Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 14 avril 2015

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

2. Questions au Gouvernement

Droit d’asile

M. Guy Geoffroy

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Grand Paris

M. Bruno Le Roux

M. Manuel Valls, Premier ministre

Projet de loi relatif au renseignement

M. Sergio Coronado

M. Manuel Valls, Premier ministre

Droit d’asile

M. Arnaud Richard

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Réforme des collèges

Mme Virginie Duby-Muller

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Ventes de Rafale

M. Nicolas Bays

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

Dotations aux communes

M. Yves Albarello

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

Nouveaux droits à la santé

Mme Hélène Geoffroy

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Compte pénibilité

M. Gilles Lurton

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Santé publique dans les Antilles

M. Ary Chalus

M. Ary Chalus

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Destruction de cultures expérimentales

M. Marc Laffineur

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Situation d’Alcatel-Lucent

Mme Corinne Erhel

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Plans sociaux et droit de préemption

M. André Chassaigne

Mme Carole Delga, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire

Nouvelle politique agricole commune

Mme Véronique Louwagie

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Politique monétaire

M. Jean-Luc Laurent

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Suspension et reprise de la séance

3. Modernisation du système de santé

Explications de vote

M. Patrice Carvalho

M. Jean-Louis Roumegas

Mme Martine Pinville

M. Jean-Pierre Door

M. Arnaud Richard

Mme Dominique Orliac

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Laurence Dumont

4. Fixation de l’ordre du jour

5. Renseignement

Discussion des articles

Rappel au règlement

M. Patrick Hetzel

Mme la présidente

Article 1er (suite)

Amendements nos 52 , 169

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Amendements nos 112 , 408

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Amendement no 396

M. Philippe Nauche, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées

Amendements nos 170 , 407

Rappel au règlement

M. Guillaume Larrivé

Article 1er (suite)

Amendements nos 298 , 4 , 171 , 289 , 271

6. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

M. le président. Mes chers collègues, je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation du groupe d’amitié Arménie-France de l’Assemblée nationale de la République d’Arménie, conduite par son président, M. Ara Babloyan. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Droit d’asile

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le Premier ministre, pourquoi vous obstinez-vous à refuser de tenir compte de nos avis, éventuellement de nos conseils,de éventuellement de nos propositions, même et surtout lorsqu’il s’agit de textes sur lesquels vous appelez notre attention et souhaitez un consensus national que nous ne vous avons jamais vraiment refusé ces temps derniers ?

Ainsi, sur le texte relatif à l’asile, votre gouvernement, votre ministre se sont ingéniés à refuser tout ce que nous leur proposions et à nier ce qui est devenu une évidence, à savoir ce lien entre, d’une part, le droit d’asile, son utilisation, sa pratique et, d’autre part, l’immigration irrégulière.

Eh bien, vous avez eu tort, monsieur le Premier ministre, parce que la Cour des comptes vient de dire très fort ce que nous nous étions efforcés de vous faire comprendre : « La politique d’asile est devenue la principale source d’arrivée d’immigrants clandestins en France, elle n’est plus tenable à court terme, elle est au bord de l’embolie. »

La Cour indique que la majorité des personnes déboutées sera régularisée au bout de cinq ans, depuis la circulaire prise le 28 novembre 2012 par le ministre de l’intérieur que vous étiez à l’époque, monsieur le Premier ministre. Elle précise – chiffre terrible, cruel – que seulement 1 % des déboutés du droit d’asile sont renvoyés dans leur pays. La Cour conclut en formulant dix recommandations, dont la septième est de faire exécuter par les personnes déboutées leur obligation de quitter le territoire français.

Dans le cadre de la navette parlementaire, le projet de loi sur l’asile est actuellement examiné par le Sénat. Vous avez la possibilité de rattraper votre erreur, vous avez la possibilité, enfin, d’avouer devant les Français que le dévoiement du droit d’asile et l’immigration irrégulière ne font qu’un et qu’il faut les traiter ensemble. Monsieur le Premier ministre, faites-le ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, je ne comprends pas pourquoi – ou plutôt je le comprends trop bien – sur tous les sujets qui devraient appeler un consensus, de la précision, de la rigueur, vous convoquez à grand renfort d’arguments frelatés des polémiques inutiles. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Je vais vous répondre très précisément.

D’abord, vous proposez que nous écoutions les conseils que vous nous donnez, mais, généralement, en politique, pour donner des conseils, il faut avoir bien agi, et je vais vous rappeler quel est le bilan de votre politique en matière d’asile. Les places en centres d’accueil de demandeurs d’asile – CADA – ont systématiquement été rabotées par des mesures budgétaires qui ne tenaient pas compte de la réalité. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas la question !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est ma réponse !

M. Sylvain Berrios et M. Alain Marty. Quel mépris pour la Cour des comptes !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous avons créé, au cours des derniers mois, 5 000 places supplémentaires en CADA, auxquelles s’ajoutent 5 000 places d’accueil supplémentaires créées sur le budget 2014. C’est le premier point.

Deuxième point, puisque vous parlez des déboutés du droit d’asile, je dois vous rappeler, car c’est la réalité statistique et c’est également dans le rapport de la Cour des comptes, qu’entre 2007 et 2013 le nombre de demandeurs d’asile a doublé et que vous avez été totalement incapables de renvoyer ceux qui étaient déboutés du droit d’asile.

Nous prenons des dispositions pour faire face à cette situation. D’abord, pour que le délai de traitement des dossiers des demandeurs d’asile raccourcisse et passe de vingt-quatre à neuf mois, nous créons des postes au sein de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides – OFPRA – et de la Cour nationale du droit d’asile. Cinquante postes créés dans le budget 2014 ont ainsi permis d’augmenter de 12 % le nombre de dossiers de demandeurs d’asile traités. Par ailleurs, nous faisons une loi sur l’immigration qui établit les conditions dans lesquelles nous pourrons procéder au renvoi des déboutés du droit d’asile. Je dois vous rappeler qu’en 2014 le nombre de reconduites à la frontière de déboutés du droit d’asile était nettement supérieur à celui…

M. le président. Merci, monsieur le ministre !

M. Guy Geoffroy. C’est une réponse frelatée !

Grand Paris

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Bruno Le Roux. Monsieur le Premier ministre, vous avez réuni une nouvelle fois ce matin un comité interministériel consacré au Grand Paris. Les mesures annoncées, très concrètes, répondent aux besoins des Français. (« Allô ! Allô ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Investissements massifs dans les transports, avec des projets exemplaires en matière environnementale, poursuite de la mobilisation pour le logement et l’aménagement, avec une aide aux élus bâtisseurs et une intervention de l’État adaptée aux différents sites prioritaires, rayonnement culturel et universitaire, avec le campus Condorcet ou le projet Paris-Saclay, dotés de moyens considérables, mobilisation des investissements internationaux et force d’entraînement dynamique, en inscrivant le Grand Paris dans la vallée de la Seine, qui relie la capitale au reste du monde…

Le numérique, l’écologie, la simplification de l’investissement : ces leviers sont autant de fils rouges de notre action. Ils feront du Grand Paris un modèle de métropole durable et connectée, vers lequel les regards se tournent. Mais ce comité interministériel défend aussi une grande ambition pour notre pays, celle de le remettre au cœur et à l’heure des grands événements du monde.

Le Président de la République et votre gouvernement souhaitent en effet, et je crois que cette ambition est partagée sur tous les bancs de notre assemblée, organiser les Jeux olympiques de 2024 et l’exposition universelle de 2025. Pour cette dernière candidature, vous avez nommé une personnalité reconnue : M. Pascal Lamy. Le président Bartolone avait par ailleurs confié à l’Assemblée une mission d’information sur cette question, présidée par Jean-Christophe Fromantin et dont j’étais rapporteur.

Cette double candidature, cent quinze ans après que nous avons accueilli ensemble ces deux événements, est révélatrice de notre confiance retrouvée. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Marc Francina. Oh !

M. Bruno Le Roux. Ils peuvent constituer de formidables accélérateurs. Leviers économiques bien sûr, ils seront l’occasion de grands rassemblements populaires. (Exclamations persistantes sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Chers collègues, écoutez l’orateur !

M. Bruno Le Roux. Monsieur le Premier ministre, nous vous soutenons activement. Dites-nous les principales étapes de ce renouveau du Grand Paris. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. Sylvain Berrios. Au revoir ! Au revoir !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Le Roux, vous avez très bien résumé (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Un député du groupe UMP. Quelle spontanéité !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …les axes et les propositions du comité interministériel que j’ai présidé, en présence de plusieurs membres du Gouvernement. J’avais, auparavant, rencontré les architectes et les urbanistes qui réfléchissent depuis longtemps à cette belle idée qu’est le Grand Paris. Je me suis exprimé devant les maires d’Île-de-France,…

M. Sylvain Berrios. Vous ont-ils fait bon accueil ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. …au Parc floral, pour détailler l’ensemble de ces propositions.

Vous avez fort bien dit, avec raison, que l’objectif est de faire du Grand Paris un moteur pour le développement durable, de l’inscrire dans nos politiques en faveur de l’emploi et de la formation, de le mettre au service de la recherche et de l’enseignement supérieur et aussi au service des étudiants, en s’attelant notamment à la question du logement de ces derniers. Il s’agit aussi de remettre les quartiers au cœur du Grand Paris. Voilà les grands axes que nous avons présentés ce matin. J’aurai l’occasion de réunir de nouveau les ministres concernés à la rentrée pour préciser les territoires où l’intervention de l’État pourrait être plus forte et plus précise, via des opérations d’intérêt national.

Vous avez raison : le Grand Paris doit non seulement se manifester dans les transports, dans le logement, dans l’emploi, dans l’enseignement supérieur et la recherche, dans les quartiers populaires – à ce titre je rappelle la mobilisation de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine – mais il doit également s’incarner. Les Jeux olympiques et l’exposition universelle, que vous avez défendue avec votre collègue Jean-Christophe Fromantin et le sénateur Luc Carvounas, représentent deux événements, deux occasions de mobilisation d’une très grande qualité.

L’État, à sa place, sera aux côtés des collectivités territoriales, avec la ville de Paris, qui s’est prononcée très clairement hier, avec la région Île-de-France, qui soutient la candidature de Paris aux Jeux olympiques. Cette fois-ci, au-delà de cet hémicycle, et derrière le mouvement sportif, nous voulons tous réussir cette candidature. C’est important pour Paris, c’est important pour la France.

M. Marc Francina. Paris n’est pas la France !

M. Manuel Valls, Premier ministre. De même, pour l’exposition universelle, c’est à l’État de prendre ses responsabilités, en partant du travail déjà accompli par le Parlement, avec la mobilisation exemplaire et enthousiaste des acteurs économiques. Préparer ce rendez-vous très important sera le travail de Pascal Lamy.

Avec les Jeux olympiques et l’exposition universelle, nous avons l’occasion d’incarner le Grand Paris, de surmonter les égoïsmes, de faire en sorte que toutes les collectivités territoriales, les acteurs économiques et sociaux, mais aussi et d’abord les citoyens, s’engagent. Vous pouvez compter sur l’engagement du Gouvernement, comme celui-ci sait pouvoir compter sur le vôtre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Projet de loi relatif au renseignement

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.

M. Sergio Coronado. Monsieur le Premier ministre, l’Assemblée a commencé hier l’examen du projet de loi relatif au renseignement que vous avez présenté. La procédure accélérée que vous avez choisie réduit le temps de débat au Parlement de ce texte pourtant d’une très grande importance, puisqu’il touche au fragile équilibre entre sécurité et libertés fondamentales. Comme l’écrit très justement le président de la commission des lois, « les conditions d’examen de la procédure accélérée ne permettent pas aux parlementaires de travailler de manière satisfaisante. »

Monsieur le Premier ministre, ce texte, qui ne saurait être réduit à la seule lutte contre le terrorisme, suscite des inquiétudes et des critiques légitimes dans la société. Le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, Jean-Marie Delarue, estime qu’il comporte des dérives portant atteinte aux libertés individuelles. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dénonce quant à lui un climat social dangereux au sein duquel chacun pourra être considéré comme un potentiel suspect.

Les critiques visent également l’élargissement des finalités assignées désormais aux services de renseignement, qui vont de la lutte contre le terrorisme à la « prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions », en passant par la protection des « intérêts majeurs de la politique étrangère de la France ». Ce projet de loi autorise aussi le recours à des outils de recueil technique de données de très grande ampleur, pour ne pas dire de masse – notamment des outils mobiles de proximité de captation directe de données, et des sondes et algorithmes opérant sur les flux électroniques – sans offrir toutes les garanties de protection pour nos libertés. Je regrette à cet égard que l’amendement des écologistes assurant la protection de certaines professions – avocats, journalistes, médecins et magistrats – ait été rejeté par la commission des lois. J’espère que le Gouvernement réparera cette erreur.

Monsieur le ministre, au-delà des conséquences de ce texte pour les libertés, nous nous préoccupons de son impact économique. Nombre d’hébergeurs français s’inquiètent sérieusement de voir leurs clients fuir leurs services pour des pays où l’espace numérique n’est pas soumis à de tels contrôles. Nous risquons de pénaliser l’emploi et l’industrie numérique dans notre pays. Pouvez-vous nous dire, monsieur le Premier ministre, si toutes les conséquences du texte ont été réellement évaluées par votre gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, après mon intervention, l’Assemblée a débuté, en présence de Bernard Cazeneuve, de Christiane Taubira et de Jean-Yves Le Drian, l’examen de ce texte important. Il répond, comme d’autres textes que nous avons fait adopter depuis 2012, aux différentes menaces qui visent notre pays. Comme hier, monsieur Coronado, je serai très clair : la première des menaces que nous avons à affronter est le terrorisme.

Je ne veux pas que l’on puisse croire un seul instant, dans le débat public comme dans cet hémicycle, que nos libertés et notre État de droit seraient menacés par ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Je ne peux pas l’accepter. Je ne parle pas en particulier de votre question, monsieur le député, mais j’ai entendu des interventions surprenantes provenant de différents bancs, dans lesquelles il était question de « police politique ». (« Mais oui ! » sur les bancs du groupe UMP.) En écoutant ces interventions, et en lisant certains éditoriaux, je me dis que leurs auteurs sont vraiment à côté de la plaque !

J’ai aussi lu que nous serions en train de légiférer sous la menace du terrorisme : dire cela est non seulement une erreur, mais aussi une faute politique, car le Parlement travaille déjà depuis plusieurs mois sur ce texte. Il est le fruit du travail des députés Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère, je l’ai rappelé hier encore. Il a été examiné par la commission des lois ; il est à présent en cours d’examen par l’Assemblée tout entière. C’est le Président de la République qui a décidé de légiférer sur ce sujet en juin 2014.

Je le disais il y a un instant : nous avons voté deux textes de loi contre le terrorisme. Nous avons aussi donné des moyens supplémentaires à nos services de renseignement, que j’ai annoncés avec M. le ministre de l’intérieur après les terribles attentats de janvier dernier.

Ce texte, quant à lui, vise à répondre à une menace très précise. Il vise à protéger nos services de renseignement, notamment, mais pas seulement, sur internet, et à encadrer le travail de nos services. C’est un texte équilibré, efficace et en même temps qui garantit nos libertés. Comme l’a dit M. le président de la commission des lois Jean-Jacques Urvoas, qui a pris une part très importante sinon essentielle à sa préparation, ce projet de loi protège nos libertés et renforce notre État de droit.

J’entends, bien entendu, toutes les inquiétudes. Nous devons y répondre. Beaucoup d’amendements ont d’ailleurs déjà été acceptés. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’est l’honneur de notre pays de se doter enfin des moyens d’un État de droit moderne pour lutter contre le terrorisme, tout en protégeant nos libertés fondamentales.

Pas de fantasmes ! Pas de faux débats ! J’invite la représentation nationale à s’unir sur ce texte essentiel. Lutter contre le terrorisme, c’est aussi savoir dépasser ses préventions et être capable de s’unir sur l’essentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Droit d’asile

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Arnaud Richard. Monsieur le ministre de l’intérieur, à la veille de l’examen par le Sénat du projet de loi sur l’asile, un prérapport de la Cour des comptes a suscité, avant même sa publication, de nombreuses réactions publiques : on y parlerait du coût exorbitant de l’asile ; on y désignerait l’asile comme la principale source d’arrivée d’immigrants clandestins ; on y déplorerait une gestion inexistante des déboutés. Sur un sujet d’une telle importance, devant ce que la Cour des comptes a elle-même qualifié de lecture partielle et partiale de ses observations, ne tombons pas, mes chers collègues, dans la caricature et la polémique. Montrons-nous plutôt à la hauteur de notre héritage républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

S’il s’agit d’un constat, nous le partageons, bien évidemment. Avec des délais de traitement de plus en plus longs, des coupes budgétaires croissantes, une hausse constante de la demande, sans parler des postes de magistrats non pourvus à la Cour nationale du droit d’asile – CNDA –, notre capacité à accueillir dignement et efficacement ceux qui en ont réellement besoin est fragilisée.

Par votre projet de loi, monsieur le ministre, vous étiez censé remédier aux dysfonctionnements de notre système d’asile et mettre fin aux détournements et aux dérives de procédure. Pour autant, des doutes légitimes sur votre capacité à redonner du sens à un système véritablement à bout de souffle demeurent. La Cour des comptes va même jusqu’à affirmer que votre texte « ne répond pas à la question centrale – et légitime – de la gestion des déboutés qui provoquent une embolie ». Monsieur le ministre de l’intérieur, que répondez-vous à ces observations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Merci beaucoup, monsieur le député, pour cette question. Vous connaissez très bien ce sujet ; la pondération avec laquelle vous l’abordez en témoigne et contraste avec d’autres interventions. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Vous avez participé très activement à la réflexion parlementaire sur cette question en faisant notamment un excellent rapport avec Jeanine Dubié, qui a contribué à alimenter la réflexion du Gouvernement. Que comptons-nous faire sur l’asile pour répondre aux préoccupations que vous avez exprimées ? D’abord, il faut réduire les délais. Or, si l’on veut traiter humainement la situation des demandeurs d’asile, on ne pourra le faire sans créer des postes au sein de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides – l’OFPRA – et au sein de la Cour nationale du droit d’asile. Le Gouvernement a donc pris des décisions extrêmement claires en ce sens dans le cadre du budget pour 2014. Ces décisions ont d’ailleurs permis d’augmenter de 14 % en 2014 le nombre de dossiers traités et les délais ont commencé à être réduits – c’est mon premier point.

Deuxièmement, nous devons créer les conditions d’un accueil digne des demandeurs d’asile. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault, dont l’action en la matière a été poursuivie par celui de Manuel Valls, a créé 10 000 places supplémentaires dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile.

Troisièmement, nous devons créer les conditions d’un retour des déboutés du droit d’asile : tel est l’objet des dispositions prévues par le projet de loi sur l’immigration, qui sera examiné par le Parlement au mois de juillet et qui permettra, notamment par le dispositif d’assignation à résidence, de diminuer le nombre de déboutés du droit d’asile, lequel n’a cessé d’augmenter sous la précédente législature.

Quatrièmement – et c’est un point très important – nous devons lutter résolument contre les filières de l’immigration irrégulière. En 2014, le nombre de filières démantelées a augmenté de 14 %. Pour la seule ville de Calais, nous avons démantelé 30 % de filières supplémentaires par rapport à l’année précédente ; c’est dire la mobilisation des services du ministère de l’intérieur pour atteindre l’objectif. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Réforme des collèges

M. le président. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Virginie Duby-Muller. Madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, ma question porte sur la très controversée réforme des collèges. À la suite des événements dramatiques de janvier dernier, vous avez lancé la « grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République ». Nous nous étions retrouvés sur des valeurs d’autorité, d’effort, de travail, l’école étant un lieu incontournable de la culture. Mais depuis le 11 mars et votre présentation en conseil des ministres de votre projet de réforme des collèges pour 2016, rien ne va plus.

Même si le docile Conseil supérieur de l’éducation l’a approuvée le 10 avril et si vous avez essayé d’effectuer des aménagements à la marge, cette réforme fait l’objet de nombreuses contestations.

M. Guy Geoffroy. C’est vrai !

Mme Virginie Duby-Muller. Les professeurs de lettres anciennes dénoncent la mort du latin et du grec, disciplines structurantes pour l’esprit de nos collégiens et vecteurs de valeurs humanistes pour le citoyen de demain. Les professeurs d’allemand se désespèrent de la chute de l’apprentissage de cette langue et de la disparition des classes bi-langues ou européennes, alors même qu’il nous faut renforcer nos liens avec l’Allemagne.

M. François Rochebloine. Très juste !

Mme Virginie Duby-Muller. Vous n’avez même pas réussi à rassurer notre collègue Pierre-Yves Le Borgn’ qui, en tant que président du groupe d’amitié France-Allemagne, mobilise les députés de tous bords sur le danger immédiat des dispositions de la réforme et l’urgence de la faire évoluer – sans parler des enseignements pratiques interdisciplinaires – les EPI – censés plaire aux collégiens mais jugés dangereux par des éducateurs loin d’être convaincus de l’intérêt d’une transversalité des enseignements avant le lycée. Même les syndicats ont lancé un appel à la grève au mois de mai.

Quant à nous, même si nous partageons votre diagnostic sur le collège, qualifié de « maillon faible du système éducatif », nous ne pouvons nous taire devant ce projet de réforme inadapté et lourd de conséquences. Madame la ministre, errare humanum est, perseverare diabolicum. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la députée, je me réjouis d’entendre que vous partagez notre constat. Si vous me le permettez, je préfère pour ma part aller au-delà des constats et agir. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Agissons pour réformer ce collège, dont on dit depuis des décennies qu’il ne fait pas suffisamment réussir nos enfants. Agissons pour leur offrir des pratiques pédagogiques qui permettent à chacun des collégiens, et non aux seuls 20 % les plus favorisés, de s’approprier les connaissances fondamentales dont ils auront besoin pour construire leur vie.

M. Sylvain Berrios. Fossoyeurs !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Agissons pour permettre à chacun de ces collégiens d’être accompagné individuellement, de façon personnalisée, pour apprendre à travailler, consolider ses apprentissages, travailler en groupe et tout simplement réussir. Accompagner ces collégiens pour qu’ils aient accès à une seconde langue vivante dès la classe de cinquième plutôt qu’en quatrième, c’est l’objet de notre réforme.

Oui, les classes bi-langues ne fonctionneront plus de la même manière qu’aujourd’hui car 100 % des élèves apprendront une deuxième langue vivante dès la classe de cinquième, contre 10 % aujourd’hui. Cela portera-t-il atteinte à l’apprentissage de l’allemand, comme vous le craignez ?

M. François Rochebloine. Oui !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Non, en aucune façon. Aujourd’hui, 485 000 collégiens apprennent l’allemand. À la rentrée 2016, grâce à cette réforme, ils seront au bas mot 500 000 – nous escomptons bien évidemment une augmentation de ce nombre. Une simple règle de trois suffit à le comprendre : aujourd’hui, seulement 10 % des collégiens sont inscrits en classe bi-langue et apprennent l’allemand plus tôt mais, demain, 13 % des collégiens qui choisissent l’allemand en seconde langue vivante bénéficieront de cet apprentissage un an plus tôt, avec deux heures et demie de plus dans leur scolarité. J’ai répondu hier à la question sur le latin. Madame la députée, suivez-nous dans cette belle réforme ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Ventes de Rafale

M. le président. La parole est à M. Nicolas Bays, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Nicolas Bays. Monsieur le ministre de la défense, j’associe à ma question tous les parlementaires qui, sur ces bancs, se félicitent du succès des entreprises françaises à l’export. Le 10 avril dernier, le Premier ministre indien a officialisé la commande de trente-six avions de combat Rafale, avions multi-rôles par excellence. (De nombreux députés du groupe UMP se tournent vers Olivier Dassault et l’applaudissent.) Cette vente fait suite à la commande par l’État égyptien, il y a quelques semaines, de vingt-quatre de ces mêmes avions de combat ainsi que d’une frégate multi-missions. (Exclamations persistantes sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le ministre, je tiens aujourd’hui à me féliciter de cette deuxième commande historique qui contredit avec force les discours déclinistes qui n’ont pour but que d’enfoncer notre pays.

Plusieurs députés du groupe UMP. Oh !

M. le président. Arrêtez ! C’est désagréable, on n’entend même plus les questions !

M. Nicolas Bays. Au contraire, ce type de contrat signé avec une puissance émergente comme l’Inde prouve, si besoin en était, l’excellence de notre industrie de défense et conforte la place qu’occupe la France sur la scène internationale. Il montre également le talent et la capacité des ministres impliqués, qui ont travaillé dans la discrétion absolue que requiert ce type de dossier, à la différence de ce qui avait cours sous la précédente majorité, qui nous avait habitué à faire, comme le disait William Shakespeare, beaucoup de bruit pour rien. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Cette commande est également synonyme de création d’emplois, aussi bien chez le constructeur, que nous félicitons pour la qualité de son ingénierie, que chez ses nombreux sous-traitants. (« Bravo Dassault ! » sur les bancs du groupe UMP.) Elle assure en effet un carnet de commande qui permettra le développement des entreprises concernées et en particulier des PME, qui constituent l’un des principaux leviers de la création d’emplois dans notre pays.

À cet égard, la visite ce jour du Président de la République dans différentes PME, ainsi que l’annonce par le Gouvernement de mesures destinées à favoriser l’investissement industriel, illustrent très clairement l’investissement de l’exécutif et de sa majorité en faveur de l’essor d’un tissu de PME de niveau européen.

La France qui gagne mérite que l’on travaille pour elle. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous en dire davantage sur les modalités de conclusion de ce contrat ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense. Je vous demande à tous d’écouter davantage les orateurs.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le député, vous avez rappelé que le Premier ministre M. Modi a confirmé la semaine dernière le choix du Rafale par l’Inde.

Plusieurs députés du groupe UMP. Bravo Dassault ! 

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Il l’a fait en annonçant l’acquisition de trente-six avions de combat Rafale, dans des délais réduits, pour faire face à des nécessités opérationnelles de l’armée de l’air indienne. Étant donné ces délais restreints, ces trente-six avions de combat seront réalisés par Dassault Aviation en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Ah !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. J’ajoute que cette décision permet d’être au rendez-vous de la loi de programmation militaire qui avait fait le pari de quarante avions vendus à l’exportation : le nombre est désormais de soixante, compte tenu du contrat égyptien. (Applaudissements et « Bravo ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Je précise aussi, pour ce qui est de l’agenda, que je me rendrai en Inde rapidement, à la demande du Président de la République, pour consolider l’accord inter-gouvernemental qui a été souhaité par le Premier ministre indien afin d’encadrer la commande qu’il vient de passer.

Ensuite, dans un deuxième temps, nous poursuivrons la discussion avec l’Inde pour assurer des transferts de technologie et des transferts industriels. Il y aura donc deux temps : l’encadrement de cet accord puis une discussion s’agissant des transferts de technologies.

J’en tire trois conclusions : premièrement, le Rafale est décidément un très bon avion. (« Bravo » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Olivier Dassault. Merci !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Deuxièmement, les industries de défense françaises ont un très haut niveau technologique et d’excellence. Troisièmement, le partenariat avec l’Inde est basé sur la confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Dotations aux communes

M. le président. La parole est à M. Yves Albarello, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Yves Albarello. Monsieur le Premier ministre, nous sommes tous conscients qu’il faut aujourd’hui baisser la dépense publique. Mais, à l’heure où les maires de France font voter leurs budgets, vous venez de leur jouer un bien mauvais tour.

M. Jean-Luc Reitzer. Un sacré mauvais tour.

M. Yves Albarello. Vous vous en doutez : je vais vous parler de la manière brutale avec laquelle vous avez décidé de la baisse des dotations aux communes. (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Dans ma ville, votre décision a pour conséquence une baisse de 25 % de l’auto-financement, qui permet de financer les investissements sans emprunt. Votre décision brutale efface ainsi les économies réalisées par les fonctionnaires et les élus de ma ville depuis des années. Si la direction des finances nous avait prévenus ne serait-ce qu’il y a trois mois, nous aurions pu anticiper et rendre des arbitrages différents.

Monsieur le Premier ministre, votre méthode ne laisse pas d’autre choix aux maires que d’augmenter les impôts ou les emprunts. Cette façon de faire ne détonne pas avec tout ce que nous vous reprochons depuis trois ans : de l’improvisation, pas de concertation ! Voilà les vraies raisons qui font qu’aujourd’hui les impôts locaux vont augmenter. C’est de votre faute. Vous pouviez faire autrement, et vous ne l’avez pas voulu, afin de faire porter la responsabilité de ces augmentations aux maires de France.

Monsieur le Premier ministre, le maire de terrain que je suis vous demande, comme, j’en suis sûr, tous les maires qui siègent dans cet hémicycle, de ne pas faire des élus les otages du massacre fiscal que vous avez sciemment organisé depuis trois ans en prenant 90 milliards d’euros dans la poche des Français.

Monsieur le Premier ministre, nous vous demandons de nous réunir et de nous associer à une concertation département par département, si vous ne voulez pas avoir les maires de France contre vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, que je vous demande d’écouter attentivement.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le député, effectivement, nous pourrions décider ensemble de ne pas baisser la dépense publique et de ne pas réduire les déficits de la France. Mais à partir du moment où la décision de la réduction a été prise, on ne voit pas comment baisser la dépense de l’État sans baisser les dotations.

Puisque vous parlez d’impôts, je vous rappelle que, puisque aujourd’hui les recettes de l’État sont inférieures à ses dépenses, si nous voulions garder les dotations aux collectivités territoriales au même niveau, ce sont les impôts sur le revenu ou la TVA qui seraient mobilisés. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jérôme Chartier et plusieurs députés du groupe UMP. Ce n’est pas ce qu’il a dit !

M. Marc Francina. Impôts d’État !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Ce sont les mêmes citoyens qui payent les mêmes impôts. Vous parlez de 90 milliards – ce n’est pas la peine de crier comme cela ! – mais on en est loin ! Le Premier ministre lui-même a dit que 30 milliards pour le dernier gouvernement et 30 milliards pour le nôtre, c’était trop. Nous avons donc décidé de baisser les impôts. Vous le savez, plusieurs millions de Français auront cette année une feuille d’impôt sur le revenu plus faible que l’année dernière. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jérôme Chartier. C’est surréaliste !

M. Bernard Deflesselles. On croit rêver !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Monsieur le député, s’agissant des communes, vous réussissez dans la vôtre, qui compte 11 000 habitants, à engager 4 millions d’euros d’investissements. C’est correct. Mais vous savez qu’en Île-de-France aujourd’hui, le sujet implique les intercommunalités et la mise en commun de moyens. En effet, ce que nous constatons, et ce matin le comité interministériel sur le Grand Paris y a en grande partie répondu, c’est que l’hyper-richesse y côtoie l’hyper-pauvreté.

Si nous voulons tirer nos collectivités territoriales vers le haut, c’est-à-dire répondre aux besoins de logement, de transport et de développement économique, la seule solution dont nous disposons en Île-de-France est l’intercommunalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Nouveaux droits à la santé

M. le président. La parole est à Mme Hélène Geoffroy, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Hélène Geoffroy. Madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, l’une des priorités pour notre pays, objectif que vous poursuivez, est l’accès de tous à des soins de qualité. Dès 2012, le Gouvernement a affiché comme priorité la lutte contre la précarité, avec un plan pluriannuel qui prévoyait d’ailleurs un relèvement des plafonds d’accès aux complémentaires.

Le renoncement aux soins reste toutefois très préoccupant, y compris pour les classes modestes, en raison soit de l’avance à faire, soit de la complexité du dispositif. Au cours de l’année 2014, 1,2 million de personnes, dont les ressources sont faibles mais légèrement supérieures au plafond fixé pour l’attribution de la couverture maladie universelle complémentaire, ont bénéficié d’une attestation de l’aide à la complémentaire santé. En dépit de l’augmentation du nombre de bénéficiaires, le taux de recours à l’ACS reste encore trop faible.

Le Gouvernement a ainsi lancé une importante réforme de ce dispositif, en procédant notamment à un appel d’offres national afin de faire baisser les prix des complémentaires.

Madame la ministre, pourriez-vous nous préciser concrètement comment s’appliquera cette réforme qui devrait avoir des effets importants, notamment sur le pouvoir d’achat et sur l’accès aux soins ?

Par ailleurs, la loi de modernisation de notre système de santé changera véritablement le quotidien de nos concitoyens car elle comporte des mesures d’ampleur telles que la généralisation du tiers payant pour tous les Français.

Par ce dispositif ambitieux, dont nous avons largement débattu ces dernières semaines, nous supprimons l’avance des frais. Levier de simplification de la vie des assurés mais, surtout, de justice sociale, cette mesure donne un nouveau souffle à notre politique de santé en visant l’une de ses raisons d’être : le combat contre les inégalités sanitaires. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Le projet de loi de modernisation de notre système de santé, qui fera l’objet d’un vote tout à l’heure, fait de l’égalité dans l’accès aux soins une priorité, et je tiens, madame la députée, à saluer votre rôle et votre engagement dans la discussion de ce texte.

L’accès aux soins, c’est évidemment, vous l’avez rappelé, la généralisation progressive du tiers payant pour tous les Français, mais ce sont aussi des mesures pour permettre l’installation de médecins à proximité de chez soi, des mesures pour réduire les délais d’attente chez l’ophtalmo par exemple, ou encore la mise en place d’un numéro de téléphone unique pour trouver un médecin de garde.

L’accès aux soins, c’est aussi du pouvoir d’achat pour les Français les plus modestes, et c’est dans cet esprit que j’ai lancé la réforme de l’aide à la complémentaire santé. L’aide à la complémentaire santé, c’est un chèque, pouvant aller jusqu’à 550 euros, qui est versé aux personnes dont le revenu est supérieur à celui qui donne droit à la CMU mais inférieur, pour une personne seule, à 1 000 euros environ par mois. Grâce à ce chèque, ces personnes, des salariés modestes, des petits retraités, des étudiants peuvent se procurer une complémentaire santé, une mutuelle.

Avec la réforme que j’ai engagée, les contrats qui seront proposés seront moins chers, ils coûteront jusqu’à 300 euros de moins pour une personne seule âgée de plus de soixante ans, et ils permettront d’avoir une meilleure couverture. À partir du 1er juillet de cette année, ces nouveaux contrats seront proposés à nos concitoyens modestes.

Vous le voyez, madame la députée, le Gouvernement est engagé dans une politique volontariste en faveur de l’accès aux soins, parce que c’est une priorité pour l’ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Compte pénibilité

M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Gilles Lurton. Monsieur le Premier ministre, je ne sais pas si la confiance est retrouvée comme le dit le président Le Roux, mais nos entreprises souffrent toujours et encore. Elles souffrent du désastre économique dans lequel vous avez plongé notre pays depuis trois ans. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est vrai !

M. Gilles Lurton. Elles souffrent de la diminution des investissements des collectivités locales liée à la baisse sans précédent des dotations que vous avez décidée.

Au lieu d’alléger les contraintes qui pèsent sur elles, vous les multipliez, et les empêchez du même coup de profiter des effets d’une hypothétique reprise économique.

Parmi ces contraintes, il y a le compte pénibilité, qui est impossible à mettre en œuvre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Vous le savez d’ailleurs. Depuis le vote de la loi du 20 janvier 2014, vous ne cessez de reculer. De report en report, de création de mission en création de mission, vous vous êtes pris dans votre propre piège. Nous vous avions pourtant prévenus, le compte pénibilité est une véritable usine à gaz.

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est vrai !

M. Gilles Lurton. C’est tellement vrai que, pas plus tard que jeudi dernier, à l’occasion de l’assemblée générale des artisans du bâtiment, tout en se moquant de la notion de pénibilité, votre ministre du travail a annoncé qu’il n’y aurait pas de fiche pénibilité à remplir pour les petites entreprises à partir du mois de juin. S’il faut supprimer les critères inapplicables, on les supprimera, a-t-il ajouté. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Quel soulagement, mais quel dommage d’avoir semé autant de troubles au détriment de l’emploi dans notre pays. Les entreprises attendent de vous que vous confirmiez aujourd’hui les propos de votre ministre du travail.

Alors, monsieur le Premier ministre, s’agit-il d’un nouveau couac au sein même de votre gouvernement ou allez-vous vraiment supprimer la fiche pénibilité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. La création du compte pénibilité constitue incontestablement une grande avancée sociale (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC), et la majorité de gauche de ce gouvernement s’honore d’avoir adopté une telle mesure. Il s’agit d’une mesure de justice sociale pour lutter contre une inégalité. L’espérance de vie, en effet, vous le savez bien, n’est pas la même suivant le métier que l’on fait.

Pour que ce compte existe, il faut trouver le bon équilibre entre une approche collective et une approche individuelle pour l’application des facteurs de pénibilité. C’est l’un des enjeux des deux missions qui ont été confiées l’une à Michel de Virville et l’autre à Christophe Sirugue. Le but est de parvenir à un dispositif simple (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), notamment pour les petites et les très petites entreprises du bâtiment, tout en reflétant la réalité des conditions de travail.

Nous adapterons ce qui doit l’être. Les missions rendront leurs conclusions avant l’été. Si elles concluent que des adaptations sont nécessaires en matière par exemple de seuil d’exposition, de mesure et de mise en œuvre des facteurs de pénibilité, ces conclusions seront retenues. Pour qu’il y ait de nouveaux droits, si importants soient-ils, encore faut-il qu’ils soient applicables. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Santé publique dans les Antilles

M. le président. La parole est à M. Ary Chalus, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Ary Chalus. Madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, l’examen de la loi relative à la santé offre une excellente opportunité pour revenir sur certains dossiers de santé publique qui constituent une préoccupation majeure pour nos concitoyens. Cette préoccupation a été relayée par le Président de la République et la Cour des comptes, qui ont mis l’accent sur l’urgence à réduire, le plus rapidement possible, des inégalités souvent criantes en matière de santé.

La prévalence de certains cancers – prostate, col de l’utérus ou estomac – est particulièrement forte dans les départements français d’Amérique. Le retard de nos territoires, en termes d’équipements de médecine nucléaire utiles et performants, n’est pas étranger aux difficultés rencontrées dans le dépistage de ces cancers. Le nombre enregistré, sans cesse croissant, crée une réelle inquiétude au sein de la population qui appelle à l’implantation d’un cyclotron, plus à même de permettre un diagnostic fiable.

Dans ce contexte singulier, la confirmation des engagements de l’État pour la reconstruction du centre hospitalier de Pointe-à-Pitre s’inscrit dans une démarche rassurante, de même que la désignation d’une mission de l’inspection générale des affaires sociales qui doit s’appuyer sur les travaux déjà réalisés sur le terrain à l’initiative des agences régionales de santé. Cette mission doit permettre de caractériser l’ensemble des solutions d’implantation et d’exploitation des différents modèles technologiques et organisationnels proposés.

Madame la ministre, nos régions d’Amérique sont aujourd’hui mobilisées : plus de vingt mille pétitionnaires ont traduit la forte attente de la population et des patients. Face à une telle situation, je souhaite que le Gouvernement puisse nous associer très étroitement aux décisions qu’il compte prendre. Par ailleurs, pouvons-nous espérer que les choix opérés par votre ministère ne reposeront que sur des principes d’égalité de l’offre de santé publique sur l’ensemble du territoire national ?

Pour finir, je veux remercier les trois ministres présents aux Journées de l’outre-mer, et surtout le Premier ministre pour son discours particulièrement optimiste. Oui, l’outre-mer est bien un atout pour la France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et sur quelques bancs des groupes SRC et UDI.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le député Chalus, vous avez raison d’insister sur la nécessité de réduire les inégalités en matière de santé. C’est l’une des lignes de force de la loi qui sera votée tout à l’heure. Vous m’avez alertée à plusieurs reprises sur la situation particulière des départements d’outre-mer, et notamment de la Guadeloupe. Nous en avons discuté. Je sais votre attachement à ce que des réponses spécifiques soient apportées. Il faut en particulier élaborer des solutions pour faire face à la question du cancer. La volonté du Président de la République, avec le troisième Plan cancer, est de faire en sorte que, en tout point du territoire, chacun ait les mêmes chances d’être soigné dans de bonnes conditions.

Concrètement, nous avons besoin, pour mieux détecter les cancers et les soigner plus rapidement, de déployer des TEPscan dans les départements français d’Amérique. Mais pour alimenter ces TEPscan, nous avons besoin de cyclotrons. Tout le débat est de savoir comment, quand et où nous allons installer ces cyclotrons. À l’automne dernier, j’ai confié une mission d’évaluation au professeur Bourguet, qui est le président de la section biophysique et médecine nucléaire du conseil national des universités, et à l’inspection générale des affaires sociales. Cette mission remettra prochainement ses conclusions. Je peux vous assurer, monsieur le député, que ce travail sera partagé et qu’il fera l’objet de discussions et d’échanges entre nous, car il s’agit de définir une solution équitable. Vous pouvez, monsieur le député, compter sur ma détermination pour vous y associer et apporter des réponses appropriées. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Destruction de cultures expérimentales

M. le président. La parole est à M. Marc Laffineur, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Marc Laffineur. Monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, depuis 2005, le Maine-et-Loire est reconnu pôle de compétitivité mondial sur le végétal – c’est, à l’époque, Dominique Bussereau qui était venu nous annoncer sa labellisation. Dans ce cadre, nous hébergeons le groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences – GEVES – qui a pour mission d’évaluer les nouvelles variétés dans la perspective d’en autoriser la production et la commercialisation. Le GEVES, qui dépend de votre ministère, travaille également en étroite collaboration avec l’Office communautaire des variétés végétales qui se trouve à Angers.

Ce dimanche 5 avril, une cinquantaine de délinquants sont venus sur les terres du GEVES, à la Pouëze, pour y détruire les cultures de colza. Ce n’était pas des OGM, ce n’était même pas du colza obtenu par mutagénèse, qui existe d’ailleurs dans la nature. Ces voyous ont détruit plusieurs années de travail et de recherche. Petit à petit, toute la recherche végétale quitte la France, alors que nous étions, il y a vingt ans, en avance dans ce domaine. Les obtenteurs se détournent de notre pays pour obtenir leur classification, et vendent ensuite leurs semences dans l’hexagone. Ce sont des dizaines de milliers d’emplois que nous avons déjà perdus.

Ce colza peut être cultivé avec moitié moins d’herbicides : vous imaginez les bénéfices pour l’environnement. Or, ces individus sont soutenus par une partie de votre majorité ! Ils détruisent notre capacité de recherche.

M. Bernard Perrut. C’est une honte !

M. Marc Laffineur. Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour empêcher cela et condamner ces voyous qui détruisent et saccagent le travail de tant de chercheurs ? Notre agriculture a besoin de cette recherche pour se développer. C’est vital ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous avez évoqué un sujet très important et technique.

M. Christian Jacob. Et politique !

M. Stéphane Le Foll, ministre. J’ai soutenu le pôle d’excellence d’Angers sur les végétaux et je me suis déplacé à plusieurs reprises à l’occasion des différents salons qui s’y sont tenus. Vous avez soulevé la question des variétés de colza tolérantes à un certain nombre d’herbicides, qui ne sont pas des variétés génétiquement modifiées. Comme beaucoup, je condamne ce qui s’est passé, car il n’y avait pas de raison d’aller détruire ces expérimentations.

M. Christian Jacob. Mais si ces plans avaient été des OGM, il y aurait eu une raison ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. Une plainte a été déposée, monsieur Jacob. Restez raisonnable, pour que les choses avancent !

Nous allons continuer à travailler sur ces questions liées aux herbicides.

M. Christian Jacob. On ne vous demande pas de baratiner, mais de répondre !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Les résistances aux herbicides ne cessent de s’accroître. Nous avons donc un défi à relever. Il ne passera pas uniquement par ce qui a été fait, et qui était nécessaire, au niveau des expérimentations, mais par des stratégies plus globales qui supposent des changements de modèles de production. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas la question !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Restons calmes ! (Mêmes mouvements.)

M. le président. Mes chers collègues, un peu de calme s’il vous plaît !

M. Stéphane Le Foll, ministre. La recherche est nécessaire et je condamne ce qui s’est passé.

M. Christian Jacob. Et la question ?

M. Sylvain Berrios. C’est du bla-bla !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Mais sur ces questions, nous avons besoin de stratégies beaucoup plus larges pour lutter contre la résistance aux herbicides. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Situation d’Alcatel-Lucent

M. le président. La parole est à Mme Corinne Erhel, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Corinne Erhel. Monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, Alcatel-Lucent, fleuron français de télécommunications à dimension internationale, a confirmé ce matin être en discussion avancée avec le groupe finlandais Nokia en vue d’un rapprochement. Alcatel-Lucent est un acteur industriel majeur en France. Il emploie dans notre pays plus de 6 000 salariés et est un partenaire clef des territoires dans lesquels il est implanté, notamment à Lannion dans les Côtes-d’Armor et à Villarceaux dans l’Essonne. Le groupe détient des technologies et des infrastructures stratégiques pour la France. La perspective d’une éventuelle cession pose donc de nombreuses questions dont je me suis entretenue, dès ce matin, avec Emmanuel Macron.

Monsieur le ministre, quel regard portez-vous sur ces annonces ? Si les discussions aboutissent, quel rôle entend jouer l’État pour garantir, dans la durée, aux plus de 6 000 salariés le maintien de leur emploi et des compétences dans les territoires, tant en ce qui concerne les fonctions de recherche et développement que les fonctions support ? Il s’agit de salariés déjà lourdement éprouvés par des rachats et par une succession de plans ces dernières années, et je salue ici les partenaires sociaux.

En outre, alors que la France est un pôle majeur de recherche pour le groupe Alcatel-Lucent, grâce notamment au crédit impôt recherche, comment s’assurer du maintien dans notre pays de l’innovation et de la recherche et développement sur les activités en croissance ?

Enfin, comment anticiper les conséquences éventuelles sur l’ensemble de la filière télécoms, de ses salariés et des écosystèmes concernés ?

Monsieur le ministre, nous comptons sur votre vigilance. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. François de Rugy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la députée, il s’agit d’un dossier que je suis de près avec mon collègue Emmanuel Macron, qui est en ce moment même au Sénat pour présenter le projet de loi pour la croissance et l’activité. Alcatel-Lucent et Nokia ont confirmé être en discussion en vue d’une fusion complète des deux groupes, sans pour autant avoir, à cet instant, conclu un accord.

Alcatel-Lucent, vous l’avez dit, occupe une place structurante dans le secteur des équipements et des réseaux télécoms. C’est aussi une entreprise particulièrement compétitive sur le marché mondial. C’est pourquoi le Gouvernement entend que les détails du projet en discussion lui soit présentés au plus vite, notamment pour ce qui concerne les sites de production : il y a 800 emplois en jeu à Lannion et 3 000 à Villarceaux. Le Gouvernement sera aussi très vigilant à ce que l’excellence des laboratoires de recherche soit maintenue en France et à ce que la localisation des centres de décision et des perspectives d’investissement soit clarifiée dans la durée, quelles que soient les discussions menées par Alcatel.

Nous allons obtenir des deux groupes tous les éléments d’information nécessaires afin d’apprécier si ce projet est pertinent d’un point de vue industriel et si un rapprochement permettrait de constituer un champion européen compétitif au plan mondial, une sorte d’Airbus des télécoms.

Le Gouvernement suit de très près la situation. Emmanuel Macron se rendra prochainement à Lannion afin d’y confirmer les équipes, d’examiner les engagements pris et de voir si le projet réunit toutes les conditions requises pour construire un avenir industriel solide et porteur d’activité sur le long terme.

Enfin, sachez-le, le Président de la République reçoit en ce moment même les dirigeants de Nokia et d’Alcatel pour faire un point sur ce dossier. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Plans sociaux et droit de préemption

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Monsieur le Premier ministre, ce qui fait mal aux entreprises et à l’emploi, ce n’est pas le coût du travail. Ainsi, le groupe américain HBI, propriétaire de la marque DIM, envisage de supprimer 400 emplois en France, mais à l’origine de ce plan de licenciement, il y a les pressions exercées par les fonds de placements et de pension qui détiennent le groupe. Même scénario chez Vivarte, qui possède les enseignes Kookaï, André et La Halle : le groupe va se séparer de 1 600 salariés, une décision prise sous la pression des représentants des fonds.

Chez le transporteur MoryGlobal, où plus de 2 000 emplois sont supprimés, on ignore où sont passés les 17,5 millions d’aides publiques. Quant à l’entreprise Gaillon, c’est le fonds d’investissement propriétaire qui veut délocaliser alors que les carnets de commandes sont pleins.

Face à l’attitude des actionnaires et fonds de pension, notre pays a besoin de mesures fortes pour la défense des entreprises ! Nous pensons que cela passe par la création de droits nouveaux pour les salariés. C’est le sens de nos propositions visant à interdire les licenciements boursiers, à renforcer le droit de veto du comité d’entreprise ou bien encore à faciliter la reprise par les salariés de leur entreprise sous forme coopérative. Notre proposition de loi, qui viendra en discussion le 7 mai, vise précisément à instaurer un droit de préemption des salariés en cas de revente de leur entreprise, afin notamment de prévenir la cession à des actionnaires peu scrupuleux.

Pour contribuer à renforcer les entreprises, monsieur le Premier ministre, allez-vous soutenir notre proposition afin de maintenir l’emploi sur nos territoires ? À moins que vous ne considériez que le plan d’investissement et la refonte des institutions représentatives du personnel suffiront à renforcer ces entreprises ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire.

Mme Carole Delga, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire. Monsieur le député, les plans sociaux d’optimisation financière, qui touchent même parfois des entreprises saines, sont en effet un fléau pour notre économie et des mesures injustifiables pour les salariés. Avec la loi Florange, nous avons instauré une obligation de recherche d’un repreneur pour les entreprises de plus de 1 000 salariés. Le Conseil constitutionnel a alors précisé le cadre juridique en posant comme principe que les atteintes portées au droit de propriété doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et surtout être proportionnées à l’objectif poursuivi.

La reprise des entreprises par leurs salariés doit être encouragée. C’est ce que nous avons fait avec la loi Économie sociale et solidaire du 31 juillet dernier, qui repose sur trois actions fortes : le droit de formation des salariés, l’entreprise devant leur expliquer les modalités de reprise et les conditions juridiques ; assurer leur droit d’information préalable ; favoriser la SCOP d’amorçage, c’est-à-dire permettre à terme aux salariés d’être décisionnaires, avec un délai au minimum de sept ans pour être majoritaires au capital.

Le Gouvernement a souhaité poursuivre ce travail en confiant à votre collègue Fanny Dombre Coste la mission de réfléchir sur l’opérationnalité du droit d’information préalable et sur les modalités de transmission en cas de reprise. Nous allons prochainement améliorer le droit de formation des salariés pour la reprise des entreprises.

Un droit de préférence ou un droit de préemption serait-il adapté ? Il me semble que de par les règles établies par le Conseil constitutionnel, nous pourrions difficilement aller dans cette voie, mais je partage votre souci de favoriser le dialogue social et de bien rappeler que les salariés sont une chance pour l’entreprise, y compris pour le devenir de celle-ci et en cas de reprise. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Nouvelle politique agricole commune

M. le président. La parole est à Mme Véronique Louwagie, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Véronique Louwagie. Monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, les conséquences de la mise en œuvre de la nouvelle politique agricole commune – PAC – provoquent un sentiment d’abandon chez de nombreux agriculteurs. Le 18 mars dernier, vous m’avez répondu, monsieur le ministre, que les comités de suivi veilleraient à la cohérence des nouvelles mesures, dont la complexité est inégalée. Soit. Je souhaite beaucoup de courage aux membres de ces comités, ainsi qu’aux préfets chargés de veiller à leur bon déroulement.

Malgré ce transfert de la mise en œuvre des textes vers les territoires, d’autres effets de la nouvelle politique agricole commune demeurent.

L’Agence de services et de paiement – ASP, chargée du versement des aides européennes, a indiqué être dans l’incapacité de verser les aides pour 2014 au titre des mesures agroenvironnementales territorialisées – MAET – ainsi que l’assurance récolte et l’aide couplée à la production de fécule, et cela au motif que les moyens humains sont accaparés jusqu’au 27 avril prochain par l’adaptation des outils informatiques aux nouvelles règles de la PAC.

Comme de nombreuses exploitations assurant la diversité du monde agricole bénéficient de ces aides, c’est un coup dur qui leur est porté. La date limite de paiement a été reportée au 30 juin prochain, mais de nombreuses échéances de trésorerie sont maintenues aux dates habituelles, soit en ce moment même. Une telle désinvolture met à mal les trésoreries des exploitations, devenues malgré elles les otages de difficultés administratives sans précédent.

Monsieur le ministre, malgré la bonne volonté des représentants départementaux de l’État et l’implication des comités de suivi, sur ce problème précis rien ne sera possible sans une réelle implication de votre part. Alors, dites-le nous sans détour : les bénéficiaires des aides au titre des MAET pour 2014 peuvent-ils, oui ou non, compter sur votre aide ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la députée, je n’ai pas attendu votre question pour me mobiliser sur le versement des aides de la politique agricole commune – encore heureux ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Vous avez évoqué un sentiment d’abandon. Je rappelle que le budget consacré à la politique agricole commune sera, à l’issue d’une négociation européenne, de 9 milliards.

M. Sylvain Berrios et M. Alain Marty. C’est oui ou c’est non ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. On verra ce qu’il en sera des négociations suivantes, mais pour l’heure cet argent sera distribué aux agriculteurs.

En ce qui concerne l’ASP, vous donnez à la représentation nationale des informations qui ne sont pas remontées jusqu’au ministre de l’agriculture.

M. Alain Gest. C’est non !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Par ailleurs, si nous avons pris du retard, c’est à cause de quoi ?

Plusieurs députés du groupe de l’UMP. De Sarkozy ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. Oh, bien plus que Sarkozy : c’est à cause de M. Bussereau et auparavant de M. Le Maire – donc de Sarkozy, mais aussi de M. Chirac. Il y en a pour les deux ! (Huées sur les bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Bussereau. Mensonge !

M. Sylvain Berrios. Et Charlemagne ?

M. le président. S’il vous plaît, chers collègues ! Je sais bien que nous ne nous verrons pas la semaine prochaine, mais tout de même, vous n’êtes pas obligés de faire du bruit pour deux semaines !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Vous avez mis en œuvre une politique agricole qui nous a conduits à devoir supporter ce que l’on appelle un « apurement », d’une valeur de 3 millions d’euros, parce que ce que vous aviez fait n’était pas correct !

Plusieurs députés du groupe de l’UMP. Et Dagobert ? Et Clovis ?

M. le président. S’il vous plaît !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Il a fallu corriger cela, et c’est parce que nous l’avons fait que nous avons eu besoin d’un délai supplémentaire, madame la députée. Mais tout sera fait comme il se doit. Et l’engagement que je prends devant vous n’est pas de m’impliquer, puisque c’est ce que je fais déjà depuis des mois,…

Mme Claude Greff. Prétentieux !

M. Stéphane Le Foll, ministre. …mais que les agriculteurs toucheront bien leurs aides, parce que tel est l’engagement qui doit être pris. Tel est l’engagement que j’ai déjà pris devant les agriculteurs et celui qu’a pris le Premier ministre devant le congrès de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Politique monétaire

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Luc Laurent. Monsieur le ministre des finances et des comptes publics, la Banque centrale européenne – BCE – mène depuis maintenant un mois une politique d’assouplissement quantitatif qui consiste à racheter des titres de dettes publiques pour, entre autres, lutter contre la déflation qui menace l’Europe.

La BCE a bien des défauts – le Mouvement républicain et citoyen la critiquait avant même sa naissance – mais son président, M. Mario Draghi, a pris par deux fois la mesure de la crise, en mettant fin à la spéculation sur les dettes publiques en 2012 et, aujourd’hui, en affrontant le risque déflationniste.

L’assouplissement quantitatif a même favorisé une baisse de l’euro, qui se rapproche de la parité avec le dollar – sous l’effet, aussi, de la politique monétaire américaine. Les effets de cette politique sont incertains ; la situation est très contrastée, les bons indicateurs se mélangent aux mauvais.

À l’évidence, l’assouplissement quantitatif ne suffira pas. Pour le dire simplement, l’Europe mène une politique monétaire trop expansionniste tout en conservant des politiques budgétaires absurdement corsetées par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – TSCG – et verrouillées, au niveau continental, par la droite allemande.

Plus que jamais, il faut regarder la réalité en face : les économies européennes divergent, alors que les traités étaient supposés organiser leur convergence. Le réel, on s’y cogne, et l’Union économique et monétaire, avec sa politique unique, se cogne à la réalité économique, ainsi qu’à la réalité démocratique – comme en Grèce.

Pour tous les citoyens, le silence de la France est souvent assourdissant. Alors, monsieur le ministre, qu’en pense la France, au moment où il est question, non pas d’une sortie de l’euro, mais de la dissolution de la zone euro ?

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le député, vous avez eu raison de souligner la qualité de la politique monétaire menée sous la direction de Mario Draghi. Le président de la Banque centrale européenne a fait, dès le milieu de l’année dernière, la bonne analyse, qui était d’ailleurs la même que celle proposée par le gouvernement français, ici même, dans cet hémicycle.

M. Yves Fromion. Ah ?

M. Michel Sapin, ministre. Il décrivait le risque d’une trop faible inflation qui s’accompagnerait d’une trop faible croissance et d’un trop fort chômage. Face à cette situation, et à la suite du débat politique soulevé, en particulier, par le Président de la République, le Premier ministre et moi-même dans les instances européennes, il a pris ces décisions…

M. Pierre Lequiller. Oh, arrêtez ! Draghi est indépendant !

M. Yves Censi. Quel béni-oui-oui !

M. Michel Sapin, ministre. …qui ont permis de rendre les taux d’intérêt extrêmement faibles, de manière à faciliter le financement non seulement des budgets des États, mais aussi des investissements des entreprises, et, comme vous l’avez souligné, de faire revenir l’euro à un niveau plus conforme à sa valeur réelle. Un euro plus bas permet à nos entreprises d’exporter plus vers les marchés internationaux, mais c’est aussi une manière de lutter sur notre territoire contre des importations qui n’auraient comme seule qualité qu’un prix faible dû à une monnaie trop forte.

Voilà ce qu’a fait M. Draghi, et il l’a fait dans un cadre politique que les gouvernements ont souhaité.

M. Yves Censi. La BCE ne serait donc pas indépendante ?

M. Michel Sapin, ministre. Ce n’est pas tombé du ciel ; ce n’est pas une décision prise comme cela, c’est une décision prise dans un certain cadre politique et dans un certain contexte politique, et qui a été tout particulièrement voulue par notre gouvernement ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pierre Lequiller. C’est faux !

M. Michel Sapin, ministre. Pour le reste, monsieur le député, notre objectif est non pas la dissolution de la zone euro, mais une zone euro plus puissante, plus forte, plus solidaire, qui ne se réduise pas mais qui soit au contraire capable de s’étendre – et de converger.

M. Pierre Lequiller. Menteur !

M. Michel Sapin, ministre. Car oui, il faut faire converger nos économies – non seulement elles, mais aussi nos sociétés, et en particulier nos systèmes de protection sociale ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Modernisation du système de santé

Vote solennel

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote au nom des groupes et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi de modernisation de notre système de santé (nos 2302, 2673).

Explications de vote

M. le président. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Patrice Carvalho. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, nous allons clore deux semaines de débats sur un texte qui avait pour objectif de « transformer notre système de santé afin de conforter son excellence », avec pour « ambition de réduire les inégalités d’accès aux soins, développer la prévention, l’éducation, l’innovation et les droits des patients ». À l’heure du vote, nous devons vérifier si cet objectif est atteint.

Il est indéniable que le texte comporte des mesures positives : création de l’action de groupe en matière de produits de santé ; renforcement de certains domaines de la prévention ; mesures concernant l’IVG ; généralisation du tiers payant – même s’il reste des zones d’ombre, comme le transfert de tâches administratives vers les médecins et le transfert de charges de la Sécurité sociale vers les mutuelles ; avancées sur la limitation des dépassements d’honoraires ; progrès dans la lutte contre les conflits d’intérêts.

Mais il existe aussi de grands manques. Ni les franchises, ni les forfaits, ni les conditions de la tarification à l’activité ne sont remis en question. D’autres sujets continuent de nous préoccuper, nos craintes n’ayant pas été apaisées durant les débats. C’est le cas du système national des données de santé, dont les éléments à caractère personnel sont désormais accessibles aux groupes pharmaceutiques et aux assureurs. Nos demandes de sécurisation du système n’ont pas été entendues. Nous restons très inquiets à l’idée que les informations concernant la santé de nos concitoyens soient désormais accessibles, même indirectement, à des entreprises privées.

Enfin, le sujet qui a suscité le plus de critiques de notre part porte sur le renforcement du pouvoir des agences régionales de santé – ARS. Il faut reconnaître notre constance : opposés à la création des ARS prévue par la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », dite loi Bachelot, nous avons ensuite combattu le renforcement de leurs prérogatives, prévu par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2015.

Nous n’avons rien contre une organisation territoriale de la santé, mais nous sommes vent debout contre la transformation des ARS en préfectures sanitaires, en bras armé du gouvernement. Cette évolution prend toute sa dimension avec l’instauration d’une obligation d’adhérer à des groupements hospitaliers de territoire. Cette injonction se traduit par des fermetures de services, pourtant utiles à la population, par des suppressions de postes massives, non sans conséquences sur les conditions de travail des personnels et la prise en charge des patients, et par des réductions budgétaires drastiques.

Il s’agit d’un problème de principe : les ARS devraient favoriser la démocratie sanitaire et sociale, non s’instituer en censeur financier, arbitral et brutal. Ce problème gagne en acuité avec la réduction drastique des budgets que vous avez décidée, et contre laquelle mon groupe a voté. Votre projet de loi s’inscrit dans un plan d’économies de 21 milliards d’euros pour l’assurance maladie et la protection sociale, avec une réduction du budget de la santé de 10 milliards d’euros d’ici deux ans, dont 3 milliards pour les seuls hôpitaux.

La question des moyens est indissociable du renforcement du pouvoir des ARS, qui mettent en musique la politique financière décidée par ce gouvernement. Il faut évidemment rationaliser certaines dépenses et réaliser des économies lorsque c’est faisable. Mais cela ne doit pas constituer le fondement d’une politique en matière de santé. Il faut partir des besoins de nos concitoyens et trouver les moyens d’y répondre avec la plus grande efficacité, en dépensant le moins possible.

Nous pouvons légitimement nous demander si les mesures votées pourront être appliquées dans ce contexte budgétaire. Il n’est pas acceptable que l’accès à certains soins ou à des dispositifs de prévention ne soit pas effectif parce que les moyens manquent. Je pense aux hôpitaux, mais aussi à la médecine scolaire, qui ne peut assurer ses missions alors qu’elle devrait avoir un rôle pivot en matière de prévention. Rappelons que, selon les régions, 30 % à 40 % d’une classe d’âge seulement sont reçus par le médecin scolaire. Il n’existe que 1 100 médecins scolaires pour 12 millions d’élèves, soit moins d’un médecin pour 10 000 élèves. Pour toutes ces raisons, les députés du Front de gauche voteront majoritairement contre ce texte de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour le groupe écologiste.

M. Jean-Louis Roumegas. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, la loi de modernisation du système de santé était très attendue ; en témoignent nos débats longs, denses et fructueux.

Il s’agissait de répondre à plusieurs défis majeurs pour la pérennité de notre système de santé : la prévention, l’innovation et l’amélioration du parcours de soins, la diminution des maladies chroniques qui sévissent dans notre pays comme partout dans le monde. Au fil des débats, nous avons mesuré la volonté du Gouvernement de concrétiser une politique de solidarité, en commençant par les plus éloignés du système de soins, tout en ancrant cette politique dans nos territoires, en fédérant l’ensemble des acteurs et en faisant vivre la démocratie sanitaire.

Nous soutenons de nombreuses dispositions, contenues dans le texte initial ou apportées par le débat parlementaire : la généralisation du tiers payant, qui facilitera l’accès aux soins à condition de ne pas dégrader le panier de soins ; l’amélioration de l’accès à l’IVG, grâce à la suppression du délai de sept jours, inutile et culpabilisant ; l’extension des attributions reconnues aux sages-femmes ; l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque ; la réforme du système des agences sanitaires ; la plus grande place donnée à l’ambulatoire ; le renforcement du rôle des ARS dans l’organisation décentralisée des missions de santé publique.

Nous saluons particulièrement l’avancée que constitue la création de l’action de groupe pour les victimes de produits médicamenteux. Nous regrettons toutefois que cette possibilité n’ait pas été étendue à l’ensemble des expositions aux produits toxiques – amiante, pesticides, particules fines ou tabac, ainsi que le prévoyait l’amendement de notre collègue Michèle Delaunay.

Madame la ministre, pour rétablir la confiance après les trop nombreux scandales sanitaires, vous avez pris des mesures pour lutter contre les conflits d’intérêts dans l’expertise. Il faudra sans doute aller plus loin ; nous avons fait des propositions en ce sens.

La lutte contre le tabagisme, l’alcoolisme ou l’abus de junk food a été mise à l’honneur. Le tabac et ses méfaits ont donné lieu à des échanges vifs, mais les avancées sont réelles : il s’agit avant tout de protéger les plus jeunes et de limiter l’influence des lobbies. Le paquet neutre, la limitation des opérations de marketing de l’industrie vont dans le bon sens. Vous avez aussi accepté nos propositions pour une traçabilité indépendante, pour l’interdiction des cigarettes capsules ou pour une codécision des ministères chargés du budget et de la santé dans la fixation des prix de détail.

M. Arnaud Richard. Très bien !

M. Jean-Louis Roumegas. La lutte contre la malbouffe passera par un étiquetage nutritionnel plus lisible. Mais pourquoi nous être arrêtés en si bon chemin, alors que nous aurions pu intégrer les additifs alimentaires ou lutter contre l’utilisation de l’huile de palme, si néfaste à la santé et aux forêts ? Nous regrettons également que nos propositions pour l’amélioration de la qualité de l’air intérieur et extérieur, la maîtrise des particules fines et des composés organiques volatils aient été rejetées, alors même que nous traversons un pic de pollution historique. Nous aurions aimé des avancées sur la question de l’hyperélectrosensibilité et sur celle des radiations électromagnétiques en général.

Nous nous félicitons de l’inscription dans le code de la santé publique de la notion d’« exposome », qui traduit la reconnaissance du rôle déterminant de l’environnement dans la santé. Reste toutefois à mieux concrétiser cette notion. Nous avons proposé des mesures de gouvernance, pour garantir la place de la santé environnementale dans la stratégie nationale de santé, la recherche ainsi qu’au sein du nouvel institut de veille et de prévention. Vous avez renvoyé nos propositions de formation des professionnels de santé aux questions de santé environnementale à des évolutions réglementaires : nous attendrons donc pour juger. Nous nous félicitons que vous ayez accepté notre proposition d’étendre l’interdiction du bisphénol A aux jouets, ce qui est cohérent.

Favoriser l’accès aux soins, c’est aussi placer l’humain au cœur de notre politique de santé. C’est pourquoi nous saluons la meilleure prise en compte de la douleur, du handicap et la fin des discriminations envers les homosexuels.

Madame la ministre, nous devons avancer davantage sur les questions de santé environnementale. Nous commençons en apportant aujourd’hui notre soutien à cette belle loi de santé ! (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Pinville, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Martine Pinville. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, vous avez fait le choix dès 2012, madame la ministre, de réformer en profondeur notre système de santé. Nous pouvons désormais le dire : vous avez été fidèle à cet engagement. Nous allons arriver au terme de ces travaux dans quelques instants en adoptant le projet de loi de modernisation de notre système de santé.

Je tiens à me féliciter du travail parlementaire accompli, notamment le débat qui a eu lieu pendant deux semaines dans l’hémicycle afin d’enrichir ce texte par de nombreux amendements. Je tiens aussi à saluer la volonté politique à laquelle vous avez donné corps – parfois dans un contexte quelque peu tendu – avec l’ensemble du Gouvernement, madame la ministre, pour vous attaquer aux inégalités sociales et territoriales que vivent bon nombre de nos concitoyens en matière d’accès aux soins.

Je ne pourrai pas rappeler toutes les avancées qui incitent l’ensemble des députés du groupe SRC à adopter ce texte. Certaines dispositions sont essentielles et nous pouvons être particulièrement fiers d’avoir inscrit dans la loi la mise en œuvre d’une véritable politique de prévention en santé publique. La promotion de la santé en milieu scolaire, le renforcement de la lutte contre le tabagisme et l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque sont autant de marqueurs qui démontrent que nous souhaitons sortir du tout-curatif.

La généralisation du tiers payant constituera à terme une avancée sociale pour tous les assurés sociaux, à commencer par ceux qui connaissent le plus de difficultés. C’est tout à l’honneur du Gouvernement et de la majorité réunie de faire aboutir ce marqueur de gauche qui était un engagement du Président de la République. Nous ne pouvons pas laisser de nombreuses familles renoncer aux soins pour des raisons financières.

M. Arnaud Robinet. C’est faux !

Mme Martine Pinville. Renoncer à une consultation de 23 euros pour son enfant est tout à la fois inacceptable et intolérable.

L’amélioration de la coordination des soins de premiers recours est également l’un des objectifs prioritaires de ce projet de loi. La création sur chacun des territoires de démocratie sanitaire d’un conseil territorial de santé composé d’élus et de représentants de l’ensemble des acteurs de santé du territoire – professionnels comme usagers – accroîtra l’efficience de l’offre de soins. Ses missions consisteront à lutter contre la désertification médicale en lien avec les équipes de soins primaires constituées par des médecins généralistes de premier recours et les communautés professionnelles territoriales de santé.

Autre élément destiné à améliorer l’offre de soins sur chaque territoire : la constitution de groupements hospitaliers de territoire, qui regrouperont tous les établissements publics hospitaliers présents sur un secteur donné autour d’un projet médical comprenant un volet proximité et un volet recours.

De plus, ce projet de loi redéfinit la notion de service public hospitalier, qui avait été supprimée implicitement par la loi HPST en 2009, ainsi que les missions des établissements de santé assurant ce service, notamment les services d’urgences.

Ce texte instaure également la procédure de l’action de groupe dans le domaine de la santé. Pour la première fois, la loi ouvre la possibilité d’engager des recours collectifs devant la justice pour demander réparation de dommages subis dans ce domaine. Les scandales sanitaires ont conduit le Gouvernement à donner ce droit aux victimes qui se retrouvent seules face à des procédures judiciaires coûteuses.

Nous pouvons également être fiers d’avoir instauré le droit à l’oubli pour les personnes guéries du cancer, qui n’auront plus à déclarer leur maladie lors de la souscription d’un emprunt ou de la négociation d’une assurance.

Enfin, avant de conclure, je veux saluer l’adoption des dispositions qui permettent d’améliorer les conditions de prise en charge des femmes qui souhaitent procéder à une interruption volontaire de grossesse. Désormais, le délai de réflexion de sept jours entre la première et la deuxième consultation sera supprimé et nous allons ouvrir aux sages-femmes le droit de pratiquer une IVG médicamenteuse.

Pour toutes ces raisons et au nom des députés du groupe SRC, madame la ministre, je veux ici saluer la qualité des travaux que nous avons menés et des échanges auxquels ils ont donné lieu. Ainsi, avec l’ensemble de mes collègues, nous adopterons ce projet de loi de modernisation de notre système de santé. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC. et écologiste.)

M. le président. Sur l’ensemble du projet de loi, le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Jean-Pierre Door, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Pierre Door. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, comme vous le savez, le groupe UMP votera contre ce projet de loi… (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Quelle surprise !

M. Jean-Pierre Door. …artificiellement intitulé projet de « modernisation de notre système de santé ».

Oui, nous avons débattu pendant deux semaines d’un projet long, touffu, compliqué, mal préparé et brutalement soumis à la procédure accélérée. C’est le constat que cette réforme, contestée par les syndicats médicaux, par l’Académie de médecine et par le conseil national de l’Ordre des médecins, n’était pas prête, parce que ce projet étatise et met sous contrôle bureaucratique le système de santé français. C’est aussi le constat que la médecine générale est en plein désarroi dans notre pays : défilant par dizaines de milliers dans la rue, les internes vous ont exprimé leur colère avec force le 15 mars dernier.

Le deuxième constat est celui de l’échec de la réunion décidée par le Premier ministre, qui a été suivi d’une modification du texte par plusieurs dizaines d’amendements et d’articles sortis en urgence de l’avenue de Ségur. Même certains collègues de votre majorité se sont interrogés et se sont mis à douter.

Troisième constat : celui de l’amateurisme qu’il y a à traiter globalement un volet de prévention toutes directions associé à un simulacre de réorganisation du système de soins.

Vous n’aimez ni la médecine libérale ni les cliniques privées.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Oh !

M. Jean-Pierre Door. Notre crainte est donc celle d’une dégradation et d’un déclin du système de soins français, malgré la réécriture forcée des articles 12, 26 et 38. À l’article 26, vous stigmatisez les cliniques privées en les excluant du service public hospitalier. Vous tournez le dos aux médecins, qui ne se reconnaissent pas dans cette réforme, et ne faites que feindre de répondre à leurs demandes.

Ce projet de loi passe à côté de l’essentiel : l’attractivité et la revalorisation du métier de médecin. De plus, madame la ministre, vous vous coupez de la jeunesse, parmi laquelle se trouvent pourtant les médecins de demain. Pourquoi donc persister dans cet entêtement ? Les médecins vous le disent en poursuivant leurs manifestations et leurs critiques !

Certes, le pire a été évité à l’article 12 avec la suppression du service territorial de santé au public envisagé dans le texte initial au profit d’une organisation des soins primaires. Parlons clair, cependant : plus de 2 300 amendements ont été étudiés, dont plus de 90 déposés par le Gouvernement ; le texte est passé de 57 à 210 articles. Il est donc difficile de le résumer en cinq minutes.

En résumé, pourquoi avoir touché à l’équilibre de la loi Veil contre toute attente des députés ? Pourquoi avoir, contre votre propre avis, madame la ministre, supprimé l’Ordre des infirmiers, au risque de faire jurisprudence ? Pourquoi, surtout, avoir fait adopter l’irresponsable article 18 qui instaure le tiers payant généralisé – véritable marqueur du pouvoir socialiste, il est vrai, mais financièrement inflationniste et techniquement impossible, ce pour quoi l’ensemble des professionnels de santé le combattent avec force ?

Nous vous le disons, madame la ministre : dès l’alternance en 2017, cet article sera abrogé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Benoît Hamon. Irresponsable !

M. Jean-Pierre Door. Autre preuve d’irresponsabilité : l’article 9 qui remet gravement en cause la politique française de lutte contre la toxicomanie en autorisant l’ouverture de salles de shoot où l’usage des drogues sera donc autorisé. Braver les interdits est la pire des folies : cette démarche augure de votre volonté de légaliser le cannabis, voire d’autres drogues.

M. Alexis Bachelay. On aimerait bien !

M. Jean-Pierre Door. La France ne doit pas devenir complice de la toxicomanie : mieux vaut traiter qu’entretenir. Il va de soi qu’en 2017, nous abrogerons cette expérimentation.

Mme Martine Pinville. Malhonnêteté !

M. Jean-Pierre Door. En conclusion, ce projet de loi largement contesté a accouché d’erreurs politiques fortes. Vous avez gagné la première manche, mais vous n’avez pas encore gagné la partie !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Ce n’est pas un jeu !

M. Jean-Pierre Door. Certains de vos choix sont sans doute inconstitutionnels, et nous le ferons savoir. L’UMP fera naturellement d’autres choix et votera contre ce texte ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Arnaud Richard. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, il est paradoxal qu’au terme de quinze jours de débat sur ce texte, nous ne soyons toujours pas capables de dire quelle est la politique du Gouvernement en matière de santé publique, et il est inquiétant qu’il en soit lui-même incapable !

Nous savons en revanche ce que ce texte n’est pas : il n’est pas le fruit – c’est peu de le dire – d’un large consensus des professionnels de santé et des patients, mais un projet de loi écrit à la hâte… après son dépôt. Il n’apporte pas non plus de réponse à l’augmentation du reste à charge, qui atteint des niveaux insoutenables pour les familles. Et ce n’est pas la généralisation du tiers payant, que vous brandissez aujourd’hui en étendard, qui permettra de le réduire ! Enfin, ce texte n’apporte aucune réponse aux habitants des territoires abandonnés, qui craignent de ne bénéficier d’aucune prise en charge en cas de maladie et pour qui la désertification médicale est devenue une source d’anxiété.

À cet égard, madame la ministre, le lancement d’un programme national de lutte contre les déserts médicaux – vide de tout contenu – constitue l’acte de décès de l’engagement n19 du candidat Hollande, qui entendait « fixer un délai maximum d’une demi-heure pour accéder aux soins d’urgence ».

En clair, ce projet de loi ne permet de relever aucun des grands défis auxquels est confronté notre système de santé.

Pourtant, ce texte contient des avancées : soyons magnanimes et ne les contestons pas. Je pense en premier lieu au droit à l’oubli si cher à notre collègue Yannick Favennec. Je pense aussi à certains aspects de la politique de prévention, à la création d’un dispositif d’information du patient concernant le coût de son hospitalisation – même si nous aurions, avec Mme Delaunay, souhaité aller plus loin – et surtout à l’amendement qui met fin à la discrimination dont sont victimes les homosexuels en matière de don de sang, qui a été adopté à l’unanimité sur proposition de notre groupe. Il vous appartient désormais, madame la ministre, de traduire dans les faits cette volonté de la représentation nationale.

Enfin, ce projet de loi se caractérise par une faute majeure : la suppression du délai de réflexion concernant l’interruption volontaire de grossesse, qui remet en cause une législation protectrice et un consensus vieux de quarante ans.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Pas du tout !

M. Arnaud Richard. Maintenir le délai et les entretiens prévus par la loi Veil ne revient pas à considérer que les femmes ne sont pas assez responsables pour prendre une telle décision, comme vous voudriez le faire croire.

M. Philippe Vigier. C’est vrai !

M. Arnaud Richard. Au contraire, ces délais de réflexion et ces entretiens permettaient d’éviter aux femmes d’être condamnées à assumer cette responsabilité dans la solitude et dans l’angoisse.

Voilà donc, madame la ministre, le contenu de la grande loi de santé publique de ce quinquennat, promise depuis deux ans et demi ! C’est un texte qui ignore tous les principaux défis auxquels est confronté notre système de santé, au point que les questions qui se posent aujourd’hui au patient, à ses proches et aux professionnels de santé continueront de se poser après le vote de ce projet de loi. Dès lors, malgré certaines avancées fragiles auxquelles le groupe UDI a largement contribué dans une logique – comme toujours – d’opposition constructive, ce texte nous semble clairement manquer l’objectif qui aurait dû être le sien : préparer l’avenir de notre système de santé. Telles sont les raisons pour lesquelles notre groupe votera contre ce projet de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Orliac, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Dominique Orliac. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames les rapporteures, le projet de loi de modernisation de notre système de santé, que nous sommes appelés à voter cet après-midi, a nourri des espoirs et suscité bien des craintes, alors que la santé devrait faire l’objet d’un véritable consensus national.

Je tiens à dire d’emblée que les parlementaires du groupe RRDP regrettent les conditions de son élaboration, en particulier l’absence de négociations effectives qui auraient permis de travailler dans un climat plus serein et d’éviter les incompréhensions.

Pour autant, nous nous réjouissons de l’adoption dans le texte de mesures qui amélioreront l’accès aux soins de nos concitoyens et mettront un terme à certaines discriminations. Je citerai les mesures de lutte contre la toxicomanie et de prise en charge des toxicomanes – ainsi les salles de consommation à moindre risque permettront de sauver des vies et d’améliorer la sécurité. Je citerai également la suppression du délai de sept jours imposé aux femmes qui souhaitent bénéficier d’une interruption volontaire de grossesse ainsi que les mesures de lutte contre le tabagisme et contre l’alcoolisme des plus jeunes, tout en regrettant que la problématique de la communication sur nos productions viticoles n’ait pas été réglée.

Nous saluons également l’adoption du droit à l’oubli pour celles et ceux qui ont été frappés par le cancer et se trouvaient jusqu’alors dans l’impossibilité de contracter un prêt.

Madame la ministre, en acceptant l’ouverture du don du sang pour les personnes homosexuelles et en autorisant les soins funéraires sur les personnes séropositives décédées, vous entendez une demande des radicaux de gauche et vous luttez contre les discriminations.

Vous avez accepté notre amendement visant à ce que soit présenté un rapport déterminant les conditions du retour de l’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris dans le droit commun, comme cela était réclamé depuis très longtemps par les associations de patients ainsi que de protection des droits de l’homme.

Nous saluons aussi l’adoption de l’amendement, présenté par notre collègue Joël Giraud, relatif aux hôpitaux transfrontaliers.

Nous serons attentifs à ce que l’évolution des groupements hospitaliers de territoire soit en adéquation avec les bassins de vie et les besoins de proximité.

Le groupe des radicaux de gauche et apparentés reconnaît l’avancée que constituent pour les patients la reconnaissance de l’action de groupe en santé, et il note avec satisfaction que la nouvelle réglementation en matière d’accès et d’utilisation des données de santé anonymes répond aux inquiétudes légitimes des journalistes, ces piliers indispensables de notre démocratie.

Toujours au bénéfice des patients et des professionnels, l’adoption de notre amendement relatif aux services publics d’information en santé, qui inclut les produits de santé au sens large, permettra de dispenser une information simple, lisible et indépendante.

Enfin, l’adoption des amendements liés à la santé environnementale que nous avons défendus, ainsi que de ceux concernant la lutte contre les effets du radon, permettra de lutter plus efficacement contre le cancer du poumon.

Nous regrettons toutefois le refus du Gouvernement d’aborder le sujet de la médication officinale de premier recours dans le parcours de soins, que d’autres pays européens pratiquent depuis longtemps. Nous regrettons également la suppression de l’Ordre des infirmiers, alors même qu’il est le garant de l’éthique de la relation entre les patients et ces professionnels de santé ainsi que de leur indépendance.

Enfin, la méthode avec laquelle a été abordée la généralisation du tiers payant n’est pas satisfaisante. Nous n’avions pas d’objection de principe sur le tiers payant puisqu’il s’agit d’améliorer l’accès aux soins pour tous. Cependant le renoncement aux soins porte essentiellement sur les équipements optiques et auditifs, ainsi que les soins dentaires. Les délais nécessaires pour obtenir un rendez-vous chez certains spécialistes n’y sont pas non plus parfois étrangers.

Il fallait écouter les médecins, madame la ministre, car leurs réserves sur ce projet de loi ne relèvent pas du fantasme. Les médecins pressentent que derrière le tiers payant généralisé se profile la fin programmée et la privatisation de notre Sécurité sociale par le transfert progressif de la protection sociale vers l’assurance privée, qui signifiera la fin de l’accès à des soins de proximité et de qualité pour tous les Français.

Il fallait les rassurer en leur garantissant que le dispositif serait opérationnel et garder à l’esprit la nécessité de préserver le temps médical. Nous serons donc vigilants sur les conditions dans lesquelles le Gouvernement mettra en place la généralisation du tiers payant, qui aurait dû, selon nous, être précédée d’une expérimentation.

Dans ces conditions, vous comprendrez, madame la ministre, que notre groupe n’adopte pas une position homogène sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants562
Nombre de suffrages exprimés552
Majorité absolue277
Pour l’adoption311
contre241

(Le projet de loi est adopté.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe écologiste.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à seize heures cinquante-cinq, sous la présidence de Mme Laurence Dumont.)

Présidence de Mme Laurence Dumont

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Fixation de l’ordre du jour

Mme la présidente. La Conférence des présidents, réunie ce matin, a arrêté les propositions d’ordre du jour suivantes pour la semaine de contrôle du 4 mai : débat relatif au paquet « énergie-climat » ; débat relatif au réseau culturel de la France à l’étranger ; questions sur la politique du logement ; débat sur le projet économique et social européen de la France ; questions sur la politique des transports.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

5

Renseignement

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif au renseignement (nos 2669, 2697, 2691).

Discussion des articles

Mme la présidente. Hier soir, l’Assemblée a commencé la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement n52 à l’article 1er.

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Hetzel. Je voulais signaler au Gouvernement, représenté par Mme la garde des sceaux et M. le ministre de l’intérieur, un problème dans le bon déroulement de nos travaux.

Hier encore, le Gouvernement a déposé quinze amendements – il en a naturellement le droit – mais ce matin à dix heures, souhaitant les consulter, j’ai constaté que l’un d’entre eux n’était pas accessible.

Le bon déroulement de nos travaux exige que nous puissions prendre connaissance de tous les amendements.

M. Patrick Mennucci. C’est la Corée du Nord !

M. Patrick Hetzel. Je comprends que vous soyez amenés à les déposer tardivement, mais vous ne pouvez pas, d’un côté, dire que ce texte a été préparé minutieusement, et de l’autre déposer à la dernière minute quinze amendements – dont certains de surcroît ne sont pas accessibles. Je tenais à appeler votre attention sur ce point par le biais de ce rappel au règlement fondé sur l’article 51, alinéa 1 de notre règlement.

M. Lionel Tardy. C’est un vrai problème !

Mme la présidente. Sauf erreur, tous les amendements du Gouvernement étaient accessibles dès hier soir sur le site de l’Assemblée.

Article 1er (suite)

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements.

Je suis tout d’abord saisie de deux amendements identiques, nos 52 et 169.

La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n52.

M. Lionel Tardy. L’alinéa 17 traite des services de renseignement habilités à employer certaines techniques. Afin que le contrôle soit réellement efficace, il faut à mon avis que le nombre de services susceptibles d’y recourir soit le plus restreint possible. Or l’alinéa 17 renvoie à un décret la liste d’autres services autorisés, ce qui est très inquiétant. En effet, un alinéa précédent fixe limitativement le nombre de ces services et on prévoit ici d’en ajouter ultérieurement ! M. le ministre de la défense a évoqué hier deux décrets d’application. Sauf erreur de ma part, il n’a pas parlé de celui qui est ici prévu. Nous frôlons de très près l’incompétence négative ! Il appartient à la loi d’arrêter la liste et de la clore, sinon à quoi sert le texte ? Cela nous ramène à la plateforme nationale de cryptage et de décryptement, la fameuse PNCD, dans laquelle plusieurs services iraient allègrement piocher. D’après Le Monde, il s’agit d’une gigantesque base de données sans filtre ni contrôle. M. le Premier ministre a eu beau démentir hier soir, des révélations si précises dans un journal comme Le Monde inquiètent. Il ne suffit pas d’affirmer qu’il s’agit d’un mensonge, madame et monsieur les ministres ! Il faut être plus clair et donner des gages, ce dont la discussion de l’alinéa 17 vous fournit l’occasion. Si elle existe, une telle plateforme est absolument hors-la-loi. Sur le fondement de cet alinéa, il se pourrait très bien que vous l’autorisiez par décret alors que nous n’aurions pas souhaité l’instituer dans la loi. Il faut absolument supprimer cet alinéa. C’est au législateur d’arrêter la liste des services habilités, sinon nous laissons la porte ouverte, ce qui n’est pas acceptable ! Ne me dites pas qu’il en va de la confiance dans nos services, il en va de la légalité ! Votre principal argument en faveur du texte est qu’il fournit un cadre légal. Si cet alinéa est maintenu, il y aura une sérieuse brèche dans le cadre que la loi est censée fixer.

M. Pascal Popelin. Relisez l’article 34 de la Constitution !

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n169.

M. Sergio Coronado. En écoutant M. le Premier ministre hier et en l’entendant répondre tout à l’heure à la question que je lui ai posée, je constate que la communication a quelque peu varié par rapport aux propos tenus à la fois par le rapporteur et les ministres lors de l’examen du texte en commission, à juste titre d’ailleurs, selon lesquels le texte ne concerne pas uniquement la lutte contre le terrorisme mais a une portée plus large et encadre, ce dont personne d’ailleurs ne conteste la nécessité, l’activité de la communauté du renseignement. Mais hier comme aujourd’hui, M. le Premier ministre a axé sa communication uniquement sur la lutte nécessaire et absolue contre le terrorisme, utilisant en quelque sorte, selon les lois de la politique lorsque celle-ci se fait politicienne, l’émotion légitime éprouvée par notre peuple en janvier dernier et affirmant qu’il faut faire des efforts et restreindre nos libertés afin de mieux lutter contre la menace terroriste. J’approuve totalement sur ce point les propos tenus par notre collègue Tardy. Nous ne pouvons pas abandonner aussi légèrement nos prérogatives de parlementaires législateurs. La liste des services pouvant faire appel à ces techniques de recueil de renseignement doit être limitée par le législateur et il ne saurait être question d’en augmenter le nombre par simple décret.

M. Patrick Hetzel. Très juste !

M. Sergio Coronado. Le débat plutôt riche que nous avons eu hier définissait les missions assignées aux services de renseignement, la liste de ceux qui sont concernés et les conditions dans lesquelles ils peuvent recourir à un certain nombre de techniques et d’outils particulièrement intrusifs. Accepter que cette liste soit par la suite complétée, enrichie et considérablement élargie par simple décret gouvernemental me semble être un abandon particulièrement dangereux consenti par le législateur.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Je préciserai l’alinéa dont nous parlons. Le texte comporte deux décrets relatifs à la définition du périmètre de la communauté du renseignement. Le premier est un décret simple et n’est donc pas un décret en Conseil d’État. Il arrête la liste qui comporte dorénavant six services dont le nombre n’a d’ailleurs pas vocation à croître d’après les engagements pris par le Gouvernement en commission. Un second décret, celui dont nous parlons, est pris en Conseil d’État et ouvre à d’autres services la possibilité d’avoir accès à certaines techniques de renseignement.

M. Pierre Lellouche. Quels services ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. J’y viens. Si nous supprimons l’alinéa 17, certains services qui ne sont pas nécessairement des services de renseignement ne pourront pas avoir accès à des techniques comme par exemple les interceptions de sécurité, actuellement utilisées par la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, laquelle, aux termes du décret, n’est pas membre de la communauté du renseignement. Si nous supprimons cet alinéa, le service central du renseignement territorial, qui n’est pas un service de renseignement, ne pourra pas avoir accès aux interceptions de sécurité. De même, la direction centrale de la police judiciaire, qui n’est pas un service de renseignement, ne pourra pas avoir accès aux interceptions de sécurité administratives. Voilà les raisons pour lesquelles il ne faut évidemment pas adopter ces amendements. L’avis de la commission est donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Madame la présidente, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, je soutiens les amendements de suppression de l’alinéa 17, et pas pour des raisons de forme, car je partage totalement les propos de M. le Premier ministre et des ministres. La formidable réaction du peuple français appelle impérativement un positionnement très clair. Cependant, je n’ai pas confiance, et beaucoup de Français non plus. Il faudrait selon moi réviser en profondeur les grandes instances de notre État. Notre État, que nous avons un peu négligé, doit être revisité car il faut un État à la France. La grande méfiance des Français à l’égard de leur justice me cause du souci. J’ai saisi le Conseil d’État, lors de la suppression des cantons les plus ruraux et les plus en difficulté, m’adjoignant pour 7 000 euros les services d’une avocate habilitée à y intervenir. Mais lorsque je me suis étonné qu’elle n’avance aucun de mes arguments, elle m’a répondu que la tâche était délicate car le Conseil d’État, qui représente 70 % de son chiffre d’affaires, en aurait été fâché. Ainsi, il faut se donner les moyens de combattre le terrorisme mais aussi se pencher sur le fonctionnement de notre État. Et je ne dis rien du Conseil constitutionnel dont je me demande parfois s’il existe encore !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Scandaleux !

M. Patrick Mennucci. N’importe quoi !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Je ne peux souscrire à l’argumentation de M. le rapporteur sur ce point, même si j’y souscris sur beaucoup d’autres. On nous dit que le texte présenté n’est pas une loi d’exception. Je le sais. Ce n’est pas non plus une loi de circonstance. Je dirai que même si les attentats tragiques du mois de janvier ne s’étaient pas produits, le projet de loi aurait quand même été présenté à l’Assemblée nationale. Il s’agit donc d’un projet de loi réfléchi depuis longtemps. Vous avez eu le temps de réfléchir à sa rédaction, et donc à la liste des services habilités à agir !

M. Guy Geoffroy et M. Patrick Hetzel. Évidemment !

M. Pascal Cherki. Aurions-nous été obligés de légiférer dans l’urgence, comme il arrive, je comprendrais que l’on renvoyât à un décret en arguant que le sujet n’est pas suffisamment mûr. Mais compte tenu du temps pendant lequel on a réfléchi pour élaborer ce projet de loi, on doit être en mesure de nous donner la liste des services !

M. Guy Geoffroy. Bravo !

M. Pascal Cherki. Deuxièmement, l’article 34 de la Constitution dispose que « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».

M. Guy Geoffroy. On est en plein dedans !

M. Pascal Cherki. Le renseignement à l’insu des citoyens, fût-il fondé juridiquement, est une entrave à la liberté des citoyens, qui peut être modifiée, justifiée et fondée par des impératifs de sécurité. Il est donc indispensable qu’ils sachent quelles sont les administrations de l’État habilitées à utiliser certaines techniques. Qu’ils sachent si oui ou non ils en sont eux-mêmes la cible, c’est un autre débat, mais qu’ils connaissent au moins la liste des services ! Cela relève du domaine de la loi qui, selon l’article 34 de la Constitution, fixe les règles relatives à l’exercice des libertés publiques. Tant sur le fondement de l’article 34 de la Constitution que sur celui, surtout, du calendrier de la loi qui n’est ni d’exception ni de circonstance mais prévue depuis longtemps, je pense que le législateur doit être en mesure de déterminer la liste des services habilités.

M. Pascal Popelin. L’organisation des services de l’État ne relève pas du domaine de la loi !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas aussi sûr que mon collègue Cherki qu’il ne s’agisse pas d’une loi de circonstance, mais je ne vais pas ouvrir un débat sur ce point. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir s’il entre ou non dans les attributions du Parlement de désigner ceux qui ont mission de renseigner le pouvoir, c’est-à-dire de demander au Premier ministre la permission d’aller espionner les uns ou les autres après avis de cette fameuse commission sur laquelle nous reviendrons.

M. Guy Geoffroy. Voilà le sujet !

M. Pierre Lellouche. Le Gouvernement et le président de la commission des lois prétendent que non, qu’un décret suffit. Comme mon collègue Cherki, même si nous ne nous sommes pas concertés, j’ai relu le premier alinéa de l’article 34 de notre Constitution et prétends, monsieur le ministre, que votre texte est inconstitutionnel.

M. Lionel Tardy. Bien sûr !

M. Pierre Lellouche. Il suffit de le lire, c’est absolument limpide : « La loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ; les sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ». Même si l’on s’en tient à la partie du texte relative au terrorisme, et on sait que la portée du texte est bien plus large, il s’agit bien de l’imposition d’une sujétion. D’après le premier alinéa de l’article 34, elle relève donc bien du domaine de la loi. D’ailleurs, c’est logique. Le décret ne désigne pas n’importe quoi mais les organes du pouvoir exécutif ayant le pouvoir d’espionner, ce qui n’est pas rien dans une société démocratique. Quand il faut se défendre, et il le faut, on se défend autant que nécessaire mais il faut en encadrer les modalités par la loi. Je prétends que le Parlement doit savoir qui espionne dans ce pays, ce qui ne relève pas d’un décret ! Vous affirmez que la liste est arrêtée, monsieur le président de la commission, mais vous n’êtes pas en mesure de me répondre lorsque je vous demande quels services figureront dans le décret !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Je viens de le dire ! Tâchez au moins de m’écouter quand je vous réponds !

M. Pierre Lellouche. Vous arrêtez une liste limitative mais elle peut changer demain ! Cela relève bien du domaine de la loi. Je prétends donc que le texte n’est pas constitutionnel.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. En réponse à l’argumentation développée par M. le président de la commission des lois, il me semble que le texte doit présenter un bon équilibre entre le travail des services de renseignement d’une part et le respect des libertés publiques mais aussi des libertés individuelles d’autre part. Dans le cadre d’un autre texte, on pourrait laisser faire le Gouvernement et un décret en Conseil d’État ferait l’affaire. Mais la véhémence avec laquelle M. le Premier ministre s’est exprimé hier dans cet hémicycle montre bien qu’il y a un problème. Ce problème, il faut le traiter. Nos concitoyens ont le droit de disposer d’un certain nombre de garanties par lesquelles à la fois les libertés publiques et les libertés individuelles seront préservées. Elles ne sauraient relever d’un simple décret en Conseil d’État. Nous souhaitons donc que le Gouvernement fasse savoir quels sont les services concernés par l’alinéa 17. À cette fin, il entre tout à fait dans vos prérogatives, monsieur le ministre, de proposer un amendement mentionnant clairement les services concernés, d’autant plus que vous en avez soumis très tardivement hier encore. Vous feriez alors, je le pense, l’unanimité dans cet hémicycle. Il est essentiel, dans un tel texte, que les libertés individuelles et les libertés publiques soient préservées !

M. Guy Geoffroy. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Madame la présidente, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, je voudrais revenir sur ce qu’a dit tout à l’heure notre collègue Coronado et sur les déclarations réitérées de M. le Premier ministre selon lesquelles la loi est mise en débat afin de lutter contre le terrorisme. Il faut savoir ce que l’on veut ! Cette loi a-t-elle été préparée avant que les tragédies de janvier ne surviennent afin de renforcer les moyens du renseignement ? Dans ce cas, pourquoi la voter en urgence ? C’est ce qu’on appelle la tyrannie de l’émotion et le populisme pénal !

M. Pascal Popelin. Il n’y a rien de pénal dans le texte !

M. Noël Mamère. Ce n’est rien d’autre, comme cela a été fait pendant cinq ans avant nous ! C’est une façon d’hystériser un débat qui ne mérite pas de l’être !

D’autre part, je voudrais rappeler à mes collègues qu’en 2012 et en 2014, notamment à la suite de l’affaire Merah, deux lois antiterroristes ont été votées. La loi de 2014 a-t-elle empêché les tragédies de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher ? Non. Que des lois suppriment des libertés en prétendant en défendre d’autres ne correspond pas à l’idée que nous nous faisons d’un État de droit.

Nous assistons ici à un débat à fronts renversés, où c’est la droite qui défend les libertés contre les excès de ce projet alors que la gauche reste taisante. J’ai le souvenir de certains épisodes dans l’histoire récente, notamment du projet Sécurité et liberté de M. Peyrefitte, qui a fait descendre un certain nombre d’entre nous dans la rue pour protester contre les atteintes aux libertés.

M. Patrick Mennucci. Nous comparer à Peyrefitte ! Quelle honte !

M. Noël Mamère. Lorsqu’on se souvient de la loi Peyrefitte et qu’on constate les moyens techniques que le texte se propose de donner aux services de renseignement, sous la seule responsabilité du Premier ministre, avec effacement du juge judiciaire, on est en droit de s’inquiéter. C’est ce que nous disons, et c’est la raison pour laquelle nous continuerons de nous battre pied à pied contre ce que vous nous proposez aujourd’hui, qui n’est pas conforme à l’idée que nous nous faisons de l’équilibre entre les libertés et la sécurité.

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, nous n’avons toujours pas eu de réponse. Pouvez-vous nous confirmer que parmi la liste des autres services de renseignement qui ont organisé leur accès à la gigantesque base de données de la plateforme nationale de cryptage et de décryptement – PNCD – figurent Tracfin pour le ministère de l’économie, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières – DNRED – pour les douanes, la direction de la protection et de la sécurité de la défense – DPSD – pour la sécurité militaire, la direction du renseignement militaire – DRM – pour la branche satellitaire de l’armée, la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, ce qui vient d’être confirmé, et la direction générale de la sécurité intérieure – DGSI ? Pouvez-vous également nous confirmer que cette consultation se fait aujourd’hui sans aucun filtre, ni des ministères de tutelle, ni de la CNCIS, chargée de veiller à la légalité des interceptions administratives, ni du groupement interministériel de contrôle, bras armé du Premier ministre et « tour de contrôle » en matière de renseignement ?

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Revenons à l’alinéa 17, objet des amendements que nous examinons. Je suis pour ma part convaincu qu’il ne faut pas adopter ces amendements et qu’il faut maintenir l’alinéa 17. Sur ce point comme sur d’autres, l’architecture du projet de loi me convient parfaitement.

Qu’entendons-nous faire collectivement, avec un sens de la continuité de l’État, quels que puissent être les clivages sur cette question ? Nous essayons de définir de manière rigoureuse deux entités : d’une part, les six services spécialisés de renseignement, qui sont définis par un décret simple, pris en application de l’ordonnance de 1958 sur les assemblées parlementaires – ces six services ne sont pas cachés : leurs noms figurent au Journal officiel, de manière transparente et parfaitement républicaine ; et un deuxième cercle de services, lesquels ne sont pas des services spécialisés de renseignement stricto sensu, mais sont placés certains sous l’autorité du ministre de l’intérieur, d’autres sous celle du ministre de la défense, et sont listés. Conformément à la répartition opérée par les articles 34 et 37 de la Constitution, c’est tout naturellement sous l’autorité du Gouvernement – et de lui seul, parce qu’il est le pouvoir exécutif et qu’il organise les services administratifs de l’État – que les services en question doivent être désignés par un décret en Conseil d’État. Je le dis à nos collègues qui se posent légitimement des questions d’ordre juridique, il n’y a aucun problème d’incompétence négative. Chacun fait son métier : le législateur définit le cadre général et le pouvoir exécutif le décline au plan réglementaire, tout cela étant publié comme il convient au Journal officiel. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Permettez-moi d’exprimer à mon tour mon opposition à ces amendements qui me paraissent totalement inopportuns, aussi bien sur le fond que sur la forme.

Sur la forme, je ne reviendrai pas sur l’argumentation juridique tout à fait pertinente que vient de soutenir Guillaume Larrivé. Les choses sont claires : le décret fixe la composition de la communauté du renseignement, et le décret en Conseil d’État permet au Gouvernement, avec des ministères qui sont précisés clairement par le texte – nous sommes donc bien dans le domaine de la loi – de l’étendre à des services qui relèvent de l’organisation interne des ministères.

M. Alain Tourret. Ce n’est pas sûr.

M. Éric Ciotti. Sur le fond, je veux rappeler – et Patrick Mennucci, rapporteur de la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, en est témoin – que tous les services que la commission d’enquête a pu auditionner réclament la possibilité d’intervenir en second rang, dans le cadre de cette communauté du renseignement, pour détecter la menace et le risque. Le rapporteur a rappelé la liste de ces services, auxquels nous pourrions ajouter la gendarmerie nationale. Faisons preuve de réalisme. Quand j’entends M. Mamère parler de populisme pénal, je crois rêver ! Serions-nous totalement déconnectés du monde dans lequel nous vivons et de la menace qui pèse sur nous ? Cessons donc de susciter des fantasmes et des peurs, et revenons à la réalité de la menace à laquelle notre pays est confronté.

M. Christian Jacob et M. Guillaume Larrivé. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Quand j’entends mon collègue Ciotti, je me demande si le Parlement a jamais débattu de dispositions nécessaires à la lutte contre le terrorisme. Je crois pourtant savoir que plusieurs lois ont été prises en ce domaine. Votre virulence ne saurait expliquer les dysfonctionnements des services qui se trouvent bien souvent être davantage à l’origine des échecs que nous avons rencontrés que le manque de dispositions législatives.

Le débat porte à la fois sur les techniques qui doivent être utilisées et sur le nombre des services qui peuvent avoir accès aux techniques théoriquement dévolues à la seule communauté du renseignement. Cela ne m’étonne pas. Nous avons eu ce débat, et nous l’aurons encore sur le renseignement pénitentiaire, puisqu’un amendement de notre collègue Larrivé a assigné – contre la volonté du Gouvernement, exprimée par Christiane Taubira – des missions de renseignement au renseignement pénitentiaire, le faisant intervenir en second rang, pour reprendre l’expression de M. Ciotti.

Ce débat, M. le rapporteur et le Gouvernement doivent l’entendre. La discussion peut être poursuivie dans le cadre de la navette ; on pourrait même envisager de reporter le vote sur cette question. Nous soulevons là une question légitime sur les prérogatives du Parlement et les compétences des services. Vous voulez multiplier le nombre des services autorisés à recourir à des techniques à l’origine réservées à la seule mission de renseignement, et vous vous heurtez à l’opposition du Parlement, qui se manifeste de manière assez transversale dans cet hémicycle.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Ne nous trompons pas de débat. Nous avons un débat sur la transparence – quels services seront habilités à faire quoi ?– et un autre débat sur le champ de la loi, c’est-à-dire sur ce qu’il appartient ou non au législateur de décider. Sur ce deuxième débat, notre collègue Guillaume Larrivé a dit ce qu’il fallait dire : nous ne sommes pas du tout dans le champ de l’article 34 ; il est tout à fait naturel de déléguer la définition de ces services au pouvoir exécutif. Cela nous renvoie à la question de la transparence, puisque le décret est publié – donc aussi accessible qu’une loi pour le citoyen. Et non seulement il est publié, mais il peut être attaqué plus facilement par le citoyen que la loi, laquelle exige d’emprunter la voie complexe de la question prioritaire de constitutionnalité – QPC.

Le contrôle sur les services qui se verront autoriser en second rang l’accès à certaines techniques de renseignement, et non pas d’ailleurs à toutes, est donc parfaitement possible et prévu.

Je comprends les inquiétudes qui se manifestent, mais lisons attentivement le texte : on autorisera certains services à utiliser certaines finalités et certaines techniques pour certaines missions. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Lionel Tardy. C’est très clair, en effet !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Nous l’avons dit, ces services seront connus et attaquables. En outre, il ne s’agira que de certaines missions et de certaines techniques.

M. Pouria Amirshahi. Lesquelles ?

M. Pierre Lellouche. C’est le syndicat des conseillers d’État qui parle !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Tout cela sera donc contrôlé – et contrôlable par le juge, mes chers collègues. S’il y a trop de finalités ou trop de techniques, vous attaquerez devant le juge, lequel dira si le cadre républicain a été respecté. Je ne vois donc pas où est le problème.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Si notre ancien collègue Pierre Mazeaud était là, il aurait déjà éructé pour dire que la répartition opérée par les articles 34 et 37 est sans ambiguïté et qu’il n’y a pas lieu de s’étendre sur le sujet. Il est clair qu’il s’agit là de l’organisation interne des services de l’État, qui relève du pouvoir réglementaire, et de rien d’autre.

M. Patrick Mennucci. Évidemment !

M. Jacques Myard. Il est non moins clair que faire figurer cela dans la loi l’alourdirait considérablement. Imaginons que deux services fusionnent demain. Modifierons-nous la loi ? Soyons sérieux : il faut prendre un décret, et rien d’autre.

M. Patrick Mennucci. Absolument.

M. Jacques Myard. Quel que soit le service désigné par le décret en Conseil d’État, il sera soumis à la loi dans son fonctionnement, dans son contrôle et dans ses missions. Je ne vois donc pas où est le problème : nous perdons notre temps !

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Très bien, monsieur Myard !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. La gauche n’est pas taisante dans ce débat, même si elle est parfois confondue par certains arguments. Je voudrais dire à notre collègue Mamère, qui arrive dans le débat, qu’il ne peut y avoir de populisme pénal dans ce texte, puisqu’il ne traite en aucune façon de la matière pénale, mais de dispositions de police administrative. Je suis surpris que l’on exige aujourd’hui l’inscription dans la loi de l’existence de services que personne ne s’est jusqu’ici ému de voir agir en l’absence de tout cadre légal.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tout à fait !

M. Pascal Popelin. La défense des libertés publiques, au sens de l’article 34 de la Constitution, recouvre les questions suivantes : quelles sont les finalités de techniques qui peuvent être intrusives dans la vie privée ? Quels sont les moyens qui peuvent être utilisés ? Quels sont les contrôles prévus ? Quelles sont les sanctions appliquées en cas de manquement ? C’est tout cela que nous devons inscrire dans la loi. Nous aurons ainsi un cadre, et nous saurons que tout ce qui n’est pas autorisé ou n’est pas fait dans les conditions requises est interdit.

Je suis d’accord avec l’analyse juridiquement imparable de Guillaume Larrivé : nous ne traitons pas ici, y compris dans le cadre de l’article 34, de l’organisation des services de l’État.

M. Pierre Lellouche. Nous traitons des sujétions imposées aux citoyens !

M. Pascal Popelin. Il n’y a donc aucune raison de poursuivre ce débat. C’est de la responsabilité du pouvoir exécutif, qui ne le fait d’ailleurs pas subrepticement, puisque l’ensemble de ces dispositions font l’objet de décrets. Je veux d’ailleurs rappeler que c’est la gauche qui, pour la première fois, a créé un service de renseignement dans le cadre d’un décret public. C’était en 1981.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Morin.

M. Hervé Morin. Permettez-moi de répondre à l’argument selon lequel nous serions dans le domaine réglementaire. Je comprends fort bien l’argument de Jacques Myard, que le ministre de l’intérieur avait d’ailleurs développé en commission : on ne peut en effet modifier la loi chaque fois que la dénomination d’un service ou l’organisation administrative du ministère de l’intérieur vient à changer. Cependant, je ne vois pas pourquoi le Gouvernement ne nous transmettrait pas, au nom de la transparence et pour couper court à tout débat, ce qu’avait promis le ministre en commission, à savoir l’avant-projet de décret sur cette question. Pour ma part, j’ai envie de savoir si des services de proximité du ministère de l’intérieur peuvent utiliser des moyens qui sont particulièrement intrusifs…

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Avez-vous été ministre, ou ne l’avez-vous pas été ?

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Enfin, monsieur le ministre !

M. Hervé Morin. Et je veux d’autant plus le savoir…

M. Pascal Popelin. Mais vous le savez !

M. Hervé Morin. …lorsqu’au nom de l’urgence, on autorise un chef de service à utiliser des moyens opérationnels. Il serait donc cohérent que nous puissions connaître précisément les services qui pourront recourir à des moyens dont nous savons qu’ils pourront être mis en œuvre pour des finalités extrêmement larges.

Mme la présidente. La parole est à Mme Aurélie Filippetti.

Mme Aurélie Filippetti. Plusieurs points ont été soulevés au cours de cette discussion. Le périmètre du domaine législatif et du domaine réglementaire tout d’abord, qui nous amène à débattre de ce qui relève de l’article 34 de la Constitution, donc du domaine de la loi, et de ce qui relève de l’article 37, donc du domaine réglementaire.

Par ailleurs, l’article 66 de la Constitution dispose que le juge judiciaire est le garant des libertés individuelles. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes SRC et UMP.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. À ce point, c’est de l’incompétence !

M. Patrick Mennucci. Il n’est pas possible d’entendre cela ! Retournez à la faculté de droit !

Mme Aurélie Filippetti. Je demande que, sur ces questions constitutionnelles, on interroge le Conseil constitutionnel, qui seul peut se prononcer sur la question de savoir si le texte relève du domaine législatif ou réglementaire. Puisque le Gouvernement semble absolument sûr de lui, je voudrais savoir si le Premier ministre est prêt à déférer de lui-même au Conseil constitutionnel la loi sur le renseignement, une fois qu’elle sera votée – puisqu’il y aura une large majorité dans cet hémicycle pour la voter –, afin d’obtenir la validation de la plus haute autorité constitutionnelle.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Je souhaiterais que le débat, qui a débuté hier après-midi, progresse, ce qui nous éviterait de rouvrir sans cesse les mêmes discussions.

M. Eduardo Rihan Cypel. Ce serait souhaitable, en effet !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Il y a en effet énormément de sujets à examiner, tous très importants, mais on ne peut pas progresser si l’on ne fait pas se sédimenter un certain nombre d’arguments qui ont été développés et sur lesquels des votes sont intervenus hier après-midi. J’invite donc chacun d’entre nous à ne pas toujours réutiliser les mêmes arguments.

Comme chacun le comprendra, je suis extrêmement sensible à tous les arguments ayant trait à la constitutionnalité, que M. Lellouche et d’autres, comme encore Mme Filippetti à l’instant, ont soulevés.

En 2006, le Gouvernement a présenté un projet de loi de lutte contre le terrorisme, qui modifiait le régime des données de connexion : c’est le même sujet que celui dont nous traitons ici. Ce texte renvoyait à un décret : c’est le même moyen que celui proposé ici. Cette loi a été logiquement déférée au Conseil constitutionnel, qui l’a examinée et a validé le renvoi à un décret. Ce débat n’a donc pas lieu d’être. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Beaucoup de sujets ont été développés à l’instant. Je voudrais seulement apporter quelques informations en complément de ce que vient de dire excellemment le rapporteur.

Sur la constitutionnalité du dispositif proposé tout d’abord. Si comme le prétendent un certain nombre d’orateurs, il est inconstitutionnel de renvoyer à un décret la liste des services susceptibles de mobiliser des techniques de renseignement, la loi de 1991 qui renvoyait au décret l’établissement de la liste de ces services l’est depuis vingt ans ! Or, à aucun moment ce moyen n’a été soulevé, pas même, si j’ai bonne souvenance – je parle sous le contrôle du président de la commission des lois – lorsque la loi de 1991 a fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité. Ce sujet a donc déjà été tranché. On peut reposer cette question aujourd’hui dans les mêmes termes, alors que le Conseil constitutionnel y a déjà répondu, mais nous avons déjà sa réponse. Il n’y a en effet aucune ambiguïté, comme l’ont dit tout à l’heure Marie-Françoise Bechtel et Guillaume Larrivé, non pas pour des raisons qui tiendraient à leur attachement au droit administratif, mais tout simplement du fait de leur bonne connaissance du droit. En vertu de l’article 37 de la Constitution, le règlement est compétent pour définir les moyens des services.

M. Eduardo Rihan Cypel. Absolument !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Deuxièmement, par-delà les éléments de droit, le Gouvernement a-t-il quelque volonté de cacher les informations relatives aux services qui auront accès à ces techniques de renseignement ? En aucun cas, puisque le décret en question sera publié au Journal officiel. M. Morin propose qu’il soit soumis à l’Assemblée nationale avant d’être publié au Journal officiel : je veux bien le transmettre à la commission des lois dès qu’il sera prêt et venir en rendre compte devant elle.

M. Hervé Morin. Parfait !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il n’y a donc aucun problème de constitutionnalité ni aucun problème de transparence. Comme je fais le pari – même si, j’en conviens, il faut beaucoup de patience pour parvenir à se convaincre soi-même que c’est possible – que la bonne foi peut empreindre ce débat, je répète là ce que j’ai dit hier.

Troisièmement, ce décret, comme la loi, sont-ils attentatoires aux libertés publiques ? J’emploie le même argument qu’hier : il est, je crois, juridiquement imparable, même si j’admets que, politiquement, il puisse faire débat. L’article 66 de la Constitution, que vous venez d’invoquer, madame Filippetti, après l’avoir déjà fait hier, définit les conditions dans lesquelles le juge judiciaire doit exercer son contrôle lorsque des mesures de police administrative sont attentatoires aux libertés publiques. Le juge judiciaire est ainsi compétent, par exemple, en matière de rétention administrative ou de dispositions de police pouvant constituer une privation de liberté. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Sandrine Mazetier. Et c’est vous, à droite, qui avez allongé le délai dans lequel il intervient ! Cela ne vous gênait pas alors !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mesdames, messieurs les députés, je m’efforce de vous apporter des réponses rigoureuses et les plus honnêtes possible, car vous posez des questions importantes et justes. Il n’y a, dans ce texte de loi, aucune – je dis bien : aucune – disposition attentatoire aux libertés, qu’il s’agisse de la liberté d’aller et venir ou d’autres libertés individuelles ou collectives. Si vous estimez qu’un article de ce texte est susceptible de remettre en cause une liberté, dites-moi lequel. En revanche, il est des dispositions qui peuvent être considérées comme remettant en cause la vie privée et le droit à cette dernière. Conformément à la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, ces dispositions ne relèvent en aucun cas du juge judiciaire mais du juge administratif : l’arrêt Westgate de 2013, qui s’inscrit dans une longue continuité d’arrêts, l’a rappelé s’il en était besoin.

Alors que le rapporteur, comme moi-même, vous avons apporté scrupuleusement toutes les explications nécessaires, s’agissant notamment de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, alors que l’article 66 de la Constitution prévoit l’intervention du juge judiciaire en cas de dispositions attentatoires aux libertés – sachant que ce texte n’en remet aucune en cause –, tenir, à plusieurs reprises, les propos que vous avez tenus ici atteste soit une incompréhension de nos explications, certainement due au fait que nous nous exprimons mal, soit un entêtement que je peux comprendre mais qui relève de la posture et non pas de l’exigence de transparence que vous appelez de vos vœux.

M. Patrick Mennucci. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je veux bien que nous ayons un débat sur le contenu du texte, sur des dispositions ambiguës qui mériteraient d’être clarifiées, mais j’ai sincèrement du mal à accepter – car je veux être scrupuleux et répondre du mieux possible à vos questions – que l’on intente un procès à ce texte, sur le fondement, soit de dispositions qu’il ne contient pas, soit de dispositions qu’il contient mais au sujet desquelles j’ai donné toutes les explications juridiques, qui peuvent d’ailleurs être vérifiées par vos soins, ce qui me paraîtrait normal, en consultant la jurisprudence ou les éléments que j’évoque.

Dernier point : monsieur Tardy, vous avez évoqué à plusieurs reprises un article du Monde. À ce sujet, je souhaiterais dire plusieurs choses. Premièrement, j’ai du respect pour les services publics que sont les services de renseignement. Dans mon esprit – à la différence peut-être de certains d’entre vous –, ces services ne sont pas des officines peuplées de gens experts dans l’art du tordu, par opposition à d’hypothétiques disciples du droit. Non, dans mon esprit, les services de renseignement sont des services publics qui concourent à des missions à de service public et le font en réponse à des considérations d’intérêt général, qui sont souvent d’intérêt national. Je travaille quotidiennement avec un certain nombre de ces services pour prévenir le terrorisme. Leurs responsables et leurs collaborateurs sont des fonctionnaires qui méritent notre respect. Or, quand ils lisent nos déclarations et nos échanges – dont ils comprennent d’ailleurs qu’ils puissent avoir lieu dans cet hémicycle, comme il est normal –, ils constatent qu’ils sont en permanence remis en cause et que l’on doute de leur éthique. Eh bien, je veux, moi, les défendre devant la représentation nationale pour l’exigence éthique et le sens républicain qui sont les leurs, car ils le méritent. Tous les jours, ces fonctionnaires, qui accomplissent une mission de service public, s’exposent grandement pour assurer la sécurité et la protection des Français.

M. Pierre Lellouche. Ce n’est pas un argument. Vous semblez considérer que tous ceux qui ne partagent pas votre point de vue détestent les services de renseignement !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Enfin, le Premier ministre et le ministre de la défense, et je vais à mon tour m’y employer à nouveau devant vous, ont démenti le contenu de l’article du Monde de la manière la plus ferme. Pourquoi ? Parce que les services publics dont je viens de parler n’échappent pas à tout contrôle, mais sont placés sous notre responsabilité. Si les pratiques décrites dans cet article existaient, elles engageraient notre propre responsabilité : en tant que ministres de la République, nous serions complices et comptables de ces agissements. Mais ces pratiques n’existent pas, tout simplement parce qu’elles ne sont pas conformes au droit, à la loi. La DGSE, qui est composée de fonctionnaires faisant preuve de l’esprit que je viens de vous indiquer, ne se livre pas à la surveillance de masse que vous pointez du doigt. Cela a été dit hier très clairement par les ministres. La meilleure preuve en est – je le dis notamment à M. Morin – que nous donnons un fondement légal à des pratiques qui en ont longtemps été dépourvues. Pourquoi le faisons-nous ? Parce que nous voulons que l’activité des services soit rigoureusement contrôlée, que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement – la CNCTR – puisse regarder ce que font les services. Si celle-ci constate que certaines pratiques ne sont pas conformes au droit, elle pourra saisir le contrôle juridictionnel, considérablement renforcé par cette loi. Si le contrôle juridictionnel et la CNCTR constatent que certaines pratiques sont attentatoires au droit pénal, la commission précitée pourra saisir le juge pénal. Tous ces contrôles, jusqu’à présent, n’existaient pas.

M. Pascal Popelin. Exactement !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pourquoi les établissons-nous ? Parce que nous considérons que les grands services publics que sont les services de renseignement doivent être contrôlés. Pour cette raison, ce texte est une loi de progrès, et j’aimerais qu’on arrête de dire des choses fausses, qui ne correspondent pas à la réalité du fonctionnement des services, à la réalité du droit, pour faire peur, alors que le vrai danger est constitué par tous ceux qui, quotidiennement, peuvent porter atteinte aux valeurs de la République, aux libertés publiques, comme en témoignent les événements récents à TV5 Monde. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

(Les amendements identiques nos 52 et 169 ne sont pas adoptés.)

M. Patrick Mennucci. Il est incroyable qu’un ancien ministre de la République vote ces amendements !

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Morin, pour soutenir l’amendement n112.

M. Hervé Morin. Monsieur le ministre, je ferai plusieurs observations. D’abord, le Conseil constitutionnel n’a jamais censuré un texte au titre de la répartition entre les articles 34 et 37 : il a toujours renoncé à opérer cette distinction. Sinon d’ailleurs, la moitié de nos lois auraient depuis belle lurette fait l’objet d’une sanction de sa part.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Mais non !

M. Hervé Morin. C’est ce que l’on apprend en première année de droit constitutionnel.

Par ailleurs, je prends acte que vous transmettrez l’avant-projet de décret relatif aux services qui auront accès à ces nouveaux modes opératoires. Compte tenu des différents éléments et techniques qui peuvent être mis en œuvre, qu’il s’agisse d’algorithmes ou d’IMSI-catchers, il est assez normal que nous puissions savoir précisément quels sont les services qui pourront y avoir recours.

Veillons à ne pas légiférer simplement parce qu’aujourd’hui M. Valls et M. Cazeneuve sont respectivement Premier ministre et ministre de l’intérieur ! Nous devons légiférer dans une perspective de temps long, car le pouvoir succédera au pouvoir. Ce que je souhaite, c’est que les textes adoptés aujourd’hui de bonne foi ne soient pas demain détournés par des pouvoirs qui décideraient, eux, de les appliquer différemment. Je veux être certain que, dans cinq ou dix ans, ces dispositions, adoptées avec la bonne foi dont vous faites preuve, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, seront toujours garantes des libertés publiques et du respect de la vie personnelle. Voilà ce qui m’importe. On pourrait entrer dans des débats plus techniques qui ne concernent pas directement l’Assemblée – on pourra en parler ensemble – mais, ce que je souhaite, c’est que l’on associe autant que faire se peut aux pouvoirs nouveaux que l’on accorde aux services des contre-pouvoirs qui permettent d’éviter l’arbitraire. Tel est le sens de cet amendement.

M. Jean Lassalle. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Comme nos collègues ont pu le constater, l’amendement de M. Morin a pour objet d’inscrire dans la loi la liste des services en question, autrement la dit la direction générale de la sécurité intérieure, la direction générale de la sécurité extérieure, la direction du renseignement militaire, la direction de la protection et de la sécurité de la défense, Tracfin et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières – je le précise car je ne suis pas certain que la défense de l’amendement ait été tout à fait explicite.

Pour des raisons que chacun aura bien comprises, je ne suis pas favorable au fait que la loi prévoie les noms des services. En effet, si le Gouvernement devait demain changer leur dénomination, on serait obligé de modifier la loi. C’est ce que nous avons fait par exemple en 2013 et en 2014 ; c’est ce qui avait été fait en 2008. Si cela avait figuré dans la loi, nous aurions dû à chaque fois en débattre ; comme l’agenda parlementaire est déjà très chargé, ne le sollicitons pas davantage, faisons confiance au décret ! Quoi qu’en dise M. Morin, le débat sur les articles 34 et 37 a déjà été largement tranché par le Conseil constitutionnel.

M. Hervé Morin. Non !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’ai exactement la même position que le rapporteur, pour les raisons qu’il vient d’évoquer : si chaque fois que, dans l’exercice de ses prérogatives, le Gouvernement modifie le nom d’un service ou l’organisation des services, il faut procéder à une modification législative pour permettre à ces services de fonctionner conformément au droit, je ne suis pas sûr que l’on y gagne en souplesse, en efficacité et encore moins en transparence et en lisibilité.

Je souhaiterais développer un deuxième argument, parce que je ne suis pas sûr que l’on s’en souvienne, ce dispositif ayant été arrêté il y a plus de vingt ans : la loi de 1991 ne renvoyait pas au décret. Elle ne disait rien – absolument rien – sur l’ensemble des services qui pouvaient mobiliser des techniques de renseignement en vue d’un certain nombre de finalités.

Nous avons décidé, précisément par souci de transparence, de prendre, par un décret qui sera publié, des dispositions qui constituent un incontestable progrès par rapport à l’état du droit antérieur.

Alors que nous prenons ces dispositions précisément pour créer les conditions de ce progrès, on débat de cette loi comme si elle constituait un recul par rapport à l’état du droit antérieur. Non ! Au contraire, elle représente un progrès considérable, un progrès dans la transparence, un progrès en matière de contrôle. Je tenais à le rappeler encore une fois pour que les choses soient dites.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Merci de me donner la parole, madame la présidente : je souhaitais intervenir sur l’amendement précédent, mais j’ai compris que vous souhaitiez avancer.

Je voudrais dire trois choses. Tout d’abord, je trouve le ministre bien sévère à l’égard de la loi de 1991 et de Michel Rocard qui l’avait fait voter : ceux qui, comme moi, aux côtés du président rapporteur et de Patrice Verchère, ont participé à toutes les auditions de la mission d’information sur le renseignement se souviennent des conditions narrées par le Premier ministre de l’époque qui l’ont amené à persuader – le mot est probablement très éloigné de la réalité – le Président de la République de l’époque de la nécessité de prendre une loi sur le renseignement. On ne peut donc pas aujourd’hui, vingt-cinq ans plus tard, faire des reproches à cette loi qui a eu le mérite d’exister, alors que le Président de la République de l’époque ne souhaitait pas qu’il en fût ainsi.

Ensuite, j’invite notre président rapporteur à un peu de prudence. L’argument selon lequel on n’avancera pas si on commence à inscrire des choses précises dans la loi peut se retourner rapidement contre celui qui l’utilise et contre tous autres, ministre chargé d’un texte ou rapporteur chargé de le présenter. Je suis en effet bien persuadé que cet écueil, que vous pointez très justement, est systématique et difficile à éviter.

Enfin, concernant le débat relatif à l’article 34, j’ai du mal à accepter le mépris goguenard avec lequel certains d’entre vous, de manière catégorique, nous dénient le droit de nous exprimer. Certes, il existe un domaine de la loi et un domaine du règlement ; ils ne sont pas d’ailleurs si faciles que cela à déterminer, ce qui explique pourquoi le Conseil constitutionnel, la plupart du temps, a préféré ne pas en traiter.

Mais je ferai quand même remarquer que, depuis un certain temps, le Conseil constitutionnel en traite. Je me souviens en particulier de la loi de 2005 sur l’avenir de l’école : il a pris la décision de supprimer purement et simplement l’annexe programmatique à l’article 1 au motif que cela relevait non pas du domaine de la loi mais de celui du règlement. Le Conseil a donc commencé à faire son travail.

Permettez-moi, madame la présidente,…

Mme la présidente. …de conclure, monsieur le député !

M. Guy Geoffroy. Pour conclure, madame la présidente, je dirai que la liste en question – ou l’absence de liste – va plus loin que la simple explicitation du texte de la loi.

M. Jacques Myard. Non !

M. Guy Geoffroy. Elle contribue, si elle existe, à la détermination du champ de la loi en matière de renseignement. Dès lors que la liste définie dans la loi permet de savoir de quoi on parle, cela justifie à mon avis un peu plus de prudence et de profondeur dans nos échanges sur la constitutionnalité ou non de ce que vous avez proposé, que nous étions un certain nombre à contester.

Il s’agit d’un vrai débat. Aussi bien la manière catégorique et quelque peu vulgaire, au sens étymologique du terme, que vous avez utilisée pour nous renvoyer dans nos buts me semble vraiment peu acceptable !

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Pour aller dans le même sens que notre collègue Geoffroy, certains grands constitutionnalistes – je pense en particulier au professeur Dominique Rousseau, mais il y en a d’autres – expliquent que le Conseil constitutionnel n’a jamais censuré un certain nombre de lois qui pourtant relèvent du domaine réglementaire.

M. Hervé Morin. Bien sûr ! Il ne l’a jamais fait !

M. Noël Mamère. La réalité, c’est que le Conseil constitutionnel s’abrite derrière cela et que nous votons des lois qui sont souvent de l’ordre du règlement. Et vous pouvez ainsi vous couvrir en faisant valoir la non-censure du Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, je voudrais répondre à M. le ministre de l’intérieur : ce n’est pas parce que l’on critique les dispositions de cette loi, que l’on s’inquiète des débordements auxquels elle pourrait conduire quant à nos libertés publiques et nos libertés privées que, pour autant, on juge ce Gouvernement pétri de mauvaise foi et qu’on pense qu’il veut se transformer en Big Brother !

Ce n’est pas parce que l’on critique les moyens techniques donnés aux services de renseignement que, pour autant, on considère que tous les services de renseignement sont des barbouzes ! Il y a eu certaines époques où les services de renseignement n’étaient pas aussi républicains que vous le dites : souvenez-vous de l’affaire du Rainbow Warrior ! On pourrait aussi citer un certain nombre d’épisodes ayant mis en jeu les services de renseignement et où se sont produits des débordements.

Pour ma part, je supporte assez mal, comme un certain nombre de mes collègues, d’être montré du doigt depuis quarante-huit heures parce que nous critiquons – et nous ne sommes pas les seuls, puisqu’il y a également des organisations non gouvernementales, des associations, des juges, des avocats, des journalistes,…

M. Pierre Lellouche. Des députés de droite !

M. Noël Mamère. Et même des députés de droite !

Les trois professions que je viens de citer, auxquelles je pourrais ajouter les médecins, ne sont absolument pas protégées par ce projet de loi – pas pour l’instant, du moins : j’espère que la discussion permettra de le faire !

Si j’en crois la discussion inaboutie que nous avons eue sur la protection du secret des sources des journalistes, je me dis que cette loi sur le renseignement ne les mettra pas dans une position facile pour exercer leur devoir de vérité et d’investigation.

Mme la présidente. La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. Dans le prolongement des interventions précédentes, je souhaite dire à M. le ministre de l’intérieur qu’il a parfaitement raison de rappeler que la peur est mauvaise conseillère. Elle est du reste mauvaise conseillère de part et d’autre : on ne peut pas nourrir l’obsession du risque terroriste, même si ce risque est réel, pas plus qu’on ne peut entretenir la peur d’une surveillance généralisée.

Personne ne dit que votre intention est en soi, ontologiquement, porteuse volontairement dans la loi elle-même de dérives liberticides. Mais souffrez tout de même que l’on s’interroge, dans le débat parlementaire – sinon il ne sert à rien –, sur les risques potentiels demain du fait soit de la technique même de collecte massive des données, soit du manque de moyens accordés aux structures de contrôle. Ces inquiétudes doivent être mises en débat.

Je suis prêt, dans le cadre d’un débat argumenté, à suivre le raisonnement de notre rapporteur, par exemple sur l’articulation entre le juge judiciaire et le juge administratif. Je suis prêt à suivre l’argument de Marie-Françoise Bechtel sur l’équilibre intelligent à trouver entre ce qui relève du décret et ce qui relève de la loi.

Mais je demande que l’on puisse discuter aussi de ce qui, dans la délimitation de la loi, exige en son principe de la vigilance, aussi bien dans l’exposé des motifs que dans certaines des dispositions. Ainsi, certains points sont soulevés non seulement par des parlementaires ici présents, mais aussi par des associations qui défendent ardemment les libertés fondamentales.

Arrêtons-nous un instant sur une tribune publiée récemment dans le quotidien Le Monde, signée par Nils Muižnieks, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe – ce n’est pas n’importe qui ! –, par Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme – ce n’est pas n’importe qui ! – et enfin par Ben Emmerson, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, qui sait donc de quoi il parle. Ils nous alertent avec un titre à mon avis un peu dur, puisqu’il caractérise le projet de loi comme portant gravement atteinte aux libertés individuelles – ce que je ne prétends pas moi-même : je dis simplement que cela mérite que l’on puisse en débattre.

Mme la présidente. Merci de conclure, monsieur le député !

M. Pouria Amirshahi. Je finirai par cette phrase, madame la présidente : si le Gouvernement, non pas dans cette disposition précise mais de manière générale, est parfaitement sûr de la conformité avec l’esprit des lois et de la Constitution en matière de protection et de défense des libertés, rien n’empêche le Premier ministre de déférer lui-même l’ensemble de la loi au Conseil constitutionnel, après qu’elle aura été votée, pour avis de constitutionnalité.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Je souhaite revenir sur deux arguments que vous avez développés, monsieur le ministre de l’intérieur. Tout d’abord, vos propos m’ont semblé trahir une vision très manichéenne. Vous avez ainsi laissé à penser que ceux qui, aujourd’hui, vous réclament de préciser le texte de loi, seraient hostiles aux services de renseignement ou critiques à leur égard. Je m’inscris en faux ! À aucun moment, dans les arguments que nous avons développés, nous n’avons cherché à critiquer les services, bien au contraire !

M. Pierre Lellouche. C’est même insultant de votre part !

M. Patrick Hetzel. Nous nous joignons bien volontiers à l’hommage que vous avez rendu aux fonctionnaires. Il convient donc vraiment de sortir de cette vision manichéenne parce que, précisément, nous essayons de trouver un équilibre entre, d’une part, la nécessité du renseignement et des missions qui sont confiées aux services et d’autre part, les libertés.

Deuxième argument sur lequel je souhaite revenir après vous avoir écouté : vous apportez des éléments qui relèvent de la science administrative en considérant que le Gouvernement prend, par décret, notamment ceux pris en Conseil d’État, un certain nombre de garanties au regard des libertés. Néanmoins, je ne vous apprends rien en vous rappelant qu’il existe une hiérarchie des normes et qu’au nombre de ces normes figurent le Préambule de la Constitution et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

En fait, ce pour quoi nous nous battons et que nous cherchons à vous faire percevoir, c’est que sur un sujet aussi sensible que le renseignement, il est essentiel d’assurer un bon équilibre et de préserver les libertés, publiques mais aussi individuelles. Ce point exige que l’on soit extrêmement soigneux dans la rédaction : c’est pour cela que nous présentons un certain nombre d’amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je serai bref : premier point, monsieur le ministre, madame la ministre, monsieur le rapporteur, nous n’avons rien – je dis bien : rien ! – contre les services de renseignement, que nous respectons et avec lesquels nous travaillons quand il arrive que nous soyons aux affaires.

M. Patrick Mennucci. Vous parlez du SAC ?

M. Pierre Lellouche. Deuxième point : nous avons tout contre les terroristes, nous menons donc le même combat que vous. Cela n’empêche pas que nous puissions vous poser des questions.

Laissez-moi développer en une minute une parabole, que j’appellerai « la parabole de Germanwings » : après le 11 septembre 2001, il a été jugé intelligent, par des gens aussi raisonnables que vous, d’équiper le cockpit des avions commerciaux d’une porte blindée pour éviter que ne s’y introduisent des terroristes ; l’intention était donc parfaitement louable. Et des portes blindées ont en effet été installées.

Or que s’est-il passé quand un cockpit a été occupé par un déséquilibré ? Cent cinquante innocents ont perdu la vie ! Y a-t-il eu, monsieur le ministre de l’intérieur, cent cinquante victimes du terrorisme aux États-Unis ou en Europe depuis le 11 septembre 2001 ? Réponse : non !

Autrement dit, une loi, même conçue avec les meilleures intentions du monde, peut avoir des conséquences néfastes si elle est mal utilisée : voilà notre seul et unique propos !

Même si, pour avoir fait moi-même un tout petit peu de droit, j’ai beaucoup d’estime pour vos compétences juridiques, monsieur Urvoas, permettez-moi de penser que lorsqu’il est question dans l’article 34 des « sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens », on est pile poil dans le sujet !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Mais non !

M. Pierre Lellouche. Quand nous pensons que la liste des organismes chargés d’espionner nos concitoyens peut relever du domaine de la loi, ne nous répondez pas : « Circulez, il n’y a rien à voir ! La loi et le règlement ! Le Gouvernement décide ! Nous faisons parce que nous sommes aux affaires ! »

Un peu moins d’arrogance ! Ne nous accusez pas d’être hostiles aux services de renseignement ! Cela permettrait au débat de ne tourner ni autour des peurs, ni autour des fantasmes. Il est quelque insultant de nous entendre dire cela depuis hier !

(L’amendement n112 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 408 et 396.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, pour soutenir l’amendement n408.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Cet amendement tend à supprimer la référence aux services du ministère de la justice dans la liste des services pouvant recourir aux techniques de recueil de renseignement visées à l’alinéa 17.

Comme je l’ai déjà exposé en commission, je considère qu’il n’est pas souhaitable que la justice puisse commander directement la mise en œuvre de ces techniques.

Nous avons en charge une population carcérale où l’on trouve des détenus dangereux condamnés aussi bien pour des actes de terrorisme que pour des faits de criminalité organisée. Sachant les liens qui peuvent exister entre le terrorisme et les réseaux de criminalité organisée, nous effectuons évidemment une surveillance dans les établissements. Outre la circulaire que j’ai prise en novembre 2012 et actualisée en novembre 2013, nous avons renforcé et restructuré le renseignement pénitentiaire : augmentation des effectifs en 2012 et en 2013, réorganisation tant au niveau de l’administration centrale qu’à celui des directions interrégionales et des établissements.

Dans le cadre du plan antiterroriste, ce renforcement se poursuit – nous passerons de 72 agents aujourd’hui à 159 à la fin de 2015 et 185 en 2016 – et s’accompagne d’une diversification des compétences. Nous avons également structuré nos relations avec le ministère de l’intérieur : après plusieurs mois de travail commun, nous avons obtenu qu’un directeur des services pénitentiaires intègre l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT. J’ai également pris des circulaires conjointes avec le ministre de l’intérieur. L’administration pénitentiaire siège au réseau européen RAN – Radicalisation Awareness Network – et participe aux réunions hebdomadaires de l’UCLAT et des états-majors de sécurité.

Le renseignement pénitentiaire se diversifie en s’adjoignant notamment des informaticiens analystes dans le cadre d’une cellule de veille sur les réseaux sociaux. Nous créons également une cellule de réflexion pluridisciplinaire regroupant des membres du personnel pénitentiaire et des chercheurs et des experts en matière de politique internationale.

Je voulais rappeler ces évolutions du renseignement pénitentiaire. Cela étant, l’intégration des services du ministère de la justice parmi les services susceptibles de commander la mise en œuvre de techniques de recueil de renseignement va au-delà des métiers actuellement exercés par les agents des services pénitentiaires et par les surveillants. L’État est un. Il assure ses missions régaliennes dans la complémentarité et dans la solidarité. Celles du ministère de la justice sont de poursuivre, de juger, de sanctionner et de réinsérer. Elles sont exécutées par les magistrats et par l’administration pénitentiaire. C’est sur ce fondement que le décret du 13 mars 1911 a transféré l’administration pénitentiaire du ministère de l’intérieur à celui de la justice. L’exécution des décisions de justice relevant de ce que Montesquieu appelle la puissance de juger, l’action pénitentiaire s’est judiciarisée par étapes depuis cette date. C’est le cas, par exemple, de l’application des peines, ou des commissions de discipline, qui ont intégré la société civile par le biais des assesseurs et des avocats. Toute l’activité pénitentiaire est placée sous l’autorité judiciaire, notamment du parquet.

Parmi les étapes intermédiaires, on peut également citer la réforme Amor de 1945, les lois Badinter, la loi de 1987 relative au service public pénitentiaire.

Aujourd’hui, le renseignement pénitentiaire dispose d’effectifs plus importants que jamais – ils auront plus que doublé en un an et demi. Jamais ses compétences n’auront été aussi diverses : j’ai évoqué les informaticiens et les spécialistes des questions internationales, je pourrais aussi parler des quarante traducteurs arabophones que nous recruterons.

Dès lors, il est légitime de poser la question de savoir s’il peut demeurer un service de l’administration pénitentiaire au sein du ministère de la justice. Pour y répondre, il faut évaluer les conséquences des choix que nous ferons.

Le ministère de la justice a cette particularité qu’il doit administrer la justice tout en se tenant à distance de l’autorité judiciaire. Nous avons déjà renforcé l’indépendance des magistrats par la loi du 25 juillet 2013, qui interdit les instructions individuelles, et nous pourrions parachever le dispositif dans une future réforme constitutionnelle.

Le ministère de l’intérieur, dans son rôle de police administrative, et le ministère de la défense font déjà du renseignement avec le concours de l’administration pénitentiaire. Il revient au ministère de la justice, qui est le ministère des droits, le garant constitutionnel des libertés individuelles – la garantie des libertés publiques étant, elle, une mission régalienne du ministère de l’intérieur –, d’assurer le contrôle juridictionnel de cette activité. Le renseignement, je le rappelle, est une activité parfaitement légale que ce texte encadre de façon rigoureuse.

Si nous décidions que le renseignement pénitentiaire devait devenir un service à part entière, capable de mettre en œuvre directement des techniques de recueil de renseignement, ce serait un changement de métier dont il faudrait tirer les conséquences non seulement en matière de formation et d’effectifs, mais aussi en matière de tutelle. Le contrôle juridictionnel permet aux citoyens d’être certains que l’État, dans son unité, sa complémentarité et sa solidarité, leur assure une protection efficace non seulement par ce renforcement du renseignement, mais également par la préservation de leurs droits et de leurs libertés. Nous pensons qu’il est souhaitable que le ministère de la justice, pour exercer ce contrôle, n’ait pas à ordonner directement la mise en œuvre de techniques de recueil de renseignement.

Tel est l’objet de cet amendement.

M. Pierre Lellouche. Un bien bel amendement !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement n396.

M. Pascal Cherki. Je ne pensais pas que cet amendement, rédigé rapidement mais après mûre réflexion, donnerait lieu à un débat aussi intéressant. Parvenir ainsi à inspirer le Gouvernement est pour moi un encouragement à persévérer dans d’autres débats ! (Rires sur les bancs du groupe UMP.)

Je souscris pleinement à l’argumentation de Mme la garde des sceaux. Il y a en effet deux sujets.

Premièrement, celui des institutions chargées du renseignement. L’administration pénitentiaire en tant que telle a la responsabilité de questions complexes : relations avec les prisonniers, gestion de l’ordre public dans les prisons, etc. Ceux qui connaissent ces sujets savent qu’elle n’est pas aujourd’hui outillée pour mener l’action d’un service spécialisé de renseignement. Ouvrir cette possibilité dans un texte de loi me paraît présenter beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages.

Deuxièmement, personne ne conteste qu’il faille mener un travail spécifique de renseignement en prison. On a déjà évoqué les phénomènes de radicalisation, et l’on sait bien qu’être en prison ne signifie pas être complètement coupé du monde extérieur. Les détenus peuvent y concevoir, voire y préparer en partie, des actes criminels.

M. Élie Aboud. Bien sûr !

M. Pascal Cherki. Pour autant, je ne pense pas qu’il faille confier ce nécessaire travail de renseignement à l’administration pénitentiaire. Mais celle-ci a sans aucun doute vocation à travailler en collaboration et en coordination avec d’autres services spécialisés dans le renseignement en prison, comme le prévoient d’ailleurs les amendements suivants du Gouvernement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. La commission des lois a donné un avis défavorable. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Élie Aboud. C’est courageux de sa part !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Ces deux amendements tendent en effet à revenir sur un vote acquis à l’unanimité de la commission moins une abstention, celle de M. Sergio Coronado.

Notre logique est la suivante : ouvrir à un service du ministère de la justice la possibilité d’avoir accès à certaines techniques de renseignement ne fait pas de celui-ci un service de renseignement. L’organisation de la communauté du renseignement obéit à une conception en cercles.

Le premier cercle est formé des six services qui figurent dans le décret du 12 mai 2014 composant la communauté : DGSE, DGSI, direction du renseignement militaire, direction de la protection et de la sécurité de la défense, direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, TRACFIN.

Le deuxième cercle, celui dont il est question ici, est composé des services dont nous avons coutume de dire qu’ils « concourent » au renseignement. Il comprend le service central du renseignement territorial, qui dépend de la direction centrale de la sécurité publique ; la sous-direction à l’anticipation opérationnelle, qui dépend de la gendarmerie nationale ; la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, et enfin le service nommé « état-major de sécurité n3 » ou, plus couramment, « bureau du renseignement pénitentiaire », qui existait depuis 1980 sous une forme assez peu normée avant qu’un arrêté de 2003 ne le fonde et qu’un arrêté de 2008 ne le confirme.

La garde des sceaux a très justement indiqué que ce service se renforce depuis quelques années et est appelé à se renforcer en raison des problèmes qui se posent dans le monde carcéral : 67 000 détenus, 26 000 surveillants, 850 détenus dits « particulièrement signalés », ou DPS, dont 120 sont des islamistes radicaux. Ces éléments de dangerosité, voire d’instabilité pour le monde carcéral, appellent une surveillance particulière. Le prosélytisme déstabilise aussi bien les détenus que les surveillants.

M. Guy Geoffroy. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Il y a seulement quelques années, le bureau du renseignement pénitentiaire ne comptait que treize personnes. Il avait un correspondant par direction interrégionale des services pénitentiaires et un correspondant – qui n’exerçait évidemment pas cette fonction à temps plein – dans chaque établissement. Chacun comprend que nous avons intérêt à développer ses compétences humaines. Je crois savoir à cet égard que le Gouvernement envisage de permettre à l’état-major de sécurité n3 d’accéder aux formations de l’académie du renseignement, ce qui sera une bonne chose. Arrive cependant un moment où il faut se doter de moyens techniques. Le renseignement humain est important, les techniques le sont également. Avec 73 personnes, le bureau du renseignement pénitentiaire a une dimension insuffisante pour engager les moyens permettant de surveiller ne serait-ce que les 150 éléments les plus dangereux, sans même parler des 850 détenus particulièrement signalés.

La commission des lois n’a pas proposé d’élever l’état-major de sécurité n3 au rang de service de renseignement, ni de transformer les 26 000 surveillants de l’administration pénitentiaire en agents des services de renseignement comme je l’ai lu dans la presse. Il est bien évident que ce ne sont pas les surveillants qui circulent dans les coursives, qui s’occupent du quotidien, qui seront chargés demain de sonoriser des parloirs ou des cellules ! Nous parlons ici d’agents du service pénitentiaire qui seront habilités à exercer ces compétences, dont ce sera le métier, et qui demandent d’ailleurs à accéder à ces techniques – je fais notamment référence au syndicat FO Direction.

Le Gouvernement, s’il le décide, pourra faire mûrir cette réflexion – c’est l’objet du débat que nous avions tout à l’heure au sujet du décret et de la loi. Nous pensons, à l’unanimité de la commission des lois, que le service de renseignement pénitentiaire doit pouvoir, à ce titre, accéder à certaines techniques du renseignement,…

M. Guy Geoffroy. Cela paraît logique !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. …étant entendu que nous faisons confiance à tout le monde, en particulier à la directrice de l’administration pénitentiaire que j’ai auditionnée et qui ne m’a pas démenti concernant l’usage de certains outils, que nous légalisons – je pense non seulement aux « IMSI-catchers », mais aussi à des techniques d’interception de sécurité classiques qui seraient bien utiles dans certains cas.

Voilà pourquoi la commission des lois est défavorable à l’amendement du Gouvernement pour en rester au texte tel que modifié par l’amendement adopté en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Élie Aboud. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Nauche, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Philippe Nauche, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées. La commission de la défense n’a pas examiné cet amendement puisqu’il n’existait pas au moment où elle a été saisie. Elle a été amenée à étudier le texte initial du Gouvernement qui ne prévoyait pas que le ministère de la justice soit ainsi concerné.

Nous pouvons fort bien comprendre les arguments de la commission des lois, mais nous devons écouter également la garde des sceaux pour saisir son état d’esprit et les raisons de son refus.

M. Alain Chrétien. Ça rame !

M. Philippe Nauche, rapporteur pour avis. Il est important aujourd’hui de bien distinguer les métiers de chacun. Une partie de l’administration pénitentiaire souhaite se rapprocher de la direction générale de la sécurité intérieure pour mettre en œuvre un certain nombre de techniques car il est essentiel de préserver un continuum entre l’intérieur et l’extérieur des établissements.

Dès lors que la garde des sceaux et la Chancellerie ne souhaitent pas voir intégré le ministère de la justice dans ce dispositif et la commission de la défense ayant validé le texte du Gouvernement tel qu’il était avant d’être amendé par la commission des lois, je serais plutôt favorable, à titre personnel, à l’amendement du Gouvernement.

M. Élie Aboud. C’est Dallas !

Mme Laure de La Raudière. Sommes-nous en plein congrès du parti socialiste ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Je voudrais indiquer qu’il s’agit là d’un amendement du Gouvernement, et non d’un amendement de la garde des sceaux. Je soutiens cet amendement, pour toutes les raisons que la garde des sceaux a évoquées et que j’avais d’ailleurs exprimées en commission. Je n’ai pas changé de position depuis.

M. Pierre Lellouche. Ben voyons !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Je comprends parfaitement le rôle du personnel pénitentiaire et il ne s’agit pas ici de le transformer en agents de renseignement, mais je ne comprends pas votre logique, madame la garde des sceaux. Nous avons affaire à des gens dont nous savons pertinemment bien qu’ils peuvent être dangereux à leur sortie de prison.

Imaginez qu’un détenu sorte de prison après avoir purgé sa peine sans que l’on se soit aperçu, faute d’avoir utilisé les moyens adéquats, qu’il avait noué des contacts très sérieux lors de sa peine – on sait très bien que les prisons, sans être des moulins, ne sont pas non plus des maisons totalement fermées –, qu’il persévère dans ses engagements radicaux, échafaude des projets précis et qu’il se passe quelque chose. Vous porterez une responsabilité grave qui engagera le Gouvernement puisque le ministre de l’intérieur vient de déclarer qu’il était solidaire.

En l’occurrence, je ne vois pas pourquoi le ministre de la justice ne pourrait pas demander, en cas de doute, que les moyens nécessaires soient employés pour rassembler un certain nombre d’indices ou de preuves qui nous permettront d’agir par la suite.

Vous commettez une véritable faute politique qui pourrait avoir des conséquences redoutables.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Ce débat, loin d’être médiocre, dépasse les clivages. C’est à l’initiative de notre groupe, convergeant avec d’autres initiatives, que cet amendement a été voté à l’unanimité en commission des lois, comme l’a rappelé le président Jean-Jacques Urvoas. Il convient de faire monter en puissance, au sein des 189 établissements pénitentiaires, un véritable service de renseignement pénitentiaire en se fondant sur les dispositifs existant depuis plusieurs années, suite notamment aux efforts engagés par Dominique Perben en son temps avec la création du bureau EMS-3. Ce service spécialisé de renseignement pénitentiaire doit entrer dans l’architecture de droit commun que ce projet de loi définit. Par conséquent, il doit intégrer le second cercle défini par le décret auquel renvoie l’article dont nous parlons.

Pourquoi cette proposition ? Parce que ce service doit avoir pour mission de recueillir du renseignement dans les établissements pénitentiaires afin de prévenir le terrorisme, ce qui est une finalité beaucoup plus large que la lutte contre les évasions ou le maintien de l’ordre public dans les prisons. L’administration pénitentiaire doit se saisir pleinement des instruments de ce projet de loi. Là est le point de désaccord avec la garde des sceaux, désaccord de politique publique et non désaccord partisan. C’est pourquoi nous tenons à ce que l’amendement du Gouvernement soit rejeté. Il est impératif que l’on change de braquet. Il est devenu très urgent de professionnaliser totalement, au sein des établissements pénitentiaires, la capacité de recueil et d’analyse du renseignement. C’est ce que nous proposons depuis plusieurs semaines sur les bancs de l’UMP et nous sommes unanimes sur cette question majeure.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Cette question est importante. Nous nous sommes rendus à Fresnes avec mon collègue Guillaume Larrivé et nous avons vu comment est désormais gérée la centaine de djihadistes revenus de Syrie. Le problème est grave. Je ne peux pas comprendre que le Gouvernement nous explique qu’il est hors de question d’espionner les djihadistes ou les candidats au Djihad….

Mme Marie-Françoise Bechtel. Ce n’est pas cela ! Quelle caricature !

M. Pierre Lellouche. …alors que l’on met en place un énorme système de surveillance sur le reste du pays. Grâce aux moyens modernes d’interception et aux dispositions de la loi, vous construisez un Himalaya d’informations sur tout le pays, en oubliant que le point commun à Mehra, Nemmouche, Kouachi, Koulibaly, c’est la prison. C’est en prison qu’ils ont été radicalisés, c’est là que s’échangent les informations, c’est là que pénètrent 27 000 téléphones portables par an – pas des téléphones normaux ; des appareils de la taille d’un boîtier de clé de voiture. Or, en prison, il est interdit d’écouter, et il n’existe pas de moyens de se renseigner. Nous marchons sur la tête ! Espionnons là où c’est important ! Cela devrait être la priorité absolue. Or, après le vote par la commission d’un amendement permettant de créer un service de renseignement dans la pénitentiaire, Mme Taubira vient nous dire que la justice ne doit pas être concernée, qu’elle ne peut se salir les mains dans une telle affaire, qu’il est hors de question que ses services espionnent les détenus car ce n’est pas leur métier, celui-ci se limitant à faire échouer les tentatives d’évasion. Sauf que, malheureusement, avec le djihadisme, ces missions ont changé.

Il ne s’agit pas de demander aux gardiens de prison de jouer les espions, comme l’a très bien expliqué M. Urvoas. Il s’agit de leur donner les moyens d’espionner là où c’est nécessaire. Il est incompréhensible que le Gouvernement veuille ainsi supprimer l’une des rares dispositions utiles de ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Je voudrais remercier Mme la garde des sceaux d’avoir rappelé les éléments relatifs à l’action du renseignement pénitentiaire qui attestent de l’engagement du Gouvernement en la matière, notamment en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, et les progrès accomplis depuis plusieurs années pour régler des problèmes qui remontent à plus longtemps que cela.

Nous avons débattu pendant plus d’une heure de la question de savoir s’il fallait utiliser le vecteur de la loi ou celui du décret pour définir les services de renseignement. En l’espèce la question se pose en des termes différents : qu’est-ce que la loi permet de mettre dans un décret ?

La commission des lois a adopté deux amendements, celui de M. Larrivé et celui de M. Cavard, pour offrir la possibilité au ministère de la justice de solliciter la mise en œuvre de techniques de renseignement afin de remplir certaines de ses missions, qu’il s’agisse de la lutte contre le terrorisme, de la lutte contre la criminalité ou la délinquance organisée, de la lutte contre les violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale et j’en passe.

Grâce à ce dispositif, si la Chancellerie le souhaite, elle pourrait, au moment qu’elle jugerait opportun, faire inscrire le bureau du renseignement pénitentiaire dans un décret pris en Conseil d’État afin de préciser quelles administrations, autres que celles du renseignement, peuvent recourir à ces techniques, dans quelles conditions et pour quelles finalités, le tout bien évidemment dans le respect de ce présent texte.

Je parle de ce dispositif tel qu’il est issu des travaux de la commission des lois et qu’il nous est proposé aujourd’hui d’amender.

Il serait dommage de ne pas ouvrir cette possibilité. C’est pourquoi le groupe socialiste ne souhaite pas voter l’amendement du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. Je comprends la haute exigence intellectuelle qui vous amène, madame la garde des sceaux, à exposer une position que nous pouvons comprendre. Cela étant, nous travaillons depuis quelques mois sur les filières djihadistes avec M. Mennucci et quelques collègues, sous l’autorité du président Ciotti, et nous visitons des prisons. Nous avons bien compris qu’il ne s’agit pas de transformer les surveillants pénitentiaires en petits espions, ce qui aurait pour effet catastrophique de détériorer complètement les relations entre le surveillant et le détenu, qui sont des relations d’autorité mais qui doivent être aussi des relations de confiance. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Alain Chrétien. Comment peut-on dire des choses pareilles !

M. Yves Goasdoué. Laissez-moi finir, vous serez satisfaits !

J’ai bien compris que le bureau EMS-3 passerait de 73 à 185 personnes, tout au moins l’ensemble des services, et c’est très important. Je crois que nous ne pouvons pas aujourd’hui nous passer des services particuliers que prévoit ce texte et qui seraient, madame la garde des sceaux, sous votre autorité. C’est la raison pour laquelle nous tenions tant à ce décret en Conseil d’État et à ce que le renseignement pénitentiaire demeure sous la tutelle du ministère de la justice. Nous ne pouvons plus permettre qu’en prison tant d’informations passent au travers du crible.

M. Élie Aboud. Très bien, c’est courageux !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Mennucci.

M. Patrick Mennucci. À mon tour, madame la garde des sceaux, je vais soutenir la position du groupe socialiste, en ayant conscience que cela peut vous poser une difficulté, mais en témoignant de ce que j’ai vu dans le cadre de notre commission d’enquête. Un rapport sera publié le 27 mai prochain, mais on peut déjà dire un certain nombre de choses ici.

Tout d’abord, la disposition dont nous débattons ne résulte pas d’une proposition de Guillaume Larrivé. En ce qui me concerne, je me réfère plutôt au texte qu’a publié Jean-Jacques Urvoas, le 2 juin 2014, sur son blog. Il s’y livrait à une analyse du renseignement pénitentiaire, qui a attiré mon attention et à la suite de laquelle j’ai essayé de m’intéresser à la question. Je ne reviens pas sur la forme – Pascal Popelin et Yves Goasdoué en ont parlé parfaitement. Vous aurez la possibilité de faire les choses au moment où vous estimerez devoir les faire.

Sur le fond, nos débats sont en ce moment même suivis par des directeurs de prison, des syndicalistes, des surveillants de prison qui attendent de nous de la considération, un geste par lequel nous reconnaissions la qualité de leur travail. Les collègues qui, avec moi, sont allés à la prison des Baumettes, à Marseille, ont été extrêmement impressionnés par la qualité du travail et l’engagement des gens de EMS-3, par l’intelligence de leur action.

J’évoquerai un paradoxe, pour que chacun comprenne. Il est possible, en prison, d’écouter les conversations légales. Quand quelqu’un prend un téléphone et appelle sa famille, on a le droit de le brancher et de l’écouter, mais on n’a pas le droit d’écouter les conversations illégales ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Élie Aboud. C’est extraordinaire, ça !

M. Patrick Mennucci. C’est la réalité ! Je vois, monsieur Lellouche, que vous opinez du chef, mais vous avez voulu ouvrir une polémique. Il est faux de dire qu’il n’y a pas d’écoutes en prison !

Mme la présidente. Merci de conclure, monsieur Mennucci.

M. Patrick Mennucci. La pénitentiaire fait appel à la DGSI qui vient faire l’écoute ou, plus habituellement, la DGSI trouve le téléphone et demande à la pénitentiaire de ne pas le saisir parce qu’elle l’a mis sur écoute. C’est ce qui se passe, mais peut-être ai-je mal compris ce que vous avez dit.

Je voulais en tout cas souligner ce paradoxe terrible.

Je voudrais que le Gouvernement retire son amendement et que nous conservions le texte adopté par la commission des lois. Ce serait lancer un signe très fort à ceux qui, dans les prisons, sont en première ligne pour faire face à la radicalisation et aux difficultés. Et ensuite, Mme la garde des sceaux pourrait faire évoluer les choses au fil du temps.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je tiens à souligner qu’en commission j’étais intervenue contre l’amendement de la commission,…

M. Sergio Coronado. Tout à fait !

Mme Marie-Françoise Bechtel. …et que j’avais soutenu le texte du Gouvernement. Il est donc logique que je défende aujourd’hui l’amendement du Gouvernement.

M. Sergio Coronado. Bravo !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il ne faut pas confondre les questions.

M. Sergio Coronado. Exactement !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Des questions matérielles se posent. Que peut-on faire en prison, notamment pour relever le terrible défi du djihadisme qui n’est pas ponctuel mais ne représente pas non plus la totalité de ce qu’a été la prison depuis des siècles dans notre pays ? Mais se pose aussi une question de principe. Certains ministères, par construction, auront toujours des services de renseignement : on n’imagine pas un ministère de l’intérieur ou un ministère de la défense sans service de renseignement. C’est aussi, hélas, le cas du ministère du budget, chargé des douanes. En revanche, l’identité du ministère de la justice est ailleurs.

M. Pascal Cherki. Exactement !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Un collègue a parlé tout à l’heure du métier de surveillant, mais nous n’allons pas changer l’identité du ministère de la justice parce qu’il nous faut lutter avec les meilleurs moyens possibles – ça c’est sûr – contre une menace grave.

La lutte contre cette menace ce n’est pas du tout le sujet.

M. Pierre Lellouche. Bien sûr que si !

Mme Marie-Françoise Bechtel. La question, c’est de savoir comment on peut faire utilement travailler, au sein de la pénitentiaire, une cellule de renseignement, en lien, éventuellement, avec d’autres services,…

M. Pierre Lellouche. Cela ne fonctionne pas !

Mme Marie-Françoise Bechtel. …pour arriver aux meilleures conditions matérielles possibles de surveillance et donc de prévention du développement des filières djihadistes par la prison. C’est ça, le sujet, mais le texte que la commission nous propose n’évoque absolument pas cela et ne règle aucun des problèmes évoqués, brillamment d’ailleurs, par mon collègue Goasdoué ou, à l’instant, par Patrick Mennucci. J’ajoute qu’il faut lire correctement l’article en question, parce que notre collègue Pascal Popelin en a fait tout à l’heure une lecture inversée.

M. Patrick Mennucci. Non !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Si nous adoptons l’amendement du Gouvernement, il ne sera pas gravé dans le marbre que la justice aura toujours accès aux techniques de renseignement, mais elle pourra être autorisée à y recourir pour des missions précises, au même titre que d’autres services, par un décret en Conseil d’État. Cet amendement est précis, et il a la droiture des principes.

M. Sergio Coronado et M. Noël Mamère. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Les prisons de France sont tellement ouvertes sur le monde extérieur que les détenus qui n’obéissent pas aux règles wahhabites au sein des établissements voient leurs familles menacées, et ils ne peuvent même pas prendre de douches s’ils ne portent pas de caleçon ou de slip. Je veux saluer ici le dévouement des membres de l’administration pénitentiaire, qui sont en permanence exposés au danger et se font régulièrement agresser. La population d’une centrale que je connais bien compte environ 70 % à 80 % de détenus convertis à l’islam wahhabite ou sous influence de celui-ci, actuellement financé, nous le savons bien, par des fonds qataris ou saoudiens. Cette proportion extrêmement forte induit des changements de code, car le détenu dit radicalisé ne porte plus de signes distinctifs : il se font dans la masse pénitentiaire, fait son métier de manière extrêmement intelligente et il est en avance sur son temps, parce qu’il combat pour une cause que nous ne partageons pas en s’affranchissant de toute culpabilité et en justifiant ses actes passés et futurs, des actes d’extrême violence.

Les surveillants sont là pour surveiller, madame la garde des sceaux, ce ne sont pas des éducateurs spécialisés. Ils sont là pour collecter du renseignement et, la circulation des informations parmi les détenus étant ce qu’elle est, je vois mal comment pourrait passer inaperçue des détenus eux-mêmes l’arrivée de membres du personnel extérieurs à l’administration pénitentiaire – puisque c’est ce que nous proposent certaines ou certains de nos honorables collègues, que je salue ici. Ce système serait totalement inapplicable ! La seule solution, madame la garde des sceaux, c’est bien qu’il y ait suffisamment de personnels formés à la surveillance des gens dangereux dans les centrales et maisons d’arrêt en France.

M. Philippe Meunier. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Duflot.

Mme Cécile Duflot. Je voudrais remercier le Gouvernement d’avoir déposé cet amendement. Si nous ne l’adoptions pas, nous ferions une erreur phénoménale à la fois sur les objectifs et sur les principes. Et je veux dire au rapporteur, M. Urvoas, que Sergio Coronado avait voté contre l’amendement adopté en commission des lois.

L’administration pénitentiaire peut être amenée à faire du renseignement, notamment pour atteindre des objectifs liés à son activité, mais vouloir lui confier une fonction qui est celle des services de renseignement, c’est nier totalement son rôle, et c’est même le fragiliser. En effet, pouvoir avoir recours automatiquement à des techniques extrêmement intrusives mettrait à mal la capacité même du personnel pénitentiaire d’exercer ses fonctions.

J’ai entendu ce que vous avez dit, monsieur Mennucci. La question qui se pose, c’est celle en effet celle de la multiplicité des appareils de téléphonie mobile. Ces derniers sont, de fait, tolérés, parce qu’on ne peut pas gérer leur présence, et il vaudrait mieux simplifier leur mise sous écoute, le cas échéant, par des organismes de renseignement classiques qui feraient, eux, leur métier. Mais confier cela à l’organisation pénitentiaire expose celle-ci à des risques très importants. Surtout, cela attenterait à des principes. Dans ce débat, auquel je n’ai pas participé autant que je le souhaiterais puisque la commission du développement durable travaille en ce moment sur la loi de transition énergétique, nos principes fondamentaux sont souvent évoqués. Or la fonction du ministère de la justice et de son outil d’exécution de la peine qu’est l’administration pénitentiaire n’est pas d’assurer le renseignement. Ce sont d’autres services qui remplissent cette mission.

Cela va peut-être vous contrarier, monsieur Lellouche, mais je vais reprendre votre exemple des portes blindées de la Germanwings. Donner à l’administration pénitentiaire des capacités d’intervention allant au-delà de la question de la sécurité des établissements et de la prévention des tentatives d’évasion, serait lui faire porter la responsabilité de la détection, ce qui n’est pas sa fonction, et risquerait de produire un effet inverse à celui recherché. En effet, on pourrait trouver certains outils utiles, mais la possibilité de recourir à tout moment à des techniques secrètes fragiliserait totalement la situation. Rappelons qu’il s’agit de personnes privées de liberté et, par principe, détenues dans des cellules de quelques mètres carrés. Cela aboutirait à une situation intolérable au regard de nos principes. Voilà pourquoi il faut absolument soutenir l’amendement du Gouvernement que je remercie d’avoir été sensible et attentif à ce principe.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Sur un tel sujet, il ne peut pas y avoir d’opposition entre l’Assemblée et l’exécutif, entre la majorité et le Gouvernement. Je note que le texte initial, signé par le Premier ministre, ne prévoyait pas le recours aux services de la justice. Je note aussi que les amendements identiques qui nous sont maintenant soumis sont soutenus non seulement par la garde des sceaux, mais aussi par le ministre de l’intérieur. J’en appelle donc à la sagesse de l’Assemblée. Il ne me semble pas possible qu’il y ait une telle opposition frontale. C’est inconcevable, et cela pose un véritable problème en termes de liberté et même de crédibilité de la loi.

Il me semblerait préférable d’adopter ces amendements dans un premier temps et de réexaminer ensuite la question.

Mme Laure de La Raudière et M. Élie Aboud. Non, il faut faire l’inverse !

M. Alain Tourret. Sinon, il y aura à l’évidence une confusion des genres. Et pour paraphraser Audiard, voici ce que je pourrais vous dire : Les matons ne sont pas des balances. Sinon, les caves les planteront !

M. Patrick Mennucci. Ce ne sont pas les matons ; c’est le service !

Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Je soutiens le Gouvernement. Dans ce débat, les frontières sont bouleversées. On ne sait plus où est la droite, où est la gauche, où sont ceux qui soutiennent ou ne soutiennent pas le Gouvernement. Il s’agit uniquement de savoir si les agents de l’administration pénitentiaire pourront, après décret, avoir accès aux techniques de renseignement. Il ne s’agit pas de savoir s’il y a du renseignement ou pas dans l’administration pénitentiaire.

Pourquoi est-il souhaitable que ces agents n’aient pas accès aux techniques de renseignement ? D’abord parce qu’il n’y en a pas besoin. Aujourd’hui, en France, dans une maison d’arrêt, ou dans une centrale, des parloirs peuvent être sonorisés, soit sur décision judiciaire, soit – pour l’instant, sans base légale – à la demande de services. Ce qu’a décrit Patrick Mennucci me semblait relever non pas du droit mais de l’exactitude factuelle. Donc cet accès aux techniques de renseignement n’est pas nécessaire. Que ce soit pour les téléphones ou pour les parloirs, ce n’est pas une nécessité.

Pourquoi est-il nécessaire que l’administration pénitentiaire ne puisse pas avoir accès à ces techniques ? Parce que, si l’administration pénitentiaire doit, certes, garder les détenus, elle doit aussi préparer leur réinsertion, leur sortie, de sorte que le taux de récidive soit le plus bas possible.

M. Philippe Meunier. On parle de djihadistes !

M. Nicolas Dhuicq. Ce sont des combattants !

M. Denys Robiliard. Et cela passe notamment par une relation humaine de qualité. Il y a des règles dans une maison d’arrêt, dans une centrale.

Effectivement, il n’y a pas de droit de correspondance, et on peut écouter les conversations téléphoniques. Tout ça, les détenus le savent, mais ils ne doivent pas voir dans un gardien un espion potentiel : cela fausserait la relation humaine, et ce serait une altération de l’extrême qualité de la relation mise en œuvre par les surveillants dans les prisons françaises. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. Élie Aboud. Quelle relation humaine ?

M. Denys Robiliard. Je vous dis cela après m’être rendu, chaque semaine, quinze ans durant, dans la maison d’arrêt de mon département.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Je ne comprends pas du tout l’argumentation de nos collègues Popelin et Goasdoué : je vais leur répondre, leur donner des motifs de réconfort. Ils nous ont dit qu’en opérant cette modification en commission des lois, ils ont battu le Gouvernement. Ils estiment que le bureau EMS-3, en tant que structure spécialisée du renseignement pénitentiaire, doit pouvoir participer au travail de renseignement. Ainsi, selon eux, si l’on supprime les mots « de la justice » à l’alinéa 17, l’EMS-3 ne pourra pas le faire.

Je vous lis cet alinéa, mes chers collègues : « Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, désigne ceux des services, autres que les services spécialisés de renseignement, relevant des ministres de la défense, de la justice et de l’intérieur ainsi que des ministres chargés de l’économie, du budget ou des douanes, qui peuvent être également autorisés à recourir aux techniques » de renseignement. Le fait d’enlever le mot « justice » de cet alinéa n’interdira donc pas au Gouvernement de décider, par décret, de faire participer le bureau du renseignement pénitentiaire au travail de renseignement. Je suis surpris qu’après avoir travaillé en commission des lois, vous n’ayez pas compris cela !

M. Pascal Popelin M. Patrick Mennucci et Mme Laure de La Raudière. Mais non, c’est faux !

M. Patrick Mennucci. La virgule ! Vous oubliez la virgule !

M. Pascal Cherki. Mais si ! L’alinéa précise bien que les services autres que les services spécialisés peuvent être également autorisés à recourir à ces techniques.

M. Patrick Mennucci. Allez ! Les frondeurs suppriment les virgules, maintenant !

M. Pascal Cherki. Ensuite, l’amendement n408 est un amendement du Gouvernement : j’imagine donc, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre de l’intérieur, que le Premier ministre est complètement d’accord avec cet amendement. C’est donc le Gouvernement qui demande à la représentation nationale, et en premier lieu aux députés socialistes, de supprimer les mots « de la justice » à cet alinéa, afin que l’institution judiciaire en tant que telle ne soit pas mentionnée.

Mme Laure de La Raudière. Les frondeurs soutiennent le Gouvernement contre le reste du groupe socialiste à présent ?

M. Éric Ciotti. C’est à fronts renversés !

M. Pascal Cherki. On peut débattre, être d’accord ou pas ; j’ai moi-même retiré un certain nombre d’amendements, car j’ai été convaincu par les arguments du Gouvernement – j’ai moins été convaincu par d’autres arguments. Malgré cela, je trouverais curieux, compte tenu de l’intensité que met le Premier ministre dans ce combat, de la détermination et de la pugnacité de M. le ministre de l’intérieur, et de ce qu’a dit Mme la garde des sceaux, que des députés socialistes décident d’aller plus loin que le Gouvernement, avec la bénédiction de leurs collègues de l’UMP. J’aimerais, chers collègues du groupe socialiste, que vous ayez cette ardeur quand il s’agit de questions sociales !

Mme la présidente. La parole est à M. Joaquim Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Dans ce débat, je suis presque perdu. Il faut dire que les surveillants ne sont pas des agents professionnels du renseignement : ce sont des professionnels de l’observation.

M. Pierre Lellouche. Eh oui !

M. Joaquim Pueyo. Ils observent tous les jours, et s’ils recueillent des informations intéressantes, cela peut être utile aux services de renseignement. Il faut donc à la fois, renforcer le travail d’observation des surveillants et, parallèlement, renforcer la coordination autour du renseignement.

Ensuite, à mon avis, ce qui importe, c’est l’efficacité : Mme la garde des sceaux l’a dit, ainsi que M. le ministre de l’intérieur. Pour que ces renseignements soient exploités, il faut des relations hebdomadaires, quotidiennes, avec la direction générale de la sécurité intérieure, qui dépend du ministère de l’intérieur : c’est ce qui se passe actuellement.

L’article 12 du projet de loi permettait malgré tout aux services pénitentiaires d’utiliser des techniques de renseignement. Il est donc dommage, monsieur le rapporteur, de l’avoir supprimé, et d’avoir écarté du même coup l’intervention du procureur de la République ; je rappelle, à cet égard, que les services pénitentiaires sont placés sous le contrôle des magistrats de l’ordre judiciaire. J’avoue que la suppression de l’article 12 me gêne : je tenais à le dire.

M. Thierry Benoit. Il n’a pas tort !

Mme la présidente. La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. Je soutiens l’amendement présenté par Mme la garde des Sceaux, mais je veux bien partir de ce qu’a proposé, à raison, notre rapporteur. Il a rappelé la distinction entre les services de renseignement proprement dit, et ceux qui concourent au renseignement. Autrement dit, à chacun son métier.

J’ai été travailleur social : je dirigeais des centres médico-sociaux. Nous étions chargés de la protection de l’enfance. Certains services sont directement chargés de la protection de l’enfance, d’autres peuvent y concourir : je pense, par exemple, à des services de police ou de gendarmerie. Vous comprenez bien que lorsque nous étions amenés à coopérer avec ces derniers sur des situations difficiles, il n’était pas question pour nous de leur transmettre l’intégralité des informations liées à la personne considérée, en l’espèce, l’enfant mineur ou sa famille, sauf demande expresse dans le cadre d’une procédure légale. Il serait donc bon de distinguer les missions régaliennes qui relèvent de la défense ou de l’intérieur de celles qui relèvent de la justice, voire de l’éducation.

Par ailleurs, je comprends parfaitement les préoccupations exprimées par Jacques Myard et Pierre Lellouche. Ils veulent trouver un moyen pour lutter contre la radicalisation en prison et pour intercepter, le cas échéant, des informations concernant des personnes qui pourraient nuire à la sûreté de l’État, parce qu’elles fomenteraient des attentats. Mais c’est déjà possible, sans impliquer l’institution judiciaire en tant que telle. Il suffit, tout simplement, de demander des autorisations ciblées pour des détenus clairement identifiés : c’est déjà le cas aujourd’hui.

Comme l’ont rappelé certains de mes collègues, les affaires Merah et Kouachi ont montré que cette surveillance était possible. Il est donc parfaitement possible, à l’heure actuelle, de demander la mise en place d’un dispositif de surveillance ciblé et limité dans le temps pour surveiller des personnes présentant un risque avéré, sans pour autant confier aux services de renseignement pénitentiaire la maîtrise d’outils de renseignement dont nous avons vu, et verrons à nouveau à l’occasion de l’examen d’autres articles, qu’ils peuvent poser problème. De plus, à mon avis, ces outils éloigneraient l’ensemble des métiers du corps pénitentiaire de leurs missions d’origine.

Mme la présidente. La parole est à M. Guénhaël Huet.

M. Guénhaël Huet. Parmi les différentes interventions sur ce sujet ô combien difficile, je voudrais en retenir une : celle de M. le président de la commission des lois. Il a décrit avec beaucoup de précision la réalité du milieu pénitentiaire, la manière dont les choses s’y passent, en citant certains chiffres : on ne peut pas échapper à cette réalité. Sur ce sujet, les opinions sont transpartisanes : on ne peut que s’en réjouir. Quoi qu’il en soit, j’ai cru comprendre que ce projet de loi n’était pas de circonstance, qu’il n’avait pas pour objet de répondre à une émotion, mais qu’il reposait sur un principe de réalité. Eh bien c’est précisément au nom de ce principe de réalité, comme l’a dit Jean-Jacques Urvoas, et compte tenu de ce que nous savons tous de la réalité pénitentiaire, des influences djihadistes qui y existent, qu’il ne faut pas accepter l’amendement présenté par le Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Aurélie Filippetti.

Mme Aurélie Filippetti. Nous sommes dans une situation paradoxale. Vous aurez compris, depuis le début du débat, que je suis assez critique vis-à-vis du projet de loi du Gouvernement.

M. Pascal Popelin. Cela ne nous a pas échappé !

Mme Aurélie Filippetti. Pourtant, j’entends défendre l’amendement n408 du Gouvernement. Pourquoi cela ? Je ne reprendrai pas tous les arguments qui ont été avancés pour définir ce qu’est l’administration pénitentiaire, ce qu’est la prison. Je répète ce qui a été dit très justement : les personnels de l’administration pénitentiaire ne sont pas là pour faire du renseignement.

M. Patrick Mennucci. Mais ils ne sont pas concernés !

Mme Aurélie Filippetti. Surtout, dans un souci d’efficacité, il faut faire confiance au personnel qui travaille dans les prisons pour identifier les détenus qui se marginalisent, qui nouent des liens avec des extrémistes – notamment islamistes – et tombent sous leur emprise. Dans la réalité, leur charge de travail est très lourde ; ils connaissent les détenus au plus près, ce qui leur permet, ensuite, de signaler d’éventuels dysfonctionnements, dérives ou dérapages. S’ils peuvent les identifier, c’est parce qu’ils ont une relation humaine quotidienne avec ces détenus.

La réalité, aujourd’hui, c’est que les services de l’administration pénitentiaire travaillent avec les services de renseignement, et qu’ils seront amenés à travailler davantage avec eux. Cela sera précisé par l’amendement n407 du Gouvernement, que nous examinerons un peu plus tard. De cette manière, ceux qui sont au contact quotidien des détenus, ceux qui nouent avec eux une relation de confiance – dans laquelle chacun garde bien sa place –, pourront travailler au mieux.

M. Nicolas Dhuicq. Vous savez ce qu’ils en pensent, les gardiens, de la relation de confiance quand ils se font agresser par des détenus ?

Mme Aurélie Filippetti. Ils pourront ainsi identifier les détenus qui risquent de poser problème – sur 65 000 personnes aujourd’hui en détention, il y en a quelques centaines – et transmettre ces informations aux services de renseignement spécialisés. C’est comme cela que l’on pourra lutter efficacement contre la radicalisation, tout en respectant l’esprit de l’institution judiciaire et pénitentiaire.

Mme la présidente. Sur les amendements identiques nos 408 et 396, je suis saisie par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. J’ai le sentiment que depuis plusieurs jours, nous nous sommes laissé entraîner dans une sorte de confusion intellectuelle. Je ne mets en doute l’honnêteté intellectuelle de personne, mais nous nous éloignons de la réalité !

Ce projet de loi crée-t-il le renseignement français ? Non, il l’encadre. Y a-t-il actuellement, dans l’administration pénitentiaire, au ministère du budget, à l’intérieur et à la défense, des services qui, sans être des services spécialisés de renseignement, font malgré tout des actions de renseignement ? Oui ! Madame la garde des sceaux, je vous pose une question : les fonctionnaires de l’EMS-3 dans les prisons, qui font partie du personnel pénitentiaire, sont-ils entachés de l’aléa que vous faites du renseignement ? Non !

Vous craignez qu’ils ne le soient : c’est une réserve légitime, que nous comprenons. Mais l’alinéa 17 ne la justifie pas. Il prévoit simplement que l’on pourra autoriser, par décret, un certain nombre de services, qui ne sont pas des services spécialisés de renseignement, à utiliser des techniques de renseignement. D’ailleurs, si nous adoptions l’amendement du Gouvernement, cela n’empêcherait pas l’EMS-3 d’utiliser les techniques de renseignement qu’il peut – ou doit – utiliser.

Madame la garde des sceaux, vous semblez craindre que cet alinéa ne fasse sombrer l’administration pénitentiaire dans la stratégie de renseignement. Mais l’amendement n408 ne me semble pas du tout approprié. Ce que permet le texte adopté par la commission, c’est d’autoriser les services de l’administration pénitentiaire – entre autres – à utiliser les techniques de renseignement, telles qu’elles sont décrites dans la deuxième partie de ce projet de loi.

Il s’agit donc non pas de balancer l’administration pénitentiaire dans le cercle des services de renseignement, mais de permettre aux services spécialisés de cette administration d’utiliser les techniques de renseignement. Tel est, depuis le début, le sens de ce dispositif qui ne porte en rien atteinte aux principes fondamentaux de la justice. Il permettra en revanche de légaliser ce qui se fait actuellement dans les centres de détention.

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Pour une fois, nous aurons beaucoup de plaisir à soutenir le Gouvernement. En effet, l’amendement proposé par Mme la garde des sceaux permet de respecter certains principes institutionnels très bien décrits par Mme Bechtel, qui parlait de construction institutionnelle. Dans la construction des institutions de ce pays, le ministère de la justice n’est ni le ministère de l’intérieur, ni le ministère des renseignements. L’administration pénitentiaire n’est pas un substitut des officines de renseignement et du ministère de l’intérieur. La fonction de ceux qui sont aujourd’hui chargés de surveiller et punir – pour reprendre l’expression de Michel Foucault – ne consiste pas à se substituer aux services de renseignement, mais à favoriser la réinsertion, comme M. Robiliard l’a très bien dit tout à l’heure.

Un certain nombre d’entre nous ont participé, en 2000, à la commission d’enquête parlementaire sur les prisons, créé à l’initiative du président de l’Assemblée nationale de l’époque M. Fabius. Nous avons visité des maisons d’arrêts, des centres de détention et nous avons vu quel pouvait être le rôle de l’administration pénitentiaire. Nous avons également constaté ses manquements et ses failles, notamment dans sa mission de préparation à la réinsertion.

Nous ne pouvons pas aujourd’hui, au motif que nos centres de détention seraient « truffés » de djihadistes, dévoyer la fonction du ministère de la justice. M. Amirshahi l’a très bien dit tout à l’heure, un certain nombre d’outils sont déjà à la disposition du ministère de l’intérieur et des services de renseignements pour suivre ceux qui peuvent constituer une menace pour notre pays. Les enquêtes sur les affaires Merah et Coulibaly et sur les frères Kouachi ont révélé les failles dans le suivi des services de renseignement. Ce n’est pas une raison pour faire du ministère de la justice un substitut de ces services. C’est la raison pour laquelle nous défendons avec acharnement et obstination l’amendement de Mme Taubira.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Comme l’a dit un de nos collègues tout à l’heure, ce débat est loin d’être médiocre. Je vais essayer de le ramener aux seules dispositions prévues par ces amendements. La question n’est pas de soutenir ou non le Gouvernement : je le soutiens, et d’autres qui vont voter l’amendement ne le soutiennent pas. La question n’est pas non plus de savoir si l’administration pénitentiaire deviendra ou non un service de renseignement.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement ! Ce n’est pas la question !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. La question est simple et très précise : l’administration a créé en son sein, par un décret du 9 juillet 2008, l’état-major de sécurité n3, c’est-à-dire le fameux bureau du renseignement pénitentiaire dont la vocation est la collecte, le croisement et l’analyse des renseignements, mission assurée par 70 personnes aujourd’hui, 113 demain, sur les 26 000 surveillants. Ces personnels dûment habilités pourront-ils avoir accès à des techniques de recueil de renseignement pour exercer la mission que nous leur avons confiée ? C’est aussi simple que cela.

M. Pouria Amirshahi. Il ne faut pas qu’ils le fassent !

M. Élie Aboud. C’est une évidence !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Nous avons pensé qu’il y avait là une opportunité. Nous sommes en train d’établir un cadre juridique pour les services de renseignement ; or le bureau du renseignement pénitentiaire est un service de renseignement qui n’a pas accès aux techniques de recueil de renseignement. Allons-nous lui donner les moyens de travailler ? Si vous répondez non, la situation actuelle se perpétuera. Il y a déjà eu un accord entre la DGSI et l’administration pénitentiaire ; il faudrait d’ailleurs qu’il y en ait un avec la sous-direction de l’anticipation opérationnelle, le service de renseignement de la gendarmerie.

M. Mennucci, qui conduit une commission d’enquête sur les djihadistes et qui a visité beaucoup de prisons et entendu leurs personnels, a rappelé à juste titre qu’il y a des écoutes en prison, qui sont mises en œuvre par la DGSI. Nous proposons simplement que, demain, l’état-major de sécurité s’en charge. Il s’agit là d’une opportunité : nous ne contraignons personne. Si le Gouvernement s’y oppose, et l’on peut parfaitement entendre ce point de vue, l’état-major de sécurité ne le fera pas. Seulement nous, qui travaillons sur ces questions depuis quelque temps, estimions qu’il était opportun de l’autoriser à le faire. C’est aussi simple que cela.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je remercie tous les députés qui se sont exprimés car chacun a fait apparaître l’importance du sujet. Le résumé que vient de faire le rapporteur en témoigne.

Le rapporteur vient d’évoquer le décret du 9 juillet 2008. L’arrêté du même jour fixant l’organisation de l’administration pénitentiaire dispose que « le bureau du renseignement pénitentiaire est chargé de recueillir et d’analyser l’ensemble des informations utiles à la sécurité des établissements et des services pénitentiaires ». Comme je le rappelle depuis le début des travaux en commission, des missions très précises sont donc confiées à l’administration pénitentiaire, y compris à ce bureau du renseignement pénitentiaire, en matière de sécurité des établissements pénitentiaires.

Vous le savez, les officiers du bureau EMS-3 ne sont pas identifiés. Dès lors que le service de renseignement pénitentiaire peut recourir directement aux techniques de recueil d’informations, c’est potentiellement l’ensemble des personnels pénitentiaire qui peut être considéré comme pouvant y recourir. Telle est la réalité des établissements pénitentiaires.

Mme Cécile Duflot et M. Pascal Cherki. Exactement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et nous allons veiller à maintenir l’anonymat des officiers qualifiés pour accomplir cette mission de renseignement pénitentiaire, car il s’agit là tout simplement d’une condition d’efficacité.

La mission du ministère de la justice est d’assurer le contrôle juridictionnel des activités, y compris relatives au recueil de renseignements, des établissements pénitentiaires placés sous l’autorité judiciaire. C’est la loi ! Le procureur peut à tout moment et de façon inopinée exercer un contrôle de ces lieux clos. Telle est la réalité. Bien sûr, il est possible de ne pas soutenir l’amendement du Gouvernement, mais la nature même des missions du ministère de la justice s’en trouvera modifiée : au lieu d’assurer le contrôle juridictionnel du respect des droits et des libertés des citoyens, les services du ministère auraient à utiliser directement les techniques de recueil de renseignement.

C’est une option possible, je le répète, mais, comme je l’ai dit en commission, ce choix ne peut pas être fait par inadvertance : toutes les conséquences doivent en être examinées. Le renseignement pénitentiaire, pardon de me répéter, a été renforcé pendant les trois dernières années. Il a été restructuré, des dispositions ont été prises. Nous faisons face à la réalité, nous y répondons tous les jours. Et à propos de réalité, monsieur Lellouche, vous avez dit que vous aviez visité la maison d’arrêt de Fresnes, y compris l’aile où étaient regroupés les cent détenus que nous avions choisi de placer dans un lieu dédié. Sauf qu’ils sont vingt-deux, pas une centaine ! Et parmi eux, il y a des prévenus, c’est-à-dire des personnes qui ne sont pas encore condamnées. Mais nous avons assumé la responsabilité de les placer dans une aile dédiée.

Nous sommes allés encore plus loin : comme le renseignement pénitentiaire nous a signalé que les détenus radicalisés avaient depuis quelque temps une stratégie de dissimulation, j’ai décidé l’année dernière, avant les attentats traumatisants que nous avons connus, de lancer une recherche-action, avec appel d’offres, pour détecter ce qu’on appelle les signaux faibles, comprendre le processus de basculement dans la radicalisation mais aussi repérer ceux qui endoctrinent. Il y aura quatre autres recherches-actions. Le premier rapport d’étape sera présenté dans le courant du mois d’avril.

Vous avez dit, monsieur le ministre Pierre Lellouche, que les auteurs des attentats de janvier s’étaient radicalisés en prison. C’est faux. Certes, il est possible que le premier se soit radicalisé en prison mais le deuxième avait déjà été condamné une première fois pour acte terroriste : ce n’est donc pas en prison qu’il s’est radicalisé. Le troisième, quant à lui, n’avait jamais eu à faire à la justice.

Oui, les personnes radicalisées et celles qui se livrent à des actes terroristes sont dangereuses. Lorsqu’elles sont dans nos établissements pénitentiaires, nous avons le devoir de les surveiller le plus étroitement possible. Les vingt-deux détenus que vous avez vus à Fresnes ont encore des relations avec l’administration et nous connaissons leurs profils et pratiques. Mais les radicalisés, les prosélytes, ceux qui endoctrinent ne participent pas à ce programme : ils sont en isolement, font l’objet de fouilles périodiques et sont régulièrement transférés d’un établissement à un autre. Le régime n’est absolument pas le même.

M. Pouria Amirshahi. Exactement ! Le dispositif existe déjà !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous regardons la réalité en face et nous l’affrontons. Nous avons dégagé les moyens nécessaires à l’identification, au suivi et au repérage.

M. Dino Cinieri. Tout va bien, alors !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous faisons des signalements au ministère de l’intérieur de façon systématique. C’est pour cela que nous avons intégré un directeur de l’administration pénitentiaire au sein de l’Unité de coordination de la lutte antiterrorisme – UCLAT. Nous souhaitons simplement que le suivi de ces personnes soit prolongé ; c’est une question d’efficacité.

La loi permet déjà aux services de renseignement d’entrer dans les établissements pénitentiaires. Nous avons estimé que les modalités n’étaient pas suffisamment claires ; c’est pour cela que nous les avions précisées dans le projet de loi. Je rappelle que la principale conséquence de quelques mots introduits par amendement en commission à l’article 1er a été de faire tomber l’article 12 du projet de loi. Or l’article 12 prévoyait d’accorder des moyens supplémentaires au renseignement pénitentiaire et de renforcer ses activités dans le cadre des missions générales que lui confère la loi. On peut les changer, je le répète, mais permettre à l’administration pénitentiaire d’avoir directement recours à des techniques de recueil de renseignements change la nature même de ces missions.

M. Pouria Amirshahi. C’est ça qui est important !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’article 12 prévoyait de donner à l’administration pénitentiaire la possibilité de détecter, de localiser, de brouiller les communications et de saisir le matériel non autorisé. Nous pouvons aller plus loin. Je rappelle qu’il y a de la vie au sein des établissements : il me semble important que la question de l’efficacité soit traitée. Pour l’instant, nous signalons les personnes qui méritent d’être suivies et les services de renseignement effectuent ce suivi au sein des établissements et à la sortie du détenu. Voilà pourquoi, si l’amendement du Gouvernement n’était pas adopté, nous changerions vraiment la nature des missions du ministère de la justice.

Parmi les moyens que nous avons donnés au renseignement pénitentiaire figure un fichier d’une extrême efficacité puisqu’il nous a permis de recouper un certain nombre d’éléments et de les communiquer au service de renseignement du ministère de l’intérieur. Mais ce fichier ne faisait l’objet d’aucun contrôle. J’ai donc demandé l’intervention de la CNIL. Elle a fait des recommandations et ce fichier devrait être validé dans les prochains jours. C’est un outil d’une extrême importance mais qui a été construit sans tenir compte de la nature des missions du renseignement pénitentiaire et de ses limites juridiques.

Je ne veux pas prolonger davantage les débats. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.) Avec ce texte, nous affrontons la réalité de la situation au sein mais aussi à l’extérieur de nos établissements pénitentiaires. Car il faut rappeler une donnée statistique stable : 15 % des personnes que nous suivons dans les établissements pénitentiaires ont un antécédent carcéral. Oui, 15 % des personnes que nous avons placées sous surveillance particulière ont des antécédents carcéraux. Donc, 15 % ont pu se radicaliser en prison. C’est un chiffre que je donne depuis pratiquement deux ans, mais comme on m’a fait la réputation de ne pas prendre les choses au sérieux, on n’a pas voulu en tenir compte.

Il y a deux ans, lors du démantèlement du réseau de Sarcelles, j’ai fait consulter les fiches pénales des personnes impliquées. Il s’est alors avéré que deux personnes sur douze avaient des antécédents carcéraux. La conséquence est évidente : deux personnes sur douze s’étaient potentiellement radicalisées en prison. Dix personnes sur douze n’avaient jamais mis les pieds en prison et s’étaient pourtant radicalisées jusqu’à devenir membres d’un réseau !

M. Pascal Popelin. Eh oui !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est une donnée essentielle, qui explique l’importance de ce texte et des dispositions qui sont prises afin d’identifier, de repérer et de prévenir la radicalisation qui s’effectue hors des prisons.

Nous prenons donc très au sérieux la radicalisation qui s’opère en prison, comme nous prenons également très au sérieux les personnes qui sont déjà sorties de prison et celles qui sont sur le point d’être libérées. Mais cela ne couvre pas la totalité des lieux de radicalisation, ni la totalité des personnes impliquées dans une radicalisation.

Nous faisons face à la réalité, nous apportons des réponses aux problèmes qui se posent. Il n’empêche que si la nature du ministère de la justice doit être changée, je pense qu’il vaut mieux le faire en toute lucidité.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Absolument.

Mme la présidente. Je vais donner la parole, par exception, à M. Candelier car aucun orateur n’est encore intervenu pour le groupe GDR.

M. Jean-Jacques Candelier. Le débat sur l’amendement n408 est très intense, vif, intéressant, constructif.

M. Nicolas Dhuicq. Et long.

M. Jean-Jacques Candelier. J’ai écouté les uns et les autres. Pour ma part, les agents des services pénitentiaires ont pour vocation de prévenir les risques d’évasion et de faire respecter les règlements, dans l’intérêt de tous. Leur métier est pénible : je l’ai constaté plusieurs fois en visitant des établissements pénitentiaires. Il est dur. On ne peut donc leur confier une mission supplémentaire de renseignement. À chacun son métier. Je voterai donc l’amendement du Gouvernement.

Mme la présidente. Nous allons donc procéder au scrutin. Je vous rappelle que ces deux amendements identiques ont recueilli un avis défavorable du rapporteur et un avis favorable du rapporteur pour avis de la commission de la défense. Je vous remercie de bien vouloir regagner vos places.

Je mets aux voix les amendements identiques nos 408 et 396.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants107
Nombre de suffrages exprimés106
Majorité absolue54
Pour l’adoption38
contre68

(Les amendements identiques nos 408 et 396 ne sont pas adoptés.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n170.

M. Sergio Coronado. Défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Même avis.

(L’amendement n170 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n407.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est un amendement qui s’inscrit dans la logique de ce que j’ai, sans doute un peu longuement, expliqué – mais vous savez que j’ai toujours un désir scrupuleux d’éclairer la représentation nationale de la façon la plus précise possible.

Comme l’article 12 a été supprimé du fait de l’introduction du ministère de la justice parmi les services qui peuvent commander des techniques de recueil de renseignement, j’ai souhaité qu’un amendement permette d’institutionnaliser les relations entre le renseignement pénitentiaire et les services du ministère de l’intérieur, car ces relations existent, alimentées par la bonne intelligence des uns et des autres. Cet amendement a donc pour objet de les formaliser dans la loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. La rédaction de cet amendement me pose un problème, même si j’en comprends non seulement la philosophie mais l’intention et si je suis favorable à son contenu. Je crains simplement un risque d’a contrario.

En effet, l’amendement prévoit qu’un décret déterminera les informations échangées entre un service spécialisé du renseignement et l’administration pénitentiaire. En soi, cela ne pose évidemment pas de difficulté. Mais je crains qu’on rétorque à d’autres services de renseignement qui voudraient disposer d’informations provenant d’autres administrations que dans la mesure où la loi n’a pas prévu de décret, ils ne peuvent accéder à ces informations. Je crains que l’action des autres services de renseignement s’en trouve fragilisée. J’attends donc les compléments d’information de la ministre avant de donner un avis.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je rappelle que cet amendement vise à insérer un nouvel alinéa après l’alinéa 17. Sa première phrase est ainsi rédigée : « Un décret détermine les modalités de mise en œuvre dans les établissements pénitentiaires, par les services mentionnés au présent titre, des techniques de recueil du renseignement visées au titre V du présent livre. » L’alinéa 17, lui, est relatif à un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

Je ne sais pas, monsieur le rapporteur, si votre interrogation provient de ce que l’administration pénitentiaire bénéficierait seule du décret prévu par l’amendement du Gouvernement. Ce décret vise à formaliser, à institutionnaliser et à fluidifier les relations entre le service émetteur d’information et le service récepteur ainsi que la remontée d’informations, car ces relations constituent, nous l’avons vu, une des difficultés opérationnelles rencontrées. Ce va-et-vient, qui n’existe pas, permettrait à cette administration d’être plus opérationnelle encore.

Mme Laure de La Raudière. Mais pourquoi faut-il un décret ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne sais donc pas si votre inquiétude porte sur cette formalisation des relations entre les services pénitentiaires et les services du ministère de l’intérieur, qui est nécessaire puisque l’administration pénitentiaire relève du ministère de la justice, ou si vous vous interrogez sur les relations entre les services du ministère de l’intérieur et ceux des autres ministères qui sont fondés, au titre de l’alinéa 17 – je pense notamment au ministère de l’économie, probablement pour la douane, et au ministère de la défense – à recourir aux techniques de renseignement.

Je n’ai donc pas compris la nature de votre inquiétude, et je me demande si la précision figurant dans l’amendement, « les services mentionnés au présent titre », n’est pas de nature à la dissiper.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Je conçois que la question soit loin d’être simple. Le décret prévoit que les services de renseignement pourront échanger avec l’administration pénitentiaire et obtenir des informations. Voter cette disposition ne me pose évidemment aucun problème.

Mais, que cela soit bien clair, cela implique que l’administration pénitentiaire pourra discuter avec des services de renseignement. Très bien. Mais le Service central du renseignement territorial, par exemple, n’est pas un service de renseignement et aucun décret n’organise ses relations avec l’administration pénitentiaire ! L’absence de décret ne risque-t-elle pas de rendre impossibles, demain, ces relations ? C’est la seule difficulté. Si vous pensez, madame la garde des sceaux, qu’il n’y a pas d’inquiétude à nourrir, cet amendement ne me pose plus de problème. Je crains juste le risque d’a contrario.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je pense que la question de M. le rapporteur mérite d’être explorée. Je suggère donc que l’amendement soit adopté en l’état, que nous expertisions le sujet et qu’éventuellement nous trouvions, soit au Sénat soit lors du retour du projet de loi à l’Assemblée…

Mme Laure de La Raudière. Il n’y aura pas de retour à l’Assemblée.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est vrai.

M. Pascal Popelin. Il faudra le faire au Sénat.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous pourrons donc examiner une solution lors de l’examen du projet de loi au Sénat.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. La démarche que propose la garde des sceaux est la bonne. Je donne donc un avis favorable à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Connaissant l’intelligence redoutable de Mme la garde des sceaux, cet amendement n’est pas anodin du tout. Madame la garde des sceaux, vous menez une guerre de tranchées. Ayant été battue à l’instant en rase campagne…

M. Pouria Amirshahi. C’était votre seul objectif !

M. Nicolas Dhuicq. …vous vous servez de cet amendement, qui va forcément retarder largement l’application du texte et compliquer le travail des services de renseignement. Il vous permettra d’atteindre l’objectif que vous poursuivez depuis quelques minutes, à savoir exclure la possibilité pour l’administration pénitentiaire de participer au service du renseignement qui est salutaire pour la sécurité de la nation.

Il me semblerait logique que cet amendement, malgré la grande ambiguïté de la position de M. le rapporteur, soit retiré pour être retravaillé, au lieu d’être adopté. En effet, s’il était adopté en l’état, il déstructurerait complètement l’esprit du texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Je dois dire, madame la ministre, que votre amendement complique les choses à souhait. Je ne vois comment cette disposition pourrait s’avérer opérationnelle. Si vous voulez faire figurer dans un décret, qui par essence doit être publié au Journal officiel, les modalités et les techniques de recueil de renseignement, les bras m’en tombent ! On sort en effet de la nécessité de la confidentialité.

À l’évidence, vous essayez de reprendre d’une main ce que vous avez précédemment perdu de l’autre. Le décret que vous prévoyez est inopérant : ou bien il s’en tient à des généralités qui n’ont aucun caractère opérationnel, ou bien il entre dans le détail, auquel cas il est dangereux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. J’abonde dans le sens de Jacques Myard. Je ne vois pas l’utilité de prévoir un décret, puisqu’il s’agit de préciser les modalités de travail entre différents services de l’État. J’estime qu’une circulaire serait suffisante : cette solution permettrait de ne pas adopter une rédaction incertaine. C’est la circulaire qui trancherait la question de savoir si sont couverts ou non l’ensemble des services de renseignement concernés par les échanges d’information avec l’administration pénitentiaire.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je voudrais juste répondre à M. le député Dhuicq. Je veux bien que vous me fassiez tous les procès d’intention, mais cela fait trois ans que vous m’accusez de complaisance, et même de complicité, d’amitié, de connivence avec tous les criminels de la Terre, avec tous les terroristes.

M. Pascal Popelin. C’est scandaleux ! Honteux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Eh bien maintenant, cela suffit.

M. Nicolas Dhuicq. Vous déformez.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous avez le droit de penser : vous êtes législateur, c’est vous qui avez le dernier mot. Mais il y a des limites que vous avez franchies depuis très longtemps et que je vous demande, dans cet hémicycle au moins, de respecter. Que vous les dépassiez dans les studios de radio,…

M. Pascal Popelin. Il n’y est pas invité.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …dans les colonnes des journaux ou dans les meetings, passe encore, mais rien ne vous autorise à le faire dans cet hémicycle. Il se trouve que j’appartiens au Gouvernement et que je représente l’exécutif : poursuivez vos accusations infondées, malsaines, dangereuses et insupportables à l’extérieur, mais je vous demande, ici, un peu de décence. (Vifs applaudissements et « Bravo ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Laure de La Raudière. On pourrait au moins avoir des réponses à nos questions ?

(L’amendement n407 est adopté.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour un rappel au règlement.

M. Guillaume Larrivé. Nous avons eu pendant plus d’une heure un débat de qualité portant non pas sur des postures, madame la garde des sceaux, mais sur une différence d’analyse concernant la politique publique de renseignement et son application à l’univers pénitentiaire.

Nous avons poursuivi ce débat de qualité en vous faisant remarquer que l’amendement qui vient d’être adopté ne fonctionnait pas sur le plan juridique. Jean-Jacques Urvoas a posé des questions pertinentes : dès lors que vous définissez certaines modalités de coopération entre certains services et l’administration pénitentiaire, vous dites nécessairement que vous ne prévoyez pas d’autres modalités de coopération avec d’autres services de renseignement. Bref, ce décret ne va pas.

Et vous vous placez à l’instant sur un terrain purement politique en mettant en cause l’opposition. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Pas l’opposition, un collègue !

M. Guillaume Larrivé. Alors que nous démontrons depuis hier que nous intervenons dans un esprit de responsabilité, guidés par la nécessité d’assurer la continuité de l’État, et que nous essayons d’élaborer conjointement avec l’ensemble des membres du Parlement un texte utile pour les Français, je regrette que vous choisissiez de rompre ce climat d’unité (Mêmes mouvements) en vous plaçant sur un terrain très personnel, très politicien, très partisan.

Article 1er (suite)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Pouzol, pour soutenir l’amendement n298.

M. Michel Pouzol. Cet amendement a pour but de permettre l’articulation entre l’action administrative et préventive des services de renseignement et l’action répressive de l’autorité judiciaire.

Le but du renseignement est certes de collecter des données dans un cadre préventif, ce qui justifie l’action administrative et l’utilisation des outils et techniques dévolus aux services de renseignement, mais il doit aussi déboucher sur des investigations dès lors que la collecte des données permet de constater une infraction.

C’est la raison pour laquelle nous souhaiterions que les services de renseignement, une fois qu’ils ont constaté une infraction, quelle qu’elle soit et quelles que soient celles qui pourraient lui succéder, informent directement le juge judiciaire, autrement dit le procureur de la République, ainsi que le Premier ministre pour qu’il puisse saisir la Commission consultative du secret de la défense nationale pour avis sur la possibilité de déclassifier tout ou partie des éléments du dossier en vue de leur transmission au procureur de la République.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. La commission a repoussé cet amendement parce qu’un tel dispositif existe déjà, à l’alinéa 2 de l’article 40 du code de procédure pénale. Si nous créions un dispositif particulier, nous ne serions pas certains de son efficacité et nous affaiblirions cet alinéa du code, qui ne s’applique pas seulement au monde du renseignement.

Je suis toujours partisan de créer des dispositifs quand le droit en manque, mais là, nous en avons un qui fonctionne bien. Je ne vois donc pas l’utilité de cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Vous vous en doutez, madame la présidente, ce n’est pas sur cet amendement que je souhaite m’exprimer, mais vous avez estimé tout à l’heure, à juste titre, qu’un seul rappel au règlement suffisait.

Vos propos, madame la garde des sceaux, ont été entendus et seront relus. Vous avez dit une chose explicitement et une autre implicitement. Ce que vous avez dit explicitement n’était pas trop désagréable puisque vous avez reconnu à un parlementaire le droit de penser, mais ce que vous avez laissé entendre implicitement était très grave. Vous avez dit à ce même parlementaire qu’il avait le droit de penser mais qu’il ne devait pas s’exprimer, et surtout pas ici, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. (« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC.)

On peut être d’accord ou ne pas être d’accord avec les propos tenus par un de nos collègues, on peut apprécier ou ne pas apprécier ce qui est dit de manière récurrente, peut-être lourde à supporter, par un parlementaire, mais se donner la possibilité, quand on est membre du Gouvernement, d’enjoindre à un parlementaire… (Mêmes mouvements)

M. Pouria Amirshahi. Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas ce qu’elle a dit, et vous le savez très bien !

M. Guy Geoffroy. …de dire ou de ne pas dire certaines choses dans l’hémicycle est tout simplement difficile à entendre. Je souhaitais vous le dire très calmement.

M. Guillaume Larrivé. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Madame la ministre, vous êtes très habile pour déformer les propos. Je n’ai jamais tenu ceux que vous m’attribuez. Je suis simplement en profond désaccord avec vous, avec votre vision de la société et la manière dont vous gérez l’administration pénitentiaire, dont les membres souffrent terriblement en ce moment. J’ai le droit de le dire, parce que je visite les prisons. Lorsque nous allons voir une prison et que l’on nous explique que le ministère ne veut pas communiquer sur l’islamisme radical en prison, je me demande dans quel monde nous vivons.

Voilà tout ce que je dis, madame la garde des sceaux. J’espère que ce pays restera un pays de liberté. Je voterai contre cette loi parce qu’elle ne répondra à rien et qu’elle est liberticide. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Mennucci. Que voulez-vous alors ? Il faudrait savoir !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Madame Taubira, le hasard a fait que nous étions ensemble le jour des attentats devant Charlie Hebdo, ce qui restera pour moi un souvenir indélébile. Je sais que vous avez été marquée comme moi ce jour-là. Au-delà des différences politiques que nous pouvons avoir, nous avons vécu ce moment ensemble.

Concernant la radicalisation, d’après le peu que j’ai vu en prison, il y a beaucoup de gens qui reviennent de Syrie, une trentaine ou une quarantaine à Fresnes, une centaine dans les prisons de la République, et c’est vrai qu’ils posent un problème de surveillance, de prosélytisme, comme l’a dit d’ailleurs le Président, et même de contamination des autres détenus. La question que j’ai posée tout à l’heure n’était donc pas polémique. Dans une loi dont le but est d’améliorer notre dispositif de renseignement, il est impensable de tenir les prisons à l’écart puisque c’est en prison, malheureusement, que se recrutent un grand nombre de ces terroristes. Ils se recrutent aussi sur internet, et il faut bien sûr un volet correspondant, mais il faut aussi un volet prisons qui doit être articulé avec les autres.

Votre argument, c’est que ces choses sont trop sales pour faire partie de la justice. Du coup, l’article 12 a été supprimé, ce que je regrette : il y a désormais un grand trou dans cette loi. Notre rôle, c’est tout de même d’être au service des Français. Nous devons bâtir un dispositif pour le monde pénitentiaire. J’espère que nous y arriverons. Le fait qu’il y ait des clivages dans la majorité montre qu’il y a des avis qui rejoignent le mien.

L’amendement n298 pose lui aussi le problème du juge judiciaire, et j’aimerais, madame la ministre, monsieur le rapporteur, avoir votre point de vue sur la façon dont se fait le lien avec l’article 40. Comme vous le souligniez, monsieur Urvoas, les services secrets sont des services publics. Un fonctionnaire qui a connaissance d’une infraction dans le déroulé d’une opération est tenu d’en informer le parquet, c’est le droit commun.

M. Jacques Myard. Sauf à l’éducation nationale !

M. Pierre Lellouche. Cet amendement ne fait que le rappeler.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il ne sert donc à rien !

M. Pierre Lellouche. Je ne comprends donc pas que le Gouvernement soit contre : il ne fait que rappeler l’état du droit. Dans un texte qui écarte totalement le juge judiciaire, il rappelle que, dans ce cas-là, il faut tout de même aller au parquet. Je suis surpris de votre attitude parce que vous laissez accroire que c’est à dessein que l’on sort totalement le monde de la justice de l’exercice des opérations de renseignement : ce n’est pas l’État de droit ! Je soutiens donc cet amendement parce que je le trouve plein de bon sens.

Si vous ne voulez pas qu’il soit adopté, il faut que le Gouvernement s’engage expressément à ce que, si une infraction est constatée pendant une opération d’espionnage ou de surveillance, ce qui peut conduire parfois à des drames, le procureur soit informé – qu’il n’y ait pas de cover up, comme on dit en américain, qu’on ne cache pas les choses.

Monsieur le ministre, si ces services de renseignement ne sont pas des barbouzes et sont des services publics que nous devons tous respecter, faisons en sorte que le droit commun s’applique !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. S’agissant de l’amendement, il me semble que l’explication juridique très claire de notre rapporteur pourrait conduire M. Pouzol à le retirer.

Cela étant, nous avons débattu de tout sauf de l’amendement au cours de cette séquence. On peut tout penser, tout dire, et même dire ce que l’on ne pense pas. Mais moi, je vais dire ce que je pense. Les attaques personnelles, les procès d’intention, le dénigrement dont fait l’objet depuis son entrée en fonction notre garde des sceaux, membre de ce gouvernement, qui fait honneur à la République, me révulsent, et c’est le cas, je pense, de l’ensemble des membres de mon groupe, de l’ensemble des membres de la majorité et au-delà. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Lellouche, l’obligation pour un fonctionnaire quel qu’il soit, notamment un fonctionnaire d’un service de renseignement, de saisir le procureur de la République dès lors qu’il a constaté une infraction pénale au titre de l’article 40 du code de procédure pénale est déjà inscrite dans la loi. Si l’on adopte cet amendement tel qu’il est rédigé, on pourrait a contrario donner le sentiment que, hors ce dispositif, il n’a pas à le faire. On affaiblirait donc la portée de l’article 40.

En outre, l’amendement est mal rédigé : il impose aux « services » de renseignement d’aviser le procureur et le Premier ministre, mais qui est-ce ? C’est à chaque agent du service qu’incombe dans le droit pénal une telle obligation dès lors qu’il constate une infraction pénale.

Nous avons par ailleurs prévu dans le texte la possibilité pour la CNCTR ou le contrôle juridictionnel de saisir le juge pénal en cas de constatation d’une infraction pénale au titre du contrôle des techniques de renseignement mobilisées par les services.

Nous ne sommes donc pas favorables à cet amendement pour deux raisons, parce que c’est déjà prévu dans le droit, et parce que, tel qu’il est rédigé, il affaiblit la portée de l’article 40.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous remercie, monsieur Popelin, pour votre soutien et je remercie les autres députés de la majorité d’avoir manifesté leur adhésion à vos propos.

L’implicite, ce n’est pas mon univers, monsieur Geoffroy, le subliminal non plus, l’elliptique non plus. Je dis clairement que je suis mise en cause constamment depuis trois ans, et que ce sont des mises en cause extrêmement graves, en plus d’être désagréables – mais ce n’est pas le sujet.

M. Dhuicq a prétendu tout à l’heure, relisez le Journal officiel, que je menais une guerre de tranchée parce que je ne voulais pas que l’administration pénitentiaire soit efficace dans la situation difficile et dangereuse qu’affrontent les Français avec le terrorisme. Ce sont des accusations extrêmement graves, et c’est cela que je subis depuis trois ans. Je suis mise en cause à chaque fois qu’il y a un crime odieux dans ce pays, comme si j’en étais l’auteure ! Ce sont des accusations extrêmement graves, constamment !

Alors oui, je me réserve le droit de dire qu’il y a des circonstances, et notamment ici, lorsque je représente le Gouvernement, où il faut prendre un minimum de précautions, parce que ces mises en cause sont d’une extrême violence.

Plusieurs députés du groupe SRC. Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce n’est pas de l’implicite, ce n’est pas du subliminal, de telles accusations sont formulées explicitement depuis trois ans.

Monsieur Dhuicq, on vous aurait dit dans une prison que le ministère ne communique pas sur le radicalisme. Il suffit pour vous que quelqu’un dise quelque chose, peu importent les faits,…

M. Nicolas Dhuicq. C’est la réalité !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est ainsi depuis trois ans pour le ministère de la justice ! Quand vous parlez du prétendu laxisme de la justice, vous mettez en cause 8 500 magistrats juste pour avoir le plaisir de m’accuser !

Or, si vous connaissez les chiffres, c’est parce que je les donne régulièrement. Depuis que je suis arrivée au ministère de la justice, j’ai rendu systématiquement publics les chiffres relatifs à l’administration pénitentiaire. J’avais en effet découvert que les chercheurs devaient demander et redemander plusieurs fois avant d’obtenir des informations, et j’ai décidé de faire la transparence totale en rendant régulièrement publics tous les chiffres concernant la population carcérale. Je rends public le nombre de personnes qui font l’objet de suivi, que ce soit pour terrorisme, pour criminalité organisée ou pour terrorisme islamiste, puisque nous avons encore dans nos établissements des personnes qui relèvent du terrorisme des années 1995 et suivantes. Je lance des appels d’offres pour des recherches-actions. Je donne les informations, et je le fais systématiquement, devant vous en particulier, aussi bien à l’Assemblée qu’au Sénat. Ce sont encore des accusations sans fondement qui sont propagées.

Monsieur Lellouche, s’agissant du travail que nous faisons et auquel je sais que vous êtes sensible, nous avons toutes les raisons d’être fiers. C’est l’action de la France – non que je prétende que l’Union européenne ne se préoccupait pas des questions de terrorisme auparavant – qui a mobilisé la Commission européenne, laquelle dégage aujourd’hui des crédits pour accompagner les États dans leur lutte contre le terrorisme, et même dans la construction de prisons ou le soutien d’actions. Nous avons mis en place un réseau d’échange d’informations. Je me suis déplacée à l’étranger et j’ai reçu mes homologues en France. C’est après la tragédie de janvier que nous avons pris ce tournant, alors que nous avions déjà mobilisé Eurojust et pris un certain nombre de dispositions.

Il a été pris suite à une demande que j’ai formulée, au nom de la France, en vue de structurer la mobilisation de l’Union européenne dans la lutte contre le terrorisme, avec la révision de la décision-cadre de 2008, l’extension de la directive de 1991 et les transpositions de la résolution 2178 de l’ONU sur la définition des infractions terroristes, l’harmonisation de nos infractions pénales et les moyens d’échanger des informations sur les personnes, notamment sur les casiers judiciaires, par le biais du réseau ECRIS. La porosité des frontières, la libre circulation des individus sur le territoire européen représentent en effet une vraie difficulté. Il faut que tous les pays puissent disposer des informations concernant des personnes qui sont fichées dans d’autres pays.

La France peut être fière d’être à l’origine de cette action qui est aujourd’hui mise en œuvre à l’échelle de l’Union européenne. Nous avons toutes les raisons d’être satisfaits de l’efficacité des actions que nous lançons dans cette lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée et la traite des personnes, car tout cela est très fortement lié.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Pouzol.

M. Michel Pouzol. Je retire mon amendement : je ne voudrais pas être celui qui a affaibli l’article 40 ! (Sourires.)

(L’amendement n298 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n4.

M. Lionel Tardy. Cet amendement est très simple, mais nécessaire. La loi devrait préciser le caractère exceptionnel des techniques de recueil de renseignement. Monsieur le rapporteur, vous qui parlez tant de la loi de 1991, sachez que ce caractère exceptionnel y était mentionné. Vous actualisez le cadre légal, mais il faut conserver cette mention essentielle. Nous ne devons pas perdre de vue cet aspect. Si vous voulez répondre à ceux qui craignent une surveillance généralisée, le mieux serait de soutenir cet amendement qui précise ainsi à l’alinéa 22 : « Les techniques de recueil du renseignement mentionnées au titre V du présent livre ne peuvent être mises en œuvre que de façon exceptionnelle sur le territoire national. »

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Défavorable. Le recours à des techniques est justifié ou il n’est pas justifié ; il est légal ou il n’est pas légal. En l’espèce, la précision que propose M. Tardy n’apporte rien.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il y a dans le texte des dispositions beaucoup plus fortes que celle que vous proposez d’adopter là, puisque le texte prévoit que les techniques utilisées doivent répondre à une exigence de nécessité et de proportionnalité, ce qui, en termes de contenu et de protection, est supérieur à la proposition de votre amendement, lequel est donc plus que satisfait. Pour cette raison, je vous suggère de le retirer.

Mme la présidente. Retirez-vous votre amendement, monsieur Tardy ?

M. Lionel Tardy. Je le maintiens, madame la présidente.

(L’amendement n4 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n171.

M. Sergio Coronado. Mon alinéa complète également l’alinéa 22, mais pas tout à fait dans les mêmes termes ni dans le même esprit que l’amendement de M. Tardy. Il vise à préciser que le recours à ces techniques de recueil de renseignement n’est possible que lorsque les renseignements ne peuvent être recueillis par un autre moyen légalement autorisé. Du fait de leur caractère particulièrement attentatoire aux libertés individuelles et à la vie privée, les techniques mentionnées ne doivent être employées qu’en l’absence d’autres possibilités légales. Il importe d’inclure ce principe dans la loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Défavorable. Un certain nombre de techniques prévues dans le texte respectent une forme de gradation dans le caractère intrusif, comme c’est le cas pour la sonorisation des lieux ou des véhicules, de la captation d’images ou de données informatiques. Il existe, pour ces cas-là, un principe de subsidiarité dans le texte. Le rajouter de manière générale, c’est affaiblir ce principe pour ces techniques particulières.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Votre amendement, monsieur Coronado, prévoit que les techniques de renseignement soient mises en œuvre dans le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité. Le respect du principe de proportionnalité exige que les services recourent à la mesure la plus adaptée et la moins intrusive possible, compte tenu du but poursuivi. Par ailleurs, il n’est ni possible ni souhaitable de hiérarchiser les techniques de renseignement entre elles, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire hier. Leur utilisation étant subordonnée aux besoins opérationnels des services, qui doivent être dûment justifiés et motivés, et sous le contrôle de la CNCTR d’une part et du Conseil d’État d’autre part, le projet de loi ne prévoit une hiérarchisation qu’en matière d’intrusion domiciliaire, en raison de la sensibilité de cette modalité au regard du respect de la vie privée. Le Gouvernement n’est donc pas favorable à cet amendement.

(L’amendement n171 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 289 et 271, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour soutenir l’amendement n289.

M. Pouria Amirshahi. Nous abordons là un sujet qui va sans doute nous occuper quelques instants. Vous avez dit à plusieurs reprises, monsieur le ministre de l’intérieur, que ce que vous considérez comme un renforcement des capacités de contrôle de la Commission était une innovation, avec l’élargissement du nombre de ses membres et la modification de sa composition, qui se répartit entre des magistrats, des parlementaires et un expert en télécoms. Les missions de cette commission dite de contrôle sont néanmoins limitées – et je ne parle pas là des moyens, sur lesquels nous reviendrons : comprendre, appréhender et maîtriser toutes les techniques de surveillance, la façon dont elles sont utilisées, par quels services, et comment ces services stockent et utilisent les données, n’est pas chose aisée et je ne suis d’ailleurs pas sûr que la Commission de contrôle ait les moyens et les capacités de le faire.

Pour parler de la valeur et de la portée de son avis, cette commission est censée donner un avis consultatif aux décisions prises par le Premier ministre désormais dépositaire de pouvoirs extraordinaires. Dans le nouvel esprit de cette loi, il s’agit d’impliquer le politique et d’assumer la responsabilité politique de l’exécutif, ce qui est tout à fait louable, et ce sans doute dans un esprit de responsabilité et de transparence. Cela étant, le Premier ministre peut être amené – et cela pose un problème au regard de l’importance des pouvoirs qui lui sont conférés – à passer outre l’avis donné par la Commission de contrôle – et je ne parle pas à ce stade des situations dites d’urgence dont nous reparlerons tout à l’heure. Si nous voulons préserver les données essentielles à la vie privée et aux libertés fondamentales et, partant, lever les craintes exprimées par certaines associations notamment et certains parlementaires, il serait sans doute bienvenu de confier à cette commission le pouvoir de donner un avis conforme.

Cet avis permettrait de s’assurer que, si les membres de cette commission avaient le moindre doute sur la préservation de la vie privée de l’individu ou des individus mis sous surveillance, cette technique de renseignement ne puisse être retenue, avant que ne soient établies toutes les garanties demandées par la Commission, dont c’est le rôle et la mission.

Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n271.

M. Denys Robiliard. Nous avons déjà discuté de cet amendement en partie hier, et il y a été répondu par avance. Nous avons l’habitude d’opposer le système de protection des droits fondamentaux en Angleterre et en France, en disant qu’en France, on aime bien fixer des principes et qu’en Angleterre, on aime bien les protéger par les procédures. On oppose classiquement la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’Habeas corpus – vous excuserez le télescopage des temps.

Il est possible, à mon sens, de faire les deux, et ce projet de loi le permet. Un principe est affirmé, à savoir que, derrière le bouclier du secret défense, l’État de droit continue. C’est une très bonne chose que de l’affirmer dans la loi, afin de sortir de l’opacité.

Quant à la procédure, elle doit permettre que les droits protégés le soient effectivement. La Commission est l’un des instruments de protection, puisqu’elle fonctionne en articulation avec le Conseil d’État et sa formation spéciale. Pourquoi vouloir un avis conforme ? Parce que nous demeurons dans une certaine opacité et dans l’immédiateté. Par conséquent, la possibilité d’un contrôle fort a priori offre le maximum de garanties en matière de protection des libertés. C’est le sens de cette notion d’avis conforme.

Le rapporteur m’a opposé comme argument que cela déresponsabilise l’administration ou le Gouvernement. Je ne vois pas pourquoi, puisque si l’avis est négatif, il ne peut avoir d’autorisation de recourir à la technique de renseignement alors que si l’avis est conforme, il n’est pas tenu de faire droit à la demande : l’alinéa 23 précise clairement que les autorisations sont délivrées après avis. L’irresponsabilité prétendue n’existe donc pas. À cela, deux avantages : si la Commission peut émettre des avis conformes, on lui donnera les moyens de fonctionner dans la durée, et elle sera ainsi une commission véritablement gardienne des libertés.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. La commission a repoussé ces deux amendements, parce qu’elle n’estime pas que la situation actuelle appelle de modifications significatives. Depuis 1991, une commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité donne un avis au Gouvernement. Or, dans aucun des vingt et un rapports de la CNCIS depuis 1991, pas une seule fois ses présidents successifs n’ont demandé l’avis conforme.

Cela répond en réalité à un principe de cohérence. Il existe dans notre pays des autorités administratives dotées d’un pouvoir de décision.

M. Claude Goasguen. Hélas !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Les mauvaises années, le Parlement crée une autorité administrative indépendante, les bonnes années, deux ou trois. Cela fait beaucoup d’autorités administratives indépendantes ! Il peut arriver que nous leur donnions un pouvoir de régulation, parfois même un pouvoir de sanction, mais pour des cas qui ne relèvent pas du domaine régalien. Or ici, il s’agit des libertés individuelles et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il est normal que, en cas d’atteinte proportionnée aux libertés individuelles, ce soit le pouvoir exécutif, soit celui qui, aux termes de la Constitution, dirige l’administration, qui assume cette responsabilité.

Permettre à l’autorité administrative de décider, c’est ôter la responsabilité au Gouvernement. Dans une conception assez académique et orthodoxe de la séparation des pouvoirs, il n’est pas souhaitable que le Gouvernement délègue son pouvoir. Par ailleurs, en 1991, quand la loi a été adoptée, le Conseil d’État avait, comme de coutume, été consulté. Il avait alors fait remarquer que donner la responsabilité à l’autorité administrative en lui confiant un pouvoir de conformité serait une clause de non-constitutionnalité de la disposition. Il n’y a donc aucune raison que son jugement ait changé plusieurs années après.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je comprends parfaitement l’inspiration très respectable des auteurs de ces amendements : dès lors que des dispositifs sont de nature à porter atteinte aux libertés, un contrôle fort doit s’exercer. Je tiens à redire qu’aucune disposition de ce projet de loi – si l’on en trouve une, que l’on me dise laquelle et nous en débattrons urgemment ! – ne remet en cause les libertés individuelles garanties par l’article 66 de la Constitution. Si c’était le cas, ces amendements seraient d’ailleurs sans objet puisque l’intervention du juge judiciaire serait alors non pas facultative mais obligatoire.

Second point : si nous options pour l’avis conforme en raison d’un risque qui n’existe pas, puisque aucun article dans la loi ne le présente, nous donnerions à cette autorité administrative indépendante un pouvoir de décision dans un domaine éminemment régalien : elle déciderait en substitution du Gouvernement dans des cas qui relèvent de ses prérogatives régaliennes. Or, comme l’a dit excellemment le rapporteur, le Conseil d’État est sans ambiguïté sur le risque constitutionnel qui pèserait sur une disposition de ce type. Dans son avis de 1991, il affirme que dans le domaine du pilotage des politiques publiques mettant en jeu les responsabilités régaliennes de l’État, l’attribution d’un pouvoir de décision à une autorité administrative indépendante ne saurait être envisagée.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il n’y a donc absolument aucune ambiguïté : d’abord, il n’y a pas de remise en cause des libertés garanties par l’article 66, et si c’était le cas, l’intervention obligatoire du juge judiciaire rendrait ces amendements sans objet ; ensuite, ceux-ci présentent un risque constitutionnel pour des raisons réaffirmées à maintes reprises par le Conseil d’État. Le Gouvernement ne peut par conséquent qu’y être défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Après le long et difficile débat que nous avons eu sur la possibilité pour l’administration de surveiller les détenus par des techniques spéciales, cette question apparaît d’autant plus fondamentale. Car les députés de la majorité qui ont déposé ces deux amendements proposent que la Commission nationale de contrôle prenne la décision à la place de l’exécutif.

M. Pouria Amirshahi. Mais non, pas du tout !

M. Pierre Lellouche. Ils n’ont pas confiance en l’exécutif et préfèrent s’en remettre à une commission indépendante qui comportera des juges et des experts informatiques, donc des gens dans lesquels ils ont confiance et qui auront un pouvoir d’avis conforme en cas de demande adressée au ministre d’intercepter et d’espionner. C’est eux en fait qui prendraient la décision et remplaceraient l’exécutif en ce domaine.

Le ministre comme le rapporteur répondent à juste titre qu’il s’agit d’un domaine régalien et qu’il est hors de question qu’un démembrement de l’État prenne une décision en ce domaine. C’est d’ailleurs la philosophie du texte, puisque l’alinéa 32 ne mentionne aucun avis, que l’alinéa 43 prévoit une procédure d’urgence et donc la possibilité de se passer d’avis et que l’alinéa 46 prévoit la possibilité de s’asseoir dessus. Ce n’est pas une commission qui peut donner un avis conforme !

M. Jacques Myard. Heureusement !

M. Pierre Lellouche. Le ministre nous dit benoîtement, avec tout le talent qui le caractérise, qu’il n’y a pas de problème puisqu’il n’y a pas de risque pour les libertés. Mais poussons le raisonnement jusqu’au bout, monsieur le ministre : s’il n’y a aucun risque pour les libertés dans le cadre du monde carcéral, il n’y en a pas non plus pour les Français et, par conséquent, il n’y a pas besoin de commission ! Allez jusqu’au bout, monsieur le ministre, supprimez-la ! Vous avez déjà évacué le juge judiciaire… Et ne nous croyons pas obligés de prévoir une formation spécialisée du Conseil d’État, puisqu’il n’y a pas de risque !

Monsieur le ministre de l’intérieur, je respecte votre fonction, je reconnais la nécessité du renseignement, mais comment pouvez-vous expliquer aux Français qu’il n’y a aucun risque dans ce genre d’affaire ? L’histoire du renseignement a montré partout, pas seulement en France, qu’il y a des dérapages !

Mme la présidente. Je vous prie de conclure, monsieur Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Dès lors, comment pouvez-vous concevoir un système avec une commission de contrôle mais qui n’a aucun rôle ? Si son avis doit être conforme, cela revient à lui donner le pouvoir de décision. Mais sinon, où est le contrôle de l’action de l’exécutif ? Voilà tout le problème de cet article et c’est ce qui me rend mal à l’aise face à ce projet de loi depuis le début : où est le contrôle ?

M. Claude Goasguen. Bien sûr !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Un argument en complément des explications juridiques du rapporteur et du ministre, qui m’ont semblé particulièrement solides : les dispositions du texte relatives à l’article L. 821-6 du code de la sécurité intérieure prévoient, et c’est une nouveauté par rapport à la CNCIS, que la CNCTR aura la faculté, lorsque le Premier ministre ne donnera pas suite à ses avis ou recommandations ou qu’elle estimera que ces suites sont insuffisantes, de décider, après délibération, de saisir la formation de jugement spécialisée mentionnée au titre IV.

M. Pouria Amirshahi. A posteriori !

M. Pascal Popelin. Si l’on considère que la compétence de l’exécutif doit être liée, c’est-à-dire que l’avis de la Commission est conforme, cela signifie que l’on s’interdit la possibilité ensuite de saisir une formation de jugement puisque soit la CNTCR aura donné son accord, soit elle ne l’aura pas donné et il n’y aura pas lieu à saisine. Ces amendements aboutiraient non seulement à déstabiliser le dispositif équilibré d’une autorité administrative indépendante bâtie sur le modèle de celle qui fonctionne aujourd’hui, mais en plus à annihiler le droit nouveau qui lui est donné de faire condamner un gouvernement qui commettrait une infraction au regard de la loi que nous allons voter.

Mme la présidente. La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. Monsieur le ministre, vous avez invoqué et la bonne foi et la Constitution…

M. Pascal Popelin. Et la jurisprudence.

M. Pouria Amirshahi. …pour vous prémunir de toute critique fondée sur une menace liberticide. Je l’entends parfaitement.

M. Pascal Popelin. Pourquoi alors avez-vous défendu l’amendement no 289 ?

M. Pouria Amirshahi. La Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui en découle énumèrent ce qui relève du champ des libertés publiques. Mais tout n’y relève pas des seules définitions constitutionnelles ! Cela étant, je ne veux pas engager un débat sur l’élargissement du champ des libertés. Je vais me restreindre au principe du respect de la vie privée.

Il y a potentiellement atteinte à la vie privée du fait de l’existence de dispositions de surveillance : je suppose que vous êtes d’accord avec moi jusque-là. Des pouvoirs exorbitants, en tout cas extraordinaires sont même donnés au Premier ministre pour assurer la limitation, l’encadrement, voire la privation de l’exercice libre de la vie privée. Dès lors, on comprend qu’il y ait controverse sur les moyens de contrôle de cette surveillance autorisée, permise par la décision du seul exécutif.

Il ne s’agit pas à ce stade de débattre de sa légitimité à prendre ce genre de décision, même si l’importance des pouvoirs qui lui sont désormais dévolus peut prêter à discussion dans une démocratie moderne : je ne voudrais pas qu’on fasse comme si ce point était anodin et que la seule invocation de la responsabilité enfin légalement reconnue de l’exécutif soit en elle-même un gage de modernité suffisant.

Je me restreins donc à notre réflexion sur l’avis conforme. Il n’enlèverait rien à la responsabilité du Gouvernement ! Le Premier ministre continuerait à assumer ses responsabilités en ce domaine : s’il sait, sur la base des informations recueillies par le renseignement, qu’il y a matière à décider des filatures, des interceptions, une couverture élargie de l’information, ciblées ou non, il devra transmettre les informations qui fondent sa décision à la Commission car elle sera amenée à donner un avis.

M. Lellouche a parfaitement raison de dire que si on institue une commission, c’est bien pour qu’elle serve à quelque chose. On peut estimer en toute bonne foi que son rôle est d’être vigilante à l’égard des décisions susceptibles d’être prises, non seulement demain, si on était confronté à un pouvoir autoritaire, mais dès aujourd’hui parce que même avec un Premier ministre ayant les meilleures intentions du monde, l’erreur est humaine. Je demande que l’on entende cet argument.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Mes chers collègues, je souhaite que le Gouvernement puisse gouverner – pardon de cette tautologie. C’est même expressément prévu par l’article 20 de la Constitution : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation » et surtout, il « dispose » de l’administration. Ce n’est pas l’administration qui dispose du Gouvernement ou qui co-décide avec lui.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Guillaume Larrivé. Le Gouvernement gouverne et décide, en l’occurrence éclairé par l’avis d’une commission et contrôlé par l’autorité juridictionnelle. Cela me semble fondamental de le rappeler, car c’est la VRépublique. C’est même la République tout court.

Seconde remarque : s’agissant du juge judiciaire, on entend assez souvent un argument dont il faut faire définitivement litière. Quel est le sens de l’article 66 ? « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. » Cela veut dire que l’autorité judiciaire est compétente quand il est question de contrainte sur les corps ou d’entrave à la liberté de mouvement, mais que le reste relève de la police administrative. C’est bien évidemment ainsi qu’en a jugé à de multiples reprises le Conseil constitutionnel, et il revient donc bien évidemment au juge administratif, en l’occurrence au Conseil d’État, de statuer en la matière. Le projet de loi est complètement et profondément conforme, non pas à l’opinion de tel ou tel mais à notre État de droit.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Bien sûr qu’il appartient au Premier ministre de gouverner et de prendre ses responsabilités, et de rendre compte devant cette assemblée de ses actes, ce que ne ferait jamais une commission qui rendrait des avis conformes ! Si la Commission n’est pas d’accord avec une décision du Premier ministre, le projet de loi prévoit qu’elle peut saisir le Conseil d’État. Je ne vois donc pas où est le problème. Il ne faut pas lui donner un pouvoir d’avis conforme pour la bonne et simple raison que la hiérarchie des normes ne fonctionne pas comme cela : le chef du Gouvernement est responsable devant l’Assemblée, et il est nommé par le Président de la République, lui-même élu au suffrage universel. Il ne faut pas renverser la pyramide pour un dispositif totalement contraire à la Constitution qui ne pourra pas fonctionner.

M. Guillaume Larrivé. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Tout d’abord, je n’ai jamais dit que le juge judiciaire devait être compétent en la matière et n’ai articulé aucun grief contre la justice administrative : je connais sa qualité.

Par ailleurs, le reproche de déposséder le Gouvernement de sa capacité à diriger l’administration ne me semble pas fondé puisque le dispositif de l’avis conforme serait un système à deux clefs : l’une détenue par la Commission, l’autre par le Premier ministre. Par conséquent, il faudrait que les deux clefs soient enclenchées, et le Gouvernement ne serait pas déchargé de sa responsabilité.

Quant au pouvoir d’avis conforme en matière administrative, il y en a trop dans le droit français pour que je puisse penser que celui-ci serait contraire à l’article 20 de la Constitution.

Autre point : l’article 1er porte-t-il atteinte aux libertés, et lesquelles ? Il faut se rappeler de quoi l’on parle : de la sûreté et de l’inviolabilité du domicile, du secret de la correspondance, de la possibilité de se réunir à plusieurs sans être écouté, et donc de la possibilité d’échanger des idées sans que le Gouvernement écoute. Il y a là potentiellement – je ne prétends pas que ce soit votre but – une atteinte à la liberté d’expression et, au-delà, à la liberté d’opinion, qui est pourtant intangible.

M. Claude Goasguen. Bien sûr !

M. Pierre Lellouche. C’est évident !

M. Denys Robiliard. Derrière la possibilité de se réunir à plusieurs dans le respect de la vie privée se cache rien moins que la liberté de penser, qui est au fondement des autres libertés, qui est consubstantielle à la dignité de l’homme et qui est le critère qui fonde tous les droits humains. (« Très bien ! » et applaudissements sur divers bancs.)

M. Pouria Amirshahi. Remarquable ! Limpide !

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. C’est un débat extrêmement difficile. D’abord, je souhaiterais que l’on arrête les références à la loi de 1991. Ce que nous sommes en train de faire, c’est précisément d’essayer de limiter des abus qui ont existé, et dont l’existence a été permise précisément par cette loi.

M. Pascal Popelin. Non, ils ont existé avant !

M. Claude Goasguen. Voyons, monsieur Popelin, si ce n’était pas le cas, il ne serait pas nécessaire de faire une nouvelle loi ! Vous savez bien qu’il y a eu des abus, c’est évident. Tout le monde l’a reconnu.

M. Pascal Popelin. Il y a eu des abus avant.

M. Claude Goasguen. La loi de 1991 a abouti à des abus : un certain nombre d’écoutes ont eu lieu en dehors de tout cadre légal.

M. Pascal Popelin. Avant !

M. Claude Goasguen. Non, après, sinon il ne serait pas nécessaire de faire une nouvelle loi !

M. Pascal Popelin. Si, parce qu’il existe de nouvelles techniques !

M. Claude Goasguen. Nous essayons donc, avec un champ très élargi, d’élaborer un système qui permette à la fois de donner à l’administration des pouvoirs et de sauvegarder ces libertés fondamentales que sont les libertés de penser, de manifester, d’exister, de correspondre – autant de libertés individuelles qui relèvent, je le répète, de l’article 66 de la Constitution.

M. Jacques Myard. Mais non !

M. Claude Goasguen. Vous n’échapperez pas au judiciaire, monsieur le ministre, et je vais vous expliquer pourquoi.

Imaginons que le Premier ministre prenne une décision. Comme vous vous situez dans un système endogène, un avis conforme ne vous semble – à raison – pas logique, puisqu’il s’agit d’une autorité administrative. Le Conseil d’État est saisi, il déclare l’écoute légale : pas de problème. Il est donc décidé d’inculper l’individu – car c’est ce qui se produit à l’issue de la plupart des écoutes.

M. Guillaume Larrivé. Ça n’existe plus !

M. Jacques Myard et M. Alain Tourret. C’est une mise en examen !

M. Claude Goasguen. Que se passe-t-il alors ? Le procureur est saisi – et non pas le Conseil d’État, n’est-ce pas ? – et lance la machine judiciaire : c’est la mise en examen. Un juge d’instruction est désigné. Que va-t-il faire lorsqu’on lui dira que l’inculpation découle d’écoutes autorisées ? Va-t-il penser que comme le Conseil d’État a considéré que l’écoute était légale, ce n’est pas la peine d’aller voir plus loin ? Vous plaisantez ! C’est que vous ne connaissez pas bien les juges d’instruction.

M. Pierre Lellouche. Ni les avocats !

M. Claude Goasguen. Bien évidemment, le juge d’instruction va donc examiner la nature légale de l’écoute : il va demander une expertise, puis une contre-expertise…

M. Pascal Popelin. Que c’est long, deux minutes !

M. Claude Goasguen. …et on se rendra compte que votre système, en réalité, retardera la sanction parce que vous aurez voulu passer en force dans le domaine administratif.

Ne vous inquiétez pas, monsieur le ministre, vous retrouverez le judiciaire !

M. Pierre Lellouche. C’est évident !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Philippe Nauche, rapporteur pour avis. Il importe de ne pas déresponsabiliser l’exécutif. Il est de la pleine responsabilité de l’exécutif de décider. Exiger que la Commission donne un avis conforme reviendrait à ce que, si un service était à l’origine de la demande, le Gouvernement n’aurait même plus la possibilité de refuser de procéder à une écoute. Il ne s’agirait donc plus d’une véritable décision de l’exécutif.

Je crois qu’en la matière, chacun doit rester dans son rôle. Or celui de la CNCTR n’est pas seulement de donner son avis sur une demande d’autorisation d’interception ou d’une autre technique de recueil de renseignement, mais d’effectuer un contrôle avant, pendant et après la mise en œuvre, puisqu’elle peut exercer sa mission de contrôle à tout moment. Limiter ce rôle, comme semblent le souhaiter les amendements, à un avis sur la demande d’autorisation serait très réducteur. Enfin, la Commission peut engager un recours devant le Conseil d’État, ce qui est une garantie très importante.

C’est pourquoi il me semble que l’existence et l’indépendance de la CNCTR, ainsi que les moyens qui lui seront attribués pour qu’elle puisse fonctionner, à l’instar de la CNI, constituent les garanties les plus importantes apportées par ce texte. Là est selon moi l’enjeu essentiel, bien plus que la question de l’avis conforme.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur le débat relatif à la police administrative et à l’article 66 de la Constitution, car j’ai bien compris que nous l’aurons jusqu’à la fin de l’examen du texte. Je renverrai simplement ceux qui en ont le temps à la lecture de la loi de 1872, qui fait des magistrats administratifs des juges. Je rappellerai que cela n’a jamais été contesté.

M. Claude Goasguen. Je ne conteste pas cela !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Nous aurons l’occasion de redéfinir ce périmètre.

Je voudrais en revanche rapporter l’objet des amendements au contenu du texte. Sauf erreur de ma part, il n’y a aucun article qui empêcherait ou restreindrait la liberté de penser ! Je veux bien que l’on nous fasse des procès, mais là, le trait est un peu forcé.

Nous écrivons le texte, et j’imagine que vous allez nous soutenir pour cela, dans le respect de la Constitution. Or, celle-ci dit, à l’alinéa 2 de l’article 20, « Le Gouvernement dispose de l’administration » et à l’article 21, « Le Premier ministre dirige le Gouvernement ». Il est donc logique de penser que le Premier ministre dirige l’administration. Il s’agit non pas de personnaliser la fonction, mais de suivre le raisonnement fonctionnel.

Comme nous considérons – ce qui pourrait d’ailleurs être contesté, mais ne l’a pas été jusqu’à présent – que les services de renseignement sont des administrations, il est normal que le Premier ministre les dirige. Quelle serait donc cette école qui doterait une autorité administrative indépendante qui ne rend de comptes à personne du pouvoir d’écorner les libertés individuelles ? Si quelqu’un avait proposé cela, imagine-t-on les réactions ? Neuf personnes, aussi éminentes soient-elles, décideraient de nos libertés individuelles ? En l’état, le projet de loi se fonde sur ce que dit la Constitution. La Constitution ! C’est pourquoi je n’ai aucune crainte sur le fondement de ce que j’affirme. Il est logique que ce soit le Premier ministre qui assume cette responsabilité.

Et quand vous dites que même en cas d’avis défavorable, le Gouvernement pourra passer outre, ce n’est pas vrai. C’est si l’avis est conforme que le Gouvernement ne peut pas passer outre. Dans la rédaction que nous proposons, si le Gouvernement décide de passer outre son avis, il devra motiver sa décision. Cette motivation servira à nourrir le rapport public de la CNCTR, qui alertera l’opinion – chacun sait qu’il est des présidents d’autorité administrative qui savent fort bien s’y prendre pour alerter l’opinion en cas de désaccord sur un point.

M. Claude Goasguen. Ils ne peuvent pas le faire, ils sont tenus au secret !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Et si cela ne suffit pas, la CNCTR pourra engager un recours juridictionnel devant le Conseil d’État, sur la base de la décision que le Gouvernement aura assumée.

Bref, ne déresponsabilisez pas le Gouvernement, donnez à l’autorité administrative un pouvoir de conseil !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Plusieurs points ont été abordés. Pour faire en sorte que le débat corresponde le mieux possible à ce que vous souhaitez, c’est-à-dire qu’il apporte des réponses précises aux questions que vous vous posez, je reprendrai rapidement la démonstration, en répondant par la même occasion à M. Lellouche et à M. Goasguen.

L’argumentation que le rapporteur et moi développons constitue une réponse aux amendements présentés. C’est normal, puisque le débat porte sur ces derniers ! Ces amendements reposent sur l’idée qu’il faudrait un avis conforme de la CNCTR parce qu’il pourrait y avoir des atteintes aux libertés.

M. Pouria Amirshahi. À la vie privée.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je veux redire, car les choses sont extrêmement précises en droit, qu’il n’y a dans ce texte aucune remise en cause des libertés au titre de l’article 66 de la Constitution, dont le Conseil constitutionnel a interprété de façon constante, par des décisions réitérées, le contenu. La vie privée est un autre sujet : il ne s’agit pas des libertés individuelles.

L’intervention extrêmement forte de M. Robiliard a suscité des applaudissements, mais très franchement, j’aurais pu faire la même : je suis entièrement d’accord avec ce qu’il a dit ! Il n’y a pas un article dans ce projet de loi qui empêche les gens de penser, de manifester ou de se rencontrer pour échanger entre eux des idées ! En revanche, il est question d’autoriser des techniques de recueil de renseignements pour pouvoir, par des interceptions de sécurité qui ne sont pas créées par ce texte de loi mais existaient précédemment, écouter des conversations entre des citoyens dans le cadre de mesures de police administrative.

À ce titre, des précautions doivent effectivement être prises. Elles le sont, à plusieurs titres : une commission donnera un avis, un contrôle juridictionnel sera effectué si le citoyen concerné ou la CNCTR saisit le Conseil d’État, et il pourra même y avoir intervention du juge judiciaire si la CNCTR, le citoyen concerné ou le Conseil d’État constate une infraction au droit pénal dans le cadre de la mobilisation de ces techniques. Tout cela est prévu par le projet de loi, qui, de ce point de vue, est hautement protecteur, bien plus que ne l’étaient l’ensemble des dispositions législatives précédentes.

Voilà le premier point sur lequel je voulais insister : la réponse que nous apportons est relative aux amendements présentés, que nous ne pouvons pas accepter pour des raisons de fragilité constitutionnelle rappelées par le Conseil d’État dans le texte que j’ai cité.

Ensuite, M. Lellouche dit que j’ai expliqué benoîtement, c’est-à-dire à mi-chemin entre un ton doucereux et la niaiserie – je vous laisse décider ! (Sourires) – que puisqu’il n’y avait pas de risque, il n’était pas nécessaire qu’il y ait un contrôle. Je souhaite là encore préciser les choses.

J’ai indiqué qu’il n’y avait pas de remise en cause des libertés au titre de l’article 66 de la Constitution. Je n’ai pas dit qu’il n’y avait pas de risque.

M. Pierre Lellouche. Ah ! On progresse !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il y en a un, mais qui n’est pas attentatoire aux libertés : c’est le risque que le Gouvernement mobilise des techniques de renseignement dans un sens qui ne serait pas conforme à la loi. C’est pourquoi il est possible de saisir le contrôle juridictionnel, et c’est à ce titre que le contrôle de la CNCTR est utile.

M. Pierre Lellouche. Eh bien voilà : on y est !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Voilà très précisément quel est l’état des choses. Et c’est parce qu’il est celui-ci que je ne peux pas donner un avis favorable aux amendements.

M. Pierre Lellouche. Il aura fallu attendre vingt heures trente pour en venir au fond !

(Les amendements nos 289 et 271, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

6

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt-deux heures :

Suite du projet de loi relatif au renseignement.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures trente.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly