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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 05 avril 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Projet de loi travail

M. Gérard Cherpion

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Situation au Haut-Karabagh

Mme Nathalie Nieson

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes

Accueil des migrants en Europe

M. Michel Piron

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Mobilisation citoyenne contre le projet de loi travail

Mme Eva Sas

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Fraude fiscale

Mme Bernadette Laclais

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Projet de loi travail

M. Alain Tourret

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu

M. Marc Le Fur

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Autisme

M. Gwendal Rouillard

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

Islam radical et valeurs de la République

M. Damien Abad

M. Manuel Valls, Premier ministre

Abattoirs

M. Hervé Pellois

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Lutte contre la radicalisation en prison

M. Georges Fenech

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Impayés de pension alimentaire

M. Guy Delcourt

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes

Difficultés administratives des agriculteurs

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Réforme du collège

M. Frédéric Reiss

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Conséquences de la loi NOTRe

M. Patrice Carvalho

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales

2. Éloge funèbre de Sophie Dessus

M. le président

M. Manuel Valls, Premier ministre

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Laurence Dumont

3. Modernisation des règles applicables aux élections

Présentation commune

Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales

Mme Elisabeth Pochon, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion générale commune

M. Philippe Gosselin

M. Jean-Christophe Lagarde

M. Alain Tourret

M. Noël Mamère

Mme Marie-George Buffet

M. René Dosière

Texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture (Modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle)

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

Texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture (Modernisation de diverses règles applicables aux élections)

Amendement no 1

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

4. Déontologie, droits et obligations des fonctionnaires

Présentation

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure de la commission mixte paritaire

Mme Annick Girardin, ministre de la fonction publique

Discussion générale

M. Philippe Gomes

M. Gérard Charasse

M. Paul Molac

M. Gaby Charroux

Mme Cécile Untermaier

M. Guy Geoffroy

Vote sur l’ensemble

5. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Je vous rappelle que je prononcerai ensuite l’éloge funèbre de notre regrettée collègue Sophie Dessus, sans suspendre la séance.

Projet de loi travail

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion, pour le groupe Les Républicains.

M. Gérard Cherpion. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Un député du groupe Les Républicains. Il n’est même pas présent !

M. Gérard Cherpion. Depuis quatre ans, vous brandissez le dialogue social comme un étendard de la gauche, cette gauche qui serait la seule à respecter les partenaires sociaux. Nous venons pourtant d’apprendre qu’une organisation syndicale allait poursuivre le Gouvernement en justice pour non-respect de l’article L1 du code du travail, que nous avons créé, en 2007, sur proposition de Gérard Larcher. Ce serait une première dans l’histoire de notre pays !

Cet article oblige le Gouvernement à consulter les partenaires sociaux lorsqu’il prépare un projet de loi sociale. Or dans un courrier adressé hier au Gouvernement, Force ouvrière dénonce, preuve à l’appui, votre attitude et vos mensonges. Ainsi, vous ne les avez pas consultés sur ce projet de loi ; vous ne leur avez même pas transmis un document d’orientation – les autres partenaires sociaux nous l’ont par ailleurs confirmé.

Suite aux fuites dans la presse concernant votre projet de loi, vous avez été contraint de retarder sa présentation pour consulter enfin, dans la précipitation, les partenaires sociaux. Vous avez ainsi vous-même admis que cette obligation légale n’avait pas été respectée. Alors que la contestation ne cesse de grandir, dans la rue et au sein de votre propre majorité, ce dernier épisode porte le coup de grâce à votre projet de loi.

Ce texte représentait une occasion d’accroître la flexibilité pour l’entreprise, d’améliorer la sécurité de l’emploi pour les salariés, et de renforcer le dialogue social. Elle ne sera, en définitive, qu’un chapitre supplémentaire à l’histoire de vos renoncements et de votre incapacité à réformer le pays.

Monsieur le Premier ministre, le projet de loi travail subira-t-il le même sort que la révision constitutionnelle sur la déchéance de nationalité ? Le Gouvernement sera-t-il condamné par la justice pour non-respect du droit – et, par là même, pour non-respect des partenaires sociaux – avant même l’examen du texte au Parlement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, je m’étonne de votre question ! (Sourires.)

J’ai eu l’occasion, en commission des affaires sociales, de vous dire précisément ce qu’il en est de l’article L1 du code du travail. Je tiens à vous le rappeler ici.

Une semaine après ma nomination au ministère du travail, Jean-Denis Combrexelle a remis son rapport au Premier ministre et à moi-même. Sur cette base, nous avons demandé aux partenaires sociaux s’ils souhaitaient ouvrir une négociation : ils ne l’ont pas voulu. Nous avons alors mené de nombreuses consultations.

Je ne méconnais pas l’article L1 du code du travail. Au moment de la conférence sociale, les partenaires sociaux ont accepté d’ouvrir une négociation concernant le compte personnel d’activité. Nous avons donc, par la suite, envoyé un document d’orientation, conformément à la loi. C’est si vrai que le Conseil d’État, lorsqu’il a examiné ce projet de loi, a estimé que l’ensemble des procédures avaient été respectées.

Je vous remercie, monsieur le député, d’avoir rappelé que depuis 2012, nous avons renforcé la démocratie sociale dans notre pays.

M. Laurent Furst. En fermant des usines !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Nous l’avons renforcée, alors même que certains de votre bord politique demandent la fin du paritarisme, refusent le dialogue social, demandent l’organisation de référendums à la main des employeurs. Voilà la réalité !

Je m’étonne donc que vous vous fassiez, aujourd’hui, le porte-parole de l’un de ces syndicats. J’ai, en effet, reçu un courrier de sa part : j’y répondrai, comme j’en ai l’habitude. Soyez rassuré sur ce point : M. Mailly aura bien une réponse officielle de ma part.

Au-delà de cette question, vous avez dit que ce projet de loi avait été vidé de son contenu. J’ai assisté aux réunions de la commission des affaires sociales ; j’ai trouvé très savoureuses les différentes interventions sur ce texte. Cela montre, d’une certaine manière, que nous avons trouvé un très bon compromis. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Christian Jacob. Vous ne manquez pas d’air !

Situation au Haut-Karabagh

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Nieson, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Nathalie Nieson. Monsieur le ministre des affaires étrangères, de graves affrontements sont survenus dans la région du Haut-Karabagh, dans la nuit du vendredi 1er avril au samedi 2 entre les forces de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie. Afin de trouver une issue au conflit, de nouvelles négociations devraient s’ouvrir aujourd’hui à Vienne sous les auspices du Groupe de Minsk de l’OSCE, co-présidé par la France.

Le Haut-Karabagh a en effet été, ce week-end, le théâtre des hostilités les plus violentes depuis la fin de la guerre en 1994 et l’instauration du cessez-le-feu entre les deux pays. Cette violation du statu quo par Bakou a conduit à la mort d’au moins quarante militaires et six civils dans les deux camps, et on déplore de nombreux blessés par des tirs d’artillerie.

Derrière cette offensive massive se pose la question du soutien réaffirmé du président Erdogan aux forces azéries quand la communauté internationale en appelle à des négociations de paix. L’instabilité du Caucase, poudrière aux frontières du Moyen-Orient et base arrière du djihadisme depuis la guerre de Tchétchénie, intensifie la nécessité de négociations internationales afin d’éviter une escalade des tensions.

Les profonds liens qui unissent notre pays à l’Arménie – il existe notamment un cercle d’amitié France-Karabagh – et la co-présidence par la France du groupe de Minsk, sont autant d’éléments justifiant une position forte de la France dans le règlement du conflit.

Monsieur le ministre, face à cette reprise des hostilités dans une région extrêmement instable, quelles solutions la France peut-elle apporter ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. François Rochebloine. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Madame la députée, vous avez raison de souligner le caractère extrêmement grave des violents affrontements qui ont eu lieu depuis vendredi soir au Haut-Karabagh. La France, en tant que co-présidente du Groupe de Minsk de l’OSCE, aux côtés de la Russie et des États-Unis, suit avec une très grande attention l’évolution de la situation…

Un député du groupe Les Républicains. C’est faux !

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. … et toutes les autorités de l’État sont mobilisées. Dès samedi, le Président de la République a appelé au cessez-le-feu et, le même jour, Jean-Marc Ayrault s’est entretenu avec son homologue arménien puis avec son homologue azerbaïdjanais, insistant sur le fait que ce conflit ne pouvait être résolu par la force et qu’un retour rapide à la table des négociations était indispensable.

Ces démarches ont déjà produit leurs premiers effets : un cessez-le-feu a été annoncé, il doit impérativement être respecté ; les parties ont accepté de recevoir les médiateurs du Groupe de Minsk, qui se rendent sur place aujourd’hui, d’abord à Bakou puis à Stepanaterk, et à Yerevan. En parallèle, l’OSCE est saisie du problème à Vienne et nous sommes en contacts étroits avec l’Allemagne puisqu’elle préside actuellement cette organisation, et Jean-Marc Ayrault s’entretient en ce moment même avec son homologue allemand en visite à Paris.

Notre mobilisation est à la hauteur de la gravité de l’enjeu, car on ne peut qualifier de « gelé » un conflit qui continue à faire des victimes de part et d’autre depuis près de trente ans. On ne peut laisser perdurer indéfiniment un foyer de tensions et de guerres qui peut déstabiliser, comme vous l’avez dit, l’ensemble de la région, déjà en proie à de fortes dissensions. Le statu quo n’est donc dans l’intérêt de personne : ni de l’Arménie ni de l’Azerbaïdjan.

Les événements actuels nous prouvent une nouvelle fois, si besoin était, que la réconciliation, la prospérité et la stabilité ne pourront venir que d’une solution durable sur le statut du Haut-Karabagh. C’est le sens de l’engagement constant de la France pour relancer la dynamique des négociations dans le cadre du Groupe de Minsk, sur la base des principes dits « de Madrid », c’est-à-dire : le non-recours à la force, le respect de l’intégrité territorial des États et le droit à l’autodétermination des peuples. J’insiste sur ce point car ce sont les conditions de la paix ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Accueil des migrants en Europe

M. le président. La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Michel Piron. Monsieur le Premier ministre, la question des migrants en Méditerranée continue de nous interroger. Depuis hier, un accord ambigu, voire équivoque, passé entre l’Europe et la Turquie connaît un début de mise en œuvre. Dans le meilleur des cas, il permettra de régler la situation de 72 000 personnes. Cela peut sembler beaucoup, et c’est pourtant si peu face au désastre humanitaire qui se déroule à nos portes, tout particulièrement à celles de la Grèce et de l’Italie. En effet, depuis le seul début de l’année, plus de 150 000 migrants sont arrivés dans ces deux pays.

Quelle aide l’Europe apporte-t-elle à ces deux États qui, en dépit des difficultés qu’ils connaissent, font preuve d’une générosité exemplaire ?

Quelle est, dans la cacophonie européenne soulevée par les égoïsmes nationaux, la voix de la France ?

Certes, nous n’ignorons pas les difficultés de mise en œuvre des mesures d’accueil et d’intégration ni celles, immenses, qui tiennent aux causes des conflits au Moyen-Orient, en Orient et en Afrique. Mais, faut-il le rappeler, alors que l’Allemagne a accueilli 1 100 000 personnes en 2015, Mme Angela Merkel, seule – je dis bien : seule – a eu le courage de porter l’exigence d’une Europe solidaire en affirmant que « si l’Europe échouait sur la question des réfugiés, le lien étroit qui l’unit à l’histoire des droits civils et universels se briserait ». Monsieur le Premier ministre, qu’a donc dit la France pour la soutenir sur la question de la répartition des réfugiés ? Comment interpréter, en dépit d’initiatives trop isolées, le silence assourdissant de notre pays quant à une position européenne sur le drame quotidien qui se perpétue sous nos yeux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, s’agissant de la question des réfugiés et des valeurs que porte à cet égard l’Union européenne, vous dites que l’Allemagne se serait retrouvée seule face au défi migratoire. La réalité est un peu différente : c’est exactement le 31 août 2014, soit bien avant que la crise migratoire ne fasse connaître ses pleins et entiers effets, qu’à la demande du Président de la République et du Premier ministre, je me suis rendu dans l’ensemble des capitales de l’Union européenne afin de présenter un agenda français pour les migrations.

Qu’y avait-il dans cet agenda ?

Tout d’abord, la nécessité d’améliorer le contrôle aux frontières extérieures de l’Union européenne, car nous n’aurons pas la possibilité de recevoir dignement ceux qui relèvent du statut de réfugié si nous accueillons tout le monde, notamment ceux qui relèvent de l’immigration économique irrégulière.

Deuxièmement, la mise en place d’un dispositif européen solidaire permettant de répartir les demandeurs d’asile entre les pays de l’Union européenne dès lors que ces règles étaient clairement établies.

Troisièmement, un véritable plan de lutte contre les passeurs.

Enfin, la mise en place d’un dispositif de réinstallation à partir des camps situés en Jordanie et au Liban de manière à ce que ceux qui avaient été entre les mains des passeurs et avaient vécu les épreuves terribles que l’on sait puissent être accueillis rapidement dans les pays de l’Union européenne.

Cet agenda est devenu un agenda franco-allemand, et nous n’avons cessé d’agir ensemble au sein de l’Union européenne pour qu’autour de ces orientations, nos deux pays portent une ambition commune. La France et l’Allemagne ont poursuivi ce dialogue, compte tenu du risque terroriste, en proposant notamment de renforcer les contrôles sécuritaires.

C’est donc ensemble que la France et l’Allemagne agissent pour la solidarité.

Mobilisation citoyenne contre le projet de loi travail

M. le président. La parole est à Mme Eva Sas, pour le groupe écologiste.

Mme Eva Sas. Monsieur le Premier ministre, depuis la présentation de l’avant-projet de loi travail, la mobilisation de la société, de la jeunesse et des organisations syndicales n’a pas faibli. Le 9 mars dernier, 500 000 citoyens manifestaient pour manifester leur opposition à votre réforme. Face au chômage, les solutions que vous proposez sont celles de la droite européenne. Mais nulle part en Europe la dérégulation n’a fonctionné.

Vous nous proposez la précarité pour résoudre le chômage, mais nous savons qu’avec cette réforme, nous aurons et la précarité, et le chômage.

Le 31 mars, malgré les faibles concessions sur le projet de loi, nous étions à nouveau dans la rue, sous la pluie, parmi plus d’un million de Françaises et de Français, soit deux fois plus que lors de la première journée de mobilisation.

Et depuis le 31 mars, des milliers de citoyens anonymes se réunissent à Paris et dans les grandes villes de France, autour du mouvement Nuit debout.

Ce mouvement s’est formé dans la contestation de la réforme du droit du travail, après un appel de plusieurs collectifs citoyens, rejoints par d’autres mouvements comme la Fédération nationale d’agriculture biologique. Nuit debout, c’est la contestation de la précarité qu’organise le projet de loi travail, mais, bien au-delà de cela, c’est l’aspiration à une nouvelle forme de démocratie et de société.

La ministre du travail disait récemment rester attentive à toutes les interpellations, y compris celles qui s’expriment Place de la République. Mais les mots ont un sens, monsieur le Premier ministre. Il ne suffit pas de le dire, il faut le faire. Et je nous appelle tous ici, parlementaires, à entendre ceux qui se mobilisent Place de la République et ailleurs.

Alors, monsieur le Premier ministre, continuerez-vous à rester sourd aux aspirations de ceux qui ont défilé tout le mois de mars, et de ceux qui, debout, chaque nuit, demandent le retrait du projet de loi travail, et aspirent à une rénovation de la vie sociale et démocratique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la députée, je suis et reste en effet attentive à toutes les interpellations, d’où qu’elles viennent : de la rue, des organisations jeunesse, mais également de syndicats qui représentent une majorité de salariés et ont souligné certaines des avancées du projet de loi.

Vous évoquiez l’avant-projet de loi, madame la députée. Parlons plutôt du projet de loi que j’ai présenté en conseil des ministres, dont les avancées considérables ont été soulignées. Avec Najat Vallaud-Belkacem et Patrick Kanner, nous rencontrerons dès demain l’ensemble des organisations jeunesse. Dans un pays confronté au chômage de masse depuis trente ans, les inquiétudes sont légitimes. Que les jeunes se soucient de la précarité qu’ils subissent, est également légitime.

Mais je voudrais aussi dire ce que nous avons fait dans leur direction. Pour avoir expérimenté ces dispositifs dans votre circonscription, madame la députée, vous connaissez la garantie jeunes, la prime d’activité, la réglementation des stages ou l’augmentation des bourses. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Élie Aboud. Et le travail, y avez-vous pensé ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Voilà ce que nous avons fait. Dans le débat que nous avons, il est essentiel que nous puissions le rappeler. Pourquoi taire que ce projet de loi contient un droit universel à la formation ? Pourquoi taire le compte personnel d’activité ou la généralisation de la garantie jeunes ? Il est important de le dire !

Aussi, j’attends avec beaucoup d’impatience le débat parlementaire sur les amendements, qui permettra de sortir des postures. D’un côté, l’on me dit que le projet de loi a été vidé de son contenu ; de l’autre, vous prétendez aujourd’hui, madame la députée, qu’il reste identique à sa première version. Non, cela n’est pas la réalité ! Nous proposons dans ce projet de loi de nouvelles formes de régulation sociale. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Nous souhaitons renforcer la légitimité des acteurs sociaux, au plus près de l’entreprise, pour permettre une adaptation. Ce projet de loi est équilibré. La réforme, je le dis et le redis ici, est juste et nécessaire : elle doit être enrichie par le débat parlementaire. Un point, c’est tout ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Fraude fiscale

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Laclais, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Bernadette Laclais. Monsieur le ministre des finances et des comptes publics, l’affaire « Panama papers », révélée par la presse, montre une nouvelle fois que les paradis fiscaux restent très fréquentés par des personnes et des entreprises totalement déconnectées des populations et de leurs difficultés. (« C’est exact ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Tous les pays du monde sont touchés, et la France aussi.

Si l’on doit ici remercier les lanceurs d’alerte et le formidable travail d’investigation des meilleurs journaux de notre planète, qui ont révélé et analysé cette affaire, il faut aussi dire la sourde et profonde colère que nos concitoyens expriment dans nos circonscriptions. Alors qu’ils paient leurs impôts, travaillent, cotisent et assument ainsi leur part de l’effort national, ils voient que d’autres, financièrement plus à l’aise, échappent à cet effort collectif pour financer nos services publics, notre justice, notre santé et nos retraites.

La fraude, l’évasion fiscale sont une des raisons de nos déficits. Les pertes pour nos budgets publics, en France et dans le reste de l’Europe, sont toujours estimées en dizaines de milliards d’euros. L’évasion fiscale, la fraude, mettent en danger notre système social, qui est le ciment de notre société française et européenne.

Lutter contre la fraude est un impératif financier, mais aussi un impératif moral. Nous pouvons d’ailleurs nous interroger sur la présence et le maintien de ces fraudeurs au sein de nos grands ordres nationaux, Ordre national de la Légion d’honneur et Ordre national du Mérite.

Fidèles à nos engagements, nous savons que les actions menées depuis 2012 portent déjà leurs fruits, mais nous sentons que la récolte pourrait être encore plus abondante, par exemple grâce aux mesures pour la transparence financière des entreprises et des personnes. L’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, et le G20 œuvrent dans le même sens, pour l’indispensable mise en œuvre du reporting pays par pays, puisque la fraude nuit à la quasi-totalité des pays de notre planète.

Monsieur le ministre, quelles actions allez-vous immédiatement engager ? Nos services disposent-ils des moyens humains et matériels et de l’autonomie d’initiative permettant de lutter efficacement contre l’évasion et la fraude fiscales ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics. (« Et du chômage ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Madame la députée, je voudrais souligner, après vous, le travail, important et de qualité, que certains journalistes ont réalisé à partir des informations qu’un lanceur d’alerte avait fournies. Il conviendra très rapidement, et vous en aurez l’occasion lors de la discussion du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, de renforcer les moyens de protection de ces lanceurs d’alerte.

Je voudrais apporter trois éléments de réponse à votre question. Premièrement, nous avons besoin des informations précises qui ont été divulguées. J’ai effectué l’ensemble des démarches nécessaires auprès des autres administrations du monde afin d’échanger des informations. Des poursuites sont déjà engagées, aujourd’hui, contre certaines des personnes identifiées lors de ces révélations. Toute autre personne qui viendrait à notre connaissance sera poursuivie par les voies légales car, comme vous l’avez dit, madame la députée, la fraude fiscale est insupportable, plus encore à l’heure où de nombreux Français rencontrent des difficultés. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Deuxièmement, le Panama est un pays qui a voulu nous faire croire qu’il était capable de respecter de grands principes internationaux. Il a voulu nous le faire croire. Il a ainsi pu obtenir de n’être plus inscrit sur la liste noire des paradis fiscaux. Cela ne sera plus possible : la France a décidé de réinscrire le Panama sur la liste des pays non coopératifs, avec toutes les conséquences que cela aura pour ceux qui effectueront des transactions avec ce pays. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Troisièmement, la lutte contre la fraude internationale suppose d’agir au niveau international. L’OCDE joue un rôle très important. Nous lui avons demandé de réunir extrêmement rapidement l’ensemble des correspondants fiscaux, pour voir comment accélérer les mesures prises au niveau international. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Projet de loi travail

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Madame la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, aujourd’hui commence, en commission, l’examen du projet de loi visant à réformer le code du travail. Vous portez ce texte avec sincérité et ténacité, mais vous héritez d’un dossier difficile, lesté de plusieurs handicaps.

Premier handicap : il fallait à l’évidence lancer cette réforme en profondeur dès 2012. Cela fait trois années de perdues !

M. Laurent Furst. Bravo !

M. Alain Tourret. Deuxième handicap : on chercherait en vain l’ossature de ce texte dans le programme du Président de la République !

Troisième handicap : la bataille de la communication a été brouillée par des parasites internes au parti majoritaire. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Il faut maintenir ce projet de loi, à condition de ne pas le détricoter sous l’influence de députés de la majorité qui croient encore à l’économie administrée.

M. Philippe Meunier. Ce ne serait pas la première fois !

M. le président. S’il vous plaît, chers collègues !

M. Alain Tourret. 1981, c’était hier, ce n’est pas aujourd’hui !

Le soutien de notre groupe, en particulier celui des radicaux, vous sera acquis si la loi renforce les petites et moyennes entreprises.

Que faut-il pour cela ? Le droit du travail est un droit de seuils ; il faut donc faciliter le travail des petits entrepreneurs, qui sont la richesse de notre pays et qui peuvent créer des emplois immédiatement. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Paul Molac. Très bien !

M. Alain Tourret. Il faut rétablir un climat de confiance avec les créateurs d’emploi. Le « compte pénibilité » doit disparaître des obligations des très petites entreprises. (« Bravo ! » et vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.) Le chèque emploi service doit être un contrat de travail. En cas de rupture d’un contrat à durée déterminée ou d’un contrat à durée indéterminée, l’indemnisation doit correspondre au préjudice subi, pour ce qui est des indemnités de procédure aussi bien que pour ce qui relève des dommages et intérêts. La modulation du contrat de travail doit permettre de prendre en considération les situations spécifiques, notamment dans le secteur du bâtiment.

Alors, madame la ministre, êtes-vous prête à faire un droit spécifique pour les TPE françaises, ce qui relancera l’emploi, surtout dans les zones rurales qui en ont tant besoin ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur certains bancs du groupe écologiste.– « Bravo ! » et vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.– Quelques députés de ces deux groupes se lèvent pour applaudir.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social – que vous allez écouter avec attention, après avoir manifesté un tel soutien à M. Tourret !

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, je connais votre engagement sur les questions de l’emploi et du travail, notamment pour la défense des salariés. Dans le cadre du débat parlementaire, notamment à l’occasion de l’examen en commission des affaires sociales, vous souhaitez, avec votre groupe politique, enrichir le projet de loi.

Ce texte, je vous le confirme, nous l’avons conçu pour donner un signal en direction des TPE et des PME, qui sont un élément déterminant de notre économie. Comme vous l’avez dit, ce sont elles qui ont la capacité de créer des emplois ; ce sont aussi elles qui représentent la grande majorité des salariés de notre pays et qui sont créatrices de richesse. Or, nous le savons bien, elles ne disposent pas des armées d’experts juridiques ou financiers qui pourraient les aider à s’y retrouver dans les méandres du droit du travail, alors qu’elles auraient besoin d’accroître leur activité. Cette réalité-là, nous la percevons bien. D’ailleurs, l’aide « Embauche PME », nous l’avons faite pour elles, de façon lisible et simple ; elle a reçu un écho plutôt favorable, puisque, deux mois plus tard, nous en sommes à près de 140 000 aides « Embauche PME ». C’est une bonne chose.

Que faisons-nous concrètement, dans ce texte, pour les PME et les TPE ?

M. Yves Censi et M. Maurice Leroy. Rien !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Nous savons à quel point il est essentiel de réaffirmer le rôle de la branche ; c’est d’ailleurs la demande d’une organisation patronale, l’Union professionnelle artisanale – UPA. Pour cela, il faut restructurer les branches – je sais que c’est quelque chose qui vous tient à cœur. Nous souhaitons passer de 700 à 200 branches, et nous proposons une innovation : l’accord-type de branche, qui sera négocié au niveau de la branche et qui s’appliquera directement. Nous souhaitons en outre créer une cellule d’appui aux TPE et aux PME pour toute question relative au droit du travail. Enfin, nous souhaitons permettre aux TPE et aux PME de moduler le temps de travail, non plus sur vingt-huit jours, mais sur neuf semaines.

Faut-il aller encore plus loin ?

M. François Rochebloine. Oui !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Oui, en effet. Et j’attends du débat parlementaire, en particulier du travail en commission des affaires sociales, qu’il nous en donne la capacité. Je l’ai dit : en matière de licenciement économique, par exemple, j’ai toujours été favorable à ce que l’on distingue la situation des petites et moyennes entreprises de celle des grands groupes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, pour le groupe Les Républicains.

M. Marc Le Fur. Ma question s’adresse au ministre des finances et des comptes publics ; elle porte sur le prélèvement à la source.

Monsieur le ministre, vous nous présentez cette réforme comme une réforme technique, dont l’objectif serait la simplification. Pas du tout ! Vous allez compliquer la vie de nos entreprises, en particulier celle de nos petites entreprises, dont M. Tourret vient de parler très justement, et que vous allez transformer en collecteur d’impôt, puisqu’elles devront demain verser au fisc l’impôt dû par leurs propres salariés.

Mettez-vous à la place d’un boulanger ou d’un artisan. Pour lui, cela représentera une charge de travail disproportionnée, qui risque de le dissuader encore un peu plus d’embaucher.

Par ailleurs, les salariés seront victimes de cette réforme. Ils perdront une chose à laquelle ils tiennent : la confidentialité de l’impôt. Deux salariés qui gagnent la même chose n’auront pas le même prélèvement à la source en raison des revenus de leur famille : ce seront autant d’informations dont disposeront les chefs d’entreprise.

M. Pascal Terrasse. Et en Allemagne, comment ça se passe ?

M. Marc Le Fur. Je croise des salariés qui me disent : « Moi, j’aime bien mon patron, mais je n’ai pas envie qu’il sache ce que gagne mon conjoint, si je bénéficie d’une pension alimentaire ou si j’en verse une ! » – autant de choses qui relèvent du cercle familial. Or l’entreprise aura demain connaissance, ne serait-ce que par le taux de l’impôt, de l’existence d’autres revenus.

Ce genre d’informations, dont disposerait demain une direction du personnel, risque en outre de polluer considérablement les négociations salariales. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Un salarié méritant pourrait se voir refuser une augmentation au motif que ses revenus familiaux sont suffisamment confortables – autant d’éléments dont l’entreprise n’a pas à connaître.

Monsieur le ministre, sur ce sujet, vous avancez masqué. Ce que vous voulez faire à travers cette réforme, c’est revenir à la fusion de la contribution sociale généralisée et de l’impôt sur le revenu, c’est mettre en cause la familialisation de l’impôt. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le député, les principes de la retenue à la source sont très simples.

Premièrement, c’est la Direction générale des finances publiques qui restera le seul interlocuteur du contribuable ; le seul renseignement qui sera transmis à l’employeur, c’est le taux d’imposition. (« Mensonge ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Deuxièmement, le taux d’imposition d’un foyer fiscal, dans 90 % des cas, est compris entre 0 et 10 %.

M. Bernard Roman. Eh oui !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. La connaissance d’un taux ne donne aucun renseignement, même à un spécialiste de la fiscalité comme vous, puisqu’un même taux peut correspondre à des situations familiales extrêmement différentes. L’employeur n’aura donc pas connaissance de celles-ci.

M. Bernard Roman. Eh oui !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Enfin, quelle est la finalité de cette réforme ? La France pourrait-elle être le dernier pays au monde, ou presque, à ne pas mettre en place la retenue à la source ? (« Et alors ? » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Censi et M. Philippe Meunier. Et les 35 heures ?

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. La finalité de la réforme est d’adapter le montant de l’impôt payé au moment où le revenu est perçu. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Pour un salarié qui part à la retraite ou qui voit ses revenus diminuer, n’est-il pas logique de voir son impôt s’adapter immédiatement à sa nouvelle situation ? Pour un couple qui change de situation familiale ou qui accueille un enfant, n’est-il pas normal de bénéficier immédiatement d’une demi-part fiscale supplémentaire ?

Vous dites que ce sera une charge considérable pour les employeurs. Monsieur le député, un certain nombre d’organisations passent leur temps à nous reprocher d’être trop lents à faire des réformes ; eh bien, les mêmes nous disent aujourd’hui que cette réforme, qui constituera un progrès pour les couples et pour les familles, est beaucoup trop rapide !

M. Laurent Furst. Ce n’est pas une réforme, ça ; c’est juste pour amuser la galerie !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Le travail commencera demain en commission des finances. Le Parlement saura se montrer à la hauteur ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Autisme

M. le président. La parole est à M. Gwendal Rouillard, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Gwendal Rouillard. Ma question, qui s’adresse à Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, porte sur la politique de la France en matière d’autisme.

Samedi dernier, 2 avril, nous avons partagé quelques moments avec les familles concernées dans le cadre de la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme. Je m’exprime en ma qualité de coprésident du groupe d’études sur l’autisme, fonction que j’ai le plaisir de partager avec le fondateur de ce groupe, Daniel Fasquelle. J’associe à ma question Annie Le Houerou, présidente du comité de suivi du plan « Autisme », ainsi que Philip Cordery, particulièrement impliqué sur cette question.

Pour nous et nos concitoyens, je me permets, madame la secrétaire d’État, de faire quelques rappels sur l’autisme. Celui-ci, en premier lieu, est défini comme un handicap cognitif lié à un trouble neurodéveloppemental – je rappelle cette définition car elle n’est pas évidente pour tout un chacun.

En deuxième lieu, je veux rappeler les chiffres : 600 000 personnes, en France, sont déclarées « autistes » ; une personne sur cent naît autiste dans notre pays ; et seulement 20 à 30 % des enfants autistes sont scolarisés, même si notre action permet des progrès.

Rappelons aussi l’enjeu : bâtir un nouveau modèle français, conforme aux recommandations de la Haute autorité de santé, en particulier celles de 2010 et de 2012. Nous faisons le choix d’une approche par les neurosciences et par l’éducation. La France, enfin, doit tourner le dos à l’approche psychanalytique, que je qualifierai d’imposture morale, intellectuelle, médicale et éthique. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

Ces rappels étant faits, je vous remercie de nous préciser vos engagements, madame la secrétaire d’État, sur le plan « Autisme » et sur vos nouvelles initiatives, s’agissant notamment du contenu des enseignements dans les universités. Qu’allez-vous faire pour interdire enfin, en France, la pratique maltraitante du packing ? (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Je connais votre implication personnelle, monsieur le député, sur le sujet du handicap et sur l’autisme en particulier. Je ne pourrai, je le crains, dresser en deux minutes un bilan exhaustif du troisième plan relatif à l’autisme mais, ce bilan, je le ferai, tout en traçant les nouvelles perspectives pour 2016-2017 le 21 avril, lors de la réunion du comité national de suivi du plan « Autisme », présidé par votre collègue Annie Le Houerou, et le 27 avril devant la commission des affaires sociales, à l’invitation de sa présidente Catherine Lemorton.

Parmi les nouvelles perspectives, on peut mentionner les mesures relatives aux centres de ressources autisme, dans la lignée du rapport que l’Inspection générale des affaires sociales a remis à Marisol Touraine et à moi-même, et la mise en œuvre concrète d’une aide financière complémentaire destinée aux familles qui déboursent énormément d’argent pour rémunérer des intervenants, dans la mesure où cette dépense n’est pas prise en charge – et ne le sera pas – par la Sécurité sociale.

J’ai eu l’occasion, la semaine dernière, de m’exprimer sur le packing : le Gouvernement juge valables les recommandations de l’ONU selon lesquelles cette pratique relève de la maltraitance. Nous prendrons, avec Marisol Touraine, un certain nombre de mesures précises, via des circulaires, à destination des agences régionales de santé – ARS.

M. Daniel Fasquelle. Cela fait quatre ans que vous êtes au pouvoir !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État. La première de ces mesures sera prise à travers la circulaire budgétaire 2016 que recevront les ARS à la fin du mois d’avril ; la seconde, par l’actualisation de la circulaire relative à la maltraitance, qui date de 2014. Ce texte précisera ce qu’est le packing.

Comme vous le voyez, le Gouvernement est déterminé à tout mettre en œuvre pour que chacun ait accès à des méthodes d’accompagnement actualisées et en accord avec les recommandations de bonne pratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Islam radical et valeurs de la République

M. le président. La parole est à M. Damien Abad, pour le groupe Les Républicains.

Je vous souhaite un joyeux anniversaire, mon cher collègue. (Sourires et applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. Damien Abad. Merci beaucoup, monsieur le président.

Monsieur le Premier ministre, voile, mode islamique, polémique chez Air France : les manifestations ostentatoires de l’islam politique se multiplient dans l’espace public.

De petits reculs en grands renoncements, au fil de ces trente dernières années, la France en est aujourd’hui arrivée à une crise identitaire profonde. Les valeurs fondamentales de notre République sont attaquées ; la laïcité en tant que principe est bafouée, reniée et même piétinée.

L’actuel débat sur la mode islamique constitue la dernière résurgence de ce malaise. Élisabeth Badinter a raison de dénoncer la stratégie de certaines marques, qui investissent ce marché en Europe parce qu’il est lucratif. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Le voile n’est pas un objet de mode : trop de filles des quartiers se sont mises à le porter uniquement en raison de pressions communautaires.

Ces pressions s’exercent désormais en tout lieu : à l’école, dans la rue, à l’université, dans les clubs de sport, à l’hôpital ou encore au sein de l’entreprise. À ce titre, nous nous opposons à l’article 1er de la loi El Khomri, qui introduirait le fait religieux dans le code du travail. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Bravo !

M. Damien Abad. En France, on ne ferme pas son magasin ou son entreprise pour aller prier ; en France, nous nous faisons soigner indifféremment par un homme ou par une femme ;…

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Damien Abad. …en France, une femme n’a pas à dissimuler ce qui fait son identité sous un voile ou un niqab ; en France, la République se vit les yeux dans les yeux. C’est ce qui fait la France. (Mêmes mouvements.)

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Très bien !

M. Damien Abad. Monsieur le Premier ministre, il n’y a plus de place pour l’angélisme. De bienséance en bien-pensance, on sacrifie l’idéal républicain de la France sur l’autel de l’islamisme radical et du fondamentalisme religieux. Il ne faut plus passer sous silence la banalisation des vêtements islamiques, les discours anti-France, les départs pour le djihad, les zones de non-droit et autres « Molenbeek français ».

Il est urgent d’agir, monsieur le Premier ministre : quel est donc votre plan d’action pour lutter contre ces dérives menaçantes pour l’unité de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je dirai d’abord un mot sur les principes, qui ont fait l’objet d’un travail de très grande qualité de Robert Badinter et de plusieurs experts. Nombre de ces principes font notamment référence à la liberté d’exprimer ses convictions – y compris religieuses – au sein de l’entreprise, tout en rappelant, surtout, que des restrictions à cette liberté sont possibles lorsque sont en cause le bon fonctionnement de l’entreprise ou l’exercice d’autres libertés. L’employeur dispose donc d’un pouvoir important en la matière.

À l’évidence, il y a débat ; des questions ont été soulevées ici même, et le sujet sera traité au sein de la commission des affaires sociales. D’une manière générale, ces principes – c’était l’avis des partenaires sociaux et de nombreux parlementaires qui suivent ces questions – pouvaient poser problème quant à leur application et au regard de la jurisprudence. Mme la ministre du travail et moi faisons confiance au rapporteur Christophe Sirugue pour trouver des solutions ou définir le bon chemin.

Mme Claude Greff. Il ne fallait pas inscrire la disposition dans le texte !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il s’agit, en tout état de cause, de rappeler le droit.

Cela veut bien dire, monsieur Abad, que des difficultés peuvent rapidement survenir dès lors que l’on touche au droit fondamental, alors même que nous pouvons avancer ensemble pour promouvoir la République et défendre l’idéal de laïcité.

Il y a eu beaucoup de renoncements, avez-vous dit. Mais plusieurs lois, votées dans cette enceinte même, témoignent au contraire de la capacité du Parlement à répondre aux défis dont nous parlons : je pense à la loi, votée à la quasi-unanimité, interdisant les signes religieux ostentatoires dans les établissements scolaires, fruit des travaux de la commission Stasi et de la commission présidée par le président de l’Assemblée nationale de l’époque, Jean-Louis Debré ; je pense aussi à la proposition de loi interdisant le voile intégral dans l’espace public.

Le Parlement comme la société française, me semble-t-il, ont suffisamment de ressources, suffisamment de fierté dans nos valeurs, pour réagir : le peuple français, d’ailleurs, a su le faire – et de quelle manière – le 11 janvier 2015 et après les attentats du 13 novembre dernier.

M. Pierre Lellouche. Quel rapport ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je crois donc, monsieur Abad – et vous aussi, j’en suis convaincu –, que nous avons la capacité de répondre au défi qui nous est posé.

Toutes les atteintes au principe fondamental de laïcité doivent bien entendu être dénoncées, même si nous devons rester lucides sur la place de l’islam dans nos sociétés, en France, en Europe et dans le monde : ne donnons pas le sentiment que nous visons une seule religion à travers tel ou tel propos.

Enfin – et je vous réponds –, un débat fondamental se pose en effet, en France, en Europe et dans le monde, sur l’islam. Notre rôle, à nous qui croyons aux valeurs universelles, est d’aider les musulmans de France, d’Europe et du monde à faire une séparation nette et définitive avec certains de ceux qui agissent et parlent, voire sèment la terreur, au nom de l’islam. C’est un combat fondamental, que l’on ne saurait résumer dans une réponse à une question au Gouvernement.

Derrière ce débat fondamental se pose celui de la place de la femme, de l’égalité entre les femmes et les hommes dans nos sociétés. Nous pouvons cependant nous retrouver sur la question du voile intégral ; mais l’on doit aussi songer à la manière de revendiquer le voile islamique comme un signe politique jeté à la figure de la République, dans les quartiers et plus généralement. À cet égard les propos de Laurence Rossignol, ministre en charge des droits des femmes, étaient justes. Il y a un moment où nous devons dire stop. Nous ne pouvons accepter que, dans nos sociétés, certains veuillent effacer la femme de l’espace public et lui nier son identité, sous quelque forme que ce soit. (Applaudissements sur tous les bancs.)

C’est un combat que nous devons mener ensemble : nous devons le mener à l’école, dans la société, dans l’espace public, avec la plus grande des intransigeances ; et nous devons le faire en disant clairement quel est l’adversaire. L’adversaire, c’est l’islamisme radical, c’est le salafisme.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Les adversaires, ce sont ceux qui veulent s’approprier l’islam. L’immense majorité des musulmans de ce pays, qui croient dans les valeurs de la République et dans la laïcité, et qui pensent que la France est le plus beau pays du monde, doivent être défendus : voilà notre tâche ; et cette tâche, j’en suis convaincu, a vocation à rassembler tous les républicains. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Abattoirs

M. le président. La parole est à M. Hervé Pellois, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Hervé Pellois. Monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, la diffusion de plusieurs images consécutives révélant des conditions inacceptables de traitement des animaux dans les abattoirs d’Alès, du Vigan et de Mauléon, nous ont tous interpellés.

Afin de faire toute la lumière sur les conditions d’abattage des animaux en France, l’Assemblée nationale a décidé de créer une commission d’enquête. La justice a, également, été saisie.

Vous-même, monsieur le ministre, avez, dès la publication des premières images, pris des mesures visant à renforcer les contrôles. Une inspection spécifique est ainsi actuellement menée par les services de l’État dans tous les abattoirs de boucherie de France.

Ces différentes mesures mobilisant tous les acteurs publics étaient indispensables. L’actualité récente a, certes, mis en exergue une situation scandaleuse, mais qui ne concerne fort heureusement pas tous les abattoirs de notre pays.

Ce contexte est l’occasion d’engager une véritable politique en faveur du bien-être animal. Nous avons voté, l’an passé, la reconnaissance juridique des animaux comme êtres vivants doués de sensibilité. Mais cela ne suffit bien évidemment pas : il faut de véritables mesures concrètes permettant de prévenir les actes de maltraitance, de responsabiliser tous les partenaires des filières animales et de redonner confiance aux consommateurs.

Monsieur le ministre, vous avez défendu avec vigueur le concept d’agro-écologie. Celui-ci doit aller de pair avec le déploiement de mesures fortes en faveur de la protection des animaux, notamment dans les abattoirs.

Dans ce contexte, de quelle façon envisagez-vous de renforcer encore davantage la prise en compte du bien-être animal et de mettre fin à ces actes odieux qui pénalisent nos filières animales en décourageant la consommation de viande ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous avez évoqué les images – diffusées par l’association L214 éthique et animaux – montrant les atrocités commises dans les abattoirs. Je rappelle que, dès mai 2014, j’ai demandé à la direction de l’alimentation du ministère de l’agriculture de mettre en place un plan et une stratégie pour le bien-être animal en France pour les années 2016 à 2020. J’ai présenté ce plan ce matin : il n’est donc pas lié uniquement à ce sujet d’actualité ; il résulte d’une décision antérieure. C’est le premier point.

Second point : vous dites que ces images ne concernent que certains abattoirs et que tous ne sont pas à loger à la même enseigne. C’est vrai. Mais si l’on veut changer l’état d’esprit, les règles comme les pratiques des abattoirs, il faut dès à présent mettre en place des mesures renforçant tout autant la responsabilité de l’État que celle de chaque opérateur dans chaque abattoir.

Cela prendra deux formes très claires et très nettes. Tout d’abord, la mise en place, partout, de référents de la protection animale avec, comme l’a dit Michel Sapin, un statut de lanceur d’alerte, car il faut les protéger si l’on veut qu’ils dénoncent les actes de maltraitance animale.

Ensuite, et cela sera également discuté dans le cadre du projet de loi Sapin, cela passera aussi par la création d’un délit de maltraitance animale non seulement pour les salariés, qui sont souvent montrés du doigt, mais aussi pour les responsables d’abattoirs. Aujourd’hui, un directeur d’abattoir n’est en effet pas censé être responsable de ce qui se passe à cet égard dans son établissement.

Voilà ce qui sera mis en œuvre. L’objectif est de changer profondément le rapport que nous devons avoir avec le bien-être animal ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Lutte contre la radicalisation en prison

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour le groupe Les Républicains.

M. Georges Fenech. Ma question s’adresse au Premier ministre, et j’y associe mon collègue Alain Marsaud.

Monsieur le Premier ministre, vous avez récemment dénoncé – et encore, à juste titre, à l’instant – l’influence néfaste, dans notre pays, d’un courant salafiste radical.

Ce courant est, certes, minoritaire, mais il rencontre un écho important et inquiétant auprès des jeunes ce qui, dans un contexte élevé de menace terroriste, ne peut pas nous laisser indifférents.

À cet égard, vous n’ignorez pas que la prison reste un lieu privilégié de cette radicalisation. Or nous apprenons avec stupéfaction – cela m’a encore été confirmé, pas plus tard qu’hier, par notre collègue Olivier Falorni – qu’il existe, au sein du centre pénitentiaire de Saint-Martin-de-Ré, une mosquée salafiste clandestine, abritée dans un baraquement dénommé en trompe-l’œil « casino », et comportant, sur son fronton, une inscription en langue arabe.

Monsieur le Premier ministre, comment peut-on tolérer que des discours salafistes s’organisent avec, si j’ose dire, la bénédiction de l’administration pénitentiaire ? Cette invraisemblable démission de l’État avait déjà été signalée, en octobre 2015, par le même Olivier Falorni à l’ancienne garde des sceaux, Christiane Taubira, qui avait promis d’y mettre un terme.

Or, après vérification faite ce matin, cette mosquée salafiste clandestine officie toujours auprès des détenus du centre pénitentiaire de Saint-Martin-de-Ré. À moins, monsieur le Premier ministre, que vous ayez anticipé ma question, ce dont je me réjouirais.

Serait-ce un problème budgétaire de la justice, exsangue si l’on en croit les cris d’orfraie poussés par le garde des sceaux, M. Urvoas, dans la presse de ce week-end, qui empêche de détruire cette mosquée ?

Ma question est simple, monsieur le Premier ministre : allez-vous faire cesser sans délai cette insupportable complicité passive du système pénitentiaire, lequel, de surcroît, vient de supprimer, de manière étrange, l’état-major de sécurité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le député, vous avez raison : la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré a été atteinte par des phénomènes de radicalisation au sein de certains bâtiments préfabriqués.

Vous avez également raison de dire que le député Olivier Falorni a saisi le garde des sceaux qui lui a très rapidement répondu. Nous considérons que le problème de ces préfabriqués a été traité : ils ont, en effet, été fermés par la nouvelle directrice de cet établissement. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Non ! Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Nous avons d’ailleurs débloqué 26 millions d’euros sur trois ans pour financer ces travaux de réhabilitation.

M. Didier Quentin. Quels travaux ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Le chantier commencera fin 2016 et durera un an : les préfabriqués seront, à cette occasion, détruits. Comme vous le voyez, l’administration pénitentiaire n’a rien à cacher et le garde des sceaux – dont je veux excuser l’absence car il est, comme vous le savez, retenu aujourd’hui au Sénat – est tout à fait déterminé à lutter contre la radicalisation dans le cadre du plan proposé par le Premier ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer et M. Yves Fromion. C’est quoi la réponse ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Tous les personnels pénitentiaires auront été formés à cette dimension de leur métier fin 2016. Par ailleurs, soixante aumôniers supplémentaires ont été recrutés.

Monsieur le député Alain Marsaud, grâce au renseignement pénitentiaire, le repérage des personnes radicalisées et leur prise en charge auront été renforcés, notamment grâce à cinq unités dédiées.

Ne doutez donc ni de notre volonté de lutter contre la radicalisation ni de notre volonté de transparence ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Impayés de pension alimentaire

M. le président. La parole est à M. Guy Delcourt, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Guy Delcourt. Ma question s’adresse à Mme la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes.

Le 1er avril, madame la ministre, une mesure extrêmement importante est entrée en vigueur pour tous les parents qui élèvent seuls leurs enfants et attendent chaque mois leur pension alimentaire pour tenter de vivre dignement avec eux.

En France, dans environ 40 % des cas, les pensions alimentaires ne sont pas payées ou le sont irrégulièrement, et ceux qui élèvent seuls l’enfant en font les frais. Or la pension alimentaire représente en moyenne 20 % des ressources du parent isolé.

La garantie contre les impayés de pension alimentaire est une sécurité pour les familles monoparentales. Issue de la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes que nous avons votée, cette mesure avait déjà été mise en place en 2014 sous forme expérimentale dans certains territoires. Le Pas-de-Calais en avait bénéficié dès le départ, ce dont je vous remercie. Aujourd’hui, elle a été généralisée à toute la France. Cela signifie que, dès le premier mois, si l’autre parent ne paie pas la pension alimentaire qu’il doit, le dispositif se met en place et vient aider financièrement le parent seul.

Cette garantie n’est pas là pour excuser ceux qui ne paient pas, bien loin de là : ils sont passibles de poursuites, de condamnations et d’amendes, et ce dispositif donne plus d’outils aux caisses d’allocations familiales et aux autorités compétentes pour intervenir contre le mauvais payeur.

Portons haut cette garantie. Pouvez-vous nous dire précisément, madame la ministre, qui est concerné par la garantie contre les impayés de pension alimentaire et comment ce dispositif se déclenche ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes.

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes. Les familles monoparentales, monsieur le député, composées à 85 % de femmes – il y a donc aussi des papas –, se débrouillent comme elles peuvent au quotidien, avec beaucoup de courage et d’abnégation, pour faire seules ce que bien d’autres familles ne trouvent déjà pas si simple de faire à deux : éduquer des enfants, gagner sa vie, se débattre dans les démarches administratives, avec les services sociaux, et tenter d’avoir une vie personnelle. En plus de ces difficultés, elles subissent la violence économique qu’est le non-paiement des pensions alimentaires.

Vous avez souligné que 40 % des familles monoparentales ne percevraient pas de pension alimentaire. C’est pour elles que la garantie des impayés de pension alimentaire a été créée par la loi de 2014 défendue par Najat Vallaud-Belkacem, et c’est pour elles qu’elle a été généralisée le 1er avril. Elles ont ainsi la garantie de recevoir par mois 100 euros par enfant, et celles qui ont une petite pension alimentaire toucheront un complément leur permettant d’atteindre ces 100 euros.

Pour simplifier encore les démarches, nous travaillons à la mise en place d’une agence de recouvrement des pensions alimentaires, cette agence étant, comme les caisses d’allocations familiales, subrogée pour aller chercher les débiteurs qui ne paient pas et faire les démarches de recouvrement à la place des familles.

Vous le voyez, monsieur le député, être ministre des familles, c’est accompagner toutes les familles dans leur diversité, leur singularité et leur universalité. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Difficultés administratives des agriculteurs

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le groupe Les Républicains.

M. Jean-Frédéric Poisson. Avant de poser ma question à M. le ministre de l’agriculture, je voudrais faire part de mon étonnement et de celui d’un certain nombre de collègues de mon groupe en écoutant votre réponse sur la mosquée de Saint-Martin-de-Ré, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

De deux choses l’une : ou mes collègues Georges Fenech et Olivier Falorni sont mal informés et mentent, ou votre réponse est l’exemple et l’incarnation de l’inaction du Gouvernement en la matière. En ce qui me concerne, je penche pour la seconde solution. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Il y a quelques jours, monsieur le ministre de l’agriculture, le principal syndicat d’exploitants agricoles vous demandait de reporter la date à laquelle les exploitants agricoles doivent déposer leur demande d’aide pour la PAC 2016.

Ils l’ont fait pour une raison simple, c’est qu’au moment où ils s’apprêtent à solliciter de l’Union européenne, par l’intermédiaire de l’État, les aides au titre de la politique agricole commune, les dossiers des aides 2015 ne sont pas soldés et les renseignements demandés pour 2016 sont d’une complexité telle que les services de l’État ne sont pas capables de faire face (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants) et que les agriculteurs eux-mêmes ne sont pas capables de remplir correctement les dossiers.

À la crise sans précédent que connaît le monde agricole, s’ajoute donc une très grande inquiétude, un grand nombre d’exploitants ne connaissant toujours pas l’état exact de leurs comptes 2015 et étant incapables d’opérer les bons choix stratégiques pour leurs exploitations en 2016.

Le malaise administratif est tel que, dans de nombreux endroits, les directions départementales en charge de ces dossiers ont purement et simplement posé le crayon.

Dès lors, ma question est double. Quelles dispositions allez-vous prendre pour que ces dossiers puissent être remplis en temps et en heure avant le 30 juin, et qu’avez-vous fait pour simplifier les démarches administratives sous lesquelles croulent les exploitations agricoles ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.).)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, je ne vais pas revenir sur la question préalable que vous avez posée (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains),…

M. Jean-François Copé. Dommage !

M. Christian Jacob. Vous êtes porte-parole du Gouvernement, cela aurait été intéressant !

M. Stéphane Le Foll, ministre. …qui s’adressait à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

En ce qui concerne les agriculteurs, si nous sommes en retard, c’est parce que nous avons été obligés de refaire ce qu’on appelle un registre parcellaire graphique de l’ensemble des parcelles agricoles françaises, à la suite, je le souligne tout de même au passage, d’un apurement européen, la France ayant été sanctionnée à hauteur d’un milliard d’euros pour des erreurs sur des versements d’aides avant 2012. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Sylvain Berrios. C’est comme le chômage, ce n’est jamais votre faute !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Ce retard a été compensé par des versements d’aides anticipés en 2015 – des avances en octobre et le solde en décembre.

Pour l’année 2016, il y a eu le 1er avril la mise en place de TelePAC. Les surfaces non agricoles ont été prédessinées et sont dans les dossiers de chaque agriculteur pour lui faciliter le travail et faire en sorte qu’il n’ait qu’à corriger ce qu’il considère être une erreur. Les aides de 2015 et celles de 2016 seront versées. Le processus est en cours, et, pour l’instant, contrairement à ce qu’a demandé le président de la FNSEA, qui m’a d’ailleurs accueilli chaleureusement à Laval (Rires sur les bancs du groupe Les Républicains), il n’y a pas de raison de remettre en cause la date à laquelle il devrait se terminer.

Il y a un sujet qui agite beaucoup l’opposition, monsieur Poisson, c’est le nombre de fonctionnaires. Supprimez plus de 500 000 fonctionnaires, regardez ce que cela peut avoir comme conséquence sur l’agriculture en particulier. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Antoine Herth. Ce qui compte, ce sont les missions qu’on leur donne !

Réforme du collège

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss, pour le groupe Les Républicains.

M. Frédéric Reiss. Madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, la réforme du collège ne passe pas ! Actuellement, les enseignants vivent une année particulièrement difficile et subissent bon gré mal gré, par vagues successives, des formations pour entrer dans une ère nouvelle : celle de la suppression des classes bilangues, celle de la mort annoncée du latin, celle du déclin de l’allemand, celle de l’avènement des enseignements pratiques interdisciplinaires – les EPI.

Les enseignants déplorent le caractère liberticide de l’éducation nationale et rejettent massivement cette réforme qui ampute les enseignements disciplinaires et dégrade leurs conditions de travail. Lors des EPI, des élèves, regroupés face à une situation non scolaire, devront faire des maths, de l’anglais ou du français édulcoré, sans règles d’orthographe ! En situation interdisciplinaire et « coachés » par un professeur, les élèves construiront eux-mêmes leur savoir. La belle affaire !

Ce n’est pas la bonne méthode, ni pour restaurer l’autorité des enseignants, ni pour donner confiance aux élèves en difficulté. Et quelle idée saugrenue de vouloir faire de l’aide personnalisée par classe entière ! Pour faire réussir chaque élève, on a besoin de lui donner un cadre sécurisant avec des horaires fixes et non des emplois du temps à géométrie variable. Dorénavant, de la cinquième à la troisième, les changements intempestifs qui devront, je cite, « adapter les moyens aux dispositions locales » déstabiliseront les familles de plus en plus tentées par l’enseignement privé.

Au Québec, le « renouveau pédagogique », une politique éducative qui ressemble à s’y méprendre à cette réforme, s’est achevé par un échec retentissant après dix ans. Les résultats sont en baisse et les inégalités en hausse. C’est malheureusement ce qui nous attend ! Quand comptez-vous arrêter cette réforme inique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur Reiss, cela faisait longtemps… (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Tout le temps passé entre la dernière polémique au sujet de la réforme du collège et votre question d’aujourd’hui a permis aux équipes pédagogiques sur le terrain de travailler sereinement à la préparation de la rentrée prochaine. Si cela peut répondre à vos inquiétudes et vous rassurer, car je sens beaucoup d’inquiétude en vous (Mêmes mouvements), je vous dirai que les choses se passent bien dans les établissements scolaires. Cela intéressera les parents des collégiens actuels et futurs.

Dans les établissements scolaires, on prépare la rentrée 2016 avec 4 000 nouveaux postes d’enseignants, ce qui n’est pas rien. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Ces nouveaux postes vont permettre aux élèves de bénéficier d’un accompagnement personnalisé, notamment en sixième. Un élève de sixième qui arrive de l’école primaire et qui n’est pas préparé à la vie en collège aura désormais trois heures par semaine d’accompagnement personnalisé, où on l’aidera à surmonter ses difficultés, à avancer et à ne pas creuser son retard.

Les enseignements pratiques interdisciplinaires – ce nouveau type d’enseignement consistant à faire travailler les élèves non pas simplement dans l’écoute passive, mais aussi dans le travail collectif autour de projets qui développent notamment leur capacité orale –…

M. Jean Leonetti. N’importe quoi !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …sont en train de se préparer grâce aux heures supplémentaires que nous avons données aux établissements. Les chefs d’établissement répartissent celles-ci entre les disciplines. Aucune n’est lésée, contrairement à ce que vous venez de répéter pour la cent cinquantième fois. (Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Christian Jacob. Pour qui vous prenez-vous ? Quelle arrogance !

M. Michel Herbillon. Elle est méprisante !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Ce n’est pas parce qu’on dit cent cinquante fois les choses qu’elles deviennent vraies. Monsieur Reiss, que vous répondre ? Qu’en effet, à partir de la rentrée prochaine, les collégiens apprendront plus tôt leur deuxième langue vivante (Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains),

M. le président. S’il vous plaît, chers collègues… Que chacun retrouve son calme !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …car nous vivons dans un monde où acquérir et maîtriser deux langues vivantes très tôt est une compétence indispensable pour les enfants.

Monsieur Reiss, je vous le dirai aussi simplement que je le pense : cette réforme du collège qui a été pensée pour nos élèves se fait dans leur intérêt, et ce sera une réussite. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste. – Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Conséquences de la loi NOTRe

M. le président. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Patrice Carvalho. Monsieur le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, les communes et les intercommunalités, qui votent en ce moment leurs budgets, sont confrontées à de graves difficultés financières en raison de la baisse des concours financiers de l’État, qui leur doit cet argent : 11 milliards d’euros de moins jusqu’en 2017, soit une baisse cumulée de 28 milliards d’euros pour la période 2014-2017. Les conséquences sont déjà là, avec une diminution de 10 % des investissements des collectivités et des effets immédiats sur l’emploi.

Mais d’autres périls sont devant nous. Ils concernent les intercommunalités. La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, prévoit le transfert optionnel au 1er janvier 2018, puis obligatoire au 1er janvier 2020 de la compétence « eau et assainissement ». Sont concernés 25 000 services communaux, 2 300 syndicats d’eau et 1 100 syndicats d’assainissement. Les intercommunalités vont avoir à unifier des équipements et des services qui ne sont pas tous aux mêmes niveaux, ni aux mêmes tarifs. Cela risque donc de se traduire par des coûts supplémentaires pour les EPCI et par une flambée des prix pour les usagers.

La loi NOTRe prévoit également, au 1er janvier 2017, le transfert de la gestion des zones d’activités économiques – les ZAE – aux intercommunalités. La suppression, dans la loi, des termes « à vocation intercommunale » conduit, de fait, au transfert des ZAE communales existantes. C’est une incroyable sanction à l’égard des territoires, qui ont misé sur le développement économique.

Avec quels moyens les intercommunalités pourront-elles assumer de telles compétences, sauf, là encore, à accroître la pression fiscale ? N’oublions pas que les collectivités représentent 70 % de l’investissement public. Or, tout semble fait pour tarir cette source de croissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Monsieur le député, vous le savez, le Gouvernement, autour du Premier ministre, souhaite redresser les comptes publics et les finances de l’État.

M. Yves Fromion. Bravo !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. C’est utile, vu l’état dans lequel vous nous avez laissé le pays.

M. Patrice Verchère. Cela fait quatre ans !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Tout naturellement, les collectivités sont appelées à participer. En conséquence, certaines dotations ont diminué. Quant aux communes, dont vous avez parlé, elles sont 36 000, soit autant que dans toute l’Europe réunie. Pour les préserver, les conserver et leur donner une véritable possibilité d’exister, il fallait naturellement trouver une solution : c’est l’intercommunalité qui permet de prendre en charge la centralité et de financer des projets, y compris dans les écoles.

La loi que nous venons de voter et qui s’applique désormais, car elle est la loi de la République – sans quoi nous ne serions plus dans un régime démocratique – a prévu de laisser aux intercommunalités la possibilité de s’organiser de la meilleure des manières. Étant donné que celles-ci passeront de 2 100 à 1 300, la loi a prévu des étapes.

Certains transferts auront lieu en 2017, d’autres en 2018, en particulier la compétence gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations – GEMAPI – et, en 2020, ce seront les questions d’urbanisme, qui sont les plus difficiles. Vous le voyez, le Gouvernement se soucie des communes et des collectivités. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Nous essayons d’œuvrer pour une meilleure organisation spatiale et pour l’intérêt général.

M. Yves Fromion. C’était bien laborieux !

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

2

Éloge funèbre de Sophie Dessus

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, chers collègues, (Mmes et MM. les députés et membres du gouvernement se lèvent) cher Dominique, cher Mathieu, cher Joachim, cher Clément, cher Félix, aujourd’hui, nous voudrions tendre de noir les murs et parois de cet hémicycle. Un de nos plus stimulants, de nos plus enthousiastes, de nos plus élégants esprits s’en est allé. Le 3 mars, Sophie Dessus nous quittait à l’âge de soixante ans, après un combat sans merci contre le cancer, livré de manière discrète et exemplaire, sans jamais se plaindre. Cette discrétion sur sa santé était sa marque, car peu étaient au courant de la lutte vitale qu’elle menait. Mais cela ne l’empêchait pas d’être tenace au point de convaincre ses collègues avertis comme ses proches qu’elle surmonterait cette maladie implacable.

Sophie Dessus est née en Île-de-France, en 1955. Cinq sœurs et frères naîtront après elle. Après son baccalauréat, elle fait des études d’art et d’histoire à Limoges. Rien en apparence ne prédisposait Sophie, férue de littérature et de poésie, à devenir une parlementaire engagée. Comment une citoyenne ou un citoyen prend-il la décision de suspendre ses occupations, ses projets, ses passions, pour entreprendre une activité politique ? Comment se lance-t-on dans l’arène ? Comment se jette-t-on au soleil brûlant du forum ? Quelle en est la raison ? Nous ne le savons guère, bien entendu.

Il y a l’exceptionnel environnement familial. Elle est la petite-fille d’Henri Mazeaud, grand juriste, résistant, un des seuls juristes à avoir condamné ouvertement les lois vichystes sur le statut des Juifs. Elle est, par sa mère, la petite-cousine de Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, grand député des Hauts-de-Seine puis de Haute-Savoie, un exemple de remarquable engagement qu’elle consultera ensuite pour peaufiner ses talents de députée. Elle est petite-cousine, aussi, de Simone de Beauvoir.

Sophie Dessus ne manquait donc pas de références d’engagement et d’intelligence. Mais il y avait plus. Sophie aimait comprendre l’entrelacs complexe des passions et des actions qui menaient à l’expression de l’intérêt général ; elle aimait le bien public ; elle aimait y concourir : elle aimait être utile. Pour Sophie Dessus, le contrat social n’était pas que le titre d’un livre célèbre, c’était un concept qu’elle voulait voir s’appliquer et transformer la vie.

À dix-neuf ans, elle quitte l’univers familial pour composer le sien et s’installe à Uzerche, en Corrèze, comme agricultrice.

Son engagement est d’abord associatif. Pendant vingt ans, elle va construire à Uzerche et dans sa région des liens avec les femmes et les hommes qui, comme elle, s’investissent bénévolement dans de nombreuses activités associatives. Pour Sophie Dessus, les citoyens devaient patiemment prendre conscience de leur puissance d’intelligence collective. C’est en 1995 que, tout naturellement, elle investit le champ politique. Elle est d’abord élue conseillère municipale d’Uzerche, où elle siège dans l’opposition. Elle est socialiste, résolument. Dès 2001, elle devient maire. Sa liste est alors élue en entier dès le premier tour, face à l’équipe sortante. Sophie Dessus est réélue deux fois, en 2008 et 2014. Cette fonction de maire d’Uzerche était pour elle un engagement très spécial, une façon suprême d’incarner une collectivité dont elle voyait dans les yeux, chaque semaine, le visage de chacune et de chacun de ses membres.

C’est en exerçant son mandat d’élue, en relayant les préoccupations qui émergeaient de son territoire, en soulevant les problèmes d’aujourd’hui et en anticipant ceux de demain que Sophie Dessus a marqué le territoire uzerchois. Partout où porte l’œil à Uzerche, nous trouvons son empreinte. La « perle du Limousin » n’a rien perdu à l’action de sa maire, tant s’en faut. C’est là toute la force de l’engagement de Sophie, portée par l’intérêt général et le souci d’améliorer les conditions de vie de ses concitoyens.

Sophie Dessus est une femme de volonté qui n’a pas peur d’aller au combat. Je peux dire ici qu’elle a toujours défendu ses convictions et son département avec un intense engagement. Car parallèlement à son action pour Uzerche, Sophie a aussi fait bénéficier de son énergie son département d’adoption, la Corrèze, que les Français connaissaient grâce à l’ancien Président de la République, Jacques Chirac. Sophie Dessus devient une animatrice incontournable de la démocratie départementale.

En 1998, elle est élue conseillère générale dans le canton d’Uzerche. Elle sera réélue en 2004 et 2011.

De 2008 à 2012, elle est même vice-présidente chargée de la culture et des aides aux communes, tout un symbole pour celle qui fit de la culture l’un des axes structurants du développement territorial.

Ce mandat lui tenait vraiment à cœur. Mais la Nation l’a appelée, et la voilà députée.

En effet, le 10 juin 2012 marque une nouvelle étape pour Sophie. Elle est élue députée de la première circonscription de la Corrèze, succédant ainsi à François Hollande, nouveau Président de la République française, François Hollande avec qui elle a toujours entretenu et entretiendra encore une relation privilégiée, faite d’admiration et de compréhension réciproques.

En étant élue au premier tour avec plus de 51 % des voix, elle fait même mieux que son prédécesseur. Elle est aussi la première femme élue députée de la Corrèze.

À l’Assemblée nationale, par son travail, par son audace, elle a très vite gagné la confiance et l’estime de ses collègues, au-delà des bancs de son groupe. Sa bonne humeur communicative et sa force de conviction lui permettaient souvent d’emporter l’adhésion des députés.

Sophie n’était pas une simple députée de sa terre.

Certes, elle savait se faire entendre pour défendre la ruralité. Mais elle s’est révélée une parlementaire qui porte la destinée, les volontés, l’intérêt de toute la Nation, pugnace mais toujours à l’écoute du point de vue des autres. Elle aimait d’ailleurs dire elle-même pour nous faire sourire : « J’ai été élevée dans une famille très stricte. J’ai fait une réaction contre l’autoritarisme ». Chaque situation politique devait enfanter un peu de liberté, pour les familles, pour les Corréziens, pour les Français.

Elle avait des convictions fortes mais savait travailler avec tous. En Corrèze, elle a su nouer des relations politiques édifiantes dans tous les camps, avec les grandes figures de la vie politique locale, dont Bernadette Chirac, qui fut, durant trente-six ans, conseillère générale de Corrèze. À une période où les Français doutent de la politique, Sophie nous a montré comment allier une vision et des idéaux avec le réalisme et l’action.

Sophie était une figure reconnue de cet hémicycle. Elle avait la culture et le féminisme chevillés au corps, comme si sa parenté avec Simone de Beauvoir lui avait fait endosser les combats de cette grande femme de lettres.

Nous savions que dans son cœur résidait un caractère révolutionnaire.

Car, elle en était persuadée, à l’image du héros des Mandarins, « on ne peut pas mener une vie correcte dans une société qui ne l’est pas ». Cette conviction de Simone de Beauvoir la guidait pour ses interventions en commission comme en séance.

Fidèle à sa famille, fidèle à ses amis, fidèle à ses convictions et à ses ambitions, elle ne s’est pas ménagée. Au sein de la commission des affaires culturelles, aucun travail, aucun dossier, n’était trop difficile, trop lourd pour elle. Dernièrement, elle avait été désignée rapporteure de la mission d’information sur les métiers d’art.

Car, la culture, les pratiques culturelles, la création, le patrimoine, l’artisanat d’art, tout, pour Sophie, était lié.

Pour elle, une classe sociale ne devait pas se contenter de ses propres pratiques de distinction mais partir à la conquête, partout et tout le temps, de la conscience universelle.

Son dernier grand projet pour Uzerche, celui de la reconversion d’un site industriel, la papeterie, est un symbole de cette vision globale. C’est cette dialectique permanente entre ses convictions et ses actions, qui est la marque de Sophie à l’Assemblée nationale ou à Uzerche.

C’est pourquoi, à l’instant où nous avons appris sa disparition, nous avons su que nous ne perdions pas seulement une collègue, une députée, mais aussi une part de notre engagement et de ce qui fait sa beauté. En disparaissant, elle nous rend comptables de sa conception politique : sans action, la pensée est impuissante et sans pensée, l’action est inféconde.

Quand la triste nouvelle nous a endeuillés, nous avons pensé à ce vers aussi terrible que touchant du Chant des partisans : « Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place ».

Oui, Sophie, tu t’en es allée avec ton sourire angélique et ta volonté jupitérienne.

Tu t’en es allée édifier ailleurs des monuments d’altruisme, d’intelligence et de joie.

Nous demeurons, nous, à ta place, pour, en ton honneur et en souvenir de tes grands actes, préserver et prolonger les fruits de ton travail.

Chers collègues, gardons haut le flambeau de la liberté et de l’égalité que nos glorieux Pères nous ont légué, et que Sophie Dessus a si vaillamment défendu.

À vous Dominique, son mari, qui savez ce qu’a pu représenter pour nous tous votre mariage avec Sophie, le 15 septembre 2012, à vous Mathieu, Joachim, Clément, Félix, ses fils, à sa famille, à ses amis, à ses camarades et collègues de sa famille socialiste, j’adresse, au nom de tous les députés de l’Assemblée nationale et en mon nom personnel, mon amitié et mes condoléances profondément émues et attristées.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, mesdames, messieurs, chers Dominique, Mathieu, Joachim, Clément et Félix, vous venez, monsieur le président, de dire ce que chacun ici ressent : une très douloureuse absence.

En mon nom, et au nom du Gouvernement, je voudrais, à mon tour, dire le respect, l’amitié, l’affection que nous portions à celle qui fut une députée de la Nation investie et une élue de la République particulièrement impliquée.

Tout, dans le parcours de Sophie Dessus, souligne ces deux valeurs essentielles quand on veut représenter ses concitoyens et s’engager pour la collectivité, c’est-à-dire pour l’intérêt général, que sont la fidélité et l’attachement.

L’attachement à la Corrèze et à la commune d’Uzerche, sa ville, dont Sophie était si fière. Elle en connaissait parfaitement l’histoire, le patrimoine. Elle en connaissait surtout les habitants avec qui elle avait su nouer un lien si fort.

Sophie Dessus était corrézienne de cœur. Après avoir grandi à Paris, l’étudiante en histoire de l’art de dix-neuf ans revint aux sources, pour devenir agricultrice, une activité qu’elle exercera pendant près de trente ans.

Il y a tout juste un an, Sophie Dessus m’avait accueilli dans ce territoire de France, cette « terre de présidents », terre de caractère et aussi terre de modernité, tournée vers l’avenir. Ce territoire qui lui ressemblait.

Nous nous étions rendus à l’Espace Mémoire de la Papeterie – la salle de la machine – et aussi dans une jolie librairie dont on ne peut oublier le nom : « La petite marchande d’histoires ». Des endroits, des lieux, des équipements, pour lesquels Sophie Dessus s’était battue, aux côtés des habitants, des associations, des entreprises et des élus, et dont elle était si fière.

L’attachement à un territoire, donc, et aussi la fidélité.

Fidélité à ses convictions profondes de militante, de femme de gauche. Et c’est, je dirais, tout naturellement qu’elle s’est tournée vers la politique. Son énergie, son engagement, ont porté leurs fruits. Élue en 1995, conseillère municipale d’opposition, Sophie Dessus s’est impliquée totalement, ne ménageant jamais son temps.

Cette volonté, cette détermination furent reconnues lors des élections municipales de 2001, qui ont porté Sophie Dessus à la tête de sa ville. Depuis, les Uzerchois lui avaient toujours renouvelé leur confiance.

Elle a également été conseillère générale, puis vice-présidente du Conseil général de Corrèze, aux côtés de François Hollande, en charge de la culture et de l’aide aux communes.

Là encore, elle mettait toute son énergie au service d’un monde rural qu’elle connaissait mieux que personne, et dont elle percevait la complexité, les difficultés, mais aussi tous les atouts.

S’étant affirmée comme une personnalité politique de la Corrèze et de la région Limousin, appréciée par tous – je salue votre présence, madame Bernadette Chirac –, Sophie Dessus est devenue la première femme élue députée du département, en 2012, dans la première circonscription, succédant à François Hollande.

Je sais combien elle aimait cet hémicycle de l’Assemblée nationale. Être là, c’était pour elle, comme pour vous, une si belle histoire. Elle la vivait pleinement.

Nous avons tous en mémoire sa simplicité, sa pugnacité, son indépendance, aussi. Sophie Dessus était toujours passionnée. J’en ai fait l’expérience lors des débats relatifs à la suppression du cumul des mandats. Elle voulait nous convaincre d’un autre choix, au nom de ce rapport avec la Corrèze. Elle ne reculait jamais devant un débat. Elle ne taisait jamais ses convictions, surtout lorsqu’il s’agissait de l’avenir des territoires. Elle ne versait, pourtant, jamais dans la polémique. Elle était exigeante et profondément loyale, et fidèle au Président de la République.

Sophie Dessus, c’est un parcours personnel qui, à sa façon, raconte une histoire de la France, de ses territoires, de ces femmes et de ces hommes qui ont fait ce choix de se mettre au service des autres.

C’était un sourire rayonnant, solaire, une façon d’être, humble, parmi les siens, sachant toujours trouver le ton et les mots justes. Humble parmi les siens, et ambitieuse pour ses semblables.

Le Président de la République ne cachait pas son émotion en ayant ces mots très vrais : le Parlement perd une députée valeureuse et la Corrèze une élue unanimement appréciée.

La République perd une femme libre et courageuse. Sa présence était évidente, à quelques travées d’ici. Son absence laisse un grand vide dans nos esprits et dans nos cœurs. Un vide qu’aucun hommage ne parviendra à combler.

À Dominique, son époux, à ses quatre enfants, à sa famille et à ses proches, à ses collègues – non seulement du groupe socialiste, républicain et citoyen, mais à tous ceux qui dans cette assemblée l’appréciaient –, à ses collaborateurs, je voudrais dire tout mon soutien et adresser, au nom du Gouvernement et en mon nom, toutes mes condoléances.

Sophie Dessus nous manque. Elle ne cessera jamais de nous manquer.

M. le président. En hommage à la mémoire de notre collègue disparue, j’invite l’Assemblée à respecter une minute de silence. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de Mme Laurence Dumont.)

Présidence de Mme Laurence Dumont

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

Modernisation des règles applicables aux élections

Lectures définitives (discussion générale commune)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en lecture définitive, de la proposition de loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle (nos 3624, 3627) et de la proposition de loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections (nos 3625, 3628).

La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

Je vous rappelle qu’à l’issue de la discussion générale commune, nous voterons sur la proposition de loi organique. Ce vote aura lieu dans les salles voisines de l’hémicycle. Durant ce scrutin ouvert pour trente minutes, la séance sera suspendue.

À l’issue de ce premier scrutin, nous reprendrons l’examen de la proposition de loi ordinaire.

Présentation commune

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales.

Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, depuis la révision constitutionnelle du 28 octobre 1962, l’élection au suffrage universel direct du Président de la République est la pierre angulaire des institutions de la VRépublique. À l’issue des deux derniers scrutins présidentiels en 2007 et en 2012, les différents organismes de contrôle qui veillaient à leur bon déroulement ont formulé plusieurs recommandations d’ordre technique, recommandations qui ont inspiré la rédaction de la proposition de loi organique dont vous débattez aujourd’hui en lecture définitive.

En effet, il faut souligner la cohérence et la convergence des mesures proposées par le Conseil constitutionnel, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale de l’élection présidentielle, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et la Commission des sondages. Cet ensemble de mesures permet de moderniser les modalités d’organisation du scrutin, et ainsi d’éviter à l’avenir les contestations récurrentes qui, invariablement, à chaque élection, nourrissent des controverses qui ne débouchent jamais sur aucune réforme, qu’il s’agisse du système des parrainages, du temps de parole accordé à chaque candidat dans les médias audiovisuels, ou encore des règles encadrant la publication des sondages et la divulgation des résultats.

C’est pour remédier à cet état de fait que le Gouvernement soutient l’adoption de la proposition de loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle. Cette adoption contribuera à renforcer le cadre juridique dans lequel se tiendront, dès 2017, les élections présidentielles à venir, rendant leur organisation désormais incontestable.

Avant d’en venir au détail des propositions soumises à votre examen, je veux saluer l’engagement de Jean-Jacques Urvoas, qui est à l’origine de ce texte, ainsi que le travail important accompli par la rapporteure Élisabeth Pochon pour traduire dans la loi les avancées nécessaires que nombre d’entre nous souhaitaient depuis des années.

La proposition de loi organique prévoit en premier lieu de réformer les règles qui encadrent le système de parrainage des candidats. Elle comprend à cet effet trois mesures principales.

Tout d’abord, une modification des modalités de transmission des présentations au Conseil constitutionnel : le parrainage devra être adressé par l’auteur de la présentation lui-même – et non plus par le candidat ou l’équipe de campagne comme c’est le cas actuellement –, par voie postale ou directement auprès du Conseil constitutionnel, et non en préfecture. Bien entendu, des dérogations sont prévues pour l’outre-mer et l’étranger. Un amendement du groupe SRC adopté en première lecture envisage une remise des parrainages par voie électronique après 2017 et au plus tard au 1er janvier 2020. Le Gouvernement souscrit entièrement à cette disposition.

Ensuite, le texte prévoit la publicité intégrale de la liste des élus ayant parrainé un candidat, ce qui met un terme au traitement différencié induit par la procédure actuelle, laquelle ne prévoit que la publication de cinq cents noms après tirage au sort.

Enfin, la proposition de loi organique impose au Conseil constitutionnel de rendre publics les noms des parrains au moins deux fois par semaine.

En deuxième lieu, s’agissant de l’accès des candidats aux médias audiovisuels, la proposition de loi prévoit de substituer un strict principe d’équité à l’actuelle règle d’égalité des temps de parole réservés aux candidats pendant la période dite « intermédiaire », qui s’étend de la publication de la liste des candidats à la veille de la campagne officielle. Je souhaite m’attarder quelques minutes sur ce point qui concentre les critiques de plusieurs groupes parlementaires. Une telle substitution du principe d’équité à celui d’égalité permettra de simplifier, donc de clarifier, une réglementation devenue au fil du temps particulièrement obscure. En effet, faire coexister les principes d’égalité des temps de parole et d’équité des temps d’antenne présente de nombreuses difficultés, aussi bien pour les candidats que pour les chaînes de radio et de télévision, dont certaines en viennent même à préférer tout simplement – c’est un comble ! – ne pas organiser le moindre débat entre les candidats.

Ainsi, craignant de ne pouvoir garantir l’égalité entre tous, les chaînes TF1, France 2, France 3, Canal + et M6 n’ont réservé en 2012 que douze heures à la retransmission des interventions des candidats, soit une diminution de 50 % par rapport au volume relevé sur ces mêmes chaînes en 2007 lors de la même période. Les temps de parole accordés sur les antennes des radios généralistes et des chaînes d’information en continu ont également diminué par rapport à 2007.

Il va sans dire que cette situation n’est satisfaisante pour personne, ni pour les candidats ni pour les électeurs, et qu’elle nuit à la richesse et à la vigueur du débat démocratique. L’adoption de la proposition de loi organique permettra, pendant la période intermédiaire, que l’équité soit observée « dans des conditions de programmations comparables ». Il est en effet plus important pour les candidats d’être exposés dans les mêmes tranches horaires de programmation – par exemple le journal de vingt heures, les émissions de première partie de soirée ou les matinales –, même pour des durées inégales, que de s’exprimer pour des durées égales mais, pour les uns, dans des émissions susceptibles de recueillir une forte audience et, pour les autres, lors d’émissions nocturnes recueillant une faible audience. Cette disposition doit donc permettre aux différents candidats ou à leurs soutiens d’être exposés sur les antennes sur les mêmes tranches horaires. Loin d’affaiblir les candidats, la proposition de loi organique leur assurera une exposition médiatique de meilleure qualité.

En troisième lieu, le texte soumis à votre examen prévoit une réforme des horaires qui encadrent les opérations de vote. Le texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture rétablit la dérogation permettant aux agglomérations qui le souhaitent de maintenir l’horaire de fermeture à vingt heures. Le Gouvernement considère qu’il s’agit là d’un point essentiel pour garantir l’accès au suffrage des électeurs qui pouvaient jusqu’alors se rendre aux urnes jusqu’à vingt heures.

En outre, la proposition de loi organique prévoit de mettre en place un système automatique de radiation des listes électorales consulaires pour les Français établis à l’étranger qui rentrent en France. En d’autres termes, dès lors qu’ils quittent le pays étranger où ils s’étaient installés, leur radiation du registre consulaire des Français de l’étranger entraînera automatiquement leur radiation des listes électorales consulaires. Le Gouvernement approuve totalement cette mesure de bon sens, de simplification et de sincérité des listes à laquelle. Une proposition de loi portée par Elisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann permettra d’approfondir la question de la double inscription. Là aussi, le Gouvernement apporte tout son soutien à cette initiative parlementaire transpartisane qui s’inscrit pleinement dans l’esprit du texte que nous examinons aujourd’hui.

Je veux également vous dire quelques mots de la réduction d’un an à six mois de la période dans laquelle sont comptabilisées les dépenses et les recettes électorales ayant vocation à figurer dans les comptes de campagne des candidats. Cette mesure, prévue dans la proposition de loi ordinaire complétant la proposition de loi organique, a rassemblé, contre l’avis du Gouvernement, une majorité de députés par-delà les clivages politiques classiques. Elle correspond à une recommandation de la Commission nationale des comptes de campagne et de financements politiques et sera soumise au vote de votre assemblée avec la proposition de loi ordinaire, une fois que la proposition de loi organique aura été adoptée à la majorité qualifiée. Dès lors, l’adoption de la proposition de loi organique est un préalable à l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi ordinaire. Les mesures contenues dans les deux textes se répondant, l’adoption du texte ordinaire sans le texte organique provoquerait des incongruités dans notre droit.

Enfin, je souhaite évoquer les dispositions relatives à l’encadrement des sondages introduites au Sénat à l’initiative de MM. Jean-Pierre Sueur et Hugues Portelli. Formellement, il s’agit de la reprise, par voie d’amendement et en un seul article, d’une proposition de loi d’une vingtaine d’articles adoptée par le Sénat en février 2011 et examinée par la commission des lois de l’Assemblée nationale en juin 2011. La version de ce texte introduite en première lecture au Sénat soulevait de réelles difficultés d’applicabilité, tant du point de vue pratique que du point de vue technique, et elle aurait très probablement été difficile à mettre en œuvre.

Ces éléments avaient justifié le rejet par l’Assemblée de ces mesures en nouvelle lecture. Dans une approche constructive, les sénateurs ont, depuis, modifié en commission des lois la rédaction présentée en première lecture afin de prendre en compte les observations du Gouvernement.

Ainsi, à la différence de la rédaction initiale, le caractère représentatif de l’échantillon n’est plus mentionné comme un élément de définition du champ d’application de la loi – ce qui aurait eu pour effet d’exclure de ce champ les échantillons non représentatifs –, mais comme une règle s’imposant aux sondages dès lors qu’ils entreraient dans la définition prévue au premier alinéa de l’article 1er de la loi du 19 juillet 1977.

Ensuite, le champ d’application de la loi est précisé par référence au principe de territorialité de la loi française. Le critère retenu pour l’application de la loi est le porter à connaissance au public, la diffusion, la publication du sondage électoral sur le territoire national, sans référence à la « nationalité » de l’organe d’information.

Enfin, l’interdiction de publier, diffuser ou commenter un sondage relatif à une élection générale ne serait pas applicable à l’élection des députés en Polynésie française et à l’étranger. En effet, ces élections sont, par exception, organisées le deuxième samedi précédant le tour de scrutin en métropole, soit huit jours avant. Appliquer cet embargo dès l’organisation de ces tours de scrutin pour l’ensemble du territoire national conduirait à porter une atteinte excessive à la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Le Gouvernement prend acte de ces améliorations qui tiennent compte des remarques qu’il a antérieurement formulées. Il reste toutefois un écueil quant à la liberté d’expression et à la liberté de l’information : le champ de la définition des sondages électoraux par le texte de la proposition de loi est en effet trop large, puisqu’il recouvre tous les sondages « liés de manière directe ou indirecte au débat électoral ». La loi de 1977, dans sa rédaction actuelle, s’applique aux sondages « ayant un lien direct ou indirect avec le scrutin » et non pas avec « le débat électoral ». Ainsi, pourraient être considérés comme des sondages électoraux tous les sondages traitant de sujets pouvant être débattus lors de la campagne électorale. Or, nous le savons bien, tous les sujets sont potentiellement des sujets de débat lors d’une campagne électorale !

Aussi cette disposition pourrait-elle conduire à considérer que l’ensemble des sondages sont des sondages électoraux, donc à leur appliquer les restrictions prévues par la loi de 1977. La rédaction proposée étendrait ces restrictions à un nombre trop important de sondages sans que cela soit justifié.

Pour toutes ces raisons, tout en reconnaissant les améliorations successives apportées au texte, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée nationale pour conserver ou rejeter ces mesures dans la proposition de loi ordinaire.

M. René Dosière. Très bien !

Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. La proposition de loi s’inscrit dans une optique parfaitement consensuelle et constitue une étape supplémentaire dans la démocratisation de nos procédures électorales. C’est pourquoi le Gouvernement l’appuie avec force et appelle la représentation nationale, par-delà les clivages partisans, à la soutenir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Elisabeth Pochon, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Mme Elisabeth Pochon, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en application de l’article 45, alinéa 4, de la Constitution, l’Assemblée nationale est invitée à statuer définitivement sur la proposition de loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle et sur la proposition de loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections. Ces deux textes visent à traduire dans notre droit les recommandations des différents organismes de contrôle de l’élection présidentielle.

Parmi les principales mesures, je citerai tout d’abord la complète publicité des parrainages des candidats à l’élection présidentielle, qui institue une transparence destinée à éviter pressions, marchandages et instrumentalisations de tous bords, alors même que, comme le rappelle le Conseil constitutionnel, une présentation n’est pas un vote.

La deuxième mesure consiste à réduire l’écart entre la fermeture de certains bureaux de vote à dix-neuf heures et la clôture du scrutin, qui a lieu à vingt heures, cela afin d’éviter la divulgation de résultats partiels pouvant altérer la sincérité du scrutin.

Je citerai également le renforcement des comptes de campagne, ce qui passe par une plus grande transparence des dépenses électorales engagées par les partis politiques et par la possibilité donnée à la CNCCFP, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, de recruter des experts.

Autre mesure, la simplification des règles d’inscription sur les listes électorales de nos compatriotes résidant à l’étranger.

Je citerai enfin l’adaptation du traitement de la campagne présidentielle par les médias audiovisuels.

C’est sur cette dernière mesure que je souhaite plus particulièrement m’exprimer, celle-ci ayant récemment fait l’objet de caricatures. L’objectif est de mettre fin aux règles baroques qui s’appliquent pendant la période dite intermédiaire, c’est-à-dire la période, d’une durée d’environ trois semaines, qui va de la publication de la liste des candidats au début de la campagne officielle. Aujourd’hui, les chaînes de radio et de télévision sont tenues de faire coexister une stricte égalité des temps de parole des candidats et une simple équité des temps d’antenne.

Ces règles, que beaucoup de nos collègues défendent aujourd’hui, ont fait l’objet de nombreuses critiques, en 2007 comme en 2012. Elles rendent difficile, sinon impossible, l’organisation de débats entre tous les candidats, conduisent certaines chaînes à renoncer à leurs émissions politiques habituelles et ont pour effet pervers de réduire le temps médiatique consacré à la campagne, tout spécialement sur les chaînes généralistes de télévision.

En 2012, neuf directeurs de rédaction de chaînes de radio et de télévision avaient adressé une lettre ouverte au président du Conseil constitutionnel pour contester le dispositif actuel, et onze médiateurs de presse avaient dénoncé le caractère inapplicable des règles en vigueur.

Ces règles portent préjudice aux candidats eux-mêmes. Pour ceux dont la notoriété est moins importante, l’égalité des temps de parole est aujourd’hui un trompe-l’œil. Les conditions d’exposition médiatique ne sont pas les mêmes d’un candidat à l’autre, qu’il s’agisse des horaires de diffusion ou des émissions dans lesquelles ils peuvent intervenir. La pseudo-égalité des temps de parole est donc beaucoup plus théorique que réelle.

M. Dominique Baert. En effet !

Mme Elisabeth Pochon, rapporteure. La proposition de loi organique, quant à elle, ne prétend pas bouleverser le système actuel. Elle se borne à reprendre le principe d’équité des temps de parole, tel qu’il est appliqué aujourd’hui avant la période intermédiaire, tout en le renforçant. Elle s’inspire ainsi des recommandations du Conseil constitutionnel, de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale présidentielle, du Conseil supérieur de l’audiovisuel ou encore de la « commission Jospin » de 2012.

Les critères que nous proposons pour apprécier l’équité – score aux élections, référence aux sondages, animation du débat électoral – ont déjà été utilisés par le CSA et approuvés par plusieurs arrêts du Conseil d’État. Cette équité sera doublement renforcée.

D’une part, les chaînes de radio et de télévision devront faire respecter le principe d’équité dans des conditions de programmation comparables et sous le contrôle du CSA. Les candidats seront ainsi exposés dans les mêmes tranches horaires : journal de 20 heures, matinale, première partie de soirée... Je vous invite, mes chers collègues, à demander à un candidat s’il préfère s’exprimer cinq minutes pendant le 20 heures ou quinze minutes pendant le journal de la nuit !

D’autre part, l’obligation faite au CSA de publier en open data le relevé des temps de parole et d’antenne devra être satisfaite au moins une fois par semaine. Cela permettra aux médias audiovisuels de prendre, au cours de la période intermédiaire, des mesures correctrices en cas de déséquilibres entre les candidats.

Au total, ce nouveau dispositif permettra une gradation logique de la campagne : tant que la liste des candidats n’est pas officielle, seul le principe d’équité peut, comme c’est le cas aujourd’hui, s’appliquer ; une fois la liste établie, le principe d’équité renforcé prendra le relais ; enfin, à partir du début de la campagne officielle, l’égalité stricte entre les candidats restera la règle.

Je souligne, pour terminer sur ce point, que ce dispositif a été approuvé par la commission des lois du Sénat dans le texte qu’elle a adopté le 10 février dernier. Le rapporteur, M. Christophe Béchu, du groupe Les Républicains, s’en était fait l’excellent avocat. Je le cite : « Lors des dernières élections, dix candidats se sont partagé 10 % du temps d’antenne, cela a conduit à figer la dynamique de campagne de Jean-Luc Mélenchon et de François Bayrou. L’équité, avec le critère d’animation du débat, leur aurait profité. Regardez les rapports du CSA, de la Commission de contrôle de la campagne électorale et du Conseil constitutionnel : ils sont tous unanimes. Loin de favoriser le bipartisme comme la primaire, le temps d’antenne serait mieux partagé » !

Ce n’est qu’ensuite, en séance publique, que le Sénat a adopté une position d’hostilité totale au principe d’équité. Position qu’il a confirmée jeudi dernier, en nouvelle lecture, en opposant la question préalable à la proposition de loi organique.

Si je me suis permis ce petit rappel, c’est pour souligner que certaines postures criant au « bâillonnement » des petits candidats ou à 1’« attentat contre la démocratie »semblent quelque peu surjouées...

Puisque nous rendons aujourd’hui hommage à Sophie Dessus, je voudrais vous lire les paroles qu’elle a prononcées lors de sa dernière intervention dans l’hémicycle, au cours d’une séance précisément consacrée à l’examen de ce texte : « Entre le show hollywoodien à l’américaine et l’austérité bergmanienne que nous pratiquons avec la diffusion de spots de campagne soporifiques, il va nous falloir inventer une nouvelle vague de communication électorale à la française… Il faut permettre de passer du temps du zapping au temps du débat, aider les médias à faire le chemin à côté des réseaux sociaux, derniers espaces où les citoyens choisissent de s’exprimer, à défaut de le faire dans les urnes ». On ne peut mieux résumer les préoccupations qui sont aujourd’hui les nôtres !

M. Jean-Pierre Gorges. Détourner les citoyens des urnes, voilà ce que vous allez obtenir !

Mme Elisabeth Pochon, rapporteure. Pour terminer, je dirai un mot de la proposition de loi ordinaire. L’un de ses principaux apports consiste, pour l’ensemble des élections autres que la présidentielle, à réduire à six mois, au lieu d’un an, la durée pendant laquelle les recettes et les dépenses électorales devront être intégrées dans les comptes de campagne. Cette mesure, qui s’appliquerait dès les élections législatives de 2017, avait été recommandée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

C’est pourquoi, dans le cadre de cette lecture définitive, je vous invite, au nom de la commission des lois, à adopter ces deux propositions de loi dans le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale en nouvelle lecture. Ces deux textes sont intrinsèquement liés : si la loi organique n’était pas adoptée, aucune des modifications du code électoral que comporte la loi ordinaire ne serait applicable à l’élection présidentielle. Seraient par exemple inapplicables les nouvelles sanctions pénales en cas de divulgation de résultats électoraux. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Discussion générale commune

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, c’est peu dire que la proposition de loi ordinaire et la proposition de loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle déchaînent l’enthousiasme. En réalité, si déchaînement il y a, c’est plutôt d’interrogations, d’embarras, voire d’oppositions...

Dès avant 2012, c’est vrai, un certain nombre d’organes et d’organismes comme le Conseil constitutionnel et le CSA ont souhaité que le législateur modernise les règles applicables à l’élection présidentielle. Après les élections de 2012, les critiques ont été renouvelées et réaffirmées.

Ces critiques nous ont conduits, hélas trop tardivement, à nous intéresser à des questions importantes qui se posent encore aujourd’hui. C’est vrai pour les horaires du scrutin, pour la présentation des candidats et pour la liste des parrainages publiée par le Conseil constitutionnel, vrai encore pour la transmission desdits parrainages et pour le temps de parole reconnu à chacun des candidats… et la liste n’est pas exhaustive.

D’où les propositions de Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des lois, largement soutenues par nos collègues socialistes et une grande partie de la majorité – propositions qui, je le disais à l’instant, ne font pas l’unanimité, tant s’en faut.

Sans vouloir créer de polémique, madame la rapporteure, je rappellerai l’échec rapide et cuisant de la commission mixte paritaire entre le Sénat et l’Assemblée : la commission mixte a échoué en quelques minutes, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire ! En réalité, la discussion n’a même pas été engagée avec le Sénat, ce qui montre bien que le sujet n’est pas consensuel.

Après avoir tant attendu, alors qu’il aurait été possible d’intervenir il y a deux ou trois ans, dans un climat forcément plus apaisé…

M. Jean-Pierre Gorges. Exactement !

M. Philippe Gosselin. …le calendrier d’aujourd’hui, fortement contraint, nous conduit à modifier certaines règles fondamentales, à tout le moins importantes, encadrant les élections présidentielles, et cela à un an du scrutin de 2017 !

Or, vous le savez bien, les élections présidentielles, dans le paysage institutionnel français, ne sont comparables à aucune autre : elles sont chargées d’une symbolique démocratique.

Cela donne le sentiment à de nombreux observateurs et de nombreux partis politiques d’une tentation, sinon d’une tentative, de « tripatouillage » des règles fondamentales et donc de l’élection présidentielle.

M. René Dosière. Non !

M. Philippe Gosselin. Le moment, cher collègue Dosière, est donc très mal choisi. Et naturellement, les procès en sorcellerie sont à portée de main…

Ainsi, par exemple, avec les temps de parole qui pourraient désormais s’appuyer sur l’équité et non plus sur l’égalité. On peut le comprendre car, à certains égards, l’équité peut sembler préférable à l’égalité, source de bien des inégalités. Comment comparer, en effet, deux minutes de temps d’antenne à 2 heures du matin, destinées à une foule d’insomniaques, certes nombreux et attentifs et à n’en pas douter passionnés, à un temps d’antenne dans le Journal télévisé de 20 heures ou sur une grande chaîne d’info en continu ?

M. Alain Gest. C’est pourtant la réalité !

M. Philippe Gosselin. Il n’y a aucune commune mesure, c’est pourquoi l’égalité stricte n’est pas la bonne solution.

M. Guy Geoffroy. C’est clair !

M. Philippe Gosselin. Mais la solution qui nous est proposée est une solution bancale qui fait intervenir des conditions d’équité et, selon le texte, des « conditions de programmation comparables » bien difficiles à définir. Les critères qui seront proposés mêleront beaucoup d’interprétations à des éléments plus factuels, mais très interprétatifs. Ainsi seront évaluées la représentativité de chaque candidat et sa contribution à l’animation du débat électoral, fondée sur l’organisation de réunions publiques, la participation à des débats, les moyens de communication mis en œuvre pour promouvoir les éléments d’un programme politique. Cela, chers collègues, ne semble pas beaucoup plus simple à apprécier et à manier que l’égalité stricte du temps de parole, qui peut être jugée « bête et méchante » mais a au moins l’avantage de la clarté.

Quant à la liberté éditoriale, elle est remplacée par la notion de « conditions de programmation comparables », qui sont tout aussi difficiles à instaurer. Cette nouvelle contrainte sera extrêmement difficile à manier par les médias audiovisuels, en particulier les chaînes publiques qui disposent de temps réduits d’exposition des candidats.

Nous voilà donc face à une usine à gaz que nous récusons, au-delà de quelques points positifs. le groupe Les Républicains s’abstiendra, laissant la majorité, puisque c’est d’elle qu’ils émanent, arbitrer elle-même le sort de ces deux textes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Je vous rappelle qu’au nom de l’égalité stricte, chaque orateur dispose de cinq minutes.

La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous en avons tous conscience, l’élection présidentielle est le rendez-vous démocratique le plus important qui existe entre la France et les Français.

Aussi changer les règles présidant à son organisation et à son déroulement, à près d’un an de la prochaine échéance, doit impérativement recueillir l’adhésion de toutes les forces politiques et dépasser les clivages politiques et partisans. Force est de constater que ce n’est pas le cas.

Cette proposition de loi organique, qui est en réalité une directive émanant de la rue de Solférino et du seul parti socialiste, feint de répondre à la nécessité de réformer l’élection présidentielle en noyant parmi quelques dispositions utiles et consensuelles une manœuvre politicienne de verrouillage qui n’est pas supportable.

Mme Marie-George Buffet. Et oui !

M. Jean-Christophe Lagarde. L’UDI soutient naturellement la mise en œuvre des rares mesures de bon sens telles que l’article 3 qui, dans une exigence d’égalité et de transparence, prévoit la publicité intégrale de la liste des élus ayant parrainé un candidat.

Nous sommes par ailleurs favorables à l’article 6 qui prévoit, pour les autres élections, la réduction à six mois de la période de prise en compte des dépenses électorales, mais nous regrettons que l’UDI n’ait pas été entendue lorsque nous expliquions qu’il fallait impérativement légiférer afin de mieux discerner ce qui, lorsqu’un Président de la République est candidat, relève de sa candidature ou des fonctions qu’il occupe. Mais nul n’est besoin de se demander pourquoi une telle mesure de bon sens n’a pas été adoptée.

Enfin, nous soutenons l’article 7 qui, malgré l’avis négatif du Gouvernement, prévoit la clôture des bureaux de vote à 19 heures afin d’éviter ou de limiter la diffusion précoce de résultats qui pourraient influencer l’élection.

Pour autant, certaines mesures, et malheureusement les plus importantes, sont tout à fait inacceptables en l’état. Ce qui est intolérable à nos yeux – et, j’en suis sûr, aux yeux de tous nos collègues qui refusent de museler notre démocratie – ce sont les dispositions de l’article 4 relatives au temps de parole des candidats à l’élection présidentielle.

Comment accepter que, pendant la période intermédiaire, le principe d’égalité du temps de parole, qui a toujours eu cours jusqu’à présent, soit remplacé par un prétendu principe d’équité, qui s’exercera bien entendu au détriment des candidats issus des formations politiques minoritaires, déjà largement sous-représentées dans les médias.

M. Philippe Vigier. Vous avez raison ! C’est scandaleux !

M. Jean-Christophe Lagarde. Les médias et ceux qui en vivent répondent qu’appliquer le principe d’égalité est trop complexe, et qu’ils se désintéresseraient de l’élection présidentielle si la période intermédiaire était maintenue – en clair : qu’ils réduiraient le temps de parole consacré au débat démocratique, au prétexte qu’il leur poserait commercialement trop de difficultés.

Et vous vous soumettez ? Et vous voulez nous soumettre à ce diktat commercial, au moment de la principale élection à laquelle les Français participent, ont le droit de participer ?

M. Jean-Pierre Gorges. C’est bien ce que veut faire le Gouvernement !

M. Jean-Christophe Lagarde. Je crois au contraire que les médias devraient respecter une stricte égalité entre les candidats, que la loi devrait les contraindre à augmenter le temps accordé aux candidats à l’élection présidentielle pour permettre aux Français de faire un choix.

M. Jean-Pierre Gorges. Bien sûr !

M. Alain Gest. Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde. En réalité, la situation ne se produit qu’une fois tous les cinq ans pendant une période qui concerne à peine 2 % du temps médiatique. De plus, l’élection présidentielle n’est pas un événement médiatique comme les autres. Les intérêts commerciaux devraient passer après l’intérêt national et celui des électeurs.

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde. Pire encore : pour contrôler le respect de ce pseudo-principe d’équité que vous voulez imposer contre l’ensemble des forces politiques ici représentées, hors le parti socialiste (« En effet ! » sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants), vous avez choisi le CSA comme seul juge et arbitre d’un jeu dont les règles sont fixées par ceux qui ont gagné l’élection.

Le CSA prendra en compte deux critères, dont l’un est parfaitement subjectif.

L’autre est pernicieux. Il s’agit du nombre de voix obtenues à l’élection précédente. Si ladite élection est la précédente élection présidentielle, seuls ceux qui se sont déjà présentés auront droit à la parole.

M. Jean-Pierre Gorges. Exactement !

M. Jean-Christophe Lagarde. S’il s’agit d’une élection locale, cela signifie que vous créerez des listes locales pour obtenir du temps de parole aux élections présidentielles. Vous êtes en train de mettre en place un système pervers.

M. Philippe Vigier. Un verrouillage !

M. Jean-Christophe Lagarde. Mais il y a pire. Le CSA, régulateur du temps de parole, va devenir un censeur du temps de parole, puisque c’est en fonction des sondages et de la contribution à l’animation de la campagne qu’il pourra attribuer le temps de parole.

M. Philippe Vigier. C’est ubuesque !

M. Jean-Christophe Lagarde. Chers collègues, dans cet hémicycle, qui peut accepter que le CSA nommé par le pouvoir soit désormais le juge de l’utilité, de l’importance, de la pertinence d’une position lors de l’élection présidentielle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Elisabeth Pochon, rapporteure. C’est déjà le cas !

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est cela le verrouillage que vous voulez imposer, en réalité, à la vie démocratique de notre pays. Et, à travers vous, madame la secrétaire d’État, je n’ai qu’une question à poser au Gouvernement et au chef de l’État : comment pouvez-vous répondre à des Français qui veulent un profond renouvellement de la vie politique française, par un verrouillage destiné à favoriser les partis dominants aujourd’hui, et principalement celui qui est au pouvoir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Vous nous conduisez à un accident démocratique en divisant potentiellement par cinq l’expression des candidats minoritaires.

Ce que vous pouvez peut-être imposer dans cet hémicycle sera de toute façon rejeté par les Français. Les calculs de ce genre se retournent toujours contre leurs auteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Philippe Vigier. Ils se vengeront dans les urnes !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Faut-il revoir, à la demande des médias, le combat de 2012 opposant les Présidents Sarkozy et Hollande, combat dont la majorité des Français ne veulent plus ou ne veulent pas ?

Tel est l’enjeu du principe, ou plutôt de la règle, qui vise à remplacer l’égalité par l’équité du temps de passage sur les antennes. On chercherait à tuer les petits partis au profit de la bande des quatre ou encore de l’UMPS, ou mieux encore du tripartisme actuel, qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Les petits partis ont produit la nouveauté par leur énergie, par leur talent, par la qualité de leurs candidats. Je me permettrai d’en rappeler deux de ma famille : Michel Crépeau, à l’élection de 1981, et Christiane Taubira, à celle de 2002. J’en viendrai même à dire : « Small is beautiful. »

Nous n’avons pas à répondre aux diktats des chefs de chaîne, qui représentent des intérêts puissants avec l’appui plus ou moins avoué du CSA. Jadis, c’étaient les maîtres des forges, avec les Schneider ; aujourd’hui, ce sont les propriétaires de groupes de presse, plus sensibles à l’audimat qu’à la liberté d’expression. (Sourires sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Nous ne voulons pas de cet État-spectacle, si bien décrit, il y a trente ans, par un professeur qui allait devenir le président de notre groupe : Roger-Gérard Schwartzenberg.

Il est bien malheureux que la proposition de loi organique comporte cet assujettissement aux puissances de l’argent, car elle contient d’autres mesures intéressantes, comme celles qui concernent les heures de fermeture des bureaux de vote, la publication des noms de tous les parrains, ou de la prise en compte pour les frais de l’élection d’une période d’une année pour l’élection présidentielle et de six mois pour les autres élections.

Nous autres radicaux sommes héritiers d’un grand parti qui a compté des centaines d’élus, sénateurs et députés. Aujourd’hui, dans cet hémicycle, nous ne sommes plus qu’une douzaine, sans doute parmi les plus résistants, et nous ne voulons pas disparaître.

Alors je le dis à mes amis socialistes : compte tenu des circonstances actuelles, faites attention à ne pas trop vous radicaliser. (Rires sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Vous avez compris, mes chers amis, que nous ne voterons pas cette proposition de loi organique qui, en brimant les minorités, brident et abîment la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Sur l’ensemble de la proposition de loi organique, je suis saisie d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, on a franchement le sentiment qu’en proposant cette prétendue modernisation de l’élection présidentielle, le Gouvernement ne regarde pas le pays avec de bonnes lunettes, ou qu’il est peut-être hors-sol.

Au moment même où se développe l’exigence d’une plus grande participation des citoyens à notre vie démocratique, à notre communauté de destin, pour faciliter cette vitalité démocratique qui est absolument nécessaire dans notre pays où la Ve République est à bout de souffle, le Gouvernement veut encore une fois favoriser les grands partis, le statu quo et éliminer ceux qu’il considère comme des gêneurs.

Pour avoir porté la double casquette de journaliste et de candidat à la présidentielle, je puis affirmer que c’est dans les mesures de l’article 4, relatives à la transformation de l’égalité en équité, que se cache le vice de la proposition de loi organique.

Tout d’abord, l’équité n’a rien à voir avec l’égalité. Ensuite, la période où celle-ci s’applique sera réduite de cinq à deux semaines. Enfin, quand les journalistes des grands médias se plaignent du défilé des candidats qui passent à toutes les heures et encombrent les antennes, ils oublient que c’est aussi le cas des responsables politiques de grands partis, qui pendant cinq ans ont table ouverte dans les médias tant publics que privés. C’est là qu’est l’inégalité.

Si l’on veut la rattraper pendant cinq petites semaines – sur cinq ans ! –, on ne peut pas se permettre de proposer le système que vous voulez mettre en place.

Je le dis très clairement à mes amis socialistes : je regrette, comme l’a dit Alain Tourret à l’instant, qu’ils aient fait preuve de radicalité – encore faut-il donner au mot toutes les nuances qui conviennent –, voire de sectarisme.

Pourquoi n’avez-vous pas accepté les discussions et les débats qui ont eu lieu ici et au Sénat, ainsi que les propositions que nous avons formulées pour remettre à l’endroit cette proposition de loi qui, par certains de ses aspects, est tout à fait acceptable ? On a malheureusement l’impression que ces aspects ne sont que du bricolage, dans un texte qui vise, comme l’a dit Jean-Christophe Lagarde, à verrouiller l’expression.

En acceptant les oukases de Matignon ou de l’Élysée, c’est-à-dire de l’exécutif sourd aux voix de droite ou de gauche qui s’élèvent de cet hémicycle – car le sujet fait consensus –, vous êtes en train, pour user d’une expression triviale, de vous tirer une balle dans le pied.

Ne voyez-vous pas la France ? Ne voyez-vous pas le pays qui se détourne de son personnel politique ?

M. Jean-Pierre Gorges. C’est juste !

M. Noël Mamère. Regardez-nous ! Sommes-nous le reflet de la diversité sociale du pays ? Allons-nous continuer à nous protéger, à faire en sorte que la politique soit réservée à une classe sociale, à une élite que certains appellent oligarchie ? Allons-nous continuer à laisser peu à peu le personnel politique s’éloigner des citoyens ?

Certes, nous sommes un certain nombre à dénoncer cette situation. Nous n’avons pas attendu non pour pleurer mais pour protester contre ce système. Depuis plusieurs années, les écologistes proposent la VIe République, pour mettre fin à un régime dans lequel l’élection présidentielle est la clé de voûte de toutes les institutions et détermine toute la vie politique.

Nous sommes nombreux à avoir été présents lorsque le Premier ministre Lionel Jospin a proposé l’inversion du calendrier électoral.

M. Jean-Luc Laurent. Hélas ! Quelle erreur nous avons commise !

M. Noël Mamère. Nous nous y sommes opposés, sachant que l’élection présidentielle rend fous nombre d’hommes politiques, qui ne pensent qu’à elle le matin en se rasant.

Cette élection présidentielle, il fallait lui apporter une forme de moralité. Avec votre proposition de loi, vous ne faites que renforcer l’hégémonie des grands candidats.

Aujourd’hui, c’en est fini du système dominé par l’opposition de deux grands partis. Si Mme Le Pen, qui regarde du côté du Panama, ne peut pas nous expliquer qu’il y a l’UMPS, trois grands partis dominent actuellement, et ce n’est parce que nous connaissons ce tripartisme, pour parler comme les pédants, les sociologues ou les politologues, que nous devons accepter cette situation.

Il y a dans notre pays des électeurs qui ne veulent ni de l’hégémonie des grands partis ni de l’extrême droite, mais qui réclament de la citoyenneté et de la vitalité démocratique. Comme moi, ils refusent ces propositions de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où une large majorité de nos compatriotes considèrent que notre démocratie fonctionne mal, et jugent les institutions actuelles dépassées, vous soumettez à notre approbation quelques ajustements aux règles relatives à l’élection présidentielle, au nom, nous dit-on, d’un souci de transparence et de simplification.

Non seulement ces propositions de loi sont à cent lieues d’aborder la crise démocratique majeure que nous connaissons, marquée par une abstention croissante et une défiance accrue envers les élus, mais elles s’inscrivent dans la logique d’une Ve République à bout de souffle sur le plan démocratique. Plus que les modalités de l’élection présidentielle, c’est bien la Constitution de 1958 qui a besoin d’être revisitée.

Notre société a changé. Les accès aux connaissances se sont démocratisés et diversifiés. La citoyenneté s’exerce par différentes voies. Les enjeux se sont mondialisés. Pourtant, nos institutions et règles démocratiques n’ont pas bougé. Depuis près de soixante ans, elles n’ont évolué qu’à la marge. Il est temps de combler ce retard.

Les auteurs des propositions de loi ne manquaient pourtant pas de matière. Le rapport présenté par le groupe de travail sur l’avenir des institutions présidé par notre président Claude Bartolone et par le professeur Michel Winock contient de nombreuses propositions sur l’élection et la fonction présidentielles.

Dans une contribution à ce rapport, j’avais formulé le besoin d’aller vers une VIe République, avec la mise en place d’une assemblée constituante, des élections à la proportionnelle permettant la juste représentation des choix de nos concitoyens et une véritable parité femmes-hommes dans toutes les assemblées, une Constitution actant un Président de la République garant de l’unité nationale, aux côtés d’un exécutif et d’une Assemblée nationale en charge des choix politiques et de leur mise en œuvre.

Promouvoir une nouvelle République, cela veut dire redonner la parole aux Français et aux Françaises sur leurs institutions. Cette prise de parole serait source d’une confiance renouvelée en notre démocratie, ce qui est une urgence dans les moments difficiles que nous connaissons. Hélas, ce n’est pas à l’ordre du jour de notre assemblée !

Nous devons aujourd’hui nous prononcer sur deux propositions de loi qui, de fait, renforcent les dérives de la présidentialisation de la vie politique et installent un tripartisme figé comme seul scénario possible.

On nous propose, entre autres dispositions, de réduire le champ et le temps du débat politique, en substituant au principe d’égalité de temps de parole des candidats dans les médias, celui d’une équité fondée sur des sondages et sur le résultat des précédentes élections. Mais alors où sont la souveraineté populaire et la décision de faire évoluer les rapports de forces et de choisir démocratiquement de nouveaux représentants ?

Elle serait pour le moins tronquée si l’on attribue les temps de parole en fonction du résultat supposé ou attendu ! Et, ce n’est pas le rétablissement de l’égalité dans les quinze derniers jours, qui pourra effacer cette inégalité de traitement.

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde. Très juste !

Mme Marie-George Buffet. Qui peut penser que le débat sur les enjeux sociaux, économiques et démocratiques, sur la politique extérieure de la France et sur sa place dans le monde pourra se construire dans ce délai de quinze jours entre tous les candidats ?

Faut-il se résigner en France à une vie politique réduite à des castings suivis d’alternances sans rupture alors que nous avons besoin de pluralisme, d’un grand débat populaire ouvert aux idées innovantes pour dégager une alternative aux politiques à l’œuvre depuis des années et dont on voit aujourd’hui les résultats ?

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

M. Dominique Le Mèner. Il n’y a pas de résultats !

Mme Marie-George Buffet. L’argument de la simplification ne tient pas face à ce défi. Nos compatriotes sont aptes et prêts à mener ce débat. Ils l’ont montré à d’autres périodes, comme en 2005, lors du référendum sur le traité établissant une constitution pour l’Europe, et ils le montrent aujourd’hui avec la loi travail.

Chers collègues, les citoyens et citoyennes veulent disposer des outils pour comprendre, de toujours plus d’arguments contradictoires pour se forger leur propre opinion. La richesse de leurs pensées et de leurs aspirations ne peut être réduite au tripartisme ou aux alternances sans saveur. Notre démocratie ne souffre pas d’un trop grand nombre de candidats, mal contre lequel il faudrait lutter en filtrant les signatures et en limitant les temps de parole. Elle souffre d’un manque de débats contradictoires et innovants sur les choix politiques à opérer.

M. Jean-Luc Laurent. Bien sûr !

Mme Marie-George Buffet. Elle souffre de la confiscation des savoirs et des pouvoirs par trop peu d’individus. Voilà ce à quoi nous devrions nous attaquer pour faire vivre la démocratie et retrouver la ferveur républicaine de ses fondateurs.

Les députés du Front de gauche voteront donc une nouvelle fois résolument contre ces deux propositions de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Jean-Luc Laurent et M. Alain Tourret. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. René Dosière, dernier orateur inscrit.

M. René Dosière. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, l’élection du Président de la République au suffrage universel direct constitue la clé de voûte des institutions de la VRépublique, que l’on y adhère ou qu’on le regrette.

Après les élections présidentielles de 2007 et de 2012, les organismes de contrôle de cette élection ont formulé des recommandations sur ses modalités d’organisation. Tel est l’objet de cette proposition de loi organique élaborée sous la responsabilité de Jean-Jacques Urvoas lorsque ce dernier était président de la commission des lois.

Pour moderniser l’organisation de ce scrutin, pour éviter, à l’avenir, les contestations qui surgissent à l’occasion de chaque élection, bref, pour rendre incontestable l’organisation de cette élection, la présente proposition de loi reprend les recommandations formulées par le Conseil constitutionnel, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la Commission des sondages, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ou CNCCFP, chacun dans son domaine.

M. Jean-Claude Guibal. Et les Français, dans tout cela ?

M. René Dosière. Il est donc inexact, et même abusif de prétendre qu’il s’agit d’une manœuvre politicienne. Bien sûr, les améliorations concernant les parrainages et le traitement par les médias de cette élection suscitent l’opposition de ceux qui s’y présentent afin d’améliorer leur notoriété.

Mme Marie-George Buffet. C’est honteux de dire cela ! Il s’agit de défendre des idées aussi !

M. René Dosière. Une telle réaction est compréhensible, mais non recevable, car l’élection présidentielle a un objectif unique : élire le Président de la République.

M. Dominique Le Mèner. C’est la démocratie !

M. René Dosière. Au cours de la discussion, ce texte a été complété, en particulier par une disposition faisant obligation aux candidats de rendre publique la liste exhaustive et vérifiée par la CNCCFP des aides directes et indirectes accordées par les partis politiques qui leur apportent leur soutien.

Ce texte est complété par une proposition de loi ordinaire qui comporte deux dispositions innovantes. La première consiste à réduire à six mois la période de financement de toutes les élections, y compris les élections législatives, mais à l’exception de l’élection présidentielle. C’est une mesure de simplification qui permettra un meilleur contrôle de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. La seconde prévoit d’offrir la possibilité à cette commission de recruter des experts capables de vérifier l’exactitude des factures fournies par les candidats.

En nouvelle lecture, la commission des lois de l’Assemblée a ajouté un article relatif aux sondages électoraux, que les députés, sur demande du Gouvernement, ont supprimé en séance publique, et qui a été déposé à nouveau dans le cadre de cette lecture définitive sous la forme d’un amendement reprenant celui qui avait été voté au Sénat en nouvelle lecture.

Les dispositions relatives aux sondages ont fait l’objet d’un examen approfondi au Sénat sur l’initiative de nos collègues Sueur et Portelli, en particulier dans le cadre d’une proposition de loi adoptée à l’unanimité en janvier 2011 et d’un vote favorable de la commission des lois de notre assemblée en juin 2011. Hélas ! ce texte fort consensuel n’a pas été à l’ordre du jour de l’Assemblée depuis cette date. C’est pourquoi le Sénat, dans le cadre de cette proposition de loi, a voté à nouveau les seules dispositions qui rendent transparente et plus rigoureuse la réalisation de ces sondages, dispositions reprises dans un amendement déposé pour cette lecture définitive.

Préciser la marge d’erreur de chaque sondage, comme le texte le propose, c’est permettre à l’opinion de ne pas se laisser abuser par des pourcentages proches. Certains disent que ce sera compliqué à comprendre, mais la vérité n’est pas compliquée. En son temps, déjà, Charles Péguy proclamait la nécessité de « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste. »

Avec ce texte on saura de même qui finance le sondage, qui le commande. C’est un progrès significatif dont on doit se réjouir.

Soucieux de prendre en compte les observations formulées par le Gouvernement, et par vous-même, madame la secrétaire d’État, le Sénat, en nouvelle lecture, a amélioré la formulation de cet amendement. Dans ces conditions, je me réjouis que vous vous en remettiez à la sagesse de l’Assemblée en lecture définitive. Le groupe SRC, qui est favorable à cette disposition,…

M. Dominique Le Mèner. Il est le seul !

M. René Dosière. …la votera, car son intérêt n’échappe à personne, et elle complète utilement l’ensemble des dispositions figurant dans la loi organique.

L’ensemble de ces dispositions fait l’objet, bien entendu, d’un accord du groupe socialiste, qui les votera, parce qu’elles représentent un progrès démocratique.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture

(Modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle)

Mme la présidente. J’appelle maintenant, conformément à l’article 114, alinéa 3, du règlement, la proposition de loi organique dans le texte voté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Nous en venons au vote de la proposition de loi organique.

Je rappelle que l’adoption de ce texte en lecture définitive nécessite la majorité absolue des membres composant l’Assemblée, soit 287 voix.

Le scrutin est ouvert pour trente minutes dans les salles voisines de l’hémicycle. Il sera donc clos à dix-huit heures vingt.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 562

Nombre de suffrages exprimés 441

Majorité absolue 287

Pour l’adoption 299

Contre 142

(La proposition de loi organique est adoptée.)

Texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture

(Modernisation de diverses règles applicables aux élections)

Mme la présidente. J’appelle maintenant, conformément à l’article 114, alinéa 3, du règlement, la proposition de loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections dans le texte voté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

M. René Dosière. Cet amendement vise à rétablir l’article 2 ter qui comporte des dispositions relatives à la transparence des sondages électoraux qui ont été initialement adoptées à l’unanimité par le Sénat en février 2011 puis par la commission des lois de l’Assemblée en juin 2011. Lors de la discussion de la présente proposition de loi en nouvelle lecture, le Sénat les a réintroduites et elles ont été largement approuvées par la commission des lois de l’Assemblée nationale le 23 mars. Toutefois, le Gouvernement en a obtenu la suppression en séance publique.

Prenant en compte les remarques que vous avez formulées lors de la discussion au Sénat, madame la secrétaire d’État, nos collègues sénateurs, en particulier Jean-Pierre Sueur et Hugues Portelli, ont à nouveau adopté à l’unanimité, lors de la lecture définitive, ces dispositions visant à assurer la transparence des sondages ainsi qu’à améliorer la rigueur scientifique de leur réalisation, ce qui mettra un terme aux trop fréquentes manipulations que nous avons connues. Si cet amendement ne compte qu’un seul signataire pour des raisons de procédure, il exprime en fait le souhait de la majorité des députés du groupe SRC qui l’a adopté en seconde lecture.

Mme la présidente. Sur l’ensemble de la proposition de loi, je suis saisie par le groupe socialiste, républicain et citoyen d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Elisabeth Pochon, rapporteure. Cet amendement tend à réintroduire dans la proposition de loi ordinaire les dispositions relatives aux sondages que le Sénat a insérées en première lecture. Lors de la nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a considéré sur proposition du Gouvernement que ces mesures intéressantes méritent un examen plus approfondi. Elles ont donc été supprimées de la proposition de loi. Elles sont à nouveau discutées au cours de cette lecture définitive. À titre personnel, je m’en remets à la sagesse de notre assemblée.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Je réponds au député Dosière que le Gouvernement a bien noté les améliorations apportées au dispositif par les sénateurs. Comme je l’ai indiqué lors de mon propos liminaire, le Gouvernement souhaite que l’Assemblée fasse comme elle l’entend sur ce point et émet donc un avis de sagesse.

(L’amendement n1 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants271
Nombre de suffrages exprimés238
Majorité absolue120
Pour l’adoption178
contre60

(La proposition de loi est adoptée.)

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Déontologie, droits et obligations des fonctionnaires

Commission mixte paritaire

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires (n3604).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure de la commission mixte paritaire.

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, ce texte est le premier de notre législature, et sans doute le seul, pleinement consacré aux fonctionnaires, à ceux qui forment le corps de la République. Il précise leurs obligations déontologiques, ainsi que de nombreux droits et obligations, afin de moderniser le statut, né avec la loi « Le Pors », du 13 juillet 1983.

Ce projet de loi d’ampleur était particulièrement attendu par les acteurs de la fonction publique : les agents, mais aussi les organisations syndicales, les employeurs publics et les organismes associés. Consciente que notre travail collectif marquera pour plusieurs années la fonction publique, j’aborde donc, avec vous, cette dernière étape législative du projet de loi.

Déposé par le Gouvernement il y a près de trois ans, le texte a finalement été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale au mois de juin 2015, à la suite d’une lettre rectificative visant à en réduire l’ampleur.

M. Guy Geoffroy. Qu’il a retrouvée depuis !

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Après de nombreuses auditions menées en 2014 et en 2015, lors de l’examen du texte en première lecture, aussi bien en commission qu’en séance, nous avons fourni un travail conséquent en complétant le projet de loi par de nouvelles mesures et surtout en rétablissant de nombreuses dispositions qui, entre le projet initial et la lettre rectificative, devaient faire l’objet d’ordonnances.

L’Assemblée a choisi d’exercer pleinement ses prérogatives : 56 articles additionnels, contenant de nombreuses mesures de progrès pour la fonction publique, ont été adoptés lors de la première lecture.

La commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 29 mars, est parvenue à un accord équilibré : les avancées les plus importantes ont été préservées et les points les plus sensibles ont été retirés d’un commun accord, ou retravaillés conjointement. Sur 80 articles adoptés par l’Assemblée nationale, 21 ont été adoptés conformes par le Sénat. Le Sénat a adopté 22 articles additionnels et a supprimé 7 articles adoptés par l’Assemblée, si bien qu’à l’issue du vote du Sénat, il restait 81 articles en discussion.

Nous sommes très vite tombés d’accord sur de nombreux points : définition dans la loi des principes structurants devant accompagner l’action des agents publics, mécanismes de prévention des conflits d’intérêts, lanceurs d’alerte, renforcement du contrôle des départs des fonctionnaires vers le privé, protection fonctionnelle, généralisation des référents déontologues, amélioration de la situation des agents non titulaires, amélioration des modalités d’exercice des mandats syndicaux, mise en place d’un délai de prescription en matière disciplinaire, égalité entre les femmes et les hommes, prise en compte de la notion de centre des intérêts matériels et moraux, ou encore déclinaison des mesures du projet de loi aux militaires.

Chacun a fait des concessions ; nous pensons qu’elles sont nécessaires pour parvenir à moderniser le statut des fonctionnaires. Parmi celles faites par l’Assemblée nationale, je pense à la composition des collèges de déontologie des juridictions administratives et financières et à l’introduction d’un mécanisme de dégressivité de la rémunération des agents momentanément privés d’emploi.

Pour le Sénat, les principales concessions ont porté sur la suppression de l’obligation de réserve des fonctionnaires dans la loi – déjà consacrée par la jurisprudence, qui l’apprécie au cas par cas –, la restriction des possibilités de cumul d’activités pour les fonctionnaires entrepreneurs, la suppression des dispositions entravant l’exercice des prérogatives de contrôle de la haute autorité pour la transparence de la vie publique, la suppression de l’intégration, en 2019, de la commission de déontologie de la fonction publique au sein de la haute autorité pour la transparence de la vie publique, le retour à 2018 de la prolongation du dispositif « Sauvadet », la suppression de la disposition revenant sur la dérogation aux 35 heures dans les collectivités territoriales – dans l’attente de la remise du rapport de Philippe Laurent sur le temps de travail dans les collectivités.

Les sénateurs ont accepté également de maintenir la notion de prime d’intéressement en raison de « résultats collectifs » plutôt que de « performance collective », de supprimer les trois jours de carence dans la fonction publique …

M. Jacques Alain Bénisti, rapporteur. Quel dommage !

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. … et même un seul jour de carence, et de supprimer la disposition qui prévoyait une modulation de la part de la prime d’intéressement collectif perçue par chaque fonctionnaire du service en fonction de son engagement professionnel et de sa manière de servir.

Par ailleurs, certaines dispositions pour lesquelles on pouvait prévoir des difficultés d’application ont été retirées du texte, d’un commun accord. Il s’agit, en particulier, de l’harmonisation du régime des sanctions disciplinaires, de la suppression du juge administratif dans les conseils de discipline de premier niveau dans la fonction publique territoriale ainsi que de l’interdiction du recours au travail intérimaire dans la fonction publique d’État et la fonction publique territoriale : le choix a été fait de s’en tenir au droit actuel.

Il en va de même pour plusieurs points, introduits au Sénat à l’initiative du Gouvernement, et qui n’ont pas été examinés par l’Assemblée nationale. Ils supposent un débat complet, que ne permettait plus l’étape de la CMP. Je pense particulièrement à la disposition prévue à l’article 27, permettant de prolonger les fonctions des fonctionnaires occupant un des emplois visés à article 13 de la Constitution.

Enfin, plusieurs points ont fait l’objet d’un travail commun, afin d’aboutir à un équilibre prenant en compte les préoccupations légitimes des députés et des sénateurs. Ainsi, les déclarations d’intérêts seront bien versées au dossier, moyennant l’introduction de garanties assurant leur confidentialité. Des mécanismes de déport devant les juridictions administratives sont prévus, afin d’éviter les situations de conflit d’intérêts. L’instauration de comités de sélection pour le recrutement en CDD des agents de catégorie C, souhaitée par le Gouvernement, reste facultative, selon le choix du Sénat, afin de ne pas créer de nouvelles charges pour les collectivités territoriales et d’éviter de rigidifier les procédures. Je pense aussi aux recrutements sur titres dans la fonction publique territoriale pour les filières sociale, médico-sociale et médico-technique, qui comportent des métiers en tension : à ma demande, cette procédure sera bien ouverte, mais elle devra obligatoirement comporter un entretien.

Enfin, s’agissant des missions des centres de gestion, la CMP a décidé, suivant une proposition de Mme Gourault, que la compétence des centres de gestion pour gérer administrativement les comptes épargne temps et tenir le dossier individuel de chaque agent de la fonction publique territoriale resterait facultative. Rendre cette mission obligatoire aurait sans doute entraîné des charges trop lourdes pour certains centres de gestion, incapables d’y faire face. En revanche, grâce à une proposition de rédaction commune des rapporteurs, les centres de gestion pourront assurer des missions d’archivage, de numérisation, de conseil en organisation et de conseil juridique, à la demande des collectivités et de leurs établissements. Cela constitue une extension de leurs missions ou une sécurisation juridique de ces missions.

Le projet de loi issu de la commission mixte paritaire reste donc bien un texte de confiance envers les fonctionnaires, grâce aux travaux de la représentation nationale, marqués par la sérénité et le sérieux, loin des clichés et des stratégies politiciennes qui ont trop souvent visé ces dernières années les fonctionnaires, et qui ne reflétaient en rien la qualité de notre fonction publique ainsi que le dévouement au service de l’intérêt général des femmes et des hommes qui la composent.

Par ce texte, le Parlement réaffirme les principes fondamentaux d’organisation de notre fonction publique : une fonction publique de carrière qui, grâce au statut et à l’indépendance qu’il permet vis-à-vis du politique, est d’abord au service de l’intérêt général et de nos concitoyens.

Alors que de nouvelles échéances importantes approchent et que notre pays devra trancher plusieurs grandes questions regardant son avenir, il est essentiel que les Français aient conscience de la qualité de leur fonction publique. Elle est présente chaque jour, à chaque étape de leur vie, depuis la naissance jusqu’aux derniers instants. Ce sont aussi notre éducation, notre quotidien, notre sécurité, notre santé qui sont en jeu. Loin de ne concerner que les fonctionnaires, ce projet de loi intéresse chacun d’entre nous.

Je souhaite que les mois à venir ne soient pas l’occasion d’une instrumentalisation de la question de la fonction publique à des fins électorales. Les fonctionnaires, premiers serviteurs de la République, et nos concitoyens, qui dépendent d’eux pour tant d’aspects de leur vie quotidienne, méritent mieux. Tout au long du travail parlementaire, nous avons tenté de nous placer dans cette exigence éthique.

Je tiens à remercier tout particulièrement Alain Vasselle, rapporteur du texte au Sénat, pour sa disponibilité et son écoute. Lui aussi a contribué au succès de cette commission mixte paritaire. Je remercie bien sûr les administrateurs de l’Assemblée nationale, qui m’ont accompagnée dans ce travail pendant deux ans et demi. Je vous remercie, madame la ministre, pour notre coopération courte mais fructueuse et décisive. Vous me permettrez de saluer votre prédécesseure, Marylise Lebranchu, avec qui j’ai régulièrement et longuement échangé sur la fonction publique en général, et sur ce projet de loi en particulier.

Nous avons tous intérêt à voter en faveur du texte issu des travaux de notre commission mixte paritaire ; il comporte, j’en suis convaincue, de nombreuses avancées pour notre fonction publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de la fonction publique.

Mme Annick Girardin, ministre de la fonction publique. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, nous examinons ce soir un texte important : le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. Il constitue la pierre angulaire de l’édifice qu’entend bâtir le Gouvernement en matière de droit de la fonction publique.

C’est un projet de loi ambitieux qui vise à renforcer les valeurs que doivent incarner les agents publics – qui sont au service de leurs concitoyens –, tout en leur reconnaissant de nouveaux droits. Je me félicite que les deux assemblées soient parvenues à un accord sur ce texte. À l’issue d’un travail de concertation de longue haleine, elles se sont accordées, grâce à la commission mixte paritaire réunie la semaine dernière.

Comme vous l’avez fait, madame la rapporteure, permettez-moi tout d’abord de rappeler le travail accompli sur ce texte par ma prédécesseur Marylise Lebranchu ici présente. Il illustre parfaitement son engagement sans faille au service de la fonction publique.

Je remercie aussi tout particulièrement Françoise Descamps-Crosnier. Quoique je n’aie travaillé que peu de temps avec elle, j’ai constaté qu’en tant que rapporteure, elle avait su se saisir pleinement de ce texte et l’améliorer en faveur des fonctionnaires, qui œuvrent jour après jour au bien commun. Je tiens également à remercier et à saluer Philippe Bas et Dominique Raimbourg, respectivement président et vice-président de la commission mixte paritaire, ainsi que le rapporteur du Sénat, Alain Vasselle, car ils ont réussi à préserver l’esprit initial de ce texte.

Ce texte arrive donc à bon port à un moment tout à fait opportun. Il vise en effet à actualiser et à renforcer les droits et les obligations des fonctionnaires, qui n’avaient plus été abordés de façon globale depuis trente ans, depuis quatre grandes lois – l’une de 1983, deux de 1984, et la dernière de 1986. Dans notre esprit, ce texte s’inscrit dans la continuité de ces textes fondateurs, tout en les modernisant, en les adaptant aux attentes de la société, notamment en matière de transparence et d’exemplarité.

Ce projet de loi témoigne également du profond attachement du Gouvernement au statut de la fonction publique, à l’unicité de ses principes fondateurs et à la spécificité de ses trois versants. Ces droits et obligations sont fondamentaux, ils sont la substance même du statut du fonctionnaire.

Grâce aux travaux de la commission mixte paritaire, le texte qui vous est soumis s’efforce de trouver le juste équilibre entre les droits et les devoirs des fonctionnaires. Au-delà des discours sur l’exemplarité des agents, l’ambition du Gouvernement est de redonner du sens à leur mission. Du sens à leur mission, du sens à leur devoir, mais aussi et surtout du sens à leur engagement au service de la République. Il s’agit de retrouver le sens de cet engagement : c’est de cela qu’il est question aujourd’hui.

En octroyant de nouvelles libertés aux fonctionnaires, le Gouvernement fait un pas décisif vers la modernisation de la fonction publique : nous voulons une fonction publique en prise avec les enjeux de son époque, et qui responsabilise ses agents. En définitive, la fonction publique doit être à l’image de la société qu’elle sert, sans rien céder sur ses valeurs, qu’elle défend pour tous les Français.

Ce texte est ambitieux, je l’ai dit ; il est aussi juste, car il répond à une véritable attente des agents comme des citoyens. Il clarifiera les principes qui guident l’action publique au jour le jour : c’est nécessaire, et je m’en réjouis. Pour la première fois, ces principes seront inscrits dans la loi : dignité, impartialité, intégrité, probité et neutralité. S’y ajoute un principe auquel je suis particulièrement attachée, comme vous tous : la laïcité, dont la portée est ici précisément définie. Le fonctionnaire doit s’abstenir de manifester ses opinions religieuses dans l’exercice de ses fonctions, mais aussi respecter la liberté de conscience et assurer l’égalité de traitement des usagers qu’il sert.

Ce texte s’adresse à l’ensemble des agents publics, dans une logique de cohérence mais aussi de cohésion. L’introduction, dans le statut général des fonctionnaires, de dispositions visant à protéger les lanceurs d’alerte va dans ce sens. C’était l’un des points sur lesquels l’Assemblée nationale avait, à raison, insisté au cours des débats parlementaires. Un fonctionnaire qui dénonce de bonne foi les dysfonctionnements dont il est témoin sera ainsi protégé.

J’ajoute que ce projet de loi prolonge et parachève la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, car il instaure, dans le même esprit, de nouvelles obligations déontologiques, auxquelles seront soumis l’ensemble des agents publics, civils et militaires. Il renforce notablement les pouvoirs de la commission de déontologie, qui devient ainsi une sorte de vigie déontologique pour notre fonction publique. Il assure en outre – il le fallait – une bonne articulation entre la Commission de déontologie de la fonction publique et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, pour les agents publics qui en relèvent également au titre de leurs fonctions. Le texte instaure également un référent déontologue chargé d’accompagner la démarche déontologique, tout en préservant le rôle du chef de service quant au respect de la loi.

En plus des obligations déontologiques, cette loi propose des mesures fortes pour améliorer la situation des contractuels et favoriser leur accès à un contrat à durée indéterminée ou à la titularisation ; pour mieux organiser la mobilité des fonctionnaires qui souhaitent rejoindre le territoire ultramarin où ils ont leurs attaches, le centre de leurs intérêts ; et pour donner aux fonctionnaires les mêmes droits qu’aux salariés en matière de congés pour maternité, pour adoption ou pour paternité.

Ce texte prévoit également la prescription de l’action disciplinaire : aucune procédure disciplinaire ne pourra être engagée « au-delà d’un délai de trois ans à compter du jour où l’administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits passibles de sanction », ce délai étant interrompu en cas de poursuites pénales. Je rends hommage à la commission mixte paritaire, qui est parvenue à une rédaction dessinant avec la plus grande clarté les contours de ce nouveau droit. Cet article instaure ainsi une liberté fondamentale pour les fonctionnaires, tout en préservant les intérêts du service public lorsqu’un agent a failli.

Autre avancée : les droits des agents et de leurs familles sont élargis par le renforcement de la protection fonctionnelle. Les agents publics sont régulièrement la cible de violences verbales et physiques : il est indispensable de leur apporter un soutien inconditionnel. Je reviens tout juste d’un déplacement à Berlin, où j’ai eu le plaisir d’échanger avec mon homologue allemand, Thomas de Maizière, à l’occasion d’une conférence sur la violence à l’encontre des fonctionnaires. Nous constatons, dans nos deux pays, une hausse des violences à l’encontre des agents publics. En France, selon une étude menée en 2012 et 2013, 43 % des agents publics se disent victimes de violences verbales ou physiques. Ce texte contribue donc à répondre à cette situation. Nous nous sommes engagés, avec mon homologue allemand, à aller plus loin, dans le cadre d’un travail bilatéral.

Enfin, ce projet de loi renforcera la parité. La commission de déontologie de la fonction publique sera paritaire ; en outre, les listes de candidats aux élections professionnelles seront composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part de femmes et d’hommes inscrits sur les listes électorales.

Voilà les grandes lignes de ce texte de compromis, un texte juste et équilibré, qui rappelle constamment que de nouveaux droits supposent de nouveaux devoirs. J’en profite pour saluer, une fois encore, Mme la rapporteure, qui a joué un rôle déterminant pour que les deux chambres trouvent un accord. Son sens du dialogue, sa détermination et sa capacité d’écoute ont été des atouts précieux dans l’élaboration de ce texte.

Enfin, je profite de cette occasion pour vous rappeler les marques de confiance que le Gouvernement a déjà données aux agents de la fonction publique. En témoigne la revalorisation des salaires des catégories C, c’est-à-dire les plus bas salaires de la fonction publique, en février 2014 et en janvier 2015. Nous mettons à présent en œuvre le protocole sur les carrières et les rémunérations – appelé PPCR : parcours professionnels, carrières et rémunérations. La loi de finances pour 2016 en a posé les grands principes ; cela nous conduit à modifier plus de 500 textes d’ici la fin de l’année, comme s’y est engagé le Gouvernement. Les textes relatifs aux catégories B et aux catégories A des filières sociales et paramédicales seront publiés dans les prochains jours.

Enfin, je vous rappelle que le Gouvernement a décidé de revaloriser le point d’indice de la fonction publique, qui était gelé depuis juillet 2010. Il augmentera de 0,6 % au 1er juillet 2016 et de 0,6 % au 1er février 2017, ce qui représente une hausse de 1,2 % en année pleine. Toutes ces mesures marquent notre reconnaissance envers le travail des agents publics. Elles marquent l’intérêt que nous portons tous – je n’en doute pas – au service public et à ses agents.

Dans la continuité de ces dispositions, permettez-moi de tracer quelques perspectives pour la fonction publique de demain. Dans les mois qui viennent, j’entends travailler à la construction collective de la fonction publique à l’horizon 2025. C’est une gageure, mais qui témoigne de la volonté du Gouvernement d’anticiper les mutations qui feront la France de demain : vieillissement de la population, développement du numérique, transition écologique, protection des agents publics. Il nous faut relever, tous ensemble, ces défis, et pour cela, nous devons penser un cadre nouveau.

Pour cela, j’explorerai trois pistes de réflexion. Premièrement, la réaffirmation de la laïcité comme condition d’un vivre-ensemble apaisé – ce qui fait écho aux dispositions du présent projet de loi que j’ai évoquées. Deuxièmement, l’innovation, qui doit permettre à la fonction publique de mieux s’adapter à l’évolution des attentes de nos concitoyens, et au monde qui se dessine devant nous. Troisièmement et pour finir, l’engagement des jeunes au service de l’État, qui constitue, à mes yeux, une nécessité vu la difficulté du contexte actuel.

Pour cela, nous aurons besoin d’une fonction publique qui se modernise et s’adapte en permanence ; d’une fonction publique ouverte à la diversité des talents de notre pays ; d’une fonction publique exemplaire dans la gestion de ses ressources humaines et dans le comportement de ses agents ; enfin, d’une fonction publique transparente. C’est le sens de ce projet de loi, qui témoigne de mon engagement au service de la fonction publique, de ses agents, et des citoyens qu’ils servent chaque jour. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Gomes.

M. Philippe Gomes. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, ce projet de loi nous donne l’occasion d’évoquer les droits et obligations des quelque 5,6 millions de fonctionnaires et agents publics que compte notre pays.

La spécificité de la fonction publique française tient au fait que l’accomplissement de missions d’intérêt général n’est pas une activité professionnelle comme les autres. Nos agents doivent donc être exemplaires et respecter la déontologie. À cet égard, les objectifs de ce projet de loi sont louables : il s’agit de réaffirmer l’unité du statut général autour des valeurs fondamentales de la fonction publique, de renforcer les outils déontologiques et la cohérence du dispositif de prévention des conflits d’intérêts, mais également d’assurer l’exemplarité des employeurs publics.

Pour autant, ce texte n’est pas, comme on nous l’a trop souvent présenté, une grande rénovation du statut général de la fonction publique depuis la loi du 13 juillet 1983. Je rappelle que beaucoup d’autres réformes ont été menées depuis trente ans. Je pense notamment à celle qui a bien sûr pour le groupe UDI une valeur particulière, la loi Sauvadet, qui a permis de limiter les situations de précarité dans les trois fonctions publiques.

M. Guy Geoffroy. Tout à fait !

M. Philippe Gomes. S’agissant de ce projet de loi, en premier lieu, même si à titre personnel j’y suis favorable, on peut s’interroger sur la réelle nécessité d’inscrire au niveau législatif les obligations de dignité, d’impartialité et de probité ainsi que les principes de neutralité et de laïcité, déjà garantis par la jurisprudence. La cohérence eût dû conduire, comme l’avait d’ailleurs proposé le Sénat, à faire figurer le devoir de réserve aux côtés de ces principes.

En deuxième lieu, le projet de loi s’intéresse à la prévention et au traitement des conflits d’intérêts. Dans un souci de parallélisme avec les lois sur la transparence de la vie publique, le contenu des déclarations a été précisé et une incrimination a été prévue en cas de fausse déclaration. Notre commission des lois a également proposé de doter la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de moyens de contrôle suffisants. En outre, nous approuvons, dans un souci de rationalisation, le choix de confier à la Haute Autorité le soin d’apprécier les déclarations d’intérêts quand l’autorité hiérarchique n’est pas en mesure de le faire.

En revanche, des défauts subsistent : le projet de loi est très imprécis sur le périmètre des agents concernés par ces mesures, et la question des moyens n’est pas vraiment réglée, alors que les compétences de la Haute Autorité et de la commission de déontologie de la fonction publique vont être élargies. Quant au cumul d’activités, ne risquons-nous pas de déstabiliser le cadre juridique qui s’applique aujourd’hui à des pratiques parfaitement acceptables du point de vue de la déontologie ?

De plus, nous regrettons que l’instauration de trois jours de carence dans la fonction publique, à l’initiative du Sénat, n’ait pas été conservée dans le texte – mais cela ne nous surprend pas.

Néanmoins, nous sommes favorables à la modernisation, opérée par ce texte, des droits et obligations des fonctionnaires et de leurs garanties disciplinaires, ainsi qu’à l’amélioration de la situation des agents non titulaires. Je salue, à ce titre, la prolongation du plan de titularisation dit « Sauvadet » jusqu’au 12 mars 2020. En effet, un bilan d’étape établi par le ministère de la décentralisation et de la fonction publique, en date du 16 juillet 2015, a démontré l’utilité du dispositif à la fois au sein de la fonction publique territoriale – où 19 000 titularisations ont déjà été effectuées en 2013 et en 2014 pour un total de 42 800 contractuels éligibles –, et plus modestement dans la fonction publique de l’État – où seuls 13 300 contractuels ont été titularisés malgré 23 800 postes ouverts pendant ce même laps de temps. Mais, en tout état de cause, le dispositif a démontré sa pertinence et qu’il soit reconduit jusqu’en 2020 est à mon sens une bonne chose pour lutter contre la précarité dans nos fonctions publiques.

Par ailleurs, je tiens à saluer personnellement, et même chaleureusement, l’extension à la Nouvelle-Calédonie de l’application des dispositions relatives à la mobilité des fonctionnaires tirant leur source de l’article 10 modifié de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État. Cette extension va ouvrir le droit aux fonctionnaires d’État issus de l’ensemble des outre-mer d’envisager une mobilité plus juste prenant en compte autant leur situation personnelle que leurs liens à ces territoires, ce qui, chacun le sait, ne sera pas une mauvaise chose.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, ce projet de loi comporte à nos yeux un certain nombre d’avancées, que j’ai saluées, mais également un certain nombre d’insuffisances, que j’ai notées. En conséquence, le groupe UDI s’abstiendra comme en première lecture.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Charasse.

M. Gérard Charasse. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour l’examen du texte relatif à la déontologie, aux droits et obligations des fonctionnaires, tel qu’issu de l’accord réalisé en commission mixte paritaire mardi dernier. Comme je l’avais dit en première lecture, ce texte de redéfinition et de valorisation des droits et obligations des fonctionnaires n’est pas récent. Une première version, déposée en juillet 2013 sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et défendue par Marylise Lebranchu, portait sur les règles déontologiques et statutaires des fonctionnaires de toutes les catégories dans les trois branches. Le texte a ensuite été amputé d’une partie de ses dispositions, via la lettre rectificative déposée en juin 2015 par le Premier ministre, se limitant en grande partie aux seules dispositions relatives à la déontologie des fonctionnaires. Le relèvement du point d’indice des fonctionnaires de 1,2 % en deux étapes, soit une augmentation de 0,6 % au 1er juillet 2016 et de 0,6 % au 1er février 2017 rendait le contexte tout à fait propice à l’examen du présent projet de loi. Je ne doute pas que les sénateurs suivront leurs mandataires au sein de la CMP et adopteront, eux aussi, celui qui leur est ici proposé.

J’exprime le soutien du groupe RRDP au Gouvernement, plus particulièrement à Mme la ministre de la fonction publique Annick Girardin, pour son engagement et pour cette annonce du relèvement du point d’indice qui permettra de revaloriser le traitement et le statut des fonctionnaires, et ce d’autant plus dans le contexte actuel d’une contrainte budgétaire forte. La fonction publique « doit rester l’un des piliers de notre République et un repère pour les Français », selon ses propres mots devant le Conseil commun de la fonction publique. En effet, elle doit être irréprochable et porter haut les valeurs qui fondent la spécificité des agents publics : impartialité, réserve, intégrité, probité, neutralité, respect du principe de laïcité. À ce titre, en accord avec les valeurs et les convictions du respect de la laïcité et des opinions de chacun, chères au parti politique auquel j’appartiens et que nous partageons, madame la ministre, nous aurions souhaité que le devoir de réserve pour chaque agent public fût introduit dans la liste des obligations des fonctionnaires, prévue à l’article 1er du projet de loi.

Je tiens à saluer le travail de Mme la rapporteure, qui est parvenue à l’élaboration d’un texte de compromis avec les sénateurs – ce qui n’était pas simple.

Premier point d’accroche : les sénateurs avaient souhaité introduire trois jours de carence dans les trois fonctions publiques en cas d’arrêt maladie. Si nous pensons que la différence de traitement entre agents publics et salariés du privé ne se justifie plus quant aux jours de carence, nous comprenons que réinstaurer ce dispositif dans un texte qui concerne davantage la déontologie des fonctionnaires que leur statut n’était pas souhaitable.

En outre, nous nous étions interrogés sur la pertinence de maintenir deux instances chargées de fonctions similaires en matière de déontologie des fonctionnaires. Le Sénat avait souhaité intégrer la commission de déontologie de la fonction publique au sein de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ; notre groupe n’ y était pas opposé, mais le Gouvernement et la majorité des députés n’y étant pas favorables, ce dispositif a été supprimé du texte examiné aujourd’hui.

Dernier point d’accroche : nous n’étions pas satisfaits par la disposition sénatoriale qui prévoyait le maintien de l’intérim dans les trois versants de la fonction publique alors que l’Assemblée nationale, en première lecture, l’avait interdit pour les fonctions publiques territoriale et de l’État, car il ne permet pas l’obtention d’une profession pérenne et n’est pas adapté au secteur public. De surcroît, les sénateurs avaient limité la prolongation du plan de titularisation jusqu’en 2018, et non plus jusqu’en 2020. Ces deux dispositions risquaient d’ajouter encore plus de précarité pour les agents, ce qui n’est pas acceptable.

Mais nous sommes satisfaits de la suppression de la possibilité, introduite par les sénateurs, d’appliquer une durée légale de travail inférieure à 35 heures hebdomadaires pour les agents des collectivités territoriales : en effet, des possibilités de travail à temps partiel existant déjà, cette disposition n’aurait eu pour conséquence qu’un renforcement de la précarité des agents publics, notamment ceux de catégorie C.

Enfin, et en accord avec les députés, les sénateurs sont revenus sur l’harmonisation du régime des sanctions disciplinaires et sur la suppression du juge administratif dans les conseils de discipline de premier niveau dans la fonction publique territoriale.

C’est pourquoi, madame la ministre, vous l’aurez compris, le groupe RRDP votera ce projet de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, à l’heure d’examiner ce projet de loi pour une ultime lecture dans l’hémicycle, l’on ne pourra que se montrer étonné par son cheminement : comme il a été rappelé, il a été déposé sur le bureau de notre Assemblée en juillet 2013, et il est heureux qu’il ne se soit pas perdu en chemin… Il a été redéposé cet été par lettre rectificative, l’urgence étant déclarée. Nous avons dû étudier ce texte dans des conditions rapides en septembre. Pourtant, malgré cette urgence, ce n’est que le 29 mars, soit deux mois après l’adoption du texte au Sénat et six mois après la déclaration d’urgence, que la commission mixte paritaire s’est réunie. Convenons que ce n’est pas très commode comme mode d’examen, même si le Parlement et les rapporteurs ont travaillé au mieux pour éviter un recours abusif aux ordonnances.

Ce texte était initialement présenté comme le pendant du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique. Il serait néanmoins réducteur de ne le considérer que comme tel, tant certaines de ses dispositions vont bien au-delà de la déontologie des fonctionnaires.

Alors qu’à intervalles réguliers, le statut des fonctionnaires et de leurs supposés privilèges est remis en cause par des déclarations souvent à l’emporte-pièce, il nous incombe de souligner l’importance de leur rôle dans le maintien d’un service public de qualité. Ici réside d’ailleurs un paradoxe de notre époque, car l’opprobre est jeté sur celles et ceux dont on voudrait pourtant voir le rôle ne pas se déliter, notamment en milieu rural, là où le sentiment d’abandon du service public s’exprime le plus. Il en va de même en ce qui concerne les fonctionnaires de police, des hôpitaux, de la sécurité civile et militaire, dont nous avons loué l’engagement après les attentats qu’a subis notre pays, comme l’a rappelé le Premier ministre la semaine dernière. La revalorisation du point d’indice des fonctionnaires vient d’ailleurs récompenser et réaffirmer la force de leurs engagements au service de la collectivité.

Le groupe écologiste estime donc que ce projet de loi va globalement dans le bon sens : en plus des efforts en matière de déontologie dont ne pourront se dispenser de nombreux fonctionnaires, il propose diverses mesures pour améliorer le statut des agents de la fonction publique et clarifier leurs obligations, ainsi que favoriser la titularisation, dans le prolongement de la loi Sauvadet. Il étend également la protection fonctionnelle à tous les agents faisant l’objet de condamnations civiles ou de poursuites pénales en relation avec l’exercice de leurs fonctions, ainsi qu’à leurs familles. De grands principes censés régir le statut des fonctionnaires sont également consacrés dans la loi : ainsi, le principe de laïcité est affirmé, de même que la lutte contre les conflits d’intérêts, lesquels impliquent que l’intéressé doit immédiatement mettre fin à cette situation. Toutes ces mesures sont les bienvenues.

En première lecture, nous avions attiré fortement l’attention sur le statut des lanceurs d’alerte pour les fonctionnaires qui auraient connaissance d’un conflit d’intérêts. Nous estimons toujours que les différences entre leur statut et celui des autres lanceurs d’alerte auraient dû être clarifiées ; il était nécessaire d’apporter plus de cohérence, car une véritable insécurité juridique est créée par ce texte. Celui-ci marque même un recul par rapport aux dispositions que nous avions adoptées dans la loi de lutte contre la fraude. Ces lanceurs d’alerte ne seront plus protégés en cas d’alerte par une association agréée ou auprès d’un média s’ils révèlent un crime ou un délit. Ce recul est regrettable.

Nous avions également abordé la question d’un meilleur partage des tâches entre la commission de déontologie et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Certains fonctionnaires devront envoyer une déclaration d’intérêts à l’une et une déclaration de patrimoine à l’autre : cela demeure pour nous assez incohérent. Nous regrettons que ce problème n’ait pas pu être résolu en commission mixte paritaire. Mais le texte qui en est issu a été renforcé dans son volet droit des fonctionnaires, ce que nous saluons. Nous regrettons néanmoins que l’intérim soit maintenu dans les trois versants de la fonction publique alors que notre rapporteure proposait de les supprimer dans la fonction publique territoriale et dans la fonction publique de l’État pour lutter contre la précarité.

Par ailleurs, nous aurions aimé adjoindre au texte une disposition visant à permettre le don de congés payés aux contractuels et aux fonctionnaires dont les conjoints sont gravement malades. En effet, de tels cas ont été rapportés, auxquels la loi n’apporte pour le moment pas de réponse.

Au final, mes chers collègues, nous allons faire doublement œuvre utile pour les fonctionnaires avec ce texte, en renforçant leurs droits et en permettant de lever davantage une certaine suspicion qui les entoure, tout en renforçant leurs obligations et leurs devoirs déontologiques. C’est la raison pour laquelle nous voterons en faveur de ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Gaby Charroux.

M. Gaby Charroux. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le texte résultant de l’accord adopté en commission mixte paritaire par nos deux assemblées. L’un des points de divergence majeure portait sur l’inscription, dans l’article 1er, du devoir de réserve au nombre des obligations des fonctionnaires. Nous nous réjouissons, comme l’ensemble des organisations syndicales, de la suppression de la proposition introduite au Sénat tendant à consacrer l’obligation de réserve dans la loi. En effet, celle-ci apparaissait à la fois inutile et dangereuse.

Inutile, puisque le statut général comporte déjà les obligations de secret professionnel et de discrétion professionnelle. Ce devoir de réserve découle en outre implicitement des obligations de neutralité ou de laïcité qui figurent dans le texte. Surtout, il existe une jurisprudence abondante et constante en la matière, qui permet d’apprécier, au cas par cas, le respect de l’obligation de réserve en fonction de la nature des responsabilités de l’agent, de son rang, de sa hiérarchie, des circonstances, du ton et du cadre dans lequel les propos sont tenus.

Dangereuse, ensuite, puisque reconnaître une portée générale à cette obligation risquait de porter atteinte à la liberté d’expression et d’opinion des fonctionnaires. Inscrite dans la loi, cette obligation se serait imposée de manière indifférenciée et absolue à l’ensemble des fonctionnaires et aurait pu entraver la liberté syndicale.

Sur l’ensemble de l’article 1er, nous avons exprimé en première lecture nos doutes s’agissant de l’introduction des valeurs – dignité, probité, laïcité, neutralité – dans le texte même du statut. Comme le souligne Anicet Le Pors, s’il est nécessaire d’affirmer des principes ancrés dans l’histoire, tels que l’égalité, l’indépendance ou la responsabilité, les valeurs n’ont, elles, pas vocation à se traduire directement en règle de droit.

Surtout, au regard de la jurisprudence étoffée en la matière, on perçoit mal quelle serait la valeur ajoutée de l’article 1er pour le statut des fonctionnaires. Il aurait été plus opportun selon nous, alors même que nos services publics sont de plus en plus fragilisés et que les attaques contre le statut des fonctionnaires se multiplient, de réaffirmer les valeurs et les principes du service public et de la fonction publique.

Par ailleurs, nous nous réjouissons que la commission mixte paritaire ait supprimé les dispositions relatives aux trois jours de carence en cas d’arrêt maladie, l’allongement de deux à trois ans des contrats à durée déterminée en cas de vacance d’emploi ou la possibilité de recruter sous droit privé dans les groupements d’intérêt public à caractère administratif.

S’agissant des « reçus-collés », nous sommes satisfaits que la commission ait entériné l’allongement de la durée de validité de la liste d’aptitude à quatre ans. En revanche, nous regrettons vivement que le recours à l’intérim, initialement remis en cause, soit finalement maintenu dans les trois fonctions publiques.

D’une manière générale, nous réitérons aujourd’hui nos regrets s’agissant des objectifs assez peu ambitieux de cette réforme, qui privilégie les questions de déontologie – pour certaines, certes, positives – et de discipline, au détriment des principales préoccupations des agents publics.

Plusieurs modifications majeures attendues par les agents sont en effet absentes de ce projet de loi. Nous avions défendu en première lecture des amendements tendant à revenir sur de graves atteintes statutaires, en particulier la loi Galland du 13 juillet 1987 concernant la fonction publique territoriale, et par-là le recrutement sur liste d’aptitude caractéristique du système dit des « reçus-collés », ou la règle de la retenue du trentième indivisible en cas de grève – amendement Lamassoure. Nous regrettons que nos amendements n’aient pas été adoptés.

En définitive, si les députés du Front de gauche continuent de porter une appréciation en demi-teinte sur ce projet de loi, ils voteront une nouvelle fois en faveur de ce texte. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, cet important projet de loi, souvent évoqué depuis trois ans, s’inscrit dans la profonde réforme de la France que notre majorité politique a engagée depuis 2012, dans le souci de moderniser celle-ci, de l’adapter aux évolutions de la société et de rendre son droit toujours plus efficace et plus juste.

Ce texte ne remet évidemment pas en cause le statut général des fonctionnaires et notre système de fonction publique, qui constituent le cadre le plus adapté pour garantir continuité et cohésion au service des collectivités publiques et des citoyens. Il réaffirme en revanche les valeurs guidant l’action publique et l’éthique des fonctionnaires, tout en consacrant l’exigence d’exemplarité de ceux-ci et en renforçant l’unité du statut général.

Ce texte s’inscrit ainsi dans la suite de la grande loi relative à la transparence de la vie publique du 11 octobre 2013, certains de ses articles étant d’ailleurs la réplique pure et simple de ceux adoptés dans ladite loi.

Je formulerai plusieurs remarques rapides à la suite de la tenue de la commission mixte paritaire, qui a été conclusive sans porter atteinte aux principaux objectifs du texte.

Tout d’abord, un constat : notre société pluraliste est menacée dans sa cohésion par des tendances à l’exclusion, l’opposition et la discrimination. La fonction publique est, elle aussi, remise en cause et je déplore comme vous les propos blessants qui peuvent être tenus sur la fonction publique, en oubliant le dévouement des hommes et des femmes qui se mettent au service de l’intérêt général.

Par ailleurs, on ne peut cacher le malaise et le désarroi qui sévissent dans la fonction publique. La remise en cause du désintéressement dans une société consumériste, la perte de prestige des valeurs collectives, le rejet de la réglementation et de la norme, le sentiment de n’être pas récompensé au mérite ou des conditions matérielles difficiles expliquent en partie ce malaise. Je salue à cet égard le geste du Gouvernement envers les fonctionnaires. Aussi, plus que jamais, il importe de conforter le caractère irréprochable de la fonction publique et de lui dire notre attachement.

Ce texte nous le permet. En effet, il consacre les valeurs entourant le service public, valeurs qui doivent susciter de nous tous, citoyens, une reconnaissance pour ceux qui les font vivre scrupuleusement, au bénéfice des usagers de l’administration.

À ce propos, je dirai à ceux qui sont déçus de ne pas voir l’obligation de réserve, qui a suscité de nombreux débats, inscrite parmi les valeurs figurant à l’article 1er, que le dispositif jurisprudentiel en fait une valeur incontournable ; mais son exigence, distincte en fonction des situations, a conforté l’idée qu’il était plus sage de ne pas l’inscrire en tant que telle dans le texte.

La jurisprudence administrative a depuis longtemps dégagé des obligations s’imposant aux fonctionnaires, telles que l’impartialité, la probité, la dignité, aux côtés de principes constitutionnels de neutralité et de laïcité. Les agents publics connaissent ces règles de conduite, les pratiquent pour satisfaire l’intérêt général et l’exigence de service public qui les habitent, mais il est essentiel aujourd’hui d’asseoir les textes déontologiques sur le fondement législatif ainsi proposé.

Naturellement, l’affirmation de ces valeurs ne doit pas laisser penser que l’administration serait à la dérive. Bien au contraire, elle est intègre, dans son ensemble, et c’est elle qui a contribué, au fil des ans, à développer le sens de l’État, de l’intérêt général, une éthique du service public et de la fonction publique.

Le dispositif de la déclaration de patrimoine et de la déclaration d’intérêt, d’ores et déjà opérationnel pour les élus et les membres du Gouvernement, est désormais étendu aux fonctionnaires. Au contraire des dispositions de la loi sur la transparence de la vie publique, ce texte ne détaille pas les postes ou emplois soumis à ces deux déclarations d’intérêt, qui seront exigées en fonction de la hiérarchie et des fonctions remplies dans la fonction publique.

Le texte prévoit la transmission de toutes les déclarations de patrimoine à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Je tiens à remercier à ce titre à la fois la ministre et la rapporteure, qui ont satisfait notre exigence visant à remplacer par un texte les ordonnances sur les juridictions administratives et financières initialement prévues dans le projet de loi.

S’agissant d’un texte emblématique de la prévention du conflit d’intérêts, il était malvenu de confier l’examen de ces dispositions au seul Gouvernement, en lien avec le Conseil d’État et la Cour des comptes. Les magistrats administratifs et financiers seront donc également soumis à ces mêmes mécanismes déontologiques. On peut toutefois regretter que les magistrats administratifs ne prêtent pas serment, comme les magistrats judiciaires ou financiers.

M. Jacques Alain Bénisti. Il faut faire une loi !

Mme Cécile Untermaier. Comme vous le savez, chers collègues, le Conseil d’État a rejeté cette proposition.

Ainsi, cette culture déontologique va s’étendre à toutes les fonctions publiques et aux diverses juridictions. Au quotidien, il sera possible de recourir à un déontologue référent pour tout conseil s’agissant de la prévention des conflits d’intérêts.

Je n’insisterai pas sur les autres points du texte, que les orateurs précédents ont évoqués. Ils sont tout aussi importants, en tant qu’ils harmonisent le dispositif des sanctions dans la fonction publique, clarifient les conditions du cumul d’activités, clarifient des situations complexes par des droits nouveaux, majorent le temps de validité d’un concours de la fonction publique territoriale, ou précisent la protection fonctionnelle et d’autres droits et obligations.

Au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, je vous remercie donc, madame la ministre, madame la rapporteure, d’avoir défendu un texte exigeant, très important, confortant dans l’exemplarité et l’unité le statut de la fonction publique. J’invite donc la représentation nationale à participer avec force et conviction à l’adoption de ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy, dernier orateur inscrit.

M. Guy Geoffroy. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous voici appelés, au terme de ce débat, à nous prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire.

Assurément, ce texte figurera parmi ceux dont le processus législatif aura été pour le moins surprenant, voire chaotique. Voici quelques rappels – toujours utiles – sur la forme. En juillet 2013, le Gouvernement dépose un premier projet de loi, qui compte 59 articles. Deux ans plus tard, en juin 2015, il décide, par la lettre rectificative dont nous avons parlé, de « recentrer le projet de loi sur l’essentiel », soit 25 articles, et d’engager la procédure accélérée. Deux ans à ce pas de tortue, puis le lièvre arrive ! Une procédure accélérée, sur un projet de loi raccourci, en attente depuis deux ans sur le bureau de l’Assemblée : il existe sans doute démarche plus cohérente !

La commission des lois se réunit alors. Notre rapporteure, que je salue car elle a réalisé un travail remarquable, ici comme en commission mixte paritaire, présente un certain nombre d’amendements et en fait approuver plus de 130, qui rétablissent – devinez quoi ! – les mesures supprimées par le Gouvernement dans sa lettre rectificative. Nous comprenons la cohérence…

Le Sénat, pour ne pas être en reste, présente 138 amendements, puis 64 en séance – ce qui, reconnaissons-le, n’a pas franchement conduit à resserrer le sujet, ni le propos. Le Gouvernement a d’ailleurs profité de l’examen du texte par le Sénat pour faire adopter quelques modifications substantielles du code de la défense qui, disons-le, ne portent pas à contestation.

Ce sont finalement 80 articles que l’Assemblée a votés. 21 ont été adoptés conformes par le Sénat. Celui-ci ayant ajouté 22 articles et en ayant supprimé 7, la commission mixte paritaire devait se réunir pour des broutilles – 81 articles restant en discussion ! La voie d’un accord a pourtant été trouvée, au prix de certaines améliorations s’agissant du statut ainsi que des conditions d’exercice et de reconnaissance des fonctionnaires des trois fonctions publiques, mais aussi de quelques renoncements bien dommageables, qui feront l’objet de ma conclusion.

Inscrire de nouvelles valeurs, comme celles de laïcité, de dignité, d’impartialité, dans le texte est certes intéressant, mais n’aurait-il pas fallu choisir entre intégrité et probité, les deux termes étant parfaitement synonymes ? Cette question n’a pas reçu de réponse en commission mixte paritaire, aussi je me permets de la poser à nouveau.

Par ailleurs, s’il est souhaitable de mieux prévenir les conflits d’intérêts, le Gouvernement est malgré tout retombé dans les mêmes écueils que ceux qu’il avait rencontrés lors des lois relatives à la transparence.

Ainsi, malgré ses apports, le texte a omis certains aspects, qui viennent d’ailleurs d’être évoqués. Je veux en particulier parler du droit ou, plutôt, du devoir de réserve.

Celui qui vous parle a été fonctionnaire pendant trente-cinq ans, et il en est fier. Il est fier d’avoir été un fonctionnaire loyal, neutre, engagé au service de l’État et de nos concitoyens que, comme tant d’autres, il a servis. Eh bien, affirmer qu’un fonctionnaire a une obligation toute naturelle de réserve, plutôt que de se retrancher derrière la jurisprudence, c’est le protéger, comme c’est le protéger que de revendiquer qu’il soit considéré par nos concitoyens comme l’égal d’un salarié du privé – je parle là des jours de carence, dont vous avez, à la suite d’un oukase de la majorité socialiste à l’Assemblée, imposé qu’ils ne fassent pas partie du deal entre les deux chambres.

Des dispositions ont été maintenues, et il faut s’en féliciter : le recours à l’intérim, que vous vouliez supprimer, mais que le Sénat a réussi à conserver ; le juge administratif dans les conseils de discipline, dont le maintien était en péril ; la prolongation du dispositif de titularisation dit « Sauvadet » jusqu’en 2018, ce qui est une bonne chose. Mais, à côté de cela, que d’occasions gâchées, avec la réintroduction de la possibilité d’appliquer une durée légale de travail inférieure à trente-cinq heures, avec les dispositions restreignant le cumul d’activités des fonctionnaires et, surtout, avec la suppression de la réintroduction de la carence : nous voulions trois jours, nous aurions pu aboutir en commission mixte paritaire à un accord sur un jour, mais l’oukase que j’ai évoqué s’est imposé, et je le regrette considérablement.

Ce texte est une série d’occasions manquées. Il y a eu des avancées positives, mais ce que vous avez refusé, alors que vous auriez pu, en faisant un effort de consensus, accepter, n’aurait pas nui à la fonction publique et aux fonctionnaires, mais les aurait au contraire servis, en leur évitant l’opprobre dont on les couvre trop souvent. Vous ne l’avez pas voulu.

Ce texte aurait pu nous satisfaire. Malheureusement, ce n’est pas le cas, et c’est pourquoi le groupe Les Républicains ne le votera pas – à regret.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

5

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly