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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Séance du mercredi 03 février 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Politique agricole

M. Philippe Armand Martin

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Simplification

M. Jean-Marie Beffara

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification

Politique de la santé mentale

M. Stéphane Saint-André

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Violences faites aux femmes à La Réunion

Mme Huguette Bello

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Loi Montagne

M. Laurent Wauquiez

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité

Risques sanitaires liés aux pesticides

M. François-Michel Lambert

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Lutte contre le chômage

M. Bernard Gérard

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Relations avec Cuba

M. Victorin Lurel

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Nouvelle carte intercommunale

M. Francis Hillmeyer

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

Finances départementales

M. Éric Straumann

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

Délinquance des mineurs en Nouvelle-Calédonie

Mme Sonia Lagarde

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Application de la loi « macron »

M. Lionel Tardy

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Lutte contre le financement du terrorisme

M. Jacques Cresta

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Réforme territoriale

M. François de Mazières

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

Économie bleue

M. Arnaud Leroy

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Laurence Dumont

2. Économie bleue

Discussion des articles (suite)

Mme la présidente

Article 13

Amendement no 143

M. Arnaud Leroy, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Amendements nos 144, 145 , 146

Après l’article 13

Amendements nos 193 , 41 , 42 , 210

Article 14

M. Jean Lassalle

M. Philippe Folliot

Après l’article 14

Amendements nos 43 , 204

Article 15

M. Stéphane Travert

Amendements nos 135 , 137 , 139 , 39 rectifié , 147 , 205 rectifié , 24

Mme Annick Le Loch, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques

Amendements nos 44 , 148 , 149 , 245 , 152

Article 15 bis

Amendements nos 153, 154, 155

Article 16

M. Pierre Aylagas

Après l’article 16

Amendement no 61 rectifié

Article 17

Mme la présidente

Article 18

Amendements nos 196 , 195 , 40 , 161

Après l’article 18

Amendements nos 217 , 45 , 206 , 216 , 218 , 192 , 207 , 213

Article 18 bis

Amendement no 162

Après l’article 18 bis

Amendements nos 177 , 197 rectifié , 237 , 176

Avant l’article 19

Amendements nos 112, 113

Article 19

Après l’article 19

Amendements nos 37 , 110 , 46, 47 , 208 , 56 , 235 rectifié , 168 , 215

Article 20

Amendement no 51 rectifié

Article 21

Article 22

Amendements nos 25 , 87 , 164 , 89 , 90, 92 , 93, 94 , 48 rectifié , 96

Après l’article 22

Amendement no 97

Article 22 bis

M. Jean-Luc Bleunven

Amendement no 181

Article 22 ter

Amendement no 182

Article 22 quater

Amendements nos 185, deuxième rectification

Après l’article 22 quater

Amendements nos 186, deuxième rectification , 188 , 187

Article 23

Après l’article 23

Amendement no 219

Explications de vote

M. Philippe Folliot

M. Gilles Lurton

Mme Catherine Troallic

M. Patrice Carvalho

M. Alain Tourret

Vote sur l’ensemble

M. Arnaud Leroy, rapporteur

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État

3. Renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel

Présentation

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des droits des femmes

Mme Maud Olivier, rapporteure de la commission spéciale

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes

Discussion générale

Mme Marie-George Buffet

Mme Pascale Crozon

Mme Marie-Louise Fort

Présidence de Mme Catherine Vautrin

M. Sergio Coronado

M. Charles de Courson

M. Alain Tourret

Mme Sandrine Mazetier

M. Philippe Goujon

Mme Barbara Pompili

Mme Fanélie Carrey-Conte

Discussion des articles

Article 1er

Article 1er ter

Amendement no 8 rectifié

Article 2

Article 3

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes

Mme Annick Lepetit

Amendements nos 11 , 15

Article 3 bis

Article 5

Article 6

Amendements nos 9 , 2 , 3 , 4 , 16

Article 9 bis

Article 16

Mme Eva Sas

Mme Pascale Crozon

Amendements nos 5 , 10 , 14

Article 17

Mme Marie-Hélène Fabre

Amendement no 6

Article 18

Amendement no 7

Explications de vote

M. Frédéric Reiss

Mme Catherine Quéré

M. Charles de Courson

M. Sergio Coronado

Vote sur l’ensemble

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Politique agricole

M. le président. La parole est à M. Philippe Armand Martin, pour le groupe Les Républicains.

M. Philippe Armand Martin. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture.

L’agriculture française est au bord de la rupture. Depuis plusieurs mois, toutes les filières agricoles ont connu de graves crises économiques dont les conséquences sont lourdes pour nos campagnes.

Nous ne pouvons pas considérer que ces différentes crises sont exclusivement d’ordre conjoncturel. Faites preuve de sincérité, monsieur le ministre, reconnaissez que l’absence de réforme structurelle accentue les faiblesses de nos filières agricoles ! Faut-il parvenir à un point de non-retour pour que vous agissiez ?

L’agriculture française, dans un contexte de concurrence extrême, est au bord de l’implosion. Il n’est nullement besoin de la rédaction d’un rapport ou de l’installation d’une énième commission pour en faire le constat. Allez à la rencontre des agricultrices et des agriculteurs français, ils vous le diront : ils souffrent de charges trop élevées, de normes toujours plus contraignantes.

Pourtant l’avenir de nombreux territoires ruraux est largement dépendant des productions agricoles. La colère qui gronde dans les campagnes exprime le ras-le-bol d’une profession qui ne dispose pas d’autre perspective que celle de se tuer à la tâche pour des revenus peu élevés.

Monsieur le ministre, assumez les responsabilités qui sont les vôtres. Le monde agricole ne réclame pas plus de subventions, plus d’aides et autres plans de sauvetage ou de relance. Le monde agricole attend des réponses rapides et concrètes aux maux qui sont les siens.

Dernièrement, l’opposition a présenté une proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, visant à assurer un meilleur partage de la valeur ajoutée entre les producteurs et les distributeurs, à faciliter l’investissement, à alléger les charges pesant sur les entreprises agricoles. Vous avez, avec votre majorité à l’Assemblée nationale, balayé cette proposition d’un revers de manche…

M. le président. Merci, mon cher collègue.

La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous évoquez la crise agricole et vous m’invitez à me déplacer pour que je me rende compte. Permettez-moi de vous rappeler que, comme beaucoup sur ces bancs, je suis issu du monde rural. Pour ma part, j’ai fait des études agricoles et, si j’ai eu par la suite d’autres choix, je connais bien ce secteur.

Tout en partageant avec vous le constat, je voudrais tout de même que nous nous mettions d’accord sur une chose. Assumer mes responsabilités ne me pose aucun problème. Mais si, dans la crise que nous vivons – prenons par exemple la crise de l’élevage, ou encore la question des céréales –, vous considérez que l’Europe et le monde tels qu’ils sont aujourd’hui, les marchés à l’échelle européenne et mondiale, n’ont aucune influence sur ce qui se passe dans l’agriculture française, à ce moment-là, monsieur le député, nous aurons un désaccord !

Il n’en est pas moins absolument nécessaire de faire preuve de responsabilité, avec le plan de soutien à l’élevage et tout ce que nous faisons et devons encore faire pour aider les agriculteurs à passer cette crise.

S’agissant des mesures structurelles que vous évoquez et de la proposition de loi que nous discuterons demain, je suis d’accord avec certains points du texte. (« Ah bon ? » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Du reste, lors de son examen au Sénat, des propositions visant, notamment, à éviter de rendre les contrats laitiers cessibles ont fait l’objet d’un vote unanime. Je ferai des propositions plus fortes encore du point de vue juridique pour permettre que ce qui a été discuté au Sénat soit accepté. Et il y a d’autres propositions sur lesquelles, je l’ai dit, nous pouvons tout à fait trouver ensemble un accord pour faire face à la crise. Nous le verrons demain : il n’existe aucun doute sur ce point.

M. Christian Jacob. Pourquoi la majorité n’a-t-elle pas voté le texte en commission, alors ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. Cependant, un des noyaux de la proposition de loi était d’augmenter la TVA et la CSG pour réaliser des baisses de cotisations sociales. Nous avons là une divergence. Entre l’augmentation des impôts et les baisses de cotisations, l’enjeu…

M. le président. Merci, monsieur le ministre.

Simplification

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Beffara, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Marie Beffara. Madame la secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification, dès le début de ce quinquennat, sous l’impulsion notamment de Thierry Mandon, Laurent Grandguillaume et Sophie Errante, notre majorité a entrepris un vaste chantier de simplification administrative. Aujourd’hui, c’est le lancement d’un nouvel acte.

Parce qu’il n’existe pas de grand soir de la simplification, le travail entrepris est discret et de longue haleine. Il se poursuit aujourd’hui par la présentation de 170 nouvelles mesures, dont 90 concernent les entreprises et 80 les particuliers. Ces nouvelles mesures touchent de nombreux secteurs : le logement, l’emploi, les relations avec l’administration, la dématérialisation ou encore la fiscalité.

Simplifier, c’est parfois compliqué. C’est pourquoi les mesures proposées sont toutes concrètes et utiles. En allégeant les démarches de nos concitoyens et des entreprises, nous facilitons aussi la création d’emplois et d’activité.

La méthode du Gouvernement sur le sujet associe les parlementaires, les acteurs de terrain et l’administration. Elle est fructueuse et permet de faire remonter du terrain des idées opérationnelles. De toute évidence, le chantier de la simplification est attendu par nos concitoyens.

Mais simplifier, ce n’est pas renoncer à la régulation. Au contraire, c’est la rendre plus lisible, plus accessible, plus claire et plus efficace. Les règles obscures et pléthoriques nuisent à la croissance et à l’emploi. Elles favorisent toujours ceux qui ont accès à l’information, au détriment des petites entreprises, des plus jeunes et des moins formés. C’est pourquoi nous sommes convaincus que simplifier, c’est aussi faire progresser la justice et l’égalité.

Madame la secrétaire d’État, à quelques heures de la présentation de cet ensemble de nouvelles mesures, ma question sera forcément simple : pouvez-vous nous rappeler le sens de votre méthode et nous expliquer quels sont vos objectifs et perspectives en matière de simplification ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification. Monsieur le député, depuis 2013, à l’initiative du Président de la République, le Gouvernement est engagé dans un choc de simplification pour une plus grande efficacité au service de nos concitoyens, au service de l’emploi, au service de la compétitivité de nos entreprises, afin de faciliter les projets et de libérer les initiatives. Depuis cette date, plus de 450 mesures de simplification ont été adoptées. À ce jour, plus de 55 % ont été mises en œuvre, 70 % le seront fin mars.

Cet après-midi, le Premier ministre présentera 170 mesures : 90 pour les entreprises, à l’initiative du Conseil de la simplification pour les entreprises, et 80 pour les particuliers.

Simplifier, vous l’avez dit, c’est adapter le service public aux nouveaux usages, en particulier à la révolution numérique. Le numérique permet d’offrir une qualité de service public jamais atteinte : un service public 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, pour tous et partout sur le territoire. Il est possible de saisir l’administration par voie numérique, de remplir des formulaires en ligne, de recevoir des récépissés et de stocker les documents en ligne. Nombre de déclarations peuvent être faites en ligne.

Simplifier, c’est également faciliter et améliorer la compétitivité des entreprises. Aujourd’hui, avec le dispositif « Marché public simplifié », les entreprises peuvent candidater en cinq minutes au lieu de deux heures !

Voilà tout ce que nous pouvons faire en matière de simplification. C’est un chantier important qui engage l’ensemble du Gouvernement, et les propositions des parlementaires sont les bienvenues. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Politique de la santé mentale

M. le président. La parole est à M. Stéphane Saint-André, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Stéphane Saint-André. Madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, la santé mentale est depuis trop longtemps le parent pauvre de la santé, alors que la précarité, l’angoisse du lendemain, la perte de repères génèrent de plus en plus de pathologies mentales et d’addictions.

Les établissements publics de santé mentale ont beaucoup de difficultés à faire face à cet afflux nouveau de patients et les conditions d’accueil y sont de plus en plus difficiles. Ces établissements manquent cruellement de moyens, en personnel et financiers. La dotation pour la psychiatrie publique est en panne et le budget concernant la recherche dans ce domaine est très insuffisant.

Dans ma circonscription, l’établissement public de santé mentale de Saint-Venant est une référence. Il accuse cependant un lourd déficit, malgré les 20 000 patients qui y sont suivis. L’objectif de la direction est de supprimer 120 emplois sur trois ans.

Que l’on veuille plus de rigueur et que l’on se donne les moyens de maîtriser les coûts, oui. Mais que l’on veuille que la maladie soit rentable, non !

Par ailleurs, l’article 69 de la loi de modernisation de notre système de santé prévoit, en plus de la coordination organisée en proximité autour de la psychiatrie de secteur, une coordination de deuxième niveau : le projet territorial de santé mentale, qui peut être organisé par les agences régionales de santé et qui a pour objectif d’améliorer l’accès des personnes concernées à des parcours de santé et de vie de qualité. Il tient compte des caractères géographiques des territoires et de l’offre de soins. Mais la loi officialise la mise en œuvre des groupements hospitaliers de territoire – GHT – sur une logique qui repose sur la médecine, la chirurgie et l’obstétrique.

C’est un obstacle pour les établissements publics de santé mentale, qui aimeraient pouvoir créer des GHT psychiatriques permettant de tenir compte des spécificités de l’offre de soins.

M. Bernard Accoyer. C’est un vrai problème !

M. Stéphane Saint-André. J’ai donc deux questions à vous poser : l’État aidera-t-il l’établissement public de santé mentale de Saint-Venant au travers d’un plan national de soutien ? Est-il possible de rappeler aux agences régionales de santé que l’article 69 doit faciliter la création de GHT psychiatriques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le député, nous avons aujourd’hui une priorité, en matière de santé mentale, celle de faire en sorte que l’ensemble des acteurs qui sont appelés à intervenir auprès d’un patient puissent travailler ensemble. C’est pourquoi, avec les représentants de la psychiatrie et de la santé mentale, nous avons élaboré ce qui est devenu l’article 69 de la loi de modernisation de notre système de santé afin de garantir qu’à l’avenir les professionnels de santé, les établissements de santé et les établissements sociaux et médico-sociaux travailleront ensemble, car il convient de prendre en compte les facteurs liés à la précarité. Cet article permettra aux professionnels de la santé mentale de mieux travailler, de mieux prendre en charge leurs patients.

Je réponds d’emblée à votre question concernant les groupements hospitaliers de territoire : la loi traduit notre volonté que soit mise en place dans chaque territoire une offre de soins adaptée. Dans les territoires où des groupements hospitaliers de territoire de santé mentale apparaîtront utiles ou nécessaires, rien ne s’opposera à leur création. Encore une fois, c’est une logique de territoire, basée sur les besoins locaux, qui l’emportera.

L’établissement de Saint-Venant, qui joue un rôle majeur dans votre territoire, a bénéficié d’un appui exceptionnel d’1 million d’euros à la fin de l’année 2015. Je suis très attentive à l’évolution de la situation de cet établissement qui, incontestablement, répond aux besoins de la population.

Vous le voyez, monsieur le député, le Gouvernement se mobilise en faveur de la santé mentale, dans votre territoire comme partout ailleurs. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Violences faites aux femmes à La Réunion

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Huguette Bello. Ma question s’adresse à Mme Marisol Touraine.

L’actualité, c’est aussi la grâce de Jacqueline Sauvage, que nous saluons, et ce sont toujours les violences contre les femmes.

L’année commence à peine et la Réunion déplore déjà deux victimes de violences conjugales. Ingrid Gonfo, vingt-trois ans, et Géraldine Nauche, trente-huit ans, sont mortes, tuées à l’arme blanche par leur compagnon, sans oublier Carole Crescence, battue sur son lieu de travail. Les circonstances de ces drames viennent, une fois de plus, rappeler combien les violences que subissent les femmes sont irréductibles à ce qu’on appelle les faits divers.

Personne ne le conteste : au cours de ces dernières années, la législation s’est beaucoup étoffée, de nombreux dispositifs ont été créés, des campagnes de sensibilisation sont régulièrement lancées et nous en sommes au quatrième plan interministériel de prévention et de lutte.

Mais le décompte terrible des victimes exige que la mise en acte des mesures soit amplifiée et accélérée. Le « téléphone grand danger » – quatre seulement sont en circulation à la Réunion –, le protocole « mains courantes », ainsi que les hébergements adaptés et sécurisés doivent être plus facilement accessibles, y compris dans les outre-mer.

De même, la formation et la sensibilisation de tous les professionnels qui sont en première ligne demandent à être généralisées rapidement : les gendarmes et les policiers, les travailleurs sociaux mais aussi le personnel de la santé, du droit et de l’enfance.

Il revient surtout aux pouvoirs publics d’aider les victimes à sortir du cycle des violences, de protéger les femmes qui sont en danger et de les accompagner quand elles ont le courage de briser le silence.

Madame la ministre, l’année 2016 sera-t-elle bien celle de la mobilisation des institutions et des citoyens, mais aussi des moyens contre ce fléau qui défigure notre société ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la députée, je veux saluer votre engagement, qui est bien connu, pour lutter contre les violences faites aux femmes. Vous en faites un axe fort de votre action à La Réunion, parce que, vous avez raison de le souligner, nous ne pouvons pas, nous ne devons pas parler des violences faites aux femmes comme de faits divers.

C’est un fait politique majeur dans notre pays, à La Réunion comme ailleurs, et nous devons dire et répéter que nous serons intraitables à l’égard de ceux – parfois de celles, mais principalement de ceux – qui exercent leur violence à l’égard des femmes.

Ce sont des crimes machistes et non, comme on le lit parfois, des crimes passionnels. Ce ne sont pas des événements secondaires, et c’est pourquoi nous sommes pleinement mobilisés.

Le Gouvernement a trois priorités. La première est de garantir aux femmes un accueil de proximité, pour qu’elles puissent être écoutées, entendues, hébergées.

Nous leur proposons désormais, avec le renforcement du numéro 3919 une écoute sept jours sur sept, qui leur garantit un service continu.

Enfin, nous améliorons les conditions de dépôt de plainte et la prise en charge par les professionnels de santé.

Des expériences sont mises en place sur le territoire national. Elles le seront à La Réunion comme ailleurs pour proposer aux professionnels de santé des services d’urgence, plus précisément un kit d’urgence pour prendre en charge, en relation avec la police et la justice, les femmes victimes de violences.

À La Réunion, le nombre de plaintes a augmenté, ce qui est bon signe. Cela veut dire que l’omerta et la loi du silence sont en train d’être brisées. Le nombre de femmes hébergées a augmenté de 25 % depuis 2013.

Vous le voyez, madame la députée, le Gouvernement agit. Il a besoin de votre soutien. Il sait pouvoir compter sur vous pour l’appuyer dans cette indispensable mobilisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Loi Montagne

M. le président. La parole est à M. Laurent Wauquiez, pour le groupe Les Républicains.

M. Laurent Wauquiez. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Je voudrais y associer les nombreux parlementaires élus de la montagne, notamment Mme Battistel, secrétaire générale de l’ANEM, l’Association nationale des élus de montagne.

La Montagne est inquiète. Elle voit s’amonceler des nuages noirs : remise en cause des finances locales, recul de l’aménagement du territoire avec l’effritement des zones de revitalisation rurale, grandes intercommunalités où les normes sont diluées, des normes faites, d’ailleurs, pour les métropoles urbaines et de plus en plus inadaptées à nos vallées.

À cela s’ajoutent des problématiques très quotidiennes : couverture en téléphonie mobile, accès à internet, accès à la santé, inquiétude de l’ensemble du monde agricole, avec, plus récemment, une saison hivernale marquée par un manque crucial de neige. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Pour certaines petites stations, notamment à Noël…

M. Pascal Terrasse. Que fait le Premier ministre ? (Nouvelles exclamations.)

M. le président. S’il vous plaît !

M. Laurent Wauquiez. Messieurs, j’espère que vous connaissez suffisamment la réalité des stations pour savoir que le chiffre d’affaires a chuté d’au moins 20 % à Noël !

La montagne, vous le savez, est une terre de dynamisme et d’énergie. C’est une chance pour la France, mais il faut en prendre soin, et adopter de nouvelles mesures. Un acte II de la loi Montagne est attendu.

Monsieur le Premier ministre, vous avez pris – je ne doute pas que cela appelle un peu plus de calme dans vos rangs – à Chambéry, en octobre 2014 – oui, en octobre 2014, il y a plus d’un an – l’engagement de cette loi Montagne.

Nous avons eu depuis lors un rapport remarquable de nos collègues Annie Genevard et Bernadette Laclais. À Chamonix, en septembre 2015, vous aviez à nouveau promis. Depuis, plus rien.

Pour les montagnards, une parole donnée doit être une parole tenue. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. S’il vous plaît…

M. Laurent Wauquiez. Cette loi doit être inscrite avant l’été. Il y a urgence. La montagne attend. Vous pouvez avoir notre soutien, mais il faut maintenant non plus des paroles mais des résultats et un calendrier. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

Mes chers collègues, je vous prie de retrouver votre calme.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur le député, je regrette le ton polémique de votre question (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.) sur ce sujet important qu’est l’aménagement des territoires de montagne.

Vous aviez une autre attitude le 25 septembre, à Chamonix, quand vous avez salué la feuille de route ambitieuse présentée par le Premier ministre, qui veut répondre très concrètement et efficacement aux préoccupations que vous avez exprimées, comme l’accès aux services publics de santé ou à la couverture numérique.

D’ailleurs, un certain nombre de ces mesures sont déjà opérationnelles. Elles ont été portées dans certains textes par mes collègues, notamment au sein de la loi pour une République numérique ou de la loi Santé.

D’autres sont en cours de déploiement. Vous le savez bien, puisque la commission permanente du Conseil national de la montagne, régulièrement consultée, fait part de ses propositions.

Je regrette, monsieur le député, que, lorsqu’on vous consulte afin d’élaborer des schémas importants pour l’aménagement du territoire et pour le développement durable, vous ne répondiez pas aux invitations du Gouvernement, qui souhaite préparer la manière dont seront déclinées concrètement des propositions importantes pour ces territoires. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste)



Ces propositions tiendront compte de la spécificité des territoires, car tel était l’objet du CNM : permettre l’aménagement durable de la montagne.

Des mesures seront prises. Je pense notamment à la réhabilitation du dispositif Censi-Bouvard pour la rénovation de l’immobilier de loisir. D’autres concernent d’autres sujets, que vous connaissez fort bien.

Oui, le Gouvernement est mobilisé pour les territoires de montagne comme pour l’ensemble des territoires de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Risques sanitaires liés aux pesticides

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour le groupe écologiste.

M. François-Michel Lambert. Madame la ministre de l’écologie, un documentaire sur les pesticides, diffusé hier soir, a sans doute constitué une inquiétante révélation pour nombre de téléspectateurs. Pour nous parlementaires et, plus encore, pour nous écologistes, cette enquête est sans surprise. Mais la stupéfaction qu’éprouve encore le grand public prouve que nous n’avons pas été assez pédagogues.

Nous savions. Et c’est bien parce que nous savions que nous avons collectivement commencé à agir, concrètement. Depuis 2012, l’Assemblée nationale a examiné plusieurs dispositions à ce sujet, comme la proposition de Brigitte Allain sur l’encadrement et l’extinction programmée de l’utilisation des produits phytosanitaires dans les zones non agricoles.

Avec la loi sur l’agriculture, nous avons engagé une transition vers l’agroécologie ; je tiens d’ailleurs à saluer l’action de M. le ministre de l’agriculture. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) À cet égard, je veux rappeler que les pesticides tuent, en premier lieu des agriculteurs et des enfants.

Mme Delphine Batho. Absolument !

M. François-Michel Lambert. Plus récemment, nous avons procédé à une transposition ambitieuse et protectrice du droit de l’Union européenne dans le domaine des risques liés aux pesticides. Le groupe écologiste a déposé avec succès, et je remercie ceux de nos collègues qui les ont votés, un grand nombre d’amendements qui encadrent les autorisations d’utilisation de produits dangereux et pesticides.

La prise de conscience est là, des mesures sont élaborées et adoptées, des changements se profilent : oui, une transition est en cours. Mais ce que nous demandent les citoyens, ce n’est pas seulement d’être conscients des risques, ce n’est pas uniquement de programmer la sortie de la pollution, c’est d’accélérer, de réellement les protéger contre les risques sanitaires qui découlent de l’utilisation des pesticides.

Madame la ministre, ma question est simple : comment peut-on accélérer la sortie de l’utilisation intensive des pesticides et autres polluants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le député, vous le savez, le Gouvernement a pris ce problème à bras-le-corps. La représentation nationale aussi, puisque, tant dans la loi de transition énergétique que dans la loi biodiversité, un certain nombre de décisions ont été prises. Je rappellerai l’interdiction de l’épandage aérien des pesticides, l’interdiction de l’utilisation des pesticides en vente libre pour les jardiniers amateurs, ou encore l’interdiction des pesticides dans les espaces publics. Je salue d’ailleurs les milliers de communes qui, à travers le territoire français, se sont engagées dans l’action « terre saine, communes sans pesticides ». Cela leur a permis de prendre conscience que l’on peut bel et bien utiliser des produits de substitution, qui protègent la santé publique.

S’agissant des néonicotinoïdes, sujet sur lequel il va falloir également avancer, j’ai reçu le rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – ANSES – qui, vous le savez, fait des recommandations. Je souhaite que la représentation nationale les suive et vote des dispositions pour faire reculer les néonicotinoïdes, qui portent une atteinte très grave aux pollinisateurs. Avec le ministre de l’agriculture, dans le cadre du plan Écophyto II, nous nous fixons comme objectif de réduire de 50 % les pesticides.

Enfin, s’agissant des perturbateurs endocriniens, vous le savez, j’ai interdit le bisphénol A dans les biberons et dans les emballages. Il va falloir aller plus loin : je pense notamment au bisphénol S. Je souhaite que la Commission européenne – je lui ai écrit à ce propos, avec plusieurs homologues ministres de l’environnement – soit beaucoup plus offensive sur ce sujet. La France, qui bat des records d’utilisation de pesticides, doit devenir le premier pays au monde non seulement pour la fabrication, sur son territoire, de produits de substitution aux pesticides – ce qui créera des emplois dans le cadre de la croissance verte – mais aussi par son exemplarité s’agissant de l’usage de ces produits, en liaison, d’ailleurs, avec le monde agricole, dont je salue les efforts dans ce domaine. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Lutte contre le chômage

M. le président. La parole est à M. Bernard Gérard, pour le groupe Les Républicains.

M. Bernard Gérard. Monsieur le Premier ministre, à l’annonce de la fermeture du laminoir de Vallourec, dans le Nord, qui va entraîner 460 suppressions de postes, les salariés se disent écœurés. Pourtant, nous ne cessons de vous interpeller sur la gravité de la situation sur le front de l’emploi. Malgré une conjoncture économique plus que favorable en France, la croissance peine à redémarrer et le chômage poursuit sa hausse inexorable.

Cela fait plusieurs semaines que plus vous répondez à nos questions, moins nous sommes rassurés – et derrière nous, plus les Français, dans nos territoires, s’inquiètent. Il est temps que vous vous posiez les bonnes questions. Pourquoi avons-nous en France le droit du travail le plus protecteur et le taux de chômage le plus élevé, quand partout ailleurs le chômage régresse ? Parce que vos politiques ne créent pas de croissance. Vous n’êtes plus en stage de formation, monsieur le Premier ministre. Ce ne sont pas les autres qui sont responsables, c’est vous, votre équipe et votre politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

La situation se dégrade, et vous continuez à constater chaque mois la hausse du nombre de chômeurs : plus 15 800 en catégorie A le mois dernier. Vous continuez à constater l’effondrement du nombre d’entrées en apprentissage : -10,7 % depuis 2012. Vous continuez à alimenter la presse de déclarations contradictoires sur le temps de travail, sur le code du travail, sur des prétendus plans emploi, mais sans jamais engager de réforme structurelle. Grand diseux, petit faiseux, disons-nous dans le Nord…

Pour embaucher, les entreprises ont besoin de vitalité et de sécurité. Regardez l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne : elles, elles apportent de la croissance à leur économie, par des réformes d’ampleur et courageuses !

La réalité, c’est que vous êtes surtout préoccupé à manipuler les statistiques du chômage, à sortir 500 000 demandeurs d’emploi des chiffres officiels pour un coût exorbitant de 2 milliards d’euros. Jusqu’à quand, monsieur le Premier ministre, allez-vous attendre pour engager les réformes structurelles nécessaires ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, votre question recouvre plusieurs réalités. D’abord, s’agissant de la stratégie économique et des politiques pour l’emploi qui sont conduites, il faudrait bien plus de deux minutes pour répondre à tous les sujets que vous avez soulevés.

M. Christian Jacob. Eh oui !

M. Emmanuel Macron, ministre. Il faut d’abord rappeler que l’histoire de notre politique économique ne commence pas en 2012, que cela nous plaise ou non. Il est vrai que plusieurs pays ont effectué des réformes, pour certains d’entre eux il y a dix ans. Vous étiez aux affaires : que ne les avez-vous faites alors ? (« Oh ! Arrêtez ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

M. Emmanuel Macron, ministre. La réalité, c’est qu’un tissu économique se transforme lentement.

M. Philippe Le Ray. Cela fait quatre ans que vous êtes au pouvoir !

M. Emmanuel Macron, ministre. Qu’avons-nous fait depuis 2012 ? Nous avons d’abord baissé le coût du travail, ce qui était une nécessité pour la compétitivité-coût. Ensuite, grâce aux lois portées l’année dernière, nous avons commencé à investir, à monter en capacité pour innover et gagner en flexibilité. Myriam El Khomri poursuivra dans ce sens dans les prochaines semaines, avec son projet de loi.

M. Marc Le Fur. Et Macron 2, quand est-ce que ça vient ?

M. Emmanuel Macron, ministre. À l’appui de votre question, vous citez le cas de Vallourec. Mais de quoi s’agit-il ? D’un problème de cycle économique, ni plus ni moins, c’est-à-dire de la conjonction de la crise du secteur pétrolier et parapétrolier et du dumping chinois sur la sidérurgie. Ce n’est pas un sujet macroéconomique lié au droit du travail français, c’est un sujet sectoriel. Face à cela, quelles sont nos réponses ? Premièrement, une action forte contre les mesures de dumping chinoises, que nous allons poursuivre avec Matthias Fekl dans les prochains jours. Deuxièmement, une politique industrielle à la hauteur du défi auquel fait face Vallourec : il faut lui permettre de se réorganiser, à travers des restructurations, il faut un accompagnement de tous les territoires, une recapitalisation du groupe, dans laquelle l’État prend sa part de responsabilité…

M. Marc Le Fur. C’est du bla-bla !

M. Emmanuel Macron, ministre. …et une stratégie industrielle pour préparer l’avenir. C’est cela, une politique industrielle ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Relations avec Cuba

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Victorin Lurel. Ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international. Elle porte sur les relations entre la France et Cuba.

Le président Raul Castro Ruz est en visite d’État en France depuis lundi dernier. C’est un événement historique et symbolique ; historique parce qu’il intervient un an après la visite, tout autant historique, du président François Hollande à Cuba et en Haïti, symbolique parce qu’il survient moins d’un an après le rétablissement des relations diplomatiques avec les États-Unis et la levée des sanctions infligées aux entreprises, notamment françaises, qui ont commercé avec l’île.

Cette visite a une résonance particulière dans les régions françaises de la Caraïbe. Les liens historiques et l’amitié avec le peuple cubain sont connus, leur inspiration est d’ailleurs souvent partagée.

Au terme de cette visite, monsieur le ministre, j’aimerais savoir quelles sont les perspectives de développement de nos relations économiques, culturelles, universitaires et médicales avec Cuba, et quelle place pourrait être réservée aux régions françaises de la Caraïbe. Quelles sont en outre les initiatives que la France a prises ou compte prendre pour accompagner Cuba autant que possible vers la voie démocratique ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le député Victorin Lurel, dans certaines régions du monde, la guerre froide a mis beaucoup trop de temps à prendre fin ; ce fut le cas pour Cuba. Notre rôle est de contribuer aujourd’hui à tourner cette page et à ouvrir de nouvelles perspectives pour le peuple cubain. On peut donc dire, dans cet esprit, que la visite d’État du président Raul Castro Ruz a constitué une première en Europe après celle du Président de la République il y a quelques mois à Cuba.

Cuba est entré dans une phase nouvelle de son histoire et le rôle de la France est de favoriser cette nouvelle étape. La visite réussie du président cubain a également permis, c’est le sens de votre question, de fixer des objectifs très concrets. Nous avons établi une feuille de route pour nos échanges économiques. Nous avons contribué à régler la question, angoissante, de la dette.

M. Marc Le Fur. 4,6 milliards !

M. Laurent Fabius, ministre. Nous avons signé des accords dans le domaine du tourisme, du commerce équitable, des transports ferroviaires. Nous avons aussi passé des accords en matière culturelle, et nous avons bien sûr évoqué la question des droits de l’homme, sur laquelle nous avons des divergences.

S’agissant de l’embargo américain, nous en demandons la levée depuis longtemps et le Président de la République l’a rappelé avec force.

Au-delà de Cuba, c’est toute notre politique en Amérique latine qui est concernée. Nous sommes liés à ce continent d’une manière particulière puisque nous y sommes présents au travers de nos territoires et de nos départements de la Caraïbe.

Je dirai un dernier mot qui, j’en suis sûr, intéressera chacun d’entre vous, mesdames, messieurs les députés. En 1870, Victor Hugo avait adressé une lettre aux femmes de Cuba, une lettre magnifique à propos de la lutte, de l’insurrection contre le colonisateur espagnol. En voici un extrait : « Aucune nation n’a le droit de poser son ongle sur l’autre […]. Un peuple ne possède pas plus un autre peuple qu’un homme ne possède un autre homme. […] la magnifique Cuba se dressera un jour libre et souveraine parmi ses sœurs augustes, les républiques d’Amérique. » C’est toujours notre politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Nouvelle carte intercommunale

M. le président. La parole est à M. Francis Hillmeyer, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Francis Hillmeyer. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

La loi NOTRe, loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, instaure de nouvelles règles en matière de regroupements intercommunaux, principalement un seuil de 15 000 habitants, assorti de quelques règles dérogatoires. Ces intercommunalités devront s’organiser autour d’un nouveau bassin de vie. Certaines intercommunalités aux ressources suffisantes et au fonctionnement satisfaisant seront ainsi contraintes, contre la volonté des populations et de leurs élus, de fusionner avec plus grande qu’elles. L’élaboration des schémas départementaux de coopération intercommunale rencontre par conséquent de réels obstacles. De nombreuses dissensions se sont fait jour dans de nombreuses communautés de communes, telles que la Communauté de communes Porte de France Rhin-Sud, dans ma circonscription, qui pourrait éclater en trois directions.

Je suis, à l’instar de nombreux collègues, convaincu de la nécessité de respecter les libertés locales, condition indispensable à la réussite de ces nouvelles intercommunalités. Or, la loi prévoit que ces fusions seront prononcées à marche forcée par arrêté d’ici un mois par le représentant de l’État dans le département, pour une application au 1er janvier 2017. L’Association des maires de France s’en inquiète et vous en a saisie, madame la ministre. Quant aux élus locaux, qui s’appuient sur la légitimité des urnes pour décider du sort de leur commune, ils sont révoltés par cette perspective.

La recherche d’un consensus s’avère par conséquent indispensable pour mieux réussir la carte intercommunale de la France de demain, et je vous demande à cette fin d’accorder un délai supplémentaire aux élus pour leur permettre de mieux appréhender les enjeux des nouvelles intercommunalités en repoussant la date butoir au 1erjanvier 2018. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le député Hillmeyer, il est vrai que la transition n’est pas facile, mais la loi à laquelle vous faites référence a été votée par cette assemblée et par la majorité au Sénat.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Pas par nous !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. L’objectif était simple et partagé : lutter contre les doublons, permettre des mutualisations, essayer de répondre aux demandes de nos concitoyens en matière de services en mettant nos forces en commun sur chacun des territoires, afin de garantir une égalité, ou du moins une équité devant le service public. Tel est le fait générateur de cette nouvelle carte intercommunale.

Dans la majorité des départements, les préfets ont présenté un projet qui a été discuté ; quelques cas présentent encore des difficultés. Dans votre département lui-même, le préfet a proposé huit établissements de coopération intercommunale, et une proposition émanant des élus pour un regroupement de sept intercommunalités a été avancée. Le but est en effet de faire mieux, d’être plus rationnel, de mutualiser davantage.

Si je comprends qu’il puisse y avoir des difficultés, j’insiste sur la nécessité de trouver un accord : sur l’invitation bien sentie du Premier ministre, nous avons demandé aux préfets d’éviter de passer outre en cas d’absence d’accord et de faire en sorte qu’il y ait dans la grande majorité des cas un vrai rassemblement autour des schémas arrêtés. Je suis à votre disposition si vous souhaitez modifier à la marge le schéma dans votre département, même si j’évite de jouer les médiateurs entre le préfet, qui fait très bien son travail, et les maires.

En tout état de cause, on ne pourra pas continuer de dire qu’il faut rationaliser la dépense publique et mutualiser les moyens tout en apportant plus de services si, chaque fois qu’on fait un pas dans cette direction, on nous objecte que c’est insuffisant. Il me semble qu’il faut appliquer ce qui est inscrit dans cette loi, car c’est le bon chemin vers la réduction de la dépense publique. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Finances départementales

M. le président. La parole est à M. Éric Straumann, pour le groupe Les Républicains.

M. Éric Straumann. Monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé ici même, le 8 avril 2014, la suppression des conseils départementaux. Depuis, vous avez créé des méga-régions dépourvues de cohérence, en ignorant le besoin de proximité.

M. Jean Lassalle. Bravo !

M. Éric Straumann. Les conseils départementaux sont toujours là, mais vidés de leurs moyens financiers en raison de la baisse des dotations de l’État et de l’explosion des dépenses sociales, en particulier le RSA, devenu une charge insurmontable.

M. Jean Lassalle. Hélas !

M. Pascal Popelin. Rappelons qui l’a transféré aux départements !

M. Éric Straumann. La situation aurait pu être rétablie si la promesse du candidat Hollande de faire baisser le chômage avait été tenue. Mais le nombre de sans-emplois ne cesse d’augmenter et atteint dans le département du Haut-Rhin où je suis élu un taux record de 10,1 %, inédit depuis la Libération.

Le Conseil départemental du Bas-Rhin est stigmatisé car il ne peut plus, faute de moyens, financer l’hébergement d’urgence, qui est pourtant une compétence de l’État. De nombreux départements sont désormais en cessation de paiement, dans l’indifférence générale de nos gouvernants.

M. Jean Lassalle. Eh oui !

M. Éric Straumann. Vous avez évoqué la renationalisation du RSA, monsieur le Premier ministre, mais cette proposition est toujours lettre morte à l’heure des discussions budgétaire dans les départements. Ma question est simple : voulez-vous toujours la mort des conseils départementaux promise en 2014 ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean Glavany. Facile !

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Vous savez très bien, monsieur le député, que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a reconnu en 2013, pour la première fois, que l’État n’a pas fait droit aux demandes de financement des allocations individuelles de solidarité émises par les départements. Depuis 2013, un financement supplémentaire de 1,6 milliard d’euros a été octroyé chaque année aux départements, même si nous avons reconnu ensemble que cela ne nous mettait pas à l’étiage de la dépense.

Le Premier ministre, Manuel Valls, constatant que, malgré ce financement supplémentaire, certains départements sont encore en difficulté, a formulé deux propositions. Un groupe de travail a été créé (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains) avec l’Assemblée des départements de France afin de déterminer s’il faut…(Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Furst. Quatre ans !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’est important ! On ne peut rien décider sans travailler les sujets sérieusement ! Remonter le RSA au niveau national, cela implique une dépense de l’État et surtout une négociation des ressources auxquelles les départements devraient renoncer. Ce n’est donc pas simple ! Et en attendant le résultat de ce travail collectif, il a été décidé d’apporter une aide de 50 millions d’euros aux dix départements les plus en difficulté. Nous aidons actuellement tous les départements dont l’épargne brute est inférieure à 7,5 %, car il y a là un étiage qu’il ne faut pas dépasser.

Un député du groupe Les Républicains. Ce n’est pas vrai !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Vous pouvez nous aider, monsieur le député, en vous posant avec nous la question du financement de la solidarité envers nos personnes âgées, en difficulté et en situation de handicap.

M. Laurent Furst. Ça fait quatre ans que vous êtes là !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Doit-on faire appel à la solidarité départementale ou à la solidarité nationale ? Tel est le débat public ouvert à la fois par ce groupe de travail et par la mission parlementaire confiée à Christophe Sirugue. C’est un grand sujet que la solidarité, et j’espère que nous pourrons le traiter ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Délinquance des mineurs en Nouvelle-Calédonie

M. le président. La parole est à Mme Sonia Lagarde, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

Mme Sonia Lagarde. Monsieur le garde des sceaux, je sais tout l’intérêt que vous portez à la Nouvelle-Calédonie. À la veille du comité des signataires de l’accord de Nouméa, je tiens à vous faire part de toute mon inquiétude, en qualité de maire de Nouméa, à propos de la montée d’une délinquance de plus en plus juvénile, sévissant dans la capitale comme sur le reste du territoire. Les chiffres ont atteint en 2015 un record. Les cambriolages ont augmenté de 71 % par rapport à 2014 et le pourcentage des mineurs mis en cause passe de 21 % à 26 %. La consommation de cannabis augmente de 139 %, les incendies volontaires de 48 %, et je ne parle pas du fléau de l’alcool. Il faut évidemment intensifier les actions de prévention, mais le quartier des mineurs de la prison du Camp Est ne compte que quatorze places. Bien souvent, les juges ne peuvent que laisser en liberté des mineurs multirécidivistes.

Le sentiment d’impunité est fort, parmi les policiers et les gendarmes mais aussi parmi les Calédoniens, de plus en plus excédés par cette situation qu’ils refusent de considérer comme une fatalité. Les forces de l’ordre sont devenues la cible de bandes organisées. Dix-sept gendarmes ont été blessés par caillassage en 2014, trente-cinq en 2015. Un gendarme blessé tous les trois jours ! Le procureur de la République à Nouméa vient de déclarer que compte tenu de la violence des agressions, il est « miraculeux qu’aucun gendarme n’ait perdu la vie ». Dès lors, ma question est simple : l’État est-il prêt à envisager l’extension du quartier des mineurs de la prison du Camp Est, pleinement justifiée face à l’inacceptable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous adresse tout d’abord un double merci, madame la députée-maire de Nouméa. Merci de m’offrir ce baptême de questions au Gouvernement. Nous sommes dorénavant indissociablement liés dans cet exercice et je vous considérerai comme ma marraine de bienveillance ! (Sourires.) La députée d’opposition que vous êtes trouvera toujours chez moi le respect que doit le Gouvernement à l’opposition comme à la majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe Les Républicains.)

Vous me permettrez ensuite de saisir l’occasion de cette question pour condamner l’agression dont a été victime il y a quelques jours un surveillant de la prison du Camp Est, agressé par plusieurs détenus sortis de leurs cellules.

Un député du groupe Les Républicains. Il fallait le défendre !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Haut-commissaire de la République a déjà indiqué qu’il évaluera les moyens nécessaires pour garantir les conditions de travail que sont en droit de demander les surveillants d’établissements pénitentiaires.

Au sujet de la délinquance des mineurs, j’ai évidemment regardé les chiffres, même si j’ai aussi eu le privilège de visiter votre territoire à de multiples reprises. Tout d’abord, autorités territoriales et Gouvernement agissent ensemble. Les compétences en matière de prévention et de répression sont réparties.

En matière de répression, vous avez rappelé les chiffres. Ils sont certes inquiétants, même si le pourcentage d’infractions commises par des mineurs est stabilisé depuis dix ans à 23 %. Ce qui est inquiétant, c’est le rajeunissement des délinquants : l’âge moyen est de quatorze ou quinze ans, en raison des phénomènes de bande qui président au passage à l’acte. Je ne peux pour autant vous laisser dire, madame la députée, que la capacité de la prison du Camp Est est insuffisante. Le quartier des mineurs compte dix-huit places, et non quatorze, pour quatorze détenus actuellement, treize le mois dernier et douze le mois précédent. Il n’est donc pas en sureffectif. Il faut néanmoins être vigilant et vous savez pouvoir compter sur ma disponibilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Application de la loi « macron »

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour le groupe Les Républicains.

M. Lionel Tardy. Monsieur le ministre de l’économie, la loi qui porte votre nom devait être la loi du siècle, le remède miracle contre le chômage et pour la croissance. Or, libéralisation du transport par autocar mise à part, le bilan est bien maigre : un chômage qui ne cesse d’augmenter ; une prévision de croissance encore revue à la baisse par le FMI il y a quinze jours.

Six mois après la promulgation de la loi, seulement un tiers des 84 décrets d’application a été publié. Un comble pour une loi qui était selon vous urgente, au point qu’il fallait utiliser le 49-3 pour mettre fin aux débats ! Et quand ils sont parus, ou sur le point de l’être, ces décrets sont d’une complexité ahurissante !

J’en veux pour preuve l’avant-projet relatif aux tarifs de certains professionnels du droit. Long de 36 pages – sans compter les annexes –, il est par endroits d’une complexité que seuls les gouvernements cubain et nord coréen nous envient.

Ainsi, le paragraphe III prévoit une évaluation de la rémunération « raisonnable », basée sur un chiffre d’affaires « prévisionnel ». Trois formules mathématiques sont même prévues pour calculer cette rémunération raisonnable, appelée R.

Ainsi, R  = a x Tu x CA r, ou encore R  = a x Tu x (C + R ), ou enfin R  = (a x Tu x C) / (1 - a x Tu) ! (Sourires.)

Un député du groupe Les Républicains. Personne ne s’en sortira !

M. Lionel Tardy. Ce n’est malheureusement pas une blague, monsieur le ministre ! Des décrets d’application qui tardent et viennent complexifier la vie des entreprises, voilà le résultat de votre loi ! Au lieu de s’acharner sur une réforme constitutionnelle symbolique, le Gouvernement réalisera-t-il enfin que l’état d’urgence est avant tout économique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, pour avoir beaucoup contribué – parfois nuitamment – à ce texte, vous savez qu’il vaut mieux que ce que vous en dites. Je n’ai jamais prétendu – et je ne le ferai jamais – qu’une loi puisse changer l’économie. Elle contribue au changement, mais c’est la mobilisation collective, au-delà, qui compte. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Permettez-moi, mesdames, messieurs les députés, d’apporter une réponse précise à cette question précise : 60 % des dispositions contenues dans ce texte étaient d’application immédiate. S’agissant des 40 % qui nécessitent un décret d’application, je vous confirme qu’à l’issue des six mois qui suivent la promulgation de ce texte, 80 % des décrets seront publiés par les ministères. Vous verrez !

J’ai été auditionné à deux reprises par la mission de suivi présidée par Richard Ferrand, et apporté les explications nécessaires. Comme je m’y étais engagé, cette mission s’est vu remettre les documents au même moment que le Conseil d’État. Fin février, début mars, je ferai un nouveau point d’étape avec les parlementaires membres des commissions spéciales, ainsi que je l’avais fait fin 2015. Que l’on me cite beaucoup d’exercices législatifs qui ont fait preuve d’une même transparence et d’un tel suivi, où autant de décrets ont été publiés dans un délai aussi bref !

Vous évoquez le cas particulier des tarifs des offices notariaux. Ce qui compte, ce sont les arrêtés qui seront pris.

M. François Vannson. Ce sont surtout les actes !

M. Emmanuel Macron, ministre. Aujourd’hui, on dénombre 600 tarifs. Cette loi ne les a pas créés ; elle a simplement rendu objectif le mécanisme tarifaire. Celui-ci était jusqu’alors beaucoup plus arbitraire, et avait conduit à des dysfonctionnements : ainsi, les tarifs proportionnels se sont envolés avec le marché immobilier. Monsieur le député, on peut toujours trouver des textes qui donnent le sentiment de la complexité ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Lutte contre le financement du terrorisme

M. le président. La parole est à M. Jacques Cresta, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jacques Cresta. Monsieur le ministre des finances, face au terrorisme, nos démocraties doivent mettre en œuvre des réponses diversifiées pour assurer la sécurité de nos concitoyens : à l’intérieur, sécurisation du territoire national et démantèlement des cellules ; à l’extérieur, constitution d’une large coalition internationale contre le djihadisme.

À travers la mission d’information sur les moyens de Daech ou la prochaine commission d’enquête sur la lutte contre le terrorisme, l’Assemblée nationale explore de nouvelles pistes pour améliorer l’efficacité de notre riposte.

Une dimension particulièrement importante de notre stratégie peut et doit porter sur les circuits de financement du terrorisme. La France a alerté très tôt ses partenaires européens sur l’inventivité des terroristes dans ce domaine, qui cherchent, là aussi, à profiter de la moindre vulnérabilité de notre part.

Mes chers collègues, le plan d’action dévoilé hier par la Commission européenne pour renforcer la lutte contre le financement du terrorisme va dans la direction voulue par notre pays : coopération des cellules de renseignement financier pour traquer les flux suspects ; encadrement et contrôle des transactions par cartes prépayées ou via des monnaies virtuelles ; meilleure coordination interétatique pour favoriser le gel des avoirs suspects ; lutte contre le trafic d’œuvres d’art et de biens culturels, issus notamment de la destruction de Palmyre.

Monsieur le ministre, dans notre guerre contre Daech, la lutte contre le financement du terrorisme aura une dimension déterminante. Nous pouvons nous féliciter des mesures annoncées : elles correspondent aux attentes de la France. Pouvez-vous nous indiquer le calendrier de leur mise en œuvre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le député, vous l’avez dit avec force et pertinence : la lutte contre le terrorisme, c’est aussi la lutte contre le financement du terrorisme. Il s’agit d’abord de lutter contre le financement de groupes comme Daech, sur le territoire qu’ils occupent, en s’attaquant aux trafics de pétrole ou d’œuvres d’art. Il s’agit aussi de lutter contre le financement des groupes qui commettent des actes de terrorisme meurtriers sur notre territoire, et ailleurs dans le monde. Pour ce faire, il nous faut combattre les moyens qui permettent, anonymement, par de petites sommes parfois, de financer des actes aussi terribles.

Pour être efficaces, nous devons agir au niveau national, européen et international. Ce matin même, nous avons présenté au Conseil des ministres un texte qui porte sur de nombreux aspects de la lutte contre le terrorisme, notamment de son financement. Tracfin, l’organisme de renseignement financier, verra ses moyens juridiques et matériels renforcés. Nous limiterons l’utilisation de ces cartes prépayées qui, malheureusement, ont été utilisées par un certain nombre de terroristes ces derniers mois. Si nous ne remettons pas en cause leur utilisation, légitime, nous contestons le fait que celle-ci puisse être anonyme. Nous adopterons aussi des dispositions pour lutter contre le trafic des œuvres d’art.

Comme vous l’avez souligné, il est décisif d’agir au niveau européen. La Commission a fait hier d’excellentes propositions, qui vont exactement dans le sens de ce que nous proposons. Nous devons maintenant délibérer vite, le Conseil doit se réunir urgemment pour adopter ces dispositions dans les plus brefs délais ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Réforme territoriale

M. le président. La parole est à M. François de Mazières, pour le groupe Les Républicains.

M. François de Mazières. Monsieur le Premier ministre, la situation financière de nos communes, de nos départements est plus qu’alarmante. Déjà, plusieurs départements ont fait savoir qu’ils n’avaient d’autre choix que d’augmenter leur fiscalité et de baisser leurs subventions aux communes.

Contrairement à ce que vous avez affirmé dans cet hémicycle, l’effort demandé aux collectivités locales n’est pas égal, mais nettement supérieur à celui que s’impose l’État. Il suffit de se référer au rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances. Rien que cela !

L’investissement public s’effondre – il devrait diminuer de 25 % d’ici 2017 – et les entreprises du bâtiment sont obligées de licencier. En mai 2014, vous avez promis que la réforme territoriale permettrait de réaliser entre 12 et 25 milliards d’euros d’économie par an. Où sont-ils ?

Vous avez également affirmé dans cet hémicycle que la création des nouvelles régions générerait plusieurs millions d’économies. Mais, selon un rapport des corps d’inspection de l’État que vous avez mis sous le boisseau, il y aurait plutôt un surcoût de 250 millions d’euros, pour faciliter la mobilité des fonctionnaires.

Monsieur le Premier ministre, il ne faut pas mentir à la représentation nationale. Donnez-nous aujourd’hui les vrais chiffres ! Comment comprendre que votre majorité ait censuré le rapport de notre collègue Sansu…

M. René Dosière. Très bien.

M. François de Mazières. …sur l’impact des baisses de dotations en décembre dernier ? (« Menteurs ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Avez-vous quelque chose à cacher ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Ce rapport dressait un constat, pour nous permettre, pour vous permettre de prendre la mesure des conséquences sur le terrain et d’opérer les ajustements indispensables.

Aussi, monsieur le Premier ministre, quand ferez-vous la lumière sur l’effet réel des baisses de dotations sur les collectivités territoriales ? Allez-vous revoir les baisses annoncées pour 2017 ? Allez-vous remettre à plat le mécanisme de péréquation ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le député, hier soir, devant la commission des finances du Sénat, comme je le ferai très vite, j’en ai parlé avec M. Carrez, devant celle de votre assemblée, j’ai proposé de mettre à plat l’ensemble des chiffres. C’est extrêmement important.

Les disparités entre les territoires sont fortes. Un des premiers moyens de répondre à ces inégalités violentes est sans doute de progresser en termes d’intercommunalité. Nous en sommes d’accord, puisque vous nous avez accompagnés sur cette option.

M. Marc Dolez. Pas nous !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Un autre moyen de lutter contre les disparités est de mutualiser les moyens pour disposer de meilleurs services. Comme vous le savez, toutes les régions ont vu leur produit intérieur brut augmenter. Ce que vous dites sur les dépenses de personnel n’est pas tout à fait juste, monsieur de Mazières, puisque nous avons tenu à inscrire dans la loi certaines propositions, dont un étalement sur sept ans, en tout, de l’alignement des différents régimes indemnitaires. (« Et les économies ? » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Je vous propose donc de mettre à plat, avec vous, l’ensemble des chiffres. Nous constaterons, en effet, que certaines communes se portent mieux que d’autres. Afin de répondre à cette question, j’ai proposé, au nom du Gouvernement, une révision de la dotation globale de fonctionnement, dont personne, à l’heure actuelle, ne peut comprendre les critères de répartition. Il nous faut des critères clairs, des critères justes – la ruralité, la centralité, par exemple.

Je suis à votre disposition, chiffres en main, pour en discuter avec vous, devant la commission des finances.

Économie bleue

M. le président. La parole est à M. Arnaud Leroy, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Arnaud Leroy. Monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, je saisis d’abord cette occasion pour saluer le succès de l’opération de remorquage du Modern Express. Le navire est maintenant arrivé à bon port, à Bilbao : j’en félicite l’ensemble des équipes.

Les discussions sur la proposition de loi pour l’économie bleue ont commencé hier et se prolongeront cet après-midi dans notre hémicycle. Comme vous le savez, l’ensemble du monde maritime est particulièrement attentif à ce texte.

L’objectif de cette proposition est avant tout de relancer l’économie maritime et de soutenir nos entreprises et les emplois dans l’économie bleue, dans tous les secteurs – j’insiste sur ce point – et dans un souci de préservation du milieu naturel. C’est cela, le développement durable.

Avec les dispositions votées depuis hier, la majorité a envoyé un signal fort au monde de la mer. Mais, malgré tous ces apports, il reste encore beaucoup à faire pour tirer le maximum de nos atouts, de nos savoir-faire, en France métropolitaine comme dans les outre-mer.

Comme nous avons pu le voir hier, ce constat est partagé sur l’ensemble des bancs de cet hémicycle. Il en est ainsi du domaine portuaire : nous avons besoin d’un véritable plan Marshall portuaire. Et il ne s’agit pas que de questions budgétaires, monsieur le secrétaire d’État. Il faut surtout développer une vraie stratégie. Notre stratégie nationale manque de clarté, et le chantier du canal Seine-Nord nous impose ce rendez-vous, afin de ne pas pénaliser nos ports nationaux.

Je salue donc, dans cet esprit, les missions que vous avez lancées hier avec le Premier ministre sur les logiques d’axes. Sans des ports performants dans la manutention comme dans la logistique, nous nous priverons d’appuis vitaux dans la réindustrialisation de notre pays.

Aussi, pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous décrire les actions engagées depuis le comité interministériel de la mer d’octobre dernier, dans le domaine maritime ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le député, la croissance bleue constitue un formidable vivier de création de valeur, d’emplois et d’attractivité. Elle représente, pour la France, 69 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 300 000 emplois.

Votre proposition de loi, monsieur le député – je salue à ce titre votre investissement personnel et la qualité de votre travail – s’inscrit dans la dynamique du dernier comité interministériel de la mer, qui s’est tenu à Boulogne-sur-Mer, au cours duquel le Premier ministre a fait certaines propositions.

Comme vous venez de l’évoquer, monsieur le député, nous mettons en œuvre ces propositions pour les grands ports maritimes. Il s’agit notamment des fonds des contrats État-région, mais aussi de la désignation récente de six parlementaires, trois de la majorité et trois de l’opposition, qui seront chargés de répondre à la question majeure du lien entre nos grands ports et les territoires. Cette question est très importante pour le développement de l’attractivité de la France. En outre, des réponses sont attendues s’agissant de la mise en œuvre de l’autoliquidation de la TVA.

La deuxième préoccupation importante du Gouvernement réside dans le renouvellement de la flotte de commerce. Comme vous le savez, sans entrer dans des précisions techniques, il y a un dispositif, notamment en matière d’assurances, qui permettra de favoriser la construction en France. La filière de la pêche est également importante. Mais la mer, territoire de production, est aussi un territoire à protéger : il faut donc aussi évoquer les dispositions inscrites dans le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, présenté par Ségolène Royal.

La mer, c’est à la fois une ressource, un investissement et un domaine qu’il convient de protéger. Je remercie à cet égard l’ensemble des élus, sur tous les bancs, qui s’investissent dans ce débat : l’adoption de votre proposition de loi, monsieur le député, marquera une étape importante dans la politique maritime de la France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Laurence Dumont.)

Présidence de Mme Laurence Dumont

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

2

Économie bleue

Suite de la discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi de MM. Bruno Le Roux, Arnaud Leroy et Jean-Paul Chanteguet et plusieurs de leurs collègues pour l’économie bleue (nos 2964, 3178, 3170).

Discussion des articles (suite)

Mme la présidente. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles de la proposition de loi, s’arrêtant à l’article 13.

Article 13

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, pour soutenir l’amendement n143.

M. Arnaud Leroy, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, cet amendement vise à assurer la cohérence entre l’article 13 et l’article 15, qui distingue les filières des pêches maritimes et de l’aquaculture.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, pour donner l’avis du Gouvernement sur cet amendement.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Favorable.

(L’amendement n143 est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 144 et 145, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Arnaud Leroy, pour les soutenir.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Ils ont le même objet que l’amendement précédent.

(Les amendements nos 144 et 145, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, pour soutenir l’amendement n146.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Amendement de précision.

(L’amendement n146, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 13, amendé, est adopté.)

Après l’article 13

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 193 et 41, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Patrice Carvalho, pour soutenir l’amendement n193.

M. Patrice Carvalho. Nous reprenons ici à notre compte un amendement déposé par nos collègues écologistes lors de l’examen du texte en commission.

Il s’agit d’un amendement d’appel, car il serait nécessaire de préciser la nature des effluents et rejets polluants. Tous n’ont pas le même impact sur l’environnement. L’aquaculture n’est pas nécessairement nocive : un élevage de poissons peut même être un facteur de protection du milieu, dans la mesure où il dépend de la qualité de l’eau. Un élevage de saumons en cage peut être bénéfique par ses apports en nutriments dans un écosystème pauvre, ou au contraire entraîner, par son intensification, une grave pollution du milieu.

Ce dont nous devons nous prémunir, c’est de l’utilisation des produits chimiques, des engrais et des antibiotiques nocifs. Nous devons également éviter la course à la compétitivité et le développement d’une aquaculture intensive, qui nous conduira nécessairement dans le mur.

Selon le dernier rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, la production aquacole devrait continuer à augmenter de plus de 4 % par an jusqu’en 2022. Cette croissance rapide est une opportunité économique, mais aussi un risque : en effet, plus l’élevage industriel se développe, plus son impact potentiel sur l’environnement et les populations locales est grand. C’est pourquoi nous souhaitons que la demande croissante de produits aquacoles s’accompagne de la généralisation des procédures de certification environnementale des exploitations.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Bleunven, pour soutenir l’amendement n41.

M. Jean-Luc Bleunven. Je confirme les propos de M. Carvalho : le développement de l’aquaculture est conditionné par un environnement très favorable. Nous devons absolument nous prémunir de ces fuites d’antibiotiques, de pesticides et d’animaux génétiquement sélectionnés. Il est indispensable de mettre en place un contrôle des effluents et des rejets des fermes aquacoles, qui sont appelées à se développer.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Défavorable. Permettez-moi de faire un peu de publicité : ceux d’entre vous qui sont intéressés par l’économie maritime pourront lire le numéro de cette semaine du Marin, l’hebdomadaire de l’économie maritime, qui traite de la question de l’aquaculture. Ils apprendront que ce secteur se développe partout en Europe, sauf en France.

Dans le cadre de cette proposition de loi, notamment en son titre II, j’ai travaillé avec le Gouvernement pour donner un coup d’accélérateur à l’aquaculture. Nous ne ferons pas comme au far west : nous procéderons aux contrôles nécessaires, et des autorisations devront être demandées. Cependant, comme M. le secrétaire d’État l’a dit hier, nous devons faire attention à ne pas jeter la suspicion en permanence sur ce secteur. Des normes existent, et nous avons les moyens de les contrôler : j’appelle donc à une présomption de confiance concernant le développement de ces activités.

M. Philippe Le Ray. Très bien !

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Vous avez évoqué le défi alimentaire auquel nous sommes confrontés. Les Français veulent de plus en plus de poisson ; or on en pêche de moins en moins, pour les raisons que l’on connaît. Il faudra donc trouver une source alternative.

J’appelle à la retenue sur la question de l’aquaculture. Ne jetons pas la suspicion sur une filière qui produit, bon an mal an, 7 000 tonnes de poisson aujourd’hui en France, et à qui on a donné l’objectif de produire 12 000 tonnes. Donnons-lui en les moyens. Les contrôles existent dans notre pays : allons de l’avant, dans la confiance.

M. Patrice Carvalho. Le contrôle n’exclut pas la confiance !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. L’équation est assez simple. Je pars d’un constat : aujourd’hui, la France importe 50 % de sa consommation de poisson. La contribution – si j’ose dire – de la filière aquacole au déficit du commerce extérieur est de 3,6 milliards d’euros chaque année : c’est l’un des postes les plus importants.

Bien sûr, nous défendons tous la politique commune de la pêche, à laquelle la France s’est engagée : ce n’est pas le prélèvement sur les ressources naturelles qui nous permettra de répondre à ce défi. Quelle est donc la solution ? Soit nous nous résolvons à importer des produits de la mer et de la pêche, soit nous décidons de développer l’aquaculture. Cette question est majeure.

Notre pays dispose d’une grande façade maritime, de cours d’eau, d’un savoir-faire, mais il ne développe pas l’aquaculture. Comment est-ce possible ? C’est une vraie question, et les réponses ne sont pas si simples. Même si mon département connaît, depuis les années 1980, un développement très important de l’aquaculture – à partir de rien, d’ailleurs –, je ne peux que constater des difficultés. Les contraintes réglementaires ne sont probablement pas étrangères à cette situation, mais elles ne sont pas la seule explication.

Au fond, les amendements nos 193 et 41 poursuivent un objectif que je peux comprendre, mais qu’apportent-ils de plus ? Ils prévoient que « les fermes aquacoles doivent s’assurer qu’aucun effluent et qu’aucun rejet ne contaminent le milieu aquatique et les populations d’espèces qui y vivent ». Or cette obligation existe déjà. Aujourd’hui, si une ferme aquacole pollue le milieu naturel, des poursuites sont immédiatement engagées. Cela arrive tous les jours. Il n’est donc pas nécessaire d’adopter ces amendements, qui ne constituent absolument pas une réponse, mais plutôt une déclaration d’intention, une pétition de principe qui va être mal reçue.

Avec Ségolène Royal et Stéphane Le Foll, nous avons mis en place un plan de progrès avec les professionnels, qui partagent cette exigence. Pour ce faire, nous avons mobilisé par circulaire l’ensemble des préfets. L’objectif est donc totalement partagé.

Les amendements nos 193 et 41 sont déjà satisfaits par le droit positif. Lorsque vous exercez une activité piscicole, vous ne pouvez évidemment pas polluer le milieu naturel, sinon vous êtes poursuivis. C’est le b.a.-ba ! De nombreuses réglementations existent : il n’est donc pas raisonnable d’en adopter d’autres aujourd’hui, pour les raisons de fond que j’ai évoquées. Nous avons besoin de développer l’aquaculture, tout en nous demandant pourquoi elle progresse si lentement dans notre pays.

Ces amendements n’apportent rien en matière de protection de l’environnement, et ils ne s’inscrivent pas dans la démarche actuelle, qui est largement partagée. Je souhaite donc qu’ils soient retirés ; à défaut, je leur donnerai un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Le Ray.

M. Philippe Le Ray. De même que mes collègues du groupe Les Républicains, je partage l’avis de M. le rapporteur et de M. le secrétaire d’État. Nous partageons l’objectif poursuivi par les auteurs de ces amendements, et nous sommes assez nombreux ici à bien connaître la production aquacole, laquelle est très difficile à mettre en œuvre.

Je connais personnellement un certain nombre de producteurs. Quand ils utilisent un antibiotique ou une source alimentaire particulière, pendant un moment très court, ils ne le font pas de gaieté de cœur, mais dans des conditions extrêmement contrôlées et souvent en accord avec les services de l’État. Les amendements que nous examinons sont extrêmement violents. Jean-Luc Bleunven, qui connaît bien le secteur aquacole, sait très bien que ces produits ne sont pas utilisés au petit bonheur la chance.

Cette proposition de loi doit nous permettre d’envoyer un signe fort aux producteurs et aux futurs producteurs. Il ne sera pas simple de doubler la production aquacole. Nous aurons l’occasion d’évoquer un peu plus tard les contraintes, tant environnementales qu’urbanistiques, qui freinent le développement d’outils de production au-delà de la bande des 100 mètres. Ce sera assez compliqué. De grâce, mes chers collègues, n’adoptez pas cet amendement, qui est extrêmement contre-productif !

Mme la présidente. Maintenez-vous votre amendement, monsieur Carvalho ?

M. Patrice Carvalho. Monsieur le secrétaire d’État, je ne comprends pas très bien vos arguments. Le contrôle n’exclut pas la confiance.

Mme Estelle Grelier. C’est vrai !

M. Patrice Carvalho. C’est comme si vous disiez qu’il ne fallait pas installer de radars sur les routes, parce que cela gênerait les chauffeurs routiers et les automobilistes, qui le prendraient mal. Pourtant, vous ne vous gênez vraiment pas pour le faire !

Il n’est pas insurmontable de contrôler ou de certifier des producteurs qui pratiquent un certain type de culture, comme on le fait pour les industriels.

Mme Catherine Quéré. C’est ce que nous faisons déjà !

M. Patrice Carvalho. Quant aux propos de M. Le Ray, ils sont contre-productifs. Notre collègue de l’opposition nous invite à laisser faire les producteurs, à leur faire confiance…

M. Philippe Le Ray. Pas du tout !

M. Patrice Carvalho. Je suis désolé : nous ne pouvons pas toujours faire confiance, et nous devons assurer l’avenir. Rappelez-vous les farines animales ! Si nous faisons des erreurs, nous les paierons beaucoup plus cher !

Mme la présidente. Maintenez-vous donc votre amendement, monsieur Carvalho ?

M. Patrice Carvalho. Oui, madame la présidente.

Mme la présidente. Qu’en est-il du vôtre, monsieur Bleunven ?

M. Jean-Luc Bleunven. Je partage en partie l’avis de M. le rapporteur et de M. le secrétaire d’État. Nous devons aussi tenir compte des riverains de ces zones, qui sont extrêmement sensibles et protégées. Il s’agit donc de trouver un équilibre entre la protection de l’environnement et l’application de la réglementation, afin de gagner la confiance des riverains.

Mme la présidente. Maintenez-vous votre amendement ?

M. Jean-Luc Bleunven. Non, madame la présidente, je le retire.

(L’amendement n41 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Je souhaite apporter deux précisions.

Tout d’abord, monsieur Carvalho, je ne peux pas vous laisser dire qu’il n’y a pas de sanctions applicables : elles sont prévues aux articles L. 216-6 et L. 218-73 du code de l’environnement.

Je reviens à mes explications de tout à l’heure, que M. Bleunven a comprises puisqu’il a retiré son amendement. Pour ouvrir ou exploiter un site d’aquaculture, des autorisations sont nécessaires. Si vous vous ennuyez en vacances, monsieur Carvalho, je vous invite à lire la procédure d’autorisation applicable aux installations classées pour la protection de l’environnement – ICPE –, à laquelle sont soumises les exploitations aquacoles. Vous apprendrez qu’il est nécessaire de soumettre une étude d’impact environnemental des sites, des effluents, de s’assurer qu’il n’y a pas de fuite… L’exploitation d’un site aquacole est donc encadrée.

Je le répète : ne jetons pas la suspicion sur cette filière. Les arguments de M. le secrétaire d’État sont clairs. L’enjeu concerne aussi notre main-d’œuvre et notre savoir-faire.

Permettez-moi de faire un petit rappel historique. La France avait la maîtrise technologique de la culture des alevins de saumon.

En 1960, monsieur Carvalho, nous étions quasiment à égalité en termes de développement de l’aquaculture, pour ne pas dire devant la Norvège.

M. Philippe Le Ray. Exactement !

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Aujourd’hui, le saumon représente pour la Norvège la deuxième source de devises après le pétrole. C’est dire que nous sommes face à un enjeu de taille. On peut accompagner, encourager cette filière – on observe au demeurant le développement d’une filière d’aquaculture durable. C’est du reste la démarche suivie par le Gouvernement et nous essayons d’accélérer le processus avec ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Je n’ai pu défendre l’amendement n203 de notre collègue Laurence Abeille, car je suis arrivé en retard dans l’hémicycle, mais il va tout à fait dans le sens de celui de M. Carvalho. La sanction existe dans tous les domaines d’activité, personnel ou professionnel, et elle est nécessaire. Il suffit de voir ce qui se passe en Méditerranée : la Grande Bleue sert de déversoir pour diluer toutes sortes de substances au nom de l’amélioration du rendement économique, au mépris de toutes les règles.

Notre amendement vise à dissuader certains acteurs de retrouver de fausses marges économiques en déversant dans les milieux fragiles leurs produits chimiques.

M. Philippe Le Ray. On ne peut pas dire de telles choses !

(L’amendement n193 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 42 et 210.

La parole est à M. Jean-Luc Bleunven, pour soutenir l’amendement n42.

M. Jean-Luc Bleunven. Très longtemps cantonnée à une production artisanale d’espèces herbivores, l’aquaculture a connu un essor remarquable dans la seconde moitié du XXsiècle pour dépasser aujourd’hui la pêche des poissons sauvages en termes de volume. Bien qu’elle soit souvent présentée comme une solution à la surpêche, cela est loin d’être le cas.

En Occident, l’aquaculture se concentre principalement sur les espèces carnivores, dont le saumon atlantique et le thon rouge. L’aquaculture de ces espèces carnivores pose de nombreux problèmes dont les plus importants sont, d’une part, le gaspillage de protéines pour les humains et les animaux marins et, d’autre part, l’insécurité alimentaire dans certaines régions.

Si la pisciculture peut effectivement être source de développement, il est préférable de favoriser la pisciculture d’espèces herbivores qui ne nécessitent pas l’utilisation de poisson fourrage sauvage pour leur alimentation.

Mme la présidente. La parole est à Mme Eva Sas, pour soutenir l’amendement identique n210.

Mme Eva Sas. Par cet amendement, nous souhaitons engager une réflexion sur le type d’aquaculture que nous entendons développer en France. L’aquaculture peut être une réponse pour lutter contre la surpêche, mais uniquement si elle se fait selon des règles et des principes clairement établis.

Or l’aquaculture actuelle consiste essentiellement en la culture d’espèces de poissons carnivores, tel le saumon. Il est donc illusoire de lutter contre la surpêche avec ce type d’aquaculture car il faut plusieurs kilos de poissons sauvages ou poissons fourrages pour produire un kilo de poissons d’élevage, en moyenne trois à dix kilos de poissons fourrages par kilo de poissons d’élevage. Un tel système détruit en fait de la ressource. L’impact de ce type d’aquaculture est loin d’être négligeable puisque les espèces de poissons fourrages qui sont pêchées, comme la sardine, le hareng ou le maquereau, sont à la base de la chaîne alimentaire. Leur disparition a une influence néfaste sur l’ensemble de l’écosystème marin. Il nous paraît donc essentiel de développer avant tout, ainsi que mon collègue vient de l’indiquer, l’aquaculture de poissons herbivores, tels la carpe ou le tilapia.

(Les amendements identiques nos 42 et 210, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Article 14

Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 14.

La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Je regrette, madame la présidente, car j’apprécie votre façon de présider, que M. le président de l’Assemblée ne vous ait pas laissé sa place après les élections régionales. Non seulement cela aurait été élégant de sa part, mais cela aurait eu un certain panache.

Mme Estelle Grelier. C’est un peu hors sujet !

M. Jean Lassalle. J’ai apprécié la réponse de M. le secrétaire d’État à l’instant comme j’ai apprécié celle qu’il a apportée hier à l’issue de la discussion générale. Il est rare qu’un ministre apporte autant d’éléments de réflexion.

Dans les années 1990 et 2000, un grand nombre de directives européennes ont été adoptées sous forme d’ordonnances présidentielles, sans la moindre discussion au Parlement : je le déplore infiniment.

S’il en avait été autrement, nous nous serions rendu compte, par exemple dans le domaine de l’aquaculture, que beaucoup de choses n’allaient pas. On aurait sans doute laissé ces pauvres aquaculteurs travailler comme ils avaient l’habitude de le faire depuis longtemps avec les responsables de l’administration française et ils auraient trouvé les solutions à leurs problèmes – M. le secrétaire d’État l’a dit à sa manière de ministre et, pour ma part, je le dis à ma manière de député. Ils ne peuvent pas s’en sortir. Et il en va de même pour l’agriculture : il y a trop de contraintes. La complexité décourage.

Voilà, madame la présidente, en mois de deux minutes, l’essentiel de ce que j’avais à dire sur le sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Le texte pour l’économie bleue n’est assurément pas la grande loi que l’on aurait pu espérer pour notre pays eu égard à sa dimension maritime et ultramarine – avec 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, nous disposons du deuxième domaine maritime au monde.

Depuis toujours, il nous a manqué des stratégies à long terme pour exploiter de manière raisonnable et raisonnée ce potentiel. Il nous faut mettre en avant des pratiques et des politiques qui permettront d’utiliser au mieux les ressources halieutiques. L’humanité ne relèvera les trois grands défis du XXIsiècle que sont l’eau, l’énergie et l’alimentation que par l’exploitation des ressources des mers et des océans. L’exploitation responsable des ressources halieutiques est à cet égard un enjeu majeur.

En matière d’aquaculture, nous avons beaucoup de retard, M. le rapporteur a bien fait de le souligner. Notre action se doit d’être exemplaire, ce qui a été le cas pour la légine exploitée en eau profonde dans les Terres australes et antarctiques françaises – les TAAF –, près des Kerguelen. Nous n’utilisons, si je puis dire, que les intérêts en préservant le capital halieutique. Il faudrait s’inspirer de cet exemple de gestion responsable.

(L’article 14 est adopté.)

Après l’article 14

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 43 et 204 portant article additionnel après l’article 14.

La parole est à M. Jean-Luc Bleunven, pour soutenir l’amendement n43.

M. Jean-Luc Bleunven. Dans le droit-fil du plaidoyer de M. Folliot, le présent amendement a pour objet d’appeler l’attention sur la commercialisation des espèces considérées comme menacées d’extinction.

En 2014, l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation rapportait que près de 90 % des stocks de poissons sauvages étaient surexploités. En Europe, 40 % des stocks sont surexploités, mais la situation est beaucoup plus sévère dans certaines régions, par exemple en Méditerranée.

En juin 2015, l’Union internationale pour la conservation de la nature – UICN – publiait la première « liste rouge » exhaustive des stocks de poissons menacés dans les eaux européennes. Il ressort de cette analyse qu’environ 10 % des stocks européens de poisson sont menacés d’extinction, par exemple deux des trois espèces ciblées par les chalutiers européens opérant en eaux profondes au large de l’Écosse : la lingue bleue et le grenadier de roche.

Afin de s’assurer du caractère durable de nos pêcheries, il est essentiel de préserver les espèces qui risquent de disparaître en interdisant leur pêche.

Mme la présidente. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n204.

M. François-Michel Lambert. Actuellement – c’est un comble –, il n’est pas interdit de pêcher des espèces considérées comme menacées d’extinction et qui figurent sur la liste de l’UICN, l’Union internationale pour la conservation de la nature. Il s’agit pourtant d’une liste de référence en matière de biodiversité. Il va sans dire que l’on refuserait de chasser des espèces terrestres inscrites sur cette liste.

Le Gouvernement affirme vouloir s’appuyer sur les données du Conseil international pour l’exploration de la mer – le CIEM –, dont l’approche est différente. La question n’est pas de savoir s’il faut plutôt s’appuyer sur l’une ou l’autre : lorsqu’un organisme international alerte sur les risques d’extinction d’une espèce à moyen terme – entre cinq et vingt ans –, nous devons prendre nos responsabilités. Nous pouvons pêcher d’autres espèces ou limiter, voire interdire la pêche de certaines espèces, comme ce fut le cas avec le thon rouge en Méditerranée. On a vu les effets bénéfiques de telles mesures, qui ont permis le retour à une certaine stabilité, certes encore fragile. Que la France prenne ses responsabilités dans ce domaine aussi.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Avis défavorable.

D’abord, il s’agit de compétences de l’Union européenne. Les poissons de hauts-fonds dont vous parlez sont gérés au niveau européen. Le travail a donc été fait.

M. Folliot a parlé d’une loi manquant de souffle. Je le déplore d’autant que cela va à l’inverse des propos tenus hier par son collègue M. Demilly, qui nous a apporté le soutien de l’UDI. Peu importe, cette loi aura le mérite d’exister.

En matière de lutte contre la pêche illégale, j’aurais souhaité que ceux qui veulent agir en vue de limiter les captures illégales rédigent un amendement pour que la France prenne des initiatives au niveau international et que l’on propose des budgets supplémentaires pour équiper la marine nationale et faire davantage encore de missions de contrôle de nos zones de pêche ou des zones européennes. Le débat est là et nous devons faire attention aux personnes sur lesquelles on fait peser le fardeau.

Le problème de la pêche illégale est connu, les difficultés pour y répondre aussi, compte tenu des espaces en cause – c’est un vrai problème dans les outre-mer, notamment dans les Caraïbes. Mais je suis d’accord pour que l’on en parle.

Pour ce qui concerne le thon rouge en Méditerranée, il ne figurait pas seulement sur la liste de l’UICN. Vous l’avez rappelé, il existe d’autres structures comme le CIEM qui alertent. Elles n’ont pas la même méthode ni la même philosophie. Elles sont peut-être plus soucieuses de l’équilibre des filières.

Nous essayons de trouver un équilibre entre ces questions et le besoin de conserver des emplois directs et indirects dans le secteur de la pêche. Vous mentionnez rarement cet aspect du problème, qui est pourtant structurant pour les territoires. On ne peut faire comme si cela n’existait pas, monsieur Lambert. C’est la réalité.

Depuis une vingtaine d’années, ce secteur a connu des pertes de navires importantes, depuis la mise en œuvre de la politique commune de la pêche. Nous devons être attentifs collectivement. On ne peut pas dire que la France soit laxiste en matière de politique commune de la pêche, on a pu le constater lors du dernier Conseil des ministres en décembre dernier. Le Gouvernement prend ses responsabilités au vu des éléments d’information sur la fragilité d’un stock. À nous de faire des propositions raisonnables dans le cadre de notre discussion.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur Folliot, dire qu’un texte sur l’économie maritime manque de souffle est une sorte de « marronnier », un thème permanent qui fleurit sous toutes les majorités, occupant les bancs des assemblées et les pages des journaux et justifiant sans doute que beaucoup, ne voulant pas faire de petits textes, n’ont jamais fait de textes du tout. Je tenterai pour ma part de trouver une synthèse : puisqu’il est ici question de la mer, nous nous efforcerons, avec de petits ruisseaux, d’alimenter de grandes rivières qui s’y jetteront : peut-être contribuerons-nous ainsi à faire avancer les choses.

Pour en revenir aux amendements, je tiens à être très précis, car je considère qu’ils sont dangereux et pédagogiquement très difficiles à défendre. En effet, nous soutenons la politique commune de la pêche, qui est aujourd’hui acceptée par les professionnels, au terme d’une pédagogie menée avant nous, sous tous les gouvernements. Cette politique, désormais admise, repose sur une référence aux avis scientifiques émis par le Conseil international pour l’exploration de la mer – CIEM –, dont l’expertise est reconnue par tous les États. Sur la base de ces avis, nous nous réunissons tous les ans et la Commission européenne formule des propositions quant aux totaux admissibles de captures – TAC –, aux quotas et à la limitation de la pêche – et parfois quant à son interdiction, car certaines espèces sont en danger.

Imaginez-vous le message qu’enverrait aux pêcheurs le vote de votre amendement ? Cela reviendrait à leur dire qu’ils ont eu tort de faire confiance à l’Europe et au Gouvernement, car d’autres expertises pourraient remettre en cause leur engagement. De fait, pour certaines espèces, les avis scientifiques du CIEM diffèrent de ceux que vous évoquez. Or, lorsque la Commission européenne propose d’interdire la pêche de certaines raies ou de certains requins – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui –, cette interdiction est appliquée. Cette année, des dispositions très sévères ont été prises envers la pêche au bar, avec six mois d’interdiction de la pêche. Lorsque je l’ai expliqué aux pêcheurs, ils n’étaient guère enthousiastes, mais ils comprennent les mesures fondées sur une référence scientifique.

Ces amendements sont donc très dangereux, car vous enverriez en les adoptant le message que l’on pourrait prendre d’autres références, aux effets répressifs, qui contrediraient le dispositif que les pêcheurs ont accepté.

La politique commune de la pêche est très importante et va dans le bon sens. Aujourd’hui, pour 70 % des espèces, la pêche se situe au niveau du rendement maximum durable, ce qui signifie que ce qui est pêché chaque année ne remet pas en cause le stock. C’est la philosophie même de la pêche : préserver la ressource et faire en sorte que les stocks ne soient pas atteints. Il s’agit là d’un progrès considérable, qui est le résultat d’une politique menée par la France depuis des années et à laquelle les pêcheurs ont adhéré.

Je vous en prie, respectez cette politique, car elle est juste pour la pêche, pour l’environnement et pour la protection de la mer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Avis défavorable, donc.

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Moreau.

M. Yannick Moreau. Alors que les marins pêcheurs ont consenti des efforts considérables pour leur survie et pour s’adapter aux nouvelles réglementations européennes qui tombent chaque année sur leurs épaules, et alors que la France, représentée par son gouvernement, en concertation avec les professionnels de la pêche, se bat pour définir des quotas équitables fondés sur une évaluation des stocks, nos amis écologistes ne manquent jamais une occasion d’essayer de tirer dans le dos des marins pêcheurs français.

M. François-Michel Lambert. C’est inadmissible !

M. Yannick Moreau. C’est la réalité ! Ce que vous voulez, c’est interdire la pêche. Dites-le, assumez-le ! Vos propos et votre amendement sont caricaturaux.

Mme Eva Sas. C’est vous qui êtes caricatural !

M. Yannick Moreau. Le fonctionnement actuel de la politique de la pêche est européen – qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse, c’est ainsi. C’est à Bruxelles que les décisions se prennent, dans le cadre du Conseil des ministres et sur proposition de la Commission européenne – c’est une négociation âpre, à laquelle vous n’entendez manifestement rien.

Compte tenu de ces négociations et des efforts que j’ai évoqués, il est scandaleux de proposer un tel amendement, qui n’a d’autre but que de décrédibiliser la pêche artisanale française. En réalité, vous voulez emmerder les pêcheurs français pour tuer la pêche française – mais on ne se laissera pas emmerder.

Vous avez tort de jeter l’opprobre sur les marins pêcheurs français et ils ont raison de se défendre. Arrêtez de vouloir tuer la pêche en eaux profondes – avec vous, du reste, on ne sait jamais très bien à quelle profondeur elle se situe. Ce qui est profond, chez vous, c’est le cynisme avec lequel vous appréciez ce secteur d’activité économique majeur qu’est la pêche artisanale française.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Le Ray.

M. Philippe Le Ray. Je m’oppose totalement, bien entendu, à ces amendements, mais la pêche en eaux profondes est un vrai problème, qui a déjà été abordé dans cet hémicycle. Il s’agit en outre ici de pêche au large de l’Écosse, ce qui en fait un sujet profondément européen. Je souscris pleinement à cet égard aux propos de mon collègue, de M. le secrétaire d’État et du rapporteur. En effet, l’Europe est politiquement très claire sur les questions de pêche. Des accords et des négociations ont eu lieu, qui n’ont pas été simples. Les pêcheurs ont compris les enjeux d’une pêche durable et il s’agit donc là d’une démarche collective, qui a été plutôt bien perçue.

Je tiens cependant à attirer appeler votre attention sur deux points. Tout d’abord, les différents experts ont souvent des avis divergents et les pêcheurs eux-mêmes nous signalent que la question des stocks soulève des points de désaccord. Je précise donc à l’intention de mes collègues écologistes et des autres qui ont déposé des amendements similaires que le stock de poisson n’est pas arrêté du jour au lendemain, mais qu’il fait l’objet de calculs et qu’il peut évoluer. En second lieu, il faut faire confiance aux pêcheurs, qui ne sont pas des destructeurs de la nature et ont conscience de ce qu’une pêche durable contribue aussi à leur avenir.

Je tenais à ramener, à ma façon, un peu de sérénité dans ce débat.

M. Yannick Moreau. Merci !

M. Philippe Le Ray. Cela dit, je m’oppose totalement à ces amendements : la France ne peut, à elle seule, interdire certaines pêches, se trouvant ainsi soudainement en total désaccord avec ses partenaires européens, avec lesquels elle a négocié pendant des années.

Mme la présidente. La parole est à M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. J’éviterai de tirer dans le dos d’un collègue… Ce que vous dites, monsieur Moreau, est scandaleux. Les écologistes tirent dans le dos des pêcheurs ? Et vous, où tirez-vous ? Quel message envoyez-vous ? Que dites-vous à nos enfants ? Où allons-nous ?

M. Yannick Moreau. Arrêtez !

M. François-Michel Lambert. Ne pourrait-on pas débattre ? J’ai apprécié les réponses, sèches mais respectueuses, de votre collègue, qui siège sur les mêmes bancs que vous. Nous pouvons tout de même exprimer notre inquiétude.

M. Yannick Moreau. Nous aussi !

M. François-Michel Lambert. Nous pouvons aussi rappeler que nous avons vu dans certains territoires, même s’il ne s’agit pas de la France, la disparition de certaines espèces. Monsieur le rapporteur, au Canada et au Québec, des dizaines de milliers de travailleurs de la pêche ont disparu avec le stock. Nous pensons donc à l’avenir des pêcheurs et nous ne leur mentons pas.

Élu de la région de Marseille, je vois bien comment on a menti aux pêcheurs de thon rouge, en les engageant à acheter des chalutiers modernes et à s’équiper de liaisons par satellite pour pêcher le thon rouge. Ces pêcheurs revenaient avec de moins en moins de prises et devaient payer de plus en plus cher les systèmes de repérage. Certes, d’autres pays enfreignaient toutes les lois, mais est-ce une raison pour les enfreindre nous aussi ? Dire que « les captures, ciblées ou accessoires, et la commercialisation des espèces considérées comme menacées d’extinction sont interdites » n’est tout de même pas le bout du monde !

M. Yannick Moreau. C’est n’importe quoi !

M. François-Michel Lambert. N’importe quoi ? Alors, continuons comme ça, et nous montrerons un jour à nos enfants ce que c’était qu’un mérou de Méditerranée lorsqu’il n’en restera plus que quelques-uns dans des aquariums.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Les excès, dans tous les sens, sont négatifs – qu’il s’agisse de formes de pêche irresponsable ou d’une vision parfois un peu trop environnementaliste. Il faut trouver un équilibre entre une non-exploitation et une exploitation raisonnable ou raisonnée des ressources.

Je reviendrai à ce propos sur l’exemple de la légine dans les Terres australes et antarctiques françaises – TAAF –, plus particulièrement dans le secteur des Kerguelen, où se font aujourd’hui un peu plus de 20 % des prises mondiales de ce poisson. De fait, une certaine surexploitation s’observe ailleurs et, selon certaines études, devrait être de l’ordre de 80 %. La légine se vend aujourd’hui dix fois plus cher que le thon, ce qui représente des enjeux économiques non négligeables, notamment pour les pêcheurs réunionnais.

Tout le défi consiste à concilier un développement durable avec des perspectives de développement économique pour toute la filière de la pêche – en métropole, mais aussi outre-mer, où l’exploitation des ressources liées à notre domaine maritime, le deuxième au monde, n’est pas assez poussée sur le plan économique. C’est là un élément important. En outre, la pêche génère des ressources pour les TAAF, dont le budget est en grande partie alimenté par des ressources propres, notamment par les droits de pêche sur la légine. Mieux vaudrait donc s’inspirer de cet exemple que de s’orienter vers des interdictions trop strictes qui seraient, in fine, contre-productive.

Mme la présidente. La parole est à M. Gwendal Rouillard.

M. Gwendal Rouillard. Permettez-moi de m’exprimer en ma qualité de député de Lorient. En effet, la pêche en eaux profondes, c’est Lorient ! Je me permets donc d’évoquer un nom, un lieu et des visages – ceux des femmes et des hommes du port de pêche de Lorient, ceux des hommes qui sont à bord des navires lorientais, qui pêchent au large de l’Écosse, qui travaillent et qui investissent, avec les résultats que l’on connaît : en valeur ajoutée, Lorient est aujourd’hui le premier port de pêche français, avec plus de 85 millions d’euros de chiffre d’affaires. Comment avons-nous obtenu ces résultats, alors que beaucoup annonçaient la mort du port dans les années 1990 ? Quels choix avons-nous faits avec Jean-Yves Le Drian, Norbert Métairie, le maire de Lorient, et l’ensemble des acteurs de la filière ?

Premièrement, la politique commune des pêches, outil d’encadrement qui permet de concilier l’activité économique et la protection de la biodiversité.

Deuxièmement, l’amélioration des connaissances scientifiques – Frédéric Cuvillier et Alain Vidalies ont particulièrement bataillé, ces derniers mois, pour mieux financer l’approfondissement des connaissances sur les stocks halieutiques et nous sommes engagés en ce sens depuis longtemps, notamment pour les raisons que vous avez indiquées, cher collègue.

Troisièmement, les investissements réalisés par les entreprises concernées, en particulier la Scapêche. Ce sont ceux d’une entreprise classique car, depuis très longtemps, les subventions à la pêche n’existent plus.

Quatrièmement, enfin, puisque nous raisonnons en termes de développement durable et solidaire, de pêche durable et d’alimentation, que faut-il mettre dans les assiettes des Français, en particulier dans celles des jeunes générations ? Du panga asiatique qui arrive en avion ou du poisson qualifié de « pêche fraîche », entouré des pratiques et l’encadrement qui conviennent ? Je livre cette question à votre réflexion.

Toujours est-il qu’en tant que député de Lorient, je resterai particulièrement attentif à une pêche durable, régulée et qui reste de qualité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur Lambert, je souscris aux objectifs que vous poursuivez, mais je suis très étonné de la réponse que vous défendez. En effet, la réponse à ces questions et à ces objectifs, c’est la politique commune de la pêche – on connaît du reste votre engagement européen, qui n’est pas moins fort que le mien.

Dans ce domaine, nous sommes en situation de réussite. Vous ne pouvez pas – c’est la raison pour laquelle je considère que vos amendements sont dangereux – inventer un nouveau système répressif de régulation en dehors des règles que nous avons acceptées, que tous les élus ont expliquées aux pêcheurs et auxquelles adhèrent tous les pêcheurs, leurs présidents et leurs comités. Des interdictions existent déjà, vous le savez bien, mais vous voulez trouver une autre assiette scientifique permettant d’en imposer encore plus. Peut-être avez-vous raison, mais respectons l’avis scientifique.

Comme vous le savez, ce n’est pas simple : il arrive parfois que les pêcheurs nous disent que les avis scientifiques sont erronés. Pour ma part, je respecte les avis scientifiques, quitte à demander d’autres vérifications, comme c’est le cas aujourd’hui pour la sole du golfe de Gascogne ; mais il faut conserver cette rectitude.

Le CIEM rend des avis scientifiques – on peut demander leur vérification et les discuter – ; il y a ensuite des propositions de la Commission, puis le débat avec les pêcheurs et le Conseil des ministres. Si vous sortez de cela, vous démantelez la politique commune de la pêche.

Vous prenez le risque d’être excessif ; or vous savez parfaitement, monsieur Lambert, qu’à l’excès répond l’excès. Dès lors, vous fournissez des arguments à ceux qui pensent, car cela existe malheureusement, que la France devrait sortir de l’Europe, qu’elle devrait abandonner le carcan de la politique européenne, que nous pourrions pêcher chez nous et ne consommer que nos poissons – bref, un discours nationaliste.

Nous n’avons rien à gagner à cette démarche : nous devons nous inscrire dans la politique commune de la pêche. En sortant de cette exigence, comme visent à le faire les amendements que nous examinons – en attendant ceux qui concernent la pêche profonde : nous en parlerons ensuite –, vous vous inscrivez dans une démarche qui n’est pas rigoureuse et que je considère, je le répète très fortement, comme dangereuse.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Ne souhaitant pas laisser le monopole de la défense des stocks halieutiques à M. Lambert et à ses camarades, je ferai quelques rappels historiques.

Vous mentionnez le stock de cabillaud au large de Terre-Neuve dans les années 1980 ainsi que le thon rouge : nous en avons justement tiré les leçons en instaurant la gestion collective et la politique commune de la pêche.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Exactement !

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Nous ne nous fions pas simplement à un avis national. À l’époque, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer – l’IFREMER – et son équivalent canadien se livraient à une partie de ping-pong pour déterminer l’état du stock. Nous avons vu ce que cela a donné. À la suite de cela, nous avons créé le CIEM – qui est en quelque sorte, pour la pêche, l’équivalent de ce qu’est le GIEC pour le climat –, dont il faut respecter les analyses et les avis scientifiques.

Je soutiens donc M. le secrétaire d’État dans sa lecture de la politique commune de la pêche, qui a été compliquée à mettre en œuvre, et dont nous voyons, en quelque sorte, la deuxième génération. Les décisions qui ont été prises en décembre dernier concernant le bar ont laissé des traces – ceux qui fréquentent la côte atlantique pourront en témoigner.

M. Gilles Lurton. À Saint-Malo également !

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Je sais, monsieur Lurton ; on peut monter un peu plus haut.

Nous nous sommes battus pour les petits ligneurs et nous avons obtenu gain de cause. Nous nous sommes également battus pour la sole, pour laquelle nous demandons des analyses complémentaires. Cela fonctionne, donc il ne faut pas renforcer les craintes.

Nous avons les mêmes ambitions : nous voulons que nos enfants et nos petits-enfants mangent des poissons et pas simplement des fish sticks. Faisons donc attention, monsieur Lambert, au chemin que nous empruntons.

(Les amendements identiques nos 43 et 204 ne sont pas adoptés.)

Article 15

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Travert, inscrit sur l’article.

M. Stéphane Travert. L’article 15 concerne l’aquaculture, qu’il vise à développer. Jusqu’à une période récente, les régions maritimes ont fortement soutenu et accompagné les projets innovants et structurants de la filière aquacole et de la filière des cultures marines, en ciblant leurs efforts sur le développement d’activités nouvelles répondant aux enjeux technologiques du moment dans une économie respectueuse de l’environnement.

Le présent article vise également à favoriser l’innovation au service d’une aquaculture durable, le développement et l’intégration de l’innovation technique dans les entreprises aquacoles, mais aussi à encourager les expérimentations afin de diminuer les coûts de production.

Enfin, il vise à définir une stratégie de l’aquaculture nationale et régionale. La France et l’Europe constatent depuis plusieurs années une augmentation de la consommation des produits aquatiques et, en parallèle, une stagnation des captures de pêche. La nouvelle politique commune de la pêche prévoit le développement de cette filière pour diminuer les imports en assurant un approvisionnement en produits aquatiques d’origine européenne et locale.

Le FEAMP – Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche – comprend des mesures pour favoriser l’essor de la filière qui, par ailleurs, doit être considérée comme une filière économique à part entière.

Si le contexte est favorable à l’essor de l’aquaculture, la création ou l’extension de sites reste complexe du fait des conflits d’usage mais surtout de la complexité des procédures administratives dans le montage des dossiers, notamment des SRDAM – schémas régionaux de développement de l’aquaculture marine.

De plus, certaines filières aquacoles comme l’algoculture ou la raniculture souffrent parfois d’un manque de connaissances appliquées. L’innovation doit être un levier pour l’acquisition des connaissances.

Cet article permet enfin de donner de la lisibilité à cette filière, qui en a besoin, afin que les porteurs de projet puissent développer notre économie de la mer. Une véritable ambition maritime aquacole et la croissance bleue : tels sont les objectifs poursuivis par cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, pour soutenir l’amendement n135.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision : comme vous le savez, nous sommes en train d’examiner le projet de loi relatif à la reconquête de la biodiversité. Certaines définitions étant présentes dans les deux textes, l’objet du présent amendement est de les faire coïncider pour éviter des analyses et des interprétations différentes.

(L’amendement n135, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, pour soutenir l’amendement n137.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Amendement de précision.

(L’amendement n137, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, pour soutenir l’amendement n139.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Amendement de précision également.

(L’amendement n139, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Bleunven, pour soutenir l’amendement n39 rectifié.

M. Jean-Luc Bleunven. Il s’agit ici de développer l’aquaculture d’espèces marines, qui connaîtra une croissance rapide, afin de produire de la nourriture humaine et animale abondante, mais aussi certaines matières premières pour différentes applications telles que la culture d’algues servant à la production d’emballages biodégradables, ou encore de biocarburants.

L’octroi de concessions de cultures marines en pleine mer se heurte à de fréquentes et systématiques oppositions catégorielles, au point de freiner le développement de ce secteur économique. Il est donc essentiel de faciliter l’implantation de sites aquacoles à terre, nécessairement à proximité de la bande littorale, et vers lesquels l’eau de mer sera acheminée par pompage.

En outre, de tels sites d’activité sont indispensables lorsqu’il s’agit de produire des espèces végétales ou animales non endogènes qui, bien évidemment, ne sauraient être cultivées en pleine mer sous peine d’impacter les écosystèmes concernés. Par conséquent, il convient de faciliter le plus possible l’implantation de tels sites d’activité aquacole à terre et l’installation de systèmes de pompage, de traitement et de rejet de l’eau de mer.

Il est clair que la bande littorale subit une pression immobilière de plus en plus importante et une densification de la population. Toutefois, il serait pertinent de faciliter la conversion de certaines terres agricoles situées en front de mer ou très proches du littoral en zones d’activité aquacole, particulièrement lorsque ces terres ne sont plus exploitées.

La destination de ces terres ne changerait pas : il s’agit toujours de produire pour nourrir. De plus, le caractère inondable ou submersible de certaines terres ne devrait plus être opposable à l’implantation de telles zones d’activité aquacoles. Les agriculteurs cultivent parfois de telles terres ; il en irait de même pour les algoculteurs.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Sagesse.

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Moreau.

M. Yannick Moreau. Je souhaite souligner la pertinence de cet amendement, que je soutiens ardemment. Cela nous donne l’occasion de revenir sur le débat de l’aquaculture : dans notre pays, on ne peut rien faire. Il faut dix ans pour obtenir une demi-autorisation. Avec les mêmes règlements européens et les mêmes directives européennes que nous, nos voisins se débrouillent mieux.

J’évoquais l’emprise tutélaire du ministère de l’écologie sur le secrétariat d’État confié à M. Vidalies : nous sommes là au cœur du sujet. L’administration française verrouille le développement de l’aquaculture, laquelle représente pourtant une perspective d’avenir importante pour la France et pour notre souveraineté alimentaire.

Si nous voulons arrêter d’importer 70 % de notre consommation de produits de la mer, nous devons faciliter l’organisation et le développement de l’aquaculture en France : c’est un chantier majeur pour l’avenir de l’ensemble des façades maritimes françaises.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Je partage également totalement les objectifs de cet amendement. J’aurais toutefois souhaité une précision : la fin de l’alinéa est ainsi rédigée : « et en facilitant le pompage et l’acheminement d’eau de mer sur ces sites ». Ce texte sera inscrit dans la loi si l’amendement est adopté ; je voudrais donc savoir par quels moyens on facilite le pompage et l’acheminement : s’agit-il de facilités réglementaires, financières ? Comment cela se traduit-il concrètement ?

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Le Bris.

M. Gilbert Le Bris. Si j’approuve les souhaits exprimés par mon collègue, je crois qu’il faut vraiment raison garder dans ce domaine. Il existe des expériences très malheureuses de pompage en mer et d’utilisation dans des exploitations à terre.

J’ai dû me battre contre une exploitation qui voulait s’installer sur un terrain du Conservatoire du littoral en zone protégée. Il faut des réglementations permettant de vérifier en amont que l’on n’en arrivera pas à des aberrations écologiques. Ce qui se fait à terre se répercute en mer ; or, comme nous faisons souvent des usages différents de la mer, il faut concilier les intérêts des uns et des autres.

Ce qui a été dit est parfaitement justifié mais, de la même façon, il faut une capacité de vérification administrative de la possibilité ou non de réaliser ces expériences.

(L’amendement n39 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, pour soutenir l’amendement n147.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Rédactionnel.

(L’amendement n147, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements, nos 205 rectifié, 24 et 44, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 24 et 44 sont identiques.

La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n205 rectifié.

M. François-Michel Lambert. Cet amendement est quasiment identique à l’amendement présenté par la commission des affaires économiques. Les installations aquacoles peuvent polluer le milieu marin environnant, cette pollution pouvant être liée à l’utilisation de produits phytosanitaires ou à des résidus de médicaments ou de nourriture.

Pour contrôler cette pollution et favoriser une aquaculture plus efficiente – et même plus intelligente, dans une perspective de développement durable –, il serait préférable de développer une aquaculture en milieu fermé, c’est-à-dire en bassin alimenté d’eau de mer avec un traitement et un contrôle des rejets.

Les sites qui permettront l’accueil de ce type d’aquaculture en milieu fermé seraient ainsi recensés dans les schémas régionaux de développement de l’aquaculture.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Le Loch, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, pour soutenir l’amendement n24.

Mme Annick Le Loch, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Nous appelons tous de nos vœux le développement de l’aquaculture. À travers cet amendement, nous proposons que les schémas régionaux prennent en compte l’opportunité de développer une aquaculture en milieu fermé, c’est-à-dire une aquaculture – d’eau de mer ou non –, mais sur la terre ferme.

Nous avons évoqué tout à l’heure la pollution et les effluents : je pense que ce type d’aquaculture pourrait permettre un meilleur contrôle des effluents et probablement de limiter les pollutions.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Bleunven, pour soutenir l’amendement n44.

M. Jean-Luc Bleunven. Il est défendu. Je souhaite toutefois insister sur la dimension de préservation de l’environnement : il existe aujourd’hui des stations de pompage de l’eau de mer et des stations de traitement des rejets particulièrement efficaces. C’est donc cela qu’il faut développer.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Étant rapporteur, je ne peux pas m’en remettre à la sagesse de l’Assemblée.

Monsieur Lambert, si vous retiriez votre amendement au profit de celui défendu par Mme Le Loch, nous pourrions avancer. La différence entre les deux tient à la référence à un décret, qui pose problème. Les SRDAM viennent d’être adoptés ; nous devons faire attention à nous inscrire dans leur cycle.

J’entends l’argument environnemental, que je partage. Je pense donc qu’il faut adopter l’amendement présenté par Mme la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. L’objectif des trois amendements est exactement le même, la différence tenant seulement à leur rédaction.

Monsieur Lambert, le Gouvernement partage votre préoccupation et pense pouvoir l’inscrire dans le texte de loi que nous examinons.

Simplement, pour ne pas retenir une rédaction qui devrait être modifiée par la suite, il serait utile de faire œuvre commune en retirant le premier de ces amendements au profit des deux amendements identique. Dans ces conditions, le Gouvernement pourrait émettre un avis favorable qui, dans l’esprit, s’adresserait aux trois amendements et qui, dans la lettre, s’adresserait aux amendements identiques.

Mme la présidente. La parole est à M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Nous avions, en commission, défendu l’amendement qui a été repris par la commission des affaires économiques. Nous avions été un peu plus loin en ajoutant la référence à un décret. Eu égard à vos remarques, nous retirons notre amendement au profit des amendements identiques.

(L’amendement n205 rectifié est retiré.)

(Les amendements identiques nos 24 et 44 sont adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, pour soutenir l’amendement n148.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Amendement de précision.

(L’amendement n148, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, pour soutenir l’amendement n149.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Rédactionnel.

(L’amendement n149, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n245.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Cet amendement tend à supprimer la possibilité, issue des travaux de la commission, de reconnaître des pouvoirs de police judiciaire aux gardes jurés.

Ceux-ci, vous le savez, jouent un rôle très important, et ce depuis le XIXsiècle, dans la surveillance des pêcheries, notamment de l’Atlantique et de la Manche. Dans un secteur de la pêche côtière où la diffusion de la culture du respect des règles est au cœur de la gestion durable et responsable, cette fonction est plus actuelle que jamais, notamment en ce qui concerne les gisements de pêche à pied.

C’est pour cette raison que le Gouvernement a souhaité, à l’occasion du texte relatif à la biodiversité, moderniser leur statut et leurs prérogatives, qui avaient peu évolué depuis 1853. Ce renforcement a notamment porté sur le pouvoir d’appréhension des produits pêchés en infraction, qui leur est désormais confié par la loi. Ils bénéficieront ainsi d’un statut robuste et de prérogatives qui garantissent leur efficacité.

Cependant, le texte adopté par la commission va bien au-delà et vise à confier à ces gardes jurés des pouvoirs de police judiciaire. Le Gouvernement n’est pas favorable à cette extension. Les officiers de police judiciaire, gendarmes ou policiers, suivent des formations longues, notamment en matière de libertés publiques, et subissent des examens difficiles avant d’acquérir ce statut. Je ne crois pas que la nature des missions des gardes jurés, si essentielles soient-elles, justifie cette évolution statutaire.

En outre, nous devons veiller à ne pas créer un précédent qui nous amènerait à sortir des principes et des règles qui organisent l’attribution des pouvoirs de police judiciaire dans notre pays : d’autres professions appelant l’exercice de missions similaires dans d’autres domaines risquent de réclamer les mêmes prérogatives.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement vous demande, à travers cet amendement, de supprimer la possibilité donnée aux gardes jurés d’exercer des pouvoirs de police judiciaire.

(L’amendement n245, accepté par la commission, est adopté et l’amendement n151 rectifié tombe.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, pour soutenir l’amendement n152.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Rédactionnel.

L’amendement n152, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 15, amendé, est adopté.)

Article 15 bis

Mme la présidente. Les amendements nos 153, 154 et 155 de M. Arnaud Leroy sont rédactionnels.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. En effet, madame la présidente.

(Les amendements nos 153, 154 et 155, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

(L’article 15 bis, amendé, est adopté.)

Article 16

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Aylagas, inscrit sur l’article.

M. Pierre Aylagas. L’article 16 dispose que le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les possibilités et les conditions, pour les pêcheurs et les aquaculteurs, d’une diversification de leur activité par le tourisme, notamment le pescatourisme, et la commercialisation directe des produits de la pêche, transformés ou non.

Je suis l’élu d’un territoire, les Pyrénées-Orientales – vous l’entendez à mon accent ! – très touristique, un tourisme qui a d’abord été et reste étroitement lié à la mer. Il s’agissait au départ d’un tourisme essentiellement balnéaire sur notre Côte Vermeille, puis au fil des ans il s’est de plus en plus intéressé aux activités locales traditionnelles, dont celles liées à la mer : pêche et gastronomie locale qui lui est liée – je vous invite à déguster nos anchois de Collioure.

C’est pourquoi nous souhaitons être partie prenante de ce rapport. À cet égard, il faut préciser la façon dont le Gouvernement compte associer les acteurs locaux à ce travail et faire connaître les suites concrètes qui y seront données, en association avec les acteurs locaux, qui sont les meilleurs experts de leurs difficultés et de leurs attentes, ainsi qu’avec les infrastructures et les institutions liées à l’activité touristique – ministère, comités régionaux du tourisme, Organisation mondiale du tourisme, chambres de commerce et d’industrie – mais aussi les structures liées à l’écologie, au développement durable, à l’éducation.

À propos de nos pêcheurs, on parle de « petits métiers » Nos pêcheurs ne disposent pas de grosses flottes. Ils font un travail admirable pour préserver leur artisanat, pour mettre en avant la qualité de leurs produits et leur façon de faire. Ils luttent contre la surexploitation. Ils doivent faire face à des problèmes environnementaux qu’on n’avait pas pris en compte par le passé et qui font que les réserves maritimes se sont progressivement épuisées.

Ils s’investissent dans la vie locale. Ils font connaître leur métier au travers d’actions pédagogiques qui sensibilisent aussi les touristes. C’est le cas chez moi, à Argelès-sur-Mer, avec le programme « Enfants de la mer » qui, depuis 2009, au travers d’expositions, de conférences, de classes, d’écoles formatrices et de témoignages directs, propose à tous de devenir enfin conscients de la richesse de nos ressources et de nos petits métiers, mais aussi de leur précarité si on n’y fait pas attention.

Nous devons réfléchir à tout cela au mieux, monsieur le secrétaire d’État, et vous nous trouverez à vos côtés pour le faire ensemble. Vous pouvez compter sur nous et nous comptons sur vous.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Très bien !

(L’article 16 est adopté.)

Après l’article 16

Mme la présidente. Je suis saisi d’un amendement, n61 rectifié, portant article additionnel après l’article 16.

La parole est à M. Yannick Moreau, pour le soutenir.

M. Yannick Moreau. Je voudrais, madame la présidente, modifier cet amendement en substituant le mot « trois » au mot « neuf ». Il serait insupportable d’avoir à attendre encore neuf mois un nouveau rapport sur un sujet déjà débattu et rebattu depuis 2009 et le Grenelle de la mer.

Mme la présidente. Dans le texte de l’amendement, le mot « neuf » est remplacé par le mot « trois », et cet amendement devient l’amendement n61 deuxième rectification.

M. Yannick Moreau. Tous les acteurs de terrain, écologistes compris – une fois n’est pas coutume – s’accordent à reconnaître la nécessité d’assouplir une réglementation ubuesque en reconnaissant aux artisans marins pêcheurs la liberté de pratiquer le pescatourisme.

La diversification de l’activité de pêche par le tourisme offre de réelles et intéressantes opportunités aux professionnels de la pêche tant d’un point de vue économique que sur le plan de la communication autour de leur métier, que cette diversification passe par l’accueil de passagers à bord pour assister à une marée de pêche ou par la dégustation de produits pêchés – tels les anchois et sardines de Saint-Gilles-Croix-de-Vie – permettant de valoriser les espèces emblématiques de certaines régions ou peu connues des consommateurs.

Il s’agit donc, à l’image de ce qui existe en agriculture autour de l’agritourisme ou en conchyliculture – pour la dégustation d’huîtres –, de valoriser un métier et des produits et d’apporter un complément de revenus aux marins pêcheurs, qui en ont bien besoin. Admettons que cette énième étude soit nécessaire pour identifier les obstacles législatifs et réglementaires au développement de ces activités complémentaires et dessiner les conditions nécessaires à leur mise en œuvre, notamment du point de vue fiscal, social ou encore en matière d’utilisation du domaine public maritime.

De grâce, que le Parlement soit à la hauteur de cette possibilité de diversification pour nos artisans marins pêcheurs.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Vous avez bien fait de rappeler le Grenelle de la mer, monsieur Moreau, et je vous invite, un soir d’hiver, à compter combien d’actions et de décisions en sont sorties.

J’entends votre demande, mais elle est déjà satisfaite. Je sais que vous êtes sensible à cette cause, mais il ne faut pas être plus royaliste que le roi dans cette affaire.

Mme Estelle Grelier. Surtout pour un Vendéen !

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Nous avons six mois. Vous présentez le pescatourisme comme une bagatelle, facile à mettre en œuvre dès demain. Si tel était le cas, cela serait déjà fait, en tout cas je l’espère. Depuis 2009 et le Grenelle de la mer, on aurait dû avancer.

Il ne faut pas minimiser les difficultés, notamment liées au renouvellement de la flottille. Vous savez qu’on ne peut pas accueillir aujourd’hui beaucoup de passagers sur les petits navires de pêche, pour des questions de sécurité. Il faut aussi considérer des questions de formation, de fiscalité, de risques de concurrence avec d’autres professions, notamment les restaurateurs. Ceux qui ont suivi le développement de la dégustation d’huîtres et de vin blanc chez les conchyliculteurs savent que cela n’a pas été un chemin facile.

C’est pourquoi je crois qu’il faut qu’on prenne le temps.

Je vous rassure, monsieur le député, ce rapport n’a pas vocation à déboucher sur une mission ou une commission. L’idée c’est de voir ce qu’on doit modifier dans les textes et de se concerter avec les professions concernées pour pouvoir avancer.

Je vous demande donc de retirer votre amendement. Donnons-nous six mois pour faire les choses sérieusement et avancer – enfin.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Le rapporteur a bien posé le problème : comment faire d’une bonne idée, largement partagée, un sujet de discussion inutile.

Si, depuis 2009, ces choses n’ont pas été mises en place, c’est bien qu’il y avait ces difficultés. Il y a un travail interministériel important. Vous connaissez parfaitement les exemples qui ont été donnés. D’autres professions sont concernées. Cela suppose que d’autres ministères soient autour de la table et ce travail demande du temps.

On s’engage pour la première fois sur un délai de six mois. Il n’y a pas ici ceux qui seraient favorables au développement du pescatourisme et qui défendraient la remise d’un rapport dans trois mois, et ceux qui y seraient opposés et qui voudraient attendre six mois. Je pense que cette caricature n’est pas à la hauteur de l’intérêt de ce sujet et de notre débat. Je crois qu’il serait raisonnable que vous retiriez cet amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Moreau.

M. Yannick Moreau. Que ce soit pour la transposition des normes européennes ou pour les travaux de notre rapporteur, je ne peux pas être plus royaliste que le roi et je me rends à la sagesse de vos observations. Je retire cet amendement.

(L’amendement n61 deuxième rectification est retiré.)

Article 17

Mme la présidente. La commission a supprimé l’article 17.

Article 18

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, pour soutenir l’amendement n196.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Le présent amendement vise à supprimer les alinéas 3, 4 et 6, qui sont liés à la mention des normes bactériologiques dans l’article L. 211-1 du code de l’environnement relatif à la protection des eaux, compte tenu du fait qu’il n’est pas souhaitable d’étendre des prescriptions microbiologiques à l’ensemble des eaux.

Nous avons eu de nombreux débats avec les services de l’État à ce sujet. Je me range à l’expertise qui m’a été donnée pour qu’on évite les complications.

L’amendement n196, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, pour soutenir l’amendement n195.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Cet amendement vise à mieux insérer les dispositions relatives à la protection des eaux conchylicoles et à la préservation de leurs caractéristiques microbiologiques au sein du code de l’environnement.

(L’amendement n195, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Bleunven, pour soutenir l’amendement n40.

M. Jean-Luc Bleunven. La substitution du mot « aquacole » à celui de « conchylicole » permet d’englober un plus large spectre d’activités de cultures marines. La conchyliculture est l’élevage de coquillages, ce qui ne représente qu’une des nombreuses formes d’aquaculture. Le terme d’aquacole couvre les coquillages, mais aussi les algues, les poissons, les invertébrés marins, etc.

(L’amendement n40, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, pour soutenir l’amendement n161.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Il concerne les documents d’urbanisme et vise à substituer à la compatibilité des SCOT aux SRDAM – qui soulève des difficultés en termes d’articulation et de hiérarchisation des différents outils de planification – une disposition prévoyant que l’action des collectivités publiques en matière de planification contribue à la réalisation de la politique du littoral.

(L’amendement n161, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 18, amendé, est adopté.)

Après l’article 18

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 18.

La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n217.

M. François-Michel Lambert. Il s’agit de compléter le code de l’environnement afin que les préfets et les maires disposent de plus de pouvoir pour contrôler au mieux la qualité de l’eau et protéger les écosystèmes marins, même quand l’imminence d’une catastrophe écologique n’a pas été établie.

N’ayant pas clairement une telle latitude aujourd’hui, ils doivent disposer des moyens d’agir dans la durée pour préserver au mieux les côtes et les littoraux.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Avis défavorable sur cet amendement car il est satisfait par l’actuelle rédaction de l’article L.211-5 du code de l’environnement concernant les incidents ou accidents présentant un danger particulier ainsi que l’action des maires et des préfets.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Un tel amendement excède le contenu du texte. Il ne concerne pas, en effet, la nécessaire intervention du préfet en raison d’un épisode précis de pollution mais il lui confère la possibilité d’intervenir – on ne sait pas d’ailleurs exactement sur quelles bases – lorsqu’il n’y a rien à signaler, ce qui me semble assez dangereux.

Sur quelle base une telle intervention reposerait-elle ? Quelles en seraient les conditions ? Tout cela me paraît tout de même relativement hasardeux.

Quoi qu’il en soit, à l’occasion de la discussion de ce texte, doit-on rouvrir le débat que nous avons déjà eu sur la biodiversité ? La loi défendue par Ségolène Royal prévoit l’extension de la protection des espaces remarquables, y compris la mer. Le débat a eu lieu dans ce cadre-là.

Enfin, alors que la CMP ne s’est pas réunie, il est dangereux de défendre des initiatives parallèles en matière de « croissance bleue » et de biodiversité. Non seulement ce n’est pas rationnel mais c’est dangereux.

Sur le fond, cet amendement me paraît hasardeux. Le Gouvernement souhaite donc son retrait. À défaut, je serais défavorable à son adoption.

Mme la présidente. La parole est à M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, pour cette réponse très claire et très juste.

Ce type d’amendement, vous avez raison, concerne moins cette proposition de loi sur l’économie bleue que la loi sur la biodiversité, mais il n’en reste pas moins que dans certains endroits, comme la baie de Marseille, un « bruit de fond » concernant la pollution persiste et que les élus locaux ne sont quasiment pas engagés – on ne remarque pas non plus un engagement clair de l’État, notamment à travers le préfet.

J’ajoute que ce « bruit de fond » est permanent et que ses origines sont multiples. L’une d’entre elles est actuellement ciblée – ce qui me fait d’ailleurs penser à mon collègue de Lorient – comme si c’était l’unique chiffon rouge à agiter, mais on ne prend pas en compte l’intégralité des problèmes qui se posent, comme le propose mon amendement.

Je le retire néanmoins car il relève plus de la loi sur la biodiversité, je l’ai dit, mais je tenais tout de même à appeler votre attention sur le fait qu’il convient de ne pas attendre la survenue d’une catastrophe : il faut d’agir d’emblée, en faveur de nos côtes et de nos mers, dont la biodiversité et les richesses diminuent.

(L’amendement n217 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 45 et 206.

La parole est à M. Jean-Luc Bleunven, pour soutenir l’amendement n45.

M. Jean-Luc Bleunven. Il convient, à terme, d’interdire les delphinariums – notre pays en compte quatre – car ils soulèvent nombre de difficultés quant à la protection des espèces.

Mme la présidente. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n206.

M. François-Michel Lambert. Il est identique au précédent. Même argumentation.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. J’ai participé avec intérêt à la discussion sur ces mêmes amendements en commission de développement durable. M. le secrétaire d’État a lui-même rappelé qu’elle avait déjà été conduite dans le cadre de l’examen d’autres textes.

Nous avons dit en commission qu’un groupe de travail a été mis en place sous l’autorité de la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, concernant la question des cétacés exploités dans les delphinariums.

Le travail étant en cours, comme cela vous a été dit voilà à peine trois mois, cet amendement ne me semble pas pertinent. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Mon argumentation sera exactement la même.

J’appelle l’attention des auteurs d’amendements : du point de vue de la procédure, il n’est pas possible d’en recycler dans chaque texte qui, de près ou de loin, concerne la mer. Sur le plan législatif, cela pourrait conduire à des catastrophes rédactionnelles.

Sur le fond, nous sommes d’accord, même si vous avez eu raison de soulever la question : la captivité des animaux sauvages est une véritable préoccupation du ministère de l’écologie et de la ministre.

À la suite, notamment, du débat sur la loi relative à la biodiversité, Ségolène Royal s’est engagée à ouvrir un chantier complet pour reprendre l’ensemble de la réglementation en la matière, qui date de 1981.

Des réunions de travail collégiales avec l’ensemble des partenaires ont été organisées afin de revoir les dispositifs encadrant les delphinariums.

Un projet d’arrêté est déjà rédigé et sera soumis à l’avis de trois instances dont la consultation est obligatoire avant d’être proposé à la signature de la ministre – Commission nationale consultative pour la faune sauvage captive, Conseil national de la protection de la nature et Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques.

En attendant qu’il soit publié, il a été demandé aux préfets de ne plus délivrer d’autorisation d’ouverture de delphinarium.

Très honnêtement, je trouve que votre démarche n’est pas raisonnable. Vous avez obtenu satisfaction, le Gouvernement met en œuvre le processus et le projet d’arrêté existe. Ces engagements, je le répète, font suite aux mêmes débats qui ont lieu dans le cadre de la loi sur la biodiversité. Vous proposez aujourd’hui de modifier la loi alors que l’arrêté est déjà rédigé et que la consultation va avoir lieu. Puisque nous sommes d’accord sur le fond et que Ségolène Royal a engagé la procédure, je vous invite à retirer ces amendements.

Dans le cas contraire, cela signifierait que vous êtes suspicieux quant à l’action de la ministre, alors même qu’il n’existe aujourd’hui aucun risque puisque Ségolène Royal a pris la décision d’interdire toute nouvelle ouverture.

Votre démarche ne me paraît donc pas cohérente sur le plan de la procédure et sur le fond, alors même que nous partageons les mêmes objectifs. Je souhaite donc que ces amendements soient retirés. À défaut, je serais défavorable à leur adoption.

Mme la présidente. Monsieur Bleunven, retirez-vous ou maintenez-vous votre amendement ?

M. Jean-Luc Bleunven. Je le retire.

(L’amendement n45 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Je retire également le mien.

(L’amendement n206 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n216.

M. François-Michel Lambert. Il concerne le même sujet.

Je ne veux pas rallonger nos débats mais je crois que nous avons commis une petite faute quant à la temporalité législative en anticipant ce que nous espérons.

J’ai entendu les propos de M. le secrétaire d’État. Je maintiens mon amendement pour entendre sa réponse ainsi que celle de M. le rapporteur mais je crois que nous naviguons dans les mêmes eaux.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Même raisonnement et même avis que précédemment.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Je réponds volontiers à la demande de M. Lambert.

Comme il l’a dit lui-même, son amendement concerne la même question.

Je le confirme ici et nos débats vaudront engagement : la ministre de l’écologie a entrepris la refonte de l’ensemble de la réglementation en la matière. Le travail est en cours.

J’ajoute qu’il s’agit d’un travail collaboratif puisqu’il a déjà permis de produire un certain nombre de textes. Comme vous le savez, les instances sont nombreuses à être consultées en la matière – je les ai citées – mais nous sommes dans la même situation.

La raison voudrait donc, là encore, que vous retiriez votre amendement. À défaut, je ne serais pas favorable à son adoption.

Mme la présidente. La parole est à M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. « Engagement » : je retiens ce mot, monsieur le secrétaire d’État. Comme nous partageons les mêmes objectifs, je le retire donc afin que nous puissions nous diriger ensemble dans la même direction en ce qui concerne cet épineux sujet.

(L’amendement n216 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n218.

M. Paul Molac. Cet amendement vise à doter les schémas régionaux d’aménagement et de développement durable du territoire, les SRADDT, d’un volet consacré aux littoraux, comme l’évoquait le rapport d’information des sénateurs Odette Herviaux et Jean Bizet intitulé : Plaidoyer pour une décentralisation de la loi Littoral : un retour aux origines.

Cela présenterait un certain nombre d’avantages : il serait facultatif et ne s’imposerait en pratique que dans les territoires désirant s’en saisir ; il responsabiliserait les élus locaux qui seraient eux-mêmes chargés de dialoguer et de proposer des réponses équilibrées aux difficultés qu’ils rencontrent ; il permettrait de conserver une vision d’ensemble et, le cas échéant, d’harmoniser les volets littoraux des SRADDT entre régions voisines ou appartenant à une même façade maritime.

L’examen de cette proposition de loi sur l’économie maritime est donc l’occasion de combler ce manque. Je vous propose d’adopter cet amendement qui, finalement, reprend un peu l’exemple du plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, le PADDUC, permettant à la fois d’adapter la loi Montagne et la loi Littoral.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur votre amendement.

En effet, les SRADDT actuels le satisfont. De surcroît, ajouter des contraintes supplémentaires déséquilibrerait complètement la hiérarchie des normes sur ce point.

Prenons garde ! Je comprends votre intention mais nous avons déjà travaillé dans le cadre de la loi NOTRe sur ces nouveaux schémas et il me paraît préférable de nous satisfaire de la rédaction actuelle de l’article qui, je vous le dis honnêtement, reprend votre demande.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. À ce stade de nos débats, je suis défavorable à cet amendement. Au demeurant, je m’interroge sur sa portée normative. En a-t-il une ? Apporte-t-il un plus par rapport aux pratiques en vigueur ? Il semble plutôt que non. A contrario, ne complexifie-t-il pas la situation en rajoutant une strate de plus au millefeuille ?

Peut-être que, lors de l’examen du texte au Sénat, et sous réserve d’une autre argumentation, nous pourrons réexaminer la situation, mais aujourd’hui, nous n’avons pas mesuré pleinement sa portée. Dès lors, il ne faudrait pas faire l’inverse de ce que l’on répète tous les jours : compliquer et non simplifier.

Ne voyant pas très bien la plus-value de cette disposition, le Gouvernement y est donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Moreau.

M. Yannick Moreau. Je souscris à l’analyse de M. le secrétaire d’État.

Votre intention est louable, cher collègue, et nous partageons tous ici les objectifs de votre amendement.

Néanmoins, son adoption reviendrait à compliquer encore l’élaboration des SRADDT. Nous consoliderions de surcroît un édifice juridique qui sera au final opposable de manière assez peu lisible pour l’avenir. Je propose donc d’en rester au texte de la loi NOTRe.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Le Ray.

M. Philippe Le Ray. Je souhaite revenir sur la proposition de notre collègue Molac.

Il est assez normal que, sur de tels sujets, nos avis soient un peu différents mais, en l’occurrence, je le rejoins totalement.

Comme certains parmi vous, je vis au quotidien l’application de la loi Littoral – même si j’ai raté tout à l’heure le débat sur l’amendement Bleunven.

J’ai également vécu des installations d’établissements aquacoles qui ont soulevé de gros problèmes : près de dix ans ont été nécessaires en raison de conflits d’usage – nous savons qu’un certain nombre de règles s’appliquent à la bande des 100 mètres, de même s’agissant des affaires maritimes.

Lorsque l’on sort de ce domaine, en rétro-littoral, la continuité d’urbanisation s’applique immédiatement. Il n’existe pas pour l’élevage aquacole – contrairement à ce qui existe pour les autres types d’élevage – de dérogation au principe de l’urbanisation en continu.

Il me semble donc que le fait de régionaliser une approche de l’installation permettrait de faire un lien entre le schéma de cohérence territoriale – SCOT – défini par les communes ou les intercommunalités et le schéma régional. Cela renforcerait le dispositif et éviterait les contentieux, que nous connaissons tous dans nos territoires.

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Le problème ne se limite pas au cas des élevages et des entreprises ostréicoles. Il arrive souvent que les campagnes soient mitées par un habitat qui, quoiqu’illégal, s’est maintenu depuis cinq, dix, voire quarante ans. Il est très difficile de récupérer ces terrains et d’offrir aux habitants, dont la caravane a parfois laissé place à une maison, une autre habitation.

Certains maires, chez nous, parviennent à s’entendre avec ces personnes et à récupérer jusqu’à 5 000 mètres carrés de terrain ; ils replacent ensuite les habitants sur de petits terrains de 400 mètres carrés. Certaines communes ont ainsi pu récupérer une vingtaine d’hectares, qu’elles ont rendus à l’agriculture. Ce n’est pas négligeable, quand on sait que la pression foncière est telle, sur ces territoires, que les gens hésitent même à faire des baux pour les agriculteurs.

Mon amendement entendait prendre en compte ce type de situation. C’est d’autant plus important que la loi Littoral est bien adaptée aux territoires d’habitat groupé, mais qu’elle l’est beaucoup moins aux territoires d’habitat dispersé, comme les nôtres en Bretagne.

(L’amendement n218 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 192 et 207.

La parole est à M. Patrice Carvalho, pour soutenir l’amendement n192.

M. Patrice Carvalho. Nous avons déjà eu l’occasion de défendre le présent amendement, lors de l’examen du projet de loi sur la biodiversité.

La pêche en eaux profondes par chalutage de fonds est encore pratiquée, alors qu’elle vise des espèces qui sont toutes menacées. Avec cette technique, on capture jusqu’à 80 % d’espèces et d’organismes qui n’étaient pas visés par cette pêche, et que l’on rejette généralement à l’eau, aussitôt pêchés, mais morts, parce qu’ils ne sont pas rentables, ou parce que le bateau de pêche a déjà pris tout son quota.

Ces techniques destructrices n’ont plus leur place dans notre politique de pêche, d’autant qu’elles n’ont pas permis de résoudre la crise de la pêche, qui dure depuis des décennies. Le nombre de pêcheurs a très fortement diminué et la viabilité économique du secteur est menacée. Les États européens, avec l’argent des contribuables, ont subventionné la construction d’une flotte industrielle surdimensionnée, au détriment de la pêche artisanale, qui représente pourtant le plus grand gisement d’emplois et la meilleure garantie de la mise en œuvre d’une pêche durable.

Le chalutage en eaux profondes est le symbole d’une politique de la pêche qui marche sur la tête. La flotte de pêche artisanale représente environ 80 % des bateaux en Europe, mais doit se contenter, au grand maximum, de 20 % des quotas. Si les chiffres varient selon les pays, ces pêcheurs représentent néanmoins la majorité des emplois du secteur en Europe. En France, les pêcheurs artisans représentent 80 % de la flotte et 50 % des emplois du secteur.

La pêche artisanale crée de l’emploi local, produit du poisson de qualité et préserve la ressource et les océans. C’est elle qu’il nous faut aujourd’hui massivement soutenir et nous aurions aimé que le texte dont nous débattons opère à cet égard un vrai tournant au lieu de se contenter de quelques mesures, certes bienvenues, sur les sociétés de pêche artisanale.

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Baupin, pour soutenir l’amendement n207.

M. Denis Baupin. Mon amendement est identique à celui que vient de défendre brillamment notre collègue Patrice Carvalho, mais aussi à un amendement déposé par l’un de nos collègues de l’Union des démocrates et indépendants, ce qui montre que plusieurs groupes politiques, par ailleurs très différents, s’inquiètent de l’impact du chalutage en eaux profondes sur la biodiversité.

Cette question a fait l’objet de nombreuses polémiques et d’une mobilisation citoyenne, notamment de la part d’organisations non gouvernementales, inquiètes de l’impact de cette méthode de pêche – si l’on peut parler de méthode – sur les écosystèmes très fragiles qui se trouvent dans les profondeurs, notamment sur les espèces que leurs caractéristiques biologiques rendent particulièrement vulnérables à la surpêche. Des dizaines de publications scientifiques internationales démontrent les effets ravageurs de la pêche en eaux profondes, notamment ceux du chalutage, sur la biodiversité.

C’est la raison pour laquelle nous voulons, à la faveur de l’examen de ce projet de loi, appeler à nouveau l’attention sur cette question et demander que la France prenne une position courageuse en interdisant cette pratique.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Monsieur Baupin, monsieur Carvalho, il est dommage que M. Pancher ne soit pas là et que la triplette ne soit pas au complet pour évoquer ce sujet. (Sourires.) Nous avons déjà abordé cette question à plusieurs reprises, lors de l’examen du projet de loi sur la biodiversité, puis lors de l’examen du présent texte en commission.

Vous mentionnez des dizaines d’articles scientifiques, mais je pourrais moi aussi mentionner des dizaines d’articles scientifiques qui démontrent que des efforts sont faits, qui portent leurs fruits. Mon collègue Gwendal Rouillard a évoqué tout à l’heure la Scapêche, qui a pris elle-même l’initiative de limiter la profondeur de ses traits de chalut. Il faut saluer cette démarche volontaire, et je tiens à rappeler, comme nous n’avons pas cessé de le faire avec M. le secrétaire d’État depuis le début de cette discussion, qu’il est aussi dans l’intérêt des pêcheurs de veiller à la conservation de la ressource. Je ne pense pas que le gène suicidaire soit plus présent chez les pêcheurs que dans d’autres professions… Ils savent très bien que leur avenir, leur travail, dépend de la ressource, et ils y prêtent donc attention.

Évitons de tomber dans la communication, les règlements de compte entre ONG ou les attaques personnelles. Je vous invite à regarder ce qui se passe au niveau européen, monsieur Baupin – car je sais que vous êtes un fervent européen. Le Parlement européen s’est penché sur cette question : nous avons avancé, trouvé un compromis et fixé un calendrier. Je marche donc sur les pas de M. le secrétaire d’État, lorsqu’il dit qu’il importe de défendre collectivement la politique commune de la pêche et les outils qu’elle nous donne. S’agissant du chalutage en eaux profondes, il existe déjà une réponse, un suivi, des évolutions dans les arts de pêche et des démarches volontaires : je crois que c’est largement suffisant. Surtout – et je le répète pour la énième fois –, veillons à ne pas jeter la suspicion sur une profession.

Avis défavorable à ces deux amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur Baupin, si votre objectif est de rappeler votre opposition, vous l’avez atteint et nous pouvons en rester là ; s’il est de modifier la loi française aujourd’hui, je pense que votre démarche est dangereuse et compliquée. Nous avons déjà eu ce débat à de nombreuses reprises – chaque fois qu’un texte touche à la mer, de près ou de loin. La ministre de l’écologie a rappelé il y a quelques jours au Sénat quelle était sa position sur cette question.

Il serait très imprudent de prendre cette initiative, qui serait non seulement incomprise, mais aussi dangereuse, car elle pourrait remettre en cause la seule procédure utile en la matière, pour ceux qui veulent effectivement limiter ou interdire la pêche en eaux profondes, à savoir celle qui résultera du processus européen. La France a donné son accord à une proposition qui prévoit l’interdiction du chalutage profond au-delà de 800 mètres, une protection des écosystèmes marins vulnérables, ainsi que des adaptations pour préserver la pêche artisanale qui cible d’autres espèces de fond, comme la langoustine ou la lotte.

Sur cette proposition, qui a été adoptée à l’unanimité en conseil des ministres européens, la France a travaillé et pesé, puisque Ségolène Royal a pris position. Aujourd’hui, vous le savez, la procédure européenne est en cours et des trilogues vont avoir lieu entre le Parlement, le Conseil européen et la Commission. Il y a quelques jours encore, Ségolène Royal a rappelé sa position, en écrivant à la Commission pour demander que cette procédure aboutisse le plus rapidement possible. Telle est la position du Gouvernement.

Imaginez un instant, alors que les parlementaires européens travaillent sur ce sujet depuis des mois, voire des années ; alors que tout le monde convient que cette question relève de la politique commune de la pêche et doit être traitée au niveau européen ; alors que Ségolène Royal a envoyé cette lettre ; imaginez que la Commission apprenne que le Parlement français a décidé de régler le problème de son côté, pour la France.

Je n’imagine pas que vous ne vouliez défendre que la mer française : la défense de l’environnement ne peut être qu’universaliste, sans quoi elle n’aurait pas de sens. En adoptant votre amendement, nous risquerions de faire tomber la procédure européenne dans l’oubli, puisque la France semblerait avoir agi toute seule. Ce ne serait pas une bonne chose, et j’insiste, comme je le faisais tout à l’heure, sur le message que nous voulons adresser aux pêcheurs, à savoir que nous mettons en œuvre une politique européenne. Chaque fois qu’on leur explique que l’on peut prendre des mesures plus dures ou plus répressives unilatéralement, cela vient nourrir le fonds de commerce de ceux qui luttent contre l’Europe, qui pensent que nous devons nous replier derrière nos frontières. Et cela se retrouve dans les urnes.

Vos intentions sont bonnes, mais notre responsabilité politique, aujourd’hui, compte tenu de l’état de la procédure, c’est de soutenir la démarche engagée par Ségolène Royal. La décision est proche : les pays sont unanimes. Il suffit maintenant que le trilogue aboutisse et c’est pour cela que je vous invite, par cohérence, à retirer ces amendements, pour que nous délivrions un message unanime, celui de la lettre adressée par la ministre, et que la procédure européenne puisse aboutir rapidement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Je partage totalement l’avis de M. le rapporteur et de M. le secrétaire d’État. J’ai du mal à imaginer que l’on puisse proposer ce type de mesure pour les seuls pêcheurs français. Cela signifierait qu’ils n’auraient plus le droit, demain, de pratiquer la pêche qu’ils pratiquent aujourd’hui, alors que tous les pays voisins le pourraient. Cela détruirait 250 emplois, d’après les chiffres qui m’ont été donnés.

Une négociation européenne est en cours. D’après les informations que M. le secrétaire d’État a confirmées il y a quelques instants, et dont nous disposions aussi, elles semblent s’orienter vers un compromis acceptable par tous. En tout cas, nous le soutiendrons et, avec nos collègues du groupe Les Républicains ici présents, je voterai contre ces amendements, s’ils sont maintenus.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Le Bris.

M. Gilbert Le Bris. Nous nous exprimerons également contre ces amendements. Et permettez à quelqu’un qui connaît bien le monde de la pêche, pour avoir été maire d’un port de pêche majeur pendant un quart de siècle, pour être issu d’une famille de pêcheurs et avoir participé lui-même à de nombreuses campagnes de pêche, de vous dire que les pêcheurs sont des gens responsables, qui savent que la ressource est la leur et qu’il faut la gérer.

Il ne faut pas opposer les types de pêche les uns aux autres, la pêche à la senne à la pêche au fond, la pêche hauturière à la pêche artisanale, la pêche côtière à la pêche au large : ce sont là des faux-semblants, et cela me fait songer au combat des Horaces et des Curiaces. Aujourd’hui, on s’attaque à la pêche en eaux profondes et, quand on aura réussi à l’interdire, on s’attaquera à la pêche hauturière, puis à la pêche artisanale. Ce n’est pas acceptable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

C’est d’autant moins acceptable que des efforts sont faits. À l’heure actuelle, on ne pêche plus l’empereur, parce que son stock est trop réduit. Par ailleurs, en eaux profondes, 75 % des stocks ont atteint un niveau admissible. Il y a donc bien une gestion rationnelle, au service des pêcheurs. Continuons comme cela : soyons soucieux du stock, mais ne prononçons pas des oukases à l’encontre de tel ou tel type de pêche. Toutes ont leur place. (« Très bien ! sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Le Ray.

M. Philippe Le Ray. Il convient de revenir un moment sur un sujet essentiel pour la région lorientaise. Autant je peux comprendre la cohérence des propos de nos collègues écologistes, autant je ne comprends pas nos collègues du Front de gauche.

Vous savez très bien, comme l’a rappelé Gwendal Rouillard, que toute une économie dépend de ce type de pêche. Pour avoir longuement discuté avec des pêcheurs, je sais qu’ils sont tout à fait conscients que la pêche est aujourd’hui un sujet d’avenir, essentiel pour leur propre survie. C’est pourquoi ils ont engagé depuis des années une démarche, en termes d’équipements et de formation à la pêche, visant à assurer la production de demain.

De plus, comme l’a souligné M. Lurton, il ne faut isoler notre pays sur ce sujet. Pourquoi soudainement la France jouerait-elle le rôle du chevalier blanc de l’Europe, au risque de se retrouver complètement isolée dans cette politique ? L’Europe évolue et accompagne les pêcheurs. Restons constructifs dans nos propos : s’il ne s’agit pas de s’opposer totalement à ce que vous dites, en revanche, votre méthode est surprenante. Il faut arrêter, dites-vous : pourquoi une telle violence ? Elle n’est pas admissible. Il y a, derrière cette activité, des hommes et des femmes qui en vivent. Ils sont conscients que l’évolution sera progressive. Comme l’a rappelé M. Le Bris, aujourd’hui, l’équilibre est atteint pour 75 % des espèces : les choses évoluent dans la bonne direction. Restons donc positifs.

Mme la présidente. Monsieur Baupin, retirez-vous votre amendement ?

M. Denis Baupin. Sûrement pas après ce que je viens d’entendre ! On peut ouvrir des débats sans recourir à la caricature. Soutenir que, parce que nous mettons en évidence les dégâts causés par la pêche industrielle, dont les méthodes sont ravageuses, nous sommes contre tous les pêcheurs, est un amalgame trop facile et caricatural pour inviter à un débat serein.

Le 22 janvier dernier, intervenant au Sénat sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, une personne a qualifié de « massacre » la pêche en eaux profondes, a évoqué des « dégâts invraisemblables » et un « arrachage systématique » et ajouté que « si cela se passait en surface, les gens se révolteraient. Ce serait impensable ! » Cette personne…

M. Gilles Lurton. Qui est-ce ?

M. Denis Baupin. …a également dénoncé « le chantage à l’emploi » et appelé la France à « montrer l’exemple » et à donner le « signal ». Cette personne est ministre de l’écologie : c’est Ségolène Royal.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez rappelé la prise de position très claire de la ministre de l’écologie la semaine passée : je pense en effet que sa prise de position très claire de la semaine passée au Sénat doit être suivie.

M. François-Michel Lambert et M. Patrice Carvalho. Très bien !

M. Philippe Le Ray. C’est gratuit.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Je suis très serein sur le sujet. Chacun peut concevoir que le département du Tarn n’est pas connu pour ses façades maritimes : c’est pourquoi, si je m’exprime sur le sujet, c’est uniquement au nom de l’intérêt général. Or, eu égard à celui-ci, les propos tenus par M. le rapporteur et par M. le secrétaire d’État ont été particulièrement convaincants. Il en est de même des propos tenus par un grand nombre de nos collègues sur tous les bancs.

Vous avez avancé, mes chers collègues, une opinion qui a donné lieu à débat. La sagesse serait que vous retiriez vos amendements afin que nous puissions poursuivre l’examen du texte avec toute la quiétude nécessaire.

L’excès est négatif en tout. Or votre proposition d’une interdiction globale, indéterminée et indéfinie de la pêche en eaux profondes est excessive. Chacun s’est exprimé longuement pour souligner combien il est important de recourir à des pratiques responsables. Certes, si certaines pratiques du passé n’étaient pas correctes, aujourd’hui, la prise de conscience des acteurs de la filière nous invite à faire confiance au caractère constructif et responsable des engagements de l’ensemble des professionnels. N’oublions pas tous ceux qui vivent de cette activité économique qu’est la pêche. Ces personnes méritent d’être respectées, même si elles n’habitent pas dans le Tarn. (Sourires.)

Mme la présidente. Monsieur Carvalho, maintenez-vous votre amendement ?

M. Patrice Carvalho. Oui, madame la présidente.

J’ai l’impression de n’avoir été écouté ni par la gauche ni par la droite lors de ma précédente intervention. Peut-être mon élocution est-elle un peu difficile ou trop rapide. C’est pourquoi je vous rappelle qu’on parle ici de bateaux qui arrachent le fond des mers.

M. Denis Baupin. Exactement !

M. Patrice Carvalho. Dans un pays où il est impossible de draguer un cours d’eau ou une rivière sans devoir passer par des procédures qui durent des années, il est possible de le faire en pleine mer !

M. François-Michel Lambert. Très bien !

M. Patrice Carvalho. Imaginez le résultat ! J’ai déjà vu à la télévision ce que les bateaux remontent à la surface : cette pratique n’est pas sans poser de problème. Nous n’avons pas le droit de la permettre par respect pour les générations futures.

Qu’ai-je dit ? J’ai dit qu’en France…

M. Philippe Le Ray. Êtes-vous déjà monté sur un bateau de pêche ?

M. Patrice Carvalho. Écoutez-moi, vous saurez ainsi ce que j’ai dit.

J’ai dit qu’en France les pêcheurs artisans représentent 80 % de la flotte et la moitié des emplois du secteur. La pêche artisanale crée de l’emploi local, produit du poisson de qualité et préserve la ressource et les océans. Mes propos ne sont donc pas dirigés contre les pêcheurs, au contraire. C’est la pêche artisanale qu’il nous faut aujourd’hui massivement soutenir et nous aurions aimé que le texte que nous examinons opère à cet égard un vrai tournant au lieu de se contenter de quelques mesures, bienvenues assurément, sur les sociétés de pêche artisanales. Notre objectif n’a donc rien de révolutionnaire. Il s’agit de conforter ceux qui pratiquent la bonne pêche et créent des emplois.

M. François-Michel Lambert. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Philippe Nilor.

M. Jean-Philippe Nilor. Ce ne sont pas les auteurs des amendements qui ont tenu des propos excessifs, mais bien plutôt certains de nos collègues de droite.

Comment s’étonner qu’un élu du Front de gauche ait des préoccupations environnementales ? C’est figer chacun dans une caricature. Notre démarche vise à ne pas opposer systématiquement comme contradictoires les préoccupations environnementales et économiques.

M. Philippe Le Ray. Nous n’avons pas dit cela !

M. Jean-Philippe Nilor. Si, puisque vous avez soutenu que, si vous compreniez que des écologistes défendent de tels amendements, c’était plus surprenant de la part de députés du Front de gauche. Quel que soit le courant politique auquel on appartient, la préservation de l’environnement est devenue une évidence, qui peut être défendue par n’importe quel député de n’importe quel bord politique.

M. Philippe Le Ray. Personne ne dit le contraire !

M. Jean-Philippe Nilor. Il faut faire preuve, en la matière, d’une plus grande ouverture d’esprit.

Mme la présidente. La parole est à M. Gwendal Rouillard.

M. Gwendal Rouillard. Premièrement, le député de Lorient que je suis vous y accueillera avec plaisir, aux côtés des entreprises de pêche, ainsi que des femmes et des hommes concernés. Nous vous accueillerons au port avec plaisir pour vous expliquer les stratégies, les outils et la manière dont nous travaillons tous ensemble.

Deuxièmement, il est inopérant et faux d’opposer les formes de pêche. La pêche artisanale crée de l’emploi parce que nous nous battons depuis longtemps pour assurer le renouvellement de la flotte. C’est notre quotidien. La pêche hauturière crée elle aussi de l’emploi : c’est pourquoi, chaque année, au port de pêche de Lorient, nous investissons des millions d’euros pour la pêche hauturière comme pour la pêche artisanale : c’est une filière et les gens travaillent ensemble.

Enfin – je suis stupéfait, il faut bien le dire –, passons de la discussion virtuelle aux réalités. À Lorient est installée une station de l’IFREMER qui travaille pour partie sur les espèces vivant en eaux profondes. Que font concrètement les scientifiques de l’IFREMER ? Ils travaillent avec les entreprises de pêche au port et, depuis une dizaine d’années, ils vont même à bord des bateaux.

Si le Conseil international pour l’exploration de la mer – le CIEM – est capable d’émettre des avis scientifiques, c’est parce que nous avons collecté depuis des années des dizaines de milliers de traits de chalut. Ces données objectives sont assurément insuffisantes : c’est pourquoi j’ai déclaré qu’il convient de continuer à approfondir nos connaissances scientifiques. Nous sommes parfaitement lucides sur ce qui va et sur ce qu’il reste à faire. Nous sommes donc engagés dans une démarche de responsabilité et de lucidité.

De grâce, sortons des postures, venez à Lorient et regardez les réalités objectives, en particulier la qualité du travail de l’IFREMER.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

M. Patrice Carvalho. Il faut défendre la mer !

M. Gwendal Rouillard. Venez à Lorient !

Mme la présidente. Messieurs les députés, Mme la rapporteure pour avis a seule la parole.

Mme Annick Le Loch, rapporteure pour avis. Si le Guilvinec n’est pas Lorient, on n’y trouve pas moins quelques bateaux de taille modeste, de moins de 24 mètres, qui pêchent des quotas en eaux profondes. Or les patrons pêcheurs me disent constamment que ces quotas sont très limités et que cette pêche est elle-même très contrôlée.

Les dispositions sont débattues au niveau européen : c’est ainsi que le Parlement européen a pris position sur le projet de règlement. Les orientations sont connues : elles ne prévoient pas l’interdiction mais limitent l’activité aux zones déjà exploitées – c’est le gel de l’empreinte. Il ne faut pas pénaliser les pêcheurs français : leurs concurrents pourraient en profiter. C’est pourquoi je suis favorable au rejet de ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Plusieurs sujets ont été mélangés.

Tout d’abord, les espèces qui vivent en eaux profondes sont recensées au titre des TAC – totaux autorisés de captures – et des quotas, avec un dispositif particulier, puisque les décisions sont prises pour deux années. Or les dernières, qui ont été prises sur la base des avis du CIEM, ne révèlent, s’agissant des espèces en eaux profondes, aucune difficulté : la Commission a même proposé en 2013 une augmentation de 60 % des quotas de pêche de certaines espèces, alors que les États n’avaient aucune revendication en la matière.

S’agissant de la méthode, M. Carvalho s’est emporté à propos du dragage : si c’est le dragage lui-même qui pose problème et non le dragage en eaux profondes, il faudra alors renoncer aux langoustines et aux coquilles Saint-Jacques ainsi qu’à d’autres espèces. La question est donc celle non pas du dragage en soi mais de l’effet sur les fonds marins de ce mode de pêche pratiqué en profondeur. Et c’est à ce sujet que Mme la ministre de l’écologie a rappelé la position du Gouvernement, favorable à une décision européenne limitant la pêche au-dessous de 800 mètres. C’est tout à fait clair. Ne mélangeons pas les sujets, d’autant que le cadre, qui a été négocié, fait l’objet d’une démarche plus consensuelle que ce qu’on attendait. Nous en sommes à la phase finale, à savoir le trilogue européen. Il faut respecter précisément cette démarche.

C’est pourquoi, je le répète, la ministre a tenu des propos de principe qui sont conformes à l’objectif du Gouvernement. Quant à la méthode pour l’atteindre, elle ne passe pas par de tels amendements : seule la concrétisation de la démarche engagée au niveau européen nous permettra de passer des intentions aux actes. C’est pourquoi je souhaite le retrait de ces amendements, ou, à défaut, y suis défavorable.

(Les amendements identiques nos 192 et 207 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n213.

M. François-Michel Lambert. N’ayant pu intervenir précédemment, je tiens à dire que je n’accepte pas que quelque collègue que ce soit – je le dis à mon collègue de Lorient – avance l’idée selon laquelle nous ignorerions qu’il y a des ouvriers et des familles derrière une activité. Je suis député de la circonscription de Gardanne, dans laquelle est située une usine d’alumine de 1 000 salariés qui rejetait des boues rouges jusqu’à la fin de l’année dernière. Elle a désormais diminué ses rejets de 90 % à 95 % et a encore deux à trois ans pour respecter totalement les normes.

Or les salariés subissent depuis deux ans l’idée qu’ils sont des assassins de la mer. Ils doivent faire face à des manifestations, à des attaques parfois au sein même des familles. Évitons donc ce genre de comportement et revenons-en au fond ! La deuxième partie de votre intervention, monsieur Rouillard, m’a semblé beaucoup plus judicieuse et aurait permis un débat apaisé.

J’en viens à une défense rapide de l’amendement n213. Le rapport remis en 2011 par Guillaume Sainteny n’ayant pas été vraiment suivi d’effets, nous souhaitons obtenir plus d’éléments et demandons un rapport consacré à ce sujet. J’aimerais savoir ce que le Gouvernement et le rapporteur pensent de cette demande.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Si l’ambition est de donner suite au rapport de Guillaume Sainteny, je ne crois pas que ce soit le véhicule idoine, dans la mesure où ledit rapport traitait essentiellement de sujets liés à l’activité terrestre. Je connais bien ce rapport car j’y ai travaillé assez longuement pour Jean-Marc Ayrault dans le cadre de la réflexion sur la fiscalité écologique. Je ne me souviens pas y avoir lu des développements sur la pêche en mer.

Nous avons déjà discuté hier de la question de l’information et des remises de rapport, et nous avons conclu que nous avions déjà beaucoup d’éléments, notamment les documents fournis par l’administration au moment de la discussion budgétaire et les documents produits dans le cadre des discussions européennes. Il me semble que c’est largement suffisant.

Il existe aussi un mythe, nous l’évoquions tout à l’heure, au sujet des aides publiques, qu’il ne faut pas confondre avec les fameux 900 millions d’euros de cotisation de l’État à l’ENIM.

Avis défavorable, donc.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Je le disais encore hier soir : dans ce secteur déjà extrêmement encadré, il n’est pas nécessaire de prendre des initiatives qui, même si elles sont de bonne foi, ne sont pas comprises. La démarche que vous proposez, monsieur le député, risque d’être perçue comme la manifestation d’une suspicion.

Suspicion à l’égard de tout le monde, du reste, y compris moi. Car donner des explications sur l’utilisation des crédits publics, je ne fais que cela ! Je réponds à tous les questionnaires que l’on m’envoie au moment du débat budgétaire et l’information ne connaît aucune limitation. Je peux apporter, à votre demande, tous les éléments de transparence que vous souhaitez. Il n’existe aucun interdit à ce sujet. Le Gouvernement a l’obligation de répondre. Avec l’administration, je viens ensuite devant votre commission pour répondre en direct à vos questions. Si vous en avez oublié une, vous pouvez nous faire interroger au Sénat. Ici même, vous en avez encore l’occasion lors des séances de questions d’actualité et de questions orales sans débat.

Bref, nous ne pouvons pas échapper à vos questions. Comme je sais que celles-ci sont exigeantes, je pense qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter un rapport.

Du reste, s’agissant des aides publiques en la matière, le questionnaire est forcément limité. À moins de considérer qu’il faille prendre en compte le déficit de l’ENIM, vous savez bien que c’est un des problèmes que nous rencontrons dans la situation actuelle. Pour le renouvellement de la flotte, notamment la flotte de pêche, les aides directes à l’achat de bateaux sont interdites, même lorsqu’il s’agit de petite pêche.

Quant au FEAMP, le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, il est soumis à un règlement opérationnel très précis. Sa gestion est assurée soit par l’État, soit par les régions, et le contrôle s’effectue à tous les niveaux.

La transparence, qui est une exigence partagée, est donc au rendez-vous. Il est normal de s’en assurer. S’il y avait un déficit de transparence, je comprendrais la démarche. Mais, telle n’est pas la situation, ce que je viens de rappeler le montre bien. Autant, dès lors, ne pas donner un sentiment de suspicion.

Je vous demande donc de retirer cet amendement. À défaut, je rendrai avis défavorable.

Mme la présidente. Retirez-vous votre amendement, monsieur Lambert ?

M. François-Michel Lambert. Je vous remercie sincèrement pour ces explications très claires, monsieur le secrétaire d’État, et je retire évidemment l’amendement.

(L’amendement n213 est retiré.)

Article 18 bis

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, rapporteur, pour soutenir l’amendement n162.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de sécurité juridique.

(L’amendement n162, accepté par le Gouvernement, est adopté et l’article 18 bis est ainsi rédigé.)

Après l’article 18 bis

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Letchimy, pour soutenir l’amendement n177.

M. Serge Letchimy. Avant de le défendre, je voudrais indiquer que j’ai entendu avec satisfaction la réponse du ministre au sujet de la pêche en eaux profondes. Le débat s’est tenu ici à plusieurs reprises. Assurément, cette pêche a des conséquences sur l’écosystème et sur les pêches accessoires. Les dommages provoqués méritent une attention particulière, et l’agenda présenté par Mme Royal me semble intéressant. J’ai suivi l’avis du Gouvernement cette fois-ci, mais peut-être ne le suivrai-je pas la prochaine fois…

L’amendement n177 vise à permettre aux collectivités territoriales uniques de Guyane et de la Martinique, ainsi qu’aux autres collectivités, départements et régions d’outre-mer, de participer aux discussions relatives à la ressource halieutique partagée.

Grâce au Grenelle de l’environnement, nous avons en effet défini des bassins maritimes transfrontaliers où, qu’on le veuille ou non, la ressource est partagée. C’est le cas de la Martinique, par exemple, avec Sainte-Lucie et la Dominique, ainsi que de collectivités de l’océan Indien.

Il est donc nécessaire que les collectivités locales ainsi que les organisations professionnelles puissent discuter au sein des instances régionales et internationales existantes. Cette dynamique exigeant des déterminations techniques très précises, sur la qualité et la quantité de la ressource, ces collectivités doivent être impliquées aux côtés de l’État dans les négociations régionales et internationales.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Extrêmement favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Philippe Nilor.

M. Jean-Philippe Nilor. J’apporte mon total soutien à cet amendement. L’optimisation de l’exploitation des ressources halieutiques, notamment en outre-mer, ne saurait se décider à Paris.

(L’amendement n177 est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Letchimy, pour soutenir l’amendement n197 rectifié.

M. Serge Letchimy. En matière de pêche, on l’a dit, nous rencontrons des difficultés de structuration et de renouvellement de la flotte. Sachant qu’il s’agit d’une pêche artisanale, il convient de préciser dans le code rural et de la pêche maritime les objectifs fixés dans les outre-mer, à l’instar de ce que l’on a fait dans le domaine agricole.

Il est singulier qu’aucune dynamique globale, soutenue de façon conséquente par des financements européens, ne se crée. Nous avons une sorte de philosophie POSEI – programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité – sans vrai programme de soutien de la part de l’Europe.

Nous proposons donc d’indiquer clairement dans le code rural et de la pêche maritime que les difficultés afférentes à l’éloignement et à l’insularité n’empêchent pas de se fixer un objectif de valorisation de la pêche et de l’aquaculture, en s’appuyant sur la politique commune de la pêche et sur une philosophie plus globale de transformation et de valorisation sur place.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. La France cherche en permanence à défendre les spécificités des outre-mer au niveau européen en matière de pêche maritime, mais elle est souvent confrontée, je l’ai dit hier soir, à des blocages. Malgré tout, des avancées ont été obtenues dans la dernière réforme de la politique commune de la pêche et dans le FEAMP, avec une enveloppe en forte augmentation pour la compensation des surcoûts des outre-mer. La disposition législative que vous proposez, monsieur le député, permet d’inscrire la spécificité de nos outre-mer en matière de pêche maritime, de manière à ce que la France poursuive ses efforts au niveau européen – et je souhaite le faire avec vous – pour obtenir la pleine reconnaissance de cette spécificité dans le cadre de la politique commune de la pêche. Avis favorable.

(L’amendement n197 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, rapporteur, pour soutenir l’amendement n237.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Je veux expliquer en quelques mots la démarche avant de le retirer.

Lors des discussions préparatoires à ce texte, nous avons identifié un sujet majeur, celui de la recherche française en matière maritime et océanographique. J’ai donc cru bon d’examiner le dispositif actuel et de proposer de donner une existence législative au COMER – Comité spécialisé pour la recherche marine, maritime et littorale –, installé récemment dans le cadre du CNML – Conseil national de la mer et des littoraux.

Mais il s’avère qu’en procédant ainsi, on déséquilibre le CNML, instance que je soutiens fortement comme en témoigne ma présentation du texte.

J’appelle donc le Gouvernement à faire vivre le CNML et à passer des commandes au COMER, afin notamment de documenter la stratégie d’exploration des grands fonds et de répondre à certaines craintes. Cette stratégie est importante pour l’avenir de certains secteurs d’activité et pour la préservation des milieux.

Cet amendement visait à introduire un point consacré à la recherche qui, je le reconnais, fait défaut à cette proposition de loi. L’identification et le choix des outils n’ont pas été faciles. Il faut tenir compte des différents opérateurs de la recherche océanographique et arriver à une coordination plus forte, peut-être autour de l’IFREMER, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, qui est un peu le poids lourd du secteur, mais avec des objectifs partagés. Il faut aussi prendre en considération les traditions de chacun de ces opérateurs. De plus – vous le savez mieux que moi, monsieur le secrétaire d’État –, nous devrons faire face à des restrictions budgétaires qui compliqueront parfois la réalisation des missions scientifiques.

Je souhaitais faire ce point sur la recherche scientifique, qui me semble totalement liée au développement de l’économie maritime.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Puisque le rapporteur retire son amendement, je n’entrerai pas dans les détails. Je souhaite seulement indiquer à l’occasion de ce débat que, conformément aux engagements du Gouvernement, le CNML et le COMER seront réinstallés au début du printemps 2016, après une interruption de fonctionnement que nous avons mise à profit pour moderniser leur cadre institutionnel en tirant les enseignements de leur premier mandat.

(L’amendement n237 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Letchimy, pour soutenir l’amendement n176.

M. Serge Letchimy. On ne saurait parler d’économie bleue sans parler, non plus du loisir maritime, mais du processus d’exploitation touristique de la mer, où la plaisance joue un rôle essentiel.

La Caraïbe, comme d’autres régions de l’outre-mer, offre non seulement des infrastructures de très grande qualité, mais aussi des plateformes de santé qui sont autant de points d’attractivité pour les personnes qui circulent dans la région, sans compter les enjeux de sécurité. Bref, ces pays sont devenus suffisamment attractifs pour créer une dynamique autour de l’économie bleue de plaisance.

Il existe aussi une politique de financement, reposant à la fois sur la défiscalisation et sur des investissements lourds dans les ports à sec et les autres ports.

Le problème est que, si nous finançons des ports pour des montants très importants – il manque encore 3 000 places dans le cas de la Martinique –, nous nous lions les mains par toute une série de dispositifs qui contraignent la pratique de la plaisance. Pourtant, celle-ci est susceptible, dans nos pays où le chômage, en dépit d’une baisse récente, est relativement élevé, de créer beaucoup d’activité. Il faut donc faire quelque chose.

Voici quelques exemples de ce qui pourrait être fait : exonérer de TVA les contrats d’affrètement ; simplifier les démarches administratives ; appliquer, sous le contrôle de la douane, le droit à exporter le carburant, qui souffre de la compétitivité avec les îles limitrophes ; étendre le principe d’exportation du savoir-faire hors TVA, sans déclaration douanière, à la plaisance privée ; réduire la durée d’exploitation minimum des navires de charter ou de location dans le cadre de la défiscalisation ; enfin, étendre à la plaisance le périmètre des secteurs éligibles au dispositif de zone franche d’activité.

Nous demandons qu’un rapport fasse le point sur les mesures à prendre, qui d’ailleurs sont plus d’ordre réglementaire que législatif.

Mais je suis encore plus favorable à une autre formule consistant à créer une commission d’expertise. Dans ce cas, l’Inspection générale des finances serait certainement plus efficace pour prendre rapidement des mesures qui sont pour nous très importantes.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. À titre personnel, j’entends la demande de mon collègue de Martinique. C’est un vrai sujet, mais comme vous l’avez dit, ces mesures relèvent plus du domaine réglementaire. Il serait compliqué d’inscrire ce rapport dans la loi, d’autant que les rapports sont déjà très nombreux. Avis défavorable de la commission, mais j’espère que nous trouverons une autre piste pour avancer dans ce dossier.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Je profite de cet amendement pour évoquer la plaisance, dont nous avons peu parlé au cours de nos débats. C’est une filière d’excellence qui exporte 65 % de ses constructions, représente 4 milliards de chiffre d’affaires par an et 45 000 emplois, et à laquelle de nombreuses PME concourent.

Vous demandez à travers cet amendement que soit établi un rapport d’expertise sur les mesures qu’il convient de prendre pour aider la filière à faire face à la concurrence à laquelle sont exposés les outre-mer du fait de la proximité d’États non communautaires dont les régimes fiscaux et les coûts du travail ne sont pas comparables à ceux en vigueur dans l’espace européen.

Je partage naturellement ce constat et je comprends la question que vous posez, mais je pense que la réponse sera plus pertinente dans le cadre d’une mission interministérielle qui associerait le ministère des finances, la question fiscale étant la première qu’il faudra poser.

Je vous propose, si vous l’acceptez, de retirer votre amendement au bénéfice de l’engagement que je prends de travailler en ce sens en vue de disposer d’éléments de réponse qui nous permettront de prendre les initiatives nécessaires pour répondre à cette question légitime. À défaut d’un retrait, avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. Je ne peux vous cacher, monsieur le secrétaire d’État, que c’est exactement ce que je souhaitais en présentant une demande de rapport : obtenir que l’Inspection générale des finances effectue une enquête sur place et nous livre son analyse. Les professionnels seront satisfaits de l’apprendre car cette expertise est attendue depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies. J’espère qu’elle nous permettra de trouver des solutions et, comme d’autres parlementaires et représentants des collectivités, je souhaite être associé à cette démarche.

Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que je ne peux pas vous demander d’en prendre l’engagement, cependant j’espère que le rapport de l’Inspection générale des finances ne sera pas mis dans un placard mais qu’il trouvera sa traduction dans le projet de loi de finances qui nous sera soumis à la fin de l’année. Je serai très vigilant sur ce point et je déposerai personnellement des amendements concernant ce rapport.

(L’amendement n176 est retiré.)

Avant l’article 19

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 112 et 113, portant article additionnel avant l’article 19, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Gilles Lurton, pour les soutenir.

M. Gilles Lurton. L’amendement n112, rédigé par mon collègue Patrick Hetzel, vise à ce que tout port de plaisance maritime ayant plus de cent anneaux ait l’obligation de mettre en place, avant le 1er janvier 2022, un dispositif de nettoyage des bateaux utilisant l’eau de mer recyclée.

L’amendement n113 vise à ce que le Gouvernement remette un rapport sur les conditions de mise en place, dans les ports de plaisance maritime ayant plus de cent anneaux, d’un dispositif de nettoyage des bateaux utilisant l’eau de mer recyclée, étant entendu que certains ports mutualisent leur cale de carénage, lorsque deux communes voisines décident de se contenter d’une seule cale servant aux deux ports. Dans ce cas, le dispositif de nettoyage devra être installé sur la cale désignée.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Je profiterai de mon intervention pour compléter les propos de M. le secrétaire d’État sur la plaisance. Nous en avons discuté rapidement hier lors de l’examen de l’article 12, il y a à l’intérieur de la proposition de loi une autre proposition principalement consacrée à la plaisance. Notre débat a peut-être été bref, mais le résultat est là : force est de constater que co-écrire certains articles nous a permis de mettre à jour des éléments importants pour la plaisance.

En ce qui concerne votre proposition, monsieur Lurton, cent anneaux, c’est peu… Vous êtes-vous inquiété du prix d’une telle installation ? J’ai été surpris par ce seuil de cent anneaux. Quant à l’eau de mer recyclée, il sera difficile de la définir… Avis défavorable à ces amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Je suis perplexe quant à l’idée d’inscrire cette obligation dans la loi. On comprend l’esprit de ces amendements et ce à quoi vous voulez aboutir, mais faut-il écrire dans le détail et définir des objectifs aussi précis dans la loi ? On ne peut pas en permanence se plaindre de la complexification et de la rigidification de nos dispositifs et vouloir préciser comment et dans quelles conditions on doit nettoyer les bateaux dans les ports. Ce n’est pas raisonnable. Certes, je partage l’objectif de cette mesure – qui pourrait s’inscrire dans un dispositif réglementaire et concerté avec les ports.

Je pense qu’il serait plus raisonnable de retirer ces amendements, faute de quoi je m’en remettrai à la sagesse de l’Assemblée.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Je les retire.

(Les amendements nos 112 et 113 sont retirés.)

Article 19

(L’article 19 est adopté.)

Après l’article 19

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 37 et 110, portant article additionnel après l’article 19, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme Estelle Grelier, pour soutenir l’amendement n37.

Mme Estelle Grelier. Cet amendement vise à prévoir une autorisation unique pour l’implantation de projets d’énergies marines sur le domaine public maritime comme en zone économique exclusive.

En tant qu’élue de Fécamp, ville qui, je l’espère, accueillera au large le premier parc d’éoliennes en mer de France, je voulais appeler votre attention sur la multiplicité des procédures demandées aux porteurs de projet, en l’occurrence d’éoliennes en mer : l’autorisation au titre de la loi sur l’eau, l’approbation de la concession d’utilisation du domaine public maritime, l’autorisation au titre de la réglementation électrique… Et si le projet se situe à la frontière du domaine public et de la zone économique exclusive, il faut multiplier ces procédures par deux, ce qui multiplie aussi par deux les contentieux, dont on connaît l’importance s’agissant de projets de cette nature.

J’ai voulu, à travers cet amendement, proposer un cadre stable, unifié, harmonisé, pour favoriser le développement des énergies marines. J’avoue être particulièrement attachée à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Baupin, pour soutenir l’amendement n110.

M. Denis Baupin. Cet amendement a exactement le même objet, à savoir simplifier et encourager les projets d’énergies renouvelables en mer. Notre pays est particulièrement en retard, ce qui n’est pas de la responsabilité de ce gouvernement, notamment sur l’éolien offshore. La Grande-Bretagne et l’Allemagne le développent massivement, ce qui leur a permis d’accroître leur indépendance énergétique. Nous devons rapidement rattraper ce retard et simplifier les procédures, ce qui est très facile à faire et ne coûte rien. Tel est l’objet de nos amendements : mettre en place une autorisation unique, étendue à l’ensemble de la zone économique.

J’espère que la programmation pluriannuelle de l’énergie, dont nous discutons par ailleurs dans le cadre du projet de loi sur la transition énergétique, nous donnera les moyens de développer ces projets, non seulement sur les côtes normandes, ce à quoi, étant d’origine normande, je suis très favorable, mais également du côté de l’océan car il y a là un potentiel extrêmement important.

M. Paul Molac. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Avis très favorable car il y a urgence. Je rejoins Estelle Grelier sur la longueur de l’inventaire des autorisations et les freins au développement de la filière, points sur lesquels M. Baupin et moi-même avons alerté Mme la ministre. Il y a urgence. Je l’ai dit hier dans mon intervention, nous sommes en train de regarder passer le train. Nos sociétés, que ce soit Alstom ou Areva, se trouvent presque dans une situation difficile dans ces secteurs parce que nous n’allons pas assez vite – et pas assez loin.

Je vais jusqu’à militer, monsieur le secrétaire d’État, pour la création d’un délégué interministériel afin que soient rapidement levés les obstacles au développement de l’éolien marin. Nous avons là une filière industrielle. Des investissements ont été engagés par les collectivités, en Normandie et dans les Pays de la Loire, et il existe une réelle attente. J’espère surtout que nous pourrons profiter de notre expérience de l’éolien offshore posé lorsque nous installerons de l’éolien offshore flottant ou d’autres formes d’énergies renouvelables liées à la mer – je pense aux houlomotrices et aux hydroliennes.

Pour avancer, il faut nous doter rapidement d’un cadre réglementaire. Nous n’ignorons pas, malheureusement, la bataille feutrée que se livrent les partisans de la politique énergétique dans ce pays. C’est notre rôle, en tant que parlementaires, d’attirer l’attention du Gouvernement. Nous ne pouvons pas, dans l’hémicycle, discuter de la PPE – programmation pluriannuelle de l’énergie – ou de la Stratégie nationale bas-carbone, mais nous serons extrêmement vigilants sur l’avenir de la filière de l’éolien offshore. La PPE doit être au moins au niveau des ambitions affichées au début de la décennie.

M. Paul Molac. Très bien !

Mme la présidente. Merci, monsieur le rapporteur, mais vous devez choisir entre ces deux amendements, car ils sont incompatibles.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Même si mon cœur balance, je donne un avis favorable à celui d’Estelle Grelier et je demande à M. Baupin de retirer le sien.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. L’objectif de ces amendements est d’instaurer un régime d’autorisation unique pour les projets d’énergies marines renouvelables. Le Gouvernement est défavorable à ces amendements car ils sont satisfaits par le droit positif.

S’agissant des projets situés sur le domaine public maritime naturel, ils bénéficient déjà d’un nouveau régime d’autorisation unique pour les installations, ouvrages, travaux et activités au titre de la loi sur l’eau, régime prévu par l’ordonnance du 12 juin 2014 ratifiée par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Ce nouveau régime s’articule parfaitement avec la procédure de délivrance du titre domanial sur le domaine public maritime naturel.

S’agissant des projets situés en zone économique exclusive, l’article 40 du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages tel qu’il est actuellement examiné par le Sénat, prévoit une modification de la loi du 16 juillet 1976 relative à la zone économique et à la zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République afin de permettre, pour toute activité entreprise sur le plateau continental ou la zone économique exclusive, l’instauration d’un régime unique d’autorisation.

Les objectifs de ces amendements sont donc satisfaits. Il convient de les retirer, faute de quoi nous allons créer un imbroglio complet. Le régime concernant le domaine public maritime figure déjà dans le droit positif grâce à l’ordonnance ratifiée par la loi de transition. Pour le reste, le dispositif que vous voulez insérer dans ce texte existe dans le projet de loi sur la biodiversité, examiné et voté par le Sénat, et sur lequel la commission mixte paritaire se réunira bientôt.

À ce stade, le Gouvernement est fondé à vous dire que les objectifs sont atteints puisque le régime d’autorisation unique, dans les deux cas, sera rapidement inscrit dans le droit positif. Reste à attendre que le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité soit voté définitivement. Rien ne serait pire que d’ajouter le même texte dans cette proposition de loi qui sera bientôt examinée par le Sénat.

Je vous demande donc de retirer ces deux amendements. À défaut, avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Estelle Grelier.

Mme Estelle Grelier. J’entends votre argument, monsieur le secrétaire d’État, et loin de moi l’idée de vouloir ajouter de la confusion sur ces sujets. J’appelle cependant votre attention sur les difficultés qu’on rencontre pour monter un projet.

Dans le territoire que je représente, nous sommes bien placés pour le savoir : nous travaillons depuis dix ans sur l’implantation d’un parc d’éoliennes en mer, dont les premières fondations, en l’absence de recours significatif, ne pourront être posées qu’à partir de 2018, ce qui montre qu’il faut travailler sur un temps extrêmement long.

Avant d’envisager le retrait de l’amendement, je voudrais être assurée que, dans le cas où celui-ci ne serait pas intégralement satisfait, ce que semblent dire les porteurs de projet, nous bénéficierions d’une clause de revoyure soit dans une seconde lecture soit dans un cadre réglementaire à définir. Pouvez-vous vous engager sur ce point ?

Je suis désolée d’insister, monsieur le secrétaire d’État, mais c’est un sujet auquel je suis attachée, pour avoir suivi de près l’installation du parc d’éoliennes offshore au large de Fécamp. Je suis sidérée par le nombre d’années nécessaires pour réaliser un projet de cette ampleur.

Je vous remercie par avance de répondre à ma question.

M. Stéphane Travert. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Baupin.

M. Denis Baupin. Le secrétaire d’État nous a renvoyés à l’article 40 de la loi sur la biodiversité, votée par le Sénat. Ce texte ne nous a pas échappé, mais on peut se demander s’il sera adopté, puis promulgué.

Quel risque y aurait-il à voter mon amendement, quitte à le retirer, lors de la navette, si les dispositions qu’il propose sont validées dans la loi sur la biodiversité ? L’adoption de l’amendement offrirait une sécurité supplémentaire. Elle permettrait en outre de montrer que l’Assemblée nationale est favorable à une disposition sur laquelle, pour l’heure, seul le Sénat s’est prononcé.

Je le répète : sitôt voté le projet de loi sur la biodiversité, qui a plus de chance d’être adopté rapidement que la proposition de loi sur l’économie bleue, nous retirons l’amendement, devenu caduc.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Madame Grelier, en ce qui concerne les projets situés sur le domaine public maritime, l’état du droit, compte tenu de l’ordonnance ratifiée par la loi du 17 août 2015, vous donne satisfaction. Dont acte.

Les projets situés en zone économique exclusive dépendent du texte en cours de discussion, qui sera adopté par le Parlement avant la proposition de loi. S’il advenait qu’il ne soit pas définitivement adopté, vous pourriez déposer à nouveau votre amendement, quand la proposition de loi arrivera au Sénat. Une telle attitude me semblerait rationnelle.

Quant à l’argument que vous avez invoqué, monsieur Baupin, je vous conseille, dans l’intérêt de la vie parlementaire, de ne pas l’ériger en règle ! Quand une disposition qui vous tient à cœur a été votée, allez-vous systématiquement l’introduire dans un autre texte, à titre de garantie ? Vous qui présidez souvent nos débats, vous devinez aisément ce qui arriverait si l’on en usait ainsi pour chaque texte.

M. Denis Baupin. C’est vous qui parlez de chaque texte !

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Parce que vous voulez employer le procédé de manière sélective, en l’appliquant seulement aux dispositions qui vous sont chères ? Mais, sur un plan général, on n’a jamais procédé ainsi.

Dans la vie parlementaire – vous le savez mieux qu’un autre, compte tenu de vos fonctions dans cette maison –, il faut respecter une certaine rationalité. Si l’on vous suit, les textes risquent de devenir des fourre-tout dans lesquels chacun introduira des principes qu’il tient à rappeler, sous prétexte que ceux-ci ont été introduits par l’Assemblée dans des textes non encore votés par le Sénat…

M. Philippe Le Ray. En effet.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. L’engagement du Gouvernement est clair. On peut penser que le texte adopté en commission mixte paritaire reprendra les dispositions retenues par le Sénat. Si tel n’était pas le cas – nous verrons ce que décide le législateur –, vous pourrez prendre l’initiative d’inscrire la mesure dans la proposition de loi.

Toute autre mesure me paraîtrait peu acceptable. J’insiste donc, et je demande à nouveau, sous bénéfice de ces engagements, le retrait des amendements. J’exprime bien entendu sur ces sujets la position de Mme Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme la présidente. Compte tenu de ces explications, retirez-vous votre amendement, madame Grelier ?

Mme Estelle Grelier. Oui.

(L’amendement n37 est retiré.)

Mme la présidente. Retirez-vous le vôtre, monsieur Baupin ?

M. Denis Baupin. Oui, madame la présidente.

(L’amendement n110 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 46 et 47, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Jean-Luc Bleunven, pour les soutenir.

M. Jean-Luc Bleunven. Le code de l’environnement prévoit que les activités minières, l’extraction de matériaux concessibles ou non, ainsi que le survol, ne peuvent être réglementés ou interdits que dans les seules réserves naturelles nationales. Je propose, par l’amendement n46, de ne pas limiter cette interdiction à ces réserves. Les zones Natura 2000 doivent pouvoir faire l’objet d’une interdiction des activités minières.

L’amendement n47 a également pour objet d’éviter qu’on nuise aux zones Natura 2000.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n46 ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Monsieur Bleunven, je vous suggère de retirer l’amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Nous sommes en attente d’un projet de loi portant réforme du code minier. Je plaide pour que nous traitions toutes les questions minières dans un seul texte.

Si je comprends votre inquiétude, je pense que tout ce qui relève de l’exploitation des granulats comme de celle des hydrocarbures dans les mines sous-marines, ou de toute autre activité liée à l’extraction dans les fonds marins doit figurer, sous un titre spécial, dans le code minier.

Je sais que le projet de loi est attendu depuis un certain temps, et qu’il connaît des fluctuations. On nous assure toutefois qu’il arrivera prochainement en discussion.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n46 ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Même avis.

Il s’agit, on l’a dit, de supprimer du code de l’environnement une disposition prévoyant que les activités minières, l’extraction de matériaux concessibles ou non, ainsi que le survol de la réserve, ne peuvent être réglementés ou interdits que dans les réserves naturelles nationales.

Les motifs de l’amendement ne sont pas servis par le dispositif, qui ne fait que supprimer la possibilité pour l’État de réglementer ce type d’activités dans les réserves naturelles nationales, sans atteindre le but recherché : appliquer une interdiction des activités minières dans d’autres espaces protégés comme les zones Natura 2000.

La proposition, en l’état, est contraire à la doctrine européenne, qui, dans les espaces dont elle soutient la création, comme Natura 2000, ne recommande pas systématiquement l’interdiction de telles activités, mais exige que soit préalablement vérifiée leur compatibilité avec les espèces et les habitats protégés. Dès lors, l’adoption de l’amendement introduirait une surtransposition.

Mme la présidente. Au bénéfice de ces explications, souhaitez-vous retirer l’amendement n46, monsieur Bleunven ?

M. Jean-Luc Bleunven. Oui. Je retire également l’amendement n47.

(Lamendement nos 46 est retiré, ainsi que l’amendement n47.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n208.

M. Paul Molac. Défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Je retire mon amendement.

(L’amendement n208 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement n56.

Sur l’amendement n56, je suis saisie par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public. Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

M. Yannick Moreau. Nous demandons un scrutin public parce qu’avec cet amendement, nous touchons à un totem de la gauche, qui s’oppose à la généralisation du service minimum dans les transports. Mais pourquoi le service public de transport maritime échapperait-il à l’obligation du service minimum ? Que devient l’égalité des citoyens devant la loi si l’on établit une différence entre les transports terrestres et maritimes ?

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Ces questions, monsieur Moreau, il fallait les poser à l’ancienne majorité ! La loi sur le service minimum a été votée sous la législature précédente.

M. Yannick Moreau. Je n’étais pas né !

M. Arnaud Leroy, rapporteur. À l’époque, il suffisait d’ajouter un mot au texte, « maritime », mais vous ne l’avez pas fait.

M. Gilles Lurton. Ni M. Moreau ni M. Le Ray ni moi-même n’étions députés !

M. Arnaud Leroy, rapporteur. D’autre part, la proposition de loi de M. Marcangeli sur le service minimum dans les transports publics terrestres a été déposée à la suite d’accords d’entreprise – à la RATP, à la SNCF ou à Air France –, qui ont débouché parce que le terrain avait été préparé.

En matière maritime, nous en sommes loin. Votre proposition constitue donc purement et simplement une négation du droit de grève dans le domaine maritime.

Je ne nie pas l’existence de certains problèmes, mais je constate que vous nous proposez de faire un pas que vous n’avez pas franchi lorsque vous étiez aux responsabilités.

M. Philippe Le Ray. Ce n’est pas un argument !

M. Yannick Moreau. Parlez du fond !

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Si, c’est un argument ! Il faut bien constater l’absence de préparation de toute négociation collective, comme celles ont débouché sur la mise en place d’un service minimum.

Quoi qu’il en soit, en tant que rapporteur, je suis opposé à un passage en force sur un sujet aussi délicat. Le texte que vous voudriez modifier a permis d’établir un paysage social relativement calme. Il ne paraît pas opportun de rouvrir certaines plaies.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Avis défavorable.

L’amendement a deux caractéristiques. D’abord, c’est un cavalier législatif. Chacun a ses obsessions, qui peuvent être respectables, mais quand on prétend traiter du service minimum de transport dans une proposition de loi sur la croissance bleue, on touche aux limites de l’exercice.

Ensuite, c’est un acte de contrition. Quand j’étais dans l’opposition, j’ai eu le plaisir d’être le porte-parole de mon groupe, alors que Xavier Bertrand défendait le texte au nom du Gouvernement.

Lorsque la question du périmètre du service minimum a été posée, le ministre a expliqué que les transports maritimes ne figuraient pas parmi ses objectifs. La mesure n’était pas adaptée au secteur. Je ne reprendrai pas son argumentation. Mieux vaut vous laisser régler cette difficulté entre vous. Je n’entends pas m’immiscer dans un problème interne à l’opposition actuelle. S’il s’agit de préparer cette mesure, vous avez le temps de vous mettre d’accord.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n56.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants17
Nombre de suffrages exprimés17
Majorité absolue9
Pour l’adoption5
contre12

(L’amendement n56 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, rapporteur, pour soutenir l’amendement n235 rectifié.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Les temps changent, il faut s’adapter. C’est ce que vous propose de faire cet amendement, qui tend à mettre en place pour les drones maritimes, de surface ou sous-marins – il n’est pas question de drones aériens – le régime de responsabilité qui s’applique dans le domaine maritime.

Il est important de clarifier cette règle de droit, au vu du développement du secteur et de la multiplication des engins embarqués.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Moreau.

M. Yannick Moreau. C’est un bon amendement, que nous soutenons.

(L’amendement n235 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement n168.

M. Yannick Moreau. Il est défendu.

(L’amendement n168, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n215.

M. Paul Molac. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Une modification du code minier interviendra à ce sujet, donc l’avis est défavorable si l’amendement n’est pas retiré.

(L’amendement n215 n’est pas adopté.)

Article 20

Mme la présidente. La commission a supprimé l’article 20. Je suis saisie d’un amendement n51 rectifié, tendant à le rétablir. La parole est à M. Yannick Moreau, pour le soutenir.

M. Yannick Moreau. Je veux saluer l’humour de M. le secrétaire d’État sur la question du service minimum dans les transports maritimes. Le problème est que la majorité ne nous expose pas d’arguments de fond sur sa position. Elle nous dit simplement que ce n’est pas le moment, que c’est trop tôt ou trop tard, que l’on verra ce qu’il en est si nous sommes à nouveau majoritaires : de fait, vous aurez certainement l’occasion de le constater en 2017.

Mme Estelle Grelier. Cette remarque n’est pas utile, monsieur Moreau !

Mme la présidente. Monsieur Moreau, veuillez présenter l’amendement n51 rectifié, s’il vous plaît.

M. Yannick Moreau. L’amendement n51 rectifié peut surprendre, mais ce qui surprendrait encore davantage serait que nous fassions des lois qui ne favorisent pas nos entreprises, et donc nos emplois. De fait, les entreprises de transport maritime ont des activités majoritairement tournées vers l’international et gèrent l’essentiel de leurs flux financiers en dollars américains, tant pour l’acquisition de leurs navires qu’à l’occasion de leur exploitation. Or, en France, les comptes sociaux sont présentés en euros. La conversion des créances et des dettes en euros entraîne des gains ou des pertes latents inscrits dans des comptes transitoires portés à l’actif ou au passif. Ces jeux d’écritures peuvent, en certains cas, être préjudiciables à ces entreprises entièrement internationalisées. Donnons-leur donc une souplesse, sur justificatif. Cessons de créer des entraves à l’activité de nos opérateurs lorsque ce n’est pas justifié ; en effet, le plus important est que les armements maritimes installent leur centre de décision en France plutôt qu’à l’étranger.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Défavorable. Cette disposition, qui figurait à l’article 20 de la proposition de loi initiale, a été supprimée en commission, pour des raisons qui sont précisées dans le rapport. Il faut prendre conscience, monsieur Moreau, qu’il n’y a pas que les armateurs qui se livrent au commerce international, et que nous avons fait évoluer les normes.

(L’amendement n51 rectifié, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Article 21

(L’article 21 est adopté.)

Article 22

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troallic, pour soutenir l’amendement n25.

Mme Catherine Troallic. Il s’agit d’un amendement présenté au nom de la commission des affaires économiques. La rapporteure pour avis a dû s’absenter et vous prie de bien vouloir l’excuser. Cet amendement vise à rendre l’étiquetage des produits aquatiques facultatif et non obligatoire, afin d’alléger les formalités administratives pesant sur les professionnels de la restauration.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Permettez-moi de préciser la logique qui a inspiré la rédaction de cet article. On connaît un problème d’étiquetage, s’agissant, notamment, des produits transformés : on le constate aujourd’hui dans le cadre des discussions sur la crise de l’agriculture française. L’objectif de cet article est de fournir l’information la plus complète possible aux clients ou aux consommateurs sur les plats préparés, qui contiennent des produits issus de la mer et peuvent être servis au restaurant. J’entends et je comprends les craintes qui se sont exprimées à ce sujet. Notre objectif n’est absolument pas de complexifier les choses, d’alourdir les normes. Nous devons tenir un vrai débat sur le droit de la consommation, sur le droit à une information claire. Face à la multiplication des importations de produits issus de la mer en provenance d’États, en particulier d’Asie – et notamment d’Asie du Sud-Est –, où les normes sanitaires ne sont pas les mêmes qu’en Europe, il est important que les consommateurs sachent ce qu’ils ont dans leur assiette. Telle est la logique qui a inspiré la rédaction de cet article.

Monsieur le secrétaire d’État, je sais que, depuis quelque temps, cet article nourrit une vague d’inquiétudes. Si cette disposition doit être retirée lors de l’examen au Sénat, cela pourra être fait et donner lieu à un accord en CMP, mais je voudrais que l’on essaie de travailler sur la transparence, l’information du consommateur et que l’on écoute aussi les producteurs français, qui souhaitent valoriser leur production ; l’étiquetage permettrait de mettre en lumière la qualité de leurs produits. Je suis ouvert à la discussion et à une évolution, afin que l’on parvienne à une rédaction qui satisfasse les professionnels des métiers de bouche comme ceux qui essaient de promouvoir des produits de qualité issus de l’aquaculture ou de la pêche françaises.

L’avis est défavorable, à ce stade, sur l’amendement n25.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Le rapporteur a bien posé le débat. Nous avions poursuivi un objectif en commission. Comme vous l’avez dit, cette question de l’étiquetage obligatoire sur l’origine est source d’inquiétudes au sein des métiers de bouche. L’amendement tend à rendre facultatif ce qui était obligatoire. Il est sans doute nécessaire de se concerter et d’améliorer la rédaction de l’article au cours de la navette. Deux méthodes peuvent être suivies : soit on maintient le caractère obligatoire de la disposition, et on envisage la possibilité d’assouplir le dispositif au Sénat, soit on procède en sens inverse, en votant une disposition plus souple, quitte à revenir à une rédaction plus directive au Sénat, si cela se révèle consensuel. Cette seconde méthode paraît plus pertinente puisque, faute de consensus, on cherche, à l’heure où nous parlons, à assouplir le dispositif. Mieux vaut partir de la situation actuelle, en poursuivant le même objectif, en se disant qu’on parviendra peut-être à une rédaction plus « directive » – j’emploie des guillemets. Aussi le Gouvernement émet-il un avis de sagesse sur l’amendement n25.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Le Ray.

M. Philippe Le Ray. On a eu cette discussion en commission, qui a débouché sur une forme de compromis. Nous étions plusieurs à vouloir faire un parallèle avec l’agriculture, mais l’article fait référence aux « produits aquatiques ». Or, on sait très bien que les produits transformés relèvent de différentes catégories. Par ailleurs, cette rédaction complique quelque peu les choses s’agissant de la production locale, puisque cela se traduit par une couche supplémentaire dans la complexification mise en œuvre, hélas, depuis quelques années. Cela étant dit, je suis très favorable à ce que l’on distingue entre les différents types de poissons, de coquillages, de produits conchylicoles. Vous serez obligés de le faire, puisque la plupart des produits transformés sont mixtes.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Je vais me ranger à la sagesse et à l’expérience du secrétaire d’État.

Mme Catherine Troallic. Très bien !

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Je ne pense pas opportun de dresser des listes, car cela complexifierait réellement les choses, mais il nous faut entendre une demande prégnante des consommateurs. Mieux vaudrait éviter d’attendre un scandale lié à la consommation d’un poisson issu, pour prendre un exemple, du Mékong, pour se permettre de réagir sur cette question. Par ailleurs, en promouvant l’étiquetage volontaire, prenons garde à ne pas multiplier les labels. Il nous faut travailler à l’élaboration d’un dispositif lisible pour les consommateurs mais aussi encadré du point de vue des informations à fournir. En conséquence, j’émets un avis favorable sur cet amendement n25.

(L’amendement n25 est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot, pour soutenir l’amendement n87.

M. Philippe Folliot. Le groupe UDI apporte son soutien à l’article 22, qui va dans le bon sens, en renforçant la traçabilité géographique des produits issus de la mer. Les débats sur l’étiquetage et la traçabilité se concentrent majoritairement sur les produits carnés, alors que la question se pose de la même manière pour les produits aquatiques. Un règlement européen de 2013 a défini les informations qui doivent obligatoirement être mentionnées sur les produits issus de la mer. Cependant, rien n’est réellement prévu pour la restauration commerciale et collective. En ce sens, l’article 22 comble un manque législatif important, d’autant plus que les consommateurs veulent désormais savoir, très légitimement, ce qu’ils mangent.

L’article 22 dispose que les cartes des restaurants doivent mentionner la zone de pêche ou le pays d’origine des produits aquatiques servis. Si cette mesure est nécessaire, il nous semble préférable de la renforcer, en imposant la mention simultanée de la zone de pêche et du pays d’origine. En effet, l’information doit être la plus lisible possible pour le consommateur. Actuellement, les zones de pêche sont définies par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agroalimentaire – la FAO. Les noms donnés à ces zones – « océan Indien » ou « Atlantique Nord » – restent plutôt vagues, ce qui exige du consommateur qu’il soit particulièrement connaisseur de ces zones maritimes. À notre sens, cela n’informe pas suffisamment le consommateur. Cet amendement vise à ce que les professionnels de la restauration collective et commerciale précisent à la fois la zone de pêche et le pays d’origine, deux informations précieuses pour le consommateur.

(L’amendement n87, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, rapporteur, pour soutenir l’amendement n164.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Il est rédactionnel.

(L’amendement n164, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot, pour soutenir l’amendement n89.

M. Philippe Folliot. Il est défendu.

(L’amendement n89, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 90 et 92, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Philippe Folliot, pour les soutenir.

M. Philippe Folliot. Le règlement européen de 2013 impose d’afficher plusieurs informations lors de la vente de produits de la pêche ou de l’aquaculture, notamment la dénomination commerciale de l’espèce, ou encore la zone de capture et d’élevage. Cependant, ce règlement n’impose aucune contrainte à l’égard des produits transformés aquatiques. Chacun a en mémoire le scandale des lasagnes à base de viande de cheval. Le groupe UDI a toujours milité pour une meilleure traçabilité, notamment, au sein de la catégorie des produits transformés, des produits carnés. Nous demandons de longue date la suppression des logos comme « Transformé en France », qui induisent le consommateur en erreur, en cachant l’origine du produit. À nos yeux, il conviendrait de soumettre l’étiquetage des produits transformés contenant un produit aquatique aux mêmes règles que celles s’appliquant aux produits non transformés de la pêche. Tel est l’objet de ces amendements. Des mesures comparables sont déjà en vigueur dans nombre de pays européens, à commencer par l’Allemagne.

(Les amendements nos 90 et 92, repoussés par la commission et le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 93 et 94, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Philippe Folliot, pour les soutenir.

M. Philippe Folliot. Les deux amendements précédents ne pouvaient pas poser de problème juridique au Gouvernement et au rapporteur, car ils allaient légèrement plus loin que les dispositions du règlement européen de 2013.

Les amendements nos 93 et 94 ne sont pas contraires au droit européen. En effet, afin de contourner les règles communautaires, nous proposons de contraindre les distributeurs et les fabricants de produits alimentaires à communiquer, à la demande d’un consommateur, et dans un délai n’excédant pas un mois, des informations sur l’origine des produits aquatiques contenus dans les produits alimentaires transformés ou distribués. Une liste tenue publique par le ministre en charge de l’alimentation désignera les distributeurs et les fabricants qui refusent de répondre à ces demandes. Ces amendements permettraient de satisfaire le droit à l’information des consommateurs, sans pour autant contrevenir au droit européen. Un tel dispositif figure dans la proposition de loi sur la compétitivité de notre agriculture, qui sera discutée demain matin.

(Les amendements nos 93 et 94, repoussés par la commission et le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Bleunven, pour soutenir l’amendement n48 rectifié.

M. Jean-Luc Bleunven. Il est défendu.

(L’amendement n48 rectifié, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot, pour soutenir l’amendement n96.

M. Philippe Folliot. Cet amendement vise à corriger un oubli en prévoyant qu’il soit fait mention de la date de prise d’une pêche, une information essentielle pour le consommateur.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable. Monsieur Folliot, je comprends votre préoccupation, mais votre proposition fait fi de la réalité de la pêche et induirait le consommateur en erreur. Celui-ci pourrait croire, en lisant que le poisson a été pêché par exemple dix jours auparavant, ce qui est parfois le temps nécessaire à l’acheminement d’une cargaison sur un lieu de vente, que celui-ci n’est pas frais, alors que la chaîne du froid a été respectée de la prise à la présentation sur l’étalage.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Je prendrai quelques instants pour donner des explications valant également pour les amendements précédents. Parfois, l’enfer est pavé de bonnes intentions. La date de capture ou la date de prise, à l’instar de la date d’abattage pour la viande, n’est pas une information pertinente pour le consommateur. Selon les espèces, le poisson doit être consommé rapidement, transformé comme la sardine, ou peut être conservé plusieurs semaines.

En outre, préciser cette date induirait le consommateur en erreur quant à la fraîcheur du poisson ; les techniques de conservation du poisson mises en place à bord des navires permettent de le conserver frais lorsqu’il n’est pas du jour. C’est donc la date de consommation recommandée qui est pertinente, et c’est d’ailleurs celle qui est prévue par la réglementation européenne. Ces débats ont eu lieu à l’échelle européenne. La mention de la date de capture n’a pas été retenue dans le cadre de la réforme de la politique commune de la pêche. Le débat que vous relancez a déjà été tranché, nous nous en tenons aux dispositions du règlement européen, qui ont été adoptées en 2014 et sont en cours d’adaptation. L’avis du Gouvernement est donc, comme sur les amendements précédents, défavorable.

M. Philippe Folliot. Je retire mon amendement !

(L’amendement n96 est retiré.)

(L’article 22, amendé, est adopté.)

Après l’article 22

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot, pour soutenir l’amendement n97, portant article additionnel après l’article 22.

M. Philippe Folliot. L’article L. 640-2 du code rural et de la pêche maritime permet à certains produits agricoles, forestiers, alimentaires ou produits de la mer de bénéficier d’un ou de plusieurs modes de valorisation tels que les signes d’identification de la qualité et de l’origine, la mention « Produit de montagne » ou encore la démarche de certification de conformité des produits. Nous proposons d’ajouter à cette liste la mention « Pêche durable » pour attester la qualité des produits issus d’une pêche dite responsable.

Cette mention est prévue par le Grenelle de l’environnement : l’écolabellisation des produits de la pêche est déjà inscrite à l’article L. 644-15. Un écolabel « Pêche durable » a ainsi été créé sous la tutelle de FranceAgriMer. Un décret de janvier 2012 détaille les critères pour y prétendre. Ce dispositif reste cependant peu connu. En effet, lorsqu’on recherche sur internet des informations au sujet d’un label « Pêche durable », on tombe en premier non pas sur un label public mais sur le label MSC – Marine Stewardship Council ou Conseil pour la bonne gestion des mers – qui fait pourtant l’objet de nombreuses critiques, certaines organisations non gouvernementales le jugeant trop indulgent.

Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous informer du développement de l’écolabel public « Pêche durable » ? Le manque de visibilité de cette mention induit le consommateur en erreur. Il se trouve bien souvent perdu compte tenu de la multiplication des mentions. Il faut donc uniformiser cette information en créant un label unique reconnu par l’État : le label « Pêche durable ». À cette fin, nous proposons d’inscrire cette mention directement dans le code rural et de la pêche maritime au sein des modes de valorisation prévus pour certains produits.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. L’avis est défavorable. Je rebondirai sur les propos du secrétaire d’État : parfois, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Vous avez raison d’évoquer la multiplication des labels. Depuis novembre 2014, un référentiel a été lancé ; il en est à ses débuts. Pour la qualité de l’information du consommateur, nous devons d’abord nous assurer que cette méthode fonctionne avant de créer une nouvelle obligation qui nous contraindrait à travailler de nouveau et, certainement, à perdre du temps.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Comme vous l’indiquez dans l’exposé sommaire, le cadre de l’écolabellisation des produits de la mer est déjà prévu par l’article L. 644-15 du code rural et de la pêche maritime. Le décret approuvant le cahier des charges de cet écolabel, élaboré en concertation étroite avec les professionnels du secteur et les ONG, a été adopté et signé – en ma présence – en décembre 2014. J’espère donc que les professionnels de la pêche se saisiront de ce bel outil et que les premières pêcheries seront certifiées cette année.

Votre amendement étant satisfait, je vous suggère de le retirer. À défaut, l’avis sera défavorable.

Mme la présidente. Monsieur Folliot, acceptez-vous de retirer votre amendement ?

M. Philippe Folliot. Non, je le maintiens, madame la présidente.

(L’amendement n97 n’est pas adopté.)

Article 22 bis

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Bleunven, inscrit sur l’article.

M. Jean-Luc Bleunven. La loi littoral est peu adaptée à la prise en compte de la submersion marine. Le rapport d’information du Sénat qui traitait de ces questions avait souligné l’absence de la prise en compte de la submersion marine par les documents d’urbanisme communaux ou intercommunaux alors qu’il s’agit de l’un des objectifs qui leur sont assignés.

L’objectif premier de la loi littoral était sans doute de garder des bords de mer ouverts pour permettre un accès à tous et préserver le paysage. En limitant l’urbanisation, on limite ainsi le nombre de bâtiments exposés à la submersion, mais ce n’était pas l’objectif premier. Aucune disposition ne permet de rendre un terrain inconstructible au motif qu’il est submersible ou qu’il le sera.

Le code de l’environnement dispose que le littoral nécessite une politique spécifique d’aménagement, de protection et de mise en valeur, un effort de recherche et d’innovation portant sur les particularités et les ressources du littoral. La protection des équilibres écologiques et du paysage, la préservation des activités économiques liées à la mer, le maintien des activités agricoles et touristiques, la notion de préservation des espaces menacés par des risques de submersion ne figurent donc pas dans les objectifs de la loi littoral. C’est pourquoi je me réjouis de la suite qui est donnée à cette demande. Nous avons pu mesurer à la suite des tempêtes de 2014 les manques que je viens de souligner.

Mme la présidente. Nous en venons à l’amendement n181 de M. Arnaud Leroy, rapporteur. Vous avez la parole pour le soutenir, monsieur le rapporteur.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Il est rédactionnel.

(L’amendement n181, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 22 bis, amendé, est adopté.)

Article 22 ter

Mme la présidente. Nous en venons à l’amendement n182 de M. Arnaud Leroy, rapporteur. Vous avez la parole pour le soutenir, monsieur le rapporteur.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Cet amendement, qui est important, vise à reconnaître l’existence de risques littoraux, notamment ceux qui sont liés à la submersion marine, que mon collègue a évoqués à l’instant. Je le remercie d’ailleurs de ses interventions sur le sujet au cours de nos débats sur le texte.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Je comprends bien l’objet de cet amendement. Cependant, toutes les mesures qui ont été prises en matière de submersion marine depuis la tristement fameuse tempête Xynthia en Vendée s’appliquent de façon uniforme à un littoral français qui n’est pas le même partout, créant ainsi des difficultés au sein de certains territoires pour ainsi dire mis sous cloche. Je pense en particulier à la baie du Mont-Saint-Michel, où on rencontre beaucoup de difficultés dans l’établissement du plan de submersion marine.

Mme Royal s’est déplacée le 4 décembre dernier en baie du Mont-Saint-Michel et a demandé qu’une nouvelle étude soit réalisée avant que les collectivités donnent leur avis. Cette nouvelle étude a présenté quelques avancées pour les communes les plus éloignées, mais les cartes d’aléas sont complètement rouges pour les communes les plus proches du littoral, ce qui signifie que tout développement leur est interdit. Il faut en outre tenir compte de l’inscription de la baie du Mont-Saint-Michel au patrimoine mondial de l’Unesco – ce qui est une chance, je ne le nie pas et je le répète chaque fois que je le peux –, de la qualité de site Natura 2000 et de la loi littoral.

Par ailleurs, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République a retiré aux départements la compétence GEMAPI – gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations – alors que nous avions bien avancé au sein du département d’Ille-et-Vilaine pour trouver une solution de construction de digue sous maîtrise d’ouvrage du conseil général devenu conseil départemental.

Il me semble que les textes devraient être adaptés en fonction des sites sur lesquels ils doivent être appliqués.

M. Philippe Folliot et M. Thierry Benoit. Très bien !

(L’amendement n182 est adopté.)

(L’article 22 ter, amendé, est adopté.)

Article 22 quater

Mme la présidente. Nous en venons à l’amendement n185, deuxième rectification de M. Arnaud Leroy, rapporteur. Vous avez la parole pour le soutenir, monsieur le rapporteur.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

(L’amendement n185, deuxième rectification, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 22 quater, amendé, est adopté.)

Après l’article 22 quater

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, rapporteur, pour soutenir l’amendement n186, deuxième rectification, portant article additionnel après l’article 22 quater.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Par cet amendement, je souhaitais, pour revenir sur la discussion que nous avions eue en commission, circonscrire le dispositif que j’avais alors proposé de partage des positions permettant d’éviter les collisions des navires de commerce avec les cétacés dans les deux sanctuaires reconnus. L’enjeu est notamment celui de la conservation de la biodiversité. Les expériences qui ont déjà été menées sont concluantes. Le présent amendement vise donc à imposer une telle obligation aux navires qui croisent dans ces deux sanctuaires.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.

(L’amendement n186, deuxième rectification est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, rapporteur, pour soutenir l’amendement n188.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Cet amendement vise à donner un coup de pouce à la filière fluviale, un domaine d’activité qui souffre d’un manque de financement. Après avoir travaillé avec les personnes concernées, l’idée a germé d’intégrer le dispositif de la loi relative à l’économie sociale et solidaire afin de mettre en place un véhicule de financement dévolu au transport fluvial.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Le Gouvernement souscrit à l’objectif de cet amendement, qui est de soutenir la filière fluviale. Toutefois, il considère que sa rédaction n’est pas aboutie à ce stade, notamment s’agissant des dispositions susceptibles d’avoir des conséquences en matière sociale. Il s’engage à proposer une rédaction respectueuse de l’objectif poursuivi mais plus sécurisée sur le plan juridique lors du débat sur le texte au Sénat.

Au bénéfice de ces explications, je demande au rapporteur de retirer son amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.

Mme la présidente. Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous maintenir votre amendement ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Non, je le retire, madame la présidente.

(L’amendement n188 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy, rapporteur, pour soutenir l’amendement n187.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Le présent amendement a pour objet d’appliquer à la Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et aux Terres australes et antarctiques françaises les dispositions en matière de sécurité maritime prévues à l’article 85 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

(L’amendement n187, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Article 23

(L’article 23 est adopté.)

Après l’article 23

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n219 portant article additionnel après l’article 23.

M. Paul Molac. Cet amendement vise à nous donner une idée assez claire de ce qu’est l’économie maritime. Les statistiques relatives à l’économie maritime recouvrent des domaines aussi différents que la pêche, l’aquaculture, les biotechnologies marines, les matériaux marins, les extractions minières, gazières et pétrolières, les énergies marines et les transports maritimes. Il est donc malaisé de parvenir à une vision d’ensemble. Bien souvent, ces secteurs n’apparaissent pas dans les statistiques relatives à l’économie marine. Le CESER de Bretagne recommande d’ailleurs d’élaborer des outils statistiques donnant véritablement la mesure de cette économie. C’est pourquoi je demande un rapport, ce qui n’est pas dans mes habitudes – c’est même le premier que je demande.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. L’avis est défavorable. Je partage l’objectif de votre amendement, qui comporte deux aspects, monsieur Molac. Un rapport documentaire, on peut en trouver un dans les bonnes librairies. Quant au suivi de la loi, il sera assuré dans les conditions appliquées à la loi relative à la transition énergétique et à la loi Macron, avec l’accord du président Chanteguet. Nous mettrons en place un comité de suivi afin de nous assurer que les décrets ne restent pas lettre morte et de faire évoluer ce qui a été décidé si nécessaire. Ce suivi permettra aussi de glaner des informations. Votre demande me semble donc pleinement satisfaite par la nouvelle pratique parlementaire des comités de suivi.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Je retire l’amendement.

(L’amendement n219 est retiré.)

Explications de vote

Mme la présidente. Nous avons terminé l’examen des articles.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Folliot. Le groupe UDI votera le texte, même s’il manque un peu de vision globale et de souffle, en particulier au sujet de l’outre-mer auquel nous devons pourtant 97,5 % de notre domaine maritime. Sans doute devrons-nous un jour réfléchir plus globalement au lien qui unit la mer et l’outre-mer, qui sont indissociables. Le texte va dans le bon sens. Je salue au nom de notre groupe le travail de M. le rapporteur qui s’est particulièrement investi dans la préparation du texte depuis plusieurs mois. Somme toute, il comporte des avancées positives assez significatives. Même s’il ne va pas assez loin, il va dans le bon sens, ce qui mérite d’être souligné.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton, pour le groupe Les Républicains.

M. Gilles Lurton. Nos discussions ont démontré que nous avons un espace maritime considérable qui constitue un véritable potentiel dont les gouvernements successifs n’ont pas toujours su profiter – et je ne vise pas l’actuel gouvernement en particulier. La proposition de loi est assez novatrice sur bien des points. Elle simplifie des réglementations devenues trop rigides pour les entreprises dans le monde moderne et comporte plusieurs améliorations, comme nous l’avons souligné tout au long de l’examen du texte. Je salue moi aussi le beau travail réalisé par M. le rapporteur qui a mené de nombreuses auditions pour en arriver là. Le texte ne va pas assez loin sur certains points, en particulier l’exonération des charges sociales pour les marins français.

Nous avons présenté un amendement relatif aux pêcheurs à pied qui a été retiré avant l’examen du texte au titre de l’article 40 de la Constitution. Nous aurions souhaité qu’ils soient intégrés à l’ENIM. Nous n’y voyons pas l’ajout de charges particulièrement importantes car ce sont en général des personnes en très bonne santé. Le groupe des Républicains s’abstiendra sur ce texte mais Philippe Le Ray, Yannick Moreau et moi-même, qui avons suivi l’ensemble de l’examen du texte hier et aujourd’hui, le voterons à titre personnel.

M. Thierry Benoit. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troallic, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Catherine Troallic. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, l’examen de cette proposition de loi a constitué l’occasion de saisir de nombreuses problématiques relatives à l’économie réelle que représente notre espace maritime et d’avancer vers la construction d’une politique maritime nationale ambitieuse. Les riches débats qui ont animé tous les bancs de cet hémicycle révèlent que l’élaboration d’une puissance maritime française est une urgente nécessité.

Ce texte comporte des avancées majeures dans de nombreux domaines comme l’employabilité des gens de mer, la gouvernance des ports et le développement des entreprises et des activités maritimes, de la pêche à la conchyliculture en passant par les énergies nouvelles. Il aboutit également à la simplification de textes devenus bien trop complexes au fil du temps. Il a aussi permis des prises de conscience au sein de notre assemblée grâce à des collègues engagés sur leurs territoires, en particulier Ericka Bareigts et Serge Letchimy outre-mer et nos collègues normands Marie Le Vern, Estelle Grelier, Valérie Fourneyron, Christophe Bouillon et Stéphane Travert.

Je salue, au nom du groupe SRC, la méthodologie que vous avez utilisée pour construire ce texte, monsieur le rapporteur, et surtout l’initiative que vous avez prise de le présenter devant la représentation nationale. Au cours des deux derniers jours, c’est bien l’homme qui a pris la mer, grâce à vous qui avez fait entrer le monde maritime dans cet hémicycle. Je vous remercie également, monsieur le secrétaire d’État, de votre écoute et votre disponibilité. À mes yeux, ce texte s’inscrit résolument dans le mouvement de refondation de notre politique maritime que vous menez au nom du Gouvernement. Pour toutes ces raisons, le groupe SRC approuvera ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Patrice Carvalho. Au terme de nos débats, je remercie tout d’abord M. le rapporteur de la qualité de son travail et de son souci d’être à l’écoute de tous les acteurs du monde maritime, même si le Gouvernement n’a pas toujours entendu ses propositions. Nous partageons sur tous les bancs la conviction que la mer est l’avenir de la France et qu’il faut par conséquent nous doter d’une politique maritime ambitieuse. À nos yeux, cependant, le texte dont nous venons de débattre n’honore pas suffisamment cette ambition. Nous assistons depuis des décennies à la dégradation de l’emploi et des conditions sociales des gens de mer, dans la pêche comme dans la marine marchande, sous l’effet de l’intensification de la concurrence internationale. Depuis des décennies, les écosystèmes marins se dégradent sous l’effet d’une exploitation aveugle des ressources. Le constat est terrible : à l’échelle du globe, les populations d’animaux marins ont diminué de moitié depuis 1970.

Certes, les choses évoluent peu à peu. Une prise de conscience se fait jour, mais la politique de la mer reste guidée par l’unique préoccupation de la compétitivité. Nous donner les moyens de notre ambition de développement du secteur maritime suppose de sortir des logiques actuelles et non de les accompagner. La mer constitue un formidable gisement d’emplois et de ressources à condition d’arracher ce formidable patrimoine des mains de ceux qui ne pensent qu’au profit à court terme. En matière maritime plus encore qu’en d’autres, le tournant du développement durable est une urgente nécessité. Le texte proposé ne comporte aucun infléchissement en ce sens. Il s’inscrit dans la continuité d’une politique maritime française guidée par la course à la compétitivité et à la conquête des marchés qui n’est pas à même de sortir notre économie maritime de l’ornière, ce que nous regrettons. Dans ces conditions, nous confirmons que les députés du Front de gauche voteront contre le texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Le groupe RRDP votera le texte relatif à l’économie bleue, la croissance bleue, la mer si bleue, si bien défendu par nos collègues normands, texte utile à l’économie comme à l’environnement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Je remercie tous les députés qui ont suivi les débats et qui y ont participé. Nous n’avons pas toujours été d’accord mais nous avons eu des échanges. Nous avons démontré que la mer n’est ni de gauche ni de droite, ni à bâbord ni à tribord, comme on dit en mer ! Je remercie tous nos collègues, de l’opposition comme de la majorité, des amendements qui ont été présentés et débattus. Pour reprendre le titre du rapport que j’ai rédigé, osons la mer ! J’espère que ce texte sera utile à l’avenir du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Je remercie à mon tour tous ceux qui ont participé à ce débat riche et passionnant. Les vents ont soufflé dans le bon sens ! Le Gouvernement s’est inscrit dans cette démarche en étant acteur de la discussion en commission et dans l’hémicycle, mais aussi en faisant bénéficier le texte de la procédure d’urgence, ce qui témoigne de son souhait qu’il soit rapidement examiné au Sénat. Naturellement, nous avons eu quelques désaccords. L’amendement relatif à l’autoliquidation généralisée soulève des difficultés et fera l’objet d’une initiative, ne serait-ce que pour renforcer la stabilité du cadre juridique avant l’examen du texte au Sénat. Telle est la règle du jeu.

Certains députés ont affirmé que le texte manquait de souffle, ce qui relève selon moi du marronnier. Je crois très sincèrement que ce travail marquera une étape importante de la mise en œuvre de la politique maritime de la France. Cette étape est en passe d’être franchie parce que vous avez montré le chemin, monsieur le rapporteur, par votre rapport et votre disponibilité mais aussi par votre ouverture d’esprit car vous n’avez pas déclaré au Gouvernement que le texte était à prendre ou à laisser. Nos services ont beaucoup débattu avec tous les parlementaires. Nous avons constaté sur tous les bancs, ce qui est important pour l’économie maritime, qu’il existe un objectif partagé même si les moyens envisagés pour l’atteindre sont parfois différents. L’essentiel, c’est qu’on ait senti dans cet hémicycle que la France a enfin pris conscience, même si ce n’est qu’une étape, de l’importance de sa politique maritime et a peut-être renoué avec la poursuite d’un objectif qu’elle n’aurait jamais dû abandonner : conjuguer son avenir avec celui de la mer. Je vous remercie de la qualité des débats, mesdames et messieurs les députés.

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Renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel

Nouvelle lecture

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées (n3350, 3149).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des droits des femmes.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des droits des femmes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission spéciale, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouvons une fois encore pour débattre des enjeux du système prostitutionnel. J’aurais préféré que cette proposition de loi soit adoptée et appliquée dans des délais plus brefs.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Nous aussi !

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Les étapes se succèdent de plus en plus rapidement depuis un an et son aboutissement est proche. Nous accomplissons aujourd’hui une avancée vers des progrès importants pour les personnes prostituées, pour notre société tout entière, pour les droits humains et pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Je salue le travail mené par votre assemblée, par la commission spéciale et par votre rapporteure, travail non seulement nécessaire mais aussi d’une grande qualité. Cette proposition de loi bénéficie d’un long travail de fond. En décembre 2011, sous l’impulsion de Danielle Bousquet et de Guy Geoffroy, les députés ont voté à l’unanimité une résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France. La proposition de loi vise à faire aboutir cet engagement politique fort et exigeant. Je salue aussi l’impulsion donnée par Catherine Coutelle qui a engagé les travaux préalables à la proposition de loi au sein de la délégation aux droits des femmes.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Merci !

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Ces travaux ont abouti à cette proposition de loi de grande qualité, adoptée à la majorité absolue en première lecture et à l’unanimité moins une voix en deuxième lecture.

La commission spéciale a choisi de rétablir l’équilibre de ce texte et ses quatre piliers : renforcer la lutte contre la traite et le proxénétisme ; accompagner les personnes prostituées ; sensibiliser toute la société ; responsabiliser les clients.

Vous avez ainsi conforté notre volonté de mettre en place une politique abolitionniste ambitieuse, et les engagements internationaux de la France en la matière. Ce dispositif cohérent et efficace doit être mis en place rapidement.

Les maraudes que j’ai effectuées ont ancré cette conviction. J’ai eu l’opportunité de le dire à de nombreux professionnels, qui œuvrent notamment au sein d’associations, mais je veux aussi le faire ici. Il est important de saluer le travail mené par les professionnels, et notamment les associations qui réalisent un travail de terrain indispensable. Nous continuons à travailler en bonne intelligence, je veux le souligner. Cela est essentiel pour réussir à mettre en place des outils permettant le meilleur accompagnement, nécessaire à la protection des personnes prostituées, au plus près de leurs besoins.

Je ne serai pas longue sur la situation à laquelle nous devons faire face, j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet à de nombreuses reprises. La réalité de la prostitution, c’est la violence : celle des mafias, de la traite, des proxénètes ; celle de ceux que l’on nomme les « clients ». Un quotidien fait d’actes sexuels répétés et non désirés. Les agressions sexuelles, physiques et psychologiques, qui accompagnent la prostitution, portent gravement atteinte à l’intégrité des personnes prostituées.

Certains parlent de « métier », de prétendue liberté ou d’une prostitution qui serait acceptable, lorsqu’elle s’exerce dans un cadre luxueux. La réalité est tout autre. Aujourd’hui, la grande majorité des personnes prostituées sont étrangères et victimes des réseaux de traite. C’est cette réalité que nous devons changer.

Sacrifier les droits, les vies de femmes et d’hommes, pour le désir sexuel de quelques-uns, ce n’est pas la société que nous voulons. Mon indignation devant ces situations et ma volonté d’y mettre un terme restent fortes.

Avant même que la loi ne soit définitivement adoptée, le Gouvernement a souhaité doubler les crédits alloués à la lutte contre la prostitution.

Mais pour être plus efficaces, nous avons besoin de ce texte : il nomme les victimes et les auteurs ; il donne des outils pour mieux protéger les personnes prostituées et développer les alternatives à la prostitution ; il renforce nos moyens pour lutter contre les réseaux de traite humaine.

Pour ne citer que quelques exemples, avec ce texte, la lutte contre le proxénétisme sur internet sera renforcée, le délit de racolage sera abrogé, un parcours de sortie de la prostitution sera mis en place, et permettra de créer de nouveaux droits pour les personnes victimes de la prostitution ; une protection renforcée des personnes prostituées sera mise en place, notamment dans le cadre de procédures judiciaires pour les personnes victimes de traite et de proxénétisme.

Les dispositions de cette loi sont porteuses de progrès, que les instances internationales encouragent. Dès 1949, par la convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, les Nations unies affirmaient l’incompatibilité de la prostitution avec la dignité et la valeur de la personne humaine.

Plus récemment, en 2014, le Parlement européen a adopté une résolution qui pointe que la prostitution est contraire aux principes de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes. Cette résolution considère que la demande doit faire partie de la politique de lutte contre la traite dans les États membres, comme c’est le cas en Suède, et que la demande peut être réduite en faisant peser la charge de l’infraction sur ceux qui achètent des actes sexuels. Quelques mois plus tard, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe adoptait une position équivalente et appelait les États à envisager la sanction de l’achat de services sexuels.

Responsabiliser le client est un levier efficace, puisque cela revient à lui signifier qu’il participe à l’exploitation d’êtres humains. C’est empêcher l’enrichissement des réseaux et leur envoyer un message de fermeté : « Non, nous ne sommes pas un pays d’accueil pour vos trafics. »

Nous avons besoin de cette loi rapidement, parce qu’elle est porteuse de nombreux progrès et droits supplémentaires, mais aussi parce que le système prostitutionnel évolue. Les trafics s’organisent désormais à l’échelle internationale et la législation française n’est plus efficace. Nous devons nous donner les moyens de lutter contre ces réseaux qui vivent de la traite humaine, activité très lucrative.

Nous ne pouvons fermer les yeux devant ces réseaux qui s’enrichissent sur notre territoire. Nous le savons, ils ont différents visages. Ils s’enrichissent tant sur la vente d’armes, de drogue, que sur la vente de femmes et d’hommes. Ils sont prêts à toutes les violences, toutes les terreurs. Ils partagent la recherche du profit et le mépris de l’humanité. Face à ces groupes mafieux, la réponse doit être ferme et coordonnée. C’est aussi pour cette raison que j’ai décidé de porter cette question au niveau international.

La cohérence et la fermeté de la politique abolitionniste sont d’autant plus importantes que l’exploitation sexuelle des femmes a connu de nouvelles évolutions ces dernières années. Nous avons découvert avec effroi la liste des prix des esclaves sexuelles établie par Daech ou que Boko Haram enlevait des filles et organisait un marché aux esclaves. Je ne peux passer sous silence les violences subies par les femmes fuyant les conflits et les groupes terroristes. Je pense à ces femmes réduites en esclavage ou vendues par les groupes terroristes, qui lient ainsi les violences sexuelles comme arme de guerre, la recherche de profits financiers et leur idéologie de soumission des femmes. Je pense aussi à ces femmes, qui, sur leur parcours d’exil, sont contraintes à la prostitution, par la misère ou leurs passeurs. Nous ne pouvons fermer les yeux sur ces violences.

Pour cette raison, j’ai souhaité organiser un événement sur ce sujet, dans le cadre de la réunion de l’ONU sur le statut des femmes qui se tiendra en mars prochain à New York.

La France a un rôle et une responsabilité pour lutter contre ces criminalités, promouvoir les droits humains et les droits des femmes. J’espère que nous pourrons honorer encore davantage cette responsabilité par le vote définitif de cette loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maud Olivier, rapporteure de la commission spéciale.

Mme Maud Olivier, rapporteure de la commission spéciale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, mes chers collègues, nous voici donc, pour la troisième fois, rassemblés dans cet hémicycle pour examiner la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

Le 15 décembre, notre commission spéciale examinait, en nouvelle lecture, la proposition de loi. Elle rétablissait dans le même temps les quatre piliers qui font le sens de ce texte : le renforcement de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains ; la dépénalisation des personnes prostituées, le renforcement de leurs droits et l’accompagnement de celles qui souhaitent sortir de la prostitution ; la prévention de la prostitution par l’éducation à l’égalité ; l’interdiction d’achat d’actes sexuels et la responsabilisation des clients.

J’avais fait état, lors de l’examen en commission, des points d’accord toujours plus nombreux auxquels l’Assemblée nationale et le Sénat étaient parvenus depuis le début de la navette parlementaire. Je veux redire ici que je me félicite que l’examen du texte en deuxième lecture ait conduit à l’adoption, dans des termes identiques, de nombreux articles porteurs d’avancées concrètes pour les victimes de la prostitution.

L’article 1er bis vise à améliorer la formation des professionnels engagés dans la prévention et l’identification des situations de prostitution, de proxénétisme et de traite des êtres humains. L’article 8 étend le bénéfice de l’allocation de logement temporaire aux associations agréées pour l’accompagnement des personnes engagées dans un parcours de sortie de la prostitution. L’article 9 ouvre aux victimes de la prostitution et du proxénétisme l’accueil – déjà ouvert aux victimes de la traite – en centre d’hébergement et de réinsertion sociale dans des conditions sécurisantes.

L’article 13 supprime de notre corpus pénal le délit de racolage public. J’aimerais m’attarder un instant sur cette disposition essentielle grâce à laquelle, pour la première fois dans notre pays, les personnes prostituées cessent d’être pénalisées dans le cadre de leur activité. Ainsi, nous mettons enfin notre droit en cohérence avec les principes défendus de longue date par la France : la prostitution est une violence ; les personnes prostituées sont victimes de cette violence, et non coupables. Avec l’inversion de la charge pénale et la responsabilisation des clients, nous affirmons enfin que la prostitution existe parce que les hommes choisissent en conscience d’acheter un acte sexuel. C’est fondamental.

Les articles 15 et 15 bis enrichissent le contenu de l’information et de l’éducation à la sexualité dispensées aux élèves et font une place à l’information aux « réalités de la prostitution » et aux « dangers de la marchandisation du corps ».

L’Assemblée nationale et le Sénat ont aussi adopté conforme l’article 4, qui met en place un fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement social et professionnel des personnes prostituées, dont les recettes annuelles devraient s’élever, conformément à l’engagement du Gouvernement, à 20 millions d’euros.

Malgré ces avancées et notre travail, avec le président Guy Geoffroy, pour parvenir à un accord en commission mixte paritaire, il n’a pas été possible d’aboutir à un texte commun. Certes, les points qui nous séparaient étaient moins nombreux que ceux qui nous rapprochaient. Toutefois, nos positions sur la question fondamentale du statut que la loi doit reconnaître aux personnes prostituées, d’une part, et aux clients de la prostitution, d’autre part, divergeaient trop pour que nous puissions trouver une solution acceptable par tous. Je veux rappeler, à cet égard, que toute incrimination des personnes prostituées – quelle qu’en soit la forme – m’apparaît à la fois inacceptable et incompatible avec l’idée selon laquelle celles-ci sont avant tout les victimes d’un système d’une grande violence.

En nouvelle lecture, d’un commun accord avec le président Guy Geoffroy, notre commission spéciale a rétabli les articles 9 bis, 16 et 17, que le Sénat avait supprimés en deuxième lecture.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Très bien !

Mme Maud Olivier, rapporteure. Le premier aggrave les peines encourues par les personnes reconnues coupables de certaines infractions commises à rencontre d’une personne prostituée. L’article 16, pièce maîtresse du volet de la proposition de loi consacré à la responsabilisation du client, crée l’infraction de recours à l’achat d’actes sexuels qu’il punit d’une amende contraventionnelle de cinquième classe, soit 1 500 euros et, en cas de récidive, d’une amende délictuelle de 3 750 euros. L’article 17, composante de ce même volet, instaure une peine complémentaire de stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels.

La commission spéciale a, par ailleurs, apporté quelques modifications à d’autres articles de la proposition de loi. Je prendrai trois exemples.

À l’article 1er, qui vise à renforcer, sur internet, la lutte contre les réseaux de traite des êtres humains et de proxénétisme, elle a supprimé la disposition, introduite par les sénateurs, qui permettait à l’autorité administrative de demander aux éditeurs et hébergeurs de sites internet le retrait des contenus liés à une activité d’exploitation sexuelle, tout en conservant l’obligation qui leur sera faite de participer à la lutte contre ces contenus.

À l’article 1er ter, destiné à mieux protéger les victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme, elle a tenu à préciser que les dispositions de l’article 62 du code de procédure pénale, relatif à l’audition libre et à la retenue judiciaire d’un témoin, seraient applicables.

À l’article 6, enfin, elle a réintroduit la condition de cessation de l’activité de prostitution pour la délivrance de l’autorisation provisoire de séjour aux personnes étrangères.

Notre assemblée a adopté ce texte à une large majorité à chaque fois qu’il lui a été donné de le faire. L’examen de cette proposition de loi est long, certes. Mais c’est le lot des textes qui opèrent un véritable changement sociétal.

Depuis l’ouverture en 2011 par Danielle Bousquet et Guy Geoffroy du débat à l’Assemblée nationale sur la possibilité d’inverser la charge pénale en matière de prostitution, à savoir dépénaliser les personnes prostituées et responsabiliser les clients, c’est l’ensemble de la société qui débat et s’interroge, mais surtout, qui évolue. On le voit aujourd’hui : le temps et la nature des échanges ont fait leur œuvre. D’autres pays se sont inspirés de notre démarche, pour finalement adopter cette législation avant nous : l’Irlande du Nord et le Canada ont ainsi rejoint la Suède, l’Islande et la Norvège.

Il fallait donner du temps à la discussion. Mais la société française est prête !

Je reprenais en première lecture les propos de Victor Hugo sur la prostitution, dans Les Misérables : « La misère offre, la société accepte. » Maintenant, la société n’accepte plus. Certainement parce qu’elle a bien voulu voir la réalité de la prostitution pour ce qu’elle est : un système de violence et de domination inacceptable.

L’une des traductions particulièrement actuelle de cette réalité est l’exploitation sexuelle organisée par les réseaux terroristes que sont Daech et Boko Haram. Nous savons que les moyens financiers qu’ils en tirent constituent une part considérable de leurs revenus. Des victimes, vendues aux réseaux de prostitution, qu’elles soient exploitées en Europe ou sur les territoires contrôlés par ces organisations, commencent à raconter les sévices qu’elles ont vécus. C’est aussi ce terrible esclavage des femmes par les réseaux terroristes que nous devons combattre.

Une autre réalité terrible a été mise en lumière récemment par la coordination policière Europol : elle confirme que plus de 10 000 enfants migrants non accompagnés ont disparu en Europe sur les 18 à 24 derniers mois, et craint que nombre d’entre eux ne soient exploités, notamment sexuellement, par le crime organisé. Europol évoque une infrastructure criminelle paneuropéenne sophistiquée, visant désormais les migrants à diverses fins, dont l’esclavage ou des activités liées au commerce du sexe.

La prostitution fait partie d’un continuum de violences et s’inscrit dans le phénomène plus large de sociétés profondément inégalitaires. Les femmes sont encore considérées par beaucoup comme une sous-catégorie d’individus que l’on peut humilier, frapper, exploiter, violer, acheter, tuer, mépriser parce que ce sont des femmes. Les inégalités et les violences subies par les femmes partout dans le monde, bien qu’elles soient régulièrement dénoncées, sont largement et communément admises. Cela est insupportable.

Du refus de serrer la main à une femme, à l’enfer vécu pendant 47 ans par Mme Jacqueline Sauvage, en passant par Assiatou qui, à 14 ans, a été enlevée par Boko Haram, puis violée, ou par la jeune fille contrainte à vendre un acte sexuel : tout cela fait partie d’un tout. En France, en Inde, en Syrie, et partout ailleurs, les violences et les discriminations subies par les femmes sont un tout. Et la loi que nous examinons à nouveau ce soir vient ébrécher encore un peu plus ce système de domination, d’inégalités, comme nous le faisons depuis des années, à force de lois, mais aussi et avant cela, à force de mobilisations citoyennes, humanistes, féministes.

Le débat qu’elle a ouvert dans la société est positif. Il est venu mettre en lumière des inégalités qui étaient tellement intégrées qu’on ne les voyait plus : non, le fait que des hommes clients achètent des actes sexuels à des femmes contraintes de s’y prêter soit par la force, soit économiquement, n’est pas acceptable. Cela contrevient aux principes de la non-patrimonialité du corps humain, à celui de la dignité humaine, mais aussi à celui de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Nous affirmons avec ce texte que la société n’accepte plus ces violences et nous mettons les moyens légaux et financiers pour répondre, au-delà des principes, aux enjeux concrets des personnes concernées, les personnes prostituées, qui ont besoin de se reconstruire, d’être mises en sécurité, d’obtenir réparation des dommages subis, et d’être soutenues, pour quitter ce système de violences. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale.

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous pouvons ce soir avoir une certitude : dans quelques semaines, peut-être moins, le travail que nous avons engagé il y a un peu plus de cinq ans sera achevé, dans les conditions et dans les termes que nous avions souhaités.

Mme Marie-George Buffet, Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Certains – nous les comprenons – peuvent estimer que nous avons tardé, que le temps s’est allongé et que nous aurions pu faire plus vite. Mais, au regard de ces millénaires d’esclavage, de ces siècles où la prostitution était considérée comme un élément naturel de toute société humaine, que représentent ces cinq années et quelques mois ? Pas grand-chose, au fond.

Au nom de la commission spéciale, que j’ai eu l’honneur et le grand bonheur de présider au cours des derniers mois, je voudrais insister sur la qualité de notre travail, sur le résultat auquel nous sommes déjà parvenus et sur celui auquel nous allons aboutir dans très peu de temps.

Tout juste après le vote, le 29 juin, de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants – une grande loi, reconnue comme telle par tous –, Danielle Bousquet et moi-même avons décidé de prolonger notre réflexion et notre action contre les violences.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Absolument !

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Nous sommes alors convenus de nous attaquer à ce monument indestructible et surtout, à ne jamais détruire, que constituerait, dans notre pays et dans le monde entier, la prostitution. Nous avons beaucoup avancé, obtenant que soit créée la mission d’information sur la prostitution en France, à laquelle de nombreux députés présents sur ces bancs ont participé. Puis, à l’occasion de ses travaux et du rapport que j’ai rendu en son nom, nous avons mis en avant quelques principes forts qui, à l’époque, ont choqué, heurté, et qui faisaient dire au monde des médias que nous étions déconnectés de la réalité, que nous n’avions rien compris et que nous n’étions que de doux et – peut-être – dangereux rêveurs face à une réalité contre laquelle il ne fallait pas se dresser.

Nous avons ensuite connu ce beau moment, ici même, de l’adoption à l’unanimité d’une résolution présentée par les présidents de tous les groupes de notre assemblée, poussés naturellement par les responsables de la mission d’information. Cette résolution, ne l’oublions jamais, sur aucun de nos bancs, contenait tous les éléments qui figurent aujourd’hui dans le texte du projet de loi que nous avons commencé à voter et que, prochainement, nous adopterons définitivement.

Nous pourrions donc dire que nous nous trouvons aujourd’hui à l’avant-dernière étape. Pourtant, sans m’ajouter aux doux rêveurs, je voudrais dire à nos concitoyens et, parmi eux, à nos collègues sénateurs, que la commission mixte paritaire était si près d’aboutir, qu’un vote conforme de la Haute Assemblée ne serait pas totalement inconcevable, après la lecture de ce soir.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Très bien !

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Je rappellerai aussi à nos collègues sénateurs – Marie-George Buffet et Pascale Crozon, qui ont participé à l’élaboration du texte voté le 29 juin 2010, s’en souviennent – que nous avions pris l’engagement, avec le Gouvernement de l’époque, de voter cette loi avant la mi-2010. Pour ce faire, nous avions accepté de renoncer à tous nos amendements, afin de voter en termes identiques le texte du Sénat…

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est vrai !

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. …et ainsi faire de ce travail législatif partagé une loi votée à l’unanimité par les deux assemblées. Peut-être que nos collègues sénateurs, qui ont compris notre volonté, et qui, au fond, y adhèrent, garderont cette décision à l’esprit, et voteront conforme le texte que nous approuverons ce soir. Dans ce cas, ce serait la dernière fois que nous travaillerions sur cette loi dans cet hémicycle. J’en forme le vœu, surtout à l’approche du 8 mars, journée consacrée, comme tous les ans, à la promotion de la femme et à la lutte contre toutes les formes de discrimination et de violence que la femme subit encore dans notre pays.

Un point – important – nous a empêché d’aboutir en CMP. Avec le Sénat, nous avions décidé de renoncer à la pénalisation de la personne prostituée – cette décision est d’ores et déjà inscrite dans la loi. Le Sénat savait que nous ne renoncerions jamais à nos articles 16 et 17. Ce que nous voulions, ce n’était pas punir bêtement, pour le plaisir d’avoir un coupable, le client de la prostitution, mais responsabiliser. Pour cela, nous savons bien qu’une sanction est nécessaire, lorsque la responsabilisation par l’éducation ne suffit pas. Si nos collègues sénateurs savaient qu’ils pourraient voter en CMP les articles 16 et 17, un point de désaccord subsistait en revanche sur l’article 1er ter dans lequel les sénateurs voulaient, de manière compréhensible mais maladroite, réintroduire une pénalisation de la personne prostituée, alors qu’eux-mêmes avaient décidé de ne pas le faire, en ne réintroduisant pas le délit de racolage à l’encontre des victimes de la traite, que sont la plupart du temps les personnes prostituées.

Avec l’accord du président de la commission spéciale du Sénat, j’ai dû conclure à l’échec de cette commission, non parce qu’il était avéré – mathématiquement, il aurait pu ne pas être constaté – mais parce que je ne voulais pas – et le Sénat ne le souhaitait pas non plus – faire courir à ce texte le risque majeur d’un vote positif en CMP non suivi d’un vote identique dans chacune des deux assemblées, ce qui aurait conduit à repartir non plus pour une navette, celle dans laquelle nous sommes en ce moment, mais pour deux. Cela aurait été insupportable.

C’est la raison pour laquelle, au moment où nous nous penchons sur les quelques amendements qui restent dans notre débat, et sur lesquels notre assemblée trouvera, très majoritairement, la bonne solution aujourd’hui, nous pouvons former des vœux pour que le texte que nous adopterons ce soir constitue à peu près le texte définitif, que le Parlement aura, dans son immense majorité et, pourquoi pas, une quasi-unanimité, décidé d’adopter.

Ainsi, nous aurons fait l’œuvre que les victimes de la prostitution attendent de nous. Ainsi, nous aurons accompli la mission sur laquelle nous nous sommes engagés, qui est celle de dire : « Halte ! », qui est celle de dire : « Non ! » La prostitution n’est pas une composante utile, une composante indispensable, une composante nécessaire à la vie d’une société moderne. Non, les personnes prostituées ne sont jamais libres du prétendu choix qu’elles auraient fait de se prostituer, comme s’il s’agissait d’une activité professionnelle comme une autre.

Non, nous n’avons pas le droit de tolérer plus longtemps que, dans un pays comme le nôtre, les yeux restent fermés sur une réalité qui a considérablement évolué depuis une trentaine d’années et dans laquelle, aujourd’hui, la prostitution est le fait, pour l’essentiel, de cette traite des êtres humains que la communauté internationale s’efforce de combattre depuis plus de 60 ans par une convention, la première que l’Organisation des Nations unies a adoptée, et que nous avons ratifiée, il y a un peu moins de 60 ans. Cette œuvre, considérable, est attendue.

Je forme le vœu, ce soir, que notre assemblée se retrouve, dans une majorité encore plus forte que celle qui a marqué nos débats jusqu’à ce jour, dans une transversalité de nos réflexions, de nos actions, de nos engagements encore plus affirmée que celle qui prévaut depuis l’origine de nos travaux.

Les parlementaires que nous sommes, qui auront vécu ce combat, cette aventure de libération des victimes de la traite des êtres humains, ont tous raison, ce soir, de se dire qu’en le faisant, ils méritent la fierté de leur fonction et l’honneur que nos concitoyens ont placé en eux.

Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. J’attends aujourd’hui de chacun d’entre vous, au nom de la commission spéciale, d’aller au bout de votre engagement, pour la France, pour ce que l’Europe et le monde attendent de nous dans ce débat, pour, surtout, qu’il n’y ait plus toutes ces victimes d’horreurs innommables qui ont, comme seul nom, celui de « prostitution ».

Votons ce texte : il est attendu, il est indispensable. Il fera l’honneur, la fierté de notre Parlement et de notre pays tout entier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Noël Mamère. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, madame la rapporteure, chers collègues, nous voici une nouvelle fois – et peut-être une dernière fois, monsieur le président – dans cet hémicycle pour débattre de la proposition de loi visant à lutter contre le système prostitutionnel. Cette loi marquera le quinquennat par sa portée politique et juridique contre l’exploitation sexuelle, la traite des êtres humains et les violences faites aux femmes.

C’est donc avec une grande fierté que je m’exprime une nouvelle fois devant vous sur ce sujet. Les femmes sont toujours et partout les premières victimes des violences : violences économiques, violences dans les conflits, violences dans les parcours de migration, violences conjugales. L’actualité récente nous a rappelé le calvaire de Jacqueline Sauvage, femme battue pendant 47 ans.

Mais si, depuis 2010 et 2014, comme je le redis aux associations et à nos concitoyens, la France s’est dotée d’une véritable législation de lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales, il est une autre violence qui n’a jamais fait l’objet d’une législation protectrice en France, celle à l’encontre des femmes et des enfants, victimes aujourd’hui de la traite des êtres humains.

Or l’adaptation constante de notre droit aux réalités des violences est une nécessité. La réalité du système prostitutionnel, fondé sur l’inégalité entre les sexes et sur l’exploitation par certains – les hommes représentent 99 % des clients – sur des femmes, nous oblige à agir.

Depuis trois ans, notre travail législatif direct a porté ses fruits. Nos concitoyens sont plus sensibilisés à cette thématique. Comme vous l’avez mentionné, madame la rapporteure, des initiatives émergent. Permettez-moi de citer Poitiers, où une association théâtrale aide à libérer la parole des femmes prostituées grâce à la création d’une pièce de théâtre provisoirement intitulée Mon corps, ma cage.

Permettez-moi de citer deux de ces futures actrices. La première déclare : « J’espère que, sur scène, on me verra enfin comme un être humain. Quand je suis sur le trottoir, je ressens quelque chose de sale. » La seconde ajoute : « Nous ne faisons du mal qu’à nous-mêmes, et à notre corps qui subit beaucoup de violences. »

Depuis le début de nos travaux, les survivantes ont aussi témoigné. Je salue ici leur courage – cela n’a pas toujours été facile de s’exprimer devant les commissions – et leur combat. Elles sont la voix des femmes sans voix, de ces ombres qui sont sur les trottoirs de nos villes. Elles ont révélé les violences subies et l’enfer vécu. Elles ont montré aux yeux de tous le vrai visage de la prostitution, en 2016, en France. Selon l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, 93 % des personnes prostituées sont étrangères. Toutes et tous – il y a aussi des jeunes hommes et des jeunes garçons – sont surexposés aux violences et aux risques sanitaires : 38 % de ces personnes ont subi un viol, et parfois plusieurs, au-delà de l’exploitation sexuelle quotidienne qui constitue en soi une violence permanente.

Le cheminement de cette proposition de loi est long. Nous aurions pu espérer aller un peu plus vite ! Mais le texte a déjà produit des effets : il faut s’en féliciter, et je salue l’action du Gouvernement. Ce sont nos débats qui ont permis la création, en 2015, du fonds interministériel pour les victimes de la traite et l’insertion des personnes prostituées. Ses moyens ont été doublés en 2016, passant de 2,5 à 5 millions d’euros. Comment ne pas se féliciter également des premières remontées du terrain ? Des associations se constituent.

Nos objectifs sont clairs : décourager le marché en asséchant la demande, lutter contre les réseaux mafieux, abroger le délit de racolage, accompagner les personnes prostituées, qui sont des victimes et non des coupables, renforcer l’éducation à l’égalité et le respect entre les garçons et les filles.

Deux ans après la première lecture, il est à présent nécessaire d’achever notre travail parlementaire. Nous en sommes presque à l’adoption définitive de la proposition de loi. J’avais espéré que l’on y arrive le 8 mars ; nous y arriverons peut-être après le 10 mars.

Après ce dernier vote, il sera important, madame la secrétaire d’État, de veiller à l’application réelle de la loi. Elle doit permettre aussi rapidement que possible, dès son adoption, la mise en place des commissions départementales, l’organisation du parcours de sortie de la prostitution, le renforcement du rôle des associations dans l’accompagnement des personnes prostituées, la formation des professionnels, la mise en place d’outils en matière d’éducation et de campagnes de sensibilisation.

Depuis le début de nos travaux, la France est attendue. Elle défend sur la scène internationale la nécessité de lutter contre les violences et pour l’égalité entre les hommes et les femmes dans le monde. En effet, l’actualité nous rappelle qu’il est urgent d’agir. Un seul exemple, que Maud Olivier a déjà cité : en deux ans, 10 000 enfants ont disparu en migrant vers l’Europe, et Europol craint que beaucoup d’entre eux ne soient tombés entre les mains du crime organisé, pour l’exploitation sexuelle et la prostitution.

Cette proposition de loi est une première étape essentielle vers une harmonisation européenne. Notre texte sera une loi de progrès, une loi d’égalité, une loi d’émancipation. Que l’année 2016 soit celle qui inscrira définitivement la France dans la position abolitionniste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président et madame la rapporteure de la commission spéciale, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, permettez-moi d’exprimer une volonté, celle de voir enfin définitivement adoptée la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Voilà maintenant cinq ans que nous travaillons, que nous débattons de cette proposition de loi vitale pour les personnes victimes d’une des pires des violences, la prostitution. Nous avons bien avancé, bien travaillé, mais il est maintenant urgent de faire vivre ce texte.

Comme vous tous et toutes mobilisés sur ce texte, je pense d’abord à elles, à ces victimes. Récemment, j’ai pu entendre la parole d’une de ces « survivantes » de la prostitution, comme elles se nomment : celle de Rosen Hircher, qui a entrepris une marche de 800 kilomètres pour nous demander, à nous parlementaires, d’adopter enfin la loi abolitionniste qui marquera l’histoire. Elle ne nous parle pas de liberté du travail, et encore moins de liberté sexuelle : elle nous parle de souffrance physique et psychique, de destruction de son humanité.

Mme Sandrine Mazetier. Eh oui !

Mme Marie-George Buffet. Alors, est-il utile de redire, lors de ce troisième débat, les raisons pour lesquelles cette loi est indispensable ? La tolérance persistante de la prostitution dans notre société et les complicités idéologiques, souvent médiatisées, à ce phénomène me poussent à les redire encore une fois.

La raison première, pour nous qui élaborons les lois de la République, est de permettre à tous les citoyens et citoyennes d’avoir les mêmes droits et les mêmes libertés. C’est ce que nous faisons en décidant d’éradiquer le système prostitutionnel : nous donnons en effet les moyens à celles et ceux qui en sont victimes de se libérer d’un rapport de domination.

Par deux fois, nos collègues sénateurs ont modifié la loi que nous avions adoptée. La commission spéciale, présidée par notre collègue Guy Geoffroy et dont Maud Olivier est la rapporteure, nous présente de nouveau une loi abolitionniste, telle que nous l’avions adoptée, avec tous ses volets : prévention, réparation pour les personnes prostituées, répression pour ceux qui en profitent, du proxénète au client. Je veux ici les remercier tous les deux pour leur engagement et la qualité de leur travail.

Des associations humanitaires se sont inquiétées des limites que cette loi pourrait poser aux droits des femmes étrangères non victimes du système prostitutionnel. Il est vrai que les femmes étrangères ne disposent toujours pas d’un parcours indépendant de leur mari pour l’accès aux papiers et donc à leur autonomie – c’est d’ailleurs l’objet de la proposition de loi que j’ai déposée sur les droits des femmes étrangères. Mais les droits des femmes passent aussi par l’éradication des réseaux mafieux qui les soumettent à un véritable esclavagisme. N’opposons pas les unes aux autres !

En Europe, l’exploitation sexuelle représente un marché potentiel de 3 milliards de dollars. Ce ne sont pas les femmes étrangères qui en profitent, mais le crime organisé à l’échelle mondiale. Une femme prostituée lui rapporte entre 100 000 et 150 000 euros.

Une large majorité des personnes prostituées sont d’origine étrangère, et donc fragilisées par l’absence de papiers ou par la confiscation de ceux-ci par les proxénètes. Ces personnes sont souvent contraintes à se prostituer pour rembourser des dettes dues à leur passage en France. Nous sommes loin du libre arbitre prôné par quelques-uns, mais proches d’une nouvelle forme d’exploitation. Alors oui, il faut agir pour aider ces femmes à sortir de l’emprise de ces réseaux, avec des mesures particulières. Elles doivent savoir que la République est de leur côté, que ce sont elles qui ont le droit avec elles !

Les adversaires de l’abolition disent que cela mettrait en danger la santé des personnes prostituées. Mais n’est-ce pas avant tout la prostitution qui met leur santé en danger ?

Mme Sandrine Mazetier. Évidemment !

Mme Marie-George Buffet. Notre proposition de loi va, au contraire, renforcer la prévention et l’accompagnement de ces femmes – ce sont avant tout des femmes qui subissent cette violence.

Enfin, de fortes pressions s’exercent pour ne pas pénaliser l’achat d’actes sexuels. Je le redirai inlassablement ici, et partout où il faudra le dire : sans client, il n’y a pas de prostitution. Sans demande, pas besoin d’organiser le commerce humain ! Alors oui, pour abolir ce système inhumain, il faut responsabiliser ceux qui font le choix de l’utiliser, ceux qui achètent le corps d’une femme et exercent ainsi une forme de pouvoir sur la personne concernée. J’ai déjà cité l’association Zéromacho. Il faut entendre leur combat : le système prostitutionnel porte aussi atteinte à la dignité des hommes car, loin de participer à leur liberté sexuelle, il les enchaîne à une conception de la sexualité empreinte de frustration et de domination.

En 2003, avec l’instauration du délit de racolage, la loi créait une forme de délit d’immoralité. On ne condamnait pas le système prostitutionnel, l’achat d’actes sexuels, mais le fait qu’il puisse se voir ! On ne responsabilisait pas le client, mais on demandait aux victimes de se faire discrètes, de se cacher loin des quartiers bien-pensants ! On fermait les yeux sur le système, mais on le cachait pour mieux le laisser se développer. Quelle hypocrisie !

Avec cette proposition de loi, nous voulons ouvrir en grand les yeux de la société sur la réalité de la prostitution, sur ses victimes et ses bourreaux.

La position abolitionniste de la France date de 1960, avec la ratification de la convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui. Nos détracteurs disent que cela n’a pas empêché le système prostitutionnel de se développer. La meilleure réponse à leur apporter est de mettre en place un dispositif législatif permettant d’agir efficacement contre le système en place. C’est ce que nous sommes en train de faire. Il s’agit d’un choix de société. La prostitution n’est pas le plus vieux métier du monde, mais la plus vieille domination subie par la femme.

C’est de cela que nous parlons avec la pénalisation de l’achat d’actes sexuels. Nous disons à la collectivité humaine que l’achat d’un acte sexuel n’est pas conforme à notre devise républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité. Aucune liberté, en effet, pour la personne prostituée obligée de subir, dans son intimité, un acte imposé par l’acheteur ! Pas d’égalité non plus dans des rapports où l’un domine et décide et où l’autre est obligé d’accepter et de subir ! Quant à la fraternité, elle a bien du mal à exister entre le bourreau et sa victime !

Nous faisons aussi œuvre d’éducation, en donnant à voir à la société toute entière que le client n’est pas un modèle, mais au contraire un contrevenant à la loi, un délinquant commettant un acte délictueux. C’est un acte de pédagogie visant à dévaloriser celui qui était jusqu’alors loué par la prétendue tradition grivoise ou libertaire de notre pays.

Avec cette proposition de loi, nous travaillons à délégitimer une violence et agissons contre toute banalisation de la marchandisation du corps. Nous savons toutes et tous aujourd’hui combien une telle démarche est indispensable, y compris auprès des plus jeunes, car certains garçons et certaines filles peuvent assimiler la prostitution à un moyen comme un autre d’acquérir des revenus ! Nous œuvrons ainsi à éduquer les jeunes au respect de l’intégrité physique et psychique de chaque individu. C’est une nécessité pour construire un avenir d’émancipation pour les générations futures. Cela demande un grand effort de prévention consistant à mettre les jeunes en garde contre le système, ses causes et ses conséquences. Il est donc très important que cette proposition de loi prévoie que la lutte contre la marchandisation des corps fasse l’objet d’une information durant la scolarité.

Comme le disent les 60 associations engagées dans le collectif Abolition 2012, le processus d’accompagnement prévu dans la proposition de loi pour libérer les personnes victimes du système prostitutionnel est indispensable. Notre texte instaure un parcours professionnel et citoyen, mais aussi un système de protection et d’assistance permettant de constituer une véritable chaîne de solidarité et de libération pour les personnes concernées.

Chers collègues, j’espère que notre débat permettra de donner aux victimes de la prostitution les moyens de sortir du système et de se reconstruire, ce qui demande du temps et de la sécurité.

Encore une fois, en adoptant cette proposition de loi, nous accomplissons un acte politique qui redonne du sens à l’action politique, qui consiste à faire des choix collectifs pour le progrès de toute la société. C’est ce que nous nous apprêtons à faire ici, avec ce travail transpartisan qui est un message en lui-même.

C’est avec beaucoup de fierté que les députés du Front de gauche voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteure, mes chers collègues, voici maintenant près de trois ans que nous étions réunis dans cet hémicycle pour débuter nos discussions sur cette proposition de loi qui, rappelons-le, entend concrétiser l’engagement abolitionniste que la représentation nationale avait adopté à l’unanimité en 2001. Cela fait près de trois ans que ce texte est en navette, qu’il subit retards, détricotages, retricotages et rumeurs d’enterrement. Mais près de trois ans plus tard, nous sommes toujours là, et bien là.

L’ambition qui nous porte et qui nous réunit est d’écrire une loi d’émancipation. Je veux remercier du fond du cœur les artisans de ce texte – M. Geoffroy, Mme Olivier, Mme Coutelle – pour la ténacité et la force de conviction qui sont les leurs depuis le début de nos travaux.

Cette loi d’émancipation nous invite à ne plus regarder les femmes prostituées comme des coupables, à ne plus porter sur elles un jugement moral, mais à les considérer dorénavant comme les victimes d’un système reposant sur l’exploitation et la marchandisation du corps.

Le groupe socialiste se félicite que ce que nous considérons depuis le départ comme le cœur de ce projet, à savoir l’abrogation du délit de racolage, ait pu réunir une majorité de députés et de sénateurs avant même la CMP. C’est un acquis important, partagé sur l’immense majorité de nos bancs, et attendu de longue date par les personnes prostituées, les associations et les professionnels qui œuvrent à leur protection sanitaire et à leur accompagnement social. Ces associations et ces professionnels font un travail difficile : il faut les en remercier aujourd’hui.

C’est une disposition qui nous engage et doit nous inviter, en responsabilité, à cheminer rapidement vers la promulgation de ce texte.

C’est une loi d’émancipation parce qu’elle entend accompagner concrètement les personnes prostituées dans un parcours de sortie qui mobilise à leur profit des droits, au séjour ou à une allocation par exemple, et organise la coordination des différents acteurs en charge de cet accompagnement.

C’est une loi d’émancipation parce qu’elle entend mener une bataille culturelle et combattre les représentations selon lesquelles le corps des femmes est un objet soumis aux désirs des hommes ; les représentations selon lesquelles il existerait un droit au sexe et dans lesquelles le consentement pourrait s’acheter ; les représentations selon lesquelles une liberté à recourir à la prostitution serait totalement déconnectée de l’existence de réseaux mafieux, mondialisés, d’exploitation des êtres humains que nous sommes par ailleurs tous d’accord pour combattre.

Alors oui, cette loi d’émancipation doit s’assumer abolitionniste. Et elle doit pour cela affirmer clairement l’interdiction de tout achat d’acte sexuel. Car c’est bien une loi d’émancipation, lorsqu’elle pose pour seule limite à la liberté de disposer de son corps l’interdiction de disposer du corps d’autrui. C’est bien une loi d’émancipation, lorsqu’elle fixe la frontière entre ce qui relève du secteur marchand et ce qui n’en relève pas. La marchandisation, ce n’est pas la liberté. Ce n’est pas l’égalité. C’est la négation même de toute humanité dès lors qu’elle repose sur la transaction entre un client et une présence humaine rabaissée au rang de bien de consommation.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise en nouvelle lecture n’est donc pas une loi qui se limite à la responsabilité des clients, mais j’ai la conviction que tout ce qui nous réunit par ailleurs serait en réalité bien vide si nous ne posions pas ce principe.

Depuis plus de deux ans en effet, chacun a eu le loisir d’exposer ses thèses et ses propositions, nous les avons confrontées, vivement débattues, et nos débats ont été abondamment commentés. Les deux lectures précédentes ont été l’occasion d’enrichir la proposition de loi initiale, d’y conserver les contributions les plus pertinentes de l’Assemblée et du Sénat et les apports constructifs de chaque groupe politique. Nous avons aujourd’hui la conviction que le texte dont nous allons discuter sera équilibré et efficace. Il a vocation à devenir la loi. Et croyez-le, nous avons la volonté de le faire enfin aboutir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Louise Fort.

Mme Marie-Louise Fort. Nous examinons, en nouvelle lecture et pour la troisième fois ici à l’Assemblée, la proposition de loi du groupe SRC renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. La commission mixte paritaire réunie le 18 décembre 2015 n’a malheureusement pu aboutir à un texte commun sur les dispositions du texte restant en discussion.

Vous le savez, depuis le début des discussions sur ce texte, et avant cela sous la législature précédente, le groupe des députés Les Républicains réaffirme avec force son soutien évident et pérenne à l’objectif de lutte contre le système prostitutionnel, je dirai même contre les systèmes prostitutionnels tant le phénomène de la prostitution revêt, on le sait, des aspects complexes et divers. Internationale, migratoire ou encore occasionnelle avec l’utilisation du numérique, la prostitution reste bien réelle et un mal social permanent de notre temps qu’il faut combattre.

Néanmoins, je persiste à regretter que le parti socialiste n’ait pas proposé ce texte à la cosignature des autres groupes politiques.

M. Philippe Goujon. Absolument.

Mme Marie-Louise Fort. Sur une question se situant largement au-delà du clivage gauche-droite, je le répète, travailler de manière transpartisane aurait été judicieux. Toutefois, je me félicite de l’ambiance excellente qui a prévalu en commission spéciale et de la qualité de son travail, mené sous la houlette de notre rapporteure Maud Olivier et de notre président Guy Geoffroy.

Je souhaiterais vous rappeler, mes chers collègues, que nous avions identifié dès la première lecture du texte plusieurs difficultés et interrogations qui devaient être levées au cours de la navette entre les deux chambres. Tout d’abord, la suppression du délit de racolage, au risque d’une perte notable d’informations sur les réseaux de proxénètes. Ensuite, l’instauration d’une pénalisation du client, dont le symbole est essentiel mais l’applicabilité incertaine. Enfin, l’octroi d’un permis de séjour et de travail temporaire aux personnes qui s’inscrivent dans un parcours de sortie de la prostitution, assorti d’une allocation spécifique, sans condition de témoignage.

Nous avons avancé puisque lorsque la CMP a échoué, le Sénat avait voté conforme la suppression du racolage passif : ce sujet n’est plus en discussion. Pourtant, les deux chambres paraissent toujours inconciliables, en particulier sur le sujet de la pénalisation ou non du client.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Ce n’est pas ce qu’a dit le président de la commission spéciale.

Mme Marie-Louise Fort. Permettez-moi de revenir brièvement sur plusieurs des points d’achoppement qui subsistent entre nos deux chambres. La commission spéciale, tout d’abord, est revenue à la version de notre assemblée en supprimant la possibilité, pour l’autorité administrative, de demander aux fournisseurs d’accès le blocage des sites qui auraient été identifiés comme permettant aux réseaux de traite et de proxénétisme d’organiser leur activité sur le territoire.

Par ailleurs, la commission spéciale a permis une avancée que je qualifierais de notable à l’article 1er ter du texte, en permettant d’appliquer l’article 62 du code de procédure pénale aux personnes prostituées. Ainsi, il sera possible de retenir temporairement en audition, comme témoin, une personne prostituée, alors même qu’il n’existera aucune raison plausible de soupçonner qu’elle aura commis une infraction.

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Voilà.

Mme Marie-Louise Fort. La procédure judiciaire de recueil des témoignages se trouve ainsi sécurisée.

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale et M. Philippe Goujon. Très bien.

Mme Marie-Louise Fort. Ensuite, s’agissant du rôle des associations, à l’article 3, la commission spéciale s’est rangée à la position de la Haute assemblée en prévoyant que toutes les associations qui aident et accompagnent les personnes en difficulté, et pas seulement celles spécialisées dans l’accompagnement des personnes prostituées, pourront participer à l’élaboration et à la mise en œuvre d’un parcours de sortie de la prostitution. Néanmoins, je m’interroge sur la pertinence de laisser toutes les associations, sans distinction, s’occuper de ce problème très particulier.

D’autre part, la commission spéciale a heureusement rétabli la condition de cessation de l’activité de prostitution pour que puisse être délivrée une autorisation provisoire de séjour à la personne anciennement prostituée, disposition qui fait l’objet de l’article 6.

Aux articles 16 et 17, la commission spéciale a enfin rétabli la pénalisation du client, qui consiste en une contravention de cinquième classe et, en cas de récidive, en un délit puni de 3 750 euros d’amende maximum. Ainsi que la création d’une peine complémentaire de stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels.

Au final, on le voit bien, à moins d’un revirement du Sénat, l’amère perspective d’un dernier mot de notre assemblée se profile, et je le regrette. Les positions des uns et des autres sont désormais largement connues. À titre personnel, je reste farouchement opposée au principe de substitution, à la pénalisation des prostituées, de celle du client.

Le risque n’est pas totalement exclu, de mon point de vue, que cette pénalisation ait pour corollaire la clandestinité, poussant les personnes prostituées à se réfugier dans des lieux difficiles à localiser où l’emprise du réseau mafieux sur la personne prostituée se fera plus forte encore. Plusieurs associations féministes et de hautes autorités intellectuelles se sont exprimées dans le même sens : Élisabeth Badinter comme l’ancien garde des sceaux et sénateur Robert Badinter.

En outre, on peut regretter que plusieurs sujets aient été évacués : quid du renforcement proprement dit de la lutte contre les proxénètes ? Quid de la prévention de la prostitution volontaire ?

Cela m’interpelle que l’on fasse parfois mine de nier le caractère complexe et hétérogène de la prostitution, en tout cas de son vécu. Ainsi, l’Inspection générale des affaires sociales a constaté, dans le cadre d’une enquête menée en 2012 sur les enjeux sanitaires de la prostitution, que « l’examen de la diversité des situations de prostitution fait apparaître des degrés très variables dans la contrainte ou au contraire dans la liberté ».

Bref, je regrette que les deux maîtres-mots à suivre pour bien légiférer que sont le pragmatisme et le réalisme n’aient pas toujours été au rendez-vous de la démarche initiale entreprise, des intentions et de nos débats, même si je partage le sentiment d’horreur par rapport à la marchandisation des corps.

En conclusion, dans les rangs du groupe Les Républicains, différents avis se sont exprimés…

M. Philippe Goujon. C’est vrai.

Mme Marie-Louise Fort. …comme se sont exprimés différents avis au sein de nombreuses formations politiques, le sujet transcendant les clivages partisans. Certains de mes collègues Les Républicains sont résolument favorables à l’adoption de ce texte,…

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Absolument.

Mme Marie-Louise Fort. En effet, à commencer par le premier d’entre eux. D’autres continuent de penser que l’octroi d’une autorisation de séjour pour les personnes qui s’engagent simplement dans un parcours de sortie de la prostitution pourra être dévoyé par les réseaux ; réseaux qui promettront à des personnes désespérées le droit au séjour et une aide spécifique à l’issue d’une période donnée de prostitution. Pour m’être rendue la semaine dernière à Calais, je me pose moi aussi un certain nombre de questions.

D’autres encore restent, comme moi, opposés à la pénalisation des clients de prostituées. D’aucuns pensent que la constatation de la nouvelle infraction, comme l’éventuelle poursuite, seront matériellement impossibles à faire observer par les forces de l’ordre.

Enfin, certains considèrent que la peine d’amende d’ordre contraventionnelle relève du symbole par son insuffisance et qu’elle n’empêchera pas les plus fortunés de recourir à la prostitution tout en s’acquittant des amendes.

M. Philippe Goujon. Eh oui.

Mme Marie-Louise Fort. Pour toutes ces raisons, le groupe des députés Les Républicains continuera majoritairement de s’abstenir, faute d’avoir été totalement convaincus au cours de la navette parlementaire, et faute de véritable consensus. Cela étant, je veux conclure en saluant une nouvelle fois l’excellent travail réalisé par notre commission spéciale. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Merci.

(Mme Catherine Vautrin remplace Mme Laurence Dumont au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cela fera bientôt trois ans que nous débattons de ce texte et de sa principale mesure qui vise à pénaliser tout achat d’un acte sexuel par une contravention de 1 500 euros. Et si nous en sommes là, c’est pour l’essentiel grâce à la volonté, voire l’acharnement de Mme la rapporteure, qui n’a pas ménagé sa peine pour faire en sorte que le texte soit adopté par la Parlement et acquière rapidement force de loi. Vous n’avez pas manqué de détermination dans cette croisade, je vous l’ai dit à plusieurs reprises, madame la rapporteure.

Vous n’avez jamais faibli face aux interrogations manifestées dans cet hémicycle, vous n’avez jamais non plus apporté de réponses, vous n’avez jamais tenu compte des oppositions manifestées par de nombreuses associations, vous les avez simplement ignorées.

Pour mémoire, une centaine d’organisations et institutions ont pris position contre le texte, contre les mesures de pénalisation que vous préconisez : le Planning familial, Médecins du monde, AIDES, les Amis du bus des femmes, la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature, la Commission nationale consultative des droits de l’homme – CNCDH. Sur la scène internationale, l’Organisation mondiale de la santé, l’ONUSIDA, le Programme des Nations unies pour le développement – PNUD – et Human Rights Watch ont pris position contre les politiques de pénalisation et de stigmatisation. Pas pour des raisons idéologiques, madame la rapporteure, mais simplement parce les mesures de prohibition et de criminalisation de l’activité prostitutionnelle ont des effets désastreux en termes de santé publique et de sécurité pour les prostituées.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Pourquoi la Norvège n’est-elle pas revenue sur ces mesures ?

M. Sergio Coronado. Des travaux universitaires ou scientifiques, il n’en a jamais été question dans nos débats. Il est vrai que c’est à la mode, puisque rechercher des explications, c’est déjà excuser.

Vous avez préféré asséner des chiffres, jamais « sourcés », jamais contextualisés. Peu importe que le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales – IGAS – de décembre 2012 rappelle tout d’abord que la prostitution recouvre des réalités diverses, contrastées ; qu’il appelle, dans le cadre de la prévention, du suivi médical et des soins des personnes qui se prostituent, à une véritable reconnaissance et une effectivité de leurs droits ; qu’il recommande enfin une approche pragmatique, transversale et coordonnée visant à organiser et faire converger les efforts de tous les acteurs – pour améliorer la connaissance concernant les différentes formes de prostitution, mieux prendre en compte les problématiques prostitutionnelles dans les différentes politiques menées, conforter et développer l’approche préventive, apporter une attention particulière aux publics les plus fragiles. Ce rapport pointait la difficulté à, comme vous l’avez fait, manier des chiffres, à généraliser une diversité de situations.

Les chiffres ont volé, chaque fois plus extravagants : 90 % des personnes prostituées sont des esclaves de la traite, nous avez-vous dit, et 90 % de ces esclaves sont étrangères, avez-vous répété, très bien aidée en cela par M. le président de la commission spéciale. Peu importe que les quelques études universitaires et scientifiques européennes disponibles, trop peu nombreuses, disent le contraire. Vous n’en avez jamais tenu compte. Il vous fallait amalgamer traite et prostitution. Il vous fallait simplifier à l’extrême une réalité sociale plus diverse, plus complexe, et assimiler le fait de se livrer soi-même à la prostitution et celui d’y être contraint.

Se prostituer est une activité légale en France, sous réserve du respect de l’ordre public, tandis que l’exploitation de la prostitution pour autrui est une autre activité, fortement pénalisée au niveau tant national qu’international. Tous les travaux réalisés dans le cadre du Conseil de l’Europe font cette distinction fondamentale entre la prostitution consentie et la contrainte, la traite, le fait d’être victime du proxénétisme, en condamnant fermement ce dernier cas de figure. La CNCDH fait elle aussi clairement cette distinction capitale. Or, l’amalgame vous permet d’évacuer la question du consentement.

Je croyais pourtant que le combat que nous menons ensemble sur ces bancs en faveur du droit des femmes, ce combat féministe mené par des pionnières pendant des décennies, avait justement permis que les femmes puissent devenir des actrices autonomes, capables de choisir leur destin sur le plan privé aussi bien que sur le plan politique. Considérer qu’aucune femme, dans aucune circonstance et d’une manière absolue, ne peut donner librement son consentement à la prostitution revient donc à réactualiser une attitude paternaliste – j’allais dire « maternaliste » – à leur égard. En excluant la possibilité d’une participation consentie à la prostitution, on répète la représentation archaïque des femmes comme victimes incapables de choix autonomes. C’est le fondement de l’article 16 de la proposition de loi, c’est la doctrine de ce texte qui prétend sauver des victimes dont il ignore et méprise la parole.

Du reste, dès lors que l’on considère que tout acte sexuel est un viol, je ne comprends pas que l’on puisse se satisfaire d’en faire une contravention et que l’on ne mette pas toutes ses forces à obtenir une interdiction totale et absolue de la prostitution,…

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Les femmes seraient coupables ?

M. Sergio Coronado. …dont vous considérez qu’elle ne peut jamais être une activité consentie.

C’est une drôle de doctrine que la vôtre. Dès que l’on s’y attarde et que l’on prend connaissance en détail des dispositions du texte, elle se révèle à géométrie variable. Oui, les prostituées sont des victimes, mais pas toutes de même valeur, au même niveau. La victime étrangère sans papiers se verra confrontée à un parcours du combattant pour accéder à un titre de séjour stable : la gestion des flux migratoires a primé sur l’aide aux victimes.

Alors que le Sénat avait élargi le dispositif d’accompagnement des personnes engagées dans un parcours de cessation de l’activité de prostitution, la commission spéciale a supprimé cette possibilité. Même le Défenseur des droits s’est inquiété que l’entrée dans le dispositif d’accompagnement prévu soit soumise à la cessation de toute activité. Il aurait préféré un accès inconditionnel, ce qui est aussi mon cas.

Au fond, le texte comporte un point positif : l’abrogation du délit de racolage, que ma collègue sénatrice écologiste Esther Benbassa avait déjà fait voter par le Sénat. Les promoteurs du délit de racolage avaient promis la fin de la prostitution et le démantèlement des réseaux. Ce sont aujourd’hui les mêmes certitudes et le même ton parfois péremptoire que l’on retrouve dans cet hémicycle.

Mme Barbara Pompili et M. Alain Tourret. Très bien !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Parce que péremptoire, vous ne l’êtes pas ?

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité de la position abolitionniste défendue par la France depuis l’immédiat après-guerre. Je salue cette position volontariste de notre pays, qui refuse d’accepter la prostitution comme inéluctable dans une société, et, à titre personnel, je suis favorable à ce texte. En effet, le législateur doit mener la lutte contre cette violence extrême qu’est la prostitution.

Alors que nous abordons la nouvelle lecture de cette proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, il me paraît essentiel d’affirmer à nouveau le devoir du législateur d’agir contre les réseaux prostitutionnels. Le proxénétisme est incontestablement une des formes d’esclavage qui subsistent dans notre société. Cela est d’autant plus vrai que la prostitution prend aujourd’hui la forme de réseaux organisés, dont la grande majorité, autour de 90 %, concernent des personnes étrangères, parfois en situation irrégulière.

La violence est omniprésente dans ces réseaux, où les prostituées sont à la merci de leurs proxénètes. Comment, dans ce contexte, peut-on envisager qu’elles soient libres ? L’argument selon lequel certaines prostituées auraient choisi leur « métier » est fallacieux. La prostitution, quand elle ne résulte pas d’une contrainte directe, s’exerce le plus souvent suite à un événement traumatique : près de deux tiers des prostituées ont été victimes, dans leur enfance ou leur jeunesse, de violences à caractère sexuel, ayant entraîné un syndrome des « troubles dissociatifs ».

Souvenez-vous, mes chers collègues, de l’affaire Ulla, qui était la porte-parole du mouvement des prostituées de Lyon, en 1975, et qui affirmait alors qu’elle n’avait pas de proxénète et qu’elle se prostituait de son plein gré – elle avait même expliqué qu’elle était quasiment une assistante sociale. Elle est revenue quelques années plus tard sur ses propos, avouant à la télévision qu’elle avait un proxénète et se demandant « Mais comment avez-vous pu me croire ? »

En outre, la prostitution est totalement contraire au principe d’indisponibilité du corps humain. Elle réduit le corps à l’état de chose que l’on loue. Cela est contraire à tous les principes humanistes et n’est pas acceptable.

Et ces corps dont la dignité n’est pas respectée sont à 85 % ceux de femmes. Mes chers collègues, la prostitution entretient une domination des hommes – qui constituent près de 99 % des clients – sur les femmes. L’engagement du législateur en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que la lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes, sont au cœur du combat contre la prostitution.

La prostitution constitue également un problème de santé publique auquel le législateur doit s’attaquer. En effet, une partie de la transmission des maladies sexuellement transmissibles – MST – s’effectue via la prostitution. Éloignées des dispositifs sociaux de droit commun, les personnes prostituées sont particulièrement exposées aux risques sanitaires, aux troubles physiques et psychiques et à la violence d’un système au sein duquel elles survivent plus qu’elles ne vivent.

Enfin, mes chers collègues, quel est celui ou celle d’entre vous qui souhaiterait que sa mère, sa sœur ou sa fille se prostitue ?

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Ou son fils !

M. Charles de Courson. Qu’il se lève ! Ne souhaitez pas aux autres ce que vous refusez pour les vôtres.

Le deuxième argument est que ce texte constitue une étape positive, même si je regrette qu’il n’aille pas encore assez loin à la fois dans la lutte contre les réseaux et dans l’accompagnement des personnes prostituées. Cette proposition de loi inverse l’approche de la lutte contre le système prostitutionnel. Avec la suppression du délit de racolage, la prostituée passe du statut de délinquante à celui de victime, qui reconnaît enfin la violence de sa situation. Je me réjouis des différentes mesures qui instaurent un parcours de sortie de la prostitution en donnant leur juste place à la fois aux associations et aux services de l’État dans ce processus.

Le pendant de cette reconnaissance de la personne prostituée comme victime est la responsabilisation du client. Car, mes chers collègues, avec cette loi, le client est enfin reconnu comme l’un des éléments essentiels du système prostitutionnel. Sans clients, il n’y a pas de prostituées ! Sans offre, il n’y a pas de demande et, sans demande, il n’y a pas d’offre. L’article 16 auquel est parvenue notre commission spéciale crée une infraction de recours à la prostitution, qui devient un délit en cas de récidive. Cette contravention rappelle au client qu’il a sa part de responsabilité dans le développement des réseaux prostitutionnels et que son comportement contribue à la souffrance des personnes prostituées. Il est en quelque sorte complice de ce système prostitutionnel. J’aurais préféré que nous allions plus loin et que nous considérions dès la primo-infraction qu’il s’agit d’un comportement délictueux – j’ai d’ailleurs proposé un amendement en ce sens.

Comme le rappellent différentes associations engagées pour les droits des femmes, les trois premiers pays au monde à avoir inversé la charge pénale des personnes prostituées vers les clients sont également des pays ayant obtenu en 2015 le meilleur classement mondial en matière d’égalité femmes-hommes : la Suède en 1999 et la Norvège et l’Islande en 2009.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Bravo !

M. Charles de Courson. Néanmoins, j’ai bien conscience que la réduction de la prostitution ne se fera pas en un jour et qu’il faudra du temps pour réduire ce fléau. C’est pourquoi la sensibilisation de la société et l’éducation des jeunes constituent un volet essentiel de la lutte contre la prostitution. Ce texte propose d’ailleurs une information des collégiens et des lycéens sur les réalités de la prostitution, suite à un amendement que j’avais proposé et qui a été adopté en première lecture par notre assemblée. Le Sénat a enrichi le texte en y ajoutant les enjeux liés aux représentations sociales du corps humain.

Malgré ces avancées notables, ce texte mériterait encore un certain nombre d’améliorations.

Tout d’abord, les outils de la lutte contre la prostitution sur internet doivent être améliorés, les nouvelles formes de la prostitution passant largement par ces nouveaux moyens de mise en relation. Le dispositif préconisé aurait gagné en finesse et en efficacité si une étude d’impact fouillée avait été menée. Obliger les fournisseurs d’accès à internet à empêcher l’accès aux sites hébergés à l’étranger qui contreviennent à la loi française contre le proxénétisme et la traite des êtres humains est certes une première étape, mais ce n’est pas suffisant.

L’Assemblée nationale elle-même a été amenée à bloquer l’accès à des sites qui se présentent comme des sites de rencontres pour libertins, mais qui sont bloqués par les mécanismes de sécurité au titre de sites de pédophilie et de pornographie. Derrière ces présentations « inoffensives » de sites de rencontres se cachent les réseaux prostitutionnels.

Ensuite, cette proposition de loi pourrait encore être améliorée pour ce qui concerne la régularisation des prostituées en situation irrégulière, qui risquerait de favoriser une immigration clandestine.

Enfin, j’avais souligné en première lecture la nécessité d’accroître les moyens destinés à aider la réinsertion professionnelle des prostituées, afin de les aider à sortir de leur situation. L’action 15 de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » de la loi de finances pour 2016 adoptée par cette assemblée à la fin de l’année dernière alloue 4,98 millions d’euros à la prévention et à la lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains, soit plus du double des 2,2 millions d’euros prévus en loi de finances initiale pour 2015. Je tiens à féliciter Mme la secrétaire d’État, qui a ainsi tenu les engagements qu’elle avait pris lors de l’examen du texte au Sénat. Ces fonds viendront abonder le fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement social et professionnel des personnes prostituées créé par l’article 4 de la présente proposition de loi, également prévu par la mesure 21 du plan d’action national contre la traite des êtres humains, qui vise à financer les parcours de retour à une vie normale.

Mes chers collègues, lors de l’examen de ce texte en juin dernier, j’avais commencé mon discours en citant le célèbre passage de l’Évangile de Saint Jean où Jésus sauve une femme adultère en disant à ceux qui souhaitaient la lapider : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il lui jette la première pierre ». Le texte ajoute : « ils s’en allaient l’un après l’autre, en commençant par les plus âgés». (Sourires.) Si je renouvelle ce rappel, c’est parce que la lutte contre la prostitution passe par un changement complet de regard sur la prostitution et sur les prostituées.

Je soutiendrai donc cette proposition de loi, car elle repose sur une approche humaniste et équilibrée. Je m’exprime ici à titre personnel, car le groupe UDI auquel j’appartiens préconise sur ce sujet, comme sur tous les sujets de conscience, la liberté de vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Depuis deux mille ans, la prostitution est consubstantielle à notre société, aussi bien dans ses moments de libertinage que dans ceux de moralisation.

L’histoire même du Palais Bourbon, de notre Assemblée nationale, en est marquée, puisque le président de la République Félix Faure mourut le 16 février 1889 dans les bras de Mme Marguerite Steinheil, d’un accident vasculaire cérébral dit-on. Cette dame à la vertu légère, par ailleurs maîtresse du président de l’Assemblée nationale, qui commanda sa statue à son mari sculpteur, vit toujours parmi nous, car sa statue trône au milieu de la buvette des parlementaires. Et je n’ai jamais entendu dire que nous ayons demandé qu’elle fût déplacée ! (Sourires.)

Jusqu’au 13 avril 1946 et à la loi dite « Marthe Richard », la prostitution se déroule dans des maisons closes – 200 à Paris, où travaillent très officiellement 1 500 prostituées. Ce sont aussi bien des lieux d’abattage plus ou moins infâmes que des cabarets, connus et estimés, tels le One Two Two, le Sphinx ou le Chabanais, où se retrouvent bourgeois, hommes d’affaires et élus de la République – le plus souvent des sénateurs. Au One Two Two, en particulier, on peut rencontrer Sacha Guitry, Jean Gabin ou même, ce qui est plus curieux, Colette et Marlene Dietrich, que certains y ont entendu chanter Lili Marleen. Le ministère des finances n’y voit bien sûr qu’avantage, puisque la République récupère jusqu’à 60 % des bénéfices des 700 maisons closes ouvertes en France, et « Madame Claude », qui vient de nous quitter, confiait aux « services » les secrets obtenus par ses protégées.

Selon le rapport de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi sur le système prostitutionnel, le chiffre d’affaires annuel de la prostitution en France serait de 3 milliards d’euros.

Avec la fermeture des maisons closes, des milliers de femmes ont été brutalement jetées sur le trottoir, abandonnant l’univers glauque, mais vaguement sécurisé, des maisons closes.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est sûr !

M. Alain Tourret. Depuis cinquante ans, la France se veut abolitionniste. Elle a refusé la prohibition, qu’elle aurait pu adopter à l’instar de la Bulgarie, de la Chine et de la quasi-totalité des États des États-Unis. En France, la prostitution privée est, jusqu’à aujourd’hui, licite dans les lieux publics, mais le racolage y est interdit. Toutes les formes de proxénétisme sont interdites.

Car la lutte contre la prostitution est d’abord en France, et c’est bien normal, la lutte contre le proxénétisme. Observons que 51 réseaux internationaux de prostitution ont été démantelés en 2012, soit 30 % de plus qu’en 2010, et 572 proxénètes arrêtés.

Il faut se réjouir de ce que les forces de police en France s’attaquent sans désemparer à ce crime odieux qu’est le proxénétisme. Il n’en est pas de même en ce qui concerne les condamnations pour racolage, qui s’élevaient à 1 028 en 2005 et à 148 en 2010. En réalité, le parquet ne poursuit plus les prostituées pour racolage et se contente le plus souvent d’un rappel à la loi, aussi efficace que la pénitence infligée jadis au confessionnal.

La proposition de loi en tire d’ailleurs les conséquences puisqu’elle prévoit d’abroger le délit de racolage public, ce qui a été obtenu en accord avec le Sénat, et c’est une excellente chose. Un nouvel article 225-12-1 du code pénal propose désormais la poursuite et la condamnation des clients de la prostitution à une peine d’amende correspondant à une contravention de cinquième classe.

Au terme de son processus législatif, cette proposition de loi ne laisse personne indifférent. Notre groupe, comme tous les groupes politiques, est partagé. Je dirai même plus : au fond de chacun d’entre nous, les arguments pour ou contre s’entrechoquent. Il faut donc en revenir à l’essentiel.

Je partage en partie les propos de Sergio Coronado. Le texte qui nous est soumis ne s’appuie pas sur des données ou des renseignements indubitables. Le rapport de la commission spéciale l’avoue lui-même puisqu’il précise que la prostitution en France est une réalité difficile à évaluer : on ignore le chiffre exact des prostitués, qui varierait de 20 000 à 40 000 en France, soit dix fois moins qu’en Allemagne ou en Espagne.

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Oui, car dans ces pays, la prostitution est autorisée.

M. Alain Tourret. De même pour la prostitution étudiante, dont le film Jeune et jolie s’est fait l’écho : selon le rapport de la commission spéciale, on pourrait retenir un chiffre de 4 % des étudiantes qui se prostitueraient. C’est oublier que le nombre des étudiantes en France est d’environ un million, ce qui sous-tendrait que 40 000 étudiantes se prostituent. À l’évidence, ce chiffre ne correspond à rien, si ce n’est à des fantasmes. Quant à la prostitution par internet, son évaluation, selon le rapport, semble impossible à déterminer.

Une chose semble certaine : les prostituées sont en France dix à vingt fois moins nombreuses que dans des pays semblables et de même importance. Un équilibre s’est donc établi, qu’il semble plus important de renforcer que de dynamiter, au risque d’aggraver la situation des prostituées elles-mêmes.

Faut-il donc légiférer sur l’activité sexuelle des individus ? Écoutons Élisabeth Badinter, qui nous dit que punir les clients serait une déclaration de haine à la sexualité masculine.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Oh ! C’est honteux !

M. Alain Tourret. Mme Badinter le dit, et Mme Badinter n’est pas quelqu’un de honteux : c’est une personne remarquable !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Les propos de Mme Badinter sont scandaleux !

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Mme Agacinski ne tient pas les mêmes propos !

M. Alain Tourret. Et Élisabeth Badinter de répondre, quand on lui demande si cette proposition de loi va mettre fin à la prostitution : « Bien sûr que non. Je ne connais aucune prohibition qui fonctionne. Elle démultiplie le pouvoir des mafieux. »

Écoutez-la : « Les prostituées disent qu’elles ont besoin de parler avec le client. […] Je suis inquiète pour celles qui vont passer par internet : elles n’auront plus la possibilité de faire cet examen. Une loi qui veut venir au secours des plus faibles va en fait multiplier les dangers », que vous l’admettiez ou non.

Selon elle, « Il faut faire [de la prostitution] une activité sécurisée, donner aux prostituées les droits qu’elles réclament, comme celui de s’associer ou de louer un studio. Je voudrais tellement que l’on arrête de traiter les prostituées comme des rebuts de l’humanité. Un certain discours bien-pensant » – que nous n’entendons que trop ici ! – « ne peut que les enfoncer davantage dans l’humiliation ».

Comment ne pas écouter également Médecins du monde, association qui veut faire part de sa grande inquiétude car cette loi va marginaliser un peu plus les prostituées et les jeter dans la clandestinité qui rendra l’exercice de la prostitution plus dangereux en termes de santé et de sécurité, avec l’éloignement des structures de soin, de dépistage et de prévention, avec un pouvoir de négociation réduit avec le client, forçant désormais les personnes à accepter certaines pratiques ou rapports non protégés, ou encore avec une plus forte exposition aux violences.

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Comme si cela n’existait pas déjà !

M. Alain Tourret. Selon de nombreuses associations – j’en cite, après Sergio Coronado : Act Up, le Planning familial, AIDES – une véritable régression sociale se cache derrière le projet d’interdiction d’achat d’actes sexuels visant à éradiquer la prostitution. En poussant les clients à la clandestinité, cette mesure n’aurait pour effet que d’accroître la précarité des personnes qui se prostituent.

Disons-le nettement : l’abrogation du délit de racolage s’impose d’autant plus qu’il tombe peu à peu en désuétude, et c’est une excellente chose qu’un accord soit intervenu en ce qui le concerne. Quant à la pénalisation des clients, cela s’apparente à une fausse bonne solution. Son côté moralisateur est évident : il faut punir l’homme qui utilise son pouvoir pour obtenir des relations sexuelles avec des êtres vulnérables, à l’évidence non consentants puisque, par définition, leur libre arbitre n’existe plus.

Votre rapport précise bien, en page 19, que l’activité prostitutionnelle est le plus souvent faite de contrainte et de violence, d’exploitation sexuelle, résultat de violences physiques ou psychologiques – enfermement, viols collectifs, privations de nourriture, chantage…

Que dit également le rapport en page 28 ? « La violence est bel et bien consubstantielle à l’univers prostitutionnel » et « la prostitution, faite de rapports de domination, est une violence en elle-même ».

On devrait dès lors en tirer les conséquences juridiques. Je suis un avocat qui connaît à peu près le droit pénal. Un rapport sexuel avec une prostituée n’est pas un acte normal puisqu’il est, par définition selon vous, imposé à une personne vulnérable, dont la volonté a été annihilée, ignorée par le client. C’est très exactement, selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, la définition du viol, c’est-à-dire un rapport sexuel imposé à une personne privée d’un consentement éclairé. Comment peut-on dès lors punir un crime qui, normalement, ne peut être condamné à moins de dix ans de réclusion, par une peine d’amende forfaitaire ?

C’est en soi banaliser le viol – voilà à quoi on arrive ! Car de deux choses l’une : soit la relation sexuelle avec une prostituée est une infraction, et en ce cas cette infraction ne peut être qu’un viol, donc un crime ; soit ce n’est pas un délit et on doit dès lors arrêter de chercher à pénaliser le client.

La loi qui nous est présentée est donc inadéquate. Elle fait par erreur une assimilation entre la prostitution et la traite. Il faut lutter, avec la dernière intransigeance, contre le proxénétisme ; il faut s’attaquer aux réseaux internationaux ; il faut favoriser l’accès à la prévention et aux soins des prostituées, garantir leurs droits, avoir une vision pragmatique et humaniste de la prostitution, en écoutant les prostituées, qui sont les grandes absentes de ces débats.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Si, nous les avons écoutées !

M. Alain Tourret. L’enfer, comme toujours, est pavé de bonnes intentions. Nous saluons cette loi, mais nous ne voterons jamais un article de la loi criminalisant le client qui a eu un rapport sexuel avec une prostituée.

Mme Barbara Pompili. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Soyons directs : si nous procédons à une nouvelle lecture de ce texte, c’est qu’un désaccord majeur nous oppose au Sénat. Nous pensons ici qu’il est déterminant, pour faire reculer le système prostitutionnel, de mettre en cause les clients. Les sénateurs y voient eux une atteinte inacceptable à la liberté individuelle.

Alors, pour tordre le cou à cette fiction de liberté et de choix, donnons la parole, monsieur Tourret, à celles qui sont supposées avoir librement choisi de vendre leur corps : « C’était un client que je connaissais. Il est arrivé en voiture avec un ami. Ils m’ont proposé d’aller dans un hôtel où j’avais l’habitude d’aller. Le copain ne devait pas venir, il était juste censé conduire la voiture. Comme je connaissais le client, j’ai accepté. Finalement, ils ne se sont pas dirigés vers l’hôtel mais vers un parking souterrain. J’ai été séquestrée et violée par les deux hommes pendant cinq heures. Ils ont ensuite repris le chemin pour me déposer. » Voilà ce que dit une jeune chinoise, dans le rapport de Médecins du monde sur son activité à Paris. C’est cela, la réalité d’une prostitution dite choisie.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. M. Tourret n’écoute pas quand on fait parler les prostituées !

Mme Sandrine Mazetier. D’autres nous expliquent qu’à côté de la réalité, certes sordide, de la prostitution de rue aux mains des réseaux de traite humaine, il existerait un univers merveilleux, celui de la libre entreprise de personnes prostituées choisissant librement d’exercer dans le cadre élégant et feutré des palaces. Et c’est à cette liberté-là qu’il ne faudrait pas porter atteinte.

Donnons donc la parole aux filles du Carlton. Ainsi, S. dit aux enquêteurs : « J’ai eu un haut-le-cœur », « Je n’ai pas voulu me mêler à ce carnage car ce n’est pas du tout ma façon de faire : il y a des filles qui le suçaient sans capote. » C’était « de l’abattage », « une véritable boucherie ». « Dans une relation sexuelle tarifée, il y a un dominant et un dominé, celui qui est payé n’est pas acteur de ce qui se passe. Il n’était même pas question d’envisager de lui dire non. On s’efforce alors de s’oublier. On attend que ça se passe. »

Donnons la parole à Jade, toujours du Carlton : « On a beau prendre quinze douches, vingt douches, on ne peut pas se laver de ça. Même avec les années qui passent, il y a toujours une musique, un parfum […] qui rappelle un client violent. Ou un jeune homme qui nous emploie comme poupée, pour tester. »

Voilà, mes chers collègues, le sujet qui nous occupe aujourd’hui. Des trottoirs de Belleville aux chambres des palaces, des migrantes victimes de réseaux aux supposées aristocrates de la prostitution, un point commun : la violence subie et la violence infligée.

Violence subie : un taux de mortalité six fois supérieur à la population du même âge ; 71 % des personnes prostituées ont subi des violences physiques avec des dommages corporels ; 63 % ont subi des viols. Et toutes – je pense à l’incroyable Rosen Hicher mais aussi aux représentantes des personnes prostituées que nous avons auditionnées à l’automne 2013 – ont mentionné le processus de dissociation qui consiste à séparer corps et esprit pour supporter le métier d’orifice pour des phallus sans visage.

Violence subie, mais également violence infligée. Par qui ? Par les réseaux, oui, par les proxénètes évidemment, mais aussi et surtout par les clients !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Très bien !

Mme Sandrine Mazetier. Voilà pourquoi la cohérence consiste, comme le fait ce texte, à dépénaliser les prostituées, qui sont des victimes, à créer des parcours de sortie de prostitution incluant accompagnement social et sanitaire, accès au logement, titre de séjour. C’est promouvoir une sexualité libre et égalitaire. C’est s’attaquer aux proxénètes et réseaux de traite des êtres humains avec encore plus de vigueur, y compris sur internet.

Mais c’est aussi et enfin traiter les grands oubliés, qui sont pourtant le rouage clé du système : les clients, les consommateurs irresponsables et jouisseurs unilatéraux de vagins, de bouches et d’anus. C’est même l’aspect le plus révolutionnaire de ce texte. Nous assumons de dire que tant qu’il y aura irresponsabilité de la demande, il y aura justification implicite de la violence. Tant que la société n’explicitera pas sa condamnation des auteurs de violence, il y aura des victimes.

Certains voudraient aller plus loin, en qualifiant de délit l’acte d’acheter une prestation sexuelle. Je les comprends, mais l’essentiel est que nous franchissions ce cap de la condamnation des clients ; l’essentiel est que la société dise haut et fort qu’un corps ne se loue pas, ne se vend pas, que la sexualité doit être égalitaire, consentie et un plaisir partagé.

Non, il n’y a pas d’un côté des êtres aux besoins irrépressibles et, d’un autre, des corps dénués de sentiment, de sensation et de désir. Il n’y a qu’une humanité, à égalité de droits et de dignité : c’est cela que nous allons voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Alors que notre assemblée, après avoir mené une mission d’information sur le sujet, a adopté à l’unanimité, le 6 décembre 2011, la résolution Bousquet-Geoffroy réaffirmant la position abolitionniste de la France et décidant de la pénalisation du client, force est de constater qu’après presque deux ans et demi de navette, le texte qui nous est présenté ce jour est loin de l’esprit de consensus qui l’avait inspiré comme des ambitions qui l’avaient guidé.

L’échec de la commission mixte paritaire atteste des positions inconciliables des deux chambres sur ce sujet qui devrait pourtant nous réunir autour de la défense des victimes de la traite et du proxénétisme que sont les personnes prostituées.

À mille lieues des déclarations de la ministre Vallaud-Belkacem, qui s’était réjouie de l’abolition de la prostitution grâce à ce texte, il ne nous reste plus à débattre que de demi-mesures qui ne parviennent même pas à nous rassembler. Malgré les efforts déployés par le président de la commission spéciale, Guy Geoffroy, et par notre rapporteure, Maud Olivier, dont je tiens à mon tour à saluer la grande ouverture d’esprit et l’intense travail pour aboutir à un consensus parlementaire, le texte achoppe, hélas, sur des dispositions fondamentales. La plus importante d’entre elles, la pièce maîtresse, est évidemment la pénalisation du client, sans qui il n’y a pas de prostitution.

Le rapport Geoffroy-Bousquet, s’inspirant du modèle suédois, préconisait de réprimer ce délit par deux mois de prison, 3 750 euros d’amende et une peine complémentaire ou alternative aux poursuites de stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels. Les gardes à vue ou les auditions de témoins rendues alors possibles auraient pu permettre de remonter les filières et de traiter les zones frontalières avec des pays où la prostitution est légalisée, comme l’Espagne et l’Allemagne, et qui charrient des flux considérables de clients français.

Aussi est-il navrant de constater que même le compromis minimaliste proposé par les rapporteurs, à savoir une contravention de cinquième classe dont la récidive constitue un délit, a été purement et simplement supprimé par le Sénat.

La seconde disposition concerne le démantèlement des réseaux de traite par les services de police.

L’abrogation du délit de racolage public, qui, elle, a été adoptée conforme par les deux chambres, conjuguée à la suppression de la pénalisation du client voulue par le Sénat, reviendrait, selon moi, à dépénaliser de fait l’exploitation sexuelle des victimes de la prostitution et à reconnaître finalement, comme le souhaitent d’ailleurs certains, qu’il s’agit d’un métier comme un autre, ce que nous ne pouvons nous résoudre à accepter pour ce qui nous concerne.

Loin d’être une violence sur ces femmes qui, réduites en esclavage, sont les victimes d’une violence quotidienne, le délit de racolage permettait de les identifier et surtout leur donnait l’accès aux soins et la possibilité de dénoncer leurs exploiteurs. Accessoirement il avait aussi rendu la tranquillité à bien des quartiers parisiens.

Tentant de remédier à la déperdition d’information et de prise de contact qui résultera de cette abrogation, l’article 1er ter, visant à faciliter l’audition des personnes prostituées au titre de l’article 62 du code de procédure pénale, sous forme d’entretien ou d’audition de quatre heures, est une amélioration mais on pourrait aller encore plus loin en précisant que la protection dont elles pourront bénéficier si elles coopèrent avec la police n’est pas corrélée à la commission d’un délit.

Mais pour cela il faudra rendre réellement incitative cette coopération en la distinguant du parcours de sortie de la prostitution créé par ce texte.

Si personne ne conteste la générosité de la vision humaniste qui a inspiré un dispositif qui ne favorise pas cette coopération, il ne saurait conduire pour autant à dénaturer les dispositions de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, visant à inciter les personnes victimes de traite et de proxénétisme à porter plainte ou à témoigner contre leurs exploiteurs.

Or, la délivrance obligatoire du titre de séjour « parcours de sortie de prostitution », en le portant à une durée minimale d’un an, sans même exiger la cessation de l’activité prostitutionnelle condamnerait le titre de séjour actuellement délivré pour coopération avec la police, d’une durée de six mois.

Ainsi dépourvu d’engagement de la part de la personne qui y souscrit, le parcours de sortie de la prostitution constituerait une véritable aubaine pour les réseaux de proxénètes et trouverait davantage sa place dans le projet de loi sur l’immigration.

Mes chers collègues, à ce stade de la navette, doutant qu’une nouvelle lecture aboutisse là où la commission mixte paritaire a échoué, je vous appelle donc, pour ma part – car il y a plusieurs demeures dans la maison du père – à raffermir ce texte pour qu’il confère à notre pays les moyens de lutter véritablement contre les proxénètes et les réseaux qui exploitent la misère humaine, retrouvant ainsi l’ambition abolitionniste qui l’a inspiré.

À défaut, je serai au regret – et c’est pour moi un regret véritable – de m’abstenir devant une proposition de loi qui nous laisserait au milieu du gué. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Barbara Pompili.

Mme Barbara Pompili. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, madame la rapporteure, chers collègues, je tiens à dire au préalable que les changements d’horaire de dernière minute, comme celui que nous venons de subir, symbolisent la déconnexion du monde politique de la vie réelle, où il existe des obligations familiales, avec toutes les conséquences que cela entraîne pour les femmes, qui y sont souvent les plus assujetties.

Le texte que nous examinons aujourd’hui possède une vertu. Il permet d’aborder ici, à l’Assemblée, une réalité que nous ne sommes pas habitués à regarder en face : celle de la traite et de l’esclavage d’êtres humains, qui doivent être combattus, poursuivis et sanctionnés lourdement, au travers d’une lutte sans merci contre les réseaux qui s’en nourrissent.

La réalité, également, de celles et ceux qui se prostituent, parce qu’elles et ils ne voient pas d’autre moyen d’arrondir leur fin de mois : des étudiantes et des étudiants, mais aussi des personnes à qui, face à une situation de précarité et à des difficultés financières, la prostitution permet de nourrir leur famille ou de payer leurs factures.

Cela doit nous interpeller sur les conséquences de la crise que nous traversons, sur les problèmes de pauvreté et de paupérisation d’une partie de nos concitoyens. Cette situation doit nous conduire à reposer la question d’un revenu d’autonomie.

Oui, ces questions, sous-jacentes, doivent être abordées. Or, précisément cette proposition ne les aborde pas, ou très peu, et c’est bien dommage. Finalement, le principal reproche que l’on peut faire à ce texte, c’est de prétendre régler, en quelques lignes juridiques, des questions humaines, ô combien.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Absolument pas !

Mme Barbara Pompili. Comment, en effet, aborder la question de la prostitution en refusant d’admettre ce que nous disent les premiers et les premières concernés – je parle ici des prostituées – à savoir qu’il existe des prostitutions. Car n’en déplaise à la vision simplificatrice et moralisante qui anime ce texte, toutes les situations de prostitution ne peuvent être réduites à de l’esclavage. Que cela plaise ou non, que cela choque ou non, certaines personnes ont recours à la prostitution sans contrainte.

Celles et ceux qui se définissent travailleurs et travailleuses du sexe revendiquent leur métier comme un choix. Aujourd’hui des prostituées travaillent à leur compte et payent des impôts sur les revenus de leur travail. Nous ne pouvons nier qu’il s’agit là de choix opérés en conscience par les personnes concernées. Comme l’ont dit Elizabeth Badinter et quelques autres dans une tribune, qui peut s’ériger en juge dans ce domaine éminemment privé ?

Face au droit de disposer de son corps, face au principe de la liberté sexuelle entre adultes consentants, ce texte réduit la prostitution à une marchandisation du corps qui porterait ainsi atteinte à la dignité humaine. Dans ce cas, pourquoi se limiter à la prostitution ? D’autres professions pourraient en effet faire l’objet de la même analyse : pourquoi, par exemple, ne pas abolir la pornographie ?

Ce texte, animé de bonnes intentions, comporte en outre des risques dont la gravité pour les personnes que l’on entend ici « protéger » est bien réelle.

Certes, l’abolition du délit de racolage est une très bonne chose. En faisant l’amalgame entre prostitution et délinquance, la pénalisation des prostitués les a forcés à se cacher, avec tout ce que l’invisibilité induit, notamment pour leur santé et leur sécurité. Et ce délit de racolage n’a pas permis de lutter contre les réseaux mafieux et la traite des personnes.

Pourtant, aujourd’hui, on voudrait substituer à la pénalisation des prostitués celle des clients. Comment ne pas voir les risques que cela comporte ?

Des organisations internationales et des associations qui accompagnent les personnes prostituées dans l’accès à leurs droits nous ont alertés : les politiques prohibitionnistes dont cette mesure s’inspire ont toujours pour conséquence une plus grande précarité pour celles et ceux qui ont recours à la prostitution.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. D’autres disent l’inverse !

Mme Barbara Pompili. L’isolement et la clandestinité renforcent l’exposition aux violences et aux risques sanitaires.

Animé par une logique répressive qui passe à côté des causes et des conséquences, ce texte va fragiliser les personnes qui se prostituent alors que nous devrions, au contraire, renforcer leur santé, leur sécurité et leur liberté, en commençant par la liberté de sortir de la prostitution.

Nous trouvons intéressant que le texte propose un accompagnement des victimes de la traite et un parcours de sortie de la prostitution. Cela explique d’ailleurs la décision de quelques députés écologistes de voter ce texte.

Mais sa philosophie générale pose en l’état problème, qu’il s’agisse de l’institution de la sortie de prostitution comme condition ou de la pénalisation des clients.

Même en matière de lutte contre les réseaux mafieux et la traite des êtres humains ce texte demeure décevant. Il ne propose pas de vraie solution pour mettre fin à la misère économique conduisant certaines et certains à se prostituer.

Enfin, je souhaite insister sur l’enjeu que constitue, dès le plus jeune âge, la lutte contre les stéréotypes de genre et leur déconstruction. Lutter contre la prostitution subie exige de s’attaquer aux préjugés qui nourrissent les rapports de domination. Il faut ici aller encore plus loin.

Mes chers collègues, alors que nous examinons ce texte en nouvelle lecture, je ne peux malheureusement que redire ce que je formulais lors des explications de vote de première lecture, car aucune de mes objections légitimes n’a été entendue entre-temps : « Je suis une femme. Je suis féministe. Je me bats depuis des années contre toutes les violences faites aux femmes et je voterai contre cette proposition de loi parce que les doutes qu’elle m’inspire et les risques qu’elle comporte me semblent inacceptables. »

M. Alain Tourret. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, madame la rapporteure, chers collègues, à l’heure d’arriver, enfin, au terme du parcours législatif de cette proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et accompagner les personnes prostituées, mes premiers mots veulent avant tout saluer toutes celles et ceux qui ont rendu possible la concrétisation de ce texte : militants et responsables associatifs, investis au quotidien dans la lutte contre les réseaux et l’accompagnement des personnes prostituées ; victimes des réseaux ayant eu le courage – et il en fallait – de prendre la parole dans le cadre de ce débat public ; élus et responsables politiques qui, sans jamais flancher malgré les obstacles, sont allés au bout de ce marathon législatif, avec une pensée particulière pour Guy Geoffroy, pour Maud Olivier, pour Catherine Coutelle.

Je voudrais ensuite expliquer pourquoi je me suis personnellement investie dans le soutien à ce texte et ce qui fait qu’il est pour moi particulièrement important. Nous connaissons depuis plusieurs années une conjugaison de crises, économique, sociale, démocratique, écologique, que nos politiques publiques peinent à résorber. Notre société est parcourue par de nombreuses tensions et fractures, par des interrogations de sens. Je crois que le moment que nous vivons appelle à redéfinir clairement le projet collectif dans lequel nous souhaitons nous retrouver, les valeurs qui fondent notre société et notre pacte républicain. Pour moi, le projet abolitionniste, qui est avant tout un projet politique, doit être pleinement réaffirmé dans le cadre de la définition de ces valeurs communes.

Le projet abolitionniste dit deux choses essentielles : il est d’abord déterminant dans la transmission des représentations véhiculées dans notre société quant à la dignité des personnes et l’égalité entre les femmes et les hommes ; il est ensuite déterminant du point de vue du débat sur la marchandisation.

Qu’est-ce que l’on peut vendre, qu’est-ce que l’on peut acheter ? À l’heure où toutes les digues menacent en permanence de sauter face à la pression du « tout-marchand », à l’heure où la loi de l’offre et de la demande prend trop souvent le pas sur le respect de l’intégrité des personnes, il est de la responsabilité des politiques de mettre des barrières, et dans le cas qui nous préoccupe, de dire que dans notre société, il n’est pas permis d’acheter un acte sexuel, que nous ne l’autorisons pas, que nous ne souhaitons pas vivre dans un monde où la sphère marchande s’étendrait à cela, aux corps, aux êtres humains.

J’insiste sur cet aspect de marchandisation car il me semble vraiment essentiel de rappeler que le débat qui nous préoccupe a une dimension économique majeure, évidemment pour la survie des personnes qui basculent pour cela dans la prostitution, mais surtout, malheureusement, du point de vue des réseaux et du business qu’ils en font, des profits qu’ils en tirent : 3,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires comme le rappelait une étude récente. C’est ce circuit économique là qu’il faut casser, comme Sandrine Mazetier vient de l’expliquer, et pour le faire de manière efficace, il faut pouvoir agir sur le pilier du système prostitutionnel qu’est le client à travers sa pénalisation : c’est le sens de cette mesure, car sans cela il demeurera très difficile d’agir vraiment sur les réseaux.

Bien sûr cela n’empêche pas d’entendre qu’il y a différentes formes de prostitution, et qu’il y a en effet, même si c’est minoritaire, des personnes qui se prostituent de manière volontaire, que l’on doit respecter et dont on ne doit pas remettre en cause la parole ni le vécu. Mais il est essentiel de rappeler que le rôle de la loi est de mettre en place les protections et d’édicter les normes qui protègent le plus grand nombre, et je crois que c’est ce que nous faisons ici, avec cette proposition de loi et l’ensemble de ses piliers : la protection et l’accompagnement des personnes prostituées, la lutte renforcée contre les réseaux à travers notamment la pénalisation des clients, enfin le volet essentiel de la prévention et de l’éducation.

Je voudrais finir en disant que bien évidemment, cette proposition de loi ne règle pas tout. Ce n’est pas sa vocation. Je lisais hier le reportage très fort de Florence Aubenas sur les prostituées chinoises de Belleville, qui explique bien la question de la survie, le gouffre qui s’ouvre sous ses pieds quand il faut nourrir sa famille et qu’on n’a pas les moyens de le faire, les situations de détresse extrême qui poussent au pire.

Ceci doit nous rappeler que l’un des sujets de fond à traiter dans ce débat est évidemment la question de la précarité, et de la manière dont nos politiques publiques doivent agir de manière encore plus efficace pour prévenir le basculement, faire encore mieux face à la pauvreté, l’exclusion et la misère, y compris – j’insiste sur ce point – pour les personnes en situation irrégulière.

Autre sujet de fond, l’abolition du délit de racolage, qui vise à décriminaliser les personnes prostituées, à les considérer comme des victimes et non pas comme des coupables, doit s’accompagner d’un changement de représentation par la société des personnes prostituées, d’un changement de regard et de pratiques, des citoyennes et des citoyens comme de l’ensemble des institutions. Un travail en ce sens doit être mené, notamment un travail essentiel de sensibilisation avec les forces de sécurité et les forces de police.

Notre proposition de loi doit bien évidemment, comme toutes, s’articuler avec un ensemble cohérent de politiques publiques transversales. Mais il me semble essentiel de souligner que ce que nous vivons avec cette proposition de loi est un grand moment parlementaire. Je crois que ce texte fera date pour la protection des personnes prostituées et la lutte contre les réseaux et que nous avons là un texte essentiel pour la protection des personnes, la liberté et la dignité, que je serai très fier de voter dans quelques minutes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale et Mme Eva Sas. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant dans le texte de la commission les articles de la proposition de loi sur lesquels les deux assemblées n’ont pu parvenir à un texte identique.

Article 1er

Mme la présidente. La parole est à Mme Barbara Pompili, pour soutenir l’amendement n1.

Mme Barbara Pompili. Il est défendu.

(L’amendement n1, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 1er est adopté.)

Article 1er ter

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n8 rectifié.

M. Philippe Goujon. L’article 1er ter a été amélioré dans le cadre de la navette, comme j’ai eu l’occasion de le dire tout à l’heure.

Cependant, sa rédaction actuelle prévoit que les prostituées qui témoignent contre les réseaux relèvent de l’article 706-63-1 du code de procédure pénale qui régit la protection des personnes mentionnées dans l’article L. 132-78 du code pénal bénéficiant d’exemptions ou de réductions de peines pour avoir évité la réalisation d’infractions.

Or, cet article fait référence à des publics qui ont tenté de commettre une infraction, ce qui n’est plus applicable aux personnes prostituées depuis la disparition du délit de racolage introduite par ce texte et qui n’y figure plus suite à la navette.

Aussi, c’est par souci de clarification rédactionnelle et juridique que cet amendement propose d’ajouter à l’article 706-63-1 la mention des personnes victimes de prostitution telle que définie au premier alinéa de l’article 1er ter car avec la disparition du délit de racolage, il serait me semble-t-il impossible de leur permettre de bénéficier des mesures protectrices qu’il prévoit.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Maud Olivier, rapporteure. Je comprends votre intention mais la rédaction de votre amendement aboutit à faire l’inverse de ce qu’il faudrait.

L’article 706-63-1 du code pénal étant consacré aux seuls repentis, on ne peut y faire référence aux personnes prostituées.

Votre proposition est inopérante car les mesures de protection des victimes de la prostitution apportant leur témoignage à la justice sont d’ores et déjà prévues au nouvel article 706-40-1 du code de procédure pénale et, pour être effectives, n’ont pas besoin d’être également visées à l’article 706-63-1 où il y aurait confusion des personnes visées.

Avis défavorable à l’adoption de cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Même avis pour les mêmes raisons.

(L’amendement n8 rectifié n’est pas adopté.)

(L’article 1er ter est adopté.)

Article 2

Mme la présidente. La commission a supprimé l’article 2.

Article 3

Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article. La parole est à Catherine Coutelle.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Je m’exprimerai rapidement puisque beaucoup de choses ont déjà été dites.

L’article 3 est l’un des piliers essentiels de notre loi : celui de la réinsertion et de l’accompagnement des victimes de la prostitution.

Je lis ce que nous avons écrit dans la loi, pour ceux qui l’ignorent : « un parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle est proposé à toute personne victime de la prostitution afin de lui permettre d’accéder à des alternatives à la prostitution. »

Pour ce faire, madame la secrétaire d’État, nous avons inscrit dans la loi qu’une instance départementale permettra un tel accompagnement en précisant sa composition – dont un magistrat. Je ne souhaite pas du tout qu’il en soit autrement mais peut-être sera-t-il possible de préciser dans le décret d’application qu’il peut s’agir aussi de son représentant. Les magistrats, en effet, nous disent qu’ils sont un peu surchargés par toutes les commissions auxquelles ils participent.

J’insiste grandement sur cette commission départementale : les associations d’accompagnement qui y siégeront devront partager la philosophie de la proposition de loi, sinon, je ne vois pas bien comment elles pourront faire leur travail auprès des personnes prostituées.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Lepetit.

Mme Annick Lepetit. C’est en écoutant mes collègues intervenir à la tribune lors de la discussion générale que j’ai souhaité prendre la parole sur l’article 3.

Nous sommes ici afin d’améliorer concrètement la situation de dizaines de milliers de femmes et leur offrir d’autres perspectives que celles de la fatalité et du désespoir.

C’est pour cela qu’à mon tour j’insiste sur l’avancée très importante que représente cet article 3 en créant un parcours de sortie de la prostitution et en aidant ces personnes à s’insérer socialement et professionnellement.

Nous rappelons ainsi le rôle premier de la loi : protéger les personnes les plus faibles.

Je voulais insister à mon tour sur l’importance de cet article, dont on a en fait peu parlé.

Mme Catherine Quéré. Très bien !

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 11 et 15, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n11.

M. Philippe Goujon. Cet amendement vise à restreindre le champ des partenaires institutionnels susceptibles d’intervenir dans la mise en œuvre du parcours concernant les personnes prostituées aux associations spécialisées dans l’aide aux personnes prostituées.

La définition actuelle, qui englobe toutes les associations aidant l’ensemble des personnes en difficulté, présente selon moi le risque de « dévoyer », en quelque sorte, l’aide accordée à ces victimes en raison d’un trop grand nombre d’interlocuteurs qui ne connaissent pas suffisamment les problématiques très particulières et spécifiques de la prostitution.

En outre – c’est le deuxième argument – cet amendement permettrait également d’harmoniser juridiquement l’article 3 avec les dispositions prévoyant que seules les associations spécialisées dans l’accompagnement des personnes prostituées pourront se porter partie civile.

Il est logique de conserver ce principe de spécialisation tout au long du texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale, pour soutenir l’amendement n15 et pour donner l’avis e la commission sur l’amendement n11.

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. J’interviens avec l’autorisation de notre rapporteure, étant un peu coupable de cette proposition.

Cet amendement n11 nous a beaucoup intéressés, s’agissant notamment du risque de dévoiement que vous avez évoqué. Néanmoins, une trop grande spécialisation pour éviter ce risque pourrait priver certaines personnes prostituées de l’accompagnement dont elles peuvent bénéficier, là où elles sont, de la part d’associations qui ne sont pas spécifiquement et exclusivement dédiées à cette tâche.

C’est pourquoi l’amendement n15 de la commission propose de conserver les termes d’associations accompagnant les personnes « en difficulté » en y ajoutant les termes « , en particulier les personnes prostituées. »

Cela permettrait de répondre au légitime souci exprimé par l’amendement défendu par M. Goujon et Mme Kosciusko-Morizet tout en laissant le champ suffisamment ouvert pour que, localement, les personnes prostituées ne soient pas privées d’une possibilité qui leur est offerte.

Nous souhaitons donc que M. Goujon retire son amendement au profit du nôtre.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Une simple question sur cet amendement déposé par Mme la rapporteure et présenté par le président de la commission spéciale dont nous prenons connaissance.

Je souhaiterais en effet avoir quelques éclaircissements. Les associations qui participent non à l’accompagnement des parcours de sortie de la prostitution mais à des politiques de diminution des risques, par exemple, ou d’accès au droit ou au séjour ont manifesté leur émoi.

Quel est donc le périmètre tracé par cet amendement, madame la rapporteure, concernant ces différentes associations dont nombre d’entre elles, vous le savez – ce n’est pas polémiquer – ne partagent pas du tout l’esprit de ce texte visant à pénaliser et à stigmatiser encore davantage ? Elles considèrent, en effet, qu’elles favorisent l’accès au droit en accompagnant les personnes livrées à la prostitution – je peux d’ailleurs donner des exemples très précis : le Bus des femmes, Médecins du monde, Act up, Aides.

Ces associations, qui œuvrent depuis très longtemps, seront-elles concernées ? Je crois cette demande d’explication nécessaire.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Rassurez-vous : comme cela a déjà été dit je crois dans le cadre du débat précédent, aucune association ne sera exclue mais nous souhaitons privilégier en effet le rôle de celles qui accompagnent tout particulièrement le parcours des personnes prostituées. Cela dit, je le répète, aucune ne sera exclue.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est un véritable savoir-faire.

Mme Maud Olivier, rapporteure. En effet.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Je retire mon amendement n11.

(L’amendement n11 est retiré.)

(L’amendement n15, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 3, amendé, est adopté.)

Article 3 bis

(L’article 3 bis est adopté.)

Article 5

Mme la présidente. La commission a supprimé l’article 5.

Article 6

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n9.

M. Philippe Goujon. Il s’agit de rendre incitatifs le dépôt de plainte ou le témoignage des victimes de prostitution contre leurs exploiteurs régis par l’article L. 316-1 du CESEDA afin de pallier la déperdition d’informations qu’entraîneront inévitablement l’abrogation du délit de racolage public et la possibilité de délivrance d’un titre de séjour de six mois pour les personnes qui ne coopèrent pas mais s’engagent dans un parcours de sortie de la prostitution.

Cet amendement précise donc que le titre de séjour désormais obligatoirement délivré à toute prostituée qui coopérera avec la police durera un an au minimum alors que le site servicepublic.fr mentionne que celui-ci repose actuellement sur une durée minimale de six mois, soit exactement la même durée que le titre de séjour corrélé au parcours de sortie de prostitution sans coopération avec la police.

Étant donné que la loi précise dans le CESEDA la durée de l’autorisation provisoire de séjour délivrée au titre du parcours de sortie de prostitution – six mois – elle doit procéder selon nous de même pour le titre de séjour temporaire délivré aux personnes qui coopèrent avec la police et qui est régi par le même code.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Maud Olivier, rapporteure. Cet amendement est déjà satisfait puisque la circulaire du ministre de l’intérieur du 28 novembre 2012 prévoit que le titre délivré ne peut être qu’une carte de séjour temporaire « vie privée », « vie familiale », d’une durée d’un an.

Je vous invite donc à retirer votre amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Avis défavorable, pour les mêmes raisons.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Je le retire.

(L’amendement n9 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n2.

M. Sergio Coronado. Cet amendement concerne les papiers délivrés à des victimes qui ont déposé plainte contre les réseaux.

Vous le savez, il est arrivé que des préfectures exigent des victimes d’exploitation sexuelle, qui ont pourtant déposé plainte, qu’elles aient cessé de se prostituer pour leur délivrer un titre de séjour.

Dans son étude sur la traite et l’exploitation des êtres humains en France, rendue en octobre 2010, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme recommande qu’un titre de séjour temporaire soit remis de plein droit et sans condition à toute victime de traite ou d’exploitation.

Elle rappelle que « subordonner leur délivrance à la cessation d’une activité constitue une discrimination, en violation des textes internationaux auxquels la France est partie » – cela figure dans le considérant 67.

En conditionnant la délivrance d’un titre aux seules femmes qui ont cessé l’activité de prostitution, une catégorie de victimes est fragilisée.

Je vous rappelle aussi que le défenseur des droits a pris très clairement position en faveur de dispositions similaires.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Maud Olivier, rapporteure. Avis défavorable.

Je rappelle que l’article 6 de la proposition de loi renforce à plusieurs égards la protection des personnes étrangères victimes d’exploitation sexuelle. Il prévoit notamment que la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée » et « vie familiale » sera délivrée à l’étranger victime d’un réseau de traite ou de proxénétisme alors qu’en l’état elle « peut » être délivrée. C’est là une différence notable et majeure puisque l’article introduit l’automaticité de la délivrance.

Par ailleurs, l’adoption de votre amendement enverrait un très mauvais signal puisque des proxénètes pourraient considérer qu’une simple incitation à sortir de la prostitution permettrait de bénéficier d’une carte de séjour temporaire.

La délivrance de cette dernière doit être impérativement subordonnée à la rupture des personnes prostituées de tout lien avec les auteurs de l’infraction, comme c’est actuellement le cas.

Il serait dommage de rompre cet équilibre qui nous paraît vraiment fondamental. Je vous invite donc à retirer votre amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Avis défavorable pour les mêmes raisons.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Je suis très étonné que vous utilisiez à chaque fois l’argument de l’appel d’air : il ne faut pas tenir compte de situations de détresse et d’instabilité liées au droit au séjour et à la stabilité du séjour pour ces personnes victimes de la traite parce que cela relève d’un appel d’air !

À un moment donné, madame la rapporteure, je crois qu’il faut choisir. Soit votre texte vise totalement à apporter de l’aide aux victimes, soit il s’agit d’un dispositif supplémentaire dans le contrôle et la limitation des flux migratoires mais vous ne pouvez pas jouer sur tous les tableaux !

Vous prétendez que votre texte améliore la situation des personnes prostituées mais ce n’est absolument pas le cas. Le ministère de l’intérieur procède déjà ainsi avec beaucoup de pragmatisme ! Les dispositions de cette proposition de loi ne présentent aucune avancée.

À un moment donné, il faut être clair : soit vous choisissez clairement l’aide aux victimes, soit vous considérez que votre rôle consiste à participer au contrôle des flux…

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Oh ! C’est une contre-vérité !

M. Sergio Coronado. …mais je pensais qu’un texte concernant les victimes de la traite devait aller plus loin.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. À ce stade de la troisième lecture, je souhaite que l’on puisse éviter les faux procès et les caricatures.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Absolument.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Nous ne sommes pas dans le monde des Bisounours, comme diraient les enfants. Oui, les réseaux comprennent des personnes mal intentionnées, au-delà même des violences perpétrées. Elles se chargent de déterminer toutes les failles qui peuvent exister pour continuer notamment à opérer leurs trafics sur notre territoire.

Ce qui est proposé ici, c’est justement d’accompagner les victimes dans les meilleures conditions, et de les protéger. Je sais que ce sujet vous tient à cœur et j’imagine que vous êtes allé à la rencontre de ces femmes, qui sont mises au secret et menacées de mort, comme leur famille, restée dans leur pays d’origine. Sans les protections que nous introduisons dans cet article, elles resteraient sous le joug de ces trafiquants d’êtres humains.

(L’amendement n2 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n3.

M. Sergio Coronado. Je suis parfaitement d’accord avec vous, madame la secrétaire d’État, quand vous dites qu’il faut éviter les caricatures, car le problème est complexe. Mais j’ai parfois eu l’impression, au cours de nos débats, que l’on préférait simplifier les choses et ne voir que du noir et du blanc, des victimes et des coupables.

Je maintiens que ce texte ne constitue pas une avancée, et j’aimerais exposer ce qui fonde mon raisonnement.

Dans sa note d’information du 19 mai 2015 relative aux conditions d’admission au séjour des ressortissants étrangers victimes de la traite des êtres humains ou de proxénétisme, le ministère de l’intérieur indique clairement : « Dans l’hypothèse où la procédure judiciaire conduite sur la base d’un témoignage ou d’une plainte d’une personne invoquant sa situation de victime n’aboutirait pas à une condamnation des auteurs, pour diverses raisons qui ne remettent pas en cause la réalité des faits qu’elle a rapportés, vous examinerez avec bienveillance dans le cadre de votre pouvoir d’appréciation, la possibilité du maintien du droit au séjour. Cet examen s’effectuera soit sur le fondement du 7° de l’article L. 313-11 du CESEDA pour des motifs tenant à la vie privée ou familiale, soit sur le fondement de l’article L. 313-14 du CESEDA pour des raisons exceptionnelles ou humanitaires. »

Vous voyez bien que la pratique du ministère de l’intérieur va bien au-delà de ce que vous proposez aujourd’hui dans cette proposition de loi. Celle-ci n’apporte aucune amélioration substantielle, contrairement à ce que vous affirmez depuis le début. Le sort que vous faites aux victimes de la traite n’est pas meilleur que celui qui leur est fait aujourd’hui par le ministère de l’intérieur, madame la secrétaire d’État.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Maud Olivier, rapporteure. Votre amendement, monsieur Coronado, créerait une discrimination à l’encontre d’autres catégories d’étrangers, qui ne peuvent se voir délivrer une carte de résident qu’après plusieurs années de séjour régulier en France. Le droit commun exige cinq ans de séjour régulier pour se voir délivrer une carte de résident – durée qui peut éventuellement être ramenée à trois ans pour certaines catégories d’étrangers présentant un lien fort avec la France.

Je vous rappelle par ailleurs que la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a marqué un grand progrès, en rendant automatique la délivrance d’une carte de résident aux victimes de la traite ou du proxénétisme en cas de condamnation définitive de l’auteur des faits. En pratique, conformément à l’instruction du ministre de l’intérieur du 19 mai 2015, l’autorité administrative peut délivrer une carte de séjour temporaire à une personne qui a témoigné ou déposé plainte, même dans le cas où la procédure n’aboutirait pas à la condamnation de l’auteur des faits.

Pour toutes ces raisons, l’avis de la commission est défavorable et je vous invite à retirer votre amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Si l’on considère que la situation des femmes victimes de la traite est d’une gravité exceptionnelle, parce que tenter d’y échapper revient pour elles à mettre en danger leur famille ou leur propre vie, je ne comprends pas que vous puissiez mettre sur un pied d’égalité une femme prostituée victime des réseaux et de la traite, une sorte d’esclave moderne, et un étranger qui arrive en France, qui peut travailler, avoir accès aux soins sans difficulté, se loger, avoir une vie sociale et familiale et attendre tranquillement cinq ans pour bénéficier d’un titre de séjour stable.

Cette comparaison est non seulement hors de propos, mais choquante et scandaleuse dans votre bouche, madame la rapporteure.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Coutelle.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Je voudrais revenir sur les améliorations contenues dans ce texte. Actuellement, pour avoir des papiers, une personne victime de la prostitution doit avoir, non seulement dénoncé, mais vu son ou sa proxénète condamné. Or je peux vous assurer que, même en cas de condamnation, les préfectures se font tirer l’oreille et n’appliquent pas toujours l’excellente circulaire du 19 mai 2015.

Aujourd’hui, nous améliorons la situation, puisque les personnes qui auront dénoncé leur proxénète et qui témoigneront, par-là, qu’elles sont engagées dans un parcours de sortie de la prostitution, auront des papiers, même si la condamnation n’est pas encore prononcée. Notre texte améliore vraiment la situation et les préfectures, désormais, devront délivrer ces papiers.

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Absolument !

(L’amendement n3 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n4.

M. Sergio Coronado. Nos collègues sénateurs avaient beaucoup modifié notre texte, et ils n’avaient pas toujours fait de mauvais choix.

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Ce sont tous des gauchistes, c’est bien connu ! (Sourires.)

M. Sergio Coronado. Dans le cas qui nous occupe des personnes étrangères victimes de la traite, par exemple, ils n’avaient pas conditionné l’obtention de papiers à la cessation définitive et soudaine de l’activité de prostitution. Je rappelle par ailleurs que le Défenseur des droits a pris parti dans ce débat, en expliquant que l’idée d’un arrêt brutal correspondait assez peu à la réalité des parcours de sortie de la prostitution – on n’en sort pas du jour au lendemain.

Il me paraît donc contradictoire de demander à une personne engagée dans le parcours de sortie de la prostitution d’avoir cessé cette activité, alors qu’elle est précisément engagée dans un parcours. Ce qui fait de cette sortie un parcours – et on pourrait le dire d’autres fléaux, d’autres situations difficiles ou de certaines addictions – c’est précisément le risque de rechute ou de retour en arrière. Et c’est bien pour cela que ces personnes ont besoin d’être accompagnées.

Je ne vois pas pourquoi une personne qui aurait définitivement arrêté la prostitution et qui n’en aurait plus besoin pour survivre aurait besoin d’associations pour l’entourer et pourquoi elle devrait s’adresser à l’État. Pourquoi devrait-elle s’engager dans un parcours si elle a pu s’en sortir sans aide ?

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. On voit que vous ne connaissez pas bien ces situations !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Maud Olivier, rapporteure. Il faudra que vous m’expliquiez, monsieur Coronado, ce que signifie l’expression « engager des démarches pour cesser ». Ou on cesse, ou on continue.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Votre exposé sommaire est tout à fait jésuitique !

Mme Maud Olivier, rapporteure. Et arrêtez de faire de la provocation, en commentant mon supposé état d’esprit ou les buts que je poursuis.

Nous avons eu cette discussion à plusieurs reprises et je souhaite que soit maintenue dans la loi l’idée que les personnes doivent avoir cessé la prostitution pour se voir délivrer des papiers. Chaque situation sera appréciée ; la personne concernée pourra bénéficier du soutien d’une commission départementale ou d’associations et il sera tenu compte du fait que chacun peut trébucher. Mais nous inscrivons dans la loi que la personne doit avoir cessé l’activité de prostitution.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Il me semble que Mme Catherine Coutelle a déjà répondu au problème posé par M. Sergio Coronado, s’agissant notamment de l’appréciation qui pourrait être laissée aux préfectures. Il est bien évident que le signal envoyé aux personnes étrangères victimes de la prostitution doit être celui d’une sécurisation du séjour, sans laquelle tout espoir de sortie de la prostitution est vain.

Nous ne pouvons pas envoyer aux réseaux de traite un message tendant à faire penser qu’il y aurait dans notre loi des failles qui pourraient être exploitées pour régulariser la situation des femmes restant sous l’emprise de leur proxénète. C’est la raison pour laquelle cette condition de cessation me semble s’imposer, non comme une contrainte que nous imposerions aux personnes prostituées, mais comme une protection contre le détournement de la loi au profit des réseaux.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et Mme Catherine Quéré. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je ne peux pas voter un tel amendement, mes chers collègues.

Notre collègue Sergio Coronado évoque le risque de rechute, qui est réel. Mais proposer que, dès lors qu’une personne a engagé des démarches pour sortir de la prostitution, elle puisse bénéficier d’un titre de séjour, c’est vraiment la loi molle par excellence ! Ce n’est pas une règle ! Ce qu’il faut, c’est avoir cessé : il faut être clair. Et cela n’exclut pas qu’il puisse y avoir, ensuite, une place pour l’appréciation.

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Évidemment !

M. Charles de Courson. Si nous adoptions votre amendement, cher collègue, comment pensez-vous que les commissions pourraient évaluer si des démarches ont été « engagées pour cesser » ? Ce n’est plus de la loi : c’est de la loi molle. Ne votons pas des lois molles ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Très bien !

(L’amendement n4 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maud Olivier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n16.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de coordination.

(L’amendement n16, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 6, amendé, est adopté.)

Article 9 bis

(L’article 9 bis est adopté.)

Article 16

Mme la présidente. La parole est à Mme Eva Sas, première oratrice inscrite sur l’article.

Mme Eva Sas. J’interviens ici en mon nom, mais aussi au nom de mes collègues écologistes Laurence Abeille et Danielle Auroi, qui ne peuvent être présentes ce soir, mais qui souhaitent apporter tout leur soutien à cette proposition de loi, en particulier à l’interdiction d’achat d’actes sexuels, qui avait malheureusement été supprimée par le Sénat, et qui est rétablie dans cet article.

En leur nom, je voudrais remercier ici Maud Olivier, Catherine Coutelle et Guy Geoffroy, qui ont eu le courage d’affronter ce sujet, sur lequel l’hypocrisie reste la règle. Car, derrière le droit à user librement de son corps, on ferme encore les yeux sur la réalité de la prostitution. Qu’est-ce que la réalité de la prostitution ? C’est un droit accordé aux hommes d’abuser du corps des femmes, ou parfois de celui d’autres hommes ; c’est une atteinte à la dignité de la personne, dont le corps devient un produit, une marchandise comme une autre ; c’est un système d’exploitation qui exerce une violence quotidienne sur les prostituées, dans l’indifférence bienveillante de la société.

Oui, il faut soutenir cette proposition de loi. Oui, il faut rétablir l’interdiction d’achat d’actes sexuels et la responsabilisation du client, qui en découle. Oui, il faut, avec cette loi, et particulièrement avec cet article, que notre société, enfin, n’accepte plus l’inacceptable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Depuis le début de nos travaux, nous avons collectivement affirmé notre conviction que les personnes prostituées doivent désormais être considérées comme des victimes et accompagnées dans un parcours de sortie de la prostitution. Nous nous sommes également entendus pour désigner les coupables, les proxénètes et les réseaux, de plus en plus mondialisés, qui exploitent la misère. Mais notre texte serait bancal, s’il continuait de fermer les yeux sur l’existence d’un troisième acteur, le client, sans qui ce marché, cette exploitation, ces violences, n’existeraient pas.

Certains, imaginant possible de faire le tri entre les travailleurs du sexe, d’un côté, et les victimes de la traite, de l’autre, nous invitent à distinguer les bons et les mauvais clients. Mais ce monde idéal n’existe pas : il y a un seul marché, où les clients sont collectivement responsables de l’existence des réseaux de traite. Et c’est bien là l’enjeu de cet article : donner conscience, pour que personne ne puisse jamais dire : « Je ne savais pas. Je ne savais pas qu’elle était mineure. Je ne savais pas qu’elle avait été vendue par sa famille à un réseau. Je ne savais pas qu’elle devait rembourser plusieurs milliers d’euros à ceux qui l’ont fait venir en France. Je ne savais pas qu’elle exerçait cette activité sous la menace et la contrainte. Je ne savais pas que sa famille, au pays, était en danger. »

Nous n’avons en réalité que deux options : continuer de fermer les yeux et tolérer que les clients soient des complices irresponsables ou distinguer clairement ce qui s’achète de ce qui ne s’achète pas.

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Très bien !

Mme Pascale Crozon. Tel est le sens de cet article 16 qui, en posant cet interdit et en responsabilisant les clients, les confronte au rôle actif qu’ils jouent dans l’existence même de réseaux qui piétinent la dignité humaine. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Arlette Grosskost. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n5.

M. Sergio Coronado. Notre débat est politique, philosophique, mais c’est aussi un débat de santé publique. Je reconnais parfaitement que l’on puisse vouloir jouer sur les symboles et déconstruire les inégalités de genre, mais vous devez accepter aussi que, dans ce débat-là, on ait pour principale préoccupation l’amélioration concrète de la situation de ceux et de celles qui vivent de la prostitution.

La question qui se pose à nous est de savoir si la pénalisation du client améliorera la situation de ces personnes.

De multiples associations, qui ne peuvent pas être qualifiées d’agents du proxénétisme ou des réseaux de traite et qui travaillent à l’accompagnement des prostituées depuis fort longtemps sur le terrain, soulignent que les effets de nos discussions sur un texte qui n’est pas encore une loi se font déjà sentir.

Ce à quoi on assiste est similaire à ce qu’on a vécu au moment de l’instauration du racolage passif, à savoir une précarisation de publics, de personnes, de femmes qui sont déjà en très grande difficulté et en très grande détresse. Les associations, notamment d’accès aux soins, observent que les prostituées, pour exercer leur activité, s’éloignent de plus en plus des lieux habituellement fréquentés. Il est également plus difficile d’entrer en contact avec elles ou avec eux, sans oublier leur méfiance à l’égard des forces de police.

Mme Catherine Coutelle. C’est la réalité d’aujourd’hui.

Mme Annick Lepetit. Depuis des années, même.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Coronado.

M. Sergio Coronado. J’aimerais ne pas être interrompu en permanence par des collègues.

C’est un combat politique. J’aimerais ne pas retrouver, avec cette mesure, la même certitude que celle qui avait prévalu lors de l’instauration du délit de racolage passif, qui promettait la fin de la prostitution, l’amélioration de la vie des prostituées et la fin des réseaux. Cette mesure ne fera que fragiliser celles que nous souhaitons aider.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Maud Olivier, rapporteure. La commission a évidemment repoussé cet amendement.

J’aimerais ne pas avoir à rouvrir le débat que nous avons déjà eu à plusieurs reprises sur le sujet. Vous évoquez un grand nombre d’associations craignant une plus grande précarité : de nombreuses associations pensent, au contraire, que cette mesure représente une excellente solution. En effet, si les clients peuvent trouver les personnes prostituées, les associations le pourront également afin de leur apporter toute l’aide dont elles auront besoin.

Je ne tiens pas à rappeler les exemples frappants, que nous avons déjà évoqués, de ce que subissent actuellement les personnes prostituées. C’est aujourd’hui qu’elles se cachent et sont poursuivies parce qu’elles sont actuellement considérées comme des délinquantes. Une fois que cela aura changé, elles pourront faire appel à la police. Je le redis : si elles ont peur de la police aujourd’hui, c’est parce qu’elles sont des délinquantes. Lorsqu’elles ne le seront plus, elles pourront porter plainte au commissariat et se faire aider par la police contre un client violent. Le client se sentira responsable de ce qu’il fait subir à toutes ces personnes qui sont victimes des réseaux de traite.

Je le répète : avis évidemment défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Défavorable.

(L’amendement n5 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 10 et 14, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n10.

M. Philippe Goujon. La responsabilisation du client est la pièce maîtresse du dispositif. C’est aussi la contrepartie de l’abrogation du délit de racolage public. Or la solution a minima d’une contravention de cinquième classe, la récidive seule constituant un délit, n’est pas assez sévère pour être dissuasive. Cet amendement, qui suit la recommandation de l’excellent rapport d’information de M. Geoffroy et de Mme Bousquet, vise donc à rétablir une pénalisation efficace du client sous la forme d’un délit passible de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende, assortis d’une peine complémentaire ou alternative de stage de sensibilisation. Inscrit au casier judiciaire, passible de garde à vue, un délit – du moins peut-on le penser – pourra avoir le même effet dissuasif sur les clients que celui qui a été constaté par les autorités suédoises. Il permettrait également de poursuivre les contrevenants pour la commission de ces actes hors du territoire national, comme le demandent les élus des zones frontalières.

La simple contravention de cinquième classe, et ce même si la récidive constitue un délit, rendrait inefficace les dispositions de ce texte, dispositions qui auraient dès lors davantage leur place dans le projet de loi relatif au droit des étrangers en France.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n14.

M. Charles de Courson. Le seul point de l’amendement n5 de M. Coronado qui méritait débat portait sur la proportionnalité de la sanction par rapport à la faute.

Je suis de ceux qui ont plaidé une thèse maximaliste, assimilant l’achat de services sexuels à un viol, c’est-à-dire à un crime. On m’a fait valoir qu’entre la situation actuelle de non-droit et cette thèse maximaliste existait une thèse gradualiste. Il fallait commencer par une contravention et passer au délit en cas de récidive. L’amendement n14 de M. Goujon et le mien visent à commencer par un délit et, en cas de récidive, à prévoir un emprisonnement. Mon amendement prévoit en effet une amende de 3 750 euros pour une première infraction et, en cas de récidive, une amende doublée et un emprisonnement d’un mois maximum.

Le texte ne va pas assez loin. Il est vrai que passer directement de la situation actuelle au crime, c’est-à-dire à une incrimination pour viol, est impossible : les esprits doivent mûrir. J’en suis conscient. En revanche, se contenter d’une contravention de cinquième classe pour une première infraction ne correspond pas à la gravité du comportement du client qui, il faut le dire et le redire, est complice.

Mme Sandrine Mazetier. Oui.

M. Charles de Courson. Comme l’ont souligné plusieurs collègues, le client se demande-t-il qui est la fille, d’où elle vient et qui la finance ? De nombreux clients ne se posent pas ces questions. C’est pourquoi une contravention de cinquième classe n’est pas assez sévère.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Je prends la parole plus à titre personnel qu’en tant que président de la commission spéciale, pour rappeler qu’au début de nos travaux, il y a plusieurs années, tout d’abord au sein de la mission d’information puis au sein de la commission spéciale, nous étions nombreux à penser qu’un point serait simple à comprendre et à expliquer : la personne prostituée n’étant plus coupable d’un délit mais victime d’un acte susceptible d’être puni, la responsabilité transférée sur le client devrait être établie au même niveau. Lors de nos échanges avec Mme Neuville, nous avions dans un premier temps souhaité instaurer un délit et non prévoir une simple contravention.

Je n’ai pas changé d’opinion. Je comprends parfaitement que les travaux de notre commission aient conduit à cette gradation dans la sanction, dans le dessein d’éduquer et de responsabiliser le client, puis, à défaut, de le sanctionner. Je tiens toutefois à souligner que les Suédois, qui ont inscrit cette disposition dans leur loi depuis bientôt vingt ans et qui sont allés plus loin que nous en termes de pénalisation puisque la peine encourue est désormais d’un an, n’ont jamais eu recours à l’emprisonnement d’un quelconque délinquant. Une sanction significative peut donc avoir une vertu éducative dans le cadre de ce transfert de culpabilité que le texte effectue. C’est la raison pour laquelle je voterai personnellement cet amendement, pensant que nous ne commettrions pas une erreur si nous le faisions, tout en comprenant et en reprenant, en ma qualité de président, la décision de la commission spéciale.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Maud Olivier, rapporteure. Je demande à leurs auteurs de bien vouloir retirer ces amendements, du fait que nous sommes arrivés à une gradation des peines qui, je crois, répond à l’attente générale de la société.

Je tiens à rappeler par ailleurs que la prostitution des mineurs est très sévèrement punie, à juste titre.

De plus, l’article 18 prévoit la remise d’un rapport par le Gouvernement au Parlement sur la création de cette nouvelle infraction. Je vous propose d’attendre cette évaluation pour ajuster le cas échéant la nature et le quantum des peines.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Défavorable aux deux amendements.

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Je tiens simplement à rappeler que le stage de sensibilisation doit pouvoir être prononcé très tôt, sur la base d’une contravention et non à l’issue d’une procédure judiciaire. Or, monsieur Goujon, l’adoption de votre amendement ne pourrait que nourrir les faux procès qui ont été faits à ce texte. Notre objectif, en effet, n’est pas d’envoyer les clients en prison : il est de faire prendre conscience à la société qu’un acte sexuel n’est pas un simple bien de consommation soumis aux lois du marché.

(Les amendements nos 10 et 14, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

(L’article 16 est adopté.)

Article 17

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Fabre, inscrite sur l’article.

Mme Marie-Hélène Fabre. Mes chers collègues, le stage de sensibilisation aux conditions réelles d’exercice de la prostitution, s’il est le dernier étage de l’édifice institutionnel proposé par ce texte, n’en est pas pour autant le moins fondamental. Je pense que ce qui permet à la prostitution de subsister dans nos sociétés relativement évoluées, c’est moins le goût de ceux qui s’adonnent à cette pratique que la méconnaissance profonde de la réalité de ce phénomène. Car un grand nombre de mythes continuent d’entourer la prostitution et sa pratique dans notre pays. Invariablement dans le débat revient l’idée que les personnes prostituées sont, dans leur majorité, volontaires, voire apprécient leur activité, qu’elles la considèrent comme un travail comme un autre et que leur niveau de vie est particulièrement confortable en raison des tarifs pratiqués. Bref, à entendre certains discours, dans ce pays, la prostitution serait un travail comme un autre qu’il conviendrait d’encadrer et de réglementer comme d’autres professions. Par exemple, on irait voir indifféremment une prostituée ou une assistante sociale puisque c’est à peu près la même chose.

C’est pourquoi je trouve le dispositif envisagé par l’article 17 particulièrement intéressant. S’attaquer au porte-monnaie des clients est utile sans être suffisant. Les aider à prendre conscience des conséquences de leurs actions est plus essentiel. Face à leur déni de réalité, il me paraît fondamental d’instaurer des mesures de sensibilisation pour déconstruire et combattre la représentation incroyablement idéalisée de la prostitution et montrer sa réalité.

La création de ce stage de sensibilisation aux conditions d’exercice réel de cette activité, sur le modèle des stages instaurés en matière de sécurité routière ou de stupéfiants, me semble être une très bonne initiative qui permettra aux clients de la prostitution de mesurer enfin la souffrance de ces personnes qui ont prétendument choisi cette activité.

Grâce à cet instrument mis à la disposition des juridictions de police, j’ai bon espoir que les clients prennent conscience de leur participation et de leur contribution au fonctionnement d’un système violent et parfaitement criminel et se résolvent à ne plus y participer.

C’est pourquoi je me réjouis de cette possibilité de sensibilisation qui, je l’espère, sera largement mise en œuvre et proposée par les tribunaux de police.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n6, lequel tend à supprimer l’article 17.

M. Sergio Coronado. Il s’agit, comme l’amendement n7, d’un amendement de conséquence de mon amendement de suppression de l’article 16. Je les retire tous deux.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Bravo !

(L’amendement n6 est retiré.)

(L’article 17 est adopté.)

Article 18

Mme la présidente. M. Coronado a déjà indiqué qu’il retirait l’amendement de suppression n7.

(L’amendement n7 est retiré.)

(L’article 18 est adopté.)

Explications de vote

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Frédéric Reiss, pour le groupe Les Républicains.

M. Frédéric Reiss. Ce texte constitue un signal fort pour répondre à un réel problème de société. Au terme de cette troisième lecture, il me semble que nous avons accompli de vrais progrès.

J’émets cependant quelques réserves quant à l’application de l’article 16 et à la façon dont la police pourra verbaliser après l’achat d’actes sexuels. Sans doute faudra-t-il veiller à ce que la prostitution ne se développe pas davantage dans la clandestinité.

Je rappelle également que ce texte, notamment par son article 3, s’inscrit parfaitement dans le cadre d’une résolution prise le 8 avril 2014 par l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Cette résolution recommande la pénalisation de l’achat de services sexuels et vise à ériger le proxénétisme en infraction pénale. Elle préconise également d’établir des centres de conseil offrant aux personnes prostituées une aide juridique et de santé, indépendamment de leur statut légal ou d’immigration, et de mettre en place des programmes de sortie et de réhabilitation de celles et ceux qui souhaitent quitter la prostitution, en prévoyant une approche globale associant des services de santé tant mentale que physique, l’aide au logement, l’éducation, la formation et l’emploi.

Je salue le bon travail effectué par la commission spéciale. Comme l’a indiqué Mme Marie-Louise Fort lors de la discussion générale, les avis des députés du groupe Les Républicains sont très partagés. Nous estimons encore, avec Philippe Goujon et Arlette Grosskost ici présents, qu’il reste des points à améliorer. À titre personnel, je voterai en faveur du texte, mais le groupe s’en tient à une position d’abstention.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Quéré, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Catherine Quéré. Nous devons collectivement nous féliciter que le cœur de notre proposition, c’est-à-dire l’abrogation du délit de racolage qui faisait des victimes les coupables de leur situation, soit aujourd’hui définitivement acquis. Je veux remercier nos collègues sénateurs, notamment ceux qui, au centre et à droite, ont su dépasser les clivages traditionnels pour nous rejoindre sur cette position.

De la même façon, même s’il reste ici ou là quelques points parfois techniques à arbitrer, je veux rappeler que nos travaux vont aboutir à la création d’un parcours de sortie de la prostitution. Ce parcours sera assorti d’un certain nombre de protections, en particulier en matière de logement et de droit au séjour, et les acteurs de la société civile qui accompagnent les personnes prostituées seront appelés à y jouer tout leur rôle. Beaucoup d’associations nous ont soutenus, notamment l’Amicale du Nid et la fondation Scelles. Cent onze d’entre elles ont écrit au Président de la République pour plaider en faveur de notre texte.

Alors oui, si les principes de liberté et d’égalité nous guident, nous devons poser un interdit et dire clairement que le système de traite et d’exploitation des êtres humains que nous sommes ici résolus à combattre n’existerait pas s’il n’y avait pas de clients. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Charles de Courson. Comme je l’ai indiqué dans la discussion générale, le groupe UDI laisse la liberté de voter en conscience sur ces sujets.

Pour ma part, je me suis largement exprimé sur un texte que je soutiens depuis l’origine. Je ne formule qu’un petit regret : la sanction du client me semble un peu trop modeste.

Quoi qu’il en soit, c’est un progrès et, comme il faut juger un texte globalement, je voterai pour la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.

M. Sergio Coronado. Comme vous l’avez constaté à l’occasion des prises de parole de ma collègue Eva Sas, le débat a existé au sein du groupe écologiste. Dans sa majorité, néanmoins, et pour une fois de manière assez cohérente, celui-ci votera contre ce texte.

Nous considérons, mais ce n’est pas la seule raison, que l’article 16 est contre-productif dans la mesure où il vise à criminaliser une activité dont on sait qu’elle est déjà exercée dans des conditions extrêmement précaires. On constatera rapidement sur le terrain, hélas, que l’isolement, l’éloignement, la difficulté dans l’accès aux droits et aux soins ne feront que s’accroître.

Nous considérons également que les autres dispositifs prévus sont insuffisants. Celui qui vise à accompagner la sortie de la prostitution présente une très grande faiblesse. Je vous ai vue réagir un peu vivement tout à l’heure et j’espère que vous ne prendrez pas cette critique pour vous, madame la rapporteure. Néanmoins, pour de nombreuses associations et pour plusieurs instances, en particulier le Défenseur des droits dont je reprendrai les termes, l’admission dans ce parcours de sortie est conditionnée à des critères somme toute drastiques qui n’englobent pas la diversité des parcours et des situations. C’est une erreur qui donne un caractère assez cosmétique à un dispositif que nous aurions souhaité pleinement effectif.

Enfin, je vous ai dit très franchement ce que je pensais des mesures prévues pour les victimes de la traite. Au lieu de servir ces victimes, vous choisissez de privilégier la lutte contre les « appels d’air » et de jouer un rôle de gendarme des flux migratoires. Je le regrette.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur certains bancs du groupe Les Républicains.)

4

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire ;

Discussion de la proposition de loi visant à élargir les capacités d’intervention des forces de l’ordre ;

Discussion de la proposition de loi renforçant la lutte contre le hooliganisme ;

Discussion de la proposition de loi favorisant le développement régional de l’apprentissage.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-deux heures vingt.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly