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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Troisième séance du jeudi 20 novembre 2014

Présidence de M. Christophe Sirugue

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Désignation des conseillers prud’hommes

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi adopté par le Sénat.

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la désignation des conseillers prud’hommes (nos 2296, 2351).

Présentation

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, madame la présidente et madame la rapporteure de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les députés, les prud’hommes sont une institution singulière. Ils incarnent à la fois la spécificité du monde du travail dans la gestion de ses conflits, la singularité du paritarisme dans l’organisation de la vie professionnelle, mais aussi une forme d’avant-garde : les femmes en sont devenues électrices en 1907 et ont été éligibles en 1908, soit quarante ans avant que ces droits ne leur soient reconnus sur le plan politique.

Je ne crains pas de parler d’une autre exception culturelle française, et comme la première, je veux la défendre. C’est mon engagement.

C’est aussi celui de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, avec qui nous avons initié une réforme importante des conseils de prud’hommes qui figurera dans le projet de loi sur l’activité et la croissance, que le Conseil des ministres examinera le 10 décembre prochain. Je vous en dirai un mot même si ce n’est pas l’objet du texte que nous discutons à présent.

Le présent texte définit le nouveau mode de désignation des conseillers prud’homaux, qui passe de l’élection directe à une désignation fondée sur la mesure de l’audience.

Deux raisons principales commandent ce choix. La première tient à un constat : 75 % des inscrits n’ont pas participé à l’élection des conseils de prud’hommes en 2008. Ce taux s’élève d’élection en élection : la participation était de 63 % en 1979, 40 % en 1992 et 25 % en 2008. Cette abstention grandissante érode la légitimité même des juges et de l’institution.

La deuxième raison est l’évolution de notre démocratie sociale, qui a été profondément réformée ces dernières années. Nous l’avons progressivement dotée d’outils propres à mesurer le plus exactement possible la représentativité syndicale et patronale. Du côté syndical, c’est la loi de 2008 qui a permis cette évolution. Puis la loi du 5 mars dernier a posé les règles de la mesure de la représentativité patronale. Nous pouvons en être fiers.

Aujourd’hui, il faut inscrire les élections prud’homales dans ce cadre nouveau et prometteur. Le changement de mode de désignation des conseils de prud’hommes est la suite logique et cohérente des réformes de la représentativité.

Le texte qui vous est soumis définit un cadre clair, préalablement à tout débat plus large. Il proroge également les mandats des actuels conseillers prud’hommes jusqu’en 2017, car il ne serait pas pertinent de renouveler ces mandats avant que le nouveau mode de désignation ne soit mis en place.

Je voudrais répondre à un certain nombre d’objections.

J’entends dire que la suppression de l’élection porterait atteinte à la démocratie, quand elle ne la supprimerait pas. Il est pourtant difficile de parler de suppression d’élection à propos d’une désignation assise sur le vote exprimé de plus de 5,4 millions de salariés, dans le cadre de la mesure de l’audience !

Il y a donc bien élection, il y en a même plusieurs dans différents collèges couvrant davantage de salariés et d’actifs : élections professionnelles, élections pour les salariés des très petites entreprises, élections des chambres d’agriculture. Le socle de la justice prud’homale reste donc fondamentalement électif, et ce socle est élargi.

La justice prud’homale, pour être l’émanation exacte et actualisée du monde du travail, se doit d’être le reflet de la mesure de l’audience. Concrètement, la répartition des sièges se fera sur la base de la mesure d’audience et le renouvellement des conseillers sera opéré tous les quatre ans dans la foulée de la mesure de l’audience.

Une autre objection, soulevée par le rapporteur du budget des affaires sociales au Sénat, met en cause la constitutionnalité de la réforme. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, au sujet d’une autre juridiction dont les membres étaient naguère élus et ne le sont plus aujourd’hui, le Conseil constitutionnel a jugé que la conformité à la Constitution était respectée. La sécurité juridique de la réforme, y compris la prorogation des mandats, est donc assurée.

Reste la question du recours aux ordonnances. Je sais que le Parlement ne l’aime guère, à raison. Cependant il se justifie en l’espèce, pour deux raisons. La première tient à la complexité technique du dispositif à mettre en place, dont nous instaurons ici le principe et le cadre, ce qui est primordial.

La deuxième, et la principale, tient au fait qu’il faut construire la réforme en lien étroit avec les partenaires sociaux. Cette concertation sera rendue plus aisée dans le cadre d’une ordonnance.

Dès publication du texte qui vous est soumis, s’il est voté, nous mènerons une large consultation de toutes les parties prenantes afin d’établir le régime définitif fondé sur l’audience des organisations des salariés comme des employeurs et de le mettre en œuvre pour le renouvellement de 2017.

Il est un autre argument : celui du coût de l’élection. Certes la démocratie a toujours un coût. Je voudrais cependant dire ici que les élections prud’homales coûtent 100 millions d’euros, sans compter le coût qu’elles représentent pour chaque organisation syndicale.

Il ne s’agit pas ici de faire des économies…

M. Gérard Cherpion. Quoique !

M. François Rebsamen, ministre. …mais d’utiliser plus efficacement l’argent public. Ces sommes ne seraient-elles pas mieux employées à financer la démocratie sociale ou encore la formation des conseillers prud’homme, par exemple, aujourd’hui que l’on dispose d’une vraie mesure de la représentativité de chacun ?

Le dialogue social et le paritarisme méritent le soutien financier de l’État, mais il faut aussi exiger l’efficacité de la dépense engagée, et ce dans la transparence la plus totale. De nouvelles modalités de financement des organisations patronales et syndicales ont d’ailleurs été définies par la loi du 5 mars 2014.

Dans la foulée de ce texte, une réforme de plus grande ampleur sera engagée. C’est celle que j’évoquais au début de mon propos. Nous avons, avec la garde des sceaux, engagé une réforme en profondeur des prud’hommes, dont nous sommes allés discuter sur le terrain, avec les conseillers prud’homaux il y a deux semaines.

Personne en effet ne peut se satisfaire du fait que la part de conciliation ne représente plus que 5,5 % des affaires terminées ou que la durée moyenne de traitement des affaires au fond soit de seize mois.

M. Michel Issindou. C’est bien trop long !

M. François Rebsamen, ministre. J’ai déjà dit que le délai est l’arme du fort contre le faible. Or l’État est de plus en plus souvent condamné pour la lenteur de la justice : 51 condamnations en 2013 pour cause de durée excessive du traitement des dossiers par les conseils de prud’hommes.

Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des demandes introduites devant les prud’hommes étant le fait de salariés – pour dénoncer un licenciement abusif, des relations de travail dégradées, le recours à des CDD à répétition, etc. –, ils sont les premiers intéressés à un meilleur fonctionnement des prud’hommes.

Cette réforme réaffirmera le caractère paritaire de la juridiction prud’homale, qui en est sa raison d’être : une justice du monde du travail assurée par le monde du travail.

Elle s’appuiera sur certaines propositions formulées par Alain Lacabarats, à l’issue de la concertation avec les organisations syndicales et patronales.

Elle modifiera la procédure afin de réduire drastiquement les délais. Elle renforcera la déontologie et la discipline des conseillers.

Enfin, elle permettra une avancée en matière de formation des conseillers de prud’hommes. Aujourd’hui, chaque organisation forme, transmet une culture et une expertise de l’interprétation de la jurisprudence et du code du travail. C’est important, et c’est évidemment légitime. Mais des voies de progrès existent – nous les avons évoquées à Orléans avec la garde des sceaux, il y a quelques jours – pour parvenir à une justice plus homogène et à des jugements juridiquement plus sûrs. Cela suppose une formation initiale obligatoire commune à tous les conseillers.

Cette formation sera un véritable creuset pour une justice prud’homale plus cohérente. Je suis convaincu – et j’ai le sentiment qu’il s’agit là d’un sentiment partagé – que le respect des différences et de l’identité de chacun n’empêche pas d’acquérir progressivement une culture commune, notamment sur les questions procédurales et contentieuses.

La réforme définira également un statut du défenseur syndical. Cette proposition a reçu un accueil très favorable des organisations syndicales. Aujourd’hui, il n’existe aucune règle encadrant les conditions de recrutement, de formation et de travail des défenseurs syndicaux. Le statut précisera le contenu de leur formation obligatoire, la rémunération de leurs heures de délégation, les obligations de confidentialité et de non-cumul liées à l’exercice de certaines fonctions.

Nous débattrons chacun de ces points le moment venu, mais il me semblait important d’éclairer la représentation nationale dès à présent, même si, je le répète, ce n’est pas l’objet de ce texte.

Une justice prud’homale revivifiée et incontestable est de l’intérêt de tous : des employeurs, qui ont intérêt à ce que les décisions rendues gagnent en sécurité juridique ; des salariés, qui ont intérêt à ce que les délais de jugement soient significativement raccourcis ; de notre société dans son ensemble, enfin, car une juridiction prud’homale qui fonctionne, c’est la garantie de relations sociales plus sereines. La réforme que je présente devant vous aujourd’hui est, en un sens, la première pierre de ce travail d’ampleur que nous avons entrepris avec la garde des sceaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure de la commission des affaires sociales.

Mme Sylviane Bulteau, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente de la commission, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui poursuit résolument l’objectif de renforcer la légitimité démocratique des conseils de prud’hommes.

Il vise à autoriser le Gouvernement à mener, par ordonnance, la réforme du mode de désignation des juges prud’homaux, tout en fixant un cadre rigoureux que le Gouvernement devra respecter en élaborant son projet.

La nécessité de cette réforme est reconnue par tous, comme le démontre l’adoption du projet de loi par le Sénat, le 14 octobre dernier, malgré le changement de majorité que vient de connaître la Haute assemblée.

De même, il a été adopté sans aucune modification par notre commission des affaires sociales la semaine dernière.

La réforme du mode de désignation des conseillers prud’hommes apparaît, en effet, nécessaire a deux titres.

Les élections prud’homales souffrent, tout d’abord, d’un taux d’abstention considérable, qui atteint la légitimité de cette institution, malgré les efforts importants accomplis par les pouvoirs publics pour combattre ce phénomène.

Depuis 1979, le taux d’abstention aux élections prud’homales a presque doublé, passant de 37 % à 74 % en 2008, ce qui est très préoccupant, d’autant que, dans le même temps, le nombre d’inscrits a fortement augmenté. En effet, pour le collège salarié, le nombre d’inscrits est passé de 12,8 millions en 1979 à 18,6 millions en 2008, tandis que le nombre de votants est passé de 8 à 4,7 millions.

Pour faire face à la progression continue de l’abstention, les pouvoirs publics ont déployé, élection après élection, un éventail de mesures destinées à améliorer l’organisation de ce scrutin.

En 2002, par exemple, des outils informatiques ont été mis en ligne pour les mairies et des bureaux de vote ont été implantés à proximité des lieux de travail.

Puis, en 2008, les modalités de vote ont été élargies : toute condition restrictive au vote par correspondance a été supprimée, les électeurs parisiens ont été autorisés à voter par internet et 460 bureaux de vote ont été implantés dans les entreprises.

Pour autant, toutes ces mesures se sont révélées infructueuses.

La deuxième raison qui rend cette réforme nécessaire réside dans la nouvelle donne juridique de la représentativité des organisations syndicales et patronales. Celle-ci est désormais fondée sur l’audience, ce qui impose de revoir les règles de désignation des juges prud’homaux, afin d’éviter toute concurrence entre les deux systèmes.

En effet, les résultats obtenus par les organisations divergent selon le mode de mesure choisi. À titre d’exemple, la CGT a enregistré un score supérieur aux élections prud’homales de 2008, par rapport à ses résultats d’audience de 2013, alors qu’à l’inverse, la CFDT affiche un score inférieur.

Pour les organisations patronales, la situation apparaît encore plus complexe, puisque certaines présentent des listes communes aux élections prud’homales, ce qui ne permet pas de mesurer aujourd’hui leurs poids respectifs.

Or, la divergence de résultats entre les élections prud’homales et l’audience, déjà constatée ou potentielle, pourrait donner lieu à des contestations entre les organisations, sur la répartition des sièges au sein des instances de gestion paritaire par exemple, ce qui affecterait de manière très négative le dialogue social.

C’est d’ailleurs cette impérieuse nécessité d’articuler la réforme de la représentativité avec celle de la désignation des conseillers prud’homaux, qui a justifié les reports et modifications qu’a connus le projet de loi. En effet, c’est bien pour prendre en compte le nouveau cadre de la représentativité patronale, issu de la loi du 5 mars 2014, et sécuriser les premiers résultats de la représentativité syndicale, que le Gouvernement a présenté en juillet dernier une lettre rectificative, qui a modifié substantiellement le texte du projet de loi.

Il apparaît donc indispensable de réformer le mode de désignation des conseillers prud’homaux. Le projet de loi propose une solution qui apparaît à la fois conforme à la Constitution et respectueuse de l’équilibre de la juridiction prud’homale.

S’agissant de la constitutionnalité du remplacement de l’élection prud’homale par une désignation, il faut tout d’abord souligner que, dans sa décision du 3 décembre 2010, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’aucune exigence constitutionnelle n’impose que les justiciables aient un droit à l’élection des juges.

Ensuite, s’agissant de la constitutionnalité de la prolongation des mandats jusqu’en 2017, elle apparaît justifiée par des motifs d’intérêt général suffisants et proportionnés, reposant sur la réforme en cours de déploiement de la représentativité patronale.

A contrario, l’édiction d’un dispositif transitoire de désignation pour le seul collège des employeurs pourrait porter atteinte au principe d’égalité, en créant une disparité réelle dans les modes de nomination des juges entre les deux collèges.

Enfin, choisir le critère de l’audience comme nouveau fondement de la désignation des juges prud’homaux ne pose pas non plus de problème constitutionnel : le fait que le décompte de la mesure de l’audience soit distinct pour les organisations syndicales et patronales ne comporte, en effet, aucune discrimination portant atteinte au principe d’égalité.

Ce système s’inscrit dans la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, qui permet au législateur de régler de façon différente des situations différentes, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

Conforme aux exigences constitutionnelles, la solution retenue par le projet de loi respecte également l’équilibre de la juridiction prud’homale : elle ne remet en cause ni son indépendance, ni son impartialité, ni son caractère paritaire. Elle préserve, de plus, l’unité de la juridiction, en conservant un mode unique de désignation des conseillers prud’homaux, plutôt que d’instaurer un système à deux vitesses.

L’article 1er du projet de loi vise ainsi à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions nécessaires pour substituer à l’élection des conseillers une désignation fondée sur l’audience des organisations syndicales et patronales. Il définit un cadre et des principes de réforme très précis que devra suivre le Gouvernement.

L’article 2 vise, ensuite, à proroger le mandat actuel des conseillers prud’homaux, jusqu’au prochain renouvellement général, qui interviendra le 31 décembre 2007 au plus tard. Il tire également les conséquences de cette prorogation, en matière de formation et de fonctionnement des tribunaux.

Enfin, la réforme proposée aboutira à un renforcement réel de la légitimité démocratique de l’institution prud’homale, en fondant la désignation des conseillers sur des bases plus solides. Il faut souligner ici, en effet, que plus de 5,45 millions de salariés ont participé à la première mesure de l’audience des organisations syndicales, alors que seulement 4,7 millions de salariés avaient voté lors des dernières élections prud’homales de 2008, comme je l’ai rappelé tout à l’heure.

Par ailleurs, la question du vote des demandeurs d’emploi constitue en réalité un faux problème : les organisations syndicales et patronales sont habilitées à les représenter et à défendre leurs intérêts. Elles remplissent déjà cette mission, d’ailleurs, en gérant le régime d’assurance-chômage. En outre, les demandeurs d’emploi ne se trouvant pas dans une relation de travail, ils ne sont plus susceptibles de saisir le conseil de prud’hommes, sauf en tant qu’anciens salariés. Et, dans ce cas, le cycle de mesure de l’audience se déroulant sur quatre années, il est plus que probable qu’ils aient pu voter aux élections professionnelles dans leur ancienne entreprise et ainsi participer à ce processus.

Enfin, il faut rappeler que lors du dernier scrutin prud’homal, seulement 5 % des demandeurs d’emploi s’étaient inscrits sur les listes électorales.

Mes chers collègues, pour toutes les raisons que j’ai évoquées et dont j’espère qu’elles vous ont convaincus…

M. Michel Issindou. Sans aucun doute !

Mme Sylviane Bulteau, rapporteure. …je vous invite à adopter le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui, dans sa rédaction issue des travaux du Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. J’interviens sur un sujet qui a fait toute ma vie professionnelle. J’ai commencé à plaider en 1973 devant les conseils de prud’hommes : c’est tout dire. J’ai dû plaider trois mille dossiers. Je vais donc vous faire part de mon expérience.

Au début, il n’y avait que les sections du commerce et de l’industrie – et encore, pas dans tout le département. Quand un cadre voulait attaquer, il devait agir devant le tribunal d’instance.

Progressivement, sont apparues les sections agricoles, les sections des activités diverses et celles de l’encadrement.

Progressivement aussi, le droit social et prud’homal est devenu extraordinairement compliqué. Il n’était plus rare, dans les derniers dossiers sur lesquels nous pouvions lancer un ensemble de procédures, de conclure sur quarante pages, avec des avocats de plus en plus spécialisés, dans des affaires de plus en plus complexes, portant sur des intérêts de plus en plus importants.

L’affaire Moulinex, par exemple, représentait dix mille dossiers, de 10 000 à 20 000 euros chacun. Voyez l’intérêt du dossier, qui devra être payé par le Fonds national de garantie des salaires, puisque la société aura été liquidée.

C’est donc un problème complexe que vous est soumis, monsieur le ministre.

Comment faire ? Procéder par ordonnance ne me pose aucune difficulté. À partir du moment où nous établissons les règles générales, vous pouvez parfaitement rédiger des ordonnances, qui pourront ensuite être ratifiées.

Faut-il ou non conserver le système de l’élection ? La réponse n’est pas facile, car vous vous attaquez à des vaches sacrées…

L’élection prud’homale, c’est un des rites et c’est l’histoire même du conflit social.

M. Michel Issindou. Un rite de moins en moins suivi…

M. Alain Tourret. Non, non, c’est une réalité.

M. Gérard Cherpion. Il a raison.

M. Alain Tourret. Il y a un mythe de l’élection du conseiller prud’homal. Si vous vous attaquez à ce mythe, je ne sais pas quelles conséquences en découleront.

Alors, vous allez me dire qu’on vote de moins en moins. Mais on vote de moins en moins partout. La semaine dernière, pour l’élection d’un conseiller général à Saint-Sauveur, dans la Calvados, il n’y avait que 21 % de votants.

Mme Sophie Dion. Exactement !

Mme Jacqueline Fraysse. Supprimons donc les élections !

Mme Sylviane Bulteau, rapporteure. Il s’agissait d’une élection partielle !

M. Alain Tourret. Il y a eu 79 % d’abstention.

M. François Rebsamen, ministre. C’était une partielle.

M. Alain Tourret. Faut-il supprimer les conseillers généraux et les conseils départementaux ?

Mme Jacqueline Fraysse et M. Christophe Cavard. Ou les désigner !

M. Alain Tourret. Ou les désigner, comme sous Napoléon III ! De la sorte, comme on a le pouvoir, on est certain de repartir pour quelques années…

Méfions-nous donc. En outre, il y avait un accord entre les organisations syndicales pour présenter des candidats ayant une certaine habitude des prud’hommes.

La grande difficulté, devant les conseils de prud’hommes, est que les premières années étaient dominées par l’idéologie et non par le droit. Pendant deux ans à peu près, employeurs et salariés n’étudiaient pas le dossier et se battaient de manière idéologique, si bien que la plupart du temps, il fallait s’en remettre au juge départiteur. Cela entraînait des délais très importants, bien sûr.

Il y a un problème évident de formation, pour les employeurs comme pour les salariés.

Il manque aussi certaines personnes devant le conseil de prud’hommes. Monsieur le ministre, je voudrais vous faire une proposition, après en avoir discuté avec Jacques Toubon, sur la présence de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations. La présence de la HALDE est indispensable à mon avis, dès qu’il y a des problèmes de discrimination. Or elle n’est jamais là.

Il faudrait faire comme en matière d’accident du travail : nous avions l’obligation d’appeler la caisse primaire d’assurance-maladie devant la juridiction. En matière de discrimination, je vous propose que nous ayons la possibilité d’appeler la HALDE devant la juridiction.

Mme Jacqueline Fraysse. C’est bien, ça !

M. Alain Tourret. En général, ses juristes préparent très bien ses dossiers. Elle ne peut intervenir dans tous les cas, je le sais, mais sa présence serait utile dans les affaires de discrimination, qui sont importantes et qui touchent les salariés dans leur corps même. Voilà l’une des propositions que je voudrais vous faire.

Je ne suis pas persuadé, monsieur le ministre, qu’il faille renoncer à l’élection. Je vous le dis comme je le pense. Nous avons la possibilité de diminuer les coûts. Mme Bulteau l’a dit, nous avons la possibilité de passer par le vote électronique ou le vote par correspondance : tout cela peut parfaitement être mise en œuvre.

M. Michel Issindou. Cela ne marche pas !

M. Alain Tourret. Car, je l’admets, ce n’est pas aux employeurs de supporter des coûts importants pour l’organisation du scrutin, en perdant une demi-journée.

M. François Rebsamen, ministre. Ni aux communes !

M. Michel Issindou. Il y a bien quelqu’un qui supporte les coûts !

M. Alain Tourret. Puisque vous travaillez maintenant avec Mme la garde des sceaux, je voudrais vous faire part d’un certain nombre de réflexions qui sont les miennes sur le fonctionnement de la justice prud’homale.

Actuellement, elle est engorgée. Les affaires durent beaucoup trop longtemps, ce qui est insupportable car préjudiciable au salarié. À 99 %, en effet, ce sont les salariés qui sont demandeurs. Il faut donc prévoir deux possibilités en termes de procédure.

Faut-il ou non maintenir l’audience de conciliation ? Les organisations syndicales y sont extraordinairement attachées et les employeurs aussi. À mon avis, elle ne sert à rien et entraîne une perte de temps considérable.

Il faut laisser au demandeur, à qui il faut aussi faire confiance, la possibilité de choisir. Il faut lui dire : « Vous êtes demandeur, vous pouvez saisir l’audience de conciliation, mais si vous ne le souhaitez pas, ne le faites pas. »

C’est précisément ce qui se passe devant le tribunal d’instance qui, normalement, est d’abord saisi en matière de conciliation et, si cela n’est pas possible, est ensuite saisi au fond.

En outre, il me semble possible de se présenter directement devant le juge départiteur dans les dossiers les plus importants.

Après tout, quelle est la différence entre le tribunal de grande instance et le tribunal d’instance ? Une différence de demande, ou une demande indéterminée : c’est l’un ou l’autre.

Je formule donc la proposition suivante, monsieur le ministre.

Prévoyons deux possibilités de saisir le conseil de prud’hommes : pour les dossiers les moins importants, la procédure actuelle s’applique ; pour les plus importants, il serait possible d’aller directement devant le juge départiteur.

M. Gérard Cherpion. Qu’est-ce qu’un dossier « plus important » ?

M. Alain Tourret. Cela permettrait de gagner de un an et demi à deux ans et le principe de parité ne serait en rien atteint puisque, je le répète, c’est le demandeur qui déciderait.

Cela se ferait selon la procédure du tribunal de grande instance en fonction de la demande ou de l’ensemble des demandes, non pas de plus ou moins 4 000 euros mais, par exemple, de plus ou moins 6 000 ou 7 000 euros. Cela constituerait un énorme progrès.

En effet, monsieur le ministre, lorsque l’affaire est difficile, on se présente toujours devant le juge départiteur après 24 mois,…

M. Denys Robiliard. Ce n’est pas vrai !

M. Alain Tourret. …si bien que la procédure initiale de conciliation ou de saisine au fond ne sert à rien. Voilà la réalité !

Lorsque l’entreprise dépose son bilan, la présence du fonds national de garantie des salaires est requise, lequel demande naturellement un renvoi dès sa saisine, et c’est reparti à nouveau pour six mois ! Si vous allez du côté de Nanterre, vous verrez que c’est encore pire ! Voilà la réalité, et c’est inadmissible !

Il faut donc trouver une solution originale et c’est précisément ce que je vous propose. Je suis prêt à y travailler avec vous. Il convient, je le répète, d’ouvrir deux possibilités.

Il faut savoir faire preuve d’imagination afin de prendre en compte les demandes des salariés. Que veulent-ils, si ce n’est que des décisions rapides soient rendues ? Dans le cas contraire, ils ne comprennent pas. Ce que je vous propose permet de s’acheminer directement vers une solution, et c’est ce que souhaitent les salariés. Plus l’affaire traîne, plus ces derniers en pâtissent.

Nous sommes des gens de gauche, nous voulons apporter des solutions rapides, claires et exigeantes afin de remédier aux injustices dont un certain nombre de salariés sont victimes.

Voilà mes propositions, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Mes chers collègues, ce projet de loi autorise le Gouvernement à prendre par ordonnances les dispositions permettant de remplacer purement et simplement les élections des conseillers prud’homaux par une désignation.

Le nombre de conseillers par organisation syndicale de salariés serait donc défini en fonction de leur représentativité – fondée sur les résultats des élections professionnelles – tandis que la représentativité des organisations patronales, en vertu de la loi du 5 mars 2014, serait déterminée en fonction du nombre d’adhérents.

S’il est indiscutable que le fonctionnement actuel des conseils de prud’hommes soulève des problèmes et mérite que l’on prenne des mesures pour les surmonter, le moins que l’on puisse dire, c’est que la méthode appliquée est radicale et en complet décalage avec les besoins des justiciables. M. Tourret a d’ailleurs avancé un certain nombre d’éléments qui le confirment.

En effet, les dysfonctionnements constatés concernent les délais puisque le temps de traitement des dossiers devant cette juridiction est bien trop long : près d’un an d’attente en moyenne et, pour certains conseils tels que Nanterre – cela a été dit –, mais aussi Paris, Bobigny, Créteil ou, encore, Arles et Bordeaux, ces délais peuvent être très supérieurs et atteindre des records. D’ailleurs, vous l’avez dit, la France est régulièrement condamnée à ce sujet par les tribunaux.

Plusieurs facteurs sont à l’origine d’une situation qui s’explique néanmoins principalement par un manque criant de moyens, ce qui entraîne notamment des réductions du personnel, surtout au greffe.

Cette situation est connue et dénoncée depuis longtemps mais elle perdure et personne n’envisage de la corriger. Au contraire, votre préoccupation est de réaliser des économies sur le dos des conseils de prud’hommes.

En effet, pour justifier ce projet, le rapport fait très clairement état, page 17, d’un coût beaucoup trop élevé de ces élections et relève également un faible taux de participation. Par conséquent, il faudrait les supprimer !

Il est clair qu’avec de tels raisonnements vous risquez d’envisager la suppression de bien d’autres élections, comme cela a été dit ! On commence de la sorte et l’on peut aller assez loin !

La démocratie a un coût, vous l’avez dit, monsieur le ministre, et c’est exact, mais cela ne constitue pas un argument suffisant pour l’abolir – vous n’avez d’ailleurs pas osé l’utiliser, heureusement, pour expliquer la décision que vous avez prise.

Le paritarisme et l’élection sont au cœur de l’histoire des prud’hommes. Ils en sont l’essence. Élire ses pairs, ses collègues afin qu’ils disent le droit – c’est-à-dire les règles de vie commune que nous nous sommes fixées – constitue un modèle de démocratie, c’est affirmer une forme très poussée de participation directe, c’est favoriser la proximité de la justice et la rendre plus accessible à tous.

Ces élections sont d’autant plus exemplaires que les femmes ont pu y participer dès 1907, qu’il est possible de prendre part au vote dès l’âge de 16 ans et qu’il s’agit de la seule élection nationale au suffrage universel direct sans distinction de nationalité.

Leur abrogation reviendrait à priver les travailleurs précaires, les retraités mais aussi des millions de chômeurs d’une expression démocratique.

Cela restreindrait également la possibilité de devenir conseiller prud’homal puisque les candidatures « libres », en dehors des organisations syndicales, ne seraient plus possibles.

Le rapport de M. Lacabarats, tout comme l’avant-projet de loi de Mme la garde des sceaux sur les conseillers prud’hommes, sous-entendent qu’il existerait un problème d’impartialité, d’indépendance des conseillers.

D’abord, ce préjugé témoigne d’une méconnaissance de l’histoire des conseils et de ce qu’est le paritarisme. Il révèle aussi, et peut-être surtout, une confusion entre les notions de neutralité et d’impartialité.

Ce qui est exigé des juges, c’est l’impartialité, autrement dit, la nécessité d’entendre toutes les parties et de forger leur opinion, de juger en fonction des faits et des textes.

Ces conditions d’impartialité sont favorisées par la composition collégiale et paritaire des conseils de prud’hommes, où chacun des quatre juges défend son interprétation du droit au regard des textes, bien sûr, mais aussi au regard de son expérience du monde du travail.

Cette élection est justement le gage d’une plus grande indépendance des conseillers prud’homaux puisqu’ils tirent aussi leur légitimité du vote et non pas uniquement de leur organisation syndicale.

De ce point de vue aussi, il est incompréhensible que vous vouliez supprimer ces élections.

Cette discussion ne peut pas être réduite à un débat technique : c’est de la conception de notre démocratie dont il s’agit ! Ce n’est pas parce qu’un technocrate en mal de bonnes idées pour réduire le déficit a pensé que la suppression d’une élection éviterait des dépenses…

M. Michel Issindou. Ce n’est pas que cela.

Mme Jacqueline Fraysse. …que celle-ci est socialement politiquement et démocratiquement acceptable.

D’autres propositions préservant une forme élective et garantissant une importante participation des salariés ont été faites par plusieurs organisations syndicales. Pourquoi ne les examinez-vous pas ?

La semaine dernière, et aujourd’hui encore, ces organisations sont venues à quelques pas de cet hémicycle pour vous demander de les écouter. Nous les avons reçues et nous considérons qu’elles ont avancé des idées pertinentes.

Ainsi, par exemple, la CGT met-elle en débat une proposition qui consisterait à adosser les élections prud’homales aux élections professionnelles ce qui permettrait que, lorsque les salariés votent pour leurs représentants dans l’entreprise, ils choisissent également leurs conseillers prud’hommes. Les salariés privés d’emploi pourraient quant à eux prendre part au vote en passant par leur agence Pôle emploi.

Cette solution préserverait une forme d’élection et ne représenterait aucun coût supplémentaire.

Encore une fois, pourquoi refusez-vous de la prendre en compte ? Cette attitude est surprenante, pour ne pas dire suspecte.

Par-delà le prétexte irrecevable d’économies à réaliser, auriez-vous d’autres objectifs ?

En effet, ces élections prud’homales permettent aussi une mesure de la représentativité des syndicats, complémentaire de celle qui est réalisée à partir des élections professionnelles.

Avec les élections prud’homales, tous les salariés – demandeurs d’emploi compris – peuvent s’exprimer et leur choix porte sur l’intégralité des organisations syndicales, contrairement à ce qui se passe souvent pour les élections professionnelles d’entreprises.

D’ailleurs, ces deux mesures de la représentativité ne produisent pas des résultats identiques, vous le savez.

Par exemple, la CGT arrive largement en tête aux élections prud’homales alors qu’elle devance tout juste les autres organisations aux élections professionnelles.

Monsieur le ministre, nous préférons ne pas croire que cet argument ait pu peser dans votre raisonnement…

M. Michel Issindou. Mais non !

Mme Jacqueline Fraysse. …mais nous n’en sommes pas complètement sûrs !

Quant à la représentativité patronale, le moins que l’on puisse dire est qu’elle est très peu fiable.

Aucune élection ne la mesure et les adhésions seront la jauge de leur représentativité – choix qui soulève un problème car, de surcroît, il s’accompagne d’une réelle opacité du processus.

Enfin, nous ne pouvons taire le contexte dans lequel ce texte s’inscrit.

Vous poursuivez en matière de justice la démolition inaugurée par vos prédécesseurs – qui ont pour le moins maltraité les droits des salariés-justiciables – avec la réforme de la carte judiciaire, l’instauration de l’avocat obligatoire devant la Cour de cassation – ce qui représente un coût prohibitif –, le paiement d’un timbre fiscal pour pouvoir ester en justice – mesure heureusement supprimée par Mme Taubira –, la réduction des délais de prescription, l’instauration d’un barème de conciliation, et j’en passe.

D’autres juridictions sociales ont été touchées. Je pense, notamment, au transfert de certaines compétences au tribunal administratif et à l’instauration de recours administratifs obligatoires pour les contestations portant sur le RSA.

Ces réformes ont pour conséquence – et peut-être pour objectif – de compliquer l’accès au juge afin de diminuer le nombre de dossiers à traiter. C’est là une vision de la justice réduite à une gestion en termes de stock, de flux et de délai de traitement des dossiers.

Le paysage judiciaire s’est largement dégradé, les atteintes au droit, au juge, à la gratuité de la justice, se sont multipliées.

Monsieur le ministre, nous vous demandons de ne pas vous inscrire dans cette lignée, ni avec cette réforme, ni avec celles qui viendront.

Nous sommes préoccupés par les rumeurs les plus fantaisistes qui circulent à propos d’autres projets concernant les prud’hommes.

Un jour, c’est M. Macron qui propose de modifier leur fonctionnement pour faciliter la vie des entreprises – ce qui n’est pas le sujet, à moins que « faciliter la vie des entreprises » signifie les aider à contourner le juge en cas d’infraction au code du travail, vieux rêve bien connu du MEDEF.

Puis, le jour d’après, les ministres de la justice et du travail annoncent à leur tour une réforme qui serait différente, mais pas moins inquiétante. Nous ne savons décidément plus trop à quel ministère nous vouer !

Enfin, je termine, monsieur le président, avec un mot sur le texte que nous examinons.

Une fois de plus, vous avez recours aux ordonnances, méthode que vous fustigiez d’ailleurs avec nous lorsque vous étiez dans l’opposition et qui témoigne tout de même d’un renoncement à affronter les règles d’un débat démocratique, ce qui est inacceptable.

Monsieur le ministre, nous vous demandons de renoncer à ce projet et d’ouvrir un vrai débat. Si ce texte est maintenu en l’état, nous ne pourrons que voter contre.

M. le président. La parole est à M. Michel Issindou.

M. Michel Issindou. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mes chers collègues, le projet de loi d’habilitation qui nous est présenté aujourd’hui comporte deux articles et vise à moderniser le mode de désignation des conseillers prud’homaux.

Le premier vise à autoriser le Gouvernement à prendre, par ordonnance, les mesures nécessaires pour transformer l’élection des conseillers prud’homaux en un mode de désignation fondé sur la représentativité syndicale et patronale, telle qu’elle est issue de la loi de 2008 pour la représentation syndicale et de la loi du 5 mars 2014 pour la représentation patronale.

Cela induit l’article 2, qui proroge de deux ans les mandats des conseillers prud’homaux actuels, soit jusqu’au 31 décembre 2017. Je veux remercier ici les quelque 14 500 conseillers prud’homaux de notre pays, qui œuvrent au quotidien pour vérifier l’application du droit du travail et qui connaissent la réalité du monde du travail. Ils œuvrent dans des conditions difficiles et subissent notamment des contraintes de délais, que notre collègue Alain Tourret a rappelées.

Cette institution, que l’on peut faire remonter au début du Moyen Âge, a été instituée officiellement en 1806 par Napoléon Ier, puis a été profondément réformée par la loi Boulin de 1979. Le conseil de prud’hommes a compétence exclusive pour juger des litiges individuels nés à l’occasion d’un contrat de travail. Il occupe une place tout à fait atypique dans l’ordre judiciaire français, car il s’agit d’une juridiction à la fois partiaire et élue. Je me félicite d’ailleurs que l’article 1er rappelle à la fois l’indépendance et l’impartialité de cette juridiction, mais surtout son caractère paritaire, qui est essentiel.

Cette institution se trouve aujourd’hui à un véritable carrefour. En effet, comme M. le ministre et Mme la rapporteure l’ont rappelé, le taux d’abstention n’a cessé de croître depuis plus de trente ans, pour atteindre le taux sidérant de 74 % en 2008. Ce qui est particulièrement frappant, c’est que ce taux d’abstention est en augmentation constante. Même si Alain Tourret a fait un parallèle avec quelques élections cantonales partielles, jamais de tels niveaux d’abstention n’ont été constatés à cette occasion.

En dépit des efforts constants qui ont été faits pour rapprocher les bureaux de vote des entreprises ou pour les accueillir dans les mairies, en dépit de la publicité qui a été faite par le biais de différents médias, seuls 4,7 millions de salariés, ce qui est peu, ont voté en 2008, ce qui affaiblit malgré tout, qu’on le veuille ou non, la légitimité de cette institution prud’homale.

L’argument du coût de l’élection a, lui aussi, été souvent avancé : même s’il n’est pas décisif, il est vrai que cette réforme représenterait une économie de 100 millions d’euros, lesquels pourraient utilement servir à d’autres missions. Mais ce n’est pas la question du coût qui peut, à elle seule, justifier la réforme, comme d’aucuns l’ont rappelé.

Ce qui importe, c’est qu’il existe déjà un moyen de vérifier l’audience et la représentativité : ce sont les élections professionnelles, encadrées par les lois de 2008 pour les salariés et de 2014 pour les organisations patronales. Puisque nous disposons d’un système fiable et reconnu comme tel pour assurer la représentativité des uns et des autres, pourquoi ne pas nous appuyer sur lui ?

Parmi les différents scénarios d’évolution du rapport Richard de mai 2010, le recours à un système de désignation des conseillers par les organisations syndicales selon leur représentativité avait été proposé. Et c’est l’option qu’a retenue le Gouvernement. J’entends déjà les détracteurs de cette réforme – ils ne vont pas tarder à s’exprimer – nous dire que ce mode de désignation poserait des difficultés techniques et serait juridiquement contestable au regard du principe constitutionnel d’égal accès aux charges publiques.

M. Gérard Cherpion. En effet !

M. Michel Issindou. Je veux répondre brièvement, et par avance, à ces deux arguments.

Concernant la constitutionnalité du projet, la réponse apportée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 décembre 2010 relative à la désignation des assesseurs des tribunaux des affaires de la Sécurité sociale donne toutes les garanties de constitutionnalité à la réforme que nous proposons, monsieur Cherpion.

M. Gérard Cherpion. Cela n’a rien à voir !

M. Michel Issindou. Concernant les difficultés techniques, elles ont été levées par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle et à la démocratie sociale. En effet, cette loi a créé un cadre permettant d’établir la représentativité des organisations patronales, élément indispensable à la légitimité durable de notre démocratie sociale.

M. le président. Merci de conclure, cher collègue.

M. Michel Issindou. Pour conclure, monsieur le président, puisque je ressens votre impatience… (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Je ne fais qu’appliquer le règlement, mon cher collègue.

M. Michel Issindou. …le projet de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la continuité de ce que nous avons voté, et ce, de manière cohérente. Je vous invite donc, vous l’aurez compris, mes chers collègues, à voter sans réserves ce projet de loi qui marque une avancée significative du droit social dans notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion.

M. Gérard Cherpion. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, notre assemblée est appelée à se prononcer sur ce projet de loi qui vise, dans un premier temps, à autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance afin de supprimer l’élection des conseillers de prud’hommes et de la remplacer par une désignation de ces mêmes conseillers. Dans un second temps, il vise à proroger le mandat des conseillers prud’homaux actuels de deux années supplémentaires.

Lors de notre discussion en commission, j’ai émis un certain nombre de réserves, qui ont amené le groupe UMP à s’abstenir. Après avoir rencontré, de façon bilatérale, la totalité des organisations syndicales et patronales représentatives, à l’exception d’une seule, et y compris le hors-champ, mes réserves ne se sont pas estompées. Bien au contraire, elles se sont accentuées.

Partons d’un constat partagé par tous : la situation actuelle des tribunaux prud’homaux est particulièrement difficile pour trois raisons principales : la chute du taux de participation à l’élection, l’augmentation des délais de jugement et le manque de personnel et de moyens financiers.

De nombreux rapports ont été rédigés afin de répondre à ces différentes questions, et ce dès 2010. Ce n’est donc pas un sujet nouveau. C’est pour cette raison que je m’étonne du calendrier législatif de ce projet de loi. D’abord intégré au projet de loi relatif à la formation professionnelle, il en a ensuite été disjoint pour constituer un projet distinct, déposé le 22 janvier sur le bureau de notre assemblée ; il en a été retiré le 28 mars pour être déposé au Sénat le même jour, a été rectifié le 16 juillet en Conseil des ministres, puis voté par le Sénat, avant d’arriver aujourd’hui en discussion à l’Assemblée nationale, et cela en procédure accélérée pour légiférer par ordonnance.

Au vu de ce calendrier, monsieur le ministre, où est l’urgence ? Et cette urgence est-elle de la responsabilité du Parlement, ou bien n’est-elle pas plutôt le fait des hésitations du Gouvernement ? Je pencherais pour la seconde réponse, et il est donc inacceptable que nous soyons amenés à nous exprimer dans la plus grande urgence sur un texte qui concerne la vie professionnelle des 19 millions d’actifs de notre pays.

Par ailleurs, ce texte donne un chèque en blanc au Gouvernement, sans que ce dernier n’ait pu apporter de réponses à nos nombreuses questions. Comment, du reste, pourrait-il nous en donner, puisqu’il a prévu de consulter les partenaires sociaux au cours du premier semestre 2015, pour une publication de l’ordonnance au deuxième semestre ?

Le Parlement, lui, ne sera pas consulté. Il est considéré comme une simple chambre d’enregistrement de la volonté gouvernementale. Nous savons comment les choses vont se passer : une fois l’ordonnance prise, le Parlement devra s’exprimer, à nouveau dans l’urgence, pour la valider. Il est temps que le Gouvernement change sa méthode de travail avec la représentation nationale.

Nous ne nous opposons pas, par principe, à la prise d’ordonnances. Il est en effet des sujets qui doivent être traités de façon rapide, et les ordonnances, autorisées par notre Constitution, répondent à ce besoin. Pourtant, je ne peux me résigner à voter un tel projet au vu du calendrier évoqué précédemment. Le Gouvernement à découvert les bienfaits que lui procurent les ordonnances puisque, selon l’avant-projet de loi pour la croissance et l’activité, dont on sait encore peu de choses, il demandera au Parlement de l’autoriser à prendre des ordonnances sur l’inspection du travail, et d’autres sur la médecine du travail. Nous traiterons de ces sujets en temps et en heure, lors de la présentation de ce texte devant l’Assemblée, mais je m’étonne de cette nouvelle méthode qui consiste à écarter le Parlement.

Je regrette également que la question des prud’hommes ne soit pas étudiée au sein d’un texte unique. Nous sommes amenés à voter aujourd’hui cette autorisation d’ordonnance sur la désignation des conseillers prud’homaux, afin que le Gouvernement puisse consulter les partenaires sociaux sur l’écriture de celle-ci durant le premier semestre 2015, comme je l’ai déjà indiqué. Pourtant, dans le même temps, le Parlement discutera du projet de loi dit « Macron » qui traitera des questions de fond liées aux prud’hommes. Ces deux discussions vont se superposer et, éventuellement, se contrarier. Cette réforme aurait dû être présentée en une fois, globalement, et ce, devant le Parlement, après négociation avec les partenaires sociaux. Ainsi, la loi Larcher et l’article L. 1 du code du travail auraient été respectés.

La constitutionnalité de ce projet de loi me semble également mise en cause. Afin d’écarter ce risque, M. le ministre, Mme la rapporteure et, à l’instant, notre collègue Issindou, évoquent la décision du 3 décembre 2010 du Conseil constitutionnel sur les tribunaux des affaires de Sécurité sociale, les TASS, qui valident, en effet, la désignation de ses assesseurs.

M. Michel Issindou. Vous le reconnaissez !

M. Gérard Cherpion. Mais la question des prud’hommes est bien différente de la décision précitée. Dans le cas des TASS, il s’agit d’assesseurs, le tribunal étant présidé par un juge professionnel.

M. Denys Robiliard. Qu’est-ce que cela change ?

M. Gérard Cherpion. Les conseillers prud’homaux sont, pour leur part, des juges à part entière. Ainsi, la décision de 14 décembre 1982 du Conseil constitutionnel précise que la désignation ne peut être prévue pour l’exercice de droits politiques, ni pour la désignation des juges. À ce titre, l’article 1er du projet de loi qui nous est soumis ici me semble anticonstitutionnel.

Par ailleurs, dans une décision du 20 février 2003, le Conseil constitutionnel a consacré les exigences d’indépendance et d’impartialité du juge comme principe constitutionnel, puisque découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le projet présenté aujourd’hui remet en cause ce principe, puisque la désignation des juges par les organisations syndicales et patronales est contraire à l’indépendance des juges. Un juge, en effet, ne pourra être reconduit que par son organisation syndicale. Or si une organisation salariale ou patronale considère que le juge ne rend pas des décisions favorables à son corps électoral, elle pourra refuser de le désigner au renouvellement suivant. Le juge subira alors une pression de la part de son syndicat, ce qui est incompatible avec son indépendance.

Et ce ne sont pas là, me semble-t-il, les seuls problèmes de constitutionnalité que pose ce texte. Avec ce projet de loi, seules les organisations syndicales pourront présenter des listes pour la désignation des juges prud’homaux, créant ainsi un monopole de fait de la présentation syndicale.

M. Michel Issindou. C’était déjà le cas !

M. Gérard Cherpion. Dans votre réponse au Sénat, monsieur le ministre, vous avez laissé entendre qu’une organisation syndicale pourrait nommer une personne extérieure, ce qui est tout à fait exact.

M. François Rebsamen, ministre. Bien sûr !

M. Gérard Cherpion. Par vos propos, vous démontrez l’existence du monopole de présentation syndicale, alors que toutes les organisations professionnelles auditionnées ont exclu cette possibilité de désignation extérieure. Cette situation est donc contraire à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à son principe d’égal accès aux charges publiques.

Mme Sylviane Bulteau, rapporteure. Comme vous y allez !

M. Gérard Cherpion. Le Conseil constitutionnel aura certainement à se prononcer sur ces points.

Oui, monsieur le ministre, je doute du fondement constitutionnel de votre texte, mais je doute également de son fondement politique. Afin de justifier la suppression des élections prud’homales, le Gouvernement invoque leur coût, aux alentours de 90 millions d’euros, et la forte abstention des électeurs, qui s’est élevée à 74 % en 2008. Ce sont là des faits incontestables.

Monsieur le ministre, puisque le taux de participation à certains scrutins politiques baisse d’élections en élections – notre collègue Alain Tourret vient de nous en donner un bel exemple – procédera-t-on un jour à des renouvellements par désignation ?

L’abstention est un vrai problème, que nous ne devons pas sous-estimer. Nous devons y trouver une réponse, dans laquelle les organisations syndicales et patronales doivent prendre toute leur part et assumer leurs responsabilités. Pour avoir rencontré les organisations syndicales, je peux affirmer que la majorité d’entre elles souhaite, d’ailleurs, maintenir le système de l’élection.

L’argument principal pour le maintien de cette élection est la légitimité des juges prud’homaux, et la première phrase du rapport de Madame la rapporteure m’étonne à cet égard : « Renforcer la légitimité démocratique des conseils de prud’hommes, tel est l’objectif du présent projet de loi. » En quoi supprimer des élections en les remplaçant par une désignation par des syndicats, certes représentatifs, mais dont le taux d’adhésion est faible, rend-il les juges prud’homaux plus légitimes, et surtout l’élection plus démocratique ?

Des propositions ont été faites pour améliorer le taux de participation : l’installation de bureaux de vote dans les grandes entreprises, la départementalisation de certaines listes ou certaines sections, le vote par internet…

M. Michel Issindou. Rien n’y a fait !

M. Gérard Cherpion. Rien n’y a fait, vous avez parfaitement raison. Mais nous aurions également pu réfléchir au mode de scrutin des élections prud’homales ou à la concordance de ces élections avec les élections professionnelles qui, elles, ont lieu tous les quatre ans. J’ai d’ailleurs bien noté, monsieur le ministre, la proposition que vous vous apprêtez à faire sur ce dernier point. Tout cela permettrait certainement une plus grande participation, et serait possible et souhaitable, et pourtant, le Gouvernement a choisi l’urgence et les ordonnances.

Les condamnations de la France pour non-respect du délai raisonnable prévu par l’article 6, alinéa 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont souvent mises en avant pour justifier cette réforme. Pourtant, les délais observés sont rarement de la responsabilité des juges prud’homaux.

La première raison de la lenteur des procédures est le manque de moyens humains et matériels. À l’heure actuelle, les conseils prud’homaux sont déficitaires de plus de deux cents greffiers, qui ont souvent été transférés vers les tribunaux civils. Or, sans greffier, les séances ne peuvent avoir lieu. Le nombre de juges départiteurs est lui aussi bien trop faible. De plus, lors d’ajouts de séances, les disponibilités de salles d’audience sont rares, et les audiences ne peuvent donc se tenir.

La seconde raison tient aux parties, qui souvent ne se présentent pas avec toutes les pièces, voire ne se présentent pas du tout aux audiences, ce qui entraîne de fait le report des jugements. Je crois savoir que la loi Macron prévoit un certain nombre de mesures sur le sujet.

Avec le projet actuel, vous supprimez la légitimité du juge, non seulement parce qu’il ne sera plus élu, mais aussi parce que sa base électorale se rétracte.

Jusqu’à maintenant, les juges prud’homaux, côté salarial, étaient élus par un collège de 19 millions d’électeurs représentants tous les actifs, y compris les demandeurs d’emploi. Même si le taux d’inscription sur les listes électorales des demandeurs d’emploi était faible, ils avaient la possibilité de voter. Si cette loi est adoptée, seuls les salariés seront pris en compte à travers les voix qu’ils apportent aux syndicats salariaux, ce qui exclura de la base électorale près de 5 millions de personnes.

L’argument selon lequel les résultats aux élections prud’homales pourraient être différents des résultats d’audience, et donc être source de contestations entre les syndicats, ne paraît par ailleurs pas fondé. Les partis politiques, par exemple, obtiennent des scores différents en fonction de chacune des élections et du moment. Certains peuvent être considérés comme prééminents à un moment donné puis s’effondrer à d’autres : cela n’obère pas pour autant le fonctionnement de notre démocratie. Il en est de même pour la démocratie sociale.

Enfin, en ce qui concerne la répartition des sièges, et donc la mesure d’audience : comment sera-t-elle calculée ? Sur quel périmètre ? Sera-t-il possible de le faire au plus près du terrain ? Au niveau d’un bassin d’emploi, d’une cour d’appel, d’un département, d’une région ?

La logique voudrait une mesure d’audience et donc une répartition des sièges au plus proche du terrain, par exemple à l’échelle des départements. Pourtant la plupart des départements vont être supprimés dans quelques années. Nous pourrions alors penser à la région, mais selon quel découpage ? Celui qui vient d’être adopté par notre Assemblée ? Dans ce cas, les circonscriptions seraient beaucoup trop larges, et l’élection n’aurait plus beaucoup de sens.

Un problème supplémentaire se pose s’agissant de la comptabilisation des votes aux élections professionnelles et de la mesure de l’audience. Dans certains groupes nationaux, les votes des salariés sont pris en compte au niveau du siège. Le vote d’un salarié travaillant sur le site lorrain d’un grand groupe alimentaire, par exemple, pourra être comptabilisé à Saint-Étienne.

En ce qui concerne la formation, toutes les organisations syndicales et patronales sont favorables à une meilleure formation des conseillers prud’homaux. Mais toutes sont opposées à la proposition actuelle parce que le terme de formation initiale n’a pas vraiment de sens en l’espèce – rien n’empêche de le modifier, il est vrai –, et parce qu’ils souhaitent un tronc commun de formation pour les salariés et les employeurs.

Par ailleurs, ils redoutent la formation à l’École nationale de la magistrature. Malgré toutes les qualités des formations dispensées par l’ENM, et malgré les bonnes intentions du Gouvernement d’en faire bénéficier les conseillers prud’hommes, je crains que cette grande institution n’ait pas les moyens, tant humains que matériels, de former les 14 500 juges prud’homaux.

Enfin, les juges prud’homaux, qu’ils soient salariés ou employeurs, auront-ils la possibilité de s’absenter de leur entreprise pour suivre une telle formation ?

Nous assistons dans le même temps à une professionnalisation et à une judiciarisation de la justice prud’homale. Les juges seront bientôt soumis à un code de déontologie, ce qui est justifié ; ils seront formés à l’École nationale de la magistrature ; et c’est le ministère de la justice qui présentera les dispositions relatives à la prud’homie du projet de loi Macron. Or tous les partenaires sociaux se sont dits attachés au caractère paritaire du conseil des prud’hommes, issu de l’entreprise et destiné aux acteurs de l’entreprise.

La comparaison que j’ai déjà évoquée avec les tribunaux des affaires de Sécurité sociale nous laissent penser que le Gouvernement s’engage dans la voie de l’échevinage. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer les intentions du Gouvernement ? Le caractère unique des prud’hommes, sur lequel vous avez insisté dès la première phrase de votre intervention, sera-t-il préservé ? Resteront-ils sous la responsabilité du ministère du travail, ou seront-ils du ressort du ministère de la justice ?

Enfin, l’article 2 de ce projet de loi prévoit un nouveau report de l’élection des conseils de prud’hommes. Il était nécessaire en l’absence de décisions prises depuis deux ans, mais il ne sera pas sans conséquence. Il existe actuellement des sections de prud’hommes qui ne peuvent plus siéger en raison de l’épuisement des listes. Certains renouvellements ne peuvent avoir lieu : en cas de vacance d’un conseiller, et en l’absence du suivant sur la liste, il est en effet impossible, faute d’une démission du précédent, de désigner la personne venant à la suite. De même, certains juges doivent exercer leur responsabilité dans d’autres sections que celle dans laquelle ils ont été élus.

Je rappelle que les juges prud’homaux sont actuellement élus pour cinq ans, et sont en place depuis 2008. Leur mandat été reconduit en 2013 pour deux ans, et une nouvelle fois prorogé jusqu’en 2017. Il aurait été nécessaire de prévoir un système de renouvellement partiel – une question qui pourrait d’ailleurs soulever un autre problème de constitutionnalité.

Monsieur le ministre, si nous ne remettons pas en cause le principe même de la réforme, la méthode et les moyens utilisés, tant sur le fond que sur la forme, nous amèneront à voter contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mes chers collègues, le constat qui a présidé à l’élaboration de ce projet de loi soumis aujourd’hui à notre examen est frappant : depuis 1979, année de la première consultation générale, le taux d’abstention aux élections prud’homales a quasiment doublé, passant de 37 % en 1979 à 74 % en 2008.

Ce constat est d’autant plus marquant qu’en parallèle, le nombre d’inscrits a considérablement augmenté – passant de 13,7 millions en 1979 à 19,2 millions en 2008 – alors que dans le même temps, le nombre de votants chutait de manière spectaculaire en passant de 8,5 millions à 4,8 millions.

La légitimité démocratique de cette organisation paritaire, chargée des litiges relatifs au monde du travail, s’en trouvait progressivement fragilisée, sa vocation contrariée, son ambition niée. Cette réforme était d’autant plus impérieuse que les prud’hommes constituent, nous le savons toutes et tous, un outil précieux du dialogue social. Ils sont en effet chargés de la conciliation entre employeurs et salariés et, à défaut, du jugement des affaires.

Ils assurent, à cet égard, un rôle majeur en matière de protection des salariés et de sécurisation de leur parcours professionnel, tout en prenant en considération les contraintes économiques et concurrentielles auxquelles sont soumises les entreprises.

Enfin, il était nécessaire de tirer les conséquences de l’évolution de la représentativité des organisations syndicales et patronales, désormais fondée sur l’audience de chacune d’entre elles.

Le maintien de l’élection prud’homale présentait en effet le risque de mettre en concurrence les deux systèmes de mesure du poids des organisations syndicales et patronales, ce qui, nous pouvons toutes et tous en convenir, nuirait à la qualité et l’efficacité du dialogue social.

Le groupe UDI soutient, par conséquent le principe d’une réforme du mode de désignation des conseillers prud’hommes.

M. Michel Issindou. Très bien !

M. Yannick Favennec. Tel est l’objectif de ce projet de loi, dont l’article 1er habilite le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les dispositions législatives nécessaires pour substituer à l’élection des conseillers prud’hommes une désignation fondée sur l’audience des organisations syndicales et patronales, et dont l’article 2 proroge le mandat actuel des conseillers prud’hommes jusqu’au prochain renouvellement général.

Cette réforme présente un avantage significatif en matière de réduction des dépenses publiques puisqu’il en résultera une diminution des coûts d’organisation aujourd’hui à la charge de l’État. L’organisation des élections prud’homales est en effet coûteuse : 86,6 millions d’euros ont été nécessaires à la tenue du scrutin de 2008.

M. Michel Issindou. Ce n’est pas rien !

M. Yannick Favennec. À titre de comparaison, les élections municipales de 2008, qui ont mobilisé un nombre d’électeurs deux fois plus important, ont coûté 107,9 millions d’euros.

Pour autant, si nous soutenons les objectifs poursuivis par le Gouvernement, nous ne pouvons que déplorer et regretter l’impréparation et l’improvisation dont il a, une nouvelle fois, fait preuve.

M. Michel Issindou. Ça commençait pourtant bien !

M. Yannick Favennec. La méthode que vous avez choisie relève de la confusion la plus totale. Cette réforme, initialement prévue dans le cadre du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, a finalement été déposée à l’Assemblée nationale le 22 janvier dernier, sous la forme d’un projet de loi. Ce projet de loi a ensuite été retiré le 28 mars pour être déposé le même jour au Sénat, avant qu’une lettre rectificative ne soit présentée en Conseil des ministres le 16 juillet ! Et nous sommes aujourd’hui amenés à discuter d’un projet de loi, sur lequel vous avez engagé la procédure accélérée, qui vise à habiliter le Gouvernement à procéder par ordonnance !

J’ajoute que le projet de loi pour la croissance et l’activité que notre assemblée sera amenée à examiner prochainement devrait également contenir des dispositions relatives aux conseils prud’homaux.

Disperser les dispositions relatives aux prud’hommes dans plusieurs projets de loi ne nous paraît pas de nature à favoriser l’écriture d’une loi lisible et cohérente. Il nous semble que ce désordre organisé soulève un véritable problème de méthode concernant la réforme d’une institution dont le rôle est si prépondérant en matière de dialogue social. En outre, le choix de recourir aux ordonnances, qui prive ainsi le Parlement d’un débat important pour la refondation de notre démocratie sociale, doit également nous interpeller.

Pour réformer le mode de désignation des conseillers prud’hommes, plusieurs solutions pouvaient en effet être envisagées. Pourquoi ne pas maintenir le mode actuel d’élection des conseillers prud’hommes en améliorant l’information et la communication sur l’institution prud’homale ?

M. Michel Issindou. On a essayé !

M. Yannick Favennec. Pourquoi ne pas mettre en place une élection au suffrage universel indirect par un corps de grands électeurs ?

M. Michel Issindou. On peut tout imaginer !

M. Yannick Favennec. Ces questions essentielles ne pourront malheureusement pas être abordées par le Parlement.

Nous regrettons également que la réforme des conseils de prud’hommes n’ait pas été envisagée dans le cadre d’une réforme structurelle prévoyant une rénovation profonde de notre démocratie sociale, permettant de passer enfin d’un paritarisme de gestion à un paritarisme de négociation. La réforme du paritarisme, qui gère 950 milliards d’euros – trois fois plus que ce que représente les recettes de l’État – est en effet une condition essentielle de la justice sociale.

Enfin, nous regrettons qu’à défaut d’une réforme structurelle du paritarisme, le Gouvernement s’exonère également d’une réflexion globale sur la justice prud’homale.

Monsieur le ministre, j’appelle plus particulièrement votre attention sur les délais d’attente de jugement de l’instance prud’homale, qui sont estimés en moyenne à dix mois – voire seize à Paris –, période pendant laquelle les salariés sont confrontés à une situation particulièrement précaire.

M. François Rebsamen, ministre. Ça ne date pas d’aujourd’hui !

M. Yannick Favennec. Cette lenteur de la justice est d’autant plus inquiétante et grave qu’elle porte généralement préjudice aux justiciables les plus fragiles, ce que nous ne pouvons tolérer.

Pour autant, malgré les réserves que nous avons exprimées, la baisse importante du taux de participation aux élections prud’homales appelait une modification du mode actuel de renouvellement des conseillers prud’hommes. À cet égard, notre groupe soutiendra le nouveau mode de désignation des juges prud’homaux basée sur les résultats électoraux issus de la mesure de la représentativité.

M. Michel Issindou. Très bien !

M. Gérard Cherpion. C’est une erreur !

M. Yannick Favennec. Nous sommes confiants sur le fait qu’il participera à donner un second souffle à l’institution prud’homale, rouage essentiel du dialogue social et acteur majeur de la protection des salariés.

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard.

M. Christophe Cavard. Vous semblez avoir eu, monsieur le ministre, un débat fructueux avec mon collègue Jean Desessard, sénateur écologiste, lors de la lecture de ce projet de loi au Sénat le 14 octobre.

Vos échanges vous ont même conduit à discuter de la pertinence d’un passage à la VIème République ainsi que du rôle du Parlement : vaste débat pour un texte consacré aux prud’hommes, ne comptant que deux articles présentés comme techniques, et qui, de surcroît, renvoie à une ordonnance l’essentiel des dispositions à prendre.

Pour ceux qui n’ont pas suivi les débats au sein de la Haute assemblée, je rappellerai ici la position des parlementaires écologistes sur ce projet de loi, tout en tentant d’approfondir encore nos réflexions, notamment sur les questions démocratiques.

Vous l’aurez compris : comme mes collègues du Sénat, je suis défavorable à ce texte, la première raison étant qu’il prévoit le recours à une ordonnance.

Vous le savez, monsieur le ministre, les écologistes goûtent peu cette procédure. Nous pouvons l’accepter exceptionnellement, quand elle permet de prendre plus rapidement une décision urgente et utile, mais je vous avoue ne pas voir, en l’espèce, où se trouve l’urgence. Il est même précisé que le dispositif actuel peut perdurer jusqu’au 31 décembre 2017 ! Rien ne permet donc de justifier un tel procédé, sauf à imaginer que le Gouvernement veuille éviter le débat parlementaire sur un sujet aussi sensible.

En outre, il est difficile de comprendre en quoi l’abandon d’un système électoral pourrait rendre une institution juridique plus efficace.

Certes, la gestion des dossiers traités par les conseils des prud’hommes souffre de dysfonctionnements, comme le montre notamment le rapport d’Alain Lacabarats.

Personne ne conteste l’excessive longueur des délais de jugement ni les liens problématiques entre les différentes juridictions compétentes en matière de droit du travail et le statut des juges prud’homaux. Mais en quoi la désignation résoudra-t-elle ces problèmes ? On se prive ici d’un débat parlementaire pourtant nécessaire sur le mode de désignation et la composition des collèges de représentants des salariés et des employeurs dans les conseils de prud’hommes. Il s’agit d’une loi simple ne comportant que deux articles, l’un prévoyant de remplacer l’élection prud’homale par des désignations selon des critères précisés ultérieurement par ordonnance et l’autre de repousser la date de renouvellement des conseils de prud’hommes, ceux qui sont en place depuis 2008 siégeant dès lors neuf ans au lieu des cinq prévus. Vous avez nié, monsieur le ministre, que le projet de loi se justifie par les économies d’environ cent millions d’euros qu’il induit en matière d’organisation des élections prud’homales.

Vous nous demandez même de ne pas vous faire de procès d’intention à ce sujet. On se demande bien pourquoi nous le ferions ! Il n’entre bien évidemment pas dans les habitudes du Gouvernement de justifier ses propositions et ses politiques par le seul prisme des économies à réaliser pour réduire la dépense publique, dirai-je avec ironie ! (Sourires.) Faut-il en déduire que les élections coûtent cher et qu’il faut donc les supprimer ? Ce n’est pas sérieux ! Vous justifiez le changement de mode d’accès à la représentation des salariés, de l’élection directe à la désignation des conseillers prud’hommes, par la mesure d’audience, en particulier la faible participation aux élections. En 2008, 25 % des inscrits se sont exprimés, soit un taux d’abstention de 75 %. Doit-on pour autant supprimer les élections ? Voilà qui mérite un débat parlementaire approfondi et pas uniquement syndical !

Quelles que soient en effet les positions des syndicats, ils sont à la fois juge et partie. Leur avis doit bien entendu être pris en compte mais il doit être soumis plus sérieusement au débat parlementaire. Le changement proposé aura des conséquences qui engagent les salariés mais aussi les demandeurs d’emploi et les personnes en situation de précarité, qui sont mal représentées par les syndicats mais le sont au moins en partie par nous-mêmes ici, dans cette assemblée. Il faut un peu de temps et une bonne concertation pour aborder la question des réformes et de la réorganisation de la démocratie sociale en France. Par ailleurs, le droit du travail est attaqué de toutes parts par celles et ceux qui pensent qu’il est un frein à l’économie et à l’emploi, le MEDEF en premier lieu mais aussi certains d’entre nous. Il n’est donc pas opportun de déstabiliser la seule juridiction qui juge et tranche de nombreux litiges dans le monde du travail, fût-ce de manière imparfaite.

M. Gérard Cherpion. Il a raison !

M. Christophe Cavard. Pour nous qui sommes favorables au dialogue social et à la concertation, la représentation de l’ensemble des acteurs et publics concernés constitue un préalable indispensable. On n’y est pas encore ! J’ai évoqué les chômeurs et les publics précaires auquel j’ajouterai le secteur de l’économie sociale et solidaire qu’il faut intégrer de façon franche, à la hauteur des besoins en vue de son changement d’échelle, comme nous nous y sommes engagés. Les parlementaires doivent participer, car démocratie sociale et démocratie parlementaire sont complémentaires et indispensables l’une à l’autre dans une démocratie moderne. Procéder par ordonnance exclut de fait le débat parlementaire. Cela finit par faire beaucoup d’exclus et crée nécessairement un risque accru de propositions inabouties, inapplicables voire potentiellement injustes car elles ne prendront pas en compte une grande partie de la population, en particulier les associations, les coopératives et les salariés des petites entreprises. En effet, procéder à des désignations selon la mesure de l’audience syndicale risque de renforcer la spécialisation des conseillers.

Supprimer une élection pour la remplacer par une désignation suppose également que les organisations représentatives le soient, ce qui est loin d’être le cas actuellement. C’est même de pire en pire, qu’il s’agisse des syndicats ou des partis politiques ! Prenons un exemple précis : en 2008 ont été élus des représentants de l’économie sociale pour le collège employeurs dans la section « divers ». Nous savons que les représentants de cette branche, l’UDES, Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, ne jouit pas de la représentativité interprofessionnelle faute de réunir les conditions nécessaires pour être représentée dans le nombre de branches requis. Comment ces employeurs pourront-ils dorénavant siéger dans les tribunaux prud’homaux ? Où est la cohérence ? Où est l’équilibre ? Il me semble que nous touchons ici à une illustration concrète de la limite du texte et de son instabilité. Quant à l’abstention, elle ne constitue pas un argument valable pour supprimer une élection, contrairement à ce que vous avez dit au Sénat, monsieur le ministre !

M. Gérard Cherpion. Eh non !

M. Christophe Cavard. À ce compte-là, supprimons des élections qui hélas connaissent des taux d’abstention importants, comme les élections européennes ou départementales, sauf j’espère les prochaines prévues en mars 2015, qui les unes après les autres ne recueillent que très peu de suffrages ! Une telle remise en cause n’est bien évidemment pas envisageable aujourd’hui. Vous apportez à un problème une solution qui en créera d’autres peut-être plus importants encore d’un point de vue démocratique et opérationnel. Il en va de même de la prolongation du mandat des conseillers prud’homaux représentant les salariés, initialement prévu pour cinq ans après les élections de 2008. Vous nous proposez de prolonger le mandat par cohérence avec les élections du collège employeurs qui fait l’objet de discussions par ailleurs. Les conseillers prud’homaux auraient donc pour cette fois un mandat de neuf ans. Nous allons au-devant de nombreux problèmes dans les juridictions locales ! Certains partent en retraite ou demandent leur renouvellement car la charge est exigeante. Il y aura donc des sièges vacants jusqu’en 2017. Les retards déjà accumulés risquent de s’amplifier, les recours seront plus nombreux et les services de l’État encore plus sollicités alors même qu’ils sont fragilisés par ailleurs !

Mme Sylviane Bulteau, rapporteure. Bref, c’est l’apocalypse !

M. Christophe Cavard. Tout cela nous semble très instable et très insécurisant alors même que le code du travail et les lois qui protègent les salariés sont remis en cause de toutes parts. Vous avez lu comme moi les titres de certains journaux des derniers jours, monsieur le ministre : « Les élections prud’homales, c’est fini ! » ou encore « Fin du suffrage universel pour les élections prud’homales ». Et ce soir, tardivement, hop ! Au détour d’un texte censé passer inaperçu et dont la mise en œuvre est opaque, nous voici renvoyés à une concertation dont nous ne connaissons ni le calendrier ni les participants et qui vise à modifier en partie le fonctionnement des conseils de prud’hommes !

M. Gérard Cherpion. En effet !

M. Christophe Cavard. Le reste sera fait par d’autre biais, par exemple le projet de loi du ministre Macron dont nous suivrons les évolutions. Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste vous propose, monsieur le ministre, d’ajourner le texte et d’engager un véritable débat sur le rôle des prud’hommes, large, public et transparent, afin que chacun fasse valoir des propositions d’amélioration, car nous ne nions pas qu’il existe des difficultés, donc des évolutions à prévoir. C’est pourquoi nous proposerons ici des amendements de suppression des deux articles du projet de loi relatif à la désignation des conseillers prud’hommes. Je tiens à signaler ici à cette tribune que présenter ce type d’amendements est rare pour notre groupe.

M. Gérard Cherpion. Pour nous pas tellement ! (Sourires.)

M. Christophe Cavard. Par conséquent, si le texte reste malgré tout en l’état jusqu’au bout, vous comprendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que notre groupe votera contre.

M. Michel Issindou. Nous comprendrons !

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le projet de loi n’est pas purement technique car il interroge notre conception du juge du travail, qui est aujourd’hui multiple. Les conseils des prud’hommes sont bien sûr les juges exclusifs ou presque de la relation de travail individuelle mais il faudrait aussi et sans exhaustivité citer le tribunal d’instance, le tribunal de grande instance, le tribunal de commerce pour les entreprises en difficulté, le tribunal des affaires de Sécurité sociale, le juge pénal et le juge administratif, tout le monde ! Toutes les juridictions comptent par principe un nombre impair de juges tenus de rendre une décision sauf à commettre un déni de justice. Le conseil des prud’hommes se singularise par un paritarisme strict et constant. Employeurs et salariés en conflit individuel y sont jugés par leurs pairs, soit deux employeurs et deux salariés du même secteur d’activité que le leur dans l’agriculture, le commerce, l’industrie et les activités diverses, les contentieux relatifs aux cadres et VRP étant jugés par la section encadrement.

S’ils ne parviennent pas à s’accorder sur la solution à donner au litige qui leur est soumis, le juge d’instance est appelé pour les départager.

Les temps sont durs pour les conseillers. Alors même qu’ils supportent une première prolongation de deux ans de leur mandat que le projet de loi prolongera de deux années supplémentaires, les délais et la qualité de leurs jugements sont vilipendés, taux d’appel et de réformation à l’appui. Je ne saurais participer à un tel « prud’hommes bashing ». Les prud’hommes sont une instance de dialogue social quotidien et concret. Leur paritarisme, heureusement conservé par le projet de loi, diffuse le droit du travail dans les entreprises parmi les employeurs comme les salariés. Quant aux délais de procédure, les situations sont très différentes d’un conseil à l’autre et d’une chambre sociale à l’autre. Un renforcement des moyens des conseils les plus importants est sans doute nécessaire.

M. Gérard Cherpion. Tout à fait !

M. Denys Robiliard. Peut-être faut-il rappeler qu’en cas de partage, l’article L. 1454-2 du code du travail dispose que « l’affaire est reprise par la formation de jugement présidée par un juge du tribunal d’instance dans le délai d’un mois ». En réalité, le délai est souvent plus proche de l’année que du mois faute de juge disponible. En matière procédurale, la simple exigence que le demandeur forme une demande motivée comme n’importe quelle demande en justice ferait gagner plusieurs mois. Quant au taux d’appel, s’il est indéniablement important, il s’explique par l’importance symbolique mais aussi financière de nombreux litiges, pour l’employeur comme le salarié, et par le caractère dilatoire de nombreux déférés. Vous avez annoncé avec Mme la garde des sceaux le 6 novembre à Orléans, monsieur le ministre, les mesures qu’envisage le Gouvernement. Je me félicite de cette attention même si je ne suis pas certain que le projet de loi pour la croissance et l’emploi constitue le véhicule idéal.

M. Gérard Cherpion. Tout à fait !

M. Denys Robiliard. Et quitte à citer l’avant-projet de loi, qui est de notoriété publique, qu’on me permette une digression. Celui-ci demande l’habilitation du Gouvernement à procéder par ordonnance à propos des pouvoirs de l’inspection du travail. Vous me voyez venir, monsieur le ministre ! J’ai déposé à ce sujet le 27 mars de cette année, sur la suggestion de votre prédécesseur, une proposition de loi sur laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée le 13 mai. La commission des affaires sociales l’a discutée le 14 mai et a même examiné les amendements présentés au titre de l’article 88 le 20 mai.

Mme Jacqueline Fraysse. Absolument !

M. Denys Robiliard. L’examen en séance a été déprogrammé en raison des délais de discussion de la proposition de loi relative à la famille, à l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant. Sans méconnaître la charge de travail de notre assemblée, elle ne suffit pas à expliquer que la proposition de loi relative à l’inspection du travail n’ait toujours pas été inscrite à notre ordre du jour. En tout cas, persister à demander l’habilitation sur ce sujet constituerait selon moi une marque de mépris à l’égard du travail parlementaire et m’obligerait à m’interroger sur la volonté du Gouvernement de doter réellement l’inspection du travail des moyens juridiques lui permettant de mieux faire respecter le droit du travail dans les entreprises.

Venons-en au projet de loi de ce jour. Je regrette que l’on nous demande une habilitation alors que la nature du sujet justifie amplement sa discussion par notre assemblée, même si le temps presse en raison de l’expiration prochaine du mandat des conseillers actuels. De plus, la matière est technique car il s’agit de déterminer comment seront choisis les juges qui siégeront dans les collèges employeurs et salariés subdivisés chacun en cinq sections de chaque conseil des prud’hommes dont beaucoup ont des ressorts territoriaux infra-départementaux. Nécessité fait loi, d’habilitation en l’espèce ! Depuis la généralisation des conseils de prud’hommes en France par la loi Boulin de 1978, leurs conseillers sont élus tous les cinq ans. L’élection donne aux conseils une légitimité importante et assure par la campagne électorale la promotion de l’institution.

Le vote a en outre la vertu de donner au conseiller élu une légitimité qui ne procède pas uniquement de l’organisation ayant présenté sa candidature, ce qui facilite son indépendance à son égard. L’élection permet à des non-syndiqués de se présenter. Les salariés peuvent voter quelle que soit la taille de leur entreprise et les chômeurs sont électeurs. Enfin, l’élection constitue une mesure de représentativité sans doute différente de celle qui est mesurée pour les syndicats de salariés conformément à la loi de 2008. Cela ne saurait constituer une difficulté car les finalités de mesure de la représentativité sont différentes. À titre de comparaison, déjà évoquée par M. Cherpion, les résultats des élections municipales ne portent pas atteinte à la légitimité de l’Assemblée.

Cet ensemble de raisons m’a fait douter de la pertinence du projet, d’autant que, si la CFDT défend le projet d’une désignation, la CGT s’y oppose fermement. La table ronde organisée par la commission des affaires sociales du Sénat et les auditions organisées par notre rapporteure ont permis de recenser les positions des organisations. L’ensemble des organisations patronales représentatives, monsieur Cherpion, approuvent cette réforme.

M. Gérard Cherpion. Pas toutes.

M. Denys Robiliard. Je vous renvoie au rapport de M. Le Menn au Sénat. S’agissant des organisations salariales, la CFTC est neutre, FO et la CGC préfèrent l’élection, mais acceptent de discuter des modalités de la désignation…

M. Michel Issindou. Pas mal.

M. Denys Robiliard. …si la représentativité pouvait être mesurée à un niveau territorial suffisamment proche du ressort territorial des conseils.

Pourtant, force est de constater que l’intérêt des salariés manifesté par leur participation aux élections est largement retombé. Celle-ci est passée de 63 % en 1979 à 25 % en 2008. La participation chez les employeurs était de 48 % en 1979, mais est revenue à 31 % en 2008 après être descendue à 20 % en 1997.

Il faut ajouter que pour un grand nombre de conseils, une liste commune était présentée par les principales organisations patronales, y compris par certaines dites du « hors-champ », la FNSEA et l’UNAPL. La faiblesse du niveau atteint en 2008 était d’autant plus inquiétante que l’information sur le scrutin avait été largement diffusée et que les électeurs pouvaient voter par d’autres méthodes que dans un bureau de vote. Elle constituait objectivement un affaiblissement de la légitimité de l’institution.

Par ailleurs, malgré l’exception consulaire, le principe de l’élection des juges n’appartient pas à notre culture juridique et démocratique. Nous ne sommes pas aux États-Unis et il est difficile de mener campagne sur une pratique judiciaire. Nous attendons d’abord de nos juges, y compris quand ils ne sont pas professionnels, qu’ils soient impartiaux. Salariés et employeurs ont également vocation à la sécurité juridique même si celle-ci ne suppose pas une jurisprudence sclérosée et si nous n’attendons plus de nos magistrats qu’ils soient juges et se taisent.

Les syndicats font donc campagne sur leur action syndicale et non sur leur action au sein de la juridiction. Il n’est pas voté en fonction d’une liste de personnes, mais d’une image syndicale, d’une étiquette. Ainsi s’explique peut-être qu’après l’enthousiasme manifesté en 1979 pour l’institution naissante, la participation se soit effondrée.

La désignation en fonction de l’audience des organisations paraît constitutionnellement possible au regard de la décision du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2010.

M. Michel Issindou. C’est mal parti pour le recours.

M. Denys Robiliard. Monsieur Cherpion, les assesseurs du tribunal des affaires de Sécurité sociale, le TASS, sont des juges à part entière, et opinent au même titre que le juge. Que le magistrat professionnel prenne le pouvoir est une chose, mais une voix égale une voix dans le délibéré.

La légitimité de la justice prud’homale peut être renforcée.

Elle est en effet mesurée à partir de cycles de quatre ans d’élections des institutions représentatives du personnel qui se caractérisent par une forte participation. La représentativité des conseillers sera donc plus forte. Les chômeurs n’en sont pas exclus. Beaucoup d’entre eux auront participé à une élection de délégué du personnel ou de comité d’entreprise alors qu’ils étaient salariés. Les syndicats salariés ont vocation, je vous le rappelle, à les représenter.

Mme Sylviane Bulteau, rapporteure. Très bien.

M. Denys Robiliard. Reste le problème des non syndiqués. L’appartenance à une organisation syndicale ou patronale ne sera pas une condition de présentation des candidats, mais l’argument n’est pas suffisant. Le constat que la très grande majorité des conseillers ont été élus sur des listes présentées par des organisations représentatives ne l’est pas davantage. Nous avons à assumer le choix de structurer notre justice sociale comme notre dialogue social. Celui-ci passe nécessairement par des organisations qui sont la condition à des échanges entre partenaires formés et informés. Il en est de même pour notre justice.

Avant de conclure, j’aimerais, monsieur le ministre, que vous nous éclairiez sur la maille territoriale de mesure de l’audience.

Mme Jacqueline Fraysse. Bonne remarque.

M. Denys Robiliard. Cela est déterminant pour l’appréciation du projet. Dans certains conseils de prud’hommes, la liste des conseillers est épuisée ou sur le point de l’être. Quelles mesures envisagez-vous de prendre à ce propos ?

Mme Jacqueline Fraysse. Très bonne question.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Dion.

Mme Sophie Dion. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la désignation des conseillers prud’hommes est très loin de faire l’unanimité parmi les partenaires sociaux. C’est un très mauvais signal pour une justice paritaire dont la force des décisions est nécessairement liée à sa légitimité démocratique.

La suppression de l’élection des conseillers prud’hommes pour la remplacer par une simple désignation fondée sur l’audience des organisations syndicales et patronales est-elle le meilleur moyen de relancer cette légitimité démocratique ? Personnellement, je ne le pense pas.

Votre texte, monsieur le ministre, pose encore beaucoup trop de questions. Il est critiquable tant sur la méthode que sur le fond.

S’agissant de la méthode, la procédure d’urgence est injustifiée pour deux raisons au moins. Elle est injustifiée compte tenu du parcours, pour le moins chaotique, de ce projet de loi. En décembre 2013, l’article du projet de loi relatif à la formation professionnelle traitant de la désignation des conseillers prud’hommes était retiré. Puis, nous avons eu droit à la présentation d’un projet de loi en conseil des ministres, le 22 janvier 2014, mais il a aussi été retiré. Ensuite, nous avons assisté à un nouveau dépôt d’un texte au Sénat, le 28 mars 2014. Celui-ci n’a pas été retiré, mais il a été suivi d’une lettre rectificative, le 16 juillet.

Enfin, il fut examiné au Sénat le 14 octobre et, aujourd’hui, 20 novembre, il est à l’Assemblée nationale.

Comment pouvez-vous justifier la nécessité de la procédure accélérée après de tels atermoiements, qui ont duré plus d’une année ?

La procédure d’urgence est également injustifiée parce que le projet de loi pour l’activité qui sera présenté au conseil des ministres d’ici à quelques semaines par M. Emmanuel Macron, comportera des dispositions visant à renforcer le fonctionnement de la justice prud’homale. Je note, monsieur le ministre, que vous avez davantage parlé de ce projet de loi à venir que du texte que nous examinons ce soir.

Je déplore, et je ne suis pas la seule, une absence de cohérence, de clarté et un manque cruel de lisibilité dans la mise en œuvre de la politique de votre Gouvernement. Plutôt que de présenter un texte abouti, concerté, complet, sur un sujet bien défini, censé poser les bases d’une nouvelle démocratie sociale, vous préférez mettre par-ci par-là des bouts de texte qui s’articulent très mal entre eux.

Ce n’est pas acceptable pour le législateur, monsieur le ministre. Chacun aujourd’hui, à droite comme à gauche, critique et conteste la manière de faire la loi. Je crains que ce projet de loi ne soit une nouvelle preuve d’un travail bâclé, qui ne correspond pas à la mission du législateur.

Après la méthode, le fond. Vous remplacez une élection par une désignation tandis que – je cite la première phrase du rapport de la commission des affaires sociales – « Renforcer la légitimité démocratique des conseils de prud’hommes, tel est l’objectif du présent projet de loi ». Il s’agit d’une vision très particulière et étonnante de la démocratie sociale.

Êtes-vous sincèrement convaincus, madame la rapporteure, monsieur le ministre, que supprimer une élection soit bon pour la démocratie ? Reprendriez-vous cette affirmation pour les élections européennes, nationales, locales ?

L’argument du coût et de la très forte abstention, réalité que personne ne conteste, ne peuvent pourtant pas fonder la décision de supprimer les élections. Supprimer cette élection, celle-ci ou une autre, met en cause la démocratie sociale. Si nous avions procédé de la sorte, vous auriez sans doute poussé des hurlements !

La suppression de l’élection au suffrage direct des 14 500 conseillers prud’hommes risque d’affaiblir cette juridiction paritaire qui examine chaque année près de 200 000 litiges liés aux relations individuelles du travail. De surcroît, il y a un risque évident d’aller davantage encore vers le départage, ce qui alourdira les procédures déjà bien longues et bien complexes.

Il y avait d’autres solutions. Elles figurent dans le rapport confié par la précédente majorité au conseiller d’État, Jacky Richard, sur « le renforcement de la légitimité de l’institution prud’homale », comme la simplification des modalités de vote.

Sous couvert d’aménagement technique, le projet de loi laisse des points de première importance en suspens avec des risques évidents d’inconstitutionnalité.

Il n’y aura plus de place pour la représentation des personnes non syndiquées, des chômeurs, des retraités. Quelle sera la mesure de l’audience prise en compte pour la représentativité patronale ? Quid d’une éventuelle coexistence entre une désignation fondée sur l’audience des organisations syndicales pour le collège salarié et une élection pour le collège des employeurs ? À quel niveau prendre en compte la mesure de l’audience aux niveaux national et local ? Je pourrais citer d’autres exemples qui peuvent présenter des risques d’inconstitutionnalité, mais je m’en tiendrai là.

Vous comprendrez, monsieur le ministre, que nous voterons contre ce texte.

M. Gérard Cherpion. Très bien.

M. le président. La parole est à Mme Kheira Bouziane.

Mme Kheira Bouziane. Monsieur le ministre, je ne reviendrai pas, cela a déjà été évoqué par mes collègues, sur l’usage des ordonnances qui limite le débat parlementaire. J’aimerais surtout insister sur les raisons avancées pour modifier la désignation des conseillers prud’homaux et justifier la suppression d’une élection démocratique qui concerne 19 millions de salariés.

Cinq organisations syndicales, dont quatre représentatives au plan national, se sont déclarées opposées à la suppression des élections prud’homales. Et toutes attendent des garanties.

Il me paraît normal de s’interroger sur une institution deux fois centenaire, mais il est encore plus important de trouver des solutions qui sauvegardent son esprit.

Celle qui consiste à ne plus organiser d’élection au prétexte d’un fort taux d’abstention est-elle la meilleure ? Cette solution ne touche-t-elle pas à une question hautement symbolique – mon collègue Tourret a parlé de « vache sacrée » ?

L’élection prud’homale est l’élection qui, la première, a permis aux femmes de voter en 1907, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. L’élection prud’homale est l’une des rares élections qui permet aux étrangers travaillant et vivant sur notre territoire d’y participer. N’y voyez aucune référence à l’engagement 50 de la campagne présidentielle.

C’est aussi l’élection qui permet aux retraités, aux demandeurs d’emploi, de désigner leurs juges prud’homaux au suffrage universel direct.

Enfin, n’est-il pas dangereux pour la démocratie de créer un précédent en supprimant purement et simplement une élection en raison du taux d’abstention ?

Le rapport fait état d’innovations pour le scrutin de 2008 pour parfaire l’organisation des dernières élections. Mme la rapporteure estime que les efforts menés par les pouvoirs publics sont infructueux en la matière. Je ne partage pas l’appréciation des effets qui en a été faite. J’y vois des évolutions positives qu’il aurait fallu poursuivre.

En effet, la simplification des règles avait permis d’améliorer la liste électorale et entraîné l’augmentation de deux millions d’inscriptions dans le collège salarié par rapport à 2002 ; 600 000 électeurs supplémentaires ont voté par correspondance et le vote en ligne a été utilisé par un tiers des Parisiens.

Quant à l’évaluation de l’impact de la campagne d’information et de communication, elle démontre qu’elle a touché 77 % des personnes interrogées et a été appréciée par 72 % d’entre elles.

Alors, qu’avons-nous fait depuis pour amplifier le mouvement ? Pourquoi n’avons-nous pas poursuivi dans cette voie en développant davantage l’information sur cette juridiction que nos concitoyens ne découvrent souvent que lorsqu’ils en ont besoin ? Pourquoi le vote électronique n’a-t-il pas été généralisé ? Ces préconisations figuraient également dans le rapport Richard dès 2010.

Ce projet de loi se justifie également par la complexité de l’organisation des élections pour les municipalités. C’est une réalité, mais face à la difficulté d’organisation de ces élections, d’autres solutions auraient pu être envisagées, tel le jumelage des élections prud’homales et des élections professionnelles.

Troisième argument, le coût financier important. Pourtant, en comparaison avec d’autres élections, celles-ci ne coûtent pas plus cher. Pourquoi n’a-t-on pas cherché des solutions pour le réduire, notamment, en partie, par le vote électronique ? Si la démocratie a un coût, nous devons le supporter, car la démocratie n’a pas de prix.

Dernière remarque sur la différence de la représentativité des partenaires : la question de la territorialité reste majeure, car l’implantation locale des partenaires peut varier. Il est important que les conseils des prud’hommes aient des juges proches des préoccupations des salariés et qu’ils connaissent le bassin d’emploi concerné.

Pour terminer, les conseils des prud’hommes, comme cela a déjà été dit, sont surchargés, en raison notamment de la fermeture du tiers d’entre eux, de la diminution de leurs moyens par l’ancienne majorité et du raccourcissement de la formation des conseillers. Les délais de procédure beaucoup trop longs ont entraîné à de nombreuses reprises la condamnation de l’État. Monsieur le ministre, si des économies doivent être réalisées par la suppression de ces élections, il me paraît indispensable qu’elles servent à une réelle amélioration des conditions de fonctionnement des conseils prud’homaux et à la formation des conseillers.

Oui, l’institution des prud’hommes est une vieille dame respectable, qui avait sûrement besoin d’être modernisée, actualisée, probablement rafraîchie, mais pas amputée de ce qui faisait sa spécificité : l’élection de ses conseillers au suffrage direct.

Mme Jacqueline Fraysse. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre. Mesdames et messieurs les députés de l’UMP, je regrette votre position, qui est l’inverse de celle qui a été adoptée au Sénat, au moins en partie. Je vous ai senti très gênés pour trouver des arguments qui puissent justifier votre vote contre ce texte. Au fond de vous-mêmes, en effet, vous savez bien que nous avons raison de procéder ainsi. L’argument de constitutionnalité n’est pas un bon argument et a du reste été écarté assez rapidement au Sénat. Pour le reste, le cadre de la loi fixe le contour et le recours aux ordonnances répond à un aspect très technique, car il n’incombe pas forcément à la loi d’entrer dans ces détails. Je vous ai sentis, je le répète, un peu gênés. Je ne sais pas ce qui s’est passé au sein de votre groupe – c’est votre histoire –, mais sûrement avez-vous été mis en difficulté en voulant soutenir ce texte ou en vous abstenant.

Mme Sophie Dion. Nous votons contre !

M. François Rebsamen, ministre. Le même raisonnement pourrait s’appliquer à l’UDI, mais c’est même pire, car ce groupe a voté le texte au Sénat avec des arguments tout à fait convaincants, alors qu’il ne le vote pas dans cette assemblée. Après tout, chaque groupe a sa propre logique, dans laquelle je ne veux pas entrer.

Quant aux écologistes,…

M. Christophe Cavard. Nous, au moins, nous sommes cohérents !

M. François Rebsamen, ministre. …nous avons au moins eu un bon débat avec M. Desessard et je l’aurai avec vous en deux mots. Supprimer une élection est antidémocratique dites-vous, mais j’ai fait observer à M. Desessard que, lorsqu’il proposait la suppression de l’élection présidentielle, il ne se posait pas cette question.

Madame Fraysse, je tiens à vous rassurer sur notre état d’esprit. Ne préjugez pas de cette réforme des prud’hommes, que vous savez tous nécessaire. Je réaffirme ici le caractère paritaire des prud’hommes. La consultation avec les organisations patronales et syndicales a eu lieu, et elle a même eu lieu sur le terrain. Je suis donc assez surpris de constater que vous ne portez pas la même appréciation que votre collègue au Sénat, M. Lemoine qui, rappelant qu’il avait consulté à l’échelle nationale et locale, parvenait à la conclusion qu’il s’agissait d’une bonne proposition. Quant aux consultations que nous avons menées avec l’ensemble des organisations syndicales et patronales, nous ne percevons pas sur le terrain les mêmes critiques que celles qui sont formulées ici. Efforçons-nous donc d’éviter les postures, afin de pouvoir avancer concrètement.

Je remercie tous les intervenants du groupe socialiste pour leurs apports et leurs analyses juridiques. Deux questions précises ont été posées, notamment par M. Robiliard, sur le maillage territorial. La proximité sera bien évidemment la plus forte possible et le lien avec le territoire ne sera pas supprimé, bien au contraire. Cette réflexion sera conduite avec les partenaires sociaux.

Quant à l’épuisement des listes, nous en avons jusqu’à présent rencontré un seul cas. On peut trouver des formules assez souples, comme des changements de section, qui ont été évoquées l’autre jour à Orléans avec des conseillers prud’homaux qui se montraient assez favorables à cette idée. Nous allons donc nous efforcer de faire jouer la souplesse. En tout état de cause, je tiens à vous remercier tous pour la qualité des débats et pour l’ambiance dans laquelle se déroule cette soirée.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Sylviane Bulteau, rapporteure. Il est rassurant de constater dans ce débat que, sur tous les bancs, nous sommes tous attachés au tribunal des prud’hommes, qui permet de défendre les salariés. Avec 74 % d’abstention, le « mythe » qu’évoquait M. Tourret a un peu de plomb dans l’aile. Cependant, comme je l’ai déjà déclaré devant la commission, je ne veux pas faire de l’abstention l’élément premier de ce projet de loi. On a peu évoqué la difficulté liée à la mesure d’audience instaurée par la loi de 2008 et à l’élection des prud’hommes, qui fournit une autre façon de comptabiliser les résultats. Je suis certaine que cette situation est l’un des éléments qui ont motivé ce projet de loi. Je tiens aussi, comme l’a fait M. le ministre, à vous rassurer à propos de l’épuisement des listes, prévu à l’article 2.

Quant aux craintes exprimées par Mme Dion de nous voir affaiblir la juridiction, je tiens à dire que ce qui affaiblit la juridiction, c’est précisément l’abstention, qui réduit la légitimité, et, surtout, le manque de moyens des juridictions. Le ministre nous confirme et nous informe qu’il est en train de préparer une révision du dispositif avec Mme Taubira. Nous pouvons tous être rassurés, car c’est aussi cela que nous demandons : que cette justice prud’homale s’exerce au mieux, dans la proximité et la rapidité, pour satisfaire les salariés qui la saisissent.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 1 et 7, qui visent à supprimer l’article.

La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour soutenir l’amendement n1.

Mme Jacqueline Fraysse. L’article 1er vise à remplacer l’élection des conseillers prud’homaux par une désignation. Les mots ont un sens et personne ne s’y trompe, même si vous osez affirmer que ce texte vise à renforcer la légitimité démocratique des conseillers prud’homaux. En réalité, vous remettez en cause un principe fondamental de démocratie directe, auquel tiennent les salariés – on les comprend car ils peuvent pratiquement tous être élus juges.

À cela s’ajoute le fait qu’avec la désignation en lieu et place de l’élection, vous excluez concrètement les travailleurs précaires, les retraités et les millions de chômeurs, qui peuvent voter, ainsi que les candidatures libres en dehors des organisations syndicales. Vous restreignez le choix démocratique, car la plupart des organisations syndicales de salariés se présentent à ces élections, ce qui n’est pas le cas pour les élections professionnelles.

Je ne reviens pas sur l’ensemble des arguments que j’ai déjà développés dans mon intervention générale. Pour toutes ces raisons, cet amendement vise à supprimer l’article 1er qui, de surcroît, se réfère aux ordonnances. Notre objectif est de permettre un vrai débat sur un sujet très important. Vous avez en effet rappelé, madame la rapporteure, que nous étions tous attachés à ces tribunaux prud’homaux, et je vous le confirme. Aucun argument ne justifie l’urgence. Prenons le temps de travailler sérieusement sur ces questions fondamentales. Telles sont les raisons pour lesquelles je dépose cet amendement de suppression, sur lequel je demande un scrutin public.

M. le président. Sur l’amendement n1, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Christophe Cavard, pour soutenir l’amendement n7.

M. Christophe Cavard. Cet amendement tend lui aussi à la suppression de l’article 1er. Il est assez rare de la part de notre groupe de ne pas entrer dans un texte avec des propositions de contenu mais, dans le cas présent, il était difficile de mettre un contenu dans un texte que vous qualifiez vous-même de technique et qui renvoie aux ordonnances. Or, c’est précisément parce qu’il renvoie aux ordonnances que nous sommes très frustrés de ne pas pouvoir débattre du fond du texte. Je vous interroge à nouveau – je l’ai déjà fait, mais vous n’avez pas répondu et sans doute aurez-vous maintenant l’occasion de le faire – sur la complémentarité entre la démocratie sociale, avec les syndicats, et la démocratie parlementaire. Comme on le dit depuis le début, la démocratie sociale a aussi ses limites, car les syndicats ne représentent pas l’ensemble du corps électoral jusqu’ici mobilisé pour les élections prud’homales, au même titre que les parlementaires ne rassemblent pas toutes les couches sociales. Tel est bien le sens de la complémentarité entre les deux. Nous sommes frustrés et, sauf à réécrire un texte de loi – ce que nous vous avons épargné dans le débat –, notre amendement est le moyen de revenir vers vous dans le cadre d’une discussion.

Puisque vous m’avez interrogé, d’une manière certes taquine, sur le débat que vous avez eu avec mon collègue sénateur, je précise que, si nous proposons la suppression de l’élection du Président de la République, nous ne sommes pas pour autant favorables à sa désignation. Son élection doit être remplacée par un autre type de scrutin, plus parlementaire et lié à d’autres fonctions. Je vous rassure donc : nous ne sommes pas favorables à la désignation du Président de la République, dont l’élection est celle qui suscite le taux de participation le plus élevé. Je tenais au moins à vous le dire, afin de vous éviter d’avoir à répéter cet argument.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sylviane Bulteau, rapporteure. On a suffisamment débattu de la représentativité à la suite de la loi de 2008. Les élections professionnelles suscitent plus de participation que l’élection des prud’hommes. Quant à la participation et à la représentativité des demandeurs d’emploi, j’ai expliqué dans mon intervention que les syndicats ont aussi vocation à représenter les chômeurs, les retraités et les précaires et que, sur le cycle de quatre ans, il y a fort à parier que ces gens aient pu participer, à un moment ou un autre, à une élection professionnelle. Avis défavorable à ces amendements, qui ont été repoussés par la commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. Avis défavorable, bien sûr, à ces deux amendements quasiment identiques. La réforme présente l’avantage de renforcer, contrairement à ce qui a été dit, la légitimité même de l’institution prud’homale et des juges qui la composent.

Je suis surpris de constater que l’argument de la participation en chute libre, malgré les efforts réalisés, notamment lors de la dernière élection, en 2008, pour valoriser le rôle des conseillers prud’homaux, n’ait pas plus impact dans vos rangs. En effet, chaque fois que, lors d’une élection politique, le taux de participation chute – ce que nous regrettons tous –, sans même qu’il atteigne ce niveau, on entend des protestations sur la légitimité même de la représentation politique. Ce devrait être a fortiori le cas pour l’élection de juges. En adossant le dispositif à l’audience, sur une base de représentation et de vote plus importante, comme l’a dit Mme la rapporteure, nous allons dans le bon sens.

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion.

M. Gérard Cherpion. Monsieur le ministre, je ne suis nullement gêné du choix de vote que nous avons fait et je ne voudrais pas que vous partiez avec ce sentiment.

Si nous soutenons la demande de suppression de l’article 1er, c’est parce que nous n’avons pas eu de réponse de votre part sur la deuxième partie, c’est-à-dire sur le contenu de l’ordonnance. Vous nous avez en effet seulement répondu que c’était technique, et que le Parlement n’avait donc pas à s’en occuper. Or, la procédure de nomination des prud’hommes est un point très important : s’il était purement technique, il relèverait du décret.

Or nous ne sommes pas dans une procédure de décret, mais dans une procédure d’ordonnance. Autant je pense qu’il faut certainement modifier diverses choses – c’est la raison pour laquelle je ne voterai pas ces amendements de suppression –, autant je pense que vous n’avez pas forcément répondu aux interrogations qui sont les nôtres.

M. le président. La parole est à M. Michel Issindou.

M. Michel Issindou. Notre groupe s’opposera à ces amendements et ne les votera évidemment pas, pour les raisons qui ont été exprimées tout au long de la soirée. Deux systèmes sont aujourd’hui en compétition pour la représentativité : les élections prud’homales et les élections professionnelles, qui se font en quelque sorte concurrence. L’un de ces systèmes marche mieux que l’autre puisqu’il y a plus d’électeurs dans un schéma que dans l’autre.

Sur la question de la légitimité, Mme Fraysse a dit que les salariés y étaient très attachés ; mais s’ils y étaient très attachés, ils iraient voter plus massivement ! La désaffection est donc bien notoire et évidente, même si cela ne doit pas absolument entraîner la suppression de l’élection. Mais, dès lors qu’il existe un autre système plus performant de représentation, expérimenté à deux reprises, en 2008 et 2014, et que ce sont souvent les mêmes candidats que l’on retrouve aux élections professionnelles et aux élections prud’homales, issus des mêmes organisations syndicales, cela crée une confusion. Pour éviter cette confusion, la désignation qui s’appuie sur des bases solides de représentativité me semble être le bon schéma. Notre groupe ne votera donc pas ces deux amendements.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 et 7.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants11
Nombre de suffrages exprimés9
Majorité absolue5
Pour l’adoption2
contre7

(Les amendements identiques nos 1 et 7 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à Mme Kheira Bouziane, pour soutenir l’amendement n3.

Mme Kheira Bouziane. Par cet amendement, je souhaite ajouter dans l’alinéa 1, après les mots « du caractère paritaire de la juridiction », les mots « en tenant compte de l’intégration des organisations syndicales, des demandeurs d’emploi et des non syndiqués. »

En fait, dans la rédaction actuelle du texte, le processus de désignation des conseillers exclut les demandeurs d’emploi. Plus de cinq millions de chômeurs sont amenés à utiliser cette institution au quotidien, mais ne pourront pas participer au processus de désignation des conseillers.

L’argument avancé selon lequel les chômeurs, sur une période de quatre ans, pourront à un moment ou à un autre participer aux élections professionnelles, méconnaît le fait que les chômeurs sont actuellement inscrits en moyenne 526 jours – ce sont les derniers chiffres de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES. Or, pour pouvoir être électeur aux élections professionnelles, il faut au moins trois mois d’ancienneté dans une entreprise, ce qui exclut les personnes reprenant une activité pour une courte durée. De plus, actuellement, toutes les entreprises n’organisent pas d’élections professionnelles.

Par ailleurs, le texte ne permet pas aux salariés non syndiqués de devenir conseillers prud’hommes : cela revient encore une fois à exclure une grande partie de la population.

M. François Rebsamen, ministre. Ce n’est pas vrai !

Mme Kheira Bouziane. Les syndicats n’accepteront pas, et c’est légitime, de désigner des salariés qui ne sont pas syndiqués chez eux ; or le principe de la liberté syndicale s’oppose à la création d’une obligation d’adhésion pour accéder à la charge de conseiller prud’homme. Il y a un risque réel d’inconstitutionnalité liée à cette création d’un monopole syndical.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sylviane Bulteau, rapporteure. Madame Bouziane, chère collègue, vous proposez dans votre amendement de tenir compte de l’intégration des organisations syndicales, des demandeurs d’emploi et des non syndiqués. Je ne vais pas reprendre tout ce que nous avons déjà développé tout au long de la soirée, notamment sur les demandeurs d’emploi ; mais je crois que votre objectif de « tenir compte de l’intégration » n’apparaît pas très clair. Il serait intéressant que vous vous reportiez aux neuf points développés à l’article premier, qui vous permettront de mieux appréhender la façon dont nous demandons au Gouvernement de travailler à cette mise en œuvre de désignation.

Quant aux non syndiqués, ils ne constituent pas une catégorie juridique en soi et le projet de loi n’interdit en rien qu’ils soient présentés sur les listes proposées par les syndicats.

Tout cela sera travaillé par le Gouvernement en concertation avec les organisations syndicales, car il est évident que le dialogue social continue sur ce projet de loi et que le Gouvernement ne rédigera pas cette ordonnance tout seul dans son coin. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. L’avis du Gouvernement est bien sûr défavorable. Je voudrais demander à Mme Bouziane, si elle entend mon explication, de bien vouloir retirer son amendement. En effet, je voudrais rappeler ici que le nouveau mode de désignation assure clairement la prise en compte de l’ensemble des employeurs et des salariés, syndiqués ou non, y compris des personnes qui auraient perdu momentanément leur emploi.

Je ne reviens pas sur le cycle de mesure de l’audience tous les quatre ans, vous l’avez évoqué, qui permet de prendre en compte l’ensemble des demandeurs d’emploi qui éventuellement ne le seront plus au bout de quatre ans.

J’ajoute également que les organisations syndicales et professionnelles sont parfaitement légitimes pour représenter l’ensemble des salariés et des demandeurs d’emploi. Contrairement à ce que vous croyez, madame la députée, les candidats à la fonction de juge pourront être demain des demandeurs d’emploi ou des non syndiqués, et je voudrais vous dire qu’il y en a déjà ! Aujourd’hui, certains candidats sont également demandeurs d’emploi ou non syndiqués, et pourront très bien demain être désignés !

D’ailleurs, un certain nombre d’organisations syndicales m’ont fait part de leur souhait car, parfois, ils n’arrivent pas à trouver suffisamment de syndiqués et sont très heureux de faire confiance à des salariés non syndiqués, qui font très bien leur travail de juge. Voilà ce que je voulais vous préciser.

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion.

M. Gérard Cherpion. Cet amendement recouvre deux aspects. Le premier concerne les demandeurs d’emploi qui, dans l’état actuel des choses, peuvent s’inscrire sur les listes électorales – même s’ils le font assez peu souvent – et donc être élus. On peut espérer également que ce statut de demandeur d’emploi soit passager et que l’on retourne vers l’emploi, permettant une représentation des personnes ayant connu, hélas, cette situation.

Le deuxième aspect concerne les personnes qui ne sont pas syndiquées. Vous faites preuve d’un optimisme qui vous honore, monsieur le ministre, mais dans la réalité, les différentes représentations syndicales que j’ai pu rencontrer en bilatéral, directement, m’ont toutes dit qu’il n’était pas question a priori de nommer quelqu’un qui n’appartient pas à leur syndicat – je parle en particulier des organisations syndicales salariales. Même si des cas de représentants n’émanant pas d’organisations syndicales existent, ils se comptent sur les doigts d’une main. On ferme donc cette possibilité à toute une partie de la population salariée : c’est une atteinte au droit constitutionnel, monsieur le ministre !

M. François Rebsamen, ministre. Pas plus qu’avant !

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard.

M. Christophe Cavard. Dans le prolongement de cette discussion, vous dites, monsieur le ministre – et on peut entendre votre argument – que cette nouvelle forme de représentation par désignation couvrirait l’équivalent du corps électoral actuel. Mais qu’on le veuille ou non, le corps électoral change ! Certes, celles et ceux qui sont censés représenter tant les demandeurs d’emploi que diverses catégories de personnes pourraient – je parle au conditionnel, car nous avons tous souligné la crise de la représentation, notamment syndicale – être désignés par des organisations syndicales, sur le principe paritaire de la gestion des dispositifs destinés aux demandeurs d’emploi ; c’est ce que vous dites, madame la rapporteure. Mais la représentation, ce n’est pas la même chose que le droit de mettre un bulletin de vote dans l’urne : ce sont deux choses différentes, vous ne pouvez pas le nier !

Peut-être n’ai-je pas assez travaillé le dossier ; mais j’en profite tout de même pour vous interroger à nouveau, car je ne vous ai pas entendu me répondre, sur la question des représentants élus dans un certain nombre de collèges. Je pense au secteur du hors-champ, évoqué tout à l’heure, et plus particulièrement au secteur de l’économie sociale, avec la représentation d’employeurs associatifs. Jusqu’à preuve du contraire, ces gens ne sont pas liés à la représentation syndicale.

Même si le texte est adopté et même si vous allez travailler sur ces ordonnances, rassurez-nous sur le devenir, dans le dispositif que vous nous proposez ce soir, de ces personnes siégeant aujourd’hui en tant que juges prud’homaux dans le collège des employeurs, car nous restons quand même très interrogatifs.

M. le président. Madame Bouziane, maintenez-vous votre amendement ?

Mme Kheira Bouziane. Je voudrais répondre à Mme la rapporteure, qui m’a fait relire les neuf points de l’article premier : je ne vois pas où pourrait être incluse la demande qui est faite. Cependant, je veux bien faire confiance à M. le ministre qui s’engage à tenir compte de cette demande, même si je reste quand même inquiète du risque d’inconstitutionnalité soulevé par mon collègue Cherpion. Je retire donc cet amendement.

(L’amendement n3 est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme Kheira Bouziane, pour soutenir l’amendement n5.

Mme Kheira Bouziane. Cet amendement rejoint la dernière remarque que j’ai faite lorsque je suis intervenue tout à l’heure quant aux moyens complémentaires alloués aux juridictions prud’homales. La suppression des élections en raison de leur coût laissant présager des économies, je souhaite que celles-ci soient réaffectées au bon fonctionnement de la justice prud’homale. Ainsi que cela a été rappelé, les délais devant les conseils sont inadmissibles pour les salariés qui représentent 98 % des personnes saisissant ces juridictions.

Les conseillers prud’hommes se plaignent quant à eux de ne pas avoir ne serait-ce que des codes du travail les jours de séance, ni même du papier pour le fax – et j’en passe ! Cette réaffectation est nécessaire pour le bon fonctionnement des prud’hommes auxquels nous sommes tous ici attachés. Elle contribuera également à la sécurisation voulue par les organisations syndicales et patronales, qui souhaitent, comme elles l’ont exprimé lors des discussions sur l’ANI, l’accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi, plus de célérité dans le règlement des conflits de travail. Cela permettrait d’augmenter le nombre de greffiers et de juges départiteurs.

L’État s’est fait condamner soixante et onze fois devant la justice en raison des délais déraisonnables devant les conseils des prud’hommes ; il est donc indispensable que soient réaffectés les moyens pour cette juridiction afin qu’elle remplisse son objectif.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sylviane Bulteau, rapporteure. Avis défavorable, même si nous avons vu dans cet amendement un amendement d’appel. Nous sommes tous d’accord pour que la juridiction des prud’hommes fonctionne mieux avec plus de moyens. Peut-être M. le ministre pourra-t-il nous confirmer ce qu’il compte faire des économies que nous allons réaliser avec ce changement dans le mode de désignation ?

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. L’avis est défavorable parce que ce n’est pas l’objet de ce projet de réforme. L’habilitation qui vous est demandée aujourd’hui porte sur la désignation des conseillers prud’homaux et non sur le fonctionnement de cette juridiction. De plus, l’amendement ouvre trop largement le champ de l’habilitation qui est donnée au Gouvernement.

Cela étant, je tiens à vous informer et, peut-être, à vous rassurer : une partie des sommes qui seront ainsi « non dépensées » servira d’une part à la formation nécessaire dans le cadre du fameux tronc commun dont nous parlions tout à l’heure, d’autre part, à faciliter la vie de la démocratie sociale, notamment le financement des organisations syndicales et patronales, conformément aux dispositions de la loi du 5 mars 2014.

Il ne s’agit donc pas là d’une économie stricto sensu – c’est pour cela que je ne l’ai pas présentée ainsi tout à l’heure –, mais bien d’une réaffectation d’une partie des fonds pour faire vivre mieux la démocratie sociale.

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion.

M. Gérard Cherpion. L’amendement est tout à fait intéressant parce qu’il souligne l’un des points que j’ai cités tout à l’heure, à savoir la fragilité de l’institution prud’homale au regard de ses moyens tant en personnel, puisque nous manquons de greffiers, que financiers, pour statuer et pour répondre aux besoins.

Cela a évidemment un lien direct, Mme Bouziane a raison sur ce point, sur les délais : comme l’on manque de moyens – il n’y a pas suffisamment de greffiers, de salles, etc. –, les délais s’allongent, conduisant parfois à la condamnation de l’État.

Il faut certes donner plus de moyens aux juridictions prud’homales pour la formation et pour le fonctionnement des institutions syndicales, mais vous n’avez pas cité les greffiers ni les personnels de greffe ; or c’est un des points sur lesquels il faut absolument réaliser des efforts.

(L’amendement n5 n’est pas adopté.)

(L’article 1er est adopté.)

Article 2

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard, pour soutenir l’amendement n8, qui vise à supprimer l’article.

M. Christophe Cavard. On reste dans la continuité, et je ne vais pas redire ce que j’ai dit tout à l’heure sur ce texte.

Cet article tend, en attendant le dispositif que vous souhaitez instaurer monsieur le ministre, à proroger le mandat des quelque 14 500 conseillers prud’hommes qui ont été élus en 2008. Leur mandat aura ainsi duré neuf ans ! Votre objectif est que nous ayons un dispositif plus efficace, avec plus de moyens, etc. C’est que vous nous dites depuis tout à l’heure, et je ne le contesterai pas, même si nous pensons que ce n’est pas la bonne méthode.

Première question, comment allez-vous faire pour tenir jusqu’en 2017 avec un dispositif que vous-mêmes êtes les premiers à critiquer de manière plus que violente, précisément pour justifier le texte que nous examinons ce soir ? Comment allez-vous faire pour que ce dispositif tienne jusqu’au 31 décembre 2017 ? Quels moyens allez-vous donner, aujourd’hui ou dans les jours qui viennent, à la juridiction prud’homale pour que les conseillers puissent aller jusqu’au bout de leur mandat.

Deuxième chose, sur la question de la formation – vous voyez, on y revient –, on n’est peut-être pas obligés d’attendre 2018. Donc je vous pose la même question, j’en profite : quels moyens allez-vous engager en attendant de discuter avec les partenaires sociaux de la formation ? D’après le rapport Lacabarats, que j’ai cité tout à l’heure, il y a peut-être un certain nombre de lacunes en la matière. Je profite donc de l’occasion et de la défense de mon amendement de suppression de cet article 2 pour vous demander s’il faut tout simplement attendre 2018 ou si quelque chose de concret va se passer d’ici à cette date, compte tenu du fait que votre objectif est de préserver le rôle et la fonction des conseils de prud’hommes, de faire en sorte qu’ils réussissent dans leur mission ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sylviane Bulteau, rapporteure. Défavorable, pour toutes les raisons que nous avons déjà développées tout au long de la soirée. Je voudrais quand même rassurer M. Cavard. L’article 2 – peut-être M. le ministre y reviendra-t-il plus longuement – comporte toutes les dispositions nécessaires en ce qui concerne la formation des nouveaux conseillers qui pourraient arriver sur les listes en attendant le 31 décembre 2017, et aussi les dispositions pour pouvoir les remplacer facilement, justement, au cas où il y aurait épuisement des listes. M. le ministre a d’ailleurs donné tout à l’heure le chiffre : finalement, très peu de cas se présentent.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. Je vous répondrai tout à l’heure, monsieur le député Cavard, sur le renouvellement des listes et les remplacements, puisque c’est aussi l’objet de l’amendement suivant. Vous savez que la durée du droit à formation est de six semaines, trente-six jours plus exactement. Un calcul a donc été fait, et une formation complémentaire sera autorisée en plus des trente-six jours déjà acquis et de manière proportionnelle à l’allongement de la durée du mandat. Si on vous écoutait, monsieur le député, donc si on supprimait cette disposition, on supprimerait le droit à une formation complémentaire, supplémentaire en raison de l’allongement de la durée du mandat jusqu’en 2017. Ce ne serait pas une bonne mesure.

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion.

M. Gérard Cherpion. C’est en fait la lettre rectificative du 16 juillet dernier qui a introduit dans le projet de loi sur les prud’hommes cet article 2 dont l’objet est la prorogation des mandats actuels. Or c’est la deuxième prorogation du mandat actuel des conseillers prud’hommes. L’article 7 de la loi de 2010 complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale issues de la loi de 2008 repoussait déjà le prochain renouvellement à une date définie par décret, au plus tard le 31 décembre 2015. Dans la version initialement déposée, avant le 16 juillet, au Sénat, l’article 1er de ce projet de loi prévoyait un dispositif transitoire pour la période 2015-2017, consistant d’ailleurs, pour le collège salarié, en une désignation des conseillers – le principe était bien celui d’une désignation – en fonction des résultats aux élections professionnelles de 2008 et 2012 et, pour le collège employeur, en une désignation des conseillers selon les règles transitoires ad hoc.

Cette nouvelle prorogation introduite par l’article 2 serait justifiée par la nouvelle circonstance que constitue le volet relatif à la représentativité patronale, si j’ai bien compris, issu de la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, qui permettra d’ici à 2017 d’établir l’audience des organisations syndicales patronales suivant le critère du nombre d’adhésions recueilli par organisation. Cette prorogation, vous en serez d’accord, n’est pas justifiée par l’intérêt général. Or, en vertu d’une exigence constitutionnelle, seul l’intérêt général peut justifier, à titre exceptionnel et transitoire, soit une cessation anticipée soit une prolongation des mandats électifs en cours. La prorogation qui nous occupe n’entre pas dans ce champ. À mon sens, cela va poser un problème.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre. Non, au contraire, monsieur le député. La rupture d’égalité, dans la représentation, aurait consisté à renouveler pour deux ans une partie, alors même que, pour le collège employeur, il fallait attendre les formes de 2017. C’est ce que le Conseil d’État a dit. C’est pourquoi nous sommes tout à fait en conformité avec les préconisations juridiques du Conseil d’État, en agissant comme nous le faisons ce soir. Je suis donc serein sur ce plan.

(L’amendement n8 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour soutenir l’amendement n2.

Mme Jacqueline Fraysse. Cet amendement a pour objet de supprimer le I de cet article, qui reporte au 31 décembre 2017 le renouvellement des conseils de prud’hommes. Je répète ce que vous savez déjà et ce que plusieurs de mes collègues ont déjà dit : les conseillers ont été élus en 2008, pour cinq ans et le renouvellement qui aurait dû avoir lieu en 2013 a déjà été reporté à 2015. Vous proposez maintenant de reporter à 2017. Ces reports successifs entravent déjà, actuellement, le fonctionnement des conseils de prud’hommes. Et, évidemment, au fil du temps, d’ici au 31 décembre 2017, ces difficultés ne peuvent que s’accentuer. Les listes des organisations syndicales s’épuisent et, dans certains conseils, il n’y a ou il n’y aura plus de conseillers en nombre suffisant pour régler les problèmes. Je réitère donc ma question : que proposez-vous que nous fassions quand il n’y aura plus, dans certains cas, de conseillers en nombre suffisant ? Je sais que l’on peut recourir à des élections partielles. Est-ce que c’est cela la bonne solution, alors que vous envisagez de supprimer les élections ? Cela va encore coûter cher, d’ailleurs, si on doit organiser des élections partielles. Voilà donc pourquoi nous présentons cet amendement.

J’ai voté l’amendement de suppression de tout l’article proposé par mon collègue Cavard. Je pense qu’à tout le moins il faudrait adopter le mien, qui supprime ce report et qui vous invite à organiser au plus vite de nouvelles élections nationales.

M. Michel Issindou. C’est bien tenté !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sylviane Bulteau, rapporteure. Défavorable. Je vous invite, madame Fraysse, à vous reporter à la page 33 de mon rapport. Il y est précisé, justement, qu’afin d’anticiper les problèmes de vacance qui pourraient surgir au cours de la période de prolongation des mandats le III a pour objet d’augmenter le nombre de renouvellements possibles des affectations temporaires. Il serait autorisé de renouveler celles-ci plus de deux fois, jusqu’à la date du prochain renouvellement général des conseillers des prud’hommes. Et, pour vous rassurer également, rappelons peut-être quelques chiffres sur les vacances : entre 2009 et 2013, il y a seulement eu vingt-cinq élections complémentaires organisées, principalement dans le collège des employeurs. Vingt-cinq élections sur 14 500 sièges de conseillers prud’homaux ! Je pense qu’on peut être rassurés.

Mme Jacqueline Fraysse. Je ne le suis pas !

M. le président. Sur l’amendement n2, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. Défavorable.

D’abord, maintenir une élection des conseillers de prud’hommes en 2015 pour deux ans n’est pas souhaitable, parce que ce serait, effectivement, trop lourd pour une durée limitée et pour les raisons d’équité que j’évoquais tout à l’heure. Je veux préciser – et je réponds donc en même temps au député Cavard – qu’en cas d’épuisement des listes de candidats la continuité de la juridiction est assurée par le code du travail. On fait appel aux suivants de liste et on réaffecte des conseillers dans une autre section ou dans un autre conseil. On peut même éventuellement, si besoin est, organiser une élection complémentaire. Je l’ai dit aux organisations syndicales lorsqu’elles me demandaient comment nous ferions.

Ces dispositions sont renforcées par le présent article 2 – c’est pour cela qu’il ne faut pas le supprimer –, avec l’aval des partenaires sociaux membres du conseil supérieur de la prud’homie. Et puis je voudrais préciser à l’Assemblée qu’en 2017 on reverra sûrement l’affectation du nombre de conseillers en fonction des dossiers qui sont examinés. On le sait très bien : ce ne sont pas les mêmes d’une juridiction à l’autre, d’un lieu à l’autre. Cela se fait donc sans diminuer le nombre de conseillers prud’homaux. Je le dis parce qu’ils y sont très attentifs.

Je n’ai pas le sentiment, malgré les postures, que les organisations syndicales aient exprimé, lors de mes rencontres bilatérales avec elles, des oppositions aussi nettes que celles que j’entends ce soir sur ces bancs.

Mme Jacqueline Fraysse. On les a entendues dans la rue !

M. François Rebsamen, ministre. Ils n’étaient pas très nombreux, dans la rue…

M. le président. La parole est à M. Michel Issindou.

M. Michel Issindou. Je confirme la position du groupe SRC. Nous avons été assez clairs, lors de l’examen de l’article premier, pour dire qu’on passait d’un système d’élection à un système de désignation. Ce que demande Mme Fraysse, c’est de revenir à une élection partielle, de revenir, finalement, sur l’article premier. Nous venons de rejeter cette possibilité. Le texte et les propos que le ministre vient à l’instant de tenir nous offrent la garantie qu’il n’y aura pas de vacance, puisque les procédures existent, qui permettent d’accueillir des conseillers pour remplacer les partants.

Nous voilà donc rassurés, et je pense qu’il faut s’opposer à l’adoption de cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion.

M. Gérard Cherpion. J’entends bien la réponse de M. le ministre. Le code du travail offre effectivement des possibilités de renouvellement pour une durée de six mois, reconductible deux fois, soit dix-huit mois. On aura peut-être un petit problème pour les six derniers mois, mais on ne va pas se prononcer ce soir à ce propos.

Ce qui m’inquiète dans votre réponse, monsieur le ministre, c’est que vous nous dites, à juste titre, que l’on peut déplacer des juges prud’homaux d’une section vers une autre, et, effectivement, cela se produit à l’heure actuelle, dans la mesure où un certain nombre de sections n’ont plus de réservoir, de potentiel, en termes de personnes. Cependant, j’ai l’impression que vous avez la tentation d’élargir le champ de cette possibilité. Est-ce que cela veut dire que, dans votre esprit, il y aura une modification du nombre de sections, une redéfinition des sections, ou est-ce que cela veut dire, par exemple, que, territorialement, des sections pourront avoir un domaine extrêmement vaste ? Je prendrai l’exemple des professions libérales ou de certaines professions. Le problème se pose, qui concerne le nombre et la qualité des sections.

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard.

M. Christophe Cavard. Je soutiens l’amendement de notre collègue Jacqueline Fraysse.

Monsieur le ministre, vous estimez qu’il n’y aura pas trop de cas : j’imagine que cette estimation n’a pas été faite à la louche. Vous avez réalisé assez d’auditions, et consulté assez de partenaires – que vous allez sûrement revoir – pour estimer le nombre de conseillers dont le mandat prendra fin avant 2017. Pour faire cette estimation, il faut prendre en compte un certain nombre de réalités : d’autres raisons que les accidents de la vie peuvent conduire les conseillers prud’homaux à mettre fin à leur mandat. Ils peuvent tout simplement décider qu’ils y ont consacré assez de temps.

Pourriez-vous, d’ores et déjà, nous donner un chiffre, même approximatif ? Ou bien envisagez-vous de régler ce problème au fil de l’eau, au fur et à mesure des désistements ? Ce serait peu rassurant !

Une fois n’est pas coutume, je reprends les propos de notre collègue Cherpion, sur la modification des sections. J’ai bien compris qu’au-delà de cette réorganisation, l’idée est de transformer les conseils de prud’hommes en tribunaux prud’homaux. Cette suggestion figure dans le rapport Lacabarats – dont je suppose que vous vous êtes beaucoup inspiré. Ce rapport propose justement de revoir la logique des sections, et de renforcer certaines d’entre elles plus que d’autres.

Si c’est cela que vous envisagez, alors je vous dis : « pourquoi pas ? » Il est dommage néanmoins que ce débat ne soit mené qu’avec les syndicats, et pas avec la représentation nationale. Les parlementaires, aussi, doivent avoir leur mot à dire sur ce sujet.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre. Quelques précisions supplémentaires : tout d’abord, on constate qu’en général les conseillers prud’homaux sont assez attachés à leur mandat. J’ai l’impression que sur ce point, nous n’appréhendons pas la réalité de la même manière. Certains d’entre eux siègent depuis fort longtemps, depuis le début, même, pourrait-on dire.

Mme Jacqueline Fraysse. Pas depuis Napoléon !

M. François Rebsamen, ministre. Enfin, depuis près de vingt-cinq ans. Ils transmettent aujourd’hui leur expérience à des jeunes conseillers qui, demain, les remplaceront.

Pour le moment, il n’y a eu qu’un cas en un an. Je ne peux pas vous en dire plus. Vous voyez bien qu’il n’y a là rien d’insoluble.

Ce qui est vrai, c’est que dans certaines sections, il y a énormément de dossiers, et dans d’autres beaucoup moins. D’ailleurs, sur l’ensemble du territoire, les délais moyens d’attente ne sont pas les mêmes. On sait très bien, par exemple – et pour simplifier – que les délais sont plus importants en région parisienne que dans certaines juridictions du centre de la France, où nous nous sommes rendus l’autre jour, et où le nombre de greffiers est quasiment conforme aux effectifs théoriques.

Mme Jacqueline Fraysse. C’est sûr !

M. François Rebsamen, ministre. Il faut bien dire, monsieur Cherpion, que le nombre de postes a sévèrement diminué pendant un certain temps !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n2.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants11
Nombre de suffrages exprimés9
Majorité absolue5
Pour l’adoption2
contre7

(L’amendement n2 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Kheira Bouziane, pour soutenir l’amendement n6.

Mme Kheira Bouziane. Cet amendement complète le précédent. Il concerne les moyens mis à disposition des conseils prud’homaux, et plus précisément la formation.

Cela a été dit : l’allongement des mandats pose nécessairement la question de la formation des conseillers prud’hommes. Les économies que le Gouvernement entend réaliser en supprimant les élections devraient financer une augmentation du nombre d’heures de formation.

Nous savons tous que les choses évoluent depuis plusieurs années. Le contexte légal, réglementaire et jurisprudentiel évolue rapidement en droit du travail. La formation des conseillers prud’hommes doit être régulière pour qu’ils remplissent au mieux leurs fonctions. Je propose donc de doubler le nombre d’heures de formation.

J’ai cru comprendre qu’une porte était ouverte pour les conseillers futurs, qui remplaceront les conseillers actuels. Je crois aussi qu’il est nécessaire d’assurer une formation complémentaire aux conseillers qui sont déjà en place. Monsieur le ministre, ai-je bien compris vos intentions ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sylviane Bulteau, rapporteure. Avis défavorable, puisque l’octroi de jours supplémentaires ne concerne en réalité qu’un nombre limité de conseillers prud’hommes, ceux qui ont déjà épuisé le quota de six semaines de formation que le code du travail leur accorde pour toute la durée de leur mandat. Par ailleurs, votre amendement ne vise que le plafond de jours relatif à la période 2016-2017, et pas celui de la période 2014-2015. Il n’est donc pas harmonisé. Quant aux éventuels nouveaux conseillers qui seraient appelés à remplacer les juges démissionnaires, ils bénéficieront de l’intégralité de ces six semaines de formation.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. Défavorable. Comme l’a dit Mme la rapporteure, les conseillers prud’hommes disposent de six semaines d’autorisation d’absence pour suivre des formations pendant la durée de leur mandat. Ce projet de loi, qui proroge leur mandat, prévoit de leur donner six jours d’autorisation d’absence par année de mandat supplémentaire. Pour deux années supplémentaires, cela représente donc douze jours de formation.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, ces six jours ont été calculés au prorata de ce que représentent les six semaines pour un mandat de cinq ans. Ce nombre est suffisant pour des mandats qui sont tout de même en voie d’achèvement.

C’est pourquoi, dans la réforme que nous avons lancée avec Mme la garde des sceaux, une avancée supplémentaire est prévue. Je tenais à vous le dire. En plus de la formation actuellement dispensée, une formation initiale obligatoire supplémentaire de cinq jours sera accordée à tous les conseillers.

M. le président. La parole est à Mme Kheira Bouziane.

Mme Kheira Bouziane. Je suis relativement satisfaite par les annonces de monsieur le ministre. Qui peut le plus peut le moins !

Je retire donc cet amendement.

(L’amendement n6 est retiré.)

(L’article 2 est adopté.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles du projet de loi.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, lundi 24 novembre 2014, à seize heures :

Nouvelle lecture du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2015.

La séance est levée.

(La séance est levée, le vendredi 21 novembre 2014, à minuit cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly