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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du lundi 26 janvier 2015

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Croissance, activité et égalité des chances économiques

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (nos 2447, 2498).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de treize heures et cinquante-sept minutes pour le groupe SRC, dont 718 amendements sont en discussion, vingt heures et dix minutes pour le groupe UMP, dont 1 400 amendements sont en discussion, cinq heures et trente et une minutes pour le groupe UDI, dont 178 amendements sont en discussion, deux heures et quarante-deux minutes pour le groupe RRDP, dont 111 amendements sont en discussion, trois heures et sept minutes pour le groupe écologiste, dont 204 amendements sont en discussion, trois heures et cinq minutes pour le groupe GDR, dont 129 amendements sont en discussion, et une heure pour les députés non inscrits.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, chers collègues, je voudrais, en préambule, trois semaines après la tragédie qui a frappé Charlie Hebdo, évoquer un dessin du regretté Georges Wolinski – j’avais eu l’occasion il y a quelques mois de lui dire qu’il s’agissait d’un de mes préférés. Pour vous le décrire en quelques mots, on y voit une femme, blottie sous les draps, qui s’exclame : « Il pleut sur mon lit. D’après les communistes, il faudrait réparer le toit. ». Debout au pied du lit, un homme lui répond : « Mais non ! Écoutez plutôt le parti socialiste : il suffit de pousser le lit. » (Sourires.)

M. François Brottes, président de la commission spéciale. On peut faire les deux !

M. André Chassaigne. Ce dessin montre ce qui sépare depuis des années communistes et socialistes, révolutionnaires et réformistes – Syriza et Pasok, dirait-on aujourd’hui. Il illustre deux attitudes, deux conceptions du travail et des choix politiques de la gauche : l’une consiste à s’attaquer aux problèmes, et au système ; l’autre préfère déplacer les problèmes et s’inscrire dans le système en place, voire le conforter. Votre texte, monsieur le ministre, appartient à la seconde catégorie. Plutôt que de réparer le toit de la maison France, endommagé par la grêle et le vent mauvais de l’austérité, vous nous proposez de déplacer le mobilier, de mettre les services publics au placard, de vendre le reste et de glisser les difficultés des Français sous le tapis, tout en accrochant au mur le miroir aux alouettes de la société marchande.

Mais je ne filerai pas plus longtemps la métaphore. Je préfère revenir sur le titre du projet de loi et vous apporter la démonstration de la validité de mon appréciation.

Ce projet de loi va-t-il tout d’abord, comme le promet son intitulé, favoriser la croissance ?

En octobre dernier, les économistes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estimaient l’impact des mesures annoncées à environ 0,1 point de croissance supplémentaire par an, à horizon de cinq ans. À la même époque, le Trésor tablait, avec un certain optimisme, sur 50 000 à 60 000 emplois créés, à horizon de dix ans, du fait de l’ouverture à la concurrence dans les professions réglementées et le secteur des transports, hors assouplissement de la réglementation encadrant le travail dominical.

Depuis l’automne, le contenu de la loi a profondément évolué. Certains économistes, comme Antoine Goujard, économiste à l’OCDE, pensent que « l’impact de la loi devrait finalement être supérieur à celui [qu’ils avaient] estimé ». Nombreux sont toutefois ceux qui soulignent, à l’instar d’Élie Cohen, que les éventuels effets positifs des réformes seront faibles ; certains, comme Éric Heyer, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), estiment même qu’elles auront des effets récessifs à court terme.

S’agissant des effets sur la croissance du projet de loi, le ministère de l’économie se montre lui-même très prudent. Pour lui, l’objectif principal n’est pas tant de remédier au marasme économique, de relancer l’économie et de favoriser la croissance que d’envoyer un signal aux marchés et aux partenaires européens, celui d’une France qui « renonce à la philosophie de l’économie administrée » – ce sont là vos propres mots, monsieur le ministre. Bref, on ouvre la porte à une nouvelle vague de déréglementation sociale !

Ce texte va-t-il vraiment créer de l’activité ? Nous manquons là aussi d’analyses étayées. Le Conseil d’État s’était ému du « caractère lacunaire et des graves insuffisances de l’étude d’impact sur nombre de dispositions ». En réaction à ces justes reproches, le Gouvernement a demandé à France Stratégie, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, de réunir des experts indépendants afin d’évaluer le projet de loi – autant dire, monsieur le ministre, que vous leur avez demandé in extremis de venir en renfort pour apporter un semblant de caution scientifique à vos affirmations ! La commission d’économistes a répondu à votre appel et rendu dans l’urgence plusieurs rapports d’évaluation des dispositions phares du texte, rapports qui souffrent malheureusement de graves insuffisances.

S’agissant de l’autorisation d’ouvrir les commerces jusqu’à douze dimanches par an, la présidente de la commission, Mme Anne Perrot, affirme ainsi que cette mesure pourrait avoir « de manière non ambiguë des effets extrêmement positifs sur l’emploi et sur l’activité ».

Mme Clotilde Valter, rapporteure thématique de la commission spéciale. C’est bien, non ?

M. André Chassaigne. Toutefois, elle insiste sur le fait que « si l’on veut que cette loi produise des effets utiles sur l’emploi, il faudrait vraiment que les maires fassent un usage assez intense de la possibilité qui leur est offerte d’ouvrir les commerces douze dimanches par an ». Sans égard pour le fait que ces mesures vont ruiner la vie familiale des intéressés, la commission d’évaluation passe sous silence l’exemple de l’Italie, qui a généralisé l’ouverture dominicale des magasins depuis juillet 2012 ; or cette mesure s’est traduite, selon les syndicats italiens, par la fermeture de 60 000 points de vente dans le petit commerce et la perte de 90 000 emplois.

M. Gérard Cherpion. Tout à fait !

M. André Chassaigne. La commission passe également sous silence le rapport de 2008 du CRÉDOC, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, qui jugeait peu probable que l’ouverture dominicale des commerces soit créatrice d’emplois. Sur cette question comme sur tant d’autres, pour reprendre la belle formule d’Alain-Fournier, « l’approche est toujours plus belle que l’arrivée ».

Autre mesure passée au crible de France Stratégie : l’ouverture de l’offre de transport par autocar, qui devrait selon elle avoir des « effets très forts sur l’activité ». Il paraît que si l’on critique cette mesure, c’est que l’on fantasme – alors fantasmons ! Dans son rapport, la commission table, en s’appuyant sur l’exemple britannique, sur 22 000 créations d’emplois potentielles et estime que l’impact environnemental de la mesure devrait être positif, puisque les émissions de CO2 et de particules par les autocars seront – mais par quel miracle ? – équivalentes à celles du train, et que l’effet de substitution de l’autocar à la voiture particulière provoquera une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Or si rien n’indique que cette substitution aura bien lieu, nous avons en revanche tout à craindre d’un phénomène de substitution de la route au transport ferroviaire !

Sur ce point, la commission d’évaluation comme le Gouvernement restent silencieux. Vous affirmez, monsieur le ministre, que l’autocar n’a pas vocation à se substituer au train, qu’il s’agit seulement de proposer une offre complémentaire.

Mme Clotilde Valter, rapporteure thématique. Eh bien oui !

M. André Chassaigne. Ce n’est pas crédible ! Pourquoi mettre en place une autorité de régulation commune pour les transports ferroviaire et routier, si ce n’est pour favoriser la concurrence frontale entre le rail et la route sur le seul critère du prix de vente ? N’est-ce pas le signe que vous entendez abandonner la politique des transports au régime de la concurrence et des intérêts privés – à moins qu’il ne s’agisse encore d’un fantasme ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale. Oh que oui !

M. André Chassaigne. La mise en place de services librement organisés de transport par autocar s’inscrit, vous le savez parfaitement, dans un mouvement d’ensemble, une stratégie qui se trame depuis des années. Déjà, en novembre 2009, la Cour des comptes proposait de transférer au transport routier 7800 kilomètres de lignes de transport express régional (TER). Quant à la direction générale du trésor et de la politique économique, elle estimait qu’il convenait de décourager l’usage du train sur certaines liaisons, jugées trop coûteuses.

Depuis des années, l’État refuse de s’attaquer au fardeau insupportable de la dette qui plombe le système ferroviaire – plus 45 milliards d’euros ! – et s’accompagne d’une politique de sous-investissement, de réduction et de détérioration de l’offre ferroviaire, de suppression d’emplois de cheminots par centaines – on pourrait même dire par milliers – et de pratiques commerciales contraires aux attentes des usagers.

Dans ce contexte d’absence de volonté politique et d’aggravation des contraintes budgétaires, parce que c’est celui-ci qu’il faut considérer, à qui ferez-vous croire que les différents acteurs, qu’il s’agisse de l’État, des régions ou de la SNCF, qui a développé sa propre filiale de transport par autocar, ne vont pas être tentés de fermer des milliers de kilomètres de lignes ferroviaires pour leur substituer des liaisons par autocar ? Quelles seront les conséquences sur l’activité de ce déclin programmé du ferroviaire, ses conséquences sur l’emploi dans le secteur et dans l’industrie ferroviaire, filière industrielle majeure déjà durement éprouvée ? Quelles seront les conséquences pour les usagers en termes de confort, de sécurité, en termes aussi de fiabilité, quand on sait que les autocars sont soumis aux aléas climatiques aussi bien qu’aux aléas de la circulation routière ? Quel sera l’impact environnemental de la fermeture de lignes ferroviaires si, comme c’est probable, nombre des usagers du train se tournent alors vers la voiture particulière ? Les rares études dont nous disposons évaluent entre 30 et 70 % la proportion d’usagers qui en l’absence de train préféreront la voiture particulière à l’autocar. Pour quel bilan carbone ? Pour quelle amélioration du service rendu ?

Pas plus que la commission d’évaluation, le Gouvernement ne veut évaluer, aujourd’hui, ces risques bien réels. Nous reviendrons sur ces questions au cours des débats, mais une chose est sûre : nous n’allons pas nous satisfaire de simples éléments de langage, même s’ils sont bien rodés.

M. Pascal Cherki. Très bien rodés !

M. André Chassaigne. Puisque nous en sommes toujours aux incidences sur l’activité de votre projet de loi, rien ne permet non plus d’affirmer que les mesures qui concernent les professions réglementées vont se traduire par des créations d’emplois. Votre projet de loi se contente en effet de poursuivre le travail minutieux et méthodique d’ouverture d’une ère d’hyper-concurrence sur le marché du droit. Votre texte menacera de disparition des milliers de ces professionnels délégataires d’une mission de service public au profit d’une grande profession du droit privatisée. Le grand marché des activités juridiques que vous appelez de vos vœux connaîtra, à court terme, l’inexorable évolution des concentrations économiques. Les usagers seront confrontés à une braderie de leur sécurité juridique au profit de sociétés à l’anglo-saxonne dont le seul moteur est la profitabilité. L’emploi, lui, sera sacrifié. (Sourires et exclamations sur quelques bancs du groupe SRC.)

Je suis bien content de vous amuser. Si ma démonstration vous fait rire de cette façon, c’est sans doute qu’elle porte ses fruits.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique de la commission spéciale. Non, c’est parce qu’elle est un peu excessive !

M. André Chassaigne. Nous ferons le constat dans quelques années, à partir des résultats qui auront été ceux de ces orientations. L’usage veut en tout cas que lorsqu’un orateur s’exprime à la tribune, les rapporteurs fassent preuve d’une certaine discrétion et d’un certain respect pour ses propos.

Ce que je pense, donc, c’est que l’emploi, lui, sera sacrifié.

Quelles seront, de la même manière, les conséquences en termes d’activité de l’extension au ressort de la cour d’appel du monopole de la postulation d’avocat, si ce n’est de créer des déserts judiciaires par la fragilisation des cabinets d’avocats et la disparition des barreaux ? Quelles seront encore les conséquences sur l’activité, mais aussi sur l’environnement, des mesures préconisées en matière d’urbanisme et d’aménagement ? Quel sens peut bien avoir le développement de la concurrence entre grandes enseignes aux abords des villes, alors que chacun s’accorde à constater que le rythme d’ouverture des grandes surfaces est déjà bien supérieur à l’augmentation de la consommation ? Peut-on balayer d’un revers de main tous les aspects négatifs de telles mesures, les emplois détruits dans le petit commerce et la dégradation de l’environnement aux abords des villes ? Continuons l’inventaire. Quelles seront les conséquences sur l’activité de la privatisation d’aéroports parfaitement rentables, qui n’ont donc nul besoin d’être privatisés ? Tout indique que ces mesures ne visent au final qu’à offrir aux investisseurs privés une rente confortable, oui, une rente, monsieur le ministre, à l’image de ce que nous avons connu avec les autoroutes, avec le succès que l’on sait.

Nous pourrions multiplier les exemples de mesures qui ne créent pas d’activité, mais se contentent en réalité de transférer des services et activités du public vers le privé sans que vous apportiez la moindre démonstration de l’utilité sociale ou économique de ces transferts – je pense par exemple à la réforme du permis de conduire. Mais, plus que toute chose, nous voudrions que vous nous expliquiez en quoi les mesures de facilitation des licenciements économiques et de casse du droit du travail que vous préconisez dans la dernière partie du texte serviront l’activité. Nous le savons tous, le chômage progresse de manière toujours plus alarmante, creusant chaque jour davantage une vallée de découragement qui mine notre vie sociale, aggrave les inégalités et bouleverse l’existence de millions de nos concitoyens. Il n’est pas un seul député ici qui ne soit confronté à cette situation dans sa circonscription.

Les perspectives pour l’année qui vient ne sont guère réjouissantes. En 2015, le Gouvernement sera confronté à une série de plans sociaux. Mory Ducros et Air France menacent à eux seuls plus de 7 000 emplois ! Chez l’éditeur de jeux vidéo Prizee, c’est le site historique de Clermont-Ferrand qui va disparaître. Je pourrais citer encore les cas de Veolia, Arc international, Barclays, LCI, Écomouv’ et tant d’autres. Partout, le combat des salariés continue pour maintenir les emplois. En tout, ce sont plus de 11 000 salariés qui sont sur la sellette à brève échéance.

Or que propose votre projet de loi ?

M. Pascal Cherki. De la brioche !

M. André Chassaigne. Il propose d’aggraver encore la situation des salariés, tant sur le terrain de leurs conditions de travail qu’en ce qui concerne les modalités de licenciement. Nous y reviendrons dans les débats, avec beaucoup plus de précision, à partir d’exemples très précis que je connais, que j’ai vécus, et que j’avais d’ailleurs abordés avec vous, monsieur le ministre. En matière de licenciements économiques, vos intentions sont claires : tout faire pour qu’aucune gêne, telle que l’intervention du juge ou l’obligation de reclassement, ne vienne entraver les décisions patronales. Il s’agit de mettre la dernière main à la funeste loi de prétendue sécurisation de l’emploi, pour garantir à l’employeur qu’aucun obstacle ne viendra freiner sa décision de licenciement économique collectif. De fait, vous mettez en application cette expression populaire : « casser la vaisselle et vouloir l’émietter encore davantage ».

En matière d’inspection du travail, si nous ignorons la teneur exacte des ordonnances pour lesquelles vous sollicitez l’habilitation du Parlement, nous comprenons tout de même, à la lecture de l’étude d’impact, qu’il s’agit notamment de déqualifier le délit d’entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel. Pour attirer les investisseurs étrangers, vous êtes ainsi prêt à réviser les qualifications des infractions et leurs sanctions !

Comment ne pas évoquer surtout, parce qu’elles ont été les plus médiatisées, mais aussi parce qu’elles sont les plus révélatrices de votre démarche, les mesures relatives au travail en soirée et le dimanche ? Votre texte propose une nouvelle fois, à l’instigation du patronat et des grands groupes de distribution, d’entraîner les salariés dans une spirale de régression sociale.

De cinq aujourd’hui, on passe à douze dimanches travaillés dans le commerce de détail, c’est-à-dire un par mois. Contrairement à ce que vous affirmez, ce n’est donc plus une exception. Plus de zones seront concernées. En plus des anciennes zones, vous définissez de nouveaux périmètres où le travail dominical sera autorisé, des zones touristiques internationales prévues par les ministères et des zones touristiques et commerciales définies par les préfets, sans parler des gares. Le cadre proposé est si lâche que quasiment tous les territoires pourront demain constituer une zone commerciale.

M. Pascal Cherki. À nous les Galeries Lafayette ! (Sourires.)

M. André Chassaigne. Les promesses de contreparties que vous avancez sont elles aussi très relatives, puisque la loi ne précise pas de minimum en deçà desquels les accords ne pourront pas être conclus. Enfin, votre texte prévoit que dans les nouvelles zones touristiques internationales, les commerces pourront faire travailler les salariés tous les jours de 21 heures à minuit, sur la base du volontariat. Mettre ainsi en avant la notion de volontariat est déjà lourd de sens. Notre droit du travail repose sur le constat de l’existence d’un lien de subordination du salarié à son employeur. La reconnaissance de ce lien de subordination interdit de parler de « volontariat », car cela supposerait que les deux parties soient placées dans une situation d’égalité.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. André Chassaigne. Sans considération pour le droit de chacun à une vie personnelle, à une vie privée et familiale normale, votre texte renforce un peu plus l’entreprise de régression du droit des salariés en faisant sauter les digues du droit du travail, pourtant si précieuses en période de crise.

Certains socialistes ne s’y sont pas trompés.

M. Pascal Cherki. C’est vrai !

M. André Chassaigne. Martine Aubry qualifie le texte de « régression » ; Pierre Joxe se dit « éberlué » et « stupéfait » par un texte « ahurissant » ; et j’en vois ici qui ont tenu des propos similaires.

Rarement, il est vrai, nous aurons vu un texte qui privilégie de manière aussi cynique que systématique l’entreprise au détriment du salarié, la consommation au détriment de la vie familiale et du lien social, le règne de la concurrence tous azimuts au détriment de l’environnement, des services publics et de l’égalité territoriale.

À travers la marchandisation des professions juridiques, les pouvoirs toujours plus étendus de l’Autorité de la concurrence, le placement sous contrôle des documents d’urbanisme, pour s’assurer que ceux-ci organisent la libre concurrence des grandes enseignes, la banalisation du travail le dimanche, la transformation progressive du contrat de travail en un contrat civil, que traduit aussi à sa façon la réforme des prud’hommes, vous nous invitez avec ce texte à communier dans ce système de prix dont Milton Friedman voulait faire le pivot d’une société où tout se réglerait par échange financier. Nous récusons la philosophie de ce texte – je dis bien : la philosophie –, et ce d’autant plus fermement que les Français, durement éprouvés par les événements de ces dernières semaines, aspirent au contraire plus que jamais au renforcement du lien social, de la cohésion sociale et des dispositifs politiques et sociaux qui en forment le socle. À l’opposé, votre démarche est un aveu d’apesanteur au regard des réalités que vit le peuple.

Avec le Premier ministre, qui se rêve en Tony Blair de la gauche française, vous avez, paraît-il, entrepris de ringardiser ceux qui à gauche, comme moi et d’autres ici, sur différents bancs, sont attachés à faire vivre d’autres valeurs que le profit et la compétitivité.

M. Pascal Cherki. Tout à fait !

M. André Chassaigne. La démarche n’est pas nouvelle, sinon que vous employez un mot assez nouveau, celui de « ringard ». Jusqu’à présent, c’était plutôt celui de « démagogue » qui était employé.

Quand on ne souscrit pas à la démarche de la recherche du profit et de la compétitivité, on est un ringard ou un démagogue. Ce n’est pas nouveau. Antonio Gramsci l’expliquait déjà en octobre 1917 – c’est dire qu’en voulant être ultramoderne, on revient à des pratiques politiques du siècle dernier. Que disait-il ? « Démagogique et démagogie sont les deux mots les plus à la mode chez les bien-pensants et les piétistes en pantoufles quand ils veulent donner le coup de grâce. » Ou encore : « Parce que nous ne partons pas des apparences trompeuses, parce que nous ne jugeons pas à partir du critère de l’immédiatement utile, nous sommes des démagogues, et les autres sont des gens sérieux, des maîtres en art de vivre. » Et d’ajouter : « C’est avec ces chamboulements du sens commun qu’on exhibe notre malhonnêteté, notre démagogie. » Nous pouvons méditer ces propos de Gramsci à l’endroit de ceux qui le traitaient de démagogue de même que d’autres nous traitent aujourd’hui – c’est du même acabit – de ringard.

Si certains se laissent séduire par ce discours, votre discours, par ce catéchisme libéral, celui-ci est impuissant à nous faire renoncer à nos valeurs, à l’héritage des luttes sociales, qui, du repos dominical aux trente-cinq heures en passant par les congés payés, du salaire minimum au droit à la retraite en passant par la Sécurité sociale, ont permis au fil du siècle dernier de forger un modèle social qui est aujourd’hui le patrimoine commun de millions de Français, et d’abord de ceux qui n’ont d’autre patrimoine que leurs droits et leurs mains.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. André Chassaigne. J’en viens, si vous le voulez bien, à la troisième et dernière composante du titre de ce projet de loi : « l’égalité des chances économiques. » Je dois avouer que nous fûmes bien perplexes en découvrant cette formule, paraît-il introduite à l’initiative des rapporteurs.

Mme Clotilde Valter, rapporteure thématique. Nous en avions le droit !

M. André Chassaigne. Je salue leur zèle à faire droit à votre souhait !

L’exposé sommaire de l’amendement ayant modifié le titre du projet de loi est en effet éclairant. Parmi les mesures du texte qui contribuent, selon eux, « à rétablir une certaine égalité des chances économiques » figure notamment « l’exploitation des lignes d’autocars sur le territoire national », qui permettra aux plus pauvres de se déplacer « là où les moyens traditionnels sont trop chers ».Cela se confirme : nous nous orientons vers un dispositif très progressiste, où trois catégories de Français se déplaceront dans trois classes de transports différentes. Pour aller de Paris à Marseille, ceux qui en auront les moyens prendront l’avion, ceux qui auront un peu moins d’argent prendront le train, et les pauvres prendront le bus ! Voilà le monde dans lequel on veut nous faire vivre, sur fond de démission des pouvoirs publics.

Parmi les mesures censées promouvoir cette « égalité des chances économiques », nous trouvons encore « la liberté d’installation pour certaines professions juridiques réglementées », censée elle-même « garantir l’égalité d’accès au droit et l’égalité entre et dans les territoires ». Nous savons pourtant tous que sous l’effet des concentrations capitalistiques, il n’en ira pas ainsi. Nous assisterons plutôt au développement de déserts juridiques, sur le modèle de nos déserts médicaux, à la disparition de très nombreux offices et cabinets, au renchérissement de certains services. Une fois de plus, monsieur le ministre, le constat dressé par Honoré de Balzac dans La Maison Nucingen sera vérifié : « Les lois sont des toiles d’araignées à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites. »

M. Pascal Cherki. Excellent ! C’est beau !

M. André Chassaigne. On nous explique également qu’ « en garantissant, pour tout volontariat, compensations et dialogue social », la réforme des règles relatives au travail dominical « fait œuvre de justice sociale ». Ah ! qu’en termes galants ces choses-là sont mises ! Cela se passe malheureusement de commentaires. Faire œuvre de justice sociale, mes chers collègues, cela aurait consisté à revenir sur les dispositions de la loi Mallié de 2009 ! Cela ne saurait consister à proposer d’hypothétiques compensations en échange d’un recul des droits et d’une aggravation de la souffrance au travail. Vous parlez de compensations, mais il y a des choses qui n’ont pas de prix : le droit à une vie privée et à des conditions de vie décentes est de celles-là.

Ce qui saute aux yeux, dans l’affirmation selon laquelle ce projet de loi renforce l’égalité des chances, c’est que l’égalité des chances n’entretient que des rapports lointains avec l’égalité tout court, avec l’égalité des conditions.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. André Chassaigne. L’égalité des chances, ce n’est jamais que l’égalité devant les inégalités. Son concept présuppose le maintien en l’état de la structuration inégalitaire de la société.

M. Marc Dolez. Absolument !

M. Pascal Cherki. Bien dit !

M. André Chassaigne. C’est bien ce que signifie le dessin de Wolinski que j’évoquais tout à l’heure ! Le chancelier allemand, M. Gerhard Schröder, ne disait pas autre chose quand il proclamait : « Je ne pense plus souhaitable une société sans inégalités. Lorsque les sociaux-démocrates parlent d’égalité, ils devraient penser à l’égalité des chances et pas à l’égalité des résultats ». Sortie du contexte de la sociologie de l’éducation, où son usage soulève déjà des questions, la promotion de l’ « égalité des chances » signifie le renoncement à la lutte contre les inégalités réelles.

Ces inégalités ne cessent pourtant de se creuser. La semaine dernière, l’ONG OXFAM a rendu public un rapport qui confirme ce que chacun ressent : l’aggravation sans précédent des inégalités. En 2016, les 1 % les plus riches de la planète posséderont le même patrimoine que les 99 % restants. Déjà, les 85 personnes les plus fortunées du monde…

M. Pascal Cherki. Les gentils milliardaires !

M. André Chassaigne. …possèdent autant que les 3,5 milliards les plus pauvres. Ces inégalités indécentes ont leur source dans ce que le capitalisme financier a de plus destructeur : l’exploitation des femmes et des hommes et l’épuisement des ressources naturelles.

Ces inégalités grandissent également, dans notre pays et en Europe, sous l’effet des politiques récessives destructrices, qui minent la cohésion sociale en favorisant la relégation de certains territoires et la paupérisation d’un nombre croissant de nos concitoyens. Comme le souligne l’OCDE, les inégalités ont également des conséquences négatives sur la croissance et l’activité. L’accroissement des inégalités a, selon l’OCDE, coûté neuf points de croissance au Royaume-Uni, sept points de croissance aux États-Unis, à l’Italie, à la Suède. Nous savons le rôle que jouent le montant des salaires, les services publics, les prestations sociales dans la réduction des inégalités : ce sont ces leviers qu’il faut actionner si l’on entend les réduire.

Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz – que certains parmi vous ont écouté, à l’hôtel de Lassay, il y a deux semaines – soulignait récemment que le modèle français mérite d’être préservé et défendu « car il est plus abouti que le modèle américain, plus mature surtout, dans une période où l’accumulation de richesses et la recherche du profit doivent être maîtrisées, organisées et régulées ». Il rappelait que « la création de richesses n’a pas pour seul objectif l’enrichissement individuel ». En déclarant que « des jeunes doivent avoir envie de devenir milliardaires », monsieur le ministre, vous prenez cette affirmation à contre-pied. Vous confirmez que vous avez une certaine vision de la société. Bien que nous ne la partagions pas, nous pouvons respecter cette vision – je sais que vous respectez la nôtre. Mais ce n’est pas celle des Français, et encore moins celle de la jeunesse ! Pour vous remettre dans la bonne voie, monsieur le ministre, permettez-moi de citer Racine, dans Athalie : « Un roi sage sur la richesse et l’or ne met point son appui. »

Depuis le début de la législature, aucun texte réellement progressiste n’a été adopté en matière économique et sociale. Le peuple de gauche a assisté au contraire, avec consternation, à l’adoption d’une série de lois profondément régressives, qui font la part belle aux exigences du MEDEF et aux attentes des milieux financiers. Vous ajoutez successivement des pièces à un puzzle qui dessine un projet plus large de modification de la société.

Aucune mesure marquante n’a été prise pour dynamiser l’emploi, en dehors de largesses accordées aux entreprises sans contrepartie. Le relèvement des salaires, qui est l’une des clefs du redressement économique, est resté lettre morte, tandis que les droits sociaux ne cessent de reculer. Souvenons-nous du triste épisode de la transposition de l’accord national interprofessionnel sur l’emploi ! Ce projet de loi couronne, en quelque sorte, ces mesures de régression économique et sociale.

Au début de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale, me revient en mémoire cette lumineuse illustration que l’ami Charb avait réalisé pour le journal L’Humanité quelques semaines avant sa mort. Permettez-moi un peu d’humour, à la fin de cette intervention : dans ce dessin, Charb montrait un souriant « Macron sarkozyste » remettant ses bonnes idées à un « Macron hollandiste » avec le même sourire.

M. Marc Dolez. Excellent !

M. Pascal Cherki. C’est une attaque ad hominem !

M. André Chassaigne. Un constat s’impose en effet : les dispositions de ce texte, pour leur immense majorité, recyclent les vieilles recettes libérales que vous aviez présentées au président Nicolas Sarkozy en tant que rapporteur de la commission Attali.

M. Christian Jacob. Nous n’en voulons pas, nous le laissons à François Hollande !

M. André Chassaigne. Si vous aviez appliqué les préconisations du rapport Attali, les masses de gauche se seraient levées.

M. Christian Jacob. Eh oui !

M. André Chassaigne. Vérité en deçà des élections, erreur au-delà !

Ce texte est le prototype même du projet de loi d’inspiration libérale. Il se nourrit tout autant des 316 propositions de réforme du rapport Attali que des préconisations de Bruxelles. Curieuse coïncidence, rappelons que le rapport Attali recommandait « d’ouvrir très largement les professions réglementées ». Que de cris, alors, sur les bancs de la gauche !

M. Marc Dolez. C’est vrai ! Absolument !

M. André Chassaigne. Ce rapport recommandait ensuite de « réduire dès 2008 la part des dépenses publiques dans le PIB » à hauteur de 1 % par an – ce qui provoqua aussi des cris sur les bancs de la gauche – et « d’assouplir les seuils sociaux », pour le plus grand bénéfice du patronat – à nouveau, les socialistes poussèrent des cris d’orfraie.

M. Marc Dolez. On s’en souvient !

M. André Chassaigne. Il proposait en outre « d’autoriser plus largement le travail le dimanche » – à ce sujet, rappelez-vous quels furent les votes sur la loi Mallié –, de déréglementer le code du travail en autorisant « la rupture à l’amiable » du contrat de travail, et de « favoriser l’émergence de fonds de pension à la française ». À l’époque, la réaction à toutes ces propositions fut assez intense ! Je constate que votre projet de loi est quasiment le décalque de ce rapport. Nous y trouvons le même cocktail de mesures disparates que l’on imagine ardemment soutenues par le cercle de patrons et de penseurs néolibéraux qui vous entoure et entourait la majorité précédente.

Vous avez du talent, et il est réel : vous parvenez à enrober ces pilules amères d’une rhétorique édulcorée sur la croissance et l’activité. Vous prétendez même répondre aux aspirations des plus fragiles, et lutter contre la rente. Vous avez du talent, certes, mais la réalité est bien différente. Votre texte – ou, plus précisément, le texte du Gouvernement, car vous n’en êtes pas l’unique auteur – est un texte de régression sociale – d’autres l’ont dit avant moi –, de déréglementation généralisée – beaucoup d’organisations syndicales le dénoncent – et de soumission aux marchés financiers – c’est le constat de nombreux économistes. Aussi, au risque de forcer le trait…

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ce serait exceptionnel !

M. André Chassaigne. …je ne peux résister à l’envie de citer Abraham Lincoln : « Vous pouvez tromper quelques personnes tout le temps, vous pouvez tromper tout le monde un certain temps, mais vous ne pouvez tromper tout le monde tout le temps ».

Monsieur le ministre, chers collègues, le texte dont nous entamons l’examen ce soir n’est sans doute pas la mère de toutes les batailles. Au-delà de son contenu, qui se résume à une somme de mesures d’inégale importance, il porte néanmoins l’ambition d’ouvrir un nouveau cycle, d’étendre à tous les bénéfices supposés de la libre concurrence et de l’économie de marché. Il ne s’agit pas seulement de jeter les bases d’une politique globale de privatisation, mais de mettre l’État et l’administration au service de la rentabilisation des capitaux privés. Il s’agit aussi de précipiter l’avènement de ce que Karl Polanyi appelait une « société de marché ». Cette société de marché exige l’effacement de la puissance publique, la valorisation de la concurrence entre individus aux dépens de la justice sociale et de la solidarité.

L’esprit de ce texte est à l’opposé du message adressé hier à l’Europe par le peuple grec. En votant pour le parti de gauche Syriza, les Grecs nous ont en effet adressé un message. La politique de la troïka a provoqué en Grèce de lourds dégâts sanitaires, sociaux et humanitaires. Dans ce contexte douloureux, les électeurs ont refusé de baisser les bras ; ils ont fait confiance à une gauche de la résistance et de l’espoir. La victoire de Syriza donne le signal du renouveau d’une Union européenne au service des peuples, en donnant du poids à ceux qui, en Europe, proposent une alternative aux politiques hégémoniques de l’austérité imposées par la Banque centrale européenne, le FMI et la Commission européenne.

Ce qui se passe en Grèce est un espoir et une chance. C’est une brèche, toute une dynamique contre la politique néolibérale en Europe qui peut se mettre en route. En France, les contours d’une autre gauche s’esquissent déjà : une autre gauche opposée à l’austérité, décidée à retrouver le chemin du progrès social et écologique, aux antipodes de la loi que vous nous présentez aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. Marc Dolez. Excellente intervention !

Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les rapporteurs thématiques, mes chers collègues, deux qualificatifs me viennent tout d’abord à l’esprit à propos de la méthode qui préside à l’examen de ce texte : précipitation et dessaisissement du Parlement.

Précipitation, parce qu’un nombre considérable d’amendements ont été déposés à la dernière minute en commission, ce qui a conduit à la création de plus de cent articles supplémentaires. De plus, l’étude d’impact a été jugée lacunaire par le Conseil d’État. Enfin, nous n’avons eu que peu de temps depuis mi-décembre pour étudier cet énorme projet de loi.

Le dessaisissement du Parlement se traduit quant à lui par des dizaines d’ordonnances et la mise en place de la procédure d’urgence pour des mesures qui n’en ont pas le caractère.

M. Pascal Cherki. Tout à fait !

Mme Michèle Bonneton. Le texte de certaines ordonnances a été intégré par amendement dans le projet de loi, mais à la dernière minute. Comment les parlementaires pourraient-ils évaluer les conséquences de plusieurs dizaines d’articles, tout en poursuivant l’examen du texte en commission ?

Pour répondre au reproche de dessaisissement du Parlement, le Gouvernement a promis d’associer celui-ci à la rédaction des ordonnances, ainsi, par exemple, que le Conseil national de la transition écologique, le CNTE. Cet aménagement de dernière minute ne saurait se substituer à un examen par la représentation nationale. Les parlementaires sont mandatés par les citoyens pour discuter les lois et les voter.

Vous affichez des objectifs importants. Cependant, le groupe écologiste s’interroge sur les moyens proposés et la vision de notre économie et de la société que sous-tendent ces mesures. Nous soutenons certaines mesures de cette loi, comme le contrôle des sociétés autoroutières, l’amélioration de la gouvernance des entreprises dans lesquelles l’État détient des participations, l’encouragement à l’innovation, le soutien aux jeunes créateurs d’entreprise, l’accès facilité au très haut débit dans les immeubles en copropriété, la reconnaissance des agences régionales de l’économie sociale et solidaire ou la diminution des délais de passage du permis de conduire, si toutefois les mesures proposées ne conduisent pas à terme à la privatisation de cet examen.

Le travail en commission a permis d’améliorer un peu le texte proposé. Cependant, en définitive, le texte qui nous est présenté aujourd’hui vise principalement à déréguler l’activité dans les domaines couverts par le texte et à détricoter de nombreux codes – code de l’urbanisme, code de la construction et de l’habitation, code des transports,  code de l’environnement, code civil...

La dérégulation, c’est l’abandon par l’État de nombreuses compétences au profit des autorités dites de régulation ou bien au simple marché, c’est-à-dire sans régulation du tout. L’Autorité de la concurrence voit ainsi s’étendre considérablement ses prérogatives, sans que l’on sache  si cela s’accompagnera de moyens supplémentaires. C’est bien le signe que la politique du Gouvernement s’inscrit dans une logique économique clairement libérale.

L’abandon des compétences de l’État est patent dans le domaine des transports interurbains. Aujourd’hui, cette activité est un vrai service public au service des personnes et de l’économie. En effet, la grande majorité des déplacements est liée au travail. L’obligation de signer un contrat de service public avec l’État ou les collectivités locales pour assurer le service disparaît avec ce projet de loi. Dans certains cas, la nouvelle autorité envisagée, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières – l’ARAFER – sera chargée de la régulation. Mais dans d’autres, une entreprise privée pourra, sans contrôle préalable, créer une ligne.

Si cela pouvait conduire à diminuer le nombre de voitures sur les routes, et donc le niveau de la pollution de l’air, ce serait positif. Cependant, l’étude d’impact ne permet pas de l’affirmer. De fait, cette situation risque de porter atteinte à l’équilibre financier des lignes de chemin de fer locales, dont certaines fermeront, mais aussi de certaines grandes lignes. Que deviendront les lignes actuelles de cars qui sont largement subventionnées par les collectivités territoriales ? En effet, les nouveaux entrants seraient en droit de contester les subventions pour atteinte aux règles de la concurrence. De fait, nous risquons de voir apparaître un transport à deux vitesses sociales, si vous me permettez cette image : un transport rapide pour ceux qui en ont les moyens, et un transport beaucoup plus lent pour les personnes à revenus modestes.

Le même type de problèmes est soulevé par les articles concernant les professions réglementées. La dérégulation des prix par la mise en place, par exemple, du corridor tarifaire pour les notaires, favorisera les études qui traitent de grosses affaires avec de bons négociateurs, et sera donc préjudiciable aux petites études, notamment en milieu rural et dans les zones les moins favorisées des villes. Le risque de déserts juridiques est bien réel.

S’agissant du logement, des dispositions significatives de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, sont remises en cause, notamment les dispositions sur les rapports entre locataires et bailleurs et sur l’étanchéité entre logement social et logement intermédiaire. Il est difficilement acceptable qu’une loi qui a trouvé un équilibre résultant d’un débat fructueux, et qui a été votée par l’ensemble de la gauche, soit remise en question quelques mois plus tard, qui plus est par ordonnances.

L’article 28, quant à lui, nous pose un vrai problème. S’il semble légitime de simplifier les procédures d’adoption des projets d’aménagement et les procédures de recours, il ne faut pas que cela conduise à une remise en cause du droit de l’environnement. Or, lors de l’examen en commission, vous avez refusé, monsieur le ministre, d’inscrire clairement dans le texte que les simplifications de procédures devraient se faire à droit constant de l’environnement.

La qualité de l’environnement est l’un des grands enjeux de notre siècle. Nous sommes dépendants de notre environnement ; ne pas le prendre suffisamment en compte, faire du business as usual, nous exposera à de graves difficultés : dérèglement climatique, désertification, déplacements de population, non-accès à l’eau potable, maladies dues aux pollutions, etc.

L’environnement visuel est, quant à lui, mis à mal par les articles 62 et 63, modifiés par l’adoption d’un amendement qui prévoit la possibilité de recouvrir les grands stades d’immenses panneaux publicitaires, y compris lumineux. Ces stades sont souvent l’expression d’une architecture prestigieuse et coûteuse ; qu’en restera-t-il, si on la recouvre avec de la publicité – sans même parler de l’agression visuelle ?

En revanche, la commission a adopté une nouvelle rédaction de l’article 29 qui nous semble tout à fait positive. Elle a en effet rétabli la procédure d’action en démolition prévue par le code de l’urbanisme, dans le cas d’un permis de construire déclaré illégal par le juge judiciaire, tout en réduisant les délais de deux ans à six mois pour le droit commun.

Le risque de recours abusif a déjà été largement abordé dans la loi ALUR. Six des sept dispositions du rapport de Daniel Labetoulle y ont été reprises par ordonnances, et l’article 28 prévoit des mesures qui permettront, par ordonnances, de renforcer les sanctions à l’encontre des personnes qui engageraient un recours allant au-delà de la défense d’intérêts légitimes. Cette mesure nous apparaît nettement préférable à l’abrogation de l’action en démolition, qui serait un très mauvais signal et donnerait un sentiment d’impunité à ceux qui ne respecteraient pas la loi.

La cession d’actifs dans le cas des aéroports est, quant à elle, une politique à courte vue. La vente des sociétés de gestion des aéroports, alors même que l’État et les collectivités territoriales profitent de leurs bénéfices, n’est pas acceptable. Il en va de même de l’Établissement français du sang qui, dans la rédaction initiale du projet de loi, était livré aux capitaux privés. Par amendement, un garde-fou a été mis en place : ce sont des fonds d’entreprises publiques qui apporteront les 250 millions nécessaires au laboratoire français de fractionnement et de biotechnologie. Vous avez laissé entendre que ce serait en fait Bpifrance qui apporterait de l’argent, sans toutefois le mentionner dans le texte. Ce seraient ainsi 250 millions qui pourraient manquer aux autres interventions de Bpifrance dans les entreprises.

Je pourrais aussi parler longuement des atteintes au droit du travail, de la facilitation des licenciements, du délit d’atteinte au secret des affaires – qui protégera qui ? À propos de l’extension du travail du dimanche, nous regrettons que l’exigence d’une compensation minimale ne soit pas inscrite dans la loi. De l’aveu même de grands patrons de la distribution, douze jours d’ouverture le dimanche ne sont pas souhaitables : c’est trop.

M. Pascal Cherki. C’est vrai !

Mme Michèle Bonneton. Combien d’emplois sont menacés dans le petit commerce de centre-ville ou de centre-bourg, là où ces commerces n’ont pas les moyens d’assurer une présence le dimanche ? Sur le fond, souhaitons-nous que la consommation sept jours sur sept devienne notre horizon ? Nous aimons à prendre l’exemple de l’Allemagne. Pourtant, les commerces n’y sont pas ouverts le dimanche : voilà qui donne à réfléchir.

Pour nous, écologistes, la dimension sociale et la dimension environnementale sont les grandes perdantes de ce texte, dont les retombées positives sur l’économie, l’emploi ou le pouvoir d’achat des Français ne sont pas prouvées.

L’État n’a plus les moyens, nous dit-on. Ce texte dérégule, déréglemente et organise le désengagement financier de l’État. À qui veut-on donner des gages ? Et ceci se fait dans la précipitation, ce qui va conduire à une certaine insécurité juridique plutôt qu’à une simplification. L’État risque fort de continuer à s’appauvrir et certains services au public, les protections sociales et la qualité de l’environnement, à se dégrader. Pourtant, ils sont le bien commun des Français. Il faut avancer, nous dit-on. Ce texte revient à sauter dans le vide sous la pression d’une force mal identifiée, sans parachute et sans filet de sécurité ; si on tombe dans l’eau, ça va ; si on tombe sur un sol dur, il y a de la casse. Vous l’aurez bien compris, pour nous, le compte n’y est pas. Cependant, nous proposerons des améliorations tout au long de ces deux semaines.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Laurent.

M. Jean-Luc Laurent. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les rapporteurs thématiques, mes chers collègues, l’examen de ce texte est pris en tenaille entre plusieurs événements de portée historique. On nous annonçait au mois de décembre un débat à haut risque pour ce projet de loi. Nous avions d’ailleurs tous prévu de nous écharper en commission, puis en séance publique, durant ce mois de janvier. Et finalement, ce début d’année nous a plongés dans le deuil, ramenant le débat à sa juste mesure. Nous n’avons plus le cœur à nous lancer dans une bataille de civilisation sur l’ouverture des commerces cinq, sept, dix ou douze dimanches par an. La crise française n’est réductible ni à l’économie ni au social, mais la France ne pourra pas faire face à ses démons, ni aux attaques djihadistes, ni aux gouffres que ces attaques ont révélés ou à la menace, en  retour, du Front national. Elle n’en aura pas les moyens. Il ne faut pas croire que les sujets sont dissociés, que ce ne sont que des dossiers. La France, comme société et comme nation, est un tout.

Et puis, hier, un espoir a surgi en Grèce, avec la mise en échec, dans les urnes, de la pire des politiques d’austérité, accompagnée de son lot de réformes structurelles bien choisies et de privatisations. Cette mise en échec par les urnes n’est que le début du chemin. Voilà pourquoi, plus que jamais, votre projet de loi apparaît décalé, monsieur le ministre – je regrette de le dire, mais il faut le constater. Il a l’âge du rapport Attali, si ce n’est celui du rapport Rueff-Armand.

Le réformisme qui anime votre projet de loi, ce réformisme que vous tentez de rendre transitif en l’appliquant à des objets divers et variés, c’est malheureusement tout ce qui reste quand on a tout oublié.

Ce réformisme, c’est ce qui reste quand on considère qu’il n’y a plus de politique budgétaire, ou plutôt qu’il n’y a qu’une politique budgétaire possible, celle gravée dans le marbre du Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, ratifié en rase campagne par le Président de la République malgré l’engagement de renégociation qui avait été pris.

Cette politique budgétaire, c’est celle élaborée dans les couloirs de Bercy, de Bruxelles et de Berlin. Oui, le réformisme, c’est ce qui reste quand on a tout oublié, et, entre autres, qu’il est possible de mener une politique monétaire active, qui ne se contente pas de jouer les pompiers, comme le fait Mario Draghi, obligé de négocier fermement avec les incendiaires allemands des mesures visant à lutter contre la déflation.

Le projet que vous nous présentez aujourd’hui, monsieur le ministre, au nom du Gouvernement, relève de ce monde ancien, ce monde d’avant-hier dans lequel la politique budgétaire est étouffée et la politique monétaire confiée à une instance fédérale. Votre projet est donc un peu décalé.

Si j’effectue ce détour européen, c’est pour évoquer un autre chemin qui mérite d’être esquissé. Il s’avère utile, car votre projet de loi est révélateur de l’action psychologique conduite par le Gouvernement, que l’on peut comprendre.

Votre projet de loi s’adresse en effet à Bruxelles, c’est-à-dire à la nouvelle Commission européenne. Durant les quinze jours où se poursuivra son examen en séance publique, vous allez parler moins aux députés qu’à l’oreille de Jean-Claude Juncker.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Jean-Luc Laurent. Il s’agit de lui démontrer la capacité de la France à se réformer, à se moderniser, et surtout à conduire une réforme structurelle annoncée à Bruxelles il y a quelques semaines, par une lettre du Premier ministre, pour tenter d’atténuer les foudres de la Commission, qui doit se prononcer en mars sur la situation de la France ainsi que sur son budget.

Monsieur le ministre, les députés MRC, au nom desquels je parle, n’ont pas d’objection de principe à des réformes structurelles, mais ils ne les puisent tout simplement pas dans le même livre de recettes que le vôtre.

Nous ne les puisons en effet pas dans le rapport Attali. Je vous l’ai dit en commission spéciale, une véritable réforme bancaire aurait été une réforme structurelle utile. La réforme fiscale aurait de même été une véritable – et juste – réforme structurelle. Nous en sommes loin, si loin.

Vous nous proposez une série de petites réformes structurelles, je dirais de réformettes. Nous les examinerons toutes, dans un esprit constructif, mais sans jamais perdre de vue l’enjeu du redressement de la France et son corollaire, la nécessité de la cohésion sociale, qui n’appelle  ni à davantage de concurrence, ni à davantage de déréglementation.

Le titre que vous avez choisi pour ce projet de loi – croissance et activité – place donc la barre très haut. Loin de moi l’idée que ce projet ne rapportera ni croissance ni emplois, même si, malheureusement, personne n’a pu prévoir à ce jour qu’il aurait un impact significatif.

Faute de grives, on mange des merles : les avocats du projet de loi en sont réduits à vanter son impact psychologique sur les acteurs économiques ainsi que sur l’immatérielle confiance. Soyons prudents et économes en matière de prévisions et de pronostics.

Pour conclure, je m’adresse à la majorité : prenons nos responsabilités ! Il nous faut également bien les mesurer, car chaque fenêtre entrouverte aujourd’hui, dans les jours qui viennent, dans la quinzaine qui vient, sera demain une porte défoncée par la droite. Mesurons bien cela, quand nous voterons chacune de ces multiples dispositions. Mes chers collègues, ne nous désarmons pas.

M. Marc Dolez et Mme Michèle Bonneton. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cherpion.

M. Gérard Cherpion. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général de la commission spéciale, mesdames et messieurs les rapporteurs thématiques, chers collègues, après une semaine de débats en commission, nous poursuivons aujourd’hui l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques qui porte, monsieur le ministre, votre nom.

J’ai été particulièrement étonné lorsque le Premier ministre, lors de l’un de ses discours de vœux, a expliqué que le Parlement avait bénéficié de beaucoup de temps pour débattre de ce projet de loi. Nous n’avons en effet disposé que de quelques semaines pour mener des auditions et en préparer l’examen.

Là où je le rejoins, en revanche, c’est lorsqu’il salue le travail de qualité de notre commission spéciale et des services de l’Assemblée. Grâce à ce travail, le texte a été amélioré, et même s’il n’est toujours pas satisfaisant, cela a permis d’avancer sur certains points et de le rééquilibrer un peu.

Il est cependant regrettable que le Gouvernement, après avoir accepté certaines avancées en commission, revienne sur son engagement par voie d’amendement en séance. Je pense notamment à l’article 20 concernant les professions d’huissier, de mandataire judiciaire et de commissaire-priseur, et à la fausse bonne idée d’une profession unique.

Un texte de cent six articles, qui en compte plus de deux cents après son passage en commission, aurait mérité un temps de discussion bien plus long. Les cinquante heures prévues – en temps programmé – pour la discussion en séance me semblent en effet bien peu au regard des quatre-vingt-quatre heures qu’a réclamées l’examen en commission.

La discussion a lieu dans une telle urgence que nous n’avons même pas pu obtenir l’avis de France Stratégie. Vous aviez en effet, monsieur le ministre, demandé à France Stratégie de mettre en place une commission indépendante d’experts pour étudier votre projet de loi. Votre initiative était louable, mais avouez que le calendrier est ubuesque.

Nous avons débattu de ce projet de loi en commission spéciale sans l’avis de ces experts, et nous commençons son examen en séance publique en ne disposant que de résultats partiels de leurs travaux.

Nous ne pouvons donc pas nous fonder sur leur avis, ce qui est bien regrettable.

Je tiens toutefois à saluer, monsieur le ministre, votre présence continue en commission spéciale. Vous avez fait preuve d’écoute à l’égard des députés et répondu à toutes nos questions.

Cela ne lève toutefois en rien notre opposition –constructive – à votre texte, même si nous avons soutenu quelques-unes de vos propositions en commission.

Il y a parfois un profond décalage entre les paroles et les actes. Ainsi, alors que le Gouvernement nous parle sans cesse de dialogue social, celui-ci n’est pas la marque de ce projet de loi.

En effet, tous les partenaires sociaux, qu’ils représentent les salariés ou le patronat, nous ont exprimé leur déception de n’avoir pas été associés à la rédaction de ce texte. L’article L.1 du code du travail, issu de la loi Larcher, oblige pourtant le Gouvernement à consulter les partenaires sociaux pour tout texte concernant le travail, l’emploi et la formation professionnelle. Les auditions des partenaires sociaux auxquelles j’ai procédé ont montré que le code du travail n’avait pas été respecté sur ce point.

Malgré les avancées obtenues en commission spéciale, le groupe UMP reste opposé à la partie du projet de loi relative au travail du dimanche. Car, disons-le, passer à douze dimanches ouverts, c’est-à-dire à un dimanche par mois, sous-tend, de la part du Gouvernement, une volonté de généralisation.

Permettez-moi, en premier lieu, de m’inscrire en faux contre un argument souvent entendu : ce n’est pas en ouvrant les commerces le dimanche que vous redonnerez du pouvoir d’achat aux Françaises et aux Français. L’argent dépensé le dimanche est en effet de l’argent qui ne le sera pas un autre jour de la semaine.

Ce n’est qu’en luttant contre le fléau du chômage, en relançant l’activité, et en mettant un terme à la flambée des prélèvements sociaux opérés sur les entreprises et sur nos concitoyens que nous pourrons leur redonner du pouvoir d’achat. Sur ce point, le projet de loi reste muet.

La législation actuelle sur le travail du dimanche était parvenue à un équilibre entre petit et grand commerce. Selon de récentes études, tout dimanche ouvert fait perdre jusqu’à 25 % de chiffre d’affaires au petit commerce. Deux cent mille emplois seront ainsi détruits dans le commerce de détail, sans que la grande distribution en recrée pour autant un nombre équivalent.

En outre, l’ouverture des magasins le dimanche conduit parfois à une perte de recettes. Un grand groupe de magasins de bricolage a récemment révélé qu’il dressait un bilan négatif de son ouverture le dimanche. En effet, le client qui vient le dimanche acheter du matériel, par exemple une boîte à outils, ne reviendra pas au cours de la semaine.

Il s’opère ainsi un transfert de clientèle de la semaine vers le dimanche, sans que les ventes se développent pour autant : le chiffre d’affaires stagne, voire diminue. Dans le même temps, les charges augmentent, car les salariés sont rémunérés pour une journée de travail supplémentaire, avec des contreparties justifiées liées à la compensation du repos dominical.

Chiffre d’affaires équivalent et charges en hausse reviennent à une perte pour l’entreprise. C’est la raison pour laquelle nous sommes loin d’être persuadés qu’une ouverture le dimanche créera de la croissance et de l’activité. Bien au contraire, cela reviendra à détruire des emplois, ce qui, vous en conviendrez, est contraire à l’esprit de votre texte.

Par ailleurs, en plus d’accentuer la concurrence entre petit et grand commerce, l’ouverture généralisée contribuera au transfert de consommateurs du centre-ville vers la périphérie, créant d’autres problèmes liés à la circulation et à l’organisation des transports en commun.

Le travail de la commission spéciale a pourtant permis d’avancer sur cette question. Cependant, en ce qui concerne les zones touristiques internationales, vous répondez un problème purement parisien, en déstabilisant dans le même temps les zones touristiques existantes et le commerce de proximité sur l’ensemble du territoire.

Enfin, on ne peut tirer argument de la concurrence d’internet en matière d’ouverture dominicale. On peut en effet faire ses courses sur internet à toute heure du jour et de la nuit, sept jours sur sept. C’est le cas le soir quand on rentre du travail et que les commerces sont fermés. Je ne pense pourtant pas que vous ayez l’intention d’autoriser les commerces de proximité à ouvrir plus tardivement le soir.

J’en viens à la réforme des conseils de prud’hommes. C’est la troisième fois en une année – et dans trois textes différents – que nous abordons ce sujet. Un premier projet a été retiré ; un deuxième prévoyait la mise en place d’un système dérogatoire, en recourant qui plus est à une ordonnance. Voici le troisième.

Tout cela dénote un manque de vision du Gouvernement sur ce sujet. L’article fleuve qui y est consacré dans ce projet de loi aborde des sujets extrêmement divers, comme la déontologie, la formation, la procédure et le volet disciplinaire.

L’intégration de l’organisation des conseils de prud’hommes dans le projet de loi pour la croissance et l’activité pourrait donner à penser que la justice prud’homale participe à la croissance et l’activité. Nous ne partageons pas cette vision. Par ailleurs, il n’y a pas eu de concertation approfondie avec les partenaires sociaux sur ce sujet.

Tout ceci nous amène à dire que la réforme de la justice prud’homale devrait faire l’objet d’un projet de loi distinct, présenté par le ministre du travail, et non de quelques dispositions figurant à la fin d’un texte de deux cent huit articles.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Gérard Cherpion. Compte tenu du temps législatif programmé, nous ne pourrons pas aborder ce sujet en profondeur. Nous devrons nous prononcer à la va-vite sur ce dernier, alors qu’il est d’une importance cruciale pour les entrepreneurs comme pour les salariés.

Sur le fond, nous assistons à la mise en place dissimulée de l’échevinage, que viendra renforcer la future ordonnance sur la désignation des conseillers prud’homaux, à laquelle nous sommes opposés.

La justice prud’homale doit pourtant rester paritaire et proche de l’entreprise. L’allongement des délais devant cette justice ne trouve d’ailleurs son origine ni dans son organisation, ni dans les compétences des conseillers prud’homaux.

Ces délais sont d’abord liés, vous le savez bien, aux besoins matériels et financiers de ces juridictions, au manque de juges départiteurs et de greffiers, ou encore aux demandes de report des parties aux litiges. Tout cela m’a été confirmé, la semaine dernière, lors de la rentrée du conseil des prud’hommes de Saint-Dié.

M. Christian Franqueville. Cela ne date pas d’hier.

M. Gérard Cherpion. Non, tout à fait. Nous nous opposons donc à cette partie du texte, tout comme à celle relative à l’inspection du travail, tant sur la forme que sur le fond. Nous discutons en effet d’une habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures qui sont normalement du domaine de la loi, ce qui revient à contourner le Parlement.

L’ordonnance en question devrait reprendre des dispositions déjà votées à deux reprises par l’Assemblée nationale, une première fois lors de la première lecture du projet de loi pour la formation professionnelle, en 2014, et une seconde en commission des affaires sociales, à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi du groupe SRC.

En commission spéciale, vous nous avez expliqué, monsieur le ministre, et je vous cite, que vous alliez prendre cette ordonnance car « il était nécessaire de procéder à une concertation avec les partenaires sociaux pour effectuer les dernières vérifications et, éventuellement, les derniers ajustements ».

Outre le fait que cela confirme le manque de concertation avec les partenaires sociaux en amont du projet de loi, cela revient à dire, monsieur le ministre, qu’entre mars 2014 et aujourd’hui, vous n’avez pas eu le temps de négocier la question de l’inspection du travail.

Je ne vois donc pas comment vous pourriez aujourd’hui consulter les partenaires sociaux dans le délai de neuf mois de l’habilitation, alors que vous n’avez pas su ou pu le faire en près d’un an.

Sur le fond, si le but est de reprendre des dispositions législatives, alors nous sommes très inquiets. Certains points ne sont pas acceptables, comme l’augmentation disproportionnée des amendes administratives ou la possibilité de consultation de tous les documents par l’inspection du travail, qui pourra en outre en faire des copies et les sortir de l’entreprise. L’inspection du travail doit être repensée, afin de l’orienter vers le conseil aux entreprises, et, en dernier recours, être dotée d’un pouvoir de sanction.

M. Patrick Hetzel. Très juste !

M. Gérard Cherpion. Je me félicite enfin, monsieur le ministre, que vous ayez fait usage de votre liberté de parole en commission spéciale pour reconnaître que la loi du 10 juillet 2014 sur les stages était, je vous cite, « une fausse bonne idée engendrant de nombreux effets pervers ». Je suis donc persuadé que nous pourrons compter sur vous pour réécrire cette loi – quand le temps aura mis en lumière ses effets pervers – et que nous pourrons revenir à la loi de 2011, qui était une loi équilibrée et négociée avec les partenaires sociaux.

M. Patrick Hetzel. Bravo !

M. Gérard Cherpion. Bien d’autres points mériteraient d’être abordés, en particulier la mise en cause des professions réglementées. Ainsi, pourquoi attaquer les notaires, profession juridique de proximité, en prenant le risque de créer des déserts juridiques, à l’image des déserts médicaux ? Comment l’ouverture du capital des administrateurs judiciaires garantira-t-elle leur indépendance ?

En conclusion, monsieur le ministre, vous comprendrez que le groupe UMP ne puisse adopter le titre III de votre projet de loi, et donc l’ensemble de celui-ci. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Le projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui, monsieur le ministre, affiche, au moins dans son intitulé, un objectif ambitieux, la croissance, l’activité, et l’égalité des chances, objectif que nous pouvons tous partager. Or, pour l’instant, la discussion générale ne fait que souligner la perplexité de la représentation nationale sur l’efficacité de votre texte : le contenu est-il à la hauteur des ambitions ? Il est permis d’en douter, et ce doute, largement partagé au sein de l’opposition, trouve aussi son expression, certes pour des raisons différentes, sur certains bancs de votre majorité.

M. Philippe Vigier. C’est bien vrai !

M. Francis Vercamer. Face à ce texte, le groupe UDI formulera donc un certain nombre de propositions qui contribueront à la modernisation de l’économie, que le Gouvernement appelle de ses vœux, sans pour autant que ses paroles aient jusqu’à présent été suivies d’actes.

Les augmentations d’impôts massives pratiquées sur les entreprises et les ménages, la montée en charge poussive du crédit d’impôt compétitivité emploi, la mise en œuvre tardive des mesures du pacte de responsabilité, appelaient, de la part de l’État, un signal fort en faveur de nos entreprises et du pouvoir d’achat. Or, à cette heure, ce projet de loi passe à côté de son sujet, il reste en décalage, en deçà de ce qu’il est urgent d’entreprendre pour favoriser la croissance et l’emploi. Finalement, on pourrait penser qu’il relève moins du volontarisme politique que du trompe l’œil : il donne à voir ce qu’en réalité, il n’est pas.

J’en veux pour preuve la partie de votre texte qui touche à la réglementation du travail. Elle passe sous silence des enjeux majeurs, auxquels des réponses doivent être apportées pour engager le grand chantier de la modernisation de notre réglementation, avec un objectif, concilier protection du salarié et flexibilité pour l’entreprise.

Ces réponses, sans doute en aviez-vous rêvé. Le groupe UDI les proposera au cours de ce débat, avec plusieurs amendements dont nous espérons qu’ils recevront une écoute, voire une approbation du Gouvernement.

Ainsi, votre projet de loi ne pose pas la question de la place du dialogue social parmi les sources de notre droit du travail.

Le groupe UDI est particulièrement attaché à la négociation collective. Nous pensons en effet que l’implication des partenaires sociaux dans l’élaboration de la norme sociale a deux effets positifs : elle permet l’élaboration de règles au plus près des réalités du monde du travail, adaptées aux spécificités des différents secteurs d’activité et des branches professionnelles, et elle responsabilise les partenaires sociaux en faisant d’eux des acteurs à part entière de la construction de la norme.

C’est cette confiance dans le dialogue social, dans sa capacité à innover, à trouver de nouveaux compromis protégeant les salariés et prenant en compte les intérêts de l’entreprise, qui doit être le moteur de l’élaboration de notre droit du travail. Esquissé avec la loi Larcher dans le cadre de l’élaboration de la loi, ce rôle du dialogue social doit être amplifié, et c’est l’essentiel de la réglementation du travail qui doit être le produit de la négociation collective, l’État étant simplement, quant à lui, le garant de l’ordre public social. Nous proposerons un amendement en ce sens.

Votre projet de loi n’aborde pas davantage la question de la modernisation de notre contrat de travail, du remplacement des contrats de travail à durée déterminée – CDD – et indéterminée par un contrat de travail unique.

La part des CDD dans les embauches a atteint un niveau record en 2014. Ce sont plus de 84 % des embauches qui sont réalisées avec ce type de contrat de travail, soit le plus haut niveau de ces quinze dernières années. La proportion était déjà de 70 % avant 2008. Cette progression souligne le besoin de souplesse des entreprises dans un environnement économique incertain. Il est indispensable de prendre en compte ce besoin, tout en assurant une meilleure protection aux salariés, alors même que les personnes titulaires d’un CDD connaissent de lourdes difficultés pour se loger et accéder à un prêt. Nous proposerons au cours de ce débat l’adoption d’un contrat de travail unique à droits progressifs.

Lever les freins à l’activité, comme l’ambitionne votre projet de loi, c’est aussi lever les freins à l’embauche que peuvent représenter pour les employeurs certains seuils sociaux.

Le groupe UDI est attaché au rôle des institutions représentatives du personnel, qui contribuent au dynamisme de la négociation entre l’employeur et les salariés au sein de l’entreprise ou de l’établissement. Elles favorisent la participation des salariés aux grandes orientations de l’entreprise et à l’amélioration des conditions de travail. Leur rôle est bien sûr indispensable.

Pour autant, il est possible d’envisager qu’en période de crise, alors que les relations entre entreprises concurrentes sur leurs marchés sont tendues, la mise en œuvre d’obligations administratives nouvelles, qui demandent à l’employeur du temps et représentent un coût pour l’entreprise, ait un effet dissuasif, en particulier dans les petites et moyennes entreprises. Ainsi, le franchissement du seuil de cinquante salariés engendrerait, pour une entreprise, une hausse de 4 % de la masse salariale et la mise en œuvre de trente-cinq obligations nouvelles. Une telle perspective peut ainsi amener un employeur à différer toute embauche ayant pour effet de faire franchir ce seuil à l’entreprise qu’il dirige.

L’échec des négociations sur la modernisation du dialogue social et son corollaire, la modification de certains seuils sociaux, nous donne la possibilité de légiférer sur ce sujet. Ce projet de loi, qui veut lever les freins à l’activité et, par conséquent, à l’embauche, nous en offre l’opportunité.

Le groupe UDI souhaite aborder ce sujet qui fait polémique avec pragmatisme. Nous pensons qu’il est possible d’entendre l’attachement légitime des organisations syndicales aux institutions représentatives du personnel, d’une part, et l’aspiration des employeurs à davantage de souplesse, d’autre part. Nous proposerons donc quatre amendements afin de faire évoluer le curseur des seuils là où le potentiel d’embauches paraît le plus significatif.

Votre projet de loi esquive enfin la question récurrente de la durée légale du temps de travail et son impact sur l’activité économique.

La réduction du temps de travail et, notamment, le passage aux 35 heures poursuivaient des objectifs ambitieux, qui touchaient à la vie professionnelle comme à la vie privée, et engageaient par conséquent une mutation profonde de notre société. Pour autant, la question des conséquences de la réduction à 35 heures du temps de travail hebdomadaire sur l’organisation des entreprises ou établissements employeurs, sur la compétitivité des entreprises placées sur des secteurs fortement concurrentiels reste posée.

La commission d’enquête sur l’impact de la réduction du temps de travail a posé un certain nombre de jalons sur ces sujets. Vous aviez vous-même relevé à l’occasion de votre audition par la commission d’enquête, monsieur le ministre, que le cadre légal actuel, tout en restant à 35 heures, n’était pas suffisant dans la mesure où il ne répondait pas aux besoins de souplesse des salariés et des entreprises. Vous partagez ainsi notre constat que le cadre légal du temps de travail ne répond pas aux besoins de notre économie et aux attentes actuelles de la société.

Pour le groupe UDI, la question de la durée du temps de travail et de ses aménagements reste donc posée. Elle pourrait faire l’objet des travaux d’une conférence sociale spécifique, réunissant les partenaires sociaux autour des enjeux économiques et sociaux des aménagements à la durée légale du temps de travail. C’est la proposition que nous vous inviterons à adopter.

Telles sont, monsieur le ministre, les questions que devrait aborder un texte qui affiche l’ambition de moderniser notre économie pour assurer une croissance durable. Or vous nous proposez principalement une réforme de la justice prud’homale, des ordonnances sur l’inspection du travail ou un aménagement du repos dominical. Nous sommes en réalité loin du compte, loin de l’ambition proclamée.

Bien sûr, ces sujets ont leur importance. Les conseils de prud’hommes sont ainsi une institution ancienne et reconnue du monde du travail. Contrairement à ce qui peut être affirmé par certains, je suis convaincu de l’attachement des salariés et des employeurs à cette institution. Les conseils de prud’hommes sont, par excellence, une institution de proximité, qui a l’avantage de procurer aux parties à un litige l’assurance d’être jugées par leurs pairs.

Nous partageons un certain nombre d’objectifs de la réforme proposée, à l’instar de la nécessaire réduction des délais ou d’une meilleure formation des juges prud’homaux. Il n’en reste pas moins vrai qu’elle comporte aussi une innovation, avec l’intervention plus rapide du juge départiteur dans la procédure. Sous couvert de réduction des délais de jugement, ce recours au juge s’apparente en réalité à un premier pas vers l’échevinage, qui n’est pas souhaité par les juges prud’homaux. Le juge prud’homal que j’ai moi-même été pendant dix ans partage sur ce point leurs interrogations, voire leur scepticisme.

Par ailleurs, le groupe UDI ne cache pas son étonnement de voir figurer dans le texte qui nous est proposé une extension des dérogations aux règles du repos dominical. Le temps n’est en effet pas si lointain où un certain nombre de personnalités, aujourd’hui au gouvernement, affirmaient sur ces bancs, alors qu’elles étaient dans l’opposition, leur hostilité à l’extension de ces dérogations. Mais ça, c’était avant. Nous ne pouvons qu’accueillir avec bienveillance une telle évolution.

Le groupe UDI aborde cette partie du texte avec un socle commun de principes et d’exigences. Nous souhaitons tout d’abord rappeler notre attachement au principe du repos dominical. Déjà, en 2007, le Conseil économique, social et environnemental – CESE – rappelait que ce jour, symbole du temps pour soi, constituait toujours un véritable repère pour nos concitoyens.

Nous croyons nécessaire qu’un jour de la semaine puisse être consacré, de façon collective, à des activités familiales, associatives, sportives ou culturelles, des activités qui ne relèvent pas du champ purement économique. Cependant, notre société évolue, des attentes nouvelles se font jour, liées à une plus grande diversité des modes de vie, du modèle familial, à des manières nouvelles de vivre les grandes étapes de la vie. Le CESE notait aussi en 2007 qu’il y avait plus un dimanche unique pour tout le monde, mais une diversité nouvelle, et de plus en plus grande, des besoins et des comportements. C’est à cette combinaison de constantes et d’évolutions que notre législation sur le travail dominical doit s’adapter.

Pour le groupe UDI, parvenir à cet équilibre, c’est aborder les dérogations au travail dominical en fonction de trois facteurs, les réalités locales, le volontariat des salariés et la décision des élus locaux. La législation sur le repos dominical doit en effet prendre en compte les spécificités des territoires et ne pas s’appliquer partout de manière uniforme. Le volontariat du salarié doit être une condition indispensable, et les compensations au travail dominical doivent notamment porter sur le doublement de sa rémunération. Les élus locaux doivent jouer un rôle moteur dans les décisions de dérogation au repos dominical, pour mieux les adapter aux réalités des territoires et aux attentes de leurs habitants.

Faire confiance aux territoires, aux décideurs locaux, aux acteurs du monde du travail, aux partenaires sociaux, aux employeurs et aux réseaux des TPE et PME, voilà en réalité ce qui devrait être le pivot d’une loi pour la croissance et l’activité.

C’est cette confiance dans l’imagination des acteurs locaux, dans leur capacité à créer des outils nouveaux adaptés à leurs réalités, qu’elles soient territoriales ou professionnelles, qui est le ressort d’une croissance durable. C’est avec la conviction qu’il faut nourrir le projet de loi de propositions nouvelles pour susciter cette confiance que nous abordons l’examen de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le texte initial, monsieur le ministre, portait un beau titre, croissance et activité. Ce titre avait un sens, il pouvait être porteur d’espoir pour nos concitoyens. Hélas, en étudiant son contenu, quel décalage entre l’affichage et le discours, d’une part, et le contenu véritable, d’autre part.

C’est pourquoi ma première critique sera aussi simple que directe : votre texte est une opération de communication et d’affichage, bien éloignée de la réalité économique de notre pays.

M. Gérard Bapt. Facile et politicien !

M. Patrick Hetzel. En effet, quelle personne sensée dans ce pays ne voudrait pas la croissance et le développement économique ? Force est de constater que votre projet de loi ne va pas du tout dans ce sens. Vous ne répondez absolument pas à la situation économique réelle de notre pays.

Après vous avoir beaucoup lu et écouté, après plus de quatre-vingts heures en commission, je constate que vous ne donnez aucun chiffre, ni sur les créations d’emplois potentielles, ni sur les inévitables destructions d’emplois.

M. Frédéric Reiss. Comme d’habitude !

M. Patrick Hetzel. On estime ainsi que votre projet détruira dans la seule profession des notaires de France vingt-cinq fois plus d’emplois qu’il n’en a été détruit à Florange. L’ensemble des députés PS du département de l’Hérault vous ont d’ailleurs écrit collectivement pour vous alerter à ce sujet. C’est dans votre famille politique que les critiques sont les plus acerbes. L’on peut même raisonnablement se demander si vous n’allez pas une nouvelle fois détruire plus d’emplois que vous n’en créerez par ailleurs.

M. Gérard Cherpion. Eh oui !

M. Patrick Hetzel. Joli paradoxe pour une loi censée développer l’activité et la croissance.

Un certain nombre d’articles reviennent par ailleurs sur des textes récents proposés par votre majorité. C’est un bel aveu de vos turpitudes depuis 2012. Le secteur le plus concerné est bien entendu celui du logement : la loi Duflot est un échec et, en demi-teinte, vous le reconnaissez. De ce point de vue, votre texte a au moins un mérite, il le reconnaît. Dommage qu’il ait fallu attendre aussi longtemps car, dès les premiers débats ici même dans l’hémicycle, nous alertions sur le fait que la loi Duflot n’allait pas créer suffisamment de logements, qu’il y avait un écart énorme entre les déclarations et les actes.

Votre projet de loi sonne à cet égard comme un aveu. Votre majorité a fait perdre un temps précieux à la France pour se redresser et, hélas, même si, sur certains sujets, vous semblez aller dans le bon sens, votre texte n’est pas un texte pour la croissance et l’activité ; il est plus velléitaire que volontaire.

Avant d’aller plus loin dans mon analyse, je voudrais faire un petit détour par les questions de méthode. Les délais imposés par le Gouvernement sur ce texte sont irrespectueux vis-à-vis du travail parlementaire. Pour un texte aussi volumineux, il était plus que nécessaire d’avoir au moins deux semaines entre la fin de l’examen en commission et le début de l’examen en séance, d’autant que le Sénat n’examinera pas ce texte avant le mois d’avril. Nous aurions donc pu prendre plus de temps. Le Gouvernement a choisi de passer en force à l’Assemblée nationale, ce que les députés UMP ne peuvent que regretter. D’ailleurs, l’ombre du 49-3 plane encore sur ce texte, et la fin de l’année 2014 était à cet égard assez éclairante.

Concernant les ordonnances, permettez-moi de faire deux remarques. La première, c’est de constater, non sans une certaine gourmandise, que la gauche française semble connaître une conversion tardive, mais réelle, à cette méthode de gestion gouvernementale et législative. Mieux vaut tard que jamais… En revanche, nous ne connaissons absolument pas leur contenu, et cette manière de faire revient donc à un dessaisissement pur et simple du Parlement. Comme nous l’avons déjà dit en commission, nous aurions voulu avoir connaissance des projets d’ordonnances. D’ailleurs, monsieur le ministre, vous nous l’aviez promis et vous ne l’avez pas fait. Ce n’est donc vraiment pas la bonne méthode.

Concernant les professions juridiques, la réforme n’est vue que par le prisme économique et concurrentiel. Elle conduira inévitablement à des déserts juridiques en termes d’emploi et d’accès au droit. Après les déserts médicaux, voici les déserts juridiques que nous prépare la gauche ! Vous considérez le droit comme une simple marchandise. Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de lire les articles en question. Vous envisagez les tarifs de ces professions sous un seul prisme, celui du code du commerce, et vous pensez que l’autorité légitime pour contrôler, c’est celle de la concurrence. De fait, vous passez sous silence d’autres aspects essentiels, comme la sécurité juridique et la nécessaire indépendance de ces professionnels, ou encore l’accès au droit de l’ensemble de nos concitoyens.

Concernant la position du Gouvernement au sujet des travaux de la commission, je note, là encore avec tristesse, que vous ne les respectez nullement. J’ai ainsi découvert avec beaucoup de surprise des amendements gouvernementaux qui reviennent sur des dispositions adoptées en commission et auxquelles vous-même, monsieur le ministre, aviez pourtant donné votre accord au nom du Gouvernement. D’ailleurs, vous ne manquiez nullement de nous rappeler, lorsque nous souhaitions la présence du garde des sceaux ou du ministre du travail, que vous représentiez bel et bien le Gouvernement. Dont acte. Mais, en ce cas, pourquoi voyons-nous maintenant arriver des amendements gouvernementaux qui remettent en cause la position que vous défendiez vous-même au nom du Gouvernement, voici huit jours à peine ?

M. Frédéric Reiss. Bonne question !

M. Patrick Hetzel. À titre d’illustration, je veux citer votre amendement qui revient sur une disposition fiscale concernant le mécénat.

Quant aux prétendues réformes que contiendrait ce texte, il n’y a de fait aucune réforme structurelle : ni sur le temps de travail, ni sur le code du travail, ni sur le coût du travail. Les Français attendent du pouvoir d’achat. Prévoir plus de journées d’ouverture de nos magasins répartira différemment la dépense, sans l’augmenter, d’autant que cela créera des charges supplémentaires pour les entreprises. Faire croire aux Français que cette loi va libérer la croissance dans le pays est donc faux. Vous êtes dans l’affichage plutôt que dans l’action. Cette attitude est impardonnable à ce moment précis du quinquennat de M. Hollande. Votre texte n’est décidément pas à la hauteur des enjeux. C’est dommage pour la France. C’est dommage pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Vitel. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, après quatre-vingt-quatre heures de travail en commission spéciale, nous nous retrouvons aujourd’hui pour l’examen d’un texte censé relancer la croissance et l’activité de notre pays. Monsieur le ministre, je ne doute pas de votre volonté, à travers ce projet de loi, de moderniser et de simplifier de très nombreux aspects de notre économie, de notre droit social, de nos institutions, en bref, de tout ce qui concerne la vie quotidienne des Français.

Votre participation à la commission spéciale et la façon avec laquelle vous avez accepté de répondre point par point à nos interrogations et de retenir un certain nombre d’amendements visant à améliorer ce texte ont permis un travail parlementaire fructueux. Le projet de loi sur la croissance et l’activité doit, selon vous,…

M. Frédéric Reiss. Mais pas selon nous !

M. Gilles Lurton. …permettre de relancer notre économie et ce qui constitue aujourd’hui la préoccupation première des Françaises et des Français, je veux parler du pouvoir d’achat. Il était temps ! En effet, depuis 2012, votre majorité n’a cessé d’affaiblir notre économie et de matraquer les Français d’impôts supplémentaires. Mais la principale question demeure, la seule et unique que nous devons nous poser : en quoi les mesures proposées dans votre projet permettront-elles une amélioration du pouvoir d’achat des Français ? En quoi permettront-elles de relancer notre économie ? Telles sont les questions auxquelles je vais tenter de répondre.

Monsieur le ministre, le groupe UMP a montré tout au long de la discussion qu’il pouvait partager un certain nombre de propositions de votre texte, et nous n’avons pas hésité à en voter certains articles. Ainsi, le titre I sur les transports et la mobilité comporte de nombreux articles qui devraient permettre une libéralisation des créations des moyens de transport par autocar dans notre pays. La grande modernité de l’autocar, ses avantages en termes environnementaux ainsi que ses qualités reconnues en matière de sécurité et de rapport qualité-prix, en font un mode de transport incontournable sur certaines dessertes. Il offre un service complémentaire aux autres modes de transport. Sa libéralisation devrait permettre de compléter l’offre de mobilité, et les Français ne devraient y trouver que des avantages.

Il ne faudrait cependant pas que les créations de nouvelles lignes de transport viennent mettre en difficulté un service public ferroviaire à l’équilibre déjà très fragile. Votre rapporteur thématique, M. Savary, nous propose un seuil de cent kilomètres au-dessus duquel une déclaration serait obligatoire avant d’ouvrir une ligne. Ce seuil ne protège pas, à mon avis, les dessertes ferroviaires locales et régionales déjà structurées. C’est la raison pour laquelle je vous proposerai, par voie d’amendement, de faire passer ce seuil à 250 kilomètres. C’est un seuil qui correspond mieux à la taille des futures grandes régions et qui ne fait pas barrage au marché de l’autocar, tout en sécurisant l’organisation des lignes ferroviaires.

J’ai également été particulièrement intéressé par vos propositions relatives au permis de conduire, lesquelles visent à faciliter et à accélérer les possibilités pour notre jeunesse d’accéder à la conduite. C’est en effet un passage parfois indispensable pour l’accès à l’emploi. Nous connaissons tous dans nos circonscriptions les difficultés rencontrées par de nombreux jeunes soumis à des délais trop importants avant de pouvoir espérer passer leur permis ainsi qu’à des coûts souvent insurmontables pour eux. Il est urgent de rendre la formation au permis de conduire plus qualitative et plus accessible et de remettre à plat la méthode d’attribution de places d’examen. À ce sujet, il serait opportun d’avoir une approche globale sous la responsabilité du ministre de l’intérieur.

Concernant le titre II de votre projet, à propos duquel notre collègue Véronique Louwagie aurait dû s’exprimer aujourd’hui – elle s’excuse de ne pouvoir être des nôtres –, nous avons également voté, en commission, plusieurs des mesures proposées. Initialement, votre projet de loi ne comportait que quelques mesures techniques d’harmonisation. Vous avez souhaité, monsieur le ministre, dès le début de la discussion générale, compléter votre texte par des amendements dont certains ont été votés à l’unanimité.

Je pense par exemple à la création d’une société de libre partenariat pour le capital-investissement pour aider au développement d’entreprises innovantes, au taux réduit de forfait social sur le plan d’épargne pour la retraite collectif investi au titre des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire, et enfin, aux nombreuses mesures visant à favoriser le développement de l’épargne salariale dans les très petites et moyennes entreprises. Le premier accord de participation ou d’intéressement conclu au sein des entreprises de moins de cinquante salariés sera désormais soumis au forfait social à taux minoré fixé à 8 % au lieu de 20 % aujourd’hui.

Je regrette, malgré tout, le retard pris dans la valorisation du pouvoir d’achat des salariés, alors que de telles mesures auraient pu et dû être prises dès le début de la législature. C’est en effet la loi de finances rectificative du 16 août 2012, seulement quelques semaines après votre arrivée au pouvoir, qui a considérablement augmenté la fiscalité applicable à l’épargne salariale en faisant passer de 8 à 20 % le forfait social payé par les entreprises. Vous revenez aujourd’hui en arrière.

Je veux aussi rappeler combien les salariés, et souvent les plus modestes, ont été touchés par la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires. Vous persistez à maintenir cette mesure, alors que nous avons là un véritable levier pour améliorer le pouvoir d’achat des Françaises et des Français.

Mme Chantal Guittet. Mais pas des chômeurs !

M. Gilles Lurton. Cette loi aurait dû être l’occasion de revenir sur cette disposition. Vous aviez là une véritable opportunité que vous n’avez pas su saisir. C’est une occasion manquée.

L’article 53 ter de votre texte a également retenu toute mon attention, en habilitant les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – DGCCRF – à contrôler le respect des délais de paiement par les entreprises publiques. Trop de petites entreprises souffrent aujourd’hui dans nos circonscriptions de délais de paiement trop longs, notamment, monsieur le ministre, de la part des ministères eux-mêmes. Ces entreprises sont mises en difficultés de trésorerie, non parce qu’elles manquent de travail, mais tout simplement parce que leurs prestations ne leur sont réglées que très tardivement. Je vois dans cet article une solution susceptible de les soulager financièrement, en donnant aussi un pouvoir de sanction à la DGCCRF vis-à-vis d’entreprises publiques récalcitrantes.

Vous avez également accepté l’un de nos amendements relatif à la création d’une procédure simplifiée et déjudiciarisée visant à l’obtention rapide d’un titre exécutoire, lorsque la créance de nature contractuelle et d’un montant limité n’est pas contestée par le débiteur. En matière d’urbanisme, j’ai également apprécié votre volonté de prévoir des sanctions financières contre les auteurs de recours abusifs sur les permis de construire, recours qui n’ont d’autres objectifs que de bloquer ces permis.

Mais, si nous avons approuvé un grand nombre des mesures proposées, si nous avons participé de façon constructive à l’amélioration de votre texte sur de très nombreux points, nous ne pouvons cependant admettre votre volonté de réformer ce qui fonctionne bien, ce qui nous est souvent envié par de très nombreux pays, ce qui nous assure une sécurisation des actes juridiques, en nous évitant de nombreux contentieux judiciaires, ce qui, enfin, est créateur d’emploi et de richesses, alors que vous vous êtes montrés incapables d’inverser la courbe ascendante du nombre de demandeurs d’emploi depuis maintenant trois années : je veux bien sûr parler des professions réglementées.

Comme de nombreux collègues, monsieur le ministre, j’ai fait le choix, en plus de tenter d’assister, malgré la précipitation dans laquelle elles ont été menées, aux auditions des différents rapporteurs thématiques, de recevoir toutes les professions réglementées de ma circonscription de Saint-Malo. J’ai rencontré de jeunes notaires qui, tout en reconnaissant la bonne marche de leurs affaires, ont dû cependant emprunter pour faire leurs études. Ils ont acheté ensuite leur office à un prix qui a été déterminé sur la base d’un chiffre d’affaires réalisé en fonction d’un tarif. En voulant l’abaisser, vous les plongez dans la plus grande incertitude sur leurs capacités à rembourser leurs emprunts et à maintenir l’emploi dans leurs études.

Non, monsieur le ministre, la situation des études notariales de province, qui assurent le maillage de notre territoire, n’est pas forcément celle des grandes études parisiennes dans lesquelles vous trouvez souvent très peu de notaires, mais un très grand nombre de salariés. Ces études de province sont souvent de petites études qui assurent une fonction de conseil à la population. Elles doivent souvent faire face à un très grand nombre de petites affaires peu rémunératrices et elles se compensent sur un petit nombre de dossiers plus importants. Mes interlocuteurs m’ont montré la nécessité de pouvoir demeurer indépendants face à l’ouverture de leurs études à des capitaux privés. J’ai également rencontré de nombreux avocats inquiets quant à la pérennité de leurs barreaux. Ils m’ont appris le rôle et l’importance d’un avocat postulant dans le suivi de leurs affaires.

J’ai aussi rencontré des huissiers, des mandataires judiciaires, des commissaires-priseurs ; ils m’ont appris toutes les spécificités de leurs métiers, spécificités que vous avez d’ailleurs accepté de reconnaître en commission spéciale en excluant les mandataires judiciaires de la nouvelle profession de commissaire de justice. Je crains malheureusement, au vu des amendements du Gouvernement, que vous ne tentiez de revenir sur cette disposition.

Je me suis rendu au tribunal de commerce de ma circonscription et j’y ai rencontré des juges du commerce bénévoles, des greffiers de tribunaux de commerce meurtris d’être traités de cette façon. Qui mieux que les juges du commerce, souvent d’anciens entrepreneurs, connaît le monde de l’entreprise ? Qui mieux que les juges du commerce auront la volonté de tout mettre en œuvre pour permettre à l’entreprise en difficulté de refaire surface et de préserver des emplois ? Faut-il vous rappeler, monsieur le ministre, que les jugements des tribunaux de commerce font rarement l’objet d’appel et que, au surplus, les arrêts des cours d’appel confirment généralement les jugements rendus en première instance, attestant ainsi du sérieux et de la pertinence du travail des juges consulaires et des greffiers des tribunaux de commerce qui les assistent ?

Enfin, je me suis enfin rendu à l’audience de rentrée du tribunal des prud’hommes. J’y ai trouvé des juges prud’homaux conscients de la nécessité de réformer leur système, partageant votre volonté d’instaurer une formation initiale et continue obligatoire, persuadés aussi, comme vous, de la nécessité de renforcer les prérogatives des conseils de prud’hommes en matière de conciliation et d’instaurer une procédure de mise en état des dossiers – procédure qui, au demeurant, existe déjà à Saint-Malo, ce qui montre bien que c’est possible dès aujourd’hui. Mais j’ai aussi vu ces juges prud’homaux en total désaccord avec votre proposition de renvoyer les dossiers de la conciliation au départage, en désaccord aussi avec la construction d’un circuit court qui permettrait au justiciable de voir son affaire jugée rapidement par un bureau de jugement en formation restreinte car ce ne serait rien d’autre que l’exclusion du juge prud’homal de la procédure. À Saint-Malo, le taux moyen de délai de traitement des dossiers est de huit mois. Certes, c’est encore trop long, j’en conviens, mais loin des quinze mois cités par le rapporteur général. Je veux croire que le délai à Saint-Malo n’est pas une exception, et il existe bien des raisons de faire confiance aux juges prud’homaux.

L’examen, article par article, de votre texte et les amendements très nombreux qui ont été déposés me permettront de revenir dans le détail sur tous ces aspects ainsi que d’aborder beaucoup d’autres points tels que le travail du dimanche pour lequel je vous ai montré en commission qu’avec un bon accord collectif – comme c’est le cas à Saint-Malo –, il est possible de trouver des solutions de compensation pleines et entières pour les salariés qui acceptent de travailler le dimanche.

Je souhaite que l’esprit constructif et la concertation qui a régné en commission spéciale restent la règle dans l’hémicycle. Vous pouvez compter sur ma contribution pleine et entière pour qu’il en soit ainsi et pour que nous puissions améliorer ce texte. En l’état actuel, je ne pourrai le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique de la commission spéciale. Ça commençait pourtant bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je vais tâcher de répondre point par point aux questions qui ont été soulevées dans cette discussion générale sans pour autant préempter le débat qui aura lieu article par article.

Sans revenir sur l’intervention de M. Tourret, je le remercie d’avoir souligné la cohérence du projet de loi et d’en avoir été l’avocat.

S’agissant de votre intervention, monsieur Roumegas, je vais d’abord revenir sur l’étude d’impact, sujet qui a été évoqué à plusieurs reprises dans la discussion générale. Vous savez bien que si cette étude avait été aussi pauvre que cela, le Conseil d’État nous aurait renvoyé le projet de loi. Je rappelle qu’elle comporte 143 pages consacrées au titre Ier, 131 pages au titre II et quatre-vingt-quatre pages au titre III, et qu’elle fait suite à un rapport de l’inspection des finances relatif aux professions réglementées et à de nombreuses autres contributions du ministère de l’économie. Il a été mentionné à plusieurs reprises que s’ajoute à cela des études indépendantes que j’ai moi-même sollicitées – quatre d’entre elles ont été produites durant ces derniers jours – et qui permettent, elles aussi, d’y voir plus clair. Au passage, je note, monsieur Chassaigne, que vous avez eu la courtoisie d’en citer une partie – celle qui vous arrangeait –, mais le propre des études d’impact, c’est qu’il faut les appréhender en totalité, et tous ces travaux montrent la robustesse des effets économiques attendus des mesures proposées dans ce texte. Oui, il y a donc bien eu une étude d’impact. M. Hetzel, pour affoler tout le monde, cite des chiffres de plusieurs dizaines de milliers d’emplois qui seraient en cause. On peut faire dire tout et n’importe quoi à une étude d’impact, mais encore faut-il qu’elle soit sérieuse à la base. Lorsqu’on cite l’étude d’impact produite par le notariat français, c’est une plaisanterie, même une escroquerie intellectuelle. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bruno Le Roux. Eh oui !

M. Emmanuel Macron, ministre. Oser dire que notre projet pourrait supprimer 10 000 à 20 00 emplois, c’est…

M. Bruno Le Roux. N’importe quoi !

M. Emmanuel Macron, ministre. …faire peur aux Françaises et aux Français, et pas à la hauteur du débat que nous avons eu en commission, monsieur Hetzel. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Il faut savoir raison garder sur le sujet de l’impact économique et regarder avec rigueur les éléments mis sur la table et les conséquences qu’ils vont produire. L’OCDE a fourni des chiffres il y a quelques mois. Je l’ai ressaisi de cette question à la fin de l’année dernière pour qu’elle apporte encore plus d’informations, et ce bien entendu en toute indépendance. J’insiste sur ce dernier point : une bonne étude d’impact est indépendante. Elle ne peut pas être produite par celles et ceux qui font l’objet des réformes concernées. Sinon, on pourrait citer les études produites par tel ou tel syndicat sur toutes sortes de mesures parce que chacun peut présenter ses propres études. Je sais, monsieur Roumegas, que vous êtes sensible à cette question. Des études d’impact indépendantes ont été produites et continueront à l’être, et confortent plutôt ce texte sur les différents points que vous avez soulevés.

Vous avez ensuite, monsieur Roumegas, évoqué plusieurs autres points, sur lesquels je me dois d’intervenir car, au-delà de la discussion technique que nous aurons au cours des prochains jours après celle en commission spéciale, j’affirme que non, ce texte n’est pas à un retour à la vente à la découpe, et vous le savez bien. Plusieurs de vos collègues ont d’ailleurs défendu les dispositions proposées qui sont une révision de certains dispositifs de la loi ALUR qui pouvaient conduire à bloquer pendant quinze ans certains investisseurs ayant des locataires dans leurs logements. S’il est voté dans sa rédaction actuelle, le texte permettra de protéger pendant au moins trois ans, voire six ans, un locataire. La protection des locataires et la lutte contre les spéculations sont des nécessités, mais le gel total empêchant toute mobilité n’est pas une solution parce qu’il n’y a pas de bonne politique du logement s’il n’y a plus d’investisseurs et plus de production. Non, ce texte n’est pas, je le répète, une porte ouverte à la vente à la découpe.

De même, le projet de loi n’est pas une dérégulation du secteur des transports – j’y reviendrai. Les dispositifs proposés pour l’ouverture du secteur du transport par autocar prévoient des garde-fous précis en donnant aux autorités organisatrices de transports, les AOT, la possibilité d’évaluer l’impact sur les lignes compensées. Nous discuterons d’éléments plus techniques, des distances, mais il y a bien des régulations prévues dans le texte.

S’agissant du travail du dimanche, j’y reviendrai dans quelques instants mais il est bien prévu, là aussi, des compensations, des garde-fous, des points d’équilibre. Je ne peux vous laisser dire, monsieur Roumegas, que les gagnants dans ce texte seraient les grandes enseignes ou les grands groupes immobiliers. S’agissant de ces derniers, je viens d’expliquer pourquoi. Quant aux grandes enseignes, je vous invite à regarder en détail ce projet de loi qui, en donnant un pouvoir d’injonction structurelle à l’Autorité de la concurrence, établit une avancée, que n’avaient pas tentée mes prédécesseurs ces dernières années, pour obliger les grandes enseignes à recéder des surfaces commerciales là où il y a manque de concurrence. Dites-moi ce qui serait bon pour les grandes enseignes dans ce texte ? De plus, donner plus de liberté aux élus sur leur centre-ville en matière de travail du dimanche, c’est redonner une marge de manœuvres au petit commerce face aux grandes enseignes, jusque-là seules avantagées dans le cadre des PUCE – les périmètres d’usage de consommation exceptionnel – et des autres dispositions de la loi Mallié. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Christian Jacob. Ce n’est pas vrai !

M. Emmanuel Macron, ministre. De même, les règles de compensation prévues sont protectrices du petit commerce en n’obligeant pas à doubler la rémunération mais en renvoyant à des accords de territoire ou d’entreprise parce que c’est au contact du terrain que ces petits commerces seront protégés.

Enfin, vos rapporteurs proposeront des amendements qui permettront, là aussi, d’améliorer l’équilibre et d’avantager le commerce de centre-ville face aux grandes surfaces.

Monsieur le député, vous ne pouvez pas dire non plus que les salariés seraient les victimes de ce projet de loi alors que le principe de la compensation du travail dominical est prévu pour la première fois dans tous les cas et que l’obligation d’avoir un accord collectif pour ouvrir le dimanche sera inscrite dans le marbre de la loi.

Monsieur Caullet, je vous sais gré d’avoir souligné la coconstruction de ce texte. Il est en effet le fruit d’un travail collectif, et je veux ici remercier les uns et les autres, de tous bords, d’avoir eu la courtoisie d’insister sur ce point, ce qui fait écho à mes remerciements en début d’après-midi.

Monsieur Poisson, vous avez évoqué quatre difficultés essentielles.

Ce texte n’est pas un projet de loi de finances. Par conséquent, nous n’aborderons pas les éléments macro-économiques, fiscaux ou relatifs à d’autres charges. Néanmoins, je me permets de rappeler que le pacte de responsabilité et de solidarité, ajouté au CICE, constitue un effort historique et inédit en termes d’allégement de charges pour nos entreprises. Ce pacte, c’est 40 milliards pour donner des marges de manœuvre à nos entreprises afin qu’elles investissent et qu’elles recrutent, et ce dans un contexte budgétaire bien connu de tous. Je suis donc étonné qu’on puisse me dire que le Gouvernement n’a pas su apporter de réponse à nos entreprises alors que, bien au contraire, il leur a redonné des marges de manœuvre sur le plan macroéconomique, suscitant ainsi le contexte nécessaire à la relance de la compétitivité et de l’investissement.

La deuxième et la troisième difficulté que vous avez évoquées – la conception anglo-saxonne des professions réglementées d’une part, et la déréglementation de ces mêmes professions d’autre part – touchent au même sujet : celui des professions juridiques réglementées. Je ne peux pas laisser dire que le texte porte atteinte au modèle de droit continental. S’il y a eu une atteinte au modèle, et nous en avons débattu en commission spéciale, c’est par la remise en cause de l’exclusivité de l’acte authentique à travers l’acte d’avocat dans le projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées, en 2010.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !

M. Emmanuel Macron, ministre. Notre texte, lui, ne rouvre à aucun moment la question des exclusivités juridiques desdites professions réglementées. La garde des sceaux l’a rappelé tout à l’heure en soulignant l’importance de cet aspect de notre droit. Les risques, évoqués par plusieurs d’entre vous, de voir de nouveaux contentieux surgir et un modèle anglo-saxon nous envahir relèvent de fausses craintes. Si nous remettions en cause en quoi que ce soit l’indépendance desdites professions, l’exclusivité des actes qu’elles prennent en tant qu’officier ministériel, je pourrais accepter ce genre d’argument… Mais ce n’est pas vrai. Le texte ne traite que de la partie économique de ces professions, à savoir leurs tarifs et leur organisation sur le territoire, mais à aucun moment la nature de leur activité juridique.

S’agissant des tarifs, je veux ici purger ce point parce qu’il a été évoqué à plusieurs reprises. Il s’agit simplement de mettre plus de transparence dans la constitution des tarifs des professions juridiques réglementées car il est normal de tenir compte des coûts. Certains tarifs doivent être fixes pour des actes déterminés, d’autres proportionnels. Nous rediscuterons du corridor tarifaire. J’ai déjà dit en commission spéciale que j’’étais tout à fait disposé à avoir une telle discussion pour améliorer, pour clarifier le dispositif. Mais il est tout de même normal que nous assurions à nos concitoyens que des tarifs réglementés sont revus au moins tous les cinq ans et que nous allons examiner la formation de ces tarifs au regard de la réalité des coûts ! Comment peut-on le contester ? Il est aussi normal que l’Autorité de la concurrence puisse l’éclairer en lien avec les professions. Je vous confirmerai aussi sur ce point mon esprit d’ouverture. Mais en quoi un tel dispositif attente-t-il à la sécurité juridique ? En rien.

Quant à la libre installation, le texte prévoit seulement une cartographie objective établie par une instance indépendante. Qui peut être contre ? En quoi cela remettra-t-il en cause l’indépendance desdites professions et la sécurité de notre droit ?

Il s’agit simplement de reconnaître – les notaires eux-mêmes y consentent – qu’il existe aujourd’hui des déserts notariaux, des zones lacunaires dans lesquelles les professionnels pourront s’installer librement, des zones intermédiaires où le garde des sceaux dispose d’un droit de veto sur l’installation lorsque l’équilibre des offices existants est remis en cause et, enfin, des zones saturées où le statu quo, l’équilibre qui a été trouvé doit être préservé. Ce qui est proposé ici n’est donc pas une révolution, c’est simplement une évolution nécessaire.

Lorsque, en 2009, un engagement a été pris par la profession, il n’a pas été tenu, et celle-ci le reconnaît elle-même.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement !

M. Emmanuel Macron, ministre. Nous proposons donc ici précisément de redonner de la liberté, de la transparence, de l’objectivité. Pourquoi serait-il en effet gravé dans le marbre que certaines professions pourraient cogérer en permanence l’organisation même de leurs tarifs et de leur installation ? Quelle conception avez-vous de la méritocratie républicaine et de ce qu’est le bon maillage territorial ?

M. Christian Jacob. Et vous, d’où tirez-vous cela ? Vous avez la science infuse ?

M. Emmanuel Macron, ministre. S’il s’agissait de remettre en cause le maillage territorial, il ne serait pas proposé dans le texte la libre installation dans les zones lacunaires !

M. Christian Jacob. Vous laissez la place au marché !

M. Emmanuel Macron, ministre. À aucun moment il ne s’agit de laisser libre cours au marché. Il faut pour cela entrer dans le détail du texte, je le reconnais, et s’écarter de ce que parfois les notaires eux-mêmes édictent et répandent comme doctrine, des éléments que j’ai d’ailleurs vus reproduits dans des amendements identiques ; nous aurons également l’occasion d’y revenir.

Il ne s’agit en aucun cas d’une dérégulation. C’est au contraire une vraie régulation, qui s’appuie sur des autorités indépendantes garantissant plus de transparence, et non pas une corégulation par les professionnels, car c’est l’idée que nous nous faisons de la juste régulation. À aucun moment la qualité de service ne sera ici atteinte, et l’équilibre juridique, l’équilibre financier des professionnels est pris en compte dans le texte. Le maillage territorial est préservé par celui-ci.

Enfin, quant à la question des déséquilibres territoriaux, posée par M. Poisson dans son quatrième point, je viens d’y répondre s’agissant des professions du droit : la libre installation concerne principalement les zones carencées et les zones intermédiaires, où elle peut se heurter au droit de veto du garde des sceaux. La possibilité donnée aux professionnels de s’organiser pour se regrouper sur le territoire est une faculté offerte et à aucun moment une obligation. Elle peut leur permettre de mieux s’organiser sur le terrain car, comme vous le savez, les grands cabinets anglo-saxons existent d’ores et déjà et s’organisent, et les premières victimes de ces mouvements sont les professionnels qui, sur vos territoires, n’ont pas les mêmes latitudes pour s’organiser. Ce texte leur offre une telle possibilité.

Je souhaite maintenant répondre aux points qui ont été soulevés par M. le député Zumkeller. J’évoquai à l’instant le sujet des offices notariaux ; nous pourrons débattre, lorsque nous entrerons dans le détail du texte, des modalités mêmes de ces créations d’offices.

J’ai entendu vos préoccupations, qui portent à la fois sur les tarifs – je viens de rappeler mon souhait d’en débattre sur le fond afin d’améliorer encore notre texte – et sur les critères de créations d’offices, au sujet desquels je suis tout à fait ouvert. Nous verrons si ces précisions seront inscrites dans la loi ou dans un décret, mais il est certain qu’il faudra là aussi imposer plus de transparence : quand on veut plus d’objectivité, il faut aller au bout de la démarche.

Vous avez ensuite, comme M. le député Vercamer, présenté plusieurs propositions en matière de droit du travail. Sur ce point, je répéterai ce que je disais tout à l’heure en réponse à M. le député Fillon. Plusieurs éléments peuvent être discutés, et ce texte en comprend déjà. Je suis tout de même assez surpris que, souvent, on néglige ce qu’il y a dans le présent texte pour s’attacher à ce qui n’y est pas. J’y vois une forme de bovarysme parlementaire (Sourires) qui a été partagé par beaucoup d’entre vous et auquel je ne saurais me ranger.

M. Jean-Jacques Bridey. Bravo ! Très bien !

M. Michel Zumkeller. La ficelle est un peu grosse !

M. Emmanuel Macron, ministre. Néanmoins, puisque bovarysme il y a, j’irai au bout de l’aventure avec vous. À plusieurs reprises, le Président de la République comme le Premier ministre ont marqué leur volonté d’avancer. La négociation sociale, que vous avez l’un et l’autre évoquée, a échoué voilà quelques jours. Il est donc normal que nous mettions à profit les prochains jours et les prochaines semaines pour en tirer toutes les conséquences, et je fais aussi écho ici à l’invitation de M. le député Cherpion. Dans les prochains jours, le ministre du travail recevra l’ensemble des partenaires sociaux. Le Premier ministre a prévu le 19 février prochain de les rassembler toutes et tous, et les conséquences en seront pleinement tirées. Je pense que, d’ici là, il sera difficile de faire totalement abstraction des débats qui auront eu lieu.

Pour ce qui est des 35 heures, les accords de maintien dans l’emploi ont permis d’introduire une certaine flexibilité dans des situations données. Il faut là aussi établir un bilan et essayer d’aller plus loin car, je suis totalement d’accord avec vous, nous pouvons le faire sur certains points juridiques, des blocages étant déplorés par toutes les parties.

Six accords ont été conclus sur la base des accords de maintien dans l’emploi dits défensifs. Nous pouvons certainement améliorer ce dispositif. Au cours du débat, nous pourrons discuter de ces différents sujets afin de déterminer comment progresser de manière concrète, dans le cadre à la fois de ce texte et des discussions passées et à venir des partenaires sociaux. Vous me reconnaîtrez les uns et les autres ce souci de cohérence qui consiste à vouloir mener la discussion jusqu’au bout et à respecter strictement la lettre des lois dites Larcher, c’est-à-dire à ne pas aborder des sujets que les partenaires sociaux n’auraient pas examinés.

J’en viens aux propos de M. le député Giraud. J’ai bien pris note de sa volonté d’avancer sur le transport, la consommation et l’open data, et ce texte nous donnera l’occasion d’avancer de manière concrète sur ces sujets. Je me suis montré ouvert, plusieurs amendements vont nous permettre d’avancer et je suis optimiste quant à notre capacité collective à aboutir sur ces points.

J’en viens maintenant au propos de M. le député Chassaigne qui fut extrêmement nourri, riche en citations et parfois en images.

M. Michel Zumkeller. Il est brillant !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je visualisais bien le premier dessin de Wolinski auquel vous vous êtes référé, monsieur le député, mais à vous écouter, je ne suis pas sûr que je vous voyais véritablement réparer le toit. Je vous ai plutôt entendu hululer autour du lit en courant pour qu’il arrête de pleuvoir. (Rires sur divers bancs.) C’est en effet un peu l’image que vous m’avez donnée, durant tout votre propos : rêver à un autre monde, en appeler à un autre monde et, finalement, peu accepter les contraintes du réel.

À vouloir prétendre garder ses idéaux, bien souvent, on néglige le fait que, dans le vrai, comme disent les enfants, les choses sont un peu différentes de ce qu’on prétend.

M. Marc Dolez. Mieux vaut garder ses idéaux que leur tourner le dos !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je reviendrai donc sur chacun de vos points, monsieur Chassaigne.

Je ferai tout d’abord référence aux économistes que vous avez mentionnés. Oui, Élie Cohen, que vous avez eu la courtoisie de citer, fait partie des signataires de la tribune qui, hier, dans Le Journal du dimanche, invitaient à voter ce texte et en défendaient les impacts économiques. Oui, l’OCDE, que vous avez mentionnée, fait partie de ces organismes qui ont livré des évaluations positives de ce texte. Oui, des analyses indépendantes ont été réalisées par France Stratégie, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, anciennement Commissariat général du plan, et les quatre études établies à ce jour ont montré que ce texte avait un impact positif, un véritable effet bénéfique sur la croissance.

Par honnêteté, je me suis constamment refusé à donner des chiffres. Je pourrais le faire, vous asséner des projections à horizon de dix ans ou de cinq ans, parce que c’est toujours de cela qu’il s’agit, mais quel est l’intérêt ? Quelle serait l’authenticité de ces chiffres pour nos concitoyens ? De manière objective, des experts indépendants ont établi, et continuent d’établir, réforme par réforme, l’impact positif de ce texte.

Je souhaite revenir à présent point par point sur les sujets que vous avez évoqués, monsieur le député.

S’agissant des autocars, tout d’abord, au sujet desquels, je l’espère, nous pourrons débattre dans quelques instants, ils n’ont pas vocation à concurrencer le rail. Nous en avons largement débattu en commission spéciale : l’intermodalité, la multimodalité représentent précisément la manière dont les transports s’organisent et s’organiseront sur notre territoire. Et les autocars ne viendront pas concurrencer le rail.

M. André Chassaigne. Mais si !

M. Emmanuel Macron, ministre. Ils rouleront là où il y a des manques, là où il y a du covoiturage, là où parfois on ne peut pas se déplacer, là où il y a des lignes particulièrement non rentables et déjà sur le point d’être arrêtées.

Un député UMP. Là où il y a des clients !

M. Emmanuel Macron, ministre. Ils permettront de créer des nouveaux moyens de transport. Les chiffres montrent d’ailleurs, et nous y reviendrons tout à l’heure dans le détail, que l’effet de substitution que vous évoquez n’est pas avéré. Là où s’ouvre une ligne d’autocars, il n’y a pas de suppression massive des lignes de train.

Et oui, monsieur le député Chassaigne, c’est vrai qu’il y a des inégalités en matière de transports, que 40 % des trajets en TGV sont faits par les deux premiers déciles de notre population. C’est une réalité ; je le regrette comme vous, mais c’est ainsi. Beaucoup de Françaises et de Français ne peuvent pas se déplacer sur notre territoire en TGV,…

M. André Chassaigne. Cela correspond à des choix !

M. Emmanuel Macron, ministre. …et il y a même des points de notre territoire qui ne sont pas reliés par des TGV. L’intermodalité est donc nécessaire pour permettre à ces dernières et à ces derniers de se déplacer sur notre territoire.

J’ai été surpris, monsieur le député Chassaigne, de voir finalement que la gauche forte, celle qui dit la vérité, celle qui fait référence à Gramsci et qui m’a, pour ainsi dire, donné des leçons voilà quelques instants, est aussi la gauche qui protège le notariat et les professions réglementées.

M. Marc Dolez. Oh là là !

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce n’était pas tout à fait l’idée que Gramsci, ou même Karl Polanyi s’en faisaient. Je vois plutôt dans une telle position une forme de conservatisme, de protection des intérêts acquis et du statu quo qui m’étonne.

M. André Chassaigne. Pas du tout !

M. Emmanuel Macron, ministre. Vous aurez sans doute l’occasion de nous montrer au cours de nos débats qu’il en est autrement car, et je ne réitérerai pas la démonstration que je viens de faire à ce sujet, les réformes inscrites dans ce texte en matière de professions réglementées ne visent en rien à mettre en place une concurrence exacerbée ou une dérégulation complète.

M. André Chassaigne. Nous verrons !

M. Emmanuel Macron, ministre. C’est une juste ouverture, c’est un égal accès.

M. Christian Jacob. C’est le contraire de l’égal accès !

M. Emmanuel Macron, ministre. Comment un homme de progrès peut-il admettre une seule seconde sans ciller que dans notre pays, à diplôme égal, à mérite égal, à expérience égale, avec les mêmes critères d’honorabilité reconnus par le garde des sceaux, l’un peut s’installer et l’autre non ?

M. André Chassaigne. C’est l’ouverture à la finance !

M. Emmanuel Macron, ministre. Comment pouvez-vous l’accepter ? Quelle est dans ce cas votre idée du progrès ? Quelle est votre idée de l’égal accès ?

M. Christian Estrosi. Quel culot ! C’est incroyable !

M. Emmanuel Macron, ministre. Comment pouvez-vous accepter qu’en matière de transports, d’accès au capital, de procédure collective nous nous trouvions dans une telle situation, qui est profondément injuste ? Vous ne voyez pas les progrès qu’apporte ce texte parce que votre vision est caricaturale.

M. André Chassaigne. C’est plutôt parce qu’on a du mal à les voir !

M. Emmanuel Macron, ministre. Et j’ai bien noté, tout en le regrettant, que l’esprit de finesse cher à Pascal n’animait pas votre propos. J’espère que nous aurons des débats plus propices et plus riches.

M. Christophe Borgel. Ce n’est que le début !

M. Christian Jacob. Nous verrons s’il tiendra la distance !

M. Emmanuel Macron, ministre. Puisque vous avez beaucoup cité Balzac ainsi que d’autres auteurs, permettez-moi pour ma part de vous citer ces mots de Camus dans L’Homme révolté : « La logique du révolté est […] de s’efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel ». Les nombreuses approximations que vous avez faites dans votre propos, monsieur le député Chassaigne, n’étaient pas au niveau des débats en commission spéciale et des interventions de nombre de vos collègues qui sont venus s’exprimer à cette tribune.

M. Christian Estrosi. Un député, cela se respecte ! Commencez donc par vous faire élire avant de vous adresser ainsi à un élu !

M. Bruno Le Roux. Ce n’est pas parce qu’on est député qu’on peut dire n’importe quoi !

M. Emmanuel Macron, ministre. J’ai regretté à cet égard les contre-vérités répétées sur ce que les plans sociaux sont précisément, sur les réformes inscrites dans ce texte en matière d’inspection du travail ou de délit d’entrave, ou encore sur le travail du dimanche.

Je terminerai d’ailleurs sur ce dernier sujet. J’ai eu l’occasion dans mon propos introductif d’expliquer la philosophie du texte sur ce point. Réduire la situation dans laquelle nous plaçons les salariés pour le travail du dimanche au seul lien de subordination est également une contre-vérité.

M. André Chassaigne. Demandez donc aux salariés comment ça se passe !

M. Emmanuel Macron, ministre. En effet, le texte prévoit tout d’abord de rappeler partout le principe du volontariat, qui est défini, je vous le rappelle, par le code du travail, et qui doit se manifester par un accord écrit et une réitération chaque année. Surtout, l’existence de l’accord collectif – accord de branche, accord d’entreprise ou accord de territoire – constitue en elle-même une condition. Celui-ci est en effet précisément ce qui permet au salarié de sortir de cette confrontation individuelle, bien souvent inégale, vous avez raison, monsieur le député, avec son employeur. Entre la loi, qui voudrait prévoir tous les cas, qui voudrait écraser la multitude des situations, et l’accord individuel, il existe l’accord collectif. C’est précisément le dialogue social auquel croit ce gouvernement depuis le premier jour. C’est celui qui permet d’établir une équation juste partout sur le territoire. C’est celui qui ne laisse pas le salarié seul face à son employeur. En effet, là où il n’y aura pas d’accord, il n’y aura pas d’ouverture.

Là encore, monsieur le député Chassaigne, regardez la réalité en face : près de 30 % des Françaises et des Français travaillent le dimanche.

M. Christian Jacob. C’est faux !

M. Emmanuel Macron, ministre. Pas moins de 640 zones touristiques – les chiffres sont là, ils sont objectifs, je vous y renvoie – sont ouvertes en France et la loi ne prévoit rien en termes de compensation dans ces zones.

M. Christian Jacob. Travailler le dimanche se fait de manière anecdotique ! Il est complètement en dehors de la réalité ! Il dit n’importe quelle ânerie !

M. Emmanuel Macron, ministre. La réalité, c’est qu’il n’y a aujourd’hui pas de justice sur ces sujets-là, et je veux, au risque d’énerver M. le député Jacob, rappeler pourquoi il est cohérent de défendre cette loi sur le travail du dimanche quand on s’est opposé à la loi Mallié en 2009.

Cette loi prévoyait la régularisation des « périmètres d’usage de consommation exceptionnel », les PUCE, 41 grandes zones commerciales hors des centres-villes, où il était permis de travailler cinquante-deux dimanches par an, avec des règles de compensation généreuses, un principe de « payé double », sans accord, et la possibilité, pour les commerces alimentaires, d’ouvrir jusqu’à 13 heures. Pour le reste, rien.

M. Bruno Le Roux. Une aberration !

M. Emmanuel Macron, ministre. Avec le présent texte, nous proposons de regarder les choses en face. De nombreuses villes, en effet, n’utilisent pas les cinq dimanches du maire. Mais beaucoup d’autres, comme Bordeaux ou Aix, souhaitent que leurs commerces soient ouverts douze ou vingt dimanches, et vont jusqu’à se classer elles-mêmes en zone touristique pour qu’ils puissent ouvrir cinquante-deux dimanches par an.

M. Bailly, chargé de donner davantage de respiration au système, a mené une longue concertation, au terme de laquelle un consensus a été trouvé. Le passage de cinq à douze dimanches est une liberté offerte aux élus, régulée par les EPCI, pour protéger, là où cela a du sens, les commerces de centre-ville face à ceux des zones commerciales voisines, ouvertes cinquante-deux dimanches par an.

En matière de compensation, la loi de 2009 prévoyait un payé-double dans les zones commerciales, mais rien dans les zones touristiques et les centres-villes. Le présent texte prévoit l’obligation de conclure des accords, lesquels contiendront des éléments de compensation. Partout où les magasins seront ouverts le dimanche, il y aura compensation. Oui, c’est un élément de justice sociale ! Oui, ce texte est une avancée !

Madame la députée Bonneton, je ne reviendrai pas sur la question de l’étude d’impact. Mais comment pouvez-vous parler de dérégulation, lorsque nous proposons d’étendre la compétence de l’autorité – indépendante – de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, pour mieux réguler les contrats des sociétés concessionnaires ? Le problème, que nous connaissons tous, vient de ce que les sociétés d’autoroutes, non seulement ont été privatisées dans des conditions sur lesquelles je ne reviendrai pas, mais sont mal régulées depuis dix ans. Nous proposons une façon plus transparente de procéder. Où est la dérégulation ?

S’agissant des professions réglementées, il est prévu qu’une autorité indépendante établisse une carte objective, l’installation pouvant être bloquée dans les zones intermédiaires par le garde des sceaux, tandis que le statu quo prévaudrait ailleurs. Nous proposons aussi que les tarifs, qui restent réglementés, soient plus transparents. Où est la dérégulation ?

Davantage de transparence et une meilleure régulation sont des atouts pour la croissance et l’économie. Sans cela, quelques-uns captent la valeur, réalisent des surprofits. Ce texte prévoit aussi de donner à l’autorité de la concurrence un pouvoir d’injonction structurelle. Cela permettra de renforcer la régulation là où elle est nécessaire, dans les zones commerciales où existent une situation dominante et des pratiques qui contreviennent aux intérêts des producteurs ou des consommateurs.

Nous aurons, lors de l’examen de l’article 28, l’occasion de revenir sur la question du droit environnemental. Je veux toutefois vous rappeler que le Gouvernement a pour volonté d’aller plus vite, de simplifier les dispositifs, de donner plus de visibilité aux acteurs économiques, sans rien renier toutefois de nos exigences en matière de démocratie et d’environnement. Avec Ségolène Royal et Sylvia Pinel, nous avons pris un engagement très solennel, que j’ai rappelé. La charte de l’environnement est notre garantie à tous.

Enfin, je ne peux vous laisser penser une seule seconde que nous avons eu l’intention, à quelque instant que ce soit, de privatiser l’établissement français du sang. Je vous renvoie à l’exposé des motifs du projet de loi : il s’agit de permettre à la banque – publique, comme son nom l’indique – d’investissement, la BPI, codétenue par la Caisse des dépôts et par l’État, d’entrer au capital du laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies. Ainsi le LFB pourrait-il procéder à des investissements, se développer sur notre territoire et créer 250 emplois près de Nantes. Non, il ne s’agit pas d’une privatisation rampante de l’établissement français du sang ! Soyons rigoureux et responsables, sans quoi nous aurons du mal à mener des débats, parfois d’évidence !

De la même façon, et je le dis aussi à M. Chassaigne, ce texte ne vient pas faciliter les licenciements. Comme l’a très précisément expliqué le rapporteur Denys Robiliard dans son intervention liminaire, il s’agit de clarifier des éléments que la jurisprudence avait parfois troublés et qui, suite aux réformes de 2013, pouvaient être source d’incertitude, néfastes tant pour les salariés que pour les entreprises.

Pour ce qui est du travail du dimanche, je crois avoir répondu à l’essentiel de vos questions. Toutefois, je rappellerai qu’il ne faut pas prendre, en la matière, une seule comparaison géographique. La commission spéciale, à laquelle vous avez été fort assidue, a montré que si l’Allemagne n’incite pas à ouvrir le dimanche – et c’était là toute la préoccupation de M. Hetzel –, il n’en va pas de même pour la Belgique, chère à M. Vercamer, ou l’Espagne, chère à M. Savary… La variété des situations justifie qu’on laisse aux élus de la souplesse, que l’on se fie à l’intelligence des territoires. C’est là tout l’esprit de ce texte.

Monsieur Laurent, je veux revenir plus longuement sur le « moment grec », dans lequel vous avez voulu situer nos propos.

M. André Chassaigne. Il a eu raison !

M. Emmanuel Macron, ministre. Certes, mais quitte à regarder le moment grec, il faut le regarder jusqu’au bout. Que s’est-il passé en Grèce ? Pendant des décennies, des responsables politiques, de gauche comme de droite, ont gouverné le pays comme des patriciens, ont décidé de protéger les intérêts acquis, n’ont entrepris aucune réforme et ont fait croire à leurs concitoyens que vivre à Athènes, c’était comme vivre à Berlin, avec les mêmes taux d’intérêt, mais sans les réformes. C’est cela, le mensonge !

M. Jean-Luc Laurent. Le mensonge, c’est la monnaie unique !

M. Emmanuel Macron, ministre. Puis la crise est arrivée, qui a révélé la différence des situations et d’un seul coup a fait comprendre à certains qu’en effet, les augmentations salariales octroyées pendant une décennie dorée – celle de l’euro – n’étaient peut-être pas soutenables, que les efforts, les réformes, parfois nécessaires, n’avaient pas été faits, que les intérêts de quelques-uns avaient toujours été protégés.

Depuis la crise, de manière brutale, une troïka, dont nous avons à plusieurs reprises critiqué la gestion bureaucratique, a serré ce pays, le gouvernement…

M. Jean-Luc Laurent. Elle l’a étranglé !

M. Emmanuel Macron, ministre. …jusqu’à le rendre insupportable aux yeux de la population.

Toutefois, il y a une forme d’approximation – c’est un euphémisme – à comparer la situation de la Grèce à celle de la France. Jamais la France n’a connu l’austérité que les Grecs ont instaurée. Faire croire une seule seconde que nous puissions comparer ces deux pays est d’une hypocrisie abusive envers nos concitoyens ! (Protestations sur les bancs du groupe GDR.)

M. Jean-Luc Laurent. Je vous ai invité à vous saisir de la situation en Grèce pour faire ce que vous n’avez pas fait : changer le système !

M. Emmanuel Macron, ministre. Jamais, dans notre pays, des dizaines de milliers d’emplois de fonctionnaires n’ont été supprimés ! Jamais, dans notre pays, nous n’avons réduit de 30 à 50 % les salaires ! Jamais, dans notre pays, nous n’avons baissé les retraites ! C’est cela, l’austérité, que vous dénoncez avec raison. Mais cette austérité, la France ne l’a pas connue. En aucun cas, l’avènement de Tsipras ne doit nous amener à reconnaître qu’il faut changer de politique économique ici !

M. Jean-Luc Laurent. Il faut changer de politique économique en Europe !

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce serait, en quelque sorte, reconnaître que nous avons, à un moment donné, mené une telle politique. Cela n’a pas été le cas. Ce que je veux lire dans le moment grec, c’est que, lorsque l’on ne prend pas ses responsabilités pour réformer un pays, on le plonge dans une crise politique et économique profonde. Des générations d’hommes politiques grecs portent cette responsabilité.

La conclusion que j’en tire est que nous devons, collectivement, faire repartir l’Europe, pour plus d’investissement, pour une nouvelle politique macroéconomique. Mais la condition pour que la France puisse porter cette voix est qu’elle se réforme elle-même, pour sa propre économie, pour sa propre société.

Pensez-vous qu’avec notre taux de croissance, nous soyons en situation de donner des leçons à Bruxelles ou Berlin ? Je ne le crois pas. Je suis réaliste – ou du moins, je vois l’équilibre des forces. Oui, montrons que nous sommes capables d’avancer, que nous savons faire progresser notre société économique, que nous savons faire ce que des générations grecques se sont révélées incapables de réaliser – erreur coupable qui les a conduites à la situation que nous connaissons aujourd’hui.

Sachons être non pas une gauche de prétexte ou d’habillage, qui joue le prochain congrès, mais une gauche de gouvernement, qui veut redresser le pays, de manière juste. C’est là notre responsabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Pardon de vous le dire : ce n’est pas la énième réforme bancaire ou la énième réforme structurelle.

Je souhaite m’adresser maintenant, et pour ne pas faire de jaloux de ce côté-là de l’hémicycle, à M. Cherpion. Monsieur le député, le débat redonnera des ouvertures. Je ne peux vous laisser dire qu’il n’y a pas eu de dialogue, sauf à considérer que le dialogue se borne à recopier ce que les parties en présence souhaitent !

Oui, il y a eu une concertation sur l’épargne salariale : le conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié, le COPIESAS, a mené un travail, les partenaires sociaux ont été saisis. Oui, un dialogue a eu lieu sur le travail dominical, conduit pendant des mois par M. Bailly, puis par François Rebsamen, au moment de la préparation de la copie gouvernementale. Oui, une concertation a été menée avec les partenaires sociaux sur la réforme, nécessaire, des plans sociaux. J’ai conduit avec la garde des sceaux une concertation conjointe, avec l’ensemble des professions réglementées, qui a été suivie de plusieurs réunions bilatérales. La décision qui en est ressortie n’est pas forcément celle qui agrée aux professions. Mais c’est cela aussi, faire des réformes !

Pour ce qui est du travail du dimanche, je veux revenir sur l’un des points que vous avez mentionnés. Oui, ce texte prévoit des compensations, qui n’existaient pas précédemment dans les zones touristiques. Ceux qui travailleront le dimanche recevront une compensation en termes de pouvoir d’achat.

Ce texte porte d’autres réformes qui sont bonnes pour le pouvoir d’achat, et que je revendique : il vise à mieux réguler les sociétés concessionnaires d’autoroutes, pour éviter une flambée des péages semblable à celle qui s’est produite durant la dernière décennie, à mieux réguler les commerces, à instaurer l’épargne salariale dans les PME, qui n’existe aujourd’hui que dans un cas sur dix.

S’agissant de la réforme prud’homale, une concertation a été conduite. Ce texte conserve l’esprit et le corps du paritarisme, à tous les moments, dans le bureau de conciliation, dans le bureau de jugement. Il vise à accélérer les débats, car tous s’accordent à dire que la lenteur n’est bonne pour aucune des parties, sans pour autant sacrifier le paritarisme.

J’irai même plus loin : notre volonté collective est de rendre plus forte la conciliation qui n’aboutit que dans 6 % des cas, ce qui est bien trop peu, tout le monde le reconnaît. Nous devons renforcer le moment éminemment paritaire de cette justice en améliorant la mise en état des dossiers et en donnant plus de visibilité aux parties. Si nous voulons aller plus loin, il n’a jamais été question pour nous de sacrifier le paritarisme. Nous devons veiller, en revanche, à ne pas être prisonniers des intérêts constitués qui peuvent protéger cette juridiction. Les juges prud’homaux n’en sont pas responsables mais cette juridiction ne fonctionne pas bien du fait de ses délais excessifs, pour les justiciables comme pour notre économie.

S’agissant de l’inspection du travail, nous aurons l’occasion d’y revenir mais la réforme portée a été à deux reprises discutée dans cet hémicycle. Parce que nous voulons mener la concertation jusqu’à son terme, nous vous proposons de maintenir le principe des ordonnances mais nous pourrons vous fournir toutes les explications en temps voulu. Je confirme l’esprit de ce texte et dont nous avons discuté en commission spéciale.

Je crois avoir répondu aux interrogations relatives aux déserts juridiques. Les garanties et les mesures d’encadrement que nous proposons ne créeront pas de nouveaux déserts pour le notariat. Oserai-je rappeler, d’ailleurs, que ces déserts existent aujourd’hui, non pas dans les campagnes comme on pourrait le croire mais plutôt dans les grandes couronnes des centres métropolitains, où les offices manquent.

Monsieur Vercamer, vous avez soulevé plusieurs points, concernant en particulier sur le droit du travail. J’ai notamment répondu tout à l’heure à vos invitations. Nous verrons en temps voulu mais c’est dans l’esprit que j’évoquai que je me suis permis d’apporter une réponse commune à M. Zumkeller et à vous-même. Il est possible d’avancer mais dans le respect de la négociation sociale et de ce que ce texte porte.

Volontariat, respect des élus locaux, respect des territoires, telle est la philosophie de ce texte en matière d’ouverture des commerces de détail le dimanche. Nous pourrons y revenir et, à cet égard, certaines propositions faites par les rapporteurs afin d’apporter des compensations supérieures, au-delà d’une certaine surface de mètres carrés pour les commerces alimentaires, vont dans votre sens.

Monsieur Hetzel, je ne reviendrai pas sur les impacts chiffrés car j’ai déjà répondu à ce point. Si, pour vous faire plaisir, il eût fallu parler de décroissance ou d’immobilisme, reconnaissez alors que je vous aurais privé d’un effet oratoire dont vous aviez déjà usé en fin de commission spéciale et qui, finalement, doit faire partie de la scénographie collective à laquelle nous nous livrons.

Je voudrais tout de même revenir, en mémoire de la qualité des débats que nous avons eus en commission spéciale, sur les chiffres que vous avez cités et les vingt-cinq « Florange » que ce texte pourrait provoquer au sein des professions juridiques. Ce n’est pas sérieux. Je vous invite collectivement, mesdames et messieurs les parlementaires, à vous affranchir des éléments de langage du conseil supérieur du notariat ou de quelques autres professions. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Ces études ont été à plusieurs reprises divulguées, elles sont d’ailleurs largement traçables et parfois même étonnamment partagées mais ayons la rigueur intellectuelle – je sais que vous l’avez, monsieur le député – de réclamer des études d’impact indépendantes et objectives, auxquelles on ne saurait opposer des études partisanes dont je regrette qu’elles agitent les peurs car tous ces sujets méritent mieux. Il est dommage que certaines de ces professions, parfois de manière inqualifiable, aient utilisé des procédés qui ne soient pas à la hauteur des débats et des mesures.

Pour ce qui est des ordonnances, j’ai toujours dit à quel point il me paraissait important de faire preuve du maximum de transparence. Vingt-cinq ordonnances étaient prévues dans le projet de loi initial, il en restait dix-neuf après la commission spéciale. Six avaient été mises en dur, onze sont de simples renvois rédactionnels. Nous aurons l’occasion, pour chacune d’elles, d’en expliquer la raison d’être. Trois nouvelles ordonnances ont été proposées en séance concernant les petites liquidations pour les huissiers, l’intermédiation des bons de caisse et le canal Seine Nord.

Concernant les professions juridiques, j’ai déjà largement répondu à vos questions, mais je rappellerai que la sécurité juridique est préservée par ce texte. Je le revendique profondément. À aucun moment, la nature des actes juridiques n’est touchée pour ces différentes professions. La transparence des tarifs, la libre installation régulée, l’interprofession encadrée sont des éléments qui permettront à ces professionnels, en particulier aux plus jeunes, de mieux fonctionner. En aucun cas il ne s’agit de revenir sur la sécurité juridique ou de menacer le maillage territorial de ces professions.

Quant aux engagements que j’ai pu prendre en commission spéciale et aux propos que j’ai pu tenir, je les ai toujours assumés, monsieur le député, et je regrette que vous vous serviez du seul exemple où j’ai été amené à faire prendre un amendement contraire à ce que j’avais dit. Il s’agit de l’amendement fiscal concernant les associations, déposé par M. Blein. Faisons preuve de rigueur. J’assumerai cet exemple, mais ne vous en servez pas pour faire croire injustement que je ne tiens pas mes paroles. Ce ne serait pas respectueux de la nature des débats que nous avons eus.

Pourquoi être revenus sur ce sujet ? Parce que la rédaction de l’amendement, telle qu’elle avait été acceptée en commission spéciale, était trop large et conduisait finalement à un avantage fiscal pour toute forme d’association. Nous y reviendrons dans le débat. Je souhaite traiter le sujet soulevé par votre collègue Yves Blein mais je ne voudrais pas ouvrir la porte fiscale et en arriver au coût budgétaire auquel l’amendement accepté en commission spéciale avait conduit. Il faut être transparent jusqu’au bout, c’est l’honnêteté que nous nous devons.

J’ai apporté des explications aux questions relatives au pouvoir d’achat en répondant à M. Cherpion.

Enfin, je voudrais remercier M. Lurton du caractère constructif de son propos et de sa volonté d’avancer ensemble sur des sujets comme les autocars, le permis de conduire ou les délais de paiement.

Je le répète, concernant les professions du droit, il ne s’agit pas de casser ce qui fonctionne mais d’améliorer ce qui pourrait l’être. Il y aurait une forme de conservatisme à ne pas vouloir réformer un système qui fonctionne à peu près.

Oui, la politique tarifaire de ces professions, les conditions d’accès à l’installation de ces professions ou encore l’organisation entre ces professions peuvent être améliorées.

Il ne s’agit pas de tout revoir, et encore moins d’attenter à la sécurité juridique, mais simplement de cheminer ensemble pour améliorer le fonctionnement, réduire les coûts quand cela est possible, tout en conservant la proportionnalité à laquelle je suis tout autant attaché que vous, en protégeant les offices les plus fragiles. Ainsi, le travail de la commission spéciale a permis d’instaurer une péréquation effective qui n’existait pas jusqu’alors. Beaucoup de professions réglementées affirmaient que cette péréquation existait mais elle n’était que de façade car, sauf à ce que l’état du droit actuel m’ait échappé, je ne connais pas de transfert financier entre un office du boulevard Saint-Germain et un autre du fin fond de la Lozère, pour la simple raison qu’il n’y en a pas. Grâce à ces nouvelles dispositions, un fonds de péréquation entre ces différents offices, au sein de l’ensemble de ces professions du droit, sera mis en place et contribuera ainsi à renforcer le maillage territorial et améliorer la justice.

Oui, vous avez été entendus. Oui, le travail collectif a été amélioré.

J’espère avoir été le plus complet possible mais je ne doute pas que la discussion des articles permettra de lever les éventuels malentendus, les incompréhensions et d’améliorer encore ce texte. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale.

M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale. Je voudrais apporter, à l’issue de cette discussion générale, plusieurs précisions. Tout d’abord, certains orateurs ont été étonnés qu’un texte arrive avec 106 articles en commission spéciale et en sorte avec plus de 200. Plusieurs ont jugé utile d’en trouver la cause dans de très nombreux et longs amendements du Gouvernement. Au contraire, ce sont les rapporteurs et de nombreux parlementaires qui ont souhaité que nombre de projets d’ordonnances soient d’ores et déjà inscrits dans le projet de loi afin que nous puissions en débattre dans l’hémicycle.

L’on ne peut à la fois déplorer l’existence d’ordonnances et le volume que leur inscription dans le texte induit. Je tenais à apporter cette précision à ceux qui n’ont pas eu l’occasion de participer aux travaux de la commission spéciale. C’est bien parce que nous avons une certaine conception du travail parlementaire que nous avons beaucoup de travail devant nous.

J’ai par ailleurs écouté bien attentivement le président Chassaigne, pour qui nous avons beaucoup de respect et dont nous savons tous qu’il respecte le travail des parlementaires. Cela étant, il ne fallait pas déplorer que ma collègue Cécile Untermaier marque son étonnement face au chant d’apocalypse que vous avez jugé bon d’entonner, car il faut comprendre, lorsque l’on aime et pratique la caricature, qu’elle puisse faire rire. C’est justement là l’une de ses fonctions.

M. André Chassaigne. J’avais tout simplement repris son rapport !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous avez également usé d’une certaine ironie pour vous gausser de l’ajout au titre du projet de loi en évoquant l’égalité des chances économiques. L’ironie bien pratiquée peut être plaisante mais quand la citation est erronée, voire mensongère – involontairement bien sûr –, le trait s’en trouve appauvri. Ainsi, il n’est nulle part écrit, dans l’exposé sommaire que vous avez cité, que les pauvres seraient destinés à prendre l’autocar.

M. André Chassaigne. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Si, et le procès-verbal en fera foi. Vous avez indiqué que les rapporteurs l’avaient dit et vous avez prétendu citer l’exposé sommaire ! Reprenez vous-même vos propos.

Je ne convoquerai pour ma part ni Gramsci ni Racine mais quand vous citez de pauvres auteurs, comme les modestes rapporteurs qui essaient poussivement d’écrire un exposé sommaire, citez-les avec exactitude, nos débats auront tout à y gagner. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Mariton, premier inscrit sur l’article.

M. Hervé Mariton. Cet article offre une bonne illustration de ce projet, fait de miscellanées qui ont différentes vocations. Il s’agit parfois, comme vient d’y faire allusion le ministre, de clore des débats mal engagés. Je ne regrette pas l’extension des compétences de l’autorité de régulation des activités ferroviaires au secteur autoroutier, car j’avais moi-même formulé cette proposition. Mais quel contraste ! Assurément, cette proposition est plus opérationnelle mais infiniment plus modeste que les moulinets fort démagogiques que Mme Royal déploie sur ce sujet. Votre projet permet ainsi, si ce n’est de clore, plutôt de faire mûrir des débats mal engagés. Il est sans doute, comme l’ont souligné des collègues de mon groupe, riche d’arrière-pensées, de volonté de communication, il ne cache pas les insuffisances de votre politique économique mais il présente tout de même quelques mérites.

Il permet par exemple de revenir sur plusieurs erreurs comme la loi Duflot, l’alourdissement considérable de la fiscalité depuis le début de la législature, ou encore les mesures relatives à l’intéressement et à la participation.

Hélas, monsieur le ministre, vous avez également péché par erreur de méthode sur plusieurs des points que vous avez longuement évoqués dans votre réponse. Je pense notamment au délai de communication des travaux de l’inspection générale des finances concernant les professions réglementées.

Pourtant, nous sommes plusieurs à penser que ce texte modeste est l’occasion d’apporter quelques réponses à la question de la réforme, de sa méthode et de son contenu dans notre pays. Pour un très grand nombre de nos concitoyens, la réforme n’arrive jamais au bon moment, ne concerne jamais le bon public et ne possède jamais le bon contenu. L’accord politique est au fond assez large sur le fait que des réformes sont indispensables – mais pas maintenant, pas moi, pas ça.

Le rôle de l’opposition est de s’opposer, comme nous le rappelle notre président de groupe à juste titre, et je m’y accorde bien. S’opposer jusqu’où, cependant ? Pas jusqu’au point de s’empêcher d’agir demain, ni au point de se contredire sur ce que l’on a pu faire, penser ou proposer hier.

À certains égards, ce texte peut être critiqué, ou à tout le moins peut-on constater qu’il est tissé de miscellanées, de petites choses. Les petites choses ne sont pourtant pas méprisables. Pourquoi en effet ne pas apporter à des contraintes économiques et à des erreurs que vous avez commises de petites réponses qui peuvent posséder une certaine dimension opérationnelle ? La réponse ne doit pas être exclusivement macroéconomique ; elle peut aussi être microéconomique, et c’est l’un des postulats de ce texte – qui n’est pas irrecevable.

Ce texte contient d’ailleurs plusieurs propositions formulées par des membres de l’opposition d’aujourd’hui, soit récemment, soit alors que nous étions encore majoritaires. Lorsque j’étais rapporteur du budget des transports, j’avais ainsi proposé de libéraliser le transport par autocars, ce à quoi il m’avait été répondu que cela ne correspondait pas au modèle social français. Curieuse réponse ! Les choses mûrissent, heureusement. J’évoquais les compétences de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, qui pourraient être étendues dans le domaine des transports, mais aussi d’autres questions en tant que président du groupe d’études sur la sécurité routière, et en matière de droit de l’environnement. De ce point de vue, l’évolution que vous proposez est la bienvenue, monsieur le ministre : voici quelques mois, j’auditionnais en effet des responsables du ministère de l’écologie à qui je posai la question de l’impact du « choc de simplification » dans leur domaine, ce à quoi ils répondirent qu’il était nul, car en matière écologique, ils ne prendraient jamais le risque de parler de simplification – un terme inaudible s’agissant du droit de l’environnement – mais tout au plus de modernisation. Il y a pourtant certaines mesures qui, s’agissant des installations classées ou d’autres dispositions, peuvent permettre de résoudre une partie du mal français des délais. L’accélération de certaines décisions n’est pas une mauvaise chose – même si la disposition adoptée concernant les éoliennes ne va pas dans la bonne direction et doit être corrigée lors de nos débats.

D’autres sujets sont plus difficiles, comme le travail du dimanche. Comme d’autres ici, je suis très hostile à la banalisation du travail du dimanche. Sur cette question, il me semble que le travail accompli en commission a permis d’approcher un équilibre à peu près satisfaisant.

De nombreux collègues de l’opposition critiquent ce texte avec vigueur et s’y opposent avec sincérité. Pour ma part, madame la présidente, je profite de cette intervention sur l’article premier pour critiquer avec vigueur – tant il y a matière – la politique économique du Gouvernement, que ce soit celle que vous conduisez aujourd’hui, monsieur le ministre, ou celle que vous avez soutenue dans vos précédentes responsabilités, vu la situation où elle a mené notre pays. Pour autant, sous réserve de l’évolution de nos travaux au cours des deux prochaines semaines, je prends plutôt le chemin de l’approbation du texte. C’est une attitude de sincérité et de cohérence au regard de ce que nous, la droite, avons fait, de ce que nous ferons, de ce que nous pensons et de ce que nous proposerons, et au regard – il est parfois bon de se poser cette question en politique – de « l’état de la matière ». Même le Président de la République l’a dit dans un moment de lucidité : votre texte n’est pas un texte fondateur, ni une stratégie économique. Je l’ai souvent dit lors des débats budgétaires : la stratégie économique du Gouvernement est assez difficile à lire. On en distingue souvent deux, allant en sens contraire et destinées à répondre à des contraintes ou à des convictions politiques contradictoires au sein de votre majorité.

Il n’y a là aucune fondation nouvelle, et pas davantage de stratégie économique – dont notre pays a tant besoin, pourtant. Il y a néanmoins quelques réformes utiles. Nous sommes quelques-uns à ne vouloir en rien renoncer à la critique vigoureuse du Gouvernement lorsqu’elle est justifiée, mais à envisager avec pragmatisme l’approbation d’un texte, qu’il s’agisse d’une privatisation ou, à tout le moins, de l’ouverture du capital d’entreprises publiques comme Nexter ou certains aéroports de province. L’exemple de Toulouse nous montre qu’il serait évidemment préférable que la situation de notre économie, la disponibilité de capitaux et la crédibilité de la signature de l’État encouragent davantage des acteurs français ou européens à participer, et l’on peut espérer que ce soit le cas un jour, car l’opération concernant l’aéroport de Toulouse ne s’est pas terminée dans les meilleures conditions.

M. Jean-Luc Laurent. Quel euphémisme !

M. Hervé Mariton. Ce texte comporte d’autres dispositions, qui ne sont pas toutes parfaites. La question des professions réglementées a été évoquée : les voies que vous proposez sont imparfaites, mais le sujet a le mérite d’être soulevé. Il s’agit d’enjeux qui méritent davantage de modestie de la part du Gouvernement et de vous-même, monsieur le ministre, mais sans doute aussi davantage d’ouverture de la part de ceux qui défendent la situation existante. Dans ce domaine, les acteurs économiques et les élus locaux pourraient peut-être aller plus vite. Les professions juridiques réglementées pourraient elles aussi prendre leur part, demain, à l’accélération des choses en France en acceptant l’évolution de leur mode de fonctionnement. Celle que vous proposez le permettra-t-elle ? Ce n’est pas certain, mais au moins les questions sont-elles posées, et je souhaite qu’elles nous stimulent.

Lorsque ce texte aura été voté, comme il le sera sans doute, il ne deviendra pas une loi extraordinaire, mais se traduira pour notre pays par quelques progrès dont j’estime qu’ils sont moins idéologiques que concrets. L’opposition peut y trouver une plus grande détermination encore à combattre votre politique économique qui conduit le pays dans la situation où il est. Vous tenterez naturellement de masquer cette évolution dans les mois qui viennent, en profitant de la chance que vous avez parfois – évolution du prix du pétrole, taux d’intérêt, mesures de la Banque centrale européenne. Vos carences sont graves, mais si ce texte permet d’apporter quelques progrès concrets, pratiques et utiles à notre pays et à ses acteurs économiques, cela se prend. C’est dans cet état d’esprit que j’engage cette discussion.

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. J’ai eu l’occasion tout à l’heure, monsieur le ministre, au détour d’un rappel au règlement, de répéter comme je l’avais déjà dit publiquement que je voterai ce texte pour des raisons de philosophie générale assez proches de celles de M. Mariton. Certes, il demeure des points sur lesquels je suis frustré – je pense au travail du dimanche, la commission spéciale, lors de ses travaux, s’étant éloignée du rapport Bailly pour  rendre le dispositif plus complexe. C’est un sujet sur lequel elle a pourtant suscité de fortes attentes. Je présenterai sur ce point de nombreuses propositions par amendement, car j’aimerais que nous allions beaucoup plus loin que l’équilibre adopté par la commission spéciale, et même beaucoup plus loin que les préconisations du rapport Bailly. Il existe en effet dans ce pays des gens qui veulent travailler le dimanche, ou qui n’ont pas d’autre choix : je pense à ces petits commerçants exerçant dans les centres des villes, dans des zones touristiques ou à proximité – un simple trottoir fait parfois la différence, à Paris notamment – dont les loyers augmentent considérablement et qui n’ont d’autre solution pour y faire face et pour survivre que de travailler le dimanche. Faut-il instituer une forme d’esclavagisme moderne qui contraint ces commerçants à travailler eux-mêmes sept jours sur sept, sans pouvoir recruter des jeunes et des étudiants qui veulent travailler pour payer leurs études ?

Sur cette question comme sur beaucoup d’autres, je ferai des propositions. Ainsi, je ne suis pas le seul à considérer que ce texte pourrait être beaucoup plus ambitieux concernant la baisse des charges et celle de la dépense publique. J’ai justement déposé un amendement, conséquence de nombreux autres, que nous examinerons à la fin du débat et qui vise à changer le titre du texte afin d’y intégrer la baisse des charges et de la dépense publique. M. Estrosi a déposé des amendements allant dans le même sens, que j’ai cosignés.

Toute la difficulté d’un texte tel que celui que vous défendez tient au fait que l’ambition que vous lui avez donnée suscite des attentes très fortes parmi la population, les acteurs économiques et, naturellement, les élus.

Les travaux de la commission spéciale ont permis de doubler peu ou prou le nombre d’articles : c’est très bien. Cela rappellera sans doute quelques souvenirs au président Brottes – j’ai moi-même essuyé les mêmes attaques que vous, monsieur le ministre, lorsque j’ai présenté un projet de loi sur la consommation. On m’expliquait alors sans cesse qu’il était fourre-tout et sans ambition, alors qu’il était conçu pour régler une multiplicité de situations et pour résoudre les problèmes concrets recensés grâce au baromètre de la DGCCRF et des plaintes. Or, à l’époque, nous avons enrichi le texte avec M. Brottes, qui était l’orateur de son groupe. À votre place, monsieur le ministre, j’ai accepté de très nombreux amendements émanant du groupe socialiste, en matière de logement par exemple. Nous avions ainsi accompli un travail beaucoup plus équilibré que le projet de loi adopté voici quelques mois, et que vous détricotez ici à juste titre, car on en connaît les effets négatifs sur le secteur du logement.

J’ai donc la volonté d’enrichir votre texte, monsieur le ministre. J’ai eu le plaisir de vous accueillir dans ma circonscription, à Las Vegas, (Murmures et sourires sur divers bancs) lors d’un rassemblement particulièrement intéressant pour notre pays, puisque des start-ups et des jeunes Français partis à la conquête du monde nous y donnent un certain nombre de leçons. J’aurai donc l’occasion de défendre des amendements visant à soutenir le financement des start-ups, ainsi que l’investissement des business angels en France, selon des dispositifs qui existent à Londres mais pas dans notre pays. L’ambition que vous avez donnée à votre texte permettrait parfaitement d’y intégrer de telles réformes.

Je vous ferai aussi d’autres propositions sous forme d’amendements.

Par exemple, la suppression de la TVA inter-entreprises qui ne ferait pas perdre un centime d’euro aux finances publiques, bien au contraire, qui simplifierait la vie des acteurs économiques et limiterait le risque de fraude. Voilà une réforme qui aurait sa place dans ce texte !

J’avais envisagé de donner le pouvoir au Gouvernement, par ordonnance, de réduire la dépense publique, de faire baisser les charges et d’engager un certain nombre de réformes, mais le règlement ne m’y a pas autorisé. Avec une personne que vous-même et le Premier ministre connaissiez bien, le grand constitutionnaliste Guy Carcassonne, nous avions rédigé une règle d’or que j’ai eu l’occasion de défendre, malheureusement sans convaincre la majorité de l’époque. La crise de 2009 nous a amenés dans cette voie. Elle fut ensuite bouchée lors d’un changement de majorité au Sénat, puis abandonnée avant même l’élection du nouveau président de la République. C’est une question sur laquelle il serait utile que nous puissions revenir.

Tout cela, monsieur le ministre, illustre ma volonté de donner plus de force et plus d’ambition au projet de loi que vous défendez en matière de baisse de la dépense publique, parce que c’est un débat que nous devons engager.

Comme Hervé Mariton et François Fillon, je me suis opposé au projet de loi de finances et au projet de loi de financement de la sécurité sociale, et je serai un opposant farouche à la réforme annoncée des professions médicales, dont je tenterai de changer la philosophie.

J’ai hésité à déposer sur votre texte un amendement visant à ce que chaque Français bénéficiant du tiers payant reçoive la facture correspondant à ce qu’il coûte. Les Français, grâce à notre système de sécurité sociale, n’ont pas à faire face à leurs dépenses de santé, mais ceux qui sont loin de la France comprennent la chance qui est la nôtre de bénéficier d’un tel système. Le coût de chaque examen médical et de chaque opération devrait être connu par l’ensemble des Français. J’ai finalement décidé de ne pas déposer cet amendement dans votre texte. Il y aurait pourtant eu toute sa place compte tenu de l’ambition dont vous le créditez.

S’agissant des professions réglementées, je voudrais évoquer un point sur lequel je souhaite que nous réfléchissions – et plus encore que nous agissions. J’ai bien noté qu’avec la commission spéciale, vous avez multiplié les efforts pour essayer de donner un nouvel équilibre à ces professions, notamment celle de notaire. Reste la question du corridor tarifaire. Or, me semble-t-il, le choix qui a été fait au départ n’est de nature ni à faire accepter la réforme ni à construire un modèle équilibré. C’est un point sur lequel je vous proposerai de revenir.

En ce qui concerne les professions réglementées, la baisse des charges, la réduction de la dépense publique, le travail du dimanche, et beaucoup d’autres points, j’attends, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, que vous fassiez preuve d’ouverture.

Vous nous demandez, monsieur le ministre, certes à juste titre, comme l’a fait le Premier ministre et comme l’a proposé tout à l’heure François Fillon, de nous retrousser les manches, à vos côtés, compte tenu de la situation de la France. J’ai moi-même déposé 95 amendements et nombre de mes collègues en ont déposé également pour tenter de trouver un meilleur équilibre, soulager des inquiétudes et aller plus loin.

J’aimerais que vous preniez l’engagement de faire de même tout au long de ces débats, même si la commission spéciale a déjà réfléchi, si notre hémicycle a déjà tranché dans le passé, y compris sur des questions polémiques comme celle des heures supplémentaires qui n’est pas un débat anodin et est à mettre dans la catégorie des mesures visant à la baisse des charges. Même si nous n’aboutissons pas à un accord sur chacune de ces questions, je souhaite que nous puissions additionner nos réflexions.

Je le dis d’autant plus clairement que je n’ai pas eu recours au chantage habituel qui consiste à dire au Gouvernement « si vous n’acceptez pas nos amendements, nous ne voterons pas le texte ». Je l’ai dit, sur la plupart des sujets qu’il aborde, ce texte contient de réelles avancées, même si elles ne sont pas toutes à la hauteur de nos attentes. Il va dans la bonne direction. Et faire un bout de chemin dans la bonne direction vaut mieux que faire du sur-place…

Je considère qu’à partir du moment où ce texte va dans le bon sens, il est de notre devoir de le voter, mais en additionnant toutes nos propositions. En échange, monsieur le ministre, j’espère que lorsque nous défendrons nos amendements, vous ferez preuve, vous et la majorité, du même esprit d’ouverture.

Ce texte est une occasion importante pour nous de nous dire la vérité. Aujourd’hui, dans notre pays, le débat public est marqué au sceau d’une unité nationale qui n’a pas été décidée par les hommes et les femmes politiques, de droite et de gauche, mais par les Français eux-mêmes qui, il y a deux semaines, se sont levés et, d’une certaine manière, nous ont imposé cette unité. Chacun de nous a la responsabilité de ne pas abîmer cette unité. Pour cela, il nous faut sortir du théâtre d’ombres qu’est parfois cet hémicycle et renoncer aux paroles qui ne sont jamais mises en concordance avec les actes. Vous dites que le Gouvernement se montrera ouvert : nous espérons que vous le serez dans les faits.

J’attends avec beaucoup d’intérêt les débats qui vont se dérouler pendant une quinzaine de jours avec l’espoir qu’ils nous permettront d’envoyer un signal. Quand notre pays va mal, ce qui est le cas aujourd’hui avec le nombre de chômeurs qui ne cesse d’augmenter, 37 % des Français qui ne peuvent pas boucler leurs fins de mois et des entreprises, en particulier les entreprises artisanales, qui sont de plus en plus nombreuses à mettre la clé sous la porte, il faut que la droite et la gauche, si elles ne sont pas d’accord sur tous les points, soient capables de s’additionner. Mais pour s’additionner, il faut être deux.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Estrosi.

M. Christian Estrosi. Monsieur le ministre, je serai sans doute beaucoup moins généreux à votre égard que les deux orateurs de mon groupe qui m’ont précédé. L’intervention de Frédéric Lefebvre a au moins un mérite, celui de nous avoir appris où se trouve la source de vos réflexions lors de vos déplacements internationaux… (Sourires sur de nombreux bancs.)

Il n’en demeure pas moins que cet article 1er est à l’image de votre loi, une aberration. Je me devais d’intervenir sur cet article qui a trait à la mobilité. Vous revendiquez la mobilité, pourtant vous faites tout pour isoler les territoires.

Ce texte s’intitule « projet de loi pour la croissance et l’activité ». Il me semble, monsieur le ministre de l’économie, que vous êtes aussi ministre de l’industrie. Vous devez savoir que pour relancer la croissance dans un pays comme le nôtre il n’existe qu’une voie : la relance de la production. Or, sur une centaine d’articles, je ne trouve pas une seule disposition susceptible d’accompagner la relance de la production…

M. Daniel Fasquelle. Absolument !

M. Christian Estrosi. …pas un sur la politique de l’innovation, seul moteur capable de relancer la croissance dans notre pays, sur la recherche, sur le développement.

Alors que nous plongeons dans la récession, 0,3 point de croissance représente un milliard d’euros de recettes pour l’État. Ce qui signifie qu’essayer d’atteindre, par une relance de la production et de l’innovation, un taux de croissance de 3 % reviendrait à faire entrer 30 milliards d’euros dans les caisses de l’État, c’est-à-dire la moitié de ce que représente les recettes de l’impôt sur le revenu.

Pourtant votre texte ne contient aucune disposition en ce sens, ni aucune qui pourrait envoyer un signal aux familles, notamment les plus modestes, et aux classes moyennes qui sont aujourd’hui écrasées par l’impôt familial et privées de pouvoir d’achat. Aucun signal adressé aux entreprises sous forme de baisse de ces charges qui les écrasent et les privent de toute compétitivité !

Vous prétendiez investir 500 millions d’euros par an en faveur du logement, or dans la loi de finances que nous venons de voter ce sont seulement 300 millions qui sont consacrés au logement – je rappelle que de 2007 à 2012, nous avons accordé au logement 400 millions d’euros par an. Nous savons tous que le logement permet de relancer la croissance. Toutes les politiques que vous menez, et je pourrais en citer quelques-unes encore, vont à l’encontre de l’esprit de relance, de croissance et d’activité.

Certains emploient le mot « fourre-tout » pour désigner ce texte, j’y souscris totalement. Projet fourre-tout, absence de cap, absence de cohérence : Ce texte veut simplement faire croire aux Français que nous allons soigner le cancer avec un tube d’aspirines.

Je le dis très clairement : ce texte devrait s’intituler tout simplement « projet de loi pour la réduction des déficits ». Vous avez besoin de présenter un texte à Bruxelles pour donner le sentiment que vous faites un effort pour atteindre les objectifs qui vous sont assignés. C’est pourquoi vous nous présentez cette copie fourre-tout pour faire illusion auprès de ceux qui la liront à Bruxelles et qui, j’en suis convaincu, une fois de plus, ne se feront aucune illusion.

Car ce texte ne permettra ni de développer l’activité – vous avez depuis longtemps abandonné cet objectif majeur – ni de retrouver la croissance. L’absence flagrante de mesures industrielles, même minimes, le démontre. Le Président de la République lui-même a indiqué que ce n’était pas la loi du siècle ! Il ne traite pas d’industrie alors qu’à vous entendre dans les médias, vous allez tout révolutionner. Pourtant, c’est bien d’une révolution dont a besoin notre pays dans le domaine de la croissance. Alors que nous aurions besoin d’une loi du siècle, ce texte n’est là que pour combler les déficits.

Ainsi, vous mettez en vente le deuxième aéroport international de France, dans le capital duquel l’État est majoritaire. J’insiste sur ce dernier point, car, à propos de la vente de deux grandes plates-formes d’une importance capitale pour notre pays, pour celle de Toulouse, on n’est pas passé par la loi : vous avez pu l’éviter car l’État était actionnaire minoritaire à 49,99%. Un consortium chinois a donc pu l’acheter. Les collectivités locales et la chambre de commerce, dans un premier temps, n’y étaient pas défavorables, se disant qu’après tout, l’État et les collectivités restaient majoritaires.

Mais aujourd’hui, elles sont remontés comme des pendules contre les décisions que vous avez prises, monsieur le ministre, car certaines interlignes du cahier des charges précisant que l’État conservant 20 % de participation s’alignerait systématiquement sur l’actionnaire prenant possession de 49,99 % des actions leur avaient échappé. Autrement dit, l’actionnaire chinois est désormais en mesure de mener à Toulouse toutes les politiques qu’il entend avec votre assentiment ! Pour Nice, vous êtes plus transparent, car vous déclarez devant le Parlement qu’il ne s’agira plus d’un actionnariat minoritaire mais majoritaire ! Demain, un émirat, un pays d’Asie, une puissance étrangère quelconque, l’État islamique pourquoi pas pourra donc devenir propriétaire d’une plate-forme aéroportuaire, voire même une multinationale qui même française aura pour seul intérêt les dividendes !

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Tout en nuances !

M. Denys Robiliard, rapporteur thématique de la commission spéciale. Quelle subtilité !

M. Christian Estrosi. En outre, les plateformes aéroportuaires sont aujourd’hui bénéficiaires. L’aéroport international de Nice dessert 110 destinations dans le monde et son trafic est passé en moins de six ans de 8,5 millions à 11 millions de passagers par an, dégageant pour les collectivités territoriales comme pour l’État un dividende de dix millions d’euros que nous n’encaisserons plus lorsqu’il sera vendu. Je ne vois pas l’intérêt de vendre un actif stratégique de l’État et des collectivités dès lors que nous perdrons du même coup des dividendes annuels ! Vous commettez là les mêmes erreurs, soit dit avec toute la modestie nécessaire, que celles que nous avons nous-mêmes commises lorsque nous étions la majorité en concédant l’ensemble des autoroutes de France.

M. Jean-Paul Chanteguet. Bravo !

M. Christian Estrosi. Je me rallie pleinement aux positions de Mme Ségolène Royal qui entend revenir sur ce choix et je regrette d’ailleurs que le texte ne prévoie pas les dispositions nécessaires pour que tel soit le cas. Je rappelle que notre texte prévoyait qu’une part des dividendes dégagés par les exploitants des autoroutes serait versée aux caisses de l’État dans un fonds dédié afin de fournir les moyens nécessaires à la modernisation de nos infrastructures de transport, ce qui n’a pas été le cas et ni le gouvernement précédent ni l’actuel, de droite comme de gauche, n’ont agi. Vous aviez d’ailleurs l’occasion d’agir dans ce sens et ne l’avez pas fait, monsieur le ministre, ce que je regrette. Je vois tout de suite ce qui risque de se passer. Un actionnaire majoritaire cherchant à augmenter ses dividendes n’aura plus aucun intérêt à jouer le jeu de la stratégie de développement et d’aménagement du territoire. Notre conseil de surveillance a lancé une opération d’intérêt national comportant un grand centre d’affaires où s’implantent des groupes comme IBM, Cisco, les directions régionales de Veolia, GDF-Suez, ERDF, EDF ainsi que quarante-neuf start-ups, l’Académie des sciences de Moscou, l’Institut Confucius etc. Il en résulte une attractivité en matière d’investissement qui est en train de porter ses fruits.

La collectivité aménage un centre international d’expositions au frais du contribuable local et finance une ligne de tramway sur onze kilomètres reliant l’aéroport international au cœur de ville en longeant l’opération d’intérêt national. Ainsi, la collectivité valorise l’aéroport et vous le vendez pour combler les déficits de l’État, non sans faire en sorte que celui qui se l’appropriera en fasse un hub régional pour compagnies low cost dans le cadre d’une redistribution continentale. Dès lors, il ne jouera plus du tout le jeu des partenariats industriels et économiques avec les entreprises installées dans son propre territoire comme c’est le cas aujourd’hui afin de jouer la carte de la croissance, de l’attractivité du territoire et du retour de tout ce que nous produisons à l’exportation pour augmenter le PIB de notre territoire. Voilà pourquoi je dénonce la disposition prévue pour les deux plates-formes aéroportuaires. Vous avez prononcé tout à l’heure une phrase extraordinaire, monsieur le ministre, mais vous parlez avec tellement de certitude que je me suis persuadé que vous y croyez, alors qu’une majorité de parlementaires ici présents ne croient pas la moitié de vos réponses, j’en suis convaincu.

Mme Audrey Linkenheld. Ce n’est pas vrai !

M. Bruno Le Roux. En revanche une majorité de parlementaires s’ennuie depuis tout à l’heure !

M. Christian Estrosi. Vous avez notamment déploré qu’il existe des endroits en France non desservis par le TGV auxquels il faut des autocars ! Ce sont vos propos, enregistrés lors de nos débats, qui figureront au Journal officiel ! J’occupe la présidence de la métropole de Nice-Côte d’Azur, territoire péninsulaire.

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Cumulard !

M. Christian Estrosi. Voilà bientôt vingt ans qu’on nous parle, comme l’Arlésienne, d’un TGV comblant les 220 kilomètres manquant entre Marseille et la frontière italienne et vous nous expliquez qu’il faut le remplacer par un autocar !

M. Christophe Borgel. Je croyais que le candidat aux cantonales, c’était Ciotti !

M. Christian Estrosi. Je comprends bien que vous comptez faire des économies en cessant d’investir dans les lignes à grande vitesse de notre territoire mais alors nous valoriserons la plateforme multimodale en nous tournant tranquillement vers l’Italie en direction de Gênes ! Il est dommage de ne pas valoriser les liaisons intrarégionales entre deux grandes capitales d’une même région et de nous pousser à regarder vers les Transalpins ! Tel est en tout cas votre choix. Par le biais de l’article 1er, vous bradez une fois de plus les transports, non sans mépris à l’égard des élus, monsieur le ministre.

Mme Audrey Linkenheld. Ah, ça faisait longtemps !

M. Christian Estrosi. Très sincèrement, beaucoup me connaissent, sur ces bancs.

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Trop !

M. Christian Estrosi. Je peux en regarder un certain nombre droit dans les yeux car ils savent qu’alors que j’exerçais une partie des responsabilités qui sont les vôtres à un moment extrêmement difficile sur le plan social et industriel, je n’ai jamais laissé passer huit ou dix jours sans recevoir un membre du Parlement, qu’il soit membre de l’opposition ou de la majorité, ce qui me semble être le moindre des respects à l’égard d’un parlementaire représentant un territoire de France !

M. Marc Dolez. Il faut le reconnaître !

M. Christian Estrosi. Et depuis un mois et demi, je vous réclame de me recevoir à propos d’une opération majeure prévue par l’article 49 du texte afin d’engager le dialogue, car je ne suis pas opposé par exemple à la mise en vente à un actionnariat minoritaire permettant à des entreprises locales de prendre des participations afin que nous jouions la même stratégie d’aménagement et d’attractivité du territoire. Mais vous n’avez pas daigné me faire la moindre proposition afin que nous nous rencontrions ! Voilà la considération que vous avez pour le Parlement et la manière dont vous menez les débats !

M. Bruno Le Roux. Il est temps de lever la séance !

M. Christian Estrosi. Nous qui venons de connaître une vague de terrorisme sans précédent, nous devons être le seul pays pour lequel les transports et les aéroports ne sont pas stratégiques ! Imaginez-vous, mes chers collègues socialistes, une grande puissance mondiale brader demain ses aéroports ? Il est vrai que nous ne sommes plus une grande puissance mondiale depuis quelques jours grâce à votre politique qui nous a fait rétrograder ! Je le dis très clairement, voir les infrastructures ferroviaires et les aéroports contrôlés par les puissances étrangères, je suis contre !

M. Christophe Borgel. Encore les étrangers !

M. Christian Estrosi. Remettre en cause de telles infrastructures stratégiques est dangereux compte tenu du climat actuel d’insécurité et des menaces terroristes ! Sacrifier les actifs stratégiques de notre pays est irresponsable pour les générations futures ! Voyez-vous, monsieur le ministre, le problème c’est que vous avez élaboré le projet de loi sans concertation. Vous avez méprisé les professions réglementées, la société civile, les parlementaires de l’opposition, mais aussi un grand nombre de parlementaires de la majorité, comme j’ai pu le noter. Les juges consulaires, par exemple, sont tous chefs d’entreprise et sont les mieux placés pour apprécier en bénévoles les choix à faire pour trouver le meilleur règlement à un plan social et donner une deuxième chance de survie à une entreprise et au maintien de l’emploi salarié. Et vous décidez de tirer un trait de crayon sur ces professions !

La loi remet en cause des secteurs d’activité qui fonctionnent bien. S’il y a bien un métier que le monde entier nous envie, c’est la profession de notaire. Vous disiez tout à l’heure qu’ils sont des escrocs intellectuels,…

Mme Catherine Coutelle. Déprogrammez-le !

M. Christian Estrosi. … mais cette profession protège le mieux la transmission familiale et celle des entreprises, le patrimoine familial et celui des entreprises. Votre loi aura des conséquences sur la sécurité juridique des Français en bradant la protection du droit de propriété. Selon vous, le texte doit régler les trois maladies de la France qui sont la défiance, la complexité et le corporatisme. En le lisant, nous ne pouvons que constater une fois de plus que ces trois maladies sont davantage celles de l’actuel gouvernement socialiste que celles de notre pays !

M. Yves Durand. Quelle chute ! (Sourires.)

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Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce matin, à neuf heures trente :

Questions orales sans débat.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mardi 27 janvier 2015, à zéro heure cinquante-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly