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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 12 mai 2015

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

2. Questions au Gouvernement

Réforme du collège

M. Franck Reynier

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

Mme Isabelle Attard

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Réforme du collège

M. Bruno Le Maire

M. Manuel Valls, Premier ministre

Assises de l’éducation

Mme Valérie Corre

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

Mme Sandrine Mazetier

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Commémoration de la fin de la Seconde guerre mondiale

M. Philippe Meunier

M. Manuel Valls, Premier ministre

Loi de programme pour l’outre-mer

M. Thierry Robert

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Réformes du collège et des programmes

M. Benoist Apparu

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Plan social de Renault Trucks

M. Yves Blein

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Difficultés des artisans et des commerçants de proximité

M. Jean-Jacques Candelier

Mme Carole Delga, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire

Suppression de l’Ordre national des infirmiers

M. Élie Aboud

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie

Suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu

M. Michel Lefait

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Apprentissage

M. Gérard Cherpion

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Simplification du certificat médical de non contre-indication à la pratique sportive

M. Régis Juanico

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports

Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

Mme Nicole Ameline

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin

3. Protection de l’enfant

Présentation

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie

Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

Motion de renvoi en commission

Mme Isabelle Le Callennec

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État

M. Marc Dolez

Mme Françoise Dumas

M. Gilles Lurton

Discussion générale

M. Philippe Gomes

Mme Gilda Hobert

Mme Isabelle Attard

M. Marc Dolez

Mme Françoise Dumas

Mme Claude Greff

M. Stéphane Claireaux

Mme Marie-Françoise Clergeau

Mme Bérengère Poletti

M. Joël Aviragnet

Mme Michèle Tabarot

M. Bernard Roman

M. Yves Nicolin

Suspension et reprise de la séance

Discussion des articles

Article 1er

Mme Françoise Dumas

Mme Edith Gueugneau

M. Gilles Lurton

Mme Dominique Nachury

M. Jean-Pierre Barbier

Mme Claude Greff

Mme Isabelle Le Callennec

M. Guillaume Chevrollier

Amendements nos 203 , 209 (sous-amendement)

Article 1er bis

Mme Dominique Nachury

Amendements nos 158 , 167

Après l’article 1er bis

Amendement no 30

Article 2

Mme Martine Pinville

Amendement no 58 rectifié

Après l’article 2

Amendement no 170

Article 2 bis

Amendement no 157

Après l’article 2 bis

Amendements nos 12 , 11 , 109 rectifié

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

M. le président. Mes chers collègues, je suis heureux de souhaiter, en votre nom, la bienvenue à une délégation du Parlement du Royaume de Suède, conduite par sa présidente Mme Anna-Lena Sörenson. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Réforme du collège

M. le président. La parole est à M. Franck Reynier, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Franck Reynier. Madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, ma question porte sur la réforme des collèges – je pense que je ne serai pas le seul, cet après-midi, à vous interroger sur ce sujet.

L’école de la République est malmenée. Pourtant, l’école de la République est le socle même du « vivre ensemble » : elle doit permettre à chaque enfant, quelle que soit son origine sociale, de bénéficier de l’ascenseur social, d’atteindre l’excellence et de former l’élite de notre pays. Ce sont ces valeurs, celles de la République, qui nous réunissent.

Aujourd’hui, vous planifiez le nivellement par le bas, nous le craignons très sincèrement, parce que votre réforme va aggraver les inégalités.

Nous pensons que c’est une erreur, et que cette erreur va porter atteinte aux valeurs mêmes de notre République.

Il est important que chaque enfant puisse, s’il le souhaite et quelle que soit son origine sociale, bénéficier de cours de grec, de latin, ou apprendre l’histoire des Lumières. Celles et ceux qui ont des ressources plus importantes ne verront pas de différence, puisqu’ils pourront avoir accès à tout cela, mais nous sommes inquiets pour le socle républicain, pour le « vivre ensemble ».

Ce n’est pas, malheureusement, le premier échec de la politique que vous menez en matière d’éducation. Si nous regardons le bilan de la réforme des rythmes scolaires, nous pouvons aussi être inquiets de voir nos enfants fatigués (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) et nos collectivités locales fortement mises à contribution. D’ailleurs, la communauté éducative elle-même n’est pas convaincue par le bien-fondé de votre réforme.

Madame la ministre, ma conclusion est simple : stop ! Nous ne vous laisserons pas agresser nos collèges. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur quelques bancs du groupe UMP. - Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député, je me reconnais parfaitement dans votre propos. Vous avez raison, notre objectif, notre ambition, cela doit être de permettre à chaque enfant, quelle que soit la famille dont il provient, de prendre l’ascenseur social en passant par l’école. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Élie Aboud. Ce n’est pas vrai !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Est-ce ce que fait le collège tel qu’on le connaît ? Lorsqu’un enfant sur quatre sort du collège sans maîtriser les fondamentaux de français, de maths ou d’histoire, pouvez-vous vous dire satisfait du statu quo ? Nous réformons donc le collège.

Nous réformons le collège pour mieux accompagner les enfants, pour leur permettre de mieux apprendre, en innovant au niveau des pratiques pédagogiques. Cette réforme a été expérimentée dans bien des établissements et a démontré ses vertus – je pense en particulier à l’interdisciplinarité, à l’accompagnement personnalisé et au travail en petits groupes.

Nous réformons le collège pour mettre fin à un collège à deux vitesses, au sein duquel certaines propositions n’étaient faites qu’à 15 % des élèves. Nous, nous voulons parvenir à 100 % de collégiens concernés. C’est le cas notamment du latin et du grec puisque, je le redis ici, très loin des fantasmes et des contre-vérités, le latin-grec continuera à exister au collège…

Plusieurs députés du groupe UMP. Mais non !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …mais il sera offert à tous les collégiens et pas simplement à 18 % d’entre eux. Ceux qui voudront étudier de façon plus approfondie la langue latine et la langue grecque pourront le faire, et ce dans le même quantum horaire que ce qui existe aujourd’hui, sauf que ce sera destiné non plus à 18 %, mais à 100 % des élèves.

Monsieur le député, au fond, c’est notre conception de l’école qui nous oppose. Moi, je veux une école dans laquelle la réussite est réellement démocratisée car j’estime qu’à l’âge qu’ont les collégiens, il faut permettre à chacun d’entre eux de donner le meilleur de lui-même. Or on ne donne pas le meilleur de soi-même lorsqu’on est réparti dans des classes de niveau qui trient et sélectionnent les enfants !

La réussite pour tous, telle est mon ambition. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme Barbara Pompili. Très bien !

Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour le groupe écologiste.

Mme Isabelle Attard. Ma question s’adresse à M. le ministre du travail. Nous recevons aujourd’hui une délégation de députés suédois. Välkommen ! Nous avons beaucoup à apprendre des pratiques suédoises en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, notamment du système de crèche dès le plus jeune âge à prix accessible grâce auquel tant de femmes reprennent une activité professionnelle. Cette année encore, les femmes ont dû travailler beaucoup plus que les hommes pour gagner autant qu’eux. La journée Equal Pay Day a eu lieu en France le 26 mars. Chaque Française a travaillé en moyenne deux mois et demi de plus que ses collègues masculins pour gagner autant. Nous ne pouvons ignorer ces chiffres ! Des chercheurs et chercheuses, des responsables des ressources humaines, des associations et des syndicats, ainsi qu’Yvette Roudy dont la première loi sur le sujet votée en 1983 porte le nom, se disent depuis hier opposés à la suppression des outils de l’égalité professionnelle prévue dans le projet de loi sur le dialogue social.

Les chiffres sont connus : un écart de salaire de 27 %, une femme sur trois travaillant à temps partiel, aucune femme à la tête d’une entreprise du CAC 40 et une femme sur cinq victime de harcèlement sexuel sur son lieu de travail. Vous avez apaisé hier une partie des inquiétudes en annonçant un amendement gouvernemental, monsieur le ministre. Intégrer les indicateurs du rapport de situation comparée dans la base de données unique est une bonne chose mais des points fondamentaux restent à améliorer. La suppression du rapport de situation comparée est toujours prévue. Il s’agit pourtant d’un outil incontournable pour sensibiliser à l’égalité dans les entreprises et du point de départ des négociations. La négociation spécifique sur l’égalité professionnelle disparaît elle aussi. Noyer ce sujet présente un risque important de faire reculer ce thème dans les entreprises. Les sanctions sont maintenues, dites-vous, mais comment comptez-vous les faire appliquer sans moyens humains ? Vous avez formulé hier une première clarification, c’est une bonne nouvelle. Il faut maintenant clarifier les autres points ! (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Le texte que je présenterai devant les parlementaires très prochainement est incontestablement un texte de progrès social. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Il ne retire aucun droit aux femmes et leur donne au contraire des droits supplémentaires, madame la députée, tels qu’une représentation équilibrée dans les listes présentées aux élections professionnelles, ce qui constitue une avancée. Votre question me permet de lever un certain nombre d’ambiguïtés car des malentendus se sont installés. Toutes les informations que comporte actuellement le rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes demeureront obligatoires. Elles seront intégrées dans la base de données unique et disponibles en permanence comme l’ont souhaité les partenaires sociaux dont je rappelle qu’ils sont à l’origine de cet outil depuis la conclusion en 2013 d’un accord national interprofessionnel.

Il n’y aura donc aucune perte d’information par rapport à la situation actuelle, je m’y engage. Au contraire, l’information sera enrichie par l’ajout d’une vision prospective. Je demeure à l’écoute et présenterai en lien avec Mme la rapporteure et la Délégation aux droits des femmes un amendement de précision rappelant que la base de données unique comprendra obligatoirement une rubrique spécifique comportant les données du rapport de situation comparée. Les neuf domaines du rapport seront ainsi mentionnés explicitement dans la loi. J’espère avoir répondu à votre question et vous avoir rassurée, madame la députée. Je rappelle à cet égard que l’égalité professionnelle connaît une amélioration sensible.

Mme Marie-George Buffet. Il n’y a pas de quoi être rassuré par cette réponse !

Réforme du collège

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Maire, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Bruno Le Maire. Ce qui nous rassemble ici, monsieur le Premier ministre, c’est le même amour de la nation française et la même volonté d’offrir le meilleur à nos enfants. C’est ce qui nous a tous amenés à vous apporter notre soutien au lendemain des attentats du 11 janvier lorsque vous avez appelé à l’union nationale. C’est ce qui amène aujourd’hui 234 parlementaires de la droite et du centre à exprimer leurs profondes inquiétudes sur la réforme du collège et en particulier de ses programmes. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Nous tous ici sommes convaincus, monsieur le Premier ministre, que l’excellence est le produit du mérite et qu’elle doit rester au cœur de l’école de la République.

M. Rémi Pauvros. Qu’avez-vous fait ?

M. Sébastien Denaja. Vous avez supprimé 80 000 postes !

M. Bruno Le Maire. Nous tous ici sommes convaincus qu’un collège diversifié reconnaissant l’intelligence de chacun de nos enfants est préférable à un collège unique. Nous sommes convaincus que les classes bilangues et les classes européennes sont un succès et doivent être maintenues. Nous sommes convaincus que l’apprentissage de la langue française est essentiel et qu’enseigner la langue latine est un moyen de préserver les racines de notre langue.

M. Daniel Vaillant. Pour tous !

M. Bruno Le Maire. Nous sommes convaincus que nos enfants doivent être fiers de l’histoire de la nation française. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Nous sommes convaincus que l’apprentissage des Lumières ne doit pas être une option facultative mais une obligation pour chacun de nos enfants afin qu’ils sachent quel est l’esprit de la France et de la République. (Mêmes mouvements.)

M. le président. Mes chers collègues, s’il vous plaît !

M. Bruno Le Maire. Qu’avons-nous reçu en guise de réponse à ces inquiétudes ? Des critiques personnelles, des attaques, des invectives et des caricatures. Nous ne menons aucun combat personnel contre l’une de vos ministres, monsieur le Premier ministre, mais un combat pour la République, pour notre école et pour la Nation ! C’est au nom de ce combat que nous vous demandons solennellement de retirer le projet de réforme du collège et des programmes d’histoire. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je vous remercie de votre question, monsieur Bruno Le Maire, car elle est l’occasion de clarifier et poursuivre la discussion en sus des nombreuses explications que Mme la ministre a déjà eu l’occasion de donner et des arguments qu’elle défend avec courage et talent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. François de Rugy. Très bien !

M. Yves Fromion. Elle essaie !

M. Manuel Valls, Premier ministre. La réforme du collège est nécessaire. Ce gouvernement a fait le choix d’une réforme ambitieuse luttant d’abord contre les inégalités dès l’origine car là est le problème essentiel de l’école.

M. Dominique Le Mèner et M. Nicolas Dhuicq. C’est faux !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Le collège, moment essentiel de la scolarité, est le maillon faible de la scolarité des élèves français, nous pouvons tous nous accorder sur ce constat.

M. Sylvain Berrios. C’est vous le maillon faible !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Que constatons-nous, non pas depuis six mois ou trois ans mais depuis plus de dix ans ? Qu’un élève sur huit ne maîtrise pas les compétences de français à la fin de l’école primaire et un sur quatre à la fin du collège.

M. Yves Nicolin. Avec votre réforme, ce sera pire !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Une telle réalité, puisque vous parlez d’unité nationale, monsieur Le Maire, ne peut satisfaire personne, ni les élèves, ni les parents d’élèves, ni les enseignants dont je salue ici une nouvelle fois l’engagement quotidien. Qui peut se satisfaire d’un collège ne préparant pas assez bien nos enfants à l’avenir ? Qui peut se satisfaire d’un collège où les inégalités entre les enfants et les territoires se creusent ? Qui peut se satisfaire d’un collège aggravant les difficultés scolaires, en particulier dans les disciplines fondamentales que vous évoquez ? Personne ! Il faut donc réformer, ce qui suppose de l’engagement, du courage et des moyens. Comme l’éducation est notre priorité, nous avons donné des moyens à l’école. C’est pourquoi le budget de l’éducation nationale est redevenu le premier budget de la nation sous la présidence de François Hollande ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) Interroger, questionner et interpeller, y compris pour demander le retrait d’une réforme, c’est votre droit, monsieur Le Maire, mais il faut cependant revenir sur votre bilan. Quel est-il ? La suppression de près de 80 000 postes en cinq ans !

M. Yves Censi. En raison de la baisse du nombre d’élèves !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Après ces cinq années, nous avons rendu à l’école les moyens de ses missions. Sur les 60 000 créations de postes prévues au cours du quinquennat, nous en avons déjà réalisé 35 200 ! Votre bilan est simple, monsieur Le Maire, car je crois que vous avez été ministre : moins de professeurs et le saccage de la formation des enseignants, que nous avons restaurée ! Moins de moyens et plus d’inégalités ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste – Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Sylvain Berrios. Fossoyeur !

M. Manuel Valls, Premier ministre. L’enquête PISA le montre bien, malheureusement ! Sans être caricatural, les dix années au cours desquelles la droite a gouverné ce pays ont été celles de l’abaissement du niveau des enfants ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Sylvain Berrios. Mensonge !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous évoquez également la philosophie, les lettres et l’enseignement des humanités, monsieur Le Maire. Je rappellerai un seul chiffre : le nombre de postes ouverts au CAPES de lettres classiques a diminué de 50 % entre 2002 et 2012 et augmenté de 35 % depuis 2012 !

M. Jean-Luc Laurent. Affreux !

M. Claude Goasguen. Rien à voir !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Allons plus loin car cela vous concerne très directement : le nombre de postes ouverts au concours de l’agrégation a diminué de 17 % de 2002 à 2012 et augmenté de 42 % depuis 2012 !

M. Jean-Claude Perez. Quelle honte !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il ne suffit pas de vociférer ni d’interpeller, il faut aussi que chacun défende un bilan et nous, nous sommes fiers de celui que nous défendons devant les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Et si l’on regarde l’avenir, quel est votre projet, monsieur Le Maire ? Parlons-en ! Il consiste à supprimer 300 000 postes d’enseignants comme le propose le président de votre formation politique, Nicolas Sarkozy. Dites-le clairement ! Dites aux Français, aux parents d’élèves et aux enseignants que l’école n’est pas une priorité ! Vous voulez la détruire, nous voulons la reconstruire car tel est l’intérêt des Français ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) Telle est votre conception et c’est pourquoi votre question est intéressante. Comme l’a dit il y a un instant Mme la ministre, il s’agit en effet d’un débat essentiel pour l’avenir de la nation entre la droite et la gauche, entre ceux qui ont une certaine conception de la République assurant la réussite de tous et ceux qui séparent les élèves d’un côté et de l’autre au nom de je ne sais quelle conception ! Nous voulons la réussite de tous ! Tel est le sens d’une réforme de justice et de progrès qui suppose de l’exigence ! Il ne faut pas s’opposer à la réussite de tous !

Ce gouvernement a le courage de réformer alors que tant de gouvernements, notamment ceux auxquels vous avez appartenu, monsieur Le Maire, n’ont pas réformé et ont en général reculé dès qu’il s’agissait de réformer l’école ! De tout temps d’ailleurs et au moins depuis Jules Ferry, puisque vous avez des lettres, dès que les progressistes ont eu le projet de réformer l’école, ils se sont heurtés aux conservatismes ! Le cœur de la réforme du collège, c’est l’autonomie des collèges dont on vous dira sur tous les bancs que les responsables des collèges, principaux et enseignants, la demandent ! Nous ne reculerons donc pas sur l’autonomie des collèges prévue par la réforme ni sur l’exigence d’apporter une réponse à chaque élève avec pour seul but la réussite. Nous irons au bout de la réforme des collèges, monsieur le ministre. La concertation sur les programmes vient de commencer et durera un mois. Personne ici ne peut nous donner des leçons car nous sommes tout aussi républicains que vous en matière d’histoire de la Nation, d’appartenance à la République, d’enseignement et de transmission des valeurs ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Yves Fromion. Prétentieux !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Enfin, vous avez bien raison de refuser les attaques personnelles, monsieur Le Maire, mais j’en ai lues, dirigées contre Mme la ministre de l’éducation nationale, à la une des quotidiens les plus réactionnaires et j’en ai entendues hier soir dans la bouche du président de votre formation dont les mots sont insupportables ! Si vous voulez un vrai débat projet contre projet, valeurs contre valeurs, sur les vraies questions, votre bilan et notre projet, nous y sommes prêts ! (Mesdames et messieurs les députés des groupes SRC et écologiste se lèvent et applaudissent. – Huées sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Assises de l’éducation

M. le président. La parole est à Mme Valérie Corre, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Valérie Corre. Chers collègues, je vous propose de continuer cet échange instructif autour de l’école. Madame la ministre de l’éducation nationale, avant toute chose, au nom de l’ensemble des députés du groupe socialiste, républicain et citoyen, je tiens à vous apporter notre soutien sans faille face aux attaques mensongères dont vous faites l’objet dans les rangs de la droite et de l’extrême droite. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Laurence Abeille. Très bien !

Mme Valérie Corre. Le débat démocratique, c’est la confrontation des idées, et chacun a le droit d’être en désaccord avec notre majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais le débat démocratique, ce n’est pas le règne des mensonges, de la manipulation et des rumeurs.

M. Sylvain Berrios. Et Julien Dray ?

Mme Valérie Corre. Avec vous, madame la ministre, nous tenons bon. Après un quinquennat marqué, comme vient de le rappeler M. le Premier ministre, par la suppression de 80 000 postes dans l’éducation nationale, nous avons l’audace – oui, l’audace – et la détermination de recréer 60 000 postes…

Un député du groupe UMP. C’est de l’inconscience !

Mme Valérie Corre. …mis au service de la réussite de nos enfants.

M. Yves Censi. Le nombre d’élèves a baissé !

Mme Valérie Corre. Nous tenons bon sur la priorité à l’école.

Nous tenons bon sur la lutte contre le décrochage.

Et nous tiendrons bon sur la réforme du collège.

Chers collègues, après des années d’immobilisme qui ont provoqué une baisse du niveau scolaire des enfants et une accentuation des inégalités à l’école, confirmées enquête après enquête, le conservatisme ne peut plus être une option.

Alors, par un curieux tour de passe-passe, ceux qui, hier, ont détruit l’école font aujourd’hui semblant d’en être les ardents défenseurs. Surtout, ceux qui ont supprimé des postes, réduit les temps d’apprentissage et laissé exploser le nombre de décrocheurs voudraient faire croire que nous serions les ennemis de la réussite scolaire.

Madame la ministre, plus que jamais, l’école demeure le principal creuset républicain, le lieu où s’invente le destin de la France.

Les Assises de l’éducation qui nous rassemblaient ce matin, ont démontré que l’école et ses partenaires devaient être mobilisés pour faire vivre les valeurs de la République.

Pouvez-vous nous dire comment l’école va relever le défi de la transmission de ces valeurs ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la députée, le flot continu de l’actualité tend parfois à nous éloigner de ce qui, hier encore, nous faisait nous lever comme un seul homme : je parle des attentats de janvier dernier, de l’horreur qui a saisi les Français et de la façon dont ils se sont tournés vers l’école, attendant qu’elle s’engage à transmettre plus encore les valeurs de la République aux enfants qu’elle accueille. Nous en avons très vite tiré les leçons, vous le savez, et y avons répondu dans les jours qui ont suivi par une vigilance sans faille à l’égard des incidents qui, au sein même de l’école, peuvent mettre à mal ces valeurs républicaines.

Un député du groupe UMP. Baratin !

M. Nicolas Dhuicq. Quel lavage de cerveau !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Ce fut notamment l’objet du plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme annoncé il y a trois semaines par le Premier ministre. C’est aussi l’objet de la réaffirmation de la laïcité comme valeur, comme principe, au sein de nos établissements scolaires. Sur ce point, comme je m’y étais engagée, nous avons formé 1 200 cadres de l’éducation nationale, entre la mi-mars et la mi-avril, pour qu’ils puissent à leur tour former 300 000 enseignants d’ici à la fin 2015, afin que ces derniers soient mieux armés pour parler de laïcité à leurs élèves. On sait combien c’est important.

Nous y avons répondu aussi par un engagement très fort en faveur de la transmission des savoirs, qui est le premier rempart contre l’obscurantisme, en accordant la priorité à la langue française. Vous voyez que les nouveaux programmes de maternelle, qui entreront en vigueur dès la rentrée 2015, lui donnent une place toute particulière. Cela n’a pas été beaucoup commenté. Pourtant, c’est essentiel. La réforme du collège fait aussi la part belle à ces fondamentaux et au français. Désormais, le niveau de français, de lecture, d’écriture, sera évalué systématiquement à l’entrée en CE2, comme j’ai eu l’occasion de le dire.

Nous y avons répondu, enfin, par l’enseignement moral et civique, qui verra le jour à la rentrée 2015, et par le parcours citoyen. Mais l’école ne peut pas tout toute seule, et tel était l’objet des assises que nous avons clôturées ce matin, auxquelles 80 000 personnes ont participé, sur l’ensemble du territoire. C’est un succès qui a dépassé nos espérances. Des engagements ont été pris, notamment la réserve citoyenne (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : 4 000 Français vont venir apporter leur concours à l’école.

Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Sandrine Mazetier. Monsieur le ministre du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle,…

Un député du groupe UMP. Et du chômage !

Mme Sandrine Mazetier. …depuis trente ans, de la loi Roudy à la loi Vallaud-Belkacem, les socialistes et la gauche mènent la bataille de l’égalité entre les femmes et les hommes sur tous les terrains. C’est pourquoi nous avons adopté la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui fixe explicitement l’objectif de suppression des écarts de rémunérations entre les femmes et les hommes et prévoit des outils précis pour garantir l’égalité de traitement, du recrutement à l’accès à la formation, des conditions de travail à l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés.

La Délégation aux droits des femmes de notre assemblée s’est saisie pour avis du projet de loi sur la modernisation du dialogue social. Au cours des auditions que j’ai menées comme rapporteure, expertes comme partenaires sociaux ont dit leurs inquiétudes concernant deux outils essentiels : le rapport de situation comparée et la pénalité à laquelle s’expose une entreprise qui négligerait de conclure un accord sur l’égalité professionnelle.

Monsieur le ministre, vous venez d’indiquer à notre collègue Isabelle Attard que la base de données unique reprendrait toutes les informations que l’on trouve aujourd’hui dans le rapport de situation comparée. Vous confirmez donc que votre texte permettra d’ouvrir de nouveaux champs de négociation aux partenaires sociaux. Pouvez-vous également nous confirmer que, pour vous comme pour nous, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes n’est pas négociable, pas plus que ne l’est la négociation annuelle ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Guy Geoffroy. Et du chômage !

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la rapporteure, je sais pouvoir travailler avec vous pour qu’il n’y ait aucun doute sur l’objectif de progrès social que s’assignera le texte que je présenterai, notamment en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Vous l’avez rappelé, c’est un objectif que poursuit le Gouvernement. C’est ainsi qu’en trois ans, la France est passée de la quarante-cinquième à la seizième position en matière d’égalité professionnelle.

Il faut poursuivre nos efforts en ce sens. Je vais donc être clair. Oui, nous sommes déterminés à agir pour renforcer l’égalité entre les hommes et les femmes. Oui, toutes les informations qui existent aujourd’hui dans le rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes demeureront obligatoires et seront intégrées, vous l’avez dit, à la base de données unique. Oui, je suis à l’écoute, comme le Gouvernement dans son ensemble. Le Gouvernement présentera, en lien avec la Délégation aux droits des femmes, un amendement de précision pour rappeler que la base de données unique comprendra obligatoirement une rubrique spécifique correspondant aux données du rapport de situation comparée. Les neuf domaines du rapport seront ainsi explicitement mentionnés dans la loi. Nous l’avons d’ailleurs rappelé clairement, hier, avec mes collègues Touraine et Boistard. Le défenseur des droits s’est exprimé publiquement, sur ce point, pour dire sa satisfaction ce matin.

Pour répondre à vos autres interrogations, l’obligation de négocier sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et, à défaut d’accord, de mettre en œuvre un plan d’action unilatéral demeure inchangée, tout comme la pénalité de 1 % de la masse salariale dont sera passible, demain, une entreprise qui ne se conformera pas à cette obligation.

Enfin, comme vous le savez, madame la rapporteure, ce projet de loi instaure pour la première fois l’obligation d’une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans le cadre des élections professionnelles, ce qui constitue également une avancée.

Commémoration de la fin de la Seconde guerre mondiale

M. le président. La parole est à M. Philippe Meunier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Philippe Meunier. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre, à qui je demande de maîtriser ses nerfs et sa gestuelle menaçante à l’égard de l’opposition. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le Premier ministre, les Russes ont commémoré le 9 mai dernier la victoire des Alliés contre les nazis. À l’occasion de ce soixante-dixième anniversaire, la Russie a organisé des cérémonies à la hauteur du sacrifice de son peuple.

Le devoir de mémoire consiste d’abord à respecter le sacrifice des hommes et des femmes qui ont lutté contre l’hitlérisme. Cette lutte contre le nazisme et son idéologie mortifère est sans commune mesure avec tous les désaccords que vous pouvez avoir à l’égard du pouvoir russe actuel.

L’absence de François Hollande ce 9 mai à Moscou est donc une faute.

D’abord une faute morale à l’égard des volontaires de l’escadrille Normandie-Niémen et des Résistants, qui ont tout sacrifié dans leur combat aux côtés des troupes russes jusqu’à la chute du Troisième Reich. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)



Ensuite une faute politique s’agissant de la politique étrangère de la France. Mme Merkel, qui a le sens de sa fonction et de ses responsabilités, s’est rendue le 10 mai dernier à Moscou pour déposer une gerbe devant la flamme du soldat inconnu en mémoire des soldats russes tués lors de la Seconde guerre mondiale. François Hollande, préférant faire des pieds et des mains pour obtenir un entretien avec un dictateur cubain au lieu d’être aux côtés du peuple russe qui nous a permis de retrouver la liberté, n’a pas été à la hauteur de sa charge de Président de la République française. (Huées sur les bancs du groupe UMP ; vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

M. Philippe Meunier. Le 6 juin dernier, le président de la Russie n’a pas hésité à venir en Normandie, montrant ainsi que le sacrifice de nos deux peuples était bien supérieur aux griefs et aux reproches qu’il pouvait avoir à l’égard de votre gouvernement. Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous mettre fin à cette posture et cesser cette politique absurde à l’égard du président de la Russie, qui vont à l’encontre des liens qui unissent nos deux peuples et des intérêts de la France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Garder ses nerfs, monsieur le député, c’est un conseil que vous pourriez d’abord vous appliquer à vous-même lorsque vous parlez du Président de la République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, parmi lesquels le Président de la République et la chancelière Angela Merkel, se sont concertés sur la présence des responsables de l’Union à ces commémorations. C’est la raison pour laquelle la France était représentée à un haut niveau par son ministre des affaires étrangères Laurent Fabius.

Je voudrais cependant vous apporter deux autres éléments de réponse.

Tout d’abord, j’aurais aimé que vous vous félicitiez de l’action de la France, notamment celle de François Hollande en lien avec Angela Merkel, pour trouver une solution de paix en Ukraine en concertation avec des autorités ukrainiennes et russes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs des groupes RRDP et écologiste.)

M. Nicolas Dhuicq. Hollande ne sait même pas ce qui se passe en Ukraine !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Puisque M. Le Maire parlait tout à l’heure d’unité nationale, il serait bon que, sur ces questions, on cesse de charger en permanence le Président de la République, notamment quand notre politique étrangère remporte des succès. Car c’est bien là le fond du problème. La parole de la France est aujourd’hui respectée, son autorité est reconnue, grâce notamment à nos interventions au Sahel et en Afrique pour défendre nos valeurs et pour lutter contre le terrorisme. La parole et l’action de la France et du Président de la République sont saluées grâce à l’initiative que j’ai évoquée pour trouver, avec la chancelière Merkel, une solution durable en Ukraine.

Par ailleurs, puisque vous y avez fait allusion : oui, le déplacement du Président de la République à Cuba est un succès.

M. Daniel Fasquelle. Non, c’est une honte !

M. Manuel Valls, Premier ministre. La France a pris toute sa part dans la relation entre Cuba, qui est en train d’évoluer, et l’Union européenne. Après les décisions du président Obama, il s’agit aussi d’un message important pour la Caraïbe, l’Amérique centrale et l’ensemble de l’Amérique latine.

Monsieur le député, plutôt que d’être dans l’opposition stérile, plutôt que d’être uniquement le porte-voix de celui qui critique en permanence le Président de la République parce que ce dernier l’a battu en 2012, soyez davantage fier de l’action de la France à l’étranger ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs des groupes RRDP et écologiste.)

M. Jean-Luc Laurent. Bien envoyé !

M. Claude Goasguen. Et la réponse, où est-elle ?

Loi de programme pour l’outre-mer

M. le président. La parole est à M. Thierry Robert, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Thierry Robert. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse au secrétaire d’État au budget.

La loi de programme pour l’outre-mer – LOPOM – de 2003, dite loi Girardin, avait été mise en place sous la présidence de Jacques Chirac. Elle conférait aux outre-mer, confrontés à une situation économique et sociale fragile, un régime dérogatoire dans différents secteurs de l’économie. En 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ce régime a été mis à mal par des coups de rabot brutaux, via la LODEOM – loi pour le développement économique des outre-mer. Nous sommes passés de 78 000 demandeurs d’emploi en 2007 à 135 000 en 2014. La LOPOM arrivant à terme le 31 décembre 2017, vous comprenez bien l’urgence de penser à l’avenir.

Un bilan de la LOPOM et de ses déclinaisons doit être réalisé pour que nous en obtenions une évaluation précise.

La Réunion ne peut plus se permettre un pilotage économique « à l’aveugle ». Elle mérite que la mise en œuvre du FEDER – Fonds européen de développement régional –, le cadre législatif national pour son développement et le pilotage économique régional soient en cohérence durable afin de réduire significativement le chômage de masse qui nous mine.

Il est temps que nous bâtissions un nouveau cadre économique à La Réunion. C’est une nécessité, tant les entreprises ont besoin de visibilité et de stabilité pour définir leur stratégie et investir.

Tous les secteurs économiques sont concernés. Je pense par exemple au BTP et au tourisme, mais aussi à l’agriculture. La filière de la canne est en danger à La Réunion. Le Gouvernement doit proposer à la Commission européenne son plan pour le secteur. On ne doit pas abandonner ces femmes et ces hommes qui sont notre histoire.

Gouverner c’est évaluer, anticiper et organiser. Il faut donc une nouvelle loi de programme pour l’outre-mer. Celle-ci doit s’organiser autour d’un triptyque État-Région-Europe et s’affranchir des discours électoralistes pour ne servir qu’un seul but : l’emploi, l’emploi, l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Comme vous venez de le rappeler, monsieur le député, le Gouvernement est particulièrement attentif à la situation des territoires ultramarins, que l’on qualifie souvent de « fragiles ». Certes, leurs économies doivent faire face à des difficultés accrues, notamment du fait de leur éloignement, mais ils sont ô combien riches dans leur culture !

Sous la conduite du Président de la République, nous avons mis en œuvre une série de dispositifs économiques sans précédent en faveur de nos outre-mer. Pour la première fois, il s’agit de mesures qui ne visent pas à assister les territoires ultramarins, mais bien à les accompagner sur la voie du développement. Je pense en particulier à la loi contre la vie chère et à la feuille de route pour la croissance et l’emploi que George Pau-Langevin a présentée en octobre dernier.

Mais nous irons encore plus loin, vous le savez, monsieur le député. Le projet de loi de finances pour 2016 comportera, en faveur des DOM, une mesure dont l’effet équivaudra à celui d’un CICE – crédit d’impôt pour la croissance et l’emploi – à 12 % dans les secteurs exposés.

Vous avez exprimé également vos inquiétudes quant à l’avenir de la défiscalisation, rappelant que ce dispositif doit expirer à la fin de l’année 2017. Je veux vous rassurer. Oui, le Gouvernement va poursuivre cette action. Avec la ministre des outre-mer, nous avons lancé une évaluation des impacts de cette défiscalisation. C’est une première étape. Ensuite, le Premier ministre a annoncé – et je le confirme – que défiscalisation et crédit d’impôt seraient prolongés après 2017, car les entreprises ont besoin de visibilité. Enfin, la Commission européenne a validé il y a quelques semaines le dispositif de crédit d’impôt en faveur de l’investissement productif et du logement outre-mer.

Tous ces éléments tracent une feuille de route qui nous permettra de poursuivre ensemble nos travaux, notamment à l’occasion de l’examen des projets de loi de finances de fin d’année.

Réformes du collège et des programmes

M. le président. La parole est à M. Benoist Apparu, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Benoist Apparu. Monsieur le Premier ministre, j’ai bien entendu la réponse que vous avez faite à Bruno Le Maire. Vous-même, et votre ministre, reprochez aux opposants à la réforme la caricature permanente ; à vous entendre, nous voudrions « détruire » l’école, nous l’aurions « saccagée », et nous envisagerions de supprimer 300 000 postes. Je ne sais où se trouve la caricature, monsieur le Premier ministre, mais votre réponse manquait en tout cas de nuances ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDI.)

Vous demandez un débat droite-gauche. Chiche ! Organisez donc un débat dans cet hémicycle sur la réforme des programmes et sur celle du collège. Nous vous apporterons nos propositions. Ainsi, nous considérons que les classes bilangues et les classes européennes, que vous voulez supprimer, sont la possibilité d’une excellence par le mérite, à la condition, effectivement, que leur recrutement soit modifié.

Madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur la réforme des programmes, nous souhaiterions aborder un sujet qui n’a pas encore été soulevé ici. Vous envisagez de modifier, la même année, les programmes des neuf niveaux, alors que traditionnellement, les programmes sont mis en œuvre progressivement, année après année. Avec votre réforme, ni les établissements, ni les parents, ni les élèves ne pourront s’organiser. Quant aux éditeurs scolaires, comment pourront-ils en une seule année rédiger l’ensemble des programmes des neuf niveaux que vous leur réclamez ? Vous n’avez pas les budgets nécessaires pour le collège, et pour les écoles primaires – c’est-à-dire pour les collectivités locales –, cela représente une charge supplémentaire. Madame la ministre, nous disons « oui » à un débat, mais à un débat sans caricature. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député, il faudrait nous entendre sur le sens du mot « contre-vérité ». Pour moi, une contre-vérité, un mensonge, c’est quelque chose qui n’est pas fondé. Lorsque le Premier ministre évoque la perspective, chez vous, de supprimer près de 300 000 postes dans l’éducation nationale, il fait très exactement référence à une déclaration de Nicolas Sarkozy, lequel indiquait qu’il réduirait de 30 % les effectifs de l’éducation nationale, dont je vous rappelle qu’ils avoisinent le million. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Malheureusement, lorsque l’on connaît votre bilan, on peut juger très crédible un tel projet : vous avez été capables de supprimer 80 000 postes dans l’éducation nationale ces dernières années, avec les dégâts que l’on sait, notamment sur le niveau des collégiens. Voilà la démonstration, elle est toute faite ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Mme Laure de La Raudière. Ce n’est pas une démonstration !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je le dis à ceux qui nous écoutent, il convient de distinguer réforme du collège et réforme des programmes. Cette dernière n’en est qu’au stade de projet, présenté par une instance indépendante, le conseil supérieur des programmes. Celui-ci a été instauré par la loi, précisément pour éviter que les programmes ne soient à la main « idéologique » de tel ou tel ministre. L’idée est bien de faire travailler une instance, composée d’experts, de professeurs et de parlementaires de tous bords – la droite et la gauche y sont représentées. Ce projet fera l’objet d’une consultation auprès de tous les enseignants, qui sont tout de même les mieux placés pour savoir ce qu’ils doivent enseigner, et comment, à leurs élèves. Au terme de cette consultation, nous aurons enfin accès à ces textes.

Oui, nous avons décidé de changer l’ensemble des programmes de l’école primaire et du collège. Pourquoi ? Il s’agit de faire réussir les enfants (Protestations sur quelques bancs du groupe UMP), de vérifier qu’ils ont acquis les connaissances et les savoirs qui leur ont été transmis. Il faut donc une continuité dans la progression des apprentissages. C’est tout ce qu’a prévu la loi pour la refondation de l’école. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Plan social de Renault Trucks

M. le président. La parole est à M. Yves Blein, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Yves Blein. Monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, le Premier ministre était hier à Lyon, pour saluer les startups de l’agglomération, labellisées dans le cadre du programme French Tech. Les chefs d’entreprise, et tous les acteurs de l’économie numérique en région Rhône-Alpes ont salué la qualité du soutien que le Gouvernement apporte, avec les collectivités, à leur créativité, à leur ingéniosité et à leur dynamisme.

À cette occasion, le Premier ministre s’est également exprimé sur la situation de Renault Trucks, qui a annoncé il y a quelques jours un nouveau plan social – le précédent n’est pas achevé –, exigeant la suppression de plus de 500 emplois. J’ai moi-même reçu il y a quelques jours, avec mes collègues Xavier Breton et Philippe Meunier, des délégués syndicaux de l’entreprise.

« On ne peut pas accepter le plan qui nous a été présenté », a déclaré le chef du Gouvernement à l’attention de la direction de Volvo, précisant que l’entreprise devait trouver d’autres solutions. Renault Trucks va bien : les carnets de commandes se remplissent ; ses résultats s’améliorent ; ses chiffres de vente, de bus comme de poids lourds, sont en forte croissance. La France représente 7 % de son chiffre d’affaires mondial.

Monsieur le ministre, Renault Trucks est l’un des fondateurs du pôle de compétitivité Lyon Urban Trucks

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Guy Geoffroy. Et du chômage !

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, Renault Trucks occupe une place particulière dans la filière automobile française. Filiale d’un grand groupe étranger, elle est l’héritière d’une longue histoire, qui passe par Berliet et Renault véhicules industriels. Les pouvoirs publics, l’État en premier lieu, ont toujours soutenu cette entreprise, notamment au plus fort de la crise entre 2008 et 2009.

Vous l’avez rappelé, le groupe Volvo a annoncé le 28 avril un plan de sauvegarde de l’emploi portant sur 591 suppressions de postes sur son siège de Saint-Priest, proche de Lyon. Compte tenu des créations de postes envisagées, les suppressions nettes seraient de l’ordre de 512 postes.

Hier, à Lyon, le Premier ministre a été clair : cette décision unilatérale du groupe est inacceptable. Des clarifications et des explications doivent être apportées. Volvo, qui a souffert durant la crise économique, voit aujourd’hui ses ventes, notamment celles de Renault Trucks, se redresser, ce qui suscite des interrogations légitimes sur l’ampleur de la restructuration.

En tant que ministre du travail, j’invite solennellement le groupe à entamer très rapidement de vraies négociations – c’est-à-dire loyales et transparentes – avec les organisations syndicales.

M. Bernard Accoyer. C’est de l’incantation !

M. François Rebsamen, ministre. L’objectif est de vérifier le nombre de suppressions de poste envisagées et d’élaborer les mesures d’accompagnement nécessaires.

M. Bernard Accoyer. Réformez les structures !

M. François Rebsamen, ministre. Monsieur le député, mes services seront vigilants quant au respect strict, par la direction de l’entreprise, des procédures d’information, de consultation et de négociation. La responsabilité…

M. Bernard Accoyer. C’est la vôtre !

M. François Rebsamen, ministre. …d’un groupe comme Volvo est de s’assurer que chacun de ses salariés bénéficie d’une solution. Il doit également donner de la visibilité sur la pérennité de ses activités dans notre pays.

Difficultés des artisans et des commerçants de proximité

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Jean-Jacques Candelier. Madame la secrétaire d’État chargée du commerce et de l’artisanat, le monde du travail souffre. Le chômage bat des records. Les grands groupes dominent l’économie. Pensons aux 56 milliards d’euros de dividendes versés aux actionnaires du CAC 40 l’année dernière et aux revenus indécents des grands patrons qui, eux, ne connaissent pas la crise. Une crise qui frappe en réalité toujours les mêmes.

Artisans et petits commerçants représentent le premier employeur de France. On compte 2,1 millions de très petites entreprises, qui représentent 2,3 millions de salariés. Ce ne sont pas elles qui se gavent des dizaines de milliards de cadeaux fiscaux et sociaux consentis par les gouvernements successifs soumis au MEDEF.

Il devient urgent de relancer le pouvoir d’achat par un nouveau partage des richesses au profit du monde du travail, notamment pour faire tourner le commerce et l’artisanat et recréer ainsi de l’embauche. Il faut s’alarmer des suppressions de postes chez les petits employeurs, de toutes ces fermetures silencieuses qui forment la grande rivière du chômage.

Un projet de révision des valeurs locatives des locaux professionnels inquiète. Les locaux de plus de 2 500 mètres carrés bénéficieraient d’une baisse de leur taux d’imposition de 28 %, quand ceux d’une surface de moins de 400 mètres carrés subiraient une hausse de 80 % ! Cette injustice serait un coup fatal porté aux artisans et petits commerçants de proximité.

Mme la secrétaire d’État, des mesures ont déjà été prises en direction de ces travailleurs, notamment à travers le régime social des indépendants – RSI – et le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce – FISAC. Comment comptez-vous aider davantage les artisans et petits commerçants et relancer l’économie ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire.

M. Franck Gilard. Et candidate aux régionales !

Mme Carole Delga, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Jean-Jacques Candelier, vous avez mis en avant les difficultés auxquelles sont confrontés le commerce de proximité et les artisans. Nous avons mis en place de nombreux dispositifs complémentaires pour soutenir ces forces vives de nos territoires.

Tout d’abord, la loi relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, qui aura bientôt un an, a permis d’instaurer des dispositifs pour encadrer les loyers commerciaux afin d’en limiter la hausse et de favoriser les locataires, en leur accordant davantage de droits et en portant une attention particulière aux plus petits commerçants, notamment les jeunes.

La réforme du FISAC, au travers de la mise en place d’un dispositif d’appels à projets, permettra de soutenir les commerces de proximité dans leurs démarches liées à l’accessibilité, la sécurité ou le développement du e-commerce.

Enfin, nous avons souhaité équilibrer les relations entre la grande distribution, le commerce et les petits producteurs, ce qui explique les récentes assignations.

Par ailleurs, le plan Bâtiment durable, défendu par Sylvia Pinel, dont l’objectif est d’augmenter l’offre de logements tout en réhabilitant les logements anciens, favorisera l’emploi des artisans sur notre territoire. Le crédit d’impôt transition énergétique nous permettra de donner du pouvoir d’achat à nos concitoyens tout en créant des emplois dans le secteur de l’artisanat et du bâtiment.

S’agissant de la révision des bases locatives pour les locaux professionnels, elle ne sera appliquée qu’en 2017, comme l’a indiqué Christian Eckert, car nous souhaitons que les commerces de proximité soient favorisés et qu’il n’y ait pas d’incidence négative sur la valeur locative des commerces de centre bourg, essentiels à la vitalité de nos territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Suppression de l’Ordre national des infirmiers

M. le président. La parole est à M. Élie Aboud, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Élie Aboud. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la santé. Nous sommes le mardi 12 mai 2015, un moment symbolique important car c’est la journée internationale des infirmiers et infirmières.

Je vous poserai ma question au nom de l’ensemble de mes amis du groupe UMP car nous sommes tous tristes, pour ne pas dire choqués, par la décision de faire disparaître l’ordre des infirmiers et infirmières. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Choqués sur la forme et tristes sur le fond. Choqués sur la forme car cet ordre, qui est le deuxième de France, a disparu dans la nuit du 9 au 10 avril, en cinq minutes, en catimini, alors qu’il se construisait patiemment depuis dix ans et qu’il rassemble aujourd’hui 170 000 infirmiers et infirmières. Cette décision est tout simplement inexplicable. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Tristes sur le fond car tous ces inscrits seront purement et simplement rayés de la carte, bafoués. Plus de 1 200 bénévoles et élus ont été déconsidérés et pas moins de soixante-dix salariés vont se retrouver au chômage, avec toutes les conséquences que cela implique pour leurs familles.

Qui remplacera cette structure autogérée, déontologique et éthique ?

Vous allez me répondre que les ARS s’en chargeront, mais cela signifiera une centralisation accrue et une hausse du coût alors que l’ordre ne coûtait strictement rien à la puissance publique.

De surcroît, une telle jurisprudence devrait inquiéter les autres ordres qui pourraient dorénavant être supprimés du jour au lendemain.

Pourquoi avoir pris une telle décision ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le député Elie Aboud, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Marisol Touraine qui accompagne actuellement le Président de la République dans son déplacement à Haïti. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

L’Ordre national des infirmiers, créé en 2006, a connu des débuts difficiles, vous le savez. L’organisation des professions paramédicales est cependant un sujet de préoccupation majeure pour ce Gouvernement. À l’heure de l’essor donné à l’ambulatoire et des exigences liées à la coordination entre professionnels, il est plus que jamais nécessaire qu’une instance reconnue par tous participe à la construction d’une identité professionnelle au service de la qualité des soins.

L’Assemblée nationale a récemment adopté un amendement pour supprimer l’ordre des infirmiers, signifiant que ce dernier ne remplissait pas, en l’état, sa mission.

Marisol Touraine avait alors rappelé la position défavorable du Gouvernement, l’ordre des infirmiers s’inscrivant désormais dans une trajectoire plus positive. L’ordre doit aujourd’hui intensifier son travail de pédagogie et de dialogue avec la profession pour renforcer sa légitimité. C’est à l’aune de ce travail que l’ensemble des acteurs et la représentation nationale pourront être convaincus de sa capacité à jouer désormais pleinement son rôle.

Plus généralement, à l’heure où la contrainte qui pèse sur les finances publiques est forte, tous les ordres doivent consentir des efforts pour maîtriser leurs charges et modérer le montant des cotisations, lesquelles doivent financer strictement les missions qui leur sont confiées par la loi.

Enfin, monsieur le député, je m’associe aux propos liminaires de votre question et je saisis l’occasion de cette journée internationale des infirmières et des infirmiers pour, au nom de Marisol Touraine, saluer le travail exemplaire de ces professionnels, engagés au quotidien dans le soin et l’accompagnement des patients et de leurs familles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu

M. le président. La parole est à M. Michel Lefait, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Michel Lefait. Monsieur le secrétaire d’État chargé du budget, lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, la situation de nos finances publiques était particulièrement inquiétante. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Eh oui ! Les déficits et la dette publique mettaient la France sur la pente du déclassement.

M. Philippe Gosselin. Et aujourd’hui ?

M. Michel Lefait. Cela aurait signifié la fin de notre modèle social et la soumission de notre pays aux marchés étrangers. Nous avons alors pris nos responsabilités pour garantir l’avenir et nous avons demandé des efforts aux Français, ce qui a permis de réduire le déficit, de faire baisser les taux d’intérêt (« N’importe quoi ! » sur les bancs du groupe UMP) et de relancer l’investissement et la croissance.

En ce moment même, monsieur le secrétaire d’État, les Français remplissent leur déclaration d’impôt. Grâce aux mesures que nous avons prises dans la loi de finances pour 2015, neuf millions de ménages bénéficieront d’une baisse de leur impôt à partir de cette année. Depuis le 1er janvier, en effet, nous avons supprimé la première tranche de l’impôt sur le revenu. Cela signifie que les personnes qui gagnent jusqu’à 1,1 SMIC ne devront plus payer d’impôt ; ce sont notamment des jeunes travailleurs et des retraités modestes, qui ont besoin de cet apport pour leurs fins de mois.

Cette mesure est principalement financée par la chasse à la fraude et à l’évasion fiscales que nous menons sans merci depuis notre arrivée et qui a rapporté près de 2 milliards d’euros en 2014 au budget de la nation, et donc aux Français. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Dominique Dord. Il a fumé !

M. Michel Lefait. Ainsi, la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu et la nouvelle prime d’activité qui entrera en vigueur le 1er janvier 2016 soutiendront concrètement le pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires de notre pays.

M. Jean-Pierre Barbier. C’est réussi !

M. Michel Lefait. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous dire quel sera exactement leur impact sur le quotidien de nos compatriotes ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Allô ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le député, vous le rappeliez à l’instant : les déclarations de revenus sont arrivées dans les boîtes aux lettres à la mi-avril et nos concitoyens sont en train de les remplir sur papier ou en ligne.

M. Sylvain Berrios. Et ça fait mal !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Comme M. Sapin a eu l’occasion de le dire, l’impôt sur le revenu n’augmentera cette année pour aucune catégorie de contribuables. C’est la première fois depuis 2010 !

Mme Marie-Christine Dalloz. Cela fait trois ans qu’il augmente !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. La baisse d’impôt par rapport à 2013 bénéficiera à neuf millions de foyers fiscaux, dont trois millions deviendront même non imposables. En tout, cette baisse d’impôt rendra 3 milliards d’euros aux foyers français et l’impôt sera annulé ou allégé pour un contribuable imposé sur trois.

M. Dominique Dord. Ça monte et ça descend : c’est le sapeur Camember !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. C’est le fruit de deux mesures décidées par le Gouvernement et votées par votre majorité. Vous avez déjà évoqué la suppression de la première tranche de l’impôt à 5,5 %, qui concerne les revenus compris entre 6 011 et 11 991 euros par part fiscale. Je veux aussi évoquer la revalorisation du barème de l’impôt sur le revenu, qui avait été gelé par nos prédécesseurs et que nous avons débloqué.

Mme Marie-Christine Dalloz. Pas du tout, vous avez maintenu le gel !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Les contribuables, monsieur le député, doivent être pleinement informés de ces baisses. L’avis d’imposition mentionnera donc qu’ils ont bénéficié des mesures proposées par le Gouvernement et que leur impôt a diminué, voire qu’ils sont devenus non imposables.

M. Sylvain Berrios. 80 milliards d’impôts !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Chacun d’entre eux sera par ailleurs invité à consulter sur le site www.impots.gouv.fr un calculateur enrichi lui permettant d’accéder à une information détaillée concernant le montant précis de la baisse d’impôt dont il bénéficie.

Transparence et justice : telle est notre conception de l’impôt citoyen ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Apprentissage

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Gérard Cherpion. Monsieur le Premier ministre, les chiffres sont têtus. En 2013, le nombre de contrats d’apprentissage signés a diminué de 8 %, puis de nouveau de 4 % en 2014, et la chute s’accentue puisqu’au premier trimestre 2015, le recul atteint 13 % à période comparable.

Face à cela, vous faites « un plan par semaine » – je cite l’un de vos ministres. Après avoir supprimé les aides, confisqué les fonds des entreprises, cassé l’image de l’apprentissage et même « saccagé » – pour reprendre votre terme – l’apprentissage, vous tentez un retour en arrière au moyen de mesurettes sectorielles qui créent la désillusion et, comme j’ai pu le constater dans les Vosges, qui complexifient le système en le rendant illisible pour les entreprises comme pour les jeunes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Après avoir supprimé le poste de délégué interministériel à l’orientation puis le ministère chargé de l’apprentissage et de la formation professionnelle, pensant peut-être ainsi supprimer les problèmes, vous poursuivez votre œuvre destructrice de notre jeunesse qui, pourtant, était la priorité du Président de la République et demeure pour l’UMP un investissement d’avenir, comme nous l’avons démontré par nos résultats et notre action en matière d’apprentissage.

Ainsi, votre réforme du collège, outre le fait qu’elle est dénoncée par tous, ne prend pas en compte les 20 % de jeunes qui sortent cassés de ce premier cycle, se trouvent en déshérence ou se dirigent par défaut vers l’apprentissage. Quelle ambition, monsieur le Premier ministre ! Les 2 milliards investis dans les contrats aidés ne permettent même pas d’enrayer le chômage des jeunes qui, je vous le rappelle, est trois fois supérieur à celui des jeunes Allemands.

Investir dans la jeunesse, c’est croire en elle et miser sur les talents, et non se refermer par dogmatisme sur un système qui a montré ses limites.

Quand aurez-vous la volonté, monsieur le Premier ministre, de sortir de ce dogmatisme et de la communication attrape-tout pour entrer dans la réalité des problèmes des jeunes ? Comment s’orienter et comment, par une voie d’excellence et de réussite, se qualifier pour intégrer le monde du travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, vous êtes trop au fait de la situation de l’apprentissage pour tenir des propos inexacts (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP) ; je vais donc vous donner des chiffres très précis.

M. Yves Nicolin. Ce sera bien la première fois !

M. François Rebsamen, ministre. C’est en effet très important, et vous devez le savoir : le nombre de contrats d’apprentissage signés en 2014 s’élève à 265 000, soit un recul de 2,9 % par rapport à 2013 – ces statistiques sont vérifiables. À la fin 2013, puisque nous ne disposons pas encore des chiffres pour 2014, le stock de jeunes en apprentissage s’élevait à 424 348 très exactement.

Il est vrai qu’il s’est produit un recul de 2,5 % des entrées en contrat d’apprentissage.

M. Sylvain Berrios. Et en 2014 ?

M. François Rebsamen, ministre. Nous devons en rechercher les raisons ensemble, monsieur Cherpion. Or, elles ne sont pas seulement celles que vous évoquez : à l’époque où vous étiez aux affaires, vos chiffres n’étaient guère plus glorieux ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Vous annonciez 500 000 apprentis, mais vous n’avez jamais atteint ce seuil ! De notre côté, nous avions à la fin 2013 près de 425 000 jeunes en contrat d’apprentissage, et il y en aura 500 000 en 2017 : tel est l’engagement du Président de la République !

M. Sylvain Berrios. Et en 2014 ?

M. Olivier Marleix. Demandez donc les chiffres aux régions, si vous ne les avez pas !

M. François Rebsamen, ministre. Pour ce faire, nous avons besoin d’agir ensemble, vous et moi, pour répéter aux Françaises et aux Français que l’apprentissage est une voie d’excellence…

M. Sylvain Berrios. Vous avez un an de retard !

M. François Rebsamen, ministre. …et que c’est un choix que nous devons faire ensemble, et pour dire aux chefs d’entreprise – je veux le souligner ici – que c’est bien d’aimer l’apprentissage, cette voie d’excellence, mais que c’est encore mieux d’engager des apprentis ! C’est cela qu’il faut faire : engager des apprentis lorsque l’on a une entreprise !

M. Sylvain Berrios. Faites votre boulot !

M. François Rebsamen, ministre. Voilà, monsieur le député : agissons ensemble pour que l’apprentissage soit enfin au service des jeunes de notre pays !

Un député du groupe UMP. Personne ne vous applaudit !

Simplification du certificat médical de non contre-indication à la pratique sportive

M. le président. La parole est à M. Régis Juanico, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Régis Juanico. Monsieur le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, le projet de loi de modernisation de notre système de santé, adopté en première lecture par l’Assemblée le 14 avril, contient de nombreuses avancées pour le sport-santé.

Grâce aux amendements que nous avons défendus, avec mes collègues Valérie Foumeyron, Pascal Deguilhem et Brigitte Bourguignon, la contribution d’une pratique régulière des activités physiques et sportives à la santé publique est désormais inscrite à l’article 1er de la loi et la prescription médicale d’activités physiques et sportives adaptées est reconnue pour la première fois dans le code de la santé publique.

Le texte de loi contient une autre avancée : la simplification du certificat médical de non contre-indication à la pratique sportive.

Le caractère systématique et indifférencié de ce contrôle médical en fait trop souvent une formalité pour les sportifs et pour les médecins, qui voient leur cabinet pris d’assaut en période de rentrée scolaire ou en fin d’année.

L’exigence de ce certificat de non contre-indication est une contrainte souvent mal ressentie par les parents et constitue un frein au développement de la pratique sportive, compte tenu du coût financier pour certaines familles. Le certificat médical annuel représente aussi une charge de travail très lourde pour les bénévoles des clubs sportifs chargés de les récupérer auprès des licenciés en début de saison.

Les règles en vigueur ne sont plus adaptées : au sein d’un même établissement scolaire, les élèves, collégiens ou lycéens, sont présumés aptes au cours d’éducation physique et sportive, mais il leur faut obligatoirement un certificat de non contre-indication dans le cadre des activités organisées par les fédérations scolaires, alors même que le sport dans les associations sportives constitue souvent le premier pas vers une pratique régulière en club.

Simplifier le certificat médical de non contre-indication et le rendre plus sûr pour la santé des sportifs avec des visites médicales plus complètes, voilà l’enjeu, qui concerne 18 millions de sportifs dans notre pays. Leur attente est forte.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire quels sont les principes qui vous ont guidé dans la réforme de ce certificat médical ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le député, les bienfaits de l’activité physique et sportive sont, en effet, désormais parfaitement connus et reconnus et constituent un atout pour la santé publique en termes tant de prévention que, comme vous l’avez aussi rappelé, en termes de thérapeutique complémentaire. C’est pour répondre à cet enjeu que le projet de loi de modernisation de notre système de santé a été complété par un travail commun remarquable – je tiens à le souligner –, entendu et écouté par Mme Marisol Touraine. Merci aux députés qui vous ont accompagné dans cette démarche.

La réforme du certificat médical vise à redonner du sens au suivi médical. Le principe même d’une visite médicale permettant d’attester de l’absence de contre-indication à la pratique du sport n’est – je tiens à rassurer les députés à cet égard – naturellement pas remis en cause, mais la fréquence de ce contrôle médical sera désormais adaptée.

M. François Rochebloine. La question était claire, mais la réponse l’est moins !

M. Patrick Kanner, ministre. Le certificat restera nécessaire lors de l’établissement initial de la licence sportive, puis tous les deux ou trois ans suivant le type de sport. Un décret viendra préciser le sens de cette mesure. Pour renouveler sa licence auprès de sa fédération, le sportif devra remplir un auto-questionnaire de santé. Cela facilitera aussi les choses.

M. François Rochebloine. C’est bien compliqué, tout cela !

M. Patrick Kanner, ministre. Pour les sports présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité, le certificat annuel restera, bien sûr, de rigueur.

Deuxième mesure de simplification, sur laquelle, monsieur le député, vous avez raison d’insister : le médecin pourra désormais délivrer un certificat médical pour plusieurs activités sportives.

Enfin, le certificat ne sera plus obligatoire pour avoir accès aux activités sportives organisées par les fédérations scolaires dès lors que l’élève sera reconnu apte à la pratique de l’éducation physique et sportive.

Voilà, monsieur le député, des mesures concrètes pour simplifier l’accès à la pratique sportive pour tous les âges et toutes les familles. Le travail continue avec vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

M. le président. La parole est à Mme Nicole Ameline, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Nicole Ameline. Monsieur le ministre du travail, je reviendrai brièvement sur la question de l’égalité professionnelle et je tiens à y associer mes collègues du groupe UMP, notamment Mmes Marie-Jo Zimmermann et Valérie Boyer.

Faut-il vous rappeler que l’égalité professionnelle est avant tout une question et un argument en matière de compétitivité économique et de croissance, avant d’être aussi un élément de justice sociale ?

La question posée hier par votre projet de loi a indigné toute une partie des associations féministes et de notre représentation nationale. Vous venez d’apporter certaines garanties et certaines précisions à propos de ce qui est considéré comme une maladresse, mais peut-être plus encore comme un recul par rapport à la politique d’égalité que nous avons tous contribué à construire dans cet Hémicycle et qui fait honneur à la France.

Monsieur le ministre, au moment où tant de femmes connaissent des discriminations en France et, dans le monde, voient leurs droits et leurs libertés contestés, attaqués et parfois bafoués, je vous demande instamment de faire de l’égalité professionnelle le moteur de la reprise économique, l’avant-garde de nos politiques d’emploi et de nos politiques sociales. C’est, répétons-le, l’exemple que nous avons toujours donné dans le monde. C’est ce que vous demandent aujourd’hui les femmes de France et c’est, plus généralement, ce que nous souhaitons pour notre économie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la députée, j’ai apprécié la manière dont vous avez abordé cette question. En effet, l’égalité professionnelle hommes-femmes est un élément indiscutable et incontestable de croissance dans les entreprises. C’est pourquoi, du reste, je me félicitais de toutes les actions entreprises sur ces bancs pour faire passer notre pays du quarante-cinquième au seizième rang mondial en matière d’égalité professionnelle. Il est vrai que des progrès sont encore à faire.

Je vous répondrai assez simplement, car c’est la troisième fois que je réponds à cette question – repetitio est mater studiorum. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Disant cela, je m’aperçois que le latin est présent dans cet hémicycle (Mêmes mouvements) – mais tel n’était pas le sujet et j’y reviens immédiatement.

Il faut que l’on puisse clairement et précisément – je me suis efforcé de le faire et le ferai encore par un amendement, comme je l’ai dit tout à l’heure,… (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Perseverare diabolicum ? Ce n’est pas moi qui l’ai ajouté !

Il faut donc lever les malentendus et ôter les ambiguïtés – si tant est qu’il en ait existé dans ce texte, ce que je ne conteste pas. Il faut aussi remédier à toutes les incompréhensions qui pourraient subsister.

Mais, comme je l’ai indiqué récemment lors de mon audition devant la commission des affaires sociales, je revendique ce texte comme un texte un texte de progrès social, notamment pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Je voudrais donc vous dire, bien que vous le sachiez déjà, que ce projet de loi instaure – ce qui est très important et n’était pas gagné d’avance auprès des partenaires sociaux, notamment des organisations syndicales – l’obligation d’une représentation équilibrée entre les hommes et les femmes, ou entre les femmes et les hommes, lors des élections professionnelles.

Après le champ politique, l’égalité entre les femmes et les hommes doit conquérir maintenant, nous en sommes d’accord, le champ social. Ce serait un progrès majeur qui permettrait enfin de donner toute leur place aux femmes dans la représentation du personnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Catherine Vautrin.)

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Protection de l’enfant

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la protection de l’enfant (nos 2652 rectifié, 2744, 2743).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Madame la présidente, madame la rapporteure, madame la rapporteure pour avis, mesdames et messieurs les députés, 284 000 enfants et 21 500 jeunes majeurs sont accueillis ou suivis par l’aide sociale à l’enfance, selon les chiffres recensés par l’Observatoire national de l’enfance en danger – ONED. Ce sont autant d’histoires individuelles, autant de parcours. Parmi eux, des enfants maltraités, des enfants négligés ou en carence affective, des enfants placés, des enfants accompagnés au sein de leur famille. Avec ou sans eux, des parents maltraitants ou indifférents, c’est certain, mais aussi des parents désorientés, des parents isolés, des parents hospitalisés ou malades, des parents qui voudraient bien faire mais n’y arrivent pas. À leurs côtés, des travailleurs sociaux, des professionnels de la prévention spécialisée et de la protection judiciaire de la jeunesse, des magistrats, des agents et des élus des départements, des associations et parfois, ne l’oublions pas, un entourage bienveillant sur lequel s’appuyer.

C’est à toutes ces personnes que nous nous adressons aujourd’hui en poursuivant, à l’Assemblée nationale, le débat sur la protection de l’enfance engagé au Sénat.

S’intéresser à la protection de l’enfance, c’est d’abord lever le voile sur une réalité aux visages multiples, sur l’intimité du foyer, sur une réalité qui parfois dérange et remet en question nos schémas de pensée et nos a priori.

S’intéresser à la protection de l’enfance, c’est lever le voile sur la complexité, sur la confusion des sentiments ; c’est découvrir les règles, les normes implicites propres à chaque cellule familiale ; et c’est être convaincu que, malgré notre pudeur, il est juste de pousser les portes de cette intimité lorsqu’un enfant est en danger.

Au milieu de cette réalité complexe, diverse, cruelle aussi parfois, protéger l’enfant en danger demeure la première mission de la politique publique de protection de l’enfance. Quand la situation est trop menaçante pour l’enfant, elle intervient dans l’urgence, pour l’extraire d’un véritable danger, le plus souvent avec une grande efficacité. La protection de l’enfance mène un travail au quotidien, sur le long cours, au plus près des familles, pour aider et conseiller les parents défaillants, pour accompagner et écouter les enfants.

Pour des milliers d’enfants et de parents, l’aide sociale à l’enfance – ASE – réussit à apporter une réponse adaptée, le soutien dont ils ont besoin à une période de leur vie. Mais il arrive, disons-le avec lucidité, qu’elle n’y parvienne pas et que des situations lui échappent, parfois avec une issue tragique ; il arrive qu’elle intervienne trop tard ou que la réponse qu’elle propose ne soit pas pertinente au regard des besoins de l’enfant.

Or, les conséquences peuvent être trop graves pour laisser les questions soulevées sans réponse. La situation de ces enfants est suffisamment douloureuse pour que ne vienne s’y ajouter une forme de maltraitance institutionnelle.

La politique publique de protection de l’enfance est complexe et pleine d’affects. Mais face au constat partagé de dysfonctionnements, chaque acteur – État, départements, justice, professionnels du secteur, professionnels de santé – doit aujourd’hui être en mesure de s’interroger sur ses pratiques et la manière de travailler ensemble. Malgré des points de vue parfois divergents, malgré les préoccupations et les réalités propres à chaque acteur, une seule perspective, une seule finalité nous réunit : celle du meilleur intérêt de l’enfant.

Le meilleur intérêt de l’enfant, c’est celui défini par la Convention internationale des droits de l’enfant, signée et ratifiée par la France en 1990. En novembre dernier, je me suis rendue à l’ONU à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la Convention. À la demande du Président de la République, j’en ai signé le troisième protocole. Une fois ratifié, ce protocole permettra à chaque enfant, ou à chaque adulte autorisé à agir en son nom, de saisir individuellement le Comité des droits de l’enfant s’il estime ses droits violés, après épuisement des recours nationaux et régionaux.

Cette avancée, importante en termes de procédure, a également une portée symbolique très forte puisqu’elle consacre la reconnaissance de la parole de l’enfant. Vous pouvez compter sur ma détermination pour que le troisième protocole soit rapidement transcrit dans la loi.

Prendre en compte les besoins de l’enfant, respecter ses droits, reconnaître sa parole, c’est œuvrer pour le meilleur intérêt de l’enfant.

Une fois ces grands principes posés, il nous faut les faire résonner dans nos pratiques et dans la loi. Affirmer la manière dont notre société entend protéger ses enfants, affirmer notre compréhension de l’enjeu et le traduire dans la mise en œuvre de la politique publique qui en découle relève d’une démarche collective. Elle ne se décrète pas, elle se construit ; elle ne s’impose pas, elle se partage.

Lors des nombreuses rencontres que j’ai pu mener, j’ai constaté qu’à la volonté politique qui nous réunit aujourd’hui vient s’ajouter la volonté partagée des acteurs de faire évoluer la protection de l’enfance. Le moment est propice car il réunit une sensibilité accrue du grand public, la connaissance, les outils sur lesquels nous appuyer et une volonté partagée.

De la sensibilité accrue du grand public, à la suite des tragédies qui nous ont récemment marqués, découle une exigence légitime. Il n’est pas dans les pratiques de ce gouvernement de légiférer à chaque fait divers, mais il ne serait pas pour autant responsable de les ignorer.

À cet instant, je veux saluer le travail qui s’accomplit sur le terrain, qui requiert de chaque acteur de cette politique publique un engagement et un investissement au quotidien. N’oublions pas non plus la difficulté des métiers de la protection de l’enfance, en raison des affects qu’ils mobilisent nécessairement et des situations dans lesquelles ils placent les professionnels. J’ai à cet instant une pensée pour Jacques Gasztowtt, éducateur assassiné dans l’exercice de sa mission, le 19 mars dernier, à Nantes, pour avoir eu le courage de s’interposer face à un homme menaçant son ex-compagne à l’arme blanche.

Outre cette sensibilité accrue donc, la connaissance. De nombreux rapports sont venus récemment nous éclairer et alimenter notre réflexion : le rapport d’évaluation de la loi de 2007 rédigé par Michelle Meunier et Muguette Dini, qui est à l’origine du texte que nous examinons aujourd’hui ; le rapport issu de la Mission d’évaluation de la gouvernance de la protection de l’enfance, piloté par l’IGAS – Inspection générale des affaires sociales – et l’IGSJ – Inspection générale des services judiciaires – relatif à la gouvernance de la protection de l’enfance ; les rapports et avis du Défenseur des droits et de la Défenseure des enfants, en particulier celui de juin 2014 sur l’histoire de la petite Marina ; le rapport d’Adeline Gouttenoire ; le rapport d’André Vallini et d’Anne Tursz, qui fait suite au colloque qui s’est tenu au Sénat en 2013 ; le rapport de l’UNICEF, issu de la consultation de 12 000 enfants ; les recommandations issues du rapport de la Haute autorité de santé ; le rapport qui nous sera officiellement remis très prochainement par François de Singly.

De cette littérature riche convergent constats et préconisations. Ces conclusions nous incitent à ne plus attendre pour agir. Nous en sommes maintenant au temps du passage à l’acte ; or c’est à l’État d’entreprendre ce passage à l’acte car il est d’abord le garant d’une protection de l’enfance qui ne se limite pas à une politique publique.

Protéger l’enfant, c’est le penser dans toutes ses dimensions, dans tout son parcours. Protéger l’enfant, c’est lui donner accès au monde, c’est tout faire pour ne pas restreindre son champ des possibles, c’est démultiplier ses avenirs. Protéger l’enfant, c’est inscrire l’institution dans une perspective de bientraitance.

La bientraitance constitue le fil d’Ariane non seulement d’une politique globale de l’enfance, mais également de l’ensemble des politiques conduites avec Marisol Touraine au ministère de la santé, des affaires sociales et des droits des femmes en faveur des personnes âgées, des malades et des personnes handicapées. La protection de l’enfance ne peut s’envisager, se penser, se mettre en œuvre indépendamment d’une vision claire et affichée de la place de l’enfant dans notre société.

Face à cet enjeu, l’État ne peut agir seul. La politique publique de protection de l’enfance est l’affaire du juge, de l’éducateur spécialisé, du médecin, de l’assistant social, du parent. Le travail en commun est parfois exemplaire ; il est parfois trop peu pensé. L’État doit alors jouer le rôle de coordinateur, organiser le lien. Tel est du reste le sens d’un amendement important et attendu des acteurs, déposé par Mme la rapporteure en commission et qui vise à réintroduire une instance de pilotage national de la protection de l’enfance.

L’État ne peut agir seul car la protection de l’enfance est une politique publique décentralisée, confiée à la compétence des départements. Ceux-ci, depuis de nombreuses années, donnent la preuve de la pertinence de cette décision. Les départements sont les premiers interlocuteurs de l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance. Leur responsabilité est engagée dans sa mise en œuvre. Leurs services interviennent au plus près des familles, enfants et parents. Ils cherchent en permanence à apporter un service public attentif, de qualité et innovant. En outre, les départements dépensent chaque année l’essentiel des 7 milliards d’euros que notre pays consacre à la protection de l’enfance, soit plus de 20 % de leurs dépenses totales d’aide sociale.

Si de nombreux territoires innovent, s’essayent à de nouvelles façons de travailler, repensent la coordination des acteurs, des disparités subsistent selon les départements, certaines cultures étant plus favorables au maintien du lien familial, d’autres au placement. Face à ces disparités, l’État doit assumer son rôle de garant l’égalité de traitement sur le territoire de la République. Dans le respect des compétences des départements, il doit assumer ses responsabilités au regard d’une politique tout à la fois régalienne et décentralisée.

Si notre politique publique de protection de l’enfance doit encore être améliorée, elle a déjà pourtant considérablement évolué, notamment grâce à la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage au travail engagé par Philippe Bas, alors ministre : la loi de 2007 a permis des avancées considérables, avec la mise en place des cellules de recueil des informations préoccupantes, les CRIP, qui constituent aujourd’hui un véritable pilier de notre politique de protection de l’enfance, ou la création du projet pour l’enfant, le PPE, qui est un outil précieux. Elle a enfin consacré les présidents de conseils généraux, devenus conseils départementaux, comme chefs de file de la politique publique de protection de l’enfance.

Nous avons aujourd’hui le recul nécessaire pour franchir une étape supplémentaire. La loi de 2007 a été éprouvée durant huit années sur le terrain. Ce recul se manifeste dans le travail engagé avec le présent texte par les sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini, dont je salue ici la conviction et la détermination.

Ce texte a déjà beaucoup évolué lors de son passage en première lecture au Sénat. Il a été considérablement enrichi en commission à l’Assemblée nationale, et il le sera encore lors de l’examen en séance publique. Je tiens à remercier l’ensemble des parlementaires qui se sont impliqués, mettant de côté les logiques partisanes pour centrer leur réflexion sur l’enfant, ses besoins et sa protection. Je ne doute pas que le même esprit prévaudra lors des échanges en séance au sein de cette assemblée.

Le Gouvernement fera également évoluer ce texte par voie d’amendement. Certains parlementaires peuvent trouver que le calendrier est un peu serré. Je leur présente mes excuses, mais c’est l’efficacité qui prévaut, dans l’intérêt de l’enfant et de l’aide sociale à l’enfance.

J’ai engagé, il y a plusieurs mois, une concertation que j’ai souhaitée la plus large possible. J’ai écouté avant tout les premiers concernés, celles et ceux à qui on a trop rarement donné la parole : les adultes, jeunes et moins jeunes, qui ont été auparavant des enfants de l’ASE. Au sein de cette concertation, j’ai aussi, légitimement, accordé une place singulière aux départements. L’Assemblée des départements de France a désigné Claude Jeannerot comme délégué tout au long de cette démarche. Les départements ont ainsi été étroitement associés à chaque étape de la concertation. Je rencontrerai bien évidemment, dès qu’il sera élu, le prochain président de l’ADF.

J’ai également associé à la réflexion les présidents, présidentes, vice-présidents et vice-présidentes chargés de la protection de l’enfance, et constitué un groupe de travail avec quatorze départements, l’ONED et l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée – ODAS – afin de nourrir chaque étape de la concertation. Pour garantir la continuité de la démarche, j’ai convié l’ensemble des présidents de conseils départementaux nouvellement élus à échanger sur cette question le 21 mai prochain.

Les conclusions de la concertation, qui seront présentées lors d’une réunion de restitution le 1er juin prochain, portent déjà leurs fruits dans le texte dont nous allons débattre. L’ensemble du travail engagé a permis de construire une belle réforme de la protection de l’enfance.

La réforme que nous portons aujourd’hui affirme que les enfants de l’aide sociale à l’enfance, quel que soit leur âge, ont les mêmes besoins, qu’ils doivent avoir accès aux mêmes droits que n’importe quel autre enfant. On n’est pas et on ne naît pas enfant de l’ASE, on est d’abord un enfant.

Le Gouvernement souhaite des mesures nouvelles, des mesures inédites en direction des jeunes majeurs, des mesures qui garantissent la stabilité affective de l’enfant ; une évolution des outils qui renforce le repérage et le suivi des situations ; l’affirmation d’une doctrine de la protection de l’enfance centrée sur le plus grand intérêt de l’enfant.

Parmi les ruptures auxquelles sont exposés les jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance, celle qu’ils vivent en quittant l’ASE est sans doute l’une des plus violentes. Lorsque j’ai rencontré d’anciens enfants de l’ASE, nombreux ont témoigné des difficultés qu’ils ont éprouvées à s’engager dans leur vie d’adulte, de leur inexpérience face à la gestion du quotidien, de la précarité de leur situation.

La réponse que nous apportons à ces jeunes est d’abord de leur assurer l’accès aux mêmes droits que tous les autres jeunes : c’est l’accès à la garantie jeunes, c’est l’accès au service civique, c’est l’accès au logement, en leur réservant en priorité des places au sein des foyers de jeunes travailleurs.

La réponse, c’est un travail qui s’engage en amont de la sortie de l’ASE, pour en préparer la brutale survenance, à 18 ou à 21 ans, un travail de coordination porté par les préfets et les présidents de conseils départementaux avec les acteurs de la cohésion sociale, de la santé, de l’éducation, de l’insertion professionnelle, bref toutes les institutions qui peuvent accompagner le jeune dans la construction de son projet de vie. Le Gouvernement a déposé des amendements en ce sens.

La réponse, c’est assurer à celui qui sort de l’ASE un petit pécule pour pouvoir faire face à ses premières dépenses. Souvent lorsqu’un jeune cesse de remplir les conditions d’âge pour bénéficier de l’ASE, il n’a rien. Pourtant il lui faut se nourrir, se loger, se déplacer, se vêtir, voire accéder à quelques loisirs. C’est pourquoi le Gouvernement promeut une mesure forte, une mesure de justice sociale à laquelle je suis personnellement très attachée : le versement de l’allocation de rentrée scolaire, pendant le placement de l’enfant, sur un compte bloqué à la Caisse des dépôts afin qu’il dispose de ce pécule à sa majorité.

Enfin, la réponse, c’est celle qu’a apportée le Président de la République la semaine dernière : un accompagnement qui va au-delà du terme de la mesure, pour permettre au jeune de terminer l’année scolaire ou universitaire engagée. La réussite de la scolarité de ces jeunes constitue un atout formidable pour leur autonomisation, pour leur entrée dans la vie d’adulte. Nous devons assurer que cette scolarité se déroule dans la plus grande stabilité, et empêcher qu’une rupture trop brutale ne vienne contrarier sa réussite.

La stabilité affective des enfants, la sécurisation de leur parcours est l’autre point saillant de la réforme de la protection de l’enfance.

Lorsqu’on regarde de près les parcours des enfants au sein de l’aide sociale à l’enfance, on réalise avec tristesse qu’ils sont bien souvent émaillés de ruptures. Un enfant de l’ASE a effectivement un besoin urgent de protection quand il est en danger dans son environnement. Mais un enfant de l’ASE a aussi besoin, comme n’importe quel autre enfant, qu’on tienne compte de son besoin de stabilité affective, des liens et de l’attachement à construire.

En trois ans, un enfant peut être placé en pouponnière, en foyer puis en famille d’accueil, puis retourner dans sa famille et finalement être à nouveau placé parce que cela n’a pas fonctionné, mais dans une autre famille d’accueil parce que la précédente a désormais la responsabilité d’autres enfants. En trois ans, on lui aura proposé trois, quatre, cinq figures d’attachement différentes. En trois ans, il n’aura pas pu s’attacher.

C’est pourquoi le Gouvernement a souhaité inscrire, lors de la première lecture au Sénat, la stabilité des parcours comme finalité des missions de la protection de l’enfance. Le Gouvernement salue et soutient le travail de la commission des affaires sociales qui a souhaité sécuriser l’adoption simple, améliorer l’accompagnement de l’enfant chez les tiers dignes de confiance et soutenir les liens de fratrie dans l’accueil par l’aide sociale à l’enfance.

Dans le meilleur intérêt de l’enfant, il nous faut sortir de nos représentations figées, il nous faut inventer l’environnement qui lui permettra de grandir et de s’épanouir au mieux. Même si cela nous amène à nous interroger, il faut lui assurer des aménagements nécessaires de l’autorité parentale, dans les situations de délaissement notamment. Il faut penser qu’on peut être l’éducateur d’un enfant sans en être le parent. Je suis persuadée qu’à chaque fois que nous nous poserons sincèrement la question de la recherche du meilleur intérêt de l’enfant, nous saurons trouver la réponse juste.

Assurer à l’enfant que la stabilité et la sécurisation de son parcours prévalent sur toute prérogative, parentale comme institutionnelle : c’est cela être bien traitant. Cela n’exclut pas le formidable travail d’accompagnement des familles réalisé par les services d’aide sociale à l’enfance, qui agissent auprès des parents pour leur permettre d’exercer au mieux leurs responsabilités parentales.

Parmi les nombreuses mesures, le Gouvernement sera également très attentif à l’amélioration du repérage des situations de danger et au suivi des parcours. Pour cela, il faut renforcer et clarifier procédures et dispositions. Un amendement viendra donner un cadre national à l’évaluation de l’information préoccupante. Cette évaluation sera réalisée par une équipe pluridisciplinaire de professionnels formés à cet effet ; elle concernera dorénavant tous les enfants qui vivent au domicile. Un amendement proposera également de faciliter la saisine de l’autorité judiciaire quand la gravité de la situation l’impose et de permettre qu’une décision de protection soit prise rapidement par le juge des enfants. Enfin, j’ai déposé un amendement qui sécurise les sorties de placement en instaurant le principe d’un suivi lorsqu’un enfant retourne dans sa famille après avoir été confié à l’ASE.

La fin du placement, si elle n’est pas préparée et accompagnée, peut être un moment de grande fragilité pour l’enfant et pour les parents. Il arrive que des parents, même si le danger ou le risque de danger n’est plus présent, aient conservé des fragilités. Il arrive que ce retour, ce changement soudain et non accompagné laisse les enfants ou les parents désemparés. Or aujourd’hui, rien n’est prévu dans les textes pour accompagner ce retour.

Enfin, la réforme de la protection de l’enfance veut la repositionner dans l’intérêt de l’enfant, autour de ses besoins.

Aujourd’hui, la protection de l’enfance vise à accompagner les familles. L’enfant est l’objet de cette protection surtout quand il est maltraité. Il faut changer de paradigme dans notre approche de cette politique.

Ce changement de paradigme, le Gouvernement souhaite l’inscrire dans les textes et a ainsi proposé, par voie d’amendement, une nouvelle définition de la protection de l’enfance.

Ce paradigme est par ailleurs particulièrement incarné par un outil précieux de la politique publique de protection de l’enfance : le projet pour l’enfant. Rendu obligatoire par la loi de 2007, le PPE est affirmé par notre réforme comme un document qui appartient à l’enfant et qui porte une véritable ambition pour lui. Toutes les personnes qui ont de l’importance pour l’enfant, ses parents au premier chef, mais aussi son médecin de famille, ou pourquoi pas son entraîneur de foot, trouveront leur place dans le cadre d’un PPE véritablement centré sur l’intérêt de l’enfant.

En parallèle de cet important travail législatif, il nous faut aussi réformer les pratiques. La vaste concertation que j’ai engagée se prolongera par une restitution le 1er juin prochain et par la présentation d’une feuille de route. La réforme de la protection de l’enfance ne porte pas uniquement l’ambition de réformer « pour » les enfants de l’aide sociale à l’enfance : elle porte aussi celle de réformer « avec » l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance.

Mesdames, messieurs les députés, la réforme de la protection de l’enfance dont nous allons poser conjointement les bases législatives aujourd’hui nous oblige. Elle exige de nous du consensus, elle exige que nous ne nous perdions pas dans de faux débats, elle exige de rechercher dans chacune de nos interventions, de nos suggestions, le meilleur intérêt de l’enfant.

Je le dis ici sans détours : je m’opposerai à tout amendement dont l’objet ne sera pas de réformer la protection de l’enfance. Autour de la famille, il existe de nombreux débats. Mais ce ne sont pas ces débats qui sont à l’ordre du jour. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC.) Aujourd’hui le sujet, ce sont les 284 000 mineurs et 21 500 jeunes majeurs de l’aide sociale à l’enfance, et je suis sûre que pour ces enfants, nous saurons être à la hauteur de l’enjeu. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires sociales.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi relative à la protection de l’enfant. Assurer une protection à tous les enfants, garantir leurs droits et leur permettre de se construire un avenir : tel est l’enjeu fondamental de la protection de l’enfance.

L’aide sociale à l’enfance des départements prend en charge 284 000 mineurs et 21 500 majeurs en France. Dans la grande majorité des cas, les décisions de protection sont prises par le juge des enfants. Elles permettent le plus souvent de protéger les enfants quand ils subissent des violences ou quand ils sont exposés à des situations de carence ou de négligence.

Mais la protection de l’enfance concerne aussi la mise en place d’actions de prévention pour préparer l’arrivée d’un nouveau-né, garantir une présence éducative auprès des jeunes en difficulté, soutenir la parentalité, répondre aux parents qui viennent demander de l’aide aux services de l’aide sociale à l’enfance. Chaque année, 7 milliards d’euros, soit 20 % des dépenses départementales d’action sociale y sont consacrés.

L’enjeu de la réforme dont nous débattons est donc majeur. Pourtant, des destins tragiques d’enfants révèlent l’existence de dysfonctionnements en matière de protection de l’enfance. Le mois dernier, une petite fille de trente mois est morte à l’hôpital de Toulouse à la suite de mauvais traitements infligés par sa famille. Cette enfant avait été prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance, puis était retournée vivre avec ses parents. L’affaire Marina, morte en 2009, à l’âge de huit ans, au terme d’une vie de maltraitance a soulevé des interrogations sur l’efficacité voire la responsabilité des services publics chargés de la protection de l’enfance, qui, malgré de nombreux signaux d’alerte émis par des personnes ayant côtoyé Marina, n’ont pas pu empêcher la mort de la petite fille.

Au-delà de ces cas médiatisés, les chiffres, dans ce domaine, sont dramatiques : selon les associations spécialisées dans la protection de l’enfance, deux enfants meurent encore chaque semaine dans notre pays de mauvais traitements infligés au sein de leur famille. Cent mille enfants seraient en danger, et parmi eux, 20 000 seraient proprement maltraités.

Ces dysfonctionnements nous mènent à nous interroger sur notre politique publique de protection de l’enfance. Si cette politique a déjà beaucoup évolué ces dernières années, elle doit encore être améliorée.

En effet, la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance lui a permis de gagner en lisibilité, mais aussi en efficacité. Elle poursuivait trois objectifs : renforcer la prévention, en essayant de détecter le plus précocement possible les situations à risque par des bilans réguliers « aux moments essentiels du développement de l’enfant » ; réorganiser les procédures de signalement par la création dans chaque département d’une cellule spécialisée permettant aux professionnels, liés par le secret professionnel et intervenant pour la protection de l’enfance, de mettre en commun leurs informations et d’harmoniser leurs pratiques ; diversifier les modes de prise en charge des enfants en prévoyant la possibilité d’accueils ponctuels ou épisodiques hors de la famille, sans pour autant qu’il s’agisse d’un placement en établissement ou en famille d’accueil.

Cependant, la mise en œuvre de cette loi se heurte à de nombreux obstacles : fortes disparités territoriales, absence de pilotage national, insuffisance de formation des professionnels dans leur diversité, coopération parfois difficile entre les secteurs d’intervention, retard dans le développement de la prévention, prévalence du maintien du lien familial biologique dans les pratiques professionnelles. Le parcours des enfants protégés est souvent trop instable, alors que la stabilité du parcours est un élément d’équilibre nécessaire au développement de l’enfant.

La proposition de loi que nous examinons a été déposée au Sénat par Mme Michelle Meunier, membre du groupe socialiste, et Mme Muguette Dini, membre du groupe UDI-UC, en septembre 2014. Elle fait suite à de nombreux travaux et réflexions sur ce sujet, notamment le rapport d’information sur l’application de la loi de 2007 présenté par les mêmes sénatrices, ou encore le rapport relatif à la gouvernance de la protection de l’enfance de Mme Adeline Gouttenoire.

Cette proposition de loi a également fait l’objet d’une large concertation puisqu’un groupe de travail réunissant quatorze départements, l’Observatoire national de l’enfance en danger et l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée a été mis en place. Par ailleurs, en tant que rapporteure, j’ai rencontré de nombreux acteurs de terrains.

Le texte qui nous est soumis poursuit trois objectifs principaux : l’amélioration de la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance, la sécurisation du parcours de l’enfant pris en charge par l’aide sociale à l’enfance et la garantie d’une plus grande stabilité de l’enfant, en particulier en adaptant son statut lorsqu’il fait l’objet d’un placement de longue durée. Chacun de ces objectifs correspond à un titre de la proposition.

Ce texte a été adopté à l’unanimité au Sénat. Cette unanimité ne doit pas nous faire oublier cependant que le texte initial a subi d’importantes modifications lors de son examen en séance, puisque dix articles ont été supprimés.

La commission des affaires sociales a examiné le texte mardi dernier. Nous avons adopté de nombreux amendements rétablissant des articles importants, notamment l’article 1er, visant à créer un conseil national de la protection de l’enfance, ainsi que l’article 12, qui prévoit de sécuriser l’adoption simple.

Diverses dispositions, destinées à favoriser les synergies et les relations de travail entre les acteurs chargés de la politique de protection de l’enfance, ont été adoptées par la commission des affaires sociales. Nous avons également adopté une disposition visant à faciliter les échanges d’informations entre les départements, d’une part, et entre le département et la caisse primaire d’assurance maladie et la caisse d’allocations familiales d’autre part.

Nous avons enrichi les missions du service de l’aide sociale à l’enfance, en y ajoutant celle de veiller au maintien des liens d’attachement noués par l’enfant avec ses frères et sœurs. Le contenu du projet pour l’enfant a aussi été précisé, de manière à en faire un document essentiel accompagnant l’enfant tout au long de son parcours. Afin d’améliorer la prise en charge des enfants abandonnés par leurs parents, la déclaration judiciaire d’abandon, actuellement définie à l’article 350 du code civil, a été réformée et centrée sur l’intérêt de l’enfant : elle se fonde sur le délaissement parental constaté.

S’agissant du volet pénal, la commission des affaires sociales s’est rassemblée autour de l’article inscrivant l’inceste dans le code pénal, article supprimé en séance publique par le Sénat. Des centaines de milliers de victimes attendent cette reconnaissance symbolique mais ô combien essentielle pour se reconstruire. La réflexion menée depuis plusieurs mois, en collaboration avec la chancellerie, par le groupe de travail trans-partisan créé au sein de l’Assemblée nationale et comprenant notamment MM. Bernard Roman et Sébastien Denaja, a permis d’aboutir à une rédaction rigoureuse et mesurée.

S’agissant du volet relatif aux mineurs isolés étrangers, la proposition de loi prévoit de limiter le recours aux tests radiologiques de maturité osseuse pour déterminer leur âge et de donner une base légale aux critères permettant de les répartir entre les différents services départementaux de l’aide sociale à l’enfance, à la suite de l’annulation partielle, par le Conseil d’État, de la circulaire du ministère de la justice du 31 mai 2013, signée par Mme Taubira, au motif qu’une telle disposition relevait de la compétence du législateur et non du pouvoir réglementaire.

La commission des affaires sociales a donc considérablement enrichi ce texte qui comptait seize articles et qui en comprend désormais trente-sept. Nous avons redonné tout son sens à cette proposition de loi des sénatrices Meunier et Dini, qui ont réalisé un excellent travail et que je souhaite saluer aujourd’hui.

Toutes ces mesures ont un point commun : assurer une protection à tous les enfants et leur permettre de se construire un avenir. Je vous laisserai, madame la secrétaire d’État, mettre l’accent sur celles qui sont destinées aux jeunes majeurs : ce sont de très bonnes mesures, attendues par les intéressés, et que nous soutiendrons.

Chers collègues, compte tenu des avancées importantes que contient cette proposition et des enrichissements intervenus en commission des affaires sociales, dans un esprit constructif et de rassemblement autour d’un seul objectif, celui d’améliorer l’aide sociale à l’enfance, je vous invite à adopter cette proposition de loi qui donnera à l’enfant les meilleures chances d’épanouissement. Et je souhaite que nos débats dans l’hémicycle soient de même nature qu’en commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. L’examen de cette proposition de loi, issue d’une initiative sénatoriale, intervient dans un contexte marqué par de nombreux drames concernant des enfants victimes de mauvais traitements. Ces tragédies soulignent l’urgence et la nécessité des réformes proposées mais ne doivent pas occulter que ce texte est issu d’un travail de fond mené depuis plusieurs années. Il est en effet la traduction législative du rapport de la mission d’information de la commission des affaires sociales du Sénat sur la protection de l’enfance et de divers autres travaux. Il tient également compte des réflexions figurant dans le rapport du groupe de travail sur la protection de l’enfance et l’adoption, présidé par Mme Adeline Gouttenoire, ainsi que des travaux du Conseil supérieur de l’adoption.

La dernière grande réforme de cette politique a été opérée par la loi du 5 mars 2007. L’objet de la présente proposition de loi n’est pas de remettre à plat cette réforme de 2007, mais de tirer les conséquences des imperfections ou des dysfonctionnements qui ont pu être constatés.

Lors de son examen au Sénat, des suppressions et modifications ont parfois amélioré le texte. Mais elles ont majoritairement et considérablement diminué le niveau d’ambition de la proposition de loi.

La commission des lois a naturellement proposé de confirmer les suppressions qui lui ont paru justifiées, comme celle de l’article 14, qui visait à permettre une nouvelle adoption plénière d’enfants précédemment adoptés, admis en qualité de pupille de l’État. Cet article aurait en effet conduit à remettre en cause le principe d’irrévocabilité de l’adoption plénière.

Autre suppression justifiée : celle de l’article 20, qui prévoyait de rendre automatique le retrait d’autorité parentale pour les parents auteurs ou complices d’un crime ou d’un délit sur la personne de leur enfant ou de l’autre parent. Cette automaticité soulevait en effet des difficultés d’ordre constitutionnel et des problèmes de compatibilité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Doit également être supprimé l’article 21 prévoyant l’extension de l’indignité successorale aux parents auteurs et complices d’un crime ou d’un délit commis sur la personne de leur enfant, qui instituait lui aussi une sanction automatique et encourait les mêmes critiques.

À l’inverse, la commission des lois a souhaité revenir sur certaines des suppressions opérées par le Sénat. Elle a ainsi proposé de rétablir l’article 12, relatif à la réforme des règles applicables à la révocation de l’adoption simple durant la minorité de l’adopté, qui prévoit que cette révocation ne pourra être demandée que par le ministère public, et non plus par la famille d’origine et, si le mineur a plus de quinze ans, par l’adoptant.

De même, il faut revenir sur la suppression de l’article 17 relatif à la désignation d’un administrateur ad hoc indépendant du service d’aide sociale à l’enfance dans les instances d’assistance éducative. Il nous a paru en effet important de garantir cette indépendance à l’égard de l’ASE.

La commission, à l’initiative conjointe de MM. Denaja et Roman mais aussi de M. Geoffroy et de Mme Fort, a également proposé de rétablir l’article 22 relatif à l’inceste. Il est indispensable de réinscrire l’inceste dans le code pénal, afin de reconnaître sa spécificité et le traumatisme qu’il représente pour les victimes.

Enfin, la commission a préconisé de compléter l’article 15, qui prévoit une audition systématique de l’enfant doué de discernement dans le cadre d’une procédure d’adoption.

Au total, huit des onze amendements présentés par la commission des lois ont été adoptés par la commission des affaires sociales, ce qui témoigne de l’excellente coopération entre nos deux commissions, et je tiens à saluer la qualité du travail de la rapporteure au fond, Mme Annie Le Houerou, ainsi que votre investissement, madame la secrétaire d’État.

Progrès social, efficience juridique, gouvernance intelligente, le tout au bénéfice de l’enfant et des familles : voilà mes chers collègues ce dont nous sommes amenés à débattre.

La période de l’enfance est par nature celle qui pose les fondements du devenir de chacun. Les premières années de notre vie donnent le « la » à toutes celles qui suivent. Il en est de même pour les politiques publiques : celles de la petite enfance se répercutent sur toutes les autres, par ricochet, comme vous l’avez indiqué madame la secrétaire d’État. Il nous appartient donc d’être à la hauteur de l’enjeu. Ainsi modifiée, cette proposition de loi renforcera significativement la protection de l’enfant et fera, je l’espère, l’objet d’un large consensus. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Bernard Roman. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Notre assemblée examine aujourd’hui un texte qui s’attache à améliorer le dispositif de protection de l’enfance. Le devoir des pouvoirs publics et de notre société est de protéger ces enfants dont les débuts dans la vie sont plus que difficiles.

Leur sort mérite de notre part un travail constructif, sans a priori politique. L’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée en 1989 a posé un principe fondamental, repris en ces termes dans notre code de l’action sociale et des familles : « L’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant. »

Nous pouvons nous féliciter de ce texte issu d’une initiative parlementaire de nos collègues sénatrices Mmes Muguette Dini et Michelle Meunier. Elles ont rédigé cette proposition de loi en prenant le temps de la réflexion et de la concertation, dressant le bilan de l’application de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Leur rapport d’information, rendu en juin 2014, constitue d’ailleurs un travail remarquable.

Je voudrais ici avoir une pensée toute particulière pour Mme Dini, qui ne s’est pas représentée et dont le mandat a pris fin en septembre dernier. Elle a beaucoup fait avancer les choses. Nous ne sommes pas de la même couleur politique, mais je salue son combat, sur ce sujet comme sur d’autres. (« Très bien ! » sur divers bancs.)

Ce texte a été adopté à l’unanimité au Sénat : cela mérite d’être souligné, même si un nombre significatif d’articles a alors été supprimé.

Notre commission, la semaine dernière, a substantiellement amélioré le texte, à l’initiative de notre rapporteure Annie Le Houérou et de la rapporteure pour avis Marie-Anne Chapdelaine, ainsi que des députés principalement investis dans le sujet, à commencer par Françoise Dumas, qui représente le groupe SRC pour cette proposition de loi et dont le parcours lui confère une réelle expertise sur le sujet. Les échanges avec Mme Rossignol et avec la garde des Sceaux ont également permis de belles avancées, et nous les en remercions.

Je n’entrerai pas dans les détails, nos rapporteures l’ont excellemment fait. Je voudrais juste mettre l’accent sur trois dispositions majeures, ajoutées en commission et qui feront encore, je pense, l’objet de débats dans l’hémicycle.

Premièrement, à l’initiative de plusieurs membres de la majorité, dont j’étais, nous avons supprimé l’utilisation des tests osseux pour déterminer l’âge des jeunes étrangers arrivant en France, du fait de la trop grande imprécision scientifique de ce procédé.

Deuxièmement, la commission a repris le principe selon lequel certains viols avec circonstances aggravantes peuvent être qualifiés d’incestes, sans créer juridiquement parlant un nouveau crime d’inceste au sein du code pénal. Cette initiative, il faut le noter, résulte d’une démarche trans-partisane, et a associé la commission des lois à notre commission des affaires sociales.

Enfin, à l’initiative du Gouvernement, nous avons adopté des mesures permettant de mieux répartir l’accueil des mineurs étrangers isolés entre les départements, en tenant compte de la décision du Conseil d’État. Il s’agissait en la matière de répondre à un problème urgent.

Pour conclure, je voudrais évoquer un exemple qui m’est venu à l’esprit en préparant cette intervention. Dans le cadre du droit des parlementaires à visiter les prisons, créé sous le gouvernement Jospin – droit que j’exerce – je suis allée il y a quelques années rencontrer les mineurs, pour ne pas dire les enfants, incarcérés à l’Établissement pénitentiaire pour mineurs de Lavaur – on dit « EPM » pour ne pas dire « prison », mais ce sont des prisons.

Loin de moi l’idée d’émettre un avis sur les jugements prononcés par la justice à l’encontre de ces mineurs qui ont enfreint la loi, mais j’ai été frappée, lors des échanges que j’ai eus avec eux, par le récit de leurs trajectoires : beaucoup d’entre eux avaient eu un parcours chaotique, parsemé de multiples ruptures, passant dès la naissance parfois de famille d’accueil en famille d’accueil, et qui les a fait peu à peu dériver. Je ne suis pas en train de justifier les actes qu’ils ont pu commettre, j’essaie juste d’en expliquer les raisons.

Je dois vous avouer que j’ai été un peu étonnée en apprenant le dépôt d’une motion de renvoi en commission par le groupe UMP. C’est le droit absolu de toute opposition, je ne le conteste pas, mais cela paraît inattendu pour faire avancer la protection de l’enfance.

Mme Isabelle Le Callennec. Je vais vous l’expliquer.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je suis donc impatiente d’en connaître les motivations. Je souhaite néanmoins vivement qu’ici même, en séance, comme en commission, nous ayons un débat serein et constructif, abandonnant les postures politiciennes pour ne penser qu’à la seule chose qui compte : l’intérêt de l’enfant. Évitons d’aller sur des chemins de traverse. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Des enfants meurent de mauvais traitements dans notre pays. Toujours trop d’enfants souffrent de carence affective. Les failles du système ne font que trop régulièrement la une des journaux. La protection de l’enfance concerne près de 300 000 mineurs ou jeunes majeurs.

La proposition de loi que nous examinons en séance reprend un certain nombre de recommandations d’un rapport d’information de la commission des affaires sociales du Sénat, qui dresse un bilan de la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance.

L’intention du législateur de l’époque était d’améliorer la prévention, le signalement et les interventions sociales et judiciaires. Huit ans après sa promulgation, cette loi reste une référence en matière de protection de l’enfant mais force est de constater que tous les objectifs n’ont pas été atteints.

Les principales limites ont été identifiées : fortes disparités territoriales, absence de pilotage national, manque de coopération entre les différents acteurs, insuffisance des formations dispensées, instabilité des parcours des enfants placés.

Alors, la question nous est posée : faut-il une nouvelle loi sur la protection de l’enfance ? Il nous est souvent reproché de trop légiférer et de ne pas suffisamment nous soucier des modalités d’application des textes votés par le Parlement. Ne convient-il pas déjà de veiller à ce que la loi de 2007 soit appliquée ? Les difficultés de mise en œuvre relèvent-elles de la loi, du règlement ou des résistances au changement ?

S’agissant de la protection de l’enfance, partageons-nous collectivement le sens à donner à une politique qui, bien sûr, relève de l’État mais qui a été décentralisée à l’échelon départemental ? Nous sommes-nous suffisamment interrogés en commission des affaires sociales sur la façon d’améliorer la gouvernance ? Avons-nous fait le tour de la question des moyens à consacrer à cette politique, lesquels atteignent 7 milliards annuels ?

Le texte que nous voterons – ou pas – et les deux cents amendements examinés en commission permettront-ils vraiment d’améliorer le sort de milliers d’enfants aux histoires douloureuses, aux parcours perturbés et dont l’insertion socioprofessionnelle est donc plus difficile ? Opérera-t-il ce vrai changement de culture attendu par nombre des professionnels qui nous regardent ?

À l’UMP, nous aurions aimé en débattre davantage en commission, madame la présidente, prendre le temps de l’échange, après les auditions très riches, les témoignages de ceux et celles qui vivent les réalités de terrain. Malheureusement, le temps nous aura été compté, les délais de dépôt des amendements auront été raccourcis et les croisements de regards entre les commissions insuffisants.

Même le Gouvernement, madame la secrétaire d’État, a dû déposer une quinzaine d’amendements en dernière minute, des amendements de fond comme celui sur l’accompagnement des jeunes sortant des dispositifs de l’aide sociale à l’enfance ou l’accès à la nationalité des enfants accueillis en kafala.

Et nous apprenons ce matin même que nos débats en séance pourraient se poursuivre demain soir. Ce n’est assurément pas respectueux des députés, qui s’organisent pour travailler sérieusement sur des textes sérieux.

C’est pour toutes ces raisons que je défends cette motion de renvoi en commission.

Le texte, au Sénat, faisait consensus. Or, il est significativement réécrit alors que plusieurs articles nécessiteraient un travail plus approfondi de notre part. Permettez-moi d’en décliner quelques-uns.

Au début de l’article 1er, nous aurions dû veiller à peser chaque mot de la définition de la protection de l’enfance et modifier l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles. C’est l’objet de l’amendement de notre collègue Claude Greff. Voici le début de la définition qu’il propose : « La protection de l’enfance a pour but de protéger les enfants dont la sécurité ou le développement physique, intellectuel, affectif et social est compromis ou en risque de l’être. Elle comporte à cet effet un ensemble d’interventions en faveur de ceux-ci et de leurs parents. »

L’article 1er crée le Conseil national de la protection de l’enfance. Nous devrions davantage détailler ses missions – vous connaissez notre aversion pour la création de nouvelles structures, la superposition des procédures ou la complexification des circuits de décisions. Si cette instance devait être finalement mise en place, nous attendons à tout le moins que l’Observatoire national de la protection de l’enfance dont il est question à l’article 3 lui soit rattaché et que le pilotage revienne bien au Conseil national.

L’article 2 confie aux observatoires départementaux de la protection de l’enfance une mission relative à la formation continue des professionnels. Actuellement, cette formation fait cruellement défaut, il n’est qu’à échanger avec les travailleurs sociaux, les assistants familiaux, les professionnels qui interviennent dans les établissements spécialisés pour le savoir.

Des expériences réussies de co-formation existent à travers le croisement des savoirs et des pratiques, à l’instar du travail remarquable réalisé par ATD Quart Monde, pour ne citer que cet exemple. Le pilotage de la formation continue devrait logiquement revenir au conseil départemental mais la collectivité compétente en matière de formation professionnelle est la région. Alors qui pilotera, demain ? Qui financera ? Quel sera le contenu des formations ? Quelle sera la valorisation des parcours des professionnels qui se forment ? Nous sommes loin d’avoir épuisé le sujet.

L’article 4 concerne la désignation d’un médecin référent chargé d’établir des liens de travail réguliers entre les services départementaux et les professionnels de santé. Il s’agit là de décloisonner et de favoriser la coopération. Mais celle-ci se pratique déjà dans certains départements et le médecin de la PMI, a priori, apparaît comme le référent naturel. Il ne serait donc pas le seul ? En tout état de cause, la circulation de l’information entre l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance ne se décrète pas et impose de faire évoluer la notion de secret professionnel en secret professionnel partagé.

Ce qui vaut pour les médecins vaut également pour l’institution judiciaire ou l’éducation nationale. Une évolution des pratiques et des mentalités est absolument nécessaire.

L’article 5 A complète le rôle du service de l’ASE, qui avait deux missions essentielles : la protection des enfants et la restauration de l’autorité parentale défaillante. Désormais, l’ASE devra veiller à la stabilité du parcours de l’enfant confié et à maintenir des liens de fratrie. Pour ce faire, l’un des outils sera le projet pour l’enfant, évoqué à l’article 5.

Ce document existe déjà, puisqu’il a été créé par la loi de 2007, mais le moins que l’on puisse dire est que les départements se le sont très inégalement appropriés : un PPE ne serait rédigé que pour 15 % des enfants confiés à l’ASE. D’où l’idée de créer un référentiel commun de nature à harmoniser les pratiques. Pourquoi pas, lorsqu’il n’existe pas ? Mais certains départements en disposent déjà, alors veillons à laisser une marge de liberté aux équipes pluridisciplinaires.

À cet égard, nous sommes d’accord pour lister les actes usuels que la personne qui accueille l’enfant ne peut accomplir, mais il est inutile de lister ceux qu’elle peut accomplir : par défaut, ce sont tous les autres.

Les articles 12 à 16 concernent l’adoption. Quand ils ont fait l’objet d’un véritable débat, nous sommes parvenus à un consensus, par exemple en fusionnant les amendements de Denys Robillard, du groupe SRC, et de Bérengère Poletti, du groupe UMP.

Il en est de même après l’article 22 : l’article relatif à l’inceste, également porté par un député PS et des députés UMP, a fait l’objet d’un vote unanime en commission.

Mais, s’agissant de l’adoption, nous restons sur nos gardes et sommes très vigilants face à tout amendement qui pourrait être prétexte à relancer des débats clivants dont la société française se passerait bien.

L’article 18 substitue la notion de délaissement à la notion d’abandon, mais contre l’avis de la commission des lois. Pour nous, ces deux notions ne recouvrent pas, a priori, les mêmes réalités. Un enfant serait considéré comme délaissé dès lors que ses parents n’entretiendraient pas avec lui des relations nécessaires à son développement psychologique, social ou éducatif pendant un an. Est-ce à dire que la notion d’abandon est totalement supprimée de notre arsenal juridique ?

Enfin, et j’en terminerai par là, le sujet qui fâche : l’article 21 bis, relatif aux mineurs étrangers isolés, supprime les tests osseux pour déterminer leur âge. Si chacun admet que cette technique n’est pas certaine à 100 %, elle fait pourtant partie d’une liste d’examens médicaux qui figurent dans la circulaire de la ministre de la justice en date du 31 mai 2013, circulaire rédigée après concertation avec l’ensemble des institutions concernées par l’accueil des mineurs étrangers isolés. Le sujet est loin d’être épuisé et nous aurions dû profiter de cette proposition de loi pour apporter des réponses claires aux départements qui, avec raison, s’interrogent sur l’augmentation de la charge.

En conclusion, chers collègues, compte tenu de notre volonté commune de veiller à l’intérêt supérieur des enfants et des familles, constatant que trop d’enfants souffrent d’absence d’affection ou vivent des drames familiaux, nous souhaitons vivement affiner la proposition de loi qui nous est soumise.

C’est la raison pour laquelle, et j’espère que je vous aurai convaincue, madame la présidente de la commission, je réitère ma demande de renvoi en commission. Voter des lois, ce peut être utile, mais voter des lois utiles, ce devrait être notre première préoccupation de législateur. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Claude Greff. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. C’est bien ce que je pensais, madame Le Callennec : je ne m’attendais pas à entendre des arguments qui auraient pu fonder l’existence d’une telle motion et, fondamentalement, il n’y en a pas eu.

Vous évoquez les fortes disparités territoriales : justement, la proposition de loi vise à répondre à cette difficulté. Vous évoquez la mise en place d’un suivi national : ce sera fait. Je ne vois donc pas l’objet de votre demande. Vous évoquez un manque de travail en commission, mais nous avons débattu pendant quatre heures et demie et j’étais prête, quant à moi, à poursuivre jusqu’à une ou deux heures du matin, vous me connaissez, madame Le Callennec !

Mme Isabelle Le Callennec. J’espère que c’est ce que nous ferons cette nuit.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Nous nous sommes mis d’accord, en commission, pour faire une séance continue et arrêter lorsqu’il le faudrait. Quant à moi, je suis toujours prête à continuer, cela ne me pose aucun problème, madame Le Callennec, mais votre groupe était d’accord pour que l’on procède ainsi.

Mme Isabelle Le Callennec. Quid des amendements de la secrétaire d’État ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Le Gouvernement a en effet déposé 15 amendements et votre groupe en présente 69… juste avant d’entrer dans l’hémicycle, dont certains, nous y reviendrons, n’ont absolument aucun rapport avec le texte – absolument aucun, nous le verrons, madame Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Et les amendements de la secrétaire d’État ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Vous vous étonnez que les sujet qu’ils abordent n’aient pas été traités en commission : évidemment, puisqu’ils ne font pas partie de la proposition de loi ! Le Gouvernement, pour sa part, défendra ses amendements. Je ne pense pas que cela soulève un problème important d’entendre Mme la secrétaire d’État ici – c’est même plutôt l’endroit idoine, d’ailleurs.

Vous assurez que l’échange entre les professionnels ne se décrète pas : non, il s’impose, si l’on pense à l’intérêt de l’enfant. Il ne se décrète pas, il s’impose, c’est tout !

Vous avez évoqué la décentralisation des décisions concernant l’enfant. Elle me semble logique : il fait être au plus près de nos concitoyens. Heureusement que, pour s’occuper d’enfants en très grande difficulté, aux parcours chaotiques et plutôt douloureux, les décisions sont prises dans la plus grande proximité ! Cela me paraît logique.

Je n’ai toujours pas compris les motivations de votre motion de renvoi en commission, laquelle a travaillé comme il le fallait, madame le Callennec. Nous allons voir ce qu’en pensent les représentants de groupes qui vont s’exprimer.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Vous avez dressé, madame Le Callennec, un constat qui converge avec le mien, celui de Mme la rapporteure et, auparavant, celui des sénatrices Muguette Dini et Michelle Meunier. Dès lors, notre préconisation majeure est la même : il faut agir, passer à l’acte. Je l’ai dit tout à l’heure : les rapports s’empilent sur mon bureau, tant sur le bilan de la situation que l’état des lieux ou les défaillances de la protection de l’enfance. Alors il est temps de passer du rapport à la loi.

Vous avez eu raison de vous interroger sur la place respective non pas tant de la loi et du règlement – il ne s’agit pas, en effet, d’une question de règlement ou de décrets – que de la loi et des pratiques. J’ai partagé cette même préoccupation. C’est pourquoi, depuis presque un an, j’ai conduit en parallèle le travail législatif concernant la proposition de loi et un travail de concertation avec l’ensemble des acteurs.

J’ai ainsi réuni les représentants de ce que l’on appelait encore les conseils généraux. Ils m’ont assuré que c’était la première fois depuis des années qu’un ministre chargé de la protection de l’enfance les rassemblait afin d’évaluer ensemble les difficultés, le besoin de pilotage national et de gouvernance et ce qui, précisément, relève de la loi et de la pratique.

J’ai mené une concertation qui nous permettra de parvenir à une feuille de route et à l’élaboration de référentiels, non comme normes imposées mais comme outils pour ceux qui, justement, n’ont pas construit leurs propres normes.

Vous avez évoqué le PPE : il s’agit d’une belle mesure, mais moins de 15 % des enfants de l’ASE en bénéficient. Je me suis demandé pourquoi. Je savais bien que ce n’est pas en le rendant encore plus obligatoire par la loi que nous obtiendrions de meilleurs résultats ! Pourquoi, donc ?

J’ai discuté avec les représentants des départements et les travailleurs sociaux et j’en suis venu à la conclusion que l’exercice demandé dans le PPE n’est pas aussi clairement identifié que cela. D’où cette idée des référentiels, que nous élaborerons non pas contre ceux qui existent déjà et qui ont été définis par les départements, mais en s’appuyant sur eux, dans le cadre d’une valorisation et d’un partage des bonnes pratiques des départements – car nombre d’entre eux en ont défini.

Enfin, madame la députée, votre intervention était extrêmement précise, qu’il s’agisse des articles du texte, des amendements gouvernementaux ou de ceux qui ont été adoptés en commission. Après vous avoir entendue, je suis donc certaine que vous êtes prête à mener un bon débat sans qu’il soit nécessaire de renvoyer la PPL en commission ! (Sourires et applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Mme la présidente. Nous en venons aux explications de vote.

La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Notre groupe ne votera pas cette motion de renvoi en commission, parce que nous souhaitons que la discussion aille à son terme compte tenu de l’importance et de l’enjeu de la réforme proposée aujourd’hui.

En effet, comme cela a été souligné à plusieurs reprises depuis le début de nos travaux, si la loi du 5 mars 2007 a incontestablement été un progrès, ses défaillances et ses insuffisances sont aujourd’hui clairement identifiées et font l’objet d’un constat partagé.

Pour notre part, nous considérons que le texte qui nous est soumis, sensiblement amélioré par le travail en commission, apporte un certain nombre de réponses qui sont autant d’avancées pour l’ensemble de notre système de protection de l’enfance, en particulier afin que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une réalité dans le processus de réponse éducative, de prise en charge, de protection et de suivi dans ou hors de sa famille.

C’est pourquoi nous voterons contre cette motion de renvoi en commission.

M. Bernard Roman. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Dumas.

Mme Françoise Dumas. Il va de soi que le groupe SRC ne votera pas cette motion de renvoi. Très objectivement, nous avons travaillé sur le fond en commission, avec certains d’entre vous, et il est de nombreux sujets sur lesquels nous sommes tombés d’accord. Lorsqu’on connaît la situation de ces enfants et de leurs familles et les outils à la disposition de l’aide sociale à l’enfance ainsi que des magistrats, on ne peut que saluer le travail qui a été fait. Mme la secrétaire d’État a pris le temps de travailler avec nous ; nous avons fait de nombreuses auditions et avons beaucoup avancé.

Bien sûr, ce ne sont pas des mesures révolutionnaires, et elles ne vont pas changer la face de l’humanité. Cela étant, au nom des professionnels, au nom des élus et de tous ceux qui, au quotidien, se préoccupent de la protection et de l’aide sociale à l’enfance, je peux vous assurer, et je parle moi-même en tant qu’ancienne professionnelle, que ce texte comporte de vraies avancées qui vont dans le bon sens et qui répondront aux besoins réels des enfants. Elles vont simplifier les dispositifs existants, assouplir les choses et garantir un meilleur développement de ces enfants.

Je ne peux donc que défendre ce texte, qui doit dépasser largement nos clivages politiques habituels. N’essayons pas de le dénaturer. Par respect pour ces enfants et leurs familles, par respect pour les professionnels, montrons-nous, pour une fois, responsables. Au nom du groupe SRC, je pense que nous ne pouvons pas vous suivre sur ce chemin. En revanche, le débat est ouvert, et nous aurons le temps de le mener à bien. En tant que responsable, je défendrai ce texte jusqu’au bout. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Bernard Roman. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Je crois que nous sommes tous d’accord pour essayer d’aboutir à un texte consensuel, alors qu’il est question de la protection de l’enfant. Et nous sommes tout aussi responsables que vous en la matière. Il n’empêche que le travail qui a été fait sur ce texte pose un certain nombre de difficultés.

D’abord, je dois souligner que cette proposition de loi a été complètement réécrite en commission.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. C’est précisément l’objet de l’examen en commission !

M. Gilles Lurton. Or les articles qui ont été réécrits auraient mérité plus de travail en amont.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis. Il fallait venir !

M. Gilles Lurton. Surtout, j’aimerais souligner que la commission a été réunie aujourd’hui, à quatorze heures trente, en vertu de l’article 88, avec pas moins de soixante amendements à examiner à vitesse grand V.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. C’est ce que l’on fait depuis des années !

Mme Isabelle Le Callennec. Il faut changer les choses !

M. Gilles Lurton. Peut-être que l’on fait cela depuis des années, mais il s’agissait presque uniquement d’amendements du Gouvernement et de Mme la rapporteure !

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis. Ce sont d’excellents amendements !

Mme Martine Pinville, M. Bernard Roman et plusieurs députés du groupe SRC. Et les vôtres ? L’opposition en a déposé une centaine !

M. Gilles Lurton. Sur les soixante amendements examinés, il y avait quinze amendements du Gouvernement ! Et quinze amendements de fond, qui réécrivent complètement le texte ! Comment pourrait-on les examiner sérieusement au cours d’une réunion d’un quart d’heure ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Nous débattrons jusqu’au bout de la nuit, monsieur Lurton, ne vous inquiétez pas !

M. Gilles Lurton. Pour moi, un texte sur la protection de l’enfant mérite d’être examiné à fond, si l’on veut aboutir à un consensus. Il faut que ce texte soit renvoyé en commission, pour que nous puissions nous entendre sur sa rédaction. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Gomes.

M. Philippe Gomes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, protéger les enfants issus de familles que la vie a fragilisées, abîmées, parfois détruites ; leur permettre d’écrire une nouvelle page de leur histoire familiale ; leur offrir un avenir épanouissant : tels sont les objectifs que poursuit la présente proposition de loi.

Les enfants maltraités portent toute leur vie en eux une blessure intime, une souffrance indicible, quand les violences qu’ils subissent ne leur prennent pas jusqu’à la vie. Je n’oublie pas non plus les 440 000 enfants qui ont basculé dans la pauvreté depuis 2008. Ces enfants de la crise sont en première ligne face à la précarité. En ces circonstances particulières, j’ai naturellement une pensée pour les enfants de l’outre-mer, où la crise sévit encore plus durement qu’en France métropolitaine.

Face à ces drames, il faut nous interroger, comme cette proposition de loi nous y invite, avec lucidité et exigence, sur la protection de l’enfance, politique publique essentielle, qui concerne près de 300 000 jeunes pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance, et à laquelle les départements consacrent chaque année 7 milliards d’euros, soit environ 20 % de leurs dépenses d’action sociale. Il faut aussi nous interroger sur notre capacité à protéger les enfants des situations de maltraitance, en ayant conscience, il faut l’assumer et le dire, que si un travail formidable est accompli par de très nombreux acteurs de l’aide sociale à l’enfance, des dysfonctionnements persistent, qui parasitent trop souvent l’efficacité de notre action et que l’on ne peut nier.

Nous devons également nous interroger sur le fonctionnement des acteurs de la protection de l’enfance et sur la coordination de leurs actions. Il serait inacceptable de rester passifs quand des enfants continuent de mourir sous les coups de parents violents, et ce alors même que les situations familiales sont connues. Il arrive, alors que de telles situations ont été identifiées ou signalées, que notre prise en charge publique ne permette pas de sauver la vie de celles et ceux qui sont maltraités, menacés.

Il faut nous interroger, enfin, sur la place de l’enfant dans notre société. Nous le savons tous : la solidité de notre cohésion sociale se mesure à l’aune de notre capacité à protéger les plus faibles. C’est même, en quelque sorte, la définition de la civilisation.

La proposition de loi qui est aujourd’hui soumise à l’examen de l’Assemblée nationale n’est certes pas révolutionnaire. Il n’est pas ici question de mettre en cause l’équilibre de la loi du 5 mars 2007 qui a constitué, depuis la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements, la première réforme d’ampleur de la protection de l’enfance. Pour autant, le présent texte répond à un objectif simple : faire évoluer la loi et les pratiques des professionnels sur certains points précisément identifiés. En effet, sept ans après la promulgation de cette loi, force est de constater que son application se heurte encore à des inégalités territoriales, à des retards et à des carences. J’ajoute qu’elle n’avait pas permis d’apporter de réponse au problème majeur de l’instabilité des parcours des mineurs pris en charge.

Nos collègues sénatrices Muguette Dini et Michelle Meunier ont, à travers cette proposition de loi, qui s’inscrit dans le prolongement d’une mission qui leur avait été confiée, proposé des dispositions utiles. Ces dispositions améliorent la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance, contribuent à la sécurisation du parcours de l’enfant protégé, et adaptent le statut de l’enfant placé sur le long terme. S’agissant de la gouvernance, il apparaît absolument indispensable de conférer à la protection de l’enfance une impulsion nationale, compte tenu, cela a été dit et répété, du manque de coopération et de la persistance d’un cloisonnement entre les différents secteurs d’intervention.

Dans cette perspective, l’article 1er de la proposition de loi prévoit la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance, chargé de proposer au Gouvernement les grandes orientations nationales de la protection de l’enfance, de formuler des avis et d’évaluer la mise en œuvre des orientations retenues. Son article 4 prévoit la désignation, dans chaque service départemental de protection maternelle et infantile, d’un médecin référent pour la protection de l’enfance, chargé d’établir des liens de travail réguliers entre les services départementaux, la cellule de recueil des informations préoccupantes et les médecins exerçant dans le département, ainsi, bien sûr, que les médecins de santé scolaire.

Ce dispositif permettra, je le crois, je l’espère, de repérer les situations de négligence, de maltraitance ou de danger avec plus d’efficacité qu’aujourd’hui. Quant aux dispositions relatives à la sécurisation du parcours de l’enfant protégé, je tiens à souligner les avancées permises par le renforcement du rôle du projet pour l’enfant, dont le contenu et les modalités d’élaboration sont mieux définis. Cette proposition de loi permettra en outre de garantir une plus grande stabilité des parcours des enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, en encadrant la possibilité de nombreux changements de lieux d’accueil. Enfin, concernant le statut de l’enfant placé sur le long terme, la proposition de loi systématise la désignation par le juge des enfants d’un administrateur ad hoc, indépendant du service de l’aide sociale de l’enfance, chargé de représenter les intérêts du mineur dans la procédure d’assistance éducative, lorsque ces derniers sont en opposition avec ceux des titulaires de l’autorité parentale.

En outre, le groupe UDI, qui avait porté et défendu une proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles sur les mineurs, soutient tout particulièrement l’inscription de l’inceste dans le code pénal. En effet, introduire l’inceste dans notre droit en tant qu’infraction à part entière participera à reconnaître enfin la spécificité des violences et des traumatismes endurés par les enfants qui en sont victimes. Il n’était que temps.

Nous partageons largement les objectifs poursuivis par cette proposition de loi adoptée à l’unanimité par le Sénat. Je tiens cependant à souligner qu’il est bienvenu que notre collègue Erwann Binet n’ait finalement pas déposé son amendement visant à autoriser les couples pacsés ou en concubinage à adopter un enfant. Il nous semble en effet que cette question fondamentale et ses implications majeures ne pouvaient pas être traitées au détour d’un amendement à cette proposition de loi. Une éventuelle modification de la législation relative à l’adoption plénière doit être abordée avec d’infinies précautions, afin de garantir que l’intérêt de l’enfant soit préservé en toutes circonstances. Je pense également aux conséquences de telles évolutions sur l’adoption par le conjoint d’un enfant conçu par procréation médicalement assistée ou par gestation pour autrui, questions qui nécessitent un véritable débat.

L’adoption d’une telle disposition serait venue modifier considérablement cette proposition de loi, qui permet de renforcer les outils dédiés à la protection de l’enfance. Mais dans son équilibre actuel, le groupe UDI soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Gilda Hobert.

Mme Gilda Hobert. Nous voici réunis au sein de cet hémicycle afin de discuter la proposition de loi relative à la protection de l’enfant de Michelle Meunier, sénatrice socialiste de Loire-Atlantique, et de Muguette Dini, sénatrice UDI-UC du Rhône, qui a fait l’unanimité lors de son vote au Sénat.

Cette proposition de loi a été débattue dans un esprit de consensus au sein de la commission des affaires sociales, même si des oppositions se sont manifestées sur quelques points, notamment sur l’amendement, adopté en commission, de Jeanine Dubié et Denys Robiliard sur les tests osseux. C’est sur ce sujet précis que je voudrais m’exprimer.

Cet amendement vise à écarter le recours aux tests osseux pour déterminer l’âge des mineurs étrangers isolés arrivant sur le sol français. Cet examen osseux, consistant à radiographier de face la main et le poignet gauche de la personne et à examiner les points d’ossification des doigts, permet de tirer des conclusions : plus il y a de cartilage de croissance, plus la personne est jeune ; au contraire, lorsqu’il n’y a plus de cartilage, la maturité osseuse est atteinte, ce qui correspond plus ou moins à l’âge de 18 ans, selon la personne et le sexe.

Comme l’avait mentionné Jeanine Dubié en commission, cette comparaison s’effectue au regard d’un atlas de références réalisé entre 1931 et 1942 à partir d’une cohorte d’enfants américains rassemblés par tranches de six mois à un an. La finalité initiale de cette technique était essentiellement médicale, car elle était utilisée en particulier dans le suivi des maladies endocriniennes.

Cet atlas n’a jamais été mis à jour, si bien qu’aujourd’hui on peut douter de la fiabilité de cette méthode, également remise en question par certaines instances aussi bien judiciaires que médicales. Pourtant, ces tests restent souvent utilisés afin de déterminer l’âge, d’établir la minorité ou la majorité de jeunes personnes qui arrivent sur le sol français sans papiers d’identité, ou avec des papiers sujets à caution, même si la circulaire Taubira relative aux mineurs étrangers isolés précise que cet examen osseux ne doit intervenir qu’en dernier recours.

Mme Isabelle Le Callennec. Mais il doit quand même intervenir !

Mme Gilda Hobert. Ainsi, nous sommes passés d’une finalité à caractère médical à une finalité judiciaire. L’appréciation de la minorité ou de la majorité ayant de lourdes conséquences pour les jeunes concernés, il ne nous paraît plus acceptable que ces tests peu fiables continuent d’être déterminants. D’autres examens morphologiques existent. Si ce test est aujourd’hui systématiquement utilisé, nous pensons alors que ses résultats ne devraient faire partie que d’un faisceau d’indices.

Mme Isabelle Le Callennec. C’est justement ce qui est prévu par la circulaire !

Mme Gilda Hobert. Comme l’a également rappelé Jeanine Dubié en commission des affaires sociales, nous rencontrons aujourd’hui un problème concernant les jeunes de 16 à 19 ans. En effet, lorsque leur minorité n’est pas reconnue, cela entraîne pour eux des conséquences très préjudiciables. Dès lors, le groupe des radicaux de gauche et apparentés est satisfait d’avoir fait voter cet amendement, sous-amendé par Mme la rapporteure Le Houérou.

Alors que le Gouvernement a déjà pris plusieurs mesures concernant les enfants, en tenant toujours compte de leur intérêt supérieur – nous l’avons vu notamment lors de l’examen du texte sur le statut des pupilles de l’État en 2013 – le groupe RRDP a déposé plusieurs amendements dans le but d’améliorer le présent texte. Mais nous ne doutons pas, madame la ministre, qu’il saura une fois de plus rassembler et faire consensus au sein de notre hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Le groupe écologiste souhaite tout d’abord saluer la démarche tendant à améliorer le dispositif de protection de l’enfance, et remercie les sénatrices socialiste et UDI-UC Michelle Meunier et Muguette Dini de leur initiative. Cette proposition de loi s’inscrit dans l’esprit du rapport d’information « Protection de l’enfance : améliorer le dispositif dans l’intérêt de l’enfant » dont l’objectif est d’améliorer les dispositions actuelles, inscrites dans la dernière loi de 2007.

Ce texte a un champ restreint, mais cohérent, et il nous semble tout à fait opportun de conserver cette cohérence de la rédaction initiale, qui vise notamment à améliorer les conditions d’accueil et de suivi des enfants en situation particulièrement fragile.

Pour autant, nous souhaitons que le statut de l’enfant dans notre société fasse l’objet de débats plus larges, y compris dans cette assemblée, à travers de nouveaux textes. Il n’est donc pas question de faire de mauvais procès à cette proposition de loi en lui reprochant de ne pas couvrir un champ suffisamment large, mais de considérer qu’il s’agit d’une étape vers une meilleure protection des enfants fragiles.

En effet, il faut aujourd’hui apporter des réponses adaptées à des situations particulières, notamment celles des enfants placés auprès de l’aide sociale à l’enfance. Sécurisation du parcours de l’enfant protégé, adaptation de l’enfant confié à la protection de l’enfance sur le long terme, amélioration de la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance, accompagnement des mineurs vers l’autonomie pour favoriser leur insertion sociale : nous soutiendrons toutes ces mesures, en proposant certaines améliorations qui nous semblent nécessaires.

Le suivi de l’enfant, et de sa mère ayant d’abord accouché dans le secret avant de se rétracter, est également une disposition de bon sens, protectrice pour l’enfant et rassurante pour la mère. Nous espérons, et veillerons à ce que les moyens alloués à l’application de cette mesure soient suffisants dans les faits.

Nous tenons à saluer particulièrement l’adoption en commission des affaires sociales de l’amendement qui prévoit un accompagnement des parents, parfois démunis face à la tâche éducative qu’exige un enfant. Les écologistes sont très sensibles à l’aide à la parentalité, car la protection de l’enfant commence bien avant les constats alarmants de dysfonctionnements.

Nous souhaitons enfin attirer votre attention sur un des amendements que les écologistes défendront, visant à mettre fin à la pratique controversée du test osseux sur les mineurs étrangers. Cette expertise, dont l’efficacité est contestée par les scientifiques, soulève des questions en matière d’éthique et nous éloigne justement de l’intérêt et de la protection des mineurs.

Vous l’aurez compris, nous abordons l’examen de ce texte avec le sérieux requis par un sujet aussi important et délicat. Nous espérons que notre assemblée aura un débat à la hauteur de celui tenu par nos collègues sénatrices et sénateurs, et qui les a conduits à un large consensus en faveur de cette proposition.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Si la loi du 5 mars 2007 a constitué une réelle avancée, ses défaillances et insuffisances sont aujourd’hui clairement identifiées : disparités territoriales, absence de pilotage national, manque de coopération des différents secteurs d’intervention, insuffisance des formations dispensées ou encore instabilité des parcours des enfants placés.

Au regard de ce constat partagé, notre groupe approuve les principaux objectifs du texte : améliorer la gouvernance nationale et locale, sécuriser le parcours de l’enfant placé et adapter son statut sur le long terme.

Plusieurs dispositions nous paraissent ainsi nécessaires à l’amélioration du système de protection de l’enfance dans son ensemble. Tout d’abord, nous nous réjouissons que la commission ait rétabli l’article 1er du texte, qui propose de créer, auprès du Premier ministre, un conseil national de la protection de l’enfance. La création de cette instance de pilotage interministériel répond à la nécessité d’améliorer la coordination entre les différents acteurs ainsi qu’entre l’échelon local et l’État. Une telle instance peut permettre de donner une impulsion nationale à la protection de l’enfance et d’améliorer l’évaluation des orientations ainsi définies.

Devant l’insuffisance de la formation des professionnels, nous sommes également favorables à l’article 2, qui confie aux observatoires départementaux de la protection de l’enfance la mission de réaliser un bilan annuel des formations continues et de recenser les besoins en la matière. Ce dispositif devrait permettre de parfaire la formation des professionnels, d’une part en veillant particulièrement à la qualité du contenu même des formations, lesquelles sont actuellement insuffisantes en matière de prévention, de repérage et de prise en charge des maltraitances infantiles, et d’autre part en s’assurant de l’effectivité du suivi de ces formations par les professionnels.

Par ailleurs, la désignation dans chaque département d’un médecin référent, prévue à l’article 4, est également une mesure utile pour améliorer la détection des enfants en danger et leur mise à l’abri.

S’agissant des dispositions relatives à la sécurisation du parcours des enfants placés, nous relevons plusieurs améliorations notables. Le renforcement du projet pour l’enfant nous semble ici indispensable, car depuis leur création par la loi de 2007, il faut malheureusement regretter que très peu de projets pour l’enfant aient été élaborés, et que la participation des parents se borne souvent à une signature.

Or le projet pour l’enfant est fondamental pour assurer à la fois un accompagnement individualisé et la participation des parents à la prise en charge. Permettre aux parents et aux professionnels de se mettre d’accord, en y associant l’enfant, pour convenir d’un objectif, d’un calendrier et de moyens est essentiel pour répondre de manière adaptée à chaque situation.

L’article 6 prévoit que le projet pour l’enfant définit les modalités selon lesquelles les actes usuels de l’autorité parentale sont exercés par la personne physique ou morale qui l’accueille, les titulaires de l’autorité parentale étant tenus informés de cet exercice. Cette disposition permettra certainement de lever nombre de difficultés dans la gestion de la vie quotidienne des enfants placés, même si, comme le souligne utilement le Défenseur des droits, elle ne doit pas se traduire par une déresponsabilisation des familles et une rupture du lien lorsque celui-ci est possible.

Nous partageons aussi la volonté de mieux encadrer les changements de famille d’accueil et d’éviter les ruptures répétées dans la vie des enfants placés. Nous considérons dans cet esprit que la proposition de loi devrait insister sur l’importance de veiller au regroupement des fratries, ce qui constitue, comme le souligne le Défenseur des droits dans son avis du 27 novembre 2014, un facteur de stabilité dans la vie de l’enfant placé.

De même, la Défenseure des enfants a souligné à plusieurs reprises l’importance de recueillir également, dans cette hypothèse, la parole du mineur, et de lui faire connaître explicitement si et comment son souhait éventuel ou son avis seront ou non suivis.

Si le texte contient plusieurs dispositions très positives, comme je viens de l’indiquer, il subsiste néanmoins à nos yeux quelques insuffisances.

Nous regrettons ainsi que la prise en charge des mineurs isolés étrangers ne soit pas traitée. Ces enfants particulièrement vulnérables doivent bénéficier de la protection prévue par les dispositions nationales et internationales, indépendamment de leur situation au regard des règles de séjour. En effet, comme le souligne le Défenseur des droits, un mineur seul et étranger arrivant en France, sans représentant légal sur le territoire, sans proche pour l’accueillir, est par définition un enfant en danger et doit relever à ce titre du dispositif de la protection de l’enfance.

Dans cet esprit, il est indispensable au regard des situations d’exploitation que connaissent certains mineurs, en particulier les mineurs isolés étrangers, de prévoir un accompagnement adapté.

Comme le souligne d’ailleurs le plan d’action national contre la traite des êtres humains présenté en conseil des ministres le 14 mai 2014, le traitement judiciaire des mineurs victimes de la traite, qui sont souvent contraints à commettre des délits, nécessite un hébergement adapté : « Les mineurs bénéficieront de dispositifs d’accueil et d’hébergement qui permettront leur éloignement géographique aux fins de les soustraire aux personnes qui les exploitent. » Il nous paraît essentiel que ce nouveau dispositif soit effectivement et rapidement mis en œuvre. C’est d’ailleurs le sens d’un amendement que nous avons déposé.

Par ailleurs, nous saluons l’adoption par commission d’un article interdisant l’évaluation de l’âge de ces enfants à partir de tests osseux, dont la fiabilité est remise en cause par la communauté scientifique et dont les conséquences sont potentiellement désastreuses pour les enfants. C’est pourquoi nous nous opposerons à l’amendement du Gouvernement qui revient sur cette interdiction stricte au profit d’une autorisation sur décision de l’autorité judiciaire.

Enfin, nous ne pouvons manquer de souligner le silence du texte sur la question des moyens humains et financiers, notamment ceux consacrés à la prévention. Je pense en particulier aux services de la PMI – protection maternelle et infantile – qui manquent cruellement de moyens. Or, sans les moyens nécessaires, plusieurs dispositions du texte risquent de rester lettre morte. Dans un contexte de réduction drastique des budgets des collectivités territoriales, le risque d’accroissement des disparités territoriales est bien réel.

C’est pourquoi nous aurions aussi souhaité, pour notre part, que le texte réaffirme à tout le moins le rôle central de l’État, seul à même de garantir l’égalité de traitement de toutes les familles et de tous les enfants sur le territoire et d’assurer la cohérence du système.

Pour conclure et en dépit de ces quelques limites, vous l’aurez compris, les députés du Front de gauche voteront cette proposition de loi, qui constitue une amélioration réelle et importante de notre système de protection de l’enfance.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Dumas.

Mme Françoise Dumas. Permettez-moi tout d’abord de saluer le travail de nos collègues sénatrices Muguette Dini et Michelle Meunier, et de les remercier, tant pour leur rapport sur l’application de la réforme de la protection de l’enfance de 2007 que pour la rédaction de la présente proposition de loi. J’ai aussi une pensée pour la professeure Gouttenoire, qui a rédigé, avec beaucoup de compétence et de passion, un riche rapport sur les adaptations nécessaires à la protection de l’enfance. Ces travaux ont tous été guidés par l’objectif premier d’élaborer un droit centré sur le meilleur intérêt de l’enfant.

Nous discutons donc d’une initiative parlementaire qui permettra l’amélioration concrète et la modernisation de nos dispositifs de protection de l’enfance, et je m’en félicite. Cette proposition de loi est un texte responsable qui comporte un principe directeur et poursuit trois objectifs.

Son principe directeur consiste à remettre l’enfant au cœur du dispositif et à s’assurer du respect de son intérêt supérieur, c’est-à-dire de sa protection et de la prévention contre les maltraitances et les carences sociales, éducatives et affectives dont il est encore trop souvent victime. Cet impératif permet de rompre avec une conception du passé, dans laquelle l’enfant n’était trop souvent considéré qu’en fonction de la volonté des adultes, des parents qui l’entouraient.

Les objectifs de ce texte sont l’amélioration des gouvernances nationale et locale, la sécurisation du parcours normalisé de l’enfant et du jeune majeur, ainsi que la stabilité et la continuité de sa prise en charge tout au long de son enfance. Ces objectifs viennent largement corriger les limites de la loi de 2007, bien identifiées par Michelle Meunier et Muguette Dini dans leurs travaux.

Certes, la loi du 5 mars 2007 est un bon texte, chacun en convient. Elle a le mérite de répondre aux besoins des enfants et de garantir une plus grande vigilance et un plus grand respect de la part des intervenants qui les entourent. En témoignant d’une volonté réelle d’améliorer la situation des enfants pris en charge, elle a, en somme, jeté les bases. Mais elle s’est heurtée à plusieurs écueils ou obstacles rendant son application imparfaite et ses objectifs imprécis. Le texte que nous allons examiner propose par conséquent non pas de remettre à plat, mais de réajuster ses dispositifs. J’ai une pensée particulière pour les professionnels de l’enfance au sein des services départementaux, pour les travailleurs sociaux, médico-sociaux et associatifs, ainsi que pour les familles d’accueil qui pourront ainsi bénéficier de nouveaux outils d’intervention au profit des enfants.

Nous le savons tous : les disparités des moyens attribués à la protection de l’enfance dans les territoires ont rendu notre action peu lisible et souvent très inégalitaire. Comment tolérer que, dans certains départements, certains moyens, outils et dispositifs n’existent pas vraiment et qu’ailleurs, de nombreux efforts soient réalisés, des réseaux construits, des moyens dégagés et des pratiques renouvelées au bénéfice des enfants et de leur famille ? L’aide sociale à l’enfance concerne chaque année 300 000 jeunes et représente près de 20 % des dépenses d’action sociale des départements. Il est absolument indispensable qu’une politique de cette importance soit menée de façon homogène et équilibrée sur l’ensemble du territoire, tout en demeurant, bien sûr, humaine. Ces réalités nous ont été rappelées à maintes reprises par les associations que nous avons reçues.

Certaines pratiques doivent aussi évoluer pour l’ensemble des acteurs. La multiplicité des intervenants, l’insuffisance des formations professionnelles et le manque de coopération conduisent souvent à augmenter l’insécurité dans les parcours des enfants pris en charge. Il faut par exemple mieux repérer les signes de négligence et de maltraitance. Le texte apporte des réponses concrètes sur ces points.

En outre, la prévalence du maintien du lien biologique est aujourd’hui encore trop souvent la règle, comme le placement systématique l’avait été en d’autres temps. Ce réflexe institutionnel reflète une certaine conception de la protection de l’enfance qui a longtemps prévalu, pensée sous le prisme du droit des familles et surtout des parents, parfois au détriment de l’intérêt des enfants. Nous devons parvenir à faire émerger une troisième voie entre le « tout placement » et le « tout maintien du lien ». Il faut, pour ce faire, prendre en compte la notion d’environnement affectif stable et continu, et bâtir pour chaque enfant un parcours sécurisé en replaçant son bien-être et son épanouissement au cœur de l’action publique.

Cela implique de mettre l’enfant au centre des décisions qui le concernent, de partir de ses besoins. C’est à l’enfant qu’il faut apporter des réponses individualisées pour lui permettre de construire sa vie future. Cela implique surtout de limiter ce que l’on pourrait qualifier la « maltraitance institutionnelle » : cette pratique consistant à maintenir un enfant dans le dispositif de la protection de l’enfance alors qu’il pourrait bénéficier d’une adoption simple, par exemple, ou être confié à des tiers avec lesquels il a construit des liens affectifs et structurants. Pour reprendre les mots de Michelle Meunier, « on n’a encore rien trouvé de mieux qu’une famille pour élever un enfant ».

Mme Dominique Nachury. Eh oui !

Mme Claude Greff. C’est essentiel !

Mme Françoise Dumas. Cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité au Sénat. Nous pourrions nous en réjouir, mais ce résultat ne doit pas nous faire oublier que le texte a subi de nombreuses suppressions, notamment d’articles structurants, ainsi que des modifications majeures qui en modifient le sens. D’un texte « non révolutionnaire », de l’aveu même de Michelle Meunier, mais responsable et porteur de mesures nécessaires, il est devenu un texte minimaliste à amender de nouveau considérablement.

La commission des affaires sociales a effectué un travail très constructif, et je salue l’état d’esprit général qui a été le nôtre et qui nous a permis, malgré nos différences d’appréciation, de débattre très sereinement.

Madame la secrétaire d’État, le groupe SRC a fait adopter plusieurs amendements de rétablissement et quelques amendements de réécriture qu’il nous paraissait essentiel d’introduire en commission, en parfaite entente avec Mme la rapporteure. J’évoquerai ici les principaux.

Nous avons tout d’abord réintroduit l’article 1er, qui crée un conseil national de la protection de l’enfance qui assurera la cohérence d’un pilotage national de la protection de l’enfance qui nous fait défaut aujourd’hui. Cette instance nous permettra, à terme, de disposer d’un véritable outil d’analyse et d’évaluation des besoins et des réponses apportées dans chaque département ou au niveau national.

Nous avons également procédé à une modification notable de l’article 5, proposant une définition claire du projet pour l’enfant, l’un des principaux apports de la loi de 2007. Cette nouvelle définition fait de ce projet le document de référence du parcours de l’enfant, qui le suivra toute sa vie. L’enfant sera associé à son élaboration, en bonne intelligence avec l’ensemble des personnes qui concourent à son éducation et à son accompagnement dans une approche pluridisciplinaire. Il en sera l’acteur central. Le PPE sera un document unique qui accompagnera l’enfant tout au long de son parcours. En somme, ce document, qui sera régulièrement actualisé, garantira l’intérêt de l’enfant.

Nous avons en outre rétabli l’article 12, qui vise à encadrer les conditions de révocation de l’adoption simple en réservant cette procédure au ministère public en cas de faits particulièrement graves, afin de lever certains freins juridiques et psychologiques au développement de cette forme d’adoption qui mérite d’être davantage utilisée comme mesure de protection de l’enfance. Elle constitue en effet un moyen concret de créer de nouveaux liens autour d’un enfant, à partir de son vécu et pour son devenir.

À l’article 18, nous avons procédé à une réécriture qui nous semblait essentielle. Cet article est revenu du Sénat en réaffirmant la notion « d’abandon volontaire » d’enfants par leurs parents. Cette terminologie est pour le moins inadaptée. D’abord, elle témoigne d’un jugement de valeur et a un caractère fortement stigmatisant pour les parents. Or je rappelle que l’objectif de la loi n’est pas de sanctionner des parents mais de protéger leurs enfants. En outre, la notion de volontariat risquait de restreindre la procédure à un nombre de cas très faible, la rendant de fait inutile et surtout enfermant ces enfants dans des situations inextricables puisqu’ils ne seraient ni pris en charge par leurs parents, ni adoptables par d’autres. Nous avons ainsi privilégié le terme de « délaissement parental », qui préfère la constatation objective à la recherche d’une volonté et qui permet de tenir compte des situations dans lesquelles le délaissement est reconnu sans être volontaire. Ce terme est aussi plus neutre sur le plan symbolique et recouvre une plus large palette de situations, tout en offrant les garanties juridiques nécessaires.

Enfin, nous avons réintroduit un article créant une qualification pénale de l’inceste. Bernard Roman en parlera plus précisément. C’est une véritable avancée car les enfants victimes ne pouvaient plus faire valoir la spécificité de leur agression. Or on sait l’importance de pouvoir nommer les choses et les faits dans un processus de reconstruction.

La commission a également adopté deux amendements du Gouvernement relatifs aux mineurs isolés étrangers, afin de doter la circulaire de Mme la garde des sceaux du 31 mai 2013 d’une base légale, structurante et équitable.

Il reste cependant du travail à faire en séance publique. Vous présenterez, madame la secrétaire d’État, une série d’amendements au profit des jeunes majeurs. Je salue par avance ces avancées. Il est en effet absolument nécessaire de prévoir un accompagnement spécifique ou continu pour ces jeunes. Nous connaissons les statistiques dramatiques qui les concernent et leurs difficultés réelles d’insertion au-delà de leur majorité.

Pour conclure, je ne vous cacherai pas mon émotion en ce jour. Longtemps professionnelle de l’aide sociale à l’enfance, mon cœur de métier, je suis fière de participer à l’élaboration de ce texte. Il témoigne d’une grande humilité et de la plus grande attention à la construction d’outils que j’appelais de mes vœux il y a près de vingt ans, comme beaucoup de mes anciens collègues, dans un domaine particulièrement sensible.

Madame la secrétaire d’État, nous avons réalisé un beau travail, guidés simplement par notre humanité, notre bon sens et notre volonté de soutenir et d’accompagner les plus vulnérables, ceux qui auront la responsabilité de construire la société de demain, notre jeunesse. C’est le premier de nos devoirs de parlementaires, et il nous oblige. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Claude Greff.

Mme Claude Greff. Je veux avant tout saluer le travail accompli par nos collègues sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini, à l’origine de cette proposition de loi.

La politique de protection de l’enfant a connu de très belles avancées dans le cadre de la loi du 5 mars 2007, mais il est essentiel que les évolutions que nous allons adopter soient centrées en priorité sur l’enfant. Dans notre société qui connaît beaucoup d’instabilité, l’accompagnement des parents en grande difficulté doit bien sûr être notre priorité, mais pour moi, la protection de l’enfant doit être une obligation. Aucun milieu n’est épargné par ces difficultés sociétales. L’intérêt supérieur de l’enfant, qu’il soit physique ou moral, doit être la considération déterminante de nos décisions, car les enfants sont sans défense.

Le principe n2 de la déclaration des droits de l’enfant, adoptée par l’assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1959, est très clair : l’enfant doit bénéficier d’une protection spéciale. C’est en ce sens, madame la secrétaire d’État, que je vous propose de modifier l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles pour réaffirmer très clairement que le premier but de cette proposition de loi est de protéger avant tout l’enfant, et en second lieu, bien sûr, d’accompagner les parents pour que l’enfant se sente bien au sein du domicile. Notre devoir est de faire en sorte que les enfants soient en sécurité, parfois même en les retirant temporairement à leurs parents dans les cas les plus graves.

J’ai souvent remarqué que des décisions prises en matière de protection de l’enfance étaient fondées sur un parti pris consistant à soutenir avant tout les parents, quand ils rencontrent des difficultés à assumer leur rôle, et à leur laisser leurs enfants. On estime souvent qu’il est nécessaire de soigner simultanément parents et enfants en cas de problème, que ce soit ensemble ou séparément. Mais pendant ce temps, parfois long, pense-t-on suffisamment à l’enfant, qui peut continuer à subir des maltraitances ? Dans certains cas graves où les parents sont en grande difficulté, l’enfant peut naître au mauvais moment et parfois même se considérer comme étant à l’origine de leurs soucis. Et là, la maltraitance s’installe parfois, voire souvent.

Je lis trop souvent, dans de trop nombreux rapports, qu’il faut vraiment que les éléments soient d’une gravité suffisante pour séparer une mère et son enfant, ou alors que la présence physique de l’enfant peut aider à la reconstruction de la famille, ou encore qu’il faut faire un travail avec la mère afin qu’elle admette cet enfant au sein de la famille.

Mais pendant ce temps, que devient l’enfant ? Je me méfie de cette vision souvent idéaliste qui prétend qu’une famille peut faire un travail de construction uniquement en lien ou en présence de l’enfant.

Je sais que retirer, même momentanément, un enfant de son enceinte familial est une décision difficile à prendre. Cependant, elle doit être prise rapidement quand l’enfant est en danger. Il y a des situations où bien souvent cet enfant ne fait déjà plus partie de l’histoire de la famille qui d’ailleurs continue sans lui.

Cette mesure paraît radicale, mais elle est nécessaire face au nombre d’infanticides et à la violence des faits divers que nous connaissons tous, hélas. Il faut rappeler les chiffres qui sont effrayants : chaque année, 41 000 enfants de moins de quinze ans dans le monde sont victimes d’homicides. Ce n’est pas supportable.

Lorsque l’on sait que la situation familiale ou personnelle du parent ne pourra pas permettre à l’enfant de retourner durablement dans sa famille et que le placement devra être de longue, voire de très longue durée, nous devons permettre à cet enfant de construire son avenir en étant adopté par une autre famille même si les parents donnent de temps en temps quelques nouvelles.

Les faits nous démontrent que les enfants maltraités devenus adultes sont davantage exposés à des comportements physiques ou psychologiques qui les conduisent, malheureusement, à commettre les violences qu’ils ont subies.

Un protocole pour la protection de l’enfance sera établi dans chaque département. C’est, selon moi, une bonne avancée, madame la secrétaire d’État, mais il ne pourra être efficace que si nous créons en même temps un coordinateur départemental. Cela s’inscrit dans le même esprit que l’instauration du médecin référent qui assure la coordination de toutes les actions du personnel médical. Le coordinateur départemental pourra être celui qui coordonne toutes les actions.

Je vous propose de créer cette fonction afin que tous les services qui agissent dans le cadre de la protection de l’enfance puissent avoir un seul interlocuteur. Le coordinateur sera également visible pour toutes les personnes – les voisins, par exemple – qui veulent faire un signalement, mais qui ne savent pas à qui s’adresser. Alerter oui, mais qui ? C’est la question que de nombreuses personnes se posent.

Nous avons peur de nous tromper ou de faire du tort aux gens que l’on connaît, nos voisins. Alors que faire ?

Le premier réflexe est de nous adresser aux adultes qui s’occupent de l’enfant. C’est là une grave erreur. Ensuite, 12 % préviennent les services sociaux, 5 % la police et 1 % appelle le 119. D’où les hésitations à intervenir auprès des services sociaux et le sentiment de lenteur de ces services.

Cette complexité fait reculer les gens et c’est désastreux pour l’enfant. Ce coordinateur permettra de saisir en une seule fois les services concernés et surtout, madame la secrétaire d’État, il pourra assurer le suivi du dossier de l’enfant. Son rôle est non pas de supplanter la responsabilité de la justice ou des forces de polices, des opérateurs sociaux et des associations, mais de faire en sorte que ce plan soit mis en application en amont et en aval de la prise de décision du placement de l’enfant.

Évidemment, vous connaissez mon attachement à la cause des enfants. Il ne faut plus avoir d’hésitation sur la mise en sécurité des enfants en danger. Il faut que ce texte permette plus de clarté, plus de fermeté et surtout qu’il soit adopté. Nous devons travailler ensemble avec rapidité pour le bien-être des enfants. Voilà le rôle de cette proposition de loi relative à la protection de l’enfant. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Claireaux.

M. Stéphane Claireaux. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, ma collègue Gilda Hobert étant intervenue sur les amendements que nous avons déposés, permettez-moi de revenir sur quelques notions qui ont fait débat en commission des affaires sociales.

Ce texte sur la protection de l’enfant est un texte important qui simplifie le système tout en gardant comme point de mire l’intérêt supérieur de l’enfant. Mais c’est aussi l’occasion, madame la secrétaire d’État, de lancer de nouvelles réflexions sur ce qu’est l’adoption.

Entre abandon ou délaissement, la société vit le plus souvent aujourd’hui l’adoption comme un échec. Je crois donc sincèrement qu’il faut que nous changions de paradigme pour aborder l’adoption d’un autre point de vue : un point de vue nouveau faisant fi des sempiternelles réflexions se fondant sur une idée répandue, mais ô combien fausse, qui serait que la famille, même si elle est recomposée, doit garder un lien avec le biologique.

Parce qu’au final, si l’adoption est certes un acte juridique, c’est, du point de vue de la société, bien plus que cela.

Avec ses collègues, avec ses amis, et même avec ses enfants biologiques, on doit finalement s’adopter les uns les autres pour vivre ensemble, pour vivre tout simplement. Sans adoption de l’autre, il n’y a pas de lien social.

Et quid du père biologique, lui qui n’a pas porté l’enfant pendant neuf mois ? Son premier contact avec le bébé ne serait-il pas aussi de l’ordre d’une adoption ?

Il faut que nous comprenions que si l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la base de toute réflexion sur l’adoption, cet intérêt doit l’être également concernant la parentalité. Je parle de toutes les parentalités, qu’elles soient de nature biologique ou qu’elles relèvent des liens du cœur.

Oui, la femme peut porter un enfant pendant neuf mois et devenir mère. Cependant, la femme qui n’a jamais porté d’enfant et qui est mère existe elle aussi.

C’est cette femme qui est doublement pénalisée : elle ne peut pas vivre de grossesse et elle est considérée souvent comme « inaccomplie ».

Elle doit en outre prouver toutes ses bonnes volontés, ses qualités, étaler son compte en banque, répondre aux divers entretiens, attendre, espérer, attendre encore pour, malheureusement, souvent être déçue. Sera-t-elle une bonne mère ? Pourra-t-elle subvenir aux besoins de son futur enfant ? Saura-t-elle l’aimer comme si c’était la chair de sa chair ?

Finalement, si toutes ces questions restent importantes, puisque l’État doit, mais également veut s’assurer du meilleur pour l’enfant, notons que pour les autres parents, les géniteurs, ces questions ne sont abordées que partiellement dans le cadre de la contraception.

En effet, dans ce cas le plus courant, l’État ne vient en renfort que lorsque la situation familiale de ces enfants vivant avec leurs parents biologiques est problématique et que ces enfants se retrouvent dans des situations intolérables.

C’est peut-être pour cela que tout ce qui entoure l’acte d’une adoption pose un problème plutôt inconscient pour chacun d’entre nous : une adoption ne serait que le passage intermédiaire entre un abandon ou un délaissement et un futur hypothétique visant la perfection pour l’enfant, alors que l’on sait tous qu’en matière d’éducation parentale, la perfection n’existe pas.

Dès lors, il est de notre devoir de réfléchir à une réforme de l’adoption qui ne se fait que trop attendre, une réforme où l’adoption serait considérée non pas comme l’atténuation d’un échec, mais davantage comme une nouvelle base positive pour une meilleure vie, améliorant celle de l’enfant adopté, tout en répondant au souhait de parentalité des adoptants.

J’entends bien le discours sur les difficultés que certains adoptés doivent surmonter. Cette proposition de loi apporte des éléments de réponse qui vont dans le bon sens.

On parle peu, il est vrai, de l’adoption quand elle réussit. Or elle réussit bien plus qu’on peut le penser. Les enfants dits déracinés doivent être soutenus, aidés et mieux compris. Il existe aussi d’autres enfants adoptés qui ne cherchent pas leurs parents biologiques, qui n’ont pas obligatoirement cette quête, laquelle peut parfois tourner à l’obsession. Ces enfants-là vivent leur adoption comme une chance ; ils en font un atout, une force – j’en connais. Au final, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nos racines peuvent aussi se trouver là où l’on décide de bien vouloir les planter. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Clergeau.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, la proposition de loi relative à la protection de l’enfant que nous nous apprêtons à examiner a une histoire – oserais-je dire une « filiation » ? – particulièrement riche.

Elle résulte à la fois des débats internes à la majorité actuelle et de l’idée, dès 2012, d’un projet de loi très large sur la famille. Mais elle est également issue de réflexions émanant de plusieurs groupes politiques qui ont constaté la nécessité de faire évoluer la précédente loi de 2007. Récemment, elle a connu d’autres développements très concrets qui permettent aujourd’hui sa discussion en séance.

Ces développements sont le fruit de la mission d’information conduite par les sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini qui a abouti au dépôt de la présente proposition de loi qui, je le rappelle, a été initialement cosignée par soixante-dix sénatrices et sénateurs des groupes centriste et socialiste.

La proposition vise à améliorer le dispositif de la loi du 5 mars 2007. Il ne s’agit donc pas de défaire puis de refaire, mais plutôt de compléter, d’intégrer ce qui a changé.

En 2007, la loi prévoyait l’élaboration d’un « projet pour l’enfant », un PPE. Or l’on constate qu’en 2015, ce PPE n’est élaboré que pour 10 % des enfants. Le travail des deux assemblées sur l’article 5 va permettre de définir plus précisément le contenu et la construction du PPE.

En 2007, les présidents de conseils généraux ont été confortés comme chefs de file de la protection de l’enfance. Il s’agit aujourd’hui, avec le titre Ier, d’améliorer la gouvernance pour rendre plus efficace et cohérent le travail de tous les intervenants.

En 2007, il fallait mettre l’accent sur le maintien ou la reconstruction du lien parental. Aujourd’hui, il s’agit de réintroduire l’intérêt de l’enfant.

La substitution, à l’article 18, de la notion de « délaissement parental » à celle d’« abandon » est l’une des dispositions visant à préserver cet intérêt de l’enfant. Un jugement d’abandon est toujours plus difficile et long à obtenir alors que le délaissement ouvrira la voie à des solutions d’adoption dans des délais plus courts.

Les tiers qui concourent au développement de l’enfant doivent pouvoir disposer d’une assise législative pour exercer leurs prérogatives. La reconnaissance de ces tiers ayant des liens affectifs avec l’enfant est devenue une évidence pour beaucoup d’entre nous.

Ce n’est pas pour autant que la présente proposition de loi, enrichie par les amendements dont nous allons débattre, opposerait la famille à l’enfant, jouerait l’intérêt de l’enfant contre le lien familial. Au contraire, elle permet d’articuler les deux, de façon pragmatique et réaliste.

Le travail de notre assemblée doit donc permettre de rétablir certaines dispositions supprimées par le Sénat. Il est en effet dommage, par exemple, que la seule mesure favorable à l’adoption simple qui reste après le passage au Sénat soit celle de l’article 16, c’est-à-dire une mesure fiscale !

Le travail de notre assemblée permettra aussi, je l’espère, de rétablir la définition de l’inceste dans le code pénal. C’est l’objet d’un amendement qui, je crois, rencontre des échos favorables sur les bancs de plusieurs groupes de cette assemblée. Cette définition énumère précisément les « membres de la famille » concernés comme l’avait exigé le Conseil constitutionnel en 2011 pour satisfaire au « principe de légalité des délits et des peines ». Il est en effet important de pouvoir nommer ces souffrances si singulières subies par les victimes.

La proposition de loi relative à la protection de l’enfant est attendue par les professionnels, dont le travail est souvent très difficile, ainsi que par les associations qui œuvrent avec les services départementaux et la justice pour la protection de l’enfance. Mais elle est d’abord attendue par celles et ceux qui sont passés par l’Aide sociale à l’enfance – ASE. L’un de ces enfants devenu adulte a d’ailleurs dit, au cours de son audition, son étonnement de constater que « les choses ont peu changé ».

C’est donc à nous de saisir l’occasion de répondre utilement à ces 300 000 jeunes pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. C’est à nous de réformer les dispositifs existants pour que les quelque 7 milliards d’euros consacrés par les départements à l’ASE – troisième poste de leurs dépenses sociales – soient encore plus efficaces. Bref, c’est à nous de faire une place à l’intérêt de l’enfant dans la loi, pour que ces enfants puissent trouver toute leur place dans notre République. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Bérengère Poletti.

Mme Bérengère Poletti. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, force est de constater que, malheureusement, notre pays peut et doit progresser en matière de protection de l’enfant.

En dépit des textes, notamment celui de 2007, clairement positionnés dans une analyse objective des difficultés et dans une volonté de réforme, les dysfonctionnements persistent et ce sont, hélas, les actualités morbides qui les mettent en lumière.

Ainsi, l’affaire de la petite Marina en 2009 a jeté à la figure des Français l’aveuglement des pouvoirs publics. « Deux enfants meurent encore chaque semaine dans notre pays de mauvais traitements infligés au sein de leur milieu familial ; 100 000 enfants seraient en danger et parmi eux 20 000 seraient à proprement parler maltraités ». Je cite là les propos de Mme la rapporteure dans son introduction.

Le projet de loi déposé au Sénat relatif à la protection de l’enfance vise à améliorer le dispositif actuel dans l’intérêt de l’enfant sans toutefois remanier en profondeur la loi du 5 mars 2007, considérée comme bonne dans son ensemble.

Comme le relevait Mme la secrétaire d’État lors de son audition en commission, la loi doit exister et être améliorée, mais elle est bien peu de choses face à ce fléau : « Certes, la loi doit exister, car elle manifeste la volonté politique, l’intérêt de l’État à se porter garant du sort des enfants, mais l’essentiel se joue dans les pratiques professionnelles et les doctrines sur lesquelles s’appuient les élus, mais aussi les services des conseils départementaux. De fait, on peut toujours faire une loi, mais dans quatre ou cinq ans, on s’apercevra qu’elle est diversement appliquée comme toutes les précédentes. » Je partage votre analyse, madame la secrétaire d’État.

La volonté du législateur porte sur trois objectifs principaux : améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance ; rendre le système plus efficace à tous les stades – prévention, repérage, prise en charge – et sécuriser le parcours de l’enfant protégé.

Ces objectifs recouvrent l’essentiel des préoccupations relatives au secteur d’intervention.

Toutefois, au-delà de ces principes affichés, le contenu des différentes propositions semble assez loin des ambitions initialement évoquées. D’abord parce que derrière cette volonté de réformer partiellement la loi du 5 mars 2007 s’engage le débat concernant les moyens dont disposent les conseils départementaux pour mener à bien la mission qui leur est confiée.

Dans un contexte où l’État diminue ses contributions au bénéfice des collectivités et ne compense que partiellement les dépenses liées aux solidarités, la volonté d’améliorer le fonctionnement du secteur peut paraître comme une injonction paradoxale.

Comment, en effet, proposer un accompagnement aux familles quand les départements n’ont pas les moyens de proposer mieux aux enfants confiés et à leurs familles, alors même que le nombre de mesures d’assistance éducative augmente ?

Par ailleurs, le contenu de la proposition de loi peut, sous certains aspects, paraître technocratique, traitant la forme plutôt que le fond, alors même que la simplification des procédures est un impératif pour les professionnels de terrain, trop souvent engagés dans le traitement d’actes administratifs au détriment de l’accompagnement.

Ce manque de moyens se manifeste au niveau de l’encadrement. Ainsi, dans les Ardennes, on ne comptabilise qu’un adulte encadrant pour trente-cinq enfants, tout en constatant une dynamique de dépenses en nette accélération, et des besoins de plus en plus importants, y compris au niveau de l’accueil des mineurs isolés étrangers, tout cela, bien sûr, dans un contexte de baisse des dotations des collectivités territoriales. À titre d’exemple, le seul conseil départemental des Ardennes enregistre une baisse de près de 4 millions d’euros annuels.

Les bonnes intentions sont louables et nous ne pouvons que les cautionner et les encourager. Mais il faut aller au-delà et accorder aux conseils départementaux les moyens dont ils ont besoin, de façon vitale, pour assurer leur mission, être au rendez-vous et appliquer ce qui existe déjà dans la loi, à savoir les projets pour l’enfant.

On peut ainsi saluer les améliorations proposées par ce texte, qui vont entraîner mon vote d’adhésion, mais regretter en même temps que chaque nouveauté, parfois coûteuse, n’entraîne pas les compensations financières qui devraient l’accompagner.

Le Sénat a supprimé quelques dispositifs du texte initial, les considérant comme complexes, coûteux ou superposant des dispositifs existants. Le texte que nous examinons aujourd’hui cherche légitimement à supprimer des handicaps qui entravent la mise en place d’une bonne politique de la protection de l’enfance. Il s’agit des disparités territoriales, inhérentes à la décentralisation de ces politiques, de l’insuffisance de coopération entre les différents secteurs, du blocage de la circulation des informations, mais aussi de la volonté parfois néfaste de préserver à tout prix le lien familial,…

Mme Martine Pinville. Très bien !

Mme Bérengère Poletti. …l’instabilité des parcours des enfants et la multiplicité des intervenants ne concourant pas à la sérénité nécessaire à l’éducation des enfants.

L’insuffisante formation des professionnels ainsi que le manque d’implication de cet acteur majeur qu’est le médecin traitant constituent également des sujets clés et restent, malgré ce texte, des terres à défricher.

Le texte n’aborde pas non plus la problématique des prises en charge multiples qui caractérisent certains enfants suivis par les conseils départementaux. Les difficultés familiales dont ils sont victimes s’ajoutent souvent, malheureusement, à d’autres problématiques rarement évoquées comme le handicap ou la maladie. Dans mon département, la moitié des enfants pris en charge s’inscrit dans ce cadre, ce qui complique singulièrement les choses.

Vous avez, madame la secrétaire d’État, devant la commission, parlé d’angle mort des politiques publiques. Je vous rejoins tout à fait. En faire une grande cause nationale nous permettrait peut-être d’avancer plus encore. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Aviragnet.

M. Joël Aviragnet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, la protection de l’enfance c’est pénétrer dans la sphère intime, dans la famille et son intimité. Plus qu’ailleurs, les dogmes, les visions idéologiques crispent les débats. L’État a mis du temps avant d’investir ce que certains considèrent encore comme un espace privé.

La place de l’enfant, dans la famille comme dans la société, a beaucoup évolué. La France, et nous devons nous en féliciter, a souvent fait partie des pays pionniers en matière de reconnaissance de l’enfant comme un individu à part entière et qui doit avoir toute sa place au sein de la société. Nous sommes à un moment propice pour faire évoluer notre législation, donc les pratiques.

Des rapports récents sont venus enrichir cette réflexion, certains émanant de professionnels du droit, de la psychologie ou de l’éducation. Le rapport de nos collègues parlementaires Muguette Dini et Michelle Meunier a aussi été un formidable atout qui nous a permis de confronter notre législation et les pratiques. Aujourd’hui, la loi de 2007 a huit ans : nous pouvons donc en identifier non seulement les forces, mais aussi les faiblesses. Grâce à ces constats précis et exhaustifs, nous pouvons mieux cerner ce qui doit encore être fait.

Dans votre intervention liminaire, lors de l’examen du texte au Sénat, vous avez mis en avant, madame la secrétaire d’État, la notion de « meilleur intérêt de l’enfant ». En vous référant à cette notion, qui s’appuie sur les valeurs portées par la Convention internationale des droits de l’enfant, vous soulignez ce qui nous permettra de mener une politique de protection de l’enfant encore plus pertinente et surtout efficace.

Mais nous devons être particulièrement vigilants afin d’éviter que des visions dogmatiques ou idéologiques ne s’immiscent profondément dans nos débats. N’opposons pas frontalement ce que l’on voudrait voir comme l’intérêt de l’enfant qui s’opposerait à celui des parents. Nous observons que certains expriment la crainte d’une judiciarisation excessive, tandis que d’autres considèrent que le pouvoir administratif doit être limité car il est à l’origine de dérives.

Soyons attentifs à conserver le « meilleur intérêt de l’enfant » comme une vigie. Ayons à l’esprit qu’il s’agit ici d’enfants, de familles, donc de situations à chaque fois différentes. Et n’oublions pas que si certaines familles demandent un accompagnement, d’autres n’acceptent pas celui qui leur est imposé.

La protection de l’enfant concerne non seulement des enfants en danger, victimes de maltraitance, mais aussi des enfants dont la famille est défaillante, pour des raisons variées – problèmes sociaux, parents atteints d’un handicap mental. Il y a des enfants victimes de mauvais traitements, de négligences, mais aussi des enfants, ne l’oublions pas, qui se mettent en danger eux-mêmes.

Nous devons faire en sorte que leurs rêves, leurs ambitions pour le futur, ne soient pas obscurcis par une enfance marquée par une famille défaillante ou absente.

Il ne faut pas non plus oublier qu’il n’y a pas que des difficultés sociales. Les problématiques médicales, le plus souvent psychologiques ou psychiatriques, doivent absolument être traitées correctement. Cela passe évidemment par une meilleure détection et par la prévention des pathologies qui peuvent toucher ces enfants.

Nous devons assurer à chaque enfant, à chaque famille en difficulté, le même soutien, le plus en adéquation possible avec ses besoins. Nous devons garantir l’égalité de la prise en charge à tous les enfants, quelles que soient les difficultés auxquelles ils font face, et quel que soit leur lieu de résidence.

Le texte que nous examinons aujourd’hui apporte, je crois, des réponses à ces manquements. J’insisterai sur quatre points.

La désignation dans chaque département d’un médecin référent « protection de l’enfance » permettra notamment de renforcer la coordination en matière d’informations préoccupantes.

Le constat d’un manque de coordination et souvent d’un cloisonnement des pratiques fait également consensus. En valorisant une approche pluridisciplinaire, notamment dans l’élaboration du projet pour l’enfant, ce texte permettra d’adapter au plus près de ses besoins la prise en charge proposée à chaque enfant.

Les dispositions qui valorisent et encouragent l’adoption simple sont, il me semble, de vraies avancées.

Enfin, la question de l’avenir des jeunes majeurs issus de la protection de l’enfance, nous le savons, est problématique. L’extension de la protection est possible jusqu’à vingt-et-un ans, mais les disparités de prise en charge entre les départements sont immenses. L’accompagnement prévu lors de la seizième année permettra, je l’espère, de ne plus laisser ces jeunes, déjà fragilisés par un parcours difficile, confrontés sans accompagnement à l’autonomie que leur confère leur nouvelle majorité.

Par ailleurs, je ne peux évidemment que saluer les dispositions introduites concernant les mineurs étrangers isolés.

Je terminerai mon propos par quelques mots sur ceux qui font la protection de l’enfance de notre pays : les élus et les professionnels, dont je fais partie. Ils exercent, nous exerçons cette mission de protection de l’enfance avec professionnalisme et engagement, avec la certitude que la société a un devoir envers ces enfants mis en danger : celui de les protéger, en premier lieu, et celui de les accompagner pour qu’ils grandissent et construisent leur avenir dans la sérénité à laquelle ils ont droit comme tout enfant et même, parfois, à leur corps défendant.

Je témoigne ici de l’engagement de ces professionnels, mais je sais aussi les difficultés auxquelles ils sont confrontés.

Vous avez souligné, madame la secrétaire d’État, la pertinence de la création d’un corpus de formation dont pourraient bénéficier tous les acteurs de la protection de l’enfant, quel que soit leur domaine.

La protection de l’enfant s’inscrit au cœur de ce qui a construit notre République. Ses valeurs de fraternité, d’égalité, c’est précisément ce que notre société se doit d’offrir aux plus fragiles d’entre nous. L’enjeu est donc grand, à la hauteur des attentes de ces enfants protégés, de leurs familles et de leur entourage, mais aussi de ceux qui les accompagnent, professionnels et élus. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle Tabarot.

Mme Michèle Tabarot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, je me réjouis que notre assemblée se saisisse enfin de la protection de l’enfance, après une longue attente.

La loi du 5 mars 2007 a permis des progrès considérables contre les maltraitances faites aux enfants, comme l’ont rappelé nombre de nos collègues. Mais elle a rencontré des difficultés de mise en œuvre. Elle doit évoluer pour mieux tenir compte de la diversité des situations.

De nombreuses études insistent depuis des années sur cet impératif. Je pourrais ainsi citer le rapport de l’IGAS de 2009 sur le délaissement parental, les travaux de l’Académie de médecine sur l’adoption nationale en 2011, l’ensemble des travaux du Conseil supérieur de l’adoption sur le délaissement parental, l’adoption simple et l’agrément, ainsi que le rapport sénatorial de Mmes Dini et Meunier qui a présidé à la rédaction de cette proposition de loi.

Nous-mêmes, dans cette assemblée, avions voté, en mars 2012, lorsque Claude Greff était secrétaire d’État à la famille, une proposition de loi sur l’enfance délaissée et l’adoption, marquant ainsi notre souhait de garantir la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant. Malheureusement, ce texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour du Sénat, ce que je regrette car c’est autant de temps perdu pour l’enfance.

Dès lors, je suis heureuse que l’examen de cette proposition de loi nous permette de reprendre enfin ce débat essentiel.

Je partage bien évidemment les objectifs poursuivis, à commencer par la volonté d’améliorer la gouvernance de la protection de l’enfance et d’offrir à l’enfant un cadre affectif stable.

Après le passage au Sénat, la proposition de loi avait perdu de sa portée. Une dizaine d’articles avaient été supprimés et de nombreux autres modifiés. Sur ce point, je veux saluer le travail de la commission des affaires sociales, qui a rétabli certaines dispositions importantes. Je pense notamment à l’irrévocabilité de l’adoption simple durant la minorité de l’adopté, que nous avions soutenue en 2012.

La commission a également modifié l’article 18 de la proposition de loi pour remplacer la déclaration judiciaire d’abandon par une déclaration judiciaire de délaissement parental. C’est une évolution positive, mais nous pouvons aller plus loin. En effet, dans sa rédaction actuelle, la proposition de loi écarte ce délaissement lorsqu’il résulte d’un empêchement des parents, pour quelque cause que ce soit. Avec cette formulation, nous risquons malheureusement de ne toujours pas pouvoir prendre en compte la situation de centaines d’enfants qui, pour diverses raisons, sont délaissés, dont on sait qu’ils ne retourneront jamais dans leur famille mais dont les parents bénéficieront de cette notion d’empêchement. Ils devront dès lors passer toute leur jeunesse dans des foyers, sans autre perspective.

Nous avons tous conscience qu’il s’agit d’un sujet très difficile et de situations dramatiques. J’y reviendrai lorsque je défendrai un amendement sur ce sujet et j’espère que nous pourrons, ensemble, parvenir à une rédaction consensuelle.

M. Yves Nicolin. Très bien !

Mme Michèle Tabarot. Je défendrai d’autres amendements concernant le rapport de suivi des enfants accueillis ou encore l’agrément en vue d’adoption, dont le cadre législatif n’est plus adapté aux nouvelles réalités.

Mes chers collègues, je ne voudrais pas qu’à l’occasion de l’examen de ce texte, nous reproduisions les mêmes erreurs que par le passé, en oubliant que le sujet premier de la protection de l’enfance, c’est l’enfant lui-même.

De par les traités internationaux, nous sommes engagés à garantir la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant sur toute autre considération. C’est un enjeu qui implique des choix difficiles, mais nécessaires pour leur offrir un meilleur avenir.

Pour ma part, j’estime que même si ce texte est perfectible, il va dans le bon sens et est réellement guidé par le souci de l’intérêt de l’enfant.

Pour toutes ces raisons, je le voterai si nos débats confirment cette orientation, même si, comme mes collègues, je regrette que les amendements importants déposés au titre de l’article 88 du règlement aient fait l’objet d’un examen trop rapide. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Roman.

M. Bernard Roman. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mesdames les rapporteures, chers collègues, l’Assemblée nationale se penche sur un sujet noble, celui de la protection de l’enfance qu’il faut placer au cœur de notre vision de la société. On pourrait penser que, ce faisant, nous nous limitons à une partie de l’enfance, celle qui est la plus en difficulté. Mais je n’oublie jamais la citation de Françoise Dolto selon laquelle chaque adulte est le résultat de son histoire, et que dans son histoire il y a l’enfance. Déterminer ce qu’est l’enfance ainsi que les moyens à mettre en œuvre pour placer sa protection au cœur de nos préoccupations contribue réellement à la société que nous voulons construire. Tel est le noble travail du législateur ! Chaque année, 300 000 jeunes sont pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance pour la somme, considérable à l’échelle des dépenses publiques en France, de 7 milliards d’euros.

Le texte n’est certes pas parfait et Mme Le Callennec a proposé son réexamen en commission. Aucun texte n’est parfait, tous sont perfectibles, mais les avancées proposées par celui-ci sont bonnes à prendre, comme l’a dit Marc Dolez avec un certain talent.

Dans le temps quo m’est imparti, j’évoquerai trois sujets, en commençant par les tests osseux. Il n’y a pas ici des députés résolument pour les tests osseux et d’autres résolument contre. Il existe une réalité objective : nous avons absolument besoin d’outils nous permettant de déterminer si certains enfants sont majeurs ou mineurs, non pas pour sanctionner ceux qui ne sont pas mineurs mais pour protéger ceux qui le sont. Or il n’existe aucun autre moyen concret, net, clair et précis que les tests osseux pour ce faire. Les amendements prévoyant que sans les exclure totalement, il ne faut pas en faire une règle systématique, me semblent ouvrir la voie à une solution susceptible d’être dégagée entre nous.

S’agissant des enfants adoptés, un amendement du sénateur UMP Milon visait à réduire de cinq à deux ans le délai à l’issue duquel les enfants accueillis dans le cadre d’une procédure d’adoption à l’étranger peuvent obtenir la nationalité française et donc être adoptés en France. Je pense vraiment que nous devons adopter cet amendement qui est le bon sens même. Il correspond en outre à une conception de progrès et je dirai même de gauche de la société française et de l’accès à la nationalité, fût-il proposé par un sénateur UMP !

Enfin, je remercie Mme la secrétaire d’État et salue le travail réalisé par Mme la rapporteure, par Mme Chapdelaine, rapporteure pour avis de la commission des lois, par M. Geoffroy et Mme Fort, grâce auquel nous réintroduisons tous ensemble dans le code pénal les délits et crimes d’inceste, ce qui est essentiel. Il est assez rare que ce sujet fasse l’objet d’une approche républicaine, alors même que ces questions se posent à l’ensemble de la société française. Nous y répondons collectivement et unanimement.

Mme Claude Greff. C’est en effet un sujet républicain !

M. Bernard Roman. Les associations estiment à deux millions le nombre de victimes d’inceste dans notre pays, ce qui me semble colossal.

Mme Claude Greff. C’est horrible !

M. Bernard Roman. Et quand bien même ces victimes ne seraient que quelques centaines de milliers, l’introduction de ce mot dans le code pénal vaut reconnaissance de l’horreur qu’elles ont subie, ce qui est essentiel pour qu’elles se reconstruisent. Cela, nous pourrons en être fiers ! L’écrivain britannique Graham Greene, décédé il y a une vingtaine d’années, a écrit qu’« il y a toujours, dans notre enfance, un moment où la porte s’ouvre et laisse entrer l’avenir ». L’Assemblée nationale peut tirer fierté de faire en sorte que, quelle que soit la situation des enfants, la porte puisse s’ouvrir un jour sur l’avenir ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Marc Dolez. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Nicolin.

M. Yves Nicolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mesdames les rapporteures, chers collègues, nous sommes réunis donc cet après-midi pour traiter de la protection de l’enfant et je me réjouis que notre assemblée se saisisse de ce sujet car l’attente est forte. Il est bon que nous nous penchions régulièrement sur un tel sujet.

Ce texte vient malheureusement un peu tardivement. Il aura fallu huit ans pour qu’il s’inscrive dans la suite de la loi du 5 mars 2007 et de la loi du 4 juillet 2005 portant réforme de l’adoption proposée à l’époque par Michèle Tabarot et moi-même. En dépit de ses bonnes intentions, le texte reste malheureusement insuffisant alors même qu’un long chemin reste à parcourir. À ce titre, j’appellerai votre attention sur deux sujets particuliers, madame la secrétaire d’État : le délaissement de l’enfant et l’incertitude juridique dans laquelle demeurent les enfants sous kafala judiciaire.

Le délaissement est certainement l’une des pires maltraitances que l’on puisse infliger à un jeune enfant. J’avoue donc ne pas comprendre le maintien à un an du délai permettant de constater ce délaissement. Choisir de conserver ce délai, c’est prendre une décision déraisonnable, voire mortifère, qui réduira considérablement les chances pour un enfant délaissé de se reconstruire définitivement grâce à l’adoption dans une nouvelle famille. C’est le père de trois enfants adoptés, président du Conseil supérieur de l’adoption pendant plus de trois ans, fondateur et président jusqu’en 2012 de l’Agence française de l’adoption qui vous l’affirme, madame la secrétaire d’État ! Les études montrent qu’au-delà de six mois les chances de reconstruction d’un enfant de moins de six ans sont minces. C’est pourquoi je proposerai un amendement visant à ramener ce délai d’un an à six mois pour ces enfants, comme c’est le cas en Italie.

Quant à la kafala judiciaire, elle n’est toujours pas reconnue par la France alors qu’elle permettrait à des enfants sans droits de s’inscrire dans un véritable processus familial comme c’est le cas dans plusieurs pays européens dont l’Espagne.

De grâce, madame la secrétaire d’État, agissez sur ces deux points ! Ne nous contentons pas de la circulaire de Mme la garde des sceaux du 22 octobre dernier qui constitue une avancée mais ne va pas assez loin et laisse beaucoup de nos compatriotes dans l’incompréhension ! Elle ramène en effet à deux ans le délai à partir duquel ces enfants peuvent devenir français mais laisse entière une discrimination au sujet de laquelle droite et gauche doivent s’entendre pour agir.

La protection de l’enfant est un sujet qui nous passionne tous ici. Nous soutiendrons cette proposition de loi, mais elle nous laissera un goût amer, comme un goût d’inachevé car il faudra attendre au mieux cinq ans pour aboutir à de nouvelles décisions. Je salue votre soutien à ce texte d’origine parlementaire, madame la secrétaire d’État, mais ne considérez pas votre tâche comme achevée ! Les enfants attendent encore beaucoup de nous et par conséquent de vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures cinquante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

Article 1er

Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.

La parole est à Mme Françoise Dumas.

Mme Françoise Dumas. La commission a rétabli l’article 1er au sein du titre 1er relatif à l’amélioration de la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance. Cet article vise à instituer, auprès du Premier ministre, un « Conseil national de la protection de l’enfance – le CNPE –, chargé de proposer au Gouvernement les orientations nationales de la politique de protection de l’enfance, de formuler des avis sur toute question s’y rattachant et d’en évaluer la mise en œuvre. Il promeut la convergence des politiques menées au niveau local, dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales. Ses missions, sa composition et ses modalités de fonctionnement sont définies par décret. »

L’article 1er est en effet l’un des dispositifs structurants de la proposition de loi originelle. Les travaux préparatoires à celle-ci, notamment le rapport de Mme Gouttenoire, soulignaient tous le manque de coordination de la protection de l’enfance sur les territoires, avec pour conséquences de fortes disparités. La création de cette instance consultative entend donc répondre au manque de coordination entre les différents acteurs, d’une part, et entre l’échelon local et l’action de l’État, d’autre part. La politique de protection de l’enfance, fortement décentralisée, fait en effet intervenir un nombre important d’acteurs, et la diversité des pratiques qui en résultent ne permet pas de garantir une égalité de traitement de tous les enfants sur tout le territoire.

Le CNPE est donc réclamé par les professionnels et les départements, afin de les aider à harmoniser les politiques locales de protection de l’enfance, dont ils ont la compétence. C’est également le pilotage national qui s’en trouvera renforcé. De fait, le CNPE n’est pas redondant avec les autres structures existantes, notamment l’Observatoire national de l’enfance en danger, pour ne citer que cet exemple, qu’il aura peut-être même vocation à supprimer ou à intégrer. Placé auprès du Premier ministre, il garantira la présence des différentes institutions intervenant dans la protection de l’enfance sur des problématiques plus larges que celle des maltraitances.

Mme la présidente. La parole est à Mme Edith Gueugneau.

Mme Edith Gueugneau. En premier lieu, je veux me féliciter du débat qui s’ouvre enfin devant notre assemblée. Améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance est un enjeu de société. Sécuriser le parcours de l’enfant, pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, garantir une plus grande stabilité de l’enfant, mettre l’intérêt de l’enfant au centre de nos engagements, tous ces éléments sont de la responsabilité du législateur.

Il faut se féliciter du rétablissement de cet article par la commission des affaires sociales tout simplement parce que celui-ci prévoit la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance, afin d’améliorer la cohérence et la coordination des politiques de protection de l’enfance. Cela apparaît en effet nécessaire quand on sait que notre système se distingue par une trop forte hétérogénéité entre les départements, ainsi que par un cloisonnement des interventions des différents acteurs concernés. De fait, la diversité des pratiques ne permet pas de garantir une égalité de traitement entre tous les enfants sur l’ensemble du territoire.

Ce texte vise aussi, et peut être surtout, à replacer l’intérêt de l’enfant au centre de notre réflexion et de notre dispositif juridique. Le Conseil national de la protection de l’enfance y contribuera fortement. En effet, ce conseil aura pour mission de proposer et d’évaluer : il proposera notamment au Gouvernement les grandes orientations nationales en matière de protection de l’enfance. Par ailleurs, il devra piloter et réguler au niveau local – en particulier départemental – afin de pallier les insuffisances que j’évoquais à l’instant.

Enfin, la création de cet organisme s’inscrit dans notre volonté de simplification administrative puisque d’autres organismes seront supprimés pour fusionner avec ce conseil, là encore pour une meilleure coordination au service de l’enfant.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Je comptais intervenir, à l’occasion de l’examen de cet article, sur la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance, mais les amendements qui nous ont été distribués et qui ont été examinés en commission cet après-midi justifient à eux seuls le renvoi du texte en commission. En effet, l’amendement n203 du Gouvernement modifie complètement l’article 1er : son adoption conduira à la disparition du Conseil national de la protection de l’enfance.

Ce faisant, on reviendrait, comme, d’ailleurs, on le demandait, à une définition de la protection de l’enfance, sur laquelle nous aurons à nous prononcer dans le cadre de l’examen de l’amendement. J’ai du mal à comprendre la façon dont nous travaillons. Nous sommes partis d’un texte dans lequel le Sénat avait supprimé tout ce qui était relatif au Conseil national de la protection de l’enfance. Ce dernier a été réintroduit par la commission des affaires sociales de notre assemblée, qui a estimé qu’il était nécessaire de prévoir une instance supérieure chargée de coordonner et de mieux assumer les missions et les politiques relatives à la protection de l’enfance. Je saisis cette occasion pour rendre hommage au travail réalisé par les départements, toutes tendances politiques confondues, en matière de protection de l’enfance, depuis les lois de décentralisation de 2003 et, surtout, la loi de 2007.

Mais en lisant l’amendement n203 que nous allons examiner tout à l’heure, et sur lequel j’aurai à m’exprimer, je m’aperçois que le Conseil national de la protection de l’enfance sera supprimé. De surcroît, cet amendement est sous-amendé par Mme la rapporteure, ce que j’ai encore plus de mal à comprendre. Êtes-vous d’accord entre vous ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Oui !

M. Gilles Lurton. Cet article suscite beaucoup de questions. Nous ne comprenons pas ces revirements de dernière minute.

M. Rémi Delatte. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Nachury.

Mme Dominique Nachury. Si j’ai bien compris, le Conseil national de la protection de l’enfance, placé auprès du Premier ministre, est rétabli. Il a pour objet de proposer les orientations nationales de la politique de protection de l’enfance. S’agissant d’une compétence régalienne, il peut sembler en effet logique qu’un outil de pilotage national existe. Je reste néanmoins interrogative. Madame la secrétaire d’État, vous avez prononcé tout à l’heure le mot « doctrine ». Il ne faudrait pas que l’on en revienne à des débats doctrinaux.

Par ailleurs, à l’idée d’égalité de traitement, je préfère celle de cohérence du traitement sur le territoire. En effet, il y a nécessairement une diversité des moyens mobilisables. On le sait, certains départements placent plus que d’autres, et certains placements se font plus en famille d’accueil ou en établissement : cela dépend beaucoup de l’existence ou de la disponibilité de services ou d’équipements.

Le rôle d’évaluation de la mise en œuvre est important, mais il serait intéressant, au préalable, de connaître les critères définis pour conduire ce travail, puisqu’il devra respecter la libre administration des collectivités territoriales mais aussi, nécessairement, la réalité de la diversité des territoires.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Barbier.

M. Jean-Pierre Barbier. Je regrette, avec mes collègues, que cette discussion sur un texte important qui concerne la protection de l’enfance débute dans un flou artistique. Un article nous a en effet été proposé en commission, qui a pour objet de créer un Conseil national de la protection de l’enfance, dont le rôle est de regrouper l’ensemble des pratiques au niveau national, de les analyser, de les évaluer afin de créer une « convergence des politiques » sur l’ensemble du territoire national. Mais le texte ajoute immédiatement : « dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales ». Or, si le conseil est en mesure de faire converger les politiques, cela signifie que les administrations territoriales ne seront plus libres de choisir le mode de traitement de leurs services.

Il y a là une véritable inquiétude, que nous avions évoquée en commission. C’est pourquoi nous avions affirmé notre opposition à l’article 1er. Nous avons eu l’espoir d’avoir été entendus par le Gouvernement lorsque nous avons lu l’amendement n203 qui vise à supprimer ce comité Théodule, mais cet espoir a été immédiatement déçu par le sous-amendement de Mme la rapporteure, qui tend à réintroduire le Conseil. Les choses ne sont donc pas claires. Nous souhaitons que vous nous disiez une fois pour toutes ce que vous entendez faire. Tout cela ne nous incite pas à avoir une grande confiance dans ce qui nous est proposé.

Mme la présidente. La parole est à Mme Claude Greff.

Mme Claude Greff. Je rejoins les propos de M. Barbier et je vais même plus loin : à l’heure présente, madame la secrétaire d’État, je me sens trahie. J’ai en effet travaillé à un amendement qui réécrivait le début l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles pour préciser notamment que : « La protection de l’enfance a pour but de protéger les enfants dont la sécurité ou le développement physique, intellectuel, affectif et social est compromis ou en risque de l’être. »

Or je constate avec stupéfaction que vous avez rédigé hier soir un amendement qui réécrit l’article en ponctionnant l’essentiel de ce que j’ai écrit. C’est tout à mon honneur, soit…

M. Gérard Bapt. Félicitations, ma chère collègue ! Quelle gloire !

Mme Claude Greff. Cela dit, votre amendement change du tout au tout l’objectif de l’article. Son adoption fera tomber le mien, que j’aurais pourtant aimé pouvoir défendre. Votre nouvelle rédaction ne dit nulle part que la protection de l’enfance a pour but de protéger les enfants. Elle se borne à énoncer ce qu’il faut faire, ce que les professionnels savent déjà parfaitement. Je ne comprends pas pourquoi vous allez dans cette direction !

Mon amendement, au contraire, visait à enrichir le texte en affirmant l’intérêt supérieur de l’enfant : protéger avant tout l’enfant, tout en réaffirmant la nécessité de mieux soutenir les parents dans l’exercice de leurs responsabilités. Tout cela reste assez flou dans votre proposition. Vous ne vous référez même pas à la déclaration des droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1959, qui dispose notamment que « l’enfant doit bénéficier d’une protection spéciale et se voir accorder des possibilités et des facilités par l’effet de la loi et par d’autres moyens, afin d’être en mesure de se développer »…

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Claude Greff. Certes, madame la présidente, mais il est quelque peu frustrant de savoir que mon amendement va tomber. Vous ne parlez même pas, madame la secrétaire d’État, des jeunes abandonnés entre dix-huit et vingt et un ans…

Mme la présidente. Vous aurez l’occasion de vous exprimer de nouveau, madame Greff.

La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Comme quoi un renvoi en commission des affaires sociales n’était pas forcément inutile !

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Cela n’aurait rien changé !

Mme Isabelle Le Callennec. L’article 1er, qui créait le Conseil national de la protection de l’enfance, a été supprimé par les sénateurs contre l’avis du Gouvernement. Ce dernier le réintroduit par un amendement réécrivant l’article et précisant les finalités de la protection de l’enfance. Dont acte, dirais-je. Mais, d’après la rapporteure, l’adoption de cet amendement aurait pour effet de supprimer la création du Conseil national, dont il n’est plus question dans la rédaction gouvernementale.

Mme Claude Greff. Eh oui ! Nous sommes trahis !

Mme Isabelle Le Callennec. Avouez qu’il y a de quoi nous faire perdre notre latin, ou le peu qui nous en reste puisque l’on n’a plus le droit de l’apprendre ! (Murmures sur les bancs du groupe SRC.)

Oui ou non, madame la secrétaire d’État, le Conseil national de la protection de l’enfance sera-t-il créé par ce texte ?

M. Guy Geoffroy et Mme Dominique Nachury. Ce sera dans le sous-amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Nous ne pouvons que nous réjouir de la venue en discussion de ce texte dont le but est d’améliorer la protection de l’enfant. Notre préoccupation est en effet de veiller à l’intérêt supérieur de tout enfant.

Ce texte est opportun car la situation actuelle est imparfaite. La loi du 5 mars 2007, qui a apporté clarté et efficacité, doit être améliorée.

Plusieurs écueils ont été soulignés : fortes disparités territoriales, absence de pilotage national, formation insuffisante des professionnels concernés. Il convient donc d’améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance, de contribuer à la sécurisation du parcours de l’enfant protégé et d’adapter le statut de l’enfant placé sur le long terme. Un équilibre difficile est à trouver entre le maintien du lien familial biologique et le placement des enfants en établissement par l’intermédiaire de la DDASS, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales.

Le rôle des départements a été renforcé, ce qui est une bonne chose, mais leurs charges évoluent de manière dangereuse. Selon l’Association des départements de France, la charge nette qui leur incombe en matière d’aide sociale à l’enfance a augmenté de 600 % depuis la décentralisation.

En effet, le nombre d’enfants placés augmente partout. On peut l’expliquer par le délitement des fondements de notre société, par l’évolution et l’éclatement de la cellule familiale, par la situation économique et sociale difficile où se trouvent de nombreuses familles.

Dans mon département de la Mayenne, les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis 2009, le nombre d’enfants placés a augmenté de 39 %, la hausse étant de 28 % pour les seules deux dernières années. Notre capacité d’accueil est saturée.

Ce texte rappelle l’importance de la prévention dans le domaine de la protection de l’enfance. Effectivement, aucune piste ne doit être écartée pour améliorer cette protection.

Je conclurai néanmoins par un bémol : la proposition de loi se traduira par de nouvelles charges et de nouvelles contraintes pour les départements alors que le financement de ces charges n’est pas prévu. Il faut donc donner aux départements les moyens d’assurer cette si noble mission qu’est la protection de l’enfant.

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements déposés sur l’article 1er.

Je suis saisie d’un amendement n203, qui fait l’objet d’un sous-amendement n209.

La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Pour éviter que les esprits ne s’échauffent inutilement sur des affaires de légistique, je souhaite rappeler au préalable les contraintes de ladite légistique, qui s’imposent à tous. Le Gouvernement se plie lui aussi aux décisions, méthodes et procédures choisies par le service de la séance.

Mon premier choix était de proposer un amendement portant article additionnel avant l’article 1er, sachant que le texte de l’amendement n203 inspire l’ensemble du texte puisqu’il pose les fondements de la protection de l’enfant.

Or il s’avère impossible de déposer des amendements avant l’article 1er. Je me suis conformée à cette objection et l’amendement n203, placé en début de texte, se retrouve à l’article 1er, entraînant la disparition de l’article tel qu’il avait été rédigé par la commission, donc la mesure portant création du Conseil national de la protection de l’enfance. C’est ce qui a amené Mme la rapporteure à le sous-amender, de manière à rétablir cette disposition.

Je n’entrerai pas plus avant dans le détail de la technique légistique qui veut que tel article figure à tel endroit, me contentant de préciser que l’ordre des amendements doit être également conforme à l’ordre dans lequel les articles s’inséreront ensuite dans les codes. Une fois ces contraintes mises bout à bout, on arrive à quelque chose d’un peu complexe, je vous le concède, mais on nous fera le crédit d’être capables d’accéder à un peu de complexité, faute de quoi nous ne serions pas tous ici, les uns et les autres ! (Murmures sur plusieurs bancs.)

M. Jean-Louis Dumont. Cette histoire de procédure est peu convaincante. Nous aimerions avoir des éclaircissements, madame la présidente !

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Dans le prolongement de mon propos de présentation, de ceux des deux rapporteures et de nombreuses interventions de la discussion générale, l’amendement n203 définit la protection de l’enfance en évoquant tous les aspects de la construction de l’enfant. Il s’agit de poser pour les enfants de l’aide sociale à l’enfance les mêmes exigences et les mêmes ambitions que pour tous les autres enfants : « La protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social, et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation […]. Elle comprend des actions de prévention […]. »

S’agissant de la création, par le sous-amendement de la rapporteure, du Conseil national de la protection de l’enfance, j’ai entendu les interventions des députés et une discussion a également eu lieu au Sénat. On ne peut nous faire grief d’aimer les commissions ad hoc au point d’en créer partout. Mme Poletti, qui suit particulièrement le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, sait bien que je cherche justement à concentrer l’ensemble de ces conseils en une seule structure. Il en va néanmoins un peu différemment du Conseil national de la protection de l’enfance. S’il s’agit en effet d’une mission régalienne, il s’agit aussi d’une compétence décentralisée. Nous avons donc un pilotage national et un pilotage départemental. Il faut articuler ces deux gouvernances. Or il n’existe pas aujourd’hui de lieu où les différents acteurs de la protection de l’enfance dans la République pourraient échanger et discuter sur la protection de l’enfant, sa philosophie, ses ambitions, ses motivations, ses objectifs.

Par ailleurs, la protection de l’enfant a comme spécificité de réunir autour des enfants un grand nombre de professionnels différents dont les habitudes de travail en commun restent encore, en grande partie, à construire. Je pense par exemple aux juges ou aux travailleurs sociaux. Parmi ces derniers, différents types d’éducateurs peuvent se succéder auprès d’une famille ou autour d’un enfant. Dès lors, le but du Conseil national de la protection de l’enfance est également de donner l’impulsion, au plan national, à une politique de meilleures pratiques pluri-institutionnelles et pluridisciplinaires. C’est une nécessité pour les enfants et pour les familles.

C’est pourquoi je donne un avis favorable au sous-amendement de Mme la rapporteure. Tous les professionnels que j’ai rencontrés, sans exception, et tous les gouvernants de la protection de l’enfant sont d’accord pour dire qu’ils ont besoin d’un lieu où pouvoir échanger.

M. Jean-Louis Dumont. Échanger et évaluer. Il faut aussi tirer les enseignements de l’expérience !

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. C’est bien le rôle de l’État que de créer ce lieu d’échanges et de discussions.

Certes, nous avons l’autonomie des collectivités locales d’un côté, une gouvernance d’État de l’autre, mais c’est le propre de la République que d’articuler l’autonomie territoriale et l’égalité des citoyens sur tout le territoire. Nous nous livrons à cet exercice depuis les premières lois de décentralisation.

Mme la présidente. Interpellée par certains collègues au sujet des commentaires que vous avez formulés en matière de légistique, madame la secrétaire d’État, je souhaite apporter quelques précisions.

Tel qu’adopté par la commission, le texte avait pour objectif, en son article 1er, de modifier l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles. Il s’avère que l’amendement du Gouvernement propose une nouvelle rédaction dudit article. C’est la raison pour laquelle il ne pouvait figurer comme amendement portant article additionnel avant l’article 1er : on se serait alors retrouvé avec deux rédactions de l’article L. 112-3 !

En l’espèce, donc, ce n’est pas un choix du service de la séance de l’Assemblée nationale. Nous faisons ici la loi, laquelle est destinée à être déclinée dans des codes et il faut que ces codes soient lisibles. C’est la raison pour laquelle la procédure est celle-ci.

Je cède maintenant la parole à Mme Annie Le Houerou pour soutenir le sous-amendement n209.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. L’amendement n203 du Gouvernement propose une nouvelle rédaction de l’article 1er. S’il était adopté en l’état, il supprimerait l’article 1er de la proposition de loi adopté par la commission des affaires sociales, visant à créer un Conseil national de la protection de l’enfance. Ce sous-amendement permet donc d’éviter que ce dispositif essentiel soit malencontreusement supprimé.

Mme la présidente. Mme la secrétaire d’État a déjà rendu un avis favorable à ce sous-amendement. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n203, madame la rapporteure ?

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. Favorable, puisque cette nouvelle rédaction précise les finalités de la politique de protection de l’enfance. Je crois qu’il existe un consensus en sa faveur.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je ne souhaite pas plus que Mme la secrétaire d’État entrer dans une querelle légistique. En revanche, je crois qu’il y a lieu de noter un oubli ou un « raté » légistique. Qu’est-ce qui empêchait le Gouvernement de réintroduire par amendement, à l’article 1er du texte issu de la commission, une définition de la protection de l’enfance – définition qui vaut ce qu’elle vaut, nous y reviendrons peut-être –, en conservant la disposition initiale qui crée le Conseil national de la protection de l’enfance ? Il arrive que des ajouts fassent malencontreusement disparaître une disposition à laquelle on était par ailleurs favorable. Le reconnaître n’est pas déshonorant ! Mme la secrétaire d’État n’a pas trouvé le temps de le faire, mais nous sommes tous convaincus qu’elle l’aurait souhaité !

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Au-delà de la procédure, sur laquelle je me suis déjà exprimé, la rédaction de l’amendement me satisfait, sauf sur un point. Comme il est écrit à la fin de l’exposé sommaire, la prévention spécialisée est une mission de protection de l’enfance. Pourtant, elle ne figure pas explicitement dans le texte de l’amendement, qui n’en donne pas davantage la définition. Cela est d’autant plus regrettable que le comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée a exprimé récemment ses inquiétudes quant à la diminution drastique des moyens dont il dispose pour assumer une mission plus que jamais nécessaire.

Je regrette qu’il ne soit pas fait expressément allusion à la prévention spécialisée dans cet amendement et que celle-ci n’y soit pas définie en quelques mots. L’amendement ayant été déposé en dernière minute, il nous a été quelque peu difficile de le sous-amender et de combler ainsi cette grave lacune.

(Le sous-amendement n209 est adopté.)

(L’amendement n203, sous-amendé, est adopté. En conséquence, les amendements nos 119, 9 deuxième rectification, 31, 32, 159, 42, 92, 33, 97 et 101 tombent et l’article 1er est ainsi rédigé.)

Article 1er bis

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Nachury, inscrite sur l’article.

Mme Dominique Nachury. Bien des actions pourraient être évitées s’il y avait plus de prévention. Mais que met-on derrière ce mot ? En matière de protection de l’enfance, tout est prévention et celle-ci peut aussi bien découler de l’urbanisme que du logement, que de l’emploi ou des équipements de proximité. Beaucoup de politiques sont mobilisables. Des amendements viendront sans doute préciser quels sont les acteurs qui peuvent être convoqués pour ce protocole départemental, mais il me semble que l’on aurait intérêt à davantage expliciter ce qu’est la prévention dans le domaine de la protection de l’enfance.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou pour soutenir l’amendement n158.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. Amendement de précision.

(L’amendement n158, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou pour soutenir l’amendement n167.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. Amendement de précision également.

(L’amendement n167, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 1erbis, amendé, est adopté.)

Après l’article 1er bis

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n30 portant article additionnel après l’article 1er bis.

La parole est à Mme Claude Greff pour le soutenir.

Mme Claude Greff. Madame la secrétaire d’État, je sais le travail que vous avez effectué pour installer un médecin référent dont la mission serait de coordonner l’action des professionnels de santé.

Dans le même esprit, le travail des nombreux acteurs de la protection de l’enfance – services sociaux, police, gendarmerie, justice – doit être mieux coordonné. J’irai même plus loin : leurs actions doivent être évaluées, de façon à ce que, si nécessaire, elles puissent évoluer en vue d’une plus grande efficacité. C’est pourquoi je propose que dans chaque département un coordinateur départemental, nommé par le président du conseil départemental, puisse mettre en application le protocole prévu à l’article L. 112-5 du code de l’action sociale et des familles, et en assurer le suivi.

Dois-je vous rappeler que notre devoir, plus que jamais, est d’être là pour protéger les enfants ? Il est important que les différents acteurs puissent parler et agir ensemble. Ce n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui : chacun travaille, certes merveilleusement bien, mais dans son domaine. La coordination se fait rarement et ce, au détriment de la protection de l’enfance.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. Avis défavorable. L’article 1er bis prévoit que les modalités de coordination des actions de prévention en direction de l’enfant et de sa famille sont définies dans le protocole. Il est donc inutile de les préciser dans la loi.

Par ailleurs, le président du conseil départemental ayant la responsabilité de l’aide sociale à l’enfance, le fait de prévoir dans la loi la désignation d’un coordinateur départemental pourrait être perçu comme une limitation de ses marges de manœuvre.

Mme Claude Greff. Ce n’est pas un argument !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Je comprends votre objectif, madame Greff. Si le parallèle que vous avez établi peut sembler juste, il n’est pas tout à fait fondé. Le médecin référent travaille auprès de ses pairs, médecins et autres professions médicales ; sa légitimité sera plus facile à asseoir que celle d’un coordinateur, dont je doute de la capacité à coordonner l’action à la fois des magistrats et des professionnels de santé, dans un domaine pluri-institutionnel.

Ce que vous proposez est presque satisfait par l’article 1er bis. Celui-ci prévoit que, dans chaque département, un protocole est établi entre le président du conseil départemental et les différents acteurs institutionnels et associatifs – un autre amendement, qui sera défendu ultérieurement, va dans le même sens. Il s’agit d’une démarche de co-construction, quelque peu différente de celle que vous proposez. Que le département puisse convoquer les autres professionnels, parfois jaloux de leur indépendance et attachés à leurs méthodes de travail, me semble en effet difficile. Je vous demande de retirer cet amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Madame la secrétaire d’État, vous parlez de convocations, mais qui, précisément, les enverra si un coordinateur n’est pas désigné ? On peut imaginer, comme cela a été le cas dans les départements où ont été élaborés des schémas départementaux de protection de l’enfance, que cette charge revienne au président du conseil départemental. Mais cela reste flou. On ne sait toujours pas si le département est légitime à convoquer l’ensemble des acteurs et à piloter l’ensemble de la démarche.

Mme la présidente. La parole est à Mme Claude Greff.

Mme Claude Greff. Madame la secrétaire d’État, vous vous êtes méprise sur ma volonté. Bien sûr, le président du conseil départemental est chargé de la protection de l’enfance, mais il ne peut suivre chaque enfant et délègue aux autorités dont j’ai parlé – services sociaux, justice, police et gendarmerie. Il faut bien que quelqu’un puisse coordonner toutes les actions, permettant aux différents acteurs de travailler dans le même sens, dans l’intérêt de chaque enfant. L’objectif de l’amendement n’est pas de placer le coordinateur au-dessus de ces instances – on ne peut superviser la justice, par exemple – mais d’améliorer le suivi du dossier de chaque enfant, grâce à une coordination et à une évaluation des actions incitant si nécessaire les acteurs à faire évoluer leurs objectifs.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Je veux soutenir cet amendement, que je crois très utile. En droit, le coordinateur est le président du conseil départemental, responsable de la protection de l’enfance. Dans les faits, le coordinateur est souvent le directeur départemental de l’ASE. Cet amendement permettrait de lui conférer un peu plus de légitimité aux yeux des autres acteurs. Lui donner une existence par le protocole est une chose, mais reconnaître dans la loi son rôle de coordination serait un progrès certain.

(L’amendement n30 n’est pas adopté.)

Article 2

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Pinville, inscrite sur l’article.

Mme Martine Pinville. Je me réjouis que les observatoires départementaux de la protection de l’enfance se voient confier ces nouvelles responsabilités en matière de formation. Leurs représentants, compte tenu de leurs missions, peuvent porter un regard précis sur la situation de l’enfance en danger et sur les dispositifs de protection de l’enfance mis en place dans le département. Ils sont donc les organismes les plus à même de réaliser un bilan des formations existantes et d’évaluer les besoins.

L’évaluation des besoins et la réflexion autour des nouvelles formations à développer constituent un volet particulièrement important. En effet, si l’article L. 542-1 du code de l’éducation dispose que « les médecins, l’ensemble des personnels médicaux et paramédicaux, les travailleurs sociaux, les magistrats, les personnels enseignants, les personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs et les personnels de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale reçoivent une formation initiale et continue, en partie commune aux différentes professions et institutions, dans le domaine de la protection de l’enfance en danger », un certain nombre de professionnels amenés à être en contact avec des enfants ne sont pas soumis à cette obligation de formation. C’est le cas notamment des administrateurs et d’un certain nombre de personnels des services départementaux chargés de la protection de l’enfance.

Par ailleurs, les formations en vigueur demeurent parfois insuffisantes. Je pense notamment au module « Maltraitance et enfance en danger – Protection maternelle et infantile », traité en une seule heure dans bon nombre de facultés de médecine. Compte tenu du rôle que sont amenés à jouer les médecins en matière de prévention et de prise en charge de l’enfance meurtrie, une telle marginalité de cette thématique me semble inacceptable.

La formation constitue un levier essentiel pour l’amélioration des pratiques, qu’il s’agisse du repérage des situations à risque, de leur évaluation ou de la prise en charge des enfants. Le travail de sensibilisation des professionnels amenés à accompagner et prendre en charge les enfants, en particulier les enfants en danger, doit donc être poursuivi.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n58 rectifié.

M. Marc Dolez. Les missions des observatoires départementaux de la protection de l’enfance incluent désormais la réalisation d’un bilan annuel des formations continues délivrées aux professionnels ainsi que l’élaboration, sur cette base, d’un programme pluriannuel de leurs besoins en formations dans le département, ce qui est un progrès.

Cet amendement tend à rendre public ce rapport annuel afin de favoriser le contrôle et les mesures qui pourraient être prises. Cette mesure s’impose d’autant plus qu’en l’état actuel de la rédaction de l’article L. 226-3-1 du code de l’action sociale et des familles, ce rapport annuel n’est communiqué qu’à une liste limitée de personnes alors qu’il devrait être diffusé le plus largement possible.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. Dans un souci de transparence, cet amendement vise à élargir la communication du bilan annuel des formations continues dans le domaine de la protection de l’enfance et va ainsi dans le bon sens. Cela favorisera le contrôle et le suivi de l’effectivité de ces formations en faisant naître une certaine « pression » du fait de cette publicité. C’est très important car, malgré l’obligation générale de formation, le bilan de la formation des professionnels de la protection de l’enfance est limité et les objectifs assignés ne sont pas remplis.

La publication du bilan annuel de la formation facilitera également l’instauration de mesures adaptées, améliorant ainsi la prévention, le repérage ou la prise en charge de cas de maltraitance au regard de ses conclusions. Avis favorable donc à l’amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Le volet formation n’a été que peu évoqué depuis le début de la discussion car nous nous situons dans la partie non législative de la réforme de la protection de l’enfance mais c’est un sujet essentiel. Parce que le Gouvernement veille à ne pas alourdir les charges et l’activité des conseils départementaux, je rendrai un avis de sagesse extrêmement bienveillant.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. C’est vrai, le volet relatif à la formation a été peu évoqué alors qu’il soulève des difficultés. Je reconnais qu’il ne relève pas forcément du ressort législatif…

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Pas du tout en effet !

Mme Isabelle Le Callennec. …même si les conséquences budgétaires peuvent nous intéresser. Le Sénat a largement débattu de cette question. Je vous le concède, les observatoires existent et les rapports annuels sont nécessaires, mais le plus important est de déterminer les objectifs de la formation des professionnels de la protection de l’enfance et surtout les moyens. La défense de la motion de renvoi en commission m’a ainsi permis d’en poser la question, ainsi que celles des crédits et de l’évaluation. Le pilotage reviendra-t-il toujours, demain, aux conseils départementaux alors que les régions ont une compétence en matière de formation professionnelle ? Les départements cotisent-ils suffisamment au Centre national de la fonction publique territoriale pour offrir les bonnes formations aux professionnels, sachant que ces derniers ne sont pas les seuls concernés et qu’il faut aussi se préoccuper des familles d’accueil et des assistants familiaux ?

Vous reconnaissez vous-même que le volet formation a été peu abordé. Le législateur aurait dû, en effet, se préoccuper davantage de cette question fondamentale. J’en profite pour évoquer à nouveau la co-formation qui me paraît être une piste à creuser.

(L’amendement n58 rectifié est adopté.)

(L’article 2, amendé, est adopté.)

Après l’article 2

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n170.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Cet amendement vise à créer un système d’alerte qui renforce le rôle des préfets pour répondre aux situations représentant une menace pour la santé et la sécurité des enfants accueillis. Il organise la remontée des informations relatives à des événements de nature à compromettre la sécurité des enfants accueillis et il vise à renforcer les contrôles sur les établissements et services accueillant des enfants quand leur santé ou leur sécurité est menacée.

L’article 25 du projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, voté en première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat, prévoit la remontée des informations des établissements vers les autorités de contrôle. Cet amendement tend à compléter le dispositif pour le secteur de la protection de l’enfance en donnant aux préfets les moyens d’améliorer le contrôle qu’ils sont déjà habilités à exercer dans le domaine de la sécurité des personnes.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. Avis favorable. Cet amendement tend à préciser que le président du conseil départemental doit informer le préfet de tout incident survenu dans un établissement ou service de l’aide sociale à l’enfance. Mieux informer le préfet permettra ainsi de mieux contrôler ces établissements et services. Cet amendement comble une lacune puisque le contrôle des établissements et services de l’aide sociale à l’enfance est aujourd’hui insuffisant. Il contribuera à éviter que des situations dramatiques ne se produisent.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Cet amendement est de nature à créer de la confusion. Si un dysfonctionnement grave est à déplorer au sein d’un établissement, ce n’est pas le préfet que le président du conseil départemental doit saisir mais le procureur de la République. Le président du conseil départemental commettrait une faute s’il ne prévenait pas le procureur en cas d’événement compromettant « la santé, la sécurité, l’intégrité ou le bien-être physique ou moral des enfants accueillis ». Pourquoi placer le préfet en doublon sur un tel type d’affaire ?

Par ailleurs, avec quels services le préfet pourrait-il exercer une quelconque compétence pratique en ce domaine ? Autrefois existaient les inspecteurs de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales mais on sait aujourd’hui ce qu’il en est des effectifs capables d’effectuer des contrôles. Ils ont déjà fort à faire avec les établissements médico-sociaux accueillant des personnes âgées ou handicapées. Leur confier une responsabilité supplémentaire, dans le champ de la protection de l’enfance, ne me paraît pas sérieux.

Les débats au Sénat le feront sans doute apparaître encore plus clairement : nous avons le sentiment que les services de l’État ont envie de restaurer une espèce de tutelle sur un service qui leur a échappé, opérant ainsi une forme de recentralisation rampante. C’est un travers bien connu des ministères, mais votre rôle, madame la secrétaire d’État, est justement d’en protéger les services car nous n’aurions rien à attendre d’une telle dérive, si ce n’est de la confusion.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Cet amendement tend à renforcer les contrôles que le préfet est déjà habilité à exercer. Quel est le fondement d’une telle disposition ? De surcroît, sa rédaction soulève des interrogations. « Le président du conseil départemental informe sans délai le représentant de l’État dans le département de tout événement survenu dans un établissement ou service qu’il autorise […]». Qui autorise ? L’État ou le conseil départemental ? Certains établissements, agréés par le département, ne le sont pas par le préfet tandis que d’autres le sont par les deux. Sur qui renforcer les contrôles et par quels moyens ? Une fois le contrôle réalisé, quelle décision le représentant de l’État peut-il prendre ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Monsieur Marleix, si vous pensez que l’État cherche par tous les moyens à accroître ses fonctions, ses responsabilités et son activité, vous serez déçu.

Les choses sont bien moins complexes : il ne se passe pas un mois sans que, dans le secteur des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, je ne sois saisie, tout comme vous, parlementaires, d’un signalement. Dès lors la procédure est très simple : on se tourne vers l’ARS qui, en tant qu’autorité administrative, produit très rapidement un état de la situation.

Vous évoquez la question du procureur, mais nous n’en sommes pas à cette étape. Ne confondons pas l’autorité administrative et l’autorité judiciaire qui ont chacune leur rôle à jouer. Nous ne cherchons pas à accorder une compétence supplémentaire au préfet, qui connaît déjà de toutes les questions relatives à la sécurité des personnes sur l’ensemble du territoire départemental. Nous voulons simplement créer un système d’alerte des préfets pour vérifier des informations, enquêter sur les dysfonctionnements constatés par exemple dans des maisons d’enfants à caractère social – MECS –, afin d’obtenir une couverture aussi sécurisée des MECS et des foyers que celle des EHPAD. C’est une question d’efficacité.

Par ailleurs, le prochain projet de loi dit DADU en matière pénale – portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne –, annoncé par la garde des sceaux et la ministre de l’éducation nationale il y a une dizaine de jours, comportera tout un volet relatif à la protection de l’enfance afin de renforcer les mesures visant à prévenir, traiter et suivre la maltraitance sexuelle et institutionnelle dont peuvent être victimes des enfants accueillis dans des établissements. La procédure d’information des préfets doit simplement permettre d’accélérer la réaction.

Mme la présidente. La parole est à Mme Claude Greff.

Mme Claude Greff. J’étais prête à vous suivre, madame la secrétaire d’État, jusqu’à ce que vous disiez que le préfet serait habilité à enquêter. Or, que je sache, l’enquête ne relève pas du rôle du préfet, mais de celui du procureur !

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Vous confondez enquête administrative et enquête judiciaire !

Mme Claude Greff. Je comprends mieux, mais vous voyez bien quels problèmes d’application peuvent se poser et il me semble qu’il vaudrait mieux se tourner vers le procureur. Je ne comprends pas pourquoi l’on transférerait cette compétence aux préfets alors que l’ASE est à même de repérer les dysfonctionnements et de se tourner vers la justice. Je ne saisis pas la raison d’être de ce troisième interlocuteur.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. C’est le même !

Mme Claude Greff. J’ai peur que ce dispositif ajoute de la confusion. À force de multiplier les acteurs, on ne sait plus qui fait quoi, d’où l’intérêt d’un coordinateur, dont vous n’avez pas voulu. Le danger se cache souvent dans les détails.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. C’est incroyable !

(L’amendement n170 est adopté.)

Article 2 bis

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou pour soutenir l’amendement n° 157.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. C’est un amendement rédactionnel.

(L’amendement n157, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 2 bis, amendé, est adopté.)

Après l’article 2 bis

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n12 portant article additionnel après l’article 2 bis.

La parole est à Mme Marie-Louise Fort, pour le soutenir.

Mme Marie-Louise Fort. Cet amendement tend à préciser que le président du conseil départemental est saisi par l’inspecteur d’académie en cas de comportement irrespectueux des valeurs de la République et qu’il peut proposer aux parents et représentants légaux du mineur concerné la signature d’un contrat de responsabilité parentale ou toute autre mesure contractualisée d’accompagnement.

Un certain nombre de modifications devraient ensuite être introduites dans le code de l’éducation.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. De par sa longueur et son contenu, cet amendement ne semble pas vraiment en être un. De surcroît, il ne concerne pas directement les missions de la protection de l’enfance. Le dispositif proposé vise à rétablir le contrat de responsabilité parentale, supprimé par l’Assemblée nationale dans la loi du 31 janvier 2013 tendant à abroger la loi du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire. L’Assemblée nationale ayant déjà délibéré sur ce sujet, je vous invite à vous référer aux débats. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Défavorable.

(L’amendement n12 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Louise Fort, pour soutenir l’amendement n11.

Mme Marie-Louise Fort. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. Avis défavorable pour les mêmes raisons qu’à l’amendement précédent.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Défavorable.

(L’amendement n11 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Doucet, pour soutenir l’amendement n109 rectifié.

Mme Sandrine Doucet. Toujours pour faire suite à la loi du 17 janvier 2013 qui a abrogé la loi Ciotti, cet amendement a néanmoins pour objet de renforcer un dispositif : le personnel d’éducation référent, qui est désigné pour suivre les mesures mises en œuvre au sein de l’établissement d’enseignement, qui doit rendre compte aux collectivités territoriales des mesures prises pour lutter contre l’absentéisme et le décrochage et qui est un recours pour ces collectivités, lesquelles, en retour, lui apportent leur soutien.

Il s’agit donc de reprendre un principe énoncé par la présente proposition de loi et de faire référence au droit à l’instruction, qui est un droit fondamental de l’enfant défini par la convention des droits de l’enfant de 1959. Le droit essentiel à l’éducation est, quant à lui, réaffirmé par la loi de refondation de l’école du 9 juillet 2013.

L’autre principe auquel s’adosse cet amendement est contenu dans la loi de janvier 2013, qui portait création de ce personnel d’éducation référent chargé, dans le cadre de la lutte contre l’absentéisme scolaire, de devenir le pivot du suivi de la scolarisation de l’enfant et de prévenir l’absentéisme au sein de l’établissement, notamment en lien avec les autorités départementales et académiques, qui doivent être alertées.

Enfin, toujours dans le sillage de la loi de janvier 2013 et en lien avec la présente proposition de loi, il s’agit de faire de l’établissement scolaire le lieu de la concertation et de la famille le lieu de la résolution des problèmes d’absentéisme, dans un esprit d’accompagnement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. Dans la mesure où cette disposition permet de renforcer la communication et les échanges entre le service de l’ASE et l’éducation nationale, elle favorise la prévention et la détection des situations de maltraitance. L’avis de la commission est donc favorable, car l’absentéisme scolaire de l’enfant est souvent le premier signe permettant de détecter des difficultés liées à l’univers familial.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Je comprends l’esprit de cet amendement et vous avez parfaitement raison, madame la députée, d’établir le lien entre décrochage scolaire et danger : le décrochage scolaire est souvent le signe d’un enfant en danger, pas nécessairement d’ailleurs du fait de ses parents car il est des cas où les enfants se mettent en danger eux-mêmes. C’est alors l’aide sociale à l’enfance qui est appelée à les aider.

Cependant, nous considérons pour notre part que, pour échanger ces informations, mieux vaut s’appuyer sur les protocoles conclus entre les départements et l’éducation nationale à partir des cellules de recueillement des informations préoccupantes, les CRIP, plutôt que d’obliger à prévenir l’éducation nationale par l’intermédiaire du référent décrochage, et ainsi de suite. Il appartient aux départements, en relation avec l’éducation nationale et dans le cadre des CRIP ou des observatoires départementaux de la protection de l’enfance, d’établir les liens entre les différents services qui interviennent auprès des enfants. Si l’amendement est maintenu, l’avis du Gouvernement sera donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Je vous remercie d’avoir apporté cette précision, madame la secrétaire d’État, parce que cet amendement, tel qu’il est rédigé, aurait introduit quelque flou dans le dispositif. À devoir rendre compte à la fois aux collectivités territoriales et aux autorités chargées de la protection de l’enfance, nous nous heurterons systématiquement à la même question : qui pilote ? À qui faut-il transmettre les informations ? Tant qu’il n’y aura pas été répondu avec clarté, nous continuerons à rencontrer des difficultés sur le terrain, soit qu’il y ait trop d’informations, soit qu’il n’y en ait aucune.

Vous évoquiez tout à l’heure le préfet : sachez qu’il arrive qu’il soit mis au courant d’informations relatives à des établissements spécialisés avant même le président du conseil départemental ! Il faudrait donc que l’information circule dans les deux sens.

Je le répète : si, au terme de ce débat et du vote sur ce texte, il n’existe aucun pilotage précis déterminant qui fait quoi et qui renvoie à qui, nous devrons selon moi nous poser dans quelques années la question de savoir comment mettre concrètement cette loi en œuvre et comment la rendre plus efficace.

Mme la présidente. La parole est à Mme Claude Greff.

Mme Claude Greff. Je vous remercie à mon tour d’avoir apporté cette précision, madame la secrétaire d’État, parce qu’en écoutant Mme la rapporteure, j’ai éprouvé une grande inquiétude. Je ne comprenais plus et me disais ceci : vos propos manquent totalement de cohérence, puisque vous êtes favorable à la désignation d’un personnel d’éducation référent afin qu’il puisse renforcer les services de l’ASE et de l’éducation. C’est en pleine contradiction avec ce que m’a indiqué Mme la secrétaire d’État lorsque j’ai proposé la désignation d’un coordinateur départemental pour l’application du protocole.

Je vous remercie donc pour vos propos, madame la secrétaire d’État, et j’espère que mes collègues socialistes suivront votre avis, qui est prépondérant. J’aimerais aussi, madame la rapporteure, que vous vous coordonniez avec Mme la secrétaire d’État, car on finit par ne plus savoir où aller !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Cela s’appelle la séparation des pouvoirs !

Mme Claude Greff. Je connais la séparation des pouvoirs, madame la présidente, mais j’ai aussi noté que vous partagiez la même sensibilité politique et que vous aviez tendance à travailler ensemble…

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Nous ne sommes pas des godillots !

Mme Claude Greff. …ce qui n’est visiblement pas le cas avec l’opposition, puisque nous venons à l’instant de découvrir des amendements dont vous aviez déjà pris connaissance.

Mme Martine Pinville. Et nous avons découvert les vôtres !

Mme Claude Greff. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle bon nombre des amendements de mes collègues du groupe UMP sont tombés !

J’essaie simplement d’instaurer un meilleur équilibre dans l’action de la protection de l’enfance, et j’aurai tendance à suivre Mme la secrétaire d’État en qui, jusqu’à cet instant, j’ai toute confiance ! (Rires sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Parfait, merci ! Vous ne serez pas pour autant nommée au Gouvernement !

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Doucet.

Mme Sandrine Doucet. Je me permets de préciser que lors de l’abrogation de la loi Ciotti, nous avons créé la fonction de personnel d’éducation référent pour suivre les mesures mises en place afin d’accompagner les élèves et de veiller à réduire leur absentéisme, signe avant-coureur de leur décrochage scolaire. Toutefois, ces adultes sont souvent seuls et isolés des autres services exerçant au sein de l’établissement, même s’ils sont intégrés dans une équipe pédagogique.

L’idée est donc qu’ils bénéficient d’un soutien et d’un accompagnement dans le cadre d’un échange à double sens avec les collectivités et les autres instances chargées de la protection. La résolution de l’absentéisme ne doit pas demeurer un objet hors-sol et déconnecté de la politique générale de protection de l’enfance.

Mme la présidente. Maintenez-vous votre amendement, madame Doucet ?

Mme Sandrine Doucet. Oui, je le maintiens.

(L’amendement n109 rectifié est adopté.)

Mme Claude Greff. Vous n’écoutez donc pas votre secrétaire d’État !

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Je respecte le Parlement – majorité comme opposition ! Je n’attends pas des députés qu’ils me suivent !

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la protection de l’enfance.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly