ne faut rien lui ajouter.

M. Alain Tourret. Très bien !

M. Guy Geoffroy. C’était vraiment une réponse de fond !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. On voit bien que le débat porte à la fois sur le texte – ce qui vient d’être dit sur la conciliation est au cœur de la présente proposition de loi – et sur le contexte. Au fond, la question est la suivante : avons-nous les moyens de faire en sorte qu’une bonne réforme devienne une réalité pour les salariés concernés ? Cette question, posée par les uns et par les autres, est parfaitement légitime.

M. Gérard Cherpion. Eh oui ! C’est une vraie question !

M. Michel Sapin, ministre. Nous avons dit et redit combien, dans le cas précis qui nous intéresse aujourd’hui, la conciliation n’a aucun objet, puisque l’on se trouve au terme d’un long conflit interne à l’entreprise. En l’espèce, la seule question est de savoir comment l’on dénoue ce conflit. Il faut qu’il y ait une décision ; c’est elle, et non pas la conciliation, qui est attendue. La phase de conciliation n’est donc, dans ce cas, qu’une manière de reporter la décision à plus tard.

En revanche, madame Dion, quand vous me demandez si l’on peut, d’une manière générale, donner plus d’importance à la conciliation dans le fonctionnement de notre système juridictionnel, je ne peux que vous répondre oui. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait – sans votre soutien, malheureusement – avec la loi sur la sécurisation de l’emploi. À travers ce texte, nous avons souhaité que, s’agissant de licenciements, la phase de conciliation soit importante, alors même qu’elle était systématiquement évitée.

M. Thierry Braillard, rapporteur. Tout à fait !

M. Michel Sapin, ministre. Jusqu’à présent, on passait directement à la phase suivante, alors même que, dans ce cas, une conciliation pouvait être nécessaire et donner un résultat positif.

Nous avons donc d’ores et déjà étendu le recours à la conciliation. Les choses sont en train de se mettre en place dans l’ensemble des juridictions concernées, en particulier les prud’hommes, que nous aidons, à travers d’autres mesures, à prendre des décisions qui soient synonymes de sécurisation pour le salarié comme pour l’employeur – car, de ce point de vue, nous avons tous la même préoccupation.

Reste, bien sûr, la question des moyens. En ce qui concerne, en outre, le fonctionnement même des prud’hommes, nous ne sommes pas ici pour chercher à établir les responsabilités des uns et des autres. Certes, plus on a exercé longuement le pouvoir, plus les responsabilités doivent être importantes s’agissant des dysfonctionnements de telle ou telle administration et de telle ou telle juridiction.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. On peut effectivement le penser !

M. Michel Sapin, ministre. Mais, le temps passant, les choses vont se rééquilibrer : nous serons à égalité pour en parler dans une dizaine d’années, lorsque nous aurons nous-mêmes été aux responsabilités continûment pendant dix ans. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Les électeurs ne semblent pas le souhaiter !

M. Michel Sapin, ministre. Nous avons ici de fins connaisseurs de la majorité et de l’opposition et des vertus de l’une et de l’autre…

C’est seulement à ce moment-là, disais-je, que les mesures prises auront eu un effet concret sur la vie de nos juridictions.

Toutefois, il est vrai que les juridictions sociales, d’une manière générale, et les conseils de prud’hommes en particulier, rencontrent de graves difficultés de fonctionnement. C’est la raison pour laquelle la garde des sceaux a demandé un rapport sur ce sujet. Le rapport Marshall a formulé un certain nombre de propositions qui sont désormais sur la table. Par définition, le Gouvernement ne se sent pas engagé par toutes ces propositions, mais il s’agit là d’un bon travail qui permet de regarder les choses en face.

Je peux aussi vous dire qu’une mission est en cours de préparation pour aller au-delà et aboutir à des propositions susceptibles d’être mises en œuvre par le Gouvernement pour améliorer ce qui constitue un élément souvent peu visible, mais absolument indispensable, du bon fonctionnement de notre société et de sa régulation. On est là dans ce qu’il y a de plus terre à terre, dans la vie quotidienne de nos concitoyens – c’est-à-dire aussi, au fond, ce qu’il y a de plus important pour eux. Il faut donc améliorer le fonctionnement de cette juridiction, aussi bien au niveau matériel qu’au niveau des procédures.

Un mot enfin – car nous sommes, là aussi, dans la réalité de tous les jours – du problème de la prise en compte par Pôle emploi et par l’UNEDIC des conséquences d’une non-décision ou, en l’occurrence, d’une décision qui tarde à intervenir et dont on souhaite qu’elle tombe plus rapidement. Je vais faire part à ce grand service public qu’est Pôle emploi et à l’UNEDIC – gérée, comme vous le savez, par les partenaires sociaux – de cette préoccupation.

Oui, je souhaite que, s’agissant de l’indemnisation, on puisse apporter une réponse rapide. Il faut aussi faire attention à une chose : le conseil de prud’hommes est un premier moment de décision, mais il peut y en avoir un second. Or il faut prendre garde à ce que la seconde décision, si elle remet en cause la première, ne pose pas des problèmes pour le remboursement. Il convient donc de s’assurer que l’on a bien affaire à des cas où la probabilité d’une remise en cause est très faible. À cette condition seulement l’on peut agir vite sans pour autant risquer de se retrouver dans des situations comme celles que M. Roumegas a décrites, car il est insupportable que des gens se retrouvent sans salaire ni indemnisation. Je suis persuadé que cette proposition de loi permettra de résoudre une bonne partie des difficultés décrites. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi.

Avant l’article unique

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n9 portant article additionnel avant l’article unique.

La parole est à Mme Bérengère Poletti, pour le soutenir.

Mme Bérengère Poletti. La durée de cette procédure est longue pour le salarié – sauf s’il retrouve un emploi, puisqu’il n’a droit à aucune indemnité chômage pendant cette période –, mais également pour l’employeur, lequel reste, comme le salarié, dans une période marquée par l’incertitude. Comme je l’ai déjà dit tout à l’heure, cela peut constituer une réelle difficulté pour une petite entreprise.

Toutefois, la procédure et les modalités de la prise d’acte de rupture du contrat de travail ne sont, à ce jour, aucunement insérées dans le code du travail, quand bien même celui-ci a déjà, il faut tout de même le dire, des dimensions très importantes. Seule la jurisprudence a fixé les règles régissant ce mode de rupture.

En effet, à voir la riche jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation à ce sujet, issue d’une série d’arrêts en date du 25 juin 2003, on comprend qu’aujourd’hui la prise d’acte de rupture est devenue un mode de rupture du contrat de travail banal mis à la disposition du salarié – même s’il est conseillé à celui-ci de bien peser le pour et le contre avant de se lancer –, comme l’est également, de plus en plus, la rupture conventionnelle du contrat de travail, même si les entreprises sont plus frileuses depuis la taxation de l’indemnité de rupture.

Toutefois, à aucun moment le législateur n’est intervenu pour définir strictement cette création prétorienne. Dès lors, il serait peut-être judicieux que le législateur se saisisse de ce sujet afin d’encadrer enfin par la loi la prise d’acte de rupture du contrat de travail. Ainsi, chacun aura pleinement connaissance de la procédure et des conséquences de ce mode de rupture. Tel est le sens de cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Braillard, rapporteur. Défavorable. Sur la forme, et en se fondant sur la jurisprudence Accoyer, force est de constater que cet amendement tend à ajouter six articles au code du travail. Comme je vous l’ai déjà rappelé, M. Accoyer nous a tellement dit qu’il y en a déjà beaucoup trop que l’on ne saurait en ajouter. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Dans ce cas, arrêtons de légiférer pendant cinq ans !

M. Thierry Braillard, rapporteur. Dites-le à l’ancien président de l’Assemblée nationale, monsieur Geoffroy !

M. Guy Geoffroy. C’est trop facile ! Changez de registre !

M. Thierry Braillard, rapporteur. Sur le fond, madame Poletti, je suis en désaccord avec vous sur trois points.

Premièrement, votre amendement permet à l’employeur de prendre acte de la rupture, alors qu’il a déjà à sa disposition, pour cela, le licenciement. Cela crée donc un déséquilibre que la jurisprudence n’a pas créé.

Deuxièmement, vous dressez, dans votre amendement, une liste que je juge non exhaustive des motifs qui justifieraient la requalification d’une prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui, selon moi, est gênant.

Troisièmement, en imposant un tel formalisme, vous allez en sens contraire de la jurisprudence actuelle. Aussi bien sur la forme que sur le fond, la commission a émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Dion.

Mme Sophie Dion. Mon excellent collègue du groupe des radicaux de gauche n’a malheureusement pas bien compris ce que je lui ai expliqué. Sans doute n’ai-je pas été assez démagogique, ou pédagogique ! Je pense que la conciliation est une bonne chose, mais je veux rappeler le rôle du juge et de la loi dans l’élaboration des normes en droit du travail.

Je ne pense pas que M. Braillard soit un élu hors-sol, mais ses réflexions me font douter. Il ne semble pas entendre ce que tout un chacun s’accorde à dire, même dans les entreprises qu’il visite : le code du travail doit être allégé et repensé. Cela n’est pas nouveau : nous parlons de ces questions depuis trente ans. Il faut qu’il écoute ce que certains disent, au sein même de la majorité !

Je remercie monsieur le ministre de la réponse qu’il m’a donnée, puisqu’il pense que la conciliation est une bonne voie pour mettre fin aux litiges dans le cadre d’un procès prud’homal. Il serait souhaitable que l’on puisse s’asseoir autour d’une table avec les partenaires sociaux afin de redonner un peu de pouvoir à cette phase de conciliation qui, lorsqu’elle aboutit de façon heureuse, n’a que des effets positifs.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Il se trouve que je plaide depuis trente ans devant toutes les juridictions prud’homales : j’estime que la solution proposée par le rapporteur est parfaitement adaptée à la situation du code du travail et à la situation prud’homale. Incontestablement, si elle avait existé plus tôt, elle aurait permis de résoudre bien des dossiers.

Car la réalité, monsieur le ministre, c’est que la situation est bouchée. À la cour d’appel de Caen, il faut vingt-sept mois pour qu’une affaire arrive en audience devant la chambre sociale, après que la procédure a duré vingt mois au conseil des prud’hommes, et, dans le cas d’une action du juge départiteur, douze mois supplémentaires. Lorsque, de surcroît, l’association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés – l’AGS – ou le fonds national de garantie des salaires – le FNGS –, qui paient très difficilement, interviennent, le salarié doit recourir au juge de l’exécution pour que soit ordonnée, sous astreinte, la remise des sommes. Ces malheureux salariés se trouvent dans une situation effrayante ! La solution qui nous est proposée est simple et logique ; je m’y tiens.

Je veux dire à Mme Poletti qu’il ne saurait y avoir de symétrie entre l’employé et l’employeur quant à la prise d’acte de la rupture. C’est compliquer les choses que de dire que l’employeur, prenant acte de la rupture du contrat de travail, doit mettre en place la procédure de licenciement. Lorsque le salarié n’a pas respecté ses obligations, une procédure de licenciement est prévue. Il n’est pas nécessaire de passer par la prise d’acte.

(L’amendement n9 n’est pas adopté.)

Article unique

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Favennec, pour soutenir l’amendement n4.

M. Yannick Favennec. La référence introduite à la rupture du contrat à l’initiative du salarié étant floue, l’article L. 1451-1 du code du travail, nouvellement créé, pourrait être appliqué au cas de démission aussi bien qu’à la prise d’acte.

De fait, la procédure accélérée pourrait être appliquée au cas de demande de qualification d’une démission, que le salarié déclarerait équivoque alors même qu’il n’aurait pas fait état de reproches au moment de la rupture du contrat à son initiative.

Afin d’éviter que cette procédure conduise à une insécurité juridique pour l’employeur, il est proposé de restreindre la procédure accélérée au seul cas de la prise d’acte en précisant que la rupture du contrat par le salarié est exclusivement motivée par des faits reprochés expressément à l’employeur, au moment de la rupture et non a posteriori.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Braillard, rapporteur. Cet amendement prend à revers la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, construite depuis dix ans, et dont nous nous sommes inspirés pour la rédaction de cette proposition de loi. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

(L’amendement n4 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Favennec, pour soutenir l’amendement n3.

M. Yannick Favennec. Lorsque l’employeur envisage de rompre le contrat d’un salarié, il le convoque d’abord à un entretien préalable, afin de lui faire part des griefs à son encontre et d’en discuter. Cet entretien peut permettre de revenir sur la rupture envisagée.

Il est anormal qu’il en soit autrement dans le cas d’une prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat qui, en l’état actuel de la jurisprudence, laisse l’employeur dans l’ignorance des griefs du salarié jusqu’à un éventuel contentieux.

Si le régime de la prise d’acte doit être légalement encadré, il conviendrait que, de la même manière, le salarié informe en amont l’employeur des manquements graves dont il s’estime victime, afin qu’un échange puisse s’instaurer. Celui-ci serait éventuellement de nature à permettre aux deux parties de poursuivre le contrat, en évitant au salarié une situation financièrement précaire, à tout le moins, de permettre à l’employeur de préparer sa défense si le salarié persiste dans sa décision.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Braillard, rapporteur. J’ai du mal à comprendre la portée de cet amendement. À quel moment a lieu cette information préalable ? Avant ou après la prise d’acte de rupture ?

M. Yannick Favennec. Avant !

M. Thierry Braillard, rapporteur. Cet amendement n’a alors pas lieu d’être, puisque l’information fait partie du dialogue entre le salarié et son employeur. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à Mme Bérengère Poletti.

Mme Bérengère Poletti. Cet amendement très intéressant va dans le sens de mon intervention. C’est au moment de la prise d’acte que le salarié doit expliquer les raisons qui l’amènent à procéder à cette rupture. Dans la mesure où les délais sont resserrés à un mois, il faut donner toutes les chances aux deux parties pour qu’elles puissent préparer leur confrontation.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je ne reviendrai pas sur ce qu’a dit Mme Poletti à propos de cet amendement, auquel je souscris. J’ai entendu M. le rapporteur déclarer à plusieurs reprises que nos amendements ne seraient pas acceptables car contraires à la jurisprudence de la Cour de cassation. Je veux rappeler que c’est la loi qui fait le droit. Que la jurisprudence vienne préciser le contenu de la loi et indique, ce qui est souvent le cas, que la loi commence à être insuffisamment précise et nécessite qu’on la réétudie, voilà l’ordre normal des choses.

On peut contester un amendement sans pour autant user de l’argument, un peu court, selon lequel la loi doit suivre la jurisprudence. Il serait dommage d’entendre à nouveau de tels propos dans l’enceinte du Parlement.

(L’amendement n3 n’est pas adopté.)

(L’article unique est adopté.)

Après l’article unique

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 8 et 1, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme Bérengère Poletti, pour soutenir l’amendement n8.

Mme Bérengère Poletti. Il prévoit un processus d’évaluation, afin de mesurer la portée de cette modification.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour soutenir l’amendement n1.

M. Guy Geoffroy. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Braillard, rapporteur. Je répondrai d’abord à M. Geoffroy. Compte tenu du fait que la proposition de loi ne comprend qu’un article et que nous avons décidé de ne pas entrer dans le détail du code du travail, nous avons fait référence à la jurisprudence de la chambre sociale qui a défini la prise d’acte de rupture. Je connais la hiérarchie des normes et je sais l’importance de la loi. Mais, comme le dit l’excellent président Accoyer, trop de lois tuent la loi !

Quant à l’amendement de Mme Poletti, je commence à être agacé, en tant que « jeune » parlementaire, par cette demande récurrente de remises de rapports du Gouvernement au Parlement. Je vais rédiger une proposition de loi visant à dresser le bilan des rapports qui n’ont jamais été rendus et, du reste, qui n’ont jamais été réclamés par les parlementaires ! La commission des affaires sociales peut s’autosaisir, si elle le souhaite, d’une mission d’information sur ce sujet. Nul besoin de rajouter à la loi. Il faut alléger le code du travail. Pour une fois, je partage les bonnes intentions du président Accoyer. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. En tant que « vieux » parlementaire (Sourires) plutôt ancien parlementaire, je ne peux qu’aller dans le même sens !

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je m’inscris déjà pour être co-rapporteur du rapport qui sera rendu pour la mise en œuvre de la proposition de loi que le rapporteur va rédiger ! (Sourires.)

(Les amendements nos 8 et 1, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, dont le titre a été ainsi rédigé par la commission : proposition de loi relative à la procédure applicable devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié.

(La proposition de loi est adoptée.)

2

Procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Alain Tourret et plusieurs de ses collègues relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive (nos 1700, 1807).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Alain Tourret, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, c’est une loi d’humanité que nous allons voter. J’ai à l’esprit ceux qui sont en prison à tort, qui ont été victimes d’une erreur judiciaire, qui ont souffert dans leur chair, qui ont été injustement privés de liberté.

Je sais, madame la ministre, qu’il ne peut y avoir d’état de droit sans autorité de la chose jugée. Mais lorsqu’un innocent est en prison, c’est l’humanité qui souffre, c’est le corps social dans son ensemble qui est atteint. Depuis toujours, avec Marc Aurèle, Goethe ou Zola, les consciences de l’humanité nous rappellent qu’il faut choisir entre une injustice et un désordre.

Des combats acharnés ont été menés avant nous pour réhabiliter, ici Calas avec Voltaire, là Dreyfus avec Zola. Le législateur s’est ému de ces situations, et depuis la Révolution, même depuis Louis XIV, six lois ont été votées, les dernières le 23 juin 1989 et le 15 juin 2000.

Mais le législateur, madame la garde des sceaux, se heurte au mythe de l’infaillibilité de la justice. Nul n’est infaillible, nulle institution n’est infaillible, et l’infaillibilité ne peut tenir lieu de justice, bien évidemment. Pourtant, la justice elle-même se grandit en reconnaissant ses erreurs. J’ai en tête, cher Georges Fenech, tout ce qui a été écrit lorsque la commission de révision s’est prononcée favorablement à la demande présentée par Denis Seznec pour son grand-père.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Eh oui.

M. Alain Tourret, rapporteur. Je l’ai d’autant plus en tête que tous les journaux, tous les commentateurs, ont reconnu que la justice s’était grandie en reconnaissant ses erreurs. Car l’erreur est humaine et la perfection ne sera jamais de ce monde, quels que soient les progrès de la science, quels que soient les progrès de la criminologie. Ce n’est pas parce que nous disposons aujourd’hui des tests ADN, ce qui est une grande avancée, que nous sommes certains d’être dans la vérité. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

Seul compte le doute qui doit nous saisir au fond de nous-mêmes, qui doit étreindre tout magistrat, tout juré, lorsqu’il est amené à prendre une décision privative de liberté, le plus souvent, ou d’acquittement, bien évidemment.

Nous sommes d’autant plus interpellés que le nombre de révisions est infime : huit depuis 1989, neuf depuis hier avec la décision rendue par la cour de révision dans l’affaire Iacono, en dépit de l’avis défavorable du parquet général qui a estimé qu’une rétractation ne constituait pas, en soi, un élément suffisant pour jeter un doute. Qui peut admettre cela alors que le parquet général a exigé qu’il y ait, en plus de la rétractation, des éléments objectifs ? Je félicite la cour de révision d’avoir pris la décision qu’elle a prise et qui permettra que se tienne un nouveau procès.

Je tiens à dire ici que toute ma vie professionnelle m’a conduit à me poser cette question fondamentale : comment peut-on admettre dans notre droit que l’erreur judiciaire soit confortée par un système judiciaire et par un système juridique, qui nous enferme dans une seringue dont on ne peut sortir ?

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les interpellations très fortes de la Cour de cassation et les rapports qu’année après année, elle a pu rendre. Elle nous a instamment demandé de changer la loi. Nous avons reçu, dans le cadre d’un rapport d’information instruit par Georges Fenech et moi-même, plus de cinquante personnes, toutes les plus grandes institutions, toutes les plus grandes autorités, et toutes nous ont affirmé qu’il fallait changer la loi.

Je me permets, madame la garde des sceaux, de vous remercier pour la confiance que vous m’avez accordée, tout au long de cette procédure car, vous l’avez dit, le chemin est étroit. Entre l’impossibilité d’évoluer vers un troisième degré de juridiction et la nécessité absolue d’agir pour que des innocents ne soient plus en prison, il y a un chemin compliqué sur lequel nous devons nous engager. Nous devons changer la loi, mais il ne saurait être question, pour autant, d’ouvrir un troisième degré de juridiction.

Sur quoi, madame la garde des sceaux, devons-nous nous pencher ? La loi avait prévu qu’un procès pourrait être révisé, en cas de fait nouveau, de révélation d’un élément inconnu au moment du jugement ou encore, à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, quand un procès équitable n’a pas été réservé à la personne condamnée.

Le cheminement était compliqué car il existait deux sortes de procédures. Nous avons, en accord avec M. le Premier président de la Cour de cassation, M. Lamanda, que je remercie de nous avoir éclairés par sa sagesse, créé une nouvelle juridiction qui sera la cour de révision et de réexamen, et aura à juger des procès en révision et en réexamen. Nous avons voulu que dix-huit magistrats la composent, trois par chambres de la Cour de cassation, et que la présidence en soit réservée au président de la chambre criminelle.

Nous nous sommes également penchés sur les éléments de preuve car ils disparaissaient. Les scellés disparaissent en France ! Dans l’affaire Leprince, je le dis ici, un seul scellé a été retrouvé ! Les autres n’ont pas été détruits, ils ont été perdus ! Nous avons donc proposé que les scellés soient protégés pendant cinq ans. Ils ne pourront être détruits qu’avec l’accord de la personne accusée ou, en cas de désaccord, par la chambre de l’instruction.

Nous avons également souhaité que les audiences de cours d’assises puissent être enregistrées – non pas celles des tribunaux correctionnels – parce qu’il était impossible d’établir si un fait nouveau ou un élément inconnu avait émergé faute de disposer d’un procès-verbal, traduit par le greffier, établissant ce qui avait été dit et fait. Nous nous retrouvions dans l’impossibilité de rapporter une preuve.

Nous avons encore voulu accorder des pouvoirs importants à la commission de l’instruction qui sera composée de cinq magistrats qui disposeront des mêmes pouvoirs qu’un juge d’instruction.

Nous avons fait en sorte, madame la garde des sceaux, que le doute saisisse au cœur celui qui s’apprête à rendre une décision. Quel doute pour quel fait nouveau ? Quelle notion retenir, celle de doute raisonnable, de doute sérieux ? Rappelons qu’à la suite de la proposition du sénateur Michel Dreyfus-Schmidt, il avait été suggéré de supprimer toute qualification du doute mais nous n’avons pu que constater que la jurisprudence, ne tenant pas compte de la volonté du législateur, s’appliquait toujours à imposer un doute sérieux, quand elle ne demandait pas à la personne jugée de dire qui était le véritable coupable. Comment s’étonner, dès lors, qu’il n’y ait pas de révision ? Nous avons choisi la notion du moindre doute.

Vous avez un texte de consensus, adopté par l’ensemble des membres de la commission des lois. Une question nous opposera avec Georges Fenech, celle des acquittements. J’y reviendrai. Sa position est honorable, mais je ne crois pas qu’elle soit conforme à notre système de droit.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Eh oui.

M. Alain Tourret, rapporteur. Je pense même qu’elle remettrait fondamentalement en cause notre système juridique.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement.

M. Alain Tourret, rapporteur. Nous n’avons pas un système anglo-saxon mais français, qui repose sur la prescription, l’opportunité, sur une procédure inquisitoire. L’adoption de l’amendement de M. Georges Fenech conduirait, à mon sens, à un renversement total de notre système juridique. C’est pourquoi je me prononcerai contre son adoption, comme je l’ai fait en commission, mais je rends hommage au fait que nous ne devons rien nous interdire, même si nous avons eu des positions inverses quelques semaines auparavant.

M. Guy Geoffroy. Nous avons le droit d’évoluer.

M. Alain Tourret, rapporteur. Certes ! Mais passons : j’ai promis d’être sympathique. (Sourires.)

Madame la garde des sceaux, ce texte nous ouvre un nouveau système de droit. Si je parvenais, simplement avec ces dispositions que nous vous proposons avec mes collègues radicaux, à ce qu’une personne puisse sortir de prison parce qu’elle est innocente, j’aurais alors gagné ce pari que je me suis toujours fixé de contribuer à insuffler un peu d’humanité dans ce bas monde où rien n’est infaillible, où seul le doute existe. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui nous rappelle que l’État a l’obligation d’assurer à chaque justiciable un procès équitable, dans le respect des droits de la défense car c’est là la meilleure garantie contre l’erreur judiciaire.

Néanmoins, l’État lui-même doit reconnaître que l’erreur judiciaire demeure possible, tout simplement parce que, M. le rapporteur l’a rappelé, la justice n’est pas infaillible. S’il advient que la peine, qui relève de cette violence légitime dont l’État a le monopole, selon la définition de Max Weber, est injustement prononcée contre un condamné innocent qui l’exécute, nous nous trouvons face à l’injustice suprême. C’est dire la responsabilité qui incombe au garde des sceaux dans le débat qui nous rassemble ce matin. Cette responsabilité est lourde, mais l’étude du droit français nous fait mesurer combien la lutte contre l’erreur judiciaire a marqué toute l’histoire du droit français. Les procédures de révision des condamnations existaient déjà sous l’Ancien régime. Nul n’oublie le long combat qu’a conduit le philosophe Voltaire, éminent défenseur des libertés, dans l’affaire Jean Callas, affaire qui permit, grâce à la diligence de Voltaire, de réhabiliter Jean Callas et dont certains historiens considèrent que, vingt-cinq ans après, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a été influencée par ce très grand et très beau combat. Cette déclaration des droits de l’homme et du citoyen se trouve dans notre Constitution et fait partie de notre bloc de constitutionnalité.

Toute l’histoire du droit français est marquée par cette lutte contre l’erreur judiciaire et les procédures de révision. Il est certain que, sous la Révolution, et pas sous les plus belles années d’ailleurs, en 1792, le pourvoi en révision a été supprimé sur la base d’un grand principe, celui de l’infaillibilité de la justice populaire. Cela n’a guère duré puisque, moins d’un an après, en mai 1793, la Convention, par décret, le rétablissait.

Au cours de l’histoire, le champ d’application de ce pourvoi n’a fait que s’élargir et les procédures se développer. Ce fut l’œuvre du code de l’instruction criminelle de 1808 et d’un certain nombre d’autres lois comme celle du 29 juin 1867, qui étendait le champ du pourvoi en révision aux condamnations correctionnelles, celle du 8 juillet 1895…

M. Georges Fenech. Juin !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …u 8 juin 1895, qui, votée peu après la condamnation de Dreyfus permettait qu’un élément nouveau ou un élément inconnu puisse permettre de réviser le procès.

Il y a eu ensuite la loi du 23 juin 1989, également d’initiative parlementaire puisque Michel Sapin en était l’auteur. Cette loi de 1989 a, d’une part, judiciarisé l’intégralité de la procédure qui, jusque-là, était partiellement administrative puisque le garde des sceaux faisait fonction de commission des requêtes – la procédure est donc devenue totalement judiciaire – et, d’autre part, a affirmé très clairement le principe selon lequel la révélation d’un fait nouveau ou d’un élément inconnu au jour du procès peut être prise en compte non seulement lorsqu’elle démontre l’innocence, mais également lorsqu’elle fait naître un doute sur la culpabilité. Ce progrès considérable a permis l’évolution de la procédure de révision telle qu’elle est aujourd’hui établie dans notre droit.

La proposition de loi que vous nous présentez aujourd’hui, monsieur le rapporteur Alain Tourret, est issue du travail de très grande qualité que vous avez effectué dans le cadre de la mission que vous avez conduite avec Georges Fenech. Elle s’inscrit très directement dans le sillage, dans la lignée, dans la filiation de ces grandes lois de justice et de progrès qui ont consolidé notre droit en matière de procédure de révision des condamnations pénales.

Le travail était évidemment difficile : ainsi que je l’ai dit lorsque j’ai été auditionnée par votre mission, la voie est étroite. Oui, la voie est étroite parce qu’il s’agit de trouver une réponse à un sujet qui se trouve en tension entre deux impératifs contraires : d’un côté, le souci de la vérité, c’est-à-dire cette inquiétude, cette obsession, cette préoccupation de lutter contre l’erreur judiciaire et, de l’autre, vous l’avez dit vous-même, monsieur le rapporteur, le respect de l’autorité de la chose jugée. Ce principe essentiel de notre droit remonte d’ailleurs à un adage romain : « Res judicata pro veritate habitur », ou « Chose jugée prend force de vérité ».

En réalité, la caractéristique essentielle du procès pénal est que, contrairement à ces systèmes archaïques de vengeance sans fin, de vengeance privée opposant les personnes en cause, l’auteur et la victime, contrairement à ces systèmes archaïques où la vengeance ne s’éteint jamais, le procès pénal a vocation à prononcer une décision définitive qui éteindra l’action. Une fois toutes les voies de recours explorées et épuisées, la décision apportée par le procès pénal doit devenir définitive : cela est indispensable.

Nous comprenons parfaitement votre préoccupation, qui est également la nôtre, concernant la nécessité de lutter contre l’erreur judiciaire. Cette évidence de bon sens et de bon droit est également un héritage des Lumières. Mais, tant pour les victimes que pour les auteurs et surtout pour l’ensemble du corps social, il demeure extrêmement important que la justice pénale remplisse son office ; or son office principal est d’apporter l’apaisement dans la société par des décisions reconnues comme étant définitives.

La deuxième grande difficulté du sujet, outre cette tension permanente entre, d’un côté, le souci de la vérité et, de l’autre, le respect de l’autorité de la chose jugée, tient justement à l’adage que je viens d’énoncer : la vérité judiciaire n’est pas forcément, n’est pas absolument, n’est pas nécessairement une vérité. Tant en matière criminelle, devant les cours d’assises, qu’en matière correctionnelle, nous savons parfaitement que la preuve, même formelle, ne suffit pas pour condamner une personne ; mais nous savons également que l’on peut condamner une personne malgré des preuves. C’est là tout l’espace de l’intime conviction, c’est-à-dire la libre appréciation des preuves qui sont fournies dans le cadre du procès. Ce principe de l’intime conviction doit se concilier avec un autre principe : celui de la présomption d’innocence et de son corollaire, qui se traduit aussi par un adage : « In dubio pro reo » ou, comme le rappelle le président de la cour d’assises aux jurés : « Le doute doit profiter à l’accusé », ainsi que cela est énoncé à l’article 304 du code de procédure pénale.

La voie était donc étroite ; je dois cependant reconnaître que vous avez su trouver le chemin, ce chemin droit qui permet non seulement de lutter effectivement contre les erreurs judiciaires, mais également d’éviter de faire de la révision un troisième degré de juridiction.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien !

Mme Cécile Untermaier. Exactement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous y êtes parvenus parce que vous vous êtes investi profondément et totalement, je peux en témoigner ; vous y êtes parvenu parce que vous avez produit un travail de très grande qualité ; vous y êtes parvenu parce que vous avez mis en place une méthode de rigueur. Je veux surtout ajouter que vous y êtes parvenu parce que vous avez choisi une approche tout à la fois rigoureuse, exigeante et humaniste. Vous avez pris le temps d’entendre, d’écouter ; vous avez procédé à une cinquantaine d’auditions, ainsi que vous venez de le rappeler, monsieur le rapporteur. Vous avez ainsi auditionné quatre anciens gardes des sceaux, sans compter le garde des sceaux en exercice ; vous avez entendu de nombreux magistrats, dont des magistrats de la Cour de cassation, c’est-à-dire ceux qui pratiquent la procédure de révision ; vous avez entendu des avocats, des associations s’exprimant au nom des victimes, des associations portant la parole des condamnés ; vous avez entendu des spécialistes de la police scientifique ; vous avez entendu des juristes, des chercheurs, des sociologues ; vous avez entendu des institutions, notamment la Commission nationale consultative des droits de l’homme ainsi que la Ligue des droits de l’homme.

Par ailleurs, vous avez rassemblé toute une série de données à caractère juridique et statistique, ainsi que des éléments de droit comparé. Vous avez ainsi pu constater, à la faveur tant de ces auditions que des éléments que vous avez rassemblés pour éclairer votre réflexion, les insuffisances incontestables de la procédure actuelle. Toutes les personnes que vous avez auditionnées vous ont dit qu’il était nécessaire de changer la loi. En fait, l’état des lieux même illustre et conforte ce que vous avez déduit tant des auditions que des éléments que vous avez rassemblés.

Vous l’avez dit vous-même, monsieur le rapporteur : sur l’ensemble des procédures de révision enregistrées depuis la loi de 1989, seules neuf condamnations en matière criminelle et quarante-trois décisions en matière correctionnelle, alors même que la loi de 1989 est une loi de vrai progrès puisqu’elle a judiciarisé la totalité de la procédure, introduisant ainsi plus d’objectivité, et qu’elle dispose en outre qu’un élément faisant naître le doute doit être pris en considération, même s’il ne révèle pas immédiatement l’innocence. Il y a incontestablement matière à s’interroger, d’autant que les auditions vous ont permis de constater que, en pratique, les annulations prononcées l’ont été seulement sur la base d’éléments prouvant l’innocence, et non sur la base d’un doute, comme le prévoit la loi de 1989.

M. Alain Tourret, rapporteur. Exactement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous savons de plus que l’opinion publique s’est elle-même beaucoup interrogée, plaidant ainsi pour la modification de la loi. L’opinion publique s’est interrogée à l’occasion de deux affaires fortement médiatisées : l’affaire Seznec, que vous avez évoquée tout à l’heure, monsieur le député, et l’affaire Dany Leprince. L’opinion publique s’est interrogée en raison de la divergence d’appréciation apparue entre la commission de révision et la cour de révision. Si, pour ceux qui pratiquent le droit, cette divergence d’appréciation peut avoir des fondements juridiques et procéduraux, il est certain que pour l’opinion publique, il apparaît une divergence incompréhensible et probablement une contradiction judiciaire dans cette différence d’appréciation entre la commission de révision et la cour de révision.

Par ailleurs, la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme vous a indiqué que le fait que la loi ne définisse pas précisément la composition de la cour de révision est une non-disposition incompatible avec les exigences européennes et donc susceptible de recours.

Vous avez par conséquent tiré les leçons de ces insuffisances en nous présentant une proposition de loi, enrichie par la suite par les travaux de la commission. J’ai du reste noté avec intérêt que le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Urvoas, a avoué son scepticisme a priori sur cette initiative avant de se rendre compte, à la lecture du rapport que vous avez rédigé à l’issue de votre mission d’information, qu’il y avait nécessité et consensus sur ce sujet. La commission des lois s’est donc emparée de la proposition de loi avec beaucoup d’ardeur et l’a même enrichie puisqu’elle a procédé elle aussi à des consultations. Nous examinons aujourd’hui le texte que vous nous proposez : d’une grande richesse, celui-ci est incontestablement une réforme d’envergure.

Ayant suivi avec beaucoup d’attention l’évolution de vos travaux et leur aboutissement, j’ai très tôt donné consigne à la Chancellerie de se tenir à vos côtés pour vous apporter tout l’appui technique et juridique nécessaire pour permettre l’aboutissement de ces travaux tout à fait passionnants et utiles.

M. Alain Tourret, rapporteur. Je vous en remercie !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne reviendrai pas sur les détails, d’autant que vous les avez exposés ici à la tribune. Je veux simplement saluer la première décision que vous avez prise consistant à reconnaître la nécessité de l’anticipation. Vous avez en effet veillé à garantir, dans cette proposition de loi, la possibilité de la révision, en précisant, d’une part, les conditions de conservation des scellés et en rendant obligatoire, d’autre part, l’enregistrement des procès d’assises.

Concernant la conservation des scellés, nous savons que, depuis plusieurs années, dans son rapport annuel, la Cour de cassation regrette la disparition et la destruction de scellés dans des affaires que la Commission de révision et la Cour de révision ont eu à connaître. Pour tenir compte de cela, vous faites des propositions parfaitement raisonnables et mesurées consistant à demander le maintien des scellés criminels, à ne pas exiger leur conservation systématique mais à permettre que le condamné puisse s’opposer à leur destruction et, en cas de divergence de vue avec le parquet, que la chambre d’instruction puisse trancher la question. Cela me paraît une très bonne approche parce que les dispositions que vous avez prévues dans ce texte de loi concernant ces scellés auront d’abord pour conséquence une prolongation de leur conservation, permettant une mise à disposition en cas de procédure de révision. Pour la garde des sceaux que je suis, cela va naturellement représenter un certain coût parce qu’il faudra respecter les conditions de conservations de ces scellés.

S’agissant d’une proposition de loi, vous n’avez pas eu l’obligation de réaliser une étude d’impact. J’ai donc souhaité que la Chancellerie fasse une telle étude sur les effets de ces dispositions. La Direction des services judiciaires a ainsi procédé à une évaluation de l’utilisation de la conservation des scellés sur un échantillon de vingt-huit tribunaux de grande instance et de vingt-deux cours d’appel. Depuis novembre 2013, la Direction des services judiciaires a examiné auprès de ces juridictions les conditions de conservation des scellés, c’est-à-dire les stocks, les surfaces dédiées, le coût et les modalités de cette conservation. Cette enquête a fait apparaître que votre proposition de loi est bienvenue et parfaitement fondée parce que l’obligation de vérification de la probabilité de révision avant la décision de destruction des scellés n’était respectée que par 41 % des tribunaux de grande instance et par 65 % des cours d’appel. Et pourtant des circulaires existent qui appellent à la vérification avant la destruction des scellés ! Votre proposition de loi est donc vraiment bienvenue, et il nous a fallu estimer ce que coûterait l’application de ce texte de loi.

La direction des services judiciaires a travaillé sur l’hypothèse d’un taux de 10 % d’opposition à la destruction des scellés. Ce n’est pas une estimation fantaisiste : elle est tout simplement fondée sur le pourcentage actuel de demandes de révision, pour la plupart liées au quantum de peine. L’administration a évalué le coût de l’application de ces dispositions en prenant en compte plusieurs paramètres : en termes de surfaces de conservation supplémentaires, cela représenterait 160 mètres carrés ; en termes de frais de gardiennage sur dix années cumulées, il faudrait compter 1,4 million d’euros ; en termes d’effectifs supplémentaires de magistrats et de fonctionnaires, les besoins se monteraient à six magistrats et quinze fonctionnaires. Je veux vous dire d’emblée que c’est un effort financier que je suis disposée à faire car je pense que la dépense est modeste au regard de l’importance de la cause : éviter qu’une destruction intempestive de scellés empêche une personne condamnée de faire valoir son innocence. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Alain Tourret. Je vous remercie.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. D’autant que la réforme que nous engageons en matière de rationalisation de la gestion des scellés nous aidera à faire face à cette dépense supplémentaire puisqu’elle comprend une part de dématérialisation – les scellés criminels pouvant être conservés par image –, et repose sur des efforts en matière de concentration du stockage et d’amélioration des ventes.

Quant à la deuxième disposition importante que vous proposez, à savoir l’enregistrement obligatoire des procès d’assises, qui est aujourd’hui facultatif, ce n’est pas cela qui coûtera grand-chose. Nous sommes donc favorables à son maintien.

Ce texte de loi de grande envergure a prévu par anticipation d’assurer les conditions de possibilité de révision des condamnations pénales. Vous avez, monsieur le rapporteur, introduit des dispositions concernant les organes mêmes de révision. À la Cour de cassation, vous créez une cour de révision et de réexamen composée de dix-huit magistrats désignés par son assemblée générale. Elle serait constituée d’une formation d’instruction, composée de cinq magistrats, et d’une formation de jugement dans laquelle siégeraient treize magistrats pour se prononcer à la fois sur la révision et le réexamen.

Je sais qu’il y a débat sur la fusion des structures de réexamen avec celles de révision. Si elles ont des points communs, les procédures qu’elles traitent ont des objets différents : la révision a pour objet les éléments susceptibles de faire naître le doute sur la culpabilité de la personne condamnée ; le réexamen intervient après condamnation de la France par la Cour européenne, sur la base d’un procès considéré comme inéquitable, alors même que la culpabilité de la personne condamnée n’est pas mise en doute.

Par une disposition extrêmement importante de votre texte, vous créez une cour spécifique, unique, présidée par le président de la chambre criminelle dans une composition où sont représentées toutes les chambres de la Cour de cassation. Vous y ajoutez des règles d’incompatibilité, ce qui vient consolider l’impartialité de ses membres. Par ailleurs, vous clarifiez la procédure puisque la commission de révision devient une commission d’instruction. Autrement dit, son rôle va se limiter à instruire, donc à étudier la recevabilité de la procédure. Finalement, vous supprimez le risque de confusion et de divergence entre l’appréciation de la commission de réexamen, d’une part, et celle de la cour de révision d’autre part.

Par ailleurs, vous introduisez de nouvelles dispositions de procédure puisque vous élargissez la liste des personnes habilitées à introduire une procédure de révision aux petits-enfants, aux partenaires pacsés, aux concubins – du point de vue statistique, cela sera plus souvent une concubine –, au procureur général près la Cour de cassation ainsi qu’aux procureurs généraux près les cours d’appel.

En outre, vous renforcez les droits du requérant, notamment en lui permettant de solliciter des investigations complémentaires avant la saisine de la commission. Vous clarifiez également les prérogatives procédurales aussi bien pour le requérant que pour la victime puisque grâce à ces nouvelles dispositions, la victime sera informée dès l’ouverture de la procédure de révision devant la commission, devenue commission d’instruction. Enfin, vous rendez le recours à un avocat obligatoire, ce qui est nécessaire, notamment pour les personnes démunies, matériellement comme intellectuellement.

Vous complétez ces dispositions essentielles par l’introduction dans les critères de révision de la notion de « moindre doute ». Cela peut apparaître à certains comme une fantaisie d’écriture, mais cela ne l’est pas du tout. Au vu des leçons que l’on peut tirer de l’application très relative de la loi de 1989, inscrire cette formulation dans la loi apparaît comme un message du législateur à l’institution judiciaire : le doute doit permettre de prendre en considération la requête en révision. Voilà pour l’essentiel de cette belle proposition de loi.

Je veux maintenant m’attarder sur les amendements que M. Fenech a déposés, qui visent à introduire une possibilité de révision dans les cas de relaxe définitive ou d’acquittement définitif. D’une certaine façon, ce sujet s’est invité dans le débat à l’occasion, malheureusement, d’un tragique fait d’actualité qui concerne un crime odieux qui ne laisse indifférent personne : des éléments scientifiques et techniques ont permis de s’interroger sur la culpabilité éventuelle d’une personne ayant été définitivement acquittée. Votre mission d’information a écarté cette possibilité de révision, ce n’est donc pas par ignorance que vous ne l’avez pas retenue dans votre proposition de loi. Et vous avez fait ce choix alors même que le procureur général de la Cour de cassation vous avait suggéré de l’introduire pour la révision des décisions d’acquittement définitif.

Vous avez déclaré, monsieur Fenech, que « L’acquittement est un vrai sujet. Je ne crois pas souhaitable de revenir sur les décisions d’acquittement », ajoutant que cela relèverait davantage de l’action publique que de la procédure de révision. Et vous avez parfaitement raison de dire à la fois que l’acquittement est un vrai sujet et que cela relèverait davantage de l’action publique que de la procédure de révision.

Mais il faut bien voir que la procédure de révision appliquée à la relaxe définitive ou à l’acquittement définitif, telle que la prévoient vos amendements, pose toute une série de problèmes de principe, d’une part, et de problèmes juridiques et techniques, d’autre part.

Je commencerai par les principes. Ce n’est pas par mégarde que notre droit n’a pas introduit la possibilité de révision pour les décisions d’acquittement. C’est en toute connaissance de la fonction de la procédure pénale et de la justice pénale, et des conséquences pour les victimes, pour les auteurs et pour la société tout entière. Ces principes relèvent des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, qui inspirent le Conseil constitutionnel quand il doit se prononcer sur la conformité des dispositions avec la Constitution.

Par ailleurs, si nous introduisons dans notre droit des dispositions aussi lourdes de conséquences, des consultations plus larges encore que celles auxquelles vous avez procédé sont nécessaires pour améliorer les dispositions actuelles de révision des condamnations pénales. Parmi ces consultations, il faudrait compter celle du Conseil d’État. Le sujet est en effet délicat et complexe. Il nous faut être sûrs de ce que nous faisons mais aussi de la façon dont nous l’écrivons.

La rédaction des amendements que vous présentez a des conséquences sur la société tout entière car elle rend possible la révision de tous les acquittements, en matière criminelle et en manière délictuelle, donc y compris pour un vol simple. Cela engendrerait une instabilité permanente et intrinsèque de l’action judiciaire car cette action ne serait alors jamais éteinte. La société ne connaîtrait dans ces conditions jamais l’apaisement.

M. Thierry Braillard. En effet !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Sur toute décision de justice, il y aurait potentiellement le risque d’un recours à une procédure de révision.

Ensuite, ces amendements ont des conséquences pour les auteurs acquittés, qui ont subi des procès. Je vous rappelle que le taux d’acquittement atteint à peine 5 %. Pour en arriver à la révision, il faut que l’acquittement soit définitif, c’est-à-dire que toutes les voies de recours aient été épuisées. Cette modification entraînerait une insécurité permanente pour les personnes ayant fait l’objet d’un acquittement, dans la plupart des cas justifié.

Enfin, ces amendements ont des conséquences pour les victimes. Devant la mission, Marylise Lebranchu parlait de ce tourment permanent qu’on installe dans l’esprit des victimes. Il est déjà douloureux pour elles de faire face à un acquittement. Un acquittement ne signifie pas forcément qu’il y ait eu une erreur judiciaire, il peut vouloir dire que le coupable est ailleurs. Permettre la révision pour la décision d’acquittement, c’est laisser croire à la victime qu’elle peut constamment demander à recommencer le procès, c’est lui interdire de trouver la paix, c’est la soumettre à des souffrances longues et profondes, c’est surtout l’exposer à de grandes déconvenues. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.) Il faut savoir accompagner les victimes plutôt que de les installer indéfiniment dans la poursuite, qui peut parfois se révéler chimérique, d’une culpabilité chez une personne qui a été acquittée.

L’acquittement, vous avez raison, monsieur Fenech, est un vrai sujet. Il mérite qu’on y travaille de façon plus approfondie, plus rigoureuse, plus efficace, plus exigeante.

Enfin, je veux saluer le travail de très grande qualité que vous avez produit, monsieur Tourret, monsieur Fenech, pour aboutir à cette proposition de loi, améliorée encore par les ajouts de la commission des lois. Avec ce texte, vous illustrez ce qu’écrivait La Bruyère dans Les Caractères : « Un coupable puni est un exemple pour la canaille ; un innocent condamné est l’affaire de tous les honnêtes gens ». (Applaudissements sur tous les bancs.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il aura fallu que Roland Agret se mutile, se coupe deux doigts, pour forcer l’attention sur l’erreur judiciaire commise à son encontre et pour obtenir la révision de son procès. Condamné à tort en 1973, il est enfin acquitté en 1985, douze ans après.

La présente proposition de loi présentée par Alain Tourret est d’une nécessité évidente. En effet, la révision effective des condamnations pénales reste d’une rareté extrême. Comme l’a rappelé Mme la garde des sceaux, depuis 1989 seules neuf condamnations criminelles ont été révisées. Neuf révisions seulement en vingt-cinq ans, comme s’il n’y avait eu que neuf erreurs judiciaires en un quart de siècle, comme si, à côté de Patrick Dils, de Loïc Sécher, de Marc Machin et de quelques rares autres qui ont obtenu la révision de leur procès, il n’y avait pas eu d’autres accusés condamnés à tort.

En réalité, on le sait, plusieurs éléments font obstacle à la mise en œuvre de la procédure de révision.

D’abord, l’interprétation de la règle de l’autorité de la chose jugée. En réalité, deux principes contradictoires s’affrontent, comme le notait M. Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, devant votre mission d’information : d’un côté, « un intérêt supérieur d’équité et d’humanité, qui prescrit la réparation des erreurs et la reconnaissance de l’innocence des personnes condamnées à tort », de l’autre « l’autorité de la chose jugée, qui implique pour des raisons tenant à la paix sociale et à la sécurité juridique une stabilité des jugements, dès lors que les voies de recours ont été épuisées ».

L’autorité de la chose jugée est donc souvent invoquée pour éviter ou limiter la remise en cause des décisions de justice devenues définitives pour mettre un terme aux litiges. Sans ce principe, assure-t-on, les décisions judiciaires seraient continûment contestées et les procès succéderaient aux procès dans une sorte de querelle sans fin. Dès lors, parfois, la force de la chose jugée, il faut le reconnaître, s’apparente beaucoup à la force d’inertie. On connaît l’adage qu’a rappelé Mme la garde des sceaux et qui résume ce principe : res judicata pro veritate habetur, c’est-à-dire la chose jugée est considérée comme étant la vérité. Il y a là un postulat et parfois une fiction dans cette formule qui répute automatiquement exacte la décision judiciaire définitive. Y aurait-il un dogme de l’infaillibilité juridictionnelle, procédant d’une sorte de sacralité de la justice, qui, par principe, aurait toujours raison ?

Pourtant, l’office du juge n’est pas celui d’un pontife ou d’un augure qui rendrait des oracles et la procédure pénale ne relève pas des catégories de la pensée magique. Pourtant, étant œuvre humaine, l’acte de juger est par essence faillible. Toutefois, il y aurait peut-être une difficulté psychologique et donc une réticence pour les magistrats à reconnaître, à travers la révision, que l’institution judiciaire à laquelle ils appartiennent s’est trompée. À cet éventuel esprit de corps s’ajoute une autre donnée. Le jury populaire, institué à la Révolution, étant considéré comme l’émanation du peuple souverain, les arrêts d’assises paraissent revêtus, aussi pour cette raison, d’une autorité particulière, qui rend malaisée leur révision.

La deuxième difficulté pour obtenir la révision d’une condamnation, c’est la manière souvent trop exigeante dont la notion de doute est interprétée. Jusqu’en 1989, la jurisprudence exigeait l’existence d’un doute sérieux. La loi du 23 juin 1989, qui résulte des efforts de Michel Sapin et de Michel Dreyfus-Schmidt a enlevé du coup du mot « doute » son collier d’adjectif, si je puis dire. Il n’y a plus de doute sérieux nécessaire, un doute suffit. Malgré tout, la chambre criminelle continue, et les juridictions pénales en général, à réclamer l’existence d’un doute sérieux et raisonnable. C’est pourquoi cette proposition de loi prévoit que le moindre doute suffit pour pouvoir entamer une procédure de révision.

M. Bruno Cotte, l’ancien président de la Chambre criminelle disait ceci : « Faut-il une échelle du doute comme on demande aux malades de se situer sur une échelle de la douleur ? N’est-ce pas tout aussi subjectif ? Pardonnez-moi, mais quand on doute, on doute et, dans ce cas-là, on en tire les conséquences. » Par conséquent, si cette proposition de loi est adoptée, ce que je souhaite, le moindre doute suffira à entrer comme élément dans la procédure de révision.

J’en viens à la motivation des arrêts d’assises. Chacun sait qu’elle n’est pas très riche dans le droit procédural français tel qu’il existe, et qu’elle est même franchement insuffisante, qu’une feuille de motivation résume très succinctement les éléments principaux retenus à charge. Mme Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme a souvent dit qu’il s’agissait d’une sous-motivation par rapport aux exigences qui devraient être requises surtout s’agissant de condamnations qui concernent les infractions les plus graves.

Au-delà de la présente proposition de loi, une autre initiative sera sans doute à prendre dans cette action pour la vérité judiciaire. En effet, il conviendra aussi d’agir à la source, d’agir en amont et pas seulement en aval, pour prévenir les erreurs judiciaires plutôt que d’avoir à les réparer après coup, a posteriori. Dans ce but, il faudra également légiférer, modifier la loi, pour réformer le système de l’intime conviction prévu par le code de procédure pénale. Conformément à l’article 353 de ce code, avant que la cour d’assises se retire pour délibérer, le président donne lecture de l’instruction suivante : « La loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont fait, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé. » La loi ne leur pose que cette seule question : « Avez-vous une intime conviction ? » Cette méthode laisse donc aux juges et aux jurés la liberté d’appréciation des preuves et de leur effet probatoire, la liberté d’apprécier souverainement les faits des preuves qui sont avancées ou apportées. D’où le risque parfois d’entraîner une condamnation sans preuves certaines ou totalement convaincantes.

Il faut donc remettre en cause cette vieille notion du droit pénal français, cet archaïsme, curieusement établi par la Constituante. Cet archaïsme se fonde sur le primat de la subjectivité, du sentiment intime, de l’impression, plus que sur l’objectivité de preuves sûres et manifestes.

Selon les députés de la Constituante, influencés à l’évidence par le rousseauisme, l’homme libre, forcément intègre, jugera avec bon sens, avec sa conscience pour seul guide. Ainsi, parlant des jurés, le constituant Adrien Duport assurait ceci : « Tous décident par la droiture et la bonne foi, simplicité bien préférable à cet amas inutile et funeste de subtilités et de formes que l’on a jusqu’à ce jour appelé justice. » Plus de deux siècles après, le système de l’intime conviction perdure, avec tous ses risques, avec une justice pénale risquant de statuer moins sur des faits objectifs que sur des sentiments subjectifs, des intuitions, des impressions.

Si la décision dépend des impressions personnelles sur les preuves avancées, on entre alors dans le domaine du fortuit, du contingent, du hasard, voire du jeu de hasard. Pourtant, la justice pénale ne saurait être une loterie, ni une tombola judiciaire où les lots consisteraient en des années de réclusion criminelle.

Ce principe de l’intime conviction risque de générer des erreurs judiciaires. Il faudra donc revoir l’article 353 du code de procédure pénale ainsi que l’article 427 qui pose la même règle en matière correctionnelle pour s’en tenir désormais aux faits dûment prouvés.

Revenons-en à la proposition de loi et donc à la révision des condamnations, une fois celles-ci prononcées. Au fond, la révision est liée à l’histoire de la République. On appelait « révisionnistes » les partisans du capitaine Alfred Dreyfus, dont la révision fut la dernière arme pour rétablir la vérité, après deux condamnations successives par deux Conseils de guerre, sur la base de faux documents ou de faux témoignages. En 1906, la Cour de cassation annule enfin, sept ans après, la décision du second Conseil de guerre et le fait dans ces termes : « Dit que c’est par erreur et à tort que cette condamnation a été prononcée ». La vérité l’avait enfin emporté sur l’apparente vérité judiciaire, la vérité dont Émile Zola s’était fait le meilleur défenseur dans J’accuse, dès janvier 1898, en écrivant ces quelques lignes : « L’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice. Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière. » Défendre un innocent, combattre l’erreur, servir la vérité : Zola aura été l’honneur de la République et de la vraie justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous évoquons aujourd’hui un sujet grave, douloureux et complexe dans lequel notre collègue Alain Tourret s’est engagé résolument, accompagné par notre collègue Georges Fenech. Au nom du groupe SRC, je vous félicite, monsieur le rapporteur, pour votre engagement total dans cette cause, pour votre force de conviction, pour la qualité de vos travaux, minutieux et très complets, et pour la pertinence des solutions que vous nous proposez.

Nous le savons, l’erreur judiciaire est une tragédie, un naufrage, c’est tout l’édifice judiciaire qui s’écroule. C’est gravissime tant pour le condamné, la ou les victimes que pour la société tout entière. C’est bien la force de notre justice contemporaine que de reconnaître, enfin, qu’elle n’est pas infaillible malgré toutes les précautions prises, qu’elles soient techniques, scientifiques, technologiques, visant le respect du contradictoire, le renforcement des droits de la défense ou encore l’exercice des voies de recours.

Toute la chaîne pénale peut, en toute bonne foi, plonger dans l’erreur, s’y enfermer, s’y enferrer, et avoir autant de mal à en sortir qu’elle a eu de facilité à y entrer. Il ne s’agit pas ici de faire, ou de refaire le procès des uns et des autres. On le sait, par sa nature même, la matière pénale est extrêmement sensible, et quels que soient les garde-fous les plus solides, l’erreur judiciaire est toujours possible.

La proposition de loi s’inscrit dans cette volonté partagée avec l’exécutif d’améliorer sans cesse notre système judiciaire, de le rendre plus abordable pour nos concitoyens et par conséquent plus efficace. À ce sujet, le législateur a ouvert tout doucement la brèche, restant toujours dans une position d’éternel équilibriste, à savoir gardien du principe intangible du respect de l’autorité de la chose jugée posé à l’article 6 du code de procédure pénale, et aussi ouvert à des recours qui doivent rester exceptionnels et strictement encadrés par la loi.

La pratique a démontré que les conditions du recours en révision sont aujourd’hui, hélas ! draconiennes, que le condamné doit en fait apporter sur un plateau, non la preuve de son innocence, mais la preuve de la culpabilité d’une tierce personne s’il veut obtenir la moindre chance de voir son dossier de nouveau ouvert. Vous avez conservé cet équilibre en maintenant les principes fondateurs de la procédure du recours en révision et de recours de condamnations pénales définitives et votre proposition de loi répond très judicieusement à tous les avis et critiques formulés depuis plusieurs années par tous les intervenants et observateurs.

Comme cela a été rappelé en commission, le dispositif qui nous est proposé n’est pas du tout destiné à ouvrir des contentieux de masse, pas plus qu’il ne peut être ouvert aux révisions in defavorem, comme vient de l’indiquer Mme la garde des sceaux. Il n’est pas question de contourner ici les grands principes fondateurs du droit pénal et de la procédure pénale française par un amendement de circonstance, pas plus que de créer un troisième degré de juridiction ou de laisser croire aux victimes à qui l’on rend encore un mauvais service face à l’émotion d’un fait divers qu’il existe toujours des acquittés douteux.

Ces amendements qui sont déposés par M. le député Fenech – amendements introduits d’ailleurs avec une certaine perfidie en commission – nuisent véritablement à l’économie de cette proposition et je dirai même à sa force juridique.

Permettez-moi de vous rappeler à ce sujet les dispositions de l’article 368 du code de procédure pénale, aux termes duquel « aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente ». C’est ce texte qui pose notre droit et, monsieur Fenech, après les explications très détaillées et convaincantes de Mme la garde des sceaux, je vous inviterai, au nom du groupe SRC, à retirer ces amendements.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce serait une belle chose !

Mme Colette Capdevielle. En créant une juridiction unique de révision et de réexamen, en ouvrant les conditions d’exercice du recours en révision, en les clarifiant et les actualisant, monsieur le rapporteur, vous posez de manière équilibrée les termes du débat.

Permettez-moi d’insister sur trois aspects très novateurs du texte que vous nous proposez.

Le premier se fonde sur le constat de la mémoire défaillante des débats, notamment pour les procédures criminelles et consiste à prévoir la systématisation de l’enregistrement sonore des débats des cours d’assises.

Actuellement, les présidents de cours d’assises recourent très rarement à l’enregistrement, qui relève de leur appréciation discrétionnaire, malheureusement. Comme je l’ai déjà indiqué en commission lors de l’examen de votre rapport parlementaire, l’oralité des débats est un aspect fondamental de la procédure pénale au stade du jugement. Par l’oralité, enfin les parties s’approprient le procès, qui sort de la discussion entre juristes, entre spécialistes et techniciens du droit, pour s’ouvrir à la réalité objective et matérielle des faits, à la confrontation des témoignages, à celle des dépositions, à des auditions plus fouillées et plus contradictoires, à la confrontation également des preuves, des négations et des aveux.

Jusqu’au jugement, la production de la vérité préparatoire du magistrat instructeur ou résultant de l’enquête préliminaire n’a pas vraiment valeur objective : elle reste très subjective et demande à être entérinée lors d’un débat public et oral par des magistrats et par un jury aux assises.

En généralisant l’enregistrement sonore des débats des cours d’assises, on va enfin garantir leur consultation par les magistrats chargés d’examiner une demande de révision.

Je vous l’assure, rien ne remplace l’audience publique : menée de manière loyale, impartiale, dans le respect du contradictoire, elle est souvent le lieu de la révélation de la vérité. Un témoin qui revient sur ses déclarations, ou dont les déclarations n’ont pas toutes été retranscrites fidèlement dans les procès-verbaux, une victime qui s’effondre et qui raconte avec moult détails les faits qu’elle a subis, des experts qui peuvent être moins affirmatifs à l’oral que par écrit, des proches présents, indifférents ou absents : le procès est le révélateur de tout ce que le dossier papier a pu cacher, a pu occulter. C’est le révélateur, bien souvent, de la vérité.

L’enregistrement laisse peu de place à la variation des récits : difficile d’affirmer qu’on n’a pas dit ce qui va pouvoir être reproduit. Il laisse encore moins de place au filtre du rédacteur d’un procès-verbal, aussi objectif et neutre soit-il.

Cet enregistrement constitue donc une réponse appropriée à des décisions de condamnation insuffisamment ou très mal motivées par les juridictions pénales.

Mais la mesure la plus novatrice en termes d’ouverture est celle qui élargit les droits du condamné en matière d’investigations, que ce soit préalablement à sa demande ou en cours d’instruction. Il s’agit de permettre enfin au requérant de demander par écrit et de manière motivée des actes de toute nature, sans véritable limitation, et avec une possibilité d’appel tant préalablement que par la suite.

C’est une mesure de justice sociale qui évite des investigations privées, onéreuses, très dangereuses, sujettes à caution, ainsi qu’une médiatisation néfaste à la recherche de la vérité.

Les pouvoirs d’investigations seront ceux dont dispose le juge d’instruction, c’est-à-dire particulièrement larges.

J’en termine avec la troisième ouverture du texte, qui me paraît de nature à faciliter les révisions : le caractère contradictoire de l’audience est enfin consacré et le requérant peut s’exprimer en dernier. Grâce à un amendement que vous avez fait voter en commission, monsieur le rapporteur, la partie civile pourra formuler des observations écrites ou orales dès l’instruction de la demande en révision ou en réexamen, au même titre que le requérant et le ministère public. C’est une disposition de nature à rassurer les victimes sur leur place dans cette procédure spécifique – ce qui signifie que les victimes y ont toute leur place désormais.

Enfin, le requérant sera obligatoirement assisté ou représenté par un avocat de son choix ou commis d’office. C’est un filtre nécessaire qui est destiné à améliorer la qualité des recours présentés et à assurer surtout un accès de tous à la défense puisque le requérant pourra bénéficier, s’il y a droit, de l’aide juridictionnelle.

Ce texte s’inscrit très directement, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, dans la ligne politique que nous défendons ensemble, puisqu’il vise à moderniser, à adapter notre droit, à le rendre plus intelligible, plus efficace et finalement beaucoup plus protecteur des victimes comme des libertés.

C’est un texte qui participe du travail de restauration du lien de confiance entre le citoyen et sa justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Alain Tourret, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi du groupe RRDP relative à la révision des condamnations pénales définitives entachées d’erreur judiciaire.

L’erreur judiciaire entame gravement la confiance de nos concitoyens dans leur système judiciaire, et cela de manière durable, à travers les générations, quelquefois les siècles. Qui ne se souvient de l’affaire Calas, de l’affaire Lesurques, de l’affaire Dreyfus et de l’affaire Seznec ?

À la fameuse formule de Goethe, « je préfère une injustice à un désordre », je réponds qu’une injustice ne peut jamais à terme favoriser l’ordre et la paix sociale, et qu’au bout du compte, une injustice sera toujours cause de défiance et de désordre.

Qui pourrait croire que la justice, cette science humaine, est infaillible ? Un jury, même populaire, peut se tromper. Quand la justice reconnaît son erreur, elle participe de l’ennoblissement de sa mission, elle rétablit le pacte de confiance. « Aime la vérité, mais pardonne à l’erreur », disait Voltaire.

La justice du vingt-et-unième siècle n’est plus sacralisée : elle motive ses décisions, elle rend des comptes, elle assume sa responsabilité et ses éventuelles erreurs.

Le caractère définitif d’une décision de justice ne doit pas être confondu avec son caractère irrévocable. C’est tout l’objet de cette proposition de loi très attendue des Français et qui fait suite à la mission d’information que j’ai eu l’honneur de conduire, au nom de la commission des lois, avec mon collègue Alain Tourret, rapporteur de cette proposition.

Je tiens d’ailleurs à souligner que notre rapport d’information, cela a été dit, a été adopté en décembre 2013 à l’unanimité. C’est donc dans le même esprit de consensus que j’interviens à cette tribune en qualité d’orateur du groupe UMP.

Je me réjouis particulièrement de cet aboutissement car j’avais moi-même déposé, le 13 mars 2007, il y a donc sept ans, sous l’avant-dernière législature, une proposition de loi tendant à une réforme en profondeur des modalités de la révision. Cette initiative n’a pas reçu de traduction législative, c’est pourquoi je sait gré à notre collègue Alain Tourret d’avoir en quelque sorte repris le flambeau, avec sa conviction et sa détermination, et de m’avoir proposé de m’associer à la conduite de la mission d’information.

J’exprime également toute ma reconnaissance au président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, de nous avoir accordé toute sa confiance, même si, au départ, je l’ai bien compris, il y avait je crois un peu de scepticisme. (Sourires.) Comme quoi nous pouvons tous évoluer dans nos avis et nos opinions.

M. Guy Geoffroy. Eh oui !

M. Georges Fenech. Je tiens à vous remercier tout particulièrement, madame le garde des sceaux, pour nous avoir apporté l’aide précieuse de vos collaborateurs ainsi que celle de la direction des affaires criminelles et des grâces, et nous avoir vous-même confortés dans notre démarche lors de votre audition dans le cadre de la mission d’information.

Je voudrais aussi saluer, si vous le permettez, la présence dans le public de représentants d’associations, notamment France Justice et son président Denis Seznec.

Nous voilà donc rassemblés aujourd’hui, au-delà des sensibilités politiques, pour faire œuvre commune de justice : une justice, mes chers collègues, qui s’honorera de reconnaître plus aisément ses éventuelles erreurs et d’en réparer autant que possible les conséquences.

Notre histoire fut longue et difficile pour faire triompher le primat de la vérité judiciaire, tout en préservant le principe de l’autorité de la chose jugée. J’en suis conscient, nous allons écrire une nouvelle et importante page historique : celle d’une justice plus respectueuse non seulement de la présomption d’innocence, mais également de l’innocence injustement bafouée.

Ce texte est issu de nombreuses contributions des plus hauts magistrats de la Cour de cassation, d’avocats, de chercheurs, de juristes, de sociologues, ainsi même que de condamnés réhabilités, de victimes, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, de la Ligue des droits de l’homme et d’experts scientifiques.

Vous avez rappelé, madame le garde des sceaux, les nombreux textes qui ont jalonné cette histoire. Il aura fallu attendre que Robert Badinter, garde des sceaux, en octobre 1983, dépose un projet de loi qui n’a pas pu être examiné. Ce projet fut repris sous la forme d’une proposition de loi par M. Michel Sapin, proposition qui devait déboucher sur l’importante réforme du 23 juin 1989.

Le nouvel article 622 du code de procédure pénale n’exigeait plus, pour ouvrir la révision, la preuve de l’innocence du condamné, mais un fait nouveau ou élément inconnu de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné. Cette loi du 23 juin 1989, censée constituer une rupture, et malgré ses indéniables avancées, comme la judiciarisation de l’instruction, n’eut pas la portée que le législateur avait souhaitée.

En effet, la chambre criminelle, même si elle se garde de le formuler expressément dans ses arrêts, continue dans la réalité d’appliquer la jurisprudence qui était la sienne avant la loi du 23 juin 1989. Elle exige en effet, pour accorder la révision, non pas un simple doute sur la culpabilité, mais un « doute sérieux », au sens anglo-saxon.

Rappelons que le qualificatif de « sérieux » avait été expressément retiré de la loi par un amendement du sénateur Dreyfus-Schmitt : un simple doute né d’un fait nouveau ou d’un élément inconnu des premiers juges devait entraîner la réouverture du procès. Le temps est venu, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, de parfaire la loi du 23 juin 1989. C’est bien le « moindre doute », celui qui profite déjà au prévenu et à l’accusé, qui doit aussi profiter au condamné.

Certes, la majorité des personnes auditionnées a estimé qu’il n’était pas nécessaire de qualifier le doute, car le doute ne se divise pas : il y a doute ou il n’y a pas doute. Mais alors, pourquoi, quand on examine de manière attentive les huit révisions accordées depuis 1989, on constate qu’à chaque fois, c’est la preuve l’innocence qui a dû être apportée, et non un simple doute ? Il s’agit des affaires Patrick Dils, Rida Daalouche, Rabat Meradi, Guilherme Ventura, Marc Machin et Loïc Sécher.

D’autres requêtes en révision où la preuve indubitable de l’innocence n’avait pu être rapportée mais où, à mon sens, le doute existait ont été rejetées. Il en fut ainsi des affaires Seznec, Omar Raddad, Dany Leprince ou Maurice Agnelet.

Pour mettre un terme à toute difficulté et parce que, comme l’a souligné le syndicat de la magistrature, « si le terme n’est pas dans la loi, il est dans toutes les têtes », il est impératif de préciser l’intention du législateur sur ce point essentiel, cœur de la réforme.

Mais l’absence de qualification du doute n’explique pas à elle seule le très faible nombre de révisions accordées. Il fallait aussi remédier à la trop grande complexité de l’organisation juridictionnelle, source d’ambiguïté et de décisions contradictoires.

En effet, l’actuelle commission de révision et la cour de révision, vous l’avez parfaitement expliqué madame la garde des sceaux, deux instances juridictionnelles de même légitimité, issues de la Cour de cassation, interviennent successivement pour vérifier la recevabilité de la requête, procéder à des mesures d’instruction, décider de la remise en liberté du condamné, déclarer recevable la requête ou la rejeter.

Lourdeur du doublon juridictionnel, risque réel de contradiction de l’appréciation du fait nouveau ou de l’élément inconnu, tout cela créé une incompréhension et un malaise pour tous les protagonistes du procès ainsi que dans l’opinion publique en général.

C’est pourquoi la proposition de loi retient le principe d’une cour unique composée de dix-huit magistrats issus de toutes les chambres de la Cour de cassation, ce qui représente en outre l’avantage d’élargir le spectre des regards et des sensibilités. La cour nomme ensuite en son sein les cinq membres qui composeront la commission d’instruction nouvellement dénommée pour lever toute ambiguïté.

Autre défaut majeur, vous l’avez parfaitement explicité : la non-conservation des scellés. À cet égard, je suis très sensible au fait que vous ayez déjà estimé et validé le coût de leur préservation, qui ne me paraît d’ailleurs pas exorbitant. Quant à l’enregistrement sonore des débats, il était quant à lui bien évidemment attendu.

J’en viens maintenant, cher Alain Tourret, à ce qui nous sépare : la révision in defavorem. Par honnêteté intellectuelle, je dois dire que je me suis rallié dans un premier temps à l’avis dominant pour ne pas la retenir. Puis il y a eu cette récente et tragique affaire démontrant notamment que, grâce à la preuve ADN…

M. Jean-Noël Carpentier. Fait divers !

M. Georges Fenech. Fait divers ? La famille de la victime appréciera.

Après la commission des faits, donc, une décision d’acquittement apparaissait entachée d’erreur. Si la majorité des personnalités auditionnées a rejeté l’idée de la révision in defavorem c’est conformément, vous avez eu raison de le dire, à nos traditions, afin de préserver la paix sociale et de ne pas augmenter le trouble subit par les victimes ainsi que par leur famille.

Il faut tout de même relever que plusieurs hauts magistrats ainsi que le syndicat FO Magistrats ou l’Institut pour la justice se sont prononcés en sens contraire.

J’en conviens : il s’agit là d’un sujet difficile. Il faut donc l’aborder avec la plus grande sérénité et sans aucune perfidie, chers collègues, croyez-le bien.

Ainsi Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation a déclaré devant la mission : « Le procureur général près la Cour de cassation pourrait se voir reconnaître la compétence de saisir cette commission en cas de preuve indubitable de la culpabilité de la personne ainsi acquittée ou relaxée. »

L’ancien procureur général de Lyon, M. Viout, s’est lui-même interrogé sur « le bien-fondé du maintien de l’actuelle prohibition de revenir sur une décision de relaxe ou d’acquittement qu’un fait ultérieur entache manifestement d’erreur. »

À cet égard, je voudrais aussi rappeler la position de notre éminent collègue Dominique Raimbourg qui s’est interrogé devant notre commission sur le motif qu’il y aurait à ne pas retenir la révision des acquittements.

Mme Cécile Untermaier. Il a le droit de s’interroger !

M. Georges Fenech. Il nous a également rappelé que c’était là tout le débat que nous avons eu à propos de l’appel des cours d’assises : devions-nous aussi donner l’appel au procureur sur un acquittement ? Ce débat a finalement été aussi tranché dans le sens de l’appel du ministère public.

Au sein du groupe SRC, c’est également l’avis, entre autres, de M. Yann Galut tel qu’il l’a exprimé en toute conscience en commission des lois.

Nous sommes là face à des questions de conscience dont les conséquences sociales sont bien entendu importantes, mais elles dépassent les clivages politiques – chez nous, certains n’ont d’ailleurs pas cosigné mon amendement comme, par exemple, M. Warsmann. Notre réflexion doit donc avancer.

Je note d’ailleurs, madame la ministre, que dans votre déclaration vous n’avez pas vraiment fermé la porte. Vous avez simplement indiqué que mes amendements n’étaient pas assez rigoureux. Je veux bien l’admettre, admettre qu’il serait utile d’avoir l’avis du Conseil d’État, mais vous ne pouvez dire, me semble-t-il, au nom du Gouvernement, que l’amendement en question doit être purement et simplement rejeté. Nous discutons d’une vraie question, vous l’avez dit, à laquelle votre Gouvernement et notre Assemblée doivent répondre.

Je rappelle d’ailleurs que notre code de procédure pénale, en son article 6, permet d’ores et déjà de rouvrir le procès d’une décision d’acquittement ou de relaxe qui aurait été obtenue par la production d’un faux.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr.

M. Georges Fenech. Ce dispositif existe bien mais il n’a jamais été appliqué, à ma connaissance…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. En effet.

M. Georges Fenech. …alors qu’il permettrait donc de revenir sur un acquittement. Ce n’est pas une idée totalement nouvelle.

M. Guy Geoffroy. En effet.

M. Georges Fenech. Par ailleurs, ces dispositifs de révision des acquittements existent en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Pays-Bas…

Mme Cécile Untermaier. Et alors ?

M. Georges Fenech. …et ils y ont été très rarement appliqués. Il n’y a donc pas à craindre d’ouvrir la boîte de Pandore dans la mesure où le filtre de la commission d’instruction y veillera.

Madame la ministre, un sondage commandé par l’Institut pour la justice a été rendu public hier (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)

Mme Cécile Untermaier. Allez, en avant !

M. Georges Fenech. …oui, il arrive quelquefois que l’opinion soit sondée.

Selon lui, 91 % des Français souhaitent que nous adoptions la procédure de révision in defavorem. Nous ne pouvons pas balayer d’un revers de la main l’opinion des Français ! Nous devons en tenir compte ! En outre, une pétition nationale a recueilli en quinze jours 117 000 signatures.

J’ai reçu hier un mèl de notre collègue Dominique Raimbourg dans lequel il m’explique la raison pour laquelle il ne votera pas cet amendement : comme vous, madame la ministre, il a considéré que cette question est d’une trop grande importance pour être traitée par un simple amendement.

Je regrette que l’on renvoie cette affaire aux calendes grecques. Mon amendement complétait utilement cette proposition de loi que la navette entre l’Assemblée nationale et le Sénat aurait permis d’enrichir et de compléter.

Mme Cécile Untermaier. Il n’existe aucune étude d’impact sur cette mesure.

M. Georges Fenech. Vous-même, madame la ministre, auriez pu aussi déposer dès aujourd’hui des amendements. Vous ne le faites pas et je le regrette. Je ne veux pas croire qu’il s’agit d’une posture idéologique…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Pas plus que vous n’en faites preuve.

M. Georges Fenech. …qui consisterait toujours à sous-estimer un peu le rôle et l’importance des victimes. Je ne le crois pas, donc, je ne le dirai pas.

Je crois néanmoins que, encore une fois, nous allons adresser le message suivant à nos concitoyens : nous tenons pour négligeable la souffrance des victimes. Or, je pense à la famille de la victime Haderer : quel message recevra-t-elle aujourd’hui ?

Aussi, madame la ministre, je vous demande – et je vous le demanderai tout à l’heure lors de la discussion des articles et de mon amendement – de prendre un engagement ferme devant le pays puisque vous avez laissé la porte ouverte : quand et comment pourrons-nous reprendre ce débat ?

Je suis prêt à déposer une proposition de loi dans le cadre, pourquoi pas, d’une niche parlementaire de l’UMP.

M. Claude de Ganay. Très bien !

M. Georges Fenech. Toujours est-il que toutes les forces politiques doivent être unies sur un sujet d’une telle importance afin de conserver cet esprit consensuel qui nous a animés, cher Alain Tourret, depuis le début de nos travaux. L’œuvre de justice n’est ni de gauche, ni de droite : elle est celle de la vérité.

Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Claude de Ganay. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Madame la garde des sceaux, je tiens tout d’abord à vous faire part de la satisfaction de nos collègues députés polynésiens s’agissant de votre décision visant à saisir la commission de révision des condamnations pénales d’une requête en révision de la condamnation de Pouvanaa a Oopa, accusé d’avoir voulu incendier la ville de Papeete en 1959. Nos collègues polynésiens sont en effet intervenus à plusieurs reprises auprès de vous afin d’obtenir cette révision.

Ils se félicitent également que la révision éventuelle de la condamnation puisse relever de la procédure rénovée prévue par cette proposition de loi. Nous avons là un exemple concret des effets de ce texte, monsieur le rapporteur.

S’inspirant des préconisations de la mission d’information sur la révision des condamnations pénales publié le 4 décembre 2013, la proposition de loi de notre collègue Alain Tourret a pour ambition d’améliorer l’effectivité de la réparation des erreurs judiciaires.

Réformer ainsi notre procédure pénale implique de concilier deux impératifs à première vue contradictoires mais inhérents au fonctionnement même de notre système judiciaire : d’une part, préserver l’ordre juridique par l’autorité de la chose jugée, d’autre part, éviter l’erreur judiciaire et savoir la réparer lorsqu’elle survient.

Évidemment, l’autorité de la chose jugée, une fois que la justice s’est prononcée sur le sort d’un accusé ou d’un prévenu, constitue un principe essentiel au maintien de l’ordre juridique dans un État de droit ainsi qu’un garant de la paix sociale sans lequel les décisions de justice seraient sans cesse remises en cause et les procès sans cesse recommencés.

Mais il est aussi des cas où ce principe ne peut être invoqué par les magistrats comme un obstacle au réexamen d’une affaire parce qu’il n’est pas de pire injustice que de voir un innocent en prison. C’est de la capacité de notre système judiciaire à reconnaître et à réparer ses propres erreurs et ses défaillances – qu’elles soient ou non imputables à un juge – que dépend la confiance que chacun de nos concitoyens place dans la justice de son pays. Comme l’a dit notre rapporteur : c’est la justice elle-même qui se grandit en reconnaissant ses erreurs.

Conscients de cet impératif, les législateurs sont intervenus à plusieurs reprises pour réformer les procédures de révision. Depuis les premières lois, dans les années 1800, jusqu’aux dernières – celles du 23 juin 1989 relative à la révision des condamnations pénales et, quatorze ans plus tard, du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes – la procédure de révision a été continuellement élargie.

Pourtant, en dépit de ces évolutions et malgré les progrès considérables de la science et des savoir-faire de l’investigation, les révisions sont encore très rares.

La modification, par la loi du 23 juin 1989, de l’article 622 du code de procédure pénale qui mentionne désormais non plus la certitude mais le doute sur la culpabilité du condamné pour qu’une requête en révision soit admise n’a eu que peu d’effets sur le nombre de ces révisions. Preuve que les procédures de révision aboutissent rarement, depuis 1989, seules huit condamnations criminelles – neuf, depuis le 18 février dernier avec l’affaire Iacono – ont été révisées.

Nous partageons donc le constat des auteurs de cette proposition de loi et du co-rapporteur Georges Fenech quant à la nécessité également soulignée chaque année dans les rapports de la Cour de cassation de réformer la procédure actuelle dans un sens favorable aux victimes d’erreurs judiciaires.

Principal apport de cette proposition de loi : la création d’une juridiction unique de révision et de réexamen.

Actuellement, trois organes de révision coexistent : la commission de révision des condamnations pénales, la chambre criminelle statuant comme cour de révision et la commission de réexamen.

La commission, comme la cour, peuvent vérifier la recevabilité de la requête, procéder à des mesures d’instruction, décider de suspendre la peine du requérant et se prononcer sur le fond du dossier. Ce fonctionnement donne le sentiment d’un véritable doublon judiciaire, sentiment renforcé par le fait que ces deux juridictions sont composées de magistrats de la Cour de cassation.

Afin de combler ces failles de notre système judiciaire, monsieur le rapporteur, vous proposez de fusionner ces différentes structures en une seule cour de révision et de réexamen.

La création de cette cour unique présente trois intérêts.

D’une part, elle ne remet pas en cause la pertinence de la distinction entre recours en révision et recours en réexamen consécutif au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme – dont les objets sont distincts.

D’autre part, dans un souci d’impartialité, elle sépare mieux le stade de l’instruction et celui du jugement en distinguant au sein de cette cour unique une formation spécifiquement chargée de l’instruction des dossiers et du filtrage objectif des demandes infondées, la commission d’instruction des demandes en révision et en réexamen et une formation de jugement – cette dernière formation étant chargée d’apprécier plus subjectivement l’importance du fait nouveau ou de l’élément inconnu sur la culpabilité du condamné.

Enfin, elle permet de mieux définir les droits des parties, notamment, en donnant la parole en dernier au requérant devant la formation d’instruction et la formation de jugement, mais aussi en donnant à l’avocat accès aux pièces du dossier dans les mêmes conditions que lors d’une information judiciaire.

Garantir l’effectivité du recours en révision, c’est aussi donner à la justice les moyens d’instruire les demandes en révision et permettre au condamné de faire aboutir sa demande tout en veillant à encadrer suffisamment ces nouveaux droits dans le respect du contradictoire.

Dans les faits, la Cour de cassation rencontre de nombreux obstacles lorsqu’elle est chargée d’instruire les demandes en révision de nature criminelle. La proposition de loi prévoit des mesures de bon sens – je pense à l’allongement de la durée de conservation des scellés criminels ou encore à la systématisation de l’enregistrement sonore des débats.

Par ailleurs, la possibilité donnée au condamné de demander des actes d’investigation en amont du dépôt de sa demande ou de procéder, au cours de l’instruction de son affaire, à tous les actes qui lui semblent nécessaires, devrait faciliter la manifestation de la vérité.

Enfin, la proposition de loi prévoit de corriger une faiblesse importante du dispositif actuel, l’absence de qualification de la notion de doute. Ainsi que le propose le texte, le moindre doute, et non plus le doute sérieux jusqu’alors exigé par la jurisprudence, pourrait entraîner la révision de la condamnation pénale. Cette disposition mettra ainsi fin à l’obligation imposée dans la pratique au condamné d’apporter la preuve de son innocence.

Ainsi, mes chers collègues, le groupe UDI votera cette proposition de loi, qui procède d’une évolution nécessaire des procédures de révision et de réexamen. N’oublions pas néanmoins que les procédures de révision, parce qu’elles portent atteinte au principe d’autorité de la chose jugée, doivent être suffisamment encadrées et demeurer exceptionnelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, permettez-moi de commencer par les remerciements d’usage, et néanmoins sincères, d’abord au groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, qui a décidé de donner une suite législative à la mission d’information sur la révision des condamnations pénales, confiée le 24 juillet 2013 à nos deux collègues Alain Tourret et Georges Fenech, relative à la réparation des erreurs judiciaires ou au réexamen des décisions pénales à la suite d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme.

Cette mission d’information a donné lieu à un rapport, dont le contenu a été salué par l’ensemble des membres de la commission des lois. Je me joins d’ailleurs aux félicitations qui ont été adressées à nos deux collègues. Cette proposition de loi, M. le rapporteur l’a rappelé, est issue d’un travail de concertation avec la chancellerie. Permettez-moi de souligner qu’il est assez rare qu’un ministre accompagne et soutienne une initiative parlementaire quand elle n’est pas issue du principal groupe de la majorité. Je tiens donc à remercier madame la ministre.

M. Alain Tourret, rapporteur. Que Mme la ministre en soit remerciée !

M. Sergio Coronado. Cette proposition de loi est soutenue par l’ensemble des groupes. Le groupe écologiste, comme nous l’avons signalé en commission, soutient cette proposition de loi et se félicite que le groupe RRDP ait décidé de la déposer en niche. (« Ah ! Merci ! » sur les bancs du groupe RRDP.)

En démocratie, c’est à la loi qu’il appartient de définir les délits et les peines. Dans cette perspective, le législateur a mis en place des garanties procédurales – le principe du contradictoire, la collégialité et la motivation des décisions, le double degré de juridiction, le droit de former un pourvoi – et renforcé les moyens offerts aux acteurs du procès pour rechercher la vérité, combattre le mal-jugé et éviter toute détention arbitraire. Le respect de ces règles confère aux décisions de justice une autorité de la chose jugée qui a un caractère général et absolu. Ce caractère général et absolu établit la présomption de vérité qui s’attache à la chose jugée et qui conduit à tenir pour vrai un jugement devenu définitif ; il est la condition de l’extinction des litiges, de la paix sociale et de la stabilité de l’ordre juridique.

Pourtant, chacun sait que le jugement des hommes n’est pas infaillible et que dans toute procédure judiciaire, le manque de preuves ou une erreur de procédure peut conduire à une injustice. Lorsqu’une erreur de fait survient, il devient nécessaire de faire triompher la vérité en permettant la révision du procès, afin de disculper le condamné victime de cette erreur : c’est l’objet de la révision d’une condamnation pénale définitive pour un crime ou un délit. Lorsqu’une erreur de droit a été commise, au mépris des libertés garanties, il convient de sanctionner cette violation et de rejuger la personne conformément aux règles de droit en vigueur, indépendamment de toute considération sur sa culpabilité : tel est le but du réexamen d’une décision pénale définitive consécutivement au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. Des affaires célèbres, que vous avez rappelées, madame la ministre, viennent illustrer la nécessité de ce texte. Cette proposition de loi entend prendre sa part dans le renforcement de l’État de droit. Elle tente, et c’est un défi, de concilier le respect de l’autorité de la chose jugée et la nécessité de réparer l’erreur judiciaire. Je crois que ce défi est relevé.

L’actuelle procédure de révision date de 1989. Un doute sur la culpabilité du condamné, doit fonder la demande de révision pour qu’elle puisse aboutir, et non plus la certitude de son innocence. La loi permet aux condamnés, et non plus au seul ministre de la justice, de demander la révision d’une condamnation sur la base d’un fait nouveau. Enfin, le filtre a été confié à une commission de révision des condamnations pénales. Le recours est d’abord introduit auprès de cette commission, chargée du filtrage et de l’instruction des demandes. Et c’est donc cette commission qui peut ensuite saisir la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui statue comme cour de révision, et qui a seule le pouvoir d’annuler une condamnation pénale, avec ou sans renvoi vers une juridiction de fond.

Il existe une autre procédure en cas de condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, mise en œuvre par une autre commission rattachée à la Cour de cassation : le réexamen d’une décision pénale définitive consécutivement au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. Je vous rappelle que notre collègue Noël Mamère a bénéficié de cette procédure. Il avait été condamné pour avoir attaqué le professeur Pellerin, qui affirmait en 1986 que le nuage de Tchernobyl avait été bloqué à la frontière et la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné la France, permettant ainsi le réexamen de la sentence. Depuis 1989, 3 358 demandes ont été présentées à la commission de révision, parmi lesquelles 2 122 ont été jugées irrecevables et 965 rejetées ; seules quatre-vingt-quatre d’entre elles ont conduit à la saisine de la Cour de révision, qui a prononcé cinquante et une décisions d’annulation et trente-trois décisions de rejet.

Si les révisions sont rares, c’est que les juges font une interprétation stricte, trop stricte, du « doute raisonnable » pour accorder la révision : dans les faits, le condamné doit pratiquement donner la preuve de son innocence. De plus, la commission de révision des condamnations pénales exerce un filtrage trop rigoureux et empiète même parfois sur les compétences de la Cour de révision. Il importe toutefois de maintenir des filtres suffisants pour éviter de créer une nouvelle voie d’appel. Il s’agit de corriger des injustices, et non de juger à nouveau. Il faut donc maintenir un équilibre entre la sécurité de la chose jugée et la nécessité de réparer les erreurs judiciaires.

La proposition de loi réforme donc profondément l’architecture des recours, elle fusionne leurs procédures et précise les conditions d’ouverture d’une révision des condamnations pénales. Cette simplification de la révision des condamnations pénales est une avancée majeure. Il importe en effet de mieux tenir compte du caractère contingent et relatif de la vérité qui émerge de l’instruction et des débats judiciaires, et de tenir compte du rythme actuel d’évolution des technologies et des savoir-faire d’investigation et d’enquête. Si la procédure de réexamen a permis, depuis son instauration en 2000, le réexamen de trente et une décisions pénales définitives, la procédure de révision, quant à elle, n’a pas totalement joué son rôle.

L’amélioration, depuis 1989, des procédures permettant de revenir sur une décision pénale définitive n’a pas pleinement profité aux condamnés, c’est un fait. Les obstacles à l’aboutissement des demandes en révision peuvent également résulter de certains aspects de la procédure criminelle, notamment – et cela a déjà été dit – lorsque les scellés ont été détruits et que les débats de la cour d’assises ayant prononcé la condamnation n’ont pas été enregistrés. C’est pourquoi l’article 1er de cette proposition de loi crée une nouvelle procédure de conservation des scellés dans les affaires criminelles définitivement jugées. L’article 2 fixe, quant à lui, une obligation d’enregistrement sonore des débats des cours d’assises. Ces deux éléments sont nécessaires pour garantir les démarches en révision et leur introduction est une bonne nouvelle, tout comme celle du moindre doute, qui constitue une avancée notable.

Actuellement, il n’est pas possible de revenir sur le procès d’une personne qui aurait été innocentée, et je sais que cela a été un point de débat, voire de litige, lors des débats en commission. Cette question vient d’être reposée par l’affaire Jacques Maire, acquitté en octobre 2008 dans l’affaire du meurtre de Nelly Haderer, survenu en 1987. Des traces de sang ont été retrouvées sur le pantalon de la victime après le procès, dont l’ADN était celui de Jacques Maire. Notre collègue Georges Fenech a déposé des amendements pour autoriser la remise en cause des acquittements. Nous avons décidé de ne pas les voter, d’abord parce que ces amendements semblent être dictés par l’actualité immédiate. Or je crois qu’il n’est pas raisonnable de légiférer sous le coup de l’émotion. Nous avons assez dénoncé cette attitude au cours de la précédente législature, où chaque fait divers donnait lieu à une annonce, voire à un projet ou à une proposition de loi. Nous ne voulons pas d’amendements de circonstance.

Vous avez rappelé, madame la ministre, le point de vue que développait notre collègue Georges Fenech à l’époque de la mission d’information, et que je partage : « Je ne crois pas souhaitable de revenir sur les décisions d’acquittement. Nous avons également été convaincus que cela relevait plutôt de l’action publique que de la révision. On pourrait imaginer donner au parquet le pouvoir de déclencher une nouvelle enquête dans le délai de prescription. » Notre collègue Guy Geoffroy, deuxième signataire des amendements, était encore plus catégorique, puisqu’il déclarait : « J’ai toujours considéré que la décision d’acquittement était le corollaire – et même le corollaire puissant – du principe fondamental de la présomption d’innocence…

M. Guy Geoffroy. Je m’en expliquerai tout à l’heure, cher collègue.

M. Sergio Coronado. …Remettre en cause, après une décision d’acquittement devenue définitive, l’idée que la personne ait été acquittée est, d’une certaine manière, une remise en cause de l’existence même du principe de présomption d’innocence. »

M. Guy Geoffroy. En tout cas, vous avez de bonnes lectures !

M. Sergio Coronado. Je voulais simplement vous dire que ces arguments-là nous ont convaincus.

Par ailleurs, nous ne pensons pas qu’il faille établir une symétrie, ou un parallélisme des formes, comme notre collègue Yann Galut a pu le suggérer en commission, entre condamnations et acquittements. La révision des acquittements est une question complexe. La possibilité de remettre en cause un acquittement sur la base d’un fait nouveau portera assurément atteinte à la paix sociale. En l’absence de délai, des requêtes en ce sens pourraient être déposées en permanence, ce qui constituerait un facteur majeur d’insécurité pour les personnes innocentées par le jury d’assises. Ce serait un changement important de notre droit, puisqu’on modifierait les règles de poursuite, en encourageant les victimes à se lancer dans une quête hasardeuse.

Si ce changement avait lieu, il faudrait encadrer encore plus strictement les possibilités de saisine et les délais de prescription. Il semble donc impossible de suivre nos collègues de l’UMP : en ouvrant largement les possibilités de saisine, on risque de les voir se multiplier et d’insécuriser, non seulement le droit, mais également les innocentés. Ces amendements n’ont pas leur place dans une proposition de loi directement issue d’une mission d’information qui a conclu qu’il ne fallait pas ouvrir la possibilité de réviser les acquittements. Tout ce travail ne peut pas être balayé par un amendement : cela mérite une réflexion plus approfondie. Il ne faut pas modifier des règles aussi lourdes à la faveur d’un fait divers.

Le groupe écologiste proposera aujourd’hui par voie d’amendement que la personne innocentée soit également retirée des différents fichiers de police – empreintes digitales, palmaires, génétiques – sauf s’il a fait l’objet d’autres poursuites ou condamnations qui justifieraient le maintien de ses empreintes dans ces fichiers. Nous proposerons également la prise en compte, pour la révision d’une condamnation, d’éléments anciens n’ayant pas été débattus lors du procès, car dans différentes affaires, un élément contenu dans le dossier, mais non débattu, a pu jeter un doute sérieux sur le verdict prononcé.

« Une erreur judiciaire est une force en marche : des hommes de conscience sont conquis, sont hantés, se dévouent de plus en plus obstinément, risquent leur fortune et leur vie, jusqu’à ce que justice soit faite. » Cet hommage aux indignés de l’injustice, que Zola exprime dans sa « Lettre à la jeunesse » de 1897, prouve que la lutte contre l’erreur judiciaire est l’un des grands combats pour le respect des droits de l’homme. Ces mots ne sauraient mieux dire la nécessité de ce texte aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons est un texte important, comme l’ont rappelé tous les autres orateurs avant moi.

Il faut remercier les deux députés qui ont travaillé sur ce sujet, particulièrement le rapporteur, d’avoir porté ce texte jusque dans cet hémicycle aujourd’hui. Pour comprendre ce qu’apporte le texte, il faut d’abord comprendre les problèmes qui se posent –tout cela a été très bien expliqué, à la fois par les différents orateurs et par Mme la garde des sceaux. Comprendre la portée de ce texte nécessite également d’en mentionner les éléments structurants. Il est utile de s’interroger sur le chemin qu’il trace et qui devra être parcouru pour obtenir un changement pérenne.

Toutes les affaires qui font l’objet ou devraient faire l’objet d’une révision évoquent une erreur judiciaire qui a souvent pour origine plusieurs raisons ou plusieurs causes. La procédure de révision permet de rejuger une affaire qui avait été définitivement jugée, faisant ainsi exception à l’autorité de la chose jugée qui rend a priori irrévocable une décision de justice définitive. La possibilité d’une révision, qui donne l’opportunité de faire reconnaître l’erreur de fait qui a conduit à une condamnation infondée, est par nature extraordinaire et exceptionnelle. Elle a pour effet, si elle aboutit, de faire réexaminer et juger une affaire par une juridiction de même niveau et de même nature que celle qui a prononcé la décision attaquée.

La procédure en question a une histoire dans notre droit pénal moderne, si l’on considère que celui-ci naît avec la Révolution française. Elle fut en effet supprimée une première fois, lorsque les jurys populaires furent mis en place, puisqu’on considérait alors que l’infaillibilité de notre justice résultait de son caractère populaire et délibératif. Rétablie une première fois, elle disparut de nouveau, avant d’être rétablie. L’histoire de ces dernières décennies montre l’existence de conditions strictes, tenant à la fois aux décisions susceptibles d’être attaquées et aux cas d’ouverture du pourvoi en révision. D’une part, les limitations du droit ultime à la preuve contraire touchent les seules infractions les plus graves et le prononcé des peines les plus graves. D’autre part, les cas d’ouverture sont, du fait de la procédure actuelle et de certaines limitations apportées aux moyens de preuve, particulièrement restrictifs. C’est ce que corrige la proposition de loi.

Lors de la précédente législature, j’avais posé à plusieurs reprises des questions écrites sur les conditions et les moyens de la révision pénale saisie par une personne déjà condamnée. Mes questions portaient sur les conditions et les moyens d’instruction lorsque la justice était saisie d’une demande en révision, sur les effets de la destruction des pièces sous scellés, et sur l’absence alors de motivation des décisions des cours d’assises.

Sur ce dernier point la loi a été modifiée. Sur les deux premiers, elle le sera une fois ce texte adopté. Cela a été dit et répété ; en l’état, les filtres posés à une possible révision sont trop importants pour espérer qu’une demande raisonnable puisse aboutir. Pour y remédier, le texte propose plusieurs évolutions significatives qui devraient permettre une adaptation positive.

D’une part, les conditions juridiques permettant aux juridictions de se prononcer sont redéfinies. On passe du doute que nous pourrions qualifier de raisonnable, à l’existence d’un fait nouveau de nature à faire naître le moindre doute sur la culpabilité.

D’autre part, les conditions matérielles permettant de faire naître celui-ci sont modifiées. Pour cela la loi va systématiser l’enregistrement sonore des procès d’assises. Elle va aussi permettre l’allongement, à la demande du condamné, de la durée de conservation des scellés criminels, au-delà des six mois actuellement prévus.

Dans la question que j’avais posée il y a cinq ans, j’écrivais à la ministre de la justice : « N’y a-t-il pas un risque que cette destruction ne pose problème, quand ladite manifestation de la vérité est interrogée plusieurs années après et le crime apparaît comme devant être soit rejugé ou l’affaire devant être révisée » ? Ces facteurs matériels sont à l’évidence de nature à permettre d’instruire plus facilement la réalité du fait nouveau ou de l’élément inconnu au jour du procès.

Parallèlement, le texte modifie et clarifie le chemin juridictionnel pouvant conduire à une révision, d’une part en fusionnant les instances et cours compétentes, d’autre part en assurant à la nouvelle juridiction une composition clairement établie et en spécialisant les tâches en son sein, enfin en renforçant les compétences d’instruction de la juridiction nouvellement créée.

Je note ici que l’examen préalable par une commission de révision distincte de la juridiction de jugement pouvait interrompre immédiatement et durablement la procédure.

À ce stade, je souhaite faire deux observations portant sur le fond. Ce qui est au cœur de toute procédure criminelle dans le cas des affaires des crimes les plus graves et les plus sérieuses c’est la nécessaire sécurisation de la culpabilité. Les droits des accusés doivent être garantis alors même que les affaires sont souvent ignobles et les sentences encourues les plus lourdes. La sécurisation du bien-fondé de la sanction passe par la capacité lors de l’instruction et du procès à garantir la présomption d’innocence et une fois le jugement définitif rendu à corriger l’erreur de fait.

Il ne s’agit pas seulement de protéger les droits de l’individu mais aussi de maintenir la confiance publique dans l’intégrité et la sécurité de notre système légal et judiciaire. Là encore, l’affaire – si j’ose dire – dépasse largement le cas des personnes et poursuit un intérêt supérieur qui est celui de la cohérence sociale et de l’intérêt public.

Ma seconde observation porte sur l’évolution des conditions juridiques permettant une demande de révision. Cela a été souligné à plusieurs reprises : la notion de moindre doute suffira-t-elle à ce que le doute profite à la personne condamnée ? Ainsi est posée implicitement la question du rôle central du juge au cœur du droit à la preuve contraire. Le législateur devra porter, en lien avec les professionnels du droit, une attention particulière à l’application du dispositif et à la dualité du rôle du juge, à la fois émetteur et récepteur de la preuve contraire.

C’est donc avec le sentiment de faire progresser la justice et le souci de voir comment elle évoluera que notre assemblée devrait apporter massivement son soutien à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la question de la révision et du réexamen d’une condamnation pénale définitive fait l’objet de la proposition de loi présentée par Alain Touret – dont je tiens  à souligner la qualité du travail effectué avec le co-rapporteur – se trouve tiraillée entre deux nécessités contradictoires exposées à maintes reprises : le besoin de justice, qui suppose de pouvoir revenir sur une décision de justice définitive qui serait entachée d’une erreur de fait ou de droit de nature à en vicier le bien-fondé, et le maintien de la sécurité juridique.

D’un côté, le principe de sécurité juridique exige de ne pas bouleverser les décisions judiciaires, sauf à répondre à des critères très stricts définis par la loi. La confiance des justiciables tient en la stabilité des décisions judiciaires et en leur prévisibilité. L’apaisement social exige aussi de ne pas constamment rouvrir les plaies qui ont été douloureusement pansées. Les grandes affaires, les plus médiatiques, qui touchent l’opinion publique, méritent-elles d’être en sursis permanent ? Je ne le crois pas. La tranquillité publique exige d’accorder aux anciennes décisions judiciaires un caractère définitif afin de maintenir une certaine paix sociale.

Mais, d’un autre côté, il a été très tôt admis en droit interne que nonobstant le caractère définitif de la décision de justice, une personne condamnée pénalement ne pouvait se voir refuser la réouverture de son dossier, sous réserve de conditions identifiées et d’éléments nouveaux laissant supposer une erreur judiciaire. Qu’y a-t-il de pire qu’un innocent en prison ? Cette image de l’innocent condamné et enfermé est insupportable à la société. L’erreur judiciaire effraie, sa réalité est de nature à entraîner une perte de confiance et un manque de reconnaissance populaire de la justice. Mais l’absence de volonté ou l’incapacité de la justice à reconnaître une telle erreur serait pire encore.

L’autorité de chose jugée, aussi sacrée, aussi fondatrice de l’État de droit, aussi démocratique soit-elle ne doit pas conduire à une justice définitivement aveugle s’agissant d’une décision portant condamnation pénale. Le législateur, suivant en cela l’attente de la société, l’a finalement toujours admis et s’est efforcé dans les textes successifs de faciliter cette révision ou ce réexamen. C’est l’objectif que poursuit cette proposition de loi.

Pour autant, plusieurs affaires importantes telles que celle d’Omar Raddad en 2002 démontrent la difficulté réelle et actuelle d’obtenir la révision d’une condamnation. C’est pourquoi il convenait d’améliorer la procédure de révision et de réexamen des décisions de justice définitives. C’est précisément l’objet de cette proposition de loi qui pose de nouvelles conditions d’examen de la procédure de réouverture d’une décision de condamnation plus favorable à la personne qui serait injustement condamnée.

Parmi les nombreuses mesures, je souhaite souligner l’importance de celles qui figurent aux articles 1 et 2 de la proposition de loi, relatifs à la conservation des scellés dans les affaires criminelles définitivement jugées et à l’enregistrement sonore des débats en cour d’assise.

La destruction des scellés criminels six mois après la condamnation définitive, telle que prévue à l’article 41-4 du code de procédure pénale, prive prématurément de preuves utiles à la manifestation de la vérité. La prolongation à cinq ans renouvelables à la demande du condamné proposée dans le présent texte permet de mieux tenir compte de cette exigence de conservation de preuves judiciaires. Le délai de conservation des prélèvements biologiques allant jusqu’à quarante ans dans l’actuelle législation me paraît en revanche satisfaisant. Par ailleurs, la chancellerie, dans une réponse à une question écrite que j’avais posée à ce sujet en 2013, rappelait toutes les mesures prises pour l’enregistrement et le suivi de ces scellés. Vous avez, madame la ministre, exprimé ici même votre volonté d’affecter les crédits nécessaires à cette conservation, et je vous en remercie vivement.

La généralisation de l’enregistrement sonore des débats est également une belle avancée qui garantit une meilleure appréciation par le juge des éléments nouveaux au regard du procès ancien ainsi mémorisé.

S’agissant de la nouvelle juridiction mise en place, alors que seule la chambre criminelle intervenait auparavant – ce qui exigeait d’elle de se déjuger – la proposition de loi créée salutairement une Cour de révision et de réexamen dont la composition tient compte des critères actuels du procès équitable.

La réforme qui nous est soumise constitue donc une véritable avancée en matière d’impartialité et d’efficacité de la justice, dans le respect des principes fondamentaux du droit pénal et du droit international. La révision, qui reste exceptionnelle, ne peut être ouverte au détriment du condamné, protégeant ainsi la personne poursuivie de la menace constante d’être rejugée pour les mêmes faits. C’est ainsi aussi que la révision ne peut être ouverte aux décisions définitives d’acquittement. Abordé par la voie d’un amendement de circonstance du co-rapporteur dicté par un fait divers, un tel sujet ne peut prospérer sérieusement. Son retrait devrait être proposé par son auteur, ne serait-ce qu’en considération de l’éclairage inutile qu’il porte sur la discussion de ce texte, dont ce n’est pas l’objet.

La présente réforme, qui va faciliter la manifestation de la vérité et la lutte contre l’erreur judiciaire confirme ce faisant une justice remplissant son office ainsi modernisé avec beaucoup de modernité et de probité.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je voudrais prolonger les interventions de Colette Capdevielle, Cécile Untermaier et Marietta Karamanli qui ont très clairement exposé la position de notre groupe, accompagnant le travail remarquable de notre rapporteur et celui de Georges Fenech dans le cadre de leur rapport dont nous entendons soutenir le dispositif.

Mes quelques observations porteront sur l’amendement de notre collègue Georges Fenech, même si nous aurons l’occasion d’y revenir. La porte ouverte par le dispositif est au cœur de notre problème : celui de l’accessibilité de la révision. D’ailleurs, c’était le premier problème auquel était confronté Denis Seznec, et je lui en ai souvent rappelé la réalité. Avant de savoir s’il y a nécessité de revoir, il fallait rendre possible la révision.

Ce qui est intéressant dans ce dispositif nouveau qui fait l’objet de cette proposition de loi, c’est que l’on garantit la possibilité de révision, et c’est extrêmement important. C’est un progrès qui s’appuie sur la reconnaissance de la compétence des magistrats, il fallait aussi le souligner car ce dispositif ne peut pas être vécu comme une suspicion à l’égard des magistrats.

La première des grandes exigences dans laquelle doit s’inscrire la justice des hommes dans un État de droit et démocratique, c’est de ne jamais oublier qu’elle n’est que la justice des hommes. Elle ne peut donc pas s’éloigner de son inspiration humaniste qui place le doute au cœur de ses décisions – plusieurs d’entre nous, dont la garde des sceaux, l’ont noté. La présomption d’innocence, le souci d’éviter l’erreur judiciaire, l’autorité de la chose jugée, l’intime conviction, les lourdes conséquences de l’insécurité juridique, la nécessité qu’une fois que la justice est passée, l’apaisement revienne, tout cela est au cœur du processus de l’œuvre de justice. Elle ne peut pas être mise de côté, quel que soit l’état de l’opinion publique à un instant donné.

Notre confrère Georges Fenech a raison de soulever la question. Tout d’abord parce qu’il exerce son droit d’amendement constitutionnel, et aussi parce que nous nous posons tous cette question. Mais son amendement est à mes yeux inapproprié aujourd’hui.

Tout d’abord, cher collègue, parce que, comme c’est malheureusement la réalité des commentaires de nos débats, on ne parlera que de votre amendement alors que l’ouvrage que nous avons tous construit et auquel vous avez remarquablement participé mérite que l’on dise que l’Assemblée nationale étudiait aujourd’hui la question des possibilités de révision. C’est cela qu’il fallait faire, mais bien entendu on ne parlera que de cet amendement, qui n’est pas accessoire, mais qui n’est pas au cœur de notre démarche.

Ensuite, il existe une règle de droit que je tiens à souligner car elle n’est pas récente : « Nul ne peut être poursuivi ou repris par les juridictions d’un même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement conforme aux règles de l’État. » Ce principe est très ancien. Vous avez cité l’Ancien régime, madame la garde des sceaux. Permettez-moi de vous rappeler que l’ordonnance de 1670, qui montre ce qu’était le laxisme à cette époque, avait tout de même institué la règle de la révision au bénéfice du seul condamné. C’est le principe qui a fondé la règle : « Ne bis in idem ».

Et depuis, il n’y a jamais eu d’atteinte à ce principe. La Constitution républicaine, avec le code d’instruction criminelle de 1808 et l’article 622 du code de procédure pénale consécutif à la réforme constitutionnelle de 1958 l’ont confirmé. C’est aussi le cas de l’ensemble des dispositions internationales. La Cour européenne des droits de l’homme a validé ce dispositif et l’a considéré comme fondamental. Le processus d’approbation par les instances européennes de l’accord de Schengen a rappelé ce dispositif, ainsi que le Pacte international sur les droits civils et politiques dans son article 14-7, et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il s’agit donc d’un principe qui n’est pas seulement hérité de notre histoire, mais aussi considéré comme constituant le cœur du processus législatif démocratique.

Aussi, monsieur Fenech, il me semble préjudiciable, au-delà du caractère important à la fois de ce texte et du débat auquel vous avez participé, de traiter cette question par le biais d’un amendement en improvisant une modification de ces principes fondamentaux.

Enfin, l’amendement que vous proposez, dont l’adoption placerait d’ailleurs notre pays dans une situation d’anachronisme, n’est pas conforme aux principes constitutionnels. En effet, le Conseil constitutionnel a confirmé à plusieurs reprises qu’il était pertinent de considérer que la personne acquittée ne se trouvait pas dans une situation égale à celle de la partie civile, autrement dit de la victime, ni à celle du ministère public.

Pour ces raisons, mon cher collègue, je souhaite que vous retiriez cet amendement, au terme du débat que nous allons avoir tout à l’heure. Il reviendra au Gouvernement et à notre commission des lois de déterminer la suite que nous pourrons donner à cette interrogation remarquable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la discussion de la proposition de loi relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures quinze.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron