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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 18 novembre 2014

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Délimitation des régions et modification du calendrier électoral

Deuxième lecture (suite)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion en deuxième lecture sur le projet de loi, adopté avec modifications par le Sénat, relatif à la délimitation des régions et aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (nos 2331, 2358).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de quatre heures et deux minutes pour le groupe SRC, cinq heures et vingt-quatre minutes pour le groupe UMP, une heure et vingt-sept minutes pour le groupe UDI, quarante-trois minutes pour le groupe écologiste, quarante minutes pour le groupe RRDP, trente-quatre minutes pour le groupe GDR et quinze minutes pour les députés non inscrits.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Madame la présidente, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, nous sommes en seconde lecture : à ce stade avancé de nos travaux, je n’exprimerai pas à nouveau toutes les interrogations que peut susciter ce projet de loi bien imparfait, et plus encore son articulation très incertaine, pour ne pas dire complètement chaotique, avec le projet de loi de décentralisation qui portera un jour peut-être sur les compétences des collectivités et les périmètres des intercommunalités.

Je limiterai mon propos à une seule question : le mode d’élection des conseillers régionaux. Il me semble que cette question n’a pas été suffisamment débattue lors de l’examen de ce projet de loi.

M. Patrick Hetzel. En effet !

M. Guillaume Larrivé. Pourtant, l’enjeu est considérable. L’Assemblée nationale s’apprête en effet à créer de grandes régions, sur des territoires étendus, appelées à exercer des compétences décisives pour l’avenir des territoires et des populations qui y résident. Les conseils régionaux, demain, auront la main sur toutes les politiques de développement économique et d’aménagement du territoire. Ils géreront l’essentiel des crédits d’intervention en ces matières, et le pouvoir d’attribution des fonds européens leur sera entièrement délégué.

Demain, ce n’est ni vers le sous-préfet ni vers le conseiller départemental, mais bien vers le conseiller régional que devront se tourner le maire, le président de communauté de communes, le patron de PME, l’agriculteur, l’étudiant, le responsable associatif, lorsqu’ils chercheront à être accompagnés dans leurs projets de développement.

C’est pourquoi il me paraît vraiment indispensable que les futurs conseillers régionaux soient non seulement connus de la population, mais aussi choisis par elle, au sein d’un territoire d’élection qui corresponde, autant que possible, à un bassin de vie. Je crains, monsieur le ministre, que le mode de scrutin que vous avez choisi ne réponde en rien à cette exigence ! Les conseillers régionaux seront élus en décembre 2015, quinze jours avant Noël, selon un mode de scrutin complexe, celui d’une liste régionale à sections départementales, proportionnel, avec prime majoritaire, à deux tours.

Je sais que ce mode de scrutin n’a pas été inventé pour cette occasion mais en 1999, et qu’il a été confirmé en 2003. Il présente, théoriquement, cinq avantages. Premièrement, le scrutin de liste permet une parité parfaite. Deuxièmement, la dominante proportionnelle autorise la représentation de toutes les sensibilités. Troisièmement, la prime majoritaire de 25 % des sièges au second tour permet de dégager une majorité, contrairement au mode de scrutin proportionnel intégral qui avait prévalu auparavant et qui avait rendu les régions ingouvernables en 1992 et 1998. Quatrièmement, le caractère régional de la liste est censé susciter un débat d’ampleur régionale sur les projets incarnés par les têtes de liste qui sont de fait, mais pas en droit, les candidats à la présidence du conseil régional. Cinquièmement enfin, les sections départementales permettent de ne pas totalement gommer, au sein des conseils régionaux, la dimension départementale.

Mais ces cinq avantages théoriques du mode de scrutin actuel que vous vous apprêtez à reconduire ne me semblent pas l’emporter face à un inconvénient dirimant, qui sera amplifié par la grande taille des nouvelles régions : cet inconvénient, c’est l’absence d’identité territoriale, de proximité et donc de légitimité de chacun des conseillers régionaux.

M. Patrick Hetzel. Très juste !

M. Guillaume Larrivé. Pour y remédier, je suis convaincu que la meilleure option reste le mode de scrutin majoritaire. Naturellement, je ne propose pas d’augmenter le nombre global de conseillers régionaux – je serais même plutôt enclin à le diminuer. Ce qui me paraît essentiel, en tout cas, c’est que chacun de ces conseillers régionaux soit élu au scrutin majoritaire, dans des circonscriptions à taille humaine. Il faudrait, par exemple, découper la future région Bourgogne Franche-Comté en cent cantons régionaux, dont quatorze dans le département de l’Yonne : cela permettrait aux habitants de choisir clairement la personne chargée de les représenter au sein de la nouvelle assemblée régionale.

Je propose en outre, et cette proposition est encore plus novatrice, que les électeurs soient appelés à choisir eux-mêmes le président du conseil régional, afin que la campagne permette un vrai débat non seulement sur les dossiers locaux, propres à chaque canton régional, mais aussi sur les projets de portée régionale. Très concrètement, les électeurs seraient appelés à mettre dans l’urne un bulletin comportant deux noms : celui du candidat à la présidence du conseil régional et celui du candidat pour devenir le conseiller régional du canton. Je suis convaincu que ce mode de scrutin permettrait de renforcer non seulement la légitimité personnelle de chacun des conseillers régionaux, mais aussi celle de l’ensemble du conseil régional, et donc l’efficacité des nouvelles régions.

C’est un enjeu majeur pour réussir l’affirmation des régions. C’est aussi un enjeu majeur pour notre démocratie. Je vous le dis avec une certaine gravité, monsieur le ministre de l’intérieur : prenez garde à ne pas aggraver encore la défiance de nos concitoyens à l’égard des institutions.

M. Patrick Hetzel. C’est très vrai !

M. Guillaume Larrivé. Comme vous l’avez compris, mon propos, ce soir, n’est pas de mettre en cause le périmètre des régions : d’autres le feront, à juste titre. Mon propos n’est même pas de remettre en cause le principe de l’élargissement des régions. De tout cela, nous débattrons de manière raisonnable, et je ne doute pas que nous y mettrons tous de la bonne volonté. Mon propos est de donner l’alerte à propos de la légitimité des élus régionaux.

On voit bien le danger : si les grandes régions sont perçues comme encore plus distantes que les régions actuelles, si elles sont éloignées des bassins de vie et des préoccupations de nos concitoyens, si elles sont gérées par des élus anonymes, que personne ne connaît, et placées en réalité sous l’autorité d’une technostructure, alors la défiance, l’abstention et la contestation ne feront que s’aggraver. Et en décembre 2015, lorsque nous nous retrouverons dans cet hémicycle, ou alors sur des plateaux de télévision, je sais déjà ce que nous dirons : nous parlerons de tremblement de terre démocratique, nous feindrons de nous étonner, nous trouverons très surprenant que les Français ne se soient pas mobilisés !

M. Éric Straumann. Eh oui ! On dira que c’est la faute de l’UMP, encore !

M. Patrick Hetzel. Vous jouez aux pompiers pyromanes !

M. Guillaume Larrivé. Car ils ne se mobiliseront pas, c’est évident. L’élection se tiendra à quinze jours de Noël, dans le cadre d’un scrutin de liste invraisemblable, qu’aucun de nos concitoyens ne comprend !

C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous appelle à réfléchir, sans esprit de parti, à la proposition que je viens de vous présenter pour des régions incarnées par des élus de proximité ancrés au sein de nos territoires et au service des Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.

Mme Virginie Duby-Muller. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, notre assemblée examine en deuxième lecture le projet de loi portant délimitation des régions et modifiant le calendrier électoral. Nous vous avions fait part de nos inquiétudes devant l’illisibilité de ce projet, dans lequel la forme est abordée avant le fond, ce qui laisse à penser qu’il s’agit d’une démarche purement électoraliste.

Votre méthode consiste à modifier d’abord la carte des régions, avant de réfléchir à leurs compétences. Elle est douteuse. Les objectifs que vous vous fixez sont également équivoques et biaisés. Dans un contexte de crise, d’explosion de la dette, nous sommes conscients qu’il faut rationaliser les coûts et réaliser des économies. M. Vallini a évoqué des chiffres variant de 12 à 25 milliards d’euros chaque année. Or les gains que vous escomptez en matière de coûts et d’efficacité ne sont pas prouvés, comme l’a annoncé le président de l’Association des régions de France, l’ARF, et comme cela a été confirmé par une évaluation de l’agence Moody’s, qui table sur des économies nulles.

René Souchon, président de la région Auvergne, a même indiqué que le rapprochement des régions ne permettrait pas, en soi, de réaliser des économies.

M. Maurice Leroy. C’est vrai !

Mme Virginie Duby-Muller. Dans un premier temps, ce rapprochement aura même un coût. Les économies, elles, porteront sur les conseils généraux et les intercommunalités. L’enjeu est là !

Certes, cette réforme permettra de réaliser des économies d’échelle, mais il faudra aussi aligner par le haut le statut des fonctionnaires et les politiques publiques. La différence sera donc ténue, et ne permettra pas de réaliser des économies, a fortiori dans un contexte de décrue drastique des dotations – les dotations affectées aux régions diminueront de 953 millions d’euros d’ici trois ans.

Sur le fond, comme Alain Rousset l’a récemment déclaré, « Nous sommes dans le flou total, la réforme n’est pas pensée, je me doutais qu’on allait arriver à ça ». La loi du 17 mai 2013 avait réformé le mode de scrutin pour les élections départementales et créé de nouveaux cantons. Le 18 janvier 2014, à Tulle, François Hollande se prononçait contre la disparition des départements. C’était sans compter la vague bleue des municipales de mars et le remaniement ministériel qui a suivi. Manuel Valls, qui avait pourtant largement œuvré, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, à la réforme du mode de scrutin pour les élections départementales, annonçait le 8 avril, une fois devenu Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale, la disparition des départements à l’horizon 2020.

Quelques mois plus tard, après un nouveau remaniement, le même Manuel Valls annonçait, le 16 septembre, des départements à géométrie variable : « dans les départements dotés d’une métropole – vous avez tous en tête l’exemple de Lyon – la fusion des deux structures pourra être retenue. Lorsque le département compte des intercommunalités fortes, les compétences départementales pourront être assumées par une fédération d’intercommunalités. Enfin, dans les départements, notamment ruraux, où les communautés de communes n’atteignent pas la masse critique, le conseil départemental sera maintenu, avec des compétences clarifiées. » Il n’y aurait donc plus d’unité territoriale…

Enfin, le 6 novembre, à Pau, le Premier ministre a effectué une nouvelle volte-face devant le congrès de l’Assemblée des départements de France : il a conforté les compétences sociales des départements et a promis une réforme du financement du RSA. Pour ma part, je salue ce revirement, car je considère que l’échelon intermédiaire que représentent les conseils généraux, avec leurs compétences de proximité et de solidarité, est tout à fait essentiel.

Ce projet de loi prévoit la fusion des régions Auvergne et Rhône-Alpes : de ce mariage de raison naîtra une future grande région, que certains désignent déjà par l’acronyme AURA, dans laquelle il faudra plus de six heures de route pour relier Aurillac à Vallorcine. Dans ce mastodonte, quelle sera la place des départements à la marge, comme la Haute-Savoie ? Comme l’a rappelé mon collègue sénateur Michel Bouvard, « avec l’intégration de l’Auvergne l’accent sera mis sur un rééquilibrage de la région vers l’Ouest, assorti d’un basculement des moyens au profit de cette partie de l’espace régional, entraînant au passage la marginalisation progressive des territoires frontaliers. »

Aussi, la proposition de loi de Hervé Gaymard portant création de la collectivité territoriale Savoie Mont-Blanc, soutenue par le président du conseil général de la Haute-Savoie, Christian Monteil, me paraît tout à fait pertinente. Manuel Valls a d’ailleurs salué les projets de rapprochement des deux Savoie, mais aussi celui de la Drôme avec l’Ardèche. André Vallini a également indiqué que cette perspective de fusion départementale « permettra aux Savoyards de peser davantage au sein de la région Rhône-Alpes et de mieux valoriser leurs atouts, notamment touristiques. »

Le Sénat, passé à droite depuis la première lecture, a profondément modifié le texte. Il a ainsi réaffirmé la vocation de chacune des catégories de collectivités territoriales et clarifié leurs compétences. Il a confié aux régions la stratégie économique, l’aspect programmatique, les grandes infrastructures ; les départements doivent rester un échelon de proximité, de solidarité, de développement territorial et de cohésion sociale, et les communes les cellules de base de la démocratie locale. Quant aux intercommunalités, elles sont l’émanation des communes et non une tutelle.

Mais finalement, l’idéal eût été de conserver le conseiller territorial, que vous avez supprimé pour des raisons purement idéologiques : il permettait d’enlever une strate au millefeuille territorial, donnant plus de lisibilité, de diminuer le nombre d’élus et d’ancrer la région dans un territoire au sein des départements.

Au fond, ce texte préparé à la hâte est une fuite en avant. Il provoquera une fracture encore plus grande entre la France des métropoles, riche, active, mondialisée, et la France fragile, inquiète des petites et moyennes villes et des zones rurales et enclavées, que décrit si bien Christophe Guilluy dans son ouvrage très étayé « La France périphérique ». (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Éric Straumann. Vive l’Alsace !

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Furst.

M. Laurent Furst. Monsieur le ministre, il y a quelques mois vous aviez une grande ambition : simplifier le millefeuille administratif, fait de quatre niveaux de collectivités. Vous vouliez de grandes régions, de grandes intercommunalités. Entre les deux, le conseil général devait disparaître. Quelques mois plus tard, la Constitution et M. Baylet étant passés par là, nous changeons tout… pour garder quatre niveaux de collectivités locales.

J’aimerais citer ici deux dangereux militants de la majorité : M. Rousset, qui déclarait il y a quelques jours à peine que pour la réforme des collectivités locales, nous étions dans le flou total, et M. Schwartzenberg, qui a bien compris que cette réforme n’est ni faite ni à faire, avec des régions qui ont évolué comme dans un jeu de Rubik’s cube. Finalement, il y a deux types de régions : des régions au mariage imposé et des régions à la solitude subie.

Monsieur le ministre, j’ai lu le texte déposé sur le bureau du Sénat le 18 juin sur le transfert de compétences. Celui-ci n’est pas absurde : transférer l’économie, le tourisme, les collèges, les routes et les transports du département à la région est une bonne idée – mais une bonne idée pour les régions telles qu’elles existent ! Pas pour les monstres que nous connaîtrons demain, structures propices au développement de tumeurs et autres métastases technocratiques.

M. Jean-Louis Dumont. N’exagérons pas !

M. Laurent Furst. Une question me taraude : mon Dieu, socialistes, qu’êtes-vous devenus ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Vous étiez pour la démocratie participative, pour le débat démocratique. Mais le périmètre des régions a-t-il été discuté ? Les assemblées ont-elles été consultées ? Non !

Ce projet à la fêlure démocratique évidente n’a été présenté ni pendant la campagne présidentielle, ni pendant la campagne législative. Il est né un soir, on ne sait comment…

M. Bernard Roman. Comme Jésus !

M. Laurent Furst. …il a été imposé arbitrairement, donnant le sentiment que les régions ont vocation à être découpées comme les États africains l’ont été autrefois par les colons. Sur la forme, les choses sont discutables : des arrangements entre amis pour les uns, des contraintes pour les autres – au final un travail qui devra être repris.

J’ai trois minutes pour vous parler de l’Alsace, pour vous parler de ma région à l’histoire si douloureuse. Deux fois abandonnée par la France, en 1871 et 1940…

Mme Marie-Jo Zimmermann. C’est vrai !

M. Laurent Furst. …cette région aux 40 000 morts, des « Malgré-nous » alsaciens et mosellans, cette région a été une seule fois rattachée à une autre région : c’était sous le régime honni des nazis, et chacun peut comprendre pourquoi cela suscite chez nous plus que de l’émotion.

Croyez-moi, des centaines de milliers d’Alsaciens, de droite et de gauche, se sentent blessés, ignorés, humiliés. L’Histoire nous a appris à être fatalistes, mais rien ne sera oublié et c’est un bien mauvais calcul que d’humilier les Alsaciens.

Je voulais vous parler d’économie. Savez-vous qui est le premier partenaire économique de l’Alsace ? C’est le pays de Bade. Le deuxième, ce sont les cantons de Bâle. Le troisième, c’est la Franche-Comté, avec Alstom et Peugeot installés à Sochaux et Mulhouse. Et le quatrième partenaire, c’est la Lorraine, avec qui nous allons, semble-t-il, pratiquer le mariage forcé.

M. Alain Rodet. Il n’y a pas que l’Alsace et la Lorraine en France !

M. Laurent Furst. Pour ce qui concerne nos amis champenois, force est de constater que les échanges de l’Alsace sont bien supérieurs avec les régions Île-de-France et Rhône-Alpes qu’avec Champagne-Ardenne.

Ce projet ALCA, Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, que d’aucuns appellent CHARAL – pour ma part, je préfère CHAMALO – n’est pas fait pour construire l’avenir de l’Alsace. Nous avons bien compris que l’Alsace n’est qu’une variable d’ajustement, un machin qui compte si peu et qui inspire bien plus de mépris que de respect. Sinon jamais nous ne serions traités comme nous le sommes.

M. Philippe Bies. Ce n’est pas sérieux !

M. Laurent Furst. Mais nous restons fiers de notre territoire, de notre région, de nos valeurs et de l’histoire de nos anciens. Si nous devons subir cette intégration non voulue, ce mariage non souhaité, un nouveau combat s’engagera pour ma génération, un combat qui ne s’arrêtera qu’à l’instant même où cette folie sera abrogée.

Pour conclure, monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire que votre projet a deux caractéristiques. La première est de trahir la décentralisation voulue par François Mitterrand et Gaston Defferre… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Hetzel. Très juste !

M. Laurent Furst. …qui avait été faite pour donner du pouvoir aux élus et rapprocher les centres de décision des citoyens.

M. Philippe Bies. Vous préférez l’Alsace en Allemagne ?

Mme la présidente. Un peu de calme, mes chers collègues.

M. Laurent Furst. Dans notre CHAMALO, la distance entre Strasbourg et le village le plus éloigné, qui se trouve quasiment en banlieue parisienne, sera équivalente à celle qui sépare Strasbourg de la frontière tchèque ! Ce territoire sera plus grand que la Suisse ou la Belgique, ce dernier pays étant d’ailleurs divisé en trois régions, la Wallonie, la Flandre et Bruxelles, sans compter l’organisation infra-régionale.

Demain, les quelques élus régionaux ne seront plus dans les collèges, dans les lycées, face aux citoyens et aux élus. Et ces derniers retrouveront, comme avant 1981, le merveilleux tête à tête avec des hauts fonctionnaires, des polytechniciens, des « sachants » loin du peuple, ces citoyens pour lesquels ils agissent sans les connaître ni les respecter.

Enfin, monsieur le ministre, vous allez entrer dans l’Histoire. Vous avez choisi d’abroger le conseiller territorial pour rétablir un scrutin proportionnel régional avec prime majoritaire. Déjà, beaucoup imaginent, et les sondages le confirment, qu’il sera très difficile de ne pas voir l’extrême-droite gérer la région PACA et le Nord-Picardie. Et si vous humiliez l’Alsace, je vous annonce un désastre électoral qui pourrait bien faire basculer la région CHAMALO dans les griffes du Front national.

M. Philippe Bies. Facile !

M. Laurent Furst. En Alsace, vous mettez en place tous les éléments d’un raz-de-marée. (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP.) Est-ce cela que vous voulez, monsieur le ministre ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Gosselin. Vous en serez responsable !

M. Laurent Furst. Permettez-moi de tirer la sonnette d’alarme. Si les trois régions du Nord-Est devaient basculer, si, dans le Nord, dans le Sud, d’autres régions devaient basculer, un quart du pays serait géré par l’extrême-droite. Est-ce cela que vous voulez, monsieur le ministre ?

Si, demain, six régions étaient gérées par le Front national, ce serait un appel d’air considérable pour ce mouvement au sein duquel faire carrière deviendrait possible, donc attractif. Est-ce cela que vous voulez, monsieur le ministre ?

N’humiliez pas l’Alsace, monsieur le ministre. L’enjeu est grand. La République nous unit, ne l’affaiblissez pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Hetzel. Bravo !

M. Alain Rodet. Ça faisait bien plus de cinq minutes !

Mme la présidente. Pour ceux qui s’interrogent sur les temps de parole, je rappelle que notre débat suit la procédure du temps programmé.

La parole est à M. Patrice Verchère.

M. Patrice Verchère. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis le début de l’année nous sommes confrontés à un déferlement d’annonces contradictoires, au plus haut niveau de l’État, en ce qui concerne l’avenir des départements, leurs compétences, la date des élections, voire le mode de scrutin et le territoire de chaque canton.

Je ne pense pas que la République ait déjà connu une telle cacophonie et un tel flou. À tel point que l’on peut se demander, monsieur le ministre, si vous savez ce que vous faites, si vous croyez ce que vous dites, et si vous savez où vous allez.

La réforme qui nous est soumise le prouve : depuis deux ans et demi, le Gouvernement patauge. Nous pourrions nous en satisfaire. Au contraire, nous en sommes attristés car notre pays a besoin d’une réforme territoriale ambitieuse.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en 2010, nous avions créé le conseiller territorial, qui permettait d’une part de diviser par deux le nombre d’élus locaux et d’autre part d’affirmer les compétences entre l’échelon régional et l’échelon départemental, tout en préservant la proximité. Cette même loi, ne l’oublions pas, créait également les métropoles.

Monsieur le ministre, nous savons que votre réforme est née dans la panique, après les dernières élections municipales. C’est pourquoi elle est marquée par l’improvisation, l’amateurisme et les reniements, voire les mensonges.

Une carte régionale dessinée sur un coin de table à l’Élysée, des économies que l’on proclame sans jamais fournir la moindre justification : voilà pour l’improvisation et l’amateurisme. S’y ajoutent les reniements, ou les mensonges. En janvier 2014, le Président de la République, lors d’une allocution à Tulle, a proclamé son amour pour les départements et s’est donc exprimé contre leur suppression. D’ailleurs, en cohérence avec le discours de François Hollande en Corrèze, la loi du 27 janvier 2014 rétablissait à leur bénéfice la clause de compétence générale.

Mais là s’arrête la cohérence. En effet, après votre déculottée aux municipales de mars dernier, qui a amené le Président de la République à changer de Premier ministre, ce dernier a annoncé lors de son discours de politique générale la suppression à court terme des départements.

M. Bernard Roman. Pour l’instant, nous sommes d’accord !

M. Patrice Verchère. Après les vacances, c’est-à-dire après le renvoi de trois ministres et une majorité qui s’effrite, pour ne pas dire qui se décompose, vous arrivez aujourd’hui avec la feuille de route du Premier ministre visant à créer trois types de département. Franchement, monsieur le ministre, dire tout et son contraire en quelques semaines d’intervalles, est-ce sérieux ?

Oui, monsieur le ministre, la réforme que vous nous présentez aujourd’hui est avant tout l’histoire d’une pantalonnade, d’un recul sans gloire du Premier ministre devant les revendications des Radicaux de gauche.

M. Bernard Roman. Comme l’abrogation de la loi Taubira ?

M. Patrice Verchère. Pourtant, le 8 avril, le chef du Gouvernement avait annoncé à la tribune de l’Assemblée nationale, avec son habituel ton martial, que tous les conseils départementaux seraient supprimés à l’horizon 2021.

Mes chers collègues, de nombreuses questions restent en suspens. Quelles économies seront effectuées ? Quelles villes seront les chefs-lieux des nouvelles régions ? Quels seront les pouvoirs de ces régions par rapport aux autres échelons ? Qui fera quoi, et avec quels moyens, dans un contexte de baisse des recettes ? Quel est l’avenir des territoires ruraux ?

Nous trouverons, semble-t-il, une partie des réponses dans le projet de loi NOTRe, portant nouvelle organisation territoriale de la République. Reconnaissez, monsieur le ministre, qu’il est bien regrettable de devoir voter le présent texte sans avoir d’assurances préalables sur ce que sera le contenu de cette loi NOTRe !

Pour en revenir au présent texte, on nous a dit qu’il s’agirait de dépenser moins. En ce domaine, force est de constater que rien n’est démontré. Ainsi M. André Vallini, secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, nous a-t-il d’abord annoncé une économie de 25 milliards d’euros, avant de s’en tenir plus prudemment à 10 milliards... Bref, sur le plan financier, nous sommes toujours dans l’attente de chiffres précis et d’une étude d’impact sérieuse.

Je pense que cette réforme est avant tout une opération visant à réduire encore les dotations aux collectivités locales, à défaut pour l’État de réduire sa propre voilure – réduction d’ailleurs facile à mettre en œuvre avec la perte programmée, pour le parti socialiste, de la majorité des régions et des départements.

Le Gouvernement nous disait aussi que la fusion allait permettre à nos régions d’atteindre la fameuse « taille critique ». Or, si l’on regarde la situation chez nos voisins européens, on constate qu’il n’existe pas d’optimum régional et que comparaison n’est pas raison. Il n’existe pas de « taille critique ».

En ce qui concerne la méthode et le calendrier, le Gouvernement nous propose le contenant avant le contenu, alors même que la clarification des compétences aurait dû être le point de départ de toute réforme. Ce qui signifie que nos compatriotes seront amenés à élire, les 22 et 29 mars prochains, des assemblées départementales dont ils ne connaîtront pas les compétences. Un comble, et surtout un risque d’abstention encore plus important, d’autant que l’élection aura lieu sur de nouveaux territoires et avec un mode de scrutin baroque...

Le Gouvernement fait aujourd’hui une nouvelle fois la démonstration de son amateurisme en demandant à sa majorité de fixer pour les élections départementales une date différente de celle qu’il lui avait demandé d’adopter en juillet dernier. Heureusement pour vous, monsieur le ministre, il reste suffisamment de députés godillots dans votre majorité pour accepter tous ces revirements. (Rires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Hetzel. Bravo !

M. Éric Straumann. Leur nombre se réduit !

M. Patrice Verchère. Monsieur le ministre, en fixant au 17 septembre 2014 le point de départ des comptes de campagne, ce qui correspond à la date du discours de politique générale du Premier ministre, vous devez savoir que cette date restera surtout la date de ses reniements.

Mais ne nous y trompons pas : si nous avons entendu trop d’annonces contradictoires, c’est parce que le Gouvernement n’a jamais su quels objectifs il poursuivait.

M. Philippe Gosselin. Il est en forme, Verchère !

M. Patrice Verchère. Nous sommes dans le flou total. La réforme, votre réforme, restera à jamais marquée du sceau de l’improvisation qui, une fois de plus, démontre l’amateurisme qui règne jusqu’au plus haut sommet de l’État.

Cette réforme territoriale n’est donc qu’une illusion, illusion qui tournera vite à la déception pour nos compatriotes qui attendent depuis tant d’années une réorganisation du millefeuille national.

Cette vraie réforme, vous l’aviez, nous vous l’avions servie sur un plateau. Mais dans votre impréparation, votre précipitation et votre sectarisme, vous avez choisi, comme pour tant d’autres réformes, la voie de l’abrogation. Que de temps perdu pour notre pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Straumann.

M. Éric Straumann. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, quelques députés allemands se trouvent actuellement dans nos murs. Dans le cadre d’un échange, nous passons quelques heures avec eux dans nos circonscriptions et à Paris. Et dès que l’on évoque le projet de fusion des régions, ils sont très surpris par la méthode employée.

M. Jean-Claude Buisine. Ah bon ?

M. Éric Straumann. En Allemagne, une telle loi serait constitutionnellement impossible et surtout démocratiquement inacceptable. Modifier les contours d’une région nécessite l’accord de la population, impérativement consultée par référendum.

M. Marc Dolez. Hé oui !

M. Éric Straumann. Notre pays a d’ailleurs signé la Charte européenne de l’autonomie locale, dont l’article 5 relatif à la protection des limites territoriales des collectivités dispose que « pour toute modification des limites territoriales locales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement, éventuellement par voie de référendum là où la loi le permet ».

M. Claude Sturni. Bien vu !

M. Patrick Hetzel. Très juste !

M. Éric Straumann. À l’issue de la bataille politique, nous mènerons une bataille judiciaire, d’abord devant le Conseil constitutionnel puis devant les juridictions européennes, car notre gouvernement a décidé de passer en force contre la volonté des élus et des collectivités.

M. Patrick Hetzel. Le nôtre ? (Sourires.)

M. Éric Straumann. Encore une fois, 96 % des conseillers généraux et régionaux de l’Alsace, de toutes couleurs politiques, se sont prononcés contre la fusion ! Je ne rappellerai pas ici tous les arguments échangés en première lecture mais nous assistons depuis le mois de juillet dernier à un spectacle parfois désolant. Certaines déclarations traduisent une arrogance à la hauteur de la méconnaissance de la question alsacienne. J’ai lu récemment dans un hebdomadaire qu’« il ne faudrait pas que la question alsacienne serve de prétexte pour allumer la mèche des revendications autonomistes ». Vous avez bien entendu, mes chers collègues : refuser la grande région, c’est faire le lit de l’autonomisme !

M. Claude Sturni. N’importe quoi !

M. Éric Straumann. Malgré le sacrifice de milliers d’Alsaciens, nous devons encore prouver aujourd’hui notre attachement à la République. N’en déplaise à certains, cette réforme ne fait pas le lit de l’autonomisme. Au contraire, elle suscitera des votes extrêmes, comme l’a dit Laurent Furst.

M. Jean-Luc Reitzer. Tout à fait d’accord !

M. Éric Straumann. D’ailleurs, chez nous, les représentants de l’extrémisme se gardent bien de prendre position, conscients qu’ils encaisseront les dividendes de cette folle politique lors des prochaines élections régionales !

M. Laurent Furst. 40 % !

M. Éric Straumann. Je vous prédis, monsieur le ministre, que des élus très éloignés de leur territoire et une région aux contours incertains, qui ne correspond à rien, susciteront une réaction brutale de notre électorat !

Pour faire bonne mesure, face à l’ampleur de la bronca, certains députés socialistes alsaciens ont fait miroiter le retour de l’Alsace-Lorraine, en jouant du reste sur la confusion entre Moselle et Lorraine. Dans la presse régionale, ils affirment avoir trouvé un accord avec leurs homologues lorrains. Qu’en est-il en réalité ? Des onze députés socialistes que compte la Lorraine, seuls trois ont signé l’amendement des socialistes alsaciens ! Ceux-ci ont d’ailleurs déclaré ce soir à la télévision locale que si cette réforme se fait, ce sera la faute aux députés UMP… C’est du moins ce que le public a retenu.

M. Michel Liebgott. Ils ont un peu raison !

M. Alain Rodet et M. Jean-Louis Dumont. Oui !

M. Laurent Furst. C’est honteux !

M. Éric Straumann. On atteint là un niveau incroyable de cynisme politique. Depuis longtemps, et c’est parfaitement compréhensible, les élus lorrains plaident pour la grande région au centre de gravité de laquelle ils sont certains de se trouver, et dont la capitale réelle serait Nancy ou Metz.

M. Michel Liebgott. Pas du tout !

M. Éric Straumann. C’est la réalité ! Êtes-vous signataire de l’amendement Bies, monsieur ?

M. Philippe Bies. Et vous, vous êtes de la police ?

M. Michel Liebgott. Non, mais je suis pour Strasbourg capitale !

Mme la présidente. Seul M. Straumann a la parole, mes chers collègues.

M. Éric Straumann. Les débats ont fait ressortir un certain nombre d’arguments, dont le fait que Strasbourg ne sera plus qu’à une heure de Reims une fois mise en service la deuxième tranche du TGV Est. Certes, mais les chiffres de fréquentation montrent qu’environ 110 000 passagers circulent entre Reims et Strasbourg, soit environ 150 allers-retours par jour, alors qu’on en compte 1,7 million entre Reims et Paris, en 4 000 allers-retours par jour, soit un trafic quinze fois supérieur ! Autre exemple : les échanges de marchandises de la Champagne-Ardenne avec l’Alsace ne représentent qu’à peine 5 % de l’ensemble de ses échanges avec les régions françaises ! Bref, la fusion envisagée ne repose sur aucune réalité économique ni géographique.

M. Patrick Hetzel. Comme l’ensemble du projet de loi !

M. Éric Straumann. Sans doute n’avez-vous pas eu le temps, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, de lire Le Monde de ce jour. On y trouve un entretien avec Jacques Levy, professeur à l’École Polytechnique de Lausanne.

M. Philippe Bies. Ce n’est donc pas un ami de M. Furst !

M. Éric Straumann. Il s’est beaucoup penché sur la question de la réforme territoriale, qu’il analyse dans Réinventer la France. Dans Trente cartes pour une nouvelle géographie, il livre son analyse en particulier sur la fusion programmée des régions Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne, qui selon lui n’est pas une bonne idée. D’après lui, « il existe une spécificité alsacienne qui concerne les règles d’organisation du travail, de l’éducation, et une volonté de ses habitants de s’investir dans un projet commun. Cette singularité est une ressource subjective qui sous-tend son dynamisme. Nier cette réalité en mariant l’Alsace à la Lorraine, c’est menacer d’étouffer son développement. Raboter les identités, c’est risquer de créer des replis négatifs ». Il évoque aussi le « risque d’ouvrir un boulevard au Front National ».

M. Laurent Furst. La gauche est donc pour !

M. Alain Rodet. Je croyais que Strasbourg était la capitale de l’Europe ?

M. Éric Straumann. La fusion est surtout une profonde erreur historique. Toujours, quand la France a oublié, voire méprisé l’Alsace, c’était à un moment d’affaiblissement et de grande crise morale et politique. Nous y sommes. Les députés repliés à Bordeaux en février 1871 ont cédé l’Alsace à la puissance prussienne. M. Thiers a même demandé à un orateur alsacien, M. Keller, député maire de Belfort, d’abréger son discours car il fallait « s’occuper de choses bien plus importantes que le sort de quelques populations de l’Est » ! L’un des rares députés présents à voter contre l’abandon de l’Alsace fut Victor Hugo. Je cherche ce soir dans cet hémicycle les Victor Hugo qui n’abandonneront pas l’Alsace dans un ensemble plus vaste.

En 2012, vous avez défait le conseiller territorial, monsieur le ministre.

M. Michel Piron. À tort !

M. Éric Straumann. Je puis vous assurer qu’à la prochaine alternance nous remettrons en cause cette fusion inacceptable. Dans l’intérêt d’une bonne administration de la République, il faut renoncer à l’Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Thierry Benoit. Excellent !

M. Claude Sturni. Très bien !

M. Philippe Bies. Ainsi qu’au mariage pour tous ?

Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Leroy.

M. Maurice Leroy. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « les hommes sont aussi avares de louanges que prodigues de flatterie ». Pour faire mentir le poète, je commencerai donc par vous féliciter, monsieur le ministre, d’une réforme territoriale que vous et le gouvernement dont vous êtes membre avez eu le courage d’entreprendre. On sait combien la critique est aisée et l’art difficile, et je mets au défi quiconque de lancer une réforme de cette ampleur sans affronter les plus farouches résistances sur tous les bancs. Oui, la réforme territoriale est indispensable et notre pays ne peut plus en faire l’économie. Oui, l’avenir de la France passe par une simplification de sa lasagne territoriale.

M. Michel Piron. Lasagne, tiens donc !

M. Philippe Gosselin. Ça change du millefeuille !

M. Maurice Leroy. Chacun sa spécialité ! (Rires.)

Bravo, donc, de vous être lancé, monsieur le ministre ! Ce discours enthousiaste est sincère, et j’aurais aimé pouvoir le tenir jusqu’au bout. Mais il aurait fallu que vous et votre gouvernement meniez jusqu’au bout la réforme, et surtout que vous la meniez dans le bon ordre ! En effet, tel le bon roi Dagobert, le parti socialiste a mené sa réforme l’envers.

Je milite depuis des années pour une réforme territoriale ambitieuse en vue d’une meilleure répartition des compétences. En découleraient une efficacité accrue de nos collectivités, une plus grande simplicité pour les Français et d’importantes économies pour notre pays. La première mesure, immédiate, en serait la suppression de la clause générale de compétence. Si chaque échelon n’assume pas des missions spécifiques adaptées à sa taille et à son degré de proximité, nos collectivités perdront tout crédit, au propre comme au figuré !

Tel un crocodile chez le maroquinier, j’ai longtemps plaidé pour la suppression des conseils généraux au profit de la création des conseillers territoriaux, première étape du regroupement du département et de la région. Vous seriez bien inspirés, chers collègues socialistes, d’écouter et surtout d’entendre ce qui a été dit à cette tribune à ce propos, par exemple ce qu’ont excellemment exposé tout à l’heure Hervé Gaymard et François Sauvadet, et à l’instant Guillaume Larrivé dont j’ai beaucoup apprécié le discours. Mais nous sommes ici dans un théâtre d’ombres, nous montons à la tribune, les discours se succèdent, tout est publié au Journal Officiel et tout le monde s’en fiche ! (Rires.)

Mme la présidente. Voyons, monsieur Leroy, nous sommes tous là pour vous écouter !

M. Carlos Da Silva, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. C’est noté, monsieur Leroy !

M. Maurice Leroy. Soyez prudent, monsieur le rapporteur, nous allons passer de nombreuses heures ensemble !

M. Jean-Frédéric Poisson. Oui, nous n’en sommes qu’aux lasagnes, le plat de résistance arrive ! (Sourires.)

M. Maurice Leroy. Ce qu’a donc dit Guillaume Larrivé tout à l’heure est juste et intéressant : prenons garde que les élections régionales futures ne ressemblent aux élections européennes actuelles ! Il se trouverait alors, les soirs d’élection, des gens munis de calculettes s’efforçant de comprendre le pourquoi du vote extrémiste et de la montée de l’abstentionnisme… Ces abstentionnistes, on n’en parle plus jamais. Mais les gens, à force d’être privés de lien de proximité, n’iront plus voter, c’est évident ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP, UDI et RRDP.)

M. Thierry Benoit et M. Jacques Krabal. Bravo !

M. Philippe Le Ray. Et voilà comment les socialistes offriront huit régions au Front national !

M. Maurice Leroy. Si les conseils généraux doivent être maintenus, qu’au moins ce soit pour de bonnes raisons ! La première, c’est le recentrage des compétences départementales sur l’action sociale et les services de proximité. Les conseils généraux sont de véritables amortisseurs sociaux, en particulier dans les départements ruraux. Appuyons-nous sur cet échelon intermédiaire pour renforcer le lien social et encourager les initiatives locales.

Au cours de nos longs débats, vous avez dit, sans jamais expliquer d’ailleurs, monsieur le ministre, que trois collectivités seraient mises en place. Formidable ! Il est vrai que les technocrates sont des gens extraordinaires : il faut tout de même être fort, pour inventer une loi NOTRe ! Mais, loi NOTRe ou pas, si nous continuons comme ça c’est un ORTNI que nous aurons, un Objet de Réforme Territoriale Non Identifié ! (Rires sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Mme Marie-Jo Zimmermann. Bravo !

M. Maurice Leroy. Merci, je n’ai aucun droit d’auteur… ORTNI donc, car je n’ai jamais entendu quiconque, ni au banc du Gouvernement, ni dans vos rapports écrits et oraux, monsieur le rapporteur, ni à cette tribune, expliquer ce qu’est un département rural. Nous l’expliquera-t-on un jour ?

M. Patrick Hetzel. C’est indéfinissable !

M. Maurice Leroy. De quels départements s’agit-il ? On se succède à la tribune pour se féliciter que M. Baylet ait obtenu la sauvegarde des départements, on envisage d’en distinguer trois types, mais jusqu’à preuve du contraire, aucun membre d’aucun gouvernement n’a jamais expliqué ce que peut bien être un territoire rural !

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela vaut mieux ! (Sourires.)

M. Maurice Leroy. Puisque c’est, paraît-il, l’objet de notre débat, peut-être pourrions-nous, accessoirement, avoir cette information ? Ce serait utile.

Vous l’aurez compris, chers collègues : si j’appelle de mes vœux la réforme territoriale, je condamne fermement la méthode erratique qui a été employée jusqu’à présent. Mais soyez rassuré, monsieur le ministre : je ne serai pas aussi sévère que votre ami socialiste Alain Rousset, président de l’Association des régions de France – qui nous manque, d’ailleurs, à l’heure où nous nous apprêtons à débattre de la délimitation des régions. Alain Rousset a donc fait part de ses doutes, se trouvant « comme Saint Thomas tant le discours du Gouvernement varie dans le temps ».

M. Philippe Gosselin. Bien fol est qui s’y fie !

M. Maurice Leroy. Il y a quelques jours, il a exprimé son découragement – je cite toujours Alain Rousset, et non un député de l’opposition : « Nous sommes dans le flou total, la réforme n’est pas pensée, je me doutais qu’on allait arriver à ça. » Et si Bernard Roman ne nous avait pas quittés pour quelques instants, il vous rappellerait que quand c’est flou, il y a un loup, comme disait Martine Aubry. Je dirais même que là, il y a une meute !

Non, je ne serai pas aussi cruel que vos amis socialistes, mais tout de même. Si les Anglo-saxons sont les inventeurs du stop and go, votre gouvernement, lui, est le champion du tango : « un pas en avant, deux pas en arrière » ! (" Excellent ! " et applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

De décisions désavouées en suppressions supprimées, on n’y comprend plus rien. Sur quelles compétences les candidats aux conseils départementaux vont-ils faire campagne ? Quelles compétences reviendront aux régions, aux départements, aux intercommunalités ? Qu’en est-il de la suppression des conseils généraux d’ici à 2020, annoncée puis, pardonnez-moi ce barbarisme, désannoncée par François Hollande et Manuel Valls ? Autant d’incertitudes qui découlent d’un même mal : la méthode Dagobert.

Pourquoi avoir commencé par redessiner les frontières au lieu de repenser les compétences ? Pourquoi avoir annoncé la suppression des conseils généraux tout en rétablissant la clause générale de compétence ? Il fallait réformer le pays, monsieur le ministre, mais il fallait le faire dans l’ordre. Votre projet a été bouclé à la va-vite…

M. Thierry Benoit. C’est vrai !

M. Maurice Leroy. …et ne produira donc ni économies, ni croissance. Dans un premier temps, la fusion des régions va en réalité entraîner des dépenses – le président Alain Rousset vous l’expliquera bien mieux que moi. En effet, quand deux ou trois régions auront des politiques différentes, l’alignement se fera toujours sur le mieux-disant !

M. Jean-Luc Reitzer. Mais bien sûr !

M. Maurice Leroy. Je prends date sur ce point. C’est sur les fonctions support, en mutualisant, qu’il était possible de faire de réelles économies. Vous, vous allez nous bâtir des régions « XXL » totalement hors sol. Au final, quel beau gâchis !

M. Guy Geoffroy. Disons plutôt quel gâchis !

M. Maurice Leroy. François Mitterrand, jamais avare de bons traits, disait : « La pire erreur n’est pas l’échec, mais l’incapacité à dominer l’échec. » Ses descendants socialistes auraient tout intérêt à méditer cette maxime pour la suite des débats, sans quoi ce ne sera jamais que « beaucoup de bruit pour rien ». (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, faut-il remercier le ministre de nous inviter ce soir au Festival de Cannes ? Comme au Festival de Cannes en effet, nous assistons à la seule compétition du monde où tout le monde gagne. À vous entendre, les élus gagneront à cette réforme, les contribuables gagneront, les territoires gagneront, la France gagnera, les régions gagneront…

M. Jean-Louis Bricout. Très bien.

M. Jean-Frédéric Poisson. On finit par se demander s’il n’y aurait pas là quelque chose d’un peu masqué.

Festival de Cannes toujours, parce que nous assistons à une impressionnante succession de premières. La plus belle d’entre elles est certainement l’invention d’une nouvelle procédure parlementaire, la procédure d’urgence à deux lectures. (Sourires.) Nous attendons avec impatience la troisième…

M. Philippe Gosselin. La réforme du Règlement, c’est demain matin !

M. Jean-Frédéric Poisson. Après tout, plus rien ne s’oppose en effet, puisque la commission mixte paritaire ne devrait pas se solder par un franc succès, à ce que nous nous retrouvions une troisième fois dans cet hémicycle, comme le disait fort justement Hervé Gaymard tout à l’heure, voire une quatrième d’ailleurs, pour discuter de ce projet.

Bref, cette procédure n’avait d’urgence que le nom, monsieur le ministre…

M. Guy Geoffroy. C’est une accélération négative !

M. Jean-Frédéric Poisson. …de la même manière que votre réforme n’a de réforme que le nom. Si je me laissais aller, je dirais presque que nous pourrions porter plainte contre vous pour maltraitance à l’égard de la direction générale des collectivités locales, tant la succession incohérente des textes que vous proposez, l’incertitude dans laquelle vous les rédigez et les incessants allers et retours dans lesquels ils sont « préparés » l’ont soumise à un régime insupportable ces derniers temps.

Autre première, cette réforme présentée comme telle mais qui n’en est pas une. Tout le monde a en effet bien compris que de simplification, il n’y aura point, d’économies, il n’y aura point, de bénéfice pour les territoires, il n’y aura point. Je fais même partie de ceux qui pensent que les territoires y perdront davantage qu’ils n’y gagneront. Si tel est bien le sens de la réforme que vous nous présentez, je ne suis pas sûr que cela méritait quinze heures en temps programmé – ni même, d’ailleurs, une deuxième lecture.

Enfin, et c’est sans doute le problème majeur de ce texte, cette réforme est une réforme de renoncement. J’ai été attentif à ce qu’ont dit les orateurs socialistes qui se sont succédé à la tribune. Vous-même avez abordé le sujet, monsieur le ministre, dans votre intervention. Vous nous invitez à faire preuve de davantage de sens du progrès, ou de l’avenir, ou toutes autres métaphores qui opposent la lumière et l’ombre ou le progrès et la régression.

M. Jean-Luc Reitzer. Baratin !

M. Jean-Frédéric Poisson. Mais à bien regarder la carte que vous nous proposez, qu’avez-vous accompli sinon une espèce de compilation qui n’a que peu de sens – et je salue nos amis alsaciens présents ce soir (" Merci ! " sur plusieurs bancs du groupe UMP) – et qui repose d’abord et avant tout sur le maintien des frontières des départements et des régions ? En fin de compte, vous prétendez faire entrer la France dans le XXIsiècle avec la carte de la fin du XVIIIe. Car enfin, même si l’on peut ne pas partager toutes les observations formulées tout à l’heure à la tribune par M. Fromantin, où sont les préoccupations concernant les manières nouvelles dont les territoires s’organisent ?

M. Thierry Benoit. Tout à fait !

M. Jean-Frédéric Poisson. Où est la définition des nouveaux bassins de vie ? Où avez-vous pris en compte les flux de transport, l’impact des métropoles ? Rien de tout cela dans votre projet ! Il aurait fallu prendre le temps, un long temps, de réfléchir à nouveau, à partir de toutes ces cartes que les régions savent si bien élaborer. Par exemple, beaucoup ont un schéma directeur d’aménagement. Nous savons faire ces exercices, étudier les flux, les circulations, les concentrations d’habitants, les données sociologiques et tout ce qui sert à délimiter les nouveaux territoires. Toutes les intercommunalités, tous les départements font aussi cet exercice. L’État est le seul à ne pas le faire.

Comment expliquez-vous qu’au bout du compte, vous ayez choisi la méthode qui était la seule manière de faire échouer votre réforme dans le temps, à savoir considérer que la carte de la France issue de la Révolution française, fondée sur les temps de déplacement de l’époque, était encore valide aujourd’hui ? Pourquoi faudrait-il indéfiniment rester dans le même cadre ?

Plusieurs d’entre nous ont essayé de vous convaincre de prendre davantage de temps, de redélimiter pourquoi pas les frontières des départements. Vous l’avez bien fait pour les cantons, monsieur le ministre, il suffisait de monter d’une marche. Nous aurions pu prendre le temps de revoir tout cela, peut-être de réduire le nombre des départements voire des régions, mais dans un contexte où les impératifs territoriaux et la vie quotidienne des habitants auraient été pris en compte. Rien de tout cela n’a été fait par le Gouvernement, pour une raison simple : comme vous étiez enlisés dès le départ dans la nécessité de trouver un moyen d’échapper à la raclée électorale annoncée pour le printemps 2015, vous avez réduit à quelques semaines un mouvement qui aurait dû prendre des années. Vous êtes ainsi passé complètement à côté du sujet.

Comme le disait Alexandre Vialatte,…

M. Hervé Gaymard. Ah !

M. Jean-Frédéric Poisson. …que je ne suis pas le seul à apprécier ici,…

M. Marc Dolez. C’est vrai !

M. Jean-Frédéric Poisson. …dans un de ses célèbres proverbes bantous, « il n’y pas de bas morceaux dans le gros ethnographe ». C’est une manière de dire qu’il faut savoir se satisfaire de ce que l’on a. Eh bien pour toutes ces raisons, nous ne pouvons nous satisfaire de ce que nous avons, car nous ne pouvons nous faire à l’idée que l’on prépare, comme vous le faites, la France du XXIsiècle avec des artifices du XVIIIe. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et plusieurs bancs du groupe UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Sordi.

M. Michel Sordi. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, il existe un dicton selon lequel « il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va ». À ce titre, la région d’où je viens a été marquée par l’Histoire, avec un grand « H ».

L’Alsace a effectivement une histoire particulière au sein de la République française. Depuis 1870, l’Alsace et les Alsaciens ont changé cinq fois de nationalité sans avoir rien demandé à personne. Ces épreuves ont forgé le caractère alsacien. Ce particularisme se traduit dans notre droit local, issu de l’occupation prussienne de 1870 à 1918. Ce droit local regroupe des domaines aussi variés que l’échevinage en matière de justice commerciale, un remboursement à 90 % de la Sécurité sociale mais en échange d’une cotisation supplémentaire, un droit de chasse et de pêche différent et, il est vrai, deux jours fériés supplémentaires, la Saint-Étienne et le Vendredi Saint.

C’est aussi l’Histoire qui fait qu’en 1801, Napoléon Bonaparte et Pie VII signaient le Concordat, encore appliqué de nos jours en Alsace, et qui fait que le prêtre, le pasteur et le rabbin sont salariés par l’État.

M. Éric Straumann. Cela aussi, ils vont nous le supprimer !

M. Michel Sordi. Ce système fonctionne bien et permet un dialogue œcuménique efficace entre les représentants des différentes religions.

L’histoire plus récente, c’est aussi les délibérations communes prises par la région Alsace et les deux conseils généraux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, qui souhaitent fusionner en une seule assemblée territoriale. Cette décision historique a conduit à la tenue d’un référendum le 7 avril 2013, qui a vu le vote favorable à la fusion réunir plus de 57 % des suffrages exprimés, mais sans obtenir la majorité qualifiée.

L’objectif visé par ce projet est simple : rationaliser, regrouper les moyens techniques et les compétences humaines pour créer des synergies qui seront sources d’économies, mais aussi apporter plus de services à nos populations. Permettez-moi de prendre quelques exemples. Il existe aujourd’hui une direction technique pour les lycées à la région Alsace, mais aussi une direction technique pour les collèges dans le Haut-Rhin et une dans le Bas-Rhin. Ne serait-il pas judicieux de fusionner ces trois entités ? Il existe également trois antennes économiques, une à la région et une dans chaque département. Pourtant, c’est le même territoire que nous défendons. Il en va de même dans le secteur du tourisme, où on ne peut que constater que les actions des uns ont vocation à être complémentaires de celles des autres.

Nous demandions aussi, dès 2013, à pouvoir étendre le droit à l’expérimentation qui a si bien fonctionné dans notre région, qu’il s’agisse des sites favorisant le bilinguisme, de la gestion des fonds européens ou des transports ferroviaires.

À l’échelon hexagonal, il est bien sûr pertinent de comparer nos régions entre elles et d’en tirer des ratios. Mais force est de constater que nos enjeux économiques ne sont pas avec la Champagne ou les Ardennes, mais bien dans le bassin rhénan, avec nos voisins allemands du Bade-Wurtemberg et avec nos voisins suisses.

Enfin, si la méga-région qui est proposée aujourd’hui devait voir le jour, comment ne pas se poser la question légitime du statut de Strasbourg en tant que capitale européenne ? Strasbourg, c’est aussi la ville du serment de Koufra, le symbole de la réconciliation franco-allemande et de la construction européenne. Comment ne pas craindre pour sa pérennité en tant que capitale régionale si nous sommes dilués dans un ensemble qui va du Rhin aux portes de Paris ?

M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !

M. Michel Sordi. Ne pas vouloir d’une région soit dit en passant plus grande que la Belgique ne veut pas dire que nous voulions rester repliés sur nous-mêmes. Bien au contraire, nous sommes certainement l’une des régions françaises les plus tournées vers l’Europe, et qui accueille le plus d’investisseurs internationaux.

Entendez bien, monsieur le ministre, mes chers collègues : nous ne disons pas « on ne veut pas des Lorrains », « on ne veut pas de la Champagne-Ardenne ».

M. Philippe Bies. Mais quand même…

M. Michel Sordi. Non, notre propos est « Laissez-nous expérimenter la fusion de nos collectivités, car le territoire s’y prête, puis nous verrons avec quels partenaires travailler et sous quel format ». À chaque fois que l’Alsace a pu expérimenter une compétence nouvelle, le succès fut au rendez-vous et bien souvent l’exemple alsacien étendu au reste de notre pays.

Alors, monsieur le ministre, mes chers collègues, écoutez la voix des Alsaciens que je représente devant vous avec mes collègues haut-rhinois et bas-rhinois. Écoutez nos collègues sénateurs qui ont entendu nos arguments et qui ont massivement voté, à plus des deux tiers, pour que l’Alsace puisse bénéficier de ce droit à l’expérimentation. Entendez l’appel qui vient d’Alsace, exprimé par plus de 25 % des communes, qui ont d’ores et déjà adopté des motions en ce sens, par 60 000 pétitionnaires, à la suite de l’appel du maire de Mulhouse, et par 96 % des voix des conseillers régionaux et généraux de nos départements, premiers concernés par cette réforme.

M. Jean-Luc Reitzer. Écoutez l’Alsace !

M. Michel Sordi. Oui, entendez-les, entendez-nous et votez pour le maintien de l’Alsace comme région à part entière, fusionnée en son sein et plus forte demain, au service de la France, dans le concert des régions européennes. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Nachury.

Mme Dominique Nachury. Madame la présidente, monsieur le ministre, voici le texte relatif à la délimitation des régions et aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral de retour à l’Assemblée. Bien des choses ont été dites, bien des commentaires exprimés, mais il faut cependant quelques rappels et redites.

Les Français des 36 000 communes de notre territoire ont conscience, ou au moins l’intuition, de la nécessité et de l’utilité d’une réforme de l’organisation territoriale, même si ce n’est pas leur préoccupation première, ni même seconde. Mais ils veulent savoir quoi, pourquoi et comment.

« Quoi », c’est l’architecture globale, portée par une vision claire. Il faudrait d’ailleurs affirmer comme un préalable, et faire admettre, que le territoire de la République ne sera plus organisé de façon uniforme, ce qui n’est pas d’évidence. Interrogez les Français sur la décentralisation : leur réaction sera plutôt positive, mais leur adhésion deviendra plus mitigée si vous évoquez une possible différence de traitement dans une grande agglomération et dans un territoire rural.

Je le redis, il manque un cadre général et complet. Il n’y a pas de grande loi, mais trois textes distincts : la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite MAPAM, le présent projet et le futur projet de loi sur le renforcement des régions et des intercommunalités et le socle minimal de compétences des départements.

Vos orientations sont zigzagantes. Elles ne paraissent pas très claires sur les conseils départementaux. Vous ne dites rien sur les ressources ni sur la fiscalité, non plus que sur la réforme des services de l’État, en écho à cette réforme, ou sur le contrat démocratique.

Les Français veulent également savoir « pourquoi ». Ils attendent une action publique plus lisible, plus efficace et plus économe. Si la réforme est pour partie justifiée par la nécessaire réduction des dépenses publiques, on peut douter des économies induites par le présent texte, même à moyen terme, pour faire écho aux propos de M. Vallini. Quelle que soit la taille d’une région, elle doit toujours assurer un certain nombre de services, comme l’entretien et le fonctionnement des lycées, la circulation des trains express régionaux ou la formation. Ces trois compétences représentent actuellement 90 % des dépenses des régions. Par ailleurs, les traitements des agents issus de deux régions qui fusionnent seront alignés sur le meilleur régime : en cas d’écarts, la fusion va donc aligner vers le haut les dotations.

Enfin, les Français veulent savoir « comment ». De ce texte, on ne retient que les mariages, les non-mariages ou les démariages des régions existantes. Or, comme je le disais en première lecture, je suis convaincue qu’il faut convoquer les citoyens à ces projets : non pas nécessairement consulter les électeurs, mais bien tenir compte de leurs réalités, parce que la nouvelle organisation aura des conséquences en matière de transports, de santé ou d’enseignement supérieur. Cela justifie le besoin d’un découpage fin pour éviter les aberrations géographiques, économiques et humaines. C’est donc la question du transfert d’un département, voire peut-être d’une partie de département à une nouvelle région qui est ici posée. Nous verrons quelle orientation sera prise dans les débats, mais le droit d’option des départements ne peut être virtuel. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Gest.

M. Alain Gest. Monsieur le ministre, j’aurais voulu vous être agréable en cette fin de discussion générale mais la préparation de ce texte, son cheminement chaotique et sa finalité m’amènent à vous indiquer sans plus tarder que je voterai contre, à moins qu’il ne soit modifié.

Nous voici presque parvenus au terme d’une réforme bâclée, sur un sujet qui méritait pourtant un débat serein et responsable. Qu’il faille faire évoluer la décentralisation, personne ne le conteste et je regrette que, sur les bancs de la majorité, il y ait eu tant de mauvaise foi à l’égard des positions de l’opposition, qui n’ont jamais varié s’agissant de cette nécessité. Mais, eu égard à ses conséquences, cette démarche aurait dû en premier lieu être annoncée dans le programme du candidat qui allait devenir Président de la République en 2012.

M. Jean Lassalle. Eh oui !

M. Alain Gest. Il n’en a rien été. Ce mensonge par omission ne pouvait que provoquer des interrogations sur les véritables motivations de cette réforme. Annoncée au lendemain d’une défaite historique aux élections municipales, elle ne pouvait être conçue dans la sérénité. Le fait que votre gouvernement, dans sa frénésie antisarkozyste, se soit précipité pour abroger la loi instituant l’élection des conseillers territoriaux ne pouvait qu’ajouter à la méfiance.

M. Thierry Benoit M. Maurice Leroy et M. Philippe Vigier. Très bien !

M. Alain Gest. C’est l’une de vos profondes erreurs de l’été 2012 car, que vous le vouliez ou non, à l’évidence, le fait de faire remplir aux mêmes élus les fonctions départementales et régionales aurait nécessairement abouti à une suppression, à un terme rapproché, d’un des deux niveaux de collectivités, et donc à une simplification.

Une fois rejetée cette méthode douce, qui par ailleurs prévoyait une diminution substantielle du nombre des élus, il fallait trouver autre chose. Et cette autre chose, monsieur le ministre, vous l’avez choisie en ressortant une vieille idée, une très vieille idée même, que Raymond Barre évoquait déjà en proposant de bâtir huit grandes régions. Édouard Balladur, vingt ans plus tard, y souscrivait aussi : seul le nombre de régions différait.

Cette très vieille idée consiste à dire que, pour peser réellement sur le plan économique, les régions doivent avoir des superficies importantes. Et, comme souvent pour les vieilles idées, on a beau apporter la démonstration contraire, comme l’ont encore fait aujourd’hui bon nombre de nos collègues venant d’horizons divers, rien n’y fait : elles sont tenaces et invariablement reprises, à la fois par ceux qui les ont imaginées si loin du terrain et de ses réalités et par les observateurs simplistes qui pensent qu’il suffit de réduire le nombre de territoires pour être efficient. Peu importe que cette réforme soit largement inspirée d’organisations institutionnelles différentes, notamment de pays fédéraux : elle devient la solution à tous nos maux.

Parce que vous doutiez sans doute du dispositif, vous avez vous-même employé l’argument massue : cette réforme allait provoquer des économies. Comme d’autres l’ont dit avant moi, plus personne n’invoque cet argument et tout porte à croire qu’elle va plutôt entraîner des dépenses supplémentaires, au moins dans un premier temps.

Déjà hostile au principe même du projet de loi, je n’ai pu qu’être conforté dans mes positions quand j’ai découvert, nuitamment, le découpage des régions envisagé. Pour la Picardie, après la stupeur créée par l’annonce d’une fusion avec la région Champagne-Ardenne, vous vous êtes finalement résolus à proposer un rapprochement avec le Nord-Pas-de-Calais. Pour être honnête, je me dois de convenir que cette proposition a un peu plus de sens.

M. Carlos Da Silva, rapporteur. Merci !

M. Alain Gest. Je n’épiloguerai pas sur l’accueil enthousiaste que nous a réservé votre amie Martine Aubry. Cela étant, vous avez entendu tout à l’heure Jacques Krabal et vous entendrez Éric Woerth, qui font valoir l’un et l’autre que si cette fusion peut se concevoir pour le département de la Somme, il n’en est pas de même pour l’Oise ni pour l’Aisne.

M. Jacques Krabal. Très bien !

M. Alain Gest. Cela signifie deux choses. D’une part, qu’en imaginant des rapprochements artificiels, on construit une région qui ne correspond pas aux aspirations des habitants. D’autre part, qu’on se dirige par voie de conséquence inexorablement vers un éclatement à terme de l’actuelle région picarde, qui a mis tant d’années à faire émerger un sentiment d’appartenance à son égard. Le droit d’option prévu fera son œuvre.

Aussi, monsieur le ministre, la seule solution de bon sens, susceptible, elle, de s’accompagner d’économies, est de maintenir l’existence d’une région Picardie qui fusionnerait ses trois conseils généraux et le conseil régional.

M. Antoine Herth. Très bien !

M. Alain Gest. Tel est l’objet de l’amendement déposé notamment par Éric Woerth et Olivier Dassault.

Monsieur le ministre, il est encore temps d’éviter une erreur funeste. Entendez cet appel, respectez le point de vue largement majoritaire des élus de Picardie. Gardez-nous une région Picardie économe tant sur le plan financier qu’au regard du nombre d’élus. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Édouard Courtial.

M. Édouard Courtial. Monsieur le ministre, votre projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et au calendrier électoral a été totalement réécrit par le Sénat. Dans leur sagesse, les membres de la Haute assemblée ont manifesté leur opposition à un texte incohérent et présenté de manière précipitée au Parlement. Ainsi, pour une simple question de méthode, je tiens à affirmer à l’unisson de mes collègues du groupe UMP mon hostilité farouche à l’adoption de ce texte.

Sur le fond, voici les enjeux qui devraient, à mon sens, guider une véritable réforme territoriale : des économies structurelles, une simplification administrative, une meilleure efficacité de l’action locale, une meilleure répartition des compétences, une plus grande proximité avec les citoyens et une dynamisation des territoires. Or votre projet de loi ne permet d’atteindre aucun de ces objectifs et tout concourt à ce que députés, sénateurs et élus locaux s’opposent à l’adoption de ce texte.

Rien ne justifie la précipitation tactique du Gouvernement, le manque de cohérence et de lisibilité de votre projet, monsieur le ministre, ni l’absence totale de concertation. De fait, c’est seul, ou peu s’en faut, sur le coin d’une table, que le chef de l’État a redessiné la carte des régions de France. Ce procédé n’est pas digne d’une grande démocratie moderne.

Avec sa gestion ubuesque du calendrier des élections départementales et régionales, le Gouvernement s’engage dans une course contre le temps pour faire approuver une réforme qui se décline en deux projets de loi. L’Assemblée est saisie de la nouvelle délimitation des régions et du report des élections régionales avant même de discuter de ce qu’elle aurait dû examiner en premier lieu, à savoir la nouvelle répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités. C’est incohérent et dangereux : une fois encore, vous mettez la charrue avant les bœufs.

Et pourquoi, monsieur le ministre, ce rythme effréné ? Comment justifier qu’une réforme d’une telle ampleur soit annoncée, conçue et votée en quelques mois ? Comment ne pas y voir un prétexte à retarder la sanction des électeurs ? Pareil bouleversement exige du temps pour la conception, l’évaluation, la concertation et la préparation. On ne touche pas impunément à l’équilibre institutionnel, aux pouvoirs locaux, aux services publics et à la vie des entreprises et des citoyens.

Pourtant, les Français vous attendent, mais sur d’autres terrains. Ils accueillent avec scepticisme un redécoupage exécuté en dépit du bon sens. On se demande vraiment quelle vision territoriale a sous-tendu la carte que vous proposez.

Monsieur le ministre, le sort grotesque fait à certaines régions ainsi que la valse-hésitation que vous avez menée dans ce redécoupage illustrent l’inanité et l’insoutenable légèreté de cette réforme.

Vous refusez aussi d’écouter les élus locaux, qui posent ardemment la question des moyens des collectivités, dont vous ne cessez depuis 2012 de réduire les dotations. Chacun connaît les contraintes qui pèsent sur les collectivités. En guise d’assurance, le chef de l’État promet que les grandes régions « disposeront de moyens financiers propres et dynamiques ». Peut-on faire moins clair ?

Rien sur la réforme de la fiscalité locale, aucune avancée sur le transfert de moyens de l’État aux régions, rien non plus sur le tabou de l’autonomie fiscale ; bref, vous exigez des collectivités qu’elles fassent leur révolution sans leur en donner les moyens. Une vraie mesure d’économie aurait été la création du conseiller territorial, proposée par mon collègue de l’Oise Jean-François Mancel, mais vous vous êtes empressés de supprimer cette disposition, par pur dogmatisme !

Enfin, l’annonce d’un second projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République ajoute à la confusion et anéantit votre crédibilité. En effet, comment demander à la représentation nationale de se prononcer sur un sujet d’une telle ampleur alors qu’elle ne dispose pas de l’ensemble des éléments pour le faire ?

En définitive, monsieur le ministre, vous sacrifiez la transformation nécessaire de l’État et des collectivités sur l’autel d’une triste et vaine tactique dilatoire. Personne n’est dupe. Cette réforme ressemble à l’ultime manœuvre d’une gauche aux abois, incapable de gouverner, déconnectée d’un pays réel dont le cri de colère n’en finit pas de monter. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Gouvernement a décidé de procéder à une réforme territoriale ; dont acte. Je ne reviendrai pas sur les arguments déjà développés ici en première lecture. Je voudrais toutefois insister sur quelques éléments factuels qui à mon sens méritent une attention toute particulière.

Lors de la première lecture, nous avons constaté ici même, dans l’hémicycle, que le groupe socialiste de l’Assemblée avait décidé de modifier la carte du Gouvernement en créant une gigantesque région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, plus grande que la Belgique ou la Suisse. Cette vision nous semblait très bureaucratique et totalement déconnectée des réalités concrètes de nos concitoyens sur les territoires concernés.

Réformer afin de réduire le millefeuille est effectivement une bonne idée. Toutefois, lorsque l’on a un projet de réforme, il est important de dessiner une vision claire, de fixer un cap, d’indiquer vers où l’on souhaite aller. Or, à ce jour, nous n’avons toujours pas compris ce que voulait faire le Gouvernement au travers de pareille réforme.

M. Claude Sturni. C’est normal, il ne le sait pas lui-même !

M. Patrick Hetzel. On nous parle d’économies potentielles, mais nous ne disposons d’aucune étude d’impact à ce sujet. Voilà d’ailleurs un premier vice de forme.

Néanmoins, dans un esprit constructif, afin d’apporter notre pierre à l’édifice d’une réforme territoriale, parce que notre nation doit effectivement se moderniser, nous avons, dès la première lecture, déposé des amendements ayant pour objet la création d’un conseil unique d’Alsace.

Cette proposition a à notre sens plusieurs mérites. La fusion des deux conseils généraux et du conseil régional d’Alsace au sein d’une nouvelle collectivité unique permet de concilier a minima deux impératifs : d’une part, la simplification administrative, par la suppression d’un échelon de collectivité territoriale,…

M. Guillaume Larrivé. Oui, bien sûr !

M. Patrick Hetzel. …et d’autre part un périmètre régional à taille raisonnable, afin de maintenir une grande proximité avec nos concitoyens. Il faut en effet se poser à nouveau la question de la proximité de nos services publics.

Une telle proposition donne en tout cas la possibilité d’expérimenter une nouvelle organisation administrative. En somme, l’Alsace ne refuse pas la réforme, mais souhaite que soit pris en compte tout le travail qui a été réalisé patiemment au cours des dernières années afin de rapprocher les trois collectivités alsaciennes concernées : les deux conseils généraux et le conseil régional. De fait, rejeter notre proposition revient à faire peu de cas de la dynamique locale qui a été engagée patiemment par les acteurs au cours de ces dernières années.

Quelques chiffres pour étayer ma démonstration : nous sommes ici treize députés alsaciens sur quinze à formuler cette proposition d’expérimentation. Ce n’est pas rien. Au cours des dernières semaines, les conseils généraux et le conseil régional alsaciens se sont prononcés à hauteur de 96 % en faveur de l’expérimentation d’une collectivité unique d’Alsace. En d’autres termes, cette expérimentation est véritablement l’expression des élus locaux et transcende les clivages politiques traditionnels, cela mérite d’être souligné. Localement, elle fait consensus chez les élus. Chers collègues de la majorité, dois-je vous rappeler qu’au cours de la campagne présidentielle, votre candidat, François Hollande, avait à plusieurs reprises déclaré qu’il serait très respectueux des élus locaux et de leurs engagements ?

M. Philippe Vigier. Il a oublié sa promesse !

M. Patrick Hetzel. Je vous prends ce soir à témoin : soyez cohérents avec les déclarations du candidat Hollande, respectez le choix des élus locaux !

Par ailleurs, sachez que plus d’un quart des conseils municipaux d’Alsace ont pris en l’espace de trois semaines des résolutions en faveur du conseil d’Alsace, là aussi pour soutenir cette démarche.

M. Philippe Bies. En trois mois !

M. Patrick Hetzel. Enfin, au Sénat, en deuxième lecture, plus de cinq heures de débat ont été consacrées à la seule question alsacienne, débouchant sur une proposition en faveur du conseil d’Alsace. Là encore, réfléchissez quelques instants : 220 sénateurs se sont exprimés en faveur de cette expérimentation, soit une majorité qui va bien au-delà de la nouvelle majorité du Sénat, prouvant, si besoin était, que cette proposition-là aussi l’emporte très largement dans cette assemblée.

J’ajoute que près de 60 000 personnes ont signé une pétition en faveur de cette expérimentation, sur l’initiative du maire de Mulhouse, et que plus de 15 000 personnes ont manifesté à Strasbourg le 11 octobre dernier pour défendre cette proposition d’une nouvelle organisation territoriale en Alsace.

La question politique est donc simple : est-il raisonnable de faire fi de ces volontés démocratiques incontestables ? (« Non ! » sur plusieurs bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Jean-Luc Reitzer. Non, ce n’est pas raisonnable !

M. Patrick Hetzel. Peut-on réformer contre l’avis des élus et des concitoyens concernés ? (Mêmes mouvements.) Cette question mérite ce soir d’être posée.

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument ! Très bonne question !

M. Patrick Hetzel. Surtout, je voudrais vous dire que les Alsaciens vivraient très mal d’être traités avec mépris alors même qu’ils font bien une proposition de réforme sous forme d’expérimentation. Nous tendons la main au Gouvernement sur cette question au travers du conseil unique d’Alsace.

M. Éric Straumann. Il n’en a que faire !

M. Patrick Hetzel. Si vous en doutez, je vous invite à lire les travaux du géographe Jacques Lévy, qui a déjà été mentionné ici à plusieurs reprises, notamment par les collègues alsaciens qui se sont exprimés. Il démontre la pertinence d’une unité alsacienne au point de vue tant géographique et historique qu’économique. Lisez donc Le Monde de ce soir si vous avez quelques doutes là-dessus.

L’Alsace est une terre qui incarne depuis maintenant plusieurs décennies l’idéal européen. L’Alsace fut meurtrie après la Seconde guerre mondiale. Le Rhin, frontière entre les pays, est redevenu un espace de lien entre les nations, de lien entre la France et l’Allemagne, de lien européen.

M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !

M. Patrick Hetzel. L’espace rhénan est un concentré de la construction européenne. Cela a créé une dynamique, un espoir incroyable.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Oh, ça va !

M. Patrick Hetzel. C’est ce qui explique que l’Alsace est aujourd’hui naturellement tournée vers l’Est et a su construire une eurorégion transfrontalière avec l’Allemagne et la Suisse. Vouloir la tourner aujourd’hui de force vers l’Ouest, c’est ignorer cette réalité et c’est nier tout ce processus de construction européenne que Strasbourg incarne et symbolise merveilleusement bien.

Pour conclure, permettez-moi un petit rappel historique, déjà évoqué tout à l’heure : le 1ermars 1871, alors que l’Assemblée nationale ratifie le traité de paix par lequel l’annexion de l’Alsace-Moselle par l’Allemagne est acceptée, les trente-cinq députés des territoires cédés quittent évidemment la séance en signe de protestation et le chef du gouvernement Adolphe Thiers dit alors : « Passons maintenant aux choses sérieuses. »

M. Jean-Luc Reitzer. On l’a entendue, cette phrase !

M. Patrick Hetzel. Mon souhait est donc très simple : puisse le gouvernement actuel ne pas renouveler ce camouflet donné à l’Alsace par Thiers en 1871, puisse le passage aux choses sérieuses signifier aujourd’hui une acceptation du conseil unique d’Alsace ! L’Alsace ne peut pas être traitée comme une simple variable d’ajustement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Nous comptons sur votre engagement vis-à-vis de l’Alsace. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Benoit.

M. Thierry Benoit. Monsieur le ministre, votre supplice touche à sa fin, la discussion générale arrive à sa conclusion.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Mais non, ce n’est pas un supplice !

M. Carlos Da Silva, rapporteur. C’est un plaisir !

M. Thierry Benoit. Après l’Alsace vient la Bretagne, et nous terminerons par les Pyrénées.

Monsieur le ministre, pétri de contradictions, le discours gouvernemental manque cruellement de clarté sur ce qui devait s’imposer comme l’une des réformes majeures de ce quinquennat : la réforme territoriale.

Le Premier ministre avait en effet pris plusieurs engagements dans le discours de politique générale qu’il avait prononcé après la formation du gouvernement dit Valls 1. J’y avais d’ailleurs été très attentif et m’étais abstenu, notamment du fait des propositions relatives à la réforme territoriale.

M. Maurice Leroy. C’est vrai !

M. Thierry Benoit. À cette époque, le Premier ministre plaidait en faveur d’une réelle simplification de la carte administrative, d’une meilleure lisibilité de l’action publique et d’une réelle maîtrise de la dépense publique. Il avait annoncé la suppression des conseils généraux à l’horizon de 2020 et je peux confesser ici, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, que cette proposition me paraissait audacieuse,…

M. Maurice Leroy. Eh oui !

M. Patrick Hetzel. …pour ne pas dire osée.

M. Paul Molac. C’est vrai !

M. Thierry Benoit. Elle avait retenu mon attention ainsi que celle des Français qui, j’en suis convaincu, sont prêts à accepter les évolutions et les adaptations.

Pourtant, quelques mois plus tard, à l’occasion du congrès de l’Assemblée des départements de France le 6 novembre dernier, Manuel Valls avait soudain besoin de ces échelons intermédiaires. Ce revirement est sans doute dû sinon à une discussion de couloir, du moins à une discussion bilatérale avec un parti politique qui reste au sein de la majorité présidentielle.

M. Maurice Leroy. Pour le moment !

M. Thierry Benoit. Au nom de cet équilibre, le Premier ministre, ce jeune Premier ministre, a renoncé à l’ambition de mener à bien une véritable réforme territoriale dans notre pays.

M. Maurice Leroy. Hélas !

M. Thierry Benoit. Ces confusions à répétition entretiennent une réelle cacophonie que les élus des territoires et les populations ont du mal à suivre. Quelle est la trajectoire du Gouvernement ? Quelle est la perspective présentée par le Président de la République et le Premier ministre ? Dans cette affaire, vous avez répandu la confusion à travers le pays, monsieur le ministre.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Thierry Benoit. Et ce que je déplore, c’est que tous, nous en paierons les pots cassés, à commencer par les 4 000 conseillers généraux de France qui ont été élus dans un canton et sont enracinés dans leur territoire. Ils devront expliquer le redécoupage que vous avez souhaité.

M. Jean-Luc Reitzer. Scandaleux !

M. Thierry Benoit. Ils devront expliquer votre idée du binôme paritaire, à durée de vie limitée puisque, après avoir défendu les départements puis annoncé quelques semaines plus tard leur suppression, vous songez désormais à créer trois types de conseils départementaux, que je ne décrirai pas tant cela a été fait ce soir.

M. Jean-Luc Reitzer. Incompréhensible !

M. Thierry Benoit. Je me concentrerai pour ma part, pour cette deuxième lecture, sur les enjeux relatifs à ce qui reste malgré tout un reliquat de réforme territoriale.

Le premier enjeu est d’ordre économique. Plusieurs orateurs l’ont rappelé, notamment Michel Piron, le porte-parole du groupe UDI, que je salue : pour nous, centristes, il s’agit de la création d’eurorégions. En d’autres termes, nous ne sommes pas opposés à un recalibrage, à une reconfiguration, comme disait Jean-Christophe Fromentin, des diverses régions de France. Et puisque le Gouvernement n’arrive pas à redécouper les régions de France, diantre ! qu’il fasse confiance aux élus des territoires !

Cette deuxième lecture devrait être marquée du sceau de la confiance, celle que vous pourriez accorder aux élus de proximité – les élus municipaux, les élus communautaires, les élus territoriaux que sont les conseillers généraux et les conseillers régionaux – pour définir une évolution de la carte des intercommunalités, dont personne ne nie l’importance pour les années à venir, et une évolution de la carte des régions, puisque le fait régional prime dans la construction européenne.

Le deuxième enjeu est démocratique : c’est la démocratie de proximité, le lien démocratique fort qui doit unir et qui pourrait réconcilier les Français avec les élus de proximité. Les Français sont nombreux à plébisciter une simplification de l’organisation territoriale. Dans un contexte de défiance généralisée, cet effort de simplification territoriale a d’abord vocation à renforcer le lien qui unit les citoyens à la République.

Le troisième enjeu est éthique, car la clarification des compétences exercées par les collectivités répond aussi à l’impérieuse nécessité, pour l’avenir de nos enfants, d’une maîtrise de la dépense publique.

Je voudrais parler plus particulièrement d’une région que j’affectionne, étant élu des Marches de Bretagne. Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, vous êtes de hauts dignitaires de la République et, tant pour vos parcours que pour vos actions, car la tâche n’est pas aisée, j’éprouve respect et admiration.

M. Philippe Le Ray. Doucement ! (Sourires.)

M. Thierry Benoit. Mais je déplore que les messages que vous envoyez aux régions de France, notamment à la Bretagne, soient si contradictoires.

Lorsque j’entends un ministre breton, M. le Drian, qui revient presque tous les week-ends à Rennes, faire des déclarations en faveur de la réunification de la Bretagne, lorsque je vois le président du conseil régional, M. Massiot, écrire aux parlementaires pour les supplier d’œuvrer en faveur du rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne, et que je découvre ici le contenu de certains amendements ou les votes de certains parlementaires bretons, qui ont parfois pris des engagements, je suis profondément déçu.

Que ce soit en Bretagne, en Alsace ou ailleurs, nous pensons, populations et élus réunis, qu’il y a aujourd’hui une occasion historique, en s’appuyant sur des faits historiques, culturels, économiques et même identitaires, disons-le, de retravailler la carte des régions et de réparer certaines formes d’injustice. Je souhaiterais donc que des signaux positifs, clairs et sincères soient envoyés à la région à laquelle j’appartiens, où, depuis quarante ans, des populations, des militants, des élus œuvrent en faveur de la réunification.

M. Paul Molac. Très bien !

M. Thierry Benoit. Cela vaut aussi pour l’Alsace. C’est en cela que je souhaite que le droit d’option soit un droit d’option simple.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Thierry Benoit. Laissons respirer le pays, laissons souffler les Français, laissons travailler les élus des territoires ! Défendons le droit d’option simple !

M. Philippe Vigier et M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Thierry Benoit. Pourquoi un conseil général ne pourrait-il pas déterminer, à la majorité absolue plus une voix, sa région de rattachement ? Pourquoi un référendum ne serait-il pas organisé, qui permettrait à la population du département de choisir sa région ?

Et de grâce, que ce droit d’option ne soit pas verrouillé par une majorité qualifiée de la région de départ ! En effet, dès lors que le fait régional prime dans le cadre de la construction européenne, aucune région de France, lorsque la carte aura été redécoupée, ne laissera un département la quitter. Si vous vous entêtez à proposer une carte qui se limite au nombre arbitraire de treize régions, ce qui pour moi est une erreur, accordez-nous, de grâce, le droit d’option simple !

Enfin, je voudrais défendre le droit pour les territoires d’innover, d’expérimenter. C’est en cela que l’idée du binôme Sarkozy-Fillon, le conseiller territorial, qui visait à organiser un schéma de compétences, Maurice Leroy l’a évoqué tout à l’heure, permettait aux élus des diverses régions de France de s’organiser – même la Bretagne, même l’Alsace et même l’Auvergne ! Puisque le Gouvernement est incapable de présenter une trajectoire, laissons les territoires s’organiser !

Enfin, quand Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, s’est rendu à Rennes le 13 décembre 2013 pour signer le pacte d’avenir pour la Bretagne, il a plaidé non pas en faveur d’une autodétermination des Bretons, mais d’une liberté pour les départements de l’Ouest de choisir leur propre organisation.

J’ai parfois le sentiment que l’État a peur des régions à forte identité.

M. Paul Molac. Il a tort !

M. Thierry Benoit. Les Bretons ont du caractère. Yann Queffélec, romancier breton, prix Goncourt 1985, a écrit : « Ma Bretagne est une île, une grande île entourée par l’histoire de France, au pays d’Armor, la pointe aiguë du socle européen. » Les Bretons ont l’esprit ouvert, ils sont par nature décentralisateurs, ils défendent la subsidiarité, revendiquent l’expérimentation et sont résolument tournés vers l’Europe. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI, UMP, RRDP et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Lassalle, dernier orateur inscrit.

M. Jean Lassalle. Madame la présidente, j’ai constaté que vous laissiez les derniers inscrits s’exprimer plus largement…

Mme la présidente. Nous en sommes en temps programmé, monsieur le député. C’est le temps accordé aux groupes qui compte. Les non inscrits disposent de 15 minutes.

M. Jean Lassalle. Soit. Monsieur le ministre, je vous estime. Je me réjouis de la relation que j’entretiens avec vous et avec vos collaborateurs, des personnes dévouées. Vous comprendrez facilement que les propos que je vais tenir n’ont rien à voir avec votre personnalité ni avec ce que vous incarnez à mes yeux. Cela étant, de tous les textes que j’ai eu l’honneur d’examiner dans cette maison du peuple, la réforme territoriale est certainement celui qui me fait le plus souffrir, et ce depuis plusieurs mois.

Pour ne pas être déplacé, je m’essaierai à un peu d’humour. Je vous demande donc de vous imaginer au paddock du Grand prix du Monde de Formule 1. Les meilleurs sont rassemblés. Et au moment de s’élancer, un pilote descend de sa voiture : c’est le pilote français. Que peut-il bien lui arriver ? Il lève le capot, dépose la boîte à vitesses, le moteur, l’embrayage… peut-être même la direction ! (Rires.) Les autres font chauffer leur moteur, se préparent au départ tandis que les commentateurs de la télévision brodent sur l’événement… Mais la voiture française ne démarre pas.

M. Jacques Valax. C’est autobiographique ? Démarre, maintenant ! (Sourires.)

M. Jean Lassalle. Plus sérieusement, j’ai le sentiment que notre pays traverse l’un des moments les plus difficiles de l’après-guerre, tout le monde en conviendra, et cela depuis bien plus de trois ans : une vingtaine d’années environ. Nous sommes confrontés à un changement de monde très difficile, qui pèse de plus en plus sur nos concitoyens.

Ceux que je rencontre, mais il est vrai qu’ils habitent loin d’ici, dans les Pyrénées, pensent que nous sommes en train de redresser l’industrie française, de redonner un visage à l’agriculture, de relancer un grand projet d’instruction publique. Ils pensent que nous prenons véritablement la mesure du grand tourment qui les a saisis il y a de cela plusieurs années. Et j’ai beaucoup de mal à leur expliquer ce que nous faisons.

Un projet tel que celui-ci eût trouvé toute sa place si, comme en 1982, le peuple en avait débattu, les Français s’attendaient à un changement profond et savaient de quoi il retournait. François Mitterrand et Gaston Defferre le savaient, il faut toujours se servir du suffrage universel lorsqu’il est chaud, lorsqu’il vient de parler et que les Français s’attendent à ce qu’il se passe quelque chose – bref, généralement les mois d’été. C’est la raison pour laquelle, en partie, la décentralisation fut si réussie.

Mais se lancer dans une telle réforme sans même l’avoir inscrite dans le programme électoral, sans avoir pris grand soin d’y réfléchir préalablement, commencer par les conseils généraux, faire un détour par les intercommunalités, revenir aux conseils généraux pour s’occuper enfin des régions… tout cela n’est pas très organisé ! Je ne pense vraiment pas que ce soit ce que le pays attend de nous actuellement. Vous ne le ferez pas, mais je vous le dis, monsieur le ministre : retirez ce projet tout de suite. Je voudrais me tromper… mais cette histoire ne finira pas bien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Plusieurs problèmes pèsent sur notre pays, les sources d’inquiétudes sont multiples. Mais si une réforme risque de mettre le feu, c’est précisément celle-ci. Nos compatriotes ne comprennent pas ce que nous faisons. Ils pensaient encore que le peuple comptait pour quelque chose, et l’idée même d’être à ce point rejetés leur est insupportable. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, UDI et RRDP.) Tout comme il leur est insupportable de voir disparaître des conseillers généraux au prétexte qu’ils ne représentent plus assez d’habitants.

M. Sébastien Denaja. À en croire les sondages, ils seraient plutôt pour !

M. Jean Lassalle. Le seuil est désormais fixé à 25 000 habitants, mais les centaines de milliers d’hectares que nous allons négliger, et qui appartiennent au patrimoine français, qu’allons-nous en faire ? Les offrir à l’ONU ? Pourquoi pas, il y a tellement de besoins partout !

Je ne peux pas me résoudre à voir disparaître mon canton. C’est impossible. Il compte des siècles d’histoire et il était là bien avant que la République ne l’institutionnalise. Je ne vois pas en quoi la suppression de mon canton représenterait un progrès pour l’égalité des chances que garantit la République en notre pays. Je me demande même où est passé le Conseil constitutionnel ! Où est-il donc ? De deux choses l’une : ou la République a sombré, ou le Conseil constitutionnel s’est endormi parce que l’article 1er de la Constitution, qui garantit l’égalité des chances pour tous sur l’ensemble de notre territoire, a été celui de toutes nos Républiques. Et à présent apparaissent, toujours plus nombreuses, des intercommunalités qui étendent toujours plus leur emprise, tandis que les communes, à qui l’on avait pourtant promis qu’il n’arriverait rien, vivent leur dernier mandat, du moins les vingt-cinq mille communes de moins de mille habitants. François Mitterrand n’avait-il pas affirmé, pourtant, que la France était un pays extraordinaire, capable de se faire administrer par un million d’hommes libres et indépendants, prêts à se faire couper la tête pour un chemin de terre et un chemin creux et qu’il y en avait un million derrière pour les remplacer si le premier million venait à défaillir ?

Nous allons aujourd’hui nous débarrasser de tous ces bénévoles pour les remplacer par des jeunes gens qui seront mal payés, loin du territoire et finiront par coûter cher. Pour ce qui est des régions, nous avons souffert du vertige américain pendant une bonne cinquantaine d’années mais nous sommes à présent frappés par le vertige allemand. La France, ce n’est pas les États-Unis et encore moins l’Allemagne. Nous n’avons pas tout à fait la même histoire. Nous devrions arrêter cette affaire, la mettre au programme des prochaines présidentielles, en débattre en tenant compte des avancées que vous avez pu réaliser et de celles du précédent gouvernement, afin de présenter, enfin, à nos concitoyens une ligne qu’ils puissent comprendre.

Dès lors, plutôt que des hommes et des femmes méfiants à tous les coins de rue, nous aurions un peuple tout entier qui nous pousserait en avant. La France est un pays qu’on ne peut pas réinventer. Elle est faite pour avoir un État. Certes, aujourd’hui, il ne fonctionne pas et il faut y remédier. Il faut retrouver, tout doucement, ce pas de danse d’une élégance inouïe entre l’État et les provinces de France. Nous retrouverons alors notre véritable France. Et si la France se retrouve, cela permettra à nos frères européens de se retrouver à leur tour et peut-être même au monde de retomber les pieds sur terre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. Jean-Patrick Gille. Belle intervention !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d’abord à remercier l’ensemble des orateurs qui se sont succédé à cette tribune afin d’apporter une contribution très utile à un débat important pour l’avenir de nos territoires.

La richesse des points de vue qui se sont exprimés, la diversité et parfois l’inventivité des préconisations avancées pour améliorer le projet du Gouvernement, la passion que certains ont mis à défendre leurs conceptions montrent combien cette réforme, si longtemps attendue, était à la fois nécessaire dans son principe et délicate à orchestrer dès lors que l’on souhaitait aboutir à un consensus ou un compromis – Maurice Leroy d’ailleurs a bien voulu le reconnaître, dans des termes dont je le remercie. C’est dans cet esprit que le Gouvernement a entendu agir.

Il me semble que cet exercice touche à présent à son terme. Après vous avoir écoutés, plusieurs aspects importants du texte semblent en effet faire consensus : réformer notre organisation territoriale, réduire le nombre des régions, en redessiner la carte, laquelle fait maintenant consensus à deux ou trois exceptions près – qui certes ne sont pas des détails –, assurer une juste représentation des départements ruraux, modifier le calendrier électoral.

Au-delà de ce socle, qui paraît malgré tout assez solide, des objections, des divergences, des nuances, se sont naturellement exprimées, ce qui est bien normal dans un tel débat. Je voudrais répondre à quelques-unes d’entre elles.

Le Gouvernement a été parfois accusé de vouloir recentraliser la France en organisant le retour au sein de l’État de compétences jusqu’alors exercées par des collectivités territoriales. Ce n’est pas du tout l’intention du Gouvernement et je ne m’attendais pas, au sein de cette assemblée, à ce que puisse émerger l’idée d’un État jacobin reprenant aux collectivités territoriales des compétences qui leur avaient été déléguées par les lois de décentralisation. Je ne pensais pas non plus qu’on puisse nous reprocher de vouloir créer un État fédéral. Les deux critiques sont d’ailleurs antinomiques.

Je répondrai à M. Marc Dolez, qui s’est exprimé avec conviction et sincérité, que le fonctionnement de l’État fédéral, qu’il croit voir poindre à l’horizon de demain, exige en général la réunion de deux critères : des institutions fédérées et deux ordres juridiques superposés. Rien de tel ne figure dans ce texte. Nous voulons simplement moderniser une République qui est d’ores et déjà décentralisée.

J’admets volontiers dans cette perspective, contrairement à M. Molac, que la formule par laquelle Ernest Renan définissait la nation française et non pas le peuple français puisse s’appliquer aujourd’hui à la Bretagne – même si je connais la passion bien légitime qu’il porte à son territoire – ou à l’Alsace. Puisqu’il a le goût des citations classiques, je serais tenté de lui répondre Amor patriae nostra lex – l’amour de notre patrie est notre loi – sans pouvoir le traduire en breton, ce que je regrette.

Au-delà de ces aspects institutionnels, le but de la réforme, dois-je le rappeler à nouveau, consiste à nous doter de régions plus fortes, plus dynamiques, mieux à même de promouvoir la croissance et le développement des territoires. Le rôle de l’État déconcentré, qui relève de l’organisation interne de l’administration, n’entre pas dans l’objet de ce projet de loi. Plusieurs d’entre vous ont cependant tenu à souligner l’importance de maintenir, et même à renforcer cette présence de l’État au plus près des territoires. Le Gouvernement partage totalement cette conviction et au moment où les nouvelles régions seront mises en place, au 1er janvier 2016, l’organisation des services de l’État aura été modernisée, si les réformes suivent leur rythme, que ce soit au niveau régional ou infra-départemental.

Parallèlement, une revue des missions sera engagée, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, afin d’amener l’État à concentrer son action sur les domaines où elle est la plus efficace et la plus nécessaire.

Certains orateurs continuent à nourrir des doutes quant à la cohérence de la réforme. Ils auraient préféré, comme M. Warsmann ou Mme Zimmermann, que la discussion relative aux compétences précède celle concernant la délimitation des régions. Cette objection aurait pris tout son sens si nous étions plongés dans la plus complète incertitude mais le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit projet NOTRe, a été déposé avant l’été sur le bureau du Sénat. L’objectif du Gouvernement est clair : élargir les compétences des régions, et non pas les restreindre. Le débat en la matière s’engagera du reste dans quelques semaines.

D’autres orateurs, comme Mme Pécresse, M. Verchère ou M. Piron, ont regretté que le Gouvernement ait accepté de prendre en considération les points de vue exprimés au sein des deux assemblées et qu’il ait fait ainsi évoluer son projet, en particulier pour ce qui concerne l’avenir des conseils départementaux. Ils y voient le signe d’une coupable hésitation, d’une tendance à la tergiversation, voire au renoncement. N’est-ce pas la preuve au contraire que nous croyons sincèrement à la vertu du dialogue républicain, du travail parlementaire ? Comment leur collègue M. Sauvadet peut-il, dans le même temps, nous accuser d’être autistes, sourds à la critique, obstinés à faire prévaloir un point de vue partisan ? C’est soit l’un soit l’autre, mais pas les deux. À mon tour de leur demander de faire preuve de cohérence.

Enfin, l’opposition me paraît mal venue à instruire en permanence un procès d’improvisation à l’encontre du Gouvernement.

M. Philippe Le Ray. Tout s’est décidé un lundi soir tout de même !

M. Sébastien Denaja. Cela aurait été différent un mardi ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’un d’entre eux vous a rappelé que le rapport Balladur, publié en mars 2009, s’ouvrait par cette forte parole : « Il est temps d’agir ». M. Gaymard, après avoir appartenu à un gouvernement qui s’est prudemment abstenu pendant des années d’engager une réforme des collectivités de grande ampleur, nous reproche désormais d’avoir perdu du temps.

M. Hervé Gaymard. La réforme était votée, elle serait appliquée aujourd’hui !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. M. Poisson, qui appartient au même groupe, regrette dans le même temps que nous n’ayons pas passé plusieurs années supplémentaires avant de décider de soumettre une réforme au Parlement. En vérité, cette réforme ne pouvait plus attendre. Il n’est pas sérieux de prétendre, après tant de rapports et d’études préalables, que nous aurions dû encore différer cette discussion.

D’autres orateurs s’interrogent sur notre capacité collective à dégager des économies au terme de cette réforme.

M. Guy Geoffroy. Ça, c’est sûr !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’ai déjà indiqué que, comme toute réforme, celle-ci produirait progressivement ses effets, une fois engagé le regroupement de la politique des achats,…

M. Éric Straumann. Vous allez tuer l’économie locale !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …et créées les conditions d’une mutualisation des fonctions supports des collectivités locales. De telles mesures permettront de dégager mécaniquement des économies de fonctionnement.

M. Éric Straumann. On voit que vous n’avez jamais réalisé de fusion !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si, j’en ai réalisé une, sur mon territoire, entre la ville de Cherbourg et celle d’Octeville, ce qui a permis de réduire les dépenses de fonctionnement de 20 % en dix ans.

Il n’est pas possible de réaliser 130 milliards d’économies, comme vous le proposez, sans en faire au niveau des collectivités, et il n’est pas possible de faire d’économies sur les collectivités à structures inchangées. C’est pourquoi nous vous proposons de les engager dans la voie de ces réformes.

M. Serge Grouard. Il faut fusionner les départements au sein de leur région.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je souhaite que l’examen des différents amendements nous permette d’aller au fond de la réflexion et du débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi sur lesquels les deux assemblées n’ont pu parvenir à un texte identique.

Article 1er A

Mme la présidente. L’article 1er A, introduit par le Sénat, a été supprimé par la commission. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 74 et 202 tendant à le rétablir.

La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n74.

M. Marc Dolez. Il apparaît indispensable à notre groupe que soit rappelé en préambule le cadre législatif et institutionnel dans lequel devrait s’inscrire la réforme territoriale. Cette disposition serait d’autant plus indispensable que nous sommes contraints d’examiner une nouvelle carte des régions avant même d’avoir débattu de leurs compétences et qu’il pèse encore de grandes incertitudes, c’est le moins que l’on puisse dire, sur l’avenir même des départements et le maintien des conseils départementaux.

Nous souhaitons, par cet amendement, rappeler les principales vocations de chaque échelon local : la commune, cellule de base de l’organisation territoriale et échelon de proximité de la vie démocratique ; le département, garant du développement territorial, de la solidarité et de la cohésion sociale ; les régions, qui contribuent au développement économique et à l’aménagement stratégique du territoire.

On nous objectera que toutes ces dispositions figurent déjà dans la loi mais il nous semble tout de même très important de les rappeler. Dans la mesure où cet amendement, que nous ne faisons que reprendre, a été adopté à l’unanimité par le Sénat, je ne vois pas pour quelle raison l’Assemblée, motivée par je ne sais quelle pensée ou arrière-pensée, ne l’adopterait pas également.

Mme la présidente. Sur les amendements identiques nos 74 et 202, je suis saisie par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n202.

M. Xavier Breton. Cet amendement, identique au précédent, vise à rétablir le texte adopté au Sénat en deuxième lecture. En effet, il est important que ce projet de réforme territoriale affirme d’emblée la vocation qu’il assigne à chacun des niveaux de collectivités. Le débat sur la formulation à retenir concernant les communes, les départements et les régions pourra toujours avoir lieu, mais il est indispensable d’indiquer leur vocation dès l’article 1er A.

Ensuite, le texte de cet article a le mérite de faire explicitement mention du principe de subsidiarité, qui devrait animer notre réflexion en matière de réforme territoriale, plutôt que le raisonnement par le haut qui nous est proposé.

Enfin, il est vrai que certaines dispositions contenues dans cet article 1erA figurent déjà dans le code général des collectivités territoriales, mais d’autres le complètent, en particulier celles qui concernent les communes. Il est important de saisir l’occasion de cette réforme territoriale pour réaffirmer leur rôle, car « les communes constituent la cellule de base de l’organisation territoriale de la République décentralisée et l’échelon de proximité de vie démocratique », selon le texte de l’amendement, qui se poursuit ainsi : « Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre sont un outil de coopération et de développement au service des communes ». En effet, il convient de rappeler dès le premier article de ce texte que la commune doit être la cellule de base de notre société.

Voilà pourquoi nous vous proposons donc de rétablir le texte adopté à l’unanimité au Sénat.

Mme la présidente. La parole est à M. Carlos Da Silva, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République pour donner l’avis de la commission.

M. Carlos Da Silva, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Je saisis l’occasion de cette prise de parole, madame la présidente, pour m’émouvoir auprès de vous de la plus respectueuse des manières que vous ne m’ayez pas donné la parole pour répondre aux intervenants de la discussion générale, et pour informer mes aimables collègues qui ont pris le temps de s’exprimer que je le ferai à mon tour tout au long de l’examen des articles, et particulièrement l’article 1er sur lequel je sais que de nombreux orateurs se sont inscrits.

J’en viens à ces deux amendements. La commission y est défavorable, car les dispositions qu’ils contiennent sont redondantes par rapport à certains articles du code général des collectivités territoriales et très éloignées de l’objet principal du présent projet de loi.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Mais non !

Mme la présidente. Je me permets de vous rappeler, monsieur le rapporteur, qu’il n’est pas d’usage de donner la parole au rapporteur au terme de la discussion générale d’un projet de loi ; c’est le ministre qui répond, comme cela vient précisément de se produire. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Quel est l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements identiques ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Comme M. le rapporteur, le Gouvernement est défavorable à ces amendements, et ce pour deux raisons. En premier lieu, ils contiennent des dispositions dépourvues de portée normative qu’il serait regrettable d’introduire dans la loi, sauf à prendre le risque de nuire à la clarté du texte. D’autre part, l’article qu’il est proposé de rétablir contient des dispositions relatives aux compétences des départements qui relèvent du projet de loi NOTRe dont nous débattrons ultérieurement.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Pour ma part, je suis fondamentalement opposé à ces deux amendements, car ce sont des amendements de conservateurs qui souhaitent que rien ne change jamais. (Très bien ! sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Rappelons que le premier point de l’amendement consiste à préciser que les EPCI sont au service des communes.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Charles de Courson. Qu’attendons-nous donc pour faire notre révolution copernicienne, chers collègues ? Ce sont les établissements publics de coopération intercommunale qui devraient devenir des collectivités territoriales tandis que les communes seraient des sections d’intercommunalité…

M. Marc Dolez. Ben voyons ! C’est l’aveu !

M. Charles de Courson. …comme dans tous les pays d’Europe ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) Quelles que soient les convictions des uns et des autres, voilà ce qui se produira. Essayons donc d’expliquer pourquoi cette évolution est nécessaire : peut-on conserver 36 600 communes dont certaines sont dans l’incapacité totale d’assumer les fonctions élémentaires d’une collectivité territoriale, comme le savent bien tous les élus des zones rurales ?

Quant aux deux autres points de l’amendement, signifient-ils qu’il faut maintenir tous les départements et toutes les régions ?

Mme Marie-Jo Zimmermann. Pas du tout !

M. Charles de Courson. Ce n’est pas raisonnable.

Mme Catherine Quéré. Très bien !

M. Charles de Courson. Il y a cinquante ans, la gestion de nos services publics se partageait entre trois niveaux : État, région et département. Il y en a six aujourd’hui : Union européenne, État, région, département, intercommunalité et commune ! Cela fait au moins deux niveaux de trop.

De quelque bord politique que vous soyez, chers collègues, vous ne pouvez pas considérer que le maintien de notre organisation territoriale en l’état permettra de réduire la dépense publique ! Je m’adresse à mes amis de l’opposition : vous ne pourrez pas réduire la dépense publique en maintenant les structures telles qu’elles sont. Tous ceux d’entre vous qui ont appliqué une politique de réduction de la dépense le savent bien. Dès lors, chers collègues, je vous supplie de ne pas voter pour ces deux amendements ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je tiens avant toute chose à remercier MM. Dolez et Breton d’avoir présenté ces amendements. Ceux d’entre nous qui ne sont pas membres de la commission des lois n’ont pas assisté à ce qui s’est produit – à l’inverse – lorsqu’il y a été proposé puis décidé de supprimer les dispositions adoptées à l’unanimité par nos collègues sénateurs.

Je profite de cette occasion, monsieur le ministre, pour regretter – sachant que les commissions légifèrent désormais, puisque les amendements qu’elles adoptent sont intégrés au texte définitif à moins que l’Assemblée n’adopte un amendement contraire en séance publique – que le Gouvernement n’ait pas été présent au cours de l’examen de ce texte en commission, comme il lui arrive de l’être et comme il devrait, à mon sens, l’être systématiquement pour travailler aux côtés des commissaires afin que ceux-ci puissent remplir leur mission de législateur au nom de l’Assemblée nationale.

Cela étant dit, nous avons entendu en commission des choses bien plus croustillantes que ce que nous venons d’entendre à l’instant, et que ceux qui s’opposent à ces amendements semblent ne pas oser répéter publiquement.

Certes, nous avons bien entendu l’argument selon lequel toutes ces dispositions ne sont pas normatives mais de grâce, monsieur le ministre, puisque vous l’avez utilisé cette fois-ci, utilisez-le donc à chaque fois, y compris lorsque le Gouvernement proposera – parce qu’elles l’arrangent – des dispositions qui sont elles aussi dépourvues de caractère normatif ! L’argument est un peu court, et il vous évite surtout de traiter de l’essentiel.

En effet, vous avez beau prétendre que vous présenterez ensuite un projet de loi que l’on connaissait déjà, tout cela n’a pas grand sens. Vous pouvez souffler, monsieur de Rugy, mais vous en entendrez d’autres tout au long de la séance, et il n’est peut-être pas inutile que nous exprimions notre désaccord avec cette méthode d’élaboration de la loi !

Quoi qu’il en soit, vous nous proposez de faire tenir la pyramide de nos collectivités sur la pointe. Vous voulez en effet créer le contenant avant même que quiconque n’en connaisse le contenu. En commission, vous avez même osé nous expliquer que c’était ainsi qu’il fallait procéder ! C’est naturellement l’inverse qu’il faut faire. J’en veux pour preuve le fait que nos concitoyens sont bien incapables de comprendre quoi que ce soit aux compétences des conseils départementaux dont nous élirons les membres dans quelques mois. On leur annonce que les régions vont changer de calibre ; leur première question est celle-ci : pour quoi faire ? Or, nous ne savons pas quoi leur répondre.

Dès lors, ces amendements qui reprennent fidèlement la disposition adoptée au Sénat – car il ne pouvait pas en être autrement – n’ont pas d’autre ambition, certes non normative mais néanmoins salutaire, de rappeler qu’avant de décider de la taille d’une collectivité territoriale, il faut s’interroger sur ce qu’on lui fera faire, ainsi qu’à ses élus. Voilà ce qu’il aurait fallu faire, et que nous souhaitons modestement par ces amendements. Vous ne le voulez pas ; les Français jugeront ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Les députés du groupe SRC sont formellement opposés à l’adoption de ces deux amendements…

M. Marc Dolez. Allons bon !

M. Sébastien Denaja. … pour les raisons présentées par M. le rapporteur et par M. le ministre. Nous estimons en effet qu’il est important de légiférer à bon escient.

M. Guy Geoffroy. Nous saurons vous le rappeler !

M. Sébastien Denaja. L’argument selon lequel une disposition n’a pas de caractère normatif nous semble digne d’intérêt.

M. Éric Straumann. Vos collègues l’ont pourtant votée au Sénat !

M. Sébastien Denaja. Ces dispositions sont superfétatoires et sont même en deçà de celles que la droite elle-même avait adoptées par la loi Raffarin du 1er août 2004. Relisez ce texte que l’opposition d’aujourd’hui a contribué à faire adopter, en effet : il contient une définition des missions essentielles de chaque échelon de collectivité qui va au-delà de celle que vous suggérez aujourd’hui.

Enfin, nous sommes tout aussi fondamentalement opposés que M. de Courson à ces amendements. La question des régions est l’objet de notre débat. Or, nous ne souhaitons pas qu’elles se limitent à « contribuer au développement économique », alors que nous voulons précisément qu’elles en soient les véritables chefs de file – pour ne citer que cet aspect des amendements qui nous sont proposés. Dans ces conditions, les députés du groupe SRC rejetteront ces deux amendements.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 74 et 202.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants105
Nombre de suffrages exprimés98
Majorité absolue50
Pour l’adoption29
contre69

(Les amendements identiques nos 74 et 202 ne sont pas adoptés.)

Article 1er

Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Leroy, premier des nombreux orateurs inscrits sur l’article.

M. Maurice Leroy. Cette réforme territoriale aura au moins eu pour effet de rebaptiser la région Centre en région Centre-Val de Loire – à défaut d’avoir été au bout de la logique en fusionnant les régions Centre et Pays de la Loire.

Notre nouvelle région Centre-Val de Loire retrouve ainsi son identité. Les présentateurs des bulletins météo à la télévision pourront enfin cesser de désigner l’Auvergne pour parler du Centre ! (Sourires.) Plus sérieusement, notre identité ligérienne est enfin reconnue. Chez nous, tout est lié au Val de Loire : notre histoire, notre géographie, notre démographie, nos bassins de vie et nos dynamiques économiques, sociales et culturelles.

Je suis donc heureux de constater que le combat que j’ai mené ici même avec M. Philippe Vigier voici quelques mois en faveur de la reconnaissance du Val de Loire porte enfin ses fruits. Nombreux sont les parlementaires de tous bords qui, convaincus que notre identité ligérienne fait notre force et constitue notre dénominateur commun, ont œuvré dans cet article 1er afin d’obtenir la dénomination Centre-Val de Loire.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Excellent !

M. Maurice Leroy. Je conserve malgré tout l’espoir que le Centre et les Pays de la Loire puissent un jour fusionner en une seule région du Val de Loire, car tout nous y incite et l’évidence finira par triompher.

En attendant, nous pouvons nous réjouir que la région Centre-Val de Loire conserve ses frontières actuelles, au lieu de l’extravagant « Limouchentre » que l’on a d’abord voulu nous vendre en début d’examen du texte. « Mieux seul que mal marié », comme on dit dans notre région ! Comme je l’indiquais ici même il y a quelques mois, nous n’avons plus les moyens de laisser cette réforme échouer de nouveau et de perdre davantage de temps ; il nous faut désormais aller de l’avant, et les ajustements et améliorations viendront le moment venu.

Il est temps que la région Centre soit rebaptisée pour retrouver son identité bâtie autour du Val de Loire. Les huit millions de touristes qu’elle attire chaque année viennent visiter le Val. En outre, dans cette réforme qui fait la part belle aux régions, il est indispensable que la région Centre-Val de Loire s’appuie sur son axe ligérien pour renforcer son tissu économique et développer ses partenariats en France comme à l’étranger. Ce n’est que grâce à une région Centre-Val de Loire bien identifiée et crédible que nous y parviendrons.

La réforme territoriale, qui fait de notre région l’une des plus petites de France, ne doit pas nous priver de notre identité et de notre puissance. Bien au contraire : elle doit nous inciter à jouer notre meilleure carte, celle du Val de Loire.

Avec l’humour qu’on lui connaît, Jules Renard disait ceci : « Pour se faire un nom, il faut être connu ». Je crois quant à moi que le Centre-Val de Loire ne sera reconnu qu’en se faisant un nom ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. En ouvrant le débat sur les régions, leur organisation et leur délimitation, le Président de la République avait l’occasion de marquer d’une empreinte positive l’histoire de notre pays et de ses territoires. Aujourd’hui, force est de constater que cette chance est gâchée ! À l’espérance, manifestée en particulier en Bretagne, a succédé la déception, pour ne pas dire la colère, qui vient d’abord du refus constant que vous avez opposé aux Bretons de retrouver leur cohérence en réintégrant Nantes et la Loire-Atlantique à la Bretagne. Nous aurions pu ainsi, n’est-ce pas cher Maurice Leroy, constituer une belle région, voisine d’une autre belle région, le Val de Loire. Orléans, Tours, Blois, Angers… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Notre déception vient de cette funeste soirée du lundi 2 juin. Que s’est-il passé ce jour-là ? Un Président de la République, pratiquement seul dans son bureau, a redécoupé les régions françaises. Imagine-t-on un seul instant la chancelière allemande, Mme Merkel, redécoupant la Bavière ? C’est impossible ! Les régions doivent être constatées, non pas découpées. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

L’objectif n’était alors que d’afficher un chiffre significatif de réduction du nombre des régions pour obtenir un brevet médiatique de réformisme. Cela n’aura finalement engendré qu’une valse des cartes qui nous a occupés tout au long de l’été et de l’automne.

En privant les Bretons de leur cinquième département, la Loire-Atlantique, en confirmant le funeste décret pris sous le régime de Vichy en 1941, en leur refusant la réunification d’une Bretagne à cinq départements, vous nous privez de notre identité !

Le mot d’identité vous fait peur, je le sais ; voilà le vrai sujet. Mais la personnalité d’une région est une force, non seulement pour elle-même, mais aussi pour l’ensemble de notre pays. Les régions à forte identité sont celles qui réussissent le mieux en Europe. Allons plus loin en regardant autour de nous : ne sont-ce pas les États qui ont délibérément choisi le modèle fédéral, qui réussissent le mieux ? Je pense à l’Allemagne et à la Suisse.

La logique hiérarchique est derrière nous ; la vraie logique est celle du réseau, de l’échange, de la cohérence, de l’unité qui créé la solidarité, donc l’action positive.

M. Thierry Benoit. Très bien ! Le Fur, président ! (Sourires.)

M. Marc Le Fur. C’est un rendez-vous raté, d’autant plus important qu’il s’agissait d’un rendez-vous amoureux. En effet, les Français ont aujourd’hui terriblement besoin de s’entendre dire qu’on les aime, y compris dans leur identité régionale. Ils ont besoin qu’on leur fasse confiance. Ils ont besoin qu’on les considère autrement que comme des contribuables que l’on pourrait pressurer à merci. La crise française que nous vivons est une terrible crise de confiance.

Cette loi sur la délimitation des régions était l’occasion de réconcilier les Français avec leur identité et de leur dire que la nation leur fait confiance, qu’ils peuvent être à la fois de bons Alsaciens et de bons Français, et même qu’être de bons Alsaciens les rendra encore meilleurs Français.

M. Patrick Hetzel. Excellent !

M. Marc Le Fur. Le même propos vaut pour les Basques, les Picards, les Bretons… (Très bien ! sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Nous risquons de passer à côté d’une grande chance, comme en 1969, lors du projet de décentralisation du général De Gaulle, le plus courageux et le plus déterminé jamais présenté. Contre lui se sont ligués à l’époque, souvenez-vous en, les conservatismes de tout bord. Ce faisant, notre pays a reculé dans le temps, dans l’histoire, dans la hiérarchie des nations.

M. Jean-Luc Reitzer. Le projet du général De Gaulle, on en est loin !

M. Marc Le Fur. Ce dont je suis sûr, c’est que le combat continuera chez nous, en Bretagne,…

M. Jean-Luc Reitzer. Et en Alsace !

M. Marc Le Fur. …et j’imagine également dans d’autres régions à forte identité, comme l’Alsace.

Vous niez les identités ; vous risquez, au contraire, de faire émerger une revendication identitaire exacerbée qui pourra, avec raison, dénoncer votre jacobinisme anachronique ! Vous ratez l’occasion de réconcilier la France et son histoire, Paris et les provinces, la grande et la petite histoire, la proximité et l’universel, l’affection que les Français portent à leur petite patrie régionale et l’attachement à la patrie qui les unit et dont nous célébrons tout particulièrement cette année les heures tragiques.

Il ne s’agit pas là d’une nostalgie conservatrice, comme on voudrait nous le faire croire. L’histoire compte ; on ne progresse réellement qu’en la respectant. Pourquoi avons-nous tellement peur de parler de nos identités régionales ? Pourquoi entretenons-nous une telle crainte face aux réalités de nos régions périphériques, au point de noyer l’Alsace dans un ensemble improbable ou de continuer à ériger un mur administratif entre la Bretagne et la Loire-Atlantique ? Pourquoi la Normandie serait-elle finalement la seule région à avoir le droit de se réunifier ?

M. Laurent Furst. Parce qu’elle a un ministre ?

M. Marc Le Fur. Nos identités régionales sont toutes des identités heureuses. Sachons, au contraire, les promouvoir et reconnaître qu’elles concourent à l’identité et à l’union nationale. Elles ont toutes leurs chances dans notre pays. C’est cela que nous devrions dire aujourd’hui ! Ce serait une position à la fois ancrée dans notre histoire et moderne, déterminée, européenne, pour ne pas dire universelle. Sachons écouter les populations et les sondages qui, inlassablement, disent l’attachement des Bretons des quatre départements de la Bretagne administrative et des habitants du département de la Loire-Atlantique à l’unité de la Bretagne à cinq départements.

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. Marc Le Fur. Sachons aussi écouter les dizaines de milliers de personnes – parmi lesquels certains députés présents ce soir dans l’hémicycle – qui, à trois reprises, se sont rassemblées à Nantes pour dire leur attachement à la Bretagne.

Mme Marie-Françoise Clergeau. La plupart ne venaient pas de Loire-Atlantique !

M. Marc Le Fur. Qu’en savez-vous ? Vous n’y étiez pas, madame Clergeau ! On a d’ailleurs regretté votre absence ce jour-là ! Aujourd’hui, cessons ces vaines querelles et considérons l’identité de chacune de nos régions comme une force, au lieu de la décrier comme un problème ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP. et UDI)

M. Paul Molac et M. François de Rugy. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Sturni.

M. Claude Sturni. Depuis plusieurs mois que nous débattons sur cette réforme nécessaire, mais ô combien source de crispations et de frustrations dans tout le pays, il me semble que nous devrions revenir à l’essentiel et nous poser la seule et bonne question qui vaille : à quoi tout cela servira-t-il ?

Plusieurs députés du groupe UMP. À rien !

M. Claude Sturni. Après l’examen du projet de loi par nos collègues sénateurs, nous devons faire ici œuvre utile et mener des actions efficaces pour notre pays et nos concitoyens. Notre priorité est donc de contribuer à donner du sens aux territoires et aux régions, leur impulser une dynamique et, ce faisant – vous le pensez tous certainement – de lutter contre la crise et de favoriser la création d’emplois.

Du point de vue de l’organisation des territoires, des perspectives des collectivités territoriales, des populations, des entreprises, quels seront les effets de ce redécoupage des régions ? Je crains que, aujourd’hui encore, nous ne soyons pas en mesure de les évaluer. Il n’existe toujours pas d’étude d’impact sérieuse, et nous cherchons encore des objectifs chiffrés et étayés, qui pourraient justifier l’urgence de cette réforme, ou ne serait-ce que la priorité à lui donner.

On se souvient, bien sûr, cela a été évoqué tout à l’heure, de chiffres pour le moins hypothétiques, non étayés, voire totalement farfelus, concernant les économies attendues, mais on attend encore qu’on ose enfin afficher un chiffrage des coûts liés à la mise en œuvre de cette réforme.

M. le rapporteur a déclaré tout à l’heure que les nouvelles régions seraient les moteurs du développement. Voilà une bien belle déclaration ! Mais pour les nouvelles régions fusionnées, la réalité sera plutôt celles de moteurs à l’arrêt. Cette réforme entraînera en effet nécessairement un gel de l’activité des régions fusionnées et, de ce fait, un déséquilibre entre celles qui vont subir un changement de périmètre, et celles qui pourront continuer à travailler dans leur périmètre antérieur.

En effet, comment ne pas voir que, avant de pouvoir investir sur leur nouveau territoire, les nouveaux élus devront apprendre à se connaître, apprendre à connaître leur nouveau périmètre géographique, apprendre les joies d’une nouvelle gouvernance ? Harmoniser et redéfinir des modalités d’intervention, mettre en œuvre de nouvelles compétences, créer des éléments de vision partagée, de projets et de planification des services, et pour élaborer les indispensables schémas de développement, tout cela prendra du temps et coûtera de l’argent.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, autant de temps perdu pour la réalisation des investissements d’infrastructures, indispensables pour nos territoires et leurs habitants. J’insiste sur cette France à deux vitesses, cette inégalité entre les régions que cette réforme va induire, certaines régions se trouvant immobilisées quand d’autres, l’Île-de-France par exemple, chère à M. le rapporteur, pourront continuer à développer des projets, et à se projeter sur le potentiel lié aux futurs transferts de compétences, que nous creuserons bientôt dans le projet de loi NOTRe.

Aussi, mes chers collègues, au-delà de l’impatience de nos compatriotes, au-delà de l’exaspération de tous ceux qui veulent voir avancer les projets sur nos territoires, le plus grave sans doute est le risque d’accentuer encore les difficultés conjoncturelles que connaissent les entreprises dépendantes de la commande publique. En effet, cette réforme allongera de manière interminable les délais pour elles, quand elle ne sera pas source d’une totale incertitude quant à la conclusion de marchés pourtant vitaux pour nombre d’entre elles, qu’elles soient de niveau local ou national. Avec votre projet de loi, monsieur le ministre, nous pouvons prédire de bien mauvaises nouvelles aux secteurs du transport ou du BTP, par exemple.

J’ajouterai que la précipitation, l’absence de consensus et de concertation constituent un réel déni de démocratie. Cela est intolérable. Je tiens à souligner que nos collègues sénateurs, élus en septembre dernier, à un moment où ce texte était donc connu, ont été particulièrement à l’écoute des grands électeurs et des territoires. Ils ont ainsi, à l’issue de leur élection, pu travailler en toute intelligence sur ce projet. Je dois dire que nous avons été heureusement surpris que les deux tiers d’entre eux aient pu se retrouver sur un texte et surtout une carte qui me paraît, à bien des égards, bien plus intéressante que celle adoptée ici en première lecture. Leur proposition, fruit d’une concertation, a donc toute légitimité. Je m’interroge, à l’inverse, sur la légitimité des éléments d’analyse qui ont amené notre commission des lois à réduire le travail des sénateurs à néant.

Ne pas écouter les élus issus de la proximité avec nos concitoyens, les priver d’apporter leur vision à ce texte majeur, c’est tout simplement décrédibiliser à la fois les élus de ces territoires mais aussi le travail parlementaire. Nul besoin d’être devin pour imaginer qu’une telle décrédibilisation, combinée, dans bon nombre des territoires, à la frustration et l’incompréhension de nos concitoyens devant cette réforme, est de nature à faire progresser les votes extrémistes lors des prochains scrutins.

M. Jacques Krabal. Ce risque existe.

M. Claude Sturni. Pour ce qui est de la seule région Alsace, permettez-moi de vous rappeler quelques faits, déjà évoqués par mes collègues alsaciens : 96 % des élus départementaux et régionaux, toutes tendances confondues, s’opposent à votre réforme mais sont en revanche favorables à la création d’une collectivité unique pour l’Alsace dans ses limites géographiques actuelles, tout comme 58 % des Alsaciens qui s’étaient exprimés lors du référendum d’avril 2013.

Comprenez bien qu’aucun parlementaire alsacien, aucun maire des quatre plus grandes villes d’Alsace n’est favorable à la très grande région Est que vous proposez. De même, nombre de conseils municipaux se sont fortement mobilisés en adoptant des motions témoignant de leur volonté de maintenir la région dans ses limites actuelles.

Enfin, sur le plan économique, l’ensemble des chambres consulaires – chambres d’agriculture, chambres de métiers, chambres de commerce et d’industrie – se sont unanimement prononcées en faveur de cette collectivité unique au sein des limites de l’actuelle Alsace.

Ainsi, en Alsace, non seulement la volonté des électeurs et celle de leurs représentants se sont clairement manifestées contre votre réforme mais, loin d’être figés dans un conservatisme dangereux, dans une vision au contraire courageuse et pionnière, nous voulons simplifier les institutions locales en créant une collectivité unique sur le fondement des compétences exercées actuellement par la région et les deux départements, collectivité qui serait bien entendu prête à aborder avec confiance le prochain texte relatif aux compétences.

Mes collègues alsaciens de l’UMP et de l’UDI ont, tour à tour, dans la discussion générale, illustré avec talent tous les autres éléments qui plaident en faveur de la région Alsace. Je soutiens bien évidemment leurs arguments.

Je voudrais également saluer ici, sur tous les bancs de cet hémicycle, les collègues qui ont compris notre démarche et, parfois, soutenu certains de nos amendements.

En conclusion, l’efficacité de l’action réformatrice, condition pour assurer la nécessaire dynamique d’investissement et d’action en faveur de l’emploi et de la croissance, mais aussi l’écoute de nos concitoyens comme le respect des élus plaident en faveur d’une révision de cette carte incomprise et dangereuse à plus d’un titre.

Ainsi, je vous le demande, au nom de quoi refuseriez-vous de la revoir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Fourneyron.

Mme Valérie Fourneyron. Madame la présidente, mes chers collègues, le 1er janvier 2016, j’enlève le Haut ; le 1er janvier 2016, j’enlève le Bas. Je vous rassure, il ne s’agit pas d’un accès soudain de naturisme, mais bel et bien de la traduction de l’enthousiasme de la Normandie à l’idée de ne plus former bientôt plus qu’une seule et même entité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

La réforme dont nous discutons est attendue de longue date, tant il est indispensable de rendre l’action publique plus lisible.

M. Hugues Fourage. Cela n’arrive pas tous les jours.

Mme Valérie Fourneyron. Simplifier, c’est en effet rendre notre action plus compréhensible et plus transparente aux yeux de nos concitoyens. Clarifier, c’est supprimer les doublons, notamment avec les services déconcentrés de l’État, et donc redéployer une action publique, à la fois plus efficace et moins coûteuse.

Cette réforme a également pour ambition de renforcer le poids et la force économiques de nos régions en Europe. En matière de compétences, les régions de demain bénéficieront de davantage de moyens dans des domaines décisifs comme l’emploi, la formation, le soutien aux entreprises et à la recherche, la transition énergétique, l’aménagement durable et le rayonnement international.

S’agissant du redécoupage territorial, comment la nouvelle carte régionale doit-elle être pensée ? L’article 1er propose la création de nouvelles régions métropolitaines, dont une et une seule Normandie, peuplée de 3,3 millions d’habitants. Comme vous, monsieur le ministre, je me réjouis de cette création.

Le mariage entre la Basse-Normandie et la Haute- Normandie est si évident que notre future région a déjà un nom qui s’impose de lui-même, comme indiqué à l’article 2 du projet de loi. Oui, cette fusion s’impose car, historiquement tout autant que culturellement, l’entité Normandie fait sens.

L’histoire de la Normandie lui donne un rayonnement international, une identité forte et un avenir commun.

M. Éric Straumann. Comme l’Alsace !

Mme Valérie Fourneyron. La Normandie de demain sera porteuse d’un projet d’avenir ambitieux. Elle sera touristique, grâce à son patrimoine historique et naturel unique, à ses lieux de mémoire comme à son aura artistique.

M. Éric Straumann. Comme l’Alsace !

Mme Valérie Fourneyron. Elle sera gourmande, grâce au dynamisme de sa filière agrolimentaire. Elle sera industrielle, inventive, novatrice, grâce aux performances de ses filières automobile et chimique, à la qualité de son enseignement supérieur et de ses pôles de recherche.

Elle sera également énérgétique, grâce à son avance dans le domaine des énergies renouvelables avec les futurs parcs éoliens off-shore. Elle sera, enfin, fluviale et maritime grâce à HAROPA, premier port français, à tous les ports normands et à la vallée de la Seine.

Elle sera équine comme l’a démontré le succès des Jeux équestres mondiaux cet été. Elle sera, tout simplement, vivante.

D’ores et déjà, les habitants de ces deux régions se préparent à cette fusion porteuse de tant de promesses. La Normandie de demain prospérera si nous sommes tous unis au service d’une dynamique collective.

L’ensemble des secteurs socio-économiques, l’ensemble des territoires – les territoires ruraux, les centres urbains qui demain pourront fonctionner en réseau, les grandes villes de Caen, du Havre et bien sûr la métropole rouennaise –, enfin tous les habitants, tous les Normands s’uniront dans un même élan.

C’est en participant ainsi, en responsabilité, à cette construction collective, que nous pourrons demain dire fièrement : c’est la gauche qui, enfin, a fait la Normandie.

Plusieurs députés UMP. Et défait l’Alsace !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Valax.

M. Jacques Valax. Madame la présidente, mes chers collègues, je limiterai mon propos à quelques explications d’ordre général et à une observation plus spécifique concernant la fusion entre les régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon.

Tout d’abord, je veux réaffirmer mon soutien à cette réforme visant à moderniser notre organisation administrative. Je veux saluer le courage politique qu’il a fallu au Gouvernement…

M. Patrick Hetzel. L’inconscience !

M. Jacques Valax. …comme au Président de la République et au président de la commission des lois, pour présenter, dès le mois de juin, une carte qui nous a permis de travailler et d’amender certaines propositions initiales.

Je le dis haut et fort, ne pas réaliser ce nouveau découpage territorial eût été une erreur tant nos égoïsmes territoriaux sont exacerbés, et nous rendent, par définition, subjectifs. Il faut rappeler aussi que cela fait plus de vingt ans que nous évoquons, sans avancer, cette idée de simplification du mille-feuille administratif. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Le Ray. Il n’y a aucune simplification !

Mme la présidente. Mes chers collègues, un peu de silence, je vous prie.

M. Jacques Valax. Il faut dire aussi que cette réforme s’accompagne, monsieur le ministre de l’intérieur l’a rappelé à l’instant, d’une réorganisation des pouvoirs de l’État, afin que chaque point de notre territoire soit irrigué.

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, nous allons dessiner une nouvelle carte, revoir les maisons de l’État, les sous-préfectures, mettre en place des métropoles, et, le tout faisant partie de l’ensemble, clarifier les compétences respectives de l’État et de chacune des collectivités.

Vous l’avez rappelé, toute l’administration de l’État sera encore plus déconcentrée et, surtout, modernisée. C’est ce qu’il faut voir derrière cette carte modifiant le tracé des régions.

M. Philippe Le Ray. Il fallait le faire avant.

M. Jacques Valax. Dans leur grande majorité, les départements ruraux seront maintenus. Avec de grandes régions, nous éviterons un émiettement des compétences. (Protestations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Il faut également préciser que l’objectif est bien de définir de bons équilibres, afin qu’aucun territoire ne soit oublié ou sacrifié. Cette carte permet, je le redis une fois encore, de lutter contre un égoïsme certain puisque les plus pauvres ne peuvent plus côtoyer les plus riches. Je ne fais pas de procès, sur ce point particulier, à l’Alsace mais je dis qu’elle souhaite rester autonome afin de ne pas être paupérisée par l’adjonction de régions plus faibles économiquement. (Vives protestations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Laurent Furst. C’est une insulte !

M. Éric Straumann. Vous n’avez rien compris !

Mme la présidente. Un peu de calme, s’il vous plaît, mes chers collègues.

M. Jacques Valax. La marque de fabrique de ce projet de loi est bien celle de la modernité. La volonté qui nous anime tous est de créer des régions en respectant un seuil critique en-dessous duquel la réforme souhaitée ne produirait pas les effets recherchés.

M. Philippe Le Ray. Toujours le même baratin !

M. Jacques Valax. Nous voulons, et j’espère que vous partagez ce sentiment, créer des régions efficaces. actives, modernes, susceptibles enfin de créer de l’activité économique et de participer à l’effort de développement et de recherche indispensables à l’avenir de notre jeunesse.

M. Jean-Claude Perez. Exactement.

M. Jacques Valax. Cette réforme est bonne : il était indispensable de la lancer.

Je veux également évoquer, très rapidement, la fusion entre les régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, en rappelant quelques arguments de bon sens.

Regrouper ces deux régions revient à reconstituer une partie de l’ancienne province du Languedoc. Dans les domaines de l’université, de la recherche et de la santé, existent déjà – n’en déplaise à mon collègue Pierre Morel-A-L’Huissier – des complémentarités fortes.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Ah bon ?

M. Jacques Valax. Je pense en particulier à l’application des technologies dans les domaines de l’espace, de l’environnement, ou de la politique de l’eau.

Au départ, certes, des hésitations se sont manifestées. Je prends l’exemple du cancéropôle installé à Toulouse et dont bénéficiera nécessairement, dans le cadre de cette fusion, le Languedoc-Roussillon.

Nous disposons d’un parc naturel, du canal du Midi, de six pôles de compétitivité, de quarante-trois laboratoires de recherche. Nos agricultures sont voisines.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Et alors ?

M. Jacques Valax. En regardant la carte, le rapprochement s’impose comme une évidence.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Ce n’est pas vrai.

M. Jacques Valax. Il permettra de constituer un quatrième ensemble avec la région PACA, la future région Rhône-Alpes-Auvergne et la Catalogne toute proche. Montpellier deviendra une métropole, Toulouse l’étant déjà.

L’idée selon laquelle la région Midi-Pyrénées voudrait tout absorber est une idée manifestement fausse. La situation budgétaire, le niveau d’endettement et le taux d’emploi sont certes meilleurs en Midi-Pyrénées qu’en Languedoc-Roussillon.

L’idée paradoxale d’une possible domination de Montpellier par Toulouse n’a pas plus de fondement. Elle est même totalement incohérente. La guerre entre les deux métropoles n’aura pas lieu : elles sont toutes deux parfaitement équilibrées. Elles se révéleront nécessairement complémentaires. Elles sont, de plus, entourées de villes moyennes, d’importance tout à fait remarquable.

Par conséquent, nous pourrons ainsi, grâce à ce projet de loi, créer, avec treize départements, la plus grande région de France par sa superficie. Avec 5,3 millions d’habitants, soit 8 % de la population française, cette région sera aussi l’une des plus peuplées et, demain, l’une des plus prospères.

Le pays occitan serait enfin reconstitué pour relever le défi du futur. Je sais que notre collègue Jean-Claude Perez partage l’analyse que je viens de développer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Arlette Grosskost.

Mme Arlette Grosskost. Madame la présidente, monsieur le ministre, beaucoup de choses ont d’ores et déjà été dites à la droite de cet hémicycle concernant l’Alsace. Il va sans dire que je m’y associe.

Aussi me permettrez-vous, monsieur le ministre, de choisir pour mon intervention un autre prisme. Oui, l’Alsace entend demeurer seule, avec comme impératif – cela a été dit et, me semble-t-il, compris – la fusion de ses deux départements et de son conseil régional en un conseil unique.

Sommes-nous anachroniques ? Personnellement, je répondrais évidemment par la négative, non pas au seul motif de notre identité. Les Alsaciens demeureront toujours alsaciens, quand bien même ils seraient intégrés dans une géographie institutionnelle différente.

M. Sébastien Denaja. Ils sont d’abord Français !

Mme Arlette Grosskost. Mais il est vrai que nous nous inscrivons, de par notre histoire, dans une logique plus que jamais d’actualité. J’entends par là notre expérience avérée de la territorialisation du droit ou, si vous préférez, de la diversité normative.

Celle-ci devra être à l’ordre du jour d’une décentralisation bien comprise. Oui, se poser la question d’un territoire bien identifié revient à se poser également la question de sa spécificité juridique.

De toute évidence, dans le cas de grandes régions, le Gouvernement se trouvera lié par l’impérieuse nécessité de leur accorder une souplesse juridique qui donnera du sens à l’expression des traditions régionales.

De surcroît, cette territorialisation du droit permettra – cela a été dit – de contenir des revendications plus radicales. La République est une et indivisible : personne, sur ces bancs, ne le contestera.

Mais, mes chers collègues, pensez-vous vraiment que l’unité de la République serait menacée par l’existence de règles particulières qui tiendraient compte, dans certains domaines, des spécificités locales, et ce dans une société de plus en plus diversifiée et contrastée ?

La frontière n’est pas infranchissable entre une unité législative totale et une application territoriale de certaines règles. L’existence de normes de droit différentes selon les régions ou les circonscriptions territoriales est de fait, en Alsace-Moselle, une réalité depuis 1919.

La faillite civile, qui a inspiré l’une de nos lois, le régime des assurés sociaux, au demeurant excédentaire en Alsace-Moselle, ou notre régime spécifique de publicité foncière, tout à fait efficace, sont loin de constituer une menace pour la République. L’expérience de la diversité normative de l’Alsace-Moselle pourrait même, à mon sens, constituer un modèle pour la future organisation organisation territoriale.

En application du principe de subsidiarité, nous aurons, à l’instar de la Corse, besoin d’une certaine adaptabilité. Je rappelle que de récentes décisions du Conseil constitutionnel ont consacré l’existence de règles particulières à certains territoires, notamment pour l’Alsace-Moselle.

Aussi, dans le cadre de ce projet de loi, nous demandons seulement qu’elles soient confirmées, ni plus ni moins. Monsieur le ministre, nous attendons de vous un état d’esprit propice au discernement plutôt que du dogmatisme : légitimez l’existence de notre droit local.

À n’en pas douter, le conseil unique d’Alsace, doté de surcroît d’une capacité supplémentaire de modernisation de sa législation locale, sera source d’inspiration pour les autres régions. Donnez-nous cette capacité d’innovation, donnez-nous cette possibilité de faire sens. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Herth.

M. Antoine Herth. Monsieur le ministre de l’intérieur, et cette épithète prend une saveur toute particulière dans le cadre du débat de ce soir, pendant des années, pour me rendre à Paris, je prenais le train de nuit à Strasbourg pour me retrouver à l’aube en gare de l’Est. À cette époque, l’Alsace était loin, une région de marche, une zone frontalière marquée par l’histoire tumultueuse de la France. D’ailleurs, dès qu’un Alsacien pointait son nez à Paris, on le chargeait de suivre les questions européennes, comme si son ministère de prédilection était celui des affaires étrangères. Au retour, le train faisait un arrêt à Nancy, et je voyais descendre les mêmes cadres supérieurs, les mêmes hauts fonctionnaires que j’avais croisés dans les quartiers des ministères. Nancy, à deux heures trente de la capitale, c’était déjà à l’époque la banlieue de Paris.

Avec le TGV, Strasbourg est à deux heures vingt, demain à une heure cinquante, de la gare de l’Est. Oui, à son tour, Strasbourg est entrée dans la lointaine couronne parisienne.

Vous et votre majorité en avez déduit qu’il fallait désormais englober l’Alsace dans ces vastes territoires de l’est parisien. C’est une vision, disons classique, essentiellement centralisatrice, mais un train ne fait pas une identité régionale. Le fait que les élites puissent voyager rapidement sur un territoire ne suffit pas pour fonder une communauté d’intérêt et de projet.

Comment d’ailleurs l’appeler, cette région ? On entend toutes sortes d’acronymes, CHAMALLO, ALCA. Dans le texte, ce serait actuellement Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, ce qui donnerait quelque chose du genre ACHLOR. (Rires sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Sébastien Denaja. C’est lamentable ! Même quand on est du sud, on peut traduire !

M. Antoine Herth. Nicolas Boileau nous dirait que ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et je pense qu’il y a de nombreux progrès à faire, au moins sur ce sujet.

Je suis comme vous un républicain, attaché à l’intégrité de la France, mais, en matière d’organisation territoriale, comme l’a souligné Arlette Grosskost, notre nation gagnerait à préserver une zone d’expérimentation, un laboratoire où il serait possible d’arriver aux mêmes objectifs par des moyens différents. Au fond, c’est cela la modernité.

C’est le projet qui est nôtre, porté par les trois collectivités alsaciennes à l’origine du référendum de 2013, que je soutiens avec mes collègues.

C’est un projet réaliste de collectivité unique, ouverte sur les départements voisins mais également attentive à la coopération transfrontalière avec la Suisse, le Bade-Wurtemberg, le Palatinat.

C’est un projet qui permet à Strasbourg de jouer pleinement son rôle de capitale européenne et de carrefour au cœur de la vallée du Rhin. C’est d’ailleurs ce que dit l’étymologie de son nom.

C’est un projet qui permet de faire vivre le droit local dans un ensemble géographique cohérent.

C’est surtout un projet qui évite de perdre son énergie sur des sujets d’organisation pour se concentrer sur l’essentiel : qualité et proximité du service public, économie des moyens, cohérence et pertinence des objectifs de développement.

Il en va finalement de votre proposition de réforme des régions comme de la construction européenne. Nous vous proposons l’approfondissement. Vous choisissez l’élargissement. Je crains que les mêmes causes n’aient les mêmes effets, à savoir une perte d’efficacité, un désamour de nos concitoyens et, finalement, une montée des extrêmes.

Monsieur le ministre, mes chers collègues il est encore temps d’éviter cela et de voter les amendements que nous défendrons. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Rohfritsch.

Mme Sophie Rohfritsch. Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, vous nous avez tous indiqué que vous appeliez de vos vœux une réforme territoriale efficace, une réforme permettant de libérer localement des énergies, des moyens, au profit principalement du développement économique et, évidemment, de l’emploi.

Vous avez pris soin de rappeler l’histoire douloureuse et particulière de l’Alsace mais, si vous aviez été au bout de votre énumération de tout ce qui a pu arriver à notre territoire, vous auriez aussi indiqué que cette terre otage, cette terre symbole, a toujours été poussée à l’avant-garde du progrès, à l’avant-garde de l’innovation, et qu’elle est aujourd’hui l’une des régions capables de la plus grande innovation territoriale, grâce à son histoire particulière ou, surtout, à cause d’elle.

Elle a déjà, notamment, su instaurer sur son territoire un dialogue particulier entre toutes les collectivités locales, qui transcende les logiques partisanes et a permis de lancer des projets stratégiques en commun. Je pense tout naturellement à la politique de l’enseignement supérieur et de la recherche, je pense au développement économique, à l’innovation, au tourisme, je pense aussi aux transports.

Ces efforts, ces moyens partagés dans toute l’Alsace lui ont permis d’obtenir des résultats qui dépassent de très loin le poids de cette région dans la communauté nationale. Grâce à ces fameux efforts, nous pouvons contribuer au redémarrage de la croissance du pays, que nous ne cessons tous d’appeler de nos vœux.

Nous avons d’ores et déjà, notamment, réuni toutes les instances consulaires, les agences de développement, les acteurs de la valorisation de la recherche, et nous parlons d’une voix unique à nos voisins allemands et suisses, pour porter des projets de coopération fructueux qui engagent des millions d’euros de crédits européens, allemands, suisses et nationaux.

La carte adoptée par le Sénat, que vous avez décidé de modifier dans le texte que vous nous proposez aurait pu donner, et donnera, je l’espère, une chance à cette belle eurorégion. Cette carte encourage tous ceux qui se battent depuis des années pour le développement économique, pour l’emploi dans le territoire, et, surtout, elle permet aux Alsaciens de continuer à défendre ensemble un projet commun, celui d’une collectivité territoriale unique, soutenu par une très grande majorité : plus de 58 % des Alsaciens étaient d’accord avec le projet de conseil unique, et, désormais, 96 % des élus du territoire portent encore en eux l’espoir de ce conseil unique.

Vous devez faire confiance aux citoyens d’Alsace, vous devez faire confiance aux élus d’Alsace. Nous aussi, à l’instar de Mme Fourneyron, monsieur le ministre, nous rêvons d’enlever le Haut, d’enlever le Bas, et nous ne souhaiterions pas que devienne prémonitoire un proverbe alsacien que je vous livre en français : qui sème la discorde travaille pour la grange du diable. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Le Roch.

M. Jean-Pierre Le Roch. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, j’associe à mon intervention mon ami Gwendal Rouillard.

La réduction de vingt-deux à treize régions s’inscrit dans une importante réforme territoriale, réforme très attendue. Elle prépare notre pays à une simplification du millefeuille territorial, à un renforcement du poids de la région, en particulier de son poids économique, et, à moyen terme, à une diminution des dépenses publiques.

Poursuivons cette réduction, allons encore plus loin en passant de treize à douze régions. À partir des trois régions actuelles de l’Ouest, Bretagne, Centre, Pays de la Loire, créons deux régions, Centre-Val de Loire et Bretagne à cinq départements, Bretagne réunifiée. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP)

M. Paul Molac et M. François de Rugy. Très bien !

M. Jean-Pierre Le Roch. Que l’on ne nous parle pas de dépeçage. Ce dépeçage, la Bretagne l’a connu en 1941.

M. Charles de Courson. Vichy !

M. Jean-Pierre Le Roch. Que l’on ne nous parle pas de repli identitaire dès que l’on revendique son attachement à la Bretagne historique. Il n’y a pas plus ouvert sur le monde que les Bretons, présents en nombre et depuis longtemps sur tous les continents. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Charles de Courson. Pas chauvins !

M. Jean-Pierre Le Roch. Enfin, la méthode pour y parvenir. Tout ce qui concourt au renforcement de la vie démocratique doit être favorisé. C’est pourquoi le droit d’option doit s’assouplir. Donc pas de droit d’option verrouillé comme c’est le cas actuellement, mais un droit d’option simple, droit d’option qui, on le sait, ne s’appliquera qu’après les futures élections régionales.

Enfin, monsieur le ministre, à quand une consultation des populations concernées ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bies.

M. Philippe Bies. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quoi que puissent en penser certains collègues, principalement sur les bancs de droite, c’est une réforme nécessaire. Certains l’ont dit, d’autres la combattent,…

M. Éric Straumann. C’est la raison pour laquelle vous n’avez pas voté pour le conseil unique ?

M. Philippe Bies. …en privilégiant davantage les arguments de forme que ceux de fond.

Je suis particulièrement fier que ce soit la gauche de progrès qui soit à l’origine de cette nouvelle étape de la décentralisation.

M. Éric Straumann. Il y a d’autres gauches ?

M. Philippe Bies. Cette réforme doit s’opérer néanmoins dans la cohérence et dans l’écoute de nos territoires.

Cela a été dit à plusieurs reprises, il n’y a évidemment pas de carte idéale, je suis bien d’accord, mais il y a des cartes cohérentes.

M. Éric Straumann. La carte du Sénat est idéale !

M. Philippe Bies. En janvier 2014, nous avons voté ici la loi MAPTAM, loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Nous avons ainsi acté la métropolisation de notre territoire et il aurait été plus cohérent de tenir davantage compte des métropoles, dont tous les spécialistes admettent qu’elles sont les seules aujourd’hui susceptibles de porter la croissance.

Dans l’est, cette cohérence, c’est l’Alsace-Lorraine, et j’aurai l’occasion de présenter un amendement allant dans ce sens.

M. Éric Straumann. Qui vous soutient ? Vous êtes tout seul ! Levez la main, ceux qui le soutiennent !

M. Philippe Bies. J’ai écouté mes collègues UMP alsaciens, et j’avoue que, pour certains, ce fut une vraie souffrance…

M. Éric Straumann. Nous aussi nous souffrons !

M. Philippe Bies. …parce qu’ils donnent une image de l’Alsace qui n’est pas tout à fait exacte.

Mme Audrey Linkenheld. C’est vrai !

M. Laurent Furst. Vous avez fait 11 % aux européennes !

M. Philippe Bies. Je regrette que leur acharnement confine aujourd’hui à de l’aveuglement, car cet aveuglement a deux effets.

M. Éric Straumann. C’est-à-dire ?

M. Philippe Bies. Patience, monsieur Straumann.

Le premier, c’est d’affaiblir la position de ceux qui, comme moi, militent pour l’Alsace-Lorraine.

M. Éric Straumann. Qui vous soutient ? Personne !

M. Jean-Louis Christ. Trahison !

M. Éric Straumann. Levez la main ceux qui sont d’accord !

M. Philippe Bies. Gardez un peu d’influx nerveux, je n’ai pas fini.

Mme la présidente. Chers collègues, restez calmes. Seul M. Bies a la parole.

M. Philippe Bies. Parmi les premiers supporters de l’Alsace-Lorraine, il y a votre collègue de l’UMP, président du conseil régional d’Alsace, Philippe Richert.

M. Éric Straumann. Vous l’avez trompé !

M. Philippe Bies. La seconde conséquence, plus grave, plus dramatique pour l’Alsace, c’est que votre attitude non seulement a réveillé mais continue d’alimenter un sentiment identitaire.

M. Éric Straumann. C’est vous qui l’avez réveillé !

Mme la présidente. Monsieur Straumann, s’il vous plaît. Seul M. Bies a la parole.

M. Sébastien Denaja. Il aura perturbé tout le débat et tous les orateurs. Ça suffit les Alsaciens !

Mme la présidente. Restez calmes. N’en rajoutez pas, cher collègue.

M. Sébastien Denaja. Qu’il respecte la parole des autres !

Mme la présidente. Laissez l’orateur s’exprimer.

M. Sébastien Denaja. Cela fait trois heures qu’il perturbe tous les orateurs !

Mme la présidente. Mes chers collègues, seul M. Bies a la parole.

M. Philippe Bies. Je vais prendre quelques exemples.

Certains collègues ont rappelé à juste titre la manifestation du 11 octobre, mais ils ont oublié quelques détails que je souhaite rappeler ici. Le premier, c’est que La Marseillaise a été sifflée. (Vives exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, un peu de calme, s’il vous plaît !

M. Philippe Bies. C’est la réalité !

M. Jean-Louis Christ. Traître !

M. Éric Straumann. Nous étions là avec nos écharpes tricolores !

M. Antoine Herth. Vos propos sont une honte.

Mme la présidente. Monsieur Herth, asseyez-vous, s’il vous plaît ! Monsieur Jung, également ! Vous aurez la parole à votre tour. Seul M. Bies a la parole.

M. Philippe Bies. Voilà l’image de l’Alsace que nous ne souhaitons pas voir ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Voilà pourtant l’image que vous donnez de l’Alsace, mes chers collègues ! Je tiens à votre disposition la bande d’Alsace 20 sur laquelle on entend très clairement que La Marseillaise a été sifflée.

M. Éric Straumann. C’est scandaleux !

M. Philippe Bies. Le deuxième petit détail que vous avez oublié de rappeler, c’est qu’à l’occasion de cette manifestation, où les élus portaient évidemment leurs écharpes tricolores,…

M. Éric Straumann. Eh bien, alors ?

M. Philippe Bies. …il n’y avait aucun drapeau bleu blanc rouge.

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est faux !

M. Philippe Bies. Il n’y avait que des drapeaux Rot un Wiss, les drapeaux blanc et rouge des autonomistes alsaciens d’Unser Land, qui sont aujourd’hui votre principal soutien (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP)

Mme Sophie Rohfritsch. C’est n’importe quoi !

M. Philippe Bies. …et qui ont été pendant longtemps des compagnons de route des écologistes en Alsace, les ponts n’étant d’ailleurs pas tout à fait coupés.

M. Éric Straumann. Et le drapeau corse, il vous dérange ?

M. Philippe Bies. J’aime le drapeau alsacien,…

M. Éric Straumann. Eh bien ?

Mme la présidente. Monsieur Straumann, cela suffit ! Seul M. Bies a la parole.

M. Philippe Bies. …monsieur Straumann, mais j’aime aussi le drapeau français. Mes chers collègues, vous avez également appelé à plusieurs reprises l’histoire de l’Alsace à la rescousse. Mais, là encore, au-delà de quelques erreurs que je peux comprendre – par exemple, il faudra rappeler à M. Schneider que l’Assemblée nationale, en 1871, ne s’est pas réunie à Paris, mais à Bordeaux –, vous avez oublié de dire que les députés alsaciens ont certes demandé à rester français, mais qu’ils ont fait cette déclaration avec leurs collègues lorrains. C’est ensemble qu’ils ont souhaité rester rattachés à la France. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Hetzel. N’importe quoi ! Apprenez votre histoire !

M. Philippe Bies. Je vous rapporterai le livre d’histoire, que cela vous permette de faire quelques révisions !

M. Patrick Hetzel. Avec vous, c’est du révisionnisme ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, on se calme !

M. Philippe Bies. Je suis quand même un peu outré par l’attitude de mes collègues et, même si je n’en avais pas l’intention, je voudrais faire un rappel au règlement parce que M. Herth a raccourci Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne et a dit que cela donnait « Àrschloch ». Je souhaiterais que, devant la représentation nationale, M. Herth traduise pour ceux qui ne sont pas germanistes.

M. Sébastien Denaja. Ça veut dire « trou du cul » !

M. Philippe Bies. Exactement.

Et pour un député de la République, monsieur Herth, je trouve que ce sont des propos totalement déplacés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Mes chers collègues, vous parlez au nom des Alsaciens. Vous considérez que vous pouvez vous exprimer, vous, députés de la République, au nom des Alsaciens, alors même que vous êtes éloignés d’une partie de la population réelle. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP.) Vous n’arrêtez pas de revenir sur ce référendum du 7 avril 2013.

M. Éric Straumann. Vous étiez contre !

Mme la présidente. Monsieur Straumann, s’il vous plaît !

M. Philippe Bies. Je voudrais tout de même rappeler que ce référendum a rejeté ce que vous-mêmes essayez aujourd’hui de réintroduire dans la loi, contre la volonté des Alsaciens. Il y a eu 64 % d’abstention ! N’est-ce pas la vérité ?

M. Éric Straumann. 58 % ont voté pour !

M. Philippe Bies. Dans le département du Haut-Rhin, dont M. Straumann est un éminent représentant, 56 % des votants ont voté contre le conseil unique d’Alsace ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Éric Straumann. C’étaient les socialistes qui étaient contre !

M. Philippe Bies. Sans doute que les choses ont changé, mais pour être tout à fait complet, parce que, à vous écouter, on a l’impression que ce sont les socialistes qui voudraient du mal à l’Alsace,…

M. Éric Straumann. Absolument !

M. Philippe Bies. …moi, je me souviens que le dernier outrage qui a été fait à l’Alsace et aux Alsaciens est récent. Il date du 18 janvier 2011, lorsque, à l’occasion des vœux présidentiels au monde rural, à Truchtersheim, dans la circonscription de Mme Rohfritsch, le président de la République, dans son discours, a fait un lapsus absolument désolant, en confondant l’Alsace avec l’Allemagne. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Louis Christ. Quel amalgame ! Quelle petitesse ! Quelle médiocrité intellectuelle !

M. Philippe Bies. Nous n’avons donc pas de leçons à recevoir !

Madame la présidente, monsieur le ministre, certaines inquiétudes sont légitimes. Face à ces inquiétudes, il y a deux possibilités : la démagogie, qui consiste à les exploiter, à souffler sur les braises, comme le font certains de mes collègues,…

M. Éric Straumann. Qui les a allumées ?

M. Philippe Bies. …ou alors la recherche de solutions et de réponses à ces inquiétudes. Ce soir, je souhaite faire une proposition concrète et constructive. Si les deux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin devaient être conduits à intégrer une grande région, qui serait chargée du développement économique et de l’aménagement du territoire, je propose, très concrètement et très solennellement, que les Alsaciens puissent construire leur solidarité territoriale dans un département unique, qui serait le département d’Alsace à l’intérieur de cette grande région.

M. Sébastien Denaja. Très bien !

M. Éric Straumann. Mais vous étiez contre !

Mme la présidente. Monsieur Straumann, cela suffit ! La prochaine fois, c’est un rappel à l’ordre !

Mme Marie-Françoise Clergeau. Il serait temps !

M. Philippe Bies. Je pense en effet qu’il serait temps…

Mes chers collègues, cela sera d’autant plus facile qu’il n’y a plus, pour l’instant, de condition de participation au référendum, si référendum il y a. Je rappellerai, pour la petite histoire, que cette condition de participation au référendum, qui a fait échouer celui du 7 avril 2013, c’est l’une des vôtres qui l’a fait voter au Sénat. Évitez tout de même de donner trop de leçons ! C’est Mme Troendlé qui a fait voter cet amendement en 2010, parce que, à l’époque, les Haut-Rhinois étaient contre la fusion. Je pense qu’il faut faire preuve d’humilité, de modestie et le silence qui vient soudainement de se faire les bancs de droite me conforte dans l’idée…

M. Jean-Louis Christ. Vous êtes seul !

M. Philippe Bies. …qu’il faudrait que vous y alliez un peu mollo.

Pour conclure, et quelle que soit la décision finale, à l’image de certains collègues alsaciens de droite qui se sont exprimés d’une manière plus posée et plus sereine, ce dont je me réjouis, je souhaite ne pas insulter l’avenir, pour reprendre une expression de ma collègue Arlette Grosskost.

M. Laurent Furst. Vous insultez le passé !

M. Philippe Bies. Quoi qu’il arrive, il nous faudra travailler pour le bien commun, celui des Alsaciens, des Lorrains, des Champenois, des Ardennais peut-être, et en tout état de cause pour celui des Français, car ici nous sommes tous des députés de la République une et indivisible. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Armand Jung.

M. Armand Jung. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, j’interviens à la suite d’un échange passionné qui n’aura pas été inutile. J’ai écouté toute la journée et lu dans la presse ces derniers temps les interventions multiples de nos collègues UMP alsaciens. Je respecte leur point de vue, parce qu’il est logique, mais je leur demande de respecter également le nôtre, que je vais essayer de résumer un peu plus rapidement que Philippe Bies ne l’a fait. J’ai notamment été sensible à l’intervention très émue d’André Schneider, qui n’est plus dans l’hémicycle à cet instant.

Mes parents aussi ont changé quatre fois de nationalité, mes chers collègues. Mon cœur aussi est français, comme le disait André Schneider, mais je dois dire également, et vous devez l’accepter, parce que les images le confirment, que je n’ai jamais participé à une réunion publique où La Marseillaise a été sifflée.

M. Laurent Furst. En ce cas, vous n’êtes pas allé au Stade de France !

M. Armand Jung. Regardez très tranquillement chez vous toutes les images des Dernières Nouvelles d’Alsace et d’Alsace 20, jamais je n’aurais accepté d’entendre siffler La Marseillaise. Souvenez-vous du comportement qui fut celui de Jacques Chirac au Stade de France en pareille circonstance !

Mes chers collègues, il y a effectivement des positions antagonistes. Nous sommes un certain nombre ici de Moselle et d’Alsace à proposer au ministre une solution intermédiaire. La solution de l’Alsace seule et éternelle devant l’Histoire, qui pourrait relever tous les défis, n’est pas tenable, même si à l’heure actuelle, l’Alsace ne compte que 150 000 chômeurs pour 1,8 million d’habitants. Ayons un peu d’humilité et ne soyons pas présomptueux ! Nous pourrions sans doute nous flatter d’une réussite à court terme, mais à moyen et à long termes, ce serait une erreur historique, je l’ai dit à M. le ministre comme au Premier ministre.

L’autre solution, qui fait l’unanimité parmi nous, c’est une grande région quelque peu diluée. Je ne partage pas non plus cette solution, mais je ne peux pas pour autant partager, monsieur Herth, les mots grossiers que vous avez employés devant la représentation nationale.

M. Antoine Herth. Je n’ai pas dit cela ! C’est l’un de vos collègues qui l’a dit !

M. Armand Jung. Les autres n’ont pas compris, mais nous, nous avons compris ! Qu’est-ce que cela veut dire àrschloch ? Je sais ce que cela veut dire ! Nous comprenons l’alsacien et je le parle également, rassurez-vous.

La dernière solution serait une position un peu intermédiaire. Nous aurions pu aller vers une position de compromis, monsieur le ministre, avec un rapprochement entre l’Alsace et la Lorraine, tel que c’était prévu au départ. Les deux présidents de région, l’un UMP et l’autre socialiste, s’étaient déjà mis d’accord sur un mécanisme de rapprochement. Je regrette que nous soyons revenus en arrière. Je vous soumets de nouveau ce soir, monsieur le ministre, cette proposition qui pourrait faire l’unanimité au-delà de nos propres bancs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Liebgott.

M. Michel Liebgott. À la suite de mes collègues alsaciens, je voudrais dire d’abord qu’en tant que parlementaire français, j’ai apprécié l’intervention de M. de Courson, dont je ne partage pas toutes les idées, qui rappelait le nombre de strates territoriales dans notre République. Il n’en a oublié aucune, mais si l’on rajoutait le niveau des syndicats aux strates administratives, nous arriverions à sept strates au moins.

M. Jean-Luc Laurent. Mais c’est faux !

M. Michel Liebgott. C’est dire si cette réforme est bienvenue. Je ne peux pas non plus oublier que je suis député lorrain. En tant que tel, j’avais pris des contacts avec Jean-Pierre Masseret, mais également avec Philippe Richert, président du conseil régional d’Alsace, afin d’imaginer une région Alsace-Lorraine. Je note que, dans Le Monde publié aujourd’hui, ce même M. Richert déclare qu’ils sont les victimes collatérales du jeu de domino du Gouvernement, qui, faute d’avoir réussi à marier la Picardie et la Champagne, arrime cette dernière à l’Alsace. Je veux simplement rappeler à M. Richert et à l’ensemble des Alsaciens que l’arrimage ne se fait pas qu’avec l’Alsace. Entre la Champagne-Ardenne et l’Alsace, il y a la Lorraine ! La Lorraine existe ! D’ailleurs, on ne peut atteindre la Champagne-Ardenne sans passer par la Lorraine.

Je suis encore plus choqué par la déclaration d’un sénateur UMP du Bas-Rhin que je ne connais pas qui dit que des débordements politiques extrémistes se produiront en Alsace si la fusion est rétablie. On ne peut pas légiférer sous la pression, ni sous la menace. Cela n’est pas acceptable !

M. Antoine Herth et M. Éric Straumann. Ah bon ?

M. Patrick Hetzel. Et l’écotaxe ?

M. Éric Straumann. Et la Bretagne ?

M. Michel Liebgott. Ce n’est pas un discours républicain ! Nous sommes pour débattre, pour échanger et voter ensuite, mais pas pour nous menacer. Je suis favorable à une réforme, mais pourquoi certains décréteraient-ils qu’elle devrait se faire sans tel ou tel ?

Par ailleurs, certains disent que leur région est proche de l’Allemagne et de la Suisse. La Lorraine aussi se trouve à proximité de l’Allemagne, du Luxembourg et de la Belgique, et nous nous en félicitons, mais cela ne change pas nos relations avec les autres régions françaises parce que nous sommes d’abord français avant même que d’être lorrains.

Enfin, cette discussion me rappelle tout de même, comme à Armand Jung, un passé douloureux parce qu’en tant que Lorrains, nous avons, nous aussi, été allemands malgré nous. Mon père mosellan était un « malgré-nous », tandis que ma mère était une résistante, et leurs destins se croisés même s’ils n’ont pas vécu les mêmes événements. Nous en avons souffert. Ne ressuscitons donc pas ce passé. On ne va tout de même pas être réunis uniquement parce que l’Allemagne nous a annexés à un moment donné ? Ce serait tout de même un comble de ne se retrouver rassemblés qu’à cause de l’occupation allemande ! Aujourd’hui, les échanges avec l’Allemagne sont quotidiens, nos communes sont jumelées avec des communes d’outre-Rhin, la question ne se pose même plus.

M. Jean-Louis Christ. On est vendus à l’Allemagne !

M. Michel Liebgott. En revanche, positivons. J’ai entendu Mme Grosskost et d’autres évoquer le droit local. Oui à cette spécificité qui fait que nous sommes un exemple, mais n’ayons pas honte de rappeler que ce sont des lois de Bismarck qui ont trouvé leur prolongement jusque dans le siècle présent. Prenons ce qui est positif et que nous partageons, et rejetons ce qui rappelle un passé douloureux et quelquefois même effrayant, je pense en particulier évidemment à la Deuxième guerre mondiale.

Cela étant dit, on peut plaisanter : Strasbourg ne joue aujourd’hui qu’en National – je parle de football, bien entendu –, tandis que Nancy est en deuxième division et Metz en première, mais ce genre de choses change. Je suis d’autant moins inquiet pour Strasbourg que j’y ai fait mes études, plutôt bien réussies me semble-t-il,...

M. Éric Straumann. Très bien !

M. Jean-Louis Christ. Il nous raconte sa vie !

M. Michel Liebgott. … que j’ai poursuivies à Rennes,…

M. Éric Straumann. Bravo ! (Sourires.)

M. Michel Liebgott. … et que j’ai trouvé ma première affectation professionnelle à Reims et à Châlons-sur-Marne. Tout cela s’est passé dans une grande convivialité et avec beaucoup d’efficacité.

Cycliste, pour me balader dans différentes régions, je peux vous dire que les villages alsaciens et les villages champenois se ressemblent énormément.

Mme Sophie Rohfritsch. Les villages bretons aussi !

M. Michel Liebgott. Il n’y a rien de plus ressemblant qu’un village de vignoble champenois et un village de vignoble alsacien.

M. Éric Straumann. Un village de vignoble bourguignon leur ressemble aussi !

M. Michel Liebgott. Mais la Lorrains est peut-être moins ressemblante de par ses villages. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Reiss.

M. Frédéric Reiss. Tout d’abord, contrairement à M. Liebgott, je regrette le vote négatif sur les deux amendements à l’article 1er A. Dans le brouillard qui entoure cette réforme territoriale, il me semblait intéressant de rappeler les compétences des différentes collectivités, avec la commune comme cellule de base dans l’organisation décentralisée de la République.

Avant l’examen de l’article 1er, je tiens à rappeler qu’une étude d’impact préalable fait cruellement défaut. On aurait pu imaginer d’un point de vue politique et constitutionnel de pouvoir débattre d’un texte en toute connaissance de cause. Mais le Gouvernement a mis la charrue avant les bœufs alors que la logique aurait voulu que des compétences claires et consolidées soient au cœur de cette réforme.

Je suis affligé par les propos du député Bies, qui ne représente sûrement pas l’avis majoritaire en Alsace.

M. Philippe Bies. Qu’en savez-vous ?

M. Frédéric Reiss. Ces arguments sont puérils et puisqu’il a parlé de Nicolas Sarkozy, je lui réponds que le premier président de la République qui a réellement compris le drame des « malgré-nous » a été Nicolas Sarkozy. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.) Son discours du 8 mai 2010 à Colmar fait référence.

M. Laurent Furst. Tout à fait !

M. Frédéric Reiss. Il a été unanimement apprécié par tous ceux qui avaient vécu les horreurs de l’incorporation de force.

M. Philippe Bies. Quel rapport ?

Mme Audrey Linkenheld. Il ne faut pas confondre les Alsaciens et les Allemands !

M. Frédéric Reiss. C’est M. Bies qui a commencé à en parler.

Aujourd’hui, les Alsaciens sont fiers d’être moteurs et à la pointe du développement de l’amitié franco-allemande.

Dans ce projet de loi, les élections simultanées de tous les conseils départementaux et régionaux, un moment envisagé, étaient l’occasion de donner crédit au projet alsacien de fusion des conseils généraux et régionaux en une seule assemblée. Je suis sûr que de nombreuses autres régions auraient entamé la même démarche. Monsieur le ministre, après la discussion générale, vous avez apporté des réponses à un certain nombre de mes collègues. Comment faut-il alors interpréter votre mutisme sur l’Alsace ? Pas un mot alors que, pourtant, nombre de collègues ont évoqué le souhait des Alsaciens de garder une région à part entière. Le Sénat l’avait bien compris. Aussi, allons-nous défendre des amendements en ce sens. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le député, je ne me suis pas exprimé sur l’Alsace dans ma réponse en clôture de la discussion générale parce que je l’avais déjà fait abondamment au Sénat de même qu’ici, à l’occasion de la première lecture, et à nouveau dans ma présentation du texte cet après-midi. Par ailleurs, vous avez pu constater que le débat sur ce sujet ne manque pas de passion, et il n’était donc pas nécessaire d’ajouter de la passion à la passion. Le Gouvernement a dit tout ce qu’il devait dire concernant l’Alsace, que ce soit sur la considération dans laquelle il la tient, sur sa volonté de la voir reconnue, sur la compatibilité, qui existe, entre la reconnaissance de son identité et son inscription dans une région plus large dans une ambition de modernisation. Tout cela, je le crois, a été entendu par tous les parlementaires alsaciens, quelle que soit leur sensibilité.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Monsieur le ministre, je vous ai écouté attentivement, à la fois préalablement à la discussion générale et lors de sa clôture, et à l’instant. Néanmoins, plusieurs questions demeurent et sont encore pleinement d’actualité.

Pouvez-vous nous préciser quels sont véritablement les objectifs poursuivis par cette réforme ? En l’occurrence, j’y décèle un double paradoxe. Il y a pour moi deux manières d’envisager les choses : si l’on va vers de très grandes régions, cela veut dire qu’il faut ipso facto maintenir l’échelon départemental pour garantir une proximité, ce qui est incohérent avec l’objectif de supprimer à terme cet échelon ; a contrario, le maintien d’une certaine proximité tout en supprimant les départements suppose de garder des régions de taille moins importante – ce que nous avions d’ailleurs proposé avec le conseil unique d’Alsace. J’aimerais donc tout de même savoir quelle est la vision défendue par le Gouvernement, et s’il n’y a pas unicité de vision, cela voudrait dire que des expérimentations diverses auraient tout à fait leur place.

Deuxième question : vous-même et le rapporteur n’avez pas manqué de rappeler qu’une telle réforme n’avait pas été engagée depuis la Révolution française. Dont acte. Pouvez-vous dès lors nous préciser comment elle s’inscrit dans le processus de décentralisation engagé depuis les lois Defferre ? En effet, nous ne savons pas très bien où nous allons et nous avons besoin de le savoir. Souhaitez-vous faire évoluer les compétences accordées aux collectivités territoriales en général et aux régions en particulier ? Lors de la première lecture, vous avez dit que nous aurions des explications avec le deuxième projet de loi. J’en ai pris connaissance : nous n’avons toujours pas de réponse.

Ensuite, il a souvent été question de taille critique. On réaliserait ainsi des économies et l’on serait en mesure d’être plus performants. Mais beaucoup d’analystes, de science politique comme de sciences économiques, contestent cette vision et disent que performance et taille ne sont pas corrélées.

M. Paul Molac. C’est vrai !

M. Patrick Hetzel. Pouvez-vous nous en dire plus parce que nous ne disposons pas d’étude d’impact en la matière ?

Par ailleurs, je décèle un problème de constitutionnalité pour une raison toute simple : votre texte touche aux prérogatives des collectivités territoriales, selon son titre même. Il soulève la question de la libre administration des collectivités. Bien entendu, le législateur a des pouvoirs en ce domaine, mais ne pensez-vous pas qu’il eût fallu au préalable interroger les collectivités concernées, ne serait-ce que d’un point de vue formel ? Il y a là un vice de forme susceptible de donner lieu à un recours en inconstitutionnalité.

Frédéric Reiss vient de le rappeler : vous n’avez pas jugé bon, après nos nombreuses interventions, de revenir sur le sujet alsacien. C’est un sujet certes passionné, mais aussi un sujet passionnant et je suis quelque peu surpris par votre esquive. Nous souhaiterions connaître votre point de vue. Nous voulons expérimenter à travers le conseil unique d’Alsace et d’ailleurs ainsi apporter notre pierre à l’édifice de modernisation de la France. Pour vous, qu’est-ce qui s’y oppose ? Je n’ai pas entendu vos arguments alors que le sujet mériterait d’être franchement et clairement débattu devant la représentation nationale. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Furst.

M. Laurent Furst. J’aimerais qu’on retrouve un peu de calme et de sérénité.

M. Philippe Bies. Ah ! C’est bien !

M. Laurent Furst. Ce soir, il y a eu une admirable intervention : celle de Mme Fourneyron. Vous nous avez dit, ma chère collègue, le bonheur de voir votre région unifiée, et votre fierté qu’un gouvernement de gauche en ait pris l’initiative. Vous avez doublement raison : raison d’être fière de votre région et de l’action du Gouvernement et de son excellent ministre de l’intérieur en l’espèce. Mais que doivent penser les Alsaciens ?

M. Paul Molac. Et les Bretons ?

M. Laurent Furst. Ils ont le même amour pour leur région et la même envie pour la leur que Mme Fourneyron, mais eux auront à se souvenir que c’est un gouvernement de gauche qui l’aura fait disparaître.

En réponse à l’intervention de Philippe Bies qui, avec le talent assez provocateur qu’on lui connaît, sait animer les débats et nous envoyer quelques piques, je dis ici que les Alsaciens se souviendront qui aura fait disparaître leur région.

M. Armand Jung. Un peu lourd comme raisonnement !

M. Laurent Furst. L’expression qui est la mienne est celle de treize députés d’Alsace sur quinze et de 96 % des conseillers généraux et régionaux.

Et puis il y a un autre élément important, monsieur le ministre : les élections. Le mouvement que vous soutenez a eu de piètres résultats aux européennes et encore plus faibles aux municipales du fait de notre discours au niveau local.

M. Armand Jung. Vous avez perdu à Strasbourg !

M. Éric Straumann. Mais au référendum, il y avait une majorité de « oui » !

M. Laurent Furst. Certes, nous n’avons pas gagné aux municipales à Strasbourg, mais l’UMP et l’UDI ont gagné quasiment partout ailleurs. Cela veut dire que nous ne sommes pas en rupture avec nos concitoyens. Lorsque nous vous disons que dans nos circonscriptions et dans nos territoires, il y a de la colère et de l’humiliation, et qu’on risque, car au-delà de nos différences, nous sommes tous républicains, un accident électoral collectif, c’est une réalité qu’il ne faut pas nier. Sinon, au mois de novembre de l’année prochaine, nous aurons besoin de beaucoup de mouchoirs pour pleurer.

M. Armand Jung. N’acceptez pas que La Marseillaise soit sifflée !

M. Laurent Furst. Monsieur le ministre, je veux également revenir sur un point : vous n’arrêtez pas de dire qu’il faut de grandes régions, de dimension européenne. L’avantage d’être rhénan, c’est de pouvoir sillonner aisément l’Allemagne et de voir des régions étrangères.

Nous sommes voisins du Bade-Wurtemberg – qui est une énorme région – et ma commune est jumelée avec une commune de Bavière – qui est également une énorme région. Il serait ubuesque de faire des moyennes pour l’Allemagne : la Sarre, c’est un million d’habitants et un PIB régional que nous aimerions bien avoir en France !

Prenez le Vorarlberg, en Autriche : examinez le PIB de cette région, et considérez sa taille ; de même, mettez en regard la taille des régions danoises et leur PIB par habitant : on voit bien que ce n’est pas la taille qui est source de compétitivité ! Il ne s’agit que d’un argument visant à justifier une réforme ; mais cet argument, monsieur le ministre, n’est ni vrai, ni juste. Je crains fort que des régions sans identité, où l’on se sera contenté d’agglomérer des gens – même s’ils sont éminemment respectables, comme nos amis champenois ou lorrains –, ne soient une source de non-dynamisme.

Votre réforme, monsieur le ministre, est l’institutionnalisation d’une administration à quatre niveaux : région, département, commune, intercommunalité ; telle est la réalité, car le département, le conseil général ne seront jamais supprimés. Ce que nous vous proposons, c’est d’être le laboratoire d’une organisation à trois niveaux – rien de plus ; il s’agit, non pas de revendiquer des pouvoirs spécifiques, mais de lancer une expérimentation qui pourra être utile à toute la nation – car les élus présents devant vous aujourd’hui portaient tous l’écharpe tricolore et ont tous chanté La Marseillaise à la manifestation de Strasbourg ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Louis Christ. Eh oui !

M. Éric Straumann. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Monsieur le ministre, nous allons changer de région et passer d’est en ouest. Je voudrais en effet revenir sur l’expression unanime du conseil régional des Pays de la Loire lors de sa séance du 13 mai dernier, en vue de constituer une nouvelle région Bretagne-Pays de la Loire par addition des deux régions actuelles, entières et sans modification des départements qui les composent. (Exclamations sur certains bancs du groupe écologiste.)

M. Paul Molac. Il n’y a pas eu de vote !

M. Yannick Favennec. Cette fusion répondrait à l’ambition affichée par la réforme d’adapter la carte des régions aux réalités géographiques et à l’Europe des régions en constituant des régions fortes, capables de conduire des politiques d’investissement préparant les territoires aux enjeux stratégiques de demain.

Cette fusion permettrait de tenir compte des liens tissés depuis plus de trente ans entre les deux régions, qui ont su faire converger leurs stratégies européennes et développer des interactions dans de nombreux domaines, tels que la recherche, l’université, les transports ou l’agriculture.

La Bretagne et les Pays de la Loire présentent en outre de nombreuses similarités. Avec respectivement près de 3,2 et 3,57 millions d’habitants, elles montrent un certain équilibre démographique, qui se retrouve dans la densité de population, la croissance démographique des dernières années et celle prévue pour les années à venir.

Sur le plan économique, les deux régions se classent parmi les dix premières de France pour ce qui est de la création de richesse, les Pays de la Loire étant la cinquième région française pour le PIB et la Bretagne la septième. Toutes deux ont des taux de chômage très proches, inférieurs à la moyenne nationale : 9,7 % de chômeurs pour la Bretagne, 9,8 % pour les Pays de la Loire.

Socialement, Bretagne et Pays de la Loire présentent également de grandes similarités, avec le plus faible taux de pauvreté en France : 11,6 %. Elles figurent en outre parmi les régions les moins inégalitaires de France : dans ce domaine, les Pays de la Loire sont en première position, la Bretagne est troisième.

La fusion est soutenue par l’ensemble des acteurs économiques, notamment par les chambres de commerce et d’industrie et le Comité économique, social et environnemental régional des Pays de la Loire. Selon ce dernier, « pour la poursuite de son développement, la région des Pays de la Loire doit pouvoir s’appuyer à la fois sur sa dimension continentale et sur sa dimension atlantique. Le recensement des réalités humaines, sociales et économiques partagées entre les régions de l’Ouest – Bretagne, Poitou-Charentes, Centre, Normandie – révèle de nombreux traits communs et des intérêts convergents particulièrement entre les Pays de la Loire et la Bretagne. Le projet de réforme doit tenir compte de ces réalités objectives et répondre aux enjeux d’une plus grande efficience de l’arc atlantique. »

Cette fusion répondrait enfin aux attentes des Ligériens qui, selon un sondage réalisé par IPSOS en juin 2014, y seraient pour 67 % favorables. Avec près de 7 millions d’habitants et 9,1 % de la richesse nationale, cette grande région constituerait un avantage compétitif pour notre pays et contribuerait très largement à la rationalisation de notre organisation territoriale.

Pour terminer, je voudrais dire à mon collègue et ami Maurice Leroy qu’afin d’éviter tout malentendu, nous, Ligériens, suggérons de retenir, plutôt que la dénomination « Centre-Val de Loire » qu’il a défendue tout à l’heure avec conviction et de passion, la dénomination « Centre-Loire ». En effet, la marque « Val de Loire France » est propriété commune des régions Centre et Pays de la Loire, et répond principalement à des supports de développement économique et touristique ; l’usage de cette dénomination doit donc être pleinement concerté. Afin d’éviter toute confusion concernant le Val de Loire, je soutiendrai par conséquent l’amendement visant à privilégier l’identité  de la région « Centre-Loire ».

Mme Marie-Françoise Clergeau. Bravo !

2

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la deuxième lecture du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 19 novembre 2014, à une heure cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly